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l
le
,'?3.5-
1
I
HISTOIRE
DE LA
TERREUR A BORDEAUX
HISTOIRE
DE
LA TERREUR
A BORDEAUX
PAR
C »
M. AURÉLIEN VIVIE,
Vice^Frésident de la Société des Archives historiques de la Gironde,
Lauréat de ^Académie de Bordeaux.
UHistoire est un témoin.
(Voltaire, Hist. de Charles XII.)
La vérité exige que tout soit dit, absolument
tout. (L. Blanc, Hist. de la Révol. franc.)
Pour bien écrire l'histoire, il fitut être dans
un pays libre. (Voltairs.)
TOME I
BORDEAUX
FERET ET FILS, LIBRAIRES-ÉDITEURS
i5, COURS OE l'intendance, i5
1877
* t ' * V ^ t * 't * ^ t * 't *' ' t * ' t * 4 * "'t ' ' I * ^V *V 4 * 't ' * t * * V * V '' t ' * l ' ' I ' ' I * ' ^t*
LISTE DES SOUSCRIPTEURS
cA L'HISTOIRE VE LA TERREUR
A BORDEAUX.
Son Émincnce Monseigneur le Cardinal
Donnet, archevêque de Bordeaux.
Sa Grandeur M" De La Bouillerie, coad-
juteur.
Sa Grandeur M** Fonteneau, évSque
d'Agen.
Son Excellence Monsieur Jules Dufaure,
président du Conseil des mi.iistres,
garde des sceaux, ministre dç la Justice
et des Cultes.
Son Excellence Monsieur le duc Decazes,
ministre des Affaires étrangères.
MM.
Devienne, premier président de la Cour de
cassation.
Lévy (S.), grand-rabbin de Bordeaux.
Astruc (Aristide), grand^abbin de Belgique
Hubert- Delisle, sénateur.
Vicomte de Pelleport-Burète, sénateur.
Raoul Dnval père, sénateur.
Armand Béhic, sénateur.
Daguenet, sénateur.
Clanzet, député.
Baron Jérôme David, député.
Dréolle (Ernest), député.
IzcMird, premier président de la Cour
d'appel.
Ferdinand Duval, préfet de la Seine.
Albert Decrais, préfet de la Gironde.
Charles Antran, commissaire général de la
marine.
Comte de Gabrielli, procureur général de
Bordeaux.
Larouverade (de), procnrenr général à
Ronen.
Baron Jorant, procureur général à Douai.
Vancher (A.), président de chambre à la
Cour d*appel.
Alban Bourgade, président de chambrée la
Courd*appel.
Vonzellaud (E.), président de chambre à la
Cour d'appel.
Dopérier de Larsan (E), président de
chambre à la Cour d'appel.
I
1
MM.
L. de Villcrs, trésorier-payeur général.
Tambour, secrétaire général de la Préfec-
ture de la Seine.
Henry (A.), auditeur au Conseil d'État,
secrétaire général de la Préfecture de la
Gironde.
Gellibert (L.), président honoraire à la Cour
d'appel.
Bretenet, président dn Tribunal civil.
Petiton-Saint-Mard, procureur de la Répu-
blique à Bordeaux.
Tondut, pr cureur de la République à Blaye.
Rivière- Bodin, vice-président du Tribunal
civil de Bord;:aux.
Daudin-Clavaud, président du Tribunal
civil de Blaye.
M*' Cirot de La Ville, prélat romain,
doyen de la Faculté de théologie.
Abria, doyen de la Faculté des sciences.
Teisserenc de Bort (Edmond), chef du
cabinet du ministre de l'agriculture et du
commerce.
Chambre de Commerce de Bordeaux.
Bibliothèque de la ville de Bordeaux.
Bibliothèque de la Cour d'appel de Bor-
deaux.
Archives municipales de Bordeaux.
Cercle Philharmonique.
Cercle du New-Club.
Cercle du Club-Bordelais.
Cercle de l'Union.
VI
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM.
Abadiï de Villeneuve de Durfort (barM d').
Abert, inspecteur des établissements de
bienfaisance de la Gironde.
Achard (J.).
Adolphe (Charles).
Adrien (Albert).
AiUoud père, assureur maritime.
Alary, ancien conseiller de Préfecture.
Alaux, architecte.
Alauze (Paul-Énile), avoué.
Alber l(Paul), château Sivaillan.
Albrecht, négociant.
AUain (l'abbé), vicaire i Saint-Louis.
Amanieu (l'abbé), vicaire à Castelnau
(Médoc).
Andrault (d')Jniaire à Saint- Gcrvais.
Andrieu (Justin).
Andrieu (C), avoué.
Anfrlade, avocat à La Réole.
Antoune, agent-voyer à Castelnau (Médoc).
Aradel, rentier.
Archu. inspecteur primaire à La Réole.
Ardouin (Pierre -Félix), conducteur des
ponrs et chaussées.
Ardisson fils (A.-A.), négociant.
Aren (Alexis), négociant
Arlaud de Saint-Saud (baron Aymard d'),
avocat.
Arnaud, propriétaire.
Arnaud fils, de la maison Cheberry, Raoul
Bernard et O*.
Amozan, pharmacien.
Astèi (P.), docteur-médecin.
Arti4ue(Paul).
Astruc (Adrien), banquier.
Audubert (Georges).
Auguin, artihte peintre.
Aumont- Gilbert, curé de Champagne-
Fontaine (Dordogne).
Avril, ancien membre du Conseil général.
Aymen (L.), conseiller général.
Ayrandi sous-préi'et de Saint-Malo.
B
Babilée, pharmacien.
Bachon, conducteur des ponts et chaussées.
Balaresque (Henri).
Balaresque (Charles).
Balet, à Arcachon.
Bailay père.
MM.
Baour (Abel), membre de la Chambre de
commerce.
Barailler(L.).
Barbier (L.).
Barbier (A.)»
Barboulane, sous-chef de division à la
mairie.
Baréta (J.-F.).
Baritault (de), conseiller général.
Barrême, sous-préfet à La Réole.
Barroy, avoué.
Bascle (Auguste).
Basquiat (L. de).
Basûé (Vital-Henry), né;:ociant.
Baudit (Amédée), artiste peintre.
Baudoux (Guillaume), propriétaire à Cas-
telnau (Médoc).
Baumevielle (Ari&tide).
Baumgartner, ingénieur des ponts et
chaussées.
Bauré (P.-F.), directeur de la Société géné-
rale de la Gironde.
Bayle (Paul), avocat.
Beau (Victor).
Beaufort (baron d'Amieu de).
Beaussant, sous-préfet de Toulon.
Beau vais (F.), avoué.
Bcauvais père (F.), agent de la Société des
compositeurs et éditeurs de musique.
Béchade, à Arcachon.
Bédiou (É.), notaire.
Bédouret (J.), notaire.
Bédouret (Jacques-Xavier).
Bégué (Chéri), propriétaire.
Bégué (Paul), né<;ociant.
Belleville (l'abbé), curé de Notre-Dame.
Bellier, ingénieur civil.
Bellier, directeur du Grand -Théâtre.
Bellot des Minières (H.), chanoine, secré-
taire général de l'Archevêché.
Benassi (V.).
Beneteau (P.), à Arcachon.
Bensac jeune.
Berchon, docteur-médecin, directeur du
service sanitaire de la Gironde.
Berge (Hector), homme de lettres.
Ber^^er (Cb.). architecte.
Bergeron (Adrien), à Castelnau (Médoc).
Bernard, propriétaire à Sauternes.
Bertheaud (Léopold), à Arcachon.
Bemiard (Emile).
B«rniard (François).
Bertin (l'abbé).
Besnard (L.).
i
LISTE DES SOUSCRIPTEURS.
Vil
MM*
Bethmann (Édoaard de).
Beadi i (Ga:>tave}, à Parit.
Biarnés (Paul), à Portets.
Blaquière (Alphonse), architecte.
Bitot (P.-A.)) professeur à TÉcole de
médecine.
Blanchy (J.), armateur.
Boibellaad, notaire.
Boisredon (R. de).
Boîsredon (Edmond de).
Boissac (E. de), trésorier de la ville.
Boissac (H. de).
Bonnaffé père, pharmacien.
Bonnald (V.), docteur-médecin.
Bonnet (H. Jean-Baptiste-Hector).
Bonneval (comte de).
Bony (baron de).
Borderia, notaire honoraire.
Borderie, conseiller général.
Bordes de Portages.
Bordes (Henri), armateur.
Borie (S.) père et fils, négociants,
Bosoq fils (A.), à Castelnau (Médoc).
Boscq (baron du), conseiller général.
Boocanns et Labroille.
Boudias, avoué honoraire.
Booffard (Ferdinand).
Bottflartigue (F.).
Boulan, avoué.
Bounaud aîné (E.).
Bouqnier (J.-H.).
Bourbon (l'abbé), vicaire à La Réole.
Bourdeau, directeur des Contributions
directes.
Bourget, vice-consul d'Espagne à Albi.
Bourlange (F.).
Bousquet (Charles).
Bousquet (l'abbé), curé de Cantcnac.
Bouvier (Léonce).
Bouyer (l'abbé Auguste), curé de Porchères.
Boyer, ancien secrétaire de la ville.
Brandam (Abner).
Brandemburg (Th.), négociant.
Brane (baron de).
Braylens (Camille), conseiller général.
Bréjat (Ferdinand).
Brezets (baron de), avocat.
Brezets (de), propriétaire.
Briol (A.), notaire.
Brivazac (baron de).
Brives-Cazes (E.), juge au Tribunal civil
de Bordeaux.
BrochoD (H.), avocat.
Broos-Cézcrac (vicomte de).
MM.
Brousse père (Eugène), agent de change
honoi aire.
Brun (Louis), ancien président du Tribunal
de commerce de Liboume.
Brunet.
Bruyère rPhilîppe), greffier à la Cour.
Bruyère (Auguste), notoire à Lamarque.
Buhan, avocat.
Burdel (Edmond).
Bussereau, secrétaire greffier du Cx>nseil
de préfecture.
Caboy (A.), notaire.
Callen (N.), conseiller général.
Cambon.
Cambon (J.).
Camiran (M- de), à Saint- Estèphe.
Campaoa (Ch.).
Campredon (L.), conseiller municipal
Cantegril (Léopold).
Cardez (Ferdinand), négociant.
Garenne et Sue, négociants.
Caries (V- de).
Carton (Adrien).
Carvallo (Ht«), consul de Perse.
Caspar (A.).
Castaing.
Casteja, conseiller général.
Caateinau d'Essenault (marquis de).
Castillon (Arthur).
Castro (A.), officier d'Académie, ministre
du culte Israélite.
Castro (G.-H.}.
Cathala (Victor), notaire.
Caussade fils, docteur-médecin.
Cayre(J.).
Cazai (Numa), à Castelnau (Médocl.
Cazembroot (Ch. de), négociant.
Cayrou (Aldde).
Cazenave (l'abbé Armand), curé de Moulis.
Cazenave (l'abbé P.), curé de Saint -
Augustin.
Chambrelent, ingénieur en chef des ponts
et chaussées.
Chaumet (William).
Cerf (Salomon).
Chadu (Ch.), professeur au lycée de
Bordeaux.
Chaigneau (Ch.), à Lormoct,
Chaix d'Est-Ange (Gustave), conseiller
général.
Chalup (comte de).
VIII
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM.
Chaleix (Louis), à Paris.
Chambolle, directeur de la Compagnie des
messageries maritimes.
Champetier de Ribes, directeur des
Domaines.
Champmas, dief de bureau à la Préfecture.
Changeur (Norville).
Chanterre, à Langon.
Chanterre, à Lesparre.
Chappelle (de), docteur-médecin.
Charles (L.).
Charpentier (E.), consul du Honduras.
Chartrou, avoué.
Chassaigne (de La), à Loupiac.
Chassain, greffier à la Cour d'appel.
Château, à Lesparre.
Chauliac (Ch.).
Chaumas (Vt« Paul).
Chaumeil, inspecteur primaire à Bordeaux.
Chaumel (Auguste).
Chauvet (Vabbé), curé à Bègles.
Chauvin (A.), négociant.
Chauvin (L.-Ch.).
Chauvot, avocat.
Chavauty (l'abbé), à Libourne.
Chenou, avocat.
Chervin aîné, à Paris.
Chesneau (Jules), avocat .
Chetwode-Brawne, à Arcachon.
Chicou-Lamy (G.), conseiller général.
Choisy (de), conseiller honoraire à la Cour
d'appel.
Choucherie.
Chrétien (Alfred).
Christophe (François-Isidore).
Cimetière, anclej conseiller de Préfecture.
Clauzel (Félix), conseiller général.
Claverie, avoué.
Clerc (J.-B.), président du Cercle Philhar-
monique.
Clossmann (F.), négociant.
Clouet (vicomte de).
Clouzet (F.), conseiller général.
Cluzeau (Paul du), à Castelnau (Médoc).
Cœuret (Charles), vicaire à Notre-Dame.
Collardom (Georges).
Collignan (A.), secrétaire du Comité des
chemins de fer du M di.
Colombier, courtier maritime.
Combes, professeur d'histoire à la Faculté
des lettres.
Compaiag, inspecteur général des ponts et
chaussées.
Constant.
MM.
Couraud (F.), directeur de la Ferme-École
de Machorre.
Coûtant (A.), vice-président du Conseil de
préfecture de la Gironde.
Cosson (G.).
Coste, curé de Soussans.
Coussin.
CoQard, directeur de la 35* Circonscription
pénitentiaire.
Courty (Ad.).
Cousi>adière (A.), à Flaujagues.
Coussolle, négociant.
Coutolle.
Cuginaud (Jules).
Cuigueau, docteur-médecin.
Curé, percepteur à Bordeaux.
Custot, directeur de l'Agence Havas
D
Dador (C).
Daguzan.
Damblat (F.-E.).
Daney (.\lfred), membre de la Chambre de
commerce.
Daniel (J.-T.-L.).
Dapy et Besse.
Daubèze de Savy-Gardeil (Mn* de).
Dauzat (E.-A.).
David.
David (Gaston), avocat.
David, avoué au Tribunal.
David, conseiller à la Cour d'appel.
Debessé (A.).
Debessé (Frédéric).
Deffès (Marcel).
Dégrange-Touzin, avocat.
Delage (Adrien).
Delol, consul général du Paraguay.
Deloynes (P.), professeur ù la Faculté de
droit.
Delpech (Henri).
Delpit (Jules).
Deltour jeune.
Demay de Certan (Sully).
Demonchy, à Arcachon.
Depardieu (A.), à Castelnau (Médoc).
Depas (E.) et C".
Dert.
Deschamps (Marins).
Descor (J.).
Desegaulx de Molet.
Des Grottes (Jules), conseiller général.
Desmaisons, docteur-médecin.
LISTE DES SOUSCRIPTEURS.
IX
MM*
Desmartis (Alphée).
Despaz (L.) père.
Despax (H.)i à La Tresne.
Despaz ÇCabbé Paul), caré de Saint-
Martial.
Desplats (J.), à La Réole.
Detrauz (Charies- Antoine).
Dévier, s.-inspecteur des Enfants assistés.
Deydou (l'abbé Ch.), vicaire à la cathédrale.
Deymet (l'abbé J.), coré de Daignac.
Dezeimeris (Reinhold), membre de l'Aca-
démie de Bordeaux.
Dircks-Dilly (E.), avoué.
Dircks-Dilly (Ch.).
Dodin (M"*), rentière.
Doinet (A.), rédacteur en chef du Journal
de Bordeaux,
Domecq-Cazeaux (Femand), k Belin.
Domingine (V.).
Dorlhiac (Emile).
Doit (Charles).
Douât (Raoul), au Carbon-Blanc.
Douaud (L.-A.) père, juge de paix à
Bordeaux.
Double.
Drivet.
Drouet (l'abbé R. A.), curé de Naujac.
Douillard de la Mahaudière.
Druilhet-Laâirgue, secrétaire général de
l'Institut des provinces.
Drouyn (Léo).
DttbaUen, notaire à Portets.
Dttban, ancien adjoint.
Du Bled, sous-préfet de Nontron.
Dubois (Fabien), château du Courras.
Dubois (Paul), négociant.
Dubos (J. Théophile).
Dnbosc (F ).
Duboscq (J.), avocat agréé an Tribunal de
commerce.
Duboscq, chef de bureau adjoint à la
Préfecmre.
Duboscq (Stanislas).
Duboul (J.), membre de l'Académie de
Bordeaux.
DubOurg, avoué à la Cour.
Dubourg, percepteur à Langon.
Dubreuilh (Ch.), docteur-médecin.
Dubreuilh (Léonidas), docteur-médecin.
Dubreuilh (Théophile), vice-président de la
Société d'Horticulture.
Ducarpe Junior, président du comice de
Saint- Emilion.
Ducasse (Jules).
MM.
Ducaunnès - Duval , sous - archiviste du
département.
Ducher.
Duchon-Doris (H.), courtier maritime.
Ducot (Adolphe).
Ducournau (Georges), agent de change
Ducourneau (C).
Dudon (E.), docteur-médecin.
Duffour (S.).
Duffourg-Belin, avocat.
Dufiourg (W.), agent de change.
Du Poussât de Bogeron (Gaston).
Dufrénoy, directeur de la manufacture des
Tabacs.
Dulac.
Dumas (Alexandre), à La Bastide.
Dumeau (Jeantillon).
Dumézil.
Dupac (J. M.).
Dupas (Osmin).
Duperrieu de Tastes, i Ambarès.
Duplessy, médecin principal du i8* corps
d'armée.
Dupart, maire de Cadillac.
Dupeyrat (B.), chef de division à la Mairie
Dupont, secrétaire général de la Société
d'Agriculture.
Durand (Ch.), architecte.
Durand.
Durand (Pierre).
Durand-Morange, commissaire des mon-
naies.
Duret (P.-H.) père.
Durodier, à Sauveterre.
Duroy de Suduiraut (G.).
Dusolier père, avoué honoraire.
Dutasta (Emile), ancien chef de division à
la Mairie.
Dutauzin (H.).
Duthil (Auguste).
Duthil de La Tuque (baron).
Duviella (A.), sous-chef de division à la
Mairie.
Escarpit
Escarraguel (Arthur).
Escarraguel (Dominique)
Estelly.
Etchégoyen (vicomte d'), château d^Olivier,
à Léognan.
Etcheverry (baron d*), à Léognan.
Eyqucra (P.-F.).
Eyrignoux, négociant.
b
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX,
MM.
Fabre de La Bénodière, conseiller à la
Cour d'appel.
Fabre de Rieunègre, & Bruges.
FallièreSf avocat.
Farine (Ch.)» conseiller à la Cour.
Fasdé (Paul), capitaine de navire.
Faucon (Ch. de).
Faugère fils, avocat.
Faugère, ingénieur civil.
Faure, ancien Commissaire Priseur.
Faurie (E.), juge au Tribunal civil de
Bordeaux.
Faux (l'abbé), curé de Saint'JuIien(Médoc).
Favière (de).
Faydit, fondé de pouvoirs du trésorier
général.
Faye (Antoine).
Faye-Montigny, substitut du procureur de
la République.
Fayou, à Lesparre.
Ferbos, conseiller général.
Ferreaud (Henri).
Perrière (André).
Férussac (A. de), avoué à Lesparre.
Fillol (de), à Capian.
Flinoy frères, directeurs d'Assurances.
Forcade (Ch.).
Fouquier (J.), t>anquier à Castelnau (Médoc)
Fourché (Paul), négociant.
Foumet (Frédéric), rentier.
Foumet (G.), château Raoul à Cursan.
Fribourg.
Froin, conseiller général.
Fumel (comte de), chflteau Lamarque.
Gaborit.
Gachassin-Lafîtte, avocat.
Cachet, conseiller général de Tlndre, à
Issoudun.
Gaden (Ch.).
Galle, receveur d'enregistrement à Laon.
Garât (J.^.), docteur-médecin.
Garitey, à Lesparre.
Gamier (Emile), avocat agréé.
Garrau (C), avoué.
Garres (V^*) jeune et fils.
Garric (Jules).
Gauban (Octave), avocat à La Réole.
Gauban.
MM.
Gaubert, à Villefranche.
Gaulier (Adrien), à Ambarès.
Gault (L.), rentier.
Gaussens (l'abbé E.), archiprêtre, curé de
Saint-Seurin.
Gautier (A.) atné, ancien maire de Bor-
deaux.
Gautier (A.-J.-J.),'fondé de pouvoirs du
Crédit agricole.
Gauthier (E.).
Gauthrin (M»« Vv«).
Gauzence (M« Vvt A. de).
Gazagne.
Georges (de), négociant.
Gergerès (Aurélien), avocat.
Gères (Jules de), château de Mony.
Germot, â Bègles.
Gervais, conseiller général.
Gervais (l'abbé), vicaire général.
Gilbert-Martin, homme de lettres.
Girard (J.-B.), agréé au Tribunal de
commerce.
Godard (C.).
Godbarge.
Godefroy (Antonin), à Paris.
Godefroy (G.).
Gombaud fils atné, â Castelnau (Médoc).
Gonfreville (E.).
Gontier (Léon).
Goubie (Emile), â Arcachon.
Gôudin frères.
Gouget (A.), archiviste du département.
Gourdon (François).
Gourrion (Eugène), â Castelnau (Médoc).
Graby.
Gradis, juge au Tribunal de commerce.
Graff(P.).
Grailly (vicomte de).
Grangeneuve (Aurélien).
Grangeneuve (Edmond), avocat.
Gras (G.), conseiller général.
Grassin.
GrateroUes (Maurice).
Griffon (E. de), ancien consul du Sr*Siége.
Gué (Oscar), peintre.
Guénan, château Suau â Capian.
Guérineau (Achille).
Guestier (Gaston).
Guibert (Gustave), propriétaire.
Guicheteau (l'abbé), curé de Sainte-xM«rie;
Bordeaux-La-Bastide.
Guilbaud (l'abbé), curé de Bégadan.
Guilhou.
Guionie (de).
j
LISTE DES SOUSCRIPTEURS.
XI
MM.
Guizerix.
Guttin (rabbé), curé de Sallebœnf.
Gaz (J.-J. de).
H
Halty (A.).
Haacbecornc (A.-P.)i coartier.
Hazera (Edouard).
Hazera (l'abbé), vicaire à Saint-Louis.
Hecquet (Paul), à Paris.
Henry, receveur de l'asile des Aliénés.
Hermenk (Angel).
Hermitte-Pelissier, avocat
Heyet (l'abbé), curé de Tresses.
Heyrim.
Hillairet (J.-B.).
Hospitel-Lhomandie.
Hoiirtillan.
Hubert (Ernest), directeur de la succursale
de la Banque.
Hue, hôtel de France.
Hugon (J.), à Castelnau (Médoc).
I
Icard, docteur-médecin, directeur de l'asile
des Aliénés de Cadillac.
lllaret (A.), médean vétérinaire à Saint-
Ferme,
Jabouin, ancien adjoint au maire de Bor-
deaux.
Jacquemart, inspecteur du travail des
enfants dans Tindastrie.
Jacquier, ingénieur des ponts et chaussées.
Jaumard (Emile), avoué.
Jemain (J.).
Joanne (H.).
Joanne (L.).
Johnston (Nathaniel), ancien député.
Jolivet (Louis), avocat.
Joly (A.), ingénieur en chef des ponts et
diaussées,
Jonmu (Henri).
Jurie, négociant.
Jurquet (l'abbé), archiviste diocésain.
m
K
Kercado (comte A. de),
Kersaint-Gilly (Charles de).
MM.
Klecker (Alfred), conseiller à la Cour
d'appel.
Kolb (M. G.) père, à Arcachon.
Kolb (Emile), à Arcachon.
Labadie (Ernest).
Labadie (L.).
Labadie (A.).
Labalette, juge suppléant.
Labat (Gustave).
Labat (Pierre).
Labayle (Alfred), notaire.
Labbé (A.), architecte du département.
Labié.
Labrit, notaire à Quis (Indre).
Lacaze (de).
Lacaze (Femand).
Lacaze (Eugène), conseiller général.
Lacaze du Thiers.
Lacoste (Marcelin).
Lacoste (Henri), ancien notaire.
Lacoste (l'abbé J.), vicaire à Saint-Seurin.
Lacou (J.).
Lacouture (L.)) à Baurech.
Ladous (Edouard), à Condom.
Lafabrie, avocat.
Lafage, avoué.
Lafargue jeune.
Lafargue (Eugène), greffier à la Cour.
Lafargue (Edmond), à Libourne.
Lafargue (E.), à Bordeaux.
Lafargue (Eugène), docteur-médecin.
Lafargue (Georges), rédacteur à la Préfec-
ture de la Gironde.
Lafargue (J.), architecte, cours de l'Inten-
dance.
Lafargue (H.).
Lafon(D.).
Lafon (Isidore), avocat.
Lagache (Alfred).
Lagrange (M*«).
Lagrange, précepteur au château Latour-
Carnet.
Lagrave, juge de paix.
Lajard.
Lalande (Armand), négociant.
Lalande (Ch.).
Lalanne (J.), ancien notaire.
Lalanne (E.), directeur du Poids public.
Lalanne (J.).
Laloubie (l'abbé), curé de Montigaut.
Lamarquc de Plaisance, à Arcachon.
XII
HISTOrRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM*
Lamberthod, coaducteur des ponts et
chaussées.
Landard, notaire à Castelnau (Médoc).
Lantfranqae (A. de).
Lang (VTe).
Lanoire (C), conseiller d'arrondissement.
Lapène (Ferdinand).
Lapeyre, à Castelnau (Médoc).
Laplacette, négociant.
Laporte fils.
Laporte (Mathieu), commandant des sa-
peurs-pompiers.
Largetcau, avocat.
La Rivière (de)^ à Mauriac.
Laroche (Oscar de), à Estillac.
La Roche-Tolay (de), ingénieur en chef des
ponts et chaussées.
Larouchelle (l'abbé), chanoine honoraire.
Larrard (de).
Larré, avoué.
Larroque, à Arengosse (Landes).
Larroquette, à Arcachon .
Laroze (Georges), greffier du Tribunal de
commerce.
Lassime (M"* A. de), à Béguey.
Lassus (J.).
Lataste (A.).
Lataste (E.), vice-président des hospices.
Latour.
Laurent, ingénieur en chef de la voie des
Chemins de fer du Midi.
Laussucq (H.), préposé en chef de l'Octroi
de Bordeaux.
Lavalette de Monbrun (vicomte), château
Cazeaux.
Lawton (Dan.), rentier.
Lawton (Ed.).
Lauga, conseiller d'arrondis', à Dieulivol.
La Vergue (comte de).
Le Barillier (Félix).
Le Bègue, directeur de Tasile des Aliénés
de Bordeaux.
Lebriat (L.).
Lebrun de Marck.
Leclerc.
Lefebvre, libraire.
Lefranc (Emile).
Lefeuvre, rentier.
Le Four, docteur-médecin.
Le Grand (A.-E.), négociant.
Legrix de La Salle, juge au Tribunal de
Bordeaux.
Legrix de Tustal, propriétaire.
Léon (Adrien), ancien député.
MM.
Léon (Alexandre), président du Conseil
général de la Gironde.
Leroy de Lanauze, au Rat.
Leroy, conseiller de Préfecture.
Lesca (Léon), conseiller général.
Lescall^ (Henry).
Lesnier (Frédéric), conseiller général.
Lespiuasse (G.), ancien adjoint.
Le Vavasseur.
Levieux, docteur-médecin.
Levillain (C), avocat.
Leybardie (Alfred de), propriétaire.
Liacim (Frère), directeur des Écoles chré-
tiennes de Bordeaux.
Livertoux.
Lomenie (Louis de), propriétaire.
Lopès-Dubec (R.-F.), négociant.
Lory (Henri de).
Loste (H.), notaire.
Lourse fils.
Luié-Dejardin (Henri), avocat.
Lur-Saluces (marquis de), ancien député.
Lussaud (L.), avocat.
Lutard.
Luytt, ingénieur en chef des mines.
Luze (Qi. de).
M
Mabit, docteur-médecin.
Magnan.
Maignan (Victor).
Maître (Adrien).
Malet (baron de).
Malve2in (Théophile), avocat.
Mandeville (A.), homme de lettres.
Manès, docteur-médecin.
Manières (A.), conseiller à la Cour d'appeu
Marbœuf(Noé).
Mareilhac, ancien maire de Mérignac
Marbotin (Ch. de), ancien secrétaire général
de la Préfecture.
Marcellus (comte Edouard de).
Marchand et Ramon.
Marmisse, docteur-médecin.
Maroix (Pierre).
Marquette (l'abbé A.),curé doyen d'Audenge
Martin (Amable).
Martin (Gustave). ^
Martin, adjoint au maire de Listrac.
Martin (Martin), chef de musique.
Masson.
Massy (A.-J.).
MaUbon (Paul), architecte.
LISTE DES SOUSCRIPTEURS.
XIII
MM.
Manbourguet (J.)>
Maarel (£.), plaident de la Société Philo-
mathique.
Mauvezin (baron de).
MauTezio (marquis Leblanc de).
Mayer (Léon).
Maze.
Mégret, membre de l'Académie de Bor-
deaux.
Mennesson (P-.Louis).
Méran (Georges), avocat.
Mèredien (de), avoué.
Mèredieu (Km. de).
Méric (E.), jeune.
Merman (G.), courtier.
Merman (Jules), juge au Tribunal de
commerce.
Merzeau, receveur municipal à Arcachon.
Meslon (baron de).
Mestrezat, consul de Suisse.
Meynard, chanoine honoraire, curé de'
Saint-Michel.
Mialle (Ch.).
Micé (L.), docteur-médecin.
Michau (François).
Miche (Emile).
Michel (Ch.), avoué.
Michel (Auguste), ancien greffier en chef
de la Cour d'appel.
Michelot (E.).
Michon, à Sens (Yonne).
Mimoso, avoué.
Minier (Hippolyte), membre de l'Académie
de Bordeaux.
Minvielle (M»*).
Miollis (de), juge d'instruction.
Mirande de Lavergne (Oscar de), à Castel-
nau (Médoc).
Myre-Mory (comte de La).
Mirieu de Labarre (Jules).
Moizan (Louis).
Molliet (Maxime), à Casteinau (Médoc).
Mongardey (Charles).
Montcenis (l'abbé).
Montcheuil (Moreau de), inspecteur des
Douanes en retraite.
Montesquieu (Gérard de).
Moquet (Vtb).
Morange (A.), avocat.
Moriac (E.).
Motz (Frédéric).
Moulin (G.), libraire.
Moulins (G. de), chef de division à la
Mairie.
MM.
Mounet (E.).
Moustié.
Muller(H.).
Musset, notaire.
N
Nègre.
Nicolet (L.).
Niel, sous-préfet de Nérac.
Noaillan (comte de).
Noguès (L.)<
Nolibois (Jean), à Saint-Médard-d'Eyrans.
Noyer, avocat.
Oberkampff (baron). Pavé des Chartrons.
Oberkampff (baron Emile), receveur des
finances au château Saint«Magne.
Olîvié (A.).
Oré (Cyprien), docteur-médecin.
Orza (S. de 1').
Panel (Adrien), à Cestas.
Panel (Tom), chef de division à la Mairie.
Papin (William).
Parenteau (l'abbé), curé de Sainte-Eulalie.
Paris (E.), avocat.
Pascal (E.), ancien conseiller d'État, ancien
préfet.
Pascault (Léopold), avoué.
Pascault (Léonce).
Passemard, inspecteur des Domaines.
Pauly (Paul).
Péchade-Taillefer, ancien juge de paix à
Verdelais.
Péhau père.
Peindre (A.).
Pelet d'Anglade (de).
Peletingcas, colonel de gendarmerie.
Péon, docteur-médecin.
Périé frères, architectes.
Périer (Léon),' officier d'académie, phar-
macien À Pauillac.
Perpignan (Alphonse).
Perrens.
Perrot (Ch.), chef de cabinet du préfet de
la Seine.
Perry (L. de), doctear-médecin.
Person (F.-C.).
Péry, notaire.honoraire.
Petit-Laroche (S,).
XIV
HISTOIRE DE LA. TERREUR A BORDEAUX.
MM.
Petit (Fernand), avocat au Conseil d'État.
Peyrclonguc (A.), avoué.
Peyrusse (Gabriel de), au Nizan.
Pezeux, à Arcachon.
Pezinié.
Philiparie, agent-voycr-chef adjoint à la
Préfecture.
Picard (Edmond).
Pichard (Armand de), conseiller à la Cour
d'appel.
Pichard père (de).
Pichon-Longuevillc (baron de).
Pierlot (Vt« Auguste).
Piganeau (E.), artiste peintre.
Piganeau, banquier.
Pigneguy, à Lamarque.
Piis (de), à U Brède.
Pinchon (A.), directeur des Douanes.
Pineau (Jules de).
Piola, ancien maire de Libourne.
Pohls (H.).
Poinstaud (G.), avocat.
Pommez (Jules), avocat.
Pontac (vicomte G. de).
Pontevès de Sabran (marquis de), conseillei
général
Potié (Albin), ancien secrétaire du maire
de Bordeaux.
Poujardieu, à Gradignan.
Pozzi (G.- A.).
Pradet (Emile).
Préaut (Charles),
Prieur (Jules).
Princeteau (Paul) fils.
Prom, négociant.
Prompt, ingénieur en chef des ponts et
chaussées.
Proust (Camille).
Pruce, conducteur des ponts et chaussées.
Pujos (E.).
Pujos, docteur-médocin.
Puydebat, docteur-médecin.
Quintin père, ancien notaire.
Quintin (Paul), notaire.
I
Raba (Amédée).
Rabion (J.-E.), notaire,
Raboutet-Chevallier.
Rafaillac, docteur-médedo à Margaux.
MM.
Raffet, courtier.
Ragot (Gustave).
Rancourt (de).
Ransan (l'abbé), curé doyen de Castelnau
(Médoc).
Raoul- Bernard.
Râteau, avocat.
Raymond (l'abbé E.), curé de la Cathédrale.
Raymond (Adolphe), contrôleur municipal.
Raymond aîné, ancien maire de Listrac.
Rech (E).
Régis (Ernest).
Régis (F.), président de la Société d'Agri-
culture.
Reniac (A.), professeur au Petit-Séminaire.
Renouil (Pierre), aîné, maire à Cussac.
Requier, conservateur des hypothèques.
Rey-Gaussen (J.), pharmacien à Libourne.
Rhodc, négociant.
Ribadieu (Ferdinand).
Richard (Léonce).
Riffaud (Emile).
Rigondet (A.), membre du Conseil de
Prud'hommes.
Roborel de Climens.
Rodes (B.), négociant.
Rosset (A.), notaire.
Roussanne, chef de division à la Mairie.
Rousseau.
Rousseau (Louis).
Roux (Léonce).
Rozat (Ferdinand), notaire.
Sabourin (Emile).
Saige (E.), receveur des Domaines.
Saignât, avocat.
Sainse vin, chef de bureau i la Préfecture.
Saint-Germain (de), avoué.
Saint-Jean (Edouard).
Saint- Joseph (comte de).
Saint-Marc, agent de change.
Samt-Pierre (Ivan de), juge au Tribuna
civil de Bordeaux.
Salabert.
Saladin (l'abbé Ferdinand), vicaire i Saint-
Michel.
Saignes de Génies.
Salviat, docteur-médecin.
Samazeuilh (G.).
Santa-Coloma (A. de), consul de la Répu-
blique Argentine.
Sarget de Lafontaine (baron).
LISTE DES SOUSCRIPTEURS.
XV
MM.
Sarrat (G.).
Sarrau de Boynet (vicomte Aurélien de),
avocat.
Sarrau de Bo]ri)et (comte), directeur d'As-
surances.
Sarrail (Adolphe), membre du Conseil de
Prud'hommes.
Saurat père.
Sauvât, libraire.
Savès(PauI).
Schad (J.).
Sdimit (Georges).
Schacher(G.).
Scia fer (Honoré).
Séba (Isaac).
Séba (Charles).
Secrestat aîné (J.-H.)f conseiller municipal.
Seguey, docteur-médecin.
Seignac-Beckf professeur de rhétorique au
Petit-Séminaire.
Sellcrier (Alfred), à Saint-Médard-en-Jalle,
château Belfort.
Sénamaud (Jean), président de l'Institut
Confudus de France.
Sens (Henri).
Serieyx (Emile), à Limoges.
Scrvat (l'abbé), curé de Saint-Nicolas.
Sève (Eugène).
Sève (Henri), directeur du Dépôt de
mendicité.
Sèzc (Aurélien de), avocat.
Sicher (H.), notaire.
Sicre (François).
Silliman (Ch.), vice-consul de Suisse.
SoUberg, agent de change.
Sorbe (A.).
Sorbet (E.), à Castelnau (Médoc).
Soula, banquier.
Soulacroix.
Soulé fils, docteur-médecin.
Sourget (A.), ancien adjoint.
Sourianx (Léon), conducteur des ponts et
chaussées.
Souviron (T.).
Stéhélin (Alfred).
Sttdre.
Snperville (H.).
Sursol fils (F.).
Tafaillé (Bertrand).
Tampier(L.), consul général de lurquie.
Tandonnet (Paul), consul du San Salvador.
MM.
Tastet (Gustave), conseiller général.
Tcisseyre (Jules).
Terpereau, pihotographe.
Tessèdre (Edouard).
Tessier (Clément).
Teynac (Valentin).
Theulier.
Thevenard.
Thiac (Eugène de).
Thibaut (l'abbé Cypricn), à Portets.
Thieffry (Jean-Baptiste).
Thierrée, notaire.
Thierry,
Thierry (Edouard).
Thomas (Prosper).
Thounens, conseiller général.
Tillct (P.), vétérinaire.
Tiphon (l'abbé), curé d'Eysines.
Tischler (Ch.), négociant.
Tougne (Louis), à Castelnau (Médoc).
Toulouse (Adolphe).
Tramasset.
Trancart, sous-préfet de Liboumc.
Tregan, à Arcachon.
Tresse, capitaine de frégate, à Rochefort-
sur-Mer.
Tresse.
Treyeran, ancien maire de Cuiudéran.
Trigant de Beaumont (comte Élie- Joseph-
Louis- Arthur).
Trubesset (Auguste), consul de Saint-
Marin.
Turban, secrétaire de la Mairie de Cussac.
U
Uzac (Joseph), chflteau Fourchateau, à
Mérignac.
Val (du), notaire, à La Brède.
Valat, ancien recteur.
Valette-Lagavinie, receveur des Hospices.
Van Den Hemele, agent général du
Conservateur.
Vandercruyce.
Vapaille (Edouard), chef de division à la
Mairie.
Varlet (E.).
Varrailhon (M.-C).
Vautrin, percepteur.
Veccheider.
XVI
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM.
Vène, archiviste de la Société d'Agriculture.
Verdalle (Henri), médecin.
Verdalle (Gabriel), avocat.
Verdeau (E.) et O*, Assurances nuiritimes.
Verdier(J.).
Vergez fils (H.).
Vergez (Ad.), négociant.
Vergez père et fils.
Verthamon (marquis de), château du
Castera.
Verthamon (baron de).
Verrière fils, à Castelnau (Médoc).
Vézia (Louis), supérieur des Pères Jésuites.
Vézia jeune, négociant.
Viaud, à Gauriac.
Videau (A.).
Videau (Henri).
Vieillard (Albert).
MM.
Vignolles.
Viguier (H.), rentier.
Villiet (Joseph), membre de l'Académie de
Bordeaux.
Viros (l'abbé J.-H.)) curé de Brach.
Vives (J.-B.), ancien magistrat
Vivie (l'abbé Eugène de), curé-archiprêtre
de Daroazan.
Vivie (Achille de), i Montauban.
W
Wustemberg (Henri).
Youreau (G.), professeur au Petit-Sémi-
naire.
'* î ^* t ^'> ^ ^' >t ^'> l ^ t ^'^ t ^'> t* '' *t^t^ ''^ t* ''* t *'' *î ^
PRÉFACE
Ce livre n'est ni un pamphlet, ni une œuvre
de parti.
Cest un livre d'histoire, écrit avec impartialité,
sans parti pris, en dehors de tout esprit de coterie, et
dans lequel Tauteur s'est surtout attaché à raconter
fidèlement les événements dont la ville de Bordeaux
a été le théâtre de 1789 à 1794.
Voltaire a dit quelque part : a L'Histoire est un
témoin (0. m
Cest en témoin que Fauteur a écrit. Il use en
citoyen de la liberté dont la vérité a besoin (^) ; mais
il a juré de dire la vérité, toute la vérité, se souve-
nant, selon la parole d'un de nos grands historiens
modernes, qu'il n'y avait rien de plus condamnable
lorsqu'on s'était donné spontanément la mission de
dire aux hommes la vérité sur les grands événements
de rhistoire, que de la déguiser par faiblesse, de
l'altérer par passion, de la supposer par paresse, et
de mentir, sciemment ou non, à son siècle et aux
siècles à venir (3).
(1) Histoire de Charles XII.
(2) Duclos, Considérations sur les mœurs.
f3) M. Thier*.
XVIII HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Certes, il fallait une certaine somme de courage à
Tauteur pour entreprendre et mener à tin, dans sa
ville natale, une Histoire de la Terreur à Bordeaux.
Sur ce terrain brûlant, il risquait de soulever
des susceptibilités, de raviver des deuils, de ranimer
des passions que le temps a peut-être apaisées, et
d'être injustement taxé de jeter des ferments de
discorde et de haine au milieu d'une population qui
a prouvé son calme, sa modération, sa sagesse au
milieu des troubles civils passés ou présents.
Ces considérations n'ont pas eu le pouvoir
d'arrêter lauteur. Il a cru qu'il devait la vérité à
ses concitoyens, et il a précisément pensé trouver
dans le bon esprit dont ils sont animés un gage
d'indulgence et de bienveillance à la fois pour son
œuvre présente.
Il s'est rappelé que si l'histoire paraît quelquefois
censurer les personnes dont elle s'occupe, c'est bien
plus la faute des coupables que celle de l'historien (0,
dont le premier devoir est d'effrayer le vice par la
crainte de la postérité et de l'infamie (^).
Et il a écrit — honnêtement, sobrement, sans
arrière-pensée — le livre qu'il soumet au jugement
de ses lecteurs.
« L'Histoire qui punit et qui récompense, » a dit
Chateaubriand, « perdrait sa puissance si elle ne
savait peindre. » L'auteur a eu le sentiment de ce
précepte; mais il n'a pas forcé les couleurs de sa
palette, le sujet ne lui ayant pas paru comporter des
(i) Flcury.
(3) Tacite, Annales, liv. III, chap. lxv.
PREFACE. XIX
effets à la Delacroix : il a raconté dans un style
exempt des redondances, des subtilités ou des recher-
ches de phrase et de langage d'une certaine école
moderne, les événements d'une sombre et terrible
époque; il a pensé que s'il restait vrai et s'il
n'omettait rien d'essentiel, il aurait, par la force
même des choses, atteint le degré de coloris et de
peinture qui convient au récit des douleurs de la
patrie locale.
L'auteur ne s'est pas dissimulé que des esprits
chagrins l'accuseraient de jeter la pierre à la Répu-
blique et de la rendre responsable des atrocités de
la Terreur.
Il ne se défendra contre une pareille accusation
quen affirmant ses principes bien connus d'indé-
pendance et de libéralisme, et en répétant qu il n'a
voulu écrire ni un pamphlet ni une œuvre de parti (^).
Il a, avec d'excellents esprits, de l'amitié desquels
il s'honore et qui appartiennent aux partis les plus
opposés, reconnu depuis longtemps qu'au point de
vue du gouvernement des peuples et de l'autorité,
deux seuls principes divisent le monde moderne : la
monarchie et la souveraineté populaire. 11 accepte
ces deux formes de l'autorité humaine, et, sans se
prononcer sur leur valeur réciproque, il déclare en
âme et conscience qu'il n'est pas homme à reprocher
à ces principes les fautes ou les crimes commis
durant leur application et qu'il ne leur en fait pas
remonter la responsabilité.
(i) Interest reipublicce cognosci malos. (Bayle, dans sa dissertation sur
les libelles diffamatoires.)
XX HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Sans partager toutes les idées de Téminent auteur de
la dernière Histoire de la Révolution française ('),
il dira avec lui et sans réserve :
«... Efforçons-nous d'être justes.
» Déplorons du fond de Tâme la Terreur.
» Condamnons énergiquement la dictature en
» principe.
» Vouons au mépris le culte de la force.
» Maudissons lès excès et flétrissons les crimes... »
Tels sont les principes généraux qui ont dirigé
Tauteur dans la composition de son livre.
Il Ta cru utile; il a pensé que Theure était venue
de recueillir, sans haine et sans crainte, des docu-
ments déjà bien dispersés et dont le temps pourrait
encore compromettre l'existence; il a écrit sur les
pièces officielles, d'après les récits des contempo-
rains, et s'est imposé comme première loi la plus
entière impartialité.
A ce point de vue, il demande à signaler comme
preuve de cette impartialité la reproduction faite
volontairement et dans une large proportion, de
documents inédits ou importants qui lui ont paru
devoir passer intégralement sous les yeux du lecteur.
Il a dû sacrifier parfois, mais sans le regretter, la
concision du récit à la nécessité de l'éclairer par les
paroles ou les actes des personnages qui ont joué
un rôle dans les événements qu'il raconte.
En résumé, l'auteur le dit avec conviction : Son
livre manquait, il a composé son livre.
{\) M. Louis Blanc.
PRÉFACE. XX [
Il ne terminera pas ces lignes préparatoires sans
adresser du fond de son cœur des remercîments
sincères aux nombreux amis (') qui Font aidé de
leurs conseils et de leurs recherches, soutenu par
leurs encouragements et loué de son initiative. 11 leur
devra d'avoir mené son œuvre à bonne fin.
Toutes nos histoires locales sont muettes, on peut
le dire hardiment, sur Tépoque de la Terreur à
Bordeaux. La lacune sera comblée aujourd'hui;
Fauteur Tespère du moins; il n'a pas toutefois la
prétention d'avoir épuisé le sujet, et de plus habiles
que lui pourront peut-être le compléter plus tard et
ajouter des pierres nouvelles au monument qu'il a
tenté d'élever, non sans se dissimuler Timperfection
de son œuvre, pour servir à l'instruction de ses
concitoyens.
Reconnaissance et merci aux amis connus et
inconnus qui ont assisté ou qui assisteront l'auteur
pour le succès de son livre.
Telle est sa dernière parole avant de se livrer au
jugement des lecteurs.
A. V.
7 Avril 1871.
(I) Il y aurait Ingratitude de notre part à ne pas nommer ici M. Gouget,
archiviste du département, et MM. Ducaunnès-Duval et Roborel de Climens,
ses deux intelligents collaborateurs. I^urs communications, faites avec une
rare obligeance, ont grandement facilité notre travail.
XXII HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Son Éminence Ms^ le Cardinal Donnet, archevêque
de Bordeaux, a daigné adresser la lettre suivante à
Tauteur de Y Histoire de la Terreur à Bordeaux :
ARCHEVÊCHÉ DE BORDEAUX.
« Monsieur,
> Je viens de terminer la lecture de votre manuscrit et
m'empresse de vous offrir mes félicitations.
» Vous avez raconté avec exactitude, précision et clarté, les
)» faits qui composent V Histoire de Bordeaux pendant la longue
» tourmente révolutionnaire. Nulle part je n'ai vu peinte avec
» autant de vigueur la physionomie de notre ville à cette
» sombre époque, comme aussi je n'ai pas trouvé ailleurs, du
n moins aussi bien groupés, des faits importants dont vous
» indiquez avec une rare sûreté de coup d'oeil les causes et les
3> conséquences.
» Dans votre étude et vos recherches, vous avez rencontré
« soit à sa formation, soit dans ses développements, le schisme
» officiel qui s'appela l'Église constitutionnelle de Bordeaux et
» vous en avez parlé en catholique. J'ai pris soin toutefois de
j» marquer certains passages où votre pensée ne ressort pas
» assez clairement; un mot ajouté, une phrase refaite suffira
ï) pour dissiper toute obscurité (0.
» Quels documents, Monsieur, que ceux que vous avez
?> empruntés aux archives judiciaires! On les lit avec un
» poignant intérêt, mais en même temps avec une sorte d'effroi,
n Les sentences du tribunal révolutionnaire de Bordeaux et les
(i) T.*auteur a corrigé les légères imperfections signalées par Téminent
prince de l'Église.
PREFACE. XXIII
» interrogatoires sommaires des victimes frappent de stupeur;
» on se demande comment ont été possibles des monstruosités
]> pareilles.
» Mon Dieu, une pareille lecture pourrait-elle ne pas pro-
» duire sur le lecteur une impression salutaire et faudrait-il
» à ce point désespérer de nos contemporains, que le tableau
» des crimes d'autrefois ne leur fît pas flétrir les passions qui
i> qui les ont enfantés ? Non, sans doute, et cet espoir fait
» l'utilité et l'opportunité de votre livre.
» Je fais des vœux pour son succès et vous prie de me
» croire. Monsieur, votre bien dévoué,
» Ferdinand, cardinal Donnet,
» Archevêque de Bordeaux,
» Bordeaux, le 19 février 1872. »
4|»., |^ m | «.., | «-, | i. . >;!;( . i iH| ».> t ». >j; H |Mm < - » |< ..i |< - i t(" > |H|( . i t< ..i t« .. i| ».> |M| «
HISTOIRE
DE LA
TERREUR A BORDEAUX
LIVRE PREMIER
BORDEAUX POLITIQUE ET RELIGIEUX DE 1 789 A I792.
CHAPITRE I
BORDEAUX AVANT I789. — COUP d'œÎL RÉTROSPECTIF.
Bordeaux sous Louis XVI. — Turgot et la liberté commerciale. — Les
négociants boi délais. — • Haïti et le port de Bordeaux. — La guerre
d'Amérique. — Paix de 1783. — Traité de 1786. — Exportation des
vins de Bordeaux. — Le commerce et les beaux-arts. — Académie de
Peinture. — Académie de Bordeaux. — Le Musée. — Les belles-lettres à
la fin du XVIII* siècle. — Le clergé bordelais.— Le maréchal de' Richelieu.
— Le Grand-Théâtre — Le Château-Trompette. — La société bordelaise
et les salons. — Le barreau. — Le Parlement de Bordeaux. — Michel de
Montaigne, La Boôtie et Montesquieu. — Les alluvions.
La ville de Bordeaux était arrivée à Tapogée de sa
prospérité sous le règne du roi Louis XVI.
Les événements qui s'étaient accomplis de 1774 à 1783
avaient eu, pour le développement de la richesse publique
en France, les plus heureuses conséquences : les idées
libérales de Turgot en matière commerciale répondaient
à des besoins généraux et furent accueillies avec une vive
reconnaissance dans tout le royaume.
T. I. 1
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Si Tessor de ces idées fut en partie arrêté durant quelques
instants par la faiblesse du roi, par les résistances des
courtisans ou par Timpéritie du ministre Clugny, ancien
intendant de Bordeaux, il n'en est pas moins wai que le
mouvement était imprimé aux esprits, que le commerce
avait suivi sa voie, et qu'il n'était pas plus possible de le
faire rétrograder que d'obliger le torrent à remonter vers
sa source.
Bordeaux, toutefois, n'avait pas à retirer un profit
immédiat de l'application des idées de Turgot. Depuis
longtemps, en effet, cette ville était devenue le premier port
de France, et, grâce à l'activité et au génie commercial de
ses habitants, les navires bordelais flottaient sur toutes les
mers; ils étaient les instruments d'une richesse incalculable,
et la célébrité des négociants de Bordeaux s'étendait
jusqu'aux confins du monde, avec une réputation de probité
sans tache.
Il était vraiment beau de voir toute une pléiade d'hommes
honorables, dont le nom se pesait au poids de l'or, agiter
modestement, dans des comptoirs que dédaignerait le luxe
de nos jours, les intérêts les plus graves et les plus
importants !
Les Aquart, les Gradis, les Bonnaffé, les Leroy
et Capelle, les d'Egmont, les Furtado, les Ferrière, les
Johnston, les Barton, les Lopès-Dubec, les Journu,
les Wustenberg, les Nairac, les Letellier, les Sauvage, les
Baour, les Raba, les Fégère-Gramont, les Guestier, les
Tarteiron, les Balguerie, et tant d'autres que nous pourrions
nommer, forniaient l'élite de cette génération puissante qui
fut l'honneur de la cité.
Par son immense commerce avec Saint -Domîngue^
Bordeaux était en quelque sorte « la métropole coloniale
du midi de l'Europe 3>.
Dès 1784, le commerce d'Haïti était accaparé presque
BORDEAUX AVANT I789.
exclusivement par le port de Bordeaux, et près de
200 navires, appartenant tous à des armateurs de cette
ville, la mettaient en relation avec tous les ports de Saint-
Domingue.
C'était, entre la perle des Antilles et la cité d'Ausone, un
échange incessant : le sucre, Tindigo, le café, le cacao,
l'acajou abondaient sur notre place et y apportaient la
richesse et le mouvement commercial le plus extraordinaire.
La guerre d'Amérique amena toutefois un temps d'arrêt
dans ce mouvement; les escadres anglaises couvrirent la
mer des Antilles et firent la chasse aux bâtiments
marchands; mais la marine royale, commandée par les
comtes d'Estaing, de Guichen, de La Motte-Piquet,
d'Orvilliers et de Grasse, parut à Saint-Domingue et
protégea efficacement les transactions de la marine
marchande. Des convois de bâtiments furent à diverses
reprises escortés par les flottes de Louis XVI, et c'est
à cette protection que le commerce de Bordeaux dut de
ne pas péricliter entièrement.
La paix de 1783 vint mettre un terme aux dangers qui
menaçaient la prospérité bordelaise.
Trois ans plus tard, le célèbre traité de 1786, conclu
entre la France et l'Angleterre et qui consacrait le principe
de la liberté commerciale, fut un coup de fortune pour le
commerce français et pour celui du port de Bordeaux en
particulier : il créa une source inépuisable de débouchés
et de transactions dont profitèrent largement à la fois les
consommateurs, les producteurs, les négociants et la marine
marchande elle-même.
Grâce à ce traité, les vins de Bordeaux purent entrer en
Angleterre avec des droits diminués de près de moitié, et
les marchandises anglaises, à leur tour, abondèrent sur nos
marchés et devinrent accessibles aux bourses les plus
modestes.
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
La ville de Bordeaux, si riche déjà, atteignit alors le
plus haut degré de puissance et de prospérité, et durant les
dernières années du règne de Louis XVI, ses exportations
de vins, pour ne parler que de cette branche importante
à coup sûr de son commerce, arrivèrent au chiffre énorme
de 120,000 tonneaux par an ^^K
C'était dans le port de cette ville une activité qui avait
pris des proportions véritablement inouïes jusqu'alors; les
quais étaient encombrés d'une manière permanente de
marchandises en chargement ou en déchargement; la
rivière était couverte d'une flotte pacifique et sans cesse
renouvelée qui la sillonnait en tous sens, apportant les plus
riches produits coloniaux ou exportant les vins renommés
de la Gironde.
Que Ton ne s'y trompe pas cependant : l'esprit commer-
cial n'avait pas éteint chez nos pères ces qualités aimables
qui forment, avant tout, le fond de la race méridionale.
Ils ne sacrifiaient pas exclusivement aux nécessités du
négoce, aux désirs immodérés du lucre.
La poésie, les belles-lettres, la philosophie, les sciences et
l'économie politique étaient en honneur à Bordeaux à la fin
du XVIII® siècle. Le goût des arts et des choses de l'esprit y
était généralement répandu, et de nombreuses associations
aidaient au développement et à la diffusion des connais-
sances humaines dans toutes les classes de la population.
C'est ainsi notamment que VAcadémie de Peinture,
fondée par des artistes et des amateurs, favorisait à
Bordeaux, par des cours publics et des expositions solen-
nelles, l'étude des beaux-arts. Le peintre Lacour père en
fut longtemps le recteur. En récompense des services qu'elle
avait rendus, l'Académie obtint en 1779 la consécration
légale de son existence par des lettres -patentes du roi
(i) Henri Ribadieu, Histoire de Bordeaux pendant te règne de Louis X VI,
p. 59 et 60.
BORDEAUX AVANT 178g.
Louis XVI. Elle était emportée quelques années plus tard
par la tourmente révolutionnaire.
L'Académie royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts
de Bordeaux, fondée en 1712, et qui a eu Thonneur de
compter au nombre de ses membres associés Voltaire
et bien d'autres illustrations du xviii* siècle, publiait
des travaux importants, stimulait par son exemple les
littérateurs et les hommes d'étude, et jetait les fondements
d'une réputation justement méritée. Une pléiade d'hommes
éminents et distingués à des titres divers continue, de nos
jours, les traditions de cette savante compagnie.
En 1783, Duranteau, Saige et Lisleferme créaient, sous
le patronage de la reine Marie -Antoinette et sous les
auspices de l'intendant Dupré de Saint-Maur, la Société
du Musée, qui a jeté un vif éclat dans les fastes littéraires
de Bordeaux. Tous ceux qui cultivaient les belles-lettres
firent partie de cette Société et voulurent contribuer aux
dépenses des cours publics institués par elle. Le Musée
tenait ses séances dans une des salles de l'Intendance,
gracieusement mise à sa disposition; la littérature et la
musique l'occupaient principalement, et on peut lire dans
le volume publié en 1787 par la Société, des vers charmants
signés par des hommes qu'enrichissait le commerce et qui
ne dédaignaient pas de quitter la plume du négociant pour
prendre celle du poète.
Des travaux individuels qui ne furent pas sans mérite
secondaient d'une manière très soutenue les efforts des
associations que nous venons de signaler.
Nous pourrions en donner une longue nomenclature.
Bornons-nous à indiquer les principaux : De Clozanges
créait le Journal de Guienne; les médecins Barbeguière et
Capelle publiaient des mémoires estimés sur le mesmérisme
et le régime des hôpitaux; Chevalier, Alphonse et
Blanc s'occupaient des questions d'établissements publics
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
à Bordeaux; Cizos-Duplessis écrivait V Histoire poétique
des Parlements, qui fut un instant remarquée; Dégranges fils
traduisait ÏAgricola de Tacite; Péry, VAminte du Tasse
et la Jérusalem délivrée, et Tabbé Jaubert les œuvres
d'Ausone.
Vigneron était couronné par TAcadémie pour un Éloge
du maréchal de Biron; le négociant Laffont de Ladebat
employait ses loisirs à composer des ouvrages sur les
finances et l'économie politique; un autre négociant,
Dudevant, publiait un essai philosophique, sous le titre
à^ Apologie du Commerce; Risteau commentait VEsprit
des Lois, et Berquin conquérait son nom â^Ami des
enfants et de l'adolescence.
En 1776, Tabbé Desbiey publiait un remarquable
travail sur les Landes, et trois ans plus tard Tingénieur
Brémontier illustrait son nom en fixant les dunes
voyageuses, en les enchaînant au sol par Tensemencement
des pins.
Pendant le même temps, le savant botaniste Latapie,
qui fut Tami de la famille Montesquieu , écrivait sur le pays
bordelais une notice très curieuse et Un voyage en Italie
qui, malheureusement, n'ont pas vu le jour; l'infatigable
* abbé Baurein travaillait avec une ardeur juvénile à ses
Variétés bordeloises (»); Lumière publiait des Recherches
sur le droit public et les *Etats Généraux de Guienne, et
Ferrère préparait son opéra de Psyché et l'Amour.
Le clergé était, à cette époque, dignement représenté à
Bordeaux. Af Champion de Qcé, un prélat éminent et
remarquable sous tous les rapports, était placé à la tête du
(t) Nos éditeurs, MM. Feret et fils, viennent de publier, avec le concours
de M. Georges Méran, avocat, et de M. le marquis de Castelnau d'Essenault,
une réimpression des œuvres de Baurein, qui a obtenu le plus légitime
succès. Tous les lettrés doivent des remercîments aux intelligents éditeurs
et aux promoteurs si distingués de cette publication. De pareils travaux
honorent notre province.
BORDEAUX AVANT I789.
diocèse de Bordeaux; des hommes d'un talent véritable et
d'une irréprochable vertu l'entouraient : M. Pacareau, très
versé dans les matières canoniques et dont l'érudition était
recommandable, M. Pacareau qui depuis mais alors il
était fidèle à sa foi; M. Langoiran, qui fut assassiné
en 1792; M. Cauderès, auteur d'un Éloge du comte
d'Estaing; M. Dumyrat, dont on connaît une Oraison
funèbre de la princesse Marie Lec:{inska, reine de
France; M. Gourrèges, un prêtre plein d'enjouement et
dont le nom se conserve au séminaire de Bordeaux (»).
M. Jaubert, que nous avons déjà nommé et dont on a un
dictionnaire estimé des arts et métiers; M. PifFon, qui
fut membre de la Constituante, et une multitude d'autres
qui affirmèrent leur foi par l'exil ou dans des publications
qui honorent leur courage.
On peut dire, sans crainte de se tromper, que le clergé
bordelais de la fin du xvni® siècle était aussi vertueux
qu'instruit, et qu'il conservait intact le dépôt des traditions
de l'Église.
Le maréchal de Richelieu était alors gouverneur de la
province depuis 1758, et sous son administration, on doit
le reconnaître, la ville de Bordeaux s'était rapidement
embellie. Le vieux courtisan avait le goût des fêtes et des
grandes manières; une cour brillante l'entourait, et c'est à
lui que nous sommes redevables de plus d'un monument
et du degré de magnificence auquel parvint notre cité
durant son gouvernement.
«
L'activité des quais, l'animation des rues, les fêtes,
les concerts, les relations fréquentes d'une société élégante
et polie donnaient à la ville de Bordeaux une physionomie
(I) Il a chanté en vers faciles le Cuisinier du Séminaire, en 1767.
8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
qui n'a pas échappé à l'œil des voyageurs. Arthur Young
écrivait en 1787 : <r La manière de vivre qu'adoptent ici
les négociants est très somptueuse; leurs maisons et leurs
établissements sont d'un genre dispendieux; ils donnent
de grands repas, et plusieurs sont servis en vaisselle
plate. »
La recherche du luxe était poussée si loin par les
négociants bordelais, qu'ils expédiaient leur linge dans les
colonies pour le faire blanchir: cette mode, qui ne tarda
pas à être adoptée à Paris, par la cour principalement,
constitue un raffinement qui valait la peine d'être noté ici
et qui est assurément Findice d'un haut degré de richesse.
La construction du Grand-Théâtre fut un des actes qui
honorent le plus l'administration du maréchal de Richelieu.
C'est lui qui fit adopter par le ministre Galonné le plan
de l'architecte Louis, et sa volonté ferme et persévérante
eut raison des mauvais vouloirs de la jurade et des
détracteurs acharnés du grand architecte.
Dès 1 780, le Grand-Théâtre ouvrait ses portes au public,
et cet édifice (ïun luxe scandaleux, selon l'expression de
remontrances formulées par la Cour des Aides, ajoutait
aux magnificences de la ville.
En 1785, le roi ordonna la démolition du Château*
Trompette : il s'agissait d'élever sur les ruines de cette
forteresse inutile des constructions grandioses dont les
plans étaient dus, comme celui du Grand -Théâtre, à
l'architecte Louis. Au centre du nouveau quartier devait
se trouver une place demi-circulaire, de 900 pieds de
diamètre, vers laquelle convergeraient treize rues monu-
mentales, terminées par des arcs de triomphe et portant
les noms des treize États-Unis d'Amérique. Une colonne
de 1 80 pieds, la colonne Ludovise, surmontée de la statue
de Louis XVI, était destinée à dominer cet ensemble
majestueux et à compléter une œuvre qui n'aurait pas
BORDEAUX AVANT I789.
eu de rivale. Arthur Young vit ces plans; il en fut
ébloui i^K
La pensée de Louis reçut un commencement d'exécution :
quelques remparts furent démolis, des déblaiements assez
considérables eurent lieu; mais les événements politiques
arrêtèrent la réalisation de ce magnifique projet.
Quant à Louis, sollicité de toutes parts pour élever de
riches hôtels, il en construisit six ou sept (=») qui, s'ils n'ont
rien ajouté à sa gloire, ont du moins consacré sa réputation
parmi nous.
Ces grandes constructions avaient attiré à Bordeaux des
artistes et des ouvriers, comme les fêtes données par le
gouverneur y attiraient de toutes parts des étrangers de
distinction qui venaient se mêler à Télitè de la société
bordelaise.
L'aisance était générale et la prospérité régnait dans
toutes les classes : e: A Bordeaux, a écrit plus tard Jouannet
dans sa Statistique du département de la Gironde, vous
trouvez une abondance facile, une abondance généralisée,
celle qui en donne le sentiment à toute sorte de specta-
teurs; on dirait que le Pactole y coule, et coule pour le
peuple. >
Par les prodigalités de leur luxe et le grand train de
leurs maisons, par la protection qu'ils accordaient aux
lettres et aux arts, les hommes distingués placés à la tête
des diverses administrations publiques du temps répan-
daient le bien-être autour d'eux, et prenaient une part
naturelle au grand mouvement de la richesse publique qui
se faisait remarquer à Bordeaux.
Le duc de Mouchy, les comtes de Fumel et de Brienne,
commandants en chef de la ville, les intendants Clugny^
(0 De Larouverade, Les dernières années du Parlement,
(2) On peut citer les hôtels Sarget, Saige, RoUy, Fonfrède, LamoUère,
Fumel, Loriagne, Legrix de Lassalle, etc., etc.
10 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Dupré de Saint-Maur et Camus de Néville, les vicomtes de
Noé et du Hamel, maire et lieutenant de maire, un grand
nombre de riches jurats et de négociants partagent, avec
le duc de Richelieu, l'honneur d'avoir contribué à l'éclat
de Bordeaux à la fin du xviii^ siècle.
S'il était nécessaire d'invoquer des témoignages à l'appui
de cette prospérité, nous rappellerions le mot du comte
d'Artois devançant de quelques Jours, en 1777, les visites du
comte de Provence et de Joseph II, et s'écriant à diverses
reprises, devant le panorama surprenant qui se déroulait
sous ses yeux : c Je n'ai rien vu de plus beau ! . . . Je n'ai
rien vu de plus beau!... 0). »
Gentilshommes et négociants rivalisaient de luxe; les
concerts et les grands repas se succédaient, les salons
étaient ouverts, et une société brillante et choisie se pressait
partout; la richesse et le plaisir débordaient.
Parmi les salons les plus remarquables et les plus
fréquentés après ceux de la noblesse et de l'aristocratie
commerciale, on peut citer ceux de M™ Louis, femme de
l'architecte, musicienne très distinguée et l'une des beautés
de l'époque (*), de M. Lemesle, où se réunissaient les
illustrations du barreau, et enfin de M. Gradis et de
MM. Raba frères.
D'un autre côté. Du Paty, Jean de Sèze, Duranteau,
Martignac père, Cazalet, Garât, Brochon, Vergniaud,
Guadet, Gensonné, Ferrère, Devignes et d'autres encore
remplissaient le palais des accents de leur éloquence, ou se
préparaient à jeter sur leurs noms l'éclat plus ou moins
prochain des luttes politiques.
Le Parlement de Bordeaux ajoutait à cet ensemble qu'on
pourrait appeler féerique.
(i) Mémoires de la République des Lettres, année 1777.
(3) Le portrait de Madame Louis, peint par Robin, le peintre de la
coupole de notre Grand-Théâtre, a figuré au Salon de 1776 ou 1777.
BORDEAUX AVANT I789. II
Disons quelques mots de ce grand corps judiciaire et du
rôle politique quUl joua durant les dernières années du
règne de Louis XVI.
Le Parlement de Bordeaux, qui était devenu Pun des plus
importants du royaume par son étendue et par Tillustration
de ses membres, comptait à son origine, en 1462, un
président et sept conseillers; en 1789, il se composait de
cent dix-sept officiers titulaires divisés en cinq Chambres,
et tenait ses audiences dans l'ancien palais des ducs de
Guîenne, au château de TOmbrière.
Son existence peut être partagée en deux phases
distinctes : dans la première, il lutte d'abord avec le
pouvoir royal dans Fintérêt du maintien des privilèges
du pays bordelais, puis pour son compte personnel, durant
les guerres de la Fronde, contre le despotisme insolent des
ducs d'Épemon, qui cherchaient à anéantir la puissance
parlementaire.
La deuxième phase commence avec le xviii® siècle :
les intérêts de la France semblent être devenus alors le
principal objectif de ses protestations contre les envahisse-
ments arbitraires de la cour, contre ses désordres et ses
prodigalités, contre les édits bursaux qui opprimaient le
peuple en enrichissant les ministres et les courtisans.
La suppression des offices de tous les Parlements,
en 177 1, le châtia de ses résistances et de sa fermeté (^K
Au milieu des noms illustres que Ton pourrait citer dans
ces phases diverses, trois figures au moins se détachent, qui
ont jeté un vif éclat sur le Parlement : Montaigne,
rimmortel auteur des Essais; La Boëtie, son ami, qui a
écrit quelques pages d'une haute et admirable philosophie
sous le titre De la Servitude volontaire, et Montesquieu
dont le grand nom dispense de tout éloge.
(I) Baron de Brezets, Essais hist. sur le Parlement de Bordeaux.
1
I
12 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
■ — 'il' - '
Louis XVI monta sur le trône en 1 774, et les Parlements
furent rappelés Tannée suivante.
L'édit de rappel fut accueilli avec enthousiasme dans
toute la province de Guienne, et le Parlement de Bordeaux
fut réinstallé le 2 mars 1775 par le duc de Mouchy.
Ce furent pendant trois jours des fêtes de toutes sortes :
l'allégresse était générale à Bordeaux; tandis que les riches
négociants donnaient des réceptions brillantes, les notaires
faisaient chanter un Te Deum, et les francs-maçons
fondaient une messe annuelle dans la chapelle du Becquet.
Nous n'entrerons ni dans l'examen ni dans le détail des
travaux judiciaires et politiques du Parlement depuis la
reprise de ses audiences.
Une importante question doit toutefois nous occuper :
celle des alluvions de la Dordogne et de la Garonne, qui
pendant cinq ans motiva les débats les plus vifs entre le
pouvoir et le Parlement. Un arrêt du Conseil, de 1781,
avait prescrit la recherche de toutes les alluvions de ces
deux rivières et ordonné leur réunion au domaine de l'État.
Cette décision causa une vive émotion dans toute la
province, et, d'accord avec l'opinion publique, le Parlement
délibéra des remontrances au roi. Son arrêt fut cassé en
1783. Il persista, mais le ministère lassé fît enregistrer
militairement des lettres-patentes annulant les divers arrêts
du Parlement et ordonnant l'exécution des arrêts du Conseil
relatifs aux alluvions.
Des remontrances itératives furent délibérées par les
magistrats bordelais ; on y remarqua cette phrase signifi-
cative : a: qu* il convenait de rétablir ces assemblées antiques
dont la convocation a été trop longtemps attendue ^^K i>
A cette demande non déguisée d'États Généraux, la
cour répondit par un lit de justice tenu à Versailles en
(i) Lettre au roi du 29 janvier 1785.
BORDEAUX AVANT I789. l3
juillet 1786. Le roi fit transcrire sur les registres du
Parlement des lettres-patentes contenant ses dernières
intentions.
Les droits des propriétaires riverains y étaient respectés,
et ce résultat était dû à l'attitude courageuse des Parlemen-
taires et à leur fermeté.
En juin 1787, le Parlement refusait l'enregistrement de
l'édit de création de l'Assemblée provinciale du Limousin
et protestait quelques mois plus tard contre l'exil à Troyes
du Parlement de Paris. La cour, irritée de ces résistances
incessantes, prit une mesure extrême, et, par lettres de
cachet, le Parlement fut exilé à Libourne ('^. Il obéit, mais
de nombreuses adhésions lui arrivèrent et, fort de l'assen-
timent public, il déclara qu'il ne reprendrait ses travaux
qu'après la cessation de son exil ^^K
C'est pendant son séjour à Libourne que le Parlement
délibéra tout une série de remontrances, fort admirées
alors, et où il abordait les questions les plus élevées de
l'ordre politique et social. Toute la province l'encourageait
dans cette voie, et les protestations des corps constitués,
du clergé et des sociétés savantes elles-mêmes ajoutaient
au mouvement des esprits et à l'inquiétude qui se traduisait
de toutes parts.
On était en 1788.
Louis XVI venait de publier treize édits demeurés
célèbres et dont l'objet principal était de restreindre le
pouvoir des Parlements en créant, au-dessous d'eux, des
grands bailliages chargés d'une partie des affaires dont la
connaissance leur était attribuée, et au-dessus d'eux, une
cour plénière chargée de l'enregistrement des impôts et
des lois pour tout le royaume.
(i) Le Parlement de Bordeaux le prit sur un ton si fier, qu*on le
transféra à Libourne. (Louis Blanc, Histoire de la Révolution française,
liv. I, chap. VL)
(2) De Larouverade, Les dernières années du Parlement,
14 HtSTÔIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Le 8 mai, ces édits étaient présentés par le comte de
Fumel au Parlement. Celui-ci refusa Fenregistrement ;
menacé dans ses privilèges et dans les attributions
politiques qui avaient fait sa puissance, il éclata en
remontrances passionnées.
M. de Fumel fit transcrire militairement les édite sur les
registres de la Cour et se retira.
Cette résistance qui, pas plus que les précédentes, ne
portait atteinte à la fortune commerciale et industrielle de
Bordeaux, était Tobjet d'une approbation enthousiaste
et générale.
Mais, sur ces entrefaites, les États Généraux furent solen-
nellement promis, et une ordonnance du Roi rappela le
Parlement exilé.
La rentrée à Bordeaux de cette grande compagnie amena
le retour des ovations de 1776. Le premier président
Le Berthon, dont c'était le destin, dut se laisser couronner
de roses et d'immortelles au milieu des applaudissements
de la multituie; Tavocat Garât le décora de la candeur du
sage et de Vâme sublime d'un Romain, et on l'appela
pompeusement, en latin, le Père de la Patrie.
Le barreau prit sa part de ces démonstrations; la ville
fut splendidement illuminée, et le peuple, après avoir
promené une effigie du ministre Loménie de Brienne, la
livra aux flammes au milieu des vivats et des imprécations
de la foule.
Ce furent les derniers triomphes du Parlement.
Le a 3 octobre 1788, il enregistrait sans opposition
IWdonnance annonçant la convocation prochaine des États
Généraux; puis le silence se fit autour de lui, et dès le mois
de juillet 1789, il se trouvait réduit à l'isolement et à
le'impuissance, signes avant-coureurs d'une chute éclatant
et prochaine.
Les esprits étaient emportés dans un mouvement général
BORDEAUX AVANT I789. l5
et vertigineux, et ce qui restait des vieilles institutions
féodales s'écroulait au milieu d'un douloureux enfantement.
La grande famille parlementaire était d'ailleurs puissam-
ment riche et jouissait dans la cité d'une influence sans
rivale. Elle touchait à tout et à tous; ses alliances lui
avaient créé des relations et des amitiés très nombreuses et
très étendues, et ses salons, comme ceux 'de la noblesse
et de l'aristocratie commerciale, réunissaient tout ce que la
ville renfermait d'hommes importants par les positions, de
familles connues par leur opulence. Les Le Berthon,
les Dudon, les Daugeard, les Verthamon, les Leblanc de
Mauvezin, les Baritault, les Lalande, les de Gourgues,
les Marbotin, les Pelet-d'Anglade, les Lavie, les Pontac
occupaient un rang élevé dans la société bordelaise de la
fin du xviii® siècle, et les fêtes parlementaires rivalisaient
avec celles des gouverneurs, de l'intendant, de la noblesse
et du négoce.
Au tnilîeu des traverses que nous venons d'esquisser et
où le Parlement affirma plus d'une fols un %oïsme qui
contribua à sa chute, Bordeaux restait une ville de plaisirs
et de luxe, et Young pouvait écrire : « Malgré tout ce que
1 j'avais vu ou entendu sur le commerce, les richesses et la
> magnificence de cette ville, elle surpassa mon attente. 3>
Tel était Bordeaux à l'aurore de la Révolution.
♦ ♦♦♦♦■♦♦♦♦♦♦♦♦■♦^ ♦▼▼♦♦44< ♦♦♦♦♦
•
CHAPITRE II
ESQUISSES HISTORIQUES DES ANNÉES I789 A I792.
Convocation des États Généraux. — Assemblées populaires. — Élection des
députés. — Les Quatre-vingt-dix électeurs. — Les aspirations des trois
ordres. — L'hiver de 1788-89. — Troubles à Bordeaux. — La prise de
la Bastille. »- Réunions au Jardin-Public. — L'armée patriotique
bordelaise. — Le Château-Trompette est attaqué. — La disette. — Le
Comité des subsistances. — Arrêt du Parlement pour réprimer les
désordres. — Cet arrêt est déféré à l'Assemblée nationale. — Suppression
du Parlement. — Élection des municipalités et des corps administratifs
et judiciaires du département. — Les Sociétés populaires à Bordeaux. —
La campagne de Montauban. — Vente des biens nationaux. — Fête de la
Fédération. — Troubles chez les boulangers. — Scènes de désordre au
théâtre. — Mort de Mirabeau. — Évasion du roi. — Élections à l'Assem-
blée législative. — Commencement du système des dénonciations. — Le
duc de Duras. — Proclamation de la Constitution. — Élections munici-
pales. — L'émigration. — L'instituteur Lacombe. — Plantation d^arbres
de la liberté. — La patrie en danger. — La statue de Louis XV. — Les
massacres de septembre. — Élections à la Convention nationale. —
Abolition de la royauté. — La République est proclamée.— Le Tribunal
de commerce de Bordeaux.
Des lettres closes du roi, du 24 janvier 1789, convo-
quaient les États Généraux pour le 5 mai suivant.
Le ministère Loménie de Brienne venait de tomber sous
le coup de Tanimad version générale ; la résistance unanime
des Parlements aux treize édits qui devaient inaugurer un
système nouveau avait hâté sa chute.
Depuis quelques mois, Tesprit public éprouvait de telles
variations, qu'il était devenu impossible de le diriger : il
marchait encore inconscient de sa force, ignorant ce qu'il
voulait, mais il marchait. Tous les problèmes sociaux
étaient agités, et des milliers de brochures et de pamphlets,
où les vérités les plus dures n'étaient pas épargnées au
ANNEES 1789 A Î79^. 17
pouvoir, inondaient le royaume. L^esprit public se sentait
comme émancipé.
Dans des discussions incessantes, dans des débats où
toutes les forces vives de la nation prenaient une large
part, dans des publications sans nombre, tout était attaqué,
discuté, mis en question, et Mirabeau, de sa voix puissante,
s'écriait : « La liberté frappe à la porte, courez au-devant ;
elle vous tend la main, sachez la saisir... Le despotisme va
fiiir comme Tombre devant Taurore. i>
Par suite et en vue de la réunion prochaine des États
Généraux, des assemblées populaires avaient lieu partout :
les citoyens de toutes classes et de tous états y venaient
discuter librement les questions politiques et sociales que
les circonstances mettaient en relief et dont Tactualité
s'affirmait chaque jour davantage.
C'était un spectacle étrange à la fois et nouveau de voir
une nation de 25 millions d'habitants, courbée jusque-là
sous le prestige d'une monarchie de près de quatorze siècles,
se lever résolue pour reprendre ses droits que nul n'avait
le pouvoir de lui disputer, et pour conquérir sur la faiblesse
du gouvernement les libertés dont elle lui avait confié le
dépôt. Elle puisait, à son réveil, il faut bien le dire, l'idée
de son insoumission dans les résistances dont les Parle-
ments lui avaient donné depuis si longtemps le dangereux
exemple; elle s'essayait dans la voie nouvelle, et sous
sa volonté naissante tout pliait déjà; le pouvoir, devenu
pusillanime et réduit aux expédients , reculait , non sans
lutter contre l'opinion; mais la grande explosion approchait.
On pouvait entendre et saisir de toutes parts les bruits
précurseurs de la chute de l'édifice monarchique, ébranlé
dans ses antiques bases.
C'est au milieu de cette émotion générale des esprits,
mêlée d'inquiétudes, d'hésitations et de joie en même temps,
que, le 18 février 1789, le grand sénéchal Du Périer de
T. I. a
l8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Larsan publia les lettres du roi du 24 janvier; elles furent
enregistrées au tribunal de la sénéchaussée de Guienne, et
les trois ordres furent bientôt appelés à élire leurs man-
dataires.
Les opérations préliminaires et définitives de cette
élection s'accomplirent, en effet, du 2 au 10 mars.
L'ordre du clergé fixa ses choix sur M*^^ Champion de
Cicé, archevêque de Bordeaux; MM. Piffon, curé de
Valeyrac; Delage, curé de Saint-Christoly, et d'Héral,
vicaire-général.
L'ordre de la noblesse nomma MM. Le Berthon, premier
président du Parlement; de La vie, président à mortier; le
vicomte de Ségur, maréchal de camp, et le chevalier de
Verthamon ^^K
L'ordre du tiers-état élut MM. Fisson-Jaubert, médecin;
Deluze-Létang, propriétaire à Coutras ; Boissonnot, notaire
à Blaye; Valentin Bernard, propriétaire à Bourg, pris
dans les communes de la sénéchaussée; et MM. Nairac et
Gaschet-Delisle, négociants; Lafargue, ancien consul, et de
Sèze, médecin, qui représentaient la ville de Bordeaux.
Les députés de la noblesse et du clergé furent nommés
directement; l'élection des députés du tiers eut lieu à deux
degrés, c'est-à-dire que les assemblées primaires choisirent
des électeurs qui procédèrent à leur nomination.
Les diverses corporations de la ville avaient été repré-
sentées dans l'assemblée électorale par quatre-vingt-dix
électeurs qui ont joué un rôle important, ainsi que nous le
verrons bientôt, dans les événements qui ne tardèrent pas
à surgir (2) .
Chacun des trois ordres devait remettre à ses repré-
(t) Laf!bn de Ladebat présenta une pétition contre la députation noble de
hordesiux (Moniteur du 20 au 24 juin 1790, n^ 10). Le comité de vérification
la repoussa.
(2) Appendice, note I.
ANNÉES 1789 A 1792. 19
r — -i 1 I ■ III _. ,
sentants, séparément et à bref délai, les cahiers de doléances
préparés en vue de la réunion des États.
L'opinion publique à Bordeaux, que Ton ne s'y trompe
pas, était encore indécise aux premières heures du grand
mouvement qui s'opérait; si elle affirmait son existence par
les discussions qui s'agitaient de toutes parts, elle n'avait
pas trouvé la formule définitive d'un système uniforme : la
noblesse rêvait le rétablissement d'États particuliers en
Guienne et une sorte d'autonomie pour la province; le
clergé voulait le maintien de ses privilèges, et le tiers-état
lui-même, imbu de l'esprit local et dont les vues ne
dépassaient qu'à grand'peine les limites du pays natal,
flottait hésitant entre son attachement aux coutumes
anciennes et les aspirations qui l'entraînaient vers un
nouvel ordre de choses.
Quoi qu'il en soit, les élus de la sénéchaussée de Guienne
étaient des hommes de bien, estimés et connus dans le
pays à des titres divers et qui s'étaient distingués dans les
fonctions publiques ou par des services rendus à leurs
concitoyens ; aucun d'eux toutefois ne se recommandait par
l'éclat d'un talent incontesté.
L'archevêque de Bordeaux et le premier président
Le Berthon avaient seuls une grande notoriété et une valeur
reconnue : le premier était un prélat distingué , homme
d^esprit et homme d'État, comme il le prouva durant son
mbistère; le deuxième, vieillard respecté, avait accumulé
sur sa tête, qui personnifiait le Parlement, les faveurs de la
province tout entière, grâce aux exils de 1771 et de 1788.
Nous pouvons ajouter que le nom des de Sèze, illustré
depuis par le défenseur du roi, apparaissait pour la
première fois dans les hautes régions de la politique.
Les représentants de la noblesse et du clergé reçurent de
leurs commettants des mandats impératifs; ceux du tiers
furent investis de pouvoirs généraux et indéfinis.
2ô HISTOIRE DE LA TERREUK A BORDEAUX.
Les élus de la sénéchaussée de Guienne partirent pour
Paris, laissant la ville de Bordeaux diversement impres-
sionnée par les événements qui s^ accomplissaient. L^hiver
de 1788-89 avait été excessivement rigoureux, et le peuple
avait eu beaucoup à souffrir; à cette circonstance doulou-
reuse, une autre plus grave et plus terrible venait ajouter
ses adversités : les denrées, et le pain surtout, étaient
devenus d'une rareté et d'una cherté extrêmes. C'était à coup
sûr plus qu'il n'en fallait pour exciter un mécontentement
dont profitèrent avec empressement des artisans de désordre
pour lancer le peuple dans les voies funestes.
C'est ainsi que, sous le prétexte du froid, des bandes
nombreuses se dirigèrent vers les marais des Chartreux et
dans les environs de la ville, et se livrèrent à des dévasta-
tions; des arbres furent abattus et dépecés, des mardiés
établis sur place, et le bois fut vendu et emporté par les
dévastateurs ou par les femmes et enfants qui suivaient la
foule égarée. Ces excès regrettables peuvent être considérés
comme le prélude des représailles qui se préparaient.
Quelques-uns des auteurs, de ces dévastations furent
arrêtés et poursuivis; mais on redouta les suites d'une
condamnation, que le peuple aurait certainement mal
accueillie, et les coupables furent relaxés après quelques
jours de détention.
Les États Généraux s'étaient réunis à Versailles, le
5 mai 1789, dans la salle des Menus-Plaisirs : nous ne
raconterons pas les péripéties diverses qui aboutirent au
serment du Jeu-de-Paume et à l'Assemblée constituante;
c'est de l'histoire générale, et tout le monde connaît ces
mémorables événements.
Disons seulement que la grande voix de Mirabeau
retentissait en France et que tous les cœurs battaient aux
redoutables accents de l'illustre tribun du tiers-état. Ce
transfuge de la noblesse était devenu en quelque sorte la
ANNÉES 1789 A 1792. 21
personnification du pouvoir nouveau, et il commençait
l'application du mot célèbre que Danton jeta plus tard au
sein de la Législative étonnée : De Taudace, encore de
Taudace, et toujours de Taudace...
Les provinces ressentaient vivement le contre-coup des
agitations de la capitale : la prise de la Bastille en est un
remarquable exemple.
La première nouvelle de ce grave événement arriva à
Bordeaux le 1 7 juillet par des lettres du constituant Nairac ;
elle fut accueillie au milieu d'une effervescence générale,
et le 18 au matin les habitants arboraient la cocarde
tricolore, dont Lafayette avait dit c^^ elle ferait le tour
du monde; dos démonstrations de joie publique éclatèrent
de toutes parts, le peuple invita les Quatre-vingt-dix électeurs
à adopter les trois couleurs nationales, et une adresse
chaleureuse, couverte de milliers de signatures, était en
même temps envoyée à l'Assemblée.
Ce ne fut pas tout. Le 21 juillet, 3o,ooo citoyens se
réunissaient au Jardin -Public pour délibérer sur les
mesures à prendre dans les conjonctures qui se produisaient
et pour assurer dans la ville et dans la province le
maintien de la sécurité publique. Cette immense réunion
fut admirable d'ordre et de tranquillité : des groupes
formés sur tous les points du Jardin discutaient individuelle-
ment les événements ou les racontaient avec enthousiasme ;
des orateurs populaires parlaient à la foule ; les femmes,
les enfants circulaient joyeux : c'était un délire général,
une joie indescriptible, un élan patriotique sans précédent.
Aucune violence, aucun excès ne déshonorèrent cette
réunion; mais les questions à l'ordre du jour s'y agitaient
dans une sorte de confusion et de dispersion des forces
vitales de la cité. C'est à ce moment que Fonfrède,
s'emparant d'une échelle, l'appuya ' contre un arbre; du
22 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
haut de cette tribune improvisée, faisant entendre le
langage le plus patriotique, il conseilla l'armement général
du peuple pour assurer le triomphe de la liberté.
D'autres orateurs lui succédèrent. Aucun d'eux, toutefois,
ne précisa les moyens d'arriver à l'armement populaire.
Fonfrède reparut, et, prenant texte d'un désir de la
jeunesse de la ville qui, depuis quelques jours, demandait
au théâtre la représentation du drame de Guillaume Tell,
il s'écria : « Ce n'est pas le moment, Citoyens, de songer
aux illusions du théâtre ; bien que la pièce de Guillaume
Tell respire le plus ardent patriotisme, elle ne convient ni
à nos habitudes, ni aux circonstances, car elle contient la
peinture des moeurs des Suisses au xiv® siècle, et nous
sommes les Français du xviii®. Cette pièce renferme des
passages d'une exaltation extrême et qui pourraient ofirir
des interprétations dangereuses à cette heure. Ne nous
exposons pas à être calomniés : renvoyons à d'autres
temps la représentation de Guillaume Tell, mais imitons
ce généreux citoyen; aimons la liberté et soyons armés
pour la défendre; et afin de déjouer les complots de la
malveillance, plaçons-nous sous le patronage des hommes
à qui nous avons confié le choix de nos députés. Pour
activer l'armement, désignons par acclamation deux com-
missaires de chaque paroisse qui se rendront auprès des
Quatre-vingt-dix électeurs et les inviteront, au nom du bien
public, à se mettre à notre tête. »
Des commissahres furent désignés sur-le-champ aux
applaudissements du peuple, et l'assemblée se sépara au
milieu d'une ivresse générale.
Les commissaires se rendirent immédiatement à l'Hôtel
de Ville, où les Quatre-vingt-dix électeurs étaient réunis, et
ils leur firent connaître la mission qu'ils venaient de
recevoir du peuple. Ceux-ci, déférant à la demande qui
leur était adressée, se constituèrent en assemblée délibérante
ANNÉES 1789 A 1792. 23
et déclarèrent accepter la direction du mouvement, afin de
le régulariser et de pourvoir aux soins que nécessitaient
les circomtances pour la défense commune et le maintien
du bon ordre de la ville,
U Armée patriotique bordelaise, c'est l'appellation
qu'elle reçut, était créée ^^K
Dans l'après-midi du 2 1 juillet, tous les habitants en état
de porter les armes se réunirent dans leurs paroisses
respectives afin d'être enrégimentés. L'enthousiasme était
tel qu'avant la fin du jour douze mille hommes se mettaient
à la disposition des Quatre-vingt-dix électeurs. Dès le
lendemain, le service était organisé, la garde de la ville
était confiée à l'armée patriotique, des patrouilles circulaient
dans la ville, et des postes extraordinaires et permanents
étaient installés sur divers points pour surveiller les
voyageurs, empêcher les attroupements et assurer le
maintien de l'ordre public ^^K
Au milieu de ces divers événements, le peuple conservait
une attitude calme; il semblait avoir le sentiment de sa
force.
Quelques démonstrations menaçantes eurent lieu cepen-
dant contre certains jurats qui tenaient leur pouvoir de la
nomination royale et non du suffrage populaire; mais ces
désordres eurent en réalité peu d'importance et furent
promptement réprimés.
Armée, à son origine, de fusils de chasse ou de fusils
de la garde bourgeoise conservés dans l'arsenal de l'Hôtel
de Ville, la nouvelle troupe bordelaise présentait un
ensemble singulier et disparate; le zèle des citoyens n'en
(i) L'armée patriotique bordelaise comprenait i3 régiments et 266 com-
pagnies. Le duc de Duras en fut nommé généralissime; le 3o juillet 1789, il
prêta devant les Quatre-vingt-dix électeurs serment de fidélité à la nation et
au roi. Le procès-verbal du serment est signé Brochon, vice-président, et
Fadeville, secrétaire adjoint. (Bibliothèque de Bordeaux, n« 3329 ^^O
(2) Appendice, note H.
I 1 • • /
I
24 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX,
fut pas toutefois diminué. Une circonstance fortuite, et
que nous ne pouvons passer sous silence, amena un
armement plus régulier.
Des bruits sinistres se répandirent tout à coup; le Club
Breton de Versailles avait été, dit-on, leur berceau. Le
29 juillet, ils parvinrent à Bordeaux : on disait que des
bandes armées parcouraient le pays dans tous les sens,
qu'elles dévastaient les récoltes, détruisaient tout sur leur
passage et qu'elles approchaient de la ville, menaçantes et
grossies par les imaginations. Ces bruits causèrent une vive
émotion, et l'alarme fut grande dans la ville. Pour calmer
les inquiétudes, les Quatre-vingt-dix électeurs envoyèrent
des courriers à Angoulême : les mêmes bruits y circulaient;
les craintes étaient générales, mais la tranquillité n'avait été
troublée ni dans cette ville ni dans les environs, et les
bandes armées y étaient à l'état de fantôme insaisissable.
Ces nouvelles ne purent toutefois rassurer les Bordelais ; les
défiances, compagnes inséparables de la peur, assiégeaient
tous les esprits.
Une malveillance occulte ne tarda pas à y ajouter ses
traits empoisonnés : on racontait mystérieusement que le
Château-Trompette était armé contre la ville, que sa
garnison était une ennemie, que les abords du Château
étaient minés, et que des approvisionnements considérables
avaient été accumulés dans la citadelle (^K
Tout devient vraisemblable aux heures de panique, et les
raisonnements demeurent impuissants. C'est en vain que
le comte de Fumel, commandant du Château, vint démen-
tir ces accusations. Le peuple se leva en masse, l'armée
patriotique demanda à grands cris des armes, et une foule
animée et bruyante se dirigea vers le Château-Trompette
pour s'en procurer. La garnison crut un moment à une
(i) Biblioth. de la ville de Bordeaux, Catalogue de V Histoire, n^ 3329 A.
ANNÉES 1789 A 1792. 25
attaque en .voyant les flots du peuple qui se répandaient
autour du Château ; elle se prépara à la résistance.
Le comte de Fume! n^hésita pas dans ces périlleuses
circonstances : afin d^éviter une effusion de sang, il remit
les clefs de la citadelle aux Quatre-vingt-dix électeurs.
Ceux-ci ouvrirent Tarsenal et firent distribuer des fusils
à Tarmée patriotique. Aussitôt la garnison du Château,
la milice bourgeoise et le peuple fraternisèrent; la sécurité
reparut, et des compagnies nouvelles, dans lesquelles se
firent inscrire les membres du Parlement, furent immé-
diatement organisées. On assista • alors à un spectacle
curieux : le peuple jouait au soldat; ce ne furent, pendant
bien des jours, que manœuvres militaires entremêlées de
fêtes publiques et de réunions où toutes les classes et tous
les rangs étaient confondus dans une douce confraternité :
la confiance avait succédé à la peur.
Avons -nous besoin de dire que Tagrî culture et le
commerce ne se ressentaient que trop des agitations de la
place publique, des préoccupations de la politique et des
terreurs qui, de temps à autre, comme un vent violent
dans un champ de blé, venaient courber les têtes sous
un souffle destructeur ?
Le commerce jetait son dernier éclat; il commençait à
s'alanguir et à diminuer.
Quant à Tagriculture, elle dépérissait chaque jour.
Ces deux sources de l'antique prospérité de Bordeaux
menaçaient de tarir.
La disette du dernier hiver avait créé de profondes
préoccupations, et de tous côtés on accumulait dans la cité
des approvisionnements en grains et en farines. Devenus
étrangers aux travaux de l'agriculture, les habitants des
campagnes montaient la garde, et c'est à la ville qu'ils
venaient chercher les denrées, au lieu de lui apporter,
comme autrefois, les produits de la terre. Si le présent.
26 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
comme on le voit, n^était pas exempt d'inquiétudes, Tavenir
s'annonçait sous de sombres couleurs.
Le Parlement, effrayé comme les citoyens des bruits
répandus, des tumultes dont la disette avait été le prétexte
et des agitations et des défiances qui jetaient le peuple sur le
forum, demanda aux Quatre-vingt-dix électeurs, par Torgane
du procureur général Dudon, d'user de leur influence et de
leur autorité pour calmer les alarmes publiques et refréner
les mauvaises passions. Dudon reconnaissait que le
Parlement et les jurats étaient sans vigueur et que la
persuasion d'ailleurs valait mieux que la répression dans
les phases pleines de dangers que traversaient la ville et la
province. Les Quatre-vingt-dix électeurs furent frappés
des observations du Parlement : tout croulait autour d'eux ;
ils restaient seuls entourés de la considération et du respect
général, et seuls ils pouvaient dominer la situation. Par
leurs soins, un Comité de subsistances fut immédiatement
organisé, et des mesures furent prises pour conjurer les
dangers de l'avenir.
La nuit mémorable du 4 août vint, sur ces entrefaites,
creuser à tout jamais l'abîme entre l'ancien régime et la
Révolution. Ce fut un entraînement général, mais dont les
conséquences échappèrent aux politiques de la Consti-
tuante : ils préparaient le suaire de la monarchie.
Cependant le Parlement, qui voyait son prestige s'évanouir
et son influence disparaître de jour en jour, se réveilla de
son atonie; il voulut paraître de nouveau sur la scène des
événements et prendre en mains la défense de l'ordre
public. Des troubles sérieux avaient eu lieu sur divers
points de la province ; on arrêtait la circulation des grains,
on incendiait les châteaux, on dévastait les récoltes, et les
malfaiteurs semblaient jouir d'une sorte d'impunité. Le
commerce et l'industrie couraient à leur ruine. La situation
était grave; elle avait même attiré l'attention du gouverne-
DE 1789 A 1792. 27
ment, et le garde des sceaux Champion de Cicé crut
devoir la signaler à l'Assemblée nationale dès le mois de
janvier 1790.
Les désordres qui eurent lieu au Grand -Théâtre, à
Toccasion du décret sur les Juifs (0, ne furent pas tout à fait
étrangers à la résolution du Parlement.
Le 20 février de cette année, le procureur général Dudon
lui présenta des réquisitions pour demander la répression
de désordres qu'il signalait comme les premiers fruits
d'une liberté publiée avant la loi. Un arrêt signé Daugeard
ordonna qu'il serait informé sur les faits mentionnés au
réquisitoire.
Ce document et l'arrêt furent imprimés et reçurent une
lai^e publicité.
Dès qu'ils furent connus, des murmures s'élevèrent; les
patriotes taxèrent de mensonges et de calomnies les faits
révélés par le réquisitoire du procureur général, et le
Parlement devint en butte à l'indignation populaire. Les
temps étaient bien changés !
Le 25 février, à sept heures du soir, l'Assemblée
patriotique du Café national, berceau du Club national
de 1793, faisait brûler, sur un bûcher dressé fossés du
Chapeau-Rouge, Tarrêt du Parlement et le réquisitoire de
M. Dudon. D'un autre côté, Boyer-Fonfrède dénonçait ces
documents au peuple et à la municipalité, et une députation
était envoyée à la barre de l'Assemblée nationale pour
demander le châtiment de ces écrits, qualifiés de pamphlets
anti'^répolutionnaires ^^K
Sur le rapport de M. de Montmorency, l'Assemblée
manda à sa barre le président Daugeard, et, après de
solennels débats qui eurent lieu dans le courant d'avril, la
(i) Séance de la Constituante du 9 février 1790 (Moniteur du ix fé-
vrier 1790, n«42).
(3) Appendice, note III.
28 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEiVUX,
suppression du Parlement fut prononcée par décret du
24 avril 1790. Ce grand corps judiciaire, qui avait eu tant
d'autorité dans la province et dont Thistoire n'a pas été faite
encore f'\ précédait sans bruit la chute de la monarchie.
Le 3o septembre 1790, un officier municipal se trans-
portait au palais de TOmbrière, fermait les salles d'audience
et apposait les scellés sur tous les greffes.
Le Parlement de Bordeaux n'existait plus...
Pendant les débats de l'Assemblée nationale dont nous
venons de rendre compte, de nouveaux corps constitués
étaient élus en vertu des lois nouvelles, dans toutes les
villes, dans tous les districts, dans tous les départements.
A Bordeaux, la municipalité était installée le 2 avril, et
l'antique jurade, qui avait survécu jusqu'à ce moment au
mouvement de 1 789, disparaissait pour toujours.
Les Quatre-vingt-dix électeurs cessaient en même temps
leur mission conciliatrice et tutélaire.
Dans les deux mois qui suivirent, les diverses autres
autorités administratives et judiciaires furent successivement
organisées.
On doit reconnaître que les choix furent heureux dans
ces circonstances. On remarquait, en effet, parmi les élus,
comme maire, M. de Fumel, lieutenant-général en Guienne
depuis trois ans; comme procureur général syndic du
département, M. Barennes, professeur de droit français,
l'esprit le plus éminent et le plus distingué que possédât
alors l'Université, ainsi que le disaient ses élèves Laîné et
Ferrère ; comme procureur de la Commune, Gensonné et
d'autres encore-, d'un autre côté, dans les conseils du
département ou de la Commune, on voyait figurer, ici
Vergniaud, Guadet, RouUet, Buhan, Duranthon, Sers,
(i) L'Académie de Bordeaux va publier très prochainement une Histoire
du Parlement, laissée en manuscrit par le regretté M. Boscheron Des Portes,
ancien président de chambre à la Cour d^appel.
ANNÉES 1789 A îygi. ^9
Joumu; là Duranteau père, Martignac père, Jaubert,
Albespy, etc., dont les noms grandissaient avec les évé-
nements <').
On peut dire que les gloires de la Gironde se levaient
avec les dangers qui menaçaient la patrie.
Le mouvement des esprits était très accentué à ce
moment; à l'exemple de Paris, on créait des sociétés
populaires, des clubs, des assemblées qui se mettaient en
relation avec les réunions de la capitale et entretenaient
parmi les citoyens une agitation de tous les instants. C'est
alors que fut fondée à Bordeaux la Société des Amis de la
Constitution, qui siégeait dans une des salles du couvent
des Dominicains et que présida longtemps Duvigneau,
dont nous aurons à raconter plus tard le supplice. Les
Amis de la Constitution, qui se faisaient remarquer par
leur esprit de modération, se composaient d'hommes
honorables appartenant à la bourgeoisie ou au commerce;
ils repoussaient les exagérations des clubs de la capitale, et
ils eurent le courage de répudier toute alliance avec les
Jacobins de Paris, quand ceux-ci eurent chassé Barnave et
les Lameth, pour les remplacer par Legendre, Marat et
Robespierre.
A côté de cette Société, et créée dès le début de la
Révolution par Desfieux ^^\ il en existait une autre que
nous avons déjà nommée. C'est la Société du Café
national : elle se composait de commerçants ruinés ou peu
honorables, de médecins, hommes de loi et procureurs
sans clientèle, de prêtres de mœurs ou de doctrines
suspectes, et de religieux qui s'étaient empressés de jeter le
froc. C'était un assemblage hétéroclite où dominaient les
idées démagogiques et où bouillonnaient les plus mauvaises
passions.
(i) H. Chauvot, Le Barreau de Bordeaux^
(3) Appendice, note IV.
3o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
C^est dans un café du cours du Chapeau-Rouge que se
réunissait cette Sociçté.
D^autres assemblées moins importantes avaient lieu sur
divers points de la ville; on put voir les femmes du
Grand-Marché, organisées en Société des Amies de la
Constitution, prendre part aux affaires publiques.
Des divisions profondes existaient dès 1791 entre les
diverses Sociétés populaires bordelaises. Nous en trouvons
la preuve dans une lettre d'un contemporain, un avocat qui
paraît n'avoir pas été Tami de Guadet. « Depuis
plusieurs jours, écrit-il, nous sommes ici dans la plus
grande agitation, relativement à une Société nouvelle qui
voulait s'établir sous le nom (ÏAmis de la Patrie. Cette
Société faisait profession de principes si raisonnables, qu'elle
aurait porté le coup le plus mortel aux Jacobites, pour peu
qu'on lui eût laissé de liberté dans les assemblées. Tous les
honnêtes gens s'y réunissaient en foule, et dès la première
séance, nous nous trouvâmes plus de 5oo membres; mais
pour se délivrer de rivaux aussi dangereux, il n'est point de
calomnies atroces qui n'aient été vomies par c^s scélérats,
à la tête desquels est le vertueux Guadet.... Les patrouilles
ne cessent pas, les canons sont chargés à mitraille ; tout le
monde porte des pistolets comme si nous vivions avec
des brigands, et presque aucun de nous ne peut se montrer
sans risque dans les lieux publics : toutes ces circonstances
nous ont décidés à nous séparer provisoirement (')....*
Nous aurons à reparler des sociétés populaires dont
l'action fut si redoutable pendant le cours de la Révolution.
Mais nous pouvons dès à présent faire connaître la part
que prirent les Amis de la Constitution et la Société du
Café national aux mesures prescrites par la nouvelle
municipalité au sujet des troubles de Montauban.
(i) Lettre de Laforgue, avocat, à Campagnac père. (Voir le dossier
Laforgue, archives du grefiè de la Cour, fonds révolutionnaire.)
ANNEES 1789 A I79îi.
L'élecrion des nouveaux corps constitués s'accomplit à
Bordeaux et dans le département de la Gironde au milieu
d'un calme général; il n'en fut pas de même au chef-lieu
du Tarn-et-Garonne.
La formation d'un corps municipal fut, en effet, Toccasion
de désordres sérieux à Montauban.
Cette ville avait été depuis Louis XIV Tun des boulevards
du protestantisme en France ; des divisions n'avaient cessé
d'y exister entre les habitants appartenant à la religion
catholique et au culte réformé. Ces divisions, sourdes et
latentes pendant de longues années, éclatèrent avec une
violence regrettable lorsqu'il s'agit de former une munici-
palité nouvelle. Les protestants l'emportèrent et furent en
majorité au pouvoir. L'exécution des décrets relatifs à la
fermeture des couvents servit de prétexte à des collisions
entre citoyens et à des troubles à la faveur desquels
M. de Montbrun, commandant de la ville et protestant, fut
percé de trois coups d'épée.
«A ce signal, dit M. l'abbé O'Reilly, le fanatisme
» aveugle et longtemps comprimé des classes inférieures
> de la société catholique éclata en mille désordres...
> pénibles à décrire ^0. 3>
C'est le 1 1 mai 1 790 que les Amis de la Constitution et
la Société du Café national furent informés des troubles de
Montauban. La nouvelle s'en répandit promptement, et le
patriotisme des citoyens et de la garde nationale s'émut au
récit de ces tristes événements. On résolut, d'un accord
unanime, d'aller au secours des victimes, et la municipalité
bordelaise fut invitée à régulariser les moyens d'exécution
d'une intervention due à l'initiative généreuse de ces
sociétés et de la population.
La municipalité adhéra sans réserve à cette demande ; le
(1) Tome I«', 2© partie, p. 48 et suivantes.
32 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
14 mai, elle prit un arrêté pour oflrir un asile et des secours
aux citoyens de Montauban qui croiraient leur sécurité
compromise. Ayant appris le lendemain que les troubles
continuaient, elle délibéra que le duc de Duras, généralissime
des gardes nationales de Bordeaux, serait prié de diriger
sur Montauban, afin d^ concourir au rétablissement de la
tranquillité publique, i,5oo hommes de garde nationale et
80 grenadiers et chasseurs de la garnison, et que ce
détachement s'arrêterait à Moissac pour attendre les ordres
de l'Assemblée nationale, qu'on avait prévenue par un
courrier extraordinaire.
Les 1 7 et 1 8 mai, le détachement partit pour Montauban
au milieu des démonstrations de la joie publique, sous le
commandement du major-général Courpon.
Quatre mortiers, des bombes et des munitions de toute
espèce furent expédiés de Bordeaux.
En cinquante-deux heures, le détachement et le matériel
de guerre arrivèrent à Moissac.
<c La municipalité de Montauban, déterminée à repousser
la force par la force, donna ordre à M. d'Esparbès,
commandant de la garnison, d'aller attaquer la première
colonne de l'armée bordelaise... Le détachement de cette
garnison en quartier à Moissac se prononça pour ses
frères d'armes de Bordeaux, et, indigné de ce que les officiers
se refusaient de donner des cartouches, il menaça de passer
avec armes et bagages au régiment de Champagne, qu'il
croyait incorporé dans Tarmée bordelaise. Témoin de ces
mouvements et convaincu de l'antipathie de ses soldats,
M. d'Esparbès se hâta de rentrer à Montauban. Le calme
se rétablit peu à peu dans cette malheureuse ville, et le
commissaire du roi, M. Dumas, en y arrivant, trouva que
les déplorables scènes de persécution religieuse et de
meurtre avaient cessé devant les conseils des hommes
sages et la juste crainte de châtiments bien mérités. Le
ANNÉES 1789 A 1792. 33
commissaire se rendit auprès des troupes bordelaises, les
félicita de leur zèle et de leur patriotisme empressé, et pour
éviter une collision qui pourrait avoir de regrettables
suites, il les engagea à rentrer dans leurs foyers (■). }»
Le major général Courpon déféra à cette invitation et
ramena ses troupes à Bordeaux, où elles firent leur entrée
le 8 juin suivant. Elles furent accueillies avec des transports
de joie par le peuple et par les corps constitués.
Telle fut la campagne de Montauban, diversement
appréciée alors, et qui, si elle se termina sans coup férir,
n^en constitue pas moins un exemple louable de solidarité
entre cités voisines et amies.
Elle occasionna une dépense de 64,862 livres, payée au
moyen d'une souscription volontaire ouverte à Bordeaux
et qui produisit 5o,523 livres; le reste fut soldé par la
municipalité de cette ville.
Cependant la vente des biens nationaux, commencée
en 1790, et qui, vers la fin de cette année, avait produit
près de 2 millions, ajoutait un élément de trouble à ceux
qui existaient déjà; on espérait que le total des adjudications
dans le seul département de la Gironde atteindrait le chiffre
de 3o millions; mais bien des consciences étaient émues d»
ces ventes, et les acheteurs de biens nationaux étaient vus
d'un mauvais œil par une certaine partie de la population.
Au milieu du trouble général des esprits, la municipalité
s'efforçait de maintenir la tranquillité dans la ville; elle
n'obtenait que des résultats imparfaits : des causes de division
sans cesse renaissantes existaient entre les citoyens; des
passions haineuses surgissaient de toutes parts, et l'autorité
se consumait en eflbrts qui ruinaient son prestige.
Les clubs et les sociétés populaires alimentaient sans
cesse l'agitation publique.
(I) O'Reilly, t. le, 2» part., p. 52.
T. I. 3
34 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
La fête de la Fédération, célébrée au Jardin-Public le
1 7 Juin 1 790, fit toutefois oublier pendant quelques instants
les dissentiments et rallia les cœurs dans une commune et
patriotique démonstration ^^K On aurait pu croire au retour
de la paix et de la fraternité ! Ces illusions, hélas ! ne furent
pas de longue durée. Un malaise général ne tarda pas à se
manifester : les vivres étaient rares et chers, le numéraire
avait disparu, les assignats étaient tombés dans un discrédit
à peu près comj)let, le commerce et Tindustrie n'existaient
plus que de nom. Il avait suffi de deux années pour changer
la face d'une des villes les plus riches du royaume !
Les besoins devenaient pressants, la misère s'étendait et
des rassemblements se formèrent bientôt devant les bouti-
ques des boulangers. Le peuple demanda la diminution du
prix du pain et la punition des accapareurs qui cherchaient
à affamer la cité. Des propos séditieux circulaient, et les
excitations, comme toujours, ne manquaient pas dans ces
tristes circonstances. Quelques boulangers devinrent victi-
mes de violences populaires, malgré les soins pris par la
municipalité pour calmer l'irritation du peuple et pour
empêcher des attroupements dont le moindre inconvénient
était d'aggraver les maux dont on avait à souffrir.
Ajoutons que la caisse municipale était vide, le Trésor
public ruiné, les capitaux enfouis, les lois sans force, et que
l'anarchie approchait terrible et menaçante.
C'est sous ces douloureux auspices que se présentait
l'année 1791.
Le mal faisait des progrès rapides ; il gagnait de proche
en proche; les administrations ne semblaient plus à la
hauteur des circonstances : le peuple ou, pour parler plus
vrai, les meneurs taxaient les autorités de modérantisme ;
on voulait des hommes dont les opinions fussent en
(0 Appendice, note V.
ANNÉES 1789 A 1792. 35
harmonie avec Fesprit nouveau. Les injures et les diffama-
tions furent mises en œuvre afin de lasser les adniinistra-
teurs et d'arriver ainsi à se débarrasser des honnêtes gens,
pour leur substituer les agents de la démagogie. On alla
même jusqu'à menacer de coups de canne certains membres
de la municipalité bordelaise.
Pendant que la situation s'accentuait et se tendait chaque
jour davantage, l'impuissance de l'autorité devenait de
plus en plus évidente; son action était tout à fait énervée.
C'étaient, au théâtre, des scènes d^ désordre assez fré-
quemment renouvelées et où l'audace des uns s'augmentait
de la faiblesse des autres ; c'étaient les exigences du Club
du Café national s'accroissant sans cesse, et d'autant plus
qu'elles étaient plus facilement accueillies. Le principe
d'autorité disparaissait; il allait n'y avoir bientôt plus
rien, ni respect, ni religion, et la souveraineté populaire
triomphait et s'affirmait à l'encontre de la raison et des
lois.
Le 5 avril 1791, on apprit à Bordeaux la mort de
Mirabeau. Un voile de deuil se répandit sur la ville. La
patrie de Guadet, de Martignac et de Gensonné ne pouvait
rester indifférente à la disparition de l'illustre orateur de la
Constituante.
La municipalité prescrivit à cette occasion la célébration
d'un service funèbre dans l'église métropolitaine, et pendant
trois jours les représentations théâtrales et les amusements
publics furent suspendus.
L'évêque constitutionnel Pacareau officia dans cette
circonstance, et il' inaugura ses fonctions épiscopales par
une apothéose du géant de la Révolution à son début.
Les clubs et sociétés populaires entendirent l'éloge mille
fois répété de l'adversaire redoutable qui ne pouvait plus
empêcher Vabbé Maury de parler.
Deux mois plus tard, une nouvelle foudroyante éclatait :
36 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
une lettre de MM. Nâirac et de Sèze en informait le
Directoire du département.
Dans la nuit du 20 au 21 juin, le roi s'était évadé des
Tuileries et TAssemblée nationale avait envoyé des courriers
dans toutes les directions. Une anxiété profonde s'empara
de tous les esprits, et les plus sinistres prévisions jetèrent
Teffroi parmi les citoyens. Ce fut à Bordeaux une panique,
passagère il est vrai, car l'arrestation de Louis XVI à
Varennes fîit immédiatement annoncée, mais cette panique
n'en fut pas moins vive, la royauté comptant beaucoup de
partisans dans cette ville. Le Directoire crut devoir adresser
une proclamation au peuple; il lui recommanda le calme et
la modération et fit, en même temps, appel à son courage
pour défendre la patrie si elle venait à être attaquée :
€ Nous n'abandonnerons pas le poste où votre confiance
nous a placés, disait-il, et nous ne cesserons pas un instant
de veiller sur la chose publique ^^K ]> Il prescrivit, en même
temps, toutes les mesures propres à assurer le maintien de
l'ordre et la sécurité des habitants.
Mais les émotions de la première heure ne tardèrent pas
à s'effacer, et la fête de la Fédération et de l'anniversaire de
la prise de la Bastille fut célébrée le 14 juillet, au Jardin-
Public, avec un éclat inaccoutumé. Le modèle de la
Bastille, offert par le patriote Palloy au Département,
figurait en tête du cortège. L'allégresse était générale; les
citoyennes de Bordeaux ajoutèrent à l'éclat de la fête par
leur présence, et défilèrent devant l'autel de la patrie au
bruit des applaudissements d'une foule innombrable.
On assure que le curé constitutionnel de Saint-Louis
donna ensuite la bénédiction nuptiale à des couples qui se
présentèrent à l'autel.
Cette fête nationale fut, dit-on, l'occasion de grandes
(1) Proclamation et arrêté du Directoire du département du 24 juin 1791.
\i
ANNÉES 1789 A 1792. 37
pompes et de réjouissances auxquelles la masse de la popu-
lation prit une large part. « Ici, nous sommes dans le
délire^ écrivait Tavocat Lafargue, et tout à la fois dans la
consternation ; il y aurait beaucoup à dire sur la tyrannie
des clubs....»
Le 3o septembre 179I) T Assemblée constituante terminait
ses travaux, et le peuple était appelé à élire les députés qui
devaient former TAssemblée législative.
Convoqués pour le 24 août, les électeurs des districts
se réunirent à Bordeaux, et leurs choix se fixèrent sur
MM. Barennes, Ducos, Gensonné, Grangeneuve, Jay
(de Sainte-Foy), Journu-Aubert, Lacombe, curé de Saint-
Paul, Laffon de Ladebat, Sers, Servière, Vergniaud et
Guadet. Garrau fiit nommé député suppléant.
Les députés du département de la Gironde étaient des
hommes d^ordre, partisans de la paix et de la liberté, et
qui, dès le début de la Révolution, s^étaient jetés dans le
mouvement et avaient adopté les principes nouveaux.
Parmi eux figuraient des orateurs éminents qui avaient
fait leurs preuves et devant qui s'ouvraient un théâtre
nouveau et les vastes champs de la politique. Les noms de
la plupart d'entre eux étaient appelés à briller d'un vif et
passager éclat, et leur souvenir est conservé parmi nous
avec un respect qui n'exclut ni les devoirs de l'affection ni
les droits de la critique et de l'histoire.
L'Assemblée législative se réunit à Paris le i*^ octobre
1791. Nous n'avons pas à raconter le rôle de cette
Assemblée, étouffée en quelque sorte par les travaux
gigantesques de la Constituante et les saturnales sangui-
naires de la Convention.
Durant son existence, la situation générale s'aggrava;
l'émigration prit des proportions inquiétantes et le pouvoir
royal vit disparaître son prestige, a Tout est perdu, 3> s'était
écrié Louis XVI, à la suite de la séance royale du 7 octobre.
