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Full text of "Histoire de la verrerie et de l'émaillerie"

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HISTOIRE 


DE 


LA VERRERIE 


ET DE 


L'ÉMAILLERIE 





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A AE TES 


DUO Srpndié me 


RAIN 








' Pot à anse en verre bleu opaque 
nn De décoré d'émaux de couleur, 
LPS . O4 (Fabrique française. — Rouen (?), xvrre siècle. ) 


m7 l Collection de M. P. Gasnault. 


Vidrecome décoré d'armoiries 
en émaux de couleur. 


(Fabrique allemande, xvre siècle.) 


Collection de M. Spitzer. 


Buire émaillée et dorée. 
{Fabrique vénitienne, fin du xve siècle. } 


Collection de M. Spitzer. 


#s 





CM 
HISTOIRE 
LA VERRERIE 


L'ÉMAILLERIE 


PAR 


ÉDOUARD GARNIER 


Auteur de l'Histoire de la Céramique 


ANCIEN ATTACHÉ À LA CONSERVATION DU MUSÉE DE SÈVRES 


ILLUSTRATION D'APRÈS LES DESSINS DE L'AUTEUR 


GRAVURE DE TRICHON 





TOURS 


ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS 


MAD CCC D XNANI 





EUTHSONEE 
NOV 2 8 1988 









PRÉFACE 


Nous nous sommes proposé, dans cet ouvrage, de 
faire connaître ce que l’on sait aujourd'hui de plus 
assuré sur les origines et l’histoire de ces deux métiers 
qui sont devenus des arts : la Verrerie et l’Émaillerie. 

Comme pour notre Histoire de la Céramique, que le 
public a accueillie avec une si grande bienveillance, 
nous avons cherché avant tout à être consciencieux et 
lucide. 

Il y avait dans la tâche que nous avons entreprise 
de nombreuses difficultés à surmonter, car 1l y a encore 
plus d’un problème à résoudre dans cette partie du 
domaine archéologique. Nous avons voulu épargner à 
nos lecteurs l’ennui des discussions arides et ne leur 
donner que des résultats acquis; et si nous avons dû, 
pour atteindre ce but, profiter des travaux des savants 
qui nous ont précédé, nous l’avons fait du moins en 
leur rendant toujours la part qui leur revient et en 
indiquant les sources où nous avons puisé. 

Mais, à côté de ce que nous avons emprunté à nos 
devanciers, il y a dans notre travail une part qui nous 


VI PRÉFACE 

appartient en propre et qui est le résultat de nos 
recherches particulières, des observations que nous 
avons recueillies dans nos visites aux musées et aux 
collections Hbéralement ouvertes à nos études, ou dans 
des voyages entrepris avec la préoccupation constante 
de ce livre. 

Notre plan est simple. Nous faisons le tour de l’ancien 
et du nouveau monde en interrogeant successivement 
tous les peuples sur les secrets de leur industrie et de 
leur art. C’est ainsi que, pour la verrerie, nous nous 
arrêtons dans l'antique Égypte, en Syrie et en Grèce, 
à Pompéi et dans les catacombes; puis, durant les 
temps modernes, chez les Arabes, à Venise, en France, 
partout. C’est ainsi que pour l’émaillerie nous faisons 
de longues haltes d’abord à Constantinople, qui a été 
jusqu'au xr° siècle. le grand centre de la fabrication 
des émaux; puis, sur les bords du Rhin, à Cologne, 
et enfin dans cette ville prédestinée de Limoges qui, 
apres avoir fourni à la France et à l’Europe un si 
srand nombre d'œuvres d’orfèvrerie émaillée, eut plus 
tard Ta gloire de voir renaître dans ses murs le bel 
art de l’émaillerie avec les plus célèbres de ses enfants, 
les Pénicaud, les Limosin, les Courteys, les Rey- 
mond, etc. etc. 


Quant à la partie technique, nous ne l'avons abordée 
que lorsqu'elle était nécessaire pour venir en aide 
à l'intelligence de définitions que nous avons cherché 
à rendre claires et précises. 

Sans l’image cependant rien n’est vraiment intelli- 


sible; et c’est pourquoi cette Histoire est aussi un livre 


PRÉFACE VII 


d'images; mais, dans cette partie de notre travail, nous 
n'avons cherché à reproduire par le crayon ou la cou- 
leur que des objets simples et bien caractéristiques qui 
puissent avant tout servir de types, et qui viennent 
ainsi appuyer et compléter notre texte. 

À côté de l'élément artistique il y a dans notre 
œuvre un intérêt « humain », et ce n’est pas sans une 
joie réelle qu’on y assistera, par exemple, aux progrès 
de cette périlleuse et mortelle industrie du verre depuis 
l'antiquité la plus reculée , jusqu’au jour où les Appert 
ont remplacé le souffle desséchant de la poitrine hu- 
maine par le soufflage au moyen de l'air comprimé, 
Certes , il est beau de penser que la France produit par 
an quatre cent mille mètres carrés de glaces; mais il 
est plus doux de se dire qu’on a amélioré de toute 
façon la situation de ceux qui les fabriquent. 


Notre livre, que nous avons ainsi voulu rendre aussi 
complet que possible, conviendra, nous l’espérons du 
moins, non seulement aux collectionneurs et aux 
Curieux, Mais aussi à tous ceux, et ils sont encore 
nombreux en France heureusement, qui s'intéressent 
à la prospérité de nos grandes industries d’art, dans 
lesquelles la verrerie et l’émaillerie occupent une place 
si importante. 


20 novembre 1885. 







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LA VERRERIE 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 


L'origine de la fabrication du verre, plus peut-être que 
celle de toutes les autres industries, est restée jusqu’à présent, 
et restera probablement toujours fort obscure : c’est un art 
dont la genèse nous est inconnue. 

Très différente en cela de la céramique, dont on peut 
suivre presque pas à pas les progrès, la verrerie, dès ses 
débuts, nous apparaît comme étant déjà en pleine possession 
de moyens qui dénotent une industrie très avancée et dis- 
posant de procédés de fabrication assez parfaits pour que le 
temps, qui modifie tout, n’y ait changé que fort peu de 
chose; nous verrons même plus loin que l’industrie mo- 
derne, si fière des progrès immenses qu’elle réalise chaque 
jour, n’a pu encore arriver à reproduire certains verres 
dont la fabrication remonte à près de deux mille ans. y à 


cependant entre ces deux arts, la céramique et la verrerie, 
L 


2 LA VERRERIE 


des analogies tellement grandes, des points de contact si 
nombreux, qu'il nous paraît hors de doute que la seconde 
dérive directement de la première. 

La céramique, dans ses manifestations des temps les plus 
reculés, ne nous montre que des œuvres informes, faites 
avec une argile grossière mélangée de paille et de scories, 
à peine cuites, et souvent même séchées seulement au soleil; 
puis la texture devient plus serrée, les formes se dessinent 
et des anses rudimentaires commencent à apparaître; enfin 
on arrive aux vases et aux ustensiles de formes variées et 
quelquefois élégantes, fabriqués au moyen du tour, avec une 
terre soigneusement triturée et épurée, assez solides pour 
résister aux usages journaliers de la vie domestique, et 
pourvus d’anses détachées. Ce sont là trois périodes bien 
bien distinctes, entre chacune desquelles il y a évidemment 
un intervalle de plusieurs siècles, et dont la dernière, bien 
que le résultat nous paraisse aujourd’hui assez minime, 
quand on le compare aux merveilles réalisées depuis dans 
le domaine de la céramique, dénote un degré de civilisation 
assez avancée et des progrès relativement considérables. 

West à ce moment, selon toute probabilité, qu’apparait 
la verrerie, ou du moins c’est seulement en compagnie de 
vases de la dernière période, c’est-à-dire fabriqués à l'aide 
du tour et munis d’anses détachées, que l’on trouve des 
verres ; on n'en rencontre pas dans les sépultures qui ne 
renferment que des poteries des époques antérieures. Nous 
serions donc d'autant plus disposé à croire que la verrerie 
procède de la céramique, qu’elle en est, pour ainsi dire, le 
résultat, et le résultat dû, suivant toute apparence, à une 
circonstance fortuite ou à une observation faite par des 
ouvriers intelligents pendant la cuisson de certaines po- 
teries, que la fabrication d’ustensiles en verre ne s'impo- 
salt pas aux hommes avec la même nécessité que celle 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 3 


des vases de terre destinés à conserver les produits de leurs 
récoltes. 

Tout le monde connaît le récit de Pline concernant l’ori- 
gine du verre, et, bien qu'il ne mérite aucune créance et 
que son auteur lui-même ne le rapporte que comme un « on 
dit (fama est) », il a donné lieu à trop d’interprétations pour 
que nous ne le citions pas ici : « Il est, dans la Syrie, une 
contrée nommée Phénicie, confinant à la Judée, et renfer- 
mant, entre les racines du mont Carmel, un marais qui porte 
le nom de Cendevia. On croit qu’il donne naissance au fleuve 
Bélus ', qui, après un trajet de cinq mille pas, se jette dans 
la mer auprès de Ptolémaïs, colonie... Ce fleuve, limoneux 
et profond, ne montre qu’au reflux de la mer le sable qu’il 
charrie. Alors, en effet, ce sable, agité par les flots, se sépare 
des impuretés et se nettoie. Le littoral sur lequel on le re- 
cueille n’a pas plus de cinq cents pas, et pendant plusieurs 
siècles ce fut la seule localité qui produisit le verre. On ra- 
conte que des marchands de nitre, y ayant relâché, prépa- 
raient, dispersés sur le rivage, leur repas; ne trouvant pas 
de pierres pour exhausser leurs marmites, ils employèrent 
à cet effet des pains de nitre de leur cargaison; ce nitre, 
soumis à l’action du feu avec le sable répandu sur le sol, ils 
virent couler des ruisseaux transparents d’une liqueur in- 
connue, et telle fut l’origine du verre ?. » 

Nous reviendrons plus loin sur ce passage de Pline; mais 


« 


nous pouvons, dès à présent, en démontrer la fausseté en 


1 « Aujourd’hui Nahr-Naman, rivière de Phénicie qui se jetait dans la mer au 
sud de Ptolémaïs (Acre), célèbre par la tradition qui veut que la finesse de 
son sable ait fait trouver le verre aux Phéniciens. » (Dictionnaire de biographie, 
mythologie et géographie anciennes, par le docteur Smirx.) 

1 «.… Fama est, appulsâ nave mercatorum nitri cum sparsi per littus epulas 
parerent, nec esset corlinis attollendis lapidum occasio, glebas nitris à nave 
subdidisse, quibus accensis permixtà arenû littoris, translucentes novi liquoris 
fluxisse rivos, et hanc fuisse originem vitri. » ( PLINE, xxxvi1, 65.) 


1 LA VERRERIE 


nous appuyant sur Pautorité d’un des plus illustres savants 
de notre époque. « Quand on connaît, dit M. Dumas dans 
son Traité de chimie, la température nécessaire à la prépa- 
ration du verre le plus fusible et qu'on a vu seulement l’in- 
térieur d’un four de verrerie en activité, on conçoit combien 
ce récit est imvraisemblablet. » 

Il faut donc chercher autre part l’origine du verre, et 
l'hypothèse la plus simple nous conduit à admettre que des 
potiers intelligents et industrieux, dont les fours étaient 
construits au moyen de briques fabriquées avec une argile 
qui contenait du sable, ayant remarqué la vitrification qui 
se produit si facilement pendant la cuisson des poteries, 
ont été amenés à tirer parti de ce phénomène. 


ÉGYPTE 


Quoi qu'il en soit, l'invention du verre remonte à une 
époque des plus reculées, et les objets en verre trouvés dans 
les plus anciennes nécropoles de la vieille Égypte montrent 
déjà, en raison de la perfection relative de leur fabrication, 
un art extrêmement avancé. Nous en aurions, du reste, 
la preuve dans les peintures des tombeaux, surtout dans 
celles des hypogées de Beni-Hassan, peintures que l’on 
croit avoir été exécutées sous le règne d'Ousortesen Ier. 
le deuxième roi de la xne dynastie, c’est-à-dire à peu 


! Bernard Parissy, dans son Trailé des eaux et fontaines, p. 271 (édi- 
tion de 1571), rapporte, sans en indiquer la source, mais probablement 
d’après une mauvaise interprétalion qui lui aura été communiquée du pas- 
sage de Pline, une fable qui n'est pas plus acceptable : « Aucuns disent que les 
enfans d'Israël ayant mis le feu en quelque bois, le feu fut si grand, qu'il 
eschauffa le nitre avec le sable, jusques à le faire couler et distiller le long 
des montaignes, et que dès lors on chercha l'invention de faire artificiellement 


ce qui avoit été fait par accident pour faire le verre. » 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 3 


près 39500 ans avant notre ère, et dans lesquelles les 
artistes du temps ont représenté les différents métiers en 
usage à leur époque; on y remarque entre autres des ver- 
riers assis à terre devant leurs fourneaux et soufflant des 
bouteilles au moyen de cannes exactement semblables à 
celles dont on se sert encore aujourd'hui; deux autres 
ouvriers, agenouillés, soufflent un vase dont la dimension, 
relativement aux proportions données par la taille des 





Fig, 1. — Ouvriers verriers, d'après une peinture de Thèbes 1. 


personnages, est telle, qu'elle nous semble évidemment 
exagérée. D’autres peintures plus anciennes encore, celles 
des chambres sépulcrales des tombes de l’ancien empire, à 
Saqqarah, qui appartiennent à la période memphite, c’est- 
à-dire à la 1ve et peut-être même à la mme dynastie, nous 
montrent également des ouvriers de toute sorte exécu- 
tant chacun les travaux de son métier, et parmi eux des 
verriers, ce qui donnerait à la verrerie une antiquité fan- 
tastique. 

Outre ces peintures, qui montrent, on le voit, des pro- 
cédés de fabrication déjà très perfectionnés, puisqu'ils sont 
exactement les mêmes que ceux qui sont pratiqués encore 
aujourd’hui, nous pouvons citer plusieurs objets portant des 
dates qui ne laissent aucun doute. En première ligne nous 


1 Reproduite par CaizcrauD : Recherches sur les arts el métiers des anciens 
peuples de l'Égypte. (Le texte de cet ouvrage n’a pas été publié.) 


6 LA VERRERIE 


mentionnerons la petite amulette (?) en forme de tête de 
lion portant au revers le cartouche d’un des Entew, — pro- 
bablement Entew IV, le vainqueur des nègres et des Asia- 
tiques, — un des princes de la x1e dynastie (environ 3600 
av. J.-C). Wilkinson! a reproduit un grain de collier sur 





Fig. 2. — Flacon en pâte de verre portant le nom de Thotmès III. 


(British Museum.) 


lequel on voit, moulée en creux, une légende hiéroglyphique 
donnant le nom d'Hatasou ?, sœur et femme de Thotmès IT, 
et régente pendant la minorité de son second frère, Thot- 
mès LIT (xvie dynastie, environ 1650 ans avant J.-C), dont 
le nom se trouve également inscrit sur le col d’un petit 


1 WicxiNsoN, Manners and customs of the ancient Egyptians. 

? On n'est pas d'accord cependant sur la matière qui compose les grains de 
ce collier; quelques savants anglais ont cru y voir un morceau d’obsidienne 
plutôt qu'une pâte vitreuse. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 7 


flacon à parfums en pâte bleu-turquoise (fig. 2), que possède 
le British Museum. 

C'est donc en Égypte que l’on trouve les plus anciens 
spécimens connus de l’industrie du verre; il ne s'ensuit pas 
cependant: que ce soit aux Égyptiens que l’on puisse avec 
certitude en attribuer lPinvention. Il y a, en effet, dans tous 
les arts dus au génie de l’homme, une période de tâtonne- 
ments, d’enfantement, pour ainsi dire, dont nous ne trou- 
vons ici aucune trace, puisque les objets que nous avons 
mentionnés sont bien évidemment le produit d’une industrie 
déjà ancienne, et que nous avons vu les verriers figurés sur 
les peintures de Beni-Hassan il y a plus de 5000 ans, en 
possession d’un outillage assez parfait pour qu’il soit arrivé 
jusqu'à nous sans subir aucune modification. Nous savons 
en outre, par les bas-reliefs du tombeau de Noumhotep, à 
Beni - Hassan (xte dynastie), qui représentent une troupe 
d’émigrés vêtus d’étoffes bariolées à longues franges, et 
apportant avec eux des objets de formes élégantes et qui 
témoignent d’une civilisation avancée, que les pays étran- 
sers fournissaient, dès cette époque, aux Égyptiens de quoi 
satisfaire leur goût si prononcé pour le luxe et les parures. 
« C'était déjà d'Asie, dit à ce propos M. Maspéro!, que 
l'Égypte tirait les esclaves, les parfums dont elle faisait une 
si grande consommation, le bois et les essences de cèdre, les 
vases émaillés, les pierreries, le lapis et les étoffes brodées 
ou teintes dont la Chaldée se réserva le monopole jusqu’au 
temps des Romains. » | 

Les Égyptiens auraient donc reçu l’art de la verrerie, — 
ainsi que beaucoup d’autres, du reste, qui, dans leurs plus 
anciens monuments, nous apparaissent aujourd'hui comme 
étant arrivés déjà à un haut degré de perfection, — de 


1 Histoire ancienne des peuples de l'Orient, p. 107. 


8 LA VERRERIE 


peuples dont l'existence et la civilisation nous sont incon- 
nues; cependant, dans l’état actuel de la science, nous devons 
considérer l'Égypte comme le berceau de la verrerie, et ce 
sont les verres trouvés dans ce pays privilégié de Fancien 
monde que nous étudierons les premiers. 

Nous devons constater tout d’abord que le verre blanc 
translucide était inconnu dans l'Égypte des Pharaons ; tous 
les spécimens qui ont été découverts jusqu’à présent, et qui 
sont déposés dans les musées, quelles que soient leur forme 





Fig. 3. — Amulettes en pâte de verre moulée. 


et leur destination, sont en verre opaque coloré au moyen 
d’oxydes métalliques. Les quelques échantillons que nous 
connaissons de verres translucides de provenance égyp- 
tienne datent d’une époque de beaucoup postérieure, et pré- 
sentent, du reste, une coloration verte plus ou moins foncée. 

Le verre opaque, ou plutôt la pâte de verre, était en réa- 
lité une sorte d’émail susceptible d’être fondu dans des moules 
(fig. 3), pouvant prendre toutes les formes voulues et facile 
à polir à la roue. La coloration, ainsi que nous l'avons dit, 
était obtenue au moyen d'oxydes métalliques mélangés à la 
pâte : le cuivre, suivant son degré d’oxydation, donnait le 
rouge, le turquoise et le vert émeraude ; le bleu-lapis était 
obtenu au moyen du cobalt, le violet par le manganèse, et 
les jaunes par des sels d'argent. Du temps de Strabon, qui, 
en l’an 24 de notre ère, se trouvait en Égypte avec son ami 


Ælius Gallus, cette contrée était encore renommée pour ses 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 9 


verreries colorées : « Me trouvant à Alexandrie, dit-il‘, j'ap- 
pris, de la bouche d'ouvriers verriers, que l'Égypte possède 
une terre particulière, une terre vitrifiable ; que sans cette 
terre ils ne pourraient pas exécuter ces magnifiques ouvrages 
en verre de plusieurs couleurs, et que dans d’autres pays 
(où cette terre manque) il faut avoir recours à différents mé- 





Fig. 4. — Petit flacon en pâte de verre à stries noires. 


(Musée du Louvre.) 


langes. » Suivant Prisse d’Avennes?, ces substances r’étaient 
autres que la soude, et nous verrons plus loin que pen- 
dant longtemps les Vénitiens faisaient venir d'Alexandrie la 
soude qu'employaient leurs verreries de Murano. Cette soude 
d'Égypte, qui était considérée comme supérieure à toutes les 
autres, provenait de la cendre d’une plante désignée par les 
botanistes sous le nom de mesembryanthemum copticum. 
Les différentes pâtes colorées étaient mélangées ensemble 
dans la masse, ou mieux juxtaposées, de façon à former 
des stries dentées (fig. 4) ou horizontales, des ondulations, 


1 Géographie, lib. XVI, cap. n1, $ 25. (Trad. Am. Tarpieu.) 
? Prisse, Histoire de l’art égyptien, texte, p. 313. 


10 LA VERRERIE 


des dessins à disposition rappelant celle des barbes de 
plumes, etc. etc. On fabriquait ainsi des bouteilles à par- 
fums de forme généralement assez allongée, de petites am- 
phores, des alabastrons, des amulettes de toute sorte (fig. 5), 
et surtout des colliers (fig. 6) dont les perles variaient de 





Fig. 5. — Amulettes en forme d’amphores. 


(Musée du Louvre.) 


grosseur. Ces colliers ne servaient pas seulement à la toi- 
lette des femmes; à certaines époques on couvrait les momies 
d’une espèce de vêtement fait tout entier de ces grains de 
verre enfilés en longs chapelets, ce qui explique la quantité 





Fig. 6. — Fragment d'un collier égyptien. 


(Musée du Louvre.) 


relativement considérable de perles trouvées dans les hypo- 


gées de l’ancienne Égypte. Strabon nous apprend encore 
(loc. cit.) que les perles ou grains de collier en pâte de verre 
étaient, de son temps, destinés principalement au commerce 
que l'Égypte entretenait avec l'Éthiopie, qu’elle avait sou- 
mise à sa domination, et le géographe Scylax, énumérant les 
marchandises que les Éthiopiens de la côte occidentale de 
l'Afrique achetaient des Phéniciens ; cite la pierre d'Égypte 
(aios Aéyorrix), c’est-à-dire la perle de verre, de même 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 11 


qu'un autre géographe, l’auteur du Périple de la mer 
Rouge, mentionne, parmi les objets que l’on vendait aux 
Éthiopiens de la côte orientale, les pierres vitreuses de formes 
variées ‘. Il est à remarquer à ce propos que le goût des 
peuples de l'Afrique n’a pas changé sous ce rapport, et que 





Fig 7.— Tête de nègre en pâte de verre. 


(Musée du Louvre.) 


l’on trouve bien peu de différence entre les perles de verre 
dont les Égyptiens et les Phéniciens trafiquaient ainsi autre- 
fois, et celles que nos hardis explorateurs modernes em- 
portent avec eux pour servir aux échanges qu'ils font avec 
les nègres ou qu'ils donnent en présents aux chefs de tribus 





Fig. 8. — Œil en pâte de verre. 


(Musée du Louvre.) 


pour se concilier leur bienveillance et s’attirer leur pro- 
tection. Un des colliers du Louvre comprend, au milieu 
des grains qui le composent, une tête grimaçante égale- 
ment en pâte de verre de diverses couleurs, et on peut en 
voir dans les vitrines de la salle civile un certain nombre, 
— parmi lesquelles une curieuse tête de nègre (fig. 7), — 
qui portent au sommet une sorte d’appendice servant 
d’anneau de suspension. 


1 Cf. Geographi Græci minores, 1, p. 94, et pp. 261 à 264. (Éd. Didot.) 


12 LA VERRERIE 
Les amulettes en pâte de verre étaient de formes assez 
varices; les unes, dans lesquelles on remarque l'emploi d’un 


noir profond et intense, dont le secret semble perdu aujour- 





Fig. 9. — Petite amphore en päte de verre. 


(Musée du Louvre.) 


d’hui, figurent un œil, l'œil d’Osiris (fig. 8); les autres, de 
couleurs unies, reproduisent des feuilles de lotus (fig. 3), 
des emblèmes ou des ornements sacrés, de très petites am- 
phores (fig. 9), etc. Suivant Hérodote (17, 69), quelques-uns 
de ces objets « étaient attachés par les Égyptiens aux oreilles 





Fig. 10. — Bague en pâte de verre. 


(Muséc du Louvre.) 


des crocodiles apprivoisés. » On fabriquait également en 
pâte de verre des bagues qui paraissaient avoir eu une des- 
tination exclasivement funéraire (fig. 10). 

En résumé, bien que le verre ne semble pas avoir été 
employé à la confection d'objets d'usage domestique, l’art 
de la verrerie était tenu en grand honneur dans l’ancienne 
Égypte. Les habiles artisans de Thèbes et d'Alexandrie 
envoyalent les produits de leur industrie en Grèce, dans 
l'Attique, à Corinthe et dans les îles de lArchipel, aussi 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 13 


bien qu'à Chypre, à Rhodes et en Sicile. On à trouvé un 
orand nombre d'objets en pâte de verre coloré à Hercu- 
lanum, à Vulci, à Chiusi, et surtout à Cœre, qui servait 
d’entrepôt pour toutes les marchandises que lon impor- 
tait en Italie, et la provenance de ces objets ne peut faire 
aucun doute, puisque à Cœre, entre autres, on a ren- 
contré une certaine quantité de scarabées et de figurines 
de style égyptien; les formes et les couleurs des petits 
vases et des bouteilles à parfums sont identiquement les 
mêmes, et beaucoup sont en pâte de cette belle couleur 
bleu -turquoise si caractéristique que l’on voit sur des 
milliers de figurines en terre émaillée, et qui, dans 
l'antiquité, n’a été employée exclusivement que par les 
Égyptiens. 

Les verreries d'Alexandrie résistèrent à tous les événe- 
ments qui bouleversèrent l'Égypte sous la dynastie des La- 
sides, et plus tard sous la domination romaine. Auguste, 
après avoir soumis l'Égypte, exigea que le verre fit partie 
du tribut imposé aux vaincus, et les verres ainsi importés 
forcément à Rome y furent alors tellement appréciés, que 
cet impôt fut pour les Égyptiens une source de fortune. 
Dans une lettre que nous reproduirons plus loin, Hadrien 
(117-138 ap. J.-C.) mentionnait la fabrication des verres 
comme une des principales industries de la ville, et lorsque, 
en 273, Aurélien reprit à la reine de Palmyre, qui avait 
tenté de reconstituer un grand empire d'Orient, une partie 
de l'Asie Mineure, ainsi que la Syrie et l'Égypte, il fit, à 
l'exemple d'Auguste, entrer les verreries d'Alexandrie dans 
une des parts les plus importantes de l'impôt qui devait 
être payé à Rome victorieuse. Nous verrons aussi qu'aux 
xIHe et xive siècles cette belle industrie n’avait rien perdu 
de son antique splendeur. 

Avant de quitter l'Égypte, nous devons mentionner éga- 


14 LA VERRERIE 


lement les sarcophages de verre qui auraient été en usage 
chez les Éthiopiens; plusieurs auteurs anciens ont fait sur 
ces sarcophages des récits qui ont donné lieu à beaucoup 
de commentaires et sur lesquels les archéologues sont loin 
d'être d'accord. Cest Hérodote qui en à parlé le premier : 
« Après la momification, dit-il, on enduit le corps d’une 
couche de plâtre sur laquelle les peintres appliquent leurs 
couleurs, en reproduisant le plus fidèlement possible les 
traits du mort, puis on enferme le tout dans une stèle de 
verre creux. Ce verre se prête volontiers au travail, et c’est 
en grandes quantités qu'on le tire du sol". » Tous les com- 
mentateurs d’'Hérodote ont vu dans ce verre « que l’on tire 
du sol en grandes quantités » le sel gemme, très abondant 
en Éthiopie; mais ce que rapportent sur ce sujet d’autres 
écrivains de lantiquité, notamment Strabon et Diodore 
de Sicile, peut donner lieu à une interprétation différente : 
« Après avoir embaumé les corps, les Éthiopiens coulent 
alentour une épaisse couche de verre, puis les placent sur 
une stèle, de façon que le passant puisse les apercevoir à 
travers ce cercueil transparent. D’après Ctésias de Cnide, on 
commence par momilfier le défunt, mais on n’a garde de 
fondre le verre autour du corps nu, de peur de le brüler et 
de le défigurer au point de lui faire perdre toute trace de 
ressemblance. On fabrique donc une image d’or creuse dans 
laquelle on enferme le cadavre : c’est cette statue que l’on 
abrite derrière une couche de verre fondu et que l’on place 
ensuite dans le tombeau. La feuille d'or se voit à travers la 
olaçcure. Cependant ce mode de sépulture ne s'emploie que 
pour les riches; ceux qui jouissent d’une fortune moindre 
sont enveloppés dans une feuille d'argent; les pauvres se 
servent de la terre de poterie. Au reste, 11 y a du verre pour 


1 HÉRODOTE, lib. IIT, 24. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 15 


tout le monde, car le pays en produit beaucoup, et rien 
n’est plus commun chez les indigènes !. » 

Cette dernière phrase peut évidemment être interprétée 
de plusieurs facons ; cependant les détails que donne Dio- 
dore sur la manière dont on procédait en ayant soin de ne 
pas fondre le verre autour du corps nu de peur de le brûler, 
_excluent l’idée de l'emploi du sel gemme ou verre fossile. 
« D'un autre côté, dit M. Frœhner”°, Hérodote aussi bien 
que Ctésias rapporte que la substance en question se tirait 
comme d’une mine ou d’une carrière. On aura rencontré au 
delà des cataractes de ces sablières vitreuses, comme on 
les appelait alors, et c’est l’exploitation de ces gisements que 
les écrivains grecs comparaient au travail des mines. Voilà 
un moyen de tout concilier. Il lui manque, pour être inat- 
taquable, un appui plus solide, cette sanction que les né- 
cropoles encore inexplorées de l’Éthiopie peuvent seules lui 
donner. » Jusqu'à présent, en effet, on n’a encore découvert 
aucun sarcophage en verre. 


! Diopore DE Sicile, lib. IT, 15. 

? Description de la collection Charvel, p. 14. 

8 Suivant SrraBon (p. 675, éd. Didot), le corps d'Alexandre le Grand, trans- 
porté en Égypte dans un coffre d’or, fut enseveli dans un cercueil de verre; et 
Élien, dans ses Histoires varices, raconte que lorsque le roi de Perse Xerxès 
fit ouvrir le tombeau du roi Belus, un des fondateurs de la dynastie chal- 
déenne, il eut la surprise de voir le corps de son ancêtre conservé dans un 
immense cercueil de verre rempli d'huile. Peut-être y a-t-1l dans ces légendes, 
comme dans toutes celles que nous a léguées l'antiquité, un fond de vérité; 
en tout cas, il serait au moins prématuré de nier l'existence de ces sarcophages 
éthiopiens. 


16 LA VERRERIE 


ASSYRIE 


Nous avons dit plus haut (p. 7), en signalant les bas- 
reliefs de Beni-Hassan, que les peuples d'Asie pouvaient 
rivaliser avec les Égyptiens pour tout ce qui touchait aux 
industries de luxe; mais jusqu’à présent nous n'avons mal- 
heureusement que des données très incomplètes à ce sujet. 
Il est évident néanmoins que l’Assvyrie a possédé, dès les 
temps les plus reculés, des manufactures de verre qui ne 
paraissent cependant pas avoir eu l'importance de celles de 
l'Égypte. Les fouilles qui furent faites dans le bassin de l’Eu- 
phrate, notamment à Khorsabad, ont mis au jour un nombre 
assez considérable d'objets en pâte vitreuse tellement sem- 
blables à ceux qui ont été trouvés en Égypte, qu’on pourrait 
les croire de provenance thébaine si on n’en avait ren- 
contré dans les ruines du palais Nemrod des spécimens qui 
témoignent d’une fabrication locale. Tel est le célèbre flacon 
du British Museum, dont la pâte, de couleur vert d’eau, est 
légèrement transparente, et qui montre sur une de ses faces 
un lion gravé, et sur l’autre une inscription en caractères 
cunéiformes presque illisibles, mais dans laquelle on à pu 
reconnaître cependant le nom de Saryoukin (le Sargon 
de l’Écriture sainte), ce grand conquérant qui régna sur 
PAssyrie de 721 à 70% avant notre ère, Comme dans toutes 
les verreries de l'extrême antiquité, les parois de ce flacon, 
qui à la forme d’une bourse, sont extrêmement épaisses, et 
deux appendices carrés et pleins Ÿ forment des sortes d’oreil- 
lettes remplaçant les anses. Avec les objets que nous avons 
signalés plus haut, ce verre est le plus ancien de tous ceux 
qui portent une date certaine. Quand l'empire assvrien fut 


détruit, en 538 avant J.-C., par Cyrus, et passa sous la do- 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 17 


mination des Perses, un changement considérable s’opéra 
dans les relations commerciales et l’industrie de ces con- 
trées ; la verrerie cependant semble y avoir toujours été en 
honneur, au moins si l’on en croit Aristophane, qui, dans 
ses Acharniens (V, 73), fait dire aux ambassadeurs envoyés 
en Perse pour conclure un traité d'alliance : « Nous bu- 
vions dans des vases de verre et dans des coupes d’or. » 
Cette simple indication suffit, si peu importante qu’elle 
paraisse au premier abord, pour montrer qu’à cette époque 
les rois de Perse, dans leur somptueuse résidence d’'Ecba- 
tane, se servaient de vaisselle de verre, et qu'ils estimaient 
ce dernier à légal des métaux précieux. 


PHÉNICIE 


Mais ce sont surtout les Phéniciens qui, dès les temps les 
plus reculés, ont partagé avec les Égyptiens le monopole 
de la fabrication des verres et des objets en pâte de verre 
colorée, et, d’après le témoignage des anciens historiens, 
c'est à eux que cette belle industrie a dû son plus grand 
développement. Nous avons cité (p. 3) le récit de Pline, 
qui leur attribue la découverte, due au hasard, de la fa- 
brication du verre, et bien que, comme nous l'avons dit, 
on ne doive ajouter aucune foi à ce récit, il n’en est pas 
moins certain que la Phénicie a de tout temps été fort 
renommée pour ses verres, et que le sable du fleuve Belus 
était, plus que tout autre, recherché pour la fabrication 
du verre, ainsi que lattestent plusieurs écrivains dont 
quelques-uns avaient visité le pays, ce qui ne les empêche 
pas cependant de croire et de rapporter tout ce que l’on 


racontait de merveilleux sur ce sujet. « Entre Ptolémaïs 
2 


18 LA VERRERIE 


et Tyr, dit Strabon', la côte n’est qu’une suite de dunes 
formées surtout d’hyalilis ou sable vitrifiable. Sur les 
lieux mêmes, ce sable, parait-1l, ne peut pas fondre; mais, 
transporté à Sidon, il devient aisément fusible. Quelques 
auteurs présentent la chose autrement et se contentent 
de dire que les Sidoniens possèdent aussi et recueillent sur 
leur territoire du sable hyalitis propre à la fusion. D’autres 
enfin prétendent que tout sable, quel qu’il soit, est fusible 
de sa nature. » Flavius Josèphe va plus loin encore : « A 
une distance de deux stades de la ville de Ptolémaïs, coule 
une très petite rivière appelée Belæus. Là se trouvent le 
tombeau de Memnon, et à proximité un endroit digne de 
notre admiration. Cest une fosse circulaire mesurant cent 
coudées et remplie de sable vitrifiable. Beaucoup de navires 
y abordent pour prendre des cargaisons, et à peine la fosse 
est-elle vide, qu’elle se remplit de nouveau, car les vents 
y apportent, comme s'ils le faisaient exprès, le sable du 
dehors qui ne sert à rien et qui, une fois jeté dans la fosse, 
se change aussitôt en verre. Mais ce qui me paraît plus 
étonnant encore, c’est que le même verre, dès qu’il déborde, 
redevient du sable ordinaire. Telle est la nature de cet en- 
droit?. » Tacite (Historiæ, lib. V, 7) est plus circonspect, 
tout en restant aussi affirmatif : « Il y a un autre fleuve, le 
Bélus, qui tombe dans la mer de Judée; c’est à son embou- 
chure que l’on ramasse en quantité les sables qui, mêlés au 
nitre et soumis au feu, donnent le verre. Ce rivage a très 
peu détendue, et on le fouille sans l’épuiser. » 

Sidon, la plus puissante, la plus industrieuse* et probable- 


! STRABON, Géograplue, lib. XVI, c. 11, 25. (Trad. Am. Tardieu.) 

? Fravius JosÈèpne, Guerre judaïque, lib. II, 10, 2. 

# SrrABoN {loc. cit., 24) dit: « Pour ce qui est des Sidoniens, l'histoire de 
tous les Lemps nous les représente comme un peuple industrieux, un peuple 
d'artistes (Homère déjà leur donne ce nom)... » 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 19 


ment la plus ancienne ville de la Phénicie, était, sans doute 
à cause du voisinage de ce fameux fleuve, renommée dans 
l'antiquité pour ses manufactures de verre. Pline (lib. Na17) 
l'appelle « la fabricante du verre (Sidon artifex vitri) », et, 
si nous devons l’en croire, c’est aux habiles artisans de cette 
ville que serait due l’invention des miroirs de verre : « Jadis 
Sidon était célèbre par ses verreries ; on y avait même in- 
venté des miroirs de verre'. » Lucien, voulant décrire la 
beauté d’une femme, dit avec emphase : « ..… Et le reste du 
corps brille, comme on dit, avec plus d'éclat que l’électre 
ou que le verre de Sidon ?. » 

Tyr, « la fille de Sidon, » ainsi que l’appelle l’Écriture 
sainte, n'était pas moins célèbre par ses manufactures de 
verre. Hérodote, et après lui Théophraste, en parlent avec 
les plus grands éloges. 

En réalité cependant on ne sait rien de bien positif sur 
les anciens verres phéniciens, et dans les fouilles qui ont 
été faites à différentes reprises, on n’en a trouvé aucuns 
auxquels on puisse avec certitude attribuer une provenance 
déterminée ou une époque de fabrication reculée. 

Mais ce que l’on ne peut nier, c’est que les hardis navi- 
gateurs phéniciens n’aient colporté, partout où 1ls ont pé- 
nétré dans l’ancien monde, des verreries, ou mieux des 
verroteries, et surtout les perles en pâte de verre de di- 
verses couleurs, que les peuples barbares, alors comme 
aujourd’hui, recherchaient avec tant d’empressement. C’est 
par eux évidemment qu'ont été importées dans la Gaule, 
et au delà même des colonnes d'Hercule, jusque dans la 
Grande-Bretagne, les perles et les petits objets en pâte de 
verre coloré qui ont été trouvés en nombre relativement 
assez considérable sous les dolmens de la Lozère, sous 


1 Siquidem eliam specula excogitaverat. (Lib. XXXVI, 66.) 
? LUGiEN, Amor., c. 26, 11. 


20 LA VERRERIE 


ceux de Locmariaquer' et dans tant d’autres localités, 
de même que ce sont eux qui ont porté en Grèce et dans 
l'Italie méridionale les cylindres décorés de masques gri- 
macants, les bouteilles à parfums et les petits vases en pâte 
assez grossière où le jaune domine. Tous ces verres étaient- 
ils de fabrication phénicienne, ou venaient-ils d'Égypte, 
comme on pourrait le croire par suite de lanalogie frap- 
pante qui existe entre eux et ceux dont l’âge et la prove- 
nance ne font aucun doute, et qui sont évidemment de 
fabrication égyptienne ? On ne peut rien affirmer à cet 
égard; ce qui, en tout cas, semble parfaitement admissible, 
c’est que ce sont les verriers de Sidon et de Tyr qui, les 
premiers, sont parvenus à fabriquer les verres en pâte trans- 
lucide, si recherchés dans l'antiquité et auxquels on atta- 
chait un prix tellement élevé, que le législateur, dans le 
Talmud?, juge « contraire aux bonnes mœurs que les riches 
se servent pour boire de verres blancs, tandis que les pauvres 
doivent se contenter de verres de couleur. » Mais l'invention 
des verres translucides, qui marque un progrès si apprécié 
des anciens, ne nous semble pas devoir remonter bien loin 
dans le passé, et jusqu’à l’époque où cette découverte a eu 
lieu, les verres colorés étaient tenus en très grande estime; on 
trouve, en effet, dans les tombeaux beaucoup de bijoux dont 
les riches montures d’or n’enchässent que de simples pâtes 


1 Sous les dolmens de la Lozère on a rencontré des grains de collier en 
pâte bleue; une perle analogue, côtelée, et de couleur noire avec des veines 
d'azur, a élé trouvée dans les couches supérieures du grand dolmen de Loc- 
mariaquer, que la tradition populaire appelle Montagne de la Fée [Cf. RENE 
GaLLes, Dolmen découvert sous un tumulus à Locmariaquer. Vannes, 1863, 
p. d, pl. vi-13), et la présence des perles de verre a été constatée presque 
partout dans les sépultures de l’âge de bronze. 

? Traité des petites fêtes, sect. 3-5. — Le Talmud comprend les lois tra- 
ditionnelles des Juifs par opposilion aux lois données par Moïse, où mieux 
l'interprétation que les rabbins ont faite des lois mosaïques en ce qui touche 


la doctrine, la polémique et les cérémonies. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 21 


de verre coloré, faites et taillées de façon à imiter les pierres 
précieuses que l’on tirait alors exclusivement de l'Orient, 
les onyx, les agates, les sardoines, la chalcédoine, le por- 
phyre, etc., et c’est probablement à cette recherche de limi- 
tation des pierres dures qu'est due la découverte du verre 
translucide avec lequel les verriers auraient cherché à 
contrefaire le cristal de roche. L’émeraude surtout était si 
fréquemment et si parfaitement imitée, à en juger par les 
spécimens renfermés dans les vitrines de nos musées, que 
beaucoup d'auteurs pensent que la « colonne d’émeraude » 
qu'Hérodote (lib. IT, 44) dit avoir vue dans le temple 
d’'Hercule à Tvyr, et « qui brillait la nuit », était tout sim- 
plement un cylindre creux en verre vert translucide dans 
lequel on introduisait une lumière. Le savant minéralo- 
giste Guyton de Morveau a reconnu que le célèbre Sacro- 
Catino de la cathédrale de Gênes, rapporté d'Italie en 1806 
par nos armées victorieuses, et donné par Napoléon à la 
Bibliothèque impériale, — qui l’a rendu depuis à la ville 
de Gênes, — était en verre, alors que pendant sept siècles on 
Vavait cru taillé dans un bloc d’émeraude. Ce vase, — ou 
plus exactement cette coupe hexagone, — trouvé en 1102 par 
les croisés dans la mosquée de Césarée de Palestine, et qui 
joue un rôle si important dans les romans et les chansons 
de gestes du moyen âge sous le nom de Saint-Graal, au- 
rait, suivant une tradition très accréditée en Italie, servi à 
Jésus-Christ pour célébrer avec ses apôtres sa dernière 
pâque ; échu en partage à la petite armée de Gênes, il avait 
été rapporté et déposé en grande pompe à la cathédrale, 
d'où il n'était sorti que pour aller à Paris, avec les œuvres 
d'art et les objets précieux enlevés par Napoléon à l'Italie 
soumise à ses armes. 


[Re] 
19 


LA VERRERIE 


JUDÉE 


Les Juifs connaissaient et appréciaient beaucoup le verre, 
ainsi que nous en trouvons la preuve dans le Livre de Job 
(xxvim, 17) : « On ne lui égalera ni lor ni le verre, et on 
ne le donnera point en échange contre des vases d’or. » Ils 
semblent même avoir possédé des verres translucides ser- 
vant aux usages de la vie, puisque, outre la mention que 
nous avons faite d’un passage du Talmud, nous lisons dans 
le Livre des Proverbes (xxur, 31): « Ne regardez point le vin 
lorsqu'il pétille, lorsque sa couleur brille dans le verre. » 
Cependant les quelques verres trouvés en Judée dans les 
fouilles opérées par les soins de M. de Saulcy ne présentent 
aucune différence appréciable avec les verreries égyptiennes 
ou phéniciennes, et n’indiquent nullement une fabrication 
locale. 


GRÈCE 


Il en est de même des verres trouvés en Grèce, et nous 
devons reconnaître que de toutes les industries qui ont été 
pratiquées dans ce pays, où la céramique a brillé d’un si vif 
éclat, la verrerie est certainement une de celles qui se sont 
le moins développées; ce que l’on peut attribuer sans doute 
à ce que le verre, avec les moyens de fabrication dont on 
disposait alors, se prêtait plus difficilement que toute autre 
matière à la décoration. Tous les verres rencontrés dans les 
nécropoles de Corinthe, dans les fouilles pratiquées à My- 
cènes par le docteur Schliemann, aussi bien que ceux qui 
proviennent de lAttique ou de la Macédoine. semblent y 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 23 


avoir été importés par les Phéniciens, ainsi que ceux qui ont 
été trouvés dans les îles de l’archipel grec ou dans celles de 
Asie Mineure. Les fouilles opérées de 1859 à 1868 par 





Fig. 11. — Amphorisque en pâte de verre, trouvée en Grèce. 


(British Museum.) 


M. Salzmann à Camiros n’ont donné que des verres à pâtes 
opaques multicolores, et quand on rencontre des verres 
translucides, ils sont d’une époque plus rapprochée de nous 
et portent tous les caractères des verreries qui datent du 
temps de la domination romaine. 


RAP IE 


Quant à ce qui concerne l'Italie ancienne, nous devons 
dire également que les documents historiques nous font à 
peu près défaut, au moins pour ce qui a rapport aux lieux 
de fabrication. Nous savons cependant par un passage de 


24 LA VERRERIE 


Pline (xxxvi, 66) que le sable de la Campanie était presque 
aussi renommé que celui du Bélus. « Aujourd’hui, dit-il, 
à l'embouchure du fleuve Vulturne, en Italie, sur la côte, 
dans un espace de six mille pas, entre Cumes et Linter- 
num, on recueille un sable blanc très tendre; on le broie 
au mortier et à la meule; ensuite on y met trois parties de 
nitre, soit au poids, soit à la mesure; le mélange étant en 
fusion, on le fait passer dans d’autres fourneaux : là il se 
prend en une masse à laquelle on donne le nom d’ammo- 
nitre; cette masse est mise en fusion, et elle donne du 
verre pur et des pains de verre blanc. » 

Du temps de Strabon!, c’est-à-dire au commencement du 
premier siècle de notre ère, le sable de Rome était, lui aussi, 
renommé pour ses qualités vitrifiables; mais rien ne prouve 
qu'il existät à Rome ou dans les environs des manufactures 
de verre, et l’on ignore si la rue des Verriers (vicus Vitra- 
rius) avait été nommée ainsi à cause des fabriques qui y 
auraient été établies, ou parce que des marchands de ver- 
reries s’y étaient plus particulièrement installés. 

Quelques auteurs, s'appuyant sur une épigramme de Mar- 
tial (x11, 74), ont également prétendu que sous Domitien (de 
81 à 96 ap. J.-C.) 1l existait au cirque Flaminius un bazar 
spécialement consacré à la vente de la verrerie; mais là aussi 
il nous semble qu'il faut être extrêmement circonspect. En 
effet, le texte de Martial, très précieux en ce qu'il montre 
quel était le degré de faveur dont jouissaient à Rome, à 
cette époque, les verreries d'Alexandrie, nous parait devoir 
s'appliquer platôt aux vases de terre, à la poterie commune. 
Voici du reste la traduction de cette épigramme : 

« Bien que le paquebot (cataplus) d'Égypte vous apporte 
des coupes de cristal, recevez ces vases du cirque Flami- 


1 -Loceil: 95: 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 25 


nius. Qui est le plus hardi, ou de ces vases, ou de ceux qui 
vous les offrent? Mais leur grossièreté double leur mérite : 
ils n’excitent pas la cupidité du voleur, et l’eau bouillonnante 
ne peut les gâter. De plus, les convives y boivent sans donner 
d’inquiétudes aux valets, sans craindre qu'ils ne se cassent 
entre leurs mains. Encore un avantage, et qui n’est pas mé- 
diocre. Vous boirez dans ces verres, Flaccus, lorsqu'on devra 
briser sa coupe après avoir porté une santé‘. 

Il nous paraît évident que « ces vases grossiers que l’eau 
bouillonnante ne peut gâter » n'étaient pas des vases en 
verre; en tout cas, l’épigramme de Martial prouve que les 
verres translucides (crystalla) dont on se servait alors à Rome 
venaient tous d'Égypte, et que les prix élevés auxquels ils 
étaient vendus en faisaient des objets assez rares et assez pré- 
Cieux pour qu'on y regardât à deux fois avant de les laisser 
briser par les convives, ainsi que cela était la coutume, après 
avoir porté ce que nous appelons aujourd’hui un toast. 

Pline, qui parle assez longuement des différentes sortes 
de verres, ne donne malheureusement aucun détail sur les 
lieux où on les fabriquait; il indique cependant des pro- 
cédés qui dénotent un art particulier à l'Italie, puisque c’est 
seulement en Italie ou dans les pays soumis à la domination 
romaine que l’on a rencontré des verres fabriqués avec ces 
procédés : « Tantôt on le souffle, tantôt on le faconne au 
tour, tantôt on le cisèle comme l’argent*’... » Plus loin il 
montre, lui aussi, combien le verre translucide était, de son 
temps, préféré aux verres en pâtes colorées : « On fait éga- 


t MarTiaz, Épigr. (liv. XII, 74), à { laccus : 


Quum tibi niliacus portet crystalla cataplus, 
Accipe de circo pocula Flaminio, etc. 


? … Et aliud flatu figuratur, aliud torno teritur, aliud argenti modo 
cœlalur. (Prune, 1. XXXVI, 66.) 


26 LA VERRERIE 


lement du verre blanc, du verre imitant le murrhin, imitant 
l’hyacinthe, le saphir, de toutes les couleurs, en un mot. 
Nulle substance n’est plus maniable, nulle ne se prête mieux 
aux couleurs; mais le plus estimé est le verre incolore, parce 
qu'il ressemble le plus au cristal'. Pour boire, il a même 
chassé les coupes d'argent et d’or; mais, à moins que l’on 
n’y verse d'abord du liquide froid, il ne résiste pas à la 
chaleur ?.… » 

Il nous semble inutile de multiplier les citations des 
auteurs anciens, puisque pas un d’entre eux ne parle des 
endroits où on fabriquait le verre, et qu'ils se bornent à 
donner sur les procédés techniques des indications, la plu- 
part du temps sommaires et qui se répètent toutes. 

En réalité, il faut bien l'avouer, on ne sait rien sur les 
fabriques de verres qui ont pu exister en Italie; cependant 
il y en a eu à Pompéi, selon toute probabilité, et presque 
certainement à Cumes, en Campanie. Les fouilles qui ont 
été pratiquées sur lemplacement de cette dernière cité, 
autrefois si florissante, ont donné un nombre considérable 
de verres blancs, assez purs de formes et de fabrication, 
mais moffrant, sauf quelques exceptions, rien de remar- 
quable ni qui mérite d'attirer l'attention. 

Rome et ses environs ont dù posséder également des 
verreries. « À Rome, dit Strabon (loc cit., 25), il s’invente 
chaque jour, paraît-il, de nouvelles compositions, de nou- 
veaux procédés pour colorer le verre et pour simplifier 
la fabrication, et l’on est parvenu ainsi à obtenir une imita- 
tion de cristal tellement bon marché, qu'un verre à boire 
avec sa soucoupe ne coûte pas plus d’un chalque. » Un pas- 
sage de Pétrone (Satyricon) permet de croire également que 


! Maximus lamen honos in candido translucentibus quam proxima 
crystalli similitudine. [(XXXVT, 67.) 
? Jbid. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 27 


le verre, à cause du prix peu élevé auquel on le vendait, 
devait être fabriqué à Rome ou dans les environs : « Vous 
me permettrez de vous dire que, pour mon compte, j'aime 
mieux le verre : beaucoup n’en veulent point. S'il ne se cas- 
sait pas, je le préférerais à l’or ; tel qu'il est, il n’a pas de 
valeur (nunc aulem vilia sunt). » Nous savons en outre 
que du temps d'Héraclius, au vire siècle, le verre romain 
(vitrum romanum) était encore fort estimé. 


GAULE 


Nous avons dit plus haut que les Celtes et les anciens 
Gaulois connaissaient le verre, ou du moins les verroteries, 


que leur apportaient les hardis navigateurs Phéniciens ; 





Fig. 12. — Perle d'un collier trouvé dans une tombe gauloise. 


(Coll. Moreau.) 


mais 1l parait certain qu'ils en ont ignoré la fabrication jus- 
qu’à l’époque de la domination romaine’. On ne trouve, en 
effet, aucune verrerie d’usage domestique ou funéraire dans 
les sépultures antérieures à la conquête, non plus que dans 
les anciennes stations lacustres de la Savoie ou de la Suisse, 
si riches cependant en poteries d’un style original et bien 


caractérisé, et les colliers en pâte colorée que l’on rencontre, 


! Pune est très affirmatif à cet égard; suivant lui, la Gaule et l'Espagne 
auraient appris des Romains l’art de la verrerie, et l’auraient pratiqué abso- 
lument de la même façon : Jam vero et per Gallias Hispanios que similr 
modo arenæ temperantur. (XXXVI, 66.) 


28 LA VERRERIE 


ainsi que nous l'avons dit, sous les dolmens et les tumulus 
de la Gaule et de la Grande-Bretagne, portent tous la marque 
d’une origine orientale. Il pourrait se faire cependant que 
plusieurs de ces verroteries fussent de fabrication locale. 
Nous verrons plus loin, en effet, que les Gaulois ont pratiqué 
de bonne heure Part d’émailler les métaux, et la relation 
qui existe entre la verrerie et l’émaillerie est si étroite, qu’il 
est permis de penser qu'ils ont été conduits à la découverte 
de lPémaillerie par la recherche de limitation de ces pâtes 
de verre importées chez eux par les Phéniciens". 

Différente en cela de la céramique, dont les produits por- 
tent les marques indiscutables d'une industrie locale, la ver- 
rerie gauloise est essentiellement romaine dans ses procédés 
de fabrication, dans ses formes et dans sa décoration, aussi 
bien que dans ses marques, ses cachets et ses inscriptions. 

Dans toutes les contrées de l’ancien monde où les Ro- 
mains se sont établis, on trouve des verres, souvent en 
nombre considérable? ; 1l semble que partout, à Toulouse, 
à Nimes, à Arles, à Lyon ou à Autun, aussi bien qu’à Bor- 
deaux, à Rennes, à Rouen, à Amiens et à Boulogne, il a 
existé des fabriques importantes, et on a rencontré des fours 
et des débris d'anciennes verreries aux environs de Stras- 
bourg, à Cologne et sur les bords du Rhin et de la Moselle, 
de même que l’on en a trouvé en Angleterre, en Danemark, 
en Algérie, dans la province de Constantine (autrefois 
Numidie), et aux environs d'Alger (l'ancienne Mauritanie), 
partout enfin où Rome victorieuse étendait sa domination. 


! On a trouvé à Arles des rebuts de pâtes vitrifiées dans lesquelles on voit 
le mélange de plusieurs couleurs, et ces « rebuts, dit M. Quicuerar (Revue 
archéologique, t. XXVHT, p.74), y ont été trouvés en assez grande abondance 
pour témoigner qu'il y eut là une fabrique où l’on travaillait le verre à la 
façon de Sidon et d'Alexandrie. » 

? A Saint-Médard-des-Prés, dans un seul tombeau on a trouvé plus de cinquante 
vases en verre blanc. (Cf. BENsAMIX FiLLow, l'Art de terre chez les Poritevins.) 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 29 


DIFFÉRENTES SORTES DE VERRE ANTIQUE 


Les verreries antiques, à l'exception de celles que nous 
avons décrites plus haut, seraient donc presque exclusive- 
ment romaines, et celles mêmes qui portent des inscriptions 
grecques montrent, dans leur ordonnance générale et dans 
leur ornementation, une influence romaine tellement pro- 
noncée, que nous ne croyons pas devoir hésiter à les rame- 
ner toutes à la même origine ou au même principe de 
fabrication, et à les étudier dans leur ensemble, quelle que 
soit du reste la contrée où on les a rencontrées. 

Nous signalerons en premier lieu les verres d'usage do- 
mestique ou funéraire, en pâte incolore, transparente, sans 
aucune inscription et sans aucune décoration. La plupart de 
ces verres, de formes extrêmement variées, ont été trouvés 
dans des tombeaux, où ils étaient généralement destinés à 
recevoir, soit des huiles parfumées, soit des liquides, soit 
même des débris d'os provenant d’incinérations. Dans ce 
dernier cas, ils affectent la forme d’urnes hémisphériques 
ou semi-ovoïdes, parfois d’assez grandes dimensions. 

Ceux que l’on trouve en plus grand nombre sont des 
petites fioles très allongées, de formes assez variées, mais 
toujours terminées par un col cylindrique ; on les désigne le 
plus communément sous le nom de lacrymatoires (fig. 13). 
bien qu'il paraisse à peu près certain aujourd'hui que ces 
sortes de fioles étaient destinées à contenir des huiles ou 
des parfums plutôt que les larmes, vraies ou fausses, que 
l’on répandait sur le cercueil des morts. 

A côté de ces verres incolores, qui presque toujours 
étaient fabriqués au moyen du soufflage, et qui ne sont re- 
marquables le plus souvent que par la pureté de leur profil, 


30 LA VERRERIE 


il en existe toute une autre série également incolores, 
quelquefois aussi en pâte colorée, mais toujours trans- 
parente, obtenus au moyen du moulage et affectant une 
variété considérable de formes. Le musée du Louvre, ainsi 


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Fig. 13. — Fioles en verre, dites lacrymatoires. 


(Musée de Saint-Germain.) 


qu'un grand nombre d’autres musées et de collections parti- 
culières, en possède beaucoup qui reproduisent des fruits 
(prunes, dattes, raisins, etc.), des oiseaux (colombes, cygnes, 
oies, canards, etc.), des coquilles, des poissons, et même 
quelquefois des masques humains. 

Dans tous ces verres, les traces des sutures du moulage 
sont tellement apparentes, qu'aucun doute ne peut exister 
relativement au procédé employé pour leur fabrication‘; il 
en est de même des verres décorés d’ornements en relief, 

! Ilexiste cependant dans les musées, particulièrement au Louvre, une assez 


grande quantité d'oiseaux grossièrement figurés et qui ont été fabriqués au 
moyen du soufflage. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 31 


qui se raccordent avec plus ou moins de netteté (fig. 14). 
Dans quelques verres à boire ou gobelets cylindriques, 
assez rares du reste, le pourtour est décoré d’une frise cir- 
culaire représentant le plus souvent des guerriers combat- 
tant, ou des couronnes de feuilles de laurier accompagnées 





Fig. 14. — Petite amphore antique en verre moulé. 


(British Museum.) 


d'inscriptions montrant qu'ils étaient offerts aux vainqueurs 
dans les banquets qui suivaient les jeux ou les courses. 
Nous avons éu pendant longtemps entre les mains un de 
ces verres (fig. 15) appartenant à un archéologue qui lavait 
trouvé dans des fouilles faites aux environs de Constantine '; 
on y lit en beaux caractères grecs l’inscription suivante : 


IAB END ERNSONVE PIC EN] 


(Prends le prix de la victoire.) 


On en connaît plusieurs autres portant des inscriptions 
analogues ou exprimant, ainsi que cela a lieu sur les pote- 


! Ce verre est devenu ensuite la propriété de M. Charvet : nous ne savons où 
il est passé lors de la vente de son importante collection de verreries antiques. 


32 LA VERRERIE 


ries, des souhaits ou des invitations à boire : Viens prendre 
les palmes du vainqueur! — Réjouis-toi el sois de belle 
humeur! — Bois, el puisses-tu vivre longtemps! — Sois gai, 
car c’est pour boire que tu es venu! etc. etc. 

La plupart des verres dont nous venons de parler, surtout 





Fig. 15, — Verre à inscription gravée en relief, trouvé 
dans la province de Constantine. 


ceux qui sont en verre incolore transparent, sont aujour- 
d’hui revêtus d’une sorte d’irisation ou de patine qui leur 
donne parfois une apparence et des reflets métalliques (fig. 16), 
parfois un chatoiement opalisé ou nacré. « Il est difficile, 
dit M. Frœhner dans sa Description de la collection Charvel, 
de rien voir de plus merveilleux que cette patine, cette en- 
veloppe fine, délicate, aux mille couleurs, ces paillettes d’or 
incrustées, cette feuille d'argent qui se détache tout d’une 
pièce; cette écorce métallique reflétant les feux de l’opale, 
imitant l’arc-en-ciel, et les taches bleues, vertes, pourprées 
d’une aile de papillon. La patine est pour les amateurs une 
qualité des verres antiques, et une des mieux appréciées. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 33 


Je la prendrais plus volontiers pour un défaut. En contact 
avec l’humidité et les agents corrosifs de la terre, la pâte 
vitreuse se décompose, et tout ce poudroiement de couleur 
n’est que le résultat de la dévitrification, c’est-à-dire une 
lèpre, une maladie incurable. Elle varie selon la nature du 
sol, selon les ingrédients de la pâte et la dose des principes 





Fig. 16. — Verre antique à irisations d'apparence métallique. 


(Coll. Ed. G.) 


colorants; aussi n’est-elle jamais de longue durée. Elle 
s’écaille à vue d'œil, quelque soin que l’on en prenne". » 
Beaucoup de ces verres transparents incolores portent des 
signatures, ou plutôt des cachets de fabricants. Les plus 
anciennes parmi ces signatures sont celles des verriers de 
Sidon, qui mettaient leurs noms tantôt en caractères grecs, 


! « Presque tous les objets en verre dont la fabrication remonte à une époque 
reculée ont subi de la part du temps e’ de l’humidité une altération très 
marquée..; il en est de même des carreaux de vitre de fabrication plus mo- 
derne qui existent aux fenêtres des étables, des écuries, c’est-à-dire des locaux 
qui sont exposés à la fois à une humidité persistante et à une température 
assez élevée. Les écailles irisées qu’on en détache facilement par le plus léger 
frottement sont formées par un mélange de silice et de silicates terreux : le 
silicate alcalin à disparu. Ce dédoublement est analogue à celui qu'a subi le 
feldspath (silicate de potasse et d'alumine) lors de sa transformation en kaolin. » 
(PELiIGoT, le Verre, p. 52.) 


34 LA VERRERIE 


tantôt en lettres romaines (et souvent même en caractères 
bilingues, c’est-à-dire tout à la fois grecs et romains), sur 
les pouciers' des verres qui sortaient de leurs fours. Le 
plus connu de ces fabricants de Sidon, celui dont on re- 
trouve le plus fréquemment la signature, est un verrier 
nommé Artas. M. Frœhner (loc. cit.) mentionne également 
les marques d’Ariston, d'Eirénaios, de Nikon, etc., qui 
faisaient parfois suivre leur nom de celui de leur ville 
(Eipnvaios érotncey Eidowos), et qui quelquefois aussi l’accom- 
pagnaient de la mention : Que l'acheteur s'en souvienne! Sou- 
vent ils se contentaient du verbe : a fait (éroie, érotrcs). 

Les verriers romains mettent leur nom presque toujours 
en abrégé, avec un f (initiale de fecit), et décorent parfois le 
culot de leurs vases d’un médaillon ou d’un objet quelconque 
figuré en relief : une feuille, une étoile, des cercles, etc. 

M. Frœhner attribue aux verreries gallo-romaines les 
nombreux flacons à fond carré que l’on trouve assez com- 
munément, et où quatre lettres remplissent les coins du 
culot (MACN . CMHR . GFHI., etc.) Suivant l'opinion de 
ce savant archéologue, ces lettres, qui ont donné lieu à 
bien des interprétations fausses et souvent ridicules, ne 
sont que les initiales de quatre noms propres disposées 
tantôt d’une facon, tantôt d’une autre. 

On rencontre fréquemment aussi des fioles qui semblent 
avoir contenu des baumes ou des onguents, et qui portent 
des noms et des cachets que lon croit être ceux de méde- 
cins où d’oculistes. 

A côté de ces verres transparents ou incolores que nous 
venons de passer en revue, et qui montrent une industrie 
très avancée, mais qui n’a rien cependant de bien remar- 
quable, il en existe d’autres, en petit nombre il est vrai, 

! On appelle ainsi la parlie supérieure et antérieure de lanse, celle sur 


laquelle se pose l'extrémité du pouce quand on tient l'objet en main. 








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Grande aiguière de Venise en cannes de latticinio. 
Monture en vermeil exécutée à Augsbourg, 


(Musée national de Munich.) 





1 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 35 


qui dénotent chez ceux qui les ont fabriqués un art telle- 
ment perfectionné et une habileté si grande, que nos ver- 
reries européennes, malgré les progrès qu’elles doivent à la 
science moderne, n’ont pu arriver encore à les imiter que 
très imparfaitement. Tels sont tout particulièrement les 
verres connus sousle nom de verres doublés, ou mieux verres 
à deux couches, c’est-à-dire composés de deux couches 
assez épaisses de couleurs différentes, dont la supérieure 
était gravée à la manière des camées, de façon à produire 
des figures et des ornements se détachant et se modelant 
en relief sur une surface unie plus foncée ou plus claire. 
Cest le procédé que Pline indique dans le passage que 
nous avons cité plus haut — argenti modo cœlatur, — et 
que Quintilien désigne sous le nom de sculptura vitri. De 
tous les verres ainsi travaillés qui sont parvenus jusqu’à 
nous, le plus justement célèbre est celui que possède le 
British Museum, et qui est connu aujourd'hui sous le nom 
de vase de Portland. 

Ce merveilleux vase fut trouvé, vers la fin du xvre siècle, 
sur une colline située à trois milles de Rome environ, le 
Monte del Grano, dans un sarcophage de marbre que lon 
crut pendant bien longtemps être celui d'Alexandre Sévère, 
et qui est aujourd’hui au musée Capitolin. Il resta dans la 
bibliothèque du palais des princes Barberini, à Rome (d’où 
sa première désignation de vase Barberini), jusqu’au mo- 
ment où il fut acheté, dans la dernière moitié du siècle 
dernier, par Hamilton, qui le céda à la duchesse de Port- 
land moyennant une somme considérable’. Après la mort 
de la duchesse, le duc de Portland le prêta au musée bri- 


! Le célèbre potier Josiah Wedgwood voulut, dit-on, s’en rendre également 
acquéreur ; mais, devant le désir exprimé par la duchesse, il consentit à lui en 
laisser la possession, à la condition toutefois qu’elle lui permit de le copier 
en terre. Il existe plusieurs de ces copies de Wedgwood. 


30 LA VERRERIE 


tannique, où il est resté jusqu’à ce jour. En 1845, un pauvre 
fou nommé Lloyd, qui visitait le musée, brisa ce vase d’un 
coup de canne; mais on put le réparer avec une si grande 
habileté, qu'il est à peu près impossible de retrouver les 
traces des nombreuses fractures occasionnées par cet acte 
de vandalisme inconscient. 

Sur chacune des faces de ce remarquable verre, qui a la 
forme d’une amphore surbaissée à deux anses, se détachent 
en relief blanc, sur un fond bleu uni, des sujets qui n’ont 
pu encore être expliqués d’une façon satisfaisante. Mil- 
lingen, dans ses Monuments inédils, et beaucoup d’archéo- 
logues après lui, ont cru y voir le mariage de Thétis et de 
Pélée ; d’autres y ont retrouvé, mais sans pouvoir donner 
des preuves bien convaincantes à l’appui de leur assertion, 
des sujets se rapportant à la légende de Médée et de Jason. 
Sous le pied se trouve, également en relief blanc, un buste 
représentant Ganymède, ou plutôt, à en juger par le pin 
qui accompagne la figure, Attys, le beau berger aimé de 
Cybèle, ce qui pourrait faire rattacher les sujets qui dé- 
corent ce vase à un mythe dionysiaque. 

Cette belle amphore, ainsi du reste que la plupart des 
verres de ce genre qui sont arrivés jusqu’à nous, porte 
comme une réminiscence de l’art grec ; il est probable qu'il 
provient d’une fabrique située dans une des rares villes 
où s'étaient conservées les traditions de cet art si pur et 
d’un style si élevé que les Hellènes avaient importé partout 
où s'était établie leur domination. 

Parmi les plus beaux verres de cette série, nous devons 
mentionner également une petite amphore trouvée à Pompéi, 
en 1837, dans un tombeau. Ce charmant vase (fig. 17), au- 
jourd’hui au musée de Naples, est couvert de rinceaux for- 
més par des ceps de vigne chargés de feuilles et de grappes 
de raisin délicatement ciselés en pâte blanche sur fond bleu, 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 37 


et se croisant au-dessus d’un masque de jeune homme barbu 
placé à la partie inférieure. Sur les côtés se trouvent repré- 
centées deux scènes champêtres dans chacune desquelles 





Fig. 17. — Amphore en verre à deux couches trouvée à Pompéi. 


(Musée de Naples.) 


figurent quatre enfants nus : dans l'une, des enfants placés 
sur des cippes cueillent des raisins ; dans l’autre, deux en- 
fants sont occupés au pressoir, pendant que deux autres, 
placés également sur des cippes, jouent de la flûte de Pan 
(syrinx) et de la flûte double (tibiæ). À la base règne une 
petite frise circulaire de chèvres et de brebis (?) couchées 
ou paissant sous des arbres. 


33 LA VERRERIE 


A côté de ces deux magnifiques spécimens d'un art perdu 
pendant une longue suite de siècles, et que notre industrie 
moderne peut à peine égaler, il en existe plusieurs autres 
de moindre importance, ainsi que quelques fragments qui 
ont fait partie d'œuvres également remarquables. Nous ci- 
terons aussi plusieurs petits objets en pâtes de couleurs 





YA’'E 
1er. 


Fig. 18. — Médaillon en verre à deux couches. 


(Ancienne collection Charvet.) 


variées, entre autres des plaques ovales (fig. 18) destinées 
évidemment à imiter les camées ou pierres dures que les 
anciens enchässaient dans de riches montures d’or, comme 
le font nos modernes orfèvres pour les bijoux qui servent à 
la toilette des dames. 

Il est une autre sorte de verres plus rares encore, et qui 
dénotent de la part des habiles artisans qui les ont fabri- 
qués une adresse de main et une patience peu communes, 
en même temps que la connaissance approfondie des res- 
sources sans nombre que peut présenter l’art de la verrerie. 
Nous voulons parler des verres que les archéologues dé- 
signent sous le nom de verres soudés, et qui sont probable- 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 39 


ment ceux que les auteurs latins appelaient diatreta! (tra- 
vaillés à jour), bien que ce mot puisse également être 
appliqué à des vases en matières dures naturelles. 

Les quelques verres ou fragments de verres connus dans 
cette série sont presque tous de même forme, et se com- 





Fig. 19.— Verre à enveloppe réticulée et à inscription en relief. 


