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Full text of "Histoire de la terreur à Bordeaux"

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l 



le 

,'?3.5- 



1 

I 



HISTOIRE 



DE LA 



TERREUR A BORDEAUX 



HISTOIRE 



DE 



LA TERREUR 



A BORDEAUX 



PAR 




C » 



M. AURÉLIEN VIVIE, 

Vice^Frésident de la Société des Archives historiques de la Gironde, 
Lauréat de ^Académie de Bordeaux. 



UHistoire est un témoin. 

(Voltaire, Hist. de Charles XII.) 

La vérité exige que tout soit dit, absolument 
tout. (L. Blanc, Hist. de la Révol. franc.) 

Pour bien écrire l'histoire, il fitut être dans 
un pays libre. (Voltairs.) 



TOME I 



BORDEAUX 

FERET ET FILS, LIBRAIRES-ÉDITEURS 
i5, COURS OE l'intendance, i5 

1877 



* t ' * V ^ t * 't * ^ t * 't *' ' t * ' t * 4 * "'t ' ' I * ^V *V 4 * 't ' * t * * V * V '' t ' * l ' ' I ' ' I * ' ^t* 



LISTE DES SOUSCRIPTEURS 



cA L'HISTOIRE VE LA TERREUR 



A BORDEAUX. 



Son Émincnce Monseigneur le Cardinal 
Donnet, archevêque de Bordeaux. 

Sa Grandeur M" De La Bouillerie, coad- 
juteur. 

Sa Grandeur M** Fonteneau, évSque 
d'Agen. 



Son Excellence Monsieur Jules Dufaure, 
président du Conseil des mi.iistres, 
garde des sceaux, ministre dç la Justice 
et des Cultes. 

Son Excellence Monsieur le duc Decazes, 
ministre des Affaires étrangères. 



MM. 

Devienne, premier président de la Cour de 

cassation. 
Lévy (S.), grand-rabbin de Bordeaux. 
Astruc (Aristide), grand^abbin de Belgique 
Hubert- Delisle, sénateur. 
Vicomte de Pelleport-Burète, sénateur. 
Raoul Dnval père, sénateur. 
Armand Béhic, sénateur. 
Daguenet, sénateur. 
Clanzet, député. 
Baron Jérôme David, député. 
Dréolle (Ernest), député. 
IzcMird, premier président de la Cour 

d'appel. 

Ferdinand Duval, préfet de la Seine. 

Albert Decrais, préfet de la Gironde. 

Charles Antran, commissaire général de la 
marine. 

Comte de Gabrielli, procureur général de 
Bordeaux. 

Larouverade (de), procnrenr général à 

Ronen. 
Baron Jorant, procureur général à Douai. 
Vancher (A.), président de chambre à la 

Cour d*appel. 

Alban Bourgade, président de chambrée la 
Courd*appel. 

Vonzellaud (E.), président de chambre à la 
Cour d'appel. 

Dopérier de Larsan (E), président de 
chambre à la Cour d'appel. 



I 



1 



MM. 

L. de Villcrs, trésorier-payeur général. 

Tambour, secrétaire général de la Préfec- 
ture de la Seine. 

Henry (A.), auditeur au Conseil d'État, 
secrétaire général de la Préfecture de la 
Gironde. 

Gellibert (L.), président honoraire à la Cour 
d'appel. 

Bretenet, président dn Tribunal civil. 

Petiton-Saint-Mard, procureur de la Répu- 
blique à Bordeaux. 

Tondut, pr cureur de la République à Blaye. 

Rivière- Bodin, vice-président du Tribunal 
civil de Bord;:aux. 

Daudin-Clavaud, président du Tribunal 
civil de Blaye. 

M*' Cirot de La Ville, prélat romain, 
doyen de la Faculté de théologie. 

Abria, doyen de la Faculté des sciences. 

Teisserenc de Bort (Edmond), chef du 
cabinet du ministre de l'agriculture et du 
commerce. 

Chambre de Commerce de Bordeaux. 

Bibliothèque de la ville de Bordeaux. 

Bibliothèque de la Cour d'appel de Bor- 
deaux. 

Archives municipales de Bordeaux. 

Cercle Philharmonique. 

Cercle du New-Club. 

Cercle du Club-Bordelais. 

Cercle de l'Union. 






VI 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM. 

Abadiï de Villeneuve de Durfort (barM d'). 

Abert, inspecteur des établissements de 
bienfaisance de la Gironde. 

Achard (J.). 

Adolphe (Charles). 

Adrien (Albert). 

AiUoud père, assureur maritime. 

Alary, ancien conseiller de Préfecture. 

Alaux, architecte. 

Alauze (Paul-Énile), avoué. 

Alber l(Paul), château Sivaillan. 

Albrecht, négociant. 

AUain (l'abbé), vicaire i Saint-Louis. 

Amanieu (l'abbé), vicaire à Castelnau 
(Médoc). 

Andrault (d')Jniaire à Saint- Gcrvais. 

Andrieu (Justin). 

Andrieu (C), avoué. 

Anfrlade, avocat à La Réole. 

Antoune, agent-voyer à Castelnau (Médoc). 

Aradel, rentier. 

Archu. inspecteur primaire à La Réole. 

Ardouin (Pierre -Félix), conducteur des 
ponrs et chaussées. 

Ardisson fils (A.-A.), négociant. 

Aren (Alexis), négociant 

Arlaud de Saint-Saud (baron Aymard d'), 
avocat. 

Arnaud, propriétaire. 

Arnaud fils, de la maison Cheberry, Raoul 
Bernard et O*. 

Amozan, pharmacien. 

Astèi (P.), docteur-médecin. 

Arti4ue(Paul). 

Astruc (Adrien), banquier. 

Audubert (Georges). 

Auguin, artihte peintre. 

Aumont- Gilbert, curé de Champagne- 
Fontaine (Dordogne). 

Avril, ancien membre du Conseil général. 

Aymen (L.), conseiller général. 

Ayrandi sous-préi'et de Saint-Malo. 



B 



Babilée, pharmacien. 

Bachon, conducteur des ponts et chaussées. 

Balaresque (Henri). 

Balaresque (Charles). 

Balet, à Arcachon. 

Bailay père. 



MM. 

Baour (Abel), membre de la Chambre de 
commerce. 

Barailler(L.). 

Barbier (L.). 

Barbier (A.)» 

Barboulane, sous-chef de division à la 
mairie. 

Baréta (J.-F.). 

Baritault (de), conseiller général. 

Barrême, sous-préfet à La Réole. 

Barroy, avoué. 

Bascle (Auguste). 

Basquiat (L. de). 

Basûé (Vital-Henry), né;:ociant. 

Baudit (Amédée), artiste peintre. 

Baudoux (Guillaume), propriétaire à Cas- 
telnau (Médoc). 

Baumevielle (Ari&tide). 

Baumgartner, ingénieur des ponts et 
chaussées. 

Bauré (P.-F.), directeur de la Société géné- 
rale de la Gironde. 

Bayle (Paul), avocat. 

Beau (Victor). 

Beaufort (baron d'Amieu de). 

Beaussant, sous-préfet de Toulon. 

Beau vais (F.), avoué. 

Bcauvais père (F.), agent de la Société des 
compositeurs et éditeurs de musique. 

Béchade, à Arcachon. 

Bédiou (É.), notaire. 

Bédouret (J.), notaire. 

Bédouret (Jacques-Xavier). 

Bégué (Chéri), propriétaire. 

Bégué (Paul), né<;ociant. 

Belleville (l'abbé), curé de Notre-Dame. 

Bellier, ingénieur civil. 

Bellier, directeur du Grand -Théâtre. 

Bellot des Minières (H.), chanoine, secré- 
taire général de l'Archevêché. 

Benassi (V.). 

Beneteau (P.), à Arcachon. 

Bensac jeune. 

Berchon, docteur-médecin, directeur du 
service sanitaire de la Gironde. 

Berge (Hector), homme de lettres. 

Ber^^er (Cb.). architecte. 

Bergeron (Adrien), à Castelnau (Médoc). 

Bernard, propriétaire à Sauternes. 

Bertheaud (Léopold), à Arcachon. 

Bemiard (Emile). 

B«rniard (François). 

Bertin (l'abbé). 

Besnard (L.). 



i 



LISTE DES SOUSCRIPTEURS. 



Vil 



MM* 
Bethmann (Édoaard de). 
Beadi i (Ga:>tave}, à Parit. 
Biarnés (Paul), à Portets. 
Blaquière (Alphonse), architecte. 
Bitot (P.-A.)) professeur à TÉcole de 

médecine. 
Blanchy (J.), armateur. 
Boibellaad, notaire. 
Boisredon (R. de). 
Boîsredon (Edmond de). 
Boissac (E. de), trésorier de la ville. 
Boissac (H. de). 
Bonnaffé père, pharmacien. 
Bonnald (V.), docteur-médecin. 
Bonnet (H. Jean-Baptiste-Hector). 
Bonneval (comte de). 
Bony (baron de). 
Borderia, notaire honoraire. 
Borderie, conseiller général. 
Bordes de Portages. 
Bordes (Henri), armateur. 
Borie (S.) père et fils, négociants, 
Bosoq fils (A.), à Castelnau (Médoc). 
Boscq (baron du), conseiller général. 
Boocanns et Labroille. 
Boudias, avoué honoraire. 
Booffard (Ferdinand). 
Bottflartigue (F.). 
Boulan, avoué. 
Bounaud aîné (E.). 
Bouqnier (J.-H.). 

Bourbon (l'abbé), vicaire à La Réole. 
Bourdeau, directeur des Contributions 

directes. 

Bourget, vice-consul d'Espagne à Albi. 

Bourlange (F.). 

Bousquet (Charles). 

Bousquet (l'abbé), curé de Cantcnac. 

Bouvier (Léonce). 

Bouyer (l'abbé Auguste), curé de Porchères. 

Boyer, ancien secrétaire de la ville. 

Brandam (Abner). 

Brandemburg (Th.), négociant. 

Brane (baron de). 

Braylens (Camille), conseiller général. 

Bréjat (Ferdinand). 

Brezets (baron de), avocat. 

Brezets (de), propriétaire. 

Briol (A.), notaire. 

Brivazac (baron de). 

Brives-Cazes (E.), juge au Tribunal civil 

de Bordeaux. 
BrochoD (H.), avocat. 
Broos-Cézcrac (vicomte de). 



MM. 

Brousse père (Eugène), agent de change 

honoi aire. 
Brun (Louis), ancien président du Tribunal 

de commerce de Liboume. 
Brunet. 

Bruyère rPhilîppe), greffier à la Cour. 
Bruyère (Auguste), notoire à Lamarque. 
Buhan, avocat. 
Burdel (Edmond). 
Bussereau, secrétaire greffier du Cx>nseil 

de préfecture. 



Caboy (A.), notaire. 

Callen (N.), conseiller général. 

Cambon. 

Cambon (J.). 

Camiran (M- de), à Saint- Estèphe. 
Campaoa (Ch.). 

Campredon (L.), conseiller municipal 

Cantegril (Léopold). 

Cardez (Ferdinand), négociant. 

Garenne et Sue, négociants. 

Caries (V- de). 

Carton (Adrien). 

Carvallo (Ht«), consul de Perse. 

Caspar (A.). 

Castaing. 

Casteja, conseiller général. 

Caateinau d'Essenault (marquis de). 

Castillon (Arthur). 

Castro (A.), officier d'Académie, ministre 

du culte Israélite. 
Castro (G.-H.}. 
Cathala (Victor), notaire. 
Caussade fils, docteur-médecin. 
Cayre(J.). 

Cazai (Numa), à Castelnau (Médocl. 
Cazembroot (Ch. de), négociant. 
Cayrou (Aldde). 

Cazenave (l'abbé Armand), curé de Moulis. 
Cazenave (l'abbé P.), curé de Saint - 

Augustin. 
Chambrelent, ingénieur en chef des ponts 

et chaussées. 
Chaumet (William). 
Cerf (Salomon). 
Chadu (Ch.), professeur au lycée de 

Bordeaux. 
Chaigneau (Ch.), à Lormoct, 
Chaix d'Est-Ange (Gustave), conseiller 

général. 
Chalup (comte de). 



VIII 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM. 

Chaleix (Louis), à Paris. 

Chambolle, directeur de la Compagnie des 

messageries maritimes. 
Champetier de Ribes, directeur des 

Domaines. 
Champmas, dief de bureau à la Préfecture. 
Changeur (Norville). 
Chanterre, à Langon. 
Chanterre, à Lesparre. 
Chappelle (de), docteur-médecin. 
Charles (L.). 

Charpentier (E.), consul du Honduras. 
Chartrou, avoué. 
Chassaigne (de La), à Loupiac. 
Chassain, greffier à la Cour d'appel. 
Château, à Lesparre. 
Chauliac (Ch.). 
Chaumas (Vt« Paul). 

Chaumeil, inspecteur primaire à Bordeaux. 
Chaumel (Auguste). 
Chauvet (Vabbé), curé à Bègles. 
Chauvin (A.), négociant. 
Chauvin (L.-Ch.). 
Chauvot, avocat. 
Chavauty (l'abbé), à Libourne. 
Chenou, avocat. 
Chervin aîné, à Paris. 
Chesneau (Jules), avocat . 
Chetwode-Brawne, à Arcachon. 
Chicou-Lamy (G.), conseiller général. 
Choisy (de), conseiller honoraire à la Cour 

d'appel. 
Choucherie. 
Chrétien (Alfred). 
Christophe (François-Isidore). 
Cimetière, anclej conseiller de Préfecture. 
Clauzel (Félix), conseiller général. 
Claverie, avoué. 

Clerc (J.-B.), président du Cercle Philhar- 
monique. 
Clossmann (F.), négociant. 
Clouet (vicomte de). 
Clouzet (F.), conseiller général. 
Cluzeau (Paul du), à Castelnau (Médoc). 
Cœuret (Charles), vicaire à Notre-Dame. 
Collardom (Georges). 
Collignan (A.), secrétaire du Comité des 

chemins de fer du M di. 
Colombier, courtier maritime. 
Combes, professeur d'histoire à la Faculté 

des lettres. 
Compaiag, inspecteur général des ponts et 

chaussées. 
Constant. 



MM. 

Couraud (F.), directeur de la Ferme-École 

de Machorre. 
Coûtant (A.), vice-président du Conseil de 

préfecture de la Gironde. 
Cosson (G.). 
Coste, curé de Soussans. 
Coussin. 
CoQard, directeur de la 35* Circonscription 

pénitentiaire. 
Courty (Ad.). 

Cousi>adière (A.), à Flaujagues. 
Coussolle, négociant. 
Coutolle. 
Cuginaud (Jules). 
Cuigueau, docteur-médecin. 
Curé, percepteur à Bordeaux. 
Custot, directeur de l'Agence Havas 

D 

Dador (C). 

Daguzan. 

Damblat (F.-E.). 

Daney (.\lfred), membre de la Chambre de 

commerce. 
Daniel (J.-T.-L.). 
Dapy et Besse. 

Daubèze de Savy-Gardeil (Mn* de). 
Dauzat (E.-A.). 
David. 

David (Gaston), avocat. 
David, avoué au Tribunal. 
David, conseiller à la Cour d'appel. 
Debessé (A.). 
Debessé (Frédéric). 
Deffès (Marcel). 
Dégrange-Touzin, avocat. 
Delage (Adrien). 

Delol, consul général du Paraguay. 
Deloynes (P.), professeur ù la Faculté de 

droit. 
Delpech (Henri). 
Delpit (Jules). 
Deltour jeune. 
Demay de Certan (Sully). 
Demonchy, à Arcachon. 
Depardieu (A.), à Castelnau (Médoc). 
Depas (E.) et C". 
Dert. 

Deschamps (Marins). 
Descor (J.). 
Desegaulx de Molet. 
Des Grottes (Jules), conseiller général. 
Desmaisons, docteur-médecin. 



LISTE DES SOUSCRIPTEURS. 



IX 



MM* 

Desmartis (Alphée). 

Despaz (L.) père. 

Despax (H.)i à La Tresne. 

Despaz ÇCabbé Paul), caré de Saint- 
Martial. 

Desplats (J.), à La Réole. 

Detrauz (Charies- Antoine). 

Dévier, s.-inspecteur des Enfants assistés. 

Deydou (l'abbé Ch.), vicaire à la cathédrale. 

Deymet (l'abbé J.), coré de Daignac. 

Dezeimeris (Reinhold), membre de l'Aca- 
démie de Bordeaux. 

Dircks-Dilly (E.), avoué. 

Dircks-Dilly (Ch.). 

Dodin (M"*), rentière. 

Doinet (A.), rédacteur en chef du Journal 
de Bordeaux, 

Domecq-Cazeaux (Femand), k Belin. 

Domingine (V.). 

Dorlhiac (Emile). 

Doit (Charles). 

Douât (Raoul), au Carbon-Blanc. 

Douaud (L.-A.) père, juge de paix à 
Bordeaux. 

Double. 

Drivet. 

Drouet (l'abbé R. A.), curé de Naujac. 

Douillard de la Mahaudière. 

Druilhet-Laâirgue, secrétaire général de 
l'Institut des provinces. 

Drouyn (Léo). 

DttbaUen, notaire à Portets. 

Dttban, ancien adjoint. 

Du Bled, sous-préfet de Nontron. 

Dubois (Fabien), château du Courras. 

Dubois (Paul), négociant. 

Dubos (J. Théophile). 

Dnbosc (F ). 

Duboscq (J.), avocat agréé an Tribunal de 
commerce. 

Duboscq, chef de bureau adjoint à la 
Préfecmre. 

Duboscq (Stanislas). 

Duboul (J.), membre de l'Académie de 
Bordeaux. 

DubOurg, avoué à la Cour. 

Dubourg, percepteur à Langon. 

Dubreuilh (Ch.), docteur-médecin. 

Dubreuilh (Léonidas), docteur-médecin. 

Dubreuilh (Théophile), vice-président de la 
Société d'Horticulture. 

Ducarpe Junior, président du comice de 
Saint- Emilion. 

Ducasse (Jules). 



MM. 

Ducaunnès - Duval , sous - archiviste du 

département. 
Ducher. 

Duchon-Doris (H.), courtier maritime. 
Ducot (Adolphe). 

Ducournau (Georges), agent de change 
Ducourneau (C). 
Dudon (E.), docteur-médecin. 
Duffour (S.). 
Duffourg-Belin, avocat. 
Dufiourg (W.), agent de change. 
Du Poussât de Bogeron (Gaston). 
Dufrénoy, directeur de la manufacture des 

Tabacs. 
Dulac. 

Dumas (Alexandre), à La Bastide. 
Dumeau (Jeantillon). 
Dumézil. 
Dupac (J. M.). 
Dupas (Osmin). 

Duperrieu de Tastes, i Ambarès. 
Duplessy, médecin principal du i8* corps 

d'armée. 
Dupart, maire de Cadillac. 
Dupeyrat (B.), chef de division à la Mairie 
Dupont, secrétaire général de la Société 

d'Agriculture. 
Durand (Ch.), architecte. 
Durand. 
Durand (Pierre). 

Durand-Morange, commissaire des mon- 
naies. 
Duret (P.-H.) père. 
Durodier, à Sauveterre. 
Duroy de Suduiraut (G.). 
Dusolier père, avoué honoraire. 
Dutasta (Emile), ancien chef de division à 

la Mairie. 
Dutauzin (H.). 
Duthil (Auguste). 
Duthil de La Tuque (baron). 
Duviella (A.), sous-chef de division à la 

Mairie. 



Escarpit 

Escarraguel (Arthur). 

Escarraguel (Dominique) 

Estelly. 

Etchégoyen (vicomte d'), château d^Olivier, 

à Léognan. 
Etcheverry (baron d*), à Léognan. 
Eyqucra (P.-F.). 
Eyrignoux, négociant. 

b 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX, 



MM. 

Fabre de La Bénodière, conseiller à la 

Cour d'appel. 
Fabre de Rieunègre, & Bruges. 
FallièreSf avocat. 
Farine (Ch.)» conseiller à la Cour. 
Fasdé (Paul), capitaine de navire. 
Faucon (Ch. de). 
Faugère fils, avocat. 
Faugère, ingénieur civil. 
Faure, ancien Commissaire Priseur. 
Faurie (E.), juge au Tribunal civil de 

Bordeaux. 
Faux (l'abbé), curé de Saint'JuIien(Médoc). 
Favière (de). 
Faydit, fondé de pouvoirs du trésorier 

général. 
Faye (Antoine). 
Faye-Montigny, substitut du procureur de 

la République. 
Fayou, à Lesparre. 
Ferbos, conseiller général. 
Ferreaud (Henri). 
Perrière (André). 

Férussac (A. de), avoué à Lesparre. 
Fillol (de), à Capian. 
Flinoy frères, directeurs d'Assurances. 
Forcade (Ch.). 

Fouquier (J.), t>anquier à Castelnau (Médoc) 
Fourché (Paul), négociant. 
Foumet (Frédéric), rentier. 
Foumet (G.), château Raoul à Cursan. 
Fribourg. 

Froin, conseiller général. 
Fumel (comte de), chflteau Lamarque. 



Gaborit. 

Gachassin-Lafîtte, avocat. 

Cachet, conseiller général de Tlndre, à 

Issoudun. 
Gaden (Ch.). 

Galle, receveur d'enregistrement à Laon. 
Garât (J.^.), docteur-médecin. 
Garitey, à Lesparre. 
Gamier (Emile), avocat agréé. 
Garrau (C), avoué. 
Garres (V^*) jeune et fils. 
Garric (Jules). 

Gauban (Octave), avocat à La Réole. 
Gauban. 



MM. 

Gaubert, à Villefranche. 

Gaulier (Adrien), à Ambarès. 

Gault (L.), rentier. 

Gaussens (l'abbé E.), archiprêtre, curé de 
Saint-Seurin. 

Gautier (A.) atné, ancien maire de Bor- 
deaux. 

Gautier (A.-J.-J.),'fondé de pouvoirs du 
Crédit agricole. 

Gauthier (E.). 

Gauthrin (M»« Vv«). 

Gauzence (M« Vvt A. de). 

Gazagne. 

Georges (de), négociant. 

Gergerès (Aurélien), avocat. 

Gères (Jules de), château de Mony. 

Germot, â Bègles. 

Gervais, conseiller général. 

Gervais (l'abbé), vicaire général. 

Gilbert-Martin, homme de lettres. 

Girard (J.-B.), agréé au Tribunal de 
commerce. 

Godard (C.). 

Godbarge. 

Godefroy (Antonin), à Paris. 

Godefroy (G.). 

Gombaud fils atné, â Castelnau (Médoc). 

Gonfreville (E.). 

Gontier (Léon). 

Goubie (Emile), â Arcachon. 

Gôudin frères. 

Gouget (A.), archiviste du département. 

Gourdon (François). 

Gourrion (Eugène), â Castelnau (Médoc). 

Graby. 

Gradis, juge au Tribunal de commerce. 

Graff(P.). 

Grailly (vicomte de). 

Grangeneuve (Aurélien). 

Grangeneuve (Edmond), avocat. 

Gras (G.), conseiller général. 

Grassin. 

GrateroUes (Maurice). 

Griffon (E. de), ancien consul du Sr*Siége. 

Gué (Oscar), peintre. 

Guénan, château Suau â Capian. 

Guérineau (Achille). 

Guestier (Gaston). 

Guibert (Gustave), propriétaire. 

Guicheteau (l'abbé), curé de Sainte-xM«rie; 
Bordeaux-La-Bastide. 

Guilbaud (l'abbé), curé de Bégadan. 

Guilhou. 

Guionie (de). 



j 



LISTE DES SOUSCRIPTEURS. 



XI 



MM. 
Guizerix. 

Guttin (rabbé), curé de Sallebœnf. 
Gaz (J.-J. de). 

H 

Halty (A.). 

Haacbecornc (A.-P.)i coartier. 

Hazera (Edouard). 

Hazera (l'abbé), vicaire à Saint-Louis. 

Hecquet (Paul), à Paris. 

Henry, receveur de l'asile des Aliénés. 

Hermenk (Angel). 

Hermitte-Pelissier, avocat 

Heyet (l'abbé), curé de Tresses. 

Heyrim. 

Hillairet (J.-B.). 

Hospitel-Lhomandie. 

Hoiirtillan. 

Hubert (Ernest), directeur de la succursale 

de la Banque. 
Hue, hôtel de France. 
Hugon (J.), à Castelnau (Médoc). 



I 

Icard, docteur-médecin, directeur de l'asile 
des Aliénés de Cadillac. 

lllaret (A.), médean vétérinaire à Saint- 
Ferme, 



Jabouin, ancien adjoint au maire de Bor- 
deaux. 

Jacquemart, inspecteur du travail des 
enfants dans Tindastrie. 

Jacquier, ingénieur des ponts et chaussées. 

Jaumard (Emile), avoué. 

Jemain (J.). 

Joanne (H.). 

Joanne (L.). 

Johnston (Nathaniel), ancien député. 

Jolivet (Louis), avocat. 

Joly (A.), ingénieur en chef des ponts et 
diaussées, 

Jonmu (Henri). 

Jurie, négociant. 

Jurquet (l'abbé), archiviste diocésain. 

m 

K 

Kercado (comte A. de), 
Kersaint-Gilly (Charles de). 



MM. 

Klecker (Alfred), conseiller à la Cour 

d'appel. 
Kolb (M. G.) père, à Arcachon. 
Kolb (Emile), à Arcachon. 



Labadie (Ernest). 

Labadie (L.). 

Labadie (A.). 

Labalette, juge suppléant. 

Labat (Gustave). 

Labat (Pierre). 

Labayle (Alfred), notaire. 

Labbé (A.), architecte du département. 

Labié. 

Labrit, notaire à Quis (Indre). 

Lacaze (de). 

Lacaze (Femand). 

Lacaze (Eugène), conseiller général. 

Lacaze du Thiers. 

Lacoste (Marcelin). 

Lacoste (Henri), ancien notaire. 

Lacoste (l'abbé J.), vicaire à Saint-Seurin. 

Lacou (J.). 

Lacouture (L.)) à Baurech. 

Ladous (Edouard), à Condom. 

Lafabrie, avocat. 

Lafage, avoué. 

Lafargue jeune. 

Lafargue (Eugène), greffier à la Cour. 

Lafargue (Edmond), à Libourne. 

Lafargue (E.), à Bordeaux. 

Lafargue (Eugène), docteur-médecin. 

Lafargue (Georges), rédacteur à la Préfec- 
ture de la Gironde. 

Lafargue (J.), architecte, cours de l'Inten- 
dance. 

Lafargue (H.). 

Lafon(D.). 

Lafon (Isidore), avocat. 

Lagache (Alfred). 

Lagrange (M*«). 

Lagrange, précepteur au château Latour- 
Carnet. 

Lagrave, juge de paix. 

Lajard. 

Lalande (Armand), négociant. 

Lalande (Ch.). 

Lalanne (J.), ancien notaire. 

Lalanne (E.), directeur du Poids public. 

Lalanne (J.). 

Laloubie (l'abbé), curé de Montigaut. 

Lamarquc de Plaisance, à Arcachon. 



XII 



HISTOrRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM* 

Lamberthod, coaducteur des ponts et 

chaussées. 
Landard, notaire à Castelnau (Médoc). 
Lantfranqae (A. de). 
Lang (VTe). 

Lanoire (C), conseiller d'arrondissement. 
Lapène (Ferdinand). 
Lapeyre, à Castelnau (Médoc). 
Laplacette, négociant. 
Laporte fils. 

Laporte (Mathieu), commandant des sa- 
peurs-pompiers. 
Largetcau, avocat. 
La Rivière (de)^ à Mauriac. 
Laroche (Oscar de), à Estillac. 
La Roche-Tolay (de), ingénieur en chef des 

ponts et chaussées. 
Larouchelle (l'abbé), chanoine honoraire. 
Larrard (de). 
Larré, avoué. 

Larroque, à Arengosse (Landes). 
Larroquette, à Arcachon . 
Laroze (Georges), greffier du Tribunal de 

commerce. 
Lassime (M"* A. de), à Béguey. 
Lassus (J.). 
Lataste (A.). 

Lataste (E.), vice-président des hospices. 
Latour. 
Laurent, ingénieur en chef de la voie des 

Chemins de fer du Midi. 
Laussucq (H.), préposé en chef de l'Octroi 

de Bordeaux. 
Lavalette de Monbrun (vicomte), château 

Cazeaux. 
Lawton (Dan.), rentier. 
Lawton (Ed.). 

Lauga, conseiller d'arrondis', à Dieulivol. 
La Vergue (comte de). 
Le Barillier (Félix). 
Le Bègue, directeur de Tasile des Aliénés 

de Bordeaux. 
Lebriat (L.). 
Lebrun de Marck. 
Leclerc. 

Lefebvre, libraire. 
Lefranc (Emile). 
Lefeuvre, rentier. 
Le Four, docteur-médecin. 
Le Grand (A.-E.), négociant. 
Legrix de La Salle, juge au Tribunal de 

Bordeaux. 
Legrix de Tustal, propriétaire. 
Léon (Adrien), ancien député. 



MM. 

Léon (Alexandre), président du Conseil 
général de la Gironde. 

Leroy de Lanauze, au Rat. 

Leroy, conseiller de Préfecture. 

Lesca (Léon), conseiller général. 

Lescall^ (Henry). 

Lesnier (Frédéric), conseiller général. 

Lespiuasse (G.), ancien adjoint. 

Le Vavasseur. 

Levieux, docteur-médecin. 

Levillain (C), avocat. 

Leybardie (Alfred de), propriétaire. 

Liacim (Frère), directeur des Écoles chré- 
tiennes de Bordeaux. 

Livertoux. 

Lomenie (Louis de), propriétaire. 

Lopès-Dubec (R.-F.), négociant. 

Lory (Henri de). 

Loste (H.), notaire. 

Lourse fils. 

Luié-Dejardin (Henri), avocat. 

Lur-Saluces (marquis de), ancien député. 

Lussaud (L.), avocat. 

Lutard. 

Luytt, ingénieur en chef des mines. 

Luze (Qi. de). 



M 



Mabit, docteur-médecin. 

Magnan. 

Maignan (Victor). 

Maître (Adrien). 

Malet (baron de). 

Malve2in (Théophile), avocat. 

Mandeville (A.), homme de lettres. 

Manès, docteur-médecin. 

Manières (A.), conseiller à la Cour d'appeu 

Marbœuf(Noé). 

Mareilhac, ancien maire de Mérignac 

Marbotin (Ch. de), ancien secrétaire général 

de la Préfecture. 
Marcellus (comte Edouard de). 
Marchand et Ramon. 
Marmisse, docteur-médecin. 
Maroix (Pierre). 

Marquette (l'abbé A.),curé doyen d'Audenge 
Martin (Amable). 
Martin (Gustave). ^ 

Martin, adjoint au maire de Listrac. 
Martin (Martin), chef de musique. 
Masson. 
Massy (A.-J.). 
MaUbon (Paul), architecte. 



LISTE DES SOUSCRIPTEURS. 



XIII 



MM. 
Manbourguet (J.)> 
Maarel (£.), plaident de la Société Philo- 

mathique. 
Mauvezin (baron de). 
MauTezio (marquis Leblanc de). 
Mayer (Léon). 
Maze. 

Mégret, membre de l'Académie de Bor- 
deaux. 
Mennesson (P-.Louis). 
Méran (Georges), avocat. 
Mèredien (de), avoué. 
Mèredieu (Km. de). 
Méric (E.), jeune. 
Merman (G.), courtier. 
Merman (Jules), juge au Tribunal de 

commerce. 
Merzeau, receveur municipal à Arcachon. 
Meslon (baron de). 
Mestrezat, consul de Suisse. 
Meynard, chanoine honoraire, curé de' 

Saint-Michel. 
Mialle (Ch.). 

Micé (L.), docteur-médecin. 
Michau (François). 
Miche (Emile). 
Michel (Ch.), avoué. 
Michel (Auguste), ancien greffier en chef 

de la Cour d'appel. 
Michelot (E.). 
Michon, à Sens (Yonne). 
Mimoso, avoué. 
Minier (Hippolyte), membre de l'Académie 

de Bordeaux. 
Minvielle (M»*). 
Miollis (de), juge d'instruction. 
Mirande de Lavergne (Oscar de), à Castel- 

nau (Médoc). 
Myre-Mory (comte de La). 
Mirieu de Labarre (Jules). 
Moizan (Louis). 

Molliet (Maxime), à Casteinau (Médoc). 
Mongardey (Charles). 
Montcenis (l'abbé). 
Montcheuil (Moreau de), inspecteur des 

Douanes en retraite. 
Montesquieu (Gérard de). 
Moquet (Vtb). 
Morange (A.), avocat. 
Moriac (E.). 
Motz (Frédéric). 
Moulin (G.), libraire. 
Moulins (G. de), chef de division à la 

Mairie. 



MM. 

Mounet (E.). 
Moustié. 
Muller(H.). 
Musset, notaire. 



N 



Nègre. 

Nicolet (L.). 

Niel, sous-préfet de Nérac. 

Noaillan (comte de). 

Noguès (L.)< 

Nolibois (Jean), à Saint-Médard-d'Eyrans. 

Noyer, avocat. 



Oberkampff (baron). Pavé des Chartrons. 
Oberkampff (baron Emile), receveur des 

finances au château Saint«Magne. 
Olîvié (A.). 

Oré (Cyprien), docteur-médecin. 
Orza (S. de 1'). 



Panel (Adrien), à Cestas. 

Panel (Tom), chef de division à la Mairie. 

Papin (William). 

Parenteau (l'abbé), curé de Sainte-Eulalie. 

Paris (E.), avocat. 

Pascal (E.), ancien conseiller d'État, ancien 
préfet. 

Pascault (Léopold), avoué. 

Pascault (Léonce). 

Passemard, inspecteur des Domaines. 

Pauly (Paul). 

Péchade-Taillefer, ancien juge de paix à 
Verdelais. 

Péhau père. 

Peindre (A.). 

Pelet d'Anglade (de). 

Peletingcas, colonel de gendarmerie. 

Péon, docteur-médecin. 

Périé frères, architectes. 

Périer (Léon),' officier d'académie, phar- 
macien À Pauillac. 

Perpignan (Alphonse). 

Perrens. 

Perrot (Ch.), chef de cabinet du préfet de 
la Seine. 

Perry (L. de), doctear-médecin. 

Person (F.-C.). 

Péry, notaire.honoraire. 

Petit-Laroche (S,). 



XIV 



HISTOIRE DE LA. TERREUR A BORDEAUX. 



MM. 

Petit (Fernand), avocat au Conseil d'État. 

Peyrclonguc (A.), avoué. 

Peyrusse (Gabriel de), au Nizan. 

Pezeux, à Arcachon. 

Pezinié. 

Philiparie, agent-voycr-chef adjoint à la 

Préfecture. 
Picard (Edmond). 
Pichard (Armand de), conseiller à la Cour 

d'appel. 
Pichard père (de). 
Pichon-Longuevillc (baron de). 
Pierlot (Vt« Auguste). 
Piganeau (E.), artiste peintre. 
Piganeau, banquier. 
Pigneguy, à Lamarque. 
Piis (de), à U Brède. 
Pinchon (A.), directeur des Douanes. 
Pineau (Jules de). 
Piola, ancien maire de Libourne. 
Pohls (H.). 

Poinstaud (G.), avocat. 
Pommez (Jules), avocat. 
Pontac (vicomte G. de). 
Pontevès de Sabran (marquis de), conseillei 

général 
Potié (Albin), ancien secrétaire du maire 

de Bordeaux. 
Poujardieu, à Gradignan. 
Pozzi (G.- A.). 
Pradet (Emile). 
Préaut (Charles), 
Prieur (Jules). 
Princeteau (Paul) fils. 
Prom, négociant. 
Prompt, ingénieur en chef des ponts et 

chaussées. 
Proust (Camille). 

Pruce, conducteur des ponts et chaussées. 
Pujos (E.). 

Pujos, docteur-médocin. 
Puydebat, docteur-médecin. 



Quintin père, ancien notaire. 
Quintin (Paul), notaire. 



I 



Raba (Amédée). 

Rabion (J.-E.), notaire, 

Raboutet-Chevallier. 

Rafaillac, docteur-médedo à Margaux. 



MM. 

Raffet, courtier. 

Ragot (Gustave). 

Rancourt (de). 

Ransan (l'abbé), curé doyen de Castelnau 
(Médoc). 

Raoul- Bernard. 

Râteau, avocat. 

Raymond (l'abbé E.), curé de la Cathédrale. 

Raymond (Adolphe), contrôleur municipal. 

Raymond aîné, ancien maire de Listrac. 

Rech (E). 

Régis (Ernest). 

Régis (F.), président de la Société d'Agri- 
culture. 

Reniac (A.), professeur au Petit-Séminaire. 

Renouil (Pierre), aîné, maire à Cussac. 

Requier, conservateur des hypothèques. 

Rey-Gaussen (J.), pharmacien à Libourne. 

Rhodc, négociant. 

Ribadieu (Ferdinand). 

Richard (Léonce). 

Riffaud (Emile). 

Rigondet (A.), membre du Conseil de 
Prud'hommes. 

Roborel de Climens. 

Rodes (B.), négociant. 

Rosset (A.), notaire. 

Roussanne, chef de division à la Mairie. 

Rousseau. 

Rousseau (Louis). 

Roux (Léonce). 

Rozat (Ferdinand), notaire. 



Sabourin (Emile). 

Saige (E.), receveur des Domaines. 

Saignât, avocat. 

Sainse vin, chef de bureau i la Préfecture. 

Saint-Germain (de), avoué. 

Saint-Jean (Edouard). 

Saint- Joseph (comte de). 

Saint-Marc, agent de change. 

Samt-Pierre (Ivan de), juge au Tribuna 
civil de Bordeaux. 

Salabert. 

Saladin (l'abbé Ferdinand), vicaire i Saint- 
Michel. 

Saignes de Génies. 

Salviat, docteur-médecin. 

Samazeuilh (G.). 

Santa-Coloma (A. de), consul de la Répu- 
blique Argentine. 

Sarget de Lafontaine (baron). 



LISTE DES SOUSCRIPTEURS. 



XV 



MM. 

Sarrat (G.). 

Sarrau de Boynet (vicomte Aurélien de), 

avocat. 
Sarrau de Bo]ri)et (comte), directeur d'As- 
surances. 
Sarrail (Adolphe), membre du Conseil de 

Prud'hommes. 
Saurat père. 
Sauvât, libraire. 
Savès(PauI). 
Schad (J.). 
Sdimit (Georges). 
Schacher(G.). 
Scia fer (Honoré). 
Séba (Isaac). 
Séba (Charles). 

Secrestat aîné (J.-H.)f conseiller municipal. 
Seguey, docteur-médecin. 
Seignac-Beckf professeur de rhétorique au 

Petit-Séminaire. 
Sellcrier (Alfred), à Saint-Médard-en-Jalle, 

château Belfort. 
Sénamaud (Jean), président de l'Institut 

Confudus de France. 
Sens (Henri). 

Serieyx (Emile), à Limoges. 
Scrvat (l'abbé), curé de Saint-Nicolas. 
Sève (Eugène). 
Sève (Henri), directeur du Dépôt de 

mendicité. 
Sèzc (Aurélien de), avocat. 
Sicher (H.), notaire. 
Sicre (François). 

Silliman (Ch.), vice-consul de Suisse. 
SoUberg, agent de change. 
Sorbe (A.). 

Sorbet (E.), à Castelnau (Médoc). 
Soula, banquier. 
Soulacroix. 

Soulé fils, docteur-médecin. 
Sourget (A.), ancien adjoint. 
Sourianx (Léon), conducteur des ponts et 

chaussées. 
Souviron (T.). 
Stéhélin (Alfred). 
Sttdre. 

Snperville (H.). 
Sursol fils (F.). 



Tafaillé (Bertrand). 

Tampier(L.), consul général de lurquie. 

Tandonnet (Paul), consul du San Salvador. 



MM. 

Tastet (Gustave), conseiller général. 

Tcisseyre (Jules). 

Terpereau, pihotographe. 

Tessèdre (Edouard). 

Tessier (Clément). 

Teynac (Valentin). 

Theulier. 

Thevenard. 

Thiac (Eugène de). 

Thibaut (l'abbé Cypricn), à Portets. 

Thieffry (Jean-Baptiste). 

Thierrée, notaire. 

Thierry, 

Thierry (Edouard). 

Thomas (Prosper). 

Thounens, conseiller général. 

Tillct (P.), vétérinaire. 

Tiphon (l'abbé), curé d'Eysines. 

Tischler (Ch.), négociant. 

Tougne (Louis), à Castelnau (Médoc). 

Toulouse (Adolphe). 

Tramasset. 

Trancart, sous-préfet de Liboumc. 

Tregan, à Arcachon. 

Tresse, capitaine de frégate, à Rochefort- 
sur-Mer. 

Tresse. 

Treyeran, ancien maire de Cuiudéran. 

Trigant de Beaumont (comte Élie- Joseph- 
Louis- Arthur). 

Trubesset (Auguste), consul de Saint- 
Marin. 

Turban, secrétaire de la Mairie de Cussac. 



U 



Uzac (Joseph), chflteau Fourchateau, à 
Mérignac. 



Val (du), notaire, à La Brède. 
Valat, ancien recteur. 
Valette-Lagavinie, receveur des Hospices. 
Van Den Hemele, agent général du 

Conservateur. 
Vandercruyce. 
Vapaille (Edouard), chef de division à la 

Mairie. 
Varlet (E.). 
Varrailhon (M.-C). 
Vautrin, percepteur. 
Veccheider. 



XVI 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM. 

Vène, archiviste de la Société d'Agriculture. 

Verdalle (Henri), médecin. 

Verdalle (Gabriel), avocat. 

Verdeau (E.) et O*, Assurances nuiritimes. 

Verdier(J.). 

Vergez fils (H.). 

Vergez (Ad.), négociant. 

Vergez père et fils. 

Verthamon (marquis de), château du 

Castera. 
Verthamon (baron de). 
Verrière fils, à Castelnau (Médoc). 
Vézia (Louis), supérieur des Pères Jésuites. 
Vézia jeune, négociant. 
Viaud, à Gauriac. 
Videau (A.). 
Videau (Henri). 
Vieillard (Albert). 



MM. 

Vignolles. 

Viguier (H.), rentier. 

Villiet (Joseph), membre de l'Académie de 

Bordeaux. 
Viros (l'abbé J.-H.)) curé de Brach. 
Vives (J.-B.), ancien magistrat 
Vivie (l'abbé Eugène de), curé-archiprêtre 

de Daroazan. 
Vivie (Achille de), i Montauban. 

W 

Wustemberg (Henri). 



Youreau (G.), professeur au Petit-Sémi- 
naire. 



'* î ^* t ^'> ^ ^' >t ^'> l ^ t ^'^ t ^'> t* '' *t^t^ ''^ t* ''* t *'' *î ^ 



PRÉFACE 



Ce livre n'est ni un pamphlet, ni une œuvre 
de parti. 

Cest un livre d'histoire, écrit avec impartialité, 
sans parti pris, en dehors de tout esprit de coterie, et 
dans lequel Tauteur s'est surtout attaché à raconter 
fidèlement les événements dont la ville de Bordeaux 
a été le théâtre de 1789 à 1794. 

Voltaire a dit quelque part : a L'Histoire est un 
témoin (0. m 

Cest en témoin que Fauteur a écrit. Il use en 
citoyen de la liberté dont la vérité a besoin (^) ; mais 
il a juré de dire la vérité, toute la vérité, se souve- 
nant, selon la parole d'un de nos grands historiens 
modernes, qu'il n'y avait rien de plus condamnable 
lorsqu'on s'était donné spontanément la mission de 
dire aux hommes la vérité sur les grands événements 
de rhistoire, que de la déguiser par faiblesse, de 
l'altérer par passion, de la supposer par paresse, et 
de mentir, sciemment ou non, à son siècle et aux 
siècles à venir (3). 



(1) Histoire de Charles XII. 

(2) Duclos, Considérations sur les mœurs. 
f3) M. Thier*. 



XVIII HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Certes, il fallait une certaine somme de courage à 
Tauteur pour entreprendre et mener à tin, dans sa 
ville natale, une Histoire de la Terreur à Bordeaux. 

Sur ce terrain brûlant, il risquait de soulever 
des susceptibilités, de raviver des deuils, de ranimer 
des passions que le temps a peut-être apaisées, et 
d'être injustement taxé de jeter des ferments de 
discorde et de haine au milieu d'une population qui 
a prouvé son calme, sa modération, sa sagesse au 
milieu des troubles civils passés ou présents. 

Ces considérations n'ont pas eu le pouvoir 
d'arrêter lauteur. Il a cru qu'il devait la vérité à 
ses concitoyens, et il a précisément pensé trouver 
dans le bon esprit dont ils sont animés un gage 
d'indulgence et de bienveillance à la fois pour son 
œuvre présente. 

Il s'est rappelé que si l'histoire paraît quelquefois 
censurer les personnes dont elle s'occupe, c'est bien 
plus la faute des coupables que celle de l'historien (0, 
dont le premier devoir est d'effrayer le vice par la 
crainte de la postérité et de l'infamie (^). 

Et il a écrit — honnêtement, sobrement, sans 
arrière-pensée — le livre qu'il soumet au jugement 
de ses lecteurs. 

« L'Histoire qui punit et qui récompense, » a dit 
Chateaubriand, « perdrait sa puissance si elle ne 
savait peindre. » L'auteur a eu le sentiment de ce 
précepte; mais il n'a pas forcé les couleurs de sa 
palette, le sujet ne lui ayant pas paru comporter des 



(i) Flcury. 

(3) Tacite, Annales, liv. III, chap. lxv. 



PREFACE. XIX 



effets à la Delacroix : il a raconté dans un style 
exempt des redondances, des subtilités ou des recher- 
ches de phrase et de langage d'une certaine école 
moderne, les événements d'une sombre et terrible 
époque; il a pensé que s'il restait vrai et s'il 
n'omettait rien d'essentiel, il aurait, par la force 
même des choses, atteint le degré de coloris et de 
peinture qui convient au récit des douleurs de la 
patrie locale. 

L'auteur ne s'est pas dissimulé que des esprits 
chagrins l'accuseraient de jeter la pierre à la Répu- 
blique et de la rendre responsable des atrocités de 
la Terreur. 

Il ne se défendra contre une pareille accusation 
quen affirmant ses principes bien connus d'indé- 
pendance et de libéralisme, et en répétant qu il n'a 
voulu écrire ni un pamphlet ni une œuvre de parti (^). 

Il a, avec d'excellents esprits, de l'amitié desquels 
il s'honore et qui appartiennent aux partis les plus 
opposés, reconnu depuis longtemps qu'au point de 
vue du gouvernement des peuples et de l'autorité, 
deux seuls principes divisent le monde moderne : la 
monarchie et la souveraineté populaire. 11 accepte 
ces deux formes de l'autorité humaine, et, sans se 
prononcer sur leur valeur réciproque, il déclare en 
âme et conscience qu'il n'est pas homme à reprocher 
à ces principes les fautes ou les crimes commis 
durant leur application et qu'il ne leur en fait pas 
remonter la responsabilité. 



(i) Interest reipublicce cognosci malos. (Bayle, dans sa dissertation sur 
les libelles diffamatoires.) 



XX HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Sans partager toutes les idées de Téminent auteur de 
la dernière Histoire de la Révolution française ('), 
il dira avec lui et sans réserve : 

«... Efforçons-nous d'être justes. 
» Déplorons du fond de Tâme la Terreur. 
» Condamnons énergiquement la dictature en 
» principe. 

» Vouons au mépris le culte de la force. 

» Maudissons lès excès et flétrissons les crimes... » 

Tels sont les principes généraux qui ont dirigé 
Tauteur dans la composition de son livre. 

Il Ta cru utile; il a pensé que Theure était venue 
de recueillir, sans haine et sans crainte, des docu- 
ments déjà bien dispersés et dont le temps pourrait 
encore compromettre l'existence; il a écrit sur les 
pièces officielles, d'après les récits des contempo- 
rains, et s'est imposé comme première loi la plus 
entière impartialité. 

A ce point de vue, il demande à signaler comme 
preuve de cette impartialité la reproduction faite 
volontairement et dans une large proportion, de 
documents inédits ou importants qui lui ont paru 
devoir passer intégralement sous les yeux du lecteur. 
Il a dû sacrifier parfois, mais sans le regretter, la 
concision du récit à la nécessité de l'éclairer par les 
paroles ou les actes des personnages qui ont joué 
un rôle dans les événements qu'il raconte. 

En résumé, l'auteur le dit avec conviction : Son 
livre manquait, il a composé son livre. 

{\) M. Louis Blanc. 



PRÉFACE. XX [ 



Il ne terminera pas ces lignes préparatoires sans 
adresser du fond de son cœur des remercîments 
sincères aux nombreux amis (') qui Font aidé de 
leurs conseils et de leurs recherches, soutenu par 
leurs encouragements et loué de son initiative. 11 leur 
devra d'avoir mené son œuvre à bonne fin. 

Toutes nos histoires locales sont muettes, on peut 
le dire hardiment, sur Tépoque de la Terreur à 
Bordeaux. La lacune sera comblée aujourd'hui; 
Fauteur Tespère du moins; il n'a pas toutefois la 
prétention d'avoir épuisé le sujet, et de plus habiles 
que lui pourront peut-être le compléter plus tard et 
ajouter des pierres nouvelles au monument qu'il a 
tenté d'élever, non sans se dissimuler Timperfection 
de son œuvre, pour servir à l'instruction de ses 
concitoyens. 

Reconnaissance et merci aux amis connus et 
inconnus qui ont assisté ou qui assisteront l'auteur 
pour le succès de son livre. 

Telle est sa dernière parole avant de se livrer au 
jugement des lecteurs. 

A. V. 

7 Avril 1871. 



(I) Il y aurait Ingratitude de notre part à ne pas nommer ici M. Gouget, 
archiviste du département, et MM. Ducaunnès-Duval et Roborel de Climens, 
ses deux intelligents collaborateurs. I^urs communications, faites avec une 
rare obligeance, ont grandement facilité notre travail. 



XXII HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Son Éminence Ms^ le Cardinal Donnet, archevêque 
de Bordeaux, a daigné adresser la lettre suivante à 
Tauteur de Y Histoire de la Terreur à Bordeaux : 

ARCHEVÊCHÉ DE BORDEAUX. 

« Monsieur, 

> Je viens de terminer la lecture de votre manuscrit et 
m'empresse de vous offrir mes félicitations. 

» Vous avez raconté avec exactitude, précision et clarté, les 
)» faits qui composent V Histoire de Bordeaux pendant la longue 
» tourmente révolutionnaire. Nulle part je n'ai vu peinte avec 
» autant de vigueur la physionomie de notre ville à cette 
» sombre époque, comme aussi je n'ai pas trouvé ailleurs, du 
n moins aussi bien groupés, des faits importants dont vous 
» indiquez avec une rare sûreté de coup d'oeil les causes et les 
3> conséquences. 

» Dans votre étude et vos recherches, vous avez rencontré 
« soit à sa formation, soit dans ses développements, le schisme 
» officiel qui s'appela l'Église constitutionnelle de Bordeaux et 
» vous en avez parlé en catholique. J'ai pris soin toutefois de 
j» marquer certains passages où votre pensée ne ressort pas 
» assez clairement; un mot ajouté, une phrase refaite suffira 
ï) pour dissiper toute obscurité (0. 

» Quels documents, Monsieur, que ceux que vous avez 
?> empruntés aux archives judiciaires! On les lit avec un 
» poignant intérêt, mais en même temps avec une sorte d'effroi, 
n Les sentences du tribunal révolutionnaire de Bordeaux et les 



(i) T.*auteur a corrigé les légères imperfections signalées par Téminent 
prince de l'Église. 



PREFACE. XXIII 



» interrogatoires sommaires des victimes frappent de stupeur; 
» on se demande comment ont été possibles des monstruosités 
]> pareilles. 

» Mon Dieu, une pareille lecture pourrait-elle ne pas pro- 
» duire sur le lecteur une impression salutaire et faudrait-il 
» à ce point désespérer de nos contemporains, que le tableau 
» des crimes d'autrefois ne leur fît pas flétrir les passions qui 
i> qui les ont enfantés ? Non, sans doute, et cet espoir fait 
» l'utilité et l'opportunité de votre livre. 

» Je fais des vœux pour son succès et vous prie de me 
» croire. Monsieur, votre bien dévoué, 



» Ferdinand, cardinal Donnet, 

» Archevêque de Bordeaux, 



» Bordeaux, le 19 février 1872. » 



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HISTOIRE 



DE LA 



TERREUR A BORDEAUX 



LIVRE PREMIER 

BORDEAUX POLITIQUE ET RELIGIEUX DE 1 789 A I792. 



CHAPITRE I 

BORDEAUX AVANT I789. — COUP d'œÎL RÉTROSPECTIF. 

Bordeaux sous Louis XVI. — Turgot et la liberté commerciale. — Les 
négociants boi délais. — • Haïti et le port de Bordeaux. — La guerre 
d'Amérique. — Paix de 1783. — Traité de 1786. — Exportation des 
vins de Bordeaux. — Le commerce et les beaux-arts. — Académie de 
Peinture. — Académie de Bordeaux. — Le Musée. — Les belles-lettres à 
la fin du XVIII* siècle. — Le clergé bordelais.— Le maréchal de' Richelieu. 
— Le Grand-Théâtre — Le Château-Trompette. — La société bordelaise 
et les salons. — Le barreau. — Le Parlement de Bordeaux. — Michel de 
Montaigne, La Boôtie et Montesquieu. — Les alluvions. 

La ville de Bordeaux était arrivée à Tapogée de sa 
prospérité sous le règne du roi Louis XVI. 

Les événements qui s'étaient accomplis de 1774 à 1783 
avaient eu, pour le développement de la richesse publique 
en France, les plus heureuses conséquences : les idées 
libérales de Turgot en matière commerciale répondaient 
à des besoins généraux et furent accueillies avec une vive 
reconnaissance dans tout le royaume. 

T. I. 1 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Si Tessor de ces idées fut en partie arrêté durant quelques 
instants par la faiblesse du roi, par les résistances des 
courtisans ou par Timpéritie du ministre Clugny, ancien 
intendant de Bordeaux, il n'en est pas moins wai que le 
mouvement était imprimé aux esprits, que le commerce 
avait suivi sa voie, et qu'il n'était pas plus possible de le 
faire rétrograder que d'obliger le torrent à remonter vers 
sa source. 

Bordeaux, toutefois, n'avait pas à retirer un profit 
immédiat de l'application des idées de Turgot. Depuis 
longtemps, en effet, cette ville était devenue le premier port 
de France, et, grâce à l'activité et au génie commercial de 
ses habitants, les navires bordelais flottaient sur toutes les 
mers; ils étaient les instruments d'une richesse incalculable, 
et la célébrité des négociants de Bordeaux s'étendait 
jusqu'aux confins du monde, avec une réputation de probité 
sans tache. 

Il était vraiment beau de voir toute une pléiade d'hommes 
honorables, dont le nom se pesait au poids de l'or, agiter 
modestement, dans des comptoirs que dédaignerait le luxe 
de nos jours, les intérêts les plus graves et les plus 
importants ! 

Les Aquart, les Gradis, les Bonnaffé, les Leroy 
et Capelle, les d'Egmont, les Furtado, les Ferrière, les 
Johnston, les Barton, les Lopès-Dubec, les Journu, 
les Wustenberg, les Nairac, les Letellier, les Sauvage, les 
Baour, les Raba, les Fégère-Gramont, les Guestier, les 
Tarteiron, les Balguerie, et tant d'autres que nous pourrions 
nommer, forniaient l'élite de cette génération puissante qui 
fut l'honneur de la cité. 

Par son immense commerce avec Saint -Domîngue^ 
Bordeaux était en quelque sorte « la métropole coloniale 
du midi de l'Europe 3>. 

Dès 1784, le commerce d'Haïti était accaparé presque 



BORDEAUX AVANT I789. 



exclusivement par le port de Bordeaux, et près de 
200 navires, appartenant tous à des armateurs de cette 
ville, la mettaient en relation avec tous les ports de Saint- 
Domingue. 

C'était, entre la perle des Antilles et la cité d'Ausone, un 
échange incessant : le sucre, Tindigo, le café, le cacao, 
l'acajou abondaient sur notre place et y apportaient la 
richesse et le mouvement commercial le plus extraordinaire. 

La guerre d'Amérique amena toutefois un temps d'arrêt 
dans ce mouvement; les escadres anglaises couvrirent la 
mer des Antilles et firent la chasse aux bâtiments 
marchands; mais la marine royale, commandée par les 
comtes d'Estaing, de Guichen, de La Motte-Piquet, 
d'Orvilliers et de Grasse, parut à Saint-Domingue et 
protégea efficacement les transactions de la marine 
marchande. Des convois de bâtiments furent à diverses 
reprises escortés par les flottes de Louis XVI, et c'est 
à cette protection que le commerce de Bordeaux dut de 
ne pas péricliter entièrement. 

La paix de 1783 vint mettre un terme aux dangers qui 
menaçaient la prospérité bordelaise. 

Trois ans plus tard, le célèbre traité de 1786, conclu 
entre la France et l'Angleterre et qui consacrait le principe 
de la liberté commerciale, fut un coup de fortune pour le 
commerce français et pour celui du port de Bordeaux en 
particulier : il créa une source inépuisable de débouchés 
et de transactions dont profitèrent largement à la fois les 
consommateurs, les producteurs, les négociants et la marine 
marchande elle-même. 

Grâce à ce traité, les vins de Bordeaux purent entrer en 
Angleterre avec des droits diminués de près de moitié, et 
les marchandises anglaises, à leur tour, abondèrent sur nos 
marchés et devinrent accessibles aux bourses les plus 
modestes. 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



La ville de Bordeaux, si riche déjà, atteignit alors le 
plus haut degré de puissance et de prospérité, et durant les 
dernières années du règne de Louis XVI, ses exportations 
de vins, pour ne parler que de cette branche importante 
à coup sûr de son commerce, arrivèrent au chiffre énorme 
de 120,000 tonneaux par an ^^K 

C'était dans le port de cette ville une activité qui avait 
pris des proportions véritablement inouïes jusqu'alors; les 
quais étaient encombrés d'une manière permanente de 
marchandises en chargement ou en déchargement; la 
rivière était couverte d'une flotte pacifique et sans cesse 
renouvelée qui la sillonnait en tous sens, apportant les plus 
riches produits coloniaux ou exportant les vins renommés 
de la Gironde. 

Que Ton ne s'y trompe pas cependant : l'esprit commer- 
cial n'avait pas éteint chez nos pères ces qualités aimables 
qui forment, avant tout, le fond de la race méridionale. 

Ils ne sacrifiaient pas exclusivement aux nécessités du 
négoce, aux désirs immodérés du lucre. 

La poésie, les belles-lettres, la philosophie, les sciences et 
l'économie politique étaient en honneur à Bordeaux à la fin 
du XVIII® siècle. Le goût des arts et des choses de l'esprit y 
était généralement répandu, et de nombreuses associations 
aidaient au développement et à la diffusion des connais- 
sances humaines dans toutes les classes de la population. 

C'est ainsi notamment que VAcadémie de Peinture, 
fondée par des artistes et des amateurs, favorisait à 
Bordeaux, par des cours publics et des expositions solen- 
nelles, l'étude des beaux-arts. Le peintre Lacour père en 
fut longtemps le recteur. En récompense des services qu'elle 
avait rendus, l'Académie obtint en 1779 la consécration 
légale de son existence par des lettres -patentes du roi 

(i) Henri Ribadieu, Histoire de Bordeaux pendant te règne de Louis X VI, 
p. 59 et 60. 



BORDEAUX AVANT 178g. 



Louis XVI. Elle était emportée quelques années plus tard 
par la tourmente révolutionnaire. 

L'Académie royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts 
de Bordeaux, fondée en 1712, et qui a eu Thonneur de 
compter au nombre de ses membres associés Voltaire 
et bien d'autres illustrations du xviii* siècle, publiait 
des travaux importants, stimulait par son exemple les 
littérateurs et les hommes d'étude, et jetait les fondements 
d'une réputation justement méritée. Une pléiade d'hommes 
éminents et distingués à des titres divers continue, de nos 
jours, les traditions de cette savante compagnie. 

En 1783, Duranteau, Saige et Lisleferme créaient, sous 
le patronage de la reine Marie -Antoinette et sous les 
auspices de l'intendant Dupré de Saint-Maur, la Société 
du Musée, qui a jeté un vif éclat dans les fastes littéraires 
de Bordeaux. Tous ceux qui cultivaient les belles-lettres 
firent partie de cette Société et voulurent contribuer aux 
dépenses des cours publics institués par elle. Le Musée 
tenait ses séances dans une des salles de l'Intendance, 
gracieusement mise à sa disposition; la littérature et la 
musique l'occupaient principalement, et on peut lire dans 
le volume publié en 1787 par la Société, des vers charmants 
signés par des hommes qu'enrichissait le commerce et qui 
ne dédaignaient pas de quitter la plume du négociant pour 
prendre celle du poète. 

Des travaux individuels qui ne furent pas sans mérite 
secondaient d'une manière très soutenue les efforts des 
associations que nous venons de signaler. 

Nous pourrions en donner une longue nomenclature. 

Bornons-nous à indiquer les principaux : De Clozanges 
créait le Journal de Guienne; les médecins Barbeguière et 
Capelle publiaient des mémoires estimés sur le mesmérisme 
et le régime des hôpitaux; Chevalier, Alphonse et 
Blanc s'occupaient des questions d'établissements publics 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



à Bordeaux; Cizos-Duplessis écrivait V Histoire poétique 
des Parlements, qui fut un instant remarquée; Dégranges fils 
traduisait ÏAgricola de Tacite; Péry, VAminte du Tasse 
et la Jérusalem délivrée, et Tabbé Jaubert les œuvres 
d'Ausone. 

Vigneron était couronné par TAcadémie pour un Éloge 
du maréchal de Biron; le négociant Laffont de Ladebat 
employait ses loisirs à composer des ouvrages sur les 
finances et l'économie politique; un autre négociant, 
Dudevant, publiait un essai philosophique, sous le titre 
à^ Apologie du Commerce; Risteau commentait VEsprit 
des Lois, et Berquin conquérait son nom â^Ami des 
enfants et de l'adolescence. 

En 1776, Tabbé Desbiey publiait un remarquable 
travail sur les Landes, et trois ans plus tard Tingénieur 
Brémontier illustrait son nom en fixant les dunes 
voyageuses, en les enchaînant au sol par Tensemencement 
des pins. 

Pendant le même temps, le savant botaniste Latapie, 
qui fut Tami de la famille Montesquieu , écrivait sur le pays 
bordelais une notice très curieuse et Un voyage en Italie 
qui, malheureusement, n'ont pas vu le jour; l'infatigable 
* abbé Baurein travaillait avec une ardeur juvénile à ses 
Variétés bordeloises (»); Lumière publiait des Recherches 
sur le droit public et les *Etats Généraux de Guienne, et 
Ferrère préparait son opéra de Psyché et l'Amour. 

Le clergé était, à cette époque, dignement représenté à 
Bordeaux. Af Champion de Qcé, un prélat éminent et 
remarquable sous tous les rapports, était placé à la tête du 



(t) Nos éditeurs, MM. Feret et fils, viennent de publier, avec le concours 
de M. Georges Méran, avocat, et de M. le marquis de Castelnau d'Essenault, 
une réimpression des œuvres de Baurein, qui a obtenu le plus légitime 
succès. Tous les lettrés doivent des remercîments aux intelligents éditeurs 
et aux promoteurs si distingués de cette publication. De pareils travaux 
honorent notre province. 



BORDEAUX AVANT I789. 



diocèse de Bordeaux; des hommes d'un talent véritable et 
d'une irréprochable vertu l'entouraient : M. Pacareau, très 
versé dans les matières canoniques et dont l'érudition était 

recommandable, M. Pacareau qui depuis mais alors il 

était fidèle à sa foi; M. Langoiran, qui fut assassiné 
en 1792; M. Cauderès, auteur d'un Éloge du comte 
d'Estaing; M. Dumyrat, dont on connaît une Oraison 
funèbre de la princesse Marie Lec:{inska, reine de 
France; M. Gourrèges, un prêtre plein d'enjouement et 
dont le nom se conserve au séminaire de Bordeaux (»). 
M. Jaubert, que nous avons déjà nommé et dont on a un 
dictionnaire estimé des arts et métiers; M. PifFon, qui 
fut membre de la Constituante, et une multitude d'autres 
qui affirmèrent leur foi par l'exil ou dans des publications 
qui honorent leur courage. 

On peut dire, sans crainte de se tromper, que le clergé 
bordelais de la fin du xvni® siècle était aussi vertueux 
qu'instruit, et qu'il conservait intact le dépôt des traditions 
de l'Église. 

Le maréchal de Richelieu était alors gouverneur de la 
province depuis 1758, et sous son administration, on doit 
le reconnaître, la ville de Bordeaux s'était rapidement 
embellie. Le vieux courtisan avait le goût des fêtes et des 
grandes manières; une cour brillante l'entourait, et c'est à 
lui que nous sommes redevables de plus d'un monument 
et du degré de magnificence auquel parvint notre cité 
durant son gouvernement. 

« 

L'activité des quais, l'animation des rues, les fêtes, 
les concerts, les relations fréquentes d'une société élégante 
et polie donnaient à la ville de Bordeaux une physionomie 

(I) Il a chanté en vers faciles le Cuisinier du Séminaire, en 1767. 



8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

qui n'a pas échappé à l'œil des voyageurs. Arthur Young 
écrivait en 1787 : <r La manière de vivre qu'adoptent ici 
les négociants est très somptueuse; leurs maisons et leurs 
établissements sont d'un genre dispendieux; ils donnent 
de grands repas, et plusieurs sont servis en vaisselle 
plate. » 

La recherche du luxe était poussée si loin par les 
négociants bordelais, qu'ils expédiaient leur linge dans les 
colonies pour le faire blanchir: cette mode, qui ne tarda 
pas à être adoptée à Paris, par la cour principalement, 
constitue un raffinement qui valait la peine d'être noté ici 
et qui est assurément Findice d'un haut degré de richesse. 

La construction du Grand-Théâtre fut un des actes qui 
honorent le plus l'administration du maréchal de Richelieu. 
C'est lui qui fit adopter par le ministre Galonné le plan 
de l'architecte Louis, et sa volonté ferme et persévérante 
eut raison des mauvais vouloirs de la jurade et des 
détracteurs acharnés du grand architecte. 

Dès 1 780, le Grand-Théâtre ouvrait ses portes au public, 
et cet édifice (ïun luxe scandaleux, selon l'expression de 
remontrances formulées par la Cour des Aides, ajoutait 
aux magnificences de la ville. 

En 1785, le roi ordonna la démolition du Château* 
Trompette : il s'agissait d'élever sur les ruines de cette 
forteresse inutile des constructions grandioses dont les 
plans étaient dus, comme celui du Grand -Théâtre, à 
l'architecte Louis. Au centre du nouveau quartier devait 
se trouver une place demi-circulaire, de 900 pieds de 
diamètre, vers laquelle convergeraient treize rues monu- 
mentales, terminées par des arcs de triomphe et portant 
les noms des treize États-Unis d'Amérique. Une colonne 
de 1 80 pieds, la colonne Ludovise, surmontée de la statue 
de Louis XVI, était destinée à dominer cet ensemble 
majestueux et à compléter une œuvre qui n'aurait pas 



BORDEAUX AVANT I789. 



eu de rivale. Arthur Young vit ces plans; il en fut 
ébloui i^K 

La pensée de Louis reçut un commencement d'exécution : 
quelques remparts furent démolis, des déblaiements assez 
considérables eurent lieu; mais les événements politiques 
arrêtèrent la réalisation de ce magnifique projet. 

Quant à Louis, sollicité de toutes parts pour élever de 
riches hôtels, il en construisit six ou sept (=») qui, s'ils n'ont 
rien ajouté à sa gloire, ont du moins consacré sa réputation 
parmi nous. 

Ces grandes constructions avaient attiré à Bordeaux des 
artistes et des ouvriers, comme les fêtes données par le 
gouverneur y attiraient de toutes parts des étrangers de 
distinction qui venaient se mêler à Télitè de la société 
bordelaise. 

L'aisance était générale et la prospérité régnait dans 
toutes les classes : e: A Bordeaux, a écrit plus tard Jouannet 
dans sa Statistique du département de la Gironde, vous 
trouvez une abondance facile, une abondance généralisée, 
celle qui en donne le sentiment à toute sorte de specta- 
teurs; on dirait que le Pactole y coule, et coule pour le 
peuple. > 

Par les prodigalités de leur luxe et le grand train de 
leurs maisons, par la protection qu'ils accordaient aux 
lettres et aux arts, les hommes distingués placés à la tête 
des diverses administrations publiques du temps répan- 
daient le bien-être autour d'eux, et prenaient une part 
naturelle au grand mouvement de la richesse publique qui 
se faisait remarquer à Bordeaux. 

Le duc de Mouchy, les comtes de Fumel et de Brienne, 
commandants en chef de la ville, les intendants Clugny^ 



(0 De Larouverade, Les dernières années du Parlement, 
(2) On peut citer les hôtels Sarget, Saige, RoUy, Fonfrède, LamoUère, 
Fumel, Loriagne, Legrix de Lassalle, etc., etc. 



10 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Dupré de Saint-Maur et Camus de Néville, les vicomtes de 
Noé et du Hamel, maire et lieutenant de maire, un grand 
nombre de riches jurats et de négociants partagent, avec 
le duc de Richelieu, l'honneur d'avoir contribué à l'éclat 
de Bordeaux à la fin du xviii^ siècle. 

S'il était nécessaire d'invoquer des témoignages à l'appui 
de cette prospérité, nous rappellerions le mot du comte 
d'Artois devançant de quelques Jours, en 1777, les visites du 
comte de Provence et de Joseph II, et s'écriant à diverses 
reprises, devant le panorama surprenant qui se déroulait 
sous ses yeux : c Je n'ai rien vu de plus beau ! . . . Je n'ai 
rien vu de plus beau!... 0). » 

Gentilshommes et négociants rivalisaient de luxe; les 
concerts et les grands repas se succédaient, les salons 
étaient ouverts, et une société brillante et choisie se pressait 
partout; la richesse et le plaisir débordaient. 

Parmi les salons les plus remarquables et les plus 
fréquentés après ceux de la noblesse et de l'aristocratie 
commerciale, on peut citer ceux de M™ Louis, femme de 
l'architecte, musicienne très distinguée et l'une des beautés 
de l'époque (*), de M. Lemesle, où se réunissaient les 
illustrations du barreau, et enfin de M. Gradis et de 
MM. Raba frères. 

D'un autre côté. Du Paty, Jean de Sèze, Duranteau, 
Martignac père, Cazalet, Garât, Brochon, Vergniaud, 
Guadet, Gensonné, Ferrère, Devignes et d'autres encore 
remplissaient le palais des accents de leur éloquence, ou se 
préparaient à jeter sur leurs noms l'éclat plus ou moins 
prochain des luttes politiques. 

Le Parlement de Bordeaux ajoutait à cet ensemble qu'on 
pourrait appeler féerique. 



(i) Mémoires de la République des Lettres, année 1777. 
(3) Le portrait de Madame Louis, peint par Robin, le peintre de la 
coupole de notre Grand-Théâtre, a figuré au Salon de 1776 ou 1777. 



BORDEAUX AVANT I789. II 

Disons quelques mots de ce grand corps judiciaire et du 
rôle politique quUl joua durant les dernières années du 
règne de Louis XVI. 

Le Parlement de Bordeaux, qui était devenu Pun des plus 
importants du royaume par son étendue et par Tillustration 
de ses membres, comptait à son origine, en 1462, un 
président et sept conseillers; en 1789, il se composait de 
cent dix-sept officiers titulaires divisés en cinq Chambres, 
et tenait ses audiences dans l'ancien palais des ducs de 
Guîenne, au château de TOmbrière. 

Son existence peut être partagée en deux phases 
distinctes : dans la première, il lutte d'abord avec le 
pouvoir royal dans Fintérêt du maintien des privilèges 
du pays bordelais, puis pour son compte personnel, durant 
les guerres de la Fronde, contre le despotisme insolent des 
ducs d'Épemon, qui cherchaient à anéantir la puissance 
parlementaire. 

La deuxième phase commence avec le xviii® siècle : 
les intérêts de la France semblent être devenus alors le 
principal objectif de ses protestations contre les envahisse- 
ments arbitraires de la cour, contre ses désordres et ses 
prodigalités, contre les édits bursaux qui opprimaient le 
peuple en enrichissant les ministres et les courtisans. 

La suppression des offices de tous les Parlements, 
en 177 1, le châtia de ses résistances et de sa fermeté (^K 

Au milieu des noms illustres que Ton pourrait citer dans 
ces phases diverses, trois figures au moins se détachent, qui 
ont jeté un vif éclat sur le Parlement : Montaigne, 
rimmortel auteur des Essais; La Boëtie, son ami, qui a 
écrit quelques pages d'une haute et admirable philosophie 
sous le titre De la Servitude volontaire, et Montesquieu 
dont le grand nom dispense de tout éloge. 

(I) Baron de Brezets, Essais hist. sur le Parlement de Bordeaux. 



1 
I 



12 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

■ — 'il' - ' 

Louis XVI monta sur le trône en 1 774, et les Parlements 
furent rappelés Tannée suivante. 

L'édit de rappel fut accueilli avec enthousiasme dans 
toute la province de Guienne, et le Parlement de Bordeaux 
fut réinstallé le 2 mars 1775 par le duc de Mouchy. 

Ce furent pendant trois jours des fêtes de toutes sortes : 
l'allégresse était générale à Bordeaux; tandis que les riches 
négociants donnaient des réceptions brillantes, les notaires 
faisaient chanter un Te Deum, et les francs-maçons 
fondaient une messe annuelle dans la chapelle du Becquet. 

Nous n'entrerons ni dans l'examen ni dans le détail des 
travaux judiciaires et politiques du Parlement depuis la 
reprise de ses audiences. 

Une importante question doit toutefois nous occuper : 
celle des alluvions de la Dordogne et de la Garonne, qui 
pendant cinq ans motiva les débats les plus vifs entre le 
pouvoir et le Parlement. Un arrêt du Conseil, de 1781, 
avait prescrit la recherche de toutes les alluvions de ces 
deux rivières et ordonné leur réunion au domaine de l'État. 

Cette décision causa une vive émotion dans toute la 
province, et, d'accord avec l'opinion publique, le Parlement 
délibéra des remontrances au roi. Son arrêt fut cassé en 
1783. Il persista, mais le ministère lassé fît enregistrer 
militairement des lettres-patentes annulant les divers arrêts 
du Parlement et ordonnant l'exécution des arrêts du Conseil 
relatifs aux alluvions. 

Des remontrances itératives furent délibérées par les 
magistrats bordelais ; on y remarqua cette phrase signifi- 
cative : a: qu* il convenait de rétablir ces assemblées antiques 
dont la convocation a été trop longtemps attendue ^^K i> 

A cette demande non déguisée d'États Généraux, la 
cour répondit par un lit de justice tenu à Versailles en 

(i) Lettre au roi du 29 janvier 1785. 



BORDEAUX AVANT I789. l3 

juillet 1786. Le roi fit transcrire sur les registres du 
Parlement des lettres-patentes contenant ses dernières 
intentions. 

Les droits des propriétaires riverains y étaient respectés, 
et ce résultat était dû à l'attitude courageuse des Parlemen- 
taires et à leur fermeté. 

En juin 1787, le Parlement refusait l'enregistrement de 
l'édit de création de l'Assemblée provinciale du Limousin 
et protestait quelques mois plus tard contre l'exil à Troyes 
du Parlement de Paris. La cour, irritée de ces résistances 
incessantes, prit une mesure extrême, et, par lettres de 
cachet, le Parlement fut exilé à Libourne ('^. Il obéit, mais 
de nombreuses adhésions lui arrivèrent et, fort de l'assen- 
timent public, il déclara qu'il ne reprendrait ses travaux 
qu'après la cessation de son exil ^^K 

C'est pendant son séjour à Libourne que le Parlement 
délibéra tout une série de remontrances, fort admirées 
alors, et où il abordait les questions les plus élevées de 
l'ordre politique et social. Toute la province l'encourageait 
dans cette voie, et les protestations des corps constitués, 
du clergé et des sociétés savantes elles-mêmes ajoutaient 
au mouvement des esprits et à l'inquiétude qui se traduisait 
de toutes parts. 

On était en 1788. 

Louis XVI venait de publier treize édits demeurés 
célèbres et dont l'objet principal était de restreindre le 
pouvoir des Parlements en créant, au-dessous d'eux, des 
grands bailliages chargés d'une partie des affaires dont la 
connaissance leur était attribuée, et au-dessus d'eux, une 
cour plénière chargée de l'enregistrement des impôts et 
des lois pour tout le royaume. 

(i) Le Parlement de Bordeaux le prit sur un ton si fier, qu*on le 
transféra à Libourne. (Louis Blanc, Histoire de la Révolution française, 
liv. I, chap. VL) 

(2) De Larouverade, Les dernières années du Parlement, 



14 HtSTÔIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Le 8 mai, ces édits étaient présentés par le comte de 
Fumel au Parlement. Celui-ci refusa Fenregistrement ; 
menacé dans ses privilèges et dans les attributions 
politiques qui avaient fait sa puissance, il éclata en 
remontrances passionnées. 

M. de Fumel fit transcrire militairement les édite sur les 
registres de la Cour et se retira. 

Cette résistance qui, pas plus que les précédentes, ne 
portait atteinte à la fortune commerciale et industrielle de 
Bordeaux, était Tobjet d'une approbation enthousiaste 
et générale. 

Mais, sur ces entrefaites, les États Généraux furent solen- 
nellement promis, et une ordonnance du Roi rappela le 
Parlement exilé. 

La rentrée à Bordeaux de cette grande compagnie amena 
le retour des ovations de 1776. Le premier président 
Le Berthon, dont c'était le destin, dut se laisser couronner 
de roses et d'immortelles au milieu des applaudissements 
de la multituie; Tavocat Garât le décora de la candeur du 
sage et de Vâme sublime d'un Romain, et on l'appela 
pompeusement, en latin, le Père de la Patrie. 

Le barreau prit sa part de ces démonstrations; la ville 
fut splendidement illuminée, et le peuple, après avoir 
promené une effigie du ministre Loménie de Brienne, la 
livra aux flammes au milieu des vivats et des imprécations 
de la foule. 

Ce furent les derniers triomphes du Parlement. 

Le a 3 octobre 1788, il enregistrait sans opposition 
IWdonnance annonçant la convocation prochaine des États 
Généraux; puis le silence se fit autour de lui, et dès le mois 
de juillet 1789, il se trouvait réduit à l'isolement et à 
le'impuissance, signes avant-coureurs d'une chute éclatant 
et prochaine. 

Les esprits étaient emportés dans un mouvement général 



BORDEAUX AVANT I789. l5 

et vertigineux, et ce qui restait des vieilles institutions 
féodales s'écroulait au milieu d'un douloureux enfantement. 

La grande famille parlementaire était d'ailleurs puissam- 
ment riche et jouissait dans la cité d'une influence sans 
rivale. Elle touchait à tout et à tous; ses alliances lui 
avaient créé des relations et des amitiés très nombreuses et 
très étendues, et ses salons, comme ceux 'de la noblesse 
et de l'aristocratie commerciale, réunissaient tout ce que la 
ville renfermait d'hommes importants par les positions, de 
familles connues par leur opulence. Les Le Berthon, 
les Dudon, les Daugeard, les Verthamon, les Leblanc de 
Mauvezin, les Baritault, les Lalande, les de Gourgues, 
les Marbotin, les Pelet-d'Anglade, les Lavie, les Pontac 
occupaient un rang élevé dans la société bordelaise de la 
fin du xviii® siècle, et les fêtes parlementaires rivalisaient 
avec celles des gouverneurs, de l'intendant, de la noblesse 
et du négoce. 

Au tnilîeu des traverses que nous venons d'esquisser et 
où le Parlement affirma plus d'une fols un %oïsme qui 
contribua à sa chute, Bordeaux restait une ville de plaisirs 
et de luxe, et Young pouvait écrire : « Malgré tout ce que 
1 j'avais vu ou entendu sur le commerce, les richesses et la 
> magnificence de cette ville, elle surpassa mon attente. 3> 

Tel était Bordeaux à l'aurore de la Révolution. 



♦ ♦♦♦♦■♦♦♦♦♦♦♦♦■♦^ ♦▼▼♦♦44< ♦♦♦♦♦ 

• 



CHAPITRE II 



ESQUISSES HISTORIQUES DES ANNÉES I789 A I792. 



Convocation des États Généraux. — Assemblées populaires. — Élection des 
députés. — Les Quatre-vingt-dix électeurs. — Les aspirations des trois 
ordres. — L'hiver de 1788-89. — Troubles à Bordeaux. — La prise de 
la Bastille. »- Réunions au Jardin-Public. — L'armée patriotique 
bordelaise. — Le Château-Trompette est attaqué. — La disette. — Le 
Comité des subsistances. — Arrêt du Parlement pour réprimer les 
désordres. — Cet arrêt est déféré à l'Assemblée nationale. — Suppression 
du Parlement. — Élection des municipalités et des corps administratifs 
et judiciaires du département. — Les Sociétés populaires à Bordeaux. — 
La campagne de Montauban. — Vente des biens nationaux. — Fête de la 
Fédération. — Troubles chez les boulangers. — Scènes de désordre au 
théâtre. — Mort de Mirabeau. — Évasion du roi. — Élections à l'Assem- 
blée législative. — Commencement du système des dénonciations. — Le 
duc de Duras. — Proclamation de la Constitution. — Élections munici- 
pales. — L'émigration. — L'instituteur Lacombe. — Plantation d^arbres 
de la liberté. — La patrie en danger. — La statue de Louis XV. — Les 
massacres de septembre. — Élections à la Convention nationale. — 
Abolition de la royauté. — La République est proclamée.— Le Tribunal 
de commerce de Bordeaux. 



Des lettres closes du roi, du 24 janvier 1789, convo- 
quaient les États Généraux pour le 5 mai suivant. 

Le ministère Loménie de Brienne venait de tomber sous 
le coup de Tanimad version générale ; la résistance unanime 
des Parlements aux treize édits qui devaient inaugurer un 
système nouveau avait hâté sa chute. 

Depuis quelques mois, Tesprit public éprouvait de telles 
variations, qu'il était devenu impossible de le diriger : il 
marchait encore inconscient de sa force, ignorant ce qu'il 
voulait, mais il marchait. Tous les problèmes sociaux 
étaient agités, et des milliers de brochures et de pamphlets, 
où les vérités les plus dures n'étaient pas épargnées au 



ANNEES 1789 A Î79^. 17 

pouvoir, inondaient le royaume. L^esprit public se sentait 
comme émancipé. 

Dans des discussions incessantes, dans des débats où 
toutes les forces vives de la nation prenaient une large 
part, dans des publications sans nombre, tout était attaqué, 
discuté, mis en question, et Mirabeau, de sa voix puissante, 
s'écriait : « La liberté frappe à la porte, courez au-devant ; 
elle vous tend la main, sachez la saisir... Le despotisme va 
fiiir comme Tombre devant Taurore. i> 

Par suite et en vue de la réunion prochaine des États 
Généraux, des assemblées populaires avaient lieu partout : 
les citoyens de toutes classes et de tous états y venaient 
discuter librement les questions politiques et sociales que 
les circonstances mettaient en relief et dont Tactualité 
s'affirmait chaque jour davantage. 

C'était un spectacle étrange à la fois et nouveau de voir 
une nation de 25 millions d'habitants, courbée jusque-là 
sous le prestige d'une monarchie de près de quatorze siècles, 
se lever résolue pour reprendre ses droits que nul n'avait 
le pouvoir de lui disputer, et pour conquérir sur la faiblesse 
du gouvernement les libertés dont elle lui avait confié le 
dépôt. Elle puisait, à son réveil, il faut bien le dire, l'idée 
de son insoumission dans les résistances dont les Parle- 
ments lui avaient donné depuis si longtemps le dangereux 
exemple; elle s'essayait dans la voie nouvelle, et sous 
sa volonté naissante tout pliait déjà; le pouvoir, devenu 
pusillanime et réduit aux expédients , reculait , non sans 
lutter contre l'opinion; mais la grande explosion approchait. 
On pouvait entendre et saisir de toutes parts les bruits 
précurseurs de la chute de l'édifice monarchique, ébranlé 
dans ses antiques bases. 

C'est au milieu de cette émotion générale des esprits, 
mêlée d'inquiétudes, d'hésitations et de joie en même temps, 
que, le 18 février 1789, le grand sénéchal Du Périer de 
T. I. a 



l8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Larsan publia les lettres du roi du 24 janvier; elles furent 
enregistrées au tribunal de la sénéchaussée de Guienne, et 
les trois ordres furent bientôt appelés à élire leurs man- 
dataires. 

Les opérations préliminaires et définitives de cette 
élection s'accomplirent, en effet, du 2 au 10 mars. 

L'ordre du clergé fixa ses choix sur M*^^ Champion de 
Cicé, archevêque de Bordeaux; MM. Piffon, curé de 
Valeyrac; Delage, curé de Saint-Christoly, et d'Héral, 
vicaire-général. 

L'ordre de la noblesse nomma MM. Le Berthon, premier 
président du Parlement; de La vie, président à mortier; le 
vicomte de Ségur, maréchal de camp, et le chevalier de 
Verthamon ^^K 

L'ordre du tiers-état élut MM. Fisson-Jaubert, médecin; 
Deluze-Létang, propriétaire à Coutras ; Boissonnot, notaire 
à Blaye; Valentin Bernard, propriétaire à Bourg, pris 
dans les communes de la sénéchaussée; et MM. Nairac et 
Gaschet-Delisle, négociants; Lafargue, ancien consul, et de 
Sèze, médecin, qui représentaient la ville de Bordeaux. 

Les députés de la noblesse et du clergé furent nommés 
directement; l'élection des députés du tiers eut lieu à deux 
degrés, c'est-à-dire que les assemblées primaires choisirent 
des électeurs qui procédèrent à leur nomination. 

Les diverses corporations de la ville avaient été repré- 
sentées dans l'assemblée électorale par quatre-vingt-dix 
électeurs qui ont joué un rôle important, ainsi que nous le 
verrons bientôt, dans les événements qui ne tardèrent pas 
à surgir (2) . 

Chacun des trois ordres devait remettre à ses repré- 



(t) Laf!bn de Ladebat présenta une pétition contre la députation noble de 
hordesiux (Moniteur du 20 au 24 juin 1790, n^ 10). Le comité de vérification 
la repoussa. 

(2) Appendice, note I. 



ANNÉES 1789 A 1792. 19 

r — -i 1 I ■ III _. , 

sentants, séparément et à bref délai, les cahiers de doléances 
préparés en vue de la réunion des États. 

L'opinion publique à Bordeaux, que Ton ne s'y trompe 
pas, était encore indécise aux premières heures du grand 
mouvement qui s'opérait; si elle affirmait son existence par 
les discussions qui s'agitaient de toutes parts, elle n'avait 
pas trouvé la formule définitive d'un système uniforme : la 
noblesse rêvait le rétablissement d'États particuliers en 
Guienne et une sorte d'autonomie pour la province; le 
clergé voulait le maintien de ses privilèges, et le tiers-état 
lui-même, imbu de l'esprit local et dont les vues ne 
dépassaient qu'à grand'peine les limites du pays natal, 
flottait hésitant entre son attachement aux coutumes 
anciennes et les aspirations qui l'entraînaient vers un 
nouvel ordre de choses. 

Quoi qu'il en soit, les élus de la sénéchaussée de Guienne 
étaient des hommes de bien, estimés et connus dans le 
pays à des titres divers et qui s'étaient distingués dans les 
fonctions publiques ou par des services rendus à leurs 
concitoyens ; aucun d'eux toutefois ne se recommandait par 
l'éclat d'un talent incontesté. 

L'archevêque de Bordeaux et le premier président 
Le Berthon avaient seuls une grande notoriété et une valeur 
reconnue : le premier était un prélat distingué , homme 
d^esprit et homme d'État, comme il le prouva durant son 
mbistère; le deuxième, vieillard respecté, avait accumulé 
sur sa tête, qui personnifiait le Parlement, les faveurs de la 
province tout entière, grâce aux exils de 1771 et de 1788. 

Nous pouvons ajouter que le nom des de Sèze, illustré 
depuis par le défenseur du roi, apparaissait pour la 
première fois dans les hautes régions de la politique. 

Les représentants de la noblesse et du clergé reçurent de 
leurs commettants des mandats impératifs; ceux du tiers 
furent investis de pouvoirs généraux et indéfinis. 



2ô HISTOIRE DE LA TERREUK A BORDEAUX. 

Les élus de la sénéchaussée de Guienne partirent pour 
Paris, laissant la ville de Bordeaux diversement impres- 
sionnée par les événements qui s^ accomplissaient. L^hiver 
de 1788-89 avait été excessivement rigoureux, et le peuple 
avait eu beaucoup à souffrir; à cette circonstance doulou- 
reuse, une autre plus grave et plus terrible venait ajouter 
ses adversités : les denrées, et le pain surtout, étaient 
devenus d'une rareté et d'una cherté extrêmes. C'était à coup 
sûr plus qu'il n'en fallait pour exciter un mécontentement 
dont profitèrent avec empressement des artisans de désordre 
pour lancer le peuple dans les voies funestes. 

C'est ainsi que, sous le prétexte du froid, des bandes 
nombreuses se dirigèrent vers les marais des Chartreux et 
dans les environs de la ville, et se livrèrent à des dévasta- 
tions; des arbres furent abattus et dépecés, des mardiés 
établis sur place, et le bois fut vendu et emporté par les 
dévastateurs ou par les femmes et enfants qui suivaient la 
foule égarée. Ces excès regrettables peuvent être considérés 
comme le prélude des représailles qui se préparaient. 

Quelques-uns des auteurs, de ces dévastations furent 
arrêtés et poursuivis; mais on redouta les suites d'une 
condamnation, que le peuple aurait certainement mal 
accueillie, et les coupables furent relaxés après quelques 
jours de détention. 

Les États Généraux s'étaient réunis à Versailles, le 
5 mai 1789, dans la salle des Menus-Plaisirs : nous ne 
raconterons pas les péripéties diverses qui aboutirent au 
serment du Jeu-de-Paume et à l'Assemblée constituante; 
c'est de l'histoire générale, et tout le monde connaît ces 
mémorables événements. 

Disons seulement que la grande voix de Mirabeau 
retentissait en France et que tous les cœurs battaient aux 
redoutables accents de l'illustre tribun du tiers-état. Ce 
transfuge de la noblesse était devenu en quelque sorte la 



ANNÉES 1789 A 1792. 21 

personnification du pouvoir nouveau, et il commençait 
l'application du mot célèbre que Danton jeta plus tard au 
sein de la Législative étonnée : De Taudace, encore de 
Taudace, et toujours de Taudace... 

Les provinces ressentaient vivement le contre-coup des 
agitations de la capitale : la prise de la Bastille en est un 
remarquable exemple. 

La première nouvelle de ce grave événement arriva à 
Bordeaux le 1 7 juillet par des lettres du constituant Nairac ; 
elle fut accueillie au milieu d'une effervescence générale, 
et le 18 au matin les habitants arboraient la cocarde 
tricolore, dont Lafayette avait dit c^^ elle ferait le tour 
du monde; dos démonstrations de joie publique éclatèrent 
de toutes parts, le peuple invita les Quatre-vingt-dix électeurs 
à adopter les trois couleurs nationales, et une adresse 
chaleureuse, couverte de milliers de signatures, était en 
même temps envoyée à l'Assemblée. 

Ce ne fut pas tout. Le 21 juillet, 3o,ooo citoyens se 
réunissaient au Jardin -Public pour délibérer sur les 
mesures à prendre dans les conjonctures qui se produisaient 
et pour assurer dans la ville et dans la province le 
maintien de la sécurité publique. Cette immense réunion 
fut admirable d'ordre et de tranquillité : des groupes 
formés sur tous les points du Jardin discutaient individuelle- 
ment les événements ou les racontaient avec enthousiasme ; 
des orateurs populaires parlaient à la foule ; les femmes, 
les enfants circulaient joyeux : c'était un délire général, 
une joie indescriptible, un élan patriotique sans précédent. 
Aucune violence, aucun excès ne déshonorèrent cette 
réunion; mais les questions à l'ordre du jour s'y agitaient 
dans une sorte de confusion et de dispersion des forces 
vitales de la cité. C'est à ce moment que Fonfrède, 
s'emparant d'une échelle, l'appuya ' contre un arbre; du 



22 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

haut de cette tribune improvisée, faisant entendre le 
langage le plus patriotique, il conseilla l'armement général 
du peuple pour assurer le triomphe de la liberté. 

D'autres orateurs lui succédèrent. Aucun d'eux, toutefois, 
ne précisa les moyens d'arriver à l'armement populaire. 
Fonfrède reparut, et, prenant texte d'un désir de la 
jeunesse de la ville qui, depuis quelques jours, demandait 
au théâtre la représentation du drame de Guillaume Tell, 
il s'écria : « Ce n'est pas le moment, Citoyens, de songer 
aux illusions du théâtre ; bien que la pièce de Guillaume 
Tell respire le plus ardent patriotisme, elle ne convient ni 
à nos habitudes, ni aux circonstances, car elle contient la 
peinture des moeurs des Suisses au xiv® siècle, et nous 
sommes les Français du xviii®. Cette pièce renferme des 
passages d'une exaltation extrême et qui pourraient ofirir 
des interprétations dangereuses à cette heure. Ne nous 
exposons pas à être calomniés : renvoyons à d'autres 
temps la représentation de Guillaume Tell, mais imitons 
ce généreux citoyen; aimons la liberté et soyons armés 
pour la défendre; et afin de déjouer les complots de la 
malveillance, plaçons-nous sous le patronage des hommes 
à qui nous avons confié le choix de nos députés. Pour 
activer l'armement, désignons par acclamation deux com- 
missaires de chaque paroisse qui se rendront auprès des 
Quatre-vingt-dix électeurs et les inviteront, au nom du bien 
public, à se mettre à notre tête. » 

Des commissahres furent désignés sur-le-champ aux 
applaudissements du peuple, et l'assemblée se sépara au 
milieu d'une ivresse générale. 

Les commissaires se rendirent immédiatement à l'Hôtel 
de Ville, où les Quatre-vingt-dix électeurs étaient réunis, et 
ils leur firent connaître la mission qu'ils venaient de 
recevoir du peuple. Ceux-ci, déférant à la demande qui 
leur était adressée, se constituèrent en assemblée délibérante 



ANNÉES 1789 A 1792. 23 

et déclarèrent accepter la direction du mouvement, afin de 
le régulariser et de pourvoir aux soins que nécessitaient 
les circomtances pour la défense commune et le maintien 
du bon ordre de la ville, 

U Armée patriotique bordelaise, c'est l'appellation 
qu'elle reçut, était créée ^^K 

Dans l'après-midi du 2 1 juillet, tous les habitants en état 
de porter les armes se réunirent dans leurs paroisses 
respectives afin d'être enrégimentés. L'enthousiasme était 
tel qu'avant la fin du jour douze mille hommes se mettaient 
à la disposition des Quatre-vingt-dix électeurs. Dès le 
lendemain, le service était organisé, la garde de la ville 
était confiée à l'armée patriotique, des patrouilles circulaient 
dans la ville, et des postes extraordinaires et permanents 
étaient installés sur divers points pour surveiller les 
voyageurs, empêcher les attroupements et assurer le 
maintien de l'ordre public ^^K 

Au milieu de ces divers événements, le peuple conservait 
une attitude calme; il semblait avoir le sentiment de sa 
force. 

Quelques démonstrations menaçantes eurent lieu cepen- 
dant contre certains jurats qui tenaient leur pouvoir de la 
nomination royale et non du suffrage populaire; mais ces 
désordres eurent en réalité peu d'importance et furent 
promptement réprimés. 

Armée, à son origine, de fusils de chasse ou de fusils 
de la garde bourgeoise conservés dans l'arsenal de l'Hôtel 
de Ville, la nouvelle troupe bordelaise présentait un 
ensemble singulier et disparate; le zèle des citoyens n'en 

(i) L'armée patriotique bordelaise comprenait i3 régiments et 266 com- 
pagnies. Le duc de Duras en fut nommé généralissime; le 3o juillet 1789, il 
prêta devant les Quatre-vingt-dix électeurs serment de fidélité à la nation et 
au roi. Le procès-verbal du serment est signé Brochon, vice-président, et 
Fadeville, secrétaire adjoint. (Bibliothèque de Bordeaux, n« 3329 ^^O 

(2) Appendice, note H. 



I 1 • • / 

I 



24 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX, 

fut pas toutefois diminué. Une circonstance fortuite, et 
que nous ne pouvons passer sous silence, amena un 
armement plus régulier. 

Des bruits sinistres se répandirent tout à coup; le Club 
Breton de Versailles avait été, dit-on, leur berceau. Le 
29 juillet, ils parvinrent à Bordeaux : on disait que des 
bandes armées parcouraient le pays dans tous les sens, 
qu'elles dévastaient les récoltes, détruisaient tout sur leur 
passage et qu'elles approchaient de la ville, menaçantes et 
grossies par les imaginations. Ces bruits causèrent une vive 
émotion, et l'alarme fut grande dans la ville. Pour calmer 
les inquiétudes, les Quatre-vingt-dix électeurs envoyèrent 
des courriers à Angoulême : les mêmes bruits y circulaient; 
les craintes étaient générales, mais la tranquillité n'avait été 
troublée ni dans cette ville ni dans les environs, et les 
bandes armées y étaient à l'état de fantôme insaisissable. 
Ces nouvelles ne purent toutefois rassurer les Bordelais ; les 
défiances, compagnes inséparables de la peur, assiégeaient 
tous les esprits. 

Une malveillance occulte ne tarda pas à y ajouter ses 
traits empoisonnés : on racontait mystérieusement que le 
Château-Trompette était armé contre la ville, que sa 
garnison était une ennemie, que les abords du Château 
étaient minés, et que des approvisionnements considérables 
avaient été accumulés dans la citadelle (^K 

Tout devient vraisemblable aux heures de panique, et les 
raisonnements demeurent impuissants. C'est en vain que 
le comte de Fumel, commandant du Château, vint démen- 
tir ces accusations. Le peuple se leva en masse, l'armée 
patriotique demanda à grands cris des armes, et une foule 
animée et bruyante se dirigea vers le Château-Trompette 
pour s'en procurer. La garnison crut un moment à une 

(i) Biblioth. de la ville de Bordeaux, Catalogue de V Histoire, n^ 3329 A. 



ANNÉES 1789 A 1792. 25 

attaque en .voyant les flots du peuple qui se répandaient 
autour du Château ; elle se prépara à la résistance. 
Le comte de Fume! n^hésita pas dans ces périlleuses 
circonstances : afin d^éviter une effusion de sang, il remit 
les clefs de la citadelle aux Quatre-vingt-dix électeurs. 
Ceux-ci ouvrirent Tarsenal et firent distribuer des fusils 
à Tarmée patriotique. Aussitôt la garnison du Château, 
la milice bourgeoise et le peuple fraternisèrent; la sécurité 
reparut, et des compagnies nouvelles, dans lesquelles se 
firent inscrire les membres du Parlement, furent immé- 
diatement organisées. On assista • alors à un spectacle 
curieux : le peuple jouait au soldat; ce ne furent, pendant 
bien des jours, que manœuvres militaires entremêlées de 
fêtes publiques et de réunions où toutes les classes et tous 
les rangs étaient confondus dans une douce confraternité : 
la confiance avait succédé à la peur. 

Avons -nous besoin de dire que Tagrî culture et le 
commerce ne se ressentaient que trop des agitations de la 
place publique, des préoccupations de la politique et des 
terreurs qui, de temps à autre, comme un vent violent 
dans un champ de blé, venaient courber les têtes sous 
un souffle destructeur ? 

Le commerce jetait son dernier éclat; il commençait à 
s'alanguir et à diminuer. 

Quant à Tagriculture, elle dépérissait chaque jour. 

Ces deux sources de l'antique prospérité de Bordeaux 
menaçaient de tarir. 

La disette du dernier hiver avait créé de profondes 
préoccupations, et de tous côtés on accumulait dans la cité 
des approvisionnements en grains et en farines. Devenus 
étrangers aux travaux de l'agriculture, les habitants des 
campagnes montaient la garde, et c'est à la ville qu'ils 
venaient chercher les denrées, au lieu de lui apporter, 
comme autrefois, les produits de la terre. Si le présent. 



26 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

comme on le voit, n^était pas exempt d'inquiétudes, Tavenir 
s'annonçait sous de sombres couleurs. 

Le Parlement, effrayé comme les citoyens des bruits 
répandus, des tumultes dont la disette avait été le prétexte 
et des agitations et des défiances qui jetaient le peuple sur le 
forum, demanda aux Quatre-vingt-dix électeurs, par Torgane 
du procureur général Dudon, d'user de leur influence et de 
leur autorité pour calmer les alarmes publiques et refréner 
les mauvaises passions. Dudon reconnaissait que le 
Parlement et les jurats étaient sans vigueur et que la 
persuasion d'ailleurs valait mieux que la répression dans 
les phases pleines de dangers que traversaient la ville et la 
province. Les Quatre-vingt-dix électeurs furent frappés 
des observations du Parlement : tout croulait autour d'eux ; 
ils restaient seuls entourés de la considération et du respect 
général, et seuls ils pouvaient dominer la situation. Par 
leurs soins, un Comité de subsistances fut immédiatement 
organisé, et des mesures furent prises pour conjurer les 
dangers de l'avenir. 

La nuit mémorable du 4 août vint, sur ces entrefaites, 
creuser à tout jamais l'abîme entre l'ancien régime et la 
Révolution. Ce fut un entraînement général, mais dont les 
conséquences échappèrent aux politiques de la Consti- 
tuante : ils préparaient le suaire de la monarchie. 

Cependant le Parlement, qui voyait son prestige s'évanouir 
et son influence disparaître de jour en jour, se réveilla de 
son atonie; il voulut paraître de nouveau sur la scène des 
événements et prendre en mains la défense de l'ordre 
public. Des troubles sérieux avaient eu lieu sur divers 
points de la province ; on arrêtait la circulation des grains, 
on incendiait les châteaux, on dévastait les récoltes, et les 
malfaiteurs semblaient jouir d'une sorte d'impunité. Le 
commerce et l'industrie couraient à leur ruine. La situation 
était grave; elle avait même attiré l'attention du gouverne- 



DE 1789 A 1792. 27 



ment, et le garde des sceaux Champion de Cicé crut 
devoir la signaler à l'Assemblée nationale dès le mois de 
janvier 1790. 

Les désordres qui eurent lieu au Grand -Théâtre, à 
Toccasion du décret sur les Juifs (0, ne furent pas tout à fait 
étrangers à la résolution du Parlement. 

Le 20 février de cette année, le procureur général Dudon 
lui présenta des réquisitions pour demander la répression 
de désordres qu'il signalait comme les premiers fruits 
d'une liberté publiée avant la loi. Un arrêt signé Daugeard 
ordonna qu'il serait informé sur les faits mentionnés au 
réquisitoire. 

Ce document et l'arrêt furent imprimés et reçurent une 
lai^e publicité. 

Dès qu'ils furent connus, des murmures s'élevèrent; les 
patriotes taxèrent de mensonges et de calomnies les faits 
révélés par le réquisitoire du procureur général, et le 
Parlement devint en butte à l'indignation populaire. Les 
temps étaient bien changés ! 

Le 25 février, à sept heures du soir, l'Assemblée 
patriotique du Café national, berceau du Club national 
de 1793, faisait brûler, sur un bûcher dressé fossés du 
Chapeau-Rouge, Tarrêt du Parlement et le réquisitoire de 
M. Dudon. D'un autre côté, Boyer-Fonfrède dénonçait ces 
documents au peuple et à la municipalité, et une députation 
était envoyée à la barre de l'Assemblée nationale pour 
demander le châtiment de ces écrits, qualifiés de pamphlets 
anti'^répolutionnaires ^^K 

Sur le rapport de M. de Montmorency, l'Assemblée 
manda à sa barre le président Daugeard, et, après de 
solennels débats qui eurent lieu dans le courant d'avril, la 



(i) Séance de la Constituante du 9 février 1790 (Moniteur du ix fé- 
vrier 1790, n«42). 
(3) Appendice, note III. 



28 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEiVUX, 

suppression du Parlement fut prononcée par décret du 
24 avril 1790. Ce grand corps judiciaire, qui avait eu tant 
d'autorité dans la province et dont Thistoire n'a pas été faite 
encore f'\ précédait sans bruit la chute de la monarchie. 

Le 3o septembre 1790, un officier municipal se trans- 
portait au palais de TOmbrière, fermait les salles d'audience 
et apposait les scellés sur tous les greffes. 

Le Parlement de Bordeaux n'existait plus... 

Pendant les débats de l'Assemblée nationale dont nous 
venons de rendre compte, de nouveaux corps constitués 
étaient élus en vertu des lois nouvelles, dans toutes les 
villes, dans tous les districts, dans tous les départements. 
A Bordeaux, la municipalité était installée le 2 avril, et 
l'antique jurade, qui avait survécu jusqu'à ce moment au 
mouvement de 1 789, disparaissait pour toujours. 

Les Quatre-vingt-dix électeurs cessaient en même temps 
leur mission conciliatrice et tutélaire. 

Dans les deux mois qui suivirent, les diverses autres 
autorités administratives et judiciaires furent successivement 
organisées. 

On doit reconnaître que les choix furent heureux dans 
ces circonstances. On remarquait, en effet, parmi les élus, 
comme maire, M. de Fumel, lieutenant-général en Guienne 
depuis trois ans; comme procureur général syndic du 
département, M. Barennes, professeur de droit français, 
l'esprit le plus éminent et le plus distingué que possédât 
alors l'Université, ainsi que le disaient ses élèves Laîné et 
Ferrère ; comme procureur de la Commune, Gensonné et 
d'autres encore-, d'un autre côté, dans les conseils du 
département ou de la Commune, on voyait figurer, ici 
Vergniaud, Guadet, RouUet, Buhan, Duranthon, Sers, 



(i) L'Académie de Bordeaux va publier très prochainement une Histoire 
du Parlement, laissée en manuscrit par le regretté M. Boscheron Des Portes, 
ancien président de chambre à la Cour d^appel. 



ANNÉES 1789 A îygi. ^9 

Joumu; là Duranteau père, Martignac père, Jaubert, 
Albespy, etc., dont les noms grandissaient avec les évé- 
nements <'). 

On peut dire que les gloires de la Gironde se levaient 
avec les dangers qui menaçaient la patrie. 

Le mouvement des esprits était très accentué à ce 
moment; à l'exemple de Paris, on créait des sociétés 
populaires, des clubs, des assemblées qui se mettaient en 
relation avec les réunions de la capitale et entretenaient 
parmi les citoyens une agitation de tous les instants. C'est 
alors que fut fondée à Bordeaux la Société des Amis de la 
Constitution, qui siégeait dans une des salles du couvent 
des Dominicains et que présida longtemps Duvigneau, 
dont nous aurons à raconter plus tard le supplice. Les 
Amis de la Constitution, qui se faisaient remarquer par 
leur esprit de modération, se composaient d'hommes 
honorables appartenant à la bourgeoisie ou au commerce; 
ils repoussaient les exagérations des clubs de la capitale, et 
ils eurent le courage de répudier toute alliance avec les 
Jacobins de Paris, quand ceux-ci eurent chassé Barnave et 
les Lameth, pour les remplacer par Legendre, Marat et 
Robespierre. 

A côté de cette Société, et créée dès le début de la 
Révolution par Desfieux ^^\ il en existait une autre que 
nous avons déjà nommée. C'est la Société du Café 
national : elle se composait de commerçants ruinés ou peu 
honorables, de médecins, hommes de loi et procureurs 
sans clientèle, de prêtres de mœurs ou de doctrines 
suspectes, et de religieux qui s'étaient empressés de jeter le 
froc. C'était un assemblage hétéroclite où dominaient les 
idées démagogiques et où bouillonnaient les plus mauvaises 
passions. 

(i) H. Chauvot, Le Barreau de Bordeaux^ 
(3) Appendice, note IV. 



3o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

C^est dans un café du cours du Chapeau-Rouge que se 
réunissait cette Sociçté. 

D^autres assemblées moins importantes avaient lieu sur 
divers points de la ville; on put voir les femmes du 
Grand-Marché, organisées en Société des Amies de la 
Constitution, prendre part aux affaires publiques. 

Des divisions profondes existaient dès 1791 entre les 
diverses Sociétés populaires bordelaises. Nous en trouvons 
la preuve dans une lettre d'un contemporain, un avocat qui 

paraît n'avoir pas été Tami de Guadet. « Depuis 

plusieurs jours, écrit-il, nous sommes ici dans la plus 
grande agitation, relativement à une Société nouvelle qui 
voulait s'établir sous le nom (ÏAmis de la Patrie. Cette 
Société faisait profession de principes si raisonnables, qu'elle 
aurait porté le coup le plus mortel aux Jacobites, pour peu 
qu'on lui eût laissé de liberté dans les assemblées. Tous les 
honnêtes gens s'y réunissaient en foule, et dès la première 
séance, nous nous trouvâmes plus de 5oo membres; mais 
pour se délivrer de rivaux aussi dangereux, il n'est point de 
calomnies atroces qui n'aient été vomies par c^s scélérats, 
à la tête desquels est le vertueux Guadet.... Les patrouilles 
ne cessent pas, les canons sont chargés à mitraille ; tout le 
monde porte des pistolets comme si nous vivions avec 
des brigands, et presque aucun de nous ne peut se montrer 
sans risque dans les lieux publics : toutes ces circonstances 
nous ont décidés à nous séparer provisoirement (')....* 

Nous aurons à reparler des sociétés populaires dont 
l'action fut si redoutable pendant le cours de la Révolution. 
Mais nous pouvons dès à présent faire connaître la part 
que prirent les Amis de la Constitution et la Société du 
Café national aux mesures prescrites par la nouvelle 
municipalité au sujet des troubles de Montauban. 

(i) Lettre de Laforgue, avocat, à Campagnac père. (Voir le dossier 
Laforgue, archives du grefiè de la Cour, fonds révolutionnaire.) 



ANNEES 1789 A I79îi. 



L'élecrion des nouveaux corps constitués s'accomplit à 
Bordeaux et dans le département de la Gironde au milieu 
d'un calme général; il n'en fut pas de même au chef-lieu 
du Tarn-et-Garonne. 

La formation d'un corps municipal fut, en effet, Toccasion 
de désordres sérieux à Montauban. 

Cette ville avait été depuis Louis XIV Tun des boulevards 
du protestantisme en France ; des divisions n'avaient cessé 
d'y exister entre les habitants appartenant à la religion 
catholique et au culte réformé. Ces divisions, sourdes et 
latentes pendant de longues années, éclatèrent avec une 
violence regrettable lorsqu'il s'agit de former une munici- 
palité nouvelle. Les protestants l'emportèrent et furent en 
majorité au pouvoir. L'exécution des décrets relatifs à la 
fermeture des couvents servit de prétexte à des collisions 
entre citoyens et à des troubles à la faveur desquels 
M. de Montbrun, commandant de la ville et protestant, fut 
percé de trois coups d'épée. 

«A ce signal, dit M. l'abbé O'Reilly, le fanatisme 
» aveugle et longtemps comprimé des classes inférieures 

> de la société catholique éclata en mille désordres... 

> pénibles à décrire ^0. 3> 

C'est le 1 1 mai 1 790 que les Amis de la Constitution et 
la Société du Café national furent informés des troubles de 
Montauban. La nouvelle s'en répandit promptement, et le 
patriotisme des citoyens et de la garde nationale s'émut au 
récit de ces tristes événements. On résolut, d'un accord 
unanime, d'aller au secours des victimes, et la municipalité 
bordelaise fut invitée à régulariser les moyens d'exécution 
d'une intervention due à l'initiative généreuse de ces 
sociétés et de la population. 

La municipalité adhéra sans réserve à cette demande ; le 



(1) Tome I«', 2© partie, p. 48 et suivantes. 



32 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

14 mai, elle prit un arrêté pour oflrir un asile et des secours 
aux citoyens de Montauban qui croiraient leur sécurité 
compromise. Ayant appris le lendemain que les troubles 
continuaient, elle délibéra que le duc de Duras, généralissime 
des gardes nationales de Bordeaux, serait prié de diriger 
sur Montauban, afin d^ concourir au rétablissement de la 
tranquillité publique, i,5oo hommes de garde nationale et 
80 grenadiers et chasseurs de la garnison, et que ce 
détachement s'arrêterait à Moissac pour attendre les ordres 
de l'Assemblée nationale, qu'on avait prévenue par un 
courrier extraordinaire. 

Les 1 7 et 1 8 mai, le détachement partit pour Montauban 
au milieu des démonstrations de la joie publique, sous le 
commandement du major-général Courpon. 

Quatre mortiers, des bombes et des munitions de toute 
espèce furent expédiés de Bordeaux. 

En cinquante-deux heures, le détachement et le matériel 
de guerre arrivèrent à Moissac. 

<c La municipalité de Montauban, déterminée à repousser 
la force par la force, donna ordre à M. d'Esparbès, 
commandant de la garnison, d'aller attaquer la première 
colonne de l'armée bordelaise... Le détachement de cette 
garnison en quartier à Moissac se prononça pour ses 
frères d'armes de Bordeaux, et, indigné de ce que les officiers 
se refusaient de donner des cartouches, il menaça de passer 
avec armes et bagages au régiment de Champagne, qu'il 
croyait incorporé dans Tarmée bordelaise. Témoin de ces 
mouvements et convaincu de l'antipathie de ses soldats, 
M. d'Esparbès se hâta de rentrer à Montauban. Le calme 
se rétablit peu à peu dans cette malheureuse ville, et le 
commissaire du roi, M. Dumas, en y arrivant, trouva que 
les déplorables scènes de persécution religieuse et de 
meurtre avaient cessé devant les conseils des hommes 
sages et la juste crainte de châtiments bien mérités. Le 



ANNÉES 1789 A 1792. 33 

commissaire se rendit auprès des troupes bordelaises, les 
félicita de leur zèle et de leur patriotisme empressé, et pour 
éviter une collision qui pourrait avoir de regrettables 
suites, il les engagea à rentrer dans leurs foyers (■). }» 

Le major général Courpon déféra à cette invitation et 
ramena ses troupes à Bordeaux, où elles firent leur entrée 
le 8 juin suivant. Elles furent accueillies avec des transports 
de joie par le peuple et par les corps constitués. 

Telle fut la campagne de Montauban, diversement 
appréciée alors, et qui, si elle se termina sans coup férir, 
n^en constitue pas moins un exemple louable de solidarité 
entre cités voisines et amies. 

Elle occasionna une dépense de 64,862 livres, payée au 
moyen d'une souscription volontaire ouverte à Bordeaux 
et qui produisit 5o,523 livres; le reste fut soldé par la 
municipalité de cette ville. 

Cependant la vente des biens nationaux, commencée 
en 1790, et qui, vers la fin de cette année, avait produit 
près de 2 millions, ajoutait un élément de trouble à ceux 
qui existaient déjà; on espérait que le total des adjudications 
dans le seul département de la Gironde atteindrait le chiffre 
de 3o millions; mais bien des consciences étaient émues d» 
ces ventes, et les acheteurs de biens nationaux étaient vus 
d'un mauvais œil par une certaine partie de la population. 

Au milieu du trouble général des esprits, la municipalité 
s'efforçait de maintenir la tranquillité dans la ville; elle 
n'obtenait que des résultats imparfaits : des causes de division 
sans cesse renaissantes existaient entre les citoyens; des 
passions haineuses surgissaient de toutes parts, et l'autorité 
se consumait en eflbrts qui ruinaient son prestige. 

Les clubs et les sociétés populaires alimentaient sans 
cesse l'agitation publique. 

(I) O'Reilly, t. le, 2» part., p. 52. 

T. I. 3 



34 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



La fête de la Fédération, célébrée au Jardin-Public le 
1 7 Juin 1 790, fit toutefois oublier pendant quelques instants 
les dissentiments et rallia les cœurs dans une commune et 
patriotique démonstration ^^K On aurait pu croire au retour 
de la paix et de la fraternité ! Ces illusions, hélas ! ne furent 
pas de longue durée. Un malaise général ne tarda pas à se 
manifester : les vivres étaient rares et chers, le numéraire 
avait disparu, les assignats étaient tombés dans un discrédit 
à peu près comj)let, le commerce et Tindustrie n'existaient 
plus que de nom. Il avait suffi de deux années pour changer 
la face d'une des villes les plus riches du royaume ! 

Les besoins devenaient pressants, la misère s'étendait et 
des rassemblements se formèrent bientôt devant les bouti- 
ques des boulangers. Le peuple demanda la diminution du 
prix du pain et la punition des accapareurs qui cherchaient 
à affamer la cité. Des propos séditieux circulaient, et les 
excitations, comme toujours, ne manquaient pas dans ces 
tristes circonstances. Quelques boulangers devinrent victi- 
mes de violences populaires, malgré les soins pris par la 
municipalité pour calmer l'irritation du peuple et pour 
empêcher des attroupements dont le moindre inconvénient 
était d'aggraver les maux dont on avait à souffrir. 

Ajoutons que la caisse municipale était vide, le Trésor 
public ruiné, les capitaux enfouis, les lois sans force, et que 
l'anarchie approchait terrible et menaçante. 

C'est sous ces douloureux auspices que se présentait 
l'année 1791. 

Le mal faisait des progrès rapides ; il gagnait de proche 
en proche; les administrations ne semblaient plus à la 
hauteur des circonstances : le peuple ou, pour parler plus 
vrai, les meneurs taxaient les autorités de modérantisme ; 
on voulait des hommes dont les opinions fussent en 

(0 Appendice, note V. 



ANNÉES 1789 A 1792. 35 

harmonie avec Fesprit nouveau. Les injures et les diffama- 
tions furent mises en œuvre afin de lasser les adniinistra- 
teurs et d'arriver ainsi à se débarrasser des honnêtes gens, 
pour leur substituer les agents de la démagogie. On alla 
même jusqu'à menacer de coups de canne certains membres 
de la municipalité bordelaise. 

Pendant que la situation s'accentuait et se tendait chaque 
jour davantage, l'impuissance de l'autorité devenait de 
plus en plus évidente; son action était tout à fait énervée. 

C'étaient, au théâtre, des scènes d^ désordre assez fré- 
quemment renouvelées et où l'audace des uns s'augmentait 
de la faiblesse des autres ; c'étaient les exigences du Club 
du Café national s'accroissant sans cesse, et d'autant plus 
qu'elles étaient plus facilement accueillies. Le principe 
d'autorité disparaissait; il allait n'y avoir bientôt plus 
rien, ni respect, ni religion, et la souveraineté populaire 
triomphait et s'affirmait à l'encontre de la raison et des 
lois. 

Le 5 avril 1791, on apprit à Bordeaux la mort de 
Mirabeau. Un voile de deuil se répandit sur la ville. La 
patrie de Guadet, de Martignac et de Gensonné ne pouvait 
rester indifférente à la disparition de l'illustre orateur de la 
Constituante. 

La municipalité prescrivit à cette occasion la célébration 
d'un service funèbre dans l'église métropolitaine, et pendant 
trois jours les représentations théâtrales et les amusements 
publics furent suspendus. 

L'évêque constitutionnel Pacareau officia dans cette 
circonstance, et il' inaugura ses fonctions épiscopales par 
une apothéose du géant de la Révolution à son début. 

Les clubs et sociétés populaires entendirent l'éloge mille 
fois répété de l'adversaire redoutable qui ne pouvait plus 
empêcher Vabbé Maury de parler. 

Deux mois plus tard, une nouvelle foudroyante éclatait : 



36 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

une lettre de MM. Nâirac et de Sèze en informait le 
Directoire du département. 

Dans la nuit du 20 au 21 juin, le roi s'était évadé des 
Tuileries et TAssemblée nationale avait envoyé des courriers 
dans toutes les directions. Une anxiété profonde s'empara 
de tous les esprits, et les plus sinistres prévisions jetèrent 
Teffroi parmi les citoyens. Ce fut à Bordeaux une panique, 
passagère il est vrai, car l'arrestation de Louis XVI à 
Varennes fîit immédiatement annoncée, mais cette panique 
n'en fut pas moins vive, la royauté comptant beaucoup de 
partisans dans cette ville. Le Directoire crut devoir adresser 
une proclamation au peuple; il lui recommanda le calme et 
la modération et fit, en même temps, appel à son courage 
pour défendre la patrie si elle venait à être attaquée : 
€ Nous n'abandonnerons pas le poste où votre confiance 
nous a placés, disait-il, et nous ne cesserons pas un instant 
de veiller sur la chose publique ^^K ]> Il prescrivit, en même 
temps, toutes les mesures propres à assurer le maintien de 
l'ordre et la sécurité des habitants. 

Mais les émotions de la première heure ne tardèrent pas 
à s'effacer, et la fête de la Fédération et de l'anniversaire de 
la prise de la Bastille fut célébrée le 14 juillet, au Jardin- 
Public, avec un éclat inaccoutumé. Le modèle de la 
Bastille, offert par le patriote Palloy au Département, 
figurait en tête du cortège. L'allégresse était générale; les 
citoyennes de Bordeaux ajoutèrent à l'éclat de la fête par 
leur présence, et défilèrent devant l'autel de la patrie au 
bruit des applaudissements d'une foule innombrable. 

On assure que le curé constitutionnel de Saint-Louis 
donna ensuite la bénédiction nuptiale à des couples qui se 
présentèrent à l'autel. 

Cette fête nationale fut, dit-on, l'occasion de grandes 

(1) Proclamation et arrêté du Directoire du département du 24 juin 1791. 



\i 



ANNÉES 1789 A 1792. 37 

pompes et de réjouissances auxquelles la masse de la popu- 
lation prit une large part. « Ici, nous sommes dans le 
délire^ écrivait Tavocat Lafargue, et tout à la fois dans la 
consternation ; il y aurait beaucoup à dire sur la tyrannie 
des clubs....» 

Le 3o septembre 179I) T Assemblée constituante terminait 
ses travaux, et le peuple était appelé à élire les députés qui 
devaient former TAssemblée législative. 

Convoqués pour le 24 août, les électeurs des districts 
se réunirent à Bordeaux, et leurs choix se fixèrent sur 
MM. Barennes, Ducos, Gensonné, Grangeneuve, Jay 
(de Sainte-Foy), Journu-Aubert, Lacombe, curé de Saint- 
Paul, Laffon de Ladebat, Sers, Servière, Vergniaud et 
Guadet. Garrau fiit nommé député suppléant. 

Les députés du département de la Gironde étaient des 
hommes d^ordre, partisans de la paix et de la liberté, et 
qui, dès le début de la Révolution, s^étaient jetés dans le 
mouvement et avaient adopté les principes nouveaux. 

Parmi eux figuraient des orateurs éminents qui avaient 
fait leurs preuves et devant qui s'ouvraient un théâtre 
nouveau et les vastes champs de la politique. Les noms de 
la plupart d'entre eux étaient appelés à briller d'un vif et 
passager éclat, et leur souvenir est conservé parmi nous 
avec un respect qui n'exclut ni les devoirs de l'affection ni 
les droits de la critique et de l'histoire. 