38 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Dès cette époque, le système de dénonciations, si large-
ment exploité en lygS, commença à faire son apparition à
Bordeaux. Cest ainsi que I? duc de Duras, commandant
général de la garde nationale et qui avait donné des
preuves de patriotisme depuis le commencement de la
Révolution, fut dénoncé comme ayant fait des enrôlements
clandestins et contre -révolutionnaires. Il fut arrêté le
1 7 septembre, et une procédure s'instruisit contre lui . La
loi d'amnistie, votée par la Constituante avant sa sépa-
ration, le sauva du danger qui le menaçait. Rendu à la
liberté, le duc de Duras protesta fièrement qu'il cédait à la
force, mais redoutant avec juste raison les excès de la
Révolution, il quitta la France (^K
Quelques jours plus tard, le 25 septembre, on proclamait
avec apparat la nouvelle constitution dans tous les quartiers
de la ville, et le soir, au milieu des illuminations générales
et de la joie publique, les citoyens se réunissaient dans des
bals improvisés et célébraient cette œuvre de laquelle
M. Thiers a dit quelque part (c qu'il ne faut exiger des
hommes et des esprits que ce qu'ils peuvent à chaque
époque ».
L'année 1791 se termina par le renouvellement des divers
corps constitués et par l'entrée en fonctions, le 6 décembre,
d'un corps municipal nouveau.
Les partis se dessinaient dans l'Assemblée législative ; ils
commençaient à se compter, et le peuple, indifférent aux
nuances qui lui échappaient d'ailleurs, divisait les députés
en aristocrates et en patriotes.
Mais nous l'avons indiqué déjà, le danger du moment
était l'émigration, qui appauvrissait le pays et irritait les
populations, a Le vertige de l'émigration est incompréhen-
sible, ]» disait l'abbé de Montgaillard.
(i) Appendice, note VI.
ANNÉES 1789 A 1792. 39
Dès les premiers mois de Tannée 1792, le désordre et la
confusion régnaient un peu partout. Les clubs entretenaient
entre eux et avec les sociétés de la capitale une correspon-
dance suivie : les esprits s'exaltaient et s'excitaient dans
un échange de lettres qui remuaient les mauvaises passions.
Un inextricable réseau, ourdi par les Jacobins, s'étendait
peu à peu de Paris sur tout le royaume.
Les premières sociétés populaires de Bordeaux, modérées
au début dans une certaine mesure, avaient suivi les
progrès des idées. Les Amis de la Constitution, qui
avaient changé leur nom contre celui de Société des Amis
de la Liberté et de l'Egalité, avaient vu leur personnel se
modifier assez profondément; les principes d'ordre et de
conservation y dominaient encore toutefois, et l'influence
des Girondins y était prépondérante.
Quant au Club national, à qui nous donnerons désormais
cette appellation, il s'était renforcé de tout ce que la cité
renfermait de démagogues tarés, et son audace, bien des
fois essayée, avec succès, lui avait fait reconnaître son
pouvoir. Une figure sinistre se détachait au milieu de ce
club : c'est celle de Lacombe, un instituteur déconsidéré
que Martignac père, étant membre de la jurade, avait
condamné à la prison pour escroquerie. Lacombe, homme
audacieux et sans principes, parleur facile, chassé du Musée
en 1787 par Péry, et des Amis de la Liberté et de
l'Égalité en 1792 par Grangeneuve, s'était jeté à corps
perdu dans la démagogie et se faisait remarquer par
l'exagération de ses opinions. Jeune encore, ayant une
certaine instruction et servi par des passions basses et
.cupides, il avait l'ambition de parvenir, et il parvint. Nous
le retrouverons bientôt à la tête du tribunal révolutionnaire.
Une autre Société, les Surveillants de la Constitution,
n'était qu'une pâle copie du Club national.
Celui-ci était devenu une véritable officine de libelles, de
40 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
pamphlets, de dénonciations; il était à la tête de tous les
mouvements révolutionnaires qui agitaient Bordeaux. On
le verra plus tard seconder l'action des proconsuls de la
Convention.
La garde nationale, recrutée dans le principe parmi les
citoyens de la ville en état de porter les armes, s'était gra-
duellement affaiblie; les honnêtes gens s'en éloignaient, et
composée désormais d'éléments détestables, elle n'oflrait
plus de garanties pour le maintien de Tordre sans cesse
troublé. Les proclamations des corps constitués étaient
sans influence; on les lacérait publiquement. Dans cette
confusion, le Club national ne gardait plus de mesures; il
agissait en maître, il imposait ses volontés au peuple et aux
magistrats. Sans cesse il obtenait dçs concessions nouvelles.
Un jour, il demandait la suppression des derniers vestiges
de Vesclavage^ selon ses expressions, et dès le lendemain,
les livrées des suisses de Thôtel des Monnaies, de la Comé-
die, de la Douane, de l'Hôtel de Ville, etc., disparaissaient;
un autre jour il exigeait l'inauguration du drapeau national
dans la salle du Grand-Théâtre ; il voulait que les citoyens
qui sy rassemblaient puissent avoir continuellement sous
lesyeux ce signe de notre régénération et de notre liberté.
La municipalité déféra à cette exigence; on joua la pièce
de Brutus^ le drapeau fut inauguré et une foule immense
et enthousiasmée assista à cette victoire du Club national
sur l'autorité. Pendant deux jours, ce triomphe fut célébré
par des fêtes populaires.
Cette action des clubs était incessante ; elle apparaissait
dans toutes les circonstances et se montrait dans toutes les
questions. Nous le verrons plus complètement en traitant
la question religieuse.
Au milieu de ces conflits divers, la misère du peuple
était grande, mais elle avait ses alternatives ; les subsistances
étaient à peu près assurées, grâce aux mesures prises par
ANNÉES 1789 A 1792. 41
les Quatre-vingt-dix électeurs au temps de leur existence :
on souffrait, on ne mourait pas encore de faim.
Le i5 juillet 1792, on planta un arbre de la liberté sur
la place Royale. Toute la population assista à cette plan-
tation; des orchestres furent organisés, et des danses
auxquelles prirent part les membres de la municipalité, se
prolongèrent toute la- nuit autour du symbole de la
puissance populaire.
On dansait!...
Cependant le roi venait de renvoyer un ministère pris
dans le parti de la Gironde, les Prussiens menaçaient le
Rhin, et les justes alarmes de la nation exigeaient une
preuve de vigilance et d^énergie : le 1 2 juillet, l'Assemblée
législative déclara la patrie en danger. Les conseils
généraux des communes, des districts et des départements
se mirent immédiatement en permanence et prirent les
moyens d'assurer la déclaration de l'Assemblée ^^K
Le patriotisme des Bordelais s'affirma dans cette circons-
tance : ce fîit une fièvre d'enrôlements et de souscriptions
pour les défenseurs de la patrie.
Mais la journée du 10 Août éclate, le roi est suspendu,
une G>nvention nationale est convoquée...
Ces graves événements furent accueillis avec joie à
Bordeaux; la masse, surexcitée par les clubs, considérait
comme un triomphe populaire la chute de la royauté. Les
hommes d'ordre, toutefois, n'envisageaient pas l'avenir
sans crainte; tout s'écroulait...
Le 1 5 août, des volontaires nantais et bordelais fraterni-
saient dans un banquet donné au Champ -de -Mars (le
Jardin -Public était ainsi appelé depuis la fête de la
Fédération). Au milieu de l'allégresse générale, le bruit
se répandit tout à coup que le peuple se portait en foule
(0 Anftés du Direaoire da département des 16, 24 et 26 juillet 1792.
42 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
vers la place Royale pour renverser la statue de Louis XV,
chef-d*œuvre du sculpteur Lemoyne.
Les autorités constituées se réunirent à la hâte et
délibérèrent; la force armée fut envoyée sur les lieux. On
chercha à apaiser les esprits afin de conjurer les désordres
et le peuple fut prévenu que le lendemain il n'y aurait plus
de statues de rois dans Bordeaux. Cette assurance ramena
le calme, et la foule se retira sans avoir commis d'excès.
Le 20 août, et en vertu d'un arrêté de la municipalité,
la statue de Louis XV, dont la Ville possède au Musée de
peinture une remarquable réduction, fut détruite, et les
municipaux écrivirent aux députés de la Ville à Paris :
« Les Bordelais ont voulu prouver, comme les Parisiens,
qu'ils savaient punir l'orgueil des rois et leur apprendre
à respecter le peuple par lequel ils étaient devenus souve-
rains. :»
C'en était fait, on le voit, de la monarchie; elle s'en
allait à pas de géant, et l'œuvre de démolition entreprise
depuis 1789 était sur le point d'être accomplie. Oublieux
des services passés, on proscrivait tout ce qui pouvait
rappeler l'ancien régime : les fleurs de lys et les armes de
la maison de Bourbon étaient partout enlevées ou effacées.
La démocratie triomphait et déjà son avènement s'annon-
çait terrible, comme une force longtemps comprimée et qui
éclate enfin.
Les massacres de Septembre souillèrent à jamais le
berceau de la République, et le sang répandu dans ces
néfastes journées creusa un abîme infranchissable entre les
divers hommes politiques qui se disputaient le pouvoir
échappé des mains royales.
A ce moment même, la Commune de Paris, par l'organe
de Panis, Sergent et Marat, engageait les municipalités et
les sociétés populaires à suivre l'exemple du peuple de
Paris et à adopter ce moyen si nécessaire au salut du
ANNÉES 1789 A 1792. 43
peuple ^^h L'âme indignée se soulève en présence de
pareilles abominations. Disons; à la louange des Bordelais,
qu'ils restèrent insensibles aux excitations de Y Ami du
Peuple et de ses coryphées sanguinaires.
Du 2 au 12 septembre, l'Assemblée électorale, réunie à
Liboume, nommait les députés du département à la
Convention nationale (*).
La députation devait se composer de douze titulaires et
de quatre suppléants. MM. Vergniaud, Guadct, Gensonné,
Grangeneuve, Jay (de Sainte- Foy), Tabbé Siéyès, Condor-
cet, Ducos fils, Garrau (de Sainte-Foy), Boyer-Fonfrède,
Deleyre et Duplantier furent élus députés titulaires; Lacaze,
Emmerth, Berthon et Bergoenig, députés suppléants.
Lacaze et Bergoenig remplacèrent Siéyès et Condorcet, qui
n'avaient pas accepté (^).
Le 21 septembre, la Convention se réunissait; le même
jour elle proclamait l'abolition de la royauté et décrétait la
République.
Bordeaux accueillit par des acclamations joyeuses la
double mesure de la Convention. « Nous vous annonçons,
disait le Conseil général du département dans une procla-
mation à ses concitoyens, nous vous annonçons, dans les
vifs transports de l'amour de la patrie et de la liberté, que
la France n'aura plus de Roi ^4). t^
La lecture du décret de la Convention nationale fut faite
publiquement et à son de caisse dans les principaux quartiers
de la ville, et notamment place d'Aquitaine, devant la
Maison commune, place du Marché- Neuf, place Royale et
place Dauphine ^^\ C'était le dernier glas de la monarchie.
(1) Appendice^ note VII. (Cette note contient la liste des électeurs du
dé|Mrtement qui ont nommé les membres de la Convention.)
(2) W., noie VIII.
(3) Id,, note IX.
(4) Id.j note X.
(5) M, note XI.
44 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Le 2 octobre 1792, les vingt-huit sections de Bordeaux
adhéraient au gouvernemenf républicain.
Quelques semaines après, on organisait de nouveaux
directoires de district et de département; le tribunal civil
était renouvelé, et la municipalité installait solennellement
le tribunal de commerce, en remplacement de Tantique
juridiction consulaire, dont l'institution remontait à Tan-
née i563.
L^ancien régime s'en allait pièce à pièce, et le peuple,
entraîné dans un mouvement vertigineux, applaudissait à
la rénovation politique et sociale (Ji^ semblait s'accomplir
à son profit. /
Durant ce temps, le roi était pAsonnier de la Convention ;
celle-ci préparait le spectacle jetrange d'un jugement qu'a
flétri l'histoire, et la Terreur apprêtait ses sanglantes
expiations.
Mais avant d'entreprendre le récit des calamités des
années 1793 et 1794, arrêtons-nous et faisons un retour en
arrière, afin d'écrire l'histoire religieuse de Bordeaux depuis
1789 jusqu'en 1792. Cette histoire se lie trop intimement
à notre sujet pour que nous puissions la passer sous
silence.
< | »» |n^n^ >4 | »» | »4 t >^ l > i| » »| »< t »i t > » | ** t ** | *< t >* t *< | »* t ** | »< |i ' j ** ! *'* ! ** ! *'* ! *^ } »* ! ^
CHAPITRE III
LA CONSrmniON civile du clergé a bordeaux et dans la GIRONDE.
Analyse de la Constitution civile du clergé. — M 9' Champion de Cicé,
archevêque de Bordeaux, — Le club du Café national lui écrit. -* Le
serment constitutionnel. — Le Prône d*un bon curé. — Le clergé
assermenté. — L'abbé Landard et le clergé insermenté. — Invitation
fiûte à celui-ci d'assister aux cérémonies du culte constitutionnel.— Vers
sur M0' Champion de Cicé. -^ Évéché métropolitain du Sud-Ouest. —
Élection de M. Pacareau en qualité d'évéque. -^ Il est sacré dans l'église
Saint- André. — Élection des curés constitutionnels de Bordeaux. — Le
curé Toucas-Poyen. — Arrestation de sept prêtres à Nérigean. — Lettre
de M. Pacareau au Souverain Pontife. — Un pamphlet anti-religieux de
Marandon. — Il est dénoncé à l'autorité. — Lacombe dans l'église, des
Récollets. — Fermeture des églises conventuelles. — Lettre de Msr Cham-
pion de Cicé à M. Pacareau. — Pan^yrique et vers en l'honneur de
M. Pacareau. — Le curé Dominique Lacombe. — Ses pamphlets et ses
sermons. — Il est nommé député à l'Assemblée législative. •*- L'abbé
Daguzan, curé et maire de Bègles. — Le vicaire-général Hollier. — Le
jacobin Pinon et l'avocat Lisleferme. — Écrits relatifs au serment. —
L'abbé Réaud, curé et maire de Léognan. — Le serment rectifié. — Le
clergé du Blayais. — Les Amies de la Constitution font chanter un Te
Deum à Saint- André. — Ovations au clergé constitutionnel. — Les
prêtres réfractaires et le club du Café national. — M. Plas de Saint-Georges.
~ Le chevalier de Pichon. — La femme du maire de Lesparre. —
Persécutions contre les prêtres dans le Libournais. — L'abbé Langoiran.
— La Noël en 1791. — On ferme trois églises louées aux catholiques. —
Profanation sacrilège au cimetière Sainte-Eulalie. — On demande
l'expulsion des prêtres réfugiés à Bordeaux. — Suppression des congré-
gations religieuses et des ordres religieux. — Pamphlets et caricatures.
— Le Bon Dieu dans une giberne. — Troubles à Labarde (Médoc). —
Assassinat des abbés Langoiran et Dupuy. — L'argenterie des églises
est déposée à la Monnaie. — Circulaire du ministre Roland aux pasteurs
des villes et des campagnes.
Un décret de TAssemblée constituante du 12 juillet 1790
avait établi la Constitution civile du clergé. Il nous paraît
indispensable de donner ici une brève analyse des principales
dispositions de ce décret :
€ Chaque département devait former un seul diocèse, et
46 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
chaque diocèse devait avoir la même étendue et les mêmes
limites que le département.
» Tous les autres sièges non compris dans cet article
étaient supprimés.
» Le royaume était divisé en dix arrondissements métro-
politains, dont les sièges furent : Reims, Rouen, Besançon,
Rennes, Paris, Bourges, Aix, Bordeaux, Toulouse et
Lyon.
» Lorsque Tévêque diocésain prononçait dans son synode
sur des matières de sa compétence, il y avait lieu au recours
du métropolitain, lequel devait prononcer dans le synode
métropolitain.
» La paroisse épiscopale ne devait pas avoir d^autre
pasteur que Tévêque; tous les prêtres établis pour la
desservir étaient ses vicaires et en faisaient les fonctions.
1^ Tous chapitres, canonicats, prébendes et bénéfices
généralement quelconques étaient supprimés.
> La Constitution établissait un seul mode de pourvoir
aux évêchés et aux cures : les élections par la voie du
scrutin et à la pluralité absolue des suffrages; les élections
devaient se faire dans la forme prescrite et par le corps
électoral indiqué par le décret du 22 décembre ijSg,
pour la nomination des membres de l'Assemblée du
département.
» L'élection de Tévêque ne pouvait se faire ou être
commencée qu'un jour de dimanche, dans Téglise principale
du département, à Tissue de la messe paroissiale, à laquelle
seraient tenus d'assister tous les électeurs.
» Au plus tard dans le mois qui suivrait son élection,
celui qui aurait été élu à un évêché devait se présenter en
personne à son évêque métropolitain, et s'il était élu pour
le siège de la métropole, au plus ancien évêque de l'arron-
dissement, en justifiant du procès-verbal de son élection et
de la proclamation qui en aurait été faite, et il le supplierait
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 47
^■^^*^^^^^^>" ■ I ■■■■■■ I ^ii^i^ii^^^^^i^^^^^i^— ^^i— I ■ I ^m^,^^ ^ ■ ■■■■I ■ iiiw»»- ■ — ■ I ■ ■■■ ■ ■ ^
de lui accorder la confirmation canonique. Le métropolitain,
ou l'ancien évêque, aurait la faculté d'examiner Télu, en
présence de son conseil, sur sa doctrine et sur ses mœurs.
S'il le jugeait capable, il devait lui donner l'institution
canonique; s'il croyait devoir la lui refuser, les causes du
refus étaient données par écrit, signées du métropolitain et
de son conseil, sauf aux parties intéressées à se pourvoir,
par voie d'appel, devant le tribunal du district.
> L'évêque à qui la confirmation était demandée ne
pouvait exiger de l'élu d'autre serment, sinon qu'il faisait
profession de la religion catholique, apostolique et romaine.
» Le nouvel évêque ne pouvait s'adresser au Pape pour
en obtenir aucune confirmation, mais il était tenu de lui
écrire comme au chef visible de l'Église universelle, en
témoignage de l'unité de la foi et de la communion qu'il
devait entretenir avec lui. Sa consécration ne pouvait se
faire que dans son église cathédrale, par son métropolitain
ou, à défaut, par le plus ancien évêque de l'arrondissement
de la métropole, assisté de deux évêques des diocèses les
plus voisins, un jour de dimanche, pendant la messe
paroissiale, en présence du peuple et du clergé. Avant que
la cérémonie de la consécration commençât, l'élu était tenu
de prêter, en présence des officiers municipaux, du peuple
et du clergé, le serment solennel de veiller avec soin sur le
troupeau qui lui était confié, d'être fidèle à la Nation, à la Loi
et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution
décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi.
» L'évêque avait la liberté de choisir les vicaires de son
église cathédrale dans tout le clergé de son diocèse, mais à
la charge par lui de ne pouvoir nommer que des prêtres
qui auraient exercé les fonctions ecclésiastiques au moins
pendant six ans, et il ne pouvait les destituer que de l'avis
de son conseil et par une délibération prise à la pluralité
des voix, en connaissance de cause.
48 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» Les vicaires supérieurs et les vicaires directeurs des
séminaires étaient nommés par l^évêque et son conseil ; ils
ne pouvaient être destitués que de la même manière que
les vicaires de Téglise cathédrale.
> L'élection des curés devait avoir lieu par les électeurs,
dans la forme prescrite pour les évêques, etc. Elle ne
pouvait se faire ni être commencée qu'un jour de dimanche,
dans la principale église du chef-lieu de distria et à Tissue
de la messe paroissiale, à laquelle tous les électeurs étaient
tenus d'assister. L'élu devait se présenter en personne
devant l'évêque, avec le procès-verbal de son élection, à
l'effet d'obtenir de lui l'institution canonique. Si l'évêque
croyait devoir la lui refuser, la cause du refus devait être
donnée par écrit, signée de l'évêque et de son conseil, sauf
le recours des parties à la puissance civile. Les curés élus
et institués ne pouvaient exercer les fontions curiales avant
d'avoir prêté le serment.
> Les évêchés et les cures étaient réputés vacants jusqu'à
ce que les élus eussent prêté le serment.
> Pendant la vacance du siège épiiscopal, le premier, ou
à son défaut, le second vicaire de l'église cathédrale,
remplaçait* l'évêque tant pour les fonctions curiales que
pour les actes de juridiction n'exigeant pas le caractère
épiscopal; mais, en tout cas, il était tenu de se conduire
sur l'avis du conseil. i>
Les dispositions du titre III sont relatives aux traite-
ments des évêques, des curés et des vicaires. Celui des
évêques, fixé à 12,000 fr. dans les villes d'une population
de 12,000 âmes et au-dessous et à 20,000 fr. pour les
autres sièges, fut porté à 5o,ooo fr. pour la métropole de
Paris. Le traitement des curés et des vicaires n'excédait
pas celui que l'État leur alloue aujourd'hui.
Le titre IV, relatif à la résidence, est curieux; il
mérite d'être reproduit in extenso :
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 49
» La loi de la résidence sera observée régulièrement, et
tous les membres du clergé y seront tenus sans aucune
exception, ni distinction.
> Aucun évêque ne pourra s'absenter, chaque année,
plus de qutn:{e jours consécutifs, que dans le cas d'une
véritable nécessité, et avec Vagrément du Directoire du
département dans lequel son siège sera établi; il en sera
de même pour les curés et vicaires, qui devront, en outre,
obtenir l'agrément de leur évêque et de leur district, les
vicaires la permission de leurs curés respectifs.
» Si un évêque ou un curé s'écartait de la résidence, la
municipalité du lieu en donnerait avis au procureur général
syndic du département, qui l'avertirait par écrit de rentrer
dans son devoir, et après une seconde monition, le pour-
suivrait pour le faire déclarer déchu de son traitement pour
tout le temps de son absence, etc. <*). »
Telle était l'œuvre des constituants.
Sanctionnée par le roi le 23 août ^790, elle rencontra
une improbation et une résistance générales de la part du
clergé, et provoqua de terribles orages.
Sa Sainteté le Pape avait écrit à Louis XVI, en réponse
aux conseils que ce prince lui demandait : a: Si le roi a pu
renoncer aux droits de sa couronne, il ne peut sacrifier par
aucune considération ce qu'il doit à l'Église, dont il est le
fils aîné. » Les évêques et une partie des curés avaient
trouvé dans ces paroles du Souverain Pontife un encoura-
gement à refuser de se soumettre au décret du 12 juillet. Le
26 novembre 1790, le Comité ecclésiastique de l'Assemblée
dénonça leur conduite en les accusant a: d'apprendre au
peuple à braver les lois, de le façonner à la révolte, de
dissoudre tous les liens du contrat social et d'exciter à la
guerre civile. » — Le lendemain 27, l'Assemblée décrétait
(1) Essai sur la constitution civile du clergé, etc., par M. Sénemaud aîné.
(Ouvrage manuscrit.)
T. I. 4
5o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
..^ — — — — • ■ — »
«que les évêques, curés, vicaires, fonctionnaires publics
seraient tenus de jurer fidélité à la Nation, à la Loi et au
Roi, et de s'obliger à maintenir la Constitution de tout leur
pouvoir; que les réfractaires seraient remplacés; que les
prêtres qui violeraient leur serment seraient poursuivis
comme rebelles à la loi, et que le serment prescrit serait
prêté par les membres de l'Assemblée. 3>
Retenu par des motifs de haute prudence, le roi ne
donna sa sanction à ces dispositions que le 26 décembre.
Toutefois, devançant le jour fixé par le décret, soixante-
cinq prêtres, sur trois cent un membres du clergé que
comptait l'Assemblée, vinrent, l'abbé Grégoire en tête,
prêter le serment à la tribune : les autres, invités le
4 janvier 1791 à remplir cette formalité, répondirent par
un refus unanime.
Ce fut le signal d'un schisme dans toute la France.
Bordeaux fut, après Paris, une des villes où les questions
religieuses suscitées par la constitution civile du clergé et
par le serment soulevèrent le plus de controverses et
agitèrent le plus les esprits.
Le siège archiépiscopal de cette ville était occupé en 1 789
par M*"^ Champion de Cicé, originaire de Rennes. Ce
prélat, qui avait été vicaire général de son frère, évêque
de Troyes, et plus tard vicaire général à Auxerre, fut
nommé évêque de Rodez, et transféré le 4 février 1781
à l'archevêché de Bordeaux.
Député de l'ordre du clergé de Guienne aux États
Généraux, il y fit preuve d'une grande modération, mais
en même temps d'une tendance prononcée en faveur des
idées nouvelles. Il fut un des premiers qui se réunirent aux
représentants des communes.
On cite de lui un remarquable rapport fait à l'Assemblée
au mois de juillet 1789 sur un projet de constitution.
Ses principes et son attitude lui avaient mérité l'affection
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 5l
des habitants de Bordeaux, qui accueillirent avec joie en
1790 sa nomination au ministère de la justice, devenu
vacant par la retraite du garde des sceaux Barentin.
Le poste était difficile : la Révolution marchait rapidement,
les décrets se succédaient, le mouvement devenait universel
et l'agitation s'accentuait chaque jour davantage.
M** Champion de Cicé était obligé, en sa qualité de
ministre de la justice, d'apposer les sceaux de l'État aux
lois sanctionnées par le roi, bien que quelques-unes
n'eussent pas toujours son approbation personnelle.
Dans ce nombre figure notamment la loi sur la consti-
tution civile du clergé, qui ne tendait à rien moins qu'à
établir le presbytérianisme en France. Le parti philosophique
de la G>nstituante, représenté par Camus, Fréteau, Treil-
hard, les protestants Barnave et Rabaud Saint- Etienne,
les Mirabeau, les Lameth et tous les encyclopédistes, avait
usurpé dans cette constitution sur le spirituel et bouleversé
l'Église et son antique discipline.
L'archevêque-ministre reconnut plus tard son erreur
devant ses diocésains et l'Europe catholique; il l'expia par
l'exil, par les larmes et par le repentir.
Il se démit d'un ministère qui lui avait laissé des remords,
et le 21 octobre 1790 il reprit dans l'Assemblée consti-
tuante une place que* peut-être il n'aurait jamais dû quitter.
Dès 1 79 1 ^ M«^ Champion de Cicé s'était expliqué sur le
serment constitutionnel, et ses sentiments étaient bien
connus. On savait qu'il manifestait une vive opposition à
la constitution civile du clergé; aussi, le Directoire du
département de la Gironde et les Sociétés populaires
s'empressèrent-ils de le représenter comme l'ennemi du
nouvel ordre de choses, comme le partisan dévoué des
vieux préjugés.
A sa sortie du ministère, Mk*" Champion de Cicé avait
cru devoir écrire à la municipalité de Bordeaux pour lui
52 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
expliquer sa conduite à rAssemblée et demander la
continuation de la confiance de ses commettants.
Les membres du club du Café national ayant eu
connaissance de cette lettre, en éprouvèrent une vive
irritation; ils osèrent, sans y avoir été autorisés par la
municipalité, écrire au prélat, le 3o novembre 1790, une
réponse dont nous allons reproduire les passages les plus
audacieux.
Après avoir rappelé à M*' Champion de Cicé qu'il avait
été leur évêque et qu'il jouissait de la considération attachée
à sa dignité, à son pouvoir et à sa fortune immense, ils
continuaient en ces termes :
« Vous aviez des flatteurs, des courtisans; vous n'aviez
pas d^amis. Les personnes impartiales qui n'attendaient de
vous ni protection, ni faveur, ni bénéfices, vantaient votre
esprit, vos talents, la facilité de votre élocution ; mais de là
à l'éloge que mérite un vrai pasteur, la distance est
considérable. 1^
Lui rappelant ensuite que ses premiers pas avaient été
ceux d'un citoyen zélé pour la patrie, qu'il avait travaillé à
ramener les ordres de la noblesse et du clergé à l'égalité
avec le tiers-état, et qu'il avait donné l'exemple d'une
réunion que commandait le salut du royaume, ils ajoutaient ;
a Ce moment. Monsieur, fut le plus beau de votre vie.
Votre élévation au ministère parut une juste récompense de
vos sentiments, et l'on ne douta point que votre nom ne
fût destiné à purifier le sceau de l'État, qu'avait souillé la
main de votre prédécesseur. . .
T> Votre lettre à la municipalité vous peint exempt de
tout reproche dans le cours de votre administration : la
France entière. Monsieur, en a jugé tout autrement.... Un
ministre doit, comme la femme de César, être non
seulement à l'abri du blâme, mais du soupçon. 1^
Puis, les clubistes disaient à l'archevêque que son
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 53
civisme et même son humanité étaient suspects ; que Ton
était en droit de le croire d'après sa correspondance avec
le maire de Montauban au sujet des troubles dont cette
ville avait été le théâtre, et l'attitude qu'il avait prise en
faveur de quelques fonctionnaires gravement compromis,
par suite de ces troubles, dans l'opinion publique. Après
avoir énuméré certains griefs se rattachant aux affaires de
Montauban : € Joignez à cela, écrivaient-ils, des plaintes
de la capitale et de toute la France sur le retard de l'envoi
des décrets et sur l'altération du texte de quelques-uns,
vous sentirez combien on a du mettre de la sévérité dans
les jugements qu'on s'est permis de porter contre vous...
Cependant vous désirez la confiance des Bordelais, et si
nous sommes forcés de dire qu'il pourra vous être difficile
de l'obtenir, nous devons convenir que cela n'est pas
impossible...
> Quelque solides que soient les écrits que vous mettez
sous les yeux du public, le public n'y croira pas... Revenez
dans l'Assemblée nationale ce que vous étiez à l'ouverture
des États Généraux : l'ennemi de toute distinction, de tout
privilège, de tout abus qui pèse sur le peuple... Prouvez
enfin à la France, à l'Europe, que l'évêque d'Autun n'est
pas le seul qui sache faire à la vertu, au bien public, le
sacrifice de ses richesses et de ses titres. Les citoyens.
Monsieur, ont droit d'être étonnés de vous voir prendre
encore le titre inconstitutionnel d'archevêque. Si vous êtes
soumis en effet à cette constitution que le roi a acceptée,
que vous avez scellée du sceau de l'État et que vous avez
juré d'observer, pourquoi tardez-vous si longtemps à vous
y conformer ?. . . »
Cette lettre agressive et violente est un indice certain de
la mauvaise disposition des esprits et de l'accentuation du
mouvement révolutionnaire dès cette époque.
Après la clôture des travaux de l'Assemblée constituante.
54 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Af Champion de Cicé ne parut pas à Bordeaux, mais il y
avait laissé des représentants sûrs et fidèles, qui recevaient
ses ordres et les communiquaient au clergé du diocèse*
On annonçait des élections ecclésiastiques dans tout le
royaume pour les mois de février et mars 1 79 1 .
Dès le mois de janvier de cette année, Tarchevêque de
Bordeaux crut devoir s^expliquer avec plus de développe-
ment qu'il ne Tavait fait déjà sur le serment constitutionnel
dans deux lettres adressées. Tune au Directoire du
département, et la seconde à M. Toucas-Poyen, curé de
Talence <^).
« Je ne peux prêter le serment exigé, écrivait-il aux
administrateurs du département, sans reconnaître que le
pouvoir civil s'étend sur les objets spirituels, sur le
gouvernement de TÉglise et sa discipline, et qu'il a droit
d'y statuer sans l'intervention de l'autorité ecclésiastique;
or, c'est ce que les principes dans lesquels j'ai été élevé ne
me permettent pas de reconnaître. »
Dans sa lettre au curé de Talence, savant et vénérable
prêtre qui a été longtemps curé de l'église Saint-Pierre de
Bordeaux, M**" Champion de Cicé disait : a J'ai adhéré à-
V Exposition des principes formulée par les évêques, avec
presque tous mes collègues de l'épiscopat. Lorsque, après
ma sortie du ministère, le serment a été décrété, je n'ai pas
attendu qu'il me fiât demandé, ou à aucune autre personne
de mon diocèse; je me suis adressé au département lui-
même et à tout mon clergé diocésain, pour leur manifester
que ma conscience ne me permettait pas de prêter le
serment. »
Ces deux lettres sont catégoriques; elles prouvent que
les calomnies perfidement répandues sur le compte de
Mk*" Champion de Cicé étaient entièrement dénuées de
(0 Ces lettres sont imprimées.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 55
fondement, et que ce prélat n'avait jamais prêté le serment
constitutionnel.
On avait espéré, à la faveur d'un mensonge habilement
répandu, entraîner le clergé dans la voie du schisme. Cet
espoir fut déçu.
Dans le mois de janvier 1 791, et comme pour ajouter à
Tefifet produit par les lettres du vénérable prélat, lettres
devenues publiques,, il parut une brochure qui contribua
beaucoup à entretenir l'agitation dans les esprits. Cette
brochure, ayant pour titre : Prône d'un bon curé sur le
serment civique exigé des évêques, des curés, etc. ^^\ causa
une vive sensation dans le public et préoccupa l'autorité.
Gensonné, alors procureur de la commune, dénonça cette
brochure à la municipalité, qui, par un arrêté, en ordonna
la suppression « comme étant séditieuse, attentatoire à la
souveraineté de la nation, et aux décrets de l'Assemblée
nationale sanctionnés par le roi, défendit d'imprimer et
de distribuer cet écrit, ou tout autre semblable, tendant à
altérer le respect à la loi, à alarmer les consciences et
à détourner les ecclésiastiques fonctionnaires publics de
l'obéissance qu'ils doivent à la loi, sous peine, par les
auteurs et imprimeurs, d'être poursuivis comme perturba-
teurs du repos public, réfractaires à la Constitution et aux
lois du royaume ^^^ d
Le corps municipal commit un grave abus de pouvoir
en prenant cet arrêté; il n'avait pas le droit de supprimer
les écrits, et anticipait sur les attributions de l'autorité
judiciaire, qui seule pouvait, par un jugement, ordonner
une pareille suppression. La municipalité n'y regarda pas
de si près. Les abus de pouvoir étaient presque de droit
commun à cette époque, surtout quand il s'agissait des
prêtres non assermentés.
(i) Spicilége bordelais. L'auteur de la brochure n'est pas connu.
(3} Archives municipales de Bordeaux.
56 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Voulant remédier à la sensation produite par le Prône
d'un bon curé, la municipalité lui opposa une autre brochure
qu'elle fit publier sous le titre d* Instruction sur la consti-
tution civile du clergé. C'était son droit assurément, mais
elle ne s'arrêta pas là; elle ordonna que cette instruction
serait lue à l'issue de la messe, dans chaque paroisse de
Bordeaux, par le curé ou son vicaire, et, en cas de refus de
ceux-ci, par un officier municipal.
Le clergé fut très mécontent de cette usurpation sur le
pouvoir spirituel, et les Bordelais s'égayèrent aux dépens
des théologiens du Conseil général de la commune.
La mesure, d'ailleurs, ne ramena aucun prêtre à Tamour
de la constitution civile, et la municipalité, ne sachant plus
quel moyen employer pour triompher de la résistance
opposée au serment par le clergé dissident, se réunit
quelques jours après sous la présidence de M. de Fumel,
maire de Bordeaux, afin de délibérer sur les mesures
à prendre. On discuta longtemps, et l'on finit par décider
que le 3o janvier le corps municipal entier se rendrait
à l'église Saint-Martial pour y entendre la messe et le
sermon.
On prit en même temps un arrêté qui défendit à tous les
prêtres dissidents de se réunir pour combiner et préparer
le refiis d'obéissance aux décrets sanctionnés par le roi;
l'arrêté plaça sous la sauvegarde de la loi spécialement
tous les ecclésiastiques sans distinction d'opinions et tous
les autres citoyens ; il fit d'expresses inhibitions et défenses
de troubler les ecclésiastiques dans l'exercice de leur culte
et de leur ministère, etc. ^^K
Cet arrêté fut imprimé, publié et affiché; le corps muni-
cipal assista à la messe paroissiale et au sermon, et les
choses continuèrent comme auparavant.
(i) Archives municipales de Bordeaux.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 5 7
On marchait vers un but fatal et inévitable.
La désorganisation religieuse allait de pair avec la
désorganisation politique ; les mauvais prêtres, il y en eut
malheureusement à cette époque, entretenaient le trouble
dans les esprits et les consciences ; les clubs s'agitaient avec
audace, et une partie du peuple, entraînée par des excitations
coupables, méconnaissait l'autorité de ses anciens pasteurs.
C'est ainsi que M. l'abbé Landard, notamment, éprouva
les vicissitudes que nous allons raconter.
Les prêtres constitutionnels, forts de l'incurie de l'autorité
et de sa faiblesse, que nous avons suffisamment indiquées,
faisaient surveiller par leurs partisans les insermentés, et
lorsque l'un de ces derniers entrait dans le domicile d'un
malade qui l'avait appelé, on voyait aussitôt une bande
d'émeutiers l'attendre à sa sortie, le suivre, l'injurier et se
porter à des violences sur sa personne.
Le fait suivant en donnera une idée :
L'abbé Landard, ex-vicaire de Saint-Michel, sortant de
la maison d'un malade, fut assailli par une bande qui le
guettait, et poursuivi à coups de pierres. Le pauvre abbé
échappa avec peine à ces furieux et parvint à se réfugier à
l'Hôtel de Ville, où il demanda secours et protection. Invité
par les officiers municipaux à signaler les coupables, il lui
fut impossible d'en désigner aucun. Il quitta l'Hôtel de
Ville pour rentrer chez lui; mais à peine parut-il dans la
rue, qu'une autre bande, cachée aux environs, l'entoura ;
et sans la prompte intervention d'un poste de gardes
nationaux, il eût été infailliblement égorgé.
Ce poste était commandé par le capitaine Risteau, qui
dégagea le malheureux abbé et le conduisit brutalement
devant le maire, en sommant les magistrats, au nom de la
garde nationale et des amis de la patrie, d'ordonner la
punition de ce prêtre, accusé d'être un perturbateur de
la paix publique, ajoutant que si l'on n'en faisait justice.
58 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
on aurait beau le requérir à Tavenir pour apaiser le désordre
et les rassemblements. Le maire lui représenta vainement
que la loi respectait les opinions, et que nul ne pouvait être
inquiété pour ses principes religieux; Risteau continua à
vociférer contre les réfractaires, demandant à haute voix
une punition prompte et sévère contre Tabbé Landard.
L'émeute grondait au dehors. A la fin, le maire mécontent
dit sèchement à Ténergumène qu'il changeait la liberté en
tyrannie; il lui signifia qu'il mettait dès ce moment Tabbé
Landard sous la protection de la municipalité et des
administrateurs du département. Cette protection n'était
peut-être pas fort rassurante contre l'anarchie; toutefois
l'abbé Landard put, grâce à l'énergie du maire dans cette
circonstance, rentrer en sûreté quelques heures plus tard
dans son domicile.
Telle était alors la situation du clergé dissident.
M. O'Reilly constate toutefois, dans son Histoire de
Bordeaux, que « les prêtres persécutés intéressaient tous
ceux qui avaient la foi : c'étaient leurs confesseurs, leurs
parents, leurs amis, dont le seul tort consistait à s'en tenir
à leurs devoirs religieux, à leurs vœux et à leur conscience. »
M. Barennes, procureur général syndic du département,
voulant remédier au mal, s'imagina qu'une invitation fra-
ternelle pourrait décider les prêtres insermentés et leurs
ouailles à se rendre aux processions et aux autres céré-
monies du culte constitutionnel : « Nous vous prions,
Messieurs les Administrateurs, disait-il aux membres du
département, de les y inviter par un arrêté qui annonce
tout à la fois à vos concitoyens votre amour et votre respect
pour la religion, et à Messieurs du clergé, votre juste con-
fiance dans leurs vertus religieuses et patriotiques. »
Le Directoire du département prit un arrêté conforme
qui fut publié et affiché; mais l'invitation fraternelle ne fiit
pas accueillie comme M. Barennes l'avait espéré, et les
LA CONST i l' U 'l l ON CIVILE DU CLERGÉ. Sg
catholiques ne parurent point dans les églises constitution-
nelles, qui restèrent désertes comme auparavant. L'admi-
nistration et les auditeurs assidus des clubs et sociétés
populaires y parurent seuls, ainsi qu^aux autres cérémonies
religieuses.
Le schisme s'accentuait, et l'absence de l'archevêque
semblait ajouter peut-être aux difficultés de la crise affligeante
que traversait l'Église.
Nous devons cependant reconnaître que M.^^ Champion
de Qcé était vénéré par les catholiques de son diocèse : on
le désirait et on l'attendait avec impatience dans sa ville
archiépiscopale; mais il jugea prudent de ne pas y paraître
parce qu'il craignit que sa présence n'y augmentât l'agita-
tion religieuse et les troubles que redoutait le Directoire du
département.
Dans un recueil de pièces sur le clergé de Bordeaux, on lit
les vers suivants qui lui furent adressés pour hâter son
retour; ils sont médiocres, il est vrai, mais ils montrent la
vénération du troupeau pour son pasteur :
Cicéy viens dans nos murs où t'attend notre hommage;
Montre un père, en ces lieux, trop longtemps inconnu ;
Reviens, et qu'à jamais Bordeaux te dédommage
Du prix dont l'injustice a payé ta vertu.
De ces longues erreurs tu perdras la mémoire;
Autant que ton esprit, ton cœur fut toujours bon,
Et je te vois encor, voulant placer ta gloire.
Par de nouveaux bienfaits, à sceller le pardon.
Du sort de ses brebis que le pasteur dispose,
Et que chacun s'écrie en bénissant tes soins :
Ce prélat, de son peuple, a défendu la cause,
Tandis que ses secours soulageaient nos besoins (0.
Nous l'avons dit, M^»" Champion de Qcé ne reparut pas
à Bordeaux; il préféra Texil aux triomphes de la popularité
(i) Bibliothèque de Bordeaux, n» 27058.
6o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
et garda pure de toute apostasie la doctrine de T Église
catholique, apostolique et romaine.
Son siège fut déclaré vacant.
Le procureur général syndic du département convoqua
pour le i3 mars l'assemblée électorale chargée de procéder
à rélection de Tévêque métropolitain du Sud-Ouest.
Cet évêché, dont le siège était à Bordeaux, avait pour
évêchés suffragants les sièges de Luçon (Vendée), de
Saintes (Charente-Inférieure), de Dax (Landes), d'Agen
(Lot-et-Garonne), de Périgueux (Dordogne), de Tulle
(Corrèze), de Limoges (Haute- Vienne), d'Angoulême
(Charente) et de Saint-Maixent (Deux-Sèvres).
Quelques jours avant l'élection, M. Pacareau, chanoine
de la cathédrale, fit paraître, une brochure intitulée :
Réflexions sur le serment civique du clergé, ou Lettres
adressées à un commissaire du Roi dans un département
de France ^^K
Ces réflexions sont datées du i*'' mars 1 79 1 . M. Pacareau,
après avoir déclaré qu'il écrit avec toute l'impartialité que
l'on doit attendre d'un homme droit et sincère qui aime
l'ordre et la paix fondés sur la vérité, pose cette question :
Le clergé peut-il et doit-il prêter le serment civique ?
Il y répond en disant que le serment peut et doit être
prêté. Il discute ensuite longuement le principe des élections
et le droit de l'autorité civile d'ériger ou de supprimer les
évêchés, attendu que l'Église n'a point de territoire, que son
règne, comme celui de son Divin Maître, n'est pas de ce
monde, mais qu'il est purement spirituel, etc., etc.
Puis il termine ainsi : a Paix désirable, fille du ciel, descends
au milieu de nous ; viens nous apporter et nous faire goûter
les fii'uits salutaires que le Dieu des miséricordes a promis
aux hommes de bonne volonté. :b
(1) 1 791, 21 p. in-fio, Bordeaux.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 6l
Cette brochure, pleine d'erreurs savamment exposées, ne
dut pas être étrangère au résultat des élections dont nous
allons rendre compte.
Le i3 mars 1791, rassemblée électorale se réunit dans
Féglise Saint- André. Après la messe, célébrée par le curé de
la paroisse, les opérations commencèrent : Guadet fut élu
président; Duvigneau, secrétaire, et MM. Daroles, admi-
nistrateur du département, Daguzan, curé de Bègles, et
Bemon, archiprêtre de Gradignan, scrutateurs.
De nombreux discours furent prononcés ; les scrutateurs
prêtèrent serment; puis on donna lecture de plusieurs
décrets relatifs aux qualités requises pour être éligible aux
évêchés et mis au nombre des fonctionnaires publics
ecclésiastiques ^*).
Un premier tour de scrutin eut lieu le 14 mars, sans
résultat. On comptait 433 votants.
A la séance du matin, le 1 5, 484 électeurs prirent part
au vote : la concurrence s'établit entre M. Pacareau et
M. Constans, religieux jacobin, professeur en TUniversité,
et il n'y eut pas encore d'élection.
Enfin, un troisième tour de scrutin eut lieu à la séance
du soir : 481 votants y prirent part, et M. Pacareau fut élu.
Ce résultat, immédiatement annoncé par Guadet, fut
accueilli par des applaudissements universels et aux cris
plusieurs fois répétés de : Vive la Nation! Vive la Loi!
Vive le Roi!
Des commissaires, députés vers M. Pacareau pour lui
porter la nouvelle de son élection, rentrèrent bientôt après
annonçant qu'il acceptait, et que si son grand âge ne
s'opposait pas aux vœux de son cœur, il serait venu avec
(i) L'élection des ëvêques se fera dans la forme prescrite et par le
corps électoral indiqué par le décret du 22 décembre 1789 pour la noroi'
nation des membres de l'assemblée du département. (Art. 3, titre II de la
loi du 12 juillet 1790.)
02 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
eux pour exprimer sa reconnaissance à l'assemblée électo-
rale et lui présenter ses hommages.
Le lendemain i6 mars, la cérémonie de la proclamation
de révêque métropolitain du Sud-Ouest était célébrée à la
cathédrale. Ici, nous croyons devoir céder la place au
procès-verbal officiel :
a A neuf heures du matin, l'assemblée électorale s'est
rendue dans la chapelle de l'évêché , en même temps
que ses commissaires recevaient dans l'église métropolitaine
de Saint-André les corps invités à la cérémonie de la
proclamation de M. l'évêque métropolitain du Sud-Ouest.
> Il avait d'abord été arrrêté que l'assemblée électorale
irait en corps chez M. l'évêque, pour le conduire à Saint
André; mais cette visite devant occasionner une marche
rétrograde d'où pourrait résulter du désordre, vingt-quatre
commissaires ont été chargés d'aller chez M. l'évêque et
de le conduire dans le sein de l'assemblée. Ces Messieurs
partis à l'instant, sont rentrés bientôt après, accompagnant
M. révêque, qui a été accueilli avec les plus vifs applaudis-
sements et toutes les démonstrations d'une joie universelle.
I» Alors, l'assemblée électorale a dirigé sa marche vers le
lieu de la cérémonie; M. l'évêque était à la tête, ayant le
président de l'assemblée à sa droite et le secrétaire à sa
gauche ; une foule immense s'est portée avec empressement
sur les pas du nouveau prélat; des applaudissements
unanimes, des cris d'admiration et de joie l'ont accompagné
jusqu'aux portes de la cathédrale.
» L'intérieur de l'église offrait l'aspect le plus imposant ;
la nef était entièrement occupée par les corps invités, placés
de manière que lorsque chaque électeur a eu pris son rang,
le corps électoral environnait tous les autres d'une triple
enceinte; un peuple immense remplissait toutes les tribunes
et l'espace qui sépare la nef du chœur; il circulait sans cesse
dans les galeries intérieures et extérieures et occupait, jusque
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 63
sur les combles, tous les points d'où il pouvait contempler
Taùguste cérémonie.
^ Un clergé, cher au peuple par son patriotisme et ses
vertus chrétiennes, attendait à Tautel.
» Au moment où M. Tévêque a paru dans Tenceinte
accompagné et soutenu de MM. Guadet et Du vigneau,
président et secrétaire de l'assemblée électorale, les voûtes
ont retenti d'applaudissements qui se sont prolongés
jusqu'à ce qu'il ait pris la place qui lui était destinée; à ces
acclamations, à ces transports civiques et religieux, a
succédé bientôt un profond silence; alors M. Guadet,
président de l'assemblée, est monté en chaire pour y faire
la proclamation ; il a dit : « Citoyens, et vous tous que la
3> cérémonie la plus auguste réunit dans ce temple I l'as-
» semblée électorale vient de donner un évêque à ce
» département. Que les amis de la Patrie et de la Religion
:^ se réjouissent, la voix de Dieu s'est fait entendre : c'est
V elle qui a inspiré le choix de votre pasteur ; oui, c'est elle,
]^ car la voix du peuple est la voix de Dieu, Citoyens,
> l'érudition la plus vaste, l'attachement le plus constant
1 à ses devoirs, la charité la plus active, l'humilité la plus
> profonde, le patriotisme le plus éclairé, telles sont les
B vertus qui caractérisent notre nouvel évêque. Il nous est
» donc permis de l'espérer : toutes les haines vont se taire,
> toutes les discussions vont s'éteindre, et les ouvriers vont
> rentrer dans la vigne du Seigneur. Eh ! comment pour-
> raient-ils refuser d'y suivre celui que, pendant quarante
» ans, ils regardèrent comme leur guide et leur flambeau ?
}> Et vous, vénérable vieillard, ministre respectable d'une
» religion sainte, recevez aujourd'hui le prix de soixante
» années de vertus. Cédez, nous vous en conjurons, cédez
j> au vœu d'un peuple immense qui demande votre prompte
» consécration ; le pauvre attend en vous son père, le
D faible son appui, et la religion le restaurateur de sa
64 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
j> gloire. Citoyens, à ces traits vous reconnaissez sans
» doute M. P. Pacareau, que je proclame, au nom de
y> rassemblée électorale, évêque métropolitain du Sud-
i> Ouest. »
I A peine ce discours était-il achevé, que le peuple, y
retrouvant tous les sentiments qui l'animaient, toutes les
expressions de son enthousiasme, s'est livré aux plus vifs
transports, et au même instant où le président de l'assemblée
électorale reprenait sa place au bruit de longs et éclatants
applaudissements, au même instant où le nom du nouvel
évêque de Bordeaux retentissait dans le temple de TÉternel,
toutes les cloches de la ville et les canons de la rade
l'annonçaient aux peuples du département.
D M. révêque a voulu exprimer au peuple les sentiments
qui remplissaient son âme; il est monté en chaire, où il a
prononcé le discours suivant :
« Mes Frères et chers Concitoyens, que ma langue ne
i> peut-elle exprimer les mouvements dont mon cœur, dans
j> ce moment, est agité, partagé entre les sentiments de la
» plus vive reconnaissance, de crainte, d'espérance, de
» frayeur I Vous venez de faire un grand ouvrage, magfium
Tf opus; mais sera-t-il avoué du Seigneur? Pourrons-nous
i> dire : A Domino factmn est istud? Vos intentions sont
1^ pures, et le désir que j'ai d'y répondre est ardent; mais
-» peut-être qu'une ombre de quelques vertus, le son pas-
)> sager d'une réputation aussi peu solide que l'air qui la
» transmet, a trompé le désir sincère du bien que vous
» attendez. Dieu seul, scrutateur infaillible des cœurs, peut
» discerner les vertus et leur donner le prix ; il faut espérer
1^ qu'il bénira nos efforts; que, secondé de vos dispositions
:d chrétiennes et civiques, après avoir eu le bonheur de
» faire votre consolation sur la terre, vous serez ma gloire
)) et ma couronne dans les cieux. »
» Ce discours, vivement applaudi, a paru augmenter
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 65
encore ramour et le respect du peuple pour son nouveau
pasteur.
> M. révêque ayant repris sa place, la messe a com-
mencé; elle a été suivie d'un Te ^eum, et le peuple a mêlé
à ce cantique les cris répétés de : Vive la Nation ! Vive la
Loi! Vipe le Roi!
}> Après la cérémonie, M. Tévêque, accompagné du
président, du secrétaire de l'assemblée et de vingt-quatre
commissaires, s'est rendu dans le sanctuaire, où l'attendaient
avec la plus vive impatience MM. les curés de Saint-
Mexant et de Saint- Nicolas, MM. les doctrinaires et
plusieurs autres ecclésiastiques officiants; ils sont tous
accourus au-devant de lui, les yeux mouillés de larmes.
Après l'avoir longtemps serré dans leurs bras, après lui
avoir prodigué mille témoignages du plus tendre attache-
ment, de la plus profonde vénération, ils l'ont conduit aux
marches de l'autel, où l'attendaient, avec leurs ornements
sacerdotaux, MM. Bemon, Daguzan, Guieux de Charence
et Latapy, curé de Lucmau, par qui la messe avait été
célébrée; M. l'évêque les a embrassés, il a fait le tour du
sanctuaire ; reprenant ensuite la route de son domicile, il a
été accueilli sur la porte de l'église et précédé jusque chez
lui par un détachement de la garde nationale et de la
musique militaire. Ce cortège, mais surtout les citoyens
qui se portaient en foule sur les pas de ce prélat vénérable,
et les applaudissements, les bénédictions dont ils le
comblaient, ont rendu cette marche vraiment triomphale.
» Un acte aussi touchant que sublime, digne à la fois du
respect religieux qu'inspirent les vertus de M. Pacareau et
sa simplicité patriarcale, devait terminer ces moments
glorieux. En rentrant dans son appartement, une jeune fille
vient au-devant de lui ; elle se met à genoux ; puis, levant
les yeux et les mains vers le vieillard auguste, elle lui
présente une corbeille de fruits et une couronne de fleurs ;
T. L 5
66 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
son geste, ses regards, tout en elle semblait dire : c En
adressant cette offrande à votre vertu, je crois l'adresser au
ciel même, et lui rendre un hommage digne de lui. 3>
» Tandis que M. révêqup était reconduit dans sa maison,
les corps invités quittaient la cathédrale et défilaient dans
le plus grand ordre. Cette solennité n'a été heureusement
troublée par aucun de ces événements si fréquents dans
tous les lieux où les citoyens se portent en foule ; ce grand
jour n'a été témoin que de la joie du peuple; les temples et
les airs n'ont retenti que d'actions de grâces; le fanatisme
et l'erreur même ont fait taire leurs murmures séditieux; le
nom de Pacareau semble avoir levé tous les doutes,
rassuré toutes les consciences et dissipé tous les partis : pas
une bouche n'a osé s'ouvrir pour blâmer cet acte de la
souveraineté du peuple, qui élevait à l'épiscopat le plus
digne prêtre, le plus fidèle des serviteurs de Dieu . »
Dans la soirée de ce jour, .M. Pacareau se présentait à
l'assemblée électorale pour lui offrir les témoignages de son
respect et de sa reconnaissance, a: Monsieur l'évêque, lui
répond Guadet, un grand peuple célébrant par des acclama-
tions le choix d'un évêque qui est son ouvrage, est un
spectacle digne des regards du Ciel, et c'est celui que vous
nous avez offert aujourd'hui. Il y a bien des siècles que les
fidèles avaient perdu le droit d'élire leurs pasteurs : de là
peut-être tous les maux de l'Église et la plaie profonde faite
à sa gloire. Nous l'avons enfin reconquis ce droit précieux,
et nous avons prouvé, en vous nommant, que nous étions
dignes de cette conquête. Aux ennemis de notre Consti-
tution, qui accusent l'Assemblée nationale de renverser la
religion, nous opposerons M. Pacareau, élu, par les
représentants d'une portion du peuple français, évêque
métropolitain de la Gironde. 3)
Cette élection fut la première application, dans notre
ville, des dispositions de la constitution civile du clergé.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 67
L'élu était octogénaire.
M. Pacareau (Pierre), né à Bordeaux le 27 septembre
1711, avait embrassé la carrière ecclésiastique et obtenu
un riche canonicat dans l'église primatiale de Saint- André.
Son influence dans le chapitre était grande, et à la mort de
MJ^ d'Audibert de Lussan, archevêque de Bordeaux, ses
confrères l'avaient choisi pour l'un des trois vicaires
généraux capitulaires pendant la vacance du siège. Doux,
modeste et très charitable, M. Pacareau écrivait et parlait
plusieurs langues étrangères, outre le grec, le latin, l'hébreu
et le syriaque. Il avait publié avant la Révolution plusieurs
ouvrages oubliés aujourd'hui ^^K II avait manifesté des
opinions favorables au jansénisme, et lorsque la Révolution
éclata, il en embrassa les principes avec ardeur, et
applaudit vivement aux changements qu'elle devait
amener; il favorisa toutes les institutions schismatiques
de l'Assemblée constituante et fut un des premiers à prêter
le serment exigé par la constitution civile du clergé.
Son élection à l'évêché métropolitain du Sud-Ouest peut
être considérée comme une récompense de la ligne qu'il
avait suivie depuis 1789. Sa conduite affligea les vrais
catholiques, mais n'étonna personne ^^K
Il était, dit-on, l'auteur de divers noëls patois très
connus, que l'on chantait tous les ans, à la messe de
minuit, dans les églises de Bordeaux ainsi que dans
quelques églises du diocèse.
M. Pacareau se fit sacrer le 3 avril 1791 dans l'église
métropolitaine de Saint- André, par M. Saurine, évêque
constitutionnel des Landes, assisté de MM. Barthe, évêque
du Gers, Robinet, évêque de la Charente-Inférieure, et
Pontard, évêque de la Dordogne.
(1) Considérations sur Vusure et le prêt à intérêt, — Mémoire sur les
droits du chapitre Saint- A ndré, etc.
(2) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. le»*, a» partie, p. 1 18.
68 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Après avoir préalablement prêté serment entre les mains
de la municipalité, il fut installé par Vergniaud, qui
présidait ce jour-là rassemblée chargée d'élire les ecclésias-
tiques du second ordre, les curés constitutionnels des cures
vacantes du district de Bordeaux ^^K Vergniaud adressa
aux électeurs une allocution chaleureuse; il signala d'abord
les défections de quelques prêtres qui avaient porté la
consternation dans la vigne du Seigneur : oc Mais cette
vigne, dit-il, ne sera pas frappée de stérilité ; il s'est pré-
senté des ouvriers dignes d'elle, qui la travailleront avec
ardeur. De nouveaux époux iront consoler l'Église que la
crainte d'un veuvage avait affligée. Déjà le peuple a nommé
des évêques qui n'ont pour tout cortège, pour tout luxe
que de longs travaux, de grandes lumières et leurs vertus.
On ne pourra les remarquer qu'à leur simplicité vraiment
évangélique et à leur tendre sollicitude pour les troupeaux
confiés à leurs soins. Voyez-les dans ce jour solennel, assis
au milieu de nous comme des pères dans le sein de leurs
familles : ainsi les Mathias, les Jacques, les Cyprien méri-
tèrent l'amour des fidèles dont le suffrage les porta sur les
chaires pontificales; ainsi ils devinrent la gloire de la
primitive Église... » Nous nous bornons à la reproduction
de ce passage de l'allocution de Vergniaud, comparant
MM. Pacareau, Barthe, Robinet et Pontard aux gloires de
la primitive Église.
Le sacre du nouvel évêque remplit de joie les partisans de
la constitution civile du clergé, et des armateurs de Bordeaux,
que nous pourrions citer, s'empressèrent de donner le nom
de Pacareau à un de leurs navires appelé La-Saintonge ,
qui, le même jour, arbora le pavillon national.
(i) L'élection des curés se fera dans la forme prescrite et par les
électeurs indiqués dans le décret du 22 décembre 1789 pour la nomina-
tion de l'assemblée administrative du district. (Art. 25, titre II de la loi
du 12 juillet 1790.)
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 69
Le jour du sacre de M. Pacareau fut en même temps
celui, comme nous l'avons îndiqué, où l'assemblée électo-
rale du district procéda à Télection des curés constitution-
nels des églises de Bordeaux.
Ces élections, qui eurent lieu dans tous les districts du
département, furent l'occasion d'une recrudescence de
persécution contre les membres du clergé fidèle.
Celui-ci comptait dans ses rangs un prêtre respectable
M. Toucas-Poyen, curé de Saint-Genès de Talence,
homme très savant et Jouissant de l'estime publique. Il
avait un grand nombre d'amis, même parmi les patriotes
modérés; ses liaisons avec l'abbé Langoiran, un des prêtres
les plus compromis pour son courage à confesser la vérité
catholique, ne lui avaient pas nui dans l'esprit des autorités,
qui cherchaient, au contraire, à le gagner au clergé consti-
tutionnel. On mit tout en œuvre pour le décider à prêter le
serment; on alla même jusqu'à le laisser libre dans les
restrictions qu'il voudrait y apporter. Sa conquête était
désirée par M. Pacareau, qui faisait agir auprès de lui les
membres de la Société des Amis de la Constitution; elle
était d'autant plus importante pour le schisme, que tous les
dissidents partageaient ses principes et marchaient avec lui.
Ce prêtre refusa constamment de faire un serment que
repoussait sa conscience, malgré les restrictions dont on le
laissait maître. Il monta en chaire un dimanche, et déclara
formellement que sa conscience lui défendait ce serment,
qu'elle seule le dirigeait dans son refus, et qu'il n'était guidé
par aucune considération humaine.
Deux notables de la paroisse, gens ignorants ou de mau-
vaise foi qui assistaient à l'office divin, furent courroucés
d'entendre cette déclaration si franche et en même temps si
nette, bien qu'ils n'en eussent pas saisi le sens. Ils pensèrent
qu'elle était dangereuse pour le salut de la patrie, et ils se déci-
dèrent à dénoncer leur curé, e II avait déclaré en plein public.
70 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
dirent-ils à Tofficier municipal qui reçut leur dénonciation,
qu'il ne reconnaîtrait jamais Pacareau pour son évêque, et
que si lui, curé et pasteur légitime, était remplacé par un
intrus, ses paroissiens alors pourraient faire chez eux leurs
prières, qui seraient aussi bonnes qu'à l'église. ^ Ce sont
leurs expressions.
M. Toucas-Poyen fut traduit devant le tribunal du district
et interrogé par M. Desmirail, président; il déclara n'avoir
pas tenu les propos que lui imputaient ses paroissiens, qui
n'avaient pas compris les paroles qu'il avait prononcées du
haut de sa chaire: «J'ai déclaré, il est vrai, que je ne
communiquerais jamais avec M. Pacareau, parce que je
ne puis le regarder comme le chef spirituel du diocèse de
Bordeaux; mais j'ai ajouté que j'étais prêt à reconnaître
qu'il était l'évêque d'après la loi de ceux qui partageaient
sa croyance; j'affirme que je n'ai jamais prononcé dans la
chaire de Talence, ni ailleurs, des discours de nature à
provoquer la désobéissance aux lois et à troubler le
repos public. :^
Le tribunal n'ayant pas vu dans les faits dénoncés le délit
de provocation à la rébellion ni à la désobéissance à la loi
acquitta, le 19 avril 1791, le curé de Talence, malgré les
murmures des constitutionnels, et aux applaudissements
universels des fidèles, qui avaient assisté à l'audience ou se
tenaient aux portes du Palais-de- Justice.
M. Toucas-Poyen n'étant pas en sûreté, quitta Bordeaux
lorsque la République fut proclamée, et se retira à Orthez,
d'où il passa à l'étranger. Rentré en France sous le Consulat,
il fut appelé par M*^ d'Aviau à la cure de Saint- Pierre. '
Nous trouvons dans les archives de la Gironde ^'^ les
détails suivants sur l'arrestation de sept prêtres insermentés
dans une commune voisine de Libourne.
(i) Archives départementales, série L, carton 60.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 7I
Le club des Cordeliers de cette ville écrivait, le 6 avril
1 79 1 , au Club national de Bordeaux :
« Frères et amis, au mépris des décrets qui défendent les
attroupements d^ecclésiastiques , une demi-douzaine, ou
plus^ se rassemblaient depuis quelques jours chez le sieur
Bordes, curé de Nérigean, dans des vues sans doute très
peu canoniques. Les habitants du lieu, témoins de ces
rendez-vous, en ont prévenu leur municipalité, qui a
requis immédiatement la troupe nationale de l'endroit, qui
les a pris en flagrant délit et les a conduits dans nos
prisons. Un d'eux leur a offert vingt-cinq louis d'or; mais
ces braves soldats ont préféré l'honneur à l'argent. Ces
ecclésiastiques sont : MM . Bordes , curé de Nérigean ,
Couprie, curé de Cursan, Gudes, ci-devant chanoine à
Génissac, Rivière, curé de Saint - Germain , Loménie,
vicaire à Saint-Germain, Eyquem, curé du Pout, et Pinaud,
aussi curé. Tous ces curés sont de l'Entre-deux-Mers. Voilà
un assez bon coup de filet. Le temps n'est plus où les
gens de campagne regardaient leurs curés comme des
envoyés de Dieu, sur lesquels ils n'auraient osé imposer (sic)
les mains parce qu'ils les prenaient pour des êtres d'une
nature toute différente de la leur. Nous sommes, etc. i>
Le Club national répondit à cette communication, le
i3 avril : « Nous avons fait imprimer votre dernière lettre.
Cette nouvelle a fait plaisir à tous les bons citoyens; le
peuple surtout s'empressait d'en acheter, et, comme vous
le dites, il ne craint plus comme autrefois la soutane et la
calotte. Il sait que la plupart des prêtres abusaient de leur
faiblesse; il sait qu'au nom de Dieu et par les menaces de
l'enfer, ils obtenaient d'eux ce qu'ils voulaient; il sait que
la plupart d'entre eux sont hypocrites et sacrilèges, et qu'ils
se croient autorisés à commettre toutes sortes de crimes
sans crainte d'être punis ; il sait enfin qu'il est libre, et que,
comme tel, il n'est plus sujet que des lois.
72 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» Dimanche dernier, nous avons installé nos nouveaux
curés avec pompe; chaque régiment a pris les armes et
gardé sa paroisse respective... On ne vit dans nos églises
aucun des ci-devant curés ou vicaires ; ils étaient sans doute
rassemblés et pleuraient ensemble la perte de leurs bénéfices.
Peut-être, et pour mieux dire, ils tramaient de nouveaux
complots; mais nous les surveillons plus que jamais, et
nous ne les épargnerons pas si nous les surprenons en
flagrant délit. . . . i>
L'esprit dont est animée cette correspondance démontre à
la fois rinfluence délétère et l'audace du Club national, et
peint mieux que nous ne pourrions le faire ces temps de
persécution contre les membres du clergé resté catholique.
Leurs personnes, nous l'avons vu déjà, n'étaient guère en
sûreté, et cependant des temps plus sombres les attendaient :
les prisons, la déportation, l'exil, l'échafaud devaient être
bientôt leur partage.
Revenons à M. Pacareau.
L'article 19 de la Constitution civile du clergé exigeait
que l'évêque élu écrivît au Pape une lettre de communion.
M. Pacareau, pour obéir à cette disposition, adressa le
1 2 avril au Souverain Pontife la lettre suivante :
f Très Saint- Père,
I Aussitôt que, par un décret de la divine Providence et par les
suffrages du peuple^ j'ai été élevé au siège épiscopal métropolitain
de la Gironde, mes premiers soins ont été d*accourir, en signe de
communion, au siège apostolique, comme à Tarsenal et au temple
de la vérité, comme au centre de Tunité, où la foi de Pierre est et
sera toujours en vigueur. Ne dédaignez pas, Très Saint- Père, ne
frustrez pas Tattente de celui qui, dès ses plus tendres années,
étroitement attaché à la pierre angulaire, a toujours honoré et
respectera jusqu'à ses derniers soupirs, dans ceux qui vous ont
précédé, les successeurs du Prince des Apôtres, et dans vous, Très
Saint-Père, qui tenez, heureusement avec tant de sagesse, le timon
de l'Église au milieu des ravages qui Tagitent de toutes parts. Tels
ont toujours été et tels sont mes sentiments.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 7 3
i Que des bouches perverses répandent à torrents le fiel de la
calomnie, il n'est pas moins vrai qu^il ne s'est rien passé dans notre
Assemblée nationale, qu'on n'a sanctionné aucun décret qui puisse
porter atteinte au dogme de la foi et à ses divins préceptes. Nous ne
connaissons qu'un Dieu, une foi, un baptême, un Christ, prêtre
éternel, chef invisible de l'Église, dont vous êtes le chef visible
comme premier vicaire de son amour, et le premier des évêques que
le Saint-Esprit a établis pour gouverner l'Église de Dieu.
» Tels sont les points fondamentaux et inébranlables de notre
croyance; il n'en est pas ainsi de la police ecclésiastique : elle varie au
gré des circonstances, des lieux et des temps ; elle peut changer de
mieux en mieux, sans préjudice aux saintes règles de la foi et des mœurs.
1 Cest ce que nous faisait pressentir le Roi-Prophète dans cet
admirable cantique où, parlant de l'Église sous l'emblème de
l'épouse du roi Salomon, il nous la représente assise à la droite
de son céleste époux, revêtue d'une robe diversifiée des plus riches
couleurs et brillant de l'éclat le plus pur. C'est ce que l'Apôtre
insinuait aux Corinthiens, en leur promettant de régler les autres
articles de discipline, lorsqu'il serait rendu près d'eux.
» Très Saint-Père, vous ne connaissez que trop la situation où
l'Église est réduite en ces jours malheureux. Ahl combien de fois,
personne ne l'ignore, répandant votre âme aux pieds des saints
autels et mêlant vos larmes aux gémissements de la colombe, vous
avez conjuré le Père des miséricordes de dissiper les ténèbres qui
nous cachent la vérité, de répandre sur nous les lumières de sa
grâce, et de rendre à l'or pur de la religion son antique splendeur 1
f En attendant avec confiance que le Dieu de paix et de consolation
nous accorde et bienfait et qu'il achève la grande œuvre qu'il a
commencée parmi nous, daignez, Très Saint-Père, accorder votre
bénédiction apostolique au plus humble de vos serviteurs.
» t PIERRE,
» Êvêque métropolitain de la Gironde (0. »
On verra bientôt que cette letcre ne reçut l'approbation
d'aucun des partis qui divisaient PÉglise.
A quelques jours de là, un fait scandaleux vint attrister
les âmes honnêtes. Marandon, rédacteur du Courier (sic)
de la Gironde, osa publier dans son journal (2) un pamphlet
impie, qu'il fit réimprimer et vendre dans ses bureaux.
(0 Spicilége de Bordeaux,
(a) N«« 78 et 79 du i8 mai 1791 .
74 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Ce pamphlet était intitulé : Relation véritable et remar-
quable du grand voyage du Pape en paradis.
Plusieurs habitants de Bordeaux, et entre autres M. Fer-
rère, avocat, qui a acquis parmi nous une réputation si
éclatante et si justement méritée , adressèrent à Taccasateur
public, à raison de la publicité donnée à ce pamphlet, une
dénonciation dont voici les principaux passages :
<L Nous, citoyens actifs de la ville de Bordeaux (*\ avons
rhonneur d'exposer à M. l'accusateur public qu'il est de
certains crimes qui s'exécutent et se consomment dans un
seul instant par des actes publics de violence et de force et
deviennent incontinent notoires aux magistrats préposés au
maintien de l'ordre et de la sûreté publique. Mais il est d'autres
crimes qui ne peuvent, par leur propre nature, produire que
des effets progressifs et ne se manifestent que lentement. De
ce genre sont les libelles et écrits scandaleux et impies. Il
faut un certain temps pour qu'ils se répandent et se propagent
au point d'opérer une rumeur et une fermentation publiques
qui parviennent aux oreilles des ministres de la loi...
» Nous nous faisons donc aujourd'hui, dans l'intérêt de
la religion, des mœurs et de la société, le devoir de vous
apprendre que, depuis quelques jours, on voit circuler à
Bordeaux et dans tout le département, le libelle le plus
scandaleux, le plus exécrable qu'ait enfanté l'esprit d'irréli-
gion, de blasphème et d'impiété. Cet infâme écrit a produit
une indignation si générale et si vive, que nous assurons,
avec la plus vive confiance, qu'en le dénonçant à la justice
nous ne faisons que seconder les vœux de tous les citoyens
honnêtes de la ville; nous n'en exceptons ni les luthériens,
ni les calvinistes, ni les juifs, et il ne doit pas paraître
étonnant que la différence de culte ou de religion n'en ait
produit aucune dans la sensation qu'a fait naître cet abomi-
(i) Cette dénonciation est signée par 129 citoyens notables de Bordeaux.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 76
nable libelle, car il livre TEtre Suprême à la dérision
la plus effrénée et la plus impudente, et anéantit, par
conséquent, toutes les religions pour y substituer l'athéisme,
cette peste cruelle de toutes les sociétés.
> Le rédacteur du journal de Bordeaux et du département
de la Gironde, qui ne s'était déjà que trop fait connaître
par la licence de sa plume, soit contre les particuliers, soit
contre les autorités publiques, vient de se signaler en
insérant dans sa feuille de mercredi 1 8 du présent mois de
mai, n° 79, un pamphlet aussi insolent que grossier, sous
le titre de Relation véritable et remarquable du voyage
du Pape en paradis. Cet horrible écrit n'eût-il d'autre
objet que de déverser le mépris et l'opprobre sur le Pape,
serait toujours de nature à provoquer la sévérité de la loi...
Après un dialogue infâme, on fait dire à Jésus-Christ :
Cest bien asse:{ d'avoir été lanterné une fois, sans nC ex-
poser à rêtre une seconde. Pour terminer dignement cet
ouvrage infernal, on devait mettre aussi sur la scène le
Saint-Esprit : « Le Pape entra dans un cabinet où il vit un
beau pigeon blanc perché sur un bâton de perroquet, et le
Pape lui adressa l'hymne Veni Creator spiritus, car f ai
besoin de votre âme. » Vient là-dessus un colloque digne
de ce qui précède, et le Saint-Esprit finit en disant : « Je
me souviens trop bien du décret sur la chasse et je n'ai pas
envie de me faire mettre du plomb dans les f. .... }>
i> Le rédacteur dira-t-il qu'il n'a point composé ou publié
cette production comme un ouvrage sérieux ; qu'il l'a
simplement donnée sous le titre de facétie ? Cette réponse
n'offrirait qu'une dérision de plus. D'une part, il n'est jamais
permis de plaisanter sur la religion, et d'autre part
personne n'ignore que c'est principalement par les armes
du ridicule que les impies et les gens sans mœurs attaquent
une religion qui n'aurait rien à craindre d'une attaque
sérieuse et réfléchie...
76 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
3> Plusieurs particuliers qui avaient entendu parler de
cette attaque du journal de la Gironde, en avaient fait
demander des exemplaires à Timprimerie, et comme il n'en
restait plus, on leur répondit qu'ils pourraient revenir dans
deux ou trois jours, parce qu'il allait paraître une seconde
édition de l'article. On vient de nous faire parvenir des
exemplaires de cette édition, preuve trop certaine du progrès
que cet exécrable écrit fait dans le public, et le succès
enhardit Tamour-propre et la cupidité de l'auteur.
» Par ces raisons, nous, citoyens actifs de Bordeaux,
avons rhonneur de demander acte de notre dénonciation, etc.
» Fait à Bordeaux, le 28 mai 1791. — Signé : Cambon,
Touzar, Ferrère, homme de loi, Duvergier et cent vingt
cinq autres citoyens. »
Marandon irrité, écrivit en réponse un factum rempli
d'injures contre les signataires de la dénonciation, et
particulièrement contre M. Ferrère ('). Il y fait parade d'un
patriotisme effréné, mais il finit cependant par reconnaître
qu'il avait eu tort de publier son opuscule : oc Je l'avoue,
dit-il, je n'aurais pas dû peut-être, dans les circonstances
actuelles, choisir une plaisanterie qui pouvait blesser des
objets consacrés par la vénération de nos pères, et sur
laquelle de lâches fanatiques ne pouvaient manquer de
verser par torrents le poison de leur rage ; mais si c'est une
faute, elle fut involontaire de notre part, et je le prouverai ;
je l'ai réparée, au reste, autant qu'il était en mon pouvoir. »
On ne trouve pas dans les archives les suites de cette
affaire, qui peut-être ne fut pas soumise au tribunal par
l'accusateur public.
Quant à Marandon, qui se montra constamment, dans
son journal et dans les actes de sa vie privée, l'ennemi du
clergé non assermenté et de la religion, il finit tragiquement
(1) Observations préliminaires, Bordeaux, 1791, 1 5 p. in-8'. Prix, 6 sols.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 77
en 1793, et nous le retrouverons devant le tribunal du
sanguinaire Lacombe.
Puisque le nom de ce dernier, dont nous avons signalé
précédemment Tapparition à Bordeaux, revient sous notre
plume, racontons un fait spécial le concernant. Le jour de
Pâques de Tannée 1791, il assistait dans Téglise des
Récollets à un sermon dont le sujet était emprunté aux
persécutions exercées contre la primitive Église. Le prédi-
cateur avait à peine commencé à en exposer le texte, quand
tout à coup un homme l'interrompit impudemment. C'était
Lacombe. Il apostropha le prêtre et lui reprocha de prêcher
inconstitutionnellement . Ce fut un grand scandale : les
assistants indignés se levèrent en masse, et Lacombe et les
obscurs acolytes qui l'accompagnaient furent ignominieu-
sement chassés au milieu des huées et des menaces.
Le Club national ne tarda pas à intervenir, et ses récla-
mations déterminèrent la fermeture de toutes les églises
conventuelles et la conservation des seules églises desservies
par les prêtres constitutionnels.
L'esprit d'irréligion avait fait d'immenses progrès, et les
violences contre le clergé étaient à l'ordre du jour.
Nous en donnerons bientôt des preuves.
Cependant le Saint-Siège avait fulminé un bref d'excom-
munication contre tous les ecclésiastiques, de quelque rang
hiérarchique qu'ils fussent, qui auraient revêtu le ministère
pastoral sans l'autorisation ni l'aveu de l'Église.
M^*" Champion de Cicé adressa à M. Pacareau le bref du
Pape par une lettre à la date du i®*" juin 1791, dans
laquelle il lui rappelait son serment et ses devoirs; elle est
longue et parfaitement écrite ('^ Nous en reproduisons
quelques passages :
a C'est à vous surtout. Monsieur, qu'il est important de
(i) Cette lettre est datée de Saint-Amand, sans nom d'imprimeur ni lieu
d'impression; elle a 16 pages in-8*.
78 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
faire connaître le bref de Notre Saint-Père le Pape, du 1 3
avril dernier. Les dispositions de la puissance publique ne
permettant plus une publication légale, c'est à votre
conscience que je crois devoir l'adresser.
» Vous y verrez. Monsieur, l'approbation que donne le
Saint-Père aux principes exposés par les évêques de France;
vous y verrez le jugement qu'il porte du serment exigé par
l'autorité temporelle, des élections faites en conséquence
du refus de le prêter, et les censures que ce bref contient
contre ceux qui ont envahi le ministère pastoral.
3) Vous n'êtes pas expressément dénommé dans ce bref
parce que votre élection n'était pas encore connue du Saint-
Père; mais vous ne pouvez vous dispenser de vous
appliquer à vous-même toutes les dispositions de ce bref,
qui ont pour objet MM. Expilly, Marolles et autres... »
M6'" Champion de Cicé, parlant de Jésus-Christ comme
le principe et la source de la mission des pasteurs, dite
« C'est lui-même qui a établi le sacerdoce, ses degrés, sa
hiérarchie. Cette constitution a eu lieu dès la naissance
du christianisme; elle a été une vigueur, elle a reçu des
formes plus étendues au milieu des nations infidèles et sous
le fer de la persécution; c'est cette constitution antique et
vénérable qui établit la nécessité de la mission divine pour
les pasteurs et l'impossibilité de faire son salut hors de l'Église
et de la soumission aux pasteurs légitimes... On prétend
que les décrets dont il s'agit se bornent à des objets
temporels, et l'on veut les justifier par le principe que
l'Église n'a de droits que sur les choses purement spirituelles.
Nous n'avons jamais pensé que le pouvoir tout spirituel de
l'Église s'étendît sur le temporel ; mais il s'exerce nécessai-
rement sur des choses mêlées de temporalité. Tels sont les
sacrements et leur forme d'administration, le culte divin, les
lois de l'abstinence et du célibat des prêtres. Il n'est donc
pas nécessaire qu'un objet soit purement spirituel pour être
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 79
soumis au pouvoir de T Église. Ainsi, la loi du jeûne est une
loi de r Église parce que sa destination est dans Tordre du
salut... :^
Le vénérable prélat dit ensuite à M. Pacareau : c Nous
gémissons avec tous les fidèles de ce qu'un grand nombre
d'ecclésiastiques, égarés par l'esprit du siècle, ont déserté
les voies antiques. Mais c'est vous surtout, Monsieur, vous
qui êtes à la tête du schisme qui s'introduit dans mon
diocèse, qui élevez autel contre autel, et arborez, dans
l'Église même où vous étiez fonctionnaire, l'étendard de la
rébellion dans l'Église! Quoil vous. Monsieur, parvenu
à l'âge où la nature vous avertit du compte prochain que
vous allez avoir à rendre au souverain Juge, vous ne
craignez pas de charger votre conscience d'un si effrayant
fardeau I Vous vous êtes volontairement engagé dans une
route où vous êtes condamné à emprunter le langage et les
sophismes de tous les partisans de l'erreur que l'Église a
foudroyés!... i>
M8^ Champion de Cicé termine ainsi sa lettre : a Prévenez,
je vous en conjure. Monsieur, au nom de tous les droits
que me donne sur vous mon titre, et surtout de ceux de la
charité évangélique, prévenez, par un juste et prompt
retour sur vous-même, les anathèmes dont vous êtes
menacé; montrez-vous enfant de l'Église, soumis à notre
mère commune, et consolez -la par votre repentir après
l'avoir affligée par votre chute. »
Cette lettre ne changea pas les dispositions de M. Pacareau.
Il crut pouvoir garder le siège épiscopal qu'avaient si glo-
rieusement occupé des prélats tels que saint Delphin,
saint Seurin, Bertrand de Goth, Pierre Berland, les Sourdis
et tant d'autres.
Les prêtres constitutionnels célébraient d'ailleurs à l'envi
l'ardent patriotisme de leur évêque; ils proclamaient ses
vertus et sa science. Ils trouvèrent toutefois sa lettre au
80 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Saint-Père trop timide; ils auraient voulu, disaient-ils, un
ton plus accentué. De leur côté, les catholiques la persif-
flaient, tout en regrettant la persistance du vieillard dans
son erreur.
Un M. MoUin écrivit le panégyrique du métropolitain, et
après avoir adressé des injures aux prêtres non confor*
mistes (c^est ainsi qu'on désignait ceux qui avaient refusé
le serment), il déclarait que le Seigneur avait béni Télection
du nouvel évêque ; il adressait à Dieu des actions de grâces
et engageait tous les fidèles à demander la conservation d'un
élu qui, malgré son grand âge, sacrifiait tous les instants de
sa vie à rétablir le bon ordre, à édifier ses diocésains et à
confirmer Theureux choix de MM. les électeurs, a Le peuple,
dit-il, grâce au nouveau régime, choisira ses pasteurs et son
évêque; puisse, en tout lieu, la Providence leur accorder
un bonheur semblable au nôtre ! »
Non content de célébrer en prose son métropolitain,
M. Mollin, qui se croyait sans doute poète, adressa à
M. Pacareau, sur Tair : Vous mentendei bien, de mauvais
vers dont nous citerons seulement deux couplets :
Vive Tévêque de Bordeaux I
Oh 1 que ses mandements sont beaux 1
Ce n'est pas un emblème
Hé bien?
Il les fera lui-même...
Vous m^entendez bien 1
Que Dieu conserve Pacareau
Pour le bonheur de son troupeau.
En lui tout vous invite
Hé bien?
A chanter son mérite...
Vous m'entendez bienl...
En France, le ridicule tue, et M. Mollin compromettait
certainement, par ses burlesques inepties, le caractère de
M. Pacareau.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 8l
Son âge avancé ne permettait pas à Tévêque constitu-
tionnel de donner à son Église les soins et la direction qui
lui manquaient. Elle avait besoin d'un chef, il s'en présenta
un : ce fut Dominique Lacombe, qui occupa plus tard le
siège métropolitain de Bordeaux ^^K
Dominique Lacombe, né le 26 juillet 1749 àMontréjeau,
ancien diocèse de Comminges, entra en 1766 chez les
Doctrinaires de Tarbes. Après avoir terminé ses études
dans le collège qu'ils y dirigeaient, il remplit différentes
places dans la Congrégation, et devint, en 1788, recteur ou
principal du collège de Guienne à Bordeaux. Il embrassa
avec ardeur la Révolution, et n'hésita pas à prêter le
serment imposé par la constitution civile du clergé. Domi-
nique Lacombe était instruit, savant même, mais ses prin-
cipes l'inclinaient vers le jansénisme; son orgueil et son
ambition, joints à une indomptable opiniâtreté, le précipi-
tèrent dans le schisme. Il venait d'être élu curé constitutionnel
de Saint- Paul de Bordeaux, et il se hâta de faire imprimer
ses productions en faveur de la constitution civile, dont il
fut, jusqu'à son dernier soupir, le défenseur le plus ardent.
Quelques-uns de ses écrits paraissent annoncer une secrète
tendance vers l'hérésie.
Ce prêtre fut la cheville ouvrière de l'épiscopat de
M. Pacareau. Il se fît aider par Lalande, sous-principal du
collège de Guienne, qui avait été élu curé constitutionnel
de Saint-Michel. Ce Lalande n'était pas toutefois très
rassuré sur le bon accueil de ses nouveaux paroissiens, car
dans son discours d'installation, il s'écria : « Je redoute
comme un malheur tout ce qui a pu apporter quelque
changement dans ma situation et me faire occuper une
place dans le sanctuaire. J'ai eu le courage d'affronter les
périls de la situation en acceptant la cure constitutionnelle
(I) En 1797.
T. I. 6
82 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
de Saint-Michel ; mais, hélas ! je ne sais que trop que mes
nouveaux paroissiens me refuseront tout accès auprès d'eux,
et cette pensée verse déjà Tamertume dans mon âme. j>
Après son élection, Dominique Lacombe débuta par un
pamphlet intitulé : Adresse au clergé inconstitutionnel . Il
y prodigue les invectives les plus odieuses aux insermentés,
qu'il ose appeler^w^^f ^«e^, lâches, vils, traîtres, perjîdes :
ce Dépouillés, écrit-il, de leurs titres chimériques, ils récla-
ment, au nom de la religion, les honneurs d'une monstrueuse
inégalité. Ministres de Jésus-Christ, leur dit-il, vous avez
trahi son Église; il remet aujourd'hui ses intérêts aux mains
du peuple, c'est par lui qu'il vous déclare sa volonté. »
Dominique Lacombe accuse ensuite les cardinaux de
l'Église romaine d'être la cause de tous les maux de la
patrie et du monde; et, remontant à la collation des béné-
fices, il prétend que les abbayes étaient possédées par des
personnes indignes, que les bénéfices étaient le fruit de la
simonie : a Ck)mment de tels pasteurs sont-ils arrivés à ces
postes, demande-t-il ? Par la protection d'un homme de
qualité, d'une femme, par des conventions secrètes et hon-
teuses, des préventions en cour de Rome... Enfin, des
intrigues de tout genre ont introduit le prêtre dans le
sanctuaire, et les richesses de l'Église sont devenues l'apa-
nage d'une multitude dHêtres qui ne croient même pas en
Dieu qui les nourrit. Le sacerdoce est devenu un état
humiliant pour qui n'a pas l'adresse d'envahir l'encensoir,
et le pauvre prêtre avili rampe indignement sous des
maîtres orgueilleux. Un corps, dit-il en parlant du clergé,
parvenu à un certain degré de corruption périt plutôt qu'il
ne se régénère lui-même; il faut que le Ciel l'y contraigne,
et le seul prodige que nous devons en attendre, c'est la
Révolution française, »
Puis, passant à un autre ordre d'idées, il applaudit à la
confiscation des biens du clergé et approuve le mode des
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 83
élections ecclésiastiques par le peuple : a: Il n'est pas dans
Tordre des choses que ceux qui gouvernent fassent les
lois... Si les évêques et les conciles, indépendamment de la
foi et des moeurs, ont le droit de faire des lois sur la
discipline, les peuples ont le droit d'accepter celles qui
leur conviennent et de. rejeter celles qui ne leur conviennent
pas. j>
Telles sont les aberrations de langage et de pensée
auxquelles se livrait un prêtre égaré par l'orgueil et -par
l'ambition.
Mais ce n'est pas tout; montant en chaire, un dimanche,
Dominique Lacombe débita un long sermon pour établir
que la juridiction des évêques et des curés était subordonnée
à la volonté du peuple. « Prêtres, vous ne pouvez pas nous
prêcher, si nous ne voulons pas vous entendre, et nous ne
pouvons pas vous recevoir, si vous ne voulez pas nous
prêcher notre foi. Il faut donc en ce sens que les peuples et
les prédicateurs concourent à l'établissement de l'Évangile...
Comme il est libre à chacun de choisir le directeur le plus
sage, un département entier a le droit de choisir le pasteur
général ou l'évêque qui mérite le plus sa confiance. >
Dominé par la colère contre les prêtres insermentés,
il s'écria : « Les prêtres réfractaires seront justement
dépouillés de l'exercice de leur autorité; l'homme ne doit
pas obéir à l'homme qui ne veut pas obéir aux lois...
Sachez, peuples, que si les pasteurs ont le droit de rappeler
à la vérité les pécheurs qui s'égarent, vous avez également
le droit de rappeler à leurs devoirs les pasteurs qui pour-
raient les oublier... Et vous, sages représentants de la
nation, dont la main hardie a détruit l'édifice que l'orgueil
avait élevé pour nous donner des fers et nous tenir dans
l'esclavage, ne cessez de veiller contre les ennemis d'une
religion sainte qui appelle les hommes à une véritable
liberté. »
84 ^ HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Puis il termina son sermon par Féioge du nouvel évêque,
dont il vanta les vertus et les talents; il le représenta
comme un anachorète des premiers temps de T Église, et
même comme un saint.
Dominique Lacombe n'en resta pas là. Il monta quelques
jours après en chaire, à Saint-Paul, et y prononça un
discours violent contre le Souverain Pontife, au sujet de la
bulle d'excommunication contre les évêques et les ecclésias-
tiques qui prêteraient le serment; il y entassa des arguments
tous plus répréhensibles les uns que les autres pour com-
battre la suprématie du Saint-Siège; il y prodigua les
invectives au Souverain Pontife, tout en protestant de son
respect pour le vicaire.de Jésus-Christ. Il feignit de croire
que la bulle n'était pas l'œuvre du Saint-Père, mais d'un
écrivain hérétique et ignorant; qu'elle était puérile, entachée
d'hérésie, renversait d'une main téméraire les bases de
l'autorité la plus juste, en insultant à la Déclaration des
droits de V homme, de ces droits que l'on ne pouvait violer
sans outrager la Divinité qui en avait doué sa créature.
Tout le discours de ce malheureux prêtre respirait la haine
et le mépris pour le Siège apostolique.
En voici le début :
e: Cum autem venisset Cephas Antiochiam in faciem ei
restiti, quia reprehensibilis erat : Céphas étant venu à
Antioche, je lui résistai en face parce qu'il était repréhen-
sible. [Epist. Pa. ad Gai., caput 11, v. 9.) — Tandis que
fermant l'oreille aux cris de la rébellion, fidèles à Dieu et
à la patrie, vous accourez dans ce temple, devenu plus
majestueux par votre piété ; tandis que la plus douce et la
plus intime confiance s'établit entre le pasteur et le troupeau ;
que mes brebis commencent à distinguer ma voix, à chérir
mes conseils; que je connais leurs besoins, leurs ennemis,
leurs ressources; tandis, enfin, qu'une abondante moisson
flatte mes espérances, et, en confondant nos ennemis,
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 85
absoudra peut-être de témérité le cultivateur qui a osé se
charger d'un travail au-dessus de ses forces, faut-il, mes
très chers Frères, que de nouvelles alarmes viennent
troubler vos voies, et jeter entre moi et vous de nouvelles
incertitudes! J'entends retentir de toutes parts les noms
effrayants de bulle, de schisme, d'excommunication ! Vous
venez vous-mêmes me demander avec terreur si les pâtu-
rages où je vous conduis ne sont pas des herbes mortelles,
si les fontaines où je vous fais désaltérer ne sont pas des
sources empoisonnées ?. . . J'avais prévu, en me mettant à votre
tête, les blasphèmes des impies, les outrages des méchants,
vous le dirai-je ? les anathèmes de la politique romaine et
jusqu'aux éclats de ses foudres. Oui, j'ai prévu qu'elles
gronderaient sur ma tête; et, appuyé sur mes principes,
sur les étemels principes de la raison et de la vérité, j'ai
osé les braver. Eh ! n'avons-nous pas été accoutumés à les
entendre, toutes les fois qu'on a voulu restreindre dans les
justes limites l'autorité des Souverains Pontifes ? Attentifs à
profiter du sommeil des peuples et des rois pour étendre
leur domination, sitôt que les peuples et les rois se sont
éveillés et ont voulu ressaisir leurs privilèges, les Papes ont
eu recours à leurs armes sacrées; ils ont fait parler les anges
et les saints, pour imposer silence aux justes réclamations,
et ils ont été cacher dans le sein de la Divinité les larcins
qu'ils faisaient sur la terre... :&
Après ces outrages au Saint-Siège, le curé constitutionnel
de Saint-Paul ose parler de son respect et de son amour
pour la papauté, et ajoute : <c Cependant, mes très chers
Frères, nous prononçons malheur et anathème contre les
chrétiens qui, à l'aspect de tant d'iniquité, diminueraient
le respect qu'ils doivent à la chaire de Saint-Pierre.
L'univers doit fléchir le genou devant cette pierre fonda-
mentale, sur laquelle repose inébranlablement l'Église de
Jésus-Christ. C'est le point central d'où partent et auquel
86 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
aboutissent tous les rayons de la vérité évangélique; c'est le
tronc qui, planté par le Sauveur des hommes, a jeté de
profondes racines et étendu sur toute la terre ses branches
protectrices ; c'est le gouvernement qui dirige l'arche sainte
au milieu des flots de l'erreur et de l'iniquité, qui viennent
battre et se briser contre elle. Mes très chers Frères,
vénérons le Siège apostolique où se sont assis tant de grands
saints, etc., etc. ^^K ]^
Nous ne reproduisons pas les autres passages de ce
sermon; Dominique Lacombe y dénature souvent les faits
historiques et les altère pour représenter les papes comme
les ennemis des peuples, usurpant une puissance supérieure
à celle des conciles et des rois. Il les accuse de provoquer
dans la chrétienté des crimes, des enlèvements, des meur^
très; il insulte à la mémoire des Souverains Pontifes les
plus vénérés, et déclare calomnieuse la bulle qu'il signale
en même temps comme séditieuse et puérile-, il pousse
l'extravagance jusqu'à dire que le Saint-Siège était étranger
à ce libelle obscur.
Le curé constitutionnel de Saint-Paul montait souvent
en chaire pour inviter ses paroissiens à surveiller les prêtres
insermentés : « Le Ciel est pour le clergé constitutionnel,
disait-il; les réfractaires sont des loups, et Dieu ne permettra
pas que les fidèles deviennent leur proie. » Il parlait de
lui-même en ces termes : « Je n'ignore pas que je vais être
parmi vous un sujet de scandale pour les méchants et de
doute pour les fidèles; la mauvaise foi interprétera mes
démarches et dénaturera mes intentions; mais n'importe,
ma conscience a parlé, je dois surmonter les périls et braver
les tempêtes, etc. »
Dominique Lacombe, on le comprend facilement, jouissait
(i) Discours sur la buUe et les menaces d'excommunication au sujet de la
Constitution civile du clergé, prononcé par Lacombe^ prêtre doctrinaire et
curé constitutionnel de Saint Paul. — Bordeaux, 1791, 16 pages.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 87
de la plus haute considération parmi les patriotes de
Bordeaux, et les assermentés le considéraient comme la
pierre angulaire du schisme. Quant à M. Pacareau, il était
complètement effacé par le curé de Saint-Paul, homme
ambitieux et bruyant sur qui se portaient tous les regards.
Celui-ci daignait cependant faire Téloge de son évêque; il
vantait dans ses sermons, nous Tavons dit, sa science, ses
vertus et ses grandes qualités épiscopales.
L^Assemblée constituante allait terminer sa session et
faire place à la Législative. Les électeurs primaires furent
convoqués pour élire ceux qui devaient nommer les nouveaux
députés. Jaloux de s^élever, Dominique Lacombe profita
de cette circonstance et se hâta de publier une Instruction
chrétienne adressée aux assemblées primaires de Bordeaux.
Cette publication lui fiit utile auprès des électeurs, qui
renvoyèrent à l'Assemblée législative. Il ne voulut pas
partir pour Paris avant d'avoir fait ses adieux à son troupeau,
ainsi qu'il l'appelait dans tous les sermons dont il ne le
laissait pas manquer. Après s'être modestement comparé à
saint Paul, s'adressant aux habitants de Milet : oc Je puis
aussi me flatter, dit-il, d'avoir sacrifié le repos de mes jours
au bonheur de mon troupeau; je puis aussi attester, pour
garants de mon zèle et de ma tendresse, ma conduite au
milieu de vous, les tribulations que j'ai souffertes, les
sollicitudes de toute espèce dont vous avez été la cause et
l'objet; mais les traverses qu'on m'a suscitées ont été pour
mon âme un sujet d'allégresse, parce que je souffrais pour
vous, parce que je trouvais au fond des cœurs fidèles le
dédommagement de tous mes sacrifices. >
Cet exorde terminé, il continue et se désole d'être obligé
de rompre les doux liens qui l'unissent d'une manière
indissoluble à son cher troupeau : <r Malheureux qui
attribuerait mon départ à une vaine ambition! Si j'ai
consenti à m'éloigner de vous, c'est pour mieux assurer
88 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
votre félicité sous le double rapport de la religion et des
lois sociales. Qu'il est beau, en effet, et qu'il est intéressant
pour vous le nouvel apostolat dont' la cité vient de me
revêtir ! ... De quel abîme de maux ne puis-je pas vous
garantir en sortant de cet étroit bercail, pour consacrer
mes soins à la nation entière ! . . . etc. »
Dominique Lacombe avait une haute opinion de son
importance parmi le clergé constitutionnel de Bordeaux, et
il se croyait de très bonne foi un personnage indispensable
à l'Assemblée législative; il y fut profondément ignoré et
ne parut pas à la tribune, où d'ailleurs il n'aurait pas brillé
d'un bien vif éclat. Après la chute de la monarchie, il se
retira à Bordeaux et se fit oublier pendant la Terreur.
Les discours dont on vient de lire des extraits n'étaient
pas de nature à modérer le mouvement des esprits.
Il faut ajouter d'ailleurs que la presse révolutionnaire
attaquait journellement la religion et le clergé. Chose triste
à dire, elle avait pour collaborateurs quelques prêtres
républicains étrangers au diocèse de Bordeaux et de rares
ecclésiastiques qui se déshonorèrent par la remise de leurs
lettres de prêtrise ou par l'apostasie; ils publièrent de
nombreux écrits sur la constitution civile du clergé et sur
le serment. Voici les titres de quelques-uns de ces écrits :
Discours prononcé le 5 juillet 17 go dans la cérémonie
qui a terminé les travaux de V Assemblée électorale de la
Gironde, par M. Daguzan, maire et curé de la paroisse
de Bègles t^).
Ce prêtre, qui fut l'ennemi acharné de l'abbé Langoiran,
parle dans ce pamphlet le langage le plus exalté; il fait une
peinture exagérée des maux incalculables sous lesquels
gémissaient les Français, « accablés et opprimés par le
despotisme assis sur un trône de fer, qui pesait cruellement
(i) Bordeaux, 1790, 12 p.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 8g
sur le peuple le plus digne de vivre libre...; i> il foudroie en
termes ampoulés « les milliers de tyrans qui avaient asservi
les Français après les avoir avilis...; » il finit en déclarant
que « les grandes villes sont d'immenses ateliers d'esclaves
forcés au travail par d'autres esclaves. :i> Ses arguments
pour défendre la constitution civile du clergé et le serment
ne sont qu'une ennuyeuse répétition de ceux qui avaient
paru depuis longtemps dans des publications émanées de
plumes plus distinguées que la sienne.
Daguzan fut récompensé de son patriotisme par les
électeurs, qui le nommèrent curé constitutionnel de Saint-
Louis de Bordeaux. Le 5 frimaire an II, il renonça à ses
fonctions et fit la remise de ses lettres de prêtrise.
M. HoUier, chanoine de Saint-Émilion, devenu vicaire
général de M. Pacareau, se signala par ses discours répu-
blicains, et publia une adresse aux ouvriers des villes et aux
habitants des campagnes en faveur de la constitution civile
du clergé. Ses pamphlets respirent la haine des rois, des
évêques et de toutes les classes supérieures de la société.
L'un d'eux, intitulé : Les Chicanes de la Théologie sur
la Constitution civile du clergé ramenées aux principes de
la Raison et de V Évangile ^^\ est un recueil d'injures à
l'adresse du clergé insermenté.
Un religieux jacobin, nommé Pinon, ne craignit pas de
publier sous le titre de : Lettre de consolation au clergé
sur la perte de ses biens, un pamphlet odieux et lourde-
ment écrit, qui ne contient que d'insipides et inconvenantes
railleries adressées au clergé dépouillé.
Enfin, l'avocat Lisleferme fit imprimer contre les prêtres
fidèles plusieurs opuscules remplis d'invectives, et qui ne
valent pas l'honneur d'une analyse.
La question religieuse était à l'ordre du jour durant
(i) Bordeaux, lygi, 44 p. in-8o.
\
90 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Il - -- -.---■_- III - I -■WTTI ■
l'année 1791 ; la ville de Bordeaux fut inondée de brochures
de toute espèce sur ce grave sujet. Les clubs, on Ta vu, n'y
restaient pas étrangers : le Club national et les Amis de la
Constitution étaient de ce nombre. Un jour, ces derniers
envoyèrent au Directoire du district un sieur Concordau
pour lui offrir, au nom de la Société, divers écrits relatifs
au serment exigé des ecclésiastiques fonctionnaires publics.
Le Club national ne voulut pas rester en arrière : il envoya
en même temps une députation qui présenta au Directoire,
avec grâce, dit le registre, plusieurs exemplaires d'une
brochure qu'il était dans l'intention de publier, au sujet de
la question du serment; il y joignit les Observations de
M. Lecoz, évêque de Quimper et procureur -syndic du
district.
Le Directoire agréa ces offres avec une grande satisfaction,
félicita le sieur Concordau, ex-religieux dominicain, de
son patriotisme, ordonna le dépôt des brochures dans ses
archives, et remercia les deux Sociétés.
Mais une lettre qui causa au Directoire la plus vive
admiration, ce fut celle de M. Réaud, curé et en même
temps maire de la commune de Léognan, lui annonçant
qu'il allait procéder à la réception du serment de ses vicai-
res, et que lui-même le prêterait ensuite entre les mains
d'un officier municipal, à l'issue de sa messe paroissiale. Le
registre du district l'analyse ainsi : « Un style doux, une
érudition profonde, quarante-trois ans de ministère sans
reproches, tout, dans cette lettre, paraît propre à ramener
dans le sentier du devoir et de la vertu les ministres de la
religion qui, dans une circonstance si délicate, ont eu la
faiblesse de se laisser égarer... Les administrateurs, ajoute
le registre du Directoire, jaloux de la gloire et de l'honneur
de leurs pasteurs, et convaincus qu'ils ne peuvent leur offrir
un modèle plus parfait que M. Réaud, ont arrêté unanime-
ment que sa lettre serait imprimée et publiée non seulement
LA CONSTITUTION CIVILE DU* CLERGÉ. 91
dans la ville de Bordeaux, mais encore dans toutes les
communes du district. >
Une députation qui devait tempérer la joie du Directoire
fut admise, vers cette époque, devant lui. MM. Montmirel,
curé de Saint-Michel, Philippot, curé de Saint- Pierre, et
Cornet, curé de Puy-Paulin, avaient été sollicités et pressés
de prêter le serment; ils s'y étaient toujours refusés. Voulant
en finir, ils firent demander au Directoire une audience qui
leur fut accordée; ils se présentèrent devant les administra-
teurs, et M. Montmirel prit la parole : <c Nous venons, dit-il,
vous témoigner tous les regrets que nous éprouvons d'être
forcés d'abandonner le troupeau qui nous a été confié; mais
quels que soient notre patriotisme, notre amour pour la
paix et notre obéissance aux lois, nous ne pouvons nous
soumettre à celle qui prescrit le serment aux ecclésiastiques.
Nous vous proposons l'interprétation de cette loi et de nous
autoriser à prêter ce serment çn y faisant des modifications
dont nous vous laissons les maîtres; nous sommes prêts
à rendre publiques nos dispositions à prêter le serment
rectifié. Nous attendons votre délibération sur cette
proposition, que nous sommes prêts à vous faire notifier
par un acte authentique. »
Le Directoire entendit cette proposition dans un morne
silence, dit le procès-verbal de la séance, et le président
déclara que l'exécution des lois était recommandée aux
municipalités, dont le zèle et la fidélité à leurs devoirs étaient
connus et garantissaient qu'elles sauraient les faire exécuter.
« Nous allons délibérer sur votre demande, ajouta le
président, et, dans tous les cas, nous vous ferons connaître
nos résolutions dernières. »
Les trois curés se retirèrent, et le Directoire embarrassé
députa M. Duranthon, procureur-syndic, et deux de ses
membres pour se concerter avec le Directoire du département
sur la mesure à prendre. L'Administration départementale
92 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
applaudit à la prudence et à la sagesse du District, et promit
de le seconder dans cette affaire (").
On ne trouve pas aux Archives la suite donnée à la
demande des trois curés; mais il est certain que le serment
rectificatif ne fut pas autorisé, puisque MM. Montmirel,
Cornet et Philippot furent démis de leurs cures et remplacés
par les électeurs.
Il est vrai que les administrateurs avaient, d'autre part,
des compensations. Ainsi, la constitution civile compta
quelques partisans dans le clergé de Blaye, et la munici-
palité de cette ville adressa au Directoire du département
une liste des prêtres de son district qui avaient prêté le
serment : en tête, figurait M. Duvergier, ci-devant chanoine
de Saint-Sauveur de Blaye, devenu maire de la ville. Il
parut dans la chaire le 7 février 1 79 1 , après avoir célébré
la messe :
« Messieurs, dit-il à ses auditeurs stupéfaits, déjà comme
maire et notable de la cité et comme citoyen je vous ai
donné des preuves de mon zèle, de mon dévouement et
de mon patriotisme; il me reste à vous en donner comme
prêtre, d Un officier municipal se présenta alors, et Duvergier
prêta entre ses mains le serment de fidélité à la Nation, à
la Loi, au Roi et à la Constitution civile du clergé. Quatre
autres prêtres suivirent son exemple : ce furent MM. Siozard,
curé de Saint- Romain, Lavergne, ex-prieur de Saint- Romain
et aumônier de l'hôpital Saint- Nicolas à Blaye, et deux
autres curés.
Quelques jours après, le curé de Branne écrivit à ses
confrères pour les engager à prêter le serment; il s'élevait
dans sa lettre contre le despotisme des évêques et déclarait
qu'il avait fait son serment avec plaisir, sans contrainte ^^K
La municipalité de Blaye, triomphante, écrivit à l'As-
(0 Archives de la Gironde, série L, liasse 186.
(3) Id., district de Blaye.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. qS
semblée nationale pour la rassurer sur la ville et les
campagnes du district, qui n^écoutaient ni les conseils,
ni les séductions des prêtres réfractaires : « Rendez-nous
Justice, disait la municipalité, l'égarement de nos prêtres
n'a pas influé sur nos cœurs; nous sommes et nous avons
toujours été dignes de vous. Nos prêtres frémissent à l'idée
de l'abîme où les entraînait la perfidie de M. Delage, curé
de Saint-Christoly, membre de l'Assemblée nationale,
siégeant au côté droit; plusieurs parmi eux ont fait le
serment; leur exemple sera suivi. ]» La liste des ecclésias-
tiques ayant prêté le serment fut en même temps envoyée
à l'Assemblée.
Ces défections, toutefois, n'entraînèrent point les autres
ecclésiastiques du Blayais, et pour manifester leurs senti-
ments d'une manière plus éclatante, ils adressèrent ' aux
administrateurs de la Gironde une déclaration dont nous
reproduisons les passages suivants :
« C'est un crime, disait un empereur chrétien, à ceux qui
ne sont pas inscrits sur les catalogues des saints évêques,
de s'immiscer dans les affaires ecclésiastiques... Quelque
talent, quelque connaissance qu'ait un laïque, il ne cesse
pas d'être brebis pendant qu'il demeure dans l'ordre des
laïques Pleins de confiance en la grâce de Dieu et en
son infinie miséricorde, nous jurons et promettons de vivre
et mourir dans la foi de la religion catholique, apostolique
et romaine, seule véritable, seule digne de l'homme, seule
capable de le conduire en paix à l'heureux terme de sa
carrière, religion dont nous sommes les apôtres et demain
les martyrs, s'il le faut.... Nous ne devons ni ne pouvons
faire d'autre serment que celui qui est dans le cœur de tout
Français, et plus particulièrement dans le nôtre Nous
jurons et promettons d'être soumis à la Nation, à la Loi
et au Roi, dans tout ce qui concerne l'ordre civil et
politique Fidèles aux devoirs du catholicisme et du
94 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
sacerdoce, nous refusons expressément notre adhésion â
la constitution civile du clergé, décrétée par une Assemblée
purement civile et politique, promulguée sans le concours
de la puissance ecclésiastique et par des formes inusitées
jusqu'à nos jours; nous attendons avec autant de fermeté
que de respect la décision de l'Église, et jurons d'avance de
nous soumettre à son jugement, etc. ^^K 3)
Cette déclaration fut signée par dix-neuf curés de la ville
de Blaye et de diverses communes. Parmi les premiers, on
remarque M. Delage, député à l'Assemblée constituante.
La congrégation, consultée sur cette manifestation,
déclara qu'elle n'avait pu lire sans attendrissement les
différents sentiments qui y étaient exprimés ; elle y avait
reconnu avec la plus grande satisfaction les principes qu'elle
avait constamment professés.
L'approbation est signée par M. Delaporte, vicaire
général, président, et par tous les membres de la
congrégation. Cette déclaration fut approuvée par trente-six
curés et vicaires de la ville de Bordeaux et signée par
trente-trois ecclésiastiques du Blayais, tous ayant charge
d'âmes. D'autres adhésions à la déclaration portèrent à
cent quatre- vingt^neuf le nombre des membres du diocèse
de Bordeaux qui refusèrent le serment. On doit y ajouter
M. Villars de La Châtaigneraie, curé de Guillac, et M. de
Gerlin, curé de Grayan, qui rétractèrent leur serment
comme ne l'ayant prêté que par surprise.
Tous les autres ecclésiastiques du Blayais et du diocèse
qui n'avaient pas adhéré à la déclaration n'en restèrent pas
moins fidèles â leurs devoirs; ils firent même imprimer
une adresse collective contre le serment. L'autorité les
menaça, ainsi que les signataires de la déclaration du
Blayais, de les poursuivre comme perturbateurs du repos
(i) Déclaration des curés et vicaires du Blayais à MM, les administrateurs
de la Gironde, Imprimé à Bordeaux, 1 791» S p.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 96
public; quelques-uns eurent peur et rétractèrent leur
signature, mais en petit nombre. Les catholiques comptè-
rent avec peine parmi ces transfuges MM. Valcanel et
Girodeau, curés de Saint-Sauveur et de Villeneuve en
Bourges.
Ici nous devons indiquer comme un signe des temps et
de la perturbation morale qui régnait dans les esprits,
rimmixtion des femmes dans les affaires publiques. La
manie de la politique les avait chassées du gynécée et faisait
des ravages, surtout dans la classe moyenne. Paris en offrait
des exemples, Bordeaux les suivit : on voyait les femmes
abandonner leurs ménages, les soins à donner à leurs
enfants et aux affaires domestiques, pour se réunir sur
les places publiques, où les plus audacieuses haranguaient
la foule ébahie et parlaient sur toutes les questions à Tordre
du jour avec une volubilité qui émerveillait les auditeurs.
C^était un spectacle à la fois risible et déplorable.
Ces femmes obtinrent de la municipalité la permission
de se réunir aux Augustins pour y tenir un club sous le
nom d^ Amies de la Constitution. Elles élirent un bureau
et leur réunion acquit une renommée qui engagea les autres
femmes à se présenter au club et à s'y faire admettre.
Elles étaient jalouses de mériter le titre de bonnes
citoyennes, et leur nombre dépassa bientôt deux mille.
Ces citoyennes résolurent de donner à M. Pacareau un
témoignage public d'attachement et de vénération pour sa
personne et ses vertus; elles arrêtèrent en assemblée
générale le programme suivant, programme extrêmement
curieux :
c Article premier. — Les citoyennes dont les noms sont inscrits
ci-après se trouveront, le 28 de ce mois (juin 1791), à huit heures
du matin, au Champ-de-Mars, pour de là se rendre dans l'église
Saint-André.
» Art. 2. — Le même jour, dans ladite église, il sera célébré une
messe et chanté le Te Deum, en actions de grâces envers VÊtre
96 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
suprême (0, de ce qu'il lui a plu d'accorder à ce diocèse le bonheur
d'avoir pour chef un citoyen non moins recommandable par sa
piété que par ses lumières, et pour demander au Ciel la conservation
des jours précieux de cet illus.tre prélat.
» Art. 3. — Après cette cérémonie religieuse, toutes les citoyennes
qui pourront y assister prononceront le serment civique ci-après :
f Nous jurons, en présence de l'Être suprême : i» d'être fidèles à la
f Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout notre pouvoir
• la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale; 2" d'élever nos
f enfants dans ces principes et de ne rien négliger pour leur inspirer
» l'amour de la liberté et des lois; S*» de nous opposer de toutes nos
1 forces aux projets des ennemis de la Constitution, et de dénoncer,
f aussitôt que nous en aurons connaissance, les manœuvres qu'ils
» oseraient tenter dans le coupable but de la renverser ou d'y porter
f la moindre atteinte; 4» de ne point souffrir en notre présence, sur
f le compte de notre respectable prélat, ni sur celui des autres
» prêtres constitutionnels, des propos injurieux tendant à affaiblir le
> respect qui leur est dû comme fonctionnaires publics, mais en
» même temps de nous abstenir de toutes voies de fait contre ceux
» ou celles qui pourraient s'égarer au point de se livrer à de pareils
» excès, et de nous borner à les dénoncer aux administrations et
• aux tribunaux, afin qu'ils soient poursuivis et punis suivant toute
f la rigueur des lois; 5^ de ne jamais rien entreprendre qui gêne la
i liberté des opinions religieuses et la facilité que la Constitution
» donne à tout citoyen d'exercer tel culte que bon lui semble,
» pourvu qu'il respecte l'ordre public établi par la loi.
> Art. 4. — Ce serment sera lu à haute et int-elligible voix dans
Téglise Saint-André; ensuite toutes les citoyennes se lèveront et
dirons : Nous le jurons.
f Art. 5. — Après la prestation de serment, nous nous rendrons,
par députation et avec le plus d'ordre quHl nous sera possible, mais
sans bannière, sans drapeau, dans la maison de Pierre Pacareau,
pour lui offrir un bouquet et lui remettre la présente délibération,
dont un double a déjà été remis à MM. les Maires et officiers
municipaux.
i Art. 6. — Quatre d'entre nous se transporteront le 27, devant
MM. les administrateurs du département et du district, devers
MM. les maires et officiers municipaux, les corps civils et militaires,
(0 Les philosophes du xviii* siècle avaient mis à la mode plusieurs noms
pour désigner^ la divinité : c'était VÉternel, le Souverain Ordonnateur
des mondes, VÉtre des Êtres; on arriva enfin à. VEtre suprême, dont la
Convention nationale, devancée en cela par les dames de Bordeaux, voulut
bien plus tard décréter l'existence.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 97
MM. les curés de la ville, vicaires de Tévêque, etc., pour les prier
d'assister à Tauguste cérémonie qui vient d'être décrite.
> Art. 7. — La fraternité et Fégalité étant la base de la présente
résolution, toutes les bonnes citoyennes, les mères de famille ou
leurs filles, qui désireraient être admises parmi nous, le seront sans
difficulté, et à la suite des noms de celles qui seront présentées, on
inscrira ceux des citoyennes qui ne pourront y assister, soit pour
cause de maladie, etc.
1 Art. 8. — Chacune de nous versera, suivant ses acuités, ou
26 sols ou 12 sols, ou même quelque chose de plus ou de moins,
dans la caisse commune tenue par M*"* Dubois, et le montant de
cette souscription servira aux frais de la fête; le surplus sera
distribué aux pauvres; cette distribution est confiée à M"** Gentil et
Dubois.
» Signé : F. Gz^atil^ présidente ; Dubois, trésor ière;
Thiévent, secrétaire (0. »
Cet arrêté fut porté à la municipalité par une députation
des citoyennes clubistes. Le maire, après l'allocution de la
femme Gentil, mit l'affaire en délibération, et le Conseil
général prit l'arrêté suivant :
c Considérant que les sentiments patriotiques des citoyennes
bordelaises méritent les plus grands éloges; que le devoir des
officiers municipaux les porte à favoriser le développement du
patriotisme; que, d'ailleurs, cette généreuse démarche de la part
des citoyennes de Bordeaux ne saurait avoir trop d'éclat, ni être
marquée par une approbation trop manifeste de la part des citoyens,
Y Arrête que le Corps municipal se rendra, le 28, au Champ de
Mars ; que là, il se mettra à la tête des citoyennes de Bordeaux pour
les conduire à la cathédrale; qu'après la cérémonie religieuse
M. le maire recevra le serment patriotique de ces bonnes dames;
que M. le commandant général sera requis, au besoin, de commander
un fort détachement des troupes sous ses ordres pour escorter le
cortège depuis le Champ de Mars jusqu'à Saint-André, et pour
maintenir le bon ordre dans l'intérieur de cette église.
» Bordeaux, le 27 juin 1791.
» Signé : SAIGE, maire (2). »
Le même jour, la députation de ces citoyennes se présenta
à la Société des Amis de la Constitution et y fut reçue au
(i)-(3) Archives municipales de Bordeaux.