(Trouvé à Strasbourg en 1825.) 


posent d’une petite coupe ovoïde enveloppée d’un réseau à 
mailles délicatement découpées et ciselées à jour; ce réseau 
est éloigné de quelques millimètres de la coupe, à laquelle 
il n’est retenu que par quelques points de soudure placés 
aux entrecroisements des mailles. Le spécimen le plus 
complet et le plus remarquable de ces verres rarissimes 
était la coupe du musée de la bibliothèque de Strasbourg 
(fig. 19); malheureusement elle a été détruite avec beau- 
coup d’autres richesses archéologiques dans l'incendie qui 
suivit le bombardement de 1870, et il ne nous en reste 


1 Quantum diatreta valent ! 


40 LA VERRERIE 


aujourd’hui que la figure qui en a été donnée par Schwei- 
ghausen, le savant archéologue alsacien, dans les Mémoires 
de la Société des antiquaires de France !. 

Trouvé en 1825 dans un cercueil en forme d’auge déterré 
par hasard, par un jardinier cultivateur, tout auprès des 
glacis de Strasbourg, ce verre si intéressant et si curieux 
avait été brisé en partie par la maladroïte curiosité de son 
premier propriétaire, et il y manquait une partie de l’inscrip- 
tion. Dans ce qui restait cependant on pouvait reconnaitre 
encore avec certitude le nom de Maximien Hercule (Marcus 
Aurelius Valerius Maximianus Herculius), que Dioclétien 
avait associé à l'empire, et qui mourut assassiné l’an 310 de 
notre ère. Cet empereur, qui avait souvent séjourné dans les 
Gaules, et dont les médailles ont été fréquemment trouvées 
aux environs de Strasbourg, avait vraisemblablement reçu 
cette coupe en présent, et l’avait ensuite donnée à un ami, 
avec lequel elle fut enterrée comme un objet précieux. On 
peut donc avec toute certitude placer la fabrication de ces 
verres au commencement du 1ve siècle de l'ère chrétienne. 

Une autre très belle coupe de ce genre parfaitement 
conservée, mais beaucoup moins importante au point de 
vue archéologique, est déposée au musée Trivulce, à Milan. 
Le réseau qui l'enveloppe est en pâte bleue, et les lettres 
de linscription conviviale qu'elle porte à la partie supé- 
rieure, — BENE VIVAS MVLTIS ANNIS, — sont en baguettes 
de pâte verte. Elle fut trouvée en 1725 dans la province de 
Novarre, et pendant bien longtemps elle avait été désignée, 
on ne sait pourquoi, sous le nom de coupe de Néron. 

On connaît également quelques fragments de coupes ana- 
logues, portant des inscriptions conviviales en caractères 
grecs, entre autres ceux qui ont été trouvés à Cologne en 


! Nouvelle série, tome VI. 1842. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 41 


1845; mais tout dénote que c'était là un art tout à fait par- 
ticulier et d’une fabrication exceptionnelle. 

Nous devons mentionner aussi parmi les plus belles et 
les plus étonnantes productions de la verrerie antique le petit 
vase de forme semi-ovoïde qui est aujourd'hui au British 
Museum (fig. 20), et qui est entièrement couvert d’une en- 





Fig. 20.— Verre antique à bossages en relief, recouvert d'une enveloppe d'argent. 


“(British Museum.) 


veloppe d'argent percée de huit rangées de trous régulière- 
ment espacés et sertissant des sortes de perles ou de souf- 
flures ovales en verre du plus beau bleu. À l’exposition 
universelle de 1878, dans la section italienne, il existait de 
ce magnifique verre une copie extrémement exacte, faite à 
Murano, et que n’eussent pas désavouée les habiles verriers 
de l'antiquité. 

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, on ne sait rien de 
certain sur les endroits où étaient fabriqués ces beaux 
verres, qui peuvent être regardés comme la manifestation 


42 LA VERRERIE 


la plus parfaite de l’industrie des anciens. Les localités où 
on les a trouvés ne donnent aucune indication à ce sujet, 
puisque les verres de cette nature y étaient à l’état d’échan- 
üllons isolés, et que la supériorité de leur fabrication ne 
permet pas de les considérer comme les produits d’une 
industrie nomade, ainsi que l'était alors celle de la poterie. 
Certains passages de quelques auteurs latins permettent 
cependant de les attribuer aux verreries d'Alexandrie, cette 
cité privilégiée que les Ptolémées avaient su rendre la plus 
opulente et la plus splendide du monde connu, comme elle 
en était la plus industrieuse et la plus commerçante. 
- Cest évidemment à ces verres travaillés avec tant de 
soin, de patience et d’habileté que Martial fait allusion 
(Hib. XIV, 115) quand il dit, à propos des calices vitrei : 


Aspicis ingenium Nili; quibus addere plura 
Dum cupit, ah, quoties perdidit auctor opus! 


(Vovez le génie égyptien : à force de vouloir embellir son œuvre, 
que de fois l’ouvrier l’a-t-il perdue !) 


Dans une lettre que l’empereur Hadrien écrivait d’Alexan- 
drie au consul Servius, lettre qui a été conservée dans les 
livres de Phlégon, son affranchi !, nous trouvons également 
plusieurs passages qui prouvent combien l’art de la verrerie 
était tenu en honneur dans cette ville, dont il fait un si 
grand éloge (civitas opulenta, dives, fœcunda, in quo nemo 
vivat otiosus). « Les uns, dit-il, soufflent le verre, les autres 
fabriquent le papier (Ali vitrum conflant, ab aliis charta 
conficitur). » Plus loin il lui annonce l'envoi de coupes qui 
lui ont été données par un prêtre : Calices tibi allassontes 


! Cf. Voriscus, Vita Saturninti, dans l'Histoire auguste | Historiæ Augustæ 
scriplores). 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 43 


versicolores transmisi, quos mihi sacerdos templi obtulit. Il 
est assez difficile de dire d’une façon exacte ce qu'Hadrien 
entendait par les mots calices allassontes versicolores; sui- 
vant plusieurs commentateurs, entre autres Saumaise, 1l 
faut lire : calices allassontes, id est versicolores, c’est-à-dire 
à plusieurs couleurs; mais il est impossible de savoir si 
ces verres étaient en pâte colorée dans la masse, et pour 
ainsi dire jJaspés, comme l'étaient les anciens verres ÉgYp- 
tiens, ce qui est peu admissible, ou si ce n’étaient pas plu- 
tôt les verres à couches superposées et gravées dont nous 
avons parlé plus haut. Quant à l'opinion de certains achéo- 
logues, qui veulent voir dans les calices allassontes (du grec 
ä\kicuv), ou versicolores, des verres chatoyants ou à reflets 
nacrés et irisés, elle ne supporte guère lexamen. Ainsi 
que nous l’avons vu, lirisation des verres antiques, que l’on 
trouve en si grand nombre dans nos musées et dans les 
collections, est produite par une décomposition de la pâte 
vitreuse sous l'influence du temps et de humidité, et ne 


peut être le résultat d’une fabrication voulue. 


Nous avons cherché, dans les pages précédentes, à indi- 
quer les principales productions de l’industrie du verre dans 
l'antiquité ; mais il est encore beaucoup d’autres formes 
sous lesquelles elle se présente à nous, et les fouilles pra- 
tiquées dans ces dernières années ont mis au Jour des spé- 
cimens qui prouvent que ce bel art avait peu de secrets 
pour ceux qui le pratiquaient. 

Cest ainsi que l’on a trouvé aux environs de Constantine 
une coupe ou large gobelet cylindrique à base courbe, en 
pâte d’un beau rouge opaque, polie à la roue, à parois 


44 LA VERRERIE 


minces, de la nature des verres que Pline désigne sous le 
nom d’hématins ', qui rappelle leur couleur rouge-sang. Ce 
curieux verre, aujourd'hui au Louvre*, doit son opacité à 
l’étain qui entre dans sa composition ; la Société archéolo- 
gique de Montpellier possède une petite urne, d’une rare 
élégance de forme, en beau verre grenat transparent, trouvée, 
avec un grand nombre d'objets antiques des plus curieux, 
à Hautemur (Hérault), et qui a été désignée à tort comme 
verre hématin; elle ne présente pas, en effet, ce caractère 
d’opacité — non translucens,— mentionné par Pline, qu'offre 
si complètement la coupe du Louvre. 

On a trouvé également, dans l’ancienne Étrurie, quelques 
spécimens de coupes ou de plateaux en verre composés de 
cannes ou baguettes juxtaposées, montrant les couleurs et 
les dessins les plus variés. Cest le procédé employé plus tard, 
et aujourd'hui encore, à Venise, et qui donnent les verres 
connus sous le nom de fioriti ou de millefiori. Les verriers 
égyptiens connaissaient ce procédé et fabriquaient ainsi des 
lames carrées représentant sur les deux faces, soit un 
oiseau, soit une fleur, des feuilles, une rosace, etc., du plus 


{ « On fabrique aussi à l’aide d'une sorte de matière colorante un verre 
rouge teint dans la masse et non transparent appelé verre hématin (Ft 
el tincturæ genere lolum rubens vilrum alque non translucens hæmatinon 
appellatum). » — Puine, 1. XXXVI, c. Lxvr. 

? C’est par notre entremise que ce verre est entré, en 1874, au musée du 
Louvre. Il nous avait été apporté de Constantine avec quelques petits fragments 
d'une autre coupe identiquement semblable, dont nous avons remis alors une 
partie à M. Salvétat, le savant chimiste de la manufacture de Sèvres, qui les 
avait analysés, et, à son grand étonnement, y avait remarqué la présence de 
l’étain : il avait préparé un travail à ce sujet, mais la mort l'a surpris avant 
qu'il ait pu le publier et poursuivre les recherches qu'il se proposait de faire 
sur la composition d’autres pâtes de verres antiques. Suivant l'opinion émise 
alors par M. Salvétat, ce verre, dont il n'existe pas d’analogue, croyons-nous, 
peut être considéré comme le produit le plus curieux peut-être de l’industrie 
verrière chez les anciens. Aujourd'hui on ne pourrait fabriquer une pièce de 
cette sorte sans de longs tâätonnements et sans des essais multipliés. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 45 


charmant effet et du dessin le plus délicat. « Pour obtenir 
ces tablettes, dit M. Frœhner (loc. cil., p. 54), on disposait 
les fils de verre dans l’ordre indiqué par le dessinateur, 
puis, après les avoir soudés en faisceaux, on les étirait jus- 
qu’à les réduire au quart, au dixième, au centième de leur 
srosseur primitive. De cette manière, le sujet représenté, 
tout en devenant microscopique, conservait ses couleurs et 
ses proportions. L’épaisseur de ces lames n’est jamais très 
forte, et cependant les lapidaires de Rome et de Naples 
trouvent encore moyen de les scier en plusieurs tranches 
pour en multiplier les spécimens. » Ces petites plaques 
étaient sans doute employées comme objets de parure, ou 
servaient à décorer les meubles, les coffrets, etc. 

Les verriers de l’antiquité paraissent avoir connu aussi 
l’art de graver et de tailler le verre, de même qu’ils con- 
naissaient également la manière de le décorer au moyen de 
peintures en émail; mais les rares spécimens de ces sortes 
de verres qui sont arrivés jusqu’à nous appartiennent à une 
époque de décadence, et, à part l'intérêt qu'ils présentent 
au point de vue archéologique, ne méritent d’être men- 
tionnés que comme les premières applications isolées de 
procédés qui devaient prendre plus tard un immense déve- 
loppement. Parmi les verres de la dernière série, un des 
plus curieux est la coupe du musée du Louvre, trouvée à 
Nîmes en 1858, et sur laquelle est représenté, en couleurs 
assez effacées pour qu'il soit à peu près impossible d'en re- 
connaître la nature, le combat des Pygmées contre les grues". 

Il est encore une sorte de verres que Pline désigne sous 
le nom de pterotes (ailés), et sur lesquels les archéologues 
ne sont pas d'accord : les uns ont cru y voir des verres 
d’une légèreté extrême; d’autres ont pensé que ce pouvaient 


! Cf. à ce sujet un article de M. HÉRON DE Viccerosse dans la Revue 
archéologique, 1874. 


46 LA VERRERIE 


être des coupes auxquelles on avait ajouté de chaque côté des 
anses d’un travail délicat, dans le genre de celles qui ont 
été fabriquées à Venise au xvie siècle, et simulant les ailes 
d’un oiseau. En réalité, on ne connait aucun verre auquel 
on puisse appliquer cette dénomination, et surtout aucun 
spécimen qui justifie le prix élevé de 6,000 sesterces (envi- 
ron 4,250 fr.) qui, du temps de Néron, aurait été payé pour 
deux petites coupes de ce genre. 

Il est bon du reste de se mettre en garde contre les nar- 
rations des auteurs anciens, et de ne pas prendre au pied 
de la lettre tout ce qu'ils racontent au sujet du verre. Cest 
ainsi que Pétrone, et après lui Pline, Dion Cassius et d’autres 
écrivains ont raconté que, du temps de Tibère, on avait 
trouvé le moyen de rendre le verre non seulement incas- 
sable, mais encore malléable. « ... Il y eut pourtant, du 
temps de Tibère, dit Pétrone, un ouvrier qui fabriqua une 
fiole de verre, laquelle ne se cassait point. Il fut admis à en 
faire hommage à l’empereur ; après quoi, l’ayant reprise de 
ses mains, il la lança sur le pavé. Le prince, effrayé comme 
on ne peut l'être, l’'ouvrier ramasse sa fiole : elle était bos- 
suée tout comme un vase d’airain. Cet homme alors tire un 
petit marteau de sa ceinture, et, tranquillement et fort joli- 
ment, remet la fiole en état. Cela fait, il pensait déjà tenir 
Jupiter par les pieds — putabat se cœlum Jovis tenere, — 
surtout quand l’empereur lui demanda : « Quelque autre 
« que toi a-t-il le secret de cette composition? Pèse bien ta 
« réponse. » Sur la négative, César lui fit trancher la tête: 
car enfin si ce secret était connu, on ne ferait pas plus de 
cas de Por que de la boue. » 

Pline, qui parle « de cette mixture qui donnait un verre 
malléable », ne dit pas que l’auteur de la découverte eut la 


l Satyricon, trad. NISART, LI. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 47 


tête tranchée, mais que « toute la fabrique de lartiste fut 
détruite pour empêcher l’avilissement du cuivre, de Pargent 
et de l’or; » et il ajoute prudemment : « Ce bruit a été long- 
temps plus répandu que le fait n’est certain; mais qu'im- 
porte! » Il serait intéressant de rechercher ce qui a pu 
donner lieu à cette croyance ; la science moderne a décou- 
vert, il est vrai, le moyen de rendre le verre à peu près incas- 
sable au moyen du trempage, et on pourrait, à la rigueur, 
admettre que les anciens connaissaient ce procédé ; mais 
d'autre part il est prouvé que la nature même du verre 
répugne à la malléabilité, et le récit de Pétrone, malgré 
Pappui que lui ont donné plus tard de graves auteurs, nous 
semble devoir être rangé parmi ces contes absurdes dont 
plusieurs écrivains se sont faits trop complaisamment l'écho, 
bien que cependant il y ait souvent un fond de vérité dans 
les faits qui leur ont donné naissance ?. 


1 Cf. Diox Cassius {Lvir, 21) et IsiborE DE SÉVILLE (Origines, xvi, 6). 

? Suivant plusieurs auteurs, une découverte analogue aurait été faite au 
xvii° siècle, et n’aurait pas eu pour son auteur un bien meilleur résultat. Voici 
ce que raconte à ce sujet Haudicquer de Blancourt dans son Art de la verrerie 
(Paris, 1697, p. 23), après avoir rapporté le récit de Pline : « Notre siècle, 
fertile en grands hommes, n’a pas eu moins d'avantages sous le règne du feu 
Roy Louis le Juste que sous celui de Tibère, puisqu'on assure qu’un sçavant 
ayant trouvé ce même secret, en présenta une très belle figure au cardinal de 
Richelieu , qui étoit le Protecteur des Sciences; que ce Grand Ministre, voulant 
prendre cette figure pour la mieux admirer, celuy qui luy présentoit la laissa 
tomber exprès, dont ce Ministre parut fâché; mais que cet homme l'ayant 
ramassée en redressa toutes les parties offencées avec tant d'adresse, qu’il ne 
parut pas qu’elles eussent été bossoyées, ce qui surprit extrêmement ce sçavant 
Ministre qui n’en ignora pas la cause, et que les raisons politiques qu'il crut 
avoir pour les conséquences de ce secret obligèrent à faire arrêter celuy qui 
l'avoit trouvé. Ainsi la fortune qu'il espéroit de faire par ce rare et important 
travail, se trouva réduite en une prison perpétuelle. » Notre crédule auteur 
ajoute que, d’après l’avis des philosophes chimistes, cette malléabilité peut 
être attribuée « à l'Elixir blanc, ôtant la frangibilité au verre et le rendant 
capable d’extention comme le métal, ainsi que l’affirme le docte Raymond 
Lulle. » 


48 LA VERRERIE 


Les exemples que nous avons cités dans les pages qui 
précèdent montrent combien étaient nombreuses dans lan- 
tiquité les applications du verre, soit à la fabrication des 
objets de luxe ou de décoration, soit à celle des ustensiles 
de table ou des vases destinés aux rites funéraires. Il nous 
reste à mentionner maintenant l’emploi qui en a été fait 
pour une quantité d'objets d’un usage plus restreint, ou 
moins connu alors qu'il ne l’est aujourd’hui. 

Tels sont, par exemple, les miroirs de verre et les verres 
à vitre, dont l’existence chez les peuples anciens a été 
prouvée par des découvertes récentes, bien qu’elle ait été 
niée Jusqu'à ces derniers temps. 

Pline, dans un passage que nous avons cité (p. 18), 
parle des miroirs de verre, dont il attribue l’invention 
aux fabriques de Sidon — siquidem etiam specula excogi- 
taverat; — mais on avait toujours mis en doute cette asser- 
tion, jusqu’au jour où on a découvert dans les tombes de 
Saqqarah deux petits miroirs cerclés chacun d’une bordure 
en bois, et qui sont déposés aujourd’hui au musée de Turin. 
Plus récemment encore, on en a trouvé plusieurs à Alkofen, 
petite localité sur emplacement de laquelle était située Pan- 
cienne Ratisbonne (Castra Regina des Romains). Ces petits 
miroirs (de 7 à 8 centimètres de diamètre), que nous avons 
vus peu de jours après la découverte qui en a été faite par 
M. Dahlem, le savant fondateur et conservateur du musée 
de Ratisbonne, portent des traces non douteuses d’un éta- 
mage métallique '. Les sépultures dans lesquelles il ont été 
trouvés remontent au 111e siècle de notre ère. 

On pourrait inférer de quelques passages d'auteurs latins 


! Du temps d'ARISTOTE on connaissait l’étamage métallique ; il dit, en effet : 
« Si les métaux et les cailloux doivent être polis pour servir de miroir, le verre 
et le cristal ont besoin d'être doublés d'une feuille de métal pour rendre 
l'image qu'on leur présente. » 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 49 


que les anciens connaissaient également les glaces; toujours 
est-il qu'ils revêtaient de plaques de verre les murs et les 
plafonds de leurs maisons, et que ce verre, surtout s’il était 
noir, remplissait Jusqu'à un certain point loffice de glaces. 
« Celui-là s’estime bien pauvre dont la chambre n’est pas 
tapissée de plaques de verre, » dit Sénèque (Epist. 86); et 
nous lisons dans la vie de Firmus, un des tyrans dont Vo- 
piscus s’est fait l'historien, « qu’il avait orné sa maison de 
glaces carrées, qui étaient fixées au mur avec du bitume 
et d’autres mastics '. » 

Le verre, du reste, était fréquemment employé en ar- 
chitecture, surtout en Italie, soit comme revêtement, soit 
même comme pavage. Passeri, au xvrre siècle, vit dans les 
ruines d’une maison, à Rome, un de ces parquets de verre 
« formé d’une masse compacte de la dimension même de 
l'appartement », et Deville a déposé au musée de Rouen des 
carreaux en verre verdâtre qui avaient également servi au 
pavage des appartements à Jsola Farnese. Suivant Pline 
(xxxvI, 114), la scène à trois étages du théâtre de Marcus 
Scaurus était revêtue « de marbre, de verre et de boïs doré ». 

Quant aux vitres de verre, leur emploi dans l'antiquité 
ne fait plus aucun doute depuis les découvertes qui ont été 
faites en premier lieu à Pompéi, dès 1772, par Winckel- 
mann, puis à Herculanum, à Baïes, à Rome, et, plus ré- 
cemment encore, dans plusieurs autres maisons de Pompéi. 
Dans son ouvrage sur les découvertes de cette dernière ville, 
Mazois donne le dessin et la description d’un châssis de 
bronze destiné à des vitres qui ne mesuraient pas moins 
de Om72 de hauteur sur 0m54 de large. À en juger par les 
carreaux de fenêtre déposés au musée de Naples, et qui ont 
été trouvés également à Pompéi dans une chambre de bains 


1 « Nam et vitreis quadraturis bitumine aliisque medicamentis insertis 
domum induxisse perhibetur. » ({ Historiæ Auguslæ scriplores.) 


50 LA VERRERIE 


de la maison de Diomède, les vitres anciennes étaient plus 
épaisses et moins transparentes que les nôtres. D’après le 
savant Bontemps, l’ancien directeur de la cristallerie de 
Clichy, ces vitres auraient été fabriquées par coulage dans 
un cadre métallique, procédé qui avait été perdu, et que 
devaient retrouver, seize siècles plus tard, les fondateurs 
de la manufacture de Saint-Gobain. 

Quelques archéologues, entre autres M. Frœhner, s’ap- 
puyant sur un certain nombre de verres taillés en plan con- 
vexe trouvés dans différentes contrées, et sur une lentille! 
ayant appartenu, suivant toute probabilité, à un instrument 
d'optique, et qui a été découverte à Ninive en 1851 (cf. Afhe- 
nœum français, sept.. 1852), ont pensé que les anciens con- 
naissaient les verres comburants. Le passage suivant des 
Nuées dAristophane vient, à défaut d'autre témoignage. 


corroborer cette opinion : 


SOCRATE. — Je suppose que l’on t’intente un procès de cinq talents, 
comment ferais-tu pour échapper à la condamnation ? 

STREPSIADE. — J'ai trouvé pour annuler l'arrêt un moyen très 
ingénieux ; tu en conviendras toi-même. 

SOCRATE. — Lequel? 

STREPSIADE. — As-tu déjà vu chez les marchands de drogues une 
pierre belle et diaphane avec laquelle on allume le feu ? 

SOCRATE. — Tu veux parler d'une lentille de cristal ? 

STREPSIADE. — Oui. Si j'allais avec cette pierre me placer du côté 
du soleil, bien loin du greffier, pendant qu'il écrirait l’arrêt je ferais 
fondre toute la cire sur laquelle seraient tracées les lettres *.… 


Les anciens, du reste, devaient avoir des connaissances 
assez étendues en optique, et la délicatesse de certains 


! Une lentille semblable provenant de la Cyrénaïque figure dans les collec- 
tions du musée de Sèvres (n° 4170). 

? ARISTOPHANE, trad. Poyard. — Pour comprendre ce passage, il faut se 
rappeler que les Grecs écrivaient sur des tablettes de cire. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 51 


travaux, exécutés par leurs graveurs en pierres fines, 
permet de supposer qu'ils faisaient usage de la loupe; 
en tout cas, ils nignoraient pas la propriété que pos- 
sèdent les globes de verre remplis d’eau, — pareils à 
ceux dont se servent encore aujourd'hui les graveurs 
et les cordonniers , — de concentrer la lumière et de 
grossir les objets, puisque Sénèque en mentionne de sem- 
blables. 

Ils se servaient également d'instruments de chimie en 
verre, entre autres de cornues; on en a découvert plusieurs 
à Arles, à Nimes, dans les environs de Cologne et dans 
plusieurs contrées de l’ancien empire romain !. 

On fabriquait aussi en pâte de verre des balles, ou mieux 
de grosses billes destinées aux jeux des enfants, et, si nous 
en croyons Pline (xxxvi, 67), c'était également en verre 
coloré de plusieurs couleurs qu'étaient faites les pièces qu’il 
désigne sous le nom d’abaculi, et qui étaient employées 
pour jouer à un jeu qui se rapproche de notre trictrac ou 
du jeu de dames. 


Parmi les petits objets de verre, nous devons mentionner 





Fig. 21. — Tessères ou jetons en verre. 


(Anc. coll. Charvet.) 


surtout les fessères ou jetons, qui servaient à divers usages, 
et que, suivant l’opinion émise par plusieurs savants, les 
premiers chrétiens employaient « comme signes de rallie- 
ment auxquels ils se reconnaissaient entre eux, et qui les 


1 Cf. un article de M. QuicerAT dans la Revue archéologique, 1874. 


D2 LA VERRERIE 


déterminaient à exercer les uns envers les autres, sans 
crainte et sans déguisement, les devoirs de la charité"fra- 
ternelle ! ». On a trouvé plusieurs spécimens intéressants 
de ces tessères dans l’ancienne Gaule, en Italie et dans 
l'Asie Mineure (fig. 21). 

Les verriers de l'antiquité ont connu également l’art de 
décorer le verre au moyen de la dorure ; mais cet art a été 
peu pratiqué, à en juger par l’excessive rareté des pièces 
qui sont parvenues jusqu’à nous, du moins de celles sur 
lesquelles, ainsi que cela a lieu aujourd’hui, la dorure 
aurait été fixée par la cuisson. 

Il n’en est pas de même des verres dorés, désignés géné- 
ralement sous le nom de verres chrétiens, parce qu’ils ont 
été trouvés plus particulièrement dans les cimetières des 
Catacombes, et aussi parce que les sujets ou les figures 
qu'ils représentent sont toujours empruntés à l'Ancien ou 
au Nouveau Testament. 

De tous les verres que nous a légués l’antiquité, les 
verres dorés sont certainement ceux qui méritent d'occuper 
une place des plus importantes, non pas tant à cause de 
la valeur artistique de quelques-uns d’entre eux que par 
leur procédé de décoration, qui apparaît pour la première 
fois, et surtout par les détails archéologiques qui s’y ren- 
contrent. La plupart de ces verres, ou plutôt de fragments, 
car on ne possède guère que des fonds de coupes ou de 
verres à boire, sont déposés aujourd’hui à Rome, au musée 
du Vatican, et ont été décrits et publiés par plusieurs au- 
teurs, entre autres par le R. P. Garucci, qui a accompagné 
son texte de figures dessinées par le R. P. Martin, dans 
l'ouvrage Intitulé : Vetri ornati di figure in oro (Rome, 1858). 
Suivant cet auteur, qui reproduit, du reste, l'opinion émise 


! Dictionnaire des antiquités chrétiennes, par M. l'abbé MarTIGNY. 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 53 


en 1716 par Buonarroti', la plus grande partie de ces 
verres datent du temps des persécutions ; on en a trouvé 
dans les cimetières chrétiens de la plus ancienne époque, 
et beaucoup portaient encore des traces de sang. Le procédé 
qui était employé dans la décoration des verres chrétiens 
consistait (fig. 22) à enfermer entre deux verres une mince 





Fig. 22. — Verre doré trouvé dans les Catacombes. 


(Musée du Vatican.) 


feuille d’or, sur laquelle on dessinait et gravait à la pointe 
des figures, des ornements et des inscriptions; cette feuille, 
fixée sous le fond de la coupe, était recouverte d’une mince 
couche de verre très fusible, qui se soudait au feu avec la 
première, de manière à préserver la dorure contre l’usure 
et les influences extérieures. Nous retrouverons un procédé 
à peu près analogue en Italie du xr1e au xve siècle, et plus 
tard en Bohême au xvure. 


1 Osservaziont sopra alcuni frammenti di vasi antichi di vetro, ornatli di 
figure, trovati né cimiteri di Roma. (Florence, in-4°, 1716.) 


94 LA VERRERIE 


Nous terminerons ici cette étûde des verreries antiques; 
nous aurions voulu la faire plus complète, mais, ainsi que 
nous l'avons dit, les documents historiques font défaut, et 
dans bien des cas nous avons dû nous borner à former des 
conjectures. Les pages qui précèdent suffiront cependant 
pour montrer à quel haut degré de perfection s'était élevé 
autrefois ce bel art du verre, qui occupe à juste titre 
une place des plus importantes dans l’histoire des indus- 
tries humaines, et qui devait plus tard renaître dans toute 
sa splendeur, après être tombé pendant plusieurs siècles 
dans un état de décadence tel, que la plupart des pro- 
cédés mis en œuvre par les habiles ouvriers de l'antiquité 
avaient été oubliés si complètement, qu’on n’en soupçonnait 
même pas l'existence, et qu'on hésitait à reconnaitre des 
verres dans certaines pièces mises au Jour par les fouilles. 
Aujourd’hui encore, il faut bien l’avouer, quelques-uns 
de ces procédés n’ont pu être retrouvés, et sous bien des 
rapports nous sommes forcés, malgré notre amour-propre, 
de nous incliner devant la supériorité des verriers du vieux 
monde romain. 


IT 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 


EN ORIENT ET EN OCCIDENT 


À défaut de documents historiques précis, nous avons 
pu étudier au moins dans son ensemble, et grâce aux 
découvertes de témoins irrécusables faites dans les tom- 
beaux, l’état de la verrerie dans l'antiquité; il n’en est pas 
de même malheureusement pour toute cette longue suite 
de siècles qui commence au moment où, en l’an 330, Cons- 
tantin, abandonnant Rome et la vieille société pour donner 
plus de développement au christianisme, transportait le 
siège de son gouvernement à Byzance, qu'il avait fondée, 
jusqu'à cette époque où les artistes et les artisans, se re- 
trempant dans les sources fécondes, mais trop longtemps 
oubliées, de l’antiquité, inauguraient ce grand mouvement, 
si puissant dans son expansion, désigné sous le nom de 
Renaissance. 

Et cependant, bien que, de toutes les industries de luxe, 
la verrerie semble avoir été une de celles qui aient le moins 
souffert dans cette immense conflagration où disparut l’an- 
cien monde, celle où il y ait, pour ainsi dire, le moins 
d'efforts à faire pour renouer la chaine du renouveau à 


56 LA VERRERIE 


celle des temps passés, il est bien difficile, au moins dans 
l'état actuel de la science, de reconstituer son histoire pen- 
dant les premiers siècles du moyen âge. 

Nous savons bien qu'il devait y avoir des fabriques de 
verre à Constantinople, et qu'une des portes de cette ville 
portait le nom de porte de la Verreric'; nous savons éga- 
lement que le Code Théodosien exemptait de tout impôt 
personnel les artisans qui fabriquaient les vases de verre 
— VITRARI, Vasa vitrea conflantes *; — mais rien ne sub- 
siste des verreries qui furent fabriquées à cette époque, 
dont l’histoire, au moins pour ce qui concerne les industries 
de luxe, est encore remplie d’une si grande obscurité. 

Nous ne connaissons pas davantage les vases de verre 
qui furent envoyés, avec des coupes d’agate, par l’empereur 
romain Lécapène, en 926, à Hugues, roi d'Italie *. 

Peut-être faut-il ranger parmi les verreries de cette époque 
le vase que possède le trésor de Saint-Marc, à Venise, et 
sur lequel sont gravés en relief des sujets de chasse où l’on 
voit des chevaux et des bêtes féroces. Quelques archéologues 
ont vu dans ce verre un spécimen contemporain de ceux 
que nous avons décrits dans les chapitres précédents, et en 
font remonter la fabrication au mie siècle ; d’autres, au con- 
traire, lui assignent une époque postérieure. Il ne nous 
appartient pas de nous prononcer sur ce verre, que nous 
ne connaissons que d’après les reproductions assez défec- 
tueuses qui en ont été faites ; en tout cas, c’est là un exem- 
plaire isolé, et qui ne peut apporter aucune preuve posi- 
tive, puisque l’on ne connait pas sa provenance. 


! Du Cane, Conslantinopolis christiania, lib. I, $ xiv, n° 7. 

? De corporibus artificum libellus, 24, dans le recueil intitulé : Notitia 
utraque dignitatum cum Orientis tum Occidentis. Lugdini, 1608; in-f, 
p. 197 (verso). 

3 CONSTANTIN PORPHYROGENÈTE, De Ceremoniis aulæ Bysantinæ. Leipsick, 
1751; in-f0, p. 61. 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 97 


Nous passerons donc sous silence les quelques autres 
textes, antérieurs au xIIe siècle, qui mentionnent des ver- 
reries ; il n’existe pas, en effet, de monuments auxquels on 
puisse assigner d’une façon certaine une date aussi re- 
culée ', et nous serions réduits forcément à n’émettre que 
des hypothèses ne s'appuyant sur rien de précis, et qui 
Woffriraient aucun intérêt. 

À dater du xxre siècle, la lumière commence à se faire, et 
sil est encore à peu près impossible de déterminer les ca- 
ractères distinctifs des verres qui remontent à cette époque, 
nous avons du moins des preuves de la situation florissante 
où se trouvait alors l’art de la verrerie dans les provinces 
orientales. Nous citerons, entre autres, quelques passages 
de la relation du voyage de Benjamin de Tudèle*, qui visita, 
vers le milieu du xre siècle, la plus grande partie du 
monde connu. Cest ainsi qu'à Antioche il constate que 
plusieurs de ses coreligionnaires « fabriquent le verre »; 
il cite même les noms des « principaux d’entre eux, Rabi 
Mordekhai, Rabi Maüm, Rabi Ishmaël », ce qui permet de 


! On s'accorde cependant à considérer comme verre byzantin une coupe 
. conservée à Varsovie, dans l'église dédiée à saint Adalbert, et qui, d’après la 
tradition, aurait servi de calice à ce saint, mort en 997. C'est un verre de 
couleurs variées, très épais, sur lequel sont gravés en relief et assez grossière- 
ment des aigles et des lions d'un style archaïque un peu raide. 

? Benjamin, fils d'un rabbin nommé Jonas, était né et vivait à Tudèle. 
petite ville du royaume de Navarre. « Était-il marchand, architecte ou mé- 
decin? dit M. En. CHarTon dans les Voyageurs anciens el modernes; se pro- 
posa-t-il, en voyageant, d'acquérir des richesses ou des connaissances scien- 
tifiques ? En l'absence de renseignements précis sur cetle question, assez peu 
importante du reste, on a fait bien des commentaires qui n’ont conduit à rien 
de certain. Si l’on s’en tient à l'impression qui résulte d’une lecture attentive 
de la relation de son voyage, on sera porté à croire que son but était unique- 
ment de connaître le nombre des Juifs dispersés dans les différentes régions 
du monde et de s'informer de leur état moral et religieux. » Nous ajouterons 
que l’on trouve dans cette relation bien des documents intéressants que l’on 
chercherait vainement autre part, et qui présentent tous les caractères de la 
vérilé. 


)8 LA VERRERIE 


supposer qu'ils jouissaient, comme artistes verriers, d’une 
certaine réputation. En parlant de Tvr (Fvr-la-Nouvelle), il 
dit : « Là sont aussi les ouvriers qui font ces verres de Tvr, 
si renommés par toute la terre... » Et enfin, en décrivant 
une des synagogues de Damas, il mentionne avec admira- 
tion « une muraille de verre construite par art magique ». 
«Il y a dans cette muraille, dit-il, autant de trous qu'il y à 
de jours dans l’année solaire; le soleil, descendant par 
douze degrés, selon le nombre des heures du jour, entre 
chaque jour dans l’un de ces trous, et par là chacun peut 
connaître à ces trous quelle heure il est. » 

Ces simples citations suffisent pour montrer combien Part 
de la verrerie avait conservé d'importance à l’époque où Ben- 
jamin de Tudèle entreprit son voyage en Orient, puisque, 
dans la relation qu'il en a laissée, ce n’est que par exception, 
et seulement pour ce qui lui semble tout à fait digne d’une 
remarque spéciale, qu'il s'occupe des choses étrangères à 
l’état actuel du peuple juif et de sa religion. Nous avons vu 
plus haut que les verreries de Tyr étaient déjà célèbres dans 
l'antiquité; quant à Damas, dont les produits lui semblaient 
être le résultat « d’un art magique », il est à présumer que 
des verriers de Sidon, la pauvre cité déchue de son an- 
cienne splendeur, étaient venus s’y établir à l’époque où 
Dioclétien y créa la manufacture d'armes qui devait la 
rendre célèbre pendant une si longue suite de siècles. Quoi 
qu'il en soit, les verreries de Damas étaient tellement esti- 
mées, bien longtemps encore après Benjamin de Tudèle, 
que pendant toute la période du moyen âge les verres 
dorés et émaillés ont été désignés, quelle qu’en soit la pro- 
venance, sous le nom de verres de Damas. Dans l’Inventaire 
des joyaux de Louis de France, duc d'Anjou, dressé vers 


! Deuxième fils de Jean le Bon, roi de France, né en 1339 et mort en 1384; 
il fut roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem. 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 59 


1364, on trouve, sous les numéros 151 et 152, les mentions 
suivantes : « 151. Premierement deus flascons de voirre, 
ouvrez d'azur, à plusieurs diverses choses de l'ouvrage de 
Damas... 152. Un autre flascon de voirre, ouvré d’azur 
de ouvrage de Damas, dont la garnison est de semblable 
facon... » Dans l’Inventaire dressé en 1380, de son frère 
Charles V, roi de France, on trouve également de nom- 
breuses mentions de verres semblables : « Un long pot de 
voirre ou aiguière, de la façon de Damas, le biberon garni 
d'argent... — Trois pots de voirre rouge à la façon de Da- 
mas. — Ung petit voirre, ouvré par dehors à ymages, à la 
facon de Damas. — Une lampe de voirre, ouvrée en façon 
de Damas, sans aucune garnison d'argent. — Un très petit 
hanap de voirre, en la facon de Damas. — Un bacin plat 
de voirre, peinct à la façon de Damas, et une bordure 
d'argent esmaillée de France et de Bourgogne, etc. etc. » 
Les verreries d'Alexandrie, que nous avons vues si floris- 
santes dans l’antiquité, n'avaient pas cessé de produire des 
verres très estimés, au moins si nous en croyons Pierre 
Damien ?, qui, dans la vie de saint Odilon, le célèbre abbé 
de Cluny, mort en 1048, raconte que l’empereur Henri IT 
(saint Henri, mort le 43 juillet 1024) envoya à Odilon, pour 
lequel il avait une profonde vénération, un vase entièrement 
de verre, très précieux et fabriqué à Alexandrie, qu’on lui 
avait apporté à sa table : Aliquando imperator Heinricus 
dum apposita mensa discumberet, vas illi holovitreum valde 
pretiosum, et Alexandrini operis arte compositum... est 
allatum... Aux xive et xve siècles, Alexandrie fabriquait en- 


1 Publié par M. ne LaBorpe, en tête de la 2 partie de sa Notice sur les 
émaux du Louvre (p. 28). 

2 Cardinal et évêque d'Ostie, mort à Faenza le 23 février 1073. Cf. Vata 
sanch Odilonis, abbatis Cluniacensis el confessoris ordinis sanctr Benc- 
dicli, dans le tome II de ses œuvres publiées à Rome en 1606, p. 218. 


60 LA VERRERIE 


core des verreries extrêmement remarquables, entre autres 
ces magnifiques lampes émaillées qui ornaient autrefois les 
mosquées arabes, et dont la plupart, parmi celles qui ont 
pu résister à l’action du temps et à l'indifférence des hommes, 
ont été détournées de leur destination primitive, et font au- 
jourd’hui la gloire et la richesse des collections particulières 
et des musées. 

Il y avait évidemment beaucoup d’autres centres de fa- 
brication ; mais les textes sont muets à leur égard, et sous 
ce rapport nous serions réduits à n’émettre que des sup- 
positions, sans pouvoir apporter des preuves à l'appui. Il 
est même difficile de déterminer les caractères distinctifs et 
les provenances des différentes sortes de verreries orien- 
tales qui, aujourd’hui comme au xive siècle, sont encore 
désignées le plus souvent sous le nom de verres de Damas, 
ou, d’une façon plus générale, sous celui de verres arabes. 

Tous ces verres, le plus habituellement d’une teinte légè- 
rement jaune ou verdâtre, et un peu bouillonnés, sont tou- 
Jours décorés plus ou moins richement d’émaux en épaisseur 
et rehaussés de dorures. Les formes varient beaucoup; le 
plus souvent ce sont de grands verres ou gobelets obco- 
niques, parfois très évasés à l’orifice, des bouteilles à long 
col, ou encore des lampes de mosquées, semblables généra- 
lement à celle que reproduit notre gravure (fig. 23), et munies 
sur l’épaulement de petits appendices en relief destinés à 
laisser passer les anneaux des chaînes de suspension. 

Beaucoup, parmi ces verres, ont été à la suite des croi- 
sades rapportés en Europe, où ils excitèrent l'admiration 
générale, autant par la nouveauté que par la perfection de 
leur décoration ; leur rareté les faisait regarder comme des 
objets d’une valeur considérable, et on les enrichissait, en 
Allemagne surtout, de montures en or et en argent doré 
d'un travail délicat : tels sont les gobelets où hanaps en 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 61 


verre qui font partie de la Galerie-Verte (Grüne Gewœlbe), 
à Dresde; le verre orné d’arabesques en émail rouge con- 
servé dans le musée de l’Université, à Breslau, et qui aurait 
appartenu à sainte Élisabeth de Hongrie, morte en 1231 ; 
celui qui appartient aujourd’hui à la bibliothèque de la 
ville de Chartres, et qui pendant longtemps a été impro- 
prement désigné sous le nom de verre de Charlemagne, et 
quelques autres qui faisaient partie autrefois des {trésors des 
églises ou des couvents, auxquels ils avaient été donnés 
par quelque pieux et reconnaissant chevalier, ou par des 
souverains qui eux-mêmes les avaient reçus en cadeaux, 
à la suite de quelque ambassade envoyée en Europe par le 
sultan. 

Mais les plus remarquables parmi les verres arabes, tant 
au point de vue de la perfection que de la richesse des 
émaux qui les décorent, sont certainement ceux qui, ainsi 
que nous lavons dit, étaient suspendus en guise de lampes 
dans les mosquées. Il y a relativement peu de temps qu’elles 
sont connues, et que des spécimens, fort rares du reste, 
ont été importés en Europe, où elles ont été comme Ia ré- 
vélation d’un art ignoré ou seulement entrevu jusqu'alors. 
Nos musées n’en ont que des exemplaires incomplets ou de 
second ordre; mais quelques collectionneurs privilégiés, et 
surtout le musée arabe du Caire, en possèdent des échan- 
tillons qui montrent dans toute leur splendeur lhabileté 
et la richesse d’invention décorative des habiles verriers 
d'Alexandrie et de Damas. 

L’ornementation de ces verres se compose généralement 
de médaillons et surtout d'inscriptions en grands carac- 
tères, mêlées à des rinceaux gracieusement enroulés, des- 
sinés en émaux de différentes couleurs, sur fond d’or ou 
réservés en or sur fond d’émail. Malgré l'éclat et la fran- 
chise de ton de certains émaux, — surtout dans les verres 


62 LA VERRERIE 


qui, si on les compare avec ceux dont on connait à peu 
près la provenance, ont dû être fabriqués à Damas, — il 
règne dans tous une harmonie générale qui en fait des 
œuvres d’art du plus haut mérite, 


Parmi les lampes arabes que nous connaissons, une des 





Fig. 23. — Lampe de mosquée en verre émaillé et doré; fabrication arabe. 


(Collection de M. Spitzer. ) 


plus belles est certainement celle que représente notre gra- 
vure (fig. 23), et qui appartient à la riche collection de 
M. Spitzer ; elle est particulièrement remarquable par sa 
dimension exceptionnelle et par la beauté des caractères 
qui la décorent : sur tout le pourtour extérieur règne une 
inscription composée de grands caractères en émail bleu 
cernés d’or, et coupée par trois médaillons circulaires à en- 
cadrements de rinceaux finement dessinés au trait, et dont 
le centre porte aussi une inscription; le corps même de la 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 63 


lampe, depuis Pépaulement jusqu’à l’arête, est couvert éga- 
lement de grands caractères en réserve d’or sur fond émaillé 
en bleu, d’un aspect discret très décoratif ; la partie infé- 
rieure est ornée de rosaces en émail où le blanc et le bleu 
dominent. 

Cette belle lampe, qui peut être considérée comme un 
des spécimens les plus parfaits de la verrerie orientale, et 
probablement comme type de la fabrication d'Alexandrie, 
est remarquable par l’harmonie générale de sa décoration 
plus encore que par la perfection de son exécution ou sa 
grande importance au point de vue archéologique; l’or qui 
la couvre en partie a pris, probablement sous l’influence du 
temps et peut-être aussi du milieu dans lequel elle a dû 
rester suspendue pendant plusieurs siècles, une sorte de 
patine bronzée qui s’est répandue sur tout l’ensemble de la 
pièce, et sur laquelle la lumière se joue en chatoiements 
métalliques d’un éclat un peu assourdi, que viennent 
réveiller les points plus brillants des six appendices 
en relief auxquels s’attachaient autrefois les chaînes de 
suspension. 

À côté de cette lampe, d’un caractère archaïque un peu 
sévère et d’une sobriété de lignes et de décoration qui con- 
venait bien à un lieu de recueillement et de prière, 1l existe 
dans la même collection ‘ des verreries couvertes également 
d'inscriptions arabes, aux émaux plus éclatants et plus 
riches de tons variés, aux ors plus brillants, au décor plus 


! En présence de l'extrême rareté de ces remarquables verres, dont nos 
musées ne possèdent aucun spécimen ou seulement des échantillons d'un ordre 
tout à fait inférieur, nous sommes forcé de prendre nos exemples dans la col- 
lection de M. Spitzer, la plus riche et la plus complète en verreries arabes de 
celles qui existent actuellement en Europe; nous ajouterons, du reste, que les 
nombreuses collections de M. Spitzer sont ouvertes aux artistes, aux érudits 
et aux amateurs sérieux avec une libéralité qui fait le plus grand honneur 
à leur heureux possesseur. 


64 LA VERRERIE 


fantaisiste, et que nous croyons appartenir aux fabriques de 
Damas. 

Une des pièces capitales de cette intéressante série est un 
immense hanap ou gobelet, où les émaux jaunes et rouges 
dominent ; sur tout le pourtour, au centre, règne une ins- 
cription en grands caractères koufiques, qui se détachent 
sur une frise circulaire de riches rinceaux polychromes ter- 
minés par des têtes de monstres; à la partie inférieure, 
dans des médaillons ovales à encadrement formé par un 
filet d’émail en relief sur fond denté d’or, et séparés par des 
animaux fantastiques à deux têtes et aux ailes éployées, on 
voit un lion héraldique peint en émail rouge. Le même lion 
se retrouve sur une magnifique bouteille en verre bleu à 
long col, ornée d'inscriptions en émail blanc très pur sur 
un fond vermiculé d’or. Ces deux pièces sont, l’une par sa 
dimension exceptionnelle, l’autre par la coloration bleue du 
verre, des pièces uniques, et dont on ne trouve d’analogues 
dans aucun musée ni dans aucune collection ; mais la per- 
fection de leur décoration et la richesse de leurs émaux et 
de leur dorure les rendent encore plus remarquables que 
leur insigne rareté, et on peut les mettre au premier rang 
parmi les plus beaux produits de l’industrie du verre à 
toutes les époques. 

Si l’on étudie avec attention le style des ornements qui 
décorent ces verres, surtout dans les fleurons dessinés au 
trait, on y retrouve une analogie tellement frappante avec 
certains détails de la damasquinerie des armes fabriquées 
en Syrie au xuiIe et au xive siècle, et avec celui de quelques 
objets en cuivre ou en bronze de la même époque et de la 
même provenance, que, même sans nous arrêter aux res- 
semblances de fabrication et aux procédés d’émaillage, il 
nous paraît hors de doute que ce sont là les véritables types 
des verres de Damas. La forme des bouteilles, et surtout 


LA VERRERIESAU MOYEN AGE 65 


les lions héraldiques, peuvent faire croire qu’elles ont été 
fabriquées pour la Perse, dont les relations commerciales 
avec les villes de l'Asie occidentale étaient considérables 
au moyen âge; mais elles ne sont certainement pas de fa- 
brication persane, ainsi que l’ont avancé certains archéo- 
logues. En effet, Chardin, qui visita la Perse en 1672, et 
qui donne de si précieux renseignements sur l’industrie 
et le commerce de ce pays au xvire siècle, affirme, en par- 
lant des verres de Schiraz et d’Ispahan, qu'il trouve de 
qualité très inférieure, « pailleux, pleins de vessies et de 
bulles, » que la fabrication de la verrerie y était complète- 
ment inconnue avant la fin du xvie siècle. « Au reste, dit-il, 
l’art de faire le verre a été porté en Perse il n’y a pas quatre- 
vingts ans. Un Italien nécessiteux et avare l’enseigna à 
Chiraz pour cinquante écus. Si je n’avois été bien informé 
de la chose, j'aurois cru qu'ils devoient aux Portugais la 
connoissance d’un art si noble et si utile‘. » 

La présence du lion héraldique a laissé également sup- 
poser que ces verres auraient été fabriqués à Venise, soit 
en imitation des verres arabes, si recherchés au moyen 
âge, soit pour être expédiés en Orient ; le lion serait 
alors une sorte de marque de fabrique, un cachet de pro- 
venance. 

Bien que ce soit évidemment par l'Orient, et sinon 
d'Égypte ou de Syrie, au moins par les Grecs de Constan- 
timople, que l’art de la verrerie est arrivé à Venise, il est 
difficile d'admettre qu'au commencement du xive siècle, 
époque à laquelle on peut faire remonter la fabrication des 
belles pièces que nous avons citées, l’industrie des verriers 
de Murano ait atteint ce haut degré de perfection. Les plus 
anciens verres émaillés que l’on puisse avec certitude attri- 


! Voyages de M. le chevalier Cnarnin en Perse el autres lieux, t. IV, 
pr 207: 


66 LA VERRERIE 


buer à Venise ne datent guère que du milieu du xve siècle, 
et quoiqu'ils dénotent, surtout au point de vue de la fabri- 
cation, un art assez avancé, les émaux sont lom d’avoir 
l'éclat et la pureté des émaux de l'Orient ; ils sont loin sur- 
tout d’être employés avec autant de science et d'habileté : 
l'or, par contre, y est plus solide et d’une qualité beaucoup 
plus belle. 

La plus grande incertitude, du reste, règne encore sur les 
débuts de la fabrication du verre à Venise et sur l’époque 
où elle y fut importée. Il est évident que les Vénitiens, qui, 
dès le vire siècle, faisaient un commerce considérable avec 
l'Orient, durent connaitre de bonne heure l’art de la ver- 
rerie; mais il n'existe aucun document antérieur à la fin 
du xue siècle qui indique qu'ils laient pratiqué, quoique 
certains auteurs, entrainés peut-être par une partialité 
excessive pour leur ville natale, aient affirmé que l’mdustrie 
du verre y fut contemporaine de la fondation de la ville, 
c'est-à-dire du ve siècle. 

Un des historiens de Charlemagne, cité par M. Eug. Piot 
(Cabinet de l’amateur), raconte que, pendant un séjour que 
l’empereur fit à Pavie en 774, les Vénitiens apportèrent une 
si grande quantité de marchandises en tout genre, que les 
Francs de la suite du monarque en furent émerveillés; mais 
rien n'indique que ces marchandises fussent de fabrication 
vénitienne ; 1l est à présumer, au contraire, qu’elles venaient 
d'Orient, et cela prouverait combien avait été rapide la pros- 
périté de l’humble colonie fondée dans les lagunes pour fuir 
Attila et la sauvage férocité des Huns. 

Quoi qu'il en soit, la fabrication ne dut acquérir une im- 


! Cf. Caro ANTONIO Marin, Sloria civile e politica del commercio de 
Venisiani. Venise, 1788-1808 (t. I, lib. II, p. 213, et t. V, lib. Il, p. 258), 
et Fictasi, Sagoio del antico commercio e sulle arti de'Venisiani (t. VI, 
p. 147). 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 67 


portance réelle qu'après la prise de Constantinople, en 1204. 
Venise, qui avait contribué pour une assez large part à cette 
expédition, chercha, avec l'esprit commercial qui l’animait, 
à tirer le plus grand parti possible de la victoire, et à attirer 
à elle, autant qu’elle le put, les habiles artisans de la cité 
vaincue. C’est à dater de cette époque seulement que l’on 
trouve une suite de documents et d'actes qui prouvent quel 
grand prix le gouvernement attachait à la prospérité de 
cette belle industrie du verre, que, suivant l'expression de 
Carlo Marin (loc. cit.), il « considérait comme la prunelle 
de ses yeux », et qui devait, en effet, être pendant plusieurs 
siècles une source de richesses pour la république. 

Dès l’année 1224, vingt-neuf individus, qualifiés dans les 
textes de friolari, — pour phiolari, ou fioleri, — sont cités 
comme ayant contrevenu aux ordonnances qui régissaient 
Vars friolaria', ce qui prouve que dès cette époque l’indus- 
trie du verre avait assez prospéré pour former une corpora- 
tion importante ; en 1268, suivant le chroniqueur Martino 
da Canale, lors de l'élection du doge Lorenzo Tiepolo, les 
fioleri lui présentèrent des aiguières (guastade), des flacons 
à odeurs (oricanni), et beaucoup d’autres objets de toute 
beauté. Ils fabriquaient même des poids et des mesures 
en verre dont il est fait mention dans un décret du Grand 
Conseil, daté de l’année 1279. 

Une loi de 1275 prohibait, sous peine de confiscation, 
l'exportation du verre brut, des matières premières et même 
du verre cassé ?. Cette sollicitude inquiète du Conseil se 
manifeste encore davantage dans le décret du 8 novembre 
12914, qui ordonne la démolition immédiate des fours situés 


1 ALuEx. NEsBiTT, Glass, p. 67. 
? «.… Quod de cetero vitrum, sablonum, seu alia de quibus vitreum fieri 
debeat non possint portari extra terram; nec de eis possit fieri sigillum sine 


licentia data a Duce et Consilio Majori sub pœna perdendi ea quæ portantur.» 


68 LA VERRERIE 


dans la ville, et enjoint aux verriers de s'établir dans Pile 
de Murano, où plusieurs fabriques existaient depuis 1255 ?, 
On donnait pour prétexte la crainte des incendies que cette 
industrie pouvait occasionner; mais la véritable raison était 
surtout le désir de cacher aux étrangers les secrets d’une 
fabrication qui devenait de jour en jour plus importante. Il 
est vrai que l’année suivante, le 11 août 1292, le Grand 
Conseil, se montrant moins sévère, autorisait au Rialto 
(Rivo-Alto) l'établissement des fabriques de verroteries, — 
verixellh où vetricelli, — éloignées de quinze pas de toute 
habitation ; mais cette tolérance provenait principalement 
du grand intérêt que le gouvernement avait à favoriser, par 
tous les moyens possibles, le développement d’une industrie 
dont les produits, exportés en Afrique et en Asie, où on les 
recherchait avec avidité, donnait une extension considérable 
à sa marine, et aidait ainsi à la prospérité commerciale et 
à la puissance de la république. 

Bientôt les verriers vénitiens furent entraînés presque 
exclusivement vers cette branche de fabrication, et voici. 
d’après le savant M. Labarte*, quelle en fut la cause : « Vers 
1250, le commerce avait attiré à Constantinople le Vénitien 
Matteo Polo et son frère Niccolo, père du célèbre Marco 
Polo. En 1256, tous deux se rendirent près du khan des 
Tartares, qui occupait les rives du Volga. La guerre les 


! « MCCXCI die octavo novembris in Majori Consilio…. Capta fuit pars, quod 
fornaces de vitro in quibus laborantur laboreria vitria debeant destrui, ila 
quod de cætero esse non debeat aliqua in civitate, vel episcopatu Rivo Alli, 
sed extra civilatem et episcopalum in districto Veneliarum possit fieri, sicul 
placuent ïillis qui facere voluerint et hoc fieri debeat, ita quod non laborent, 
ab hodie in antea, in pœna librarum centum, ete. » — L'île de Murano est une 
des plus grandes parmi cesîles des lagunes dont le climat était réputé si salubre, 
que les empereurs romains y envoyaient les gladiateurs pour recouvrer la santé 
et y prendre de nouvelles forces. Elle possède une petite ville épiscopale qui, 
au xv° siècle, comptail douze églises. 

? J. LaparTe, ist. des arts industriels, {. TT, p. 379. 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE 69 


ayant obligés de quitter les États de Barka, où ils s'étaient 
arrêtés, 1ls passèrent à Boukhara, vers le sud de la mer 
Caspienne, et se rendirent près de Koublay-Khan, dont la 
souveraineté s’étendait sur la plus grande partie de l'Asie. 
De retour dans leur patrie, après vingt ans d'absence, ils 
retrouvèrent Marco Polo, qu'ils avaient laissé au berceau. 
Leurs récits enflammèrent l'imagination de ce jeune homme, 
qui voulut accompagner son père et son oncle dans le nou- 
veau voyage qu'ils ne tardèrent pas à entreprendre. Marco 
Polo partit, en effet, avec eux en 1271. Arrivé, en 1274, à 
la cour de Koublay- Khan, il s’attacha au service de ce 
monarque, devint gouverneur d’une de ses provinces, et fut 
chargé par lui des missions les plus importantes. Les de- 
voirs de sa haute position et de grands voyages occupèrent 
les plus belles années de la vie de Marco Polo. De retour à 
Venise en 1295, après avoir parcouru la plus grande partie 
de Asie centrale, les rivages et les îles de l’océan Indien 
et le golfe Persique, il enseigna à ses concitoyens, naviga- 
teurs aussi intrépides que négociants entreprenants, les 
routes que l’on pouvait suivre pour répandre les produits 
de l’industrie européenne dans la Tartarie, dans l’Inde et 
jusqu'en Chine; il fit connaître les mœurs des peuples qui 
habitaient ces immenses régions, et le goût tout particulier 
qu'ils avaient pour les perles, les pierres de couleur et les 
bijoux de toute sorte, dont ils aimaient à se parer et à 
enrichir leurs vêtements. Il n’en fallait pas davantage pour 
exciter l'esprit industrieux et mercantile des Vénitiens. Les 
verriers notamment se livrèrent avec plus d’ardeur que 
jamais à la fabrication des perles et des bijoux de verre 
(arte del margaritaio, arte del perlaio), fabrication qui forma 
dès lors une branche distincte de celle des vases de verre 
(fabbriche di vassellami o recipiendi di vetro e cristallo). On 
a conservé les noms de Cristoforo Briani et de Domenico 


70 LA VERRERIE 


Miotto, comme étant les inventeurs des perles de couleur 
(margarile) et les premiers verriers qui se solent occupés 
de limitation des pierres précieuses. Ce Miotto ayant obtenu 
un grand succès dans une expédition qu'il avait dirigée sur 
Bassora, les verriers vénitiens s’attachèrent presque tous à 
la fabrication de ces produits, qu’ils répandirent en Égypte, 
en Éthiopie, en Abyssinie, sur les côtes de l'Afrique sep- 
tentrionale, dans l'Asie centrale, aux Indes et jusqu’en 
Chine ‘. » 

Malgré tous les documents qui établissent d’une façon 
positive le grand développement que la fabrication des ver- 
reries et des perles avait pris à Venise et à Murano, nous 
ne pouvons malheureusement donner aucun exemple de 
ce qu'était cette fabrication. Il n'existe pas, en effet, de 
verres vénitiens que l’on puisse avec certitude faire re- 
monter plus loin que la dernière moitié du xve siècle. Nous 
ignorons même si les verreries que, dès le xrre siècle, les 
vaisseaux vénitiens transportaient dans les pays du Nord, 
et particulièrement dans les Flandres, avec lesquelles la 
république entretenait des relations commerciales très éten- 
dues, étaient de fabrication muranienne ou de provenance 
orientale. Cest ainsi que l'ordonnance de Philippe le Bon, 
duc de Bourgogne, relative au payement des verres que les 
navires de Venise lui avaient apportés en 1594, est muette 
sur la nature de ces verres : « Nous voulons que vous payez 
pour deux singes, trèze frans; pour sèze voirres et une 
escuelle de voirre, des voirres que les galées de Venise 
ont avan apportez en nostre pays de Flandres (au port de 
l'Écluse), quatre frans ?... » 


1 D'après Carlo Marin, Andolo de Savignon, ambassadeur de Gênes auprès 
de l'empereur de Chine, aurait obtenu du Grand Conseil l'autorisation d'expor- 
ter de la bijouterie de verre pour une somme considérable. 

? De LaBorpE, les Ducs de Bourgogne, t. Il, et Glossaire, p. 55. 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE pal 


Les précautions qu'avait prises le Grand Conseil dans 
l’arrêté de 1275, que nous avons rapporté plus haut, ne 
paraissent pas avoir été suffisantes pour arrêter l’exporta- 
tion des matières premières ni pour empêcher des trans- 
fuges vénitiens d'établir dans quelques villes d'Italie des 
fabriques rivales, peu importantes il est vrai. Un second 
décret, daté de 1295, augmente les peines édictées contre 
ceux qui auraient contrevenu aux termes de cet arrêté, et 
aussi contre les verriers qui, après un séjour dans les États 
voisins, voudraient revenir se fixer à Venise. D’après la 
pétition ‘ adressée à cette occasion au Conseil, nous voyons 
que des verreries avaient été établies à Trévise, à Vicenze, 
à Padoue, à Mantoue, à Ferrare, à Ravenne et à Bologne; 
mais on ne sait rien sur la durée de l'existence ni sur les 
produits de ces fabriques, et nous ignorons absolument 
ce qu'était la verrerie italienne pendant toute la période du 
moyen âge. : 

Nous devons mentionner cependant un procédé de déco- 
ration tout particulier employé à cette époque, — et, selon 
toute probabilité, à Venise, — sur des plaques de verre 
d’une pureté et d’une limpidité extraordinaires, formant de 
petits tableaux qui paraissent avoir fait partie d’ensembles 
décoratifs. Ce procédé est une transformation et, pour ainsi 
dire, une sorte de tradition de celui qui avait été employé 
dans la décoration des verres chrétiens, ou fonds de coupes 
à sujets dorés, trouvés en si grand nombre dans les cata- 
combes, et que nous avons signalés à la fin du précédent 
chapitre. Mais alors que dans ces derniers la feuille d’or, 
découpée et gravée au trait par enlevage à la pointe, est 
enfermée entre deux verres soudés ensemble par la cuisson ?, 


1 Cf. Azex. NEsBirT, Glass, p. 69. 
? Ainsi que nous le verrons plus loin, ce procédé fut employé plus tard en 
Bohême pour les verres dits verres doublés. 


72 LA VERRERIE 


dans ceux dont nous parlons actuellement la feuille d’or, 
simplement fixée sous une plaque de verre au moyen d’une 
somme quelconque, y est maintenue, lorsque le travail du 
découpage et de la gravure est terminé, par un vernis 
végétal coloré en brun ou en noir, qui fait ressortir, en les 





Fig. 24. — Petit tableau en verre doré gravé; fabrication italienne du xive siècle. 


(Coll. de M. Spitzer.) 


remplissant, les traits gravés, détache le sujet en silhouette 
d’or sur un fond noir, et préserve la feuille d’or contre les 
influences extérieures. 

. La collection de M. Spitzer renferme quatre de ces verres 
extrêmement importants au point de vue de l'histoire de 
l'art, et qui mériteraient une étude spéciale que ne compor- 
tent pas les limites de ce travail‘. Les différences de style et 


d'exécution que l’on remarque dans ces quatre verres, dont 


! Nous les avons décrits dans la Gazette des beaux-arts [t. XXIX, p. 306. 
Avril 1884). 


- LA VERRERIE AU MOYEN AGE Te 


le premier, de forme circulaire bombée au centre et rappe- 
lant les coupes des cimetières chrétiens, remonte au xe ou 
au xIe siècle, et dont le dernier est de la fin du xive, prou- 
vent que cet art si intéressant avait été pratiqué pendant 
toute la période du moyen âge. Malheureusement les œuvres 
qu'il à inspirées étaient d’une fragilité telle, qu'il n’en reste 
plus guère aujourd’hui, outre les verres que nous venons de 
mentionner, que quelques rarissimes exemplaires dans les 
collections et les musées d'Italie. 


Venise et l'Italie n'avaient pas seules, au moyen âge, le 
monopole de la fabrication du verre. Il existe de nombreux 
documents historiques qui prouvent que la plupart des 
autres pays de l’Europe, notamment la France, l’Alle- 
magne , l'Angleterre et l'Espagne possédaient également 
des verreries importantes et nombreuses; mais là encore 
les monuments nous manquent en partie, et nous devons 
nous contenter de ces témoignages écrits, que nous rap- 
porterons à leur place en étudiant l’art de la verrerie dans 
chacune de ces contrées. 









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LA VERRERIE EN EUROPE DU XVe AU XIX° SIÈCLE 


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VENISE 


L. Histoire. — La protection accordée aux verriers de 
Murano par le gouvernement de la république, afin de 
favoriser par tous les moyens possibles létablissement de 
leur industrie, s’accentua davantage à mesure que se déve- 
loppait de plus en plus cette industrie, qui jouit bientôt 
d’une considération égale à celle des arts regardés Jjus- 
qu'alors comme étant d’un ordre plus élevé. Au xve siècle, 
un décret du sénat attribuant aux verriers de nombreux et 
importants privilèges se termine par ces mots : UE ars {am 
nobilis semper stet et permaneat in loco Muriani; bientôt 
même on leur accorda des droits semblables à ceux des 
citoyens de Venise, ce qui les rendait admissibles aux plus 
hauts emplois de l’État. Plus tard, un code spécial, connu 
sous le nom de sfatuto di Murano, et confirmé par le sénat 
en 1502, renfermait une législation civile, criminelle et 


76 LA VERRERIE 


administrative, spéciale à l'ile, dans les affaires de laquelle 
la police ne pouvait s’immiscer en aucune façon, et où la 
justice était rendue par des magistrats élus par leurs con- 
citoyens, et qui seuls avaient le droit de procéder, dans 
toute l'étendue de son territoire, à l'arrestation des indi- 
vidus accusés de crimes ou de délits; en outre, un délégué 
spécial, nommé également à lélection, était chargé de 
traiter auprès du gouvernement de toutes les affaires qui 
intéressaient le commerce et l’industrie de la cité ainsi 
privilégiée. 

Les maitres verriers n'étaient plus considérés comme des 
artisans, mais comme de véritables artistes, et non seule- 
ment les nobles patriciens de Venise pouvaient épouser 
leurs filles sans déroger, mais même les enfants qui nais- 
saient de ces unions conservaient intacts tous leurs titres 
et tous leurs quartiers de noblesse. Bien plus, lorsque 
Henri IIT, fuyant la Pologne, passa par Venise en 1573, 1l 
fut tellement émerveillé de la beauté des produits dont on 
lui fit présent, qu'il accorda la noblesse à tous les princi- 
paux maitres verriers de Murano, et la commune avant 


alors décidé qu'on établirait un livre d’or, — semblable au 
Libro d’oro nobiliaire, — à leffet d'y inscrire les familles 


de verriers originaires de Murano‘, le sénat confirma cet 
arrêté en 1602. 

Mais si la république comblait ainsi de faveurs ceux qui 
obéissaient à ses prescriptions, elle se montrait de plus en 
plus sévère pour les ouvriers qui trahissaient les secrets 
d’une industrie dont elle était fière à juste titre; sous 
ce rapport, les règlements étaient aussi durs que précis. 
M. Armand Baschet s'exprime ainsi à ce sujet dans son 


ouvrage les Archives de Venise (p. 650): « Les verriers de 


! Ce livre existe encore à la chancellerie de Murano. 


PANIER RAR TEMDIUMENEEATEX IX STECIUE MM 


Murano, ces fabricants et inventeurs admirables dans l’art 
de faire le verre, de produire les miroirs et de les travailler, 
étaient l’objet constant des attentions et de la vigilance du 
gouvernement. La fuite d’un ouvrier de Murano en pays 
étranger équivalait à un attentat à la sûreté de l’État. Il était 
poursuivi, jugé et considéré comme traître à la patrie. Le 
ressentiment public le suivait où 1l était, et plus il était im- 
sénieux et illustre en son art, plus on l’estimait redoutable. 
Sa vie au dehors était en perpétuel danger. Les inquisiteurs 
d'État, en effet, étaient des juges. Rien de plus rare, du 
reste, jusqu’à la seconde moitié du xvue siècle, que Pémi- 
oration d’un maitre verrier de Murano‘. » L'article 26 des 
Statuts de l'inquisition d’État disait : « Si quelque ouvrier 
ou artiste transporte son art en pays étranger, et s'il n’obéit 
pas à l’ordre de revenir, on mettra en prison les personnes 
qui lui appartiennent de plus près, et si, malgré Pemprison- 
nement de ses parents, il s’obstine à vouloir demeurer en 
pays étranger, on chargera quelque émissaire de le tuer, et, 
après sa mort, ses parents seront mis en liberté *. » M. Daru, 
qui cite cet article dans son Histoire de la république de 
Venise, ajoute que, dans un document déposé aux Archives 
étrangères, on trouve deux exemples de l'application de ce 
décret à des ouvriers que l’empereur Léopold avait attirés 
en Allemagne. 


Ces mesures de rigueur s’exerçaient également contre 


1 Cependant M. l'abbé V. Zanerm dit : « Nous étonnerions nos lecteurs si 
nous voulions énumérer tous les Muranais qui s'enfuirent, attirés par les pro- 
messes et l'or de l'étranger, ou pressés par la manie de changer de ciel et de 
fortune, autant que par nécessité, parce qu'ils manquaient de moyens de 
subsister. » (Guida di Murano, etc., p. 212.) — Il s’agit là probablement 
des simples ouvriers verriers d'un rang inférieur. 

2 Cet article s’appliquait non seulement aux ouvriers verriers, mais aussi 
à ceux qui fabriquaient ces merveilleuses dentelles-connues sous le nom de 
point de Venise, et dont, au xvue siècle, l'importation pour la France seule 
s'élevait à la somme de 4 à 500,000 écus. 