L'Assemblée législative se réunit à Paris le i*^ octobre 
1791. Nous n'avons pas à raconter le rôle de cette 
Assemblée, étouffée en quelque sorte par les travaux 
gigantesques de la Constituante et les saturnales sangui- 
naires de la Convention. 

Durant son existence, la situation générale s'aggrava; 
l'émigration prit des proportions inquiétantes et le pouvoir 
royal vit disparaître son prestige, a Tout est perdu, 3> s'était 
écrié Louis XVI, à la suite de la séance royale du 7 octobre. 



38 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Dès cette époque, le système de dénonciations, si large- 
ment exploité en lygS, commença à faire son apparition à 
Bordeaux. Cest ainsi que I? duc de Duras, commandant 
général de la garde nationale et qui avait donné des 
preuves de patriotisme depuis le commencement de la 
Révolution, fut dénoncé comme ayant fait des enrôlements 
clandestins et contre -révolutionnaires. Il fut arrêté le 
1 7 septembre, et une procédure s'instruisit contre lui . La 
loi d'amnistie, votée par la Constituante avant sa sépa- 
ration, le sauva du danger qui le menaçait. Rendu à la 
liberté, le duc de Duras protesta fièrement qu'il cédait à la 
force, mais redoutant avec juste raison les excès de la 
Révolution, il quitta la France (^K 

Quelques jours plus tard, le 25 septembre, on proclamait 
avec apparat la nouvelle constitution dans tous les quartiers 
de la ville, et le soir, au milieu des illuminations générales 
et de la joie publique, les citoyens se réunissaient dans des 
bals improvisés et célébraient cette œuvre de laquelle 
M. Thiers a dit quelque part (c qu'il ne faut exiger des 
hommes et des esprits que ce qu'ils peuvent à chaque 
époque ». 

L'année 1791 se termina par le renouvellement des divers 
corps constitués et par l'entrée en fonctions, le 6 décembre, 
d'un corps municipal nouveau. 

Les partis se dessinaient dans l'Assemblée législative ; ils 
commençaient à se compter, et le peuple, indifférent aux 
nuances qui lui échappaient d'ailleurs, divisait les députés 
en aristocrates et en patriotes. 

Mais nous l'avons indiqué déjà, le danger du moment 
était l'émigration, qui appauvrissait le pays et irritait les 
populations, a Le vertige de l'émigration est incompréhen- 
sible, ]» disait l'abbé de Montgaillard. 

(i) Appendice, note VI. 



ANNÉES 1789 A 1792. 39 

Dès les premiers mois de Tannée 1792, le désordre et la 
confusion régnaient un peu partout. Les clubs entretenaient 
entre eux et avec les sociétés de la capitale une correspon- 
dance suivie : les esprits s'exaltaient et s'excitaient dans 
un échange de lettres qui remuaient les mauvaises passions. 
Un inextricable réseau, ourdi par les Jacobins, s'étendait 
peu à peu de Paris sur tout le royaume. 

Les premières sociétés populaires de Bordeaux, modérées 
au début dans une certaine mesure, avaient suivi les 
progrès des idées. Les Amis de la Constitution, qui 
avaient changé leur nom contre celui de Société des Amis 
de la Liberté et de l'Egalité, avaient vu leur personnel se 
modifier assez profondément; les principes d'ordre et de 
conservation y dominaient encore toutefois, et l'influence 
des Girondins y était prépondérante. 

Quant au Club national, à qui nous donnerons désormais 
cette appellation, il s'était renforcé de tout ce que la cité 
renfermait de démagogues tarés, et son audace, bien des 
fois essayée, avec succès, lui avait fait reconnaître son 
pouvoir. Une figure sinistre se détachait au milieu de ce 
club : c'est celle de Lacombe, un instituteur déconsidéré 
que Martignac père, étant membre de la jurade, avait 
condamné à la prison pour escroquerie. Lacombe, homme 
audacieux et sans principes, parleur facile, chassé du Musée 
en 1787 par Péry, et des Amis de la Liberté et de 
l'Égalité en 1792 par Grangeneuve, s'était jeté à corps 
perdu dans la démagogie et se faisait remarquer par 
l'exagération de ses opinions. Jeune encore, ayant une 
certaine instruction et servi par des passions basses et 
.cupides, il avait l'ambition de parvenir, et il parvint. Nous 
le retrouverons bientôt à la tête du tribunal révolutionnaire. 

Une autre Société, les Surveillants de la Constitution, 
n'était qu'une pâle copie du Club national. 

Celui-ci était devenu une véritable officine de libelles, de 



40 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

pamphlets, de dénonciations; il était à la tête de tous les 
mouvements révolutionnaires qui agitaient Bordeaux. On 
le verra plus tard seconder l'action des proconsuls de la 
Convention. 

La garde nationale, recrutée dans le principe parmi les 
citoyens de la ville en état de porter les armes, s'était gra- 
duellement affaiblie; les honnêtes gens s'en éloignaient, et 
composée désormais d'éléments détestables, elle n'oflrait 
plus de garanties pour le maintien de Tordre sans cesse 
troublé. Les proclamations des corps constitués étaient 
sans influence; on les lacérait publiquement. Dans cette 
confusion, le Club national ne gardait plus de mesures; il 
agissait en maître, il imposait ses volontés au peuple et aux 
magistrats. Sans cesse il obtenait dçs concessions nouvelles. 
Un jour, il demandait la suppression des derniers vestiges 
de Vesclavage^ selon ses expressions, et dès le lendemain, 
les livrées des suisses de Thôtel des Monnaies, de la Comé- 
die, de la Douane, de l'Hôtel de Ville, etc., disparaissaient; 
un autre jour il exigeait l'inauguration du drapeau national 
dans la salle du Grand-Théâtre ; il voulait que les citoyens 
qui sy rassemblaient puissent avoir continuellement sous 
lesyeux ce signe de notre régénération et de notre liberté. 
La municipalité déféra à cette exigence; on joua la pièce 
de Brutus^ le drapeau fut inauguré et une foule immense 
et enthousiasmée assista à cette victoire du Club national 
sur l'autorité. Pendant deux jours, ce triomphe fut célébré 
par des fêtes populaires. 

Cette action des clubs était incessante ; elle apparaissait 
dans toutes les circonstances et se montrait dans toutes les 
questions. Nous le verrons plus complètement en traitant 
la question religieuse. 

Au milieu de ces conflits divers, la misère du peuple 
était grande, mais elle avait ses alternatives ; les subsistances 
étaient à peu près assurées, grâce aux mesures prises par 



ANNÉES 1789 A 1792. 41 

les Quatre-vingt-dix électeurs au temps de leur existence : 
on souffrait, on ne mourait pas encore de faim. 

Le i5 juillet 1792, on planta un arbre de la liberté sur 
la place Royale. Toute la population assista à cette plan- 
tation; des orchestres furent organisés, et des danses 
auxquelles prirent part les membres de la municipalité, se 
prolongèrent toute la- nuit autour du symbole de la 
puissance populaire. 

On dansait!... 

Cependant le roi venait de renvoyer un ministère pris 
dans le parti de la Gironde, les Prussiens menaçaient le 
Rhin, et les justes alarmes de la nation exigeaient une 
preuve de vigilance et d^énergie : le 1 2 juillet, l'Assemblée 
législative déclara la patrie en danger. Les conseils 
généraux des communes, des districts et des départements 
se mirent immédiatement en permanence et prirent les 
moyens d'assurer la déclaration de l'Assemblée ^^K 

Le patriotisme des Bordelais s'affirma dans cette circons- 
tance : ce fîit une fièvre d'enrôlements et de souscriptions 
pour les défenseurs de la patrie. 

Mais la journée du 10 Août éclate, le roi est suspendu, 
une G>nvention nationale est convoquée... 

Ces graves événements furent accueillis avec joie à 
Bordeaux; la masse, surexcitée par les clubs, considérait 
comme un triomphe populaire la chute de la royauté. Les 
hommes d'ordre, toutefois, n'envisageaient pas l'avenir 
sans crainte; tout s'écroulait... 

Le 1 5 août, des volontaires nantais et bordelais fraterni- 
saient dans un banquet donné au Champ -de -Mars (le 
Jardin -Public était ainsi appelé depuis la fête de la 
Fédération). Au milieu de l'allégresse générale, le bruit 
se répandit tout à coup que le peuple se portait en foule 

(0 Anftés du Direaoire da département des 16, 24 et 26 juillet 1792. 



42 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

vers la place Royale pour renverser la statue de Louis XV, 
chef-d*œuvre du sculpteur Lemoyne. 

Les autorités constituées se réunirent à la hâte et 
délibérèrent; la force armée fut envoyée sur les lieux. On 
chercha à apaiser les esprits afin de conjurer les désordres 
et le peuple fut prévenu que le lendemain il n'y aurait plus 
de statues de rois dans Bordeaux. Cette assurance ramena 
le calme, et la foule se retira sans avoir commis d'excès. 

Le 20 août, et en vertu d'un arrêté de la municipalité, 
la statue de Louis XV, dont la Ville possède au Musée de 
peinture une remarquable réduction, fut détruite, et les 
municipaux écrivirent aux députés de la Ville à Paris : 
« Les Bordelais ont voulu prouver, comme les Parisiens, 
qu'ils savaient punir l'orgueil des rois et leur apprendre 
à respecter le peuple par lequel ils étaient devenus souve- 
rains. :» 

C'en était fait, on le voit, de la monarchie; elle s'en 
allait à pas de géant, et l'œuvre de démolition entreprise 
depuis 1789 était sur le point d'être accomplie. Oublieux 
des services passés, on proscrivait tout ce qui pouvait 
rappeler l'ancien régime : les fleurs de lys et les armes de 
la maison de Bourbon étaient partout enlevées ou effacées. 
La démocratie triomphait et déjà son avènement s'annon- 
çait terrible, comme une force longtemps comprimée et qui 
éclate enfin. 

Les massacres de Septembre souillèrent à jamais le 
berceau de la République, et le sang répandu dans ces 
néfastes journées creusa un abîme infranchissable entre les 
divers hommes politiques qui se disputaient le pouvoir 
échappé des mains royales. 

A ce moment même, la Commune de Paris, par l'organe 
de Panis, Sergent et Marat, engageait les municipalités et 
les sociétés populaires à suivre l'exemple du peuple de 
Paris et à adopter ce moyen si nécessaire au salut du 



ANNÉES 1789 A 1792. 43 

peuple ^^h L'âme indignée se soulève en présence de 
pareilles abominations. Disons; à la louange des Bordelais, 
qu'ils restèrent insensibles aux excitations de Y Ami du 
Peuple et de ses coryphées sanguinaires. 

Du 2 au 12 septembre, l'Assemblée électorale, réunie à 
Liboume, nommait les députés du département à la 
Convention nationale (*). 

La députation devait se composer de douze titulaires et 
de quatre suppléants. MM. Vergniaud, Guadct, Gensonné, 
Grangeneuve, Jay (de Sainte- Foy), Tabbé Siéyès, Condor- 
cet, Ducos fils, Garrau (de Sainte-Foy), Boyer-Fonfrède, 
Deleyre et Duplantier furent élus députés titulaires; Lacaze, 
Emmerth, Berthon et Bergoenig, députés suppléants. 
Lacaze et Bergoenig remplacèrent Siéyès et Condorcet, qui 
n'avaient pas accepté (^). 

Le 21 septembre, la Convention se réunissait; le même 
jour elle proclamait l'abolition de la royauté et décrétait la 
République. 

Bordeaux accueillit par des acclamations joyeuses la 
double mesure de la Convention. « Nous vous annonçons, 
disait le Conseil général du département dans une procla- 
mation à ses concitoyens, nous vous annonçons, dans les 
vifs transports de l'amour de la patrie et de la liberté, que 
la France n'aura plus de Roi ^4). t^ 

La lecture du décret de la Convention nationale fut faite 
publiquement et à son de caisse dans les principaux quartiers 
de la ville, et notamment place d'Aquitaine, devant la 
Maison commune, place du Marché- Neuf, place Royale et 
place Dauphine ^^\ C'était le dernier glas de la monarchie. 



(1) Appendice^ note VII. (Cette note contient la liste des électeurs du 
dé|Mrtement qui ont nommé les membres de la Convention.) 

(2) W., noie VIII. 

(3) Id,, note IX. 

(4) Id.j note X. 

(5) M, note XI. 



44 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Le 2 octobre 1792, les vingt-huit sections de Bordeaux 
adhéraient au gouvernemenf républicain. 

Quelques semaines après, on organisait de nouveaux 
directoires de district et de département; le tribunal civil 
était renouvelé, et la municipalité installait solennellement 
le tribunal de commerce, en remplacement de Tantique 
juridiction consulaire, dont l'institution remontait à Tan- 
née i563. 

L^ancien régime s'en allait pièce à pièce, et le peuple, 
entraîné dans un mouvement vertigineux, applaudissait à 
la rénovation politique et sociale (Ji^ semblait s'accomplir 
à son profit. / 

Durant ce temps, le roi était pAsonnier de la Convention ; 
celle-ci préparait le spectacle jetrange d'un jugement qu'a 
flétri l'histoire, et la Terreur apprêtait ses sanglantes 
expiations. 

Mais avant d'entreprendre le récit des calamités des 

années 1793 et 1794, arrêtons-nous et faisons un retour en 

arrière, afin d'écrire l'histoire religieuse de Bordeaux depuis 

1789 jusqu'en 1792. Cette histoire se lie trop intimement 

à notre sujet pour que nous puissions la passer sous 
silence. 



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CHAPITRE III 

LA CONSrmniON civile du clergé a bordeaux et dans la GIRONDE. 

Analyse de la Constitution civile du clergé. — M 9' Champion de Cicé, 
archevêque de Bordeaux, — Le club du Café national lui écrit. -* Le 
serment constitutionnel. — Le Prône d*un bon curé. — Le clergé 
assermenté. — L'abbé Landard et le clergé insermenté. — Invitation 
fiûte à celui-ci d'assister aux cérémonies du culte constitutionnel.— Vers 
sur M0' Champion de Cicé. -^ Évéché métropolitain du Sud-Ouest. — 
Élection de M. Pacareau en qualité d'évéque. -^ Il est sacré dans l'église 
Saint- André. — Élection des curés constitutionnels de Bordeaux. — Le 
curé Toucas-Poyen. — Arrestation de sept prêtres à Nérigean. — Lettre 
de M. Pacareau au Souverain Pontife. — Un pamphlet anti-religieux de 
Marandon. — Il est dénoncé à l'autorité. — Lacombe dans l'église, des 
Récollets. — Fermeture des églises conventuelles. — Lettre de Msr Cham- 
pion de Cicé à M. Pacareau. — Pan^yrique et vers en l'honneur de 
M. Pacareau. — Le curé Dominique Lacombe. — Ses pamphlets et ses 
sermons. — Il est nommé député à l'Assemblée législative. •*- L'abbé 
Daguzan, curé et maire de Bègles. — Le vicaire-général Hollier. — Le 
jacobin Pinon et l'avocat Lisleferme. — Écrits relatifs au serment. — 
L'abbé Réaud, curé et maire de Léognan. — Le serment rectifié. — Le 
clergé du Blayais. — Les Amies de la Constitution font chanter un Te 
Deum à Saint- André. — Ovations au clergé constitutionnel. — Les 
prêtres réfractaires et le club du Café national. — M. Plas de Saint-Georges. 
~ Le chevalier de Pichon. — La femme du maire de Lesparre. — 
Persécutions contre les prêtres dans le Libournais. — L'abbé Langoiran. 

— La Noël en 1791. — On ferme trois églises louées aux catholiques. — 
Profanation sacrilège au cimetière Sainte-Eulalie. — On demande 
l'expulsion des prêtres réfugiés à Bordeaux. — Suppression des congré- 
gations religieuses et des ordres religieux. — Pamphlets et caricatures. 

— Le Bon Dieu dans une giberne. — Troubles à Labarde (Médoc). — 
Assassinat des abbés Langoiran et Dupuy. — L'argenterie des églises 
est déposée à la Monnaie. — Circulaire du ministre Roland aux pasteurs 
des villes et des campagnes. 

Un décret de TAssemblée constituante du 12 juillet 1790 
avait établi la Constitution civile du clergé. Il nous paraît 
indispensable de donner ici une brève analyse des principales 
dispositions de ce décret : 

€ Chaque département devait former un seul diocèse, et 



46 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



chaque diocèse devait avoir la même étendue et les mêmes 
limites que le département. 

» Tous les autres sièges non compris dans cet article 
étaient supprimés. 

» Le royaume était divisé en dix arrondissements métro- 
politains, dont les sièges furent : Reims, Rouen, Besançon, 
Rennes, Paris, Bourges, Aix, Bordeaux, Toulouse et 
Lyon. 

» Lorsque Tévêque diocésain prononçait dans son synode 
sur des matières de sa compétence, il y avait lieu au recours 
du métropolitain, lequel devait prononcer dans le synode 
métropolitain. 

» La paroisse épiscopale ne devait pas avoir d^autre 
pasteur que Tévêque; tous les prêtres établis pour la 
desservir étaient ses vicaires et en faisaient les fonctions. 

1^ Tous chapitres, canonicats, prébendes et bénéfices 
généralement quelconques étaient supprimés. 

> La Constitution établissait un seul mode de pourvoir 
aux évêchés et aux cures : les élections par la voie du 
scrutin et à la pluralité absolue des suffrages; les élections 
devaient se faire dans la forme prescrite et par le corps 
électoral indiqué par le décret du 22 décembre ijSg, 
pour la nomination des membres de l'Assemblée du 
département. 

» L'élection de Tévêque ne pouvait se faire ou être 
commencée qu'un jour de dimanche, dans Téglise principale 
du département, à Tissue de la messe paroissiale, à laquelle 
seraient tenus d'assister tous les électeurs. 

» Au plus tard dans le mois qui suivrait son élection, 
celui qui aurait été élu à un évêché devait se présenter en 
personne à son évêque métropolitain, et s'il était élu pour 
le siège de la métropole, au plus ancien évêque de l'arron- 
dissement, en justifiant du procès-verbal de son élection et 
de la proclamation qui en aurait été faite, et il le supplierait 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 47 

^■^^*^^^^^^>" ■ I ■■■■■■ I ^ii^i^ii^^^^^i^^^^^i^— ^^i— I ■ I ^m^,^^ ^ ■ ■■■■I ■ iiiw»»- ■ — ■ I ■ ■■■ ■ ■ ^ 

de lui accorder la confirmation canonique. Le métropolitain, 
ou l'ancien évêque, aurait la faculté d'examiner Télu, en 
présence de son conseil, sur sa doctrine et sur ses mœurs. 
S'il le jugeait capable, il devait lui donner l'institution 
canonique; s'il croyait devoir la lui refuser, les causes du 
refus étaient données par écrit, signées du métropolitain et 
de son conseil, sauf aux parties intéressées à se pourvoir, 
par voie d'appel, devant le tribunal du district. 

> L'évêque à qui la confirmation était demandée ne 
pouvait exiger de l'élu d'autre serment, sinon qu'il faisait 
profession de la religion catholique, apostolique et romaine. 

» Le nouvel évêque ne pouvait s'adresser au Pape pour 
en obtenir aucune confirmation, mais il était tenu de lui 
écrire comme au chef visible de l'Église universelle, en 
témoignage de l'unité de la foi et de la communion qu'il 
devait entretenir avec lui. Sa consécration ne pouvait se 
faire que dans son église cathédrale, par son métropolitain 
ou, à défaut, par le plus ancien évêque de l'arrondissement 
de la métropole, assisté de deux évêques des diocèses les 
plus voisins, un jour de dimanche, pendant la messe 
paroissiale, en présence du peuple et du clergé. Avant que 
la cérémonie de la consécration commençât, l'élu était tenu 
de prêter, en présence des officiers municipaux, du peuple 
et du clergé, le serment solennel de veiller avec soin sur le 
troupeau qui lui était confié, d'être fidèle à la Nation, à la Loi 
et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution 
décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. 

» L'évêque avait la liberté de choisir les vicaires de son 
église cathédrale dans tout le clergé de son diocèse, mais à 
la charge par lui de ne pouvoir nommer que des prêtres 
qui auraient exercé les fonctions ecclésiastiques au moins 
pendant six ans, et il ne pouvait les destituer que de l'avis 
de son conseil et par une délibération prise à la pluralité 
des voix, en connaissance de cause. 



48 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

» Les vicaires supérieurs et les vicaires directeurs des 
séminaires étaient nommés par l^évêque et son conseil ; ils 
ne pouvaient être destitués que de la même manière que 
les vicaires de Téglise cathédrale. 

> L'élection des curés devait avoir lieu par les électeurs, 
dans la forme prescrite pour les évêques, etc. Elle ne 
pouvait se faire ni être commencée qu'un jour de dimanche, 
dans la principale église du chef-lieu de distria et à Tissue 
de la messe paroissiale, à laquelle tous les électeurs étaient 
tenus d'assister. L'élu devait se présenter en personne 
devant l'évêque, avec le procès-verbal de son élection, à 
l'effet d'obtenir de lui l'institution canonique. Si l'évêque 
croyait devoir la lui refuser, la cause du refus devait être 
donnée par écrit, signée de l'évêque et de son conseil, sauf 
le recours des parties à la puissance civile. Les curés élus 
et institués ne pouvaient exercer les fontions curiales avant 
d'avoir prêté le serment. 

> Les évêchés et les cures étaient réputés vacants jusqu'à 
ce que les élus eussent prêté le serment. 

> Pendant la vacance du siège épiiscopal, le premier, ou 
à son défaut, le second vicaire de l'église cathédrale, 
remplaçait* l'évêque tant pour les fonctions curiales que 
pour les actes de juridiction n'exigeant pas le caractère 
épiscopal; mais, en tout cas, il était tenu de se conduire 
sur l'avis du conseil. i> 

Les dispositions du titre III sont relatives aux traite- 
ments des évêques, des curés et des vicaires. Celui des 
évêques, fixé à 12,000 fr. dans les villes d'une population 
de 12,000 âmes et au-dessous et à 20,000 fr. pour les 
autres sièges, fut porté à 5o,ooo fr. pour la métropole de 
Paris. Le traitement des curés et des vicaires n'excédait 
pas celui que l'État leur alloue aujourd'hui. 

Le titre IV, relatif à la résidence, est curieux; il 
mérite d'être reproduit in extenso : 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 49 

» La loi de la résidence sera observée régulièrement, et 
tous les membres du clergé y seront tenus sans aucune 
exception, ni distinction. 

> Aucun évêque ne pourra s'absenter, chaque année, 
plus de qutn:{e jours consécutifs, que dans le cas d'une 
véritable nécessité, et avec Vagrément du Directoire du 
département dans lequel son siège sera établi; il en sera 
de même pour les curés et vicaires, qui devront, en outre, 
obtenir l'agrément de leur évêque et de leur district, les 
vicaires la permission de leurs curés respectifs. 

» Si un évêque ou un curé s'écartait de la résidence, la 
municipalité du lieu en donnerait avis au procureur général 
syndic du département, qui l'avertirait par écrit de rentrer 
dans son devoir, et après une seconde monition, le pour- 
suivrait pour le faire déclarer déchu de son traitement pour 
tout le temps de son absence, etc. <*). » 

Telle était l'œuvre des constituants. 

Sanctionnée par le roi le 23 août ^790, elle rencontra 
une improbation et une résistance générales de la part du 
clergé, et provoqua de terribles orages. 

Sa Sainteté le Pape avait écrit à Louis XVI, en réponse 
aux conseils que ce prince lui demandait : a: Si le roi a pu 
renoncer aux droits de sa couronne, il ne peut sacrifier par 
aucune considération ce qu'il doit à l'Église, dont il est le 
fils aîné. » Les évêques et une partie des curés avaient 
trouvé dans ces paroles du Souverain Pontife un encoura- 
gement à refuser de se soumettre au décret du 12 juillet. Le 
26 novembre 1790, le Comité ecclésiastique de l'Assemblée 
dénonça leur conduite en les accusant a: d'apprendre au 
peuple à braver les lois, de le façonner à la révolte, de 
dissoudre tous les liens du contrat social et d'exciter à la 
guerre civile. » — Le lendemain 27, l'Assemblée décrétait 

(1) Essai sur la constitution civile du clergé, etc., par M. Sénemaud aîné. 
(Ouvrage manuscrit.) 

T. I. 4 



5o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

..^ — — — — • ■ — » 

«que les évêques, curés, vicaires, fonctionnaires publics 
seraient tenus de jurer fidélité à la Nation, à la Loi et au 
Roi, et de s'obliger à maintenir la Constitution de tout leur 
pouvoir; que les réfractaires seraient remplacés; que les 
prêtres qui violeraient leur serment seraient poursuivis 
comme rebelles à la loi, et que le serment prescrit serait 
prêté par les membres de l'Assemblée. 3> 

Retenu par des motifs de haute prudence, le roi ne 
donna sa sanction à ces dispositions que le 26 décembre. 

Toutefois, devançant le jour fixé par le décret, soixante- 
cinq prêtres, sur trois cent un membres du clergé que 
comptait l'Assemblée, vinrent, l'abbé Grégoire en tête, 
prêter le serment à la tribune : les autres, invités le 
4 janvier 1791 à remplir cette formalité, répondirent par 
un refus unanime. 

Ce fut le signal d'un schisme dans toute la France. 

Bordeaux fut, après Paris, une des villes où les questions 
religieuses suscitées par la constitution civile du clergé et 
par le serment soulevèrent le plus de controverses et 
agitèrent le plus les esprits. 

Le siège archiépiscopal de cette ville était occupé en 1 789 
par M*"^ Champion de Cicé, originaire de Rennes. Ce 
prélat, qui avait été vicaire général de son frère, évêque 
de Troyes, et plus tard vicaire général à Auxerre, fut 
nommé évêque de Rodez, et transféré le 4 février 1781 
à l'archevêché de Bordeaux. 

Député de l'ordre du clergé de Guienne aux États 
Généraux, il y fit preuve d'une grande modération, mais 
en même temps d'une tendance prononcée en faveur des 
idées nouvelles. Il fut un des premiers qui se réunirent aux 
représentants des communes. 

On cite de lui un remarquable rapport fait à l'Assemblée 
au mois de juillet 1789 sur un projet de constitution. 

Ses principes et son attitude lui avaient mérité l'affection 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 5l 

des habitants de Bordeaux, qui accueillirent avec joie en 
1790 sa nomination au ministère de la justice, devenu 
vacant par la retraite du garde des sceaux Barentin. 

Le poste était difficile : la Révolution marchait rapidement, 
les décrets se succédaient, le mouvement devenait universel 
et l'agitation s'accentuait chaque jour davantage. 

M** Champion de Cicé était obligé, en sa qualité de 
ministre de la justice, d'apposer les sceaux de l'État aux 
lois sanctionnées par le roi, bien que quelques-unes 
n'eussent pas toujours son approbation personnelle. 

Dans ce nombre figure notamment la loi sur la consti- 
tution civile du clergé, qui ne tendait à rien moins qu'à 
établir le presbytérianisme en France. Le parti philosophique 
de la G>nstituante, représenté par Camus, Fréteau, Treil- 
hard, les protestants Barnave et Rabaud Saint- Etienne, 
les Mirabeau, les Lameth et tous les encyclopédistes, avait 
usurpé dans cette constitution sur le spirituel et bouleversé 
l'Église et son antique discipline. 

L'archevêque-ministre reconnut plus tard son erreur 
devant ses diocésains et l'Europe catholique; il l'expia par 
l'exil, par les larmes et par le repentir. 

Il se démit d'un ministère qui lui avait laissé des remords, 
et le 21 octobre 1790 il reprit dans l'Assemblée consti- 
tuante une place que* peut-être il n'aurait jamais dû quitter. 

Dès 1 79 1 ^ M«^ Champion de Cicé s'était expliqué sur le 
serment constitutionnel, et ses sentiments étaient bien 
connus. On savait qu'il manifestait une vive opposition à 
la constitution civile du clergé; aussi, le Directoire du 
département de la Gironde et les Sociétés populaires 
s'empressèrent-ils de le représenter comme l'ennemi du 
nouvel ordre de choses, comme le partisan dévoué des 
vieux préjugés. 

A sa sortie du ministère, Mk*" Champion de Cicé avait 
cru devoir écrire à la municipalité de Bordeaux pour lui 



52 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



expliquer sa conduite à rAssemblée et demander la 
continuation de la confiance de ses commettants. 

Les membres du club du Café national ayant eu 
connaissance de cette lettre, en éprouvèrent une vive 
irritation; ils osèrent, sans y avoir été autorisés par la 
municipalité, écrire au prélat, le 3o novembre 1790, une 
réponse dont nous allons reproduire les passages les plus 
audacieux. 

Après avoir rappelé à M*' Champion de Cicé qu'il avait 
été leur évêque et qu'il jouissait de la considération attachée 
à sa dignité, à son pouvoir et à sa fortune immense, ils 
continuaient en ces termes : 

« Vous aviez des flatteurs, des courtisans; vous n'aviez 
pas d^amis. Les personnes impartiales qui n'attendaient de 
vous ni protection, ni faveur, ni bénéfices, vantaient votre 
esprit, vos talents, la facilité de votre élocution ; mais de là 
à l'éloge que mérite un vrai pasteur, la distance est 
considérable. 1^ 

Lui rappelant ensuite que ses premiers pas avaient été 
ceux d'un citoyen zélé pour la patrie, qu'il avait travaillé à 
ramener les ordres de la noblesse et du clergé à l'égalité 
avec le tiers-état, et qu'il avait donné l'exemple d'une 
réunion que commandait le salut du royaume, ils ajoutaient ; 

a Ce moment. Monsieur, fut le plus beau de votre vie. 
Votre élévation au ministère parut une juste récompense de 
vos sentiments, et l'on ne douta point que votre nom ne 
fût destiné à purifier le sceau de l'État, qu'avait souillé la 
main de votre prédécesseur. . . 

T> Votre lettre à la municipalité vous peint exempt de 
tout reproche dans le cours de votre administration : la 
France entière. Monsieur, en a jugé tout autrement.... Un 
ministre doit, comme la femme de César, être non 
seulement à l'abri du blâme, mais du soupçon. 1^ 

Puis, les clubistes disaient à l'archevêque que son 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 53 

civisme et même son humanité étaient suspects ; que Ton 
était en droit de le croire d'après sa correspondance avec 
le maire de Montauban au sujet des troubles dont cette 
ville avait été le théâtre, et l'attitude qu'il avait prise en 
faveur de quelques fonctionnaires gravement compromis, 
par suite de ces troubles, dans l'opinion publique. Après 
avoir énuméré certains griefs se rattachant aux affaires de 
Montauban : € Joignez à cela, écrivaient-ils, des plaintes 
de la capitale et de toute la France sur le retard de l'envoi 
des décrets et sur l'altération du texte de quelques-uns, 
vous sentirez combien on a du mettre de la sévérité dans 
les jugements qu'on s'est permis de porter contre vous... 
Cependant vous désirez la confiance des Bordelais, et si 
nous sommes forcés de dire qu'il pourra vous être difficile 
de l'obtenir, nous devons convenir que cela n'est pas 
impossible... 

> Quelque solides que soient les écrits que vous mettez 
sous les yeux du public, le public n'y croira pas... Revenez 
dans l'Assemblée nationale ce que vous étiez à l'ouverture 
des États Généraux : l'ennemi de toute distinction, de tout 
privilège, de tout abus qui pèse sur le peuple... Prouvez 
enfin à la France, à l'Europe, que l'évêque d'Autun n'est 
pas le seul qui sache faire à la vertu, au bien public, le 
sacrifice de ses richesses et de ses titres. Les citoyens. 
Monsieur, ont droit d'être étonnés de vous voir prendre 
encore le titre inconstitutionnel d'archevêque. Si vous êtes 
soumis en effet à cette constitution que le roi a acceptée, 
que vous avez scellée du sceau de l'État et que vous avez 
juré d'observer, pourquoi tardez-vous si longtemps à vous 
y conformer ?. . . » 

Cette lettre agressive et violente est un indice certain de 
la mauvaise disposition des esprits et de l'accentuation du 
mouvement révolutionnaire dès cette époque. 

Après la clôture des travaux de l'Assemblée constituante. 



54 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Af Champion de Cicé ne parut pas à Bordeaux, mais il y 
avait laissé des représentants sûrs et fidèles, qui recevaient 
ses ordres et les communiquaient au clergé du diocèse* 

On annonçait des élections ecclésiastiques dans tout le 
royaume pour les mois de février et mars 1 79 1 . 

Dès le mois de janvier de cette année, Tarchevêque de 
Bordeaux crut devoir s^expliquer avec plus de développe- 
ment qu'il ne Tavait fait déjà sur le serment constitutionnel 
dans deux lettres adressées. Tune au Directoire du 
département, et la seconde à M. Toucas-Poyen, curé de 
Talence <^). 

« Je ne peux prêter le serment exigé, écrivait-il aux 
administrateurs du département, sans reconnaître que le 
pouvoir civil s'étend sur les objets spirituels, sur le 
gouvernement de TÉglise et sa discipline, et qu'il a droit 
d'y statuer sans l'intervention de l'autorité ecclésiastique; 
or, c'est ce que les principes dans lesquels j'ai été élevé ne 
me permettent pas de reconnaître. » 

Dans sa lettre au curé de Talence, savant et vénérable 
prêtre qui a été longtemps curé de l'église Saint-Pierre de 
Bordeaux, M**" Champion de Cicé disait : a J'ai adhéré à- 
V Exposition des principes formulée par les évêques, avec 
presque tous mes collègues de l'épiscopat. Lorsque, après 
ma sortie du ministère, le serment a été décrété, je n'ai pas 
attendu qu'il me fiât demandé, ou à aucune autre personne 
de mon diocèse; je me suis adressé au département lui- 
même et à tout mon clergé diocésain, pour leur manifester 
que ma conscience ne me permettait pas de prêter le 
serment. » 

Ces deux lettres sont catégoriques; elles prouvent que 
les calomnies perfidement répandues sur le compte de 
Mk*" Champion de Cicé étaient entièrement dénuées de 

(0 Ces lettres sont imprimées. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 55 

fondement, et que ce prélat n'avait jamais prêté le serment 
constitutionnel. 

On avait espéré, à la faveur d'un mensonge habilement 
répandu, entraîner le clergé dans la voie du schisme. Cet 
espoir fut déçu. 

Dans le mois de janvier 1 791, et comme pour ajouter à 
Tefifet produit par les lettres du vénérable prélat, lettres 
devenues publiques,, il parut une brochure qui contribua 
beaucoup à entretenir l'agitation dans les esprits. Cette 
brochure, ayant pour titre : Prône d'un bon curé sur le 
serment civique exigé des évêques, des curés, etc. ^^\ causa 
une vive sensation dans le public et préoccupa l'autorité. 

Gensonné, alors procureur de la commune, dénonça cette 
brochure à la municipalité, qui, par un arrêté, en ordonna 
la suppression « comme étant séditieuse, attentatoire à la 
souveraineté de la nation, et aux décrets de l'Assemblée 
nationale sanctionnés par le roi, défendit d'imprimer et 
de distribuer cet écrit, ou tout autre semblable, tendant à 
altérer le respect à la loi, à alarmer les consciences et 
à détourner les ecclésiastiques fonctionnaires publics de 
l'obéissance qu'ils doivent à la loi, sous peine, par les 
auteurs et imprimeurs, d'être poursuivis comme perturba- 
teurs du repos public, réfractaires à la Constitution et aux 
lois du royaume ^^^ d 

Le corps municipal commit un grave abus de pouvoir 
en prenant cet arrêté; il n'avait pas le droit de supprimer 
les écrits, et anticipait sur les attributions de l'autorité 
judiciaire, qui seule pouvait, par un jugement, ordonner 
une pareille suppression. La municipalité n'y regarda pas 
de si près. Les abus de pouvoir étaient presque de droit 
commun à cette époque, surtout quand il s'agissait des 
prêtres non assermentés. 

(i) Spicilége bordelais. L'auteur de la brochure n'est pas connu. 
(3} Archives municipales de Bordeaux. 



56 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Voulant remédier à la sensation produite par le Prône 
d'un bon curé, la municipalité lui opposa une autre brochure 
qu'elle fit publier sous le titre d* Instruction sur la consti- 
tution civile du clergé. C'était son droit assurément, mais 
elle ne s'arrêta pas là; elle ordonna que cette instruction 
serait lue à l'issue de la messe, dans chaque paroisse de 
Bordeaux, par le curé ou son vicaire, et, en cas de refus de 
ceux-ci, par un officier municipal. 

Le clergé fut très mécontent de cette usurpation sur le 
pouvoir spirituel, et les Bordelais s'égayèrent aux dépens 
des théologiens du Conseil général de la commune. 

La mesure, d'ailleurs, ne ramena aucun prêtre à Tamour 
de la constitution civile, et la municipalité, ne sachant plus 
quel moyen employer pour triompher de la résistance 
opposée au serment par le clergé dissident, se réunit 
quelques jours après sous la présidence de M. de Fumel, 
maire de Bordeaux, afin de délibérer sur les mesures 
à prendre. On discuta longtemps, et l'on finit par décider 
que le 3o janvier le corps municipal entier se rendrait 
à l'église Saint-Martial pour y entendre la messe et le 
sermon. 

On prit en même temps un arrêté qui défendit à tous les 
prêtres dissidents de se réunir pour combiner et préparer 
le refiis d'obéissance aux décrets sanctionnés par le roi; 
l'arrêté plaça sous la sauvegarde de la loi spécialement 
tous les ecclésiastiques sans distinction d'opinions et tous 
les autres citoyens ; il fit d'expresses inhibitions et défenses 
de troubler les ecclésiastiques dans l'exercice de leur culte 
et de leur ministère, etc. ^^K 

Cet arrêté fut imprimé, publié et affiché; le corps muni- 
cipal assista à la messe paroissiale et au sermon, et les 
choses continuèrent comme auparavant. 

(i) Archives municipales de Bordeaux. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 5 7 

On marchait vers un but fatal et inévitable. 

La désorganisation religieuse allait de pair avec la 
désorganisation politique ; les mauvais prêtres, il y en eut 
malheureusement à cette époque, entretenaient le trouble 
dans les esprits et les consciences ; les clubs s'agitaient avec 
audace, et une partie du peuple, entraînée par des excitations 
coupables, méconnaissait l'autorité de ses anciens pasteurs. 

C'est ainsi que M. l'abbé Landard, notamment, éprouva 
les vicissitudes que nous allons raconter. 

Les prêtres constitutionnels, forts de l'incurie de l'autorité 
et de sa faiblesse, que nous avons suffisamment indiquées, 
faisaient surveiller par leurs partisans les insermentés, et 
lorsque l'un de ces derniers entrait dans le domicile d'un 
malade qui l'avait appelé, on voyait aussitôt une bande 
d'émeutiers l'attendre à sa sortie, le suivre, l'injurier et se 
porter à des violences sur sa personne. 

Le fait suivant en donnera une idée : 

L'abbé Landard, ex-vicaire de Saint-Michel, sortant de 
la maison d'un malade, fut assailli par une bande qui le 
guettait, et poursuivi à coups de pierres. Le pauvre abbé 
échappa avec peine à ces furieux et parvint à se réfugier à 
l'Hôtel de Ville, où il demanda secours et protection. Invité 
par les officiers municipaux à signaler les coupables, il lui 
fut impossible d'en désigner aucun. Il quitta l'Hôtel de 
Ville pour rentrer chez lui; mais à peine parut-il dans la 
rue, qu'une autre bande, cachée aux environs, l'entoura ; 
et sans la prompte intervention d'un poste de gardes 
nationaux, il eût été infailliblement égorgé. 

Ce poste était commandé par le capitaine Risteau, qui 
dégagea le malheureux abbé et le conduisit brutalement 
devant le maire, en sommant les magistrats, au nom de la 
garde nationale et des amis de la patrie, d'ordonner la 
punition de ce prêtre, accusé d'être un perturbateur de 
la paix publique, ajoutant que si l'on n'en faisait justice. 



58 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

on aurait beau le requérir à Tavenir pour apaiser le désordre 
et les rassemblements. Le maire lui représenta vainement 
que la loi respectait les opinions, et que nul ne pouvait être 
inquiété pour ses principes religieux; Risteau continua à 
vociférer contre les réfractaires, demandant à haute voix 
une punition prompte et sévère contre Tabbé Landard. 
L'émeute grondait au dehors. A la fin, le maire mécontent 
dit sèchement à Ténergumène qu'il changeait la liberté en 
tyrannie; il lui signifia qu'il mettait dès ce moment Tabbé 
Landard sous la protection de la municipalité et des 
administrateurs du département. Cette protection n'était 
peut-être pas fort rassurante contre l'anarchie; toutefois 
l'abbé Landard put, grâce à l'énergie du maire dans cette 
circonstance, rentrer en sûreté quelques heures plus tard 
dans son domicile. 

Telle était alors la situation du clergé dissident. 

M. O'Reilly constate toutefois, dans son Histoire de 
Bordeaux, que « les prêtres persécutés intéressaient tous 
ceux qui avaient la foi : c'étaient leurs confesseurs, leurs 
parents, leurs amis, dont le seul tort consistait à s'en tenir 
à leurs devoirs religieux, à leurs vœux et à leur conscience. » 

M. Barennes, procureur général syndic du département, 
voulant remédier au mal, s'imagina qu'une invitation fra- 
ternelle pourrait décider les prêtres insermentés et leurs 
ouailles à se rendre aux processions et aux autres céré- 
monies du culte constitutionnel : « Nous vous prions, 
Messieurs les Administrateurs, disait-il aux membres du 
département, de les y inviter par un arrêté qui annonce 
tout à la fois à vos concitoyens votre amour et votre respect 
pour la religion, et à Messieurs du clergé, votre juste con- 
fiance dans leurs vertus religieuses et patriotiques. » 

Le Directoire du département prit un arrêté conforme 
qui fut publié et affiché; mais l'invitation fraternelle ne fiit 
pas accueillie comme M. Barennes l'avait espéré, et les 



LA CONST i l' U 'l l ON CIVILE DU CLERGÉ. Sg 

catholiques ne parurent point dans les églises constitution- 
nelles, qui restèrent désertes comme auparavant. L'admi- 
nistration et les auditeurs assidus des clubs et sociétés 
populaires y parurent seuls, ainsi qu^aux autres cérémonies 
religieuses. 

Le schisme s'accentuait, et l'absence de l'archevêque 
semblait ajouter peut-être aux difficultés de la crise affligeante 
que traversait l'Église. 

Nous devons cependant reconnaître que M.^^ Champion 
de Qcé était vénéré par les catholiques de son diocèse : on 
le désirait et on l'attendait avec impatience dans sa ville 
archiépiscopale; mais il jugea prudent de ne pas y paraître 
parce qu'il craignit que sa présence n'y augmentât l'agita- 
tion religieuse et les troubles que redoutait le Directoire du 
département. 

Dans un recueil de pièces sur le clergé de Bordeaux, on lit 
les vers suivants qui lui furent adressés pour hâter son 
retour; ils sont médiocres, il est vrai, mais ils montrent la 
vénération du troupeau pour son pasteur : 

Cicéy viens dans nos murs où t'attend notre hommage; 
Montre un père, en ces lieux, trop longtemps inconnu ; 
Reviens, et qu'à jamais Bordeaux te dédommage 
Du prix dont l'injustice a payé ta vertu. 
De ces longues erreurs tu perdras la mémoire; 
Autant que ton esprit, ton cœur fut toujours bon, 
Et je te vois encor, voulant placer ta gloire. 
Par de nouveaux bienfaits, à sceller le pardon. 
Du sort de ses brebis que le pasteur dispose, 
Et que chacun s'écrie en bénissant tes soins : 
Ce prélat, de son peuple, a défendu la cause, 
Tandis que ses secours soulageaient nos besoins (0. 

Nous l'avons dit, M^»" Champion de Qcé ne reparut pas 
à Bordeaux; il préféra Texil aux triomphes de la popularité 

(i) Bibliothèque de Bordeaux, n» 27058. 



6o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

et garda pure de toute apostasie la doctrine de T Église 
catholique, apostolique et romaine. 

Son siège fut déclaré vacant. 

Le procureur général syndic du département convoqua 
pour le i3 mars l'assemblée électorale chargée de procéder 
à rélection de Tévêque métropolitain du Sud-Ouest. 

Cet évêché, dont le siège était à Bordeaux, avait pour 
évêchés suffragants les sièges de Luçon (Vendée), de 
Saintes (Charente-Inférieure), de Dax (Landes), d'Agen 
(Lot-et-Garonne), de Périgueux (Dordogne), de Tulle 
(Corrèze), de Limoges (Haute- Vienne), d'Angoulême 
(Charente) et de Saint-Maixent (Deux-Sèvres). 

Quelques jours avant l'élection, M. Pacareau, chanoine 
de la cathédrale, fit paraître, une brochure intitulée : 
Réflexions sur le serment civique du clergé, ou Lettres 
adressées à un commissaire du Roi dans un département 
de France ^^K 

Ces réflexions sont datées du i*'' mars 1 79 1 . M. Pacareau, 
après avoir déclaré qu'il écrit avec toute l'impartialité que 
l'on doit attendre d'un homme droit et sincère qui aime 
l'ordre et la paix fondés sur la vérité, pose cette question : 

Le clergé peut-il et doit-il prêter le serment civique ? 

Il y répond en disant que le serment peut et doit être 
prêté. Il discute ensuite longuement le principe des élections 
et le droit de l'autorité civile d'ériger ou de supprimer les 
évêchés, attendu que l'Église n'a point de territoire, que son 
règne, comme celui de son Divin Maître, n'est pas de ce 
monde, mais qu'il est purement spirituel, etc., etc. 

Puis il termine ainsi : a Paix désirable, fille du ciel, descends 
au milieu de nous ; viens nous apporter et nous faire goûter 
les fii'uits salutaires que le Dieu des miséricordes a promis 
aux hommes de bonne volonté. :b 

(1) 1 791, 21 p. in-fio, Bordeaux. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 6l 

Cette brochure, pleine d'erreurs savamment exposées, ne 
dut pas être étrangère au résultat des élections dont nous 
allons rendre compte. 

Le i3 mars 1791, rassemblée électorale se réunit dans 
Féglise Saint- André. Après la messe, célébrée par le curé de 
la paroisse, les opérations commencèrent : Guadet fut élu 
président; Duvigneau, secrétaire, et MM. Daroles, admi- 
nistrateur du département, Daguzan, curé de Bègles, et 
Bemon, archiprêtre de Gradignan, scrutateurs. 

De nombreux discours furent prononcés ; les scrutateurs 
prêtèrent serment; puis on donna lecture de plusieurs 
décrets relatifs aux qualités requises pour être éligible aux 
évêchés et mis au nombre des fonctionnaires publics 
ecclésiastiques ^*). 

Un premier tour de scrutin eut lieu le 14 mars, sans 
résultat. On comptait 433 votants. 

A la séance du matin, le 1 5, 484 électeurs prirent part 
au vote : la concurrence s'établit entre M. Pacareau et 
M. Constans, religieux jacobin, professeur en TUniversité, 
et il n'y eut pas encore d'élection. 

Enfin, un troisième tour de scrutin eut lieu à la séance 
du soir : 481 votants y prirent part, et M. Pacareau fut élu. 

Ce résultat, immédiatement annoncé par Guadet, fut 
accueilli par des applaudissements universels et aux cris 
plusieurs fois répétés de : Vive la Nation! Vive la Loi! 
Vive le Roi! 

Des commissaires, députés vers M. Pacareau pour lui 
porter la nouvelle de son élection, rentrèrent bientôt après 
annonçant qu'il acceptait, et que si son grand âge ne 
s'opposait pas aux vœux de son cœur, il serait venu avec 



(i) L'élection des ëvêques se fera dans la forme prescrite et par le 
corps électoral indiqué par le décret du 22 décembre 1789 pour la noroi' 
nation des membres de l'assemblée du département. (Art. 3, titre II de la 
loi du 12 juillet 1790.) 



02 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

eux pour exprimer sa reconnaissance à l'assemblée électo- 
rale et lui présenter ses hommages. 

Le lendemain i6 mars, la cérémonie de la proclamation 
de révêque métropolitain du Sud-Ouest était célébrée à la 
cathédrale. Ici, nous croyons devoir céder la place au 
procès-verbal officiel : 

a A neuf heures du matin, l'assemblée électorale s'est 
rendue dans la chapelle de l'évêché , en même temps 
que ses commissaires recevaient dans l'église métropolitaine 
de Saint-André les corps invités à la cérémonie de la 
proclamation de M. l'évêque métropolitain du Sud-Ouest. 

> Il avait d'abord été arrrêté que l'assemblée électorale 
irait en corps chez M. l'évêque, pour le conduire à Saint 
André; mais cette visite devant occasionner une marche 
rétrograde d'où pourrait résulter du désordre, vingt-quatre 
commissaires ont été chargés d'aller chez M. l'évêque et 
de le conduire dans le sein de l'assemblée. Ces Messieurs 
partis à l'instant, sont rentrés bientôt après, accompagnant 
M. révêque, qui a été accueilli avec les plus vifs applaudis- 
sements et toutes les démonstrations d'une joie universelle. 

I» Alors, l'assemblée électorale a dirigé sa marche vers le 
lieu de la cérémonie; M. l'évêque était à la tête, ayant le 
président de l'assemblée à sa droite et le secrétaire à sa 
gauche ; une foule immense s'est portée avec empressement 
sur les pas du nouveau prélat; des applaudissements 
unanimes, des cris d'admiration et de joie l'ont accompagné 
jusqu'aux portes de la cathédrale. 

» L'intérieur de l'église offrait l'aspect le plus imposant ; 
la nef était entièrement occupée par les corps invités, placés 
de manière que lorsque chaque électeur a eu pris son rang, 
le corps électoral environnait tous les autres d'une triple 
enceinte; un peuple immense remplissait toutes les tribunes 
et l'espace qui sépare la nef du chœur; il circulait sans cesse 
dans les galeries intérieures et extérieures et occupait, jusque 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 63 

sur les combles, tous les points d'où il pouvait contempler 
Taùguste cérémonie. 

^ Un clergé, cher au peuple par son patriotisme et ses 
vertus chrétiennes, attendait à Tautel. 

» Au moment où M. Tévêque a paru dans Tenceinte 
accompagné et soutenu de MM. Guadet et Du vigneau, 
président et secrétaire de l'assemblée électorale, les voûtes 
ont retenti d'applaudissements qui se sont prolongés 
jusqu'à ce qu'il ait pris la place qui lui était destinée; à ces 
acclamations, à ces transports civiques et religieux, a 
succédé bientôt un profond silence; alors M. Guadet, 
président de l'assemblée, est monté en chaire pour y faire 
la proclamation ; il a dit : « Citoyens, et vous tous que la 
3> cérémonie la plus auguste réunit dans ce temple I l'as- 
» semblée électorale vient de donner un évêque à ce 
» département. Que les amis de la Patrie et de la Religion 
:^ se réjouissent, la voix de Dieu s'est fait entendre : c'est 
V elle qui a inspiré le choix de votre pasteur ; oui, c'est elle, 
]^ car la voix du peuple est la voix de Dieu, Citoyens, 

> l'érudition la plus vaste, l'attachement le plus constant 
1 à ses devoirs, la charité la plus active, l'humilité la plus 

> profonde, le patriotisme le plus éclairé, telles sont les 
B vertus qui caractérisent notre nouvel évêque. Il nous est 
» donc permis de l'espérer : toutes les haines vont se taire, 

> toutes les discussions vont s'éteindre, et les ouvriers vont 

> rentrer dans la vigne du Seigneur. Eh ! comment pour- 

> raient-ils refuser d'y suivre celui que, pendant quarante 
» ans, ils regardèrent comme leur guide et leur flambeau ? 
}> Et vous, vénérable vieillard, ministre respectable d'une 
» religion sainte, recevez aujourd'hui le prix de soixante 
» années de vertus. Cédez, nous vous en conjurons, cédez 
j> au vœu d'un peuple immense qui demande votre prompte 
» consécration ; le pauvre attend en vous son père, le 
D faible son appui, et la religion le restaurateur de sa 



64 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

j> gloire. Citoyens, à ces traits vous reconnaissez sans 
» doute M. P. Pacareau, que je proclame, au nom de 
y> rassemblée électorale, évêque métropolitain du Sud- 
i> Ouest. » 

I A peine ce discours était-il achevé, que le peuple, y 
retrouvant tous les sentiments qui l'animaient, toutes les 
expressions de son enthousiasme, s'est livré aux plus vifs 
transports, et au même instant où le président de l'assemblée 
électorale reprenait sa place au bruit de longs et éclatants 
applaudissements, au même instant où le nom du nouvel 
évêque de Bordeaux retentissait dans le temple de TÉternel, 
toutes les cloches de la ville et les canons de la rade 
l'annonçaient aux peuples du département. 

D M. révêque a voulu exprimer au peuple les sentiments 
qui remplissaient son âme; il est monté en chaire, où il a 
prononcé le discours suivant : 

« Mes Frères et chers Concitoyens, que ma langue ne 
i> peut-elle exprimer les mouvements dont mon cœur, dans 
j> ce moment, est agité, partagé entre les sentiments de la 
» plus vive reconnaissance, de crainte, d'espérance, de 
» frayeur I Vous venez de faire un grand ouvrage, magfium 
Tf opus; mais sera-t-il avoué du Seigneur? Pourrons-nous 
i> dire : A Domino factmn est istud? Vos intentions sont 
1^ pures, et le désir que j'ai d'y répondre est ardent; mais 
-» peut-être qu'une ombre de quelques vertus, le son pas- 
)> sager d'une réputation aussi peu solide que l'air qui la 
» transmet, a trompé le désir sincère du bien que vous 
» attendez. Dieu seul, scrutateur infaillible des cœurs, peut 
» discerner les vertus et leur donner le prix ; il faut espérer 
1^ qu'il bénira nos efforts; que, secondé de vos dispositions 
:d chrétiennes et civiques, après avoir eu le bonheur de 
» faire votre consolation sur la terre, vous serez ma gloire 
)) et ma couronne dans les cieux. » 

» Ce discours, vivement applaudi, a paru augmenter 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 65 

encore ramour et le respect du peuple pour son nouveau 
pasteur. 

> M. révêque ayant repris sa place, la messe a com- 
mencé; elle a été suivie d'un Te ^eum, et le peuple a mêlé 
à ce cantique les cris répétés de : Vive la Nation ! Vive la 
Loi! Vipe le Roi! 

}> Après la cérémonie, M. Tévêque, accompagné du 
président, du secrétaire de l'assemblée et de vingt-quatre 
commissaires, s'est rendu dans le sanctuaire, où l'attendaient 
avec la plus vive impatience MM. les curés de Saint- 
Mexant et de Saint- Nicolas, MM. les doctrinaires et 
plusieurs autres ecclésiastiques officiants; ils sont tous 
accourus au-devant de lui, les yeux mouillés de larmes. 
Après l'avoir longtemps serré dans leurs bras, après lui 
avoir prodigué mille témoignages du plus tendre attache- 
ment, de la plus profonde vénération, ils l'ont conduit aux 
marches de l'autel, où l'attendaient, avec leurs ornements 
sacerdotaux, MM. Bemon, Daguzan, Guieux de Charence 
et Latapy, curé de Lucmau, par qui la messe avait été 
célébrée; M. l'évêque les a embrassés, il a fait le tour du 
sanctuaire ; reprenant ensuite la route de son domicile, il a 
été accueilli sur la porte de l'église et précédé jusque chez 
lui par un détachement de la garde nationale et de la 
musique militaire. Ce cortège, mais surtout les citoyens 
qui se portaient en foule sur les pas de ce prélat vénérable, 
et les applaudissements, les bénédictions dont ils le 
comblaient, ont rendu cette marche vraiment triomphale. 

» Un acte aussi touchant que sublime, digne à la fois du 
respect religieux qu'inspirent les vertus de M. Pacareau et 
sa simplicité patriarcale, devait terminer ces moments 
glorieux. En rentrant dans son appartement, une jeune fille 
vient au-devant de lui ; elle se met à genoux ; puis, levant 
les yeux et les mains vers le vieillard auguste, elle lui 
présente une corbeille de fruits et une couronne de fleurs ; 
T. L 5 



66 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

son geste, ses regards, tout en elle semblait dire : c En 
adressant cette offrande à votre vertu, je crois l'adresser au 
ciel même, et lui rendre un hommage digne de lui. 3> 

» Tandis que M. révêqup était reconduit dans sa maison, 
les corps invités quittaient la cathédrale et défilaient dans 
le plus grand ordre. Cette solennité n'a été heureusement 
troublée par aucun de ces événements si fréquents dans 
tous les lieux où les citoyens se portent en foule ; ce grand 
jour n'a été témoin que de la joie du peuple; les temples et 
les airs n'ont retenti que d'actions de grâces; le fanatisme 
et l'erreur même ont fait taire leurs murmures séditieux; le 
nom de Pacareau semble avoir levé tous les doutes, 
rassuré toutes les consciences et dissipé tous les partis : pas 
une bouche n'a osé s'ouvrir pour blâmer cet acte de la 
souveraineté du peuple, qui élevait à l'épiscopat le plus 
digne prêtre, le plus fidèle des serviteurs de Dieu . » 

Dans la soirée de ce jour, .M. Pacareau se présentait à 
l'assemblée électorale pour lui offrir les témoignages de son 
respect et de sa reconnaissance, a: Monsieur l'évêque, lui 
répond Guadet, un grand peuple célébrant par des acclama- 
tions le choix d'un évêque qui est son ouvrage, est un 
spectacle digne des regards du Ciel, et c'est celui que vous 
nous avez offert aujourd'hui. Il y a bien des siècles que les 
fidèles avaient perdu le droit d'élire leurs pasteurs : de là 
peut-être tous les maux de l'Église et la plaie profonde faite 
à sa gloire. Nous l'avons enfin reconquis ce droit précieux, 
et nous avons prouvé, en vous nommant, que nous étions 
dignes de cette conquête. Aux ennemis de notre Consti- 
tution, qui accusent l'Assemblée nationale de renverser la 
religion, nous opposerons M. Pacareau, élu, par les 
représentants d'une portion du peuple français, évêque 
métropolitain de la Gironde. 3) 

Cette élection fut la première application, dans notre 
ville, des dispositions de la constitution civile du clergé. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 67 



L'élu était octogénaire. 

M. Pacareau (Pierre), né à Bordeaux le 27 septembre 
1711, avait embrassé la carrière ecclésiastique et obtenu 
un riche canonicat dans l'église primatiale de Saint- André. 
Son influence dans le chapitre était grande, et à la mort de 
MJ^ d'Audibert de Lussan, archevêque de Bordeaux, ses 
confrères l'avaient choisi pour l'un des trois vicaires 
généraux capitulaires pendant la vacance du siège. Doux, 
modeste et très charitable, M. Pacareau écrivait et parlait 
plusieurs langues étrangères, outre le grec, le latin, l'hébreu 
et le syriaque. Il avait publié avant la Révolution plusieurs 
ouvrages oubliés aujourd'hui ^^K II avait manifesté des 
opinions favorables au jansénisme, et lorsque la Révolution 
éclata, il en embrassa les principes avec ardeur, et 
applaudit vivement aux changements qu'elle devait 
amener; il favorisa toutes les institutions schismatiques 
de l'Assemblée constituante et fut un des premiers à prêter 
le serment exigé par la constitution civile du clergé. 

Son élection à l'évêché métropolitain du Sud-Ouest peut 
être considérée comme une récompense de la ligne qu'il 
avait suivie depuis 1789. Sa conduite affligea les vrais 
catholiques, mais n'étonna personne ^^K 

Il était, dit-on, l'auteur de divers noëls patois très 
connus, que l'on chantait tous les ans, à la messe de 
minuit, dans les églises de Bordeaux ainsi que dans 
quelques églises du diocèse. 

M. Pacareau se fit sacrer le 3 avril 1791 dans l'église 
métropolitaine de Saint- André, par M. Saurine, évêque 
constitutionnel des Landes, assisté de MM. Barthe, évêque 
du Gers, Robinet, évêque de la Charente-Inférieure, et 
Pontard, évêque de la Dordogne. 

(1) Considérations sur Vusure et le prêt à intérêt, — Mémoire sur les 
droits du chapitre Saint- A ndré, etc. 

(2) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. le»*, a» partie, p. 1 18. 



68 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Après avoir préalablement prêté serment entre les mains 
de la municipalité, il fut installé par Vergniaud, qui 
présidait ce jour-là rassemblée chargée d'élire les ecclésias- 
tiques du second ordre, les curés constitutionnels des cures 
vacantes du district de Bordeaux ^^K Vergniaud adressa 
aux électeurs une allocution chaleureuse; il signala d'abord 
les défections de quelques prêtres qui avaient porté la 
consternation dans la vigne du Seigneur : oc Mais cette 
vigne, dit-il, ne sera pas frappée de stérilité ; il s'est pré- 
senté des ouvriers dignes d'elle, qui la travailleront avec 
ardeur. De nouveaux époux iront consoler l'Église que la 
crainte d'un veuvage avait affligée. Déjà le peuple a nommé 
des évêques qui n'ont pour tout cortège, pour tout luxe 
que de longs travaux, de grandes lumières et leurs vertus. 
On ne pourra les remarquer qu'à leur simplicité vraiment 
évangélique et à leur tendre sollicitude pour les troupeaux 
confiés à leurs soins. Voyez-les dans ce jour solennel, assis 
au milieu de nous comme des pères dans le sein de leurs 
familles : ainsi les Mathias, les Jacques, les Cyprien méri- 
tèrent l'amour des fidèles dont le suffrage les porta sur les 
chaires pontificales; ainsi ils devinrent la gloire de la 
primitive Église... » Nous nous bornons à la reproduction 
de ce passage de l'allocution de Vergniaud, comparant 
MM. Pacareau, Barthe, Robinet et Pontard aux gloires de 
la primitive Église. 

Le sacre du nouvel évêque remplit de joie les partisans de 
la constitution civile du clergé, et des armateurs de Bordeaux, 
que nous pourrions citer, s'empressèrent de donner le nom 
de Pacareau à un de leurs navires appelé La-Saintonge , 
qui, le même jour, arbora le pavillon national. 



(i) L'élection des curés se fera dans la forme prescrite et par les 
électeurs indiqués dans le décret du 22 décembre 1789 pour la nomina- 
tion de l'assemblée administrative du district. (Art. 25, titre II de la loi 
du 12 juillet 1790.) 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 69 



Le jour du sacre de M. Pacareau fut en même temps 
celui, comme nous l'avons îndiqué, où l'assemblée électo- 
rale du district procéda à Télection des curés constitution- 
nels des églises de Bordeaux. 

Ces élections, qui eurent lieu dans tous les districts du 
département, furent l'occasion d'une recrudescence de 
persécution contre les membres du clergé fidèle. 

Celui-ci comptait dans ses rangs un prêtre respectable 
M. Toucas-Poyen, curé de Saint-Genès de Talence, 
homme très savant et Jouissant de l'estime publique. Il 
avait un grand nombre d'amis, même parmi les patriotes 
modérés; ses liaisons avec l'abbé Langoiran, un des prêtres 
les plus compromis pour son courage à confesser la vérité 
catholique, ne lui avaient pas nui dans l'esprit des autorités, 
qui cherchaient, au contraire, à le gagner au clergé consti- 
tutionnel. On mit tout en œuvre pour le décider à prêter le 
serment; on alla même jusqu'à le laisser libre dans les 
restrictions qu'il voudrait y apporter. Sa conquête était 
désirée par M. Pacareau, qui faisait agir auprès de lui les 
membres de la Société des Amis de la Constitution; elle 
était d'autant plus importante pour le schisme, que tous les 
dissidents partageaient ses principes et marchaient avec lui. 

Ce prêtre refusa constamment de faire un serment que 
repoussait sa conscience, malgré les restrictions dont on le 
laissait maître. Il monta en chaire un dimanche, et déclara 
formellement que sa conscience lui défendait ce serment, 
qu'elle seule le dirigeait dans son refus, et qu'il n'était guidé 
par aucune considération humaine. 

Deux notables de la paroisse, gens ignorants ou de mau- 
vaise foi qui assistaient à l'office divin, furent courroucés 
d'entendre cette déclaration si franche et en même temps si 
nette, bien qu'ils n'en eussent pas saisi le sens. Ils pensèrent 
qu'elle était dangereuse pour le salut de la patrie, et ils se déci- 
dèrent à dénoncer leur curé, e II avait déclaré en plein public. 



70 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

dirent-ils à Tofficier municipal qui reçut leur dénonciation, 
qu'il ne reconnaîtrait jamais Pacareau pour son évêque, et 
que si lui, curé et pasteur légitime, était remplacé par un 
intrus, ses paroissiens alors pourraient faire chez eux leurs 
prières, qui seraient aussi bonnes qu'à l'église. ^ Ce sont 
leurs expressions. 

M. Toucas-Poyen fut traduit devant le tribunal du district 
et interrogé par M. Desmirail, président; il déclara n'avoir 
pas tenu les propos que lui imputaient ses paroissiens, qui 
n'avaient pas compris les paroles qu'il avait prononcées du 
haut de sa chaire: «J'ai déclaré, il est vrai, que je ne 
communiquerais jamais avec M. Pacareau, parce que je 
ne puis le regarder comme le chef spirituel du diocèse de 
Bordeaux; mais j'ai ajouté que j'étais prêt à reconnaître 
qu'il était l'évêque d'après la loi de ceux qui partageaient 
sa croyance; j'affirme que je n'ai jamais prononcé dans la 
chaire de Talence, ni ailleurs, des discours de nature à 
provoquer la désobéissance aux lois et à troubler le 
repos public. :^ 

Le tribunal n'ayant pas vu dans les faits dénoncés le délit 
de provocation à la rébellion ni à la désobéissance à la loi 
acquitta, le 19 avril 1791, le curé de Talence, malgré les 
murmures des constitutionnels, et aux applaudissements 
universels des fidèles, qui avaient assisté à l'audience ou se 
tenaient aux portes du Palais-de- Justice. 

M. Toucas-Poyen n'étant pas en sûreté, quitta Bordeaux 
lorsque la République fut proclamée, et se retira à Orthez, 
d'où il passa à l'étranger. Rentré en France sous le Consulat, 
il fut appelé par M*^ d'Aviau à la cure de Saint- Pierre. ' 

Nous trouvons dans les archives de la Gironde ^'^ les 
détails suivants sur l'arrestation de sept prêtres insermentés 
dans une commune voisine de Libourne. 

(i) Archives départementales, série L, carton 60. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 7I 

Le club des Cordeliers de cette ville écrivait, le 6 avril 
1 79 1 , au Club national de Bordeaux : 

« Frères et amis, au mépris des décrets qui défendent les 
attroupements d^ecclésiastiques , une demi-douzaine, ou 
plus^ se rassemblaient depuis quelques jours chez le sieur 
Bordes, curé de Nérigean, dans des vues sans doute très 
peu canoniques. Les habitants du lieu, témoins de ces 
rendez-vous, en ont prévenu leur municipalité, qui a 
requis immédiatement la troupe nationale de l'endroit, qui 
les a pris en flagrant délit et les a conduits dans nos 
prisons. Un d'eux leur a offert vingt-cinq louis d'or; mais 
ces braves soldats ont préféré l'honneur à l'argent. Ces 
ecclésiastiques sont : MM . Bordes , curé de Nérigean , 
Couprie, curé de Cursan, Gudes, ci-devant chanoine à 
Génissac, Rivière, curé de Saint - Germain , Loménie, 
vicaire à Saint-Germain, Eyquem, curé du Pout, et Pinaud, 
aussi curé. Tous ces curés sont de l'Entre-deux-Mers. Voilà 
un assez bon coup de filet. Le temps n'est plus où les 
gens de campagne regardaient leurs curés comme des 
envoyés de Dieu, sur lesquels ils n'auraient osé imposer (sic) 
les mains parce qu'ils les prenaient pour des êtres d'une 
nature toute différente de la leur. Nous sommes, etc. i> 

Le Club national répondit à cette communication, le 
i3 avril : « Nous avons fait imprimer votre dernière lettre. 
Cette nouvelle a fait plaisir à tous les bons citoyens; le 
peuple surtout s'empressait d'en acheter, et, comme vous 
le dites, il ne craint plus comme autrefois la soutane et la 
calotte. Il sait que la plupart des prêtres abusaient de leur 
faiblesse; il sait qu'au nom de Dieu et par les menaces de 
l'enfer, ils obtenaient d'eux ce qu'ils voulaient; il sait que 
la plupart d'entre eux sont hypocrites et sacrilèges, et qu'ils 
se croient autorisés à commettre toutes sortes de crimes 
sans crainte d'être punis ; il sait enfin qu'il est libre, et que, 
comme tel, il n'est plus sujet que des lois. 



72 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

» Dimanche dernier, nous avons installé nos nouveaux 
curés avec pompe; chaque régiment a pris les armes et 
gardé sa paroisse respective... On ne vit dans nos églises 
aucun des ci-devant curés ou vicaires ; ils étaient sans doute 
rassemblés et pleuraient ensemble la perte de leurs bénéfices. 
Peut-être, et pour mieux dire, ils tramaient de nouveaux 
complots; mais nous les surveillons plus que jamais, et 
nous ne les épargnerons pas si nous les surprenons en 
flagrant délit. . . . i> 

L'esprit dont est animée cette correspondance démontre à 
la fois rinfluence délétère et l'audace du Club national, et 
peint mieux que nous ne pourrions le faire ces temps de 
persécution contre les membres du clergé resté catholique. 
Leurs personnes, nous l'avons vu déjà, n'étaient guère en 
sûreté, et cependant des temps plus sombres les attendaient : 
les prisons, la déportation, l'exil, l'échafaud devaient être 
bientôt leur partage. 

Revenons à M. Pacareau. 

L'article 19 de la Constitution civile du clergé exigeait 
que l'évêque élu écrivît au Pape une lettre de communion. 

M. Pacareau, pour obéir à cette disposition, adressa le 
1 2 avril au Souverain Pontife la lettre suivante : 

f Très Saint- Père, 

I Aussitôt que, par un décret de la divine Providence et par les 
suffrages du peuple^ j'ai été élevé au siège épiscopal métropolitain 
de la Gironde, mes premiers soins ont été d*accourir, en signe de 
communion, au siège apostolique, comme à Tarsenal et au temple 
de la vérité, comme au centre de Tunité, où la foi de Pierre est et 
sera toujours en vigueur. Ne dédaignez pas, Très Saint- Père, ne 
frustrez pas Tattente de celui qui, dès ses plus tendres années, 
étroitement attaché à la pierre angulaire, a toujours honoré et 
respectera jusqu'à ses derniers soupirs, dans ceux qui vous ont 
précédé, les successeurs du Prince des Apôtres, et dans vous, Très 
Saint-Père, qui tenez, heureusement avec tant de sagesse, le timon 
de l'Église au milieu des ravages qui Tagitent de toutes parts. Tels 
ont toujours été et tels sont mes sentiments. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 7 3 

i Que des bouches perverses répandent à torrents le fiel de la 
calomnie, il n'est pas moins vrai qu^il ne s'est rien passé dans notre 
Assemblée nationale, qu'on n'a sanctionné aucun décret qui puisse 
porter atteinte au dogme de la foi et à ses divins préceptes. Nous ne 
connaissons qu'un Dieu, une foi, un baptême, un Christ, prêtre 
éternel, chef invisible de l'Église, dont vous êtes le chef visible 
comme premier vicaire de son amour, et le premier des évêques que 
le Saint-Esprit a établis pour gouverner l'Église de Dieu. 

» Tels sont les points fondamentaux et inébranlables de notre 
croyance; il n'en est pas ainsi de la police ecclésiastique : elle varie au 
gré des circonstances, des lieux et des temps ; elle peut changer de 
mieux en mieux, sans préjudice aux saintes règles de la foi et des mœurs. 

1 Cest ce que nous faisait pressentir le Roi-Prophète dans cet 
admirable cantique où, parlant de l'Église sous l'emblème de 
l'épouse du roi Salomon, il nous la représente assise à la droite 
de son céleste époux, revêtue d'une robe diversifiée des plus riches 
couleurs et brillant de l'éclat le plus pur. C'est ce que l'Apôtre 
insinuait aux Corinthiens, en leur promettant de régler les autres 
articles de discipline, lorsqu'il serait rendu près d'eux. 

» Très Saint-Père, vous ne connaissez que trop la situation où 
l'Église est réduite en ces jours malheureux. Ahl combien de fois, 
personne ne l'ignore, répandant votre âme aux pieds des saints 
autels et mêlant vos larmes aux gémissements de la colombe, vous 
avez conjuré le Père des miséricordes de dissiper les ténèbres qui 
nous cachent la vérité, de répandre sur nous les lumières de sa 
grâce, et de rendre à l'or pur de la religion son antique splendeur 1 

f En attendant avec confiance que le Dieu de paix et de consolation 
nous accorde et bienfait et qu'il achève la grande œuvre qu'il a 
commencée parmi nous, daignez, Très Saint-Père, accorder votre 
bénédiction apostolique au plus humble de vos serviteurs. 

» t PIERRE, 
» Êvêque métropolitain de la Gironde (0. » 

On verra bientôt que cette letcre ne reçut l'approbation 
d'aucun des partis qui divisaient PÉglise. 

A quelques jours de là, un fait scandaleux vint attrister 
les âmes honnêtes. Marandon, rédacteur du Courier (sic) 
de la Gironde, osa publier dans son journal (2) un pamphlet 
impie, qu'il fit réimprimer et vendre dans ses bureaux. 

(0 Spicilége de Bordeaux, 

(a) N«« 78 et 79 du i8 mai 1791 . 



74 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Ce pamphlet était intitulé : Relation véritable et remar- 
quable du grand voyage du Pape en paradis. 

Plusieurs habitants de Bordeaux, et entre autres M. Fer- 
rère, avocat, qui a acquis parmi nous une réputation si 
éclatante et si justement méritée , adressèrent à Taccasateur 
public, à raison de la publicité donnée à ce pamphlet, une 
dénonciation dont voici les principaux passages : 

<L Nous, citoyens actifs de la ville de Bordeaux (*\ avons 
rhonneur d'exposer à M. l'accusateur public qu'il est de 
certains crimes qui s'exécutent et se consomment dans un 
seul instant par des actes publics de violence et de force et 
deviennent incontinent notoires aux magistrats préposés au 
maintien de l'ordre et de la sûreté publique. Mais il est d'autres 
crimes qui ne peuvent, par leur propre nature, produire que 
des effets progressifs et ne se manifestent que lentement. De 
ce genre sont les libelles et écrits scandaleux et impies. Il 
faut un certain temps pour qu'ils se répandent et se propagent 
au point d'opérer une rumeur et une fermentation publiques 
qui parviennent aux oreilles des ministres de la loi... 

» Nous nous faisons donc aujourd'hui, dans l'intérêt de 
la religion, des mœurs et de la société, le devoir de vous 
apprendre que, depuis quelques jours, on voit circuler à 
Bordeaux et dans tout le département, le libelle le plus 
scandaleux, le plus exécrable qu'ait enfanté l'esprit d'irréli- 
gion, de blasphème et d'impiété. Cet infâme écrit a produit 
une indignation si générale et si vive, que nous assurons, 
avec la plus vive confiance, qu'en le dénonçant à la justice 
nous ne faisons que seconder les vœux de tous les citoyens 
honnêtes de la ville; nous n'en exceptons ni les luthériens, 
ni les calvinistes, ni les juifs, et il ne doit pas paraître 
étonnant que la différence de culte ou de religion n'en ait 
produit aucune dans la sensation qu'a fait naître cet abomi- 

(i) Cette dénonciation est signée par 129 citoyens notables de Bordeaux. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 76 

nable libelle, car il livre TEtre Suprême à la dérision 
la plus effrénée et la plus impudente, et anéantit, par 
conséquent, toutes les religions pour y substituer l'athéisme, 
cette peste cruelle de toutes les sociétés. 

> Le rédacteur du journal de Bordeaux et du département 
de la Gironde, qui ne s'était déjà que trop fait connaître 
par la licence de sa plume, soit contre les particuliers, soit 
contre les autorités publiques, vient de se signaler en 
insérant dans sa feuille de mercredi 1 8 du présent mois de 
mai, n° 79, un pamphlet aussi insolent que grossier, sous 
le titre de Relation véritable et remarquable du voyage 
du Pape en paradis. Cet horrible écrit n'eût-il d'autre 
objet que de déverser le mépris et l'opprobre sur le Pape, 
serait toujours de nature à provoquer la sévérité de la loi... 
Après un dialogue infâme, on fait dire à Jésus-Christ : 
Cest bien asse:{ d'avoir été lanterné une fois, sans nC ex- 
poser à rêtre une seconde. Pour terminer dignement cet 
ouvrage infernal, on devait mettre aussi sur la scène le 
Saint-Esprit : « Le Pape entra dans un cabinet où il vit un 
beau pigeon blanc perché sur un bâton de perroquet, et le 
Pape lui adressa l'hymne Veni Creator spiritus, car f ai 
besoin de votre âme. » Vient là-dessus un colloque digne 
de ce qui précède, et le Saint-Esprit finit en disant : « Je 
me souviens trop bien du décret sur la chasse et je n'ai pas 
envie de me faire mettre du plomb dans les f. .... }> 

i> Le rédacteur dira-t-il qu'il n'a point composé ou publié 
cette production comme un ouvrage sérieux ; qu'il l'a 
simplement donnée sous le titre de facétie ? Cette réponse 
n'offrirait qu'une dérision de plus. D'une part, il n'est jamais 
permis de plaisanter sur la religion, et d'autre part 
personne n'ignore que c'est principalement par les armes 
du ridicule que les impies et les gens sans mœurs attaquent 
une religion qui n'aurait rien à craindre d'une attaque 
sérieuse et réfléchie... 



76 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

3> Plusieurs particuliers qui avaient entendu parler de 
cette attaque du journal de la Gironde, en avaient fait 
demander des exemplaires à Timprimerie, et comme il n'en 
restait plus, on leur répondit qu'ils pourraient revenir dans 
deux ou trois jours, parce qu'il allait paraître une seconde 
édition de l'article. On vient de nous faire parvenir des 
exemplaires de cette édition, preuve trop certaine du progrès 
que cet exécrable écrit fait dans le public, et le succès 
enhardit Tamour-propre et la cupidité de l'auteur. 

» Par ces raisons, nous, citoyens actifs de Bordeaux, 
avons rhonneur de demander acte de notre dénonciation, etc. 

» Fait à Bordeaux, le 28 mai 1791. — Signé : Cambon, 
Touzar, Ferrère, homme de loi, Duvergier et cent vingt 
cinq autres citoyens. » 

Marandon irrité, écrivit en réponse un factum rempli 
d'injures contre les signataires de la dénonciation, et 
particulièrement contre M. Ferrère ('). Il y fait parade d'un 
patriotisme effréné, mais il finit cependant par reconnaître 
qu'il avait eu tort de publier son opuscule : oc Je l'avoue, 
dit-il, je n'aurais pas dû peut-être, dans les circonstances 
actuelles, choisir une plaisanterie qui pouvait blesser des 
objets consacrés par la vénération de nos pères, et sur 
laquelle de lâches fanatiques ne pouvaient manquer de 
verser par torrents le poison de leur rage ; mais si c'est une 
faute, elle fut involontaire de notre part, et je le prouverai ; 
je l'ai réparée, au reste, autant qu'il était en mon pouvoir. » 

On ne trouve pas dans les archives les suites de cette 
affaire, qui peut-être ne fut pas soumise au tribunal par 
l'accusateur public. 

Quant à Marandon, qui se montra constamment, dans 
son journal et dans les actes de sa vie privée, l'ennemi du 
clergé non assermenté et de la religion, il finit tragiquement 

(1) Observations préliminaires, Bordeaux, 1791, 1 5 p. in-8'. Prix, 6 sols. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 77 

en 1793, et nous le retrouverons devant le tribunal du 
sanguinaire Lacombe. 

Puisque le nom de ce dernier, dont nous avons signalé 
précédemment Tapparition à Bordeaux, revient sous notre 
plume, racontons un fait spécial le concernant. Le jour de 
Pâques de Tannée 1791, il assistait dans Téglise des 
Récollets à un sermon dont le sujet était emprunté aux 
persécutions exercées contre la primitive Église. Le prédi- 
cateur avait à peine commencé à en exposer le texte, quand 
tout à coup un homme l'interrompit impudemment. C'était 
Lacombe. Il apostropha le prêtre et lui reprocha de prêcher 
inconstitutionnellement . Ce fut un grand scandale : les 
assistants indignés se levèrent en masse, et Lacombe et les 
obscurs acolytes qui l'accompagnaient furent ignominieu- 
sement chassés au milieu des huées et des menaces. 

Le Club national ne tarda pas à intervenir, et ses récla- 
mations déterminèrent la fermeture de toutes les églises 
conventuelles et la conservation des seules églises desservies 
par les prêtres constitutionnels. 

L'esprit d'irréligion avait fait d'immenses progrès, et les 
violences contre le clergé étaient à l'ordre du jour. 

Nous en donnerons bientôt des preuves. 

Cependant le Saint-Siège avait fulminé un bref d'excom- 
munication contre tous les ecclésiastiques, de quelque rang 
hiérarchique qu'ils fussent, qui auraient revêtu le ministère 
pastoral sans l'autorisation ni l'aveu de l'Église. 

M^*" Champion de Cicé adressa à M. Pacareau le bref du 
Pape par une lettre à la date du i®*" juin 1791, dans 
laquelle il lui rappelait son serment et ses devoirs; elle est 
longue et parfaitement écrite ('^ Nous en reproduisons 
quelques passages : 

a C'est à vous surtout. Monsieur, qu'il est important de 

(i) Cette lettre est datée de Saint-Amand, sans nom d'imprimeur ni lieu 
d'impression; elle a 16 pages in-8*. 



78 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

faire connaître le bref de Notre Saint-Père le Pape, du 1 3 
avril dernier. Les dispositions de la puissance publique ne 
permettant plus une publication légale, c'est à votre 
conscience que je crois devoir l'adresser. 

» Vous y verrez. Monsieur, l'approbation que donne le 
Saint-Père aux principes exposés par les évêques de France; 
vous y verrez le jugement qu'il porte du serment exigé par 
l'autorité temporelle, des élections faites en conséquence 
du refus de le prêter, et les censures que ce bref contient 
contre ceux qui ont envahi le ministère pastoral. 

3) Vous n'êtes pas expressément dénommé dans ce bref 
parce que votre élection n'était pas encore connue du Saint- 
Père; mais vous ne pouvez vous dispenser de vous 
appliquer à vous-même toutes les dispositions de ce bref, 
qui ont pour objet MM. Expilly, Marolles et autres... » 

M6'" Champion de Cicé, parlant de Jésus-Christ comme 
le principe et la source de la mission des pasteurs, dite 
« C'est lui-même qui a établi le sacerdoce, ses degrés, sa 
hiérarchie. Cette constitution a eu lieu dès la naissance 
du christianisme; elle a été une vigueur, elle a reçu des 
formes plus étendues au milieu des nations infidèles et sous 
le fer de la persécution; c'est cette constitution antique et 
vénérable qui établit la nécessité de la mission divine pour 
les pasteurs et l'impossibilité de faire son salut hors de l'Église 
et de la soumission aux pasteurs légitimes... On prétend 
que les décrets dont il s'agit se bornent à des objets 
temporels, et l'on veut les justifier par le principe que 
l'Église n'a de droits que sur les choses purement spirituelles. 
Nous n'avons jamais pensé que le pouvoir tout spirituel de 
l'Église s'étendît sur le temporel ; mais il s'exerce nécessai- 
rement sur des choses mêlées de temporalité. Tels sont les 
sacrements et leur forme d'administration, le culte divin, les 
lois de l'abstinence et du célibat des prêtres. Il n'est donc 
pas nécessaire qu'un objet soit purement spirituel pour être 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 79 

soumis au pouvoir de T Église. Ainsi, la loi du jeûne est une 
loi de r Église parce que sa destination est dans Tordre du 
salut... :^ 

Le vénérable prélat dit ensuite à M. Pacareau : c Nous 
gémissons avec tous les fidèles de ce qu'un grand nombre 
d'ecclésiastiques, égarés par l'esprit du siècle, ont déserté 
les voies antiques. Mais c'est vous surtout, Monsieur, vous 
qui êtes à la tête du schisme qui s'introduit dans mon 
diocèse, qui élevez autel contre autel, et arborez, dans 
l'Église même où vous étiez fonctionnaire, l'étendard de la 
rébellion dans l'Église! Quoil vous. Monsieur, parvenu 
à l'âge où la nature vous avertit du compte prochain que 
vous allez avoir à rendre au souverain Juge, vous ne 
craignez pas de charger votre conscience d'un si effrayant 
fardeau I Vous vous êtes volontairement engagé dans une 
route où vous êtes condamné à emprunter le langage et les 
sophismes de tous les partisans de l'erreur que l'Église a 
foudroyés!... i> 

M8^ Champion de Cicé termine ainsi sa lettre : a Prévenez, 
je vous en conjure. Monsieur, au nom de tous les droits 
que me donne sur vous mon titre, et surtout de ceux de la 
charité évangélique, prévenez, par un juste et prompt 
retour sur vous-même, les anathèmes dont vous êtes 
menacé; montrez-vous enfant de l'Église, soumis à notre 
mère commune, et consolez -la par votre repentir après 
l'avoir affligée par votre chute. » 

Cette lettre ne changea pas les dispositions de M. Pacareau. 
Il crut pouvoir garder le siège épiscopal qu'avaient si glo- 
rieusement occupé des prélats tels que saint Delphin, 
saint Seurin, Bertrand de Goth, Pierre Berland, les Sourdis 
et tant d'autres. 

Les prêtres constitutionnels célébraient d'ailleurs à l'envi 
l'ardent patriotisme de leur évêque; ils proclamaient ses 
vertus et sa science. Ils trouvèrent toutefois sa lettre au 



80 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Saint-Père trop timide; ils auraient voulu, disaient-ils, un 
ton plus accentué. De leur côté, les catholiques la persif- 
flaient, tout en regrettant la persistance du vieillard dans 
son erreur. 

Un M. MoUin écrivit le panégyrique du métropolitain, et 
après avoir adressé des injures aux prêtres non confor* 
mistes (c^est ainsi qu'on désignait ceux qui avaient refusé 
le serment), il déclarait que le Seigneur avait béni Télection 
du nouvel évêque ; il adressait à Dieu des actions de grâces 
et engageait tous les fidèles à demander la conservation d'un 
élu qui, malgré son grand âge, sacrifiait tous les instants de 
sa vie à rétablir le bon ordre, à édifier ses diocésains et à 
confirmer Theureux choix de MM. les électeurs, a Le peuple, 
dit-il, grâce au nouveau régime, choisira ses pasteurs et son 
évêque; puisse, en tout lieu, la Providence leur accorder 
un bonheur semblable au nôtre ! » 

Non content de célébrer en prose son métropolitain, 
M. Mollin, qui se croyait sans doute poète, adressa à 
M. Pacareau, sur Tair : Vous mentendei bien, de mauvais 
vers dont nous citerons seulement deux couplets : 

Vive Tévêque de Bordeaux I 

Oh 1 que ses mandements sont beaux 1 

Ce n'est pas un emblème 
Hé bien? 

Il les fera lui-même... 

Vous m^entendez bien 1 

Que Dieu conserve Pacareau 
Pour le bonheur de son troupeau. 

En lui tout vous invite 
Hé bien? 

A chanter son mérite... 

Vous m'entendez bienl... 

En France, le ridicule tue, et M. Mollin compromettait 
certainement, par ses burlesques inepties, le caractère de 
M. Pacareau. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 8l 

Son âge avancé ne permettait pas à Tévêque constitu- 
tionnel de donner à son Église les soins et la direction qui 
lui manquaient. Elle avait besoin d'un chef, il s'en présenta 
un : ce fut Dominique Lacombe, qui occupa plus tard le 
siège métropolitain de Bordeaux ^^K 

Dominique Lacombe, né le 26 juillet 1749 àMontréjeau, 
ancien diocèse de Comminges, entra en 1766 chez les 
Doctrinaires de Tarbes. Après avoir terminé ses études 
dans le collège qu'ils y dirigeaient, il remplit différentes 
places dans la Congrégation, et devint, en 1788, recteur ou 
principal du collège de Guienne à Bordeaux. Il embrassa 
avec ardeur la Révolution, et n'hésita pas à prêter le 
serment imposé par la constitution civile du clergé. Domi- 
nique Lacombe était instruit, savant même, mais ses prin- 
cipes l'inclinaient vers le jansénisme; son orgueil et son 
ambition, joints à une indomptable opiniâtreté, le précipi- 
tèrent dans le schisme. Il venait d'être élu curé constitutionnel 
de Saint- Paul de Bordeaux, et il se hâta de faire imprimer 
ses productions en faveur de la constitution civile, dont il 
fut, jusqu'à son dernier soupir, le défenseur le plus ardent. 
Quelques-uns de ses écrits paraissent annoncer une secrète 
tendance vers l'hérésie. 

Ce prêtre fut la cheville ouvrière de l'épiscopat de 
M. Pacareau. Il se fît aider par Lalande, sous-principal du 
collège de Guienne, qui avait été élu curé constitutionnel 
de Saint-Michel. Ce Lalande n'était pas toutefois très 
rassuré sur le bon accueil de ses nouveaux paroissiens, car 
dans son discours d'installation, il s'écria : « Je redoute 
comme un malheur tout ce qui a pu apporter quelque 
changement dans ma situation et me faire occuper une 
place dans le sanctuaire. J'ai eu le courage d'affronter les 
périls de la situation en acceptant la cure constitutionnelle 

(I) En 1797. 

T. I. 6 



82 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

de Saint-Michel ; mais, hélas ! je ne sais que trop que mes 
nouveaux paroissiens me refuseront tout accès auprès d'eux, 
et cette pensée verse déjà Tamertume dans mon âme. j> 

Après son élection, Dominique Lacombe débuta par un 
pamphlet intitulé : Adresse au clergé inconstitutionnel . Il 
y prodigue les invectives les plus odieuses aux insermentés, 
qu'il ose appeler^w^^f ^«e^, lâches, vils, traîtres, perjîdes : 
ce Dépouillés, écrit-il, de leurs titres chimériques, ils récla- 
ment, au nom de la religion, les honneurs d'une monstrueuse 
inégalité. Ministres de Jésus-Christ, leur dit-il, vous avez 
trahi son Église; il remet aujourd'hui ses intérêts aux mains 
du peuple, c'est par lui qu'il vous déclare sa volonté. » 

Dominique Lacombe accuse ensuite les cardinaux de 
l'Église romaine d'être la cause de tous les maux de la 
patrie et du monde; et, remontant à la collation des béné- 
fices, il prétend que les abbayes étaient possédées par des 
personnes indignes, que les bénéfices étaient le fruit de la 
simonie : a Ck)mment de tels pasteurs sont-ils arrivés à ces 
postes, demande-t-il ? Par la protection d'un homme de 
qualité, d'une femme, par des conventions secrètes et hon- 
teuses, des préventions en cour de Rome... Enfin, des 
intrigues de tout genre ont introduit le prêtre dans le 
sanctuaire, et les richesses de l'Église sont devenues l'apa- 
nage d'une multitude dHêtres qui ne croient même pas en 
Dieu qui les nourrit. Le sacerdoce est devenu un état 
humiliant pour qui n'a pas l'adresse d'envahir l'encensoir, 
et le pauvre prêtre avili rampe indignement sous des 
maîtres orgueilleux. Un corps, dit-il en parlant du clergé, 
parvenu à un certain degré de corruption périt plutôt qu'il 
ne se régénère lui-même; il faut que le Ciel l'y contraigne, 
et le seul prodige que nous devons en attendre, c'est la 
Révolution française, » 

Puis, passant à un autre ordre d'idées, il applaudit à la 
confiscation des biens du clergé et approuve le mode des 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 83 

élections ecclésiastiques par le peuple : a: Il n'est pas dans 
Tordre des choses que ceux qui gouvernent fassent les 
lois... Si les évêques et les conciles, indépendamment de la 
foi et des moeurs, ont le droit de faire des lois sur la 
discipline, les peuples ont le droit d'accepter celles qui 
leur conviennent et de. rejeter celles qui ne leur conviennent 
pas. j> 

Telles sont les aberrations de langage et de pensée 
auxquelles se livrait un prêtre égaré par l'orgueil et -par 
l'ambition. 

Mais ce n'est pas tout; montant en chaire, un dimanche, 
Dominique Lacombe débita un long sermon pour établir 
que la juridiction des évêques et des curés était subordonnée 
à la volonté du peuple. « Prêtres, vous ne pouvez pas nous 
prêcher, si nous ne voulons pas vous entendre, et nous ne 
pouvons pas vous recevoir, si vous ne voulez pas nous 
prêcher notre foi. Il faut donc en ce sens que les peuples et 
les prédicateurs concourent à l'établissement de l'Évangile... 
Comme il est libre à chacun de choisir le directeur le plus 
sage, un département entier a le droit de choisir le pasteur 
général ou l'évêque qui mérite le plus sa confiance. > 

Dominé par la colère contre les prêtres insermentés, 
il s'écria : « Les prêtres réfractaires seront justement 
dépouillés de l'exercice de leur autorité; l'homme ne doit 
pas obéir à l'homme qui ne veut pas obéir aux lois... 
Sachez, peuples, que si les pasteurs ont le droit de rappeler 
à la vérité les pécheurs qui s'égarent, vous avez également 
le droit de rappeler à leurs devoirs les pasteurs qui pour- 
raient les oublier... Et vous, sages représentants de la 
nation, dont la main hardie a détruit l'édifice que l'orgueil 
avait élevé pour nous donner des fers et nous tenir dans 
l'esclavage, ne cessez de veiller contre les ennemis d'une 
religion sainte qui appelle les hommes à une véritable 
liberté. » 



84 ^ HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Puis il termina son sermon par Féioge du nouvel évêque, 
dont il vanta les vertus et les talents; il le représenta 
comme un anachorète des premiers temps de T Église, et 
même comme un saint. 

Dominique Lacombe n'en resta pas là. Il monta quelques 
jours après en chaire, à Saint-Paul, et y prononça un 
discours violent contre le Souverain Pontife, au sujet de la 
bulle d'excommunication contre les évêques et les ecclésias- 
tiques qui prêteraient le serment; il y entassa des arguments 
tous plus répréhensibles les uns que les autres pour com- 
battre la suprématie du Saint-Siège; il y prodigua les 
invectives au Souverain Pontife, tout en protestant de son 
respect pour le vicaire.de Jésus-Christ. Il feignit de croire 
que la bulle n'était pas l'œuvre du Saint-Père, mais d'un 
écrivain hérétique et ignorant; qu'elle était puérile, entachée 
d'hérésie, renversait d'une main téméraire les bases de 
l'autorité la plus juste, en insultant à la Déclaration des 
droits de V homme, de ces droits que l'on ne pouvait violer 
sans outrager la Divinité qui en avait doué sa créature. 
Tout le discours de ce malheureux prêtre respirait la haine 
et le mépris pour le Siège apostolique. 

En voici le début : 

e: Cum autem venisset Cephas Antiochiam in faciem ei 
restiti, quia reprehensibilis erat : Céphas étant venu à 
Antioche, je lui résistai en face parce qu'il était repréhen- 
sible. [Epist. Pa. ad Gai., caput 11, v. 9.) — Tandis que 
fermant l'oreille aux cris de la rébellion, fidèles à Dieu et 
à la patrie, vous accourez dans ce temple, devenu plus 
majestueux par votre piété ; tandis que la plus douce et la 
plus intime confiance s'établit entre le pasteur et le troupeau ; 
que mes brebis commencent à distinguer ma voix, à chérir 
mes conseils; que je connais leurs besoins, leurs ennemis, 
leurs ressources; tandis, enfin, qu'une abondante moisson 
flatte mes espérances, et, en confondant nos ennemis, 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 85 

absoudra peut-être de témérité le cultivateur qui a osé se 
charger d'un travail au-dessus de ses forces, faut-il, mes 
très chers Frères, que de nouvelles alarmes viennent 
troubler vos voies, et jeter entre moi et vous de nouvelles 
incertitudes! J'entends retentir de toutes parts les noms 
effrayants de bulle, de schisme, d'excommunication ! Vous 
venez vous-mêmes me demander avec terreur si les pâtu- 
rages où je vous conduis ne sont pas des herbes mortelles, 
si les fontaines où je vous fais désaltérer ne sont pas des 
sources empoisonnées ?. . . J'avais prévu, en me mettant à votre 
tête, les blasphèmes des impies, les outrages des méchants, 
vous le dirai-je ? les anathèmes de la politique romaine et 
jusqu'aux éclats de ses foudres. Oui, j'ai prévu qu'elles 
gronderaient sur ma tête; et, appuyé sur mes principes, 
sur les étemels principes de la raison et de la vérité, j'ai 
osé les braver. Eh ! n'avons-nous pas été accoutumés à les 
entendre, toutes les fois qu'on a voulu restreindre dans les 
justes limites l'autorité des Souverains Pontifes ? Attentifs à 
profiter du sommeil des peuples et des rois pour étendre 
leur domination, sitôt que les peuples et les rois se sont 
éveillés et ont voulu ressaisir leurs privilèges, les Papes ont 
eu recours à leurs armes sacrées; ils ont fait parler les anges 
et les saints, pour imposer silence aux justes réclamations, 
et ils ont été cacher dans le sein de la Divinité les larcins 
qu'ils faisaient sur la terre... :& 

Après ces outrages au Saint-Siège, le curé constitutionnel 
de Saint-Paul ose parler de son respect et de son amour 
pour la papauté, et ajoute : <c Cependant, mes très chers 
Frères, nous prononçons malheur et anathème contre les 
chrétiens qui, à l'aspect de tant d'iniquité, diminueraient 
le respect qu'ils doivent à la chaire de Saint-Pierre. 
L'univers doit fléchir le genou devant cette pierre fonda- 
mentale, sur laquelle repose inébranlablement l'Église de 
Jésus-Christ. C'est le point central d'où partent et auquel 



86 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



aboutissent tous les rayons de la vérité évangélique; c'est le 
tronc qui, planté par le Sauveur des hommes, a jeté de 
profondes racines et étendu sur toute la terre ses branches 
protectrices ; c'est le gouvernement qui dirige l'arche sainte 
au milieu des flots de l'erreur et de l'iniquité, qui viennent 
battre et se briser contre elle. Mes très chers Frères, 
vénérons le Siège apostolique où se sont assis tant de grands 
saints, etc., etc. ^^K ]^ 

Nous ne reproduisons pas les autres passages de ce 
sermon; Dominique Lacombe y dénature souvent les faits 
historiques et les altère pour représenter les papes comme 
les ennemis des peuples, usurpant une puissance supérieure 
à celle des conciles et des rois. Il les accuse de provoquer 
dans la chrétienté des crimes, des enlèvements, des meur^ 
très; il insulte à la mémoire des Souverains Pontifes les 
plus vénérés, et déclare calomnieuse la bulle qu'il signale 
en même temps comme séditieuse et puérile-, il pousse 
l'extravagance jusqu'à dire que le Saint-Siège était étranger 
à ce libelle obscur. 

Le curé constitutionnel de Saint-Paul montait souvent 
en chaire pour inviter ses paroissiens à surveiller les prêtres 
insermentés : « Le Ciel est pour le clergé constitutionnel, 
disait-il; les réfractaires sont des loups, et Dieu ne permettra 
pas que les fidèles deviennent leur proie. » Il parlait de 
lui-même en ces termes : « Je n'ignore pas que je vais être 
parmi vous un sujet de scandale pour les méchants et de 
doute pour les fidèles; la mauvaise foi interprétera mes 
démarches et dénaturera mes intentions; mais n'importe, 
ma conscience a parlé, je dois surmonter les périls et braver 
les tempêtes, etc. » 

Dominique Lacombe, on le comprend facilement, jouissait 



(i) Discours sur la buUe et les menaces d'excommunication au sujet de la 
Constitution civile du clergé, prononcé par Lacombe^ prêtre doctrinaire et 
curé constitutionnel de Saint Paul. — Bordeaux, 1791, 16 pages. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 87 

de la plus haute considération parmi les patriotes de 
Bordeaux, et les assermentés le considéraient comme la 
pierre angulaire du schisme. Quant à M. Pacareau, il était 
complètement effacé par le curé de Saint-Paul, homme 
ambitieux et bruyant sur qui se portaient tous les regards. 
Celui-ci daignait cependant faire Téloge de son évêque; il 
vantait dans ses sermons, nous Tavons dit, sa science, ses 
vertus et ses grandes qualités épiscopales. 

L^Assemblée constituante allait terminer sa session et 
faire place à la Législative. Les électeurs primaires furent 
convoqués pour élire ceux qui devaient nommer les nouveaux 
députés. Jaloux de s^élever, Dominique Lacombe profita 
de cette circonstance et se hâta de publier une Instruction 
chrétienne adressée aux assemblées primaires de Bordeaux. 
Cette publication lui fiit utile auprès des électeurs, qui 
renvoyèrent à l'Assemblée législative. Il ne voulut pas 
partir pour Paris avant d'avoir fait ses adieux à son troupeau, 
ainsi qu'il l'appelait dans tous les sermons dont il ne le 
laissait pas manquer. Après s'être modestement comparé à 
saint Paul, s'adressant aux habitants de Milet : oc Je puis 
aussi me flatter, dit-il, d'avoir sacrifié le repos de mes jours 
au bonheur de mon troupeau; je puis aussi attester, pour 
garants de mon zèle et de ma tendresse, ma conduite au 
milieu de vous, les tribulations que j'ai souffertes, les 
sollicitudes de toute espèce dont vous avez été la cause et 
l'objet; mais les traverses qu'on m'a suscitées ont été pour 
mon âme un sujet d'allégresse, parce que je souffrais pour 
vous, parce que je trouvais au fond des cœurs fidèles le 
dédommagement de tous mes sacrifices. > 

Cet exorde terminé, il continue et se désole d'être obligé 
de rompre les doux liens qui l'unissent d'une manière 
indissoluble à son cher troupeau : <r Malheureux qui 
attribuerait mon départ à une vaine ambition! Si j'ai 
consenti à m'éloigner de vous, c'est pour mieux assurer 



88 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

votre félicité sous le double rapport de la religion et des 
lois sociales. Qu'il est beau, en effet, et qu'il est intéressant 
pour vous le nouvel apostolat dont' la cité vient de me 
revêtir ! ... De quel abîme de maux ne puis-je pas vous 
garantir en sortant de cet étroit bercail, pour consacrer 
mes soins à la nation entière ! . . . etc. » 

Dominique Lacombe avait une haute opinion de son 
importance parmi le clergé constitutionnel de Bordeaux, et 
il se croyait de très bonne foi un personnage indispensable 
à l'Assemblée législative; il y fut profondément ignoré et 
ne parut pas à la tribune, où d'ailleurs il n'aurait pas brillé 
d'un bien vif éclat. Après la chute de la monarchie, il se 
retira à Bordeaux et se fit oublier pendant la Terreur. 

Les discours dont on vient de lire des extraits n'étaient 
pas de nature à modérer le mouvement des esprits. 

Il faut ajouter d'ailleurs que la presse révolutionnaire 
attaquait journellement la religion et le clergé. Chose triste 
à dire, elle avait pour collaborateurs quelques prêtres 
républicains étrangers au diocèse de Bordeaux et de rares 
ecclésiastiques qui se déshonorèrent par la remise de leurs 
lettres de prêtrise ou par l'apostasie; ils publièrent de 
nombreux écrits sur la constitution civile du clergé et sur 
le serment. Voici les titres de quelques-uns de ces écrits : 

Discours prononcé le 5 juillet 17 go dans la cérémonie 
qui a terminé les travaux de V Assemblée électorale de la 
Gironde, par M. Daguzan, maire et curé de la paroisse 
de Bègles t^). 

Ce prêtre, qui fut l'ennemi acharné de l'abbé Langoiran, 
parle dans ce pamphlet le langage le plus exalté; il fait une 
peinture exagérée des maux incalculables sous lesquels 
gémissaient les Français, « accablés et opprimés par le 
despotisme assis sur un trône de fer, qui pesait cruellement 

(i) Bordeaux, 1790, 12 p. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 8g 

sur le peuple le plus digne de vivre libre...; i> il foudroie en 
termes ampoulés « les milliers de tyrans qui avaient asservi 
les Français après les avoir avilis...; » il finit en déclarant 
que « les grandes villes sont d'immenses ateliers d'esclaves 
forcés au travail par d'autres esclaves. :i> Ses arguments 
pour défendre la constitution civile du clergé et le serment 
ne sont qu'une ennuyeuse répétition de ceux qui avaient 
paru depuis longtemps dans des publications émanées de 
plumes plus distinguées que la sienne. 

Daguzan fut récompensé de son patriotisme par les 
électeurs, qui le nommèrent curé constitutionnel de Saint- 
Louis de Bordeaux. Le 5 frimaire an II, il renonça à ses 
fonctions et fit la remise de ses lettres de prêtrise. 

M. HoUier, chanoine de Saint-Émilion, devenu vicaire 
général de M. Pacareau, se signala par ses discours répu- 
blicains, et publia une adresse aux ouvriers des villes et aux 
habitants des campagnes en faveur de la constitution civile 
du clergé. Ses pamphlets respirent la haine des rois, des 
évêques et de toutes les classes supérieures de la société. 

L'un d'eux, intitulé : Les Chicanes de la Théologie sur 
la Constitution civile du clergé ramenées aux principes de 
la Raison et de V Évangile ^^\ est un recueil d'injures à 
l'adresse du clergé insermenté. 

Un religieux jacobin, nommé Pinon, ne craignit pas de 
publier sous le titre de : Lettre de consolation au clergé 
sur la perte de ses biens, un pamphlet odieux et lourde- 
ment écrit, qui ne contient que d'insipides et inconvenantes 
railleries adressées au clergé dépouillé. 

Enfin, l'avocat Lisleferme fit imprimer contre les prêtres 
fidèles plusieurs opuscules remplis d'invectives, et qui ne 
valent pas l'honneur d'une analyse. 

La question religieuse était à l'ordre du jour durant 

(i) Bordeaux, lygi, 44 p. in-8o. 



\ 



90 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Il - -- -.---■_- III - I -■WTTI ■ 

l'année 1791 ; la ville de Bordeaux fut inondée de brochures 
de toute espèce sur ce grave sujet. Les clubs, on Ta vu, n'y 
restaient pas étrangers : le Club national et les Amis de la 
Constitution étaient de ce nombre. Un jour, ces derniers 
envoyèrent au Directoire du district un sieur Concordau 
pour lui offrir, au nom de la Société, divers écrits relatifs 
au serment exigé des ecclésiastiques fonctionnaires publics. 
Le Club national ne voulut pas rester en arrière : il envoya 
en même temps une députation qui présenta au Directoire, 
avec grâce, dit le registre, plusieurs exemplaires d'une 
brochure qu'il était dans l'intention de publier, au sujet de 
la question du serment; il y joignit les Observations de 
M. Lecoz, évêque de Quimper et procureur -syndic du 
district. 

Le Directoire agréa ces offres avec une grande satisfaction, 
félicita le sieur Concordau, ex-religieux dominicain, de 
son patriotisme, ordonna le dépôt des brochures dans ses 
archives, et remercia les deux Sociétés. 

Mais une lettre qui causa au Directoire la plus vive 
admiration, ce fut celle de M. Réaud, curé et en même 
temps maire de la commune de Léognan, lui annonçant 
qu'il allait procéder à la réception du serment de ses vicai- 
res, et que lui-même le prêterait ensuite entre les mains 
d'un officier municipal, à l'issue de sa messe paroissiale. Le 
registre du district l'analyse ainsi : « Un style doux, une 
érudition profonde, quarante-trois ans de ministère sans 
reproches, tout, dans cette lettre, paraît propre à ramener 
dans le sentier du devoir et de la vertu les ministres de la 
religion qui, dans une circonstance si délicate, ont eu la 
faiblesse de se laisser égarer... Les administrateurs, ajoute 
le registre du Directoire, jaloux de la gloire et de l'honneur 
de leurs pasteurs, et convaincus qu'ils ne peuvent leur offrir 
un modèle plus parfait que M. Réaud, ont arrêté unanime- 
ment que sa lettre serait imprimée et publiée non seulement 



LA CONSTITUTION CIVILE DU* CLERGÉ. 91 

dans la ville de Bordeaux, mais encore dans toutes les 
communes du district. > 

Une députation qui devait tempérer la joie du Directoire 
fut admise, vers cette époque, devant lui. MM. Montmirel, 
curé de Saint-Michel, Philippot, curé de Saint- Pierre, et 
Cornet, curé de Puy-Paulin, avaient été sollicités et pressés 
de prêter le serment; ils s'y étaient toujours refusés. Voulant 
en finir, ils firent demander au Directoire une audience qui 
leur fut accordée; ils se présentèrent devant les administra- 
teurs, et M. Montmirel prit la parole : <c Nous venons, dit-il, 
vous témoigner tous les regrets que nous éprouvons d'être 
forcés d'abandonner le troupeau qui nous a été confié; mais 
quels que soient notre patriotisme, notre amour pour la 
paix et notre obéissance aux lois, nous ne pouvons nous 
soumettre à celle qui prescrit le serment aux ecclésiastiques. 
Nous vous proposons l'interprétation de cette loi et de nous 
autoriser à prêter ce serment çn y faisant des modifications 
dont nous vous laissons les maîtres; nous sommes prêts 
à rendre publiques nos dispositions à prêter le serment 
rectifié. Nous attendons votre délibération sur cette 
proposition, que nous sommes prêts à vous faire notifier 
par un acte authentique. » 

Le Directoire entendit cette proposition dans un morne 
silence, dit le procès-verbal de la séance, et le président 
déclara que l'exécution des lois était recommandée aux 
municipalités, dont le zèle et la fidélité à leurs devoirs étaient 
connus et garantissaient qu'elles sauraient les faire exécuter. 
« Nous allons délibérer sur votre demande, ajouta le 
président, et, dans tous les cas, nous vous ferons connaître 
nos résolutions dernières. » 

Les trois curés se retirèrent, et le Directoire embarrassé 
députa M. Duranthon, procureur-syndic, et deux de ses 
membres pour se concerter avec le Directoire du département 
sur la mesure à prendre. L'Administration départementale 



92 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

applaudit à la prudence et à la sagesse du District, et promit 
de le seconder dans cette affaire ("). 

On ne trouve pas aux Archives la suite donnée à la 
demande des trois curés; mais il est certain que le serment 
rectificatif ne fut pas autorisé, puisque MM. Montmirel, 
Cornet et Philippot furent démis de leurs cures et remplacés 
par les électeurs. 

Il est vrai que les administrateurs avaient, d'autre part, 
des compensations. Ainsi, la constitution civile compta 
quelques partisans dans le clergé de Blaye, et la munici- 
palité de cette ville adressa au Directoire du département 
une liste des prêtres de son district qui avaient prêté le 
serment : en tête, figurait M. Duvergier, ci-devant chanoine 
de Saint-Sauveur de Blaye, devenu maire de la ville. Il 
parut dans la chaire le 7 février 1 79 1 , après avoir célébré 
la messe : 

« Messieurs, dit-il à ses auditeurs stupéfaits, déjà comme 
maire et notable de la cité et comme citoyen je vous ai 
donné des preuves de mon zèle, de mon dévouement et 
de mon patriotisme; il me reste à vous en donner comme 
prêtre, d Un officier municipal se présenta alors, et Duvergier 
prêta entre ses mains le serment de fidélité à la Nation, à 
la Loi, au Roi et à la Constitution civile du clergé. Quatre 
autres prêtres suivirent son exemple : ce furent MM. Siozard, 
curé de Saint- Romain, Lavergne, ex-prieur de Saint- Romain 
et aumônier de l'hôpital Saint- Nicolas à Blaye, et deux 
autres curés. 

Quelques jours après, le curé de Branne écrivit à ses 
confrères pour les engager à prêter le serment; il s'élevait 
dans sa lettre contre le despotisme des évêques et déclarait 
qu'il avait fait son serment avec plaisir, sans contrainte ^^K 

La municipalité de Blaye, triomphante, écrivit à l'As- 

(0 Archives de la Gironde, série L, liasse 186. 
(3) Id., district de Blaye. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. qS 

semblée nationale pour la rassurer sur la ville et les 
campagnes du district, qui n^écoutaient ni les conseils, 
ni les séductions des prêtres réfractaires : « Rendez-nous 
Justice, disait la municipalité, l'égarement de nos prêtres 
n'a pas influé sur nos cœurs; nous sommes et nous avons 
toujours été dignes de vous. Nos prêtres frémissent à l'idée 
de l'abîme où les entraînait la perfidie de M. Delage, curé 
de Saint-Christoly, membre de l'Assemblée nationale, 
siégeant au côté droit; plusieurs parmi eux ont fait le 
serment; leur exemple sera suivi. ]» La liste des ecclésias- 
tiques ayant prêté le serment fut en même temps envoyée 
à l'Assemblée. 

Ces défections, toutefois, n'entraînèrent point les autres 
ecclésiastiques du Blayais, et pour manifester leurs senti- 
ments d'une manière plus éclatante, ils adressèrent ' aux 
administrateurs de la Gironde une déclaration dont nous 
reproduisons les passages suivants : 

« C'est un crime, disait un empereur chrétien, à ceux qui 
ne sont pas inscrits sur les catalogues des saints évêques, 
de s'immiscer dans les affaires ecclésiastiques... Quelque 
talent, quelque connaissance qu'ait un laïque, il ne cesse 
pas d'être brebis pendant qu'il demeure dans l'ordre des 

laïques Pleins de confiance en la grâce de Dieu et en 

son infinie miséricorde, nous jurons et promettons de vivre 
et mourir dans la foi de la religion catholique, apostolique 
et romaine, seule véritable, seule digne de l'homme, seule 
capable de le conduire en paix à l'heureux terme de sa 
carrière, religion dont nous sommes les apôtres et demain 
les martyrs, s'il le faut.... Nous ne devons ni ne pouvons 
faire d'autre serment que celui qui est dans le cœur de tout 

Français, et plus particulièrement dans le nôtre Nous 

jurons et promettons d'être soumis à la Nation, à la Loi 
et au Roi, dans tout ce qui concerne l'ordre civil et 
politique Fidèles aux devoirs du catholicisme et du 



94 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

sacerdoce, nous refusons expressément notre adhésion â 
la constitution civile du clergé, décrétée par une Assemblée 
purement civile et politique, promulguée sans le concours 
de la puissance ecclésiastique et par des formes inusitées 
jusqu'à nos jours; nous attendons avec autant de fermeté 
que de respect la décision de l'Église, et jurons d'avance de 
nous soumettre à son jugement, etc. ^^K 3) 

Cette déclaration fut signée par dix-neuf curés de la ville 
de Blaye et de diverses communes. Parmi les premiers, on 
remarque M. Delage, député à l'Assemblée constituante. 

La congrégation, consultée sur cette manifestation, 
déclara qu'elle n'avait pu lire sans attendrissement les 
différents sentiments qui y étaient exprimés ; elle y avait 
reconnu avec la plus grande satisfaction les principes qu'elle 
avait constamment professés. 

L'approbation est signée par M. Delaporte, vicaire 
général, président, et par tous les membres de la 
congrégation. Cette déclaration fut approuvée par trente-six 
curés et vicaires de la ville de Bordeaux et signée par 
trente-trois ecclésiastiques du Blayais, tous ayant charge 
d'âmes. D'autres adhésions à la déclaration portèrent à 
cent quatre- vingt^neuf le nombre des membres du diocèse 
de Bordeaux qui refusèrent le serment. On doit y ajouter 
M. Villars de La Châtaigneraie, curé de Guillac, et M. de 
Gerlin, curé de Grayan, qui rétractèrent leur serment 
comme ne l'ayant prêté que par surprise. 

Tous les autres ecclésiastiques du Blayais et du diocèse 
qui n'avaient pas adhéré à la déclaration n'en restèrent pas 
moins fidèles â leurs devoirs; ils firent même imprimer 
une adresse collective contre le serment. L'autorité les 
menaça, ainsi que les signataires de la déclaration du 
Blayais, de les poursuivre comme perturbateurs du repos 

(i) Déclaration des curés et vicaires du Blayais à MM, les administrateurs 
de la Gironde, Imprimé à Bordeaux, 1 791» S p. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 96 

public; quelques-uns eurent peur et rétractèrent leur 
signature, mais en petit nombre. Les catholiques comptè- 
rent avec peine parmi ces transfuges MM. Valcanel et 
Girodeau, curés de Saint-Sauveur et de Villeneuve en 
Bourges. 

Ici nous devons indiquer comme un signe des temps et 
de la perturbation morale qui régnait dans les esprits, 
rimmixtion des femmes dans les affaires publiques. La 
manie de la politique les avait chassées du gynécée et faisait 
des ravages, surtout dans la classe moyenne. Paris en offrait 
des exemples, Bordeaux les suivit : on voyait les femmes 
abandonner leurs ménages, les soins à donner à leurs 
enfants et aux affaires domestiques, pour se réunir sur 
les places publiques, où les plus audacieuses haranguaient 
la foule ébahie et parlaient sur toutes les questions à Tordre 
du jour avec une volubilité qui émerveillait les auditeurs. 
C^était un spectacle à la fois risible et déplorable. 

Ces femmes obtinrent de la municipalité la permission 
de se réunir aux Augustins pour y tenir un club sous le 
nom d^ Amies de la Constitution. Elles élirent un bureau 
et leur réunion acquit une renommée qui engagea les autres 
femmes à se présenter au club et à s'y faire admettre. 
Elles étaient jalouses de mériter le titre de bonnes 
citoyennes, et leur nombre dépassa bientôt deux mille. 

Ces citoyennes résolurent de donner à M. Pacareau un 
témoignage public d'attachement et de vénération pour sa 
personne et ses vertus; elles arrêtèrent en assemblée 
générale le programme suivant, programme extrêmement 
curieux : 

c Article premier. — Les citoyennes dont les noms sont inscrits 
ci-après se trouveront, le 28 de ce mois (juin 1791), à huit heures 
du matin, au Champ-de-Mars, pour de là se rendre dans l'église 
Saint-André. 

» Art. 2. — Le même jour, dans ladite église, il sera célébré une 
messe et chanté le Te Deum, en actions de grâces envers VÊtre 



96 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

suprême (0, de ce qu'il lui a plu d'accorder à ce diocèse le bonheur 
d'avoir pour chef un citoyen non moins recommandable par sa 
piété que par ses lumières, et pour demander au Ciel la conservation 
des jours précieux de cet illus.tre prélat. 

» Art. 3. — Après cette cérémonie religieuse, toutes les citoyennes 
qui pourront y assister prononceront le serment civique ci-après : 
f Nous jurons, en présence de l'Être suprême : i» d'être fidèles à la 
f Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout notre pouvoir 

• la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale; 2" d'élever nos 
f enfants dans ces principes et de ne rien négliger pour leur inspirer 
» l'amour de la liberté et des lois; S*» de nous opposer de toutes nos 
1 forces aux projets des ennemis de la Constitution, et de dénoncer, 
f aussitôt que nous en aurons connaissance, les manœuvres qu'ils 
» oseraient tenter dans le coupable but de la renverser ou d'y porter 
f la moindre atteinte; 4» de ne point souffrir en notre présence, sur 
f le compte de notre respectable prélat, ni sur celui des autres 
» prêtres constitutionnels, des propos injurieux tendant à affaiblir le 
> respect qui leur est dû comme fonctionnaires publics, mais en 
» même temps de nous abstenir de toutes voies de fait contre ceux 
» ou celles qui pourraient s'égarer au point de se livrer à de pareils 
» excès, et de nous borner à les dénoncer aux administrations et 

• aux tribunaux, afin qu'ils soient poursuivis et punis suivant toute 
f la rigueur des lois; 5^ de ne jamais rien entreprendre qui gêne la 
i liberté des opinions religieuses et la facilité que la Constitution 
» donne à tout citoyen d'exercer tel culte que bon lui semble, 
» pourvu qu'il respecte l'ordre public établi par la loi. 

> Art. 4. — Ce serment sera lu à haute et int-elligible voix dans 
Téglise Saint-André; ensuite toutes les citoyennes se lèveront et 
dirons : Nous le jurons. 

f Art. 5. — Après la prestation de serment, nous nous rendrons, 
par députation et avec le plus d'ordre quHl nous sera possible, mais 
sans bannière, sans drapeau, dans la maison de Pierre Pacareau, 
pour lui offrir un bouquet et lui remettre la présente délibération, 
dont un double a déjà été remis à MM. les Maires et officiers 
municipaux. 

i Art. 6. — Quatre d'entre nous se transporteront le 27, devant 
MM. les administrateurs du département et du district, devers 
MM. les maires et officiers municipaux, les corps civils et militaires, 



(0 Les philosophes du xviii* siècle avaient mis à la mode plusieurs noms 
pour désigner^ la divinité : c'était VÉternel, le Souverain Ordonnateur 
des mondes, VÉtre des Êtres; on arriva enfin à. VEtre suprême, dont la 
Convention nationale, devancée en cela par les dames de Bordeaux, voulut 
bien plus tard décréter l'existence. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 97 

MM. les curés de la ville, vicaires de Tévêque, etc., pour les prier 
d'assister à Tauguste cérémonie qui vient d'être décrite. 

> Art. 7. — La fraternité et Fégalité étant la base de la présente 
résolution, toutes les bonnes citoyennes, les mères de famille ou 
leurs filles, qui désireraient être admises parmi nous, le seront sans 
difficulté, et à la suite des noms de celles qui seront présentées, on 
inscrira ceux des citoyennes qui ne pourront y assister, soit pour 
cause de maladie, etc. 

1 Art. 8. — Chacune de nous versera, suivant ses acuités, ou 
26 sols ou 12 sols, ou même quelque chose de plus ou de moins, 
dans la caisse commune tenue par M*"* Dubois, et le montant de 
cette souscription servira aux frais de la fête; le surplus sera 
distribué aux pauvres; cette distribution est confiée à M"** Gentil et 
Dubois. 

» Signé : F. Gz^atil^ présidente ; Dubois, trésor ière; 
Thiévent, secrétaire (0. » 

Cet arrêté fut porté à la municipalité par une députation 
des citoyennes clubistes. Le maire, après l'allocution de la 
femme Gentil, mit l'affaire en délibération, et le Conseil 
général prit l'arrêté suivant : 

c Considérant que les sentiments patriotiques des citoyennes 
bordelaises méritent les plus grands éloges; que le devoir des 
officiers municipaux les porte à favoriser le développement du 
patriotisme; que, d'ailleurs, cette généreuse démarche de la part 
des citoyennes de Bordeaux ne saurait avoir trop d'éclat, ni être 
marquée par une approbation trop manifeste de la part des citoyens, 

Y Arrête que le Corps municipal se rendra, le 28, au Champ de 
Mars ; que là, il se mettra à la tête des citoyennes de Bordeaux pour 
les conduire à la cathédrale; qu'après la cérémonie religieuse 
M. le maire recevra le serment patriotique de ces bonnes dames; 
que M. le commandant général sera requis, au besoin, de commander 
un fort détachement des troupes sous ses ordres pour escorter le 
cortège depuis le Champ de Mars jusqu'à Saint-André, et pour 
maintenir le bon ordre dans l'intérieur de cette église. 