T. I. 7
98 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
milieu des applaudissements de rassemblée. La femme
Larmée, son orateur, prononça le discours suivant :
a Monsieur le Président, Messieurs, pénétrées des senti-
ments que vous ne cessez de montrer pour le bonheur de
la patrie, nos cœurs reconnaissants s'empressent de vous
en féliciter. Bientôt, Messieurs, vous ne verrez plus en
nous des femmes uniquement occupées d'objets frivoles;
notre plus doux plaisir sera de couronner vos vertus et de
les imiter. Fidèles aux devoirs que la société nous a assi-
gnés, notre soin le plus précieux sera d'élever nos enfants
dans les principes de la Constitution, et c'est au milieu de
vous que nous viendrons les former; là, ils apprendront à
vivre libres, à connaître les droits de l'homme, à ne point
s'abaisser devant d'autre pouvoir que devant celui des lois
et de la vertu. On ne verra plus enfin un sexe que la nature
a formé pour donner à l'exemple l'attrait le plus séduisant
de la persuasion, oublier les devoirs sacrés qu'elle lui
impose. ♦
» Voilà, Messieurs, les sentiments qui nous animent;
nous espérons que vous voudrez bien ajouter à l'éclat de la
fête de demain par la présence de vos députés. :^
Ce discours fut suivi d'acclamations générales ; M. Ducos
fils, président de la Société, y répondit par une allocution
vivement applaudie (').
« Le lendemain, 28 juin, à huit heures du matin, dit le
Journal de Bordeaux, les citoyennes composant la Société
des Amies de la Constitution se sont rendues, au nombre
de près de 2,000, au Champ de Mars. La municipalité,
M. le maire à la tête, le département, le district, les
tribunaux, l'état-major de la garde nationale, les députations
des Amis de la Constitution et du Club national, sont
arrivés successivement. Le cortège s'est rendu à l'église
(I) Journal de Bordeaux, 1 791, no 81.
LA CONSTÏTUTIO>f CIVILE DU CLERGE.
métropolitaine, en défilant dans le plus grand ordre entre
une haie de la garde nationale. Le vénérable Pierre
Pacareau, évêque constitutionnel de la Gironde, pour qui
la fête était préparée, était à la petite fenêtre de sa petite
maison, environné de son clergé. Des applaudissements
universels, des cris de Joie, des bénédictions sans nombre
ont porté jusqu'aux cieux Thommage que les bons citoyens
rendaient à ses vertus. Deux orchestres étaient placés dans
réglise métropolitaine : la messe a été célébrée avec pompe,
et M. Roch a dirigé la musique. Après la célébration du
sacrifice, le ^Te Deutn a été chanté. Les citoyennes ont
ensuite prêté, entre les mains du vicaire, le serment d'être
fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, d'élever leurs enfants
dans les principes de la Révolution, de vivre libres ou de
mourir. M. l'évêque a été ensuite reconduit à sa maison;
là, ces dignes citoyennes lui ont présenté un bouquet, et
ont reconduit la municipalité jusqu'à la maison commune.
» Nous nous hâtons, dit le journaliste, de donner la
première annonce de cette fête touchante, qui a porté le
dernier coup à l'aristocratie. »
Mises en goût par les compliments qu'elles avaient reçus
en cette circonstance, et flattées dans leur orgueil par le rôle
principal qu'elles y avaient joué, les citoyennes Amies de la
Constitution jugèrent à propos de renouveler, mais avec
moins de solennité, la fête du 28 juin.
Dans le mois suivant, en effet, elles allèrent complimenter
M. Tymbaudy, curé constitutionnel de Sainte- Eulalie, puis
le curé de Saint-Michel, et pour ne pas faire de jaloux sans
doute, elles visitèrent tous les curés assermentés de la ville
et remirent à chacun d'eux des bouquets d'immortelles
mêlées de laurier, accompagnés de discours et de dithy-
rambes en leur honneur, ce C'était, dit l'abbé O'Reilly, une
compensation du respect et de l'estime que les catholiques
leur refusaient, d
100 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
■ ■ 1^— — C I ■ I - I -, I. I ^
Ces bonnes darnes^ comme les appelait le maire, se
signalèrent aussi par leur enthousiasme lors de la fête de la
Fédération, célébrée à Bordeaux le 14 juillet 1791.
Pendant que M. Pacareau et son clergé étaient l'objet
des ovations que nous venons de raconter, les mesures
prises par les autorités de Bordeaux contre les prêtres non
conformistes présentaient graduellement un caractère plus
rigoureux. Le Qub national et les autres Sociétés popu-
laires mettaient en mouvement la population infime de cette
grande cité, qui obéissait à leurs ordres et donnait la
chasse, suivant le langage du temps, aux réfraçtaires.
Les prêtres constitutionnels voyaient avec désespoir leurs
églises désertes, tandis que celles accordées, d'après la loi,
aux insermentés regorgeaient des fidèles accourus de tous les
quartiers de la ville et même des campagnes voisines, qui
repoussaient les intrus et fuyaient leurs églises.
Cet abandon presque général piqua Torgueil et le patrio-
tisme de Tautorité, qui fit fermer les églises des non-confor-
mistes. Ce fut, de sa part, un abus de pouvoir et une grave
violation de la loi ; cette mesure, loin de produire le résultat
espéré, eut pour conséquence d'augmenter Tagitation et
d'accroître le mécontentement contre les prêtres constitu-
tionnels, auxquels on imputait, non sans raison, d'avoir
sollicité la fermeture des églises rivales. Les passions étaient
d'ailleurs exaltées par les événements politiques, qui pre-
naient chaque jour une teinte plus sombre, et l'on redoutait
une collision entre les gardes nationaux, que divisaient
profondément les opinions religieuses. On tremblait de voir
se renouveler à Bordeaux les scènes qui avaient affligé
Nîmes et Montauban.
La presse démagogique signalait journellement les
réfractaires comme les ennemis les plus dangereux de la
patrie et du nouvel ordre de choses. L'agitation gagnait les
villes et les campagnes du département de la Gironde ; la
• - • - • • •
* * > •
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 101
pièce suivante, publiée par le Club national, n'y contribua
pas médiocrement ^^K
€ Messieurs, Tamour du bien public, qui nous a réunis
en société, nous amène en ce jour auprès de vous pour
mettre sous vos yeux le nouveau sujet de nos alarmes, car
sans cesse occupés à veiller, à garantir Tédifice imposant
de la Constitution, nous prenons ombrage de tout ce qui
pourrait tendre à l'ébranler.
» Plusieurs ecclésiastiques réfractaires à la loi, tournant
contre elle-même le précieux bienfait de la liberté qu'elle
nous a rendu, font édifier chez eux des chapelles, les unes
dans l'enceinte de nos murs, les autres à la campagne...
Sans chercher à interpréter leurs intentions, nous ne
pouvons néanmoins nous les dissimuler, d'après leur
rébellion soutenue. Plus pervers dans leur égarement que
les dix tribus infidèles, non seulement ils rompent l'unité
du culte, mais, en abandonnant la maison de Dieu, ils la
dépouillent pour décorer leur nouveau temple de Samarie
et les autels qu'ils dressent sur les hauts lieux; ils y
transportent les ornements et les pierres sacrées sur
lesquelles se fait la célébration de nos saints mystères.
Une fois possesseurs de ces précieuses et intégrantes parties
de nos autels, ils ne manquent pas de dire à des ouailles
déjà trompées par leur séduisante hypocrisie que nos mys-
tères n'ont de réalité qu'autant qu'ils sont offerts sur ces
pierres sacrées, et que les nouveaux évêques, qu'ils traitent
d'intrus, n'ont pas le pouvoir d'en élever d'autres, etc. (^K >
Le Club fait intervenir la religion, criant à ces mauvais
prêtres qu'ils abusent du caractère sacré dont elle les a
(^) La Nation, la Loi et le Roi, adresse du club du Café national à
MM. les Administrateurs du département de la Gironde, concernant les
manœuvres des mauvais prêtres et Venlèvement des pierres sacrées et des
ornements, Bordeaux, de Timpr. du Club national, Tan II de la liberté.
(2) On est presque heureux de voir les énergumènes du club du Café
national parler ainsi avec componction des saints mystères de la religion.
102 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
revêtus. La prosopopée de ce factum a trois pages; les
lignes suivantes la terminent : « C'est ainsi, Messieurs, que
parle notre religion en s'adressant à ces mauvais prêtres;
mais, semblables à Paspic, selon l'expression de l'Écriture,
ils se boucheront les oreilles du cœur pour ne pas
l'entendre, i^
Les clubistes demandent ensuite aux administrateurs de
faire vérifier promptement les inventaires de chaque église
et de s'assurer que les pierres sacrées n'ont été ni changées
ni enlevées; d'ordonner à toutes les municipalités du dépar-
tement de fakt sceller ces pierres saintes, après la célébration
de l'ofl&ce par le prêtre constitutionnel de chaque paroisse
respective; et déclarent que leurs observations ne sont
dictées que par leur dévouement à la chose publique; ils
les soumettent, disent-ils, à la sagesse du Directoire, qui
saura trouver les moyens de dissiper les perfides complots
des ennemis de la patrie.
Si la publicité donnée à cette pétition excita la haine des
hommes de désordre contre les prêtres non-conformistes,
la lettre suivante dut en revanche flatter les Bordelaises qui
ne faisaient pas partie du troupeau. Elle est au moins
curieuse et nous a paru devoir être reproduite. C'est un
jeune patriote qui s'adresse aux dames; il débute ainsi :
c Aimables concitoyennes, serait-il vrai que vos cœurs si
tendres et si compatissants se fussent ouverts à l'esprit de
parti, cette source inépuisable de malheurs? On le dit,
mais à peine puis-je le croire. Eh I que vous importent les
criailleries de quelques hommes qui, sous le vain prétexte
qu'on les dépouille de ces biens dont ils faisaient souvent
un si mauvais usage, veulent aujourd'hui tout bouleverser
et mettre leur bonheur à la place du bonheur public?... »
Le jeune patriote continue en assurant à ses concitoyennes
que l'amour et les hommages des hommes leur sont néces-
saires, et que, s'ils ne devaient plus les aimer, elles ne
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. Io3
seraient presque rien sur la terre; et après trois ou quatre
pages écrites dans ce goût douteux, il brûle de Tencens en
faveur de M. Pacareau et termine sa galante épître en ces
termes : « Pardonnez si j'ose vous dire des vérités peut-être
trop fortes, mais les motifs qui les ont dictées ne sauraient
vous déplaire. J'ai espéré vous ramener aux vrais principes
et pouvoir conserver encore dans mon cœur les sentiments
que votre sexe m'inspire. Mais si je ne réussis pas à vous
persuader, si vous persistez encore dans vos erreurs, je me
condamnerai jusqu'à vous haïr, car je préfère ma patrie à
vous, lors même que je vous préfère à tout le reste (»>. i
Tout était mis en œuvre en faveur du clergé constitu-
tionnel; on le caressait, on le flattait, on le soutenait par
tous les moyens possibles.
Quant aux prêtres insermentés, ils étaient expulsés de leurs
presb}rtères par les intrus ; ils abandonnaient leurs familles
et leurs paroisses qui ne leur offraient plus de sécurité, et
ils erraient dans les campagnes sans avoir un asile où ils
pussent reposer leur tête ^^K
Encore si leurs misères s'étaient bornées là! Mais ces
persécutions étaient accompagnées de violences, à Bordeaux
et dans le département.
Nous allons grouper ici quelques-uns des faits principaux
dont nous avons retrouvé la trace dans les documents
contemporains et dans les archives publiques, et que nous
avons dû négliger au courant de notre récit afin de ne pas
en altérer la clarté par une surabondance de détails.
A Bordeaux, le corps municipal, le Directoire de district,
les clubs soutenaient M. Pacareau; mais la grande majorité
des catholiques ne reconnaissait pas le clergé constitu-
(i) Ces fragments sont extraits d'une brochure intitulée : Adreise d'un
jeune patriote à ses concitoyennes sur la conduite de quelques prêtres.
Bordeaux, 1791.
(2) Nos patries fines et dulcia linquimus arva ;
Nos patriamfugimusl,,. (Vir»ue, Bwxtupifu.^
104 HISTOIRE DE LA TERREJUR A BORDEAUX.
tionnel et repoussait le nouvel évêque métropolitain du
Sud-Ouest. Les prêtres non-conformistes, nous l'avons dit,
étaient seuls accueillis par les fidèles; on ne s'adressait
qu'à eux pour en recevoir les sacrements de F Église; les
constitutionnels voyaient avec désespoir leurs temples
déserts, et en conservaient contre leurs confrères dissidents
une animosité qu'ils ne pouvaient dissimuler et qui
augmentait l'agitation des esprits. La population, en
général, ne les regardait qu'avec mépris et ne leur cachait
pas l'indignation qu'ils lui inspiraient.
Le Directoire du département avait accordé aux dissidents,
conformément aux décrets, l'église conventuelle des Corde-
liers; ces religieux avaient évacué leur couvent. Les
dissidents se proposaient d'y faire célébrer leur culte par
un prêtre insermenté : c'était leur droit. Les patriotes du
Club national étaient loin de l'entendre ainsi ; ils furent très
irrités de cette concession de la part de l'autorité et se
promirent de s'opposer à ce qu'elle reçût son exécution. Au
fond, ils ne tenaient à aucun culte, mais ils détestaient les
prêtres réfractaires et les catholiques, parce qu'ils les
regardaient comme des ennemis du nouvel ordre de choses .
Le premier jour de la réunion dans l'église accordée par le
Directoire, il se forma des attroupements nombreux devant
la porte. On vociférait contre les prêtres et les aristocrates
rassemblés dans l'église. Un nommé Brouet, espion, dit-on,
du Club national, entra effrontément et commit des
irrévérences qui troublèrent l'office divin. Les fidèles
redoutant un conflit dont on les avait rendus responsables,
prirent le parti de se retirer. Ils écrivirent le lendemain au
Directoire du département pour lui rendre compte des faits
et demander qu'il leur fût permis de jouir d'un droit légal
et de pratiquer leur culte dans l'église qui leur avait été
assignée. On signala la conduite de l'émissaire du Qub
national et on invoqua la liberté des cultes proclamée par
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. Io5
«
rAssemblée nationale. Cette demande si juste, non seule-
ment ne fut pas accueillie, mais l'église des Cordeliers fut
fermée. Le Directoire était impuissant à faire exécuter
les lois.
M. Plas de Saint-Georges, propriétaire à Cenon la
Bastide, avait dans sa maison une chapelle autorisée par
M»*" Champion de Cicé, et il y entendait la messe, célébrée
par un prêtre insermenté.
Le conseil général de la commune, offusqué de ce qu'il
appelait un privilège et stimulé par le curé constitutionnel
du lieu, nommé Maubourguet, qui plus tard remit ses
lettres et abdiqua la prêtrise, prit un arrêté pour que
M. de Plas eût à exhiber à la municipalité la permission
qui l'autorisait à faire célébrer le service divin dans sa
maison. On lui signifia qu'à défaut par lui de justifier de
l'autorisation épiscopale, sa chapelle serait interdite, aux
termes des statuts synodaux. M. de Plas répondit par la
lettre suivante à l'injonction de la municipalité : e: Il me
semble que le décret de l'Assemblée nationale dit en termes
formels que nul ne sera troublé dans ses opinions religieuses.
Les musulmans ont leurs mosquées, les juifs leurs
synagogues; le chrétien apostolique et romain serait-il le
seul à prier Dieu dans sa chambre, lorsque les protestants
prient dans leurs temples? Les titres de ma chapelle
émanent du pouvoir de mon légitime évêque; en consé-
quence, je vous préviens qu'on n'y dira pas la messe,
plutôt que de la faire célébrer par une permission que je
crois très illégitime. La force peut m'ôter le droit de faire
célébrer dans ma chapelle la sainte messe, mais elle ne
m'obligera pas à en entendre une à laquelle je ne croirai
jamais ('>. » Les choses en restèrent là.
A Lormont, les habitants étaient divisés d'opinions sur
(0 Journal de Bordeaux, 1 791, no 60.
Io6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
la légitimité des pouvoirs du curé nouvellement élu; une
grande partie de la population ne voulait pas en entendre
parler. M. le chevalier de Pichon, riche propriétaire de la
commune, s'était attiré des inimitiés en refusant de
reconnaître le prêtre jureur, ainsi qu'il l'appelait. Vers
le milieu du mois de juin 1791, une centaine de paysans
précédés par un tambour, se saisirent de M. de Pichon, le
hissèrent sur un âne et le promenèrent dans le bourg. Des
citoyens voulurent le faire descendre de sa monture, mais
il n'y consentit pas et cria à haute voix a qu'il ne pouvait
ni ne voulait entendre parler des prêtres jureurs; que ces
prêtres, excommuniés par le Saint-Père, n'avaient plus de
pouvoirs. 1» Les paysans irrités allaient se porter à des
violences sur M. de Pichon, mais on réussit à le tirer de
leurs mains.
Les mêmes faits étaient à l'ordre du jour dans un grand
nombre de communes, dont les populations étaient exaltées
souvent par leurs curés constitutionnels. On lit dans le
Journal de Bordeaux, qui enregistre ces violences avec
complaisance, le récit suivant écrit par A. Jay, citoyen
soldat à Lesparre : « Frère et ami, il vient de se passer
dans notre ville une scène assez remarquable pour mériter
une place dans votre journal patriotique. L'épouse du maire
de Lesparre, dévorée d'un zèle ardent pour la Constitution,
voyait avec douleur depuis longtemps une tourbe de dévotes
qui abandonnaient leur curé conformiste, pour venir
entendre leur ci-devant pasteur réfractaire et anti-constitu-
tionnel. Aujourd'hui, une douzaine de ces béates étaient
encore venues au bercail non-conformiste, lorsque la femme
du maire, s'armant d'un long fouet, à l'exemple de notre
divin Sauveur, a purgé et nettoyé les parvis du temple saint,
devenu l'asile de l'hypocrisie et du fanatisme. La vigueur
de son bras ne s'est ralentie que lorsque nos dévotes
effrayées ont eu prêté serment de ne plus abandonner le
LA CONSTITUTION CïVÎLK DU CLERGE. IO7
pasteur donné par la Constitution. Alors Théroïne,
remettant son fouet en écharpe, a traversé la ville de
Lesparre avec une démarche fière, et a reçu sur son
passage les applaudissements des vrais patriotes. Vous
auriez vu dans ce moment certains ci-devant et leurs
femmes se grouper pour censurer cet acte de police
correctionnelle; mais ils eurent beau se démener de toutes
les manières, la Constitution sera inviolée et ça ira. Comme
des personnes mal intentionnées pourraient donner un tour
tragique à cet acte du pouvoir exécutif féminin, Je vous
prie, au nom de votre patriotisme, d'insérer ce fait dans
votre intéressante feuille^'). »
Ce que le citoyen soldat Jay ne dit pas, c'est ceci : les
femmes maltraitées résolurent de se venger; quelques jours
après, et le soir, elles s'embusquèrent, armées de verges, se
saisirent de la femme du maire, entourèrent sa tête d'un
mouchoir, la bâillonnèrent et, retroussant ses jupes, lui
administrèrent, malgré ses cris, une vigoureuse flagellation,
puis se sauvèrent en laissant sur les lieux les verges, instru-
ment de la correction . La nuit empêcha la flagellée et les
voisins, accourus trop tard, de reconnaître les coupables.
Des chansons en coururent le pays et ne mirent pas les
rieurs du côté de la femme du citoyen maire.
La ville de Libourne eut ses scènes de violence.
L'abbé Turenne, ancien curé de Saint-Sulpice, prêtre
habitué de Saint-Michel et aumônier du régiment patriotique
de la même paroisse, avait refusé le serment et colportait
des brochures contre la constitution civile du clergé. Son
zèle n'étant pas tempéré par la prudence, il fut arrêté à
Sainte- Foy dans les circonstances suivantes : la municipalité
de Castillon, ayant appris qu'il avait vendu à plusieurs
prêtres des brochures qu'elle soupçonnait être contraires
(i) Journal de Bordeaux du 10 août 1791 .
I08 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
au culte constitutionnel, le dénonça à l'autorité municipale
de Sainte-Foy, où il s'était dirigé en quittant Castillon. La
municipalité de Sainte-Foy se transporta de suite à l'auberge
où l'abbé Turenne était descendu et visita ses malles ; elle
y trouva un ballot de brochures, qualifiées d'incendiaires
dans le procès- verbal de saisie. C'en fut assez pour déter-
miner son arrestation et sa conduite devant l'accusateur
public du tribunal de Libourne. Ce magistrat le fit jeter
en prison et le dénonça au tribunal, qui commença une
instruction. L'abbé Turenne fut interrogé, et, sommé de
désigner ceux de qui il tenait les brochures saisies, il déclara
être prêt à faire le sacrifice de sa liberté plutôt que de
nommer les personnes qui l'avaient chargé de les distribuer;
mais il ajouta en même temps en avoir vendu plusieurs
au ci-devant curé Fayotte, parce que la médiocrité de sa
fortune ne lui permettait pas d'en faire un pur don; il
déclara aussi qu'il n'avait vendu ces livres au sieur Fayotte
qu'après avoir su de lui qu'il avait prêté le serment civique.
Cette affaire fit beaucoup de bruit à Libourne, et la
Société des Amis de la Constitution de cette ville se hâta
d'en prévenir les frères et amis de Bordeaux par une lettre
qui raconte les faits (0 : « Vous jugerez, frères et amis, des
scrupules de l'abbé qui a refusé le serment. Le sieur
Turenne ayant été interrogé de nouveau, a déclaré tenir
ce ballot du sieur Raynal, vicaire de Saint-Michel; que le
sieur Montmirel, curé de la dite paroisse, lui avait donné
la lettre que le sieur Champion avait adressée aux adminis-
trateurs du département, et qu'il avait vendu au curé de
Saint-Sulpice, près Mornas, quelques-unes de ces brochures
pour i3 livres. 2)
(i) Lettre de la Société des Amis de la Constitution de Libourne à celle de
Bordeaux, au sujet de M. Turenne» vicaire de Saint-Michel. Bordeaux, 1791»
chez Levieux, imprimeur de la Société des Amis de la Constitution.
4 pages in-8«.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. lOg
Les correspondants ajoutent que le sieur Turenne, à son
arrivée à Sainte-Foy, avait rendu une visite au sieur abbé
de Ségur, ci-devant vicaire général, et à un autre de Ségur
ci-devant major du second régiment de Languedoc, tous
deux soupçonnés de tenir des conciliabules aristocratiques
et d'être, disent-ils, « les auteurs d'une insurrection féminine
qu'il y a dans la ville; ce qui prouve que l'abbé Turenne
est l'agent d'une correspondance entre les ennemis de la
tranquillité publique. i>
La Société termine ainsi sa lettre : « On aura pu vous
faire différentes versions sur les motifs de sa détention. Ce
qui autorise cette idée, c'est que déjà votre municipalité a
fait passer des attestations en faveur dudit Turenne, et
qu'un vicaire de Saint-Michel et un officier de la garde
nationale sont venus rendre des témoignages avantageux
sur son compte. C'est pourquoi nous croyons devoir vous
fixer positivement sur les véritables causes qui donnent lieu
à l'instruction que notre tribunal fait de cette affaire. Nous
trouvons qu'il est diifificile à des amis de la Constitution de
trouver le sieur Turenne innocent. Nous vous ferons part
des suites de la procédure, etc. 3>
Le recueil que nous avons sous les yeux ne fait pas
connaître ce résultat (»); on peut penser que les faits à
raison desquels l'abbé Turenne fut poursuivi ne constituant
ni crime ni délit, il dut être remis en liberté.
Quelques citoyens de Libourne se signalèrent par des
violences plus graves contre deux malheureux prêtres.
Le P. Albert, récollet, âgé de soixante-quatorze ans,
avait rétracté son serment; il n'avait pas charge d'âmes, et
par conséquent le décret ne le plaçait pas dans la classe
des fonctionnaires publics astreints au serment. Le peuple
s'empara de ce vieillard, l'assit sur un âne et lui fit parcourir
(I) Recueil de pièces sur le clergé de Bordeaux (1787 à 1848). Bibliothèque
de Bordeaux, no 27058.
IIO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
ainsi toutes les rues de la ville au milieu des imprécations
et des huées de la populace ivre et furieuse, ^infortuné,
épuisé de fatigue, tomba trois fois, et trois fois on le replaça
sur sa monture. Il fut enfin reconduit dans son couvent; le
lendemain, il était mourant et on Tadministra.
Dans la soirée de ce même jour, un pauvre prêtre, curé
de la paroisse de Saillans, ignorant les violences dont le
P. Albert avait été victime, arriva à Libourne. Ce curé
avait refusé le serment, et les anarchistes le détestaient; ils
le reconnurent, se saisirent de sa personne, le hissèrent sur
la même monture et le firent promener dans la ville. Un
citoyen, ému de pitié, ne put retenir quelques murmures
en voyant ainsi maltraiter un prêtre sans défense ; on lui fit
un crime de ces murmures, et, saisi à son tour, il subit les
mêmes traitements que les deux prêtres.
On réservait une promenade identique aux Ursulines de
la ville; elles furent heureusement prévenues et se réfugièrent
à Bordeaux.
Ces scènes de violence ne furent ni les seules ni les
dernières. Un sieur Blanc-Montasset, habitant Libourne,
ancien garde national, était signalé aux partisans du culte
constitutionnel par son attachement au clergé insermenté.
La même populace se transporta devant sa maison, le
a juillet 1791, et Ten fit sortir de force malgré la résistance
qu'il opposa aux assaillants, en les menaçant d'un couteau
dont il s'était armé ; on le dépouilla de son habit de garde
national et on lui fit parcourir sur un âne les rues de la
ville, la tête nue et accompagné des huées de la multitude.
La Société des Amis de la Constitution de Libourne
rendit compte de ces incidents aux frères et amis de
Bordeaux; mais ce n'était pas encore assez pour les
partisans du culte constitutionnel : un autre prêtre fut la
quatrième victime qu'ils livrèrent à la risée publique.
Nous reproduisons la lettre suivante que les clubistes de
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. III
Libourne adressèrent au club du Café national de Bor-
deaux. Nous en respectons le style et Torthographe :
« Frères et amis, le courrier était parti avant que nous
eussions fini notre correspondance, et nous n'avons pu
vous faire passer la présente aussitôt que nous l'aurions
désiré; mais nous nous sommes récupérés par la nouvelle
cène qui est arrivée hier soir, qui n'est pas moins intéres-
sante que la première, dont voici les détails. Le sieur
Tournier, fils de cordonnier, natif de notre ville, ci-devant
Curé d'une commune voisine de Libourne, résidait en cette
ville depuis plusieurs années, après avoir résigné sa cure à
un prêtre patriote de cette ville. Pendant tout le temps qu'il
a demeuré dans sa cure, il a été le chef d'une troupe de
contrebandiers, métier qui lui fit gagner beaucoup d'or.
Depuis qu'il était résident en cette ville, il a augmenté
considérablement sa fortune en faisant le métier d'agioteur
et d'usurier de première force. La garde nationale, ignorant
alors ses mauvaises manœuvres et s'en rapportant au faux
patriotisme qu'il montrait, le nomma son aumônier. Bientôt
après, il ne tarda pas à se dévoiler ce quils étaient. Le
décret qui portait que tous les fonctionnaires publics devait
prêter le serment d'être Jidèle à la Nation, à la Loi et au
Roi et d'instruire les fidèles confiés à leurs soins sur la
nouvelle constitution du clergé, montra la noirceur de son
âme dans son grand jour... Le moment arrivé pour prêter
le serment, au lieu de faire cet acte de civisme auquel
l'obligeait son grade d'aumônier de la garde nationale, il
se transporta dans tous les couvents et chez tous les prêtres
de la ville pour les soulever, les corrompre et les rendre
fanatiques comme lui ; mais il n'y gagna rien, car la presque
totalité de nos prêtres prêtèrent serment le dimanche
suivant et ne manquèrent pas de dévoiler sçs démarches
séditieuses.
» La- garde nationale s'assembla et le dégrada de sa
112 HISTO[RE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
qualité d'aumônier. Depuis cette époque, il n'avait cessé de
fomenter le trouble et la discorde; il s'exerçaient tous les
jours en propos séditieux, en menaçant les patriotes que
chacun aurait son tour! Les patriotes, excédés de ses
menées, le sommèrent de quitter la ville s'il ne voulait subir
le sort qu'il méritait. Voyant qu'il n'y avait plus à balancer, il
partit le lendemain matin en laissant après lui trois ou quatre
dévotes avec qui // étaient extrêmement lié, qui ont rempli au
mieux, pendant son apsence, la mission dont il les avaient
chargées. Depuis plusieurs jours, deux de ces dévotes,
sachant sans doute que leur champion devait revenir en
cette ville, était allée le rejoindre à Bordeaux pour rendre
le cortège plus brillant et la rentrée plus triomphante;
mais, hélas I le sort, toujours favorable aux patriotes, les a
mal servi. L'abondance de la pluye et l'obscurité de la
nuit obligea les deux dulcinées de coucher en route. Il n'en
fut pas de même du courtois courier^ accoutumé à braver
la tempête, comme les dieux ; il affronta le vent et la pluie
et résolut de profiter des moments où Morphée tenait tous
les patriotes dans ses bras; il s'embarqua pour cette cité,
laissant derrière ses femmes et son équipage.
» Ce fut hier, lundi, à dix heures du soir, qu'arriva le
sieur Tournier. Un particulier, patriote sans doute, qui
avait voyagé avec lui depuis Bordeaux jusqu'à la séparation
des landes de Caudéran, étant arrivé à bonne heure en cette
ville et connaissant vraisemblablement ledit Tournier, se
hâta de prévenir les patriotes de son arrivée et de la vqye
qu'il avait pris pour arriver. Aussitôt s'assemblent les
jeunes patriotes, allèrent chercher 1 ane, l'amenèrent sur
la rivière, et dès que le batteaux fut arrivé, malgré
l'abondance de la pluye qui tombait, on se saisit de
Tournier, et, après l'avoir monté sur l'âne, on se mit en
T[ïQich& accompagné de plus de loofalaux.
» La promenade a duré plus de trois heures, toujours la
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. I 1 3
pluye sur le corps, et à tous les coins de rue on s'arrêtait
pour lui reprocher sa mauvaise conduite, ses indignes
manœuvres et son incivisme. Vous dépôts imaginer que les
croisées étaient bien garnies et bien illuminées. Enfin, pour
finir la cérémonie, on le mena sur une petite place, on le fit
monter sur un banc de boucher, et on l'obligea de danser
en chantant : A ça ira; on le descendit et on l'obligea
d'embrasser l'âne entre les deux oreilles, de remercier les
patriotes de leur indulgence, et on le soma de dévariser
ses meubles le lendemain pour évaquer la ville dans le plus
court délai, sous peine de tout le châtiment qu'il mérite (*). i^
Nous ne ferons aucune réflexion sur ces violences, qui
restèrent impunies : la municipalité feignit de n'en avoir
pas eu connaissance I
M«^ Champion de Cicé avait quitté la France; mais avant
son départ, il avait préposé à l'administration de son
diocèse des vicaires généraux et M. Boyer, chanoine de
Saint-Seurin, qui eut le soin d'adresser des instructions
pour l'exercice du saint ministère dans les oratoires
particuliers; on en comptait plusieurs à Bordeaux, Une
lettre écrite avec une rare modération et une extrême
circonspection accompagnait ces instructions.
a Lorsqu'à raison de la gravité des circonstances, disait
l'abbé Boyer, la prudence ne permettra pas de continuer
l'exercice des saintes fonctions dans les oratoires particuliers,
les ministres feront choix d'une ou deux maisons pour
y déposer les objets consacrés au culte : la plus grande
prudence est spécialement recommandée aux ministres; le
chant ou des rassemblements de nature à attirer l'attention
et à faire remarquer les maisons annonceraient un zèle bien
mal entendu, qui, en compromettant la sûreté de tous les
ministres, compromettrait l'œuvre conmiune à laquelle ils
(i) Archives de la Gironde, série L, carton 60, liasse 2, 1791.
T.L 8
tI4 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
sont consacrés, et priverait les fidèles des secours les plus
nécessaires dont il est instant qu'ils ne puissent jamais
manquer.
» Les saints mystères ne peuvent être célébrés sur les
autels portatifs consacrés par des évêques intrus; ces autels,
s'il s'en trouve, doivent être brisés et, à raison de cette
consécration, les fragments doivent être enfouis dans un lieu
décent. Si Ton a la faculté de se servir d'une église pour les
exercices de la religion, il faudra examiner si l'on ne s'en
serait pas servi pour faire le temple de la Raison, ou bien
s'il ne s'y serait pas passé des faits qui, selon les dispositions
du droit canonique, en auraient produit la profanation;
dans ce cas, avant d'y célébrer les saints mystères, il sera
préalablement indispensable de la réconcilier, après en
avoir obtenu l'autorisation du préposé au gouvernement
du diocèse. »
Ces instructions, que suivirent ponctuellement les prêtres
fidèles, parvinrent à la connaissance des intrus, de la
municipalité et du Directoire du district; elles devinrent un
thème pour les membres du Club national, qui se distingua
par ses fureurs anti-chrétiennes pendant toute la durée de
la Révolution.
Nous devons dire ici quelques mots de l'abbé Langoiran.
Fils d'un riche armateur de Bordeaux, M. l'abbé
Langoiran (Jean-Simon), avait été nommé par M»^ d'Audi-
bert de Lussan, archevêque de Bordeaux, dignitaire du
chapitre Saint-André, quelques années après conseiller de
l'Université, puis professeur de théologie, et enfin prieur
de Mortagne. Les revenus de ce prieuré étaient considé-
rables, et l'abbé Langoiran les distribuait généreusement
aux pauvres, sans en rien réserver pour lui.
Sa réputation s'étendit hors des limites du diocèse de
Bordeaux; l'évêque de Dax lui conféra le titre honorifique
de vicaire général; mais Ms^ Champion de Cicé l'appela
LA CONSTITUTION CIVIÎ.E DU CLERGÉ. Il5
pour diriger, sous son autorité, Tadministration de son
diocèse; il fut revêtu des pouvoirs d'official métropolitain
et sa Juridiction s'étendit sur toute la province ecclésiastique
de Bordeaux.
M»^ Champion de Cicé, en partant pour Paris où il allait
siéger aux États Généraux, confia aux abbés Langoiran et
Boyer le soin de son diocèse : les prêtres qui avaient refusé
le serment à la constitution civile du clergé furent fortifiés
et encouragés par eux. L'abbé Langoiran publia plusieurs
écrits contre le schisme et fut Tobjet de la haine acharnée
des clubistes de Bordeaux, dont ses écrits vigoureux faisaient
le désespoir.
La municipalité et M. Duranthon, procureur-syndic du
district, le signalèrent aux patriotes comme un prêtre
fanatique et dangereux pour Tordre de choses nouveau.
Des pamphlets, des libelles, des menaces lui étaient adressés
journellement, mais ne le firent pas dévier un instant de la
ligne qu'il s'était tracée ni des devoirs que lui imposaient sa
conscience et sa mission de vicaire général ^^K Le Directoire
du district osa même, par un arrêté qu'il fit afficher, lui
défendre la prédication le jour de Pâques (1791), parce
qu'il n'avait pas prêté le serment comme fonctionnaire
public, et que, par conséquent, il était en révolte contre
la loi. Cet arrêté lui fut signifié avec des menaces de la part
de M. Duranthon de le traduire devant les tribunaux en cas
de désobéissance ^^K
Excitée par les clubs, une certaine partie du peuple
mettait en péril les jours de M. l'abbé Langoiran; les
prêtres constitutionnels, qui le regardaient comme leur
adversaire le plus redoutable, ne dissimulaient pas leur
animosité contre lui. On l'avait prévenu des dangers qu'il
(0 La Bibliothèque de Bordeaux possède la collection complète de tous les
écrits qui parurent dans notre ville à l'occasion de la constitution civile du
clergé et du serment.
(2) Archives de la Gironde, série L.
Il6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
courait, et on lui avait offert plusieurs retraites où il pourrait
attendre en sûreté des jours meilleurs. Il se savait surveillé
et suivi depuis quelque temps par les agents de la munici-
palité et par les espions du Club national, qui s^informaient
de toutes ses actions et de ses moindres paroles.
Redoutant un attentat contre sa personne, il fit un jour
porter une caisse remplie de papiers et de brochures chez
un sieur Garrigues, négociant, qu'il croyait son ami.
Celui-ci, qui n^gnorait pas la position périlleuse de l'abbé,
craignit de se compromettre et refusa de recevoir la caisse;
les espions en arrêtèrent le porteur et elle fut déposée au
greffe du Directoire du district. Après examen, le Directoire
prit l'arrêté suivant :
a Attendu qu'il n'existe pas encore de délit prouvé, ladite
caisse et la lettre signée Langoiran seront envoyées à la
municipalité, pour que, en présence des sieurs Langoiran et
Garrigues, elle procède à l'ouverture de ladite caisse et à
l'inventaire des titres de chaque brochure et fasse de suite
l'examen de chacun desdits écrits, afin de s'assurer s'ils
sont de nature à nuire à la tranquillité publique, et dans ce
cas être par le procureur général syndic, sur le rapport
de la municipalité au Directoire, dénoncés aux tribunaux,
et dans le cas contraire, remis au propriétaire f"). j^
L'abbé Langoiran et Garrigues ayant été mandés à la
municipalité, on fit, en leur présence, l'ouverture de la
caisse, où l'on trouva des brochures religieuses et politiques
dont la publication remontait à deux ans. Il y avait aussi
des journaux et une collection des brefs du Pape sur la
constitution civile du clergé, adressés aux évêquesde France.
Le Directoire du district vit là un délit grave, et chargea
M. Duranthon, son procureur -syndic, de dénoncer à
l'accusateur public l'abbé Langoiran comme coupable
(0 Cet arrêté, à la date du 19 avril 1791, est signé : Monnerie, président,
et Duranthon. (Archives de la Gironde.)
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. î I 7
€ d'avoir publié des ouvrages provoquant à la désobéissance
aux lois, à Tavilissement des pouvoirs constitués, à la
résistance à leurs actes, à la subversion, par la force des
armes, de Tordre public établi par les lois, et comme
tendant à troubler FÉtat par une guerre civile religieuse ('). »
L'abbé Langoiran se cacha.
Nous aurons bientôt à reparler de lui.
M«^ Champion de Cicé était toujours, aux yeux des
catholiques romains, le légitime archevêque de Bordeaux;
il fit imprimer et publier vers la fin de 1 79 1 , pour Tannée
1792, VOrdo de son diocèse, sous ce titre : Ordo divini
officii recttandi, etc., ad usum diocesi Biirdigalensis .
La brochure porte qu'elle a été imprimée par ordre de
M*"^ Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, primat
d'Aquitaine, etc. Cette publication émut profondément
M. Pacareau, qui dépêcha au Directoire du district une
députation au sujet de cet Ordo, dont un exemplaire fut
déposé sur le bureau. Les députés exposèrent que « le sieur
Champion de Cicé s'était permis de se donner un titre qu'il
n'avait plus et de prendre des qualifications illégales; qu'il
n'avait plus d'autorité spirituelle dans le département de la
Gironde, et que ces expressions diocèse et archevêque
n'étaient pas reconnues par la loi. Ils demandèrent, en
conséquence, que le Directoire prît des mesures à cet égard.»
L'assemblée délibéra longuement sur cette proposition et
nomma deux commissaires pour faire un rapport. On ne
trouve pas les suites de cette affaire sur les registres
du Directoire; mais VOrdo de M^ Champion de Cicé n'en
fut pas moins suivi par tous les catholiques du diocèse, au
grand désespoir de M. Pacareau et de tous les prêtres
constitutionnels ^^\
(1) Archives municipales de Bordeaux et Archives de la Gironde.
(2) Archives de la Gironde: Registre du Directoire du district de Bordeaux
(année 1791).
Il8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
L'agitation religieuse qui régnait à Bordeaux vers cette
époque inquiétait les administrateurs de la ville, quoique la
tranquillité publique n'y fût pas encore gravement compro-
mise ; mais ils redoutaient, à l'occasion des messes de minuit
qui allaient être bientôt célébrées, des troubles dans les
églises conventuelles desservies, aux termes des décrets, par
les prêtres insermentés. Les constitutionnels, de leur côté,
craignant avec raison de voir leurs temples déserts,
voulurent empêcher les réunions des catholiques romains
et firent agir auprès de M. Duranthon', procureur-syndic
du district; celui-ci, ennemi déclaré des non-conformistes,
présenta au Directoire un volumineux réquisitoire rempli
de déclamations contre eux : c Rappelez-vous, citoyens,
disait-il, cette longue lutte avec Tautorité publique enfin
renaissante et l'autorité expirante du clergé ; cette longue et
convulsive agonie de deux ordres (la noblesse et le clergé)
qui, après s'être longtemps attaqués et combattus, succom-
bent sous le poids des anathèmes d'une grande nation, et
réunis, enlacés dans une chute commune, forts l'un par
l'autre, couverts l'un par l'autre, ont failli entraîner dans
leur ruine la ruine de l'empire; lutte heureuse cependant
aux yeux de l'homme sage, aux yeux de l'homme véritable-
ment religieux et chrétien, car nos prêtres, par leur
incivisme, ont plus fait dans six mois, pour la destruction
des préjugés, pour la liberté et peut-être pour ViTidifférence
des cultes, que n'en auraient pu faire les philosophes des
diverses nations dans deux siècles de recherches, de
combinaisons et de combats. Ils n'ont pas voulu voir ce
que nous leur avions annoncé à l'origine de ces déplorables
disputes, que le refus du serment civique forcerait la nation
à prendre des mesures dignes d'elle et capables de la
garantir également et du reproche de persécution et des
dangers d'une trahison persévérante de la part de ses fonc-
tionnaires publics.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. II 9
> Rappelez-vous Tévasion du roi, et son arrestation, et
sa situation; ce qu^il fallut dans tous les points de la France
de prudence et de sagesse pour prévenir une nouvelle
désorganisation, pour empêcher que le parti vaincu ne fût
victime de sa folle joie, de ses sanguinaires espérances,
de ses subversives entreprises; que le parti vainqueur ne se
déshonorât par des vengeances qu'il pouvait bien croire
nécessaires et des sacrifices que le danger aurait pu excuser,
mais que la nécessité même aurait à peine expiés, etc. ^^K »
Nous ne continuerons pas les extraits de ce discours
virulent, où M. Duranthon parle de l'arrestation et de
la détention du roi, du retour de Varennes, comme en
parlaient à cette époque les journaux démagogiques et
les clubs; il y tient le langage d'un ennemi du clergé et de
la royauté, dont il devait être plus tard le ministre.
Le discours de M. Duranthon eut un grand retentisse-
ment à Bordeaux; il vint en aide au projet de M. Pacareau
et du clergé constitutionnel.
On avait imprimé et publié une lettre sous ce titre :
Prière pour un temps de calamité publique. Cette lettre,
écrite par un vénérable prêtre, servit merveilleusement les
constitutionnels. Le 23 décembre 1 791, une dizaine d'entre
eux se présentèrent au Directoire du département, et armés
de cette pièce, ils prétendirent que la publicité qui lui avait
été donnée et la gravité des circonstances ajoutaient aux
craintes conçues sur le maintien de la tranquillité publique,
qui serait infailliblement troublée si Ton permettait Vouver-
ture de toutes les églises sans exception, et ils prièrent
les administrateurs de prendre ces craintes en très sérieuse
considération.
Le Directoire, après en avoir délibéré, édicta le même
jour, sur le réquisitoire du procureur général syndic, un
(0 Archives delà Gironde, série L, liasse 178.
120 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
arrêté ainsi conçu : « Considérant que dans les moments
où il est si important de conserver Theureuse tranquillité
dont jouit cette ville, Tadministration doit redoubler
à^ attention pour prévenir tout ce qui pourrait la troubler;
que la célébration de la messe de minuit, pendant la nuit
de Noël, et le nombre considérable des personnes que
rassemble dans l'obscurité cet acte de religion, exige toute
la surveillance de la patrie, et que cette surveillance ne
pourrait facilement se porter dans tous les lieux où elle
serait nécessaire, si les églises succursales conventuelles et
autres que les églises paroissiales étaient ouvertes ;
» Arrête que les seules églises paroissiales pourront
être ouvertes pendant la nuit de Noël; que les officiers
municipaux veilleront à l'exécution du présent arrêté... (i). »
Le triomphe du clergé schismatique fut complet, et les
églises louées au culte furent fermées pour les fêtes de la
Noël. Les églises constitutionnelles n'en furent pas moins
désertes pendant les messes de minuit, et la très grande
majorité des habitants de Bordeaux se trouva ainsi privée
d'entendre ses pasteurs légitimes.
C'est sous ces auspices affligeants pour le clergé fidèle
que se terminait l'année 1 79 1 .
L'Assemblée législative, qui s'était réunie le i^ octobre
1791, s'occupa beaucoup, pendant sa courte session, des
matières ecclésiastiques et du clergé réfiractaire, contre
lequel elle décréta des mesures rigoureuses. Les événe-
ments politiques se succédaient rapidement; la monarchie
était battue en brèche, et la royauté expirante ne pouvait
protéger les malheureux prêtres catholiques romains contre
les attaques incessantes de leurs adversaires excités par les
constitutionnels. Aussi l'année 1792 vit-elle la continuation
des persécutions.
(^) Archives de la Gironde, anné 1791.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 121
Les attroupements étaient fréquents dans la ville, les
esprits étaient surexcités par les clubs et sociétés populaires
et Tautorité veillait sans succès (car elle était impuissante
et débordée) au maintien de la sécurité publique.
Il y avait, aux cloîtres des Jacobins de Bordeaux, une
chapelle destinée aux exercices de piété des Frères de la
Congrégation du Rosaire, qui l'avaient décorée à leurs
frais. Les congréganistes firent enlever de cette chapelle le
mobilier qui leur appartenait et en opérèrent la vente;
entre autres objets, ils vendirent à un ecclésiastique de la
ville une statue de la Vierge en bois doré. Celui-ci la fit
enlever par un portefaix ; mais le pauvre homme, chargé
de la statue, frit arrêté par deux gardes nationaux et
conduit devant un juge de paix. Le magistrat, après Tavoir
interrogé, le mit en liberté, et ordonna le dépôt de la
statue dans les bureaux de la municipalité. Le bruit répandu
qu'un prêtre insermenté avait fait enlever un objet mobilier
au préjudice de la nation, amena un rassemblement con-
sidérable, et le domicile de l'ecclésiastique fut envahi par la
foule, qui ne voulut entendre aucune explication et visita
tous les appartements pour trouver la statue. L'affaire se
termina par l'arrivée de quelques municipaux, qui déclarè-
rent que l'objet enlevé était la propriété légitime de
l'ecclésiastique; l'attroupement se dissipa, et la statue de
la Vierge fut enfin remise entre les mains de son proprié-
taire. Les congréganistes publièrent la narration de ce qui
s'était passé, et réfutèrent avec indignation un article du
Journal de Bordeaux, qui avait raconté les faits en les
dénaturant, suivant sa coutume : « Et vous, sieur Maran-
don, dit la brochure, qui avez saisi cette circonstance avec
tant d'avidité pour orner d'un supplément le n^ 1 8 de votre
Courrier de la Gironde; vous qui, dans ce supplément,
avez dénaturé tous les faits de cette affaire, quoique vous
en fussiez instruit; vous qui, par la manière irrévérentielle
122 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
avec laquelle vous avez parlé de votre Dieu et de la Vierge,
en distinguant cette irrévérence en lettres italiques, avez
fait prendre le change sur les sentiments de piété que
nous avions cru jusqu'ici reconnaître en vous; qui vous êtes
attaché à persifler et à livrer au ridicule un prêtre respec-
table qui avait acheté la statue; qui avez affecté de charger
de tout votre mépris le ci-devant Frère de F École chrétienne
lorsque les uns et les autres, par la pureté de leurs mœurs,
méritent tout au moins Thonneur de votre considération;
lorsque celui que vous qualifiez de bête et d'ignorantissime,
sans avoir besoin d'aller à votre école, en saura toujours
assez pour ne jamais s'écarter des sentiers de la vertu, nous
vous prions d'avoir plus de charité pour vos concitoyens,
d'être à l'avenir plus réservé, plus circonspect, lorsque vous
parlerez des choses qui touchent de si près notre sainte
religion qui est la vôtre, et nous ne cesserons de faire des
vœux pour que Dieu vous en inspire le goût et l'idée ('). »
Les catholiques romains de Bordeaux avaient demandé
au nom de la loi, aux administrateurs de la ville, la
concession à titre de location des trois églises conventuelles
de la Merci, des Minimes et de Saint-Maixant, et le
Directoire, par son arrêté du 24 février 1791, leur avait
loué ces trois églises, en rappelant les citoyens au respect
dû à la liberté religieuse. La municipalité avait exprimé
par un avis imprimé et affiché sa résolution inébranlable
de mourir plutôt que de souffrir qu'il fut porté la moindre
atteinte à la liberté des cultes. Les citoyens locataires de
ces églises en avaient pris possession et y faisaient célébrer
paisiblement leur culte, sous la surveillance de l'autorité
municipale, sans que l'on pût leur adresser le moindre
reproche; irnais les énergumènes du Club national ne purent
souffrir un culte rival. Ils envoyèrent dans les églises des
(0 Cet écrit est signé : Magonty, Gilbain, etc.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 12$
bandes d^émeutiers, qui y firent entendre des cris séditieux
et outrageants pour les célébrants, et en chassèrent par la
frayeur les fidèles assemblés.
Impuissante à mettre un fi-ein à ces violences, la munici-
palité se contenta de rédiger des procès- verbaux qui ne
furent pas poursuivis.
Mais le Club national ne s'en tint pas aux actes d'intimi-
dation que nous venons d'indiquer; il présenta au Directoire
du département une pétition pour demander la clôture des
églises concédées; il en exposait les raisons en ces termes :
a II n'y a pas deux églises catholiques. Nous avons des
temples, disaient-ils, les mêmes dogmes, les mêmes
cérémonies, le même culte; il n'y a qu'une obstination
sans motifs raisonnables qui puisse faire demander des
églises différentes de celles du culte constitutionnel, » et on
déclarait au Directoire que les patriotes n'y consentiraient
pas. Les opinions religieuses : mais leur manifestation ne
devait pas nuire à l'ordre public. Les commissaires des
églises y appelaient le tumulte ; ils criaient à la persécution
et attaquaient les prêtres du peuple et de la liberté. Leurs
prêtres étaient des conspirateurs, des fanatiques, et
Bordeaux en était le réceptacle. Ces prêtres parlaient au
nom d'évêques chassés par la Constitution ; ils composaient
et distribuaient des ouvrages contraires à la constitution
du clergé.
€ Ce sont, ajoutait la pétition du Club, les sentinelles des
tyrans, les dépositaires de leurs complots; ils ont des tables
de proscription et sont prêts à faire couler le sang des
hommes au nom du Ciel ; leur nombre à Bordeaux s'élevait
à 2,000 pour trois ou quatre oratoires, etc. *
Cette pétition ne contenait que des dénonciations dénuées
de preuves; elle n'en fut pas moins accueillie par le
Directoire. Il prit, à la date du 27 janvier 1792, un arrêté
ordonnant la clôture provisoire des trois églises louées aux
124 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
catholiques. Ceux-ci présentèrent une pétition pour démon-
trer l'injustice et Tillégalité de l'arrêté ^'\ mais leurs efforts
furent vains. Le Directoire, après avoir pris Tavis des
administrations secondaires, déclara que les circonstances
qui avaient motivé la clôture provisoire des églises de la
Merci, des Minimes et de Saint-Maixant étaient toujours
les mêmes, et qu'il y avait lieu à maintenir l'arrêté du
27 janvier.
Le Club national, hâtons-nous de le dire, ne se trompait
pas d'ailleurs sur le nombre des prêtres réfractaires présents
à Bordeaux. Chassés de toutes parts et espérant trouver un
asile dans cette ville, ils s'y étaient réfugiés en foule; déguisés
les uns en marchands ambulants, les autres en ouvriers
chargés de leurs outils, ils erraient, fuyant les persécutions;
quelques-uns même avaient revêtu des costumes de gardes
nationaux. Les fidèles les recueillaient et leur prodiguaient
tous les secours en leur pouvoir. On assure que, dans les
premiers mois de 1792, leur nombre pouvait s'élever à
2,000 environ (*);
*
Nous raconterons tout à l'heure les dénonciations dont
ils furent l'objet.
Quelques jours après la pétition du Club national au
Directoire du département, une profanation sacrilège (on
doit donner cette qualification au fait suivant) eut lieu dans
le cimetière de Sainte- Eulalie. Une dame pieuse, attachée
au clergé insermenté, et qui n'avait jamais voulu reconnaître
le curé constitutionnel de cette paroisse, mourut, et son
corps fut présenté à l'église et ensuite au cimetière. On
connaissait l'antipathie de la décédée et celle de sa famille
pour le culte constitutionnel, et l'on savait que quelques
(i) Observations présentées aux corps administratifs par les citoyens
pétitionnaires des églises de la Merci, des Minimes et de Saint-Maixant, sur
une pétition du 27 février 1792, remise au Département. — Bordeaux,
le 19 mars 1792, 16 pages.
(3) Lettre de Ch. Géraud, du 28 fé\Tier 1792.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLEROÉ. 125
jours avant sa mort, cette dame avait demandé à être
inhumée dans Tun des couvents de religieuses de Bordeaux,
ce qui n^avait pu avoir lieu.
Tout à coup le bruit circula dans la paroisse que le
cercueil présenté à Téglise ne contenait qu^une bûche et que
le corps de la défunte avait été transporté ailleurs. Soixante
à quatre-vingts femmes de la classe du peuple se réunirent
et pénétrèrent dans le cimetière, où le curé disait les
dernières prières. Elles lui affirmèrent qu^il avait été induit
en erreur et qu'il n'avait enterré qu'une bûche; elles
rinvitèrent à rentrer dans l'église en lui déclarant que leur
intention était de faire l'ouverture du cercueil avant qu'il fût
descendu dans la fosse. Le prêtre, loin de résister à cet acte
d'inqualifiable violence, leur répondit : c Faites ce que vous
voudrez, » et se retira. Ces forcenées brisèrent le cercueil,
écartèrent le suaire et reconnurent le corps de la morte.
Elles se retirèrent alors...
L'indignation publique força le procureur de la commune
à dénoncer cette odieuse profanation, et le tribunal du
district condamna à la prison quatre de ces malheureuses
signalées comme ayant brisé le cercueil.
Mais revenons aux deux mille prêtres qui s'étaient
réfugiés à Bordeaux. Le clergé constitutionnel et ses
adhérents connaissaient leur présence dans la ville; ils
n'hésitèrent pas à porter une plainte au Club national,
qui, fort de son audace et de ses succès antérieurs, ne tarda
pas à faire présenter au Directoire du district, par une
députation, une pétition signée par i,5oo personnes
environ, pour obtenir l'expulsion de ces ecclésiastiques
et leur renvoi devant leurs municipalités respectives.
Cette pétition, conçue en termes violents, menaçants
même, expose qu'il existe à Bordeaux deux mille prêtres
au moins, tous insermentés, évidemment ennemis de la loi
et perturbateurs de l'ordre public, et qu'une réunion aussi
lîf) HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
nombreuse de prêtres concourant tous au même but, ayant
h même esprit, les mêmes passions, ne peut être que très
suspecte et très dangereuse dans une grande ville.
« Considérez principalement, Messieurs, disent les clù-
bistes en terminant, que le peuple, menacé de toutes
parts, frémit et s'indigne de receler dans son sein un ramas
d'étrangers qui entretiennent des intelligences secrètes avec
ses ennemis, et concertent les moyens de l'asservir.
Repoussez loin de lui tous ces hommes dangereux;
ordonnez un recensement et renvoyez tous les prêtres
insermentés dans leurs municipalités respectives.
» Administrateurs, vous venez d'entendre la voix du
peuple; en ce moment peut-être il s'irrite sous le frein
de la loi, mais ne croyez jamais qu'il le brise; nous
respecterons toujours la loi, parce que nous chérissons
toujours notre bonheur, notre gloire, et que des hommes
libres savent mourir plutôt que de fausser leurs serments.
Administrateurs, le peuple ne cessera aussi de vous aimer
et de vous respecter, parce que vous êtes les organes de
la loi, parce que vous avez toujours, dans la balance de la
justice et de vos devoirs, les intérêts, les vœux et le salut
du peuple. 3J
Cette phraséologie révolutionnaire ne suffit pas aux
patriotes du Club : pour appuyer leur pétition et prouver
qu'elle était bien l'expression de l'opinion générale, ils
eurent recours à un moyen assez étrange.
Les meneurs du Club chargèrent un nommé Galard,
président d'un autre club (les Surveillants de la Coristitu-
tion) d'enrégimenter les femmes patriotes des Amies de la
Constitution, de les exercer aux mouvements militaires et
de leur faire demander dans leurs exercices l'expulsion des
prêtres réfractaires. Galard agit et fit agir en conséquence;
la proposition de ftiire l'exercice parut admirable aux
femmes patriotes. Elles se munirent de piques, d'autres
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. I27
armes, et quelques-unes même de fusils, et pour témoigner
à Galard leur reconnaissance de son heureuse idée, elles
lui firent écrire pour l'en remercier, par une fille Lée,
clubiste exaltée, une lettre dont nous reproduisons quelques
passages : a: Vous êtes prié. Monsieur le Président, de
délibérer sur ce fait important (0 . On désire que la mesure
de la pique soit, pour la hauteur, comme celle que M. Mou-
linié a présentée; quant au fer, cela devient égal pourvu
qu'il perce bien... N'oubliez pas surtout. Messieurs, de nous
défaire de cette vennine empoisonnée... Redoublez vos
efforts pour que ces serpents de prêtres réfractaires,
habillés de toutes les couleurs et sous toutes les métamor-
phoses que leur lâcheté leur suggère, sortent du sein de
notre département et de la ville de Bordeaux. Le salut de
la patrie dépend des actes rigoureux qu'on doit prendre
à leur égard. Q)mptez toujours sur le courage et la force
des bons citoyens et citoyennes. Jaloux de vous imiter, et
qui marchent de front avec vous pour cueillir les lauriers
de la liberté... Je voudrais, dit la fille Lée, que tous les
départements fissent la dépense d'embarquer tous les
prêtres pour les aller vendre au roi de Maroc. Ce roi achète
toutes les... (*) de l'Europe; on pourrait lui vendre de
meilleure marchandise ^^^ . »
Cette lettre peint parfaitement la démoralisation des
classes inférieures de la ville de Bordeaux; les Bordelais,
stupéfaits, virent les Amies de la Constitution parader sur
les places publiques, armées de piques qu'elles agitaient en
criant : A bas les réfractaires!
Le fait suivant est une preuve de plus de l'influence
détestable des doctrines propagées par les sociétés populaires
et de l'anarchie qui régnait dans la population bordelaise.
(i) Il s'agissait de l'armement complet des citoyennes.
(2) Nous supprimons le mot énergique tracé par la citoyenne Lée.
(3) Archives de la Gironde, série L.
128 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Un bataillon de gardes nationaux de Libourne, caserne
au Château-Trompette, dressa, de son autorité privée, une
liste de dix-sept prêtres non - conformistes que Ton savait
être cachés à Bordeaux, et forma le projet de les arrêter.
Des soldats, sortis du fort à quatre heures du matin,
s'embusquèrent aux coins des rues et arrêtèrent six ecclé-
siastiques, qu'ils conduisirent à l'Hôtel de Ville au milieu
d'un attroupement composé de la populace de cette grande
cité et de femmes, parmi lesquelles on remarquait, armées
de leurs piques, les Amies de la Constitution, se signalant
par leurs vociférations. Ces pauvres prêtres furent amenés au
Palais de Justice, devant un juge de paix qui, après avoir
fait subir à chacun d'eux un interrogatoire, les fit mettre en
liberté; mais seulement après le départ des gardes nationaux.
Ceux-ci d'ailleurs ne se contentèrent pas de cette capture ;
ils forcèrent les maisons de plusieurs habitants honorables
pour y découvrir des prêtres réfractaires, en fouillèrent
tous les appartements, s'emparèrent de plusieurs lettres
dont ils firent publiquement la lecture à la multitude
ameutée ; puis ils finirent par se retirer. Ces excès causèrent
la plus vive indignation à Bordeaux, mais l'autorité
impuissante ne chercha même pas à les réprimer (').
Elle avait d'ailleurs une tendance marquée pour le clergé
constitutionnel.
Nous allons en donner une preuve. Le 25 mars 1792, un
grand nombre d'honorables citoyens s'adressaient au
Directoire du département pour demander la réouverture
des églises louées au clergé fidèle (*). Le Directoire renvoya
la pétition au district, qui, lui-même, crut devoir consulter
la municipalité. Les avis furent unanimes, et le 29 du même
mois, le Directoire, « considérant que les circonstances qui
avaient déterminé la clôture des églises louées provisoi-
(0 Archives municipales de Bordeaux. Histoire de M. O'Reiily, 2« partie.
(3) Appendice, note XII.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. I29
renient par les pétitionnaires n'ont point changé; que
d'ailleurs la loi permet à tous prêtres, assermentés ou non,
de dire la messe dans les églises consacrées au culte salarié
par la nation, ce qui laisse aux pétitionnaires la faculté de
suivre leurs scrupules sans faire scission, :i> fut d'avis qu'iY
ny avait lieu de statuer.
Mais un événement plus grave allait atteindre l'Église.
Le 6 avril 1792, M. Torné, évêque constitutionnel de
Bourges, député à la Législative, parut à la tribune et
demanda la suppression de toutes les congrégations
religieuses et séculières d'instituteurs, de missionnaires, de
sœurs hospitalières et autres associations semblables.
L'Assemblée s'empressa d'adopter cette proposition, qui
fut convertie en motion. M. Lecoz, évêque d'IUe-et- Vilaine,
prit en vain la défense des congrégations religieuses :
« La Constitution, dit-il, est pour ainsi dire sanctionnée
de ruines; voulez- vous détruire encore ? L'esprit de conquête
et l'esprit d'innovation sont le germe de la destruction des
empires. Des législateurs amis de l'humanité examinent, avant
de renverser un établissement public, quels sont les motifs
de le détruire; enfin, ils examinent si l'on peut mettre à sa
place quelque chose de meilleur... Les congrégations
pacifiques, celles qui sont vouées à l'instruction de la
jeunesse, sont-elles contraires à la Constitution? Je crois
que les congrégations qui exercent en ce moment les
fonctions de l'instruction publique, ne sauraient être
supprimées sans qu'il en résultât un grand préjudice pour la
société. Je distingue donc, parmi les congrégations qui
doivent être conservées, les Doctrinaires, qui sont de la plus
grande utilité pour la classe la moins aisée. Dans beaucoup
de cantons et même dans les villes, ce sont ces sociétés qui
donnent aux enfants les notions préliminaires. En les
supprimant, vous ôtez à 6o,boo enfants les moyens
d'apprendre à lire et à écrire, etc. -»
T. I. 9
l3o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
M. Lecoz défendit avec courage les ordres religieux,
mais M. Torné insista et soutint qu^une saine politique
demandait Tabolition, non seulement des congrégations,
mais encore de toutes les communautés religieuses, et
comme il était aussi ennuyé de son habit que dégoûté
de sa profession, il demanda que le décret à intervenir
abolît le costume religieux, ainsi que le port de tout signe
de la religion. L'Assemblée vota avec enthousiasme le
décret suivant : c Les congrégations connues en France
sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques,
celles de VOratoire de Jésus, de la Doctrine chrétienne,
de la Mission de France ou de Saint-La^are, des
Eudistes de Saint- Jacques , de Saint-Sulpice , de Saint
Nicolas du Chardonneret, du Saint-Esprit, des Missions
étrangères, des Missions du clergé, des Mulotins, des
Missionnaires de Saint^Laurent, du Saint'Sacrement;
les sociétés de Sorbonne et de Navarre, les congrégations
laïques, telles que celles des Frères de la Doctrine
chrétienne , des Hermites du Mont - Valentin , des
Hermites de Saint- Jean-Baptiste, de tous les autres Frères
hermites, des Frères tailleurs, des Frères cordonniers;
les congrégations de filles, telles que celles de la Sagesse,
des Écoles chrétiennes, des Vatelotes, de Sainte-Agnès,
de V Union chrétienne, de la Providence, et généra-
lement toutes les congrégations séculières d'hommes et
de femmes, ecclésiastiques ou laïques, même celles vouées
uniquement au service des hôpitaux et au soulagement des
malades, sous quelque dénomination qu'elles existent en
France, soit qu'elles ne comprennent qu'une maison, soit
qu'elles en comprennent plusieurs, sont éteintes et sup*
primées à compter du jour de la publication du présent
décret. »
M. Torné insista pour l'autre décret sur l'abolition du
costume ecclésiastique et du port de tout signe religieux; sa
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. l3l
motion ne fut pas même discutée, et TAssemblée législative
rendit un décret conforme.
Plusieurs évêques constitutionnels, membres de TAssem-
blée, s'empressèrent de faire acte de patriotisme en
approuvant ce décret. M. Gay Vernon, évêque de la
Haute- Vienne, déposa sur l'autel de la patrie sa croix
d'or, dont le prix servirait, dit-il, à l'entretien d'un volpn-
taire, et il ajouta : c Quand je serai dans mes fonctions, je
porterai une croix d'ébène. jp M. Fauchet, évêque du
Calvados, qui sans doute n'avait pas de croix, se hâta
de mettre sa calotte violette dans sa poche. M. Grégoire,
évêque de Blois, prêcha sur l'abolition des ordres religieux,
qu'il approuva, ainsi que le décret sur le costume ecclésias-
tique : € Jésus-Christ, disait-il, ne portait pas de costume
particulier; ses disciples devront s'en abstenir. »
Ces deux décrets de la Législative comblèrent de joie les
ennemis du christianisme ; ils publièrent des pamphlets, des
caricatures, des chansons qui plaisantaient grossièrement,
comme on peut le croire, sur l'expulsion des religieux des
deux sexes des monastères où ils avaient passé leur vie,
et, mêlant la raillerie à la cruauté, ils disaient à ces
malheureux, la plupart sans asile : c II vaut mieux être
citoyen qu'abbé. :»
Ces écrits les travestissaient en gardes nationaux chargés
d'apprendre l'exercice; les gravures leur prêtaient les posi-
tions les plus grotesques ; on leur faisait dire aux officiers :
c Apec la patience, nous en viendrons à bout; avec le
temps nous marcherons comme les autres, et la Nation
nous fera devenir bons citoyens, i^
D'autres libelles s'adressant, là à un évêque, lui disaient :
« Aprhs une si longue et si grande indigestion, les
médecins de la Nation vous mettent à la diète; > ici
à des prêtres : « Hum! si nous F avions prévu! > à
d'autres enfin : c: On nous a réduits quà ne prier Dieu, p
t32 histoire de la terreur a bordeaux.
On vendait une gravure représentant un obélisque
tumulaire, entouré d'ornements d'église et de vases sacrés,
avec cette épigraphe :
ICI REPOSE CE GRAND CORPS
QUI MANGEAIT LES VIVANTS ET LES MORTS.
L'abolition du costume ecclésiastique et de tout signe
religieux nuisit beaucoup au respect dû au clergé. Les
prêtres montaient la garde comme les autres citoyens ; les
railleries et les quolibets s'adressaient surtout aux prêtres
constitutionnels, tous empressés de prouver leur patriotisme
par leur exactitude au corps de garde. Les journaux ne
tarissaient pas sur le compte de ces ecclésiastiques, et si
l'on veut connaître la considération qui s'attachait aux
schismatiques , l'article suivant d'un journal du temps
pourra en donner une idée. Nous le reproduisons malgré
son inconvenance.
Il est intitulé : Le bon Dieu dans une giberne.
a Je rencontrai hier un de mes amis, prêtre de son métier.
Il était en uniforme de garde national, et voici mot pour
mot notre conversation : — Tu montes la garde aujourd'hui,
dit-il, mais tu ne sais pas ce que j'ai là dedans (en montrant
sa giberne) . — Ce sont apparemment des cartouches ? —
C'est quelque chose de mieux que cela. — Je ne connais
rien au-dessus des cartouches dans le temps présent. — Ce
que j'ai là est de tous les temps. — Est-ce quelque chose
qui tue ? — Au contraire, c'est quelque chose qui donne la
vie, c'est le principe de toutes choses. — Le principe de
toutes choses dans ta giberne, c'est un peu fort I — C'est
ma vérité de prêtre. — En ce cas, explique-toi catégorique-
ment, car je ne sais pas deviner les énigmes; voyons, quel
mystère renferme ta giberne ? — Mon ami, c'est en effet un
grand mystère : c'est le bon Dieu ! — Le bon Dieu ! — Oui
le bon Dieu. J'étais au corps de garde; on est venu me
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. l33
requérir pour le porter à un de mes fidèles qui se dispose à
faire un grand voyage, et pour me conformer à l'arrêté
très sage d^ la Commune, je remplis mes fonctions de
prêtre en habit de citoyen, attendu que, pour cette mission
particulière, il faut que je sorte du temple. J'avoue d'ailleurs
qu'il est plus commode et plus décent d'être vêtu en
citoyen-soldat que d'être en masque funèbre, et d'aller
épouvanter un mourant et faire agenouiller les petits enfants
et les bonnes femmes dans les rues. — Ton langage se
ressent bien de ton habit; je te pardonne d'être prêtre,
et s'il le faut absolument, puissent-ils tous te ressembler !
Adieu (*^. »
Ce fait, vrai ou faux, prouve quel chemin avait fait
l'irréligion depuis la constitution civile du clergé. Les prêtres
assermentés accolaient ensemble l'Évangile et la Constitution
et n'étaient plus que des officiers de morale, ainsi que les
appelait Mirabeau, (s. Ils transformèrent la chaire en tribune,
le serment en acte patriotique et la charité en philanthropie.
Ces prêtres entretenaient des correspondances politiques
avec les hauts fonctionnaires, ou avec ceux qui étaient bien
avec le peuple. Ils firent au catholicisme ce que les Girondins
firent à la Monarchie, et ils creusèrent l'abîme qui les
engloutit (*). i^
Revenons aux décrets de la Législative provoqués par
M. Torné; leur conséquence immédiate fut d'augmenter le
nombre des malheureux réfugiés dans les grandes villes
pour y chercher de précaires asiles et une sécurité qui les
fuyait sans cesse.
La perturbation, déjà si grande dans le camp catholique,
s'accrut encore, et le désarroi devint général.
L'agitation religieuse, d'ailleurs, était entretenue à
Bordeaux et dans la majeure partie des communes de la
(i) Journal du Salut public^ année 1792.
(a) A. Challamel, Histoire-musée de la République»
l34 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Gironde par les prêtres constitutionnels, que la présence
des non-conformistes dans leurs paroisses exaspérait. Un
décret de l'Assemblée constituante autorisait ces derniers
à célébrer la messe dans l'église d'une paroisse lorsqu'il n'y
en avait qu'une seule, et ordonnait que les vases sacrés et
les ornements fussent fournis par le curé constitutionnel.
Ce décret s'exécutait notamment dans la commune de
Saint-Martin-de-Labarde, en Médoc, malgré le méconten-
tement du curé élu; mais ce ne fut pas pour longtemps.
Le 9 juillet 1792, M. Mathieu, ancien curé de cette église,
démis par refus de serment, se disposait à y célébrer la
messe, conformément à la loi, pour les habitants de la
paroisse de Macau, qui ne reconnaissaient pas leur curé
constitutionnel, lorsque les paroissiens de Saint-Martin de
Labarde, excités et poussés par leur prêtre schismatique,
pénétrèrent en grand nombre dans la sacristie où
M. Mathieu s'habillait, et le menacèrent de lui rompre
les bras s'il persistait à dire la messe dans leur église.
M. Mathieu invoqua les dispositions du décret, mais ce fut
en vain ; il fut contraint de se retirer pour éviter les violences
dont il était menacé. Un officier municipal le fit prévenir
de ne pas rentrer dans son domicile et de ne pas passer
dans les rues de la commune, parce qu'il pouvait y courir
des risques pour sa vie. Le pauvre prêtre fut obligé, pour
rentrer furtivement chez lui, d'attendre la nuit dans la
maison de l'un de ses anciens paroissiens.
Ce ne fut pas tout : le lendemain, la garde nationale de
la commune envahit le domicile de son ancien curé, et le
somma de prêter le serment. Sur son refus, on le menaça
de le lui faire prêter par force. Il déclara être prêt à subir
tous les traitements plutôt que de faire un serment que sa
conscience repoussait. La municipalité intervint et signifia
au curé qu'il eût à quitter la commune de Labarde s'il ne
voulait être assommé. M. Mathieu fut contraint de céder
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. t35
à la violence et d^abandonner son domicile; il adressa sa
plainte au Directoire et au tribunal du district, mais on ne
lui répondit pas, et il ne put obtenir ni aide ni protection
pour être réintégré dans sa maison.
Nous pourrions rapporter d'autres faits de cette nature
et multiplier le récit des aaes de persécution dont le clergé
fidèle fut alors la victime. Bornons-nous à citer Tun de
ceux qui ont laissé la trace la plus douloureuse dans les
annales de Thistoire religieuse de Bordeaux.
Nous avons raconté les tribulations dont M. Tabbé
Langoiran avait failli devenir la victime ; cette persécution
et rirritation populaire fomentée par les dubs donnèrent
des inquiétudes à ce digne ecclésiastique, ainsi qu'à deux
vénérables prêtres comme lui insermentés. Le 14 juillet 1792
approchait et Ton se préparait à célébrer Tanniversaire de
la prise de la Bastille par la plantation d'un arbre de la
liberté à Bordeaux.
L'abbé Langoiran, qui avait déjà établi son domicile
chez un ami, dut bientôt songer à le quitter pour échapper
aux périls qui le menaçaient. Il accepta une retraite à
Caudéran, dans une petite maison de campagne apparte*
nant à un zélé catholique, M. Lajarthe : il y trouva deux
prêtres, M. Dupuy, bénéficier de Saint-Michel, et M. Pan-
netié, grand-carme, qui s'y étaient réfiigiés depuis quelque
temps. Ils y célébraient la messe dans le plus grand secret,
mais les espions attachés à leurs pas parvinrent à les
découvrir dans cette retraite, et le i3 juillet, la garde
nationale de Caudéran envahit la maison de M. Lajarthe
et y arrêta ses trois hôtes, qui furent conduits à Bordeaux
et présentés à un juge de paix. Ce magistrat entendit les
témoins, interrogea les trois prisonniers, et les faits ne lui
paraissant constituer ni crime ni délit, il ordonna leur
mise en liberté.
Les gardes nationaux, auxquels s'étaient joints des hom-
l36 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
mes armés, méconnurent Tordre du juge et amenèrent leurs
prisonniers au Directoire du district. Arrivés sur la place
Dauphine, ils furent entourés d'hommes sinistres en hail-
lons et de femmes de mauvaise vie, qui proférèrent des cris
de mort contre les trois prêtres. La bande portait au bout
d'un bâton une affiche sur laquelle on lisait cette inscription
homicide tracée en caractères rouges : On recommande
Langoiran aux bons patriotes.
Le Club national était-il étranger à cette mise en scène ?
On pourrait penser qu'il l'avait préparée...
Afin de laisser au récit qui va suivre sa physionomie la
plus exacte et- la plus vraie, nous allons reproduire la
relation qu'en a donnée le P. Pannetié lui-même.
a Après quatre heures du matin, raconte-t-il, un grand
nombre de gens arnnés investirent la maison, fi-appèrent
rudement à la porte, avec menaces de l'enfoncer si l'on refti-
sait de l'ouvrir. On ne put s'empêcher de les introduire. On
nous menaça d'abord de nous couper la tête si l'on trouvait
des armes à feu ; ils firent la visite et n'en trouvèrent pas.
Ils nous obligèrent alors de les suivre et nous amenèrent
devant la municipalité du lieu ; le maire et les officiers ne
virent aucun motif suffisant d'arrestation; nous étions
sur le point d'être mis en liberté, quand on accusa M. Lan-
goiran d'avoir voulu corrompre un des soldats en lui
donnant un écu de 6 livres.
» Cette imputation fausse, dénuée de preuves, suffit pour
déterminer la cohorte armée à nous conduire tous les trois,
MM. Langoiran, Dupuy et moi, chez le juge de paix.
Celui-ci fit lire le procès-verbal et déclara qu'il n'y avait
aucune raison de nous arrêter; mais le capitaine, sans
vouloir écouter le juge, se jeta sur M. Langoiran, le saisit
au collet, et nous fûmes traînés par la même escorte à la
prison de Caudéran. Elle est obscure et malsaine; nous
n'y trouvâmes même aucun siège; nous demandâmes pour
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. lij
M. Langoiran une chaise qui nous fut refusée. Nous
n'étions éclairés que par un trou d'un pied carré, par où nous
entendions les plus horribles imprécations. Durant l'espace
de douze heures que nous séjournâmes dans cette prison,
nous ne fûmes occupés que de la prière et d'entretiens de
piété relatifs à notre situation; nous nous abandonnâmes aux
décrets de la Providence; nous acceptâmes les souffrances
qu'elle nous destinait, et nous aimions à nous rappeler
ce beau passage des Actes des Apôtres : <c Ils sortaient
> du conseil, se réjouissant d'avoir été trouvés dignes de
D souffrir des outrages pour le nom de Jésus-Christ. a>
M. Langoiran répétait souvent ces paroles; il ajouta que
Dieu lui faisait la grâce d'éprouver les sentiments de
saint Ignace lorsque, pensant aux tourments qui lui étaient
préparés, il s'écriait : <c Lorsque je serai exposé aux bêtes
» de l'amphithéâtre, elles m'épargneront comme d'autres
:& martyrs ; je les exciterai à me dévorer pour devenir le
> froment du salut. » Bientôt après, il nous pria d'entendre
sa confession et la fit avec des sentiments de la componction
la plus vive ; puis, ayant écrit avec un crayon les sommes
qu'il avait en dépôt, pour secourir les prêtres réduits à la
misère, il me remit cette note que je plaçai dans mon
portefeuille. Vers les sept heures du soir, on nous fit sortir
de prison pour nous conduire au Département. Dans la
route, nous essuyâmes mille injures. Arrivés à la cour du
département (palais épiscopal), on joignit les coups aux
menaces et aux imprécations. Alors, je ne sais ni pourquoi
ni par quel mouvement, je m'avançai vers une salle; Dieu
favorisa cette tentative irréfléchie, personne ne m'arrêta. Je
trouvai quelqu'un à la porte qui m'accueillit et ferma la
porte sur moi. Depuis ce moment, je ne vis plus rien de ce
qui se passait (>). »
il) Un Martyr bordelais, par l'abbé Pioneau, professeur de rhétorique.
Bordeaux, i85i.
l38 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Il, I ,
Ici finit la relation du P. Pannetié ^*).
La foule, qui s'était considérablement accrue dans le
trajet de la place Dauphine au Département et qui rem-
plissait la place, demandait à grands cris la mort de
Tabbé Langoiran et celle de ses compagnons; elle faisait
des efforts pour arriver jusqu'à eux; mais la garde nationale
résista courageusement et parvint à faire entrer les prison-
niers dans la cour du Département. — La foule irritée
empêcha de fermer les portes; elle criait : € On veut les
sauver et les soustraire à la vengeance du peuple. 9
A mort! à mort! hurlaient mille voix furieuses. Le
rassemblement pénétra dans la cour, écarta violemment
les soldats, se saisit des deux victimes et les égorgea sous
les yeux de la garde impuissante.
« On vit alors, dit Tabbé Pioneau, une preuve éclatante
de Tempire qu'exerce la vertu jusque sur les âmes les plus
dépravées. Ces hommes, qui depuis longtemps se familiari-
saient avec l'idée du meurtre, qui étaient encore couverts
du sang de leurs victimes, ces hommes parurent cette fois
étonnés de leur audace; ils demeurent muets, immobiles,
et il se fit un grand silence dans l'assemblée. Ceux qui
entouraient les martyrs purent saisir quelques paroles que
murmuraient les lèvres mourantes de l'abbé Langoiran :
c'était une prière pour ses bourreaux ! »
Ce premier mouvement de stupeur fut bientôt dissipé.
Les assassins, enhardis par les cris de la foule, décapitèrent
le cadavre de l'abbé Langoiran, mirent sa tête au bout
d'une longue perche et la portèrent dans les rues aux cris
de : Vive la Constitution! Mort aux prêtres! A bas les
réfractaires ! Cette horrible promenade dura depuis huit
heures du soir jusqu'à deux heures après minuit. A la fin,
les meurtriers s'arrêtèrent dans la rue BoufTard, devant un
(i) Le P. Pannetié ne trouva pas grâce devant Lacombe plus urd; il fut
condamné à mort et exécuté.
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. lig
cabaret, y entrèrent, et après s^être enivrés,- ils jetèrent
leur sanglant trophée sur le pavé et s'enfuirent.
« Il fallait que tout fût odieux dans cette affaire, dit
M. l'abbé O'Reilly : on alla prévenir le juge de paix de la
section, qui arriva sur le théâtre du meurtre avec son
greffier, auquel il dicta gravement son procès-verbal cons-
tatant les faits, et puis se retira en regardant froidement
les deux cadavres exposés dans la cour (0. »
On se demandera peut-être où était la force publique de
la cité, et ce que faisait, pendant cette scène de carnage
exécutée en plein jour, l'autorité municipale à laquelle
incombait le soin de la prévenir ou d'en arrêter les
auteurs? La garde nationale et le corps municipal de
Bordeaux plantaient un arbre de la liberté sur la place
Royale et dansaient autour de ce symbolisme républicain
au son de deux orchestres! Un prêtre, l'abbé Thomas
Langoiran, frère du vicaire général, dansait, mêlé à la
foule, pendant que l'on égorgeait son frère à quelques
cent mètres de la place Royale (^) !
L'autorité ne fit pas de recherches pour découvrir les
auteurs de ce double meurtre, ou bien elles furent infruc-
tueuses; on n'arrêta personne et on chercha à ensevelir
le crime dans un profond silence. Les registres de
l'Hôtel de Ville en rendent compte dans les termes
suivants : Le 14 juillet 1 792, mort de l'abbé Langoiran
et autres, tués par des gens égarés.
Les cadavres mutilés restaient toujours dans la cour du
Directoire du département; il fallait cependant leur donner
la sépulture, et le district écrivit à la municipalité : a II y
a une heure que quelqu'un est venu nous dire de votre
part que vous alliez envoyer une bière pour enlever les
(i) Histoire de Bordeaux, 2* partie, 1. 1«% p. 217.
(3) Archives municipales. Thomas Langoiran parut plus tard devant la
Commission militaire et fut acquitté.
140 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
corps qui sont dans la cour de radministration ; personne
n^a paru, et les corps sont toujours là. Veuillez nous dire si
vous avez donné des ordres à ce sujet. M. le procureur
général syndic vient de nous obsen^er qu'il serait très
intéressant que ces cadavres fussent enterrés de manière
à ce qu'on sût le moins possible où ils Font été. Vous
senttre!{ quelles sont les raisons qui ont suggéré cette
observation à M. le procureur-syndic, et nous croyons
qu'elle doit être prise en très grande considération. Vous
savez de quoi sont capables des fanatiques. — i6 juillet,
une heure du matin. — Signé : Couzabd. d
Les réflexions se présenteront en foule à la lecture de
cette étrange lettre. Une seule chose semblait préoccuper
les administrateurs de notre grande cité : c'était d'inhumer
dans un lieu secret les cadavres des deux victimes égorgées
sous leurs yeux, pour prévenir les entreprises dont les
fanatiques étaient capables!
Pas de blâme pour les assassins, pas un mot de pitié pour
les victimes !
Une pieuse et respectable légende est encore répandue
dans la classe populaire de Bordeaux. On raconte que
lorsque la tête de l'abbé Langoiran fut jetée par les
meurtriers dans la rue Bouffard, l'un des pavés garda
pendant quelques jours l'empreinte en profil du visage du
martyr. En vain voulut-on le laver, l'empreinte y restait
ineffaçable, et la foule accourait de tous les points de la ville
pour s'assurer de ce fait merveilleux. Afin de prévenir des
rassemblements dangereux pour l'ordre public, la munici-
palité fit enlever ce pavé, qui fut enfoui dans les décombres
de l'Hôtel de Ville actuel.
L'assassinat des abbés Langoiran et Dupuy causa une
vive émotion. « Toute la population, dit Bernardau,
manifesta l'indignation la plus profonde pour ce crime
affreux » Puis il ajoute immédiatement : « C'est le seul
LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. I41
qui ait été commis à Bordeaux dans le cours de la Révo-
lution. i> Bernardau était à coup sûr optimiste ! Les prêtres
fidèles redoublèrent de prudence pour échapper aux recher-
ches de leurs ennemis, et les prêtres constitutionnels se
félicitèrent tout bas de la disparition de leur plus dangereux
adversaire.
Quant à M. Pacareau, malade, infirme et confiné dans
sa petite maison, il ne donna pas le plus léger signe de
vie dans cette triste et douloureuse circonstance. Le vieil
évêque ne jouit pas longtemps de son pouvoir; il tomba
dans Tenfance et mourut oublié le 5 septembre 1 797 (') .
L'abbé Langoiran avait été assassiné le 14 juillet 1792 :
un mois après, la Monarchie succombait dans la journée
du 10 août...
La Législative, au milieu des embarras que lui créaient
la détention du roi et les massacres de Septembre, qui
avaient épouvanté la France, la Législative, disons-nous,
trouva le temps de décréter « que les ecclésiastiques
salariés par F État qui recevraient un casuel, sous quelque
dénomination que ce soit, seraient condamnés, par les
tribunaux de district, à perdre leur place et leur
traitement » ^^K
On pourrait affirmer que cette loi était une superfétation,
car tout culte allait bientôt disparaître et s'abîmer, grâce à
Tesprit d'irréligion qui avait fait d'immenses progrès dans
tout le pays.
Au mois d'octobre 1792, la municipalité faisait remettre
à la Monnaie 2,387 marcs 7 onces et 3 gros d'argent
provenant de l'argenterie des douze églises paroissiales de
Bordeaux...
On marchait vers le culte de la Raison !
(i) Appendice, note XIII.
{2) Loi du 7 septembre 1792.
14^ HISTOIRE DÉ LA TERREUR A BORDEAUX.
Durant ce temps, la Convention s'était réunie, et après
avoir proclamé la République, que le ministre Roland
recommandait par circulaire aux Pasteurs des villes et
des campagnes ^^\ elle commençait, poussée par les circons-
tances et les événements, l'application du régime terrible
qui a marqué de flots de sang les pages de notre histoire
nationale en îygS et en 1794.
(i) Appendice, note XIV.
>| < >:^ »- »|i » |i »j:t > | « »|t 4 |f»|< ■ >!« .y ^ f > | i » j; < ■> ! « » ;^ < ■» j; «.» | ».) | (i | i > ;{; » >| i > :|; < i|i
LIVRE II
LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR,
4
CHAPITRE I
LES PREMIERS MOIS DE L'aHUÉE 1793.
Souffrances des Bordelais au commencement de 1793. -— Scission entre la
Gironde et la Montagne. — Les amis des Girondins s'apprêtent à les
défendre. — Adresse du Département à la Convention. — Le gouver-
nement cherche à surexciter le patriotisme des citoyens. — La Société
de la Liberté et de VÉgalité foit un appel aux marins. — La manie des
publications. — La citoyenne Dorbe et le drapeau tricolore. — On rem-
place la municipalité. — > M. Saige reste maire. — On forme un corps
de volontaires pour la défense de la Convention. — Condamnation de
Louis XVL — Le Département félicite la Convention. — Adresse des
Amies de la Constitution. — Lettre de Fasileau-Duplantier au Départe-
ment. — Mesures contre les prêtres et les émigrés. — La question
des subsistances. — Troubles à ce sujet. — Le pain à Bordeaux. —
Arrivée du conventionnel Mazade. — Envoi de bataillons bordelais en
Vendée. — Attaque de Desfieux contre les Girondins. — Mise hors la loi
des prêtres réfractaires. — Les conventionnels Paganel et Garrau
viennent remonter l'esprit public. — Leur proclamation au peuple
bordelais* — Agitation des sections. — Arrestations à Libourne. —
Lettre de la municipalité au ministre 'de l'intérieur. — La Convention
accorde deux millions à la ville de Bordeaux. — Le Club national inter-
rompt ses séances.— La trahison de Dumouriez. — Visites domiciliaires
et gens suspects. — Une séance du Conseil général du département. —
Adresse de ce Conseil à la Convention en faveur des Girondins. —
Proclamation aux Bordelais. — La municipalité félicite le Département
de son énergie. — Elle se rend chez les Conventionnels. — Discours de
Saige et réponse de Garrau. — Lettre de Boyer-Fonfrède à la muni-
cipalité. — Lettre de Sers, président du département, relative à la
trahison de Dumouriez. — Paganel et Garrau mettent les côtes du
département en état de défense. — Ils requièrent les chevaux de luxe
pour le service des armées. — Prêtres conduits à Bordeaux pour être
144 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
déportés. — Le Château-Trompette et la citadelle de Blaye. — Arrêté des
Conventionnels sur la disette des subsistances et la défense générale. —
Ils quittent Bordeaux après avoir investi le Département de pouvoirs
spéciaux. . "
L'état des esprits de la population bordelaise était des
plus affligeants dans les premiers jours de Tannée 1793.
On souffrait, et la misère était générale.
Malgré les efforts constants des autorités constituées, la
confiance diminuait chaque jour et la crainte assiégeait tous
les cœurs.
Seules, les sociétés populaires s'agitaient audacieusement
et, grâce à leurs manœuvres, un semblant d'opinion
publique paraissait approuver les actes de la Convention.
En réalité, les administrateurs du département et la partie
saine de la population répudiaient en secret certaines
mesures de la trop célèbre Assemblée.
Ce qui inquiétait surtout à Bordeaux les hommes en
état de suivre et de juger le mouvement politique qui
s'accomplissait, c'était la scission qui s'opérait et s'accentuait
plus profondément de jour en jour entre la Gironde et la
Montagne.
Le sang de Septembre séparait ces deux factions rivales,
et la lutte s'annonçait déjà comme devant se terminer par
la chute inévitable et retentissante de l'une d'elles.
Les esprits étaient dans l'attente. Résolus de soutenir les
représentants que le département avait envoyés à la
Convention, les administrateurs, amis et anciens collègues
des chefs de la Gironde, voyaient approcher le danger et
cherchaient à le conjurer par leurs actes et par leurs paroles ;
mais ils étaient obligés, pour ne pas provoquer la suspicion
de la Convention et multiplier les périls de ceux qu'ils
voulaient défendre, de dissimuler leur pensée sous des
ambiguïtés de langage. C'est ainsi, notamment, que dans
leurs publications ils parlaient toujours de l'Assemblée en
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. 146
général, quand leur véritable objectif était, à vrai dire, la
représentation girondine.
Tous les efforts de leur habileté devaient bientôt se briser
contre la volonté toute-puissante de la Montagne.
Inquiets des écrits, des pétitions, des démarches des
Jacobins à la barre de la Convention, des discours même
de certains membres de l'Assemblée, les administrateurs
du département ne tardèrent pas à formuler une adresse
qui fut lue à la séance du 4 Janvier, et dont nous croyons
devoir reproduire les principaux passages :
« La souveraineté nationale, y disaient-ils, est attaquée par
ceux qui s'en disent les défenseurs. Qui ne gémirait pas de
voir qu'on vous fatigue par des pétitions qui insultent la
Nation ? Qui ne gémirait pas de voir que Paris est inondé
d'écrits qui invitent au massacre, au pillage, qui prêchent
l'anarchie?... Quel peut être le but de ces manœuvres? Ne
serait-ce pas pour donner à Louis un successeur qu'on
appellerait dictateur, protecteur, etc.?... Ne souffrez plus
cette lutte entre vous et des hommes qui veulent égarer le
peuple et renverser la République. Quiconque ose prêcher
une insurrection est un traître. Les Français n'en veulent
plus. L'insurrection du i o août leur a assuré la liberté ; une
nouvelle la leur ferait perdre. Occupez- vous, législateurs,
de nous donner des lois qui préservent la France de toute
tyrannie ('). »
Tel était le langage très sensé à coup sur des administra-
teurs du département. Leurs sages conseils ne faisaient
qu'effleurer la Convention, qui, pressée par les événements,
n'y ajoutait qu'une médiocre importance. Selon le mot des
livres sacrés, la voix criait dans le désert.
On décrétait l'impression et l'envoi des documents de
cette nature aux départements ; une satisfaction était donnée
en apparence, mais c'était tout. . . •
(i) Moniteur du 7 janvier 1793.
T. 1. 10
146 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Quant au pouvoir exécutif, étranger aux luttes de
l'Assemblée, mais exécuteur de ses ordres, il préparait de
toutes parts les armements nécessaires pour résister aux
ennemis de la naissante République, et toute sa politique
consistait à surexciter la fibre patriotique et nationale.
Les ministres entretenaient des correspondances suivies
avec les clubs et les sociétés populaires, pour leur demander
de seconder les efforts du gouvernement et d'accélérer
Tarmement des citoyens.
La Société des Amis de la Liberté et de l* Égalité, pour
fépondre à un désir de Cette nature que lui avait manifesté
le ministre de la marine, rédigeait, par la plume de
Duvigneau, un appel aux marins :
« Citoyens, leur disait-elle, vous vouliez marcher aux
frontières, la patrie vous a retenus. Dévoués dès votre
jeunesse au service de la mer, la patrie vous réservait pour
faire respecter sur les flots les couleurs nationales; mais
enfin, camarades, votre moment est arrivé... Aux armes^
braves marins, aux armes !. . . Le roi des Anglais s'apprête
de toutes parts, il nous provoque, nous insulte et menace
Brest, Rochefort et Toulon de descentes et de bombarde-
ments; levez- vous 1 etc..»
Ces appels étaient entendus, et la Gironde envoyait sans
hésiter ses enfants aux frontières ou sur les flottes de la
République.
Les sociétés populaires et les citoyens écrivaient beaucoup
à cette époque. C'était une manie qui gagnait tous les
esprits et que développait le système de gouvernement du
pays par le pays. L'amour- propre aidant, on se faisait
imprimer, et la ville était inondée de brochures relatives à
tous les sujets.
€ Il n'était pas de chétif et obscur habitant de Bordeaux,
dit M. fabbé O'Reilly, qui ne se crût appelé à régenter la
République et à lui donner le canevas de ses lois. Les
LES PROLEGOMENES DE TA TERREUR. I47
femmes, aussi bien que les hommes, avaient ce travers
ridicule, et les cartons des Archives municipales sont
remplis des élucubrations des Morin, des Benjamin père,
des Martin, des Dorbe, ThoUnens et autres (*). :»
La publication de ces écrits pourrait être certainement
curieuse; mais Thistorien a le devoir de respecter ses
lecteurs et, en racontant à grands traits les événements,
il a le droit de négliger les détails inutiles à Tensemble
de son œuvre ou qui toucheraient à la puérilité.
Et cependant, nous ne pouvons passer sous silence les
lyriques accents de la citoyenne Dorbe cadette, à la suite
d'un banquet qui eut lieu chez le restaurateur Battut, vers
les premiers jours de janvier. M. Fenwick, consul des
États-Unis, jeune alors et que plus d'un de nos contem-
porains a pu connaître, assistait à cette agape démocratique
qui se termina dans le temple de TEtre suprême au milieu
d'une foule considérable.
Après un couplet patriotique de la composition de la
citoyenne Dorbe, chanté par l'assemblée sur l'air de
VHymne des Marseillais, comme on disait alors, cette
citoyenne, s'adressant au drapeau tricolore, s'écria dans
un accès d'enthousiasme :
c O drapeau tricolore, reçois aujourd'hui l'hommage de
ce peuple nombreux, et vous, citoyennes et citoyens,
répétez avec moi ce cri de gloire et de bonheur : Vive
le drapeau de la République française I
> O drapeau tricolore, sois, s'il se peut, sensible à mes
accents ; frémis, agite-toi à la voix de ces femmes, de ces
enfants, de ces guerriers, élevant vers le ciel leurs mains
et leurs hommages.
» Trophée immortel, je te salue. Je vous salue, bannières
augustes, guides du courage, gage assuré de la victoire; je
(i) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. 1er, 2» part., p. 263.
148 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX,
VOUS salue au nom de toutes ces républicaines dont je suis
l'organe; je vous salue et je vous consacre dans ce temple
de la Liberté, où chaque jour les Bordelaises viennent
brûler un nouvel encens ^^K 7>
Tel était, au milieu des souffrances du peuple, le diapason
de Tesprit public : un souffle patriotique après tout l'inspirait .
Mais nous sommes de ceux qui pensent que la femme est
faite pour le gynécée et pour la vie de famille et non pour
les clameurs de la place publique; nous ne pouvons aussi
que regretter l'immixtion des femmes, en lygS et toujours,
dans les actes de la vie politique d'un peuple. Elles y
perdent le charme délicat qui nous attache à elles et
peuvent devenir des mégères, comme les tricoteuses du
tribunal révolutionnaire et de l'échafaud parisien, ou de
monstrueuses exceptions, comme Charlotte Corday, que
Lamartine, dans son langage poétique et coloré, n'a pas
craint d'appeler VAnge de r assassinai ^^K
La municipalité élue le 6 décembre 179 1 ne semblait
plus à la hauteur des circonstances. On la remplaça
le 12 janvier 1793 : M. Saige resta maire; mais le corps
municipal recruta des hommes nouveaux dans le parti
avancé. On peut citer le négociant Oré, le vitrier Boulan,
le parfumeur Sabrier, Lamarque, le cordier Delas, Charles
Lemesle ; le parti modéré y comptait Pierre Baour, Jean-
Cyprien Lassabathie, André Plassan, Gabriel Séjourné,
Martignac père, Duranteau, Azéma, le courtier Delmestre,
Brawer, Ferrière-Colck, Gressier et d'autres encore.
La nouvelle municipalité ne tarda pas à se trouver en
présence de diflBcultés graves, que nous aurons à raconter
tout à l'heure.
L'opinion publique, à ce moment, était gravement
préoccupée de la situation du roi : on ignorait jusqu'à quels
(1) Archives municipales de Bordeaux.
(2) Histoire des Girondins, u VI, liv. xliv.
LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. I49
excès pourrait arriver la Convention; on les pressentait
toutefois, et les bons esprits s'effrayaient à Juste titre dss
conséquences d'une détention et d'un jugement qui pouvaient
exposer la France à de dangereuses représailles. Les rois
de l'Europe étaient attentifs, et la cause monarchique avait
en eux des défenseurs intéressés : une conflagration générale
était imminente.
Au milieu des dangers qu'ils prévoyaient, les citoyens se
serraient autour de la Convention, devenue le centre du
pouvoir et le cœur de la défense nationale. Était-ce de leur
part une menace? Était-ce un acte de confiance? Nous ne
saurions rien affirmer.
Ce que nous pouvons constater, c'est que le 2 1 janvier,
sur l'initiative prise par la Société des Amis de la Liberté
et de l'Égalité de Bordeaux, le Conseil général du
département, dans une assemblée où avaient été appelés
des commissaires du district et de la municipalité, et le
général Courpon, commandant de la garde nationale, décidait
la formation d'un corps de 5oo volontaires, pris parnli les
citoyens composant cette garde. Ce corps devait être envoyé
à Paris pour y être à la disposition de la Convention.
ie Conseil général du département profitait de cette
circonstance pour adresser à ses concitoyens une procla-
mation en faveur de la Convention, qu'il appelait le temple
même de la Liberté.
Les volontaires devaient prêter le serment de maintenir
l'unité et l'indivisibilité de la République, de combattre et
de poursuivre jusqu'à la mort quiconque proposerait ou
tenterait d'établir en France la royauté, ou tout autre
pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple, sous
quelque dénomination que ce soit ^^K
Pendant que ceci se passait à Bordeaux, la Convention
(1) Archives de la Gironde, reg. du département, no 4, série L.
t5o histoire de la terreur a bordeaux.
condamnait à mort, le 20 janvier, Tinfortuné Louis XVI;
le lendemain 2 1 , la machine à meurtres, selon l'expression
d'Alfred de Musset, se purifiait ce jour-là au contaa d'un
sang royal, et le fils de saint Louis montait au ciel...
La nouvelle de la condamnation et de l'exécution du roi
fut connue en même temps dans les provinces. La stupeur
et la consternation furent profondes dans notre ville : un
silence funèbre accueillit cette horrible nouvelle de la
décapitation royale; il semblait que la conscience publique
allait répudier l'holocauste suprême offert à la souveraineté
populaire. Ce n'était pas l'affaire des démagogues : ils
s'exaltèrent, et pour contre-balancer la douleur et l'effroi
général, ils témoignèrent bruyamment leur joie et firent des
adresses à la Convention pour la féliciter de son énergie et
de sa résolution patriotiques.
Les autorités constituées ne pouvaient, sans péril, rester
étrangères à ce mouvement. Dès le 5 février, elles
adoptaient à leur tour une adresse ainsi conçue :
<t Qtoyens législateurs, Louis avait indignement abusé
de la générosité de la Nation. Ses nombreuses perfidies
avaient mis la patrie à deux doigts de sa perte. Vous avez
appelé sur la tête de ce grand coupable la peine que vous
avez jugé que méritaient ses crimes... Vos décrets sont
sacrés pour nous : notre devoir est de les faire respecter;
nous le remplirons au péril même de notre vie.
> Vainement, les malveillants tenteraient-ils, pour exciter
des troubles parmi nous, de mettre à profit la différence
d'opinion qui a eu lieu momentanément entre les meilleurs
citoyens, non sur l'existence et l'atrocité des crimes de
Louis (toute la France déposerait contre lui), mais sur le
genre de peine à lui infliger. Pour faire cesser toute division,
nous n'aurons qu'à répéter avec vous : <c Toutes les opiniofis
ont des motifs honorables. » Nos concitoyens connaissent
trop bien la voix de la justice et de la raison pour ne pas
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l î> I
rendre hommage à cette vérité; ils respectent trop la liberté
des opinions pour faire un crime à aucun de nos représen-
tants de celle qu^il a énoncée dans une cause qui pouvait
être envisagée sous tant d'aspects différents. Le crime serait
d'avoir opiné contre sa conscience. Eh ! quel est Thomme
assez téméraire pour prétendre lire dans la conscience de
son semblable ? S'il existe encore de pareils hommes parmi
nous, ce sont les plus cruels ennemis de la liberté, les
fauteurs du despotisme, les vils suppôts de la tyrannie.
> De ce nombre était sans doute l'infâme assassin qui a
porté ses mains meurtrières sur un représentant de la nation
et qui a causé le deuil de la patrie. Nous vous rendons
grâce, citoyens législateurs, d'avoir pris les mesures néces-
saires pour que le scélérat n'échappe point au supplice dû
à son exécrable forîait et pour les monstres capables de
l'imiter.
> Qtoyens législateurs, comptez sur notre vigilance pour
faire régner dans nos cités et dans nos campagnes
Pamour et le respect des lois. Mais permettez-nous de
vous le dire encore : le meilleur moyen pour y parvenir
est dans vos propres mains, c'est de les faire régner autour
de vous ^^K »
Cette adresse est intéressante à plus d'un titre : elle prouve
l'agitation morale causée par la mort du Roi ; elle indique
les discussions que provoquaient les votes des Représentants,
elle se termine par un appel plein de dignité à la concorde
et à l'union au sein de l'Assemblée.
Deux jours après, les Amies de la Constitution prenaient
à leur tour la parole, et disaient aux conventionnels :
€ Représentants du peuple français, trop lâche pour
résister à la volonté nationale, le traître Capet ourdissait
dans l'obscurité la trame fatale dont il voulait nous enlacer.
(i) Archives de la Gironde, reg. du département, n» 4, p. 80, série L.
l52 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
^ ■ Il I -■ - ■ ■ ■ ■ 1 ^IM
Trahissant tour à tour les amis de la patrie et les transfuges
de Coblentz, il appela, pour combler le déficit, cette nation
généreuse qu'il venait de ruiner sans pudeur. Bientôt,
craignant qu'elle ne reprît un pouvoir usurpé par des siècles
de t)rrannie, il veut dissoudre une souveraineté supérieure à
la sienne ; il environne de baïonnettes menaçantes les repré-
sentants de vingt-quatre millions d'hommes : leur fermeté
n'en est point ébranlée. Tranquilles au poste qui leur avait
été assigné, ils attendirent la mort en ne souscrivant point
à l'esclavage. Mais le despote avait trop compté sur l'aveugle
obéissance des soldats éclairés par l'amour de leur pays ; ce
n'étaient plus des êtres passifs, mais autant de citoyens
prêts à défendre leurs frères, leurs concitoyens.
j^ Le vœu public s'était prononcé. N'espérant plus
reprendre ouvertement un pouvoir arbitraire et un sceptre
odieux, couvert du sang des vainqueurs de la Bastille, il
accepte le pouvoir légal que lui confèrent les députés de la
Nation; il promet de la rendre heureuse en faisant exécuter
les lois faites par elle ; mais en secret, soudoyant ses ennemis .
avec ce même or qu'il tenait de sa munificence, protégeant
des prêtres factieux qui semaient dans l'intérieur le trouble
et la discorde, il payait au dehors les émigrés rebelles; une
garde licenciée, mais toujours à ses ordres, les a trop bien
exécutés le lo août. Était-ce pour leur indiquer de nouvelles
victimes, qu'abandonnant ses complices sanguinaires, il
esquive le combat ordonné par lui-même^ et porte dans le
sanctuaire des lois une tête coupable ? Il croyait sans doute
les voir bientôt paraître dégouttants du sang des Français,
porter leurs mains, exercées aux forfaits, sur les Pères de
la patrie, éteindre avec leur vie, la liberté, l'égalité, tous les
fruits de la Révolution I semblables à ces hordes barbares
qui plongèrent les sénateurs romains, vieillards désarmés,
sans défense, dans la nuit du tombeau ! Car quel crime peut
coûter à celui qui tourne les armes contre sa patrie, à celui
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l53
qui ordonne le carnage de ses sujets ? Et la déchéance eût
assez puni tant de forfaits ! Et la réclusion ou le bannis-
sement eût assez puni celui qui fit verser tant de sang ! celui
dont les haines perfides nous ont entourés d'ennemis!
Non!!! sa tête devait tomber.
> Représentants, vous avez rempli le vœu de la Répu-
blique; vous avez été justes, et la tyrannie n'est plus.
» Signé : Arias, présidente; Papon, vice-présidente;
Béchade-Thounens, secrétaire; Souriac, sous-secrétaire <*î.»
On ne nous demandera pas de faire l'appréciation d'une
pareille adresse : la lire, c'est la juger....
Que se passait-il cependant à Paris? Les représentants
de la Gironde étaient inquiets. L'assentiment de leurs
concitoyens ne leur avait pas sans doute paru assez
complet par la démarche du Conseil général du 5 février,
car le 14 du même mois Fasileau-Duplantier écrivait au
Département :
€ Frères et amis, parmi les nombreuses adresses qui
arrivent journellement à la Convention nationale pour
applaudir au juste châtiment de Louis Capet, j'en cherche
vainement de la commune de Bordeaux et des autres villes
marquantes de notre département. L'ardeur patriotique des
habitants des bords de la Gironde n'est sans doute pas
éteinte, mais on la croirait assoupie en voyant qu'ils se
laissent devancer par les communes des autres départe-
ments. Qtoyens, vous qui êtes en possession de donner à
tout ce qui vous entoure l'exemple du plus pur et du plus
zélé patriotisme, apprenez-leur qu'on ne peut être répu-
blicain à demi et que les vrais patriotes doivent se distinguer
par une prompte et franche adhésion aux grandes mesures
prises par la Convention nationale, en qui repose tout
l'espoir de la patrie... (').}^
(1) Archives municipales de Bordeaux.
(3) Archives de la Gironde, série L.
l54 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Le département dut rassurer Duplantier sur les sentiments
dont étaient animées les communes de la Gironde.
Cependant la Convention, saisie de temps à autre de la
question religieuse qui créait des embarras sans nombre au
gouvernement, décrétait qu'il serait accordé, à titre d'indem-
nité et de récompense, la somme de i oo livres à quiconque
découvrirait et ferait arrêter une personne rangée par la loi
dans la classe des émigrés ou dans la classe des prêtres
devant être déportés; elle autorisait, en outre, ses commis-
saires dans les départements à suspendre les fonctionnaires
publics qui n'auraient pas fail exécuter ponctuellement les
lois relatives aux émigrés et aux prêtres dont la déportation
devait être faite ^ ') .
C'était une recrudescence de sévérité contre une partie
notable de la population.
Le supplice du roi avait fatalement jeté la Convention
dans une voie où elle ne devait pas reculer. Elle restait
debout sur les ruines de la Monarchie, et par son attitude
énergique elle devait à tout prix imposer silence au sentiment
public et arriver à le dominer même par la terreur, si
c'était nécessaire.
La force des circonstances la conduisit à ce dernier et
déplorable système.
La ville de Bordeaux avait obtenu des secours de
l'Assemblée nationale pour faire face à la cherté des grains
et à la disette. La Convention supprima subitement ces
secours, et la municipalité, privée des ressources sur
lesquelles elle avait compté, se trouva dans l'impossibilité
de continuer le paiement des indemnités qu'elle accordait
depuis près de deux ans aux boulangers de la ville.
Ceux-ci déclarèrent que si l'indemnité leur était retirée
ils ne feraient plus de pain.
(i) Décret du 14 février 1793.
LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. l55
Les grains et farines circulaient alors avec des difficultés
inouïes, et la situation empirait chaque jour. La préoccupa-
tion d'une guerre générale dont la France était menacée
ajoutait aux dangers de Tintérieur : le commerce était tout
à fait arrêté, Tindustrie n'existait plus et Tagriculture était
abandonnée.
Vers le même temps, les Anglais avaient capturé vingt-
trois navires chargés de blé acquis par le gouvernement;
la nouvelle s'en était promptement répandue, et la famine
se dressait menaçante. Il fallait aviser.
On modifia la composition du pain afin d'épargner les
approvisionnements de farine; mais cette mesure ne
produisit pas les résultats qu'on en attendait; la population
était irritée et murmurait, et la municipalité, pour prévenir
des désordres, dut rétablir l'indemnité aux boulangers.
Seulement les ressources de la Ville s'épuisaient d'autant
plus par l'application de ce dangereux système, qu'on venait
de toutes parts s'approvisionner à Bordeaux et y chercher
le pain qui devait servir à la nourriture de ses habitants.
Vainement on multipliait les entraves pour remédier aux
abus; ils surgissaient sans cesse, et la faim, l'implacable
faim, surmontait tous les obstacles.
Réduite enfin aux dernières extrémités, la municipalité
fit un appel aux sections et réclama leur concours.
Elle leur fit connaître qu'elle était dans l'obligation
impérieuse, faute de ressources suffisantes, de supprimer aux
boulangers l'indemnité qui, durant les dernières années, avait
imposé à la Ville un sacrifice annuel de i,5oo,ooo livres,
et comme cette suppression avait pour conséquence immé-
diate l'augmentation du prix du pain, elle supplia les
sections, en vue des troubles qu'elle redoutait, d'éclairer
les citoyens sur la nécessité de la mesure et sur ses résultats
inévitables; elle les engagea à user de leur influence pour
épargner à la ville la douloureuse épreuve d'une insurrection.
l56 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
De son côté, elle adressa des proclamations au peuple
pour le prévenir de l'augmentation probable du prix du
pain.
€ Tout faisait espérer, dit M. Tabbé O'Reilly, que cet
incident se passerait, sinon sans murmures, au moins sans
trop d'effervescence (^). 3^ Il n'en fut rien, malheureusement,
comme nous allons le voir.
Le 8 mars, vers neuf heures du matin, la municipalité
reçut avis, par un grenadier du poste de la porte
Saint-Julien, qu'un rassemblement de femmes marchant
en colonnes et précédées d'un tambour se dirigeait vers la
place des Capucins. Le citoyen Baour, officier municipal,
accompagné du commandant de la garde nationale à la tête
de vingt-cinq grenadiers, se rendit aussitôt sur le lieu du
rassemblement.
Les deux ou trois cents femmes qui le composaient furent
haranguées par l'officier municipal et par le chef de la
troupe; ils parcoururent les groupes, firent entendre des
paroles de conciliation et cherchèrent à ramener le calme
parmi cette foule agitée et tumultueuse. Ils rappelèrent
ces femmes au respect de la loi et les engagèrent à se
disperser pour éviter peut-être de regrettables malheurs.
Leurs sages conseils allaient être écoutés, lorsque d'autres
femmes arrivant en grand nombre grossirent le rassemble-
ment, et, sourdes à la voix de la persuasion, repoussèrent
toute idée de retraite. La foule, excitée par ce renfort,
devenait de plus en plus menaçante; l'officier municipal
jugea prudent de se retirer afin d'éviter une collision dont
les conséquences pouvaient devenir très graves, avec des
malheureuses qu'égaraient la colère et la faim.
En rentrant à la maison commune, le citoyen Baour et
les grenadiers furent accueillis à coups de pierres et au milieu
(i) Histoire de Bordeaux, 1. 1*»", 2© partie, p. 271.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. iS'J
des cris et des huées d'un rassemblement considérable de
peuple qui envahissait la place. Plusieurs soldats furent
assez grièvement blessés.
La troupe, cependant, réussit à pénétrer dans THôtel de
Ville et en referma les portes.
Les émeutiers voulurent les enfoncer et brisèrent les
vitres en poussant des vociférations furieuses. A ce moment
un renfort de gardes nationaux arriva pour protéger la
Maison commune : il fut assailli de pierres et de projectiles
de toute nature; Tofficier qui le commandait somma vaine-
ment la foule de se retirer; sa voix ne fut pas écoutée,
et rirritation du peuple s'accroissait de moment en
moment. Une conflagration devenait imminente : guidée
par rinstinct de la conservation, la troupe fit feu, une
femme fut tuée, des cris de terreur s'élevèrent de toutes
parts et la multitude affolée prit la fuite dans toutes les
directions.
Cet acte de vigueur, applaudi par les uns, blâmé par les
autres, suffit à rétablir le calme. L'émeute était vaincue;
mais une sourde irritation régnait dans la population.
Comprenant l'imminence du danger et désireuse d'y
remédier, la municipalité chargea le citoyen Brawer, Tun
de ses membres, de rédiger immédiatement un mémoire
de la situation et des faits qui venaient de s'accomplir. En
adressant ce mémoire aux députés de la ville, Bahn et
Duvigneau, alors à Paris, Saige leur écrivait, le 14 mars :
«La connaissance que vous donne le citoyen Brawer de
l'état cruel où nous réduit la pénurie des subsistances
animera, nous en sommes sûrs, votre zèle connu pour
l'intérêt de vos commettants. L'augmentation que nous
avons été forcés de mettre sur le pain a occasionné une
insurrection, et nous sommes à la veille d'en manquer. Le
citoyen Brawer entre avec vous dans des détails trop
affligeants à répéter...; nous finissons en nous recomman-
l58 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
dant à vos soins, sur lesquels nous foncions le plus grand
espoir ^^K »
Cette lettre, dans son style lapidaire et pressé, exprime
mieux que nous ne pourrions le faire les malheureuses
conjonctures que traversait la ville de Bordeaux.
Le pain était d'une extrême rareté, et celui qu'on
fabriquait, que nos pères affamés se disputaient avec une
féroce énergie, si Ton peut ainsi parler, se composait du
mélange d'un boisseau de froment, d'un demi-boisseau de
baillarge, d'un demi-boisseau de fèves et d'un quart de
boisseau de blé d'Espagne.
Quel pain on mangeait à Bordeaux au commencement
de l'année lygS!
C'était, à coup sûr, un aliment insuffisant; cependant
tout le monde n'en pouvait avoir, et de plus, Saige l'écrivait
à Bahn et Du vigneau, il allait manquer...
Spectacle terrible et plein de douloureux enseignements !
Les habitants de cette ville si riche et si florissante quatre
ans auparavant étaient menacés de mourir de faim !
La municipalité emprunta 600,000 livres pour atténuer
les souffrances populaires, en attendant le résultat des
démarches tentées à Paris pour obtenir des subsides de la
Convention. La plus grande publicité fut donnée aux
mesures prises par les autorités, afin de calmer l'irritation
du peuple, car l'agitation dans la rue était toujours
menaçante.
Une sorte de dérivatif heureux vint tourner les esprits
vers d'autres préoccupations. La guerre avec les puissances
étrangères prenait des proportions considérables, et, de
plus, quelques départements étaient déchirés par la guerre
civile.
C'est à ce moment que J.-B.-D. Mazade, run des trois
(I) Archives municipales de Bordeaux.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. I Sq
commissaires de la Convention nationale, chargé de
l'inspection des côtes de la République depuis Lorient
jusqu'à Bayonne (c'est le titre qu'il prenait dans ses arrêtés),
arriva à Bordeaux.
Reçu honorablement par les autorités constituées, le
conventionnel put se rendre compte de la situation
désolante de la ville, mais il n'avait pas pour mission d'y
porter remède. — Admis au sein du Conseil général du
département, il lui communiqua les nouvelles des troubles
qui agitaient la Loire-Inférieure et la Vendée, où les ennemis
de régalité venaient, disait-il, d'allumer un incendie qui
ne manquerait pas de gagner et de se propager s'il
n'était éteint à l'instant. Ce n'est plus le temps de
délibérer, ajoutait le conventionnel, il faut agir. Nul
département n'a montré plus de patriotisme que celui de
la Gironde, aucun ne contribuera plus puissamment
à la défaite des factieux.
Mazade requit ensuite l'Administration du département
de faire partir dans les vingt-quatre heures deux bataillons
de ses gardes nationales, complètement armés et équipés,
un fort détachement de cavalerie et quatre canons, avec
un nombre suffisant de canonniers pour les manœuvrer.