78 LA VERRERIE 


ceux qui tentaient d’embaucher, pour le compte de fabriques 
étrangères, les verriers de Murano. Un certain Pasquetti, 
de Brescia, qui avait établi à Anvers « une fournaise pour 
y fabriquer les verres à boire à la façon de Venise », en 
donne la preuve dans la requête qu'il adressait aux autorités 
d'Anvers, le 4 juin 41565. IT dit qu’ « il doibt aschapter les 
maistres et officiers à faire ledict art et science, parce que 
la Ilustrissime Seigneurie de Venize en faict si grande esti- 
mation, et plus à présent que pour le passé, veu que avant 
le dict remonstrant donné commission et faict la provision 
à Venize pour faire venir ung aultre vaillant maistre, lequel, 
par ses propres lettres, luy avoit prié et promis de luy venir 
servir en tel art, et estant pour partir, fust découvert et son 
commis qui le debvoit accompagner 1icy, fust dénunché ou 
accusé aux Seigneurs Chiefs et Juges de Dix au dict Venize, 
à la requeste des patrons des fornaises à Muran, tellement 
que les dicts Seigneurs Chiefs fisrent commander au dict, 
son commis, de comparoir par-devant leur tribunal, auquel 
non-obstant qu'ilz ne le povoint convincre, ilz défendirent 
soubz paine de la hart que pour l’advenir il ne se debvoit 
empescher ne parler, ne conduire hors de Venize telz 
maistres... ». 

Un décret rendu le 15 octobre 1589, au nom du doge 
Pascal Cicogna, par le podestat de Murano, Jean Medio, 
condamne à quatre ans de galères Antonio Obizzo, Vénitien, 
qui, au mépris des engagements qu'il avait pris vis-à-vis de 
Donato Brisighella, directeur de la verrerie à l’enseigne des 
Trois-Couronnes, s'était rendu à Anvers, où l'avait attiré 
Ambrosio Mongarda, successeur de Pasquetti. Il était en 
outre stipulé, en faveur de qui le livrerait, un droit de 
capture de 100 livres à prendre sur les biens du con- 
damné, ou, en cas d'insuffisance, sur la caisse publique, 


auquel cas le condamné, pour s'en rédimer, devait fournir 


PAVERRERIE DULXMS AU. XIXC SIÈCLE “10 


jusqu’à solution complète un complément de service sur 
lesdites galères . 

Plus tard, en 1664, l'ambassadeur de Louis XIV près la 
république de Venise répondait à Colbert, qui l'avait chargé 
d’embaucher secrètement des ouvriers miroitiers pour la 
France, que, s’il cherchait à exécuter ses instructions, «il 
courroit risque d’estre jetté dans la mer *. » 

Cette extrême sévérité était, jusqu’à un certain point, 
excusable, si l’on songe aux profits considérables que Pex- 
portation des verreries vénitiennes a, pendant deux siècles, 
rapportés à la république, grâce à l’immense réputation 
dont elles jouissaient alors. Les voyageurs et les écrivains 
du temps en parlent avec des éloges qui peuvent nous sem- 
bler excessifs aujourd’hui, mais qui étaient justifiés à cette 
époque, où on ne connaissait, dans les autres pays de PEu- 
rope, que des verres lourds et grossiers. Zanetti dit que, 
dans la seconde moitié du xve siècle, les verriers muranais 
étaient arrivés à un tel degré de perfection, que « le monde 
en était étonné (da far istupere il mondo*) », et Cocceius 
Sabellicus, bibliothécaire de Saint-Marc en 1484, raconte 
comment à Murano « on transforme le verre de mille cou- 
leurs en formes innombrables, pour en faire des calices, 
des candélabres, des carafes, des coupes, des buires, toutes 
sortes de figures d'animaux, de bijoux de femmes, de col- 


1 Documents publiés par M. Scauermans dans le Bulletin des commissions 
royales , 22° année, p. 368. Bruxelles, 1883. 

2 « On n'y recoit aucun estranger pour travailler. Ils sont tous de Moran, 
et s'ils alloient travailler ailleurs tous leurs biens sont confisquez, et non 
seulement ils sont bannis de l'Estat de la république, mais mesme toute leur 
famille encourt la même peine; de sorte que qui leur proposeroit d'aller en 
France courroit risque d’estre jetté dans la mer. » (Lettre à Colbert, publiée 
par M. Depping dans la Correspondance administrative sous le règne de 
Louis XIV, t. INT, p. 693. 

8 Zaxerri, Dell Origine di alceuni arti. Venezia, 1758, p. 81. 


BU LA VERRERIE 


liers, de vases merveilleux, et toutes les espèces de fleurs 
qui, au printemps, fleurissent dans les prairies », et il ajoute 
« qu'il n’est pas de pierre précieuse qui ne puisse être imitée 
par l’art du verrier! ». Les témoignages des étrangers ne 
sont pas moins élogieux. « Le 1% janvier (148%), dit Félix 
‘aber, d'Ulm, j'ai été à Murano avec les marchands, et je 
suis revenu à Venise en barque avec les verres qu'on y 
avait achetés. Vraiment on ne voit nulle part au monde 
des verreries aussi précieuses que celles qui se fabriquent 
là chaque jour, et il n'existe pas ailleurs d'artistes capables 
de faire, avec une matière aussi fragile, des vases d’une élé- 
sance telle, qu'ils Pemportent sur les vases d’or et d'argent, 
et même sur ceux qui sont ornés de pierres précieuses. S'ils 
étaient aussi solides que ceux de métal, ils auraient une va- 
leur bien plus grande que celle de l’or; mais leur fragilité, 
maloré leurs formes élégantes et leur aspect charmant, les 
rend vils et sans valeur. Cest ce que fit bien voir empereur 
Frédéric ITT, lors de son voyage à Venise il y a quelques 
années (1468). Le doge et le sénat lui ayant porté pour son 
plaisir certain vase de verre admirable, l'Empereur, après 
l'avoir considéré un moment et avoir loué lexcellence de 
l'artiste qui l'avait exécuté, laissa tomber de ses mains, 
comme par mégarde (mais il le faisait à dessein), le vase, 
qui se brisa en mille morceaux sur le pavé. « Hélas ! qu'est- 
«il arrivé? s’écria l'Empereur désespéré en ramassant les 
«_ inutiles débris de ce chef-d'œuvre. Voilà, dit-il en les leur 
« montrant, en quoi les vases d’or et d'argent surpassent 
« les vases de verre : les morceaux en sont bons. » Les 
Vénitiens comprirent bien la plaisanterie de PEmpereur et 
ce qu'il voulait : ils ne lui présentèrent plus à boire, par la 


suite, que dans des vases d’or, qu'il prit et qu'il ne laissa 


{ Coccr SaBeLLICr, De Fenetæ urbis situ, lib. I. 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÈCLE 81 


jamais tomber à terre'. » Un autre voyageur, le Milanais 
Pietro Cazola, s’embarquant à Venise en 1494 pour aller 
également visiter la Terre-Sainte, constate, lui aussi, la su- 
périorité et la fragilité des verres de Murano, où il vit fabri- 
quer devant lui un calice de verre dont on lui demanda dix 
ducats. « Il était, dit-il, noblement et habilement travaillé; 
cependant je n’osai m ne voulus le toucher, craignant qu’il 
ne se cassât dans ma main. » 





Fig. 25. — Verre en forme d’éléphant. Venise, xvie siècle. 


(Musée de Cluny.) 


Au siècle suivant, René Françoys parle avec sa verve et 
son esprit habituels de lPextrême habileté des verriers de 
Murano, et vante l'adresse avec laquelle ils savaient varier 
les formes qu'ils donnaient à leurs produits. « Qui est allé 
chercher dans le sein du sable et du gravier cette liqueur 
si esclatante et ce beau thrésor de glace qui fait que dans 
l’eau gelée on boit le vin qui rit, se voyant enfermé dans le 
sein miraculeux de son ennemie mortelle, l’eau, façonnée en 
coupes et en cent mille figures? Mouran* de Venise a beau 
temps d’amuser ainsi la soif, et, remplissant l’Europe de 
mille et mille galanteries de verre et de cristal, faire boire 


! Fr. Feuicis Fapri evagalorium in Terræ Sanclæ, Arabiæ et Ægypti 
peregrinalionem. (Édit. C. D. Hassier; 3 vol. in-80. Stuttgard; 1843-1849.) 
? Murano. 


82 LA VERRERIE 


les gens en dépit qu'on en ait : et qui s’en pourroit tenir, 
voyant que la glace même est devenue allumette de vin ? 
On boit un navire de vin, une gondole, un boulevard en- 
tier. On avale une pyramide d’hypocras, un clocher, un ton- 
neau., On boit un oiseau, une baleine, un lion, toute sorte de 
bestes potables et non potables. Le vin se voit tout estonné, 
prenant tant de figures, voire tant de couleurs, car ès verres 
jaunes le vin clairet s'y fait tout d’or, et le blanc se teint en 


escarlatte dans un verre rouge; fait-il pas beau voir boire 





Fig. 26. — Verre en forme de souris. Venise, xvie siècle, 


(Musée de Cluny.) 


un grand trait d’escarlatte, d'or, de laict, d'encre, de ciel et 
d'azur ! ? » 

À la même époque, Vannuccio Beringuccio, noble sien- 
nois, chantait également la beauté des verres de Venise dans 
sa Pyrotechnie, traduite en françai$ par Jacques Vincent en 
1556. « Chose certainement, divinement belle, et qui ne mé- 
rite aucunement d’être ensevelie ne mise sous silence, tant 
à cause de la considération que l’art a sceu trouver indus- 
trieusement, que pour la beauté qui luy fait compagnie, 
rendant contentements fort grans au cœur des hommes, 
lorsqu'ils viennent à boire dedans les vases qu’en sont for- 
més... Et si par fortune, avec l’aide de l'esprit, on pouvoit 


trouver le moven qu'il ne fust fragile et sujet à rompre, 1l 


l Essay des merveilles de nature et des plus nobles artifices, par RENÉ 
Francoys, prédicaleur du Roy. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 83 


excéderoit en beauté tout autre métal. Car en sa qualité il 
est pur, incorruptüble' et sans rouillure. Joint aussi qu’il 
ne rend odeur ou saveur mauvaise, si qu’en cest art la na- 
ture est surmontée. Et encores qu’elle ait produit le cristal 
et les autres pierres excédans en beauté le voirre, si est-ce 
qu’elle n’a pu encores trouver le moyen d’en faire ce qu’on 
fait du voirre... Certainement c’est une belle et utile inven- 
tion entre toutes les autres, encores que la dépense y soit 
excessive, vous asseurant d'en avoir veu d'ouvrages si bien 
faits et les termes requis tant bien observez, qu'un artisan 
eust eu plus grande peine à le former de cire, et si n’en 
feust sorti en si peu de temps... Je suis content pour à ceste 
heure de tomber sur les modernes qui fabriquent le voirre, 
et lui donnent couleur outre l’ornement des peinctures et 
embellissements d’esmail, tellement le rendant clair et lui- 
sant, qu'on le peut esgaler au propre et naturel cristal. Si que 
j'estime tous les métaux devoir quitter la place de beauté à luy. 
Je leur ai veu jeter en couleur de perle et taindre en vert et 
azur si proprement, et donnant autant de contentement à 
l'œil, qu’eussent pu faire les ouvrages posés sur l'or, argent 
ou cuivre. Et d’'advantage les maistres ouvriers accoustrent 
si bien le voirre, qu'ils en contrefont l’émeraude, diamant, 
rubis et toutes autres pierres fines, leur faisant prendre la 
couleur qui leur est plus agréable. Et en ay veu de tant bien 
contrefaites, que les expérimentez lapidaires n’ont sceu avoir 
la cognoissance qu’elles fussent fausses, encores qu'ils les 
eussent au devant de leurs yeux. Tellement qu’à bien consi 
dérer les effets d’iceluy on le doit avoir en admiration ?. » 


! Au xv° siècle et au commencement du xvi*, on croyait que le verre de 
Venise, de même que la porcelaine de Chine, se brisait quand on y versait 
du poison. 

? La Pyrotechnie du seigneur Vannuccio BeriNcuccio, traduction de 


maistre JAcQuES ViNcENT, 155. 


34 LA VERRERIE 

Venise conserva jusqu'à la fin du xvie siècle la supré- 
matie incontestée qu'elle s'était acquise dans ce bel art de 
la verrerie, qui était une de ses gloires nationales; mais, à 
cette époque, la mode fit abandonner les verres élégants et 
fragiles, de formes si légères et si capricieusement origi- 
nales, qui avaient été en faveur jusqu'alors, pour les ver- 
reries plus pures et peut-être plus solides, mais plus lourdes 
d'aspect et plus raides, que produisait la Bohème, et pour 
la cristallerie taillée à facettes, que commencçaient à fabri- 
quer avec succès la France et Angleterre. Bientôt la chute 
de la république de Venise, et par suite l'abandon des rè- 
glements qui régissaient la corporation des verriers et l’abo- 
lition des privilèges qui leur avaient été concédés, portèrent 
le dernier coup à lindustrieuse petite cité de Murano. Des 
trois cents fabriques qui existaient à la fin du xvie siècle. 
il n’en restait plus que douze au plus dans lesquelles on 
continua à fabriquer du verre; mais ce ne fut plus que 
de la gobeletterie commune, et qui ne rappelait en rien 
les anciens produits qui lavaient rendue si florissante 
autrefois. 

Aujourd'hui, grâce à l'initiative de quelques fabricants 
intelligents, nous assistons à une sorte de renaissance de 
la verrerie vénitienne; mais, il faut bien en convenir, les 
œuvres nouvelles, malgré leur perfection, — et peut-être 
même à cause de leur trop grande perfection, — sont loin 
de posséder le charme et l'aspect d'élégance artistique qui 
distinguent celles du xvie siècle, dont elles ne sont, du 


reste, que des copies ou des imitations. 


IT. FABRICATION ET DÉCORATION DES VERRERIES VÉNI- 
TIENNES. — Les habiles artisans de Murano ont su apporter 
une variété tellement grande dans la fabrication et la déco- 


ration des verreries qui sont sorties de leurs fours pendant 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 89 


les deux siècles qu'a duré la fabrication, qu’il est impos- 
sible de déterminer d’une façon générale les caractères de 
ces verreries, de même qu'il est extrêmement difficile de les 
classer d’une façon rigoureuse. M. Labarte l’a tenté cepen- 
dant, dans sa savante Histoire des arts industriels, au moyen 
âge et à la Renaissance ; mais la classification qu’il a adoptée 
n’est pas tout à fait d'accord avec ce que l’on pourrait 
appeler la chronologie de la fabrication. C'est ainsi qu'il met 
en première ligne les vases fabriqués avec le verre blanc, 
et en troisième seulement les vases émaillés et dorés, alors 
que les plus anciennes verreries vénitiennes connues, celles 
qui datent du milieu ou de la dernière moitié du xve siècle, 
sont toutes décorées d’émaux et de dorure. Cest donc par 
elles qu'il nous paraît plus logique de commencer cette 


étude. 


VERRES ÉMAILLÉS ET DORÉS. — Il est hors de doute, ainsi 
que nous l'avons dit plus haut, que c’est par l’Orient et par 
Constantinople que Part de la verrerie est arrivé à Venise, 
et il est probable qu’il n’a pris son véritable essor qu’à partir 
de 1453, au moment de la chute de ce qui restait encore 
du vieil empire romain et de la prise de Constantinople par 
les Turcs, alors que les habiles artisans de la ville conquise, 
forcés d’émigrer, allèrent porter leur industrie dans des 
contrées plus hospitalières, et particulièrement à Venise, 
où le gouvernement de la république chercha à les attirer 
par tous les moyens possibles. 

Tout, dans les verreries fabriquées à Murano à cette 
époque, rappelle l'influence orientale : influence qui s'était 
fait sentir, du reste, depuis longtemps déjà d’une façon 
générale dans tous les arts cultivés en Italie, aussi bien 
chez les peintres que chez les fameux azziministes de 
Venise, de Milan ou de Brescia, ces merveilleux damas- 


86 LA VERRERIE 


quineurs qui pouvaient rivaliser avec ceux de Damas ou 
de Badgad!. | | 
Dans les plus anciens verres décorés à limitation des ver- 
reries arabes, le décor est formé le plus souvent d’imbrica- 
tions d’or dessinées de traits noirs et pointillées d’émail blanc 
en relief. Dans les verres d’une exécution soignée, les im- 
brications sont tracées au moyen de traits enlevés sur l'or 
même; on fabriquait ainsi des coupes et surtout de grands 
hanaps à couvercle, très élégants de forme, en verre coloré 
en bleu ou en vert * dans la masse et entièrement frotté d’or. 
Quelquefois ces sortes d’imbrications caractéristiques, très 
usitées par les décorateurs italiens à cette époque et que 
l’on retrouve souvent sur les faïences, surtout sur celles de 
Pesaro et de Caffagiolo, étaient exécutées en émail, mais 
dans ce cas elles ne couvraient pas entièrement le verre et 
formaient simplement une frise décorative au-dessus d’un 
frottis d’or généralement dégradé, ou d’une ornementation 


l« Ils se sont approprié si bien le style de leurs maîtres, dit M. Claudius 
PoPeun (Les Vieux Arts du feu, p. 49), qu'on ne saurait souvent discerner 
les œuvres des azziminisles ilaliens de celles des artistes musulmans, n'était 
l'orthographe vicieuse des légendes, qui trahit parfois la contrefaçon. Ces belles 
inscriptions, qui forment l'ornement principal des produits arabes, plurent 
tellement aux Italiens, qu'ils les copièrent sans les comprendre, pour le seul 
bénéfice de l'effet plastique. Les peintres les inscrivaient dans les nimbes de 
leurs saints et dans les bordures de leurs draperies. Giotto, Masaccio, Man- 
tegna , etc., Perugin lui-même, et jusqu'à Raphaël, à son aurore, payent tribut 
à cet amour de l’ornementation des Arabes. À Milan, à Rimini, à Rome, sur 
la porte de Saint-Pierre, des lettres orientales décorent le marbre et le bronze. 
Donatello en sculpta sur la bordure du manteau de son saint Martin. 

« On ne saurait done nier qu'un grand courant oriental ait déterminé la 
direction de Part italien pendant le moyen âge et se soit fait sentir encore au 
seuil de Ia Renaissance. Il envahit l'Italie, surtout par Venise, qui, avant, 
pendant el après les croisades, ne cessa d'être en contact immédiat avec les 
nations du Levant. » 

? Certains verres colorés ainsi dans la masse en bleu sombre, en violet 
pourpre ou en vert imitant l’émeraude, sont d’une pureté et d'une intensité 
de coloration admirable et qui n’a jamais été égalée. 















vail de Limoges, x siècle) 








Collection de M. Spitze.. 
* ” 2 











3 


> AR 


PETIC EEEEFEEEIMICEEETEEET 





Imp Lemercier &C® Paris 





PANMERRERIE DUMXV AU XIX SIÈCLE sh 


d’entrelacs polychromes où l'influence orientale est encore 
sensible (fig. 27). 

Bientôt les artisans de Murano surent si bien s'approprier 
les procédés et les traditions des émailleurs grecs et arabes, 
qu'ils purent à leur tour fournir de verreries le monde 





Fig. 27. — Verre émaillé et /rotté d’or. Venise, xve siècle. 


(Coll. de M. Spitzer.) 


musulman. En compulsant, aux archives du Frari, les 
dépêches d’un ambassadeur de la république auprès du 
sultan, M. Ch. Yriarte a trouvé, plié en quatre et annexé à 
l’une d'elles, un large parchemin sur lequel le grand vizir du 
sultan avait fait dessiner une lampe en verre de la forme des 
lampes de mosquée que nous avons mentionnées plus haut, 
et qui étaient décorées d’entrelacs et de versets du Coran 
en émaux de diverses couleurs. Dans cette dépêche, envoyée 
au doge, suivant l'usage, mais qui s’adressait au sénat tout 
entier, l'ambassadeur annonce qu'il a reçu du grand vizir la 


88 LA VERRERIE 


commission de faire exécuter et de lui envoyer quatre cents 
lampes destinées à lornementation des mosquées, et il 
ajoute que, pour se faire bien venir du grand vizir, il lui 
semble à propos de ne pas réclamer le prix de ces lampes, 
promettant-de tirer en échange une compensation politique 
agréable et utile à la république". 

À cette époque, d’après M. Vincenzo Lazari*, le plus 
célèbre verrier de Murano était Angelo Beroviero, véritable 
artiste, qui fabriquait à la fois des vases et peignait des 
verrières; élève d’un certain Paolo Godi de Pergola, cité 
comme un des plus savants chimistes du temps, il avait 
appris de son maitre le secret de donner au verre les cou- 
leurs les plus variées, et il écrivait toutes ses formules 
dans des mémoires qu'il destinait à son fils. Et à ce sujet 
M. V. Lazari raconte une histoire qui rappelle celles de 
Giovanni Bellini, d’Antonio de Messine et plus tard du 
potier anglais Asbury. Un ouvrier, nommé Giorgio, et qu'on 
appelait à Ballerino, probablement par moquerie, car il 
était bossu et contrefait de toute sa personne, entra au 
service de Beroviero, parvint à s'emparer furtivement du 
manuscrit et à le copier entièrement. Maître désormais des 
secrets du verrier, il lui demanda et obtint la main de sa 
fille Marietta, dont il était éperdument épris, construisit un 
four et devint le chef de la famille des Ballarini, dont on 
trouve le nom sur le livre nobiliaire dont nous avons parlé 
plus haut. 

Avec Beroviero l’art de l’émailleur fit de rapides progrès, 
ct bientôt on réussit à décorer de sujets, de figures, de 
scènes allégoriques, de rinceaux et d’enroulements variés 
exécutés en émaux polychromes, des verreries qui peuvent 
être mises au rang des plus belles productions de Part ndus- 


! Cf. Cu. YRIARTE, Venise. 
? Vincenzo LAzaArI, Votisia delle opere della raccolta Correr. Venezia, 1859. 


AVE BRIE ODA UNIX SIECLE 89 


triel de la renaissance italienne. Cétaient principalement 
des coupes, des hanaps ou des aiguières destinés à être 
offerts en cadeaux à l’occasion d’une fête, d’un mariage ou 




















Fig. 28. — Hanap en verre vert émaillé et doré. Venise, fin du xve siècle. 


(British Museum.) 


de la naissance d’un enfant. Une des pièces les plus remar- 
quables en ce genre est certainement le grand hanap de 
fiançailles en verre vert que représente notre gravure 
(fig. 28); il est décoré en émaux de couleur de deux mé- 
daillons soutenus par des amours et reliés par des” guir- 


90 LA VERRERIE 


landes de feuillages ; lun de ces médaillons porte un buste de 
femme et l’autre un portrait d'homme avec la devise : Amor 
VOL FEE — pour Asnor vuol fede — (Amour veut fidélité): 
une bordure d’émaux en relief complète la décoration de ce 
vase, dont le pied est frolté d’or'. Nous citerons également 
comme une des belles œuvres de cette époque l’aiguière de 
forme surbaissée ou buire à anse (pl. 4) qui appartient à 
M. Spitzer; sur la panse, des rinceaux d’un grand style 
embrassent un médaillon où se trouve représenté un jeune 
homme monté sur une sorte de cheval marin et portant sur 
l'épaule une longue trompette (?), à l'extrémité de laquelle 
on lit les lettres $. P.Q.R.; le col est enrichi d’une frise 
d’imbrications émaillées et dorées. 

La fabrication de ces beaux verres, très rares aujourd’hui, 
décorés avec la grâce naïve qui caractérise l’art du xve siècle, 
et dont on ne trouve de spécimens que dans quelques mu- 
sées et dans les grandes collections, semble avoir cessé 
vers le commencement du xvie siècle; pendant quelque 
temps encore on décora d’armoiries en émaux polyvchromes 
des coupes, des plateaux et des hanaps; mais ce genre 
même ne semble pas avoir subsisté, au moins à Venise, au 
delà de 1530. 

Verres blancs. — Cest également à Beroviero et à son fils 
Marino, aussi habile que lui, que serait due la découverte, en 
1465, du verre blanc incolore et transparent, que les auteurs 
du temps désignent improprement sous le nom de cristal, 
afin de le distinguer du verre à teinte verdâtre et du verre 
coloré dans la pâte qui étaient seuls fabriqués jusqu'alors, 
et c’est seulement à partir du moment où la composition de 
ce beau verre blanc fut connue que la fabrication de Murano 
prit une importance sérieuse. Cest surtout de 1500 à 1550 


! Après avoir fait partie de la collection Debruge-Duménil, et ensuite de celle 
du prince Soltikoff, ce beau verre est aujourd’hui au British Museum. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 91 


que cette industrie, placée dès 1490 par le sénat sous la 
vigilance jalouse et attentive du Conseil des Dix, arriva à 
son entier épanouissement, 


| | 1 


| 
| 


| 


























Fig. 29. — Verre à ornements travaillés à la pincetle. Venise, xvie siècle. 


(Coll. de M. Ch. Manheïim.) 


Cest de cette époque que datent les plus beaux et les 
plus étonnants produits de l’industrie muranienne, ceux 
qui montrent dans leurs formes si élégantes, si variées, et 
parfois si bizarres, l'inspiration individuelle de chaque 
artiste, qui cherchait avant tout à rester original. Même 


92 LA VERRERIE 


dans les collections les plus nombreuses, il est difficile de 
rencontrer deux verres qui se ressemblent; on croirait en 
les voyant que les verriers qui les ont produits ont procédé 
sans parti arrêté à lPavance, presque sans savoir ce qu'ils 
comptaient faire, obéissant à un caprice passager ou voyant 
parfois, dans les formes que prenaient les baguettes de verre 
en se repliant, des combinaisons qui leur faisaient trouver, 
en les additionnant d’appendices en relief, appliqués en 
crêtes ondulées, moulés à la pincelte' (fig. 29) ou collés 
en pastilles, des oiseaux fantastiques, des dragons ou des 
monstres aux corps enroulés, formant au-dessus du pied 
évasé une tige d’une hauteur souvent excessive ou d’une 
importance peu en rapport avec la capacité du récipient 
qu'elle supporte. 

Le verre de Murano, composé de sable de lAdriatique, 
de soude et de potasse mêlés ensemble dans des propor- 
tions bien déterminées, était d’une incroyable légèreté; il 
pouvait s'étendre en couches tellement limpides, qu'on en 
fabriquait des coupes si minces qu'il semble qu'un souffle 
doive les anéantir, et que l’on se demande comment celles 
que nous admirons aujourd'hui ont pu parvenir jusqu’à 
nous. Il se refroidissait lentement et possédait, plus que 
tout autre, une plasticité extraordinaire qui permettait les 
travaux les plus compliqués et les plus délicats. « On vit 
avec stupéfaction, dit M. Claudius Popelin d'après un vieil 
auteur *, cette surprenante galère de verre, longue d’une 
brasse, armée de tous ses mâts et mâtereaux, bords et sa- 
bords, haubans à porter les mâts fermes en nef, hunes, têtes 


! Les pincelles des verriers sont lerminées par de pelits fers carrés de 


Om008 à 0010; pour le travail de la gobeletterie, les branches sont en bois: 
on s'en sert surtout pour gaufrer le verre quand il est encore à l'état mal 
léable. 

? Les Vieux Arts du feu, p. 48. 


PASVERRRIMDTONE AUX IX SIECLE 93 


demaures, turpots affutés et acclampés à la varengue, estraves 
et estambors; équibiens par où passent les amarres des 
ancres, gouvernail, virevaux et cabestans, château, tillacs, 
écoutilles, câbles, bancs et coursie entre les bancs des 




















EX GAS EAST 


POSE ETS 


Fig. 30. — Verre en forme de navire. Venise, xvie siècle. 


forcats par où va l’argousin, son nerf de bœuf en main. Ce 
chef-d'œuvre, de Francesco Balladino, semblait vouloir cin- 
oler en haute mer par le grand flot de Mars. » À défaut de 
de cette galère, longue d’une brasse, nos musées conservent 
encore quelques spécimens de ces petits vaisseaux en verre 
qui, au xvie siècle, étaient regardés comme des objets de 


orande valeur, puisque Fugger, ce grand et intelligent ban- 


94 LA VERRERIE 


quier d’Augsbourg, dont nous aurons occasion de parler plus 
loin, en possédait un dont il fit cadeau comme chose pré- 
cieuse au duc de Liebnitz quand ce dernier vint à Augsbourg. 
Hans de Schweinichen, compagnon de débauches du duc, 
rapporte ce fait dans ses Mémoires ', en ajoutant que lui, 
Hans, détruisit ce chef-d'œuvre de l’industrie vénitienne 
dans un accès de gaieté bachique un peu trop vive. 

Malgré la complication de leur forme, ces vaisseaux, ainsi 
que les verres les plus surchargés d’ornements et de détails, 
étaient fabriqués avec un outillage des plus simples. Outre 
la pincette, que nous avons mentionnée dans les lignes pré- 
cédentes, les ouvriers muranaisiens ne se servaient uni- 
quement que de la canne, du pontil et des ciseaux*. Il leur 
fallait, et c'était là surtout où ils faisaient preuve d’une 
habileté qui n’a pas été surpassée, maintenir leur verre 
assez chaud pour que lPaddition d'une nouvelle quantité 
de matière en fusion ne vint pas faire éclater la pièce, et 
assez froide cependant pour que la chaleur du four ne la 
déformât pas; c’est ce qui explique ce qu'il y a souvent d’im- 
prévu dans certains verres, puisque lartiste était forcé de 
modifier pendant le travail ce qu'il avait d’abord eu l'in- 
tention d'exécuter. 


! Hans DE SCHWEINICHEN, Lieben, Lunst, und Leben der Deutschen der 
Sechszeherten larhunderts (Amours, plaisirs, vie des Germains au xvi® siècle). 

? La canne, outil principal du verrier, est un tube creux, en fer, terminé 
par une partie légèrement évasée et dont la longueur varie, suivant le poids 
et la grosseur de la pièce à fabriquer, de 4% à 160 ou 2", À une petite dis- 
lance de son embouchure, qui est légèrement amincie et arrondie par le bout, 
est un manchon en bois qui permet à l’ouvrier de manier la canne sans se 
brûler. Ainsi que nous l'avons vu (fig. 1, p. 5), son usage remonte à la plus 
haute antiquité. 

Le pontil est une longue verge de fer plein qui sert à étirer le verre ou à 
le torsiner; on y colle la partie du verre non adhérente à la canne, et l’ouvrier 
qui le tient marche à reculons en sens inverse de celui qui a la canne. 

Les ciseaux servent à couper le verre quand il est malléable. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈULE 95 


Les verres de Murano sont donc exclusivement des verres 
soufflés ; on se servait quelquefois de matrices destinées à 
produire sur le pied (fig. 31) ou dans le corps même d’un 








a 


Fig. 31. — Verre à pied décoré de reliefs. Venise, xvie siècle. 


(Coll. de M. Ch. Manheim.) 


vase des ornements en reliefs réguliers, ou de petits appen- 
dices qui étaient appliqués après coup; mais cela ne consti- 
tuait pas ce que l’on appelle le procédé du moulage. 

Verres filigranés'.— On appelle verres filigranés les verres 


1 Bien que les ouvriers de Murano soient généralement considérés comme 
étant les premiers qui aient fabriqué des verres filigranés, il paraîtrait que 


06 LA VERRERIE 


ornés entièrement, où dans certaines parties seulement, de 
filets de verre blanc opaque, — désigné à Venise sous le 
nom de latlicinio (blanc de lait), — ou de verres de diverses 
couleurs, formant des combinaisons qui peuvent varier à 
infini. 

Les procédés employés pour la fabrication de ces verres 
étaient toujours restés enveloppés d’une sorte de mystère, 
et semblent même avoir été perdus où oubliés pendant au 
moins un siècle, jusqu'au moment où un Français, M. Bon- 
temps, directeur de la verrerie de Choisy-le-Roi, fit, vers 
1838, des recherches pratiques bientôt couronnées de suc- 
cès, et dont il a publié les résultats en 1845, sous le titre 
de : Exposé des moyens employés pour la fabrication des 
verres filigranés. Cette fabrication est si peu connue, et les 
verres qu'elle produit paraissent à première vue si éton- 
nants et si difficiles à obtenir, que nous croyons intéressant 
de donner, d’après le travail de M. Bontemps, quelques ren- 
seignements sur la façon, assez simple en réalité, dont 
étaient faites ces belles verreries. 

Les verres filigranés, qu'ils soient à simple filet ou à orne- 
mentation compliquée ettournée en spirales, sont formés par 
l'assemblage d’un certain nombre de petites baguettes! de 
forme cylindrique préparées à l’avance, disposées dans un 


ordre préalablement déterminé, et souvent alternées avec des 


les anciens connaissaient ce mode de fabrication, ce qui n'aurait rien d’éton- 
nant si l’on songe à l'extraordinaire habileté des verriers d'Alexandrie, supé- 
rieurs, suivant nous, aux verriers véniliens. Quoi qu'il en soit, voici ce 
qu'écrivait l'abbé Barthélemy au comte de Caylus, le 25 décembre 1756, à 
propos d'une fouille faite dans un tombeau romain : « Je suis principalement 
content d’une petite boule de couleur jaune pâle, avec des faisceaux d'émail 
blanc rangés intérieurement et perpendiculairement autour de la circonférence. » 

! Les verriers de Murano appelaient canne les baguettes qui renfermaient 
un seul fil droit, el canne rilorte celles qui, ayant reçu une torsion, avaient 
leurs fils en spirale, formant ainsi des dessins filigraniques aux combinaisons 


variées. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 97 


baguettes de verre incolore et transparent ; réunies ensemble 
par la chaleur et par le soufflage, elles sont ensuite facon- 
nées en vases de formes variées, comme toute autre pièce 
de verre ordinaire. Ces baguettes sont d’une fabrication fort 
simple, mais qu'il est nécessaire de faire connaître avant 
d'aller plus loin. 

Pour faire une baguette de verre coloré, l’ouvrier prend 
avec sa Canne une certaine quantité de ce verre dans le 
creuset, et le roule sur une plaque de fer ou de tôle nom- 
mée marbre, de façon à en former une masse cylindrique 
de 6 à 8 centimètres de longueur. Quand cette masse, qui 
reste adhérente à la canne, est assez refroidie pour offrir 
une certaine résistance, on la plonge dans un second creu- 
set, qui renferme le verre incolore destiné à faire au pre- 
mier une enveloppe transparente; on roule de nouveau cette 
matière sur le marbre, et on en forme une espèce de tron- 
con de colonne de 7 à 8 centimètres de diamètre. Ce tronçon 
ayant été réchauffé, on l’étire de manière à lui faire gagner 
en longueur ce qu'il perdra en circonférence ; pour arriver 
à ce résultat, un ouvrier colle un pontil à la partie du verre 
non adhérente à la canne, et, marchant toujours à reculons 
en sens inverse de l’ouvrier qui tient la canne, il arrive, 
grâce à l’extrême ductilité du verre, à obtenir un fil ou ba- 
guette mince qui peut avoir plus de 380 mètres de lon- 
gueur !, et dont le diamètre varie suivant qu’il a été plus ou 


1 Les lignes suivantes, que nous empruntons au Dictionnaire technologique 
des arts (t. XXII, p. 216), donnent une preuve de la ténuité extrême à la- 
quelle le verre peut arriver : « Quand on étire un tube de verre creux, le vide 
se conserve quelle que soit la finesse du fil. M. Deuchar a pris un morceau de 
tube de thermomètre dont le diamètre intérieur était très petit et l’a tiré en 
fils; la roue dont il s’est servi avait trois pieds de circonférence, et comme 
elle faisait cinq cents tours par minute, on obtenait trois mille mètres de fil 
par heure, en sorte que le fil était d’une finesse extrême et que son diamètre 
intérieur était à peine calculable. Le fil était creux, car, étant coupé par mor- 


di 


98 LA VERRERIE 


moins étiré, Ces baguettes sont alors brisées en plusieurs 
parties égales, de la grandeur de Fobjet à exécuter, et for- 
ment, par laplatissement qui à lieu pendant la fabrication, 
ces filets simples plus ou moins larges dont sont ornés un 
orand nombre de verres. 

La confection des filigranes torsinés, des canne ritorte, 
offre plus de difficultés; voici, d’après M. Bontemps, com- 
ment on les fabrique : « Pour obtenir des baguettes à fils 
en spirale rapprochés, qui, par leur aplatissement, pro- 
duisent des réseaux à mailles égales, on garnit l’intérieur 
d’un moule cylindrique, en métal ou en terre à creusets, de 
baguettes de verre coloré, à filet simple, alternées avec des 
baguettes en verre transparent; puis le verrier prend au 
bout de sa canne du verre transparent, dont il forme un 
cylindre massif qui puisse entrer dans le moule garni de ces 
petites baguettes, et chauffé préalablement un peu au-des- 
sous de la chaleur rouge. En chauffant ce cylindre forte- 
ment, il introduit dans le moule, où il le refoule de manière 
à presser les baguettes, qui adhèrent ainsi contre le verre 
transparent ; 1l enlève la canne en retenant le moule, et en- 
traine ainsi les baguettes avec le cylindre: il chauffe encore, 
et il marbre, pour rendre l’adhérence plus complète ; enfin, 
chauffant l'extrémité du cvlindre, 1l tranche d’abord cette 
extrémité avec les fers, la chauffe de nouveau, la saisit avec 
une pincette et la tire de longueur avec sa main droite, 
pendant que, de la main gauche, il fait tourner rapidement 
la canne sur les bardelles (bras) de son banc. Pendant que 
l'extrémité de la colonne s’allonge, les filets de verre coloré 
s’enroulent en spirale autour d'elle (fig. 32 a). Quand louvrier 
a amené à l'extrémité une baguette de la dimension voulue, 
ceaux d’un pouce et demi de longueur et placé sur le récipient d'une machine 


pneumatique, un bout en dedans, l'autre en dehors, il laissa passer le mercure 


en petits filets brillants lorsqu'on fit le vide, » 


PANIER ER IBM AIUMX IX STÉCLE 99 


environ 0m006 de diamètre, et que les filets sont suffisam- 
ment enroulés, il tranche avec la pincette, chauffe de nou- 
veau l’extrémité de la baguette, et, la saisissant et l’étirant 
pendant qu’il roule rapidement la canne, il procède ainsi 
à la production d’une nouvelle baguette, et ainsi de suite, 
jusqu’à ce que toute la colonne soit étirée. 

« Pour fabriquer des baguettes qui, par leur aplatisse- 


WAV: 


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Se 
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Fig. 32. — Baguettes à filigranes torsinés. 


ment, produisent des filets en quadrilles (fig. 32 b), on place 
dans le moule cylindrique, aux deux extrémités d’un seul 
diamètre, trois ou quatre baguettes de verre coloré à filet 
simple, alternées avec des baguettes en verre transparent: 
on garnit ensuite la capacité intérieure du moule de ba- 
guettes transparentes, afin de maintenir les baguettes à 
filets colorés dans leur position, et on opère comme pour 
les baguettes précédentes. 

« Pour obtenir des baguettes produisant, par leur apla- 
tissement, des grains de chapelets, on fait une paraison 


! La paraison est l'opération qui consiste à tourner et à retourner sur le 
marbre le verre pâteux et adhérent à la canne. Par extension on donne le nom 


de paraison à la masse de verre ainsi préparée. 


100 LA VERRERIE 


soufflée, dont on ouvre l'extrémité opposée à la canne, de 
manière à produire un petit cylindre ouvert; on Faplatit, 
afin de ne donner passage qu'à des baguettes, et on intro- 
duit dans ce fourreau cinq ou six baguettes à filets simples, 
colorées, alternées avec des baguettes de verre transparent: 
on chauffe, on ferme lextrémité opposée à la canne, puis 
l’ouvrier presse sur la paraison plate, pendant qu'un aide 





Fig. 33. — Baguette à filigranes en grains de chapelet. 


aspire l'air de la canne, de manière à le faire sortir de la 
paraison et à produire un massif plat dans lequel sont lo- 
gées les baguettes à filets. L’ouvrier rapporte successivement 
une petite masse de verre chaud transparent sur chacune 
des parties plates de sa paraison, et il marbre pour cylin- 
drer sa masse. Il obtient ainsi une petite colonne dans lin- 
térieur de laquelle sont rangés, sur un même diamètre, les 
filets colorés ; 1l procède ensuite comme pour les baguettes 
précédentes, en chauffant et étirant l’extrémité, pendant 
qu'il roule rapidement la canne sur les bardelles. Par ce 
mouvement de torsion, la ligne des filets se présente alter- 
nativement de face et de profil, et produit des grains de 
chapelet (fig. 33). 


« On conçoit que les baguettes de verre coloré placées au 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 101 


centre de la colonne étant, par le mouvement de torsion, 
croisées les unes sur les autres, semblent présenter comme 
_ un grain de chapelet formé de fils qui laissent entre eux un 
espace incolore ménagé par les baguettes de verre trans- 
parent, qui alternent dans la paraison avec les baguettes de 
verre coloré. 

« Il arrive souvent que l’on combine les grains de cha- 





Fiz. 31. — Baguette à filigrane torsiné avec filet au centre. 


pelet avec les quadrilles des baguettes précédentes en se 
servant, pour introduire dans le moule préparé pour les 
baguettes à quadrille, du cylindre préparé pour les grains 
de chapelet. ; 

« Quelquefois on ménage au centre d’une baguette un 
filet en zigzag (fig. 34). Pour cela on prépare un premier 
cylindre massif en verre transparent, de moitié du diamètre 
de celui que l’on veut étrer, et on fait adhérer, parallèlement 
à l’arête de ce cylindre, une petite colonne colorée; on re- 
couvre le tout d’une nouvelle couche de verre transparent, 
pour produire un cylindre de la dimension voulue pour en- 
trer dans le moule des baguettes à filets. La petite colonne 
colorée, n'étant pas au centre du cylindre, tournera en 
spirale autour de ce centre par le mouvement d’étirage et 
de torsion, et produira un zigzag par l’aplatissement. » 


102 LA VERRERIE 


Voici maintenant, toujours d’après les indications de 
M. Bontemps, publiées par M. Labarte, les moyens em- 
ployés pour fabriquer avec ces baguettes les verreries à 
dessins de couleur, soit en simple lattlicinio, soit en fili- 
grane : « Lorsque le verrier est en possession de baguettes 
de verre coloré, de baguettes à dessins filigraniques et de 


baguettes de verre transparent et incolore, 1l peut procéder 





Fig. 35. — Moule cylindrique avec baguettes en verre coloré 
et en verre transparent. 


comme il suit à la fabrication des vases. Il range circulai- 
rement contre la paroi intérieure d’un moule cylindrique de 
métal ou de terre à creusets, plus ou moins élevé (fig. 35), 
autant de baguettes qu'il lui en faut pour recouvrir exacte- 
ment cette paroi. Ces baguettes sont fixées au fond du moule 
au moyen d’une petite couche de terre molle qu'il y a pla- 
cée. Il peut les choisir de plusieurs couleurs ou de plusieurs 
modèles, présentant autant de combinaisons filigraniques 
différentes ; il peut les alterner ou les espacer par des ba- 
guettes de verre transparent et incolore. Les baguettes étant 
ainsi disposées, on fait chauffer le moule auprès du four de 
verrerie, non pas pour les ramollir, mais pour les rendre 


PAMVERR ER IENDUEEMUMNIXCSTECLE 103 


susceptibles d’être touchées par du verre chaud ; alors le 
verrier prend avec sa canne un peu de verre transparent et 
incolore, pour en souffler une petite paraison qu'il introduit 
dans l’espace vide formé par le cercle des baguettes qui 
couvrent la paroi du moule; il souffle de nouveau pour 





Fig. 36. — Verre de Venise à filets en Latlicinio et mascarons en relief. 


(British Museum.) 


presser cette paraison contre les baguettes et les y faire 
adhérer, et retire le tout du moule. L’aide-verrier applique 
à l'instant sur les baguettes colorées ou filigranées, qui sont 
ainsi venues former la surface extérieure de cette masse cy- 
lindrique, un cordon de verre à l’état pâteux, afin de les 
fixer davantage sur la paraison. La pièce étant ainsi disposée 
à l'extrémité de la canne à souffler, le verrier la porte à 
l’ouvreau du fourneau pour la ramollir, en faire adhérer 
toutes les parties, et lui donner une élasticité capable de la 
faire céder facilement à l’action du soufflage ; puis il la roule 


104 LA VERRERIE 


sur le marbre, et, lorsque les différentes baguettes réunies 
pour le soufflage et la fabrication sont arrivées au point de 
constituer elles-mêmes une paraison dont toutes les parties 
sont compactes et homogènes, 1l tranche avec une sorte de 
pince un peu au-dessus du fond, de manière à réunir les 
baguettes en un point central. La masse vitreuse ainsi obte- 
nue est alors traitée par le verrier par les procédés ordi- 
naires, et il en fabrique à son gré une aiguière, une coupe, 
un vase, un gobelet, où chaque baguette, soit colorée, soit 
à dessins filigraniques, vient former une bande. 

« Si le verrier n’a donné aucun mouvement de torsion à 
la paraison pendant la fabrication, les filets de verre coloré 
ou les dessins filigraniques restent en ligne droite, partant 
du bas du vase à la partie supérieure, ou du centre à la cir- 
conférence. Mais si, après avoir fait adhérer les baguettes, 
il a imprimé un mouvement de rotation à la canne, en re- 
tenant l'extrémité inférieure des baguettes avec les fers, il 
en est résulté une torsion imprimant aux différents filets co- 
lorés ou à dessins filigraniques qui sont entrés dans la com- 
position du vase, cette direction en spirale qu'on rencontre 
fréquemment dans les verreries vénitiennes. Les verriers 
de Murano donnaient à ce travail de torsion le nom de ri- 
torcimento. » 

Les vases ainsi fabriqués étaient appelés autrefois en 
Italie vasi a ritorti, et plus anciennement à vitortoli; on 
les nomme aujourd’hui a filigrana ritorta. 

Verres à ornements en pâtes colorées. — Les verres blancs 
transparents et les verres filigranés sont souvent ornés en 
relief, surtout au pied, de fleurs, de fruits (fig. 37) et quel- 
quefois même d'oiseaux en pâtes de verre opaque diverse- 
ment colorées. Ces appendices sont toujours délicatement 
exécutés et généralement d’un ensemble assez harmonieux: 
mais ce genre d’ornementation n’a dû se produire que vers 


PANIER RERIEDURY IP ATX IX STE CLE 105 


la fin du xvre siècle, et nous paraît commencer l’époque de 
la décadence de la belle fabrication des verres muraniens. 

Verres mosaiques où müllefiori. — C’est également d’une 
époque de décadence, croyons-nous, que datent les verres 








Fig. 37. — Verre de Venise à ornements en pâtes colorées. 


(Coll. de M. Mannheim.) 


fabriqués avec des tronçons de baguettes dont la section 
présente des fleurs, des étoiles, des enroulements et 
d’autres images de formes symétriques de plusieurs cou- 
leurs. Ainsi que nous l'avons vu, les anciens connaissaient 


ce mode de décoration, et l'ont poussé à un point de per- 
fection qui n’a jamais été égalée, même à Murano. Le prin- 


106 LA VERRERIE 


cipe de la fabrication dans ces verres était le même que 
pour les verres précédents, et la baguette qui donne Île 
dessin, après avoir été enveloppée d’une couche de verre 
incolore, était tirée et coupée en morceau correspondant 
à la dimension de la pièce que lon voulait faire !. 

Aux vases et aux aiguières en verre émaillé, aux gobelets 
et aux coupes à dessins filigranés qui leur ont fait une répu- 
tation immortelle, les habiles artisans de Murano ajoutaient 
deux autres fabrications dans lesquelles pendant longtemps 
ils restèrent sans rivaux : celle des perles et celle des glaces. 

Perles. — L'industrie des perles dont nous avons parlé 
dans le chapitre précédent, et qui avait pris une grande 
importance dès la fin du xvire siècle, s’accrut encore dans 
dans les siècles suivants; outre les perles qui étaient fabri- 
quées pour lAfrique ? et pour l’Orient, on en faisait d’autres 
qui servaient à confectionner des chapelets”*, que l’on en- 
voyait à Rome, à Jérusalem, partout où on avait institué 
des pèlerinages; on fabriquait également des colliers, des 
bracelets et mille autres fantaisies que lhabileté des ver- 
riers savait varier à l'infini. Cest un Vénitien, Andrea 
Viadore, qui, en 1528, parvint à fabriquer à la lampe 


! Däns ces derniers temps, les presse-papiers en verre plein et incolore au 
centre duquel se trouvent emprisonnés, pour ainsi dire, des fleurs, des bou- 
quets, ete., ont été fort à la mode. On en a fabriqué à Murano, en Bohème et 
surtout en France. 

? La république de Venise était fière à juste titre de la supériorité incontes- 
table de ses belles verreries dorées, émaillées ou filigranées; mais elle était 
jalouse surtout de conserver le monopole de la fabrication de ses perles, qui, 
ainsi que nous l'avons dit plus haut, constituait une des branches les plus 
importantes de son commerce nautique : en Afrique principalement, elles 
étaient tellement recherchées, que, suivant les relations de plusieurs voya- 
geurs, elles servaient et servent encore de monnaie. 

3 Les verriers qui fabriquaient ces sortes de perles avaient reçu le nom de 
paternostri : il en est souvent question dans les actes du xv® siècle, et cette 
dénomination est encore employée de nos jours. 


PAMVRRRERIENDUE AU XIX SIÈCLE 107 


d’émailleur ‘ les perles orientoïdes, avec lesquelles on faisait 
des colliers à plusieurs rangs « dont les Vénitiennes en- 
touraient leur cou de madone et que, de Palerme à Turin, 
les femmes de moyenne condition portaient aussi brave- 
ment que les patriciennes leurs vraies perles orientales ?. » 
Ces perles, dont la fabrication était connue et pratiquée à 
Paris au xvae siècle, reçurent un orient factice à l’aide 
d’une couche intérieure de mercure jusqu’au moment où un 
perlier de Paris, nommé Jacquin, trouva, en 1686, le moyen 
de remplacer le mercure, dont les émanations n'étaient pas 
sans danger, par la matière nacrée provenant des écailles 
de l’ablette*. 

Quant aux perles ordinaires ou conterie, celles qui ser- 
virent à Christophe Colomb et à Fernand Cortez à entrer 
en relations avec les Américains, qui aujourd'hui encore 
sont exportées en Afrique et en Asie en quantités considé- 
rables et dont la passementerie européenne fait un si grand 
usage, leur fabrication, des plus simples, est ainsi décrite 
par M. Peligot : « Un ouvrier cueille avec sa canne une 
certaine quantité de verre, et, à l’aide d’un instrument en 
fer, 1l pratique dans sa paraison une large ouverture; un 
second ouvrier applique contre ce trou l'extrémité d’une 


! La fabrication de ces perles soufflées prit bientôt une extension assez 
grande pour former une nouvelle corporation, celle des soffialume [souffleurs), 
qui avaient des règlements particuliers. C’est également à Andrea Viadore que 
cerait due la première fabrication des verreries imitant le jars. 

? Cf. CLaupius Poreuin, les Vieux Arts du feu. 

3 « On imite aujourd'hui avec une si rare perfection les perles fines, notam- 
ment celles dites baroques, qu’il n’est plus possible à l’œil le plus exercé de 
distinguer les vraies d'avec les fausses. De petites ampoules percées sont 
soufflées à la lampe d'émailleur et prises dans des tubes de cristal opalisé: 
enduites à l’intérieur de colle de gélatine chaude, elles sont injectées avec la 
matière nacrée provenant des écailles de l’ablette. Cette matière, qu’on conserve 
dans l’ammoniaque, est préalablement délayée dans de la colle de poisson; la 
perle est ensuite remplie de cire blanche fondue. » (Euc. PÉLIGoT, le Verre, p.462.) 


108 LA VERRERIE 


canne également garnie de verre, et tous deux s’éloignent 
rapidement lun de lautre : la pâte vitreuse se transforme 
en un tube d’abord, puis en un fil percé d’un bout à l’autre, 
et plus ou moins gros, selon la longueur du chemin par- 
couru par les ouvriers : on casse ces fils par baguettes d’en- 
viron cinquante centimètres, qui passent entre les mains de 
louvrier margaritaire. À l’aide d’un couperet, celui-ci divise 
le tube en petits morceaux d’une longueur égale au dia- 
mètre; ces morceaux tombent dans un baquet plein d’une 
poussière de charbon et d’argile, qui, s’introduisant dans 
les trous des perles, s'opposent à ce qu'ils se bouchent 
lorsque, pour les arrondir et en abattre les angles coupants, 
on les ramollit au feu. Cette même opération se fait aussi 
en promenant sur une rangée de limes parallèles et fixes 
les petits tubes, de manière à entamer légèrement le verre, 
qui se détache ensuite par un léger choc. Les perles sont 
arrondies, soit en les mettant dans un cylindre en fer de 
forme ovale qu’on tourne sur le feu à la manière d’un brü- 
loir à café jusqu’à ce que ce cylindre devienne rouge, soit 
en les chauffant sur des plaques de tôle : elles sont ensuite 
lavées et assorties en les passant à travers des cribles ayant 
des trous de différents diamètres, puis enfilées par rangs 
de vingt-cinq à trente-cinq centimètres de longueur '. 
Miroirs et glaces. — Cest au xive siècle seulement que, 
suivant Vinc. Lazari ?, les Vénitiens commencèrent à fabri- 
quer des miroirs en verre doublés d’une feuille métallique, 
miroirs que les anciens avaient certainement connus et dont 
nous avons cité plus haut quelques exemples. À Venise 
cependant cette fabrication parait être restée stationnaire 
et n'avoir obtenu aucun succès, soit qu'elle fût imparfaite, 
soit que l’on préférât toujours les miroirs en métal si fort à 


1 Péuicor, le Verre, p. 461. 
? Notizia delle opere d’arte e d’antichita della raccolta Correr. (Venise, 1859.) 


. 


LAMVERRERIE DU AU) XIX° SIÈCLE 109 


la mode alors, jusqu’au moment où, en 1503, deux verriers 
de Murano, Andrea et Domenico del Gallo, adressèrent au 
conseil des Dix une supplique dans laquelle ils exposaient 
« que, possédant le secret de faire de bons et parfaits 
miroirs de verre cristallin, chose précieuse et singulière, et 
inconnue du monde entier, si l’on excepte une verrerie 
d'Allemagne qui, associée à une maison flamande, exerçait 
le monopole de cette fabrication et écoulait ses produits du 
levant au couchant à des prix excessifs, et désirant mettre 
Murano à même d'établir une concurrence qui ne pouvait 
qu'être très profitable à la république, ils demandaient 
qu'on voulüt bien leur donner un privilège exclusif dans 
tout le territoire de la république pendant vingt-cinq ans. » 

Le conseil fit droit à leur demande en leur accordant 
pour vingt ans le privilège qu’ils sollicitaient, et les miroirs 
de Venise furent bientôt tellement recherchés, que, lorsque 
les vingt ans furent écoulés, de nombreuses fabriques s’éta- 
blirent; bientôt même le nombre des miroitiers fut si con- 
sidérable, qu'ils formèrent une corporation distincte de celle 
des autres verriers, et qu’en 1564 on établit pour eux un 
règlement spécial. 

Les miroirs de Venise étaient soufflés en cylindres, 
comme les verres à vitres, puis étendus, polis, presque 
toujours biseautés, et enfin étamés; ce mode de fabrication 
explique pourquoi ces miroirs sont généralement de dimen- 
sions assez restreintes, relativement aux glaces que lindus- 
trie a pu produire depuis, grâce à la découverte du procédé 
du coulage, procédé d'invention française‘. Bien que laissant 
à désirer sous le rapport de la pureté, ce qui était inévi- 
table avec le mode de fabrication employé, on les consi- 

1 En 1680 cependant, suivant Lazari, un verrier de Murano, Liberale Motta, 


« perfectionna la fabrication, et fit des miroirs d'une grandeur jusque-là 
impossible à atteindre. » 


110 LA VERRERIE 


dérait alors comme des objets précieux, que lon rendait 
plus précieux encore en les enchâssant, pour ainsi dire, 
dans des cadres, en bois ou en métal, sculptés avec ce goût 
délicat et cette habileté merveilleuse qui distinguent les 
artistes du xvie siècle. Le Louvre possède, dans la col- 
lection Sauvageot, plusieurs de ces miroirs, et l’on peut 
voir au musée de Cluny une glace à quadruple bordure de 
verre de couleur et de verre blanc, taillé en biseau, et dé- 
corée de palmettes et de fleurs de lis alternées; cette glace 
aurait, dit-on, été offerte par la république de Venise à 
Henri IT, lors de son retour de Pologne. 

Aventurine. — Ce sont également des verriers de Murano, 
les Miotti, qui les premiers ont fabriqué le verre que l’on 
désigne sous ce nom et qui a été ainsi nommé, dit M. Pé- 
ligot, « soit à cause de sa ressemblance un peu lointaine 
avec le quartz aventurine, soit parce que sa découverte a été 
faite par hasard, par aventure". 

C’est un verre jaunâtre, dans lequel se trouvent disséminés 
une infinité de petits cristaux très nets et très brillants, qui 
donnent au verre, lorsqu'il est poli, et surtout à la lumière, 
un aspect chatoyant qui le fait employer dans la bijouterie: 
on à fabriqué également du verre aventurine noir, plus beau 
peut-être encore que le jaune, mais beaucoup plus rare aussi. 

On ne sait pas exactement à quelle époque à commencé 
cette fabrication, et les procédés, qui reposent sur un four 
de main spécial, en sont restés un secret qui se conserve à 
Murano. Un habile chimiste français, M. Hautefeuille, est 
arrivé cependant par des essais persévérants à fabriquer ce 
verre en assez grande quantité, et il a indiqué dans le 
Bulletin de la Société d'encouragement, en 1860, les pro- 
cédés qu'il a suivis; mais nous devons convenir que les 
1 


! Péricor. le Verre, p. 452. 


PANIER ER DENDUNXVS AU XIXe SIÈCLE 111 


aventurines françaises m’égalent pas celles qui sont sorties 
et qui sortent encore aujourd’hui des fours de Murano. 

Verres craquelés. — Ces verres, dont la superficie pré- 
sente des dessins irréguliers formant saillie, — et ressem- 
blant parfois à l'écorce rugueuse et très divisée d’un chêne, 
— auraient été, d’après la plupart des écrivains spéciaux , 
fabriqués à Venise à une époque relativement récente et 
pour imiter les verres du même genre que l’on fabriquait 
ainsi en Bohême. Il est assez difficile de se prononcer d’une 
façon affirmative à cet égard; mais nous connaissons cepen- 
dant, entre autres dans la collection de M. Spitzer, des 
verres vénitiens craquelés, décorés de mascarons en relief 
frottés d’or et qui offrent tous les caractères de la fabrication 
muranienne du xvIe siècle. 

« La fabrication de. ces verres, dit M. Peligot (loc. cit., 
bp. 446), est fort simple : quand la paraison est faite, on la 
promène sur une plaque de fer sur laquelle on a répandu du 
verre concassé en fragments irréguliers. Ce verre adhère à 
la masse vitreuse. On réchauffe la pièce, on la passe avec les 
fers, on la souffle et on en termine la facon par les procédés 
habituellement employés. » 


Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les verreries de 
Murano avaient perdu beaucoup de leur importance dès la 
fin du xvire siècle; la plupart des fours étaient éteints, et 
partout on préférait les verres de Bohême. Cette industrie, 
qui avait été si florissante autrefois, menaçait de disparaître 
tout à fait lorsqu'un Muranais, Giuseppe Briati, très pas- 
sionné pour son art, eut l’idée de s’engager comme ouvrier 
dans une verrerie de Prague. Quand il eut bien pénétré tous 
les secrets de la fabrication, il revint à Venise, où il obtint 
l'autorisation de fabriquer et de vendre des verres façon de 
Bohême. Cette autorisation, que le sénat, voulant conserver 


112 LA VERRERIE 


le plus longtemps possible la vieille fabrication qui avait fait 
autrefois la réputation de Murano, avait refusée jusqu'alors 
à tous les verriers qui l'avaient demandée, lui fut accordée 
par un privilège spécial daté du 23 janvier 1736, et dont la 
durée fut fixée à dix ans. Cest à lui que l’on doit la renais- 
sance, non de Murano, car il avait transporté ses fours à 
Venise, dans la rue de lAnge-Raphaël, mais de l'industrie 
elle-même, qui reprit un nouvel éclat pendant un certain 
temps. Cest à cette époque que lon fabriqua les lustres, 
assez recherchés en France, décorés de grappes, de fleurs 
et de feuillages de diverses couleurs, et dont les branches 
étaient souvent d’un beau ton d’opale. Briati remit égale- 
ment à la mode les verres filigranés, mais sans leur con- 
server leur caractère élégant et artistique d'autrefois; 1l 
mourut le 17 janvier 1772. 

Après lui nous ne trouvons plus que Giorgio Barbaria 
dont lenom mérite d’être cité; il faisait surtout des verreries 
noires et du jais, et en 1790 il obtint un privilège pour la 
fabrication de bouteilles noires, qu'il exportait en grandes 
quantités en Angleterre. De 1794 à 1796, à la veille de 
la chute de la république de Venise, il était député de 


Murano. 


Les verreries établies dans un assez grand nombre de 
villes de l'Italie, notamment à Rome, Naples, Milan, Vérone, 
Florence, Parme, Brescia, Turin, Gênes, etc., n’ont laissé, 
malgré limportance de quelques-unes d’entre elles, aucune 
trace dans l’histoire de l’industrie italienne, soit qu'elles 
n'aient rien fabriqué qui ait mérité d’être signalé, soit que 


leurs produits aient été confondus jusqu'ici avec ceux de 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÈCLE 113 


Venise, qu'elles devaient évidemment chercher à copier. 
Nous savons, en effet, que dans un des principaux centres. 
de production verrière, à Altare, près de Savone, dans le 
duché de Mantoue, on ne fabriquait que du verre cristallin 
à limitation de Venise, et que c’est par des transfuges de 
Murano que furent établies la plupart des verreries ita- 
liennes, notamment celles de Florence et de Milan. C’est 
principalement d’Altare, ainsi que nous le verrons plus loin, 
que partirent les ouvriers qui, dès 1548, allèrent transporter 
par toute l’Europe la fabrication des verres cristallins. 


$ IT 


FRANCE 


Bien que l’industrie du verre, ainsi du reste que cela se 
produisit alors pour toutes les autres industries, ait perdu 
beaucoup de son importance à partir de la dernière moitié 
du 1ve siècle, la plupart des ateliers des anciens vitrarii 
gallo-romains n’en subsistèrent pas moins aux lieux où ils 
avaient été fondés autrefois, et dont les emplacements nous 
sont indiqués encore aujourd’hui par des noms caractéris- 
tiques qui ont survécu aux établissements qu’ils servaient à 
désigner ; il existe, en effet, un grand nombre de localités 
appelées La Verrerie, Verrières, Voirrières, Verrines, etc. 
(autrefois Vitreria, Verreria, Verreriæ, Vitrinæ, etc.), où 
il y avait jadis, — et où il y a même encore quelquefois au- 
Jourd’hui, — des verreries plus ou moins importantes; mais, 
à en juger par les verres trouvés dans les sépultures de 
l’époque mérovingienne, on n’y fabriquait que des objets 
usuels, assez ordinaires de matière et de formes. Nous de- 

8 


114. LA VERRERIE 


vons noter cependant le beau verre trouvé dans un tom- 
beau du vie siècle à Grue, en Vendée, et décrit par Ben). 
Fillon : c’est une coupe ou bol en verre vert foncé presque 
opaque, godronné de filets jaunes, et portant en lettres d’é- 
mail blanc le nom d’EVTVCHIA ; il était accompagné d’autres 
verres dénotant une fabrication moins ordinaire que celle 
des verreries que l’on rencontre habituellement dans les sé- 
pultures de cette époque, entre autres d’une bouteille en 
verre blanc ornée d’un filet rouge serpentant autour du col, 
et d’un plat creux de Om21 de diamètre, en verre jaune pâle 
avec un filet en relief de même couleur. 

Peut-être est-ce à un plat de cette nature que fait allu- 
sion Fortunat, évêque de Poitiers, quand il rapporte qu'il 
recevait de labbesse de Sainte-Croix de Poitiers des poulets 
tout accommodés, qui lui étaient envoyés dans des plats de 
verre : 

Intumuil pullis vitreo scutella rotatu. 
(Carmina, 1. XI, n° 40.) 


Nous ne savons pas, malheureusement, si ces verres 
étaient de fabrication locale ou s'ils venaient d'Orient, 
comme en devaient venir les deux coupes dorées et le beau 
hanap que, deux siècles plus tard, Anségise offrait en pré- 
sent à l’abbaye de Saint-Wandrille : Cuppas vitreas auro 
ornatas duas,... hanapum vitreum optimum unum (Chro- 
nicon Fontanellense, ch. XV), ainsi que le calice dont l’em- 
pereur Henri If (saint Henri) fit cadeau à Richard, abbé 
de Saint-Vannes de Verdun. 


! Dans les premiers siècles du christianisme, les calices étaient de bois, 
mais le plus souvent de verre et quelquefois ornés de peintures (TERTULLIEN , 
De pudicit., c. x); plus tard, on les remplaça par des calices d'or et d'argent. 
Néanmoins les couvents pauvres et les humbles églises conservèrent l'usage 
des calices de verre jusqu’au moment où le concile de Tribur (en 895) en pros- 


LA VERRERIE DU XV® AU XIXe SIÈCLE 115 


Au moyen âge, la fabrication du verre était répandue par 
toute la France ; mais, là encore, si on retrouve des docu- 
ments écrits qui établissent d’une façon certaine l’établisse- 
ment de fabriques dont quelques-unes semblent avoir eu 
une certaine importance, on ne sait rien sur les différents 
genres de verrerie qu’elles fabriquaient, et on ne connait 
aucun verre que l’on puisse faire remonter au delà de la fin 
du xve siècle. 

Il existait certainement des verreries à Paris ou aux en- 
virons, et les rois de France s’intéressèrent à leurs progrès. 
Charles VI, encore enfant (il n’avait guère que quatorze ans 
à cette époque), semble avoir tout particulièrement suivi la 
fabrication du verre; non seulement les verriers lui appor- 
taient au Louvre des spécimens de leur industrie, mais il 
allait aussi visiter leurs fabriques, ainsi que le prouve la 
mention suivante, extraite des Comptes royaux de 1382 : 
« À maistre Jehan de Montagu, secrettaire, pour don fait 
par lui aux voirriers, près de la forest de Chevreuse ?, où le 
Roy estoit alez veoir faire les voirres, par commandement 
dudit seigneur et de Ms. de Bourgogne... vir Liv. ïiij s. » 

Les verreries du Vendomois étaient renommées, et leurs 


crivit l’usage, à cause de leur trop grande fragilité. Le présent fait par l’em- 
pereur Henri Il prouverait donc qu’au commencement du x1° siecle le verre avait 
repris une valeur qu'il n'avait pas quelques siècles avant. Nous trouvons encore 
la mention d’un ciboire en verre (une chibore de voirre) dans l’Inventaire 
des garnisons estans au chastel de Lille, en 1388. Le château de Lille appar- 
tenait à cette époque à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. (Cf. Archives 
départementales du Nord, à Lille.) 
1 14382. — A Guillaume, le voirrier, lequel avoit présenté au roy, voirres, 
pour don fait à luy, le roy au Louvre. . . . . 1Axiiij s.p. 
« — À Jehan, le voirrier, de la forest Dotte, lequel avoit présenté au 
roy, voirres par plusieurs fois, pour don à lui fait. 1xiiij s.p. 


(DE LaBorpE, Glossaire.) 


? Probablement dans une fabrique établie à Verrières. 


116 LA VERRERIE 


produits étaient passés en proverbe : Voirres de Vendôme 
était un dicton populaire dès le x1rre siècle. 

On citait à la même époque les verres de Provence : 
« 19316. Grant planté de poz de voirre et de voirres d’Aubi- 
eny' et de Provence, et d’autres païs, et de diverses coleurs 
et bocauz et bariz, tous du temps de Monseigneur d'Artois, 
qui bien valoient 1 lib.*. » Ces verres de Provence venaient 
sans doute de la verrerie que les Chartreux, en 1285, avaient 
été autorisés à établir dans la forêt d’Orves’, ou de celle 
qui existait de temps immémorial à Reillane, ce qui dé- 
truit l’opinion émise dans ses Leltres sur Marseille par le 
Dr Lautard, qui prétend que l’industrie du verre aurait été 
introduite en Provence par le roi René. 

Mais si René, sous l'impulsion féconde duquel les arts 
prirent un si grand développement dans le Midi, ne peut 
pas être regardé comme l’introducteur de la verrerie en Pro- 
vence, il n’en reste pas moins certain que c’est à lui que 
cette industrie est redevable des progrès qu’elle réalisa au 
xve siècle, et nous ne croyons pas trop nous avancer en 
affirmant que c’est sous son patronage et à son instigation 
que furent fabriqués en France les premiers verres peints 
en émaux de couleur, dont il ne reste malheureusement 
que de trop rares spécimens qui nous font regretter que 
cette belle industrie n’ait pas poussé de plus profondes ra- 
cines dans le sol de notre pays. 

Selon toutes probabilités, c’est près du village de Goult 
et de l’abbaye de Valsainte que fut établie la manufacture 
d’où sortaient les verres « moult variolés et bien peincts » 


! Aubigny, petite ville du département du Cher, était encore renommée au 
siècle dernier pour ses verreries d'usage domestique. 

? Inventaire de la comtesse Mahaut d'Artois. (Cité par De Lasorpe, Glos- 
saire.) 

* Le comte de VicLexeuvE-FLavose, Notice sur le monastère de Montrieux. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 417 


que René acheta moyennant la somme de cent florins, pour 
les envoyer en présents au roi Louis XI, son neveu, et c’est 
un Italien, Benoît de Ferry, né à Lanteo ou Lanta, village du 
diocèse de Nole, dans la Pouille, qui aurait été le fondateur 
de cette manufacture, que le bon roi venait visiter souvent, et 
à laquelle il fournissait des dessins qu’il exécutait lui-même". 

Suivant le président Fauris de Saint-Vincent?, on conser- 
vait dans quelques collections, en Provence, des verres à 
boire qui auraient servi au roi René. « Ils sont, dit-il, 
montés sur un pied de six à sept pouces de hauteur; le 
vase en est extrêmement haut et peut contenir une demi- 
pinte de vin. J’en connais un, entre autres, dans le cabinet 
Fabri-Borilly, à Aïx, dans le fond duquel est peinte sainte 
Madeleine aux pieds du Sauveur, qui est debout sur les 
parois; sur les bords on lit ces vers, écrits en lettres 
gothiques d’or :. 