» Bordeaux, le 27 juin 1791. 

» Signé : SAIGE, maire (2). » 

Le même jour, la députation de ces citoyennes se présenta 
à la Société des Amis de la Constitution et y fut reçue au 

(i)-(3) Archives municipales de Bordeaux. 

T. I. 7 



98 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



milieu des applaudissements de rassemblée. La femme 
Larmée, son orateur, prononça le discours suivant : 

a Monsieur le Président, Messieurs, pénétrées des senti- 
ments que vous ne cessez de montrer pour le bonheur de 
la patrie, nos cœurs reconnaissants s'empressent de vous 
en féliciter. Bientôt, Messieurs, vous ne verrez plus en 
nous des femmes uniquement occupées d'objets frivoles; 
notre plus doux plaisir sera de couronner vos vertus et de 
les imiter. Fidèles aux devoirs que la société nous a assi- 
gnés, notre soin le plus précieux sera d'élever nos enfants 
dans les principes de la Constitution, et c'est au milieu de 
vous que nous viendrons les former; là, ils apprendront à 
vivre libres, à connaître les droits de l'homme, à ne point 
s'abaisser devant d'autre pouvoir que devant celui des lois 
et de la vertu. On ne verra plus enfin un sexe que la nature 
a formé pour donner à l'exemple l'attrait le plus séduisant 
de la persuasion, oublier les devoirs sacrés qu'elle lui 
impose. ♦ 

» Voilà, Messieurs, les sentiments qui nous animent; 
nous espérons que vous voudrez bien ajouter à l'éclat de la 
fête de demain par la présence de vos députés. :^ 

Ce discours fut suivi d'acclamations générales ; M. Ducos 
fils, président de la Société, y répondit par une allocution 
vivement applaudie ('). 

« Le lendemain, 28 juin, à huit heures du matin, dit le 
Journal de Bordeaux, les citoyennes composant la Société 
des Amies de la Constitution se sont rendues, au nombre 
de près de 2,000, au Champ de Mars. La municipalité, 
M. le maire à la tête, le département, le district, les 
tribunaux, l'état-major de la garde nationale, les députations 
des Amis de la Constitution et du Club national, sont 
arrivés successivement. Le cortège s'est rendu à l'église 

(I) Journal de Bordeaux, 1 791, no 81. 



LA CONSTÏTUTIO>f CIVILE DU CLERGE. 



métropolitaine, en défilant dans le plus grand ordre entre 
une haie de la garde nationale. Le vénérable Pierre 
Pacareau, évêque constitutionnel de la Gironde, pour qui 
la fête était préparée, était à la petite fenêtre de sa petite 
maison, environné de son clergé. Des applaudissements 
universels, des cris de Joie, des bénédictions sans nombre 
ont porté jusqu'aux cieux Thommage que les bons citoyens 
rendaient à ses vertus. Deux orchestres étaient placés dans 
réglise métropolitaine : la messe a été célébrée avec pompe, 
et M. Roch a dirigé la musique. Après la célébration du 
sacrifice, le ^Te Deutn a été chanté. Les citoyennes ont 
ensuite prêté, entre les mains du vicaire, le serment d'être 
fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, d'élever leurs enfants 
dans les principes de la Révolution, de vivre libres ou de 
mourir. M. l'évêque a été ensuite reconduit à sa maison; 
là, ces dignes citoyennes lui ont présenté un bouquet, et 
ont reconduit la municipalité jusqu'à la maison commune. 

» Nous nous hâtons, dit le journaliste, de donner la 
première annonce de cette fête touchante, qui a porté le 
dernier coup à l'aristocratie. » 

Mises en goût par les compliments qu'elles avaient reçus 
en cette circonstance, et flattées dans leur orgueil par le rôle 
principal qu'elles y avaient joué, les citoyennes Amies de la 
Constitution jugèrent à propos de renouveler, mais avec 
moins de solennité, la fête du 28 juin. 

Dans le mois suivant, en effet, elles allèrent complimenter 
M. Tymbaudy, curé constitutionnel de Sainte- Eulalie, puis 
le curé de Saint-Michel, et pour ne pas faire de jaloux sans 
doute, elles visitèrent tous les curés assermentés de la ville 
et remirent à chacun d'eux des bouquets d'immortelles 
mêlées de laurier, accompagnés de discours et de dithy- 
rambes en leur honneur, ce C'était, dit l'abbé O'Reilly, une 
compensation du respect et de l'estime que les catholiques 
leur refusaient, d 




100 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

■ ■ 1^— — C I ■ I - I -, I. I ^ 

Ces bonnes darnes^ comme les appelait le maire, se 
signalèrent aussi par leur enthousiasme lors de la fête de la 
Fédération, célébrée à Bordeaux le 14 juillet 1791. 

Pendant que M. Pacareau et son clergé étaient l'objet 
des ovations que nous venons de raconter, les mesures 
prises par les autorités de Bordeaux contre les prêtres non 
conformistes présentaient graduellement un caractère plus 
rigoureux. Le Qub national et les autres Sociétés popu- 
laires mettaient en mouvement la population infime de cette 
grande cité, qui obéissait à leurs ordres et donnait la 
chasse, suivant le langage du temps, aux réfraçtaires. 

Les prêtres constitutionnels voyaient avec désespoir leurs 
églises désertes, tandis que celles accordées, d'après la loi, 
aux insermentés regorgeaient des fidèles accourus de tous les 
quartiers de la ville et même des campagnes voisines, qui 
repoussaient les intrus et fuyaient leurs églises. 

Cet abandon presque général piqua Torgueil et le patrio- 
tisme de Tautorité, qui fit fermer les églises des non-confor- 
mistes. Ce fut, de sa part, un abus de pouvoir et une grave 
violation de la loi ; cette mesure, loin de produire le résultat 
espéré, eut pour conséquence d'augmenter Tagitation et 
d'accroître le mécontentement contre les prêtres constitu- 
tionnels, auxquels on imputait, non sans raison, d'avoir 
sollicité la fermeture des églises rivales. Les passions étaient 
d'ailleurs exaltées par les événements politiques, qui pre- 
naient chaque jour une teinte plus sombre, et l'on redoutait 
une collision entre les gardes nationaux, que divisaient 
profondément les opinions religieuses. On tremblait de voir 
se renouveler à Bordeaux les scènes qui avaient affligé 
Nîmes et Montauban. 

La presse démagogique signalait journellement les 
réfractaires comme les ennemis les plus dangereux de la 
patrie et du nouvel ordre de choses. L'agitation gagnait les 
villes et les campagnes du département de la Gironde ; la 



• - • - • • • 

* * > • 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 101 

pièce suivante, publiée par le Club national, n'y contribua 
pas médiocrement ^^K 

€ Messieurs, Tamour du bien public, qui nous a réunis 
en société, nous amène en ce jour auprès de vous pour 
mettre sous vos yeux le nouveau sujet de nos alarmes, car 
sans cesse occupés à veiller, à garantir Tédifice imposant 
de la Constitution, nous prenons ombrage de tout ce qui 
pourrait tendre à l'ébranler. 

» Plusieurs ecclésiastiques réfractaires à la loi, tournant 
contre elle-même le précieux bienfait de la liberté qu'elle 
nous a rendu, font édifier chez eux des chapelles, les unes 
dans l'enceinte de nos murs, les autres à la campagne... 
Sans chercher à interpréter leurs intentions, nous ne 
pouvons néanmoins nous les dissimuler, d'après leur 
rébellion soutenue. Plus pervers dans leur égarement que 
les dix tribus infidèles, non seulement ils rompent l'unité 
du culte, mais, en abandonnant la maison de Dieu, ils la 
dépouillent pour décorer leur nouveau temple de Samarie 
et les autels qu'ils dressent sur les hauts lieux; ils y 
transportent les ornements et les pierres sacrées sur 
lesquelles se fait la célébration de nos saints mystères. 
Une fois possesseurs de ces précieuses et intégrantes parties 
de nos autels, ils ne manquent pas de dire à des ouailles 
déjà trompées par leur séduisante hypocrisie que nos mys- 
tères n'ont de réalité qu'autant qu'ils sont offerts sur ces 
pierres sacrées, et que les nouveaux évêques, qu'ils traitent 
d'intrus, n'ont pas le pouvoir d'en élever d'autres, etc. (^K > 

Le Club fait intervenir la religion, criant à ces mauvais 
prêtres qu'ils abusent du caractère sacré dont elle les a 



(^) La Nation, la Loi et le Roi, adresse du club du Café national à 
MM. les Administrateurs du département de la Gironde, concernant les 
manœuvres des mauvais prêtres et Venlèvement des pierres sacrées et des 
ornements, Bordeaux, de Timpr. du Club national, Tan II de la liberté. 

(2) On est presque heureux de voir les énergumènes du club du Café 
national parler ainsi avec componction des saints mystères de la religion. 



102 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

revêtus. La prosopopée de ce factum a trois pages; les 
lignes suivantes la terminent : « C'est ainsi, Messieurs, que 
parle notre religion en s'adressant à ces mauvais prêtres; 
mais, semblables à Paspic, selon l'expression de l'Écriture, 
ils se boucheront les oreilles du cœur pour ne pas 
l'entendre, i^ 

Les clubistes demandent ensuite aux administrateurs de 
faire vérifier promptement les inventaires de chaque église 
et de s'assurer que les pierres sacrées n'ont été ni changées 
ni enlevées; d'ordonner à toutes les municipalités du dépar- 
tement de fakt sceller ces pierres saintes, après la célébration 
de l'ofl&ce par le prêtre constitutionnel de chaque paroisse 
respective; et déclarent que leurs observations ne sont 
dictées que par leur dévouement à la chose publique; ils 
les soumettent, disent-ils, à la sagesse du Directoire, qui 
saura trouver les moyens de dissiper les perfides complots 
des ennemis de la patrie. 

Si la publicité donnée à cette pétition excita la haine des 
hommes de désordre contre les prêtres non-conformistes, 
la lettre suivante dut en revanche flatter les Bordelaises qui 
ne faisaient pas partie du troupeau. Elle est au moins 
curieuse et nous a paru devoir être reproduite. C'est un 
jeune patriote qui s'adresse aux dames; il débute ainsi : 
c Aimables concitoyennes, serait-il vrai que vos cœurs si 
tendres et si compatissants se fussent ouverts à l'esprit de 
parti, cette source inépuisable de malheurs? On le dit, 
mais à peine puis-je le croire. Eh I que vous importent les 
criailleries de quelques hommes qui, sous le vain prétexte 
qu'on les dépouille de ces biens dont ils faisaient souvent 
un si mauvais usage, veulent aujourd'hui tout bouleverser 
et mettre leur bonheur à la place du bonheur public?... » 

Le jeune patriote continue en assurant à ses concitoyennes 
que l'amour et les hommages des hommes leur sont néces- 
saires, et que, s'ils ne devaient plus les aimer, elles ne 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. Io3 

seraient presque rien sur la terre; et après trois ou quatre 
pages écrites dans ce goût douteux, il brûle de Tencens en 
faveur de M. Pacareau et termine sa galante épître en ces 
termes : « Pardonnez si j'ose vous dire des vérités peut-être 
trop fortes, mais les motifs qui les ont dictées ne sauraient 
vous déplaire. J'ai espéré vous ramener aux vrais principes 
et pouvoir conserver encore dans mon cœur les sentiments 
que votre sexe m'inspire. Mais si je ne réussis pas à vous 
persuader, si vous persistez encore dans vos erreurs, je me 
condamnerai jusqu'à vous haïr, car je préfère ma patrie à 
vous, lors même que je vous préfère à tout le reste (»>. i 

Tout était mis en œuvre en faveur du clergé constitu- 
tionnel; on le caressait, on le flattait, on le soutenait par 
tous les moyens possibles. 

Quant aux prêtres insermentés, ils étaient expulsés de leurs 
presb}rtères par les intrus ; ils abandonnaient leurs familles 
et leurs paroisses qui ne leur offraient plus de sécurité, et 
ils erraient dans les campagnes sans avoir un asile où ils 
pussent reposer leur tête ^^K 

Encore si leurs misères s'étaient bornées là! Mais ces 
persécutions étaient accompagnées de violences, à Bordeaux 
et dans le département. 

Nous allons grouper ici quelques-uns des faits principaux 
dont nous avons retrouvé la trace dans les documents 
contemporains et dans les archives publiques, et que nous 
avons dû négliger au courant de notre récit afin de ne pas 
en altérer la clarté par une surabondance de détails. 

A Bordeaux, le corps municipal, le Directoire de district, 
les clubs soutenaient M. Pacareau; mais la grande majorité 
des catholiques ne reconnaissait pas le clergé constitu- 

(i) Ces fragments sont extraits d'une brochure intitulée : Adreise d'un 
jeune patriote à ses concitoyennes sur la conduite de quelques prêtres. 
Bordeaux, 1791. 

(2) Nos patries fines et dulcia linquimus arva ; 

Nos patriamfugimusl,,. (Vir»ue, Bwxtupifu.^ 



104 HISTOIRE DE LA TERREJUR A BORDEAUX. 

tionnel et repoussait le nouvel évêque métropolitain du 
Sud-Ouest. Les prêtres non-conformistes, nous l'avons dit, 
étaient seuls accueillis par les fidèles; on ne s'adressait 
qu'à eux pour en recevoir les sacrements de F Église; les 
constitutionnels voyaient avec désespoir leurs temples 
déserts, et en conservaient contre leurs confrères dissidents 
une animosité qu'ils ne pouvaient dissimuler et qui 
augmentait l'agitation des esprits. La population, en 
général, ne les regardait qu'avec mépris et ne leur cachait 
pas l'indignation qu'ils lui inspiraient. 

Le Directoire du département avait accordé aux dissidents, 
conformément aux décrets, l'église conventuelle des Corde- 
liers; ces religieux avaient évacué leur couvent. Les 
dissidents se proposaient d'y faire célébrer leur culte par 
un prêtre insermenté : c'était leur droit. Les patriotes du 
Club national étaient loin de l'entendre ainsi ; ils furent très 
irrités de cette concession de la part de l'autorité et se 
promirent de s'opposer à ce qu'elle reçût son exécution. Au 
fond, ils ne tenaient à aucun culte, mais ils détestaient les 
prêtres réfractaires et les catholiques, parce qu'ils les 
regardaient comme des ennemis du nouvel ordre de choses . 
Le premier jour de la réunion dans l'église accordée par le 
Directoire, il se forma des attroupements nombreux devant 
la porte. On vociférait contre les prêtres et les aristocrates 
rassemblés dans l'église. Un nommé Brouet, espion, dit-on, 
du Club national, entra effrontément et commit des 
irrévérences qui troublèrent l'office divin. Les fidèles 
redoutant un conflit dont on les avait rendus responsables, 
prirent le parti de se retirer. Ils écrivirent le lendemain au 
Directoire du département pour lui rendre compte des faits 
et demander qu'il leur fût permis de jouir d'un droit légal 
et de pratiquer leur culte dans l'église qui leur avait été 
assignée. On signala la conduite de l'émissaire du Qub 
national et on invoqua la liberté des cultes proclamée par 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. Io5 

« 

rAssemblée nationale. Cette demande si juste, non seule- 
ment ne fut pas accueillie, mais l'église des Cordeliers fut 
fermée. Le Directoire était impuissant à faire exécuter 
les lois. 

M. Plas de Saint-Georges, propriétaire à Cenon la 
Bastide, avait dans sa maison une chapelle autorisée par 
M»*" Champion de Cicé, et il y entendait la messe, célébrée 
par un prêtre insermenté. 

Le conseil général de la commune, offusqué de ce qu'il 
appelait un privilège et stimulé par le curé constitutionnel 
du lieu, nommé Maubourguet, qui plus tard remit ses 
lettres et abdiqua la prêtrise, prit un arrêté pour que 
M. de Plas eût à exhiber à la municipalité la permission 
qui l'autorisait à faire célébrer le service divin dans sa 
maison. On lui signifia qu'à défaut par lui de justifier de 
l'autorisation épiscopale, sa chapelle serait interdite, aux 
termes des statuts synodaux. M. de Plas répondit par la 
lettre suivante à l'injonction de la municipalité : e: Il me 
semble que le décret de l'Assemblée nationale dit en termes 
formels que nul ne sera troublé dans ses opinions religieuses. 
Les musulmans ont leurs mosquées, les juifs leurs 
synagogues; le chrétien apostolique et romain serait-il le 
seul à prier Dieu dans sa chambre, lorsque les protestants 
prient dans leurs temples? Les titres de ma chapelle 
émanent du pouvoir de mon légitime évêque; en consé- 
quence, je vous préviens qu'on n'y dira pas la messe, 
plutôt que de la faire célébrer par une permission que je 
crois très illégitime. La force peut m'ôter le droit de faire 
célébrer dans ma chapelle la sainte messe, mais elle ne 
m'obligera pas à en entendre une à laquelle je ne croirai 
jamais ('>. » Les choses en restèrent là. 
A Lormont, les habitants étaient divisés d'opinions sur 

(0 Journal de Bordeaux, 1 791, no 60. 



Io6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

la légitimité des pouvoirs du curé nouvellement élu; une 
grande partie de la population ne voulait pas en entendre 
parler. M. le chevalier de Pichon, riche propriétaire de la 
commune, s'était attiré des inimitiés en refusant de 
reconnaître le prêtre jureur, ainsi qu'il l'appelait. Vers 
le milieu du mois de juin 1791, une centaine de paysans 
précédés par un tambour, se saisirent de M. de Pichon, le 
hissèrent sur un âne et le promenèrent dans le bourg. Des 
citoyens voulurent le faire descendre de sa monture, mais 
il n'y consentit pas et cria à haute voix a qu'il ne pouvait 
ni ne voulait entendre parler des prêtres jureurs; que ces 
prêtres, excommuniés par le Saint-Père, n'avaient plus de 
pouvoirs. 1» Les paysans irrités allaient se porter à des 
violences sur M. de Pichon, mais on réussit à le tirer de 
leurs mains. 

Les mêmes faits étaient à l'ordre du jour dans un grand 
nombre de communes, dont les populations étaient exaltées 
souvent par leurs curés constitutionnels. On lit dans le 
Journal de Bordeaux, qui enregistre ces violences avec 
complaisance, le récit suivant écrit par A. Jay, citoyen 
soldat à Lesparre : « Frère et ami, il vient de se passer 
dans notre ville une scène assez remarquable pour mériter 
une place dans votre journal patriotique. L'épouse du maire 
de Lesparre, dévorée d'un zèle ardent pour la Constitution, 
voyait avec douleur depuis longtemps une tourbe de dévotes 
qui abandonnaient leur curé conformiste, pour venir 
entendre leur ci-devant pasteur réfractaire et anti-constitu- 
tionnel. Aujourd'hui, une douzaine de ces béates étaient 
encore venues au bercail non-conformiste, lorsque la femme 
du maire, s'armant d'un long fouet, à l'exemple de notre 
divin Sauveur, a purgé et nettoyé les parvis du temple saint, 
devenu l'asile de l'hypocrisie et du fanatisme. La vigueur 
de son bras ne s'est ralentie que lorsque nos dévotes 
effrayées ont eu prêté serment de ne plus abandonner le 



LA CONSTITUTION CïVÎLK DU CLERGE. IO7 



pasteur donné par la Constitution. Alors Théroïne, 
remettant son fouet en écharpe, a traversé la ville de 
Lesparre avec une démarche fière, et a reçu sur son 
passage les applaudissements des vrais patriotes. Vous 
auriez vu dans ce moment certains ci-devant et leurs 
femmes se grouper pour censurer cet acte de police 
correctionnelle; mais ils eurent beau se démener de toutes 
les manières, la Constitution sera inviolée et ça ira. Comme 
des personnes mal intentionnées pourraient donner un tour 
tragique à cet acte du pouvoir exécutif féminin, Je vous 
prie, au nom de votre patriotisme, d'insérer ce fait dans 
votre intéressante feuille^'). » 

Ce que le citoyen soldat Jay ne dit pas, c'est ceci : les 
femmes maltraitées résolurent de se venger; quelques jours 
après, et le soir, elles s'embusquèrent, armées de verges, se 
saisirent de la femme du maire, entourèrent sa tête d'un 
mouchoir, la bâillonnèrent et, retroussant ses jupes, lui 
administrèrent, malgré ses cris, une vigoureuse flagellation, 
puis se sauvèrent en laissant sur les lieux les verges, instru- 
ment de la correction . La nuit empêcha la flagellée et les 
voisins, accourus trop tard, de reconnaître les coupables. 
Des chansons en coururent le pays et ne mirent pas les 
rieurs du côté de la femme du citoyen maire. 

La ville de Libourne eut ses scènes de violence. 

L'abbé Turenne, ancien curé de Saint-Sulpice, prêtre 
habitué de Saint-Michel et aumônier du régiment patriotique 
de la même paroisse, avait refusé le serment et colportait 
des brochures contre la constitution civile du clergé. Son 
zèle n'étant pas tempéré par la prudence, il fut arrêté à 
Sainte- Foy dans les circonstances suivantes : la municipalité 
de Castillon, ayant appris qu'il avait vendu à plusieurs 
prêtres des brochures qu'elle soupçonnait être contraires 

(i) Journal de Bordeaux du 10 août 1791 . 



I08 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

au culte constitutionnel, le dénonça à l'autorité municipale 
de Sainte-Foy, où il s'était dirigé en quittant Castillon. La 
municipalité de Sainte-Foy se transporta de suite à l'auberge 
où l'abbé Turenne était descendu et visita ses malles ; elle 
y trouva un ballot de brochures, qualifiées d'incendiaires 
dans le procès- verbal de saisie. C'en fut assez pour déter- 
miner son arrestation et sa conduite devant l'accusateur 
public du tribunal de Libourne. Ce magistrat le fit jeter 
en prison et le dénonça au tribunal, qui commença une 
instruction. L'abbé Turenne fut interrogé, et, sommé de 
désigner ceux de qui il tenait les brochures saisies, il déclara 
être prêt à faire le sacrifice de sa liberté plutôt que de 
nommer les personnes qui l'avaient chargé de les distribuer; 
mais il ajouta en même temps en avoir vendu plusieurs 
au ci-devant curé Fayotte, parce que la médiocrité de sa 
fortune ne lui permettait pas d'en faire un pur don; il 
déclara aussi qu'il n'avait vendu ces livres au sieur Fayotte 
qu'après avoir su de lui qu'il avait prêté le serment civique. 
Cette affaire fit beaucoup de bruit à Libourne, et la 
Société des Amis de la Constitution de cette ville se hâta 
d'en prévenir les frères et amis de Bordeaux par une lettre 
qui raconte les faits (0 : « Vous jugerez, frères et amis, des 
scrupules de l'abbé qui a refusé le serment. Le sieur 
Turenne ayant été interrogé de nouveau, a déclaré tenir 
ce ballot du sieur Raynal, vicaire de Saint-Michel; que le 
sieur Montmirel, curé de la dite paroisse, lui avait donné 
la lettre que le sieur Champion avait adressée aux adminis- 
trateurs du département, et qu'il avait vendu au curé de 
Saint-Sulpice, près Mornas, quelques-unes de ces brochures 
pour i3 livres. 2) 



(i) Lettre de la Société des Amis de la Constitution de Libourne à celle de 
Bordeaux, au sujet de M. Turenne» vicaire de Saint-Michel. Bordeaux, 1791» 
chez Levieux, imprimeur de la Société des Amis de la Constitution. 
4 pages in-8«. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. lOg 

Les correspondants ajoutent que le sieur Turenne, à son 
arrivée à Sainte-Foy, avait rendu une visite au sieur abbé 
de Ségur, ci-devant vicaire général, et à un autre de Ségur 
ci-devant major du second régiment de Languedoc, tous 
deux soupçonnés de tenir des conciliabules aristocratiques 
et d'être, disent-ils, « les auteurs d'une insurrection féminine 
qu'il y a dans la ville; ce qui prouve que l'abbé Turenne 
est l'agent d'une correspondance entre les ennemis de la 
tranquillité publique. i> 

La Société termine ainsi sa lettre : « On aura pu vous 
faire différentes versions sur les motifs de sa détention. Ce 
qui autorise cette idée, c'est que déjà votre municipalité a 
fait passer des attestations en faveur dudit Turenne, et 
qu'un vicaire de Saint-Michel et un officier de la garde 
nationale sont venus rendre des témoignages avantageux 
sur son compte. C'est pourquoi nous croyons devoir vous 
fixer positivement sur les véritables causes qui donnent lieu 
à l'instruction que notre tribunal fait de cette affaire. Nous 
trouvons qu'il est diifificile à des amis de la Constitution de 
trouver le sieur Turenne innocent. Nous vous ferons part 
des suites de la procédure, etc. 3> 

Le recueil que nous avons sous les yeux ne fait pas 
connaître ce résultat (»); on peut penser que les faits à 
raison desquels l'abbé Turenne fut poursuivi ne constituant 
ni crime ni délit, il dut être remis en liberté. 

Quelques citoyens de Libourne se signalèrent par des 
violences plus graves contre deux malheureux prêtres. 

Le P. Albert, récollet, âgé de soixante-quatorze ans, 
avait rétracté son serment; il n'avait pas charge d'âmes, et 
par conséquent le décret ne le plaçait pas dans la classe 
des fonctionnaires publics astreints au serment. Le peuple 
s'empara de ce vieillard, l'assit sur un âne et lui fit parcourir 

(I) Recueil de pièces sur le clergé de Bordeaux (1787 à 1848). Bibliothèque 
de Bordeaux, no 27058. 



IIO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

ainsi toutes les rues de la ville au milieu des imprécations 
et des huées de la populace ivre et furieuse, ^infortuné, 
épuisé de fatigue, tomba trois fois, et trois fois on le replaça 
sur sa monture. Il fut enfin reconduit dans son couvent; le 
lendemain, il était mourant et on Tadministra. 

Dans la soirée de ce même jour, un pauvre prêtre, curé 
de la paroisse de Saillans, ignorant les violences dont le 
P. Albert avait été victime, arriva à Libourne. Ce curé 
avait refusé le serment, et les anarchistes le détestaient; ils 
le reconnurent, se saisirent de sa personne, le hissèrent sur 
la même monture et le firent promener dans la ville. Un 
citoyen, ému de pitié, ne put retenir quelques murmures 
en voyant ainsi maltraiter un prêtre sans défense ; on lui fit 
un crime de ces murmures, et, saisi à son tour, il subit les 
mêmes traitements que les deux prêtres. 

On réservait une promenade identique aux Ursulines de 
la ville; elles furent heureusement prévenues et se réfugièrent 
à Bordeaux. 

Ces scènes de violence ne furent ni les seules ni les 
dernières. Un sieur Blanc-Montasset, habitant Libourne, 
ancien garde national, était signalé aux partisans du culte 
constitutionnel par son attachement au clergé insermenté. 
La même populace se transporta devant sa maison, le 
a juillet 1791, et Ten fit sortir de force malgré la résistance 
qu'il opposa aux assaillants, en les menaçant d'un couteau 
dont il s'était armé ; on le dépouilla de son habit de garde 
national et on lui fit parcourir sur un âne les rues de la 
ville, la tête nue et accompagné des huées de la multitude. 

La Société des Amis de la Constitution de Libourne 
rendit compte de ces incidents aux frères et amis de 
Bordeaux; mais ce n'était pas encore assez pour les 
partisans du culte constitutionnel : un autre prêtre fut la 
quatrième victime qu'ils livrèrent à la risée publique. 

Nous reproduisons la lettre suivante que les clubistes de 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. III 

Libourne adressèrent au club du Café national de Bor- 
deaux. Nous en respectons le style et Torthographe : 

« Frères et amis, le courrier était parti avant que nous 
eussions fini notre correspondance, et nous n'avons pu 
vous faire passer la présente aussitôt que nous l'aurions 
désiré; mais nous nous sommes récupérés par la nouvelle 
cène qui est arrivée hier soir, qui n'est pas moins intéres- 
sante que la première, dont voici les détails. Le sieur 
Tournier, fils de cordonnier, natif de notre ville, ci-devant 
Curé d'une commune voisine de Libourne, résidait en cette 
ville depuis plusieurs années, après avoir résigné sa cure à 
un prêtre patriote de cette ville. Pendant tout le temps qu'il 
a demeuré dans sa cure, il a été le chef d'une troupe de 
contrebandiers, métier qui lui fit gagner beaucoup d'or. 

Depuis qu'il était résident en cette ville, il a augmenté 
considérablement sa fortune en faisant le métier d'agioteur 
et d'usurier de première force. La garde nationale, ignorant 
alors ses mauvaises manœuvres et s'en rapportant au faux 
patriotisme qu'il montrait, le nomma son aumônier. Bientôt 
après, il ne tarda pas à se dévoiler ce quils étaient. Le 
décret qui portait que tous les fonctionnaires publics devait 
prêter le serment d'être Jidèle à la Nation, à la Loi et au 
Roi et d'instruire les fidèles confiés à leurs soins sur la 
nouvelle constitution du clergé, montra la noirceur de son 
âme dans son grand jour... Le moment arrivé pour prêter 
le serment, au lieu de faire cet acte de civisme auquel 
l'obligeait son grade d'aumônier de la garde nationale, il 
se transporta dans tous les couvents et chez tous les prêtres 
de la ville pour les soulever, les corrompre et les rendre 
fanatiques comme lui ; mais il n'y gagna rien, car la presque 
totalité de nos prêtres prêtèrent serment le dimanche 
suivant et ne manquèrent pas de dévoiler sçs démarches 
séditieuses. 

» La- garde nationale s'assembla et le dégrada de sa 



112 HISTO[RE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

qualité d'aumônier. Depuis cette époque, il n'avait cessé de 
fomenter le trouble et la discorde; il s'exerçaient tous les 
jours en propos séditieux, en menaçant les patriotes que 
chacun aurait son tour! Les patriotes, excédés de ses 
menées, le sommèrent de quitter la ville s'il ne voulait subir 
le sort qu'il méritait. Voyant qu'il n'y avait plus à balancer, il 
partit le lendemain matin en laissant après lui trois ou quatre 
dévotes avec qui // étaient extrêmement lié, qui ont rempli au 
mieux, pendant son apsence, la mission dont il les avaient 
chargées. Depuis plusieurs jours, deux de ces dévotes, 
sachant sans doute que leur champion devait revenir en 
cette ville, était allée le rejoindre à Bordeaux pour rendre 
le cortège plus brillant et la rentrée plus triomphante; 
mais, hélas I le sort, toujours favorable aux patriotes, les a 
mal servi. L'abondance de la pluye et l'obscurité de la 
nuit obligea les deux dulcinées de coucher en route. Il n'en 
fut pas de même du courtois courier^ accoutumé à braver 
la tempête, comme les dieux ; il affronta le vent et la pluie 
et résolut de profiter des moments où Morphée tenait tous 
les patriotes dans ses bras; il s'embarqua pour cette cité, 
laissant derrière ses femmes et son équipage. 

» Ce fut hier, lundi, à dix heures du soir, qu'arriva le 
sieur Tournier. Un particulier, patriote sans doute, qui 
avait voyagé avec lui depuis Bordeaux jusqu'à la séparation 
des landes de Caudéran, étant arrivé à bonne heure en cette 
ville et connaissant vraisemblablement ledit Tournier, se 
hâta de prévenir les patriotes de son arrivée et de la vqye 
qu'il avait pris pour arriver. Aussitôt s'assemblent les 
jeunes patriotes, allèrent chercher 1 ane, l'amenèrent sur 
la rivière, et dès que le batteaux fut arrivé, malgré 
l'abondance de la pluye qui tombait, on se saisit de 
Tournier, et, après l'avoir monté sur l'âne, on se mit en 
T[ïQich& accompagné de plus de loofalaux. 

» La promenade a duré plus de trois heures, toujours la 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. I 1 3 

pluye sur le corps, et à tous les coins de rue on s'arrêtait 
pour lui reprocher sa mauvaise conduite, ses indignes 
manœuvres et son incivisme. Vous dépôts imaginer que les 
croisées étaient bien garnies et bien illuminées. Enfin, pour 
finir la cérémonie, on le mena sur une petite place, on le fit 
monter sur un banc de boucher, et on l'obligea de danser 
en chantant : A ça ira; on le descendit et on l'obligea 
d'embrasser l'âne entre les deux oreilles, de remercier les 
patriotes de leur indulgence, et on le soma de dévariser 
ses meubles le lendemain pour évaquer la ville dans le plus 
court délai, sous peine de tout le châtiment qu'il mérite (*). i^ 

Nous ne ferons aucune réflexion sur ces violences, qui 
restèrent impunies : la municipalité feignit de n'en avoir 
pas eu connaissance I 

M«^ Champion de Cicé avait quitté la France; mais avant 
son départ, il avait préposé à l'administration de son 
diocèse des vicaires généraux et M. Boyer, chanoine de 
Saint-Seurin, qui eut le soin d'adresser des instructions 
pour l'exercice du saint ministère dans les oratoires 
particuliers; on en comptait plusieurs à Bordeaux, Une 
lettre écrite avec une rare modération et une extrême 
circonspection accompagnait ces instructions. 

a Lorsqu'à raison de la gravité des circonstances, disait 
l'abbé Boyer, la prudence ne permettra pas de continuer 
l'exercice des saintes fonctions dans les oratoires particuliers, 
les ministres feront choix d'une ou deux maisons pour 
y déposer les objets consacrés au culte : la plus grande 
prudence est spécialement recommandée aux ministres; le 
chant ou des rassemblements de nature à attirer l'attention 
et à faire remarquer les maisons annonceraient un zèle bien 
mal entendu, qui, en compromettant la sûreté de tous les 
ministres, compromettrait l'œuvre conmiune à laquelle ils 

(i) Archives de la Gironde, série L, carton 60, liasse 2, 1791. 

T.L 8 



tI4 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



sont consacrés, et priverait les fidèles des secours les plus 
nécessaires dont il est instant qu'ils ne puissent jamais 
manquer. 

» Les saints mystères ne peuvent être célébrés sur les 
autels portatifs consacrés par des évêques intrus; ces autels, 
s'il s'en trouve, doivent être brisés et, à raison de cette 
consécration, les fragments doivent être enfouis dans un lieu 
décent. Si Ton a la faculté de se servir d'une église pour les 
exercices de la religion, il faudra examiner si l'on ne s'en 
serait pas servi pour faire le temple de la Raison, ou bien 
s'il ne s'y serait pas passé des faits qui, selon les dispositions 
du droit canonique, en auraient produit la profanation; 
dans ce cas, avant d'y célébrer les saints mystères, il sera 
préalablement indispensable de la réconcilier, après en 
avoir obtenu l'autorisation du préposé au gouvernement 
du diocèse. » 

Ces instructions, que suivirent ponctuellement les prêtres 
fidèles, parvinrent à la connaissance des intrus, de la 
municipalité et du Directoire du district; elles devinrent un 
thème pour les membres du Club national, qui se distingua 
par ses fureurs anti-chrétiennes pendant toute la durée de 
la Révolution. 

Nous devons dire ici quelques mots de l'abbé Langoiran. 

Fils d'un riche armateur de Bordeaux, M. l'abbé 
Langoiran (Jean-Simon), avait été nommé par M»^ d'Audi- 
bert de Lussan, archevêque de Bordeaux, dignitaire du 
chapitre Saint-André, quelques années après conseiller de 
l'Université, puis professeur de théologie, et enfin prieur 
de Mortagne. Les revenus de ce prieuré étaient considé- 
rables, et l'abbé Langoiran les distribuait généreusement 
aux pauvres, sans en rien réserver pour lui. 

Sa réputation s'étendit hors des limites du diocèse de 
Bordeaux; l'évêque de Dax lui conféra le titre honorifique 
de vicaire général; mais Ms^ Champion de Cicé l'appela 



LA CONSTITUTION CIVIÎ.E DU CLERGÉ. Il5 



pour diriger, sous son autorité, Tadministration de son 
diocèse; il fut revêtu des pouvoirs d'official métropolitain 
et sa Juridiction s'étendit sur toute la province ecclésiastique 
de Bordeaux. 

M»^ Champion de Cicé, en partant pour Paris où il allait 
siéger aux États Généraux, confia aux abbés Langoiran et 
Boyer le soin de son diocèse : les prêtres qui avaient refusé 
le serment à la constitution civile du clergé furent fortifiés 
et encouragés par eux. L'abbé Langoiran publia plusieurs 
écrits contre le schisme et fut Tobjet de la haine acharnée 
des clubistes de Bordeaux, dont ses écrits vigoureux faisaient 
le désespoir. 

La municipalité et M. Duranthon, procureur-syndic du 
district, le signalèrent aux patriotes comme un prêtre 
fanatique et dangereux pour Tordre de choses nouveau. 
Des pamphlets, des libelles, des menaces lui étaient adressés 
journellement, mais ne le firent pas dévier un instant de la 
ligne qu'il s'était tracée ni des devoirs que lui imposaient sa 
conscience et sa mission de vicaire général ^^K Le Directoire 
du district osa même, par un arrêté qu'il fit afficher, lui 
défendre la prédication le jour de Pâques (1791), parce 
qu'il n'avait pas prêté le serment comme fonctionnaire 
public, et que, par conséquent, il était en révolte contre 
la loi. Cet arrêté lui fut signifié avec des menaces de la part 
de M. Duranthon de le traduire devant les tribunaux en cas 
de désobéissance ^^K 

Excitée par les clubs, une certaine partie du peuple 
mettait en péril les jours de M. l'abbé Langoiran; les 
prêtres constitutionnels, qui le regardaient comme leur 
adversaire le plus redoutable, ne dissimulaient pas leur 
animosité contre lui. On l'avait prévenu des dangers qu'il 

(0 La Bibliothèque de Bordeaux possède la collection complète de tous les 
écrits qui parurent dans notre ville à l'occasion de la constitution civile du 
clergé et du serment. 

(2) Archives de la Gironde, série L. 



Il6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

courait, et on lui avait offert plusieurs retraites où il pourrait 
attendre en sûreté des jours meilleurs. Il se savait surveillé 
et suivi depuis quelque temps par les agents de la munici- 
palité et par les espions du Club national, qui s^informaient 
de toutes ses actions et de ses moindres paroles. 

Redoutant un attentat contre sa personne, il fit un jour 
porter une caisse remplie de papiers et de brochures chez 
un sieur Garrigues, négociant, qu'il croyait son ami. 
Celui-ci, qui n^gnorait pas la position périlleuse de l'abbé, 
craignit de se compromettre et refusa de recevoir la caisse; 
les espions en arrêtèrent le porteur et elle fut déposée au 
greffe du Directoire du district. Après examen, le Directoire 
prit l'arrêté suivant : 

a Attendu qu'il n'existe pas encore de délit prouvé, ladite 
caisse et la lettre signée Langoiran seront envoyées à la 
municipalité, pour que, en présence des sieurs Langoiran et 
Garrigues, elle procède à l'ouverture de ladite caisse et à 
l'inventaire des titres de chaque brochure et fasse de suite 
l'examen de chacun desdits écrits, afin de s'assurer s'ils 
sont de nature à nuire à la tranquillité publique, et dans ce 
cas être par le procureur général syndic, sur le rapport 
de la municipalité au Directoire, dénoncés aux tribunaux, 
et dans le cas contraire, remis au propriétaire f"). j^ 

L'abbé Langoiran et Garrigues ayant été mandés à la 
municipalité, on fit, en leur présence, l'ouverture de la 
caisse, où l'on trouva des brochures religieuses et politiques 
dont la publication remontait à deux ans. Il y avait aussi 
des journaux et une collection des brefs du Pape sur la 
constitution civile du clergé, adressés aux évêquesde France. 

Le Directoire du district vit là un délit grave, et chargea 
M. Duranthon, son procureur -syndic, de dénoncer à 
l'accusateur public l'abbé Langoiran comme coupable 

(0 Cet arrêté, à la date du 19 avril 1791, est signé : Monnerie, président, 
et Duranthon. (Archives de la Gironde.) 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. î I 7 

€ d'avoir publié des ouvrages provoquant à la désobéissance 
aux lois, à Tavilissement des pouvoirs constitués, à la 
résistance à leurs actes, à la subversion, par la force des 
armes, de Tordre public établi par les lois, et comme 
tendant à troubler FÉtat par une guerre civile religieuse ('). » 

L'abbé Langoiran se cacha. 

Nous aurons bientôt à reparler de lui. 

M«^ Champion de Cicé était toujours, aux yeux des 
catholiques romains, le légitime archevêque de Bordeaux; 
il fit imprimer et publier vers la fin de 1 79 1 , pour Tannée 
1792, VOrdo de son diocèse, sous ce titre : Ordo divini 
officii recttandi, etc., ad usum diocesi Biirdigalensis . 

La brochure porte qu'elle a été imprimée par ordre de 
M*"^ Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, primat 
d'Aquitaine, etc. Cette publication émut profondément 
M. Pacareau, qui dépêcha au Directoire du district une 
députation au sujet de cet Ordo, dont un exemplaire fut 
déposé sur le bureau. Les députés exposèrent que « le sieur 
Champion de Cicé s'était permis de se donner un titre qu'il 
n'avait plus et de prendre des qualifications illégales; qu'il 
n'avait plus d'autorité spirituelle dans le département de la 
Gironde, et que ces expressions diocèse et archevêque 
n'étaient pas reconnues par la loi. Ils demandèrent, en 
conséquence, que le Directoire prît des mesures à cet égard.» 

L'assemblée délibéra longuement sur cette proposition et 
nomma deux commissaires pour faire un rapport. On ne 
trouve pas les suites de cette affaire sur les registres 
du Directoire; mais VOrdo de M^ Champion de Cicé n'en 
fut pas moins suivi par tous les catholiques du diocèse, au 
grand désespoir de M. Pacareau et de tous les prêtres 
constitutionnels ^^\ 



(1) Archives municipales de Bordeaux et Archives de la Gironde. 

(2) Archives de la Gironde: Registre du Directoire du district de Bordeaux 
(année 1791). 



Il8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

L'agitation religieuse qui régnait à Bordeaux vers cette 
époque inquiétait les administrateurs de la ville, quoique la 
tranquillité publique n'y fût pas encore gravement compro- 
mise ; mais ils redoutaient, à l'occasion des messes de minuit 
qui allaient être bientôt célébrées, des troubles dans les 
églises conventuelles desservies, aux termes des décrets, par 
les prêtres insermentés. Les constitutionnels, de leur côté, 
craignant avec raison de voir leurs temples déserts, 
voulurent empêcher les réunions des catholiques romains 
et firent agir auprès de M. Duranthon', procureur-syndic 
du district; celui-ci, ennemi déclaré des non-conformistes, 
présenta au Directoire un volumineux réquisitoire rempli 
de déclamations contre eux : c Rappelez-vous, citoyens, 
disait-il, cette longue lutte avec Tautorité publique enfin 
renaissante et l'autorité expirante du clergé ; cette longue et 
convulsive agonie de deux ordres (la noblesse et le clergé) 
qui, après s'être longtemps attaqués et combattus, succom- 
bent sous le poids des anathèmes d'une grande nation, et 
réunis, enlacés dans une chute commune, forts l'un par 
l'autre, couverts l'un par l'autre, ont failli entraîner dans 
leur ruine la ruine de l'empire; lutte heureuse cependant 
aux yeux de l'homme sage, aux yeux de l'homme véritable- 
ment religieux et chrétien, car nos prêtres, par leur 
incivisme, ont plus fait dans six mois, pour la destruction 
des préjugés, pour la liberté et peut-être pour ViTidifférence 
des cultes, que n'en auraient pu faire les philosophes des 
diverses nations dans deux siècles de recherches, de 
combinaisons et de combats. Ils n'ont pas voulu voir ce 
que nous leur avions annoncé à l'origine de ces déplorables 
disputes, que le refus du serment civique forcerait la nation 
à prendre des mesures dignes d'elle et capables de la 
garantir également et du reproche de persécution et des 
dangers d'une trahison persévérante de la part de ses fonc- 
tionnaires publics. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. II 9 

> Rappelez-vous Tévasion du roi, et son arrestation, et 
sa situation; ce qu^il fallut dans tous les points de la France 
de prudence et de sagesse pour prévenir une nouvelle 
désorganisation, pour empêcher que le parti vaincu ne fût 
victime de sa folle joie, de ses sanguinaires espérances, 
de ses subversives entreprises; que le parti vainqueur ne se 
déshonorât par des vengeances qu'il pouvait bien croire 
nécessaires et des sacrifices que le danger aurait pu excuser, 
mais que la nécessité même aurait à peine expiés, etc. ^^K » 

Nous ne continuerons pas les extraits de ce discours 
virulent, où M. Duranthon parle de l'arrestation et de 
la détention du roi, du retour de Varennes, comme en 
parlaient à cette époque les journaux démagogiques et 
les clubs; il y tient le langage d'un ennemi du clergé et de 
la royauté, dont il devait être plus tard le ministre. 

Le discours de M. Duranthon eut un grand retentisse- 
ment à Bordeaux; il vint en aide au projet de M. Pacareau 
et du clergé constitutionnel. 

On avait imprimé et publié une lettre sous ce titre : 
Prière pour un temps de calamité publique. Cette lettre, 
écrite par un vénérable prêtre, servit merveilleusement les 
constitutionnels. Le 23 décembre 1 791, une dizaine d'entre 
eux se présentèrent au Directoire du département, et armés 
de cette pièce, ils prétendirent que la publicité qui lui avait 
été donnée et la gravité des circonstances ajoutaient aux 
craintes conçues sur le maintien de la tranquillité publique, 
qui serait infailliblement troublée si Ton permettait Vouver- 
ture de toutes les églises sans exception, et ils prièrent 
les administrateurs de prendre ces craintes en très sérieuse 
considération. 

Le Directoire, après en avoir délibéré, édicta le même 
jour, sur le réquisitoire du procureur général syndic, un 

(0 Archives delà Gironde, série L, liasse 178. 



120 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

arrêté ainsi conçu : « Considérant que dans les moments 
où il est si important de conserver Theureuse tranquillité 
dont jouit cette ville, Tadministration doit redoubler 
à^ attention pour prévenir tout ce qui pourrait la troubler; 
que la célébration de la messe de minuit, pendant la nuit 
de Noël, et le nombre considérable des personnes que 
rassemble dans l'obscurité cet acte de religion, exige toute 
la surveillance de la patrie, et que cette surveillance ne 
pourrait facilement se porter dans tous les lieux où elle 
serait nécessaire, si les églises succursales conventuelles et 
autres que les églises paroissiales étaient ouvertes ; 

» Arrête que les seules églises paroissiales pourront 
être ouvertes pendant la nuit de Noël; que les officiers 
municipaux veilleront à l'exécution du présent arrêté... (i). » 

Le triomphe du clergé schismatique fut complet, et les 
églises louées au culte furent fermées pour les fêtes de la 
Noël. Les églises constitutionnelles n'en furent pas moins 
désertes pendant les messes de minuit, et la très grande 
majorité des habitants de Bordeaux se trouva ainsi privée 
d'entendre ses pasteurs légitimes. 

C'est sous ces auspices affligeants pour le clergé fidèle 
que se terminait l'année 1 79 1 . 

L'Assemblée législative, qui s'était réunie le i^ octobre 
1791, s'occupa beaucoup, pendant sa courte session, des 
matières ecclésiastiques et du clergé réfiractaire, contre 
lequel elle décréta des mesures rigoureuses. Les événe- 
ments politiques se succédaient rapidement; la monarchie 
était battue en brèche, et la royauté expirante ne pouvait 
protéger les malheureux prêtres catholiques romains contre 
les attaques incessantes de leurs adversaires excités par les 
constitutionnels. Aussi l'année 1792 vit-elle la continuation 
des persécutions. 

(^) Archives de la Gironde, anné 1791. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. 121 



Les attroupements étaient fréquents dans la ville, les 
esprits étaient surexcités par les clubs et sociétés populaires 
et Tautorité veillait sans succès (car elle était impuissante 
et débordée) au maintien de la sécurité publique. 

Il y avait, aux cloîtres des Jacobins de Bordeaux, une 
chapelle destinée aux exercices de piété des Frères de la 
Congrégation du Rosaire, qui l'avaient décorée à leurs 
frais. Les congréganistes firent enlever de cette chapelle le 
mobilier qui leur appartenait et en opérèrent la vente; 
entre autres objets, ils vendirent à un ecclésiastique de la 
ville une statue de la Vierge en bois doré. Celui-ci la fit 
enlever par un portefaix ; mais le pauvre homme, chargé 
de la statue, frit arrêté par deux gardes nationaux et 
conduit devant un juge de paix. Le magistrat, après Tavoir 
interrogé, le mit en liberté, et ordonna le dépôt de la 
statue dans les bureaux de la municipalité. Le bruit répandu 
qu'un prêtre insermenté avait fait enlever un objet mobilier 
au préjudice de la nation, amena un rassemblement con- 
sidérable, et le domicile de l'ecclésiastique fut envahi par la 
foule, qui ne voulut entendre aucune explication et visita 
tous les appartements pour trouver la statue. L'affaire se 
termina par l'arrivée de quelques municipaux, qui déclarè- 
rent que l'objet enlevé était la propriété légitime de 
l'ecclésiastique; l'attroupement se dissipa, et la statue de 
la Vierge fut enfin remise entre les mains de son proprié- 
taire. Les congréganistes publièrent la narration de ce qui 
s'était passé, et réfutèrent avec indignation un article du 
Journal de Bordeaux, qui avait raconté les faits en les 
dénaturant, suivant sa coutume : « Et vous, sieur Maran- 
don, dit la brochure, qui avez saisi cette circonstance avec 
tant d'avidité pour orner d'un supplément le n^ 1 8 de votre 
Courrier de la Gironde; vous qui, dans ce supplément, 
avez dénaturé tous les faits de cette affaire, quoique vous 
en fussiez instruit; vous qui, par la manière irrévérentielle 



122 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

avec laquelle vous avez parlé de votre Dieu et de la Vierge, 
en distinguant cette irrévérence en lettres italiques, avez 
fait prendre le change sur les sentiments de piété que 
nous avions cru jusqu'ici reconnaître en vous; qui vous êtes 
attaché à persifler et à livrer au ridicule un prêtre respec- 
table qui avait acheté la statue; qui avez affecté de charger 
de tout votre mépris le ci-devant Frère de F École chrétienne 
lorsque les uns et les autres, par la pureté de leurs mœurs, 
méritent tout au moins Thonneur de votre considération; 
lorsque celui que vous qualifiez de bête et d'ignorantissime, 
sans avoir besoin d'aller à votre école, en saura toujours 
assez pour ne jamais s'écarter des sentiers de la vertu, nous 
vous prions d'avoir plus de charité pour vos concitoyens, 
d'être à l'avenir plus réservé, plus circonspect, lorsque vous 
parlerez des choses qui touchent de si près notre sainte 
religion qui est la vôtre, et nous ne cesserons de faire des 
vœux pour que Dieu vous en inspire le goût et l'idée ('). » 

Les catholiques romains de Bordeaux avaient demandé 
au nom de la loi, aux administrateurs de la ville, la 
concession à titre de location des trois églises conventuelles 
de la Merci, des Minimes et de Saint-Maixant, et le 
Directoire, par son arrêté du 24 février 1791, leur avait 
loué ces trois églises, en rappelant les citoyens au respect 
dû à la liberté religieuse. La municipalité avait exprimé 
par un avis imprimé et affiché sa résolution inébranlable 
de mourir plutôt que de souffrir qu'il fut porté la moindre 
atteinte à la liberté des cultes. Les citoyens locataires de 
ces églises en avaient pris possession et y faisaient célébrer 
paisiblement leur culte, sous la surveillance de l'autorité 
municipale, sans que l'on pût leur adresser le moindre 
reproche; irnais les énergumènes du Club national ne purent 
souffrir un culte rival. Ils envoyèrent dans les églises des 

(0 Cet écrit est signé : Magonty, Gilbain, etc. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. 12$ 

bandes d^émeutiers, qui y firent entendre des cris séditieux 
et outrageants pour les célébrants, et en chassèrent par la 
frayeur les fidèles assemblés. 

Impuissante à mettre un fi-ein à ces violences, la munici- 
palité se contenta de rédiger des procès- verbaux qui ne 
furent pas poursuivis. 

Mais le Club national ne s'en tint pas aux actes d'intimi- 
dation que nous venons d'indiquer; il présenta au Directoire 
du département une pétition pour demander la clôture des 
églises concédées; il en exposait les raisons en ces termes : 
a II n'y a pas deux églises catholiques. Nous avons des 
temples, disaient-ils, les mêmes dogmes, les mêmes 
cérémonies, le même culte; il n'y a qu'une obstination 
sans motifs raisonnables qui puisse faire demander des 
églises différentes de celles du culte constitutionnel, » et on 
déclarait au Directoire que les patriotes n'y consentiraient 
pas. Les opinions religieuses : mais leur manifestation ne 
devait pas nuire à l'ordre public. Les commissaires des 
églises y appelaient le tumulte ; ils criaient à la persécution 
et attaquaient les prêtres du peuple et de la liberté. Leurs 
prêtres étaient des conspirateurs, des fanatiques, et 
Bordeaux en était le réceptacle. Ces prêtres parlaient au 
nom d'évêques chassés par la Constitution ; ils composaient 
et distribuaient des ouvrages contraires à la constitution 
du clergé. 

€ Ce sont, ajoutait la pétition du Club, les sentinelles des 
tyrans, les dépositaires de leurs complots; ils ont des tables 
de proscription et sont prêts à faire couler le sang des 
hommes au nom du Ciel ; leur nombre à Bordeaux s'élevait 
à 2,000 pour trois ou quatre oratoires, etc. * 

Cette pétition ne contenait que des dénonciations dénuées 
de preuves; elle n'en fut pas moins accueillie par le 
Directoire. Il prit, à la date du 27 janvier 1792, un arrêté 
ordonnant la clôture provisoire des trois églises louées aux 



124 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

catholiques. Ceux-ci présentèrent une pétition pour démon- 
trer l'injustice et Tillégalité de l'arrêté ^'\ mais leurs efforts 
furent vains. Le Directoire, après avoir pris Tavis des 
administrations secondaires, déclara que les circonstances 
qui avaient motivé la clôture provisoire des églises de la 
Merci, des Minimes et de Saint-Maixant étaient toujours 
les mêmes, et qu'il y avait lieu à maintenir l'arrêté du 
27 janvier. 

Le Club national, hâtons-nous de le dire, ne se trompait 
pas d'ailleurs sur le nombre des prêtres réfractaires présents 
à Bordeaux. Chassés de toutes parts et espérant trouver un 
asile dans cette ville, ils s'y étaient réfugiés en foule; déguisés 
les uns en marchands ambulants, les autres en ouvriers 
chargés de leurs outils, ils erraient, fuyant les persécutions; 
quelques-uns même avaient revêtu des costumes de gardes 
nationaux. Les fidèles les recueillaient et leur prodiguaient 
tous les secours en leur pouvoir. On assure que, dans les 
premiers mois de 1792, leur nombre pouvait s'élever à 
2,000 environ (*); 

* 

Nous raconterons tout à l'heure les dénonciations dont 
ils furent l'objet. 

Quelques jours après la pétition du Club national au 
Directoire du département, une profanation sacrilège (on 
doit donner cette qualification au fait suivant) eut lieu dans 
le cimetière de Sainte- Eulalie. Une dame pieuse, attachée 
au clergé insermenté, et qui n'avait jamais voulu reconnaître 
le curé constitutionnel de cette paroisse, mourut, et son 
corps fut présenté à l'église et ensuite au cimetière. On 
connaissait l'antipathie de la décédée et celle de sa famille 
pour le culte constitutionnel, et l'on savait que quelques 

(i) Observations présentées aux corps administratifs par les citoyens 
pétitionnaires des églises de la Merci, des Minimes et de Saint-Maixant, sur 
une pétition du 27 février 1792, remise au Département. — Bordeaux, 
le 19 mars 1792, 16 pages. 

(3) Lettre de Ch. Géraud, du 28 fé\Tier 1792. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLEROÉ. 125 

jours avant sa mort, cette dame avait demandé à être 
inhumée dans Tun des couvents de religieuses de Bordeaux, 
ce qui n^avait pu avoir lieu. 

Tout à coup le bruit circula dans la paroisse que le 
cercueil présenté à Téglise ne contenait qu^une bûche et que 
le corps de la défunte avait été transporté ailleurs. Soixante 
à quatre-vingts femmes de la classe du peuple se réunirent 
et pénétrèrent dans le cimetière, où le curé disait les 
dernières prières. Elles lui affirmèrent qu^il avait été induit 
en erreur et qu'il n'avait enterré qu'une bûche; elles 
rinvitèrent à rentrer dans l'église en lui déclarant que leur 
intention était de faire l'ouverture du cercueil avant qu'il fût 
descendu dans la fosse. Le prêtre, loin de résister à cet acte 
d'inqualifiable violence, leur répondit : c Faites ce que vous 
voudrez, » et se retira. Ces forcenées brisèrent le cercueil, 
écartèrent le suaire et reconnurent le corps de la morte. 
Elles se retirèrent alors... 

L'indignation publique força le procureur de la commune 
à dénoncer cette odieuse profanation, et le tribunal du 
district condamna à la prison quatre de ces malheureuses 
signalées comme ayant brisé le cercueil. 

Mais revenons aux deux mille prêtres qui s'étaient 
réfugiés à Bordeaux. Le clergé constitutionnel et ses 
adhérents connaissaient leur présence dans la ville; ils 
n'hésitèrent pas à porter une plainte au Club national, 
qui, fort de son audace et de ses succès antérieurs, ne tarda 
pas à faire présenter au Directoire du district, par une 
députation, une pétition signée par i,5oo personnes 
environ, pour obtenir l'expulsion de ces ecclésiastiques 
et leur renvoi devant leurs municipalités respectives. 

Cette pétition, conçue en termes violents, menaçants 
même, expose qu'il existe à Bordeaux deux mille prêtres 
au moins, tous insermentés, évidemment ennemis de la loi 
et perturbateurs de l'ordre public, et qu'une réunion aussi 



lîf) HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



nombreuse de prêtres concourant tous au même but, ayant 
h même esprit, les mêmes passions, ne peut être que très 
suspecte et très dangereuse dans une grande ville. 

« Considérez principalement, Messieurs, disent les clù- 
bistes en terminant, que le peuple, menacé de toutes 
parts, frémit et s'indigne de receler dans son sein un ramas 
d'étrangers qui entretiennent des intelligences secrètes avec 
ses ennemis, et concertent les moyens de l'asservir. 
Repoussez loin de lui tous ces hommes dangereux; 
ordonnez un recensement et renvoyez tous les prêtres 
insermentés dans leurs municipalités respectives. 

» Administrateurs, vous venez d'entendre la voix du 
peuple; en ce moment peut-être il s'irrite sous le frein 
de la loi, mais ne croyez jamais qu'il le brise; nous 
respecterons toujours la loi, parce que nous chérissons 
toujours notre bonheur, notre gloire, et que des hommes 
libres savent mourir plutôt que de fausser leurs serments. 
Administrateurs, le peuple ne cessera aussi de vous aimer 
et de vous respecter, parce que vous êtes les organes de 
la loi, parce que vous avez toujours, dans la balance de la 
justice et de vos devoirs, les intérêts, les vœux et le salut 
du peuple. 3J 

Cette phraséologie révolutionnaire ne suffit pas aux 
patriotes du Club : pour appuyer leur pétition et prouver 
qu'elle était bien l'expression de l'opinion générale, ils 
eurent recours à un moyen assez étrange. 

Les meneurs du Club chargèrent un nommé Galard, 
président d'un autre club (les Surveillants de la Coristitu- 
tion) d'enrégimenter les femmes patriotes des Amies de la 
Constitution, de les exercer aux mouvements militaires et 
de leur faire demander dans leurs exercices l'expulsion des 
prêtres réfractaires. Galard agit et fit agir en conséquence; 
la proposition de ftiire l'exercice parut admirable aux 
femmes patriotes. Elles se munirent de piques, d'autres 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. I27 



armes, et quelques-unes même de fusils, et pour témoigner 
à Galard leur reconnaissance de son heureuse idée, elles 
lui firent écrire pour l'en remercier, par une fille Lée, 
clubiste exaltée, une lettre dont nous reproduisons quelques 
passages : a: Vous êtes prié. Monsieur le Président, de 
délibérer sur ce fait important (0 . On désire que la mesure 
de la pique soit, pour la hauteur, comme celle que M. Mou- 
linié a présentée; quant au fer, cela devient égal pourvu 
qu'il perce bien... N'oubliez pas surtout. Messieurs, de nous 
défaire de cette vennine empoisonnée... Redoublez vos 
efforts pour que ces serpents de prêtres réfractaires, 
habillés de toutes les couleurs et sous toutes les métamor- 
phoses que leur lâcheté leur suggère, sortent du sein de 
notre département et de la ville de Bordeaux. Le salut de 
la patrie dépend des actes rigoureux qu'on doit prendre 
à leur égard. Q)mptez toujours sur le courage et la force 
des bons citoyens et citoyennes. Jaloux de vous imiter, et 
qui marchent de front avec vous pour cueillir les lauriers 
de la liberté... Je voudrais, dit la fille Lée, que tous les 
départements fissent la dépense d'embarquer tous les 
prêtres pour les aller vendre au roi de Maroc. Ce roi achète 
toutes les... (*) de l'Europe; on pourrait lui vendre de 
meilleure marchandise ^^^ . » 

Cette lettre peint parfaitement la démoralisation des 
classes inférieures de la ville de Bordeaux; les Bordelais, 
stupéfaits, virent les Amies de la Constitution parader sur 
les places publiques, armées de piques qu'elles agitaient en 
criant : A bas les réfractaires! 

Le fait suivant est une preuve de plus de l'influence 
détestable des doctrines propagées par les sociétés populaires 
et de l'anarchie qui régnait dans la population bordelaise. 



(i) Il s'agissait de l'armement complet des citoyennes. 

(2) Nous supprimons le mot énergique tracé par la citoyenne Lée. 

(3) Archives de la Gironde, série L. 



128 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Un bataillon de gardes nationaux de Libourne, caserne 
au Château-Trompette, dressa, de son autorité privée, une 
liste de dix-sept prêtres non - conformistes que Ton savait 
être cachés à Bordeaux, et forma le projet de les arrêter. 
Des soldats, sortis du fort à quatre heures du matin, 
s'embusquèrent aux coins des rues et arrêtèrent six ecclé- 
siastiques, qu'ils conduisirent à l'Hôtel de Ville au milieu 
d'un attroupement composé de la populace de cette grande 
cité et de femmes, parmi lesquelles on remarquait, armées 
de leurs piques, les Amies de la Constitution, se signalant 
par leurs vociférations. Ces pauvres prêtres furent amenés au 
Palais de Justice, devant un juge de paix qui, après avoir 
fait subir à chacun d'eux un interrogatoire, les fit mettre en 
liberté; mais seulement après le départ des gardes nationaux. 

Ceux-ci d'ailleurs ne se contentèrent pas de cette capture ; 
ils forcèrent les maisons de plusieurs habitants honorables 
pour y découvrir des prêtres réfractaires, en fouillèrent 
tous les appartements, s'emparèrent de plusieurs lettres 
dont ils firent publiquement la lecture à la multitude 
ameutée ; puis ils finirent par se retirer. Ces excès causèrent 
la plus vive indignation à Bordeaux, mais l'autorité 
impuissante ne chercha même pas à les réprimer ('). 

Elle avait d'ailleurs une tendance marquée pour le clergé 
constitutionnel. 

Nous allons en donner une preuve. Le 25 mars 1792, un 
grand nombre d'honorables citoyens s'adressaient au 
Directoire du département pour demander la réouverture 
des églises louées au clergé fidèle (*). Le Directoire renvoya 
la pétition au district, qui, lui-même, crut devoir consulter 
la municipalité. Les avis furent unanimes, et le 29 du même 
mois, le Directoire, « considérant que les circonstances qui 
avaient déterminé la clôture des églises louées provisoi- 

(0 Archives municipales de Bordeaux. Histoire de M. O'Reiily, 2« partie. 
(3) Appendice, note XII. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE. I29 



renient par les pétitionnaires n'ont point changé; que 
d'ailleurs la loi permet à tous prêtres, assermentés ou non, 
de dire la messe dans les églises consacrées au culte salarié 
par la nation, ce qui laisse aux pétitionnaires la faculté de 
suivre leurs scrupules sans faire scission, :i> fut d'avis qu'iY 
ny avait lieu de statuer. 

Mais un événement plus grave allait atteindre l'Église. 

Le 6 avril 1792, M. Torné, évêque constitutionnel de 
Bourges, député à la Législative, parut à la tribune et 
demanda la suppression de toutes les congrégations 
religieuses et séculières d'instituteurs, de missionnaires, de 
sœurs hospitalières et autres associations semblables. 
L'Assemblée s'empressa d'adopter cette proposition, qui 
fut convertie en motion. M. Lecoz, évêque d'IUe-et- Vilaine, 
prit en vain la défense des congrégations religieuses : 

« La Constitution, dit-il, est pour ainsi dire sanctionnée 
de ruines; voulez- vous détruire encore ? L'esprit de conquête 
et l'esprit d'innovation sont le germe de la destruction des 
empires. Des législateurs amis de l'humanité examinent, avant 
de renverser un établissement public, quels sont les motifs 
de le détruire; enfin, ils examinent si l'on peut mettre à sa 
place quelque chose de meilleur... Les congrégations 
pacifiques, celles qui sont vouées à l'instruction de la 
jeunesse, sont-elles contraires à la Constitution? Je crois 
que les congrégations qui exercent en ce moment les 
fonctions de l'instruction publique, ne sauraient être 
supprimées sans qu'il en résultât un grand préjudice pour la 
société. Je distingue donc, parmi les congrégations qui 
doivent être conservées, les Doctrinaires, qui sont de la plus 
grande utilité pour la classe la moins aisée. Dans beaucoup 
de cantons et même dans les villes, ce sont ces sociétés qui 
donnent aux enfants les notions préliminaires. En les 
supprimant, vous ôtez à 6o,boo enfants les moyens 
d'apprendre à lire et à écrire, etc. -» 

T. I. 9 



l3o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

M. Lecoz défendit avec courage les ordres religieux, 
mais M. Torné insista et soutint qu^une saine politique 
demandait Tabolition, non seulement des congrégations, 
mais encore de toutes les communautés religieuses, et 
comme il était aussi ennuyé de son habit que dégoûté 
de sa profession, il demanda que le décret à intervenir 
abolît le costume religieux, ainsi que le port de tout signe 
de la religion. L'Assemblée vota avec enthousiasme le 
décret suivant : c Les congrégations connues en France 
sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques, 
celles de VOratoire de Jésus, de la Doctrine chrétienne, 
de la Mission de France ou de Saint-La^are, des 
Eudistes de Saint- Jacques , de Saint-Sulpice , de Saint 
Nicolas du Chardonneret, du Saint-Esprit, des Missions 
étrangères, des Missions du clergé, des Mulotins, des 
Missionnaires de Saint^Laurent, du Saint'Sacrement; 
les sociétés de Sorbonne et de Navarre, les congrégations 
laïques, telles que celles des Frères de la Doctrine 
chrétienne , des Hermites du Mont - Valentin , des 
Hermites de Saint- Jean-Baptiste, de tous les autres Frères 
hermites, des Frères tailleurs, des Frères cordonniers; 
les congrégations de filles, telles que celles de la Sagesse, 
des Écoles chrétiennes, des Vatelotes, de Sainte-Agnès, 
de V Union chrétienne, de la Providence, et généra- 
lement toutes les congrégations séculières d'hommes et 
de femmes, ecclésiastiques ou laïques, même celles vouées 
uniquement au service des hôpitaux et au soulagement des 
malades, sous quelque dénomination qu'elles existent en 
France, soit qu'elles ne comprennent qu'une maison, soit 
qu'elles en comprennent plusieurs, sont éteintes et sup* 
primées à compter du jour de la publication du présent 
décret. » 

M. Torné insista pour l'autre décret sur l'abolition du 
costume ecclésiastique et du port de tout signe religieux; sa 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. l3l 

motion ne fut pas même discutée, et TAssemblée législative 
rendit un décret conforme. 

Plusieurs évêques constitutionnels, membres de TAssem- 
blée, s'empressèrent de faire acte de patriotisme en 
approuvant ce décret. M. Gay Vernon, évêque de la 
Haute- Vienne, déposa sur l'autel de la patrie sa croix 
d'or, dont le prix servirait, dit-il, à l'entretien d'un volpn- 
taire, et il ajouta : c Quand je serai dans mes fonctions, je 
porterai une croix d'ébène. jp M. Fauchet, évêque du 
Calvados, qui sans doute n'avait pas de croix, se hâta 
de mettre sa calotte violette dans sa poche. M. Grégoire, 
évêque de Blois, prêcha sur l'abolition des ordres religieux, 
qu'il approuva, ainsi que le décret sur le costume ecclésias- 
tique : € Jésus-Christ, disait-il, ne portait pas de costume 
particulier; ses disciples devront s'en abstenir. » 

Ces deux décrets de la Législative comblèrent de joie les 
ennemis du christianisme ; ils publièrent des pamphlets, des 
caricatures, des chansons qui plaisantaient grossièrement, 
comme on peut le croire, sur l'expulsion des religieux des 
deux sexes des monastères où ils avaient passé leur vie, 
et, mêlant la raillerie à la cruauté, ils disaient à ces 
malheureux, la plupart sans asile : c II vaut mieux être 
citoyen qu'abbé. :» 

Ces écrits les travestissaient en gardes nationaux chargés 
d'apprendre l'exercice; les gravures leur prêtaient les posi- 
tions les plus grotesques ; on leur faisait dire aux officiers : 
c Apec la patience, nous en viendrons à bout; avec le 
temps nous marcherons comme les autres, et la Nation 
nous fera devenir bons citoyens, i^ 

D'autres libelles s'adressant, là à un évêque, lui disaient : 
« Aprhs une si longue et si grande indigestion, les 
médecins de la Nation vous mettent à la diète; > ici 
à des prêtres : « Hum! si nous F avions prévu! > à 
d'autres enfin : c: On nous a réduits quà ne prier Dieu, p 



t32 histoire de la terreur a bordeaux. 



On vendait une gravure représentant un obélisque 
tumulaire, entouré d'ornements d'église et de vases sacrés, 
avec cette épigraphe : 

ICI REPOSE CE GRAND CORPS 
QUI MANGEAIT LES VIVANTS ET LES MORTS. 

L'abolition du costume ecclésiastique et de tout signe 
religieux nuisit beaucoup au respect dû au clergé. Les 
prêtres montaient la garde comme les autres citoyens ; les 
railleries et les quolibets s'adressaient surtout aux prêtres 
constitutionnels, tous empressés de prouver leur patriotisme 
par leur exactitude au corps de garde. Les journaux ne 
tarissaient pas sur le compte de ces ecclésiastiques, et si 
l'on veut connaître la considération qui s'attachait aux 
schismatiques , l'article suivant d'un journal du temps 
pourra en donner une idée. Nous le reproduisons malgré 
son inconvenance. 

Il est intitulé : Le bon Dieu dans une giberne. 

a Je rencontrai hier un de mes amis, prêtre de son métier. 
Il était en uniforme de garde national, et voici mot pour 
mot notre conversation : — Tu montes la garde aujourd'hui, 
dit-il, mais tu ne sais pas ce que j'ai là dedans (en montrant 
sa giberne) . — Ce sont apparemment des cartouches ? — 
C'est quelque chose de mieux que cela. — Je ne connais 
rien au-dessus des cartouches dans le temps présent. — Ce 
que j'ai là est de tous les temps. — Est-ce quelque chose 
qui tue ? — Au contraire, c'est quelque chose qui donne la 
vie, c'est le principe de toutes choses. — Le principe de 
toutes choses dans ta giberne, c'est un peu fort I — C'est 
ma vérité de prêtre. — En ce cas, explique-toi catégorique- 
ment, car je ne sais pas deviner les énigmes; voyons, quel 
mystère renferme ta giberne ? — Mon ami, c'est en effet un 
grand mystère : c'est le bon Dieu ! — Le bon Dieu ! — Oui 
le bon Dieu. J'étais au corps de garde; on est venu me 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. l33 



requérir pour le porter à un de mes fidèles qui se dispose à 
faire un grand voyage, et pour me conformer à l'arrêté 
très sage d^ la Commune, je remplis mes fonctions de 
prêtre en habit de citoyen, attendu que, pour cette mission 
particulière, il faut que je sorte du temple. J'avoue d'ailleurs 
qu'il est plus commode et plus décent d'être vêtu en 
citoyen-soldat que d'être en masque funèbre, et d'aller 
épouvanter un mourant et faire agenouiller les petits enfants 
et les bonnes femmes dans les rues. — Ton langage se 
ressent bien de ton habit; je te pardonne d'être prêtre, 
et s'il le faut absolument, puissent-ils tous te ressembler ! 
Adieu (*^. » 

Ce fait, vrai ou faux, prouve quel chemin avait fait 
l'irréligion depuis la constitution civile du clergé. Les prêtres 
assermentés accolaient ensemble l'Évangile et la Constitution 
et n'étaient plus que des officiers de morale, ainsi que les 
appelait Mirabeau, (s. Ils transformèrent la chaire en tribune, 
le serment en acte patriotique et la charité en philanthropie. 
Ces prêtres entretenaient des correspondances politiques 
avec les hauts fonctionnaires, ou avec ceux qui étaient bien 
avec le peuple. Ils firent au catholicisme ce que les Girondins 
firent à la Monarchie, et ils creusèrent l'abîme qui les 
engloutit (*). i^ 

Revenons aux décrets de la Législative provoqués par 
M. Torné; leur conséquence immédiate fut d'augmenter le 
nombre des malheureux réfugiés dans les grandes villes 
pour y chercher de précaires asiles et une sécurité qui les 
fuyait sans cesse. 

La perturbation, déjà si grande dans le camp catholique, 
s'accrut encore, et le désarroi devint général. 

L'agitation religieuse, d'ailleurs, était entretenue à 
Bordeaux et dans la majeure partie des communes de la 

(i) Journal du Salut public^ année 1792. 

(a) A. Challamel, Histoire-musée de la République» 



l34 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Gironde par les prêtres constitutionnels, que la présence 
des non-conformistes dans leurs paroisses exaspérait. Un 
décret de l'Assemblée constituante autorisait ces derniers 
à célébrer la messe dans l'église d'une paroisse lorsqu'il n'y 
en avait qu'une seule, et ordonnait que les vases sacrés et 
les ornements fussent fournis par le curé constitutionnel. 
Ce décret s'exécutait notamment dans la commune de 
Saint-Martin-de-Labarde, en Médoc, malgré le méconten- 
tement du curé élu; mais ce ne fut pas pour longtemps. 

Le 9 juillet 1792, M. Mathieu, ancien curé de cette église, 
démis par refus de serment, se disposait à y célébrer la 
messe, conformément à la loi, pour les habitants de la 
paroisse de Macau, qui ne reconnaissaient pas leur curé 
constitutionnel, lorsque les paroissiens de Saint-Martin de 
Labarde, excités et poussés par leur prêtre schismatique, 
pénétrèrent en grand nombre dans la sacristie où 
M. Mathieu s'habillait, et le menacèrent de lui rompre 
les bras s'il persistait à dire la messe dans leur église. 
M. Mathieu invoqua les dispositions du décret, mais ce fut 
en vain ; il fut contraint de se retirer pour éviter les violences 
dont il était menacé. Un officier municipal le fit prévenir 
de ne pas rentrer dans son domicile et de ne pas passer 
dans les rues de la commune, parce qu'il pouvait y courir 
des risques pour sa vie. Le pauvre prêtre fut obligé, pour 
rentrer furtivement chez lui, d'attendre la nuit dans la 
maison de l'un de ses anciens paroissiens. 

Ce ne fut pas tout : le lendemain, la garde nationale de 
la commune envahit le domicile de son ancien curé, et le 
somma de prêter le serment. Sur son refus, on le menaça 
de le lui faire prêter par force. Il déclara être prêt à subir 
tous les traitements plutôt que de faire un serment que sa 
conscience repoussait. La municipalité intervint et signifia 
au curé qu'il eût à quitter la commune de Labarde s'il ne 
voulait être assommé. M. Mathieu fut contraint de céder 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. t35 

à la violence et d^abandonner son domicile; il adressa sa 
plainte au Directoire et au tribunal du district, mais on ne 
lui répondit pas, et il ne put obtenir ni aide ni protection 
pour être réintégré dans sa maison. 

Nous pourrions rapporter d'autres faits de cette nature 
et multiplier le récit des aaes de persécution dont le clergé 
fidèle fut alors la victime. Bornons-nous à citer Tun de 
ceux qui ont laissé la trace la plus douloureuse dans les 
annales de Thistoire religieuse de Bordeaux. 

Nous avons raconté les tribulations dont M. Tabbé 
Langoiran avait failli devenir la victime ; cette persécution 
et rirritation populaire fomentée par les dubs donnèrent 
des inquiétudes à ce digne ecclésiastique, ainsi qu'à deux 
vénérables prêtres comme lui insermentés. Le 14 juillet 1792 
approchait et Ton se préparait à célébrer Tanniversaire de 
la prise de la Bastille par la plantation d'un arbre de la 
liberté à Bordeaux. 

L'abbé Langoiran, qui avait déjà établi son domicile 
chez un ami, dut bientôt songer à le quitter pour échapper 
aux périls qui le menaçaient. Il accepta une retraite à 
Caudéran, dans une petite maison de campagne apparte* 
nant à un zélé catholique, M. Lajarthe : il y trouva deux 
prêtres, M. Dupuy, bénéficier de Saint-Michel, et M. Pan- 
netié, grand-carme, qui s'y étaient réfiigiés depuis quelque 
temps. Ils y célébraient la messe dans le plus grand secret, 
mais les espions attachés à leurs pas parvinrent à les 
découvrir dans cette retraite, et le i3 juillet, la garde 
nationale de Caudéran envahit la maison de M. Lajarthe 
et y arrêta ses trois hôtes, qui furent conduits à Bordeaux 
et présentés à un juge de paix. Ce magistrat entendit les 
témoins, interrogea les trois prisonniers, et les faits ne lui 
paraissant constituer ni crime ni délit, il ordonna leur 
mise en liberté. 

Les gardes nationaux, auxquels s'étaient joints des hom- 



l36 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



mes armés, méconnurent Tordre du juge et amenèrent leurs 
prisonniers au Directoire du district. Arrivés sur la place 
Dauphine, ils furent entourés d'hommes sinistres en hail- 
lons et de femmes de mauvaise vie, qui proférèrent des cris 
de mort contre les trois prêtres. La bande portait au bout 
d'un bâton une affiche sur laquelle on lisait cette inscription 
homicide tracée en caractères rouges : On recommande 
Langoiran aux bons patriotes. 

Le Club national était-il étranger à cette mise en scène ? 
On pourrait penser qu'il l'avait préparée... 

Afin de laisser au récit qui va suivre sa physionomie la 
plus exacte et- la plus vraie, nous allons reproduire la 
relation qu'en a donnée le P. Pannetié lui-même. 

a Après quatre heures du matin, raconte-t-il, un grand 
nombre de gens arnnés investirent la maison, fi-appèrent 
rudement à la porte, avec menaces de l'enfoncer si l'on refti- 
sait de l'ouvrir. On ne put s'empêcher de les introduire. On 
nous menaça d'abord de nous couper la tête si l'on trouvait 
des armes à feu ; ils firent la visite et n'en trouvèrent pas. 
Ils nous obligèrent alors de les suivre et nous amenèrent 
devant la municipalité du lieu ; le maire et les officiers ne 
virent aucun motif suffisant d'arrestation; nous étions 
sur le point d'être mis en liberté, quand on accusa M. Lan- 
goiran d'avoir voulu corrompre un des soldats en lui 
donnant un écu de 6 livres. 

» Cette imputation fausse, dénuée de preuves, suffit pour 
déterminer la cohorte armée à nous conduire tous les trois, 
MM. Langoiran, Dupuy et moi, chez le juge de paix. 
Celui-ci fit lire le procès-verbal et déclara qu'il n'y avait 
aucune raison de nous arrêter; mais le capitaine, sans 
vouloir écouter le juge, se jeta sur M. Langoiran, le saisit 
au collet, et nous fûmes traînés par la même escorte à la 
prison de Caudéran. Elle est obscure et malsaine; nous 
n'y trouvâmes même aucun siège; nous demandâmes pour 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. lij 



M. Langoiran une chaise qui nous fut refusée. Nous 
n'étions éclairés que par un trou d'un pied carré, par où nous 
entendions les plus horribles imprécations. Durant l'espace 
de douze heures que nous séjournâmes dans cette prison, 
nous ne fûmes occupés que de la prière et d'entretiens de 
piété relatifs à notre situation; nous nous abandonnâmes aux 
décrets de la Providence; nous acceptâmes les souffrances 
qu'elle nous destinait, et nous aimions à nous rappeler 
ce beau passage des Actes des Apôtres : <c Ils sortaient 

> du conseil, se réjouissant d'avoir été trouvés dignes de 
D souffrir des outrages pour le nom de Jésus-Christ. a> 
M. Langoiran répétait souvent ces paroles; il ajouta que 
Dieu lui faisait la grâce d'éprouver les sentiments de 
saint Ignace lorsque, pensant aux tourments qui lui étaient 
préparés, il s'écriait : <c Lorsque je serai exposé aux bêtes 
» de l'amphithéâtre, elles m'épargneront comme d'autres 
:& martyrs ; je les exciterai à me dévorer pour devenir le 

> froment du salut. » Bientôt après, il nous pria d'entendre 
sa confession et la fit avec des sentiments de la componction 
la plus vive ; puis, ayant écrit avec un crayon les sommes 
qu'il avait en dépôt, pour secourir les prêtres réduits à la 
misère, il me remit cette note que je plaçai dans mon 
portefeuille. Vers les sept heures du soir, on nous fit sortir 
de prison pour nous conduire au Département. Dans la 
route, nous essuyâmes mille injures. Arrivés à la cour du 
département (palais épiscopal), on joignit les coups aux 
menaces et aux imprécations. Alors, je ne sais ni pourquoi 
ni par quel mouvement, je m'avançai vers une salle; Dieu 
favorisa cette tentative irréfléchie, personne ne m'arrêta. Je 
trouvai quelqu'un à la porte qui m'accueillit et ferma la 
porte sur moi. Depuis ce moment, je ne vis plus rien de ce 
qui se passait (>). » 

il) Un Martyr bordelais, par l'abbé Pioneau, professeur de rhétorique. 
Bordeaux, i85i. 



l38 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Il, I , 

Ici finit la relation du P. Pannetié ^*). 

La foule, qui s'était considérablement accrue dans le 
trajet de la place Dauphine au Département et qui rem- 
plissait la place, demandait à grands cris la mort de 
Tabbé Langoiran et celle de ses compagnons; elle faisait 
des efforts pour arriver jusqu'à eux; mais la garde nationale 
résista courageusement et parvint à faire entrer les prison- 
niers dans la cour du Département. — La foule irritée 
empêcha de fermer les portes; elle criait : € On veut les 
sauver et les soustraire à la vengeance du peuple. 9 
A mort! à mort! hurlaient mille voix furieuses. Le 
rassemblement pénétra dans la cour, écarta violemment 
les soldats, se saisit des deux victimes et les égorgea sous 
les yeux de la garde impuissante. 

« On vit alors, dit Tabbé Pioneau, une preuve éclatante 
de Tempire qu'exerce la vertu jusque sur les âmes les plus 
dépravées. Ces hommes, qui depuis longtemps se familiari- 
saient avec l'idée du meurtre, qui étaient encore couverts 
du sang de leurs victimes, ces hommes parurent cette fois 
étonnés de leur audace; ils demeurent muets, immobiles, 
et il se fit un grand silence dans l'assemblée. Ceux qui 
entouraient les martyrs purent saisir quelques paroles que 
murmuraient les lèvres mourantes de l'abbé Langoiran : 
c'était une prière pour ses bourreaux ! » 

Ce premier mouvement de stupeur fut bientôt dissipé. 
Les assassins, enhardis par les cris de la foule, décapitèrent 
le cadavre de l'abbé Langoiran, mirent sa tête au bout 
d'une longue perche et la portèrent dans les rues aux cris 
de : Vive la Constitution! Mort aux prêtres! A bas les 
réfractaires ! Cette horrible promenade dura depuis huit 
heures du soir jusqu'à deux heures après minuit. A la fin, 
les meurtriers s'arrêtèrent dans la rue BoufTard, devant un 

(i) Le P. Pannetié ne trouva pas grâce devant Lacombe plus urd; il fut 
condamné à mort et exécuté. 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. lig 



cabaret, y entrèrent, et après s^être enivrés,- ils jetèrent 
leur sanglant trophée sur le pavé et s'enfuirent. 

« Il fallait que tout fût odieux dans cette affaire, dit 
M. l'abbé O'Reilly : on alla prévenir le juge de paix de la 
section, qui arriva sur le théâtre du meurtre avec son 
greffier, auquel il dicta gravement son procès-verbal cons- 
tatant les faits, et puis se retira en regardant froidement 
les deux cadavres exposés dans la cour (0. » 

On se demandera peut-être où était la force publique de 
la cité, et ce que faisait, pendant cette scène de carnage 
exécutée en plein jour, l'autorité municipale à laquelle 
incombait le soin de la prévenir ou d'en arrêter les 
auteurs? La garde nationale et le corps municipal de 
Bordeaux plantaient un arbre de la liberté sur la place 
Royale et dansaient autour de ce symbolisme républicain 
au son de deux orchestres! Un prêtre, l'abbé Thomas 
Langoiran, frère du vicaire général, dansait, mêlé à la 
foule, pendant que l'on égorgeait son frère à quelques 
cent mètres de la place Royale (^) ! 

L'autorité ne fit pas de recherches pour découvrir les 
auteurs de ce double meurtre, ou bien elles furent infruc- 
tueuses; on n'arrêta personne et on chercha à ensevelir 
le crime dans un profond silence. Les registres de 
l'Hôtel de Ville en rendent compte dans les termes 
suivants : Le 14 juillet 1 792, mort de l'abbé Langoiran 
et autres, tués par des gens égarés. 

Les cadavres mutilés restaient toujours dans la cour du 
Directoire du département; il fallait cependant leur donner 
la sépulture, et le district écrivit à la municipalité : a II y 
a une heure que quelqu'un est venu nous dire de votre 
part que vous alliez envoyer une bière pour enlever les 

(i) Histoire de Bordeaux, 2* partie, 1. 1«% p. 217. 
(3) Archives municipales. Thomas Langoiran parut plus tard devant la 
Commission militaire et fut acquitté. 



140 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



corps qui sont dans la cour de radministration ; personne 
n^a paru, et les corps sont toujours là. Veuillez nous dire si 
vous avez donné des ordres à ce sujet. M. le procureur 
général syndic vient de nous obsen^er qu'il serait très 
intéressant que ces cadavres fussent enterrés de manière 
à ce qu'on sût le moins possible où ils Font été. Vous 
senttre!{ quelles sont les raisons qui ont suggéré cette 
observation à M. le procureur-syndic, et nous croyons 
qu'elle doit être prise en très grande considération. Vous 
savez de quoi sont capables des fanatiques. — i6 juillet, 
une heure du matin. — Signé : Couzabd. d 

Les réflexions se présenteront en foule à la lecture de 
cette étrange lettre. Une seule chose semblait préoccuper 
les administrateurs de notre grande cité : c'était d'inhumer 
dans un lieu secret les cadavres des deux victimes égorgées 
sous leurs yeux, pour prévenir les entreprises dont les 
fanatiques étaient capables! 

Pas de blâme pour les assassins, pas un mot de pitié pour 
les victimes ! 

Une pieuse et respectable légende est encore répandue 
dans la classe populaire de Bordeaux. On raconte que 
lorsque la tête de l'abbé Langoiran fut jetée par les 
meurtriers dans la rue Bouffard, l'un des pavés garda 
pendant quelques jours l'empreinte en profil du visage du 
martyr. En vain voulut-on le laver, l'empreinte y restait 
ineffaçable, et la foule accourait de tous les points de la ville 
pour s'assurer de ce fait merveilleux. Afin de prévenir des 
rassemblements dangereux pour l'ordre public, la munici- 
palité fit enlever ce pavé, qui fut enfoui dans les décombres 
de l'Hôtel de Ville actuel. 

L'assassinat des abbés Langoiran et Dupuy causa une 
vive émotion. « Toute la population, dit Bernardau, 
manifesta l'indignation la plus profonde pour ce crime 
affreux » Puis il ajoute immédiatement : « C'est le seul 



LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. I41 

qui ait été commis à Bordeaux dans le cours de la Révo- 
lution. i> Bernardau était à coup sûr optimiste ! Les prêtres 
fidèles redoublèrent de prudence pour échapper aux recher- 
ches de leurs ennemis, et les prêtres constitutionnels se 
félicitèrent tout bas de la disparition de leur plus dangereux 
adversaire. 

Quant à M. Pacareau, malade, infirme et confiné dans 
sa petite maison, il ne donna pas le plus léger signe de 
vie dans cette triste et douloureuse circonstance. Le vieil 
évêque ne jouit pas longtemps de son pouvoir; il tomba 
dans Tenfance et mourut oublié le 5 septembre 1 797 (') . 

L'abbé Langoiran avait été assassiné le 14 juillet 1792 : 
un mois après, la Monarchie succombait dans la journée 
du 10 août... 

La Législative, au milieu des embarras que lui créaient 
la détention du roi et les massacres de Septembre, qui 
avaient épouvanté la France, la Législative, disons-nous, 
trouva le temps de décréter « que les ecclésiastiques 
salariés par F État qui recevraient un casuel, sous quelque 
dénomination que ce soit, seraient condamnés, par les 
tribunaux de district, à perdre leur place et leur 
traitement » ^^K 

On pourrait affirmer que cette loi était une superfétation, 
car tout culte allait bientôt disparaître et s'abîmer, grâce à 
Tesprit d'irréligion qui avait fait d'immenses progrès dans 
tout le pays. 

Au mois d'octobre 1792, la municipalité faisait remettre 
à la Monnaie 2,387 marcs 7 onces et 3 gros d'argent 
provenant de l'argenterie des douze églises paroissiales de 
Bordeaux... 

On marchait vers le culte de la Raison ! 



(i) Appendice, note XIII. 
{2) Loi du 7 septembre 1792. 



14^ HISTOIRE DÉ LA TERREUR A BORDEAUX. 

Durant ce temps, la Convention s'était réunie, et après 
avoir proclamé la République, que le ministre Roland 
recommandait par circulaire aux Pasteurs des villes et 
des campagnes ^^\ elle commençait, poussée par les circons- 
tances et les événements, l'application du régime terrible 
qui a marqué de flots de sang les pages de notre histoire 
nationale en îygS et en 1794. 

(i) Appendice, note XIV. 



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LIVRE II 



LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR, 

4 



CHAPITRE I 

LES PREMIERS MOIS DE L'aHUÉE 1793. 

Souffrances des Bordelais au commencement de 1793. -— Scission entre la 
Gironde et la Montagne. — Les amis des Girondins s'apprêtent à les 
défendre. — Adresse du Département à la Convention. — Le gouver- 
nement cherche à surexciter le patriotisme des citoyens. — La Société 
de la Liberté et de VÉgalité foit un appel aux marins. — La manie des 
publications. — La citoyenne Dorbe et le drapeau tricolore. — On rem- 
place la municipalité. — > M. Saige reste maire. — On forme un corps 
de volontaires pour la défense de la Convention. — Condamnation de 
Louis XVL — Le Département félicite la Convention. — Adresse des 
Amies de la Constitution. — Lettre de Fasileau-Duplantier au Départe- 
ment. — Mesures contre les prêtres et les émigrés. — La question 
des subsistances. — Troubles à ce sujet. — Le pain à Bordeaux. — 
Arrivée du conventionnel Mazade. — Envoi de bataillons bordelais en 
Vendée. — Attaque de Desfieux contre les Girondins. — Mise hors la loi 
des prêtres réfractaires. — Les conventionnels Paganel et Garrau 
viennent remonter l'esprit public. — Leur proclamation au peuple 
bordelais* — Agitation des sections. — Arrestations à Libourne. — 
Lettre de la municipalité au ministre 'de l'intérieur. — La Convention 
accorde deux millions à la ville de Bordeaux. — Le Club national inter- 
rompt ses séances.— La trahison de Dumouriez. — Visites domiciliaires 
et gens suspects. — Une séance du Conseil général du département. — 
Adresse de ce Conseil à la Convention en faveur des Girondins. — 
Proclamation aux Bordelais. — La municipalité félicite le Département 
de son énergie. — Elle se rend chez les Conventionnels. — Discours de 
Saige et réponse de Garrau. — Lettre de Boyer-Fonfrède à la muni- 
cipalité. — Lettre de Sers, président du département, relative à la 
trahison de Dumouriez. — Paganel et Garrau mettent les côtes du 
département en état de défense. — Ils requièrent les chevaux de luxe 
pour le service des armées. — Prêtres conduits à Bordeaux pour être 



144 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



déportés. — Le Château-Trompette et la citadelle de Blaye. — Arrêté des 
Conventionnels sur la disette des subsistances et la défense générale. — 
Ils quittent Bordeaux après avoir investi le Département de pouvoirs 
spéciaux. . " 



L'état des esprits de la population bordelaise était des 
plus affligeants dans les premiers jours de Tannée 1793. 

On souffrait, et la misère était générale. 

Malgré les efforts constants des autorités constituées, la 
confiance diminuait chaque jour et la crainte assiégeait tous 
les cœurs. 

Seules, les sociétés populaires s'agitaient audacieusement 
et, grâce à leurs manœuvres, un semblant d'opinion 
publique paraissait approuver les actes de la Convention. 

En réalité, les administrateurs du département et la partie 
saine de la population répudiaient en secret certaines 
mesures de la trop célèbre Assemblée. 

Ce qui inquiétait surtout à Bordeaux les hommes en 
état de suivre et de juger le mouvement politique qui 
s'accomplissait, c'était la scission qui s'opérait et s'accentuait 
plus profondément de jour en jour entre la Gironde et la 
Montagne. 

Le sang de Septembre séparait ces deux factions rivales, 
et la lutte s'annonçait déjà comme devant se terminer par 
la chute inévitable et retentissante de l'une d'elles. 

Les esprits étaient dans l'attente. Résolus de soutenir les 
représentants que le département avait envoyés à la 
Convention, les administrateurs, amis et anciens collègues 
des chefs de la Gironde, voyaient approcher le danger et 
cherchaient à le conjurer par leurs actes et par leurs paroles ; 
mais ils étaient obligés, pour ne pas provoquer la suspicion 
de la Convention et multiplier les périls de ceux qu'ils 
voulaient défendre, de dissimuler leur pensée sous des 
ambiguïtés de langage. C'est ainsi, notamment, que dans 
leurs publications ils parlaient toujours de l'Assemblée en 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. 146 

général, quand leur véritable objectif était, à vrai dire, la 
représentation girondine. 

Tous les efforts de leur habileté devaient bientôt se briser 
contre la volonté toute-puissante de la Montagne. 

Inquiets des écrits, des pétitions, des démarches des 
Jacobins à la barre de la Convention, des discours même 
de certains membres de l'Assemblée, les administrateurs 
du département ne tardèrent pas à formuler une adresse 
qui fut lue à la séance du 4 Janvier, et dont nous croyons 
devoir reproduire les principaux passages : 

« La souveraineté nationale, y disaient-ils, est attaquée par 
ceux qui s'en disent les défenseurs. Qui ne gémirait pas de 
voir qu'on vous fatigue par des pétitions qui insultent la 
Nation ? Qui ne gémirait pas de voir que Paris est inondé 
d'écrits qui invitent au massacre, au pillage, qui prêchent 
l'anarchie?... Quel peut être le but de ces manœuvres? Ne 
serait-ce pas pour donner à Louis un successeur qu'on 
appellerait dictateur, protecteur, etc.?... Ne souffrez plus 
cette lutte entre vous et des hommes qui veulent égarer le 
peuple et renverser la République. Quiconque ose prêcher 
une insurrection est un traître. Les Français n'en veulent 
plus. L'insurrection du i o août leur a assuré la liberté ; une 
nouvelle la leur ferait perdre. Occupez- vous, législateurs, 
de nous donner des lois qui préservent la France de toute 
tyrannie ('). » 

Tel était le langage très sensé à coup sur des administra- 
teurs du département. Leurs sages conseils ne faisaient 
qu'effleurer la Convention, qui, pressée par les événements, 
n'y ajoutait qu'une médiocre importance. Selon le mot des 
livres sacrés, la voix criait dans le désert. 

On décrétait l'impression et l'envoi des documents de 
cette nature aux départements ; une satisfaction était donnée 
en apparence, mais c'était tout. . . • 

(i) Moniteur du 7 janvier 1793. 

T. 1. 10 



146 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Quant au pouvoir exécutif, étranger aux luttes de 
l'Assemblée, mais exécuteur de ses ordres, il préparait de 
toutes parts les armements nécessaires pour résister aux 
ennemis de la naissante République, et toute sa politique 
consistait à surexciter la fibre patriotique et nationale. 

Les ministres entretenaient des correspondances suivies 
avec les clubs et les sociétés populaires, pour leur demander 
de seconder les efforts du gouvernement et d'accélérer 
Tarmement des citoyens. 

La Société des Amis de la Liberté et de l* Égalité, pour 
fépondre à un désir de Cette nature que lui avait manifesté 
le ministre de la marine, rédigeait, par la plume de 
Duvigneau, un appel aux marins : 

« Citoyens, leur disait-elle, vous vouliez marcher aux 
frontières, la patrie vous a retenus. Dévoués dès votre 
jeunesse au service de la mer, la patrie vous réservait pour 
faire respecter sur les flots les couleurs nationales; mais 
enfin, camarades, votre moment est arrivé... Aux armes^ 
braves marins, aux armes !. . . Le roi des Anglais s'apprête 
de toutes parts, il nous provoque, nous insulte et menace 
Brest, Rochefort et Toulon de descentes et de bombarde- 
ments; levez- vous 1 etc..» 

Ces appels étaient entendus, et la Gironde envoyait sans 
hésiter ses enfants aux frontières ou sur les flottes de la 
République. 

Les sociétés populaires et les citoyens écrivaient beaucoup 
à cette époque. C'était une manie qui gagnait tous les 
esprits et que développait le système de gouvernement du 
pays par le pays. L'amour- propre aidant, on se faisait 
imprimer, et la ville était inondée de brochures relatives à 
tous les sujets. 

€ Il n'était pas de chétif et obscur habitant de Bordeaux, 
dit M. fabbé O'Reilly, qui ne se crût appelé à régenter la 
République et à lui donner le canevas de ses lois. Les 



LES PROLEGOMENES DE TA TERREUR. I47 

femmes, aussi bien que les hommes, avaient ce travers 
ridicule, et les cartons des Archives municipales sont 
remplis des élucubrations des Morin, des Benjamin père, 
des Martin, des Dorbe, ThoUnens et autres (*). :» 

La publication de ces écrits pourrait être certainement 
curieuse; mais Thistorien a le devoir de respecter ses 
lecteurs et, en racontant à grands traits les événements, 
il a le droit de négliger les détails inutiles à Tensemble 
de son œuvre ou qui toucheraient à la puérilité. 

Et cependant, nous ne pouvons passer sous silence les 
lyriques accents de la citoyenne Dorbe cadette, à la suite 
d'un banquet qui eut lieu chez le restaurateur Battut, vers 
les premiers jours de janvier. M. Fenwick, consul des 
États-Unis, jeune alors et que plus d'un de nos contem- 
porains a pu connaître, assistait à cette agape démocratique 
qui se termina dans le temple de TEtre suprême au milieu 
d'une foule considérable. 

Après un couplet patriotique de la composition de la 
citoyenne Dorbe, chanté par l'assemblée sur l'air de 
VHymne des Marseillais, comme on disait alors, cette 
citoyenne, s'adressant au drapeau tricolore, s'écria dans 
un accès d'enthousiasme : 

c O drapeau tricolore, reçois aujourd'hui l'hommage de 
ce peuple nombreux, et vous, citoyennes et citoyens, 
répétez avec moi ce cri de gloire et de bonheur : Vive 
le drapeau de la République française I 

> O drapeau tricolore, sois, s'il se peut, sensible à mes 
accents ; frémis, agite-toi à la voix de ces femmes, de ces 
enfants, de ces guerriers, élevant vers le ciel leurs mains 
et leurs hommages. 

» Trophée immortel, je te salue. Je vous salue, bannières 
augustes, guides du courage, gage assuré de la victoire; je 

(i) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. 1er, 2» part., p. 263. 



148 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX, 

VOUS salue au nom de toutes ces républicaines dont je suis 
l'organe; je vous salue et je vous consacre dans ce temple 
de la Liberté, où chaque jour les Bordelaises viennent 
brûler un nouvel encens ^^K 7> 

Tel était, au milieu des souffrances du peuple, le diapason 
de Tesprit public : un souffle patriotique après tout l'inspirait . 
Mais nous sommes de ceux qui pensent que la femme est 
faite pour le gynécée et pour la vie de famille et non pour 
les clameurs de la place publique; nous ne pouvons aussi 
que regretter l'immixtion des femmes, en lygS et toujours, 
dans les actes de la vie politique d'un peuple. Elles y 
perdent le charme délicat qui nous attache à elles et 
peuvent devenir des mégères, comme les tricoteuses du 
tribunal révolutionnaire et de l'échafaud parisien, ou de 
monstrueuses exceptions, comme Charlotte Corday, que 
Lamartine, dans son langage poétique et coloré, n'a pas 
craint d'appeler VAnge de r assassinai ^^K 

La municipalité élue le 6 décembre 179 1 ne semblait 
plus à la hauteur des circonstances. On la remplaça 
le 12 janvier 1793 : M. Saige resta maire; mais le corps 
municipal recruta des hommes nouveaux dans le parti 
avancé. On peut citer le négociant Oré, le vitrier Boulan, 
le parfumeur Sabrier, Lamarque, le cordier Delas, Charles 
Lemesle ; le parti modéré y comptait Pierre Baour, Jean- 
Cyprien Lassabathie, André Plassan, Gabriel Séjourné, 
Martignac père, Duranteau, Azéma, le courtier Delmestre, 
Brawer, Ferrière-Colck, Gressier et d'autres encore. 

La nouvelle municipalité ne tarda pas à se trouver en 
présence de diflBcultés graves, que nous aurons à raconter 
tout à l'heure. 

L'opinion publique, à ce moment, était gravement 
préoccupée de la situation du roi : on ignorait jusqu'à quels 

(1) Archives municipales de Bordeaux. 

(2) Histoire des Girondins, u VI, liv. xliv. 



LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. I49 



excès pourrait arriver la Convention; on les pressentait 
toutefois, et les bons esprits s'effrayaient à Juste titre dss 
conséquences d'une détention et d'un jugement qui pouvaient 
exposer la France à de dangereuses représailles. Les rois 
de l'Europe étaient attentifs, et la cause monarchique avait 
en eux des défenseurs intéressés : une conflagration générale 
était imminente. 

Au milieu des dangers qu'ils prévoyaient, les citoyens se 
serraient autour de la Convention, devenue le centre du 
pouvoir et le cœur de la défense nationale. Était-ce de leur 
part une menace? Était-ce un acte de confiance? Nous ne 
saurions rien affirmer. 

Ce que nous pouvons constater, c'est que le 2 1 janvier, 
sur l'initiative prise par la Société des Amis de la Liberté 
et de l'Égalité de Bordeaux, le Conseil général du 
département, dans une assemblée où avaient été appelés 
des commissaires du district et de la municipalité, et le 
général Courpon, commandant de la garde nationale, décidait 
la formation d'un corps de 5oo volontaires, pris parnli les 
citoyens composant cette garde. Ce corps devait être envoyé 
à Paris pour y être à la disposition de la Convention. 

ie Conseil général du département profitait de cette 
circonstance pour adresser à ses concitoyens une procla- 
mation en faveur de la Convention, qu'il appelait le temple 
même de la Liberté. 

Les volontaires devaient prêter le serment de maintenir 
l'unité et l'indivisibilité de la République, de combattre et 
de poursuivre jusqu'à la mort quiconque proposerait ou 
tenterait d'établir en France la royauté, ou tout autre 
pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple, sous 
quelque dénomination que ce soit ^^K 

Pendant que ceci se passait à Bordeaux, la Convention 

(1) Archives de la Gironde, reg. du département, no 4, série L. 



t5o histoire de la terreur a bordeaux. 



condamnait à mort, le 20 janvier, Tinfortuné Louis XVI; 
le lendemain 2 1 , la machine à meurtres, selon l'expression 
d'Alfred de Musset, se purifiait ce jour-là au contaa d'un 
sang royal, et le fils de saint Louis montait au ciel... 

La nouvelle de la condamnation et de l'exécution du roi 
fut connue en même temps dans les provinces. La stupeur 
et la consternation furent profondes dans notre ville : un 
silence funèbre accueillit cette horrible nouvelle de la 
décapitation royale; il semblait que la conscience publique 
allait répudier l'holocauste suprême offert à la souveraineté 
populaire. Ce n'était pas l'affaire des démagogues : ils 
s'exaltèrent, et pour contre-balancer la douleur et l'effroi 
général, ils témoignèrent bruyamment leur joie et firent des 
adresses à la Convention pour la féliciter de son énergie et 
de sa résolution patriotiques. 

Les autorités constituées ne pouvaient, sans péril, rester 
étrangères à ce mouvement. Dès le 5 février, elles 
adoptaient à leur tour une adresse ainsi conçue : 

<t Qtoyens législateurs, Louis avait indignement abusé 
de la générosité de la Nation. Ses nombreuses perfidies 
avaient mis la patrie à deux doigts de sa perte. Vous avez 
appelé sur la tête de ce grand coupable la peine que vous 
avez jugé que méritaient ses crimes... Vos décrets sont 
sacrés pour nous : notre devoir est de les faire respecter; 
nous le remplirons au péril même de notre vie. 

> Vainement, les malveillants tenteraient-ils, pour exciter 
des troubles parmi nous, de mettre à profit la différence 
d'opinion qui a eu lieu momentanément entre les meilleurs 
citoyens, non sur l'existence et l'atrocité des crimes de 
Louis (toute la France déposerait contre lui), mais sur le 
genre de peine à lui infliger. Pour faire cesser toute division, 
nous n'aurons qu'à répéter avec vous : <c Toutes les opiniofis 
ont des motifs honorables. » Nos concitoyens connaissent 
trop bien la voix de la justice et de la raison pour ne pas 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l î> I 

rendre hommage à cette vérité; ils respectent trop la liberté 
des opinions pour faire un crime à aucun de nos représen- 
tants de celle qu^il a énoncée dans une cause qui pouvait 
être envisagée sous tant d'aspects différents. Le crime serait 
d'avoir opiné contre sa conscience. Eh ! quel est Thomme 
assez téméraire pour prétendre lire dans la conscience de 
son semblable ? S'il existe encore de pareils hommes parmi 
nous, ce sont les plus cruels ennemis de la liberté, les 
fauteurs du despotisme, les vils suppôts de la tyrannie. 

> De ce nombre était sans doute l'infâme assassin qui a 
porté ses mains meurtrières sur un représentant de la nation 
et qui a causé le deuil de la patrie. Nous vous rendons 
grâce, citoyens législateurs, d'avoir pris les mesures néces- 
saires pour que le scélérat n'échappe point au supplice dû 
à son exécrable forîait et pour les monstres capables de 
l'imiter. 

> Qtoyens législateurs, comptez sur notre vigilance pour 
faire régner dans nos cités et dans nos campagnes 
Pamour et le respect des lois. Mais permettez-nous de 
vous le dire encore : le meilleur moyen pour y parvenir 
est dans vos propres mains, c'est de les faire régner autour 
de vous ^^K » 

Cette adresse est intéressante à plus d'un titre : elle prouve 
l'agitation morale causée par la mort du Roi ; elle indique 
les discussions que provoquaient les votes des Représentants, 
elle se termine par un appel plein de dignité à la concorde 
et à l'union au sein de l'Assemblée. 

Deux jours après, les Amies de la Constitution prenaient 
à leur tour la parole, et disaient aux conventionnels : 

€ Représentants du peuple français, trop lâche pour 
résister à la volonté nationale, le traître Capet ourdissait 
dans l'obscurité la trame fatale dont il voulait nous enlacer. 

(i) Archives de la Gironde, reg. du département, n» 4, p. 80, série L. 



l52 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

^ ■ Il I -■ - ■ ■ ■ ■ 1 ^IM 

Trahissant tour à tour les amis de la patrie et les transfuges 
de Coblentz, il appela, pour combler le déficit, cette nation 
généreuse qu'il venait de ruiner sans pudeur. Bientôt, 
craignant qu'elle ne reprît un pouvoir usurpé par des siècles 
de t)rrannie, il veut dissoudre une souveraineté supérieure à 
la sienne ; il environne de baïonnettes menaçantes les repré- 
sentants de vingt-quatre millions d'hommes : leur fermeté 
n'en est point ébranlée. Tranquilles au poste qui leur avait 
été assigné, ils attendirent la mort en ne souscrivant point 
à l'esclavage. Mais le despote avait trop compté sur l'aveugle 
obéissance des soldats éclairés par l'amour de leur pays ; ce 
n'étaient plus des êtres passifs, mais autant de citoyens 
prêts à défendre leurs frères, leurs concitoyens. 

j^ Le vœu public s'était prononcé. N'espérant plus 
reprendre ouvertement un pouvoir arbitraire et un sceptre 
odieux, couvert du sang des vainqueurs de la Bastille, il 
accepte le pouvoir légal que lui confèrent les députés de la 
Nation; il promet de la rendre heureuse en faisant exécuter 
les lois faites par elle ; mais en secret, soudoyant ses ennemis . 
avec ce même or qu'il tenait de sa munificence, protégeant 
des prêtres factieux qui semaient dans l'intérieur le trouble 
et la discorde, il payait au dehors les émigrés rebelles; une 
garde licenciée, mais toujours à ses ordres, les a trop bien 
exécutés le lo août. Était-ce pour leur indiquer de nouvelles 
victimes, qu'abandonnant ses complices sanguinaires, il 
esquive le combat ordonné par lui-même^ et porte dans le 
sanctuaire des lois une tête coupable ? Il croyait sans doute 
les voir bientôt paraître dégouttants du sang des Français, 
porter leurs mains, exercées aux forfaits, sur les Pères de 
la patrie, éteindre avec leur vie, la liberté, l'égalité, tous les 
fruits de la Révolution I semblables à ces hordes barbares 
qui plongèrent les sénateurs romains, vieillards désarmés, 
sans défense, dans la nuit du tombeau ! Car quel crime peut 
coûter à celui qui tourne les armes contre sa patrie, à celui 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l53 

qui ordonne le carnage de ses sujets ? Et la déchéance eût 
assez puni tant de forfaits ! Et la réclusion ou le bannis- 
sement eût assez puni celui qui fit verser tant de sang ! celui 
dont les haines perfides nous ont entourés d'ennemis! 
Non!!! sa tête devait tomber. 

> Représentants, vous avez rempli le vœu de la Répu- 
blique; vous avez été justes, et la tyrannie n'est plus. 

» Signé : Arias, présidente; Papon, vice-présidente; 
Béchade-Thounens, secrétaire; Souriac, sous-secrétaire <*î.» 

On ne nous demandera pas de faire l'appréciation d'une 
pareille adresse : la lire, c'est la juger.... 

Que se passait-il cependant à Paris? Les représentants 
de la Gironde étaient inquiets. L'assentiment de leurs 
concitoyens ne leur avait pas sans doute paru assez 
complet par la démarche du Conseil général du 5 février, 
car le 14 du même mois Fasileau-Duplantier écrivait au 
Département : 

€ Frères et amis, parmi les nombreuses adresses qui 
arrivent journellement à la Convention nationale pour 
applaudir au juste châtiment de Louis Capet, j'en cherche 
vainement de la commune de Bordeaux et des autres villes 
marquantes de notre département. L'ardeur patriotique des 
habitants des bords de la Gironde n'est sans doute pas 
éteinte, mais on la croirait assoupie en voyant qu'ils se 
laissent devancer par les communes des autres départe- 
ments. Qtoyens, vous qui êtes en possession de donner à 
tout ce qui vous entoure l'exemple du plus pur et du plus 
zélé patriotisme, apprenez-leur qu'on ne peut être répu- 
blicain à demi et que les vrais patriotes doivent se distinguer 
par une prompte et franche adhésion aux grandes mesures 
prises par la Convention nationale, en qui repose tout 
l'espoir de la patrie... (').}^ 

(1) Archives municipales de Bordeaux. 
(3) Archives de la Gironde, série L. 



l54 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Le département dut rassurer Duplantier sur les sentiments 
dont étaient animées les communes de la Gironde. 

Cependant la Convention, saisie de temps à autre de la 
question religieuse qui créait des embarras sans nombre au 
gouvernement, décrétait qu'il serait accordé, à titre d'indem- 
nité et de récompense, la somme de i oo livres à quiconque 
découvrirait et ferait arrêter une personne rangée par la loi 
dans la classe des émigrés ou dans la classe des prêtres 
devant être déportés; elle autorisait, en outre, ses commis- 
saires dans les départements à suspendre les fonctionnaires 
publics qui n'auraient pas fail exécuter ponctuellement les 
lois relatives aux émigrés et aux prêtres dont la déportation 
devait être faite ^ ') . 

C'était une recrudescence de sévérité contre une partie 
notable de la population. 

Le supplice du roi avait fatalement jeté la Convention 
dans une voie où elle ne devait pas reculer. Elle restait 
debout sur les ruines de la Monarchie, et par son attitude 
énergique elle devait à tout prix imposer silence au sentiment 
public et arriver à le dominer même par la terreur, si 
c'était nécessaire. 

La force des circonstances la conduisit à ce dernier et 
déplorable système. 

La ville de Bordeaux avait obtenu des secours de 
l'Assemblée nationale pour faire face à la cherté des grains 
et à la disette. La Convention supprima subitement ces 
secours, et la municipalité, privée des ressources sur 
lesquelles elle avait compté, se trouva dans l'impossibilité 
de continuer le paiement des indemnités qu'elle accordait 
depuis près de deux ans aux boulangers de la ville. 

Ceux-ci déclarèrent que si l'indemnité leur était retirée 
ils ne feraient plus de pain. 

(i) Décret du 14 février 1793. 



LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. l55 

Les grains et farines circulaient alors avec des difficultés 
inouïes, et la situation empirait chaque jour. La préoccupa- 
tion d'une guerre générale dont la France était menacée 
ajoutait aux dangers de Tintérieur : le commerce était tout 
à fait arrêté, Tindustrie n'existait plus et Tagriculture était 
abandonnée. 

Vers le même temps, les Anglais avaient capturé vingt- 
trois navires chargés de blé acquis par le gouvernement; 
la nouvelle s'en était promptement répandue, et la famine 
se dressait menaçante. Il fallait aviser. 

On modifia la composition du pain afin d'épargner les 
approvisionnements de farine; mais cette mesure ne 
produisit pas les résultats qu'on en attendait; la population 
était irritée et murmurait, et la municipalité, pour prévenir 
des désordres, dut rétablir l'indemnité aux boulangers. 

Seulement les ressources de la Ville s'épuisaient d'autant 
plus par l'application de ce dangereux système, qu'on venait 
de toutes parts s'approvisionner à Bordeaux et y chercher 
le pain qui devait servir à la nourriture de ses habitants. 

Vainement on multipliait les entraves pour remédier aux 
abus; ils surgissaient sans cesse, et la faim, l'implacable 
faim, surmontait tous les obstacles. 

Réduite enfin aux dernières extrémités, la municipalité 
fit un appel aux sections et réclama leur concours. 

Elle leur fit connaître qu'elle était dans l'obligation 
impérieuse, faute de ressources suffisantes, de supprimer aux 
boulangers l'indemnité qui, durant les dernières années, avait 
imposé à la Ville un sacrifice annuel de i,5oo,ooo livres, 
et comme cette suppression avait pour conséquence immé- 
diate l'augmentation du prix du pain, elle supplia les 
sections, en vue des troubles qu'elle redoutait, d'éclairer 
les citoyens sur la nécessité de la mesure et sur ses résultats 
inévitables; elle les engagea à user de leur influence pour 
épargner à la ville la douloureuse épreuve d'une insurrection. 



l56 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



De son côté, elle adressa des proclamations au peuple 
pour le prévenir de l'augmentation probable du prix du 
pain. 

€ Tout faisait espérer, dit M. Tabbé O'Reilly, que cet 
incident se passerait, sinon sans murmures, au moins sans 
trop d'effervescence (^). 3^ Il n'en fut rien, malheureusement, 
comme nous allons le voir. 

Le 8 mars, vers neuf heures du matin, la municipalité 
reçut avis, par un grenadier du poste de la porte 
Saint-Julien, qu'un rassemblement de femmes marchant 
en colonnes et précédées d'un tambour se dirigeait vers la 
place des Capucins. Le citoyen Baour, officier municipal, 
accompagné du commandant de la garde nationale à la tête 
de vingt-cinq grenadiers, se rendit aussitôt sur le lieu du 
rassemblement. 

Les deux ou trois cents femmes qui le composaient furent 
haranguées par l'officier municipal et par le chef de la 
troupe; ils parcoururent les groupes, firent entendre des 
paroles de conciliation et cherchèrent à ramener le calme 
parmi cette foule agitée et tumultueuse. Ils rappelèrent 
ces femmes au respect de la loi et les engagèrent à se 
disperser pour éviter peut-être de regrettables malheurs. 
Leurs sages conseils allaient être écoutés, lorsque d'autres 
femmes arrivant en grand nombre grossirent le rassemble- 
ment, et, sourdes à la voix de la persuasion, repoussèrent 
toute idée de retraite. La foule, excitée par ce renfort, 
devenait de plus en plus menaçante; l'officier municipal 
jugea prudent de se retirer afin d'éviter une collision dont 
les conséquences pouvaient devenir très graves, avec des 
malheureuses qu'égaraient la colère et la faim. 

En rentrant à la maison commune, le citoyen Baour et 
les grenadiers furent accueillis à coups de pierres et au milieu 

(i) Histoire de Bordeaux, 1. 1*»", 2© partie, p. 271. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. iS'J 

des cris et des huées d'un rassemblement considérable de 
peuple qui envahissait la place. Plusieurs soldats furent 
assez grièvement blessés. 

La troupe, cependant, réussit à pénétrer dans THôtel de 
Ville et en referma les portes. 

Les émeutiers voulurent les enfoncer et brisèrent les 
vitres en poussant des vociférations furieuses. A ce moment 
un renfort de gardes nationaux arriva pour protéger la 
Maison commune : il fut assailli de pierres et de projectiles 
de toute nature; Tofficier qui le commandait somma vaine- 
ment la foule de se retirer; sa voix ne fut pas écoutée, 
et rirritation du peuple s'accroissait de moment en 
moment. Une conflagration devenait imminente : guidée 
par rinstinct de la conservation, la troupe fit feu, une 
femme fut tuée, des cris de terreur s'élevèrent de toutes 
parts et la multitude affolée prit la fuite dans toutes les 
directions. 

Cet acte de vigueur, applaudi par les uns, blâmé par les 
autres, suffit à rétablir le calme. L'émeute était vaincue; 
mais une sourde irritation régnait dans la population. 

Comprenant l'imminence du danger et désireuse d'y 
remédier, la municipalité chargea le citoyen Brawer, Tun 
de ses membres, de rédiger immédiatement un mémoire 
de la situation et des faits qui venaient de s'accomplir. En 
adressant ce mémoire aux députés de la ville, Bahn et 
Duvigneau, alors à Paris, Saige leur écrivait, le 14 mars : 
«La connaissance que vous donne le citoyen Brawer de 
l'état cruel où nous réduit la pénurie des subsistances 
animera, nous en sommes sûrs, votre zèle connu pour 
l'intérêt de vos commettants. L'augmentation que nous 
avons été forcés de mettre sur le pain a occasionné une 
insurrection, et nous sommes à la veille d'en manquer. Le 
citoyen Brawer entre avec vous dans des détails trop 
affligeants à répéter...; nous finissons en nous recomman- 



l58 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

dant à vos soins, sur lesquels nous foncions le plus grand 
espoir ^^K » 

Cette lettre, dans son style lapidaire et pressé, exprime 
mieux que nous ne pourrions le faire les malheureuses 
conjonctures que traversait la ville de Bordeaux. 

Le pain était d'une extrême rareté, et celui qu'on 
fabriquait, que nos pères affamés se disputaient avec une 
féroce énergie, si Ton peut ainsi parler, se composait du 
mélange d'un boisseau de froment, d'un demi-boisseau de 
baillarge, d'un demi-boisseau de fèves et d'un quart de 
boisseau de blé d'Espagne. 

Quel pain on mangeait à Bordeaux au commencement 
de l'année lygS! 

C'était, à coup sûr, un aliment insuffisant; cependant 
tout le monde n'en pouvait avoir, et de plus, Saige l'écrivait 
à Bahn et Du vigneau, il allait manquer... 

Spectacle terrible et plein de douloureux enseignements ! 
Les habitants de cette ville si riche et si florissante quatre 
ans auparavant étaient menacés de mourir de faim ! 

La municipalité emprunta 600,000 livres pour atténuer 
les souffrances populaires, en attendant le résultat des 
démarches tentées à Paris pour obtenir des subsides de la 
Convention. La plus grande publicité fut donnée aux 
mesures prises par les autorités, afin de calmer l'irritation 
du peuple, car l'agitation dans la rue était toujours 
menaçante. 

Une sorte de dérivatif heureux vint tourner les esprits 
vers d'autres préoccupations. La guerre avec les puissances 
étrangères prenait des proportions considérables, et, de 
plus, quelques départements étaient déchirés par la guerre 
civile. 

C'est à ce moment que J.-B.-D. Mazade, run des trois 

(I) Archives municipales de Bordeaux. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. I Sq 



commissaires de la Convention nationale, chargé de 
l'inspection des côtes de la République depuis Lorient 
jusqu'à Bayonne (c'est le titre qu'il prenait dans ses arrêtés), 
arriva à Bordeaux. 

Reçu honorablement par les autorités constituées, le 
conventionnel put se rendre compte de la situation 
désolante de la ville, mais il n'avait pas pour mission d'y 
porter remède. — Admis au sein du Conseil général du 
département, il lui communiqua les nouvelles des troubles 
qui agitaient la Loire-Inférieure et la Vendée, où les ennemis 
de régalité venaient, disait-il, d'allumer un incendie qui 
ne manquerait pas de gagner et de se propager s'il 
n'était éteint à l'instant. Ce n'est plus le temps de 
délibérer, ajoutait le conventionnel, il faut agir. Nul 
département n'a montré plus de patriotisme que celui de 
la Gironde, aucun ne contribuera plus puissamment 
à la défaite des factieux. 

Mazade requit ensuite l'Administration du département 
de faire partir dans les vingt-quatre heures deux bataillons 
de ses gardes nationales, complètement armés et équipés, 
un fort détachement de cavalerie et quatre canons, avec 
un nombre suffisant de canonniers pour les manœuvrer. 
Ces troupes devaient se rendre à La Rochelle par Saintes et 
Royan, et se mettre, disait l'arrêté, sous les réquisitions 
du conventionnel Niou. Il la requit, en outre, de provoquer 
des administrations de son ressort la formation de détache- 
ments armés et équipés pour se porter à La Rochelle aux 
premiers ordres qu'ils recevraient <'>. 