Ces troupes devaient se rendre à La Rochelle par Saintes et
Royan, et se mettre, disait l'arrêté, sous les réquisitions
du conventionnel Niou. Il la requit, en outre, de provoquer
des administrations de son ressort la formation de détache-
ments armés et équipés pour se porter à La Rochelle aux
premiers ordres qu'ils recevraient <'>.
Ces nouvelles ne furent pas plutôt connues de la popula-
tion qu'elles y réveillèrent des sentiments patriotiques : on
souffrait tant, d'ailleurs, que la guerre semblait offrir à
beaucoup de citoyens comme un moyen de diminuer les
(i) Archives de la Gironde, reg. du département, n^ 4, série L.
l6o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
misères contre lesquelles on avait à lutter, ou d'y échapper
au moins momentanément.
a Les citoyens s'assemblèrent, dit le procureur de la
commune Tustet, et se disputèrent la gloire de partir; les
hommes mariés, les garçons, les pères de famille, tous
voulaient courir en Vendée. A la voix de Mazade et des
administrateurs, 3,ooo hommes furent organisés dans
Tespace de vingt-quatre heures, et, malgré le temps le plus
afTreux, ils étaient cinq jours après à La Rochelle ; 400 hommes
partirent un peu plus tard. Tous les citoyens s'empressèrent
d'armer, d'habiller et d'équiper ces troupes et leur firent
une haute paie. Des sections même délibérèrent de donner
40 sous par jour aux familles malheureuses des absents.
Quelques-unes remplirent leurs promesses (*). >
C'est au milieu d'une sorte de joie publique et accompa-
gnés des vœux de leurs concitoyens, que ces enfants de la
Gironde partirent pour la Vendée; ils y séjournèrent
pendant près de six mois et firent preuve, dans des combats
multipliés, d'un courage qui leur valut des éloges mérités.
Il reste à faire l'histoire de ces valeureux bataDlons.
Pendant que la ville de Bordeaux armait ainsi, à l'appel
de la Convention, un grand nombre de ses enfants pour la
défense de la République à l'intérieur, ses représentants
étaient en butte aux attaques furieuses des sections de Paris.
Le II mars, Desfieux, un Bordelais, qui était allé
chercher dans la capitale un théâtre plus vaste et plus facile
pour ses intrigues politiques, Desfieux se présentait, au
nom des Jacobins, à la barre de la Convention et demandait
un décret d'accusation contre les députés Gensonné, Guadet
et Vergniaud.
Les Girondins imposèrent silence à leurs accusateurs et
conjurèrent pour un temps les dangers dont les menaçait
(i) Tableau des événements qui ont eu lieu à Bordeaux depuis la Révolu^
tion de ij S g jusqu'à nos jours, par Tustet.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l6l
la faction montagnarde; mais leur influence et leur autorité
s'usaient à ces luttes sans grandeur, tandis que Robespierre,
Danton et Marat lui-même, poursuivant leur œuvre
ténébreuse, régnaient sur l'esprit de la populace, aux
Jacobins, à la Commune et dans la plupart des sections de
Paris.
Toutefois l'heure des Girondins n'était pas encore venue.
Le 1 8 mars, la Convention décrétait la mise hors la loi
de tous les prêtres réfractaires et ordonnait leur arrestation
et leur déportation.
Cette loi barbare ne tarda pas à remplir les prisons de
Bordeaux d'un grand nombre de malheureux prêtres
dénoncés par des misérables, ou que les précautions même
dont ils cherchaient à s'entourer décelaient aux yeux
clairvoyants et prévenus des agents de l'autorité.
La situation tendait à s'aggraver sans cesse et sous tous
les rapports : on persécutait les prêtres et les nobles, la
défiance abaissait les caractères, la faim aigrissait les esprits
en torturant les corps, et la misère apposait ses stigmates
terribles sur toute une population autrefois heureuse et
confiante.
Les conventionnels Pierre Paganel et Garrau vinrent à
Bordeaux sur ces entrefaites ; ils avaient pour mission dy
remonter l'esprit public.
Paganel, ancien curé de Noaillac, avait prêté le serment
civique, était devenu en 1 790 procureur-syndic du district
de Villeneuve-d'Agen et avait été envoyé à l'Assemblée
législative par le département de Lot-et-Garonne ; prêtre,
il y dénonça les manœuvres des prêtres réfractaires, et
demanda des mesures vigoureuses pour empêcher la guerre
civile prête à éclater. Nommé membre de la Convention,
il y avait voté la mort de Louis XVI et s'était rangé du
parti de la Montagne,
. Il en était de même de Garrau, bien que ce représentant
T. L li
l62 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORnEAUX.
eût été nommé par la Gironde. Avocat à Libourne à
répoque de la Révolution, il avait été, en 1790, président
du district de cette ville, puis élu en 1 79 1 suppléant à la
Législative, et en 1792 député à la Convention. Garrau,
partisan du gouvernement révolutionnaire, était au nombre
des ennemis des Girondins, ses compatriotes.
Le 22 mars, les deux conventionnels adressaient au
peuple une proclamation ainsi conçue :
^ La Convention nationale, pressée par les circonstances,
a investi ses commissaires d'un grand pouvoir. Que les
bons citoyens se rassurent et que les mauvais soient glacés
d'effroi; leur châtiment donnera la paix et la tranquilUté
aux hommes de bien. Nous l'exercerons, ce redoutable
pouvoir, avec une religieuse impartialité contre tous les
pervers, qui, se repaissant de l'espoir d'entraîner la Répu-
blique à sa ruine, égarent la bonne foi du peuple, agitent,
les esprits faibles par des terreurs fanatiques, détournent
les citoyens de leurs devoirs envers la patrie par de perfides
insinuations, et sèment dans les villes et les campagnes tous
les levains de discorde.
3 Les perfides vivent au milieu de vous ; ayez le courage
de les faire connaître aux commissaires de la Convention
nationale, et vous aurez bien mérité de la patrie. Ils les
traduiront, au nom de la loi, devant le tribunal extraor-
dinaire que leurs crimes, toujours impunis, l'ont forcée
d'établir... O. 3>
Paganel et Garrau, on le voit, avaient. un tout autre
langage que Mazade ; celui-ci s'était occupé d'armements ;
ceux-là faisaient un appel aux plus mauvaises passions
politiques et révolutionnaires.
Leur proclamation ne manqua pas son effet; contenues
jusque-là par l'autorité, ces mauvaises passions, qui n'at-
(i) Archives municipales de Bordeaux.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l63
tendaient qu'une occasion pour apparaître, se déchaînèrent
sous le souffle des nouveaux envoyés de l'Assemblée régicide^
et, pour nous servir d'une expression bien connue, la lie
monta à la surface.
Les sections motionnèrent, et celle de V Égalité notamment
demanda qu'on mît en accusation tous les ci-devant nobles,
les privilégiés, les suspects, les aristocrates, etc., tous ceux
enfin qui seraient désignés par l'opinion publique, ainsi que
ceux qui ne se seraient pas munis dans la quinzaine d'une
carte de civisme.
Quant aux ecclésiastiques insermentés, ou même asser^
mentes, qui seraient dénoncés comme suspects par six
citoyens, la section proposa de les incarcérer au fort du
Ha et dans le couvent des Grandes-Carmélites.
C'est ainsi que Paganel et Garrau avaient remonté l'esprit
public.
Nous devons dire qu'une partie de ces mesures fut mise
à exécution. Toutefois les administrateurs du département,
et Pierre Sers à leur tête, présentèrent des observations
aux conventionnels, et, grâce à leur ferme contenance,
peut-être aussi à cette circonstance que Garrau, l'un d'eux,
était un élu du département de la Gironde, le débordement
des passions populaires se trouva restreint pour quelque
temps dans des limites relativement modérées.
Les conventionnels, en effet, renonçant à leurs premières
idées de sévérité, se bornèrent à exiger l'arrestation des
prêtres réfractaires, dont le nombre était toujours consi-
dérable dans la ville.
Quelques autorités du département n'eurent pas toutefois
la fermeté des administrateurs bordelais. A Libourne notam-
ment le Conseil général de la commune exprima le désir
de voir les administrateurs de district se prêter aux volontés
des conventionnels, qui avaient invité la municipalité à
arrêter les personnes Justement suspectes.
164 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Vers le 26 mars, dix-neuf femmes furent enfermées dans
le couvent des Ursulines, et les scellés apposés sur leurs
meubles. Le 7 avril, elles étaient remises en liberté ^^K
Après avoir recueilli auprès des corps constitués des
renseignements sur les forces dont le département pourrait
disposer contre les armées étrangères qui menaçaient la
République, et sur les dispositions de la population borde-
laise, Paganel et Garrau écrivaient à la Convention, le
26 mars : ^ que l'excédant du contingent pour le départe-
ment de la Gironde serait considérable; qu'ils avaient
suspendu de ses fonctions le payeur général Germonière,
comme noté d'incivisme depuis le commencement de la
Révolution; que le commerce était frappé de stérilité et
l'industrie presque nulle ; que le prix des subsistances était
tellement élevé, que les pauvres souffraient réellement et que
les maisons riches autrefois ne pouvant plus faire de sacrifices,
ils se voyaient obligés de demander à la Convention des
secours en argent pour la population malheureuse ^^K »
Le même jour, la municipalité, plus explicite que les
conventionnels, disait au ministre de Tintérieur :
« Après avoir épuisé toutes les ressources du patriotisme
le plus pur, de l'amour le plus ardent pour la République
et les efforts les plus constants pour le maintien de la tran-
quillité de cette ville, la municipalité de Bordeaux, soutenue
des corps administratifs supérieurs, se voit dans l'urgente
nécessité de réclamer les plus prompts secours ; elle déclare
qu'il lui est impossible de pourvoir à la subsistance de cette
grande cité et des parties adjacentes, au delà de vingt-cinq
ou trente jours... Ainsi, la population est exposée aux
horreurs de la famine dans vingt-cinq jours d'ici, si le
pouvoir exécutif, appuyé par la Convention nationale, ne
s'empresse de venir très promptement à son secours. Oui,
(1) Guinodie, Histoire de Libourne.
(2) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. I«r, 2« partie, p. 293.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l65
les habitants de Bordeaux sont près de mourir de faim,
faute de subsistance première.
y> La déclaration de guerre contre presque toutes les puis-
sances de r Europe, les pertes énormes que vient d'éprouver
le commerce, et la suspension générale de toutes les affaires
par l'impossibilité d'exécuter toute espèce d'exportation, ne
laissent pas l'espoir de trouver les moindres ressources,
même parmi les citoyens qui ont démontré le plus de zèle.
:ù L'épuisement est général en moyens pécuniaires, et la
pénurie des subsistances est sur le point de combler la mesure
de nos maux, si la Nation ne vient au secours de notre
immense cité, en lui prêtant une somme de deux millions...
i> Il n'est pas de spectacle plus déchirant, pour des admi-
nistrateurs humains et sensibles, que de voir chaque jour
devant eux les officiers municipaux des campagnes qui nous
environnent, réclamant, les larmes aux yeux, quelques bois-
seaux de blé, assurant que les habitants de leur territoire
languissent depuis plusieurs jours dans le dénùment et la
faim, et déclarant que, s'ils n'obtiennent quelques secours,
ils n'osent plus retourner dans les campagnes d'où ils
viennent <'). »
Ces détails ne sauraient être plus navrants; ils se confir-
ment les uns les autres et peignent fidèlement la triste
situation des Bordelais et des habitants de la Gironde aux
premiers jours de l'année 1793.
La lettre de Paganel et Garrau, lue à la tribune de la
Convention, dévoila toute l'étendue du mal. Fonfrède s'en
empara; il fit de la demande des conventionnels une motion
formelle, représenta le commerce de la Gironde comme
entièrement paralysé, et s'efforça de faire comprendre à
l'Assemblée que le défaut des convois, Imsurrection de la
Vendée, l'audace des corsaires, l'embargo mis sur les bâti-
(0 Archives municipales de Bordeaux.
jA6 histoire de la terreur a bordeaux.
mcnts étrangers, avaient tari les sources de la prospérité de
Bordeaux et détruit toutes les relations commerciales avec
le Nord et avec les colonies. Il appuya avec énergie sur les
inquiétudes de ses compatriotes, qui n'avaient plus que pour
quinze jours de provisions; et puisque les particuliers riches
s'étaient dépouillés de leur dernier écu pour la République
et que la caisse municipale était vide, il insista pour que
le gouvernement accordât deux millions à la ville de
Bordeaux (').
Après une discussion assez vive, la Convention vota un
secours de deux millions, à prélever sur les contributions
arriérées de Tannée 1 792 .
C'était un résultat important pour la ville. Mais en même
temps qu'elle accordait ces subsides aux Bordelais, la Con-
vention, lancée par tous ses embarras à l'intérieur et à
l'extérieur sur la pente des mesures les plus tyranniques,
décrétait que les citoyens seraient tenus de faire afficher,
sur les portes de leurs maisons, les noms, prénoms, âge,
profession et lieu de naissance des personnes qui les habi-
taient^*). Il est aisé de deviner le but que devait atteindre un
pareil décret et le trouble qu'il allait jeter au milieu des
craintes et des inquiétudes générales : il constituait une arme
terrible entre les mains des démagogues contre les émigrés,
les nobles, les prêtres, les suspects...
Les citoyens étaient appelés à dresser eux-mêmes les
listes de proscription que la Terreur devait utiliser un peu
plus tard !
Tout en subissant cette t)Tannie, qui s'imposait fatale-
ment par la force des circonstances, le peuple exerçait
parfois sa puissance et faisait justice de ceux qu'il considérait
comme ses ennemis.
- Le Club national, par exemple, dont nous avons fait
(0 O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. !•', 2« partie, p. 298.
(3) Décret du 29 mars 1 793.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. 167
connaître le détestable esprit, avait tellement multiplié ses
calomnies, développé ses intrigues et accru son audace,
qu'il avait soulevé contre lui une partie de la garde nationale
et de la jeunesse bordelaise. Au mois de mars, et sous
Tempire des craintes que lui inspiraient les menaces de
quelques hommes courageux, il interrompit brusquement
ses séances, et les principaux meneurs se tinrent à l'écart.
Cédant à la pression de Topinion publique^ la municipalité
ordonna la fermeture de ce club. Ses membres conspirèrent
en silence et accumulèrent des provisions de haine, en
attendant Theure du réveil.
Nous les verrons apparaître aux plus mauvais jours de
notre histoire.
Dumouriez venait de trahir la République et de passer
à rétranger. La nouvelle de cette trahison produisit à
Bordeaux une impression profonde sur les masses. Les
victoires de Jemmapes et de Valmy avaient illustré ce
général ; on le considérait comme le sauveur de la République
et tous les partis l'avaient successivement caressé. Sa
défection causa une frayeur générale : on croyait voir déjà
l'ennemi envahir le territoire de la France. "^
La Convention ne se laissa pas intimider ; elle avait osé
tout récemment, par la création du Tribunal révolutionnaire,
prouver ce dont elle était capable : opposant, dans ces
circonstances, une énergie toute patriotique aux terreurs de
la Nation et aux joies secrètes des ennemis de la République,
elle décréta, le 4 avril, que or quiconque parlerait de capituler
avec Dumouriez ou serait convaincu d'avoir approuvé sa
rébellion et ses principes antirépublicains, serait puni de
mort. »
Les officiers municipaux de Bordeaux, agissant en vertu
des ordres du département, pratiquaient durant ce temps
des visites domiciliaires dans la ville, afin d'arrêter les gens
suspects.
l68 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
De malheureux prêtres furent les principales victimes de
ces perquisitions, qui ajoutaient aux inquiétudes toujours
renaissantes de la population.
Si Ton veut avoir une idée des émotions qui parfois
assaillaient le peuple et les autorités à l'occasion des nouvelles
politiques ou des bruits de toute nature mis en circulation
et que la crainte exagérait toujours, on n'a qu'à se
transporter au Conseil général du département. Voici ce
qui s'y passait le i o avril :
« Les membres composant le Comité de sûreté générale
sont entrés et ont dit : qu'ils avaient à communiquer à
l'assemblée des pièces importantes qui exigeaient une
prompte délibération, à laquelle il conviendrait qu'assis-
tassent des membres du district et de la municipalité. ]»
Le Conseil général, déférant à cette demande, envoie
chercher des représentants du district et de la municipalité.
a Après leurj arrivée, les portes ayant été closes, les
membres, du Comité de sûreté générale ont annoncé à
l'assemblée, qu'en conséquence de la réquisition faite par
le Directoire du département à la gendarmerie nationale de
conduire au bureau de la poste aux lettres les courriers
extraordinaires qui pourraient traverser le département,
expédiés par des particuliers, il en avait été conduit ce
matin un, chargé de paquets très volumineux, à l'adresse
pour la plupart de différentes Sociétés populaires, depuis
Paris jusqu'à Toulouse, et quelques-uns pour des particuliers
connus dans cette ville, pour y propager des principes
propres à troubler Tordre social ('J ; qu'ayant fait l'ouverture
de ces paquets, ils avaient vu avec effroi qu'ils contenaient
plusieurs imprimés où l'on prêchait ouvertement la révolte
contre la Convention nationale et les autorités constituées,
et dont les provocations ne tendaient à rien moins qu'à
(i) Cétait un courrier des Jacobins de Paris.
LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. 169
engager les citoyens de tous les départements à se rendre à
Paris, en aussi grand nombre qu'il serait possible, pour y
égorger, comme des victimes nécessaires au salut public,
une partie des membres de la Convention nationale, les
ministres et les chefs des diverses administrations; que ce
projet atroce, grossièrement voilé dans les écrits imprimés,
se trouve dans les termes les plus formels dans une lettre
écrite par un particulier actuellement à Paris, envoyé par
plusieurs de ces hommes mal famés qui se sont efforcés de
porter le trouble dans notre ville t*). »
Le secrétaire général du Conseil lit immédiatement les
pièces saisies sur le courrier, et cette lecture excite à diverses
reprises Tindignation de l'assemblée. Il ne s'agissait de rien
moins que de décimer la Convention et de faire justice des
Brissot, des Gensonné, des Vergniaud, des Guadet, de
toute la Gironde enfin.
Après en avoir délibéré, le Conseil général arrêta qu'il
serait, dans le plus court délai, envoyé deux députés à la
Convention pour lui faire part de la découverte du complot
tramé contre elle, et réclamer, au nom du salut public, les
mesures les plus promptes et les plus vigoureuses pour
arrêter les suites de ce complot et en faire punir les auteurs
suivant la rigueur des lois.
Grangeneuve jeune et Partarrieu furent chargés de cette
mission.
Le Conseil général remit à ses députés une adresse à la
Convention, conçue dans les termes suivants :
« Gtoyens représentants, guerre aux tyrans, guerre aux
traîtres, guerre aux anarchistes, tel est le cri de ralliement
de tous les habitants de la ville de Bordeaux et du
département de la Gironde. Vous venez de décréter que
cette ville et ce département avaient bien mérité de la patrie
(0 Cest de Desfieuz qu'il s'agit ici.
170 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
pour le nombre des hommes et des secours de toute espèce
qu'ils ont fournis, tant pour la formation que pour le
recrutement de Tarmée, et pour aller éteindre le feu de la
révolte partout où les contre-révolutionnaires sont parvenus
à rallumer. Vous rendrez, nous en sommes certains, un
témoignage non moins honorable au zèle qu'on y apporte
pour déjouer les manœuvres de ces monstres qui, ne pouvant
avoir d'existence que dans le trouble et l'anarchie, cherchent
à armer de poignards tous les citoyens et à les exciter les
uns contre les autres.
» Vos commissaires, convaincus de la nécessité d'em-
ployer, dans les circonstances où nous nous trouvons, la
surveillance la plus active contre tous nos ennemis intérieurs,
nous ont engagés à former un comité de sûreté générale
pour suivre toutes les démarches des hommes suspects et
pour recueillir et examiner toutes les preuves des complots
qu'ils peuvent former contre la patrie... »
Le Conseil général exposait ensuite la saisie faite sur un
courrier extraordinaire; il appréciait les écrits dont il était
porteur, s'élevait avec une courageuse énergie contre les
attaques dont certains membres de la Convention étaient
l'objet, ne craignait pas de blâmer hautement les massacres
de Septembre, et terminait ainsi :
c N'aurions-nous été empêchés d'envoyer des forces
pour vous défendre que pour vous laisser livrés au fer des
assassins 1 Si nous pouvions le croire... Mais non, nous ne
doutons point que les députés que nous vous envoyons ne
nous rassurent bientôt : nous attendrons de leurs nouvelles
avec la plus vive impatience.
i> Si vous avez besoin de nos secours, citoyens représen-
tants, parlez et vous verrez tous les habitants de la Gironde
aller se ranger autour de vous ('). »
(0 Archives de la Gironde, reg. du département, n« 4, p. 83 et suiv.
LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. I7I
Cette délibération et l'adresse à la Convention que Ton
vient de lire ne tardèrent pas à être connues dans Bordeaux,
ainsi que les imprimés et les lettres saisis sur le courrier
extraordinaire des Jacobins. L'alarme fut vive parmi les
citoyens; ils approuvèrent en général les mesures prises
par le département, et les vingt-huit sections vinrent offrir
leurs services au Conseil général et Tassurer de leur
dévouement.
Celui-ci, pour calmer Tanxiété publique et se rallier
autant que possible la masse de la population, adressa
le 1 2 avril la proclamation suivante aux Bordelais :
« Qtoyens, jamais nous n'eûmes besoin d'une surveillance
plus aaive. Les fauteurs du despotisme et ceux de l'anarchie
semblent s'être ligués pour appeler sur notre malheureuse
patrie tous les fléaux de la guerre civile et de la subversion
de l'ordre social. Ils tendent, en effet, au même but. Les
premiers veulent Jeter le peuple dans des convulsions si
affreuses, que, fatigué de ses propres excès, il soupire après
le retour d'un pouvoir qui lui procure du moins le repos
de l'esclavage. Les autres, ne pouvant exister que dans la
fange du crime et de la scélératesse, abusent de la confiance
que leur audace inspire à des citoyens ardents et peu
éclairés, pour les provoquer aux révoltes, au carnage et à
toutes les atrocités dont ils espèrent pouvoir profiter pour
assouvir leur insatiable cupidité par les vols et les brigan-
dages, ou leur propre fureur dans le sang des hommes
courageux qui s'opposent à leurs desseins.
y> Il n'est besoin, pour les déjouer, que d'éclairer la
masse des citoyens, leur découvrir ces trames perfides, en
dévoiler les auteurs, leur arracher le masque imposteur
dont ils se couvrent et mettre au jour leurs basses intrigues.
Alors, n'en doutez point, le peuple, toujours bon quand
il n'est point trompé, fera lui-même rentrer dans le néant
ces monstres farouches et sanguinaires par lesquels il a été
172 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
si longtemps et si cruellement abusé. Déjà le peuple de
Paris a reconnu les erreurs dans lesquelles ils Pont précipité.
Il sent aujourd'hui qu'il n'existe plus de société, et par
conséquent plus de bonheur, si le respect religieux des lois
ne garantit pas la sûreté des personnes et des propriétés.
Les perturbateurs lui sont devenus odieux ; il les repousse, il
ferme l'oreille à leurs insidieuses provocations.
> Ces scélérats, désespérés de la ruine de leur crédit, ont
concentré leur rage; ils veulent user de leurs dernières
ressources. Ils se flattent qu'il existe encore dans les dépar-
tements des hommes qu'il leur sera facile de tromper; ils
profitent des dangers de la patrie et de l'indignation qu'ont
excitée les nouvelles trahisons dont elle a pensé être la
victime; ils sonnent la trompette; ils évoquent à Paris, de
toutes les parties de la France, des hommes qui puissent
encore ajouter foi à leurs oracles; ils leur assurent que la
Convention nationale, le ministère, les diverses adminis-
trations sont en grande partie composés de traîtres, dont
l'existence est incompatible avec le salut de la patrie, et
qu'il faut nécessairement immoler pour sauver la liberté.
Ils les exhortent à venir exercer la vengeance nationale sur
ces hommes qu'ils leur désignent, et contre lesquels ils
accumulent tout ce qui peut être capable d'exciter contre
eux la haine publique.
B Ce n'est plus par des émissaires secrets, c'est en
s'arrogeant les droits de la représentation nationale, c'est
en rivalisant avec les autorités constituées qu'ils expédient
des courriers dans toutes les parties de la République pour
assurer la plus prompte exécution de leurs projets.
» Notre Comité de surveillance a heureusement intercepté
un de ces courriers, et nous avons frémi en voyant quels
horribles poisons il était chargé de répandre. Vous en jugerez
vous-mêmes, citoyens, par le procès-verbal que nous vous
adressons et que nous avons cru d'un intérêt assez pressant
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. Iji
pour devoir l'envoyer à la Convention nationale par deux
membres de notre administration.
ï Tout notre regret a été de ne pouvoir extraire en
entier, des dépêches secrètes des scélérats auteurs de ce
complot, toutes les preuves des moyens infâmes dont ils
se servent pour tirer parti des malheurs publics, placer
leurs suppôts dans tous les bureaux et profiter des besoins
de la patrie pour faire des bénéfices aussi énormes que
frauduleux. Nos députés sont chargés de mettre leur
correspondance sous les yeux des ministres qu'ils sont
parvenus à tromper; et nous espérons que la France
entière ouvrira enfin les yeux sur le caractère et les projets
d'hommes faits pour déshonorer, s'il était possible, aux
yeux des nations et de la postérité, la plus belle cause que
jamais un grand peuple ait entrepris de défendre ^^K t>
L'acte que venait d'accomplir le Conseil général du
département était à la fois périlleux et hardi; son langage
aux habitants de Bordeaux était plein d'énergie et de
courage; il dévoilait les dangers dont la Convention était
menacée dans une partie de ses membres par les affidés de
la Montagne, et il en appelait au sentiment public.
La population et les autorités constituées applaudirent
aux mesures prises par le département.
Nous en trouvons une preuve certaine dans la démarche
faite par une députation, ayant à sa tête le maire Saige,
auprès du Conseil général et auprès des conventionnels en
mission.
S'adressant, au nom des sections de la ville^ au Conseil
général du département, Saige lui disait, le 14 avril :
« Citoyens administrateurs, lorsque, par une surveillance
aussi active que salutaire, vous arrêtez les manœuvres des
agitateurs et des scélérats qui voudraient établir l'anarchie
(1) Archives de la Gironde, série L.
174 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
et le despotisme sur les ruines de notre République et de
notre liberté, les citoyens pourraient-ils demeurer specta-
teurs tranquilles des succès de votre administration ? Non,
citoyens administrateurs, le bonheur qu'elle leur procure
vous est payé par la plus tendre et la plus vive reconnais-
sance; ils sont portés vers vous par Timpulsion puissante
de ce sentiment qu'il leur est bien doux de manifester.
» Oui, citoyens administrateurs, vous avez rendu à la
chose publique le service le plus signalé; et tout éloge est
au-dessous du zèle qui a conduit vos démarches dans la
découverte d'une trame qui tient au plan de désorganisation
et de ruine de la République et de notre liberté...
:» Grâces vous soient rendues, citoyens administrateurs;
tous les bons citoyens, les républicains, les amis des lois,
de la liberté, de l'égalité, le diront avec nous...
> Ce n'est pas assez pour la commune de Bordeaux de
louer votre conduite, de vous en remercier, de vous dire
combien elle s'en félicite; elle vous offre aussi les assurances
de tout son zèle à concourir à vos vues pour la défense de
la liberté et de l'égalité, de son ardeur à seconder vos
démarches bienfaisantes pour maintenir la pureté des
principes républicains, à combattre contre lés tyrans, les
traîtres et les anarchistes; elle sera toujours digne de votre
administration paternelle, qui fait son bonheur, comme
vous êtes dignes de son amour, juste récompense de vos
travaux ^^K »
Le citoyen Cholet, qui présidait le Conseil général,
répondit au maire quelques paroles affectueuses et remercia
les citoyens du concours qu'ils promettaient au département.
La députation se retira au bruit des applaudissements et se
rendit chez les conventionnels.
Garrau l'accueillit avec beaucoup d'affabilité, exprima ses
(i) Archives municipales de Bordeaux.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. lyS
regrets de Tabsence momentanée de son collègue Paganel
et fit entrer dans ses salons les membres de la députation.
Quand le silence se fut établi, Saige adressa au député le
discours suivant :
« Citoyens législateurs, une cité célèbre depuis le com-
mencement de la Révolution par les sacrifices qu'elle a
faits pour la conquête de la liberté et de Pégalité; dont
les soldats patriotes ont les premiers montré leur courage
dans la campagne de Moissac, pour combattre les ennemis
de notre régénération ; qui compte dans nos armées onze
bataillons, dont trois entièrement levés dans son sein
signalent leur courage dans les campagnes d'Ândaye et
de la Vendée, et les autres, plus qu'à moitié formés par
ses citoyens, établissent la célébrité du nom de la Gironde;
une cité qui, au glorieux témoignage d'avoir bien mérité de
la patrie, joint l'avantage précieux d'avoir maintenu dans
son sein la pureté des principes révolutionnaires avec
l'amour de l'ordre et des lois, cette cité vient de donner
une nouvelle preuve de son amour pour la République, de
sa haine contre les tyrans, les traîtres et les anarchistes.
» Ce n'est pas en vain que la Convention vous a députés
dans notre département pour y établir des mesures que
les lois ne dictaient pas encore contre les ennemis qui
travaillent sans cesse à arrêter le bonheur dont la Révo-
lution doit nous faire jouir. Nos administrateurs ont
employé avec le plus heureux succès les moyens que
votre sagesse a mis dans leurs mains pour découvrir les
traces des complots formés par les ennemis de notre
liberté, par les monstres qui ne cessent de s'agiter autour
de nos représentants, pour essayer de nous priver des
fruits de leurs sollicitudes paternelles... Mais nos sages
administrateurs ont arrêté leurs complots... Ils ont fait
connaître à nos illustres représentants, et à la France
entière, combien il est instant de se réunir pour former
176 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
une défense invincible... Les sections et le Conseil général
de notre commune se sont félicités des mesures prises par
les corps administratifs ; ils ont applaudi aux adresses qui
ont été envoyées à la Convention et ont délibéré de venir
vous supplier de les appuyer par la plus forte recomman-
dation auprès de nos représentants, vos collègues.
» Dites-leur que, toujours fidèles à leurs serments, les
Bordelais ne cesseront de défendre la liberté et l'égalité,
de combattre jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour
la République, une et indivisible; qu'ils ont juré une guerre
étemelle aux tyrans, aux traîtres, aux anarchistes, à ces
agitateurs infâmes dont les manœuvres criminelles tendent
à sacrifier à leur intérêt ou à leur ambition le repos
de la République, à troubler l'union si nécessaire pour
notre bonheur.
j> Dites-leur que les Bordelais seront toujours le plus fort
rempart des lois, de la liberté, de l'égalité; que s'ils pouvaient
craindre les ennemis du dehors, à leur voix, nous formerons
des bataillons invincibles qui mettront hors de toute attaque
le territoire de la République; mais que si les ennemis du
dedans travaillaient à détruire la République, à rétablir
quelque pouvoir contraire à la liberté et à l'égalité, qui
font notre bonheur, nous leur demandons de réunir tous
les moyens que. leur autorité peut leur fournir pour
éloigner de nous les malheurs que ces scélérats voudraient
accumuler sur nos têtes ; que nous les supplions de donner
l'attention la plus sérieuse à la dénonciation qui vient de
leur être faite par nos administrateurs, de suivre la trame
dont leur adresse leur a donné le fil, et de poursuivre,
avec la sévérité de législateurs républicains, les auteurs
de ces infâmes machinations ourdies par la cupidité et
la perfidie.
» Dites-leur enfin que si jamais les lois, l'autorité de nos
représentants, les principes républicains, la liberté, l'égalité,
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. I77
pouvaient être méconnus ou attaqués, la Gironde leur en
fournira toujours les plus ardents défenseurs ('). :)
Garrau dut se trouver un peu embarrassé devant les
déclarations du maire Saige; il n'était Girondin que
d'origine, nous Tavons dit, et ses aspirations le portaient
vers la Montagne, dont il n'épousait pas d'ailleurs toutes
les rancunes; il fit cependant bonne contenance, disent les
écrits contemporains; il répondit avec dignité et donna
l'assurance aux citoyens présents qu'il était animé des
meilleurs sentiments en faveur de la commune de Bor-
deaux, des sections et du maire; il ajouta qu'il appuierait
avec empressement auprès de la Convention la demande
de la commune et toutes celles qu'elle aurait occasion de lui
adresser.
Ces paroles furent accueillies par des témoignages bruyants
de reconnaissance et de satisfaction.
La Convention, cela va sans dire, fut indifférente aux
communications du département de la Gironde. Pressée
par la Commune de Paris, par les sections, par les Jacobins,
par Desfieux, qui nourrissait une haine mortelle contre ses
compatriotes et qui portait contre eux la parole au nom
de la démagogie, elle continua son œuvre jusqu'au jour où
les Girondins succombèrent définitivement.
Ne semble-t-il pas, dans les pages que l'on vient de lire,
apercevoir ces ambiguïtés de langage que nous avons déjà
signalées et qui dissimulaient à peine la véritable cause que
le département entendait défendre dans ces circonstances
décisives ? Il avait certainement en vue les illustres enfants
qui avaient mis son nom en relief dans l'Assemblée régicide
et dont les dangers n'étaient un secret pour personne.
Les correspondances fréquentes échangées entre eux et
leurs commettants étaient fort explicites à cet égard dès les
premiers jours d'avril.
(i) Archives municipales de Bordeaux.
T. L 12
178 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Fonfrède, par exemple, écrivant à la municipalité pour
lui annoncer le subside voté par la Convention en faveur de
la ville de Bordeaux, disait, le 9 avril : « J'ai reçu, par un
courrier extraordinaire, votre lettre du 5 de ce mois. J'y ai
retrouvé avec une bien douce satisfaction les expressions de
votre estime et de votre amitié ; elles consolent un peu mon
cœur des attaques de la calomnie et de la méchanceté, qui sont
naturalisées dans ce pays. » Il ajoutait un peu plus loin :
e: Les Bourbons et les d'Orléans partent aujourd'hui pour
Marseille. On voulait nous faire ce détestable présent; nous
nous y sommes opposés, et nous avons voté ostensible-
ment contre. Notre ville est si heureuse, si paisible, si
patriote, que nous nous serions crus coupables de courir
les risques de la troubler, ou du moins de l'empoisonner,
en lui envoyant des princes. Nous sommes enfin parvenus,
grâce à la trahison d'Égalité fils, à porter le coup à cette
race infâme, etc. ^^K »
Cependant Paganel et Garrau, dont la mission dans
notre département et dans celui de Lot-et-Garonne avait
aussi pour objet l'exécution du décret du 27 février 1793
sur le recrutement de l'armée, s'épuisaient en efforts pour
compléter les cadres; en présence de la résistance de
quelques communes, ils requéraient, par un arrêté du
12 avril, les citoyens de ces communes, depuis dix-huit
jusqu'à quarante ans, de se rendre au premier ordre pour
la défense de la patrie, au lieu qui leur serait indiqué.
A la date de cet arrêté, les deux conventionnels venaient de
rentrer à Bordeaux, d'où ils s'étaient absentés plusieurs jours.
Le i3 avril, le Conseil général leur rendait compte de
tout ce qui se rattachait au recrutement et aux opérations
du Directoire pendant leur, absence. Ils approuvèrent les
actes du département (2).
(i) Archives municipales de Bordeaux,
(a) Registres du département, no 4, p. 90.
LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. ÎJQ
Nous Pavons dit, ropînion publique à Bordeaux et dans
le département avait vu avec douleur la défection de
Dumouriez. Mais dans quelques-uns des papiers saisis sur
le courrier des Jacobins, on cherchait à présenter les députés
girondins comme les complices du général. Le département
songea à défendre ceux-ci d'une pareille accusation, et il crut
ne pouvoir mieux le faire qu'en rendant compte de l'im-
pression des habitants de la Gironde en apprenant cette
défection. A cet effet, il écrivit, le i3 avril, à Partarrieu et
à Grangeneuve, en mission à Paris : « Citoyens collègues,
nous pensons qu'en vous présentant à la barre de la
Convention nationale, votre premier soin aura été de faire
connaître l'horreur qu'a inspirée à tous les bons citoyens
de ce département l'horrible trahison de Dumouriez.
» Vous n'oublierez pas de dire qu'au moment même où
nous n'avions aucun détail d'une perfidie à laquelle nous
étions loin de nous attendre de la part de cet homme
astucieux, le décret de la Convention qui le déclare traître
à la patrie et met sa tête à prix fut solennellement proclamé
dans la cité, à la tête de notre brave garde nationale.
> Il nous suffisait, en effet, d'apprendre par ce décret
lui-même que ce général infidèle avait porté ses mains
audacieuses sur des représentants de la Nation, pour que,
dès cet instant, et quelques vues qu'il pût avoir, il fût voué
à l'exécration publique. Tel est le sort réservé à tous les
traîtres. La Nation est trop clairvoyante pour être dupe
des vues d'un ambitieux, quel qu'il soit, »
Après avoir raconté la démarche et l'approbation des
vingt-huit sections à l'occasion des derniers événements, le
département ajoutait :
oc Nous apprenons avec la plus vive satisfaction que
Paris est tranquille. Les départements le seront aussi
malgré toutes les manœuvres des ennemis extérieurs et
intérieurs.
t8o htstoirk de la. terreur a bordeaux.
]> Le convoi de La Rochelle, composé de dix bâtiments
venant des colonies, est enfin arrivé hier dans notre rivière
après deux mois et demi de séjour dans sa relâche.
» Il serait bien temps que la Convention nationale ou\TÎt
enfin les yeux sur Tétat d'abandon de notre marine. Ne
reconnaîtra-t-on jamais que Timpéritie nous est presque
aussi funeste que la trahison ^'^ ? *
Le ton élevé de cette lettre n'échappera certainement pas
à l'attention du lecteur. Un souffle patriotique l'anime,
mais on y devine aussi le sentiment d'une dignité froissée,
qui pouvait être considéré déjà comme contenant en germe
la possibilité d'une rébellion...
La minute est écrite en entier de la main de Pierre
Sers, alors président du Directoire du département de
la Gironde.
La situation des habitants de Bordeaux continuait,
d'ailleurs, à être toujours aussi malheureuse au point de
vue de l'alimentation. Tous les moyens et toutes les fraudes
étaient employés pour arriver à se procurer de la farine.
On mangeait juste assez pour ne pas mourir de faim :
chaque habitant avait, en moyenne, une livre et demie de
pain par jour, a Nous sommes ici, écrivait un contem-
porain, dans la disette des subsistances. Si vous pouvez
nous envoyer une sache de farine propre à faire du bon
pain de ménage, faites-nous la passer. Afin qu'elle ne soit
pas arrêtée en route, il serait bon de la déguiser de manière
qu'elle ne fût pas prise pour de la farine (*) . »
Au milieu des souffrances' générales, Paganel et Garrau
s'efforçaient de faire mettre dans le meilleur état de défense
les côtes du département et d'assurer leur protection par
des forces suffisantes.
(0 Archives de la Gironde, série L, verbo Dumouriez.
(2) Lettre de Philipt à Garde Besse et C^^, de Montauban, du 14 avril 1798
(Voir le procès Philipt père et fils, 16 février 1794}.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l8l
Ils mettaient en même temps en réquisition, pour le
service des armées, les chevaux de luxe et les provisions
de fourrages et d'avoine nécessaires à leur nourriture, et
ils établissaient à cet effet des dépôts à Libourne pour le
département de la Gironde, et à Agen pour le département
de Lot-et-Garonne ^^K
Quant aux prêtres, ils étaient, sur tous les points de la
République, les déplorables victimes de la constitution
civile du clergé et des lois tyranniques qui avaient suivi et
complété Tœuvre janséniste de la Constituante.
Le nombre de ceux que Ton conduisait chaque Jour à
Bordeaux s'accroissait sans cesse, et Ton redoutait à la fois
les excès de la population et les inconvénients d'une
agglomération trop considérable de prisonniers.
Ainsi, le 22 avril, un membre du Conseil général du
département annonçait à l'assemblée qu'un détachement de
la gendarmerie nationale d'Angoulême venait de conduire
dans la maison d'arrêt du district de Bordeaux 53 prêtres
condamnés à la déportation par divers départements, entre
autres par ceux du Loiret, de l'Indre, d'Indre-et-Loire, etc. ;
que déjà 20 de ces prêtres étaient détenus dans ladite
prison; que, d'après les bruits répandus, on pensait que
le nombre en serait porté à 200, et qu'il devenait instant
de prendre un parti pour le logement de ces prêtres, et les
mesures de sûreté les plus propres à maintenir la tranquillité
publique ^^\
Il est certain qu'il existait dans la population une
fermentation qui pouvait devenir dangereuse ; on craignait,
disent les écrits du temps, des troubles et des armements.
Pour les conjurer, le Conseil général décida que le district
de Bordeaux donnerait aux municipalités environnantes
(0 Appendicet note XV.
(1) Archives de la Gironde, reg. du département, no 4, p. 90.
l82 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Tordre de retenir les prêtres conduits vers la ville et de les
faire partir à une époque telle que leur arrivée à Bordeaux
« n'eût lieu que pendant la nuit » ^^K
Ces prescriptions dénotent l'agitation des esprits à cette
époque et les inquiétudes dont la population était assaillie.
A cet égard, un fait l'attesterait surabondamment, s'il
était nécessaire. De toutes parts, les citoyens réclamaient,
dans leurs sections respectives, les certificats de civisme
qu'ils croyaient utiles pour assurer leur sécurité, de plus en
plus compromise par les lois draconiennes que là Conven-
tion ne cessait de décréter (*>.
Nous pourrions en rappeler un grand nombre; bornons-
nous à citer la loi ordonnant la déportation des prêtres à la
Guyane et celle déclarant conspirateurs les citoyens qui
refuseraient les assignats au pair avec l'argent.
On devine sans peine que de pareils décrets n'étaient pas
de nature à ramener la confiance; mais la Convention n'en
avait nul souci I II lui fallait régner, elle ne le pouvait que
par la terreur, et la terreur, peu à peu, se répandait et
gagnait du terrain dans les provinces...
A ces sujets de crainte, il s'en ajoutait un, grave, sérieux,
général : on redoutait les attaques des ennemis de la France
et rinvasion du territoire. Partout, on s'occupait de la
défense générale; on armait les côtes, on levait des volon-
taires, on approvisionnait les armées. Les représentants
en mission, les corps constitués, les autorités à tous les
degrés, tout le monde enfin, comprenant la nécessité qui
s'imposait, se préparait à résister aux armées étrangères.
Le Conseil général de la Gironde avait eu à discuter à
diverses reprises la mise en état de défense du Château
Trompette; mais de nombreux intérêts privés engagés dans
(0 Registres du département, n9 4, p. io5.
(3) Appendice, note XVI.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l83
la question avaient retardé une décision qui était cependant
urgente. Paganel et Garrau s'impatientèrent de ces lenteurs
qu'ils trouvaient dangereuses, et par un arrêté du 3o avril
ils mirent un terme aux hésitations et aux discussions. II
n'y avait qu'à s'incliner.
Le Château-Trompette dut être débarrassé des construc-
tions en bois bâties sur le terrain appelé le Pré, et qui,
adossées en grand nombre contre les murs mêmes de la
forteresse, pouvaient exposer celle-ci aux entreprises des
malveillants; les fossés devaient être désobstrués, et les
glacis du château et de ses dépendances rétablis dans leur
état primitif (*).
On se mit sur-le-champ à l'œuvre pour exécuter la
décision des proconsuls.
Mais les souffrances du peuple s'aggravaient; le froment
et les autres grains devenaient de plus en plus rares à
Bordeaux et dans toutes les communes du département, et
le 3o avril, le Directoire du district de cette ville ne pouvait
qu'attester la disette. Cette attestation se trouvait contenue
dans un arrêté où on lit le considérant ci-après : « Vu la
loi du i6 mars 1792, relative aux secours des grains et
farines à procurer aux départements de la République, et
les diverses expositions faites par plusieurs municipalités
du district, d'où il résulte que ces municipalités sont extrê-
mement dénuées d'approvisionnement; que dans la plupart
des municipalités des campagnes, les boulangers ne peuvent
pas faire de pain faute de blé, et que les habitants ne
mangent pas de pain depuis plusieurs jours; que, dans
quelques autres, plus voisines de la ville, les citoyens et
citoyennes sont obligés de venir à Bordeaux et d'y perdre
au moins une journée pour tâcher de se procurer du pain
chez les boulangers, à quoi ils ne réussissent pas toujours
(0 Appendice, note XVIL
184 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
à cause de la grande affluence qui se fait dans les boutiques
des boulangers, etc. ^^K »
Ce triste et désolant tableau, emprunté à un document
officiel, constate mieux que nous ne saurions le faire les
misères extrêmes qui désolaient nos pères.
Gomme pour ajouter aux difficultés et aux horreurs de la
disette, les prêtres affluaient à Bordeaux, lieu de leur
embarquement pour la déportation, et il fallait assurer
leur subsistance.
Ils y arrivaient de tous les cantons de la République, et
leur nombre était tellement considérable que le fort du Hâ
étant insuffisant à les contenir, le Conseil général du
département avait désigné la citadelle de Blaye pour les
recevoir provisoirement.
Les choses allèrent si loin à cet égard, que le 3 mai 1793,
à l'occasion de l'arrivée de cent huit nouveaux ecclésias-
tiques, le département décida que ces prêtres n'entreraient
point à Bordeaux et qu'ils seraient embarqués au port
de La Bastide, pour de là être conduits directement à
Blaye (^K
Le 3 mai 1793, Paganel et Garrau se rendirent au
Conseil général du département et annoncèrent quêtant
sur le point de leur départ pour se rendre dans le
département de Lot-et-Garonne, ils avaient cru devoir
prescrire d'importantes mesures à l'occasion de la disette
des subsistances et de la défense générale.
Le département et la population accueillirent avec
reconnaissance celles de ces mesures relatives aux approvi-
sionnements.
L'arrêté des conventionnels sur ce sujet palpitant mérite
d'être reproduit dans son entier :
a Sur le rapport qui nous a été fait, disaient-ils, tant par
(i) Archives de la Gironde, série L.
(3) Jd., reg. du département, n« 4, p. 112.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l85
■
la municipalité que par les administrateurs du département
de la Gironde, que quelques bâtiments actuellement en rade
ou au bas de la rivière de Bordeaux ont à bord des farines
destinées par le gouvernement pour les diverses colonies,
lesquelles farines, depuis trois, quatre ou cinq mois, et
estimées fabriquées deux mois auparavant, courent le risque
imminent d'une dégradation totale avant d'arriver à leur
destination;
» Considérant qu'un des plus sûrs moyens de maintenir
la tranquillité publique et de garantir la sûreté générale
dans le département de la Gironde est de prévenir le fléau
de la disette dont il est menacé; que la pénurie de grains et
farines, soit dans ce département, soit dans les départements
voisins, tient les administrateurs et les délégués de la
Convention nationale dans un état d'alarme qui s'accroît
de jour en jour; que le peuple de Bordeaux, qui a vu sans
peine et même avec satisfaction fraternelle partager ses
subsistances avec les communes et départements voisins,
porte aujourd'hui à toute heure ses réclamations auprès des
administrations et délégués sur le danger de la disette,
tandis que des subsistances considérables et d'aperçu sans
utilité commerciale sont à bord des navires en rade;
^ Considérant, en effet, d'après les informations que
nous avons prises de divers négociants de Bordeaux, qu'un
long intervalle doit s'écouler avant que les farines dont il
s'agit arrivent à leur destination, et qu'il est presque
impossible, d'après l'expérience, qu'elles puissent parvenir
saines et d'une utile consommation aux pays pour lesquels
elles sont destinées ;
» Considérant que l'île de Bourbon a des ressources
territoriales suffisantes pour être partagées avec l'île de
France; que les îles du Vent et Sous-le-Vent sont pourvues
par les Anglo- Américains, et que le riz et autres aliments
suppléent aux farines au delà des mers;
l86 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» Considérant que Bordeaux se trouve privé en ce
moment, et d'aperçu Jusqu'à la récoite, des ressources du
département de la Vendée et autres départements maritimes
voisins, vu Tinsurrection entière des brigands, malgré les
troupes et renforts qui y ont été successivement envoyés;
privé encore, ou du moins incertain sur les ressources de
la mer, faute de convois assurés, malgré les demandes
réitérées des représentants du peuple et des administrateurs,
puisqu'il y a eu des barques chargées de grains enlevées
par des corsaires anglais jusque dans Tintérieur de la
rivière; pressé par les départements voisins du côté du
midi et du levant, lesquels envoient chaque jour leurs
officiers municipaux exposer leurs besoins les plus urgents ;
» Considérant enfin que si, dans ces circonstances chaque
jour plus alarmantes, Bordeaux, malgré la vigilance de ses
administrateurs et de ses officiers municipaux, et malgré le
bon esprit des citoyens, se voyait forcé de se refuser aux
réclamations des communes et départements voisins, il se
verrait bientôt peut-être un refuge de mécontents, un
centre de malveillants dont on ne peut calculer les progrès;
}) Arrêtons : le Directoire du département est autorisé
à faire décharger et retenir, pour l'approvisionnement
commun dudit département et des départements voisins,
toutes les farines des bâtiments de départ, en rade et au
bas de la rivière, dont la fabrication date de plus de trois
mois (^). D
Les autres dispositions de cet arrêté étaient relatives aux
réserves nécessaires aux navires ainsi dépouillés pour le
strict approvisionnement de leur traversée.
Les mesures édictées par Paganel et Garrau nous
dispensent d'insister sur la déplorable situation de Bordeaux
au mois de mai 1793.
(1) Archives de la Gironde, reg. du département, n« 4.
LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. 187
Après avoir ainsi pourvu à la subsistance du peuple
grâce aux pouvoirs dont ils disposaient, les représentants
portèrent leurs efforts vers l'organisation de la défense
générale. On Ta vu dans l'arrêté qui précède, Tennemi était
à nos portes, et dans la rivière même les corsaires anglais
faisaient des apparitions redoutables.
Le Conseil général du département fut autorisé à requérir
tous les serruriers, forgerons, charrons et armuriers, pour
être employés au service de la Nation; à faire fabriquer
des fusils ou autres armes jugées nécessaires, du salpêtre,
et à former tous établissements et faire tous achats ayant
pour but les moyens de défendre la patrie. Il fut, en outre,
chargé de faire exécuter les travaux de défense des côtes et
de la rivière, tels que batteries, signaux, redoutes, forts,
vaisseaux stationnaires ou batteries flottantes, etc., etc.,
afin de rassurer la population contre toute invasion des
ennemis. Le Conseil général était tenu de rendre compte
de tous ses actes sur ce sujet aux représentants et au Comité
du salut public (>).
Ces dispositions diverses furent accueillies avec une
grande faveur dans toute la ville, et Tespoir revint aux
Bordelais, qui gardèrent un bon souvenir de Paganel et de
Garrau.
C'est après avoir régularisé toutes choses comme nous
venons de l'indiquer, que les deux conventionnels quittèrent
Bordeaux, acclamés par la population tout entière.
(1) Appendice, note XVIIL
♦|*4j*4j*^4|«.4j*^*4Î*4j«.^*J*4j*4j«.^4tf*j4.^>^4j«.4t*4j**J^4j*
CHAPITRE II
LES CmONBINS.
Les députés de la Gironde à la Législative et à la G>nveiition. — Ils sortaient
de la bourgeoisie. — Notices biographiques. — Ils deviennent les chefs
du parti dit de la Gironde, — Division des partis à TAssemblée législative.
— l^s Girondins attaquent la royauté. — Montagne et Gironde. —
Destitution du ministre Narbonne. — Ministère girondin. — On déclare
la guerre à l'Autriche : premières défaites. — Le camp de 20,000 hommes.
— Renvoi du ministère. — Les journées du 20 juin et du 10 août.
— Fin de la Législative. — La Convention nationale. — Notices
biographiques. — La royauté est abolie. — Proclamation de la
République. — La Gironde et la Montagne à la Convention. — Différences
entre ces deux partis : leurs luttes. — Le procès de Louis XVI. — Attitude
des Girondins. — Levée des 3oo,ooo hommes. — Création du Tribunal
révolutionnaire de Paris. — Mise en accusation de Marat. — Pache
demande la mise en accusation des Girondins. — Les journées des 3 1 mai,
1er et 2 juin. — Chute du parti de la Gironde et triomphe de la Montagne.
— Appréciation du rôle des Girondins à la Législative et à la Convention.
Le département de la Gironde avait envoyé à l'Assemblée
législative et à la Convention une pléiade d'hommes
jeunes, ardents, d'un talent incontesté et qui n'avaient pas
tardé à prendre une large place et à conquérir une influence
considérable au sein de la représentation nationale.
Ces hommes appartiennent trop intimement à notre pays
et leur destinée a trop influé sur les événements accomplis
à Bordeaux durant la Révolution, pour ne pas consacrer
quelques lignes aux principaux d'entre eux.
L'Assemblée législative avait vu Barennes, Ducos,
Gensonné, Grangeneuve, Guadet, Jay, Journu-Aubert, le
curé Dominique Lacombe, LafFon-Ladébat, Pierre Sers,
Servière et Vergniaud.
La Convention compta parmi ses membres Bergoeing,
Boyer-Fonfrède, Deleyre, Ducos, Duplanticr, Garrau,
LES GIRONDINS. 189
Gensonné, Grangeneuve, Guadet, Jay, Lacaze et Ver-
gniaud.
Tous, ils avaient grandi au milieu d'une population vive,
intelligente, spirituelle, expansive et- sociable, et qui n'était
restée étrangère, en aucun temps, aux questions les plus
ardues du droit public et de la politique générale. La con-
quête de l'autonomie communale du pays, l'esprit d'examen
introduit en Guienne par la domination anglaise, les guerres
dans cette province des rois de France et d'Angleterre, les
troubles occasionnés par la gabelle, les luttes du Parlement
avec la royauté, si fréquentes et si hardies, toutes ces causes
réunies avaient contribué successivement au développement
des instincts politiques de la population bordelaise et du
pays qui l'entourait.
La bourgeoisie était née et avait grandi peu à peu au
milieu des événements et des luttes, et son niveau intel-
lectuel n'avait pas cessé de s'élever; étouffée au début entre
la noblesse et les serfs, elle avait élargi patiemment sa voie,
pris position dans toutes les carrières, accaparé le commerce,
envahi les emplois municipaux et pénétré jusqu'aux sièges
de la magistrature. Elle était devenue une puissance, et c'est
dans son sein que se recrutaient en général des écrivains de
valeur, des orateurs brillants, des publicistes et des juris-
consultes remarquables autant par l'étendue de leurs
connaissances que par la droiture et la fermeté de leur
esprit.
C'est dans cette bourgeoisie, influente à la fois par la
richesse et par la science, que le peuple choisit, en 1 79 1 et
1792, les députés chargés de le représenter à la Législative
et à la Convention.
Vergniaud (Pierre- Victurnien), l'un d'eux, né à Limoges
en Î759, avait trente-deux ans en 1791. Secrétaire du
président Dupaty pendant plusieurs années, puis, à vingt-six
ans, avocat au Parlement de Bordeaux, il salua avec enthou-
igO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
siasme l'aurore de la Révolution; il ne tarda pas à être
appelé par ses concitoyens d'adoption au Conseil général
du département, où, pendant deux années, il défendit avec
ardeur toutes les réformes libérales.
Imbu des principes philosophiques du xviii® siècle,
Vergniaud fut, à l'Assemblée législative, un des organes les
plus éloquents des idées nouvelles. Dans la foule, dit un de
ses biographes, il n'eût arrêté les regards de personne : sa
figure était sans expression, sa démarche languissante, son
caractère apathique; mais dès qu'une pensée l'agitait, dès
qu'il avait à défendre une cause, sa stature robuste se
redressait, ses larges épaules se développaient avec une
majestueuse ampleur : alors il portait la tête haute, ses
yeux noirs, sous des sourcils proéminents, se remplissaient
d'éclairs et ses lèvres épaisses jetaient à grands flots une
parole abondante, facile, imagée, toujours élégante; son
geste était calme, son organe d'une remarquable pureté.
Ces éclairs passés, V Aigle de la Gironde, comme on l'avait
appelé, retombait dans son indolence habituelle f^).
Plus âgé d'un an que Vergniaud, Guadet (Marguerite-
Élie), né à Saint- Émilion le 20 juillet lySS, était avocat au
Parlement de Bordeaux ; il avait débuté avec éclat au barreau
dès l'âge de vingt-cinq ans. Son élocution était vive, prompte,
hardie comme son esprit; il avait une vaste intelligence et
une rare aptitude pour les affaires ; aussi fut-il un moment
question de lui en 1 789 pour être député du tiers à la Consti-
tuante. Guadet se jeta avec toute l'ardeur de son tempérament
dans le mouvement politique de l'époque, et dès 1790 il
était élu président du tribunal criminel de la Gironde (2).
Né à Bordeaux le 10 août 1758, Gensonné (Arnaud)
avait embrassé la carrière du barreau. C'était un caractère
réfléchi, un moraliste sévère, un penseur hardi; jeune encore,
(i) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux, passim.
(3) Id. — O'Reilly, Histoire de Bordeaux, passim.
LES GIRONDINS. I9I
dit M. Chauvot, il apparaît dans la société bordelaise
comme l'un des chefs de cette bourgeoisie qui, possédant le
talent et la fortune, supportait avec peine les prérogatives
parfois blessantes de la noblesse. L'étude des philosophes,
de Montesquieu surtout, fortifia dans son âme le culte pour
la liberté. Il avait apporté au barreau un esprit juste et
positif, une parole lucide, élégante, acérée. Nommé secré-
taire de la Ville en 1787 par le roi, Gensonné avait refusé
cette fonction parce qu'il ne la tenait pas du suffrage de ses
concitoyens. Tel était l'homme dès avant 1789. Plus tard
il fut successivement élu notable de la municipalité, procureur
de la commune et, en 1790, juge au tribunal de cassation ('^ .
Barennes, avocat au Parlement de Bordeaux comme les
précédents, avait embrassé avec chaleur la cause de la
Révolution. C'était un jurisconsulte éminent, un esprit
distingué, un orateur fécond. Professeur de droit français à
l'Université de Bordeaux, il avait su attirer à ses leçons
toute une jeunesse ardente et studieuse, que son enseigne-
ment préparait aux luttes de l'avenir. En 1790, il était élu
procureur général syndic du département, et son patriotisme
dans cette place lui valut, en 1791, son élection à l'Assem-
blée législative (^) .
Aussi avocat au Parlement, Grangeneuve (Jacques-
Antoine), né à Bordeaux en 1750, d'une des familles les
plus estimées de la bourgeoisie, était un homme droit, d'un
caractère honorable, d'un esprit cultivé. Moins orateur que
Vergniaud ou Guadet, ces maîtres de la tribune, il eut
pourtant des succès auprès d'eux. Rompant en quelque
sorte avec des traditions de famille, il se laissa emporter
dans le mouvement politique, et devint, selon l'expression
de Lamartine, un fanatique de la liberté <^). Il avait été
substitut du procureur de la commune de Bordeaux.
(«)-(2)-(3; Chauvot, le Barreau de Bordeaux, passim. — 0*ReilIy, Histoire
de Bordeaux f passim. — Lamartine, les Girondins, passim.
igîi HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Ducos (Jean- François), le petit Ducos, disaient ses
contemporains de 1783, fils d'un négociant et négociant
lui-même, malgré Minerve, était né à Bordeaux en 1765.
Lauréat du Musée, il se fit remarquer très jeune par son
amour pour les belles-lettres, et on a conservé de lui des
vers pleins d'esprit et de malice attique. Homme d'un
commerce agréable et d'une amabilité charmante, il s'était
nourri des philosophes et des encyclopédistes du xvni® siècle.
Ducos n'était pas un orateur dans le sens du mot : il était
plus spirituel que profond, plus poète qu'homme politique,
et prit assez rarement la parole à la Législative et à la
Convention ^^\
Journu-Aubert (Bernard), né à Bordeaux en 1748 et
devenu comte de Tustal sous l'Empire, était négociant à
l'époque de la Révolution ; il en embrassa les principes et
fut élu en 1790 administrateur du district de Bordeaux.
C'était un agriculteur distingué, un homme pratique,
connaissant les affaires, honnête et droit, mais n'ayant pas
de facultés oratoires et qui se fit peu remarquer à la
Législative; il a légué à sa ville natale un beau cabinet
d'histoire naturelle.
Dominique Lacombe, curé de Saint- Paul, dont nous
avons parlé dans un de nos précédents chapitres f^), s'était
fait connaître par son adhésion à la constitution civile du
clergé et par ses sermons révolutionnaires. Son attitude et
ses intrigues lui valurent la faveur populaire et les suffrages
des électeurs de 1791. Après avoir succédé, en 1797, à
M. Pacareau en qualité d'évêque métropolitain du Sud-
Ouest, il devint évêque d'Angoulême à l'époque du
Concordat, et mourut dans cette ville en 1823.
Laffon de Ladébat (André -Daniel), né à Bordeaux
le 3o novembre 1 746, négociant dans cette ville, s'était fait
(i) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, passim.
(2) Liv. I, chap. m, la Constitution civile du clergé, etc.
LES GIRONDINS. IQS
connaître par la publication d'ouvrages estimés et remarqués
dans leur temps sur l'économie politique. Il avait été élu
en 1790 administrateur du département de la Gironde.
Pierre Sers, dont le nom reviendra plus tard sous notre
plume, était, comme Journu-Aubert et LafFon de Ladébat,
négociant à Bordeaux en 1789. Les idées nouvelles trou-
vèrent en lui un adepte ardent et convaincu : il fut
successivement officier municipal et administrateur du
département. Nous le verrons bientôt déployer un courage
admirable et montrer un grand caractère pour sauver les
hommes du parti de la Gironde. Sa tentative, qui ne fut
pas couronnée de succès, eut des résultats désastreux pour
les habitants de Bordeaux.
Telle était, en y ajoutant Jay, ministre protestant, et
Servière, de Bazas, la députation du département de la
Gironde à l'Assemblée nationale législative de 1 79 1 .
Tous ces hommes, remarquables à des titres divers,
sortaient des entrailles de cette bourgeoisie de 1 789 éman-
cipée par les philosophes du xviii® siècle; tous étaient
imbus des idées nouvelles : élevés à l'école de Montaigne, de
Montesquieu, de Voltaire, de Diderot et de J.-J. Rousseau,
ils personnifiaient un monde nouveau, qui réclamait sa
place au foyer de la nation, et qui, selon le mot de la
célèbre brochure de Siéyès, demandait à être quelque
chose.
L'Assemblée législative se réunit le i^ octobre 1791, et
les partis ne tardèrent pas à s'y dessiner. Dès les premiers
jours, il se forma une droite composée de députés constitu-
tionnels : on l'appela le parti Feuillant.
Vergniaud, Guadet et Gensonné siégèrent à la gauche et
furent considérés comme les chefs du parti de la Gironde,
qui inclinait vers la République, surtout depuis la fuite du
roi et son arrestation à Varennes.
A l'extrême gauche, on remarquait Merlin de Thionville,
T. I. i3
T94 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Barrère, Chabot, Couthon et quelques autres, assis sur les
sièges les plus élevés : c'était le parti de la Montagne,
Une fraction indécise et sans énergie, qui apportait
l'appoint de ses votes successivement à chacun des partis
que nous venons de désigner, forma la Plaine ou le Marais.
La Montagne les nommait dédaigneusement les crapauds
du marais.
Dès le début des délibérations de la Législative, le parti
de la Gironde prit une attitude agressive envers la royauté.
Ses orateurs furent promptement remarqués, et Guadet,
Vergniaud et Gensonné furent bientôt appelés à présider
l'Assemblée, où leur autorité s'imposait à la fois par le
talent, par l'éloquence et par l'honnêteté. Il leur manquait
malheureusement les qualités qui font les hommes politiques;
aussi, selon l'expression d'un historien, a les Girondins
i> allaient commencer à creuser avec légèreté un abîme qui
jp devait plus tard les engloutir ^^K ]»
La Montagne, de son côté, aidée par Robespierre, l'un
des orateurs aimés des jacobins, travaillait les clubs et les
sociétés populaires en cherchant à y développer une sourde
irritation contre la Cour, que la Société des Jacobins
détestait, et contre le parti de la Gironde, dont elle
redoutait l'influence toujours croissante et qu'elle enviait
pour ses talents et pour son éloquence.
Les événements qui se déroulèrent avec une terrible
rapidité dessinèrent de plus en plus les partis à la
Législative : la droite constitutionnelle, toutefois, alla en
s'affaiblissant chaque Jour, tandis que la Gironde et la
Montagne, unies en quelque sorte dès les premiers jours
dans des sentiments souvent identiques, et dirigées par des
passions qui reflétaient les haines populaires, grandissaient
l'une et l'autre en importance. La Montagne, toutefois, eut
(i) A. Challamel, Histoire-Musée de la République française^ p. 170.
LES GIRONDINS. IÇ)5
peur de ses redoutables rivaux de la Gironde; elle organisa,
pour détruire leur popularité, tout un système de soupçons
et de calomnies, et Robespierre en fut l'orateur le plus
acharné. Les hommes de la Gironde et de la Montagne se
séparèrent définitivement et constituèrent les deux grands
partis qui devaient se disputer le pouvoir sur les ruines de
la royauté.
L'émigration, les événements de Saint-Domingue, les
massacres d'Avignon, les troubles religieux dans un grand
nombre de départements, les dangers de la disette, les
résistances de la cour au mouvement révolutionnaire : tout
semblait se réunir pour assombrir la situation générale en
France et entretenir l'agitation dans les esprits.
L'Assemblée législative subissait des fluctuations variées
à la nouvelle de ces événements, dont le contre-coup
retentissait en province et y entretenait l'irritation la plus
vive contre l'institution monarchique.
C'est à ce moment et au milieu des graves sujets
d'inquiétudes qui surgissaient de toutes parts, que, contre
l'opinion de Robespierre, les chefs des divers partis de la
Législative inclinèrent vers la guerre, qu'ils considéraient
comme inévitable et qu'ils croyaient, d'ailleurs, appelée à
faire diversion aux difficultés de l'intérieur. L'Assemblée
invita le roi à s'occuper plus activement de la politique
extérieure. Louis XVI céda en apparence à cette invitation,
mais, au fond, il résista à l'idée de recourir aux armes, et
il ne tarda pas à destituer le ministre de la guerre Narbonne
qui avait fait preuve de zèle et d'habileté et dont le tort
le plus grave était d'avoir conquis la bienveillance de
l'Assemblée. Cette mesure inopportune agita les esprits
et mécontenta les représentants de la nation.
La Gironde dominait alors l'Assemblée et annonçait une
tendance de plus en plus républicaine. Le roi, cependant,
dut chercher un appui dans la majorité, et malgré ses
196 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
répugnances^ il était amené, dès les premiers mois de
Tannée 1792, à choisir plusieurs de ses ministres dans le
parti girondin.
Le 20 avril, la guerre était déclarée à l'Autriche.
Ce fut un triomphe de la Gironde sur la Montagne.
L'antagonisme existant entre ces deux partis devint bientôt
plus envenimé par les railleries des Girondins contre le
vague théisme de Robespierre et contre son occulte ambition,
et l'appui qu'ils prêtèrent à Lafayette jusqu'à sa lettre du
18 juin ajouta à l'irritation des Montagnards.
Dès le mois de juin, la Gironde et la Montagne étaient
séparées par une haine implacable : entre ces deux fractions
du parti avancé, la lutte devint dès lors inflexible, acharnée,
et la Royauté, selon le mot d'un historien, « fut l'enjeu de
1^ cette sinistre partie, en attendant que les Girondins y
» missent leur vie (*). d
Revenons à la guerre.
Elle était déclarée, et Dumouriez, chargé des opérations
militaires, commença les hostilités.
La panique de Quiévrain, le massacre de Dillon et la
défaite de Mons, au début de la guerre, causèrent à Paris
une stupeur, bientôt suivie d'une colère extrême. Les
partis s'accusèrent mutuellement, et, sous l'influence des
Girondins, l'Assemblée se lança dans la voie toujours
regrettable des violences. — Dumouriez fut vivement
attaqué par Guadet, et d'allié devint ennemi de la Gironde.
Au mois de mai, Vergniaud ne craignait pas de formuler
contre les prêtres insermentés une motion conçue en des
termes dont l'impiété révolta tous les hommes religieux de
l'Assemblée, et qui fut bientôt convertie en un décret
draconien ; Gensonné s'élevait en même temps avec vigueur
contre le Comité autrichien, dénoncé par Carra dans ses
(1) M. de Laval, le Panthéon révolutionnaire démoli.
LES GIRONDINS. I97
Annales patriotiques, et il en profitait pour envelopper
dans ses accusations Robespierre et les Jacobins.
Sur ces entrefaites, fort de son influence et redoutant à la
fois celle de la Cour et des Jacobins, le parti de la Gironde
accentua ses sentiments révolutionnaires. Il se détermina à
faire attaquer le roi par ses propres ministres, et fit décréter
le licenciement de la maison militaire de Louis XVI et la
formation d'un camp de 20,000 hommes près Paris. Le
roi annonça l'intention de refuser sa sanction à ce dernier
décret, et, mécontent avec raison de la célèbre lettre du
ministre de l'intérieur Roland, rendue publique contre
toutes les règles • de la convenance, il rompit avec les
Girondins et renvoya le ministère.
La Gironde en éprouva une grande irritation, et, ne
gardant plus de mesure dans ses attaques contre le roi et
contre la monarchie, elle songea à venger, autrement que
par de? regrets stériles, la disgrâce des ministres de son
choix.
La journée du 20 juin, provoquée et organisée par elle,
mais exécutée par la tourbe jacobine, fut une sorte de
revanche de la Gironde contre la royauté.
La journée du 10 août assura sa vengeance; le parti de
la Gironde, que nul ne dirigeait et qui cédait à des entraîne-
ments au lieu de suivre une ligne politique bien déterminée,
préparait ainsi les degrés qui devaient conduire les Jacobins
au pouvoir et consommer le triomphe de la Montagne.
Cette journée ne profita pas, en effet, aux Girondins, malgré
la rentrée de trois de ses membres au ministère. Ils se
félicitèrent de ce résultat, dit M. Challamel; on aurait dit
a qu'ils ne pensaient qu'au présent, et leur légèreté ne peut
]& être comparée qu'aux illusions dont se berçaient les
> soutiens de la monarchie à la veille de sa chute ^^K »
(i) A. Challamel^ Histoire-Musée de la République, p. 229.
198 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
On sait, nous ne le répéterons pas, au milieu de
quelles circonstances douloureuses le roi quitta les Tuileries
pour se rendre à l'Assemblée; on sait que Vergniaud,
au nom de la Commission extraordinaire, proposa la
suspension de Louis XVI et la réunion d'une Con-
vention nationale : ces mesures furent immédiatement
décrétées.
La Commune du 10 août, qui comptait au nombre de
ses membres Robespierre et Marat, fonctionna sur-le-champ
dans le sens révolutionnaire le plus complet, et les visites
domiciliaires ainsi que les arrestations furent mises à Tordre
du jour. Danton, qui avait reçu le ministère de la Justice,
disait, de sa voix tonnante, qu'il fallait faire peur aux
royalistes.
Le 2 septembre, une proclamation de la Commune
répandit l'effroi dans toutes les âmes, a Citoyens, disait-elle,
l'ennemi est aux portes de Paris... :^ Après la défection de
Lafayette, en effet, les armées étrangères avaient pris
l'offensive et menaçaient le sol de la patrie. Aussitôt le
tocsin sonna, les tambours battirent la générale, et Paris
entra dans une ébuUition indescriptible. Les rues et les places
étaient couvertes d'une foule agitée par l'épouvante ou par
l'enthousiasme de la gloire.
Dans deux^ sections, on proposa de tuer les suspects
renfermés dans les prisons, avant de marcher à l'ennemi.
Cette horrible motion trouva des approbateurs, bien plus,
des assassins pour la mettre à exécution. Les massacres
commencèrent dans la rue Dauphine et se continuèrent
dans les prisons; pendant trois jours et trois nuits, le
sang coula à flots! Ni Tâge, ni le sexe, ni la beauté, ni
l'innocence ne sauvèrent les victimes de cette exécrable
boucherie soldée par la Commune! Pendant trois jours,
et par peur, l'Assemblée laissa s'accomplir ces massacres
odieux : la Gironde les déplora, mais la Montagne les
LES GIRONDINS. I99
approuva hautement par Torgane de Billaud-Varennes.
Tels furent les hommes et les partis de cette époque
néfaste.
Le 21 septembre, l'Assemblée législative terminait ses
séances et faisait place à la Convention nationale.
Le département de la Gironde avait renouvelé leurs
mandats à ses principaux députés.
Barennes, Journu-Aubert, le curé Dominique Lacombe,
Laffon-Ladébat, Pierre Sers et Servière ne furent pas
réélus, et Bergoeing, Boyer-Fonfrède, Deleyre, Duplantier,
Garrau et Lacaze les remplacèrent dans la confiance des
électeurs.
Disons quelques mots de ces hommes nouveaux.
Bergoeing (François), né à Saint-Macaire, arrondissement
de La Réole, le 3i mars lySo, était un chirurgien distingué
dans son art et bien posé à Bordeaux. Il resta toujours
dans les rangs de la Gironde. Malgré les entraînements
inexplicables et inexpliqués auxquels céda Vergniaud, il
n'imita pas son exemple et vota courageusement contre la
mort du roi. Il fut membre de la commission des Douze
chargée de poursuivre les auteurs des massacres de
Septembre. Il se distingua constamment par un caractère
droit, une probité et un désintéressement à toute épreuve.
Proscrit au 3 1 mai, il se réfugia d'abord en Bretagne avec
Guadet, Louvet, Kervélegan et quelques autres; il vint
ensuite a^border au Bec-d'Ambès avec ses collègues en
proscription. Trouvant le département aux mains des
terroristes, il chercha un refuge dans les souterrains de
Saint-Émilion, puis dans les cavernes de Sallebruneau et
de Sainte-Présentine, près Sauveterre. Ces asiles étant
devenus précaires, le conventionnel se rendit à Saint
Macaire, resta longtemps caché dans une grotte du château
de Tardes où, grâce au dévouement admirable de Charmante
Bergoeing, sa sœur, il put attendre les événements de ther-
200 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
midor ^^K Bergoeing, qui fut membre du Conseil des
Anciens, était lié d'amitié avec Barras. Il fréquenta les salons
de M™® de Staël avec son ami Benjamin Constant. C'est
en vain, dit-on, que le premier consul essaya d'attacher ce
vieux républicain à sa fortune. Plus tard, il suivit en Italie
son ancien collègue Salicetti, qui lui procura une place dans
les domaines royaux à Naples, sous Murât. Bergoeing
rentra à Saint-Macaire en 1824 et y vécut dans une
retraite profonde, aimé et vénéré de toutes les classes
de la population. Il est mort dans cette petite ville le
28 novembre 1829 ^^K
(i) Arnaud Dubourg jeune, de Castets-en-Dorthe, atteint par le décret du
6 août 1793, dont nous parierons dans le chapitre suivant, partagea les
périls et les dangers de Bergoeing. Ils étaient unis par les liens de l'amitié
et des convictions; IMnfortune ne fit que resserrer ces liens. Arnaud
Dubourg était le septième fils d'une famille de vieille bourgeoisie : Tétude
notariale de Castets-en-Dorthe est demeurée dans cette famille de 1420 à
1871, époque où le dernier notaire de la famille, M. Deyres, ancien
conseiller général de la Gironde, Ta cédée à M. Rozier, titulaire actuel. Les
frères de Dubourg restèrent fidèles à la cause royaliste; quant à lui, il
embrassa avec ardeur les idées nouvelles et se rangea sous le drapeau des
Girondins. D'un caractère violent et passionné, il prit une couleur tranchée
dans les réunions de Bordeaux et de l'arrondissement de La Réole, et
adhéra sans restriction à tous les actes de la Commission populaire de salut
public. Mis hors la loi par le décret du 6 août, il se cacha pour se soustraire
aux recherches de ses ennemis politiques. Quand Bergoeing revint à
Saint-Macaire> Dubourg se joignit à lui et les deux proscrits menèrent
ensemble une vie errante, pleine de périls et de poignantes émotions*
Constamment armés pour se défendre contre les agressions des bandes
lancées à leur poursuite, ils eurent souvent la pensée d'en finir avec la vie.
Seul, Arnaud Dubourg mit ce fatal projet à exécution. Le 1 1 novembre lygS,
Bergoeing et lui se rendirent à la tombée de la nuit dans la demeure
qu'Arnaud Dubourg occupait à Castets-en-Dorthe chez M. J)uthu, son
beau-père. Bergoeing resta caché dans l'enclos; Dubourg entra dans la
maison, gagna sa chambre et chargea une servante d'aller demander pour
lui au citoyen Troubat, chirurgien, 60 gouttes d'opium. Troubat refusa de
les livrer. Dubourg donna une nouvelle commission à la servante, et
pendant son absence il se brûla la cervelle. Ce n'est que quelques heures
après et tout à fait par hasard qu'on s'aperçut de ce suicide. Les autorités,
immédiatement prévenues se transportèrent dans la maison, et c'est le
12 novembre, à quatre heures du matin, qu'elles constatèrent officiellement
par des procès-verbaux que conserve pieusement la famille, la mort de l'ami
de Bergoeing. Quant à celui-ci, il put, à la faveur du trouble causé par cette
fin prématurée et violente, regagner les grottes du château de Tardes et
y attendre des jours meilleurs.
(2) Nous devons ces indications sur Bergoeing à l'obligeante communi-
cation de M. Ferbos, conseiller général et maire de Saint-Macaire.
LES GIRONDINS. 20I
Boy er-Fonfrède (Jean-Baptiste), né à Bordeaux en 1766,
fit de brillantes études et se jeta très jeune dans les luttes
politiques. Après avoir résidé quelques années en Hollande,
où il respira Tair de la liberté constitutionnelle, il rentra en
France et se maria avec la sœur de Ducos. Dans les agita-
tions qui suivirent la Révolution de 1 789, il se fit remarquer
par la maturité de son jugement et la hardiesse de ses
principes, et fut envoyé en députation par le commerce
bordelais à l'Assemblée législative. C'était un républicain
ardent, et l'histoire a consacré les sentiments d'amitié tou-
chante qui l'unissaient à Ducos ^^K
Deleyre (Alexandre), né à Portets, près Bordeaux, en
janvier 1726, était un brillant élève des Jésuites. Il habitait
Paris, où il cultivait les bel les- lettres; il y publia, à l'âge
de vingt-neuf ans, une analyse de la philosophie de Bacon.
Le duc de Nivernois, qui le protégeait, le fit nommer
secrétaire des Carabiniers, puis l'attacha à l'ambassade de
Vienne. A son retour à Paris, Deleyre fat envoyé à Parme
comme bibliothécaire de l'Infant, et obtint de ce prince une
pension de 2,000 livres. Rendu entièrement aux lettres, il
fit paraître la continuation de VHistoire générale des
Voyages, et composa des romances mises en musique par
J.-J. Rousseau, son ami.
Duplantier était avocat à Bordeaux, sa ville natale;
distingué à la fois par les talents et par l'honnêteté, et
partisan des idées nouvelles, il avait été élu député-suppléant
de la Gironde à la Législative. C'était une âme énergique et
pure, qui savait allier la modération au courage et qui
répudia tous les excès. Il donna sa démission après le
3i mai, se livra à la culture des lettres et coopéra à la
création de plusieurs sociétés savantes; il devint président
du département après nos troubles civils, et fut député au
(1) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, passim.
202 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
conseil des Cinq-Cents en 1798. Il ne parut plus sur la
scène politique après le 1 8 Brumaire.
Garrau (Pierre- Anselme), né à Sainte-Foy le 19 février
1762, appartenait à une bonne famille de la bourgeoisie;
avocat à l'époque de la Révolution, il en embrassa la cause
avec chaleur, fut élu en 1790 président du district de
Libourne, et en 1791 député suppléant à la Législative.
Garrau n'eut de Girondin que Torigine, car il se rangea dans
le parti de la Montagne à la Convention, et fut l'ennemi de
Vergniaud, de Guadet, de Gensonné, des hommes de la
Gironde enfin. Garrau est mort à Saint- André-et- Appelles
le i5 octobre 18 19.
Lacaze était originaire de Libourne, où son nom est
encore honorablement porté par des hommes qui ont occupé
ou qui occupent des positions éminentes dans le commerce,
dans l'administration et dans la magistrature.
Tels étaient les hommes que la Gironde envoyait à la
Convention nationale : à l'exception de Garrau, comme
nous l'avons déjà dit, tous se rangèrent dans le parti
girondin.
Dès sa première séance, la Convention décréta l'abolition
de la Royauté et proclama la République. La Montagne et
la Gironde confondirent leurs acclamations dans celte
mémorable circonstance. C'était en quelque sorte un résultat
prévu ; il avait été préparé de longue main par les fautes
des uns, par la haine et la légèreté des autres, et l'opinion
publique l'attendait comme une solution et comme un
remède aux maux de la situation . A cet égard, on peut dire
sans hésitation que les sept cent quarante-neuf membres
de la nouvelle Assemblée étaient tous républicains, quoique
à des degrés différents.
Les Girondins et leurs adhérents, dont on peut évaluer
le nombre à deux cent cinquante environ, siégeaient, à la
Convention, sur les bancs de la droite. Ils désiraient
LES GIRONDINS. 2o3
s'appuyer sur la classe moyenne et répudiaient les violences
comme moyen de gouvernement.
La Montagne siégeait sur les gradins supérieurs de
l'extrême gauche : on y remarquait Robespierre, Marat,
Danton, Collot-d'Herbois, Camille Desmoulins, Fabre
d'Eglantine, Billaud-Varennes et bien d'autres dont les
noms ont acquis une popularité sinistre.
Le débat entre Robespierre, Marat et les Girondins se
trouvait définitivement transporté du club des Jacobins
au sein de la Convention. La lutte devait être et fut terrible
entre des hommes de mœurs et de tempérament tout à fait
opposés.
Le terrain était devenu complètement libre; Tunité de
gouvernement était dans la Convention : elle allait gouverner,
administrer, constituer, et le pouvoir devait devenir la proie
du parti qui réussirait à la dominer.
Serait-ce la Gironde, ou bien la Montagne ?
Les événements que nous allons résumer répondent à
cette question.
Que de profondes différences entre les hommes de la
Gironde et ceux de la Montagne ! C'était, si Ton peut ainsi
parler, la lutte du Midi avec le Nord.
Les premiers, en eflfet, représentaient toutes les ardeurs
et toutes les passions du Midi; c'étaient l'indépendance*
dans le talent^ la liberté dans l'attaque comme dans la
défense; ni sujétion, ni hiérarchie, ni idées arrêtées et
préconçues, ni plans, ni direction, ni chef. « Ce qu'on
> appelle le parti de la Gironde, a dit RioufTe dans ses
> curieux Mémoires, eut des lumières et de la probité ; ce
» fut, à proprement parler, le parti des républicains. Mais
» les talents y étaient répandus avec une telle profusion
» qu'il n'avait point de chef et ne pouvait en avoir f"^ »
fi) Riouffe, Mémoires, Collection Barrière, p. 423.
204 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
— Ce fut la perte des Girondins : ils étaient des artistes
de la parole, de la phrase, de l'idée; ils ne furent ni
des hommes politiques, ni des hommes d'État, c C'étaient
» selon l'expression d'un prélat éminent, des tribuns de
• » talent, mais dépourvus de la haute intelligence qui est
y> nécessaire à ceux qui gouvernent les peuples ^^K j>
Marat les appelait ironiquement le parti des hommes
d'État
La Montagne, au contraire, était unie et reconnaissait
des chefs : elle avait le tempérament des hommes du Nord ;
elle agissait avec ordre et méthode; elle avait une volonté
et poursuivait un but; elle serrait ses rangs et marchait,
implacable, froide, haineuse et cruelle, à la conquête du
pouvoir suprême où ses chefs la conduisaient lentement et
sûrement. Tout devait succomber devant elle, et la violence
était son arme de prédilection.
Dès le début, les Girondins dirigèrent leurs attaques
contre Robespierre, accusé d'aspirer à la dictature, et contre
Marat, dont les déclamations sanguinaires effrayaient les
honnêtes gens. Ils provoquèrent la création d'une force
armée tirée de toutes les parties de la France et à qui serait
confiée la garde de la Convention; la Montagne les accusa
dédaigneusement d'être fédéralistes et fit décréter Vunité et
V indivisibilité de la République.
Cette première lutte des deux partis laissa la victoire aux
audacieux. Malgré un admirable discours où Vergniaud
déploya toutes les souplesses de son talent et toutes les
colères de son âme indignée, la Gironde fut vaincue. Danton
Tavait dit : Dans les révolutions, le pouvoir reste aux
mains des plus audacieux,
Robespierre avait essayé ses forces et reconnu sa puis-
sance. Jaloux des talents que déployait la Gironde, il
(i) M»r le cardinal Don net, lettre à M. Tabbé 0*ReilIy.
LES GIRONDINS. 2o5
mit tous ses efforts a anéantir le seul parti qui lui paraissait
devoir être le plus sérieux obstacle à son ambition.
On vit d'ailleurs, dès cette époque, un spectacle singu-
lier et affligeant : certes, les Girondins ne sauraient être
accusés d'avoir partagé les idées des Montagnards-, on ne
peut pas dire qu'ils aient voulu pactiser avec eux, et cepen-
dant, entraînés par leur légèreté et leur défaut d'objectif
politique, on les voit devancer la Montagne dans ses actes
de violences, la précéder dans cette voie funeste et préparer
le triomphe de leurs ennemis. Ce sont eux les premiers
qui, en haine de la royauté, provoquèrent contre le duc
d'Orléans, qu'ils avaient d'abord entouré de leur protec-
tion, un décret d'exil bientôt révoqué. Un peu plus tard
on les voit unis aux Jacobins pour demander la peine de
mort contre les émigrés. Seul, Tallien, dont nous aurons
à parler dans les chapitres suivants, protesta contre ce
décret terrible. Une pareille protestation de la part d'un tel
homme méritait d'être signalée.
La violence appelle la violence, a dit un écrivain. Ce fut
dès lors comme une sorte d'assaut entre les deux factions
rivales. Les sections et la Commune de Paris soutinrent
énergiquement la Montagne, et des manifestations popu-
laires, provoquées par elles, vinrent mettre l'Assemblée en
demeure de statuer sur le sort des prisonniers du Temple.
Ici encore, c'est un Girondin qui commença l'attaque :
Valazé avait fait un rapport sur les papiers trouvés dans
l'armoire de fer, et c'est à la suite de ce rapport que la
Convention décida le jugement de Louis XVL
C'est un autre Girondin, Barbaroux, qui lut l'acte énon-
ciatif des faits qui devaient servir au jugement.
Nous n'avons pas Tintention de raconter ici cette page
émouvante de l'histoire de la Révolution ; tous nos lecteurs
connaissent ce drame sombre et terrible qui se termina par
la mort sanglante de l'héritier de quatorze générations de
206 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
rois à qui la France doit une partie de sa grandeur
territoriale et de sa prépondérance dans l'Europe.
Et ici encore, nous devons le constater, comme par un
jeu de la fatalité, c'est un Girondin, c'est Vergniaud qui, au
nom de la Convention, prononça la peine de mort contre
le descendant de saint Louis !
Quelle fut, dans ce procès mémorable, l'attitude de
nos Girondins? Nous allons la faire connaître en peu de
mots.
Quant au parti en lui-même, ses orateurs retracèrent
dans de nombreux discours ce qu'ils ne craignirent pas
d'appeler les forfaits de Louis XVL Disons toutefois, à
l'honneur de Vergniaud, qu'il défendit, avec la constance la
plus inébranlable, l'appel au peuple proposé par un certain
nombre de députés : il prophétisa, dans un langage d'une
éloquence incomparable, les événements qui devaient
suivre inévitablement la mort du roi; on eût dit que
l'histoire de nos malheurs se dévoilait à ses yeux ! Son
discours fut le seul véritablement éloquent prononcé dans
ce procès, qui serait unique sans la mort de Charles I*'. Et
pourtant, par une résolution que rien ne saurait expliquer
et dont il a emporté le secret dans la tombe, Vergniaud
inscrivit son nom parmi ceux qui condamnèrent Louis XVI
à la peine de mort et vota contre le sursis.
Gensonné, Guadet, Boyer-Fonfrède, Deleyre, Ducos,
Duplantier, Garrau et Jay votèrent aussi pour la mort.
Seuls, Bergoeing, Grangeneuve et Lacaze se pronon-
cèrent, le premier pour la réclusion pure et simple, le
deuxième pour la détention, et le troisième pour la réclusion
pendant la guerre et le bannissement après la pabc.
Nous n'avons pas à rechercher les votes des Girondins
qui n'appartiennent point, par leur origine ou par celle de
leurs mandats, au département de la Gironde.
En jugeant le roi Louis XVI, la Convention avait jeté le
LES GIRONDINS. 207
gant aux rois de TEurope. Il fut relevé, et la France
républicaine eut à lutter contre tous ces souverains. Trois
cent mille soldats menaçaient nos frontières : la Convention
décréta la levée d'une armée de 3oo,ooo hommes, et la
Montagne obtint la création du Tribunal révolutionnaire.
Vergniaud protesta vainement contre cette création; ses
accents furent étouffés par les clameurs des Montagnards.
Vainement et peu de jours après, avec un accent inspiré,
il s'écria que la Révolution, comme Saturne, dévorerait
successivement ses enfants et qu'elle engendrerait enfin le
despotisme avec toutes ses calamités ; ses paroles prophé-
tiques ne furent pas écoutées. Il n'était au pouvoir d'aucune
éloquence et d'aucun honmie de réconcilier la Gironde et
la Montagne.
Après une lutte opiniâtre, les Girondins avaient obtenu à
leur tour un décret qui prescrivait la poursuite des auteurs
des massacres de Septembre. C'était un triomphe sur les
Montagnards. Mais ceux-ci, ne se tenant pas pour battus,
soulevèrent les sections, qui bientôt se présentèrent à la
barre de la Convention et firent rapporter le décret.
Dès le mois de mars lygS, le Tribunal révolutionnaire
commençait son œuvre, et le 6 avril la Convention décré-
tait la formation d'un Comité de salut public chargé de
surveiller, d'accélérer ou de suspendre l'action du Pouvoir
exécutif, de pourvoir d'urgence à la défense du. pays et de
correspondre avec les représentants envoyés en mission
dans les départements ou auprès des armées.
La veille, elle avait décidé que les députés mis en accu-
sation par l'Assemblée, pourraient être traduits devant le
Tribunal révolutionnaire.
a Dès ce moment, les Montagnards eurent à leur service
» deux instruments redoutables : le Tribunal révolution-
» naire et le Comité de salut public; le premier les aida
D puissamment à renverser la. Gironde; le deuxième fut
208 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» leur porte-respect lorsqu'ils eurent le pouvoir en leurs
]» mains ^^K >
Cependant, l'éloquence des Girondins entraînait encore
la majorité de la Convention; il n'y avait plus de trêve
possible entre eux et la Montagne. Ainsi, ils avaient
obtenu la mise en accusation de Marat; mais Marat,
acquitté par le Tribunal révolutionnaire, était bientôt
ramené en' triomphe au sein même de l'Assemblée. La
Montagne dominait partout par la violence et par la
terreur.
Peu de jours s'étaient écoulés depuis l'ovation triomphale
de Marat, lorsque le voile enfin se déchira. Le maire de
Paris, Pache, se présenta à la barre de la Convention et
demanda la mise en accusation de vingt-deux membres du
parti girondin. Par l'organe de Guadet, la Gironde, à son
tour, indignée, proposa de casser la Commune de Paris et
de réunir à Bourges une autre assemblée. Une commission
extraordinaire de douze membres fut chargée par la
Convention d'examiner la conduite de la municipalité.
Cette mesure exaspéra les Jacobins et les Montagnards.
L'arrestation d'Hébert, rédacteur du Père Duchêne et
substitut du procureur de la Commune, occasionna de
vives protestations, et le 27 mai, sous la pression populaire
et au milieu d'un tumulte indescriptible, la Convention
ordonna la mise en liberté du journaliste et de quelques
autres prisonniers et prononça la révocation de la commis-
sion extraordinaire qu'elle avait précédemment nommée.
Le lendemain, ce décret était rapporté. C'était le trouble et
la confusion, la désorganisation politique la plus incroyable
et la plus étrange. La Montagne avait déchaîné les mauvais
instincts de la populace ; elle s'en était faite un complice et
un instrument qu'elle dirigeait pour assouvir sa haine
(i) A. Chailamel, Histoire-Musée de la République française, p. 3o6.
LES GIRONDINS. 2og
contre des adversaires dont elle jalousait les talents et dont
elle redoutait Tinfluence expirante.
Il fallait frapper un grand coup. Le 3i mai, les autorités
insurrectionnelles s'organisent : Henriot est nommé com-
mandant provisoire de la force armée et on arrête que
chaque citoyen recevra 40 sous par jour pour rester sous
les armes. Aussitôt Paris est soulevé; des députations
envahissent la Convention et obtiennent la suppression de
la commission des Douze. Cette concession ne satisfit
personne, ni les sections insurgées avec tant de gloire,
comme ne craignit pas de le dire Barère, ni la Commune
qui trouvait son pouvoir insuffisant, ni la Montagne qui
voulait une solution plus radicale en imposant sa dictature
à r Assemblée.
Le tocsin continuait à sonner, et le i®' juin le Départe-
ment de Paris se présentait à son tour à la Convention
pour provoquer un décret d^accusation contre les traîtres
qui siégeaient dans son sein. Robespierre appuya cette
démarche et demanda, lui aussi, un décret d'accusation
contre les complices de Dumouriez, contre ceux qui
n'avaient pas cessé de pousser à la destruction de Paris.
L'Assemblée enjoignit, par décret, au Comité de salut
public de lui présenter un rapport sur les députés dont
on proposait la proscription.
Un pareil tempérament ne pouvait convenir à la Mon-
tagne. Marat, CoUot d'Herbois, David, d'accord avec
Robespierre, accourent à la Commune, excitent ses fureurs
et une nouvelle masse insurrectionnelle est dirigée sur
l'Assemblée. Henriot en était le meneur principal. Le
2 juin, il investit les Tuileries de ses bandes armées de
piques et tint en quelque sorte la Convention en état de
siège. Durant ce temps, le désordre le plus affreux régnait
parmi les conventionnels; le breton Lanjuinais, cramponné
à la tribune, demandait que les autorités révolutionnaires
T. L 14
210 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
fussent cassées et les insurgés mis hors la loi. Des pétition-
naires en grand nombre avaient envahi les tribunes et
l'Assemblée elle-même, et pendant deux heures toute
délibération fut interdite par des clameurs et des menaces
exigeant l'arrestation des conspirateurs de la Gironde.
Barère parut enfin à la tribune. Il demanda, au nom
du Comité de salut public, que les députés accusés fussent
suspendus de leurs pouvoirs.
Au milieu du tumulte qui régnait dans la Convention,
Lacroix, l'ami de Danton, fut assailli par les mêmes
hommes qui venaient d'attaquer les Girondins. La Montagne
s'indigna d'une pareille insulte : elle se demanda si la
Commune voudrait l'envelopper dans la défaite de la
Gironde; elle frémit sous l'injure, s'aperçut enfin que la
Convention était captive entre les mains d'Henriot et que
la majesté nationale était outragée.
Sur la proposition de Barère, l'Assemblée tout entière
se présenta au peuple avec des paroles de paix et de
conciliation. Henriot déclara insolemment qu'il n'était pas
venu pour entendre des phrases, que la volonté du peuple
souverain s'était fait entendre et que les députés de la
Gironde devaient être expulsés. A l'appui de ses paroles
il fit pointer ses canons sur la Convention. Marat, suivi
d'une vingtaine d'enfants déguenillés, vint, assure-t-on,
embrasser Henriot, et, s'adressant à l'Assemblée : « Que
les députés fidèles, dit-il, retournent à leur poste... »
La Convention rentra au lieu de ses séances et courba
le front sous ces tristes ignominies.
a Tous les membres de la Convention, s'écria Couthon,
doivent être maintenant rassurés sur leur liberté... Mainte-
nant donc que vous reconnaissez que vous êtes libres dans
vos délibérations, je demande, non pas quant à présent, un
décret d'arrestation contre les vingt-deux membres dénom-
més, mais que la Convention décrète qu'ils seront mis en
LES GIRONDINS. 2 I I
état d'arrestation chez eux, ainsi que les membres du comité
des Douze et les ministres Clavière et Lebrun (').
Le décret fut rendu, et trente et un députés tombèrent
victimes de la haine de la Montagne et de Tinsurrection
organisée par Robespierre et par la Commune.
C'était la chute du parti de la Gironde I
Riouffe, qui avait connu la plupart des Girondins, a écrit
dans ses Mémoires : a: Jeunesse, beauté, génie, vertus,
» talents, tout ce qu'il y a d'intéressant parmi les hommes,
» fut englouti d'un seul coup (^). jd
D'un autre côté, M. Louis Blanc, dans sa remarquable
Histoire de la Révolution française, dit : « Ainsi tomba
» ce parti de la Gironde, si grand par l'enthousiasme,
» l'éloquence et le courage. Attirés vers le côté lumineux des
i> choses nouvelles, dont le charme s'associait dans leur
i> esprit aux plus beaux souvenirs de l'antiquité, et saisissant
j& le pouvoir de haute lutte, ils s'en servirent pour accabler
» les nobles, proscrire les prêtres, saper le trône, mettre à
]& la mode le bonnet rouge, encourager au sans-culottisme
> et braver l'Europe <^). »
Quelques Girondins se constituèrent prisonniers, d'autres
se rendirent à Caen, puis à Bordeaux; mais le rôle de ce
grand parti était terminé.
Il a été diversement apprécié par les historiens et par la
postérité. En ce qui nous concerne, nous ne craignons pas
de répéter avec toute franchise que si la Gironde fut un
parti politique dans le sens sérieux du mot, elle n'eut ni
des chefs pour la diriger ni un but bien défini à poursuivre
et à atteindre. Ce fut une compagnie de volontaires
impétueux et brillants qui se jetèrent à l'étourdie dans la
mêlée, et qui, n'ayant ni conscience religieuse ni foi poli-
Ci) Moniteur du 5 juin 1793.
(2) Coll. Barrière, p. 41 1 .
(3) Livre IX, chapitre xi.
2ia HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
tîque, oscillèrent de la Monarchie à la République, toujours
faibles par indiscipline, irrésolus, légers, épicuriens par
•caractère et par éducation, et qui durent fatalement suc-
comber, à une heure donnée, sous la discipline et la haine
de la Montagne et de ses adhérents.
Promoteurs de la journée du lo août, ils tombèrent
en 1793 sous les mêmes coups et par les mêmes armes
dont ils avaient fait usage en 1 792 pour renverser le trône
et proclamer la déchéance de Louis XVI.
Leurs fautes ont été bien grandes : on peut les accuser
en effet d'avoir perdu la Monarchie en pactisant avec elle
par ambition, et en la trahissant ensuite par vengeance de
n'avoir pu triompher de la défiance de Louis XVI qui les
redoutait, et d'avoir lancé la France dans les hasards
d'une révolution dont nul ne pouvait prévoir les consé-
quences ou calculer les résultats.
Mais faisons paix à leurs cendres, car si leur conduite
fut coupable, l'histoire a constaté que l'expiation fiit dou-
loureuse et terrible.
Après avoir ainsi retracé à grands traits le rôle des
Girondins à l'Assemblée législative et à la Convention,
nous allons rentrer à Bordeaux, et raconter les événements
accomplis dans cette ville, et qui accompagnèrent ou
suivirent la chute du parti de la Gironde.
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CHAPITRE III
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC DE LA GIRONDE.
Les Bordelais suivent les péripéties de la lutte entre la Montagne et la
Gironde. — Les Girondins se croient oubliés par leurs commettants. —
Lettresde Vergniaud à la Société des A^mis de la Liberté et de l'Égalité. —
Elles sont publiées et soulèvent des sympathies générales. — Indignation
du peuple. — Protestation des 28 sections. — Les autorités constituées
i^y associent. — Léris et Duvigneau sont chargés de présenter cette
protestation à la Convention. — Elle y soulève des tempêtes. —
Conciliabules entre les amis des Girondins. — Pierre Sers, Roullet,
Desmirai], etc. — Violences envers les prêtres à Blaye. — Agitation
générale. — Inquiétudes des sections. — Nouvelle des journées des
3i mai^ i^et 2 juin et de l'arrestation des Girondins. — Le peuple se
déclare en insurrection contre le Conseil général de la Commune de
Paris. — Le testament de Gensonné. — On se prépare à défendre
les Girondins. — Des protestations sont envoyées à la Convention.
— On arrête à Bordeaux les conventionnels Dartigoeyte et Ichon.
— Le peuple remet ses pouvoirs au Conseil général du département.
— Celui-ci appelle des délégués de tous les corps constitués. —
Activité et dévouement de Pierre Sers. — Création de la Commission
populaire de salut public de la Gironde. — Le département entre
en lutte avec la Convention. — Organisation d'une force départe-
mentale. — Envoi de commissaires dans les départements pour
provoquer une alliance avec celui de la Gironde. — Adresse à la
Convention. — Lettre de RouUet au ministre de l'intérieur. —
L'insurrection est un fait accompli. — Les conventionnels Lidon et
Chambon à Bordeaux. — On arrête la réunion d'une commission
centrale à Bourges. — Treilhard et Mathieu sont envoyés en mission
à Bordeaux. — Proclamation de la Commission populaire aux armées
de la République. — Elle refuse de reconnaître certains décrets de la
Convention. — Proclamation aux citoyens de la Gironde. — Arrivée
de Treilhard et Mathieu. — Ils sont tenus en charte privée. — Ils
assistent à une séance de la Commission populaire. — Ils quittent
Bordeaux. — La Commission populaire décide un emprunt de
un million. — Les départements commencent à l'abandonner. —
Grangeneuve et le général Custine. — Refroidissement du peuple. — La
Constitution est présentée à la sanction des assemblées primaires. —
Proclamation de Treilhard. et Mathieu aux habitants de la Gironde. —
La Commission populaire lutte contre la défaveur dont elle devient
l'objet. — Difficultés 4sns la formation de |a force départementale, t*
214 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Le maire Saige cherche à stimuler le zèle des citoyens. — Dénonciation
contre l'acteur Lais. — L'indifférence du peuple s'accentue. — Le général
Houchard. — Les sections retirent leur confiance à la Commission
populaire. — Départ de la force départementale. — Les assemblées
primaires adhèrent à tous les actes de la Commission populaire et
déclarent renouveler ses pouvoirs. — La disette prend des proportions
redoutables. — Enlèvement de 3 67,320 piastres appartenant à la Repu
blique. — Nouvelle proclamation aux armées. — La désa£Eèction s'accroît.
— La Commission populaire prononce sa dissolution. —^ Son râle et son
influence. — La Convention annule tous ses actes et la met hors la
loi, ainsi que ceux qui lui ont donné leur adhésion. — Chaudron-
Roussau, Baudot, Ysabeau et Tallien sont envoyés en mission à
Bordeaux pour faire exécuter ce décret.
Nous Pavons dit en terminant un précédent chapitre,
Paganel et Garrau venaient de quitter Bordeaux. Ils y
avaient fait preuve d'une modération relative, et au milieu
des oscillations de Tesprit public, ils avaient su garder une
juste mesure : ils emportaient le souvenir reconnaissant des
Bordelais.
Ceux-ci d'ailleurs ne restaient pas indifférents aux luttes
de la Montagne et de la Gironde au sein de la Convention
nationale. Les sociétés populaires et la plupart des sections
en suivaient les péripéties avec une curiosité affectueuse et
sympathique. Les adhérents du Club national et quelques
sectionnaires faisaient des vœux non dissimulés pour la
Montagne, mais la masse des citoyens et surtout la Société
des Amis de la Liberté et de l'Égalité, à laquelle avaient
appartenu les députés de la Gironde, souhaitaient le
triomphe des Girondins et l'affermissement d'une répu-
blique sage et modérée. Ces souhaits étaient sans doute
platoniques, et les députés de la Gironde, qui n'avaient
reçu aucune nouvelle de leurs concitoyens, purent se croire
oubliés par eux au milieu des périls qui les entouraient et
dont la Montagne et les Jacobins étaient les principaux
artisans.
Ce silence paraissait inexplicable aux illustres représen-
tants de Bordeaux à la Convention nationale.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 2l5
C'est alors que Vergniaud écrivit à la Société des Amis
de la Liberté et de l'Égalité la lettre que l'on va lire :
a Paris, 4 mai 1793, sous le couteau,
» Frères et amis, vous avez été instruits de Thort-ible persécution
faite contre nous, et vous nous avez abandonnés. Vous ne nous
avez soutenus auprès de l'Assemblée nationale par aucune démarche;
vous n^avez même cherché à soutenir notre courage individuel par
aucun témoignage de bienveillance. — Cependant, la fureur de nos
ennemis s'accroît; la proscription et Fassassinat circulent contre
nous, et Ton s'apprête d'aller à la barre nationale demander nos
têtes. Quel est donc notre crime, citoyens ? Cest d'avoir fait entendre
la voix de l'humanité au milieu des horreurs qui nous ont si souvent
environné; c'est d'avoir voulu conserver vos propriétés et vous
garantir de la tyrannie de Marat ou des hommes dont il n'est que
le mannequin. Faites que nos concitoyens nous retirent des pou-
voirs dont il est impossible de faire usage sans des signes éclatants
de leur confiance. Nous ne craignons pas la mort, mais il est cruel,
alors qu'on se sacrifie, de ne pas emporter au tombeau la certitude
qu'on laisse au moins quelques regrets à ceux pour lesquels on
s'immole. » Vergniaud. »
Ces paroles empreintes d'une douloureuse résignation
eurent un long retentissement dans notre ville.'
Hâtons-nous de le dire, les Bordelais n'avaient pas
abandonné leurs députés; des lettres individuelles, des
adresses émanées des [sociétés populaires et des sections
avaient devancé les reproches de Vergniaud. Aussi, dès
le lendemain du jour où, selon son expression, il avait écrit
sous le couteau, l'éloquent protégé du président Dupaty
disait aux Amis de la Liberté et de l'Égalité :
c Paris, 5 mai 1793.
» Frères et amis, je vous écrivis hier le cœur flétri, non par des
dangers que je brave, mais par votre silence. Quelques heures après
le départ de ma lettre, j'ai reçu la vôtre. Des larmes de joie ont
coulé de mes yeux. J'attends mes ennemis, et je suis sûr encore de
les faire pâlir. On dit que c'est aujourd'hui ou demain qu'ils doivent
venir demander de s'abreuver du sang de la représentation nationale.
2l6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Je doute qu'ils Tosent, quoique la terreur ait livré les sections à
une poignée de scélérats. On s'y est cependant battu avant-hier, et
on ne tentera pas une démarche dans laquelle on craindra d'éprouver
de la résistance. En tout cas, nous comptons sur le courage de
Fonfrèdc, qui est président, et vous pouvez compter sur le nôtre.
» Tenez-vous "prêts. Si Ton m'y force, je vous appelle de la tribune
pour venir nous défendre s'il en est temps, et venger la liberté en
exterminant les tyrans. Si nous ne sommes plus, Bordeaux peut
sauver la République.
» Eh quoi 1 n'aurons-nous travaillé depuis quatre ans, tant fait de
sacrifices, supporté tant d'iniquités; la France n'aura-elle versé
tant de sang, que pour devenir la proie de quelques brigands, pour
courber le h-ont vers la plus tortueuse tyrannie qui ait jamais
opprimé aucun peuple?
» Hommes de la Gironde, levez-vous l La Convention n'a été
faible que parce qu'elle a été abandonnée. Soutenez-la contre tous
les furieux qui la menacent. Frappez de terreur nos Marins ; et je
vous préviens que rien n'égale leur lâcheté, si ce n'est leur scéléra-
tesse. Alors, la Convention sera vraiment digne du peuple français.
Des lois sages seront substituées à des lois de sang; et les douceurs
de la liberté nous consoleront des calamités de l'anarchie.
» Hommes de la Gironde, il n'y a pas un moment à perdre. Si
vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des
hommes qui provoquent la guerre civile. Votre exemple généreux
sera suivi, et enfin la vertu triomphera. Si vous demeurez dans
l'apathie, tendez vos bras, les fers sont préparés et le crime règne.
» Je vous salue fraternellement.
» Vergniauo. m
L'appel du Girondin fut entendu : la Société des Amis
de la Liberté et de l'Égalité fît afficher les lettres des
4 et 5 mai dans toutes les sections et dans les locaux où
siégeaient les sociétés populaires. Elles y soulevèrent des
applaudissements sympathiques et tendirent à fortifier
l'esprit de résistance qui devait, un mois plus tard, se
traduire en insurrection.
Un membre du Club national arracha l'une de ces
affiches, fit imprimer les lettres et les envoya à la Conven-
tion nationale.
Profondément remués par les nouvelles contradictoires
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 217
qui circulaient, les Bordelais oubliaient leurs propres
dangers pour ceux des députés de la Gironde.
Les autorités constituées de la ville, pressées par Topinion
générale et dirigées d'ailleurs par leurs propres affections,
s'associaient au mouvement du peuple.
Il est difficile de se faire à distance une idée juste de la
surexcitation des esprits à cette époque dans les grandes
villes de province et notamment à Bordeaux. L'agitation
y était entretenue par des publications violentes contre la
Convention ; et d'un autre côté, les sections et les sociétés
populaires étaient en quelque sorte permanentes et la vie
politique coulait à pleins bords.
Alarmés, en effet, par les bruits répandus et par les
craintes de toute nature que la défiance augmentait encore,
les citoyens s'étaient réunis spontanément dans leurs sections
et par un mouvement unanime, même avant de connaître
les lettres de Vergniaud.
Sous l'empire des préoccupations que leur causaient
l'état d'anarchie de la capitale et la situation périlleuse des
députés de la Gironde, les Bordelais crurent devoir formuler
des réclamations qui leur semblaient d'autant plus légitimes
qu'ils avaient fait plus de sacrifices pour l'ordre de choses
nouveau.
On n'en était encore qu'aux paroles.
Le 8 mai, les sections se constituaient en permanence,
et après avoir organisé un Comité des subsistances qui
pendant trois ans rendit à la population des services
inappréciables, elles rédigèrent une adresse à la Convention
pour l'inviter à se soustraire à la fatale influence de la
municipalité de Paris et des factieux qui dominaient aux
portes de l'Assemblée ou dans les tribunes.
€ Les députés de la Gironde, disaient les sections, sont
devenus les représentants de la nation entière. Toute la
République voit en eux ses délégués, et, quels que qtient
2l8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
les sentiments généreux qu^ils inspirent, il est impossible
que nous n^éprouvions pas pour eux des sentiments plus
intimes. Us tiennent leurs pouvoirs des habitants de la
Gironde, tous garants de leurs vertus et de leurs talents.
Notre silence à Tégard de ces députés qui fut jusqu'alors
celui de la prudence, serait, en cette occurrence, celui de la
lâcheté. Nous déclarons à la Convention qu'ils n'ont pas
cessé de mériter notre estime f *) . »
Telle était la situation générale à Bordeaux avant
l'arrivée des lettres de Vergniaud.
Ces lettres éclatèrent dans la ville comme un coup de
foudre. On n'avait pas cru le mal aussi grand : le voile
était déchiré, et c'est sous le couteau que l'Aigle de la
Gironde se rappelait au souvenir de ses commettants 1
L'indignation fut vive et profonde, et les vingt -huit
sections formulèrent immédiatement l'adresse suivante à la
Convention nationale :
« Législateurs, quel horrible cri vient de retentir Jusqu'aux
extrémités de la République I Trois cents représentants du
peuple voués aux proscriptions, vingt-deux à la hache
liberticide des centumvirs !
» Législateurs, lorsque nous choisîmes des députés, nous
les mîmes sous la sauvegarde des lois, de la vertu, et de
tout ce qu'il y a de plus sacré sur la terre. Nous crûmes
les envoyer parmi des hommes; et ils sont en ce moment
sous le poignard des assassins... Que disons-nous, hélas!
peut-être ils ne sont plus... Si ce crime atroce se consomme,
frémissez, législateurs, frémissez de l'excès de notre indigna-
tion et de notre désespoir! Si la soif du sang nous a ravi nos
frères, nos représentants, l'horreur du crime dirigera notre
vengeance, et les cannibales qui auront violé toute les lois
de la justice et de l'humanité ne périront que sous nos coups.
(l^O'Reilly, Histoire de Bordeaux^ 1. 1«% 2« série, p. 282.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 219
> Convention nationale, Parisiens, jadis si fiers et si
grands, sauvez les députés du peuple, sauvez-nous de notre
désespoir, sauvez-vous de la guerre civile!... Oui, nous
organisons sur-le-champ notre garde nationale; nous nous
élançons sur Paris, si un décret vengeur ne nous arrête, et
nous jurons de sauver nos frères ou de périr sur leur
tombeau ('M >
C'était le 9 mai que les citoyens de Bordeaux parlaient
ainsi à la Convention.
Le même jour, le Conseil général de la commune donnait
son adhésion à cette adresse et désignait Léris et Duvigneau
pour la présenter à la Convention et lui exprimer de la
manière la plus énergique les sentiments qui animaient
tous les habitants de la ville.
Le Conseil général du district, de son côté, sans entendre
donner à V exposition de ses sentiments aucun caractère
de représentation, déclara que Vadresse contenait ceux
que lui inspiraient son amour pour les lois, son attache-
ment inébranlable à la cause de la liberté et de légalité,
enfin son dévouement au maintien de l'unité de la
République, qui ne pouvait exister sans l'unité et l'inté-
grité de la représentation nationale.
Le Conseil général du département fut plus explicite
encore :
€ Considérant, dit-il, que les vives alarmes et l'indignation
des habitants de Bordeaux ne sont que trop justement
excitées par les cris forcenés d'une faction scélérate, qui
proyoque chaque jour contre les représentants de la nation
de nouvelles injures et de nouveaux excès, qui appelle
contre une grande partie d'entre eux le fer des assassins
et dont les efforts tendent évidemment à faire tomber
la représentation nationale dans l'avilissement, pour la
(i) Bernadau, Histoire de Bordeaux, p. 430.
220 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
dissoudre ensuite avec violence et frapper ainsi la Répu-
blique au cœur;
j> Considérant que la trop longue indulgence de la Con-
vention nationale, et le silence moins excusable encore des
départements, n'ont fait que porter à son comble Taudace
des vils suppôts des tyrans, et qu'il est temps enfin que
tous les bons citoyens se prononcent, qu'un cri menaçant
et terrible de la France entière jette l'épouvante dans l'âme
de ces conspirateurs ;
> Considérant que la Convention nationale ne verra,
dans l'expression ardente des sentiments de la ville de
Bordeaux, qu'une preuve de son attachement pour les
représentants de la nation; convaincu que nos frères
de Paris ne se méprendront pas sur ceux auxquels ces
menaces s'adressent, et que les vrais républicains de cette
grande cité n'y trouveront qu'un encouragement pour
s'opposer avec une nouvelle énergie aux violences liberti-
cides des scélérats soudoyés par nos ennemis, » le Conseil
général du département invita les députés de la commune
de Bordeaux auprès de la Convention nationale à exprimer
en son nom les mêmes sentiments qui avaient dicté
Vadresse des sections.
C'était de la part de la ville de Bordeaux une démarche
grave, dangereuse à coup sûr pour ses auteurs ; mais elle
accuse une attitude trop courageuse et trop honorable pour
n'être pas approuvée par tous les hommes de cœur.
Léris et Duvigneau, chargés d'aller présenter à la Con-
vention l'adresse qu'on vient de lire et les adhésions des
autorités constituées, partirent pour Paris le 9 mai, et le
14 du même mois, assistés des citoyens Perrens et Duffour,
précédemment envoyés à Paris, ils en donnèrent connais-
sance à l'Assemblée.
L'adresse des Bordelais produisit une impression
profonde, et Boyer-Fonfrède, qui présidait la séance.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. ^21
répondit en quelques phrases courageuses et pleines du
mépris le plus souverain pour les proscripteurs de la
Gironde.
Son allocution souleva une tempête sur la Montagne.
Legendre injuria les Girondins, et les Bordelais en même
temps et avec eux, et traita de citoyens égarés ou soudoyés
par des intrigants les signataires de l'adresse.
Guadet prit énergiquement la défense de ses concitoyens,
et la Convention décréta Timpression, Tenvoi dans les
départements et Taffichage dans Paris de l'adresse des
citoyens de Bordeaux réunis dans leurs sections, et la
réponse de son président ^^K
C'est après ce décret que le maire de Paris, Pache, écrivit
insolemment à la municipalité de Bordeaux c que si les
> Bordelais voulaient venir en nombre à Paris pour remplir
» le double objet de juger par eux-mêmes de la conservation
> de leurs députés et de leur conduite, les Parisiens les
> recevraient avec les sentiments de fraternité qu'ils méri-
» teraient sûrement de leur part (*). :»
Ces audacieuses provocations ne tombaient pas dans un
terrain stérile, et malgré les souffrances populaires, la
résistance s'organisa sourdement.
Une partie du mois de mai se passa en conciliabules
tenus chez les amis des Girondins *, un grand nombre des
membres du Conseil général du département y assistaient.
A la tête du mouvement qui se préparait en secret, on
remarquait Pierre Sers père, qui avait été membre de
l'Assemblée législative. C'était un homme ardent, énergique,
rompu aux luttes de la parole et qui avait vu de près les
orages des assemblées politiques : il avait été choisi par ses
concitoyens pour présider le Conseil général du département
de la Gironde. Des liens d'estime et d'affection réciproques
(i) Lettre de Lériset Duvigneau du 1 5 mai 1793 {Moniteur du 16 mai 1793).
(3) Archives municipales de Bordeaux (il/oniïeur du 4 juin 1793).