Qui bien boira 
Dieu verra 
Qui botrx tout dune baleine 
Verra Dieu et Ia Madeleine 


Ce curieux verre, qui existe peut-être encore, mais dont 
nous ne connaissons malheureusement que la désignation 
un peu trop sommaire qui précède, devait être certaine- 
ment peint à l’intérieur, puisque le sujet qu’il représentait 
n'était visible que lorsque le verre était vide ; telles étaient 
sans doute aussi, mais dans un ordre d'idées tout opposé, 


! Cf. Mémoire sur l’état du commerce en Provence au moyen âge, par le 
président Fauris DE SainT-Vincenr, et Les de Ferry et les d’Escrivan, verriers 
provencaux, par REBouL. — Suivant ce dernier auteur, Nicolas de Ferry, 
très attaché à René, l'avait suivi lorsqu'il fut chassé de ses États de Naples 
par Alphonse, roi d'Aragon. 

2 Loc. cit. 


118 LA VERRERIE 


ces coupes à peintures licencieuses dont parle Brantôme, 
et qui faisaient monter la rougeur au front des belles dames 
qui les vidaient. 

Peut-être est-ce à cette fabrique, dans laquelle l'Italien 
Benoît de Ferry avait su probablement attirer quelques-uns 
de ses compatriotes, qu'il faut attribuer plusieurs verres 
émaillés datant de la fin du xve siècle ou du commence- 
ment du xvre, et qui ne sont certainement pas de fabrication 
vénitienne, bien qu'ils aient été peints au moyen des pro- 
cédés usités à Murano. Nous citerons entre autres une coupe 
basse, dont le plateau est orné en dessous de bossages en 
relief formant un treillis losangé ‘, et dont le centre est dé- 
coré en émail de lécu armorié d'Anne de Bretagne. Dans 
cette coupe, qui appartient à M. Spitzer, les émaux man- 
quent de la pureté qui distingue habituellement les émaux 
de Venise; ils sont maladroitement posés, ternes et lourds 
d'aspect, surtout dans le dessin des fleurs de lis et des her- 
mines de Bretagne; on n’y trouve point, en outre, ce bel or 
jaune et brillant que les verriers de Murano affectionnaient 
tant, et que l’on remarque sur toutes les verreries véni- 
tiennes de cette époque, ne füt-ce qu’à l’état de simple filet. 

Il est probable que c’est également de la fabrique de 
Goult qu'est sorti le beau verre si richement émaillé qui 
fait partie de la collection Slade, aujourd'hui au British 
Museum ; ce verre, un peu jaunâtre, en forme de gobelet 
évasé et monté sur un pied assez élevé, est divisé en trois 
compartiments : dans le premier, on voit un gentilhomme 
en costume du commencement du règne de Henri IF, offrant 
une fleur à une dame; devant lui, sur une banderole, on 


lit : IE SvIs À vovs; dans le second, la dame tient un cœur 


! Ce genre de décoration en relief losangé nous semble être de fabrication 
exclusivement française ; nous ne l'avons jamais rencontré dans les verreries 
vénitiennes ou flamandes. 


LA MERRERIE DU XX AU XIX° SIÈCLE 49 


cadenassé, et la légende dit : MO GvEvR AVÉS; dans le troi- 
sième, un bouc, dressé sur ses pieds de derrière, cherche à 
boire dans un vase rempli d’eau, — rébus du nom du pro- 
priétaire, Boucau, — et au-dessus, sur une bande circulaire 
conservant des traces de dorure, l'inscription suivante, en ré- 
serve : IE. SVIS . À . VOVS . IEHAN. BOVCAV. ET. ANTOINETTE . BOVC. 
Le fond de la coupe est décoré d’émaux. 

Comme 1l y a encore en Provence un grand nombre de 
familles portant les noms de Boucau et de Bouc, il est per- 
mis de supposer, ainsi que nous l'avons dit, que ce verre pro- 
vient des verreries de Goult; mais, en réalité, on ne peut rien 
affirmer. Il y avait, en effet, en France, du temps de Henri IT, 
plusieurs fabriques fondées ou dirigées par des Italiens, qui 
y avaient apporté les procédés de décoration de Murano; 
mais ces fabriques n’ont eu, en général, qu’une durée assez 
éphémère, et leurs fragiles produits sont aujourd’hui si 
rares et tellement disséminés dans les musées et les collec- 
tions, qu'il est à peu près impossible de leur assigner des 
caractères distinctifs ; telles étaient les fabriques du Poitou 
et du Dauphiné, celle de Saint-Germain-en-Lavye, et plus 
tard celles de Nevers, de Rouen et de Paris, qui toutes 
ont produit des verreries émaillées. 

Les fabriques du Poitou paraissent avoir été les plus im- 
portantes ; en tout cas, ce sont celles dont les œuvres nous 
sont le mieux connues, grâce aux recherches de Benjamin 
Fillon, qui a pu retrouver quelques-uns des verres émaillés 
sortis de leurs fours chez les descendants des personnages 
pour lesquels ils avaient été faits, et dont ils portent les 
armoiries ou les noms. 

Ici c’est un véritable transfuge de Murano, Fabiano Sal- 
viati, qui, malgré les peines sévères édictées par la sérénis- 
sime république, est venu fonder un atelier dans lequel il 
a apporté tous les secrets de la fabrication et de la décora- 


120 LA VERRERIE 


tion ; et si nous ignorons par suite de quelles circonstances 
il a quitté son pays natal, si nous ne savons pas quel prince 
ou quel grand seigneur a été assez puissant ou assez géné- 
reux pour le décider à braver la vengeance du conseil des 
Dix, nous savons au moins en quelle haute estime on le te- 
nait en France, et comment, en ces temps de troubles et de 
guerres intestines, on mettait tout en œuvre pour le proté- 
ger, lui et son industrie. Ben]. Fillon nous à conservé, en 
effet, la lettre par laquelle le comte de Lude, gouverneur de 
la province, le prend sous sa sauvegarde, et l’autorise à 
mettre ses armes sur sa maison et ses ateliers de l’Argen- 
tière, dans la paroisse de Prailles. 


« À touz capitaines, chiefs et conducteurs de gens de 
guerre au gouvernement de Poictou, leurs lieutenans, en- 
seignes, mareschaulx des logis, fourriers et aultres qu'il 
appartiendra, salut. Voulant gratiffier, favoriser et bien traic- 
ter Fabian Salviate, escuyer, gentilhomme de Myrane, païs 
de Venize, venuz, luy et sa famille, en ce païs de Poictou 
pour praticquer l’art de la verrerie... laquelle mayson nous 
avons exempté et exemptons par ces présentes de toutes 
garnisons, et le dict Salviate et les siens et serviteurs avons 
pris et mis, prenons et mectons sous notre protection et 
saulvegarde, et affin que n’en prétendiez cause d’ignorance, 
et pour plus d’asseurance de ceste nostre bienveillance, 
nous luy avons permis et permectons mectre sur le pour- 
tant de sa dicte maison noz armes et pannonceaulx. 


« À Sainct-Maixent, le vingtième jour de septembre de l'an mil cineq 
cents soixante-et-douze. 


« DE LUDE. » 


C'est évidemment à ce Salviati qu'il faut attribuer les dif- 
férents verres mentionnés par Benj. Fillon dans son ouvrage 
PArt de terre chez les Poitevins, et dont plusieurs sont au- 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 121 


jourd’hui au musée de Cluny. Le plus beau, celui dans 
lequel linfluence vénitienne se fait le mieux sentir, est 
un grand verre bleu semé d’or, porté sur un pied de même 
couleur, auquel il se relie par un double nœud en verre 
blanc et un nœud plus fort en verre bleu, et décoré d’émaux 
blancs et d’ornements en or; il porte les armoiries, un peu 





















































Fig. 38. — Verre émaillé et doré. Fabrication française; xvie siècle. 


(Musée de Cluny.) 


effacées, d’une des plus grandes familles du Poitou, celle 
des Taveau de Mortemer. 

Ce verre, bien italien de formes, d'aspect et de décor, est 
certainement une des premières œuvres de Salviati, qui 
plus tard, tout en conservant les procédés de dorure et de 
peinture en émail polychrome, francise les formes et la dé- 
coration de ses verres : tel est le gobelet cylindrique, sans 
pied et à large base (fig. 38), qui est décoré de trois figures 
de hallebardiers finement exécutées, et séparées entre elles 
par une colonne de fleurs et de feuillages émaillés en cou- 
leurs ; près du bord, et faisant le tour du verre, se trouve 
inscription suivante sur fond d’or : EN LA SVEVR DE TON 


122 LA VERRERIE 


VISAGE TV MANGERAS LE PAYN. Il est assez difficile de 
comprendre la relation qui peut exister entre ces trois 
hallebardiers et cette inscription désolée, que l’on retrouve 
souvent à cette époque ". 

D’après les études que nous avons faites des verres peints 
français du xvie siècle, qui, en trop petit nombre malheu- 
reusement, sont parvenus jusqu'à nous, la période italo- 
française peut se diviser en trois époques distinctes : Ja 
première, qui est caractérisée par une imitation exacte 
des formes et du style vénitien; la seconde, dont la déco- 
ration est assez soignée, et dans laquelle on trouve encore 
l'or associé aux émaux, mais sur des formes françaises; la 
troisième, sur laquelle on remarque l'absence de l'or et dont 
l'exécution est plus lâchée. Un des spécimens de cette troi- 
sième période serait le verre du musée de Poitiers portant 
l'inscription : 


À . BON . VIN . NE . FAULT . POINT . ANSEIGNE 


Quant aux inscriptions et aux légendes, elles sont sou- 
vent remplies de fautes et d’interversions de lettres; ce qui 
est assez excusable, du reste, de la part d'étrangers *?. Cest 
ainsi qu'on lit sur un verre de la collection léguée par le 
baron Davillier au Louvre : SVR.TOVTE.COHVSE (pour sur 
toute chose), et sur un gobelet fait pour un des membres 
_de Ja famille Pineau, de la Rochelle : 


QVI . EN . CHRIST . CROY . EST . HEVERVX. — IVES PINEAV. 


! Entre autres au bas d'une des figures de la Bible gravée sur bois d'après 
Holbein, celle qui représente Adam et Eve travaillant à la terre. 

? Les potiers français, il faut bien le dire, ne se piquaient pas d’une plus 
grande exactitude, et bien souvent les légendes des faïences parlantes sont 


pleines de fautes moins excusables. 


PAMERRERIENDUNXMS AU XIX SIÈCLE 123 


Salviati ne fabriquait pas seulement des verres peints, à 
en juger du moins par la grande quantité de pieds de 
verres décorés de mufles de lions en relief, semblables à 
ceux des verres de Murano (fig. 31); on en rencontre dans 
toutes les collections du Poitou des spécimens qui ont été 
trouvés partout où il y avait des débris d’ustensiles de 
ménage; mais là devait se borner sa fabrication, car 
on n'a jamais constaté la présence de débris de verres 
filigranés. 

Une autre famille de verriers italiens, qui vint plus tard 
s'établir dans le Poitou, à Vendrennes, et que l’on trouve 
également à Nantes et à Paris, est celle des Sarode, origi- 
naires d’Altare!, ville du diocèse de Noli, dans l’ancien mar- 
quisat de Montferrat (voir plus haut, p. 113). 

Il résulte des savantes recherches publiées par M. Schuer- 
mans, dans le Bulletin des Commissions royales d'art el 
d'archéologie ?, que la petite ville d’Altare était et est en- 
core un centre important de fabrication de la verrerie, et 
que, dès 1548, elle envoyait à l'étranger des verriers qui 
allèrent « transplanter par toute l’Europe la fabrication dite 
altarisle?. » 

La corporation des verriers d’Altare (universita dell’ arte 
vitrea) était administrée par des consuls nommés par les 
intéressés, et c'était à ces derniers que l’on devait s'adresser 
pour obtenir, moyennant une rétribution qu’on leur payait, 
« des ouvriers habiles à exercer l'art de la verrerie et à ou- 
vrir des fabriques pour la confection du verre. » Nous ver- 
rons plus loin que c'était surtout d’Altare que venaient les 


! Et non Falfare, ainsi que l’a imprimé Benj. Fillon. 

? Vingt-troisième année, p. 21. — Bruxelles, 1884, in-8°. 

3 « Vedemmo i fabricatori del 1548 ch’ erano tutti d’Altare, e quindi dai 
metodi portati dal loro paese si dissero poi questi vitri al’ Altarese. » [Cira- 
DELLA, Notizie relative a Ferrara, 1861, p. 525.) 


124 LA VERRERIE 


gentilshommes verriers établis à Paris, et ceux qui fon- 
dèrent des établissements dans les Flandres et en Angle- 
terre. 

Nous ne savons rien de précis sur cette fabrique de 
Vendrennes; mais il est à présumer que l’on y décora 
également les verres au moyen d’émaux de couleurs, 
puisque, à lépoque de la révolution, on y faisait des 
verres avec des inscriptions patriotiques peintes en émail 
rouge. 

Ce Sarode avait également fondé une manufacture à 
Nantes. Benj. Fillon, qui rapporte ce fait (loc. cit.), ne dit 
pas à quelle époque; mais il est certain, en tout cas, que ce 
n’est pas avant, 1588, puisque l’abbé Travers, qui inscrivait 
presque jour par jour tout ce qui pouvait intéresser l’his- 
toire de la ville de Nantes, dit positivement dans ses notes 
qu'il n’y avait jamais eu de verriers jusqu’au moment où 
Jean Ferro! vint s’y établir. Voici, du reste, ce passage peu 
connu : « Le 11 août (1588), Jean Ferro, gentilhomme, ver- 
rier, présente requête à la ville pour obtenir le droit de tra- 
vailler en verre et vaisselle blanche et faïence, avec mainte- 
nance et jouissance des privilèges accordés aux gentils- 
hommes. Il lui fut répondu par le bureau qu'il pouvait 
exercer son état et jouir de ses privilèges dans la ville, les 
faubourgs et tout le comté. Il est le premier verrier qui se 
soit établi à Nantes ?. » 

Les fabriques du Dauphiné étaient également assez im- 
portantes à la fin du xvie siècle et au commencement du 
Xvile, et leurs produits s’exportaient au loin. Leur établisse- 
ment remontait à l’année 1338, époque à laquelle un certain 
Guionet obtint de Humbert, dauphin de Viennois, le privilège 


! Ne serait-ce pas plutôt un Ferry, appartenant à la famille de celui qui 
avail dirigé la fabrique de Goult, en Provence. (P. 116.) 
? L'abbé Travers, Hist. de Nantes, t. II, chap. v, p. 220. 


PANIER ER IEMDUEMEAA UN X IX STÈCLE 125 


d'exercer son industrie sur les terres mêmes du dauphin, 
moyennant des conditions assez onéreuses. Ce document, 
publié en partie par Legrand d’Aussy', est intéressant en 
ce qu'il montre quels étaient alors les objets usuels que l’on 
- fabriquait en verre : « Le dauphin abandonne à Guionet 
une partie de la forêt de Chambarant pour y établir une 
verrerie, à condition que celui-ci fournira fous les ans, pour 
sa maison, cent douzaines de verres en forme de cloches, 
douze douzaines de petits verres évasés, vingt douzaines de 
hanaps ou coupes à pied, douze amphores, trente-six dou- 
zaines d’urinals, douze grandes écuelles, six plats, six plats 
sans bord, douze pots, douze aiguières, cinq petits vais- 
seaux nommés gottelfes *, une douzaine de salières, vingt 
douzaines de lampes, six douzaines de chandeliers, une 
douzaine de larges tasses, une douzaine de petits barils, et 
enfin six grandes bottes pour transporter le vin. » Bien que 
le texte rapporté par Lesrand d’Aussy porte que les deux 
mille quatre cent trente-cinq objets que Guionet devait ainsi 
fournir annuellement étaient destinés d la maison du dau- 
phin de Viennois, nous soupçonnons fort ce dernier d’avoir 
trafiqué des marchandises livrées en aussi grande quantité. 
Le verre était rare au xive siècle, et, même chez les grands 
personnages, on ne devait s’en servir que dans les occa- 
sions solennelles. 


Un des successeurs de Guionet fut plus heureux, et sut 


! Histoire de la vie privée des Français, t. III, ch. v, p. 220. 

2 Suivant Ducange (Glossaire, t. IT, p. 544), les goltelfes étaient destinées 
à contenir des liqueurs précieuses que l’on versait goutte à goutte. Peut-être 
est-ce la même chose que les godofles ou guedouftes dont parle Rabelais ( Pan- 
tagruel, liv. IT, ch. xvi) : « Item, en une autre, il avoit une petite guedoufle 
pleine de vieille huile. » 

3 « Combien que tout voirre soit précieux, toutes fois le blanc est le plus 
honnorable, qui en couleur approche du crystal. » ( Le Propriétaire des 
choses, 1372.) 


126 LA VERRERIE 


au moins se faire payer. M. de Sauzay en a retrouvé la 
preuve dans la mention suivante, tirée des Archives dépar- 
tementales antérieures à 1790 : « 1542. À Florent Bongart, 
verrier, la somme de neuf livres tournois, pour son paye- 
ment d'un petit ménage de verre, qu'il a vendu à Henri, 
dauphin de Viennois, pour mademoiselle Diane, sa fille 
naturelle. » 

Nous ne savons rien sur la nature, les formes et la déco- 
ration des verres fabriqués par Guionet et ses successeurs : 
mais il est à supposer qu'ils Jouissaient d’une certaine re- 
nommée, puisqu'on les exportait à l'étranger, ainsi que le 
prouve un curieux document publié par Houdoy ?, et relatif 
à deux marchands français qui, en 1618, furent emprison- 
nés à Lille pour avoir essayé de faire passer par la Flandre 
des verreries provenant des usines du Dauphiné. Bien 
qu'ils ne fussent point accusés d’avoir mis leurs marchan- 
dises en vente, les sieurs Jean Locheron et Jean Moreau, 
natifs des environs de Rheims en Champagne, furent ar- 
rêtés à Esquermes, « transportant à destination de Calais 
quatorze ou quinze cents voirres de cristal ou cristallins: » 
ils furent jetés en prison à Lille, et condamnés à paver une 
amende de six florins carolus « pour chacun desdits voirres 
qui avoient été saisis et confisqués ». Après deux mois de 
prison, ces malheureux adressèrent une requête à Albert et 
à Isabelle *, dans laquelle 1ls exposaient limpossibilité abso- 
lue où ils se trouvaient de payer une amende aussi consi- 
dérable (elle se montait à neuf mille florins). À la suite de 
cette requête, on consentit à réduire leur amende à « huit 
cents florins pour une fois »; mais, comme ils ne pouvaient 
encore payer cette somme, « qui seroit leur totale ruyne et 

l Sauzay, la Verrerie, p. 39. 


? Verrerie à la facon de Venise, p. 15. 


3 Archiduc et archiduchesse d'Autriche, ducs de Bourgogne, etc. 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÉCLE 127 


de leur pauvre famille, demeurant durant ledit emprisonne- 
ment en extrême nécessité, » ils demandaient que l’on con- 
sentit, « par forme de charité, pitié et compassion, en consi- 
dération aussy de leur longue prison, à leur laisser leur dite 
marchandise pour emporter comme est dit hors de ces pays, 
moyennant deux cents florins pour toute amende. » Cette 
demande étant restée sans réponse, ils en adressèrent une 
autre, disant que pendant leur emprisonnement leurs créan- 
ciers ont tout fait vendre chez eux, qu'ils sont ruinés, et 
qu'ils ne pourraient payer l’amende « qu’en allant pour- 
chasser aux porteaux des églises, ou trainer le bloc comme 
esclaves parmy la dicte ville de Lille, à l'effet de recevoir et 
recueillir les aumônes des gens de bien et charitables... » 
On consentit enfin à les mettre en liberté, le 24 septembre 
1618, mais en leur faisant payer trois cents florins et les 
dépenses occasionnées par leur emprisonnement. A cet effet, 
leurs marchandises furent vendues au plus offrant, jusqu’à 
concurrence des sommes dues. 

Ces mesures rigoureuses avaient été prises à la demande 
de Ph. Gridolphi et de son associé J. Bruyninck, dont nous 
parlerons plus loin, qui avaient obtenu le privilège exclusif 
de fabriquer et de vendre, dans les provinces des Pays- 
Bas, le voire de cristal à la faschon de Venise. Ce privilège 
leur donnait le droit de visite « sur toutes les reffés et casses 
de voirres ordinaires introduits dans le pays, » afin de re- 
chercher si elles ne contenaient pas de verres cristallins 
dont la vente fût interdite. Ce droit de visite, on le voit, 
n'était pas un vain mot. 

Ce que l’on appelait cristal ou verre cristallin, à cette 
époque, était chose, pour ainsi dire, nouvelle et fort recher- 
chée en France et dans les pays avoisinants. Ce n’était pas le 
cristal (le flint-glass des Anglais) tel que nous l’entendons 
aujourd’hui, c’est-à-dire nn verre contenant de l’oxyde de 


128 LA VERRERIE 


plomb, mais bien un verre plus beau et plus pur que celui 
qui avait été fabriqué jusqu'alors, et se rapprochant pres- 
que, comme apparence, du cristal de roche ou quartz hyalin 
(silice pure cristallisée). Cest ce verre qui, dès le commen- 
cement du xvie siècle, était devenu d’une fabrication cou- 
rante dans toute ltalie, et dont la découverte, ainsi que 
nous l'avons dit plus haut (page 90), était due, suivant toute 
apparence, à Beroviero, lhabile artisan de Murano, que 
les transfuges de Venise et les Altaristes étaient venus im- 
porter en France; il est assez difficile de définir d’une façon 
bien rigoureuse en quoi la composition de ce cristallin diffé- 
rait de celle des verres fabriqués jusqu'alors. Nous croyons 
cependant qu'il devait ses qualités de blancheur, de pureté 
et de transparence à l'emploi de la soude d'Égypte ou de 
Syrie, combinée par la fusion avec des cailloux du Tessin 
finement broyés dans des mortiers de terre au moyen de 
pilons en fer. Cette soude, produite par la combustion d’une 
herbe particulière, — kali des Arabes, d'où al-kali, — arri- 
vait directement à Venise de Saint-Jean-d’Acre ou de Tri- 
poli, par la voie d'Alexandrie. Un de nos vieux auteurs 
français, Pierre Belon, a consigné ce fait dans ses curieuses 
Observations ‘ : « Les habitans d'Alexandrie en Égypte gar- 
dent soigneusement les cendres de l’herbe que nous nom- 
mons de la soulde, qu'ils vendent aux Vénitiens..…., et en 
font grand amas, tellement qu'ils en peuvent charger les 
navires des marchands qui les viennent achepter pour porter 
à Venize pour en faire les verres de cristallin. Ceux qui font 
les verres à Maran (Murano) de Venize, la meslent avec 
des cailloux qu'ils font apporter de Pavie par le Tessin, les- 
quels proportionnez avec la cendre, font la paste du plus 

! Observations de plusieurs singularutés el choses mémorables trouvées en 


Grèce, Asie, Judée. Égypte, par Pierre BELoN, du Mans. — Anvers, 1955, 
+ Egypte, | 
in-80, p. 173. 


LA VERRERIE DU XV AU XIX° SIÈCLE 129 


fin verre de cristallin. » D’après Néri', on fondait ensemble 
ces deux matières dosées avec soin, de façon à en former 
une fritte ou masse vitreuse (bollito), que l’on remuait pen- 
dant cinq heures, et que l’on éprouvait en la versant sur 
un épais plateau de verre, où elle devait se figer très rapi- 
dement; puis on blanchissait cette fritte au moyen d’une 
addition de manganèse du Piémont. Suivant la théorie 
d'alors, le manganèse, ou. la magnésie, comme disaient les 
ltaliens d’après Albert le Grand, « ne pouvant souffrir le feu, 
s’exhalait en emportant les impuretés du verre, ainsi que la 
lessive emporte celle du linge, de même aussi que lorigan 
ou menthe sauvage a la vertu de nettoyer le vin. » La fritte 
ainsi blanchie était arrosée de quelques verres d’eau froide, 
alors qu'elle sortait toute rouge des fourneaux, puis calcinée 
de nouveau à plusieurs reprises, et recueillie dans des bo- 
caux à l’abri de humidité ?. Les Italiens appelés en France 
pour y établir des fabriques de verre cristallin remplacèrent 
la soude d'Égypte par celle que l’on faisait venir d’Espagne !, 


! Nérr, l’Arte Vitraria. — La première édition fut imprimée à Florence 
en 1612. 

? Cf. Poreun, les Vieux Arts du feu, p. 54. 

3 Pendant longtemps encore on continua à se servir en France de la soude 
d’Alicante. Le Dictionnaire du commerce de SAvaARY DES BRUSLONS, qui ren- 
ferme un si grand nombre de renseignements précieux pour tout ce qui con- 
cerne l'industrie de la fin du xvrrt siècle et la première moitié du xvinrt, en parle 
à plusieurs reprises. « La meilleure soude, dit-il à propos de la fabrication du 
verre, est celle d'Alicante; on s’en sert ordinairement dans les verres blancs, 
et il n'y a qu'elle qui fasse corps dans la vitrification. Cent livres de cette soude 
mises dans une potéc avec le sable augmentent le verre environ de cinquante 
livres, au lieu que les autres soudes, même celle de varech, ne servent qu’à la 
fonte et n’ajoutent rien au poids des matières mises dans le fourneau. » Et il 
ajoute : « La soude de barille est fort abondante en Espagne et d’une qualité 
supérieure à toutes celles que l’on a connues jusqu’à présent; les étrangers en 
ont besoin d’une grande quantité pour leurs manufactures de verres et de se- 
vons; aussi cet objet mérite un soin particulier. Dans le royaume de Murcie 
(suivant une Relation faite à la cour en 1724), et partie de celui de Grenade, 


les laboureurs sèment une petite graine qu'ils appellent barille, dont la récolte 
9 


130 LA VERRERIE 


et surtout celle qui était extraite de la barilla d'Alicante 
(salsola sativa), et les cailloux du Tessin par le grès ou sablon 
d'Étampes. Là encore, nous avons le témoignage de Pierre 
Belon (loc. cit.) : « Les Français ayant, n’a pas longtemps, 
commencé à faire les verres cristallins, ont fait servir le sa- 
blon d'Estampes au lieu des cailloux du Tessin, que les ou- 
vriers ont trouvé meilleur que ledict caillou de Pavie... » 
Nous ne savons s'il était réellement meilleur, mais, en tout 
cas, son prix de revient devait être beaucoup moins élevé, 

En France jusqu'alors, et autrefois en Italie, on n'avait 
employé pour la fabrication du verre que la potasse extraite 
des cendres de certaines herbes, et principalement de la 
fougère. Plusieurs auteurs anciens, entre autres le Florentin 
Antoine Néri, sont très affirmatifs à cet égard, et donnent 
même des détails sur l’époque où 1l convient de couper la 
fougère, et la manière d'en tirer le sel. « Étant à Pise, dit 
Néri', j'ai fait l'épreuve de la cendre d’une herbe qu'on 
nomme filix, fougère ; elle croit abondamment en Toscane. 
Cette plante doit être coupée verte, depuis la fin de mai 
jusqu’à la mi-juin ; il faut choisir le temps du croissant de 
la lune, lorsqu'elle est prête d’être en opposition, car cette 
plante est alors dans sa perfection, et donne plus de sel et 
de meilleure qualité qu’en tout autre tems. Si on la laissoit 
sécher d'elle-même sur pied, elle n’en fourniroit que fort 
peu, et ce seroit de mauvaise qualité. Après lavoir coupée, 
comme on vient de le dire, et lavoir entamée, elle se flétrit 


ne se fait qu’au bout de deux ans. Après une attente et une culture si longues, 
ils viennent de Lorca, et même de plus loin, la vendre à Alicante. A Alicante 
seule on chargea, en 1722, quarante-quatre mille six cent quatre-vingt-douze 
quinteux de barille, sans compter ce que l’on exporta d'une espèce de barille 
supérieure nommée agua azul, qui ne vient que dans cet endroit et qui 
convient encore mieux pour les glaces. » 

l Art de la verrerie de Nérr, MERRET et KUNCKEL. — Paris, 1752, in-49, 
p. 22. Traductions de M. D... (D'Hozsacn). 


LA VERRERIE DU XM£ AU XIX° SIÉCLE 131 


et se sèche en peu de tems, et si on vient à la brûler, elle 
donne des cendres dont on pourra extraire un sel qui, mêlé 
avec le tarse bien tamisé, m'a donné un cristal fort beau et 
plus tendre qu’à lordinaire... » Le célèbre Kunckel, de 
Lowenstern, dont nous parlerons plus loin, confirme, ainsi 
que le savant chimiste anglais Ch. Merret', ce que dit Néri, 
tout en faisant remarquer que ce dernier s’est trompé en 
affirmant que l’on peut ainsi faire du verre semblable au 
cristal. 

Il est évident, en effet, qu'il y avait une différence notable, 
sous le rapport de la blancheur et de la pureté, entre les 
verres obtenus au moyen des procédés nouveaux importés 
par les Italiens et ceux dans la composition desquels il en- 
trait seulement des cendres de fougère. Cette différence était 
assez grande pour motiver une mention spéciale sur les 
lettres de confirmation octrovées aux verriers pour l’établis- 
ment de leurs fabriques, et cette distinction exista même 
jusqu’à la fin du siècle dernier, puisque les lettres ordonnant 
la suppression de la petite verrerie du Val-d’Aulnoy, et con- 
firmant, en faveur de la dame veuve Libaude, l’établisse- 
ment de la verrerie de Romesnil (22 septembre 1780), disent 
formellement qu'il lui sera permis de fabriquer « toutes 
sortes d'ouvrages de cristal, verres de fougère, verres fins 


! MERRET ajoute que l’on tirait « le sel propre à la confection des verres 
communs » d’une quantité de plantes; suivant lui, le meilleur est celui extrait 
des chardons ainsi que de toutes les plantes à épines et « des plantes amères, 
telles que le houblon, l’absinthe, la centaurée, la gentiane , etc. Les tiges 
brûlées du tabac fourniraient également beaucoup de sel, mais les champs où 
il faudrait la brûler souffriraient considérablement. » Il rapporte qu'un mar- 
chand lui a dit avoir offert au roi Charles I de « se charger du bâtiment et 
de l'entretien de plusieurs églises, et de leur faire de plus à chacune cent 
livres sterlins de rente annuelle, si on vouloit lui accorder toutes les tiges 
du tabac qui vient de Virginie; ce qui prouve qu'il comptoit sur un gain très 
considérable. Les plantes à cosse, telles que les pois, les fèves, ete., sont les 
meilleures après le tabac. » { Art de la verrerie, p. 21.) 


132 LA VERRERIE 


et communs, caraffons et autres sortes d'ouvrages vi- 
trifiés. » 

L'emploi de la fougère dans la fabrication des verres était 
tellement connu, que nos plus vieux auteurs v font fré- 


quemment des allusions : 


Ne voit l'en comment de fogière 
Font cil' et cendre et voire nestre... 


(Le Roman de la Rose, v. 16298.) 


Ils en parlent surtout quand il s'agit de désigner les 
verres communs, ceux dont se servaient les pauvres gens, 
par opposition sans doute aux verreries magnifiquement 
décorées que l’on ne trouvait que chez les princes et les 
orands seigneurs, et qui étaient toujours désignées sous le 
nom de verres de Damas ou verres à la façon de Damas. 
C'est ainsi que Guillaume Coquillart dit dans ses Poésies * : 


Ung homme povre et miserable 
N'a vaillant que ung lit, une table, 
Ung banc, ung pot, une salière, 
Cinq ou six voirres de feuchière 8, 
Une marmite à cuire poys... 


Par extension, on donnait quelquefois poétiquement le 
nom de fougère aux verres eux-mêmes : 


On sent la vapeur légère 
Déjà de maint vin nouveau, 
Qui, tout sortant du berceau, 
Pétille dans la fougère 


Et menace le cerveau 


1 Les alchimistes. 

? Les Poésies de Guillaume Coquillart, official de l’église de Reims. — 
Paris, 1723; in-89. — La première édition de ces poésies est de 1532. 

% Fougère. 

“ Caauueu. Au duc de Nevers. — Œuvres diverses [Amsterdam , 1733). 


PASVERRERIE DU XNA U XIX SIÈCLE 133 


Boileau s’est également permis cette licence poé- 
tique : 


Elle voit le barbier qui d’une main légère 
Tient un verre de vin qui rit dans la fougère !. 


De ce qui précède, 1l nous semble pouvoir inférer en toute 
certitude qu'il y a eu dans l'importation en France de la fa- 
brication de la verrerie italienne deux périodes bien dis- 
tinctes : l’une qui commence à la fin du xve siècle et se 
continue pendant une partie du xvie, et qui a eu pour ré- 
sultat la fabrication des verres décorés de peintures en émail 
polychrome; l’autre qui lui est un peu postérieure, et qui 
avait principalement pour objet établissement de manufac- 
tures de verres cristallins ou verres à la façon de Venise. Ce 
sont surtout des Altaristes qui ont été à la tête de ce der- 
nier mouvement, et qui furent appelés en France, en 1603, 
par Henri IV, pour diriger les verreries qu'il créa à Nevers 
et à Paris, à la suite de la première tentative patronnée par 
Henri IT, en 1552, mais qui ne parait pas avoir réussi. « Les 
verreries que Henri IT avait fait faire à Saint-Germain, dit 
de Thou ?, à limitation de celles de Venise, qui estoient si 
fameuses, étant tout à fait tombées, le Roi les fit rétablir à 
Nevers et à Paris, mais à plus grands frais. Pour soutenir 
ces manufactures, le roi créa une juridiction de commerce 
dont les juges étoient ürez du conseil du parlement, de la 
chambre des comptes et de la cour des aydes. » | 

Tout ce qui concerne l’industrie du verre en France, jus- 
qu'à la fin du xvue siècle, est généralement si peu connu, 


4 Le Lutrin, II. — Littré fait remarquer avec juste raison que « Boileau ne 
s’est pas rendu exactement compte du sens du mot, puisque, dans cet emploi, 
fougère est synonyme de verre à boire; d'autre part, si un verre de vin est 
mis pour une verrée de vin, tenir va mal. » 

? De Taou, Hisloire universelle, liv. CXXIX. 


134 LA VERRERIE 


que nous sommes bien forcé d’avouer que nous ne savons 
rien sur l'existence, la durée et les produits de ces verreries 
de Saint-Germain, « autrefois si fameuses, » dont parle de 
Thou. Cependant, d’après des lettres patentes qui avaient été 
accordées à leur fondateur, Theses (ou Theseo) Mutio, et que 
le parlement avait enregistrées le 3 février 1552, elles réu- 
nissaient toutes les conditions qui devaient en assurer le 
succès. Ces lettres sont intéressantes, en ce qu'elles mon- 
trent que Mutio était considéré comme ayant importé en 
France, sous le patronage de « notables personnaiges » qui 
l'avaient poussé à quitter son pays natal, le secret de la 
fabrication des verres à la facon de Venise. 


HENRY, etc... Nous avons reçu lhumble supplication de nostre 
cher et bien aimé Theses Mutio, gentilhomme italien, natif de Bou- 
longne-la-Grâce ‘, contenant que, aux persuasions d’aucuns notables 
personnaiges de notre royaume, il seroit party de son pays d'Italie et 
venu habiter nostredit royaume, pour y fondre et faire les verres, my- 
rouers, canons et autres espèces de verreries à la façon de Venize. 

En quoy faisant, n'ayant pu porter avec lui les outils et autres ins- 
trumens nécessaires audict art, luy arrivé en nostredit royaume pour 
dresser ses fournaises et autres choses aptes audict art, avant pouvoir 
ouvrer*? en nostredit royaume, il auroit esté contraint faire et faire 
faire nouveaulx ostils et autres choses nécessaires à icelui art avec 
grandissimes et importables frais et mises. 

Et à présent que le tout est rédigé en forme requise et tellement 
que les ouvrages qui en sortent sont communément trouvés de même 
beauté et excellence que ceux qu'on vouloit apporter dudit Venize, il 
craint que aucuns verriers voulussent eux efforcer contrefaire sondit 
ouvrage à la façon de Venize, et par ce moyen le fruster du rembour- 
sement desdits frais et mises par lui à sa venue et commencements 
soutenus et faitz en nostredit royaume, si par nous ne lui estoit sur ce 
pourveu. 


Sçavoir faisons que nous, très bien adverti des causes qui auroient 


! Bologne. 
? Travailler. 


LA VERRERIE DU XW AU XIX° SIÈCLE 135 


meu ledit Mutio se transporter en nostredit royaume pour y ouvrer et 
faire lesdits verres, myrouers, canons et autres espèces de verreries à 
ladicte façon de Venize, et l'honneste et utile commodité qu’en advient 
à nostre république, 

Voulons, à ceste cause, lui bailler moïen de se rembourser et 
récompenser desdits frais et mises. 

À icelui Theses Mutio avons donné et octroyé, et de nos certaine 
science , pleine puissance et autorité royale, donnons et octroyons fa- 
culté, permission et privilège exprès que durant l’espace de dix ans 
prochainement venant, il, seul, puisse faire ou faire faire en nostredit 
royaume lesdits verres, myrouers, canons et autres espèces de ver- 
reries à ladicte façon de Venize, et iceulx exposer ou faire exposer en 
vente en nostredit royaume et ailleurs où bon lui semblera ; faisant 
inhibitions et deffences à tous les verriers, marchands et vendeurs de 
verres de nostredit royaume, pays, terres et seigneuries de nostre 
obéissance, que durant ledict terme de dix ans, ils n’ayent à faire ou 
faire faire, ni exposer en vente en nostredit royaume aucuns verres, 
myrouers, canons ni autres espèces de verreries à ladicte facon de Ve- 
nize, s'ils ne sont de ceux qui auront été faictz par ledict Theses Mutio 
ou par son commandement, et ce, sur peine de confiscation desdits 
verres, myrouers, canons et autres choses, et d'amende arbitraire. 

SI DONNONS !, etc. 


Les guerres civiles qui désolèrent la France à cette 
époque n'étaient certainement pas favorables à la pro- 
spérité des manufactures de luxe, et c’est à cette cause 
qu'il faut probablement attribuer le peu de durée de la 
manufacture de Theses Mutio. Cependant ce ne fut pas la 
seule raison de son insuccès, et nous trouvons dans les 
procès-verbaux des séances de la commission consulta- 
tive dont parle de Thou, la preuve que lindustrie fran- 
çaise ne retira pas de la création de ces manufactures les 
avantages qu’elle était en droit d'en attendre. 

Dès l’année 1604, en effet, il s’éleva un différend entre la 
commission et les verriers italiens, qui prétendaient garder 


! Recueil des anciennes lois françaises, t. XIII, 1546-1559. 


136 LA VERRERIE 


pour eux ce qu'ils appelaient les secrets de leur fabrication, 
et qui ne voulaient pas faire d'élèves, ni prendre d’apprentis 
français. Les procès-verbaux des séances dans lesquelles on 
s’occupa de cette question sont assez curieux et assez peu 
connus pour que nous croyvions intéressant de les rappor- 


ter ici. 
« Du mardy 6 apvril 1604. 


« Suivant l'ordonnance de Messieurs, est comparu lun 
des maistres verriers, auquel lintention de Messieurs a esté 
déclarée; qui estoit qu'il avoit esté mandé pour apporter les 
statutz, ordonnance et privilèges de leur art et mestier, et 
qu'il leur convenoit prendre des apprentiz françois, estant 
la volonté de Sa Majesté. Lequel a respondu qu'il n’estoit 
que facteur des maistres ouvriers, et avoit apporté lesdits 
privilèges et lettres de naturalité, qu'il a mises ès mains de 
M. Desprez!, requérant qu'il feust donné delay au maistre 
verrier pour se représenter, attendu qu'il estoit détenu de 
maladie. Ce qui luy a esté accordé jusques à ce qu'il feust 
revenu en convalescence. » 


« Du vendredy 21 may 1604. 


« Un nommé Sérode?, maistre verrier, estant comparu, 
suivant l’ordonnance, et ayant esté adverti de l'intention et 
cause pour laquelle il estoit mandé, qui estoit qu'il luy 
convenoit prendre des apprentiz françois auxquels il mon- 


! Un des membres de la commission. 

2 Il faut lire évidemment Sarode. Plusieurs verriers portant ce nom existent 
encore à Allare, et nous avons vu plus haut que les Sarode étaient venus 
fonder des verreries à Nantes et dans le Poitou, où ils ont laissé de nombreux 
descendants qui n'exercent plus, croyons-nous, la profession de leurs ancêtres. 
C'est également un Sarode qui, sous la protection de Louis de Gonzague, fonda 
la verrerie de Nevers. 


LA VERRERIE DUNXVS AU XIX° SIÈCLE 137 


treroit le secret et art de faire des verres, et faict responce 
qu'il ne luy estoit permis par le prince de Mantoue, et qu’où 
il voudroit oultre-passer de la deffense dudict prince, tous 
ses ouvriers le quitteroient et abandonneroiïent, ce qui luv 
tourneroit à grand préjudice. » 


Les Italiens appelés en France ayant été naturalisés et 
jouissant de tous les droits et avantages que leur conférait 
leur naturalisation, la commission ne pouvait évidemment 
pas admettre la prétention de Sarode d'obtenir la permis- 
sion du duc de Mantoue; cependant elle ne voulut rien 
décider sans en avoir référé au roi : 


« Du mardy 25 may 1604. 


« M. Desprez a faict lecture des privilèges que les 
maistres verriers italiens ont obtenus de Sa Majesté, 
par lesquelz 1lz sont naturalisés et tenus pour regnicoles, 
et que neantmoing 1lz ne vouloient comme les autres 
enseigner leur art et mestier aux François, ce qui estoit 
de mauvais exemple. Sur quoy a esté advisé qu'on en 
feroit remontrance à M. le chevalier (?), pour en faire 
sa plainte à Sa dite Majesté, et avoir sur ce son advis et 
volonté. » 


Il est à croire que la question des apprentis français 
n'avait pas été prévue, et qu'il était difficile de forcer les 
verriers italiens à se rendre au désir la commission, car 
deux mois après nous voyons cette dernière demander que 


le roi écrive au duc de Mantoue. 


« Du vendredy 16 juillet 1604. 


« MM. de Grieu et Desprez ont fait rapport que les 
maistres verriers italiens disent qu'ilz ne peuvent prendre 


138 LA VERRERIE 


apprentiz françois qu'avec permission du duc de Mantoue, 
et que s'il plaisoit à Sa Majesté d'escrire audict duc pour 
avoir de luy la permission, qu'ilz le désireroient fort. Sur 
quoy, Messieurs ont esté d’advis de communiquer dudit 
affaire à M. le chancelier, affin d'en faire son rapport au 


conseil !. » 


Nous ne savons si cette permission a été demandée, ni si 
elle a été accordée ou refusée; mais, ce qui est certain, c’est 
que la commission fut d'avis de rétablir les anciennes ver- 
reries, qui avaient dû éteindre leurs feux lors de la création 
des manufactures italiennes et par suite des privilèges et 
avantages exceptionnels qui leur avaient été accordés. On 
lit, en effet, dans le Recueil de ce qui a esté délibéré par les 
commissaires ordonnez par Sa Majesté : « Les anciennes ver- 
reries de France, de si longtemps ordonnées pour les pauvres 
gentilzhommes nécessiteux ?, qui s’y peuvent adonner et 
en faire traffic sans déroger à noblesse, à présent suppri- 
mées par les Italiens, qui ont introduit de nouvelles verre- 
ries de cristal sans les communiquer à autres que de leur 
nation, seront restablies en faveur de la pauvre noblesse 
françoise, en ce qu'il est ordonné par la diligence desdits 
sieurs commissaires, que désormais lesdits Italiens seront 
tenuz apprendre l’industrie et l'invention de leurs verres de 
cristal aux François qu'ils prendront pour apprentifs; ce 
qu'ils avoient cy-devant refusé pour les deffences qu'ils pré- 
tendoient leur en estre faictes par leurs princes, et le ser- 


! Registre des délibérations de la commission consultative sur le faict de 
commerce général et de l’élablissement des manufactures dans le royaume, 
instituée à Paris par lettres patentes du roi Henri IV. Publié par CHan- 
POLLION FIGEAC, dans ses Documents inédits, t. IV (passim). 

? Nous étudierons plus loin en détail cette question des gentilshommes 


verriers, dont on retrouve si souvent la mention. 


LA VERRERIE DU XV%AU XIX° SIÈCLE 139 


ment qu'ils en debvoient à leur patrie : à quoy est remédié 
par lettres de naturalité, et, par le moyen d’icelles, au trans- 
port qu'ils faisoient de leurs richesses et commodités hors 
de la France. » 

Il est certain que, malgré les « lettres de naturalité », et 
malgré la délibération des commissaires, on se sentait dans 
limpossibilité d’obliger les verriers italiens à prendre des 
apprentis français, puisqu'on rétablissait les anciennes 
verreries, qui avalent été supprimées pour augmenter les 
privilèges des manufactures de verre dit de cristal. Quatre 
ans plus tard, du reste, un verrier rouennais se plaignant, 
lui aussi, de la rareté des ouvriers et des grands sacrifices 
qu'il était obligé de s'imposer pour pouvoir s’en procurer, 
disait que « tous ces ouvriers étaient des Italiens qui s’en- 
gageaient par serment à ne former d’apprentifs que dans 
leur propre famille, et à ne pas initier à leur art des ver- 
riers françois. » 

Il nous paraît donc bien évident que la tentative faite par 
Henri IV n'obtint pas, à Paris du moins, le succès qu'il en 
avait espéré. 

Il en fut à peu près de même pour les verreries dont il 
avait encouragé l'établissement à Rouen, dans lintention de 
donner « à ses subjects de Normandye l’usaige commun des 
ouvraiges de verrerye comme chose qui leur estoit néces- 
saire ». [ci encore, ce sont deux Altaristes, « Vincent Bus- 
son et Thomas Bartholus, gentilshommes verriers, natifs 
du duché de Mantoue, » qui, par lettre du 24 janvier 1598, 
furent autorisés à construire, dans la ville de Rouen ou ses 
faubourgs, une verrerie pour y fabriquer « verres de cris- 
tail, verres douz, esmaulx et aultres ouvraiges qui se font à 
Venize et aultres lieux et pays estrangers et aultres qu'ils 
pourroient de nouveau inventer. » Ces lettres portaient en 
outre la défense d'établir dorénavant aucune verrerie à vingt 


140 LA VERRERIE 


lieues alentour, excepté pour les verres communs, « dits 
verres de fougère!. » 

On ne sait si Vincent Busson et Thomas Bartholus purent 
profiter de leur privilège et des avantages qu'il leur créait ; 
mais c'est bien peu probable, puisque, dès l’année 1605 (le 
& mars), un autre verrier, François de Garsonnet, gentil- 
homme provençal, obtint également de Henri IV des lettres 
patentes qui « lui permirent d'établir à Rouen, au lieu le 
plus commode », une verrerie de cristal pour v faire tra- 
vailler « toultes sortes d'ouvriers estrangers que bon lui 
sembleroit », et qui devaient jouir, comme lui-même, des 
privilèges, franchises et exemptions dont jouissaient les 
autres verriers du royaume; en outre, ces lettres faisaient 
« défense expresse à tous verriers et aultres personnes, d'é- 
tablir aucune verrerie de cristal dans la ville de Rouen et 
le ressort du parlement de Normandie pendant le délai de 
dix ans, sous peine de rupture des fourneaux des contreve- 
nants, de mille écus d'amende envers le rov, et de pareille 
somme au profit du sieur de Garsonnet. » La verrerie fut 
établie dans le faubourg de Saint-Sever, et commença à 
fonctionner dans les premiers mois de 1606; malheureu- 
sement, à la fin de cette même année, un violent incendie 
détruisit les bâtiments, les fourneaux, le matériel et le 
combustible dont la manufacture était approvisionnée, et 
il s’ensuivit un chômage forcé de près de deux ans, suivis 
de plusieurs autres années de disette qui arrêtèrent les 
affaires, de sorte que le pauvre verrier approchait du terme 
de son privilège sans avoir pu en bénéficier d'aucune sorte. 

Il demanda alors et obtint du roi Louis XIIT, par lettres 


! Archives du parlement. Rapports civils, 26 fév. 1598, cités par M. LE 
VAILLANT DE LA FIiEFFE, dans son ouvrage : les Gentilshommes et artistes ver- 
riers normands (Rouen, 1873). C'est à cet excellent travail que nous avons 
emprunté la plus grande partie de ce qui a trait aux verreries de la Normandie. 


PASNMERRERTIE DUR VAT XIX SIÈCLE 141 


données à Paris le 4 mai 1613, une prolongation de dix 
autres années, qui lui fut d'autant plus facilement accordée 
que le roi reconnaissait qu'il ne pouvait faire choix d’un 
homme plus intelligent et plus capable par le témoignage 
qu'il en avait déjà rendu « tant en l’art de ladicte manufac- 
ture de verre de cristail ordinaire et raffiné, que aussy aux 
ouvraiges de canons' et esmaulx de verres de belles et 
riches couleurs non encore usitées. » 

Le 96 juin suivant, le parlement de Normandie enregistra 
le nouveau privilège; mais, craignant qu'une trop grande 
consommation de bois ne nuisit à l’approvisionnement de la 
ville de Rouen et n’augmentât considérablement le prix du 
combustible, il imposa à Garsonnet la condition de n’en 
brûler annuellement que deux acres, ce qui était beaucoup 
trop insuffisant pour lui permettre de donner à sa fabrica- 
tion le développement qu’elle comportait. Si ce que rapporte 
M. Le Vaillant de la Fieffe est exact, c’est dans cette occa- 
sion que Garsonnet prouva réellement que l’opinion que l’on 
. avait de son intelligence et de son esprit d'initiative était 
fondée, puisque, dès 1616, il aurait substitué la houille au 
bois; fait assez important dans l’histoire des arts du feu, et 
d’un très grand intérêt pour celle de l’industrie française, 
puisque jusqu’à présent on a attribué la première application 
de ce système de cuisson à un Anglais, sir Robert Mansell, 
directeur de la verrerie de Savoye-House, à Londres. 

Il ne parait pas cependant que Garsonnet ait fait de bien 
brillantes affaires; car, après avoir exploité son privilège 
pendant quatorze ans, il céda sa fabrique, le 17 janvier 4619, 
« sous le bon plaisir du roy, » à Jean et Pierre d'Azémar, 
centilshommes verriers, pour la somme peu élevée de 
7,500 livres tournois, et de 22,307 livres 17 sous 8 deniers, 


1 On appelait canons les cylindres de verre coloré que l’on tirait au moyen 
du pontil, ainsi que nous l’avons expliqué page 94. 


142 LA VERRERIE 


représentant la valeur des « verres à boire et aultres, 
soulde, salins, fourneaux, ustensiles et aultres choses, ser- 
vant à la dicte verrerve. » 

Une contestation que Garsonnet eut, quelques années 
avant de se retirer, avec un verrier patenôtrier de Rouen, 
est fort intéressante en ce qu’elle montre que Murano n'avait 
pas conservé le monopole de la fabrication des perles de 
verre, dont Venise avait autrefois tiré de si grands profits, 
et qui servaient à faire les colliers et les chapelets. 

Se fondant sur le privilège qui lui avait été accordé, Gar- 
sonnet demanda au parlement la démolition d’un petit four 
de verrerie exploité à Rouen, dans le faubourg Cauchoise, 
par un maitre patenôtrier nommé Matthieu Delamarre, pré- 
tendant qu'aux termes mêmes de son privilège il avait seul 
le droit de fabriquer des canons de verre et des émaux. De- 
lamarre, de son côté, Invoquait les statuts du métier des pa- 
tenôtriers-verriers ‘, datant de 1593, confirmés par lettres 
patentes du roi, vérifiées au bailliage de Rouen en 1595, et 
portant que «les maitres dudict mestier pourront faire pa- 
tenostres et boutons d’émail et de verre, chaisnes, colliers 
et braceletz passantz par le feu et fourneau. » La question 
était assez grave pour que toute la corporation s’en mêlât, 
et les patenôtriers de Paris crurent devoir intervenir, en 
affirmant devant les notaires du Châtelet que de tout temps 
ils avaient fait et vu faire à leurs prédécesseurs les émaux 
et canons de verre de plusieurs couleurs, mis en branches 
et en pains pour leur usage. La cour, par un arrêt qui con- 
ciliait, autant que possible, les prétentions rivales des deux 


! « Patenôlriers. — Les patenôtriers sont ceux qui font et vendent toutes 
sortes de chapelets et colliers de perles. Cette communauté a des lettres 
patentes qui lui ont été accordées en 1569, sous Charles IX, et a été réunie 
en 1718 à celle des plumassiers, » (Almanach Dauphin pour 1777, ou Tablettes 
royales du vrai mérite des artistes célèbres.) 


PAMVARRERTIENDUEXMS AULXIX SIÈCLE 143 


industries, décida que Delamarre conserverait ses fourneaux, 
mais à la condition de n’y fabriquer que des émaux pour 
servir aux ouvrages de son métier, sans pouvoir en vendre 
à d’autres personnes qu'aux patenôtriers de Rouen, ni en 
transporter hors l'enceinte de la ville‘. 

Jean et Pierre d'Azémar, fils de Thibault d’Azémar, écuyer, 
sieur de Colombier, descendaient d’une noble et antique fa- 
mille du Languedoc, dans laquelle on exerçait depuis deux 
cent cinquante ans l’art de la verrerie; il faut croire que, 
malgré leur noblesse, ils métaient pas riches, car ils durent 
s'associer, pour exploiter la verrerie de Garsonnet, avec un 
bourgeois de Rouen, Antoine Girard, de la paroisse de 
Saint-Sever, qui fournit la totalité des fonds et se réserva 
la direction exclusive de la vente des produits que les frères 
d'Azémar fabriquaient; en outre, c’est dans la maison de 
Girard, appropriée à cet usage, que fut transféré le nouvel 
établissement, qui prit bientôt une importance assez grande 
pour mériter d'être indiqué spécialement sur un plan de 
Rouen datant à peu près de cette époque ?. 

En 1624, après la mort d'Antoine Girard, Jean et Pierre 
d’Azémar exploitèrent seuls cet établissement, pour lequel 
ils obtinrent, à la date du 6 février 1623, une prolongation 
de douze ans du privilège qui leur avait été cédé par Gar- 
sonnet, et qui finissait en 1626. Quand ces douze années 
furent écoulées, ils adressèrent au roi une supplique ten- 
dant à ce que ce privilège fût renouvelé à perpétuité pour 
eux et leurs successeurs, et leurs produits étaient alors assez 
renommés pour que cette nouvelle demande leur ait été 
accordée. Les lettres patentes qui confirment ce privilège 


1 LE VAILLANT DE LA FIEFFE, loc. cit. 

? Voir le Plan de Rouen en 1655, par Gompousr. Cette verrerie était située 
à l’angle de la rue aux Anglais et de l’ancienne rue du Pré, qui prit alors le 
nom de rue de la Verrerie. 


144 LA VERRERIE 


contiennent à l'adresse des frères d’Azémar des termes tel- 
lement élogieux, et qui montrent si bien dans quelle grande 
estime on tenait alors en France l'art de la verrerie, que 
nous n'hésitons pas à les reproduire. 


Lettres concédant un privilège perpétuel à Jean et Pierre d’Azémar, 
successeurs du sieur Garsonnet. — Mars 1635. 


Louis, etc. La cognoissance que nous avons eue que les grands 
Étatz après avoir esté accrus et augmentez par les armes , se sont con- 
servez et rendus florissans par l'exercice des sciences et des arts tant 
libéraux que méchaniques, nous à obligé d’exciter nos subjects par 
toultes sortes de moyens à s’y adonner; et comme les esprits vertueux 
n'ont aultre objet de leurs travaux que l'honneur, aussi en avons-nous 
départi les marques ordinaires à ceux qui, s'étant acquis quelques 
excellences et qualitez extraordinaires, s’en sont rendus dignes, et prin- 
cipalement aux maistres en l'art de verrerye, dont les effets admirables 
nous ont donné subject d'accorder plusieurs privilèges à ceux qui 
l'exercent, parmy lesquels nos chers et bien-amés Jehan et Pierre 
d’Azémar frères, gentilshommes d'extraction de nostre pays de Lan- 
guedoc, continuant la profession que leurs prédécesseurs ont faite 
depuis 250 ans, et dans laquelle ils ont, les premiers, trouvé linven- 
üon de travailler en cristal, ont esté établis en la ville de Rouen 
par nos lettres du 6 février 1623... Mais d'autant qu'ils ont faict de 
grandes dépenses en la dicte verrerve, de laquelle il sort aujourd'huy 
de plus excellents ouvrages que d’aucunes de ce royaume, ils nous ont 
très humblement supplié leur vouloir pour récompense de leurs longs 
travaux accorder la jouissance d’icelle à perpétuité, ainsi que nous 
avons Cy-devant fait à Jean Mareschal de ceste ville de Paris, mettant 
en considération que depuis 250 ans leurs prédécesseurs et eux tra- 
vaillent à perfectionner le dict art de verrerye, et qu'ils y ont si bien 
réussi, que les ouvrages de Venise n’ont plus aucun avantage sur les 
leurs. 

A ces causes..…, continuons aux dicts exposants et leurs succes- 
seurs la jouissance de la verrerye de cristal établie en la ville de 
Rouen pour en jouir aux honneurs, etc..., desfendant très expressé- 
ment à toute personne d’establir en nostre dicte ville et ressort du 


parlement de Rouen aucune verrerye de cristal, ni faire apporter en 


LA VERRERIE DU XVSAU XIX° SIÉCLE 145 


icelle aucuns verres, canons, émaux ou glaces sur les peines portées 
par nos dictes lettres et aultres arbitraires. 
SY DONNONS EN MANDEMENT, etc. 


DONNÉ à Paris, au mois de mars, l’an de grâce 1635, et de 
nostre règne le vingt-cinquième. 
Signé : Louis !. 


M. Le Vaillant de la Fieffe, à l'ouvrage duquel nous avons 
emprunté le texte de ces lettres, mentionne une opposition 
qui aurait été faite, dès 1627, à l'enregistrement du privilège 
des frères d’Azémar, par le beau-frère de l’un d’eux, Antoine 
Girard, sieur de Saint-Amand. Il y a là, dans l’histoire des 
verreries normandes, un point qui nous paraît douteux, et 
qui aurait besoin d’être éclairci par de nouvelles recherches. 

Cet Antoine Girard, en effet, n’était autre que le poète 
Saint-Amand, commissaire ordinaire de lartillerie de 
France (?), auteur de Moyse sauvé, et plus connu par les 
vers dans lesquels Boileau le traite avec un si profond mé- 
pris’, que par la valeur de ses poésies, trop injustement 
dédaignées cependant. 

Suivant l’auteur que nous avons cité, Saint-Amand, se 
fondant sur ce que le privilège avait été accordé à son père, 
Antoine Girard, et non aux frères d’Azémar, dont l’un, 


1! Archives du parlement. — Rap. civ., 24 septembre 1635. 
? Boiceau est évidemment injuste et cruellement méchant dans ce passage 
de sa Satire première, où il reproche au poète sa pauvreté : 
Saint-Amand n’eut du ciel que sa veine en partage. 
L'habit qu'il eut sur lui fut son seul héritage ; 
Un lit et deux placets composaient tout son bien, 
Ou, pour mieux en parler, Saint-Amand n’avait rien. 


Il n’est guère plus indulgent dans ces vers bien connus de l’Art poétique 
(chant Ill) : 


N’imitez pas ce fou, qui, décrivant les mers 

Et peignant au milieu de leurs flots entr’ouverts 
L’Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres, 
Met, pour le voir passer, les poissons aux fenêtres. 


10 


146 LA VERRERIE 


Pierre, avait épousé sa sœur ainée en 1619, aurait adressé 
en 4627 à Pierre Séguier, chancelier de France, un placet 
en vers que l’on trouve dans ses œuvres. Or, Séguier n'ayant 
été nommé garde des sceaux qu'en 1633, et chancelier en 
1635, il v a là évidemment une erreur; du reste, Saint- 
Amand lui-même a indiqué lépoque à laquelle il avait 
adressé ce placet, par une note qui en accompagne la pu- 
blication, dans une édition de ses poésies datée de 1658. 
«IL y a à peu près vingt ans, dit-il', que j'ai adressé ce 
placet. » Nous serions donc plutôt disposé à croire que ces 
vers avaient pour but d’appuver la demande adressée en 
1635, par les frères d’Azémar, afin d'obtenir le renouvelle- 
ment du privilège de leur verrerie, — dans laquelle notre 
poète avait peut-être un intérêt faisant partie de la suc- 
cession de son père, — ou d'accompagner celle dont nous 
parlerons plus loin, qui sollicitait pour sa sœur, restée 
veuve avec dix enfants, l'obtention d’un privilège perpétuel. 

Quoi qu'il en soit, voici ce placet, curieux à plus d’un titre : 


PLACET 


A MONSEIGNEUR LE CHANCELIER 


pour un privilège de verrerie 


Esprit grave, noble et charmant, 
Il n’est plus de justice en terre 
Si, pour une affaire de verre, 

Tu refuses un Saint-Amant. 

Je ne crois pas que tu le puisses, 
Considérant, lorsque je boy, 

Que ton gendre *? parle pour moy, 


! Dernier Recueil de diverses pocsies du sieur de Saint-Amand ; imprimé à 
Rouen et se vend à Paris, chez Antoine Sommerville, au Palais, etc... M.Dc.Lvur. 

? La fille aînée du chancelier, Marie, avait épousé en premières noces le mar- 
quis de Coislin « petit bossu, mais qui avoit du cœur, et estoit de bonne 
maison, » dit TALLEMAND DES RÉAUX. 


LA VERRERTE DU XWW AU XIX° SIÈCLE 147 


Et qu’il est général des Suisses. 
Depesche donc, je suis hasté, 
Et mon impatience est grande ; 
Ce n’est que pour fournir au monde 
Dans quoy trinquer à ta santé. 
Est-il besoin de te le dire? 
Il ne me faut qu’un cercle empreint de notre sire; 
Et je te jure par le ciel 
Qu’à honneur de ton nom cent vers je feray lire, 
Plus coulants que ta propre cire, 
Et plus doux mesme que le miel. 


Il était difficile qu'une semblable requête ne fût pas bien 
accueillie ; aussi Saint-Amand, dans une autre pièce inti- 
tulée le Cidre, se charge-t-il de nous apprendre, et le succès 
qu’il obtint, et la reconnaissance qu’il avait vouée au chan- 
celier. Ces vers, intéressants au point de vue de l’histoire 
de la verrerie, viennent confirmer ce que nous avons dit 
plus haut relativement à la façon dont, à cette époque en- 
core, on obtenait la potasse nécessaire à la fabrication, en 
brûlant des herbes de différentes espèces, et prouvent éga- 
lement que la fabrication dite altariste était estimée en 
France à l’égal de celle de Venise : 


Page, remply-moi ce grand verre 
Fourby de feuilles de figuier, 

Afin que d’un ton de tonnerre 

Je m’escrie à toute la terre : 

Masse, à l'honneur du grand SÉGUIER ! 
Je le révère, je l’admire : 

Il m'a fait, avec de la cire, 

Une fortune de cristal, 

Que je feray briller, et lire 

Sur le marbre et sur le métal. 

C’est par luy que, dans ma province, 
On voit refleurir depuis peu 

Cet illustre et bel art de prince, 


148 LA VERRERIE 


Dont la matière fresle et mince 

Est le plus noble effort du feu; 

C’est par luy que de sable et d'herbe, 
Dessus les champs bruslée en gerbe, 
Les miracles se font chez moy, 

Et que maint ouvrage superbe 

Y prétend aux lèvres d’un roy. 

Que d'industrie et de vitesse, 
Quand, animé d’un souffle humain, 
Un prodige de délicatesse 

S'enfle et se forme avec justesse 
Sous l'excellence d’une main. 

Que de plaisir quand on le roue, 
Quand un bras desnoué s’en joue, 
Soit dans Venize ou dans l’Altar ! 

Et que d’ardeur mon âme advoue 
Pour ce vase où rit ce nectar… 


Nous avons dû mentionner les doutes qui se sont pré- 
sentés à nous au sujet de ce privilège particulier qui aurait 
été accordé à Saint-Amand ; mais, nous le répétons, nous 
devons nous borner à n’émettre qu'une simple supposition, 
laissant aux érudits normands le soin de rechercher si réel- 
lement le poète fut propriétaire d’une verrerie à Rouen, ce 
qui ne s’accorderait n1 avec le privilège exclusif qui avait 
été concédé aux frères d’Azémar !, ni avec ce que l’on sait 
de lexistence un peu aventureuse et fort irrégulière de 
l’auteur du Moyse sauvé, auquel Boileau reprochait aussi, 
et assez Justement cette fois, d'aller 

. avec Faret*?, 
Charbonner de ses vers les murs d’un cabaret. 


! Ilest évident qu'il n'y avait pas à cette époque une seconde verrerie à Rouen. 
Or Saint-Amand a daté De la Verrerie une de ses lettres inédites, écrites 
pendant un séjour qu'il fit dans cette ville en 1644, ce qui permet de supposer 
qu'il était momentanément alors dans l'établissement dirigé par sa sœur. 

? Farer, auteur d’un livre intitulé l’Honnêle homme, élait le compagnon de 
débauches de Saint-Amand. 


LA VERRERIE DU XVS AU XIX° SIÈCLE 149 


Ce n’est pas, du reste, la seule erreur qui aurait été 
commise relativement à Saint-Amand en tant que verrier; 
c’est ainsi que, sur la foi du Ménagiana, on lui applique 
généralement l’épigramme suivante, citée bien souvent, 
et attribuée au poète Théophile, alors qu’en réalité elle 
est de Maynard : 


Votre noblesse est mince, 
Car ce n’est pas d’un prince, 
Daphnis, que vous sortez. 
Gentilhomme de verre, 

S1 vous tombez à terre, 
Adieu vos qualitez ! 


Cette épigramme se trouve dans la première édition du 
Cabinet satirique, publiée en 1618, et cette date ne permet 
pas de supposer que son auteur ait visé Saint - Amand, né 
en 1594, par conséquent à peine âgé alors de vingt - quatre 
ans, et tout à fait inconnu à cette époque‘. 

Les frères d’Azémar moururent quelques années après 
avoir obtenu le renouvellement de leur privilège, laissant 
des dettes pour le payement desquelles les créanciers mirent 
une saisie sur leurs biens. Il est vrai de dire qu’ils avaient 
eu à lutter contre une concurrence sérieuse, le parlement 
de Normandie ayant refusé de sanctionner le monopole 
exorbitant contenu dans les lettres de 1635, qui aurait eu 
pour effet de livrer à une seule fabrique le marché de toute 


1 Certains auteurs la rapportent comme ayant été adressée à la fille d’un 
gentilhomme verrier, dont le mariage avait causé quelque scandale : 


Votre noblesse est mince, 
Car ce n’est pas d’un prince, 
Chloris, que vous sortez. 
Demoiselle de verre, 

Si vous tombez à terre, 
Adieu vos qualités ! 


150 LA VERRERIE 


une province, et réservant pour tous le droit, sinon de fa- 
briquer, au moins d'apporter et de vendre librement, dans 
l'étendue de son ressort, toute espèce d'ouvrage de verrerie. 

Les affaires de la verrerie de Rouen étaient donc loin de 
prospérer, et quand Anne Girard resta veuve avec dix 
enfants, — cinq garçons et cinq filles, — elle ne possédait 
même plus intacte la propriété des bâtiments de la manu- 
facture, dont une partie avait dû être engagée à un négo- 
ciant de Rouen, Nicolas de Paul. 

Elle s’adressa de nouveau au roi, et sut si bien faire 
plaider sa cause, — et peut-être est-ce à ce moment qu'eut 
lieu l'intervention de Saint-Amand, — qu’elle obtint des 
lettres patentes, datées du mois de juin 1642, confirmant 
au profit de ses enfants le privilège accordé à son beau-frère 
et à son mari, et mettant dorénavant la manufacture à Pabri 
des créanciers, en la déclarant insaisissable et incessible. 
Nous relèverons dans ces lettres le passage suivant, tout à 
l'éloge de cette malheureuse veuve : 


Louis, etc... Attendu les grands services que les dicts deffunts 
nous ont rendus et au publicq, nous ne pouvons en accorder la conti- 
nuation à aultres qu'aux dicts enfants, qui la peuvent tenir et exercer 
soubz la conduicte de leur mère. Pour ce qu'il semble que telles per- 
missions et commissions ne se peuvent valablement accorder qu’à temps 
ou à vie, d’aultant que c’est par la considération de l'exercice en Part 
dont presque toujours seul est capable celuy à qui elles sont octroyées, 
et lequel souvent finit avec sa vie; néantmoins ayant esté asseuré par 
de nos plus spéciaux serviteurs, gens dignes de foy, que par le long 
temps que la dicte veuve Girard a esté avec feu son mary, elle a entiè- 
rement appris la science et esconomie du dict art de faire verres en 
cristal. Permettons à la dicte dame Girard, veuve, et aux enfants 
masles du dict deffunt Pierre d’Azémar, et à leurs fils, héritiers et suc- 
cesseurs masles à perpétuité qui se rendront dignes du dict art et fe- 
ront l'actuelle fonction et non aultrement, l'exercice de la dicte verre- 
rye..., Sans qu'aucun d'eux puisse vendre ny engager la présente 
concession, pour quelque cause que ce soit, ny les lieux et places où 


LA VERRERIE DU XVSAU XIX° SIÈCLE 151 


les dicts fourneaux destinez au dict art sont establis, dont aussy ils ne 
pourront estre dépossédez par vente ny aultrement, non plus que de 
la présente permission, faisant pour cet effet trez expresses défenses à 
toultes personnes d’establir en nostre ville de Rouen et ressort du par- 
tement aulcune verrerye de cristal, etc. 


DoNNÉ au mois de juing de l'an de grâce 1642, et de nostre 
règne le trente-troisième. 
Signé : Louis. 


Anne Girard s’associa alors avec Samuel Thoret, auquel 
son mari, avant sa mort, avait, par un acte du 15 juillet 
1541, cédé pour trois ans l’administration de la verrerie‘. 

Les deux associés eurent de nombreux procès à soutenir. 
Forte du nouveau privilège qui avait été accordé à ses en- 
fants, la veuve de Pierre d’Azémar prétendit interdire dans 
toute la province de Normandie la fabrication et la vente 
du cristal, et là encore elle eut gain de cause. La cour, par 
un arrêt en date du 21 août 1648, défendit aux verriers de 
Normandie, et cela « sous peine de démolition de leurs 
fourneaux, de travailler n1 faire travailler aux dicts ouvraiges 
ailleurs qu’en la verrerye de la dicte veuve et héritiers du 
dict d’Azémar, à peine d'amende et intérest », et ordonnait 
« que tous les fourneaux des contrevenants seroient démolis 
et rompus ». 