Ces nouvelles ne furent pas plutôt connues de la popula- 
tion qu'elles y réveillèrent des sentiments patriotiques : on 
souffrait tant, d'ailleurs, que la guerre semblait offrir à 
beaucoup de citoyens comme un moyen de diminuer les 

(i) Archives de la Gironde, reg. du département, n^ 4, série L. 



l6o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

misères contre lesquelles on avait à lutter, ou d'y échapper 
au moins momentanément. 

a Les citoyens s'assemblèrent, dit le procureur de la 
commune Tustet, et se disputèrent la gloire de partir; les 
hommes mariés, les garçons, les pères de famille, tous 
voulaient courir en Vendée. A la voix de Mazade et des 
administrateurs, 3,ooo hommes furent organisés dans 
Tespace de vingt-quatre heures, et, malgré le temps le plus 
afTreux, ils étaient cinq jours après à La Rochelle ; 400 hommes 
partirent un peu plus tard. Tous les citoyens s'empressèrent 
d'armer, d'habiller et d'équiper ces troupes et leur firent 
une haute paie. Des sections même délibérèrent de donner 
40 sous par jour aux familles malheureuses des absents. 
Quelques-unes remplirent leurs promesses (*). > 

C'est au milieu d'une sorte de joie publique et accompa- 
gnés des vœux de leurs concitoyens, que ces enfants de la 
Gironde partirent pour la Vendée; ils y séjournèrent 
pendant près de six mois et firent preuve, dans des combats 
multipliés, d'un courage qui leur valut des éloges mérités. 

Il reste à faire l'histoire de ces valeureux bataDlons. 

Pendant que la ville de Bordeaux armait ainsi, à l'appel 
de la Convention, un grand nombre de ses enfants pour la 
défense de la République à l'intérieur, ses représentants 
étaient en butte aux attaques furieuses des sections de Paris. 

Le II mars, Desfieux, un Bordelais, qui était allé 
chercher dans la capitale un théâtre plus vaste et plus facile 
pour ses intrigues politiques, Desfieux se présentait, au 
nom des Jacobins, à la barre de la Convention et demandait 
un décret d'accusation contre les députés Gensonné, Guadet 
et Vergniaud. 

Les Girondins imposèrent silence à leurs accusateurs et 
conjurèrent pour un temps les dangers dont les menaçait 

(i) Tableau des événements qui ont eu lieu à Bordeaux depuis la Révolu^ 
tion de ij S g jusqu'à nos jours, par Tustet. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l6l 

la faction montagnarde; mais leur influence et leur autorité 
s'usaient à ces luttes sans grandeur, tandis que Robespierre, 
Danton et Marat lui-même, poursuivant leur œuvre 
ténébreuse, régnaient sur l'esprit de la populace, aux 
Jacobins, à la Commune et dans la plupart des sections de 
Paris. 

Toutefois l'heure des Girondins n'était pas encore venue. 

Le 1 8 mars, la Convention décrétait la mise hors la loi 
de tous les prêtres réfractaires et ordonnait leur arrestation 
et leur déportation. 

Cette loi barbare ne tarda pas à remplir les prisons de 
Bordeaux d'un grand nombre de malheureux prêtres 
dénoncés par des misérables, ou que les précautions même 
dont ils cherchaient à s'entourer décelaient aux yeux 
clairvoyants et prévenus des agents de l'autorité. 

La situation tendait à s'aggraver sans cesse et sous tous 
les rapports : on persécutait les prêtres et les nobles, la 
défiance abaissait les caractères, la faim aigrissait les esprits 
en torturant les corps, et la misère apposait ses stigmates 
terribles sur toute une population autrefois heureuse et 
confiante. 

Les conventionnels Pierre Paganel et Garrau vinrent à 
Bordeaux sur ces entrefaites ; ils avaient pour mission dy 
remonter l'esprit public. 

Paganel, ancien curé de Noaillac, avait prêté le serment 
civique, était devenu en 1 790 procureur-syndic du district 
de Villeneuve-d'Agen et avait été envoyé à l'Assemblée 
législative par le département de Lot-et-Garonne ; prêtre, 
il y dénonça les manœuvres des prêtres réfractaires, et 
demanda des mesures vigoureuses pour empêcher la guerre 
civile prête à éclater. Nommé membre de la Convention, 
il y avait voté la mort de Louis XVI et s'était rangé du 
parti de la Montagne, 

. Il en était de même de Garrau, bien que ce représentant 

T. L li 



l62 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORnEAUX. 



eût été nommé par la Gironde. Avocat à Libourne à 
répoque de la Révolution, il avait été, en 1790, président 
du district de cette ville, puis élu en 1 79 1 suppléant à la 
Législative, et en 1792 député à la Convention. Garrau, 
partisan du gouvernement révolutionnaire, était au nombre 
des ennemis des Girondins, ses compatriotes. 

Le 22 mars, les deux conventionnels adressaient au 
peuple une proclamation ainsi conçue : 

^ La Convention nationale, pressée par les circonstances, 
a investi ses commissaires d'un grand pouvoir. Que les 
bons citoyens se rassurent et que les mauvais soient glacés 
d'effroi; leur châtiment donnera la paix et la tranquilUté 
aux hommes de bien. Nous l'exercerons, ce redoutable 
pouvoir, avec une religieuse impartialité contre tous les 
pervers, qui, se repaissant de l'espoir d'entraîner la Répu- 
blique à sa ruine, égarent la bonne foi du peuple, agitent, 
les esprits faibles par des terreurs fanatiques, détournent 
les citoyens de leurs devoirs envers la patrie par de perfides 
insinuations, et sèment dans les villes et les campagnes tous 
les levains de discorde. 

3 Les perfides vivent au milieu de vous ; ayez le courage 
de les faire connaître aux commissaires de la Convention 
nationale, et vous aurez bien mérité de la patrie. Ils les 
traduiront, au nom de la loi, devant le tribunal extraor- 
dinaire que leurs crimes, toujours impunis, l'ont forcée 
d'établir... O. 3> 

Paganel et Garrau, on le voit, avaient. un tout autre 
langage que Mazade ; celui-ci s'était occupé d'armements ; 
ceux-là faisaient un appel aux plus mauvaises passions 
politiques et révolutionnaires. 

Leur proclamation ne manqua pas son effet; contenues 
jusque-là par l'autorité, ces mauvaises passions, qui n'at- 

(i) Archives municipales de Bordeaux. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l63 



tendaient qu'une occasion pour apparaître, se déchaînèrent 
sous le souffle des nouveaux envoyés de l'Assemblée régicide^ 
et, pour nous servir d'une expression bien connue, la lie 
monta à la surface. 

Les sections motionnèrent, et celle de V Égalité notamment 
demanda qu'on mît en accusation tous les ci-devant nobles, 
les privilégiés, les suspects, les aristocrates, etc., tous ceux 
enfin qui seraient désignés par l'opinion publique, ainsi que 
ceux qui ne se seraient pas munis dans la quinzaine d'une 
carte de civisme. 

Quant aux ecclésiastiques insermentés, ou même asser^ 
mentes, qui seraient dénoncés comme suspects par six 
citoyens, la section proposa de les incarcérer au fort du 
Ha et dans le couvent des Grandes-Carmélites. 

C'est ainsi que Paganel et Garrau avaient remonté l'esprit 
public. 

Nous devons dire qu'une partie de ces mesures fut mise 
à exécution. Toutefois les administrateurs du département, 
et Pierre Sers à leur tête, présentèrent des observations 
aux conventionnels, et, grâce à leur ferme contenance, 
peut-être aussi à cette circonstance que Garrau, l'un d'eux, 
était un élu du département de la Gironde, le débordement 
des passions populaires se trouva restreint pour quelque 
temps dans des limites relativement modérées. 

Les conventionnels, en effet, renonçant à leurs premières 
idées de sévérité, se bornèrent à exiger l'arrestation des 
prêtres réfractaires, dont le nombre était toujours consi- 
dérable dans la ville. 

Quelques autorités du département n'eurent pas toutefois 
la fermeté des administrateurs bordelais. A Libourne notam- 
ment le Conseil général de la commune exprima le désir 
de voir les administrateurs de district se prêter aux volontés 
des conventionnels, qui avaient invité la municipalité à 
arrêter les personnes Justement suspectes. 



164 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Vers le 26 mars, dix-neuf femmes furent enfermées dans 
le couvent des Ursulines, et les scellés apposés sur leurs 
meubles. Le 7 avril, elles étaient remises en liberté ^^K 

Après avoir recueilli auprès des corps constitués des 
renseignements sur les forces dont le département pourrait 
disposer contre les armées étrangères qui menaçaient la 
République, et sur les dispositions de la population borde- 
laise, Paganel et Garrau écrivaient à la Convention, le 
26 mars : ^ que l'excédant du contingent pour le départe- 
ment de la Gironde serait considérable; qu'ils avaient 
suspendu de ses fonctions le payeur général Germonière, 
comme noté d'incivisme depuis le commencement de la 
Révolution; que le commerce était frappé de stérilité et 
l'industrie presque nulle ; que le prix des subsistances était 
tellement élevé, que les pauvres souffraient réellement et que 
les maisons riches autrefois ne pouvant plus faire de sacrifices, 
ils se voyaient obligés de demander à la Convention des 
secours en argent pour la population malheureuse ^^K » 

Le même jour, la municipalité, plus explicite que les 
conventionnels, disait au ministre de Tintérieur : 

« Après avoir épuisé toutes les ressources du patriotisme 
le plus pur, de l'amour le plus ardent pour la République 
et les efforts les plus constants pour le maintien de la tran- 
quillité de cette ville, la municipalité de Bordeaux, soutenue 
des corps administratifs supérieurs, se voit dans l'urgente 
nécessité de réclamer les plus prompts secours ; elle déclare 
qu'il lui est impossible de pourvoir à la subsistance de cette 
grande cité et des parties adjacentes, au delà de vingt-cinq 
ou trente jours... Ainsi, la population est exposée aux 
horreurs de la famine dans vingt-cinq jours d'ici, si le 
pouvoir exécutif, appuyé par la Convention nationale, ne 
s'empresse de venir très promptement à son secours. Oui, 

(1) Guinodie, Histoire de Libourne. 

(2) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. I«r, 2« partie, p. 293. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l65 



les habitants de Bordeaux sont près de mourir de faim, 
faute de subsistance première. 

y> La déclaration de guerre contre presque toutes les puis- 
sances de r Europe, les pertes énormes que vient d'éprouver 
le commerce, et la suspension générale de toutes les affaires 
par l'impossibilité d'exécuter toute espèce d'exportation, ne 
laissent pas l'espoir de trouver les moindres ressources, 
même parmi les citoyens qui ont démontré le plus de zèle. 

:ù L'épuisement est général en moyens pécuniaires, et la 
pénurie des subsistances est sur le point de combler la mesure 
de nos maux, si la Nation ne vient au secours de notre 
immense cité, en lui prêtant une somme de deux millions... 

i> Il n'est pas de spectacle plus déchirant, pour des admi- 
nistrateurs humains et sensibles, que de voir chaque jour 
devant eux les officiers municipaux des campagnes qui nous 
environnent, réclamant, les larmes aux yeux, quelques bois- 
seaux de blé, assurant que les habitants de leur territoire 
languissent depuis plusieurs jours dans le dénùment et la 
faim, et déclarant que, s'ils n'obtiennent quelques secours, 
ils n'osent plus retourner dans les campagnes d'où ils 
viennent <'). » 

Ces détails ne sauraient être plus navrants; ils se confir- 
ment les uns les autres et peignent fidèlement la triste 
situation des Bordelais et des habitants de la Gironde aux 
premiers jours de l'année 1793. 

La lettre de Paganel et Garrau, lue à la tribune de la 
Convention, dévoila toute l'étendue du mal. Fonfrède s'en 
empara; il fit de la demande des conventionnels une motion 
formelle, représenta le commerce de la Gironde comme 
entièrement paralysé, et s'efforça de faire comprendre à 
l'Assemblée que le défaut des convois, Imsurrection de la 
Vendée, l'audace des corsaires, l'embargo mis sur les bâti- 

(0 Archives municipales de Bordeaux. 



jA6 histoire de la terreur a bordeaux. 

mcnts étrangers, avaient tari les sources de la prospérité de 
Bordeaux et détruit toutes les relations commerciales avec 
le Nord et avec les colonies. Il appuya avec énergie sur les 
inquiétudes de ses compatriotes, qui n'avaient plus que pour 
quinze jours de provisions; et puisque les particuliers riches 
s'étaient dépouillés de leur dernier écu pour la République 
et que la caisse municipale était vide, il insista pour que 
le gouvernement accordât deux millions à la ville de 
Bordeaux ('). 

Après une discussion assez vive, la Convention vota un 
secours de deux millions, à prélever sur les contributions 
arriérées de Tannée 1 792 . 

C'était un résultat important pour la ville. Mais en même 
temps qu'elle accordait ces subsides aux Bordelais, la Con- 
vention, lancée par tous ses embarras à l'intérieur et à 
l'extérieur sur la pente des mesures les plus tyranniques, 
décrétait que les citoyens seraient tenus de faire afficher, 
sur les portes de leurs maisons, les noms, prénoms, âge, 
profession et lieu de naissance des personnes qui les habi- 
taient^*). Il est aisé de deviner le but que devait atteindre un 
pareil décret et le trouble qu'il allait jeter au milieu des 
craintes et des inquiétudes générales : il constituait une arme 
terrible entre les mains des démagogues contre les émigrés, 
les nobles, les prêtres, les suspects... 

Les citoyens étaient appelés à dresser eux-mêmes les 
listes de proscription que la Terreur devait utiliser un peu 
plus tard ! 

Tout en subissant cette t)Tannie, qui s'imposait fatale- 
ment par la force des circonstances, le peuple exerçait 
parfois sa puissance et faisait justice de ceux qu'il considérait 
comme ses ennemis. 
- Le Club national, par exemple, dont nous avons fait 

(0 O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. !•', 2« partie, p. 298. 
(3) Décret du 29 mars 1 793. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. 167 

connaître le détestable esprit, avait tellement multiplié ses 
calomnies, développé ses intrigues et accru son audace, 
qu'il avait soulevé contre lui une partie de la garde nationale 
et de la jeunesse bordelaise. Au mois de mars, et sous 
Tempire des craintes que lui inspiraient les menaces de 
quelques hommes courageux, il interrompit brusquement 
ses séances, et les principaux meneurs se tinrent à l'écart. 
Cédant à la pression de Topinion publique^ la municipalité 
ordonna la fermeture de ce club. Ses membres conspirèrent 
en silence et accumulèrent des provisions de haine, en 
attendant Theure du réveil. 

Nous les verrons apparaître aux plus mauvais jours de 
notre histoire. 

Dumouriez venait de trahir la République et de passer 
à rétranger. La nouvelle de cette trahison produisit à 
Bordeaux une impression profonde sur les masses. Les 
victoires de Jemmapes et de Valmy avaient illustré ce 
général ; on le considérait comme le sauveur de la République 
et tous les partis l'avaient successivement caressé. Sa 
défection causa une frayeur générale : on croyait voir déjà 
l'ennemi envahir le territoire de la France. "^ 

La Convention ne se laissa pas intimider ; elle avait osé 
tout récemment, par la création du Tribunal révolutionnaire, 
prouver ce dont elle était capable : opposant, dans ces 
circonstances, une énergie toute patriotique aux terreurs de 
la Nation et aux joies secrètes des ennemis de la République, 
elle décréta, le 4 avril, que or quiconque parlerait de capituler 
avec Dumouriez ou serait convaincu d'avoir approuvé sa 
rébellion et ses principes antirépublicains, serait puni de 
mort. » 

Les officiers municipaux de Bordeaux, agissant en vertu 
des ordres du département, pratiquaient durant ce temps 
des visites domiciliaires dans la ville, afin d'arrêter les gens 
suspects. 



l68 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



De malheureux prêtres furent les principales victimes de 
ces perquisitions, qui ajoutaient aux inquiétudes toujours 
renaissantes de la population. 

Si Ton veut avoir une idée des émotions qui parfois 
assaillaient le peuple et les autorités à l'occasion des nouvelles 
politiques ou des bruits de toute nature mis en circulation 
et que la crainte exagérait toujours, on n'a qu'à se 
transporter au Conseil général du département. Voici ce 
qui s'y passait le i o avril : 

« Les membres composant le Comité de sûreté générale 
sont entrés et ont dit : qu'ils avaient à communiquer à 
l'assemblée des pièces importantes qui exigeaient une 
prompte délibération, à laquelle il conviendrait qu'assis- 
tassent des membres du district et de la municipalité. ]» 

Le Conseil général, déférant à cette demande, envoie 
chercher des représentants du district et de la municipalité. 

a Après leurj arrivée, les portes ayant été closes, les 
membres, du Comité de sûreté générale ont annoncé à 
l'assemblée, qu'en conséquence de la réquisition faite par 
le Directoire du département à la gendarmerie nationale de 
conduire au bureau de la poste aux lettres les courriers 
extraordinaires qui pourraient traverser le département, 
expédiés par des particuliers, il en avait été conduit ce 
matin un, chargé de paquets très volumineux, à l'adresse 
pour la plupart de différentes Sociétés populaires, depuis 
Paris jusqu'à Toulouse, et quelques-uns pour des particuliers 
connus dans cette ville, pour y propager des principes 
propres à troubler Tordre social ('J ; qu'ayant fait l'ouverture 
de ces paquets, ils avaient vu avec effroi qu'ils contenaient 
plusieurs imprimés où l'on prêchait ouvertement la révolte 
contre la Convention nationale et les autorités constituées, 
et dont les provocations ne tendaient à rien moins qu'à 

(i) Cétait un courrier des Jacobins de Paris. 



LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. 169 

engager les citoyens de tous les départements à se rendre à 
Paris, en aussi grand nombre qu'il serait possible, pour y 
égorger, comme des victimes nécessaires au salut public, 
une partie des membres de la Convention nationale, les 
ministres et les chefs des diverses administrations; que ce 
projet atroce, grossièrement voilé dans les écrits imprimés, 
se trouve dans les termes les plus formels dans une lettre 
écrite par un particulier actuellement à Paris, envoyé par 
plusieurs de ces hommes mal famés qui se sont efforcés de 
porter le trouble dans notre ville t*). » 

Le secrétaire général du Conseil lit immédiatement les 
pièces saisies sur le courrier, et cette lecture excite à diverses 
reprises Tindignation de l'assemblée. Il ne s'agissait de rien 
moins que de décimer la Convention et de faire justice des 
Brissot, des Gensonné, des Vergniaud, des Guadet, de 
toute la Gironde enfin. 

Après en avoir délibéré, le Conseil général arrêta qu'il 
serait, dans le plus court délai, envoyé deux députés à la 
Convention pour lui faire part de la découverte du complot 
tramé contre elle, et réclamer, au nom du salut public, les 
mesures les plus promptes et les plus vigoureuses pour 
arrêter les suites de ce complot et en faire punir les auteurs 
suivant la rigueur des lois. 

Grangeneuve jeune et Partarrieu furent chargés de cette 
mission. 

Le Conseil général remit à ses députés une adresse à la 
Convention, conçue dans les termes suivants : 

« Gtoyens représentants, guerre aux tyrans, guerre aux 
traîtres, guerre aux anarchistes, tel est le cri de ralliement 
de tous les habitants de la ville de Bordeaux et du 
département de la Gironde. Vous venez de décréter que 
cette ville et ce département avaient bien mérité de la patrie 

(0 Cest de Desfieuz qu'il s'agit ici. 



170 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

pour le nombre des hommes et des secours de toute espèce 
qu'ils ont fournis, tant pour la formation que pour le 
recrutement de Tarmée, et pour aller éteindre le feu de la 
révolte partout où les contre-révolutionnaires sont parvenus 
à rallumer. Vous rendrez, nous en sommes certains, un 
témoignage non moins honorable au zèle qu'on y apporte 
pour déjouer les manœuvres de ces monstres qui, ne pouvant 
avoir d'existence que dans le trouble et l'anarchie, cherchent 
à armer de poignards tous les citoyens et à les exciter les 
uns contre les autres. 

» Vos commissaires, convaincus de la nécessité d'em- 
ployer, dans les circonstances où nous nous trouvons, la 
surveillance la plus active contre tous nos ennemis intérieurs, 
nous ont engagés à former un comité de sûreté générale 
pour suivre toutes les démarches des hommes suspects et 
pour recueillir et examiner toutes les preuves des complots 
qu'ils peuvent former contre la patrie... » 

Le Conseil général exposait ensuite la saisie faite sur un 
courrier extraordinaire; il appréciait les écrits dont il était 
porteur, s'élevait avec une courageuse énergie contre les 
attaques dont certains membres de la Convention étaient 
l'objet, ne craignait pas de blâmer hautement les massacres 
de Septembre, et terminait ainsi : 

c N'aurions-nous été empêchés d'envoyer des forces 
pour vous défendre que pour vous laisser livrés au fer des 
assassins 1 Si nous pouvions le croire... Mais non, nous ne 
doutons point que les députés que nous vous envoyons ne 
nous rassurent bientôt : nous attendrons de leurs nouvelles 
avec la plus vive impatience. 

i> Si vous avez besoin de nos secours, citoyens représen- 
tants, parlez et vous verrez tous les habitants de la Gironde 
aller se ranger autour de vous ('). » 

(0 Archives de la Gironde, reg. du département, n« 4, p. 83 et suiv. 



LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. I7I 

Cette délibération et l'adresse à la Convention que Ton 
vient de lire ne tardèrent pas à être connues dans Bordeaux, 
ainsi que les imprimés et les lettres saisis sur le courrier 
extraordinaire des Jacobins. L'alarme fut vive parmi les 
citoyens; ils approuvèrent en général les mesures prises 
par le département, et les vingt-huit sections vinrent offrir 
leurs services au Conseil général et Tassurer de leur 
dévouement. 

Celui-ci, pour calmer Tanxiété publique et se rallier 
autant que possible la masse de la population, adressa 
le 1 2 avril la proclamation suivante aux Bordelais : 

« Qtoyens, jamais nous n'eûmes besoin d'une surveillance 
plus aaive. Les fauteurs du despotisme et ceux de l'anarchie 
semblent s'être ligués pour appeler sur notre malheureuse 
patrie tous les fléaux de la guerre civile et de la subversion 
de l'ordre social. Ils tendent, en effet, au même but. Les 
premiers veulent Jeter le peuple dans des convulsions si 
affreuses, que, fatigué de ses propres excès, il soupire après 
le retour d'un pouvoir qui lui procure du moins le repos 
de l'esclavage. Les autres, ne pouvant exister que dans la 
fange du crime et de la scélératesse, abusent de la confiance 
que leur audace inspire à des citoyens ardents et peu 
éclairés, pour les provoquer aux révoltes, au carnage et à 
toutes les atrocités dont ils espèrent pouvoir profiter pour 
assouvir leur insatiable cupidité par les vols et les brigan- 
dages, ou leur propre fureur dans le sang des hommes 
courageux qui s'opposent à leurs desseins. 

y> Il n'est besoin, pour les déjouer, que d'éclairer la 
masse des citoyens, leur découvrir ces trames perfides, en 
dévoiler les auteurs, leur arracher le masque imposteur 
dont ils se couvrent et mettre au jour leurs basses intrigues. 
Alors, n'en doutez point, le peuple, toujours bon quand 
il n'est point trompé, fera lui-même rentrer dans le néant 
ces monstres farouches et sanguinaires par lesquels il a été 



172 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



si longtemps et si cruellement abusé. Déjà le peuple de 
Paris a reconnu les erreurs dans lesquelles ils Pont précipité. 
Il sent aujourd'hui qu'il n'existe plus de société, et par 
conséquent plus de bonheur, si le respect religieux des lois 
ne garantit pas la sûreté des personnes et des propriétés. 
Les perturbateurs lui sont devenus odieux ; il les repousse, il 
ferme l'oreille à leurs insidieuses provocations. 

> Ces scélérats, désespérés de la ruine de leur crédit, ont 
concentré leur rage; ils veulent user de leurs dernières 
ressources. Ils se flattent qu'il existe encore dans les dépar- 
tements des hommes qu'il leur sera facile de tromper; ils 
profitent des dangers de la patrie et de l'indignation qu'ont 
excitée les nouvelles trahisons dont elle a pensé être la 
victime; ils sonnent la trompette; ils évoquent à Paris, de 
toutes les parties de la France, des hommes qui puissent 
encore ajouter foi à leurs oracles; ils leur assurent que la 
Convention nationale, le ministère, les diverses adminis- 
trations sont en grande partie composés de traîtres, dont 
l'existence est incompatible avec le salut de la patrie, et 
qu'il faut nécessairement immoler pour sauver la liberté. 
Ils les exhortent à venir exercer la vengeance nationale sur 
ces hommes qu'ils leur désignent, et contre lesquels ils 
accumulent tout ce qui peut être capable d'exciter contre 
eux la haine publique. 

B Ce n'est plus par des émissaires secrets, c'est en 
s'arrogeant les droits de la représentation nationale, c'est 
en rivalisant avec les autorités constituées qu'ils expédient 
des courriers dans toutes les parties de la République pour 
assurer la plus prompte exécution de leurs projets. 

» Notre Comité de surveillance a heureusement intercepté 
un de ces courriers, et nous avons frémi en voyant quels 
horribles poisons il était chargé de répandre. Vous en jugerez 
vous-mêmes, citoyens, par le procès-verbal que nous vous 
adressons et que nous avons cru d'un intérêt assez pressant 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. Iji 

pour devoir l'envoyer à la Convention nationale par deux 
membres de notre administration. 

ï Tout notre regret a été de ne pouvoir extraire en 
entier, des dépêches secrètes des scélérats auteurs de ce 
complot, toutes les preuves des moyens infâmes dont ils 
se servent pour tirer parti des malheurs publics, placer 
leurs suppôts dans tous les bureaux et profiter des besoins 
de la patrie pour faire des bénéfices aussi énormes que 
frauduleux. Nos députés sont chargés de mettre leur 
correspondance sous les yeux des ministres qu'ils sont 
parvenus à tromper; et nous espérons que la France 
entière ouvrira enfin les yeux sur le caractère et les projets 
d'hommes faits pour déshonorer, s'il était possible, aux 
yeux des nations et de la postérité, la plus belle cause que 
jamais un grand peuple ait entrepris de défendre ^^K t> 

L'acte que venait d'accomplir le Conseil général du 
département était à la fois périlleux et hardi; son langage 
aux habitants de Bordeaux était plein d'énergie et de 
courage; il dévoilait les dangers dont la Convention était 
menacée dans une partie de ses membres par les affidés de 
la Montagne, et il en appelait au sentiment public. 

La population et les autorités constituées applaudirent 
aux mesures prises par le département. 

Nous en trouvons une preuve certaine dans la démarche 
faite par une députation, ayant à sa tête le maire Saige, 
auprès du Conseil général et auprès des conventionnels en 
mission. 

S'adressant, au nom des sections de la ville^ au Conseil 
général du département, Saige lui disait, le 14 avril : 

« Citoyens administrateurs, lorsque, par une surveillance 
aussi active que salutaire, vous arrêtez les manœuvres des 
agitateurs et des scélérats qui voudraient établir l'anarchie 

(1) Archives de la Gironde, série L. 



174 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

et le despotisme sur les ruines de notre République et de 
notre liberté, les citoyens pourraient-ils demeurer specta- 
teurs tranquilles des succès de votre administration ? Non, 
citoyens administrateurs, le bonheur qu'elle leur procure 
vous est payé par la plus tendre et la plus vive reconnais- 
sance; ils sont portés vers vous par Timpulsion puissante 
de ce sentiment qu'il leur est bien doux de manifester. 

» Oui, citoyens administrateurs, vous avez rendu à la 
chose publique le service le plus signalé; et tout éloge est 
au-dessous du zèle qui a conduit vos démarches dans la 
découverte d'une trame qui tient au plan de désorganisation 
et de ruine de la République et de notre liberté... 

:» Grâces vous soient rendues, citoyens administrateurs; 
tous les bons citoyens, les républicains, les amis des lois, 
de la liberté, de l'égalité, le diront avec nous... 

> Ce n'est pas assez pour la commune de Bordeaux de 
louer votre conduite, de vous en remercier, de vous dire 
combien elle s'en félicite; elle vous offre aussi les assurances 
de tout son zèle à concourir à vos vues pour la défense de 
la liberté et de l'égalité, de son ardeur à seconder vos 
démarches bienfaisantes pour maintenir la pureté des 
principes républicains, à combattre contre lés tyrans, les 
traîtres et les anarchistes; elle sera toujours digne de votre 
administration paternelle, qui fait son bonheur, comme 
vous êtes dignes de son amour, juste récompense de vos 
travaux ^^K » 

Le citoyen Cholet, qui présidait le Conseil général, 
répondit au maire quelques paroles affectueuses et remercia 
les citoyens du concours qu'ils promettaient au département. 
La députation se retira au bruit des applaudissements et se 
rendit chez les conventionnels. 

Garrau l'accueillit avec beaucoup d'affabilité, exprima ses 

(i) Archives municipales de Bordeaux. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. lyS 



regrets de Tabsence momentanée de son collègue Paganel 
et fit entrer dans ses salons les membres de la députation. 
Quand le silence se fut établi, Saige adressa au député le 
discours suivant : 

« Citoyens législateurs, une cité célèbre depuis le com- 
mencement de la Révolution par les sacrifices qu'elle a 
faits pour la conquête de la liberté et de Pégalité; dont 
les soldats patriotes ont les premiers montré leur courage 
dans la campagne de Moissac, pour combattre les ennemis 
de notre régénération ; qui compte dans nos armées onze 
bataillons, dont trois entièrement levés dans son sein 
signalent leur courage dans les campagnes d'Ândaye et 
de la Vendée, et les autres, plus qu'à moitié formés par 
ses citoyens, établissent la célébrité du nom de la Gironde; 
une cité qui, au glorieux témoignage d'avoir bien mérité de 
la patrie, joint l'avantage précieux d'avoir maintenu dans 
son sein la pureté des principes révolutionnaires avec 
l'amour de l'ordre et des lois, cette cité vient de donner 
une nouvelle preuve de son amour pour la République, de 
sa haine contre les tyrans, les traîtres et les anarchistes. 

» Ce n'est pas en vain que la Convention vous a députés 
dans notre département pour y établir des mesures que 
les lois ne dictaient pas encore contre les ennemis qui 
travaillent sans cesse à arrêter le bonheur dont la Révo- 
lution doit nous faire jouir. Nos administrateurs ont 
employé avec le plus heureux succès les moyens que 
votre sagesse a mis dans leurs mains pour découvrir les 
traces des complots formés par les ennemis de notre 
liberté, par les monstres qui ne cessent de s'agiter autour 
de nos représentants, pour essayer de nous priver des 
fruits de leurs sollicitudes paternelles... Mais nos sages 
administrateurs ont arrêté leurs complots... Ils ont fait 
connaître à nos illustres représentants, et à la France 
entière, combien il est instant de se réunir pour former 



176 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

une défense invincible... Les sections et le Conseil général 
de notre commune se sont félicités des mesures prises par 
les corps administratifs ; ils ont applaudi aux adresses qui 
ont été envoyées à la Convention et ont délibéré de venir 
vous supplier de les appuyer par la plus forte recomman- 
dation auprès de nos représentants, vos collègues. 

» Dites-leur que, toujours fidèles à leurs serments, les 
Bordelais ne cesseront de défendre la liberté et l'égalité, 
de combattre jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour 
la République, une et indivisible; qu'ils ont juré une guerre 
étemelle aux tyrans, aux traîtres, aux anarchistes, à ces 
agitateurs infâmes dont les manœuvres criminelles tendent 
à sacrifier à leur intérêt ou à leur ambition le repos 
de la République, à troubler l'union si nécessaire pour 
notre bonheur. 

j> Dites-leur que les Bordelais seront toujours le plus fort 
rempart des lois, de la liberté, de l'égalité; que s'ils pouvaient 
craindre les ennemis du dehors, à leur voix, nous formerons 
des bataillons invincibles qui mettront hors de toute attaque 
le territoire de la République; mais que si les ennemis du 
dedans travaillaient à détruire la République, à rétablir 
quelque pouvoir contraire à la liberté et à l'égalité, qui 
font notre bonheur, nous leur demandons de réunir tous 
les moyens que. leur autorité peut leur fournir pour 
éloigner de nous les malheurs que ces scélérats voudraient 
accumuler sur nos têtes ; que nous les supplions de donner 
l'attention la plus sérieuse à la dénonciation qui vient de 
leur être faite par nos administrateurs, de suivre la trame 
dont leur adresse leur a donné le fil, et de poursuivre, 
avec la sévérité de législateurs républicains, les auteurs 
de ces infâmes machinations ourdies par la cupidité et 
la perfidie. 

» Dites-leur enfin que si jamais les lois, l'autorité de nos 
représentants, les principes républicains, la liberté, l'égalité, 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. I77 



pouvaient être méconnus ou attaqués, la Gironde leur en 
fournira toujours les plus ardents défenseurs ('). :) 

Garrau dut se trouver un peu embarrassé devant les 
déclarations du maire Saige; il n'était Girondin que 
d'origine, nous Tavons dit, et ses aspirations le portaient 
vers la Montagne, dont il n'épousait pas d'ailleurs toutes 
les rancunes; il fit cependant bonne contenance, disent les 
écrits contemporains; il répondit avec dignité et donna 
l'assurance aux citoyens présents qu'il était animé des 
meilleurs sentiments en faveur de la commune de Bor- 
deaux, des sections et du maire; il ajouta qu'il appuierait 
avec empressement auprès de la Convention la demande 
de la commune et toutes celles qu'elle aurait occasion de lui 
adresser. 

Ces paroles furent accueillies par des témoignages bruyants 
de reconnaissance et de satisfaction. 

La Convention, cela va sans dire, fut indifférente aux 
communications du département de la Gironde. Pressée 
par la Commune de Paris, par les sections, par les Jacobins, 
par Desfieux, qui nourrissait une haine mortelle contre ses 
compatriotes et qui portait contre eux la parole au nom 
de la démagogie, elle continua son œuvre jusqu'au jour où 
les Girondins succombèrent définitivement. 

Ne semble-t-il pas, dans les pages que l'on vient de lire, 
apercevoir ces ambiguïtés de langage que nous avons déjà 
signalées et qui dissimulaient à peine la véritable cause que 
le département entendait défendre dans ces circonstances 
décisives ? Il avait certainement en vue les illustres enfants 
qui avaient mis son nom en relief dans l'Assemblée régicide 
et dont les dangers n'étaient un secret pour personne. 

Les correspondances fréquentes échangées entre eux et 
leurs commettants étaient fort explicites à cet égard dès les 
premiers jours d'avril. 

(i) Archives municipales de Bordeaux. 

T. L 12 



178 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Fonfrède, par exemple, écrivant à la municipalité pour 
lui annoncer le subside voté par la Convention en faveur de 
la ville de Bordeaux, disait, le 9 avril : « J'ai reçu, par un 
courrier extraordinaire, votre lettre du 5 de ce mois. J'y ai 
retrouvé avec une bien douce satisfaction les expressions de 
votre estime et de votre amitié ; elles consolent un peu mon 
cœur des attaques de la calomnie et de la méchanceté, qui sont 
naturalisées dans ce pays. » Il ajoutait un peu plus loin : 
e: Les Bourbons et les d'Orléans partent aujourd'hui pour 
Marseille. On voulait nous faire ce détestable présent; nous 
nous y sommes opposés, et nous avons voté ostensible- 
ment contre. Notre ville est si heureuse, si paisible, si 
patriote, que nous nous serions crus coupables de courir 
les risques de la troubler, ou du moins de l'empoisonner, 
en lui envoyant des princes. Nous sommes enfin parvenus, 
grâce à la trahison d'Égalité fils, à porter le coup à cette 
race infâme, etc. ^^K » 

Cependant Paganel et Garrau, dont la mission dans 
notre département et dans celui de Lot-et-Garonne avait 
aussi pour objet l'exécution du décret du 27 février 1793 
sur le recrutement de l'armée, s'épuisaient en efforts pour 
compléter les cadres; en présence de la résistance de 
quelques communes, ils requéraient, par un arrêté du 
12 avril, les citoyens de ces communes, depuis dix-huit 
jusqu'à quarante ans, de se rendre au premier ordre pour 
la défense de la patrie, au lieu qui leur serait indiqué. 

A la date de cet arrêté, les deux conventionnels venaient de 
rentrer à Bordeaux, d'où ils s'étaient absentés plusieurs jours. 

Le i3 avril, le Conseil général leur rendait compte de 
tout ce qui se rattachait au recrutement et aux opérations 
du Directoire pendant leur, absence. Ils approuvèrent les 
actes du département (2). 

(i) Archives municipales de Bordeaux, 
(a) Registres du département, no 4, p. 90. 



LES PROLEGOMENES DE LA TERREUR. ÎJQ 

Nous Pavons dit, ropînion publique à Bordeaux et dans 
le département avait vu avec douleur la défection de 
Dumouriez. Mais dans quelques-uns des papiers saisis sur 
le courrier des Jacobins, on cherchait à présenter les députés 
girondins comme les complices du général. Le département 
songea à défendre ceux-ci d'une pareille accusation, et il crut 
ne pouvoir mieux le faire qu'en rendant compte de l'im- 
pression des habitants de la Gironde en apprenant cette 
défection. A cet effet, il écrivit, le i3 avril, à Partarrieu et 
à Grangeneuve, en mission à Paris : « Citoyens collègues, 
nous pensons qu'en vous présentant à la barre de la 
Convention nationale, votre premier soin aura été de faire 
connaître l'horreur qu'a inspirée à tous les bons citoyens 
de ce département l'horrible trahison de Dumouriez. 

» Vous n'oublierez pas de dire qu'au moment même où 
nous n'avions aucun détail d'une perfidie à laquelle nous 
étions loin de nous attendre de la part de cet homme 
astucieux, le décret de la Convention qui le déclare traître 
à la patrie et met sa tête à prix fut solennellement proclamé 
dans la cité, à la tête de notre brave garde nationale. 

> Il nous suffisait, en effet, d'apprendre par ce décret 
lui-même que ce général infidèle avait porté ses mains 
audacieuses sur des représentants de la Nation, pour que, 
dès cet instant, et quelques vues qu'il pût avoir, il fût voué 
à l'exécration publique. Tel est le sort réservé à tous les 
traîtres. La Nation est trop clairvoyante pour être dupe 
des vues d'un ambitieux, quel qu'il soit, » 

Après avoir raconté la démarche et l'approbation des 
vingt-huit sections à l'occasion des derniers événements, le 
département ajoutait : 

oc Nous apprenons avec la plus vive satisfaction que 
Paris est tranquille. Les départements le seront aussi 
malgré toutes les manœuvres des ennemis extérieurs et 
intérieurs. 



t8o htstoirk de la. terreur a bordeaux. 

]> Le convoi de La Rochelle, composé de dix bâtiments 
venant des colonies, est enfin arrivé hier dans notre rivière 
après deux mois et demi de séjour dans sa relâche. 

» Il serait bien temps que la Convention nationale ou\TÎt 
enfin les yeux sur Tétat d'abandon de notre marine. Ne 
reconnaîtra-t-on jamais que Timpéritie nous est presque 
aussi funeste que la trahison ^'^ ? * 

Le ton élevé de cette lettre n'échappera certainement pas 
à l'attention du lecteur. Un souffle patriotique l'anime, 
mais on y devine aussi le sentiment d'une dignité froissée, 
qui pouvait être considéré déjà comme contenant en germe 
la possibilité d'une rébellion... 

La minute est écrite en entier de la main de Pierre 
Sers, alors président du Directoire du département de 
la Gironde. 

La situation des habitants de Bordeaux continuait, 
d'ailleurs, à être toujours aussi malheureuse au point de 
vue de l'alimentation. Tous les moyens et toutes les fraudes 
étaient employés pour arriver à se procurer de la farine. 
On mangeait juste assez pour ne pas mourir de faim : 
chaque habitant avait, en moyenne, une livre et demie de 
pain par jour, a Nous sommes ici, écrivait un contem- 
porain, dans la disette des subsistances. Si vous pouvez 
nous envoyer une sache de farine propre à faire du bon 
pain de ménage, faites-nous la passer. Afin qu'elle ne soit 
pas arrêtée en route, il serait bon de la déguiser de manière 
qu'elle ne fût pas prise pour de la farine (*) . » 

Au milieu des souffrances' générales, Paganel et Garrau 
s'efforçaient de faire mettre dans le meilleur état de défense 
les côtes du département et d'assurer leur protection par 
des forces suffisantes. 



(0 Archives de la Gironde, série L, verbo Dumouriez. 
(2) Lettre de Philipt à Garde Besse et C^^, de Montauban, du 14 avril 1798 
(Voir le procès Philipt père et fils, 16 février 1794}. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l8l 

Ils mettaient en même temps en réquisition, pour le 
service des armées, les chevaux de luxe et les provisions 
de fourrages et d'avoine nécessaires à leur nourriture, et 
ils établissaient à cet effet des dépôts à Libourne pour le 
département de la Gironde, et à Agen pour le département 
de Lot-et-Garonne ^^K 

Quant aux prêtres, ils étaient, sur tous les points de la 
République, les déplorables victimes de la constitution 
civile du clergé et des lois tyranniques qui avaient suivi et 
complété Tœuvre janséniste de la Constituante. 

Le nombre de ceux que Ton conduisait chaque Jour à 
Bordeaux s'accroissait sans cesse, et Ton redoutait à la fois 
les excès de la population et les inconvénients d'une 
agglomération trop considérable de prisonniers. 

Ainsi, le 22 avril, un membre du Conseil général du 
département annonçait à l'assemblée qu'un détachement de 
la gendarmerie nationale d'Angoulême venait de conduire 
dans la maison d'arrêt du district de Bordeaux 53 prêtres 
condamnés à la déportation par divers départements, entre 
autres par ceux du Loiret, de l'Indre, d'Indre-et-Loire, etc. ; 
que déjà 20 de ces prêtres étaient détenus dans ladite 
prison; que, d'après les bruits répandus, on pensait que 
le nombre en serait porté à 200, et qu'il devenait instant 
de prendre un parti pour le logement de ces prêtres, et les 
mesures de sûreté les plus propres à maintenir la tranquillité 
publique ^^\ 

Il est certain qu'il existait dans la population une 
fermentation qui pouvait devenir dangereuse ; on craignait, 
disent les écrits du temps, des troubles et des armements. 
Pour les conjurer, le Conseil général décida que le district 
de Bordeaux donnerait aux municipalités environnantes 



(0 Appendicet note XV. 

(1) Archives de la Gironde, reg. du département, no 4, p. 90. 



l82 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Tordre de retenir les prêtres conduits vers la ville et de les 
faire partir à une époque telle que leur arrivée à Bordeaux 
« n'eût lieu que pendant la nuit » ^^K 

Ces prescriptions dénotent l'agitation des esprits à cette 
époque et les inquiétudes dont la population était assaillie. 

A cet égard, un fait l'attesterait surabondamment, s'il 
était nécessaire. De toutes parts, les citoyens réclamaient, 
dans leurs sections respectives, les certificats de civisme 
qu'ils croyaient utiles pour assurer leur sécurité, de plus en 
plus compromise par les lois draconiennes que là Conven- 
tion ne cessait de décréter (*>. 

Nous pourrions en rappeler un grand nombre; bornons- 
nous à citer la loi ordonnant la déportation des prêtres à la 
Guyane et celle déclarant conspirateurs les citoyens qui 
refuseraient les assignats au pair avec l'argent. 

On devine sans peine que de pareils décrets n'étaient pas 
de nature à ramener la confiance; mais la Convention n'en 
avait nul souci I II lui fallait régner, elle ne le pouvait que 
par la terreur, et la terreur, peu à peu, se répandait et 
gagnait du terrain dans les provinces... 

A ces sujets de crainte, il s'en ajoutait un, grave, sérieux, 
général : on redoutait les attaques des ennemis de la France 
et rinvasion du territoire. Partout, on s'occupait de la 
défense générale; on armait les côtes, on levait des volon- 
taires, on approvisionnait les armées. Les représentants 
en mission, les corps constitués, les autorités à tous les 
degrés, tout le monde enfin, comprenant la nécessité qui 
s'imposait, se préparait à résister aux armées étrangères. 

Le Conseil général de la Gironde avait eu à discuter à 
diverses reprises la mise en état de défense du Château 
Trompette; mais de nombreux intérêts privés engagés dans 



(0 Registres du département, n9 4, p. io5. 
(3) Appendice, note XVI. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l83 

la question avaient retardé une décision qui était cependant 
urgente. Paganel et Garrau s'impatientèrent de ces lenteurs 
qu'ils trouvaient dangereuses, et par un arrêté du 3o avril 
ils mirent un terme aux hésitations et aux discussions. II 
n'y avait qu'à s'incliner. 

Le Château-Trompette dut être débarrassé des construc- 
tions en bois bâties sur le terrain appelé le Pré, et qui, 
adossées en grand nombre contre les murs mêmes de la 
forteresse, pouvaient exposer celle-ci aux entreprises des 
malveillants; les fossés devaient être désobstrués, et les 
glacis du château et de ses dépendances rétablis dans leur 
état primitif (*). 

On se mit sur-le-champ à l'œuvre pour exécuter la 
décision des proconsuls. 

Mais les souffrances du peuple s'aggravaient; le froment 
et les autres grains devenaient de plus en plus rares à 
Bordeaux et dans toutes les communes du département, et 
le 3o avril, le Directoire du district de cette ville ne pouvait 
qu'attester la disette. Cette attestation se trouvait contenue 
dans un arrêté où on lit le considérant ci-après : « Vu la 
loi du i6 mars 1792, relative aux secours des grains et 
farines à procurer aux départements de la République, et 
les diverses expositions faites par plusieurs municipalités 
du district, d'où il résulte que ces municipalités sont extrê- 
mement dénuées d'approvisionnement; que dans la plupart 
des municipalités des campagnes, les boulangers ne peuvent 
pas faire de pain faute de blé, et que les habitants ne 
mangent pas de pain depuis plusieurs jours; que, dans 
quelques autres, plus voisines de la ville, les citoyens et 
citoyennes sont obligés de venir à Bordeaux et d'y perdre 
au moins une journée pour tâcher de se procurer du pain 
chez les boulangers, à quoi ils ne réussissent pas toujours 

(0 Appendice, note XVIL 



184 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

à cause de la grande affluence qui se fait dans les boutiques 
des boulangers, etc. ^^K » 

Ce triste et désolant tableau, emprunté à un document 
officiel, constate mieux que nous ne saurions le faire les 
misères extrêmes qui désolaient nos pères. 

Gomme pour ajouter aux difficultés et aux horreurs de la 
disette, les prêtres affluaient à Bordeaux, lieu de leur 
embarquement pour la déportation, et il fallait assurer 
leur subsistance. 

Ils y arrivaient de tous les cantons de la République, et 
leur nombre était tellement considérable que le fort du Hâ 
étant insuffisant à les contenir, le Conseil général du 
département avait désigné la citadelle de Blaye pour les 
recevoir provisoirement. 

Les choses allèrent si loin à cet égard, que le 3 mai 1793, 
à l'occasion de l'arrivée de cent huit nouveaux ecclésias- 
tiques, le département décida que ces prêtres n'entreraient 
point à Bordeaux et qu'ils seraient embarqués au port 
de La Bastide, pour de là être conduits directement à 
Blaye (^K 

Le 3 mai 1793, Paganel et Garrau se rendirent au 
Conseil général du département et annoncèrent quêtant 
sur le point de leur départ pour se rendre dans le 
département de Lot-et-Garonne, ils avaient cru devoir 
prescrire d'importantes mesures à l'occasion de la disette 
des subsistances et de la défense générale. 

Le département et la population accueillirent avec 
reconnaissance celles de ces mesures relatives aux approvi- 
sionnements. 

L'arrêté des conventionnels sur ce sujet palpitant mérite 
d'être reproduit dans son entier : 

a Sur le rapport qui nous a été fait, disaient-ils, tant par 

(i) Archives de la Gironde, série L. 

(3) Jd., reg. du département, n« 4, p. 112. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. l85 

■ 

la municipalité que par les administrateurs du département 
de la Gironde, que quelques bâtiments actuellement en rade 
ou au bas de la rivière de Bordeaux ont à bord des farines 
destinées par le gouvernement pour les diverses colonies, 
lesquelles farines, depuis trois, quatre ou cinq mois, et 
estimées fabriquées deux mois auparavant, courent le risque 
imminent d'une dégradation totale avant d'arriver à leur 
destination; 

» Considérant qu'un des plus sûrs moyens de maintenir 
la tranquillité publique et de garantir la sûreté générale 
dans le département de la Gironde est de prévenir le fléau 
de la disette dont il est menacé; que la pénurie de grains et 
farines, soit dans ce département, soit dans les départements 
voisins, tient les administrateurs et les délégués de la 
Convention nationale dans un état d'alarme qui s'accroît 
de jour en jour; que le peuple de Bordeaux, qui a vu sans 
peine et même avec satisfaction fraternelle partager ses 
subsistances avec les communes et départements voisins, 
porte aujourd'hui à toute heure ses réclamations auprès des 
administrations et délégués sur le danger de la disette, 
tandis que des subsistances considérables et d'aperçu sans 
utilité commerciale sont à bord des navires en rade; 

^ Considérant, en effet, d'après les informations que 
nous avons prises de divers négociants de Bordeaux, qu'un 
long intervalle doit s'écouler avant que les farines dont il 
s'agit arrivent à leur destination, et qu'il est presque 
impossible, d'après l'expérience, qu'elles puissent parvenir 
saines et d'une utile consommation aux pays pour lesquels 
elles sont destinées ; 

» Considérant que l'île de Bourbon a des ressources 
territoriales suffisantes pour être partagées avec l'île de 
France; que les îles du Vent et Sous-le-Vent sont pourvues 
par les Anglo- Américains, et que le riz et autres aliments 
suppléent aux farines au delà des mers; 



l86 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

» Considérant que Bordeaux se trouve privé en ce 
moment, et d'aperçu Jusqu'à la récoite, des ressources du 
département de la Vendée et autres départements maritimes 
voisins, vu Tinsurrection entière des brigands, malgré les 
troupes et renforts qui y ont été successivement envoyés; 
privé encore, ou du moins incertain sur les ressources de 
la mer, faute de convois assurés, malgré les demandes 
réitérées des représentants du peuple et des administrateurs, 
puisqu'il y a eu des barques chargées de grains enlevées 
par des corsaires anglais jusque dans Tintérieur de la 
rivière; pressé par les départements voisins du côté du 
midi et du levant, lesquels envoient chaque jour leurs 
officiers municipaux exposer leurs besoins les plus urgents ; 

» Considérant enfin que si, dans ces circonstances chaque 
jour plus alarmantes, Bordeaux, malgré la vigilance de ses 
administrateurs et de ses officiers municipaux, et malgré le 
bon esprit des citoyens, se voyait forcé de se refuser aux 
réclamations des communes et départements voisins, il se 
verrait bientôt peut-être un refuge de mécontents, un 
centre de malveillants dont on ne peut calculer les progrès; 

}) Arrêtons : le Directoire du département est autorisé 
à faire décharger et retenir, pour l'approvisionnement 
commun dudit département et des départements voisins, 
toutes les farines des bâtiments de départ, en rade et au 
bas de la rivière, dont la fabrication date de plus de trois 
mois (^). D 

Les autres dispositions de cet arrêté étaient relatives aux 
réserves nécessaires aux navires ainsi dépouillés pour le 
strict approvisionnement de leur traversée. 

Les mesures édictées par Paganel et Garrau nous 
dispensent d'insister sur la déplorable situation de Bordeaux 
au mois de mai 1793. 

(1) Archives de la Gironde, reg. du département, n« 4. 



LES PROLÉGOMÈNES DE LA TERREUR. 187 

Après avoir ainsi pourvu à la subsistance du peuple 
grâce aux pouvoirs dont ils disposaient, les représentants 
portèrent leurs efforts vers l'organisation de la défense 
générale. On Ta vu dans l'arrêté qui précède, Tennemi était 
à nos portes, et dans la rivière même les corsaires anglais 
faisaient des apparitions redoutables. 

Le Conseil général du département fut autorisé à requérir 
tous les serruriers, forgerons, charrons et armuriers, pour 
être employés au service de la Nation; à faire fabriquer 
des fusils ou autres armes jugées nécessaires, du salpêtre, 
et à former tous établissements et faire tous achats ayant 
pour but les moyens de défendre la patrie. Il fut, en outre, 
chargé de faire exécuter les travaux de défense des côtes et 
de la rivière, tels que batteries, signaux, redoutes, forts, 
vaisseaux stationnaires ou batteries flottantes, etc., etc., 
afin de rassurer la population contre toute invasion des 
ennemis. Le Conseil général était tenu de rendre compte 
de tous ses actes sur ce sujet aux représentants et au Comité 
du salut public (>). 

Ces dispositions diverses furent accueillies avec une 
grande faveur dans toute la ville, et Tespoir revint aux 
Bordelais, qui gardèrent un bon souvenir de Paganel et de 
Garrau. 

C'est après avoir régularisé toutes choses comme nous 
venons de l'indiquer, que les deux conventionnels quittèrent 
Bordeaux, acclamés par la population tout entière. 

(1) Appendice, note XVIIL 



♦|*4j*4j*^4|«.4j*^*4Î*4j«.^*J*4j*4j«.^4tf*j4.^>^4j«.4t*4j**J^4j* 



CHAPITRE II 

LES CmONBINS. 

Les députés de la Gironde à la Législative et à la G>nveiition. — Ils sortaient 
de la bourgeoisie. — Notices biographiques. — Ils deviennent les chefs 
du parti dit de la Gironde, — Division des partis à TAssemblée législative. 

— l^s Girondins attaquent la royauté. — Montagne et Gironde. — 
Destitution du ministre Narbonne. — Ministère girondin. — On déclare 
la guerre à l'Autriche : premières défaites. — Le camp de 20,000 hommes. 

— Renvoi du ministère. — Les journées du 20 juin et du 10 août. 

— Fin de la Législative. — La Convention nationale. — Notices 
biographiques. — La royauté est abolie. — Proclamation de la 
République. — La Gironde et la Montagne à la Convention. — Différences 
entre ces deux partis : leurs luttes. — Le procès de Louis XVI. — Attitude 
des Girondins. — Levée des 3oo,ooo hommes. — Création du Tribunal 
révolutionnaire de Paris. — Mise en accusation de Marat. — Pache 
demande la mise en accusation des Girondins. — Les journées des 3 1 mai, 
1er et 2 juin. — Chute du parti de la Gironde et triomphe de la Montagne. 

— Appréciation du rôle des Girondins à la Législative et à la Convention. 

Le département de la Gironde avait envoyé à l'Assemblée 
législative et à la Convention une pléiade d'hommes 
jeunes, ardents, d'un talent incontesté et qui n'avaient pas 
tardé à prendre une large place et à conquérir une influence 
considérable au sein de la représentation nationale. 

Ces hommes appartiennent trop intimement à notre pays 
et leur destinée a trop influé sur les événements accomplis 
à Bordeaux durant la Révolution, pour ne pas consacrer 
quelques lignes aux principaux d'entre eux. 

L'Assemblée législative avait vu Barennes, Ducos, 
Gensonné, Grangeneuve, Guadet, Jay, Journu-Aubert, le 
curé Dominique Lacombe, LafFon-Ladébat, Pierre Sers, 
Servière et Vergniaud. 

La Convention compta parmi ses membres Bergoeing, 
Boyer-Fonfrède, Deleyre, Ducos, Duplanticr, Garrau, 



LES GIRONDINS. 189 



Gensonné, Grangeneuve, Guadet, Jay, Lacaze et Ver- 
gniaud. 

Tous, ils avaient grandi au milieu d'une population vive, 
intelligente, spirituelle, expansive et- sociable, et qui n'était 
restée étrangère, en aucun temps, aux questions les plus 
ardues du droit public et de la politique générale. La con- 
quête de l'autonomie communale du pays, l'esprit d'examen 
introduit en Guienne par la domination anglaise, les guerres 
dans cette province des rois de France et d'Angleterre, les 
troubles occasionnés par la gabelle, les luttes du Parlement 
avec la royauté, si fréquentes et si hardies, toutes ces causes 
réunies avaient contribué successivement au développement 
des instincts politiques de la population bordelaise et du 
pays qui l'entourait. 

La bourgeoisie était née et avait grandi peu à peu au 
milieu des événements et des luttes, et son niveau intel- 
lectuel n'avait pas cessé de s'élever; étouffée au début entre 
la noblesse et les serfs, elle avait élargi patiemment sa voie, 
pris position dans toutes les carrières, accaparé le commerce, 
envahi les emplois municipaux et pénétré jusqu'aux sièges 
de la magistrature. Elle était devenue une puissance, et c'est 
dans son sein que se recrutaient en général des écrivains de 
valeur, des orateurs brillants, des publicistes et des juris- 
consultes remarquables autant par l'étendue de leurs 
connaissances que par la droiture et la fermeté de leur 
esprit. 

C'est dans cette bourgeoisie, influente à la fois par la 
richesse et par la science, que le peuple choisit, en 1 79 1 et 
1792, les députés chargés de le représenter à la Législative 
et à la Convention. 

Vergniaud (Pierre- Victurnien), l'un d'eux, né à Limoges 
en Î759, avait trente-deux ans en 1791. Secrétaire du 
président Dupaty pendant plusieurs années, puis, à vingt-six 
ans, avocat au Parlement de Bordeaux, il salua avec enthou- 



igO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



siasme l'aurore de la Révolution; il ne tarda pas à être 
appelé par ses concitoyens d'adoption au Conseil général 
du département, où, pendant deux années, il défendit avec 
ardeur toutes les réformes libérales. 

Imbu des principes philosophiques du xviii® siècle, 
Vergniaud fut, à l'Assemblée législative, un des organes les 
plus éloquents des idées nouvelles. Dans la foule, dit un de 
ses biographes, il n'eût arrêté les regards de personne : sa 
figure était sans expression, sa démarche languissante, son 
caractère apathique; mais dès qu'une pensée l'agitait, dès 
qu'il avait à défendre une cause, sa stature robuste se 
redressait, ses larges épaules se développaient avec une 
majestueuse ampleur : alors il portait la tête haute, ses 
yeux noirs, sous des sourcils proéminents, se remplissaient 
d'éclairs et ses lèvres épaisses jetaient à grands flots une 
parole abondante, facile, imagée, toujours élégante; son 
geste était calme, son organe d'une remarquable pureté. 
Ces éclairs passés, V Aigle de la Gironde, comme on l'avait 
appelé, retombait dans son indolence habituelle f^). 

Plus âgé d'un an que Vergniaud, Guadet (Marguerite- 
Élie), né à Saint- Émilion le 20 juillet lySS, était avocat au 
Parlement de Bordeaux ; il avait débuté avec éclat au barreau 
dès l'âge de vingt-cinq ans. Son élocution était vive, prompte, 
hardie comme son esprit; il avait une vaste intelligence et 
une rare aptitude pour les affaires ; aussi fut-il un moment 
question de lui en 1 789 pour être député du tiers à la Consti- 
tuante. Guadet se jeta avec toute l'ardeur de son tempérament 
dans le mouvement politique de l'époque, et dès 1790 il 
était élu président du tribunal criminel de la Gironde (2). 

Né à Bordeaux le 10 août 1758, Gensonné (Arnaud) 
avait embrassé la carrière du barreau. C'était un caractère 
réfléchi, un moraliste sévère, un penseur hardi; jeune encore, 

(i) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux, passim. 
(3) Id. — O'Reilly, Histoire de Bordeaux, passim. 



LES GIRONDINS. I9I 



dit M. Chauvot, il apparaît dans la société bordelaise 
comme l'un des chefs de cette bourgeoisie qui, possédant le 
talent et la fortune, supportait avec peine les prérogatives 
parfois blessantes de la noblesse. L'étude des philosophes, 
de Montesquieu surtout, fortifia dans son âme le culte pour 
la liberté. Il avait apporté au barreau un esprit juste et 
positif, une parole lucide, élégante, acérée. Nommé secré- 
taire de la Ville en 1787 par le roi, Gensonné avait refusé 
cette fonction parce qu'il ne la tenait pas du suffrage de ses 
concitoyens. Tel était l'homme dès avant 1789. Plus tard 
il fut successivement élu notable de la municipalité, procureur 
de la commune et, en 1790, juge au tribunal de cassation ('^ . 

Barennes, avocat au Parlement de Bordeaux comme les 
précédents, avait embrassé avec chaleur la cause de la 
Révolution. C'était un jurisconsulte éminent, un esprit 
distingué, un orateur fécond. Professeur de droit français à 
l'Université de Bordeaux, il avait su attirer à ses leçons 
toute une jeunesse ardente et studieuse, que son enseigne- 
ment préparait aux luttes de l'avenir. En 1790, il était élu 
procureur général syndic du département, et son patriotisme 
dans cette place lui valut, en 1791, son élection à l'Assem- 
blée législative (^) . 

Aussi avocat au Parlement, Grangeneuve (Jacques- 
Antoine), né à Bordeaux en 1750, d'une des familles les 
plus estimées de la bourgeoisie, était un homme droit, d'un 
caractère honorable, d'un esprit cultivé. Moins orateur que 
Vergniaud ou Guadet, ces maîtres de la tribune, il eut 
pourtant des succès auprès d'eux. Rompant en quelque 
sorte avec des traditions de famille, il se laissa emporter 
dans le mouvement politique, et devint, selon l'expression 
de Lamartine, un fanatique de la liberté <^). Il avait été 
substitut du procureur de la commune de Bordeaux. 

(«)-(2)-(3; Chauvot, le Barreau de Bordeaux, passim. — 0*ReilIy, Histoire 
de Bordeaux f passim. — Lamartine, les Girondins, passim. 



igîi HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Ducos (Jean- François), le petit Ducos, disaient ses 
contemporains de 1783, fils d'un négociant et négociant 
lui-même, malgré Minerve, était né à Bordeaux en 1765. 
Lauréat du Musée, il se fit remarquer très jeune par son 
amour pour les belles-lettres, et on a conservé de lui des 
vers pleins d'esprit et de malice attique. Homme d'un 
commerce agréable et d'une amabilité charmante, il s'était 
nourri des philosophes et des encyclopédistes du xvni® siècle. 
Ducos n'était pas un orateur dans le sens du mot : il était 
plus spirituel que profond, plus poète qu'homme politique, 
et prit assez rarement la parole à la Législative et à la 
Convention ^^\ 

Journu-Aubert (Bernard), né à Bordeaux en 1748 et 
devenu comte de Tustal sous l'Empire, était négociant à 
l'époque de la Révolution ; il en embrassa les principes et 
fut élu en 1790 administrateur du district de Bordeaux. 
C'était un agriculteur distingué, un homme pratique, 
connaissant les affaires, honnête et droit, mais n'ayant pas 
de facultés oratoires et qui se fit peu remarquer à la 
Législative; il a légué à sa ville natale un beau cabinet 
d'histoire naturelle. 

Dominique Lacombe, curé de Saint- Paul, dont nous 
avons parlé dans un de nos précédents chapitres f^), s'était 
fait connaître par son adhésion à la constitution civile du 
clergé et par ses sermons révolutionnaires. Son attitude et 
ses intrigues lui valurent la faveur populaire et les suffrages 
des électeurs de 1791. Après avoir succédé, en 1797, à 
M. Pacareau en qualité d'évêque métropolitain du Sud- 
Ouest, il devint évêque d'Angoulême à l'époque du 
Concordat, et mourut dans cette ville en 1823. 

Laffon de Ladébat (André -Daniel), né à Bordeaux 
le 3o novembre 1 746, négociant dans cette ville, s'était fait 

(i) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, passim. 

(2) Liv. I, chap. m, la Constitution civile du clergé, etc. 



LES GIRONDINS. IQS 



connaître par la publication d'ouvrages estimés et remarqués 
dans leur temps sur l'économie politique. Il avait été élu 
en 1790 administrateur du département de la Gironde. 

Pierre Sers, dont le nom reviendra plus tard sous notre 
plume, était, comme Journu-Aubert et LafFon de Ladébat, 
négociant à Bordeaux en 1789. Les idées nouvelles trou- 
vèrent en lui un adepte ardent et convaincu : il fut 
successivement officier municipal et administrateur du 
département. Nous le verrons bientôt déployer un courage 
admirable et montrer un grand caractère pour sauver les 
hommes du parti de la Gironde. Sa tentative, qui ne fut 
pas couronnée de succès, eut des résultats désastreux pour 
les habitants de Bordeaux. 

Telle était, en y ajoutant Jay, ministre protestant, et 
Servière, de Bazas, la députation du département de la 
Gironde à l'Assemblée nationale législative de 1 79 1 . 

Tous ces hommes, remarquables à des titres divers, 
sortaient des entrailles de cette bourgeoisie de 1 789 éman- 
cipée par les philosophes du xviii® siècle; tous étaient 
imbus des idées nouvelles : élevés à l'école de Montaigne, de 
Montesquieu, de Voltaire, de Diderot et de J.-J. Rousseau, 
ils personnifiaient un monde nouveau, qui réclamait sa 
place au foyer de la nation, et qui, selon le mot de la 
célèbre brochure de Siéyès, demandait à être quelque 
chose. 

L'Assemblée législative se réunit le i^ octobre 1791, et 
les partis ne tardèrent pas à s'y dessiner. Dès les premiers 
jours, il se forma une droite composée de députés constitu- 
tionnels : on l'appela le parti Feuillant. 

Vergniaud, Guadet et Gensonné siégèrent à la gauche et 
furent considérés comme les chefs du parti de la Gironde, 
qui inclinait vers la République, surtout depuis la fuite du 
roi et son arrestation à Varennes. 

A l'extrême gauche, on remarquait Merlin de Thionville, 
T. I. i3 



T94 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Barrère, Chabot, Couthon et quelques autres, assis sur les 
sièges les plus élevés : c'était le parti de la Montagne, 

Une fraction indécise et sans énergie, qui apportait 
l'appoint de ses votes successivement à chacun des partis 
que nous venons de désigner, forma la Plaine ou le Marais. 
La Montagne les nommait dédaigneusement les crapauds 
du marais. 

Dès le début des délibérations de la Législative, le parti 
de la Gironde prit une attitude agressive envers la royauté. 
Ses orateurs furent promptement remarqués, et Guadet, 
Vergniaud et Gensonné furent bientôt appelés à présider 
l'Assemblée, où leur autorité s'imposait à la fois par le 
talent, par l'éloquence et par l'honnêteté. Il leur manquait 
malheureusement les qualités qui font les hommes politiques; 
aussi, selon l'expression d'un historien, a les Girondins 
i> allaient commencer à creuser avec légèreté un abîme qui 
jp devait plus tard les engloutir ^^K ]» 

La Montagne, de son côté, aidée par Robespierre, l'un 
des orateurs aimés des jacobins, travaillait les clubs et les 
sociétés populaires en cherchant à y développer une sourde 
irritation contre la Cour, que la Société des Jacobins 
détestait, et contre le parti de la Gironde, dont elle 
redoutait l'influence toujours croissante et qu'elle enviait 
pour ses talents et pour son éloquence. 

Les événements qui se déroulèrent avec une terrible 
rapidité dessinèrent de plus en plus les partis à la 
Législative : la droite constitutionnelle, toutefois, alla en 
s'affaiblissant chaque Jour, tandis que la Gironde et la 
Montagne, unies en quelque sorte dès les premiers jours 
dans des sentiments souvent identiques, et dirigées par des 
passions qui reflétaient les haines populaires, grandissaient 
l'une et l'autre en importance. La Montagne, toutefois, eut 

(i) A. Challamel, Histoire-Musée de la République française^ p. 170. 



LES GIRONDINS. IÇ)5 



peur de ses redoutables rivaux de la Gironde; elle organisa, 
pour détruire leur popularité, tout un système de soupçons 
et de calomnies, et Robespierre en fut l'orateur le plus 
acharné. Les hommes de la Gironde et de la Montagne se 
séparèrent définitivement et constituèrent les deux grands 
partis qui devaient se disputer le pouvoir sur les ruines de 
la royauté. 

L'émigration, les événements de Saint-Domingue, les 
massacres d'Avignon, les troubles religieux dans un grand 
nombre de départements, les dangers de la disette, les 
résistances de la cour au mouvement révolutionnaire : tout 
semblait se réunir pour assombrir la situation générale en 
France et entretenir l'agitation dans les esprits. 

L'Assemblée législative subissait des fluctuations variées 
à la nouvelle de ces événements, dont le contre-coup 
retentissait en province et y entretenait l'irritation la plus 
vive contre l'institution monarchique. 

C'est à ce moment et au milieu des graves sujets 
d'inquiétudes qui surgissaient de toutes parts, que, contre 
l'opinion de Robespierre, les chefs des divers partis de la 
Législative inclinèrent vers la guerre, qu'ils considéraient 
comme inévitable et qu'ils croyaient, d'ailleurs, appelée à 
faire diversion aux difficultés de l'intérieur. L'Assemblée 
invita le roi à s'occuper plus activement de la politique 
extérieure. Louis XVI céda en apparence à cette invitation, 
mais, au fond, il résista à l'idée de recourir aux armes, et 
il ne tarda pas à destituer le ministre de la guerre Narbonne 
qui avait fait preuve de zèle et d'habileté et dont le tort 
le plus grave était d'avoir conquis la bienveillance de 
l'Assemblée. Cette mesure inopportune agita les esprits 
et mécontenta les représentants de la nation. 

La Gironde dominait alors l'Assemblée et annonçait une 
tendance de plus en plus républicaine. Le roi, cependant, 
dut chercher un appui dans la majorité, et malgré ses 



196 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



répugnances^ il était amené, dès les premiers mois de 
Tannée 1792, à choisir plusieurs de ses ministres dans le 
parti girondin. 

Le 20 avril, la guerre était déclarée à l'Autriche. 

Ce fut un triomphe de la Gironde sur la Montagne. 
L'antagonisme existant entre ces deux partis devint bientôt 
plus envenimé par les railleries des Girondins contre le 
vague théisme de Robespierre et contre son occulte ambition, 
et l'appui qu'ils prêtèrent à Lafayette jusqu'à sa lettre du 
18 juin ajouta à l'irritation des Montagnards. 

Dès le mois de juin, la Gironde et la Montagne étaient 
séparées par une haine implacable : entre ces deux fractions 
du parti avancé, la lutte devint dès lors inflexible, acharnée, 
et la Royauté, selon le mot d'un historien, « fut l'enjeu de 
1^ cette sinistre partie, en attendant que les Girondins y 
» missent leur vie (*). d 

Revenons à la guerre. 

Elle était déclarée, et Dumouriez, chargé des opérations 
militaires, commença les hostilités. 

La panique de Quiévrain, le massacre de Dillon et la 
défaite de Mons, au début de la guerre, causèrent à Paris 
une stupeur, bientôt suivie d'une colère extrême. Les 
partis s'accusèrent mutuellement, et, sous l'influence des 
Girondins, l'Assemblée se lança dans la voie toujours 
regrettable des violences. — Dumouriez fut vivement 
attaqué par Guadet, et d'allié devint ennemi de la Gironde. 

Au mois de mai, Vergniaud ne craignait pas de formuler 
contre les prêtres insermentés une motion conçue en des 
termes dont l'impiété révolta tous les hommes religieux de 
l'Assemblée, et qui fut bientôt convertie en un décret 
draconien ; Gensonné s'élevait en même temps avec vigueur 
contre le Comité autrichien, dénoncé par Carra dans ses 

(1) M. de Laval, le Panthéon révolutionnaire démoli. 



LES GIRONDINS. I97 



Annales patriotiques, et il en profitait pour envelopper 
dans ses accusations Robespierre et les Jacobins. 

Sur ces entrefaites, fort de son influence et redoutant à la 
fois celle de la Cour et des Jacobins, le parti de la Gironde 
accentua ses sentiments révolutionnaires. Il se détermina à 
faire attaquer le roi par ses propres ministres, et fit décréter 
le licenciement de la maison militaire de Louis XVI et la 
formation d'un camp de 20,000 hommes près Paris. Le 
roi annonça l'intention de refuser sa sanction à ce dernier 
décret, et, mécontent avec raison de la célèbre lettre du 
ministre de l'intérieur Roland, rendue publique contre 
toutes les règles • de la convenance, il rompit avec les 
Girondins et renvoya le ministère. 

La Gironde en éprouva une grande irritation, et, ne 
gardant plus de mesure dans ses attaques contre le roi et 
contre la monarchie, elle songea à venger, autrement que 
par de? regrets stériles, la disgrâce des ministres de son 
choix. 

La journée du 20 juin, provoquée et organisée par elle, 
mais exécutée par la tourbe jacobine, fut une sorte de 
revanche de la Gironde contre la royauté. 

La journée du 10 août assura sa vengeance; le parti de 
la Gironde, que nul ne dirigeait et qui cédait à des entraîne- 
ments au lieu de suivre une ligne politique bien déterminée, 
préparait ainsi les degrés qui devaient conduire les Jacobins 
au pouvoir et consommer le triomphe de la Montagne. 
Cette journée ne profita pas, en effet, aux Girondins, malgré 
la rentrée de trois de ses membres au ministère. Ils se 
félicitèrent de ce résultat, dit M. Challamel; on aurait dit 
a qu'ils ne pensaient qu'au présent, et leur légèreté ne peut 
]& être comparée qu'aux illusions dont se berçaient les 
> soutiens de la monarchie à la veille de sa chute ^^K » 

(i) A. Challamel^ Histoire-Musée de la République, p. 229. 



198 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

On sait, nous ne le répéterons pas, au milieu de 
quelles circonstances douloureuses le roi quitta les Tuileries 
pour se rendre à l'Assemblée; on sait que Vergniaud, 
au nom de la Commission extraordinaire, proposa la 
suspension de Louis XVI et la réunion d'une Con- 
vention nationale : ces mesures furent immédiatement 
décrétées. 

La Commune du 10 août, qui comptait au nombre de 
ses membres Robespierre et Marat, fonctionna sur-le-champ 
dans le sens révolutionnaire le plus complet, et les visites 
domiciliaires ainsi que les arrestations furent mises à Tordre 
du jour. Danton, qui avait reçu le ministère de la Justice, 
disait, de sa voix tonnante, qu'il fallait faire peur aux 
royalistes. 

Le 2 septembre, une proclamation de la Commune 
répandit l'effroi dans toutes les âmes, a Citoyens, disait-elle, 
l'ennemi est aux portes de Paris... :^ Après la défection de 
Lafayette, en effet, les armées étrangères avaient pris 
l'offensive et menaçaient le sol de la patrie. Aussitôt le 
tocsin sonna, les tambours battirent la générale, et Paris 
entra dans une ébuUition indescriptible. Les rues et les places 
étaient couvertes d'une foule agitée par l'épouvante ou par 
l'enthousiasme de la gloire. 

Dans deux^ sections, on proposa de tuer les suspects 
renfermés dans les prisons, avant de marcher à l'ennemi. 
Cette horrible motion trouva des approbateurs, bien plus, 
des assassins pour la mettre à exécution. Les massacres 
commencèrent dans la rue Dauphine et se continuèrent 
dans les prisons; pendant trois jours et trois nuits, le 
sang coula à flots! Ni Tâge, ni le sexe, ni la beauté, ni 
l'innocence ne sauvèrent les victimes de cette exécrable 
boucherie soldée par la Commune! Pendant trois jours, 
et par peur, l'Assemblée laissa s'accomplir ces massacres 
odieux : la Gironde les déplora, mais la Montagne les 



LES GIRONDINS. I99 



approuva hautement par Torgane de Billaud-Varennes. 
Tels furent les hommes et les partis de cette époque 
néfaste. 

Le 21 septembre, l'Assemblée législative terminait ses 
séances et faisait place à la Convention nationale. 

Le département de la Gironde avait renouvelé leurs 
mandats à ses principaux députés. 

Barennes, Journu-Aubert, le curé Dominique Lacombe, 
Laffon-Ladébat, Pierre Sers et Servière ne furent pas 
réélus, et Bergoeing, Boyer-Fonfrède, Deleyre, Duplantier, 
Garrau et Lacaze les remplacèrent dans la confiance des 
électeurs. 

Disons quelques mots de ces hommes nouveaux. 

Bergoeing (François), né à Saint-Macaire, arrondissement 
de La Réole, le 3i mars lySo, était un chirurgien distingué 
dans son art et bien posé à Bordeaux. Il resta toujours 
dans les rangs de la Gironde. Malgré les entraînements 
inexplicables et inexpliqués auxquels céda Vergniaud, il 
n'imita pas son exemple et vota courageusement contre la 
mort du roi. Il fut membre de la commission des Douze 
chargée de poursuivre les auteurs des massacres de 
Septembre. Il se distingua constamment par un caractère 
droit, une probité et un désintéressement à toute épreuve. 
Proscrit au 3 1 mai, il se réfugia d'abord en Bretagne avec 
Guadet, Louvet, Kervélegan et quelques autres; il vint 
ensuite a^border au Bec-d'Ambès avec ses collègues en 
proscription. Trouvant le département aux mains des 
terroristes, il chercha un refuge dans les souterrains de 
Saint-Émilion, puis dans les cavernes de Sallebruneau et 
de Sainte-Présentine, près Sauveterre. Ces asiles étant 
devenus précaires, le conventionnel se rendit à Saint 
Macaire, resta longtemps caché dans une grotte du château 
de Tardes où, grâce au dévouement admirable de Charmante 
Bergoeing, sa sœur, il put attendre les événements de ther- 



200 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

midor ^^K Bergoeing, qui fut membre du Conseil des 
Anciens, était lié d'amitié avec Barras. Il fréquenta les salons 
de M™® de Staël avec son ami Benjamin Constant. C'est 
en vain, dit-on, que le premier consul essaya d'attacher ce 
vieux républicain à sa fortune. Plus tard, il suivit en Italie 
son ancien collègue Salicetti, qui lui procura une place dans 
les domaines royaux à Naples, sous Murât. Bergoeing 
rentra à Saint-Macaire en 1824 et y vécut dans une 
retraite profonde, aimé et vénéré de toutes les classes 
de la population. Il est mort dans cette petite ville le 
28 novembre 1829 ^^K 

(i) Arnaud Dubourg jeune, de Castets-en-Dorthe, atteint par le décret du 
6 août 1793, dont nous parierons dans le chapitre suivant, partagea les 
périls et les dangers de Bergoeing. Ils étaient unis par les liens de l'amitié 
et des convictions; IMnfortune ne fit que resserrer ces liens. Arnaud 
Dubourg était le septième fils d'une famille de vieille bourgeoisie : Tétude 
notariale de Castets-en-Dorthe est demeurée dans cette famille de 1420 à 
1871, époque où le dernier notaire de la famille, M. Deyres, ancien 
conseiller général de la Gironde, Ta cédée à M. Rozier, titulaire actuel. Les 
frères de Dubourg restèrent fidèles à la cause royaliste; quant à lui, il 
embrassa avec ardeur les idées nouvelles et se rangea sous le drapeau des 
Girondins. D'un caractère violent et passionné, il prit une couleur tranchée 
dans les réunions de Bordeaux et de l'arrondissement de La Réole, et 
adhéra sans restriction à tous les actes de la Commission populaire de salut 
public. Mis hors la loi par le décret du 6 août, il se cacha pour se soustraire 
aux recherches de ses ennemis politiques. Quand Bergoeing revint à 
Saint-Macaire> Dubourg se joignit à lui et les deux proscrits menèrent 
ensemble une vie errante, pleine de périls et de poignantes émotions* 
Constamment armés pour se défendre contre les agressions des bandes 
lancées à leur poursuite, ils eurent souvent la pensée d'en finir avec la vie. 
Seul, Arnaud Dubourg mit ce fatal projet à exécution. Le 1 1 novembre lygS, 
Bergoeing et lui se rendirent à la tombée de la nuit dans la demeure 
qu'Arnaud Dubourg occupait à Castets-en-Dorthe chez M. J)uthu, son 
beau-père. Bergoeing resta caché dans l'enclos; Dubourg entra dans la 
maison, gagna sa chambre et chargea une servante d'aller demander pour 
lui au citoyen Troubat, chirurgien, 60 gouttes d'opium. Troubat refusa de 
les livrer. Dubourg donna une nouvelle commission à la servante, et 
pendant son absence il se brûla la cervelle. Ce n'est que quelques heures 
après et tout à fait par hasard qu'on s'aperçut de ce suicide. Les autorités, 
immédiatement prévenues se transportèrent dans la maison, et c'est le 
12 novembre, à quatre heures du matin, qu'elles constatèrent officiellement 
par des procès-verbaux que conserve pieusement la famille, la mort de l'ami 
de Bergoeing. Quant à celui-ci, il put, à la faveur du trouble causé par cette 
fin prématurée et violente, regagner les grottes du château de Tardes et 
y attendre des jours meilleurs. 

(2) Nous devons ces indications sur Bergoeing à l'obligeante communi- 
cation de M. Ferbos, conseiller général et maire de Saint-Macaire. 



LES GIRONDINS. 20I 



Boy er-Fonfrède (Jean-Baptiste), né à Bordeaux en 1766, 
fit de brillantes études et se jeta très jeune dans les luttes 
politiques. Après avoir résidé quelques années en Hollande, 
où il respira Tair de la liberté constitutionnelle, il rentra en 
France et se maria avec la sœur de Ducos. Dans les agita- 
tions qui suivirent la Révolution de 1 789, il se fit remarquer 
par la maturité de son jugement et la hardiesse de ses 
principes, et fut envoyé en députation par le commerce 
bordelais à l'Assemblée législative. C'était un républicain 
ardent, et l'histoire a consacré les sentiments d'amitié tou- 
chante qui l'unissaient à Ducos ^^K 

Deleyre (Alexandre), né à Portets, près Bordeaux, en 
janvier 1726, était un brillant élève des Jésuites. Il habitait 
Paris, où il cultivait les bel les- lettres; il y publia, à l'âge 
de vingt-neuf ans, une analyse de la philosophie de Bacon. 
Le duc de Nivernois, qui le protégeait, le fit nommer 
secrétaire des Carabiniers, puis l'attacha à l'ambassade de 
Vienne. A son retour à Paris, Deleyre fat envoyé à Parme 
comme bibliothécaire de l'Infant, et obtint de ce prince une 
pension de 2,000 livres. Rendu entièrement aux lettres, il 
fit paraître la continuation de VHistoire générale des 
Voyages, et composa des romances mises en musique par 
J.-J. Rousseau, son ami. 

Duplantier était avocat à Bordeaux, sa ville natale; 
distingué à la fois par les talents et par l'honnêteté, et 
partisan des idées nouvelles, il avait été élu député-suppléant 
de la Gironde à la Législative. C'était une âme énergique et 
pure, qui savait allier la modération au courage et qui 
répudia tous les excès. Il donna sa démission après le 
3i mai, se livra à la culture des lettres et coopéra à la 
création de plusieurs sociétés savantes; il devint président 
du département après nos troubles civils, et fut député au 

(1) O'Reilly, Histoire de Bordeaux, passim. 



202 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

conseil des Cinq-Cents en 1798. Il ne parut plus sur la 
scène politique après le 1 8 Brumaire. 

Garrau (Pierre- Anselme), né à Sainte-Foy le 19 février 
1762, appartenait à une bonne famille de la bourgeoisie; 
avocat à l'époque de la Révolution, il en embrassa la cause 
avec chaleur, fut élu en 1790 président du district de 
Libourne, et en 1791 député suppléant à la Législative. 
Garrau n'eut de Girondin que Torigine, car il se rangea dans 
le parti de la Montagne à la Convention, et fut l'ennemi de 
Vergniaud, de Guadet, de Gensonné, des hommes de la 
Gironde enfin. Garrau est mort à Saint- André-et- Appelles 
le i5 octobre 18 19. 

Lacaze était originaire de Libourne, où son nom est 
encore honorablement porté par des hommes qui ont occupé 
ou qui occupent des positions éminentes dans le commerce, 
dans l'administration et dans la magistrature. 

Tels étaient les hommes que la Gironde envoyait à la 
Convention nationale : à l'exception de Garrau, comme 
nous l'avons déjà dit, tous se rangèrent dans le parti 
girondin. 

Dès sa première séance, la Convention décréta l'abolition 
de la Royauté et proclama la République. La Montagne et 
la Gironde confondirent leurs acclamations dans celte 
mémorable circonstance. C'était en quelque sorte un résultat 
prévu ; il avait été préparé de longue main par les fautes 
des uns, par la haine et la légèreté des autres, et l'opinion 
publique l'attendait comme une solution et comme un 
remède aux maux de la situation . A cet égard, on peut dire 
sans hésitation que les sept cent quarante-neuf membres 
de la nouvelle Assemblée étaient tous républicains, quoique 
à des degrés différents. 

Les Girondins et leurs adhérents, dont on peut évaluer 
le nombre à deux cent cinquante environ, siégeaient, à la 
Convention, sur les bancs de la droite. Ils désiraient 



LES GIRONDINS. 2o3 



s'appuyer sur la classe moyenne et répudiaient les violences 
comme moyen de gouvernement. 

La Montagne siégeait sur les gradins supérieurs de 
l'extrême gauche : on y remarquait Robespierre, Marat, 
Danton, Collot-d'Herbois, Camille Desmoulins, Fabre 
d'Eglantine, Billaud-Varennes et bien d'autres dont les 
noms ont acquis une popularité sinistre. 

Le débat entre Robespierre, Marat et les Girondins se 
trouvait définitivement transporté du club des Jacobins 
au sein de la Convention. La lutte devait être et fut terrible 
entre des hommes de mœurs et de tempérament tout à fait 
opposés. 

Le terrain était devenu complètement libre; Tunité de 
gouvernement était dans la Convention : elle allait gouverner, 
administrer, constituer, et le pouvoir devait devenir la proie 
du parti qui réussirait à la dominer. 

Serait-ce la Gironde, ou bien la Montagne ? 

Les événements que nous allons résumer répondent à 
cette question. 

Que de profondes différences entre les hommes de la 
Gironde et ceux de la Montagne ! C'était, si Ton peut ainsi 
parler, la lutte du Midi avec le Nord. 

Les premiers, en eflfet, représentaient toutes les ardeurs 
et toutes les passions du Midi; c'étaient l'indépendance* 
dans le talent^ la liberté dans l'attaque comme dans la 
défense; ni sujétion, ni hiérarchie, ni idées arrêtées et 
préconçues, ni plans, ni direction, ni chef. « Ce qu'on 

> appelle le parti de la Gironde, a dit RioufTe dans ses 

> curieux Mémoires, eut des lumières et de la probité ; ce 
» fut, à proprement parler, le parti des républicains. Mais 
» les talents y étaient répandus avec une telle profusion 
» qu'il n'avait point de chef et ne pouvait en avoir f"^ » 

fi) Riouffe, Mémoires, Collection Barrière, p. 423. 



204 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



— Ce fut la perte des Girondins : ils étaient des artistes 
de la parole, de la phrase, de l'idée; ils ne furent ni 
des hommes politiques, ni des hommes d'État, c C'étaient 
» selon l'expression d'un prélat éminent, des tribuns de 
• » talent, mais dépourvus de la haute intelligence qui est 
y> nécessaire à ceux qui gouvernent les peuples ^^K j> 
Marat les appelait ironiquement le parti des hommes 
d'État 

La Montagne, au contraire, était unie et reconnaissait 
des chefs : elle avait le tempérament des hommes du Nord ; 
elle agissait avec ordre et méthode; elle avait une volonté 
et poursuivait un but; elle serrait ses rangs et marchait, 
implacable, froide, haineuse et cruelle, à la conquête du 
pouvoir suprême où ses chefs la conduisaient lentement et 
sûrement. Tout devait succomber devant elle, et la violence 
était son arme de prédilection. 

Dès le début, les Girondins dirigèrent leurs attaques 
contre Robespierre, accusé d'aspirer à la dictature, et contre 
Marat, dont les déclamations sanguinaires effrayaient les 
honnêtes gens. Ils provoquèrent la création d'une force 
armée tirée de toutes les parties de la France et à qui serait 
confiée la garde de la Convention; la Montagne les accusa 
dédaigneusement d'être fédéralistes et fit décréter Vunité et 
V indivisibilité de la République. 

Cette première lutte des deux partis laissa la victoire aux 
audacieux. Malgré un admirable discours où Vergniaud 
déploya toutes les souplesses de son talent et toutes les 
colères de son âme indignée, la Gironde fut vaincue. Danton 
Tavait dit : Dans les révolutions, le pouvoir reste aux 
mains des plus audacieux, 

Robespierre avait essayé ses forces et reconnu sa puis- 
sance. Jaloux des talents que déployait la Gironde, il 

(i) M»r le cardinal Don net, lettre à M. Tabbé 0*ReilIy. 



LES GIRONDINS. 2o5 



mit tous ses efforts a anéantir le seul parti qui lui paraissait 
devoir être le plus sérieux obstacle à son ambition. 

On vit d'ailleurs, dès cette époque, un spectacle singu- 
lier et affligeant : certes, les Girondins ne sauraient être 
accusés d'avoir partagé les idées des Montagnards-, on ne 
peut pas dire qu'ils aient voulu pactiser avec eux, et cepen- 
dant, entraînés par leur légèreté et leur défaut d'objectif 
politique, on les voit devancer la Montagne dans ses actes 
de violences, la précéder dans cette voie funeste et préparer 
le triomphe de leurs ennemis. Ce sont eux les premiers 
qui, en haine de la royauté, provoquèrent contre le duc 
d'Orléans, qu'ils avaient d'abord entouré de leur protec- 
tion, un décret d'exil bientôt révoqué. Un peu plus tard 
on les voit unis aux Jacobins pour demander la peine de 
mort contre les émigrés. Seul, Tallien, dont nous aurons 
à parler dans les chapitres suivants, protesta contre ce 
décret terrible. Une pareille protestation de la part d'un tel 
homme méritait d'être signalée. 

La violence appelle la violence, a dit un écrivain. Ce fut 
dès lors comme une sorte d'assaut entre les deux factions 
rivales. Les sections et la Commune de Paris soutinrent 
énergiquement la Montagne, et des manifestations popu- 
laires, provoquées par elles, vinrent mettre l'Assemblée en 
demeure de statuer sur le sort des prisonniers du Temple. 
Ici encore, c'est un Girondin qui commença l'attaque : 
Valazé avait fait un rapport sur les papiers trouvés dans 
l'armoire de fer, et c'est à la suite de ce rapport que la 
Convention décida le jugement de Louis XVL 

C'est un autre Girondin, Barbaroux, qui lut l'acte énon- 
ciatif des faits qui devaient servir au jugement. 

Nous n'avons pas Tintention de raconter ici cette page 
émouvante de l'histoire de la Révolution ; tous nos lecteurs 
connaissent ce drame sombre et terrible qui se termina par 
la mort sanglante de l'héritier de quatorze générations de 



206 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



rois à qui la France doit une partie de sa grandeur 
territoriale et de sa prépondérance dans l'Europe. 

Et ici encore, nous devons le constater, comme par un 
jeu de la fatalité, c'est un Girondin, c'est Vergniaud qui, au 
nom de la Convention, prononça la peine de mort contre 
le descendant de saint Louis ! 

Quelle fut, dans ce procès mémorable, l'attitude de 
nos Girondins? Nous allons la faire connaître en peu de 
mots. 

Quant au parti en lui-même, ses orateurs retracèrent 
dans de nombreux discours ce qu'ils ne craignirent pas 
d'appeler les forfaits de Louis XVL Disons toutefois, à 
l'honneur de Vergniaud, qu'il défendit, avec la constance la 
plus inébranlable, l'appel au peuple proposé par un certain 
nombre de députés : il prophétisa, dans un langage d'une 
éloquence incomparable, les événements qui devaient 
suivre inévitablement la mort du roi; on eût dit que 
l'histoire de nos malheurs se dévoilait à ses yeux ! Son 
discours fut le seul véritablement éloquent prononcé dans 
ce procès, qui serait unique sans la mort de Charles I*'. Et 
pourtant, par une résolution que rien ne saurait expliquer 
et dont il a emporté le secret dans la tombe, Vergniaud 
inscrivit son nom parmi ceux qui condamnèrent Louis XVI 
à la peine de mort et vota contre le sursis. 

Gensonné, Guadet, Boyer-Fonfrède, Deleyre, Ducos, 
Duplantier, Garrau et Jay votèrent aussi pour la mort. 

Seuls, Bergoeing, Grangeneuve et Lacaze se pronon- 
cèrent, le premier pour la réclusion pure et simple, le 
deuxième pour la détention, et le troisième pour la réclusion 
pendant la guerre et le bannissement après la pabc. 

Nous n'avons pas à rechercher les votes des Girondins 
qui n'appartiennent point, par leur origine ou par celle de 
leurs mandats, au département de la Gironde. 

En jugeant le roi Louis XVI, la Convention avait jeté le 



LES GIRONDINS. 207 



gant aux rois de TEurope. Il fut relevé, et la France 
républicaine eut à lutter contre tous ces souverains. Trois 
cent mille soldats menaçaient nos frontières : la Convention 
décréta la levée d'une armée de 3oo,ooo hommes, et la 
Montagne obtint la création du Tribunal révolutionnaire. 
Vergniaud protesta vainement contre cette création; ses 
accents furent étouffés par les clameurs des Montagnards. 
Vainement et peu de jours après, avec un accent inspiré, 
il s'écria que la Révolution, comme Saturne, dévorerait 
successivement ses enfants et qu'elle engendrerait enfin le 
despotisme avec toutes ses calamités ; ses paroles prophé- 
tiques ne furent pas écoutées. Il n'était au pouvoir d'aucune 
éloquence et d'aucun honmie de réconcilier la Gironde et 
la Montagne. 

Après une lutte opiniâtre, les Girondins avaient obtenu à 
leur tour un décret qui prescrivait la poursuite des auteurs 
des massacres de Septembre. C'était un triomphe sur les 
Montagnards. Mais ceux-ci, ne se tenant pas pour battus, 
soulevèrent les sections, qui bientôt se présentèrent à la 
barre de la Convention et firent rapporter le décret. 

Dès le mois de mars lygS, le Tribunal révolutionnaire 
commençait son œuvre, et le 6 avril la Convention décré- 
tait la formation d'un Comité de salut public chargé de 
surveiller, d'accélérer ou de suspendre l'action du Pouvoir 
exécutif, de pourvoir d'urgence à la défense du. pays et de 
correspondre avec les représentants envoyés en mission 
dans les départements ou auprès des armées. 

La veille, elle avait décidé que les députés mis en accu- 
sation par l'Assemblée, pourraient être traduits devant le 
Tribunal révolutionnaire. 

a Dès ce moment, les Montagnards eurent à leur service 
» deux instruments redoutables : le Tribunal révolution- 
» naire et le Comité de salut public; le premier les aida 
D puissamment à renverser la. Gironde; le deuxième fut 



208 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



» leur porte-respect lorsqu'ils eurent le pouvoir en leurs 
]» mains ^^K > 

Cependant, l'éloquence des Girondins entraînait encore 
la majorité de la Convention; il n'y avait plus de trêve 
possible entre eux et la Montagne. Ainsi, ils avaient 
obtenu la mise en accusation de Marat; mais Marat, 
acquitté par le Tribunal révolutionnaire, était bientôt 
ramené en' triomphe au sein même de l'Assemblée. La 
Montagne dominait partout par la violence et par la 
terreur. 

Peu de jours s'étaient écoulés depuis l'ovation triomphale 
de Marat, lorsque le voile enfin se déchira. Le maire de 
Paris, Pache, se présenta à la barre de la Convention et 
demanda la mise en accusation de vingt-deux membres du 
parti girondin. Par l'organe de Guadet, la Gironde, à son 
tour, indignée, proposa de casser la Commune de Paris et 
de réunir à Bourges une autre assemblée. Une commission 
extraordinaire de douze membres fut chargée par la 
Convention d'examiner la conduite de la municipalité. 

Cette mesure exaspéra les Jacobins et les Montagnards. 
L'arrestation d'Hébert, rédacteur du Père Duchêne et 
substitut du procureur de la Commune, occasionna de 
vives protestations, et le 27 mai, sous la pression populaire 
et au milieu d'un tumulte indescriptible, la Convention 
ordonna la mise en liberté du journaliste et de quelques 
autres prisonniers et prononça la révocation de la commis- 
sion extraordinaire qu'elle avait précédemment nommée. 
Le lendemain, ce décret était rapporté. C'était le trouble et 
la confusion, la désorganisation politique la plus incroyable 
et la plus étrange. La Montagne avait déchaîné les mauvais 
instincts de la populace ; elle s'en était faite un complice et 
un instrument qu'elle dirigeait pour assouvir sa haine 

(i) A. Chailamel, Histoire-Musée de la République française, p. 3o6. 



LES GIRONDINS. 2og 

contre des adversaires dont elle jalousait les talents et dont 
elle redoutait Tinfluence expirante. 

Il fallait frapper un grand coup. Le 3i mai, les autorités 
insurrectionnelles s'organisent : Henriot est nommé com- 
mandant provisoire de la force armée et on arrête que 
chaque citoyen recevra 40 sous par jour pour rester sous 
les armes. Aussitôt Paris est soulevé; des députations 
envahissent la Convention et obtiennent la suppression de 
la commission des Douze. Cette concession ne satisfit 
personne, ni les sections insurgées avec tant de gloire, 
comme ne craignit pas de le dire Barère, ni la Commune 
qui trouvait son pouvoir insuffisant, ni la Montagne qui 
voulait une solution plus radicale en imposant sa dictature 
à r Assemblée. 

Le tocsin continuait à sonner, et le i®' juin le Départe- 
ment de Paris se présentait à son tour à la Convention 
pour provoquer un décret d^accusation contre les traîtres 
qui siégeaient dans son sein. Robespierre appuya cette 
démarche et demanda, lui aussi, un décret d'accusation 
contre les complices de Dumouriez, contre ceux qui 
n'avaient pas cessé de pousser à la destruction de Paris. 
L'Assemblée enjoignit, par décret, au Comité de salut 
public de lui présenter un rapport sur les députés dont 
on proposait la proscription. 

Un pareil tempérament ne pouvait convenir à la Mon- 
tagne. Marat, CoUot d'Herbois, David, d'accord avec 
Robespierre, accourent à la Commune, excitent ses fureurs 
et une nouvelle masse insurrectionnelle est dirigée sur 
l'Assemblée. Henriot en était le meneur principal. Le 
2 juin, il investit les Tuileries de ses bandes armées de 
piques et tint en quelque sorte la Convention en état de 
siège. Durant ce temps, le désordre le plus affreux régnait 
parmi les conventionnels; le breton Lanjuinais, cramponné 
à la tribune, demandait que les autorités révolutionnaires 

T. L 14 



210 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

fussent cassées et les insurgés mis hors la loi. Des pétition- 
naires en grand nombre avaient envahi les tribunes et 
l'Assemblée elle-même, et pendant deux heures toute 
délibération fut interdite par des clameurs et des menaces 
exigeant l'arrestation des conspirateurs de la Gironde. 

Barère parut enfin à la tribune. Il demanda, au nom 
du Comité de salut public, que les députés accusés fussent 
suspendus de leurs pouvoirs. 

Au milieu du tumulte qui régnait dans la Convention, 
Lacroix, l'ami de Danton, fut assailli par les mêmes 
hommes qui venaient d'attaquer les Girondins. La Montagne 
s'indigna d'une pareille insulte : elle se demanda si la 
Commune voudrait l'envelopper dans la défaite de la 
Gironde; elle frémit sous l'injure, s'aperçut enfin que la 
Convention était captive entre les mains d'Henriot et que 
la majesté nationale était outragée. 

Sur la proposition de Barère, l'Assemblée tout entière 
se présenta au peuple avec des paroles de paix et de 
conciliation. Henriot déclara insolemment qu'il n'était pas 
venu pour entendre des phrases, que la volonté du peuple 
souverain s'était fait entendre et que les députés de la 
Gironde devaient être expulsés. A l'appui de ses paroles 
il fit pointer ses canons sur la Convention. Marat, suivi 
d'une vingtaine d'enfants déguenillés, vint, assure-t-on, 
embrasser Henriot, et, s'adressant à l'Assemblée : « Que 
les députés fidèles, dit-il, retournent à leur poste... » 

La Convention rentra au lieu de ses séances et courba 
le front sous ces tristes ignominies. 

a Tous les membres de la Convention, s'écria Couthon, 
doivent être maintenant rassurés sur leur liberté... Mainte- 
nant donc que vous reconnaissez que vous êtes libres dans 
vos délibérations, je demande, non pas quant à présent, un 
décret d'arrestation contre les vingt-deux membres dénom- 
més, mais que la Convention décrète qu'ils seront mis en 



LES GIRONDINS. 2 I I 



état d'arrestation chez eux, ainsi que les membres du comité 
des Douze et les ministres Clavière et Lebrun ('). 

Le décret fut rendu, et trente et un députés tombèrent 
victimes de la haine de la Montagne et de Tinsurrection 
organisée par Robespierre et par la Commune. 

C'était la chute du parti de la Gironde I 

Riouffe, qui avait connu la plupart des Girondins, a écrit 
dans ses Mémoires : a: Jeunesse, beauté, génie, vertus, 
» talents, tout ce qu'il y a d'intéressant parmi les hommes, 
» fut englouti d'un seul coup (^). jd 

D'un autre côté, M. Louis Blanc, dans sa remarquable 
Histoire de la Révolution française, dit : « Ainsi tomba 
» ce parti de la Gironde, si grand par l'enthousiasme, 
» l'éloquence et le courage. Attirés vers le côté lumineux des 
i> choses nouvelles, dont le charme s'associait dans leur 
i> esprit aux plus beaux souvenirs de l'antiquité, et saisissant 
j& le pouvoir de haute lutte, ils s'en servirent pour accabler 
» les nobles, proscrire les prêtres, saper le trône, mettre à 
]& la mode le bonnet rouge, encourager au sans-culottisme 
> et braver l'Europe <^). » 

Quelques Girondins se constituèrent prisonniers, d'autres 
se rendirent à Caen, puis à Bordeaux; mais le rôle de ce 
grand parti était terminé. 

Il a été diversement apprécié par les historiens et par la 
postérité. En ce qui nous concerne, nous ne craignons pas 
de répéter avec toute franchise que si la Gironde fut un 
parti politique dans le sens sérieux du mot, elle n'eut ni 
des chefs pour la diriger ni un but bien défini à poursuivre 
et à atteindre. Ce fut une compagnie de volontaires 
impétueux et brillants qui se jetèrent à l'étourdie dans la 
mêlée, et qui, n'ayant ni conscience religieuse ni foi poli- 



Ci) Moniteur du 5 juin 1793. 

(2) Coll. Barrière, p. 41 1 . 

(3) Livre IX, chapitre xi. 



2ia HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



tîque, oscillèrent de la Monarchie à la République, toujours 
faibles par indiscipline, irrésolus, légers, épicuriens par 
•caractère et par éducation, et qui durent fatalement suc- 
comber, à une heure donnée, sous la discipline et la haine 
de la Montagne et de ses adhérents. 

Promoteurs de la journée du lo août, ils tombèrent 
en 1793 sous les mêmes coups et par les mêmes armes 
dont ils avaient fait usage en 1 792 pour renverser le trône 
et proclamer la déchéance de Louis XVI. 

Leurs fautes ont été bien grandes : on peut les accuser 
en effet d'avoir perdu la Monarchie en pactisant avec elle 
par ambition, et en la trahissant ensuite par vengeance de 
n'avoir pu triompher de la défiance de Louis XVI qui les 
redoutait, et d'avoir lancé la France dans les hasards 
d'une révolution dont nul ne pouvait prévoir les consé- 
quences ou calculer les résultats. 

Mais faisons paix à leurs cendres, car si leur conduite 
fut coupable, l'histoire a constaté que l'expiation fiit dou- 
loureuse et terrible. 

Après avoir ainsi retracé à grands traits le rôle des 
Girondins à l'Assemblée législative et à la Convention, 
nous allons rentrer à Bordeaux, et raconter les événements 
accomplis dans cette ville, et qui accompagnèrent ou 
suivirent la chute du parti de la Gironde. 



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CHAPITRE III 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC DE LA GIRONDE. 



Les Bordelais suivent les péripéties de la lutte entre la Montagne et la 
Gironde. — Les Girondins se croient oubliés par leurs commettants. — 
Lettresde Vergniaud à la Société des A^mis de la Liberté et de l'Égalité. — 
Elles sont publiées et soulèvent des sympathies générales. — Indignation 
du peuple. — Protestation des 28 sections. — Les autorités constituées 
i^y associent. — Léris et Duvigneau sont chargés de présenter cette 
protestation à la Convention. — Elle y soulève des tempêtes. — 
Conciliabules entre les amis des Girondins. — Pierre Sers, Roullet, 
Desmirai], etc. — Violences envers les prêtres à Blaye. — Agitation 
générale. — Inquiétudes des sections. — Nouvelle des journées des 
3i mai^ i^et 2 juin et de l'arrestation des Girondins. — Le peuple se 
déclare en insurrection contre le Conseil général de la Commune de 
Paris. — Le testament de Gensonné. — On se prépare à défendre 
les Girondins. — Des protestations sont envoyées à la Convention. 

— On arrête à Bordeaux les conventionnels Dartigoeyte et Ichon. 

— Le peuple remet ses pouvoirs au Conseil général du département. 

— Celui-ci appelle des délégués de tous les corps constitués. — 
Activité et dévouement de Pierre Sers. — Création de la Commission 
populaire de salut public de la Gironde. — Le département entre 
en lutte avec la Convention. — Organisation d'une force départe- 
mentale. — Envoi de commissaires dans les départements pour 
provoquer une alliance avec celui de la Gironde. — Adresse à la 
Convention. — Lettre de RouUet au ministre de l'intérieur. — 
L'insurrection est un fait accompli. — Les conventionnels Lidon et 
Chambon à Bordeaux. — On arrête la réunion d'une commission 
centrale à Bourges. — Treilhard et Mathieu sont envoyés en mission 
à Bordeaux. — Proclamation de la Commission populaire aux armées 
de la République. — Elle refuse de reconnaître certains décrets de la 
Convention. — Proclamation aux citoyens de la Gironde. — Arrivée 
de Treilhard et Mathieu. — Ils sont tenus en charte privée. — Ils 
assistent à une séance de la Commission populaire. — Ils quittent 
Bordeaux. — La Commission populaire décide un emprunt de 
un million. — Les départements commencent à l'abandonner. — 
Grangeneuve et le général Custine. — Refroidissement du peuple. — La 
Constitution est présentée à la sanction des assemblées primaires. — 
Proclamation de Treilhard. et Mathieu aux habitants de la Gironde. — 
La Commission populaire lutte contre la défaveur dont elle devient 
l'objet. — Difficultés 4sns la formation de |a force départementale, t* 



214 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Le maire Saige cherche à stimuler le zèle des citoyens. — Dénonciation 
contre l'acteur Lais. — L'indifférence du peuple s'accentue. — Le général 
Houchard. — Les sections retirent leur confiance à la Commission 
populaire. — Départ de la force départementale. — Les assemblées 
primaires adhèrent à tous les actes de la Commission populaire et 
déclarent renouveler ses pouvoirs. — La disette prend des proportions 
redoutables. — Enlèvement de 3 67,320 piastres appartenant à la Repu 
blique. — Nouvelle proclamation aux armées. — La désa£Eèction s'accroît. 
— La Commission populaire prononce sa dissolution. —^ Son râle et son 
influence. — La Convention annule tous ses actes et la met hors la 
loi, ainsi que ceux qui lui ont donné leur adhésion. — Chaudron- 
Roussau, Baudot, Ysabeau et Tallien sont envoyés en mission à 
Bordeaux pour faire exécuter ce décret. 

Nous Pavons dit en terminant un précédent chapitre, 
Paganel et Garrau venaient de quitter Bordeaux. Ils y 
avaient fait preuve d'une modération relative, et au milieu 
des oscillations de Tesprit public, ils avaient su garder une 
juste mesure : ils emportaient le souvenir reconnaissant des 
Bordelais. 

Ceux-ci d'ailleurs ne restaient pas indifférents aux luttes 
de la Montagne et de la Gironde au sein de la Convention 
nationale. Les sociétés populaires et la plupart des sections 
en suivaient les péripéties avec une curiosité affectueuse et 
sympathique. Les adhérents du Club national et quelques 
sectionnaires faisaient des vœux non dissimulés pour la 
Montagne, mais la masse des citoyens et surtout la Société 
des Amis de la Liberté et de l'Égalité, à laquelle avaient 
appartenu les députés de la Gironde, souhaitaient le 
triomphe des Girondins et l'affermissement d'une répu- 
blique sage et modérée. Ces souhaits étaient sans doute 
platoniques, et les députés de la Gironde, qui n'avaient 
reçu aucune nouvelle de leurs concitoyens, purent se croire 
oubliés par eux au milieu des périls qui les entouraient et 
dont la Montagne et les Jacobins étaient les principaux 
artisans. 

Ce silence paraissait inexplicable aux illustres représen- 
tants de Bordeaux à la Convention nationale. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 2l5 

C'est alors que Vergniaud écrivit à la Société des Amis 
de la Liberté et de l'Égalité la lettre que l'on va lire : 

a Paris, 4 mai 1793, sous le couteau, 

» Frères et amis, vous avez été instruits de Thort-ible persécution 
faite contre nous, et vous nous avez abandonnés. Vous ne nous 
avez soutenus auprès de l'Assemblée nationale par aucune démarche; 
vous n^avez même cherché à soutenir notre courage individuel par 
aucun témoignage de bienveillance. — Cependant, la fureur de nos 
ennemis s'accroît; la proscription et Fassassinat circulent contre 
nous, et Ton s'apprête d'aller à la barre nationale demander nos 
têtes. Quel est donc notre crime, citoyens ? Cest d'avoir fait entendre 
la voix de l'humanité au milieu des horreurs qui nous ont si souvent 
environné; c'est d'avoir voulu conserver vos propriétés et vous 
garantir de la tyrannie de Marat ou des hommes dont il n'est que 
le mannequin. Faites que nos concitoyens nous retirent des pou- 
voirs dont il est impossible de faire usage sans des signes éclatants 
de leur confiance. Nous ne craignons pas la mort, mais il est cruel, 
alors qu'on se sacrifie, de ne pas emporter au tombeau la certitude 
qu'on laisse au moins quelques regrets à ceux pour lesquels on 
s'immole. » Vergniaud. » 

Ces paroles empreintes d'une douloureuse résignation 
eurent un long retentissement dans notre ville.' 

Hâtons-nous de le dire, les Bordelais n'avaient pas 
abandonné leurs députés; des lettres individuelles, des 
adresses émanées des [sociétés populaires et des sections 
avaient devancé les reproches de Vergniaud. Aussi, dès 
le lendemain du jour où, selon son expression, il avait écrit 
sous le couteau, l'éloquent protégé du président Dupaty 
disait aux Amis de la Liberté et de l'Égalité : 

c Paris, 5 mai 1793. 

» Frères et amis, je vous écrivis hier le cœur flétri, non par des 
dangers que je brave, mais par votre silence. Quelques heures après 
le départ de ma lettre, j'ai reçu la vôtre. Des larmes de joie ont 
coulé de mes yeux. J'attends mes ennemis, et je suis sûr encore de 
les faire pâlir. On dit que c'est aujourd'hui ou demain qu'ils doivent 
venir demander de s'abreuver du sang de la représentation nationale. 



2l6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Je doute qu'ils Tosent, quoique la terreur ait livré les sections à 
une poignée de scélérats. On s'y est cependant battu avant-hier, et 
on ne tentera pas une démarche dans laquelle on craindra d'éprouver 
de la résistance. En tout cas, nous comptons sur le courage de 
Fonfrèdc, qui est président, et vous pouvez compter sur le nôtre. 

» Tenez-vous "prêts. Si Ton m'y force, je vous appelle de la tribune 
pour venir nous défendre s'il en est temps, et venger la liberté en 
exterminant les tyrans. Si nous ne sommes plus, Bordeaux peut 
sauver la République. 

» Eh quoi 1 n'aurons-nous travaillé depuis quatre ans, tant fait de 
sacrifices, supporté tant d'iniquités; la France n'aura-elle versé 
tant de sang, que pour devenir la proie de quelques brigands, pour 
courber le h-ont vers la plus tortueuse tyrannie qui ait jamais 
opprimé aucun peuple? 

» Hommes de la Gironde, levez-vous l La Convention n'a été 
faible que parce qu'elle a été abandonnée. Soutenez-la contre tous 
les furieux qui la menacent. Frappez de terreur nos Marins ; et je 
vous préviens que rien n'égale leur lâcheté, si ce n'est leur scéléra- 
tesse. Alors, la Convention sera vraiment digne du peuple français. 
Des lois sages seront substituées à des lois de sang; et les douceurs 
de la liberté nous consoleront des calamités de l'anarchie. 

» Hommes de la Gironde, il n'y a pas un moment à perdre. Si 
vous développez une grande énergie, vous forcerez à la paix des 
hommes qui provoquent la guerre civile. Votre exemple généreux 
sera suivi, et enfin la vertu triomphera. Si vous demeurez dans 
l'apathie, tendez vos bras, les fers sont préparés et le crime règne. 

» Je vous salue fraternellement. 

» Vergniauo. m 

L'appel du Girondin fut entendu : la Société des Amis 
de la Liberté et de l'Égalité fît afficher les lettres des 
4 et 5 mai dans toutes les sections et dans les locaux où 
siégeaient les sociétés populaires. Elles y soulevèrent des 
applaudissements sympathiques et tendirent à fortifier 
l'esprit de résistance qui devait, un mois plus tard, se 
traduire en insurrection. 

Un membre du Club national arracha l'une de ces 
affiches, fit imprimer les lettres et les envoya à la Conven- 
tion nationale. 

Profondément remués par les nouvelles contradictoires 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 217 

qui circulaient, les Bordelais oubliaient leurs propres 
dangers pour ceux des députés de la Gironde. 

Les autorités constituées de la ville, pressées par Topinion 
générale et dirigées d'ailleurs par leurs propres affections, 
s'associaient au mouvement du peuple. 

Il est difficile de se faire à distance une idée juste de la 
surexcitation des esprits à cette époque dans les grandes 
villes de province et notamment à Bordeaux. L'agitation 
y était entretenue par des publications violentes contre la 
Convention ; et d'un autre côté, les sections et les sociétés 
populaires étaient en quelque sorte permanentes et la vie 
politique coulait à pleins bords. 

Alarmés, en effet, par les bruits répandus et par les 
craintes de toute nature que la défiance augmentait encore, 
les citoyens s'étaient réunis spontanément dans leurs sections 
et par un mouvement unanime, même avant de connaître 
les lettres de Vergniaud. 

Sous l'empire des préoccupations que leur causaient 
l'état d'anarchie de la capitale et la situation périlleuse des 
députés de la Gironde, les Bordelais crurent devoir formuler 
des réclamations qui leur semblaient d'autant plus légitimes 
qu'ils avaient fait plus de sacrifices pour l'ordre de choses 
nouveau. 

On n'en était encore qu'aux paroles. 

Le 8 mai, les sections se constituaient en permanence, 
et après avoir organisé un Comité des subsistances qui 
pendant trois ans rendit à la population des services 
inappréciables, elles rédigèrent une adresse à la Convention 
pour l'inviter à se soustraire à la fatale influence de la 
municipalité de Paris et des factieux qui dominaient aux 
portes de l'Assemblée ou dans les tribunes. 

€ Les députés de la Gironde, disaient les sections, sont 
devenus les représentants de la nation entière. Toute la 
République voit en eux ses délégués, et, quels que qtient 



2l8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

les sentiments généreux qu^ils inspirent, il est impossible 
que nous n^éprouvions pas pour eux des sentiments plus 
intimes. Us tiennent leurs pouvoirs des habitants de la 
Gironde, tous garants de leurs vertus et de leurs talents. 
Notre silence à Tégard de ces députés qui fut jusqu'alors 
celui de la prudence, serait, en cette occurrence, celui de la 
lâcheté. Nous déclarons à la Convention qu'ils n'ont pas 
cessé de mériter notre estime f *) . » 

Telle était la situation générale à Bordeaux avant 
l'arrivée des lettres de Vergniaud. 

Ces lettres éclatèrent dans la ville comme un coup de 
foudre. On n'avait pas cru le mal aussi grand : le voile 
était déchiré, et c'est sous le couteau que l'Aigle de la 
Gironde se rappelait au souvenir de ses commettants 1 

L'indignation fut vive et profonde, et les vingt -huit 
sections formulèrent immédiatement l'adresse suivante à la 
Convention nationale : 

« Législateurs, quel horrible cri vient de retentir Jusqu'aux 
extrémités de la République I Trois cents représentants du 
peuple voués aux proscriptions, vingt-deux à la hache 
liberticide des centumvirs ! 

» Législateurs, lorsque nous choisîmes des députés, nous 
les mîmes sous la sauvegarde des lois, de la vertu, et de 
tout ce qu'il y a de plus sacré sur la terre. Nous crûmes 
les envoyer parmi des hommes; et ils sont en ce moment 
sous le poignard des assassins... Que disons-nous, hélas! 
peut-être ils ne sont plus... Si ce crime atroce se consomme, 
frémissez, législateurs, frémissez de l'excès de notre indigna- 
tion et de notre désespoir! Si la soif du sang nous a ravi nos 
frères, nos représentants, l'horreur du crime dirigera notre 
vengeance, et les cannibales qui auront violé toute les lois 
de la justice et de l'humanité ne périront que sous nos coups. 

(l^O'Reilly, Histoire de Bordeaux^ 1. 1«% 2« série, p. 282. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 219 

> Convention nationale, Parisiens, jadis si fiers et si 
grands, sauvez les députés du peuple, sauvez-nous de notre 
désespoir, sauvez-vous de la guerre civile!... Oui, nous 
organisons sur-le-champ notre garde nationale; nous nous 
élançons sur Paris, si un décret vengeur ne nous arrête, et 
nous jurons de sauver nos frères ou de périr sur leur 
tombeau ('M > 

C'était le 9 mai que les citoyens de Bordeaux parlaient 
ainsi à la Convention. 

Le même jour, le Conseil général de la commune donnait 
son adhésion à cette adresse et désignait Léris et Duvigneau 
pour la présenter à la Convention et lui exprimer de la 
manière la plus énergique les sentiments qui animaient 
tous les habitants de la ville. 

Le Conseil général du district, de son côté, sans entendre 
donner à V exposition de ses sentiments aucun caractère 
de représentation, déclara que Vadresse contenait ceux 
que lui inspiraient son amour pour les lois, son attache- 
ment inébranlable à la cause de la liberté et de légalité, 
enfin son dévouement au maintien de l'unité de la 
République, qui ne pouvait exister sans l'unité et l'inté- 
grité de la représentation nationale. 

Le Conseil général du département fut plus explicite 
encore : 

€ Considérant, dit-il, que les vives alarmes et l'indignation 
des habitants de Bordeaux ne sont que trop justement 
excitées par les cris forcenés d'une faction scélérate, qui 
proyoque chaque jour contre les représentants de la nation 
de nouvelles injures et de nouveaux excès, qui appelle 
contre une grande partie d'entre eux le fer des assassins 
et dont les efforts tendent évidemment à faire tomber 
la représentation nationale dans l'avilissement, pour la 

(i) Bernadau, Histoire de Bordeaux, p. 430. 



220 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

dissoudre ensuite avec violence et frapper ainsi la Répu- 
blique au cœur; 

j> Considérant que la trop longue indulgence de la Con- 
vention nationale, et le silence moins excusable encore des 
départements, n'ont fait que porter à son comble Taudace 
des vils suppôts des tyrans, et qu'il est temps enfin que 
tous les bons citoyens se prononcent, qu'un cri menaçant 
et terrible de la France entière jette l'épouvante dans l'âme 
de ces conspirateurs ; 

> Considérant que la Convention nationale ne verra, 
dans l'expression ardente des sentiments de la ville de 
Bordeaux, qu'une preuve de son attachement pour les 
représentants de la nation; convaincu que nos frères 
de Paris ne se méprendront pas sur ceux auxquels ces 
menaces s'adressent, et que les vrais républicains de cette 
grande cité n'y trouveront qu'un encouragement pour 
s'opposer avec une nouvelle énergie aux violences liberti- 
cides des scélérats soudoyés par nos ennemis, » le Conseil 
général du département invita les députés de la commune 
de Bordeaux auprès de la Convention nationale à exprimer 
en son nom les mêmes sentiments qui avaient dicté 
Vadresse des sections. 

C'était de la part de la ville de Bordeaux une démarche 
grave, dangereuse à coup sûr pour ses auteurs ; mais elle 
accuse une attitude trop courageuse et trop honorable pour 
n'être pas approuvée par tous les hommes de cœur. 

Léris et Duvigneau, chargés d'aller présenter à la Con- 
vention l'adresse qu'on vient de lire et les adhésions des 
autorités constituées, partirent pour Paris le 9 mai, et le 
14 du même mois, assistés des citoyens Perrens et Duffour, 
précédemment envoyés à Paris, ils en donnèrent connais- 
sance à l'Assemblée. 

L'adresse des Bordelais produisit une impression 
profonde, et Boyer-Fonfrède, qui présidait la séance. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. ^21 



répondit en quelques phrases courageuses et pleines du 
mépris le plus souverain pour les proscripteurs de la 
Gironde. 

Son allocution souleva une tempête sur la Montagne. 
Legendre injuria les Girondins, et les Bordelais en même 
temps et avec eux, et traita de citoyens égarés ou soudoyés 
par des intrigants les signataires de l'adresse. 

Guadet prit énergiquement la défense de ses concitoyens, 
et la Convention décréta Timpression, Tenvoi dans les 
départements et Taffichage dans Paris de l'adresse des 
citoyens de Bordeaux réunis dans leurs sections, et la 
réponse de son président ^^K 

C'est après ce décret que le maire de Paris, Pache, écrivit 
insolemment à la municipalité de Bordeaux c que si les 

> Bordelais voulaient venir en nombre à Paris pour remplir 
» le double objet de juger par eux-mêmes de la conservation 

> de leurs députés et de leur conduite, les Parisiens les 

> recevraient avec les sentiments de fraternité qu'ils méri- 
» teraient sûrement de leur part (*). :» 

Ces audacieuses provocations ne tombaient pas dans un 
terrain stérile, et malgré les souffrances populaires, la 
résistance s'organisa sourdement. 

Une partie du mois de mai se passa en conciliabules 
tenus chez les amis des Girondins *, un grand nombre des 
membres du Conseil général du département y assistaient. 

A la tête du mouvement qui se préparait en secret, on 
remarquait Pierre Sers père, qui avait été membre de 
l'Assemblée législative. C'était un homme ardent, énergique, 
rompu aux luttes de la parole et qui avait vu de près les 
orages des assemblées politiques : il avait été choisi par ses 
concitoyens pour présider le Conseil général du département 
de la Gironde. Des liens d'estime et d'affection réciproques 

(i) Lettre de Lériset Duvigneau du 1 5 mai 1793 {Moniteur du 16 mai 1793). 
(3) Archives municipales de Bordeaux (il/oniïeur du 4 juin 1793). 



222 HISTOIRE DE ÎA TERREUR A BORDEAUX 



[^attachaient aux hommes du parti de la Gironde. On le 
verra bientôt, avec RouUet, procureur général syndic du 
département, organiser une lutte pleine d'audace et de 
périls contre la Convention nationale. 