222 HISTOIRE DE ÎA TERREUR A BORDEAUX
[^attachaient aux hommes du parti de la Gironde. On le
verra bientôt, avec RouUet, procureur général syndic du
département, organiser une lutte pleine d'audace et de
périls contre la Convention nationale.
Après Sers et Roullet, venaient des hommes non moins
dévoués et qui n'hésitèrent pas à risquer leur tête pour
tenter le salut des députés de la Gironde. L'histoire
doit conserver les noms de ces citoyens et honorer leur
mémoire : c'étaient Desmirail père, Wormeselle, Labrouste,
Tranchère, Maugeret, Fringues, Duranthon, Bemada,
Lavau-Gayon, Pery, Tarteiron, Barennes, Duvigneau,
Cholet, etc., etc.
Des correspondances durent s'échanger entre les députés
et leurs commettants. Nous aurions voulu pouvoir en mettre
quelques-unes sous les yeux de nos lecteurs; malheureu-
sement les archives privées s'ouvrent difficilement, et nous
ne pouvons jeter que d'incertaines lumières sur les événe-
ments des derniers jours du mois de mai.
Des dangers de toute nature surgissaient d'ailleurs à
chaque instant, et la question religieuse ne cessait de créer
des embarras. Ainsi les g et lo mai, la garnison de Blaye
et quelques hommes exaltés de passage dans cette ville se
portèrent à des violences envers 102 prêtres destinés à la
transportation et qui étaient renfermés dans la citadelle. On
réussit à empêcher un massacre général, et le Conseil géné-
ral du département, informé de ces actes odieux, ordonna
la translation de ces prêtres à Bourg, dans la maison des
Ursulines ^^K Sept jours plus tard, une fermentation
dangereuse se manifestait à Bourg, et les 102 prêtres
étaient, dans l'intérêt de leur sûreté, conduits au Fort- Pâté
devant Blaye ^^K
Une fiévreuse agitation était partout répandue et semait
(0 Archives de la Gironde, reg. du dép., no 4. Séance du 10 mai lygS.
(a) Id., reg. du dép., no 4, p. i53.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 223
le trouble dans Tordre moral comme dans Tordre matériel.
Nous parlions tout à Theure des souffrances du peuple :
à cet égard, bornons-nous à rapporter les extraits d'une
lettre adressée, le ii mai lygS, par la municipalité- de
Bordeaux au député Boyer-Fonfrède : a Nous avons épuisé
tous les moyens imaginables pour procurer à notre cité les
subsistances qui lui sont nécessaires. Nos concitoyens sont
réduits depuis quelque temps à se nourrir de pain de
méture, et encore n'est-il pas assez abondant pour éviter
les accidents que sa . distribution occasionne chaque jour
aux portes des boulangers ('). >
La famine était aux portes de Bordeaux, malgré les
mesures prises avec une infatigable activité par le Comité
des subsistances.
Au même moment, la Gironde fournissait, en vertu d'un
arrêté du Conseil général du département du i3 mai, un
nouveau bataillon de 800 hommes pour être envoyé dans
la Vendée.
Cependant le peuple commençait à se préoccuper de
Tabsence de toute Constitution, et les sections poussaient
un cri d'alarme. La section des Sans-Culottes n® i , notam-
ment, demandait le 23 mai que des mesures fussent prises
pour sauver la chose publique ^^K
Toute la question était de savoir si une Constitution
pouvait être un remède aux maux de la patrie...
Duvigneau, rentré à Bordeaux, avait raconté les péripéties
du voyage à Paris des députés envoyés par la Ville et de la
remise à la Convention de l'adresse des Bordelais. Ses
paroles n'avaient pas été de nature à rassurer ; il signalait
l'oppression sous laquelle gémissait l'Assemblée et l'audace
toujours croissante des anarchistes. A la porte même de la
Convention, une mégère, soudoyée par la Commune, lui
(0 O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. I«r, 2« partie, p. 298.
(3) Appendice, note XIX.
224 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
— --_- _■____ ---■ ., ■■-■ . ,-,. — ^
avait arraché des mains son billet d'entrée et Tavait déchiré
à ses yeux.
Ces récits avaient excité Tindignation, et toute la ville était
dans la plus grande animation. Ce fut un mouvement
général : les sociétés populaires et les vingt-huit sections
étaient en permanence; elles échangeaient, par députations,
des communications incessantes qui tenaient tous les esprits
en haleine.
Le 25 mai, une réunion générale des commissaires des
sections et des clubs devait avoir lieu à la municipalité.
Déjà on se proposait d'envoyer des courriers extraordi-
naires vers les départements voisins pour les .engager à se
réunir au peuple de la Gironde, à lever des volontaires et à
les diriger sur Paris au secours de la Convention.
Mais les efforts des citoyens de Bordeaux restaient indi-
viduels, si Ton peut ainsi parler, et ne pouvaient conjurer
les dangers qui menaçaient un certain nombre de membres
de la Convention.
Les conseils, les représentations, les menaces même
sont mal venus auprès d'un grand corps délibérant, quand
les éléments d'homogénéité qui doivent le composer sont
détruits et que les luttes individuelles et passionnées ont
étouffé la voix de la justice et de l'humanité. C'était le cas
de la Convention. La Montagne poursuivit son œuvre de
haine et de vengeance, et les journées des 3i mai, i®' et
2 juin virent la chute de la Gironde (').
Le Conseil général du département, où l'influence de
Pierre Sers était dominante, s'associa oflBciellement au
mouvement du peuple. Des réunions fréquentes avaient
lieu chez Sers, et les questions que soulevait la situation
y furent discutées avec plus de sentimentalité que de
discernement politique; il est vrai que les esprits étaient
(i) Appendice, note XX.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 225
entraînés, et que la passion irréfléchie prenait la place de la
froide raison. Nous ne saurions toutefois, sans injustice,
blâmer nos pères du courage et de la générosité qu^ils
déployèrent alors.
Quand la nouvelle du décret du 2 juin et de Parrestation
des Girondins arriva à Bordeaux, la ville fut plongée
dans une véritable stupeur. Ce premier sentiment passé,
rindignation enflamma tous les cœurs ; des cris de vengeance
se firent entendre; le peuple accourut en foule dans les
sections et dans les sociétés populaires, et, cédant à Tentraî-
nement de la première heure, il se déclara en insurrection
contre le conseil général de la Commune de Paris et contre
la faction qui subjuguait la représentation nationale. Il
ressaisit, selon ses expressions, sa portion de souveraineté,
et vint confier provisoirement au Conseil général du
département la plénitude et Texercice de ses pouvoirs.
Celui-ci, nous venons de le dire, n'était pas resté étranger
aux inquiétudes des Bordelais. Déjà, et de concert avec la
municipalité, il %vait fait publier et répandre à profusion
dans les villes et les campagnes des lettres et des pamphlets
venus de divers points de la France et exprimant des
sentiments favorables aux députés de la Gironde, hostiles à
la Commune de Paris, aux Jacobins et au parti de la
Montagne (*^
C'est au milieu de l'agitation dès esprits et de Pirritation
qui avait gagné toutes les classes de la population, et qui était
soigneusement entretenue par les amis des Girondins, que
Gensonné envoya à Pierre Sers une déclaration ainsi conçue :
f Le 2 juin 1793, Tan II* de la République française, à trois heures
de l'après-midi, moi Arnaud Gensonné, représentant du peuple
français, convaincu que nous touchons au moment où je vais être
victime des conspirations qui se trament contre la Liberté et la
(i) On peut citer notamment le Discours de Lanjuinais du 2 juin, la Lettre
de Brissot à ses commettants, etc., etc.
T. L i5
226 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
République française, par une faction dont je n'ai cessé de combattre
les coupables efforts ;
» Considérant que le mouvement prétendu révolutionnaire que
cette faction prépare et exécute, n'a d'autre objet que de dissoudre
la Convention nationale, d'usurper ses pouvoirs, de les réunir et de
les concentrer dans les mains d'un petit nombre d'individus, soutenus
et dirigés par une portion de la représentation nationale subjuguée
elle-même par la terreur, ou complice de cette usurpation révoltante;
» Considérant que tous les moyens possibles d'égarer le peuple sur
ses vrais intérêts, de corrompre l'opinion publique, de livrer à
cette faction les trésors de la République et ses armées, et de
réduire les départements à l'impuissance la plus absolue et de
résister à l'oppression qui les menace, ont été successivement
arrachés de la faiblesse de la Convention nationale, ou obtenus du
désir qu'elle a eu d'éviter tout prétexte de scission entre les membres
qui la composent ;
» Considérant que les conjurés, après avoir séduit ou égaré une
faible partie des citoyens de Paris, ont subjugué, par la crainte des
proscriptions, la majorité des habitants de cette ville, se sont
investis de tous les pouvoirs des autorités constituées, se sont
emparés de la direction de la force armée et des comités révolu-
tionnaires de toutes les sections ;
9 Que la portion du peuple qu'ils n'ont cessé de tromper sur les
intentions des députés les plus patriotes et les ])^us dévoués à ses
intérêts, ne voit dans ces hommes généreux que des traîtres et les
poursuit comme ses plus dangereux ennemis ;
» Considérant enfin qu'au moment même où je trace ces lignes
j'ai lieu de croire que la Convention nationale va être forcée
d'ordonner mon arrestation ou de la laisser faire, et que je m'attends
à devenir, dans peu d'instants, la victime d'un mouvement populaire
ou d'un assassinat prétendu juridique,
» Je déclare aux citoyens de mon département et à la France
entière que je bénirai le sort qui m'est réservé, si ma mort peut
être utile à l'établissement de la République et préparer le bonheur
du peuple français.
» Je déclare que je n'ai jamais cessé de lui être entièrement dévoué ;
que je n'ai eu d'autre ambition que celle de remplir mon mandat
avec courage et énergie ; que je n'ai formé d'autre vœu que celui de
son bonheur et de l'établissement d'une Constitution républicaine ;
que j'ai vécu et que je mourrai républicain et digne de la confiance
dont mes commettants m'ont honoré.
• Je conjure particulièrement les braves Bordelais mes concitoyens
et les républicains de la France entière, d'examiner avec soin les
chefs d'accusation (s'il en est) qui me seront imputés. Je recom-
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 227
mande à mes amis surtout le soin de ma mémoire; je les charge, au
nom des sentiments qu'ils m'ont voués, d'empêcher qu'elle ne soit
flétrie; cette tâche ne sera pas difficile.
» Au milieu des mouvements que les événements dont je serai
probablement victime vont exciter dans la France entière, j'adjure
tous les bons citoyens, et particulièrement ceux du Midi, de ne pas
imputer à la majorité des habitants de Paris les excès que, dans les
circonstances malheureuses où nous nous sommes trouvés, elle n'a
pu empêcher ni prévenir ; qu'ils se rappellent les services que cette
ville a rendus à la Révolution, et qu'ils réservent toute leur haine
pour les scélérats qui ont médité et fait exécuter cet infâme projet.
» Résigné à tout, sûr de ma conscience, j'embrasse dans ma pensée
mes chers concitoyens, tous les amis de la Liberté et de la Répu-
blique française ; et en la scellant de mon sang, sous les poignards
des conspirateurs et sous la hache des Êictieux, mon dernier soupir
sera pour ma patrie, et ma bouche ne se fermera qu'en exprimant
le plus ardent de mes souhaits : Vive la République!
» Gensonné, député de la Gironde. »
Cette déclaration qu'on appela le testament de Gensonnê
eut une grande influence sur les événements qui survinrent
à Bordeaux.
La douleur et la consternation furent générales à la
lecture des touchants adieux du plus froid et du plus stoîque
des Girondins.
Les projets de la majorité des citoyens commençaient
d'ailleurs à prendre corps; le Conseil général du départe-
ment expédiait des courriers vers les grandes villes, et
notamment à Lyon, pour provoquer une entente avec les
Bordelais et concerter les éléments de la résistance aux
anarchistes de Paris. On désirait une convocation prochaine
des assemblées primaires, afin de remédier aux dangers qui
menaçaient la République (').
C'était à Bordeaux un mouvement fébrile et général :
la vie de famille était suspendue; le peuple tout entier
vivait dans It forum, lisant assidûment les journaux et
(i) Appendice, note XXI.
228 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
les imprimés qui alimentaient son ardeur, discutant les
questions que soulevait le sort des Girondins, et s'enivrant
d'idées de vengeance contre ceux qu'il appelait les oppres-
seurs de la patrie.
Déjà la question de la force départementale était sérieu-
sement agitée.
Au milieu de cette unanimité du sentiment public, une
opposition peu nombreuse au début, mais cauteleuse et
sourde, cherchait à lever la tête, sans succès. Le Qub
national, la section Franklin et d'autres en petit nombre
comptaient dans leur sein ces éléments dangereux. On
pourrait citer Charles, Cogorus, Fontanes, Lacombe et
quelques autres.
Un honorable négociant de Bordeaux, M. Desclaux
Lacoste, écrivait le 5 juin : a: Notre ville est dans la plus
vive agitation depuis le décret contre les vingt-deux députés.
Dieu veuille nous donner la paix partout ('^ ! »
On avait besoin d'actes énergiques et non de vœux
stériles; voilà ce qui importait alors.
Dès le 6 juin, des protestations virulentes contre les
journées des 3i mai, i®' et 2 juin étaient envoyées à la
Convention nationale.
On y annonçait l'envoi à Paris d'une force armée assez
considérable, pour délivrer la Convention des tyrans qui
l'opprimaient.
Sous le coup de l'indignation publique, les représentants
Dartigoeyte et Ichon, en ce moment à Bordeaux, avec une
mission relative à la défense nationale, étaient arrêtés
comme suspects, dans la nuit du 6 au 7 juin, par ordre
de la municipalité. Dans la journée du 7, ils furent, non
sans de très vives discussions, remis en liberté ^^K
(1) Voir le dossier Desclaux-Lacoste, jugé le 17 pluviôse an II par la
Commission militaire.
(3) Appendice, note XXII.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 229
Quand ces nouvelles et ces protestations arrivèrent à
Paris, elles excitèrent un grand mouvement dans TAssem-
blée, et Thuriot en appela des Bordelais mal instruits
aux Bordelais détrompés ^^\
Cependant, le Conseil général, à qui le peuple avait
remis Texercice de ses pouvoirs, ne restait pas inactif. Il
agissait avec vigueur, et de tous les points du département
il recevait depuis plusieurs jours des députations qui
stimulaient son zèle et lui apportaient Tapprobation et le
concours des citoyens.
Une grande résolution fut prise par lui : le 7 juin, il
invita toutes les autorités du département à se joindre à lui,
par renvoi de commissaires, « afin de former un centre
» commun autour duquel les citoyens viendraient se réunir
» pour discuter avec calme les grands intérêts du moment
> et trouveraient dans l'union fraternelle du peuple et de
j& ses magistrats la force et l'énergie que la liberté opprimée
» doit opposer au despotisme et à l'anarchie. »
L'adhésion fut générale et les commissaires ne tardèrent
pas à arriver à Bordeaux.
On allait passer des paroles aux actes.
Le jour même où le Conseil général du département
jetait ainsi le gant à l'anarchie, un député de la Gironde
non compris dans le décret du 2 juin (Ducos ou Boyer-
Fonfrède) écrivait à Sers : ce Vous apprendrez par des
voies détournées où nous en sommes; Paris est assez
calme, parce que les scélérats ont été eux-mêmes épouvantés
des suites de leur crime, et n'ont pas osé le consommer.
Tous les journaux qui paraissent sont vendus ou sont
effrayés; il n'y a plus de liberté ici; mais vous pourrez
juger par le rapport du Comité de salut public sous quel
horrible joug nous vivons. Il y a cette phrase remarquable
. (i) Dauban, la Démagogie en ijgS, p. 23i.
23o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
dans le rapport de Barère : Le Comité de salut public,
qui a fait une proclamation pour justifier les événements
du 3i mai, s^est tu sur ceux du 2 juin, et son silence
sera entendu par la France entière. Gtoyens des dépar-
tements, que vous faut-il de plus? Cest le Comité de
salut public qui a parlé. On est très embarrassé de la
conduite ferme des détenus; ils veulent absolument être
jugés... Or, ce n'est pas là le compte de nos persécuteurs.
On se rabat sur la nécessité de faire promptement de
bonnes lois et la Constitution... On a la perfidie d'entasser
décrets sur décrets, pour faire croire que les détenus
empêchaient seuls de travailler; une Constitution qui se
bâcle en ce moment en quarante ou cinquante articles,
nous sera présentée lundi. Grand Dieu! est-ce là le code
qui doit régir une nation de 25 millions d'hommes?
C'est à vous de savoir si vous voulez accepter une
Constitution à laquelle tous vos représentants n'auront
pas concouru. »
Ces excitations étaient inutiles : la résistance était orga-
nisée, et, chose remarquable, organisée précisément sur le
plan indiqué dans les lettres de Vergniaud des 4 et 5 mai.
Bordeaux voulut sauver la République.
Il y eut des opposants, nous l'avons dit.
Comme pour réagir contre le sentiment public, la section
Franklin prit des délibérations tendant à l'arrestation des
députés réfugiés à Bordeaux. Cette manœuvre fut déjouée
et le Conseil général flétrit, comme elle le méritait, une
proposition qui blessait à la fois les droits de la justice et
ceux de l'humanité.
Le 8 juin, le testament de Gensonné, « fruit de l'explo-
3> sion d'un cœur vertueux retraçant les amertumes dont on
:» abreuvait les députés de cette cité ^^\ t> était connu à
(1) Sainte- Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux pendant dix-huit mois, etc.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 23 1
Bordeaux, et venait ajouter un germe nouveau à la
fermentation qui, depuis plusieurs jours, existait parmi
les citoyens grâce aux nouvelles effrayantes et contra-
dictoires répandues dans la ville sur Tasservissement de
la Convention ^ .
c Ce fut, déclara Desfieux dans le procès des Girondins,
le testament de Gensonné qui détermina rétablissement de
la Commission populaire à Bordeaux <*). »
C'est peut-être beaucoup dire, et Desfieux exagérait en
haine des députés de la Gironde.
Ce qui est certain, c'est que cette déclaration fut répandue
à profusion; que les circonstances étaient chaque jour plus
pressantes, et que le Conseil général s'était trop avancé
pour pouvoir reculer : il dut aller en avant.
Nous l'avons dit, les lettres de Vergniaud contenaient
un plan de résistance, le seul réalisable malgré les dangers
qu'il créait; ce plan devait forcément être adopté, si les
Bordelais entraient dans la voie de la résistance.
Sers l'expliqua longuement, le commenta, le développa
dans plusieurs séances du Conseil général, et le 8 juin enfin,
d'un accord unanime, il fut chargé d'exposer, en séance
publique d'une assemblée composée de commissaires délé-
gués par tous les corps constitués du département, le plan
auquel devait s'arrêter définitivement le département de la
Gironde.
Ce pouvait être le salut : ce fut la défaite, aggravée par
l'insuccès final.
Le lendemain, l'assemblée se réunissait, aux applaudis-
sements d'un concours considérable de citoyens, dans une
des salles du Département, l'hôtel actuel de la Mairie.
Un souffle généreux animait tous les cœurs.
Le procès-verbal de cette première séance mérite d'être
(0 Tustety Tableau des événements, etc.
(3) Moniteur, Procès des Girondins.
232 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
intégralement reproduit; le résumer, ce serait en affaiblir
la portée :
Aujourd'hui, neuf Juin mil sept cent quatre-vingt-treize, Tan
second de la République française, neuf heures du matin, le Conseil
général du département de la Gironde s'est formé dans la salle de
ses séances, présents : les citoyens Pierre Strs^ président ; Rambaud,
Cholet, Wormeselle, Labrouste, Tranchère, Maugeret, Monbalon,
Chéry, Baron, Monville, Duranthon, Bonac, Grangeneuve jeune,
Isaac Tarteiron, administrateurs; Roullet, procureur général
syndiCy et Fringues, secrétaire général;
Auxquels se sont réunis les citoyens Lemoine fils, Bernada^
Legrix, Demeyère, Péry, commissaires du district de Bordeaux;
Barri-Berthomieu, Lacombe-Puigueyraud, commissaires du district
■de Libourne, et Fonvieilhe, commissaire du district de Cadillac;
Les citoyens Baour, Furtado, Lapeyre,Azéma,Guibaut, Lamarque,
Coudol, Nauté, Brawer, commissaires du Conseil général de la
commune de Bordeaux;
Les citoyens Desmirail, Barennes et Duvigneau, membres du
tribunal criminel du département;
Les citoyens de Brezets, Saint-Guirons, Perrens, Perrin, Laujacq,
membres du tribunal civil du district de Bordeaux; Paul-Romain
Chaperon, membre du tribunal du district de Libourne; Fisson-
Jaubert, membre du tribunal du district de Cadillac; ^Olanyer
et Hallot, membres du tribunal du district de Bourg;
Les citoyens Grammont et Lopès-Dubec, membres du tribunal
de commerce de Bordeaux, et Chaperon aîné, membre du tribunal
de commerce de Libourne.
L'assemblée formée, un membre du Comité des rapports a dit :
€ Citoyens,
> L'objet de notre réunion est le salut de la chose publique; le
Conseil général du département, témoin des mouvements qui
agitent ses concitoyens depuis qu'ils ont connu les détails des
dernières séances de la Convention, où la Représentation nationale
a été subjuguée par des factieux soudoyés pour la dissoudre et lui
substituer un pouvoir destructeur de la liberté, a appelé près de lui
des membres de toutes les autorités constituées, pour l'investir de
leurs lumières, et réunir en masse les diverses portions de confiance
dont le peuple les à déjà revêtus.
1 Vous avez entendu retentir de toutes parts, et jusque dans cette
enceinte, les cris d'un peuple qui, voyant sa liberté compromise, se
prépare à se ressaisir de ses droits, à employer la résistance à
l'oppression, contre une faction désorganisatrice dont les entre-
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 233
prises criminelles menacent d'envahir Tautorité suprême, qui ne
peut résider que dans les mains de la Nation entière ou de la
majorité de ses délégués.
I Au milieu de cette agitation, de cette indécision du peupfe sur
le mode qu'il adoptera pour exprimer ses volontés et user de sa
force, vous l'avez vu tourner vers vous des regards inquiets, et vous
demander si le dépôt de toute sa puissance ne vous effrayerait pas ;
si les poignards des assassins, levés sur la tête des vrais républicains,
ne vous intimideraient pas; si vous étiez enfin déterminés à sauver
' la liberté en bravant tous les périls. Votre contenance seule a servi
de réponse, et déjà de toutes parts sa volonté se déploie; un grand
nombre de sections de cette vaste cité et des communes du dépar-
tement vous ont investis d'une confiance illimitée; elles vous
ont chargés des premières mesures à prendre pour diriger leur
mouvements; le peuple vous a enfin revêtus de tous les pouvoirs
pour exercer en son nom l'autorité conservatrice de ses droits.
1 Citoyens, son vœu ne peut plus être douteux, n'hésitez pas à le
remplir; vous n'êtes plus des administrateurs, des officiers munici-
paux, des juges; vous êtes les mandataires du peuple, les sauveurs
de la liberté : le Comité vous propose que dès cet instant vous vous
constituiez en Commission populaire de salut public du département
de la Gironde, et que vous ne vous sépariez plus que la liberté ne
soit rétablie au sein de la Convention nationale, t
Cette proposition est vivement appuyée; elle est mise aux voix et
délibérée à l'unanimité dans les termes suivants :
« L'assemblée, considérant que l'objet de sa réunion a été de
sauver la chose publique ; mais qu'elle a dû attendre le résultat des
délibérations du peuple de ce département, réuni depuis deux jours,
par sa seule volonté, pour préparer ses moyens de résistance à
l'oppression;
» Considérant que son vœu ne peut plus être douteux, que le
grand nombre des procès-verbaux qui lui sont parvenus de la part
des communes et des sociétés populaires du département, atteste
que le peuple, déterminé à ne pas perdre le fruit de ce mouvement
salutaire, a cherché un centre d'unité qui pût agir en son nom;
qu'il a cru cette assemblée de magistrats, déjà chargés de ses
intérêts, digne qu'il lui en confiât de plus chers encore, celui de la
défense de sa liberté et Tusage de ses premiers droits;
M Considérant que devant ces fonctions si élevées, toutes celles
dont chacun de ses membres est ailleurs revêtu disparaissent pour
n'offrir à la France entière qu'une assemblée de citoyens commis
par le peuple d'une vaste portion de son territoire pour sauver la
chose publique,
«Arrête, à l'unanimité, qu'elle se constitue en Commission
234 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
POPULAIRE DE SALUT PUBLIC DU DEPARTEMENT DE LA GiRONDE ; qu'elle
est permanente et ne cessera ses fonctions qu^après qu'elle aura, de
concert avec les agents du peuple des autres départements, mis
la liberté hors de tout péril , en la rétablissant dans le sein de la
Convention nationale ;
1 Que sa détermination sera sur-le-champ rendue publique, et
envoyée à toutes les communes du département ;
> Qu'enfin elle va s'organiser par la nomination d'un président,
d'un vice-président et de quatre secrétaires. »
Et à l'instant l'assemblée a procédé à cette nomination.
Les scrutins faits et dépouillés ont porté à la place de président le
citoyen Pierre Sers; à celle de vice-président, le citoyen Desmirail;
et à celles de secrétaires, les citoyens Bernada, P.-F. Lamarque,
Monbalon et Duvigneau.
L'assemblée adopte la formule du serment suivante; chaque
membre le prête individuellement :
c Je jure guerre éternelle aux tyrans, aux traîtres, aux anarchistes;
» je jure de maintenir la Liberté, l'Égalité, la République une et
» indivisible, la sûreté des personnes et des propriétés ; je jure de
1 n'employer les pouvoirs qui m'ont été confiés par le peuple que
1 pour faire respecter la souveraineté nationale. »
Fait en séance publique de la Commission populaire de salut
public du département de la Gironde, à Bordeaux, le 9 juin 1793,
l'an second de la République française.
» P. Sers, président. — Desmirail, vice-président.
— Bernada, P. -F. Lamarque, Monbalon et
Duvigneau, secrétaires, »
La séance fut levée au milieu des acclamations et de
l'enthousiasme du peuple.
La Commission populaire de salut public de la Gironde
se trouvait ainsi constituée, et la résistance était devenue
un fait accompli.
Les hommes de la Gironde s* étaient levés à Tappel de
Vergniaud.
Le peuple, nous l'avons vu, était en permanence et ne
voulait plus reconnaître les décrets de la Convention (">.
L'enthousiasme était général : cependant quelques bons
(i) Lettre de Dudau fils, 9 juin 1793.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 235
esprits appartenant à la magistrature ou au barreau répu-
diaient tacitement les résolutions qui venaient d'être prises.
L'avocat Albespy, notamment, disait à cette occasion :
a II est évident que Ton perd la ville de Bordeaux ; tout ceci
nous mène à une guerre civile f*>. }) Mais il eût été impru-
dent de manifester tout haut de pareilles appréciations.
La Commission populaire ne restait pas inactive. Le
jour même de son installation, elle décida de s'occuper
immédiatement et sans relâche des mesures de salut public
les plus propres à arrêter les progrès de l'anarchie et à
combattre efficacement toutes les tyrannies, en s^abstenant
toutefois de prendre des mesures partielles de nature à
isoler le département de la Gironde d'aucune partie de la
République.
Elle ordonna l'organisation d'une force départementale*
qui devait, avec les contingents que les autres départements
seraient invités à lever, concourir au rétablissement de la
liberté et de la majesté de la représentation nationale.
Tous les citoyens furent appelés à faire des offrandes en
rapport avec leur situation, afin de mettre la Commission
populaire en état de pourvoir à toutes les dépenses de la
levée de la force départementale.
Des commissaires furent envoyés dans tous les départe-
ments, pour leur donner connaissance des dispositions
républicaines des habitants de la Gironde et de leur vœu
pour la conservation de l'union entre tous les citoyens
français, de l'unité d'action pour la défense de la liberté et
de l'intégrité de la République.
Il fut enfin décidé qu'il serait incessamment écrit à toutes
les armées, et particulièrement à toutes les compagnies
franches de la Gironde employées au service de la Répu-
blique, pour les assurer du dévouement de leurs concitoyens
(I) V. le dossier Albespy, jugé par la Commission militaire le 21 mai 1794*
(Greffe de la Cour : Fonds révolutionnaire.)
236 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
A la cause de la liberté, et leur annoncer la confiance du
peuple, que, fidèles à leur poste, ils combattraient les
ennemis du dehors, tandis que les Bordelais résisteraient
sans relâche aux efforts liberticides de tous les ennemis de
rintérieur ^^K
Tel fut le début de la Commission populaire.
«Des actes préparés dans les ténèbres par une petite
poignée d'intrigants, écrivait plus tard le procureur de la
Commune Tustet, ont fait perdre à Bordeaux la réputation
qu'il méritait à tant de titres ^^K t>
Quoi qu'il en soit de l'opinion de Tustet, la Commission
populaire fonctionna avec une exceptionnelle activité ; nous
pourrions suivre heure par heure ses travaux, car nous
avons sous les yeux les procès-verbaux de ses laborieuses
séances pendant près de deux mois. Bornons-nous à dire
que le peuple, les sections et les sociétés populaires lui
donnèrent dès les premiers jours de son existence un
concours sans réserve. L'excitation des esprits était grande
à Bordeaux, et on ne voulait rien moins que sauver les
Girondins et soustraire la Convention à l'oppression des
factions anarchistes et de la Commune de Paris.
Les commissaires envoyés dans toutes les directions ne
tardèrent pas à écrire, et leurs correspondances eurent pour
résultat de convaincre la Commission populaire qu'elle
marchait dans une voie sympathique à l'opinion générale.
Près de soixante départements, en effet, adhérèrent au
mouvement insurrectionnel de Bordeaux, et les promesses
de concours et de levée d'hommes donnèrent confiance aux
instigateurs du mouvement et précipitèrent leurs actes.
De toutes parts, des députés et des commissaires envoyés
par les communes, par les sociétés populaires, par les
autorités constituées du département et des départements
(0 Délib. du g juin.
(2) Tustet, Tableau des événements, etc.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. iSy
voisins, arrivaient à Bordeaux et venaient adhérer à la
Commission populaire.
Celle-ci, le 1 1 juin, délibéra une adresse à la Convention
nationale :
«Citoyens représentants, disait-elle, la mesure est
comblée, le voile est déchiré; tous les départements se
lèvent à la fois et d'un commun accord, pour défendre la
représentation nationale, pour lui rendre sa liberté et la
retirer de Tétat d'avilissement où elle se trouve réduite.
3> Certes, si les scélérats qui dirigent en ce moment la
partie égarée du peuple de Paris, ont pu par la terreur
réduire au silence la très grande ville, il ne leur sera pas
aussi facile de frapper de stupeur les courageux républicains
qui, dans toute la France, ont juré de mourir plutôt que de
laisser s'élever aucune espèce de tyrannie sur les débris du
trône. Pensent-ils, ces hommes avides d'or et de sang, qui
n'ont la fureur de dominer que pour assouvir leur insatiable
avarice et leur horrible cruauté, pensent-ils en imposer à
toute la République, lorsque, pour écarter de la Convention
nationale les hommes courageux qui n'ont cessé de les
combattre et de les démasquer, ils ont osé faire sonner le
tocsin et tirer le canon d'alarme -contre l'Assemblée des
représentants de la nation, marcher en force contre elle,
l'entourer d'hommes armés et de furies plus épouvantables
encore, lui arracher le funeste décret qui, sans énoncer
aucun motif, sans présenter même aucune espèce de prétexte,
a enlevé à leurs fonctions ses membres les plus fermes et
ceux sur lesquels les départements pouvaient le plus compter
pour défendre leurs droits? Ne vous y trompez pas,
citoyens législateurs, la France entière ne vous voit plus
que tremblants sur vos sièges, rendant, comme les statues
des faux dieux, les oracles qui vous sont dictés par des
prêtres imposteurs. Non, dans cet état d'abjection, la
nation ne peut plus reconnaître ceux qu'elle avait crus doués
238 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
d'assez d'énergie pour exprimer librement sa volonté. Ahl
si vous n'avez pas eu la force de mourir plutôt que de céder
à l'oppression, ne combattez pas au moins les efforts des
hommes courageux qui veulent vous en délivrer. Vous allez
voir, dans toute l'étendue de la République, toutes les
sections du peuple se ressaisir de leur portion de souverai-
neté, pour en confier l'exercice momentané à des mandataires
qui en règlent l'usage, et la conservent comme un dépôt
sacré qui devra être rétabli dans le centre commun de la
représentation nationale, lorsqu'elle aura recouvré ses
droits et sa dignité; c'est du moins l'exemple que lui
donnera le peuple de ce département.
}^ Cependant, toujours attaché aux lois et aux autorités
constituées, dans l'insurrection même la plus juste et la
plus nécessaire, il n'a point élu de nouveaux mandataires ;
il a continué sa confiance, et a remis ses pouvoirs aux
magistrats qu'il avait déjà choisis.
]» Le Conseil général du département, persuadé que dans
des circonstances aussi graves que celles où nous nous
trouvons, il ne pouvait s'entourer de trop de lumières,
avait invité à une conférence générale les membres des
diverses administrations, et tribunaux du département. Le
peuple a vu ses amis et ses défenseurs dans cette réunion
des autorités qu'il a créées. Toutes les sections lui ont
envoyé, presque au même moment, des adresses pour lui
annoncer que le peuple se déclarait en insurrection contre
la tyrannie qui opprime en ce moment la représentation
nationale; que jusqu'à l'extinction de cette tyrannie, il
reprenait ses droits et en confiait l'exercice aux membres
des divers corps administratifs et judiciaires réunis en
assemblée générale.
j> Ces magistrats du peuple ont courageusement accepté
ses pouvoirs, et cette assemblée s'est aussitôt constituée en
Commission populaire de salut public. Son premier acte
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 239
a été de demander à chacun de ses membres le serment
solennel de faire une guerre étemelle aux tyrans, aux
traître^ et aux anarchistes, de maintenir la liberté et Féga-
lité, la sûreté des personnes et des propriétés, Tunité et
rindivisibilité de la République, et de n'user des pouvoirs
qui lui sont confiés par le peuple que pour rétablir le
respect dû à la souveraineté nationale.
* C'est ainsi qu'elle a cru devoir répondre d'avance aux
reproches que ne manqueront pas de lui faire les faux
patriotes, les faux républicains, les faux amis du peuple,
effrayés par cet acte de vigueur, qui, nous l'espérons,
délivrera la République de leur fatale influence. Ses actes
subséquents vous seront bientôt connus. Ils répondront,
nous en sommes certains, à la sagesse, à l'amour de
l'ordre, et en même temps au courage et au dévouement
dont les citoyens du département de la Gironde n'ont cessé
de donner l'exemple. Nous vous avions promis, citoyens
législateurs, de vous dire la vérité tout entière. C'était
notre devoir; nous le remplissons en vous assurant de
nouveau que l'indignation publique est à son comble; que
les citoyens de ce département sont déterminés à tout
sacrifier pour faire cesser l'état d'anarchie où se trouve la
France; qu'ils ont tous juré d'anéantir l'odieuse et mépri-
sable horde de brigands qui a entrepris de régner par la
terreur et par les crimes ; et que tous leurs mouvements,
tous leurs vœux tendront sans relâche au rétablissement
du bon ordre dans toutes les parties de la République ; à
l'anéantissement des factions qui la déchirent; à extirper
jusqu'aux dernières racines de l'aristocratie, du royalisme,
de l'anarchie et du fédéralisme, et à réintégrer la représen-
tation nationale dans toute la liberté et la majesté qu'elle
doit avoir pour exprimer dignement la volonté du peuple
français, et lui donner une Constitution fondée sur les
base immuables de la Liberté et de l'Égalité. >
240 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Ce langage énergique était explicite et hardi. L'insurrec-
tion était flagrante.
Le jour même où la Commission populaire parlait ainsi
à la Convention, RouUet, le procureur général syndic du
département, rendait compte au ministre de Tintérieur des
événements qui venaient de se passer à Bordeaux, et qu'il
pensait ne devoir être que les avant -coureurs d'* événements
bien plus sérieux encore. On lit dans sa lettre cette phrase
significative : cil ne fallait qu'une occasion pour mettre un
» terme à la patience du peuple et causer un grand mouve-
s> ment, et elle est arrivée. L'arrestation de plusieurs
:^ membres de la Convention qui ont le plus résisté à la
» faction anarchique, le dessein qui paraissait formé de
:» les faire périr, sans avoir constaté, pas même articulé
}> contre eux aucun crime, et les derniers mouvements de
y> Paris, en ont occasionné un dans cette ville et dans le
j> département, qui est celui d'une véritable insurreaion,
» celui d'un peuple qui se met tout entier et en masse en
» état de résistance. C'est le mouvement de 1789 qui s'est
» reproduit ('). »
Ces nouvelles et celles qui arrivaient à la Convention
de divers autres points de la République alarmèrent la
Montagne. Elle répondit aux soulèvements qui avaient
lieu dans l'Eure, le Rhône, le Calvados, la Gironde et dans
presque tout le Midi, par un décret ordonnant que tous
les députés arrêtés seraient transférés dans une maison
nationale * .
En présence d'un pareil décret, la Commission populaire
crut devoir exprimer ses sentiments sur l'existence et la
composition du tribunal criminel extraordinaire appelé,
selon toutes les probabilités, à juger les Girondins.
(i) Lettre de RouUet du 11 juin, à la suite de l'adresse du Conseil
général.
(2) Dauban, la Démagogie en lygS, p. 246.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 24 1
Après quelques considérations sur la création de ce
tribunal, sur son existence et sur le scandale de Tacquit-
tement de Marat et de quelques autres, la Commission
populaire, tout en affirmant que le peuple de la Gironde
voulait le jugement des députés afin de faire éclater leur
innocence, déclarait que le tribunal qui devait les juger ne
pouvait siéger dans le sein de Paris, sous Tinfluence
meurtrière d'une faction criminelle et audacieuse; que son
vœu était qu'il fût placé à quarante lieues au moins de cette
ville; qu'il fût composé de juges et de jurés pris dans les
départements et nommés par eux, regardant la nomination
qui en serait faite de toute autre manière comme Touvrage
de la faction elle-même; qu'elle protestait contre tout
jugement qui serait rendu soit par le tribunal actuel, soit
par tout autre, organisé ou placé contre le vœu qu'elle
énonçait; qu'elle rendait personnellement responsables les
juges et les jurés qui y auraient concouru, et que la vengeance
nationale les poursuivrait dans tous les temps et dans tous
les lieux.
Le 14 juin, la Commission populaire s'occupait de la
force départementale et en fixait le chiffre à 1,200 hommes.
Elle essayait de mettre tout en œuvre pour le succès de
son entreprise. Ses efforts ne furent pas couronnés de
succès à ce point de vue : une assemblée générale de la
garde nationale eut lieu au Champ de Mars pour le recru-
tement de ces 1,200 hommes, mais les citoyens se mon-
trèrent pleins de tiédeur, et un certain nombre de sections
ne répondirent pas à l'appel. On peut citer celles de la
Liberté n** 21, des Amis de tous ne craignant personne
n®27 et des Sans-Culottes n® i.
Les conventionnels Lidon et Chambon, réfugiés depuis
quelques jours à Bordeaux, parcoururent avec des membres
du département les rangs de la garde nationale et cherchè-
rent à réchauffer le zèle des citoyens; leurs efforts furent
T L 16
24^ HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
vains : 400 hommes furent réunis à grand'peine, comme
nous le verrons plus tard; ils allèrent jusqu'à Langon, et
la force départementale resta, en réalité, à Tétat de lettre
morte.
Mais n'anticipons pas sur les événements.
Informé de ce qui se passait à Bordeaux, le Comité de
salut public présenta un rapport à la Convention, et celle-ci
par un décret en date du 17 juin envoya Treilhard et
Mathieu en mission dans les départements de la Gironde,
de Lot-et-Garonne et départements circonvoisins, à Veffet
de s entendre avec les autorités constituées pour réunir
tous les esprits dans l'objet important de la défense
commune.
La Conimission populaire vit sans crainte cette mesure.
Vers cette époque, elle fit imprimer et répandre dans la ville
et les communes du département des milliers d'exemplaires
d'une adresse véhémente de Barbaroux aux Marseillais
datée de Caen le 18 juin, et les engageant à marcher sur
Paris.
C'est ainsi qu'elle s'apprêtait à recevoir les commissaires
de la Convention. En même temps, et le 19 juin, elle
réglait les conditions de la réunion à Bourges, pour le
16 juillet, d'une assemblée des commissaires de tous les
départements en insurrection comme celui de la Gironde;
elle adressait, en outre, aux armées de la République une
proclamation ainsi conçue :
« Braves défenseurs de la patrie, vous n'avez pas ignoré
sans doute les longues et funestes dissensions qui ont entravé
les opérations de la Convention nationale, et vous avez
partagé l'indignation qu'inspirent à tous les Français les
violences que vient d'éprouver la majesté du peuple dans
la personne de ses représentants.
» Depuis longtemps le peuple s'était prononcé sur le
complot qui se tramait à Paris, jusque dans le sanctuaire
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 248
des lois, où une minorité factieuse triomphait chaque
jour, à l'aide des tribunes, des impuissants efforts de la
majorité.
» Les crimes des journées du 3 1 mai, des 2 et 3 juin, ont
justement lassé le peuple ; il s'est levé pour sauver la chose
publique. Celui du département de la Gironde s'est constitué
en état de résistance à l'oppression, il s'est ressaisi de ses
pouvoirs; et pour marcher d'accord dans les grandes et
vigoureuses mesures que les circonstances l'obligeaient de
prendre, il s'est tourné vers les autorités constituées de son
territoire. Elles étaient réunies dans la ville de Bordeaux
pour s'occuper du plus grand danger qui ait encore menacé
la patrie : toutes les sections des villes et le plus grand
nombre des autres communes sont venues déposer dans les
mains de leurs administrateurs et de leurs magistrats
l'exercice de leurs droits, pour sauver la liberté et faire
respecter la souveraineté nationale.
» Chargés de ce grand dépôt, et bien résolus de remplir
notre fiouvelle mission, nous nous sommes constitués,
d'après le vœu du peuple, en Commission populaire de
salut public de la Gironde; et le serment que nous avons
prêté, et dont nous vous envoyons la formule, vous fixera
sur la nature des sentiments et des vues qui nous dirigent.
» Pour prévenir toute espèce de scission, et conserver
dans nos mesures de résistance l'unité et l'intégrité de la
Répilblique, nous avons envoyé des commissaires dans
tous les départements, et toutes nos démarches seront
subordonnées au vœu commun de toute la France.
3) Nous leur avons proposé de lever une force départe-
mentale pour rendre à la Convention la liberté qu'elle n'a
plus, et empêcher qu'on ne puisse la lui ravir encore
lorsqu'elle l'aura recouvrée. Une de nos premières résolu-
tions a été de vous informer de nos plans et de nos mesures,
et nous continuerons à vous en instruire.
244 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
* Frères et amis, c'est en vain que des malveillants
chercheraient à nous calomnier auprès de vous : vous
connaissez le peuple de la Gironde, dont nous sommes ici
les organes; on ne parviendra pas à vous persuader qu'il
se soit départi de ses principes et qu'il veuille, par une
lâche perfidie, ternir la gloire qu'il s'est acquise dans tout
le cours de la Révolution.
j> La Commission populaire de salut public espère donc,
frères et amis, que l'attitude que vient de prendre le peuple
de ce département, ne changera rien à la vôtre ; que toujours
semblables à vous-mêmes, vous resterez fermes à votre
poste, et que vous continuerez à triompher de nos ennemis
du dehors, pendant que nous combattrons ceux de l'inté-
rieur.
]> Nous avons juré, comme vous, de vivre libres. Comme
vous, nous saurons, s'il le faut, sceller de notre sang ce
serment solennel. »
Non contente de cette proclamation, aussi énergique que
courageuse, la Commission populaire livrait le 20 juin à la
publicité deux documents importants : le premier était une
déclaration aux termes de laquelle elle refusait de recon-
naître tous décrets rendus contre des administrations ayant
formé la résolution de résister à l'oppression, et le deuxième
une instruction destinée aux commissaires envoyés par elle
à la commission centrale de Bourges 0).
Les sections cependant ne voyaient pas sans inquiétude
l'arrivée prochaine des conventionnels Treilhard et Mathieu ;
la réflexion faisait appréhender les dangereux effets de la
mission qu'ils venaient remplir à Bordeaux, et, sous
prétexte de les prévenir, on les aggrava. La municipalité,
en effet, fut invitée à faire surveiller leur arrivée, et la
Commission populaire à leur intimer, pour toute réponse
(I) Appendice, note XXIII.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 246
après les avoir entendus, l'ordre de partir sur-le-champ. La
section Simoneau, notammetit, avait pris une délibération
dans ce sens ('>; on pourrait en citer plusieurs autres ^^K
Seule, la section Franklin insista pour que les conventionnels
fussent reçus fraternellement; mais son avis ne prévalut
pas.
Telles étaient, en général, les dispositions de la population
et des autorités constituées.
Nous verrons bientôt la réalisation du programme tracé
par la section Simoneau.
Et toutefois, nous devons le dire, il commençait à se
révéler dans le peuple une indifférence qui parut dangereuse
à la Commission populaire : c'était pour elle une déperdition
de force morale, et elle chercha à stimuler les sentiments de
Topinion publique par une proclamation à ses concitoyens :
ce Citoyens de la Gironde, disait-elle, vos frères des
départements du Nord sont levés, ils marchent vers Paris :
qu'attendriez-vous pour les suivre ? Vous n'avez pas oublié
que naguère, à la barre de la Convention, sous les regards
étincelants des factieux, vous osâtes les premiers faire
entendre une voix menaçante, et appeler sur leur tête la
vengeance nationale.
» Citoyens, la France entière a les yeux fixés sur vous;
ce n'est plus le moment de délibérer, tout espoir de bien
est perdu; le pillage, la guerre civile, des victimes, des
échafauds, voilà ce qu'on nous prépare; c'est ainsi que
règne cette faction sanguinaire et liberticide qui, après
avoir porté une main sacrilège sur la représentation natio-
nale, est enfin parvenue à l'asservir par la terreur.
> Citoyens, loin de nous cette cruelle apathie, cette
lassitude révolutionnaire qui tueraient la liberté et vous
(0 Appendice, note XXIV.
(3) Section des Amis de la Paix n* 2, section Bru tus n« 7, section des
Arts no i5, etc., etc.
246 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
feraient perdre le fruit de quatre années de sacrifices ; songez
qu'il s'agit de vos intérêts les.plus chers ; c'est la sûreté de
vos personnes et de vos propriétés que vous avez à défendre
contre le monstre de l'anarchie ; c'est la faculté de penser
et d'agir en hommes libres que vous avez à conserver.
Qtoyens, encore un généreux effort, et la patrie est sauvée.
Aux armes, citoyens, aux armes! C'est la guerre de la
vertu contre la scélératesse, c'est le combat de la liberté
contre la tyrannie, l'issue ne peut être douteuse. »
Le même jour, 24 juin, Treilhard et Mathieu arrivaient
à Bordeaux.
Treilhard, né à Brives en 1742, s'était fait recevoir, après
d'excellentes études, avocat au Parlement de Paris, et il
avait déjà acquis une réputation incontestée au barreau et
dans la capitale lorsqu'il fut élu, en 1789, député du tiers
aux États Généraux. Il conquit une assez grande influence
dans l'Assemblée constituante, grâce à ses talents et à son
éloquence. Le 2 septembre 1789, il s'était déclaré en faveur
du veto suspensif à accorder au roi, et déploya à cette
occasion une logique si serrée et si remarquable que le parti
populaire jugea utile de le conquérir à sa cause. Membre et
rapporteur du Comité ecclésiastique, il avait fait adopter
les décrets sur les biens du clergé et sur la constitution
civile, qui violenta les consciences et introduisit un schisme
dans l'Église. Un peu plus tard, il fît supprimer les ordres
religieux et mettre leurs biens à la disposition de la nation.
Président du tribunal criminel de Paris après la Consti-
tuante, il avait été élu en 1792 député de Seine-et-Oise à
la Convention nationale, s'était rangé dans le parti de la
Montagne et avait voté la mort de Louis XVI (0. ^
Mathieu, moins important à tous les points de vue que
son collègue Treilhard, était comme lui avocat à l'époque
(1) M. Treilhard est arrivé à une grande fortune politique sous le premier
Empire.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 247
de la Révolution. Originaire de Mirampol, dans TOise,
il s^était fait remarquer par un patriotisme qui lui valut
les faveurs de ses concitoyens : ils l'avaient envoyé à la
Convention, où il siégea sur les bancs de la Montagne. A
l'ouverture de la session, il avait proposé de jurer par
la force du sentiment d établir la liberté et légalité, et
dans le procès du roi il s'était prononcé pour la mort . Le
5 mars 1793, il avait fait décréter que toutes les jeunes
filles émigrées qui étaient âgées de plus de quatorze ans
seraient exportées si elles rentraient, et la seconde fois
mises à mort^,).
Partis de Paris le 20 juin, Treilhard et Mathieu étaient
arrivés à Bordeaux, comme nous l'avons dit, le 24 du
même mois.
A leur descente de la barque qui les avait amenés de
La Bastide à Bordeaux, on leur demanda leurs passeports.
Conduits au corps de garde voisin ^^\ ils exhibèrent
l'expédition du décret qui les envoyait en mission à
Bordeaux.
Aussitôt on leur donna des gardes, et sur leur refus de
les accepter, le chef du poste déclara qu'il exécutait des
ordres reçus, Treilhard et Mathieu n'insistèrent pas; ils
furent accompagnés par deux volontaires sans fusils.
A défaut de l'hôtel Richelieu, où ils ne purent être logés,
ils se rendirent, sur l'indication de l'un des volontaires, rue
du Chapelet, à l'hôtel des Asturies, et s'intallèrent dans un
appartement, au second, sur le derrière.
Ils avaient à peine pris quelque repos, quand le capitaine
Azéma se présenta pour leur annoncer qu'il avait l'ordre de
placer, jt?ottr leur sûreté, des gardes à leur porte. Treilhard
lui fit observer que ces gardes étaient inutiles, que son
(i) Mathieu a été directeur des droits réunis dans le département de la
Gironde de 1804 à 1812.
(i) Le poste du Chapeau-Rouge.
248 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
collègue et lui savaient qu'à Bordeaux ils ne couraient
aucun risque; que si cependant on voulait honorer en eux
le caractère des représentants du peuple, il suflSsait de
placer une ou deux sentinelles à la porte extérieure de
rhôtel.
Le capitaine Azéma répondit quHl avait des ordres et
quUl les exécutait.
Pendant que cela se passait à Thôtel des Asturies, la
Commission populaire était en séance et délibérait sur la
conduite à tenir envers les conventionnels. Les avis étaient
partagés : les uns voulaient leur expulsion immédiate de la
ville et du département; d'autres pensaient que l'expulsion
ne pourrait avoir lieu qu'après une entrevue de Treilhard
et Mathieu avec la Commission populaire; une fraction
enfin demandait qu'ils fussent gardés comme otages pour
répondre au département de la Gironde de ses commissaires
dans les autres départements, à l'égard desquels la Conven-
tion avait lancé un décret chargeant les autorités constituées
de les arrêter et de les renvoyer au Tribunal révolutionnaire
de Paris. Tous d'ailleurs étaient d'accord pour ne pas les
reconnaître comme envoyés de la Convention nationale.
Durant cette délibération, le procureur général syndic du
département reçut et communiqua à l'Assemblée une lettre
par laquelle Treilhard et Mathieu l'invitaient à se rendre
auprès d'eux. Après une assez vive discussion, et de
l'agrément de la Commission populaire, RouUet refusa
de se rendre auprès des conventionnels, attendu qu'ils
prenaient le titre de députés de la Convention nationale
dans le département de la Gironde, et quUl ne pouvait ni
ne devait les reconnaître en cette qualité.
La Commission populaire envoya ensuite quatre com-
missaires, les citoyens RouUet, Lapeyre, Martignac père
et Cholet, auprès des conventionnels, pour les inviter à se
rendre à l'Assemblée.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 249
Les quatre commissaires arrivèrent à Phôtel des Asturies
au moment où Treilhard et Mathieu délibéraient sur la
lettre du procureur général syndic Roullet.
Sur la communication qui leur fut faite, ils s'excusèrent
de ne pas se rendre à TAssemblée à cause de leur état
de fatigue, mais ils annoncèrent qu'ils y viendraient le
lendemain; ils ajoutèrent que puisque le procureur général
syndic refusait de se rendre auprès d'eux, ils avaient décidé
qu'ils iraient le voir.
Sur-le-champ, Martignac et ses collègues rendirent
compte de leur entrevue avec Treilhard et Mathieu, et la
Commission populaire se sépara à onze heures et demie du
soir, au milieu d'une vive agitation.
Les esprits étaient très irrités à Bordeaux, et la disette
des subsistances ajoutait au malaise et au mécontentement
des citoyens.
Le Conseil général de la commune avait été chargé par
la Commission populaire d'employer tous les moyens en
son pouvoir pour que les boulangers fussent pourvus d'une
quantité de farine suffisante à l'approvisionnement de la
ville et que l'emploi en fût surveillé par des commissaires
ad hoc. Ces moyens, quoiqu'ils fussent peut-être nécessaires
d'ailleurs pour donner une satisfaction apparente à l'opinion
publique, étaient alors difficilement exécutables en quelques
points, et ils ne pouvaient procurer à la ville et à ses
habitants le pain qui devenait chaque jour de plus en
plus rare, les grains et farines ne circulant plus avec la
même facilité d'autrefois.
C'est au milieu de ces dispositions de l'esprit public, de
ces souffrances et des défiances de la Commission populaire
que Treilhard et Mathieu avaient à se débattre.
Leur situation n'était pas facile. Après y avoir mûrement
réfléchi, les conventionnels résolurent de se rendre, le
25 juin au soir, dans le sein de la Commission populaire.
250 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Il leur sembla qu'ils ne sortiraient pas des termes de leur
mission, puisque TAssemblée était composée des autorités
constituées du département, avec lesquelles ils avaient ordre
de se concerter, aux termes du décret de la Convention ; ils
crurent devoir, dans l'intérêt du bien public et de la paix,
faire taire les considérations de forme ou d'amour-propre
et passer sur la singularité de la position qui leur était
faite.
Le 25 au matin, Treîlhard quitta l'hôtel des Asturies
pour aller faire visite à Martignac père, son compatriote
et son ami, qu'il avait reconnu la veille parmi les commis-
saires de la Commission populaire.
Il avait à peine fait quelques pas dans la rue, lorsqu'un
garde national lui barra le passage en lui disant qu'il
n'aurait pas dû quitter l'hôtel. Treilhard déclara qu'il était
libre et que personne ne l'empêcherait de sortir. Un
deuxième garde se plaça alors devant lui : — Vous
n'avancerez pas, lui dit-il. — Je suis, répondit Treilhard,
de ces gens qu'on tue, mais qu'on n'arrête pas, — et il
continua sa route.
Les deux soldats l'accompagnèrent sans autre observation.
Arrivé chez Martignac, Treilhard lui signala l'incon-
venance des procédés employés à son égard, et le pria
d'écrire au maire pour faire lever une consigne qui pouvait
être mal interprétée, et pour venir en conférer immédiate-
ment avec lui.
Le maire, M. Saige, répondit qu'il n'avait pas donné
d'ordres, et que s'il en existait, ils émanaient sans doute de
la Commission populaire, à laquelle il fallait s'adresser.
Sur les instances de Treilhard, Martignac père écrivit à
Pierre Sers pour lui soumettre les mêmes réflexions qu'au
maire. Sers répondit à son tour que les ordres étant le
résultat d'une délibération de la Commission populaire,
c'était à elle qu'il appartenait de les retirer. Il s'excusa
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 25 1
SOUS le prétexte de ses affaires, disait-il, de venir auprès
du représentant. La consigne f^esta, et Treilhard retourna
à r hôtel avec ses gardes.
Les mêmes procédés furent employés le même jour à
regard de Mathieu.
Il y eut plus encore : les conventionnels ayant écrit
diverses lettres, et notamment au Comité de salut public,
leur domestique, chargé de les porter à la poste, fut
obligé, en sortant, de les montrer aux sentinelles, qui en
prirent les adresses.
Le soir, vers cinq heures et demie, Treilhard et Mathieu
se rendirent à pied à la Commission populaire. Une garde
assez nombreuse les avait précédés, et ils étaient escortés
par deux officiers. Les rues qu'ils parcoururent étaient
bordées d'une masse de peuple, et la foule suivait les
conventionnels en faisant entendre parfois des paroles
malsonnantes. L'un des officiers dut même imposer silence
à quelques citoyens. Tout le monde se tut.
« Deux membres de la Convention, dit le procès-verbal
de la séance, se présentent et prennent place au bureau.
» Le citoyen Treilhard, l'un d'eux, prend la parole, et
après avoir fait l'éloge du patriotisme, du courage et de la
sagesse dont les habitants de la Gironde ont donné tant de
preuves signalées, il annonce que son collègue et lui sont
chargés, par la Convention nationale, de venir les inviter
à se réunir aux autres départements et à s'armer pour
terrasser et les ennemis extérieurs et les rebelles de la
Vendée. Il présente le tableau des dangers qui nous
menacent. — c Toutes les puissances de l'Europe sont
» conjurées contre nous. Le fanatisme et l'aristocratie
» profitent au dedans de cet état de choses pour déchirer
]» la République. Nous voulons tous en soutenir l'unité,
1^ l'indivisibilité ; nous voulons tous la sûreté des personnes
> et des propriétés... »
252 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
— « Nous le voulons tous, » s'écrient les membres de
TAssemblée.
— « Eh bien! il ne s'agit que de nous expliquer avec
y> franchise. Puisque nos principes, nos vues, nos sentiments
» sont les mêmes, réunissons-nous contre nos ennemis
» communs, marchons ensemble aux frontières et dans la
]> Vendée. C'est par l'union que nous triompherons des uns
:» et des autres. >
» Le président Sers lui répond que la Gironde et les
autres départements ont fait, à l'envi, les plus généreux
efforts pour défendre la patrie contre les ennemis qu'il vient
de nommer; que nos frères sont encore sur les frontières et
dans la Vendée, où ils gémissent dans l'abandon le plus
déplorable; que ce serait se sacrifier sans fruit que de
tourner ses pas dans ce moment vers les frontières ou la
Vendée; que c'est à la source du mal qu'il faut aller; que
cette source est dans la Convention même, qui, dégradée,
avilie, tyrannisée, dispersée par une tourbe de scélérats,
n'est plus que l'ombre d'elle-même et ne peut plus prendre
que des mesures contraires à l'intérêt de la République, -i
» Il fait, à son tour, le tableau des désordres dont Paris
a été le théâtre depuis cinq mois, et notamment depuis
le 27 mai dernier. Toutes les fois que quelques-uns des
représentants du peuple ont osé proposer de réprimer les
brigandages de ceux qui ont asservi la ville de Paris, et
qui, par la ville de Paris, se flattent d'asservir toute la
République, ils ont été hués, menacés, proscrits.
« Ne sont-ce pas, s'écria Pierre Sers, ces mêmes brigands
:» qui viennent de tirer le canon d'alarme, de sonner le
]> tocsin, de forcer le peuple à se montrer en insurrection?
» Et dans quelle vue ? Pour prévenir un rapport qui allait
» mettre leurs complots en évidence, qui allait dévoiler,
» manifester la conjuration qu'ils avaient formée de
^ dissoudre la Convention, puisqu'ils ne pouvaient complè-
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 253
» tement l'asservir. Pourquoi ces baïonnettes? Pourquoi
» ces canons dirigés sur la Convention même? N'était-ce
» pas pour lui arracher un décret d'arrestation contre une
3) trentaine de ceux qui, s'occupant des vrais intérêts du
> peuple français, voulaient le défendre de la tyrannie qui
> le menace ? N'était-ce pas le signal de la servitude qu'on
j> prépare à la France entière, au nom de la liberté et de
> l'égaUté?
:» Voilà donc nos véritables ennemis, voilà ceux qui nous
> livrent aux Autrichiens et aux rebelles de la Vendée, et
> voilà ceux dont nous sommes résolus d'arrêter les
3 complots. Nous ne nous trahirons pas nous-mêmes, en
jD nous laissant éblouir sur le bord de l'abîme qu'ils creusent
3) sous nos pas. Ce serait vraiment nous rendre complices
}» de la plus coupable révolte, si nous étions assez lâches
:» pour laisser une ligue aussi funeste ourdir en paix ses
» trames criminelles. Nos frères les Parisiens jious tendent
» les bras. Lorsque nous les aurons délivrés du joug des
> traîtres qui les oppriment; lorsque nous aurons rendu,
» de concert avec les autres départements, à la représenta-
» tion nationale toute sa liberté, toute sa dignité, c'est alors
» que, tournant nos armes contre les rebelles de la Vendée
T> et les satellites de l'Autriche, nous serons sûrs d'un
* triomphe complet. »
Sers avait à peine cessé de parler que de longs et chaleu-
reux applaudissements éclatèrent dans la salle et dans la
foule qui stationnait au dehors; ils semblaient attester que
cette vigoureuse réponse était l'expression fidèle des senti-
ments unanimes de tous les citoyens de la Gironde.
a Treilhard, reprenant la parole, assure que la Conven-
tion est libre; qu'elle l'a toujours été... »
Des murmures et des protestations accueillirent cette
déclaration du conventionnel.
a II ajoute qu'il y a bien eu quelques instants, dans les
254 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
premiers jours de juin, où elle parut cesser de Têtre; que
ce fut Teffet d'un quiproquo, d'une consigne mal entendue,
mais que les choses rentrèrent bientôt dans Tordre conve-
nable, c J'en ai senti l'inconvénient moi-même, dit Treilhard;
ï j'ai été plus irrité qu'un autre de cette résistance. Mais parce
:» qu'il y aura eu des mouvements irréguliers, faudra-t-il,
]»ai-}e pensé, tout dissoudre? Ainsi, j'ai tout sacrifié,
» avec la majorité de l'Assemblée, au grand intérêt de la
> chose publique. Des membres ont été dénoncés; un
» décret les a mis en arrestation. Vous me demandez quels
y> en ont été les motifs? Je ne puis le dire; dans une grande
:p assemblée, ceux qui délibèrent sont déterminés, les uns
» par un motif, les autres par un autre. Au surplus,
» ajoute-t-il, s'il y a des traîtres, ils seront punis; déjà
3> plusieurs ont payé de leur tête leurs perfidies. Vous
* pouvez adresser vos plaintes à la Convention ; quels
» qu^ils soient, elle en fera justice. Nommez-les... 3>
A ces mots un grand tumulte éclata dans la salle, des
cris partirent de tous côtés : les noms de Robespierre,
Pache, Marat, Danton, la Montagne, retentirent dans
toute l'Assemblée.
« Après un long murmure, Treilhard continue et entre-
tient l'Assemblée des mesures qu'il croit les plus propres à
dissiper les dissensions qui tourmentent la France.
« La Convention , dit-il , vient de nous donner une
> Constitution. Ralliez- vous autour d'elle. C'est là qu'est
1^ attaché votre bonheur. Depuis longtemps nous y travail-
la Ions... 1^
« — Depuis huit jours, d répond une voix.
a: Depuis cinq ans elle est à l'ordre du jour. Au reste, le
1^ peuple la jugera; quelles que soient les mains qui ont
» élevé l'édifice, qu'importe, s'il nous met à l'abri des
j> orages? N'avez-vous pas le droit de la rejeter ou de
» Tadopter ? Aura-t-elle aucune autorité avant que vous
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 255
j> l'ayez acceptée ? Rien ne peut donc nous empêcher de
» nous en occuper, puique c'est véritablement là qu'est le
1 salut de la République. >
a — Vous nous dites, réplique aussitôt le président
» Pierre Sers, que de quelque main que nous vienne la
» Constitution, il faut nous rallier autour d'elle. Cependant
» le peuple français a nommé des représentants pour la
y> former. Ces représentants ne sont pas libres. Ils y
» travaillent sous le couteau, et sont privés, par la force
3^ des baïonnettes, du secours des membres que leurs
» lumières et leur fermeté rendaient les plus propres à les
» aider dans ce travail. Est-ce donc là une chose indifférente ?
> Vous dites que le peuple la jugera : sans doute il peut la
:» rejeter; mais le peuple est assez sage pour se déâer de
» ses propres lumières, et n'a nommé des représentants
» que pour s'épargner le travail d'une discussion longue,
» difficile et qui peut trop éloigner le terme du bonheur qu'il
j> en attend, et c'est d'après la confiance qu'il a dans ceux
» qu'il avait chargés de ses intérêts les plus chers, qu'il
» veut la juger. En un mot, nous voulons une Constitution,
}» mais nous la voulons de la main d'hommes purs et
» libres... »
Des applaudissements unanimes accueillirent ces paroles.
a Le président, reprenant la parole, accumule, presse les
faits de violence et de tyrannie, les pillages, les assassinats
qui se sont succédé, et qui, tous, sont restés impunis; il
indique les personnes, les lieux, les époques où toutes
ces horreurs ont été préparées et exécutées. «Eh quoi!
» continue-t-il, la faction sanguinaire qui veut étendre sa
» tyrannie jusque sur nos départements, s'est-elle imaginé
7> qu'ils sont aveuglés sur leurs véritables intérêts, ou que
> la vérité n'arrive pas jusqu'à eux ? Et d'où vient cet accord
» dans le langage de tous les voyageurs, dans les lettres qui
» s'échappent du sein même de la Convention ? Les bar-
256 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» rières de Paris n'ont-elies pas été fermées ? Les journaux
D qui racontaient les événements n'ont-ils pas été supprimés ?
» Le secret des postes n'a-t-ii pas été violé ? Ne Test-il pas
]> encore? Est-il permis d'écrire et de penser autrement
» qu'au gré d'un comité révolutionnaire plus féroce que
T> toutes les inquisitions de l'Espagne et du Portugal ? La
> Convention n'est-elle pas dispersée? OfFre-t-elle autre
> chose qu'un corps mutilé, dont grand nombre de mem-
j> bres sont enfermés, les autres paralysés par la terreur, et
» les autres en proie à leur ambition personnelle ? Eh quoi I
» cent mille hommes s'arment au bruit du canon d'alarme,
» de la générale et du tocsin, qui retentissent nuit et jour
]i> dans Paris; ceux qui les conduisent les déclarent en
> insurrection; ils leur font environner le temple de la loi;
» les héros du 2 Septembre, à la tête de cette force, deman-
» dent à la Convention la proscription d'une partie de
:p ses membres et ne lui donnent qu'un instant pour
» qu'elle prononce, elle obéit; elle consacre une pétition
» qu'elle avait proscrite peu de jours auparavant, comme
» CALOMNIEUSE... »
Et Sers appuya sur cô mot. — Puis il continua en ces
termes :
e: Vous nous demandez de la franchise ! Eh bien I est-ce
» là l'effet d'une consigne mal entendue ? Les scélérats qui
» lui ont arraché cet acte de proscription se vantent de ce
!> triomphe, quoiqu'une loi toute récente ait déclaré que de
3> pareils attentats seraient punis de mort. Ils font retentir
» dans toute la France les succès de la révolution du
» 3i mai, et leurs victimes gémissent encore dans cette
> tyrannique arrestation, sans qu'il soit permis de réclamer
}> en leur faveur, sans qu'ils puissent eux-mêmes dire un
» mot; on ne veut rien entendre. Et vous nous dites que la
» Convention est libre I qu'elle n'a pas été violentée ! A
» quels signes faut-il donc reconnaître la violence et l'op-
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 25 J
^ pression? Oui, cet horrible attentat sera puni; la nation
j& française n'est pas faite pour tant d'ignominie. Croyez
» qu'il existe encore quelque courage, quelque vertu dans
» les départements; ils n'abandonneront pas à la rage de
j» vils assassins les dépositaires de leurA:onfiance, et déjà la
» France entière s'ébranle et demande vengeance de l'ou-
}D trage qu'elle a reçu dans la personne de ses représentants.
» Voilà ses projets, voilà ses espérances; elles ne seront
i> point vaines ; et la Convention devenue libre déclarera
]> que les départements ont bien mérité de la patrie. :^
» Après cette explication, qui est de nouveau couverte
des plus vifs applaudissements, et des cris répétés dans
tous les tribunes : Oui, oui, nous irons tous! tous! — le
citoyen Mathieu, collègue de Treilhard, prend la parole et
invite les citoyens de la Gironde à peser toutes les suites
que peuvent amener les résolutions qu'ils vont prendre; il
les presse, il les conjure de ne pas se méprendre dans le
choix des moyens qu'ils doivent employer pour le salut
public; il leur fait envisager tous les désastres qui résultent
des discordes civiles : « Je conviens , dit-il , qu'il y a à
» Paris des mouvements contre-révolutionnaires, des anar-
» chistes; mais des ennemis plus redoutables sont dans la
» Vendée; ils y font des progrès effrayants : c'est là que
» vos forces doivent se porter; il est plus glorieux pour les
7> citoyens de la Gironde de défendre la liberté là où elle
» est le plus menacée, d'aller secourir les départements qui
3) sont la proie des rebelles; une conduite contraire ne
» pourrait que servir nos ennemis. Si leur arrière-garde
1^ est à Paris, c'est le corps même de l'armée qu'il faut
» attaquer; c'est là ce qui doit tous nous réunir. »
3> Le président lui fait une réponse analogue aux principes
et aux sentiments qui dirigeront toujours les citoyens de la
Gironde, et qui sont renfermés dans le serment qu'a fait
la Commission populaire de salut public ; et c c'est à Paris,
T. L 17
2 68 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEATtX.
> a-t-il dit en finissant, qu'est l'état-major, le quartier
» général de Tarmée des rebelles, et non dans la Vendée, o
* Les citoyens Treilhard et Mathieu déclarent qu'ils
rendront un compte fidèle à la G)nvention de tout ce
qu'ils viennent d'entendre et des motifs qui dirigent la
Commission, et ils se retirent (*). »
Telle fut l'entrevue des envoyés de la Convention avec la
Commission populaire de salut public de la Gironde.
Avant de quitter l'Assemblée, Treilhard invita Pierre
Sers à faire lever la consigne relative à la garde commandée
pour la sûreté des représentants, et à donner des ordres
à la poste pour qu'on leur fournît des chevaux dès qu'il
leur conviendrait d'en demander. Il lui proposa ensuite,
pour le lendemain, un entretien pour causer paisiblement
sur les moyens de servir utilement la cause publique .
Le 26 juin, Treilhard se rendit chez Pierre Sers. Il fut
accompagné par deux gardes qui ne le quittèrent pas, et
que Sers fit asseoir dans son cabinet avec le conventionnel,
comme pour être les témoins de la conférence. Elle ne fut
pas longue, d'ailleurs, et Sers dit notamment à Treilhard :
<( Je vous prie et je vous somme, en présence de ces deux
citoyens, d'exprimer à la Convention le vœu général et
unanime du département, et principalement celui de la
punition de ceux qui ont attenté à la représentation
nationale. »
Treilhard lui fit observer qu'il avait désiré une conver-
sation, un épanchement et non pas une discussion; que son
but n'était pas rempli. Il ajouta que son intention et celle
de Mathieu était de rendre compte à la Convention de ce
qu'ils avaient vu et entendu dans le sein de la Commission
populaire, mais qu'ils étaient hors d'état d'exprimer le vœu
de Bordeaux et du département de la Gironde, parce qu'on
('} Registre de la Commission populaire, p. 121.
I
1.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 259
avait pris toutes les mesures pour les empêcher de le
connaître. Treilhard se plaignit ensuite de la consigne
blessante donnée à leur égard, et insista pour une décision
quelconque.
Puis il se retira.
Le 26 juin au soir, la Commission populaire décidait,
après une discussion assez vive, que Treilhard et Mathieu
seraient libres de partir et qu'il serait pris un arrêté
contenant les motifs de la délibération de l'assemblée.
Le lendemain 27, dans la matinée, Pierre Sers vint
prévenir les conventionnels de la décision de la Commission
populaire, et dans l'après-midi il leur porta un exemplaire
du très remarquable arrêté pris à leur sujet ^^K
Il leur fit entendre que la Commission désirait leur
prompt départ, et qu'elle n'avait pas cru devoir modifier
les consignes et laisser aller et venir les conventionnels sans
gardes; que toutefois, dans la ferme persuasion qu'ils ne
feraient aucun séjour dans le département, on ne les ferait
pas accompagner jusqu'à ses limites.
Treilhard et Mathieu, en présence de procédés si étranges
et qui les constituaient en quelque sorte à l'état de prisonniers
dans l'enceinte de la ville, n'hésitèrent pas un instant. Le
27 juin, à minuit, ils quittaient Bordeaux qui leur avait été
si inhospitalier, et arrivés à Mussidan, dans la Dordogne,
ils y rédigèrent, le 29 juin, le récit de la conduite tenue à
leur égard par les Bordelais.
Il est certain que les autorités constituées, dont l'attitude
fut réellement énergique dans cette circonstance, peuvent
être cependant taxées d'avoir manqué d'égards envers les
deux envoyés de la Convention. On les tint pour ainsi dire
en chartre privée, et ils n'eurent la liberté ni de leurs actions
ni de leurs mouvements.
(1) Appendice t note XX V.
26o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Ce fut une faute grave, nous n'hésitons pas à le dire.
C'était, dans tous les cas, la preuve certaine et la consécra-
tion éclatante de Tétat de rébellion du département de la
Gironde.
Mais les événements emportaient les hommes et l'enthou-
siasme suspendait la réflexion dans les meilleurs esprits. Tout
était hâtif, passionné, irréfléchi. — L'entraînement avait
pris la place de la raison.
Revenons en arrière.
Le 25 juin, après le départ de Treilhard et Mathieu, la
Commission populaire avait décidé un emprunt d'un million
dans la commune de Bordeaux, pour pourvoir à r acquit
des dépenses urgentes nécessitées par l'organisation
d'une force départementale; elle avait, en outre, arrêté,
contrairement aux dispositions d'un décret du 4 mai de
la Convention, que les achats et les ventes de grains
seraient libres dans toute V étendue du département de
la Gironde.
Puis, préoccupée du sort des commissaires qu'elle avait
envoyés dans les départements pour y recueillir des
adhésions au mouvement insurrectionnel de la Gironde,
elle déclarait, dans une proclamation à tous les citoyens de
la République, qu'elle mettait ces commissaires sous la
sauvegarde de tous les Français, comme elle plaçait sous
la protection de l'honneur et de la loyauté de ses conci-
toyens ceux délégués auprès d'elle.
La section Franklin qui, seule, s'était prononcée en
faveur des conventionnels Treilhard et Mathieu, renfermait
des ferments d'agitation. Quelques hommes connus pour
l'exaltation de leurs opinions étaient signalés comme cher-
chant à égarer les citoyens et à les détourner du mouvement
organisé par les autorités constituées. On citait notamment
Fontanes, Martin et Cogorus comme étant les plus dange-
reux. La Commission populaire, saisie de réclamations à
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 2^1
cet égard, dédaigna les manœuvres de ces perturbateurs
obscurs.
Elle avait d'ailleurs de plus graves sujets de préoccupation.
Quelques-uns de ses commissaires lui faisaient parvenir des
rapports peu rassurants sur les dispositions de certains
départements; et comme un des membres de l'assemblée
faisait observer, dans la séance du 29 ]um^ combien il
serait utile d*être au moins à peu près Jixê sur F esprit
des divers départements relativement aux circonstances
actuelles, le rapporteur de Tun des Comités répondait :
a qu'il était chargé d'un travail dans cet objet, mais qu'il
était forcé de dire que chaque courrier en augmentait les
embarras, parce que chaque courrier apportant de nouvelles
preuves des changements dans l'esprit présumé des divers
départements, il en résultait une grande incertitude sur
leurs dispositions ("^ »
Malgré ces indications peu rassurantes, la Commission
populaire décida de ne rien changer aux mesures prises par
elle jusqu'à ce moment.
Le 29 juin, d'ailleurs, deux lettres de Vergnîaud et une
de Gensonné (^) étaient lues à l'assemblée et y maintenaient
l'esprit de résistance.
Ici se place, par sa date, un document d'une importance
extrême, et qui, lorsqu'il fut connu de la Convention, en
même temps que certaines lettres interceptées à Toulouse,
parut de nature à motiver l'irritation et la sévérité de la
Montagne contre le département de la Gironde. C'est une
lettre adressée le 3o juin par Grangeneuve, l'un des secré-
taires de la Commission populaire et président de la Société
des Amis de la Liberté et de l'Égalité, au général Custine,
qui commandait l'armée du Nord.
(1) Registre de la Commission populaire, séance du 29 juin, p. 162,
in fine,
(3) Nous n'avons pas retrouvé le texte de ces trois lettres.
202 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Cette lettre était ainsi conçue :
« Général, frère et ami, presque tous les tyrans de l'Europe,
coalisés contre la République française, sont forcés de déplorer le
mauvais succès de leurs armes. Une horde de brigands ne voit
d'autre moyen de servir le despotisme que celui d'introduire au
sein de la République l'anarchie et le désordre; mais ils se trompent,
les Français ont juré d'être libres; ils n'auront pas juré en vam. Les
factions du dedans, liguées avec les factions du dehors, viennent de
commettre un dernier attentat. Le 3i mai, les i" et 2 juin, ces
factions, secondées par le canon et les poignards, ont arraché à la
Convention un décret d'accusation contre les membres qui avaient
le mieux servi la liberté par leurs talents et leurs vertus.
» A cette nouvelle, un cri de fureur et d'indignation s'est fait
entendre dans les départements. Des citoyens sont arrivés de toutes
parts. Ils veulent la République une et Indivisible. Une armée
s'organise pour marcher sur Paris; 80,000 hommes au moins s'y
rendront sous peu de jours. La Société populaire de Bordeaux
s'empresse de se réunir à vous. Elle veut la République une et
indivisible. Vous l'avez jurée aussi. Bravez les calomnies; attachez-
vous à votre poste. Combattez au dehors les ennemis de la liberté,
tandis que nous les poursuivrons au dedans. Notre cri de guerre
doit être, — à vous : Guerre aux tyrans, et à nous : Guerre aux
royalistes, aux anarchistes et aux tyrans (0. »
Le but de cette lettre, qui portait en tête : Départements
réunis^ Assemblée centrale de résistance à V oppression, ne
saurait être clairement défini. On croyait sans doute pouvoir
compter, à un moment donné, sur le concours de Custine,
et Ton espérait sa défection. La démarche de Grangeneuve
était, à tout prendre, des plus compromettantes; elle eut des
conséquences funestes. Custine, en effet, en butte alors aux
dénonciations des conventionnels Soubrany, Ruamps et
Montaut, et attaqué avec acharnement dans les journaux
de Marat et de Lavaux, affectait un grand dévouement pour
le parti de la Montagne. Afin de donner un gage de ce
dévouement, il n'hésita pas à envoyer à la Convention la
(i) Moniteur, séance du 16 juillet 1793.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 203
lettre de Grangeneuve, et il répondit en même temps aux
Bordelais, le 14 juillet :
« Puisqu*au milieu des violentes secousses qui vous agitent, vos
regards se portent sur les armées, montrez l'énergie que montre
votre adresse, et écoutez la vérité. On désire en vain l'unité et
l'indivisibilité de la République lorsqu'on ne lui fait pas le sacrifice
de son opinion, lorsqu'une société populaire prétend qu'on lèse la
volonté générale dans ses écrits et ses passions; — lorsqu'elle oublie
ses serments et ses devoirs, jusqu'à se liguer contre des représentants
du peuple. Si la loi n'est pas un point de ralliement, nos ennemis
sont invincibles et la liberté nous échappe. Dites aux bataillons de
la Gironde qui veulent rentrer dans leurs foyers, que la patrie
les retient auprès de leurs drapeaux. A ce prix, je suis attaché
à vous (0. »
Ce langage, dicté d'ailleurs par la raison et le patriotisme,
déjouait les espérances des Bordelais et de la Commission
populaire.
A la date même où Grangeneuve appelait Custine à
soutenir Tinsurrection bordelaise, la Commission jetait un
cri de désespoir. Ses concitoyens commençaient à l'aban-
donner : les manœuvres occultes de la minorité de la section
Franklin et des exaltés de quelques autres sections, déta-
chaient d'elle bien des individualités, jetaient le décourage-
ment parmi le peuple et tendaient à contrecarrer les mesures
de salut public qu'elle avait ordonnées.
Dans une proclamation aux habitants de la Gironde, la
Commission cherchait à relever les courages et à ramener
le zèle et le patriotisme des premiers jours. Elle terminait
en disant : a Mais si, contre toutes nos espérances, nos
derniers efforts pour ranimer votre zèle n'étaient pas cou-
ronnés de succès, il ne serait que trop évident pour nous
que vous nous auriez retiré votre confiance, ou plutôt que
vous nous auriez induits en erreur, en nous persuadant que
(0 Moniteur, séance de la Convention du i5 juillet lyqS.
264 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
VOUS nous l'aviez accordée. Il ne resterait plus à la Com-
mission populaire qu'à se dissoudre, et, en gémissant sur
notre honte, abandonner la gloire de sauver la République
à la valeur des départements où plus d'énergie et d'intré-
pidité ont déjà armé des milliers de bras. j>
Nous ne tarderons pas à reconnaître que la Commission
populaire n'avait plus le pouvoir de galvaniser le peuple
bordelais. De tous les points du département, il est vrai, on
s'en remettait à elle, on adhérait à ses mesures, on l'inves-
tissait de toute confiance pour le maintien de l'ordre public;
mais à Bordeaux les défiances et les soupçons, propagés
par quelques adeptes du parti montagnard, encouragés et
soutenus par Treilhard et Mathieu, faisaient chaque jour
des progrès; déjà beaucoup de citoyens redoutaient les
conséquences de leurs ardeurs irréfléchies et de la rébellion
à laquelle ils s'étaient associés.
Sur ces entrefaites, la Commission populaire fiit informée
que toutes les municipalités avaient reçu directement du
ministre de l'intérieur le projet de Constitution soumis à
l'acceptation du peuple.
Un pareil envoi fait en dehors du contrôle et sans
l'intervention des autorités constituées du département
souleva des critiques violentes, et des discussions orageuses
eurent lieu à ce sujet au sein de la .Commission. On ne
parlait de rien moins que de considérer l'envoi comme non
avenu. Quelques membres firent remarquer que le ministre
avait évidemment cherché à faire perdre aux corps admi-
nistratifs la confiance du peuple; que sa conduite favorisait
l'établissement du gouvernement municipal; qu'il avait
voulu se servir de l'amour-propre des municipalités pour les
soustraire à l'autorité légale des corps administratifs; que
le ministre pouvait avoir été trompé par ses agents, mais
qu'il en était responsable; qu'il fallait dénoncer la manœuvre
et non les personnes; que c'était le meilleur moyen de
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 205
prévenir le mal sans être injuste; qu'il ne fallait pas juger
delà chose en écartant les circonstances actuelles; que le
ministre était fort bien instruit des dispositions du départe-
ment de la Gironde; que l'interversion dans Tordre
administratif qu'on lui reprochait n'avait rien de coupable;
qu'elle était même toute simple puisqu'elle avait pour but
de faire parvenir au peuple un projet de Constitution qu'il
pouvait croire devoir être soigneusement éloigné de lui par
le département; qu'il n'y avait rien à écrire contre sa
conduite; qu'il fallait abandonner tout cela au mépris, mais
en même temps écrire aux municipalités qu'à la vérité
l'envoi était illégal dans la forme, mais que le peuple était
le maître de prendre connaissance du projet de la nouvelle
Constitution (') .
Ces conseils de modération furent écoutés, et par un
arrêté en date du 4 juillet, la Commission populaire décidait
que le plan de Constitution serait soumis par l'administra-
tion du département, dès qu'elle l'aurait reçu officiellement,
à l'acceptation des citoyens. « La Commission populaire,
ajoutait-elle, attend du peuple de ce département, réuni en
assemblées primaires, une déclaration formelle de ses
sentiments sur la manière dont elle a usé jusqu'à ce jour
des pouvoirs dont il l'a investie; et jusqu'à l'émission de
son vœu, elle restera constamment au poste où sa confiance
l'a placée. ]>
Quoi qu'il en soit, la disposition des esprits devenait de
moins en moins favorable à la force départementale, et dès
le 3 juillet, un honorable négociant exprimait la pensée que
la Commission populaire échouerait dans son projet ^^K
Dès le 5 juillet, d'ailleurs, une proclamation dé Treilhard
et Mathieu aux citoyens du département de la Gironde
circulait à Bordeaux. Elle était datée de Périgueux, le i*'.
(i) Commission populaire, séance du i«r juillet 1793.
(3) Lettre de Daguzan aîné, du 3 juillet 1793.
266 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
c Citoyens, disaient les conventionnels, méconnus, offensés
tant dans notre caractère public que dans notre caractère
individuel pendant le séjour que nous avons fait à
Bordeaux, nous sommes dans la persuasion que déjà, dans
cette cité, Topinion publique nous venge de la double
offense que nous avons reçue; que Téquité de tous répare
les torts de quelques-uns, et que déjà le temps a justement
reporté sur nos calomniateurs les nuages qu'ils avaient si
injustement répandus sur nous.
j> Frappés d'un discrédit préparé à Tinstant même de
notre arrivée, nous reconnûmes que le peuple avait des
ennemis puisqu'on se faisait un jeu de le tromper; nous
reconnûmes des machinations concertées et des trames
ourdies contre la liberté ; nous reconnûmes dans la réputa-
tion imméritée que Ton nous créa, un mot d'ordre donné
par l'intrigue, dans un lieu et dans un instant choisis pour
en étendre et pour en propager l'effet.
» L'erreur ne pouvait être de longue durée, notre
présence pouvait en dissiper le prestige; nous nous
aperçûmes bientôt qu'elle était importune et déconcertait
un plan.
D Tenus dans un véritable état d'arrestation, gardés et
surveillés avec des formes dont la rigueur n'était tempérée
que par l'honnêteté individuelle des gardes nationaux qui
exécutaient les ordres de la Commission, nous devons
vous le dire, citoyens, nous avons été condamnés à la plus
douloureuse des privations, puisque nous n'avons pu libre-
ment communiquer avec vous, entendre de vous et vous
faire entendre l'expression de la vérité. La confiance nous
précipitait vers vous, et l'on nous retenait par. le motif
d'une crainte que notre cœur ne pouvait partager.
j[) Nous étions en état d'arrestation avant même que la
Commission eût décidé qu'il n'y avait lieu à délibérer sur
la proposition faite de nous y retenir. Qtoyens, en aviez-
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 267
VOUS donné le pouvoir? En avez- vous eu le désir? Non;
VOUS ne pouviez ni demander ni vouloir que, pour rendre
à la représentation nationale sa liberté, on enfermât deux
représentants; que, pour rendre à la Convention nationale
son intégrité, on lui ôtât deux de ses membres, en donnant
le même exemple à tous les départements où il a été envoyé
des commissaires.
» Et c'est dans cet état de captivité que Ton nous
demande à Bordeaux si la Convention est libre à Paris.
Avant de répondre, nous aurions pu commencer par
demander si nous étions libres à Bordeaux. Nous aurions
peut-être embarrassé par cette question ceux qui se croyaient
nos juges. Dédaignant ce facile avantage, nous sentions que
la liberté était au fond de nos cœurs, et la réponse que nous
fîmes alors, nous la ferions encore.
i> Que répondre, en effet, à une Commission entraînée
par quelques-uns de ses membres, ou égarée par leurs
intrigues ? Que répondre à des hommes qui déclarent qu'ils
ne reconnaissent plus de Convention nationale, plus de
pouvoir exécutif, et qui, par une conséquence nécessaire
de cette funeste doctrine, par le motif ou sous le prétexte
d'attaquer les désorganisateurs , livrent la République
entière à la désorganisation la plus complète, affament et
décomposent nos armées, renversent le gouvernement,
rompent le lien de toutes les administrations locales et
nationales, et remplacent l'utile tendance de toutes les
parties de l'empire, de tous les pouvoirs de la République
vers un centre commun, par les tourbillons inorganisés de
quatre-vingt-six départements ?
i> Devant des conséquences aussi funestes, pouvions-nous
adhérer au principe? Est-il un bon citoyen qui le puisse,
quelle que soit son opinion sur les derniers événements ?
» Et dans quel moment s'efforce-t-on d'accréditer ces
dangereuses idées? Dans quelles circonstances divise-t-on
268 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
la patrie, de manière à la faire chercher péniblement au
sein de la France même ? C'est lorsque nos légions républi-
caines ont besoin, pour développer toute Ténergie de leur
bouillant courage, de savoir qu'il existe pour elles une
Patrie qui les regarde, qui les chérit, qui les attend; c'est
lorsqu'elles ont besoin de cette union civique à laquelle
elles sont déjà si disposées, et de cet enthousiasme de liberté
et de fraternité qui multiplie les forces physiques par les
forces morales, qui presse et qui anime tous les efforts
pour la défense de la République une et indivisible.
» Dans quel instant encore s'efforce-t-on de rompre cette
unité précieuse, également consacrée par l'intérêt national,
par les sacrifices faits en commun à la patrie, et par les
afFeaions mutuelles de tous les Français? C'est lorsque les
représentants du peuple vont ofiTrir à ses vœux impatients
une Constitution fondée sur les principes de la liberté et de
l'égalité; une Constitution qui ira prendre le caractère
sacré de loi fondamentale à la source même de toutes les
lois, c'est-à-dire dans l'intelligence de tous et la volonté
générale; c'est lorsque le peuple français, dans ses assem-
blées primaires, va pour la première fois donner au monde
l'imposant spectacle d'une grande nation qui pose elle-même
les bases de son bonheur.
» Chez un peuple libre qui n'a point encore de Consti-
tution, la patrie paraît être sans autel; on ne sait autour de
quoi se rallier. Une agitation dangereuse se communique à
tous les esprits et semble déplacer toutes les limites. L'État
est menacé de sa dissolution; les diverses autorités voient
se rompre le lien provisoire qui les unissait; les lois elles-
mêmes manquent de principes auxquels elles aillent se
rattacher; des décrets sont à chaque instant nécessaires
pour étayer les restes d'un ancien édifice. Le législateur
sent qu'il ne peut plus rien faire qu'il n'ait fait une Consti-
tution. Plus l'interrègne a été long, plus il est instant de
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 269
ramener les esprits et de rapprocher tous les citoyens par
cette chaîne douce et puissante, la seule que la liberté
connaisse et chérisse.
j> Vous sentez comme nous, citoyens, cet indispensable
besoin d'une Constitution. Vous jugerez celle qui vous sera
présentée. On défend avec plus de courage une patrie
constituée. Les rebelles de la Vendée une fois terrassés
par vos efforts, nos ennemis du dehors seront obligés de
nous demander la paix. Il est temps peut-être que les
révoltés de l'intérieur portent la peine de leur témérité et
qu'ils succombent enfin sous les efforts des Français. Ils
demandent un roi, et vous le souffririez? Ils étendent au
loin leurs ravages et menacent nos places maritimes, et
vous le souffririez? Non : les citoyens de la Gironde qui
se sont si glorieusement signalés dans la Révolution, ne
terniront pas leur gloire; ils se montreront dignes des
exemples qu'ils ont eux-mêmes donnés, et, de concert
avec les citoyens des autres départements, ils extirperont
ce chancre politique qui menace de dévorer le sein de la
République ^^K :^
Ainsi parlaient Treilhard et Mathieu faisant appel à la
raison du peuple et ne prodiguant pas de vaines menaces.
Leur langage mesuré trouva plus d'un approbateur dans
la patrie des Girondins. C'est qu'on éprouvait à la fois de
la lassitude et de la crainte : on n'apercevait pas les
résultats pratiques de l'insurrection, on en voyait les dangers.
La proclamation circula rapidement, bien que la Commis-
sion eût désiré qu'elle ne parvînt pas à la connaissance du
peuple. Elle produisit une impression que les adversaires
du parti de la Gironde et des autorités constituées mirent
habilement à profit : ils répandirent des bruits malveillants,
signalèrent les conséquences redoutables de la rébellion et
(i) Archives de la Gironde, série L.
270 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
s'efforcèrent de rallier le peuple au parti de la Montagne
et à la nouvelle Constitution, qui allait devenir \^ palladium
de la République.
Les conventionnels en mission dans les départements
circonvoisins favorisaient, d'un autre côté, les menées des
Montagnards bordelais : ainsi Mazade, Garnier et Bernard,
alors à Saintes, formulaient des proclamations où ils
désapprouvaient les mouvements des départements du
Midi, et ils envoyaient des exemplaires de ces proclamations
aux municipalités pour être distribués aux sections popu-
laires.
Cependant, la Commission pressait l'organisation de la
force départementale, et, vers le 8 Juillet, la nouvelle du
prochain départ de la force armée pour Paris, afin
d'anéantir la faction chabotine, était généralement répandue
à Bordeaux.
Ce bruit était sans doute prématuré, car dans la séance
de la Commission populaire de ce même jour, un membre
faisait connaître que beaucoup de compagnies de la garde
nationale ne voulaient point fournir leur contingent, qu'il y
aurait trois cents hommes <ï infanterie au plus prêts pour
le mercredi suivant, et que le corps de cavalerie paraissait
devoir être très lent à se former.
Ces nouvelles attristèrent la Commission; elle ne perdit
pas courage toutefois, et elle envoya des commissaires dans
le département pour stimuler le zèle des populations.
S'unissant à elle dans le même esprit, la municipalité
adressa une proclamation aux habitants de Bordeaux :
« Il s'agit aujourd'hui, leur disait le maire Saige, de
maintenir ou de perdre la réputation dont vous jouissez.
Attendrez-vous que des dictateurs insolents envoient ici des
satellites pour vous soumettre à des lois que vous n'aurez
point consenties? Attendrez-vous que la Commune de
Paris vous donne un brevet qui vous permette de porter
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 27 1
le titre de citoyens français? Est-ce à elle que vous voulez
obéir, ou aux législateurs que vous avez choisis? Tel est
pourtant le sort qui vous attend si vous ne déployez à
rinstant même toute la vigueur dont vous êtes capables.
Cette Commune qui dispose arbitrairement du pouvoir
national, après avoir subjugué, ou par la corruption ou par
la terreur, les départements qui Tentourent, vous mettra
sous le joug; et ce que Tancienne Rome ne put pas sur
vos ancêtres, cette Rome nouvelle l'exécutera sur vous.
Prévenez ce despotisme... »
Les Montagnards se réjouissaient des médiocres résultats
obtenus par la force départementale, et Tun d'eux écrivait
à la Convention : « Le despotisme qu'exerce dans cette
ville la Commission prétendue populaire n'a pas entière-
ment anéanti le patriotisme ; il y a encore un grand nombre
de bons citoyens qui sont tout prêts à se lever contre les
oppresseurs de la liberté. L'indignation du peuple est à son
comble; elle est sur le point d'éclater ^^K »
Treilhard et Mathieu avaient fait connaître qu'ils avaient
été chassés de Bordeaux par les fédéralistes de cette ville,
et le 10 juillet la Convention désignait les représentants
Chaudron-Roussau, Tallien, Ysabeau et Garrau pour se
rendre au chef-lieu de la Gironde afin d'y rétablir son
autorité.
A cette époque, et pour presser le départ de la force
départementale, la Commission populaire ordonna une
réunion de la garde nationale en armes au Champs de Mars :
il s'agissait d'inviter directement chaque compagnie qui
n'aurait pas fourni ou incorporé son contingent, à le faire
sans délai ^^K
Cette mesure indique quel refroidissement avait succédé
à l'enthousiasme de l'esprit public.
(i) Moniteur, séance de la convention du 9 juillet 1793.
(a) Arrêté du XI juillet 1793.
27^ HISTOIRE DE LA tERREUR A BORDEAUX.
Nous ne pouvons ici passer sous silence un fait particulier
relatif à un acteur célèbre; il révèle à quelles manœuvres
étaient en butte les autorités insurrectionnelles de Bordeaux.
Le 12 juillet, à la séance de la Commission populaire,
une députation de la Société des Amis de la Liberté et de
rÉgalité était introduite.
« Depuis longtemps, disait Tun des membres de cette
députation, la Société s'apercevait que l'esprit public dégé-
nérait; depuis longtemps elle renvoyait à ses comités une
foule de dénonciations, et quelque activité que ces comités
missent à la poursuite des ennemis de la chose publique,
on a senti souvent le besoin de poursuivre devant le
tribunal de Topinion publique des honmies que l'impunité
enhardissait au crime; cependant, par une sage condescen-
dance, on a encore des ménagements qui peuvent être
utiles, autant à des hommes qui pourraient n'être que
calomniés, qu'au succès des recherches à faire pour
prouver les délits. C'est ainsi que la Société a pensé qu'une
lettre qui dénonçait Laîs, acteur, devait être lue publique-
ment, et qu'une autre, indiquant des hommes d'autant plus
dangereux qu'ils se trouvent employés dans les bureaux de
l'administration, devait être remise au Comité de sûreté
générale. »
La Commission entendit la lecture de la lettre qui
dénonçait Laïs et la renvoya au Comité de sûreté générale
invité à se réunir sur-le-champ. — L'orateur de la députa-
tion annonça à l'assemblée que la Société des Amis de la
Liberté et de l'Égalité avait délibéré, à l'unanimité, que la
Commission populaire serait invitée à faire partir le citoyen
Laïs (0.
On examina les papiers de cet acteur, et, après avoir
recueilli sur son compte des renseignements qui ne furent
(i) Commission populaire, séance du 12 juillet, soir.
I
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 278
pas précisément défavorables, la Commission populaire
décida qu'il resterait libre afin que le théâtre et le public
continuassent â profiter de sa présence à Bordeaux ^^K
Le i3 juillet, la Société des Amis de la Liberté et de
r Égalité, dont le dévouement était certain et qui secondait
activement la Commission populaire, déclarait qu'il était de
rintérêt du peuple français d'accepter en masse la Constî-
tution qui allait lui être prochainement présentée dans ses
assemblées primaires. Ce n'était pas une défection, c'était
un acte de prudence.
Le même jour, la Commission populaire prenait un
arrêté pour constituer la force départementale en Légion de
la Gironde. La légion devait avoir deux colonnes, dont
l'une se dirigerait sur Toulouse pour rejoindre les forces
levées par les départements de cette région, et la deuxième
sur Limoges, où seraient invitées à la rejoindre les forces
levées dans les départements voisins. Les deux colonnes
devaient partir aussitôt que les hommes en seraient com-
plètement habillés, armés et équipés, et se rendre à Langon
et à Saint-Macaire, où elles attendraient l'ordre ultérieur du
départ définitif.
Toutefois, en présence de l'indifférence qui r^aît
partout, elle réduisit à 25 hommes le contingent à fournir
par la cavq^erie bordelaise.
Malgré cet adoucissement à ses prescriptions primitives,
la Commission populaire rencontra encore la même indif-
férence parmi les gardes nationaux; quelques-uns même
opposèrent un refus complet de fournir les contingents
demandés, attendu que c était contraire aux lois et que
rien ne pouvait obliger les volontaires à s'^enrôler. C'est
M. de Brezets, un magistrat dont le nom s'est perpétué
jusqu'à nos jours dans les places élevées du barreau et de
(i) Commission populaire, séance du i3 juillet.
T. 1. i8
274 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX,
la judicature, qui, consulté par une Compagnie de la garde
nationale, avait dicté cette réponse.
On le devine sans peine, la réunion du Champ de Mars
n^eut pas les résultats qu'on pouvait espérer; la Commission
populaire dut perdre toutes ses. illusions, s'il lui en restait
encore, et comprendre enfin que le peuple était las d'une
insurrection qui, chaque jour, perdait de ses chances de
succès. Le i5 juillet, elle s'occupait du projet de Constitution
et se proposait d'adresser aux assemblées primaires un
exposé de la situation de la République, des événements
qui avaient ôté la liberté à la Convention nationale et
nécessité la formation de la Commission populaire, et où
elle provoquait le vœu du peuple sur son existence et sur
ses opérations ^^K
Durant ce temps, le général Houchard, imitant en cela
les procédés du général Custine, dénonçait à la Convention
une lettre qu'il avait reçue de Bordeaux, et écrivait à la
Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité : e: Je vous
dénonce, frères et amis, une lettre imprimée à la date du
3i juin, d'une soi-disant Société des Amis de la Liberté
et de l'Égalité de Bordeaux, signée de Grangeneuve,
président; Dirat, Menne, Duchène et Benoît, secrétaires.
Si ces malheureux ne sont que dans l'égarement et qu'ils
aient été trompés par les lâches fédéralistes complices de
Dumouriez, et qui voulaient nous conserver un tyran, je
vous engage, au nom des soldats sans-culottes de l'armée
de la Moselle, dont je suis le chef, de les tirer de l'erreur où
ils sont plongés. »
La leçon était dédaigneuse et se ressentait du milieu où
elle avait été conçue.
A Bordeaux, la situation empirait : le peuple manquait
de pain, et des désordres incessants se produisaient aux
(0 Procès-verbal de la séance du i5 juillet 1793.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 276
portes des boulangers; une foule d'hommes, de femmes et
d'enfants affamés s'y disputaient les quelques miettes d'un
pain grossier.
Le 18 juillet, un membre de la municipalité rendait
compte à la Commission populaire des causes des attrou-
pements que nous venons de signaler, et présentait, comme
en étant la cause principale, l'insuffisance des distributions
de pain. Les approvisionnements étaient devenus difiîciles,
des obstacles multipliés gênaient la circulation des grains
et la municipalité avait vainement cherché à remédier aux
maux dont le peuple avait à souffrir.
La Commission populaire dut s'inquiéter d'une si dou-
loureuse situation: elle fit inviter les sections à concourir
selon leurs moyens à l'établissement d'une boulangerie
dans leurs circonscriptions, et elle défendit, sous des
peines sévères, aux boulangers de fabriquer du pain
fin et de vendre des farines, et aux citoyens d'en acheter.
Cependant, les sections retiraient successivement leur
confiance à la Commission populaire. La section Franklin
en avait donné la première l'exemple; les sections de la
Liberté n<* 2 1; J.-J. -Rousseau n^ 27 ; Beaurepaire n*^ 22, etc.,
ne tardèrent pas à le suivre.
La débâcle commençait.
Malgré ces abandons successifs, la Commission luttait
encore, et la force départementale partait enfin.
Le 17 juillet, Bernada et Bonus, commissaires près la
Légion de la Gironde, faisaient imprimer une adresse à
tous les citoyens des lieux de leur passage. Elle devait être
envoyée aux autorités constituées de façon à préparer un
bon accueil aux troupes de l'insurrection. Elles comptaient
quatre cents hommes! Ce petit nombre était dérisoire, mais
l'amour-propre était engagé; on ne regardait plus derrière
soi, on regardait en avant, et l'on croyait pouvoir sauver
la chose publique, oc Ne fussions-nous que trois, disait une
276 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
lettre de la Commission populaire à un de ses commissaires,
nous partirions pour ne pas nous déshonorer aux yeux de
la France, qui attend de nous son salut ^^K »
Voilà où en étaient les membres de la Commission
populaire le 20 juillet.
Ce jour-là, l'assemblée apprenait l'arrivée de la force
départementale à Langon. Un membre de la municipalité
venait en même temps l'informer que deux individus
suspects qui, depuis plusieurs mois, parcouraient dans tous
les sens le midi de la France, sans avoir une direction
déterminée, avaient été récemment arrêtés; qu'ils s'étaient
qualifiés de commissaires du pouvoir exécutif, mais qu'ils
ne jouaient, en réalité, qu'un rôle d'espions; que l'un d'eux
était marqué des lettres G A L, et que cependant il
résultait de leurs déclarations et de leurs écrits qu'ils étaient
en correspondance suivie avec Chaudron- Roussau, membre
de la Convention.
La Commission populaire chercha, mais sans succès, à
donner un grand retentissement à cette affaire.
«Ce rapport, dit le procès- verbal de la séance, étant
propre à faire connaître les hommes et les moyens indignes
dont les factieux se servent pour corrompre l'opinion
publique et atteindre au but criminel qu'ils se proposaient,
la Commission arrête qu'il sera sur-le-champ imprimé et
envoyé aux assemblées primaires ^^K »
On assure que ces deux hommes furent rendus à la
liberté quelques mois plus tard par les représentants qui
vinrent recevoir la soumission de la ville de Bordeaux, et
au nombre desquels figurait Chaudron- Roussau.
Les assemblées primaires, on vient de le voir, étaient
réunies sur tous les points du département; après s'être
déclarées en permanence, toutes acceptaient en masse le
(1) Procès-verbal de la séance du 21 juillet lygB.
(2) Moniteur, séance de la Convention du 19 juillet 1793. i
I
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 277
projet de Constitution présenté à la sanction du peuple;
toutes ou presque toutes en même temps, ainsi que la
majorité des sections de Bordeaux, renouvelaient les
pouvoirs de la Commission populaire, et déclaraient
adhérer à toutes les mesures prises par elle. Quelques-unes
même prenaient sous leur sauvegarde tous les membres
de la Commission populaire et les déchargeaient de toute
responsabilité pour les mesures prises par la Commission
dans le but de sauver la chose publique. Ce furent leurs
expressions.
La Convention, tenue au courant de ce qui se passait à
Bordeaux, avait, nous Tavons dit plus haut, désigné trois
ou quatre proconsuls pour se rendre en mission dans cette
ville; mais non contente de cette mesure qui n'avait pu
encore être ramenée à exécution, elle décrétait le 23 juillet,
sur la proposition de Baudot, que e tous les citoyens non
domiciliés à Lyon, Bordeaux, Marseille et Caen seraient
tenus de sortir de ces villes vingt-quatre heures après la
publication du décret, et de se rendre sous huit jours à leur
domicile ordinaire, sous peine d^être déclarés émigrés et
leurs biens confisqués au profit de la République. »
Ce décret causa une vive émotion à Bordeaux, qui con-
tenait un assez grand nombre d'étrangers.
Pendant que Paganel déclarait, le 25 juillet, à la tribune
de la Convention, e que Fart. 25 de la loi du 4 mai donnait
lieu aux riches négociants de Bordeaux d'acheter des blés
en grande quantité^ de manière que cette ville était dans
l'abondance tandis que les autres départements en man-
quaient, et qu'il demandait que le Comité de salut public
fît un rapport sur la situation de Bordeaux, )» cette
malheureuse ville était en proie aux horreurs de la disette;
elle avait pour dix jours seulement d'approvisionnements.
D'un autre côté, les caisses de la ville étaient vides, et la
municipalité faisait connaître à la Commission populaire
278 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
qu'elle était dans Timpossibilité de remédier à la pénurie
des subsistances.
Des discussions fort vives et fort animées s'engagèrent
sur cette question. Toutes se résumaient, en fin de compte,
par ce fait dominant, qu'il fallait à tout prix se procurer
des farines pour éviter des malheurs incalculables.
Les offrandes volontaires des citoyens riches — s'il en
restait encore, — et l'emprunt décrété par la Commission
populaire pour faire face aux dépenses de toute nature
qu'exigeait la rébellion, n'ayant produit qu'un médiocre
résultat, on dut aviser.
La Commission ne trouva rien de mieux, pour sortir
d'embarras et se procurer de l'argent, que de faire délivrer
sur récépissé, à la municipalité, par le payeur du dépar-
tement, 357,320 piastres appartenant à la République
et gardées en réserve pour le service de la marine et des
colonies. Cette mesure, grave en soi, fut considérée par ses
auteurs comme un emprunt et comme une avance sur
les 2 millions votés, le 3o mars, par la Convention, en
faveur de la ville de Bordeaux.
La somme était d'ailleurs destinée exclusivement à
l'achat de grains et farines pour l'approvisionnement de
la ville.
Quelques jours plus tard, cet emprunt, qualifié d'enlève-
ment, était signalé comme un crime et vivement reproché à
ses auteurs.
Le 27 juillet, la Commission populaire, dont les jours
étaient comptés, formulait une longue adresse aux armées
et aux bataillons de la Gironde; elle y expliquait le rôle
que les événements l'avaient appelée à jouer, et protestait de
son dévouement à la République.
C'était un des derniers actes du pouvoir usurpé. Une
nouvelle déception lui était réservée : la i^« colonne de la
force départementale, partie de Bordeaux le 17 juillet, avait
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 279
rencontré en général un bon accueil sur sa route, bien
que le district de Cadillac, qui avait fait scission avec la
Commission, eut ordonné aux citoyens de barrer le passage
à ces troupes. Bernada et Bonus, qui les dirigeaient,
étaient arrivés avec elles à Langon et rendaient compte de
l'enthousiasme des populations. Ils avaient écrit dans une
de leurs lettres qu'en apprenant la présence à Langon d'un
bataillon de Bordeaux, Treilhard et Mathieu avaient
précipitamment quitté Agen, où ils se trouvaient alors. Le
fait était exact, mais il doit être expliqué.
Les conventionnels s'étaient rendus, en effet, à Mon-
tauban, où ils avaient provoqué une réunion de délégués
des départements de Lot-et-Garonne, du Lot et de la
Haute-Garonne. De concert avec ces délégués réunis en
Comité, ils avaient pris, le 23 juillet, un arrêté relatif à la
force départementale et portant que des commissaires de
chacun des trois départements réunis partiraient sur le
champ pour aller au-devant des troupes sorties de Bordeaux
afin de s'instruire de l'objet de leur marche, et pour faire
sentir aux citoyens qui en faisaient partie les inconvénients
et même les dangers qui pouvaient en résulter. Le 26 juillet
les commissaires désignés par Treilhard et Mathieu avaient
à Langon une conférence avec Bernada et Bonus, et
le 28 ils se présentaient devant la Commission populaire.
Après lecture de l'arrêté que nous venons de résumer,
les commissaires prirent successivement la parole : ils
affirmèrent d'abord leurs sympathies pour les habitants de
la Gironde qui, à une époque peu éloignée, avaient, dans
des circonstances critiques, volé au secours des Montalbanais
opprimés par une aristocratie tyrannique; puis ils demandé*
rent à la Commission de leur faire connaître l'objet actuel
de la marche d'une force départementale vers Paris, quand
la Convention avait présenté une Constitution républicaine
bientôt acceptée par les assemblées primaires, a Au
28o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
moment où la Convention nationale va être remplacée par
une nouvelle Législative, nous pensons, dirent-ils, qu'il faut
se réunir à elle, le point naturel et le plus utile du ralliement.
Quel est et quel doit être le mobile des mesures les plus
efficaces à prendre aujourd'hui contre les ennemis du dehors
et du dedans ? C'est de porter nos forces disponibles sur les
frontières, vers Rayonne, vers Perpignan. A quoi peut être
utile une force départementale à Paris? Quels sont les
maux auxquels elle doit apporter remède? Nous vous
assurons de nos dispositions de paix et de fraternité, mais
nous ne saurions dissimuler qu'indépendamment de la loi
qui défend à tout corps armé d'entrer sur le territoire d'un
département étranger sans son consentement, d'autres
motifs peuvent apporter des obstacles au passage de la
force départementale; redoutez d'augmenter les progrès
de la guerre civile. » Ils terminèrent en disant qu'il leur
paraîtrait convenable et sage de suspendre la marche de ces
troupes jusqu'à ce que les autres départements fussent
forcés de les accepter, et ils invitèrent la Commission à
peser les considérations qu'ils avaient développées.
Celle-ci, par l'organe de son président, répondit que
tant que le peuple de la Gironde persisterait dans les
mesures adoptées, rien ne pourrait empêcher la Commission
populaire de les exécuter.
On le voit, après la lassitude des citoyens et les attaques
non dissimulées de certaines sections, la défection gagnait
les départements. La Gironde allait rester seule dans
l'accomplissement de ses projets, hélas ! trop généreux.
Mais ces démarches, connues de la population, n'étaient
pas de nature à échauffer son zèle pour la Commission
populaire. L'inquiétude et l'agitation étaient croissantes et
des désordres ne cessaient d'éclater aux portes des boulan-
gers. Lai faim dominait la situation (*).
(i) Malesuada famés.
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 28 1
D^un autre côté, Pânarchie se glissait dans les sections,
travaillées par les partisans de la Montagne, et le nombre
de celles qui retiraient leur confiance à la Commission
populaire augmentait chaque jour,
La désaffection gagnait rapidement du terrain.
Cest au milieu du conflit des opinions, au milieu des
divisions et des agitations de Tesprit public, et surtout en
présence du refus fait par les départements voisins de
fournir des grains à celui de la Gironde tant qu^il serait
en état d'insurrection, que la Commission populaire prit
une résolution suprême.
Elle prononça sa dissolution le 2 août 1 793 :
f Considérant que les autorités constituées qui la composent
s'étaient formées en Commission populaire, par la volonté expresse
du peuple de ce département, qui, après s*étre déclaré en état de
résistance à l'oppression, l'investit de ses pouvoirs et la chargea de
prendre les mesures les plus propres à combattre les factions qui
opprimaient la représentation nationale, et à la rétablir dans sa
liberté et son intégralité ;
» Considérant que, pour remplir cet objet, les premières vues de
la Commission populaire durent se tourner vers l'établissement
d'une force départementale que la Convention nationale elle-même
avait jugée nécessaire lorsqu'elle commença à craindre pour sa
liberté, et à laquelle elle ne renonça que lorsque les premières
entreprises des factieux qui voulaient Tasservir l'obligèrent à
rapporter le décret qu'elle avait rendu pour sa formation ;
» Considérant que la Commission populaire, inviolablement
attachée aux principes de l'unité et de l'indivisibilité de la
République, a dû s*assurer d'abord que tous les départements qui
annonçaient vouloir prendre les mêmes mesures de salut public
étaient dirigés par ces mêmes principes, afin d'éviter que les
intentions pures des citoyens de ce département ne pussent servir à
fsLvoriser les projets que des malintentionnés auraient pu former
ailleurs, et que c'est dans cet objet qu'elle a envoyé des commissaires
dans toutes les parties de la France, pour connaître l'esprit public
qui y régnait, et lui en faire un fidèle rapport;
1 Considérant qu'encore que ces mesures n'eussent d'autre but
que le salut de la République, la Commission populaire, toujours
fidèle aux principes, ne pensa pas qu'il lui fût permis d'appliquer les
deniers de la nation aux dépenses qu'elles devaient entraîner, et
282 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
qu'en conséquence elle crut ne devoir y fournir que par le produit
d*un emprunt civique, persuadée qu'elle trouverait dans le
patriotisme des citoyens de ce département les ressources
nécessaires pour y pourvoir;
I Considérant que toutes ces mesures avaient déjà reçu l'appro-
bation du peuple de ce département, lorsque, sur l'annonce de
l'envoi de l'acte constitutionnel, la Commission populaire s'empressa,
dès le 5 du mois dernier, d'arrêter qu'une déclaration solennelle du
peuple français, qui consacrerait pour la première fois la République
une et indivisible, présentait un avantage si précieux à saisir,
qu'aussitôt que l'administration du département aurait reçu
officiellement le projet de Constitution, il en ferait l'envoi aux
districts et municipalités, et convoquerait en même temps les
assemblées primaires;
» Considérant qu'au moment où la Commission populaire eut
l'assurance de voir le peuple réuni en assemblées primaires, elle
l'invita à lui faire connaître sa volonté, pour savoir si elle continuerait
à remplir ses fonctions, ou si elle devait les cesser;
1 Considérant que quoique la majorité des sections de la ville de
Bordeaux, la totalité de celles de Libourne, Bazas, Bourg, Blaye,
Sauveterre, Saint-Émilion, Langon, Saint-Macaire, deux de celles
de La Réole, et plusieurs assemblées primaires du canton, aient de
nouveau confirmé les pouvoirs de la Commission populaire, et
qu'elle n'ait reçu que deux délibérations contraires, néanmoins
il lui suffit que ce vœu n'ait pas été généralement exprimé pour
craindre de devenir l'objet d'une division entre les citoyens;
> Considérant que le peuple a cru voir dans l'acceptation de la
Constitution, et dans le renouvellement du Corps législatif qui doit
en être immédiatement la suite, le retour de la paix et de l'ordre,
l'anéantissement de toutes les factions, et le règne absolu de la loi ;
» Considérant que cette espérance paraît partagée par la grande
majorité des départements ; que presque tous ont pensé qu'il fallait
attendre l'effet que produirait l'acceptation de l'acte constitutionnel,
et que la Commission populaire y a été particulièrement invitée,
dans une de ses séances publiques, par des membres des adminis-
trations des départements de la Haute-Garonne, du Lot, du
Lot-et-Garonne, liés avec celui de la Gironde par tant de rapports
d'amitié, d'estime et de fraternité ;
1 Considérant qu'au moment où se forma la force départementale,
le succès de nos armes donnait la plus grande espérance de voir
bientôt tous les ennemis de la France abattus ou forcés de respecter
sa constitution et sa liberté; mais que des revers survenus depuis
obligent tous les vrais républicains à tourner tous leurs efforts contre
les ennemis qui en veulent à l'existence même de la République ;
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 283
» Considérant, enfin, que la plupart des assemblées primaires de
ce département se sont déclarées permanentes et qu'elles veillent
par elles-mêmes à la conservation de la liberté;
I Considérant que, malgré l'état de détresse où se trouve réduite
la ville de Bordeaux, elle doit se hâter, pour ôter toute espèce de
prétexte à la malveillance, de rétablir au dépôt national les piastres
qu'elle avait été contrainte d*y puiser pour prévenir les horreurs
de la famine dont elle se trouve menacée, sauf à prendre les mesures
les plus fortes pour y suppléer par d'autres moyens ;
» Par ces coNsroÉRATiONs, la Commission populaire de salut
public déclare au peuple de ce département que le silence de
plusieurs assemblées primaires sur la continuation de son existence
lui fait un devoir de se séparer ; et en conséquence, elle lui remet
les pouvoirs extraordinaires dont il l'avait investie ;
I Que les calomnies aussi atroces qu'absurdes que les malveillants
ont cherché à répandre contre le peuple du département de la
Gironde, afin de le rendre suspect aux autres départements et de
rompre les liens de la fraternité qui l'unissent à eux, lui' font un
devoir d'arrêter la force armée vers Paris et de rappeler dans leurs
foyers les citoyens qui la composent ;
» Que les engagements contractés par la Commission pour fournir
aux dépenses relatives soit à l'envoi de commissaires dans les
départements, soit à l'organisation de la force départementale, soit
pour les subsistances, l'ayant été au nom du peuple de la Gironde,
seront sacrés pour lui ; et que tous les efforts de l'égoYsme ou de la
malveillance pour leur ôter la foi qui leur est due, seront surmontés
par le patriotisme et la probité des citoyens de ce département ;
• Que malgré l'espérance que les bons citoyens peuvent avoir
conçue de voir accomplir incessamment le vœu du peuple pour
l'affermissement de la liberté et le renouvellement de la représen-
tation nationale, elle croit de son devoir d'inviter les assemblées
primaires, et chaque citoyen en particulier, de se tenir toujours
prêts à résister à toutes les tyrannies par lesquelles on essaierait
encore d'attenter à la liberté publique ou individuelle ;
» En conséquence, la Commission populaire arrête ce qui suit :
» i^Les autorités constituées cesseront de se réunir en Commission
populaire ou sous toute autre dénomination ; elles mettront,
chacune dans les termes de leurs pouvoirs, la plus grande activité
dans l'administration qui leur est particulièrement confiée, et
concourront de tous leurs efforts au maintien de la tranquillité
publique ;
» 2* Aussitôt après la réception du présent arrêté, la force
départementale se rendra dans la ville de Bordeaux, où elle a été
formée. Les citoyens qui la composent seront licenciés. Ils seront
284 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
remerciés, au nom du peuple de ce département, du dévouement
qu'ils ont témoigné et de la bonne conduite quUls ont tenue depuis
leur formation ;
» 3« L'emprunt de deux millions, ouvert en conséquence des
arrêtés de la Commission populaire des 25 juin et 16 juillet derniers,
continuera à être rempli d'après les états déjà arrêtés et sous la
surveillance des autorités constituées pour être employé en achats
de grains et farines pour l'approvisionnement de la ville de
Bordeaux, après que les sommes nécessaires à l'acquittement des
dépenses faites en exécution des arrêtés de la Commission en auront
été prélevées. Le remboursement en sera &it conformément
auxdits arrêtés ;
1 4» Ledit emprunt devant suppléer à l'emploi des piastres retirées
de l'hôtel de la Monnaie, en exécution des arrêtés de la Commission
populaire des 26 et 29 du mois dernier, lesdites piastres seront
incessamment rétablies au dépôt national par la municipalité de
Bordeaux ;
> 5^ Ladite municipalité demeure chargée, sous la surveillance des
corps administratifs, de continuer la levée dudit emprunt, de prendre
toutes les mesures convenables pour que l'emploi en soit fait, le
plus promptement qu'il sera possible, en achats de subsistances, en
réservant les sommes nécessaires pour payer les dépenses faites
en exécution des arrêtés de la Commission. Ces dépenses seront
acquittées sur des mandats du Directoire du département, d'après
les comptes visés par le Directoire du district de Bordeaux;
> 6° Le présent arrêté sera imprimé, publié et affiché ; l'envoi en
sera fait par le Directoire du département à ceux de district, et par
eux à toutes les communes et municipalités de leur arrondissement.