C'était la ruine de toutes les verreries du ressort du par- 
lement de Rouen, et déjà le propriétaire de celle de Flamets 
avait dû transporter ses fourneaux à Caule, dans le comté 
d'Eu, qui relevait du parlement de Paris, lorsque tous les 
verriers réclamèrent et obtinrent, par lettres patentes don- 
nées à Dijon au mois d'avril 1650, la confirmation des pri- 
vilèges accordés autrefois à tous les verriers du royaume, 
ainsi que l’autorisation de faire du cristal. 


1 LE VAILLANT DE LA FIEFFE, loc. cit. 


152 LA VERRERIE 


Anne Girard et son associé réclamèrent en vain; la cour 
rejeta leur opposition, et la fabrication du verre dit de cris- 
tal put alors se développer librement dans toute la province 
de Normandie. En 1656, Louis Lucas, sieur de Nehou, gen- 
tilhomme normand, alla fonder à Tourlaville, près de Cher- 
bourg, une verrerie qui devint bientôt une des plus impor- 
tantes de tout le royaume; c’est à cette manufacture que 
revient l'honneur d'avoir trouvé et appliqué, la première en 
France, vers 1688, le procédé de la fabrication des glaces au 
moyen du coulage, procédé qui constituait un progrès con- 
sidérable dans l’industrie du verre, et nous verrons plus 
loin que la fabrique de Tourlaville fut le berceau de notre 
grande manufacture de Saint-Gobain, dont la France peut 
à bon droit s’enorguillir. 

A dater de cette époque, l'histoire de la verrerie de Rouen 
n'offre plus rien d’intéressant, et au xvire siècle nous n°v 
retrouvons plus aucun membre de la famille d'Azémar. Elle 
portait cependant encore, en 175%, le titre de Manufacture 
royale de cristaux, mais elle disparut entièrement vers 1768, 
après une existence qui avait duré environ deux cent soixante 
ans, et dont une période au moins avait été assez brillante. 

Outre cette verrerie, dont nous avons dû nous occuper 
un peu longuement, tant à cause des particularités Intéres- 
santes que présentait son histoire, que par la place qu'elle 
a occupée dans le développement de l’industrie verrière en 
France, 1l existait en Normandie un grand nombre d’autres 
fabriques beaucoup moins importantes, dont l'étude offre 
moins d'attrait, puisque l’on ne connait rien de bien précis 
sur ce qui concerne leur fabrication, mais dont l'origine est 
cependant de beaucoup antérieure à celle de leur rivale. 

Telle est, en premier lieu, la verrerie établie d’abord à la 
Fontaine-du-Houx, près Bézu, transportée plus tard à la 


Have, et qui, suivant quelques historiens, existait déjà avant 


LA VERRERIE DU XVA AU XIX° SIÈCLE 153 


Philippe le Bel. Il résulte d’un document conservé à la Bi- 
bliothèque nationale, et communiqué par M. Léopold Delisle 
à M. Milet, qui l’a publié, que cette verrerie, dans laquelle 
on fabriquait principalement le verre à vitre, désigné alors 
sous le nom de gros verre?, était, au commencement du 
xive siècle, exploitée aux frais du roi. Après avoir été suc- 
cessivement dirigée par des membres des diverses familles 
des gentilshommes verriers de la Normandie, les Cacqueray, 
les Brossard, les Le Vaillant, etc., dont nous parlerons plus 
loin, elle traina, à la fin du siècle dernier, une existence 
difficile, et finit par disparaître tout à fait. Son histoire 
n'ofire rien d'intéressant en dehors de la mention suivante, 
qu'en à faite l’auteur anonyme d’un petit opuscule publié 
en 1693 : « En l’année 1330, fut donné pouvoir par le roi 
Philippe VI à Philippe de Cacqueray, écuyer, sieur de Saint- 
Inmes, premier inventeur du plast de verre, appelé verre 
de France, comme portant son nom, de faire establir une 
verrerie proche Bezu, en Normandie, qui fut nommée la 
Haye, en payant par chacune année à Sa Majesté la somme 
de 3 livres ou vingt boisseaux d’avoine*. » 

Cette affirmation, qui n’est appuyée d’aucun texte, et qui 
ne repose sur rien de bien précis, vient controuver le ren- 
seignement fourni par le compte de 1302, publié par 
M. Milet, et qui ferait remonter à une époque antérieure, 
et sous la direction d’un verrier nommé Gobert, — per Ma- 
gistrum (Gobertum vitrearium, — la première fabrication 
en France des verres à vitres. Il y a là encore un point dif- 
ficile à éclaircir ; il est à présumer cependant que ce titre 


! Histoire d’un four à verre de l’ancienne Normandie. In-8°, 1871. 

2? D'où le nom de grosses verreries donné souvent à ces fabriques, par oppo- 
sition aux petites verreries, dans lesquelles on ne faisait que de la gobeleterie. 

3 De l’Origine et de l’art de la peinture sur verre, et de la création des 
verreries et communautés des maîtres verriers. — Petit in-12 de 51 pages ; 
Paris, 1693. (Réimprimé dans le tome XVI de la collection Leber.) 


154 LA VERRERIE 


de premier inventeur du plast de verre, donné à Philippe 
de Cacqueray dans lopuscule de 1693, reposait sur une tra- 
dition qui s'était perpétuée jusqu'à cette époque dans les 
verreries normandes, et que si ce Cacquerav, qui parait 
avoir été le chef de la famille de ce nom d’où sont sortis 
tant de verriers, n’a pas, le premier en France, fait les verres 
à vitre, 1l en a du moins tellement perfectionné la fabrication, 
qu'il avait mérité d'en être regardé comme l'inventeur. 

L'auteur du petit travail dans lequel se trouve la mention 
qui précède parait, du reste, avoir été parfaitement au cou- 
rant de tout ce qui concernait les origines des verreries 
normandes, et donne à ce sujet les indications précieuses 
que nous transcrivons 1CI : 

« Sous le même règne de Philippe VI, fut donné des 
mêmes pouvoirs aux nommés Bongars, la verrerie du Can- 
diot, proche Frémery, en Normandie; celle d'Eliu (sie) à 
Jean de Sevy, proche de Rouen; celle de Varimpré aux pré- 
décesseurs de messieurs de Saint-André et de Saint- 
Limier, à présent jouissans de la dicte verrerve; celle du 
Valdonnois, en la comté d'Eu, aux descendans des Bon- 
gars, dont jouit présentement le sieur d’Aspremont. 

« En 1365, sous le règne du roi Jean, fut créée la ver- 
rerye des Routieux, en la forêt de Lion, en Normandie, et 
donnée à Adrien Le Vaillant, écuyer, sieur du Buisson, où 
est présentement le sieur René Le Vaillant du Buisson, 
sieur de la Fieffe. 

« La verrerie de Landelle fut donnée, par le même roi, 
aux descendants des Cacqueray, où sont présentement et 
jouissent les sieurs Cacqueray-Lorme. 

« La verrerye du Hellet, proche Dieppe, fut aussi don- 
née, dans le même temps, par le même roi, aux sieurs 


! Le roi Jean étant mort le 8 avril 1364, il y a là évidemment une erreur 


de date : peut-être faut-il lire 1355. 


PAMVERRERTENDUEXVS AU XIX° SIÉCLE 155 


Touchet, natifs d'Anjou, où est présentement la dame veuve 
Touchet et messieurs ses enfants. 

« En 1652, sous le règne de Louis XIV, dit le Grand, à 
présent régnant, fut accordé à monseigneur le duc de 
Bouillon la verrerye de Conches, proche Évreux, en Nor- 
mandie, pour les sieurs Desloges, Débecourt et Brémont, 
et à la demoiselle de la Haye, leur sœur. 

« En 1656, la verrerye de Cherbourg, en Normandie, fut 
établie et donnée, sous la permission de Louis le Grand, à 
François de Nehou, qui a été le premier qui a inventé le 
verre blanc, dont les premiers verres qu’il fit furent portés, 
par ordre de la feue reine, Anne d'Autriche, mère du roi 
Louis XIV, au Val-de-Grâce de la ville de Paris, qu’elle fai- 
soit bâtir dans le même temps, et fut mis aux formes de 
l’église des vitraux par Michel Basset et Pierre Gorget, 
maitres verriers de ladite feue reine, et après le décès du 
dict sieur de Nehou, monseigneur Colbert eut le pouvoir 
de Sa Majesté d’y faire faire des glaces et verres blancs, 
dont messieurs de la manufacture des glaces jouissent pré- 
sentement. 

« En 1667, la verrerye de Montcomble, près Dieppe, en 
Normandie, fut établie par le sieur Besu, par permission 
du roy, en payant pour chacun an trente livres de rente 
foncière, et depuis il à fait confirmer au parlement de 
Rouen le privilège de sa verrerye. 

« En 1687, fut donné par Louis le Grand le droit d'établir 
la verrerye du Long-du-Bos, en la forêt de Lion, près Neuf- 
Marché, au sieur Claude Vaillant, qui en jouit présente- 


1 On n'avait fabriqué jusqu'alors, pour la vitrerie, que des verres verts ou 
d’un gris sale et pleins de soufflures et de boulons : la fabrication des verres 
blancs constituait un progrès considérable; aussi ces derniers furent-ils bientôt 
si recherchés, que leur prix, ainsi que nous le verrons plus loin, était de 150 °/, 
supérieur à celui du verre ordinaire, dit verre de France. 


156 LA VERRERIE 


ment, en payant par chacun an à Sa Majesté trente livres 
de rente foncière. » 

L'auteur anonyme auquel nous avons emprunté ces do- 
cuments était évidemment un Normand, puisqu'il ne cite 
absolument que les verreries établies en Normandie, et, si 
lon en juge par certains renseignements précis que con- 
tient son trop court travail, 1l devait lui-même exercer la 
profession de verrier, ou avoir étudié toutes les pratiques 
de cette profession. Bien que, par une lacune regrettable, il 
ne nous ait pas laissé de détails sur les différents genres de 
verres que l’on fabriquait dans les verreries dont il men- 
tionne ainsi l’existence, on peut cependant conclure de len- 
semble des documents qu'il a réunis, ainsi que de ceux qui 
ont été publiés par M. Le Vaillant de la Fieffe, que les manu- 
factures normandes, à l'exception de celle de Rouen, n’ont, 
jusque vers la fin du xvre siècle, fabriqué exclusivement 
que des verres à vitres ou verres en plat', et de la gobele- 
terie en verre commun, désigné sous le nom de verre de 
fougère. Cette dernière mention se trouve sur la plupart des 
documents antérieurs à cette époque, particulièrement sur 
les lettres de confirmation de l'établissement de la verrerie 
du Landel en faveur de Nicolas de Bongars, sieur de Grand- 
val et du Landel, datées de 1637 et de 1643; et lorsque plus 
tard, ainsi que nous lavons rapporté plus haut, la fabrica- 
tion du verre de cristal cessa d’être en Normandie le mo- 
nopole exclusif de la manufacture des frères d’Azémar, il 
est encore question des verres de fougère dans les privilèges. 

IT existait en Normandie beaucoup d’autres verreries que 
celles dont nous avons parlé. Malheureusement on ne sait 


! II y avait deux procédés de fabricalion pour le verre à vitre, d'où le nom 
de verre en plat et de verre en table; ce dernier était fabriqué surtout en 
Lorraine. Nous dirons, dans un chapitre spécial, en quoi consistait la ‘différence 
entre ces deux modes de fabrication. 


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> LA VNERRERIE DU XV°AU XIX° SIÈCLE 157 


rien d’intéressant sur leur histoire, pas plus, du reste, que 
sur la nature des verres qui y étaient fabriqués ; leur im- 
portance, en tout cas, ne devait pas être bien grande, puis- 
que le Mémoire sur la généralité d'Alençon, dressé en 1698 
par ordre du duc de Bourgogne, qui rapporte que cette gé- 
néralité possédait à cette époque plusieurs verreries, dit que 
les plus considérables étaient celles de Tottemberg (?) et de 
Nonant, « dont le débit pouvait aller jusqu’à 60,000 livres. » 


Les ducs de Lorraine avaient compris, eux aussi, combien 
méritait d’être encouragé, dans un pays où les grandes fo- 
rêts rendaient plus facile que partout ailleurs létablisse- 
ment de ces sortes de manufactures, ce noble art de verre- 
rye, qu'ils favorisèrent par des privilèges plus étendus 
encore que ceux qui avaient été accordés par les rois de 
France. 

Les premières verreries lorraines furent fondées vers le 
milieu du xve siècle, dans la forêt de Darney, sous la pro- 
tection de Jean de Calabre, gouverneur des duchés de Lor- 
raine et de Bar en l'absence de son père, René d'Anjou, et 
la charte qu'il octroya alors aux verriers, en 1448, et qu’il 
renouvela en 1469, après son avènement au duché, leur 
concédait des avantages tellement considérables, qu’elle doit 
être citée comme un des documents les plus intéressants 
pour l’histoire du verre. 


Nous..…., les dessus nommez, ouvriers de verres, ensemble leurs 
hoirs et successeurs, ouvrant du dict mestier et dictes verrières, et 
un chascun d’iceulx, voulons, octroyons, estre tenuz francs, quittes et 
exempts de toutes tailles, aydes', subsides, d’ost?, de gîte * et de che- 


1 On appelait aides les levées de deniers qui se faisaient sur le peuple pour 
soutenir les dépenses de l'Etat. 

? « Terme vieilli qui signifie armée. » (LiTTRé.) 

% Obligation de nourrir et héberger les soldats en marche. 


158 LA VERRERIE 


vaulchiés ! et de tous debitz, exactions et subventions quelconques qui 
pourroient estre imposez sur le duchié de Lorraine, sans que les dictz 
ouvriers verriers y soyent aulcunement gesnez, imposez, constribuez et 
contraintz en quelque manière que ce soit... fceulx les dicts ouvriers 
pourront faire ez dictes verrières, verres tels et de telle couleur que 
leur plaira, et les faire mesner et pourront les vendre par tous les païs 
de Monseigneur où bon leur semblera, sans que eulx ou ceulx qui mes- 
neront ou qui porteront les dicts verres, soient tenuz à cause des dicts 
verres, payer aulcun passaige, gabails *, ni tributz quelconques ; mais 
les porteront, mesneront et vendront tous franchement, sans que em- 
peschement leur soit donné... {tem, les dicts ouvriers verriers pour- 
ront, en la saison de la paisson en bois, mettre et tenir ez bois et foretz 
de Monseigneur, à l’environ des dictes verrières, jusques à la quantité 
de cent porcs, c’est à sçavoir chascune verrière? vingt-cinq porcs, 
pour la provision de leurs mesnaiges et leur deffruit ‘ ; sans que iceulx 
ne soyent tenuz à rendre ou payer aulcune chose à Monseigneur ni à 
ses officiers en quelque manière que ce soit. tem, pourront les dicts 
verriers prendre, couper et remporter bois, c’est à sçavoir mairiens * 
pour les édifices et reffaisons à faire en leurs maisons et ez verrières, 
et bois aussi pour ardoir 5, tant pour les necessitez de leurs mesnaiges 
que pour les dictes verrières, en leur convenable, au moins de dom- 
maige que faire se pourra pour Monseigneur, et au plus grand proufict 
et aisance que faire se pourra pour les dicts ouvriers. Pourront aussy 
les dicts ouvriers verriers prendre, cueillir par les bois de Monsei- 
gneur et emporter fouchières * et toutes aultres herbes propres et con- 
venables pour le faict de leur mestier, et par suite et moyennant ces 
choses, les dicts verriers seront tenuz rendre et payer chascun an à 
Monseigneur, ez mains de son receveur général de Lorraine pour leurs 
verrières qui sont quatre, la somme de six petits florins au comptant 


! « Service militaire dû par le vassal en vertu du lien féodal, à la différence 
du service d’ost dù par tout habitant de la seigneurie. » (Lirrré.) 

? « Anciennement, tout impôt sur les denrées et les produits de l'industrie. » 
{ LITTRÉ.) 

$ Il y avait alors dans la seule forêt de Darney quatre verreries fondées par 
les membres de la famille des d'Hennezel {ou d'Hendel), qui comptait sept 
frères, tous verriers. 

f Consommalion. 

* Merrains. 

° Brüler. 


* Fougères. 


PANERRERTE DUEXVE AU XIX SIÈCLE 159 


chascun florin de deux gros, monnoye courante au duchié de Lor- 
raine, qui se payeront à deux termes en l'an, c’est à sçavoir la moytié 
de la dite somme à jour de feste saint Jehan-Baptiste, et l’austre moy- 
tié à feste de Noël après ensuyvant... ltem, pourront les verriers et 
ouvriers chasser ez bois et forests de Monseigneur, à l’environ des 
dictes verrières , à bestes grosses et rousses, à chiens et harnoiïis de 
chasse quand il leur plaira, sans pour ce estre reprins. Tous lesquelz 
privilèges, libertez, franchises et facultez ez choses dessus desclairez, 
par nous octroyez aux dicts verriers, leur voulons estre entretenuz, 
observez et garduez à eulx, à leurs hoirs et successeurs verriers et 
ouvriers. ltem, et pour ce que pour leur deffruict il leur convient plus 
souvent mouldre leur blez en païs de Bourgoigne, nous leur avons 
consenti et donné congé et licence de faire et édifier sur l’un des ruis- 
seaux prochains des dictes verreryes ung mouslin à leurs dépens. Si 
donnons en mandement par ces mesmes présentes au bailly de Vosges, 
aux prevost et gruyer du bailliage et au receveur général du dict duchié 
de Lorraine, aux prevost et officiers de Darney et à tous les aultres 
justices et officiers de Monseigneur, en son dict duchié de Lorraine, ou 
leurs lieutenans, ou à celui d’iceulx comme il appartiendra, que des 
dictz droitz, libertez, franchises, privileges, facultez et de toultes les 
choses dessus dictes, faire souffrir et à laisser ung chascun d’eulx user 
pleinement et paisiblement par la forme et manière dessus desclairées, 
et que ils ont accoutumé joyr et user par le temps passé, sans à ces 
choses ne aulcune d’icelles mectre ne souffrir estre faict, mis ou donné 
destourbier ', ou empeschement auleun, ou ne au temps advenir en 
manière que ce soit. tem, pourront les dicts ouvriers pescher à filet 
et harnois et prendre poissons ez rivières et ruisseaux prochains des 
dictes verrières où ils ont accoustumés faire du temps passé. En té- 
moing, etc. 


DoNNÉ en nostre ville de Nancy, ce quinzième jour de septembre 
mil quatre cent soixante-neuf ?. 


Les avantages considérables accordés ainsi aux verriers 
de Darney devaient naturellement avoir et eurent pour 
conséquence l'établissement de nouvelles manufactures sur 


! Obstacle, trouble. 


? Cf. BeauPré, les Gentilshommes verriers dans l’ancienne Lorraine ; 
Nancy, 1846. 


160 LA VERRERIE 


tous les points des territoires où se trouvaient des bois ou 
des forêts ; aussi voyons-nous, au xvie siècle, des verreries 
s'élever un peu partout. Dès l’année 1518, il v en avait 
deux sur les frontières de la Champagne, dans le comté 
d’Argonne, dont Sainte-Menehould était la capitale : lune à 
Chatrices, l’autre au Bois-Japin, près Triaucourt. 

Volcyr de Sérouville, « secrétaire ordinaire et historien 
du duc de Lorraine, » ne manque pas de les signaler et 
d'en faire l'éloge, en 1530, dans ses Singularilez du parc 
d'honneur : « Pareillement les voirrières sont par tous les 
quantons du dict Parc d'honneur, à grosse abondance et di- 
verses espèces de besongnes, comme premièrement appert 
ès boys d’Argonne, au bailliage de Clèremont, près des li- 
mites de Champaigne et Gaule, là où l’on fait plusieurs 
sortes de voirres fins et la semblance de christallins, et 
d’autres voirres communs, autant que l’on sçauroit soub- 
haicter ; et pour chose nouvelle veüe de nostre temps, au 
lieu de Pont-à-Mousson, quinziesme iour de juing ou envi- 
ron, le maistre voirrier fit présent au prince ', modérateur 
du dict parc, d’un crucifix mis sur une grande croix de 
voirre, en grosseur de la cuisse d’ung homme, accoustré si 
richement de couleur, que l’on estoit aveuglé de la beauté et 
lueur. Joinct semblablement que, à Raon, au païs de Vosges 
et à Sainct-Quirin?, l’on faict des mirouers qui se trans- 
portent par toute la chrétienté ; ce que l’on racompte avoir 
esté faict au lieu de Bainville surnommé aux Mirouers, 
assis sur la rive de la Mezelle, entre Charme et Bavon. » 

Dans les années 1554 et 1555, on établit cinq nouvelles 


! Le duc ANTOINE. 

2? Verreries de Leutenbach ou Saint-Quirin, près Metz. « Les verreries qui 
sont établies à Saint-Quinin sont en réputation; elles ont le privilège de ma- 
nufacture royale. On y fabrique de beaux verres en table, verres de Bohême et 
cristaux. » (STEINER, Traité du dépt. de la Moselle, 1756.) 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÉCLE 161 


verreries à Attigny et à Belrupt, auxquelles Nicolas de 
Vaudemont, régent de Lorraine pendant la minorité de 
Charles IIT, accorde toutes les concessions et privilèges qui 
peuvent les faire prospérer, « à la seule condition que tous 
les verres expédiés soient bons, léaulx et marchands, et em- 
preints d’une marque particulière pour chaque fabrique. » 
IL institue à cet effet un inspecteur de verrerye, ou regar- 
deur, sur le rapport duquel les contrevenants seront frappés 
d'amende la première et la deuxième fois qu'ils contrevien- 
dront aux prescriptions établies, et, en cas de récidive, 
« privés à jamais de besoigner du dict art de verre dans les 
verrerves du duché. » 

En 1555, Delamarre, abbé de Beaulieu, favorisa l’établis- 
sement d’une nouvelle fabrique à Conrupt, qui dépendait 
de son abbaye, et donna aux verriers qui la fondaient de 
vastes terrains couverts de broussailles qu'ils défrichèrent. 

Les verreries lorraines acquirent bientôt une réputation 
presque européenne, et leurs produits pouvaient trouver un 
débouché tellement assuré en Allemagne et dans une partie 
de la Suisse, qu'un riche commercant de Bâle, Jean Lange, 
ne cralgnait pas de s'engager à recevoir et à prendre à sa 
charge tout le verre qui se fabriquerait dans le duché. 

Les Pays-Bas et l'Angleterre tiraient également presque 
toutes leurs verreries de la Lorraine; c’est du moins ce que 
constate avec orgueil Thiery Alix, président à la cour des 
comptes de Nancy, dans sa Description manuscrite de la Lor- 
raine, présentée, en 1594, au duc Charles II : « Ne sont : 
aussy à obmettre les grandes tables de verre de toutes cou- 
leurs qui se font èz haultes forests de Vosge, ezquelles se 
trouvent à propos les herbes et aultres choses nécessaires à 
cet art, qui ne se rencontrent que rarement ez aultres pays 
et provinces, dont une bonne partie de l’Europe est servie par 


le transport et traffic continuel qui s’en fait ez Pays-Bas et 
11 


162 LA VERRERIE 


Angleterre, puis de là aux aultres régions plus remotes 
et esloignées, sans aultrement faire estat d’une quantité et 
nombre infini de petits et menus verres, les grands mirouers 
et bacins, et toutes aultres façons qui ne se font ailleurs 
en tout l'univers. » 

Ainsi que nous l'avons dit, c’est dans l'Argonne! surtout 
que se trouvait le plus grand nombre de verreries. « La 
proximité de la forêt, dit Buirette dans son Histoire de la 
ville de Sainte-Menehould, la facilité d'y trouver ce qui était 
nécessaire à leurs usines, leurs succès dans la fabrication 
des bouteilles, donnèrent de l’'émulation aux gentilshommes 
verriers. Leurs familles s'étant multipliées, 1ls concurent le 
dessein de construire, avec la permission des seigneurs du 
Clermontois, d’autres verreries pour y établir leurs enfants. 
De là tous ces fours à plusieurs ouvreaux dans la contrée de 
Biesme; de là un genre d'industrie qui sert à la consommation 
du bois, vivifie et enrichit le canton de l’'Argonne; de là 
un commerce considérable qui fournit chaque année des 
milliers de bouteilles aux vignobles de Champagne et de 
Bourgogne, ainsi qu'une infinité de cloches pour les jardins 
et de verres à vitre que l’on transporte au delà de Paris. » 

Mais cette grande quantité de verreries finit bientôt par 
être préjudiciable au trésor; les franchises et les privilèges 
de toutes sortes qui avaient dû être accordés au xve siècle 
pour encourager l’industrie naissante, et qui, à cette époque, 
avaient leur raison d’être, devinrent alors ruineuses par leur 
extension progressive à tous ceux qui, ayant embrassé la 
profession de verrier, vivaient sans payer d'impôts. Les pay- 
sans, qui les voyaient, tantôt déguenillés et en sabots, tantôt 
soufflant le verre sans autre vêtement qu'une chemise de 
femme, ne pouvaient admettre qu'ils fussent moins rotu- 


i Contrée située entre la Meuse, la Marne et l'Aisne, Elle fait partie aujour- 


d'hui du département de la Marne. 


LA VMERRERIE DU XVŒAU XIX° SIÈCLE 163 


riers qu'eux. Il s’ensuivit des contestations et des débats qui 
furent portés devant les tribunaux précisément à l’époque 
où, dans le but apparent de rendre à la noblesse son ancien 
lustre, mais en réalité pour soulager le peuple en diminuant 
le nombre des privilèges, on recherchait activement les 
usurpateurs de noblesse et de titres nobiliaires. À la re- 
quête qui fut présentée à Henri IV par les verriers de la 
forêt d’Argonne, ce prince répondit, au mois de juillet 
1603, par des lettres patentes portant maintien, en leur fa- 
veur, mais seulement lorsqu'ils sont d'extraction noble, de 
faire commerce de verrerie sans déroger ; et, l’année sui- 
vante, le duc Charles IIT, par un règlement daté du 14 dé- 
cembre 1604, maintenait « les gentilshommes verriers, issus 
et descendus de ceux auxquels les verreries avoient esté 
laissées par ascensement, travaillant ou faisant actuellement 
travailler de l’art de la verrerie, comme aussi les veuves 
et enfans mineurs desdits gentilshommes ascenseurs, dans 
les privilèges, franchises et exemptions accordés à ces 
derniers; mais les aultres n’estant de ceste qualité, n’en 
jouiront pas’. » Les aultres étaient ceux qui ne pouvaient 
justifier de concessions directes, ou dont les titres étaient 
récents. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet. 

Outre la suppression des privilèges qui avaient été accor- 
dés aux verriers, on mit sur leurs produits des impôts qui 
leur parurent d'autant plus lourds qu'ils avaient été plus 
favorisés jusqu'alors, et qui eurent pour effet de diminuer 
assez sensiblement le nombre des verreries existantes. A 
Darney*, entre autres, il n’en existait plus une seule en 16695. 

Ce furent surtout les fabricants de verres à vitres, dits 
verres en table, qui eurent à souflrir de ces impôts. Leurs 


! BEAUPRÉ, loc. cit. 
? Dans le département des Vosges. 
$ Elles furent remises en activité, en partie du moins, à dater de 1698. 


164 LA VERRERIE 


produits étaient plus particulièrement exportés dans les 
Pays-Bas, et le renchérissement qu'ils furent obligés de leur 
faire subir eut pour conséquence létablissement de plu- 
sieurs fabriques rivales dans la province de Namur. En 
1620, un vitrier ', nommé Thiry (ou Thierry) Lambotte, qui 
parait avoir été également peintre sur verre, vint s'établir 
dans cette dernière ville et y obtint le droit de bourgeoisie, 
continuant, suivant ses expressions, « à exercer fidellement 
l'exercice de son mestier de vitrier, ensemble la peinc- 
ture, acheptant ses verres à certains marchands lorrains 
faisans lesdis verres en un village assez proche de Wavre. » 

Mais bientôt la difficulté qu'il éprouve à se procurer les 
verres nécessaires à l’exercice de son métier, le pousse à 
faire des recherches sur les moyens de les fabriquer lui- 
même, et il arrive « à se rendre tellement industrieux, dit- 
il, qu'il est en son pouvoir de faire verre aussy bien et 
vendible que celui des Lorrains..…., lesquels ont tellement 
discontinuez leur besoigne et sont tellement en faulte de 
travailler..…., que, par la négligence ou pratique affectée de 
ces eztrangers, ce qui seulement valloit vingtz sols ou envi- 
ron s’a vendu jusquez à quarante solz et plus. » Il lui était 
même, ajoute-t-1il, devenu tout à fait impossible de se 
procurer des verres de Lorraine, « de facon que ledit lui, 
Lambotte, et les autres verriers se trouvent sans estofle, 
et ne les peuvent recouvrer à quel prix que ce soil; cause 
pour quov ils sont demeurez sans ouvraige, à leur grand 
dommage et ruine totalle. » 

Ce Lambotte, qui s'était ainsi rendu si « industrieux », et 
qui devait être certainement un habile homme, avait peut- 
être présenté la situation sous un aspect un peu exagéré afin 


d'obtenir plus facilement, et avec de plus grands avantages, 


! Marchand de verres à vitres. 


LACVERRERIE DU XVAU XIX° SIÈCLE 165 


le privilège qu’il demandait d'établir une verrerie à Namur; 
cependant le conseil des finances, après une enquête qui 
nous montre le dommage que causait à l’industrie lorraine 
la taxe sur le verre, fit droit à sa demande. « ... Les verriers 
de cette ville, est-il dit dans le rapport, nous ont fait en- 
tendre que, cy-devant, il souloient estre accommodez à prix 
fort raisonnables des verres nécessaires à leurs ouvrages, 
tant par aucuns marchands demeurans au pays de Loraine 
que par certains ouvriers nationez d’icelluy pays de Loraine 
domiciliez ès environs de Wavre; mais depuis peu de temps 
ençà, lesdits verriers ne peuvent quasi plus recouvrer de 
verre pour de l’argent, à raison que l’on dit que le duc de 
Loraine a mis si grands impotz sur les verres sortans de 
son pays, que les marchands d’illec n’en veulent ou peuvent 
plus ammener dans ces quartiers, comme aussi que lesdis 
ouvriers lorains qu’estoient résidens alentour de Wavre se 
sont absentez, sans que l’on sache pour quelle cause, bien 
que l’on s’imagine que c’est à dessein de faire enrichir ! 
leurs verres, ou pour quelque intelligence qu’ilz ont avec 
ledit duc et autres ; de sorte que ce que lesdits verriers de 
Namur souloient achater dix-huit solz seulement se vend 
présentement quarante-deux solz; encore est-il, selon leur 
dire, difficil de recouvrir : dont ils sont incommodez et se 
deuilent grandement... De Namur, 15e de l’an 1626 ?. » 

À la suite de ce rapport, Lambotte obtint des lettres pa- 
tentes lui donnant licence d'établir à Namur « une fabrique 
pour faire du verre propre à faire verrières ». Quatre ans 
plus tard, en juillet 1630, Pierre Damant, ou Damman, sei- 
gneur de Dietsvelt, eut également la permission de faire 
construire « une manufacture et fabrique des vitres en table 


! Renchérir. 
? Archives de l'Etat, à Namur. — Document cité par M. S. Bormans, dans 
le Bulletin des comm. royales d’art et d'archéologie, xix° année, p. 442. 


166 LA VERRERIE 


pour les fenestres, comme elle est présentement en Lor- 
raine », et cette nouvelle verrerie, établie sur la Meuse, à 
deux lieues de Namur, enleva au duché de Lorraine un assez 
erand nombre de ses verriers, « faisant venir les ouvriers 
de Lorraine à chaque fois que lon vouloit commencer lou- 
vrage, et ayant à la fin tant fait que lesdis ouvriers sont 
venus résider avec leurs ménages en ces pays. » 

Nous dirons plus loin, dans le chapitre consacré à lhis- 
toire de la verrerie dans les Flandres, ce que devinrent ces 
fabriques, dont la création devait être si préjudiciable aux 
manufactures du duché, et qui cependant ne furent fondées 
qu'avec la collaboration et le secours de verriers lorrains. 

Peut-être ces lourds impôts qui les ruinaient ainsi n’étaient- 
ils établis que momentanément et pour venir en aide au tré- 
sor, épuisé par les guerres désastreuses que la Lorraine eut 
à soutenir sous Charles IV; malheureusement les pauvres 
verriers en subirent les conséquences d’une façon irrépa- 
rable : beaucoup abandonnèrent pour toujours leurs four- 
neaux éteints, et ce fut inutilement que d’autres cherchèrent 
plus tard à faire revivre cette industrie, autrefois si floris- 
sante, et qui languit pendant le xvirie siècle, jusqu’au mo- 
ment où furent fondées les grandes manufactures de Cirey 
et de Baccarat. 


Nous avons trouvé peu de documents sur les verreries, 
en assez grand nombre cependant, qui existaient à cette 
époque sur les autres points du territoire ; elles paraissent, 
du reste, avoir été beaucoup moins importantes que celles 
dont nous avons recherché les origines dans les pages pré- 
cédentes, et n’ont pas joué un rôle aussi considérable dans 
l'histoire de l’industrie française jusqu'à la fin du xvre siècle. 

Nous n'ignorons pas cependant que, dès l’année 1511, 
Lyon possédait une verrerie dans laquelle on cherchait, 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX® SIÈCLE 167 


comme dans la plupart des fabriques françaises, à faire du 
verre « à la façon de Venise », et qui était dirigée par Matthieu 
de Carpel, auquel le consulat accordait une subvention de 
100 livres pour « servir à l'entretien de la manufacture de 
verres cristallins qu'il avait établie dans cette ville! »; mais, 
en dehors de cette trop courte mention, nous n’avons rien 
trouvé qui puisse nous renseigner sur la durée de l’exis- 
tence de cette manufacture, et nous ne savons si c’est à elle 
ou à une autre verrerie nouvellement fondée que le consulat 
fit donner, en 1665, un certificat constatant que « dans la fa- 
brique de cristaux établie à Lyon se font toutes sortes d’ou- 
vraiges de crystal, comme chandeliers, tasses, bouteilles, 
vases, burettes, bénitiers, esguières et généralement toutes 
choses qui se peuvent faire de crystal ». Nous serions ce- 
pendant porté à admettre la seconde hypothèse. Une ma- 
nufacture qui aurait duré plus d’un siècle et demi nous eût 
certainement laissé de bien autres traces de son existence, 
surtout dans une ville industrieuse. On comprend, à la ri- 
gueur, le silence qui s’est fait autour de certaines verreries 
situées dans l’intérieur ou sur la lisière des forêts, loin des 
grands centres habités, et dont les propriétaires et ouvriers, 
se cantonnant dans une sorte de morgue qu’ils tenaient de 
leur qualité vraie ou fausse de gentilshommes, et des privi- 
lèges spéciaux qui leur étaient accordés, mavaient aucun 
rapport avec leurs voisins et faisaient peu parler d’eux ; 
mais cela est inadmissible pour une manufacture établie 
dans une grande ville comme Lyon, et si elle avait eu une 
existence aussi longue, il en serait certainement resté 
d’autres preuves que ces quelques lignes si sèches trouvées 
dans les Actes consulaires. | 

La même incertitude règne au sujet de la verrerie de Ne- 


! Cf. Rozce, Documents relatifs aux anciennes faïenceries lyonnaises : Lyon, 
1865. — [Note de la page 3.) 


168 LA VERRERIE 


vers, fondée, ainsi que la première manufacture de faïence 
établie dans cette ville, sous le patronage de Louis de 
Gonzague, parent de Catherine de Médicis, devenu duc de 
Nivernais en 1565, par son mariage avec la belle Henriette 
de Clèves, fille ainée du dernier duc de Nevers. Ici encore 
nous trouvons à la tête de cette verrerie un Jacques Sarode, 
appartenant, suivant toute apparence, à cette famille d’Al- 
taristes dont nous avons déjà rencontré plusieurs membres, 
et qui, sil n'avait pas été appelé en France par Louis de 
Gonzague, a bien pu y être attiré par les conseils et à l’ins- 
tigation des Conrade, originaires de Savone, — dont la petite 
ville d’Altare était peu éloignée, — qui occupèrent pendant si 
longtemps la première place parmi les faïenciers de Nevers. 

Mais à Nevers, et sous une influence évidemment ita- 
lenne, l’art de la verrerie se bifurqua, pour ainsi dire, et 
donna naissance à une industrie toute spéciale, celle des 
émailleurs verriers, où fabricants de figurines en pâte de 
verre opaque, dont nous parlerons plus loin. 

Quant à la verrerie proprement dite, nous ne savons 
pendant combien de temps elle v fut fabriquée. Ce qui est 
certain, c’est que cette industrie v était encore en pleine 
activité au commencement du xvine siècle ; nous lisons, en 
effet, dans le Dictionnaire universel géographique et histo- 
rique de Corneille (1708) : « Ce qu'il y a de remarquable 
dans la grande rue, c’est la verrerie, qu'on peut appeler le 
petit Muran de Venise, pour la rareté de divers ouvrages 
qui s'y font et qu'on transporte dans toutes les provinces de 
de la France. » Baudrand, dans son Dictionnaire géogra- 
phique, publié en 1705, dit également : « On y travaille 
fort bien en verres et en fayences. » D’après le Dictionnaire 
du commerce de Savary des Bruslons, c’est à Nevers qu'au- 
ralent été fabriqués, suivant la méthode italienne, les pre- 


miers verres à vitre dits en table, et cette fabrication devait 


FA VERRERIE DUNXNS AUIXIX SIÈCLE 169 


être assez importante, puisque c’est Nevers qui, dans le 
principe, fournissait les verriers-vitriers de Paris". 

- Nous verrons qu'au xvine siècle il existait dans le Niver- 
nais plusieurs verreries, entre autres à Neuvy-le-Barrois et 
à Apremont; mais actuellement nous ne nous occupons que 
des fabriques qui subsistaient à une époque antérieure. 

Parmi ces dernières, nous rangerons la verrerie d’Or- 
léans, dirigée par Bernard Perrot, industriel savant et in- 
génieux, qui dès 1666 avait obtenu un brevet « pour la 
confection d’un combustible moins cher que le charbon, et 
fait d’une terre qui abonde en France, » — sans doute la 
houille, — et auquel vingt ans plus tard, en 1688, un autre 
brevet était accordé pour la « fabrication de verre, soit co- 
lorié, soit en relief, et pour le coulage des métaux à table 
creuse, avec des figures ? ». 

Abraham du Pradel, dont le Livre commode des adresses 
de Paris est si précieux à consulter pour tout ce qui re- 
garde le commerce et l’industrie de la fin du xvrre siècle, 
mentionne les verres fabriqués par Perrot avec des détails 
qui nous font regretter de ne connaître aucun spécimen au- 
thentique des produits de cet habile homme : « M. Perrot, 
maître de la verrerie d'Orléans, a trouvé le secret de con- 
trefaire l’agathe et la porcelaine avec le verre et les émaux. 
Il a pareillement trouvé le secret du rouge des anciens, et 
celuy de jetter le verre en moulle, pour faire des bas-reliefs 
et autres ornements. Il a son bureau à Paris, sur le quay 
de l’Horloge, à la Couronne d’or *. » 


! « Le verre en table se faisoit autrefois dans quelques verreries de Lorraine, 
d'où le nom lui est resté de verre de Lorraine. Le premier qui fut fait en 
France a été fabriqué à Nevers, et c’est de là qu’on le tiroit pour Paris. » SAVARY 
DES BRusLows, Dict. universel du commerce, édit. de 1762. 

? Cf. Monter, Histoire des Francais de divers ctats, xvue siècle, p. 535. 

* Le livre commode, contenant les adresses de Paris, et le Trésor des alma- 


170 LA VERRERIE 


Perrot avait un concurrent sur lequel nous n'avons d’autres 
renseignements que ceux donnés également par Abraham 
du Pradel dans les lignes suivantes : « On dit que M. de Ia 
Motte, de qui on à veu à la foire, il y a quelques années, 
de si beaux ouvrages d’émaux et de verre façon d’agathe et 
de porcelaine, va faire un établissement à Paris, en vertu 
d’un privilège du grand sceau. » 

En dehors de cette mention faite par Abraham du Pradel, 
nous n'avons trouvé aucune trace de létablissement où 
M. de la Motte fabriquait ces ouvrages d’émaux et de verre 
si vantés ; quant à Perrot, d'Orléans, on lui attribue gé- 
néralement, mais sans aucune autre preuve qu'une sorte de 
tradition, les petits flacons à odeur, — rares spécimens de 
verres français du xvire siècle qui soient parvenus Jusqu'à 
nous, — dont on rencontre des échantillons dans les col- 
lections particulières et dans quelques musées, entre autres 
au musée de Limoges, qui en possède sept assez curieux, 
provenant de la collection de M. Paul Gasnault. Ces flacons, 
de différentes couleurs, sont en forme de poire et aplatis: 1ls 
ont été fabriqués par le procédé du moulage, ce qui s’ac- 
corde avec ce que dit Abraham du Pradel, et sont décorés 
en relief de fleurs de lis, de palmettes ou de chiffres; leur 
fermeture consiste en un bouchon d’étain sur pas de vis. 
Quelques-uns, qui datent de la même époque et certaine- 
ment de la même fabrique, sont en forme de tête de nègre 
rehaussée d’émail blanc aux veux et aux dents quand le 
verre est noir, et d’émail rouge quand il est opalin. 

Nous serions porté à croire que c'est ce verre opalin que 
du Pradel désigne sous le nom de façon de porcelaine ; au 
premier aspect, en effet, sa blancheur, un peu laiteuse par- 
fois, lui donne l'apparence de la porcelaine, et c’est proba- 


nachs pour l'année bisseætile 1692, par ABRAHAM pu PRADEL, philosophe et 
mathématicien. 


PASVERRERTIESNDU XVe A UNXIX SIECLE 171 


blement la fabrication de ce genre de verre qui a donné 
naissance à la découverte de la composition de la porcelaine 
tendre, ou porcelaine française, qui en réalité n’est elle- 
même qu’une sorte de vitrification !. 

On rencontre encore quelques-uns de ces verres opalins 
de diverses couleurs, mais généralement blancs ou bleus, 
décorés d’émaux?. Celui que représente notre planche 1 





Fig. 39. — Verre opalin à décor polychrome avec inscription. 


(Coll. de M. Paul Gasnault.) 


(n° 3) est certainement un des plus beaux et des plus cu- 
rieux parmi Ceux que nous connaissons. À en juger par le 
style de la décoration de ceux qui sont parvenus jusqu’à 
nous, on a dû fabriquer ces sortes de verres un peu partout, 
en France aussi bien qu'à l'étranger, jusqu’à la fin du 
xvirIe siècle; mais c’est plus particulièrement aux verreries 
de Rouen et d'Orléans que nous croyons devoir attribuer 
les verres qui portent une décoration et des inscriptions 
françaises (fig. 39). 


1 Cf. notre Histoire de la céramique, page 406, 2° édition, ALFRED MAME et 
fils, éditeurs. 

? M. Pau GasnauLr, à Paris, possède une collection fort remarquable de ces 
verres, aujourd'hui fort rares. 


172 LA VERRERIE 


Du reste, la composition du verre opalin n'était pas un 
secret. La voici telle qu'elle à été publiée, dès 1697, par Hau- 
dicquer de Blancourt, dans son Art de la verrerie, cha- 
pitre Lxx : « La manière de donner une belle couleur de lait 
au verre. — Le blanc de lait, pour être beau, ne demande 
pas moins de précaution que le bleu, et il faut le faire avec 
exactitude. Pour y parvenir, on doit prendre douze livres de 
bonne fritte de cristal, deux livres de chaux de plomb et 
d’étain, faite de portion égale, et une demvy-once de magnésie 
de Piémont préparée ainsi que nous l'avons enseigné. Le 
tout étant réduit en poudre et mêlé ensemble, vous le mettrez 
dans un pot échauffé au fourneau, où vous le laisserez pen- 
dant douze heures, puis vous mêlerez bien toute la matière, 
ensuite vous en ferez l’essay. Si la couleur ne vous paroit 
pas assez belle, vous y ajouterez tant soit peu de chaux des 
deux métaux cy-dessus, que vous incorporerez avec le verre 
en le mêlant bien. Huit heures après, le verre sera en état 
de travailler et blanc comme le lait. » 

Ce que notre vieil auteur appelait alors chaux de plomb 
était « le minium, la litharge, le blanc de céruse et le mas- 
sicot », destinés à faciliter la fusion des différentes matières 
qui entraient dans la composition du verre, et à donner à 
ce dernier du corps et de la solidité. Mais cette présence du 
plomb n'implique pas pour cela que le verre ainsi fabriqué 
fût le cristal que nous connaissons aujourd'hui, le flint-glass 
des Anglais, c’est-à-dire la plus belle et la plus pure ma- 
tère vitreuse qu'il soit possible de produire. La présence du 
plomb avait, du reste, été constatée dans des verres qui re- 
montent à une époque reculée, et, dans un passage de son 


traité ayant pour titre : De coloribus et artibus Romanorum , 


! De l'Art de la verrerie, ouvrage rempli de plusieurs secrets et curiosiles 
inconnuës jusqu'à présent, par HAUDICGQUER DE BLanNcourT. — Paris, M. pc. 


XGVIT, in -12. 


L'ANEBRRERIE DU XVSAU XIX° SIECLE 173 


écrit, suivant toute apparence, vers le vire ou ixe siècle, 
Eraclius indiquait déjà la manière de faire du verre dans 
la composition duquel il entre du plomb. La voici telle que 
l’a donnée M. Bontemps à la suite de la traduction qu'il a 
faite du deuxième livre de l’Essai sur divers arts, du moine 
Théophile ! : « Du verre fait avec le plomb. — Prenez du 
plomb neuf le plus pur; mettez-le dans un vase de terre 
neuf, et ealcinez-le jusqu’à ce qu’il soit réduit en poudre et 
laissez-le refroidir. Prenez ensuite du sable et mêlez-le avec 
la poudre de plomb dans la proportion de deux de plomb 
pour un de sable, et mettez le mélange dans un creuset 
éprouvé que vous placerez dans le four et ferez fondre, 
comme nous l'avons indiqué précédemment, et vous bras- 
serez souvent le verre jusqu'à ce qu’il soit bien fondu. » 

Quant à étain, il avait pour but de rendre le verre opaque 
et de lui donner sa « belle couleur de lait ». Haudicquer de 
Blancourt, dans le chapitre qui suit celui que nous avons 
cité, indique même une autre couleur de lait plus belle et 
plus blanche, que l’on obtient en employant seulement de la 
« chaux d’étain sans y mêler celle de plomb, dans la pro- 
portion de soixante livres de cette chaux pour quatre cents 
livres de fritte de cristal »; le résultat de ce mélange serait 
évidemment très blanc, mais il tiendrait certainement plus 
de la nature de l'émail que de celle du verre. 


Nous avons étudié, dans les pages qui précèdent, tout ce 
qui a rapport à l’histoire des origines de l’industrie du verre 
en France, sans avoir pu malheureusement définir d’une 
facon bien précise, et cela par suite de lextrême rareté des 
fragiles spécimens qui sont parvenus jusqu'à nous, la na- 
ture et le style des produits de nos anciennes verreries; 


1 Taeopnirt presbyteri el monachi, diversarum artium Schedula, liber 
secundus ; translatore GEeorGio BonrTemps, 1876. 


174 | LA VERRERIE 


nous voici arrivé maintenant au xvie siècle, c'est-à-dire à 
l’époque où cette industrie, en pleine possession des moyens 
de fabrication et n'ayant plus rien à apprendre des nations 
voisines, ni rien à leur envier, n'avait plus besoin des pri- 
vilèges exceptionnels, et le plus souvent excessifs, qui 
l'avaient soutenue jusqu'alors et l'avaient aidée à sim- 
planter sur notre sol. Avant d'aller plus loin, et afin de 
rendre cette étude plus complète, 1l nous parait nécessaire 
de chercher à élucider une question que nous n'avons fait 
qu'indiquer, et de voir quelle était exactement la condition 
sociale de ceux qui pratiquaient « ce noble art du verre », 
et qui, forts des prérogatives qui leur avaient été accordées, 
s’'appelaient fièrement eux-mêmes les gentilshommes ver- 
riers. Cette question, Jusqu'à présent, n’a jamais été traitée 
dans son ensemble, la plupart des savants qui ont écrit sur 
la matière s'étant bornés à répéter, d’après certains passages 
de quelques auteurs du xvine siècle, que lexercice de la 
profession de verrier conférait la noblesse, ou que cette pro- 
fession ne pouvait être exercée que par des nobles. Un exa- 
men attentif des différents documents que nous avons pu 
rassembler prouvera la fausseté ou tout au moins lexagéra- 
tion de ces deux hypothèses. 


CONDITION SOCIALE DES VERRIERS ; — LES GENTILSHOMMES 
VERRIERS. — L'industrie du verre, qui, dans lantiquité, 
avait atteint un si haut degré de perfection, et à laquelle on 
doit tant d'œuvres remarquables, avait été élevée, dès les 
premiers siècles de notre ère, et cela d’une façon pour ainsi 
dire officielle, au rang des arts d’un ordre supérieur, et 
dont les souverains, par tous les moyens dont ils pouvaient 
disposer, devaient encourager le développement. Cest ainsi 
que, dès l’année 337, l'empereur Constantin, voulant que 


certaines catégories d'artistes et de savants pussent se livrer, 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 175 


en toute sécurité, à la pratique de leur profession, sy per- 
fectionner et y initier leurs enfants, rendit un arrêt qui les 
exemptait de toutes les charges publiques et en faisait une 
sorte de caste privilégiée. Cet édit, qui est rapporté dans le 
Code Théodosien', assimile les verriers (vitriarii) aux archi- 
tectes, aux peintres, aux statuaires, aux médecins, aux or- 
fèvres, aux lapidaires, etc. etc. 

Cest cet édit de Constantin qui, dès la fin du xtrre siècle, 
d’après une tradition qui ne repose, du reste, sur aucun do- 
cument bien authentique, aurait été invoqué par certains 
verriers de la Champagne pour obtenir de Philippe le Bel, 
le premier roi de France qui ait été comte de cette pro- 
vince, des privilèges qui leur créèrent ainsi une sorte de 
noblesse, tous les privilèges se rattachant alors à la caste 
nobiliaire. 

Jusqu'à cette époque, les quelques verriers dont on a 
rencontré les noms dans les actes publics sont mentionnés 
comme étant de simples artisans, ou du moins sans que 
rien indique que la corporation à laquelle ils appartenaient 
ait continué à jouir des avantages qui lui avaient été accor- 
dés autrefois par Constantin. Tels sont Ragenut et Balderic, 
cités dans une charte de Charles le Chauve, de l’année 863 ?, 
et plus tard Robert, qui figure comme témoin d’une dona- 
tion faite en 1088 à l’abbaye de Maillezais *, dont les noms 
sont suivis de la simple mention vifriarius. Cette désigna- 
tion seule se retrouve longtemps encore après le xirre siècle, 


! Cf. Conex Taeoposianus, lib. XIIT, tt. 1v, De Excusalionibus artificum : 
« Arüfices artium, Brevi subdito comprehensarum, per singulas civitates mo- 
rantes, ab universis muneribus, vacare præcipimus : siquidem ediscendis ar- 
üibus otium sit adcommodandum, quo magis cupiant et ipsi peritiores fieri, et 
suos filios erudire : 

« Architecti, Pictores, Statuarii, Medici, Argentarii, Lapidarü, Vitriarii, ete. » 

? Cf. CHAmpoLLioN Ficeac, Documents inédits. 

3 Citée par Bens. FizLon dans l'Art de terre chez les Portevins. 


176 LA VERRERIE 


et nous avons vu plus haut (p. 115) que, dans les comptes 
royaux de 1382, les verriers qui avaient fait présent de 
verres fabriqués par eux au roi Charles VI sont simplement 
appelés « Guillaume, le voirrier, » ou « Jehan, le voirrier, 
de la forest Dotte ». 

Cependant Charles VI, qui, ainsi que nous l'avons fait 
remarquer à l’occasion de ces présents, portait dès sa 
jeunesse un très grand intérêt à l’art de la verrerie, nous 
parait avoir encouragé plus qu'aucun autre roi de France 
les prétentions des verriers à la noblesse, prétentions qu'ils 
justifiaient par la profession même qu'ils exerçaient, et non 
par une noblesse d’origine; c’est du moins ce qui résulte 
des lettres royales concédées par lui aux verriers de Mou- 
champs (ou Moulchamps), dans le bas Poitou. 


CHARLES, par la grâce de Dieu, roy de France, etc... Reçeu avons 
l’humble supplication de Philippon Bertrand, maistre de la verrerye du 
parc de Moulchamps, pour luy et pour les autres verriers dudit lieu, 
ses alloués, contenant que tous verriers soient et doient estre, à cause 
du dict mestier de verrier, de toute ancienneté tenuz et reputez pour 
nobles personnes; car à cause de la noblesse du dict mestier, aucun ne 
puet, ne doit estre receu à icelui mestier, s’il n’est nez et extraict, 
de par son père, d’austres verriers, et que ledict suppliant et ses dicts 
alloués, qui sont verriers nez et extraicts de par leurs pères, d’aultres 
verriers, à cause du dict mestier, soient et doient estre tenuz et reputez 
pour nobles, et par ce, doient joïr et user de tous les droicts, fran- 
chises, libertés et privilèges desquels usent et joyssent et ont accous- 
tumé de joyr et user les aultres nobles du pays, et à cause de ce doient 
estre francs, quittes et exempts de toutes tailles et fouages !, sans que 
aux dictes tailles et fouages aulcun les y puisse ne doie de raison mettre 
ne imposer avecques les non nobles du dict païs; mesmement que les 
aultres verriers d’icelui païs, à cause et pour raison d'icelui mestier de 
verrier, sont tenus et gardez paisiblement et sans contradiction ez fran- 
chises, libertez, droicts et privilèges dessus déclairés. Néanmoins aul- 


cuns hayneux et malveillans d’icelui suppliant et de ses dicts alloués ver- 


! Redevance exigée pour chaque feu sur les biens roturiers. 


LA‘VERRERTDENDU  XVS AU XIX° SIÈCLE 177 


riers, contre raison se sont depuis certain tems en çà efforciez et s’ef- 
forcent de jour en jour de les mettre et imposer avec les non nobles du 
dict païs, aux tailles et fouages ayant cours en icelui païs, qui est contre 
raison les droicts, privilèges et franchizes etlibertez dessus dictes.. Pour- 
quoy, Nous, ces choses considérées, vous mandons et comectons que 
s’il vous appert des choses dessus dictes, vous, ledict suppliant et ses 
dicts alloués verriers ne souffrez estre mis ne imposez avecques les 
non nobles aux tailles et fouages aïant cours ondit pays. 


Donné à Paris, 24° jour de janvier de l’an de grâce 1399. 


On voit, par ces lettres royales, qui sont, jusqu’à présent 
du moins, le plus ancien témoignage connu des privilèges 
accordés en France aux verriers, que ces privilèges ne leur 
avaient pas été concédés parce qu'ils étaient nobles, mais 
bien parce qu'ils exercaient un métier qui, « de toute an- 
cienneté, » était réputé comme noble, suivant une tradition 
que ne connaissaient pas, où une interprétation que ne re- 
connaissaient pas les collecteurs des impôts. 

Mas si ces privilèges ne conféraient pas la noblesse à 
ceux qui les obtenaient, 1ls,les classaient cependant à un 
rang supérieur à celui qu'occupaient les autres artisans ; 
aussi les souverains songèrent-ils par la suite à en faire pro- 
fiter les gentilshommes que leur peu de fortune mettait 
dans une situation précaire, et qui, par cela même qu'ils 
s’adonnèrent à « ce noble mestier », ne dérogèrent pas à 
leur noblesse. Le peuple s’imagina alors que l’art de la ver- 
rerie anoblissait ceux qui le pratiquaient, tandis qu’au 
contraire, avant de les faire profiter du privilège de la no- 
blesse, on exigeait d'eux d’une manière sévère qu’ils justi- 
fiassent de leur extraction noble, et que, suivant une expres- 
sion ancienne, « pour faire un gentilhomme verrier il fallait 
d’abord prendre un gentilhomme. » 


! Annales de la Socicté académique de Nantes, t. XXXII, p. 213. 


178 LA VERRERIE 


C’est ce que confirme également l’auteur d’une savante 
Dissertation sur la verrerie, publiée dans le Journal de Tré- 
voux : « Ce n’est donc point, dit-il, le métier qui donne la 
noblesse à ces ouvriers, comme quelques auteurs mal ins- 
truits Pont avancé; c’est la permission et la tolérance des 
princes qui, pour l’avantage du commerce, ont bien voulu 
rendre compatible louvrage avec la qualité de louvrier, el 
ont fait que le métier de verrier s'est élevé au rang de ceux 
qui l’exercent, devenant noble entre les mains d’un noble, 
et restant roturier dans celles d'un roturier". » 

Plusieurs arrêts ont été rendus dans ce sens à différentes 
époques; nous citerons notamment celui de la cour des 
aides de Paris, en 1581, par lequel un gentilhomme verrier 
fut déclaré exempt de la taille, après avoir justifié qu'il 
« estoit issu de noble et ancienne lignée », et avoir commu- 
niqué une enquête de filiation. Au mois d'août 1597, cette 
cour jugea de la même facon en faveur des gentilshommes 
verriers de Melun, et, en avril 1601, les verriers de Charlet, 
de Fontenay et de Tiérache, en Picardie, ainsi que ceux de 
Princeaux, près Nevers, obtinrent également un arrêt qui 
confirmait leurs privilèges, mais qui portait cette restric- 
tion notable : « ... Sans que, à l’occasion de l'exercice et 
traffic. de verrerie, ces verriers puissent prétendre avoir 
acquis le droit de noblesse ni le droit d'exemption : 
comme aussi sans que les habitants des lieux puissent 
prétendre que les verriers fassent acte de dérogeance à 
noblesse. » 

Haudicquer de Blancourt, que nous avons déjà eu occa- 
sion de citer, et qui connaissait bien les conditions dans 
lesquelles s’exercait la verrerie à l'époque où il vivait, c'est- 

1 Cf. Dissertation sur la verrerie, par M. BENETON DE PERRIN, écuyer, pu- 


bliée dans les Mémoires pour l'Histoire des sciences et des beaux-arts {plus 


connus sous le nom de Journal de Trévoux: octobre 1733). 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÈCLE 179 


à-dire dans la dernière moitié du xvire siècle, surtout en 
Normandie, dit à propos des gentilshommes verriers : « Ils 
ont obtenu de grands et beaux privilèges au sujet de cet 
art; mais le principal est celuy de faire travailler et de tra- 
vailler eux-mêmes sans déroger à leur noblesse. Les pre- 
miers qui les ont obtenus, suivant tous les historiens qui 
en ont parlé, sont les ouvriers des grosses verreries, et, 
quoique leur travail ne soit en usage que plusieurs siècles 
après celuy des petites verreries!, ils les ont néanmoins 
prévenus sur ce point d'honneur, qui fait un si grand mou- 
vement parmy tous les hommes de cœur°. Je diray à ce 
sujet que c’est une erreur populaire, ou plutost parmy le 
vulgaire, de croire que l’art du verre anoblisse ceux qui le 
travaillent ; et au contraire que la pluspart de ceux qui ont 
obtenu des privilèges pour établir des verreries estoient 
gentilshommes d'extraction ; leurs privilèges, portant qu’ils 
pourront exercer ou faire exercer cet art sans déroger à leur 
noblesse, en sont une preuve convaincante. Ce qui a été con- 


! Voir ce que nous avons dit, page 153, à propos de cette distinction entre les 
grosses et les petites verreries. 

? L'auteur de la Dissertation que nous avons citée va même plus loin, et dit 
positivement que ce privilège de travailler sans déroger ne fut accordé que pour 
les fabriques des verres à vitre ou grosse verrerie : « Ce n’est que par poli- 
tique que nos princes ont permis aux gentilshommes de faire commerce et de 
fabriquer le gros verre, attendu le besoin que l'on en avoit, depuis que l’on eut 
commencé à s’en servir pour fermer les maisons. 

« Avant cela, il y avoit depuis longtemps des petites verreries en France, de 
même que dans les autres roïaumes étrangers; mais le travail du petit verre 
n’exigeoit ni ne procuroit à ces artistes aucun avantage du côté de la naissance: 
le métier étoit permis à tout le monde. 

« Ce n’est que pour engager des personnes riches à soutenir la dépense des 
grosses verreries qui s'établissoient alors, que l’on accorda à ces personnes 
des privilèges qui témoignassent que la naissance distinguée ne devoit point 
être un obstacle à se mêler d’un pareil commerce. Pour cela les souverains 
affectèrent d’abord de n’accorder ces privilèges qu’à des gentilhommes attachés 
à eux, et dont ils voulurent récompenser les services. » 


180 LA VERRERIE 


firmé par tous nos rois, puisque, dans toutes les recherches 
qui ont été faites de faux nobles jusqu'à présent, jamais l’on 
n’a donné aucune atteinte à ces privilèges, v avant été main- 
tenuz et leur postérité... » 

Mais si les verriers qui n'étaient pas d'extraction noble 
ne jouissaient pas, comme les propriétaires des grosses 
verreries, des privilèges de la noblesse, ils n’en avaient pas 
moins beaucoup d’autres qui leur venaient de leur profes- 
sion elle-même, ainsi que le prouve le préambule des lettres 
patentes datées de Lyon (octobre 1574), et par lesquelles 
Henri IT confirme aux verriers de son royaume les pri- 
vilèges qu'ils avaient obtenus de Charles IX, son prédé- 


cesseur : 


. Soit cognu et manifestez à un chascun que nous avons admis et 
acceptez l’humble supplicque des nobles hommes de l’art et science 
verrière de nostre royaume, provinces, lieux et domaines qui sont 
soub nostre juridiction, les déclarant francs, libres, immuns et exemps 
ou privilégiez, comme ils ont exposez et suppliez, tant eux que leurs 
serviteurs, Comme aussy les marchands qui vendent et tienent mar- 
chandises pour faire verres, soyent-ils rompus ou entiers ou vrayment 
tout aultre sorte de matière pour faire verres, ceux qui les portent ou 
gouvernent, et les faisans conduire, nous les privilégions en tout temps, 
exemptons de toute sorte de taille ou collectes, d'aide , subside, indic- 
tions , coustumes, touchages, peines, etc.". 


Ces privilèges, on le voit, étaient, à quelques exceptions 
près, ceux dont jouissait la noblesse, et dans plusieurs con- 
trées on y avait même ajouté un droit réservé exclusive- 
ment aux nobles, celui de chasser dans les forêts où les 
fours étaient établis’; d'autre part cependant les verriers 
étaient assujettis au payement annuel d’un petit cens, et si 

! Citées par M. A. Pincaarr, d’après la collection des Archives héraldiques 


de J.-G. LE Forr. 
? Voir plus haut, p. 158. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 181 


cette redevance était trop peu de chose pour constituer une 
charge, elle suffisait du moins pour que leur condition ne 
fût pas absolument la même que celle des gentilshommes 
d'armes et de nom. Cest par là, du reste, que fut ruinée la 
prétention à la noblesse que les verriers croyaient tirer de 
l'exercice même de leur profession. Le taux de la redevance 
qui leur était imposée s’éleva graduellement, et laug- 
mentation fut telle, que bientôt leur industrie ne fut plus 
considérée comme franche ; on se demanda de quelle 
valeur était la prétention de ces industriels, qui, vivant 
du travail de leurs mains et pavant le droit d'exercer ce 
travail, voulaient se soustraire, comme gens de qualité, 
aux autres charges publiques, et c’est alors que la ques- 
tion, longuement débattue, fut définitivement réglée par 
Varrêt de 1601, que nous avons cité : le privilège de 
noblesse fut maintenu à ceux qui en avaient joui pré- 
cédemment ; mais pour être verrier on ne fut plus gentil- 
homme. 

Les verriers lorrains n’avaient pas accepté facilement cette 
augmentation de la redevance qu'ils devaient payer, et pré- 
tendaient jouir toujours des prérogatives qui avaient été 
concédées à leurs ancêtres par Jean de Calabre, en 1448, 
prérogatives qui avaient été renouvelées en 1469 d’abord, et 
en 1526 ensuite. Profitant, à cette époque, d’un incendie 
dans lequel les lettres originales avaient été détruites, ils en 
avaient demandé d’autres, rédigées conformément à « une 
copie signée autenticquement », qu'ils avaient conservée, 
et qu'ils montrèrent. On leur octroya alors une nou- 
velle charte, déposée aujourd’hui à la Bibliothèque natio- 
nale', et dans laquelle nous relevons plusieurs passages qui 


! Charte originale en parchemin, munie du sceau en cire; reliée dans le 
volume 474 de la Collection de Lorraine. 


182 LA VERRERIE 


justifient les prétentions de leurs descendants: celui-ci entre 
autres : 


Comme lesdits maistres et ouvriers de voires soient à cause de leur 
mestier et doibvent estre prévillegiez et avant plusieurs beaux droitz, 
libertez et franchises, iceulx maistres et ouvriers avoient certaines 
lettres des prédécesseurs de Monseigneur, duc de Lorraine, esquelles 
estoient déclairiez les droits et previllèges onctrovez auxdiz verriers. 
Soit sans que en ce leur ait mis aucuns empeschemens. Desquels droiz 
et franchises et prérogatives, et dont eulx et leurs prédécesseurs aient 
joy et usé de tout temps passé et esté tenus el répulez en telle franchise 
que chevaliers, escuyers et gens nobles dudit duchié de Lorraine. 


Ils pouvaient donc se croire nobles, puisqu'ils étaient 
« tenus et réputez tels », et c’est de bonne foi, bien qu'avec 
une trop grande ostentation peut-être, que, dans les actes 
publics, ils ne manquaient jamais de prendre la qualité de 
chevalier‘, que précédait celle de maitre de verrerie, et 
qu'ils exigeaient que leurs ouvriers leur donnassent égale- 
ment ce titre. 

Leur noblesse néanmoins ne fut jamais prise au sérieux; 
leur industrie était regardée comme peu honorable par le 
peuple, qui n’estimait alors la noblesse qu'autant qu'elle 
était opulente et inoccupée, et ces gentilshommes qui, di- 
saient-ils, n'auraient pas échangé leur noblesse pour celle 
de quelques-uns de ceux qui portaient le titre de comte ou 


! « Un jour que deux familles [de verriers] célébraient un mariage, elles invi- 
lèrent aux noces un honnête marchand de Sainte-Menehould avec lequel elles 
étaient en relation d’affaires, et qui leur avait rendu des services importants. 
Dans le contrat de mariage, ceux qui le signèrent ajoutaient à leurs noms la 
qualité de chevalier; ils en avaient le droit. L'étranger seul ne pouvait en 
prendre d'autre que celle de marchand, que l’on croyait déplacée dans l'acte. 
Il s’avisa d'ajouter à son nom celui de chevalier de l’Arquebuse. Ainsi tous 
les signataires se trouvèrent chevaliers, et cette qualité, si heureusement ima- 
ginée, satisfit l’amour-propre des verriers. » (BUIRETTE, Histoire de la ville de 
Sainte-Menehould .} 


PAMVIER RE RTENDIINNNE AULXIXS SIÈCLE 183 


de marquis, étaient moins considérés que le plus petit ho- 
bereau campagnard vivant retiré, inutile et oisif, dans son 
manoir; sil leur arrivait parfois de montrer trop d’orgueil 
des privilèges dont ils jouissaient, la dédaigneuse qualifica- 
tion de souffleurs de verre, souffleurs de bouteilles, venait 
vite leur rappeler ce que leur profession avait de méca- 
nique. « Leur manière d’être et de vivre, dit Buirette, dimi- 
nuait encore le peu de considération qu’on leur portait. 
Quoique la plupart sans éducation, pauvres et mal vêtus, 
quelquefois même réduits en état de domesticité, ils se ven- 
geaient des dédains qu'on leur montrait sur les roturiers, 
qu'ils appelaient grossièrement des s.....-méâtins ; ceux-ci, à 
leur tour, leur donnaient le nom de hazis, c’est-à-dire 
hävis, desséchés, parce que leur travail les exposait à l’ar- 
deur du feu des fours !. » 

Les maladies auxquelles ils étaient sujets par suite du 
métier qu'ils exerçaient leur donnaient, en effet, une appa- 
rence chétive et misérable. Un savant médecin de la fin du 
XviIe siècle constate ainsi ce que leur profession avait de 
pénible et de dangereux pour leur santé : « Les verriers, 
dit-il, ont presque tous mal aux veux, à cause du feu qu'ils 
regardent sans cesse; ils sont la plupart asthmatiques et 
tourmentés de toux violentes, à cause de l'air froid qu'ils 
respirent au sortir de leur travail. Aussi la pleurésie est-elle 
très fréquente parmi eux ?. » 

Ils avaient en outre, et cela de longue date, la fâcheuse 
réputation de s’enivrer souvent, et cette réputation, il faut 
bien le croire, n’était pas tout à fait usurpée, puisque Hau- 
dicquer de Blancourt lui-même est forcé d'en convenir, tout 
en ajoutant bien vite que ce défaut n’était pas chez eux 
aussi général qu'on le croyait communément. « .… Il faut 


! Histoire de Sainte-Menehould, p. 241. 
? Cf. De morbrs artificum Diatriba BerRNARDINI RAMANzzINI. — Modène, 1701. 