Après Sers et Roullet, venaient des hommes non moins 
dévoués et qui n'hésitèrent pas à risquer leur tête pour 
tenter le salut des députés de la Gironde. L'histoire 
doit conserver les noms de ces citoyens et honorer leur 
mémoire : c'étaient Desmirail père, Wormeselle, Labrouste, 
Tranchère, Maugeret, Fringues, Duranthon, Bemada, 
Lavau-Gayon, Pery, Tarteiron, Barennes, Duvigneau, 
Cholet, etc., etc. 

Des correspondances durent s'échanger entre les députés 
et leurs commettants. Nous aurions voulu pouvoir en mettre 
quelques-unes sous les yeux de nos lecteurs; malheureu- 
sement les archives privées s'ouvrent difficilement, et nous 
ne pouvons jeter que d'incertaines lumières sur les événe- 
ments des derniers jours du mois de mai. 

Des dangers de toute nature surgissaient d'ailleurs à 
chaque instant, et la question religieuse ne cessait de créer 
des embarras. Ainsi les g et lo mai, la garnison de Blaye 
et quelques hommes exaltés de passage dans cette ville se 
portèrent à des violences envers 102 prêtres destinés à la 
transportation et qui étaient renfermés dans la citadelle. On 
réussit à empêcher un massacre général, et le Conseil géné- 
ral du département, informé de ces actes odieux, ordonna 
la translation de ces prêtres à Bourg, dans la maison des 
Ursulines ^^K Sept jours plus tard, une fermentation 
dangereuse se manifestait à Bourg, et les 102 prêtres 
étaient, dans l'intérêt de leur sûreté, conduits au Fort- Pâté 
devant Blaye ^^K 

Une fiévreuse agitation était partout répandue et semait 

(0 Archives de la Gironde, reg. du dép., no 4. Séance du 10 mai lygS. 
(a) Id., reg. du dép., no 4, p. i53. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 223 

le trouble dans Tordre moral comme dans Tordre matériel. 
Nous parlions tout à Theure des souffrances du peuple : 
à cet égard, bornons-nous à rapporter les extraits d'une 
lettre adressée, le ii mai lygS, par la municipalité- de 
Bordeaux au député Boyer-Fonfrède : a Nous avons épuisé 
tous les moyens imaginables pour procurer à notre cité les 
subsistances qui lui sont nécessaires. Nos concitoyens sont 
réduits depuis quelque temps à se nourrir de pain de 
méture, et encore n'est-il pas assez abondant pour éviter 
les accidents que sa . distribution occasionne chaque jour 
aux portes des boulangers ('). > 

La famine était aux portes de Bordeaux, malgré les 
mesures prises avec une infatigable activité par le Comité 
des subsistances. 

Au même moment, la Gironde fournissait, en vertu d'un 
arrêté du Conseil général du département du i3 mai, un 
nouveau bataillon de 800 hommes pour être envoyé dans 
la Vendée. 

Cependant le peuple commençait à se préoccuper de 
Tabsence de toute Constitution, et les sections poussaient 
un cri d'alarme. La section des Sans-Culottes n® i , notam- 
ment, demandait le 23 mai que des mesures fussent prises 
pour sauver la chose publique ^^K 

Toute la question était de savoir si une Constitution 
pouvait être un remède aux maux de la patrie... 

Duvigneau, rentré à Bordeaux, avait raconté les péripéties 
du voyage à Paris des députés envoyés par la Ville et de la 
remise à la Convention de l'adresse des Bordelais. Ses 
paroles n'avaient pas été de nature à rassurer ; il signalait 
l'oppression sous laquelle gémissait l'Assemblée et l'audace 
toujours croissante des anarchistes. A la porte même de la 
Convention, une mégère, soudoyée par la Commune, lui 

(0 O'Reilly, Histoire de Bordeaux, t. I«r, 2« partie, p. 298. 
(3) Appendice, note XIX. 



224 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

— --_- _■____ ---■ ., ■■-■ . ,-,. — ^ 

avait arraché des mains son billet d'entrée et Tavait déchiré 
à ses yeux. 

Ces récits avaient excité Tindignation, et toute la ville était 
dans la plus grande animation. Ce fut un mouvement 
général : les sociétés populaires et les vingt-huit sections 
étaient en permanence; elles échangeaient, par députations, 
des communications incessantes qui tenaient tous les esprits 
en haleine. 

Le 25 mai, une réunion générale des commissaires des 
sections et des clubs devait avoir lieu à la municipalité. 
Déjà on se proposait d'envoyer des courriers extraordi- 
naires vers les départements voisins pour les .engager à se 
réunir au peuple de la Gironde, à lever des volontaires et à 
les diriger sur Paris au secours de la Convention. 

Mais les efforts des citoyens de Bordeaux restaient indi- 
viduels, si Ton peut ainsi parler, et ne pouvaient conjurer 
les dangers qui menaçaient un certain nombre de membres 
de la Convention. 

Les conseils, les représentations, les menaces même 
sont mal venus auprès d'un grand corps délibérant, quand 
les éléments d'homogénéité qui doivent le composer sont 
détruits et que les luttes individuelles et passionnées ont 
étouffé la voix de la justice et de l'humanité. C'était le cas 
de la Convention. La Montagne poursuivit son œuvre de 
haine et de vengeance, et les journées des 3i mai, i®' et 
2 juin virent la chute de la Gironde ('). 

Le Conseil général du département, où l'influence de 
Pierre Sers était dominante, s'associa oflBciellement au 
mouvement du peuple. Des réunions fréquentes avaient 
lieu chez Sers, et les questions que soulevait la situation 
y furent discutées avec plus de sentimentalité que de 
discernement politique; il est vrai que les esprits étaient 

(i) Appendice, note XX. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 225 



entraînés, et que la passion irréfléchie prenait la place de la 
froide raison. Nous ne saurions toutefois, sans injustice, 
blâmer nos pères du courage et de la générosité qu^ils 
déployèrent alors. 

Quand la nouvelle du décret du 2 juin et de Parrestation 
des Girondins arriva à Bordeaux, la ville fut plongée 
dans une véritable stupeur. Ce premier sentiment passé, 
rindignation enflamma tous les cœurs ; des cris de vengeance 
se firent entendre; le peuple accourut en foule dans les 
sections et dans les sociétés populaires, et, cédant à Tentraî- 
nement de la première heure, il se déclara en insurrection 
contre le conseil général de la Commune de Paris et contre 
la faction qui subjuguait la représentation nationale. Il 
ressaisit, selon ses expressions, sa portion de souveraineté, 
et vint confier provisoirement au Conseil général du 
département la plénitude et Texercice de ses pouvoirs. 

Celui-ci, nous venons de le dire, n'était pas resté étranger 
aux inquiétudes des Bordelais. Déjà, et de concert avec la 
municipalité, il %vait fait publier et répandre à profusion 
dans les villes et les campagnes des lettres et des pamphlets 
venus de divers points de la France et exprimant des 
sentiments favorables aux députés de la Gironde, hostiles à 
la Commune de Paris, aux Jacobins et au parti de la 
Montagne (*^ 

C'est au milieu de l'agitation dès esprits et de Pirritation 
qui avait gagné toutes les classes de la population, et qui était 
soigneusement entretenue par les amis des Girondins, que 
Gensonné envoya à Pierre Sers une déclaration ainsi conçue : 

f Le 2 juin 1793, Tan II* de la République française, à trois heures 
de l'après-midi, moi Arnaud Gensonné, représentant du peuple 
français, convaincu que nous touchons au moment où je vais être 
victime des conspirations qui se trament contre la Liberté et la 

(i) On peut citer notamment le Discours de Lanjuinais du 2 juin, la Lettre 
de Brissot à ses commettants, etc., etc. 

T. L i5 



226 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

République française, par une faction dont je n'ai cessé de combattre 
les coupables efforts ; 

» Considérant que le mouvement prétendu révolutionnaire que 
cette faction prépare et exécute, n'a d'autre objet que de dissoudre 
la Convention nationale, d'usurper ses pouvoirs, de les réunir et de 
les concentrer dans les mains d'un petit nombre d'individus, soutenus 
et dirigés par une portion de la représentation nationale subjuguée 
elle-même par la terreur, ou complice de cette usurpation révoltante; 

» Considérant que tous les moyens possibles d'égarer le peuple sur 
ses vrais intérêts, de corrompre l'opinion publique, de livrer à 
cette faction les trésors de la République et ses armées, et de 
réduire les départements à l'impuissance la plus absolue et de 
résister à l'oppression qui les menace, ont été successivement 
arrachés de la faiblesse de la Convention nationale, ou obtenus du 
désir qu'elle a eu d'éviter tout prétexte de scission entre les membres 
qui la composent ; 

» Considérant que les conjurés, après avoir séduit ou égaré une 
faible partie des citoyens de Paris, ont subjugué, par la crainte des 
proscriptions, la majorité des habitants de cette ville, se sont 
investis de tous les pouvoirs des autorités constituées, se sont 
emparés de la direction de la force armée et des comités révolu- 
tionnaires de toutes les sections ; 

9 Que la portion du peuple qu'ils n'ont cessé de tromper sur les 
intentions des députés les plus patriotes et les ])^us dévoués à ses 
intérêts, ne voit dans ces hommes généreux que des traîtres et les 
poursuit comme ses plus dangereux ennemis ; 

» Considérant enfin qu'au moment même où je trace ces lignes 
j'ai lieu de croire que la Convention nationale va être forcée 
d'ordonner mon arrestation ou de la laisser faire, et que je m'attends 
à devenir, dans peu d'instants, la victime d'un mouvement populaire 
ou d'un assassinat prétendu juridique, 

» Je déclare aux citoyens de mon département et à la France 
entière que je bénirai le sort qui m'est réservé, si ma mort peut 
être utile à l'établissement de la République et préparer le bonheur 
du peuple français. 

» Je déclare que je n'ai jamais cessé de lui être entièrement dévoué ; 
que je n'ai eu d'autre ambition que celle de remplir mon mandat 
avec courage et énergie ; que je n'ai formé d'autre vœu que celui de 
son bonheur et de l'établissement d'une Constitution républicaine ; 
que j'ai vécu et que je mourrai républicain et digne de la confiance 
dont mes commettants m'ont honoré. 

• Je conjure particulièrement les braves Bordelais mes concitoyens 
et les républicains de la France entière, d'examiner avec soin les 
chefs d'accusation (s'il en est) qui me seront imputés. Je recom- 






LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 227 

mande à mes amis surtout le soin de ma mémoire; je les charge, au 
nom des sentiments qu'ils m'ont voués, d'empêcher qu'elle ne soit 
flétrie; cette tâche ne sera pas difficile. 

» Au milieu des mouvements que les événements dont je serai 
probablement victime vont exciter dans la France entière, j'adjure 
tous les bons citoyens, et particulièrement ceux du Midi, de ne pas 
imputer à la majorité des habitants de Paris les excès que, dans les 
circonstances malheureuses où nous nous sommes trouvés, elle n'a 
pu empêcher ni prévenir ; qu'ils se rappellent les services que cette 
ville a rendus à la Révolution, et qu'ils réservent toute leur haine 
pour les scélérats qui ont médité et fait exécuter cet infâme projet. 

» Résigné à tout, sûr de ma conscience, j'embrasse dans ma pensée 
mes chers concitoyens, tous les amis de la Liberté et de la Répu- 
blique française ; et en la scellant de mon sang, sous les poignards 
des conspirateurs et sous la hache des Êictieux, mon dernier soupir 
sera pour ma patrie, et ma bouche ne se fermera qu'en exprimant 
le plus ardent de mes souhaits : Vive la République! 

» Gensonné, député de la Gironde. » 

Cette déclaration qu'on appela le testament de Gensonnê 
eut une grande influence sur les événements qui survinrent 
à Bordeaux. 

La douleur et la consternation furent générales à la 
lecture des touchants adieux du plus froid et du plus stoîque 
des Girondins. 

Les projets de la majorité des citoyens commençaient 
d'ailleurs à prendre corps; le Conseil général du départe- 
ment expédiait des courriers vers les grandes villes, et 
notamment à Lyon, pour provoquer une entente avec les 
Bordelais et concerter les éléments de la résistance aux 
anarchistes de Paris. On désirait une convocation prochaine 
des assemblées primaires, afin de remédier aux dangers qui 
menaçaient la République ('). 

C'était à Bordeaux un mouvement fébrile et général : 
la vie de famille était suspendue; le peuple tout entier 
vivait dans It forum, lisant assidûment les journaux et 

(i) Appendice, note XXI. 



228 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

les imprimés qui alimentaient son ardeur, discutant les 
questions que soulevait le sort des Girondins, et s'enivrant 
d'idées de vengeance contre ceux qu'il appelait les oppres- 
seurs de la patrie. 

Déjà la question de la force départementale était sérieu- 
sement agitée. 

Au milieu de cette unanimité du sentiment public, une 
opposition peu nombreuse au début, mais cauteleuse et 
sourde, cherchait à lever la tête, sans succès. Le Qub 
national, la section Franklin et d'autres en petit nombre 
comptaient dans leur sein ces éléments dangereux. On 
pourrait citer Charles, Cogorus, Fontanes, Lacombe et 
quelques autres. 

Un honorable négociant de Bordeaux, M. Desclaux 
Lacoste, écrivait le 5 juin : a: Notre ville est dans la plus 
vive agitation depuis le décret contre les vingt-deux députés. 
Dieu veuille nous donner la paix partout ('^ ! » 

On avait besoin d'actes énergiques et non de vœux 
stériles; voilà ce qui importait alors. 

Dès le 6 juin, des protestations virulentes contre les 
journées des 3i mai, i®' et 2 juin étaient envoyées à la 
Convention nationale. 

On y annonçait l'envoi à Paris d'une force armée assez 
considérable, pour délivrer la Convention des tyrans qui 
l'opprimaient. 

Sous le coup de l'indignation publique, les représentants 
Dartigoeyte et Ichon, en ce moment à Bordeaux, avec une 
mission relative à la défense nationale, étaient arrêtés 
comme suspects, dans la nuit du 6 au 7 juin, par ordre 
de la municipalité. Dans la journée du 7, ils furent, non 
sans de très vives discussions, remis en liberté ^^K 



(1) Voir le dossier Desclaux-Lacoste, jugé le 17 pluviôse an II par la 
Commission militaire. 
(3) Appendice, note XXII. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 229 



Quand ces nouvelles et ces protestations arrivèrent à 
Paris, elles excitèrent un grand mouvement dans TAssem- 
blée, et Thuriot en appela des Bordelais mal instruits 
aux Bordelais détrompés ^^\ 

Cependant, le Conseil général, à qui le peuple avait 
remis Texercice de ses pouvoirs, ne restait pas inactif. Il 
agissait avec vigueur, et de tous les points du département 
il recevait depuis plusieurs jours des députations qui 
stimulaient son zèle et lui apportaient Tapprobation et le 
concours des citoyens. 

Une grande résolution fut prise par lui : le 7 juin, il 
invita toutes les autorités du département à se joindre à lui, 
par renvoi de commissaires, « afin de former un centre 
» commun autour duquel les citoyens viendraient se réunir 
» pour discuter avec calme les grands intérêts du moment 
> et trouveraient dans l'union fraternelle du peuple et de 
j& ses magistrats la force et l'énergie que la liberté opprimée 
» doit opposer au despotisme et à l'anarchie. » 

L'adhésion fut générale et les commissaires ne tardèrent 
pas à arriver à Bordeaux. 

On allait passer des paroles aux actes. 

Le jour même où le Conseil général du département 
jetait ainsi le gant à l'anarchie, un député de la Gironde 
non compris dans le décret du 2 juin (Ducos ou Boyer- 
Fonfrède) écrivait à Sers : ce Vous apprendrez par des 
voies détournées où nous en sommes; Paris est assez 
calme, parce que les scélérats ont été eux-mêmes épouvantés 
des suites de leur crime, et n'ont pas osé le consommer. 
Tous les journaux qui paraissent sont vendus ou sont 
effrayés; il n'y a plus de liberté ici; mais vous pourrez 
juger par le rapport du Comité de salut public sous quel 
horrible joug nous vivons. Il y a cette phrase remarquable 

. (i) Dauban, la Démagogie en ijgS, p. 23i. 



23o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

dans le rapport de Barère : Le Comité de salut public, 
qui a fait une proclamation pour justifier les événements 
du 3i mai, s^est tu sur ceux du 2 juin, et son silence 
sera entendu par la France entière. Gtoyens des dépar- 
tements, que vous faut-il de plus? Cest le Comité de 
salut public qui a parlé. On est très embarrassé de la 
conduite ferme des détenus; ils veulent absolument être 
jugés... Or, ce n'est pas là le compte de nos persécuteurs. 
On se rabat sur la nécessité de faire promptement de 
bonnes lois et la Constitution... On a la perfidie d'entasser 
décrets sur décrets, pour faire croire que les détenus 
empêchaient seuls de travailler; une Constitution qui se 
bâcle en ce moment en quarante ou cinquante articles, 
nous sera présentée lundi. Grand Dieu! est-ce là le code 
qui doit régir une nation de 25 millions d'hommes? 
C'est à vous de savoir si vous voulez accepter une 
Constitution à laquelle tous vos représentants n'auront 
pas concouru. » 

Ces excitations étaient inutiles : la résistance était orga- 
nisée, et, chose remarquable, organisée précisément sur le 
plan indiqué dans les lettres de Vergniaud des 4 et 5 mai. 
Bordeaux voulut sauver la République. 

Il y eut des opposants, nous l'avons dit. 

Comme pour réagir contre le sentiment public, la section 
Franklin prit des délibérations tendant à l'arrestation des 
députés réfugiés à Bordeaux. Cette manœuvre fut déjouée 
et le Conseil général flétrit, comme elle le méritait, une 
proposition qui blessait à la fois les droits de la justice et 
ceux de l'humanité. 

Le 8 juin, le testament de Gensonné, « fruit de l'explo- 
3> sion d'un cœur vertueux retraçant les amertumes dont on 
:» abreuvait les députés de cette cité ^^\ t> était connu à 

(1) Sainte- Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux pendant dix-huit mois, etc. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 23 1 



Bordeaux, et venait ajouter un germe nouveau à la 
fermentation qui, depuis plusieurs jours, existait parmi 
les citoyens grâce aux nouvelles effrayantes et contra- 
dictoires répandues dans la ville sur Tasservissement de 
la Convention ^ . 

c Ce fut, déclara Desfieux dans le procès des Girondins, 
le testament de Gensonné qui détermina rétablissement de 
la Commission populaire à Bordeaux <*). » 

C'est peut-être beaucoup dire, et Desfieux exagérait en 
haine des députés de la Gironde. 

Ce qui est certain, c'est que cette déclaration fut répandue 
à profusion; que les circonstances étaient chaque jour plus 
pressantes, et que le Conseil général s'était trop avancé 
pour pouvoir reculer : il dut aller en avant. 

Nous l'avons dit, les lettres de Vergniaud contenaient 
un plan de résistance, le seul réalisable malgré les dangers 
qu'il créait; ce plan devait forcément être adopté, si les 
Bordelais entraient dans la voie de la résistance. 

Sers l'expliqua longuement, le commenta, le développa 
dans plusieurs séances du Conseil général, et le 8 juin enfin, 
d'un accord unanime, il fut chargé d'exposer, en séance 
publique d'une assemblée composée de commissaires délé- 
gués par tous les corps constitués du département, le plan 
auquel devait s'arrêter définitivement le département de la 
Gironde. 

Ce pouvait être le salut : ce fut la défaite, aggravée par 
l'insuccès final. 

Le lendemain, l'assemblée se réunissait, aux applaudis- 
sements d'un concours considérable de citoyens, dans une 
des salles du Département, l'hôtel actuel de la Mairie. 

Un souffle généreux animait tous les cœurs. 

Le procès-verbal de cette première séance mérite d'être 

(0 Tustety Tableau des événements, etc. 
(3) Moniteur, Procès des Girondins. 



232 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

intégralement reproduit; le résumer, ce serait en affaiblir 
la portée : 

Aujourd'hui, neuf Juin mil sept cent quatre-vingt-treize, Tan 
second de la République française, neuf heures du matin, le Conseil 
général du département de la Gironde s'est formé dans la salle de 
ses séances, présents : les citoyens Pierre Strs^ président ; Rambaud, 
Cholet, Wormeselle, Labrouste, Tranchère, Maugeret, Monbalon, 
Chéry, Baron, Monville, Duranthon, Bonac, Grangeneuve jeune, 
Isaac Tarteiron, administrateurs; Roullet, procureur général 
syndiCy et Fringues, secrétaire général; 

Auxquels se sont réunis les citoyens Lemoine fils, Bernada^ 
Legrix, Demeyère, Péry, commissaires du district de Bordeaux; 
Barri-Berthomieu, Lacombe-Puigueyraud, commissaires du district 
■de Libourne, et Fonvieilhe, commissaire du district de Cadillac; 

Les citoyens Baour, Furtado, Lapeyre,Azéma,Guibaut, Lamarque, 
Coudol, Nauté, Brawer, commissaires du Conseil général de la 
commune de Bordeaux; 

Les citoyens Desmirail, Barennes et Duvigneau, membres du 
tribunal criminel du département; 

Les citoyens de Brezets, Saint-Guirons, Perrens, Perrin, Laujacq, 
membres du tribunal civil du district de Bordeaux; Paul-Romain 
Chaperon, membre du tribunal du district de Libourne; Fisson- 
Jaubert, membre du tribunal du district de Cadillac; ^Olanyer 
et Hallot, membres du tribunal du district de Bourg; 

Les citoyens Grammont et Lopès-Dubec, membres du tribunal 
de commerce de Bordeaux, et Chaperon aîné, membre du tribunal 
de commerce de Libourne. 

L'assemblée formée, un membre du Comité des rapports a dit : 

€ Citoyens, 

> L'objet de notre réunion est le salut de la chose publique; le 
Conseil général du département, témoin des mouvements qui 
agitent ses concitoyens depuis qu'ils ont connu les détails des 
dernières séances de la Convention, où la Représentation nationale 
a été subjuguée par des factieux soudoyés pour la dissoudre et lui 
substituer un pouvoir destructeur de la liberté, a appelé près de lui 
des membres de toutes les autorités constituées, pour l'investir de 
leurs lumières, et réunir en masse les diverses portions de confiance 
dont le peuple les à déjà revêtus. 

1 Vous avez entendu retentir de toutes parts, et jusque dans cette 
enceinte, les cris d'un peuple qui, voyant sa liberté compromise, se 
prépare à se ressaisir de ses droits, à employer la résistance à 
l'oppression, contre une faction désorganisatrice dont les entre- 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 233 

prises criminelles menacent d'envahir Tautorité suprême, qui ne 
peut résider que dans les mains de la Nation entière ou de la 
majorité de ses délégués. 

I Au milieu de cette agitation, de cette indécision du peupfe sur 
le mode qu'il adoptera pour exprimer ses volontés et user de sa 
force, vous l'avez vu tourner vers vous des regards inquiets, et vous 
demander si le dépôt de toute sa puissance ne vous effrayerait pas ; 
si les poignards des assassins, levés sur la tête des vrais républicains, 
ne vous intimideraient pas; si vous étiez enfin déterminés à sauver 
' la liberté en bravant tous les périls. Votre contenance seule a servi 
de réponse, et déjà de toutes parts sa volonté se déploie; un grand 
nombre de sections de cette vaste cité et des communes du dépar- 
tement vous ont investis d'une confiance illimitée; elles vous 
ont chargés des premières mesures à prendre pour diriger leur 
mouvements; le peuple vous a enfin revêtus de tous les pouvoirs 
pour exercer en son nom l'autorité conservatrice de ses droits. 

1 Citoyens, son vœu ne peut plus être douteux, n'hésitez pas à le 
remplir; vous n'êtes plus des administrateurs, des officiers munici- 
paux, des juges; vous êtes les mandataires du peuple, les sauveurs 
de la liberté : le Comité vous propose que dès cet instant vous vous 
constituiez en Commission populaire de salut public du département 
de la Gironde, et que vous ne vous sépariez plus que la liberté ne 
soit rétablie au sein de la Convention nationale, t 

Cette proposition est vivement appuyée; elle est mise aux voix et 
délibérée à l'unanimité dans les termes suivants : 

« L'assemblée, considérant que l'objet de sa réunion a été de 
sauver la chose publique ; mais qu'elle a dû attendre le résultat des 
délibérations du peuple de ce département, réuni depuis deux jours, 
par sa seule volonté, pour préparer ses moyens de résistance à 
l'oppression; 

» Considérant que son vœu ne peut plus être douteux, que le 
grand nombre des procès-verbaux qui lui sont parvenus de la part 
des communes et des sociétés populaires du département, atteste 
que le peuple, déterminé à ne pas perdre le fruit de ce mouvement 
salutaire, a cherché un centre d'unité qui pût agir en son nom; 
qu'il a cru cette assemblée de magistrats, déjà chargés de ses 
intérêts, digne qu'il lui en confiât de plus chers encore, celui de la 
défense de sa liberté et Tusage de ses premiers droits; 

M Considérant que devant ces fonctions si élevées, toutes celles 
dont chacun de ses membres est ailleurs revêtu disparaissent pour 
n'offrir à la France entière qu'une assemblée de citoyens commis 
par le peuple d'une vaste portion de son territoire pour sauver la 
chose publique, 
«Arrête, à l'unanimité, qu'elle se constitue en Commission 




234 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

POPULAIRE DE SALUT PUBLIC DU DEPARTEMENT DE LA GiRONDE ; qu'elle 

est permanente et ne cessera ses fonctions qu^après qu'elle aura, de 
concert avec les agents du peuple des autres départements, mis 
la liberté hors de tout péril , en la rétablissant dans le sein de la 
Convention nationale ; 

1 Que sa détermination sera sur-le-champ rendue publique, et 
envoyée à toutes les communes du département ; 

> Qu'enfin elle va s'organiser par la nomination d'un président, 
d'un vice-président et de quatre secrétaires. » 

Et à l'instant l'assemblée a procédé à cette nomination. 

Les scrutins faits et dépouillés ont porté à la place de président le 
citoyen Pierre Sers; à celle de vice-président, le citoyen Desmirail; 
et à celles de secrétaires, les citoyens Bernada, P.-F. Lamarque, 
Monbalon et Duvigneau. 

L'assemblée adopte la formule du serment suivante; chaque 
membre le prête individuellement : 

c Je jure guerre éternelle aux tyrans, aux traîtres, aux anarchistes; 
» je jure de maintenir la Liberté, l'Égalité, la République une et 
» indivisible, la sûreté des personnes et des propriétés ; je jure de 
1 n'employer les pouvoirs qui m'ont été confiés par le peuple que 
1 pour faire respecter la souveraineté nationale. » 

Fait en séance publique de la Commission populaire de salut 
public du département de la Gironde, à Bordeaux, le 9 juin 1793, 
l'an second de la République française. 

» P. Sers, président. — Desmirail, vice-président. 
— Bernada, P. -F. Lamarque, Monbalon et 
Duvigneau, secrétaires, » 

La séance fut levée au milieu des acclamations et de 
l'enthousiasme du peuple. 

La Commission populaire de salut public de la Gironde 
se trouvait ainsi constituée, et la résistance était devenue 
un fait accompli. 

Les hommes de la Gironde s* étaient levés à Tappel de 
Vergniaud. 

Le peuple, nous l'avons vu, était en permanence et ne 
voulait plus reconnaître les décrets de la Convention (">. 
L'enthousiasme était général : cependant quelques bons 

(i) Lettre de Dudau fils, 9 juin 1793. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 235 

esprits appartenant à la magistrature ou au barreau répu- 
diaient tacitement les résolutions qui venaient d'être prises. 
L'avocat Albespy, notamment, disait à cette occasion : 
a II est évident que Ton perd la ville de Bordeaux ; tout ceci 
nous mène à une guerre civile f*>. }) Mais il eût été impru- 
dent de manifester tout haut de pareilles appréciations. 

La Commission populaire ne restait pas inactive. Le 
jour même de son installation, elle décida de s'occuper 
immédiatement et sans relâche des mesures de salut public 
les plus propres à arrêter les progrès de l'anarchie et à 
combattre efficacement toutes les tyrannies, en s^abstenant 
toutefois de prendre des mesures partielles de nature à 
isoler le département de la Gironde d'aucune partie de la 
République. 

Elle ordonna l'organisation d'une force départementale* 
qui devait, avec les contingents que les autres départements 
seraient invités à lever, concourir au rétablissement de la 
liberté et de la majesté de la représentation nationale. 

Tous les citoyens furent appelés à faire des offrandes en 
rapport avec leur situation, afin de mettre la Commission 
populaire en état de pourvoir à toutes les dépenses de la 
levée de la force départementale. 

Des commissaires furent envoyés dans tous les départe- 
ments, pour leur donner connaissance des dispositions 
républicaines des habitants de la Gironde et de leur vœu 
pour la conservation de l'union entre tous les citoyens 
français, de l'unité d'action pour la défense de la liberté et 
de l'intégrité de la République. 

Il fut enfin décidé qu'il serait incessamment écrit à toutes 
les armées, et particulièrement à toutes les compagnies 
franches de la Gironde employées au service de la Répu- 
blique, pour les assurer du dévouement de leurs concitoyens 

(I) V. le dossier Albespy, jugé par la Commission militaire le 21 mai 1794* 
(Greffe de la Cour : Fonds révolutionnaire.) 



236 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

A la cause de la liberté, et leur annoncer la confiance du 
peuple, que, fidèles à leur poste, ils combattraient les 
ennemis du dehors, tandis que les Bordelais résisteraient 
sans relâche aux efforts liberticides de tous les ennemis de 
rintérieur ^^K 

Tel fut le début de la Commission populaire. 

«Des actes préparés dans les ténèbres par une petite 
poignée d'intrigants, écrivait plus tard le procureur de la 
Commune Tustet, ont fait perdre à Bordeaux la réputation 
qu'il méritait à tant de titres ^^K t> 

Quoi qu'il en soit de l'opinion de Tustet, la Commission 
populaire fonctionna avec une exceptionnelle activité ; nous 
pourrions suivre heure par heure ses travaux, car nous 
avons sous les yeux les procès-verbaux de ses laborieuses 
séances pendant près de deux mois. Bornons-nous à dire 
que le peuple, les sections et les sociétés populaires lui 
donnèrent dès les premiers jours de son existence un 
concours sans réserve. L'excitation des esprits était grande 
à Bordeaux, et on ne voulait rien moins que sauver les 
Girondins et soustraire la Convention à l'oppression des 
factions anarchistes et de la Commune de Paris. 

Les commissaires envoyés dans toutes les directions ne 
tardèrent pas à écrire, et leurs correspondances eurent pour 
résultat de convaincre la Commission populaire qu'elle 
marchait dans une voie sympathique à l'opinion générale. 

Près de soixante départements, en effet, adhérèrent au 
mouvement insurrectionnel de Bordeaux, et les promesses 
de concours et de levée d'hommes donnèrent confiance aux 
instigateurs du mouvement et précipitèrent leurs actes. 

De toutes parts, des députés et des commissaires envoyés 
par les communes, par les sociétés populaires, par les 
autorités constituées du département et des départements 

(0 Délib. du g juin. 

(2) Tustet, Tableau des événements, etc. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. iSy 



voisins, arrivaient à Bordeaux et venaient adhérer à la 
Commission populaire. 

Celle-ci, le 1 1 juin, délibéra une adresse à la Convention 
nationale : 

«Citoyens représentants, disait-elle, la mesure est 
comblée, le voile est déchiré; tous les départements se 
lèvent à la fois et d'un commun accord, pour défendre la 
représentation nationale, pour lui rendre sa liberté et la 
retirer de Tétat d'avilissement où elle se trouve réduite. 

3> Certes, si les scélérats qui dirigent en ce moment la 
partie égarée du peuple de Paris, ont pu par la terreur 
réduire au silence la très grande ville, il ne leur sera pas 
aussi facile de frapper de stupeur les courageux républicains 
qui, dans toute la France, ont juré de mourir plutôt que de 
laisser s'élever aucune espèce de tyrannie sur les débris du 
trône. Pensent-ils, ces hommes avides d'or et de sang, qui 
n'ont la fureur de dominer que pour assouvir leur insatiable 
avarice et leur horrible cruauté, pensent-ils en imposer à 
toute la République, lorsque, pour écarter de la Convention 
nationale les hommes courageux qui n'ont cessé de les 
combattre et de les démasquer, ils ont osé faire sonner le 
tocsin et tirer le canon d'alarme -contre l'Assemblée des 
représentants de la nation, marcher en force contre elle, 
l'entourer d'hommes armés et de furies plus épouvantables 
encore, lui arracher le funeste décret qui, sans énoncer 
aucun motif, sans présenter même aucune espèce de prétexte, 
a enlevé à leurs fonctions ses membres les plus fermes et 
ceux sur lesquels les départements pouvaient le plus compter 
pour défendre leurs droits? Ne vous y trompez pas, 
citoyens législateurs, la France entière ne vous voit plus 
que tremblants sur vos sièges, rendant, comme les statues 
des faux dieux, les oracles qui vous sont dictés par des 
prêtres imposteurs. Non, dans cet état d'abjection, la 
nation ne peut plus reconnaître ceux qu'elle avait crus doués 



238 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

d'assez d'énergie pour exprimer librement sa volonté. Ahl 
si vous n'avez pas eu la force de mourir plutôt que de céder 
à l'oppression, ne combattez pas au moins les efforts des 
hommes courageux qui veulent vous en délivrer. Vous allez 
voir, dans toute l'étendue de la République, toutes les 
sections du peuple se ressaisir de leur portion de souverai- 
neté, pour en confier l'exercice momentané à des mandataires 
qui en règlent l'usage, et la conservent comme un dépôt 
sacré qui devra être rétabli dans le centre commun de la 
représentation nationale, lorsqu'elle aura recouvré ses 
droits et sa dignité; c'est du moins l'exemple que lui 
donnera le peuple de ce département. 

}^ Cependant, toujours attaché aux lois et aux autorités 
constituées, dans l'insurrection même la plus juste et la 
plus nécessaire, il n'a point élu de nouveaux mandataires ; 
il a continué sa confiance, et a remis ses pouvoirs aux 
magistrats qu'il avait déjà choisis. 

]» Le Conseil général du département, persuadé que dans 
des circonstances aussi graves que celles où nous nous 
trouvons, il ne pouvait s'entourer de trop de lumières, 
avait invité à une conférence générale les membres des 
diverses administrations, et tribunaux du département. Le 
peuple a vu ses amis et ses défenseurs dans cette réunion 
des autorités qu'il a créées. Toutes les sections lui ont 
envoyé, presque au même moment, des adresses pour lui 
annoncer que le peuple se déclarait en insurrection contre 
la tyrannie qui opprime en ce moment la représentation 
nationale; que jusqu'à l'extinction de cette tyrannie, il 
reprenait ses droits et en confiait l'exercice aux membres 
des divers corps administratifs et judiciaires réunis en 
assemblée générale. 

j> Ces magistrats du peuple ont courageusement accepté 
ses pouvoirs, et cette assemblée s'est aussitôt constituée en 
Commission populaire de salut public. Son premier acte 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 239 



a été de demander à chacun de ses membres le serment 
solennel de faire une guerre étemelle aux tyrans, aux 
traître^ et aux anarchistes, de maintenir la liberté et Féga- 
lité, la sûreté des personnes et des propriétés, Tunité et 
rindivisibilité de la République, et de n'user des pouvoirs 
qui lui sont confiés par le peuple que pour rétablir le 
respect dû à la souveraineté nationale. 

* C'est ainsi qu'elle a cru devoir répondre d'avance aux 
reproches que ne manqueront pas de lui faire les faux 
patriotes, les faux républicains, les faux amis du peuple, 
effrayés par cet acte de vigueur, qui, nous l'espérons, 
délivrera la République de leur fatale influence. Ses actes 
subséquents vous seront bientôt connus. Ils répondront, 
nous en sommes certains, à la sagesse, à l'amour de 
l'ordre, et en même temps au courage et au dévouement 
dont les citoyens du département de la Gironde n'ont cessé 
de donner l'exemple. Nous vous avions promis, citoyens 
législateurs, de vous dire la vérité tout entière. C'était 
notre devoir; nous le remplissons en vous assurant de 
nouveau que l'indignation publique est à son comble; que 
les citoyens de ce département sont déterminés à tout 
sacrifier pour faire cesser l'état d'anarchie où se trouve la 
France; qu'ils ont tous juré d'anéantir l'odieuse et mépri- 
sable horde de brigands qui a entrepris de régner par la 
terreur et par les crimes ; et que tous leurs mouvements, 
tous leurs vœux tendront sans relâche au rétablissement 
du bon ordre dans toutes les parties de la République ; à 
l'anéantissement des factions qui la déchirent; à extirper 
jusqu'aux dernières racines de l'aristocratie, du royalisme, 
de l'anarchie et du fédéralisme, et à réintégrer la représen- 
tation nationale dans toute la liberté et la majesté qu'elle 
doit avoir pour exprimer dignement la volonté du peuple 
français, et lui donner une Constitution fondée sur les 
base immuables de la Liberté et de l'Égalité. > 



240 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Ce langage énergique était explicite et hardi. L'insurrec- 
tion était flagrante. 

Le jour même où la Commission populaire parlait ainsi 
à la Convention, RouUet, le procureur général syndic du 
département, rendait compte au ministre de Tintérieur des 
événements qui venaient de se passer à Bordeaux, et qu'il 
pensait ne devoir être que les avant -coureurs d'* événements 
bien plus sérieux encore. On lit dans sa lettre cette phrase 
significative : cil ne fallait qu'une occasion pour mettre un 
» terme à la patience du peuple et causer un grand mouve- 
s> ment, et elle est arrivée. L'arrestation de plusieurs 
:^ membres de la Convention qui ont le plus résisté à la 
» faction anarchique, le dessein qui paraissait formé de 
:» les faire périr, sans avoir constaté, pas même articulé 
}> contre eux aucun crime, et les derniers mouvements de 
y> Paris, en ont occasionné un dans cette ville et dans le 
j> département, qui est celui d'une véritable insurreaion, 
» celui d'un peuple qui se met tout entier et en masse en 
» état de résistance. C'est le mouvement de 1789 qui s'est 
» reproduit ('). » 

Ces nouvelles et celles qui arrivaient à la Convention 
de divers autres points de la République alarmèrent la 
Montagne. Elle répondit aux soulèvements qui avaient 
lieu dans l'Eure, le Rhône, le Calvados, la Gironde et dans 
presque tout le Midi, par un décret ordonnant que tous 
les députés arrêtés seraient transférés dans une maison 
nationale * . 

En présence d'un pareil décret, la Commission populaire 
crut devoir exprimer ses sentiments sur l'existence et la 
composition du tribunal criminel extraordinaire appelé, 
selon toutes les probabilités, à juger les Girondins. 

(i) Lettre de RouUet du 11 juin, à la suite de l'adresse du Conseil 
général. 
(2) Dauban, la Démagogie en lygS, p. 246. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 24 1 

Après quelques considérations sur la création de ce 
tribunal, sur son existence et sur le scandale de Tacquit- 
tement de Marat et de quelques autres, la Commission 
populaire, tout en affirmant que le peuple de la Gironde 
voulait le jugement des députés afin de faire éclater leur 
innocence, déclarait que le tribunal qui devait les juger ne 
pouvait siéger dans le sein de Paris, sous Tinfluence 
meurtrière d'une faction criminelle et audacieuse; que son 
vœu était qu'il fût placé à quarante lieues au moins de cette 
ville; qu'il fût composé de juges et de jurés pris dans les 
départements et nommés par eux, regardant la nomination 
qui en serait faite de toute autre manière comme Touvrage 
de la faction elle-même; qu'elle protestait contre tout 
jugement qui serait rendu soit par le tribunal actuel, soit 
par tout autre, organisé ou placé contre le vœu qu'elle 
énonçait; qu'elle rendait personnellement responsables les 
juges et les jurés qui y auraient concouru, et que la vengeance 
nationale les poursuivrait dans tous les temps et dans tous 
les lieux. 

Le 14 juin, la Commission populaire s'occupait de la 
force départementale et en fixait le chiffre à 1,200 hommes. 

Elle essayait de mettre tout en œuvre pour le succès de 
son entreprise. Ses efforts ne furent pas couronnés de 
succès à ce point de vue : une assemblée générale de la 
garde nationale eut lieu au Champ de Mars pour le recru- 
tement de ces 1,200 hommes, mais les citoyens se mon- 
trèrent pleins de tiédeur, et un certain nombre de sections 
ne répondirent pas à l'appel. On peut citer celles de la 
Liberté n** 21, des Amis de tous ne craignant personne 
n®27 et des Sans-Culottes n® i. 

Les conventionnels Lidon et Chambon, réfugiés depuis 
quelques jours à Bordeaux, parcoururent avec des membres 
du département les rangs de la garde nationale et cherchè- 
rent à réchauffer le zèle des citoyens; leurs efforts furent 

T L 16 



24^ HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

vains : 400 hommes furent réunis à grand'peine, comme 
nous le verrons plus tard; ils allèrent jusqu'à Langon, et 
la force départementale resta, en réalité, à Tétat de lettre 
morte. 

Mais n'anticipons pas sur les événements. 

Informé de ce qui se passait à Bordeaux, le Comité de 
salut public présenta un rapport à la Convention, et celle-ci 
par un décret en date du 17 juin envoya Treilhard et 
Mathieu en mission dans les départements de la Gironde, 
de Lot-et-Garonne et départements circonvoisins, à Veffet 
de s entendre avec les autorités constituées pour réunir 
tous les esprits dans l'objet important de la défense 
commune. 

La Conimission populaire vit sans crainte cette mesure. 
Vers cette époque, elle fit imprimer et répandre dans la ville 
et les communes du département des milliers d'exemplaires 
d'une adresse véhémente de Barbaroux aux Marseillais 
datée de Caen le 18 juin, et les engageant à marcher sur 
Paris. 

C'est ainsi qu'elle s'apprêtait à recevoir les commissaires 
de la Convention. En même temps, et le 19 juin, elle 
réglait les conditions de la réunion à Bourges, pour le 
16 juillet, d'une assemblée des commissaires de tous les 
départements en insurrection comme celui de la Gironde; 
elle adressait, en outre, aux armées de la République une 
proclamation ainsi conçue : 

« Braves défenseurs de la patrie, vous n'avez pas ignoré 
sans doute les longues et funestes dissensions qui ont entravé 
les opérations de la Convention nationale, et vous avez 
partagé l'indignation qu'inspirent à tous les Français les 
violences que vient d'éprouver la majesté du peuple dans 
la personne de ses représentants. 

» Depuis longtemps le peuple s'était prononcé sur le 
complot qui se tramait à Paris, jusque dans le sanctuaire 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 248 

des lois, où une minorité factieuse triomphait chaque 
jour, à l'aide des tribunes, des impuissants efforts de la 
majorité. 

» Les crimes des journées du 3 1 mai, des 2 et 3 juin, ont 
justement lassé le peuple ; il s'est levé pour sauver la chose 
publique. Celui du département de la Gironde s'est constitué 
en état de résistance à l'oppression, il s'est ressaisi de ses 
pouvoirs; et pour marcher d'accord dans les grandes et 
vigoureuses mesures que les circonstances l'obligeaient de 
prendre, il s'est tourné vers les autorités constituées de son 
territoire. Elles étaient réunies dans la ville de Bordeaux 
pour s'occuper du plus grand danger qui ait encore menacé 
la patrie : toutes les sections des villes et le plus grand 
nombre des autres communes sont venues déposer dans les 
mains de leurs administrateurs et de leurs magistrats 
l'exercice de leurs droits, pour sauver la liberté et faire 
respecter la souveraineté nationale. 

» Chargés de ce grand dépôt, et bien résolus de remplir 
notre fiouvelle mission, nous nous sommes constitués, 
d'après le vœu du peuple, en Commission populaire de 
salut public de la Gironde; et le serment que nous avons 
prêté, et dont nous vous envoyons la formule, vous fixera 
sur la nature des sentiments et des vues qui nous dirigent. 

» Pour prévenir toute espèce de scission, et conserver 
dans nos mesures de résistance l'unité et l'intégrité de la 
Répilblique, nous avons envoyé des commissaires dans 
tous les départements, et toutes nos démarches seront 
subordonnées au vœu commun de toute la France. 

3) Nous leur avons proposé de lever une force départe- 
mentale pour rendre à la Convention la liberté qu'elle n'a 
plus, et empêcher qu'on ne puisse la lui ravir encore 
lorsqu'elle l'aura recouvrée. Une de nos premières résolu- 
tions a été de vous informer de nos plans et de nos mesures, 
et nous continuerons à vous en instruire. 



244 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



* Frères et amis, c'est en vain que des malveillants 
chercheraient à nous calomnier auprès de vous : vous 
connaissez le peuple de la Gironde, dont nous sommes ici 
les organes; on ne parviendra pas à vous persuader qu'il 
se soit départi de ses principes et qu'il veuille, par une 
lâche perfidie, ternir la gloire qu'il s'est acquise dans tout 
le cours de la Révolution. 

j> La Commission populaire de salut public espère donc, 
frères et amis, que l'attitude que vient de prendre le peuple 
de ce département, ne changera rien à la vôtre ; que toujours 
semblables à vous-mêmes, vous resterez fermes à votre 
poste, et que vous continuerez à triompher de nos ennemis 
du dehors, pendant que nous combattrons ceux de l'inté- 
rieur. 

]> Nous avons juré, comme vous, de vivre libres. Comme 
vous, nous saurons, s'il le faut, sceller de notre sang ce 
serment solennel. » 

Non contente de cette proclamation, aussi énergique que 
courageuse, la Commission populaire livrait le 20 juin à la 
publicité deux documents importants : le premier était une 
déclaration aux termes de laquelle elle refusait de recon- 
naître tous décrets rendus contre des administrations ayant 
formé la résolution de résister à l'oppression, et le deuxième 
une instruction destinée aux commissaires envoyés par elle 
à la commission centrale de Bourges 0). 

Les sections cependant ne voyaient pas sans inquiétude 
l'arrivée prochaine des conventionnels Treilhard et Mathieu ; 
la réflexion faisait appréhender les dangereux effets de la 
mission qu'ils venaient remplir à Bordeaux, et, sous 
prétexte de les prévenir, on les aggrava. La municipalité, 
en effet, fut invitée à faire surveiller leur arrivée, et la 
Commission populaire à leur intimer, pour toute réponse 

(I) Appendice, note XXIII. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 246 



après les avoir entendus, l'ordre de partir sur-le-champ. La 
section Simoneau, notammetit, avait pris une délibération 
dans ce sens ('>; on pourrait en citer plusieurs autres ^^K 
Seule, la section Franklin insista pour que les conventionnels 
fussent reçus fraternellement; mais son avis ne prévalut 
pas. 

Telles étaient, en général, les dispositions de la population 
et des autorités constituées. 

Nous verrons bientôt la réalisation du programme tracé 
par la section Simoneau. 

Et toutefois, nous devons le dire, il commençait à se 
révéler dans le peuple une indifférence qui parut dangereuse 
à la Commission populaire : c'était pour elle une déperdition 
de force morale, et elle chercha à stimuler les sentiments de 
Topinion publique par une proclamation à ses concitoyens : 

ce Citoyens de la Gironde, disait-elle, vos frères des 
départements du Nord sont levés, ils marchent vers Paris : 
qu'attendriez-vous pour les suivre ? Vous n'avez pas oublié 
que naguère, à la barre de la Convention, sous les regards 
étincelants des factieux, vous osâtes les premiers faire 
entendre une voix menaçante, et appeler sur leur tête la 
vengeance nationale. 

» Citoyens, la France entière a les yeux fixés sur vous; 
ce n'est plus le moment de délibérer, tout espoir de bien 
est perdu; le pillage, la guerre civile, des victimes, des 
échafauds, voilà ce qu'on nous prépare; c'est ainsi que 
règne cette faction sanguinaire et liberticide qui, après 
avoir porté une main sacrilège sur la représentation natio- 
nale, est enfin parvenue à l'asservir par la terreur. 

> Citoyens, loin de nous cette cruelle apathie, cette 
lassitude révolutionnaire qui tueraient la liberté et vous 



(0 Appendice, note XXIV. 

(3) Section des Amis de la Paix n* 2, section Bru tus n« 7, section des 
Arts no i5, etc., etc. 



246 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



feraient perdre le fruit de quatre années de sacrifices ; songez 
qu'il s'agit de vos intérêts les.plus chers ; c'est la sûreté de 
vos personnes et de vos propriétés que vous avez à défendre 
contre le monstre de l'anarchie ; c'est la faculté de penser 
et d'agir en hommes libres que vous avez à conserver. 
Qtoyens, encore un généreux effort, et la patrie est sauvée. 
Aux armes, citoyens, aux armes! C'est la guerre de la 
vertu contre la scélératesse, c'est le combat de la liberté 
contre la tyrannie, l'issue ne peut être douteuse. » 

Le même jour, 24 juin, Treilhard et Mathieu arrivaient 
à Bordeaux. 

Treilhard, né à Brives en 1742, s'était fait recevoir, après 
d'excellentes études, avocat au Parlement de Paris, et il 
avait déjà acquis une réputation incontestée au barreau et 
dans la capitale lorsqu'il fut élu, en 1789, député du tiers 
aux États Généraux. Il conquit une assez grande influence 
dans l'Assemblée constituante, grâce à ses talents et à son 
éloquence. Le 2 septembre 1789, il s'était déclaré en faveur 
du veto suspensif à accorder au roi, et déploya à cette 
occasion une logique si serrée et si remarquable que le parti 
populaire jugea utile de le conquérir à sa cause. Membre et 
rapporteur du Comité ecclésiastique, il avait fait adopter 
les décrets sur les biens du clergé et sur la constitution 
civile, qui violenta les consciences et introduisit un schisme 
dans l'Église. Un peu plus tard, il fît supprimer les ordres 
religieux et mettre leurs biens à la disposition de la nation. 
Président du tribunal criminel de Paris après la Consti- 
tuante, il avait été élu en 1792 député de Seine-et-Oise à 
la Convention nationale, s'était rangé dans le parti de la 
Montagne et avait voté la mort de Louis XVI (0. ^ 

Mathieu, moins important à tous les points de vue que 
son collègue Treilhard, était comme lui avocat à l'époque 

(1) M. Treilhard est arrivé à une grande fortune politique sous le premier 
Empire. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 247 

de la Révolution. Originaire de Mirampol, dans TOise, 
il s^était fait remarquer par un patriotisme qui lui valut 
les faveurs de ses concitoyens : ils l'avaient envoyé à la 
Convention, où il siégea sur les bancs de la Montagne. A 
l'ouverture de la session, il avait proposé de jurer par 
la force du sentiment d établir la liberté et légalité, et 
dans le procès du roi il s'était prononcé pour la mort . Le 
5 mars 1793, il avait fait décréter que toutes les jeunes 
filles émigrées qui étaient âgées de plus de quatorze ans 
seraient exportées si elles rentraient, et la seconde fois 
mises à mort^,). 

Partis de Paris le 20 juin, Treilhard et Mathieu étaient 
arrivés à Bordeaux, comme nous l'avons dit, le 24 du 
même mois. 

A leur descente de la barque qui les avait amenés de 
La Bastide à Bordeaux, on leur demanda leurs passeports. 
Conduits au corps de garde voisin ^^\ ils exhibèrent 
l'expédition du décret qui les envoyait en mission à 
Bordeaux. 

Aussitôt on leur donna des gardes, et sur leur refus de 
les accepter, le chef du poste déclara qu'il exécutait des 
ordres reçus, Treilhard et Mathieu n'insistèrent pas; ils 
furent accompagnés par deux volontaires sans fusils. 

A défaut de l'hôtel Richelieu, où ils ne purent être logés, 
ils se rendirent, sur l'indication de l'un des volontaires, rue 
du Chapelet, à l'hôtel des Asturies, et s'intallèrent dans un 
appartement, au second, sur le derrière. 

Ils avaient à peine pris quelque repos, quand le capitaine 
Azéma se présenta pour leur annoncer qu'il avait l'ordre de 
placer, jt?ottr leur sûreté, des gardes à leur porte. Treilhard 
lui fit observer que ces gardes étaient inutiles, que son 



(i) Mathieu a été directeur des droits réunis dans le département de la 
Gironde de 1804 à 1812. 
(i) Le poste du Chapeau-Rouge. 



248 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



collègue et lui savaient qu'à Bordeaux ils ne couraient 
aucun risque; que si cependant on voulait honorer en eux 
le caractère des représentants du peuple, il suflSsait de 
placer une ou deux sentinelles à la porte extérieure de 
rhôtel. 

Le capitaine Azéma répondit quHl avait des ordres et 
quUl les exécutait. 

Pendant que cela se passait à Thôtel des Asturies, la 
Commission populaire était en séance et délibérait sur la 
conduite à tenir envers les conventionnels. Les avis étaient 
partagés : les uns voulaient leur expulsion immédiate de la 
ville et du département; d'autres pensaient que l'expulsion 
ne pourrait avoir lieu qu'après une entrevue de Treilhard 
et Mathieu avec la Commission populaire; une fraction 
enfin demandait qu'ils fussent gardés comme otages pour 
répondre au département de la Gironde de ses commissaires 
dans les autres départements, à l'égard desquels la Conven- 
tion avait lancé un décret chargeant les autorités constituées 
de les arrêter et de les renvoyer au Tribunal révolutionnaire 
de Paris. Tous d'ailleurs étaient d'accord pour ne pas les 
reconnaître comme envoyés de la Convention nationale. 

Durant cette délibération, le procureur général syndic du 
département reçut et communiqua à l'Assemblée une lettre 
par laquelle Treilhard et Mathieu l'invitaient à se rendre 
auprès d'eux. Après une assez vive discussion, et de 
l'agrément de la Commission populaire, RouUet refusa 
de se rendre auprès des conventionnels, attendu qu'ils 
prenaient le titre de députés de la Convention nationale 
dans le département de la Gironde, et quUl ne pouvait ni 
ne devait les reconnaître en cette qualité. 

La Commission populaire envoya ensuite quatre com- 
missaires, les citoyens RouUet, Lapeyre, Martignac père 
et Cholet, auprès des conventionnels, pour les inviter à se 
rendre à l'Assemblée. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 249 



Les quatre commissaires arrivèrent à Phôtel des Asturies 
au moment où Treilhard et Mathieu délibéraient sur la 
lettre du procureur général syndic Roullet. 

Sur la communication qui leur fut faite, ils s'excusèrent 
de ne pas se rendre à TAssemblée à cause de leur état 
de fatigue, mais ils annoncèrent qu'ils y viendraient le 
lendemain; ils ajoutèrent que puisque le procureur général 
syndic refusait de se rendre auprès d'eux, ils avaient décidé 
qu'ils iraient le voir. 

Sur-le-champ, Martignac et ses collègues rendirent 
compte de leur entrevue avec Treilhard et Mathieu, et la 
Commission populaire se sépara à onze heures et demie du 
soir, au milieu d'une vive agitation. 

Les esprits étaient très irrités à Bordeaux, et la disette 
des subsistances ajoutait au malaise et au mécontentement 
des citoyens. 

Le Conseil général de la commune avait été chargé par 
la Commission populaire d'employer tous les moyens en 
son pouvoir pour que les boulangers fussent pourvus d'une 
quantité de farine suffisante à l'approvisionnement de la 
ville et que l'emploi en fût surveillé par des commissaires 
ad hoc. Ces moyens, quoiqu'ils fussent peut-être nécessaires 
d'ailleurs pour donner une satisfaction apparente à l'opinion 
publique, étaient alors difficilement exécutables en quelques 
points, et ils ne pouvaient procurer à la ville et à ses 
habitants le pain qui devenait chaque jour de plus en 
plus rare, les grains et farines ne circulant plus avec la 
même facilité d'autrefois. 

C'est au milieu de ces dispositions de l'esprit public, de 
ces souffrances et des défiances de la Commission populaire 
que Treilhard et Mathieu avaient à se débattre. 

Leur situation n'était pas facile. Après y avoir mûrement 
réfléchi, les conventionnels résolurent de se rendre, le 
25 juin au soir, dans le sein de la Commission populaire. 



250 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Il leur sembla qu'ils ne sortiraient pas des termes de leur 
mission, puisque TAssemblée était composée des autorités 
constituées du département, avec lesquelles ils avaient ordre 
de se concerter, aux termes du décret de la Convention ; ils 
crurent devoir, dans l'intérêt du bien public et de la paix, 
faire taire les considérations de forme ou d'amour-propre 
et passer sur la singularité de la position qui leur était 
faite. 

Le 25 au matin, Treîlhard quitta l'hôtel des Asturies 
pour aller faire visite à Martignac père, son compatriote 
et son ami, qu'il avait reconnu la veille parmi les commis- 
saires de la Commission populaire. 

Il avait à peine fait quelques pas dans la rue, lorsqu'un 
garde national lui barra le passage en lui disant qu'il 
n'aurait pas dû quitter l'hôtel. Treilhard déclara qu'il était 
libre et que personne ne l'empêcherait de sortir. Un 
deuxième garde se plaça alors devant lui : — Vous 
n'avancerez pas, lui dit-il. — Je suis, répondit Treilhard, 
de ces gens qu'on tue, mais qu'on n'arrête pas, — et il 
continua sa route. 

Les deux soldats l'accompagnèrent sans autre observation. 

Arrivé chez Martignac, Treilhard lui signala l'incon- 
venance des procédés employés à son égard, et le pria 
d'écrire au maire pour faire lever une consigne qui pouvait 
être mal interprétée, et pour venir en conférer immédiate- 
ment avec lui. 

Le maire, M. Saige, répondit qu'il n'avait pas donné 
d'ordres, et que s'il en existait, ils émanaient sans doute de 
la Commission populaire, à laquelle il fallait s'adresser. 

Sur les instances de Treilhard, Martignac père écrivit à 
Pierre Sers pour lui soumettre les mêmes réflexions qu'au 
maire. Sers répondit à son tour que les ordres étant le 
résultat d'une délibération de la Commission populaire, 
c'était à elle qu'il appartenait de les retirer. Il s'excusa 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 25 1 



SOUS le prétexte de ses affaires, disait-il, de venir auprès 
du représentant. La consigne f^esta, et Treilhard retourna 
à r hôtel avec ses gardes. 

Les mêmes procédés furent employés le même jour à 
regard de Mathieu. 

Il y eut plus encore : les conventionnels ayant écrit 
diverses lettres, et notamment au Comité de salut public, 
leur domestique, chargé de les porter à la poste, fut 
obligé, en sortant, de les montrer aux sentinelles, qui en 
prirent les adresses. 

Le soir, vers cinq heures et demie, Treilhard et Mathieu 
se rendirent à pied à la Commission populaire. Une garde 
assez nombreuse les avait précédés, et ils étaient escortés 
par deux officiers. Les rues qu'ils parcoururent étaient 
bordées d'une masse de peuple, et la foule suivait les 
conventionnels en faisant entendre parfois des paroles 
malsonnantes. L'un des officiers dut même imposer silence 
à quelques citoyens. Tout le monde se tut. 

« Deux membres de la Convention, dit le procès-verbal 
de la séance, se présentent et prennent place au bureau. 

» Le citoyen Treilhard, l'un d'eux, prend la parole, et 
après avoir fait l'éloge du patriotisme, du courage et de la 
sagesse dont les habitants de la Gironde ont donné tant de 
preuves signalées, il annonce que son collègue et lui sont 
chargés, par la Convention nationale, de venir les inviter 
à se réunir aux autres départements et à s'armer pour 
terrasser et les ennemis extérieurs et les rebelles de la 
Vendée. Il présente le tableau des dangers qui nous 
menacent. — c Toutes les puissances de l'Europe sont 
» conjurées contre nous. Le fanatisme et l'aristocratie 
» profitent au dedans de cet état de choses pour déchirer 
]» la République. Nous voulons tous en soutenir l'unité, 
1^ l'indivisibilité ; nous voulons tous la sûreté des personnes 
> et des propriétés... » 



252 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

— « Nous le voulons tous, » s'écrient les membres de 
TAssemblée. 

— « Eh bien! il ne s'agit que de nous expliquer avec 
y> franchise. Puisque nos principes, nos vues, nos sentiments 
» sont les mêmes, réunissons-nous contre nos ennemis 
» communs, marchons ensemble aux frontières et dans la 
]> Vendée. C'est par l'union que nous triompherons des uns 
:» et des autres. > 

» Le président Sers lui répond que la Gironde et les 
autres départements ont fait, à l'envi, les plus généreux 
efforts pour défendre la patrie contre les ennemis qu'il vient 
de nommer; que nos frères sont encore sur les frontières et 
dans la Vendée, où ils gémissent dans l'abandon le plus 
déplorable; que ce serait se sacrifier sans fruit que de 
tourner ses pas dans ce moment vers les frontières ou la 
Vendée; que c'est à la source du mal qu'il faut aller; que 
cette source est dans la Convention même, qui, dégradée, 
avilie, tyrannisée, dispersée par une tourbe de scélérats, 
n'est plus que l'ombre d'elle-même et ne peut plus prendre 
que des mesures contraires à l'intérêt de la République, -i 

» Il fait, à son tour, le tableau des désordres dont Paris 
a été le théâtre depuis cinq mois, et notamment depuis 
le 27 mai dernier. Toutes les fois que quelques-uns des 
représentants du peuple ont osé proposer de réprimer les 
brigandages de ceux qui ont asservi la ville de Paris, et 
qui, par la ville de Paris, se flattent d'asservir toute la 
République, ils ont été hués, menacés, proscrits. 

« Ne sont-ce pas, s'écria Pierre Sers, ces mêmes brigands 
:» qui viennent de tirer le canon d'alarme, de sonner le 
]> tocsin, de forcer le peuple à se montrer en insurrection? 
» Et dans quelle vue ? Pour prévenir un rapport qui allait 
» mettre leurs complots en évidence, qui allait dévoiler, 
» manifester la conjuration qu'ils avaient formée de 
^ dissoudre la Convention, puisqu'ils ne pouvaient complè- 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 253 

» tement l'asservir. Pourquoi ces baïonnettes? Pourquoi 
» ces canons dirigés sur la Convention même? N'était-ce 
» pas pour lui arracher un décret d'arrestation contre une 
3) trentaine de ceux qui, s'occupant des vrais intérêts du 

> peuple français, voulaient le défendre de la tyrannie qui 

> le menace ? N'était-ce pas le signal de la servitude qu'on 
j> prépare à la France entière, au nom de la liberté et de 

> l'égaUté? 

:» Voilà donc nos véritables ennemis, voilà ceux qui nous 

> livrent aux Autrichiens et aux rebelles de la Vendée, et 

> voilà ceux dont nous sommes résolus d'arrêter les 
3 complots. Nous ne nous trahirons pas nous-mêmes, en 
jD nous laissant éblouir sur le bord de l'abîme qu'ils creusent 
3) sous nos pas. Ce serait vraiment nous rendre complices 
}» de la plus coupable révolte, si nous étions assez lâches 
:» pour laisser une ligue aussi funeste ourdir en paix ses 
» trames criminelles. Nos frères les Parisiens jious tendent 
» les bras. Lorsque nous les aurons délivrés du joug des 

> traîtres qui les oppriment; lorsque nous aurons rendu, 
» de concert avec les autres départements, à la représenta- 
» tion nationale toute sa liberté, toute sa dignité, c'est alors 
» que, tournant nos armes contre les rebelles de la Vendée 
T> et les satellites de l'Autriche, nous serons sûrs d'un 
* triomphe complet. » 

Sers avait à peine cessé de parler que de longs et chaleu- 
reux applaudissements éclatèrent dans la salle et dans la 
foule qui stationnait au dehors; ils semblaient attester que 
cette vigoureuse réponse était l'expression fidèle des senti- 
ments unanimes de tous les citoyens de la Gironde. 

a Treilhard, reprenant la parole, assure que la Conven- 
tion est libre; qu'elle l'a toujours été... » 

Des murmures et des protestations accueillirent cette 
déclaration du conventionnel. 

a II ajoute qu'il y a bien eu quelques instants, dans les 



254 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



premiers jours de juin, où elle parut cesser de Têtre; que 
ce fut Teffet d'un quiproquo, d'une consigne mal entendue, 
mais que les choses rentrèrent bientôt dans Tordre conve- 
nable, c J'en ai senti l'inconvénient moi-même, dit Treilhard; 
ï j'ai été plus irrité qu'un autre de cette résistance. Mais parce 
:» qu'il y aura eu des mouvements irréguliers, faudra-t-il, 
]»ai-}e pensé, tout dissoudre? Ainsi, j'ai tout sacrifié, 
» avec la majorité de l'Assemblée, au grand intérêt de la 

> chose publique. Des membres ont été dénoncés; un 
» décret les a mis en arrestation. Vous me demandez quels 
y> en ont été les motifs? Je ne puis le dire; dans une grande 
:p assemblée, ceux qui délibèrent sont déterminés, les uns 
» par un motif, les autres par un autre. Au surplus, 
» ajoute-t-il, s'il y a des traîtres, ils seront punis; déjà 
3> plusieurs ont payé de leur tête leurs perfidies. Vous 
* pouvez adresser vos plaintes à la Convention ; quels 
» qu^ils soient, elle en fera justice. Nommez-les... 3> 

A ces mots un grand tumulte éclata dans la salle, des 
cris partirent de tous côtés : les noms de Robespierre, 
Pache, Marat, Danton, la Montagne, retentirent dans 
toute l'Assemblée. 

« Après un long murmure, Treilhard continue et entre- 
tient l'Assemblée des mesures qu'il croit les plus propres à 
dissiper les dissensions qui tourmentent la France. 

« La Convention , dit-il , vient de nous donner une 

> Constitution. Ralliez- vous autour d'elle. C'est là qu'est 
1^ attaché votre bonheur. Depuis longtemps nous y travail- 
la Ions... 1^ 

« — Depuis huit jours, d répond une voix. 

a: Depuis cinq ans elle est à l'ordre du jour. Au reste, le 
1^ peuple la jugera; quelles que soient les mains qui ont 
» élevé l'édifice, qu'importe, s'il nous met à l'abri des 
j> orages? N'avez-vous pas le droit de la rejeter ou de 
» Tadopter ? Aura-t-elle aucune autorité avant que vous 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 255 

j> l'ayez acceptée ? Rien ne peut donc nous empêcher de 
» nous en occuper, puique c'est véritablement là qu'est le 
1 salut de la République. > 

a — Vous nous dites, réplique aussitôt le président 
» Pierre Sers, que de quelque main que nous vienne la 
» Constitution, il faut nous rallier autour d'elle. Cependant 
» le peuple français a nommé des représentants pour la 
y> former. Ces représentants ne sont pas libres. Ils y 
» travaillent sous le couteau, et sont privés, par la force 
3^ des baïonnettes, du secours des membres que leurs 
» lumières et leur fermeté rendaient les plus propres à les 
» aider dans ce travail. Est-ce donc là une chose indifférente ? 

> Vous dites que le peuple la jugera : sans doute il peut la 
:» rejeter; mais le peuple est assez sage pour se déâer de 
» ses propres lumières, et n'a nommé des représentants 
» que pour s'épargner le travail d'une discussion longue, 
» difficile et qui peut trop éloigner le terme du bonheur qu'il 
j> en attend, et c'est d'après la confiance qu'il a dans ceux 
» qu'il avait chargés de ses intérêts les plus chers, qu'il 
» veut la juger. En un mot, nous voulons une Constitution, 
}» mais nous la voulons de la main d'hommes purs et 
» libres... » 

Des applaudissements unanimes accueillirent ces paroles. 

a Le président, reprenant la parole, accumule, presse les 
faits de violence et de tyrannie, les pillages, les assassinats 
qui se sont succédé, et qui, tous, sont restés impunis; il 
indique les personnes, les lieux, les époques où toutes 
ces horreurs ont été préparées et exécutées. «Eh quoi! 
» continue-t-il, la faction sanguinaire qui veut étendre sa 
» tyrannie jusque sur nos départements, s'est-elle imaginé 
7> qu'ils sont aveuglés sur leurs véritables intérêts, ou que 

> la vérité n'arrive pas jusqu'à eux ? Et d'où vient cet accord 
» dans le langage de tous les voyageurs, dans les lettres qui 
» s'échappent du sein même de la Convention ? Les bar- 



256 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



» rières de Paris n'ont-elies pas été fermées ? Les journaux 
D qui racontaient les événements n'ont-ils pas été supprimés ? 
» Le secret des postes n'a-t-ii pas été violé ? Ne Test-il pas 
]> encore? Est-il permis d'écrire et de penser autrement 
» qu'au gré d'un comité révolutionnaire plus féroce que 
T> toutes les inquisitions de l'Espagne et du Portugal ? La 

> Convention n'est-elle pas dispersée? OfFre-t-elle autre 

> chose qu'un corps mutilé, dont grand nombre de mem- 
j> bres sont enfermés, les autres paralysés par la terreur, et 
» les autres en proie à leur ambition personnelle ? Eh quoi I 
» cent mille hommes s'arment au bruit du canon d'alarme, 
» de la générale et du tocsin, qui retentissent nuit et jour 
]i> dans Paris; ceux qui les conduisent les déclarent en 

> insurrection; ils leur font environner le temple de la loi; 
» les héros du 2 Septembre, à la tête de cette force, deman- 
» dent à la Convention la proscription d'une partie de 
:p ses membres et ne lui donnent qu'un instant pour 
» qu'elle prononce, elle obéit; elle consacre une pétition 
» qu'elle avait proscrite peu de jours auparavant, comme 

» CALOMNIEUSE... » 

Et Sers appuya sur cô mot. — Puis il continua en ces 
termes : 

e: Vous nous demandez de la franchise ! Eh bien I est-ce 
» là l'effet d'une consigne mal entendue ? Les scélérats qui 
» lui ont arraché cet acte de proscription se vantent de ce 
!> triomphe, quoiqu'une loi toute récente ait déclaré que de 
3> pareils attentats seraient punis de mort. Ils font retentir 
» dans toute la France les succès de la révolution du 
» 3i mai, et leurs victimes gémissent encore dans cette 

> tyrannique arrestation, sans qu'il soit permis de réclamer 
}> en leur faveur, sans qu'ils puissent eux-mêmes dire un 
» mot; on ne veut rien entendre. Et vous nous dites que la 
» Convention est libre I qu'elle n'a pas été violentée ! A 
» quels signes faut-il donc reconnaître la violence et l'op- 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 25 J 



^ pression? Oui, cet horrible attentat sera puni; la nation 
j& française n'est pas faite pour tant d'ignominie. Croyez 
» qu'il existe encore quelque courage, quelque vertu dans 
» les départements; ils n'abandonneront pas à la rage de 
j» vils assassins les dépositaires de leurA:onfiance, et déjà la 
» France entière s'ébranle et demande vengeance de l'ou- 
}D trage qu'elle a reçu dans la personne de ses représentants. 
» Voilà ses projets, voilà ses espérances; elles ne seront 
i> point vaines ; et la Convention devenue libre déclarera 
]> que les départements ont bien mérité de la patrie. :^ 

» Après cette explication, qui est de nouveau couverte 
des plus vifs applaudissements, et des cris répétés dans 
tous les tribunes : Oui, oui, nous irons tous! tous! — le 
citoyen Mathieu, collègue de Treilhard, prend la parole et 
invite les citoyens de la Gironde à peser toutes les suites 
que peuvent amener les résolutions qu'ils vont prendre; il 
les presse, il les conjure de ne pas se méprendre dans le 
choix des moyens qu'ils doivent employer pour le salut 
public; il leur fait envisager tous les désastres qui résultent 
des discordes civiles : « Je conviens , dit-il , qu'il y a à 
» Paris des mouvements contre-révolutionnaires, des anar- 
» chistes; mais des ennemis plus redoutables sont dans la 
» Vendée; ils y font des progrès effrayants : c'est là que 
» vos forces doivent se porter; il est plus glorieux pour les 
7> citoyens de la Gironde de défendre la liberté là où elle 
» est le plus menacée, d'aller secourir les départements qui 
3) sont la proie des rebelles; une conduite contraire ne 
» pourrait que servir nos ennemis. Si leur arrière-garde 
1^ est à Paris, c'est le corps même de l'armée qu'il faut 
» attaquer; c'est là ce qui doit tous nous réunir. » 

3> Le président lui fait une réponse analogue aux principes 
et aux sentiments qui dirigeront toujours les citoyens de la 
Gironde, et qui sont renfermés dans le serment qu'a fait 
la Commission populaire de salut public ; et c c'est à Paris, 

T. L 17 



2 68 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEATtX. 

> a-t-il dit en finissant, qu'est l'état-major, le quartier 
» général de Tarmée des rebelles, et non dans la Vendée, o 

* Les citoyens Treilhard et Mathieu déclarent qu'ils 
rendront un compte fidèle à la G)nvention de tout ce 
qu'ils viennent d'entendre et des motifs qui dirigent la 
Commission, et ils se retirent (*). » 

Telle fut l'entrevue des envoyés de la Convention avec la 
Commission populaire de salut public de la Gironde. 

Avant de quitter l'Assemblée, Treilhard invita Pierre 
Sers à faire lever la consigne relative à la garde commandée 
pour la sûreté des représentants, et à donner des ordres 
à la poste pour qu'on leur fournît des chevaux dès qu'il 
leur conviendrait d'en demander. Il lui proposa ensuite, 
pour le lendemain, un entretien pour causer paisiblement 
sur les moyens de servir utilement la cause publique . 

Le 26 juin, Treilhard se rendit chez Pierre Sers. Il fut 
accompagné par deux gardes qui ne le quittèrent pas, et 
que Sers fit asseoir dans son cabinet avec le conventionnel, 
comme pour être les témoins de la conférence. Elle ne fut 
pas longue, d'ailleurs, et Sers dit notamment à Treilhard : 
<( Je vous prie et je vous somme, en présence de ces deux 
citoyens, d'exprimer à la Convention le vœu général et 
unanime du département, et principalement celui de la 
punition de ceux qui ont attenté à la représentation 
nationale. » 

Treilhard lui fit observer qu'il avait désiré une conver- 
sation, un épanchement et non pas une discussion; que son 
but n'était pas rempli. Il ajouta que son intention et celle 
de Mathieu était de rendre compte à la Convention de ce 
qu'ils avaient vu et entendu dans le sein de la Commission 
populaire, mais qu'ils étaient hors d'état d'exprimer le vœu 
de Bordeaux et du département de la Gironde, parce qu'on 

('} Registre de la Commission populaire, p. 121. 



I 

1. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 259 



avait pris toutes les mesures pour les empêcher de le 
connaître. Treilhard se plaignit ensuite de la consigne 
blessante donnée à leur égard, et insista pour une décision 
quelconque. 

Puis il se retira. 

Le 26 juin au soir, la Commission populaire décidait, 
après une discussion assez vive, que Treilhard et Mathieu 
seraient libres de partir et qu'il serait pris un arrêté 
contenant les motifs de la délibération de l'assemblée. 

Le lendemain 27, dans la matinée, Pierre Sers vint 
prévenir les conventionnels de la décision de la Commission 
populaire, et dans l'après-midi il leur porta un exemplaire 
du très remarquable arrêté pris à leur sujet ^^K 

Il leur fit entendre que la Commission désirait leur 
prompt départ, et qu'elle n'avait pas cru devoir modifier 
les consignes et laisser aller et venir les conventionnels sans 
gardes; que toutefois, dans la ferme persuasion qu'ils ne 
feraient aucun séjour dans le département, on ne les ferait 
pas accompagner jusqu'à ses limites. 

Treilhard et Mathieu, en présence de procédés si étranges 
et qui les constituaient en quelque sorte à l'état de prisonniers 
dans l'enceinte de la ville, n'hésitèrent pas un instant. Le 
27 juin, à minuit, ils quittaient Bordeaux qui leur avait été 
si inhospitalier, et arrivés à Mussidan, dans la Dordogne, 
ils y rédigèrent, le 29 juin, le récit de la conduite tenue à 
leur égard par les Bordelais. 

Il est certain que les autorités constituées, dont l'attitude 
fut réellement énergique dans cette circonstance, peuvent 
être cependant taxées d'avoir manqué d'égards envers les 
deux envoyés de la Convention. On les tint pour ainsi dire 
en chartre privée, et ils n'eurent la liberté ni de leurs actions 
ni de leurs mouvements. 

(1) Appendice t note XX V. 



26o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Ce fut une faute grave, nous n'hésitons pas à le dire. 
C'était, dans tous les cas, la preuve certaine et la consécra- 
tion éclatante de Tétat de rébellion du département de la 
Gironde. 

Mais les événements emportaient les hommes et l'enthou- 
siasme suspendait la réflexion dans les meilleurs esprits. Tout 
était hâtif, passionné, irréfléchi. — L'entraînement avait 
pris la place de la raison. 

Revenons en arrière. 

Le 25 juin, après le départ de Treilhard et Mathieu, la 
Commission populaire avait décidé un emprunt d'un million 
dans la commune de Bordeaux, pour pourvoir à r acquit 
des dépenses urgentes nécessitées par l'organisation 
d'une force départementale; elle avait, en outre, arrêté, 
contrairement aux dispositions d'un décret du 4 mai de 
la Convention, que les achats et les ventes de grains 
seraient libres dans toute V étendue du département de 
la Gironde. 

Puis, préoccupée du sort des commissaires qu'elle avait 
envoyés dans les départements pour y recueillir des 
adhésions au mouvement insurrectionnel de la Gironde, 
elle déclarait, dans une proclamation à tous les citoyens de 
la République, qu'elle mettait ces commissaires sous la 
sauvegarde de tous les Français, comme elle plaçait sous 
la protection de l'honneur et de la loyauté de ses conci- 
toyens ceux délégués auprès d'elle. 

La section Franklin qui, seule, s'était prononcée en 
faveur des conventionnels Treilhard et Mathieu, renfermait 
des ferments d'agitation. Quelques hommes connus pour 
l'exaltation de leurs opinions étaient signalés comme cher- 
chant à égarer les citoyens et à les détourner du mouvement 
organisé par les autorités constituées. On citait notamment 
Fontanes, Martin et Cogorus comme étant les plus dange- 
reux. La Commission populaire, saisie de réclamations à 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 2^1 

cet égard, dédaigna les manœuvres de ces perturbateurs 
obscurs. 

Elle avait d'ailleurs de plus graves sujets de préoccupation. 
Quelques-uns de ses commissaires lui faisaient parvenir des 
rapports peu rassurants sur les dispositions de certains 
départements; et comme un des membres de l'assemblée 
faisait observer, dans la séance du 29 ]um^ combien il 
serait utile d*être au moins à peu près Jixê sur F esprit 
des divers départements relativement aux circonstances 
actuelles, le rapporteur de Tun des Comités répondait : 
a qu'il était chargé d'un travail dans cet objet, mais qu'il 
était forcé de dire que chaque courrier en augmentait les 
embarras, parce que chaque courrier apportant de nouvelles 
preuves des changements dans l'esprit présumé des divers 
départements, il en résultait une grande incertitude sur 
leurs dispositions ("^ » 

Malgré ces indications peu rassurantes, la Commission 
populaire décida de ne rien changer aux mesures prises par 
elle jusqu'à ce moment. 

Le 29 juin, d'ailleurs, deux lettres de Vergnîaud et une 
de Gensonné (^) étaient lues à l'assemblée et y maintenaient 
l'esprit de résistance. 

Ici se place, par sa date, un document d'une importance 
extrême, et qui, lorsqu'il fut connu de la Convention, en 
même temps que certaines lettres interceptées à Toulouse, 
parut de nature à motiver l'irritation et la sévérité de la 
Montagne contre le département de la Gironde. C'est une 
lettre adressée le 3o juin par Grangeneuve, l'un des secré- 
taires de la Commission populaire et président de la Société 
des Amis de la Liberté et de l'Égalité, au général Custine, 
qui commandait l'armée du Nord. 



(1) Registre de la Commission populaire, séance du 29 juin, p. 162, 
in fine, 
(3) Nous n'avons pas retrouvé le texte de ces trois lettres. 



202 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Cette lettre était ainsi conçue : 

« Général, frère et ami, presque tous les tyrans de l'Europe, 
coalisés contre la République française, sont forcés de déplorer le 
mauvais succès de leurs armes. Une horde de brigands ne voit 
d'autre moyen de servir le despotisme que celui d'introduire au 
sein de la République l'anarchie et le désordre; mais ils se trompent, 
les Français ont juré d'être libres; ils n'auront pas juré en vam. Les 
factions du dedans, liguées avec les factions du dehors, viennent de 
commettre un dernier attentat. Le 3i mai, les i" et 2 juin, ces 
factions, secondées par le canon et les poignards, ont arraché à la 
Convention un décret d'accusation contre les membres qui avaient 
le mieux servi la liberté par leurs talents et leurs vertus. 

» A cette nouvelle, un cri de fureur et d'indignation s'est fait 
entendre dans les départements. Des citoyens sont arrivés de toutes 
parts. Ils veulent la République une et Indivisible. Une armée 
s'organise pour marcher sur Paris; 80,000 hommes au moins s'y 
rendront sous peu de jours. La Société populaire de Bordeaux 
s'empresse de se réunir à vous. Elle veut la République une et 
indivisible. Vous l'avez jurée aussi. Bravez les calomnies; attachez- 
vous à votre poste. Combattez au dehors les ennemis de la liberté, 
tandis que nous les poursuivrons au dedans. Notre cri de guerre 
doit être, — à vous : Guerre aux tyrans, et à nous : Guerre aux 
royalistes, aux anarchistes et aux tyrans (0. » 

Le but de cette lettre, qui portait en tête : Départements 
réunis^ Assemblée centrale de résistance à V oppression, ne 
saurait être clairement défini. On croyait sans doute pouvoir 
compter, à un moment donné, sur le concours de Custine, 
et Ton espérait sa défection. La démarche de Grangeneuve 
était, à tout prendre, des plus compromettantes; elle eut des 
conséquences funestes. Custine, en effet, en butte alors aux 
dénonciations des conventionnels Soubrany, Ruamps et 
Montaut, et attaqué avec acharnement dans les journaux 
de Marat et de Lavaux, affectait un grand dévouement pour 
le parti de la Montagne. Afin de donner un gage de ce 
dévouement, il n'hésita pas à envoyer à la Convention la 

(i) Moniteur, séance du 16 juillet 1793. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 203 

lettre de Grangeneuve, et il répondit en même temps aux 
Bordelais, le 14 juillet : 

« Puisqu*au milieu des violentes secousses qui vous agitent, vos 
regards se portent sur les armées, montrez l'énergie que montre 
votre adresse, et écoutez la vérité. On désire en vain l'unité et 
l'indivisibilité de la République lorsqu'on ne lui fait pas le sacrifice 
de son opinion, lorsqu'une société populaire prétend qu'on lèse la 
volonté générale dans ses écrits et ses passions; — lorsqu'elle oublie 
ses serments et ses devoirs, jusqu'à se liguer contre des représentants 
du peuple. Si la loi n'est pas un point de ralliement, nos ennemis 
sont invincibles et la liberté nous échappe. Dites aux bataillons de 
la Gironde qui veulent rentrer dans leurs foyers, que la patrie 
les retient auprès de leurs drapeaux. A ce prix, je suis attaché 
à vous (0. » 

Ce langage, dicté d'ailleurs par la raison et le patriotisme, 
déjouait les espérances des Bordelais et de la Commission 
populaire. 

A la date même où Grangeneuve appelait Custine à 
soutenir Tinsurrection bordelaise, la Commission jetait un 
cri de désespoir. Ses concitoyens commençaient à l'aban- 
donner : les manœuvres occultes de la minorité de la section 
Franklin et des exaltés de quelques autres sections, déta- 
chaient d'elle bien des individualités, jetaient le décourage- 
ment parmi le peuple et tendaient à contrecarrer les mesures 
de salut public qu'elle avait ordonnées. 

Dans une proclamation aux habitants de la Gironde, la 
Commission cherchait à relever les courages et à ramener 
le zèle et le patriotisme des premiers jours. Elle terminait 
en disant : a Mais si, contre toutes nos espérances, nos 
derniers efforts pour ranimer votre zèle n'étaient pas cou- 
ronnés de succès, il ne serait que trop évident pour nous 
que vous nous auriez retiré votre confiance, ou plutôt que 
vous nous auriez induits en erreur, en nous persuadant que 

(0 Moniteur, séance de la Convention du i5 juillet lyqS. 



264 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

VOUS nous l'aviez accordée. Il ne resterait plus à la Com- 
mission populaire qu'à se dissoudre, et, en gémissant sur 
notre honte, abandonner la gloire de sauver la République 
à la valeur des départements où plus d'énergie et d'intré- 
pidité ont déjà armé des milliers de bras. j> 

Nous ne tarderons pas à reconnaître que la Commission 
populaire n'avait plus le pouvoir de galvaniser le peuple 
bordelais. De tous les points du département, il est vrai, on 
s'en remettait à elle, on adhérait à ses mesures, on l'inves- 
tissait de toute confiance pour le maintien de l'ordre public; 
mais à Bordeaux les défiances et les soupçons, propagés 
par quelques adeptes du parti montagnard, encouragés et 
soutenus par Treilhard et Mathieu, faisaient chaque jour 
des progrès; déjà beaucoup de citoyens redoutaient les 
conséquences de leurs ardeurs irréfléchies et de la rébellion 
à laquelle ils s'étaient associés. 

Sur ces entrefaites, la Commission populaire fiit informée 
que toutes les municipalités avaient reçu directement du 
ministre de l'intérieur le projet de Constitution soumis à 
l'acceptation du peuple. 

Un pareil envoi fait en dehors du contrôle et sans 
l'intervention des autorités constituées du département 
souleva des critiques violentes, et des discussions orageuses 
eurent lieu à ce sujet au sein de la .Commission. On ne 
parlait de rien moins que de considérer l'envoi comme non 
avenu. Quelques membres firent remarquer que le ministre 
avait évidemment cherché à faire perdre aux corps admi- 
nistratifs la confiance du peuple; que sa conduite favorisait 
l'établissement du gouvernement municipal; qu'il avait 
voulu se servir de l'amour-propre des municipalités pour les 
soustraire à l'autorité légale des corps administratifs; que 
le ministre pouvait avoir été trompé par ses agents, mais 
qu'il en était responsable; qu'il fallait dénoncer la manœuvre 
et non les personnes; que c'était le meilleur moyen de 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 205 

prévenir le mal sans être injuste; qu'il ne fallait pas juger 
delà chose en écartant les circonstances actuelles; que le 
ministre était fort bien instruit des dispositions du départe- 
ment de la Gironde; que l'interversion dans Tordre 
administratif qu'on lui reprochait n'avait rien de coupable; 
qu'elle était même toute simple puisqu'elle avait pour but 
de faire parvenir au peuple un projet de Constitution qu'il 
pouvait croire devoir être soigneusement éloigné de lui par 
le département; qu'il n'y avait rien à écrire contre sa 
conduite; qu'il fallait abandonner tout cela au mépris, mais 
en même temps écrire aux municipalités qu'à la vérité 
l'envoi était illégal dans la forme, mais que le peuple était 
le maître de prendre connaissance du projet de la nouvelle 
Constitution (') . 

Ces conseils de modération furent écoutés, et par un 
arrêté en date du 4 juillet, la Commission populaire décidait 
que le plan de Constitution serait soumis par l'administra- 
tion du département, dès qu'elle l'aurait reçu officiellement, 
à l'acceptation des citoyens. « La Commission populaire, 
ajoutait-elle, attend du peuple de ce département, réuni en 
assemblées primaires, une déclaration formelle de ses 
sentiments sur la manière dont elle a usé jusqu'à ce jour 
des pouvoirs dont il l'a investie; et jusqu'à l'émission de 
son vœu, elle restera constamment au poste où sa confiance 
l'a placée. ]> 

Quoi qu'il en soit, la disposition des esprits devenait de 
moins en moins favorable à la force départementale, et dès 
le 3 juillet, un honorable négociant exprimait la pensée que 
la Commission populaire échouerait dans son projet ^^K 

Dès le 5 juillet, d'ailleurs, une proclamation dé Treilhard 
et Mathieu aux citoyens du département de la Gironde 
circulait à Bordeaux. Elle était datée de Périgueux, le i*'. 

(i) Commission populaire, séance du i«r juillet 1793. 
(3) Lettre de Daguzan aîné, du 3 juillet 1793. 



266 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



c Citoyens, disaient les conventionnels, méconnus, offensés 
tant dans notre caractère public que dans notre caractère 
individuel pendant le séjour que nous avons fait à 
Bordeaux, nous sommes dans la persuasion que déjà, dans 
cette cité, Topinion publique nous venge de la double 
offense que nous avons reçue; que Téquité de tous répare 
les torts de quelques-uns, et que déjà le temps a justement 
reporté sur nos calomniateurs les nuages qu'ils avaient si 
injustement répandus sur nous. 

j> Frappés d'un discrédit préparé à Tinstant même de 
notre arrivée, nous reconnûmes que le peuple avait des 
ennemis puisqu'on se faisait un jeu de le tromper; nous 
reconnûmes des machinations concertées et des trames 
ourdies contre la liberté ; nous reconnûmes dans la réputa- 
tion imméritée que Ton nous créa, un mot d'ordre donné 
par l'intrigue, dans un lieu et dans un instant choisis pour 
en étendre et pour en propager l'effet. 

» L'erreur ne pouvait être de longue durée, notre 
présence pouvait en dissiper le prestige; nous nous 
aperçûmes bientôt qu'elle était importune et déconcertait 
un plan. 

D Tenus dans un véritable état d'arrestation, gardés et 
surveillés avec des formes dont la rigueur n'était tempérée 
que par l'honnêteté individuelle des gardes nationaux qui 
exécutaient les ordres de la Commission, nous devons 
vous le dire, citoyens, nous avons été condamnés à la plus 
douloureuse des privations, puisque nous n'avons pu libre- 
ment communiquer avec vous, entendre de vous et vous 
faire entendre l'expression de la vérité. La confiance nous 
précipitait vers vous, et l'on nous retenait par. le motif 
d'une crainte que notre cœur ne pouvait partager. 

j[) Nous étions en état d'arrestation avant même que la 
Commission eût décidé qu'il n'y avait lieu à délibérer sur 
la proposition faite de nous y retenir. Qtoyens, en aviez- 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 267 



VOUS donné le pouvoir? En avez- vous eu le désir? Non; 
VOUS ne pouviez ni demander ni vouloir que, pour rendre 
à la représentation nationale sa liberté, on enfermât deux 
représentants; que, pour rendre à la Convention nationale 
son intégrité, on lui ôtât deux de ses membres, en donnant 
le même exemple à tous les départements où il a été envoyé 
des commissaires. 

» Et c'est dans cet état de captivité que Ton nous 
demande à Bordeaux si la Convention est libre à Paris. 
Avant de répondre, nous aurions pu commencer par 
demander si nous étions libres à Bordeaux. Nous aurions 
peut-être embarrassé par cette question ceux qui se croyaient 
nos juges. Dédaignant ce facile avantage, nous sentions que 
la liberté était au fond de nos cœurs, et la réponse que nous 
fîmes alors, nous la ferions encore. 

i> Que répondre, en effet, à une Commission entraînée 
par quelques-uns de ses membres, ou égarée par leurs 
intrigues ? Que répondre à des hommes qui déclarent qu'ils 
ne reconnaissent plus de Convention nationale, plus de 
pouvoir exécutif, et qui, par une conséquence nécessaire 
de cette funeste doctrine, par le motif ou sous le prétexte 
d'attaquer les désorganisateurs , livrent la République 
entière à la désorganisation la plus complète, affament et 
décomposent nos armées, renversent le gouvernement, 
rompent le lien de toutes les administrations locales et 
nationales, et remplacent l'utile tendance de toutes les 
parties de l'empire, de tous les pouvoirs de la République 
vers un centre commun, par les tourbillons inorganisés de 
quatre-vingt-six départements ? 

i> Devant des conséquences aussi funestes, pouvions-nous 
adhérer au principe? Est-il un bon citoyen qui le puisse, 
quelle que soit son opinion sur les derniers événements ? 

» Et dans quel moment s'efforce-t-on d'accréditer ces 
dangereuses idées? Dans quelles circonstances divise-t-on 



268 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



la patrie, de manière à la faire chercher péniblement au 
sein de la France même ? C'est lorsque nos légions républi- 
caines ont besoin, pour développer toute Ténergie de leur 
bouillant courage, de savoir qu'il existe pour elles une 
Patrie qui les regarde, qui les chérit, qui les attend; c'est 
lorsqu'elles ont besoin de cette union civique à laquelle 
elles sont déjà si disposées, et de cet enthousiasme de liberté 
et de fraternité qui multiplie les forces physiques par les 
forces morales, qui presse et qui anime tous les efforts 
pour la défense de la République une et indivisible. 

» Dans quel instant encore s'efforce-t-on de rompre cette 
unité précieuse, également consacrée par l'intérêt national, 
par les sacrifices faits en commun à la patrie, et par les 
afFeaions mutuelles de tous les Français? C'est lorsque les 
représentants du peuple vont ofiTrir à ses vœux impatients 
une Constitution fondée sur les principes de la liberté et de 
l'égalité; une Constitution qui ira prendre le caractère 
sacré de loi fondamentale à la source même de toutes les 
lois, c'est-à-dire dans l'intelligence de tous et la volonté 
générale; c'est lorsque le peuple français, dans ses assem- 
blées primaires, va pour la première fois donner au monde 
l'imposant spectacle d'une grande nation qui pose elle-même 
les bases de son bonheur. 

» Chez un peuple libre qui n'a point encore de Consti- 
tution, la patrie paraît être sans autel; on ne sait autour de 
quoi se rallier. Une agitation dangereuse se communique à 
tous les esprits et semble déplacer toutes les limites. L'État 
est menacé de sa dissolution; les diverses autorités voient 
se rompre le lien provisoire qui les unissait; les lois elles- 
mêmes manquent de principes auxquels elles aillent se 
rattacher; des décrets sont à chaque instant nécessaires 
pour étayer les restes d'un ancien édifice. Le législateur 
sent qu'il ne peut plus rien faire qu'il n'ait fait une Consti- 
tution. Plus l'interrègne a été long, plus il est instant de 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 269 

ramener les esprits et de rapprocher tous les citoyens par 
cette chaîne douce et puissante, la seule que la liberté 
connaisse et chérisse. 

j> Vous sentez comme nous, citoyens, cet indispensable 
besoin d'une Constitution. Vous jugerez celle qui vous sera 
présentée. On défend avec plus de courage une patrie 
constituée. Les rebelles de la Vendée une fois terrassés 
par vos efforts, nos ennemis du dehors seront obligés de 
nous demander la paix. Il est temps peut-être que les 
révoltés de l'intérieur portent la peine de leur témérité et 
qu'ils succombent enfin sous les efforts des Français. Ils 
demandent un roi, et vous le souffririez? Ils étendent au 
loin leurs ravages et menacent nos places maritimes, et 
vous le souffririez? Non : les citoyens de la Gironde qui 
se sont si glorieusement signalés dans la Révolution, ne 
terniront pas leur gloire; ils se montreront dignes des 
exemples qu'ils ont eux-mêmes donnés, et, de concert 
avec les citoyens des autres départements, ils extirperont 
ce chancre politique qui menace de dévorer le sein de la 
République ^^K :^ 

Ainsi parlaient Treilhard et Mathieu faisant appel à la 
raison du peuple et ne prodiguant pas de vaines menaces. 
Leur langage mesuré trouva plus d'un approbateur dans 
la patrie des Girondins. C'est qu'on éprouvait à la fois de 
la lassitude et de la crainte : on n'apercevait pas les 
résultats pratiques de l'insurrection, on en voyait les dangers. 
La proclamation circula rapidement, bien que la Commis- 
sion eût désiré qu'elle ne parvînt pas à la connaissance du 
peuple. Elle produisit une impression que les adversaires 
du parti de la Gironde et des autorités constituées mirent 
habilement à profit : ils répandirent des bruits malveillants, 
signalèrent les conséquences redoutables de la rébellion et 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



270 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



s'efforcèrent de rallier le peuple au parti de la Montagne 
et à la nouvelle Constitution, qui allait devenir \^ palladium 
de la République. 

Les conventionnels en mission dans les départements 
circonvoisins favorisaient, d'un autre côté, les menées des 
Montagnards bordelais : ainsi Mazade, Garnier et Bernard, 
alors à Saintes, formulaient des proclamations où ils 
désapprouvaient les mouvements des départements du 
Midi, et ils envoyaient des exemplaires de ces proclamations 
aux municipalités pour être distribués aux sections popu- 
laires. 

Cependant, la Commission pressait l'organisation de la 
force départementale, et, vers le 8 Juillet, la nouvelle du 
prochain départ de la force armée pour Paris, afin 
d'anéantir la faction chabotine, était généralement répandue 
à Bordeaux. 

Ce bruit était sans doute prématuré, car dans la séance 
de la Commission populaire de ce même jour, un membre 
faisait connaître que beaucoup de compagnies de la garde 
nationale ne voulaient point fournir leur contingent, qu'il y 
aurait trois cents hommes <ï infanterie au plus prêts pour 
le mercredi suivant, et que le corps de cavalerie paraissait 
devoir être très lent à se former. 

Ces nouvelles attristèrent la Commission; elle ne perdit 
pas courage toutefois, et elle envoya des commissaires dans 
le département pour stimuler le zèle des populations. 
S'unissant à elle dans le même esprit, la municipalité 
adressa une proclamation aux habitants de Bordeaux : 

« Il s'agit aujourd'hui, leur disait le maire Saige, de 
maintenir ou de perdre la réputation dont vous jouissez. 
Attendrez-vous que des dictateurs insolents envoient ici des 
satellites pour vous soumettre à des lois que vous n'aurez 
point consenties? Attendrez-vous que la Commune de 
Paris vous donne un brevet qui vous permette de porter 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 27 1 

le titre de citoyens français? Est-ce à elle que vous voulez 
obéir, ou aux législateurs que vous avez choisis? Tel est 
pourtant le sort qui vous attend si vous ne déployez à 
rinstant même toute la vigueur dont vous êtes capables. 
Cette Commune qui dispose arbitrairement du pouvoir 
national, après avoir subjugué, ou par la corruption ou par 
la terreur, les départements qui Tentourent, vous mettra 
sous le joug; et ce que Tancienne Rome ne put pas sur 
vos ancêtres, cette Rome nouvelle l'exécutera sur vous. 
Prévenez ce despotisme... » 

Les Montagnards se réjouissaient des médiocres résultats 
obtenus par la force départementale, et Tun d'eux écrivait 
à la Convention : « Le despotisme qu'exerce dans cette 
ville la Commission prétendue populaire n'a pas entière- 
ment anéanti le patriotisme ; il y a encore un grand nombre 
de bons citoyens qui sont tout prêts à se lever contre les 
oppresseurs de la liberté. L'indignation du peuple est à son 
comble; elle est sur le point d'éclater ^^K » 

Treilhard et Mathieu avaient fait connaître qu'ils avaient 
été chassés de Bordeaux par les fédéralistes de cette ville, 
et le 10 juillet la Convention désignait les représentants 
Chaudron-Roussau, Tallien, Ysabeau et Garrau pour se 
rendre au chef-lieu de la Gironde afin d'y rétablir son 
autorité. 

A cette époque, et pour presser le départ de la force 
départementale, la Commission populaire ordonna une 
réunion de la garde nationale en armes au Champs de Mars : 
il s'agissait d'inviter directement chaque compagnie qui 
n'aurait pas fourni ou incorporé son contingent, à le faire 
sans délai ^^K 

Cette mesure indique quel refroidissement avait succédé 
à l'enthousiasme de l'esprit public. 

(i) Moniteur, séance de la convention du 9 juillet 1793. 
(a) Arrêté du XI juillet 1793. 



27^ HISTOIRE DE LA tERREUR A BORDEAUX. 

Nous ne pouvons ici passer sous silence un fait particulier 
relatif à un acteur célèbre; il révèle à quelles manœuvres 
étaient en butte les autorités insurrectionnelles de Bordeaux. 

Le 12 juillet, à la séance de la Commission populaire, 
une députation de la Société des Amis de la Liberté et de 
rÉgalité était introduite. 

« Depuis longtemps, disait Tun des membres de cette 
députation, la Société s'apercevait que l'esprit public dégé- 
nérait; depuis longtemps elle renvoyait à ses comités une 
foule de dénonciations, et quelque activité que ces comités 
missent à la poursuite des ennemis de la chose publique, 
on a senti souvent le besoin de poursuivre devant le 
tribunal de Topinion publique des honmies que l'impunité 
enhardissait au crime; cependant, par une sage condescen- 
dance, on a encore des ménagements qui peuvent être 
utiles, autant à des hommes qui pourraient n'être que 
calomniés, qu'au succès des recherches à faire pour 
prouver les délits. C'est ainsi que la Société a pensé qu'une 
lettre qui dénonçait Laîs, acteur, devait être lue publique- 
ment, et qu'une autre, indiquant des hommes d'autant plus 
dangereux qu'ils se trouvent employés dans les bureaux de 
l'administration, devait être remise au Comité de sûreté 
générale. » 

La Commission entendit la lecture de la lettre qui 
dénonçait Laïs et la renvoya au Comité de sûreté générale 
invité à se réunir sur-le-champ. — L'orateur de la députa- 
tion annonça à l'assemblée que la Société des Amis de la 
Liberté et de l'Égalité avait délibéré, à l'unanimité, que la 
Commission populaire serait invitée à faire partir le citoyen 
Laïs (0. 

On examina les papiers de cet acteur, et, après avoir 
recueilli sur son compte des renseignements qui ne furent 

(i) Commission populaire, séance du 12 juillet, soir. 



I 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 278 



pas précisément défavorables, la Commission populaire 
décida qu'il resterait libre afin que le théâtre et le public 
continuassent â profiter de sa présence à Bordeaux ^^K 

Le i3 juillet, la Société des Amis de la Liberté et de 
r Égalité, dont le dévouement était certain et qui secondait 
activement la Commission populaire, déclarait qu'il était de 
rintérêt du peuple français d'accepter en masse la Constî- 
tution qui allait lui être prochainement présentée dans ses 
assemblées primaires. Ce n'était pas une défection, c'était 
un acte de prudence. 

Le même jour, la Commission populaire prenait un 
arrêté pour constituer la force départementale en Légion de 
la Gironde. La légion devait avoir deux colonnes, dont 
l'une se dirigerait sur Toulouse pour rejoindre les forces 
levées par les départements de cette région, et la deuxième 
sur Limoges, où seraient invitées à la rejoindre les forces 
levées dans les départements voisins. Les deux colonnes 
devaient partir aussitôt que les hommes en seraient com- 
plètement habillés, armés et équipés, et se rendre à Langon 
et à Saint-Macaire, où elles attendraient l'ordre ultérieur du 
départ définitif. 

Toutefois, en présence de l'indifférence qui r^aît 
partout, elle réduisit à 25 hommes le contingent à fournir 
par la cavq^erie bordelaise. 

Malgré cet adoucissement à ses prescriptions primitives, 
la Commission populaire rencontra encore la même indif- 
férence parmi les gardes nationaux; quelques-uns même 
opposèrent un refus complet de fournir les contingents 
demandés, attendu que c était contraire aux lois et que 
rien ne pouvait obliger les volontaires à s'^enrôler. C'est 
M. de Brezets, un magistrat dont le nom s'est perpétué 
jusqu'à nos jours dans les places élevées du barreau et de 

(i) Commission populaire, séance du i3 juillet. 

T. 1. i8 



274 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX, 



la judicature, qui, consulté par une Compagnie de la garde 
nationale, avait dicté cette réponse. 

On le devine sans peine, la réunion du Champ de Mars 
n^eut pas les résultats qu'on pouvait espérer; la Commission 
populaire dut perdre toutes ses. illusions, s'il lui en restait 
encore, et comprendre enfin que le peuple était las d'une 
insurrection qui, chaque jour, perdait de ses chances de 
succès. Le i5 juillet, elle s'occupait du projet de Constitution 
et se proposait d'adresser aux assemblées primaires un 
exposé de la situation de la République, des événements 
qui avaient ôté la liberté à la Convention nationale et 
nécessité la formation de la Commission populaire, et où 
elle provoquait le vœu du peuple sur son existence et sur 
ses opérations ^^K 

Durant ce temps, le général Houchard, imitant en cela 
les procédés du général Custine, dénonçait à la Convention 
une lettre qu'il avait reçue de Bordeaux, et écrivait à la 
Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité : e: Je vous 
dénonce, frères et amis, une lettre imprimée à la date du 
3i juin, d'une soi-disant Société des Amis de la Liberté 
et de l'Égalité de Bordeaux, signée de Grangeneuve, 
président; Dirat, Menne, Duchène et Benoît, secrétaires. 
Si ces malheureux ne sont que dans l'égarement et qu'ils 
aient été trompés par les lâches fédéralistes complices de 
Dumouriez, et qui voulaient nous conserver un tyran, je 
vous engage, au nom des soldats sans-culottes de l'armée 
de la Moselle, dont je suis le chef, de les tirer de l'erreur où 
ils sont plongés. » 

La leçon était dédaigneuse et se ressentait du milieu où 
elle avait été conçue. 

A Bordeaux, la situation empirait : le peuple manquait 
de pain, et des désordres incessants se produisaient aux 

(0 Procès-verbal de la séance du i5 juillet 1793. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 276 

portes des boulangers; une foule d'hommes, de femmes et 
d'enfants affamés s'y disputaient les quelques miettes d'un 
pain grossier. 

Le 18 juillet, un membre de la municipalité rendait 
compte à la Commission populaire des causes des attrou- 
pements que nous venons de signaler, et présentait, comme 
en étant la cause principale, l'insuffisance des distributions 
de pain. Les approvisionnements étaient devenus difiîciles, 
des obstacles multipliés gênaient la circulation des grains 
et la municipalité avait vainement cherché à remédier aux 
maux dont le peuple avait à souffrir. 

La Commission populaire dut s'inquiéter d'une si dou- 
loureuse situation: elle fit inviter les sections à concourir 
selon leurs moyens à l'établissement d'une boulangerie 
dans leurs circonscriptions, et elle défendit, sous des 
peines sévères, aux boulangers de fabriquer du pain 
fin et de vendre des farines, et aux citoyens d'en acheter. 

Cependant, les sections retiraient successivement leur 
confiance à la Commission populaire. La section Franklin 
en avait donné la première l'exemple; les sections de la 
Liberté n<* 2 1; J.-J. -Rousseau n^ 27 ; Beaurepaire n*^ 22, etc., 
ne tardèrent pas à le suivre. 

La débâcle commençait. 

Malgré ces abandons successifs, la Commission luttait 
encore, et la force départementale partait enfin. 

Le 17 juillet, Bernada et Bonus, commissaires près la 
Légion de la Gironde, faisaient imprimer une adresse à 
tous les citoyens des lieux de leur passage. Elle devait être 
envoyée aux autorités constituées de façon à préparer un 
bon accueil aux troupes de l'insurrection. Elles comptaient 
quatre cents hommes! Ce petit nombre était dérisoire, mais 
l'amour-propre était engagé; on ne regardait plus derrière 
soi, on regardait en avant, et l'on croyait pouvoir sauver 
la chose publique, oc Ne fussions-nous que trois, disait une 



276 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



lettre de la Commission populaire à un de ses commissaires, 
nous partirions pour ne pas nous déshonorer aux yeux de 
la France, qui attend de nous son salut ^^K » 

Voilà où en étaient les membres de la Commission 
populaire le 20 juillet. 

Ce jour-là, l'assemblée apprenait l'arrivée de la force 
départementale à Langon. Un membre de la municipalité 
venait en même temps l'informer que deux individus 
suspects qui, depuis plusieurs mois, parcouraient dans tous 
les sens le midi de la France, sans avoir une direction 
déterminée, avaient été récemment arrêtés; qu'ils s'étaient 
qualifiés de commissaires du pouvoir exécutif, mais qu'ils 
ne jouaient, en réalité, qu'un rôle d'espions; que l'un d'eux 
était marqué des lettres G A L, et que cependant il 
résultait de leurs déclarations et de leurs écrits qu'ils étaient 
en correspondance suivie avec Chaudron- Roussau, membre 
de la Convention. 

La Commission populaire chercha, mais sans succès, à 
donner un grand retentissement à cette affaire. 

«Ce rapport, dit le procès- verbal de la séance, étant 
propre à faire connaître les hommes et les moyens indignes 
dont les factieux se servent pour corrompre l'opinion 
publique et atteindre au but criminel qu'ils se proposaient, 
la Commission arrête qu'il sera sur-le-champ imprimé et 
envoyé aux assemblées primaires ^^K » 

On assure que ces deux hommes furent rendus à la 
liberté quelques mois plus tard par les représentants qui 
vinrent recevoir la soumission de la ville de Bordeaux, et 
au nombre desquels figurait Chaudron- Roussau. 

Les assemblées primaires, on vient de le voir, étaient 
réunies sur tous les points du département; après s'être 
déclarées en permanence, toutes acceptaient en masse le 

(1) Procès-verbal de la séance du 21 juillet lygB. 

(2) Moniteur, séance de la Convention du 19 juillet 1793. i 



I 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 277 



projet de Constitution présenté à la sanction du peuple; 
toutes ou presque toutes en même temps, ainsi que la 
majorité des sections de Bordeaux, renouvelaient les 
pouvoirs de la Commission populaire, et déclaraient 
adhérer à toutes les mesures prises par elle. Quelques-unes 
même prenaient sous leur sauvegarde tous les membres 
de la Commission populaire et les déchargeaient de toute 
responsabilité pour les mesures prises par la Commission 
dans le but de sauver la chose publique. Ce furent leurs 
expressions. 

La Convention, tenue au courant de ce qui se passait à 
Bordeaux, avait, nous Tavons dit plus haut, désigné trois 
ou quatre proconsuls pour se rendre en mission dans cette 
ville; mais non contente de cette mesure qui n'avait pu 
encore être ramenée à exécution, elle décrétait le 23 juillet, 
sur la proposition de Baudot, que e tous les citoyens non 
domiciliés à Lyon, Bordeaux, Marseille et Caen seraient 
tenus de sortir de ces villes vingt-quatre heures après la 
publication du décret, et de se rendre sous huit jours à leur 
domicile ordinaire, sous peine d^être déclarés émigrés et 
leurs biens confisqués au profit de la République. » 

Ce décret causa une vive émotion à Bordeaux, qui con- 
tenait un assez grand nombre d'étrangers. 

Pendant que Paganel déclarait, le 25 juillet, à la tribune 
de la Convention, e que Fart. 25 de la loi du 4 mai donnait 
lieu aux riches négociants de Bordeaux d'acheter des blés 
en grande quantité^ de manière que cette ville était dans 
l'abondance tandis que les autres départements en man- 
quaient, et qu'il demandait que le Comité de salut public 
fît un rapport sur la situation de Bordeaux, )» cette 
malheureuse ville était en proie aux horreurs de la disette; 
elle avait pour dix jours seulement d'approvisionnements. 
D'un autre côté, les caisses de la ville étaient vides, et la 
municipalité faisait connaître à la Commission populaire 



278 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



qu'elle était dans Timpossibilité de remédier à la pénurie 
des subsistances. 

Des discussions fort vives et fort animées s'engagèrent 
sur cette question. Toutes se résumaient, en fin de compte, 
par ce fait dominant, qu'il fallait à tout prix se procurer 
des farines pour éviter des malheurs incalculables. 

Les offrandes volontaires des citoyens riches — s'il en 
restait encore, — et l'emprunt décrété par la Commission 
populaire pour faire face aux dépenses de toute nature 
qu'exigeait la rébellion, n'ayant produit qu'un médiocre 
résultat, on dut aviser. 

La Commission ne trouva rien de mieux, pour sortir 
d'embarras et se procurer de l'argent, que de faire délivrer 
sur récépissé, à la municipalité, par le payeur du dépar- 
tement, 357,320 piastres appartenant à la République 
et gardées en réserve pour le service de la marine et des 
colonies. Cette mesure, grave en soi, fut considérée par ses 
auteurs comme un emprunt et comme une avance sur 
les 2 millions votés, le 3o mars, par la Convention, en 
faveur de la ville de Bordeaux. 

La somme était d'ailleurs destinée exclusivement à 
l'achat de grains et farines pour l'approvisionnement de 
la ville. 

Quelques jours plus tard, cet emprunt, qualifié d'enlève- 
ment, était signalé comme un crime et vivement reproché à 
ses auteurs. 

Le 27 juillet, la Commission populaire, dont les jours 
étaient comptés, formulait une longue adresse aux armées 
et aux bataillons de la Gironde; elle y expliquait le rôle 
que les événements l'avaient appelée à jouer, et protestait de 
son dévouement à la République. 

C'était un des derniers actes du pouvoir usurpé. Une 
nouvelle déception lui était réservée : la i^« colonne de la 
force départementale, partie de Bordeaux le 17 juillet, avait 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 279 



rencontré en général un bon accueil sur sa route, bien 
que le district de Cadillac, qui avait fait scission avec la 
Commission, eut ordonné aux citoyens de barrer le passage 
à ces troupes. Bernada et Bonus, qui les dirigeaient, 
étaient arrivés avec elles à Langon et rendaient compte de 
l'enthousiasme des populations. Ils avaient écrit dans une 
de leurs lettres qu'en apprenant la présence à Langon d'un 
bataillon de Bordeaux, Treilhard et Mathieu avaient 
précipitamment quitté Agen, où ils se trouvaient alors. Le 
fait était exact, mais il doit être expliqué. 

Les conventionnels s'étaient rendus, en effet, à Mon- 
tauban, où ils avaient provoqué une réunion de délégués 
des départements de Lot-et-Garonne, du Lot et de la 
Haute-Garonne. De concert avec ces délégués réunis en 
Comité, ils avaient pris, le 23 juillet, un arrêté relatif à la 
force départementale et portant que des commissaires de 
chacun des trois départements réunis partiraient sur le 
champ pour aller au-devant des troupes sorties de Bordeaux 
afin de s'instruire de l'objet de leur marche, et pour faire 
sentir aux citoyens qui en faisaient partie les inconvénients 
et même les dangers qui pouvaient en résulter. Le 26 juillet 
les commissaires désignés par Treilhard et Mathieu avaient 
à Langon une conférence avec Bernada et Bonus, et 
le 28 ils se présentaient devant la Commission populaire. 

Après lecture de l'arrêté que nous venons de résumer, 
les commissaires prirent successivement la parole : ils 
affirmèrent d'abord leurs sympathies pour les habitants de 
la Gironde qui, à une époque peu éloignée, avaient, dans 
des circonstances critiques, volé au secours des Montalbanais 
opprimés par une aristocratie tyrannique; puis ils demandé* 
rent à la Commission de leur faire connaître l'objet actuel 
de la marche d'une force départementale vers Paris, quand 
la Convention avait présenté une Constitution républicaine 
bientôt acceptée par les assemblées primaires, a Au 



28o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



moment où la Convention nationale va être remplacée par 
une nouvelle Législative, nous pensons, dirent-ils, qu'il faut 
se réunir à elle, le point naturel et le plus utile du ralliement. 
Quel est et quel doit être le mobile des mesures les plus 
efficaces à prendre aujourd'hui contre les ennemis du dehors 
et du dedans ? C'est de porter nos forces disponibles sur les 
frontières, vers Rayonne, vers Perpignan. A quoi peut être 
utile une force départementale à Paris? Quels sont les 
maux auxquels elle doit apporter remède? Nous vous 
assurons de nos dispositions de paix et de fraternité, mais 
nous ne saurions dissimuler qu'indépendamment de la loi 
qui défend à tout corps armé d'entrer sur le territoire d'un 
département étranger sans son consentement, d'autres 
motifs peuvent apporter des obstacles au passage de la 
force départementale; redoutez d'augmenter les progrès 
de la guerre civile. » Ils terminèrent en disant qu'il leur 
paraîtrait convenable et sage de suspendre la marche de ces 
troupes jusqu'à ce que les autres départements fussent 
forcés de les accepter, et ils invitèrent la Commission à 
peser les considérations qu'ils avaient développées. 

Celle-ci, par l'organe de son président, répondit que 
tant que le peuple de la Gironde persisterait dans les 
mesures adoptées, rien ne pourrait empêcher la Commission 
populaire de les exécuter. 

On le voit, après la lassitude des citoyens et les attaques 
non dissimulées de certaines sections, la défection gagnait 
les départements. La Gironde allait rester seule dans 
l'accomplissement de ses projets, hélas ! trop généreux. 

Mais ces démarches, connues de la population, n'étaient 
pas de nature à échauffer son zèle pour la Commission 
populaire. L'inquiétude et l'agitation étaient croissantes et 
des désordres ne cessaient d'éclater aux portes des boulan- 
gers. Lai faim dominait la situation (*). 

(i) Malesuada famés. 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 28 1 



D^un autre côté, Pânarchie se glissait dans les sections, 
travaillées par les partisans de la Montagne, et le nombre 
de celles qui retiraient leur confiance à la Commission 
populaire augmentait chaque jour, 

La désaffection gagnait rapidement du terrain. 

Cest au milieu du conflit des opinions, au milieu des 
divisions et des agitations de Tesprit public, et surtout en 
présence du refus fait par les départements voisins de 
fournir des grains à celui de la Gironde tant qu^il serait 
en état d'insurrection, que la Commission populaire prit 
une résolution suprême. 

Elle prononça sa dissolution le 2 août 1 793 : 

f Considérant que les autorités constituées qui la composent 
s'étaient formées en Commission populaire, par la volonté expresse 
du peuple de ce département, qui, après s*étre déclaré en état de 
résistance à l'oppression, l'investit de ses pouvoirs et la chargea de 
prendre les mesures les plus propres à combattre les factions qui 
opprimaient la représentation nationale, et à la rétablir dans sa 
liberté et son intégralité ; 

» Considérant que, pour remplir cet objet, les premières vues de 
la Commission populaire durent se tourner vers l'établissement 
d'une force départementale que la Convention nationale elle-même 
avait jugée nécessaire lorsqu'elle commença à craindre pour sa 
liberté, et à laquelle elle ne renonça que lorsque les premières 
entreprises des factieux qui voulaient Tasservir l'obligèrent à 
rapporter le décret qu'elle avait rendu pour sa formation ; 

» Considérant que la Commission populaire, inviolablement 
attachée aux principes de l'unité et de l'indivisibilité de la 
République, a dû s*assurer d'abord que tous les départements qui 
annonçaient vouloir prendre les mêmes mesures de salut public 
étaient dirigés par ces mêmes principes, afin d'éviter que les 
intentions pures des citoyens de ce département ne pussent servir à 
fsLvoriser les projets que des malintentionnés auraient pu former 
ailleurs, et que c'est dans cet objet qu'elle a envoyé des commissaires 
dans toutes les parties de la France, pour connaître l'esprit public 
qui y régnait, et lui en faire un fidèle rapport; 

1 Considérant qu'encore que ces mesures n'eussent d'autre but 
que le salut de la République, la Commission populaire, toujours 
fidèle aux principes, ne pensa pas qu'il lui fût permis d'appliquer les 
deniers de la nation aux dépenses qu'elles devaient entraîner, et 



282 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

qu'en conséquence elle crut ne devoir y fournir que par le produit 
d*un emprunt civique, persuadée qu'elle trouverait dans le 
patriotisme des citoyens de ce département les ressources 
nécessaires pour y pourvoir; 

I Considérant que toutes ces mesures avaient déjà reçu l'appro- 
bation du peuple de ce département, lorsque, sur l'annonce de 
l'envoi de l'acte constitutionnel, la Commission populaire s'empressa, 
dès le 5 du mois dernier, d'arrêter qu'une déclaration solennelle du 
peuple français, qui consacrerait pour la première fois la République 
une et indivisible, présentait un avantage si précieux à saisir, 
qu'aussitôt que l'administration du département aurait reçu 
officiellement le projet de Constitution, il en ferait l'envoi aux 
districts et municipalités, et convoquerait en même temps les 
assemblées primaires; 

» Considérant qu'au moment où la Commission populaire eut 
l'assurance de voir le peuple réuni en assemblées primaires, elle 
l'invita à lui faire connaître sa volonté, pour savoir si elle continuerait 
à remplir ses fonctions, ou si elle devait les cesser; 

1 Considérant que quoique la majorité des sections de la ville de 
Bordeaux, la totalité de celles de Libourne, Bazas, Bourg, Blaye, 
Sauveterre, Saint-Émilion, Langon, Saint-Macaire, deux de celles 
de La Réole, et plusieurs assemblées primaires du canton, aient de 
nouveau confirmé les pouvoirs de la Commission populaire, et 
qu'elle n'ait reçu que deux délibérations contraires, néanmoins 
il lui suffit que ce vœu n'ait pas été généralement exprimé pour 
craindre de devenir l'objet d'une division entre les citoyens; 

> Considérant que le peuple a cru voir dans l'acceptation de la 
Constitution, et dans le renouvellement du Corps législatif qui doit 
en être immédiatement la suite, le retour de la paix et de l'ordre, 
l'anéantissement de toutes les factions, et le règne absolu de la loi ; 

» Considérant que cette espérance paraît partagée par la grande 
majorité des départements ; que presque tous ont pensé qu'il fallait 
attendre l'effet que produirait l'acceptation de l'acte constitutionnel, 
et que la Commission populaire y a été particulièrement invitée, 
dans une de ses séances publiques, par des membres des adminis- 
trations des départements de la Haute-Garonne, du Lot, du 
Lot-et-Garonne, liés avec celui de la Gironde par tant de rapports 
d'amitié, d'estime et de fraternité ; 

1 Considérant qu'au moment où se forma la force départementale, 
le succès de nos armes donnait la plus grande espérance de voir 
bientôt tous les ennemis de la France abattus ou forcés de respecter 
sa constitution et sa liberté; mais que des revers survenus depuis 
obligent tous les vrais républicains à tourner tous leurs efforts contre 
les ennemis qui en veulent à l'existence même de la République ; 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 283 

» Considérant, enfin, que la plupart des assemblées primaires de 
ce département se sont déclarées permanentes et qu'elles veillent 
par elles-mêmes à la conservation de la liberté; 

I Considérant que, malgré l'état de détresse où se trouve réduite 
la ville de Bordeaux, elle doit se hâter, pour ôter toute espèce de 
prétexte à la malveillance, de rétablir au dépôt national les piastres 
qu'elle avait été contrainte d*y puiser pour prévenir les horreurs 
de la famine dont elle se trouve menacée, sauf à prendre les mesures 
les plus fortes pour y suppléer par d'autres moyens ; 

» Par ces coNsroÉRATiONs, la Commission populaire de salut 
public déclare au peuple de ce département que le silence de 
plusieurs assemblées primaires sur la continuation de son existence 
lui fait un devoir de se séparer ; et en conséquence, elle lui remet 
les pouvoirs extraordinaires dont il l'avait investie ; 

I Que les calomnies aussi atroces qu'absurdes que les malveillants 
ont cherché à répandre contre le peuple du département de la 
Gironde, afin de le rendre suspect aux autres départements et de 
rompre les liens de la fraternité qui l'unissent à eux, lui' font un 
devoir d'arrêter la force armée vers Paris et de rappeler dans leurs 
foyers les citoyens qui la composent ; 

» Que les engagements contractés par la Commission pour fournir 
aux dépenses relatives soit à l'envoi de commissaires dans les 
départements, soit à l'organisation de la force départementale, soit 
pour les subsistances, l'ayant été au nom du peuple de la Gironde, 
seront sacrés pour lui ; et que tous les efforts de l'égoYsme ou de la 
malveillance pour leur ôter la foi qui leur est due, seront surmontés 
par le patriotisme et la probité des citoyens de ce département ; 

• Que malgré l'espérance que les bons citoyens peuvent avoir 
conçue de voir accomplir incessamment le vœu du peuple pour 
l'affermissement de la liberté et le renouvellement de la représen- 
tation nationale, elle croit de son devoir d'inviter les assemblées 
primaires, et chaque citoyen en particulier, de se tenir toujours 
prêts à résister à toutes les tyrannies par lesquelles on essaierait 
encore d'attenter à la liberté publique ou individuelle ; 
» En conséquence, la Commission populaire arrête ce qui suit : 
» i^Les autorités constituées cesseront de se réunir en Commission 
populaire ou sous toute autre dénomination ; elles mettront, 
chacune dans les termes de leurs pouvoirs, la plus grande activité 
dans l'administration qui leur est particulièrement confiée, et 
concourront de tous leurs efforts au maintien de la tranquillité 
publique ; 

» 2* Aussitôt après la réception du présent arrêté, la force 
départementale se rendra dans la ville de Bordeaux, où elle a été 
formée. Les citoyens qui la composent seront licenciés. Ils seront 



284 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



remerciés, au nom du peuple de ce département, du dévouement 
qu'ils ont témoigné et de la bonne conduite quUls ont tenue depuis 
leur formation ; 

» 3« L'emprunt de deux millions, ouvert en conséquence des 
arrêtés de la Commission populaire des 25 juin et 16 juillet derniers, 
continuera à être rempli d'après les états déjà arrêtés et sous la 
surveillance des autorités constituées pour être employé en achats 
de grains et farines pour l'approvisionnement de la ville de 
Bordeaux, après que les sommes nécessaires à l'acquittement des 
dépenses faites en exécution des arrêtés de la Commission en auront 
été prélevées. Le remboursement en sera &it conformément 
auxdits arrêtés ; 

1 4» Ledit emprunt devant suppléer à l'emploi des piastres retirées 
de l'hôtel de la Monnaie, en exécution des arrêtés de la Commission 
populaire des 26 et 29 du mois dernier, lesdites piastres seront 
incessamment rétablies au dépôt national par la municipalité de 
Bordeaux ; 

> 5^ Ladite municipalité demeure chargée, sous la surveillance des 
corps administratifs, de continuer la levée dudit emprunt, de prendre 
toutes les mesures convenables pour que l'emploi en soit fait, le 
plus promptement qu'il sera possible, en achats de subsistances, en 
réservant les sommes nécessaires pour payer les dépenses faites 
en exécution des arrêtés de la Commission. Ces dépenses seront 
acquittées sur des mandats du Directoire du département, d'après 
les comptes visés par le Directoire du district de Bordeaux; 

> 6° Le présent arrêté sera imprimé, publié et affiché ; l'envoi en 
sera fait par le Directoire du département à ceux de district, et par 
eux à toutes les communes et municipalités de leur arrondissement. 
L'envoi en sera fait également à tous les départements de la 
République. 1 

La Commission populaire de salut public de la Gironde 

avait vécu. 