L'envoi en sera fait également à tous les départements de la
République. 1
La Commission populaire de salut public de la Gironde
avait vécu.
Son dernier acte était Tapologie que Ton vient de lire.
Elle cherchait à y dissimuler, sous Thabileté de la forme,
la criminalité politique de son autorité insurrectionnelle et
des mesures qu'elle avait cru pouvoir édicter pendant son
existence.
Le rôle de la Commission et l'influence qu'elle a pu
exercer sur les événements sont assez difficiles à définir; sa
création fut un produit de l'enthousiasme bordelais : elle
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 285
ne pouvait survivre aux circonstances qui l'avaient créée, et
son oeuvre était fatalement condamnée à Timpuissance.
Pendant deux mois, elle forma un État dans TÉtat. Elle
constituait une véritable insurrection, et ce fut son tort.
Elle refusa de reconnaître et de publier ceux des décrets de
la Convention qui lui paraissaient être en opposition avec
les principes qu'elle avait la |M:étention de défendre; elle
créa une force armée, décréta des emprunts, régna et
gouverna en maîtresse dans le département de la Gironde
et chercha à se créer des adhérents sur tous les points de
la France.
Elle construisait un édifice qui péchait par la base et
dont Texistence ne pouvait être qu'éphémère; ce fut,
répétons-le, un entraînement irréfléchi de la part de nos
pères, un acte de générosité courageux peut-être, mais qui
devait être fatal aux populations de la Gironde et aggraver
leur position, loin de l'atténuer.
La résolution de la Commission populaire ne fut pas
sans causer de l'émotion à Bordeaux; beaucoup de
citoyens honorables la regrettèrent. Quelques sections
même, redoutant pour les membres des autorités constituées
qui l'avaient composée les vengeances de la Convention et
des partisans de la Montagne, provoquèrent des réunions
à V effet d aviser aux moyens de préserver les membres de
la ci-devant Commission populaire des démarches qu'ils
n avaient faites que pour céder aux vœux de leurs
concitoyens.
Le 6 août 1793, la Convention, qui était restée Jusque-là
à peu près indifférente devant les tentatives insurrectionnelles
du département de la Gironde, se décida enfin à frapper
un coup dont les conséquences devaient être terribles.
Barère, dit un journal du temps ('^, signala d'une manière
(0 Journal du Soir du 7 août 1793.
-1
286 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
toute spéciale à la sévérité de la Convention Tenlèvement
des piastres de Thôtel de la Monnaie, et il proposa, au nom
du Comité de salut public, de déclarer anéantis, comme
attentatoires à la souveraineté et à la liberté du peuple
français, tous les actes faits par la Commission populaire ;
de mettre hors la loi tous les membres composant ce
rassemblement, ainsi que tous ceux ayant provoqué,
concouru ou adhéré à ses actes, et d'ordonner la réintégration
des 357,320 piastres enlevées.
Ces mesures furent adoptées par un décret ainsi conçu :
La Convention nationale,
Après avoir entendu le rapport de son Comité de salut public,
Décrète ce qui suit :
Article premier. — Tous les actes faits par le rassemblement qui
a pris à Bordeaux le titre de Commission populaire de salut public
sont anéantis, comme attentatoires à la souveraineté du peuple
français.
Art. 2. — Tous les membres qui composent ce rassemblement
ainsi que tous ceux qui ont provoqué, concouru ou adhéré à ses
actes, sont déclarés traîtres à la patrie et mis hors la loi: leurs
biens sont confisqués au profit de la République.
LcLvaugqyon, ci-devant chef d'administration civile de la marine
à Bordeaux, est également mis hors la loi, et ses biens sont
confisqués.
Art. 3. — La commune de Bordeaux réintégrera, dans l'heure de
la notification du présent décret, les 357,320 piastres enlevées à
main armée de Thôtel de la Monnaie, et qui étaient destinées au
service de la marine.
Art. 4. — Tous les dépositaires actuels de Tautorîté publique
dans la ville de Bordeaux répondent individuellement, sur leur tête,
de la somme de 357,320 piastres et des atteintes qui pourraient
être portées à la sûreté des fonds et des caisses de la République.
Art. 5. — La Trésorerie nationale fera parvenir dans le plus court
délai, aux commissaires qui seront nommés par les citoyens de
Bordeaux, la somme de 2 millions, dont le prêt a été décrété le
3o mars dernier, pour pourvoir aux subsistances de cette ville;
lesquels commissaires ne pourront être choisis parmi les membres
LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 287
des autorités constituées, ni parmi les citoyens qui ont coopéré ou
adhéré aux actes liberticides et contre-révolutionnaires des individus
composant le rassemblement connu sous le nom de Commission
populaire de salut public.
Art. 6. -- Le présent sera porté sur-le-champ, par un courrier
extraordinaire, aux représentants du peuple actuellement à
Toulouse et à Montauban, qui demeurent chargés de prendre tous
les moyens d'instruction et de force qu'ils jugeront convenables
pour assurer sa 'prompte exécution, &ire respecter les lois et
garantir les citoyens de l'oppression.
Mallarmé, président ;
DupvY fils et P.-J. AuDouiN, secrétaires.
Tout le département, on peut raffirmer, se trouvait mis
hors la loi par ce décret de la Convention.
Les représentants du peuple en mission à Toulouse et à
Montauban furent, on vient de le voir, chargés d'assurer la
prompte exécution de ce décret, de faire respecter les lois
et de garantir les citoyens de l'oppression.
Ces représentants étaient Chaudron- Roussau et Baudot,
auxquels on ne tarda pas à adjoindre Ysabeau et Tallien.
Nous les verrons bientôt à Toeuvre.
Le 7 aoûf, le Conseil général du département adressait à
la Convention l'arrêté de dissolution de la Commission
populaire. « La France n'y verra, disait Sers, ni faiblesse
ni crainte de la part du peuple de la Gironde... Il veut voir
l'effet des promesses faites au peuple français; il se courbe
avec respect, non devant les hommes, mais devant la loi...
il veut qu'il n'y ait plus ni d'ordres • arbitraires, ni de
confusion de pouvoirs, ni d'autorité illimitée confiée à des
individus; il veut que le crime soit puni et l'innocence
justifiée. »
Ce langage hardi, après la défaite, peint Sers tout entier.
Il garda ses convictions, et l'adversité ne put abattre
son courage.
Bien qu'il eût partagé avec Desmirail et RouUet le
288 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
périlleux honneur, qui coûta la vie à ce dernier, de présider
la Commission populaire, il fut seul excepté de l'amnistie
quand, plus tard, le décret du 6 août fut rapporté.
Le moment approchait où on allait mettre les Bordelais
au pas.
» |mJ; m | m |m|m|m|m|m| »^» ^ »4 | m |m|m|m|m| m | m |; m |m|m| »^4|»4|m|»4»^»
CHAPITRE |IV
LA SECTION FRANKLIN ET LA SOCIÉTÉ POPULAIRE
DE LA JEUNESSE BORDELAISE.
Faiblesse et irrésolution des autorités. — Troubles à l'occasion de la cherté
des subsistances. — Lettre du maire Saige. — Propagande faite par
l'acteur Lais. — La Société populaire de la Jeunesse bordelaise est créée
par Brochon, Ravez et Cornu. — Les effets du décret du 6 août. — Fétj
de Punité et de Tindivisibilité de la République. — Les sections se
réunissent pour obtenir le retrait du décret du 6 août. -» Les conven-
tionnels Ysabeau et Baudot arrivent à Bordeaux. — Ils y sont l'objet de
menaces et de violences. — Peyrend d'Herval, leur secrétaire^ est arrêté.
^ Ysabeau et Baudot sont gardés à vue à Thôtel de la Providence, rui
Porte-Dijeaux. — La section Franklin feit donner aux conventionnels
l'assurance de son dévouement. — Ceux-ci quittent Bordeaux et se
rendent à La Réole. — Ils protestent publiquement contre les procédés
des Bordelais à leur égard. — Les sections répudient toute participation
à ces actes. — Réponse des conventionnels. — Le Conseil général de la
commune les informe qu'on recherche les auteurs des violences dont ils
ont été l'objet. — Réponse des conventionnels. — La section Franklin
devient le véritable centre du pouvoir à Bordeaux. — Proclamation
d' Ysabeau et Baudot. — Le Conseil général de la commune défend la
ville de Bordeaux. ^^ Arrivée de Meillan, Bergoeing et autres. — Le
peuple s'apprête à la soumission. — Conflit entre la section Franklin
et la Société populaire de la Jeunesse bordelaise. — Les conventionnels
isolent Bordeaux. — La famine. — Les citoyennes Amies de la Liberté
et de l'Égalité écrivent à Ysabeau et Baudot. — Leur réponse. — Le
député Gouly est envoyé en mission auprès d'eux. — Tallien se rend à
La Réole. — Les conventionnels demandent la dissolution de la Société
de la Jeunesse bordelaise. ^> Ils écrivent à la section Brutus. —
Proclamation des Jeunes gens. — Lettres des conventionnels à la section
Guillaume -Tell et à la section de la Concorde. — La municipalité invite
la Société de la Jeunesse bordelaise à se dissoudre. — Fête en l'honneur
de Marat. — Lettre d'Ysabeau et Baudot aux sections de Bordeaux, et
arrêté tendant à atténuer les horreurs de la famine. —Joie des Bordelais.
— Proclamation de Pinet, Paganel et Tallien. — Le Club national est
rétabli. — 11 dénonce les Jeunes gens. — La municipalité est sommée de
ftiire exécuter le décret du 6 août. — On redoute des troubles. — La
Société de la Jeunesse bordelaise est invitée à se dissoudre. — Ravez
T. I. * ig
^.fc . -^
290 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
répond au nom des Jeunes gens. — Lettre d'Ysabeau et Baudot au Club
national. — Surexcitation générale à Bordeaux. — Nouvelle lettre des
conventionnels aux citoyennes Amies de la Liberté et de l'Égalité. —
Démission de la municipalité. — On s^attend à de graves événements.
La dissolution de la Commission populaire de salut
public de la Gironde laissait la place libre à la section
Franklin et aux hommes 'qui Pavaient dirigée depuis
quelques mois.
Les diverses autorités constituées avaient repris le cours
normal de leurs fonctions, et les personnalités s^effaçaient
pour laisser passer Torage qui menaçait à Thorizon. Il en
résulta, en ce qui concernait le Directoire du département,
une faiblesse et une irrésolution qui furent fatales. Quant
à la municipalité, les divisions et les craintes régnaient
dans son sein, et le désarroi des esprits était à peu près
général parmi ses membres.
Dès le 8 août, une grande agitation existait dans la ville
et vers dix heures du soir un ressemblement considérable
de compagnons et d'ouvriers du faubourg des Ghartrons
avait lieu aux allées de Tourny; des vociférations furent
proférées contres les autorités à l'occasion de la cherté du
pain et des autres denrées. On pouvait redouter des
troubles sérieux, car déjà des énergumènes prêchaient
hautement la révolte et le pillage. La force armée envoyée
sur les lieux réussit, non sans peine, à dissiper les pertur-
bateurs.
La municipalité ne restait pas indifférente. On doit
rappeler à cet égard que le même jour (8 août) le maire
Saige et les officiers municipaux écrivaient à leurs collègues
de Nantes pour en obtenir l'envoi de farines : L'argent,
disaient-ils, ne manque pas encore pour approvisionner
une ville de 120,000 âmes; mais la guerre étrangère, le
soulèvement de la Vendée et la loi du maximum s'opposent
à leurs achats. Ils ont besoin de 120 sacs par jour, en y
LA SECTION FRANKLIN. 29!
mêlant seigle, maïs, fèves, etc. Ils ont appris que des farines
américaines sont arrivées à Nantes, et ils supplient les mains
jointes leurs collègues de les empêcher de mourir de faim;
ils ont chargé le citoyen Jacquier de leurs achats, etc.. ^»).
Dominée par la peur, la masse des citoyens était
devenue égoïste; inerte et démoralisée, elle n'éprouvait
plus le sentiment patriotique qui avait marqué les premiers
temps de la Révolution. La garde nationale seule avait
encore cette virilité que donne l'esprit de corps.
On raconte, en efiFet, que dans l'après-midi du 9 août, la
nouvelle d'une défaite éprouvée par nos armes sur les
frontières d'Espagne étant arrivée à Bordeaux par courrier
extraordinaire, la cavalerie et les grenadiers furent requis
sous peine de mort d'aller défendre le drapeau; ils
refusèrent d'obéir; mais ce refus se justifiait dans leur
pensée par le danger de l'état des choses à Bordeaux, et ils
firent le serment de rester dans cette ville pour y maintenir
la tranquillité publique.
C'est dire assez combien peu elle était assurée et combien
on y redoutait les effets du décret du 6 août.
Bordeaux, d'ailleurs, les événements avaient permis de
le constater, renfermait un grand nombre de maraiistes, et
leur audace s'accroissait en raison inverse de l'aflaiblisse-
ment du courage des citoyens et de l'influence de l'autorité
publique.
L'acteur Lais, que nous avons vu, dans le chapitre
précédent, profiter de la générosité de la Commission
populaire, ne cachait plus ses sentiments; il était à la tête
des hommes qui poussaient à la réinstallation du Club
national, et on l'a accusé dans le temps d'avoir répandu
beaucoup d'argent pour gagner le peuple et le lancer dans
les voies révolutionnaires.
(i) Archives historiées de la Gironde^ t. Xl, p. igi.
2g2 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Cen était fait : on ne pouvait plus prononcer sans
danger, dans leur patrie, les noms des Girondins I
Le découragement était général. La perfidie des uns
et rignorance des autres, la pusillanimité du plus grand
nombre rendaient facile l'œuvre de décomposition à laquelle
travaillait ardemment la section Franklin dans l'intérêt de
la Montagne.
Nous devons le dire cependant, toute énergie n'était pas
encore perdue : la bourgeoisie comptait dans son sein des
esprits courageux que les circonstances mirent en relief. En
effet, sous l'impulsion de quelques hommes d'action, au
nombre desquels il faut citer Brochon, Ravez et Cornu,
trois avocats, une Société nouvelle se forma au moment
même où le Club national osait relever audacieusement la
tête. Nous avons nommé la Société populaire de la
Jeunesse bordelaise, qui joua un rôle assez important dans
la cité.
C'est le I o août que le décret du 6 fut connu à Bordeaux.
Il y causa une profonde stupeur. Ce premier sentiment
passé, quelques jeunes hommes, indignés de la mesure
décrétée par la Montagne et qui atteignait les dix-neuf
vingtièmes de la population du département et surtout les
administrateurs qui avaient eu le courage d'organiser la
résistance au joug imposé par les montagnards, se réunirent
spontanément dans une vaste salle située à Belleville et se
proposèrent de défendre et de protéger les membres de la
Commission populaire. Toute la jeunesse de la ville se
rendit aux séances de la Société et voulut en faire partie.
Au bout de quelques jours, elle comptait, dit-on, près de
trois mille membres. Présidée d'abord par Brochon, puis
par Cornu, enfin par Ravez, elle ne tarda pas à exercer
une certaine influence sur la population.
Les motions les plus énergiques y étaient formulées
chaque soir, et les sections, celle de Franklin en tête.
LA SECTION FRANKLIN. 2gi
prirent bientôt ombrage d'une influence qui était de nature
à contre-balancer Teffet de leurs tentatives pour ramener
les citoyens à la Montagne et à la Convention.
Nous verrons les conflits qu'amena cet état de choses.
Cependant, durant cette journée du i o août, qui avait vu
les tentatives de rétablissement du Club national et la
formation de la Société de la Jeunesse bordelaise, et où
la nouvelle du décret draconien du 6 était arrivée, on
célébrait à Bordeaux la fête de Vunité et de V indivisibilité
de la République.
A onze heures et demie du matin, les conseils généraux
du département, du district et de la commune, les corps
judiciaires, civils et militaires, les présidents des sections et
des sociétés populaires de la ville, réunis dans la salle
du département, en partaient pour se rendre en cortège au
Champ de Mars, escortés par un détachement de grenadiers
de la garde nationale et précédés par la représentation de
la Bastille (selon l'expression du procès- verbal) et par
la bannière de la Liberté et de l'Égalité. Celle de la
Fédération du 14 juillet 1790 était portée renversée.
La foule envahissait les rues que suivait le cortège.
Arrivés au Champ de Mars, les corps constitués parcou-
rurent les rangs de la garde nationale placée autour de
l'autel de la Patrie.
Au signal donné par le commandant général, les tam-
bours battirent aux champs, la musique militaire fit
entendre une marche guerrière et des salves d'artillerie
furent tirées. Les autorités se dirigèrent alors vers l'autel
de la Patrie, et la représentation de la Bastille y fut
déposée avec la bannière de la Liberté et de l'Égalité.
Ces préliminaires remplis, le secrétaire général du dépar-
tement Fringues donna lecture d'un décret de la Convention
ordonnant « que les bannières offertes aux départements lors
1» de la fédération de 1 790 seraient brûlées comme portant
294 histoire" de la terreur a bordeaux.
«
30 les signes odieux de la royauté, et remplacées par
s> d'autres avec remblème de TUnité et de Tlndivisibilité
jD de la République ^^K »
Après cette lecture, Pierre Sers, en sa qualité de
président du département, annonça que la cérémonie devait
commencer par l'exécution de ce décret.
Un citoyen ayant demandé la parole fit observer que
depuis longtemps Tadministration du département avait fait
disparaître de la bannière de 1 790 les fleurs de lys, signes
de la royauté, et les avait remplacées par des bonnets de
la liberté; il proposa, en conséquence, qu'avant de livrer
la bannière aux flammes, ces bonnets en fussent détachés et
offerts aux légions de la garde nationale.
Cette proposition fiit adoptée et immédiatement exécutée
au bruit des acclamations populaires.
Les autorités se rendirent ensuite vers un bûcher préparé
au devant de Tautel de la Patrie. Là, Sers prit la bannière
et, à la vue du peuple, il la déposa sur le bûcher auquel il
mit le feu. Les flammes l'eurent bientôt consumée, pendant
que, de toutes parts, retentissaient les cris de : Vive la
République une et indivisible!
Le silence se fit bientôt, et Sers, prenant la parole,
s'écria d'une voix forte et sonore au milieu de l'attention
générale :
« Citoyens, en exprimant votre volonté sur Tacte constitutionnel
qui a été offert au peuple français, vous avez consacré le principe de
l'unité de la République et de son indivisibilité, et déjà nous avons
la presque certitude que la généralité des Français a émis le même
vœu. C'est aujourd'hui, c'est à cet instant même que la proclamation
de cet acte imposant de la volonté générale se Êiit à Paris.
Aujourd'hui, dans chaque commune de la République, se fait la
célébration solennelle de l'union de tous les Français.
» Puisse ce moment, si ardemment désiré, si impatiemment
(I) Décret du 28 juillet 1793.
LA SECTION FRANKLIN. 296
attendu, être le terme des maux qui déchirent la Patrie ! Puissent la
pleine jouissance de vos droits et l'établissement de cette douce
liberté à laquelle vous avez fait tant de sacrifices, vous consoler
et vous dédommager des malheurs inséparables d'une grande
révolution I Puisse Tunion la plus touchante succéder aux discordes
civiles et nous procurer enfin cette paix intérieure, si nécessaire
pour résister aux despotes coalisés contre nous, et sans laquelle il
n*est point de bonheur pour les hommes réunis en société 1 Tels
sont, citoyens, les vœux de vos magistrats ; tel a été constamment
le but de toutes leurs démarches. La carrière qu'ils ont eu à
parcourir était difficile sans doute; mais la confiance dont vous les
avez investis, votre zèle infatigable pour le bien public, ont soutenu
leur courage dans les moments les plus difficiles ; et c'est ainsi que
Bordeaux a été préservé, jusqu'à ce jour, de ces secousses terribles
qui ont mis la liberté en si grand danger dans la plupart des grandes
villes de la République.
» Oui, citoyens, nous nous faisons gloire de le publier hautement,
c'est à vous, c'est à vos vertus civiques que cette grande cité doit la
gloire qu'elle s'est acquise au milieu des orages politiques qui ont
agité la France ; c'est vous qui avez donné, dans toutes les grandes
occasions, ces exemples éclatants de patriotisme et de courage qui
ont fait l'admiration de tous les Français, et ce qui est bien plus
précieux encore, qui vous ont attiré leur estime et leur reconnais-
sance. Vous avez fait chérir la Liberté au milieu de vous, en
prouvant, par votre conduite, que son règne n'est pas incompatible
avec le règne des lois, et qu'au contraire c'est par la loi que la
Liberté affermit et étend son empire. Mais ce n'est pas seulement
dans vos murs que l'on a pu juger de l'excellent esprit qui vous
anime; vous l'avez porté au milieu des camps, et les nombreux
bataillons que vous avez fournis aux armées de la République y ont
aussi fait chérir et respecter le nom de Soldats de la Gironde. A la
valeur brillante qui caractérise le soldat français, ils ont joint cet
amour de l'ordre, ce respect pour la discipline militaire qui fait la
force des armées, et qui décide la victoire.
» Quelle satisfaction pour nous de voir, dans cette cérémonie
auguste et simple, deux de ces braves bataillons dont les importants
services ont mérité la reconnaissance de la Patrie ! O vous, généreux
soldats-citoyens, qui avez supporté dans la Vendée tant de fatigues
et bravé tant de périls, combien n'avez-vous pas à vous féliciter de
votre dévouement 1 Qu'il est doux pour chacun de vous de pouvoir
se dire, tous les jours de sa vie : « Sans moi, sans les combats
» que j'ai rendus, sans le sang que j'ai versé, une des plus belles
» contrées de la nature serait peut-être en ce moment au pouvoir des
» rebelles, et nos ports auraient été livrés aux invasions des ennemis
2q6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» extérieurs. » Citoyens-soldats, ce que vous avez le droit de vous dire
à vous-mêmes, chacun de vos frères ledit de vous avec enthousiasme;
et il n'est point de Bordelais qui ne porte dans son cœur la recon-
naissance qui vous est due, et il n'en est pas un seul qui ne s'honore
d'un nom auquel votre excellente conduite et vos nombreuses
victoires ont donné un nouvel éclat.
» C'est un beau jour pour Bordeaux, que celui où vous allez
rentrer dans le sein de cette brave garde nationale d'où vous fûtes
tirés pour marcher contre les rebelles de la Vendée. En y reprenant
chacun votre rang, vous allez imprimer une nouvelle terreur aux
ennemis de notre bonheur et de notre repos, autre espèce de
brigands non moins dangereux que ceux que vous avez vaincus tant
de fois; et s'ils furent toujours contenus et réprimés pendant votre
absence, combien ne le seront-ils pas plus aisément aujourd'hui que
les vainqueurs de Palluau vont être au milieu de leurs frères 1
» Citoyens, regardons-nous tous désormais comme composant
une immense famille unie par les liens de la plus tendre fraternité.
Occupons-nous sans relâche du bonheur commun. Que les haines,
les inimitiés personnelles et les injustes défiances fassent place à des
sentiments plus doux. N'oubliez pas que les hommes libres furent
toujours grands et généreux, et que plus ils sont terribles envers
leurs ennemis, plus ils sont doux et humains envers les citoyens
paisibles. Vive la Liberté, vive V Égalité, vive la République une et
indivisible I »
Des cris longtemps prolongés répétèrent avec enthousiasme
les derniers mots de cet habile discours, rempli d'allusions
aux hommes et aux choses du moment.
Quand le calme se fut un peu rétabli, les jeunes gens de
rage de dix-huit ans, qui n'avaient pas encore prêté serment
de maintenir la liberté, l'égalité et la République une et
indivisible, s'avancèrent vers l'autel de la Patrie. Le maire
de Bordeaux, Saige, se plaça au milieu d'eux et prononça
la formule du serment. La main levée à Dieu, tous
répondirent : Je le jure.
Le procureur de la Commune donna ensuite lecture d'une
proclamation du Conseil exécutif provisoire à la République,
puis le maire prononça la formule du serment de l'unité et
de l'indivisibilité de la République, Aussitôt les corps
LA SECTION FRANKLIN. 297
constitués, la garde nationale et les citoyens de tout âge et
de tout sexe présents à la fête répondirent : Je le jure. A
ce moment, des salves d'artillerie éclatèrent, on chanta
l'hymne des Marseillais et Pair retentit des cris mille fois
répétés de : Vive la Liberté, l'Égalité, la République une
et indivisible! La fête se termina au bruit des détonations
de Tartillerie, auxquelles se mêlaient des airs patriotiques
exécutés par les musiques militaires.
Après le départ des autorités, des danses furent sponta-
nément organisées au Giamp de Mars, et le peuple
prolongea la fête, en cherchant à oublier dans le plaisir le
poids de sa misère trop réelle.
Le soir même, quelques sections délibéraient sur les
dangers que faisait courir aux membres de la Commission
populaire le décret du 6 août, et la section Simoneau
notamment, qui s'était toujours fait remarquer par son
dévouement, décidait l'envoi de ce décret, par des
commissaires, aux vingt-sept assemblées primaires de la
cité et à la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité, et
délibérait sur les moyens les plus convenables à employer
pour écarter les malheurs qu'entraînerait l'exécution du
décret du 6 août contre les membres des diverses autorités
du département de la Gironde (0,
Cette initiative obtint un résultat favorable. Les sections
réunies, en effet, décidèrent l'envoi à Paris de commissaires
chargés de faire des démarches auprès de la Convention et
du Comité de salut public pour obtenir le retrait du décret
du 6 août. Dancemont et Joseph Ségalié furent chargés de
cette difficile mission.
En même temps, ainsi que nous l'avons dit, la Société
de la Jeunesse bordelaise était fondée pour atteindre le
même but, et quatre cent vingt gardes nationaux du
(i) Délibération du lo août 1793.
298 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
bataillon rentré de la Vendée venaient grossir le nombre
de ses membres.
D'un autre côté, le bruit était généralement répandu que
la cavalerie et les grenadiers de la garde nationale bordelaise
avaient fait le serment de soutenir les membres de la
Commission populaire et de défendre les propriétés.
Au milieu de ces excitations nouvelles de l'esprit public
la situation de la ville était loin de s'améliorer. Le commerce
était anéanti, et ceux qui n'avaient que des propriétés
mobilières couraient le risque d'être ruinés. Les subsistances
devenaient de plus en plus rares; la multitude assiégeait
tous les jours les portes des boulangers et ne pouvait que
très diflScilement en obtenir du pain (').
Cependant, les conventionnels chargés de l'exécution du
décret du 6 août n'avaient pas encore paru à Bordeaux. Ih
se rendaient à petites journées vers cette ville.
Après avoir successivement séjourné à Tonneins et à
Marmande, ils s'arrêtèrent à La Réole pour y délibérer sur
les moyens d'amener la soumission des Bordelais; ils
redoutaient, en venant à Bordeaux, le retour des scènes
fâcheuses qui avaient signalé le passage de Dartigoeyte et
d'Ichon et le séjour de Treilhard et Mathieu. « Renouvelant,
dit un auteur, les mesures les plus odieuses de l'ancien
régime, ils amenèrent par la famine la soumission désirée :
les registres du district attestent qu'ils interceptèrent la
plupart des envois destinés à notre ville. A partir du
1 5 août, chaque habitant se vit réduit à sept onces de pain
par jour ^^K
Nous n'avons pu vérifier si cette accusation était fondée ;
tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'après quelques
hésitations, Ysabeau et Baudot se décidèrent à venir à
Bordeaux, où leur présence était à la fois redoutée par
(0 Lettre Philipt. du i5 août.
(3) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux,
LA SECTION FRANKLIN. 299
ceux, en grand nombre, qu'atteignait le décret du 6 août, et
désirée par une certaine partie influencée de la population
et par les sections qui, en dernier lieu, avaient abandonné
la Commission populaire ou fait de l'opposition à ses actes.
Ils arrivèrent dans cette ville le 19 août, à sept heures
du soir, accompagnés de Peyrend d'Herval, commissaire
des guerres, leur secrétaire, et descendirent à Thôtel de
la Providence, rue Porte-Dijeaux.
Cet hôtel était situé sur remplacement qu'occupe
aujourd'hui l'hôtel de la Poste aux lettres.
ce II était trop tard, dit Ysabeau, pour commencer aucune
opération importante. »
Les deux conventionnels, à qui personne n'avait demandé
leurs passeports aux portes de Bordeaux, voulurent profiter
d'un reste de jour pour visiter la ville. Après avoir fait
extérieurement le tour de la salle de spectacle, ils se
dirigèrent vers les allées • de Tourny, alors plantées d'arbres
qui ont été arrachés vers i83o. La nouvelle de leur arrivée
s'était bientôt répandue et déjà plusieurs citoyens les
suivaient à distance d'un air curieux et inquiet, mais en
apparence sans mauvaises intentions.
Parvenus à l'extrémité de l'une des allées de Tourny, ils
furent tout à coup suivis d'un groupe de jeunes élégants, à
habits quarrés, dit Baudot, armés de sabres et de cannes
à lance, qui tinrent à haute voix des propos regrettables
contre la Convention et contre ses envoyés. Ysabeau et
Baudot continuèrent leur promenade sans paraître s'aper-
cevoir de ces attaques inconsidérées. Mais, comme ils
revenaient vers la place de la Comédie, ils furent serrés
d'assez près par le groupe, considérablement accru, et qui
ne comptait pas moins de huit cents personnes, c Du
courage, de l'énergie, disait-on, il faut s'en emparer. » Sur
la place, le groupe se resserra, les représentants furent
entourés de toutes parts, des cris et des menaces se firent
300 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
entendre, et, finalement, ils furent bousculés et séparés
par la foule. Ysabeau, poussé par le groupe le plus
nombreux, parla avec une grande fermeté, présenta sa
poitrine et défia les assaillants de se porter à des actes de
violence et de lâcheté à son ^ard.
On lui signifia qu'il devait se rendre à la municipalité
pour y décliner son nom. En vain Ysabeau objecta que
puisquUl était connu et attaqué en sa qualité de représentant
du peuple, une pareille démarche était inutile; les cris et
les imprécations augmentèrent, une voiture fut amenée
et trois citoyens, parmi lesquels étaient un prêtre, Tabbé
Bressols, vicaire à Saint-Seurin, et un lieutenant de gendar-
merie, y montèrent avec Ysabeau, et on se mit en marche
vers la municipalité, au milieu des huées de la foule.
Les mêmes menaces étaient adressées à Baudot et les
mêmes procédés employés à son égard.
Arrivés à la maison commune, les deux conventionnels
y trouvèrent la garde sous les armes dans la cour, une
foule nombreuse et excitée encombrant les couloirs et les
escaliers, et le Conseil de la commune assemblé. On voulut
les mettre à la barre, mais ils protestèrent énergiquement;
les rangs du Conseil s'ouvrirent et ils prirent place auprès
du maire.
Tout ceci se passait au milieu d'une confusion et d'une
animation très grandes.
On somma Ysabeau et Baudot de faire connaître leurs
principes et l'objet de leur mission. « Nul citoyen,
répondirent-ils, n'a le droit d'interpeller un représentant
du peuple; mais tout en méprisant les expressions incon-
venantes des ennemis de la République, nous communi-
querons aux bons citoyens nos intentions et nos démarches
avec l'accent de la fraternité et de l'amitié. . . »
Cette déclaration fut interrompue par des clameurs
bruyantes, et pendant quelques minutes le tumulte fut
LA SECTION FRANKLIN. 3oi
inexprimable : les interpellations et les questions se
croisaient, ardentes, vives, entremêlées des éclats de rire
de la foule. Mais le calme se fit tout à coup : on annonça
les commissaires des sections. Les membres du Conseil
général de la commune se levèrent; Tun d'entre eux fit
observer que leurs pouvoirs disparaissaient en présence du
souper ain et qu'ils devaient lui céder leurs fauteuils. Cette
proposition fut adoptée, et les sectionnaires prirent les
places des officiers municipaux. Le désordre fut alors à son
comble. On attaqua les représentants et on alla jusqu'à
jeter des doutes sur leurs sentiments républicains. Ils
repoussèrent énergiquement ces attaques en déclarant qu'il
fallait être dénué de sens pour suspecter de royalisme des
hommes qui avaient contribué à l'abolition de la royauté et
voté la mort du tyran...
On assure qu'à ces mots des cris d'indignation retentirent
et des huées éclatèrent dans la foule qui encombrait la salle
du conseil et les tribunes.
« Il n'est pas possible, firent observer les représentants
aux citoyens qui les entouraient, de se déclarer plus
hautement pour le royalisme, jp
€ Nous ne nous attendions pas à cela, leur répondit-on^
non sans quelque embarras; ce sont les tribunes... »
A ce moment, un officier municipal se leva et proposa de
faire le serment de défendre par tous les moyens possibles
les membres de la Commission populaire, et de ne souffrir
qu'aucun des administrateurs qui y avaient participé fût
destitué sous quelque prétexte que ce soit.
Ce serment fut répété avec enthousiasme. C'est en vain
que les conventionnels voulurent parler; les cris et les
interpellations couvrirent leur voix.
Un citoyen demanda à les accuser. Immédiatement le
silence se rétablit et on écouta. Après une diatribe violente
contre la commune de La Réole, qui n'avait pas adhéré
302 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
aux actes de la Commission populaire, ce citoyen reprocha
aux représentants d'avoir suspendu plusieurs adminis-
trateurs du district et quelques juges, et leur demanda des
explications.
Ysabeau et Baudot firent remarquer quHls ne devaient
compte de leurs actes qu'à la Convention ; mais on insista
pour une réponse formelle.
Us s'assirent et gardèrent le silence, afin de ne pas
compromettre le caractère et la dignité de leur mission.
« Cependant, raconte Ysabeau (»>, on voulut bien nous
donner lecture des pouvoirs accordés aux commissaires des
sections. Ils respiraient, dit-il, le fédéralisme et le mépris
des lois de la République. }» Deux dispositions frappèrent
plus particulièrement l'attention des représentants : l'une
arrêtait qu'il leur serait donné une garde d'honneur à la
manière accoutumée. Cette allusion aux mesures prises à
l'égard de Treilhard et de Mathieu n'échappa pas à la foule
qui l'applaudit bruyamment. La deuxième portait que, les
Bordelais étant fermement décidés à ne pas laisser exécuter
le décret du 6 août, la commission (sic) des représentants
du peuple devenait inutile et qu'ils seraient invités à faire
le sacrifice de leur séjour. Cet euphémisme dans la
manière de donner congé provoqua de nouveaux applau-
dissements. « Nous n'avions rien à répondre, ont raconté
plus tard les conventionnels, nous étions entre les mains
de nos ennemis, et dès cet instant, nous regardant comme
captifs, nous prîmes la résolution de n'exercer aucune des
fonctions qui nous étaient déléguées et de ne signer aucun
acte. 3^
La séance se prolongeait, et la salle du Conseil, loin de
se dégarnir, se remplissait à chaque instant d'une multitude
sans cesse renouvelée et animée de sentiments hostiles. Un
(1) Récit de ce qui s'est passé à Bordeaux ^ etc., etc.
LA SECTION FRANKLIN. 3o3
tumulte extrême régnait au dehors, et les officiers munici-
paux paraissaient craindre que les avenues ne fussent
forcées par le peuple entretenu, par des meneurs occultes,
dans un grand état d'irritation.
Pour conjurer des malheurs possibles, on fit passer les
représentants dans une salle voisine, où la foule les suivit
bientôt, les regardant avec dérision et proférant même
des injures ou des menaces. On raconte qu'une voix cria
tout à coup : « Le souverain vous ordonne de vous
transporter à la salle du conseil. » Cet incident n'eut pas
de suite.
Il est difficile de dépeindre les scènes multiples qui se
passaient à la maison commune et les inquiétudes de toutes
sortes dont étaient assiégés le maire Saige et les officiers
municipaux ayant gardé quelque sang-froid au nûlieu des
passions qui agitaient la foule.
En même temps, une sourde fermentation régnait dans
la ville; de nombreuses patrouilles de la garde nationale la
parcouraient dans tous les sens; les citoyens étaient partout
sur pied. On commentait avec animation l'arrivée des
représentants, et leur présence était considérée comme
le commencement des malheurs que Bordeaux avait à
redouter.
Une compagnie de grenadiers ayant rencontré Peyrend
d'Herval, le secrétaire des proconsuls, qui errait par les
rues de la ville, l'arrêta et le conduisit en prison.
Peyrend d'Herval se souvint plus tard de ce mauvais
traitement; il attisa, contre les Bordelais, la haine des
envoyés de la Convention.
Un certain nombre de citoyens s'étant rendus à l'hôtel
de la Providence, voulurent s'emparer des effets d'Ysabeau
et de Baudot; mais la force armée s'opposa à l'accomplis-
sement de cet acte de violence.
L'animation était générale et s'accroissait en raison de
3o4 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
rimminence des dangers que Ton croyait avoir à craindre
et dont la peur, dans tous les cas, exagérait Timportance.
Revenons à la maison commune.
Ysabeau et Baudot témoignaient fréquemment le désir
de rentrer à leur hôtel, mais les oflSciers municipaux s'y
opposaient, en considération des périls qu'ils avaient à
courir.
Vers minuit, on les conduisit, par un escalier dérobé,
dans une grande salle remplie d'officiers supérieurs et de
généraux, et on leur annonça qu'ils devaient y passer la
nuit parce qu'il était impossible de les reconduire sans
danger à leur hôtel. Ysabeau et Baudot déclarèrent qu'ils
consentaient à courir les risques d'un assassinat, mais qu'ils
voulaient être libres. D'assez vives discussions eurent lieu à
ce sujet entre eux et les citoyens présents.
Vers trois heures après minuit, enfin, deux officiers
municipaux montèrent avec eux eii voiture et une escouade
nombreuse les ramena rue Porte-Dijeaux, à l'hôtel de la
Providence. Tous les appartements en étaient occupés par
une multitude de soldats, composant une garde d'honneur
envoyée par les commissaires des sections, et les conven-
tionnels eurent beaucoup de peine à obtenir que cette garde
ne restât pas dans la chambre où ils devaient prendre un
repos nécessaire. Installés dans la pièce voisine^ les soldats
s'y livrèrent, dit-on, aux éclats d'une joie bruyante,
frappant à la porte et en ouvrant les battants pour montrer
à tous venants les délégués de la Convention. Les chansons
anti-civiques, les propos insultants, les injures à double
sens et des toasts portés aux villes de Lyon, Toulon et
Marseille retentirent jusqu'au jour.
En vain quelques patriotes cherchèrent à pénétrer auprès
des représentants : on les connaissait, ils furent rudement
repoussés. Il faut citer notamment Jean Charles, qui réussit
cependant à voir Ysabeau et Baudot et qui leur donna, au
LA SECTION FRANKLIN. 3ob
^ •
au nom de la section Franklin, des témoignages de
dévouement ^^K
A peine le jour eut-il paru, que des députations des
sections et des autorités constituées arrivèrent en foule et
ne cessèrent de défiler devant les conventionnels, en
échangeant avec eux des conversations dont Tobjet était
toujours l'exécution du décret du 6 août.
Comme Ysabeau et Baudot s'étaient, à diverses reprises,
énergiquement exprimés sur la privation de leur liberté, une
députation du Conseil général de la commune vint, vers le
milieu de la journée, leur proposer de faire retirer la garde
d'honneur, mais à la condition par eux^ afin de dégager la
responsabilité de la municipalité, de délivrer une réquisition
écrite.
Les conventionnels refusèrent. La foule hurlait dans la
rue, sous leurs fenêtres, et ils pouvaient tout craindre de la
part d'une population excitée et dont ils avaient pu déjà
juger les dispositions.
Vers trois heures de l'après-midi, des commissaires des
sections, après avoir expliqué aux représentants les causes
du mauvais accueil qu'ils avaient reçu et dont la principale
était l'alarme occasionnée par la crainte de l'exécution du
décret du 6 août, proposèrent à Ysabeau et à Baudot de
faire une proclamation pour rassurer les citoyens et leur
annoncer qu'ils s'occuperaient uniquement du soin d'appro-
visionner la ville. cDans l'état de captivité où nous nous
trouvons, répondirent les conventionnels, tout acte de notre
part paraîtrait imposé par la violence ; notre devoir est de
cesser toute fonction tant que nous ne serons pas libres. »
Comme les représentants avaient promis, dans la séance
si agitée de la veille, d'entrer en conférence avec le Comité
des subsistances, on vint leur annoncer que l'assemblée se
(i) Certificat d'Ysabeau du 22 août 1793.
T. l, 20
3o6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
formait à la maison commune, et on les invita à s'y
transporter.
Les représentants refusèrent d'obtempérer à cette invita-
tion et se déclarèrent prêts à recevoir le Comité chez eux,
s'il jugeait convenable de se présenter.
Profitant d'un intervalle de liberté, ils rédigèrent une
réquisition à la municipalité afin d'obtenir des chevaux de
poste pour partir à une heure après minuit, et ils la
remirent au général de garde.
A six heures du soir, le Comité des subsistances se
présenta. La conférence était à peine commencée quand
des officiers municipaux accoururent chargés d'un ordre
conforme à la réquisition des conventionnels. En le leur
remettant, celui qui portait la parole exprima avec
véhémence le vœu des citoyens et de la municipalité que
les deux représentants restassent à Bordeaux, et il exposa
les alarmes qu'occasionnait la nouvelle d'un départ aussi
précipité. Le Comité des subsistances joignit ses sollicitations
à celles de la municipalité, et insista chaleureusement pour
que le départ d'Ysabeau et Baudot fût retardé, a Nous ne
pouvons, dirent les conventionnels, espérer aucun bien sans
la confiance des citoyens; or, il est clair que nous ne
l'avons pas. Vous désirez comme nous que la ville soit
approvisionnée : nous pouvons vous assurer qu'elle ne le
sera pas tant que nous resterons à Bordeaux. Nous
connaissons les départements voisins et leur attachement
pour nous. Au bruit de notre captivité, tout envoi pour
votre ville cessera ; nos réquisitions même seront réputées
comme arrachées par la force; ainsi votre intérêt et le
nôtre exigent notre prompt départ. »
L'un des citoyens présents proposa que l'un des repré-
sentants restât à Bordeaux pendant que l'autre parcourrait
les campagnes. Une pareille proposition fut immédiatement
écartée, la loi interdisant aux envoyés d'agir séparément.
LA SECTION FRANKLIN. io'J
Un autre citoyen proposa de transférer les représentants
dans une maison plus vaste et d'un abord plus commode :
il ne nomma pas le Château-Trompette, mais tous les
assistants comprirent. On aurait en effet voulu, à Bordeaux,
garder les représentants en otage; on avait dit publiquement
que leur tête devait répondre aux Bordelais de tous les
événements.
Tout fut mis en usage pour détourner Ysabeau et Baudot
de leur projet de départ. Les sections se succédaient sans
interruption dans ce but; la Société des Amis de la Liberté
et de rÉgalité elle-même se présenta pour appuyer la
demande. Les conventionnels furent inflexibles.
Une dernière, mais infructueuse tentative eut lieu pour
changer leur détermination. A minuit, tous les corps
constitués vinrent essayer un suprême effort. « Il faut
rendre hommage aux orateurs, dit Ysabeay; ils furent tour
à tour éloquents, véhéments, affectueux ; ils remplirent
dignement leur commission. »
Mais les efforts réunis des citoyens ne purent rien
changer à la résolution des conventionnels. Vers deux
heures du matin, ils partirent avec un cortège composé de
plusieurs commissaires du Conseil, d'officiers municipaux,
de tous les commissaires des sections et de divers détache-
ments de la garde nationale, infanterie et cavalerie, et
s'acheminèrent à pied par les dehors de la ville; leur
voiture suivait à trois ou quatre cents pas en arrière. La
marche fut lente et solennelle; il fallait s'arrêter à chacun
des nombreux postes qu'on rencontrait pour donner et
recevoir le mot d'ordre.
Parvenus à l'extrémité du faubourg Saint- Julien , au
milieu de ce nombreux cortège, les représentants cessèrent
tout à coup d'entendre le bruit de leur voiture; l'inquiétude
les saisit, on s'arrêta, on attendit, la voiture arriva enfin.
Que s'était-il passé? On raconte que, profitant de la
3o8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
distance et à la faveur de la nuit, quelques jeunes gens
égarés et des soldats de la cavalerie s'étaient élancés sur la
voiture et avaient frappé à coups de sabre l'un des panneaux
pour en faire disparaître de prétendues armoiries, qui
représentaient des bonnets de la Liberté. Des citoyens
étaient accourus au bruit et avaient mis en fuite les
malveillants. Le récit de cette dernière violence irtdigna
les autorités et ne put qu'ajouter à l'irritation des conven-
tionnels. Ils se jetèrent promptement dans la voiture, qui
partit au grand galop...
On assure que quelques jeunes gens appartenant à la
cavalerie bordelaise, — corps aristocratique commandé
par Dudon fils et qui se recrutait principalement dans la
classe aisée, — avaient offert 25 louis au postillon des
conventionnels pour précipiter leur voiture dans le ruisseau
de VEau-Bourde qui traverse la route, au Pont-de-la-Maye.
Ce fait, toutefois, ne put être clairement établi.
Ysabeau et Baudot furent exaspérés de leur déconvenue
à Bordeaux; dès leur arrivée à La Réole, le 22 août, ils en
publièrent le récit; ils y déclaraient qu'ils attribuaient les
procédés employés à leur égard à une faction criminelle et
audacieuse qui voulait, à force d'attentats, rompre tous les
liens qui unissaient Bordeaux à la République, mais que la
masse des Bordelais y était restée étrangère. « Aucun désir
de vengeance, disaient-ils en terminant, ne peut entrer
dans notre cœur. Nous allons suivre avec une fermeté
imperturbable le projet que nous avons formé d'alimenter
la ville de Bordeaux, et faire en sorte que ces précieuses
subsistances ne tombent pas entre les mains des hommes
que nous savons intéressés à tenir le peuple dans l'oppression
par la famine ^^\ 1^
Les procédés des Bordelais â l'égard des représentants
(0 Rapport de ce qui s'est passé à Bordeaux, etc.
LA SECTION FRcVNKLIN. 3og
Ysabeau et Baudot ne sauraient nullement être excusés;
ils aggravaient sans profit une situation déjà très tendue
et très dangereuse.
Il est établi par les écrits contemporains et par des
correspondances particulières que les conventionnels avaient
été gardés à vue pendant leur séjour, pour ne pas leur
donner le temps de suborner le peuple.
Les sections en masse se hâtèrent de répudier toute
participation aux actes déplorables qui avaient marqué le
séjour dTsabeau et de Baudot à Bordeaux. Une réunion
générale des sections délibéra Tenvoi d'une lettre contenant
l'assurance du dévouement et de Tintérêt des bons citoyens
pour les commissaires de la Convention nationale.
Charles se rendit à La Réole porteur de cette lettre, et se
mit à la disposition des représentants. Il concerta avec eux
les moyens de sauver le peuple de Bordeaux des fureurs de
ceux qui avaient conjuré sa perte, et il les aida à faire
imprimer et afficher leurs instructions aux habitants de
cette grande cité.
C'est par ses soins que la lettre que Ton va lire, datée
du 23 août et adressée aux citoyens composant rassemblée
générale des sections de la ville de Bordeaux, ne tarda
pas à circuler dans notre ville, où la section Franklin
s'efforça de lui donner la plus grande publicité :
« Nous n'avons jamais douté, citoyens, que la grande
majorité des citoyens de Bordeaux ne fût attachée sincèrement
aux lois de la République. C'est un malheur pour nous d'être
tombés, dès notre arrivée, entre des mains ennemies. Vous
avez dans votre sein des chevaliers du poignard et des
royalistes outrés; il vous est facile de les connaître et de
les réduire au silence et à Tobscurité qui leur conviennent.
Une ville qui a si bien mérité de la patrie par les sacrifices
qu'elle a faits à la Révolution et par le nombre incroyable
des guerriers sortis de son sein, ne laissera pas ternir sa
3lO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
gloire et usurper son nom par une poignée d'aristocrates
qui voudraient la précipiter dans la guerre civile.
» Exprimez à vos sections respectives combien nous
sommes sensibles à Tintérêt qu'elles ont prises (sic) à
nous. Dites-leur que tous nos moments sont consacrés à
alléger le sort du peuple, et que, pleins de confiance dans
le patriotisme des citoyens, vos frères et les nôtres qui nous
environnent, nous réussirons sans peine à vous procurer
les secours dont vous avez besoin to. ^^
En même temps que les sections s'étaient réunies pour
protester contre la conduite tenue à l'égard des représentants,
le Conseil général de la commune, redoutant les consé-
quences pour la ville et pour lui-même d'actes auxquels on
ne pouvait dire qu'il fut complètement étranger, s'empressa
d'écrire à Ysabeau et Baudot pour les assurer des bonnes
dispositions de la masse de la cité et pour les prier de ne
pas confondre avec la majorité des habitants les quelques
malveillants dont ils avaient à se plaindre. Il ajoutait que
par ordre de la municipalité une procédure s'instruisait
pour découvrir et châtier les auteurs des actes coupables
commis à leur égard.
Les représentants ne se trompèrent pas sur les mobiles
secrets de la démarche du Conseil général de la commune;
ils lui répondirent le 23 août, par une lettre hypocritement
habile où régnait un sentiment de fierté blessée et où le
conseil s'alliait à une menace déguisée :
« Après avoir été rassasiés d'outrages et d'injures,
disaient-ils, il a été bien doux pour nous, citoyens, de
recevoir les marques touchantes de la sensibilité d'un
peuple digne d'être libre par son attachement aux lois et
à leurs organes.
:» Nous sommes loin de confondre la masse des citoyens
(i) Archives de la Gironde, série L.
LA SECTION FRANKLIN. 3ll
de Bordeaux, qui est excellente, avec les malveillants et les
royalistes, qui, ayant trouvé un asile dans vos murs,
cherchent à vous précipiter, par quelque grand coup d'éclat,
dans les malheurs de la guerre civile; on voudrait vous
faire briser entièrement les liens qui vous unissent à la
République et au centre d'unité, qui est la Convention
nationale; voilà tout le projet; et notre arrivée dans votre
ville semblait offrir une occasion favorable de Texécuter.
Citoyens, vous ne savez pas encore tout ce que nous avons
entendu et tout ce que nous avons souffert depuis le
moment de notre arrivée, où nous avons été entourés des
chevaliers du poignard, de jeunes messieurs vêtus très
élégamment qui, ayant un scélérat de prêtre à leur tête, se
disputaient l'honneur de nous porter les premiers coups,
jusqu'à l'instant de notre départ, marqué par une atrocité
sans exemple.
]^ Vous recherchez, dites-vous, les auteurs de cette
violation des plus simples lois de l'hospitalité; ils étaient
avec vous, au milieu de vous, ils nous servaient d'escorte,
ils gardaient vos postes; c'est sous l'uniforme tricolore que
s'est masquée la plus noire aristocratie; ce sont quelques-
uns de messieurs vos cavaliers cousus d'or, qui offraient à
chacun de nos postillons 25 louis en or pour nous précipiter
du haut du Pont-de-la-Maye Hommes pauvres et
généreux, vous avez méprisé cet or, vous lui avez préféré
la légitime et modique rétribution due à vos peines; recevez
l'hommage dû à la vertu; la France entière saura ce trait
sublime, et vos noms seront bénis de tous les vertueux
républicains !
> Citoyens, la vengeance est loin de nos cœurs, mais
votre sûreté et votre bonheur nous sont chers; l'un et
l'autre dépendent des soins que vous prendrez à purger
votre ville des malveillants qui la tourmentent et l'agitent,
pour la précipiter dans un abîme sans fond. Qu'importe
3 12 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
aux aristocrates le malheur du peuple? Ils sont habitués
d'enfance à le mépriser; ils voient avec douleur les troubles
de la Vendée tirer à leur fin ; il leur faut une autre Vendée
à quelque prix que ce soit; cette idée est trop affligeante
pour s'y appesantir. Ayez le courage de sonder votre plaie
et vous en arrêterez les progrès.
T> Quant à nous, citoyens, nous n'épargnerons ni soins,
ni veilles, ni. travaux pour vous ramener l'abondance qui
semble avoir fui loin de vous; notre voix sera entendue,
n'en doutez pas, car nous avons trouvé partout respect et
docilité à la loi. Tous les citoyens qui nous environnent se
sont émus en apprenant les outrages exercés envers la
représentation nationale.
> Nous recevons de nombreuses députations; nous en
profitons pour les requérir de vous porter les subsistances
qui vous sont nécessaires : nous prenons en même temps
des mesures pour que la répartition en soit faite sagement
et que le peuple en profite. Nous n'emploierons jamais
d'autres armes que celles de la raison, de la persuasion et
de la patience. Nous n'opposerons aux calomnies et aux
persécutions de nos ennemis que le bon usage des pouvoirs
qui nous sont confiés, ou plutôt des pouvoirs qui nous sont
imposés. Puissions-nous, au prix de tout notre sang,
ramener l'union et l'abondance avec le règne des lois
populaires dans cette intéressante cité ^ ') ! j>
Les intentions et la volonté des représentants étaient
nettement exprimées dans la lettre qu'on vient de lire ; elles
se résumaient en deux points : il fallait purger la ville des
malveillants qui l'agitaient; quant aux subsistances qu'ils
promettaient d'envoyer, ils prenaient des mesures pour que
la répartition en fût faite sagement et que le peuple en
profitât.
(i) Archives de la Gironde, série L.
LA SECTION FRANKLIN. 3t3
La municipalité était à la fois trop faible et trop compro-
mise pour exécuter le premier point, et le deuxième était
un acte de défiance à son égard, car on devine sans peine
que ce ne fut pas elle que les conventionnels choisirent pour
la répartition des subsistances.
C'est la section Franklin qui accapara la confiance
d'Ysabeau et de Baudot, et centralisa le pouvoir en ses
mains avec une audace que couronna le succès, comme
nous le verrons bientôt.
Non contents des lettres écrites aux sections de Bordeaux
et au Conseil général de la commune, les conventionnels
firent imprimer et répandre à 2,000 exemplaires une
proclamation qu'ils adressaient à tous leurs frères des
départements environnants pour leur rendre compte des
violences dont ils avaient été victimes à Bordeaux et
qu'ils attribuaient à une poignée d'intrigants opprimant le
peuple de cette grande cité. Ils les invitaient en même
temps à venir en aide aux Bordelais en proie au fléau
de la famine.
Cette proclamation et les lettres dTsabeau et Baudot,
bientôt connues de la population et fortifiées par les
manœuvres de la section Franklin et de quelques autres,
jetèrent les esprits dans une grande perplexité.
On avait faim : Bordeaux était à demi vaincu, et le parti
de la Montagne y grossissait chaque jour (*).
Le Conseil général de la commune chercha à atténuer
l'effet de la proclamation et des correspondances des
conventionnels; dans cet objet, il formula, à la date du
24 août, dans une adresse à tous les départements, districts
et municipalités de la République française, une sorte de
défense de la ville de Bordeaux et une protestation contre
les exagérations des récits qu'on ne manquerait pas de
(0 Meillan, député, à ses commettants, p. i38.
3 14 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
répandre et de propager à roccasion du séjour d'Ysabeau
et Baudot dans cette ville (').
C'est à ce moment et au milieu du conflit d'opinions qui
agitaient les esprits, que les députés Meillan et Bergoeing,
qui fuyaient la Normandie et les vengeances du Comité de
salut public, en compagnie de Duchâtel, Salles, Cussy,
Girey-Dupré, Abgral, Riouffe et Fespagnol Marchéna,
arrivèrent à Bordeaux, où ils débarquèrent le 25 août, à
six heures du matin. Les autres fugitifs étaient restés cachés
à bord du navire, attendant des nouvelles.
Meillan conduisit Bergoeing chez Monbalon, son ami,
Tun des membres du Conseil général du département.
Après les premiers épanchements de Tamitié, on fit avertir
Pierre Sers, qui se rendit chez Monbalon.
Une longue conférence eut lieu : les députés reconnurent
que leurs espérances étaient déçues, que Bordeaux ne
pouvait ni leur offrir un asile sûr, ni aider à une résistance
contre la Convention.
Ce fut une cruelle déception.
Comme le dit Meillan : « Le peuple se flattait qu'une
prompte soumission apaiserait le ressentiment des tyrans
et qu'ils auraient ou qu'ils affecteraient la générosité
d'épargner une ville qui s'était signalée plus que toute autre
dans la Révolution. Cette disposition des esprits fut notre
thermomètre. Elle nous apprit que Bordeaux n'offrait plus
de ressources à la cause de la liberté, et que les efforts
que nous tenterions n'aboutiraient qu'à nous perdre plus
sûrement, sans utilité pour la chose publique ^^K ^
Meillan, Bergoeing, Duchâtel, Cussy, Salles et les autres
durent pourvoir à leur sûreté. Pierre Sers et Monbalon
leur donnèrent des secours et les distribuèrent dans diverses
maisons, où ils restèrent assez longtemps cachés.
(I) Voir 0*Reilly, Histoire de Bordeaux, 2« partie, t. !•', p. 627.
(3) Meillan, loc, cit,, p. 141.
LA SECTION FRANKLIN. 3l5
Nous retrouverons quelques-uns d'entre eux dans la
suite de nos récits.
On le voit, dès les derniers jours du mois d'août, malgré
la Société de la Jeunesse bordelaise dont nous allons parler
bientôt, malgré les avertissements des citoyens les plus
compromis dans la Commission populaire, les Bordelais
commençaient à incliner vers la Montagne. D'une part, ils
mouraient de faim et ils espéraient que les conventionnels
retirés à La Réole leur feraient envoyer des subsistances;
d'autre part, et le premier élan patriotique passé, ils
envisageaient les événements et les hommes avec moins
d'enthousiasme et se désintéressaient peu à peu des
sentiments généreux qui les avaient galvanisés dans les
premiers jours du mois de juin précédent.
Les temps étaient bien changés !
L'antagonisme grandissait d'ailleurs chaque jour entre
la section Franklin, les Sociétés populaires et les rares
sections restées fidèles à la Commission populaire. La
première voulait la soumission à la Convention et l'exé-
cution du décret du 6 août; les autres, amants théoriques
de la liberté, s'agitaient dans le vide, et, malgré l'éloquence
de quelques-uns et les sentiments honorables de tous, ils
ne trouvaient pas de solution pratique pour la situation.
€ On voyait bien à Bordeaux, dit Rioufife, mêlé alors
aux événements bordelais, une jeunesse ardente s'agiter,
mais sans objet bien déterminé, sans chefs et sans moyens.
Le plus grand résultat qu'elle obtint fut de se réunir en
club. L'âme s'ouvrait à une sorte de joie et d'attendrisse-
ment en voyant cette jeune élite se lever pour conserver le
dépôt de la liberté, mais la raison ne s'ouvrait pas à
l'espérance (*J. >
Telle était la Société de la Jeunesse bordelaise que
(i) Riouffe, Mémoires^ coU. Barrière, p. 390 et suiv.
3l6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX..
RioufFe fréquenta et sur laquelle il pouvait, mieux que per-
sonne, porter un jugement qui confirme nos appréciations.
Quant à la section Franklin, elle était devenue le
centre où aboutissaient les ordres et les volontés des
conventionnels. C'est dans son sein que leurs émissaires
complotaient la soumission de Bordeaux. Leur langage
était hypocrite, leurs démarches habiles et calculées. Ils
corrompaient Tesprit du peuple, ils ébranlaient par la
calomnie toutes les autorités, en attendant le moment de
les abattre ou de les supplanter. Ysabeau et Baudot les
secondaient de tout leur pouvoir. Ils affamaient le peuple
pour le conquérir ^*^; ils retenaient les grains destinés à la
consommation de Bordeaux, et accusaient hautement la
négligence des administrateurs de la cité^'L En même
temps, ils faisaient arriver quelques petits secours, dont ils
se donnaient tout le mérite, et qu'ils n'accordaient toutefois
qu'à la section Franklin. Elle était pour eux comme une
citadelle d'où ils assiégeaient la ville ^^K
On voit la situation et l'on peut s'expliquer l'antagonisme
que nous signalions tout à l'heure.
Malgré les attaques dirigées contre elle pa^j la bourgeoisie,
la section Franklin poursuivait audacieusement son œuvre
et voyait de jour en jour s'accroître son influence. Elle
s'était emparée de plusieurs canons, et ses membres, connus
pour l'exaltation de leurs opinions, étaient décidés à tout
pour faire réussir la mission des conventionnels.
Au nombre de ses adversaires les plus ardents et les plus
redoutables, cette section comptait la Société populaire de
la Jeunesse bordelaise.
C'était entre les deux Sociétés une guerre implacable.
Un incident provoqua, à la fin d'août, un éclat qui
pouvait devenir décisif.
(1-3) RioufFe, Mémoires, passim.
(3) Meillan, loc. cit,, passim.
LA SECTION FRANKLIN. Siy
La Société de la Jeunesse bordelaise avait envoyé des
commissaires dans les vingt-huit sections, pour leur com-
muniquer une délibération importante. Bien que les sen-
timents de la section Franklin fussent parfaitement connus,
la communication lui fut faite comme aux autres. Les deux
jeunes gens qui s'y présentèrent furent injuriés, traités
(V aristocrates, de royalistes et àt fédéralistes, et la section
décida de les retenir prisonniers. Un sieur Garry se rendit
immédiatement à Belleville et prévint la Société de la Jeunesse
de Tarrestation de ses deux commissaires. Douze cents
jeunes gens étaient présents : un mouvement général
d'indignation accueillit la nouvelle portée par le citoyen
Garry. Aux armes! à bas les anarchistes, les perturbateurs
du repos public! Aux armes! Aux armes! Tels furent les
cris qui retentirent de toutes parts.
On délibéra au milieu d'une agitation indescriptible, et
la Société résolut, à l'unanimité, de se rendre en armes
au département pour réclamer la mise en liberté de ses
commissaires et de marcher au besoin sur la section
Franklin pour les arracher aux mains de leurs ennemis. Ils
partirent au nombre de 1,200, pleins d'une généreuse
ardeur. Hélas I dans le trajet, l'enthousiasme se refroidit
sans doute, car à l'arrivée sur la place de l'Hôtel de Ville
actuel, ils n'étaient plus que deux cents environ.
Le département écouta leurs doléances, et Pierre Sers les
engagea à la modération, promettant que les prisonniers leur
seraient rendus. Sers était généralement estimé et sa parole
était écoutée avec respect. Les jeunes gens se retirèrent, et le
lendemain les deux commissaires étaient mis en liberté ^^K
(i) M. le président Dégranges-Bonnet, un magistrat vénérable de qui nous
tenons ce récit et qui était des deux cents qui n'avaient pas reculé, nous
disait en i856, avec une douleur indignée au souvenir de ces événements,
que les Bordelais avaient manqué de courage dans cette circonstance et
plus tard, mais que leur excuse était facile à expliquer : « Nous étions
déjà terrorisés, » disait-il.
3l8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Cependant, les représentants du peuple ne perdaient pas
un instant; ils s'étaient mis en rapport avec les principales
villes du département ; ils échangeaient des correspondances,
notamment avec Libourne, Sainte-Foy, Bazas, etc., et
cherchaient à stimuler Tesprit public et à le ramener à la
Convention. Leurs efforts, secondés par les partisans de la
Montagne, étaient généralement couronnés de succès, et
la ville de Bordeaux se trouvait isolée et pour ainsi dire
entourée d'ennemis. La sécurité n'y existait plus pour les
hommes qui, de près ou de loin, avaient soutenu les
Girondins et participé aux actes de la Commission
populaire. Plusieurs d'entre eux avaient déjà disparu ou
s'étaient cachés pour échapper à des dangers de jour en
jour plus pressants.
Quelques lettres particulières, qui ont passé sous nos
yeux, contiennent l'expression de craintes profondes ou
d'une indignation qui n'est pas sans offrir de l'intérêt. Les
anciennes idoles étaient brisées, et le peuple tournait ses
regards du côté de La Réole. Aussi, l'une de ces lettres
disait en termes énergiques : « Les Bordelais sont des
lâches qui n'ont ni le courage d'obéir, ni de résister à nos
barbares oppresseurs. »
La vérité était que les Bordelais avaient faim et que la
peur atrophiait les âmes ! Il faut se souvenir, en effet, de ce
que disait le Conseil général de la commune, le 24 août :
€ La hideuse famine assiège notre ville; des commissaires
se succèdent auprès de vous pour vous présenter Taffreux
tableau de nos concitoyens employant leur journée à des
travaux pénibles, et passant les nuits aux portes des
boulangers, pour n'obtenir encore qu'une faible partie de
leur subsistance... On vous parle de rassemblements,
d'accaparements de subsistances, lorsque la moitié d'une
ville de 120,000 habitants ne vit que d'un pain grossier, et
que l'autre moitié passe des journées entières sans avoir pu
LA SECTION FRANKLIN. Sig
se procurer ce premier aliment; lorsque le commerce est
dans une stagnation efiirayante pour l'agriculture et pour
l'industrie.. . lorsque tous les canaux de communication
sont obstrués et que, par défaut de circulation, nous
n'avons plus aucun moyen de diminuer le prix énorme
où se sont élevés toutes les denrées et tous les objets
nécessaires à l'existence... ^'). >
Nous n'avons rien à ajouter à ce sombre tableau racon-
tant officiellement les misères des Bordelais en août 1793.
Aussi le répétons-nous, tous les regards et toutes les
espérances se tournaient vers La Réole.
C'est ainsi que les citoyennes Amies de la Liberté et de
V Égalité, dont nous avons raconté, dans un de nos
précédents chapitres, l'entrevue avec Paganel et Garrau,
avaient cru devoir écrire à Ysabeau et Baudot pour faire
un appel à leur générosité :
a Nous avons appris avec douleur, disaient-elles le
25 août, le malheureux événement qui eut lieu lors de votre
départ de notre cité. Ce ne peuvent être que des malveillants,
ennemis de notre bonheur et de notre sainte Constitution
qui, jaloux de la prospérité qu'elle nous promet, cherchent
tous les moyens possibles pour le troubler.... >
Après avoir exprimé aux conventionnels leurs regrets de
leur brusque départ de Bordeaux, elles ajoutaient : e Elles
espèfent de votre générosité et de votre patriotisme que
vous oublierez le malheureux événement sur lequel nous ne
cessons de gémir, pour ne vous occuper que de la position
où se trouve notre malheureuse cité relativement aux
subsistances.
» C'est à des mères de famille manquant journellement
de pain, passant la nuit à la porte des boulangers, où l'on
s'arrache cet aliment encore brûlant, au danger d'être
(I) 0*ReilIy, Histoire de Bordeaux^ %• partie, 1. 1»»", p. 53o.
320 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
étouffé OU écrasé par une foule affamée, ce qui est déjà
arrivé plusieurs fois; c'est à des épouses tremblantes pour
les dangers que courent chaque jour leurs époux, la perte
du temps, les besoins renaissants de leur jeune famille
exténuée par une nourriture insalubre et trop économisée
par l'impérieuse nécessité; c'est dans le cœur paternel de
nos représentants, dans la confiance que. nous inspire le
caractère auguste dont ils sont revêtus, que nous déposons
nos justes sollicitudes... >
Elles terminaient ainsi : <r Nous espérons, citoyens
représentants, que, bientôt détrompés des imputations
injurieuses répandues sur les Bordelais, vous reviendrez au
milieu d'eux jouir de leur reconnaissance et connaître enfin
le vrai républicanisme qui les anime t*^. »
Ysabeau et Baudot ne pouvaient rester insensibles à la
démarche des citoyennes Amies de la Liberté et de
l'Égalité; ils leur répondirent le 28 août, et leur lettre est
conçue dans des termes tels que sa reproduction nous
paraît indispensable : elle prouve la haine des convention-
nels pour les classes aisées et intelligentes, pour V aristocratie
enfin; elle montre, par la flatterie dont elle est animée
pour le peuple, le genre de prosélytisme pratiqué pour
attirer des adhérents au parti montagnard :
« Quelle que soit votre sensibilité, citoyennes, aux
malheurs qui affligent la portion intéressante des habitants
de la ville de Bordeaux, elle ne peut pas être au-dessus de
la nôtre. Nous portons sur notre cœur un poids douloureux
jusqu'à ce que nous apprenions que le fléau a cessé, et
nous n'épargnons pour cela ni soins, ni démarches. Si
nos vues bienfaisantes n'eussent pas été enchaînées dès
le premier instant de notre arrivée, le peuple, qu'on
ne calomnie pas auprès de nous parce que cela est
(i) Archives de la Gironde, série L.
LA SECTION FRANKLIN. 321
impossible, aurait déjà ressenti les fruits heureux de notre
mission.
j^ Vous paraissez ignorer, citoyennes, la suite d^outrages
dont nous avons été l'objet et la captivité honteuse dans
laquelle nous avons été retenus. Lorsque notre rapport
fidèle vous aura fait connaître ces circonstances, vous ne
serez plus surprises qu'à tout prix nous ayons voulu quitter
une ville dans laquelle il nous était impossible d'opérer le bien .
D Un projet aussi honorable à Thumanité que celui de
rendre l'abondance à un peuple opprimé et affamé ne
s'abandonne pas aisément par des hommes vertueux. Nous
persistons donc dans notre entreprise et nous osons espérer
d'y réussir; mais nous prendrons des mesures pour que
les plus infortunés reçoivent les premiers secours. Cette
distribution nous paraît dans l'ordre de la justice.
3> Les expressions touchantes de votre lettre, le tendre
attachement pour les infortunés qui y respire nous font
regretter davantage que nos geôliers ne nous aient pas
permis d'être témoins de la manière dont vous exercez
la bienfaisance. Rassurez -vous, amies de l'humanité
souffrante, ce n'est point parmi les objets de votre affection,
ce n'est point parmi les indigents, parmi le peuple, que se
sont trouvés nos persécuteurs, nos ennemis, nos assassins :
ils étaient tous couverts de la livrée de l'opulence. Ils
n'avaient pas besoin de nous, en effet; notre présence
devait leur être à charge ("). »
On devine que ces lettres, rendues publiques et qu'on
faisait circuler de main en main, devaient exercer une
grande influence sur les dispositions de la population.
La Société de la Jeunesse bordelaise, cependant, recrutait
chaque jour de nouveaux membres; son importance gran-
dissait ; ses séances étaient suivies avec un patriotique intérêt,
(1) Archives de la Gironde, série L.
T. L 21
322 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
et son action, bien que localisée, si Ton peut ainsi parler,
portait de plus en plus ombrage à la section Franklin et aux
partisans dTsabeau et Baudot.
D'un autre côté, les autorités constituées voyaient avec
appréhension le séjour des représentants à La Réole :
affaiblies, énervées, elles désiraient le retour de ceux-ci
à Bordeaux afin de diminuer le poids devenu bien lourd
de leurs responsabilités individuelles.
Une circonstance fortuite leur permit de faire parvenir
leurs vœux aux conventionnels : le i®' septembre, Gouly,
député de l'Ile-de-France, se rendant à la Convention,
passa par Bordeaux. Dès que sa présence fut connue, on
l'appela à la maison commune et le Conseil général assemblé
le supplia de se transporter à La Réole pour y prier ses
collègues de vouloir bien rentrer à Bordeaux. Gouly accepta
la mission, et trois commissaires, députés par la ville,
l'accompagnèrent auprès des représentants du peuple.
On attendit avec anxiété le résultat de cette démarche,
que commandaient à la fois l'intérêt de la ville et celui de
ses habitants.
Reçus peu de temps après par Ysabeau et par Tallien
qui était venu rejoindre ses collègues à La Réole, les
commissaires rapportèrent que la première condition
imposée à la Ville pour le retour des représentants était la
dissolution de la Société de la Jeunesse bordelaise, signalée
par la section Franklin comme le repaire des agents de
la royauté, des hommes de Pitt et de Cobourg ^^K II n'y
avait pas de refus de la part des conventionnels, mais ils
se sentaient assez forts déjà pour dicter des conditions.
Ces nouvelles causèrent une grande émotion dans la
ville; il ne faut pas oublier, en effet, que les jeunes gens
appartenaient aux familles les plus honorables de Bordeaux,
(i) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux,
LA SECTION FRANKLIN. 323
et que la condition imposée par les représentants paraissait,
aux yeux d'un grand nombre de citoyens, devoir atteindre
le dernier rempart de la liberté, pour céder la place aux
menées de la section Franklin.
On pressentait l'approche de la Terreur.
Les émissaires des représentants à Bordeaux provoquaient
des visites à La Réole par des députés des sections de la
ville. On espérait, par ce moyen, arriver à gagner ces
instruments et à les rendre dociles dans les mains des
conventionnels pour le jour désiré de la soumission. Ceux-ci
recevaient affectueusement les députés, se servaient habile-
ment de l'arme de la flatterie pour se les attacher et ne
manquaient jamais de les charger de lettres pleines de
confiance et d'abandon pour leurs sections respectives.
C'est ainsi qu'ils écrivaient, le i^ septembre, aux
membres de la section Brutus, qui leur avaient député des
commissaires :
a Nous saisirons toujours avec empressement les occasions
de fraterniser avec vous et de vous témoigner les sentiments
qui nous attachent à toutes les sections du peuple français
que nous avons l'honneur de représenter.
3> Nous croyons très fermement, citoyens, que la grande
majorité des habitants de votre cité est attachée à l'unité de
la République et à la Convention nationale, et nous ne
négligerons rien pour soulager la détresse qui l'accable.
> Vos députés voudront bien être nos interprètes auprès
de vous et déposer dans votre sein nos sollicitudes pour le
bien public, et notre attachement à tous les bons citoyens.
» Nous vous engageons à vous rallier aux principes qui
constituent la République et à fermer l'oreille aux calomnies
de nos détracteurs, que nous forcerons au silence à force de
bienfaits i^K i>
(i) Archives de la Gironde, série L.
324 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX.
La Société de la Jeunesse bordelaise n'avait pas tardé à
connaître les résultats de la mission envoyée à La Réole
par la municipalité. Elle en fut indignée; diffamée et
dénoncée par la section Franklin, elle crut devoir se
défendre, et, dès le 3 septembre, elle adressait une procla-
mation à ses concitoyens.
Après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles
elle s'était rassemblée et les formalités qu'elle avait dû
remplir, elle faisait connaître les dispositions des lois
qui autorisaient et protégeaient son existence; puis elle
ajoutait :
« Dès que ce préalable a été rempli, nos regards et nos
vœux se sont portés vers nos concitoyens. Instruisons-les,
nous sommes-nous tous écriés, du motif qui nous rassemble ;
— prévenons nos ennemis, si nous en avons ; confondons
la calomnie, si elle ose nous attaquer; montrons-nous ce
que nous sommes, c'est-à-dire des jeunes gens esclaves des
lois, amis de? magistrats, protecteurs des personnes,
défenseurs des propriétés, et les ennemis éternels de
Tanarchie, du désordre et du pillage.
> Tels sont, camarades et amis, les membres qui com-
posent la Société populaire de la Jeunesse bordelaise.
Maintenant nous pouvons braver et nous bravons les efforts
despotiques de ceux qui voudraient nous ravir le plus sacré
de nos droits, celui de nous assembler en paix et conformé-
ment aux lois de police générale et particulière. Maintenant
nous pouvons défier, et nous défions les calomniateurs qui
auraient la lâcheté de nous prêter des intentions et des
sentiments qui seront toujours étrangers à nos cœurs. Et si
jamais la malveillance, l'envie ou la violence tentaient de
s'opposer aux paisibles vues qui nous animent, magistrats,
administrateurs, fonctionnaires publics, songez que la loi
nous permet de nous réunir, qu'elle vous fait un devoir de
nous protéger, qu'elle défend même, sous les peines les
LA SECTION FRANKLIN. 325
plus sévères, le plus léger obstacle à Texercice précieux du
droit de s'assembler.
» Et vous, nos camarades d'armes, qui formez tour à tour
avec nous, et la force importante de notre garde nationale,
et les intéressantes assemblées des sections de la cité,
souvenez-vous que nous sommes vos enfants, vos frères,
vos amis, vos concitoyens, que Tinsulte qui nous serait faite
retomberait sur vous-mêmes, et que la violation du plus
sacré des droits qui serait faite en notre personne serait
une atteinte peut-être irréparable à notre liberté et à la
vôtre. » •
Ces paroles énergiques et habiles étaient signées par
Brochon fils, président de la Société, Ladonne et Noé
jeune, secrétaires.
La section Franklin en éprouva urte vive irritation : elle
signala cette proclamation aux conventionnels de La Réole
comme la preuve de la réalité des faits imputés aux jeunes
gens. Mais, non contente de cette démarche, elle envoya,
dit-on, des affidés répandre clandestinement, autour de la
salle des séances de la Société de la Jeunesse bordelaise, des
cartes portant des inscriptions antirépublicaines. C'était un
moyen de laisser supposer que les sentiments des jeunes
gens étaient tels qu'elle les avait représentés à Ysabeau,
Baudot et Tallien, et de fortifier ainsi ses accusations.
Les jeunes gens dénoncèrent par prudence ces cartes à la
municipalité et méprisèrent des manœuvres aussi odieuses.
Leur Société tenait tous les soirs ses séances à Belleville
et bravait ainsi les attaques non dissimulées de la section
Franklin. « On n'avait point vu à Bordeaux, depuis l'origine
de la Révolution, a dit un contemporain, une Société
populaire où il y eut tant de goût, d'urbanité, d'éloquence
et de patriotisme ^^K »
(i) Sainte-Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux, etc.
326 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Nous verrons bientôt que rien ne put sauver la Société
de la Jeunesse bordelaise d'une dissolution qu'exigeaient
les circonstances et la volonté des proconsuls.
Ceux-ci, toujours en relations avec les sections, ne
manquaient aucune occasion de jeter de la défaveur sur les
autorités constituées de la ville. Ainsi, le 4 septembre, ils
écrivaient à la section Guillaume-Tell n® 1 2 :
a Citoyens, frères et amis, l'indignation qui a soulevé vos
cœurs généreux au récit des atrocités exercées contre les
représentants du peuple est une preuve certaine du patrio-
tisme qui vous anime ; mais oubliez, s'il se peut, les injures
dont nous avons été l'objet, pour vous occuper de vos
intérêts et des dangers qui vous menacent, comme nous les
oublions pour travailler à vous procurer l'abondance.
i> Est-elle assez démasquée la faction qui vous conduit à
votre perte ? Attendez- vous qu'elle ait consommé son crime,
qu'elle vous ait livrés à des maux incalculables pour vous
opposer à ses progrès? Qu'est devenue cette ardeur qui
vous enflammait dans les beaux jours de la Révolution, et
qui avait répandu la gloire de votre nom jusques aux
extrémités de la France ? Que vous manque-t-il pour faire
rentrer dans la poussière les lâches intrigants qui veulent
faire de votre pays une nouvelle Vendée ? Parlez fortement;
exprimez d'une manière énergique vos résolutions cons-
tantes ; frappez de votre anathème les ambitieux/édéralistes
qui vous gouvernent; dites hautement que vous voulez
l'exécution des lois et de toutes les lots, parce qu'elles sont
l'expression de la volonté générale et que vous appartenez
à l'universalité des Français; chassez de vos murs tous
ces prédicateurs d'impostures, ces odieux partisans d'un
royalisme que vous abhorrez; ces étrangers qui sèment les
fausses nouvelles, qui applaudissent à nos revers, qui ne
se donnent pas la peine de cacher leurs desseins, jt^arce
qu'ils sont étqyés et protégés par des magistrats qui ne
LA SECTION FRANKLIN. 327
savent emprisonner que des patriotes; publiez ces vérités
avec la hardiesse qui convient à des hommes libres, et vous
ferez trembler des hommes qui ont en partage Tinsolence
et la faiblesse, Tastuce et la lâcheté.
D Opposez à la fausse et perfide union du crime, Tunion
salutaire de la vertu et du républicanisme. Les citoyens
isolés ne peuvent rien, nous le savons, el souvent il serait
téméraire de s'exposer au danger pour en être seul
la victime; mais lorsque vous aurez formé une masse
imposante, lorsque les sections fidèles et les vrais citoyens
des sections égarées auront un centre de ralliement,
tel que le Club national, réintégré par décret de la
Convention nationale, qui pourra résister à vos efforts
réunis ?
» Frères et amis, resserrez les nœuds qui vous lient; et,
dans les étreintes d'une amitié fraternelle, jurez ensemble
de sauver la patrie, de la délivrer d'un joug odieux qui
l'oppresse et d'empêcher qu'elle ne devienne la proie du
farouche étranger, qui veille à vos portes pour profiter de
vos désordres et des intrigues qu'il a su se ménager dans
votre sein. L'or de l'Angleterre coule parmi vous; nous en
avons la preuve certaine : des misérables, enrichis par cet
or et par leur infâme monopole, n'attendent que l'instant
de vous livrer. Ils ne songent plus qu'à jouir tranquillement
de leurs richesses acquises aux dépens du peuple ; la sublime
égalité est pour eux un fardeau insupportable. Ils ne nous
ont aidés à détruire les autres aristocraties que pour établir
sur leurs ruines une domination mille fois plus cruelle. Ils
vous parlent sans cesse des sacrifices qu'ils ont faits pour
les subsistances du peuple, mais ils ne vous disent pas
combien ils ont gagné de millions par le renchérissement
des denrées dont ils étaient les seuls possesseurs.
}D Tenez-vous en garde contre leurs insinuations, veillez
sans cesse sur leurs démarches. Les bienfaits de la Repu-
328 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
blîque sont purs; elle ne vous demande que Tobéissance
aux lois, d'où émane votre bonheur. Trop heureux d'en
être les organes, nous remplirons ses intentions dans toute
leur étendue, et nos mesures seront si certaines, que vous
n'aurez plus à redouter le besoin d'aliment. Nous ne
quitterons pas votre département, frères et amis, que nous
n'avons cette assurance ^^K ]>
On voit, par cette lettre importante, que nous n'aurions
pu passer sous silence sans nuire à l'exactitude de notre
récit, que les conseils donnés par les représentants tendaient
au renversement des autorités constituées et à la réunion
de tous les citoyens vers un centre unique, le Club national,
qui fonctionnait et dont on espérait les plus grands services.
Le plan était tout tracé ; on jugera bientôt si les volontaires
de la Montagne surent l'exécuter avec habileté.
La lettre à la section Guillaume-Tell ne fut pas la
seule où l'on stimula le zèle des citoyens. Le même jour
4 septembre, Ysabeau et Baudot disaient à la section de la
Concorde n® i o :
« Nous avons reçu avec satisfaction, citoyens, vos
délibérations du 22 et du 3 1 août; la première concerne
des outrages que nous avons oubliés, pour ne nous occuper
que de l'intérêt public et du soin bien précieux à nos cœurs
de procurer des subsistances aux infortunés habitants de
votre cité; nous avons tout lieu d'espérer que les grandes
mesures que nous emploierons seront couronnées de succès.
Malheureusement votre ville n'est pas la seule qui soit livrée
à la crainte de manquer de blé.
3) Un esprit général de méfiance, fruit des manœuvres
sourdes employées par les aristocrates et par l'or des
étrangers, livre la République entière à des craintes chimé-
riques au milieu de l'abondance.
(i) Archives de la Gironde, série L.
LA SECTION FRANKLIN. 329
i> Les succès de nos ennemis ne sont dus qu^à leur perfide
union pour faire le mal ; pourquoi donc les vrais républicains
ne s'uniraient-ils pas étroitement pour opérer le bien de
leur patrie ?
» Nous pouvons vous le dire, citoyens, votre salut est
entre vos mains; il dépend de votre union intime et du
courage que vous aurez à expulser de votre sein l'amas
impur d'aristocrates, de fédéralistes et d'hommes suspects
qui veulent vous entraîner à la guerre civile. Votre bon
esprit, vos opinions prononcées contre la tyrannie et pour
l'unité de la République vous préserveront de ce malheur.
T> Quant à nous, nous ne cesserons de travailler au
bonheur du peuple et à lui assurer le pain qu'il gagne par
son travail (*L »
C'était clair et précis ; après avoir édité cette calomnie,
souvent répétée, que quelques citoyens avaient eu le projet
de livrer Bordeaux aux Anglais, les représentants disaient :
Expulsez de votre sein l'amas impur d'aristocrates, de
fédéralistes et d'hommes suspects qui veulent vous entraîner
à la guerre civile.
Leur conseil fut suivi.
Le. 5 septembre, et dans l'espoir sans doute d'atténuer
les vengeances que ne dissimulaient plus les paroles et les
écrits des proconsuls de La Réole, la municipalité fit une
démarche auprès de la Société de la Jeunesse bordelaise
pour lui demander de prononcer elle-même sa dissolution.
Des membres du département, du district et des com-
missaires de toutes les sections réunies s'étaient joints à la
municipalité.
La Société était en séance quand la municipalité arriva.
Un orateur occupait la tribune, et dans une chaleureuse
improvisation, fréquemment interrompue par d'unanimes
(I) Archives de la Gironde, série L.
33o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
applaudissements, il faisait valoir le besoin impérieux de
voler à la défense de la patrie. L'auditoire tout entier
venait, aux cris de : Vive la République! de jurer soumis-
sion à la loi de la réquisition, lorsque la députation des
autorités constituées fut annoncée. Le plus grand silence
s'établit, et la députation, ayant à sa tête M. Saige, maire
de Bordeaux, vint prendre place au bureau.
M. Saige s'exprima en ces termes au milieu de l'attention
et de la sympathie générales :
« Jeunes citoyens, la loi vous permet de vous rassembler,
il est vrai, mais vous ne devez pas ignorer les alarmes
répandues au sujet de vos réunions; les représentants
du peuple, trompés sans doute sur votre compte, voient
avec peine l'existence de votre Société. Au nom de la
patrie et de la tranquillité publique, je vous adjure et je
vous supplie, jeunes citoyens, de suspendre vos séances
et de vous séparer. Nous ne venons point ici avec la
sévérité des magistrats vous défendre de vous assembler;
nous y venons guidés par l'amour de la paix, par la bonté
paternelle, vous solliciter en amis de tarir la source des
bruits alarmants que les malveillants répandent sur votre
Société. Vos magistrats vous connaissent trop bien pour
croire à ces calomnies; mais la tranquillité de la ville,
celle de vos parents est menacée : procurez-la leur en
suspendant vos séances. Que nul amour -propre mal
entendu ne vous retienne : sachez être avec courage et bons
fils et bons citoyens. »
Auguste Ravez présidait ce jour-là la séance. Quoique pris
à l'improviste, et ordinairement plus logique qu'éloquent,
il répondit avec une chaleur et une élévation dignes de la
gravité des circonstances (*>. « Ce n'est point, dit-il, parce
que les malveillants nous accusent que nous suspendrons
(i) H. Chauvot, /<? Barreau de Bordeaux.
LA SECTION FRANKLIN. 33 1
nos séances. Assemblés par la loi, il n'y a que la force des
baïonnettes qui puisse nous contraindre a nous séparer.
Nous savons combattre, et si les misérables qui nous
attaquent valaient les brigands de la Vendée, nous leur
prouverions que la crainte et la terreur sont des sensations
étrangères au cœur des vrais citoyens. La Société de la
Jeunesse bordelaise va prendre en grande considération
Tobjet de votre demande; et gardez- vous de douter que
Tamour de la patrie et de Tordre ne soit le premier mobile
de nos délibérations. j> Ces paroles furent chaleureusement
applaudies, la députation des autorités constituées se
retira et la Société de la Jeunesse Bordelaise continua sa
séance 0).
Pendant que ceci se passait à Belleville, on célébrait avec
pompe, dans la ville, une fête en Thonneur de Marat. Une
image grossière de VAmt du peuple, peinte en rouge, était
promenée en triomphe à travers les rues, et une masse
de Montagnards, dont un grand nombre en haillons,
raccompagnaient en hurlant en son honneur des blasphèmes
patriotiques appelés des hymnes ^^K Le cortège se recrutait
de tous ceux qui voyaient dans l'application des idées de
Marat le piédestal de leur grandeur future.
Parmi eux, on remarquait un acteur du Vaudeville
nommé Mayeur, homme bas et cruel, artiste plein de
morgue, mais dépourvu de talent.
Tous les coryphées de VAmi du peuple étaient coifiFés du
bonnet rouge et vêtus de la carmagnole.
Le peuple regardait curieusement passer cette mascarade
et applaudissait à l'apothéose du dieu Marat.
Quant aux citoyens qui ne criaient pas bravo! ou ne se
découvraient pas devant l'image du dieu, ils étaient réputés
suspects, et des mains occultes les marquaient pour l'avenir.
(1-3) Sainte-Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux^ etc.
332 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Voilà OÙ on en était arrivé à Bordeaux dans les premiers
jours du mois dé septembre 1793. '
L'inquiétude y était générale et les. subsistances y deve-
naient de jour en jour plus rares. Les autorités faisaient de
vains efforts pour approvisionner la ville ; elles envoyaient
sans succès des commissaires dans les départements voisins
et auprès des représentants du peuple en séance à La Réole
et à Périgueux. La famine se présentait avec toutes ses
horreurs, et une population affamée se disputait un pain
grossier...
Cest à ce moment que les conventionnels Ysabeau et
Baudot écrivirent la lettre suivante aux citoyens composant
les sections Franklin n*> 14, Républicaine n° 16, de la
Liberté n^ 21, Beaurepaire n° 22, J.-J. Rousseau n® 26,
des Amis de tous ne flattant personne n^ 27, et autres
sections qui seraient réunies de principes avec celles
ci'dessus énoncées :
• Citoyens, frères et amis, la misère profonde dans laquelle
gémissent les bons républicains de Bordeaux a douloureusement
affecté nos cœurs, et depuis le moment de notre départ de cette
ville, nous n'avons cessé de nous occuper des moyens de soulager
vos maux.
I Plusieurs causes ont concouru à arrêter le succès complet de
nos efforts :
» lo La méfiance générale répandue dans presque tous les
départements par le souffle empoisonné des malveillants, méfiance
dont le résultat a été que toutes les communes agricoles, craignant
de manquer au sein de l'abondance, refusent de faire part aux villes
du superflu de leur récolte. Pour vous aigrir contre vos frères, on
cherche à vous persuader que la haine contre les habitants de
Bordeaux est la seule cause du déficit qui se trouve dai}s vos
subsistances: cela est si peu vrai qu'il n'est pas une ville, même
parmi les moins peuplées, qui n'éprouve les mêmes embarras, parce
qu'ils tiennent à une cause générale.
1 2'» L'envoi des commissaires pour l'achat des grains vous a nui
dans l'esprit de vos voisins qui ne partagent pas le délire de vos
administrations. Le choix en a été si contraire à vos intérêts,
que quelques-uns ont prêché hautement la contre-révolution;
LA SHCTION FRANKLIN. 333
d'autres ont profité de leur commission pour se livrer à leurs vues
mercaçtiles et accaparer divers objets, tels que les vins. Quelle
confiance voulez-vous que vos frères puissent avoir dans des hommes
aussi corrompus et aussi vils?
» 3* Chacun saitd*où est provenu le changement arrivé depuis peu
dans les assignats. La voix publique attribue à quelques maisons de
commerce de Bordeaux le monstrueux accaparement des assignats
à effigie et le discrédit de ceux qui sont marqués au coin de la
République.
» 4'» Enfin, il n'est que trop connu et que trop vrai que c'est aux
spéculations et à l'avidité de ces mêmes négociants qu'est dû le
surhaussement incroyable du prix de toutes les denrées ; et il est aisé
de voir qu'ils ont gagné des sommes prodigieuses en très peu de temps
aux dépens du peftple, et qu'il n'est presque pas une maison de
capitalistes qui n'ait doublé sa fortune depuis deux ans.'
» Joignez à cela la Commission populaire, la force départementale,
les mensonges et les calomnies imprimés et propagés avec fureur
contre la Convention nationale, et cette foule d'agents disséminés à
grands frais dans tous les départements pour les soulever contre
l'autorité nationale; joignez-y les relations connues des meneurs de
votre ville avec celles qui ont levé l'étendard de la rébellion, et vous
aurez une juste idée des motifs qui ont tari quelques-uns des canaux
par lesquels les subsistances vous parvenaient.
» Il est malheureux que de tout temps le peuple ait été la victime
des fureurs ambitieuses de ceux qui veulent le dominer. Lorsqu'on
a vu la guerre civile se préparer dans vos murs, qu'est-il arrivé? On
a pensé que les chefs de la conspiration n'étaient pas assez insensés
pour se livrer à des idées de scission et de guerre, sans avoir fait
les préparatifs convenables, et surtout sans s'être ménagés de
grandes ressources en vivres. On a cru qu'ils laissaient le pauvre
peuple manquer de pain, qu'ils visaient à la famine pour ne pas
toucher aux précieux amas qu'ils tiennent cachés, et le refus constant
de visites domiciliaires, exercées sévèrement et dans toutes les
maisons, a fortifié ces soupçons. De là le bruit répandu que,
Bordeaux recelait des subsistances pour un temps considérable.
» Tous ces bruits peuvent être faux. Il est de fait que le peuple
souffre, et sous un gouvernement libre et équitable, ceux qui en
tiennent les rênes doivent ■ commencer par soulager la misère
publique, sauf à découvrir les vrais coupables et à les livrer à la
vengeance des lois.
» Aussi la Convention nationale, toujours attentive aux besoins
des malheureux, a-t-elle décrété une somme de deux millions pour
cet objet.
f Citoyens, frères et amis, nous vous annonçons que ces fonds
334 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
viennent d'être mis à notre disposition; mais nous croirions
manquer au plus saint de nos devoirs si nous ne prenions pas des
mesures pour qu^ils ne soient livrés qu'à des mains pures et fidèles.
L'emploi doit en être déterminé de manière que la classe indigente
et laborieuse du peuple ait la première part à ce bienfait.
» Pleins de confiance dans le patriotisme pur et constant dont
vous avez donné des preuves éclatantes, nous vous appelons à la
commission honorable d'alimenter vos frères. Que les bons
républicains qui habitent les autres sections ne soient pas formalisés
de l'espèce d'exclusion qui semble leur être donnée. Ils savent aussi
bien que nous qu'elles sont encore dominées par quelques intrigants
qui ont eu l'art de s'en emparer et d'étouffer les voix et l'élan des
sincères patriotes. Qu'ils se prononcent en faveur des prmcipes que
vous professez, et nous les admettrons avec plaisir à partager la
tâche honorable que la patrie vous impose par notre organe. Au
reste, nous les prévenons que la distribution des grains sera faite
également dans toutes les sections, sans autre différence que celle
des besoins.
» En conséquence, nous arrêtons ce qui suit :
» Article premier. — Les sections de la ville de Bordeaux ci-dessus
nommées, et celles qui se seraient réunies à leurs principes,
s'assembleront aussitôt après la réception du présent arrêté et
nommeront chacune trois commissaires.
> Art. 2. — Immédiatement après leur nomination, les commis-
saires se formeront en comité chargé spécialement de surveiller
l'emploi des deux millions accordés par la Convention nationale pour
les subsistances de la ville de Bordeaux; d'acheter sur ces fonds les
grains nécessaires, de les faire moudre et d'en surveiller le transport
et la distribution.
» Art. 3. — Le Comité nommera dans son sein deux citoyens
chargés de résider auprès de la caisse qui renferme les deux millions
et d'acquitter les mandats que tireront sur cette caisse les commis-
saires chargés des achats.
» Art. 4. — Le Comité nommera également le nombre de
commissaires qu'il jugera convenable pour faire les achats de grains
et farines : ces commissaires seront munis des réquisitions des
représentants du peuple pour assurer le succès de leurs opérations.
» Art. 5. — Le Comité correspondra exactement avec les
représentants du peuple, les commissaires auprès de la caisse et
ceux envoyés pour les achats, tt fera tous les quinze jours un
rapport imprimé et affiché aux lieux accoutumés.
1 Art. 6. — Il sera alloué une indemnité aux commissaires qui ne
LA SECTION FRANKLIN. 335
pourront pas se livrer aux occupations que le présent arrêté leur
assigne, sans faire un tort évident à leur famille (0. •
La publicité donnée à cette lettre et aux mesures qu'elle
prescrivait causa une joie universelle à Bordeaux. On crut
y voir la fin des maux terribles qu'engendrait la famine.
Cette espérance ne permit pas de remarquer l'exclusion
injurieuse dont les conventionnels frappaient les autorités
de la ville dans l'organisation résultant de leur arrêté. —
Qu'importait après tout ! Le malheur et les dangers créent
souvent l'égoïsme et l'indifférence, et pourvu qu'il eût du
pain, le peuple ne se souciait plus des hommes qu'il avait
autrefois soutenus et qu'on ne cessait de lui signaler comme
les seuls auteurs de ses maux présents. L'ingratitude est
fréquemment l'apanage des peuples.
Pendant qu'Ysabeau et Baudot venaient ainsi en aide
aux Bordelais mourants de faim et qu'ils refusaient
publiquement, et non sans arrière-pensée, toute confiance
à la municipalité, J. Pinet, Paganel et Tallien, alors à
Périgueux, adressaient une proclamation aux départements
environnant celui de la Gironde; cette proclamation,
relative à l'approvisionnement de Bordeaux en grains et
farines, signalait les difiicultés que rencontrait cet appro-
visionnement, les citoyens arrêtant les grains destinés à
cette cité, sous le prétexte qu'on ne voulait point alimenter
les habitants cTune ville rebelle, qui ne reconnaissait ni
la Convention nationale, ni les lois émanées d'elle. Tout
en avouant qu'il était naturel de se refuser à venir au
secours de ceux qui étaient en contre-révolution ouverte
avec les autorités légitimes, les représentants ^ajoutaient
qu'il serait barbare de faire supporter à l'universalité
des citoyens la peine du crime de quelques intrigants, et
ils conjuraient les citoyens de protéger, par tous les moyens
(0 Archives de la Gironde, série L.
336 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
en leur pouvoir, la libre circulation des grains envoyés à
Bordeaux.
Puis, pour unir leurs efforts à ceux dTsabeau et de
Baudot, les mêmes représentants adressaient aux citoyens
de cette ville une proclamation qui rentre dans le cadre de
notre histoire et que nous n'avons trouvée dans aucune des
publications faites jusqu'à ce jour sur les événements de
Bordeaux à l'époque de la Révolution. Ils s'exprimaient
ainsi :
c Frères et amis, chargés par la Convention nationale de la
mission importante d'organiser dans les départements le grand
mouvement que la France entière veut enfin opérer pour exterminer
à la fois ses ennemis extérieurs et intérieurs, nous nous empressions
de nous rendre au poste qui nous était assigné; nous nous étions
d^abord déterminés à aller directement à Bordeaux, dont nous
connaissions les besoins pressants en subsistances. Déjà nous étions
aux portes de cette grande cité et nous concevions le doux espoir de
voir bientôt couronner nos opérations par un heureux succès,
lorsque nous avon» appris, avec étonnement et indignation, que
nos collègues Ysabeau et Baudot, qui s'étaient transportés au milieu
de vous pour le même objet, y avaient été insultés, maltraités, que
leur vie même avait été menacée, et qu'ils avaient été obligés de fuir
une ville où la représentation nationale était avilie et méconnue.
1 En apprenant les dangers qu'avaient courus nos collègues, nous
prîmes d'abord la résolution d'aller les partager et venger l'injure
faite à la majesté nationale; mais réfléchissant que ce crime ne
pouvait être celui de la majorité des citoyens de Bordeaux, et n'était
au contraire que le résultat des perfides suggestions de quelques
intrigants qui voudraient faire de Bordeaux ce que les royalistes et
les aristocrates ont fait de Lyon et de Marseille, des monceaux de
cendres, nous avons, à regret il est vrai, préféré de nous éloigner
un instant de cette ville, où nous n'allions porter que des paroles de
paix, de concorde et de fraternité.
» Nous n'avons pas même voulu que notre éloignement, nécessité
par les circonstances, pût être nuisible aux bons citoyens.
D Le premier acte de notre mission, que nous nous sommes
empressés de remplir parce qu'il était dans nos principes et dans
ceux de la Convention nationale, a été d'adresser aux citoyens des
départements environnant celui de la Gironde une proclamation par
laquelle nous les invitons à protéger la libre circulation des grains
LA SECTION KRANKUN. SSy
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destinés pour Bordeaux. Nous ne nous bornerons pas à cela; nous
allons nous occuper sans relâche des moyens de faire refluer une
partie de la récolte de ces départements vers Bordeaux.
> Ainsi, pendant qu'une faction contre-révolutionnaire égare une
portion des citoyens de cette ville et nous empêche d'aller y serrer
dans nos bras des frères, des amis, nous allons employer tous les
moyens que la Convention nationale a remis entre nos mains, pour
arracher ces braves patriotes aux horreurs de la famine que les
ennemis de la liberté leur préparent : aucune peine, aucun sacrifice
ne seront épargnés.
> Mais nous ne pouvons vous le dissimuler, citoyens de Bordeaux ;
si vous persistez plus longtemps dans votre égarement; si vous
vous refusez à exécuter les lois rendues par la Convention nationale,
relativement aux actes de rébellion que se sont permis quelques-uns
de ces hommes audacieux qui ont voulu vous séparer de la
République pour vous livrer peut-être à quelque puissance
étrangère; si vous ne rentrez bientôt dans l'ordre, alors nous
serons forcés de nous réunir à ceux qui ne veulent pas pourvoir
aux besoins d'une ville en état de contre-révolution; car, nous vous
le disons avec franchise, partout on veut bien venir au secours de
Bordeaux soumise aux lois, à l'unité et à l'indivisibilité de la
République; mais nulle part on ne veut laisser passer une mesure
de grains pour Bordeaux rebelle ou fédéraliste,
• Bons citoyens de Bordeaux, nos frères et nos amis, ne persévérez
donc pas plus longtemps dans le système contre-révolutionnaire que
quelques meneurs vous ont fait adopter. Ne soutenez pas plus
longtemps ces hommes qui vous trompent journellement, et qui n^
se disent aujourd'hui vos amis que pour vous vendre plus chèrement
aux despotes et vous donner des fers plus pesants encore que ceux
que vous avez si généreusement brisés en 1789.
1 Remettez-vous-en à la Convention nationale du soin de
distinguer l'homme vraiment coupable d'avec celui qui n'a été
qu'égafé. Si elle veut que le glaive de la loi frappe le criminel, elle
veut aussi être juste envers l'innocent et indulgente envers l'homme
trompé. Les chefs de la conspiration, voilà ceux qui seront punis ;
voilà les auteurs de tous vos maux.
»Ahl chers concitoyens, qu'ils nous tarde d'être au milieu de
vous, d'entendre vos réclamations, d'y faire droit, de réparer les
injustices de vos oppresseurs et de vows prouver que les représen-
tants du peuple savent compatir aux besoins des malheureux, rendre
justice à tous, et qu'il leur en coûte toujours d'exercer des actes
de sévérité.
1 Hâtez donc, citoyens, l'instant où nous pourrons, réunis tous
par les sentiments de la plus douce fraternité, jurer ensemble
T. l. 22
333 inSTOîRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
de mourir pour la défense de F unité et de F indivisibilité de la
République.
> Tous les moyens de préparer ce beau moment sont entre vos
mains : faites-en usage (0. >
Les menaces et les conseils n^étaient pas négligés;
l'exécution du décret du 6 août et la soumission de la ville,
tel était le but poursuivi d'un commun accord par les
représentants; les moyens, ils ne les dissimulaient plus :
chasser les meneurs, les livrer au glaive des lois.
Quant aux tendresses de Tallien pour ses bons amis et
frères les Bordelais, elles se traduisirent plus tard par des
actes sanglants de vengeance. Nous les raconterons avec
impartialité, mais non sans frémir.
Cependant le Club national, rétabli par un décret du
27 août précédent, s'était installé dans le local de la ci-devant
église Saint-Projet. Le 8 septembre, les sans-culottes
qui le composaient, notifiaient sèchement à la municipalité
qu'ils se réuniraient le lendemain aux ci-devant Jacobins
pourjr rouvrir leurs travaux patriotiques.
Le premier acte du Club national fut une dénonciation
contre la Société de la Jeunesse bordelaise aux représentants
du peuple, et une adhésion entière et sans réserve aux
actes, aux sentiments, aux principes d'Ysabeau, de Baudot
et de leurs collègues.
Il est vrai qu'au même moment, les conventionnels
recevaient de Bordeaux des lettres anonymes pleines de
menaces et où on leur disait que c'était vainement qu'ils
gorgeaient le peuple d'assignats, que la ville resterait ce
qu'elle avait toujours été. On comprend que ces écrits
anonymes, inintelligents et coupables à la fois, n'étaient
pas de nature à calmer l'irritation des représentants contre
les Bordelais.
Un certain Dorgueil, que nous retrouverons parmi les
(i) Archives de la Gironde, série L.
1
LA SECTION FRANKLIN. SSg
terroristes les plus forcenés, était des lors un partisan
dévoué de la Montagne; il était du nombre de ceux qui
poursuivaient de leur haine la Société muscadine des '\
Bordelais, comme il le disait dans une lettre à sa femme. J
Nous aurons à constater plus tard les rapines de toutes
sortes dont Dorgueil se rendit coupable pendant la Terreur. \
Ici doit se placer un incident très grave et qui était
évidemment la conséquence des excitations contenues dans
les communications des proconsuls aux sections de la ville.
Le 9 septembre, vers une heure de Taprès-midi, les
membres de la section Franklin se transportèrent en masse
à la municipalité; ils étaient une centaine environ. Ils
remirent au Conseil général de la commune une pétition
impérieusement et laconiquement rédigée, par laquelle ils
sommaient la municipalité de faire exécuter dans le délai
de douze heures le décret du 6 août, faute de quoi ils se
chargeraient de l'exécuter eux-mêmes avec Taide des bofts
citoyens de la ville.
Cette démarche audacieuse causa une assez vive émotion.
Le Conseil général de la commune délibéra, séance
tenante, et considérant que le décret du 6 août ne lui était
pas officiellement parvenu; que les termes généraux dans
lesquels il était conçu enveloppaient non seulement toutes
les autorités constituées, mais encore la majorité des habi-
tants de la Gironde; que les représentants du peuple
Ysabeau et Baudot avaient solennellement promis Tinexé-
cution de ce décret jusqu'au retour des commissaires
envoyés par les sections auprès de la Convention nationale
pour en demander le rapport, il décida qu'il ne pouvait
s'occuper de l'exécution du décret du 6 août, et que la
délibération serait communiquée aux vingt-huit sections
pour énoncer leurs vœux.
Puis, comme la démarche de la section Franklin, bientôt
connue en ville, y avait jeté du trouble, semé des appréhen-
340 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX.
sions, et qu^on pouvait avoir à redouter des désordres, la
municipalité mit sur pied une partie de la garde nationale.
A la réception de la délibération du Conseil général
de la commune, la section Franklin, loin de se laisser
intimider, se mit en rébellion et provoqua le soulèvement
des campagnes. Le danger était imminent.
Cest à ce moment que le Conseil général, craignant des
conflits entre les sections montagnardes et la Société des
Jeunes gens, se décida à prendre une délibération pour
inviter et, partant que de besoin, requérir (sic) la Société
populaire de la Jeunesse bordelaise de se dissoudre.
C'était un moyen terme à Taide duquel on espérait
atténuer aux yeux des représentants le refus d'exécution du
décret du 6 août-, on disait, d'ailleurs, que des ordres
formels et secrets, envoyés de La Réole à la municipalité,
avaient condamné irrévocablement la Société de la Jeunesse.
L'arrêté, affiché dans les divers quartiers de la ville, fut
un coup terrible pour les sections qui n'avaient pas encore
subi l'influence des proconsuls (*^
Les jeunes gens se réunirent, *et une discussion orageuse
s'engagea sur l'ordre donné par la municipalité. Auguste
Ravez, qui présidait la séance ^^\ fut d'avis qu'il ne fallait
point se soumettre à la mesure édictée, avant de s'être
assuré des sentiments de la population. Sur ses conseils, la
Société se déclara en permanence et des délégués furent
envoyés dans les sections et auprès des divers corps admi-
nistratifs.
M. Dupont (mort conseiller à la cour de Bordeaux) alla
haranguer la municipalité, et le procureur de la commune
Vielle lui répondit.
M. Dégranges-Bonnet (mort président de Chambre à la
Cour de Bordeaux et dont le Palais garde le souvenir) se
(I) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux,
(2} V. Éloge de Rwe^, par M. Sauzet.
LA SECTION FPANKLIN. i^l
rendit au département, où le président Sers se fit Torgane
de rassemblée.
M. Ladonne, envoyé au district, eut une entrevue avec
le président Bernada.
Lorsque les délégués eurent rendu compte de leur mission
et de l'accueil bienveillant qu'ils avaient reçu partout, la
Société déclara qu'elle ne se dissoudrait pas et chargea
Ravez de répondre à l'arrêté du Conseil général de la
commune du 9 septembre.
Ravez, le même que nous avons vu plus tard occuper
des positions éminentes qu'il honora par son beau caractère
et ses talents, celui que ses pairs de notre barreau surnom-
mèrent le grand Rave\y rédigea en ces termes la réponse
des Jeunes gens; un pareil document émané d'un tel homme
devait trouver ici sa place :
« Magistrats, la Société populaire de la Jeunesse bordelaise venait
de se réunir pour délibérer sur la proclamation qui T invite et,
partant que de besoin, la requiert de se dissoudre, lorsqu'un cri
d'alarme, frappant à la fois toutes les parties de cette vaste cité, a
annoncé que la tranquillité publique était menacée : Volons au poste
où le danger et T honneur nous appellent, se sont écriés tous les
membres de cette Société; allons offrir dans nos sections, dans nos
compagnies respectives, et nos bras et nos lumières, et ne nous
occupons de nous que lorsque nous n'aurons plus à craindre pour
la chose publique.
t Magistrats, si nos alarmes ne sont pas entièrement calmées, elles
sont du moins suspendues. La section égarée qui avait oublié
qu'une portion du souverain n'est pas le souverain lui-même, et qui
voulail-s'arroger un pouvoir qui n'appartient qu'aux ministres mêmes
de la loi, paraît avoir reconnu la funeste erreur dans laquelle des
mains étrangères et perfides l'avaient entraînée. Nous pouvons donc
un instant quitter le champ de l'honneur pour nous réunir dans le
temple de la Liberté, et notre premier objet doit être de répondre
à votre proclamation.
» Vous nous invitez, magistrats, et, partant que de besoin, vous
nous requére^f de nous dissoudre. Mais nous sommes citoyens
français, nous sommes libres, nous sommes assemblés en vertu de
l'acte constitutionnel que vous nous avez vous-mêmes présenté;
nous avons rempli toutes les formalités prescrites par la loi, et à ces
342 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX.
^ » I • • ' " ' ~ --■ - --_ ■■■■■■ ■IMIMI |_ _^^
titres nous avons le droit de vous demander : sur quels fondements
repose l'invitation ou la réquisition que vous nous faites? L'arbitraire
est pour jamais banni de la France : la loi seule peut ordonner ; la
loi seule peut exiger notre obéissance. Les Français ne connaissent
plus d'autre maître que la loi et les magistrats qui parlent en
son nom.
» Quelle est donc la loi, magistrats, qui vous autorise à requérir
notre dissolution? Quelle est du moins la loi que nous avons violée
et dont la violation puisse servir de base à la réquisition que vous
nous adressez?... Ici la malveillance et la calomnie sont elles-mêmes
muettes et confondues; et ce silence, preuve énergique de leur
honte, est aussi le gage du triomphe que la loi assure à tous ceux
qui en sont les fidèles sujets.
> Vous invoquez, magistrats, le salut du peuple comme loi
suprême. Ce grand principe n*est gravé nulle part en caractères
plus ineffaçables que dans les cœurs ardents et sensibles de la
jeunesse bordelaise. Mais ne craignez-vous pas vous-mêmes que les
fauteurs du désordre et de l'anarchie ne profanent bientôt cette
sublime vérité en la faisant servir à leurs sinistres projets? Ne
craignez-vous pas que les désorganisa teurs qui semblent vouloir
punir la cité de Bordeaux de l'heureuse paix dont elle jouit au sein
des orages révolutionnaires qui ont agité, bouleversé, ensanglanté
même toutes les autres parties de notre malheureuse France,
n'exigent aussi, comme mesure de salut public, de douloureux
sacrifices, et n'amènent au milieu de nous, au nom du salut public,
ces malheurs et ces forfaits sur lesquels la justice et l'humanité
verseront des larmes éternelles?
> Le salut du peuple est la suprême loi sans doute. Mais ce
principe dont on a tant abusé, il ne faut l'invoquer que lorsque les
lois écrites sont sans force, les magistrats sans autorité, les citoyens
sans vertus. Sommes-nous donc dans cette affreuse situation? Non;
les lois sont toujours la règle du peuple bordelais, ses magistrats
sont toujours ses guides et ses pères, les vertus sont toujours chères
à son cœur. Vous le savez, magistrats; vous en avez fait plus d'une
fois la convaincante expérience, et l'opinion que vous avez dû
prendre du peuple bordelais aurait dû, nous devons vous le dire
avec franchise, vous tracer en ce moment la marche que vous aviez
à tenir.
» Avez-vous dit à ce peuple que l'acte constitutionnel nous
permet de nous rassembler, et que des lois postérieures punissaient
les magistrats et les fonctionnaires publics qui porteraient atteinte
à ce droit précieux? Lui avez-vous dit que nous ne nous assemblions
que pour maintenir les lois qui nous gouvernent, défendre les
propriétés de nos pères, de nos amis, de nos concitoyens, protéger
LA SECTION FRANKLIN. 343
les personnes injustement compromises, et anéantir les tyrans sous
quelque forme qu'ils se déguisent.'' Lui avez-vous dit que ni vous, ni
aucun autre citoyen, n'avez encore d'autre droit que celui de nous
surveiller et non de nous dissoudre, et que cette- surveillance même
est en quelque sorte inutile pour une Société de jeunes gens qui
veulent tenir leurs séances en public, qui feront imprimer à des
époques périodiques le résultat sommaire de leurs travaux, et qui
déjà (pesez bien ces mots) ont invité leurs magistrats à venir dans
leur sein pour être les témoins de leurs paisibles opérations?
» N'en doutez pas, magistrats, si vous eussiez tenu ce langage au
peuple bordelais, il eût eu le succès que la voix de la vérité aura
toujours auprès de lui, et vous ne vous fussiez pas mis vous-mêmes
en opposition avec la loi.
• Vous avez inséré dans votre proclamation une partie de la lettre
que vous avez reçue des commissaires de la Convention en séance
à La Réole : < Cette lettre, dites-vous, ne laisse aucun doute sur
t l'improbation des représentants du peuple à l'égard d'un établis-
1 sèment qu'ils regardent comme dangereux. » Magistrats, nous ne
sommes pas les seuls qui avons été calomniés auprès des
représentants du peuple; mais le règne de la calomnie est aussi
court qu'il est honteux; et la réponse que nous allons faire à la
partie de leur lettre qui nous concerne ramènera sûrement leur
opinion en notre faveur. Les représentants du peuple ont dit dans
cette lettre qu'une partie de la Jeunesse ne s'assemblait que pour
s* opposer à la loi qui la met en réquisition. Depuis que cette Société
existe, il n'a pas été un seul instant question du recrutement ; nous
offrons de communiquer nos procès-verbaux à tout magistrat, à
tout citoyen qui voudra s'en convaincre.