184 LA VERRERIE 


avoüer que la grande et vive chaleur que ces messieurs re- 
coivent continuellement de lardeur de ces fours est beau- 
coup nuisible à leur santé; car, transpirant par la bouche, 
elle attaque leurs poumons et les dessèche, ce qui fait que 
la plupart d’entre eux sont pâles et de courte vie, à cause 
des maux de teste et de poitrine que le feu leur cause : ce 
qui a fait dire à Libanius que ces ouvriers avant le corps 
débile et infirme, ont recours au vin et s'envvrent facilement, 
cet auteur nous assurant que c’est leur véritable caractère, 
Cependant je diray en faveur de ces messieurs que ce carac- 
tère n’est pas général, en avant connu et même en connais- 
sant encore quelques-uns qui n'ont pas ce défaut". » 

Quoi qu’il en soit, malgré le peu de considération que l’on 
avait généralement pour eux, et peut-être même à cause de ce 
peu de considération, les verriers lorrains, notamment ceux 
de la vallée de Biesme, tenaient à leurs anciens privilèges, 
surtout à celui qui les exemptait du payement des tailles 
et impôts, que les communes sur lesquelles leurs usines 
se trouvaient établies refusaient d'admettre. Aussi s’adres- 
sèrent-ils à Henri IV, lors d’un voyage que ce monarque fit 
dans leur pays en 16035, afin de provoquer, ainsi que nous 
avons dit plus haut, une nouvelle reconnaissance de leurs 
droits. Là encore ils eurent gain de cause, et par lettres 
patentes datées du mois de juillet ils furent maintenus dans 
tous leurs privilèges, à la condition toutefois d’appartenir 
aux familles auxquelles ces privilèges avaient été concédés 
autrefois ?. 

En somme, ces gentilshommes verriers souffreteux, dé- 
guenillés, et qui couraient les forêts en sabots, formaient 


! HAUDICQUER DE BLANCOURT, 0p. cit., p. 41. 

? Ces familles étaient celles des Conpé, des Guior, des Bicauzr et des 
ANDROUINS. Leurs privilèges furent de nouveau confirmés par Louis XIV et 
Louis XV. 


PAMVERRERIENDUMMSATNXIX SIÈCLE 185 


véritablement une sorte de caste à part; en butte tout à la 
fois aux dédains et à la jalousie, ils vivaient absolument 
entre eux, et c’est parmi eux qu'ils contractaient des al- 
lances, dans la crainte, disaient-ils, de se mésallier, mais 
en réalité pour garder bien intacts leurs privilèges et préro- 
oatives, et les mettre à l'abri de toute attaque. Cet état de 
choses dura Jusqu'au moment où ce qui restait de ces fa- 
milles « trouva, dit Buirette', dans la duchesse d’Elbeuf, 
dame de Vienne-le-Château, baronnie située dans la vallée 
de Biesme, une puissante protectrice, qui fit placer leurs 
fils dans les écoles militaires et leurs filles à Saint-Cyr. Ces 
jeunes gens rapportèrent dans leurs familles de Pinstruc- 
tion et l'usage du monde. Plusieurs entrèrent dans la mai- 
son du roi, dans différents régiments, dans l'artillerie et le 
génie militaire. Tous y servirent avec honneur et distinction. » 

À côté de ces verriers, qui étaient ou se disaient gentils- 
hommes parce qu’ils étaient verriers, il y en avait d’autres, 
ainsi que nous l'avons vu plus haut, qui étaient restés gen- 
tilshommes, quoique verriers. De ce nombre étaient princi- 
palement les gentilshommes verriers de la Normandie. Il 
subsiste cependant quelques doutes sur l’origine de la no- 
blesse de quelques-uns de ces verriers, doutes qui tiennent 
aux différences des textes et des dates rapportés par les 
auteurs. (est ainsi que, suivant les uns, Philippe de Cac- 
queray ou Caqueray, qui est regardé généralement comme 
l'inventeur ou tout au moins le premier fabricant des 
verres à vitres dits en plats (v. page 153), était noble de 
naissance, — dans quelques textes on le qualifie du titre 
« d’écuyer, sieur de Saint-Immes », — tandis que, suivant 
d’autres, les privilèges que lui avait accordés Philippe de 
Valois l’auraient anobli. 


MOD EC ADP A2 


186 LA VERRERIE 


Il est donc assez difficile, en labsence de documents bien 
précis, de se prononcer à ce sujet; cependant nous avons 
ici un guide, Haudicquer de Blancourt, dont le témoignage 
nous parait être digne de foi, puisque, ainsi qu'il le dit lui- 
même dans la préface de son livre, c’est « la connoissance 
qu'il a acquise dans lhistoire des familles nobles » qui lui 
a « donné l'envie d'étudier les principes et d'approfondir les 
secrets les plus cachez de lart de la verrerie, en recher- 
chant la cause des privilèges des gentilshommes qui tra- 
vaillent à ce bel art sans déroger à leur noblesse. » 

D'après lui, un des plus anciens, sinon le plus ancien 
gentilhomme « d'extraction » qui se soit adonné à la ver- 
rerie, serait « Antoine de Brossard, escuvyer, seigneur de 
Saint-Martin et de Saint-Brice, et escuyer de Charles d’Ar- 
tois, comte d’Eu, prince du sang roval, qui trouva cet art 
si beau et si considérable, qu'ayant sceu qu’il ne dérogeoit 
pas, obtint de ce prince, en l’année 1453, une concession 
de verrerie dans tout son comté d'Eu, pour travailler ou 
faire travailler au gros verre, avec promesse de n’en souffrir 
établir aucune autre dans son comté, et plusieurs autres 
beaux privilèges que ce même prince lui accorda. » 

Celui-là était véritablement gentilhomme: et, du reste, 
afin qu'il n’y ait aucun doute à son sujet, notre auteur a 
soin de nous donner des preuves à l'appui. « L’extraction 
d'Antoine de Brossard, dit-il, étoit assez considérable pour 
le donner icy pour exemple. Il avoit pour quart-aveul An- 
toine de Brossard, fait chevalier devant Furnes, et marié à 
Judith de Ponthieu. Cet Antoine étoit né environ l'année 
1290, fils naturel de Charles de France, comte de Valois, et 
d'Hélène de Brossard, son amie, dont ce prince luy fit 
prendre le nom, qu'il a transmis à sa postérité, Et, pour une 
marque insigne de son illustre extraction, il luv permit de 


porter d'azur à trois fleurs de lis d’or, à la bande d'argent 


LA VERRERIE!' DU XV AU XIX° SIÈCLE 187 


brochant sur le tout, que ses descendants portent encore. 
Depuis Antoine de Brossard, qui obtint cette concession de 
verrerie au comté d’Eu, les ainez de cette branche ont tou- 
jours fait exercer cet art jusqu’à la fin du siècle passé, qu’ils 
cessèrent de le faire après la mort de Charles de Brossard, 
chevalier, seigneur de Saint-Martin et de Saint-Brice, tué 
au siège de Chartres en l’année 1591, commandant cent 
hommes d'armes pour le service du roy Henri IV... Ce droit 
de verrerie étant honorable, dès que les aisnez de la maison 
de Brossard en eurent cessé l'exercice, les cadets ne man- 
quèrent pas de la continuer, comme ils font encore aujour- 
d’huy. » 

Il parait probable, d’après les quelques lignes qui pré- 
cèdent, que les de Brossard dont il est question ici, gentils- 
hommes qui portaient dans leurs armes les lis de France, 
et qui se faisaient tuer au service de leurs rois, étaient pro- 
priétaires de verreries plutôt que verriers eux-mêmes. Il 
n’en était pas ainsi des gentilshommes suivants, dont Hau- 
dicquer de Blancourt nous donne les noms, et qui, nous en 
avons les preuves, travaillaient dans leurs verreries et souf- 
flaient le verre. Ici nous retrouvons les de Cacqueray; et ce 
qu’en dit notre auteur viendrait à Pappui des doutes que 
nous avons émis plus haut sur l’origine de cette famille, qui 
a fourni à la Normandie un grand nombre de gentilshommes 
verriers. 

« Messieurs de Cacqueray, aussi gentilshommes d’ancienne 
extraction, ont acquis droit de verrerie par l'alliance que fit 
un de leurs ancestres, en l’année 1468, avec une fille d’An- 


! L'abbé Exrizzy, dans son Dictionnaire géographique ct historique des 
Gaules, dit que le droit de verrerie à Charlefontaine, près Saint-Gobain, fut 
donné à Jean de Brosserd et à Étienne son fils, en récompense de leur belle 
conduite à la bataille de Pavie. Jean de Brossard, quoique âgé de soixante-quinze 
ans, avait élé rejoindre l’ërmée avec ses cinq fils, dont trois périrent sur le champ 
de bataille ; lui et ses deux autres fils furent grièvement blessés. 


188 LA VERRERIE 


toine de Brossard, seigneur de Saint-Martin, qui en avoit 
obtenu la concession, ainsi que nous venons de le remar- 
quer; ce gentilhomme avant donné la moitié de son droit 
à sa fille pour partie de sa dot, il fut ensuite vérifié en la 
chambre des comptes. 

« Messieurs Vaillant, anciens gentilshommes, ont pareil- 
lement obtenu le droit de grosse verrerie pour récompense 
de service; et pour armes, d'azur, au poignet armé d’un poi- 
gnard d’or, qui conviennent à leur nom et à la valeur qu'ils 
ont toujours fait paroître dans les occasions. 

« Outre ces trois familles, qui subsistent encore dans cet 
art, nous avons messieurs de Virgille, qui ont droit de pe- 
tite verrerie : messieurs de la Mairie, de Sagrier, de Bongard 
et beaucoup d’autres, qui ont été confirmez en leur noblesse 
pendant la dernière recherche, l’année 1667. 

« Nous avons encore en France plusieurs grosses familles 
sorties de gentilshommes verriers, et qui n’en continuent 
plus lexercice, entre lesquelles il s’en trouve qui ont été 
honorées de la pourpre et des premières charges ; mais ce 
n'est pas 1cy l'endroit d'en parler”. » 

Les verreries de Normandie et celles de Lorraine étant 
encore, au xvie siècle, les plus importantes de toute la 
France, et les chefs de la plupart de ces verreries, au moins 
des plus anciennes et des plus considérables, étant, ainsi 
que nous l'avons vu, gentilshommes, les uns de naissance, 


{Il s’agit évidemment ici de la famille des LE VAILLANT, qui se divisait en 
plusieurs branches dont les membres ont exercé le métier de verrier; on trouve, 
en effet, à la tête des différentes verreries normandes des LE VAILLANT DE 
RouGErossÉé, des LE VAILLANT DE LA HAYE, et des LE VAILLANT DE LA FIEFFE, 
dont un des descendants a écrit le livre que nous avons cité et que nous cite- 
rons encore plusieurs fois, ete. En 1591, MaTHURIN LE VAILLANT, écuyer, pre- 
nait le titre de « seigneur de la verrerye de Telle »; cette verrerie était située 
sur Ja paroisse de Sérifontaine (Oise). 

? HAUDICQUER DE BLANCOURT, 0p. cit., chap. 1, p. 43 et 99. 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÈCLE 189 


les autres par tradition et, pour ainsi dire, par privilège, il 
en est résulté que l’on s'était habitué généralement à con- 
sidérer les verriers comme des gentilshommes, et cela d’au- 
tant plus facilement que ce sont surtout les verreries de la 
Normandie qui ont été prises comme exemples et sujets 
d'étude par les quelques écrivains qui ont traité, à cette 
époque, de Pindustrie du verre. Cest ce qui a fait dire faus- 
sement à Savary des Bruslons, dans son Dictionnaire du 
commerce : « Il n'y a en France que des gentilshommes qui 
puissent souffler et fabriquer le verre ; bien loin que ce tra- 
vail attire la dérogeance, c'est une espèce de titre de no- 
blesse, et l’on ne peut même y étre reçu sans en faire preuve. 
Ce privilège, que les rois ont bien voulu accorder pour faire 
subsister la pauvre noblesse', n’a point souffert jusqu'ici 
d’altération, et il seroit à souhaiter qu’il y eût encore plu- 
sieurs autres manufactures qui eussent cette prérogative… 
Au gentilhomme verrier seul appartient de souffler le verre...» 

Cette opinion était si communément répandue, que Mme de 
(renlis parlait encore, en 1818, de la noblesse des verriers, 
mais en lui assignant une cause toute particulière. « Il v 
avoit avant la révolution, dit-elle dans son Dictionnaire des 
étiquettes de la cour ?, un état, ou pour mieux dire un mé- 
tier qui, loin de faire déroger, exigeoit en quelque sorte une 
espèce de noblesse : c’étoit celui de faire (de souffler) des 
bouteilles pour mettre le vin. Les chefs de ces manufac- 
tures s’appeloient gentilshommes verriers. Tout ce qui avoit 


1 BENETON DE PERRIN dit également que les grands privilèges qui leur avaient 
été accordés ayant « aplani les difficultés de la dépense des grosses verreries, 
plusieurs gentilshommes, flattés de l'espérance du gain, s'en rendirent les en- 
trepreneurs et se déterminèrent à être verriers, quand ils virent que leur nais- 
sance n'en souffroit point, et qu'ils étoient mis ainsi au-dessus de maîtres 
des petites verreries ; et les souverains autorisèrent cette distinction de rang 
pour fournir un nouveau moïen de subsister à la pauvre noblesse. » 

? In-8, Paris, 1818, tome II, p. 358. 


190 LA VERRERIE 


quelque rapport au vin étoit particulièrement respecté en 
France: c'est pourquoi les vendanges étoient et sont encore 
le temps consacré aux vacances des tribunaux et des col- 
lôges, et non celui de la moisson, dont les travaux sont 
beaucoup plus importants. » 





= 


RSS 


\ 
=\ 





Fig. 40, — Un gentilhomme verrier, d'après Radel. 


a. Gentilhomme formant la noix à la bosse. — b. Siège sur lequel le gentilhomme s'assied pour souffler la 
bosse, — c. Petit baquet plein d’eau pour inciser la bosse. — d, Tronc d'arbre qui soutient le baquet, — 
e, Barre de fer pour former la noix à la bosse, — “ Bosse dessus la barre de fer, 


L'Encyclopédie elle-même, dans les planches de la Ver- 
rerie, donnait le nom de gentilshomines aux ouvriers qu'elle 
représentait occupés aux différents travaux de la fabrication 
du verre, et avait bien soin d'ajouter à la description des 
divers ustensiles qui sont reproduits la mention : qui sert 
au gentilhomme, dont se sert le gentilhomme, etc. (fig. 40). 

Il semble, du reste, que cette qualification de gentilhomme 
verrier ait fait partie, par extension sans doute, mais cepen- 
dant d’une facon reconnue et pour ainsi dire officielle, au 
moins en ce qui concerne les manufactures qui jouissaient 


du privilège de manufactures royales, des prérogatives atta- 


LA VERRERIE DU XV AU XIX° SIÈCLE 191 


chées à la profession elle-même, bien que n’octroyant pas 
pour cela de droit à la noblesse, surtout depuis les arrêtés 
de 1601 et de 1603, que nous avons cités. Cest ainsi que 
différents arrêts du conseil d'État concernant la manufac- 
ture royale de la verrerie de Sèvres, dont nous parlerons 
plus loin, donnent aux verriers qui y sont employés le titre 
de gentilshommes, tout en les traitant comme de simples 
roturiers et en leur refusant, sous peine d'amende et même 
de peines corporelles, non seulement de disposer d'eux, 
mais encore de s'éloigner de plus d’une lieue de la manu- 
facture sans une permission signée. Voici quelques passages 
de l'arrêt du 19 mai 1733 : 


SUR ce qui a été représenté au Roy, et son conseil, que nonobstant 
qu'aux termes des arrest du conseil servant de règlement sur le fait 
de la police et administration des manufactures de verreries et glace- 
ries du royaume, conformément à ce qui est porté par les ordonnances 
royaux... Néanmoins il est arrivé que depuis le premier janvier de la 
présente année, treize des employez en la manufacture de la verrerie 
royale de Sèvres, ou gentilshommes ou tiseurs, et autres ouvriers de 
ladite manufaclure, ont esté débauchez, et ont abandonné leur service 
à l’instigation des nommez Clerbois, le Clerc et de la femme du nommé 
Saunier, cy-devant constructeur des creuzets, servant à l’usage de la- 
dite manufacture ; jusque-là même que, depuis peu de jours, un parti- 
culier de la verrerie de Crez en Bourbonnois, près Moulins, a tenté, à 
différentes reprises, d'enlever et faire déserter plusieurs autres des 
ouvriers actuellement employez en ladite manufacture, et que le nom- 
mé Pérard Painé, gentilhomme verrier, travaillant au grand four de 
ladite manufacture, entretient des correspondances continuelles et 
nuisibles au service, toutes choses qui tendent également à ruiner peu 
à peu ladite manufacture de verrerie de Sèvres... LE ROY, EN soN 
CONSEIL, a ordonné et ordonne que lesdits arrêts seront exécutez selon 
leur forme et teneur : en conséquence, fait Sa Majesté itératives et très 
expresses imhibitions et deffenses à tous gentilshommes verriers , 
tiseurs, ouvriers, serviteurs, domestiques et autres employez à ladite 
manufacture de verrerie de Sèvres, sous peine d'amende, même de 
punition corporelle, de quitter leur service sans un congé par écrit de 


192 LA VERRERIE 

inspecteur pour le Roy en ladite manufacture, lequel ils seront tenus 
de demander deux ans avant leur sortie; voulant aussi, Sa Majesté, 
qu'ils ne puissent s'éloigner de plus d’une lieuë de ladite manufacture 
sans un Congé dudit inspecteur : Fait pareillement Sa Majesté très ex- 
presses inhibitions et deffenses à tous maistres de verrerie et autres 
personnes, de quelque qualité et condition quelles soient, de recevoir 
à leur service, sans un congé par écrit dudit inspecteur, lesdits gen- 
tilshommes verriers, tiseurs, ouvriers, serviteurs, domestiques et autres 
employvez en ladite manufacture de verrerie à Sèvres; et en cas qu’ils 
les eussent reçus sans les connoistre ou autrement, ordonne Sa Majesté 
qu'ils seront tenus de les rendre à la première requisition de son in- 
specteur à ladite verrerie de Sèvres, le tout à peine de trois mille 
livres d'amende contre chacun des contrevenants.. Et sera le présent 
arrest executé nonobstant opposition ou empeschement généralement 
quelconque. 


Farr au conseil d’'Estat du Roy, tenu à Versailles le dix-neufvieme 
jour de may mil sept cent trente-trois. Collationné. Signé : DE VOUGNY, 
avec paraphe. 


Cette qualification de gentilhomme n'était cependant pas 
sgénérale, et dans bien des manufactures on ne la donnait 
pas aux verriers, qui étaient simplement appelés ouvriers. 
Cependant, et sans doute par suite encore des anciens pri- 
vilèges attachés à leur profession, ces derniers avaient le 
droit de porter l'épée. Nous en avons un exemple dans le 
règlement de la verrerie qui appartenait, avant la révolu- 
tion, à la châtellenie d’Apremont, dans l’ancien Nivernais. 
Ce curieux document, qui a été retrouvé et publié par 
M. Roubet*, prouve également que les ouvriers souffleurs, 
ou maîtres, avaient conservé, outre cette habitude de s’eni- 
vrer quelquefois, qui avait été reprochée à leurs ancêtres, 
le noble droit de rosser leurs aides ou tiseurs. En voici 
quelques articles : 


! Extrait des registres du conseil d’Estat. — Du 19 may 1733. 
? L. Rouser, {a Verrerie d’Apremont, 8 p. in-8°, s. 1. n. d. 


LA VERRERIE DU XV°MAU XIX° SIÈCLE 193 


S'il arrivait qu'un ouvrier s’enivrât, l’autre ouvrier qui fera son ou- 
vrage jouira de sa paye, et les deniers lui en seront comptés; 

S'il est possible, point de femmes dans la verrerie ; F 

Il faut éviter, autant que possible, de battre les tiseurs ; mais si l’on 
en étoit réduit à certaine extrémité, il faudra les rosser ou les faire 
mettre au pain et à l’eau; 


S'il arrivait qu’un ouvrier maltraitât un autre ouvrier dans l’enceinte 


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Fig. 41. — Servants de verrerie, d’après Radel. 


de la verrerie ou dans la verrerie, il sera condamné à dix livres d’a- 
mende; s’il le blessoit, on retiendra de quoi payer le chirurgien; s’il 
étoit hors d'état de travailler, on mettra un homme aux dépens de celui 
qui aura fait la blessure ; 


Si un ouvrier tiroit l'épée dans l’enceinte de la verrerie contre un 


autre ouvrier qui n’en auroit pas, il payera trente livres d'amende et 
sera mis en prison, et méme renvoyé. 


On voit qu'à part cette fâcheuse tendance à boire de 
facon à s’enivrer, les verriers conservaient une certaine no- 
blesse dans leur manière d’être. Mais c’est plus particulière- 
ment, semble-t-il, dans les verreries de la Normandie que 


les grandes traditions étaient observées; M. Le Vaillant de 
13 


194 LA VERRERIE 


la Fieffe, dans l'intéressant ouvrage que nous avons cité 
plusieurs fois, nous a tracé, d’après des notes conservées 
dans sa famille, un curieux tableau de ce qu'était, à la fin 
du siècle dernier, l'intérieur d’une manufacture de verres 
en plats. « L'atelier noble d’une verrerie en activité, dit-il, 
se composait, dès le commencement d’une reveillée", de huit 
gentilshonmes, savoir : deux cueilleurs, trois bossiers et 
trois ouvriers. Aux deux cueilleurs on adjoignait souvent un 
enfant de dix à quatorze ans, qui venait faire gratuitement 
son apprentissage ; c’était, le plus ordinairement, le fils ou 
le parent de lun des gentilshommes qui faisaient partie de 
l’atelier en exercice ; quelquefois c'était l’enfant d’un membre 
de l’une des quatre familles verrières*?, mis sous le patro- 
nage d’un gentilhomme verrier. 

« Les gentilshommes s’engageaient par écrit pour la re- 
veillée entière, moyennant des appointements convenus et 
proportionnés à leur aptitude. Un chapeau brodé, comme 
les nobles en portaient alors (fig. #1), leur était fourni par 
le maitre de la verrerie, en sus du salaire de chaque jour: 
quelquefois un pot-de-vin en argent tenait lieu d’un cha- 
peau; chaque gentilhomme avait droit en outre, pendant 
tout le temps de la réveillée, à son logement, à sa nourriture 
à la table du maitre de la verrerie, au blanchissage de son 
linge et à la nourriture de son cheval et de son chien, soi- 
onés par les domestiques de la maison. 

« Le travail ne durait pas moins de douze heures par 
jour; il ne commençait jamais le lundi avant minuit, et 


le samedi il ne se prolongeait pas au delà de la même 


l La réveillée commençait au moment où on mettait le feu à un four neuf 
et se continuait sans interruplion jusqu'à ce que ce four ne fût plus en état 
de servir. 

2? Ces quatre familles étaient, ainsi que nous l'avons dit, celles des Le Vail- 


lant, des Bongars, des Cacqueray et des Brossart. 


LA VARRERIE DUSXVŒAU XIX° SIÈCLE 195 


heure; la tâche à faire était de cent quatre à cent vingt 
plats avant le diner, et autant après. Chaque gentilhomme 
trouvait, en arrivant au four, son déjeuner servi sur une 
assiette d’étain ou de, grosse faïence; ce repas consistait, 
les jours gras, le plus souvent en une tranche de viande 
froide, du rôti de la veille, remplacée parfois par des 
Hipe duMoesdemedubetedumMardseictbeMcidrenetule 
pain étaient toujours à discrétion. Toutes les heures, les 
petits tiseurs servants criaient sur une espèce de chant : 
« À boire pour ces Messieurs! » mots auxquels s’ajoutait 
le nom de celui qui était chargé d'aller chercher une 
carafe de cidre frais; car, dans l’été surtout, on sentait 
souvent le besoin de se rafraîchir. Quand le moment du 
diner approchait, les petits tiseurs criaient trois fois en 
dehors du four et en face de la cuisine, de manière à 
être entendus du cuisinier : « À diner pour ces Messieurs ! » 
Le cuisinier faisait servir. Chaque gentilhomme passait un 
pantalon et se dirigeait vers la salle à manger. Le diner 
se composait d’une soupe copieuse, d’un bon bouilli et 
dune entrée suffisante pour huit personnes. La suspen- 
sion du travail ne durait pas une heure; chacun reprenait 
son poste, et la besogne de l’après-diner s’exécutait comme 
celle du matin. La journée terminée, on procédait à sa toi- 
lette, après l’avoir fait précéder d’ablutions complètes. On 
prenait alors la mise et la tenue convenables pour souper 
avec les dames de la maison, quand l’heure du repas se 
trouvait identique, car souvent, surtout à la fin de la se- 
maine, le travail ne commençant que fort tard, ne cessait 
que dans la nuit. Au souper on avait un énorme rôti, une 
salade, des légumes, du dessert et du vin. On observait ri- 
goureusement les jours maigres : le poisson, les œufs, les 
légumes, étaient les principaux aliments des gentilshommes 
verriers pendant les jours d’abstinence. Le souper se pro- 


196 LA VERRERIE 


longeait longtemps ; la conversation prenait à ce repas un 
ton piquant, facétieux, et quelquefois, il faut en convenir, 
un tantinet licencieux. 

« On chantait, on répétait en chœur de joveux refrains. 
Les chansons se reproduisaient le lendemain à l'atelier, 
pendant le travail: la chaleur et la fatigue n’arrétaient 
pas ceux qui aimaient à faire retentir les échos de leurs 
œais chants. Plusieurs gentilshommes avaient de très belles 
voix. La gaieté distinguait le caractère des gentilshommes 
verriers. .Le luxe de la table et des habits n'existait pas 
chez eux; ils n'avaient pont de souci pour lavenir: ils 
se mariaient jeunes. Leurs enfants, toujours nombreux, à 
peine arrivés à dix ou douze ans, trouvaient un état dans 
les verreries ; les plus intelligents et les plus économes 
pouvaient espérer de parvenir à une part dans lPexploitation 
d'une de ces manufactures ; d’autres, dégoûtés du travail, 
s’engageaient dans Parmée, servaient quelque temps la pa- 
trie, et trouvaient à leur retour les ressources qu'ils avaient 
dédaignées en partant. 

« Le repos du dimanche et des jours fériés était cons- 
tamment de vingt-quatre heures au moins. Aux fêtes de 
Pâques, le travail était suspendu le mercredi saint à minuit 
et m'était repris que le mercredi suivant, afin que pendant 
ces six Jours de chômage chacun püt remplir ses devoirs 
religieux et passer ce saint temps en famille: aussi ceux 
dont la demeure était éloignée de la verrerie en profitaient- 
ils pour aller visiter leurs femmes et leurs enfants. 

« Le costume du gentilhomme pendant le travail consistait 
seulement en une chemise sans calecon, qui descendait 
un peu au-dessous du genou, et une demi-chemise avant 
une large manche, placée de côté et au bras gauche. Cette 
manche était assez ample et assez longue pour envelopper la 


main. Une coiffe en toile couvrait la tête. Pour tenir la fêle, 


BANVERRERIENDUNXVS AU XIX° SIÈCLE 197 


la main gauche était armée d’un touret en fer recouvert de 
feutre; la main droite était entièrement libre, afin de donner 
à Pinstrument le mouvement et la direction nécessaires au 
travail (fig. 40 et 42). 

« Chaque ouvrier, pour protéger sa figure contre l’action 
du feu quand il approchait des ouvreaux, portait sur la tête 
un écran mobile, garni de toile du côté qui se trouvait le 
plus près du four. 

« Ce costume si léger navait pourtant rien d’indécent : 
les femmes pouvaient entrer sans que leur pudeur en fût 
offensée. On les recevait avec courtoisie; on les plaçait aux 
endroits où la chaleur était le moins à redouter, et on leur 
faisait suivre, avec les explications nécessaires, tout le 
travail dans ses intéressants détails, depuis la première 
opération du cueilleur, la longue transformation opérée par 
le bossier, jusqu'au moment où la bosse, séparée du ferre- 
ment et présentée au grand ouvreau, s’ouvrait et se déplovait 
par un mouvement rapide de rotation d’une manière vrai- 
ment merveilleuse’. Les petits tiseurs présentaient aux 
dames des larmes de verre qui, par un mouvemement subtil 
de l'enfant, se brisaient avec éclat et ne laissaient dans la 
main de celle à qui on les offrait qu'une poussière phospho- 
rescente *. D’autres ouvriers les priaient d'accepter des 


! Les différentes opérations dont il est ici question, et que nous décrirons plus 
loin, sont celles qui ont trait à la fabrication des verres à vitres en plats, telle 
qu’elle était pratiquée en Normandie à la fin du xvrie siècle. 

? Ces larmes, connues sous le nom de larmes bataviques, sont des gouttes 
de verre terminées par une pointe très déliée, que l’on obtient en laissant 
tomber du verre très liquide dans un baquet plein d’eau froide, et qui, par 
suite d’un refroidissement inégal dû à la mauvaise conductibilité du verre pour 
le calorique, jouissent de la singulière propriété de pouvoir être frappées assez 
fortement sur le gros bout avec un marteau, tandis qu’en cassant l'extrémité 
de la queue, elles se réduisent en poussière avec explosion. Le prince Rupert 
de Bavière est, dit-on, le premier qui, vers 1661, ait appelé l’attention sur ce 


198 LA VERRERIE 


chanterelles, espèce de bocal renversé à fond ouvert, réduit 
à la simple épaisseur d’un papier très léger, et dont on tirait 
en soufflant dessus des sons agréables. Ce délicat produit 
des verreries était d’une fragilité si grande, qu'on ne pou- 
vait le conserver qu'un bien court espace de temps... 

« Avant 1789, les gentilshommes verriers ne sortaient 
jamais sans leur épée; c'était toujours cette arme à la main 
qu'en présence de deux témoins se vidaient les querelles et 
différends qui souvent s’élevaient entre ces hommes, sus- 
ceptibles et chatouilleux. Au premier sang qui venait à 
couler, les témoins intervenalent et faisaient cesser le com- 
bat; on rendait justice à chacun en reconnaissant sa valeur, 
on s'embrassait, et on n’en était que meilleurs amis. » 

M. Le Vaillant de la Fieffe, à l'ouvrage duquel, ainsi que 
nous Pavons dit, nous avons emprunté ce tableau assez 
séduisant de existence que menalent ces verriers, qui tous 
appartenaient à des familles d'extraction noble, mais peu 
favorisées sous le rapport de la fortune, ajoute que, malgré 
leur rude travail, ils avaient conservé une dévouement inal- 
térable à la monarchie, et cite, à l'appui de son assertion, ce 
fait que tous les gentilshommes verriers allèrent, en 1792, 
se ranger dans l’armée des princes. Villeneuve de Barge- 
mont, sur lautorité duquel il s'appuie, affirme également, 
dans ses Mémoires sur l'expédition de Quiberon, « qu'ils 
demandèrent à former une compagnie détachée, sous le 
commandement de celui d’entre eux le plus élevé en grade; 
mais que M le comte d'Artois ne voulut pas que les membres 
de familles si dévouées courussent le risque de se fre 
exterminer dans un seul combat, et que $. À. R. eut la 
bonté d’ordonner qu'ils fussent dispersés dans les différents 
corps de l’armée. » 
phénomène qui a tant excité l'admiration des savants à la fin du xvu® siècle, 


et c’est à celle circonstance qu'elles doivent leur nom. 


PANIER ER TERDIOOX VAR XIXS SIÈCLE 199 


Beneton de Perrin, dans la Dissertation que nous avons 
déjà eu l’occasion de citer, faisait également, dès 1733. 
l'éloge de l’existence que menaient les verriers normands : 
« Le droit exclusif, dit-1l, de travailler au gros verre, que 
ces gentilshommes ont conservé avec soin, les a (pour 
ainsi dire) bornés dans leur fortune ; contents de leur 
sort, ils ont négligé d'en venir chercher un plus brillant à 
la cour; ils vivent tranquillement entre les bois qu'ils habi- 
tent et scavent S'y procurer, par la culture de leurs terres 
et le travail dans les verreries, les aisances de la vie et 
de quoi se soûtenir selon leur condition. 

« Cette vie tranquille ne Les à pas empêchés de paroître 
à la guerre quand le service du roi la exigé ; ils s'y sont 
même distingués ; mais aussitôt que la nécessité qui les 
avoit obligez de prendre les armes a cessé, ils ont repris 
avec plaisir leurs occupations ordinaires. » 

Ici s'arrêtent les documents que nous avons pu rassembler 
sur les gentilshommes verriers. La révolution, qui devait 
abolir un si grand nombre de privilèges solidement établis 
depuis une longue suite de siècles, détruisit naturellement 
ceux de ces pauvres souffleurs de verre, qui reposaient sur 
des bases si fragiles et qui avaient été si souvent mécon- 
nus, ou tout au moins discutés; les verriers rentrèrent 
alors dans la catégorie des simples artisans, n’avant plus 
pour les soutenir dans leur pénible labeur ces prérogatives 
qui caressaient autrefois leur vanité, et grâce auxquelles, 
en réalité, l’industrie du verre à pu s'établir et progresser 
malgré les difficultés de toute nature contre lesquelles elle 


avait à lutter. 


En résumé, on voit par ce qui précède que s’il y a eu en 
France des gentilshommes verriers, il ne s'ensuit pas pour 
cela, ainsi que beaucoup d’auteurs l'ont avancé à tort, que 


200 LA VERRERIE 


tous les verriers fussent gentilshommes, ni que l'exercice 
de la verrerie conférât la noblesse, 

Il n’en était pas de même en Italie; nous avons vu plus 
haut comment fut établi le libro d’oro des verriers de Mu- 
rano ; depuis cette époque, il n’y eut pas un seul des verriers 
vénitiens où muranais qui ne s'intitulât lui-même gentil- 
homme, bien que souvent il ne fût que simple ouvrier, et 
« qu'il se louât ou assujettit en sous-ordre ». C'était bien 
autre chose encore à Altare, où les nobles seuls, parait- 
il, pouvaient exercer le métier de verrier, ainsi que le 
montre une attestation donnée par les consuls de cette ville 
à un membre de la famille de Sarode, le 4 février 1645. 
« Ce qui est une preuve très assurée, dit cette attesta- 
tion, que les membres de Ia famille de Sarode sont nobles 
et de race noble, c’est qu'ils jouissent du privilège d'exercer 
l’art de la verrerie, auquel ceux qui ne sont pas nobles ne 
sont pas admis; ce qui est très vrai et doit être tenu pour 
certain et assuré par tous, devant tous, et publiquement. » 

On peut donc établir qu'en France on restait noble quoique 
Pon fût verrier, qu'à Venise on était noble parce que l’on 
était verrier, et qu'à Altare on n’était verrier que parce que 
on était noble. 


LA VERRERIE EN FRANCE AU XVII SIÈCLE. — Nous avons 
vu (page 151) comment les lettres patentes du mois d'avril 
1650 avaient donné à tous les verriers de France lautorisa- 
tion de faire le verre cristallin, qui jusqu'alors avait été 
réservé à quelques fabriques privilégiées, et principalement 
à celles qui avaient été fondées par des verriers venus de 
Venise ou d’Altare., À dater de ce moment, un grand nombre 
de nouvelles manufactures s'étant établies, et la fabrication 
du nouveau verre n'étant plus, comme par le passé, un 


secret de composition ni le résultat d'un four de main spé- 


PASVERIRERTENDITX NES A UNXIXS SIÈCLE 201 


cial, il semblerait que cette fabrication ait dû prendre rapi- 
dement une assez grande importance. 

Il n’en fut rien cependant; et, soit que les verres français 
fussent inférieurs, comme fabrication et comme qualité, 
aux verres qui arrivaient de Venise, des Pays-Bas, de l’Alle- 
magne, et notamment de Bohême, où on avait commencé 
depuis quelque temps déjà à faire des verres taillés qui 
étaient alors recherchés partout, soit que le prix des verres 
étrangers fût relativement moins élevé, les fabricants fran- 
cais demandèrent des tarifs protecteurs, qui furent établis 
par arrêté du 18 septembre 1664, mais qui ne remédièrent 
pas au mal. Ils se plaignirent de nouveau, et l'arrêt sui- 
vant du conseil d'État, daté du 29 mai 1688, augmenta les 
droits, déjà assez élevés cependant, que devaient payer, 
à leur entrée en France, les verres venus de l'étranger. 


LE ROY, etc... Voulant augmenter lesdits droits sur les verres étran- 
gers pour faciliter le débit de ceux des Manufactures du Royaume : ouy 
le rapport du sieur Le Peletier.. SA MAJESTÉ EN SON CONSEIL à ordonné 
et ordonne qu’à commencer au quinzième juin prochain, les verres de 
toutes sortes qui éntreront en France, payeront à l’entrée du royaume, 
sçavoir le verre cassé comme groisil', vingt sols par baril; le verre en 
table? pour vitres, la charretée de quatre paniers, douze livres; les 
Verres, Tasses, Couppes et Bassins de cristalin de Venize et d'ailleurs, 
trente livres du cent pesant, et les verres à boire, excepté ceux de 
Venize, dix livres du cent pesant. Enjoint Sa Majesté à maistre Pierre 
Domergue, adjudicataire des cinq grosses fermes unies, et à ses com- 
mis, de percevoir lesdits droits entièrement, sans en faire aucune 
composition ny remise, et aux juges des fermes de tenir la main à l’exé- 
cution du présent arrest, à peine d'en répondre en leurs propres et 
privez noms. 


Fair au Conseil d'État du Rov, le vingt-neuvième may 1688, etc... 
d D 1 


! Verre pilé et réduit presque en poudre. On dit aujourd’hui gresil. 
? Nous avons vu que ce verre était fabriqué surtout en Lorraine; on en fai- 
sait également beaucoup en Allemagne, 


202 LA VERRERIE 


Quelques semaines plus tard, le 1% août, un second arrêté 
ajoutait les bouteilles !, pour lesquelles on devait payer dix 
livres « du cent pesant, Sa Majesté estant informée que, 
par méprise, quoy que ce n'ait pas esté son intention, les 
bouteilles simples et de gros verre avoient été obmises... » 

Mais ces arrêts ne furent exécutés qu'en partie, le premier 
surtout; les étrangers continuèrent, comme par le passé, à 
faire entrer leur fragile marchandise en frustrant le trésor 
du tiers au moins des droits qu'ils devaient paver, et cela 
surtout par suite des fausses déclarations qu'ils faisaient, 
annonçant comme verres à boire ordinaires des verreries de 
Venise et des verres de cristallin, que les emplovés laissaient 
passer, peu familiarisés qu'ils étaient avec les nombreuses 
applications du verre. Il en était résulté pour l'industrie fran- 
caise un préjudice assez considérable, et plusieurs manufac- 
tures, même parmi les plus importantes?, avaient dû éteindre 
leurs fourneaux, dans l'impossibilité où elles étaient de lutter 
contre la concurrence étrangère. Le conseil d'État intervint 
de nouveau, et un second arrêt, plus sévère, et surtout 
d’une rédaction plus précise, fut alors rendu le 7 septembre 
1727. Nous croyons intéressant de reproduire ici ce curieux 
document, qui contient un si grand nombre d'indications 
précieuses sur lPemploi du verre dans la fabrication des 
objets usuels. 


! A cette époque, les bouteilles étaient fabriquées surtout en Lorraine. 

? Entre autres, la manufacture royale en cristaux de Bayet, près Bar-sur- 
Aube, en Champagne, « laquelle, dit le Journal de Verdun (mars 1728), étoit 
d'autant plus avantageuse au royaume, qu’on y fabriquoit un très grand nombre 
de beaux ouvrages pour l'Espagne, le Portugal, le Mexique, les Indes, ete., 
sur les mémoires et les modèles que les marchands espagnols et portugais en- 
voyaient. On en ralluma le fourneau aussitôt après qu'on eut reçu avis de l’arrest 
du 7 septembre 1727, et l’on y fait, vend et débile tous les ouvrages dont il est 
fait mention dans cet arrest, avec plusieurs autres dont l'énuméralion seroil 


cnnuyeuse. » 


PAVIBRERERDENDUNX VISA) XIX° SIÈCLE 203 


ARREST pu CoNSEIL D'ÉTAT DU Roy 


concernant les Droits d'entrée que doivent payer les différens ouvrages 
de verre blanc cristallin venans des pays estrangers. — Du 7 sep- 
tembre 1727. 


(Extrait des registres du conseil d’État.) 


LE ROY, s’estant fait représenter en son Conseil, larrest rendu en 
iceluy le 29 may 1688 concernant les Droits d'entrée dans le Royaume 
sur toutes sortes de verres venant des pays estrangers, portant entre 
autres choses que les Verres, Tasses, Coupes et Bassins de cristallin 
de Venise et d’ailleurs, payeroient trente livres du cent pesant, et les 
verres à boire, excepté ceux de Venise, dix livres seulement : SA 
MAJESTÉ a esté informée qu’on est dans l'habitude d’éluder lexécution 
dudit arrest, en faisant passer les verres cristallins et autres ouvrages 
de cristal pour verres à boire, sur lesquels les commis des Fermes ne 
perçoivent que le droit de dix livres; à quoy estant nécessaire de pour- 
voire par une énumération plus précise des dits ouvrages sujets aux 
droits de trente livres, ne devant y avoir que les verres à boire, excepté 
ceux de Venise, sujets au droit de dix livres d’entrée. Ouy le rapport 
du sieur Le Peletier, conseiller d’'Estat ordinaire et au Conseil royal, 
controlleur général des finances, SA MAJESTÉ estant en son Conseil, a 
Ordonné et Ordonne que larrest du 29 may 1688 sera exécuté en sa 
forme et teneur; et, en conséquence, que toutes sortes d'ouvrages de 
verre blane cristallin, comme verres, tasses, flacons de toutes sortes, 
fioles à sel, rouleaux, tabagies, lustres, pendeloques pour lustres, enfi- 
lades, dents pour hochets, falots, lanternes à douille, flambeaux, bou- 
geoirs, bénitiers, huiliers, cuvettes, rafraichissoirs, seaux de table et 
autres, salières, girandoles, desjeuners, coupes, bassins, gobelets de 
toutes sortes, plateaux, souscoupes, guéridons, dômes, assortiment 
pour Poffice, verres pour les montres, lampes, croix et chandeliers 
d'église, aiguières et pots à l’eau, jattes, drageoirs, bouquetiers, com- 
postiers, pintons, pots pour les neiges et glaces, plombs de toilette et 
autres ouvrages, payeront à l’entrée du royaume trente livres du cent 
pesant. À l'effet de quoi les marchands verriers estrangers seront tenus 
de faire leurs déclarations précises aux premiers Bureaux d’entrée, de 
la qualité et quantité de différentes espèces desdits ouvrages qu'ils 
voudront faire entrer, et de mettre dans des caisses ou paniers séparez 
les verres à boire pour lesquels il n’est dû et ne sera payé que dix livres 


204 LA VERRERIE 


du cent pesant..…., le tout sous peine de confiscation et de mille livres 
d'amende applicables moitié aux hôpitaux des lieux, et l'autre moitié 
aux dénonciateurs.…. 


D'après ce qui précède, on voit que c'était surtout lim- 
portation des verres de Venise que lon voulait atteindre : 
là cependant n'était pas le danger pour l'industrie francaise. 
La fabrication vénitienne avait elle-même à se défendre 
contre la verrerie de Bohème et contre les imitations de ses 
produits qui sortaient des manufactures, en pleine prospe- 
rité alors, des Flandres et des Pays-Bas ; chaque jour elle 
perdait de son ancienne importance, et ne conservait plus 
intact que le monopole des perles et des verroteries, dont 
elle expédiait en France des quantités considérables, des- 
tinées au commerce que notre marine marchande faisait sur 
les côtes d'Afrique, et qui, par un privilège spécial, ne 
payaient aucun droit d'entrée ni de sortie. Le bon marché 
de ces verroteries, du reste, était tel, qu'aucune fabrique en 
France et à l'étranger n'aurait pu lutter contre Murano, et que 
nulle part, en effet, on n'avait jusqu'alors cherché à lui faire 


concurrence sous ce rapport'. Quant à la fabrication des 


! Le Dictionnaire des Gaules, de l'abbé ExpiLLy, nous donne sur ce sujet des 
renseisnements intéressants. « La conterie *. la verrolerie et les rassades ** 
viennent de Venise en France el à Marseille surtout. C'est de Venise que toutes 
les nations les tirent, aucune n'ayant pu encore travailler à la conterie et la 
donner à si bon marché que les verriers véniliens. Il est, en effet, surprenant 
que les rassades puissent se vendre à un si vil prix, puisque la livre pesant 
achelée en gros à Marseille ne coûte que huit sols. Or cinq masses ne pèsent 
qu'une livre, et chaque masse est composée de douze branches de dix filets 
chacune, c’est-à-dire que pour trois deniers on a vingt filets de ces perles. Il 
n'est guère possible de travailler à meilleur marché. Outre cela, il faut sur ce 

* Conterie, grosse verroterie de Venise dont on se sert pour commercer avec les nègres. ( LiTTRE.) 


‘* Rassades, petites perles de verre ou d’émail avec lesquelles on fait des ornements dont se parent 
les nègres d’Afrique. De l'italien razsare, briller. ( 1bid.) 


PAMMERIRIERTEPDIUPXN AU, XIXSTÉCLE 205 


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glaces, nous verrons dans un chapitre spécial que, grâce à 
Colbert, la France était alors en mesure de se suffire à elle- 
même, et que là surtout elle pouvait défier Venise et les 
autres pays. 

Le gouvernement eut encore, au commencement du 
xXvirIe siècle, à protéger une industrie qui, sans être abso- 
lument d'origine française, avait pris en France, plus que 
partout ailleurs, de grands développements, grâce surtout 
aux privilèges exceptionnels que nous avons rapportés plus 
haut, et qui avaient été accordés à ceux qui la pratiquaient : 
nous voulons parler de la fabrication des verres à vitres, et 
particulièrement de celle des verres dits à plats, qui était, 
ainsi que nous l’avons vu, d’origine et de fabrication exclu- 
sivement normande. Mais ici quelques lignes d’explication 
sont nécessaires. 

Les fouilles faites à Herculanum et à Pompéi ont montré. 
sans qu'aucun doute soit possible à ce sujet, que les anciens 
connaissaient Pemploi du verre à vitres (voir p. 189); mais 
il semble que cet usage ait été assez restreint, ou que tout 
au moins il ait été perdu ou abandonné pendant quelques 
siècles. « Les Romains, dit Viollet-le-Duc ', qui ne modi- 
fiaient pas leur architecture en raison du climat, mais qui 
bâtissaient à Paris ou à Cologne comme à Rome, avaient 
laissé dans les Gaules des traditions qui ne furent aban- 
données qu'assez tard. Dans les édifices publics, les fenêtres 
étaient de grandes baies cintrées percées sous les voûtes, à 
travers les murs de remplissage ;: dans les habitations, les 
fenêtres n'étaient que des ouvertures assez étroites, rectan- 


prix déduire les frais de barrique, de transport, de fret, de commission, et le 
profit qu'y font les marchands de Marseille. Quel est donc le bénéfice des fabri- 
quants de verroterie ? Nous avouons que nous n’en savons rien, sinon que ces 
fabriquants ne sont pas les moins riches de Venise... » 

1! Dictionnaire raisonné de l'architecture française. 


206 LA VERRERIE 


culaires, pour pouvoir recevoir des châssis de bois sur 
lesquels on posait du papier huilé, des canevas ou des 
morceaux de verre enchässés dans un treillis de bois ou 
de métal, Rarement dans les édifices publics les fenêtres 
étaient vitrées ; ou bien elles étaient assez étroites pour em- 
pêcher le vent de s’engouffrer dans les intérieurs ; ou, si 
elles étaient larges, on les garnissait de réseaux de pierre, 
de métal ou de bois, destinés à tamiser Pair venant de 
l'extérieur. » Dans les quelques édifices dont les fenêtres, à 
dater du 1ve siècle, ont été vitrées, le verre était le plus 
ordinairement employé sous la forme de petites pièces rondes 
assez épaisses, surtout au centre, dont emploi se généralisa 
plus tard, et qui, au moyen âge, étaient connues sous le nom 
de cives. À cette garniture primitive succéda celle des vitres 
peintes; mais on ne sait pas exactement à quelle époque 
celles-ci furent appliquées pour la première fois; suivant 
quelques anciens chroniqueurs cependant on peut affirmer 
que, dès le xe siècle, on commençait à représenter des scènes 
historiques sur les vitraux des églises. Mais ce sujet rentre 
dans l’histoire de la peinture sur verre, qui est étrangère à 
notre travail, et qui, du reste, a été traitée plusieurs fois 
dans de savantes monographies qui laissent bien peu de 
recherches à faire. Nous devons dire cependant que, dès le 
vie siècle, les Français paraissent avoir eu une certaine répu- 
tation pour la fabrication et la pose des verres employés dans 
les églises, puisque, suivant Le Vieil?, saint Vilfrid aurait fait 
venir de France des vitres et des vitriers pour fermer les 
fenêtres de la cathédrale d’'York, que saint Paulin avait fait 
bâtir, et que, cinq ans plus tard, d’après le vénérable Bède 
et les Actes des évêques d’York, cités par le même historien, 

1 LacrancE, mort à Trèves en 325, dit « que notre àme voit et distingue les 


objets par les yeux du corps comme par des fenêtres garnies de verre ». 


? Art de la peinture sur verre et-de la vitrerie Paris, 1774. 


PASVERRERTERDURXNS AU X IX" SIÈCLE 207 


saint Benoît Biscop étant passé en France, en emmena des 
maçons pour construire l’égiise et les bâtiments de son mona- 
stère de Viremouth, et, peu de temps après, en tira des ver- 
riers et des vitriers qui y firent les premières vitres qu’on 
ait vues dans ce royaume, et en garnirent les fenêtres de 
l’église et du monastère. « Ce furent donc des François, dit 
Le Vieil, que les Anglois apprirent l’art de la verrerie et 
de la vitrerie. Ils ne tardèrent pas d'ailleurs à sy rendre 
habiles, car les saints évêques Villebrod, Oüinfrid et Ville- 
hade, Anglais d’origine, en portèrent dans leurs missions 
la connoissance pratique chez les nations germaniques. » 

Il est impossible de fixer d’une façon précise l'époque à 
laquelle Pusage des vitres s'implanta en France. Beneton de 
Perrin, dans la Dissertation que nous avons citée plus haut, 
dit que cet usage existait dès le xrre siècle; mais il ne donne 
aucune preuve de son assertion. Il est certain, en tout cas, 
qu’à la fin du xime on fabriquait des verres à vitres en Nor- 
mandie, puisque nous avons vu (p. 153) que les Comptes 
publiés par M. Milet affirment l’existence, en 1302, d’une 
verrerie en pleine activité à la Fontaine-du-Houx, près Bezu. 

Cependant 1l faut remonter au milieu du xve siècle pour 
irouver les premières mentions de fenêtres vitrées. La plus 
ancienne, Croyons-nous, celle du moins qui ne laisse subsister 
aucun doute sur l'emploi des vitres dans les habitations pri- 
vées, se trouve dans les Comptes du roi René, publiés par 
M. Lecoy de la Marche : « Octobre 1447. — À Guillaume 
Gasteblé, serreurier du dict lieu, pour avoir assis ung chas- 
seis de boys vitré de verre en la petite escriptoire! du dict 
seigneur, à Tarascon, et pour avoir faict verges de fer au 
dict retraict, etc... » Dans son Histoire plaisante du petit 
Jehan de Saintré, écrite en 1459, Antoine de la Salle, qui 


1 Cabinet de travail. 


208 LA VERRERIE 


faisait partie des gentilshommes de la cour du roi René, 
parle également de la présence des vitres aux fenêtres d’une 
chambre comme d'une chose digne alors d'être relatée : 
«.….. mena ma dame en sa chambre chauffée, qui estoit 
très bien tendue et neste, tapissée, verrée...; » et les Cent 
nouvelles, qui datent de la même année, font une remarque 
semblable à propos de « ceux qui ont leurs belles chambres 
verrées, nattées et pavées. » 

Il devait évidemment exister en France à cette époque 
d’autres fabriques que celles de la Normandie; c'est du 
moins ce qui résulte des deux passages suivants, que nous 
nous bornerons à citer sans chercher à les expliquer, faute 
de documents précis sur lesquels nous puissions nous 
appuyer. Le premier est tiré du Songe de Polyphile' : « Entre 
deux piliers y avoit une fenestre vitrée de lames de Boulogne 
en France...: » l’autre est emprunté à lPAnti-Hermaphro- 
dite? : « L'injustice que fit le procez de Jacques Cœur fut 
cause que nous avons perdu le beau secret du verre clair, 
qui résiste aux rayons du soleil sans empescher la clarté, 
dont le beau temple de Saint-Estienne de Bourges et le logis 
du dict Jacques Cœur sont de fidelles tesmoings. » 

L'usage des verres à vitres était, on le voit, chose rare au 
xve et au xvie siècle. On v suppléait par l'emploi de la toile 
cirée transparente ou du papier huilé, même dans les de- 
meures seigneuriales. C’est ainsi que l’on trouve, à l’année 
1413, dans les Comptes * de Jean Avin, receveur général de 
Auvergne, la mention suivante : « Pour la venue de Madame 
la duchesse de Berry, pour aller à Montpensier, faire faire 


1 Trad. de JEAN MARTIN, p. 70. 

? L’'Anti-Hermaphrodite, ou le secret tant désire de l'advis proposé au Roy 
pour réparer tous les désordres, impiéles, etc., qui sont en ce royaume (par 
JoxaTHAS PErTir, de Brétigny). — Paris, 1606, in-8°, p. 483. 


3 Cités par M. A. Sauzay, dans les Merveilles de la verrerie, p. 57. 


DAV RRERIERDUEXNEAT XIX° SIÈCLE 209 


certains chassitz aux fenaistrages du dict chastel, pour les 
ansire ! de toilles cirées par défault de verrerie..; » et qu'une 
commande, de « vingt pièces de bois à faire cassiz de voir- 
rières de papier, servant aux fenestres des chambres, » 
nous apprend que même à la cour luxueuse des ducs de 
Bourgogne, en 1467, on remplaçait le verre par du papier. 

En Italie, l'usage des toiles blanches et des petits disques 
de verre, ou cives (nommés en italien rulli), paraît avoir 
subsisté assez longtemps, ainsi que le constate le comte 
Filiasi® : « L'art de souffler le verre en manchons et de 
l’étendre pour faire des vitres nous paraît même n’avoir été 
pratiqué que très tard à Venise, et n’y avoir jamais eu qu’un 
développement très restreint, témoin l’usage de ces grossiers 
petits disques de verre nommés rulli, de quelques pouces 
de diamètre, portant au centre la marque de la canne 
de fer avec laquelle on les exécutait, et qui étaient encore 
employés pour les fenêtres des palais au xvie siècle. Du 
reste, l'usage des vitres était rare en Italie chez les parti- 
culiers ; aux plus belles époques de la renaissance, les 
fenêtres étaient closes par des châssis recouverts de toiles 
blanches. » 

Il en était de même en Angleterre, où le verre à vitres 
était, au xvie siècle, d’un prix tellement élevé, que lon 
prenait les plus grandes précautions pour préserver de tout 
accident les fenêtres vitrées. Un règlement, fait en 1567 par 
P’intendant du duc de Northumberland, contient Particle 
suivant : « Et parce que dans les grands vents les vitres de 
ce château et des autres châteaux de Monseigneur se dété- 
riorent et se perdent, il serait bon que toutes les vitres de 
chaque fenêtre fussent démontées et mises en sûreté lorsque 
Sa peigneurie part; et si, à quelque moment, Sa Seigneurie 

1 Clore, fermer. 


? Memorie storiche de’ Veneti, etc. In-8, Padoue, 1811-1814. 
14 


210 LA VERRERIE 


ou d'autres séjournent à aucuns desdits endroits, on pour- 
rait les remettre sans qu'il en coûtät beaucoup, tandis qu'à 
présent le dégât serait très coûteux et demanderait de 
orandes réparations. » 

Malgré importance que les grosses verreries de Normandie 
et de Lorraine prirent au xvie siècle, Pusage des verres pour 
garnir les fenêtres ne se généralisa pas, et les carreaux de 
papier furent employés pendant bien longtemps encore ; en 
1692, d’après le prix courant publié par Abraham du Pradel, 
«un carreau de papier fin huilé, grand ou petit, [ coûtait | 
un sol ou neuf deniers, suivant sa grandeur. » 

À cette époque, ainsi que nous l'avons vu plus haut, deux 
procédés étaient usités dans la fabrication des verres à 
vitres : l’un, particulier à la Normandie, désigné sous le 
nom de verres en plats, et dont les produits étaient connus 
dans le commerce sous la dénomination de verres de France; 
l’autre, d'origine italienne, apporté d’abord à Nevers (voir 
p. 169), mais pratiqué surtout en Lorraine, et qui donnait 
les verres dits en tables. Il nous parait nécessaire, avant 
d'aller plus loin, d'indiquer aussi brièvement que possible 
en quoi différaient ces deux modes de fabrication, dont le 
premier, croyons-nous, est tout à fait abandonné depuis le 
commencement du siècle, excepté en Angleterre, et que 
mentionnent à peine les auteurs qui, dans ces derniers 


temps, ont écrit sur l’histoire et la technologie du verre, 


Fabrication du verre dit EN PLAT Où VERRE DE FRANCE !. 
— (Quand la matière destinée à être mise en œuvre était 


suffisamment fondue, le verrier plongeait dans le creuset, 


! Nous empruntons la description des procédés usités dans cette fabrication au 
Dictionnaire des arts et métiers de l'abbé JAUBERT, Paris, 1773, el à l'Ency- 
clopèdie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. 
Neufchàtel, 1765. 


LA VERRERIEDUNXNES AU XIX° SIÈCLE 211 


ou pot, sa canne (appelée également felle), longue d’envi- 
ron cinq pieds, et la retirait chargée du verre qui s’y était 
attaché ; il roulait ce verre sur une table de fer pour l’unir, 
puis replongeait la canne dans le creuset pour la charger 
d'une plus grande quantité de verre, qu'il tournait et roulait 
de nouveau sur la table, afin de bien lier la matière qu'il 
cueillait ainsi; il recommencçait cette opération deux ou trois 
fois encore, jusqu’à ce que la canne fût assez chargée de 
verre pour faire un plat. Il soufflait alors, et formait un 
gros ballon ou bosse, qui s'allongeait d'environ un pied; 
il roulait cette bosse sur la table, puis la présentait au 
four après l’avoir soufflée une seconde fois, et en roulait de 
nouveau l’extrémité sur une barre de fer, afin de former 
à l'extrémité un petit renflement nommé noix (voir pl. 40, 
p. 190). La bosse, à ce moment de l'opération, avait au 
moins 148 à 20 pouces (0m540) de diamètre; il la posait 
sur l’âtre du four, et, au moyen d’une goutte d’eau jetée à 
l'extrémité de la canne, la détachait de cette dernière. 

Un autre ouvrier plongeait ensuite dans le creuset une 
verse de fer, ou pontil, afin d’y puiser un peu de verre, 
et attachait ce pontil à la noix du ballon, qui était alors 
retourné sens dessus dessous et aplati; on rechauffait de 
nouveau, puis, au moyen dun outil en fer introduit et tourné 
en rond dans l’ouverture laissée par la canne, on augmen- 
tait cette ouverture jusqu’à ce qu’elle atteignit un diamètre 
de 20 à 25 centimètres, ce qui faisait refluer la matière du 
milieu vers les bords, en formant autour du plat une sorte 
de bourrelet. 

Il restait alors une dernière opération qui demandait au 
verrier une grande force, une grande dextérité de main, et 
qui était des plus pénibles, puisqu'il devait la faire en se 
tenant constamment exposé devant le grand ouvreau du four 
incandescent. Cette opération consistait à chaufter de nou- 


212 LA VERRERIE 


veau le plat de verre, et, lorsqu'il Pétait suffrsamment, à le 
faire tourner rapidement sur son diamètre. Les bords dilatés 
du verre tendaient alors, par l'effet de la force centrifuge, à 
s'éloigner du centre, le plat de verre s’agrandissait, et lon 
obtenait ainsi un disque concentriquement strié, plus épais 
au centre que sur les bords, et dont le diamètre devait être 
en moyenne de 4 mètre à 4 mètre 05. 

Quand le plat de verre avait atteint la dimension conve- 
nable, on le tirait de l’orifice de l’ouvreau, et, toujours en 
le tournant circulairement sur son diamètre, on le posait, 
après l'avoir détaché du pontil auquel il s'était attaché, 
sur la pelote en terre cuite garnie de braise, où on le lais- 
sait un peu refroidir et prendre de la consistance; len- 
droit par où ce pontil tenait au plat s'appelait œil de bœuf 
ou boudin de verre. 

Lorsque le plat était à moitié refroidi, on lenlevait de la 
pelote au moyen d’une fourchette à deux fourchons, et on 
le portait dans le four à recuire, où il restait vingt-quatre 
heures (fig. 42). 

Cest principalement, ainsi que nous l’avons dit, dans les 
quatre verreries de la forêt de Lions‘, c’est-à-dire à Érou- 
tieux, à la Haye, à la Verrerie-Neuve et à la verrerie du 
Landel?, que le verre en plat était ainsi fabriqué ; on en fai- 
sait également dans quelques usines du comté d'Eu ainsi 
qu'à Beaumont, près Rouen, mais cette fabrication était rela- 
üvement peu importante. Les quatre verreries que nous ve- 
nons de citer devaient envoyer à Paris tout le produit de 
leurs fourneaux, et c’est pour elles seules que furent faits, 
au commencement du xvine siècle, les règlements dont 
nous parlerons plus loin, concernant la fourniture, le trans- 
port, la distribution, la qualité et le prix du verre. 


! Lions-la-Forêt, aujourd'hui chef-lieu de canton du département de l'Eure. 
? Désisnée parfois sous le nom de verrerie de l’Hollandelle. 


' LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 213 


Fabrication du verre dit EN TABLE ou VERRE DE LORRAINE. 
— Le procédé employé dans la fabrication des verres 
en tables (aujourd’hui verres en cylindre) était celui qui 
était usité à Venise et en Allemagne aux x11e et xrne siècles, 
pour la fabrication des verres qui servaient à faire les 


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Fig. 42. — Fabrication du verre en plat, d'après Radel. 


a. Gentilhomme occupé à mettre avec la fourchette dans le four à recuire les plats finis qu’il a pris sur 
la pelote. — 6. Plat de verre sur la fourchette pour être mis dans le four à recuire. — c. Pelote sur 
laquelle le gentilhomme vient de prendre le plat. — d. Entrée du four. — e. Pile de plats de verre qui 
recuisent dans le four. — jf. Fourchette pour mettre les plats de verre dans le four. 


vitraux et qui se trouve déjà, à cette époque, décrit dans 
l'ouvrage du moine Théophile : Diversarium artium sche- 
dula. 

Comme le principe est toujours resté le même, nous em- 
prunterons au savant ouvrage de M. Peligot' la description 
suivante de ce procédé, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. 

Après avoir cueilli avec sa canne une masse de matière 
en rapport avec la dimension du verre qu’il veut obtenir, et 


! PÉLIGOT, le Verre. 


214 LA VERRERIE 


en avoir fait la paraison (voir p. 99), « l’ouvrier souffle 
légèrement d'abord, en étirant un peu la masse vitreuse de 
manière à lui donner la forme d’une poire (fig. 43, n° 4); il 
balance sa canne (n° 2), puis 11 la relève de manière à ra- 
masser le verre (n° 3); il souffle plus fortement à plusieurs 
reprises, et lui imprime un mouvement de va-et-vient, 
comme celui d'un battant de cloche, de manière à allonger 
la poire, qui prend une forme cylindrique ; il la relève vive- 
ment au-dessus de sa tête, puis lui fait subir un mouvement 
complet et rapide de rotation, dans le but de lallonger (no 4), 
tout en lui donnant une épaisseur égale dans toutes ses 
parties. 

« Quand le cylindre est fait, le souffleur reporte la pièce 
à l’'ouvreau, de manière à en bien ramollir le bout; quand 
il est suffisamment chaud, il est percé avec une pointe de 
ler. Par le mouvement de balancement, l'ouverture s’agran- 
dit; on pare la pièce avec une sorte de planche en bois; les 
bords s’écartent, et la calotte qui terminait le cylindre se 
trouve effacée (n9 5). 

« Le cylindre, devenu rigide, est posé sur un chevalet en 
bois. On touche avec une tige de fer froid le nez de la canne: 
celle-ci se détache aussitôt de la pièce de verre, dont la 
calotte est enlevée en enroulant un fil de verre très chaud, 
et en touchant la partie ainsi chauffée avec un fer froid. On 
a donc alors sur le chevalet un manchon ouvert des deux 
bouts. On le fend dans sa longueur (n° 6) en promenant 
dans son intérieur, sur la même arête, une tige de fer rou- 
ole; un des points chauffés étant mouillé avec le doigt, le 
verre éclate, On arrive au même résultat en se servant d’un 
diamant attaché à un long manche, qu'on guide à l'intérieur 
du manchon en suivant une règle en bois. Ce mode d'opérer 
donne une cassure plus droite, et par suite produit moins 
de déchet. 


PASMÉRRERIENDU X VAUT XIXS SIÈCLE 215 


« Pour transformer les manchons rognés et fendus en une 
feuille de verre plane, on les chauffe, à une température 
suffisante pour les ramollir, dans un four spécial désigné 
sous le nom de four à étendre. Aidant le travail naturel de 




















































































































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Fig. 43.— Soufflage du verre dit en fable ou en cylindre. 





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la chaleur, qui tend à affaisser les cylindres, un ouvrier, 
armé dune longue perche de bois, fait sur chacun d’eux 
une première et légère pression ; un rabot en bois blanc 
mouillé, nommé polissoir, que l’on promène sur sa surface, 
achève de planer la feuille, qui est poussée alors dans un 
second compartiment du four dont la température est moins 
élevée. 

«€ Quand le four est plein, on enlève le combustible, on 


216 LA VERRERIE 


en bouche toutes les ouvertures, et on le laisse refroidir pen- 


dant plusieurs jours. Cest ainsi que ces verres sont recuits. » 


Ces deux façons de procéder, si différentes lune de l'autre, 
offraient toutes deux des avantages et des inconvénients qui 
tenaient au mode même de fabrication; néanmoins les 
avantages du second étaient si nombreux et tellement im- 
portants, qu'il a été, ainsi que nous l’avons dit plus haut, gé- 
néralement préféré; aujourd’hui les verres en plats ne sont 
plus guère fabriqués qu’en Angleterre, — où on les désignait 
primitivement sous le nom de verres en couronne (croun- 
glass)", — et encore cette fabrication diminue-t-elle de jour 
en Jour, de façon à ne plus produire que le quart à peine des 
vitres qui sont employées dans la Grande-Bretagne. 

« Les dimensions des verres en cylindres, — ou en tables 
— dit M. Peligot?, sont beaucoup plus grandes que celles 
des verres en plats; leur épaisseur est plus égale; Péquarris- 
sage et la division des feuilles ne produit que peu de déchet; 
leur planimétrie est beaucoup meilleure. Les carreaux de 
verre en plats sont toujours plus épais dans la partie qui 
avoisine le centre du plateau dont on l’a tiré que sur les 
bords ; le noyau auquel adhérait le pontil est assez saillant 
pour entrainer à lui seul un déchet considérable ; en outre, 
la surface de chaque carreau est toujours plus ou moins 
gauche, plus ou moins ondulée, ce qui tend à déformer les 
objets qu'on regarde à travers les vitres qu'il fournit. Ce 
défaut de planimétrie est si bien établi, qu'une coutume an- 
glaise, m'a-t-on dit sérieusement en Angleterre, permet de 
récuser un témoin qui n'a vu qu'à travers un carreau de 
vitre le fait sur lequel il vient déposer en justice. 

! Le crown-glass désigne plus particulièrement aujourd'hui le verre fabri- 


qué pour l’optique. 
20p..1cul, p: 119) 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 217 


« D'un autre côté, cependant, l'éclat de ce verre est tou- 
jours plus grand que celui du verre fait par le procédé des 
cylindres, ce dernier étant plus ou moins rayé, martelé, sali 
ou dévitrifié par l’étendage qu’on lui fait subir... Faire des 
vitres joignant à l’éclat et au briMant des verres en plats les 
dimensions et le bon marché du verre en cylindres est assu- 













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Fig. 44. — Panier de verre en plats, d’après Radel. 


rément l’un des problèmes les plus intéressants que l’art de 
la verrerie ait encore à résoudre. » 

Au commencement du xvire siècle, on ne fabriquait guère 
en France que du verre en plats, et c'était en grande partie 
la Normandie qui était chargée de fournir les vitres qui ser- 
vaient à clore les fenêtres de tout le royaume. Ce verre était 
emballé dans des sortes de cages ou paniers en bois blanc, 
plus larges par le haut que par le bas, garnis de paille dans le 
fond et sur les côtés, et contenant chacun vingt-quatre plats 
séparés par des réglettes de bois blanc garnies de paille 
(fig. 44); puis il était expédié à Paris, rue Saint-Denis, au 
Renard Rouge, où se trouvait le bureau des maitres fayen- 


218 LA VERRERIE 


ciers, verriers, vitriers, émailleurs et patenostriers !, et où 
on faisait le déchargement, la vérification et la vente des 
paniers qui arrivaient chaque jour. 

Mais les verreries normandes n’envoyaient pas tous leurs 
produits à Paris: la plus grande partie était expédiée en 
Angleterre où prenait le chemin du Havre et de Bordeaux, 
pour passer de là en Hollande, en Espagne ou en Portugal: 
il en résulta, à un moment donné, non seulement un ren- 
chérissement considérable, mais encore une si grande rareté 
des verres à vitres, que le gouvernement dut intervenir, afin 
de régler d’une façon précise les conditions dans lesquelles 
devait se faire l’approvisionnement de la capitale, et empé- 
cher, sous les peines les plus sévères, Pexportation du verre 
à l'étranger. Parmi les arrêts rendus dans ce sens, celui du 
4 mars 172% est trop important pour que nous hésitions à 


le reproduire 1c1 : 


ARREST pu CONSEIL D'ÉTAT Du Roy 


portant règlement concernant les verres à vitres destinez pour la four- 
niture de Paris, et deffenses de transporter des verres hors du royaume. 
— Du 4 mars 1724. 


(Extrait des registres du Conseil d'État.) 


LE ROY s'étant fait représenter l’arrest rendu en son Conseil d'Estat, 
Sa Majesté v estant, le 95 juillet 1719, en forme de règlement pour la 


!« Le bureau des marchands verriers est au Renard, rue Saint-Denis, où 
l'on décharge toutes les marchandises de leur commerce. » (ABRAHAM DU PRADEL, 
Livre commode contenant les adresses de Paris, 1692.) 

« Maîtres Fayanciers. Verriers, Émailleurs, Patenostriers. — Is ont leur 
bureau rue Saint-Denis, au Renard Rouge, vis-à-vis de la rue Greneta. I] y a 
deux cent cinquante maîtres. L'apprentissage est de cinq années. Le brevet est 
de 80 livres, et la réception à la maîtrise avec qualité, 500 livres. Si l’aspirant 
épouse une fille de maître, il ne paye que 200 livres.» (Journal du citoyen, 1754.) 