Son dernier acte était Tapologie que Ton vient de lire. 
Elle cherchait à y dissimuler, sous Thabileté de la forme, 
la criminalité politique de son autorité insurrectionnelle et 
des mesures qu'elle avait cru pouvoir édicter pendant son 

existence. 

Le rôle de la Commission et l'influence qu'elle a pu 
exercer sur les événements sont assez difficiles à définir; sa 
création fut un produit de l'enthousiasme bordelais : elle 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 285 



ne pouvait survivre aux circonstances qui l'avaient créée, et 
son oeuvre était fatalement condamnée à Timpuissance. 

Pendant deux mois, elle forma un État dans TÉtat. Elle 
constituait une véritable insurrection, et ce fut son tort. 
Elle refusa de reconnaître et de publier ceux des décrets de 
la Convention qui lui paraissaient être en opposition avec 
les principes qu'elle avait la |M:étention de défendre; elle 
créa une force armée, décréta des emprunts, régna et 
gouverna en maîtresse dans le département de la Gironde 
et chercha à se créer des adhérents sur tous les points de 
la France. 

Elle construisait un édifice qui péchait par la base et 
dont Texistence ne pouvait être qu'éphémère; ce fut, 
répétons-le, un entraînement irréfléchi de la part de nos 
pères, un acte de générosité courageux peut-être, mais qui 
devait être fatal aux populations de la Gironde et aggraver 
leur position, loin de l'atténuer. 

La résolution de la Commission populaire ne fut pas 
sans causer de l'émotion à Bordeaux; beaucoup de 
citoyens honorables la regrettèrent. Quelques sections 
même, redoutant pour les membres des autorités constituées 
qui l'avaient composée les vengeances de la Convention et 
des partisans de la Montagne, provoquèrent des réunions 
à V effet d aviser aux moyens de préserver les membres de 
la ci-devant Commission populaire des démarches qu'ils 
n avaient faites que pour céder aux vœux de leurs 
concitoyens. 

Le 6 août 1793, la Convention, qui était restée Jusque-là 

à peu près indifférente devant les tentatives insurrectionnelles 

du département de la Gironde, se décida enfin à frapper 

un coup dont les conséquences devaient être terribles. 

Barère, dit un journal du temps ('^, signala d'une manière 

(0 Journal du Soir du 7 août 1793. 



-1 



286 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



toute spéciale à la sévérité de la Convention Tenlèvement 
des piastres de Thôtel de la Monnaie, et il proposa, au nom 
du Comité de salut public, de déclarer anéantis, comme 
attentatoires à la souveraineté et à la liberté du peuple 
français, tous les actes faits par la Commission populaire ; 
de mettre hors la loi tous les membres composant ce 
rassemblement, ainsi que tous ceux ayant provoqué, 
concouru ou adhéré à ses actes, et d'ordonner la réintégration 
des 357,320 piastres enlevées. 
Ces mesures furent adoptées par un décret ainsi conçu : 

La Convention nationale, 
Après avoir entendu le rapport de son Comité de salut public, 

Décrète ce qui suit : 

Article premier. — Tous les actes faits par le rassemblement qui 
a pris à Bordeaux le titre de Commission populaire de salut public 
sont anéantis, comme attentatoires à la souveraineté du peuple 
français. 

Art. 2. — Tous les membres qui composent ce rassemblement 
ainsi que tous ceux qui ont provoqué, concouru ou adhéré à ses 
actes, sont déclarés traîtres à la patrie et mis hors la loi: leurs 
biens sont confisqués au profit de la République. 

LcLvaugqyon, ci-devant chef d'administration civile de la marine 
à Bordeaux, est également mis hors la loi, et ses biens sont 
confisqués. 

Art. 3. — La commune de Bordeaux réintégrera, dans l'heure de 
la notification du présent décret, les 357,320 piastres enlevées à 
main armée de Thôtel de la Monnaie, et qui étaient destinées au 
service de la marine. 

Art. 4. — Tous les dépositaires actuels de Tautorîté publique 
dans la ville de Bordeaux répondent individuellement, sur leur tête, 
de la somme de 357,320 piastres et des atteintes qui pourraient 
être portées à la sûreté des fonds et des caisses de la République. 

Art. 5. — La Trésorerie nationale fera parvenir dans le plus court 
délai, aux commissaires qui seront nommés par les citoyens de 
Bordeaux, la somme de 2 millions, dont le prêt a été décrété le 
3o mars dernier, pour pourvoir aux subsistances de cette ville; 
lesquels commissaires ne pourront être choisis parmi les membres 



LA COMMISSION POPULAIRE DE SALUT PUBLIC. 287 



des autorités constituées, ni parmi les citoyens qui ont coopéré ou 
adhéré aux actes liberticides et contre-révolutionnaires des individus 
composant le rassemblement connu sous le nom de Commission 
populaire de salut public. 

Art. 6. -- Le présent sera porté sur-le-champ, par un courrier 
extraordinaire, aux représentants du peuple actuellement à 
Toulouse et à Montauban, qui demeurent chargés de prendre tous 
les moyens d'instruction et de force qu'ils jugeront convenables 
pour assurer sa 'prompte exécution, &ire respecter les lois et 
garantir les citoyens de l'oppression. 

Mallarmé, président ; 

DupvY fils et P.-J. AuDouiN, secrétaires. 

Tout le département, on peut raffirmer, se trouvait mis 
hors la loi par ce décret de la Convention. 

Les représentants du peuple en mission à Toulouse et à 
Montauban furent, on vient de le voir, chargés d'assurer la 
prompte exécution de ce décret, de faire respecter les lois 
et de garantir les citoyens de l'oppression. 

Ces représentants étaient Chaudron- Roussau et Baudot, 
auxquels on ne tarda pas à adjoindre Ysabeau et Tallien. 

Nous les verrons bientôt à Toeuvre. 

Le 7 aoûf, le Conseil général du département adressait à 
la Convention l'arrêté de dissolution de la Commission 
populaire. « La France n'y verra, disait Sers, ni faiblesse 
ni crainte de la part du peuple de la Gironde... Il veut voir 
l'effet des promesses faites au peuple français; il se courbe 
avec respect, non devant les hommes, mais devant la loi... 
il veut qu'il n'y ait plus ni d'ordres • arbitraires, ni de 
confusion de pouvoirs, ni d'autorité illimitée confiée à des 
individus; il veut que le crime soit puni et l'innocence 
justifiée. » 

Ce langage hardi, après la défaite, peint Sers tout entier. 

Il garda ses convictions, et l'adversité ne put abattre 
son courage. 

Bien qu'il eût partagé avec Desmirail et RouUet le 



288 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

périlleux honneur, qui coûta la vie à ce dernier, de présider 
la Commission populaire, il fut seul excepté de l'amnistie 
quand, plus tard, le décret du 6 août fut rapporté. 

Le moment approchait où on allait mettre les Bordelais 
au pas. 



» |mJ; m | m |m|m|m|m|m| »^» ^ »4 | m |m|m|m|m| m | m |; m |m|m| »^4|»4|m|»4»^» 



CHAPITRE |IV 



LA SECTION FRANKLIN ET LA SOCIÉTÉ POPULAIRE 
DE LA JEUNESSE BORDELAISE. 



Faiblesse et irrésolution des autorités. — Troubles à l'occasion de la cherté 
des subsistances. — Lettre du maire Saige. — Propagande faite par 
l'acteur Lais. — La Société populaire de la Jeunesse bordelaise est créée 
par Brochon, Ravez et Cornu. — Les effets du décret du 6 août. — Fétj 
de Punité et de Tindivisibilité de la République. — Les sections se 
réunissent pour obtenir le retrait du décret du 6 août. -» Les conven- 
tionnels Ysabeau et Baudot arrivent à Bordeaux. — Ils y sont l'objet de 
menaces et de violences. — Peyrend d'Herval, leur secrétaire^ est arrêté. 
^ Ysabeau et Baudot sont gardés à vue à Thôtel de la Providence, rui 
Porte-Dijeaux. — La section Franklin feit donner aux conventionnels 
l'assurance de son dévouement. — Ceux-ci quittent Bordeaux et se 
rendent à La Réole. — Ils protestent publiquement contre les procédés 
des Bordelais à leur égard. — Les sections répudient toute participation 
à ces actes. — Réponse des conventionnels. — Le Conseil général de la 
commune les informe qu'on recherche les auteurs des violences dont ils 
ont été l'objet. — Réponse des conventionnels. — La section Franklin 
devient le véritable centre du pouvoir à Bordeaux. — Proclamation 
d' Ysabeau et Baudot. — Le Conseil général de la commune défend la 
ville de Bordeaux. ^^ Arrivée de Meillan, Bergoeing et autres. — Le 
peuple s'apprête à la soumission. — Conflit entre la section Franklin 
et la Société populaire de la Jeunesse bordelaise. — Les conventionnels 
isolent Bordeaux. — La famine. — Les citoyennes Amies de la Liberté 
et de l'Égalité écrivent à Ysabeau et Baudot. — Leur réponse. — Le 
député Gouly est envoyé en mission auprès d'eux. — Tallien se rend à 
La Réole. — Les conventionnels demandent la dissolution de la Société 
de la Jeunesse bordelaise. ^> Ils écrivent à la section Brutus. — 
Proclamation des Jeunes gens. — Lettres des conventionnels à la section 
Guillaume -Tell et à la section de la Concorde. — La municipalité invite 
la Société de la Jeunesse bordelaise à se dissoudre. — Fête en l'honneur 
de Marat. — Lettre d'Ysabeau et Baudot aux sections de Bordeaux, et 
arrêté tendant à atténuer les horreurs de la famine. —Joie des Bordelais. 
— Proclamation de Pinet, Paganel et Tallien. — Le Club national est 
rétabli. — 11 dénonce les Jeunes gens. — La municipalité est sommée de 
ftiire exécuter le décret du 6 août. — On redoute des troubles. — La 
Société de la Jeunesse bordelaise est invitée à se dissoudre. — Ravez 

T. I. * ig 



^.fc . -^ 




290 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

répond au nom des Jeunes gens. — Lettre d'Ysabeau et Baudot au Club 
national. — Surexcitation générale à Bordeaux. — Nouvelle lettre des 
conventionnels aux citoyennes Amies de la Liberté et de l'Égalité. — 
Démission de la municipalité. — On s^attend à de graves événements. 

La dissolution de la Commission populaire de salut 
public de la Gironde laissait la place libre à la section 
Franklin et aux hommes 'qui Pavaient dirigée depuis 
quelques mois. 

Les diverses autorités constituées avaient repris le cours 
normal de leurs fonctions, et les personnalités s^effaçaient 
pour laisser passer Torage qui menaçait à Thorizon. Il en 
résulta, en ce qui concernait le Directoire du département, 
une faiblesse et une irrésolution qui furent fatales. Quant 
à la municipalité, les divisions et les craintes régnaient 
dans son sein, et le désarroi des esprits était à peu près 
général parmi ses membres. 

Dès le 8 août, une grande agitation existait dans la ville 
et vers dix heures du soir un ressemblement considérable 
de compagnons et d'ouvriers du faubourg des Ghartrons 
avait lieu aux allées de Tourny; des vociférations furent 
proférées contres les autorités à l'occasion de la cherté du 
pain et des autres denrées. On pouvait redouter des 
troubles sérieux, car déjà des énergumènes prêchaient 
hautement la révolte et le pillage. La force armée envoyée 
sur les lieux réussit, non sans peine, à dissiper les pertur- 
bateurs. 

La municipalité ne restait pas indifférente. On doit 
rappeler à cet égard que le même jour (8 août) le maire 
Saige et les officiers municipaux écrivaient à leurs collègues 
de Nantes pour en obtenir l'envoi de farines : L'argent, 
disaient-ils, ne manque pas encore pour approvisionner 
une ville de 120,000 âmes; mais la guerre étrangère, le 
soulèvement de la Vendée et la loi du maximum s'opposent 
à leurs achats. Ils ont besoin de 120 sacs par jour, en y 



LA SECTION FRANKLIN. 29! 



mêlant seigle, maïs, fèves, etc. Ils ont appris que des farines 
américaines sont arrivées à Nantes, et ils supplient les mains 
jointes leurs collègues de les empêcher de mourir de faim; 
ils ont chargé le citoyen Jacquier de leurs achats, etc.. ^»). 

Dominée par la peur, la masse des citoyens était 
devenue égoïste; inerte et démoralisée, elle n'éprouvait 
plus le sentiment patriotique qui avait marqué les premiers 
temps de la Révolution. La garde nationale seule avait 
encore cette virilité que donne l'esprit de corps. 

On raconte, en efiFet, que dans l'après-midi du 9 août, la 
nouvelle d'une défaite éprouvée par nos armes sur les 
frontières d'Espagne étant arrivée à Bordeaux par courrier 
extraordinaire, la cavalerie et les grenadiers furent requis 
sous peine de mort d'aller défendre le drapeau; ils 
refusèrent d'obéir; mais ce refus se justifiait dans leur 
pensée par le danger de l'état des choses à Bordeaux, et ils 
firent le serment de rester dans cette ville pour y maintenir 
la tranquillité publique. 

C'est dire assez combien peu elle était assurée et combien 
on y redoutait les effets du décret du 6 août. 

Bordeaux, d'ailleurs, les événements avaient permis de 
le constater, renfermait un grand nombre de maraiistes, et 
leur audace s'accroissait en raison inverse de l'aflaiblisse- 
ment du courage des citoyens et de l'influence de l'autorité 
publique. 

L'acteur Lais, que nous avons vu, dans le chapitre 
précédent, profiter de la générosité de la Commission 
populaire, ne cachait plus ses sentiments; il était à la tête 
des hommes qui poussaient à la réinstallation du Club 
national, et on l'a accusé dans le temps d'avoir répandu 
beaucoup d'argent pour gagner le peuple et le lancer dans 
les voies révolutionnaires. 

(i) Archives historiées de la Gironde^ t. Xl, p. igi. 




2g2 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Cen était fait : on ne pouvait plus prononcer sans 
danger, dans leur patrie, les noms des Girondins I 

Le découragement était général. La perfidie des uns 
et rignorance des autres, la pusillanimité du plus grand 
nombre rendaient facile l'œuvre de décomposition à laquelle 
travaillait ardemment la section Franklin dans l'intérêt de 
la Montagne. 

Nous devons le dire cependant, toute énergie n'était pas 
encore perdue : la bourgeoisie comptait dans son sein des 
esprits courageux que les circonstances mirent en relief. En 
effet, sous l'impulsion de quelques hommes d'action, au 
nombre desquels il faut citer Brochon, Ravez et Cornu, 
trois avocats, une Société nouvelle se forma au moment 
même où le Club national osait relever audacieusement la 
tête. Nous avons nommé la Société populaire de la 
Jeunesse bordelaise, qui joua un rôle assez important dans 
la cité. 

C'est le I o août que le décret du 6 fut connu à Bordeaux. 
Il y causa une profonde stupeur. Ce premier sentiment 
passé, quelques jeunes hommes, indignés de la mesure 
décrétée par la Montagne et qui atteignait les dix-neuf 
vingtièmes de la population du département et surtout les 
administrateurs qui avaient eu le courage d'organiser la 
résistance au joug imposé par les montagnards, se réunirent 
spontanément dans une vaste salle située à Belleville et se 
proposèrent de défendre et de protéger les membres de la 
Commission populaire. Toute la jeunesse de la ville se 
rendit aux séances de la Société et voulut en faire partie. 

Au bout de quelques jours, elle comptait, dit-on, près de 
trois mille membres. Présidée d'abord par Brochon, puis 
par Cornu, enfin par Ravez, elle ne tarda pas à exercer 
une certaine influence sur la population. 

Les motions les plus énergiques y étaient formulées 
chaque soir, et les sections, celle de Franklin en tête. 



LA SECTION FRANKLIN. 2gi 



prirent bientôt ombrage d'une influence qui était de nature 
à contre-balancer Teffet de leurs tentatives pour ramener 
les citoyens à la Montagne et à la Convention. 

Nous verrons les conflits qu'amena cet état de choses. 

Cependant, durant cette journée du i o août, qui avait vu 
les tentatives de rétablissement du Club national et la 
formation de la Société de la Jeunesse bordelaise, et où 
la nouvelle du décret draconien du 6 était arrivée, on 
célébrait à Bordeaux la fête de Vunité et de V indivisibilité 
de la République. 

A onze heures et demie du matin, les conseils généraux 
du département, du district et de la commune, les corps 
judiciaires, civils et militaires, les présidents des sections et 
des sociétés populaires de la ville, réunis dans la salle 
du département, en partaient pour se rendre en cortège au 
Champ de Mars, escortés par un détachement de grenadiers 
de la garde nationale et précédés par la représentation de 
la Bastille (selon l'expression du procès- verbal) et par 
la bannière de la Liberté et de l'Égalité. Celle de la 
Fédération du 14 juillet 1790 était portée renversée. 

La foule envahissait les rues que suivait le cortège. 

Arrivés au Champ de Mars, les corps constitués parcou- 
rurent les rangs de la garde nationale placée autour de 
l'autel de la Patrie. 

Au signal donné par le commandant général, les tam- 
bours battirent aux champs, la musique militaire fit 
entendre une marche guerrière et des salves d'artillerie 
furent tirées. Les autorités se dirigèrent alors vers l'autel 
de la Patrie, et la représentation de la Bastille y fut 
déposée avec la bannière de la Liberté et de l'Égalité. 

Ces préliminaires remplis, le secrétaire général du dépar- 
tement Fringues donna lecture d'un décret de la Convention 
ordonnant « que les bannières offertes aux départements lors 
1» de la fédération de 1 790 seraient brûlées comme portant 



294 histoire" de la terreur a bordeaux. 

« 

30 les signes odieux de la royauté, et remplacées par 
s> d'autres avec remblème de TUnité et de Tlndivisibilité 
jD de la République ^^K » 

Après cette lecture, Pierre Sers, en sa qualité de 
président du département, annonça que la cérémonie devait 
commencer par l'exécution de ce décret. 

Un citoyen ayant demandé la parole fit observer que 
depuis longtemps Tadministration du département avait fait 
disparaître de la bannière de 1 790 les fleurs de lys, signes 
de la royauté, et les avait remplacées par des bonnets de 
la liberté; il proposa, en conséquence, qu'avant de livrer 
la bannière aux flammes, ces bonnets en fussent détachés et 
offerts aux légions de la garde nationale. 

Cette proposition fiit adoptée et immédiatement exécutée 
au bruit des acclamations populaires. 

Les autorités se rendirent ensuite vers un bûcher préparé 
au devant de Tautel de la Patrie. Là, Sers prit la bannière 
et, à la vue du peuple, il la déposa sur le bûcher auquel il 
mit le feu. Les flammes l'eurent bientôt consumée, pendant 
que, de toutes parts, retentissaient les cris de : Vive la 
République une et indivisible! 

Le silence se fit bientôt, et Sers, prenant la parole, 
s'écria d'une voix forte et sonore au milieu de l'attention 
générale : 

« Citoyens, en exprimant votre volonté sur Tacte constitutionnel 
qui a été offert au peuple français, vous avez consacré le principe de 
l'unité de la République et de son indivisibilité, et déjà nous avons 
la presque certitude que la généralité des Français a émis le même 
vœu. C'est aujourd'hui, c'est à cet instant même que la proclamation 
de cet acte imposant de la volonté générale se Êiit à Paris. 
Aujourd'hui, dans chaque commune de la République, se fait la 
célébration solennelle de l'union de tous les Français. 

» Puisse ce moment, si ardemment désiré, si impatiemment 

(I) Décret du 28 juillet 1793. 



LA SECTION FRANKLIN. 296 

attendu, être le terme des maux qui déchirent la Patrie ! Puissent la 
pleine jouissance de vos droits et l'établissement de cette douce 
liberté à laquelle vous avez fait tant de sacrifices, vous consoler 
et vous dédommager des malheurs inséparables d'une grande 
révolution I Puisse Tunion la plus touchante succéder aux discordes 
civiles et nous procurer enfin cette paix intérieure, si nécessaire 
pour résister aux despotes coalisés contre nous, et sans laquelle il 
n*est point de bonheur pour les hommes réunis en société 1 Tels 
sont, citoyens, les vœux de vos magistrats ; tel a été constamment 
le but de toutes leurs démarches. La carrière qu'ils ont eu à 
parcourir était difficile sans doute; mais la confiance dont vous les 
avez investis, votre zèle infatigable pour le bien public, ont soutenu 
leur courage dans les moments les plus difficiles ; et c'est ainsi que 
Bordeaux a été préservé, jusqu'à ce jour, de ces secousses terribles 
qui ont mis la liberté en si grand danger dans la plupart des grandes 
villes de la République. 

» Oui, citoyens, nous nous faisons gloire de le publier hautement, 
c'est à vous, c'est à vos vertus civiques que cette grande cité doit la 
gloire qu'elle s'est acquise au milieu des orages politiques qui ont 
agité la France ; c'est vous qui avez donné, dans toutes les grandes 
occasions, ces exemples éclatants de patriotisme et de courage qui 
ont fait l'admiration de tous les Français, et ce qui est bien plus 
précieux encore, qui vous ont attiré leur estime et leur reconnais- 
sance. Vous avez fait chérir la Liberté au milieu de vous, en 
prouvant, par votre conduite, que son règne n'est pas incompatible 
avec le règne des lois, et qu'au contraire c'est par la loi que la 
Liberté affermit et étend son empire. Mais ce n'est pas seulement 
dans vos murs que l'on a pu juger de l'excellent esprit qui vous 
anime; vous l'avez porté au milieu des camps, et les nombreux 
bataillons que vous avez fournis aux armées de la République y ont 
aussi fait chérir et respecter le nom de Soldats de la Gironde. A la 
valeur brillante qui caractérise le soldat français, ils ont joint cet 
amour de l'ordre, ce respect pour la discipline militaire qui fait la 
force des armées, et qui décide la victoire. 

» Quelle satisfaction pour nous de voir, dans cette cérémonie 
auguste et simple, deux de ces braves bataillons dont les importants 
services ont mérité la reconnaissance de la Patrie ! O vous, généreux 
soldats-citoyens, qui avez supporté dans la Vendée tant de fatigues 
et bravé tant de périls, combien n'avez-vous pas à vous féliciter de 
votre dévouement 1 Qu'il est doux pour chacun de vous de pouvoir 
se dire, tous les jours de sa vie : « Sans moi, sans les combats 
» que j'ai rendus, sans le sang que j'ai versé, une des plus belles 
» contrées de la nature serait peut-être en ce moment au pouvoir des 
» rebelles, et nos ports auraient été livrés aux invasions des ennemis 



2q6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



» extérieurs. » Citoyens-soldats, ce que vous avez le droit de vous dire 
à vous-mêmes, chacun de vos frères ledit de vous avec enthousiasme; 
et il n'est point de Bordelais qui ne porte dans son cœur la recon- 
naissance qui vous est due, et il n'en est pas un seul qui ne s'honore 
d'un nom auquel votre excellente conduite et vos nombreuses 
victoires ont donné un nouvel éclat. 

» C'est un beau jour pour Bordeaux, que celui où vous allez 
rentrer dans le sein de cette brave garde nationale d'où vous fûtes 
tirés pour marcher contre les rebelles de la Vendée. En y reprenant 
chacun votre rang, vous allez imprimer une nouvelle terreur aux 
ennemis de notre bonheur et de notre repos, autre espèce de 
brigands non moins dangereux que ceux que vous avez vaincus tant 
de fois; et s'ils furent toujours contenus et réprimés pendant votre 
absence, combien ne le seront-ils pas plus aisément aujourd'hui que 
les vainqueurs de Palluau vont être au milieu de leurs frères 1 

» Citoyens, regardons-nous tous désormais comme composant 
une immense famille unie par les liens de la plus tendre fraternité. 
Occupons-nous sans relâche du bonheur commun. Que les haines, 
les inimitiés personnelles et les injustes défiances fassent place à des 
sentiments plus doux. N'oubliez pas que les hommes libres furent 
toujours grands et généreux, et que plus ils sont terribles envers 
leurs ennemis, plus ils sont doux et humains envers les citoyens 
paisibles. Vive la Liberté, vive V Égalité, vive la République une et 
indivisible I » 



Des cris longtemps prolongés répétèrent avec enthousiasme 
les derniers mots de cet habile discours, rempli d'allusions 
aux hommes et aux choses du moment. 

Quand le calme se fut un peu rétabli, les jeunes gens de 
rage de dix-huit ans, qui n'avaient pas encore prêté serment 
de maintenir la liberté, l'égalité et la République une et 
indivisible, s'avancèrent vers l'autel de la Patrie. Le maire 
de Bordeaux, Saige, se plaça au milieu d'eux et prononça 
la formule du serment. La main levée à Dieu, tous 
répondirent : Je le jure. 

Le procureur de la Commune donna ensuite lecture d'une 
proclamation du Conseil exécutif provisoire à la République, 
puis le maire prononça la formule du serment de l'unité et 
de l'indivisibilité de la République, Aussitôt les corps 



LA SECTION FRANKLIN. 297 



constitués, la garde nationale et les citoyens de tout âge et 
de tout sexe présents à la fête répondirent : Je le jure. A 
ce moment, des salves d'artillerie éclatèrent, on chanta 
l'hymne des Marseillais et Pair retentit des cris mille fois 
répétés de : Vive la Liberté, l'Égalité, la République une 
et indivisible! La fête se termina au bruit des détonations 
de Tartillerie, auxquelles se mêlaient des airs patriotiques 
exécutés par les musiques militaires. 

Après le départ des autorités, des danses furent sponta- 
nément organisées au Giamp de Mars, et le peuple 
prolongea la fête, en cherchant à oublier dans le plaisir le 
poids de sa misère trop réelle. 

Le soir même, quelques sections délibéraient sur les 
dangers que faisait courir aux membres de la Commission 
populaire le décret du 6 août, et la section Simoneau 
notamment, qui s'était toujours fait remarquer par son 
dévouement, décidait l'envoi de ce décret, par des 
commissaires, aux vingt-sept assemblées primaires de la 
cité et à la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité, et 
délibérait sur les moyens les plus convenables à employer 
pour écarter les malheurs qu'entraînerait l'exécution du 
décret du 6 août contre les membres des diverses autorités 
du département de la Gironde (0, 

Cette initiative obtint un résultat favorable. Les sections 
réunies, en effet, décidèrent l'envoi à Paris de commissaires 
chargés de faire des démarches auprès de la Convention et 
du Comité de salut public pour obtenir le retrait du décret 
du 6 août. Dancemont et Joseph Ségalié furent chargés de 
cette difficile mission. 

En même temps, ainsi que nous l'avons dit, la Société 
de la Jeunesse bordelaise était fondée pour atteindre le 
même but, et quatre cent vingt gardes nationaux du 

(i) Délibération du lo août 1793. 



298 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

bataillon rentré de la Vendée venaient grossir le nombre 
de ses membres. 

D'un autre côté, le bruit était généralement répandu que 
la cavalerie et les grenadiers de la garde nationale bordelaise 
avaient fait le serment de soutenir les membres de la 
Commission populaire et de défendre les propriétés. 

Au milieu de ces excitations nouvelles de l'esprit public 
la situation de la ville était loin de s'améliorer. Le commerce 
était anéanti, et ceux qui n'avaient que des propriétés 
mobilières couraient le risque d'être ruinés. Les subsistances 
devenaient de plus en plus rares; la multitude assiégeait 
tous les jours les portes des boulangers et ne pouvait que 
très diflScilement en obtenir du pain ('). 

Cependant, les conventionnels chargés de l'exécution du 
décret du 6 août n'avaient pas encore paru à Bordeaux. Ih 
se rendaient à petites journées vers cette ville. 

Après avoir successivement séjourné à Tonneins et à 
Marmande, ils s'arrêtèrent à La Réole pour y délibérer sur 
les moyens d'amener la soumission des Bordelais; ils 
redoutaient, en venant à Bordeaux, le retour des scènes 
fâcheuses qui avaient signalé le passage de Dartigoeyte et 
d'Ichon et le séjour de Treilhard et Mathieu. « Renouvelant, 
dit un auteur, les mesures les plus odieuses de l'ancien 
régime, ils amenèrent par la famine la soumission désirée : 
les registres du district attestent qu'ils interceptèrent la 
plupart des envois destinés à notre ville. A partir du 
1 5 août, chaque habitant se vit réduit à sept onces de pain 
par jour ^^K 

Nous n'avons pu vérifier si cette accusation était fondée ; 
tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'après quelques 
hésitations, Ysabeau et Baudot se décidèrent à venir à 
Bordeaux, où leur présence était à la fois redoutée par 

(0 Lettre Philipt. du i5 août. 

(3) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux, 



LA SECTION FRANKLIN. 299 



ceux, en grand nombre, qu'atteignait le décret du 6 août, et 
désirée par une certaine partie influencée de la population 
et par les sections qui, en dernier lieu, avaient abandonné 
la Commission populaire ou fait de l'opposition à ses actes. 

Ils arrivèrent dans cette ville le 19 août, à sept heures 
du soir, accompagnés de Peyrend d'Herval, commissaire 
des guerres, leur secrétaire, et descendirent à Thôtel de 
la Providence, rue Porte-Dijeaux. 

Cet hôtel était situé sur remplacement qu'occupe 
aujourd'hui l'hôtel de la Poste aux lettres. 

ce II était trop tard, dit Ysabeau, pour commencer aucune 
opération importante. » 

Les deux conventionnels, à qui personne n'avait demandé 
leurs passeports aux portes de Bordeaux, voulurent profiter 
d'un reste de jour pour visiter la ville. Après avoir fait 
extérieurement le tour de la salle de spectacle, ils se 
dirigèrent vers les allées • de Tourny, alors plantées d'arbres 
qui ont été arrachés vers i83o. La nouvelle de leur arrivée 
s'était bientôt répandue et déjà plusieurs citoyens les 
suivaient à distance d'un air curieux et inquiet, mais en 
apparence sans mauvaises intentions. 

Parvenus à l'extrémité de l'une des allées de Tourny, ils 
furent tout à coup suivis d'un groupe de jeunes élégants, à 
habits quarrés, dit Baudot, armés de sabres et de cannes 
à lance, qui tinrent à haute voix des propos regrettables 
contre la Convention et contre ses envoyés. Ysabeau et 
Baudot continuèrent leur promenade sans paraître s'aper- 
cevoir de ces attaques inconsidérées. Mais, comme ils 
revenaient vers la place de la Comédie, ils furent serrés 
d'assez près par le groupe, considérablement accru, et qui 
ne comptait pas moins de huit cents personnes, c Du 
courage, de l'énergie, disait-on, il faut s'en emparer. » Sur 
la place, le groupe se resserra, les représentants furent 
entourés de toutes parts, des cris et des menaces se firent 



300 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



entendre, et, finalement, ils furent bousculés et séparés 
par la foule. Ysabeau, poussé par le groupe le plus 
nombreux, parla avec une grande fermeté, présenta sa 
poitrine et défia les assaillants de se porter à des actes de 
violence et de lâcheté à son ^ard. 

On lui signifia qu'il devait se rendre à la municipalité 
pour y décliner son nom. En vain Ysabeau objecta que 
puisquUl était connu et attaqué en sa qualité de représentant 
du peuple, une pareille démarche était inutile; les cris et 
les imprécations augmentèrent, une voiture fut amenée 
et trois citoyens, parmi lesquels étaient un prêtre, Tabbé 
Bressols, vicaire à Saint-Seurin, et un lieutenant de gendar- 
merie, y montèrent avec Ysabeau, et on se mit en marche 
vers la municipalité, au milieu des huées de la foule. 

Les mêmes menaces étaient adressées à Baudot et les 
mêmes procédés employés à son égard. 

Arrivés à la maison commune, les deux conventionnels 
y trouvèrent la garde sous les armes dans la cour, une 
foule nombreuse et excitée encombrant les couloirs et les 
escaliers, et le Conseil de la commune assemblé. On voulut 
les mettre à la barre, mais ils protestèrent énergiquement; 
les rangs du Conseil s'ouvrirent et ils prirent place auprès 
du maire. 

Tout ceci se passait au milieu d'une confusion et d'une 
animation très grandes. 

On somma Ysabeau et Baudot de faire connaître leurs 
principes et l'objet de leur mission. « Nul citoyen, 
répondirent-ils, n'a le droit d'interpeller un représentant 
du peuple; mais tout en méprisant les expressions incon- 
venantes des ennemis de la République, nous communi- 
querons aux bons citoyens nos intentions et nos démarches 
avec l'accent de la fraternité et de l'amitié. . . » 

Cette déclaration fut interrompue par des clameurs 
bruyantes, et pendant quelques minutes le tumulte fut 



LA SECTION FRANKLIN. 3oi 



inexprimable : les interpellations et les questions se 
croisaient, ardentes, vives, entremêlées des éclats de rire 
de la foule. Mais le calme se fit tout à coup : on annonça 
les commissaires des sections. Les membres du Conseil 
général de la commune se levèrent; Tun d'entre eux fit 
observer que leurs pouvoirs disparaissaient en présence du 
souper ain et qu'ils devaient lui céder leurs fauteuils. Cette 
proposition fut adoptée, et les sectionnaires prirent les 
places des officiers municipaux. Le désordre fut alors à son 
comble. On attaqua les représentants et on alla jusqu'à 
jeter des doutes sur leurs sentiments républicains. Ils 
repoussèrent énergiquement ces attaques en déclarant qu'il 
fallait être dénué de sens pour suspecter de royalisme des 
hommes qui avaient contribué à l'abolition de la royauté et 
voté la mort du tyran... 

On assure qu'à ces mots des cris d'indignation retentirent 
et des huées éclatèrent dans la foule qui encombrait la salle 
du conseil et les tribunes. 

« Il n'est pas possible, firent observer les représentants 
aux citoyens qui les entouraient, de se déclarer plus 
hautement pour le royalisme, jp 

€ Nous ne nous attendions pas à cela, leur répondit-on^ 
non sans quelque embarras; ce sont les tribunes... » 

A ce moment, un officier municipal se leva et proposa de 
faire le serment de défendre par tous les moyens possibles 
les membres de la Commission populaire, et de ne souffrir 
qu'aucun des administrateurs qui y avaient participé fût 
destitué sous quelque prétexte que ce soit. 

Ce serment fut répété avec enthousiasme. C'est en vain 
que les conventionnels voulurent parler; les cris et les 
interpellations couvrirent leur voix. 

Un citoyen demanda à les accuser. Immédiatement le 
silence se rétablit et on écouta. Après une diatribe violente 
contre la commune de La Réole, qui n'avait pas adhéré 



302 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

aux actes de la Commission populaire, ce citoyen reprocha 
aux représentants d'avoir suspendu plusieurs adminis- 
trateurs du district et quelques juges, et leur demanda des 
explications. 

Ysabeau et Baudot firent remarquer quHls ne devaient 
compte de leurs actes qu'à la Convention ; mais on insista 
pour une réponse formelle. 

Us s'assirent et gardèrent le silence, afin de ne pas 
compromettre le caractère et la dignité de leur mission. 

« Cependant, raconte Ysabeau (»>, on voulut bien nous 
donner lecture des pouvoirs accordés aux commissaires des 
sections. Ils respiraient, dit-il, le fédéralisme et le mépris 
des lois de la République. }» Deux dispositions frappèrent 
plus particulièrement l'attention des représentants : l'une 
arrêtait qu'il leur serait donné une garde d'honneur à la 
manière accoutumée. Cette allusion aux mesures prises à 
l'égard de Treilhard et de Mathieu n'échappa pas à la foule 
qui l'applaudit bruyamment. La deuxième portait que, les 
Bordelais étant fermement décidés à ne pas laisser exécuter 
le décret du 6 août, la commission (sic) des représentants 
du peuple devenait inutile et qu'ils seraient invités à faire 
le sacrifice de leur séjour. Cet euphémisme dans la 
manière de donner congé provoqua de nouveaux applau- 
dissements. « Nous n'avions rien à répondre, ont raconté 
plus tard les conventionnels, nous étions entre les mains 
de nos ennemis, et dès cet instant, nous regardant comme 
captifs, nous prîmes la résolution de n'exercer aucune des 
fonctions qui nous étaient déléguées et de ne signer aucun 
acte. 3^ 

La séance se prolongeait, et la salle du Conseil, loin de 
se dégarnir, se remplissait à chaque instant d'une multitude 
sans cesse renouvelée et animée de sentiments hostiles. Un 

(1) Récit de ce qui s'est passé à Bordeaux ^ etc., etc. 



LA SECTION FRANKLIN. 3o3 

tumulte extrême régnait au dehors, et les officiers munici- 
paux paraissaient craindre que les avenues ne fussent 
forcées par le peuple entretenu, par des meneurs occultes, 
dans un grand état d'irritation. 

Pour conjurer des malheurs possibles, on fit passer les 
représentants dans une salle voisine, où la foule les suivit 
bientôt, les regardant avec dérision et proférant même 
des injures ou des menaces. On raconte qu'une voix cria 
tout à coup : « Le souverain vous ordonne de vous 
transporter à la salle du conseil. » Cet incident n'eut pas 
de suite. 

Il est difficile de dépeindre les scènes multiples qui se 
passaient à la maison commune et les inquiétudes de toutes 
sortes dont étaient assiégés le maire Saige et les officiers 
municipaux ayant gardé quelque sang-froid au nûlieu des 
passions qui agitaient la foule. 

En même temps, une sourde fermentation régnait dans 
la ville; de nombreuses patrouilles de la garde nationale la 
parcouraient dans tous les sens; les citoyens étaient partout 
sur pied. On commentait avec animation l'arrivée des 
représentants, et leur présence était considérée comme 
le commencement des malheurs que Bordeaux avait à 
redouter. 

Une compagnie de grenadiers ayant rencontré Peyrend 
d'Herval, le secrétaire des proconsuls, qui errait par les 
rues de la ville, l'arrêta et le conduisit en prison. 

Peyrend d'Herval se souvint plus tard de ce mauvais 
traitement; il attisa, contre les Bordelais, la haine des 
envoyés de la Convention. 

Un certain nombre de citoyens s'étant rendus à l'hôtel 
de la Providence, voulurent s'emparer des effets d'Ysabeau 
et de Baudot; mais la force armée s'opposa à l'accomplis- 
sement de cet acte de violence. 

L'animation était générale et s'accroissait en raison de 



3o4 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

rimminence des dangers que Ton croyait avoir à craindre 
et dont la peur, dans tous les cas, exagérait Timportance. 

Revenons à la maison commune. 

Ysabeau et Baudot témoignaient fréquemment le désir 
de rentrer à leur hôtel, mais les oflSciers municipaux s'y 
opposaient, en considération des périls qu'ils avaient à 
courir. 

Vers minuit, on les conduisit, par un escalier dérobé, 
dans une grande salle remplie d'officiers supérieurs et de 
généraux, et on leur annonça qu'ils devaient y passer la 
nuit parce qu'il était impossible de les reconduire sans 
danger à leur hôtel. Ysabeau et Baudot déclarèrent qu'ils 
consentaient à courir les risques d'un assassinat, mais qu'ils 
voulaient être libres. D'assez vives discussions eurent lieu à 
ce sujet entre eux et les citoyens présents. 

Vers trois heures après minuit, enfin, deux officiers 
municipaux montèrent avec eux eii voiture et une escouade 
nombreuse les ramena rue Porte-Dijeaux, à l'hôtel de la 
Providence. Tous les appartements en étaient occupés par 
une multitude de soldats, composant une garde d'honneur 
envoyée par les commissaires des sections, et les conven- 
tionnels eurent beaucoup de peine à obtenir que cette garde 
ne restât pas dans la chambre où ils devaient prendre un 
repos nécessaire. Installés dans la pièce voisine^ les soldats 
s'y livrèrent, dit-on, aux éclats d'une joie bruyante, 
frappant à la porte et en ouvrant les battants pour montrer 
à tous venants les délégués de la Convention. Les chansons 
anti-civiques, les propos insultants, les injures à double 
sens et des toasts portés aux villes de Lyon, Toulon et 
Marseille retentirent jusqu'au jour. 

En vain quelques patriotes cherchèrent à pénétrer auprès 
des représentants : on les connaissait, ils furent rudement 
repoussés. Il faut citer notamment Jean Charles, qui réussit 
cependant à voir Ysabeau et Baudot et qui leur donna, au 



LA SECTION FRANKLIN. 3ob 

^ • 

au nom de la section Franklin, des témoignages de 
dévouement ^^K 

A peine le jour eut-il paru, que des députations des 
sections et des autorités constituées arrivèrent en foule et 
ne cessèrent de défiler devant les conventionnels, en 
échangeant avec eux des conversations dont Tobjet était 
toujours l'exécution du décret du 6 août. 

Comme Ysabeau et Baudot s'étaient, à diverses reprises, 
énergiquement exprimés sur la privation de leur liberté, une 
députation du Conseil général de la commune vint, vers le 
milieu de la journée, leur proposer de faire retirer la garde 
d'honneur, mais à la condition par eux^ afin de dégager la 
responsabilité de la municipalité, de délivrer une réquisition 
écrite. 

Les conventionnels refusèrent. La foule hurlait dans la 
rue, sous leurs fenêtres, et ils pouvaient tout craindre de la 
part d'une population excitée et dont ils avaient pu déjà 
juger les dispositions. 

Vers trois heures de l'après-midi, des commissaires des 
sections, après avoir expliqué aux représentants les causes 
du mauvais accueil qu'ils avaient reçu et dont la principale 
était l'alarme occasionnée par la crainte de l'exécution du 
décret du 6 août, proposèrent à Ysabeau et à Baudot de 
faire une proclamation pour rassurer les citoyens et leur 
annoncer qu'ils s'occuperaient uniquement du soin d'appro- 
visionner la ville. cDans l'état de captivité où nous nous 
trouvons, répondirent les conventionnels, tout acte de notre 
part paraîtrait imposé par la violence ; notre devoir est de 
cesser toute fonction tant que nous ne serons pas libres. » 

Comme les représentants avaient promis, dans la séance 
si agitée de la veille, d'entrer en conférence avec le Comité 
des subsistances, on vint leur annoncer que l'assemblée se 

(i) Certificat d'Ysabeau du 22 août 1793. 

T. l, 20 



3o6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

formait à la maison commune, et on les invita à s'y 
transporter. 

Les représentants refusèrent d'obtempérer à cette invita- 
tion et se déclarèrent prêts à recevoir le Comité chez eux, 
s'il jugeait convenable de se présenter. 

Profitant d'un intervalle de liberté, ils rédigèrent une 
réquisition à la municipalité afin d'obtenir des chevaux de 
poste pour partir à une heure après minuit, et ils la 
remirent au général de garde. 

A six heures du soir, le Comité des subsistances se 
présenta. La conférence était à peine commencée quand 
des officiers municipaux accoururent chargés d'un ordre 
conforme à la réquisition des conventionnels. En le leur 
remettant, celui qui portait la parole exprima avec 
véhémence le vœu des citoyens et de la municipalité que 
les deux représentants restassent à Bordeaux, et il exposa 
les alarmes qu'occasionnait la nouvelle d'un départ aussi 
précipité. Le Comité des subsistances joignit ses sollicitations 
à celles de la municipalité, et insista chaleureusement pour 
que le départ d'Ysabeau et Baudot fût retardé, a Nous ne 
pouvons, dirent les conventionnels, espérer aucun bien sans 
la confiance des citoyens; or, il est clair que nous ne 
l'avons pas. Vous désirez comme nous que la ville soit 
approvisionnée : nous pouvons vous assurer qu'elle ne le 
sera pas tant que nous resterons à Bordeaux. Nous 
connaissons les départements voisins et leur attachement 
pour nous. Au bruit de notre captivité, tout envoi pour 
votre ville cessera ; nos réquisitions même seront réputées 
comme arrachées par la force; ainsi votre intérêt et le 
nôtre exigent notre prompt départ. » 

L'un des citoyens présents proposa que l'un des repré- 
sentants restât à Bordeaux pendant que l'autre parcourrait 
les campagnes. Une pareille proposition fut immédiatement 
écartée, la loi interdisant aux envoyés d'agir séparément. 



LA SECTION FRANKLIN. io'J 

Un autre citoyen proposa de transférer les représentants 
dans une maison plus vaste et d'un abord plus commode : 
il ne nomma pas le Château-Trompette, mais tous les 
assistants comprirent. On aurait en effet voulu, à Bordeaux, 
garder les représentants en otage; on avait dit publiquement 
que leur tête devait répondre aux Bordelais de tous les 
événements. 

Tout fut mis en usage pour détourner Ysabeau et Baudot 
de leur projet de départ. Les sections se succédaient sans 
interruption dans ce but; la Société des Amis de la Liberté 
et de rÉgalité elle-même se présenta pour appuyer la 
demande. Les conventionnels furent inflexibles. 

Une dernière, mais infructueuse tentative eut lieu pour 
changer leur détermination. A minuit, tous les corps 
constitués vinrent essayer un suprême effort. « Il faut 
rendre hommage aux orateurs, dit Ysabeay; ils furent tour 
à tour éloquents, véhéments, affectueux ; ils remplirent 
dignement leur commission. » 

Mais les efforts réunis des citoyens ne purent rien 
changer à la résolution des conventionnels. Vers deux 
heures du matin, ils partirent avec un cortège composé de 
plusieurs commissaires du Conseil, d'officiers municipaux, 
de tous les commissaires des sections et de divers détache- 
ments de la garde nationale, infanterie et cavalerie, et 
s'acheminèrent à pied par les dehors de la ville; leur 
voiture suivait à trois ou quatre cents pas en arrière. La 
marche fut lente et solennelle; il fallait s'arrêter à chacun 
des nombreux postes qu'on rencontrait pour donner et 
recevoir le mot d'ordre. 

Parvenus à l'extrémité du faubourg Saint- Julien , au 
milieu de ce nombreux cortège, les représentants cessèrent 
tout à coup d'entendre le bruit de leur voiture; l'inquiétude 
les saisit, on s'arrêta, on attendit, la voiture arriva enfin. 
Que s'était-il passé? On raconte que, profitant de la 



3o8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



distance et à la faveur de la nuit, quelques jeunes gens 
égarés et des soldats de la cavalerie s'étaient élancés sur la 
voiture et avaient frappé à coups de sabre l'un des panneaux 
pour en faire disparaître de prétendues armoiries, qui 
représentaient des bonnets de la Liberté. Des citoyens 
étaient accourus au bruit et avaient mis en fuite les 
malveillants. Le récit de cette dernière violence irtdigna 
les autorités et ne put qu'ajouter à l'irritation des conven- 
tionnels. Ils se jetèrent promptement dans la voiture, qui 
partit au grand galop... 

On assure que quelques jeunes gens appartenant à la 
cavalerie bordelaise, — corps aristocratique commandé 
par Dudon fils et qui se recrutait principalement dans la 
classe aisée, — avaient offert 25 louis au postillon des 
conventionnels pour précipiter leur voiture dans le ruisseau 
de VEau-Bourde qui traverse la route, au Pont-de-la-Maye. 

Ce fait, toutefois, ne put être clairement établi. 

Ysabeau et Baudot furent exaspérés de leur déconvenue 
à Bordeaux; dès leur arrivée à La Réole, le 22 août, ils en 
publièrent le récit; ils y déclaraient qu'ils attribuaient les 
procédés employés à leur égard à une faction criminelle et 
audacieuse qui voulait, à force d'attentats, rompre tous les 
liens qui unissaient Bordeaux à la République, mais que la 
masse des Bordelais y était restée étrangère. « Aucun désir 
de vengeance, disaient-ils en terminant, ne peut entrer 
dans notre cœur. Nous allons suivre avec une fermeté 
imperturbable le projet que nous avons formé d'alimenter 
la ville de Bordeaux, et faire en sorte que ces précieuses 
subsistances ne tombent pas entre les mains des hommes 
que nous savons intéressés à tenir le peuple dans l'oppression 
par la famine ^^\ 1^ 

Les procédés des Bordelais â l'égard des représentants 

(0 Rapport de ce qui s'est passé à Bordeaux, etc. 



LA SECTION FRcVNKLIN. 3og 



Ysabeau et Baudot ne sauraient nullement être excusés; 
ils aggravaient sans profit une situation déjà très tendue 
et très dangereuse. 

Il est établi par les écrits contemporains et par des 
correspondances particulières que les conventionnels avaient 
été gardés à vue pendant leur séjour, pour ne pas leur 
donner le temps de suborner le peuple. 

Les sections en masse se hâtèrent de répudier toute 
participation aux actes déplorables qui avaient marqué le 
séjour dTsabeau et de Baudot à Bordeaux. Une réunion 
générale des sections délibéra Tenvoi d'une lettre contenant 
l'assurance du dévouement et de Tintérêt des bons citoyens 
pour les commissaires de la Convention nationale. 

Charles se rendit à La Réole porteur de cette lettre, et se 
mit à la disposition des représentants. Il concerta avec eux 
les moyens de sauver le peuple de Bordeaux des fureurs de 
ceux qui avaient conjuré sa perte, et il les aida à faire 
imprimer et afficher leurs instructions aux habitants de 
cette grande cité. 

C'est par ses soins que la lettre que Ton va lire, datée 
du 23 août et adressée aux citoyens composant rassemblée 
générale des sections de la ville de Bordeaux, ne tarda 
pas à circuler dans notre ville, où la section Franklin 
s'efforça de lui donner la plus grande publicité : 

« Nous n'avons jamais douté, citoyens, que la grande 
majorité des citoyens de Bordeaux ne fût attachée sincèrement 
aux lois de la République. C'est un malheur pour nous d'être 
tombés, dès notre arrivée, entre des mains ennemies. Vous 
avez dans votre sein des chevaliers du poignard et des 
royalistes outrés; il vous est facile de les connaître et de 
les réduire au silence et à Tobscurité qui leur conviennent. 
Une ville qui a si bien mérité de la patrie par les sacrifices 
qu'elle a faits à la Révolution et par le nombre incroyable 
des guerriers sortis de son sein, ne laissera pas ternir sa 



3lO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

gloire et usurper son nom par une poignée d'aristocrates 
qui voudraient la précipiter dans la guerre civile. 

» Exprimez à vos sections respectives combien nous 
sommes sensibles à Tintérêt qu'elles ont prises (sic) à 
nous. Dites-leur que tous nos moments sont consacrés à 
alléger le sort du peuple, et que, pleins de confiance dans 
le patriotisme des citoyens, vos frères et les nôtres qui nous 
environnent, nous réussirons sans peine à vous procurer 
les secours dont vous avez besoin to. ^^ 

En même temps que les sections s'étaient réunies pour 
protester contre la conduite tenue à l'égard des représentants, 
le Conseil général de la commune, redoutant les consé- 
quences pour la ville et pour lui-même d'actes auxquels on 
ne pouvait dire qu'il fut complètement étranger, s'empressa 
d'écrire à Ysabeau et Baudot pour les assurer des bonnes 
dispositions de la masse de la cité et pour les prier de ne 
pas confondre avec la majorité des habitants les quelques 
malveillants dont ils avaient à se plaindre. Il ajoutait que 
par ordre de la municipalité une procédure s'instruisait 
pour découvrir et châtier les auteurs des actes coupables 
commis à leur égard. 

Les représentants ne se trompèrent pas sur les mobiles 
secrets de la démarche du Conseil général de la commune; 
ils lui répondirent le 23 août, par une lettre hypocritement 
habile où régnait un sentiment de fierté blessée et où le 
conseil s'alliait à une menace déguisée : 

« Après avoir été rassasiés d'outrages et d'injures, 
disaient-ils, il a été bien doux pour nous, citoyens, de 
recevoir les marques touchantes de la sensibilité d'un 
peuple digne d'être libre par son attachement aux lois et 
à leurs organes. 
:» Nous sommes loin de confondre la masse des citoyens 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



LA SECTION FRANKLIN. 3ll 

de Bordeaux, qui est excellente, avec les malveillants et les 
royalistes, qui, ayant trouvé un asile dans vos murs, 
cherchent à vous précipiter, par quelque grand coup d'éclat, 
dans les malheurs de la guerre civile; on voudrait vous 
faire briser entièrement les liens qui vous unissent à la 
République et au centre d'unité, qui est la Convention 
nationale; voilà tout le projet; et notre arrivée dans votre 
ville semblait offrir une occasion favorable de Texécuter. 
Citoyens, vous ne savez pas encore tout ce que nous avons 
entendu et tout ce que nous avons souffert depuis le 
moment de notre arrivée, où nous avons été entourés des 
chevaliers du poignard, de jeunes messieurs vêtus très 
élégamment qui, ayant un scélérat de prêtre à leur tête, se 
disputaient l'honneur de nous porter les premiers coups, 
jusqu'à l'instant de notre départ, marqué par une atrocité 
sans exemple. 

]^ Vous recherchez, dites-vous, les auteurs de cette 
violation des plus simples lois de l'hospitalité; ils étaient 
avec vous, au milieu de vous, ils nous servaient d'escorte, 
ils gardaient vos postes; c'est sous l'uniforme tricolore que 
s'est masquée la plus noire aristocratie; ce sont quelques- 
uns de messieurs vos cavaliers cousus d'or, qui offraient à 
chacun de nos postillons 25 louis en or pour nous précipiter 

du haut du Pont-de-la-Maye Hommes pauvres et 

généreux, vous avez méprisé cet or, vous lui avez préféré 
la légitime et modique rétribution due à vos peines; recevez 
l'hommage dû à la vertu; la France entière saura ce trait 
sublime, et vos noms seront bénis de tous les vertueux 
républicains ! 

> Citoyens, la vengeance est loin de nos cœurs, mais 
votre sûreté et votre bonheur nous sont chers; l'un et 
l'autre dépendent des soins que vous prendrez à purger 
votre ville des malveillants qui la tourmentent et l'agitent, 
pour la précipiter dans un abîme sans fond. Qu'importe 



3 12 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



aux aristocrates le malheur du peuple? Ils sont habitués 
d'enfance à le mépriser; ils voient avec douleur les troubles 
de la Vendée tirer à leur fin ; il leur faut une autre Vendée 
à quelque prix que ce soit; cette idée est trop affligeante 
pour s'y appesantir. Ayez le courage de sonder votre plaie 
et vous en arrêterez les progrès. 

T> Quant à nous, citoyens, nous n'épargnerons ni soins, 
ni veilles, ni. travaux pour vous ramener l'abondance qui 
semble avoir fui loin de vous; notre voix sera entendue, 
n'en doutez pas, car nous avons trouvé partout respect et 
docilité à la loi. Tous les citoyens qui nous environnent se 
sont émus en apprenant les outrages exercés envers la 
représentation nationale. 

> Nous recevons de nombreuses députations; nous en 
profitons pour les requérir de vous porter les subsistances 
qui vous sont nécessaires : nous prenons en même temps 
des mesures pour que la répartition en soit faite sagement 
et que le peuple en profite. Nous n'emploierons jamais 
d'autres armes que celles de la raison, de la persuasion et 
de la patience. Nous n'opposerons aux calomnies et aux 
persécutions de nos ennemis que le bon usage des pouvoirs 
qui nous sont confiés, ou plutôt des pouvoirs qui nous sont 
imposés. Puissions-nous, au prix de tout notre sang, 
ramener l'union et l'abondance avec le règne des lois 
populaires dans cette intéressante cité ^ ') ! j> 

Les intentions et la volonté des représentants étaient 
nettement exprimées dans la lettre qu'on vient de lire ; elles 
se résumaient en deux points : il fallait purger la ville des 
malveillants qui l'agitaient; quant aux subsistances qu'ils 
promettaient d'envoyer, ils prenaient des mesures pour que 
la répartition en fût faite sagement et que le peuple en 
profitât. 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



LA SECTION FRANKLIN. 3t3 

La municipalité était à la fois trop faible et trop compro- 
mise pour exécuter le premier point, et le deuxième était 
un acte de défiance à son égard, car on devine sans peine 
que ce ne fut pas elle que les conventionnels choisirent pour 
la répartition des subsistances. 

C'est la section Franklin qui accapara la confiance 
d'Ysabeau et de Baudot, et centralisa le pouvoir en ses 
mains avec une audace que couronna le succès, comme 
nous le verrons bientôt. 

Non contents des lettres écrites aux sections de Bordeaux 
et au Conseil général de la commune, les conventionnels 
firent imprimer et répandre à 2,000 exemplaires une 
proclamation qu'ils adressaient à tous leurs frères des 
départements environnants pour leur rendre compte des 
violences dont ils avaient été victimes à Bordeaux et 
qu'ils attribuaient à une poignée d'intrigants opprimant le 
peuple de cette grande cité. Ils les invitaient en même 
temps à venir en aide aux Bordelais en proie au fléau 
de la famine. 

Cette proclamation et les lettres dTsabeau et Baudot, 
bientôt connues de la population et fortifiées par les 
manœuvres de la section Franklin et de quelques autres, 
jetèrent les esprits dans une grande perplexité. 

On avait faim : Bordeaux était à demi vaincu, et le parti 
de la Montagne y grossissait chaque jour (*). 

Le Conseil général de la commune chercha à atténuer 
l'effet de la proclamation et des correspondances des 
conventionnels; dans cet objet, il formula, à la date du 
24 août, dans une adresse à tous les départements, districts 
et municipalités de la République française, une sorte de 
défense de la ville de Bordeaux et une protestation contre 
les exagérations des récits qu'on ne manquerait pas de 

(0 Meillan, député, à ses commettants, p. i38. 



3 14 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



répandre et de propager à roccasion du séjour d'Ysabeau 
et Baudot dans cette ville ('). 

C'est à ce moment et au milieu du conflit d'opinions qui 
agitaient les esprits, que les députés Meillan et Bergoeing, 
qui fuyaient la Normandie et les vengeances du Comité de 
salut public, en compagnie de Duchâtel, Salles, Cussy, 
Girey-Dupré, Abgral, Riouffe et Fespagnol Marchéna, 
arrivèrent à Bordeaux, où ils débarquèrent le 25 août, à 
six heures du matin. Les autres fugitifs étaient restés cachés 
à bord du navire, attendant des nouvelles. 

Meillan conduisit Bergoeing chez Monbalon, son ami, 
Tun des membres du Conseil général du département. 
Après les premiers épanchements de Tamitié, on fit avertir 
Pierre Sers, qui se rendit chez Monbalon. 

Une longue conférence eut lieu : les députés reconnurent 
que leurs espérances étaient déçues, que Bordeaux ne 
pouvait ni leur offrir un asile sûr, ni aider à une résistance 
contre la Convention. 

Ce fut une cruelle déception. 

Comme le dit Meillan : « Le peuple se flattait qu'une 
prompte soumission apaiserait le ressentiment des tyrans 
et qu'ils auraient ou qu'ils affecteraient la générosité 
d'épargner une ville qui s'était signalée plus que toute autre 
dans la Révolution. Cette disposition des esprits fut notre 
thermomètre. Elle nous apprit que Bordeaux n'offrait plus 
de ressources à la cause de la liberté, et que les efforts 
que nous tenterions n'aboutiraient qu'à nous perdre plus 
sûrement, sans utilité pour la chose publique ^^K ^ 

Meillan, Bergoeing, Duchâtel, Cussy, Salles et les autres 
durent pourvoir à leur sûreté. Pierre Sers et Monbalon 
leur donnèrent des secours et les distribuèrent dans diverses 
maisons, où ils restèrent assez longtemps cachés. 

(I) Voir 0*Reilly, Histoire de Bordeaux, 2« partie, t. !•', p. 627. 
(3) Meillan, loc, cit,, p. 141. 



LA SECTION FRANKLIN. 3l5 



Nous retrouverons quelques-uns d'entre eux dans la 
suite de nos récits. 

On le voit, dès les derniers jours du mois d'août, malgré 
la Société de la Jeunesse bordelaise dont nous allons parler 
bientôt, malgré les avertissements des citoyens les plus 
compromis dans la Commission populaire, les Bordelais 
commençaient à incliner vers la Montagne. D'une part, ils 
mouraient de faim et ils espéraient que les conventionnels 
retirés à La Réole leur feraient envoyer des subsistances; 
d'autre part, et le premier élan patriotique passé, ils 
envisageaient les événements et les hommes avec moins 
d'enthousiasme et se désintéressaient peu à peu des 
sentiments généreux qui les avaient galvanisés dans les 
premiers jours du mois de juin précédent. 

Les temps étaient bien changés ! 

L'antagonisme grandissait d'ailleurs chaque jour entre 
la section Franklin, les Sociétés populaires et les rares 
sections restées fidèles à la Commission populaire. La 
première voulait la soumission à la Convention et l'exé- 
cution du décret du 6 août; les autres, amants théoriques 
de la liberté, s'agitaient dans le vide, et, malgré l'éloquence 
de quelques-uns et les sentiments honorables de tous, ils 
ne trouvaient pas de solution pratique pour la situation. 

€ On voyait bien à Bordeaux, dit Rioufife, mêlé alors 
aux événements bordelais, une jeunesse ardente s'agiter, 
mais sans objet bien déterminé, sans chefs et sans moyens. 
Le plus grand résultat qu'elle obtint fut de se réunir en 
club. L'âme s'ouvrait à une sorte de joie et d'attendrisse- 
ment en voyant cette jeune élite se lever pour conserver le 
dépôt de la liberté, mais la raison ne s'ouvrait pas à 
l'espérance (*J. > 

Telle était la Société de la Jeunesse bordelaise que 

(i) Riouffe, Mémoires^ coU. Barrière, p. 390 et suiv. 



3l6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX.. 



RioufFe fréquenta et sur laquelle il pouvait, mieux que per- 
sonne, porter un jugement qui confirme nos appréciations. 

Quant à la section Franklin, elle était devenue le 
centre où aboutissaient les ordres et les volontés des 
conventionnels. C'est dans son sein que leurs émissaires 
complotaient la soumission de Bordeaux. Leur langage 
était hypocrite, leurs démarches habiles et calculées. Ils 
corrompaient Tesprit du peuple, ils ébranlaient par la 
calomnie toutes les autorités, en attendant le moment de 
les abattre ou de les supplanter. Ysabeau et Baudot les 
secondaient de tout leur pouvoir. Ils affamaient le peuple 
pour le conquérir ^*^; ils retenaient les grains destinés à la 
consommation de Bordeaux, et accusaient hautement la 
négligence des administrateurs de la cité^'L En même 
temps, ils faisaient arriver quelques petits secours, dont ils 
se donnaient tout le mérite, et qu'ils n'accordaient toutefois 
qu'à la section Franklin. Elle était pour eux comme une 
citadelle d'où ils assiégeaient la ville ^^K 

On voit la situation et l'on peut s'expliquer l'antagonisme 
que nous signalions tout à l'heure. 

Malgré les attaques dirigées contre elle pa^j la bourgeoisie, 
la section Franklin poursuivait audacieusement son œuvre 
et voyait de jour en jour s'accroître son influence. Elle 
s'était emparée de plusieurs canons, et ses membres, connus 
pour l'exaltation de leurs opinions, étaient décidés à tout 
pour faire réussir la mission des conventionnels. 

Au nombre de ses adversaires les plus ardents et les plus 
redoutables, cette section comptait la Société populaire de 
la Jeunesse bordelaise. 

C'était entre les deux Sociétés une guerre implacable. 

Un incident provoqua, à la fin d'août, un éclat qui 
pouvait devenir décisif. 

(1-3) RioufFe, Mémoires, passim. 
(3) Meillan, loc. cit,, passim. 



LA SECTION FRANKLIN. Siy 



La Société de la Jeunesse bordelaise avait envoyé des 
commissaires dans les vingt-huit sections, pour leur com- 
muniquer une délibération importante. Bien que les sen- 
timents de la section Franklin fussent parfaitement connus, 
la communication lui fut faite comme aux autres. Les deux 
jeunes gens qui s'y présentèrent furent injuriés, traités 
(V aristocrates, de royalistes et àt fédéralistes, et la section 
décida de les retenir prisonniers. Un sieur Garry se rendit 
immédiatement à Belleville et prévint la Société de la Jeunesse 
de Tarrestation de ses deux commissaires. Douze cents 
jeunes gens étaient présents : un mouvement général 
d'indignation accueillit la nouvelle portée par le citoyen 
Garry. Aux armes! à bas les anarchistes, les perturbateurs 
du repos public! Aux armes! Aux armes! Tels furent les 
cris qui retentirent de toutes parts. 

On délibéra au milieu d'une agitation indescriptible, et 
la Société résolut, à l'unanimité, de se rendre en armes 
au département pour réclamer la mise en liberté de ses 
commissaires et de marcher au besoin sur la section 
Franklin pour les arracher aux mains de leurs ennemis. Ils 
partirent au nombre de 1,200, pleins d'une généreuse 
ardeur. Hélas I dans le trajet, l'enthousiasme se refroidit 
sans doute, car à l'arrivée sur la place de l'Hôtel de Ville 
actuel, ils n'étaient plus que deux cents environ. 

Le département écouta leurs doléances, et Pierre Sers les 
engagea à la modération, promettant que les prisonniers leur 
seraient rendus. Sers était généralement estimé et sa parole 
était écoutée avec respect. Les jeunes gens se retirèrent, et le 
lendemain les deux commissaires étaient mis en liberté ^^K 



(i) M. le président Dégranges-Bonnet, un magistrat vénérable de qui nous 
tenons ce récit et qui était des deux cents qui n'avaient pas reculé, nous 
disait en i856, avec une douleur indignée au souvenir de ces événements, 
que les Bordelais avaient manqué de courage dans cette circonstance et 
plus tard, mais que leur excuse était facile à expliquer : « Nous étions 
déjà terrorisés, » disait-il. 



3l8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Cependant, les représentants du peuple ne perdaient pas 
un instant; ils s'étaient mis en rapport avec les principales 
villes du département ; ils échangeaient des correspondances, 
notamment avec Libourne, Sainte-Foy, Bazas, etc., et 
cherchaient à stimuler Tesprit public et à le ramener à la 
Convention. Leurs efforts, secondés par les partisans de la 
Montagne, étaient généralement couronnés de succès, et 
la ville de Bordeaux se trouvait isolée et pour ainsi dire 
entourée d'ennemis. La sécurité n'y existait plus pour les 
hommes qui, de près ou de loin, avaient soutenu les 
Girondins et participé aux actes de la Commission 
populaire. Plusieurs d'entre eux avaient déjà disparu ou 
s'étaient cachés pour échapper à des dangers de jour en 
jour plus pressants. 

Quelques lettres particulières, qui ont passé sous nos 
yeux, contiennent l'expression de craintes profondes ou 
d'une indignation qui n'est pas sans offrir de l'intérêt. Les 
anciennes idoles étaient brisées, et le peuple tournait ses 
regards du côté de La Réole. Aussi, l'une de ces lettres 
disait en termes énergiques : « Les Bordelais sont des 
lâches qui n'ont ni le courage d'obéir, ni de résister à nos 
barbares oppresseurs. » 

La vérité était que les Bordelais avaient faim et que la 
peur atrophiait les âmes ! Il faut se souvenir, en effet, de ce 
que disait le Conseil général de la commune, le 24 août : 
€ La hideuse famine assiège notre ville; des commissaires 
se succèdent auprès de vous pour vous présenter Taffreux 
tableau de nos concitoyens employant leur journée à des 
travaux pénibles, et passant les nuits aux portes des 
boulangers, pour n'obtenir encore qu'une faible partie de 
leur subsistance... On vous parle de rassemblements, 
d'accaparements de subsistances, lorsque la moitié d'une 
ville de 120,000 habitants ne vit que d'un pain grossier, et 
que l'autre moitié passe des journées entières sans avoir pu 



LA SECTION FRANKLIN. Sig 



se procurer ce premier aliment; lorsque le commerce est 
dans une stagnation efiirayante pour l'agriculture et pour 
l'industrie.. . lorsque tous les canaux de communication 
sont obstrués et que, par défaut de circulation, nous 
n'avons plus aucun moyen de diminuer le prix énorme 
où se sont élevés toutes les denrées et tous les objets 
nécessaires à l'existence... ^'). > 

Nous n'avons rien à ajouter à ce sombre tableau racon- 
tant officiellement les misères des Bordelais en août 1793. 

Aussi le répétons-nous, tous les regards et toutes les 
espérances se tournaient vers La Réole. 

C'est ainsi que les citoyennes Amies de la Liberté et de 
V Égalité, dont nous avons raconté, dans un de nos 
précédents chapitres, l'entrevue avec Paganel et Garrau, 
avaient cru devoir écrire à Ysabeau et Baudot pour faire 
un appel à leur générosité : 

a Nous avons appris avec douleur, disaient-elles le 
25 août, le malheureux événement qui eut lieu lors de votre 
départ de notre cité. Ce ne peuvent être que des malveillants, 
ennemis de notre bonheur et de notre sainte Constitution 
qui, jaloux de la prospérité qu'elle nous promet, cherchent 
tous les moyens possibles pour le troubler.... > 

Après avoir exprimé aux conventionnels leurs regrets de 
leur brusque départ de Bordeaux, elles ajoutaient : e Elles 
espèfent de votre générosité et de votre patriotisme que 
vous oublierez le malheureux événement sur lequel nous ne 
cessons de gémir, pour ne vous occuper que de la position 
où se trouve notre malheureuse cité relativement aux 
subsistances. 

» C'est à des mères de famille manquant journellement 
de pain, passant la nuit à la porte des boulangers, où l'on 
s'arrache cet aliment encore brûlant, au danger d'être 

(I) 0*ReilIy, Histoire de Bordeaux^ %• partie, 1. 1»»", p. 53o. 



320 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

étouffé OU écrasé par une foule affamée, ce qui est déjà 
arrivé plusieurs fois; c'est à des épouses tremblantes pour 
les dangers que courent chaque jour leurs époux, la perte 
du temps, les besoins renaissants de leur jeune famille 
exténuée par une nourriture insalubre et trop économisée 
par l'impérieuse nécessité; c'est dans le cœur paternel de 
nos représentants, dans la confiance que. nous inspire le 
caractère auguste dont ils sont revêtus, que nous déposons 
nos justes sollicitudes... > 

Elles terminaient ainsi : <r Nous espérons, citoyens 
représentants, que, bientôt détrompés des imputations 
injurieuses répandues sur les Bordelais, vous reviendrez au 
milieu d'eux jouir de leur reconnaissance et connaître enfin 
le vrai républicanisme qui les anime t*^. » 

Ysabeau et Baudot ne pouvaient rester insensibles à la 
démarche des citoyennes Amies de la Liberté et de 
l'Égalité; ils leur répondirent le 28 août, et leur lettre est 
conçue dans des termes tels que sa reproduction nous 
paraît indispensable : elle prouve la haine des convention- 
nels pour les classes aisées et intelligentes, pour V aristocratie 
enfin; elle montre, par la flatterie dont elle est animée 
pour le peuple, le genre de prosélytisme pratiqué pour 
attirer des adhérents au parti montagnard : 

« Quelle que soit votre sensibilité, citoyennes, aux 
malheurs qui affligent la portion intéressante des habitants 
de la ville de Bordeaux, elle ne peut pas être au-dessus de 
la nôtre. Nous portons sur notre cœur un poids douloureux 
jusqu'à ce que nous apprenions que le fléau a cessé, et 
nous n'épargnons pour cela ni soins, ni démarches. Si 
nos vues bienfaisantes n'eussent pas été enchaînées dès 
le premier instant de notre arrivée, le peuple, qu'on 
ne calomnie pas auprès de nous parce que cela est 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



LA SECTION FRANKLIN. 321 

impossible, aurait déjà ressenti les fruits heureux de notre 
mission. 

j^ Vous paraissez ignorer, citoyennes, la suite d^outrages 
dont nous avons été l'objet et la captivité honteuse dans 
laquelle nous avons été retenus. Lorsque notre rapport 
fidèle vous aura fait connaître ces circonstances, vous ne 
serez plus surprises qu'à tout prix nous ayons voulu quitter 
une ville dans laquelle il nous était impossible d'opérer le bien . 

D Un projet aussi honorable à Thumanité que celui de 
rendre l'abondance à un peuple opprimé et affamé ne 
s'abandonne pas aisément par des hommes vertueux. Nous 
persistons donc dans notre entreprise et nous osons espérer 
d'y réussir; mais nous prendrons des mesures pour que 
les plus infortunés reçoivent les premiers secours. Cette 
distribution nous paraît dans l'ordre de la justice. 

3> Les expressions touchantes de votre lettre, le tendre 
attachement pour les infortunés qui y respire nous font 
regretter davantage que nos geôliers ne nous aient pas 
permis d'être témoins de la manière dont vous exercez 
la bienfaisance. Rassurez -vous, amies de l'humanité 
souffrante, ce n'est point parmi les objets de votre affection, 
ce n'est point parmi les indigents, parmi le peuple, que se 
sont trouvés nos persécuteurs, nos ennemis, nos assassins : 
ils étaient tous couverts de la livrée de l'opulence. Ils 
n'avaient pas besoin de nous, en effet; notre présence 
devait leur être à charge ("). » 

On devine que ces lettres, rendues publiques et qu'on 
faisait circuler de main en main, devaient exercer une 
grande influence sur les dispositions de la population. 

La Société de la Jeunesse bordelaise, cependant, recrutait 
chaque jour de nouveaux membres; son importance gran- 
dissait ; ses séances étaient suivies avec un patriotique intérêt, 

(1) Archives de la Gironde, série L. 

T. L 21 



322 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

et son action, bien que localisée, si Ton peut ainsi parler, 
portait de plus en plus ombrage à la section Franklin et aux 
partisans dTsabeau et Baudot. 

D'un autre côté, les autorités constituées voyaient avec 
appréhension le séjour des représentants à La Réole : 
affaiblies, énervées, elles désiraient le retour de ceux-ci 
à Bordeaux afin de diminuer le poids devenu bien lourd 
de leurs responsabilités individuelles. 

Une circonstance fortuite leur permit de faire parvenir 
leurs vœux aux conventionnels : le i®' septembre, Gouly, 
député de l'Ile-de-France, se rendant à la Convention, 
passa par Bordeaux. Dès que sa présence fut connue, on 
l'appela à la maison commune et le Conseil général assemblé 
le supplia de se transporter à La Réole pour y prier ses 
collègues de vouloir bien rentrer à Bordeaux. Gouly accepta 
la mission, et trois commissaires, députés par la ville, 
l'accompagnèrent auprès des représentants du peuple. 

On attendit avec anxiété le résultat de cette démarche, 
que commandaient à la fois l'intérêt de la ville et celui de 
ses habitants. 

Reçus peu de temps après par Ysabeau et par Tallien 
qui était venu rejoindre ses collègues à La Réole, les 
commissaires rapportèrent que la première condition 
imposée à la Ville pour le retour des représentants était la 
dissolution de la Société de la Jeunesse bordelaise, signalée 
par la section Franklin comme le repaire des agents de 
la royauté, des hommes de Pitt et de Cobourg ^^K II n'y 
avait pas de refus de la part des conventionnels, mais ils 
se sentaient assez forts déjà pour dicter des conditions. 
Ces nouvelles causèrent une grande émotion dans la 
ville; il ne faut pas oublier, en effet, que les jeunes gens 
appartenaient aux familles les plus honorables de Bordeaux, 

(i) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux, 



LA SECTION FRANKLIN. 323 

et que la condition imposée par les représentants paraissait, 
aux yeux d'un grand nombre de citoyens, devoir atteindre 
le dernier rempart de la liberté, pour céder la place aux 
menées de la section Franklin. 

On pressentait l'approche de la Terreur. 

Les émissaires des représentants à Bordeaux provoquaient 
des visites à La Réole par des députés des sections de la 
ville. On espérait, par ce moyen, arriver à gagner ces 
instruments et à les rendre dociles dans les mains des 
conventionnels pour le jour désiré de la soumission. Ceux-ci 
recevaient affectueusement les députés, se servaient habile- 
ment de l'arme de la flatterie pour se les attacher et ne 
manquaient jamais de les charger de lettres pleines de 
confiance et d'abandon pour leurs sections respectives. 

C'est ainsi qu'ils écrivaient, le i^ septembre, aux 
membres de la section Brutus, qui leur avaient député des 
commissaires : 

a Nous saisirons toujours avec empressement les occasions 
de fraterniser avec vous et de vous témoigner les sentiments 
qui nous attachent à toutes les sections du peuple français 
que nous avons l'honneur de représenter. 

3> Nous croyons très fermement, citoyens, que la grande 
majorité des habitants de votre cité est attachée à l'unité de 
la République et à la Convention nationale, et nous ne 
négligerons rien pour soulager la détresse qui l'accable. 

> Vos députés voudront bien être nos interprètes auprès 
de vous et déposer dans votre sein nos sollicitudes pour le 
bien public, et notre attachement à tous les bons citoyens. 

» Nous vous engageons à vous rallier aux principes qui 
constituent la République et à fermer l'oreille aux calomnies 
de nos détracteurs, que nous forcerons au silence à force de 
bienfaits i^K i> 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



324 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX. 



La Société de la Jeunesse bordelaise n'avait pas tardé à 
connaître les résultats de la mission envoyée à La Réole 
par la municipalité. Elle en fut indignée; diffamée et 
dénoncée par la section Franklin, elle crut devoir se 
défendre, et, dès le 3 septembre, elle adressait une procla- 
mation à ses concitoyens. 

Après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles 
elle s'était rassemblée et les formalités qu'elle avait dû 
remplir, elle faisait connaître les dispositions des lois 
qui autorisaient et protégeaient son existence; puis elle 
ajoutait : 

« Dès que ce préalable a été rempli, nos regards et nos 
vœux se sont portés vers nos concitoyens. Instruisons-les, 
nous sommes-nous tous écriés, du motif qui nous rassemble ; 
— prévenons nos ennemis, si nous en avons ; confondons 
la calomnie, si elle ose nous attaquer; montrons-nous ce 
que nous sommes, c'est-à-dire des jeunes gens esclaves des 
lois, amis de? magistrats, protecteurs des personnes, 
défenseurs des propriétés, et les ennemis éternels de 
Tanarchie, du désordre et du pillage. 

> Tels sont, camarades et amis, les membres qui com- 
posent la Société populaire de la Jeunesse bordelaise. 
Maintenant nous pouvons braver et nous bravons les efforts 
despotiques de ceux qui voudraient nous ravir le plus sacré 
de nos droits, celui de nous assembler en paix et conformé- 
ment aux lois de police générale et particulière. Maintenant 
nous pouvons défier, et nous défions les calomniateurs qui 
auraient la lâcheté de nous prêter des intentions et des 
sentiments qui seront toujours étrangers à nos cœurs. Et si 
jamais la malveillance, l'envie ou la violence tentaient de 
s'opposer aux paisibles vues qui nous animent, magistrats, 
administrateurs, fonctionnaires publics, songez que la loi 
nous permet de nous réunir, qu'elle vous fait un devoir de 
nous protéger, qu'elle défend même, sous les peines les 



LA SECTION FRANKLIN. 325 



plus sévères, le plus léger obstacle à Texercice précieux du 
droit de s'assembler. 

» Et vous, nos camarades d'armes, qui formez tour à tour 
avec nous, et la force importante de notre garde nationale, 
et les intéressantes assemblées des sections de la cité, 
souvenez-vous que nous sommes vos enfants, vos frères, 
vos amis, vos concitoyens, que Tinsulte qui nous serait faite 
retomberait sur vous-mêmes, et que la violation du plus 
sacré des droits qui serait faite en notre personne serait 
une atteinte peut-être irréparable à notre liberté et à la 
vôtre. » • 

Ces paroles énergiques et habiles étaient signées par 
Brochon fils, président de la Société, Ladonne et Noé 
jeune, secrétaires. 

La section Franklin en éprouva urte vive irritation : elle 
signala cette proclamation aux conventionnels de La Réole 
comme la preuve de la réalité des faits imputés aux jeunes 
gens. Mais, non contente de cette démarche, elle envoya, 
dit-on, des affidés répandre clandestinement, autour de la 
salle des séances de la Société de la Jeunesse bordelaise, des 
cartes portant des inscriptions antirépublicaines. C'était un 
moyen de laisser supposer que les sentiments des jeunes 
gens étaient tels qu'elle les avait représentés à Ysabeau, 
Baudot et Tallien, et de fortifier ainsi ses accusations. 

Les jeunes gens dénoncèrent par prudence ces cartes à la 
municipalité et méprisèrent des manœuvres aussi odieuses. 

Leur Société tenait tous les soirs ses séances à Belleville 
et bravait ainsi les attaques non dissimulées de la section 
Franklin. « On n'avait point vu à Bordeaux, depuis l'origine 
de la Révolution, a dit un contemporain, une Société 
populaire où il y eut tant de goût, d'urbanité, d'éloquence 
et de patriotisme ^^K » 

(i) Sainte-Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux, etc. 



326 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Nous verrons bientôt que rien ne put sauver la Société 
de la Jeunesse bordelaise d'une dissolution qu'exigeaient 
les circonstances et la volonté des proconsuls. 

Ceux-ci, toujours en relations avec les sections, ne 
manquaient aucune occasion de jeter de la défaveur sur les 
autorités constituées de la ville. Ainsi, le 4 septembre, ils 
écrivaient à la section Guillaume-Tell n® 1 2 : 

a Citoyens, frères et amis, l'indignation qui a soulevé vos 
cœurs généreux au récit des atrocités exercées contre les 
représentants du peuple est une preuve certaine du patrio- 
tisme qui vous anime ; mais oubliez, s'il se peut, les injures 
dont nous avons été l'objet, pour vous occuper de vos 
intérêts et des dangers qui vous menacent, comme nous les 
oublions pour travailler à vous procurer l'abondance. 

i> Est-elle assez démasquée la faction qui vous conduit à 
votre perte ? Attendez- vous qu'elle ait consommé son crime, 
qu'elle vous ait livrés à des maux incalculables pour vous 
opposer à ses progrès? Qu'est devenue cette ardeur qui 
vous enflammait dans les beaux jours de la Révolution, et 
qui avait répandu la gloire de votre nom jusques aux 
extrémités de la France ? Que vous manque-t-il pour faire 
rentrer dans la poussière les lâches intrigants qui veulent 
faire de votre pays une nouvelle Vendée ? Parlez fortement; 
exprimez d'une manière énergique vos résolutions cons- 
tantes ; frappez de votre anathème les ambitieux/édéralistes 
qui vous gouvernent; dites hautement que vous voulez 
l'exécution des lois et de toutes les lots, parce qu'elles sont 
l'expression de la volonté générale et que vous appartenez 
à l'universalité des Français; chassez de vos murs tous 
ces prédicateurs d'impostures, ces odieux partisans d'un 
royalisme que vous abhorrez; ces étrangers qui sèment les 
fausses nouvelles, qui applaudissent à nos revers, qui ne 
se donnent pas la peine de cacher leurs desseins, jt^arce 
qu'ils sont étqyés et protégés par des magistrats qui ne 



LA SECTION FRANKLIN. 327 



savent emprisonner que des patriotes; publiez ces vérités 
avec la hardiesse qui convient à des hommes libres, et vous 
ferez trembler des hommes qui ont en partage Tinsolence 
et la faiblesse, Tastuce et la lâcheté. 

D Opposez à la fausse et perfide union du crime, Tunion 
salutaire de la vertu et du républicanisme. Les citoyens 
isolés ne peuvent rien, nous le savons, el souvent il serait 
téméraire de s'exposer au danger pour en être seul 
la victime; mais lorsque vous aurez formé une masse 
imposante, lorsque les sections fidèles et les vrais citoyens 
des sections égarées auront un centre de ralliement, 
tel que le Club national, réintégré par décret de la 
Convention nationale, qui pourra résister à vos efforts 
réunis ? 

» Frères et amis, resserrez les nœuds qui vous lient; et, 
dans les étreintes d'une amitié fraternelle, jurez ensemble 
de sauver la patrie, de la délivrer d'un joug odieux qui 
l'oppresse et d'empêcher qu'elle ne devienne la proie du 
farouche étranger, qui veille à vos portes pour profiter de 
vos désordres et des intrigues qu'il a su se ménager dans 
votre sein. L'or de l'Angleterre coule parmi vous; nous en 
avons la preuve certaine : des misérables, enrichis par cet 
or et par leur infâme monopole, n'attendent que l'instant 
de vous livrer. Ils ne songent plus qu'à jouir tranquillement 
de leurs richesses acquises aux dépens du peuple ; la sublime 
égalité est pour eux un fardeau insupportable. Ils ne nous 
ont aidés à détruire les autres aristocraties que pour établir 
sur leurs ruines une domination mille fois plus cruelle. Ils 
vous parlent sans cesse des sacrifices qu'ils ont faits pour 
les subsistances du peuple, mais ils ne vous disent pas 
combien ils ont gagné de millions par le renchérissement 
des denrées dont ils étaient les seuls possesseurs. 

}D Tenez-vous en garde contre leurs insinuations, veillez 
sans cesse sur leurs démarches. Les bienfaits de la Repu- 



328 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



blîque sont purs; elle ne vous demande que Tobéissance 
aux lois, d'où émane votre bonheur. Trop heureux d'en 
être les organes, nous remplirons ses intentions dans toute 
leur étendue, et nos mesures seront si certaines, que vous 
n'aurez plus à redouter le besoin d'aliment. Nous ne 
quitterons pas votre département, frères et amis, que nous 
n'avons cette assurance ^^K ]> 

On voit, par cette lettre importante, que nous n'aurions 
pu passer sous silence sans nuire à l'exactitude de notre 
récit, que les conseils donnés par les représentants tendaient 
au renversement des autorités constituées et à la réunion 
de tous les citoyens vers un centre unique, le Club national, 
qui fonctionnait et dont on espérait les plus grands services. 

Le plan était tout tracé ; on jugera bientôt si les volontaires 
de la Montagne surent l'exécuter avec habileté. 

La lettre à la section Guillaume-Tell ne fut pas la 
seule où l'on stimula le zèle des citoyens. Le même jour 
4 septembre, Ysabeau et Baudot disaient à la section de la 
Concorde n® i o : 

« Nous avons reçu avec satisfaction, citoyens, vos 
délibérations du 22 et du 3 1 août; la première concerne 
des outrages que nous avons oubliés, pour ne nous occuper 
que de l'intérêt public et du soin bien précieux à nos cœurs 
de procurer des subsistances aux infortunés habitants de 
votre cité; nous avons tout lieu d'espérer que les grandes 
mesures que nous emploierons seront couronnées de succès. 
Malheureusement votre ville n'est pas la seule qui soit livrée 
à la crainte de manquer de blé. 

3) Un esprit général de méfiance, fruit des manœuvres 
sourdes employées par les aristocrates et par l'or des 
étrangers, livre la République entière à des craintes chimé- 
riques au milieu de l'abondance. 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



LA SECTION FRANKLIN. 329 



i> Les succès de nos ennemis ne sont dus qu^à leur perfide 
union pour faire le mal ; pourquoi donc les vrais républicains 
ne s'uniraient-ils pas étroitement pour opérer le bien de 
leur patrie ? 

» Nous pouvons vous le dire, citoyens, votre salut est 
entre vos mains; il dépend de votre union intime et du 
courage que vous aurez à expulser de votre sein l'amas 
impur d'aristocrates, de fédéralistes et d'hommes suspects 
qui veulent vous entraîner à la guerre civile. Votre bon 
esprit, vos opinions prononcées contre la tyrannie et pour 
l'unité de la République vous préserveront de ce malheur. 

T> Quant à nous, nous ne cesserons de travailler au 
bonheur du peuple et à lui assurer le pain qu'il gagne par 
son travail (*L » 

C'était clair et précis ; après avoir édité cette calomnie, 
souvent répétée, que quelques citoyens avaient eu le projet 
de livrer Bordeaux aux Anglais, les représentants disaient : 
Expulsez de votre sein l'amas impur d'aristocrates, de 
fédéralistes et d'hommes suspects qui veulent vous entraîner 
à la guerre civile. 

Leur conseil fut suivi. 

Le. 5 septembre, et dans l'espoir sans doute d'atténuer 
les vengeances que ne dissimulaient plus les paroles et les 
écrits des proconsuls de La Réole, la municipalité fit une 
démarche auprès de la Société de la Jeunesse bordelaise 
pour lui demander de prononcer elle-même sa dissolution. 

Des membres du département, du district et des com- 
missaires de toutes les sections réunies s'étaient joints à la 
municipalité. 

La Société était en séance quand la municipalité arriva. 
Un orateur occupait la tribune, et dans une chaleureuse 
improvisation, fréquemment interrompue par d'unanimes 

(I) Archives de la Gironde, série L. 



33o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

applaudissements, il faisait valoir le besoin impérieux de 
voler à la défense de la patrie. L'auditoire tout entier 
venait, aux cris de : Vive la République! de jurer soumis- 
sion à la loi de la réquisition, lorsque la députation des 
autorités constituées fut annoncée. Le plus grand silence 
s'établit, et la députation, ayant à sa tête M. Saige, maire 
de Bordeaux, vint prendre place au bureau. 

M. Saige s'exprima en ces termes au milieu de l'attention 
et de la sympathie générales : 

« Jeunes citoyens, la loi vous permet de vous rassembler, 
il est vrai, mais vous ne devez pas ignorer les alarmes 
répandues au sujet de vos réunions; les représentants 
du peuple, trompés sans doute sur votre compte, voient 
avec peine l'existence de votre Société. Au nom de la 
patrie et de la tranquillité publique, je vous adjure et je 
vous supplie, jeunes citoyens, de suspendre vos séances 
et de vous séparer. Nous ne venons point ici avec la 
sévérité des magistrats vous défendre de vous assembler; 
nous y venons guidés par l'amour de la paix, par la bonté 
paternelle, vous solliciter en amis de tarir la source des 
bruits alarmants que les malveillants répandent sur votre 
Société. Vos magistrats vous connaissent trop bien pour 
croire à ces calomnies; mais la tranquillité de la ville, 
celle de vos parents est menacée : procurez-la leur en 
suspendant vos séances. Que nul amour -propre mal 
entendu ne vous retienne : sachez être avec courage et bons 
fils et bons citoyens. » 

Auguste Ravez présidait ce jour-là la séance. Quoique pris 
à l'improviste, et ordinairement plus logique qu'éloquent, 
il répondit avec une chaleur et une élévation dignes de la 
gravité des circonstances (*>. « Ce n'est point, dit-il, parce 
que les malveillants nous accusent que nous suspendrons 

(i) H. Chauvot, /<? Barreau de Bordeaux. 



LA SECTION FRANKLIN. 33 1 

nos séances. Assemblés par la loi, il n'y a que la force des 
baïonnettes qui puisse nous contraindre a nous séparer. 
Nous savons combattre, et si les misérables qui nous 
attaquent valaient les brigands de la Vendée, nous leur 
prouverions que la crainte et la terreur sont des sensations 
étrangères au cœur des vrais citoyens. La Société de la 
Jeunesse bordelaise va prendre en grande considération 
Tobjet de votre demande; et gardez- vous de douter que 
Tamour de la patrie et de Tordre ne soit le premier mobile 
de nos délibérations. j> Ces paroles furent chaleureusement 
applaudies, la députation des autorités constituées se 
retira et la Société de la Jeunesse Bordelaise continua sa 
séance 0). 

Pendant que ceci se passait à Belleville, on célébrait avec 
pompe, dans la ville, une fête en Thonneur de Marat. Une 
image grossière de VAmt du peuple, peinte en rouge, était 
promenée en triomphe à travers les rues, et une masse 
de Montagnards, dont un grand nombre en haillons, 
raccompagnaient en hurlant en son honneur des blasphèmes 
patriotiques appelés des hymnes ^^K Le cortège se recrutait 
de tous ceux qui voyaient dans l'application des idées de 
Marat le piédestal de leur grandeur future. 

Parmi eux, on remarquait un acteur du Vaudeville 
nommé Mayeur, homme bas et cruel, artiste plein de 
morgue, mais dépourvu de talent. 

Tous les coryphées de VAmi du peuple étaient coifiFés du 
bonnet rouge et vêtus de la carmagnole. 

Le peuple regardait curieusement passer cette mascarade 
et applaudissait à l'apothéose du dieu Marat. 

Quant aux citoyens qui ne criaient pas bravo! ou ne se 
découvraient pas devant l'image du dieu, ils étaient réputés 
suspects, et des mains occultes les marquaient pour l'avenir. 

(1-3) Sainte-Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux^ etc. 



332 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Voilà OÙ on en était arrivé à Bordeaux dans les premiers 
jours du mois dé septembre 1793. ' 

L'inquiétude y était générale et les. subsistances y deve- 
naient de jour en jour plus rares. Les autorités faisaient de 
vains efforts pour approvisionner la ville ; elles envoyaient 
sans succès des commissaires dans les départements voisins 
et auprès des représentants du peuple en séance à La Réole 
et à Périgueux. La famine se présentait avec toutes ses 
horreurs, et une population affamée se disputait un pain 
grossier... 

Cest à ce moment que les conventionnels Ysabeau et 
Baudot écrivirent la lettre suivante aux citoyens composant 
les sections Franklin n*> 14, Républicaine n° 16, de la 
Liberté n^ 21, Beaurepaire n° 22, J.-J. Rousseau n® 26, 
des Amis de tous ne flattant personne n^ 27, et autres 
sections qui seraient réunies de principes avec celles 
ci'dessus énoncées : 

• Citoyens, frères et amis, la misère profonde dans laquelle 
gémissent les bons républicains de Bordeaux a douloureusement 
affecté nos cœurs, et depuis le moment de notre départ de cette 
ville, nous n'avons cessé de nous occuper des moyens de soulager 
vos maux. 

I Plusieurs causes ont concouru à arrêter le succès complet de 
nos efforts : 

» lo La méfiance générale répandue dans presque tous les 
départements par le souffle empoisonné des malveillants, méfiance 
dont le résultat a été que toutes les communes agricoles, craignant 
de manquer au sein de l'abondance, refusent de faire part aux villes 
du superflu de leur récolte. Pour vous aigrir contre vos frères, on 
cherche à vous persuader que la haine contre les habitants de 
Bordeaux est la seule cause du déficit qui se trouve dai}s vos 
subsistances: cela est si peu vrai qu'il n'est pas une ville, même 
parmi les moins peuplées, qui n'éprouve les mêmes embarras, parce 
qu'ils tiennent à une cause générale. 

1 2'» L'envoi des commissaires pour l'achat des grains vous a nui 
dans l'esprit de vos voisins qui ne partagent pas le délire de vos 
administrations. Le choix en a été si contraire à vos intérêts, 
que quelques-uns ont prêché hautement la contre-révolution; 



LA SHCTION FRANKLIN. 333 



d'autres ont profité de leur commission pour se livrer à leurs vues 
mercaçtiles et accaparer divers objets, tels que les vins. Quelle 
confiance voulez-vous que vos frères puissent avoir dans des hommes 
aussi corrompus et aussi vils? 

» 3* Chacun saitd*où est provenu le changement arrivé depuis peu 
dans les assignats. La voix publique attribue à quelques maisons de 
commerce de Bordeaux le monstrueux accaparement des assignats 
à effigie et le discrédit de ceux qui sont marqués au coin de la 
République. 

» 4'» Enfin, il n'est que trop connu et que trop vrai que c'est aux 
spéculations et à l'avidité de ces mêmes négociants qu'est dû le 
surhaussement incroyable du prix de toutes les denrées ; et il est aisé 
de voir qu'ils ont gagné des sommes prodigieuses en très peu de temps 
aux dépens du peftple, et qu'il n'est presque pas une maison de 
capitalistes qui n'ait doublé sa fortune depuis deux ans.' 

» Joignez à cela la Commission populaire, la force départementale, 
les mensonges et les calomnies imprimés et propagés avec fureur 
contre la Convention nationale, et cette foule d'agents disséminés à 
grands frais dans tous les départements pour les soulever contre 
l'autorité nationale; joignez-y les relations connues des meneurs de 
votre ville avec celles qui ont levé l'étendard de la rébellion, et vous 
aurez une juste idée des motifs qui ont tari quelques-uns des canaux 
par lesquels les subsistances vous parvenaient. 

» Il est malheureux que de tout temps le peuple ait été la victime 
des fureurs ambitieuses de ceux qui veulent le dominer. Lorsqu'on 
a vu la guerre civile se préparer dans vos murs, qu'est-il arrivé? On 
a pensé que les chefs de la conspiration n'étaient pas assez insensés 
pour se livrer à des idées de scission et de guerre, sans avoir fait 
les préparatifs convenables, et surtout sans s'être ménagés de 
grandes ressources en vivres. On a cru qu'ils laissaient le pauvre 
peuple manquer de pain, qu'ils visaient à la famine pour ne pas 
toucher aux précieux amas qu'ils tiennent cachés, et le refus constant 
de visites domiciliaires, exercées sévèrement et dans toutes les 
maisons, a fortifié ces soupçons. De là le bruit répandu que, 
Bordeaux recelait des subsistances pour un temps considérable. 

» Tous ces bruits peuvent être faux. Il est de fait que le peuple 
souffre, et sous un gouvernement libre et équitable, ceux qui en 
tiennent les rênes doivent ■ commencer par soulager la misère 
publique, sauf à découvrir les vrais coupables et à les livrer à la 
vengeance des lois. 

» Aussi la Convention nationale, toujours attentive aux besoins 
des malheureux, a-t-elle décrété une somme de deux millions pour 
cet objet. 

f Citoyens, frères et amis, nous vous annonçons que ces fonds 



334 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

viennent d'être mis à notre disposition; mais nous croirions 
manquer au plus saint de nos devoirs si nous ne prenions pas des 
mesures pour qu^ils ne soient livrés qu'à des mains pures et fidèles. 
L'emploi doit en être déterminé de manière que la classe indigente 
et laborieuse du peuple ait la première part à ce bienfait. 

» Pleins de confiance dans le patriotisme pur et constant dont 
vous avez donné des preuves éclatantes, nous vous appelons à la 
commission honorable d'alimenter vos frères. Que les bons 
républicains qui habitent les autres sections ne soient pas formalisés 
de l'espèce d'exclusion qui semble leur être donnée. Ils savent aussi 
bien que nous qu'elles sont encore dominées par quelques intrigants 
qui ont eu l'art de s'en emparer et d'étouffer les voix et l'élan des 
sincères patriotes. Qu'ils se prononcent en faveur des prmcipes que 
vous professez, et nous les admettrons avec plaisir à partager la 
tâche honorable que la patrie vous impose par notre organe. Au 
reste, nous les prévenons que la distribution des grains sera faite 
également dans toutes les sections, sans autre différence que celle 
des besoins. 

» En conséquence, nous arrêtons ce qui suit : 

» Article premier. — Les sections de la ville de Bordeaux ci-dessus 
nommées, et celles qui se seraient réunies à leurs principes, 
s'assembleront aussitôt après la réception du présent arrêté et 
nommeront chacune trois commissaires. 

> Art. 2. — Immédiatement après leur nomination, les commis- 
saires se formeront en comité chargé spécialement de surveiller 
l'emploi des deux millions accordés par la Convention nationale pour 
les subsistances de la ville de Bordeaux; d'acheter sur ces fonds les 
grains nécessaires, de les faire moudre et d'en surveiller le transport 
et la distribution. 

» Art. 3. — Le Comité nommera dans son sein deux citoyens 
chargés de résider auprès de la caisse qui renferme les deux millions 
et d'acquitter les mandats que tireront sur cette caisse les commis- 
saires chargés des achats. 

» Art. 4. — Le Comité nommera également le nombre de 
commissaires qu'il jugera convenable pour faire les achats de grains 
et farines : ces commissaires seront munis des réquisitions des 
représentants du peuple pour assurer le succès de leurs opérations. 

» Art. 5. — Le Comité correspondra exactement avec les 
représentants du peuple, les commissaires auprès de la caisse et 
ceux envoyés pour les achats, tt fera tous les quinze jours un 
rapport imprimé et affiché aux lieux accoutumés. 

1 Art. 6. — Il sera alloué une indemnité aux commissaires qui ne 



LA SECTION FRANKLIN. 335 

pourront pas se livrer aux occupations que le présent arrêté leur 
assigne, sans faire un tort évident à leur famille (0. • 

La publicité donnée à cette lettre et aux mesures qu'elle 
prescrivait causa une joie universelle à Bordeaux. On crut 
y voir la fin des maux terribles qu'engendrait la famine. 
Cette espérance ne permit pas de remarquer l'exclusion 
injurieuse dont les conventionnels frappaient les autorités 
de la ville dans l'organisation résultant de leur arrêté. — 
Qu'importait après tout ! Le malheur et les dangers créent 
souvent l'égoïsme et l'indifférence, et pourvu qu'il eût du 
pain, le peuple ne se souciait plus des hommes qu'il avait 
autrefois soutenus et qu'on ne cessait de lui signaler comme 
les seuls auteurs de ses maux présents. L'ingratitude est 
fréquemment l'apanage des peuples. 

Pendant qu'Ysabeau et Baudot venaient ainsi en aide 
aux Bordelais mourants de faim et qu'ils refusaient 
publiquement, et non sans arrière-pensée, toute confiance 
à la municipalité, J. Pinet, Paganel et Tallien, alors à 
Périgueux, adressaient une proclamation aux départements 
environnant celui de la Gironde; cette proclamation, 
relative à l'approvisionnement de Bordeaux en grains et 
farines, signalait les difiicultés que rencontrait cet appro- 
visionnement, les citoyens arrêtant les grains destinés à 
cette cité, sous le prétexte qu'on ne voulait point alimenter 
les habitants cTune ville rebelle, qui ne reconnaissait ni 
la Convention nationale, ni les lois émanées d'elle. Tout 
en avouant qu'il était naturel de se refuser à venir au 
secours de ceux qui étaient en contre-révolution ouverte 
avec les autorités légitimes, les représentants ^ajoutaient 
qu'il serait barbare de faire supporter à l'universalité 
des citoyens la peine du crime de quelques intrigants, et 
ils conjuraient les citoyens de protéger, par tous les moyens 

(0 Archives de la Gironde, série L. 



336 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



en leur pouvoir, la libre circulation des grains envoyés à 
Bordeaux. 

Puis, pour unir leurs efforts à ceux dTsabeau et de 
Baudot, les mêmes représentants adressaient aux citoyens 
de cette ville une proclamation qui rentre dans le cadre de 
notre histoire et que nous n'avons trouvée dans aucune des 
publications faites jusqu'à ce jour sur les événements de 
Bordeaux à l'époque de la Révolution. Ils s'exprimaient 
ainsi : 

c Frères et amis, chargés par la Convention nationale de la 
mission importante d'organiser dans les départements le grand 
mouvement que la France entière veut enfin opérer pour exterminer 
à la fois ses ennemis extérieurs et intérieurs, nous nous empressions 
de nous rendre au poste qui nous était assigné; nous nous étions 
d^abord déterminés à aller directement à Bordeaux, dont nous 
connaissions les besoins pressants en subsistances. Déjà nous étions 
aux portes de cette grande cité et nous concevions le doux espoir de 
voir bientôt couronner nos opérations par un heureux succès, 
lorsque nous avon» appris, avec étonnement et indignation, que 
nos collègues Ysabeau et Baudot, qui s'étaient transportés au milieu 
de vous pour le même objet, y avaient été insultés, maltraités, que 
leur vie même avait été menacée, et qu'ils avaient été obligés de fuir 
une ville où la représentation nationale était avilie et méconnue. 

1 En apprenant les dangers qu'avaient courus nos collègues, nous 
prîmes d'abord la résolution d'aller les partager et venger l'injure 
faite à la majesté nationale; mais réfléchissant que ce crime ne 
pouvait être celui de la majorité des citoyens de Bordeaux, et n'était 
au contraire que le résultat des perfides suggestions de quelques 
intrigants qui voudraient faire de Bordeaux ce que les royalistes et 
les aristocrates ont fait de Lyon et de Marseille, des monceaux de 
cendres, nous avons, à regret il est vrai, préféré de nous éloigner 
un instant de cette ville, où nous n'allions porter que des paroles de 
paix, de concorde et de fraternité. 

» Nous n'avons pas même voulu que notre éloignement, nécessité 
par les circonstances, pût être nuisible aux bons citoyens. 

D Le premier acte de notre mission, que nous nous sommes 
empressés de remplir parce qu'il était dans nos principes et dans 
ceux de la Convention nationale, a été d'adresser aux citoyens des 
départements environnant celui de la Gironde une proclamation par 
laquelle nous les invitons à protéger la libre circulation des grains 



LA SECTION KRANKUN. SSy 

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destinés pour Bordeaux. Nous ne nous bornerons pas à cela; nous 
allons nous occuper sans relâche des moyens de faire refluer une 
partie de la récolte de ces départements vers Bordeaux. 

> Ainsi, pendant qu'une faction contre-révolutionnaire égare une 
portion des citoyens de cette ville et nous empêche d'aller y serrer 
dans nos bras des frères, des amis, nous allons employer tous les 
moyens que la Convention nationale a remis entre nos mains, pour 
arracher ces braves patriotes aux horreurs de la famine que les 
ennemis de la liberté leur préparent : aucune peine, aucun sacrifice 
ne seront épargnés. 

> Mais nous ne pouvons vous le dissimuler, citoyens de Bordeaux ; 
si vous persistez plus longtemps dans votre égarement; si vous 
vous refusez à exécuter les lois rendues par la Convention nationale, 
relativement aux actes de rébellion que se sont permis quelques-uns 
de ces hommes audacieux qui ont voulu vous séparer de la 
République pour vous livrer peut-être à quelque puissance 
étrangère; si vous ne rentrez bientôt dans l'ordre, alors nous 
serons forcés de nous réunir à ceux qui ne veulent pas pourvoir 
aux besoins d'une ville en état de contre-révolution; car, nous vous 
le disons avec franchise, partout on veut bien venir au secours de 
Bordeaux soumise aux lois, à l'unité et à l'indivisibilité de la 
République; mais nulle part on ne veut laisser passer une mesure 
de grains pour Bordeaux rebelle ou fédéraliste, 

• Bons citoyens de Bordeaux, nos frères et nos amis, ne persévérez 
donc pas plus longtemps dans le système contre-révolutionnaire que 
quelques meneurs vous ont fait adopter. Ne soutenez pas plus 
longtemps ces hommes qui vous trompent journellement, et qui n^ 
se disent aujourd'hui vos amis que pour vous vendre plus chèrement 
aux despotes et vous donner des fers plus pesants encore que ceux 
que vous avez si généreusement brisés en 1789. 

1 Remettez-vous-en à la Convention nationale du soin de 
distinguer l'homme vraiment coupable d'avec celui qui n'a été 
qu'égafé. Si elle veut que le glaive de la loi frappe le criminel, elle 
veut aussi être juste envers l'innocent et indulgente envers l'homme 
trompé. Les chefs de la conspiration, voilà ceux qui seront punis ; 
voilà les auteurs de tous vos maux. 

»Ahl chers concitoyens, qu'ils nous tarde d'être au milieu de 
vous, d'entendre vos réclamations, d'y faire droit, de réparer les 
injustices de vos oppresseurs et de vows prouver que les représen- 
tants du peuple savent compatir aux besoins des malheureux, rendre 
justice à tous, et qu'il leur en coûte toujours d'exercer des actes 

de sévérité. 

1 Hâtez donc, citoyens, l'instant où nous pourrons, réunis tous 
par les sentiments de la plus douce fraternité, jurer ensemble 

T. l. 22 



333 inSTOîRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



de mourir pour la défense de F unité et de F indivisibilité de la 
République. 

> Tous les moyens de préparer ce beau moment sont entre vos 
mains : faites-en usage (0. > 

Les menaces et les conseils n^étaient pas négligés; 
l'exécution du décret du 6 août et la soumission de la ville, 
tel était le but poursuivi d'un commun accord par les 
représentants; les moyens, ils ne les dissimulaient plus : 
chasser les meneurs, les livrer au glaive des lois. 

Quant aux tendresses de Tallien pour ses bons amis et 
frères les Bordelais, elles se traduisirent plus tard par des 
actes sanglants de vengeance. Nous les raconterons avec 
impartialité, mais non sans frémir. 

Cependant le Club national, rétabli par un décret du 
27 août précédent, s'était installé dans le local de la ci-devant 
église Saint-Projet. Le 8 septembre, les sans-culottes 
qui le composaient, notifiaient sèchement à la municipalité 
qu'ils se réuniraient le lendemain aux ci-devant Jacobins 
pourjr rouvrir leurs travaux patriotiques. 

Le premier acte du Club national fut une dénonciation 
contre la Société de la Jeunesse bordelaise aux représentants 
du peuple, et une adhésion entière et sans réserve aux 
actes, aux sentiments, aux principes d'Ysabeau, de Baudot 
et de leurs collègues. 

Il est vrai qu'au même moment, les conventionnels 
recevaient de Bordeaux des lettres anonymes pleines de 
menaces et où on leur disait que c'était vainement qu'ils 
gorgeaient le peuple d'assignats, que la ville resterait ce 
qu'elle avait toujours été. On comprend que ces écrits 
anonymes, inintelligents et coupables à la fois, n'étaient 
pas de nature à calmer l'irritation des représentants contre 
les Bordelais. 

Un certain Dorgueil, que nous retrouverons parmi les 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



1 



LA SECTION FRANKLIN. SSg 

terroristes les plus forcenés, était des lors un partisan 

dévoué de la Montagne; il était du nombre de ceux qui 

poursuivaient de leur haine la Société muscadine des '\ 

Bordelais, comme il le disait dans une lettre à sa femme. J 

Nous aurons à constater plus tard les rapines de toutes 

sortes dont Dorgueil se rendit coupable pendant la Terreur. \ 

Ici doit se placer un incident très grave et qui était 
évidemment la conséquence des excitations contenues dans 
les communications des proconsuls aux sections de la ville. 

Le 9 septembre, vers une heure de Taprès-midi, les 
membres de la section Franklin se transportèrent en masse 
à la municipalité; ils étaient une centaine environ. Ils 
remirent au Conseil général de la commune une pétition 
impérieusement et laconiquement rédigée, par laquelle ils 
sommaient la municipalité de faire exécuter dans le délai 
de douze heures le décret du 6 août, faute de quoi ils se 
chargeraient de l'exécuter eux-mêmes avec Taide des bofts 
citoyens de la ville. 

Cette démarche audacieuse causa une assez vive émotion. 

Le Conseil général de la commune délibéra, séance 
tenante, et considérant que le décret du 6 août ne lui était 
pas officiellement parvenu; que les termes généraux dans 
lesquels il était conçu enveloppaient non seulement toutes 
les autorités constituées, mais encore la majorité des habi- 
tants de la Gironde; que les représentants du peuple 
Ysabeau et Baudot avaient solennellement promis Tinexé- 
cution de ce décret jusqu'au retour des commissaires 
envoyés par les sections auprès de la Convention nationale 
pour en demander le rapport, il décida qu'il ne pouvait 
s'occuper de l'exécution du décret du 6 août, et que la 
délibération serait communiquée aux vingt-huit sections 
pour énoncer leurs vœux. 

Puis, comme la démarche de la section Franklin, bientôt 
connue en ville, y avait jeté du trouble, semé des appréhen- 



340 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX. 



sions, et qu^on pouvait avoir à redouter des désordres, la 
municipalité mit sur pied une partie de la garde nationale. 

A la réception de la délibération du Conseil général 
de la commune, la section Franklin, loin de se laisser 
intimider, se mit en rébellion et provoqua le soulèvement 
des campagnes. Le danger était imminent. 

Cest à ce moment que le Conseil général, craignant des 
conflits entre les sections montagnardes et la Société des 
Jeunes gens, se décida à prendre une délibération pour 
inviter et, partant que de besoin, requérir (sic) la Société 
populaire de la Jeunesse bordelaise de se dissoudre. 

C'était un moyen terme à Taide duquel on espérait 
atténuer aux yeux des représentants le refus d'exécution du 
décret du 6 août-, on disait, d'ailleurs, que des ordres 
formels et secrets, envoyés de La Réole à la municipalité, 
avaient condamné irrévocablement la Société de la Jeunesse. 

L'arrêté, affiché dans les divers quartiers de la ville, fut 
un coup terrible pour les sections qui n'avaient pas encore 
subi l'influence des proconsuls (*^ 

Les jeunes gens se réunirent, *et une discussion orageuse 
s'engagea sur l'ordre donné par la municipalité. Auguste 
Ravez, qui présidait la séance ^^\ fut d'avis qu'il ne fallait 
point se soumettre à la mesure édictée, avant de s'être 
assuré des sentiments de la population. Sur ses conseils, la 
Société se déclara en permanence et des délégués furent 
envoyés dans les sections et auprès des divers corps admi- 
nistratifs. 

M. Dupont (mort conseiller à la cour de Bordeaux) alla 
haranguer la municipalité, et le procureur de la commune 
Vielle lui répondit. 

M. Dégranges-Bonnet (mort président de Chambre à la 
Cour de Bordeaux et dont le Palais garde le souvenir) se 

(I) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux, 
(2} V. Éloge de Rwe^, par M. Sauzet. 



LA SECTION FPANKLIN. i^l 



rendit au département, où le président Sers se fit Torgane 
de rassemblée. 

M. Ladonne, envoyé au district, eut une entrevue avec 
le président Bernada. 

Lorsque les délégués eurent rendu compte de leur mission 
et de l'accueil bienveillant qu'ils avaient reçu partout, la 
Société déclara qu'elle ne se dissoudrait pas et chargea 
Ravez de répondre à l'arrêté du Conseil général de la 
commune du 9 septembre. 

Ravez, le même que nous avons vu plus tard occuper 
des positions éminentes qu'il honora par son beau caractère 
et ses talents, celui que ses pairs de notre barreau surnom- 
mèrent le grand Rave\y rédigea en ces termes la réponse 
des Jeunes gens; un pareil document émané d'un tel homme 
devait trouver ici sa place : 

« Magistrats, la Société populaire de la Jeunesse bordelaise venait 
de se réunir pour délibérer sur la proclamation qui T invite et, 
partant que de besoin, la requiert de se dissoudre, lorsqu'un cri 
d'alarme, frappant à la fois toutes les parties de cette vaste cité, a 
annoncé que la tranquillité publique était menacée : Volons au poste 
où le danger et T honneur nous appellent, se sont écriés tous les 
membres de cette Société; allons offrir dans nos sections, dans nos 
compagnies respectives, et nos bras et nos lumières, et ne nous 
occupons de nous que lorsque nous n'aurons plus à craindre pour 
la chose publique. 

t Magistrats, si nos alarmes ne sont pas entièrement calmées, elles 
sont du moins suspendues. La section égarée qui avait oublié 
qu'une portion du souverain n'est pas le souverain lui-même, et qui 
voulail-s'arroger un pouvoir qui n'appartient qu'aux ministres mêmes 
de la loi, paraît avoir reconnu la funeste erreur dans laquelle des 
mains étrangères et perfides l'avaient entraînée. Nous pouvons donc 
un instant quitter le champ de l'honneur pour nous réunir dans le 
temple de la Liberté, et notre premier objet doit être de répondre 
à votre proclamation. 

» Vous nous invitez, magistrats, et, partant que de besoin, vous 
nous requére^f de nous dissoudre. Mais nous sommes citoyens 
français, nous sommes libres, nous sommes assemblés en vertu de 
l'acte constitutionnel que vous nous avez vous-mêmes présenté; 
nous avons rempli toutes les formalités prescrites par la loi, et à ces 



342 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX. 

^ » I • • ' " ' ~ --■ - --_ ■■■■■■ ■IMIMI |_ _^^ 

titres nous avons le droit de vous demander : sur quels fondements 
repose l'invitation ou la réquisition que vous nous faites? L'arbitraire 
est pour jamais banni de la France : la loi seule peut ordonner ; la 
loi seule peut exiger notre obéissance. Les Français ne connaissent 
plus d'autre maître que la loi et les magistrats qui parlent en 
son nom. 

» Quelle est donc la loi, magistrats, qui vous autorise à requérir 
notre dissolution? Quelle est du moins la loi que nous avons violée 
et dont la violation puisse servir de base à la réquisition que vous 
nous adressez?... Ici la malveillance et la calomnie sont elles-mêmes 
muettes et confondues; et ce silence, preuve énergique de leur 
honte, est aussi le gage du triomphe que la loi assure à tous ceux 
qui en sont les fidèles sujets. 

> Vous invoquez, magistrats, le salut du peuple comme loi 
suprême. Ce grand principe n*est gravé nulle part en caractères 
plus ineffaçables que dans les cœurs ardents et sensibles de la 
jeunesse bordelaise. Mais ne craignez-vous pas vous-mêmes que les 
fauteurs du désordre et de l'anarchie ne profanent bientôt cette 
sublime vérité en la faisant servir à leurs sinistres projets? Ne 
craignez-vous pas que les désorganisa teurs qui semblent vouloir 
punir la cité de Bordeaux de l'heureuse paix dont elle jouit au sein 
des orages révolutionnaires qui ont agité, bouleversé, ensanglanté 
même toutes les autres parties de notre malheureuse France, 
n'exigent aussi, comme mesure de salut public, de douloureux 
sacrifices, et n'amènent au milieu de nous, au nom du salut public, 
ces malheurs et ces forfaits sur lesquels la justice et l'humanité 
verseront des larmes éternelles? 

> Le salut du peuple est la suprême loi sans doute. Mais ce 
principe dont on a tant abusé, il ne faut l'invoquer que lorsque les 
lois écrites sont sans force, les magistrats sans autorité, les citoyens 
sans vertus. Sommes-nous donc dans cette affreuse situation? Non; 
les lois sont toujours la règle du peuple bordelais, ses magistrats 
sont toujours ses guides et ses pères, les vertus sont toujours chères 
à son cœur. Vous le savez, magistrats; vous en avez fait plus d'une 
fois la convaincante expérience, et l'opinion que vous avez dû 
prendre du peuple bordelais aurait dû, nous devons vous le dire 
avec franchise, vous tracer en ce moment la marche que vous aviez 
à tenir. 

» Avez-vous dit à ce peuple que l'acte constitutionnel nous 
permet de nous rassembler, et que des lois postérieures punissaient 
les magistrats et les fonctionnaires publics qui porteraient atteinte 
à ce droit précieux? Lui avez-vous dit que nous ne nous assemblions 
que pour maintenir les lois qui nous gouvernent, défendre les 
propriétés de nos pères, de nos amis, de nos concitoyens, protéger 



LA SECTION FRANKLIN. 343 



les personnes injustement compromises, et anéantir les tyrans sous 
quelque forme qu'ils se déguisent.'' Lui avez-vous dit que ni vous, ni 
aucun autre citoyen, n'avez encore d'autre droit que celui de nous 
surveiller et non de nous dissoudre, et que cette- surveillance même 
est en quelque sorte inutile pour une Société de jeunes gens qui 
veulent tenir leurs séances en public, qui feront imprimer à des 
époques périodiques le résultat sommaire de leurs travaux, et qui 
déjà (pesez bien ces mots) ont invité leurs magistrats à venir dans 
leur sein pour être les témoins de leurs paisibles opérations? 

» N'en doutez pas, magistrats, si vous eussiez tenu ce langage au 
peuple bordelais, il eût eu le succès que la voix de la vérité aura 
toujours auprès de lui, et vous ne vous fussiez pas mis vous-mêmes 
en opposition avec la loi. 

• Vous avez inséré dans votre proclamation une partie de la lettre 
que vous avez reçue des commissaires de la Convention en séance 
à La Réole : < Cette lettre, dites-vous, ne laisse aucun doute sur 
t l'improbation des représentants du peuple à l'égard d'un établis- 
1 sèment qu'ils regardent comme dangereux. » Magistrats, nous ne 
sommes pas les seuls qui avons été calomniés auprès des 
représentants du peuple; mais le règne de la calomnie est aussi 
court qu'il est honteux; et la réponse que nous allons faire à la 
partie de leur lettre qui nous concerne ramènera sûrement leur 
opinion en notre faveur. Les représentants du peuple ont dit dans 
cette lettre qu'une partie de la Jeunesse ne s'assemblait que pour 
s* opposer à la loi qui la met en réquisition. Depuis que cette Société 
existe, il n'a pas été un seul instant question du recrutement ; nous 
offrons de communiquer nos procès-verbaux à tout magistrat, à 
tout citoyen qui voudra s'en convaincre. 

» Cette lettre parle encore de notre Société comme d*un moyen 
de guerre civile. Une inculpation aussi grave suppose des faits 
certains, des projets connus, des intentions manifestes. Quels sont 
ces faits, ces projets, ces intentions? Nous défions ici nos détracteurs 
les plus acharnés; et ce défi auquel ils ne répondront certainement 
pas, achève de démontrer que les représentants du peuple ont été 
trompés eux-mêmes par les envieux secrets qui redoutent l'aspect 
de la Jeunesse bordelaise, réunie sous l'étendard de la loi. 