» Cette lettre parle encore de notre Société comme d*un moyen
de guerre civile. Une inculpation aussi grave suppose des faits
certains, des projets connus, des intentions manifestes. Quels sont
ces faits, ces projets, ces intentions? Nous défions ici nos détracteurs
les plus acharnés; et ce défi auquel ils ne répondront certainement
pas, achève de démontrer que les représentants du peuple ont été
trompés eux-mêmes par les envieux secrets qui redoutent l'aspect
de la Jeunesse bordelaise, réunie sous l'étendard de la loi.
> Existe-t-il, d'ailleurs, dans la lettre des représentants du peuple
une réquisition de dissoudre notre Société? Et comment existerait-
elle? Les représentants du peuple n'auraient pu la faire sans violer
la loi, qui est leur ouvrage, et sans tenir une conduite qu'ils
devraient punir dans les autres ? Quand ils seront mieux instruits,
quand ils sauront que nous sommes assemblés paisiblement et sans
armes, quand ils apprendront que nous n'avons d'autre objet que
d'opposer, en défendant les lois, les personnes et les propriétés, un
344 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
rempart insurmontable aux anarchistes, ils regretteront sans doute
d'avoir écouté trop facilement nos ennemis; ils»nous vengeront
eux-mêmes en applaudissant aux vues qui nous animent.
j La réquisition que vous nous avez adressée est donc votre
propre ouvrage. Or, pouvez-vous faire une pareille réquisition?
Devons-nous y déférer? Magistrats, requérez-nous au nom de la
loi, placez la loi à côté de votre réquisition, alors nous cesserons
d'exister. Mais déférer à une réquisition qui n'est pas conforme à la
loi, qui en est une violation expresse, c'est abjurer la qualité de
citoyen français, c'est renoncer à sa liberté, c'est faire plier des têtes
libres sous le joug que la Révolution a brisé. D'autres Sociétés
populaires existent en cette ville : l'une, sous le nom de Société des
Amis de la Liberté et de l'Égalité; l'autre, sous celui de Club
national; une troisième, sous le titre de Surveillants.
» La liberté et les lois n'existeraient-elles que pour ces Sociétés? Si
c'est un crime de le penser ; si la liberté est un bien commun à tous
les hommes; si les lois sont égales, notre Société doit donc exister
aussi, elle ne doit pas se dissoudre; et personne au monde, pas
même vous, magistrats, n'avez le droit d'en requérir la dissolution.
> Nous redoutons peu les vaines menaces dont les ennemis de la
loi, qui seront toujours les nôtres, cherchent à nous effrayer. Jamais
les magistrats et les fonctionnaires publics, dont nous sommes les
amis; jamais la brave garde nationale, dont nous partageons et les
sentiments et les dangers ; jamais les citoyens, dont nous sommes
les enfants et les camarades, ne se laisseront assez aveugler par les
malveillants pour exercer aucun acte de violence contre une Société
paisible et sans armes, qui ne veut qu'user d'un droit que le
despotisme seul pourrait lui ravir. Qu'ils apprennent, du moins, que
la Jeunesse bordelaise, ferme et intrépide sous le drapeau de la
liberté, les attendra avec le calme qui convient à sa cause, et
que, couverte sous l'égide de la loi, elle ne cessera d'exister qu'avec
la loi même.
» Il nous reste, magistrats, un autre devoir à remplir. Tous les
citoyens ont le droit imprescriptible de se plaindre d'une infraction
à la loi et de la dénoncer aux autorités supérieures. Votre
proclamation est une infraction de ce genre. Nous déclarons donc
que nous allons la déférer à l'Administration du district et du
département, et que nous en poursuivrons la cassation par tous les
moyens que la loi nous autorise, nous ordonne même d'employer. »
Ainsi parla Ravez, ou, pour être plus exact, ainsi
s^exprima la Société de la Jeunesse bordelaise en réponse à
la délibération du Conseil général de la commune.
LA SECTION FRANKLIN. 345
Cette réponse, qjui était signée par Auguste Ravez,
président, Ladonne fils, Dégranges, Dupont jeune et Paris
fils, secrétaires, fut portée à la municipalité, au district et
au département, et imprimée pour être envoyée dans toutes
les sections et à la garde nationale (').
Les esprits étaient très agités par ces incidents, dont la
gravité n'échappait à personne. Si les jeunes gens avaient
des adhérents nombreux, les détracteurs ne leur manquaient
pas.
La lutte était engagée entre les représentants des principes
girondins et les adeptes de la Montagne. L'issue n'en
paraissait pas douteuse : le peuple de Bordeaux n'était plus
girondin; il craignait la famine, et ses tendances égoïstes
le portaient vers le plus fort, c'est-à-dire vers la Montagne
et la Convention.
D'un autre côté, les proconsuls de La Réole soutenaient
ardemment le Club national, la section Franklin et toutes
celles qui étaient en communauté d'idées avec ces deux
Sociétés.
Le 10 septembre, le citoyen Dancemont, député des
sections, écrivait de Paris au président du Comité des
sections de Bordeaux, pour rendre compte de son entrevue
avec le Comité de Salut public à l'occasion du décret du
6 août; il faisait connaître que Marandon, Duvigneau
et Lavau-Gayon devaient subir le coup de ce décret; que
satisfaction devait être donnée à Ysabeau et Baudot pour
les excès auxquels des malveillants s'étaient portés envers
leur voiture ; que la cavalerie bordelaise devait partir sur le
champ pour les frontières ; que les bataillons rentrés de la
Vendée devaient y être immédiatement remplacés par deux
autres bataillons; que Grangeneuve, Guadet, Leroy et
Buzot, signalés comme présents à Bordeaux devaient être
(i) Nous possédons un exemplaire en placard, imprimé chez P. Phillipot,
Fossés de Ville, 1793.
346 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
arrêtés, et qu'enfin le Qub national élevait être réinstallé
sans retard. Au même moment, Ysabeau et Baudot
écrivaient de leur côté aux citoyens composant le Club
national de Bordeaux :
€ Citoyens, nos frères et nos amis, rien ne pouvait faire
tant de plaisir à des républicains montagnards que d'ap-
prendre le rétablissement d'une Société qui est devenue
chère aux bons Français, à proportion des services qu'elle
a rendus et des persécutions dont elle a été l'objet.
j> La République entière a les yeux ouverts sur votre
conduite; elle attend de vous de grandes choses, et dignes
de votre réputation : elle aimerait à vous devoir le rétablis-
sement de l'ordre et le règne des lois.
» Vous êtes, dès ce moment-ci, le point de ralliement de
tous ceux qui aiment sincèrement la patrie. Élevez-vous,
frères et amis, à la hauteur de vos destinées; opérez dans
vos murs une heureuse révolution; terrassez, par la force
de l'opinion, la faction qui vous opprime. Forts de votre
union entre vous et avec toutes les Sociétés républicaines,
ne craignez pas de vous prononcer avec hardiesse. Nous
sommes là pour vous soutenir avec toute la puissance
d'une nation qui a juré de ne jamais rétrograder en
révolution.
» Nous nous honorons d'être membres de votre Société :
puissions-nous vous communiquer toute l'énergie dont nos
âmes sont dévorées! Puissions-nous bientôt nous trouver
au milieu de vous et participer à vos travaux civiques (") . ï
Les représentants, on le voit, avaient hâte d'obtenir la
soumission de Bordeaux. Ils y poussaient de tout leur
pouvoir; ils s'en faisaient un point d'honneur, et après
avoir excité les courages, ils disaient : Nous sommes là
pour vous soutenir.
(0 Archives de la Gironde, série L.
LA SECTION FRANKLIN. 347
Ce n'est pas tout encore : d'après un contemporain,
M. Daguzan aîné, ils avaient remis aux députés de la
section du \o août une adresse bientôt publiée par cette
section, et disant très distinctement aux membres des sections
qui, seules, suivant eux, étaient restées fidèles au salut de la
République : <c Armez- vous de poignards, et observant que
nous sommes en septembre, devenez autant de septembri-
seurs. 9 De pareilles excitations seraient odieuses si elles
étaient vraies; mais nous avouons n'en avoir trouvé
l'indication nulle part ailleurs que dans la lettre de
Daguzan *, l'adresse à laquelle il fait allusion et qu'il qualifie
d'insultante pour les citoyens à qui elle était envoyée,
n'a pas passé sous nos yeux.
D'ailleurs, des nouvelles de toute nature étaient mises
en circulation pour effrayer les esprits : on disait notam-
ment que les troupes allaient partir pour Blaye; que de
nouveaux proconsuls étaient attendus pour faire exécuter
la loi sur la réquisition de la jeunesse, etc., etc.
Il est facile de se rendre compte, d'après ce qui précède,
de la surexcitation générale qui régnait à Bordeaux vers
cette époque.
La jeunesse bordelaise menaçait les sections et celles-ci
se préparaient à la résistance.
Le 1 1 septembre, et en vertu d'un ordre des représen-
tants, Charles, assisté du citoyen Jacob et d'autres membres
de la section Franklin, se rendit au Château -Trompette et
se fit remettre un canon et des munitions. Les commissaires
des sections dévouées et du Club national, et des énergu-
mènes qualifiés du titre de bons citoyens, étaient réunis
dans le local de la section Franklin, au ci-devant Grand
Séminaire, rue du Palais-Gallien (hôtel des Monnaies
actuel). Dès que Charles eut rapporté les munitions
enlevées au Château-Trompette, les sectionnaires se barri-
cadèrent dans les cours du ci-devant Grand-Séminaire, le
348 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
canon fut chargé à mitraille, ils le pointèrent en face
de l'entrée, mèche allumée ^^\ et ils attendirent.
On n'osa pas les attaquer, dit Tustet. Toutefois l'alerte
avait été vive.
Les citoyennes Amies de la Liberté et de VÉgalité
avaient envoyé une nouvelle députation à La Réole; elle en
revint avec la lettre suivante signée d'Ysabèau seul :
« Citoyennes, nous vous avons déjà exprimé les véritables
sentiments de nos cœurs, inaccessibles à toute vengeance
particulière, incapables de se livrer à d'autre passion qu'à
celle du bien public.
» Votre députation auprès de nous est un nouveau gage
des principes qui vous attachent à la République et à
la Convention nationale, qui la représente. Continuez de
propager de tout votre pouvoir les principes sacrés auxquels
sont attachés le salut de la patrie et celui de la ville que
vous habitez. Il est bien malheureux qu'une partie de vos
concitoyens soient encore livrés à des illusions qui auraient
dû se dissiper depuis longtemps, et persévèrent dans son
opposition à la loi. Que demandons-nous, au nom de la
République, sinon que les lois régnent, régnent seules dans
toute leur intégrité; que toutes les factions disparaissent
devant l'acte constitutionnel qui doit rallier tous les esprits
et toutes les opinions; que le peuple^ qui souffre par la
vexation des riches et par leur odieux monopole, vive du
fruit de son travail et soit délivré du monstre de l'accapa-
rement et de l'agiotage qui le dévore; enfin, que les
subsistances, qui sont devenues la proie d'un petit nombre
de spéculateurs et de gros propriétaires, puissent circuler
librement et arriver jusqu'à la chaumière du pauvre?
i> Tels sont nos vœux les plus chers, tel est le but de
notre mission et de nos travaux, et voilà pourquoi nous
(1) Tustet, Tableau de Bordeaux, etc.
I.A SECTION FRANKLFN. 840
sommes en butte aux persécutions, aux calomnies et même
aux poignards des aristocrates et des faux patriotes. Les
misérables savent bien que si la droiture de nos intentions
était connue, nous serions entourés des bénédictions de ce
même peuple auprès duquel ils nous représentent sous les
couleurs les plus noires.
D Mais rien au monde ne sera capable de nous arrêter
dans notre carrière bienfaisante, et on connaîtra à la fin
quels étaient les oppresseurs du peuple et quels étaient ses
véritables et sincères amis !
> Notre dernier arrêté concernant les subsistances vous
est déjà connu; nous en attendons les plus heureux succès
et nous devons vous dire qu^il n^est pas de jour où, en
vertu des ordres que nous avons donnés, il ne passe plusieurs
bateaux chargés de blé.
1 Vous appartenez, citoyennes, à cette partie du peuple,
laborieuse et pauvre, par qui et pour qui la révolution a été
faite. Vous pouvez, par l'ascendant que vous donnent vos
vertus, hâter la fin de cette révolution, en invitant tous les
bons citoyens à écouter la voix de la patrie en danger, à
marcher à son secours et à se tenir attachés invariablement
au centre de l'unité républicaine ^'). i
Cette lettre et toutes celles des représentants que nous
avons insérées dans ce chapitre sont entièrement inédites et
publiées pour la première fois. Nous aurions peut-être dû
les renvoyer à V Appendice, mais elles nous ont paru si
curieuses à tant de titres, elles éclairent et complètent si
bien la marche des événements que nous avons jugé ne pas
devoir les passer sous silence, au risque de ralentir un peu la
marche de notre récit. Elles contiennent la pensée intime des
proconsuls de La Réole et dévoilent une partie des moyens
qu'ils employèrent pour arriver à la soumission de Bordeaux.
(i) Archives de la Gironde, série L.
35o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORTiEAUX.
La lettre du citoyen Dancemont et les conditions impo-
sées à la ville par le Comité de salut public ayant reçu
de la publicité, le Conseil général du district de Bordeaux
jugea nécessaire de présenter à la Convention un mémoire
justificatif qui se terminait par une démission en masse.
C'était une abdication, et la section Franklin se réjouit
d'une pareille décision qui, en affaiblissant les autres
autorités constituées, accroissait la puissance et Tinfluence
des sectionnaires.
Ce fut peut-être une faute de la part du Conseil général
du district.
Des démarches actives, en effet, étaient tentées à Paris
par Dancemont et Joseph Ségalié, et celui-ci écrivait, le
1 5 septembre, à Bernada : « Nous avons à lutter contre la
calomnie et les fautes qu'on nous attribue des quatre coins
de la République. C'est une situation aussi malheureuse
que fâcheuse. Je ne saurais assez vous inviter à la plus
grande modération et à tâcher de vous concilier l'esprit
des deux représentants du peuple qui sont à La Réole.
Faites-leur des députations pour les engager à revenir sur le
compte des Bordelais... C'est de leur manière d'écrire à la
Convention que nous devons beaucoup attendre. »
Hélas I les illusions étaient permises à Ségalié, qui était à
Paris; elles ne l'étaient pas à Bordeaux, où on s'attendait
d'un moment à l'autre à des événements d'une importance
capitale et qui, depuis plus d'un mois, étaient activement
préparés par les menées de la section Franklin et du Club
national, et par les manœuvres des émissaires secrets des
proconsuls.
Ces événements ne tardèrent pas à éclater, comme nous
allons le voir dans le chapitre suivant.
J
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CHAPITRE V
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE A BORDEAUX.
On décide le remplacement de la municipalité par des commissaires des
sections. — Initiative de la section Franklin à ce sujet. ^ Les postes de
la garde nationale sont relevés. — Les sections en permanence. —
Prise de possession de la municipalité. — Les conventionnels sont
priés de rentrer à Bordeaux. — Lettre à ce sujet. — Réponse des
conventionnels. — Proclamation de la nouvelle municipalité. — Elle
ordonne l'exécution du décret du 6 août. — Suppression du département
et du district. — Visites domiciliaires. — Règlement pour la distribution
du pain. — Adresse du Conseil général de la commune à la Convention.
— Arrestations. — La Société de la Jeunesse bordelaise est à son déclin.
— La section Franklin et la municipalité provisoire envoient des députés
aux conventionnels. — Lettre de ceux-ci à la municipalité. — Programme
révolutionnaire. — Proclamation à la Jeunesse bordelaise. — Adresse
du Conseil général de la commune aux Parisiens. — Dissolution de la
Société des Jeunes gens. — Anarchie à Bordeaux. — Création des cartes
de sûreté. —' L'avocat Marie de Saint-Georges. — Lettre que lui écrit
Ysabeau. — Les tableaux de Rigaud à la Chambre de commerce. —
Misère des Bordelais. — Lettre d' Ysabeau à la municipalité. — lettre de
Tallien aux Jacobins de Paris. — Adresse des citoyennes Amies de la
Liberté et de l'Égalité à la Convention nationale. — On se
maratise. — Le premier Comité de surveillance. — Objurgations de
Boîssel à la nouvelle municipalité. — Celle-ci sort de son apathie et
prescrit diverses mesures révolutionnaires. — Des délégués du Club
national vont républicaniser les communes du département. — Arresta-
tions faites par le Comité de surveillance. — La Commune de Paris
envoie des délégués à Bordeaux. — Les prisons se remplissent de prêtres
et de suspects. — Lettre d' Ysabeau au Comité de salut public. — Guadet
et ses compagnons à Bordeaux. — Vitrac et Fontanes. — Troubles à la
porte des boulangers. — On annonce le retour des conventionnels. —
Joie publique à cette nouvelle. — On plante des arbres de la liberté. — La
Convention ordonne le désarmement des hommes suspects de Bordeaux.
— Tiraillements au sein de la municipalité. — Lettre d'Ysabeau à ce
sujet. — Arrestations de suspects. — Tallien et L.acombe. — On suspend
la délivrance des passeports. -^ Lettre de Tallien à la Commune de Paris.
— Les conventionnels font acheter des grains pour approvisionner
Bordeaux. — ]je\tr lettre à ce sujet. — Réunions décadaires au Temple
de l'Être Suprême. — I.es arrestations redoublent. — Mesures contre la
disette des subsistances. — M»« Marandon. — Adresse de la Société des
352 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX,
Amies de la République à la Convention. — Les bonnets-rouges et le
portrait de Marat. — Rentrée des conventionnels à Bordeaux. — L*armée
révolutionnaire et les généraux Brune et Janet. — Honneurs rendus au
Club national. — Une soirée au théâtre de la République. — Soumission
définitive de la ville de Bordeaux.
« Opérez dans vos murs une heureuse révolution, avaient
écrit Ysabeau et Baudot aux montagnards bordelais; ....
nous sommes là pour vous soutenir ^^K »
Leur conseil fut suivi.
De concert avec le Club national, la section Franklin
intrigua si vivement auprès des autres qu'elle fit décider,
comme mesure urgente de salut public, le remplacement de
la municipalité par deux commissaires élus dans leur sein.
C'était un acte hardi; mais la section Franklin avait fait ses
preuves à cet égard, et rien n'était de nature à surprendre
de la part des hommes qui dirigeaient ses délibérations.
Composée d'une grande partie du faubourg Saint-Seurin,
dont presque tous les habitants, dit Bernada, étaient
alors des petits artisans ou des gens de journée f^\ cette
section formait une plèbe audacieuse et turbulente toujours
prête, sous l'influence de ses chefs, à fomenter des mouve-
ments populaires.
I^e triomphe du parti de la Montagne était assuré par la
décision des sections qui lui obéissaient. Sans perdre un
instant et afin de faciliter l'exécution de cette mesure
révolutionnaire, le bataillon Franklin releva immédiate-
ment de son autorité privée les divers postes occupés par
la garde nationale et fit, jusqu'à nouvel ordre, un service
de jour et de nuit ^^K
L'alarme était grande dans la ville, et les allures de la
section Franklin étaient loin de calmer les appréhensions
des habitants; on craignait que la tranquillité publique ne
(ï) Ch. IV, p. 34G.
(2) Histoire de Bordeaux, ch . \'.
(3) Sainte-Lucc Oudaille.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 353
fût troublée, et une espèce d'anxiété s'était emparée de tous
les esprits. Mais les sectionnaires avaient fraternisé, et, il
faut bien le dire, la majorité du peuple, afin d'obtenir un
soulagement à ses misères, paraissait disposée à adhérer
à toutes les exigences.
C'est ainsi que des députations d'un membre par section
partirent en corps, l'une pour La Réole, l'autre pour
Périgueux, et allèrent demander à Ysabeau et Tallien de
venir à Bordeaux pour y accomplir l'œuvre dont ils étaient
chargés par la Convention nationale ^^K
On ne discutait plus...
Le 1 8 septembre au matin, les sections réunies adoptèrent
définitivement, sous la pression de l'une d'elles (Franklin),
les propositions arrêtées dans l'assemblée des commissaires
tenue l'avant- veille. Il fut, en outre, décidé qu'elles reste-
raient en permanence jour et nuit et qu'elles auraient
chacune un piquet de douze hommes de garde.
Chaque section nomma sans désemparer deux commis-
saires devant concourir à former la nouvelle municipalité.
Dans l'après-midi, ces commissaires se réunirent dans le
local Franklin et en partirent pour l'Hôtel de Ville, escortés
par la section en armes.
Le Conseil général de la commune était en permanence
depuis le matin ; les commissaires pénétrèrent sans difficulté
dans la salle des délibérations, et l'un d'eux s'exprima
en ces termes : « La volonté souveraine du peuple s'est
manifestée dans les vingt-huit sections de cette commune,
et nous sommes chargés par nos concitoyens de prendre
les rênes de l'administration civile et politique de cette
ville. En conséquence, nous vous intimons l'ordre du
peuple souverain d'avoir à nous céder sur-le-champ un
dépôt que vous ne pouvez plus garder ^^K :»
(i) Lettre de Daguzan aîné, du i8 septembre.
(0 Bernadau et O'ReilIy.
T. L 23
354 HISTOIRF DE LA TERREUR A BORDEAUX.
La municipalité ne fit aucune résistance; elle se retira,
laissant ses fauteuils aux envoyés du peuple souverain.
La municipalité révolutionnaire s'installa et entra immé-
diatement en fonctions.
Son premier acte fut de députer quatre de ses membres
pour aller annoncer aux proconsuls de La Réole la
révolution accomplie à Bordeaux, et les supplier de se
rendre dans cette ville. Ces députés étaient porteurs de la
lettre suivante :
f Les membres composanfla municipalité provisoire de Bordeaux,
aux citoyens Baudot et Ysabeau, représentant du peuple, en
séance à La Réole,
> Citoyens représentants, l'union la plus parfaite règne dans la cité
de Bordeaux : les vingt-huit sections ont unanimement arrêté de
remplacer la municipalité par deux commissaires de chaque section;
ils se sont réunis et forment, dans ce moment, la municipalité
provisoire. Ils ont juré un attachement inviolable à la République
une et indivisible, un respect inviolable pour les lois, et promis de
veiller à la sûreté des personnes et des propriétés. Nous nous faisons
un devoir de remplir ce serment; il importe au maintien de la
tranquillité publique et au bonheur de nos concitoyens, qui nous
ont honorés de leur confiance. Venez au milieu de nous, représen-
tants, seconder nos efforts et vous assurer par vous-mêmes des
sentiments vraiment républicains qui animent la majorité des
habitants de cette grande cité.
> En attendant que vous remplissiez notre vœu le plus cher à cet
égard, nous croyons essentiel de vous inviter de la manière la plus
pressante à donner les ordres les plus prompts et les plus précis
pour faire relâcher les farines achetées parle Comité des subsistances
et que vous savez être arrêtées tant à Aiguillon que dans d'autres
lieux; nos besoins ne sauraient être plus urgents^ puisque nous
n'avons pas de farine pour la distribution de demain.
> Au moment de notre installation, nous sommes avertis qu^il se
fait devant le port un chargement de matières d'argent, surtout de
la monnaie ; nous nous sommes fait représenter les ordres que vous
avez donnés au citoyen Lhoste, qui continue à les exécuter. Nous
présumons, citoyens représentants, que lorsque vous connaîtrez la
révolution qui vient de s'opérer dans notre cité, et qui doit faire
disparaître toutes vos craintes sur la sûreté de ce dépôt important,
^ous jugerez peut-être, dans votre sagesse, devoir changer les dispo-
\
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 355
sitions que vous avez données au citoyen Lhoste pour le dépôt de
ces matières, et d'éviter les risques qu'il courrait dans le transport
à Cadillac, et son retour, si vous proposez que le dépôt à Cadillac ne
soit que momentané, et nous vous prions instamment de vouloir
nous faire connaître, à cet égard, vos intentions, par le retour de
notre courrier. En attendant, nous avons pris toutes les mesures
nécessaires pour que le chargement se continue sous bonne et sûre
garde, que nous venons de mettre, tant à bord du bateau qu'à la
Monnaie.
» Pasquibr, président provisoire,
Chaussade et Saint -âmand, secrétaires provisoires (0. »
Cette lettre, qui ne brillait ni par le style, ni par Télan
du patriotisme, fut remise aux destinataires à Agen. Avec
eux se trouvaient, en ce moment, dans cette ville,
Chaudron- Roussau, J. Pinet aîné, Leyris, Tallien, Darti-
goeyte, Paganel et Monestier (du Puy-de-Dôme). La
communication de la municipalité révolutionnaire bordelaise
fiit examinée par cette réunion de conventionnels; peu
satisfaits, dit O'Reilly ^'^ de la rédaction et du manque
d'énergie de cette première lettre, ils y firent, séance
tenante, une réponse ainsi conçue :
a Agen, le 19 septembre lygS, Pan II de la République
une et indivisible.
1^ Citoyens, il est bien douloureux pour les représentants
du peuple de retrouver, dans la première lettre des muni-
cipaux provisoires de la cité de Bordeaux, les mêmes
principes, le même style et la même marche qu'ont
employés jusqu'à ce jour les anciens officiers municipaux.
Il n'y a pas, dans votre lettre, un mot pour la Convention ;
il n'y a pas un mot sur le décret du 6 août.
» Nous vous déclarons, citoyens, sous quelque titre que
vous existiez, que nous ne croirons au respect des Bordelais
pour les lois que lorsque ce décret sera exécuté en son
(i) Archives municipales de Bordeaux.
(2) Histoire de Bordeaux, ^^ partie, t. !•', p. 36i.
356 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
entier; nous ne croirons à la sollicitude des municipaux
sur les subsistances, que lorsque les visites domiciliaires
auront été faites scrupuleusement en présence des commis-
saires du peuple, bons sans-culottes, choisis par la section
Franklin ; nous ne croirons à la tranquillité de votre cité que
lorsque vos grenadiers, vos chasseurs, votre Jeunesse, se
seront transportés sur vos frontières; lorsque nos canons
ne seront plus à la disposition de vos administrateurs
rebelles ; lorsque vous aurez restitué le numéraire volé à la
République; lorsque vous aurez livré au glaive de la loi
tous les ci-devant nobles, tous les prêtres réfractaires, tous
les émigrés qui couvrent le pavé de Bordeaux; lorsque
vous aurez chassé de vos murs tous les Anglais, les
Espagnols et Hollandais que la nation a cru devoir
expulser; enfin, lorsque vous aurez remis à la Convention
ceux de ses anciens membres qu'elle a mis en arrestation et
les nouveaux traîtres qui se sont réfugiés auprès de vous.
Nous vous prévenons, citoyens, que nous écrirons aujour-
d'hui au citoyen Lhoste, pour le louer de sa légitime
résistance. Nous arrêtons, de plus fort, que Tarrêté de nos
chers collègues Ysabeau et Baudot, sur le transport du
numéraire et matières d'or et d'argent de Bordeaux à
Cadillac, sera mis à pleine exécution. Au surplus, citoyens,
assurez le bon peuple de. Bordeaux que son sort nous est
cher; que nous nous occuperons sérieusement de l'amé-
liorer, — surtout lorsque nous aurons brisé les nouvelles
chaînes que les fédéralistes lui ont forgées.
« Les représentants du peuple : Dartigoeyte,
Leyris, Tallien, Baudot, Chaudron-Roussau,
J. Pinet aîné, Paganel, C.-Alex, Ysabeau et
Monestier (du Puy-de-Dôme) ^^K »
Les ordres des représentants étaient catégoriques. Comme
(i) Archives municipales de Bordeaux.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 357
on peut le voir, d'ailleurs, par leur lettre, le mouvement
révolutionnaire accompli à Bordeaux le i8 septembre fut
mal apprécié par eux dans les premiers moments. Nous ne
pouvons en trouver les motifs que dans la communication,
dépourvue du lyrisme révolutionnaire alors en usage pour
les moindres événements politiques, faite aux conventionnels
par la municipalité provisoire.
La section Franklin n'avait pas encore parlé sans doute,
et les représentants, mal informés, attribuaient au seul
besoin des subsistances les causes de la révolution du
i8 septembre; ils ne croyaient pas à la sincérité du chan-
gement opéré et qu'on leur notifiait en termes si modérés
et si peu d'accord avec l'événement lui-même. Peut-être ne
se trompaient-ils pas d'une manière absolue. Il est certain,
en effet, que ce n'est pas le seul amour de la Montagne qui
avait tout à coup converti le peuple bordelais : on avait
spéculé sur sa misère, on lui avait dit que sa soumission à
la Convention ramènerait l'abondance; il l'avait cru : les
malheureux sont crédules et se laissent facilement aller à
l'espérance. « Bordeaux manquant de vivres n'a pas cru
devoir faire une plus longue résistance, écrivait un contem-
porain ; c'est pourquoi il s'est décidé à subir la loi qu'on
voudra lui imposer ^^K »
Le 19 septembre, ayant choisi un maire, un procureur
de la commune et un secrétaire greffier, le Conseil général
provisoire ainsi formé adressait à ses concitoyens une
proclamation qu'il faisait parvenir en même temps à la
Convention nationale, aux communes du département de
la Gironde, à tous les départements et aux armées de la
République.
Après y avoir rappelé les circonstances qui avaient
compromis la réputation de la ville de Bordeaux et de ses
(i) Lettre de Pëbernad à son frère.
358 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
habitants, et la nécessité où s'étaient trouvés les bons
citoyens à^ expulser des corps constitués qui avaient perdu
leur confiance en dépassant la ligne qui leur était tracée,
le Conseil général provisoire de la commune disait :
«c C'est d'après ce vœu bien prononcé et d'après le mode
fixé par les représentants du peuple français Baudot et
Ysabeau que les sections ont nommé chacune deux commis-
saires pour former une municipalité provisoire. Ces
commissaires se sont rendus en corps à la maison commune,
accompagnés d'une force imposante; là ils ont invité la
municipalité à se dissoudre, et à remettre, entre les mains
des nouveaux élus du peuple, les pouvoirs qu'elle avait
reçus. Cette opération faite, la nouvelle municipalité provi-
soire s'est constituée; elle a pris en main les rênes de
l'administration, et le service public n'a pas été suspendu
un seul instant... J^
En terminant, le Conseil général disait :
« Citoyens Bordelais, les magistrats que vous venez
d'investir de votre confiance sont à la hauteur de la
révolution; leur zèle est sans bornes... ^'^. ï>
Ils ne tardèrent pas à le prouver. Dès le 20 septembre,
en effet, stimulés sans doute par la lettre des conventionnels
du 19, et jaloux de donner des gages de leur républicanisme,
ils ordonnèrent l'exécution immédiate du décret du 6 août,
l'arrestation de tous les individus atteints par ce décret,
l'enlèvement des canons existant au Département et leur
mise en dépôt dans la maison commune, l'apposition des
scellés sur les papiers du Département et du District, et
prescrivirent des visites domiciliaires pour découvrir les
gens suspects et parvenir à connaître les accapareurs de
subsistances. Ils décidèrent, en outre, qu'un courrier
extraordinaire serait expédié sur-le-champ aux représentants
(i) Proclamation du 19 septembre.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 350
du peuple pour les prévenir de toutes ces mesures et les
inviter instamment à se rendre à Bordeaux pour être les
témoins du patriotisme brûlant des citoyens (').
S'occupant ensuite de la question si grave de la disette,
la municipalité provisoire adopta un projet de règlement
pour une nouvelle distribution du pain, proposé par le
bureau des subsistances et accueilli par les sections. Ce
projet devait avoir pour résultat une égale répartition du
pain entre tous les citoyens. Dans une proclamation aux
habitants, le Conseil général de la commune disait avoir
« pensé que toujours c'était faire un pas vers le bien, que
de remédier en partie aux maux du peuple; il ne s'est pas
dissimulé, ajoutait-il, que le projet proposé n'offrirait pas
l'abondance, que par son moyen une plus grande quantité
de matières seraient mises en travail ; non, citoyens, nous
nous plaisons à le croire, vous ne serez pas exigeants au
point de penser que votre municipalité provisoire ait pu,
dans les deux fois vingt-quatre heures de son installation,
pourvoir aux moyens de vous rendre tellement satisfaits
que vous n'ayez plus rien à désirer; vous le savez, cela
n'est pas possible.. . ^*): "» Un règlement en vingt-cinq articles
accompagnait la proclamation du Conseil général.
Il faut lire ces documents pour se rendre compte de la
misère publique au mois de septembre 1793.
Ayant ainsi donné satisfaction aux conventionnels et au
peuple de Bordeaux, le Conseil général de la commune
songea à réparer l'oubli des premiers jours, si amèrement
signalé dans la lettre écrite d'Agen par Ysabeau et ses
collègues. Il ne crut pouvoir mieux le faire qu'en s'adressant
à la Convention elle-même.
« Citoyens législateurs, Bordeaux vient de reconquérir la liberté ;
il est digne de la République. Le peuple bordelais, qui n'a
(1) Délibération du 20 septembre.
(3) Id, Subsistances.
36o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
cessé de la chérir, est maintenant rendu à ses droits et à sa
patrie; usant du droit sacré de Tinsurrection, il a recomposé sa
municipalité, et parmi les nombreux devoirs qu'il vient d'imposer à
ses nouveaux magistrats vraiment populaires, le plus doux, sans
doute, est celui que nous remplissons dans cet instant, en vous
annonçant l'heureuse révolution qui s'est opérée dans nos murs: il
est doux de vous annoncer qu'enfin les lois sont exécutées parmi
nous : les vrais républicains triomphent, et les conspirateurs qui
nous ont si longtemps asservis, les corps administratifs qui ont
comprimé jusquMci les élans des bons sans-culottes de notre cité,
dont le cœur n'a cessé de vous bénir et de se rallier à vous, sont
mis en état d'arrestation : le décret du 6 août est exécuté, et nous
laissons à votre prudence et à votre justice, à distinguer d'avec les
vrais coupables que la loi seule veut frapper, ceux qui ne sont
coupables que d'un événement (0 momentané, et qui sont dignes
de votre indulgence : notre jeunesse, requise par votre décret,
s'organise, et deux bataillons vont partir sur-le-champ : notre
cavalerie est aux ordres du ministre ; tous nos cœurs sont à vous,
tous nos bras sont à la patrie ; et ce qui met le comble à notre joie,
c'est que tous ces mouvements ont lieu au milieu des acclamations
d'un peuple immense, qui se voit enfin délivré des auteurs de tous
ses maux, et qui pourra désormais exprimer sans crainte à ses
législateurs, à cette Convention tant calomniée et toujours si digne
de notre amour et de notre admiration, ses sentiments d'estime et
de dévouement sans réserve à la République, une et indivisible.
» Bertrand, maires
Basseterre, secrétaire-greffier. »
Afin de mettre ses actes d'accord avec ses paroles, la
municipalité provisoire procéda immédiatement aux
arrestations et aux visites domiciliaires. Des escouades
de la garde nationale, précédées d'officiers municipaux,
parcouraient la ville pendant la nuit, et toutes les maisons
suspectes étaient investies et fouillées rigoureusement.
Les hommes les plus compromis dans les événements
qui avaient suivi la chute des Girondins avaient pris la fuite
ou s'étaient cachés. Ils avaient compris qu'ils seraient les
premières victimes du mouvement révolutionnaire organisé
(1) Je pense quMi fiaut lire égarement.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 36 1
par lâ section Franklin et qui avait réussi au delà de toute
espérance. Aussi Sers, RouUet, Bernada et les autres
furent infructueusement recherchés. Cette proie échappait
aux municipaux provisoires; ils arrêtèrent toutefois un
grand nombre d'hommes suspects à des titres divers, et
notamment Lemoine fils, Tavocat Albespy, Dudon père,
de Brezets, Von-Dôhren, Louis-Guillaume Du Roy,
Ducourneau, Wormeselle , Lacombe - Puyguereau , de
Libourne, et beaucoup d'autres personnes parmi lesquelles
figuraient des Anglais et des Espagnols.
Pendant que la municipalité révolutionnaire se mettait
en relations avec la Convention, les représentants du peuple
écrivaient d'Agen, le même jour, à leurs collègues, et en
leur annonçant les changements survenus à Bordeaux, ils
disaient : a Cette mesure serait un grand acheminement
au retour de Tordre, si nous n'avions tout lieu de croire
que ce mouvement est une nouvelle tournure de la faction
qui n'a pas encore perdu l'espérance d*exciter la guerre
civile (*). 1^
Nous verrons bientôt les conventionnels revenir sur ces
appréciations défavorables à la révolution du i8 septembre.
Au milieu de ces événements divers, la Société de la
Jeunesse bordelaise n'avait pas cessé de se réunir; mais
supposant bien que les dangers n'étaient pas passés pour
elle, qu'ils étaient au contraire devenus plus graves et plus
imminents, elle chargea trois commissaires, Bulliod-
Lacorée, Gary et La Roche, de faire des démarches auprès
de la nouvelle municipalité et d'obtenir d'elle le retrait des
ordres donnés par l'administration précédente.
Les trois commissaires remirent le 20 septembre une
adresse aux officiers municipaux. Après avoir sommai-
rement rappelé les calomnies auxquelles la Société avait été
(I) O'Reilly, 2« partie, t. !•', p. 363.
362 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
en butte et les mesures arbitraires prises à son égard par
des magistrats peu dignes de ce titre, ils ajoutaient :
a Nous vous prions de faire parvenir nos réclamations aux
représentants du peuple et de les inviter à manifester leur
intention positive sur notre existence, car ils ne Pont point
encore fait : ils ont seulement témoigné des inquiétudes qui
doivent être levées par notre profession de foi et nos actes
publics. Il est peut-être digne de votre sagesse et de votre
prudence de signaler les premiers moments de votre
administration par votre respect pour les lois, en
maintenant à la Jeunesse bordelaise le droit de s^assembler
paisiblement et sans armes, jusqu'à ce que les représentants
du peuple aient cru devoir la priver du bénéfice d'une loi
dont elle n'a point abusé. »
Nous devons dire que malgré la démarche de BuUiod-
Lacorée, Gary et La Roche, la Société de la Jeunesse
bordelaise était bien déchue : la révolution du i8 septembre
lui avait porté un coup fatal; Brochon, Ravez, Degranges,
Cornu qui en avaient été l'âme, se cachaient pour éviter des
persécutions ; il ne restait plus que des comparses à qui
manquait l'unité de vues et de direction propres à la faire
vivre. Elle avait d'ailleurs soulevé contre elle des haines
puissantes; ses ennemis étaient au pouvoir, et tout per-
mettait de supposer que sa dernière heure était venue.
Quelques jours plus tard, en effet, elle cessait d'exister.
Émues à juste titre des doutes exprimés par les représen-
tants du peuple dans leur lettre du 19 septembre, la
municipalité provisoire et la section Franklin leur envoyèrem
des députés chargés de fournir des explications sur la
révolution accomplie le 18 et sur sa portée véritable. On
avait rempli leurs désirs, leurs volontés ; la section Franklin
avait tout conduit, tout mené. Pourquoi hésitaient-ils ? Qui
pouvait leur faire croire que le mouvement du 18 septembre
était une nouvelle tournure de la faction qui n avait pas
LA RÉVOLUTION DU l8 SEE>TEMBRE. 363
encore perdu Vespérance d* exciter à la guerre civile <*) ?
Ils se trompaient ou on les trompait; il leur fallait
soutenir les nouveaux venus. Ne Tavaient-ils pas promis ?...
Les commissaires de la municipalité et de la section
Franklin entrèrent à cet égard dans des détails aussi
complets et aussi satisfaisants que possible. On avait eu
soin, d'ailleurs, de choisir des hommes connus des
représentants et pouvant leur inspirer toute confiance.
L'effet des démarches faites par eux fut excellent; les
représentants revinrent sur leurs premières appréciations
et, dès le 21 septembre, ils écrivaient à la municipalité
provisoire :
« Citoyens, d'après le rapport de vos députés, il paraît
que vous avez fa\t une démarche éclatante et telle que nous
devions l'attendre de vrais républicains comme vous. Elle
a dû vous donner le sentiment de vos forces et vous
prouver que le peuple n'a qu'à vouloir pour faire rentrer
dans la poussière ses ennemis les plus insolents. Il vous
reste encore quelques pas à faire pour atteindre le but;
hâtez- vous de parcourir cette honorable carrière; profitez
de vos avantages, et songez que le joug qui pèse encore
sur vos têtes serait rendu mille fois plus pesant si vous
n'aviez pas le courage de le briser sans retour.
» Nous vous avons indiqué, dans notre première lettre,
des mesures propres à assurer votre indépendance et le
règne des lois. Nous entrerons ici dans quelques détails qui
rendront votre marche plus assurée, si, fermant l'oreille
aux intrigues et aux considérations personnelles, vous
n'écoutez que la voix de la patrie et l'intérêt de vos
concitoyens :
» I® Vous vous êtes plaints avec raison que jamais les
visites domiciliaires, pour la recherche des grains et farines,
(i) Lettre des Représentants du peuple à la Convention, du 20 septembre.
364 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
n^avaient été faites avec exactitude et sans distinction dans
votre cité. Que les premiers jours de votre administration
populaire soient signalés par cette visite, qui s'étendra
jusqu'aux vaisseaux. Il en résultera, ou la conviction intime
d'une disette réelle, ou la découverte d'un amas précieux de
subsistances ; et dans ces deux cas le peuple de Bordeaux
sera soulagé, ou par les secours qu'il trouvera dans l'enceinte
de ses murs, ou par ceux que les représentants du peuple
et les départements voisins s'empresseront de lui faire
parvenir. Si vos découvertes sont heureuses, vous en
profiterez en faisant distribuer le pain aux pauvres à trois
sous la livre.
i> 2® L'audace de vos ennemis n'était appuyée que sur les
forces dont ils avaient eu l'art de s'entourer. Pendant que
toute la France s'ébranle pour voler aux frontières, n'est-il
pas scandaleux de voir dans les rues de votre cité une
cavalerie, composée de gens suspects, faire éclater son luxe,
son arrogance et la résistance aux réquisitions légales qui
lui ont été faites? Ce corps ne peut laver que dans le
sang des Espagnols la tache imprimée sur lui ; qu'il parte
sur-le-champ ou qu'il cède à des patriotes les moyens et
l'honneur de combattre les tyrans. Il est du devoir des
vrais républicains d'ôter à de pareils hommes les moyens
de nuire à la patrie. Il n'est que trop démontré que
plusieurs compagnies de vos grenadiers ont souillé l'hon-
neur de ce nom glorieux en servant de satellites à la
faction. Vous les connaissez, citoyens; vous ferez punir
les coupables; et en faisant rentrer les autres dans le
sein de la garde nationale, vous conserverez les principes
de l'égalité, et vous vous [serez acquis des camarades qui
partageront vos travaux.
» Lorsque les citoyens paisibles exercent, à l'abri de la
confiance du peuple, les fonctions administratives, ils n'ont
pas besoin de s'entourer de l'appareil des armes : ôtez ces
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 365
canons braqués sur le peuple par ses ennemis et placez-les
sous la garde des sans-culottes au Château-Trompette, à la
maison commune et à Patelier du Grand-Séminaire.
» 3** Vous n'ignorez pas que les corps administratifs, par
leur funeste ambition, par leurs intrigues multipliées, ont
allumé le flambeau de la guerre civile dans le midi de la
France et provoqué le fédéralisme. Un crime si horrible et si
avéré ne peut pas rester impuni . Que votre respect pour la loi
et pour la G>nvention nationale se manifeste en mettant en
état d'arrestation tous les membres de la municipalité, du
Conseil général de la commune, du département de la
Gironde et du district de Bordeaux.
y^ 4^ La garde importante de votre cité ne peut pas être
confiée avec sûreté seulement aux riches; mais, d'un autre côté,
il n'est pas juste que les sans-culottes sacrifient à cet acte de
patriotisme la subsistance de leur famille. Nous déclarons
que les citoyens qui n'ont d'autre fortune que leurs bras
recevront une indemnité de quarante sous par jour, chaque
fois qu'ils seront commandés pour la garde. Les membres
de la municipalité ou du Conseil général de la commune
recevront aussi une indemnité de trois livres par jour,
lorsque leur présence aux délibérations sera constatée et
qu'ils ne pourront pas faire le sacrifice de leur temps aujL
affaires publiques.
3» Citoyens, les mesures que nous vous dictons sont
conformes aux lois et doivent assurer votre bonheur et
votre tranquillité. Ne craignez pas de développer toute
votre énergie. Nous sommes là pour vous soutenir avec
tout le poids de l'autorité nationale. Des bataillons, braves
et exercés, marchent à votre secours. Nous nous unirons
touâ pour briser vos chaînes et pour soulager votre misère.
Notre premier soin sera, non seulement de vous procurer
des grains, mais de faire en sorte que le pauvre ne paie pas
son pain au delà de trois sous la livre. L'impôt progressif
366 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
sur les riches sera établi avec une juste sévérité et servira
à payer Tindemnité aux boulangers.
» Signé : Tallien, C.-Alex. Ysabeau, Dartigoeyte,
J.-B.-B. Monestier (du Puy-de-Dôme),
Paganel, m. -A. Baudot, Chaudron-
• RoussAu, Leyris, J. Pinet aîné, i
Tel était le programme des conventionnels : visites
domiciliaires, envoi de la cavalerie aux frontières, arres-
tation de tous les membres des anciennes autorités
constituées, indemnité aux sans-culottes pauvres de la
garde nationale et de la municipalité, et enfin, comme
couronnement de leur système démocratique, impôt
progressif sur les riches afin de donner au peuple le pain
à trois sous la livre.
De pareils projets annonçaient de mauvais jours pour la
ville de Bordeaux. Armée de cette lettre, la municipalité, en
effet, redoubla d activité, et la masse de la population, émue
par des perquisitions incessantes et des arrestations qui
frappaient indistinctement toutes les classes de la société, fut
effrayée à bon droit. Les meneurs de la section Franklin,
du Qub national et de la municipalité provisoire, qu^elle
s^était donnés pour maîtres, s'inspiraient servilement des
idées des conventionnels et préparaient le terrain des
prochaines inmiolations révolutionnaires.
La ville prit alors une nouvelle physionomie; la
démagogie en bonnet rouge s'empara de toutes les
places, de tous les emplois et régna despotiquement sur
les citoyens.
En même temps que les conventionnels écrivaient à la
municipalité la lettre qu'on vient de lire, celle-ci adres'^ait
une proclamation à la jeunesse bordelaise pour l'appeler
aux armes et la convoquer au Champ de Mars : «Accourez
à la voix de vos pères, disait-elle, jeunes citoyens; venez
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SÔy
puiser dans leurs bras cet enthousiasme sacré qui doit faire
de vous autant de héros, et volez aux frontières montrer à
la patrie satisfaite que vous êtes dignes d^elle et que vos
pères sont dignes de pareils enfants. . . Vos magistrats vous
attendent demain au Champ de Mars, jeunesse intéressante :
vous êtes Bordelais, et ils comptent sur vous. >
Bordeaux, qui avait déjà fourni dix bataillons de volon-
taires à la République, en envoya de nouveaux aux
frontières et paya ainsi sa dette à la patrie.
Puis, afin de se concilier les Jacobins de Paris, le Conseil
général de la commune faisait une adresse aux Parisiens
pour leur annoncer que les lois et la liberté venaient
d* obtenir à Bordeaux le triomphe le plus éclatant^ et pour
resserrer les liens de fraternité qu'un instant d'erreur avait
malheureusement relâchés, c Croyez-en nos cœurs, disait
le Conseil général, cette faute sera réparée de manière à
faire douter si cette erreur, que nous nous reprochons
amèrement, ne fut pas une faute heureuse. ]>
S'étant ainsi mis en règle avec les lois sur la réquisition
et avec les Parisiens, le Conseil général s'occupa de la
Société de la Jeunesse bordelaise. Sur un foudroyant réqui-
sitoire du procureur de la commune Boissel, cette Société
reçut Tordre de se dissoudre sans retard, et il fut arrêté en
outre que les personnes suspectes faisant partie de cette
Société seraient mises sur-le-champ en état d'arrestation.
Ravez, Brochon, Degranges, Cornu, Dupont, Paris et
quelques autres étaient les principales victimes désignées
par le Conseil général aux recherches des sans-culottes de
la municipalité et des sections dévouées.
La municipalité, d'ailleurs, ne cessait de donner des
gages à la Révolution : elle cherchait à mériter la confiance
des représentants du peuple et à satisfaire les rancunes de
la section Franklin.
Tout allait au gré des démagogues : la Société de la
368 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Jeunesse bordelaise n^existait plus, une municipalité
révolutionnaire fonctionnait avec ardeur, les sections étaient
en permanence et des députations voyageaient sans cesse
sur la route de La Réole, conjurant les conventionnels de
revenir à Bordeaux, où ils étaient attendus. Leurs réponses
verbales étaient conformes à leurs lettres : a Nous n'irons
point à Bordeaux, disaient-ils, avant qu'on ait arrêté les
principaux chefs de la Commission populaire, de la force
départementale et en général tous ceux qui ont troublé
r ordre ^^K »
Un bruit effrayant s'accrédita alors : Bordeaux allait être
bombardé, et on assurait qu'une armée arrivait sous les
ordres du général Brune. Le moyen de prévenir les derniers
malheurs, disait-on, était d'exécuter le décret du 6 août.
Hélas I ceux qui en étaient l'objet avaient pris la fuite déjà
et mendiaient, sous la livrée de la misère, un pain trempé
de larmes (*>.
Bordeaux était dans l'anarchie la plus complète ; il n'y
existait plus d'autre autorité que la municipalité provisoire,
qui remplissait les fonctions attribuées aux divers corps
administratifs supprimés ou disparus.
Le 22 septembre, et afin de faciliter la recherche et
l'arrestation des hommes les plus compromis, le Conseil
général de la commune ordonnait la création de cartes
de sûreté. Tous ceux qui n'en seraient pas porteurs
devaient être considérés comme suspects et immédiatement
incarcérés.
Le peuple, en général, ne voyait pas sans inquiétude ce
qui se passait; il attendait encore les bons résultats promis
à sa soumission, mais rien n'arrivait : le pain était toujours
rare, et les agitations étaient fréquentes. Des intrigues
secrètes travaillaient les esprits, et la ville était signalée
(i-2) Sainte-Luce OudaiLle.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. Sôg
comme étant remplie de prêtres, d'émigrés et de nobles qui
poussaient à la contre-révolution ^^K
D'un autre côté, des figures nouvelles apparaissaient à
Bordeaux; on y voyait arriver journellement, dans d'élé-
gantes berlines, des hommes coiflés du bonnet rouge,
d moustachus d, fumant la pipe et armés de longs sabres. On
disait que c'étaient des émissaires envoyés de La Réole
pour juger la situation de Bordeaux et en rendre compte
aux représentants (*).
Le système des dénonciations, si largement appliqué
plus tard durant la Terreur, commençait dès lors. Au
Conseil général de la commune, dans les sections, dans
les sociétés populaires, partout enfin, on dénonçait!... On
s'essayait, non sans succès, à manier cette arme terrible des
lâches, et qui devint comme une sorte d'institution d'ordre
public.
Un homme qui a joué un rôle à Bordeaux sous la
Terreur et qui a péri sur l'cchafaud révolutionnaire (^\
Marie de Saint-Georges, esprit indépendant, ne cessa, au
milieu des événements qui transformaient la cité, de
mettre son dévouement et son ministère d'avocat à la
disposition des victimes que frappait le régime nouveau;
il avait écrit à diverses reprises au représentant du peuple
Ysabeau pour lui exposer ses vues relativement à la ville
de Bordeaux.
Ysabeau lui répondit le 26 septembre : a Vous ne devez
attribuer notre silence, citoyen, qu'à des occupations si
multipliées, qu'il nous est impossible de pouvoir suflSre
à tout. Je ne vous tairai pas même que vous ne jouissez pas
(1) Lettre de Baudot du 23 septembre.
(3) Sainte- Luce Oudaille.
(3) Marie de Saint-Georges, auteur d^un travail intitulé : Recherches
historiques sur Voffice de maire de Bordeaux, était avocat au Parlement,
où il avait éprouvé des persécutions de la part de ses confrères. (V. la
remarquable Introduction du Livre des Bouillons^ p. xviii.)
T. L 24
SyO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
d^une grande réputation de civisme parmi les patriotes
connus de Bordeaux.
» Cependant, il faut rendre justice aux vues que vous
détaillez dans vos différentes lettres. Elles sont excellentes,
pures et conformes en tout à ce que je me propose de faire
avec mes collègues. Bordeaux est revenu de trop loin pour
opérer tout à coup et sans gradation une révolution complète.
Elle aura lieu, n^en doutez pas. Je suis bien résolu, en mon
particulier, de ne laisser aucune trace de Todieux fédéralisme
qui a pensé perdre tout le midi de la France et dont le
foyer était dans vos murs. Le temps des considérations et
des ménagements est passé. De perfides amnisties n^ont
servi qu'à aigrir davantage ceux que la clémence nationale
avait épargnés. Tout ce qui était corrompu sera renouvelé.
Du reste, nous savons par quatre années d'une cruelle
expérience quelle foi nous devons ajouter à des protestations
et à des serments mille fois prêtés, mille fois trahis.
» Votre nom m'est connu, citoyen, j'ai été élevé au
collège d'Auxerre, et je suis bien trompé si vous n'êtes pas
un de mes contemporains, neveu, je crois, d'un citoyen
Marie, dont la maison touche à celle de mon père, à Gien.
J'aurai d'autant plus de plaisir à vous voir et à causer avec
vous sur le temps passé. »
Cette lettre curieuse, et entièrement inédite, contient la
pensée intime du conventionnel sur la ligne de conduite
qu'il se proposait de suivre à l'égard de Bordeaux. Elle
offre, sous ce rapport, un véritable intérêt historique, et
nous devions la placer sous les yeux de nos lecteurs.
« Le temps des ménagements est passé, » disait le conven-
tionnel; puis il ajoutait : a Tout ce qui était corrompu sera
renouvelé. »
Ainsi s'annonçait l'avenir, et un avenir prochain.
. Dès cette époque, la peur et la misère exerçaient une
grande influence sur les citoyens et amollissaient les courages
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 3j i
les jnîeux trempés. Nous allons en cîter une preuve remar-
quable.
La Chambre de commerce, dit M. O'Reilly (>>, possédait
une suite de portraits de nos rois et princes et de plusieurs
personnages de distinction, peints par Rigaud et autres
célébrités artistiques de Tépoque. Cette précieuse collection
lui venait, soit comme un don de ces personnages eux-
mêmes, soit comme legs du financier Beaujon ; on la
gardait avec soin. Mais 1793 arriva : il fallut se montrer à
la hauteur des circonstances et, jacobin par force, oublier et
effacer les souvenirs que la gratitude envers les donateurs
devait raviver toujours. Nous allons voir en quels termes
les citoyens composant le Tribunal de commerce de Bor-
deaux en écrivirent au Conseil général de la commune :
c Citoyens magistrats, la France républicaine a dû, comme à
Rome, faire disparaître tous les signes de la royauté, et c'est dans
cet esprit que le Tribunal de commerce a substitué dans son enceinte
les emblèmes de la liberté à tout ce qui pouvait rappeler les souvenirs
de la féodalité et de la servitude. De même, les portraits de rois, de
reines et de ci-devant princes furent relégués, par nos prédécesseurs,
dans la poussière d*un galetas de la Bourse, comme le leur prescrivait
alors la loi. Mais ces portraits existent, et à peine en avons-nous eu
connaissance que, d'une main révolutionnaire, nous allions en faire
justice. Nous n'aurions pas été arrêtés par les regrets des artistes,
qui répugneraient à la destruction de ces ouvrages, qu'ils savent
être, pour la plupart, des morceaux finis; mais on nous a fait
observer que ce n'est pas à nous qu'il appartient d'en disposer, vu
que, provenant en grande partie d'un legs du financier Beaujon, en
faveur de la ci-devant Chambre de commerce, qui est supprimée, ce
doit être aujourd'hui une propriété nationale.
» Vous reconnaîtrez tout ce que peut et doit notre zèle dans
la dénonciation que nous nous empressons de vous faire de ces
portraits. Nous vous prions de l'accueillir et d'en faire registre,
en témoignage des vrais sentiments des républicains, membres du
Tribunal de commerce.
• JouRNU-AuBERT, président,
Gbammont et Crozillac. t
(1) Histoire de Bordeaux, 2* partie, t. !•''. p. 247 et suivantes.
ija HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
€ Ainsi, la faiblesse d'une part, la peur de Tautre, la loi
même faite et exécutée par les Jacobins, dominaient entiè-
rement des hommes souvent honorables et les rendaient
malgré eux complices des turpitudes, des lâchetés et des
monstruosités de ces temps néfastes. On n'était plus soi; la
liberté n'était qu'un mot. Un courant irrésistible entraînait
presque tous les hommes... >
Nous n'avons rien voulu changer au style de M. l'abbé
O'Reilly; mais nous pouvons ajouter qu'au moment où
le Tribunal de commerce sacrifiait sur l'autel du sans-
culottisme des œuvres dont la perte est regrettable au
point de vue de l'art, des inspecteurs des voies publiques
parcouraient la ville et ses environs, recherchant, signalant,
dénonçant les signes aristocratiques, les blasons, écussons,
armoiries, etc., qui décoraient les maisons, et dont l'existence
pouvait compromettre le salut de la République... Tristes
temps ! On ne peut se lasser de le répéter !
Quant aux tableaux dénoncés par le Tribunal de com-
merce, leur trace s'est perdue, et l'on ignore s'ils existent
encore ou s'ils ont été détruits par les vandales de lygS.
Le peuple que ces extravagances démocratiques pouvaient
amuser un moment, le peuple cependant faisait entendre
des plaintes très vives; les subsistances étaient aussi rares
qu'autrefois; le pain manquait et une grande fermentation
existait dans la ville. Le Conseil général provisoire de là
commune, qui succombait sous le poids et les embarras de
la situation, en référa aux proconsuls ; il leur envoya des
commissaires pour leur faire connaître la position périlleuse
de Bordeaux et demander leur retour dans cette ville.
Leur retour I c'était le dernier mot de toutes les aspirations
alors. On était partout convaincu que la présence des
conventionnels ramènerait l'abondance et ferait cesser tous
les maux. Une cruelle expérience ne tarda pas à apprendre
le contraire aux Bordelais.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. Îj3
€ Qtoyens, frères et amis, répondit Ysabeau au Conseil
général de la commune, vos commissaires vous rendront
compte des soins infatigables que nous employons à
pourvoir à vos subsistances. Vos inquiétudes auraient déjà
cessé sur cet objet essentiel, si notre arrêté du 6 septembre
eût reçu son entière exécution. Hâtez- vous d'organiser et
de donner une existence solide et active au nouveau Comité
de subsistances, et vous pouvez être assurés qu'elles
arriveront en abondance.
» Notre impatience de nous trouver au milieu de vous
est au moins égale à la vôtre. Frères et amis, nous voyons
le retour de Bordeaux aux vrais principes avec une
satisfaction qui ne peut être sentie que par des âmes
républicaines. Qu'il nous tarde d'entendre, dans Fenceinte
que vous occupez, ces cris de patriotisme et d'union qui
y retentissent maintenant, au lieu des cris féroces qui, le
mois dernier... Oublions tous cette époque fatale; ne nous
occupons que d'établir le bonheur du peuple et le règne des
lois sur des bases qu'aucune faction ne puisse désormais
ébranler. Croyez que notre voyage n'est retardé que par
des circonstances qui tiennent à vos intérêts. Encore
quelques jours, et les obstacles auront disparu, et nous
irons vous assurer^de vive voix des sentiments d'amitié qui
unissent les représentants du peuple à tous les enfants de
la patrie <'). »
Au moment où Ysabeau s'exprimait ainsi, Tallien, à la
même date, écrivait de Lescar à la Société des Jacobins
de Paris :
« Je vous adresse, citoyens, des exemplaires de divers
arrêtés pris relativement à Bordeaux. Lisez surtout la
correspondance que nous avons tenue avec cette ville et
vous y verrez qu'elle est loin d'être rentrée dans l'ordre.
(i) Archives de la Gironde, série L.
374 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX.
Méfiez- VOUS des intrigues de la faction girondine ; car elle
emploiera tous les moyens pour vous tromper. N^ajoutez
foi qu'à ce que nous vous écrivons. Ysabeau et moi sommes
chargés de l'exécution des décrets contre cette ville rebelle;
soyez sûrs que nous serons ici ce que nous étions à la
Montagne, toujours inébranlablement attachés aux principes,
ne composant jamais avec personne, et voulant faire
triompher partout la cause du peuple en anéantissant
Taristocratie et le fédéralisme... ^^K »
Il y a des différences d'appréciation dans ces deux lettres,
mais elles sont faciles à expliquer. Ysabeaù était à La Réole
et en contact suivi avec les Bordelais; Tallien, en voyage
pour les nécessités de la mission commune, était dans les
Basses-Pyrénées et ne savait qu'imparfaitement ce qui se
passait à Bordeaux.
Les citoyennes de cette ville Amies de la Liberté et de
VEgalité, dont nous n'avons pas eu à nous occuper depuis
longtemps, éprouvèrent le besoin de parler et de faire
parler d'elles. Elles suivaient avec ardeur le mouvement
révolutionnaire, se mêlaient aux événements et motion-
naient, comme de véritables sans-culottes, dans leur club
de la ci-devant Intendance.
Le 28 septembre, elles écrivaient à la Convention
nationale :
c Représentants du peuple français, nous habitons une ville dont
le civisme fut plusieurs fois cité pour exemple à la République, et
qui pouvait prétendre à la reconnaissance de ses concitoyens. Ces
beaux jours se sont éclipsés par des machinations dont nous ne
connaissons pas toute retendue. Les ennemis de la République s'y
sont permis de faire prévaloir, pendant un temps malheureusement
trop long, le mépris des lois, Toubli de la patrie, et, portant Tatrocité
à son comble, ils ont outragé la majesté du peuple dans la personne
de ses représentants. L'énormité de ces crimes nous a fait frémir et
nous en désirons la juste punition, bien convaincues que vous ne
(i) Moniteur du 4 octobre 1793.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. ij5
confondrez pas Tinnocent avec le coupable, et que Bordeaux, purgé
des scélérats qu'il renferme, reprendra son rang dans les villes qui
ont bien mérité de la patrie.
1 O Montagne courageuse, daignez agréer la prière que nous
vous faisons de ne pas abandonner le timon de la République, que
vous ne Tayez entièrement sauvée du péril où elle est, en terrassant
tous ses ennemis. Vous connaîtrez, législateurs, par notre profession
de foi politique, si nous sommes dignes d^être comptées au nombre
des vraies républicaines.
> Nous jurons de vivre et mourir libres, de défendre la Constitution
que nous avons acceptée le lo août dernier, de rester in viola blement
attachées à la Convention nationale, d'exécuter les lois et décrets
qui émaneront d'elle, d'employer tous nos moyens pour les ùlïtc
respecter et exécuter. Nous adhérons de tout notre cœur aux journées
des 3i mai, i*' et 2 juin; nous vouons à Texécration universelle les
royalistes, fédéralistes, conspirateurs, cabaleurs, accapareurs, et
nous jurons encore de dénoncer ceux que nous connaîtrons être
dans ces principes abominables.
1 Doviiéy présidente,
Bruxon et CoLET, secrétaires (0. »
Tel était le style des clubistes mâles et femelles! On se
sanS'Culottisait, selon Texpression alors à la mode. La
section Simoneau ayant voulu changer son appellation
contre celle de Marat, les autres sections s'y opposèrent.
On n'a pas oublié que la section Simoneau fut une des
dernières à soutenir la Commission populaire de salut
public : € Avant de vous décorer du beau nom de ce
véritable ami du peuple, lui dit-on, il faut donner des
preuves répétées et non équivoques de républicanisme et
de sans-culottisme ; jusque-là ce serait une usurpation. ]^
Quelques jours plus tard, elle conquérait son nouveau nom
par un hasard heureux.
Dans une autre section, le sans -culotte Jean -Louis
Benoît demanda à renier publiquement ses patrons saint
Jean et saint Louis, qui rappelaient le fanatisme et la
royauté, pour s'appeler désormais Fargeau^Benoît, en
(i) Archives de la Gironde, série L.
376 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
mémoire de Lepelletier-Fargeau, martyr de la liberté. Sa
demande et son abjuration furent accueillies par les applau-
dissements unanimes de la section ^^K
Cependant le provisoire qui régnait à Bordeaux ne
pouvait durer ; la municipalité révolutionnaire offrait certai-
nement des garanties aux conventionnels-, mais, il faut
bien le dire, elle comptait dans son sein des hommes que
Ton pouvait considérer comme tièdes et n'approuvant pas
tacitement tout ce qui se faisait avec leur concours et sous
leurs yeux.
Ysabeau et Tallien ne l'ignoraient pas ; les dénonciations
pleuvaient à La Réole.
Il fallait, tout en respectant la municipalité, placer à côté
d'elle un pouvoir jeune et fort, capable de stimuler les
dévouements et d'inspirer une crainte salutaire. La loi
armait à cet égard les conventionnels; ils en profitèrent
pour créer à Bordeaux le premier comité révolutionnaire
de surveillance et ils en nommèrent d'oflBce les membres.
Ce Comité, qui devait exercer dans toute l'étendue du
département les pouvoirs attribués au Comité connu sous
le nom de Sûreté générale et de Salut public par les
différents décrets de la Convention nationale, fut recruté^
selon l'expression des représentants, d'hommes purs, incor-
ruptibles et cCune fermeté reconnue.
C'étaient Duvernay, Fontanes, Marcel, Rideau fils aîné,
Gueyraud, Tustet, Dutasta, Cogorus, Chaussade, Grignon,
Casteran et Le Moal, qui tous ont joué un rôle plus ou
moins important dans la Terreur à Bordeaux.
Le Comité entra immédiatement en fonctions, et sa
première réunion eut lieu chez Duvernay le /3 octobre.
Rideau fut nommé président, Marcel secrétaire, et chacun
des membres prêta individuellement le serment suivant :
(i) O'Reilly, Histoire de Bordeaux^ 2« partie, t. I*', p. 367,
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 377
Je jure de n'agir ni par haine, ni par crainte, mais
constamment diaprés Vimpulsion intime de mon âme et
conscience, de tenir le plus grand secret sur les opéra--
lions du Comité et de maintenir, au péril de ma vie,
l'unité et l'indivisibilité de la République française. Le
Comité de surveillance choisit le Grand-Séminaire pour y
tenir ses séances ultérieures (»).
La municipalité ne restait pas inactive. Sur les réquisi-
tions de Boissel, le Conseil général de la commune arrêtait,
le I®' octobre, que la loi du 29 mars 1793 enjoignant à tous
propriétaires de faire afficher, à Textérieur de leurs maisons,
les noms, prénoms, âge et profession de tous les locataires,
serait exécutée dans un délai de vingt-quatre heures; que
Taffiche serait écrite en caractères de six lignes de hauteur
et placée à six pieds d'élévation du sol, et que les sections
seraient invitées à faire parvenir au secrétariat de la maison
commune un double de toutes les déclarations qui, aux
termes de la loi, devaient leur être faites. :»
Le même jour, Boissel disait au Conseil général de la
commune :
c Vous vous étiez élancés avec vigueur dans la carrière admi-
nistrative et révolutionnaire, et, après quelques pas, vous vous êtes
arrêtés comme épuisés par l'effort que vous veniez de &ire. Je
vous le dis au nom de la patrie, au nom de vos concitoyens que
vous devez arracher aux horreurs de la famine et de la guerre
civile, si vos mains sont trop faibles pour tenir les rênes de
l'administration dans les circonstances orageuses où vous vous
trouvez, si vos âmes pusillanimes craignent le danger, retirez-vous ;
cédez vos places à des citoyens fermes, qui sauront se mettre à la
hauteur de leur mission, et qui, au lieu de délibérer éternellement,
sauront agir et frapper les coups sous lesquels doivent expirer
enfin le royalisme et le fédéralisme.
i Depuis huit jours vous n'êtes pas encore organisés ; tout se
délibère et rien ne s'exécute. Quel est donc le génie malfaisant qui
assimile encore vos destinées à celles du corpscontre-révolutionnaire
(i) Hôtel des Monnaies, rue du Palais-Gallien.
378 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
que vous avez expulsé 1 Quelles sont donc les influences malignes qui
vous frappent d'engourdissement et arrêtent le coup terrible qu'at-
tendent de vous et la patrie et la liberté, si longtemps outragées
dans votre malheureuse ville I Tremblez, citoyens, le glaive qui doit
frapper les têtes criminelles est suspendu sur les vôtres, prêt à
venger d'une manière éclatante Tinexécution des lois et l'impunité
des coupables.
1 Vos rues, vos places publiques, les spectacles, les lieux publics
sont fatigués du poids des gens suspects, des contre-révolutionnaires
et des fédéralistes, que votre inactivité encourage, et dont la présence
fait gémir les lois et les vrais républicains.
1 Vos caisses sont vides, vos ressources sont nulles, et vos dépenses
s'accroissent à chaque instant : les vrais citoyens sont pauvres et
supportent presque seuls le poids de la Révolution, tandis que les
agioteurs, les accapareurs, ces vampires qui ne se nourrissent que
de sang et d'or, étalent un luxe insolent, fruit des fortunes les plus
scandaleuses.
» Vous êtes entourés de contre-révolutionnaires qui vous détes-
tent, qui empoisonnent toutes vos démarches, et qui feront manquer
toutes vos mesures de sûreté générale : cette tourbe insolente d'agents
de toute espèce, cette nuée de commis dévoués à l'esclavage de
l'ancien régime, tout entrave vos opérations et paralyse le mouve-
ment que vous aviez imprimé à la machine.
» Les représentants du peuple, en séance à La Réole, ne cessent
de demander des commissaires; ils en avaient demandé depuis le
6 septembre : l'ancien Comité des subsistances n'avait pas la con-
fiance des représentants du peuple, et le nouveau, effrayé sans
doute de l'importance, de la complication et de la multiplicité des
opérations qui lui étaient confiées, ne s'est mis en activité que par
une invitation formelle de la municipalité provisoire, le lendemain
de son installation : cependant le peuple souffre, les subsistances
n'arrivent que goutte à goutte; et ce Comité, semblable à un malade
en délire, s'agite tumultueusement et ne produit aucun résultat.
» Plusieurs d'entre vous, citoyens, et je le dis avec cette franchise
austère que j'ai déployée tant de fpis contre les intrigants, plusieurs
d'entre vous ne sont pas dignes de la confiance dont ils ont été
honorés, par l'insouciance et l'inactivité qu'ils mettent à remplir
les devoirs sévères qu'on leur a imposés.
» Voilà, citoyens, le tableau de votre situation actuelle, et vous
vous endormez au bord d'un abîme profond prêt à vous engloutir.
N'êtes- vous donc plus responsables sur votre tête de tous les
malheurs qui menacent vos concitoyens, et que vous devez prévenir
par la rigueur de vos démarches? Ne devez-vous plus un compte
rigoureux de votre conduite à la République entière qui a les yeux
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 3jg
fixés sur VOUS? N'êtes-vous plus ces hommes dont Tattitude fière et
prononcée avait effrayé les conspirateurs, même au milieu des
satellites dont ils s'étaient entourés? Citoyens, je vous en conjure,
sauvons nos concitoyens, sauvons-les des déchirements affreux d'une
guerre civile ; qu'aux accents du républicanisme nos âmes brisent les
obstacles qui les arrêtent, et que la révolution soit consommée (i). •
Ainsi s'exprimait Boissel. Galvanisé par ces paroles et
par les lettres dTsabeau et de Tallien, le Conseil général
arrêta, le i** octobre, une série de mesures révolutionnaires
qu'il importe de rappeler pour indiquer la situation et Tétat
des esprits :
Il ordonnait : i^ Tentière et pleine exécution de toutes
les lois émanées de la Convention nationale, notamment
de celle du 3 septembre lygS, relative à V emprunt forcé;
de celles des 12 et 17 septembre 1793, relatives à Varres^
tation des personnes suspectes; de celle du i*' août 1793,
relative à la confiscation de toutes les maisons, édifices,
parcs, jardins, enclos, qui porteraient des armoiries; de
celles des 21 et 23 avril 1793, relatives à V arrestation et à
la déportation, à la Guyane française, des ecclésiastiques
séculiers, réguliers, frères convers et laïcs, noyant pas
prêté le serment de maintenir Inégalité et la liberté;
2^ L'exécution des différents arrêtés des représentants du
peuple en séance à Agen et à La Réole ;
3® L'adjonction au Comité des subsistances de deux
officiers municipaux provisoires pour accélérer et surveiller
les opérations ;
4® L'envoi aux vingt-huit sections des noms de tous les
membres du Conseil, des agents et commis de la commune,
pour y subir la censure publique ;
5^ La constatation de la présence ou absence des officiers
municipaux aux séances du Conseil pour en être référé aux
sections;
(1) Archives municipales de Bordeaux.
38o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
6^ L'évacuation immédiate, sauf indemnité aux locataires,
des maisons nationales jugées nécessaires pour y mettre en
état d'arrestation les personnes désignées par les décrets de
la Convention ;
7^ La destruction et le remplacement par des signes
républicains de toutes les effigies royales, de toutes les
marques de féodalité, sous quelque forme qu'elles existent,
dans les édifices publics et maisons nationales;
8** Le couvert issement en canons de toutes les cloches,
à l'exception d'une seule pour chaque paroisse;
9*^ La destruction et le convertissement en piques et en
boulets de toutes les portes de la Ville, des chaînes de la
place Nationale et de toutes les grilles et autres ornements
en fer existant dans les maisons nationales;
1 0® La création d'une force armée révolutionnaire de
sans-culottes, avec une paie à chaque volontaire de quarante
sous par jour (').
Le Conseil général de la commune invitait, en outre, le
Comité de surveillance à redoubler de zèle et d'activité
pour déjouer tous les complots et signaler tous les traîtres.
Nous raconterons bientôt les résultats produits par
l'application de ces mesures.
La nouvelle de la révolution accomplie à Bordeaux
s'était répandue dans les départements environnants et y
avait été accueillie favorablement; des félicitations arrivaient
de toutes parts aux nouveaux municipaux; elles n'étaient
pas toutefois sans réserves. Ainsi, le Comité de surveillance
d'Angoulême écrivait :
c Nous avons appris avec bien de la satisfaction Pheureuse
révolution qui vient de s'opérer dans vos murs ; il a été bien doux,
pour nous de retrouver parmi vous des frères que de vils et
lâches intrigants avaient pu aveugler un instant, mais qu'ils n'ont
(0 On devait demander des fonds au ministre de la guerre pour la solde
de cette armée.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 38 1
pu séduire malgré leurs machinations perfides. Nous ne vous
dissimulerons pas cependant que la connaissance que nous avons
eue de votre correspondance avec les représentants du peuple et
commissaires de la Convention de présent à Agen, ne peut nous
permettre de croire à votre sincère résipiscence qu'autant que vous
emploierez tous les moyens qui sont en vous pour mettre sous le
glaive de la loi les chefs de la conspiration ourdie dans votre ville,
et tous ceux qui pouvaient favoriser leurs infâmes projets. Nous
nous plaisons à croire, citoyens, que vous ratifierez, par des
mesures aussi sages et aussi urgentes, les dispositions dans lesquelles
vous avez annoncé être à la Convention nationale. Votre propre
gloire, l'honneur de la ville de Bordeaux, l'intérêt de la République,
devant qui tout doit céder, l'exigent impérieusement (0. i
La municipalité, on vient de le voir, avait devancé les
conseils qui lui étaient envoyés d^Angoulême ; mais il est
facile de comprendre qu'enlacée dans les liens de la
situation qui lui était faite et pressée par des excitations
émanées de sources différentes, elle devait tôt ou tard
accomplir une évolution qui la rapprocherait de la
Terreur.
Ces excitations n'étaient pas particulières à Bordeaux;
elles venaient aussi des localités voisines et lui faisaient une
loi de subir Tentraînement général. Les communes du
département de la Gironde, par exemple, avaient plus ou
moins suivi l'impulsion partie du sein de la section
Franklin et du Qub national. Afin d'y ranimer le patrio-
tisme affaibli, quelques sections, et notamment le Club
national, avaient envoyé des délégués en mission dans les
campagnes. L'un de ces délégués, rendant compte de ses
opérations au Gub, disait, le 2 octobre : a La commune
de Cadaujac est dans les meilleurs sentiments et j'y ai
développé les principes républicains qui fructifieront, on
peut l'espérer. Il n'en est pas de même dans quelques
autres communes, où la Société a envoyé des délégués
(i) Lettre du M"^ octobre 1793.
382 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
pour y enseigner Tamour de la République; ils s^acquittent
fort mal de leur mission : ils vont dîner chez les riches et
négligent les sans-culottes, dont la marmite n^est pas si
bien garnie... ^^K 3
Dîner chez les riches I quinze jours plus tard, c^eût été
un crime justiciable de Téchafaud; on n^en était pas encore
là, et dans la pénurie où se trouvait la ville il n^y avait
rien d^étonnant à ce que les missionnaires du Qub national
profitassent de leurs tournées républicaines pour manger
du pain, qu^on ne connaissait plus à Bordeaux. Il y arrivait
peu de froment, et dans les campagnes environnantes on
avait été obligé de prendre jusqu^au grain de la semence
pour nourrir la population ^^\ tant la disette était grande.
En employant ces moyens ruineux, on avait pu ne pas
manquer de pain jusqu^à ce moment.
La première réquisition de dix-huit à vingt-cinq ans
venait d^avoir lieu, et quatre bataillons étaient à la veille de
partir, ainsi que la cavalerie, cette cavalerie aux habits dorés
qui avait excité Tindignation dTsabeau et de Baudot.
^ Bordeaux, écrivait un contemporain, s^est déjà rangé du
parti de la tyrannie; les emprisonnements des gens suspects
sont commencés et cela marche bien ^^K »
Installé le 3 octobre, comme nous Tavons dit, le G)mité
de surveillance fonctionna sans délai, et, dans la nuit du
3 au 4, ses agents et ceux de la municipalité, escortés de
membres du Conseil général de la commune, procédèrent
à des arrestations nombreuses.
Parmi les plus remarquables, on doit citer celles
du représentant Duchâtel, de Riouffe, qui a laissé des
Mémoires bien connus, et de T Espagnol Marchéna, cachés
à Bordeaux depuis plus d^un mois, mais qui n^avaient pu
échapper aux Montagnards, grâce aux dernières mesures
(i) Archives de la Gironde, série L, reg. 178.
(2-3) Lettre de Pébernad du 2 octobre 1793.
I
i LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 383
i
prescrites par la municipalité. Duchâtel, RioufTe et
Marchéna furent transférés à Paris («>.
I Dans la journée du 4 octobre, Torganisateur du Comité
insurrectionnel de Lyon, le représentant du peuple
Biroteau, arriva à Bordeaux, où il venait chercher un
refuge, hélas! bien précaire. Il fut Tobjet d^une ovation
et de marques de sympathie toutes particulières ^^\ mais
il ne tarda pas à son tour à tomber entre les mains des
sans-culottes, alors maîtres de la ville.
Donnant suite à une proposition formulée par quelques
uns de ses membres, la Commune de Paris avait envoyé
deux délégués à Bordeaux pour fraterniser avec la ville;
c^étaient Viallard et Dunouy, officiers municipaux, qu^une
lettre de Chaussade et Couteau avait précédés à Bordeaux.
Le 4 octobre, à huit heures du soir, on vint annoncer au
Conseil général de la commune que Viallard et Dunouy
avaient mis pied à terre à la cale de La Bastide. Ils
arrivèrent bientôt dans la salle du Conseil, entourés et
suivis d'une foule de citoyens et de citoyennes qui se
précipitèrent dans les tribunes, envahirent la salle et
refluèrent jusqu'auprès du bureau.
Les commissaires de la Commune prirent place à droite
et à gauche du maire, et Tun d'eux, après avoir lu la
délibération de la Commune de Paris, adressa à l'assemblée
un discours rempli de sentiments fraternels et républicains.
Ce discours fut accueilli par des applaudissements et des
cris répétés de : Viue la République! Vive la Montagne!
Vivent les Parisiens! Vivent les sans-culottes!
Dunouy et Viallard remirent ensuite sur le bureau une
écharpe tricolore ayant servi dans la mémorable journée
du 10 août, et une médaille de bronze chargée des
emblèmes de la Liberté, de la chute des attributs de la
(i) Rîouffe, Mémoires, collection Barrière^ p. 394.
(2) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux.
384 HISTOIRE DE LX TERREUR A BORDEAUX.
royauté et de la tyrannie. Ces deux objets étaient offerts
par la Commune de Paris comme le gage assuré de l'amitié
et de la fraternité unissant les Parisiens et les Bordelais.
Le maire Bertrand remercia les envoyés de la Commune
et leur demanda le baiser fraternel, dit le procès-verbal de
la séance. De nombreuses accolades, applaudies par les
tribunes et par les citoyens qui entouraient le bureau, furent
échangées entre les commissaires et tous les membres du
Conseil général.
Le maire présenta ensuite à chacun des deux commis-
saires une branche d'olivier, symbole de la paix devant
toujours régner entre le peuple de Paris et celui de Bordeaux.
Le procureur de la commune* Boissel ne pouvait laisser
échapper une aussi belle occasion de parler. Il le fit en
termes chaleureux et révolutionnaires, exposa ce les sentiments
dont étaient animés les vrais républicains et sans-culottes
de Bordeaux, leur amour sans bornes pour la Convention
nationale, leur attachement inviolable pour leurs frères
et leurs amis les Parisiens, enfin leur soumission pleine et
entière aux lois décrétées par Tauguste Assemblée, qui
a retiré la France du précipice où voulaient la plonger les
aristocrates, les royalistes, les fédéralistes, les accapareurs
et les agioteurs. »
Il est inutile de dire que ce discours fut fréquemment
interrompu par d'unanimes applaudissements.
Averties de l'arrivée des commissaires, les sections
Michel-Montaigne, du Dix- Août, de la Loi, de la Parfaite
Union, de la Fraternité, Brutus et du Champ-de-Mars
envoyèrent des députations à la Commune pour saluer
Dunouy et Viallard et les inviter à vouloir bien se transporter
au milieu d'elles.
Les commissaires répondirent en termes pleins d'effusion
à ces députations diverses et leur donnèrent l'accolade
fraternelle.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 385
Une députâtion du Club national fut aussi introduite, et
l'orateur s'exprima en des termes qui font toujours V éloge
du civisme brûlant de la Société qu'il représentait.
Le Conseil général, sur le réquisitoire du procureur de
la commune, délibéra, au milieu des cris de : Vive la
République! et avec l'assentiment de tous les citoyens
présents, qu'il serait frappé une médaille en mémoire de la
révolution du i8 septembre; que Tune de ces médailles
serait offerte, avec une des écharpes révolutionnaires, à la
Commune de Paris en signe de Tunion qui devait régner
entre toutes les communes de la République, et que les
citoyens Dunouy et Viallard étaient invités à assister le
dimanche suivant à la promenade civique qui devait avoir
lieu pour l'inauguration du buste de Marat (').
Enivrés de l'accueil qu'ils avaient reçu à Bordeaux,
Dunouy et Viallard écrivirent le 5 octobre, à la Commune
de Paris, une lettre que nous ne pouvons, malgré sa
longueur, passer sous silence.
f Nos chers collègues, disaient-ils, nous avons marché jour et
nuit pour arriver plus promptement à Bordeaux; nous y sommes
entrés hier à huit heures du soir. La municipalité est venue au
devant de nous, de l'autre côté de la rivière, pour nous ramener
dans un brigantin que Ton avait décoré exprès pour nous; elle
nous y attendait depuis midi, jusqu'à notre arrivée.
> A notre descente, nous vîmes une quantité considérable de
gardes nationales qui étaient sous les armes et un peuple innom-
brable qui nous attendait, et au milieu duquel nous fûmes conduits à
la maison commune, aux acclamations mille fois répétées deVive la
Convention! Vive la République! Vivent les Parisiens! L'allégresse
la plus grande fut partout manifestée; notre arrivée fut un jour de
fête; le peuple nous a témoigné de toutes les manières son entier
retour à la liberté. Sa confiance est telle dans les Parisiens, qu^il se
persuade que nous pouvons le délivrer de tous les maux qui l'acca-
blent; la misère est encore plus grande qu'à Paris : on a distribué
aujourd'hui du biscuit de mer et des feveroles, n'ayant que peu de
pain, encore est-il plus noir que celui qu'on donne aux chiens.
(i) Procès-verbal du 4 octobre 1793. Archives municipales de Bordeaux.
T. I, a5
386 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
» Entrés dans la salle d^assemblée, nous fûmes placés aux côtés
du président; bientôt le silence le plus profond régna dans l'assem-
blée pour nous entendre. Dès que nous eûmes présenté, au nom de
la Commune de Paris, la médaille et le ruban tricolore, chacun
nous témoigna les regrets de son erreur et son amitié pour les
Parisiens ; nous fûmes embrassés de presque tous ceux qui étaient
présents, ou, pour mieux dire, nous ne cessâmes de l'être depuis
notre débarquement jusqu'à la maison commune.
» A la nouvelle de notre arrivée, toutes les sections à l'envi nous
envoyèrent des députations pour nous féliciter de notre entrée dans
leurs murs et nous inviter de nous rendre dans leur sein afin d'y
recevoir, pour les Parisiens, les embrassements de l'amitié et
Texpression de leurs sentiments pour cette Commune, qu'ils recon-
naissent authentiquement avoir sauvé la France et la liberté, et
contre laquelle ils ont été abusés quelques instants.
» Il fut arrêté par la Commune, aux cris mille fois répétés de :
Vivent les Parisiens! qu'il serait frappé une médaille au sujet de la
réunion des Parisiens et des Bordelais, en signe de la reconnais-
sance de la démarche que nous avons faite auprès d'eux, et qu'ils
regardent comme l'époque la plus digne de transmettre à la postérité
et leur erreur et la franchise de leur retour à cette liberté sainte
qu'ils n'ont jamais cessé de chérir. Le peuple de Bordeaux est,
comme celui de Paris, bon et de bonne foi; mais, moins aguerri
contre les suggestions perfides, il a besoin d'être fortement stimulé
pour se porter aux actions de vigueur qui sont ici plus nécessaires
qu'en aucun lieu de la République, à raison de l'adresse avec
laquelle l'aristocratie a su profiter de l'apathie où elle avait amené
le peuple; mais aujourd'hui qu'elle se trouve atterrée par le premier
coup de massue que le peuple lui a porté, il ne faut pas lui laisser
le temps de se relever, et il faut profiter promptement de l'instant
d'effervescence, si j'ose dire, patriotique où elle a amené le peuple
de Bordeaux par l'excès de misère où elle l'a réduit. Mais les
moyens employés pour l'amener à la contre-révolution seront ce
qui le sauvera. L'on craint déjà notre départ avant que toutes les
grandes mesures de salut public soient prises pour cette ville.
• Les Bordelais ressemblent en ce moment à des enfants qui
commencent à se tenir debout, et qui ont besoin de quelqu'un pour
les soutenir. L'esprit de la Commune de Paris nous a devancés ; et,
par l'opinion qu'ils ont de nous, nous ne pouvons nous dispenser
de séjourner quelques jours dans cette ville bien précieuse à la
République par sa population, sa situation et son commerce; et,
nous osons le dire avec franchise, la ville de Paris, en nous
envoyant, a rendu un service très éminent à la République ; nous
■osons vous assurer que Bordeaux, sous très peu de temps, sera
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 887
l'émule de Paris, et qu^elle sera, dans le point où elle est, un des
plus fermes appuis de la République.
» L'on attend avec la plus grande impatience les représentants du
peuple Baudot et Ysabeau; il est temps qu'ils arrivent; nous
comptons les voir demain ou après-demain dans ces murs; ils
pourront, par quelque acte de vigueur, assurer pour jamais la
liberté dans cette ville.
f Nous sommes sans cesse dérangés par les députations des
sections et des différents corps armés, qui viennent à nous comme
si nous étions revêtus de tous les pouvoirs de la représentation
nationale.
1 Nous ne cesserons de vous faire part de tout ce que nous
ferons pour cimenter immuablement l'union des Bordelais avec les
Parisiens (0. »
Les appréciations des délégués de la Commune de Paris
n^étaient pas défavorables aux Bordelais, comme on peut
le voir par cette lettre; un pareil témoignage n'était pas à
dédaigner, et si Ton considère les honneurs rendus à Viallard
et Dunouy et Taccueil sympathique qu'ils reçurent, on peut
dire que, lassée des maux qu'elle éprouvait depuis si
longtemps et dont le terme ne pouvait être prévu, la
population était prête à se jeter dans les bras des premiers
venus qui lui apporteraient la plus légère espérance.
Pendant qu'on fêtait les délégués parisiens et qu'on
mangeait, à défaut de pain, du biscuit de mer et des
féveroles, les prisons se remplissaient de suspects et de
prêtres assermentés. On faisait des arrestations jour et nuit
et la ville était mise en coupe réglée, si nous pouvons nous
exprimer ainsi.
Déjà le représentant du peuple Duchâtel, Rioufife,
Marchéna et d'autres avaient été dirigés sur Paris, et le
6 octobre les proconsuls requéraient le Comité de surveil-
lance de faire traduire par devant le tribunal révolutionnaire
de la capitale les citoyens Wormeselle, Ducourneau et
(0 Moniteur àM 12 octobre 1793.
388 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Theillard, compromis dans les événements qui avaient
agité la ville ^^K
On paraissait marcher révolutionnairement à Bordeaux,
et Ysabeau écrivait, le 8 octobre, au Comité de salut
public : « Dans Tabsence de Tallien, qui est parti avec un
détachement de cavalerie pour arrêter plusieurs conspi-
rateurs, je m'empresse de vous annoncer que nous venons
de faire arrêter, au milieu de Bordeaux, Tex-député
Duchâtel, un secrétaire de Brissot, Espagnol de naissance,
nommé Marchéna, et un autre réfugié du Calvados, avec
la femme de Puisaye, général du roi Buzot, défait à
Verdun. Nous vous promettons de livrer dans peu à la
vengeance des lois des coupables plus fameux. Nous avons
la preuve authentique que presque tous les députés fugitifs
du Calvados et de la Vendée, ainsi que les généraux et
leur état-major, sont à Bordeaux ou dans les environs. Un
jeune homme nommé Mahon, que j'ai reconnu ici pour
avoir été attaché à Félix Wimpffen, et que j'ai fait arrêter,
nous a donné ' tout le fil de la conjuration , qui allait
son train, malgré la conversion subite et apparente des
fédéralistes, avec lesquels les conjurés sont en relation
intime. Nous travaillons jour et nuit, soit à purger le
pays des scélérats qui y abondent, soit à procurer des
vivres à la ville de Bordeaux, qui souffre depuis longtemps
de la disette ^^K »
De son côté, Tallien, écrivant à Pache pour l'informer des
arrestations faites à Bordeaux, non par les sovîs de la
nouvelle municipalité, qui feignait d ignorer, mais bien
par les nôtres et ceux de quelques braves sans-culottes,
disait : ce Nous avons la certitude que Guadet, Pétion,
Buzot, Grangeneuve, Girey-Dupré et plusieurs autres
sont, soit à Bordeaux, soit aux environs; et la muni-
(1) Arrêté du 6 octobre.
(2) Moniteur à\x 1 6 octobre 1793.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SSq
cipalité et les autorités ne font rien pour parvenir à les
arrêter ^^K »
Les représentants étaient bien renseignés. Guadet, en
effet, était venu à Bordeaux le 24 ou le 25 septembre, mais
il n'avait trouvé dans cette ville ni appui, ni secours, et il
en était reparti Tâme brisée pour rejoindre à Saint- Émilion,
chez son père, les compagnons d'infortune qui l'y avaient
précédé. C'étaient Pétion, Buzot, Louvet, Salles, Barbaroux,
Valady et un ami de ce dernier. Nous aurons à raconter
plus tard la mort déplorable de quelques-uns de ces illustres
représentants du parti de la Gironde.
Nous venons de voir que Tallien les recherchait
activement.
On a dit que Fontanes, membre du Comité de surveil-
lance et Tun des plus fidèles appuis des conventionnels,
trouvait comme eux la municipalité un peu tiède. Il se
rendait tous les jours à la Commune et stimulait le zèle
des municipaux; il parlait de trois mille arrestations à fairç,
d'emprunts à lever sur les riches, etc., etc. L'officier
municipal Vitrac, fatigué des observations de Fontanes, lui
demanda un jour à connaître ses pouvoirs. Mal lui en prit :
Fontanes alla à La Réole le dénoncer, et, à son retour,
Vitrac était mis en état d'arrestation ^^K
Ce Fontanes, qui fut un des terroristes les plus redoutés,
avait, dit- on, conseillé aux représentants du peuple de
canonner les Chartrons et d'immoler tous les négociants.
Fontanes avait tort de se plaindre, car, si quelques
membres de la municipalité étaient tièdes et modérés,
d'autres, au contraire, tels que Charles, Martial, Barsac,
Chaussade, etc., déployaient une activité toute révolu-
tionnaire. Les visites domiciliaires et les arrestations
(i) Lettre du 9 octobre 1793. Bibliothèque nationale, supplément
français 3274.
(2] Journal du Club national du 8 nivôse an III.
3qo histoire de la terreur a bordeaux.
marchaient bon train. Les sections, grâce au scrutin
épuratoire qui y fut introduit, devinrent un foyer de
délations et donnèrent un nouvel essor au civisme ardent
des démagogues de la municipalité.
Sainte- Luce Oudaille raconte qu^une députation de la
section Simoneau s'étant présentée à la municipalité pour
lui remettre une délibération relative aux subsistances, un
des officiers municipaux, entendant le nom de Simoneau,
demanda avec indignation comment il pouvait se faire
qu'un accapareur de blé eût donné son nom à une section
qu'il croyait être révolutionnaire. La députation écouta en
silence la sortie du municipal, puis elle le pria de lui
désigner un nom à substituer à celui qui provoquait ainsi
son indignation, a Eh! quoi, s'écria^t-il, les sections de
Bordeaux sont au nombre de vingt-huit, et pas une ne porte
le nom du grand Marat!... > On comprit à demi-mot et
désormais la section Simoneau s'appela la section Marat 0).
Encore si des modifications de cette nature avaient eu
pour résultat de donner du pain au peuple! Mais il n'en
était rien, et le 5 octobre une collision avait eu lieu à la porte
d'un boulanger entre des citoyens et la garde nationale.
Vers neuf heures du matin, quelques hommes de la
légion du Sud s'étaient rendus en armes chez Deyries,
boulanger, place des Augustins, 42, pour y protéger la
distribution du pain. Une foule considérable et affamée
envahissait la place; un engagement eut lieu entre des
citoyens et les gardes nationaux qui avaient voulu s'inter-
poser dans cette rixe : deux soldats furent assez grièvement
blessés, et le capitaine du détachement envoya sur-le-champ
prévenir la municipalité. Un officier municipal, accompagné
d'une escouade de grenadiers, arriva bientôt, et sa présence
rétablit le calme un instant troublé.
(0 Histoire de Bordeaux pendant dix-huit mois, etc.
LA REVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. Sgi
Ces scènes étaient malheureusement fréquentes, et Tordre
public courait chaque jour les risques les plus sérieux.
Vers cette époque, le bruit se répandit tout à coup que les
représentants du peuple allaient enfin rentrer à Bordeaux.
L'un des commissaires envoyés à La Réole avec le député
Gouly (de Tlle- de -France) en apportait, disait-on, la
nouvelle. Aussitôt, les sections s'assemblèrent dans l'église
Saint-André, et le peuple écouta dans un religieux silence
le commissaire, que l'on avait invité à assister à la réunion.
Celui-ci confirma la nouvelle : les représentants étaient
décidés, assurait-il, à revenir, et la prochaine décade les
verrait sans aucun doute dans nos murs.
A ces mots, des applaudissements retentirent sous les
voûtes du temple, les visages s'illuminèrent et l'espoir
rasséréna les cœurs. On aurait du pain! car, à vrai dire,
le sentiment intime qui régnait dans la masse du peuple,
c'était la pensée que la présence des conventionnels
ramènerait l'abondance au milieu d'une population affaiblie
par les horreurs de la famine...
Des arbres de la liberté furent, dit-on, 'plantés à cette
occasion^ en signe de joie publique.
Le 6 octobre, Hérault de Séchelles disait à la Convention :
« Le patriotisme vient de se ranimer à Bordeaux; mais
pour assurer dans cette ville la durée de son règne, il est
nécessaire de prendre deux mesures vigoureuses. La
première est de désarmer les hommes suspects et ceux qui
tenaient aux anciennes associations, pour distribuer leurs
armes entre tous les \Tais républicains sans-culottes; la
seconde est d'annuler les passeports donnés à ces hommes
suspects par les municipalités de Bordeaux et de Libourne.
Ces passeports ne sont autre chose que de véritables brevets
d'incivisme f"). d
(i) Moniteur du 8 octobre 1793.
3q2 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Ces propositions furent adoptées : elles étaient trop bien
dans Tesprit générai qui animait la Convention pour ne pas
être accueillies sans opposition. On ne tarda pas, comme
nous le verrons, à appliquer dans Bordeaux le décret
provoqué par Hérault de Séchelles.
Mais la diversité d'opinions et de vues qui existait dans
le Conseil général de la commune y causait des tiraillements
incessants. Les modérés trouvaient qu'on allait trop vite;
les hommes dévoués à la Montagne prétendaient, au
contraire, qu'on manquait d'activité et d'énergie et qu'il
importait, dans l'intérêt du peuple et de la ville, d'accélérer
le mouvement révolutionnaire et de donner aux proconsuls
de la Réole toutes les satisfactions de nature à mériter leur
confiance et à leur prouver la soumission définitive de
Bordeaux. C'est au milieu de cette divergence d'idées que
la municipalité s'agitait dans une impuissance relative. Les
ennemis de la Révolution en profitaient pour chercher à
exciter les esprits contre la Convention et ses envoyés. Cette
mésintelligence et les bruits répandus par la malveillance
arrivèrent jusqu'à La Réole, et, le 6 octobre, Ysabeau
écrivit au Conseil général de la commune pour s'en plaindre
en termes amers et pour se justifier; il disait :
c La voix publique nous apprend que la calomnie a osé faire
entendre ses cris contre nous dans votre enceinte, et qu'il y a été
mis en délibération si nous ne serions pas dénoncés par vous à la
Convention nationale.
» Que les royalistes, les fédéralistes et les conspirateurs du
Calvados et de la Vendée, qui, malgré votre surveillance, existent
encore parmi vous, emploient toutes leurs perfides ressources pour
nous décrier, cela est juste; leurs clameurs honorent des Monta-
gnards qui ont juré la perte des scélérats, et qui tiendront leurs
serments.
» Mais que des magistrats du peuple, investis de sa confiance
immédiate, témoins de ce que nous avons souffert pour la cause et
des efforts heureux que nous avons faits pour Tarracher à l'oppres-
sion et à la misère, mêlent leurs voix à celles des ennemis de la
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SgS
patrie, voilà ce que les bons citoyens auront de la peine à concevoir
et à expliquer.
» L'objet des subsistances est devenu, dans la mam des contre
révolutionnaires, un instrument terrible avec lequel ils se sont
flattés d'amener le peuple à adopter leurs projets criminels. Au sein
d'une récolte abondante, le pain nous a manqué tout à coup, parce
que les grains se sont trouvés en majeure partie dans la main des
riches, opposés au système de l'égalité. La ville de Bordeaux s'est
ressentie plus que toute autre de ce fléau général. Ce n'est pas ici
le lieu d'en développer les raisons : nous ne sommes comptables à
la nation et aux citoyens de Bordeaux que des moyens que nous
avons employés depuis la fln du mois d'août, où a comm'encé notre
mission, jusqu'à cette époque, pour faire parvenir des grains à une
ville qui en manquait totalement.
» Le 26 août nous publions une proclamation. que nous avons
envoyée à tous les départements, districts, municipalités et sociétés
populaires de la République, dans laquelle nous requérons tous les
bons citoyens, dans les termes les plus touchants, de venir au
secours de la ville de Bordeaux, menacée d'une horrible famine.
Une foule de réquisitions particulières, adressées aux villes qui
retenaient des grains ou des farines destinées à Bordeaux, prouvent
que tous nos instants ont été consacrés à cet objet essentiel.
1 Comme nous sentions la nécessité d'organiser au plus tôt un
Comi:é des subsistances qui réunît au plus haut degré la confiance
du peuple et la nôtre, nous avons écrit le 6 septembre à plusieurs
sections de Bordeaux, pour qu'elles formassent sans délai ce
Comité, auquel nous devions remettre les fonds envoyés par la
Convention nationale... Qui nous expliquera pourquoi, malgré nos
instances, il s'est écoulé vingt et un jours entre notre proclamation
et la nomination de ces commissaires? Quelle intrigue a présidé
à ce retard fiineste? Et sur qui doit retomber l'indignation du
peuple? Quelle est la main barbare qui, pour conduire le peuple à
une disette extrême, a repoussé le pain que nous lui tendions?
» Citoyens, nous ne vouions pas faire un parallèle odieux ; mais
c'est ainsi que les riches et les négociants de Toulon ont conduit un
peuple égaré par la Êiim à recevoir d'une main ennemie du pain et
des fers.
• Honneur immortel aux respectables sans-culottes de Bordeaux
qui ont supporté leur misère avec une patience vraiment républi-
caine! ils ont su résister aux suggestions des calomniateurs; ils
savent que les pères du peuple partagent leurs douleurs et emploient
tous leurs eflbrts pour les soulager.
• Vous dites que les subsistances n'arrivent pas à Bordeaux avec
abondance, comme vous vous y attendiez, et vous osez attribuer
394 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
ce retard aux représentants du peuple! Nous en appelons avec
confiance à tous ceux de vos concitoyens qui sont venus à La Réole,
et qui, témoins de nos travaux continuels, n'ont pu voir sans
attendrissement nos sollicitudes à cet égard : nous en appelons à
ces commissaires que vous avez envoyés trop tard. Ils vous diront
que nous avons vaincu toutes les difficultés, que nous avons été au
devant de leurs désirs ; qu'enfin, nos réquisitions et nos lettres ont
eu tout le succès qu'on pouvait en attendre; nous rendriez-vous
responsables aussi de ce que la sécheresse extrême arrête les
moulins et entrave la navigation? Cest pourtant dans ce mpment-ci
le seul obstacle qui s'oppose à l'arrivée d'une grande quanticé de
farines qui sont acquises.
» Une observation qui ne doit pas échapper aux bons citoyens, et
qu'on ne saurait trop mettre sous les yeux du peuple pour qu'il
apprenne à connaître ceux qui le trompent : c'est que depuis deux
mois il ne parvient à Bordeaux que des farines provenant d'un blé
d'une qualité supérieure et sans mélange; quels sont donc ces
monstres qui altèrent ces farines ou qui ont l'art de les soustraire
pour y substituer des matières impures dont les animaux refuseraient
de se nourrir? Hommes si zélés pour les intérêts du peuple,
qu'avez- vous fait pour découvrir ce mystère d'iniquité? En vain
nous vous demandons une explication sur ce fait, vous ne faites pas
semblant de nous entendre; nous viendrons à bout de connaître
cette manœuvre infernale, qui tendait à empoisonner les braves
sans-culottes. Malheur alors à ceux qui auront commis ce forfait!
malheur aussi à ceux qui l'auront souffert!
> Notre séjour prolongé à La Réole vous effarouche; et vous
cherchez à en tirer des inductions défavorables contre nous; que
n'avez-vous pas fait pour persuader aux citoyens que la Convention
nationale nous retirait nos pouvoirs et vous envoyait d'autres
commissaires.
1 Cette nouvelle ruse d'une faction que nous avons abattue ne
nous a pas surpris; qu'importe au surplus à des Montagnards d'être
à la Convention nationale ou dans les départements? Ils sont assurés
que, quel que soit le poste que la patrie leur assigne, ils y rempliront
leur devoir franchement et sans crainte.
1 Vous feignez d'ignorer les raisons qui nous retiennent encore,
quoique nous ne vous les ayons pas cachées; c'est l'intérêt du
peuple, seul mobile de toutes nos actions, qui enchaîne nos pas,
lorsque nous brûlons du désir de serrer dans nos bras des frères, des
amis dont l'attachement pour nous n'a pas diminué, malgré les
clameurs des malveillants. Irons-nous parmi ce peuple, qui nous
est si cher, avant d'avoir entièrement assuré sa subsistance? Ne
sommes-nous pas ici plus à portée de vaquer à ce soin, que dans
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SgS
une Tille où le tourbillon des affaires qui nous attendent consom-
merait tous nos instants? Du poste où nous sommes établis, nous
surveillons les achats et les transports; nous arrêtons tout ce qui
est pour le compte des spéculateurs, pour le tourner au profit du
peuple; nous voyons arriver Tinstant heureux où nous pourrons
nous réunir à nos frères les sans-culottes, et ce ne sera pas sans
une émotion bien douce que nous partagerons leur empressement
et que nous jouirons du fruit de nos travaux.
t Cette lettre, citoyens, sera la dernière réponse que nous ferons
aux calomniateurs; lorsque notre mission sera terminée et que
nous rendrons publique notre correspondance, on y lira la
justification complète des représentants montagnards, qui ne sont
coupables que d'avoir fait le bien avec persévérance (0. »
Cette lettre causa une vive émotion au sein du Conseil
général de la commune et intimida pour quelque temps les
détracteurs des conventionnels.
Cependant les persécutions continuaient à Bordeaux, et
le 6 octobre, Delormel, Peycam, Mazois, Lubbert père et
fils, le chirurgien Revors, de Gercy, directeur des douanes,
et une multitude d^autres étaient mis en état d^arrestation
comme suspects à des titres divers et allaient grossir le
nombre des détenus.
Pendant quTsabeau écrivait et qu'on arrêtait à Bordeaux
les citoyens les plus honorables, Tallien, qui semblait être
chargé de la partie active de la mission, se rendait dans le
Liboumais, escorté d'une trentaine de cavaliers de Tarmée
révolutionnaire campée sous La Réole. Il recherchait
Guadet, Salles, Pétion, Barbaroux, que des avis secrets ou
de lâches dénonciations avaient signalés comme étant
cachés dans cette partie du département. Ses perquisitions
furent vaines. Il fit toutefois arrêter, tant à Libourne qu'à
Saint-Émilion, un grand nombre de citoyens, mit sous la
garde de deux soldats le père de Guadet et prononça la
confiscation des biens du conventionnel ^^K
(i) Archives de la Gironde, série L.
(2) Guinodie, Histoire de Libourne.
396 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Cest dans cette tournée que Tallien rencontra Lacombe.
La connaissance fut bientôt faite entre ces deux hommes.
Accablé de flatteries par le maître d'école, le conven-
tionnel, étonné de sa faconde révolutionnaire et devinant
un instrument d'autant plus dévoué que l'ambition et le
désir d'arriver à quelque chose débordaient chez cet homme,
se lia avec lui, apprécia ses instincts et ses qualités et lui
promit sans doute de ne pas Toublier.
Malheureusement pour les Bordelais, cette promesse
sinistre fut tenue.
Le 7 octobre, le Conseil général de la commune ordon-
nait que tous les citoyens compris dans la réquisition de
dix-huit à vingt-cinq ans et qui ne s'étaient pas présentés
pour être incorporés dans les bataillons de nouvelle levée,
seraient tenus de le faire dans un délai de trois jours; que
ceux des citoyens déjà incorporés, qui s'étaient absentés
pour une cause quelconque, seraient tenus de se présenter
à leurs corps respectifs dans le même délai; et que, ce délai
passé, les uns et les autres seraient déclarés déserteurs et
punis comme tel.
La municipalité prescrivait en même temps des mesures
sévères à l'égard des suspects.
Elle invitait les comités de surveillance des sections à
redoubler de zèle et d'activité, à dresser une liste de tous
les gens suspects résidant dans l'étendue de leur territoire
et à les faire arrêter sur-le-champ.
Les détenus devaient être gardés à vue, avec défense de
communiquer au dehors.
Elle suspendait la délivrance des passeports jusqu'à
l'arrivée des représentants.
Comme indice du moment, il est utile de transcrire,
dans son éloquent laconisme, l'article 7 de l'arrêté de la
municipalité : a: La Commission des travaux publics
reste chargée de faire mettre à exécution la précédente
I.A RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 897
délibération, qui ordonne Tévacuation des maisons
nationales pour y recevoir les gens suspects. j>
Telle était la situation à Bordeaux le 7 octobre. Au nom
de la République et de la liberté, on créait de nouvelles
prisons !
Certes, Chaudron - Roussau et Baudot avaient raison
en écrivant de Toulouse, le 8 octobre, à la Convention
nationale : c Bordeaux est enfin rendu à la patrie; toutes
les autorités constituées sont hors de fonctions; un grand
nombre de membres de la Commission populaire ont été
arrêtés, et bientôt l'armée de La Réole mettra le complé-
ment à cette situation. Les muscadins de Bordeaux sont
dans l'impossibilité de faire aucune résistance, et ils seront
républicains, quoi qu'ils en aient dit. Le décret salutaire
du 6 août y sera exécuté complètement... :^
Il était toutefois difficile à la Convention d'avoir une
idée bien exacte de ce qui se passait à Bordeaux. Les
contradictions les plus singulières, en effet, régnaient,
le lecteur a pu s'en apercevoir, dans les diverses cor-
respondances écrites au sujet de cette ville, soit par les
représentants du peuple, soit par les délégués de la
Commune de Paris. Quelle était la cause secrète de ces
contradictions? Peut-être un sentiment de jalousie de la
part des conventionnels et le désir d'établir et de prouver
que la soumission de Bordeaux serait leur œuvre et
non celle d'envoyés étrangers à la Convention? Nous
l'ignorons.
Quoi qu'il en soit, Tallien écrivait le 9 octobre à la
Commune de Paris : « Ce n'est pas sans étonnement que
nous voyons à Paris la manière dont on prend la prétendue
révolution bordelaise. Quoi I les Parisiens seront toujours
la dupe des fripons et des agioteurs ? Je vais vous dire la
vérité, car la Convention, les Jacobins et la Commune de
Paris sont trompés sur cet objet.
SgS HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
> Vous croyez à Paris que la ville de Bordeaux est
soumise aux lois, que Bordeaux ne renferme plus de contre
révolutionnaires et que le girondisme y est entièrement
étouffé; eh bien! vous vous trompez. Aucune des lois
révolutionnaires ne sont exécutées à Bordeaux ; les musca^
dins qui composent les compagnies de grenadiers et la
cavalerie nationale se promènent encore insolemment dans
cette ville; ils viennent de pousser Timpudeur jusqu'à
enrôler parmi eux le traître Biroteau, Tex-député Duchâ-
tel, etc.... Plusieurs contre-révolutionnaires viennent d'être
arrêtés par nos soins. L'on compte à peine douze patriotes
énergiques sur cinquante-six membVes qui composent la
nouvelle municipalité... On célèbre, il est vrai, des fêtes en
l'honneur de Marat, mais ce sont de pures grimaces. La
faim et la peur ont seules rallié pour un instant les vingt-
huit sections de Bordeaux; mais il n'y en a pas plus de
quatre qui soient dans les bons principes...
]D Cette prétendue révolution à laquelle vous avez
applaudi, n'est qu'un mouvement feutllantin, dirigé par
les aristocrates, afin d'éviter celui que nous méditons
avec les sans-culottes pour tuer le modérantisme et le
fédéralisme; car il ne faut pas vous laisser ignorer que
c'est à Bordeaux que tous les complots révolutionnaires
ont été tramés, que c'est Lavau-Gayon qui a livré Toulon.
Ce scélérat était encore, il y a quelques jours, président
de la Société des Récollets... Ces meneurs de Bordeaux
avaient une correspondance avec Lyon, Marseille, Caen,
Toulouse, la Vendée... et nous pourrions croire au
changement subit des Bordelais! Croyez, au contraire,
qu'ils conspirent dans l'ombre. Nous arriverons sous peu
de jours à Bordeaux, mais avec une force qui puisse
imposer aux malveillants, et avec des provisions abondantes
en grains.
» Nous sommes ici dans une ville patriote (La Réole);
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SgQ
nous courons tout le département et nous extirpons les
germes du fédéralisme ^^K j>
Tallien avait mélangé dans sa lettre le vrai et le faux
avec une dose égale d^exagération dans un sens comme
dans l'autre; sur certains points, à la vérité, il touchait juste.
De son côté, le conventionnel Roux-Fasillac écrivait
d'Angoulême, vers la même époque, qu'il avait appris, par
une lettre des commissaires de la Commune de Paris dans
la ville de Bordeaux, que la révolution opérée dans cette
cité n'était pas une vaine comédie, mais qu'elle était très
réelle, et que le triomphe des sans-culottes y était assuré (*).
Qui fallait-il croire?
Piquée au vif d'avoir été trop crédule, la Commune de
Paris rappela immédiatement les commissaires Dunouy
et Viallard.
Ysabeau et Tallien durent être satisfaits : ils avaient le
champ libre et le bénéfice du succès leur était acquis.
Ayant mis dans leurs projets de rentrer prochainement
à Bordeaux, ils voulurent, pour conquérir la faveur
publique, essayer de ramener au moins momentanément
l'abondance au sein de cette cité si éprouvée par la disette;
ils déléguèrent des commissaires pour aller dans la
Charente-Inférieure faire des achats de grains et farines, et
remirent à Bujac et Dussau, désignés pour cette mission
par le Comité des subsistances, la lettre suivante destinée à
faciliter leurs opérations :
c Qtoyens, vous n'apprendrez pas sans le plus vif intérêt
qu'une heureuse révolution a commencé à s'opérer dans les
murs de Bordeaux. Les administrateurs coupables ont
cessé leurs fonctions; plusieurs fédéralistes sont arrêtés, le
nom de la Montagne se prononce hautement : tout annonce
qu'avec quelques efforts de plus, le règne des lois
(0 Moniteur du 1 6 octobre 1793.
(2} Jd. du i3 octobre 1793.
400 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
républicaines sera solidement établi dans le foyer même
des intrigues qui tendaient à la renverser.
;> Un nouveau Comité de subsistances composé de vrais
sans-culottes a succédé sous nos auspices à rassemblée
d'agioteurs qui portait ce nom.
]> Vous pouvez donc prendre toute confiance aux
commissaires de ce nouveau comité, qui se rendront auprès
de vous munis de notre réquisition pour procurer du grain
aux pauvres, aux ouvriers, aux sans-culottes de Bordeaux
qui gémissent dans la plus affreuse détresse. Vous pouvez
être assurés que les grains que vous fournirez à vos
frères iront à leur véritable destination sans passer par
les mains des infâmes spéculateurs, et que le peuple
recueillera tous les fruits des bienfaits de la Convention
nationale.
!► Je vous invite par ces motifs et par ceux de la fraternité
à favoriser de tout votre pouvoir les achats, transports des
grains qui seront acquis dans l'étendue de votre ressort par
les Montagnards du nouveau Comité. Les besoins sont
grands, les secours doivent être prompts.
:» Salut et fraternité.
» C.-Alex. YsABEAu, Tallien. »
Cette mission ne fut pas heureuse. Lequinio et Laignelot
à Rochefort, Bourbotte à Angers, et Guimberteau à
Tours, déclarèrent qu étant dans une pénurie absolue, ils
avaient la cruelle douleur de ne pouvoir satisfaire les
commissaires, qui parcoururent, sans obtenir de meilleurs
résultats, les départements de la Charente-Inférieure, de
Maine-et-Loire, du Loiret, d'Eure-et-Loir, d'Indre-
et-Loire, etc.
Dans la nuit du 9 au 10 octobre, huit prisonniers furent
extraits des prisons de Bordeaux et dirigés sur Paris, où ils
devaient être traduits devant le tribunal révolutionnaire.
C'étaient MM. Dudon père, de Gercy, l'abbé HoUier,
LÀ RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4OÎ
Delormel, Serrier, Lemoine fils, Lacombe-Puyguereau
et Lemelie.
La plupart périrent sur Téchafaud parisien. Comme on
s^occupait d^eux un jour à la G>nvention, le représentant
du peuple Baudot dit qu'il fallait huit minutes pour
les Juger.
Nous avons déjà indiqué et nous aurons encore à
constater Timmixtion fréquente du Club national dans les
affaires de la cité. Le 1 1 octobre, un membre du club
montait à la tribune : c Ce matin, disait-il, les citoyens se
sont rendus en foule au temple de VÊtre suprême; ils
n'y ont vu paraître ancun fonctionnaire public, sinon
le citoyen Clochard, accompagné de Tun de ses collègues.
Je demande que le Club national nomme douze de ses
membres qui se rendront chaque décade au temple, munis
chacun d'un discours qu'ils prononceront; je demande aussi
que notre Comité d'instruction publique rédige un résumé
de nos délibérations les plus intéressantes, et que ce résumé
soit lu publiquement dans le temple. Il y a lieu de croire
que les citoyens réunis trouveront un charme patriotique
dans ces douze discours brûlants de civisme et dans le
résumé de nos séances ^^K i>
Cette motion fut adoptée avec enthousiasme.
Ne fallait-il pas réchauffer l'esprit public et le tenir en
haleine ?
Une mesure importante, qui annonçait l'arrivée prochaine
des représentants à Bordeaux, émut vivement les esprits.
Le Conseil général de la commune adressa aux citoyens de
la ville une proclamation ainsi conçue :
c Vos magistrats viennent avec confiance vous demander encore
une nouvelle preuve de vos sentiments fraternels et républicains;
les représentants du peuple séant à Agen et à La Réole se rendent
enfin à nos vœux ; ils viennent au milieu de nous jouir du spectacle
(i) Archives de la Gironde, série L, registre 178.