« Les garcons de métier trouvent des embauches ou adresses de boutiques aux 
lieux ci-après, à sçavoir : … pour les verriers, rue Saint-Denis, au Renard. » 


(ABR. DU PRADEL.) 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 219 


fourniture, distribution, qualité et prix des marchandises de verreries 
provenantes des quatre verreries de la forest de Lyons, en Normandie, 
par lequel il estoit ordonné entre autres choses que les gentilshommes, 
entrepreneurs de ces verreries, seroient tenuz de fournir et faire voi- 
turer dans le bureau ordinaire des maitres vitriers de la ville de Paris, 
pendant trois années à compter du jour du dit arrest, les verres à vitres 
nécessaires pour la consommation de Paris, à raison de vingt-trois livres 
le panier de verre fin et de vingt et une livres celui de la seconde qua- 
lité. Et Sa Majesté estant informée que cet arrest n’a presque eu aucune 
exécution, tant par le deffaut de fourniture exacte toutes les semaines 
que parce que chaque plat de verre, qui devoit être de trente-huit 
pouces, n’est présentement que de trente-deux à trente-quatre, que 
même le prix en auroit esté porté jusqu’à cinquante-cinq livres et 
soixante livres le panier; et que ce qui a donné lieu à ce prix exorbitant 
est le transport qui s’en fait à l’estranger ; en sorte que cette espèce de 
marchandise manque non seulement pour la fourniture de la ville de 
Paris, mais encore pour l'entretien de ses palais et maisons ; à quoy 
Sa Majesté, voulant pourvoir, pour faire cesser des abus si préjudi- 
ciables au public. Vù le dit arrest et celuy du 7 may 1715, Vû aussi, sur 
ce, l'avis des S'S commissaires du Conseil pour les affaires du com- 
merce, Oùy le rapport du sieur Dodun, conseiller ordinaire au Conseil 
royal, controlleur général des finances, SA MAJESTÉ ESTANT EN SON 
CONSEIL a ordonné et ordonne ce qui ensuit : 


Art. I. — Que les maistres et entrepreneurs des quatre verreries de 
la forest de Lyons en Normandie seront tenus de fournir et faire voi- 
turer dans le bureau ordinaire des maîtres vitriers de la ville de Paris, 
chacun une charretée de verres à vitres par semaine, à compter du 
jour du présent arrest jusqu’au 1° avril prochain; et chacun deux char- 
retées, aussi par semaine, depuis le dit jour premier avril jusqu’au 
dernier septembre suivant ; et enfin une charretée, aussi chacun par 
semaine, depuis le dit jour dernier septembre jusqu’au 1° avril de 
l’année prochaine 1725. À peine de cinq cens livres d'amende pour 
chacune contravention; et pour en faciliter le recouvrement en cas 
d’inexécution du présent arrest, il sera par les dits maïtres des ver- 
reries, dans quinzaine, nommé une personne solvable, domiciliée dans 
ladite ville de Paris, pour caution qui sera reçuë par devant le sieur 
lieutenant général de police de Paris, les jurez de la dite communauté 
des maîtres vitriers présens ou duëment appelez, comme aussi sera 
tenu chacun des dits maîtres des verreries d’apposer sur les paniers 


220 LA VERRERIE 


de verre de sa fabrique une marque distincte et particulière, laquelle 
sera aussi inscrite sur chaque lettre de voiture. 


Il. — Le nombre des charretées de verre qui arriveront chaque se- 
maine sera marqué dans un registre particulier, qui sera paraphé par 
le dit sieur lieutenant général de police, et tenu par le juré de semaine; 
et l’article de chaque envoy sera reconnu et signé par l’un des dits 
jurez vitriers, et par le commissionnaire des dits maîtres de verreries. 


LIT. — Chaque charretée de verre sera composée de onze paniers, 
dont neuf seront de verre fin et deux de second, depuis le 4er avril 
jusqu’au dernier septembre; et de huit de fin et trois de second pendant 
les six mois suivans. 


IV. — Chaque panier contiendra vingt-quatre plats, dont il y en aura 
au moins dix-huit entiers, sinon pour chaque plat qui se trouvera cassé 
au-dessous du nombre de dix-huit, les dits maitres des verreries ou 
leurs voituriers seront tenus de faire diminution de dix sols auxdits 
maitres vitriers. 


V.— Le plat de verre, tant fin que second, sera de trente-huit pouces! 
au moins, et il n’en sera pas envoyé de moindre dimension. 


VI. — Et Sa Majesté ayant égard au prix excessif où le bois a esté 
porté, Elle ordonne que le verre ainsi conditionné sera payé auxdits 
maitres des verreries par lesdits maitres vitriers sur le pied de trente 
livres le panier de fin, et de vingt-sept livres le panier de second; et 
ce, à compter du jour du présent arrest, Jusqu'au dit jour premier avril 
de l’année prochaine 1725 seulement. 


VII. — Lorsque les charretées de verre arriveront devant onze heures 
du matin, les jurez vitriers seront tenus d’en faire la visite et de les 
lotir? et enlever dans le jour, après en avoir payé le prix comptant ; 
sinon, le dit temps passé, les dits maitres de verreries ne seront point 
responsables de tout ce qui s’en trouvera de cassé; mais, au cas que 
les voitures ne soient arrivées qu'après onze heures du matin, le verre 
demeurera aux risques des dits maîtres de verreries jusqu’au lendemain 
deux heures après midy, sans qu'ils puissent obliger les dits jurez à en 
faire la visite plutôt s'ils ne veulent. 


VIII. — Le lotissement du dit verre sera fait depuis deux jusqu'à trois 
heures après midy, entre les maitres présents seulement, chacun des- 


1 1m026. 
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LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÉCLE 221 


quels aura un jetton où son nom sera empreint d’un costé et la marque 
de la communauté ! de l’autre ; tous lesquels jettons seront mis dans un 
sac, que le juré de la semaine tiendra, et qu’il sera obligé de fermer à 
trois heures au plus tard, sans que les maîtres qui surviendront après 
ladite heure puissent avoir part au dit lotissement. 


IX. — Deffend Sa Majesté à tous maîtres vitriers de remuer et fouiller 
les paniers de verre, ni de mettre aucune marque dessus avant qu’ils 
ayent esté visités et reçus par les jurez, à peine d’être déchus du lotis- 
sement pendant un mois; et, en outre, d’être responsables de tous les 
plats qui se trouveront cassés dans les paniers qu’ils auront remuez et 
fouillez. 


X. — Deffend aussi Sa Majesté aux voituriers chargés de la conduite 
du verre pour le bureau des dits vitriers, de le conduire ailleurs et de 
le mettre en aucuns lieux et maisons d’entrepost, ou de le vendre en 
route pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit, à peine 
de prison, trois cens livres d’amende et de confiscation de leurs che- 
vaux et charrettes. Deffend pareillement aux maîtres vitriers de l’aller 
acheter sur la route, ni même d’aller au-devant des voituriers, à peine 
de trois cens livres d'amende, et d’estre déchûs du lotissement pendant 
SiX MOIS, 


XI. — Pourront les jurez vitriers faire saisir les marchandises de 
verre qui seront dans les lieux et maisons d’entrepost, privilégiez 
ou non privilégiez, au dedans de quatre lieues au delà des der- 
nières barrières de la ville et fauxbourgs de Paris; et ce, en vertu 
du présent arrest et de ordonnance du dit sieur lieutenant général de 
police. 


XIT. — Le groisil? sera repris par les maistres des verreries et payé 
aux maistres vitfiers à raison de quatre livres quinze sols le barril de 
demi-muid, y compris le vin des garçons. 


XIIT. — Fait Sa Majesté très expresses inhibitions et deffenses, tant 
aux dits maistres et entrepreneurs des verreries qu’à toutes autres 
personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, de vendre, 
envoyer ou faire transporter hors du royaume, par mer ou par terre, 


1 Les premiers statuts de cette communauté datent du règne de Louis XI; ils 
ont été réformés et confirmés sous le règne de Louis XIV, par lettres patentes 
du 22 février 1666, enregistrées au parlement le 19 avril suivant. 

? Rognures et déchets de verre. 


222 LA VERRERIE 

aucuns verres à vitres ni d'autre espèce, sous quelque prétexte que ce 
soit, sans une permission expresse de Sa Majesté; ce qui aura lieu à 
compter du jour du présent-arrest jusqu'au 4° avril de l’année pro- 
chaine 1795, à peine de prison contre les voituriers et de confiscation 
des marchandises, chevaux, charrettes et bâtiments servant au trans- 
port d’icelles : et en outre de trois mille livres d'amende contre les 
contrevenants, laquelle ne pourra être sursise ni modérée, 

XIV. — Ordonne au surplus Sa Majesté que les arrests des 24 avril 
1714, 7 mai 1715 et 95 juillet 1719 seront exécutez selon leur forme et 
teneur, pour les articles auxquels il n'aura pas esté dérogé par le pré- 
sent arrest. Enjoint au dit sieur lieutenant général de police de tenir 


soigneusement la main à son exécution, etc. etc. 


Signé : PHÉLYPEAUX. 


Cet arrêt, qui nous donne, on le voit, des renseignements 
précieux sur la facon dont se faisait le commerce des verres 
à vitres à cette époque, modifiait singulièrement les condi- 
tions d'existence des quatre grosses verreries qui S'v trou- 
vaient particulièrement visées. Plutôt que de se soumettre à 
l'obligation de ne plus vendre que 27 livres ce qu'ils avaient 
vendu, dans les dernières années, 90 et même 60 livres, 
les propriétaires de trois de ces verreries avaient préféré 
laisser éteindre leurs fours. La seule verrerie du Landel 
restait en activité, mais la quantité de paniers qu'elle pou- 
vait envoyer à Paris était loin de satisfaire aux exigences de 
la consommation. 

À la suite d’un rapport qui lui fut fait par un commis- 
saire nommé à cet effet, le gouvernement prit, à la date du 
12 décembre 1724, un nouvel arrêté par lequel 11 obligeait 
les autres verreries de Normandie, notamment celles du 
comté d'Eu, à entrer pour leur part dans lapprovisionne- 
ment de Paris tout en maintenant, malgré les réclamations 
faites par les maitres des verreries, les prix fixés par lar- 


rôté du 4 mars. 


PANIER RERTEMDURVEAUU XIXC SIÈCLE 223 


ARREST pu CoNSEIL D'ÉTAT pu Roy 


concernant les verreries de la forest de Lyons et autres. — 
Du 12 décembre 1724. 


{ Extrait des registres du Conseil d’État.) 


LE ROY s'étant fait représenter en son Conseil l’arrest rendu en 
iceluy le 4 mars dernier, par lequel, etc... Et comme les maîtres des 
verreries de la forest de Lyons n’ont envoyé, au terme de cet arrest, 
la quantité de charretées de verre qu'ils estoient obligés de fournir, 
qu'ils estoient même en arrière, au 15 octobre dernier, de la quantité 
de 640 paniers, Sa Majesté jugea à propos de donner un ordre au sieur 
commissaire Aubert, en date du 11 du mesme mois, à l'effet de se 
transporter dans les verreries de la forest de Lyons, pour dresser procès- 
verbal de lestat des dites verreries, de la quantité de paniers de verre 
qui se trouveroient en icelles, pour estre ensuite transportez en ceste 
ville, au bureau’ des maîtres vitriers. En conséquence de cet ordre, le 
sieur Commissaire Aubert se seroit transporté dans les verreries du 
Routieux, de la Have, Verrerie- Neuve, et dans celle du Landel, forest 
de Lyons, où il a dressé procès-verbal de l’estat d’icelles, par lequel il 
paroist qu'il n’a trouvé que celle du dit Landel en estat de fabriquer du 
verre ; et que les trois autres estoient éteintes et les fours abatus par 
vétusté ; ce qui auroit obligé Sa Majesté d’ordonner, par arrest du 
29 octobre, que le dit sieur Aubert se transporteroit dans les verreries 
du comté d’Eu et autres, à l’effet de faire voiturer dans la ville de Paris, 
aux frais et dépens des maîtres des verreries de la forest de Lyons, les 
640 paniers de verre qu'ils avoient négligé de fournir; et un ordre au 
dit sieur commissaire Aubert, en date du 1 novembre dernier, pour 
enjoindre aux maîtres des six verreries des forests d’Aouy, comté d’Eu, 
Helles, proche Neufchâtel, et de Beaumont-le-Roger, de députer un 
d’entre eux pour venir recevoir les ordres de Sa Majesté, estant infor- 
mée que les maitres et entrepreneurs des quatre verreries de la forest 
de Lyons sont hors d’estat de satisfaire à l’arrest du 4 mars dernier, et 
que les maitres des verreries du comté d’Eu et autres, pour prévenir 
les intentions de Sa Majesté, ont fait leurs soumissions volontaires 
conjointement avec ceux de la forest de Lyons, de fournir au bureau 
des maitres vitriers, à Paris, la quantité de quatre mille cinq cent 
trente-deux paniers, suivant la répartition faite entre eux qu’il est néces- 
saire d’authoriser, afin que les maîtres vitriers de la ville de Paris et les 


224 LA VERRERIE 


entrepreneurs des maisons royales ne manquent plus de verre à l'avenir ; 
à quoy Sa Majesté voulant pourvoir, Ouy le rapport du sieur Dodun, 
conseiller ordinaire au Conseil royal, controlleur général des finances. 
LE RoY ESTANT EN SON CONSEIL, du consentement des maîtres de ver- 
reries, tant de la forest de Lyons que du comté d’Eu et autres, a ordonné 
et ordonne qu'à commencer du 4° du présent mois, ils seront tenuz de 
fournir et faire voiturer dans le bureau ordinaire des maitres vitriers de 
la ville de Paris la quantité de quatre mille cinq cens trente-deux pa- 
niers de verre par chacun an, sçavoir : les quatre maitres des verreries 
de la forest de Lyons, cinq cens paniers chacun; ceux des verreries du 
Hélay, de Lihu et Maucombe, pareille quantité de cinq cens chacun ; et 
ceux des verreries de Beaumont-le-Roger, Varimpré et Valdenos, cha- 
cun trois cens quarante-quatre paniers; laquelle quantité de quatre mille 
cinq cens trente-deux paniers de verre les dits maitres des verreries 
seront tenus d'envoyer à Paris par chacune semaine, à proportion de la 
quantité dont ils sont tenus suivant la répartition faite entre eux. 
Ordonne pareillement Sa Majesté que le verre sera payé aux dits 
maitres des verreries par les dits maitres vitriers sur le pied de trente 
livres le panier fin, et de vingt-sept le second, conformément à larrest 


du 4 mars, qui sera, au surplus, exécuté selon la forme et teneur. 


Fait au Conseil du Roy, Sa Majesté y estant, tenu à Versailles 
le douze décembre mil sept cent vingt-quatre. 


Signé : PHÉLYPEAUX. 


Il est permis de supposer que, malgré ce que cet arrêt 
avait de précis, on ne croyait pas beaucoup à la réalisation 
des engagements pris par les maitres des verreries nor- 
mandes, puisque quelques jours après, le 19 décembre, une 
mesure arrêtée en conseil d'État supprime pendant un an 
les droits que devaient payer à leur entrée en France les 
verres en tables qui venaient de l'étranger, et prineipale- 
ment de la Lorraine, 

En outre, le 24 mars suivant, un autre arrêt proroge Jus- 
qu'au er avril 1726 la défense de faire sortir les verres à 


vitres du royaume. Cet arrêt, plus sévère encore que les 


LAMVERRERIE DU -XVCŒU"XIX° SIÈCLE 295 


précédents, porte que amende de 3,000 livres par chaque 
contravention « ne pourra estre sursise ni modérée », et 
enjoint au lieutenant général de police à Paris, ainsi qu'aux 
« sieurs intendans et commissaires départis dans les pro- 
vinces et généralités du royaume, de tenir la main, chacun 
en droit soy, à l'exécution du présent arrest, qui sera lu, 
publié et affiché partout où besoin sera, à ce que personne 
HENAnNOreL tele 0 

Il était bien difficile, 1l est vrai, aux verriers normands 
de résister aux offres qui leur étaient faites, et de se con- 
former à l'obligation de faire porter les paniers à Paris? pour 
les y vendre seulement 27 et 30 livres, puisque, de tous 
côtés, on venait les chercher à leurs fours au prix de 30 et 
Jo livres, sans qu'ils eussent de frais de transport à payer. 
Cest ce que constate un nouvel arrêt du 17 avril 1725, 
ordonnant « qu'à commencer du jour de la publication du 
présent arrest, les verres à vitres, pris devant les fours, ne 
pourront être vendus à plus haut prix que 95 livres le panier, 
sauf à en diminuer successivement le prix dans la suite, à 
peine de confiscation et de 1,500 livres d'amende. » Cet 
« arrêt, lu, publié et affiché partout où besoin sera », devait 
être « exécuté par provision, nonobstant oppositions ou 
appellations quelconques, dont si aucune interviennent », 
et arrêt ajoute que « Sa Majesté s’en est réservée à soy et 
à son conseil la connoissance, et icelle interdit à toutes ses 
cours et autres Juges ». 

Il semble cependant que les verriers aient, à la fin, eu 
gain de cause, et que, dans cette lutte entre eux et le gou- 


1 Arrêt du conseil d'État, 24 mars 1725. 

? Cette sorte de crise qui pesait sur les verres à vitres était telle, que le comte 
d'Hovm, ambassadeur de Saxe-Pologne en France, écrivait le 24 janvier 1721 
au baron de Lorme : « Paris n’est plus si beau, les vitres en papier l'enlai- 
dissent. » — Cf. Baron J. Picnon, Vie du comte de Hoym, t. I, p. 42. 

15 


226 LA VERRERIE 


vernement, ce dernier ait été obligé de céder. I était difficile, 
du reste, qu'il en fût autrement : d’une part, on ne pouvait 
forcer les maitres de verreries à fournir mensuellement une 
quantité de paniers déterminée à lavance, parce qu'il leur 
était toujours possible d’invoquer, pour se soustraire à cette 
obligation, des raisons tirées de difficultés pratiques, usure 
des fours, manque de matières premières ou de combus- 
tible, etc., et, d'autre part, il était plus difficile encore de les 
contraindre à résister aux offres avantageuses qui leur étaient 
faites par des commerçants étrangers, et de les empêcher 
de vendre à des prix supérieurs à ceux qui étaient officiel- 
lement fixés. Le gouvernement dut donc se borner à proroger 
d'année en année la défense qu'il avait faite de transporter 
les verres à vitres hors du royaume, et à maintenir la sup- 
pression des droits d'entrée sur les verres en tables. Quant 
aux autres sortes de verreries, on en empêchait toujours 
l'introduction en France, et, pour éviter toute fraude de ce 
côté, un arrêt du 23 août 1735 défendait « aux maitres des 
verreries situées sur les frontières de délivrer aucun certificat 
aux maîtres des verreries étrangères pour faciliter l'entrée 
dans le royaume des ouvrages vitrifiés fabriqués en pays 
étrangers, et de recevoir ou d'introduire dans leurs verre- 
ries aucuns desdits ouvrages fabriqués en pays étrangers. » 

Le gouvernement, on le voit par les documents qui pré- 
cèdent, se préoccupait plus particulièrement des verres à 


vitres !, et cherchait à en faire baisser les prix, de façon à 


! Les vitriers étaient généralement assez considérés, et on avait pour eux 
quelques égards ; nous en avons une preuve dans une lettre du comte de Pont- 
chartrain, publiée dans la Correspondance administrative sous le règne de 
Louis XIV, à la date du 19 février 1699 : « Le nommé Lespinouse, écrit le secré- 
taire d'État à M. de Charmont, vitrier des bastimens du Roy, ayant représenté 
à Sa Majesté que son fils a esté condamné, par arrest du Grand-Conseil, à estre 


fustigé sous la custode*, S. M. a bien voulu épargner cette honte à sa famille, 


* (est-à-dire fouetté en secret, et non en public. 





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Tryptique en émail rehaussé d’or. 


(Travail de Limoges, commencement du xvie siècle.) 


Collection de M. Ch. Stein. 























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AVR RERIE DUeXNE AU XIX" SIÈCLE 29 


en rendre l’usage général, dans les cabanes les plus pauvres 
aussi bien que dans les palais. Malgré tous ses efforts, ce- 
pendant, les prix se maintinrent élevés pendant longtemps, 
puisque, en 175%, le verre ordinaire, c’est-à-dire celui qui 
venait des verreries normandes, valait! : 


Le pied superficiel, employé en papier à carreaux de croisée, à 
DOADOIS AMAR NS ENS AUS NU CNE AR Ur RER D -SUSr 
Dememevemplo ré entplonh EM ER ET DMFLOLSE 


et le verre blanc, dont la fabrication avait commencé à la 
manufacture de Tourlaville, près Cherbourg : 


Le pied superficiel, à carreaux de croisée, à petit bois . 21. 5s. 
Le même, à panneaux en plomb... 2) 


Il y avait alors, on le voit, deux manières de monter les 
verres à vitres : l’une qui consistait à les assujettir dans 
une petite rainure ménagée à cet effet dans une bande de 
plomb, l’autre à la fixer, au moyen de petits clous, sur un 
châssis ou cadre de bois, et à coller ensuite tout autour des 
bandes de papier. Le mastic dont les vitriers se servent au- 
jourd’hui n’a guère été usité que vers 1770. L'abbé Jaubert, 
dans son Dictionnaire des arts et métiers, publié en 1772, l’in- 
dique, en effet, comme une chose nouvelle à cette date. « On 
peut aussi, dit-il, sans employer ni pointes n1 papier, fixer 
le carreau de verre avec un lut composé de craie et d'huile 
de lin cuite. On forme avec ce lut, que les ouvriers nomment 
mastic, un petit bourrelet que l’on met autour du carreau et 
que l’on aplatit ensuite avec le doigt. Cette méthode paroit 
préférable à celle des pointes et du papier collé pour les 
châssis de fenêtres; mais elle à un très grand inconvénient : 
lorsque le mastic est bien sec, il adhère tellement qu’il est im- 
et m’'ordonne de vous escrire de faire surseoir à l'exécution du jugement à cet 


esgard.…. » (Reg. secr.) 
1 Nous trouvons ces prix dans le Journal du citoyen (1754). 


228 LA VERRERIE 


possible d'en enlever les carreaux sans en briser une grande 
quantité, quand il v a quelque réparation à faire aux châssis.» 

Malgré toute la sollicitude du gouvernement, l'industrie 
du verre ne faisait en France aucun progrès, à l'exception 
cependant de la fabrication des glaces, dont nous par- 
lerons plus loin. Les verres taillés, gravés ou dorés, dési- 
enés sous le nom de cristaux de Bohême, étaient depuis 
longtemps préférés aux nôtres, et leur prix, du reste, n’é- 
tait pas extrêmement élevé, au moins en 1753, si l’on en juge 
par l’aperçu suivant, que nous trouvons également dans le 
Journal du citoyen : 

Cristal de Bohéme. 


Gobelets, tulle ordinaire." 01 "vde 64 12S1apiérer 
Flacons de toilette et rouleaux . . . . . de14à99s. — 


Caraffes à l’eau, à ance et sans ance . 27S. — 
Cartes meute RE Er NN rade SAIS OR 
Ghandeliers allés NE NE AE SD ASS NE 
Caraffes taillées, à l’huile,avec le bouchon. AT 
Balières Ofdinaures 0760 000 ne 23 s. la paire. 


Cristaux dorés. 


Gobélels es AE Les ER LE eg: À 1 1. 175. la pièce. 
Mouar der Lee UNE MERE Re DAMES 


Caraftes GAATEUTS RE Re Tale — 
PIAeAUX OT ES RPM RER NRS PRRES TT — 
Pots à sucre et boëtes à confitures . . . de 7à8lI. — 


Verres et gobelets à liqueurs. . . . . . AUS: — 
DANÉTES DOTÉCS AN MURS GI. la paire. 


Quant aux verres de France et d'Alsace. on les vendait 


aux prix suivants : 


Verres à boire, à patt@s. . . . . | . .  17et 181. le centt. 
Carafles 7... . . , #7... des 6dququ'àa7s. Mpier 


" Le prix courant ajoute : le cent marchand, qui fait 200. 1] y a là un usage 


commercial que nous ne nous expliquons pas. 


PAUVERRERTE DU XV AU XIX° SIÈCLE 229 


Merres ae bare tiens. dettes 14 I. le cent marchand. 
Nerres ide lougere.. 2, 2... Le 1e. pi. O1. — 
RObClÉlMOUSCEAUL IN LC Le AE — 

— dits Mazarin-épintés (?) . . . 101.105. — 
Gobelets de verre, d’un demi-septier. . . 18 I. — 

— — dits facon, petits. . . 281: — 

— — CSN EI TSMENEANENT 26 I. —— 

— — SOA RUES, > 40 I. = 

— — TS A IQUeUTS EE To — 

— — dits facon, petits. . . 11.65. la douzaine. 
Bouteilles de Sèves!, le cent, rendu chez soi. . . . . . 23 iv. 
Bouteilles de Lorraine. 14e 0.0. de 18 à 22 1. le cent. 


On voit, par cette désignation sommaire des verreries ven- 
dues par les marchands de Paris, que l’industrie française, 
outre les verres à vitres, ne fabriquait, au milieu du siècle 
dernier, que de la gobeleterie commune et des bouteilles. 
Il faut bien avouer, du reste, qu’à cette époque cette indus- 
trie était en France en pleine décadence, et bien au-dessous 
de celle de la plupart des pays étrangers, notamment de la 
Bohême, de l'Allemagne et de l'Angleterre. (est ce que 
constatait avec amertume un savant chimiste, Bosc d’Antic, 
dans un Mémoire qu'il adressait à l’Académie des sciences, 
mémoire qui remporta, en 1760, le prix sur le sujet suivant 
mis au concours : Quels sont les moyens les plus propres 


! La verrerie royale de Sèvres, fondée au commencement du xvure siècle, n’a 
Jamais fabriqué que des bouteilles qui étaient en grande réputation. 

« Les ateliers de cette verrerie, situés au bas du coteau de Meudon, mé- 
ritent l’attention des curieux. Les bouteilles que l’on y fabrique sont d’une des 
meilleures qualités de verre pour le vin; il est un peu brun, mais cette couleur 
lui vient du fer et du phlogistique contenus dans la soude qu'on emploie. » 
(Almanach des marchands, négocians et commercans de la France, par 
Thomas, 1770.) 

« Sèves, bourg de l'Ile-de-France. — Verrerie royale, où l’on ne fait que des 
bouteilles ; mais il est peu de verreries en France où l’on travaille avec tant de 
soin. » (Almanach Dauphin, 1789.) 

Il y eut à Sèvres une autre verrerie, ou, pour être plus exact, une cristallerie 
dont nous parlerons plus loin. 


230 LA VERRERIE 


à porter l’économie et la perfection dans les verreries de 
France”. 

« Le verre de nos verreries, dit-il, peut être divisé en 
quatre espèces : verre à bouteilles ; verre commun vert, dit 
chambourin; verre fin, blanc; cristallin et cristal. Je ne 
connois que trois verreries en France où l’on fasse de bonnes 
bouteilles : Folembrey, dans la forêt de Coucv; Anor, dans 
le Hainaut francois, et Sèves, près de Paris. Celles qu'on 
fait dans le pays de Baireuth et à Delln, dans le Brande- 
bourg, leur sont supérieures pour la qualité et se vendent 
moins cher. À peine notre verre passeroit-il pour le verre 
commun d'Allemagne, et notre cristal pour le verre blanc 
étranger. Pour s’en convaincre, on n’a qu'à comparer le verre 
plat fin, ou de deux feux, de Normandie, avec le verre 
commun à vitres du Palatinat: et le cristal de la verrerie de 
La Pierre avec le verre blanc de Bohême ou avec les mor- 
ceaux de verre blanc d'Angleterre, qu'on trouve chez le sieur 
Sayde. Il n’y à pas, je crois, de verre à vitres plus imparfait 
que celui de nos grosses verreries ; il est rempli de défauts, 
de bouillasses, de filandres, de larmes, de pierres, mal 


l « Un bon citoyen, qui n’a point voulu qu'on le nommäât, dit Bosc d'Anric 
à la fin de l'impression de son Mémoire, remit, en 1759, une somme de cinq 
cent livres à l'Académie royale des sciences pour récompenser celui qui, au 
jugement de cette compagnie, auroit le mieux répondu à la question qui fait le 
titre de ce Mémoire. » 

Nous ne croyons pas êlre trop léméraire en avançant que ce « bon citoyen » 
qui désirait garder l’anonyme n'était autre que Bosc d'Antic lui-même, ou quel- 
qu'un qui agissait à son instigation, et probablement avec son argent. Il devait 
savoir, en effet, que peu de savants à celle époque s’occupaient de cette question, 
et que les gens du métier étaient trop illettrés pour rédiger un mémoire; en 
tout cas, la somme qu'il risquait (500 livres) était peu importante relativement 
à ce que son travail devait lui rapporter s’il oblenait le prix. Ce prix, en effet, 
le fit connaître et lui permit de trouver des commanditaires, grâce auxquels il 
put fonder la manufacture de glaces de Rouelles (département de la Haute- 
Marne), qui, d’après ce qu'il disait, devait fabriquer mieux que celle de Saint- 
Gobain et vendre 50 pour 100 moins cher. 


LA: VERRERIE DU XV°MAU XIX° SIÈCLE 231 


recuit, se plombe très promptement, et il est coloré au point 
d’être peu transparent, quoique fort mince. Dans quelques 
verreries, on à cherché à imiter les lanternes! d'Angleterre; 
mais on est très éloigné d’y avoir réussi. 

« Les ouvrages de nos verreries sont d’une mauvaise 
qualité et fort chers. S'écarteroit-on de la vérité si l’on avan- 
çait que nos verreries sont plus utiles à l'Espagne qu’à la 
France? Elles emploient annuellement pour près de deux 
millions de soude d'Alicante et de Carthagène. Mais c’est 
trop s’arrêter sur une chose qui fait notre honte. Personne 
n'ignore que nos verreries sont dans un état déplorable. 

«Le prix extraordinaire que l'Académie royale des sciences 
a proposé pour seconder les vues d’un zélé citoyen ne nous 
permet pas de douter. Cette compagnie respectable ne pro- 
met la palme qu'à celui qui aura donné les moyens les plus 
propres à porter la perfection et l'économie dans les verre- 
ries du royaume. Elle n’exige pas uniquement qu’on fasse 
du beau verre, elle veut aussi que l’on puisse le faire à peu 
de frais; et, ces deux conditions remplies, nos verreries 
seront certainement en état de soutenir la concurrence avec 
les verreries étrangères. 

« Je ne doute pas qu'un grand nombre de personnes, en 
rendant justice aux vues et au zèle de l'Académie, ne mettent 
ce prix au rang de la quadrature du cercle, de la pierre 
philosophale, etc. On est assez généralement persuadé qu'il 
est impossible de faire en France d’aussi beau verre et au 
même prix qu'en Allemagne. En Saxe, en Bohême, dans la 
Franconie, dans le Palatinat, dit-on, les beaux cailloux sont 
très communs, et nous en manquons; le salin ou le sel alcali 


! Les lanternes d'appartement, garnies, de neuf pouces (0243) de haut, 
valaient 9 liv. 10 s. la pièce. On en faisait jusqu’à quinze pouces (0405) de haut. 
Le prix augmentait de À liv. par pouce. 

Les lanternes de jardin, montées, coûtaient 11 liv. la paire. 


239 LA VERRERIE 


fixe extrait des cendres du bois y est abondant et à bas prix, 
et nous n'avons que des matières inférieures et fort chères; 
le bois y est pour rien, et nous lachetons un prix excessif. 
Notre vanité ne cherche-t-elle pas à excuser notre négligence? 
Les circonstances favorables où je me trouve m'ont permis 
d'envisager la matière sous un assez grand nombre de faces 
pour me croire même en état de prouver que la France peut 
faire cesser les importations, fabriquer elle-même du verre 
aussi beau et à plus bas prix que celui de l'étranger. » 

En homme parfaitement maître de la question, Bose 
d’Antic, après cette constatation si peu flatteuse pour notre 
amour-propre industriel, étudie les procédés de fabrication 
employés de son temps, et indique les moyens qui lui pa- 
raissent préférables ; c’est ainsi qu'il conseille l'usage de 
l'argile pour faire les fourneaux et les creusets, à la place 
du grès ou mouillasse qui était employé jusqu'alors, et qui, 
à l'inconvénient de laisser perdre une quantité considé- 
rable de chaleur, joignait celui de se fendre, de s’égrener et 
de se vitrifier si promptement, que les fourneaux pouvaient 
durer à peine trois à quatre mois; il donne les gisements des 
meilleures argiles, la manière de construire des fourneaux 
à six et dix ouvreaux, et engage fortement les maitres des 
verreries à se servir de charbon de terre, comme cela se 
pratique à Tourlaville et dans les cristalleries anglaises. 
Quatorze livres de charbon, dit-il, produisent le même effet 
que vingt-cinq livres de bois. Il étudie ensuite la manière de 
fabriquer de la soude d’une qualité au moins égale à celle 
d’Alicante ; il indique les meilleures matières à convertir en 
verre, et surtout règle la conduite du travail de façon à évi- 
ter toutes les pertes de temps, et, par conséquent, de feu. 
Enfin il conseille « la conversion du fer en acier par cémen- 
tation, pour fournir aux verreries un moyen très utile de 


profiter de leur feu perdu et d'occuper les ouvriers sans les 


ANNEE PR HRDIBSDUXNEVAITMXIXS STECLE 233 


fatiguer. Cette industrie, ajoute-t-il, auroit un double avan- 
tage pour le royaume : le verre seroit à plus bas prix, et 
nous ne serions pas obligés de tirer annuellement pour des 
sommes très considérables d'acier des produits étrangers. » 

Bosc d’Antic remporta le prix, et c'était justice, son mé- 
moire renfermant, on le voit, d'excellents conseils pratiques: 
mais il se flatte ou s’illusionne lorsque, quelque temps après, 
il prétend que « la verrerie en France a changé de face de- 
puis la publication de son travail. Il s’est formé, dit-il, un 
grand nombre de manufactures en verre blanc à vitres et en 
assortiment. Il n'existe plus de verreries à la françoise, en 
verre chambourin, que pour les rouleaux et les fioles à mé- 
decine. L’assortiment en verre blanc n’est pas plus cher que 
l’assortiment en verre vert l'était en 1760, et le verre en table 
a considérablement baissé de prix, quoique les potasses 
soient renchéries. Je puis donc me flatter d’avoir opéré par 
mes recherches et par mes ouvrages une révolution avanta- 
geuse dans cette branche importante d'industrie et de com- 
merce. » 

Il se peut que le verre à vitres des fabriques normandes 
soit devenu plus blanc après la publication du mémoire 
couronné ; mais l’auteur se vante à tort quand il s’attribue 
les perfectionnements apportés dans la fabrication du verre 
en tables et la baisse du prix de ce verre. Ce double résultat 
était dû, d’une part à la création de la manufacture de Saint- 
Quirin, fondée vers 1753 par un homme très actif et très 
savant, Drolenvaux, et, d'autre part, à l'établissement de la fa- 
brication de ce verre dans celle de Givors, en 1755, plusieurs 
années, par conséquent, avant le travail de Bosc d’Antic. 

La première de ces manufactures avait, à Paris, un dépôt 
qui était ainsi annoncé dans les Annonces, Affiches et Avis 
divers (30 mai 1754) : « On vient d'établir à Paris, dans la 
maison du sieur Le Lièvre, distillateur ordinaire du roi, rue 


234 LA VERRERIE 


de Seine, faubourg Saint-Germain, un MAGASIN général de 
verres en tables, du double plus épais que les verres de 
Bohême, plus beaux, plus forts et plus transparents, dit- 
on, et nullement sujets aux plus légers dommages, quoique 
exposés au soleil et à Phumidité. Ils se tirent de la verrerie 
royale de Saint-Quirin en Vôges, à deux lieues de Sarrebourg, 
dont M. Drolenvaux est propriétaire. » 

Quant à la verrerie de Givors, fondée en 1749, elle prit 
rapidement une assez grande importance, bien éloignée 
cependant de celle qu'elle devait prendre de nos jours, et 
qui l’ont placée au premier rang des usines françaises. « Le 
bourg de Gisors, dit Pabbé Expilly, devient tous les jours plus 
considérable, surtout par la verrerie royale qui v a été éta- 
blie en 1749, et qui a commencé à travailler en 1750, Elle fait 
subsister plus de deux cents ouvriers; on y consomme par 
jour 150 bennes de charbon. Il en sort 500,000 bouteilles 
par an’; on y fabrique du verre en table depuis 1755. » 
C'était à Orléans qu'était l’entrepôt principal des produits 
de la manufacture de Givors; on les expédiait de 1à à Paris, 
et, par la Loire, à Tours et à Nantes. 

Bosc d’Antic, du reste, est bien obligé de convenir plus 
tard que son Mémoire n’a rien changé aux conditions com- 
merciales de la verrerie, et que, comme par le passé, on 
continue à préférer aux produits français les verres de 
Bohême et les cristaux d'Angleterre. « Dans mon mémoire 
couronné, dit-il, je n’avois pu traiter que des principes gé- 
néraux de Part de la verrerie, et peu de personnes ont été 
en état d'en faire une heureuse application à ses différentes 
branches. Soit défaut de lumières, soit que le gouvernement 


! La verrerie royale fondée en 1749 s’est transformée et est devenue la Com- 
pagnie des verreries de la Loire et du Rhône, qui fabrique annuellement près 
de 30,000,000 de bouteilles, sans compter la gobeleterie commune et les verres 
à vitres, 


LA VERRERIE DU X# AU XIX° SIÈCLE 235 


n'ait pas donné à cette importante espèce d'industrie toute 
l'attention qu’elle mérite, l'importation du verre dans le 
royaume est encore très considérable. Il y a peu de nos villes 
du premier et du second ordre où l’on ne trouve des maga- 
sins de verre taillé et non taillé de Bohême, et les Anglois 
continuent à nous fournir du verre pour l'optique et du 
cristal coloré et non coloré. » 

Il n’y a, en effet, qu'à consulter les adresses et réclames 
des marchands faïenciers, — qui vendaient également les 
verrerlies, — pour se convaincre que c'était surtout la gobe- 
leterie taillée de Bohême qui faisait le fond de leur com- 
merce, bien que les cristaux de France y soient également 
annoncés. C’est ainsi que nous trouvons dans l’Almanach 
des marchands, de Thomas (Paris, 1770), les adresses 
suivantes : 


« Durroy, marchand fayencier, À la Bonne Foi, grande 
rue Taranne, fauxbourg Saint-Germain, à côté de l’hôtel 
Taranne. — Gobelets gravés, taillés à miroir, et tout ce qui 
concerne les cristaux de Bohême dorés, taillés et gravés du 
plus à la mode. Toutes sortes de bouteilles pour le vin des 
verreries de Sèves, de Picardie, de Lorraine et de Saint- 
Fargeau !. 


€ THIÉBAULT, marchand fayancier, bouchonnier ordinaire 
des caves du roy, rue Saint-Denis, vis-à-vis l'église de la 
Trinité, près Saint-Sauveur, tient magasin de fayance de 
Strasbourg et de la manufacture royale de Sceaux, de Rouen, 
Nevers et autres; — cristaux de Bohême de toute espèce, 


! Cette verrerie était située à Cormoras, près Saint-Fargeau. On lit dans les 
Affiches de Paris, en 1753 : « La verrerie de Cormoras, située près Saint- 
Fargeau , est à donner à ferme. On s'adresse à M. Doublet, avocat au parlement, 
rue des Saints-Pères, au-dessus de la rue de Verneuil, fauxbourg Saint-Germain.» 


230 LA VERRERIE 


tant en dorure qu'en blanc; — toutes sortes de verreries et 
cristaux de France; — bras de cheminée naturels et autres: 
— bouteilles de Sèves, etc. Il tient aussi magasin et ma- 
nufacture de bouchons, broches et tous autres ouvrages en 
hège d'Espagne et de Portugal. Il continue aussi la fabrique 


de semelles de liège garnies de peaux, de carton et autres. 


«& PORTE (DE LA), marchand fayvancier, successeur de 
madame la veuve Gueux, rue Sainte-Marguerite, fauxbourg 
Saint-Germain ?, à côté de la prison, vend toutes sortes de 
services en porcelaine ; — figures de Saxe et autres; — 
fayances de Strasbourg, de Sceaux, de Rouen, d'Angleterre: 
— fayances à bouillir au feu ; — services en cristaux, dorure 
de Bohême; — lanternes d'appartement; — vaisseaux de 
chymie; — caraffons de toutes les verreries; — cloches et 
vases pour les jardins; — bouchons de liège, etc. » 

Cette invasion des verreries d'Allemagne et de Bohême est 
constatée de nouveau par Bosc d’Antic quelques années après 
l’impression de son Mémoire. « Il se fait, dit-il, un grand 
commerce d'ouvrages de cristal et de verre blanc dans plu- 
sieurs parties de l'Allemagne, en Saxe, en Bohême, dans la 
Franconie, le Palatinat, etc. Il nous vient de ces différents 
endroits pour des sommes considérables de lustres, de bras 
de cheminée, de flacons, caraffons, verres et gobelets de 
cristaux de table, de verres à vitres, à cadrans, à estampes, 
soufflés et coulés en table sans boudine, etc. Le plus beau 


cristal d'Allemagne a deux avantages sur celui d'Angleterre, 


IT est assez difficile de dire quelles étaient alors les verreries dans les- 
quelles on fabriquait les « cristaux de France » ; nous savons qu'en 1777 il en 
existait une à « Fromenteau, route de Fontainebleau », qui avait établi un dépôt 
unique de ses produits, sous le nom de Dépôt de marchandises de crystal de 
France, au magasin de la Fayence anglaise, rue Saint-Jacques, au coin de la 
rue de la Parcheminerie. (Avis divers du samedi 8 février 1777.) 


? Ce magasin existait encore en 1866. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 237 


d’être plus blanc et moins cher, quoiqu'il se vende à Paris 
depuis trois livres dix sols jusqu’à cent sols la livre, tout 
taillé. Il joint aux autres défauts de celui d'Angleterre ceux 
d'être filandreux et rarement exempt de petites pierres ou 
orains de ciment. Les verres plats de Bohême et du Pala- 
tinat sont bien éloignés de la perfection dont je les crois 
susceptibles. [ls ont un grand nombre de défauts ; mais 
le plus désagréable c’est d’être d’une épaisseur inégale, 
ondulés. Les verres coulés en table de Nuremberg sont d’un 
verre commun bien affiné, très bien polis, et se vendent au 
moins vingt-cinq pour cent meilleur marché que les nôtres. 
On en trouve chez plusieurs miroitiers de Paris et chez le 
plus grand nombre de ceux de la province. » 

Cependant l’industrie française devait bientôt s’affran- 
chir du tribut qu’elle payait ainsi à l'étranger, et montrer 
qu’elle pouvait lutter avec avantage contre les verreries de 
Bohême. 

En vertu de lettres patentes datées du 1er juin 1765, 
Antoine Renault du Bexy, avocat au parlement, conseiller 
du roi, receveur des bois et domaines de Nancy, homme 
d'initiative et de goût, fonda à Baccarat, sous la protection 
de M° de Montmorency-Laval, évêque de Metz, l’établisse- 
ment qui subsiste encore aujourd’hui, et qui fut, dans le 
principe et pendant longtemps, connu sous le nom de 
Verrerie Sainte-Anne. Grâce à l’intelligente administration 
de son fondateur, qui en conserva la direction jusqu'au 
moment de sa mort, arrivée en 1806, la verrerie de Sainte- 
Anne prospéra si rapidement et prit une telle importance, 
que, dès 1775, Antoine Renault adressait une requête à 
l’évêque de Toul, à l'effet d'obtenir l'autorisation de cons- 
truire une chapelle dans l’intérieur de l'établissement, allé- 
guant le grand nombre d'ouvriers qu’il emploie, « et l’es- 
pèce de travail qu'ils y font, qui demande de leur part une 


238 LA VERRERIE 


très grande assiduité, ne leur permettant pas de s'éloigner, 
même les jours de dimanche et de fêtes, pour assister au 
service divin dans leur paroisse de Deneuvre. » L'évêque fit 
droit à cette demande, et, par lettres en date du 27 mai 
1775, autorisa Renault à construire une chapelle, ainsi 
qu'un cimetière pour enterrer les ouvriers et les personnes de 
leur famille, «laquelle chapelle sera desservie par un prêtre 
mis par l’évêque, chargé d’y résider, d'y faire toutes les fonc- 
tions paroissiales et de leur administrer les sacrements, sous 
la direction du curé de Deneuvre, dont il sera vicaire. » 

La verrerie de Sainte-Anne, située au milieu des im- 
menses forêts de la châtellenie de Baccarat, fabriqua dès 
le début des verres à vitres en table et de la gobeleterie 
taillée à la roue qui pouvait rivaliser avec ce que lon 
appelait alors improprement les cristaux de Bohème, et qui 
n'était pas plus du cristal, au moins tel que nous l’enten- 
dons aujourd'hui, que ne l’étaient, aux xvie et xvrre siècles. 
ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, les cristaux et 
cristallins de Venise ou façon de Venise. 

Bientôt cependant la fabrication du cristal, c’est-à-dire 
du verre à base de plomb, du flint-glass, connu en Angle- 
terre depuis la fin du xvue siècle, devait être également 
importée en France, où elle atteignit, quelques années plus 
tard, à un degré de perfection qui la plaça à un rang telle- 
ment élevé dans l’industrie, qu’elle n'eut plus à craindre 
la concurrence étrangère. 

L'origine de l'introduction du plomb dans la composition 
du verre est due, suivant toute probabilité, à la substitution 
de la houille au bois, qui était devenu rare en Angleterre 
dès la première moitié du xvie siècle. « En employant le 
nouveau combustible, dit le savant auteur du Guide du 
verrier, M. Bontemps, on dut bientôt s’apercevoir que ce 


verre était plus coloré que celui qu'on avait précédemment 


L'AMERRERTENDIUNXWS AU, XIX® SIECLE 239 


fondu avec du bois; l’effet de cette coloration dut être 
attribué à la houille, et les verriers cherchèrent par tous 
les moyens possibles à combattre cette influence colorante ; 
c'est ainsi sans doute qu'ils arrivèrent à soustraire la 
matière en fusion au contact de la fumée de Ia houilie, en 
couvrant le creuset d’un dôme qui lui donnait la forme 
d’une cornue à col court; mais, en protégeant ainsi la 
matière en fusion, on s’aperçut aussitôt que cette matière 
ne subissait plus une température aussi élevée; il fallait 
prolonger la fonte et augmenter la dose du fondant, l’acali; 
il en résultait une autre cause de coloration et un verre 
d’une moindre qualité. Cest alors qu’on fut amené à 
ajouter, au lieu dalcali, un fondant métallique, l’'oxyde de 
plomb, qui fut employé en aussi grande quantité qu’on le 
put sans produire une coloration tirant au jaune ; non 
seulement on obvia aux inconvénients de la houille et du 
pot couvert, mais 1l en résulta le verre le plus blane, le 
plus parfait qu’on eûüt jamais obtenu, auquel le cristal de 
la Bohème ne peut être comparé... Ce fut sans doute vers 
la fin du xvrre siècle que ce résultat fut produit, car vers 
1750, quand le célèbre opticien Dollond faisait ses pre- 
mières expériences sur l’achromatisme, le flint-glass à base 
de plomb semblait être d’un usage courant pour les services 
de table. » 

Ce nouveau produit vitreux était de beaucoup supérieur 
aux autres verres en ce qu'il était plus dense, plus limpide, 
qu'il possédait un pouvoir réfringent beaucoup plus consi- 
dérable, et qu'il avait une sonorité particulière, dont on 
pouvait tirer parti dans beaucoup de cas; mais ce n’est que 
lentement, et grâce aux perfectionnements apportés par la 
chimie à la purification et au choix des matières pre- 
mières, et principalement du minium, que les cristaux 


français et anglais sont arrivés à devenir supérieurs aux 


240 LA VERRERIE 


plus beaux verres de Bohême, qui, à cause de leur faible 
densité, n'ont pas à beaucoup près leur éclat, Les cristaux 
anglais, malgré la grande vogue dont ils jouissaient dès 
leur introduction en France, laissaient beaucoup à désirer 
sous le rapport de la pureté et de la blancheur. Bosc 
d’'Antic le constatait en ces termes dès l’année 1771 : 
« Quelque florissantes que soient leurs verreries, les An- 
olais ne peuvent se flatter, avec John Carry, qu'elles soient 
portées à la plus haute perfection : leur cristal n’est pas 
d’une belle couleur; il tre sur le jaune ou sur le brun pour 
peu que la couleur rouge de la manganèse domine. Il est 
si mal cuit, qu'il ressue le sel, se crassit, se rouille promp- 
tement, est rempli de points et nébuleux... Il à encore un 
autre défaut capital, c'est d’être extrêmement tendre‘... Ils 
vendent cher leur ouvrage ; peut-être seroient-ils forcés 
de baisser les prix S'ils avaient des concurrents... » 

Quelques années après l’époque où Bose d’Antic écrivait 
ces lignes, les concurrents qu'il demandait s’établissaient, 
les premiers, à Sèvres en 178%, les seconds, à Saint-Louis, 
en Lorraine, vers 1780. 

La cristallerie de Sèvres, située dans les dépendances 
du parc de Saint-Cloud, — ce qui a fait dire par erreur à 
quelques auteurs que cette manufacture avait été établie 
à Saint-Cloud même*, — fut fondée, en 178%, par Boyer et 
Lambert, sous le patronage de Marie-Antoinette, qui leur 
permit de donner au nouvel établissement le titre de 


Manufacture des cristaux el émaux de la Reine*. Boyer 


1 Ce mot doit être pris évidemment ici dans l’acception qui lui a été donnée 
quand on l’appliqua à la porcelaine dite à pâte tendre, dont la couverte 
est également à base de plomb, et Bose d’Antic a certainement voulu faire 
entendre par là que le cristal anglais se rayait facilement. 

? Les bâtiments où était établie celle cristallerie existent encore à Sèvres. 


% On trouve dans l'Almanach Dauphin la mention suivante : « Sève, bourg 


PASMARRERIEDUENAAUEXIXS SIECLE 241 


nous parait avoir été l’homme d’affaires de cette entre- 
prise; quant à Lambert, c'était un véritable praticien, 
instruit et intelligent, qui avait passé plusieurs années 
en Angleterre, où il avait appris tous les secrets de la 
fabrication. 

Malgré le patronage de la reine et les privilèges qui lui 
avaient été accordés, la manufacture ne fit pas de bien 
brillantes affaires, autant par suite d’une mauvaise adminis- 
tration et peut-être aussi du peu de capitaux dont dispo- 
saient Boyer et Lambert, qu'en raison du prix élevé des ma- 
tières premières, et notamment de la houille qui servait à 
la cuisson. Dès le mois d'octobre 1785, un an à peine après 
leur établissement, les deux associés durent se résigner à 
se faire commanditer et à transformer en société! l’usine 
qu'ils avaient fondée, et dont ils ne furent plus que des 
« gérants interessés ». 

D'un autre côté, comme les ouvriers n'étaient pas payés 
régulièrement et que l’on ne tenait pas les engagements 
pris vis-à-vis d'eux, il s’ensuivit des plaintes et des con- 
testations continuelles, qui jetèrent la plus grande défaveur 
sur cette manufacture, appelée à doter la France d’une 
industrie nouvelle, et que le gouvernement avait, par con- 
séquent, tout intérêt à favoriser ; c’est alors que le conseil 
d'État prit, le 16 décembre 1785, l’arrêté suivant, qui don- 
nait au seul lieutenant de police, à l'exclusion de toute autre 
juridiction, la connaissance des différends qui pouvaient 
s'élever entre les directeurs et les ouvriers. 


de l'Isle de France, à deux lieues de Paris : manufacture de cristal, de flint- 
glass, d'émaux et cendre bleue, établie à l'instar des manufactures anglaises. 
L’empressement du public à se procurer les ouvrages qui en sortent fait bien 
augurer de ce nouvel établissement, dont le dépôt est à Paris, dans les bâti- 
ments du Palais-Royal, n° 50.— Lambert, Boyer et Cie, entrepreneurs. » 

1 Par acte passé le 18 octobre 1785 « devant Me Fieffé et son confrère, notaires 
au Châtelet de Paris ». 

16 


242 LA VERRERTE 


ARRÊT pu CONSEIL D'ÉTAT pu Roï 


qui renvoie par devant le sieur Lieutenant Général de Police de la ville 
de Paris les contestalions entre les ouvriers de la Manufacture des 
Cristaux et Émaux de la Reine, siluée à Sèves, et les Inléressés en 
icelle. 


Sa Majesté étant informée que les ouvriers de ladite manufacture 
élèvent journellement des contestations contre les sieurs Boyer et Lam- 
bert, ci-devant entrepreneurs de ladite manufacture, et aujourd’hui 
au nombre des intéressés en icelle...; qu’en dernier lieu il auroit été 
rendu contre lesdits sieurs Boyer et Lambert deux sentences au con- 
sulat de Paris, les 23 et 30 novembre dernier, à la requête du nommé 
Dantzelle, graveur en cristaux et ouvrier attaché à ladite manufacture ; 
que lesdites sentences auroient été suivies d’une saisie-exécution des 
marchandises garnissant les magasins de ladite manufacture... Et Sa 
Majesté considérant que la multiplicité des demandes de pareille nature 
formées par lesdits ouvriers, étant portées dans différents tribunaux, 
est préjudiciable aux intérêts de ladite manufacture, à laquelle Sa Ma- 
jesté a bien voulu accorder des encouragemens, et qui doit être exécutée 
plus en grand au lieu du Montcenis en Bourgogne; et qu'il est impor- 
tant, pour l'accroissement de ladite manufacture, de réunir dans un seul 
tribunal toutes les contestations de cette nature, pour y être jugées 
sommairement et sans frais. À quoi voulant pourvoir : Oui, ete... LE 
ROI ÉTANT EN SON CONSEIL, à évoqué à soi et à son Conseil la demande 
formée par ledit Dantzelle contre lesdits sieurs Boyer et Lambert, en- 
semble toutes les autres contestations nées et à naitre entre les ouvriers, 
serviteurs et domestiques ou employés à ladite manufacture des cristaux 
de la reine, et les intéressés et directeurs de ladite manufacture, et 
icelles, circonstances et dépendances, a renvoyé et renvoie par devant 
le sieur Lieutenant Général de Police de la ville, prévôté et vicomté de 
de Paris, pour y être jugée sommairement et sans frais, sauf l'appel au 
Conseil, Fait défense Sa Majesté audit Dantzelle et à tous autres de se 
pourvoir ailleurs que par devant ledit sieur Lieutenant Général de Police 
de la ville, prévôté et vicomté de Paris, et à tous juges d'en connoitre, 
à peine de nullité, cassation de procédure et de tous dépens, dommages 
et intérêts. Et sera le présent arrêt exécuté nonobstant toutes oppositions 


ou empêchements quelconques pour lesquels il ne sera différé. 


Fait au conseil d'Etat du roi, Sa Majesté y étant, etc. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 243 


Dès cette époque, on le voit, 1l était déjà question de 
transporter la manufacture au Creuzot, près Montcenis, 


et de la joindre à la fonderie royale, — également « à 
la manière angloise », — qui venait dy être établie par 


une société à la tête de laquelle se trouvait M. de La 
Chaize, et qui était dirigée par un ingénieur, M. Ramus, 
« avec des succès qui passent les espérances, » dit Dau- 
benton dans une de ses lettres. 

Cest vers la fin de 1787 que la cristallerie de Sèvres 
fut transférée au Creuzot, en vertu d’un arrêt en date du 
17 février de la même année; la principale raison mise en 
avant pour jJustfier cette mesure était, outre le désir de 
donner une plus grande extension à la manufacture, la faci- 
lité de se procurer à meilleur compte le charbon nécessaire 
à la cuisson. 


… Relativement à la Manufacture des Cristaux de la Reine, située au 
village de Sèves, près Saint-Cloud, Sa Majesté a reconnu qu’il seroit 
plus avantageux pour cet établissement d’être transféré au Creuzot, près 
Montcenis en Bourgogne, attendu que les matières premières nécessaires 
pour alimenter ladite manufacture se trouvant sur le lieu, ce sera un 
moyen de porter cette manufacture, digne à tous égards de la protection 
de Sa Majesté, au plus haut degré de perfection dont elle est susceptible. 
À quoi voulant pourvoir : Ouï, etc... LE ROI ÉTANT EN SON CONSEIL, a 
ordonné et ordonne que ladite manufacture sera très incessamment 
transférée audit lieu du Creuzot près Montcenis, sur une partie de l’em- 
placement des mines et fonderies à la manière angloise, situées audit 
lieu du Creuzot; et qu'en conséquence il sera procédé sans délai à la 
construction des fours, halles, magasins et autres bâtiments nécessaires 
à l'exploitation de ladite Manufacture des Cristaux de la- Reine, laquelle 
sera administrée comme ladite fonderie royale du Creuzot, et jouira des 
mêmes privilèges, prérogatives et exemptions; à la charge, en outre, 
qu'il ne pourra être employé aux fabrications qui auront lieu dans ladite 
Manufacture des Cristaux de la Reine d’autre charbon de terre que celui 
de la mine concédée aux intéressés dans les fonderies royales du Creuzot. 
MANDE et ordonne Sa Majesté au sieur Intendant et Commissaire départi 
pour l’exécution de ses ordres dans la province de Bourgogne, de tenir 


244 LA VERRERIE 

la main à l'exécution du présent arrêt, lui attribuant à cet effet Sa 
Majesté toute cour, juridiction et connoissance, et icelles interdisant à 
ses cours et autres juges. FAIT au conseil d'Etat du roi, Sa Majesté y 


étant, etc. 


La cristallerie du Creuzot, établissement industriel avant 
tout !, subsista jusqu'en 1827; on s’attacha surtout à v 
fabriquer du cristal très pur et très beau, mais sans se 
préoccuper beaucoup, à en juger au moins par les quelques 
spécimens que l’on voyait autrefois au musée de Sèvres, de 
la question d'art. Aussi son influence sur lindustrie fut- 
elle moindre que celle des établissements qui ont été créés 
après elle, et à la tête desquels il faut citer en première 
ligne la cristallerie de Saint-Louis, fondée vers 1785, et dont 
le directeur, M. de Beaufort, adressait à l’Académie des 
sciences, en 1787, une note sur la fabrication du cristal, ou 
flint-glass des Anglais, fondu au bois et à pots découverts, 
en y joignant des spécimens de pièces obtenues au moyen 
de ce nouveau procédé. Le chimiste Macquer, auquel on 
doit, sinon la découverte des gisements de kaolin de Saint- 
Yrieix, au moins l'application de ce kaolin à la fabrication 
des premières porcelaines dures fabriquées à Sèvres, fut 
chargé, avec Fougeroux de Bondaroy, de faire un rapport 
sur les cristaux de Saint-Louis; mais, tout en constatant la 
bonne qualité de ces produits, les savants rapporteurs ne 
paraissent pas leur avoir accordé l'importance qu'ils méri- 


1 On lit dans le Dictionnaire de géographie de F. D. AyNÈs : « En 1777, il 
y avoit à peine au Creuzot quelques maisons habitées par des cullivateurs 
pauvres et par quelques ouvriers employés à une exploitation. Une compagnie 
jeta dans ce lieu les fondements d'une colonie qui s'est élevée à près de deux 
mille habitants, et qui a enlevé à l'Angleterre deux secrets : celui de fondre la 
mine de fer avec du charbon de terre désoufré {coak), et celui de fondre le cristal 
avec du charbon de terre... La manufacture offre tous les objets nécessaires aux 
Lesoins habituels de la vie dans ce genre de fabrication, qui ne le cède en rien 


à la beauté du cristal anglois. » 


LA VERRERIE DU XV AU XIX° SIÈCLE 245 


taient. « On ne peut, disaient-ils, qu'encourager M. de 
Beaufort à suivre et à augmenter un objet de fabrication qui 
probablement procurera de l'avantage à notre commerce et 
pourra même devenir utile aux sciences. » Cette conclusion 
était, on le voit, très modeste, et n’engageait pas beaucoup 
PAcadémie. M. de Beaufort s’en consola en donnant de l’ex- 
tension à sa fabrique, qui fut bientôt en mesure de livrer, au 
prix de 25 sous seulement, des verres que jusqu'alors la 
cristallerie anglaise n'avait pu livrer au-dessous du prix de 
9 livres. 

Vers 1797, une troisième cristallerie fut fondée par 
M. d’Artigues à Vonèche, près Givet; mais cette manufac- 
ture, s'étant trouvée, par suite des traités de 1815, com- 
prise dans le territoire belge, M. d’Artigues acheta en 1816 
la verrerie de Sainte-Anne, à Baccarat, et y transporta sa 
cristallerie. De cette époque commença pour cet établisse- 
ment une ère de prospérité nouvelle, et bientôt la cristallerie 
de Baccarat, qui devint, en 1833, la propriété d’une société 
puissante, prit, sous la direction des savants éminents qui 
se sont succédé à sa tête, une importance considérable, qui 
la placée au premier rang des manufactures de l’Europe et 
en a fait une des gloires les moins contestées de l’industrie 
française. 

L’importation en France de la fabrication du cristal eut 
pour effet de secouer un peu la torpeur de nos verriers; 
la taille, qui était restée jusqu'alors le monopole à peu près 
exclusif des manufactures de la Bohême et des Pays-Bas, 
devint d’une pratique générale dans nos fabriques de gobe- 
leterie, dont les produits trouvèrent alors un débouché 
d'autant plus facile, qu'il n’était plus nécessaire d'aller 
chercher à l'étranger ce que l’on fabriquait aussi bien chez 
nous. 

En 1802, suivant les estimations de la statistique publiée 


246 LA VERRERIE 


par M. Chaptal, la production annuelle des verreries et 
olaceries dépassait déjà dix millions, alors que sous le 
règne de Louis XVI, au moment cependant où la paix de 
l’Europe, la prospérité de nos vastes colonies et ladmi- 
nistration de Turgot, de Malesherbes et de Necker, avaient 
donné d'heureux développements à lindustrie française, 
elle était à peine de six millions, d’après les évaluations de 
M. de Tholozan, intendant général du commerce; nous ver- 
rons plus loin qu'elle était, en 1873, de cent neuf millions. 


De l'étude qui précède il résulte, 11 faut bien en con- 
venir, que l'industrie du verre en France, malgré les encou- 
ragements de toute nature et les privilèges exceptionnels 
qui lui avaient été accordés par les souverains, ne s’est 
pas développée à légal des autres industries d'art. Ce- 
pendant les verreries émaillées qui ont marqué ses débuts 
au xvie siècle, et dont 1l ne nous reste que de trop rares 
échantillons, ainsi que les quelques spécimens si élégants et 
de formes si particulières provenant des verreries normandes 
du xvre siècle que nous ont montrées les dernières exposi- 
tions rétrospectives, prouvent qu'il y avait là en germe un 
art qui aurait pu se perfectionner et grandir, comme l'ont fait 
à la même époque la céramique et l’émaillerie. Ce qui a nui 
à la verrerie, c’est, croyons-nous, cette idée généralement 
admise que lon ne pouvait ni lutter contre les verreries 
vénitiennes d'abord, et bohèmes ensuite, ni se passer du 
concours des ouvriers étrangers. Moins intelligents que 
les céramistes, qui, voyant qu'il leur était impossible de 
rivaliser avec les merveilleux produits de Faenza ou d'Ur- 
bino, s'étaient contenté d'un rôle plus modeste, en créant 
un art d’un ordre moins élevé, mais bien original, les 
verriers restèrent enserrés dans les limites qui leur avaient 


été tracées dès le début, sans tenter aucun effort pour en 


LA VERRERIE DU" XM AU XIX® SIÈCLE 247 


sortir. Malheureusement il n’y eut pas d'artistes parmi eux, 
et s'ils conservèrent des Italiens la pratique d’émailler les 
verres, ils se bornèrent généralement à tracer grossière- 
ment sur des gobelets des légendes grivoises, sentimen- 
tales!, et, plus tard, patriotiques, qui n’ont rien de commun 
avec Part. 

Cependant la verrerie française peut revendiquer avec 
fierté la gloire d’avoir trouvé pour la fabrication des glaces 
le procédé du coulage, à l’aide duquel on put faire des 
glaces d’une dimension inconnue jusqu'alors; nous revien- 
drons sur ce sujet dans un chapitre spécial; mais avant il 
nous faut étudier l’histoire de la verrerie en Allemagne et 
dans les autres contrées de l'Europe. 


SRE 


ALLEMAGNE 


L'origine de la fabrication du verre en Allemagne est 
encore remplie de doutes et d’incertitudes. Les recherches 
faites dans ces derniers temps par quelques savants archéo- 
logues ont bien montré que la verrerie formait, sous les 
empereurs saxons, une branche importante de commerce, 
et nous savons par le Livre des princes d’Enenchel que la 


! Une bouteille appartenant à M. le baron J. Pichon porte l'inscription : 


Point de 
Baujours sans 
Amour. 
1752. 


Les fleurons qui se trouvent sur l’épaulement et la facon dont est tracée 
l'inscription dénotent l'emploi du procédé de décoration connu en céramique 
sous le nom de pastillage, procédé assez grosier qui consiste à laisser couler 
en filets la matière colorante sur la pièce à décorer. 


248 LA VERRERIE 


corporation des verriers figurait à la fête que les bour- 
seois de Vienne donnèrent au prince Léopold à loccasion 
de la Noël, en 1221; mais là se bornent les renseigne- 
ments relatifs à l’industrie du verre pendant le moyen âge, 
et il faut attendre au xvie siècle avant d'avoir quelques 
données un peu plus positives, quoique pleines encore 
d’obscurités. Il paraît cependant certain que dès 1428 un 
Vénitien, Onofrius de Blondio, obtenait du duc Albert 
l'argent nécessaire pour établir à Vienne, dans la Kärt- 
nerstrasse, une verrerie qu'il installait dans une maison 
appartenant au duc'; nous savons également qu'en 1486 
un certain Nicolas, surnommé le Welche, était autorisé 
par le conseil d’État à fonder, dans les environs du Prater, 
une manufacture à laquelle il donnait le nom de Verre- 
rie de Venise?, et que l’empereur Ferdinand Ier accorda 
à un inspecteur des forêts nommé Pithy le droit d'établir 
une verrerie semblable à Weidlingau*, près Vienne; mais 
on ignore quels genres de verreries ces manufactures ont 
fabriqués, et il n'existe aucun verre que l’on puisse leur 
attribuer avec certitude. 

Il est à présumer cependant que les efforts tentés à cette 
époque pour imiter les produits de Murano n'avaient pas 
donné des résultats bien satisfaisants, car les écrivains alle- 
mands du xvre siècle, qui parlent fréquemment des verreries 
de Venise, le font toujours avec des éloges tels, qu'il semble 
que l’industrie de leur pays devait être, sous ce rapport, 
dans un état d’infériorité considérable. Cest ainsi, entre 


1 Cf. Azs. [LG, Zur Geschichte der Alteren Glasindustrie in Wien, dans les 
Mittheilungen des K. K. Oster. Museum für Kunst und Industrie, t. HI. 

? Cette manufacture était encore en activité en 1563. 

3 Suivant la tradition, les deux verriers de Murano qui, sous le règne de 
Léopold Ier, furent tués par des émissaires du conseil des Dix (voir p. 77), tra- 
vaillaient à cette fabrique. — Cf. Carz Frienricu, Die altdeuschen Gläser, p. 24. 


LA NERRERTE DU" XV-MAU XIX° SIÈCLE 249 


autres, que le prêtre bohémien Mathésius, qui écrivait vers 
1560, parle comme d’une chose extraordinaire « des verres 
en table, au travers desquels on peut voir tout ce qui se 
passe dans la rue », ce qui ne donne pas une idée bien 
brillante de la fabrication allemande à l’époque où il vivait’. 


Verres émaillés. — Il est certain cependant que bien 
avant le temps où Mathésius écrivait les lignes qui pré- 
cèdent, les procédés employés à Venise pour la décoration 
des verres au moyen d’émaux de diverses couleurs avaient 
été importés en Allemagne, et probablement à linstigation 
et avec la protection d’un des membres de la célèbre famille 
des Fugger, ces hommes si intelligemment dévoués à leur 
pays, dont l’immense fortune protégeait les artistes, les 
savants et les Empereurs ?, et auxquels plusieurs villes de 
l'Allemagne du xvie siècle, Nuremberg et Augsbourg entre 
autres, durent leur prospérité commerciale et leur supé- 
riorité artistique. Il existe, en effet, dans la collection de 
M. Spitzer une curieuse petite coupe ou plateau portant, 
entourées de riches lambrequins, les armoiries des Fugger ?, 


! « Le verre de Venise est de nos jours recherché dans tout l’univers. On en 
fabrique les plus beaux verres à boire, les vitres les plus transparentes, les 
verres à lunettes les plus clairs ainsi que des verres en table, au travers 
desquels on peut voir tout ce qui se passe dans la rue.» — Marnésius, Sarepta 
oder Bergpostill, Nürnberg 1582. 15 Predigt : von Glassmachen. 

? De simples ouvriers tisserands, les Fugger, devinrent, en une centaine 
- d'années, les plus riches négociants du monde. Le plus célèbre d’entre eux, 
Raymond Fugger, fils de Georges Fugger, né le 24 octobre 1489, rendit à Maxi- 
milien, et plus tard à Charles-Quint, lors de son expédition contre Alger, des 
services d'argent tels, qu'il fut élevé aux plus hautes dignités et créé baron du 
saint-empire, avec le droit de battre monnaie. Son corps est inhumé dans la 
chapelle des Fugger, dans l’église Saint-Anne d’Augsbourg. Il fonda avec son 
frère Antoine l'église Saint-Maurice d'Augsbourg, deux hôpitaux, un cabinet 
d’antiquités, une galerie de tableaux et un jardin botanique. Un quartier de la 
ville d'Augsbourg s’appelle encore maintenant le Fuggerer. 