> Existe-t-il, d'ailleurs, dans la lettre des représentants du peuple 
une réquisition de dissoudre notre Société? Et comment existerait- 
elle? Les représentants du peuple n'auraient pu la faire sans violer 
la loi, qui est leur ouvrage, et sans tenir une conduite qu'ils 
devraient punir dans les autres ? Quand ils seront mieux instruits, 
quand ils sauront que nous sommes assemblés paisiblement et sans 
armes, quand ils apprendront que nous n'avons d'autre objet que 
d'opposer, en défendant les lois, les personnes et les propriétés, un 



344 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



rempart insurmontable aux anarchistes, ils regretteront sans doute 
d'avoir écouté trop facilement nos ennemis; ils»nous vengeront 
eux-mêmes en applaudissant aux vues qui nous animent. 

j La réquisition que vous nous avez adressée est donc votre 
propre ouvrage. Or, pouvez-vous faire une pareille réquisition? 
Devons-nous y déférer? Magistrats, requérez-nous au nom de la 
loi, placez la loi à côté de votre réquisition, alors nous cesserons 
d'exister. Mais déférer à une réquisition qui n'est pas conforme à la 
loi, qui en est une violation expresse, c'est abjurer la qualité de 
citoyen français, c'est renoncer à sa liberté, c'est faire plier des têtes 
libres sous le joug que la Révolution a brisé. D'autres Sociétés 
populaires existent en cette ville : l'une, sous le nom de Société des 
Amis de la Liberté et de l'Égalité; l'autre, sous celui de Club 
national; une troisième, sous le titre de Surveillants. 

» La liberté et les lois n'existeraient-elles que pour ces Sociétés? Si 
c'est un crime de le penser ; si la liberté est un bien commun à tous 
les hommes; si les lois sont égales, notre Société doit donc exister 
aussi, elle ne doit pas se dissoudre; et personne au monde, pas 
même vous, magistrats, n'avez le droit d'en requérir la dissolution. 

> Nous redoutons peu les vaines menaces dont les ennemis de la 
loi, qui seront toujours les nôtres, cherchent à nous effrayer. Jamais 
les magistrats et les fonctionnaires publics, dont nous sommes les 
amis; jamais la brave garde nationale, dont nous partageons et les 
sentiments et les dangers ; jamais les citoyens, dont nous sommes 
les enfants et les camarades, ne se laisseront assez aveugler par les 
malveillants pour exercer aucun acte de violence contre une Société 
paisible et sans armes, qui ne veut qu'user d'un droit que le 
despotisme seul pourrait lui ravir. Qu'ils apprennent, du moins, que 
la Jeunesse bordelaise, ferme et intrépide sous le drapeau de la 
liberté, les attendra avec le calme qui convient à sa cause, et 
que, couverte sous l'égide de la loi, elle ne cessera d'exister qu'avec 
la loi même. 

» Il nous reste, magistrats, un autre devoir à remplir. Tous les 
citoyens ont le droit imprescriptible de se plaindre d'une infraction 
à la loi et de la dénoncer aux autorités supérieures. Votre 
proclamation est une infraction de ce genre. Nous déclarons donc 
que nous allons la déférer à l'Administration du district et du 
département, et que nous en poursuivrons la cassation par tous les 
moyens que la loi nous autorise, nous ordonne même d'employer. » 

Ainsi parla Ravez, ou, pour être plus exact, ainsi 
s^exprima la Société de la Jeunesse bordelaise en réponse à 
la délibération du Conseil général de la commune. 



LA SECTION FRANKLIN. 345 

Cette réponse, qjui était signée par Auguste Ravez, 
président, Ladonne fils, Dégranges, Dupont jeune et Paris 
fils, secrétaires, fut portée à la municipalité, au district et 
au département, et imprimée pour être envoyée dans toutes 
les sections et à la garde nationale ('). 

Les esprits étaient très agités par ces incidents, dont la 
gravité n'échappait à personne. Si les jeunes gens avaient 
des adhérents nombreux, les détracteurs ne leur manquaient 
pas. 

La lutte était engagée entre les représentants des principes 
girondins et les adeptes de la Montagne. L'issue n'en 
paraissait pas douteuse : le peuple de Bordeaux n'était plus 
girondin; il craignait la famine, et ses tendances égoïstes 
le portaient vers le plus fort, c'est-à-dire vers la Montagne 
et la Convention. 

D'un autre côté, les proconsuls de La Réole soutenaient 
ardemment le Club national, la section Franklin et toutes 
celles qui étaient en communauté d'idées avec ces deux 
Sociétés. 

Le 10 septembre, le citoyen Dancemont, député des 
sections, écrivait de Paris au président du Comité des 
sections de Bordeaux, pour rendre compte de son entrevue 
avec le Comité de Salut public à l'occasion du décret du 
6 août; il faisait connaître que Marandon, Duvigneau 
et Lavau-Gayon devaient subir le coup de ce décret; que 
satisfaction devait être donnée à Ysabeau et Baudot pour 
les excès auxquels des malveillants s'étaient portés envers 
leur voiture ; que la cavalerie bordelaise devait partir sur le 
champ pour les frontières ; que les bataillons rentrés de la 
Vendée devaient y être immédiatement remplacés par deux 
autres bataillons; que Grangeneuve, Guadet, Leroy et 
Buzot, signalés comme présents à Bordeaux devaient être 

(i) Nous possédons un exemplaire en placard, imprimé chez P. Phillipot, 
Fossés de Ville, 1793. 



346 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



arrêtés, et qu'enfin le Qub national élevait être réinstallé 
sans retard. Au même moment, Ysabeau et Baudot 
écrivaient de leur côté aux citoyens composant le Club 
national de Bordeaux : 

€ Citoyens, nos frères et nos amis, rien ne pouvait faire 
tant de plaisir à des républicains montagnards que d'ap- 
prendre le rétablissement d'une Société qui est devenue 
chère aux bons Français, à proportion des services qu'elle 
a rendus et des persécutions dont elle a été l'objet. 

j> La République entière a les yeux ouverts sur votre 
conduite; elle attend de vous de grandes choses, et dignes 
de votre réputation : elle aimerait à vous devoir le rétablis- 
sement de l'ordre et le règne des lois. 

» Vous êtes, dès ce moment-ci, le point de ralliement de 
tous ceux qui aiment sincèrement la patrie. Élevez-vous, 
frères et amis, à la hauteur de vos destinées; opérez dans 
vos murs une heureuse révolution; terrassez, par la force 
de l'opinion, la faction qui vous opprime. Forts de votre 
union entre vous et avec toutes les Sociétés républicaines, 
ne craignez pas de vous prononcer avec hardiesse. Nous 
sommes là pour vous soutenir avec toute la puissance 
d'une nation qui a juré de ne jamais rétrograder en 
révolution. 

» Nous nous honorons d'être membres de votre Société : 
puissions-nous vous communiquer toute l'énergie dont nos 
âmes sont dévorées! Puissions-nous bientôt nous trouver 
au milieu de vous et participer à vos travaux civiques (") . ï 

Les représentants, on le voit, avaient hâte d'obtenir la 
soumission de Bordeaux. Ils y poussaient de tout leur 
pouvoir; ils s'en faisaient un point d'honneur, et après 
avoir excité les courages, ils disaient : Nous sommes là 
pour vous soutenir. 

(0 Archives de la Gironde, série L. 



LA SECTION FRANKLIN. 347 



Ce n'est pas tout encore : d'après un contemporain, 
M. Daguzan aîné, ils avaient remis aux députés de la 
section du \o août une adresse bientôt publiée par cette 
section, et disant très distinctement aux membres des sections 
qui, seules, suivant eux, étaient restées fidèles au salut de la 
République : <c Armez- vous de poignards, et observant que 
nous sommes en septembre, devenez autant de septembri- 
seurs. 9 De pareilles excitations seraient odieuses si elles 
étaient vraies; mais nous avouons n'en avoir trouvé 
l'indication nulle part ailleurs que dans la lettre de 
Daguzan *, l'adresse à laquelle il fait allusion et qu'il qualifie 
d'insultante pour les citoyens à qui elle était envoyée, 
n'a pas passé sous nos yeux. 

D'ailleurs, des nouvelles de toute nature étaient mises 
en circulation pour effrayer les esprits : on disait notam- 
ment que les troupes allaient partir pour Blaye; que de 
nouveaux proconsuls étaient attendus pour faire exécuter 
la loi sur la réquisition de la jeunesse, etc., etc. 

Il est facile de se rendre compte, d'après ce qui précède, 
de la surexcitation générale qui régnait à Bordeaux vers 
cette époque. 

La jeunesse bordelaise menaçait les sections et celles-ci 
se préparaient à la résistance. 

Le 1 1 septembre, et en vertu d'un ordre des représen- 
tants, Charles, assisté du citoyen Jacob et d'autres membres 
de la section Franklin, se rendit au Château -Trompette et 
se fit remettre un canon et des munitions. Les commissaires 
des sections dévouées et du Club national, et des énergu- 
mènes qualifiés du titre de bons citoyens, étaient réunis 
dans le local de la section Franklin, au ci-devant Grand 
Séminaire, rue du Palais-Gallien (hôtel des Monnaies 
actuel). Dès que Charles eut rapporté les munitions 
enlevées au Château-Trompette, les sectionnaires se barri- 
cadèrent dans les cours du ci-devant Grand-Séminaire, le 



348 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

canon fut chargé à mitraille, ils le pointèrent en face 
de l'entrée, mèche allumée ^^\ et ils attendirent. 

On n'osa pas les attaquer, dit Tustet. Toutefois l'alerte 
avait été vive. 

Les citoyennes Amies de la Liberté et de VÉgalité 
avaient envoyé une nouvelle députation à La Réole; elle en 
revint avec la lettre suivante signée d'Ysabèau seul : 

« Citoyennes, nous vous avons déjà exprimé les véritables 
sentiments de nos cœurs, inaccessibles à toute vengeance 
particulière, incapables de se livrer à d'autre passion qu'à 
celle du bien public. 

» Votre députation auprès de nous est un nouveau gage 
des principes qui vous attachent à la République et à 
la Convention nationale, qui la représente. Continuez de 
propager de tout votre pouvoir les principes sacrés auxquels 
sont attachés le salut de la patrie et celui de la ville que 
vous habitez. Il est bien malheureux qu'une partie de vos 
concitoyens soient encore livrés à des illusions qui auraient 
dû se dissiper depuis longtemps, et persévèrent dans son 
opposition à la loi. Que demandons-nous, au nom de la 
République, sinon que les lois régnent, régnent seules dans 
toute leur intégrité; que toutes les factions disparaissent 
devant l'acte constitutionnel qui doit rallier tous les esprits 
et toutes les opinions; que le peuple^ qui souffre par la 
vexation des riches et par leur odieux monopole, vive du 
fruit de son travail et soit délivré du monstre de l'accapa- 
rement et de l'agiotage qui le dévore; enfin, que les 
subsistances, qui sont devenues la proie d'un petit nombre 
de spéculateurs et de gros propriétaires, puissent circuler 
librement et arriver jusqu'à la chaumière du pauvre? 

i> Tels sont nos vœux les plus chers, tel est le but de 
notre mission et de nos travaux, et voilà pourquoi nous 

(1) Tustet, Tableau de Bordeaux, etc. 



I.A SECTION FRANKLFN. 840 



sommes en butte aux persécutions, aux calomnies et même 
aux poignards des aristocrates et des faux patriotes. Les 
misérables savent bien que si la droiture de nos intentions 
était connue, nous serions entourés des bénédictions de ce 
même peuple auprès duquel ils nous représentent sous les 
couleurs les plus noires. 

D Mais rien au monde ne sera capable de nous arrêter 
dans notre carrière bienfaisante, et on connaîtra à la fin 
quels étaient les oppresseurs du peuple et quels étaient ses 
véritables et sincères amis ! 

> Notre dernier arrêté concernant les subsistances vous 
est déjà connu; nous en attendons les plus heureux succès 
et nous devons vous dire qu^il n^est pas de jour où, en 
vertu des ordres que nous avons donnés, il ne passe plusieurs 
bateaux chargés de blé. 

1 Vous appartenez, citoyennes, à cette partie du peuple, 
laborieuse et pauvre, par qui et pour qui la révolution a été 
faite. Vous pouvez, par l'ascendant que vous donnent vos 
vertus, hâter la fin de cette révolution, en invitant tous les 
bons citoyens à écouter la voix de la patrie en danger, à 
marcher à son secours et à se tenir attachés invariablement 
au centre de l'unité républicaine ^'). i 

Cette lettre et toutes celles des représentants que nous 
avons insérées dans ce chapitre sont entièrement inédites et 
publiées pour la première fois. Nous aurions peut-être dû 
les renvoyer à V Appendice, mais elles nous ont paru si 
curieuses à tant de titres, elles éclairent et complètent si 
bien la marche des événements que nous avons jugé ne pas 
devoir les passer sous silence, au risque de ralentir un peu la 
marche de notre récit. Elles contiennent la pensée intime des 
proconsuls de La Réole et dévoilent une partie des moyens 
qu'ils employèrent pour arriver à la soumission de Bordeaux. 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



35o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORTiEAUX. 

La lettre du citoyen Dancemont et les conditions impo- 
sées à la ville par le Comité de salut public ayant reçu 
de la publicité, le Conseil général du district de Bordeaux 
jugea nécessaire de présenter à la Convention un mémoire 
justificatif qui se terminait par une démission en masse. 

C'était une abdication, et la section Franklin se réjouit 
d'une pareille décision qui, en affaiblissant les autres 
autorités constituées, accroissait la puissance et Tinfluence 
des sectionnaires. 

Ce fut peut-être une faute de la part du Conseil général 
du district. 

Des démarches actives, en effet, étaient tentées à Paris 
par Dancemont et Joseph Ségalié, et celui-ci écrivait, le 
1 5 septembre, à Bernada : « Nous avons à lutter contre la 
calomnie et les fautes qu'on nous attribue des quatre coins 
de la République. C'est une situation aussi malheureuse 
que fâcheuse. Je ne saurais assez vous inviter à la plus 
grande modération et à tâcher de vous concilier l'esprit 
des deux représentants du peuple qui sont à La Réole. 
Faites-leur des députations pour les engager à revenir sur le 
compte des Bordelais... C'est de leur manière d'écrire à la 
Convention que nous devons beaucoup attendre. » 

Hélas I les illusions étaient permises à Ségalié, qui était à 
Paris; elles ne l'étaient pas à Bordeaux, où on s'attendait 
d'un moment à l'autre à des événements d'une importance 
capitale et qui, depuis plus d'un mois, étaient activement 
préparés par les menées de la section Franklin et du Club 
national, et par les manœuvres des émissaires secrets des 
proconsuls. 

Ces événements ne tardèrent pas à éclater, comme nous 
allons le voir dans le chapitre suivant. 



J 



^4.4«4|**t4.*t*4|^4t>+tf4Îi.vl*^4.^*^*4{«.4j<.*;**|**|*4j*^ 



CHAPITRE V 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE A BORDEAUX. 



On décide le remplacement de la municipalité par des commissaires des 
sections. — Initiative de la section Franklin à ce sujet. ^ Les postes de 
la garde nationale sont relevés. — Les sections en permanence. — 
Prise de possession de la municipalité. — Les conventionnels sont 
priés de rentrer à Bordeaux. — Lettre à ce sujet. — Réponse des 
conventionnels. — Proclamation de la nouvelle municipalité. — Elle 
ordonne l'exécution du décret du 6 août. — Suppression du département 
et du district. — Visites domiciliaires. — Règlement pour la distribution 
du pain. — Adresse du Conseil général de la commune à la Convention. 

— Arrestations. — La Société de la Jeunesse bordelaise est à son déclin. 

— La section Franklin et la municipalité provisoire envoient des députés 
aux conventionnels. — Lettre de ceux-ci à la municipalité. — Programme 
révolutionnaire. — Proclamation à la Jeunesse bordelaise. — Adresse 
du Conseil général de la commune aux Parisiens. — Dissolution de la 
Société des Jeunes gens. — Anarchie à Bordeaux. — Création des cartes 
de sûreté. —' L'avocat Marie de Saint-Georges. — Lettre que lui écrit 
Ysabeau. — Les tableaux de Rigaud à la Chambre de commerce. — 
Misère des Bordelais. — Lettre d' Ysabeau à la municipalité. — lettre de 
Tallien aux Jacobins de Paris. — Adresse des citoyennes Amies de la 
Liberté et de l'Égalité à la Convention nationale. — On se 
maratise. — Le premier Comité de surveillance. — Objurgations de 
Boîssel à la nouvelle municipalité. — Celle-ci sort de son apathie et 
prescrit diverses mesures révolutionnaires. — Des délégués du Club 
national vont républicaniser les communes du département. — Arresta- 
tions faites par le Comité de surveillance. — La Commune de Paris 
envoie des délégués à Bordeaux. — Les prisons se remplissent de prêtres 
et de suspects. — Lettre d' Ysabeau au Comité de salut public. — Guadet 
et ses compagnons à Bordeaux. — Vitrac et Fontanes. — Troubles à la 
porte des boulangers. — On annonce le retour des conventionnels. — 
Joie publique à cette nouvelle. — On plante des arbres de la liberté. — La 
Convention ordonne le désarmement des hommes suspects de Bordeaux. 

— Tiraillements au sein de la municipalité. — Lettre d'Ysabeau à ce 
sujet. — Arrestations de suspects. — Tallien et L.acombe. — On suspend 
la délivrance des passeports. -^ Lettre de Tallien à la Commune de Paris. 

— Les conventionnels font acheter des grains pour approvisionner 
Bordeaux. — ]je\tr lettre à ce sujet. — Réunions décadaires au Temple 
de l'Être Suprême. — I.es arrestations redoublent. — Mesures contre la 
disette des subsistances. — M»« Marandon. — Adresse de la Société des 



352 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX, 

Amies de la République à la Convention. — Les bonnets-rouges et le 
portrait de Marat. — Rentrée des conventionnels à Bordeaux. — L*armée 
révolutionnaire et les généraux Brune et Janet. — Honneurs rendus au 
Club national. — Une soirée au théâtre de la République. — Soumission 
définitive de la ville de Bordeaux. 

« Opérez dans vos murs une heureuse révolution, avaient 
écrit Ysabeau et Baudot aux montagnards bordelais; .... 
nous sommes là pour vous soutenir ^^K » 

Leur conseil fut suivi. 

De concert avec le Club national, la section Franklin 
intrigua si vivement auprès des autres qu'elle fit décider, 
comme mesure urgente de salut public, le remplacement de 
la municipalité par deux commissaires élus dans leur sein. 
C'était un acte hardi; mais la section Franklin avait fait ses 
preuves à cet égard, et rien n'était de nature à surprendre 
de la part des hommes qui dirigeaient ses délibérations. 
Composée d'une grande partie du faubourg Saint-Seurin, 
dont presque tous les habitants, dit Bernada, étaient 
alors des petits artisans ou des gens de journée f^\ cette 
section formait une plèbe audacieuse et turbulente toujours 
prête, sous l'influence de ses chefs, à fomenter des mouve- 
ments populaires. 

I^e triomphe du parti de la Montagne était assuré par la 
décision des sections qui lui obéissaient. Sans perdre un 
instant et afin de faciliter l'exécution de cette mesure 
révolutionnaire, le bataillon Franklin releva immédiate- 
ment de son autorité privée les divers postes occupés par 
la garde nationale et fit, jusqu'à nouvel ordre, un service 
de jour et de nuit ^^K 

L'alarme était grande dans la ville, et les allures de la 
section Franklin étaient loin de calmer les appréhensions 
des habitants; on craignait que la tranquillité publique ne 

(ï) Ch. IV, p. 34G. 

(2) Histoire de Bordeaux, ch . \'. 

(3) Sainte-Lucc Oudaille. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 353 

fût troublée, et une espèce d'anxiété s'était emparée de tous 
les esprits. Mais les sectionnaires avaient fraternisé, et, il 
faut bien le dire, la majorité du peuple, afin d'obtenir un 
soulagement à ses misères, paraissait disposée à adhérer 
à toutes les exigences. 

C'est ainsi que des députations d'un membre par section 
partirent en corps, l'une pour La Réole, l'autre pour 
Périgueux, et allèrent demander à Ysabeau et Tallien de 
venir à Bordeaux pour y accomplir l'œuvre dont ils étaient 
chargés par la Convention nationale ^^K 

On ne discutait plus... 

Le 1 8 septembre au matin, les sections réunies adoptèrent 
définitivement, sous la pression de l'une d'elles (Franklin), 
les propositions arrêtées dans l'assemblée des commissaires 
tenue l'avant- veille. Il fut, en outre, décidé qu'elles reste- 
raient en permanence jour et nuit et qu'elles auraient 
chacune un piquet de douze hommes de garde. 

Chaque section nomma sans désemparer deux commis- 
saires devant concourir à former la nouvelle municipalité. 

Dans l'après-midi, ces commissaires se réunirent dans le 
local Franklin et en partirent pour l'Hôtel de Ville, escortés 
par la section en armes. 

Le Conseil général de la commune était en permanence 
depuis le matin ; les commissaires pénétrèrent sans difficulté 
dans la salle des délibérations, et l'un d'eux s'exprima 
en ces termes : « La volonté souveraine du peuple s'est 
manifestée dans les vingt-huit sections de cette commune, 
et nous sommes chargés par nos concitoyens de prendre 
les rênes de l'administration civile et politique de cette 
ville. En conséquence, nous vous intimons l'ordre du 
peuple souverain d'avoir à nous céder sur-le-champ un 
dépôt que vous ne pouvez plus garder ^^K :» 

(i) Lettre de Daguzan aîné, du i8 septembre. 
(0 Bernadau et O'ReilIy. 

T. L 23 



354 HISTOIRF DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



La municipalité ne fit aucune résistance; elle se retira, 
laissant ses fauteuils aux envoyés du peuple souverain. 

La municipalité révolutionnaire s'installa et entra immé- 
diatement en fonctions. 

Son premier acte fut de députer quatre de ses membres 
pour aller annoncer aux proconsuls de La Réole la 
révolution accomplie à Bordeaux, et les supplier de se 
rendre dans cette ville. Ces députés étaient porteurs de la 
lettre suivante : 

f Les membres composanfla municipalité provisoire de Bordeaux, 
aux citoyens Baudot et Ysabeau, représentant du peuple, en 
séance à La Réole, 

> Citoyens représentants, l'union la plus parfaite règne dans la cité 
de Bordeaux : les vingt-huit sections ont unanimement arrêté de 
remplacer la municipalité par deux commissaires de chaque section; 
ils se sont réunis et forment, dans ce moment, la municipalité 
provisoire. Ils ont juré un attachement inviolable à la République 
une et indivisible, un respect inviolable pour les lois, et promis de 
veiller à la sûreté des personnes et des propriétés. Nous nous faisons 
un devoir de remplir ce serment; il importe au maintien de la 
tranquillité publique et au bonheur de nos concitoyens, qui nous 
ont honorés de leur confiance. Venez au milieu de nous, représen- 
tants, seconder nos efforts et vous assurer par vous-mêmes des 
sentiments vraiment républicains qui animent la majorité des 
habitants de cette grande cité. 

> En attendant que vous remplissiez notre vœu le plus cher à cet 
égard, nous croyons essentiel de vous inviter de la manière la plus 
pressante à donner les ordres les plus prompts et les plus précis 
pour faire relâcher les farines achetées parle Comité des subsistances 
et que vous savez être arrêtées tant à Aiguillon que dans d'autres 
lieux; nos besoins ne sauraient être plus urgents^ puisque nous 
n'avons pas de farine pour la distribution de demain. 

> Au moment de notre installation, nous sommes avertis qu^il se 
fait devant le port un chargement de matières d'argent, surtout de 
la monnaie ; nous nous sommes fait représenter les ordres que vous 
avez donnés au citoyen Lhoste, qui continue à les exécuter. Nous 
présumons, citoyens représentants, que lorsque vous connaîtrez la 
révolution qui vient de s'opérer dans notre cité, et qui doit faire 
disparaître toutes vos craintes sur la sûreté de ce dépôt important, 
^ous jugerez peut-être, dans votre sagesse, devoir changer les dispo- 



\ 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 355 



sitions que vous avez données au citoyen Lhoste pour le dépôt de 
ces matières, et d'éviter les risques qu'il courrait dans le transport 
à Cadillac, et son retour, si vous proposez que le dépôt à Cadillac ne 
soit que momentané, et nous vous prions instamment de vouloir 
nous faire connaître, à cet égard, vos intentions, par le retour de 
notre courrier. En attendant, nous avons pris toutes les mesures 
nécessaires pour que le chargement se continue sous bonne et sûre 
garde, que nous venons de mettre, tant à bord du bateau qu'à la 
Monnaie. 

» Pasquibr, président provisoire, 
Chaussade et Saint -âmand, secrétaires provisoires (0. » 

Cette lettre, qui ne brillait ni par le style, ni par Télan 
du patriotisme, fut remise aux destinataires à Agen. Avec 
eux se trouvaient, en ce moment, dans cette ville, 
Chaudron- Roussau, J. Pinet aîné, Leyris, Tallien, Darti- 
goeyte, Paganel et Monestier (du Puy-de-Dôme). La 
communication de la municipalité révolutionnaire bordelaise 
fiit examinée par cette réunion de conventionnels; peu 
satisfaits, dit O'Reilly ^'^ de la rédaction et du manque 
d'énergie de cette première lettre, ils y firent, séance 
tenante, une réponse ainsi conçue : 

a Agen, le 19 septembre lygS, Pan II de la République 
une et indivisible. 

1^ Citoyens, il est bien douloureux pour les représentants 
du peuple de retrouver, dans la première lettre des muni- 
cipaux provisoires de la cité de Bordeaux, les mêmes 
principes, le même style et la même marche qu'ont 
employés jusqu'à ce jour les anciens officiers municipaux. 
Il n'y a pas, dans votre lettre, un mot pour la Convention ; 
il n'y a pas un mot sur le décret du 6 août. 

» Nous vous déclarons, citoyens, sous quelque titre que 
vous existiez, que nous ne croirons au respect des Bordelais 
pour les lois que lorsque ce décret sera exécuté en son 

(i) Archives municipales de Bordeaux. 

(2) Histoire de Bordeaux, ^^ partie, t. !•', p. 36i. 



356 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

entier; nous ne croirons à la sollicitude des municipaux 
sur les subsistances, que lorsque les visites domiciliaires 
auront été faites scrupuleusement en présence des commis- 
saires du peuple, bons sans-culottes, choisis par la section 
Franklin ; nous ne croirons à la tranquillité de votre cité que 
lorsque vos grenadiers, vos chasseurs, votre Jeunesse, se 
seront transportés sur vos frontières; lorsque nos canons 
ne seront plus à la disposition de vos administrateurs 
rebelles ; lorsque vous aurez restitué le numéraire volé à la 
République; lorsque vous aurez livré au glaive de la loi 
tous les ci-devant nobles, tous les prêtres réfractaires, tous 
les émigrés qui couvrent le pavé de Bordeaux; lorsque 
vous aurez chassé de vos murs tous les Anglais, les 
Espagnols et Hollandais que la nation a cru devoir 
expulser; enfin, lorsque vous aurez remis à la Convention 
ceux de ses anciens membres qu'elle a mis en arrestation et 
les nouveaux traîtres qui se sont réfugiés auprès de vous. 
Nous vous prévenons, citoyens, que nous écrirons aujour- 
d'hui au citoyen Lhoste, pour le louer de sa légitime 
résistance. Nous arrêtons, de plus fort, que Tarrêté de nos 
chers collègues Ysabeau et Baudot, sur le transport du 
numéraire et matières d'or et d'argent de Bordeaux à 
Cadillac, sera mis à pleine exécution. Au surplus, citoyens, 
assurez le bon peuple de. Bordeaux que son sort nous est 
cher; que nous nous occuperons sérieusement de l'amé- 
liorer, — surtout lorsque nous aurons brisé les nouvelles 
chaînes que les fédéralistes lui ont forgées. 

« Les représentants du peuple : Dartigoeyte, 
Leyris, Tallien, Baudot, Chaudron-Roussau, 
J. Pinet aîné, Paganel, C.-Alex, Ysabeau et 
Monestier (du Puy-de-Dôme) ^^K » 

Les ordres des représentants étaient catégoriques. Comme 

(i) Archives municipales de Bordeaux. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 357 



on peut le voir, d'ailleurs, par leur lettre, le mouvement 
révolutionnaire accompli à Bordeaux le i8 septembre fut 
mal apprécié par eux dans les premiers moments. Nous ne 
pouvons en trouver les motifs que dans la communication, 
dépourvue du lyrisme révolutionnaire alors en usage pour 
les moindres événements politiques, faite aux conventionnels 
par la municipalité provisoire. 

La section Franklin n'avait pas encore parlé sans doute, 
et les représentants, mal informés, attribuaient au seul 
besoin des subsistances les causes de la révolution du 
i8 septembre; ils ne croyaient pas à la sincérité du chan- 
gement opéré et qu'on leur notifiait en termes si modérés 
et si peu d'accord avec l'événement lui-même. Peut-être ne 
se trompaient-ils pas d'une manière absolue. Il est certain, 
en effet, que ce n'est pas le seul amour de la Montagne qui 
avait tout à coup converti le peuple bordelais : on avait 
spéculé sur sa misère, on lui avait dit que sa soumission à 
la Convention ramènerait l'abondance; il l'avait cru : les 
malheureux sont crédules et se laissent facilement aller à 
l'espérance. « Bordeaux manquant de vivres n'a pas cru 
devoir faire une plus longue résistance, écrivait un contem- 
porain ; c'est pourquoi il s'est décidé à subir la loi qu'on 
voudra lui imposer ^^K » 

Le 19 septembre, ayant choisi un maire, un procureur 
de la commune et un secrétaire greffier, le Conseil général 
provisoire ainsi formé adressait à ses concitoyens une 
proclamation qu'il faisait parvenir en même temps à la 
Convention nationale, aux communes du département de 
la Gironde, à tous les départements et aux armées de la 
République. 

Après y avoir rappelé les circonstances qui avaient 
compromis la réputation de la ville de Bordeaux et de ses 

(i) Lettre de Pëbernad à son frère. 



358 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

habitants, et la nécessité où s'étaient trouvés les bons 
citoyens à^ expulser des corps constitués qui avaient perdu 
leur confiance en dépassant la ligne qui leur était tracée, 
le Conseil général provisoire de la commune disait : 
«c C'est d'après ce vœu bien prononcé et d'après le mode 
fixé par les représentants du peuple français Baudot et 
Ysabeau que les sections ont nommé chacune deux commis- 
saires pour former une municipalité provisoire. Ces 
commissaires se sont rendus en corps à la maison commune, 
accompagnés d'une force imposante; là ils ont invité la 
municipalité à se dissoudre, et à remettre, entre les mains 
des nouveaux élus du peuple, les pouvoirs qu'elle avait 
reçus. Cette opération faite, la nouvelle municipalité provi- 
soire s'est constituée; elle a pris en main les rênes de 
l'administration, et le service public n'a pas été suspendu 
un seul instant... J^ 

En terminant, le Conseil général disait : 

« Citoyens Bordelais, les magistrats que vous venez 
d'investir de votre confiance sont à la hauteur de la 
révolution; leur zèle est sans bornes... ^'^. ï> 

Ils ne tardèrent pas à le prouver. Dès le 20 septembre, 
en effet, stimulés sans doute par la lettre des conventionnels 
du 19, et jaloux de donner des gages de leur républicanisme, 
ils ordonnèrent l'exécution immédiate du décret du 6 août, 
l'arrestation de tous les individus atteints par ce décret, 
l'enlèvement des canons existant au Département et leur 
mise en dépôt dans la maison commune, l'apposition des 
scellés sur les papiers du Département et du District, et 
prescrivirent des visites domiciliaires pour découvrir les 
gens suspects et parvenir à connaître les accapareurs de 
subsistances. Ils décidèrent, en outre, qu'un courrier 
extraordinaire serait expédié sur-le-champ aux représentants 

(i) Proclamation du 19 septembre. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 350 

du peuple pour les prévenir de toutes ces mesures et les 
inviter instamment à se rendre à Bordeaux pour être les 
témoins du patriotisme brûlant des citoyens ('). 

S'occupant ensuite de la question si grave de la disette, 
la municipalité provisoire adopta un projet de règlement 
pour une nouvelle distribution du pain, proposé par le 
bureau des subsistances et accueilli par les sections. Ce 
projet devait avoir pour résultat une égale répartition du 
pain entre tous les citoyens. Dans une proclamation aux 
habitants, le Conseil général de la commune disait avoir 
« pensé que toujours c'était faire un pas vers le bien, que 
de remédier en partie aux maux du peuple; il ne s'est pas 
dissimulé, ajoutait-il, que le projet proposé n'offrirait pas 
l'abondance, que par son moyen une plus grande quantité 
de matières seraient mises en travail ; non, citoyens, nous 
nous plaisons à le croire, vous ne serez pas exigeants au 
point de penser que votre municipalité provisoire ait pu, 
dans les deux fois vingt-quatre heures de son installation, 
pourvoir aux moyens de vous rendre tellement satisfaits 
que vous n'ayez plus rien à désirer; vous le savez, cela 
n'est pas possible.. . ^*): "» Un règlement en vingt-cinq articles 
accompagnait la proclamation du Conseil général. 

Il faut lire ces documents pour se rendre compte de la 
misère publique au mois de septembre 1793. 

Ayant ainsi donné satisfaction aux conventionnels et au 
peuple de Bordeaux, le Conseil général de la commune 
songea à réparer l'oubli des premiers jours, si amèrement 
signalé dans la lettre écrite d'Agen par Ysabeau et ses 
collègues. Il ne crut pouvoir mieux le faire qu'en s'adressant 
à la Convention elle-même. 

« Citoyens législateurs, Bordeaux vient de reconquérir la liberté ; 
il est digne de la République. Le peuple bordelais, qui n'a 

(1) Délibération du 20 septembre. 
(3) Id, Subsistances. 



36o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

cessé de la chérir, est maintenant rendu à ses droits et à sa 
patrie; usant du droit sacré de Tinsurrection, il a recomposé sa 
municipalité, et parmi les nombreux devoirs qu'il vient d'imposer à 
ses nouveaux magistrats vraiment populaires, le plus doux, sans 
doute, est celui que nous remplissons dans cet instant, en vous 
annonçant l'heureuse révolution qui s'est opérée dans nos murs: il 
est doux de vous annoncer qu'enfin les lois sont exécutées parmi 
nous : les vrais républicains triomphent, et les conspirateurs qui 
nous ont si longtemps asservis, les corps administratifs qui ont 
comprimé jusquMci les élans des bons sans-culottes de notre cité, 
dont le cœur n'a cessé de vous bénir et de se rallier à vous, sont 
mis en état d'arrestation : le décret du 6 août est exécuté, et nous 
laissons à votre prudence et à votre justice, à distinguer d'avec les 
vrais coupables que la loi seule veut frapper, ceux qui ne sont 
coupables que d'un événement (0 momentané, et qui sont dignes 
de votre indulgence : notre jeunesse, requise par votre décret, 
s'organise, et deux bataillons vont partir sur-le-champ : notre 
cavalerie est aux ordres du ministre ; tous nos cœurs sont à vous, 
tous nos bras sont à la patrie ; et ce qui met le comble à notre joie, 
c'est que tous ces mouvements ont lieu au milieu des acclamations 
d'un peuple immense, qui se voit enfin délivré des auteurs de tous 
ses maux, et qui pourra désormais exprimer sans crainte à ses 
législateurs, à cette Convention tant calomniée et toujours si digne 
de notre amour et de notre admiration, ses sentiments d'estime et 
de dévouement sans réserve à la République, une et indivisible. 

» Bertrand, maires 
Basseterre, secrétaire-greffier. » 

Afin de mettre ses actes d'accord avec ses paroles, la 
municipalité provisoire procéda immédiatement aux 
arrestations et aux visites domiciliaires. Des escouades 
de la garde nationale, précédées d'officiers municipaux, 
parcouraient la ville pendant la nuit, et toutes les maisons 
suspectes étaient investies et fouillées rigoureusement. 

Les hommes les plus compromis dans les événements 
qui avaient suivi la chute des Girondins avaient pris la fuite 
ou s'étaient cachés. Ils avaient compris qu'ils seraient les 
premières victimes du mouvement révolutionnaire organisé 

(1) Je pense quMi fiaut lire égarement. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 36 1 

par lâ section Franklin et qui avait réussi au delà de toute 
espérance. Aussi Sers, RouUet, Bernada et les autres 
furent infructueusement recherchés. Cette proie échappait 
aux municipaux provisoires; ils arrêtèrent toutefois un 
grand nombre d'hommes suspects à des titres divers, et 
notamment Lemoine fils, Tavocat Albespy, Dudon père, 
de Brezets, Von-Dôhren, Louis-Guillaume Du Roy, 
Ducourneau, Wormeselle , Lacombe - Puyguereau , de 
Libourne, et beaucoup d'autres personnes parmi lesquelles 
figuraient des Anglais et des Espagnols. 

Pendant que la municipalité révolutionnaire se mettait 
en relations avec la Convention, les représentants du peuple 
écrivaient d'Agen, le même jour, à leurs collègues, et en 
leur annonçant les changements survenus à Bordeaux, ils 
disaient : a Cette mesure serait un grand acheminement 
au retour de Tordre, si nous n'avions tout lieu de croire 
que ce mouvement est une nouvelle tournure de la faction 
qui n'a pas encore perdu l'espérance d*exciter la guerre 
civile (*). 1^ 

Nous verrons bientôt les conventionnels revenir sur ces 
appréciations défavorables à la révolution du i8 septembre. 

Au milieu de ces événements divers, la Société de la 
Jeunesse bordelaise n'avait pas cessé de se réunir; mais 
supposant bien que les dangers n'étaient pas passés pour 
elle, qu'ils étaient au contraire devenus plus graves et plus 
imminents, elle chargea trois commissaires, Bulliod- 
Lacorée, Gary et La Roche, de faire des démarches auprès 
de la nouvelle municipalité et d'obtenir d'elle le retrait des 
ordres donnés par l'administration précédente. 

Les trois commissaires remirent le 20 septembre une 
adresse aux officiers municipaux. Après avoir sommai- 
rement rappelé les calomnies auxquelles la Société avait été 



(I) O'Reilly, 2« partie, t. !•', p. 363. 



362 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



en butte et les mesures arbitraires prises à son égard par 
des magistrats peu dignes de ce titre, ils ajoutaient : 
a Nous vous prions de faire parvenir nos réclamations aux 
représentants du peuple et de les inviter à manifester leur 
intention positive sur notre existence, car ils ne Pont point 
encore fait : ils ont seulement témoigné des inquiétudes qui 
doivent être levées par notre profession de foi et nos actes 
publics. Il est peut-être digne de votre sagesse et de votre 
prudence de signaler les premiers moments de votre 
administration par votre respect pour les lois, en 
maintenant à la Jeunesse bordelaise le droit de s^assembler 
paisiblement et sans armes, jusqu'à ce que les représentants 
du peuple aient cru devoir la priver du bénéfice d'une loi 
dont elle n'a point abusé. » 

Nous devons dire que malgré la démarche de BuUiod- 
Lacorée, Gary et La Roche, la Société de la Jeunesse 
bordelaise était bien déchue : la révolution du i8 septembre 
lui avait porté un coup fatal; Brochon, Ravez, Degranges, 
Cornu qui en avaient été l'âme, se cachaient pour éviter des 
persécutions ; il ne restait plus que des comparses à qui 
manquait l'unité de vues et de direction propres à la faire 
vivre. Elle avait d'ailleurs soulevé contre elle des haines 
puissantes; ses ennemis étaient au pouvoir, et tout per- 
mettait de supposer que sa dernière heure était venue. 

Quelques jours plus tard, en effet, elle cessait d'exister. 

Émues à juste titre des doutes exprimés par les représen- 
tants du peuple dans leur lettre du 19 septembre, la 
municipalité provisoire et la section Franklin leur envoyèrem 
des députés chargés de fournir des explications sur la 
révolution accomplie le 18 et sur sa portée véritable. On 
avait rempli leurs désirs, leurs volontés ; la section Franklin 
avait tout conduit, tout mené. Pourquoi hésitaient-ils ? Qui 
pouvait leur faire croire que le mouvement du 18 septembre 
était une nouvelle tournure de la faction qui n avait pas 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEE>TEMBRE. 363 



encore perdu Vespérance d* exciter à la guerre civile <*) ? 
Ils se trompaient ou on les trompait; il leur fallait 
soutenir les nouveaux venus. Ne Tavaient-ils pas promis ?... 

Les commissaires de la municipalité et de la section 
Franklin entrèrent à cet égard dans des détails aussi 
complets et aussi satisfaisants que possible. On avait eu 
soin, d'ailleurs, de choisir des hommes connus des 
représentants et pouvant leur inspirer toute confiance. 

L'effet des démarches faites par eux fut excellent; les 
représentants revinrent sur leurs premières appréciations 
et, dès le 21 septembre, ils écrivaient à la municipalité 
provisoire : 

« Citoyens, d'après le rapport de vos députés, il paraît 
que vous avez fa\t une démarche éclatante et telle que nous 
devions l'attendre de vrais républicains comme vous. Elle 
a dû vous donner le sentiment de vos forces et vous 
prouver que le peuple n'a qu'à vouloir pour faire rentrer 
dans la poussière ses ennemis les plus insolents. Il vous 
reste encore quelques pas à faire pour atteindre le but; 
hâtez- vous de parcourir cette honorable carrière; profitez 
de vos avantages, et songez que le joug qui pèse encore 
sur vos têtes serait rendu mille fois plus pesant si vous 
n'aviez pas le courage de le briser sans retour. 

» Nous vous avons indiqué, dans notre première lettre, 
des mesures propres à assurer votre indépendance et le 
règne des lois. Nous entrerons ici dans quelques détails qui 
rendront votre marche plus assurée, si, fermant l'oreille 
aux intrigues et aux considérations personnelles, vous 
n'écoutez que la voix de la patrie et l'intérêt de vos 
concitoyens : 

» I® Vous vous êtes plaints avec raison que jamais les 
visites domiciliaires, pour la recherche des grains et farines, 

(i) Lettre des Représentants du peuple à la Convention, du 20 septembre. 



364 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

n^avaient été faites avec exactitude et sans distinction dans 
votre cité. Que les premiers jours de votre administration 
populaire soient signalés par cette visite, qui s'étendra 
jusqu'aux vaisseaux. Il en résultera, ou la conviction intime 
d'une disette réelle, ou la découverte d'un amas précieux de 
subsistances ; et dans ces deux cas le peuple de Bordeaux 
sera soulagé, ou par les secours qu'il trouvera dans l'enceinte 
de ses murs, ou par ceux que les représentants du peuple 
et les départements voisins s'empresseront de lui faire 
parvenir. Si vos découvertes sont heureuses, vous en 
profiterez en faisant distribuer le pain aux pauvres à trois 
sous la livre. 

i> 2® L'audace de vos ennemis n'était appuyée que sur les 
forces dont ils avaient eu l'art de s'entourer. Pendant que 
toute la France s'ébranle pour voler aux frontières, n'est-il 
pas scandaleux de voir dans les rues de votre cité une 
cavalerie, composée de gens suspects, faire éclater son luxe, 
son arrogance et la résistance aux réquisitions légales qui 
lui ont été faites? Ce corps ne peut laver que dans le 
sang des Espagnols la tache imprimée sur lui ; qu'il parte 
sur-le-champ ou qu'il cède à des patriotes les moyens et 
l'honneur de combattre les tyrans. Il est du devoir des 
vrais républicains d'ôter à de pareils hommes les moyens 
de nuire à la patrie. Il n'est que trop démontré que 
plusieurs compagnies de vos grenadiers ont souillé l'hon- 
neur de ce nom glorieux en servant de satellites à la 
faction. Vous les connaissez, citoyens; vous ferez punir 
les coupables; et en faisant rentrer les autres dans le 
sein de la garde nationale, vous conserverez les principes 
de l'égalité, et vous vous [serez acquis des camarades qui 
partageront vos travaux. 

» Lorsque les citoyens paisibles exercent, à l'abri de la 
confiance du peuple, les fonctions administratives, ils n'ont 
pas besoin de s'entourer de l'appareil des armes : ôtez ces 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 365 

canons braqués sur le peuple par ses ennemis et placez-les 
sous la garde des sans-culottes au Château-Trompette, à la 
maison commune et à Patelier du Grand-Séminaire. 

» 3** Vous n'ignorez pas que les corps administratifs, par 
leur funeste ambition, par leurs intrigues multipliées, ont 
allumé le flambeau de la guerre civile dans le midi de la 
France et provoqué le fédéralisme. Un crime si horrible et si 
avéré ne peut pas rester impuni . Que votre respect pour la loi 
et pour la G>nvention nationale se manifeste en mettant en 
état d'arrestation tous les membres de la municipalité, du 
Conseil général de la commune, du département de la 
Gironde et du district de Bordeaux. 

y^ 4^ La garde importante de votre cité ne peut pas être 
confiée avec sûreté seulement aux riches; mais, d'un autre côté, 
il n'est pas juste que les sans-culottes sacrifient à cet acte de 
patriotisme la subsistance de leur famille. Nous déclarons 
que les citoyens qui n'ont d'autre fortune que leurs bras 
recevront une indemnité de quarante sous par jour, chaque 
fois qu'ils seront commandés pour la garde. Les membres 
de la municipalité ou du Conseil général de la commune 
recevront aussi une indemnité de trois livres par jour, 
lorsque leur présence aux délibérations sera constatée et 
qu'ils ne pourront pas faire le sacrifice de leur temps aujL 
affaires publiques. 

3» Citoyens, les mesures que nous vous dictons sont 
conformes aux lois et doivent assurer votre bonheur et 
votre tranquillité. Ne craignez pas de développer toute 
votre énergie. Nous sommes là pour vous soutenir avec 
tout le poids de l'autorité nationale. Des bataillons, braves 
et exercés, marchent à votre secours. Nous nous unirons 
touâ pour briser vos chaînes et pour soulager votre misère. 
Notre premier soin sera, non seulement de vous procurer 
des grains, mais de faire en sorte que le pauvre ne paie pas 
son pain au delà de trois sous la livre. L'impôt progressif 



366 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

sur les riches sera établi avec une juste sévérité et servira 
à payer Tindemnité aux boulangers. 

» Signé : Tallien, C.-Alex. Ysabeau, Dartigoeyte, 
J.-B.-B. Monestier (du Puy-de-Dôme), 
Paganel, m. -A. Baudot, Chaudron- 
• RoussAu, Leyris, J. Pinet aîné, i 

Tel était le programme des conventionnels : visites 
domiciliaires, envoi de la cavalerie aux frontières, arres- 
tation de tous les membres des anciennes autorités 
constituées, indemnité aux sans-culottes pauvres de la 
garde nationale et de la municipalité, et enfin, comme 
couronnement de leur système démocratique, impôt 
progressif sur les riches afin de donner au peuple le pain 
à trois sous la livre. 

De pareils projets annonçaient de mauvais jours pour la 
ville de Bordeaux. Armée de cette lettre, la municipalité, en 
effet, redoubla d activité, et la masse de la population, émue 
par des perquisitions incessantes et des arrestations qui 
frappaient indistinctement toutes les classes de la société, fut 
effrayée à bon droit. Les meneurs de la section Franklin, 
du Qub national et de la municipalité provisoire, qu^elle 
s^était donnés pour maîtres, s'inspiraient servilement des 
idées des conventionnels et préparaient le terrain des 
prochaines inmiolations révolutionnaires. 

La ville prit alors une nouvelle physionomie; la 
démagogie en bonnet rouge s'empara de toutes les 
places, de tous les emplois et régna despotiquement sur 
les citoyens. 

En même temps que les conventionnels écrivaient à la 
municipalité la lettre qu'on vient de lire, celle-ci adres'^ait 
une proclamation à la jeunesse bordelaise pour l'appeler 
aux armes et la convoquer au Champ de Mars : «Accourez 
à la voix de vos pères, disait-elle, jeunes citoyens; venez 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SÔy 

puiser dans leurs bras cet enthousiasme sacré qui doit faire 
de vous autant de héros, et volez aux frontières montrer à 
la patrie satisfaite que vous êtes dignes d^elle et que vos 
pères sont dignes de pareils enfants. . . Vos magistrats vous 
attendent demain au Champ de Mars, jeunesse intéressante : 
vous êtes Bordelais, et ils comptent sur vous. > 

Bordeaux, qui avait déjà fourni dix bataillons de volon- 
taires à la République, en envoya de nouveaux aux 
frontières et paya ainsi sa dette à la patrie. 

Puis, afin de se concilier les Jacobins de Paris, le Conseil 
général de la commune faisait une adresse aux Parisiens 
pour leur annoncer que les lois et la liberté venaient 
d* obtenir à Bordeaux le triomphe le plus éclatant^ et pour 
resserrer les liens de fraternité qu'un instant d'erreur avait 
malheureusement relâchés, c Croyez-en nos cœurs, disait 
le Conseil général, cette faute sera réparée de manière à 
faire douter si cette erreur, que nous nous reprochons 
amèrement, ne fut pas une faute heureuse. ]> 

S'étant ainsi mis en règle avec les lois sur la réquisition 
et avec les Parisiens, le Conseil général s'occupa de la 
Société de la Jeunesse bordelaise. Sur un foudroyant réqui- 
sitoire du procureur de la commune Boissel, cette Société 
reçut Tordre de se dissoudre sans retard, et il fut arrêté en 
outre que les personnes suspectes faisant partie de cette 
Société seraient mises sur-le-champ en état d'arrestation. 

Ravez, Brochon, Degranges, Cornu, Dupont, Paris et 
quelques autres étaient les principales victimes désignées 
par le Conseil général aux recherches des sans-culottes de 
la municipalité et des sections dévouées. 

La municipalité, d'ailleurs, ne cessait de donner des 
gages à la Révolution : elle cherchait à mériter la confiance 
des représentants du peuple et à satisfaire les rancunes de 
la section Franklin. 

Tout allait au gré des démagogues : la Société de la 



368 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Jeunesse bordelaise n^existait plus, une municipalité 
révolutionnaire fonctionnait avec ardeur, les sections étaient 
en permanence et des députations voyageaient sans cesse 
sur la route de La Réole, conjurant les conventionnels de 
revenir à Bordeaux, où ils étaient attendus. Leurs réponses 
verbales étaient conformes à leurs lettres : a Nous n'irons 
point à Bordeaux, disaient-ils, avant qu'on ait arrêté les 
principaux chefs de la Commission populaire, de la force 
départementale et en général tous ceux qui ont troublé 
r ordre ^^K » 

Un bruit effrayant s'accrédita alors : Bordeaux allait être 
bombardé, et on assurait qu'une armée arrivait sous les 
ordres du général Brune. Le moyen de prévenir les derniers 
malheurs, disait-on, était d'exécuter le décret du 6 août. 
Hélas I ceux qui en étaient l'objet avaient pris la fuite déjà 
et mendiaient, sous la livrée de la misère, un pain trempé 
de larmes (*>. 

Bordeaux était dans l'anarchie la plus complète ; il n'y 
existait plus d'autre autorité que la municipalité provisoire, 
qui remplissait les fonctions attribuées aux divers corps 
administratifs supprimés ou disparus. 

Le 22 septembre, et afin de faciliter la recherche et 
l'arrestation des hommes les plus compromis, le Conseil 
général de la commune ordonnait la création de cartes 
de sûreté. Tous ceux qui n'en seraient pas porteurs 
devaient être considérés comme suspects et immédiatement 
incarcérés. 

Le peuple, en général, ne voyait pas sans inquiétude ce 
qui se passait; il attendait encore les bons résultats promis 
à sa soumission, mais rien n'arrivait : le pain était toujours 
rare, et les agitations étaient fréquentes. Des intrigues 
secrètes travaillaient les esprits, et la ville était signalée 

(i-2) Sainte-Luce OudaiLle. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. Sôg 

comme étant remplie de prêtres, d'émigrés et de nobles qui 
poussaient à la contre-révolution ^^K 

D'un autre côté, des figures nouvelles apparaissaient à 
Bordeaux; on y voyait arriver journellement, dans d'élé- 
gantes berlines, des hommes coiflés du bonnet rouge, 
d moustachus d, fumant la pipe et armés de longs sabres. On 
disait que c'étaient des émissaires envoyés de La Réole 
pour juger la situation de Bordeaux et en rendre compte 
aux représentants (*). 

Le système des dénonciations, si largement appliqué 
plus tard durant la Terreur, commençait dès lors. Au 
Conseil général de la commune, dans les sections, dans 
les sociétés populaires, partout enfin, on dénonçait!... On 
s'essayait, non sans succès, à manier cette arme terrible des 
lâches, et qui devint comme une sorte d'institution d'ordre 
public. 

Un homme qui a joué un rôle à Bordeaux sous la 
Terreur et qui a péri sur l'cchafaud révolutionnaire (^\ 
Marie de Saint-Georges, esprit indépendant, ne cessa, au 
milieu des événements qui transformaient la cité, de 
mettre son dévouement et son ministère d'avocat à la 
disposition des victimes que frappait le régime nouveau; 
il avait écrit à diverses reprises au représentant du peuple 
Ysabeau pour lui exposer ses vues relativement à la ville 
de Bordeaux. 

Ysabeau lui répondit le 26 septembre : a Vous ne devez 
attribuer notre silence, citoyen, qu'à des occupations si 
multipliées, qu'il nous est impossible de pouvoir suflSre 
à tout. Je ne vous tairai pas même que vous ne jouissez pas 

(1) Lettre de Baudot du 23 septembre. 

(3) Sainte- Luce Oudaille. 

(3) Marie de Saint-Georges, auteur d^un travail intitulé : Recherches 
historiques sur Voffice de maire de Bordeaux, était avocat au Parlement, 
où il avait éprouvé des persécutions de la part de ses confrères. (V. la 
remarquable Introduction du Livre des Bouillons^ p. xviii.) 

T. L 24 



SyO HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

d^une grande réputation de civisme parmi les patriotes 
connus de Bordeaux. 

» Cependant, il faut rendre justice aux vues que vous 
détaillez dans vos différentes lettres. Elles sont excellentes, 
pures et conformes en tout à ce que je me propose de faire 
avec mes collègues. Bordeaux est revenu de trop loin pour 
opérer tout à coup et sans gradation une révolution complète. 
Elle aura lieu, n^en doutez pas. Je suis bien résolu, en mon 
particulier, de ne laisser aucune trace de Todieux fédéralisme 
qui a pensé perdre tout le midi de la France et dont le 
foyer était dans vos murs. Le temps des considérations et 
des ménagements est passé. De perfides amnisties n^ont 
servi qu'à aigrir davantage ceux que la clémence nationale 
avait épargnés. Tout ce qui était corrompu sera renouvelé. 
Du reste, nous savons par quatre années d'une cruelle 
expérience quelle foi nous devons ajouter à des protestations 
et à des serments mille fois prêtés, mille fois trahis. 

» Votre nom m'est connu, citoyen, j'ai été élevé au 
collège d'Auxerre, et je suis bien trompé si vous n'êtes pas 
un de mes contemporains, neveu, je crois, d'un citoyen 
Marie, dont la maison touche à celle de mon père, à Gien. 
J'aurai d'autant plus de plaisir à vous voir et à causer avec 
vous sur le temps passé. » 

Cette lettre curieuse, et entièrement inédite, contient la 
pensée intime du conventionnel sur la ligne de conduite 
qu'il se proposait de suivre à l'égard de Bordeaux. Elle 
offre, sous ce rapport, un véritable intérêt historique, et 
nous devions la placer sous les yeux de nos lecteurs. 
« Le temps des ménagements est passé, » disait le conven- 
tionnel; puis il ajoutait : a Tout ce qui était corrompu sera 
renouvelé. » 

Ainsi s'annonçait l'avenir, et un avenir prochain. 
. Dès cette époque, la peur et la misère exerçaient une 
grande influence sur les citoyens et amollissaient les courages 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 3j i 



les jnîeux trempés. Nous allons en cîter une preuve remar- 
quable. 

La Chambre de commerce, dit M. O'Reilly (>>, possédait 
une suite de portraits de nos rois et princes et de plusieurs 
personnages de distinction, peints par Rigaud et autres 
célébrités artistiques de Tépoque. Cette précieuse collection 
lui venait, soit comme un don de ces personnages eux- 
mêmes, soit comme legs du financier Beaujon ; on la 
gardait avec soin. Mais 1793 arriva : il fallut se montrer à 
la hauteur des circonstances et, jacobin par force, oublier et 
effacer les souvenirs que la gratitude envers les donateurs 
devait raviver toujours. Nous allons voir en quels termes 
les citoyens composant le Tribunal de commerce de Bor- 
deaux en écrivirent au Conseil général de la commune : 

c Citoyens magistrats, la France républicaine a dû, comme à 
Rome, faire disparaître tous les signes de la royauté, et c'est dans 
cet esprit que le Tribunal de commerce a substitué dans son enceinte 
les emblèmes de la liberté à tout ce qui pouvait rappeler les souvenirs 
de la féodalité et de la servitude. De même, les portraits de rois, de 
reines et de ci-devant princes furent relégués, par nos prédécesseurs, 
dans la poussière d*un galetas de la Bourse, comme le leur prescrivait 
alors la loi. Mais ces portraits existent, et à peine en avons-nous eu 
connaissance que, d'une main révolutionnaire, nous allions en faire 
justice. Nous n'aurions pas été arrêtés par les regrets des artistes, 
qui répugneraient à la destruction de ces ouvrages, qu'ils savent 
être, pour la plupart, des morceaux finis; mais on nous a fait 
observer que ce n'est pas à nous qu'il appartient d'en disposer, vu 
que, provenant en grande partie d'un legs du financier Beaujon, en 
faveur de la ci-devant Chambre de commerce, qui est supprimée, ce 
doit être aujourd'hui une propriété nationale. 

» Vous reconnaîtrez tout ce que peut et doit notre zèle dans 
la dénonciation que nous nous empressons de vous faire de ces 
portraits. Nous vous prions de l'accueillir et d'en faire registre, 
en témoignage des vrais sentiments des républicains, membres du 
Tribunal de commerce. 

• JouRNU-AuBERT, président, 
Gbammont et Crozillac. t 

(1) Histoire de Bordeaux, 2* partie, t. !•''. p. 247 et suivantes. 



ija HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

€ Ainsi, la faiblesse d'une part, la peur de Tautre, la loi 
même faite et exécutée par les Jacobins, dominaient entiè- 
rement des hommes souvent honorables et les rendaient 
malgré eux complices des turpitudes, des lâchetés et des 
monstruosités de ces temps néfastes. On n'était plus soi; la 
liberté n'était qu'un mot. Un courant irrésistible entraînait 
presque tous les hommes... > 

Nous n'avons rien voulu changer au style de M. l'abbé 
O'Reilly; mais nous pouvons ajouter qu'au moment où 
le Tribunal de commerce sacrifiait sur l'autel du sans- 
culottisme des œuvres dont la perte est regrettable au 
point de vue de l'art, des inspecteurs des voies publiques 
parcouraient la ville et ses environs, recherchant, signalant, 
dénonçant les signes aristocratiques, les blasons, écussons, 
armoiries, etc., qui décoraient les maisons, et dont l'existence 
pouvait compromettre le salut de la République... Tristes 
temps ! On ne peut se lasser de le répéter ! 

Quant aux tableaux dénoncés par le Tribunal de com- 
merce, leur trace s'est perdue, et l'on ignore s'ils existent 
encore ou s'ils ont été détruits par les vandales de lygS. 

Le peuple que ces extravagances démocratiques pouvaient 
amuser un moment, le peuple cependant faisait entendre 
des plaintes très vives; les subsistances étaient aussi rares 
qu'autrefois; le pain manquait et une grande fermentation 
existait dans la ville. Le Conseil général provisoire de là 
commune, qui succombait sous le poids et les embarras de 
la situation, en référa aux proconsuls ; il leur envoya des 
commissaires pour leur faire connaître la position périlleuse 
de Bordeaux et demander leur retour dans cette ville. 

Leur retour I c'était le dernier mot de toutes les aspirations 
alors. On était partout convaincu que la présence des 
conventionnels ramènerait l'abondance et ferait cesser tous 
les maux. Une cruelle expérience ne tarda pas à apprendre 
le contraire aux Bordelais. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. Îj3 

€ Qtoyens, frères et amis, répondit Ysabeau au Conseil 
général de la commune, vos commissaires vous rendront 
compte des soins infatigables que nous employons à 
pourvoir à vos subsistances. Vos inquiétudes auraient déjà 
cessé sur cet objet essentiel, si notre arrêté du 6 septembre 
eût reçu son entière exécution. Hâtez- vous d'organiser et 
de donner une existence solide et active au nouveau Comité 
de subsistances, et vous pouvez être assurés qu'elles 
arriveront en abondance. 

» Notre impatience de nous trouver au milieu de vous 
est au moins égale à la vôtre. Frères et amis, nous voyons 
le retour de Bordeaux aux vrais principes avec une 
satisfaction qui ne peut être sentie que par des âmes 
républicaines. Qu'il nous tarde d'entendre, dans Fenceinte 
que vous occupez, ces cris de patriotisme et d'union qui 
y retentissent maintenant, au lieu des cris féroces qui, le 
mois dernier... Oublions tous cette époque fatale; ne nous 
occupons que d'établir le bonheur du peuple et le règne des 
lois sur des bases qu'aucune faction ne puisse désormais 
ébranler. Croyez que notre voyage n'est retardé que par 
des circonstances qui tiennent à vos intérêts. Encore 
quelques jours, et les obstacles auront disparu, et nous 
irons vous assurer^de vive voix des sentiments d'amitié qui 
unissent les représentants du peuple à tous les enfants de 
la patrie <'). » 

Au moment où Ysabeau s'exprimait ainsi, Tallien, à la 
même date, écrivait de Lescar à la Société des Jacobins 
de Paris : 

« Je vous adresse, citoyens, des exemplaires de divers 
arrêtés pris relativement à Bordeaux. Lisez surtout la 
correspondance que nous avons tenue avec cette ville et 
vous y verrez qu'elle est loin d'être rentrée dans l'ordre. 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



374 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEArX. 

Méfiez- VOUS des intrigues de la faction girondine ; car elle 
emploiera tous les moyens pour vous tromper. N^ajoutez 
foi qu'à ce que nous vous écrivons. Ysabeau et moi sommes 
chargés de l'exécution des décrets contre cette ville rebelle; 
soyez sûrs que nous serons ici ce que nous étions à la 
Montagne, toujours inébranlablement attachés aux principes, 
ne composant jamais avec personne, et voulant faire 
triompher partout la cause du peuple en anéantissant 
Taristocratie et le fédéralisme... ^^K » 

Il y a des différences d'appréciation dans ces deux lettres, 
mais elles sont faciles à expliquer. Ysabeaù était à La Réole 
et en contact suivi avec les Bordelais; Tallien, en voyage 
pour les nécessités de la mission commune, était dans les 
Basses-Pyrénées et ne savait qu'imparfaitement ce qui se 
passait à Bordeaux. 

Les citoyennes de cette ville Amies de la Liberté et de 
VEgalité, dont nous n'avons pas eu à nous occuper depuis 
longtemps, éprouvèrent le besoin de parler et de faire 
parler d'elles. Elles suivaient avec ardeur le mouvement 
révolutionnaire, se mêlaient aux événements et motion- 
naient, comme de véritables sans-culottes, dans leur club 
de la ci-devant Intendance. 

Le 28 septembre, elles écrivaient à la Convention 
nationale : 

c Représentants du peuple français, nous habitons une ville dont 
le civisme fut plusieurs fois cité pour exemple à la République, et 
qui pouvait prétendre à la reconnaissance de ses concitoyens. Ces 
beaux jours se sont éclipsés par des machinations dont nous ne 
connaissons pas toute retendue. Les ennemis de la République s'y 
sont permis de faire prévaloir, pendant un temps malheureusement 
trop long, le mépris des lois, Toubli de la patrie, et, portant Tatrocité 
à son comble, ils ont outragé la majesté du peuple dans la personne 
de ses représentants. L'énormité de ces crimes nous a fait frémir et 
nous en désirons la juste punition, bien convaincues que vous ne 

(i) Moniteur du 4 octobre 1793. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. ij5 



confondrez pas Tinnocent avec le coupable, et que Bordeaux, purgé 
des scélérats qu'il renferme, reprendra son rang dans les villes qui 
ont bien mérité de la patrie. 

1 O Montagne courageuse, daignez agréer la prière que nous 
vous faisons de ne pas abandonner le timon de la République, que 
vous ne Tayez entièrement sauvée du péril où elle est, en terrassant 
tous ses ennemis. Vous connaîtrez, législateurs, par notre profession 
de foi politique, si nous sommes dignes d^être comptées au nombre 
des vraies républicaines. 

> Nous jurons de vivre et mourir libres, de défendre la Constitution 
que nous avons acceptée le lo août dernier, de rester in viola blement 
attachées à la Convention nationale, d'exécuter les lois et décrets 
qui émaneront d'elle, d'employer tous nos moyens pour les ùlïtc 
respecter et exécuter. Nous adhérons de tout notre cœur aux journées 
des 3i mai, i*' et 2 juin; nous vouons à Texécration universelle les 
royalistes, fédéralistes, conspirateurs, cabaleurs, accapareurs, et 
nous jurons encore de dénoncer ceux que nous connaîtrons être 
dans ces principes abominables. 

1 Doviiéy présidente, 
Bruxon et CoLET, secrétaires (0. » 

Tel était le style des clubistes mâles et femelles! On se 
sanS'Culottisait, selon Texpression alors à la mode. La 
section Simoneau ayant voulu changer son appellation 
contre celle de Marat, les autres sections s'y opposèrent. 
On n'a pas oublié que la section Simoneau fut une des 
dernières à soutenir la Commission populaire de salut 
public : € Avant de vous décorer du beau nom de ce 
véritable ami du peuple, lui dit-on, il faut donner des 
preuves répétées et non équivoques de républicanisme et 
de sans-culottisme ; jusque-là ce serait une usurpation. ]^ 
Quelques jours plus tard, elle conquérait son nouveau nom 
par un hasard heureux. 

Dans une autre section, le sans -culotte Jean -Louis 
Benoît demanda à renier publiquement ses patrons saint 
Jean et saint Louis, qui rappelaient le fanatisme et la 
royauté, pour s'appeler désormais Fargeau^Benoît, en 

(i) Archives de la Gironde, série L. 



376 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



mémoire de Lepelletier-Fargeau, martyr de la liberté. Sa 
demande et son abjuration furent accueillies par les applau- 
dissements unanimes de la section ^^K 

Cependant le provisoire qui régnait à Bordeaux ne 
pouvait durer ; la municipalité révolutionnaire offrait certai- 
nement des garanties aux conventionnels-, mais, il faut 
bien le dire, elle comptait dans son sein des hommes que 
Ton pouvait considérer comme tièdes et n'approuvant pas 
tacitement tout ce qui se faisait avec leur concours et sous 
leurs yeux. 

Ysabeau et Tallien ne l'ignoraient pas ; les dénonciations 
pleuvaient à La Réole. 

Il fallait, tout en respectant la municipalité, placer à côté 
d'elle un pouvoir jeune et fort, capable de stimuler les 
dévouements et d'inspirer une crainte salutaire. La loi 
armait à cet égard les conventionnels; ils en profitèrent 
pour créer à Bordeaux le premier comité révolutionnaire 
de surveillance et ils en nommèrent d'oflBce les membres. 

Ce Comité, qui devait exercer dans toute l'étendue du 
département les pouvoirs attribués au Comité connu sous 
le nom de Sûreté générale et de Salut public par les 
différents décrets de la Convention nationale, fut recruté^ 
selon l'expression des représentants, d'hommes purs, incor- 
ruptibles et cCune fermeté reconnue. 

C'étaient Duvernay, Fontanes, Marcel, Rideau fils aîné, 
Gueyraud, Tustet, Dutasta, Cogorus, Chaussade, Grignon, 
Casteran et Le Moal, qui tous ont joué un rôle plus ou 
moins important dans la Terreur à Bordeaux. 

Le Comité entra immédiatement en fonctions, et sa 
première réunion eut lieu chez Duvernay le /3 octobre. 
Rideau fut nommé président, Marcel secrétaire, et chacun 
des membres prêta individuellement le serment suivant : 

(i) O'Reilly, Histoire de Bordeaux^ 2« partie, t. I*', p. 367, 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 377 

Je jure de n'agir ni par haine, ni par crainte, mais 
constamment diaprés Vimpulsion intime de mon âme et 
conscience, de tenir le plus grand secret sur les opéra-- 
lions du Comité et de maintenir, au péril de ma vie, 
l'unité et l'indivisibilité de la République française. Le 
Comité de surveillance choisit le Grand-Séminaire pour y 
tenir ses séances ultérieures (»). 

La municipalité ne restait pas inactive. Sur les réquisi- 
tions de Boissel, le Conseil général de la commune arrêtait, 
le I®' octobre, que la loi du 29 mars 1793 enjoignant à tous 
propriétaires de faire afficher, à Textérieur de leurs maisons, 
les noms, prénoms, âge et profession de tous les locataires, 
serait exécutée dans un délai de vingt-quatre heures; que 
Taffiche serait écrite en caractères de six lignes de hauteur 
et placée à six pieds d'élévation du sol, et que les sections 
seraient invitées à faire parvenir au secrétariat de la maison 
commune un double de toutes les déclarations qui, aux 
termes de la loi, devaient leur être faites. :» 

Le même jour, Boissel disait au Conseil général de la 
commune : 

c Vous vous étiez élancés avec vigueur dans la carrière admi- 
nistrative et révolutionnaire, et, après quelques pas, vous vous êtes 
arrêtés comme épuisés par l'effort que vous veniez de &ire. Je 
vous le dis au nom de la patrie, au nom de vos concitoyens que 
vous devez arracher aux horreurs de la famine et de la guerre 
civile, si vos mains sont trop faibles pour tenir les rênes de 
l'administration dans les circonstances orageuses où vous vous 
trouvez, si vos âmes pusillanimes craignent le danger, retirez-vous ; 
cédez vos places à des citoyens fermes, qui sauront se mettre à la 
hauteur de leur mission, et qui, au lieu de délibérer éternellement, 
sauront agir et frapper les coups sous lesquels doivent expirer 
enfin le royalisme et le fédéralisme. 

i Depuis huit jours vous n'êtes pas encore organisés ; tout se 
délibère et rien ne s'exécute. Quel est donc le génie malfaisant qui 
assimile encore vos destinées à celles du corpscontre-révolutionnaire 

(i) Hôtel des Monnaies, rue du Palais-Gallien. 



378 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



que vous avez expulsé 1 Quelles sont donc les influences malignes qui 
vous frappent d'engourdissement et arrêtent le coup terrible qu'at- 
tendent de vous et la patrie et la liberté, si longtemps outragées 
dans votre malheureuse ville I Tremblez, citoyens, le glaive qui doit 
frapper les têtes criminelles est suspendu sur les vôtres, prêt à 
venger d'une manière éclatante Tinexécution des lois et l'impunité 
des coupables. 

1 Vos rues, vos places publiques, les spectacles, les lieux publics 
sont fatigués du poids des gens suspects, des contre-révolutionnaires 
et des fédéralistes, que votre inactivité encourage, et dont la présence 
fait gémir les lois et les vrais républicains. 

1 Vos caisses sont vides, vos ressources sont nulles, et vos dépenses 
s'accroissent à chaque instant : les vrais citoyens sont pauvres et 
supportent presque seuls le poids de la Révolution, tandis que les 
agioteurs, les accapareurs, ces vampires qui ne se nourrissent que 
de sang et d'or, étalent un luxe insolent, fruit des fortunes les plus 
scandaleuses. 

» Vous êtes entourés de contre-révolutionnaires qui vous détes- 
tent, qui empoisonnent toutes vos démarches, et qui feront manquer 
toutes vos mesures de sûreté générale : cette tourbe insolente d'agents 
de toute espèce, cette nuée de commis dévoués à l'esclavage de 
l'ancien régime, tout entrave vos opérations et paralyse le mouve- 
ment que vous aviez imprimé à la machine. 

» Les représentants du peuple, en séance à La Réole, ne cessent 
de demander des commissaires; ils en avaient demandé depuis le 
6 septembre : l'ancien Comité des subsistances n'avait pas la con- 
fiance des représentants du peuple, et le nouveau, effrayé sans 
doute de l'importance, de la complication et de la multiplicité des 
opérations qui lui étaient confiées, ne s'est mis en activité que par 
une invitation formelle de la municipalité provisoire, le lendemain 
de son installation : cependant le peuple souffre, les subsistances 
n'arrivent que goutte à goutte; et ce Comité, semblable à un malade 
en délire, s'agite tumultueusement et ne produit aucun résultat. 

» Plusieurs d'entre vous, citoyens, et je le dis avec cette franchise 
austère que j'ai déployée tant de fpis contre les intrigants, plusieurs 
d'entre vous ne sont pas dignes de la confiance dont ils ont été 
honorés, par l'insouciance et l'inactivité qu'ils mettent à remplir 
les devoirs sévères qu'on leur a imposés. 

» Voilà, citoyens, le tableau de votre situation actuelle, et vous 
vous endormez au bord d'un abîme profond prêt à vous engloutir. 
N'êtes- vous donc plus responsables sur votre tête de tous les 
malheurs qui menacent vos concitoyens, et que vous devez prévenir 
par la rigueur de vos démarches? Ne devez-vous plus un compte 
rigoureux de votre conduite à la République entière qui a les yeux 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 3jg 

fixés sur VOUS? N'êtes-vous plus ces hommes dont Tattitude fière et 
prononcée avait effrayé les conspirateurs, même au milieu des 
satellites dont ils s'étaient entourés? Citoyens, je vous en conjure, 
sauvons nos concitoyens, sauvons-les des déchirements affreux d'une 
guerre civile ; qu'aux accents du républicanisme nos âmes brisent les 
obstacles qui les arrêtent, et que la révolution soit consommée (i). • 

Ainsi s'exprimait Boissel. Galvanisé par ces paroles et 
par les lettres dTsabeau et de Tallien, le Conseil général 
arrêta, le i** octobre, une série de mesures révolutionnaires 
qu'il importe de rappeler pour indiquer la situation et Tétat 
des esprits : 

Il ordonnait : i^ Tentière et pleine exécution de toutes 
les lois émanées de la Convention nationale, notamment 
de celle du 3 septembre lygS, relative à V emprunt forcé; 
de celles des 12 et 17 septembre 1793, relatives à Varres^ 
tation des personnes suspectes; de celle du i*' août 1793, 
relative à la confiscation de toutes les maisons, édifices, 
parcs, jardins, enclos, qui porteraient des armoiries; de 
celles des 21 et 23 avril 1793, relatives à V arrestation et à 
la déportation, à la Guyane française, des ecclésiastiques 
séculiers, réguliers, frères convers et laïcs, noyant pas 
prêté le serment de maintenir Inégalité et la liberté; 

2^ L'exécution des différents arrêtés des représentants du 
peuple en séance à Agen et à La Réole ; 

3® L'adjonction au Comité des subsistances de deux 
officiers municipaux provisoires pour accélérer et surveiller 
les opérations ; 

4® L'envoi aux vingt-huit sections des noms de tous les 
membres du Conseil, des agents et commis de la commune, 
pour y subir la censure publique ; 

5^ La constatation de la présence ou absence des officiers 
municipaux aux séances du Conseil pour en être référé aux 
sections; 

(1) Archives municipales de Bordeaux. 



38o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



6^ L'évacuation immédiate, sauf indemnité aux locataires, 
des maisons nationales jugées nécessaires pour y mettre en 
état d'arrestation les personnes désignées par les décrets de 
la Convention ; 

7^ La destruction et le remplacement par des signes 
républicains de toutes les effigies royales, de toutes les 
marques de féodalité, sous quelque forme qu'elles existent, 
dans les édifices publics et maisons nationales; 

8** Le couvert issement en canons de toutes les cloches, 
à l'exception d'une seule pour chaque paroisse; 

9*^ La destruction et le convertissement en piques et en 
boulets de toutes les portes de la Ville, des chaînes de la 
place Nationale et de toutes les grilles et autres ornements 
en fer existant dans les maisons nationales; 

1 0® La création d'une force armée révolutionnaire de 
sans-culottes, avec une paie à chaque volontaire de quarante 
sous par jour ('). 

Le Conseil général de la commune invitait, en outre, le 
Comité de surveillance à redoubler de zèle et d'activité 
pour déjouer tous les complots et signaler tous les traîtres. 

Nous raconterons bientôt les résultats produits par 
l'application de ces mesures. 

La nouvelle de la révolution accomplie à Bordeaux 
s'était répandue dans les départements environnants et y 
avait été accueillie favorablement; des félicitations arrivaient 
de toutes parts aux nouveaux municipaux; elles n'étaient 
pas toutefois sans réserves. Ainsi, le Comité de surveillance 
d'Angoulême écrivait : 

c Nous avons appris avec bien de la satisfaction Pheureuse 
révolution qui vient de s'opérer dans vos murs ; il a été bien doux, 
pour nous de retrouver parmi vous des frères que de vils et 
lâches intrigants avaient pu aveugler un instant, mais qu'ils n'ont 

(0 On devait demander des fonds au ministre de la guerre pour la solde 
de cette armée. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 38 1 



pu séduire malgré leurs machinations perfides. Nous ne vous 
dissimulerons pas cependant que la connaissance que nous avons 
eue de votre correspondance avec les représentants du peuple et 
commissaires de la Convention de présent à Agen, ne peut nous 
permettre de croire à votre sincère résipiscence qu'autant que vous 
emploierez tous les moyens qui sont en vous pour mettre sous le 
glaive de la loi les chefs de la conspiration ourdie dans votre ville, 
et tous ceux qui pouvaient favoriser leurs infâmes projets. Nous 
nous plaisons à croire, citoyens, que vous ratifierez, par des 
mesures aussi sages et aussi urgentes, les dispositions dans lesquelles 
vous avez annoncé être à la Convention nationale. Votre propre 
gloire, l'honneur de la ville de Bordeaux, l'intérêt de la République, 
devant qui tout doit céder, l'exigent impérieusement (0. i 

La municipalité, on vient de le voir, avait devancé les 
conseils qui lui étaient envoyés d^Angoulême ; mais il est 
facile de comprendre qu'enlacée dans les liens de la 
situation qui lui était faite et pressée par des excitations 
émanées de sources différentes, elle devait tôt ou tard 
accomplir une évolution qui la rapprocherait de la 
Terreur. 

Ces excitations n'étaient pas particulières à Bordeaux; 
elles venaient aussi des localités voisines et lui faisaient une 
loi de subir Tentraînement général. Les communes du 
département de la Gironde, par exemple, avaient plus ou 
moins suivi l'impulsion partie du sein de la section 
Franklin et du Qub national. Afin d'y ranimer le patrio- 
tisme affaibli, quelques sections, et notamment le Club 
national, avaient envoyé des délégués en mission dans les 
campagnes. L'un de ces délégués, rendant compte de ses 
opérations au Gub, disait, le 2 octobre : a La commune 
de Cadaujac est dans les meilleurs sentiments et j'y ai 
développé les principes républicains qui fructifieront, on 
peut l'espérer. Il n'en est pas de même dans quelques 
autres communes, où la Société a envoyé des délégués 

(i) Lettre du M"^ octobre 1793. 



382 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



pour y enseigner Tamour de la République; ils s^acquittent 
fort mal de leur mission : ils vont dîner chez les riches et 
négligent les sans-culottes, dont la marmite n^est pas si 
bien garnie... ^^K 3 

Dîner chez les riches I quinze jours plus tard, c^eût été 
un crime justiciable de Téchafaud; on n^en était pas encore 
là, et dans la pénurie où se trouvait la ville il n^y avait 
rien d^étonnant à ce que les missionnaires du Qub national 
profitassent de leurs tournées républicaines pour manger 
du pain, qu^on ne connaissait plus à Bordeaux. Il y arrivait 
peu de froment, et dans les campagnes environnantes on 
avait été obligé de prendre jusqu^au grain de la semence 
pour nourrir la population ^^\ tant la disette était grande. 
En employant ces moyens ruineux, on avait pu ne pas 
manquer de pain jusqu^à ce moment. 

La première réquisition de dix-huit à vingt-cinq ans 
venait d^avoir lieu, et quatre bataillons étaient à la veille de 
partir, ainsi que la cavalerie, cette cavalerie aux habits dorés 
qui avait excité Tindignation dTsabeau et de Baudot. 
^ Bordeaux, écrivait un contemporain, s^est déjà rangé du 
parti de la tyrannie; les emprisonnements des gens suspects 
sont commencés et cela marche bien ^^K » 

Installé le 3 octobre, comme nous Tavons dit, le G)mité 
de surveillance fonctionna sans délai, et, dans la nuit du 
3 au 4, ses agents et ceux de la municipalité, escortés de 
membres du Conseil général de la commune, procédèrent 
à des arrestations nombreuses. 

Parmi les plus remarquables, on doit citer celles 
du représentant Duchâtel, de Riouffe, qui a laissé des 
Mémoires bien connus, et de T Espagnol Marchéna, cachés 
à Bordeaux depuis plus d^un mois, mais qui n^avaient pu 
échapper aux Montagnards, grâce aux dernières mesures 

(i) Archives de la Gironde, série L, reg. 178. 
(2-3) Lettre de Pébernad du 2 octobre 1793. 



I 

i LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 383 

i 

prescrites par la municipalité. Duchâtel, RioufTe et 
Marchéna furent transférés à Paris («>. 
I Dans la journée du 4 octobre, Torganisateur du Comité 

insurrectionnel de Lyon, le représentant du peuple 
Biroteau, arriva à Bordeaux, où il venait chercher un 
refuge, hélas! bien précaire. Il fut Tobjet d^une ovation 
et de marques de sympathie toutes particulières ^^\ mais 
il ne tarda pas à son tour à tomber entre les mains des 
sans-culottes, alors maîtres de la ville. 

Donnant suite à une proposition formulée par quelques 
uns de ses membres, la Commune de Paris avait envoyé 
deux délégués à Bordeaux pour fraterniser avec la ville; 
c^étaient Viallard et Dunouy, officiers municipaux, qu^une 
lettre de Chaussade et Couteau avait précédés à Bordeaux. 

Le 4 octobre, à huit heures du soir, on vint annoncer au 
Conseil général de la commune que Viallard et Dunouy 
avaient mis pied à terre à la cale de La Bastide. Ils 
arrivèrent bientôt dans la salle du Conseil, entourés et 
suivis d'une foule de citoyens et de citoyennes qui se 
précipitèrent dans les tribunes, envahirent la salle et 
refluèrent jusqu'auprès du bureau. 

Les commissaires de la Commune prirent place à droite 
et à gauche du maire, et Tun d'eux, après avoir lu la 
délibération de la Commune de Paris, adressa à l'assemblée 
un discours rempli de sentiments fraternels et républicains. 
Ce discours fut accueilli par des applaudissements et des 
cris répétés de : Viue la République! Vive la Montagne! 
Vivent les Parisiens! Vivent les sans-culottes! 

Dunouy et Viallard remirent ensuite sur le bureau une 
écharpe tricolore ayant servi dans la mémorable journée 
du 10 août, et une médaille de bronze chargée des 
emblèmes de la Liberté, de la chute des attributs de la 

(i) Rîouffe, Mémoires, collection Barrière^ p. 394. 
(2) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux. 



384 HISTOIRE DE LX TERREUR A BORDEAUX. 

royauté et de la tyrannie. Ces deux objets étaient offerts 
par la Commune de Paris comme le gage assuré de l'amitié 
et de la fraternité unissant les Parisiens et les Bordelais. 

Le maire Bertrand remercia les envoyés de la Commune 
et leur demanda le baiser fraternel, dit le procès-verbal de 
la séance. De nombreuses accolades, applaudies par les 
tribunes et par les citoyens qui entouraient le bureau, furent 
échangées entre les commissaires et tous les membres du 
Conseil général. 

Le maire présenta ensuite à chacun des deux commis- 
saires une branche d'olivier, symbole de la paix devant 
toujours régner entre le peuple de Paris et celui de Bordeaux. 

Le procureur de la commune* Boissel ne pouvait laisser 
échapper une aussi belle occasion de parler. Il le fit en 
termes chaleureux et révolutionnaires, exposa ce les sentiments 
dont étaient animés les vrais républicains et sans-culottes 
de Bordeaux, leur amour sans bornes pour la Convention 
nationale, leur attachement inviolable pour leurs frères 
et leurs amis les Parisiens, enfin leur soumission pleine et 
entière aux lois décrétées par Tauguste Assemblée, qui 
a retiré la France du précipice où voulaient la plonger les 
aristocrates, les royalistes, les fédéralistes, les accapareurs 
et les agioteurs. » 

Il est inutile de dire que ce discours fut fréquemment 
interrompu par d'unanimes applaudissements. 

Averties de l'arrivée des commissaires, les sections 
Michel-Montaigne, du Dix- Août, de la Loi, de la Parfaite 
Union, de la Fraternité, Brutus et du Champ-de-Mars 
envoyèrent des députations à la Commune pour saluer 
Dunouy et Viallard et les inviter à vouloir bien se transporter 
au milieu d'elles. 

Les commissaires répondirent en termes pleins d'effusion 
à ces députations diverses et leur donnèrent l'accolade 
fraternelle. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 385 



Une députâtion du Club national fut aussi introduite, et 
l'orateur s'exprima en des termes qui font toujours V éloge 
du civisme brûlant de la Société qu'il représentait. 

Le Conseil général, sur le réquisitoire du procureur de 
la commune, délibéra, au milieu des cris de : Vive la 
République! et avec l'assentiment de tous les citoyens 
présents, qu'il serait frappé une médaille en mémoire de la 
révolution du i8 septembre; que Tune de ces médailles 
serait offerte, avec une des écharpes révolutionnaires, à la 
Commune de Paris en signe de Tunion qui devait régner 
entre toutes les communes de la République, et que les 
citoyens Dunouy et Viallard étaient invités à assister le 
dimanche suivant à la promenade civique qui devait avoir 
lieu pour l'inauguration du buste de Marat ('). 

Enivrés de l'accueil qu'ils avaient reçu à Bordeaux, 
Dunouy et Viallard écrivirent le 5 octobre, à la Commune 
de Paris, une lettre que nous ne pouvons, malgré sa 
longueur, passer sous silence. 

f Nos chers collègues, disaient-ils, nous avons marché jour et 
nuit pour arriver plus promptement à Bordeaux; nous y sommes 
entrés hier à huit heures du soir. La municipalité est venue au 
devant de nous, de l'autre côté de la rivière, pour nous ramener 
dans un brigantin que Ton avait décoré exprès pour nous; elle 
nous y attendait depuis midi, jusqu'à notre arrivée. 

> A notre descente, nous vîmes une quantité considérable de 
gardes nationales qui étaient sous les armes et un peuple innom- 
brable qui nous attendait, et au milieu duquel nous fûmes conduits à 
la maison commune, aux acclamations mille fois répétées deVive la 
Convention! Vive la République! Vivent les Parisiens! L'allégresse 
la plus grande fut partout manifestée; notre arrivée fut un jour de 
fête; le peuple nous a témoigné de toutes les manières son entier 
retour à la liberté. Sa confiance est telle dans les Parisiens, qu^il se 
persuade que nous pouvons le délivrer de tous les maux qui l'acca- 
blent; la misère est encore plus grande qu'à Paris : on a distribué 
aujourd'hui du biscuit de mer et des feveroles, n'ayant que peu de 
pain, encore est-il plus noir que celui qu'on donne aux chiens. 

(i) Procès-verbal du 4 octobre 1793. Archives municipales de Bordeaux. 
T. I, a5 



386 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

» Entrés dans la salle d^assemblée, nous fûmes placés aux côtés 
du président; bientôt le silence le plus profond régna dans l'assem- 
blée pour nous entendre. Dès que nous eûmes présenté, au nom de 
la Commune de Paris, la médaille et le ruban tricolore, chacun 
nous témoigna les regrets de son erreur et son amitié pour les 
Parisiens ; nous fûmes embrassés de presque tous ceux qui étaient 
présents, ou, pour mieux dire, nous ne cessâmes de l'être depuis 
notre débarquement jusqu'à la maison commune. 

» A la nouvelle de notre arrivée, toutes les sections à l'envi nous 
envoyèrent des députations pour nous féliciter de notre entrée dans 
leurs murs et nous inviter de nous rendre dans leur sein afin d'y 
recevoir, pour les Parisiens, les embrassements de l'amitié et 
Texpression de leurs sentiments pour cette Commune, qu'ils recon- 
naissent authentiquement avoir sauvé la France et la liberté, et 
contre laquelle ils ont été abusés quelques instants. 

» Il fut arrêté par la Commune, aux cris mille fois répétés de : 
Vivent les Parisiens! qu'il serait frappé une médaille au sujet de la 
réunion des Parisiens et des Bordelais, en signe de la reconnais- 
sance de la démarche que nous avons faite auprès d'eux, et qu'ils 
regardent comme l'époque la plus digne de transmettre à la postérité 
et leur erreur et la franchise de leur retour à cette liberté sainte 
qu'ils n'ont jamais cessé de chérir. Le peuple de Bordeaux est, 
comme celui de Paris, bon et de bonne foi; mais, moins aguerri 
contre les suggestions perfides, il a besoin d'être fortement stimulé 
pour se porter aux actions de vigueur qui sont ici plus nécessaires 
qu'en aucun lieu de la République, à raison de l'adresse avec 
laquelle l'aristocratie a su profiter de l'apathie où elle avait amené 
le peuple; mais aujourd'hui qu'elle se trouve atterrée par le premier 
coup de massue que le peuple lui a porté, il ne faut pas lui laisser 
le temps de se relever, et il faut profiter promptement de l'instant 
d'effervescence, si j'ose dire, patriotique où elle a amené le peuple 
de Bordeaux par l'excès de misère où elle l'a réduit. Mais les 
moyens employés pour l'amener à la contre-révolution seront ce 
qui le sauvera. L'on craint déjà notre départ avant que toutes les 
grandes mesures de salut public soient prises pour cette ville. 

• Les Bordelais ressemblent en ce moment à des enfants qui 
commencent à se tenir debout, et qui ont besoin de quelqu'un pour 
les soutenir. L'esprit de la Commune de Paris nous a devancés ; et, 
par l'opinion qu'ils ont de nous, nous ne pouvons nous dispenser 
de séjourner quelques jours dans cette ville bien précieuse à la 
République par sa population, sa situation et son commerce; et, 
nous osons le dire avec franchise, la ville de Paris, en nous 
envoyant, a rendu un service très éminent à la République ; nous 
■osons vous assurer que Bordeaux, sous très peu de temps, sera 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 887 

l'émule de Paris, et qu^elle sera, dans le point où elle est, un des 
plus fermes appuis de la République. 

» L'on attend avec la plus grande impatience les représentants du 
peuple Baudot et Ysabeau; il est temps qu'ils arrivent; nous 
comptons les voir demain ou après-demain dans ces murs; ils 
pourront, par quelque acte de vigueur, assurer pour jamais la 
liberté dans cette ville. 

f Nous sommes sans cesse dérangés par les députations des 
sections et des différents corps armés, qui viennent à nous comme 
si nous étions revêtus de tous les pouvoirs de la représentation 
nationale. 

1 Nous ne cesserons de vous faire part de tout ce que nous 
ferons pour cimenter immuablement l'union des Bordelais avec les 
Parisiens (0. » 



Les appréciations des délégués de la Commune de Paris 
n^étaient pas défavorables aux Bordelais, comme on peut 
le voir par cette lettre; un pareil témoignage n'était pas à 
dédaigner, et si Ton considère les honneurs rendus à Viallard 
et Dunouy et Taccueil sympathique qu'ils reçurent, on peut 
dire que, lassée des maux qu'elle éprouvait depuis si 
longtemps et dont le terme ne pouvait être prévu, la 
population était prête à se jeter dans les bras des premiers 
venus qui lui apporteraient la plus légère espérance. 

Pendant qu'on fêtait les délégués parisiens et qu'on 
mangeait, à défaut de pain, du biscuit de mer et des 
féveroles, les prisons se remplissaient de suspects et de 
prêtres assermentés. On faisait des arrestations jour et nuit 
et la ville était mise en coupe réglée, si nous pouvons nous 
exprimer ainsi. 

Déjà le représentant du peuple Duchâtel, Rioufife, 
Marchéna et d'autres avaient été dirigés sur Paris, et le 
6 octobre les proconsuls requéraient le Comité de surveil- 
lance de faire traduire par devant le tribunal révolutionnaire 
de la capitale les citoyens Wormeselle, Ducourneau et 

(0 Moniteur àM 12 octobre 1793. 



388 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Theillard, compromis dans les événements qui avaient 
agité la ville ^^K 

On paraissait marcher révolutionnairement à Bordeaux, 
et Ysabeau écrivait, le 8 octobre, au Comité de salut 
public : « Dans Tabsence de Tallien, qui est parti avec un 
détachement de cavalerie pour arrêter plusieurs conspi- 
rateurs, je m'empresse de vous annoncer que nous venons 
de faire arrêter, au milieu de Bordeaux, Tex-député 
Duchâtel, un secrétaire de Brissot, Espagnol de naissance, 
nommé Marchéna, et un autre réfugié du Calvados, avec 
la femme de Puisaye, général du roi Buzot, défait à 
Verdun. Nous vous promettons de livrer dans peu à la 
vengeance des lois des coupables plus fameux. Nous avons 
la preuve authentique que presque tous les députés fugitifs 
du Calvados et de la Vendée, ainsi que les généraux et 
leur état-major, sont à Bordeaux ou dans les environs. Un 
jeune homme nommé Mahon, que j'ai reconnu ici pour 
avoir été attaché à Félix Wimpffen, et que j'ai fait arrêter, 
nous a donné ' tout le fil de la conjuration , qui allait 
son train, malgré la conversion subite et apparente des 
fédéralistes, avec lesquels les conjurés sont en relation 
intime. Nous travaillons jour et nuit, soit à purger le 
pays des scélérats qui y abondent, soit à procurer des 
vivres à la ville de Bordeaux, qui souffre depuis longtemps 
de la disette ^^K » 

De son côté, Tallien, écrivant à Pache pour l'informer des 
arrestations faites à Bordeaux, non par les sovîs de la 
nouvelle municipalité, qui feignait d ignorer, mais bien 
par les nôtres et ceux de quelques braves sans-culottes, 
disait : ce Nous avons la certitude que Guadet, Pétion, 
Buzot, Grangeneuve, Girey-Dupré et plusieurs autres 
sont, soit à Bordeaux, soit aux environs; et la muni- 

(1) Arrêté du 6 octobre. 

(2) Moniteur à\x 1 6 octobre 1793. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SSq 



cipalité et les autorités ne font rien pour parvenir à les 
arrêter ^^K » 

Les représentants étaient bien renseignés. Guadet, en 
effet, était venu à Bordeaux le 24 ou le 25 septembre, mais 
il n'avait trouvé dans cette ville ni appui, ni secours, et il 
en était reparti Tâme brisée pour rejoindre à Saint- Émilion, 
chez son père, les compagnons d'infortune qui l'y avaient 
précédé. C'étaient Pétion, Buzot, Louvet, Salles, Barbaroux, 
Valady et un ami de ce dernier. Nous aurons à raconter 
plus tard la mort déplorable de quelques-uns de ces illustres 
représentants du parti de la Gironde. 

Nous venons de voir que Tallien les recherchait 
activement. 

On a dit que Fontanes, membre du Comité de surveil- 
lance et Tun des plus fidèles appuis des conventionnels, 
trouvait comme eux la municipalité un peu tiède. Il se 
rendait tous les jours à la Commune et stimulait le zèle 
des municipaux; il parlait de trois mille arrestations à fairç, 
d'emprunts à lever sur les riches, etc., etc. L'officier 
municipal Vitrac, fatigué des observations de Fontanes, lui 
demanda un jour à connaître ses pouvoirs. Mal lui en prit : 
Fontanes alla à La Réole le dénoncer, et, à son retour, 
Vitrac était mis en état d'arrestation ^^K 

Ce Fontanes, qui fut un des terroristes les plus redoutés, 
avait, dit- on, conseillé aux représentants du peuple de 
canonner les Chartrons et d'immoler tous les négociants. 

Fontanes avait tort de se plaindre, car, si quelques 
membres de la municipalité étaient tièdes et modérés, 
d'autres, au contraire, tels que Charles, Martial, Barsac, 
Chaussade, etc., déployaient une activité toute révolu- 
tionnaire. Les visites domiciliaires et les arrestations 



(i) Lettre du 9 octobre 1793. Bibliothèque nationale, supplément 
français 3274. 
(2] Journal du Club national du 8 nivôse an III. 



3qo histoire de la terreur a bordeaux. 



marchaient bon train. Les sections, grâce au scrutin 
épuratoire qui y fut introduit, devinrent un foyer de 
délations et donnèrent un nouvel essor au civisme ardent 
des démagogues de la municipalité. 

Sainte- Luce Oudaille raconte qu^une députation de la 
section Simoneau s'étant présentée à la municipalité pour 
lui remettre une délibération relative aux subsistances, un 
des officiers municipaux, entendant le nom de Simoneau, 
demanda avec indignation comment il pouvait se faire 
qu'un accapareur de blé eût donné son nom à une section 
qu'il croyait être révolutionnaire. La députation écouta en 
silence la sortie du municipal, puis elle le pria de lui 
désigner un nom à substituer à celui qui provoquait ainsi 
son indignation, a Eh! quoi, s'écria^t-il, les sections de 
Bordeaux sont au nombre de vingt-huit, et pas une ne porte 
le nom du grand Marat!... > On comprit à demi-mot et 
désormais la section Simoneau s'appela la section Marat 0). 

Encore si des modifications de cette nature avaient eu 
pour résultat de donner du pain au peuple! Mais il n'en 
était rien, et le 5 octobre une collision avait eu lieu à la porte 
d'un boulanger entre des citoyens et la garde nationale. 
Vers neuf heures du matin, quelques hommes de la 
légion du Sud s'étaient rendus en armes chez Deyries, 
boulanger, place des Augustins, 42, pour y protéger la 
distribution du pain. Une foule considérable et affamée 
envahissait la place; un engagement eut lieu entre des 
citoyens et les gardes nationaux qui avaient voulu s'inter- 
poser dans cette rixe : deux soldats furent assez grièvement 
blessés, et le capitaine du détachement envoya sur-le-champ 
prévenir la municipalité. Un officier municipal, accompagné 
d'une escouade de grenadiers, arriva bientôt, et sa présence 
rétablit le calme un instant troublé. 

(0 Histoire de Bordeaux pendant dix-huit mois, etc. 



LA REVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. Sgi 



Ces scènes étaient malheureusement fréquentes, et Tordre 
public courait chaque jour les risques les plus sérieux. 

Vers cette époque, le bruit se répandit tout à coup que les 
représentants du peuple allaient enfin rentrer à Bordeaux. 
L'un des commissaires envoyés à La Réole avec le député 
Gouly (de Tlle- de -France) en apportait, disait-on, la 
nouvelle. Aussitôt, les sections s'assemblèrent dans l'église 
Saint-André, et le peuple écouta dans un religieux silence 
le commissaire, que l'on avait invité à assister à la réunion. 
Celui-ci confirma la nouvelle : les représentants étaient 
décidés, assurait-il, à revenir, et la prochaine décade les 
verrait sans aucun doute dans nos murs. 

A ces mots, des applaudissements retentirent sous les 
voûtes du temple, les visages s'illuminèrent et l'espoir 
rasséréna les cœurs. On aurait du pain! car, à vrai dire, 
le sentiment intime qui régnait dans la masse du peuple, 
c'était la pensée que la présence des conventionnels 
ramènerait l'abondance au milieu d'une population affaiblie 
par les horreurs de la famine... 

Des arbres de la liberté furent, dit-on, 'plantés à cette 
occasion^ en signe de joie publique. 

Le 6 octobre, Hérault de Séchelles disait à la Convention : 
« Le patriotisme vient de se ranimer à Bordeaux; mais 
pour assurer dans cette ville la durée de son règne, il est 
nécessaire de prendre deux mesures vigoureuses. La 
première est de désarmer les hommes suspects et ceux qui 
tenaient aux anciennes associations, pour distribuer leurs 
armes entre tous les \Tais républicains sans-culottes; la 
seconde est d'annuler les passeports donnés à ces hommes 
suspects par les municipalités de Bordeaux et de Libourne. 
Ces passeports ne sont autre chose que de véritables brevets 
d'incivisme f"). d 

(i) Moniteur du 8 octobre 1793. 



3q2 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Ces propositions furent adoptées : elles étaient trop bien 
dans Tesprit générai qui animait la Convention pour ne pas 
être accueillies sans opposition. On ne tarda pas, comme 
nous le verrons, à appliquer dans Bordeaux le décret 
provoqué par Hérault de Séchelles. 

Mais la diversité d'opinions et de vues qui existait dans 
le Conseil général de la commune y causait des tiraillements 
incessants. Les modérés trouvaient qu'on allait trop vite; 
les hommes dévoués à la Montagne prétendaient, au 
contraire, qu'on manquait d'activité et d'énergie et qu'il 
importait, dans l'intérêt du peuple et de la ville, d'accélérer 
le mouvement révolutionnaire et de donner aux proconsuls 
de la Réole toutes les satisfactions de nature à mériter leur 
confiance et à leur prouver la soumission définitive de 
Bordeaux. C'est au milieu de cette divergence d'idées que 
la municipalité s'agitait dans une impuissance relative. Les 
ennemis de la Révolution en profitaient pour chercher à 
exciter les esprits contre la Convention et ses envoyés. Cette 
mésintelligence et les bruits répandus par la malveillance 
arrivèrent jusqu'à La Réole, et, le 6 octobre, Ysabeau 
écrivit au Conseil général de la commune pour s'en plaindre 
en termes amers et pour se justifier; il disait : 

c La voix publique nous apprend que la calomnie a osé faire 
entendre ses cris contre nous dans votre enceinte, et qu'il y a été 
mis en délibération si nous ne serions pas dénoncés par vous à la 
Convention nationale. 

» Que les royalistes, les fédéralistes et les conspirateurs du 
Calvados et de la Vendée, qui, malgré votre surveillance, existent 
encore parmi vous, emploient toutes leurs perfides ressources pour 
nous décrier, cela est juste; leurs clameurs honorent des Monta- 
gnards qui ont juré la perte des scélérats, et qui tiendront leurs 
serments. 

» Mais que des magistrats du peuple, investis de sa confiance 
immédiate, témoins de ce que nous avons souffert pour la cause et 
des efforts heureux que nous avons faits pour Tarracher à l'oppres- 
sion et à la misère, mêlent leurs voix à celles des ennemis de la 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SgS 

patrie, voilà ce que les bons citoyens auront de la peine à concevoir 
et à expliquer. 

» L'objet des subsistances est devenu, dans la mam des contre 
révolutionnaires, un instrument terrible avec lequel ils se sont 
flattés d'amener le peuple à adopter leurs projets criminels. Au sein 
d'une récolte abondante, le pain nous a manqué tout à coup, parce 
que les grains se sont trouvés en majeure partie dans la main des 
riches, opposés au système de l'égalité. La ville de Bordeaux s'est 
ressentie plus que toute autre de ce fléau général. Ce n'est pas ici 
le lieu d'en développer les raisons : nous ne sommes comptables à 
la nation et aux citoyens de Bordeaux que des moyens que nous 
avons employés depuis la fln du mois d'août, où a comm'encé notre 
mission, jusqu'à cette époque, pour faire parvenir des grains à une 
ville qui en manquait totalement. 

» Le 26 août nous publions une proclamation. que nous avons 
envoyée à tous les départements, districts, municipalités et sociétés 
populaires de la République, dans laquelle nous requérons tous les 
bons citoyens, dans les termes les plus touchants, de venir au 
secours de la ville de Bordeaux, menacée d'une horrible famine. 
Une foule de réquisitions particulières, adressées aux villes qui 
retenaient des grains ou des farines destinées à Bordeaux, prouvent 
que tous nos instants ont été consacrés à cet objet essentiel. 

1 Comme nous sentions la nécessité d'organiser au plus tôt un 
Comi:é des subsistances qui réunît au plus haut degré la confiance 
du peuple et la nôtre, nous avons écrit le 6 septembre à plusieurs 
sections de Bordeaux, pour qu'elles formassent sans délai ce 
Comité, auquel nous devions remettre les fonds envoyés par la 
Convention nationale... Qui nous expliquera pourquoi, malgré nos 
instances, il s'est écoulé vingt et un jours entre notre proclamation 
et la nomination de ces commissaires? Quelle intrigue a présidé 
à ce retard fiineste? Et sur qui doit retomber l'indignation du 
peuple? Quelle est la main barbare qui, pour conduire le peuple à 
une disette extrême, a repoussé le pain que nous lui tendions? 

» Citoyens, nous ne vouions pas faire un parallèle odieux ; mais 
c'est ainsi que les riches et les négociants de Toulon ont conduit un 
peuple égaré par la Êiim à recevoir d'une main ennemie du pain et 
des fers. 

• Honneur immortel aux respectables sans-culottes de Bordeaux 
qui ont supporté leur misère avec une patience vraiment républi- 
caine! ils ont su résister aux suggestions des calomniateurs; ils 
savent que les pères du peuple partagent leurs douleurs et emploient 
tous leurs eflbrts pour les soulager. 

• Vous dites que les subsistances n'arrivent pas à Bordeaux avec 
abondance, comme vous vous y attendiez, et vous osez attribuer 



394 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



ce retard aux représentants du peuple! Nous en appelons avec 
confiance à tous ceux de vos concitoyens qui sont venus à La Réole, 
et qui, témoins de nos travaux continuels, n'ont pu voir sans 
attendrissement nos sollicitudes à cet égard : nous en appelons à 
ces commissaires que vous avez envoyés trop tard. Ils vous diront 
que nous avons vaincu toutes les difficultés, que nous avons été au 
devant de leurs désirs ; qu'enfin, nos réquisitions et nos lettres ont 
eu tout le succès qu'on pouvait en attendre; nous rendriez-vous 
responsables aussi de ce que la sécheresse extrême arrête les 
moulins et entrave la navigation? Cest pourtant dans ce mpment-ci 
le seul obstacle qui s'oppose à l'arrivée d'une grande quanticé de 
farines qui sont acquises. 

» Une observation qui ne doit pas échapper aux bons citoyens, et 
qu'on ne saurait trop mettre sous les yeux du peuple pour qu'il 
apprenne à connaître ceux qui le trompent : c'est que depuis deux 
mois il ne parvient à Bordeaux que des farines provenant d'un blé 
d'une qualité supérieure et sans mélange; quels sont donc ces 
monstres qui altèrent ces farines ou qui ont l'art de les soustraire 
pour y substituer des matières impures dont les animaux refuseraient 
de se nourrir? Hommes si zélés pour les intérêts du peuple, 
qu'avez- vous fait pour découvrir ce mystère d'iniquité? En vain 
nous vous demandons une explication sur ce fait, vous ne faites pas 
semblant de nous entendre; nous viendrons à bout de connaître 
cette manœuvre infernale, qui tendait à empoisonner les braves 
sans-culottes. Malheur alors à ceux qui auront commis ce forfait! 
malheur aussi à ceux qui l'auront souffert! 

> Notre séjour prolongé à La Réole vous effarouche; et vous 
cherchez à en tirer des inductions défavorables contre nous; que 
n'avez-vous pas fait pour persuader aux citoyens que la Convention 
nationale nous retirait nos pouvoirs et vous envoyait d'autres 
commissaires. 

1 Cette nouvelle ruse d'une faction que nous avons abattue ne 
nous a pas surpris; qu'importe au surplus à des Montagnards d'être 
à la Convention nationale ou dans les départements? Ils sont assurés 
que, quel que soit le poste que la patrie leur assigne, ils y rempliront 
leur devoir franchement et sans crainte. 

1 Vous feignez d'ignorer les raisons qui nous retiennent encore, 
quoique nous ne vous les ayons pas cachées; c'est l'intérêt du 
peuple, seul mobile de toutes nos actions, qui enchaîne nos pas, 
lorsque nous brûlons du désir de serrer dans nos bras des frères, des 
amis dont l'attachement pour nous n'a pas diminué, malgré les 
clameurs des malveillants. Irons-nous parmi ce peuple, qui nous 
est si cher, avant d'avoir entièrement assuré sa subsistance? Ne 
sommes-nous pas ici plus à portée de vaquer à ce soin, que dans 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SgS 

une Tille où le tourbillon des affaires qui nous attendent consom- 
merait tous nos instants? Du poste où nous sommes établis, nous 
surveillons les achats et les transports; nous arrêtons tout ce qui 
est pour le compte des spéculateurs, pour le tourner au profit du 
peuple; nous voyons arriver Tinstant heureux où nous pourrons 
nous réunir à nos frères les sans-culottes, et ce ne sera pas sans 
une émotion bien douce que nous partagerons leur empressement 
et que nous jouirons du fruit de nos travaux. 

t Cette lettre, citoyens, sera la dernière réponse que nous ferons 
aux calomniateurs; lorsque notre mission sera terminée et que 
nous rendrons publique notre correspondance, on y lira la 
justification complète des représentants montagnards, qui ne sont 
coupables que d'avoir fait le bien avec persévérance (0. » 

Cette lettre causa une vive émotion au sein du Conseil 
général de la commune et intimida pour quelque temps les 
détracteurs des conventionnels. 

Cependant les persécutions continuaient à Bordeaux, et 
le 6 octobre, Delormel, Peycam, Mazois, Lubbert père et 
fils, le chirurgien Revors, de Gercy, directeur des douanes, 
et une multitude d^autres étaient mis en état d^arrestation 
comme suspects à des titres divers et allaient grossir le 
nombre des détenus. 

Pendant quTsabeau écrivait et qu'on arrêtait à Bordeaux 
les citoyens les plus honorables, Tallien, qui semblait être 
chargé de la partie active de la mission, se rendait dans le 
Liboumais, escorté d'une trentaine de cavaliers de Tarmée 
révolutionnaire campée sous La Réole. Il recherchait 
Guadet, Salles, Pétion, Barbaroux, que des avis secrets ou 
de lâches dénonciations avaient signalés comme étant 
cachés dans cette partie du département. Ses perquisitions 
furent vaines. Il fit toutefois arrêter, tant à Libourne qu'à 
Saint-Émilion, un grand nombre de citoyens, mit sous la 
garde de deux soldats le père de Guadet et prononça la 
confiscation des biens du conventionnel ^^K 

(i) Archives de la Gironde, série L. 
(2) Guinodie, Histoire de Libourne. 



396 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Cest dans cette tournée que Tallien rencontra Lacombe. 
La connaissance fut bientôt faite entre ces deux hommes. 
Accablé de flatteries par le maître d'école, le conven- 
tionnel, étonné de sa faconde révolutionnaire et devinant 
un instrument d'autant plus dévoué que l'ambition et le 
désir d'arriver à quelque chose débordaient chez cet homme, 
se lia avec lui, apprécia ses instincts et ses qualités et lui 
promit sans doute de ne pas Toublier. 

Malheureusement pour les Bordelais, cette promesse 
sinistre fut tenue. 

Le 7 octobre, le Conseil général de la commune ordon- 
nait que tous les citoyens compris dans la réquisition de 
dix-huit à vingt-cinq ans et qui ne s'étaient pas présentés 
pour être incorporés dans les bataillons de nouvelle levée, 
seraient tenus de le faire dans un délai de trois jours; que 
ceux des citoyens déjà incorporés, qui s'étaient absentés 
pour une cause quelconque, seraient tenus de se présenter 
à leurs corps respectifs dans le même délai; et que, ce délai 
passé, les uns et les autres seraient déclarés déserteurs et 
punis comme tel. 

La municipalité prescrivait en même temps des mesures 
sévères à l'égard des suspects. 

Elle invitait les comités de surveillance des sections à 
redoubler de zèle et d'activité, à dresser une liste de tous 
les gens suspects résidant dans l'étendue de leur territoire 
et à les faire arrêter sur-le-champ. 

Les détenus devaient être gardés à vue, avec défense de 
communiquer au dehors. 

Elle suspendait la délivrance des passeports jusqu'à 
l'arrivée des représentants. 

Comme indice du moment, il est utile de transcrire, 
dans son éloquent laconisme, l'article 7 de l'arrêté de la 
municipalité : a: La Commission des travaux publics 
reste chargée de faire mettre à exécution la précédente 



I.A RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 897 



délibération, qui ordonne Tévacuation des maisons 
nationales pour y recevoir les gens suspects. j> 

Telle était la situation à Bordeaux le 7 octobre. Au nom 
de la République et de la liberté, on créait de nouvelles 
prisons ! 

Certes, Chaudron - Roussau et Baudot avaient raison 
en écrivant de Toulouse, le 8 octobre, à la Convention 
nationale : c Bordeaux est enfin rendu à la patrie; toutes 
les autorités constituées sont hors de fonctions; un grand 
nombre de membres de la Commission populaire ont été 
arrêtés, et bientôt l'armée de La Réole mettra le complé- 
ment à cette situation. Les muscadins de Bordeaux sont 
dans l'impossibilité de faire aucune résistance, et ils seront 
républicains, quoi qu'ils en aient dit. Le décret salutaire 
du 6 août y sera exécuté complètement... :^ 

Il était toutefois difficile à la Convention d'avoir une 
idée bien exacte de ce qui se passait à Bordeaux. Les 
contradictions les plus singulières, en effet, régnaient, 
le lecteur a pu s'en apercevoir, dans les diverses cor- 
respondances écrites au sujet de cette ville, soit par les 
représentants du peuple, soit par les délégués de la 
Commune de Paris. Quelle était la cause secrète de ces 
contradictions? Peut-être un sentiment de jalousie de la 
part des conventionnels et le désir d'établir et de prouver 
que la soumission de Bordeaux serait leur œuvre et 
non celle d'envoyés étrangers à la Convention? Nous 
l'ignorons. 

Quoi qu'il en soit, Tallien écrivait le 9 octobre à la 
Commune de Paris : « Ce n'est pas sans étonnement que 
nous voyons à Paris la manière dont on prend la prétendue 
révolution bordelaise. Quoi I les Parisiens seront toujours 
la dupe des fripons et des agioteurs ? Je vais vous dire la 
vérité, car la Convention, les Jacobins et la Commune de 
Paris sont trompés sur cet objet. 



SgS HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

> Vous croyez à Paris que la ville de Bordeaux est 
soumise aux lois, que Bordeaux ne renferme plus de contre 
révolutionnaires et que le girondisme y est entièrement 
étouffé; eh bien! vous vous trompez. Aucune des lois 
révolutionnaires ne sont exécutées à Bordeaux ; les musca^ 
dins qui composent les compagnies de grenadiers et la 
cavalerie nationale se promènent encore insolemment dans 
cette ville; ils viennent de pousser Timpudeur jusqu'à 
enrôler parmi eux le traître Biroteau, Tex-député Duchâ- 
tel, etc.... Plusieurs contre-révolutionnaires viennent d'être 
arrêtés par nos soins. L'on compte à peine douze patriotes 
énergiques sur cinquante-six membVes qui composent la 
nouvelle municipalité... On célèbre, il est vrai, des fêtes en 
l'honneur de Marat, mais ce sont de pures grimaces. La 
faim et la peur ont seules rallié pour un instant les vingt- 
huit sections de Bordeaux; mais il n'y en a pas plus de 
quatre qui soient dans les bons principes... 

]D Cette prétendue révolution à laquelle vous avez 
applaudi, n'est qu'un mouvement feutllantin, dirigé par 
les aristocrates, afin d'éviter celui que nous méditons 
avec les sans-culottes pour tuer le modérantisme et le 
fédéralisme; car il ne faut pas vous laisser ignorer que 
c'est à Bordeaux que tous les complots révolutionnaires 
ont été tramés, que c'est Lavau-Gayon qui a livré Toulon. 
Ce scélérat était encore, il y a quelques jours, président 
de la Société des Récollets... Ces meneurs de Bordeaux 
avaient une correspondance avec Lyon, Marseille, Caen, 
Toulouse, la Vendée... et nous pourrions croire au 
changement subit des Bordelais! Croyez, au contraire, 
qu'ils conspirent dans l'ombre. Nous arriverons sous peu 
de jours à Bordeaux, mais avec une force qui puisse 
imposer aux malveillants, et avec des provisions abondantes 
en grains. 

» Nous sommes ici dans une ville patriote (La Réole); 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. SgQ 

nous courons tout le département et nous extirpons les 
germes du fédéralisme ^^K j> 

Tallien avait mélangé dans sa lettre le vrai et le faux 
avec une dose égale d^exagération dans un sens comme 
dans l'autre; sur certains points, à la vérité, il touchait juste. 

De son côté, le conventionnel Roux-Fasillac écrivait 
d'Angoulême, vers la même époque, qu'il avait appris, par 
une lettre des commissaires de la Commune de Paris dans 
la ville de Bordeaux, que la révolution opérée dans cette 
cité n'était pas une vaine comédie, mais qu'elle était très 
réelle, et que le triomphe des sans-culottes y était assuré (*). 

Qui fallait-il croire? 

Piquée au vif d'avoir été trop crédule, la Commune de 
Paris rappela immédiatement les commissaires Dunouy 
et Viallard. 

Ysabeau et Tallien durent être satisfaits : ils avaient le 
champ libre et le bénéfice du succès leur était acquis. 

Ayant mis dans leurs projets de rentrer prochainement 
à Bordeaux, ils voulurent, pour conquérir la faveur 
publique, essayer de ramener au moins momentanément 
l'abondance au sein de cette cité si éprouvée par la disette; 
ils déléguèrent des commissaires pour aller dans la 
Charente-Inférieure faire des achats de grains et farines, et 
remirent à Bujac et Dussau, désignés pour cette mission 
par le Comité des subsistances, la lettre suivante destinée à 
faciliter leurs opérations : 

c Qtoyens, vous n'apprendrez pas sans le plus vif intérêt 
qu'une heureuse révolution a commencé à s'opérer dans les 
murs de Bordeaux. Les administrateurs coupables ont 
cessé leurs fonctions; plusieurs fédéralistes sont arrêtés, le 
nom de la Montagne se prononce hautement : tout annonce 
qu'avec quelques efforts de plus, le règne des lois 

(0 Moniteur du 1 6 octobre 1793. 
(2} Jd. du i3 octobre 1793. 



400 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

républicaines sera solidement établi dans le foyer même 
des intrigues qui tendaient à la renverser. 

;> Un nouveau Comité de subsistances composé de vrais 
sans-culottes a succédé sous nos auspices à rassemblée 
d'agioteurs qui portait ce nom. 

]> Vous pouvez donc prendre toute confiance aux 
commissaires de ce nouveau comité, qui se rendront auprès 
de vous munis de notre réquisition pour procurer du grain 
aux pauvres, aux ouvriers, aux sans-culottes de Bordeaux 
qui gémissent dans la plus affreuse détresse. Vous pouvez 
être assurés que les grains que vous fournirez à vos 
frères iront à leur véritable destination sans passer par 
les mains des infâmes spéculateurs, et que le peuple 
recueillera tous les fruits des bienfaits de la Convention 
nationale. 

!► Je vous invite par ces motifs et par ceux de la fraternité 

à favoriser de tout votre pouvoir les achats, transports des 

grains qui seront acquis dans l'étendue de votre ressort par 

les Montagnards du nouveau Comité. Les besoins sont 

grands, les secours doivent être prompts. 

:» Salut et fraternité. 

» C.-Alex. YsABEAu, Tallien. » 

Cette mission ne fut pas heureuse. Lequinio et Laignelot 
à Rochefort, Bourbotte à Angers, et Guimberteau à 
Tours, déclarèrent qu étant dans une pénurie absolue, ils 
avaient la cruelle douleur de ne pouvoir satisfaire les 
commissaires, qui parcoururent, sans obtenir de meilleurs 
résultats, les départements de la Charente-Inférieure, de 
Maine-et-Loire, du Loiret, d'Eure-et-Loir, d'Indre- 
et-Loire, etc. 

Dans la nuit du 9 au 10 octobre, huit prisonniers furent 
extraits des prisons de Bordeaux et dirigés sur Paris, où ils 
devaient être traduits devant le tribunal révolutionnaire. 
C'étaient MM. Dudon père, de Gercy, l'abbé HoUier, 



LÀ RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4OÎ 

Delormel, Serrier, Lemoine fils, Lacombe-Puyguereau 
et Lemelie. 

La plupart périrent sur Téchafaud parisien. Comme on 
s^occupait d^eux un jour à la G>nvention, le représentant 
du peuple Baudot dit qu'il fallait huit minutes pour 
les Juger. 

Nous avons déjà indiqué et nous aurons encore à 
constater Timmixtion fréquente du Club national dans les 
affaires de la cité. Le 1 1 octobre, un membre du club 
montait à la tribune : c Ce matin, disait-il, les citoyens se 
sont rendus en foule au temple de VÊtre suprême; ils 
n'y ont vu paraître ancun fonctionnaire public, sinon 
le citoyen Clochard, accompagné de Tun de ses collègues. 
Je demande que le Club national nomme douze de ses 
membres qui se rendront chaque décade au temple, munis 
chacun d'un discours qu'ils prononceront; je demande aussi 
que notre Comité d'instruction publique rédige un résumé 
de nos délibérations les plus intéressantes, et que ce résumé 
soit lu publiquement dans le temple. Il y a lieu de croire 
que les citoyens réunis trouveront un charme patriotique 
dans ces douze discours brûlants de civisme et dans le 
résumé de nos séances ^^K i> 

Cette motion fut adoptée avec enthousiasme. 

Ne fallait-il pas réchauffer l'esprit public et le tenir en 
haleine ? 

Une mesure importante, qui annonçait l'arrivée prochaine 
des représentants à Bordeaux, émut vivement les esprits. 
Le Conseil général de la commune adressa aux citoyens de 
la ville une proclamation ainsi conçue : 

c Vos magistrats viennent avec confiance vous demander encore 
une nouvelle preuve de vos sentiments fraternels et républicains; 
les représentants du peuple séant à Agen et à La Réole se rendent 
enfin à nos vœux ; ils viennent au milieu de nous jouir du spectacle 

(i) Archives de la Gironde, série L, registre 178. 

T. I. 26 



402 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



touchant que vous y donnez chaque jour; ils viennent accompagnés 
de 3,000 de nos frères, et nous désirerions que la République 
entière fût avec eux pour se convaincre de la pureté et de la chaleur 
du patriotisme qui anime la grande masse des citoyens de Bordeaux. 

» Les logements qui doivent recevoir ces 3,ooo hommes sont 
prêts ou vont Têtre; mais il nous manque les choses les plus 
essentielles, des lits et du linge ; tout ce que nous en avions a été 
mis en réquisition pour Tarmée des Pyrénées, et il nous serait 
impossible de pourvoir à ce qui nous manque à cet égard si nous 
ne comptions sur ce dévoûment généreux que vous avez toujours 
fait éclater dans toutes les grandes occasions où la Patrie réclamait 
de vous quelques sacrifices. 

• Nous nous persuadons aisément qu'il eût été plus doux pour 
vous de voir au milieu de votre famille, et de compter au nombre 
de vos enfants, nos braves frères d'armes qui viennent avec les 
représentants du peuple ; mais les circonstances et des raisons d'une 
importance majeure nous ont commandé cette mesure, et la douce 
certitude de vous trouver toujours dignes de vous-mêmes nous a 
pleinement rassurés sur son exécution. 