T. I. 26
402 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
touchant que vous y donnez chaque jour; ils viennent accompagnés
de 3,000 de nos frères, et nous désirerions que la République
entière fût avec eux pour se convaincre de la pureté et de la chaleur
du patriotisme qui anime la grande masse des citoyens de Bordeaux.
» Les logements qui doivent recevoir ces 3,ooo hommes sont
prêts ou vont Têtre; mais il nous manque les choses les plus
essentielles, des lits et du linge ; tout ce que nous en avions a été
mis en réquisition pour Tarmée des Pyrénées, et il nous serait
impossible de pourvoir à ce qui nous manque à cet égard si nous
ne comptions sur ce dévoûment généreux que vous avez toujours
fait éclater dans toutes les grandes occasions où la Patrie réclamait
de vous quelques sacrifices.
• Nous nous persuadons aisément qu'il eût été plus doux pour
vous de voir au milieu de votre famille, et de compter au nombre
de vos enfants, nos braves frères d'armes qui viennent avec les
représentants du peuple ; mais les circonstances et des raisons d'une
importance majeure nous ont commandé cette mesure, et la douce
certitude de vous trouver toujours dignes de vous-mêmes nous a
pleinement rassurés sur son exécution.
1 Nous invitons donc, au nom de la Patrie, tous ceux à qui leurs
facultés le permettent, de porter dans les endroits ci-après désignés
les lits et le linge dont ils pourront disposer. Tous les effets seront
numérotés, étiquetés ; ils seront parfaitement soignés et rendus aux
propriétaires très exactement. »
En trois jours, plus de i,5oo lits furent fournis par les
citoyens avec un empressement véritablement patriotique.
Les représentants arrivaient enfin ; et la population était
prête aux plus grands sacrifices pour hâter leur présence !
Quant aux lits qui devaient être rendus très exactement
à leurs propriétaires, on ne les revit plus, malgré des
promesses formelles, et les citoyens en furent dépouillés.
Ce fait fut reproché plus tard à la municipalité provisoire
comme une dilapidation à ajouter à bien d'autres.
Et d'ailleurs qu'importait cette spoliation ? Les Bordelais
avaient à redouter des calamités bien autrement terribles ! La
révolution du ï8 septembre, qui devait les sauver, n'avait
fait qu'ajouter d'autres maux à leurs maux anciens. La
sécurité politique, si nous pouvons ainsi parler, n'existait
plus; le 1 1 octobre, un contemporain écrivait : oc Bordeaux
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4o3
se trouve dans des circonstances critiques ; les arrestations
se font toutes les nuits avec une activité incroyable. L'on
en arrête quelquefois jusqu'à 3oo par jour. Les affaires
sont toutes suspendues; on a apposé les scellés chez
beaucoup de négociants et de capitalistes. On compte
environ 3 à 4,000 personnes emprisonnées, et toutes les
nuits, comme je vous Tai dit, on en arrête beaucoup (>). »
Pour exécuter les ordres du G>mité de salut public et
des proconsuls de La Réole, on avait placé la population
bordelaise sous le régime de la loi des suspects. Tels étaient
les bienfaits du système politique dont on préparait la
venue !
L'ojfficier municipal Vitrac a dit que les principales
arrestations avaient eu lieu d'après une liste apportée de
Paris par Chaussade et Couteau, officiers municipaux
provisoires. Cette liste, contenant les noms de soixante-dix
personnes environ, avait été dressée, à ce qu'on assure,
par Desfîeux, Pereyra, Courtois et Delclou, qui ne cessèrent
de calomnier le département de la Gironde auprès des
divers comités de la Convention et au sein du club des
Jacobins. Voici, au surplus, comment s'exprima Vitrac :
<L Le jour du retour de Chaussade de Paris, on nous retint
une douzaine de membres de la commune; on nous fit
souper, et ensuite, fermant la porte, on nous dit : Il s'agit
d'une grande mesure qu'il faut exécuter sur-le-champ; et
l'on nous présenta la liste. C'était un chiffon de papier
large d'environ quatre pouces sur un pied de long, sans
signature. Chaussade et Couteau étant allés à Paris, quel-
ques membres de la Convention leur dirent : Vous venez
nous annoncer la régénération de Bordeaux, mais il y a
des meneurs qu'il faudra arrêter; on vous en donnera la
liste. Chaussade la reçut, en effet, le lendemain des mains
1) Lettre de Guille, du 11 octobre lygS.
404 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
. _ . ■ ■ >
de Desfieux. Elle avait été dressée, assure-t-on, par ce
dernier. Chaussade présenta aux membres de la Commune
ci-dessus cette liste comme étant un relevé fait dans les
bureaux du Comité de salut public. Toutes les objections
furent inutiles|et les arrestations immédiatement résolues <'^ »
Les principaux promoteurs de ces arrestations, qui
plongèrent la ville dans le deuil et la consternation, furent
Martial, Barsac, Charles, Cogorus et d'autres que nous
pourrions nommer.
L'officier municipal Vitrac prétendit plus tard que s'il
avait procédé à des arrestations, c'était afin di adoucir à
ceux qu'il avait choisis et qui étaient ses amis, le coup
qu'on leur portait,
Martignac] père, activement recherché alors, fut assez
heureux pour se soustraire au zèle de Barsac et autres.
Bordeaux, on peut en Juger, marchait hardiment dans la
voie f révolutionnaire; et cependant bien des calomnies
étaient encore répandues dans la France sur le compte de
cette ville. C'est ainsi que Gasparin et Salicetti écrivaient
le 1 1 octobre : « Le commerce de Bordeaux, le commerce
de Marseille, sont prêts à partir pour Naples, pour y
aller prendre le comte d'Artois, Monsieur et l'évêque de
Toulon (»). »
C'était bouffon à force d'invraisemblance, et, pour nous
servir du mot de Voltaire, nous dirons : c'était ainsi que
l'on écrivait l'histoire.
Quelques esprits rêvaient certainement la contre-révolu-
tion à Bordeaux, mais la ville soumise et affamée était aux
pieds des conventionnels et demandait merci.
La pénurie des subsistances y était telle, au moment
même où on la calomniait ainsi, que, pour y remédier et
sur les instances de la municipalité, les représentants du
(i) Journal du Club national de Bordeaux du 8 nivôse an III«
(2) Moniteur du 23 octobre 1793.
LA RÉVOLUTION DU t8 SEPTEMBRE. 4o5
— ■■■» »■ M ■ I ■■ ^.l»- »■-■■ .!■ ■ ^^—^.^l ■■■■»■ ■ ■■■»■■ <pi ■■W^^M^I II I p ^
peuple, par un arrêté du i3 octobre, autorisèrent celle-ci
à extraire partie des biscuits qui se trouvaient sur les
vaisseaux frétés pour le compte de la République, ou
d'autres subsistances, pour les distribuer aux sections par
égale portion.
On annonçait en même temps que 3o,ooo boisseaux
de farine devaient arriver incessamment à Bordeaux
venant de Toulouse et de divers autres points de la
République.
En transmettant leur arrêté à la municipalité, Ysabeau
et Tallien écrivaient : « Nous vous envoyons, par le retour
de votre courrier, l'arrêté que vous nous demandez. Vous
en trouverez peut-être les conditions un peu sévères;
mais comme cette démarche est hors la loi et peut
préjudicier en quelques points aux intérêts de la Répu-
blique, il est certain qu^il ne faut user de la ressource
qu'elle présente qu'autant qu'elle sera commandée par
l'extrême nécessité.
» Nous avons l'assurance d'une grande quantité de
farines; il ne manque que des sacs : ceux qu'on a envoyés
de Bordeaux exigent des réparations qui en retardent
l'envoi. Veillez à ce que ces opérations si . importantes
soient faites avec plus d'exactitude, car il semble qu'il
manque toujours quelque chose au bien qui devrait s'opérer
pleinement et sans obstacle ('>. »
Peut-on penser sérieusement dans ces circonstances que
le commerce de Bordeaux, s'il existait encore, eût les
projets que lui prêtaient Salicetti et Gasparin dans leur
lettre du 1 1 octobre ^^^1 Non, sans doute.
Marandon, rédacteur du Courrier de la Gironde,
dont nous avons déjà parlé <^ï, figurait sur la liste de
(i) Archives de la Gironde, série L.
(a) V. suprà, p. 404.
(3) V. Livre I» chap. m, p. 73.
406 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
proscription envoyée de Paris. Il était activement recherché
par la municipalité. Guidée par le sentiment de Tamour
conjugal, sa femme s^était rendue à La Réole pour solliciter
les représentants en faveur de son mari. Renseignés par
leur entourage, Ysabeau et Tallien prirent à Tégard de
cette dame une mesure monstrueuse : ils la firent appré-
hender comme otage de son mari et renvoyèrent au Comité
de surveillance de Bordeaux avec invitation de la mettre en
état d* arrestation dans son domicile jusqu'à ce que le
citoyen son mari se fut constitué prisonnier entre les
mains des représentants du peuple, qui se réservaient
de statuer définitivement sur son sort. Le 14 octobre, à
neuf heures du soir, Marandon, informé par des amis de ce
qui s'était passé et de l'arrestation de sa femme, se présenta
au Comité de surveillance et fut écroué à la maison
commune (*). Il expia plus tard ses erreurs politiques sur
réchafaud bordelais.
Nous avons signalé des contradictions existant entre les
diverses correspondances officielles relatives à la situation
politique de Bordeaux à Tépoque des premiers jours
d'octobre. Robespierre lui-même s'expliqua à cet égard, et
dans la séance de la Société des Jacobins du 14 de ce
mois, il dit, à l'occasion d'une discussion sur un rapport
de JuUien (de Toulouse) ayant trait aux départements
fédéralistes : qu'on cherchait à compromettre la municipalité
de Paris, qu'on avait induite en erreur et à qui on avait
fait faire une fausse démarche auprès de celle de Bordeaux
qui, malgré ses belles apparences, était l'ennemie née de
la ville de Paris, et le serait, relativement à son commerce,
de la République ^^K
Il est vrai qu'au même moment Dunouy et Viallard
annonçaient, par une lettre du 14 octobre, que le patrio-
(1) Archives de la Gironde, série L, registre 490 bis.
(3) Moniteur du 17 octobre 1793.
LA RÉVOLUTION DU t8 SEPTEMBRE. 407
tisme se prononçait dans cette ville et que les aristocrates
n'avaient plus la même influence qu'auparavant (*).
Si un document officiel pouvait être invoqué à l'appui
de Topinion des commissaires de la Commune de Paris,
nous dirions que les femmes même s'étaient associées au
mouvement révolutionnaire. A cet égard, nous reproduisons,
en y rétablissant seulement les lois violées de l'orthographe,
la curieuse et singulière adresse envoyée le 1 5 octobre à la
Convention nationale par la Société des Amies de la
République française séante aux ci-devant Jacobins :
f Législateurs, disaient ces citoyennes, Tégarement où les
intrigants avaient plongé notre cité, a fait frémir d*indignation les
vraies amies de la République. Nous avons vu le précipice
entr'ouvert sous nos pieds, et nos regards aussitôt se sont portés
vers vous. Nous avons applaudi du premier moment aux journées
des 3i mai, 2 et 3 juin, mais la tyrannie et un pouvoir usurpé par
des hommes captieux et traîtres nous empêchaient de dire la vérité.
Les bons patriotes étaient forcés de se taire devant les agitateurs et
les fédéralistes de notre ville, car les incarcérations étaient pour
ceux qui avaient le courage de se prononcer et de manifester leurs
opinions; mais aujourd'hui que Bordeaux, éclairé du flambeau de
la vérité, abjure ses erreurs et que cette vérité, longtemps persécutée,
triomphe, nous nous empressons de vous dire ce que le pur
patriotisme nous a toujours dicté.
• Législateurs, nous ne vous parlerons pas avec éloquence, mais
avec franchise : une Êiciion royaliste siégeait au milieu de la
Convention. L'intrigue et la conjuration agitaient les départements;
il nous fallait des hommes dignes du caractère de représentant du
peuple pour terrasser les méchants.
1 Cest vous. Montagne, qui les avez enfantés ces hommes
vertueux qui ont eu le courage de dévoiler aux yeux de la
République étonnée les infâmes complots de la caste liberticide.
Grâces vous en soient rendues! Journées des 3i mai, 2 et 3 juin,
nous vous rappellerons toujours avec joie et nous transmettrons
votre précieux souvenir aux siècles qui nous suivront!
» Législateurs, frappez du glaive de la loi tous ces hommes
masqués de patriotisme 1 Que la vengeance nationale retombe sur la
tête de tous les conspirateurs ! Que le sol de la liberté ne soit plus
(i) Moniteur du 16 octobre 1793.
4o8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
souillé par ses ennemis, et vous conserverez à la République une
grande cité et des hommes dignes de servir leur patrie !
> Défenseurs de l'unité et de l'indivisibilité de la République
française, le salut de cette même patrie, au nom de laquelle nous
vous parlons, exige de vous de rester à votre poste, et nous vous
invitons, nous vous conjurons^ par tout ce qui est de plus cher à des
âmes républicaines, de ne point l'abandonner jusqu'à la paix.
1 Vous avez fait le bonheur du peuple en lui donnant une Consti-
tution que nous soutiendrons au péril de notre vie : le peuple
français vous devra tout son bonheur et sa tranquillité.
I Notre cité se régénère et se méfie des faux patriotes, honnit la
troupe muscadine et prend enfin des mesures vigoureuses.
• Quelques intrigants avaient voulu jeter de la défaveur sur les
représentants à La Réole, Ysabeau et Baudot; mais la sage conduite
de ceux-ci et leurs bienfaits continus ont démonté la calomnie.
Nous espérons que la surveillance du Club national et des sans-
culottes bordelais abattront tout à fait le monstre sanguinaire de
l'aristocratie, et que notre cité, purgée de tous les coupables
factieux qui la déchiraient^ ne sera habitée que par des vrais
montagnards et des franches républicaines, qui, à votre exemple,
sauront sacrifier leurs talents et leurs vies pour le maintien de la
République française une et indivisible.
• Nous sommes très cordialement les citoyennes, etc.
» Signé : Dorbe aînée, présidente;
DoRBE cadette, archiviste;
Veuve Larrieux et veuve JtJvÉ, secrétaires (0. i
Telle était rébulUtion révolutionnaire que provoquaient
la peur et la faim; car nous ne saurions attribuer à d'autres
mobiles la violence du langage d^un sexe habituellement
étranger aux choses de la politique.
Au milieu des maux de toutes sortes qui assiégeaient la
population, les dénonciations pleuvaient au Comité de
surveillance. Elles y étaient toujours bien accueillies et les
arrestations allaient bon train ^^K
Sans doute on préparait ainsi le terrain pour la réception
des proconsuls de la Convention. Ils étaient, en effet,
attendus à toute heure, et la municipalité s^efforçait de
(i) Archives de la Gironde, série L.
(3) Archives de la Gironde, série L, registre 490 ^15.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 409
prendre une attitude véritablement révolutionnaire, tandis
que les sections se tenaient sur le qui -vive aux cris de
Vtpe Marat (0!
Il n'est pas sans intérêt dUndiquer ici qu'une des principales
branches du commerce de Bordeaux à ce moment consistait
dans la vente de bonnets rouges et du portrait de Marat...
Tout le monde se démocratisait par peur, et Bordeaux
avait courbé la tête sous l'omnipotence audacieuse de la
section Franklin et du Club national. Cela ne suffisait pas,
et les Jacobins de Paris se disposaient à envoyer vingt
commissaires à Bordeaux, pour coopérer avec les repré-
sentants du peuple à former l'esprit public de cette ville ^^K
Enfin, ce jour longtemps attendu, longtemps désiré, était
venu. C'était le i6 octobre 1793 ^^K
Les conventionnels étaient en route pour Bordeaux et ils
allaient entrer dans cette ville. Dès le matin la nouvelle
s'en était répandue, et plus de 20,000 citoyens s'étaient
portés au-devant d'eux. Les habitants, dit Tustet, furent en
foule et sans armes à leur rencontre pour les accueillir et
leur témoigner leur allégresse ^^K Ils avaient à la main des
branches de laurier.
Vers quatre heures de l'après-midi, les représentants
Ysabeau, Baudot, Chaudron-Roussau et Tallien firent leur
entrée dans Bordeaux, en passant par une brèche faite au
mur de ville près la porte Sainte- Eulalie ou de Berry.
La ville était conquise.
Un contemporain a raconté que des cris de joie et
d'enthousiasme annoncèrent l'arrivée des quatre commis-
saires de la Convention (^K D'autres prétendent qu'ils furent
accueillis par un morne silence.
' (i-5) Sainte-Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux , etc.
(3) Moniteur du a 1 octobre 1 793.
(3) Ce même jour on guillotinait la reine Marie- Antoinette à Paris.
(4) Tustet, Tableau des événements, etc.
410 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
La vérité est certainement entre ces deux appréciations.
Les hommes de la Gironde avaient tout à redouter de la
présence des conventionnels, et ils durent se tenir à Técart
le i6 octobre; mais la masse de la population, que ne
pouvaient diriger les mêmes craintes et qui voyait dans
Ysabeau et ses collègues la personnification de Tabondance
et la cessation des maux de la disette, la masse de la
population, disons-nous, les accueillit avec une satisfaction
à laquelle les intrigues des meneurs surent donner l'appa-
rence d'une fête et d'une manifestation de la joie publique.
Précédés et suivis d'une armée révolutionnaire de
3,000 hommes, sous le commandement des généraux
Brune et Janet, le premier ami et le deuxième neveu de
Danton, les conventionnels, impassibles et calmes en
apparence, s'avançaient au milieu de la foule du peuple
dans des calèches découvertes. Ils avaient revêtu pour la
circonstance leur costume traditionnel.
L'artillerie et deux pièces de canon ouvraient la marche;
puis venaient les voitures, autour desquelles caracolaient
des aides de camp chargés d'en assurer la libre circulation.
L'air retentissait des cris de Vtpe la Nation! Vive la
République! Vivent les Représentants ! Vive Marat! Vive
la Sainte-Montagne! et des hommes coiffés de bonnets
rouges chantaient l'hymne des Marseillais, comme on disait
alors. Les chants étaient interrompus de temps à autre par
les cris sinistres : A bas les Girondins !
C'était un spectacle curieux et qui a laissé de profonds
souvenirs parmi ceux qui en furent les témoins désintéressés.
A la suite des représentants, on remarquait leur secré-
taire, Peyrend d'Herval, commissaire des guerres, ancien
secrétaire de Couthon. On le disait chargé d'épier leurs
actes et leurs démarches pour le compte du Comité de
salut public. C'était un homme dangereux et méchant, et
qui profita de sa position et de son influence pour se venger
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4I I
Cruellement des mauvais traitements qu^on lui avait fait
éprouver à Bordeaux deux mois auparavant ^^K
Les commissaires de la Convention descendirent au
Grand - Séminaire <*\ où leurs appartements avaient été
préparés et où une partie de Tarmée révolutionnaire
s'installa avec eux. La ville de Bordeaux, définitivement
soumise, allait subir le joug de la Montagne.
Disons ici quelques mots des proconsuls qui avaient été
chargés de réduire cette ville.
Chaudron- Roussau, avocat à Tépoque de la Révolution,
en embrassa la cause avec enthousiasme et devint procureur
syndic du district de Bourbonne-les-Bains. Il avait été élu
en septembre 1791 député de la Haute-Marne à TAssemblée
législative, où il siégea au côté gauche, et fut nommé après
la journée du 10 août membre de la Convention nationale.
Il y vota la mort de Louis XVI et reçut de nombreuses
missions dans les départements. Il fut sous TEmpire
inspecteur des forêts à Bourbonne-Ies-Bains.
Baudot était médecin à Charolles en 178g. Il avait été
envoyé comme suppléant à la Législative et plus tard
comme député à la Convention par le département de
Saône-et-Loire. C'était un caractère énergique et emporté.
Après avoir demandé un décret d'accusation contre Dillon,
Maury, Courvoisier et Choiseul-Gouffier, il vota la mort de
Louis XVI, fit décréter que les cloches seraient converties en
canons, et fiit envoyé en mission dans le midi de la France.
Ysabeau était un ancien oratorien; il avait, selon une
expression bien connue, jeté le froc aux orties, et ses
concitoyens d'Indre-et-Loire l'avaient nommé député à
la Convention nationale, où il vota la mort de Louis XVI.
C'était un homme instruit, mais insouciant et occupé des
plaisirs de la table.
(i) V. livre II, chap. iv.
(3) Hôtel actuel des Monnaies, rue du Palais-Gai lien.
412 HISTOIRE DE L\ TERREUR A BORDEAUX.
Tallien, le plus jeune des quatre commissaires, avait une
personnalité plus tranchée; fils du portier d'un grand
seigneur auquel il avait dû son éducation, il fut successive-
ment homme d'affaires du marquis de Bercy, clerc de
procureur, employé dans les bureaux de commerce et de
finance, copiste du député Brostaret durant TAssemblée
constituante, et enfin prote dans les ateliers du Moniteur,
En 1 79 1 , il créa sans succès Y Ami des Citoyens, et devînt
secrétaire général de la Commune de Paris le lo août. Il
commença dès lors à jouer un rôle plus considérable et fut
accusé d^avoir participé aux massacres de septembre. Élu
député de Seine-et-Oise à la Convention nationale, il vota
la mort de Louis XVI et reçut ensuite des missions dans
les départements.
Tels étaient les hommes qui, singeant l'entrée de Mont-
morency à Bordeaux, venaient de prendre possession de
cette ville au nom de la Convention.
Dès le lendemain de leur arrivée, les représentants
descendirent (') au Comité de surveillance, où ils furent
accueillis avec uti enthousiasme inexprimable. Le président
Rideau leur fit connaître dans un langage ému les senti-
ments dont étaient pénétrés pour eux les cœurs de tous les
membres du Comité. Les représentants remercièrent en
quelques mots, déclarant quHls étaient venus à Bordeaux
pour s'occuper du bonheur du peuple et qu'ils y consacre-
raient toutes leurs veilles.
Du Comité de surveillance, les représentants se rendirent
au Club national. Les membres s'étaient réunis dans le
local ordinaire de leurs séances à l'église Saint- Projet,
et le président venait d'annoncer que la Société allait se
transporter à l'ancien musée, lorsque Tallien, Ysabeau,
Baudot et Chaudron - Roussau arrivèrent, escortés du
(i) Les bureaux du Comité de surveillance étaient au Grand-Séminaire,
où demeuraient les conventionnels.
LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4l3
général Brune, de Peyrend d'Herval et d^un détachement
de Tarmée révolutionnaire.
Les représentants se mirent en tête de la Société et
rinstallèrent dans le local où avaient longtemps siégé les
Amis de la Liberté et de V Égalité.
De nombreux discours furent prononcés dans cette
circonstance. Tallien, notamment, exalta le patriotisme du
Club national; il rengagea à continuer sa glorieuse mission :
€ Les sans-culottes, désormais, ne doivent rien craindre,
dit-il, car la représentation nationale et la guillotine sont
là pour venger les outrages par lesquels on essaierait de
les ralentir dans leur marche vers le sommet où ils doivent
s'élever (''.}>
Cette installation fut suivie de fraternelles agapes avec
les Montagnards bordelais.
Le soir de ce jour, le théâtre de la République, ci-devant
Molière, recevait la visite d'Ysabeau et de Tallien. On
jouait la Plantation de Varbre de la liberté, pièce
patriotique.
Une afflueuce considérable de citoyens, attirés par la
présence des conventionnels, remplissait la salle. Des cris
et des bravos éclataient à chaque instant à leur adresse et
troublaient la représentation.
Tallien se leva : ce Gardez vos applaudissements, citoyens,
s'écria-t-il; quand nous aurons fini notre mission, quand
Tordre et la tranquillité seront rétablis dans votre ville,
alors vous nous témoignerez votre allégresse par le bonheur
dont vous jouirez; mais souvenez- vous bien que nous ne
sommes ici que de simples citoyens comme vous. >
Ces paroles calmèrent l'enthousiasme populaire, et la
représentation put continuer tranquillement.
L'hymne des Marseillais termina le spectacle, mais il
(i) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux.
414 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
y eut une correction faite à Tun des couplets par un
capitaine de Tarmée révolutionnaire. Quand Taaeur chanta :
Français, en guerriers magnanimes^
Portez ou retenez vos coups!
Épargnez ces tristes victimes,
A regret s'armant contre vous
— Non, non, s'écria le capitaine en interrompant le
chanteur...
Le silence se fit, tous les regards cherchèrent Tinter-
rupteur, on écouta :
— Nous ne voulons épargner personne, continua-t-il;
guerre à mort aux despotes, aux aristocrates, aux
fédéralistes, guerre à mort I Le couplet n'est plus à Tordre
du jour
Ces mots horribles furent accueillis par des applaudis-
sements, et un cri général de guerre à mort retentit dans
toute la salle.
Guerre à mort !xtl était le cri formidable du moment...
La ville de Bordeaux était réduite ; il restait à y organiser
la Terreur. Ysabeau et Tallien s'en occupèrent sans délai,
et le génie de la destruction et de la mort ne tarda pas à
planer sur cette ville en deuil !
Nous allons, le cœur serré, raconter, avec l'impartialité
de Thistorien, les funèbres hécatombes de Tan II de la
République dans la patrie des Girondins.
Selon la parole de M. Louis Blanc, a c'est un récit
lamentable à jamais que celui que nous allons aborder ^^K 3
(0 Histoire de la Résolution française, t. IV, chap. ly : les Proconsuls.
FIN DU I«r VOLUME.
» t »^ ^ -> t »-» t < " * ^ >t* 4 ^ '^ >| » 4»4 ^-» t » 4 ^ ^^ '' t *' 4^ ''' t *' 4 ** t *' 't *' 4 * "*^ '' i '
APPENDICE
NOTE I, p. i8.
USTE DES QJJ A TRE- VINGT-DIX ÉLECTEURS.
MM.
Alphonse père.
André.
fiattanchon.
Bazanac père.
Béchade père.
Bergeret.
Bernadau-Lamarche.
Bolle.
Borel.
Boudin.
Bourdier.
Broca.
Brochon père.
Campaignac.
Carie père.
Cazejus.
Chaigneau-Joffret.
Chandru.
Chicard.
Chicou- Bourbon .
Cornet.
Constant.
Crozilhac.
Dambielle père.
Descats père.
Desèze.
Darmagnac.
Détan aîné.
Dubreuil.
Du four.
MM.
Duranteau père.
Duthil père.
Fabre,
Fadeville.
Fauché aîné.
Faurie père.
Feuilherade.
Fléché.
Fourcade.
Four nier.
Fourraignan.
Gachet-Delisle.
Ganucheau.
Gassies.
Gaube.
Gauvry père.
Gerbier.
Gibaudau.
Gibert.
G radis.
Journu.
Laclaverie.
Laclotte père.
Lafargue.
Lafargue aîné.
Lafon.
Lagarde.
Lapeyre.
Laporte.
Larré.
MM.
Latuillière.
Latus.
Légé.
Lemesle.
Lévéque.
Leydet.
Manville.
Marion.
Mercier.
Monnerie.
Moulina.
Nairac.
Plantevignes père.
Rabeau.
Rabaud.
Ravesies fils aîné.
Reveillet.
Roger.
Roullet.
Roussillon.
Royer.
Sabrier.
Sandre.
Séjourné aîné.
Séjourné jeune.
Sers père.
Soulignac père.
Tarteyron (J.).
Trapé.
Villotte.
41 6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
NOTE II, p. 23.
ARRÊTÉ
det
QUATRE- VINGT- DIX ^ECTBURS DB LA YILLB DB BORDEAUX.
Les électeurs des communes de Bordeaux, honorés de la confiance
de leurs concitoyens, ont cru ne pouvoir mieux répondre jusqu'à ce
jour, qu'en prenant toutes les mesures que leur prudence a pu leur
suggérer, pour prévenir les troubles et les désordres qui sont trop
souvent la suite des premiers mouvements, lors même qu'ils n'ont
pour objet que le bien général et l'intérêt de la cause commune.
C'est dans les mêmes vues qu'ils se sont occupés de ce qui pourrait
à l'avenir porter atteinte à la tranquillité publique, et qu'ils ont
délibéré et arrêté ce qui suit :
i^ Tous les citoyens sont invités à' continuer de vaquer aux
occupations ordinaires de leur état.
2» Tous les ouvriers, compagnons ou autres, sont avertis de
rentrer dans leurs ateliers respectifs, de s'occuper de leurs travaux
et d'éviter tout attroupement. Les maîtres sont invités de veiller
à ce que les ouvriers ^e tiennent dans Tordre prescrit par les
règlements de police.
3» Tout citoyen doit s'interdire d'appliquer aucun placard injurieux
ou séditieux, à peine d'être réputé perturbateur de l'ordre public.
49 Tous les piquets, détachements ou compagnies des troupes
patriotiques de Bordeaux, sont invités à enlever les placards de ce
genre qu'ils pourraient trouver, et ils dénonceront les coupables qui
seraient surpris en flagrant délit.
50 Personne ne se permettra d'insulter aucun citoyen, habitant,
étranger ou voyageur, ni de porter atteinte à la liberté individuelle.
Fait et arrêté dans l'assemblée des 90 électeurs des communes de
Bordeaux, le 23 juillet 1789.
ViLLOTTE, président;
Lagarde, secrétaire.
(Bibl. de Bord., n« 26005, A2.)
NOTE III. p. 27.
Je profite d'un courrier extraordmaire pour vous donner de nos
nouvelles. Ce courrier est envoyé par tous les bons citoyens pour
porter à l'Assemblée nationale une adresse contre un arrêt rendu
APPENDICE. 417
par la Chambre des vacations. Dans cet arrêt qu^ont occasionné les
troubles de la province, troubles au reste qui ne subsistent plus, on
se permet d'avancer que nos représentants n'ont jusqu'à présent
fait que des maux quil serait difficile d'énumérer. Il n'y a eu qu'un
cri contre cette coupable irrévérence. Nous espérons que l'Assemblée
nationale en fera justice.
Déjà notre fougueuse jeunesse, au café de M. Saige, a brûlé
publiquement cet arrêt incendiaire et a lu sa sentence en plein
spectacle.
(Lettre de M. Charles G£raud (1) à M. Terrier, médecin.)
NOTE IV, p. ag.
Robespierre faisait un jour l'éloge d*un nommé Desfieux, homme
noté pour son improbité et qu'il a sacrifié dans la suite. « Mais
votre Desfieux, lui dis-je, est connu pour un coquin. — N'importe :
c'est un bon patriote. — Mais c'est un banqueroutier frauduleux.
— C'est un bon patriote. — Mais c'est un voleur. — C'est un bon
patrio.e. • Je n'en pus arracher que ces trois paroles.
(Meillan, représentant du peuple, député par le département des
Basses-Pyrénées. Compte-rendu, germinal an 111.)
NOTE V, p. 34.
Notre fédération s'est faite le 17 de ce mois Que cette
cérémonie était auguste 1 Le Jardin public est totalement changé.
En conservant les allées de côté et le bois qui est dans le fond, en
comblant le bain qui était au milieu, en faisant disparaître toutes
ces plates-bandes, on a fait un champ-de-mars immense. C'est au
milieu qu'on avait élevé un autel à la patrie et c'est là qu'on a juré
au Dieu régénérateur de l'empire français de s'aimer, de se secourir
et de défendre la Constitution. Le silence le plus profond, malgré
l'immensité du peuple, régnait au moment du serment, et chacun
était profondément pénétre d'un respect religieux.
(Ch. GérauDi Lettre à son fils Edmond, du 19 juin 1790.)
(i) Nous devons à M""* Jardel-Laroque la communication de l'intéressante
correspondance de M. Géraud, son père. Nous lui en exprimons toute notre
reconnaissance.
T. 1. 27
41 8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
NOTE VI. p. 38.
A la requête de Monsieur Emmanuel-Céleste-Augustin de Durfort,
chevalier de Tordre militaire de Saint-Louis, maréchal des camps et
armées du Roi, demeurant à Bordeaux sur le grand cours de Touruy,
paroisse de Saint-Dominique,
Soit déclaré à Monsieur Taccusateur public établi près le tribunal
du district de Bordeaux,
Que le greffier vient de faire lecture à mondit sieur requérant
d*un jugement, en date de ce jour, par lequel il a été déclaré que le
tribunal, attendu ce qui résulte du décret de TAssemblée nationale
du i5 de ce mois, ne peut continuer la procédure commencée contre
mondit sieur requérant, et a ordonné que les portes de la prison lui
seront ouvertes.
Mondit sieur requérant déclare que plein des sentiments patrio-
tiques qui l'ont toujours animé, fier d^avoir pu, dans des circonstances
critiques, être de quelque utilité à la ville de Bordeaux, toujours
chère à sa famille, il ne saurait envisager qu'avec peine, l'application
qu'on veut lui faire d'une loi d'indulgence, que les circonstances ont
pu rendre nécessaire à ceux qui ont eu le malheur de s'égarer.
En conséquence, mondit sieur requérant déclare que quoiqu'il
ait lieu de penser que la lecture faite publiquement ce matin de la
procédure commencée contre lui, a dû annoncer à tout le public
qu'il n'y a aucune charge qui puisse le faire présumer coupable, il
ne va sortir des prisons, avant que sa justification ait été prononcée
d'une manière légale, que parce que l'autorité publique l'a com-
mandé. Mais qu'il proteste formellement d'établir son innocence
par tous les moyens que les lois laisseront à sa disposition, et qu'il
ne jouira d'aucune tranquillité jusqu'à ce qu'il ait prouvé à tous les
honnêtes citoyens qu'il n'avait pas mérité les soupçons et les
outrages que la calomnie a accumulés sur sa tête, dont acte.
Signé : Durfort.
Signifié le 21 septembre 1791 l'acte ci-dessus à Monsieur l'accusa-
teur public près le tribunal du district de Bordeaux, aux fins qu'il ne
l'ignore. Fait..., etc. Signé : Valance, huissier.
(Plaquette de 2 p. sans 1. ni d.)
NOTE VII, p. 43.
Circulaire de la Commune de Paris du 2';^ septembre.
Frères et amis, un affreux complot, tramé par la cour, pour
égorger tous les patriotes de l'empire français, complot dans
APPENDICE. 419
lequel un grand nombre de membres de l'Assemblée nationale sont
compromis, ayant réduit, le 9 du mois dernier, la commune de
Paris à la cruelle nécessité de se servir de la puissance du peuple
pour sauver la nation, elle n'a rien négligé pour bien mériter de la
patrie. Après les témoignages que l'Assemblée nationale venait de
lui donner elle-même, eût-on pensé que dès lors de nouveaux
complots se tramaient dans le silence, et qu'ils éclataient dans le
moment même où l'Assemblée nationale, oubliant qu'elle venait
de déclarer que la commune de Paris avait sauvé la patrie, s'empres*
sait de la destituer, pour prix de son brûlant civisme? A cette
nouvelle, les clameurs publiques élevées de toutes parts ont fait
sentir à l'Assemblée nationale la nécessité urgente de s'unir au
peuple, et de rendre à la commune, par le rapport du décret de
destitution, les pouvoirs dont elle l'avait investie.
Fière de jouir de toute la plénitude de la confiance nationale,
qu'elle s'efforcera de mériter de plus en plus ; placée au foyer de
toutes les conspirations, et déterminée à périr pour le salut public,
elle ne se glorifiera d'avoir rempli pleinement son devoir, que
lorsqu'elle aura obtenu votre approbation, qui est l'objet de tous
ses vœux, et dont elle ne sera certaine qu'après que tous les dépar-
tements auront sanctionné ses mesures pour le salut public; et
professant les principes de la plus parfaite égalité, n'ambitionnant
d'autre privilège que celui de se présenter la première à la brèche,
elle s'empressera de se soumettre au niveau de la commune la
moins nombreuse de l'empire, dès qu'il n'y aura plus rien à
redouter.
Prévenue que des hordes barbares s'avancent contre elle, la
commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départe-
ments qu'une partie des conspirateurs féroces, détenus dans les
prisons, a été mise à mort par le peuple, actes de justice qui lui
ont paru indispensables pour retenir par la terreur les légions de
traîtres renfermés dans ses murs, au moment où il allait marcher à
l'ennemi, et sans doute la nation, après la longue suite de trahisons
qui Va conduite sur les bords de Vabtme, s'empressera d'adopter ce
moyen si utile et si nécessaire-, et tous les Français se diront, comme
les Parisiens : Nous marchons à l'ennemi, et nous ne laissons pas
derrière nous des brigands pour égorger nos femmes. et nos enfants.
Signé : Duplain, Panis, Sergent, Lenfant, Marat, Lefort,
JouRDEUiL, administrateurs du Comité de salut
public constitué à la mairie.
420
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
NOTE VIII, p. 43.
DÉPARTEMENT DE LA GIRONDE.
Assemblée électorale tenue à Libourne en exécution de la loi du
j 2] août I7g2, pour la nomination des députés à la Convention
nationale.
LISTE DES ÉLECTEURS DU DÉPARTEMENT.
DISTRICT DB BORDEAUX.
Bordeaux,
MM.
Bradshaw.
Philippe Thierriot.
Louis Brisson.
Boyer neveu.
Cheyrau.
Louis Lartigue.
O'Quin.
Greffier.
Marc Daguzan, curé de Saint-Louis.
Jean-Baptiste Dubos.
Paul Duret fils.
Jean Mandron fils.
Jean Monville.
Jacques Lamarque.
Christophe Gernon.
Boyer-Fonfrède aîné.
Jean Gré aîné.
Antoine Jacques Guibaut.
Izaac Merzeau.
Augustin Bellot.
Jean Grangeneuve jeune.
Jean Charrier oncle.
Marc-Antoine Mazois.
Gabriel Feuilherade.
Louis-Charles Géraud.
Louis Alphonse.
Georges-Guillaume Boue aîné.
Pierre Breton.
Antoine Bonus.
Moyse Sabrier aîné.
Henry Perrens.
Jacques Duranthon.
Jean- Baptiste Ducos père.
Jean-Baptiste Lapeyre.
MM.
Isaac Tarteyron.
Claude Béchade.
Pierre Drignac.
Thomas Langoiran, vie. métrop.
Jean Ducuron.
Louis-Antoine Boiteau aîné.
Jacques Bellamy.
J.-B. Lacombe, instituteur.
Jean-Gabriel Lalanne.
G. Perrin, juge du tribunal civil.
Benoît Boulan.
François Nauté.
Louis Azéma.
Jean Gardera.
Jacques-Antoine Lagasse.
Noël Laujacq.
André Battut.
Jean Fourcade jeune.
Jean-Henry Samoulllan.
Joseph Béraud.
George- Frédéric Emmerth.
François-Marie- Alexandre Labrouste
Pietre-Louis Ducournau,
Pierre Broûillaud.
Antoine Broc fils.
Jean Montrau aîné.
Pierre Lavau-Gayon fils.
Pierre-François Darvoy père.
Louis Chamontain.
François Lefèvre.
Arnaud Massé.
Joseph Pujol.
Jean Dufau.
Bruno-Gabriel-Edouard Marandon.
Jean-Baptiste Lartigue.
APPENDICE.
421
MM.
Jean-François Vcrnhes.
Jean-Pierre Bardon.
Ma nasses Azevedo aîné.
Lopès-Dubec.
Jean-Baptiste Nairac.
Jacques-Paul-Fronton Duplantier.
Abraham Furtado.
Jean Lafon.
Abraham Carvallo.
Pierre Gautier.
Jean Gauvry.
Pierre Dierz aîné.
François Girard.
Charles Biberon.
Jean- David Rozet.
Jean-Jacques Rabaud.
Gratien-Lalande, curé de St-Michel.
Philippe Mauriac.
Jean- Alexandre Béchaud.
Jean Laporte.
Jean-Baptiste Itey-Peyrounin.
Jean Thiac.
Jean Berniard aîné.
Jean Delas.
Pierre Poitevin cadet.
Odon Satire- Léri s.
Charles Bigney.
Section de La Bastide.
Pierre-Paul Rivière.
Bobin, greffier.
Jean Fourteau, maire de Bouilhac.
Elles Dumas, maire de Carignan.
Pierre Favareille Placial, maire de
Cenon La Bastide.
Jean Graves^ citoyen de Florac.
Jean Rieu, citoyen de Bouillac.
Section de Bègles.
Pierre Brun aîné.
Arnaud Destriblet.
Raba, Taméricain. •
Jean Sagelet.
Section du Bouscat.
Pierre Perey.
Jean Bert.
Claude Liautau.
MM.
Jean David.
Jean Lacou.
Section de Lormont.
Mathurin Musset cadet.
Antoine Béraud.
Pierre Tilhard-Pontgaudin.
Pierre Toussaint Ferrand aîné.
Jean-Baptiste Riortier.
Pierre Jamain fils.
Giraud Lassègue.
Jacques Barbiou.
Canton d*Ambarès.
Martin Barre aîné.
Charles Princeteau.
Arnaud Barre jeune.
Gabriel Bjrnatet.
Maillac.
Pierre Coussicot^
Dominique Lazalde.
Canton de Belin.
Michel Giraudeau.
Etienne Bedouret.
Pierre Dupuch-Lapointe.
Jean Cazeau.
Pierre Cazauvieilh-Petiton.
Jérôme Baillet.
Joseph Cls}rssac jeune.
Fort Lanuc fils.
Canton de Blanquefort.
Jacques Rondeau.
Mathieu Miqueau.
Jean Bonnard.
Maurice Jantet.
Pierre Dussaut.
Jacques Eymet.
Pierre Lanau.
Jean-Antoine Dardan.
Jean-Thomas Bahr.
Jacques-Louis-Alezis Godard.
Michel Lacaussade.
Jean Maison no ve.
Canton de Castelnau,
Pierre Roux«
Paul-Marie-Catherine Duval.
422
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM. I
Fitinçois Paillou, curé de Casteinau.
François Lalinde.
Jean Barre.
Jacques Verrière.
Pierre Gastaut.
Raimond Bacquey.
Canton de La Teste-de-Buch.
Etienne Turpin.
Pierre Cravey, maire.
Gérard Dergonds jeune.
Jean Nouaux aîné.
Nicolas Cravey fils.
Jean Fleury fils aîné.
Raimond Bordillé.
Jean Mandain.
Caupos.
Antoine Glangé.
Pierre Hazera.
Canton de Macau.
Ignace-Alexandre Guillotin.
Audigey.
Cartau fils.
Mathias Dougey.
Lemoine fils.
Margaux.
Jean Déjean.
Mathieu Marcou.
Zacharie Gaudal.
François Gondet.
Jean Monpontet.
Pierre-Bernard Paluchau.
Canton de Pessac.
Pierre Marchand.
Jean Bernon jeune.
Jacob Vernes.
Elies Nairac.
François Bernon, curé.
Jean Dutasta.
MM.
Jean-Conrad Schalch.
Antoine Merle.
Adrien Dubois-Martin.
Canton de Pompignac,
Daniel Bertin.
Jean Guillon.
Pierre Roussi lion.
Jean Laporte.
Pierre Vinatier.
Pierre Rives.
Canton de Quinsac.
Jean Dupuch.
Raymond Bourdieu.
Pierre Castaignet.
George Simon.
Léonard Beyron aîné.
Beyon jeune.
Pierre Ribeyrote.
Jean Gayon.
Jean Gendreau.
François Ribeyrote.
Guillaume Ganet.
Canton de Saint-Loubès,
Laurent Rousseau.
Mathieu Bequey.
Pierre Baptiste père.
Louis Armenaut cadet.
Jean Croiset aîné.
Guillaume Rivière.
Canton de Saint Médard d'Eyrans.
Jean Gassiot fils«
Mathurin Laconfourque.
Etienne-Michel Pasquier, professeur
Philippe Trigant.
Jean Giraudeau.
Guillaume Lestournière.
Antoine Darlan.
Jean Rouqueys.
DISTRICT DB LIBOURNB.
Liboume,
Jean Fontémoing cadet.
Jean Badin,
Bertrand Roy.
Ardouin Tranchère.
Charles Lulé-Déjardin.
APPENDICE.
423
MM.
Jean Chauvin fils.
Lacaze fils aîné, administrateur.
Pisson, maire de Libourne.
Bertrand Raimond.
Jean Salvané.
Antoine Machureau.
Jfian Chiron.
Léonard Vacher.
Jean Bossuet.
Pierre- Marc Boisset.
Jean Plantey.
Paul Du fou.
Pierre Rabeaud.
Pierre Moulinet.
Pierre Brunet.
Bvannes.
Rose Lamousuerie.
Jacques Gaussens.
Jean-Louis Villatte.
Guillaume Ichon.
Jean Eyquard.
François Eyquard.
Félix Montouroy.
Joseph Guiraude.
Biaise Gauthier.
Favereau-Gasneau.
Jean Reynaud.
Vital Merlet.
Jean Robin.
Castillon.
Jean-Jacques Lavaich.
Pierre Biot.
Jean- Jacques Roy.
Jean Héricé.
Pierre-Benoît Penaud.
Jean Maureau.
Jean Duvillé.
Pierre Dupuy.
FoUardeau.
Pierre Dihars. '
Mathieu Lavignac.
Pierre Barreyre.
Pierre Chalon.
Pierre Thibaut.
Coutras.
MM.
Chaperon.
Deluze- La place.
Deluze-Létang.
Gérard Dabzac.
Samson Gabriel Bonnin.
Pierre Barrau-Létang.
Jean AUard.
François Veillon.
Trigant Duchalaure.
Emeric Richon.
Bernard Coste.
Jean Perrier.
Antoine Riveraud.
Fronsac,
Charles Ducasse.
Baptiste Crugneau.
Jean Gossain aîné.
Jean Puchaud.
Jean Clémanceau.
Pierre Gaspard jeune.
Pierre Guérin jeune.
Philippe Marthieu.
Jean-Baptiste Guérin aîné.
Jean Latour-Dumoulin.
Etienne Chaumet.
Pierre Bonnet.
Jean Tonnelier.
Jean Faure.
Bertrand Surin.
Jean Bernière.
Galgon.
Jean Dublaix.
Jean Levier.
Arnaud Largetau.
Bertrand Bourricaud cadet.
Jean Grugier, maire.
Louis Morange-Blouin.
Arnaud Dureau.
Alexis Crespin, curé.
François Bonneval, curé.
Gabriel Moure.
Thomas Dupas.
Pierre Guillorit.
Etienne Desages.
Jean Morange.
1
424
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Gensac.
MM.
Lajaunie-Lapeyre.
Jean Dumas aîné.
Jean Dumas jeune,
Sudre.
Jean Icard, juge de paix.
Fouignet-Verboule.
Jean-Pierre Taupier.
Pierre Lapouyade.
André Labarde.
Pierre Fourcaud.
Jean Durège, de Pessac, curé de
Saint-Louis.
Guttres.
Jean- Alexandre Ducourech.
Barthélémy Laval.
Pierre Loiseau.
Jean Masson.
Etienne Maurice.
Jean-Baptiste Alezais.
Jean Jay.
Pierre Richon.
Jean-Mathurin Richon.
Lussac,
Pierre Deymène.
Pierre-Bertrand Lapolan.
Pierre Chambrière.
Jean Gardelle.
Jean Queyreau.
Pierre Rousseau.
Jean Breton.
Jean Courret.
Jean-Simon Moreau.
Puynormand.
Guillaume Pauillac.
Jean Vieillefont,
Jean Ducii on cadet.
Jean Dussandier-Devergne.
Jean Virol-Larrest.
Pierre Deseymeris.
Jean-Simon Lacombe-Puygueraud.
Ptqols,
Jean Antoine.
Jean Espert.
MM.
Jérôme Ducarpe, juge de paix.
Mathieu Vincens.
Jean Ducarpe
Pierre Chevrière.
Pierre Goursiès.
Pierre Hugois.
Bertrand Faugerolles, maire.
Jean Dupuy, notaire.
Philippe Platon, commandant.
Jean Dubos-Ducorros, cultivateur.
Jacques Savariaud aîné, artiste*
Pierre Drillole, juge de paix.
Saint'Émiîioru
Guillaume Musset fils.
Pierre Barry-Bsrthomicu.
François Bouquey-Robert.
Jean Cantenat.
Elie Coste-Cory.
Pierre Duverger.
Berthomieu-Guimberteau .
Jean Petiteau.
Simon Arnaudeau.
Etienne Dubert.
Jean Guadet père.
Joseph Lavalette.
Pierre Berthomieu-Meynot, juge de
paix.
Sainte-Foy.
Jean-Pierre Sambelie.
Jacques- Michel Beylard.
Jean-Paul-François Maury.
Antoine Bertrand fils.
Pierre Thomas.
Guillaume Gourgueil.
Etienne Jauge-Baby.
Louis Lagarde.
Jouhanneau.
Simon Meymac.
Pierre Jay-Delille. •
Jean Pauvert-Guillebau.
Jacques Lacoudré.
Pierre Micheau.
Louis Durége-Beaulieu.
Jean Gorin-Lacabane.
APPENDICE.
425
MM.
Jean Favereau.
Mathias Ri voire.
Vayres,
Louis Bret.
Jean Pausat.
Antoine Lauzier.
Antoine Cieux, juge de paix.
MM,
Jean Laforest.
Pierre Castaing.
Guillaume Brandeau fils.
Bertrand Transon, président de la
Commission.
Pierre Lassime.
Dulandrier.
André Rouchon, maire.
DISTRICT DE BAZA8.
Joseph DartigoUes.
Jean Brouch.
Bernard Hermand-Cadillac.
Jean Coustau.
Jean Martin.
Pierre Petges aîné.
Pierre Pau-Delagrange.
Antoine Gistèves.
Silvestre Grenier.
Raimond Lavenue.
Charles Latapîe.
Jean Labrousse.
Raimond Bayle.
Hyacintes Descornes.
Pierre Salviac aîné.
Jean Plumeau fils.
Martin Detchegoyen.
Pierre Beaulieu.
J. Arm. du Portail-Rouge.
A nias,
Pierre Cabanieulx.
Barthélémy Troussilh.
Léonard Duplan.
Jean Duplan.
Jean Bastrate.
Auros.
Pierre Partarrieu-Lafosse.
Jean Mothes.
Jean Lassus fils.
Pierre Dussaux.
Captieux,
Antoine Tauziède.
Annet Tauzin*
Jean Bime.
Dominique Dartiailh.
Arnaud Callen.
Raimond Lapeyre.
Guillaume Boas, curé.
Crignols.
Etienne Vigneaux fils.
François Dubalin aîné.
Jean Dutilh.
Thomas Charrier jeune.
Bernard Beziade.
Guillaume Ripes.
Langon.
Nicolas Brethon fils aîné.
Pierre Capdeville.
Pierre Labat.
Jean Périguey.
Jacques Pierret.
Antoine Becquet.
Jean Lafargue jeune.
André Lafargue aîné, de Toulène.
Pierre Saint-Blancard.
Noaillan.
Jean Dumey.
François Duprat.
Jean Dubourdieu.
Joseph Bousquet.
Bernard Fontans.
Jean Dubernet fils.
Jean Descazaux.
Michel Dartigoles.
Préchac.
Jean Viamouret.
Jean Audinet.
426
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM.
Pierre Dussillot.
Pierre Caubit.
Berthélemy Lalanne.
Etienne Marti n-Travet.
Arnaud Calin.
François Caubit.
George Espagnet fils.
Saint-Symphorien.
MM.
Jean Martin aîné.
Pierre Marti n-Peti ton.
Jean Caubit.
Etienne Martin-Travct.
Jean Martin jeune.
Arnaud Duprat aîné.
DISTRICT DE LA EEOLE.
La Réoïe,
Constantin Faucher.
Augustin Albert.
Etienne Antony.
Michel Cournau.
Simon Perpezat.
Biaise Andrieu.
César Faucher.
André Montaugey.
André Melon, curé.
Antoine Rambaud.
Joseph Couci.
Jean Guitet.
Jean Bordeneuve.
Antoine Balias.
Jean Durand-Lavison fils.
Dominique Barrère, instituteur.
Jean Bertrand.
Jean Ducros-Ézemar.
Bla^çimont
Jean Faurie, notaire.
Jean Ardurat.
Paul Grand pré.
Michel Taulis.
François Faurie fils.
Jean Jeanty-Dutilh.
Jean Saint-Jean Laula.
Castelmoron,
Jean Rougier-Lagouraude.
Pierre Nau-Belisle.
Arnaud Richard fils aîné.
Henri Banizette.
Pierre Nau Saint-Omer.
Jacques Laroze.
Jean Cailleton.
Pierre Vergnon aîné.
Jean Barbe aîné.
Gratien Merlet.
Castets.
André Dubourg aîné.
Jacques Rasteau.
Jean Rabat.
Arnaud Dubourg.
Jean Rideau Cadet.
Antoine Jarousse.
Antoine Couthereau.
Cauderot,
Pierre Papon.
Jacques Ithier, curé.
Jean Sudreau.
Bernard Lafite.
Marc Monnereau.
Raimond Ferchaud.
Chandeau.
Lamothe-LandetTon.
Jacques-Denis Bonnet.
François Cazade.
Pierre Pouvereau fils.
Jean Husseau.
Claude Guerre.
Jean-Baptiste Bertrand.
François-Eléazar RoUe-Terrefort.
Montségur,
François Pelletan, instituteur.
Mathurin Robert jeune.
Jean-Jacques Ramon fils aîné.
Jean Pépin.
Antoine Berthouneau père.
Jean-Pierre Labatut jeune.
APPENDICE.
427
MM.
Arnaud-François Grenier.
Jean-Baptiste Dupuy.
Jean Bouilhac, notaire.
Pierre Jousseaume.
Pierre Ithier-Tillot
Urbain Beausoleil.
Raimond Ilaret.
Pellegrue,
Jean-François Bonnac, juge de paix.
Pierre Bonnac.
Jacques Pacquier.
Pierre Trachère.
MM.
Jean Bonnac
Vivien Ruffe.
Guy Dutauzia.
Jean Bouleytier.
Jean Durand.
Sittiveterre,
Jean SérafTon jeune.
Jean Séraffon aîné.
Jean Balan-Degoutz.
Pierre Billon fils aîné.
Bertrand Cholet, notaire.
François Jourdan.
DISTRICT DE CADILLAC.
CadiUae.
Pierre Gauteyron-Libéral.
Jean-Laurent Fonvieilhe, curé.
Isaac Laspeyrère.
Jean-Baptiste Lacoste.
Jean Boutet.
Noël Redeuilh.
Jean Laville.
Raimond Celse-Dupouy.
François Avy.
Raimond Duvigneau.
Jean-Élie Thibaut.
Jean Lamy-Ferier.
Arbis*
Charles Dézarnaud,
Jean Béchade,
Jean Collas.
Jean-Baptiste Serisier.
Alexandre Barbier,
Pierre Couycault,
Jean Zacharie Râteau.
Jean Desvignes.
Barsac,
Jean Capdevîlle fils aîné.
Jean Ducau.
Jean Lacoste.
Jean Bayle.
Jacques BoUe.
Bernard Ducatse.
Jean Duprada.
François Fiton.
Jacques Baudichon.
Jean Lanneluc, dit Sanson.
Guillaume-Frédéric Khune.
Pierre Pinsan.
Castres.
Alexandre Deleyre.
Gérard Minguin.
Jean Faye père.
Pierre Trenis, curé.
Pierre Balguerie.
Guillaume Soulard.
Joseph Bedouret.
Jean-Joseph Deleyre.
Antoine Modery.
Créon,
François-Thomas Rey.
Mathurin Lanoy.
Thomas Rey.
François Durand.
Pierre Probert.
Landiras.
Charles Latapy.
Pierre Saint-Blanchard.
Bertrand Dubos.
Jean Dutrénit.
François Ricaud.
Jean-Baptiste Saint-Jean Lestage.
Jean Lacoste.
428
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Langoiran,
MM.
Bernard Lameza.
Jean Roulle.
Bertrand Morin.
Jean Briol.
Élie Dumas.
Jean Foucaud.
Pierre Mandé.
François Compans. •
Pierre FayoUe.
Mathieu Martin.
Podensac,
Raphaël Ducau.
Arnaud Napsans.
Jean Beguey.
Hyacinthe Latapy, curé de Virlade.
Guillaume Fourcade.
Jean Décolle.
Saint'Macaire.
François Bergoeing aîné, maire.
MM.
Jean l^barrière cadet.
Jean Merle-Jeanty.
Louis Pujoulx-Larroque fils.
François Pontaix.
Arnaud Monnereau.
Pierre Massieu.
Jean-Jacques Grenouilleau.
Pierre Dupuy.
Pierre Remi-Castets.
Augustin Terrier.
Pierre Cato aîné.
Targon.
Pierre Dupuy, maire.
Pierre Masquin.
Pierre Labory.
Pierre Bedrenne.
Charles Desarnaud.
Jean Dusseau.
Fean Bâtai Uey.
Jean Boutet.
Jean Dulugat.
DISTRICT DE BOURG.
Bourg,
Pierre Pillot.
Joseph Gellibert.
Jean Gombaud.
Pierre Charlery, curé.
Sébastien Dupuy.
Jean Pelletan neveu.
Pierre Marcou.
Jacques-Mathias Robert jeune.
Mai tin Courpon.
Jean Grimard jeune.
Antoine Armingaud, curé.
Pierre Labat.
Jean Castanet jeune.
Blaye.
Fidel Chéry.
Bernard Binaud.
Guillaume Dufrène.
Jacques Calonval.
Louis Moreau.
Louis-Étienne Aladane.
Louis L.emaitre.
Antoine Demars.
François Gaignerot.
Nicolas Lanton.
Pierre Bernard.
Joseph Chaumont.
Jean Arnaud.
Jacques Robin.
Bernard Pauzet.
Pierre Cellon.
Jean Chaumet.
Martin Micheau.
Jean Merlet.
Cé:(ac.
François Merlet.
Julien Micheau.
Pierre Petit.
Pierre-Bertrand Ganucheau.
Pierre Grand.
Guillaume Nau.
Pierre Desgranges.
Pierre Charmois.
Pierre Regnault.
APPENDICE.
429
MM.
Arnaud Godrie.
Jean Poupelin, maire.
Étauliers,
Alain Caries.
Etienne Roux.
Bernard Desaubiès.
Pierre Roux.
Pierre Ransac.
Pierre Tesson neau.
Michel Raboutet.
Pierre Dupont.
Pierre Rabenne.
Saint' A ndré'de-Cub:(ac.
François Coureau.
Jean Milhet aîné.
Jean-François Mauvignier.
Jean-Baptiste Plumeau.
Joseph Constantin aîné.
Jean Abadie.
Louis Lesnier.
Pierre-Etienne Marcillac.
Jean Juin.
Thomas Débande.
Henri Lignac aîné.
Jean Jarry cadet.
Jacques Ménard
Luc- Alexandre liifosse.
Jean Branda.
Saint-CierS'deCanesse,
Raimond Duthil.
Etienne Roux.
Philippe Turlès
Pierre Pradet.
MM.
Léonard Sou.
Joseph Groscassan.
André Robin aîné.
Jacques Sou.
Saint-Christoly,
Pierre Duranteau.
Pierre Lamanseau.
Pierre Bernech.
Jean Guichard.
Barthélemi Faure Saint-Hubert.
Joseph Pelletan.
Jean Métayer.
Clément Coustole.
Saint'Savin.
Jean Cornu.
Jean-Gui Chaussé.
François Cavignac.
François Maynard.
Jean Donteau.
Pierre Eyraud.
Saint-Ciers-de-Lalande.
Jean Fradet, dit Cadet.
Louis Bareau.
Pierre Bertrand.
Pierre Tarijot.
Pierre Goribon.
André Chiche.
Pierre Pérodeau.
Jean Chevreu.
Pierre Thibaud.
François Pouzet.
André Lourneau.
Pierre Renaud.
DISTRICT OB LESPARRE.
Lesparre.
Louis Maugeret.
Jacques Bernard.
Germain Duperier.
Pierre Paul.
A. Lambert, de Gaillan.
Pierre Guiraud, assesseur.
Jean-Bernard Faillan.
Pierre Lussac.
Antoine Giiisneau.
Guillaume Moreau.'
Canton de Civrac.
André Figerou.
Guillaume Servant.
Gabriel Wormeselle.
Jean Berdot.
Jean Lussac.
43o
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
MM.
Jean Martinon.
Pierre Lussac.
Pierre Augeau.
Section de Lamarque.
Pierre Basiadolic.
Pierre Jeanlieu.
Pierre Eyrins.
Pascal Cheret.
Pierre Labuchelle.
Jean Cazenave.
Pierre Aney.
Canton de Pauillac.
François Mondeguerre.
Bernard Raimond Glaudon.
Pierre Mondon.
Pierre Castéja.
Gabriel Clerc.
Jean Labeyrie.
Louis Hossecorne.
Canton de Saint-Estèphe.
François Superville aîné.
Jean Lafon-Rochet.
MM.
François Compte.
Jean Figerouz.
Jean Figeroux-Larougerie.
Pierre Normandin.
Raimond Colombes.
André Delpit.
Élie Hosteins.
Martial Dupont.
Section de Saint-Laurent,
Guillaume Moulenqs,
Jean- François Cayx.
Arnaud Meynieuz.
Antoine Gautier, de Benon.
Jean Gauthier, de Saint-Laurent.
Jacques Brillon.
François Hostens fils.
Canton de Saint» Vivien.
Arnaud Guarry.
Jean Dejeans.
Nicolas Bert.
Borningue Dingirard,
Simon Bitot.
Gabriel Dulorans.
NOTE IX (A), p. 43.
Voici en quels termes Siéyès déclina Thonneur de
représenter le département de la Gironde à la Convention
nationale :
« A Beauvaîs-sur-Cher, près Tours, ce 14 septembre 17921
l'an I*r de PÉgalité.
» Messieurs,
> C'est avec bien du regret que je me vois dans rimpossibilité de
revêtir le titre honorable de votre député à la Convention nationale.
Au moment où votre dépêche m'est arrivée, le département de la
Sarthe m'avait déjà fait l'honneur de m'adresser la même mission
et je l'avais acceptée. Vous croirez facilement. Messieurs, que j'ai
ressenti jusqu'au fond de l'âme l'honneur de votre choix. Sans doute
il m'eût été doux de m'associer à une députation qui s'est déjà
acquis tant de gloire à la législature actuelle ; j'eusse été fier de me
présenter au nom de la Gironde, de ce département où les lumières
APPENDICE. 43 1
rivalisent celles de la capitale et dont Tesprit public et toutes les
vertus qui le composent lui ont mérité d'être proposé comme un
modèle au reste de la France. Toute ma vie je veux conserver le
précieux souvenir des témoignages glorieux pour moi qui ont
accompagné l'offre de votre confiance. Je la reçois et la retiens
avec bonheur, cette confiance, quoique forcé de me priver du
titre qui la proclame; car je sens que s'il fallait tout perdre, j'en
serais inconsolable. Regardez-moi donc, Messieurs, comme affilié à
votre département par tous les liens de Testime la plus respectueuse
et de Tafiection la plus tendre. Par ces sentiments du moins ainsi
que par mon zèle pour la chose publique, j'espère que vous ne me
distinguerez point de vos compatriotes et des représentants que vous
avez donnés directement à la nation.
» Agréez, je vous prie, Messieurs, l'hommage de tous ces
sentiments, de mes regrets et de ma profonde reconnaissance.
» Emm. SiÉYÈs.
» Messieurs les Électeurs du département de la Gironde, t
(Archives de la Gironde, série L.)
NOTE IX (B), p. 43.
Voici, d'après une intéressante brochure publiée
récemment par M. le pasteur Steeg, comment se
répartirent les suffrages des électeurs :
DéPUTis TITULAIEES.
Votants. Majorité. Suffrages.
1 . Vergniaud 671 336 480
2. Guadet 686 244 570
3. Gensonné 671 336 678
4. Grangeneuve 674 338 372
5. Jay (de Sainte-Foy) 646 325 418
6. AbbéSiéyès 653 327 529
7. Condorcet 576 280 520
8. Ducos fils 640 321 494
9. Barrau (de Sainte-Foy) . 645 323 487
10. Boyer-Fonfrède 633 3 1 7 408
11. Deleyre 571 286 322
12. Duplantier 5i3 258 334
Dépurés SUPPLÉANTS.
i> Lacaze fils aîné 592 297 369
2. Emmerth 582 292 394
3. Bcrthon 633 3i7 295
4. Bergoeing aîné 647 324 489
432 HISTOIRE DE LA TERREUR A BQRDEAUX.
NOTE X, p. 43.
EXTRAIT
DES REGISTRES DU CONSEIL GÉNÉRAL
du département de la Gironde,
Du 25 septembre 1793, l'an I» de la République.
SÉANCC DU SOIR,
où assistaient : Mhf. L, Joumu, président; Labrouste, Cou^ard, Perrière, Lardeau,
Monbalon, Hollier, Derancy, Pujoulx -Larroque, Peychaud, Villebois, Robert,
Duvigneau, Desbarat, Baron, administrateurs ; Rouliet, procureur général syndic.
Le Conseil général du département à ses concitoyens.
Citoyens,
La Convention nationale vient d'abolir la Royauté. Nous
proclamons ce grand événement; nous vous annonçons, dans les
vifs transports de Tamour de la Patrie et de la Liberté, que la France
n'aura plus de Rois. Le sceptre de la tyrannie est brisé, Tautorité
arbitraire d'un seul disparaît, l'autorité légitime de tous lui succède.
Le vil échafaudage du trône tombe et s'anéantit, et le peuple s'élève
dans toute sa grandeur. Français, vous remontez enfin à la dignité de
l'homme, il n'est plus de souverain pour vous que la Loi ; qu'elle
soit donc toujours à vos yeux inviolable et sacrée. La Loi est
aujourd'hui le résultat de toutes les forces et de toutes les volontés;
qu'elle obtienne donc toutes les soumissions et tous les hommages.
Français, vous voulez la République : vous en êtes dignes; mais
n'oublions jamais que ce serait peu pour nous d'avoir le Gouver-
nement des Républicains, si nous n'en avions aussi les mœurs et les
vertus; que la République est une famille, une réunion de frères;
que les hommes y sont tous égaux et tous amis; que le vrai
Républicain porte dans son âme le respect pour les personnes et
les propriétés, comme il y porte l'amour de ses enfants et de la
patrie; qu'il aime et pratique la tolérance, comme il chérit la liberté
même; car la tolérance n'est autre chose qu'un respect immuable
pour le libre usage de la pensée et du sentiment; que le Républicain
n'use jamais du droit du plus fort, parce que ce droit est odieux,
parce que la force du citoyen n'est pas dans ses passions ou dans ses
volontés, mais touie dans la Loi; qu'il ne veut que ce qu'il peut par
la Loi. Que le vrai Républicain révère l'ordre social autant que celui
de la nature, et pense qu'un individu ne peut pas plus violer la Loi
qu'il n'est en son pouvoir de changer Tordre des éléments.
Français, Peuple éclairé, Peuple courageux, c'est vous-mêmes qui
gouvernez par vos Délégués ; faites donc que votre Gouvernement
APPENDICE. 433
soit juste et paisible, c'est par là seulement qu'il peut vous honorer.
Montrez à l'Europe étonnée que, dans les plus violentes crises d'une
Révolution politique, vous n'avez pas oublié un seul instant que
l'ordre est le principe et l'âme de tout, et que la plénitude de l'ordre
est dans le respect pour la Loi.
Signé : L. Journu, président;
Pal BuHAN, secrétaire général provisoire.
NOTE] XI, p. 43.
MUNICIPALITÉ DE BORDEAUX.
Le Conseil général de la commune de Bordeaux, à ses concitoyens^
concernant la proclamation du décret de la Convention nationale,
qui abolit la royauté.
Du 25 septembre 1792, Pan quatrième de la ]«iberté,
et le i^dePÉgalité.
Citoyens, la Convention nationale a fait l'ouverture de ses séances
le 21 de ce mois, à onze heures du matin.
Citoyens, voici les premiers décrets qui émanent de sa sagesse :
PREMIER DÉCRET.
« L'Assemblée nationale déclare, i** qu'il ne peut y avoir de
Constitution, que celle]qui est acceptée par le peuple ;
]» 7.^ Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde
de la nation ;
» 3® Que jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, les lois
non abrogées seront provisoirement exécutées, que les pouvoirs
non révoqués ou non suspendus sont provisoirement maintenus, et
que les contributions publiques existantes continueront à être
perçues comme par le passé. »
SECOND DÉCRET.
«
« La Convention nationale décrète, que la Royauté est abolie en
France. »
TROISIÈME DÉCRET.
« Le procès-verbal de la séance sera envoyé aux départements et
aux armées, par des courriers extraordinaires.
» Le décret qui prononce l'abolition de la royauté, sera proclamé
T. I. 28
4*34 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
solennellement dans toutes les municipalités, le lendemain de sa
réception. »
Citoyens, venez assister à la proclamation des premiers actes de
la Convention que la souveraineté nationale vient de former, et qui
doit assurer à jamais le bonheur de la France.
Cette proclamation commencera demain, mercredi 26, à neuf
heures du matin, par une salve de neuf coups de canon, après
laquelle il sera fait une première lecture, tant du procès-verbal que
des décrets, sur la place de TArbre de la liberté, vis-à-vis la maison
commune.
Une seconde lecture se fera en la même forme sar fa place
d'Aquitaine, qui prendra dès ce moment le nom de Place de la
Convention.
Le cortège ira de là à la place du Marché-Neuf;
Puis à la place de la Liberté ;
A la première fontaine des Chartrons ;
Au Champ de Mars;
Et finalement à la place Nationale, ci-devant place Dauphine.
Citoyens, vivre libres ou mourir, liberté, égalité, soumission à la
loi.
Fait à Bordeaux, en la séance du Conseil général de la commune,
ouï et ce requérant le Procureur de la commune, le 25 septembre
1792, Tan quatrième de la Liberté, et le premier de l'Égalité.
Jaubert, officier municipal, président;
Basseterre, secrétaire-greffier.
NOTE XII, p. 128.
PÉTIT40N
pour
LA RÉOUVERTURE DES ÉGLISES.
A MM, les Administrateurs du Directoire du département
de la Gironde.
Messieurs,
Lorsque vous ordonnâtes, le 28 janvier dernier, la clôture des
églises des maisons religieuses, vous reconnûtes en même temps le
droit que nous avions d'exercer notre culte en particulier; et vous
nous permîtes d'avoir des églises particulières.
Votre arrêté garantissait que nous trouverions dans ces églises
Paix et Liberté,
APPENDICE. 435
Les citoyens qui provoquèrent par leurs pétitions la clôture des
unes, avaient eux-mêmes garanti cette inviolabilité si solennellement
promise à Tégard des autres.
Comment est-il donc arrivé que nous ayons été aussi étrangement
assaillis dans nos temples? Par quelle fatalité surtout en avons-nous
été privés, malgré le bail que la régie nationale des Domaines nous
en avait consenti soûs votre autorisation?
Il est vrai qu'en nous privant de ces trois oratoires, votre arrêté
du 27 février nous laissa le consolant espoir d'une prochaine
réintégration. Vous annonçâtes que vous alliez statuer sur les
procès- ver baux dressés à Toccasion de ces troubles, et forts de notre
innocence, nous n'avions pas à redouter les résultats de cet examen.
Il a dû vous convaincre. Messieurs, que ce n'est point à nous
qu'il faut rapporter la cause de cette insurrection criminelle : et
puisque les dispositions de votre arrêté ne furent que provisoires,
vous vous empresserez sans doute, de nous rendre une possession
à laquelle est attaché le plus impérieux comme le plus saint
des devoirs.
Combien il serait déplorable dans les jours de la solennité pascale
où nous entrons, de laisser une masse considérable de citoyens sans
temples et sans culte, sous l'empire d'une Constitution qui proclame
la liberté indéfinie de toutes les religions 1
Mais comme il pourrait y avoir de l'inconvénient ou même du
danger à se borner à Touverture de nos trois églises, nous vous
demandons, Messieurs, de vouloir bien faire ouvrir aussi toutes
celles dont votre arrêté du 28 janvier avait ordonné la clôture.
Répandues dans les divers quartiers de la ville, elles offrent à une
immensité de citoyens plus de ressources pour satisfaire aux devoirs
de leur conscience. D'ailleurs, Messieurs, en facilitant à ce grand
nombre de fidèles, qui se portaient en foule à nos trois églises, les
moyens de se diviser, vous préviendrez les désordres dont cette
afBuence a pu être l'occasion ou le prétexte.
Une semblable détermination, vous le savez, Messieurs, a rendu
le calme aux habitants de Paris. Nous avons donc lieu d'espérer, de
votre sagesse et de votre sollicitude pour la tranquillité publique,
que vous adopterez avec empressement ce moyen dicté par la raison
et justifié par Texpérience.
Nous ne craignons pas que les administrateurs qui nous entendent
soient arrêtés par le petit nombre des signataires de la présente
pétition. Comme soumissionnaires des trois églises, avoués et
reconnus par l'administration, nous avons des titres irréfragables
pour en demander l'ouverture et la paisible jouissance, et comme
invitant l'administration à rouvrir toutes les églises dans des vues
d'ordre public, nous avons pour nous, tous ceux de notre culte, dont
436
HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
les signatures, qui vous ont déjà été présentées, eussent renforcé
les nôtres, si le temps Feût permis, ou que les circonstances
l'eussent exigé.
Bordeaux, le 25 mars 1792.
Ont signé :
Jean Vacqui^,
Raymond Boyreau,
Tauzein,
Ladonne,
Albespy, homme de ht,
P. Gauvry,
GUIHBBAU,
PiTRAS,
dugravier,
Lescure,
P.-R. Chicou-Bourbon,
PUJOL,
François Duchesne,
Rambault,
Barthez fils,
Dabadie,
L. GiREAUDEAU,
Dezarnaud,
Dubreulhe,
Lamothe,
Gressier aîné,
Moreau jeune,
Lauanseau,
On lit en annotations ou à la suite :
Labarbe,
B. Lacombe,
DuFAURE de Lajartb,
ESTAMSAN,
P. Lacombe,
Bienvenu aîné,
Etquem fils,
Arnoux,
Brethous,
André Seguin,
Bazanac,
Montjon,
Joseph Laguire,
SOUBRAN,
Chicou Saint-Bris,
Latour,
Peychaud,
Lacaussade,
Gatellet, notaire,
Monreny,
Bigeau,
Gibert,
Nauville, notaire.
c Renvoyé au district de Bordeaux pour donner son avis après
avoir pris celui de la municipalité. — Délibéré en Directoire du
département de la Gironde, ouï M. le Procureur général syndic, à
Bordeaux, le 25 mars 1792.
» Signés : Lardeau et Labrouste, administrateurs, i
c Renvoyé à la municipalité pour fournir ses observations sur la
demande des pétitionnaires, locataires des églises de la Merci, Saint
Mexant et des Minimes. — Délibéré en Directoire, à Bordeaux,
le 27 mars 1792, Tan IV de la Liberté.
» Signés : Monnerie, président, et Benoit, secrétaire, 1
€ Les maire et officiers municipaux, Vu la pétition renvoyée par
le district et ouï le Procureur de la commune. Estiment que depuis
la clôture des églises qui avaient été ouvertes aux non-conformistes.
APPENDICE. 437
les circonstances qui avaient nécessité cette clôture n'ayant point
changé, il n'y a lieu de délibérer sur ladite pétition. Fait à Bordeaux,
dans la chambre du Conseil, le 28 mars, Tan IV de la Liberté.
i Signés : Saige, maire, et Basseterre, secrétaire- greffier. 1
< Vu la pétition des sieurs, etc. ;
> Les observations de la municipalité du 28 du courant;
• Considérant que les circonstances qui avaient déterminé la
clôture des églises louées provisoirement par les pétitionnaires
n'ont point changé ;
1 Que d'ailleurs la loi permet à tous prêtres, assermentés ou non,
de dire la messe dans les églises consacrées au culte salarié par la
nation, ce qui laisse aux pétitionnaires la faculté de suivre leurs
scrupules sans faire scission ;
f Qu'on doit encore attendre du civisme qu'ils ont manifesté dans
les observations imprimées qu'ils ont présentées au Directoire,
qu'ils adopteront des mesures dont dépendent la paix et la
tranquillité publique;
• Le Directoire du District, ouï M. le Procureur syndic, est d'avis
qu'il n'y a lieu de statuer sur la présente pétition.
1 Délibéré en Directoire, à Bordeaux, le 29 mars 1792, l'an IV de
la Liberté.
f Signés : Bernada, administrateur, et Benoft, secrétaire, t
NOTE XIII. p. 141^
. EXTRAIT
du
REGISTRE DES ACTES DE DÉCÈS DE L'AN 1797.
Est mort le 19 fructidor dernier (5 septembre 1797) à six heures
du soir, Pierre Pacareau, âgé de quatre-vingt-sept ans, natif de
Bordeaux, évêque métropolitain du Sud-Ouest, place Saint-André,
n*... ainsi qu'il est établi au verbal du citoyen Gaston Ferbos,
commissaire de police, d'après l'attestation des citoyens Bernard
Félix Destrade, âgé de quarante-deux ans, prêtre, curé de Saint-
Louis, rue Notre-Dame aux Chartrons, n*25, et Jacques Trémolières,
âgé de cinquante-deux ans, curé de Saint-Dominique, place Saint-
Dominique, D? I, qui ont signé audit verbal avec le dit commissaire,
qui s'est assuré du décès. Bordeaux, le 5' jour complémentaire an
cinq républicain. Signé au registre : Boulan, officier public.
(Mairie de Bordeaux, Archives de Tétat-civil.)
438 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
NOTE XIV, p. 142.
Aux Pasteurs des villes et des campagnes,
6 Novembre, Tan !•' de l'Égalité et de la République.
Reges obligati sunt, et ceciderunt; nos autem
surreximuSf et erecti sumus, (Ps. xix, st. ç.)
Les Rois ont été abattus et ils sont tombés ; mais
nous nous sommes relevés, et nous demeurerons
fermes.
Si Ton en juge par ce verset, que depuis tant de siècles vous
chantez dans nos temples, Pasteurs, les événements de ces temps
reculés ne font que se renouveler. Les rois, comme alors, sont
tombés, et les peuples se sont relevés. Mais, erecti sumus, nous
demeurons fermes, et nous devons proscrire à jamais tout ce qui
pourrait manifester un sentiment contraire.
Lx>rsque la confiance du peuple vous appela au ministère des
autels, elle devint pour vous une récompense et une leçon; Tune
vous enchaîne à la reconnaissance, Tautre vous trace vos devoirs :
le devoir et la reconnaissance vous font donc une loi de concourir,
de tous vos moyens, à Tentretien et à la propagation de l'esprit
public, au respect et au maintien des principes, du sein desquels
doivent sortir un gouvernement sage et durable, et avec lui, Tamour
et la nécessité de Tordre, la religion des lois. Vous ne pouvez
méconnaître, encore moins contrarier cet esprit public qui s'élève
aujourd'hui majestueusement sur la masse ténébreuse des préjugés,
qui en captivait l'effort. Vous ne pouvez ignorer que le vœu
national appelle hautement le gouvernement républicain sur les
débris hideux d'une monarchie usurpatrice de nos droits; que ce
monument usé de notre antique et honteuse servitude est à jamais
détruit, et que le nom de roi n'est plus, pour la France régénérée,
que l'objet d'un souvenir douloureux ou d'un songe pénible qui
avait longtemps tourmenté le sommeil de la liberté.
Cessez donc, Pasteurs, cessez de trahir, innocemment sans doute,
et nos serments et les vôtres. Nous avons tous adopté la république,
nous avons répudié les grands, aboli la royauté; cessez donc, par
de vaines oraisons, d'invoquer l'Éternel en faveur des rois. Retran-
chez surtout de votre psalmodie, cette antienne impatriotique, cette
invocation presque impie et criminelle aujourd'hui, i)omi»e^5aiDt/m
foc Regem, que le bon peuple chante encore, mais qu'il eût lui-
même arrachée de ses Heures, si par la plus choquante des contra-
dictions et la plus perfide des combinaisons, on ne l'eût contraint
jusqu'à présent de chanter machinalement en latin des mots qu'il
n'entend pas, tandis qu'il ne devrait s'entretenir avec l'Être suprême
APPENDICE. 439
que par les épanchements de son cœur, et les exprimer dans sa
langue naturelle et la plus usuelle. Notre révolution amènera pro-
bablement ces changements salutaires ; mais il est instant, et vous
le sentirez, dignes Pasteurs, d'effacer, dès à présent, dans vos rituels,
le Domine, salvumfac Regem.
Vous ne pouvez employer, dans l'exercice du culte, une formule
qui, tout à la fois, attesterait votre attachement à des formes
abhorrées ou oubliées, et semblerait entretenir dans l'esprit de vos
ouailles, des souvenirs et des intentions antipatriotiques.
Voulez-vous que l'influence de la religion sur les mœurs publiques
devienne, sous la sanction dcL la philosophie, une vérité pratique?
Rendez cette vérité respectable par son utilité, aimable par ses
effets. Ministres de l'Evangile, votre mission est sublime, si
vous l'amalgamez en quelque sorte avec celle de nos infatigables
législateurs, avec celle du Pouvoir exécutif, qui ne veut et ne peut
connaître d'autre gloire, d'autre ambition, d'autre récompense que
celle de seconder par son activité, sa vigilance, et surtout par son
imperturbable viation sur la ligne de la loi, les travaux de la
Convention. Entraînés par le pouvoir de l'habitude, il en est encore
parmi vous qui font retentir dans nos temples d'absurdes invoca-
tions pour un roi qui ne règne plus, pour des princes qui ne sont
plus que nos concitoyens ou nos ennemis. Ces observations, mon
invitation fraternelle suffiront, sans doute, pour leur faire sentir
que la Patrie seule est ce qu'il faut sauver, et que c'est pour elle,
pour sa prospérité que nous devons implorer la Providence.
Mais, s'il en était quelques-uns qui s'oubliassent jusqu'à blâmer
les décrets des Représentants de la nation, et inciter le peuple à les
méconnaître, qu'ils sachent que l'obéissance à la loi est la première
vertu du citoyen, et que le prédicateur de la révolte est un insensé
qu'on doit arrêter, ou un coupable qu'il faut punir.
Le Ministre de l'intérieur, signé : Roland.
NOTE XV, p. 181.
Au NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,
Nous, Représentans du peuple, délégués par la Convention
nationale dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne,
Conformément à l'article 8 du décret du 28 mars dernier,
Requérons les administrateurs des Directoires de district dans les
départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne de mettre à la
disposition de la nation pour le service des armées les chevaux qui
ne servent point à l'agriculture, au commerce ou à des besoins
d'une nécessité urgente et reconnue; de retirer de fait les dits
440 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
chevaux ainsi que toutes les provisions de fourrages et d'avoine qui
auraient été faites pour leur nourriture.
Requérons, en outre, Texécution de l'article 9 de la même loi.
Les états des dits chevaux, contenant leur nombre, leur signale-
ment, leur estimation, de même que les quantités et le prix des
fourrages et avoines nous seront adressés par chaque administration
de district.
Dans la quinzaine qui suivra la réception de la présente réquisi-
tion, les Directoires de district donneront des ordres et prendront
toutes les mesures nécessaires pour que les chevaux mis par eux à
la disposition de la nation soient conduits, ceux du département de
la Gironde, à Libourne, et ceux du Lot-et-Garonne, à Agen. Ils
feront aussi transporter dans chacune de ces villes les fourrages et
avoines destinés par les propriétaires à la nourriture des dits
chevaux dans la proportion des besoins. Les districts d'Agen et de
Libourne feront sans délai disposer des écuries capables de contenir
les dits chevaux et les greniers pour les fourrages.
Fait et arrêté à Libourne, le 18 avril 1793, Tan II de la République
française. Signé : Garrau, Paganel.
Par les citoyens Représentans du peuple, signé : Beylard,
secrétaire de la délégation,
(Archives de la Gironde, série L, Registres du Conseil général du
département, no 4, p. 96.)
NOTE XVI, p. 182.
FORHULB DE CERTIFICAT DE CrVISME.
Vignette-cartouche contenant les mots : La Nation et la Loi. Liberté. Égalité.
SECTION No 17.
Sur la demande faite par le citoyen d'un certificat
de civisme, vu le certificat de son service dans la garde nationale
signé de son capitaine et de huit volontaires,
La section n<» 17 a reconnu qu'il est un bon citoyen, et en con-
séquence a délibéré qu'il lui serait délivré un certificat de civisme.
Bordeaux, le i793, l'an II de la République.
NOTE XVII, p. i83.
Nous, Représentans de la Nation, délégués par la Convention
nationale dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne
APPENDICE. 441
Après avoir entendu le rapport fait au Conseil général du
département de la Gironde, par un de ses membres, sur le Château
Trompette et ses dépendances ;
Considérant que la discussion qui doit suivre ce rapport, sera
nécessairement très longue parce qu'elle embrasse des questions de
droit, de propriété et de police générale, parce qu'elle nécessite
Texamen d'un grand nombre de pièces, parce que les difficultés
qu'elle peut faire naître sont très sérieuses; que le Conseil du
département jugera sans doute dans sa sagesse ne devoir prononcer
définitivement sur cette affaire qu'après les plus mûres réflexions et
en tâchant de concilier l'intérêt de la République avec les droits de
plusieurs individus ;
Considérant que nous sommes spécialement chargés par notre
mission de pourvoir dans le plus bref délai à tout ce qui intéresse la
défense des côtes de l'Ouest et la sûreté particulière des départements
où nous sommes députés ;
Considérant que le Château -Trompette a surtout dû fixer notre
attention, que nous l'avons trouvé entouré de barraques et d'échoppes
bâties en bois ;
Que nous avons été frappés des dangers que présente cette réunion
de matières combustibles autour d'une place qui renferme un
magasin de poudre, et auprès d'une rade toujours couverte de
vaisseaux ;
Que plusieurs de ces barraques sont adossées aux murs du
château, ce qui exposerait cette place aux entreprises des
malveillants ;
Considérant qu'aucun motif ne doit, dans les circonstances
actuelles, retarder les mesures de sûreté générale et qu'on pourra
par la suite statuer sur les indemnités de droit, après en avoir
conféré avec les membres composant le Comité de défense ;
Requérons le Conseil général du département de la Gironde de
faire procéder sans délai à la démolition de toutes les barraques et
échoppes bâties sur le terrain appelé le Pré du Chdteau' Trompette,
autres que celles qui sont le long des allées de Tourny depuis la
maison Gobineau inclusivement, celles qui sont le long du Grand
Cours du Jardin public et du Pavé des Chartrons allant vers la
rivière jusqu'à la rue Notre-Dame ; de faire enlever les matériaux
provenant des dites démolitions, ainsi que les magasins de planches
et autres marchandises qui y sont établis; de faire enlever les
terreaux et décombres qui obstruent les fossés du château, les
ponts, les palissades et autres ouvrages généralement quelconques
qui y ont été pratiqués, et enfin de [faire rétablir les glacis dudit
château et de ses dépendances dans le même état où ils étaient avant
la construction des dites barraques et échoppes, sauf aux parties
44^^ HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
intéressées à se pourvoir devers les corps administratifs à raison des
indemnités qu'elles se croient fondées à réclamer.
Fait à Bordeaux, le 3o avril 1793, l'an II de la République.
Signé : Paganel, Garrau.
(Archives de la Gironde, série L, Registres du Conseil général du
département, no 4, p. 107.)
NOTE XVIII (A), p. 187.
Nous, Représentans de la Nation, délégués par la Convention
nationale dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne,
Considérant que le salut de la République nécessite des mesures
promptes, énergiques et très étendues pour se procurer des armes,
des munitions de guerre, des affûts, pourvoir à tout ce qui peut
intéresser la défense du département et le service des armées, et
pour former des établissements indispensables à ces divers objets ;
Requérons le Conseil général du département de la Gironde :
10 De requérir de tous les serruriers, forgerons, charrons et
armuriers qui sont inscrits comme volontaires pour le recrutement
des 3oo,ooo hommes, même ceux de ces diverses professions qui
auraient été réformés soit à cause de leur taille, soit à cause de
quelque défectuosité, de se rendre dans les divers ateliers ou
chantiers qui leur seront désignés, pour y être employés au service
de la nation ;
2<' De requérir tous les armuriers de s^occuper sans relâche de la
confection des fusils ou autres armes qui seront jugées indispensables
pour le service de la nation ;
3* De procurer un local au citoyen Perrié, ou à tous autres, pour
feire du salpêtre, autorisant à cet égard la disposition d'une
possession nationale;
40 De s'employer à former tous établissements et de &ire tous
achats qui auraient pour but les moyens de défendre la patrie, et
d'armer les mains qui doivent repousser les tyrans et leurs aveugles
satellites réunis contre elle ;
Autorisons le dit Conseil à faire un emploi momentané des maisons
nationales pour ces établissements, parce que le premier devoir est
d'assurer l'indépendance de la République ;
L'autorisons pareillement, si le cas y échoit, à requérir les hommes
exerçant les professions ci-dessus dans les districts ou dans la ville
de Bordeaux, de se rendre dans les dits chantiers, ateliers ou
établissements ;
Et comme ces objets peuvent nécessiter des dépenses extraordi-
APPENDICE. 443
naires, autorisons le Directoire et le Conseil général du département
de la Gironde à faire payer les dites dépenses par les Receveurs de
districts, qui demeurent requis d'acquitter les mandats qui seront
tirés sur eux pour cet objet, lesquels mandats seront fournis par le
Directoire du département que nous établissons ordonnateur à cet
effet sur les comptes des employés et après avoir été vérifiés par le
Directoire du district dans lequel se sera fait le travail.
Au surplus, le Directoire et Conseil général demeure chargé de
faire part de toutes ses opérations au Comité de Salut public de la
Convention et à nous.
Fait à Bordeaux, le 3 mai 1793, l'an II de la République française.
Signé : Garrau, Paganel.
(Archives de la Gironde , série L, Registres du département, n« 4,
p. ii3 et 114.)
NOTE XVIII (B), p. 187.
Nous, Représentans du peuple, délégués dans les départements de
la Gironde et du Lot-et-Garonne,
Sur la connaissance qui nous a été donnée par le Comité de
défense générale du département de la Gironde de divers mémoires
relatifs aux moyens nécessaires pour mettre ce département en état
de défense.
Considérant que, quoique aux termes de la loi du 4 avril, les
départiéments maritimes soient autorisés à mettre leurs côtes en état
de défense, le peu d'extension donnée aux termes de cette loi
pourrait entraver les opérations du département dans une infinité
d'occasions où la promptitude des mesures ne peut être secondée
que par une facile disposition des fonds;
Considérant que la situation particulière du département et son
importance mérite toute notre sollicitude et que nous ne pouvons
&ire un meilleur exercice des pouvoirs dont nous sommes revêtus
que de donner à l'administration le soin et la acuité de défendre
cette partie du territoire de la République, dont la surveillance lui
est confiée ;
Autorisons le Conseil général et à son défaut le Directoire du
département de la Gironde à ordonner la confection des travaux
contenus dans les dits mémoires et qui sont relatifs à la défense des
côtes et de la rivière, tels que batteries, signaux, redoutes, forts,
vaisseaux stationnaires ou batteries flottantes au bas de la rivière,
achats de boulets, construction d'affûts, approvisionnements de
poudres et autres munitions de guerre, et généralement faire les
dispositions propres à rassurer contre toute invasion des ennemis
sur les côtes ou dans la rivière, et même celles qui deviendraient
444 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
nécessaires du côté de Tintérieur, en cas de menaces de la part de
Fennemi dans cette partie; à Teffet de quoi il demeure formellement
autorisé à ordonnancer les fonds nécessaires pour le paiement des
dites dépenses sur les revenus de district qui seront tenus d'acquitter
jes mandats à valoir sur les fonds de toute nature existant dans leur
caisse et même sur le payeur général du département à défaut de
fonds dans les caisses des receveurs de district, lesquels mandats,
motivés sur la présente autorisation, seront reçus pour comptant
des receveurs ou payeur par la Trésorerie nationale ; à la charge par
le département de mettre dans les dites dépenses l'économie
convenable et de s'assurer d'avance de leur nécessité d'après les états
de détail et devis estimatifs présentés par les gens de l'art dans
chaque partie et discutés dans le Comité de défense générale ; à la
charge encore de nous donner connaissance dans les vingt-quatre
heures des dépenses pour lesquelles il aura ordonnancé des fonds, et
en cas d'absence de notre part, de donner pareille connaissance dans
le même délai au Comité de Salut public.
Fait à Bordeaux, en délégation, le 3 mai 1793, l'an II de la
République française.
Signé : Garrau, Paganel.
(Archives de la Gironde, série L, Registres du département, n« 4,
p. 114 et II 5.)
NOTE XIX, p. 223.
SECTION DES SANS-CULOTTES N* i.
SÉANCE DU 23 MAI ljg3,
La Section, pénétrée du serment qu'elle a fait de maintenir la
liberté et l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République, et
profondément affligée des retards que font éprouver les ennemis de
la chose publique à la confection d'une constitution fondée sur
ces principes;
Considérant que l'état d'anarchie où se trouve la République ne
peut qu'opérer une subversion totale qu'il est instant de prévenir, et
que les divers écrits qui ont paru jusqu'à ce jour n'ont JEsiit
qu'indiquer le mal sans présenter un remède efficace pour le
détruire, a cru qu'il était urgent,
lo D'envoyer deux commissaires à la Commune à un jour fixé,
pour se réunir aux commissaires des autres sections pour se
concerter sur les mesures les plus efficaces à prendre dans la
circonstance présente pour sauver la chose publique;
2^ Afin de faciliter le travail de ces commissaires, chaque section
établira dans son sein un comité de quatre membres, chargé de
APPENDICE. 445
méditer les moyens les plus sûrs pour parvenir à ce but, et leur
travail sera communiqué au Conseil général;
30 D'inviter les vingt-sept autres sections à adopter les mêmes
mesures et de faire connaître leurs vœux à la section.
Signé : Clochar, président ;
PiECK, secrétaire suppléant,
(Archives de la Gironde, série L.)
NOTE XX, p. 224.
DÉCRET DU 2 JUIN 1793.
La Convention nationale, sur la motion d'un membre, relative
aux dénonciations portées contre un nombre de membres de la
Convention nationale, décrète que les députés, ses membres, dont
les noms suivent, seront mis en état d'arrestation chez eux,
qu'ils y seront tous sous la sauvegarde du peuple français et de la
Convention nationale, ainsi que de la loyauté des citoyens de Paris.
Les noms des dits députés mis ainsi en état d'arrestation, sont :
Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles,
Barbaroux, Chambon, Bu^ot, Biroteaux, Lidon, Rabaut, Lasource,
Lanjuinais, Grangeneuve , Lehardy, Lesage, Louvet, Vala^é,
Clavière, ministre des contributions publiques, et Lebrun, ministre
des affaires étrangères; auxquels noms il faut joindre ceux des
membres de la Commission des Douze, à l'exception de ceux d'entre
eux qui ont été dans cette commission d'un avis contraire aux mandats
lancés par elle ; les noms des premiers sont : Kervellegan, Gardien,
Rabaut Saint-Etienne, Boilleau, Bertrand, Vigée,Mollevault, Henry
Larivière, Gomaire, Bergoing; les deux autres exceptés sont
Fonfrède et Saint-Martin.
Signé : Mallarmé, président;
Ducos, Poullain-Grandprez, Durand-Maillane
et MÉAULLE, secrétaires.
NOTE XXI. p. 227.
Extrait et une lettre écrite de Bordeaux le 4 juin iyg3
à Rabaut Saint-Étienne,
c L'auteur fait part à Rabaut des projets de la ville de Bordeaux.
Il lui annonce que des commissaires sont partis pour toutes les
grandes villes de France afin de les engager à s'unir avec les
Bordelais contre la Convention nationale; qu'on se concertera
spécialement avec Lyon; que Ton abhorre ici la Commune de
446 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Paris, la Montagne et le ministre Garat; que la convocation des
assemblées primaires aura lieu incessamment; enfin que la lettre de
Brissot à ses commettans, répandue à Bordeaux, y a fait le plus
grand bien. »
fMoniteurJ
NOTE XXII (A), p. 2a8.
Barère, au nom du Comité de salut public, fait lecture
d'une lettre dont voici Textrait :
Les Administrateurs du département de la Gironde aux citoyens
représentants composant le Comité de salut public.
Citoyens représentants, nous nous empressons de vous faire part
d*un événement qui nous a occasionné quelques inquiétudes, mais
dont l'issue prouve que les citoyens de Bordeaux savent toujours
respecter les lois et se rallier aux vrais principes qui doivent régir
un peuple libre.
Hier, au milieu des agitations les plus vives, des inquiétudes les
plus justes sur le sort de plusieurs représentants du peuple qu'on
avait appris avoir été mis en état d'arrestation par un décret arraché
à la Convention nationale, le peuple de Bordeaux apprit successi-
vement que deux représentants du peuple, les citoyens Ichon et
Dartigoeyte, étaient dans cette ville et se disposaient à partir pour
Paris. Une foule de citoyens se portèrent aussitôt autour des maisons
où logeaient ces deux députés, et annoncèrent l'intention de
s'opposer à leur départ. La municipalité, ayant reçu l'avis de ces
mouvements, envoya sur-le-champ des commissaires sur les lieux,
en leur donnant l'ordre d'assurer la liberté des citoyens Ichon et
Dartigoeyte. Ces commissaires prirent toutes les mesures que la
prudence et la fermeté peuvent indiquer en pareil cas, et ils firent
les dispositions nécessaires pour que le départ de ces représentants
ne fût ni empêché, ni retardé; il nous fut donné avis de ce qui
s'était passé à ce sujet, et nous ne pûmes qu'applaudir aux moyens
employés par la municipalité. Nous fûmes en conséquence dans
l'opinion que les citoyens Ichon et Dartigoeyte avaient continué
leur route.
CepenJant nous apprîmes, dans l'après-midi, que leur départ avait
éprouvé de nouvelles difficultés. Nous nous hâtâmes de demander
à la municipalité des renseignements à ce sujet; elle ne tarda point
à nous apporter les procès-verbaux qui avaient été dressés de tout
ce qui s'était passé 1 Nous y vîmes, avec satisfaction, que la sûreté
des deux représentants n'avait pas été compromise un seul instant,
et que les citoyens même qui avaient formé une opposition
APPENDICE. 447
momentanée à leur départ avaient donné des marques non
équivoques de leurs égards et de leur respect pour le caractère dont
ils sont revêtus. Nous vîmes que si ces députés avaient voulu partir
sur-le-champ, les officiers municipaux auraient pris tous les moyens
convenables pour faire exécuter leur volonté.
Dirigés par des motifs de prudence, les représentants préférèrent
de céder momentanément au désir des citoyens rassemblés, et de se
rendre à la maison commune; ils savaient que les sections de
Bordeaux délibéraient sur ce qui s'était passé à leur égard : et ils ne
doutaient pas que le résultat de cette délibération ne fût de les faire
jouir de toute leur liberté. Ils n'ont point été trompés dans leur
attente, puisque dès le soir même nous apprîmes que, sur vingt-cinq
sections qui s'étaient occupées de cet objet, il y en avait vingt qui
avaient opiné pour que le départ n'éprouvât aucune difficulté ; les
autres, toujours soumises d'avance au vœu de la majorité,
s'étaient empressées de déclarer qu'elles le respecteraient aussitôt
qu'il serait connu.
Citoyens représentants, nous croyons devoir dire qu'un peuple
qui agit avec ce calme, cette mesure et cette dignité dans un moment
où il est convaincu que ses droits les plus chers et les plus sacrés
ont été violés ailleurs; dans un moment où, sans aucun égard pour
lui, sans aucun ménagement, sans même aucun respect pour
l'inviolabilité des législateurs, on a attenté à la liberté morale de
tous et à la liberté personnelle de plusieurs; un tel peuple,
disons-nous, mérite d'être observé, et son influence politique ne
peut pas être méprisée.
D'après ces motifs, nous vous prions de donner la plus grande
publicité à ce qui s'est passé à Bordeaux dans cette occasion.
Nous faisons des vœux ardents pour que la voix de la raison et de
la justice se fasse entendre à Paris comme ici, et pour que des
procédés arbitraires et tyranniques fassent enfin place à une conduite
régulière et conforme aux lois.
(Moniteur du 14 juin 1793.)
NOTE XXII (B), p. 228.
Paris, le 5 juin 1793, l'an II de la République.
Le Ministre de l'Intérieur
Aux citoyens Administrateurs du département de la Gironde.
J'ai mis, citoyens, sous les yeux du Conseil exécutif la lettre que
vous m'avez écrite le 8 de ce mois, relativement à la disposition
que le peuple de Bordeaux avait d'abord manifestée de retenir dans
448 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
cette ville les représentants du peuple Ichon et Dartigoyte, lorsqu'il
eut appris que plusieurs députés étaient mis en état d'arrestation en
vertu d'un décret de la Convention nationale.
Le Conseil a vu avec beaucoup de satisfaction les mesures sages
que les autorités constituées de Bordeaux ont prises pour assurer le
respect dû à la représentation nationale et l'entière liberté des
citoyens Ichon et Dartigoeyte, et que les personnes même qui avaient
formé opposition à leur départ ont témoigné tous les égards qu'elles
devaient au caractère dont ils sont revêtus. C'est une justice que Ton
doit rendre aux Bordelais : ils peuvent être induits en erreur, mais
la raison, la loi les ramènent toujours aux vrais principes. Je ne dois
pas laisser ignorer que le Conseil a donné à leur conduite et à la
vôtre des éloges mérités.
Signé : Garât.
(Archives de la Gironde, série L.)
NOTE XXIII, p. 244.
Instruction donnée par la Commission Populaire de Salut public du
département de la Gironde, en exécution de son Arrêté dujour d'hier^
aux Commissaires envoyés par elle à la Commission Centrale.
Le vœu du Peuple du département de la Gironde est que le
premier acte de la Commission Centrale soit une déclaration sur
l'état actuel de la Convention nationale.
Elle rappellera les journées des 27, 3i mai, i, 2 et 3 juin; les
outrages que la Convention a reçus, et qui ont avili la Souveraineté
Nationale dans la personne des Représentans du Peuple ; les décrets
arrachés par la force; ceux que la violence a fait rapporter; ceux
dont une faction criminelle, liée de Jvues et d'intérêt avec des
Ministres perfides, a suspendu ou paralysé l'exécution ;^ enfin tous
les événemens qui ont dévoilé d'affreux complots dirigés contre
la Liberté.
Elle déclarera, au nom du Peuple Français, que la Convention
nationale n'est plus libre ; que le Peuple s'est levé pour la soustraire
au joug d'une faction qui l'opprime, et lui redonner une liberté
pleine et entière, sans laquelle la Représentation nationale n'est plus
qu'un vain nom; qu'il lui demande, pour la dernière fois, de
reprendre le libre exercice de sa volonté, en n'usant que de sa propre
force; mais qu'une simple déclaration de sa part qu'elle est libre, ne
suffira plus au Peuple Français; qu'il lui faut, pour en être convaincu,
des actes tels, qu'on ne puisse plus douter désormais que la volonté
nationale n'ait été librement exprimée par ses Représentans; que
ces actes consistent principalement dans les mesures suivantes :
lo Que les Représentans du Peuple, dont l'arrestation a été
APPENDICE. 449
ordonnée, soient sur-le-champ remis en liberté, et rétablis à leur
poste, sauf à les mettre ensuite en jugement, s'il y a lieu, dans les
formes prescrites par les loix.
2» Que le Tribunal criminel extraordinaire soit supprimé; qu'il
soit remplacé par un Tribunal national, siégeant à cinquante lieues
au moins de Paris, et formé de Juges et de Jurés choisis parmi le
Peuple de tous les Départemens.
3° Que le rapport de la Commission des douze soit envoyé dans •
tous les Départemens ; que les prévenus de conspiration, désignés par
ce rapport, soient sur-le<hamp traduits devant le Tribunal national.
4» Que tous les décrets rendus depuis le 27 mai, jusques au
moment où la liberté d'opinion sera manifestement rendue à la
Convention, soient révisés.
5" Que toutes les Autorités administratives et municipales de
Paris soient renouvelées, et que toutes Assemblées ou Comités, dits
révolutionnaires, soient cassés.
6^ Que les auteurs et instigateurs des massacres du 2 septembre,
les chefs et complices des conspirations dans les journées des
10 mars, 3i mai et suivantes, et notamment ceux qui ont dirigé ou
commandé la force armée contre la Convention, soient arrêtés et
jugés sans retard. *
j^ Que le vol du garde-meuble, et les dilapidations des domaines
et effets nationaux soie t sévèrement recherchés.
8® Que la Garde Nationale de Paris soit promptement organisée,
en conformité des Loix; et que le Décret qui ordonne la levée
d'une armée révolutionnaire soit rapporté.
Cette déclaration sera terminée par la protestation solemnelle que
le Peuple ne sera satisfait qu'à l'instant où ses demandes auront été
décrétées et exécutées, et que si la Convention Nationale ne défère
pas à cet acte de la volonté du Peuple, il sera démontré qu'elle n'est
pas libre : alors la Commission Centrale mettra en usage les moyens
qui seront le résultat du vœu des Départemens, pour sauver la
chose publique.
Le vœu du Département de la Gironde, dans ce cas, est d'envoyer
à Paris, de concert avec les autres Départemens, une force armée
qui vienne au secours de la Convention, des bons Citoyens de
Paris, et qui enchaîne pour toujours les bras des factieux et des
conspirateurs qui y régnent par la terreur et le crime. La force de
la Gironde s'organise; elle est prête à marcher au premier signal.
Fait en Commission populaire de salut public du Département
de la Gironde. A Bordeaux le 20 juin 1793, l'an deuxième de la
République Française.
Signés : Pierre Sers, président; Desmirau., vice-président f
Bernada, Monbalon, Pery, Jaubert, secrétaires.
T. I. 29
45o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
NOTE XXIV, p. 245.
Extrait du registre des délibérations de la Section Simoneau «» S,
séante dans une des salles de la Bourse.
Bordeaux, le 23 juin 1793, Pan II de la République française,
une et indivisible.
La section Simoneau, extraordinairement assemblée sur la
demande faite au président par 10 de ses membres, délibérant
sur les moyens à employer pour prévenir les dangereux, effets de
la mission des deux Commissaires de la Convention nationale, qui
sont annoncés par les papiers publics comme devant se rendre dans
cette cité ;
Considérant que les motifs qui Font déterminée précédemment
à dé.larer la non-liberté de la Convention nationale, bien loin
de s'affaiblir, acquièrent chaque jour une nouvelle force et un
nouveau degré d'évidence;
Considérant que les départements qui dans ce moment s'occupent
des grandes mesures pour faire recouvrer à la représentation nationale
sa liberté et lui rendre son intégrité, ne peuvent et ne doivent, sous
aucun rapport, s'en laisser distraire, mais au contraire marcher
d'un pas ferme et constant vers ce but salutaire, a unanimement
arrêté ce qui suit :
i« La municipalité sera invitée de faire surveiller l'arrivée des dits
commissaires, et de donner des ordres aux détachements de gardes
nationales, soit à Lormont, soit à La Bastide, de les conduire
directement auprès de la Commission populaire de salut public.
2* Aussitôt que la Commission populaire de salut public aura
entendu ces dits commissaires, elle est invitée à leur intimer, pour
toute réponse. Tordre de partir sur-le-champ.
3^ Et afin qu'il soit notoire que le vœu de la Commission populaire
de salut public est aussi celui des citoyens de Bordeaux, chaque
section est invitée de nommer un de ses membres chargé de se
rendre auprès de la Commission populaire, aussitôt que l'arrivée
des susdits députés sera connue, pour, en leur présence, exprimer
de nouveau les sentiments de la cité.
40 La municipalité sera invitée de donner une garde à ces députés
pendant le peu de temps qu'on leur permettra de rester dans la cité,
et la Commission populaire de salut public sera invitée à les &ire
accompagner jusqu'aux limites du département.
h^ La Commission populaire de salut public sera invitée de donner
connaissance aux départements voisins des mesures qu'elle aura
adoptées à cet égard.
APPENDICE. 45 1
6* La présente délibération sera envoyée à la Commission populaire
de salut public, à la municipalité, et communiquée aux 27 autres
Sections et à la Société des Amis de la Liberté et de TÉgalité de
Bordeaux.
Signé : Lebrun, /7r^5iien/; P.-A. Chicou-Bourbon, secrétaire.
NOTE XXV, p. 259.
Arrêté de la Commission populaire de salut public
du département de la Gironde.
Du 26 juin 1793, Tan II de la République française.
La Commission populaire de salut public du département de la
Gironde,
Délibérant sur le vœu exprimé par la presque totalité des sections
de Bordeaux, à l'instant où l'on y apprit que les citoyens Mathieu et
Treilhard avaient été nommés pour se rendre dans ce département;
Et sur le vœu que plusieurs de ces mêmes sections ont pareille-
ment énoncé depuis qu'elles ont appris le décrec du 18 du présent
mois, ce dernier vœu ayant pour objet de faire retenir à Bordeaux
et d'y garder en état d'arrestation les citoyens Mathieu et Treilhard,
comme des otages qui doivent répondre au Peuple de la Gironde de
la sûreté de ses propres Députés envoyés vers les autres départe-
ments, pour y concerter les mesures propres à sauver la chose
publique;
Considérant qu'aussi longtemps que nous conserverons l'espérance
de voir la Convention nationale reprendre sa liberté et se dégager
de l'état d'asservissement où la tiennent quelques hommes qui ont
usurpé tous les pouvoirs et qui en font l'abus le plus criminel, nous
devons aussi user envers tous ceux qui portent le caractère sacré
de Députés de tous les égards et de tous les ménagements qui sont
compatibles avec la sûreté générale de la République;
Considérant qu'il est digne des citoyens de ce département de
donner, dans cette circonstance délicate, une nouvelle preuve de
leur respect pour la Représentation nationale,' lors même qu'elle est
violée ouvertement à Paris, et que des hommes pour qui rien n'est
sacré, persuadent à une partie du Peuple, égarée ou corrompue par
les maximes les plus destructives de tout ordre social, qu'elle peut
à son gré arracher à leurs fonctions, sous les plus vains prétextes,
des Représentans qui n'appartiennent qu'à la nation entière et qui
ne sont comptables qu'envers elle;
Considérant que la sûreté des Députés de la Gironde vers les
452 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
autres départements de la République est confiée à la loyauté de
tous les bons citoyens, et qu*il répugne à toute âoie honnête de
penser qu'aucune autorité constituée ose attenter à leur liberté,
ou permette qu'on y attente sous le prétexte d'obéir à un décret
odieux, subversif de tous les principes et dont l'exécution livrerait
inévitablement la France à une nouvelle guerre civile;
Considérant que l'objet unique du Peuple de ce département, en
se mettant en insurrection contre l'anarchie, a é.é de concourir,
avec les autres départements, à rendre à la Convention nationale
sa liberté et sa majesté, et que la mesure d'arrêter des membres de
cette Assemblée n'est nullement propre à remplir cet objet; qu'elle
pourrait au contraire offrir un champ vaste à la calomnie, et servir
de prétexte aux malveillans pour occasionner une division funeste
dans les esprits;
Considérant qu'il doit suffire, en ce moment, au Peuple de ce
département, d'avoir manifesté ses opinions et ses sentiments aux
citoyens Mathieu et Treilhard; de leur avoir démontré dans une
séance très nombreuse, par la bouche de ceux qu'il a investis de sa
confiance et de ses pouvoirs, que c d'après une multitude de faits
» notoires, contre lesquels il leur a été impossible de s'élever, il est
» dans l'intime conviction que la Convènxion nationale n'est point
> libre; qu'entre autres faits évidents, qui prouvent cette affligeante
> vérité, il est certain que le lieu de ses séances a été investi de
» canons et d'hommes armés, les 3i mai, i, 2 et 3 juin; que l'assem-
» blée entière n'a pu se faire obéir par cette force armée, et qu'au
f contraire elle a même été forcée d'obéir à un commandant féroce;
» qu'à la suite de cette violence inouïe, elle fut obligée de livrer
• 32 de ses membres, sans rapports, sans motifs quelconques,
> autres du moins que ceux de sa sûreté et de la crainte qu'imprimait
» l'appareil le plus menaçant;
i Que depuis cette époque, elle n'a rien fait pour reconquérir sa
» liberté et venger la nation des outrages qu'elle avait reçus ;
i Que vainement lui demande-t-on, à grands cris, de toutes les
» parties de la France, d'entendre les membres arrêtés sans cause,
> et notamment d'entendre le rapport de cette commission des
> Douze, qui avait annoncé les preuves les plus manifestes d'un
> complot formé contre la Convention nationale ; que vainement
» les membres de cette commission des Douze avaient promis, sur
» leurs têtes, de fournir ces preuves et de justifier leur conduite;
1 Que ses refus à cet égard ne peuvent' être motivés ni justifiés
» que par le défaut de toute liberté ; que, dans le cas contraire, ce
» serait une injure faite au Peuple Français, qui devrait lui faire
» perdre toute sa confiance ;
• Que de toutes les parties de la République, il lui a été adressé
APPENDICE.
453
les réclamations les plus fortes contre les attentats des 3i mai
et 2 juin; que le Peuple de la Gironde en a la preuve sous les
yeux, puisque la Commission populaire a reçu une foule d'adresses
toutes dans le même esprit, et que jamais le vœu national ne s'est
manifesté avec plus d'éclat ;
1 Que cependant on a pris le parti de ne lire à la Convention
aucune de ces adresses, de ne faire même aucun rapport sur leur
contenu, tandis qu'on insère avec affectation, dans les Bulletins
de la Convention, jusqu'à des adresses et à des diatribes de
quelques individus ou de quelques communes égarées, ou enfin
d'un très petit nombre de corps administratifs, qui s'expriment
dans le sens de la faction dominatrice ;
» Que cette partialité révoltante, ou plutôt ce mépris caractérisS
du vœu de la presque totalité des Français, annonce une tyrannie
dont aucune époque de l'Mistoire n'offre d'exemple;
» Que jusqu'à présent on avait, dans le cours de la Révolution,
respecté la liberté de la Presse, ou que si on y avait porté des
atteintes passagères, Tordre naturel et conforme aux lois s'était
bientôt rétabli ; mais qu'aujourd'hui il existe à Paris un système
d'inquisition mille fois plus affreux que celui que se permirent
jamais les Sartine, les. Lenoir et autres suppôts de l'ancien régime ;
» Que le secret des lettres est violé avec l'impudeur la plus
révoltante; que le but de la faction paraît être de dégoûter le
Peuple du système républicain, et de le réduire à un tel état
de dégradation, de misère et d'opprobre, qu'il se persuade n'avoir
rien gagné en brisant le sceptre des rois, n'avoir rien de plus
fâcheux à craindre du retour de l'ancien régime, et par là de le porter
à se jeter entre les bras du premier tyran qui s'offrira à lui ;
> Que si telle est une faible partie du peuple de Paris, il n'en est
pas de même de la majorité des citoyens de cette ville célèbre, ni
de ceux des départements ;
i Que là, surtout, le Peuple connaît la liberté et ses douceurs,
parce que les magistrats qu'il s'est donnés, l'aiment sincèrement
et font exécuter les lois qui protègent le faible et répriment
l'oppresseur;
1 Que là il n'est point corrompu par un salaire journalier, destiné
à celui qui fait métier de provoquer au meurtre et au brigandage ;
» Que là il ne se borne pas à jurer la République une et indivisible,
la Liberté, l'Égalité, la sûreté des personnes et des propriétés,
mais qu'il veut toutes ces choses du fond de son cœur;
1 Que là il ne se consume pas en vaines jactances contre les
ennemis du dehors et du dedans; mais qu'il envoie de braves
soldats à nos armées, en même temps qu'il fournit, par son travail
et ses sueurs, les objets qui leur sont nécessaires, i
454 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.
Considérant que ces vérités, que les citoyens Mathieu et Treilhard
ont entendues, ils ne pourront s^empécher de les rendre à la
Convention nationale, et que peut-écre elles concourront à ranimer
le courage et les espérances de cette majorité des F^eprésentans, de
laquelle le Peuple Français attendait son salut;
Que les citoyens Mathieu et Treilhard ne pourront, à leur retour
à Paris, s'empêcher de convenir qu'à Bordeaux ils ont entendu un
langage républicain ;
Qu'ils n'y ont vu que l'intention bien formelle d'aller au secours
de la Convention nationale opprimée et avilie par une faction, sans
cesser de combattre un instant, ni les ennemis du dehors, ni les
rebelles de l'intérieur, et que cette troisième espèce de guerre à
laquelle les citoyens de ce département se préparent, ne menace
que les anarchistes et leurs alliés naturels, les fauteurs du despotisme
et de l'aristocratie ;
Que le Peuple de ce département, fort de la pureté de ses intentions
et de celles qui animent tous les vrais amis de la Patrie, n'a jamais
douté du concours de la majorité des départements dans les mesures
également fermes et sages qu'il prend pour rendre à la Convention
nationale la liberté sans laquelle elle ne peut exprimer la volonté
générale, et pour faire respecter la souveraineté du Peuple Français,
en mettant ses mandataires à l'abri de toute violence ultérieure.
Par toutes ces considérations, la Commission populaire de salut
public arrête :
i» Qu'il n'y a lieu à délibérer sur la demande de diverses sections
de la commune de Bordeaux, de mettre les citoyens Treilhard et
Mathieu en état d'arrestation, et de les garder comme des otages
pour la sûreté des citoyens qui ont été envoyés, au nom du Peuple
de ce département, vers les autres départements de la République ;
2* Qu'en conséquence, les citoyens Mathieu et Treilhard auront
toute liberté de reprendre la route de Paris, ainsi qu'ils ont paru le
désirer; et que pour le leur annoncer, il leur sera délivré un extrait
en forme du présent arrêté.
Fait en Commission populaire de salut public du département de
la Gironde. A Bordeaux, le 26 juin 1793, l'an II de la République
française.
Signé : Pierre Sers, président; Desmirail, vice-président;
Bernada, Monbalon, Pery, Jaubert, secrétaires.
FIN DE L'APPENDICE.