1 Nous invitons donc, au nom de la Patrie, tous ceux à qui leurs 
facultés le permettent, de porter dans les endroits ci-après désignés 
les lits et le linge dont ils pourront disposer. Tous les effets seront 
numérotés, étiquetés ; ils seront parfaitement soignés et rendus aux 
propriétaires très exactement. » 

En trois jours, plus de i,5oo lits furent fournis par les 
citoyens avec un empressement véritablement patriotique. 

Les représentants arrivaient enfin ; et la population était 
prête aux plus grands sacrifices pour hâter leur présence ! 

Quant aux lits qui devaient être rendus très exactement 
à leurs propriétaires, on ne les revit plus, malgré des 
promesses formelles, et les citoyens en furent dépouillés. 
Ce fait fut reproché plus tard à la municipalité provisoire 
comme une dilapidation à ajouter à bien d'autres. 

Et d'ailleurs qu'importait cette spoliation ? Les Bordelais 
avaient à redouter des calamités bien autrement terribles ! La 
révolution du ï8 septembre, qui devait les sauver, n'avait 
fait qu'ajouter d'autres maux à leurs maux anciens. La 
sécurité politique, si nous pouvons ainsi parler, n'existait 
plus; le 1 1 octobre, un contemporain écrivait : oc Bordeaux 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4o3 

se trouve dans des circonstances critiques ; les arrestations 
se font toutes les nuits avec une activité incroyable. L'on 
en arrête quelquefois jusqu'à 3oo par jour. Les affaires 
sont toutes suspendues; on a apposé les scellés chez 
beaucoup de négociants et de capitalistes. On compte 
environ 3 à 4,000 personnes emprisonnées, et toutes les 
nuits, comme je vous Tai dit, on en arrête beaucoup (>). » 

Pour exécuter les ordres du G>mité de salut public et 
des proconsuls de La Réole, on avait placé la population 
bordelaise sous le régime de la loi des suspects. Tels étaient 
les bienfaits du système politique dont on préparait la 
venue ! 

L'ojfficier municipal Vitrac a dit que les principales 
arrestations avaient eu lieu d'après une liste apportée de 
Paris par Chaussade et Couteau, officiers municipaux 
provisoires. Cette liste, contenant les noms de soixante-dix 
personnes environ, avait été dressée, à ce qu'on assure, 
par Desfîeux, Pereyra, Courtois et Delclou, qui ne cessèrent 
de calomnier le département de la Gironde auprès des 
divers comités de la Convention et au sein du club des 
Jacobins. Voici, au surplus, comment s'exprima Vitrac : 
<L Le jour du retour de Chaussade de Paris, on nous retint 
une douzaine de membres de la commune; on nous fit 
souper, et ensuite, fermant la porte, on nous dit : Il s'agit 
d'une grande mesure qu'il faut exécuter sur-le-champ; et 
l'on nous présenta la liste. C'était un chiffon de papier 
large d'environ quatre pouces sur un pied de long, sans 
signature. Chaussade et Couteau étant allés à Paris, quel- 
ques membres de la Convention leur dirent : Vous venez 
nous annoncer la régénération de Bordeaux, mais il y a 
des meneurs qu'il faudra arrêter; on vous en donnera la 
liste. Chaussade la reçut, en effet, le lendemain des mains 

1) Lettre de Guille, du 11 octobre lygS. 



404 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

. _ . ■ ■ > 

de Desfieux. Elle avait été dressée, assure-t-on, par ce 
dernier. Chaussade présenta aux membres de la Commune 
ci-dessus cette liste comme étant un relevé fait dans les 
bureaux du Comité de salut public. Toutes les objections 
furent inutiles|et les arrestations immédiatement résolues <'^ » 

Les principaux promoteurs de ces arrestations, qui 
plongèrent la ville dans le deuil et la consternation, furent 
Martial, Barsac, Charles, Cogorus et d'autres que nous 
pourrions nommer. 

L'officier municipal Vitrac prétendit plus tard que s'il 
avait procédé à des arrestations, c'était afin di adoucir à 
ceux qu'il avait choisis et qui étaient ses amis, le coup 
qu'on leur portait, 

Martignac] père, activement recherché alors, fut assez 
heureux pour se soustraire au zèle de Barsac et autres. 

Bordeaux, on peut en Juger, marchait hardiment dans la 
voie f révolutionnaire; et cependant bien des calomnies 
étaient encore répandues dans la France sur le compte de 
cette ville. C'est ainsi que Gasparin et Salicetti écrivaient 
le 1 1 octobre : « Le commerce de Bordeaux, le commerce 
de Marseille, sont prêts à partir pour Naples, pour y 
aller prendre le comte d'Artois, Monsieur et l'évêque de 
Toulon (»). » 

C'était bouffon à force d'invraisemblance, et, pour nous 
servir du mot de Voltaire, nous dirons : c'était ainsi que 
l'on écrivait l'histoire. 

Quelques esprits rêvaient certainement la contre-révolu- 
tion à Bordeaux, mais la ville soumise et affamée était aux 
pieds des conventionnels et demandait merci. 

La pénurie des subsistances y était telle, au moment 
même où on la calomniait ainsi, que, pour y remédier et 
sur les instances de la municipalité, les représentants du 

(i) Journal du Club national de Bordeaux du 8 nivôse an III« 
(2) Moniteur du 23 octobre 1793. 



LA RÉVOLUTION DU t8 SEPTEMBRE. 4o5 

— ■■■» »■ M ■ I ■■ ^.l»- »■-■■ .!■ ■ ^^—^.^l ■■■■»■ ■ ■■■»■■ <pi ■■W^^M^I II I p ^ 

peuple, par un arrêté du i3 octobre, autorisèrent celle-ci 
à extraire partie des biscuits qui se trouvaient sur les 
vaisseaux frétés pour le compte de la République, ou 
d'autres subsistances, pour les distribuer aux sections par 
égale portion. 

On annonçait en même temps que 3o,ooo boisseaux 
de farine devaient arriver incessamment à Bordeaux 
venant de Toulouse et de divers autres points de la 
République. 

En transmettant leur arrêté à la municipalité, Ysabeau 
et Tallien écrivaient : « Nous vous envoyons, par le retour 
de votre courrier, l'arrêté que vous nous demandez. Vous 
en trouverez peut-être les conditions un peu sévères; 
mais comme cette démarche est hors la loi et peut 
préjudicier en quelques points aux intérêts de la Répu- 
blique, il est certain qu^il ne faut user de la ressource 
qu'elle présente qu'autant qu'elle sera commandée par 
l'extrême nécessité. 

» Nous avons l'assurance d'une grande quantité de 
farines; il ne manque que des sacs : ceux qu'on a envoyés 
de Bordeaux exigent des réparations qui en retardent 
l'envoi. Veillez à ce que ces opérations si . importantes 
soient faites avec plus d'exactitude, car il semble qu'il 
manque toujours quelque chose au bien qui devrait s'opérer 
pleinement et sans obstacle ('>. » 

Peut-on penser sérieusement dans ces circonstances que 
le commerce de Bordeaux, s'il existait encore, eût les 
projets que lui prêtaient Salicetti et Gasparin dans leur 
lettre du 1 1 octobre ^^^1 Non, sans doute. 

Marandon, rédacteur du Courrier de la Gironde, 
dont nous avons déjà parlé <^ï, figurait sur la liste de 



(i) Archives de la Gironde, série L. 

(a) V. suprà, p. 404. 

(3) V. Livre I» chap. m, p. 73. 



406 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

proscription envoyée de Paris. Il était activement recherché 
par la municipalité. Guidée par le sentiment de Tamour 
conjugal, sa femme s^était rendue à La Réole pour solliciter 
les représentants en faveur de son mari. Renseignés par 
leur entourage, Ysabeau et Tallien prirent à Tégard de 
cette dame une mesure monstrueuse : ils la firent appré- 
hender comme otage de son mari et renvoyèrent au Comité 
de surveillance de Bordeaux avec invitation de la mettre en 
état d* arrestation dans son domicile jusqu'à ce que le 
citoyen son mari se fut constitué prisonnier entre les 
mains des représentants du peuple, qui se réservaient 
de statuer définitivement sur son sort. Le 14 octobre, à 
neuf heures du soir, Marandon, informé par des amis de ce 
qui s'était passé et de l'arrestation de sa femme, se présenta 
au Comité de surveillance et fut écroué à la maison 
commune (*). Il expia plus tard ses erreurs politiques sur 
réchafaud bordelais. 

Nous avons signalé des contradictions existant entre les 
diverses correspondances officielles relatives à la situation 
politique de Bordeaux à Tépoque des premiers jours 
d'octobre. Robespierre lui-même s'expliqua à cet égard, et 
dans la séance de la Société des Jacobins du 14 de ce 
mois, il dit, à l'occasion d'une discussion sur un rapport 
de JuUien (de Toulouse) ayant trait aux départements 
fédéralistes : qu'on cherchait à compromettre la municipalité 
de Paris, qu'on avait induite en erreur et à qui on avait 
fait faire une fausse démarche auprès de celle de Bordeaux 
qui, malgré ses belles apparences, était l'ennemie née de 
la ville de Paris, et le serait, relativement à son commerce, 
de la République ^^K 

Il est vrai qu'au même moment Dunouy et Viallard 
annonçaient, par une lettre du 14 octobre, que le patrio- 

(1) Archives de la Gironde, série L, registre 490 bis. 
(3) Moniteur du 17 octobre 1793. 



LA RÉVOLUTION DU t8 SEPTEMBRE. 407 



tisme se prononçait dans cette ville et que les aristocrates 
n'avaient plus la même influence qu'auparavant (*). 

Si un document officiel pouvait être invoqué à l'appui 
de Topinion des commissaires de la Commune de Paris, 
nous dirions que les femmes même s'étaient associées au 
mouvement révolutionnaire. A cet égard, nous reproduisons, 
en y rétablissant seulement les lois violées de l'orthographe, 
la curieuse et singulière adresse envoyée le 1 5 octobre à la 
Convention nationale par la Société des Amies de la 
République française séante aux ci-devant Jacobins : 

f Législateurs, disaient ces citoyennes, Tégarement où les 
intrigants avaient plongé notre cité, a fait frémir d*indignation les 
vraies amies de la République. Nous avons vu le précipice 
entr'ouvert sous nos pieds, et nos regards aussitôt se sont portés 
vers vous. Nous avons applaudi du premier moment aux journées 
des 3i mai, 2 et 3 juin, mais la tyrannie et un pouvoir usurpé par 
des hommes captieux et traîtres nous empêchaient de dire la vérité. 
Les bons patriotes étaient forcés de se taire devant les agitateurs et 
les fédéralistes de notre ville, car les incarcérations étaient pour 
ceux qui avaient le courage de se prononcer et de manifester leurs 
opinions; mais aujourd'hui que Bordeaux, éclairé du flambeau de 
la vérité, abjure ses erreurs et que cette vérité, longtemps persécutée, 
triomphe, nous nous empressons de vous dire ce que le pur 
patriotisme nous a toujours dicté. 

• Législateurs, nous ne vous parlerons pas avec éloquence, mais 
avec franchise : une Êiciion royaliste siégeait au milieu de la 
Convention. L'intrigue et la conjuration agitaient les départements; 
il nous fallait des hommes dignes du caractère de représentant du 
peuple pour terrasser les méchants. 

1 Cest vous. Montagne, qui les avez enfantés ces hommes 
vertueux qui ont eu le courage de dévoiler aux yeux de la 
République étonnée les infâmes complots de la caste liberticide. 
Grâces vous en soient rendues! Journées des 3i mai, 2 et 3 juin, 
nous vous rappellerons toujours avec joie et nous transmettrons 
votre précieux souvenir aux siècles qui nous suivront! 

» Législateurs, frappez du glaive de la loi tous ces hommes 
masqués de patriotisme 1 Que la vengeance nationale retombe sur la 
tête de tous les conspirateurs ! Que le sol de la liberté ne soit plus 

(i) Moniteur du 16 octobre 1793. 



4o8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



souillé par ses ennemis, et vous conserverez à la République une 
grande cité et des hommes dignes de servir leur patrie ! 

> Défenseurs de l'unité et de l'indivisibilité de la République 
française, le salut de cette même patrie, au nom de laquelle nous 
vous parlons, exige de vous de rester à votre poste, et nous vous 
invitons, nous vous conjurons^ par tout ce qui est de plus cher à des 
âmes républicaines, de ne point l'abandonner jusqu'à la paix. 

1 Vous avez fait le bonheur du peuple en lui donnant une Consti- 
tution que nous soutiendrons au péril de notre vie : le peuple 
français vous devra tout son bonheur et sa tranquillité. 

I Notre cité se régénère et se méfie des faux patriotes, honnit la 
troupe muscadine et prend enfin des mesures vigoureuses. 

• Quelques intrigants avaient voulu jeter de la défaveur sur les 
représentants à La Réole, Ysabeau et Baudot; mais la sage conduite 
de ceux-ci et leurs bienfaits continus ont démonté la calomnie. 
Nous espérons que la surveillance du Club national et des sans- 
culottes bordelais abattront tout à fait le monstre sanguinaire de 
l'aristocratie, et que notre cité, purgée de tous les coupables 
factieux qui la déchiraient^ ne sera habitée que par des vrais 
montagnards et des franches républicaines, qui, à votre exemple, 
sauront sacrifier leurs talents et leurs vies pour le maintien de la 
République française une et indivisible. 

• Nous sommes très cordialement les citoyennes, etc. 

» Signé : Dorbe aînée, présidente; 
DoRBE cadette, archiviste; 
Veuve Larrieux et veuve JtJvÉ, secrétaires (0. i 

Telle était rébulUtion révolutionnaire que provoquaient 
la peur et la faim; car nous ne saurions attribuer à d'autres 
mobiles la violence du langage d^un sexe habituellement 
étranger aux choses de la politique. 

Au milieu des maux de toutes sortes qui assiégeaient la 
population, les dénonciations pleuvaient au Comité de 
surveillance. Elles y étaient toujours bien accueillies et les 
arrestations allaient bon train ^^K 

Sans doute on préparait ainsi le terrain pour la réception 
des proconsuls de la Convention. Ils étaient, en effet, 
attendus à toute heure, et la municipalité s^efforçait de 

(i) Archives de la Gironde, série L. 

(3) Archives de la Gironde, série L, registre 490 ^15. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 409 



prendre une attitude véritablement révolutionnaire, tandis 
que les sections se tenaient sur le qui -vive aux cris de 
Vtpe Marat (0! 

Il n'est pas sans intérêt dUndiquer ici qu'une des principales 
branches du commerce de Bordeaux à ce moment consistait 
dans la vente de bonnets rouges et du portrait de Marat... 

Tout le monde se démocratisait par peur, et Bordeaux 
avait courbé la tête sous l'omnipotence audacieuse de la 
section Franklin et du Club national. Cela ne suffisait pas, 
et les Jacobins de Paris se disposaient à envoyer vingt 
commissaires à Bordeaux, pour coopérer avec les repré- 
sentants du peuple à former l'esprit public de cette ville ^^K 

Enfin, ce jour longtemps attendu, longtemps désiré, était 
venu. C'était le i6 octobre 1793 ^^K 

Les conventionnels étaient en route pour Bordeaux et ils 
allaient entrer dans cette ville. Dès le matin la nouvelle 
s'en était répandue, et plus de 20,000 citoyens s'étaient 
portés au-devant d'eux. Les habitants, dit Tustet, furent en 
foule et sans armes à leur rencontre pour les accueillir et 
leur témoigner leur allégresse ^^K Ils avaient à la main des 
branches de laurier. 

Vers quatre heures de l'après-midi, les représentants 
Ysabeau, Baudot, Chaudron-Roussau et Tallien firent leur 
entrée dans Bordeaux, en passant par une brèche faite au 
mur de ville près la porte Sainte- Eulalie ou de Berry. 

La ville était conquise. 

Un contemporain a raconté que des cris de joie et 
d'enthousiasme annoncèrent l'arrivée des quatre commis- 
saires de la Convention (^K D'autres prétendent qu'ils furent 
accueillis par un morne silence. 



' (i-5) Sainte-Luce Oudaille, Histoire de Bordeaux , etc. 
(3) Moniteur du a 1 octobre 1 793. 

(3) Ce même jour on guillotinait la reine Marie- Antoinette à Paris. 

(4) Tustet, Tableau des événements, etc. 



410 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



La vérité est certainement entre ces deux appréciations. 
Les hommes de la Gironde avaient tout à redouter de la 
présence des conventionnels, et ils durent se tenir à Técart 
le i6 octobre; mais la masse de la population, que ne 
pouvaient diriger les mêmes craintes et qui voyait dans 
Ysabeau et ses collègues la personnification de Tabondance 
et la cessation des maux de la disette, la masse de la 
population, disons-nous, les accueillit avec une satisfaction 
à laquelle les intrigues des meneurs surent donner l'appa- 
rence d'une fête et d'une manifestation de la joie publique. 

Précédés et suivis d'une armée révolutionnaire de 
3,000 hommes, sous le commandement des généraux 
Brune et Janet, le premier ami et le deuxième neveu de 
Danton, les conventionnels, impassibles et calmes en 
apparence, s'avançaient au milieu de la foule du peuple 
dans des calèches découvertes. Ils avaient revêtu pour la 
circonstance leur costume traditionnel. 

L'artillerie et deux pièces de canon ouvraient la marche; 
puis venaient les voitures, autour desquelles caracolaient 
des aides de camp chargés d'en assurer la libre circulation. 

L'air retentissait des cris de Vtpe la Nation! Vive la 
République! Vivent les Représentants ! Vive Marat! Vive 
la Sainte-Montagne! et des hommes coiffés de bonnets 
rouges chantaient l'hymne des Marseillais, comme on disait 
alors. Les chants étaient interrompus de temps à autre par 
les cris sinistres : A bas les Girondins ! 

C'était un spectacle curieux et qui a laissé de profonds 
souvenirs parmi ceux qui en furent les témoins désintéressés. 

A la suite des représentants, on remarquait leur secré- 
taire, Peyrend d'Herval, commissaire des guerres, ancien 
secrétaire de Couthon. On le disait chargé d'épier leurs 
actes et leurs démarches pour le compte du Comité de 
salut public. C'était un homme dangereux et méchant, et 
qui profita de sa position et de son influence pour se venger 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4I I 



Cruellement des mauvais traitements qu^on lui avait fait 
éprouver à Bordeaux deux mois auparavant ^^K 

Les commissaires de la Convention descendirent au 
Grand - Séminaire <*\ où leurs appartements avaient été 
préparés et où une partie de Tarmée révolutionnaire 
s'installa avec eux. La ville de Bordeaux, définitivement 
soumise, allait subir le joug de la Montagne. 

Disons ici quelques mots des proconsuls qui avaient été 
chargés de réduire cette ville. 

Chaudron- Roussau, avocat à Tépoque de la Révolution, 
en embrassa la cause avec enthousiasme et devint procureur 
syndic du district de Bourbonne-les-Bains. Il avait été élu 
en septembre 1791 député de la Haute-Marne à TAssemblée 
législative, où il siégea au côté gauche, et fut nommé après 
la journée du 10 août membre de la Convention nationale. 
Il y vota la mort de Louis XVI et reçut de nombreuses 
missions dans les départements. Il fut sous TEmpire 
inspecteur des forêts à Bourbonne-Ies-Bains. 

Baudot était médecin à Charolles en 178g. Il avait été 
envoyé comme suppléant à la Législative et plus tard 
comme député à la Convention par le département de 
Saône-et-Loire. C'était un caractère énergique et emporté. 
Après avoir demandé un décret d'accusation contre Dillon, 
Maury, Courvoisier et Choiseul-Gouffier, il vota la mort de 
Louis XVI, fit décréter que les cloches seraient converties en 
canons, et fiit envoyé en mission dans le midi de la France. 

Ysabeau était un ancien oratorien; il avait, selon une 
expression bien connue, jeté le froc aux orties, et ses 
concitoyens d'Indre-et-Loire l'avaient nommé député à 
la Convention nationale, où il vota la mort de Louis XVI. 
C'était un homme instruit, mais insouciant et occupé des 
plaisirs de la table. 

(i) V. livre II, chap. iv. 

(3) Hôtel actuel des Monnaies, rue du Palais-Gai lien. 



412 HISTOIRE DE L\ TERREUR A BORDEAUX. 



Tallien, le plus jeune des quatre commissaires, avait une 
personnalité plus tranchée; fils du portier d'un grand 
seigneur auquel il avait dû son éducation, il fut successive- 
ment homme d'affaires du marquis de Bercy, clerc de 
procureur, employé dans les bureaux de commerce et de 
finance, copiste du député Brostaret durant TAssemblée 
constituante, et enfin prote dans les ateliers du Moniteur, 
En 1 79 1 , il créa sans succès Y Ami des Citoyens, et devînt 
secrétaire général de la Commune de Paris le lo août. Il 
commença dès lors à jouer un rôle plus considérable et fut 
accusé d^avoir participé aux massacres de septembre. Élu 
député de Seine-et-Oise à la Convention nationale, il vota 
la mort de Louis XVI et reçut ensuite des missions dans 
les départements. 

Tels étaient les hommes qui, singeant l'entrée de Mont- 
morency à Bordeaux, venaient de prendre possession de 
cette ville au nom de la Convention. 

Dès le lendemain de leur arrivée, les représentants 
descendirent (') au Comité de surveillance, où ils furent 
accueillis avec uti enthousiasme inexprimable. Le président 
Rideau leur fit connaître dans un langage ému les senti- 
ments dont étaient pénétrés pour eux les cœurs de tous les 
membres du Comité. Les représentants remercièrent en 
quelques mots, déclarant quHls étaient venus à Bordeaux 
pour s'occuper du bonheur du peuple et qu'ils y consacre- 
raient toutes leurs veilles. 

Du Comité de surveillance, les représentants se rendirent 
au Club national. Les membres s'étaient réunis dans le 
local ordinaire de leurs séances à l'église Saint- Projet, 
et le président venait d'annoncer que la Société allait se 
transporter à l'ancien musée, lorsque Tallien, Ysabeau, 
Baudot et Chaudron - Roussau arrivèrent, escortés du 

(i) Les bureaux du Comité de surveillance étaient au Grand-Séminaire, 
où demeuraient les conventionnels. 



LA RÉVOLUTION DU l8 SEPTEMBRE. 4l3 

général Brune, de Peyrend d'Herval et d^un détachement 
de Tarmée révolutionnaire. 

Les représentants se mirent en tête de la Société et 
rinstallèrent dans le local où avaient longtemps siégé les 
Amis de la Liberté et de V Égalité. 

De nombreux discours furent prononcés dans cette 
circonstance. Tallien, notamment, exalta le patriotisme du 
Club national; il rengagea à continuer sa glorieuse mission : 
€ Les sans-culottes, désormais, ne doivent rien craindre, 
dit-il, car la représentation nationale et la guillotine sont 
là pour venger les outrages par lesquels on essaierait de 
les ralentir dans leur marche vers le sommet où ils doivent 
s'élever (''.}> 

Cette installation fut suivie de fraternelles agapes avec 
les Montagnards bordelais. 

Le soir de ce jour, le théâtre de la République, ci-devant 
Molière, recevait la visite d'Ysabeau et de Tallien. On 
jouait la Plantation de Varbre de la liberté, pièce 
patriotique. 

Une afflueuce considérable de citoyens, attirés par la 
présence des conventionnels, remplissait la salle. Des cris 
et des bravos éclataient à chaque instant à leur adresse et 
troublaient la représentation. 

Tallien se leva : ce Gardez vos applaudissements, citoyens, 
s'écria-t-il; quand nous aurons fini notre mission, quand 
Tordre et la tranquillité seront rétablis dans votre ville, 
alors vous nous témoignerez votre allégresse par le bonheur 
dont vous jouirez; mais souvenez- vous bien que nous ne 
sommes ici que de simples citoyens comme vous. > 

Ces paroles calmèrent l'enthousiasme populaire, et la 
représentation put continuer tranquillement. 

L'hymne des Marseillais termina le spectacle, mais il 

(i) H. Chauvot, le Barreau de Bordeaux. 



414 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

y eut une correction faite à Tun des couplets par un 
capitaine de Tarmée révolutionnaire. Quand Taaeur chanta : 

Français, en guerriers magnanimes^ 
Portez ou retenez vos coups! 
Épargnez ces tristes victimes, 
A regret s'armant contre vous 

— Non, non, s'écria le capitaine en interrompant le 
chanteur... 

Le silence se fit, tous les regards cherchèrent Tinter- 
rupteur, on écouta : 

— Nous ne voulons épargner personne, continua-t-il; 
guerre à mort aux despotes, aux aristocrates, aux 
fédéralistes, guerre à mort I Le couplet n'est plus à Tordre 
du jour 

Ces mots horribles furent accueillis par des applaudis- 
sements, et un cri général de guerre à mort retentit dans 
toute la salle. 

Guerre à mort !xtl était le cri formidable du moment... 

La ville de Bordeaux était réduite ; il restait à y organiser 
la Terreur. Ysabeau et Tallien s'en occupèrent sans délai, 
et le génie de la destruction et de la mort ne tarda pas à 
planer sur cette ville en deuil ! 

Nous allons, le cœur serré, raconter, avec l'impartialité 
de Thistorien, les funèbres hécatombes de Tan II de la 
République dans la patrie des Girondins. 

Selon la parole de M. Louis Blanc, a c'est un récit 
lamentable à jamais que celui que nous allons aborder ^^K 3 

(0 Histoire de la Résolution française, t. IV, chap. ly : les Proconsuls. 



FIN DU I«r VOLUME. 



» t »^ ^ -> t »-» t < " * ^ >t* 4 ^ '^ >| » 4»4 ^-» t » 4 ^ ^^ '' t *' 4^ ''' t *' 4 ** t *' 't *' 4 * "*^ '' i ' 



APPENDICE 



NOTE I, p. i8. 



USTE DES QJJ A TRE- VINGT-DIX ÉLECTEURS. 



MM. 

Alphonse père. 

André. 

fiattanchon. 

Bazanac père. 

Béchade père. 

Bergeret. 

Bernadau-Lamarche. 

Bolle. 

Borel. 

Boudin. 

Bourdier. 

Broca. 

Brochon père. 

Campaignac. 

Carie père. 

Cazejus. 

Chaigneau-Joffret. 

Chandru. 

Chicard. 

Chicou- Bourbon . 

Cornet. 

Constant. 

Crozilhac. 

Dambielle père. 

Descats père. 

Desèze. 

Darmagnac. 

Détan aîné. 

Dubreuil. 

Du four. 



MM. 

Duranteau père. 

Duthil père. 

Fabre, 

Fadeville. 

Fauché aîné. 

Faurie père. 

Feuilherade. 

Fléché. 

Fourcade. 

Four nier. 

Fourraignan. 

Gachet-Delisle. 

Ganucheau. 

Gassies. 

Gaube. 

Gauvry père. 

Gerbier. 

Gibaudau. 

Gibert. 

G radis. 

Journu. 

Laclaverie. 

Laclotte père. 

Lafargue. 

Lafargue aîné. 

Lafon. 

Lagarde. 

Lapeyre. 

Laporte. 

Larré. 



MM. 

Latuillière. 

Latus. 

Légé. 

Lemesle. 

Lévéque. 

Leydet. 

Manville. 

Marion. 

Mercier. 

Monnerie. 

Moulina. 

Nairac. 

Plantevignes père. 

Rabeau. 

Rabaud. 

Ravesies fils aîné. 

Reveillet. 

Roger. 

Roullet. 

Roussillon. 

Royer. 

Sabrier. 

Sandre. 

Séjourné aîné. 

Séjourné jeune. 

Sers père. 

Soulignac père. 

Tarteyron (J.). 

Trapé. 

Villotte. 



41 6 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



NOTE II, p. 23. 

ARRÊTÉ 

det 

QUATRE- VINGT- DIX ^ECTBURS DB LA YILLB DB BORDEAUX. 

Les électeurs des communes de Bordeaux, honorés de la confiance 
de leurs concitoyens, ont cru ne pouvoir mieux répondre jusqu'à ce 
jour, qu'en prenant toutes les mesures que leur prudence a pu leur 
suggérer, pour prévenir les troubles et les désordres qui sont trop 
souvent la suite des premiers mouvements, lors même qu'ils n'ont 
pour objet que le bien général et l'intérêt de la cause commune. 
C'est dans les mêmes vues qu'ils se sont occupés de ce qui pourrait 
à l'avenir porter atteinte à la tranquillité publique, et qu'ils ont 
délibéré et arrêté ce qui suit : 

i^ Tous les citoyens sont invités à' continuer de vaquer aux 
occupations ordinaires de leur état. 

2» Tous les ouvriers, compagnons ou autres, sont avertis de 
rentrer dans leurs ateliers respectifs, de s'occuper de leurs travaux 
et d'éviter tout attroupement. Les maîtres sont invités de veiller 
à ce que les ouvriers ^e tiennent dans Tordre prescrit par les 
règlements de police. 

3» Tout citoyen doit s'interdire d'appliquer aucun placard injurieux 
ou séditieux, à peine d'être réputé perturbateur de l'ordre public. 

49 Tous les piquets, détachements ou compagnies des troupes 
patriotiques de Bordeaux, sont invités à enlever les placards de ce 
genre qu'ils pourraient trouver, et ils dénonceront les coupables qui 
seraient surpris en flagrant délit. 

50 Personne ne se permettra d'insulter aucun citoyen, habitant, 
étranger ou voyageur, ni de porter atteinte à la liberté individuelle. 

Fait et arrêté dans l'assemblée des 90 électeurs des communes de 

Bordeaux, le 23 juillet 1789. 

ViLLOTTE, président; 

Lagarde, secrétaire. 
(Bibl. de Bord., n« 26005, A2.) 



NOTE III. p. 27. 

Je profite d'un courrier extraordmaire pour vous donner de nos 
nouvelles. Ce courrier est envoyé par tous les bons citoyens pour 
porter à l'Assemblée nationale une adresse contre un arrêt rendu 



APPENDICE. 417 



par la Chambre des vacations. Dans cet arrêt qu^ont occasionné les 
troubles de la province, troubles au reste qui ne subsistent plus, on 
se permet d'avancer que nos représentants n'ont jusqu'à présent 
fait que des maux quil serait difficile d'énumérer. Il n'y a eu qu'un 
cri contre cette coupable irrévérence. Nous espérons que l'Assemblée 
nationale en fera justice. 

Déjà notre fougueuse jeunesse, au café de M. Saige, a brûlé 
publiquement cet arrêt incendiaire et a lu sa sentence en plein 
spectacle. 

(Lettre de M. Charles G£raud (1) à M. Terrier, médecin.) 



NOTE IV, p. ag. 

Robespierre faisait un jour l'éloge d*un nommé Desfieux, homme 
noté pour son improbité et qu'il a sacrifié dans la suite. « Mais 
votre Desfieux, lui dis-je, est connu pour un coquin. — N'importe : 
c'est un bon patriote. — Mais c'est un banqueroutier frauduleux. 
— C'est un bon patriote. — Mais c'est un voleur. — C'est un bon 
patrio.e. • Je n'en pus arracher que ces trois paroles. 

(Meillan, représentant du peuple, député par le département des 
Basses-Pyrénées. Compte-rendu, germinal an 111.) 



NOTE V, p. 34. 

Notre fédération s'est faite le 17 de ce mois Que cette 

cérémonie était auguste 1 Le Jardin public est totalement changé. 
En conservant les allées de côté et le bois qui est dans le fond, en 
comblant le bain qui était au milieu, en faisant disparaître toutes 
ces plates-bandes, on a fait un champ-de-mars immense. C'est au 
milieu qu'on avait élevé un autel à la patrie et c'est là qu'on a juré 
au Dieu régénérateur de l'empire français de s'aimer, de se secourir 
et de défendre la Constitution. Le silence le plus profond, malgré 
l'immensité du peuple, régnait au moment du serment, et chacun 
était profondément pénétre d'un respect religieux. 

(Ch. GérauDi Lettre à son fils Edmond, du 19 juin 1790.) 



(i) Nous devons à M""* Jardel-Laroque la communication de l'intéressante 
correspondance de M. Géraud, son père. Nous lui en exprimons toute notre 
reconnaissance. 

T. 1. 27 



41 8 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



NOTE VI. p. 38. 

A la requête de Monsieur Emmanuel-Céleste-Augustin de Durfort, 
chevalier de Tordre militaire de Saint-Louis, maréchal des camps et 
armées du Roi, demeurant à Bordeaux sur le grand cours de Touruy, 
paroisse de Saint-Dominique, 

Soit déclaré à Monsieur Taccusateur public établi près le tribunal 
du district de Bordeaux, 

Que le greffier vient de faire lecture à mondit sieur requérant 
d*un jugement, en date de ce jour, par lequel il a été déclaré que le 
tribunal, attendu ce qui résulte du décret de TAssemblée nationale 
du i5 de ce mois, ne peut continuer la procédure commencée contre 
mondit sieur requérant, et a ordonné que les portes de la prison lui 
seront ouvertes. 

Mondit sieur requérant déclare que plein des sentiments patrio- 
tiques qui l'ont toujours animé, fier d^avoir pu, dans des circonstances 
critiques, être de quelque utilité à la ville de Bordeaux, toujours 
chère à sa famille, il ne saurait envisager qu'avec peine, l'application 
qu'on veut lui faire d'une loi d'indulgence, que les circonstances ont 
pu rendre nécessaire à ceux qui ont eu le malheur de s'égarer. 

En conséquence, mondit sieur requérant déclare que quoiqu'il 
ait lieu de penser que la lecture faite publiquement ce matin de la 
procédure commencée contre lui, a dû annoncer à tout le public 
qu'il n'y a aucune charge qui puisse le faire présumer coupable, il 
ne va sortir des prisons, avant que sa justification ait été prononcée 
d'une manière légale, que parce que l'autorité publique l'a com- 
mandé. Mais qu'il proteste formellement d'établir son innocence 
par tous les moyens que les lois laisseront à sa disposition, et qu'il 
ne jouira d'aucune tranquillité jusqu'à ce qu'il ait prouvé à tous les 
honnêtes citoyens qu'il n'avait pas mérité les soupçons et les 
outrages que la calomnie a accumulés sur sa tête, dont acte. 

Signé : Durfort. 

Signifié le 21 septembre 1791 l'acte ci-dessus à Monsieur l'accusa- 
teur public près le tribunal du district de Bordeaux, aux fins qu'il ne 
l'ignore. Fait..., etc. Signé : Valance, huissier. 

(Plaquette de 2 p. sans 1. ni d.) 



NOTE VII, p. 43. 

Circulaire de la Commune de Paris du 2';^ septembre. 

Frères et amis, un affreux complot, tramé par la cour, pour 
égorger tous les patriotes de l'empire français, complot dans 



APPENDICE. 419 



lequel un grand nombre de membres de l'Assemblée nationale sont 
compromis, ayant réduit, le 9 du mois dernier, la commune de 
Paris à la cruelle nécessité de se servir de la puissance du peuple 
pour sauver la nation, elle n'a rien négligé pour bien mériter de la 
patrie. Après les témoignages que l'Assemblée nationale venait de 
lui donner elle-même, eût-on pensé que dès lors de nouveaux 
complots se tramaient dans le silence, et qu'ils éclataient dans le 
moment même où l'Assemblée nationale, oubliant qu'elle venait 
de déclarer que la commune de Paris avait sauvé la patrie, s'empres* 
sait de la destituer, pour prix de son brûlant civisme? A cette 
nouvelle, les clameurs publiques élevées de toutes parts ont fait 
sentir à l'Assemblée nationale la nécessité urgente de s'unir au 
peuple, et de rendre à la commune, par le rapport du décret de 
destitution, les pouvoirs dont elle l'avait investie. 

Fière de jouir de toute la plénitude de la confiance nationale, 
qu'elle s'efforcera de mériter de plus en plus ; placée au foyer de 
toutes les conspirations, et déterminée à périr pour le salut public, 
elle ne se glorifiera d'avoir rempli pleinement son devoir, que 
lorsqu'elle aura obtenu votre approbation, qui est l'objet de tous 
ses vœux, et dont elle ne sera certaine qu'après que tous les dépar- 
tements auront sanctionné ses mesures pour le salut public; et 
professant les principes de la plus parfaite égalité, n'ambitionnant 
d'autre privilège que celui de se présenter la première à la brèche, 
elle s'empressera de se soumettre au niveau de la commune la 
moins nombreuse de l'empire, dès qu'il n'y aura plus rien à 
redouter. 

Prévenue que des hordes barbares s'avancent contre elle, la 
commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départe- 
ments qu'une partie des conspirateurs féroces, détenus dans les 
prisons, a été mise à mort par le peuple, actes de justice qui lui 
ont paru indispensables pour retenir par la terreur les légions de 
traîtres renfermés dans ses murs, au moment où il allait marcher à 
l'ennemi, et sans doute la nation, après la longue suite de trahisons 
qui Va conduite sur les bords de Vabtme, s'empressera d'adopter ce 
moyen si utile et si nécessaire-, et tous les Français se diront, comme 
les Parisiens : Nous marchons à l'ennemi, et nous ne laissons pas 
derrière nous des brigands pour égorger nos femmes. et nos enfants. 

Signé : Duplain, Panis, Sergent, Lenfant, Marat, Lefort, 
JouRDEUiL, administrateurs du Comité de salut 
public constitué à la mairie. 



420 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



NOTE VIII, p. 43. 



DÉPARTEMENT DE LA GIRONDE. 

Assemblée électorale tenue à Libourne en exécution de la loi du 
j 2] août I7g2, pour la nomination des députés à la Convention 
nationale. 

LISTE DES ÉLECTEURS DU DÉPARTEMENT. 

DISTRICT DB BORDEAUX. 



Bordeaux, 
MM. 

Bradshaw. 

Philippe Thierriot. 

Louis Brisson. 

Boyer neveu. 

Cheyrau. 

Louis Lartigue. 

O'Quin. 

Greffier. 

Marc Daguzan, curé de Saint-Louis. 

Jean-Baptiste Dubos. 

Paul Duret fils. 

Jean Mandron fils. 

Jean Monville. 

Jacques Lamarque. 

Christophe Gernon. 

Boyer-Fonfrède aîné. 

Jean Gré aîné. 

Antoine Jacques Guibaut. 

Izaac Merzeau. 

Augustin Bellot. 

Jean Grangeneuve jeune. 

Jean Charrier oncle. 

Marc-Antoine Mazois. 

Gabriel Feuilherade. 

Louis-Charles Géraud. 

Louis Alphonse. 

Georges-Guillaume Boue aîné. 

Pierre Breton. 

Antoine Bonus. 

Moyse Sabrier aîné. 

Henry Perrens. 

Jacques Duranthon. 

Jean- Baptiste Ducos père. 

Jean-Baptiste Lapeyre. 



MM. 

Isaac Tarteyron. 

Claude Béchade. 

Pierre Drignac. 

Thomas Langoiran, vie. métrop. 

Jean Ducuron. 

Louis-Antoine Boiteau aîné. 

Jacques Bellamy. 

J.-B. Lacombe, instituteur. 

Jean-Gabriel Lalanne. 

G. Perrin, juge du tribunal civil. 

Benoît Boulan. 

François Nauté. 

Louis Azéma. 

Jean Gardera. 

Jacques-Antoine Lagasse. 

Noël Laujacq. 

André Battut. 

Jean Fourcade jeune. 

Jean-Henry Samoulllan. 

Joseph Béraud. 

George- Frédéric Emmerth. 

François-Marie- Alexandre Labrouste 

Pietre-Louis Ducournau, 

Pierre Broûillaud. 

Antoine Broc fils. 

Jean Montrau aîné. 

Pierre Lavau-Gayon fils. 

Pierre-François Darvoy père. 

Louis Chamontain. 

François Lefèvre. 

Arnaud Massé. 

Joseph Pujol. 

Jean Dufau. 

Bruno-Gabriel-Edouard Marandon. 

Jean-Baptiste Lartigue. 



APPENDICE. 



421 



MM. 

Jean-François Vcrnhes. 

Jean-Pierre Bardon. 

Ma nasses Azevedo aîné. 

Lopès-Dubec. 

Jean-Baptiste Nairac. 

Jacques-Paul-Fronton Duplantier. 

Abraham Furtado. 

Jean Lafon. 

Abraham Carvallo. 

Pierre Gautier. 

Jean Gauvry. 

Pierre Dierz aîné. 

François Girard. 

Charles Biberon. 

Jean- David Rozet. 

Jean-Jacques Rabaud. 

Gratien-Lalande, curé de St-Michel. 

Philippe Mauriac. 

Jean- Alexandre Béchaud. 

Jean Laporte. 

Jean-Baptiste Itey-Peyrounin. 

Jean Thiac. 

Jean Berniard aîné. 

Jean Delas. 

Pierre Poitevin cadet. 

Odon Satire- Léri s. 

Charles Bigney. 

Section de La Bastide. 

Pierre-Paul Rivière. 

Bobin, greffier. 

Jean Fourteau, maire de Bouilhac. 

Elles Dumas, maire de Carignan. 

Pierre Favareille Placial, maire de 

Cenon La Bastide. 
Jean Graves^ citoyen de Florac. 
Jean Rieu, citoyen de Bouillac. 

Section de Bègles. 

Pierre Brun aîné. 
Arnaud Destriblet. 
Raba, Taméricain. • 
Jean Sagelet. 

Section du Bouscat. 

Pierre Perey. 
Jean Bert. 
Claude Liautau. 



MM. 

Jean David. 
Jean Lacou. 

Section de Lormont. 

Mathurin Musset cadet. 
Antoine Béraud. 
Pierre Tilhard-Pontgaudin. 
Pierre Toussaint Ferrand aîné. 
Jean-Baptiste Riortier. 
Pierre Jamain fils. 
Giraud Lassègue. 
Jacques Barbiou. 

Canton d*Ambarès. 

Martin Barre aîné. 

Charles Princeteau. 

Arnaud Barre jeune. 

Gabriel Bjrnatet. 

Maillac. 

Pierre Coussicot^ 

Dominique Lazalde. 

Canton de Belin. 

Michel Giraudeau. 
Etienne Bedouret. 
Pierre Dupuch-Lapointe. 
Jean Cazeau. 

Pierre Cazauvieilh-Petiton. 
Jérôme Baillet. 
Joseph Cls}rssac jeune. 
Fort Lanuc fils. 

Canton de Blanquefort. 

Jacques Rondeau. 
Mathieu Miqueau. 
Jean Bonnard. 
Maurice Jantet. 
Pierre Dussaut. 
Jacques Eymet. 
Pierre Lanau. 
Jean-Antoine Dardan. 
Jean-Thomas Bahr. 
Jacques-Louis-Alezis Godard. 
Michel Lacaussade. 
Jean Maison no ve. 

Canton de Castelnau, 

Pierre Roux« 
Paul-Marie-Catherine Duval. 



422 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM. I 

Fitinçois Paillou, curé de Casteinau. 
François Lalinde. 
Jean Barre. 
Jacques Verrière. 
Pierre Gastaut. 
Raimond Bacquey. 

Canton de La Teste-de-Buch. 

Etienne Turpin. 
Pierre Cravey, maire. 
Gérard Dergonds jeune. 
Jean Nouaux aîné. 
Nicolas Cravey fils. 
Jean Fleury fils aîné. 
Raimond Bordillé. 
Jean Mandain. 
Caupos. 

Antoine Glangé. 
Pierre Hazera. 

Canton de Macau. 

Ignace-Alexandre Guillotin. 
Audigey. 
Cartau fils. 
Mathias Dougey. 
Lemoine fils. 

Margaux. 

Jean Déjean. 
Mathieu Marcou. 
Zacharie Gaudal. 
François Gondet. 
Jean Monpontet. 
Pierre-Bernard Paluchau. 

Canton de Pessac. 

Pierre Marchand. 
Jean Bernon jeune. 
Jacob Vernes. 
Elies Nairac. 
François Bernon, curé. 
Jean Dutasta. 



MM. 

Jean-Conrad Schalch. 
Antoine Merle. 
Adrien Dubois-Martin. 

Canton de Pompignac, 

Daniel Bertin. 
Jean Guillon. 
Pierre Roussi lion. 
Jean Laporte. 
Pierre Vinatier. 
Pierre Rives. 

Canton de Quinsac. 

Jean Dupuch. 
Raymond Bourdieu. 
Pierre Castaignet. 
George Simon. 
Léonard Beyron aîné. 
Beyon jeune. 
Pierre Ribeyrote. 
Jean Gayon. 
Jean Gendreau. 
François Ribeyrote. 
Guillaume Ganet. 

Canton de Saint-Loubès, 

Laurent Rousseau. 
Mathieu Bequey. 
Pierre Baptiste père. 
Louis Armenaut cadet. 
Jean Croiset aîné. 
Guillaume Rivière. 

Canton de Saint Médard d'Eyrans. 

Jean Gassiot fils« 
Mathurin Laconfourque. 
Etienne-Michel Pasquier, professeur 
Philippe Trigant. 
Jean Giraudeau. 
Guillaume Lestournière. 
Antoine Darlan. 
Jean Rouqueys. 



DISTRICT DB LIBOURNB. 



Liboume, 

Jean Fontémoing cadet. 
Jean Badin, 



Bertrand Roy. 
Ardouin Tranchère. 
Charles Lulé-Déjardin. 



APPENDICE. 



423 



MM. 

Jean Chauvin fils. 

Lacaze fils aîné, administrateur. 

Pisson, maire de Libourne. 

Bertrand Raimond. 

Jean Salvané. 

Antoine Machureau. 

Jfian Chiron. 

Léonard Vacher. 

Jean Bossuet. 

Pierre- Marc Boisset. 

Jean Plantey. 

Paul Du fou. 

Pierre Rabeaud. 

Pierre Moulinet. 

Pierre Brunet. 

Bvannes. 

Rose Lamousuerie. 
Jacques Gaussens. 
Jean-Louis Villatte. 
Guillaume Ichon. 
Jean Eyquard. 
François Eyquard. 
Félix Montouroy. 
Joseph Guiraude. 
Biaise Gauthier. 
Favereau-Gasneau. 
Jean Reynaud. 
Vital Merlet. 
Jean Robin. 

Castillon. 

Jean-Jacques Lavaich. 
Pierre Biot. 
Jean- Jacques Roy. 
Jean Héricé. 
Pierre-Benoît Penaud. 
Jean Maureau. 
Jean Duvillé. 
Pierre Dupuy. 
FoUardeau. 
Pierre Dihars. ' 
Mathieu Lavignac. 
Pierre Barreyre. 
Pierre Chalon. 
Pierre Thibaut. 



Coutras. 
MM. 
Chaperon. 
Deluze- La place. 
Deluze-Létang. 
Gérard Dabzac. 
Samson Gabriel Bonnin. 
Pierre Barrau-Létang. 
Jean AUard. 
François Veillon. 
Trigant Duchalaure. 
Emeric Richon. 
Bernard Coste. 
Jean Perrier. 
Antoine Riveraud. 

Fronsac, 

Charles Ducasse. 
Baptiste Crugneau. 
Jean Gossain aîné. 
Jean Puchaud. 
Jean Clémanceau. 
Pierre Gaspard jeune. 
Pierre Guérin jeune. 
Philippe Marthieu. 
Jean-Baptiste Guérin aîné. 
Jean Latour-Dumoulin. 
Etienne Chaumet. 
Pierre Bonnet. 
Jean Tonnelier. 
Jean Faure. 
Bertrand Surin. 
Jean Bernière. 

Galgon. 

Jean Dublaix. 
Jean Levier. 
Arnaud Largetau. 
Bertrand Bourricaud cadet. 
Jean Grugier, maire. 
Louis Morange-Blouin. 
Arnaud Dureau. 
Alexis Crespin, curé. 
François Bonneval, curé. 
Gabriel Moure. 
Thomas Dupas. 
Pierre Guillorit. 
Etienne Desages. 
Jean Morange. 



1 



424 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Gensac. 
MM. 

Lajaunie-Lapeyre. 
Jean Dumas aîné. 
Jean Dumas jeune, 
Sudre. 

Jean Icard, juge de paix. 
Fouignet-Verboule. 
Jean-Pierre Taupier. 
Pierre Lapouyade. 
André Labarde. 
Pierre Fourcaud. 

Jean Durège, de Pessac, curé de 
Saint-Louis. 

Guttres. 

Jean- Alexandre Ducourech. 
Barthélémy Laval. 
Pierre Loiseau. 
Jean Masson. 
Etienne Maurice. 
Jean-Baptiste Alezais. 
Jean Jay. 
Pierre Richon. 
Jean-Mathurin Richon. 

Lussac, 

Pierre Deymène. 
Pierre-Bertrand Lapolan. 
Pierre Chambrière. 
Jean Gardelle. 
Jean Queyreau. 
Pierre Rousseau. 
Jean Breton. 
Jean Courret. 
Jean-Simon Moreau. 

Puynormand. 

Guillaume Pauillac. 

Jean Vieillefont, 

Jean Ducii on cadet. 

Jean Dussandier-Devergne. 

Jean Virol-Larrest. 

Pierre Deseymeris. 

Jean-Simon Lacombe-Puygueraud. 



Ptqols, 



Jean Antoine. 
Jean Espert. 



MM. 

Jérôme Ducarpe, juge de paix. 

Mathieu Vincens. 

Jean Ducarpe 

Pierre Chevrière. 

Pierre Goursiès. 

Pierre Hugois. 

Bertrand Faugerolles, maire. 
Jean Dupuy, notaire. 
Philippe Platon, commandant. 
Jean Dubos-Ducorros, cultivateur. 
Jacques Savariaud aîné, artiste* 
Pierre Drillole, juge de paix. 

Saint'Émiîioru 

Guillaume Musset fils. 
Pierre Barry-Bsrthomicu. 
François Bouquey-Robert. 
Jean Cantenat. 
Elie Coste-Cory. 
Pierre Duverger. 
Berthomieu-Guimberteau . 
Jean Petiteau. 
Simon Arnaudeau. 
Etienne Dubert. 
Jean Guadet père. 
Joseph Lavalette. 

Pierre Berthomieu-Meynot, juge de 
paix. 

Sainte-Foy. 

Jean-Pierre Sambelie. 
Jacques- Michel Beylard. 
Jean-Paul-François Maury. 
Antoine Bertrand fils. 
Pierre Thomas. 
Guillaume Gourgueil. 
Etienne Jauge-Baby. 
Louis Lagarde. 
Jouhanneau. 
Simon Meymac. 
Pierre Jay-Delille. • 
Jean Pauvert-Guillebau. 
Jacques Lacoudré. 
Pierre Micheau. 
Louis Durége-Beaulieu. 
Jean Gorin-Lacabane. 



APPENDICE. 



425 



MM. 

Jean Favereau. 
Mathias Ri voire. 

Vayres, 

Louis Bret. 

Jean Pausat. 

Antoine Lauzier. 

Antoine Cieux, juge de paix. 



MM, 

Jean Laforest. 

Pierre Castaing. 

Guillaume Brandeau fils. 

Bertrand Transon, président de la 

Commission. 
Pierre Lassime. 
Dulandrier. 
André Rouchon, maire. 



DISTRICT DE BAZA8. 



Joseph DartigoUes. 
Jean Brouch. 

Bernard Hermand-Cadillac. 
Jean Coustau. 
Jean Martin. 
Pierre Petges aîné. 
Pierre Pau-Delagrange. 
Antoine Gistèves. 
Silvestre Grenier. 
Raimond Lavenue. 
Charles Latapîe. 
Jean Labrousse. 
Raimond Bayle. 
Hyacintes Descornes. 
Pierre Salviac aîné. 
Jean Plumeau fils. 
Martin Detchegoyen. 
Pierre Beaulieu. 
J. Arm. du Portail-Rouge. 

A nias, 

Pierre Cabanieulx. 
Barthélémy Troussilh. 
Léonard Duplan. 
Jean Duplan. 
Jean Bastrate. 

Auros. 

Pierre Partarrieu-Lafosse. 
Jean Mothes. 
Jean Lassus fils. 
Pierre Dussaux. 

Captieux, 

Antoine Tauziède. 
Annet Tauzin* 



Jean Bime. 
Dominique Dartiailh. 
Arnaud Callen. 
Raimond Lapeyre. 
Guillaume Boas, curé. 

Crignols. 

Etienne Vigneaux fils. 
François Dubalin aîné. 
Jean Dutilh. 
Thomas Charrier jeune. 
Bernard Beziade. 
Guillaume Ripes. 

Langon. 

Nicolas Brethon fils aîné. 

Pierre Capdeville. 

Pierre Labat. 

Jean Périguey. 

Jacques Pierret. 

Antoine Becquet. 

Jean Lafargue jeune. 

André Lafargue aîné, de Toulène. 

Pierre Saint-Blancard. 

Noaillan. 

Jean Dumey. 
François Duprat. 
Jean Dubourdieu. 
Joseph Bousquet. 
Bernard Fontans. 
Jean Dubernet fils. 
Jean Descazaux. 
Michel Dartigoles. 

Préchac. 

Jean Viamouret. 
Jean Audinet. 



426 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM. 

Pierre Dussillot. 
Pierre Caubit. 
Berthélemy Lalanne. 
Etienne Marti n-Travet. 
Arnaud Calin. 
François Caubit. 
George Espagnet fils. 



Saint-Symphorien. 
MM. 

Jean Martin aîné. 
Pierre Marti n-Peti ton. 
Jean Caubit. 
Etienne Martin-Travct. 
Jean Martin jeune. 
Arnaud Duprat aîné. 



DISTRICT DE LA EEOLE. 



La Réoïe, 



Constantin Faucher. 

Augustin Albert. 

Etienne Antony. 

Michel Cournau. 

Simon Perpezat. 

Biaise Andrieu. 

César Faucher. 

André Montaugey. 

André Melon, curé. 

Antoine Rambaud. 

Joseph Couci. 

Jean Guitet. 

Jean Bordeneuve. 

Antoine Balias. 

Jean Durand-Lavison fils. 

Dominique Barrère, instituteur. 

Jean Bertrand. 

Jean Ducros-Ézemar. 

Bla^çimont 

Jean Faurie, notaire. 
Jean Ardurat. 
Paul Grand pré. 
Michel Taulis. 
François Faurie fils. 
Jean Jeanty-Dutilh. 
Jean Saint-Jean Laula. 

Castelmoron, 

Jean Rougier-Lagouraude. 
Pierre Nau-Belisle. 
Arnaud Richard fils aîné. 
Henri Banizette. 
Pierre Nau Saint-Omer. 
Jacques Laroze. 
Jean Cailleton. 



Pierre Vergnon aîné. 
Jean Barbe aîné. 
Gratien Merlet. 

Castets. 

André Dubourg aîné. 
Jacques Rasteau. 
Jean Rabat. 
Arnaud Dubourg. 
Jean Rideau Cadet. 
Antoine Jarousse. 
Antoine Couthereau. 

Cauderot, 

Pierre Papon. 
Jacques Ithier, curé. 
Jean Sudreau. 
Bernard Lafite. 
Marc Monnereau. 
Raimond Ferchaud. 
Chandeau. 

Lamothe-LandetTon. 

Jacques-Denis Bonnet. 

François Cazade. 

Pierre Pouvereau fils. 

Jean Husseau. 

Claude Guerre. 

Jean-Baptiste Bertrand. 

François-Eléazar RoUe-Terrefort. 

Montségur, 

François Pelletan, instituteur. 
Mathurin Robert jeune. 
Jean-Jacques Ramon fils aîné. 
Jean Pépin. 

Antoine Berthouneau père. 
Jean-Pierre Labatut jeune. 



APPENDICE. 



427 



MM. 

Arnaud-François Grenier. 
Jean-Baptiste Dupuy. 
Jean Bouilhac, notaire. 
Pierre Jousseaume. 
Pierre Ithier-Tillot 
Urbain Beausoleil. 
Raimond Ilaret. 

Pellegrue, 

Jean-François Bonnac, juge de paix. 
Pierre Bonnac. 
Jacques Pacquier. 
Pierre Trachère. 



MM. 

Jean Bonnac 
Vivien Ruffe. 
Guy Dutauzia. 
Jean Bouleytier. 
Jean Durand. 

Sittiveterre, 

Jean SérafTon jeune. 
Jean Séraffon aîné. 
Jean Balan-Degoutz. 
Pierre Billon fils aîné. 
Bertrand Cholet, notaire. 
François Jourdan. 



DISTRICT DE CADILLAC. 



CadiUae. 



Pierre Gauteyron-Libéral. 
Jean-Laurent Fonvieilhe, curé. 
Isaac Laspeyrère. 
Jean-Baptiste Lacoste. 
Jean Boutet. 
Noël Redeuilh. 
Jean Laville. 
Raimond Celse-Dupouy. 
François Avy. 
Raimond Duvigneau. 
Jean-Élie Thibaut. 
Jean Lamy-Ferier. 

Arbis* 

Charles Dézarnaud, 
Jean Béchade, 
Jean Collas. 
Jean-Baptiste Serisier. 
Alexandre Barbier, 
Pierre Couycault, 
Jean Zacharie Râteau. 
Jean Desvignes. 

Barsac, 

Jean Capdevîlle fils aîné. 
Jean Ducau. 
Jean Lacoste. 
Jean Bayle. 
Jacques BoUe. 
Bernard Ducatse. 
Jean Duprada. 



François Fiton. 
Jacques Baudichon. 
Jean Lanneluc, dit Sanson. 
Guillaume-Frédéric Khune. 
Pierre Pinsan. 

Castres. 

Alexandre Deleyre. 
Gérard Minguin. 
Jean Faye père. 
Pierre Trenis, curé. 
Pierre Balguerie. 
Guillaume Soulard. 
Joseph Bedouret. 
Jean-Joseph Deleyre. 
Antoine Modery. 

Créon, 

François-Thomas Rey. 
Mathurin Lanoy. 
Thomas Rey. 
François Durand. 
Pierre Probert. 

Landiras. 

Charles Latapy. 

Pierre Saint-Blanchard. 

Bertrand Dubos. 

Jean Dutrénit. 

François Ricaud. 

Jean-Baptiste Saint-Jean Lestage. 

Jean Lacoste. 



428 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



Langoiran, 
MM. 

Bernard Lameza. 
Jean Roulle. 
Bertrand Morin. 
Jean Briol. 
Élie Dumas. 
Jean Foucaud. 
Pierre Mandé. 
François Compans. • 
Pierre FayoUe. 
Mathieu Martin. 

Podensac, 

Raphaël Ducau. 

Arnaud Napsans. 

Jean Beguey. 

Hyacinthe Latapy, curé de Virlade. 

Guillaume Fourcade. 

Jean Décolle. 

Saint'Macaire. 
François Bergoeing aîné, maire. 



MM. 

Jean l^barrière cadet. 
Jean Merle-Jeanty. 
Louis Pujoulx-Larroque fils. 
François Pontaix. 
Arnaud Monnereau. 
Pierre Massieu. 
Jean-Jacques Grenouilleau. 
Pierre Dupuy. 
Pierre Remi-Castets. 
Augustin Terrier. 
Pierre Cato aîné. 

Targon. 

Pierre Dupuy, maire. 
Pierre Masquin. 
Pierre Labory. 
Pierre Bedrenne. 
Charles Desarnaud. 
Jean Dusseau. 
Fean Bâtai Uey. 
Jean Boutet. 
Jean Dulugat. 



DISTRICT DE BOURG. 



Bourg, 

Pierre Pillot. 

Joseph Gellibert. 

Jean Gombaud. 

Pierre Charlery, curé. 

Sébastien Dupuy. 

Jean Pelletan neveu. 

Pierre Marcou. 

Jacques-Mathias Robert jeune. 

Mai tin Courpon. 

Jean Grimard jeune. 

Antoine Armingaud, curé. 

Pierre Labat. 

Jean Castanet jeune. 

Blaye. 

Fidel Chéry. 
Bernard Binaud. 
Guillaume Dufrène. 
Jacques Calonval. 
Louis Moreau. 
Louis-Étienne Aladane. 
Louis L.emaitre. 



Antoine Demars. 
François Gaignerot. 
Nicolas Lanton. 
Pierre Bernard. 
Joseph Chaumont. 
Jean Arnaud. 
Jacques Robin. 
Bernard Pauzet. 
Pierre Cellon. 
Jean Chaumet. 
Martin Micheau. 
Jean Merlet. 

Cé:(ac. 

François Merlet. 
Julien Micheau. 
Pierre Petit. 

Pierre-Bertrand Ganucheau. 
Pierre Grand. 
Guillaume Nau. 
Pierre Desgranges. 
Pierre Charmois. 
Pierre Regnault. 



APPENDICE. 



429 



MM. 

Arnaud Godrie. 
Jean Poupelin, maire. 

Étauliers, 

Alain Caries. 
Etienne Roux. 
Bernard Desaubiès. 
Pierre Roux. 
Pierre Ransac. 
Pierre Tesson neau. 
Michel Raboutet. 
Pierre Dupont. 
Pierre Rabenne. 

Saint' A ndré'de-Cub:(ac. 

François Coureau. 
Jean Milhet aîné. 
Jean-François Mauvignier. 
Jean-Baptiste Plumeau. 
Joseph Constantin aîné. 
Jean Abadie. 
Louis Lesnier. 
Pierre-Etienne Marcillac. 
Jean Juin. 
Thomas Débande. 
Henri Lignac aîné. 
Jean Jarry cadet. 
Jacques Ménard 
Luc- Alexandre liifosse. 
Jean Branda. 

Saint-CierS'deCanesse, 

Raimond Duthil. 
Etienne Roux. 
Philippe Turlès 
Pierre Pradet. 



MM. 

Léonard Sou. 
Joseph Groscassan. 
André Robin aîné. 
Jacques Sou. 

Saint-Christoly, 

Pierre Duranteau. 

Pierre Lamanseau. 

Pierre Bernech. 

Jean Guichard. 

Barthélemi Faure Saint-Hubert. 

Joseph Pelletan. 

Jean Métayer. 

Clément Coustole. 

Saint'Savin. 
Jean Cornu. 
Jean-Gui Chaussé. 
François Cavignac. 
François Maynard. 
Jean Donteau. 
Pierre Eyraud. 

Saint-Ciers-de-Lalande. 

Jean Fradet, dit Cadet. 
Louis Bareau. 
Pierre Bertrand. 
Pierre Tarijot. 
Pierre Goribon. 
André Chiche. 
Pierre Pérodeau. 
Jean Chevreu. 
Pierre Thibaud. 
François Pouzet. 
André Lourneau. 
Pierre Renaud. 



DISTRICT OB LESPARRE. 



Lesparre. 

Louis Maugeret. 
Jacques Bernard. 
Germain Duperier. 
Pierre Paul. 

A. Lambert, de Gaillan. 
Pierre Guiraud, assesseur. 
Jean-Bernard Faillan. 
Pierre Lussac. 



Antoine Giiisneau. 
Guillaume Moreau.' 

Canton de Civrac. 

André Figerou. 
Guillaume Servant. 
Gabriel Wormeselle. 
Jean Berdot. 
Jean Lussac. 



43o 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



MM. 

Jean Martinon. 
Pierre Lussac. 
Pierre Augeau. 

Section de Lamarque. 

Pierre Basiadolic. 
Pierre Jeanlieu. 
Pierre Eyrins. 
Pascal Cheret. 
Pierre Labuchelle. 
Jean Cazenave. 
Pierre Aney. 

Canton de Pauillac. 

François Mondeguerre. 
Bernard Raimond Glaudon. 

Pierre Mondon. 
Pierre Castéja. 
Gabriel Clerc. 
Jean Labeyrie. 
Louis Hossecorne. 

Canton de Saint-Estèphe. 

François Superville aîné. 
Jean Lafon-Rochet. 



MM. 

François Compte. 
Jean Figerouz. 
Jean Figeroux-Larougerie. 
Pierre Normandin. 
Raimond Colombes. 
André Delpit. 
Élie Hosteins. 
Martial Dupont. 

Section de Saint-Laurent, 

Guillaume Moulenqs, 

Jean- François Cayx. 

Arnaud Meynieuz. 

Antoine Gautier, de Benon. 

Jean Gauthier, de Saint-Laurent. 

Jacques Brillon. 

François Hostens fils. 

Canton de Saint» Vivien. 

Arnaud Guarry. 
Jean Dejeans. 
Nicolas Bert. 
Borningue Dingirard, 
Simon Bitot. 
Gabriel Dulorans. 



NOTE IX (A), p. 43. 



Voici en quels termes Siéyès déclina Thonneur de 
représenter le département de la Gironde à la Convention 
nationale : 

« A Beauvaîs-sur-Cher, près Tours, ce 14 septembre 17921 
l'an I*r de PÉgalité. 

» Messieurs, 
> C'est avec bien du regret que je me vois dans rimpossibilité de 
revêtir le titre honorable de votre député à la Convention nationale. 
Au moment où votre dépêche m'est arrivée, le département de la 
Sarthe m'avait déjà fait l'honneur de m'adresser la même mission 
et je l'avais acceptée. Vous croirez facilement. Messieurs, que j'ai 
ressenti jusqu'au fond de l'âme l'honneur de votre choix. Sans doute 
il m'eût été doux de m'associer à une députation qui s'est déjà 
acquis tant de gloire à la législature actuelle ; j'eusse été fier de me 
présenter au nom de la Gironde, de ce département où les lumières 



APPENDICE. 43 1 



rivalisent celles de la capitale et dont Tesprit public et toutes les 
vertus qui le composent lui ont mérité d'être proposé comme un 
modèle au reste de la France. Toute ma vie je veux conserver le 
précieux souvenir des témoignages glorieux pour moi qui ont 
accompagné l'offre de votre confiance. Je la reçois et la retiens 
avec bonheur, cette confiance, quoique forcé de me priver du 
titre qui la proclame; car je sens que s'il fallait tout perdre, j'en 
serais inconsolable. Regardez-moi donc, Messieurs, comme affilié à 
votre département par tous les liens de Testime la plus respectueuse 
et de Tafiection la plus tendre. Par ces sentiments du moins ainsi 
que par mon zèle pour la chose publique, j'espère que vous ne me 
distinguerez point de vos compatriotes et des représentants que vous 
avez donnés directement à la nation. 

» Agréez, je vous prie, Messieurs, l'hommage de tous ces 
sentiments, de mes regrets et de ma profonde reconnaissance. 

» Emm. SiÉYÈs. 

» Messieurs les Électeurs du département de la Gironde, t 
(Archives de la Gironde, série L.) 



NOTE IX (B), p. 43. 

Voici, d'après une intéressante brochure publiée 
récemment par M. le pasteur Steeg, comment se 
répartirent les suffrages des électeurs : 

DéPUTis TITULAIEES. 

Votants. Majorité. Suffrages. 

1 . Vergniaud 671 336 480 

2. Guadet 686 244 570 

3. Gensonné 671 336 678 

4. Grangeneuve 674 338 372 

5. Jay (de Sainte-Foy) 646 325 418 

6. AbbéSiéyès 653 327 529 

7. Condorcet 576 280 520 

8. Ducos fils 640 321 494 

9. Barrau (de Sainte-Foy) . 645 323 487 

10. Boyer-Fonfrède 633 3 1 7 408 

11. Deleyre 571 286 322 

12. Duplantier 5i3 258 334 

Dépurés SUPPLÉANTS. 

i> Lacaze fils aîné 592 297 369 

2. Emmerth 582 292 394 

3. Bcrthon 633 3i7 295 

4. Bergoeing aîné 647 324 489 



432 HISTOIRE DE LA TERREUR A BQRDEAUX. 



NOTE X, p. 43. 



EXTRAIT 

DES REGISTRES DU CONSEIL GÉNÉRAL 

du département de la Gironde, 

Du 25 septembre 1793, l'an I» de la République. 

SÉANCC DU SOIR, 

où assistaient : Mhf. L, Joumu, président; Labrouste, Cou^ard, Perrière, Lardeau, 
Monbalon, Hollier, Derancy, Pujoulx -Larroque, Peychaud, Villebois, Robert, 
Duvigneau, Desbarat, Baron, administrateurs ; Rouliet, procureur général syndic. 

Le Conseil général du département à ses concitoyens. 

Citoyens, 

La Convention nationale vient d'abolir la Royauté. Nous 
proclamons ce grand événement; nous vous annonçons, dans les 
vifs transports de Tamour de la Patrie et de la Liberté, que la France 
n'aura plus de Rois. Le sceptre de la tyrannie est brisé, Tautorité 
arbitraire d'un seul disparaît, l'autorité légitime de tous lui succède. 
Le vil échafaudage du trône tombe et s'anéantit, et le peuple s'élève 
dans toute sa grandeur. Français, vous remontez enfin à la dignité de 
l'homme, il n'est plus de souverain pour vous que la Loi ; qu'elle 
soit donc toujours à vos yeux inviolable et sacrée. La Loi est 
aujourd'hui le résultat de toutes les forces et de toutes les volontés; 
qu'elle obtienne donc toutes les soumissions et tous les hommages. 

Français, vous voulez la République : vous en êtes dignes; mais 
n'oublions jamais que ce serait peu pour nous d'avoir le Gouver- 
nement des Républicains, si nous n'en avions aussi les mœurs et les 
vertus; que la République est une famille, une réunion de frères; 
que les hommes y sont tous égaux et tous amis; que le vrai 
Républicain porte dans son âme le respect pour les personnes et 
les propriétés, comme il y porte l'amour de ses enfants et de la 
patrie; qu'il aime et pratique la tolérance, comme il chérit la liberté 
même; car la tolérance n'est autre chose qu'un respect immuable 
pour le libre usage de la pensée et du sentiment; que le Républicain 
n'use jamais du droit du plus fort, parce que ce droit est odieux, 
parce que la force du citoyen n'est pas dans ses passions ou dans ses 
volontés, mais touie dans la Loi; qu'il ne veut que ce qu'il peut par 
la Loi. Que le vrai Républicain révère l'ordre social autant que celui 
de la nature, et pense qu'un individu ne peut pas plus violer la Loi 
qu'il n'est en son pouvoir de changer Tordre des éléments. 

Français, Peuple éclairé, Peuple courageux, c'est vous-mêmes qui 
gouvernez par vos Délégués ; faites donc que votre Gouvernement 



APPENDICE. 433 



soit juste et paisible, c'est par là seulement qu'il peut vous honorer. 
Montrez à l'Europe étonnée que, dans les plus violentes crises d'une 
Révolution politique, vous n'avez pas oublié un seul instant que 
l'ordre est le principe et l'âme de tout, et que la plénitude de l'ordre 
est dans le respect pour la Loi. 

Signé : L. Journu, président; 

Pal BuHAN, secrétaire général provisoire. 



NOTE] XI, p. 43. 



MUNICIPALITÉ DE BORDEAUX. 

Le Conseil général de la commune de Bordeaux, à ses concitoyens^ 
concernant la proclamation du décret de la Convention nationale, 
qui abolit la royauté. 

Du 25 septembre 1792, Pan quatrième de la ]«iberté, 
et le i^dePÉgalité. 

Citoyens, la Convention nationale a fait l'ouverture de ses séances 
le 21 de ce mois, à onze heures du matin. 
Citoyens, voici les premiers décrets qui émanent de sa sagesse : 

PREMIER DÉCRET. 

« L'Assemblée nationale déclare, i** qu'il ne peut y avoir de 
Constitution, que celle]qui est acceptée par le peuple ; 

]» 7.^ Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde 
de la nation ; 

» 3® Que jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, les lois 
non abrogées seront provisoirement exécutées, que les pouvoirs 
non révoqués ou non suspendus sont provisoirement maintenus, et 
que les contributions publiques existantes continueront à être 
perçues comme par le passé. » 

SECOND DÉCRET. 

« 

« La Convention nationale décrète, que la Royauté est abolie en 
France. » 

TROISIÈME DÉCRET. 

« Le procès-verbal de la séance sera envoyé aux départements et 
aux armées, par des courriers extraordinaires. 

» Le décret qui prononce l'abolition de la royauté, sera proclamé 

T. I. 28 



4*34 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

solennellement dans toutes les municipalités, le lendemain de sa 
réception. » 

Citoyens, venez assister à la proclamation des premiers actes de 
la Convention que la souveraineté nationale vient de former, et qui 
doit assurer à jamais le bonheur de la France. 

Cette proclamation commencera demain, mercredi 26, à neuf 
heures du matin, par une salve de neuf coups de canon, après 
laquelle il sera fait une première lecture, tant du procès-verbal que 
des décrets, sur la place de TArbre de la liberté, vis-à-vis la maison 
commune. 

Une seconde lecture se fera en la même forme sar fa place 
d'Aquitaine, qui prendra dès ce moment le nom de Place de la 
Convention. 

Le cortège ira de là à la place du Marché-Neuf; 

Puis à la place de la Liberté ; 

A la première fontaine des Chartrons ; 

Au Champ de Mars; 

Et finalement à la place Nationale, ci-devant place Dauphine. 

Citoyens, vivre libres ou mourir, liberté, égalité, soumission à la 

loi. 

Fait à Bordeaux, en la séance du Conseil général de la commune, 
ouï et ce requérant le Procureur de la commune, le 25 septembre 
1792, Tan quatrième de la Liberté, et le premier de l'Égalité. 

Jaubert, officier municipal, président; 
Basseterre, secrétaire-greffier. 



NOTE XII, p. 128. 

PÉTIT40N 

pour 

LA RÉOUVERTURE DES ÉGLISES. 

A MM, les Administrateurs du Directoire du département 

de la Gironde. 

Messieurs, 

Lorsque vous ordonnâtes, le 28 janvier dernier, la clôture des 
églises des maisons religieuses, vous reconnûtes en même temps le 
droit que nous avions d'exercer notre culte en particulier; et vous 
nous permîtes d'avoir des églises particulières. 

Votre arrêté garantissait que nous trouverions dans ces églises 
Paix et Liberté, 



APPENDICE. 435 



Les citoyens qui provoquèrent par leurs pétitions la clôture des 
unes, avaient eux-mêmes garanti cette inviolabilité si solennellement 
promise à Tégard des autres. 

Comment est-il donc arrivé que nous ayons été aussi étrangement 
assaillis dans nos temples? Par quelle fatalité surtout en avons-nous 
été privés, malgré le bail que la régie nationale des Domaines nous 
en avait consenti soûs votre autorisation? 

Il est vrai qu'en nous privant de ces trois oratoires, votre arrêté 
du 27 février nous laissa le consolant espoir d'une prochaine 
réintégration. Vous annonçâtes que vous alliez statuer sur les 
procès- ver baux dressés à Toccasion de ces troubles, et forts de notre 
innocence, nous n'avions pas à redouter les résultats de cet examen. 

Il a dû vous convaincre. Messieurs, que ce n'est point à nous 
qu'il faut rapporter la cause de cette insurrection criminelle : et 
puisque les dispositions de votre arrêté ne furent que provisoires, 
vous vous empresserez sans doute, de nous rendre une possession 
à laquelle est attaché le plus impérieux comme le plus saint 
des devoirs. 

Combien il serait déplorable dans les jours de la solennité pascale 
où nous entrons, de laisser une masse considérable de citoyens sans 
temples et sans culte, sous l'empire d'une Constitution qui proclame 
la liberté indéfinie de toutes les religions 1 

Mais comme il pourrait y avoir de l'inconvénient ou même du 
danger à se borner à Touverture de nos trois églises, nous vous 
demandons, Messieurs, de vouloir bien faire ouvrir aussi toutes 
celles dont votre arrêté du 28 janvier avait ordonné la clôture. 
Répandues dans les divers quartiers de la ville, elles offrent à une 
immensité de citoyens plus de ressources pour satisfaire aux devoirs 
de leur conscience. D'ailleurs, Messieurs, en facilitant à ce grand 
nombre de fidèles, qui se portaient en foule à nos trois églises, les 
moyens de se diviser, vous préviendrez les désordres dont cette 
afBuence a pu être l'occasion ou le prétexte. 

Une semblable détermination, vous le savez, Messieurs, a rendu 
le calme aux habitants de Paris. Nous avons donc lieu d'espérer, de 
votre sagesse et de votre sollicitude pour la tranquillité publique, 
que vous adopterez avec empressement ce moyen dicté par la raison 
et justifié par Texpérience. 

Nous ne craignons pas que les administrateurs qui nous entendent 
soient arrêtés par le petit nombre des signataires de la présente 
pétition. Comme soumissionnaires des trois églises, avoués et 
reconnus par l'administration, nous avons des titres irréfragables 
pour en demander l'ouverture et la paisible jouissance, et comme 
invitant l'administration à rouvrir toutes les églises dans des vues 
d'ordre public, nous avons pour nous, tous ceux de notre culte, dont 



436 



HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



les signatures, qui vous ont déjà été présentées, eussent renforcé 
les nôtres, si le temps Feût permis, ou que les circonstances 
l'eussent exigé. 



Bordeaux, le 25 mars 1792. 

Ont signé : 

Jean Vacqui^, 

Raymond Boyreau, 

Tauzein, 

Ladonne, 

Albespy, homme de ht, 

P. Gauvry, 

GUIHBBAU, 
PiTRAS, 

dugravier, 

Lescure, 

P.-R. Chicou-Bourbon, 

PUJOL, 

François Duchesne, 
Rambault, 
Barthez fils, 
Dabadie, 

L. GiREAUDEAU, 

Dezarnaud, 
Dubreulhe, 
Lamothe, 
Gressier aîné, 
Moreau jeune, 
Lauanseau, 

On lit en annotations ou à la suite : 



Labarbe, 
B. Lacombe, 
DuFAURE de Lajartb, 

ESTAMSAN, 

P. Lacombe, 
Bienvenu aîné, 
Etquem fils, 
Arnoux, 
Brethous, 
André Seguin, 
Bazanac, 
Montjon, 
Joseph Laguire, 

SOUBRAN, 

Chicou Saint-Bris, 

Latour, 

Peychaud, 

Lacaussade, 

Gatellet, notaire, 

Monreny, 

Bigeau, 

Gibert, 

Nauville, notaire. 



c Renvoyé au district de Bordeaux pour donner son avis après 
avoir pris celui de la municipalité. — Délibéré en Directoire du 
département de la Gironde, ouï M. le Procureur général syndic, à 
Bordeaux, le 25 mars 1792. 

» Signés : Lardeau et Labrouste, administrateurs, i 

c Renvoyé à la municipalité pour fournir ses observations sur la 
demande des pétitionnaires, locataires des églises de la Merci, Saint 
Mexant et des Minimes. — Délibéré en Directoire, à Bordeaux, 
le 27 mars 1792, Tan IV de la Liberté. 

» Signés : Monnerie, président, et Benoit, secrétaire, 1 

€ Les maire et officiers municipaux, Vu la pétition renvoyée par 
le district et ouï le Procureur de la commune. Estiment que depuis 
la clôture des églises qui avaient été ouvertes aux non-conformistes. 



APPENDICE. 437 



les circonstances qui avaient nécessité cette clôture n'ayant point 
changé, il n'y a lieu de délibérer sur ladite pétition. Fait à Bordeaux, 
dans la chambre du Conseil, le 28 mars, Tan IV de la Liberté. 

i Signés : Saige, maire, et Basseterre, secrétaire- greffier. 1 

< Vu la pétition des sieurs, etc. ; 

> Les observations de la municipalité du 28 du courant; 

• Considérant que les circonstances qui avaient déterminé la 
clôture des églises louées provisoirement par les pétitionnaires 
n'ont point changé ; 

1 Que d'ailleurs la loi permet à tous prêtres, assermentés ou non, 
de dire la messe dans les églises consacrées au culte salarié par la 
nation, ce qui laisse aux pétitionnaires la faculté de suivre leurs 
scrupules sans faire scission ; 

f Qu'on doit encore attendre du civisme qu'ils ont manifesté dans 
les observations imprimées qu'ils ont présentées au Directoire, 
qu'ils adopteront des mesures dont dépendent la paix et la 
tranquillité publique; 

• Le Directoire du District, ouï M. le Procureur syndic, est d'avis 
qu'il n'y a lieu de statuer sur la présente pétition. 

1 Délibéré en Directoire, à Bordeaux, le 29 mars 1792, l'an IV de 
la Liberté. 

f Signés : Bernada, administrateur, et Benoft, secrétaire, t 



NOTE XIII. p. 141^ 
. EXTRAIT 

du 
REGISTRE DES ACTES DE DÉCÈS DE L'AN 1797. 

Est mort le 19 fructidor dernier (5 septembre 1797) à six heures 
du soir, Pierre Pacareau, âgé de quatre-vingt-sept ans, natif de 
Bordeaux, évêque métropolitain du Sud-Ouest, place Saint-André, 
n*... ainsi qu'il est établi au verbal du citoyen Gaston Ferbos, 
commissaire de police, d'après l'attestation des citoyens Bernard 
Félix Destrade, âgé de quarante-deux ans, prêtre, curé de Saint- 
Louis, rue Notre-Dame aux Chartrons, n*25, et Jacques Trémolières, 
âgé de cinquante-deux ans, curé de Saint-Dominique, place Saint- 
Dominique, D? I, qui ont signé audit verbal avec le dit commissaire, 
qui s'est assuré du décès. Bordeaux, le 5' jour complémentaire an 
cinq républicain. Signé au registre : Boulan, officier public. 

(Mairie de Bordeaux, Archives de Tétat-civil.) 



438 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



NOTE XIV, p. 142. 

Aux Pasteurs des villes et des campagnes, 
6 Novembre, Tan !•' de l'Égalité et de la République. 

Reges obligati sunt, et ceciderunt; nos autem 
surreximuSf et erecti sumus, (Ps. xix, st. ç.) 

Les Rois ont été abattus et ils sont tombés ; mais 
nous nous sommes relevés, et nous demeurerons 
fermes. 

Si Ton en juge par ce verset, que depuis tant de siècles vous 
chantez dans nos temples, Pasteurs, les événements de ces temps 
reculés ne font que se renouveler. Les rois, comme alors, sont 
tombés, et les peuples se sont relevés. Mais, erecti sumus, nous 
demeurons fermes, et nous devons proscrire à jamais tout ce qui 
pourrait manifester un sentiment contraire. 

Lx>rsque la confiance du peuple vous appela au ministère des 
autels, elle devint pour vous une récompense et une leçon; Tune 
vous enchaîne à la reconnaissance, Tautre vous trace vos devoirs : 
le devoir et la reconnaissance vous font donc une loi de concourir, 
de tous vos moyens, à Tentretien et à la propagation de l'esprit 
public, au respect et au maintien des principes, du sein desquels 
doivent sortir un gouvernement sage et durable, et avec lui, Tamour 
et la nécessité de Tordre, la religion des lois. Vous ne pouvez 
méconnaître, encore moins contrarier cet esprit public qui s'élève 
aujourd'hui majestueusement sur la masse ténébreuse des préjugés, 
qui en captivait l'effort. Vous ne pouvez ignorer que le vœu 
national appelle hautement le gouvernement républicain sur les 
débris hideux d'une monarchie usurpatrice de nos droits; que ce 
monument usé de notre antique et honteuse servitude est à jamais 
détruit, et que le nom de roi n'est plus, pour la France régénérée, 
que l'objet d'un souvenir douloureux ou d'un songe pénible qui 
avait longtemps tourmenté le sommeil de la liberté. 

Cessez donc, Pasteurs, cessez de trahir, innocemment sans doute, 
et nos serments et les vôtres. Nous avons tous adopté la république, 
nous avons répudié les grands, aboli la royauté; cessez donc, par 
de vaines oraisons, d'invoquer l'Éternel en faveur des rois. Retran- 
chez surtout de votre psalmodie, cette antienne impatriotique, cette 
invocation presque impie et criminelle aujourd'hui, i)omi»e^5aiDt/m 
foc Regem, que le bon peuple chante encore, mais qu'il eût lui- 
même arrachée de ses Heures, si par la plus choquante des contra- 
dictions et la plus perfide des combinaisons, on ne l'eût contraint 
jusqu'à présent de chanter machinalement en latin des mots qu'il 
n'entend pas, tandis qu'il ne devrait s'entretenir avec l'Être suprême 



APPENDICE. 439 



que par les épanchements de son cœur, et les exprimer dans sa 
langue naturelle et la plus usuelle. Notre révolution amènera pro- 
bablement ces changements salutaires ; mais il est instant, et vous 
le sentirez, dignes Pasteurs, d'effacer, dès à présent, dans vos rituels, 
le Domine, salvumfac Regem. 

Vous ne pouvez employer, dans l'exercice du culte, une formule 
qui, tout à la fois, attesterait votre attachement à des formes 
abhorrées ou oubliées, et semblerait entretenir dans l'esprit de vos 
ouailles, des souvenirs et des intentions antipatriotiques. 

Voulez-vous que l'influence de la religion sur les mœurs publiques 
devienne, sous la sanction dcL la philosophie, une vérité pratique? 
Rendez cette vérité respectable par son utilité, aimable par ses 
effets. Ministres de l'Evangile, votre mission est sublime, si 
vous l'amalgamez en quelque sorte avec celle de nos infatigables 
législateurs, avec celle du Pouvoir exécutif, qui ne veut et ne peut 
connaître d'autre gloire, d'autre ambition, d'autre récompense que 
celle de seconder par son activité, sa vigilance, et surtout par son 
imperturbable viation sur la ligne de la loi, les travaux de la 
Convention. Entraînés par le pouvoir de l'habitude, il en est encore 
parmi vous qui font retentir dans nos temples d'absurdes invoca- 
tions pour un roi qui ne règne plus, pour des princes qui ne sont 
plus que nos concitoyens ou nos ennemis. Ces observations, mon 
invitation fraternelle suffiront, sans doute, pour leur faire sentir 
que la Patrie seule est ce qu'il faut sauver, et que c'est pour elle, 
pour sa prospérité que nous devons implorer la Providence. 

Mais, s'il en était quelques-uns qui s'oubliassent jusqu'à blâmer 
les décrets des Représentants de la nation, et inciter le peuple à les 
méconnaître, qu'ils sachent que l'obéissance à la loi est la première 
vertu du citoyen, et que le prédicateur de la révolte est un insensé 
qu'on doit arrêter, ou un coupable qu'il faut punir. 

Le Ministre de l'intérieur, signé : Roland. 



NOTE XV, p. 181. 

Au NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, 

Nous, Représentans du peuple, délégués par la Convention 
nationale dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne, 
Conformément à l'article 8 du décret du 28 mars dernier, 
Requérons les administrateurs des Directoires de district dans les 
départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne de mettre à la 
disposition de la nation pour le service des armées les chevaux qui 
ne servent point à l'agriculture, au commerce ou à des besoins 
d'une nécessité urgente et reconnue; de retirer de fait les dits 



440 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

chevaux ainsi que toutes les provisions de fourrages et d'avoine qui 
auraient été faites pour leur nourriture. 

Requérons, en outre, Texécution de l'article 9 de la même loi. 

Les états des dits chevaux, contenant leur nombre, leur signale- 
ment, leur estimation, de même que les quantités et le prix des 
fourrages et avoines nous seront adressés par chaque administration 
de district. 

Dans la quinzaine qui suivra la réception de la présente réquisi- 
tion, les Directoires de district donneront des ordres et prendront 
toutes les mesures nécessaires pour que les chevaux mis par eux à 
la disposition de la nation soient conduits, ceux du département de 
la Gironde, à Libourne, et ceux du Lot-et-Garonne, à Agen. Ils 
feront aussi transporter dans chacune de ces villes les fourrages et 
avoines destinés par les propriétaires à la nourriture des dits 
chevaux dans la proportion des besoins. Les districts d'Agen et de 
Libourne feront sans délai disposer des écuries capables de contenir 
les dits chevaux et les greniers pour les fourrages. 

Fait et arrêté à Libourne, le 18 avril 1793, Tan II de la République 
française. Signé : Garrau, Paganel. 

Par les citoyens Représentans du peuple, signé : Beylard, 
secrétaire de la délégation, 

(Archives de la Gironde, série L, Registres du Conseil général du 
département, no 4, p. 96.) 



NOTE XVI, p. 182. 

FORHULB DE CERTIFICAT DE CrVISME. 

Vignette-cartouche contenant les mots : La Nation et la Loi. Liberté. Égalité. 

SECTION No 17. 

Sur la demande faite par le citoyen d'un certificat 

de civisme, vu le certificat de son service dans la garde nationale 
signé de son capitaine et de huit volontaires, 

La section n<» 17 a reconnu qu'il est un bon citoyen, et en con- 
séquence a délibéré qu'il lui serait délivré un certificat de civisme. 

Bordeaux, le i793, l'an II de la République. 



NOTE XVII, p. i83. 

Nous, Représentans de la Nation, délégués par la Convention 
nationale dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne 



APPENDICE. 441 



Après avoir entendu le rapport fait au Conseil général du 
département de la Gironde, par un de ses membres, sur le Château 
Trompette et ses dépendances ; 

Considérant que la discussion qui doit suivre ce rapport, sera 
nécessairement très longue parce qu'elle embrasse des questions de 
droit, de propriété et de police générale, parce qu'elle nécessite 
Texamen d'un grand nombre de pièces, parce que les difficultés 
qu'elle peut faire naître sont très sérieuses; que le Conseil du 
département jugera sans doute dans sa sagesse ne devoir prononcer 
définitivement sur cette affaire qu'après les plus mûres réflexions et 
en tâchant de concilier l'intérêt de la République avec les droits de 
plusieurs individus ; 

Considérant que nous sommes spécialement chargés par notre 
mission de pourvoir dans le plus bref délai à tout ce qui intéresse la 
défense des côtes de l'Ouest et la sûreté particulière des départements 
où nous sommes députés ; 

Considérant que le Château -Trompette a surtout dû fixer notre 
attention, que nous l'avons trouvé entouré de barraques et d'échoppes 
bâties en bois ; 

Que nous avons été frappés des dangers que présente cette réunion 
de matières combustibles autour d'une place qui renferme un 
magasin de poudre, et auprès d'une rade toujours couverte de 
vaisseaux ; 

Que plusieurs de ces barraques sont adossées aux murs du 
château, ce qui exposerait cette place aux entreprises des 
malveillants ; 

Considérant qu'aucun motif ne doit, dans les circonstances 
actuelles, retarder les mesures de sûreté générale et qu'on pourra 
par la suite statuer sur les indemnités de droit, après en avoir 
conféré avec les membres composant le Comité de défense ; 

Requérons le Conseil général du département de la Gironde de 
faire procéder sans délai à la démolition de toutes les barraques et 
échoppes bâties sur le terrain appelé le Pré du Chdteau' Trompette, 
autres que celles qui sont le long des allées de Tourny depuis la 
maison Gobineau inclusivement, celles qui sont le long du Grand 
Cours du Jardin public et du Pavé des Chartrons allant vers la 
rivière jusqu'à la rue Notre-Dame ; de faire enlever les matériaux 
provenant des dites démolitions, ainsi que les magasins de planches 
et autres marchandises qui y sont établis; de faire enlever les 
terreaux et décombres qui obstruent les fossés du château, les 
ponts, les palissades et autres ouvrages généralement quelconques 
qui y ont été pratiqués, et enfin de [faire rétablir les glacis dudit 
château et de ses dépendances dans le même état où ils étaient avant 
la construction des dites barraques et échoppes, sauf aux parties 



44^^ HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



intéressées à se pourvoir devers les corps administratifs à raison des 
indemnités qu'elles se croient fondées à réclamer. 

Fait à Bordeaux, le 3o avril 1793, l'an II de la République. 

Signé : Paganel, Garrau. 

(Archives de la Gironde, série L, Registres du Conseil général du 
département, no 4, p. 107.) 



NOTE XVIII (A), p. 187. 

Nous, Représentans de la Nation, délégués par la Convention 
nationale dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne, 

Considérant que le salut de la République nécessite des mesures 
promptes, énergiques et très étendues pour se procurer des armes, 
des munitions de guerre, des affûts, pourvoir à tout ce qui peut 
intéresser la défense du département et le service des armées, et 
pour former des établissements indispensables à ces divers objets ; 

Requérons le Conseil général du département de la Gironde : 

10 De requérir de tous les serruriers, forgerons, charrons et 
armuriers qui sont inscrits comme volontaires pour le recrutement 
des 3oo,ooo hommes, même ceux de ces diverses professions qui 
auraient été réformés soit à cause de leur taille, soit à cause de 
quelque défectuosité, de se rendre dans les divers ateliers ou 
chantiers qui leur seront désignés, pour y être employés au service 
de la nation ; 

2<' De requérir tous les armuriers de s^occuper sans relâche de la 
confection des fusils ou autres armes qui seront jugées indispensables 
pour le service de la nation ; 

3* De procurer un local au citoyen Perrié, ou à tous autres, pour 
feire du salpêtre, autorisant à cet égard la disposition d'une 
possession nationale; 

40 De s'employer à former tous établissements et de &ire tous 
achats qui auraient pour but les moyens de défendre la patrie, et 
d'armer les mains qui doivent repousser les tyrans et leurs aveugles 
satellites réunis contre elle ; 

Autorisons le dit Conseil à faire un emploi momentané des maisons 
nationales pour ces établissements, parce que le premier devoir est 
d'assurer l'indépendance de la République ; 

L'autorisons pareillement, si le cas y échoit, à requérir les hommes 
exerçant les professions ci-dessus dans les districts ou dans la ville 
de Bordeaux, de se rendre dans les dits chantiers, ateliers ou 
établissements ; 

Et comme ces objets peuvent nécessiter des dépenses extraordi- 



APPENDICE. 443 



naires, autorisons le Directoire et le Conseil général du département 
de la Gironde à faire payer les dites dépenses par les Receveurs de 
districts, qui demeurent requis d'acquitter les mandats qui seront 
tirés sur eux pour cet objet, lesquels mandats seront fournis par le 
Directoire du département que nous établissons ordonnateur à cet 
effet sur les comptes des employés et après avoir été vérifiés par le 
Directoire du district dans lequel se sera fait le travail. 

Au surplus, le Directoire et Conseil général demeure chargé de 
faire part de toutes ses opérations au Comité de Salut public de la 
Convention et à nous. 

Fait à Bordeaux, le 3 mai 1793, l'an II de la République française. 

Signé : Garrau, Paganel. 

(Archives de la Gironde , série L, Registres du département, n« 4, 
p. ii3 et 114.) 



NOTE XVIII (B), p. 187. 

Nous, Représentans du peuple, délégués dans les départements de 
la Gironde et du Lot-et-Garonne, 

Sur la connaissance qui nous a été donnée par le Comité de 
défense générale du département de la Gironde de divers mémoires 
relatifs aux moyens nécessaires pour mettre ce département en état 
de défense. 

Considérant que, quoique aux termes de la loi du 4 avril, les 
départiéments maritimes soient autorisés à mettre leurs côtes en état 
de défense, le peu d'extension donnée aux termes de cette loi 
pourrait entraver les opérations du département dans une infinité 
d'occasions où la promptitude des mesures ne peut être secondée 
que par une facile disposition des fonds; 

Considérant que la situation particulière du département et son 
importance mérite toute notre sollicitude et que nous ne pouvons 
&ire un meilleur exercice des pouvoirs dont nous sommes revêtus 
que de donner à l'administration le soin et la acuité de défendre 
cette partie du territoire de la République, dont la surveillance lui 
est confiée ; 

Autorisons le Conseil général et à son défaut le Directoire du 
département de la Gironde à ordonner la confection des travaux 
contenus dans les dits mémoires et qui sont relatifs à la défense des 
côtes et de la rivière, tels que batteries, signaux, redoutes, forts, 
vaisseaux stationnaires ou batteries flottantes au bas de la rivière, 
achats de boulets, construction d'affûts, approvisionnements de 
poudres et autres munitions de guerre, et généralement faire les 
dispositions propres à rassurer contre toute invasion des ennemis 
sur les côtes ou dans la rivière, et même celles qui deviendraient 



444 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

nécessaires du côté de Tintérieur, en cas de menaces de la part de 

Fennemi dans cette partie; à Teffet de quoi il demeure formellement 

autorisé à ordonnancer les fonds nécessaires pour le paiement des 

dites dépenses sur les revenus de district qui seront tenus d'acquitter 

jes mandats à valoir sur les fonds de toute nature existant dans leur 

caisse et même sur le payeur général du département à défaut de 

fonds dans les caisses des receveurs de district, lesquels mandats, 

motivés sur la présente autorisation, seront reçus pour comptant 

des receveurs ou payeur par la Trésorerie nationale ; à la charge par 

le département de mettre dans les dites dépenses l'économie 

convenable et de s'assurer d'avance de leur nécessité d'après les états 

de détail et devis estimatifs présentés par les gens de l'art dans 

chaque partie et discutés dans le Comité de défense générale ; à la 

charge encore de nous donner connaissance dans les vingt-quatre 

heures des dépenses pour lesquelles il aura ordonnancé des fonds, et 

en cas d'absence de notre part, de donner pareille connaissance dans 

le même délai au Comité de Salut public. 

Fait à Bordeaux, en délégation, le 3 mai 1793, l'an II de la 

République française. 

Signé : Garrau, Paganel. 

(Archives de la Gironde, série L, Registres du département, n« 4, 
p. 114 et II 5.) 



NOTE XIX, p. 223. 
SECTION DES SANS-CULOTTES N* i. 

SÉANCE DU 23 MAI ljg3, 

La Section, pénétrée du serment qu'elle a fait de maintenir la 
liberté et l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République, et 
profondément affligée des retards que font éprouver les ennemis de 
la chose publique à la confection d'une constitution fondée sur 
ces principes; 

Considérant que l'état d'anarchie où se trouve la République ne 
peut qu'opérer une subversion totale qu'il est instant de prévenir, et 
que les divers écrits qui ont paru jusqu'à ce jour n'ont JEsiit 
qu'indiquer le mal sans présenter un remède efficace pour le 
détruire, a cru qu'il était urgent, 

lo D'envoyer deux commissaires à la Commune à un jour fixé, 
pour se réunir aux commissaires des autres sections pour se 
concerter sur les mesures les plus efficaces à prendre dans la 
circonstance présente pour sauver la chose publique; 

2^ Afin de faciliter le travail de ces commissaires, chaque section 
établira dans son sein un comité de quatre membres, chargé de 



APPENDICE. 445 



méditer les moyens les plus sûrs pour parvenir à ce but, et leur 

travail sera communiqué au Conseil général; 

30 D'inviter les vingt-sept autres sections à adopter les mêmes 

mesures et de faire connaître leurs vœux à la section. 

Signé : Clochar, président ; 

PiECK, secrétaire suppléant, 
(Archives de la Gironde, série L.) 



NOTE XX, p. 224. 

DÉCRET DU 2 JUIN 1793. 

La Convention nationale, sur la motion d'un membre, relative 
aux dénonciations portées contre un nombre de membres de la 
Convention nationale, décrète que les députés, ses membres, dont 
les noms suivent, seront mis en état d'arrestation chez eux, 
qu'ils y seront tous sous la sauvegarde du peuple français et de la 
Convention nationale, ainsi que de la loyauté des citoyens de Paris. 
Les noms des dits députés mis ainsi en état d'arrestation, sont : 
Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles, 
Barbaroux, Chambon, Bu^ot, Biroteaux, Lidon, Rabaut, Lasource, 
Lanjuinais, Grangeneuve , Lehardy, Lesage, Louvet, Vala^é, 
Clavière, ministre des contributions publiques, et Lebrun, ministre 
des affaires étrangères; auxquels noms il faut joindre ceux des 
membres de la Commission des Douze, à l'exception de ceux d'entre 
eux qui ont été dans cette commission d'un avis contraire aux mandats 
lancés par elle ; les noms des premiers sont : Kervellegan, Gardien, 
Rabaut Saint-Etienne, Boilleau, Bertrand, Vigée,Mollevault, Henry 
Larivière, Gomaire, Bergoing; les deux autres exceptés sont 
Fonfrède et Saint-Martin. 

Signé : Mallarmé, président; 

Ducos, Poullain-Grandprez, Durand-Maillane 
et MÉAULLE, secrétaires. 



NOTE XXI. p. 227. 

Extrait et une lettre écrite de Bordeaux le 4 juin iyg3 

à Rabaut Saint-Étienne, 

c L'auteur fait part à Rabaut des projets de la ville de Bordeaux. 
Il lui annonce que des commissaires sont partis pour toutes les 
grandes villes de France afin de les engager à s'unir avec les 
Bordelais contre la Convention nationale; qu'on se concertera 
spécialement avec Lyon; que Ton abhorre ici la Commune de 



446 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Paris, la Montagne et le ministre Garat; que la convocation des 

assemblées primaires aura lieu incessamment; enfin que la lettre de 

Brissot à ses commettans, répandue à Bordeaux, y a fait le plus 

grand bien. » 

fMoniteurJ 

NOTE XXII (A), p. 2a8. 

Barère, au nom du Comité de salut public, fait lecture 
d'une lettre dont voici Textrait : 

Les Administrateurs du département de la Gironde aux citoyens 
représentants composant le Comité de salut public. 

Citoyens représentants, nous nous empressons de vous faire part 
d*un événement qui nous a occasionné quelques inquiétudes, mais 
dont l'issue prouve que les citoyens de Bordeaux savent toujours 
respecter les lois et se rallier aux vrais principes qui doivent régir 
un peuple libre. 

Hier, au milieu des agitations les plus vives, des inquiétudes les 
plus justes sur le sort de plusieurs représentants du peuple qu'on 
avait appris avoir été mis en état d'arrestation par un décret arraché 
à la Convention nationale, le peuple de Bordeaux apprit successi- 
vement que deux représentants du peuple, les citoyens Ichon et 
Dartigoeyte, étaient dans cette ville et se disposaient à partir pour 
Paris. Une foule de citoyens se portèrent aussitôt autour des maisons 
où logeaient ces deux députés, et annoncèrent l'intention de 
s'opposer à leur départ. La municipalité, ayant reçu l'avis de ces 
mouvements, envoya sur-le-champ des commissaires sur les lieux, 
en leur donnant l'ordre d'assurer la liberté des citoyens Ichon et 
Dartigoeyte. Ces commissaires prirent toutes les mesures que la 
prudence et la fermeté peuvent indiquer en pareil cas, et ils firent 
les dispositions nécessaires pour que le départ de ces représentants 
ne fût ni empêché, ni retardé; il nous fut donné avis de ce qui 
s'était passé à ce sujet, et nous ne pûmes qu'applaudir aux moyens 
employés par la municipalité. Nous fûmes en conséquence dans 
l'opinion que les citoyens Ichon et Dartigoeyte avaient continué 
leur route. 

CepenJant nous apprîmes, dans l'après-midi, que leur départ avait 
éprouvé de nouvelles difficultés. Nous nous hâtâmes de demander 
à la municipalité des renseignements à ce sujet; elle ne tarda point 
à nous apporter les procès-verbaux qui avaient été dressés de tout 
ce qui s'était passé 1 Nous y vîmes, avec satisfaction, que la sûreté 
des deux représentants n'avait pas été compromise un seul instant, 
et que les citoyens même qui avaient formé une opposition 



APPENDICE. 447 



momentanée à leur départ avaient donné des marques non 
équivoques de leurs égards et de leur respect pour le caractère dont 
ils sont revêtus. Nous vîmes que si ces députés avaient voulu partir 
sur-le-champ, les officiers municipaux auraient pris tous les moyens 
convenables pour faire exécuter leur volonté. 

Dirigés par des motifs de prudence, les représentants préférèrent 
de céder momentanément au désir des citoyens rassemblés, et de se 
rendre à la maison commune; ils savaient que les sections de 
Bordeaux délibéraient sur ce qui s'était passé à leur égard : et ils ne 
doutaient pas que le résultat de cette délibération ne fût de les faire 
jouir de toute leur liberté. Ils n'ont point été trompés dans leur 
attente, puisque dès le soir même nous apprîmes que, sur vingt-cinq 
sections qui s'étaient occupées de cet objet, il y en avait vingt qui 
avaient opiné pour que le départ n'éprouvât aucune difficulté ; les 
autres, toujours soumises d'avance au vœu de la majorité, 
s'étaient empressées de déclarer qu'elles le respecteraient aussitôt 
qu'il serait connu. 

Citoyens représentants, nous croyons devoir dire qu'un peuple 
qui agit avec ce calme, cette mesure et cette dignité dans un moment 
où il est convaincu que ses droits les plus chers et les plus sacrés 
ont été violés ailleurs; dans un moment où, sans aucun égard pour 
lui, sans aucun ménagement, sans même aucun respect pour 
l'inviolabilité des législateurs, on a attenté à la liberté morale de 
tous et à la liberté personnelle de plusieurs; un tel peuple, 
disons-nous, mérite d'être observé, et son influence politique ne 
peut pas être méprisée. 

D'après ces motifs, nous vous prions de donner la plus grande 
publicité à ce qui s'est passé à Bordeaux dans cette occasion. 

Nous faisons des vœux ardents pour que la voix de la raison et de 

la justice se fasse entendre à Paris comme ici, et pour que des 

procédés arbitraires et tyranniques fassent enfin place à une conduite 

régulière et conforme aux lois. 

(Moniteur du 14 juin 1793.) 



NOTE XXII (B), p. 228. 

Paris, le 5 juin 1793, l'an II de la République. 

Le Ministre de l'Intérieur 
Aux citoyens Administrateurs du département de la Gironde. 

J'ai mis, citoyens, sous les yeux du Conseil exécutif la lettre que 
vous m'avez écrite le 8 de ce mois, relativement à la disposition 
que le peuple de Bordeaux avait d'abord manifestée de retenir dans 



448 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

cette ville les représentants du peuple Ichon et Dartigoyte, lorsqu'il 

eut appris que plusieurs députés étaient mis en état d'arrestation en 

vertu d'un décret de la Convention nationale. 

Le Conseil a vu avec beaucoup de satisfaction les mesures sages 

que les autorités constituées de Bordeaux ont prises pour assurer le 

respect dû à la représentation nationale et l'entière liberté des 

citoyens Ichon et Dartigoeyte, et que les personnes même qui avaient 

formé opposition à leur départ ont témoigné tous les égards qu'elles 

devaient au caractère dont ils sont revêtus. C'est une justice que Ton 

doit rendre aux Bordelais : ils peuvent être induits en erreur, mais 

la raison, la loi les ramènent toujours aux vrais principes. Je ne dois 

pas laisser ignorer que le Conseil a donné à leur conduite et à la 

vôtre des éloges mérités. 

Signé : Garât. 
(Archives de la Gironde, série L.) 



NOTE XXIII, p. 244. 

Instruction donnée par la Commission Populaire de Salut public du 
département de la Gironde, en exécution de son Arrêté dujour d'hier^ 
aux Commissaires envoyés par elle à la Commission Centrale. 

Le vœu du Peuple du département de la Gironde est que le 
premier acte de la Commission Centrale soit une déclaration sur 
l'état actuel de la Convention nationale. 

Elle rappellera les journées des 27, 3i mai, i, 2 et 3 juin; les 
outrages que la Convention a reçus, et qui ont avili la Souveraineté 
Nationale dans la personne des Représentans du Peuple ; les décrets 
arrachés par la force; ceux que la violence a fait rapporter; ceux 
dont une faction criminelle, liée de Jvues et d'intérêt avec des 
Ministres perfides, a suspendu ou paralysé l'exécution ;^ enfin tous 
les événemens qui ont dévoilé d'affreux complots dirigés contre 
la Liberté. 

Elle déclarera, au nom du Peuple Français, que la Convention 
nationale n'est plus libre ; que le Peuple s'est levé pour la soustraire 
au joug d'une faction qui l'opprime, et lui redonner une liberté 
pleine et entière, sans laquelle la Représentation nationale n'est plus 
qu'un vain nom; qu'il lui demande, pour la dernière fois, de 
reprendre le libre exercice de sa volonté, en n'usant que de sa propre 
force; mais qu'une simple déclaration de sa part qu'elle est libre, ne 
suffira plus au Peuple Français; qu'il lui faut, pour en être convaincu, 
des actes tels, qu'on ne puisse plus douter désormais que la volonté 
nationale n'ait été librement exprimée par ses Représentans; que 
ces actes consistent principalement dans les mesures suivantes : 

lo Que les Représentans du Peuple, dont l'arrestation a été 



APPENDICE. 449 



ordonnée, soient sur-le-champ remis en liberté, et rétablis à leur 
poste, sauf à les mettre ensuite en jugement, s'il y a lieu, dans les 
formes prescrites par les loix. 

2» Que le Tribunal criminel extraordinaire soit supprimé; qu'il 
soit remplacé par un Tribunal national, siégeant à cinquante lieues 
au moins de Paris, et formé de Juges et de Jurés choisis parmi le 
Peuple de tous les Départemens. 

3° Que le rapport de la Commission des douze soit envoyé dans • 
tous les Départemens ; que les prévenus de conspiration, désignés par 
ce rapport, soient sur-le<hamp traduits devant le Tribunal national. 

4» Que tous les décrets rendus depuis le 27 mai, jusques au 
moment où la liberté d'opinion sera manifestement rendue à la 
Convention, soient révisés. 

5" Que toutes les Autorités administratives et municipales de 
Paris soient renouvelées, et que toutes Assemblées ou Comités, dits 
révolutionnaires, soient cassés. 

6^ Que les auteurs et instigateurs des massacres du 2 septembre, 
les chefs et complices des conspirations dans les journées des 
10 mars, 3i mai et suivantes, et notamment ceux qui ont dirigé ou 
commandé la force armée contre la Convention, soient arrêtés et 
jugés sans retard. * 

j^ Que le vol du garde-meuble, et les dilapidations des domaines 
et effets nationaux soie t sévèrement recherchés. 

8® Que la Garde Nationale de Paris soit promptement organisée, 
en conformité des Loix; et que le Décret qui ordonne la levée 
d'une armée révolutionnaire soit rapporté. 

Cette déclaration sera terminée par la protestation solemnelle que 
le Peuple ne sera satisfait qu'à l'instant où ses demandes auront été 
décrétées et exécutées, et que si la Convention Nationale ne défère 
pas à cet acte de la volonté du Peuple, il sera démontré qu'elle n'est 
pas libre : alors la Commission Centrale mettra en usage les moyens 
qui seront le résultat du vœu des Départemens, pour sauver la 
chose publique. 

Le vœu du Département de la Gironde, dans ce cas, est d'envoyer 
à Paris, de concert avec les autres Départemens, une force armée 
qui vienne au secours de la Convention, des bons Citoyens de 
Paris, et qui enchaîne pour toujours les bras des factieux et des 
conspirateurs qui y régnent par la terreur et le crime. La force de 
la Gironde s'organise; elle est prête à marcher au premier signal. 

Fait en Commission populaire de salut public du Département 
de la Gironde. A Bordeaux le 20 juin 1793, l'an deuxième de la 
République Française. 

Signés : Pierre Sers, président; Desmirau., vice-président f 
Bernada, Monbalon, Pery, Jaubert, secrétaires. 
T. I. 29 



45o HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 



NOTE XXIV, p. 245. 



Extrait du registre des délibérations de la Section Simoneau «» S, 

séante dans une des salles de la Bourse. 

Bordeaux, le 23 juin 1793, Pan II de la République française, 
une et indivisible. 

La section Simoneau, extraordinairement assemblée sur la 
demande faite au président par 10 de ses membres, délibérant 
sur les moyens à employer pour prévenir les dangereux, effets de 
la mission des deux Commissaires de la Convention nationale, qui 
sont annoncés par les papiers publics comme devant se rendre dans 
cette cité ; 

Considérant que les motifs qui Font déterminée précédemment 
à dé.larer la non-liberté de la Convention nationale, bien loin 
de s'affaiblir, acquièrent chaque jour une nouvelle force et un 
nouveau degré d'évidence; 

Considérant que les départements qui dans ce moment s'occupent 
des grandes mesures pour faire recouvrer à la représentation nationale 
sa liberté et lui rendre son intégrité, ne peuvent et ne doivent, sous 
aucun rapport, s'en laisser distraire, mais au contraire marcher 
d'un pas ferme et constant vers ce but salutaire, a unanimement 
arrêté ce qui suit : 

i« La municipalité sera invitée de faire surveiller l'arrivée des dits 
commissaires, et de donner des ordres aux détachements de gardes 
nationales, soit à Lormont, soit à La Bastide, de les conduire 
directement auprès de la Commission populaire de salut public. 

2* Aussitôt que la Commission populaire de salut public aura 
entendu ces dits commissaires, elle est invitée à leur intimer, pour 
toute réponse. Tordre de partir sur-le-champ. 

3^ Et afin qu'il soit notoire que le vœu de la Commission populaire 
de salut public est aussi celui des citoyens de Bordeaux, chaque 
section est invitée de nommer un de ses membres chargé de se 
rendre auprès de la Commission populaire, aussitôt que l'arrivée 
des susdits députés sera connue, pour, en leur présence, exprimer 
de nouveau les sentiments de la cité. 

40 La municipalité sera invitée de donner une garde à ces députés 
pendant le peu de temps qu'on leur permettra de rester dans la cité, 
et la Commission populaire de salut public sera invitée à les &ire 
accompagner jusqu'aux limites du département. 

h^ La Commission populaire de salut public sera invitée de donner 
connaissance aux départements voisins des mesures qu'elle aura 
adoptées à cet égard. 



APPENDICE. 45 1 



6* La présente délibération sera envoyée à la Commission populaire 
de salut public, à la municipalité, et communiquée aux 27 autres 
Sections et à la Société des Amis de la Liberté et de TÉgalité de 
Bordeaux. 

Signé : Lebrun, /7r^5iien/; P.-A. Chicou-Bourbon, secrétaire. 



NOTE XXV, p. 259. 

Arrêté de la Commission populaire de salut public 
du département de la Gironde. 

Du 26 juin 1793, Tan II de la République française. 

La Commission populaire de salut public du département de la 
Gironde, 

Délibérant sur le vœu exprimé par la presque totalité des sections 
de Bordeaux, à l'instant où l'on y apprit que les citoyens Mathieu et 
Treilhard avaient été nommés pour se rendre dans ce département; 

Et sur le vœu que plusieurs de ces mêmes sections ont pareille- 
ment énoncé depuis qu'elles ont appris le décrec du 18 du présent 
mois, ce dernier vœu ayant pour objet de faire retenir à Bordeaux 
et d'y garder en état d'arrestation les citoyens Mathieu et Treilhard, 
comme des otages qui doivent répondre au Peuple de la Gironde de 
la sûreté de ses propres Députés envoyés vers les autres départe- 
ments, pour y concerter les mesures propres à sauver la chose 
publique; 

Considérant qu'aussi longtemps que nous conserverons l'espérance 
de voir la Convention nationale reprendre sa liberté et se dégager 
de l'état d'asservissement où la tiennent quelques hommes qui ont 
usurpé tous les pouvoirs et qui en font l'abus le plus criminel, nous 
devons aussi user envers tous ceux qui portent le caractère sacré 
de Députés de tous les égards et de tous les ménagements qui sont 
compatibles avec la sûreté générale de la République; 

Considérant qu'il est digne des citoyens de ce département de 
donner, dans cette circonstance délicate, une nouvelle preuve de 
leur respect pour la Représentation nationale,' lors même qu'elle est 
violée ouvertement à Paris, et que des hommes pour qui rien n'est 
sacré, persuadent à une partie du Peuple, égarée ou corrompue par 
les maximes les plus destructives de tout ordre social, qu'elle peut 
à son gré arracher à leurs fonctions, sous les plus vains prétextes, 
des Représentans qui n'appartiennent qu'à la nation entière et qui 
ne sont comptables qu'envers elle; 

Considérant que la sûreté des Députés de la Gironde vers les 



452 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

autres départements de la République est confiée à la loyauté de 
tous les bons citoyens, et qu*il répugne à toute âoie honnête de 
penser qu'aucune autorité constituée ose attenter à leur liberté, 
ou permette qu'on y attente sous le prétexte d'obéir à un décret 
odieux, subversif de tous les principes et dont l'exécution livrerait 
inévitablement la France à une nouvelle guerre civile; 

Considérant que l'objet unique du Peuple de ce département, en 
se mettant en insurrection contre l'anarchie, a é.é de concourir, 
avec les autres départements, à rendre à la Convention nationale 
sa liberté et sa majesté, et que la mesure d'arrêter des membres de 
cette Assemblée n'est nullement propre à remplir cet objet; qu'elle 
pourrait au contraire offrir un champ vaste à la calomnie, et servir 
de prétexte aux malveillans pour occasionner une division funeste 
dans les esprits; 

Considérant qu'il doit suffire, en ce moment, au Peuple de ce 
département, d'avoir manifesté ses opinions et ses sentiments aux 
citoyens Mathieu et Treilhard; de leur avoir démontré dans une 
séance très nombreuse, par la bouche de ceux qu'il a investis de sa 
confiance et de ses pouvoirs, que c d'après une multitude de faits 
» notoires, contre lesquels il leur a été impossible de s'élever, il est 
» dans l'intime conviction que la Convènxion nationale n'est point 

> libre; qu'entre autres faits évidents, qui prouvent cette affligeante 

> vérité, il est certain que le lieu de ses séances a été investi de 
» canons et d'hommes armés, les 3i mai, i, 2 et 3 juin; que l'assem- 
» blée entière n'a pu se faire obéir par cette force armée, et qu'au 
f contraire elle a même été forcée d'obéir à un commandant féroce; 
» qu'à la suite de cette violence inouïe, elle fut obligée de livrer 
• 32 de ses membres, sans rapports, sans motifs quelconques, 

> autres du moins que ceux de sa sûreté et de la crainte qu'imprimait 
» l'appareil le plus menaçant; 

i Que depuis cette époque, elle n'a rien fait pour reconquérir sa 
» liberté et venger la nation des outrages qu'elle avait reçus ; 

i Que vainement lui demande-t-on, à grands cris, de toutes les 
» parties de la France, d'entendre les membres arrêtés sans cause, 

> et notamment d'entendre le rapport de cette commission des 

> Douze, qui avait annoncé les preuves les plus manifestes d'un 

> complot formé contre la Convention nationale ; que vainement 
» les membres de cette commission des Douze avaient promis, sur 
» leurs têtes, de fournir ces preuves et de justifier leur conduite; 

1 Que ses refus à cet égard ne peuvent' être motivés ni justifiés 
» que par le défaut de toute liberté ; que, dans le cas contraire, ce 
» serait une injure faite au Peuple Français, qui devrait lui faire 
» perdre toute sa confiance ; 

• Que de toutes les parties de la République, il lui a été adressé 



APPENDICE. 



453 



les réclamations les plus fortes contre les attentats des 3i mai 
et 2 juin; que le Peuple de la Gironde en a la preuve sous les 
yeux, puisque la Commission populaire a reçu une foule d'adresses 
toutes dans le même esprit, et que jamais le vœu national ne s'est 
manifesté avec plus d'éclat ; 

1 Que cependant on a pris le parti de ne lire à la Convention 
aucune de ces adresses, de ne faire même aucun rapport sur leur 
contenu, tandis qu'on insère avec affectation, dans les Bulletins 
de la Convention, jusqu'à des adresses et à des diatribes de 
quelques individus ou de quelques communes égarées, ou enfin 
d'un très petit nombre de corps administratifs, qui s'expriment 
dans le sens de la faction dominatrice ; 

» Que cette partialité révoltante, ou plutôt ce mépris caractérisS 
du vœu de la presque totalité des Français, annonce une tyrannie 
dont aucune époque de l'Mistoire n'offre d'exemple; 

» Que jusqu'à présent on avait, dans le cours de la Révolution, 
respecté la liberté de la Presse, ou que si on y avait porté des 
atteintes passagères, Tordre naturel et conforme aux lois s'était 
bientôt rétabli ; mais qu'aujourd'hui il existe à Paris un système 
d'inquisition mille fois plus affreux que celui que se permirent 
jamais les Sartine, les. Lenoir et autres suppôts de l'ancien régime ; 

» Que le secret des lettres est violé avec l'impudeur la plus 
révoltante; que le but de la faction paraît être de dégoûter le 
Peuple du système républicain, et de le réduire à un tel état 
de dégradation, de misère et d'opprobre, qu'il se persuade n'avoir 
rien gagné en brisant le sceptre des rois, n'avoir rien de plus 
fâcheux à craindre du retour de l'ancien régime, et par là de le porter 
à se jeter entre les bras du premier tyran qui s'offrira à lui ; 

> Que si telle est une faible partie du peuple de Paris, il n'en est 
pas de même de la majorité des citoyens de cette ville célèbre, ni 
de ceux des départements ; 

i Que là, surtout, le Peuple connaît la liberté et ses douceurs, 
parce que les magistrats qu'il s'est donnés, l'aiment sincèrement 
et font exécuter les lois qui protègent le faible et répriment 
l'oppresseur; 

1 Que là il n'est point corrompu par un salaire journalier, destiné 
à celui qui fait métier de provoquer au meurtre et au brigandage ; 

» Que là il ne se borne pas à jurer la République une et indivisible, 
la Liberté, l'Égalité, la sûreté des personnes et des propriétés, 
mais qu'il veut toutes ces choses du fond de son cœur; 

1 Que là il ne se consume pas en vaines jactances contre les 
ennemis du dehors et du dedans; mais qu'il envoie de braves 
soldats à nos armées, en même temps qu'il fournit, par son travail 
et ses sueurs, les objets qui leur sont nécessaires, i 



454 HISTOIRE DE LA TERREUR A BORDEAUX. 

Considérant que ces vérités, que les citoyens Mathieu et Treilhard 
ont entendues, ils ne pourront s^empécher de les rendre à la 
Convention nationale, et que peut-écre elles concourront à ranimer 
le courage et les espérances de cette majorité des F^eprésentans, de 
laquelle le Peuple Français attendait son salut; 

Que les citoyens Mathieu et Treilhard ne pourront, à leur retour 
à Paris, s'empêcher de convenir qu'à Bordeaux ils ont entendu un 
langage républicain ; 

Qu'ils n'y ont vu que l'intention bien formelle d'aller au secours 
de la Convention nationale opprimée et avilie par une faction, sans 
cesser de combattre un instant, ni les ennemis du dehors, ni les 
rebelles de l'intérieur, et que cette troisième espèce de guerre à 
laquelle les citoyens de ce département se préparent, ne menace 
que les anarchistes et leurs alliés naturels, les fauteurs du despotisme 
et de l'aristocratie ; 

Que le Peuple de ce département, fort de la pureté de ses intentions 
et de celles qui animent tous les vrais amis de la Patrie, n'a jamais 
douté du concours de la majorité des départements dans les mesures 
également fermes et sages qu'il prend pour rendre à la Convention 
nationale la liberté sans laquelle elle ne peut exprimer la volonté 
générale, et pour faire respecter la souveraineté du Peuple Français, 
en mettant ses mandataires à l'abri de toute violence ultérieure. 

Par toutes ces considérations, la Commission populaire de salut 
public arrête : 

i» Qu'il n'y a lieu à délibérer sur la demande de diverses sections 
de la commune de Bordeaux, de mettre les citoyens Treilhard et 
Mathieu en état d'arrestation, et de les garder comme des otages 
pour la sûreté des citoyens qui ont été envoyés, au nom du Peuple 
de ce département, vers les autres départements de la République ; 

2* Qu'en conséquence, les citoyens Mathieu et Treilhard auront 
toute liberté de reprendre la route de Paris, ainsi qu'ils ont paru le 
désirer; et que pour le leur annoncer, il leur sera délivré un extrait 
en forme du présent arrêté. 

Fait en Commission populaire de salut public du département de 
la Gironde. A Bordeaux, le 26 juin 1793, l'an II de la République 
française. 

Signé : Pierre Sers, président; Desmirail, vice-président; 
Bernada, Monbalon, Pery, Jaubert, secrétaires. 



FIN DE L'APPENDICE.