Aux 1 et 4 de Fugger, parti d'azur et d’or à deux fleurs de lis de l’un en 


250 LA VERRERIE 


dans laquelle Flinfluence vénitienne est tellement pro- 
noncée, que lon serait tenté au premier abord de Vat- 
tribuer aux verriers de Murano; mais si on l’examine 
avec attention, et surtout si on la compare à d’autres 
verres de la même collection dont l’origine allemande n’est 
pas douteuse, entre autres à un grand verre décoré d’une 
riche armoirie à la licorne qui le couvre presque entiè- 
rement, l’'analogie est si frappante, qu'il n’est plus permis 
d'hésiter. 

Il est assez difficile cependant de dire où et par qui 
ces verres ont été fabriqués pour la première fois en Alle- 
magne. M. Friedrich! cite deux verriers, Hans Nickel et 
Oswald Reinhard, qui, après avoir passé plusieurs années 
à Venise pour y apprendre la fabrication et la décoration 
du verre, vinrent, en 1551, s'établir à Nuremberg, où ils 
reçurent du conseil de la ville une subvention de 50 flo- 
rins; mais On na pu trouver sur leur établissement 
d’autres renseignements que lattribution d’une pareille 
somme à Augustin Hirschvogel, qui avait remplacé Os- 
wald Remhard. 

D’un autre côté, il est certain que des verreries furent 
établies à cette époque en Franconie, et plus particulière- 
ment au pied des Fichtelgebirge (monts aux Sapins), dont 
les immenses forêts fournissaient en abondance le bois 
nécessaire à la cuisson; pendant longtemps même on a 
désigné en Allemagne tous les verres émaillés sous le nom 
de verres du Fichtelberg (Fichtelberger glaser), bien qu'il en 
ait été fabriqué dans d’autres contrées également, et il n’est 


l’autre; au 2, d'argent à une reine d'Éthiopie, les cheveux cpars, vétue de 
sable, couronnée, tenant à la main une milre épiscopale de gueules, qui est de 
Kirchberg ; au 3, de gueules à (rois cornets l’un sur l’autre d'argent, viroles, 
embouchées et enguichés d’or, qui est de Weissen-Horn {cornet blanc). 

! Die altdeutschen Glaser, p. 24. 


PANVERRERTEMDUEXVO MU XIXe SIÈCLE 251 


pas rare de rencontrer dans les collections de grands verres 
à boire portant une décoration symbolique qui chante la 
gloire de la célèbre montagne‘. 

Les premières années de la fabrication, celles pendant 
lesquelles se fait sentir l'influence directe des Vénitiens, 
ont produit des verres d’une exécution assez parfaite, sur- 
tout dans la peinture de ces grandes armoiries à lambre- 
quins que PAllemagne du xvie siècle affectionnait tant 
(pl. 1); les émaux y sont minces et très francs de ton, 
parfois même un peu durs; la dorure, qui se compose 
généralement d’un large filet d’or, bordé des deux côtés par 
un pointillé de perles d’émail en relief et décoré d’un double 
rang d'imbrications dessinées au trait par enlevage à la 
pointe et semées, au centre, de perles d’émail, est exacte- 
ment copiée sur celle de certains verres de Venise. Mais si 
les Allemands avaient su s'approprier les procédés des 
Vénitiens, ils n’avaient pu leur emprunter ni leur goût 
délicat, ni leur sentiment exquis de la décoration, et bientôt 
les verres émaillés perdent de leur distinction sans cesser 
cependant d’être intéressants par un certain aspect pitto- 
resque qui leur est tout particulier, et qu'ils doivent surtout 
à leur forme colossale, aux sujets qu'ils représentent et 
aux inscriptions et sentences qui les accompagnent. Mathé- 


! Cette décoration représente généralement une montagne boisée accompa- 
gnée à droite et à gauche de têtes d'animaux ; du pied de la montagne partent 
les quatre fleuves qui y prennent leur source, et dont les noms sont indiqués en 
gros caractères : la Naab, au sud; l’Eger, à l’est; la Saale, au nord; le Mein, 
à l’ouest. Sur le sommet une tête de bœuf montre le plus haut point des Gebirge, 
et parfois une chaîne retenant une serrure d’or symbolise les trésors que ren- 
ferme le Fichtelberg, et que célèbrent des inscriptions qui, à quelques variantes 
près, sont toujours les mêmes : 


La gloire du Fichtelberg est connue alentour : 

11 est plus utile, il est vrai, à l'étranger qu’à sa patrie; 

Mais ce que l’on emprunte à un pays lui appartient exclusivement. 
Cest pourquoi on estime son fer, ses mines et ses bois. 


252 LA VERRERIE 

sius', dans un de ses Discours (Predigt), constatait déjà 
cette tendance générale à faire parler le verre : « Ensuite, 
dit-il, l'esprit ajoutant une idée à l'autre, plusieurs ont 
peint en couleur, sur des verres blancs et cuits au four, des 
dessins de toutes sortes et des sentences. » 

Les types les plus caractéristiques de ces sortes de verres 
sont ceux que lon connait sous le nom de vidrecomes ou 
viedercomes (wil kommen ou wieder kommen), nom qui 
paraît avoir désigné le verre, généralement d’une grandeur 
démesurée, dans lequel on offrait le coup de la bienvenue 
au convive reçu pour la première fois aussi bien qu'à celui 
que l’on souhaitait revoir. Hans de Schweinichen, le héros 
bachique, ainsi que l’appellent les Allemands, parle de ces 
verres dans ses Mémoires, que nous avons déjà cités (p. 4%), 
et Mathésius les mentionne comme étant d’un usage tout 
récent à l’époque où il écrivait : « À présent, dit-il, on fait 
les immenses vidrecomes, véritables verres de fous, que 
l'on peut à peine soulever. » 

Les plus grands et les plus beaux parmi ces « verres de 
fous » sont les verres à aigles, les verres des électeurs et 
les verres des apôtres. 

Les verres à aigles (Adlergläser), nommés aussi hanaps 
de l'Empire (Reichshumpen), sont de grands verres cvlin- 
driques décorés en plein d’une aigle de sable à deux têtes : 
chacune des têtes est nimbée et surmontée de la couronne 
impériale; sur la poitrine se trouve le globe crucifère, lun 
des cinq insignes dont la remise faisait partie des céré- 
monies du couronnement; quelquefois, mais rarement, le 
Christ en croix remplace le globe. Chaque aile se compose de 
six plumes, dont chacune porte quatre écussons au-dessus 


desquels un nom est inscrit dans un petit phylactère ; les 


1 Op, cil. 


PAMUPRRERIEDUN EL TX IX SIÉCLE 253 


six plumes des ailes se rattachent à laileron, qui porte 
aussi quatre écussons surmontés également d’un nom. « Ce 
vidrecome, dit M. Sauzay', représente, comme composant 
les membres de l’aigle de l’Empire, les armoiries des 
princes, villes, etc., qui étaient les membres de l’ancienne 
confédération germanique, en les disposant d’après une 
division par quatre, qu'un ancien préjugé historique attri- 
buait à l’empereur Othon IIT, mort en 1202°. » Le revers 
est décoré de branches de muguet ou de bluets, rempla- 
cées quelquefois par une croix avec un serpent. 

Tous ces vases portent à la partie supérieure l’inscription 
suivante : Le saint-empire romain avec tous ses membres ; 
ou celle-ci : Dieu protège et soutient le saint-empire romain 
et tous ses membres, ainsi que lout le monde en général, 
avec la date de la fabrication ; presque tous sont de la fin 
du xvie siècle ou du commencement du xvrie. Celui qui 
porte la date la plus ancienne (1547) est conservé dans la 
salle des festins du Franzensburg (château de François), à 
Laxenburg, près Vienne. 

Les verres des électeurs (Kurfürstenglaser) montrent 
l'Empereur entouré des sept électeurs, portant avec leurs 
armoiries le nom du pays qu'ils représentent. Dans certains 
verres le sujet est divisé en deux registres, et les électeurs 
sont à cheval. La plupart de ces verres portent dans la 
partie inférieure des inscriptions, en émail jaune ou blanc, 
qui varient peu, et dont voici généralement le sens : 


Suivant leur rang, les sept électeurs sont assemblés devant la Majesté 


! Catalogue des verreries du Louvre, p. 48. 

* On peut voir dans l’ouvrage intitulé : Respublica et Slatus imperir ro- 
mano-germanici |Elzevier, Leyde, 1634), la nomenclature complète des États 
de l’Empire ainsi divisés par quatre. L'auteur rapporte que la représentation 
de ce système était souvent reproduite sur les monuments, et surtout dans 
« la décoration des vases en verre ». 


254 LA VERRERIE 


impériale ; tous sont revêtus de vêtements électoraux portant l'annonce 
de leurs fonctions. 

Le roi de Bohême, qui fut en tout temps le premier échanson de 
l'Empire. Puis le comte du Palatinat près du Rhin, qui fut le grand 
écuyer de l'Empire. Le grand-duc de Saxe est élu maréchal de l'Em- 
pire. Le margrave de Brandebourg est surintendant du domaine privé 
de l'Empire. 

L'archevêque de Mayence est chancelier de tout le pays allemand. De 
même l’évêque de Cologne est chancelier de toute la France. Enfin 


l'archevêque de Trèves, qui est chancelier de Pftalie. 


Ces verres sont rarement datés. Il en est de même des 
verres des apôtres (Apostelgläser), sur le pourtour desquels 
sont représentées, en deux registres, les figures des douze 
apôtres, portant chacun leurs attributs caractéristiques et se 
tenant sous des arcatures à plein cintre qui reposent sur des 
colonnes, et sur lesquelles sont inscrits leurs noms (fig. 45). 

Les verres des électeurs et les verres des apôtres étaient 
quelquefois fabriqués en service, c’est-à-dire que chacun 
des verres était décoré d’une seule figure. Dans ce cas, le 
verre portait une inscription. Le musée industriel de Nu- 
remberg possède un de ces verres, sur lequel est représenté 
l’'apôtre Simon tenant la scie qui servit à son supplice; il 
porte le numéro 10 de la série, et est accompagné de la 
légende suivante : 


Je crois au Saint-Esprit et à une sainte Église chrétienne. — 1645. 


À côté de ces trois séries de verres, dont la forme change 
peu, il en est d’autres qui offrent une très grande variété, 
mais qui, à quelques exceptions près, sont d’une capacité 
moindre, et que lon désigne sous le nom de verres de 
corporations (Innungshumpen). Au xvie siècle surtout, les 


verriers, afin de donner à leurs produits un plus grand 


DANVIPR RIRE SDUMA TE U XIXCLS TECILE 255 


) 
débouché, firent des verres particuliers à chaque corpora- 
tion : les tailleurs, les potiers, les forgerons, les boulangers, 
les bouchers, les jardimiers, les cordonniers, les pelle- 
tiers, etc. etc., eurent des verres sur lesquels se trouvaient 





















































































































































Fig. 45. — Verre des Apôtres ( Apostelgläser). 


(Coll. Gasnault au musée de Limoges.) 


reproduits les attributs de leur profession, avec des légendes 
qui souvent n’ont aucun rapport avec cette profession. 
Plusieurs de ces verres sont des plus curieux. Nous cite- 
rons entre autres celui des brasseurs, qui figure dans les 
collections du musée industriel de Nuremberg. Les bras- 
seurs, dans ce beau temps de la soif allemande, n'avaient 
garde de se laisser oublier; ils étaient fiers de leur profes- 


256 LA VERRERIE 


sion, et ne craignaient pas de mettre sur leurs verres l’in- 
scription suivante, dans laquelle ïls font parler leur patron, 
le roi Gambrinus, qui, d’après la tradition, est considéré 


comme l'inventeur de la bière! : 


Dans la vie j'ai reçu le surnom 

De roi de Perse et de Brabant; 

J'ai pensé le premier à brûler l'orge 

Et à en fabriquer de la bière : 

Aussi les brasseurs peuvent dire 

Qu'ils ont un roi pour patron; 

Jamais un autre corps d'état n’en approchera 
Et ne pourra montrer un semblable fondateur. 


Les tailleurs ne se piquent pas d’une trop grande sobriété, 
et sur un immense hanap font Imscrire ces vers : 


Les tailleurs aiment bien ce qui est bon dans de grands verres, 
Aussi ils ne boivent pas la bière dans leurs dés à coudre; 
Nous ne voulons pas y renoncer de sitôt, 
Car cela donne toujours plaisir et joie. 
Portons-nous tous bien. 


Il en est de même des bouchers, qui, sur un verre daté 
de 1697, disent : 


Nous égorgeons et nous donnons la mort, nous répandons beaucoup 
de sang. 
Mais nous ne répandons pas la bière, parce que nous la trouvons 
bonne. 
Portons-nous tous bien. 
Buvons avec les amis. 


À côté de ces inscriptions et de bien d’autres, destinées 


! C’est dans le curieux ouvrage de M. FriEbricH que nous avons trouvé la 
plupart des inscriplions que nous reproduisons ici; elles sont généralement 
écrites en une sorte de patois, ou argot de buveur, très suranné, et avec une 


orthographe de fantaisie qui les rendent souvent très difficiles à traduire. 


LA VERRERIE DU XV AU XIX° SIÈCLE 257 


à chanter les louanges de la boisson nationale, mais dans 
lesquelles on retrouve cependant une allusion à la profession 
du buveur, il en est qui se rapportent seulement au métier 
de celui qui faisait décorer le verre, ou plutôt qui l’achetait 
tout décoré; car il est à présumer que ces sortes de verres 
étaient faits à l'avance, puisque l’on y voit rarement le nom 
du propriétaire, ce qui n’eût pas manqué de se produire s’ils 
avaient été commandés spécialement pour un individu. Les 
attributs de la profession restaient les mêmes; mais les 
inscriptions variaient, et chacun les choisissait suivant son 
goût. Elles étaient parfois assez insignifiantes; ainsi on lit 
sur un verre de potier : 


Je suis un potier, cela est vrai, 

Je tire de l’argile divers objets, 

Des cruches, des creusets, des pots, des soupières, 
Ce dont on se sert généralement. 


Il y avait également les inscriptions sentimentales. Un 
boulanger et sa femme figurent sur un verre avec la 
légende : 


S’aimer avec honneur 
Personne ne peut nous en blâmer; 


et un potier adresse à sa bien-aimée les paroles suivantes : 


Mon trésor aime-moi 
Comme je t'aime. 


Il est encore une autre série des plus curieuses, imitée 
de celles que lon rencontre sur les grès à relief, et que 
l’on est tout étonné de trouver sur des verres à boire. Ainsi, 


quand on lit sur un grand hanap de forgeron : 


Celui qui me vide à son temps 
Est béni par la sainte Trinité, 
47 


258 LA VERRERIE 


il est permis de se demander ce que la sainte Trinité a de 
commun avec labsorption du liquide contenu dans cet 
immense verre. Nous préférons la légende suivante, bien 
qu’elle ne soit guère à sa place sur un verre à boire; c’est 
un boulanger qui parle : 

Un métier est un règlement de Dieu, 

templis-le avec soin et adresse à son sujet 

Des prières avec dévotion au bien-aimé Christ ; 


Dieu te bénisse avec bienveillance. 


D’autres verres reproduisent des scènes de la vie journa- 
lière, toujours accompagnées de légendes, ou des allégories. 
Un verre sur lequel est pente une chasse à l'ours porte une 
inscription très incorrectement écrite, mais que lon peut 
traduire ainsi : 

Mettons-nous-y avec joie, 

Faisons-la avee bonheur. 

Sur la bruyère pure et sur la terre tendre 
Dieu m'a souvent donné mon lit. 


Sur un autre est peinte une jeune fille, au-dessous de 


laquelle on lit : 


Pudeur, honneur et vertu, 


Parent très bien la jeunesse ; 
sur un autre enfin, qui représente une auberge : 


Dans cette maison, 
Nous buvons jusqu’à ce que nous soyons gris. 


Quant aux verres à sujets allégoriques, le sens en est 
presque toujours difficile à saisir; ils ont souvent trait à 
des controverses religieuses ou à des faits peu connus 
d'histoire locale, et manquent souvent de légendes qui 


pourraient servir à les expliquer. 


LA VERRERIE DU XV® AU XIXe SIÈCLE 259 


La façon dont tous ces verres sont peints et décorés n’a, 
il faut bien le dire, rien de très artistique; sur les émaux 
d’une couleur crue, peu harmonieuse et souvent un peu 
brutale, le dessin et le modelé sont indiqués seulement 
au moyen de traits noirs ou bruns, formant parfois des 
hachures grossières. Dans les verres de la première époque 
cependant, surtout dans ceux qui sont décorés d’armoiries, 
Pexécution est assez remarquable, et souvent d’une finesse 
qui rappelle celle des Vénitiens; mais cette perfection 
relative ne fut pas de longue durée, et l’ornementation des 
verres au moyen des émaux de couleur alla toujours en 
déclinant, jusqu'au moment où on l’abandonna tout à fait 
pour la remplacer par les procédés de taille et de gravure 
qui devinrent si fort à la mode dans la première moitié 
du xvirre siècle. 

Les verres peints allemands n’en restent pas moins 
cependant des spécimens fort curieux et toujours intéres- 
sants de la verrerie européenne aux xvie et xvire siècles, et 
c'est avec raison que les amateurs, même les plus délicats, 
leur réservent une place honorable dans leurs collections. 
Quelques manufactures ont cherché, dans ces derniers 
temps, à en faire des imitations; mais, si imparfaits que 
soient souvent les originaux, ils sont encore de beaucoup 
supérieurs aux produits modernes, dans lesquels on n’a su 
copier que les défauts des anciens verres sans conserver la 
naïveté et la franchise d'exécution qui les distinguent. 

La décoration des verreries à la manière allemande fut 
imitée en Suisse dès la fin du xvie siècle, probablement à 
Zurich ou dans les environs. Nous manquons de renseigne- 
ments sur l'existence des verreries suisses et sur leurs 
produits; mais, à en juger par les spécimens que nous 
avons vus dans différents musées, notamment à Bâle et à 
Zurich, et qui nous ont été indiqués comme étant proba- 


260 LA VERRERIE 


blement de fabrication suisse, la décoration serait généra- 
lement assez soignée, d’un dessin original et d’une coloration 
plus harmonieuse, moins heurtée, pour ainsi dire, que celle 
des verreries allemandes. Souvent le verre lui-même est 
coloré dans la masse en bleu, en violet ou en rouge, sans 
être pour cela opaque. Le musée de Cluny possède deux 
flacons carrés en verre bleu (nos 4893 et 4894), portés au 
catalogue comme verres allemands, mais qui nous paraissent 
pouvoir, en toute certitude, être attribués aux fabriques de 
la Suisse : l’un, daté de 1604, représente un montreur d'ours 
(fig. 46); l’autre, de 1646, un sujet familier aux artistes du 
moyen âge et de la renaissance, le Renard préchant aux 
oies. Comme dans les verres allemands, les côtés ou la 
partie postérieure sont décorés de bouquets de fleurs ou de 
fleurettes détachées. L'orifice et le bouchon sont en étain. 


Verres de formes particulières. — L'influence vénitienne 
se fit sentir en Allemagne non seulement dans l’ornemen- 
tation des verres émaillés, mais encore dans les formes que 
les verriers voulurent donner à ceux de leurs produits qui 
devaient rester sans aucune décoration. Comme à Murano, 
on inventa les verres les plus bizarres, et c’est là surtout, 
dans ces produits d’un ordre relativement peu élevé, que 
l'on peut voir la différence du génie artistique des deux 
peuples : les verres de Murano conservent toujours une 
finesse d'exécution, une certaine élégance qui les font recon- 
naître partout, tandis que les verres allemands, de formes 
plus baroques, sont lourds d'aspect et d’une fabrication 
souvent grossière; les premiers étaient de simples fantaisies 
plus ou moins heureuses; les seconds veulent conserver 
avant tout un caractère d'utilité, et restent toujours des 
verres à boire. Cest ce que constate en ces termes Mathé- 
sius, que nous avons déjà cité : « De nos jours, dit-il, 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 261 


les enfants du monde et les amis de la boisson se servent 
pour boire de vaisseaux, de moulins à vent, de lanternes, 
de cornemuses, d’écritoires, de petites boîtes, de grappes 
de raisin, de singes, de paons, de moines, de prêtres, de 


nonnes, d'ours, de lions, de cerfs, de cygnes, d’autruches et 






































Fig. 46. — Flacon en verre blanc décoré d’émaux polychromes. — Fabrication suisse de 1604. 


(Musée de Cluny.) 


d’autres récipients extraordinaires que le diable a apportés sur 
la terre au grand mécontentement du Dieu qui est au ciel. » 

Mais, avant de nous occuper de ces imitations, qui sont 
sénéralement du xvre et du xvire siècle, il nous faut dire 
quelques mots de ceux qui sont bien allemands d’origine, 
et dont la forme n’a pas varié. 

Les plus anciens sont vraisemblablement ces coupes 
hémisphériques portées sur un pied creux évasé, d’un 
usage commun en Allemagne pour boire les vins du 
Rhin, et que l’on désigne sous le nom de romer. Suivant 
une tradition pendant longtemps accréditée, ce nom leur 
vient de ce qu'ils auraient primitivement été fabriqués 
avec les débris refondus des verres que l’on trouvait en 
grande quantité dans les sépultures romaines, ou, d’après 


262 LA VERRERIE 


quelques auteurs, de ce que leur forme avait été copiée 
sur celle d'anciens verres romains. Quelle que soit lori- 
gine du nom, le verre est bien allemand, et c’est comme 
tel qu'il a été chanté par un écrivain du commencement du 
xvue siècle, Guillaume Seibt, dans son hymne en l'honneur 
de Bacchus *. 


Je veux maintenant terminer mon écrit; 
Celui qui voudra attaquer mes rimes 

Je lui cherche querelle; 

Car il m'a fait une réponse vraie, 

Le Romer que je tiens dans mes mains : 
L'Allemagne est ma patrie ! 


Les romer sont généralement en verre jaune foncé ou 
vert; le pied est souvent orné de filets en relief superposés, 
qui forment un enroulement plus ou moins développé : 
quelquefois il existe un nœud ou renflement peu saillant 
placé immédiatement au-dessous du gobelet, et sur lequel 
sont appliqués des pastillages en verre de même couleur, 
saufrés ou semés de points en relief assez prononcés : 
ces nodosités avaient pour objet, croyons-nous, non pas 
d’enjoliver le verre, mais d’affermir la main du buveur et 
d'empêcher la coupe de glisser entre ses doigts; on en 
trouve de fréquents exemples sur les anciens verres cvlin- 
driques allemands (fig. 47); il en existe même quelques- 
uns qui sont hérissés de véritables épines de lPaspect le 
moins engageant. 


Nous citerons également le fummler, coupe hémisphé- 


! Ces verres étaient connus et désignés sous ce nom en France et dans les 
Pays-Bas dès le xvi° siècle. On lit dans un inventaire de 1570 cité par 
Houpoy : « Un rumer vert encassé en ung pied d'argent doré et couvercle de 
meisme, armoyé des armes de la dame de Buren. » 

? Hymnus Bacchi, das ist des Weines, oder Goth Bacchi Lobgesang.— 1619. 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX® SIÈCLE 263 


rique sans pied ni anse, que le moindre choc renversait et 
que, pour cette raison, on était forcé de vider aussitôt 
qu’on l’avait remplie. M. Friedrich cite l'inscription suivante, 
qui se trouve sur un éummler du musée industriel de Nu- 





Fig. 47.— Ancien verre allemand à pastillages en relief. 


(British Museum.) 


remberg, portant la date de 1650, et qui indique bien la 


destination de ce verre : 


Vide-moi et dépose-moi à terre ; 
Si Je me relève, emplis-moi de nouveau 
Et présente-moi encore à un bon ami. 


On désigne aussi sous le nom de fummler à main (hand- 
tummler) un verre dont on trouve quelques analogues en 
métal dans nos collections. Ce sont des verres en forme de 
calices dont la base a été coupée de façon qu’ils ne peuvent 
être posés que sur leur orifice ou sur le côté, et qu'il fallait 
de toute nécessité en boire le contenu dès qu’on les avait 
remplis; ils étaient quelquefois d’une capacité telle, qu’il 
devait être bien difficile, même à un grand buveur, de les 


264 LA VERRERIE 


vider d’un seul coup. M. Friedrich ! en a publié un dont 
lorifice n’a pas moins de Om14 de diamètre, et dont le 
pied est emboité dans une riche garniture en argent de 
forme conique, surmontée d’une élégante figure de Mercure 
finement ciselée. 

A ces verres, qui avaient pour but d’exciter à boire, 





Fig. 48. — Passglas portant l'inscription : Ich steche dich?. 


(Musée industriel de Nuremberg.) 


nous ajouterons le passglas, sorte de grand gobelet cylin- 
drique à base évasée, sur le pourtour duquel se trouvent 
marquées des lignes ou bagues parallèles qui le divisent 
dans sa hauteur, formant ainsi des pass ou zones dont 
chacune est quelquefois marquée de chiffres. L'usage de 
ces verres est expliqué dans l'inscription suivante, qu’on 
lit sur un passglas du xvire siècle qui se trouve au musée 
de Vienne : 


Vivat ! En bonne santé nous tous en général 
Nous devons vider les pass, 

Mais celui qui ne peut trouver son pass (sa zone?) 
Celui-là doit aussitôt en avoir un autre. 


1"Mp. tout p; 108 
à Je te pique, probablement pour: je te défie, je te provoque. 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÈCLE 265 


Maintenant je veux faire attention 
Que je fasse le pass aussi habilement 
Comme l’a fait mon voisin. 

Je veux aussi en faire autant. Vivat! 


Quelques passglas, divisés à extérieur par une sorte d’é- 
chelle numérotée rappelant celle des carafons à eau-de-vie 





ne 


Fig. 49. — Verre en forme de cornet de chasse (xvure siècle}. 


(Coll. L. Berthet.) 


qui de nos jours sont en usage dans les cafés, servaient de 
mesures, surtout dans les pays de l'Allemagne du sud. 
Quant aux verres de formes particulières, il est à peu 
près impossible d'en énumérer la grande variété; le passage 
de Mathésius que nous avons rapporté suffit pour montrer 
combien de bizarreries en ce genre l’ingéniosité du génie 
allemand a su créer ‘; tous ces verres, il faut bien le dire, 


1 En France également on a fabriqué des verres de formes bizarres, particu- 
lièrement en forme de canons et de pistolets; depuis quelques années même, 
cette fabricalion est entrée dans une voie qui dépasse en absurdité tout ce qui 
a pu être fait en ce genre autrefois, et l’on voit fréquemment des flacons en 
verre moulé représentant en relief les bustes de la république, de Thiers ou 
de Gambetta, dont le crâne porte un goulot par où s'échappe le liquide. 


266 LA VERRERIE 


paraissent avoir été également inventés pour forcer à boire 
ceux qui s’en servaient, puisque, par leur forme même, ils 
ne pouvaient être posés sur la table tant qu'ils contenaient 
une goutte de liquide. Tels sont, entre autres, les verres 
en forme de cornets de chasse (fig. 49), généralement d’une 





Fig. 50. — Verre à boire de la corporation des jardiniers. 


(Musée de Bâle.) 


assez grande capacité, dont on rencontre de fréquents 
spécimens, et ceux, beaucoup plus rares, destinés à la 
corporation des jardiniers, et qui ont la prétention de 
figurer un râteau à trois dents; celui que représente notre 
gravure (fig. 50) appartient au musée de Bâle, où nous 
l'avons dessiné. On rencontre fréquemment des verres en 
forme de bottes, de femmes, d'oiseaux, etc.; mais ils sont 
bien loin d’égaler, au point de vue de la fabrication, ceux 
du même genre qui sont sortis des fours de Murano. 


Verres filigranés. — Les verreries allemandes ont égale- 


PAPER RERIEDUEE A UIXIXS SIÈCLE 267 


ment cherché à imiter les verres filigranés vénitiens ; mais 
là encore les imitations sont bien loin des modèles; ils 
sont du reste fort rares, et nous en connaissons peu 




















d.&.detf 
Fig. 51. — Verre filigrané allemand, aux armes de Saxe. 


(British Museum. ) 


d'exemplaires en dehors de ceux qui ont été exécutés, selon 
toute probabilité, par ordre de l'électeur Jean-Georges IT de 
Saxe ‘, et qui étaient destinés à être donnés comme prix de 
tir. Il existe des spécimens de ces curieux verres à Dresde, 
ainsi qu'au musée Britannique (fig. 51) et au musée mdus- 
triel de Nuremberg; sur la face antérieure sont repré- 


1 Cf. CARL FRiEpricx, op. cût., p. 248. 


268 LA VERRERIE 


sentées en émaux de couleur les armes de Saxe, surmontées 
du chapeau de cour au-dessus duquel se trouvent les lettres 
initiales du donateur de ce prix de tir. Sur la face opposée 
on voit une flèche piquée dans une cible avec les mots : 
Tirer supérieurement ; autour, on lit linscription : Pour 
l'inauguration du nouveau bâtiment de tir. — A Dresde. — 
Année 1676. Des verres trouvés au palais roval de Dresde, 
ct décorés des mêmes armoiries exécutées d’une façon 
semblable, laisseraient supposer que ces verres de tir ont 
été fabriqués à Dresde, qui possédait, au xvrre siècle, plu- 
sieurs ateliers de décoration, et, suivant toute apparence, 
quelques verreries; mais ce sont à peu près les seuls échan- 
üllons connus de verres filigranés allemands, et cela est 
d'autant plus étonnant que, vers 1560, Bernard Schwartz, 
verrier anversois, avait obtenu du duc Albert V lautorisa- 
tion de s'établir en Bavière, à la condition de montrer aux 
artisans allemands tous les secrets de la fabrication du verre 
à la façon de Venise, notamment celle des verres élirés, qui 
évidemment n'étaient autres que les verres filigranés obte- 
nus au moyen de léfiration des cannes; malheureusement 
il ne reste aucun document sur l'existence de la fabrique 
de Schwartz, ni sur les verres qui en sont sortis. D’autres 
tentatives furent faites, dans les premières années du 
xvIIe siècle, mais sans plus de succès. On trouve, en effet, 
dans les Ratsprotokolle' des années 1607 à 1609, aux 
archives de la ville de Cologne, la preuve qu'en mai 1607 
deux Vénitiens offrirent d'établir une verrerie dans cette 
ville, à la condition de jouir des franchises que l’on avait 
accordées à d’autres industries du même genre à Anvers et 
à Amsterdam. Ils furent autorisés à s'installer rue Saint- 
Séverin, malgré les réclamations des habitants de la rue, 


! Procès-verbaux des délibérations du conseil. 


PA VERRERTENDUNXNAAUSXIX SIÈCLE 269 


qui se plaignaient des dangers d'incendie que présentait la 
proximité de leurs fours; mais ils conduisirent si mal leurs 
affaires, que dès l’année suivante ils durent s'enfuir criblés 
de dettes; d’autres Italiens se présentèrent peu de temps 
après, dont les tentatives ne furent pas plus heureuses 
que celles de leurs devanciers; cependant linfluence véni- 
tienne se fit sentir dans la fabrication des bords du Rhin, 
puisque, il n’y a pas longtemps encore, on faisait à Ehren- 
feld, près Cologne, des verres à ailerons (flügel-glüser) qui 
étaient comme une réminiscence ou une tradition des 


anciens verres de Murano. 


Verres peints. — À côté des verres émaillés dont nous 
avons parlé dans les pages précédentes, et qui étaient d’une 
fabrication ordinaire, et, pour ainsi dire, courante, il y eut 
dans plusieurs villes d'Allemagne, aux xvie et xvire siècles, 
des ateliers dans lesquels de véritables artistes décoraient 
les verres d’une facon exceptionnelle et tout à fait remar- 
quable. Nuremberg, la Venise du Nord, comme on l’appe- 
lait à cette époque, se distingua particulièrement sous ce 
rapport. Augustin Hirschvogel, mort en cette ville en 1553, 
peintre-verrier distingué, paraît avoir été un des premiers 
qui aient décoré les verres à boire au moyen d’émaux 
polvchromes; après lui nous trouvons Albrecht Glocken- 
don, auquel l’empereur Ferdinand Ier commanda, en 1553, 
quatre armoiries peintes sur deux hanaps qu'il fit monter 
en argent par Ressler, orfèvre de Vienne, et qu'il donna 
à deux négociants d’Augsbourg, Wolf Paller et Conrad 
Herbsten; Glockendon reçut 238 florins pour son travail*. 


1 Cf. Bulletin des commissions royales d'art et d'archéologie, t. XXIT, 
p. 388. — Bruxelles, 1883. 

? Dr G.-W.-K. Locaner, Nachrichten von Künstlern und Werkleuten. — 
Vienne, 1875. 


270 LA VERRERIE 


On connait également comme décorateurs sur verre 
Georges Guttenberger, mort en 1670; Georges Strauch, 
décédé en 1675; puis quelques autres artistes moins 
renommés, et sur lesquels on ne sait rien d’intéressant, 
et enfin Johann Schaper, qui créa un genre spécial de 
décoration auquel il a donné son nom. 

Schaper, originaire des environs de Hambourg, vint, en 
1640, s'établir à Nuremberg, où il mourut le 3 février 4670. 
Il fut d'abord peintre sur faïence, et se mit, mais suivant 
toute apparence seulement à la fin de sa vie’, à décorer des 
verres à boire de paysages, de figures et d’armoiries, peints 
en camaïeu brun ou noir, et exécutés avec une finesse et 
une habileté véritablement surprenantes. Les musées et les 
collections d'Allemagne, surtout le musée de Berlin, pos- 
sèdent un grand nombre de verres de Schaper qui peuvent 
être regardés comme de:véritables œuvres d'art. Ils sont 
signés généralement des deux premières lettres de son nom; 
cependant on en rencontre quelquefois qui portent le nom 
entier, mais dans ce cas il est tracé en caractères telle- 
ment fins, qu'il est extrêmement difficile de le découvrir, 
et qu'il est impossible de le lire sans le secours d’une forte 
loupe. 

Schaper eut des élèves qui continuèrent à exploiter avec 
succès, et non sans talent, quoique avec beaucoup moins 
de finesse et de précision dans lexécution, le genre 
qu'il avait créé et qui a conservé son nom; on désigne, 
en effet, en Allemagne, sous le nom de verres de Schaper 
(Schapergläser), les verres peints ainsi en camaïeu brun, 
même ceux dont on trouve des spécimens qui datent seu- 
lement de la première moitié du xvie siècle, c’est-à-dire 


de cinquante à soixante ans après la mort de l’inmventeur. 


! La plupart de ses ouvrages sont datés de 1662 à 1668. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 271 


Verres rubis ou verres de Kunckel (Kunckelgläser). — On 
appelle ainsi des verres, généralement en forme de petites 
cruches ou de flacons, colorés dans la masse en rouge-rubis 
transparent, d’un éclat et d’une richesse incomparables, et 
dont l’invention est attribuée à Johann Kunckel, savant 
chimiste né en 1630 dans un petit village de Silésie. Attaché 
d’abord au service du duc Francois-Charles de Lauen- 
bourg, puis directeur du laboratoire de chimie de Georges IT, 
électeur de Saxe, Kunckel devint ensuite alchimiste de l’é- 
lecteur Frédéric-Guillaume de Prusse; c’est à Berlin qu'il 
trouva le secret de teindre le verre en rouge pourpre, en 
remplaçant par l'or le cuivre qui avait été employé jusqu’à 
cette époque dans la composition du rouge. On a beaucoup 
discuté en Allemagne la question de savoir si cette décou- 
verte était due à Kunckel ou à André Cassius, de Leyde, 
qui le premier a fait connaître cette belle couleur d’or 
qui porte le nom de rouge de Cassius; mais il paraît 
avéré que Kunckel fabriquait des verres plusieurs années 
avant que Cassius ait, en 1683, publié la composition 
de cette couleur. Quelques auteurs ont avancé que c’é- 
tait, non pas André Cassius lui-même, mais son père, 
qui avait trouvé la couleur pourpre au moyen d’une dis- 
solution d’or et de zinc dans l'acide nitro-muriatique, 
et que Kunckel aurait eu connaissance de cette décou- 
verte avant que le fils lait rendue publique. Le fait peut 
être vrai; mais il n’en reste pas moins avéré que c’est à 
Kunckel que l’on doit l'application de ce rouge à la colo- 
ration du verre; c'était, du reste, un savant distingué, 
très passionné pour tout ce qui touchait à l’art du verre, 
et qui l’a bien prouvé dans sa traduction des sept livres de 
l’'Arte vitraria d'Antoine Neri, à laquelle il a ajouté les notes 
du chimiste anglais Merret sur Neri, et les observations 


272 LA VERRERIE 


critiques que lui avaient suggérées les travaux de ces deux 
auteurs", Après la mort de Frédéric-Guillaume, Kunckel se 
rendit à Stockholm, à la demande du roi Charles XI, qui 
le nomma conseiller, directeur des mines, et l’anoblit sous 
le nom de Kunckel de Lowenstern. Il mourut en 1702. 

£n dehors de leur admirable couleur, les Kunckelglaser 
n'ont rien de remarquable ; la fabrication en est lourde, les 
formes très ordinaires, quoique ne manquant pas cependant 
d'un certain caractère, le verre épais; néanmoins l’enthou- 
siasme qu'ils excitèrent en Allemagne dès leur apparition 
fut tel, qu’on les enchässait dans de riches montures en or 
ou en vermeil, d’un travail délicat, et souvent même ornées 
de pierres précieuses. 

Après le départ de Kunckel pour la Suède, la petite 
verrerie qu'il avait établie à Postdam fut transportée à 
Zechlin, où la fabrication continua avec un succès si grand, 
que le docteur Poccocke constatait, en 1736, que ces verres 
étaient encore payés couramment de 100 à 150 livres *. 


Verres taillés et dorés. — L'art de tailler le cristal de 
roche et les pierres précieuses, importé en Italie après la 
prise de Constantinople, en 1453, passa de là en Alle- 
magne, et particulièrement à Nuremberg, vers le milieu du 
xvie siècle, puis en Bohême, où l’empereur Rodolphe IT, 
confiné dans son château de Prague pour échapper aux 
soucis du pouvoir, qu'il détestait sans avoir la volonté d'y 
renoncer, avait appelé des artistes auxquels il donnait des 
travaux importants. Cest ainsi qu'il fit venir de Milan 
Girolamo et Gaspardo Miseroni, qui dirigèrent à Prague 


‘ Le travail de KuxckEL a été traduit en français et publié par M. D... 
(»'Hocsacu) sous le titre de Art de la verrerie, de Nert, MERRET et KUNCKEL. 
— In-4°, Paris, 1752. 


? CARL FRIEDRICH, p. 171. 


MANVERRERMENDUNXVEAU XIX SIÈCLE 272 


une taillerie de cristal et de pierres qu'il avait fondée. 
Cest probablement à leur école qu'un Allemand, Gaspard 
Lehmann, apprit la taille du cristal, qu'il abandonna bientôt 
pour l’appliquer à celle du verre au moyen d’un tour ou 
d’une roue de son invention, qu'il manœuvrait avec le pied. 
Les ouvrages qu’il exécuta avec son compagnon, Zacharie 
Belzer, de 1590 à 1622, époque de sa mort, étaient, au 
rapport des contemporains, de véritables merveilles. 

Son élève, Georges Schwanhart, de Nuremberg, lui suc- 
céda ; mais les guerres qui désolèrent la Bohême à cette 
époque le forcèrent bientôt à retourner dans sa ville natale, 
où il établit un atelier qui prit rapidement une grande im- 
portance, et d’où sortirent ces verres décorés de paysages, 
de figures, de fleurs, d’emblèmes et d’armoiries, qui n’ont 
jamais pu être égalés depuis, si ce n’est par son fils Henri. 

Les princes et les évêques d'Allemagne se disputaient les 
œuvres de Schwanhart, et l’empereur Ferdinand IL le fit 
prier, en 1652, de revenir à Prague pour y donner des 
modèles aux nombreux ateliers de gravure sur verre qui 
s'y étaient établis depuis le commencement de son règne ; 
lui-même voulut apprendre de Schwanhart Part de graver 
le verre au moyen du diamant, et en reçut des lecons pen- 
dant un séjour qu'il fit à Ratisbonne, en 1653. 

Schwanhart mourut en 1667, laissant trois filles, Sophie, 
Suzanne et Marie, qui gravèrent surtout des fleurs, des 
ornements et des inscriptions qu’on leur commandait sur 
des verres destinés à être donnés en présent, et deux fils, 
Henri et Georges. Ce dernier, d’une mauvaise santé, mourut 
en 1676 sans avoir pu donner la mesure exacte de son 
talent; quant à Henri, il marcha sur les traces de son 
père, et se distingua principalement dans la gravure des 
verres portant, au milieu de paraphes et d’enroulements, 


des inscriptions latines qui sont des merveilles d'exécution 
18 


274 LA VERRERIE 


calligraphique ; on connait également de lui des verres 
représentant des paysages et des vues panoramiques des 
villes d'Allemagne, entre autres de Nuremberg. Suivant 
Doppelmavyr', Henri Schwanhart serait l'inventeur de la 
gravure sur verre au moyen de l'acide fluorhydrique; ayant 
laissé un jour tomber une goutte de cet acide sur le verre 
de ses lunettes, 11 remarqua que le verre était devenu mat 
à cet endroit, et il songea aussitôt à tirer parti de ce nou- 
veau mode de décoration que le hasard lui avait ainsi 
appris. Nous ne croyons pas cependant qu'il existe dans les 
collections des verres gravés à l'acide qui remontent à cette 
époque, bien que M. Friedrich * dise qu'il grava de cette 
façon des portraits d'hommes, des animaux et des fleurs. 
Henri Schwanhart mourut le 2 octobre 1693. 

Nous citerons également parmi les graveurs sur verre de 
Nuremberg, vivant à da fin du xvire siècle, Stephan Schmidt 
et son élève Hermann Schwinger, dont le British Museum 
possède un verre représentant Cérès et Bacchus, personni- 


fiant l'Eté et l’'Automne, avec l'inscription suivante : 
Le doux vin procure de la vigueur, de la joie et du plaisir. 


Ce beau verre porte la signature d’Hermann Schwinger, 
suivie de la mention {ailleur en cristal, à Nuremberg 
(Hermann Schwinger, cristallschneider zu Nürnberg). 

Des ateliers de gravure sur verre furent également fondés 
à Vienne à la fin du xvue siècle, et plus tard, vers 1710, 
à Berlin; on cite comme un des plus remarquables artistes 


ayant travaillé dans cette dernière ville Antoine Spiller, 


! d.-B. Doprezuayr, Historiche Nachricht von der Nürnbergischen mathe- 
maticer und Künstlern, p. 249. — Nürnberg, 1730. 
*10p: C1 Ip PA 


LA VERRERIE DU XV AU XIX° SIÈCLE 275 


originaire de Prague, qui gravait avec une grande perfec- 
tion des paysages, des batailles et des scènes historiques. 

À côté des graveurs dont nous avons cité les noms, et 
qui étaient de véritables artistes, il y en eut beaucoup 
d’autres, en Bohême surtout, qui pratiquaient la taille du 





Fig. 52. — Verre de Venise gravé en Allemagne. 
(Coll. de M. Ch. Manheïm.) 


verre au point de vue plutôt industriel, et dont les verres, 
destinés au commerce, se vendaient relativement assez bon 
marché ; la nouveauté de ce genre de verres les fit recher- 
cher partout, et la fabrication prit alors une importance 
assez considérable. La Bohême, qui dans le principe faisait 
venir de Murano des verres qu’elle décorait de gravures qui 
s’accordaient peu généralement avec leurs formes légères et 
élancées (fig. 52), vit bientôt s'élever sur son sol de nom- 
breuses verreries, qui prospérèrent d'autant plus facilement 
qu’elles trouvaient en abondance dans les immenses forêts 


276 LA VERRERIE 


du pays le bois dont elles avaient besoin. Les formes se 
modifièrent; elles furent, pour ainsi dire, plus solides et 
mieux en rapport avec l’ornementation que le verre devait 
recevoir; la matière elle-même, le verre proprement dit, 
fut plus pur et plus blanc. 

Les verres de Bohême devinrent alors tellement à la 
mode, qu'ils portèrent promptement un coup funeste à 
l'antique réputation de Venise. Les verreries de Murano 
furent bientôt ruinées et disparurent peu à peu, et le Sénat, 
qui avait d'abord traité avec dédain la nouvelle fabrication, 
et qui avait défendu de faire des verres façon Bohême, fut 
bien obligé, en 1736, d'accorder à Giuseppe Briati Pautori- 
sation d'établir à Venise une verrerie dans laquelle il mit 
en pratique les procédés qu'il avait appris pendant son 
séjour comme ouvrier dans les verreries de Prague (voir 
page 111). 

Mais la Bohême elle-même devait avoir bientôt à lutter 
contre une concurrence sérieuse. La découverte du cristal 
anglais, du flint-glass, modifiait singulièrement le mode 
de décoration du verre; la nouvelle matière, en effet, 
était supérieure à ce que l’on appelait alors le cristal de 
Bohême, et, sous un certain rapport même, au cristal de 
roche, en ce sens que, taillé en forme de prisme, il avait, 
comme le diamant, la propriété de décomposer la lu- 
mière, propriété que ne possédaient ni le cristal de roche 
ni le verre de Bohême. Il en résulta que les fabricants 
anglais, afin de mieux faire valoir cette qualité particulière 
à leur cristal, le taillèrent de façon à obtenir des facettes 
saillantes qui, le soir surtout, paraissaient être autant de 
diamants qui jetaient des feux brillants contre lesquels ne 
pouvait lutter la transparence incolore des verres de Bohème. 
À cette époque surtout où les lustres en cristal taillé étaient 


partout à la mode, le nouveau verre anglais appliqué à ces 


LA VERRERIE DU XVMAU XIX°: SIÈCLE 2177 


lustres devait avoir et eut, en eïlet, une si grande vogue, 
qu'il remplaça partout, malgré son prix cependant assez 
élevé, le véritable cristal !. 

La Bohême dut, elle aussi, tailler son verre à facettes, 
mais ce fut au détriment de l'élégance des formes, qui 
forcément devinrent plus lourdes et plus massives; le décor 
gravé disparut bientôt aussi; mais comme la taille du verre 
était en réalité beaucoup plus facile à pratiquer que la 
gravure, toutes les fabriques, surtout dans les Flandres, 
dans les Pays-Bas et plus tard en France, se mirent à tailler 
leurs verres, et la Bohême perdit bientôt ainsi une des 
branches les plus lucratives de son commerce d'exportation. 


Verres doublés et dorés; verres à silhouettes. — II nous 
reste à parler d’un genre de fabrication et de décoration 
qui, au siècle dernier, paraît avoir été plus particulièrement 
employé en Bohême, et qui dénote une habileté peu com- 
mune: celui des verres doublés et dorés. (était, en réalité, 
une application nouvelle du procédé que nous avons si- 
gnalé (p. 53) à propos des verres chrétiens trouvés dans les 
catacombes, et c’est, sans aucun doute, à la découverte de 
ces verres, dont les archéologues s'étaient beaucoup occupé 
dans le commencement du xvie siècle, que l’on doit la 
fabrication de ces verres en Bohême. 

Ici, comme dans les verres chrétiens, la dorure est en- 


fermée entre deux couches de verre, et bien souvent la 


1 « Ils ont fait passer de mode la magnificence du cristal de roche avec du 
cristal de composition. On a vu à Londres, il y a vingt-cinq ans, un lustre de 
cristal, commandé par le prince de Caramanie, qui fut payé 38,000 francs. On 
avoit à moins un beau lustre de cristal de roche, et, du moins, un tel lustre 
ne se ternissoit point; on pouvoit le laisser en héritage. » (Mme pe GENuIS, 
Dictionnaire des étiqueltes de cour, t. Ier, p. 359.) 

? Quelques verres portent des inscriptions flamandes qui laisseraient sup- 
poser que ce genre de décoration a été pratiqué également en Hollande. 


278 LA VERRERIE 


couche externe, celle qui forme, pour ainsi dire, l’enve- 
loppe, est taillée à facettes, ou plutôt à pans coupés ; l'or 
prend alors sous cette enveloppe, qui arrête et augmente 
l'intensité de la lumière, un éclat et une vigueur extraordi- 
naires. 

Ce mode de décoration a dû être pratiqué dans plusieurs 

verreries pendant une grande partie du siècle dernier: il y 
a, en effet, une différence assez sensible dans la façon dont 
certains décors ont été exécutés: les uns sont de véritables 
œuvres d'art, d’une délicatesse et d'une pureté remar- 
quables; d’autres, au contraire, sont d’une conception banale 
et d’un dessin plus que médiocre; dans quelques-uns, l'or 
et l'argent sont associés ensemble, et produisent un excel- 
lent effet; dans presque tous le fond lui-même est décoré 
de sujets, d'attributs, d’'armoiries ou de fleurs, dont l'or se 
détache sur un fond coloré en rouge. 
Les sujets représentés sont généralement des scènes fami- 
lières, des chasses, des batailles, des vues de villes ou de 
monuments, etc.; deux des plus beaux et des plus curieux 
parmi ces verres font partie de la collection Gasnault, 
aujourd’hui au musée de Limoges, et représentent les por- 
traits, découpés en silhouettes noires‘ sur fond d'argent, 
de François-Joseph (fig. 53) et de Marie-Thérèse: l’entou- 
rage est en or sur fond noir. 

Ce genre de fabrication, qui avait cessé à la fin du siècle 


‘ Les silhouettes ou découpures, ainsi que l’on disait alors, étaient telle- 
ment à la mode vers 1785, qu’on les retrouvait imitées partout, sur les por- 
celaines aussi bien que sur les verres; partout on ne voyait que tableaux et 
portraits en silhouette. Certains artistes avaient acquis en ce genre une répu- 
tation européenne, et l’un d'entre eux, le fameux Huber, de Genève, était 
arrivé à acquérir une habileté tellement grande, qu'il faisait le portrait de 
Voltaire, son protecteur, en déchirant une carte avec ses dents ou en la dé- 
coupant derrière son dos, avec ses doigts seulement et sans le secours d'aucun 
instrument. 


LA VERRERIE DU XV®AU XIX° SIÈCLE 279 


dernier, a été repris il y a une trentaine d'années, mais 
sans conserver rien d’artistique; on se borne à faire aujour- 
d’'hui des verres à double enveloppe, avec argenture inté- 
rieure, ornés d’'émaux ou de décors mats; mais comme ils 
sont fabriqués avec du verre jaune, ils prennent la couleur 


TRE 



































































































































































































































Fig. 53. — Verre doublé et doré, 
représentant en silhouette le profil de François -Joseph. 


(Coll. P. Gasnault, au musee de Limoges.) 


et l’éclat de l'or. Ces verres, qui se vendent à un prix assez 
peu élevé, sont fabriqués surtout pour l'Amérique et l'Aus- 
tralie. 

C’est également avec les verres à double enveloppe que 
l’on fabriquait, au xvirre siècle, — et que l’on fabrique encore 
aujourd’hui, — les verres à attrape, en ménageant entre 
les deux parois un espace vide que l’on remplit, au moven 
d’un petit trou percé à la base, d’un liquide coloré qui laisse 
croire que le verre est plein jusqu'aux bords. 


280 LA VERRERIE 


SLT 


PAYS-BAS — HOLLANDE — BELGIQUE 


Ainsi que cela eut lieu en France et en Allemagne, lin- 
dustrie du verre dans les Pays-Bas, et surtout dans les 
Flandres, procède directement de limitation des verreries 
de Venise; mais alors qu'en France la fabrication importée 
par les Italiens était à peu près complètement oubliée ou 
tout au moins abandonnée quelques années après son intro- 
duction, et qu’en Allemagne elle se transformait assez rapi- 
dement pour produire bientôt après des œuvres d’un caractère 
particulier et d’un art moins élevé et moins délicat, bien 
que d’une technique à peu près semblable, dans les Flandres 
elle resta assez en honneur pour v être pratiquée avec succès 
pendant près de deux siècles et y atteindre, dans certains 
cas, à une perfection relative que n'auraient pas désavouée 
les Muranistes de la Renaissance. 

De tout temps, du reste, les verreries de Venise avaient 
été fort recherchées dans les Pays-Bas, et nous avons vu 
(p. 70) que, dès le xive siècle, les galères de la sérénissime 
république apportaient dans les Flandres, et particuliè- 
rement à Bruges et à Anvers, des quantités assez considé- 
rables de verres et d’autres marchandises. 


} 


Quelques auteurs * ont même avancé qu'à cette époque 


1 Dans le préambule de la charte de Charles le Téméraire, datée du 13 mars 
1468, où les privilèges accordés aux Vénitiens sont longuement définis, on lit : 
« Les ditz marchans et bonnes gens de Venize ont de très long et enchien temps 
hanté, fréquenté et conversé marchandement nostre païs et conté de Flandres. » 
-- Giziopts, Inventaire des chartes de la ville de Bruges, t. V, p. 599. 

2? Entres autres Houpoy dans son travail sur les Verres à la façon de 
Venise, in-8°, 1873. 


LAVER RERIENDUE AU" XIX SIÈCLE 281 


les Flandres possédaient des verreries dont les produits 
auraient été assez estimés pour compter parmi les pièces 
que les souverains plaçaient au nombre de leurs joyaux, 
et, se fondant sur la mention suivante trouvée dans un 
Inventaire‘ du roi de France, Charles V (1380) : « Ung 
sobelet de voirre blant de Flandres garny d'argent, » ont 
affirmé l’existence de fabriques locales; nous ne partageons 
pas cet avis. En effet, la plupart des verres portés sur les 
Inventaires de cette époque, et notamment sur celui de 
Charles V, étaient, cela ne fait aucun doute, de provenance 
orientale, et le rédacteur a bien soin, du reste, d'ajouter à 
sa description « à la façon de Damas, » ou « de l'ouvrage 
de Damas » (voir p. 59); il ne mentionne jamais les verres 
de Venise, presque inconnus en France à cette date. On 
peut donc admettre qu'ayant trouvé parmi les objets pré- 
cieux que Charles V tenait de son frère Philippe le Hardi, 
duc de Bourgogne et gendre de Louis de Mâle, comte de 
Flandres, un verre monté en argent et ne ressemblant pas 
aux verres « à la façon de Damas » qu'il avait inventoriés 
jusqu'alors, il lait d'autant plus facilement noté comme 
verre de Flandres, que ces objets étaient presque tous 
d’origine flamande, alors que, en réalité, ce devait être un 
verre ce fabrication vénitienne *. 

Qu'il y ait eu cependant des verreries dans les Flandres 
antérieurement au xvie siècle, cela est incontestable; mais 
nous croyons que leurs produits étaient, comme ceux 
de toute la verrerie de cette époque, excepté celle de 


! Publié par M. DELABORDE dans son ouvrage intitulé les Ducs de Bour- 
gogne , 2 vol. in-80°. 

2 L'ordonnance de Philippe le Bon, du 5 novembre 1441, cite, parmi les 
marchandises qui arrivaient par eau, « la vaisselle de terre et vaisselle de 
voirre et semblables nouvellitez que les galées et caraques ameinent. » — 
GrzLiopts , loc. cùl., p. 245. 


282 LA VERRERIE 


Venise, d’une fabrication commune et grossière, On ne 
s’expliquerait pas autrement l'intérêt que les souverains 
auraient eu à favoriser lintroduction de cette industrie à 
Anvers, à Bruxelles et à Liège, les privilèges parfois exor- 
bitants qu'ils accordèrent aux verriers vénitiens qui osaient 
braver les sévérités du conseil des Dix pour venir s'établir 
dans les Flandres et les subsides que leur donnaient 
les cités. 

D’après les documents publiés par MM. Schuermans et 
Pinchart dans les articles qu'ils ont consacrés aux verreries 
flamandes !, c’est en 1541 qu'apparaît pour la première fois 
à Anvers un verrier italien, Jean-Michaël Cornachini, qui 
arrivait d'Allemagne, où 1l avait séjourné pendant quelque 
temps; il obtint facilement de Charles-Quint un privilège 
pour la fabrication des miroirs en verre cristallin, et la ville 
lui accorda, outre un subside annuel, un emplacement à 
l'effet d'exercer plus facilement son industrie. Mais la ville 
ayant soulevé des difficultés au sujet du payement de ce 
subside, Cornachini dut s'adresser de nouveau à Charles- 
Quint, qui l’autorisa à assigner « le magistrat d'Anvers 
devant le conseil du Brabant en cas d'opposition ». On ne 
sait quelle suite fut donnée à cette affaire, mais 1l ne parait 
pas que l'établissement de cet Italien ait jamais sérieusement 
fonctionné, sans cela la ville n’eût certainement pas refusé 
de tenir ses engagements. Anvers, en effet, était à cette 
époque une des plus riches cités de l’Europe, et sa splen- 
deur dépassait celle de Venise elle-même, si nous en croyons 
les témoignages irrécusables de deux ambassadeurs que la 
république avait envoyés auprès de FEmpereur, Marino 
Cavalli d’abord, qui, en 1551, ne cache pas l'impression 
pénible qu'il ressent en voyant la supériorité d'Anvers sur 


! Dans le Bulletin des commissions royales d'art el d'archéologie. in-8°; 
Bruxelles, 1881 à 1884 [(passim). 


L'AVERRERIE DU XW° AU XIX° SIÈCLE 283 


Venise!, et, six ans plus tard, F. Badoero (ou Badoaro), qui 
écrit au conseil que « Venise est la plus grande place 
commerciale du monde ? ». 

Un second octroi relatif à l'établissement d’une verrerie 
à la façon de Venise fut accordé, le 17 septembre 1549, à 
Jean de Lame, « marchand natif de Crémone » qui demeu- 
rait à Anvers, l’autorisant à exercer « où mieulx il trouvera 
sa commodité, l’art et science de faire verres de crystal à la 
mode et façon que l’on les labeure en la cyté de Venise, 
sans que durant iceluy temps (huit ans) nulz aultres ouvriers 
que lui, ou ses commis, puissent faire iceulx voires de 
cristal, ny les contrefaire, ou faire vendre, sous peine d’une 
amende de 6 florins carolus d’or pour chascun voire qu'ils 
auroient fait ». 

Ce Jean de Lame était évidemment un simple marchand 
qui voulait se réserver le monopole, dans les Pays-Bas, de 
la vente des verres qu'il aurait fait venir de Venise, où qui 
espérait pouvoir fonder une fabrique avec l’aide de verriers 
qu'il aurait appelés d'Italie; ce qui est certain, c’est qu'il ne 
remplit pas les engagements qu'il avait pris, et qu’en 1551 
la reine Marie de Hongrie, sœur de Charles- Quint, gouver- 
nante des Pays-Bas, lui écrivait une lettre dans laquelle 
elle se plaint que « jusques ores l’on n’a fait devoir mectre 
ledit privilége en exécucion », ajoutant à la fin : « À ceste 
cause ferez bien de nous faire entendre à la vérité à quoi il 
a tenu ou tient que ledit devoir n’a encoires esté fait, sans 
en vouloir faire faulte®. » 


‘ «.…. Che in vero mi son stupito di maraviglia in veder cid, pensando cer- 


tissimo che superi assai questa città.… » {ALBERI, Relazioni degli ambasciatori 
veneti al senato.) 

? « .… Anversa e stimata communemente la maggior piazza del mundo... » 
{lbid.) 


* Document tiré de la Collection des papiers d’État, aux Archives du 
royaume, et publié par M. PINCHART. 


284 LA VERRERIE 


En présence de cette sorte de mise en demeure, Jean 
de Lame céda ses droits à un véritable verrier qui, le 
18 mars 1556, obtint de Philippe IT une prolongation de 
privilège par lettres patentes dont voici le préambule : 
« PHiLiPpe, par la grâce de Dieu, roy de Castille, etc., de la 
part de Jacomo di Francisco, vénecien, maistre de fournaise 
à faire voires de cristal en notre ville d'Anvers, nous a esté 
remonstré comme au mois de septembre xve quarante neuf, 
Jehan de Lame, de Cremona, auroit obtenu octroy et pré- 
vilège de pouvoir faire ouvrer voires de crystal à la fachon 
de Venise pour le tems de huict ans; et pour ce que ledit 
Jehan de Lame luy en à transporté son action, et que depuis 
il y à exposé grandz fraictz et despens, et lui conviendra 
encoires faire pour le tems que ledit octroy a encoires à 
durer, il désireroit bien avoir continuation dudit octrov, etc. » 

Jacomo di Francisco ne conserva pas longtemps la pro- 
priété de la verrerie qu'il avait créée, et, au mois de 
mai 1558, « n'ayant plus moyen de fournir aux frais et des- 
pens à l'entretien de ses fournaix, » il dut, à son tour, céder 
son privilège à Jacomo Pasquetti de Brescia, qu'il s'était 
adjoint, et qui dirigeait la fabrication depuis quelques 
années. 

Avec Pasquetti, la fabrication entra dans une voie de 
prospérité qu'attestent les lettres patentes qui lui furent oc- 
troyées à diverses reprises, notamment le 22 novembre 1568, 
pour le maintenir dans les privilèges qui avaient été accordés 
à son prédécesseur, et celles par lesquelles, en réponse à 
une réclamation qu'il avait adressée au sujet de ventes clan- 
destines de verreries venant de Venise ou de fabriques 
étrangères, on lui réserve le droit exclusif de vente dans 
les pays appartenant au roi d'Espagne. Le préambule de 


>) 


! PincHarT, Bull. des com. roy., 21° année, p. 374. 


LAMVERRERTE DU AN AU XIX° SIÈCLE 285 


ces dernières lettres, tout à l'éloge de Pasquetti, est ainsi 
conçu : « Receu avons l’humble supplication de Jacomo 
Pasquetti, maistre des fourneaulx à faire voires de christal 
en nostre ville d'Anvers, contenant comme suivant certain 
octroy qu'il a obtenu de nous pour seul pouvoir librement 
exercer son art et stil de faire lesdictes voires en noz pays 
de par-deca, il en ait faict tout debvoir et n’ait jamais cessé 
de l’amplifier de sciences et nouvelles inventions, rendant 
en tout paine de satisfaire aux inhabitants de nos pays et 
fournir iceulx de toutes sortes de voires et aultres choses 
que auparavant l’on estoit constraint d’achapter bien chiè- 
rement d’estrangiers, lesquelz en emportoient le fruict et 
argent de nos ditz pays, ce que au contraire demeure pré- 
sentement en iceulx au prouffict publicq. » 

La perfection des verres fabriqués par Pasquetti est, en 
outre, attestée par plusieurs auteurs de l’époque, et parti- 
culèrement par le savant historien florentin Guicciardini, 
qui, dans sa description d'Anvers, cite « admirable Four- 
naise où sont faits les voirres crystallins de toute sorte, à 
limitation de Venize, et icelle fondée à grands frais par 
lacques Pasquet, Bressant, ornée de fort beaux et grands 
priviléges, tant par le Roy octrovéz que par les seigneurs 
de la ville ‘ ». 

Pasquetti céda, en 1580, sa verrerie et les privilèges qu'il 
avait obtenus à Ambroise Mongarda, à la condition par 
ce dernier de payer annuellement une certaine somme 


d'argent à son neveu, Reenaldo Pasquetti. 
? © 


! Description de tous les Païs- Bas, autrement appellés la Germanie infc- 
rieure, par messire Louis GuiccrArniN, gentilhomme florentin ; Anvers, 1582. 
— Voici le texte de l'édition originale : « Admirabilem 1llam fornacem in que, 
Venetorum exemplo, conficiuntur omnis generis vasa erystallina, structam 
magnis impensis, ab Jacobo Pasquetto, Brixiensi..…., ete. » C’est par erreur 
que l’auteur de l'édition française a traduit Brixiensi par Pressan; c’est de 
Brescia ou Brescianais qu'il aurait dû mettre. 


286 LA VERRERIE 


Malgré les procès qu'il eut à soutenir avec ce neveu de 
son prédécesseur, et surtout malgré les troubles qui déso- 
lèrent les Pays-Bas à cette époque et qui se terminèrent 
par la prise d'Anvers (17 août 1585), Mongarda parvint à 
donner une plus grande extension à sa fabrication et obtint, 
le 49 décembre 1586, une nouvelle concession pour douze 
ans du privilège que lui avait légué Pasquetti'. Il mourut 
en 1596, âgé de cinquante-six ans, laissant une veuve et dix 
enfants, et fut enterré dans l’église Notre-Dame d'Anvers. 
Sur son épitaphe, qui a été reproduite par Le Roy, dans 
le Grand Théâtre sacré du Brabant?, il était qualifié 
de « Italus cisalpinus, vitrariæ artis christallorum apud 
Antverpianos magister ». 

Sa veuve, après avoir obtenu, le 3 novembre 1597, le 
renouvellement pour sept ans de l’octroi de 1586, se remaria 
avec Philippe Gridolphi, homme fort entendu aux affaires, 
et qui, à force d'adresse et d'habileté, se fit donner, à lui et 
à son associé Bruyninck, des privilèges qui non seulement 
leur conservèrent le monopole de la fabrication des verres 
de cristal à la façon de Venise, mais qui même mirent 
entre leurs mains tout le commerce de la verrerie dans les 
Flandres. Dans une requête qu'ils adressèrent à la fin de 
l’année 1606, ils se plaignent adroitement que « malgré les 
privilèges et prohibitions, certains marchands, au lieu de 
faire venir leurs verres de Venise, les tirent, à leur plus 
orande commodité et profit, des places les plus voisines où 
lon practique de contrefaire lesdicts verres de Venise, si 
poncluellement qu'à grande peine les maîlres eux-mêmes 
sauraient juger de la différence.., » et pour « obvier à cette 
fraude et tromperie » ils sollicitent pour eux-mêmes le 
monopole exclusif de la vente des véritables verres de 


1 PINcHART , 0p. cil., 22° année, p. 384. 
? Tome IT, p. 198. 


LA VERRERIE DU XV AU XIX° SIÈCLE 287 


Venise, s’engageant « à fournir, tant en verres véritables 
qu’en verres imités par eux, telle quantité qui sera néces- 
saire pour fournir à tous les besoins ». Ils ajoutent que ce 
ne sera pas un monopole nuisible, « ces objets de luxe 
n'étant pas nécessaires à la sustentation du peuple, » Par 
lettres datées du 26 janvier 1607, on fit droit à cette demande 
exorbitante, et on leur accorda en outre le droit de visite 
sur toutes les reffes et casses de voires ordinaires introduits 
dans le pays, afin de rechercher si elles ne contenaient pas 
de verres dont la vente fut interdite. Nous avons raconté 
plus haut (p. 126) la façon rigoureuse dont ils firent traiter 
deux pauvres marchands qui avaient traversé Lille, se ren- 
dant à Calais, où ils devaient s’embarquer pour passer 
de là en Angleterre. 

Tous ces privilèges furent renouvelés, à diverses re- 
prises, au profit de Gridolphi et des enfants d’Ambroise 
Mongarda, qui tous avaient atteint leur majorité, et qui, 
d’après le préambule des dernières lettres patentes qui 
leur furent octroyées, « avoient vendu leurs biens et les 
deniers capitaux mis et réduict en masse commune pour 
les employer à lentretènement de la fournaise et de la 
maison à ceste fin acheptée, et que d’icelle fournaise dépen- 
dent tous leurs moyens de vivre. » 

En 1623, la verrerie d'Anvers passa entre les mains 
d’un autre Italien, époux d’une des filles de Mongarda, Fer- 
rante Moroni, qui en conserva la direction jusqu’en 1629, 
époque à laquelle elle devint la propriété d’un capita- 
liste nommé van Lemens, intéressé également pour une 
part importante dans la verrerie de Bruxelles; elle cessa 
d'être en activité vers 1642, après une existence qui 
avait duré près d’un siècle et qui n'avait pas été sans 
éclat. 

La verrerie d'Anvers fondée pour importer dans les 


288 LA VERRERIE 


Flandres l’industrie du verre à la facon de Venise, et dirigée 
exclusivement par des Italiens, qui n’emplovaient également 
que des Italiens comme ouvriers’, parait avoir produit 
tous les genres de verres fabriqués à Murano, depuis les 
verres décorés de peintures en émaux de couleur et rehaus- 
sés d’or, jusqu'aux verres filigranés et aux simples verres 
blancs, aux formes élégantes, imitées de celles de Venise 
(fig. 54). Cest ce que constate avec emphase le jésuite 
Scribani, dans un latin qui à le tort d'avoir été copié 
presque mot à mot sur le texte de Pline, que nous avons 
rapporté à la page 25: « Continuis fornacibus materiam 
liquantibus, cum alia flatu figuratur, alla tamquam torno 
teritur, alia argenti modo cælatur, alla denique auro opu- 
lentatur, tingiturque colore quocumque.... invenit hic inge- 
niosa solertia in arena, in herba, in vario pulvere quod 
ignibus provocaret in aliam aliamque faciem, etc?» L’hono- 
rable historien trouvant dans Pline des phrases toutes faites 
sur la fabrication du verre, les a reproduites sans se rendre 
un compte bien exact des différents procédés employés de 
son temps à Venise ou à Anvers, et, malgré cela cependant, 
ce texte, dans son exagération évidente, prouve combien 
était grande la réputation des verres anversois à cette 
époque; nous en avons, du reste, d’autres preuves non 
seulement dans le passage .de Guicciardin que nous avons 
cité, et qui remonte à une date un peu antérieure, mais 
aussi dans la relation d’un voyage fait, en 1613, par un 
jeune duc de Saxe: « À Anvers, on montra également à son 
Altesse lendroit où l’on fabrique des verres à la manière 


vénitienne ; ils égalent presque en beauté ceux de Murano 


! Dans la plupart des suppliques qu'ils adressent à l'effet d'obtenir des privi- 
lèges, les verriers dont nous avons cité les noms allèguent qu'ils font venir 
tous leurs ouvriers d'Italie « à grands frais et despens ». 

? Origines Antverpienses (1610), p. 122. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 289 


et de Venise: ce sont des Italiens qui s’occupent de cette 
fabrication ‘. » 

Il y eut également à Bruxelles, mais seulement à dater 
de la première moitié du xvue siècle, une verrerie assez 
importante dont nous retracerons brièvement l’histoire en 





Fig. 54. — Verre flamand « à la façon de Venise ». 


(Coll. de M. L. Berthet.) 


suivant quelques-uns des documents publiés dans lintéres- 
sant travail? de M. Houdoy, de Lille, dont les archéologues 
déplorent la perte récente. 

C'est en 1623 que fut fondée, par un gentilhomme véni- 
tien, Antoine Miotti (ou Miotto), appartenant sans doute à 
la famille du même nom dont nous avons parlé plus haut 
(p. 70), la première verrerie établie à Bruxelles. Dans la 
requête qu'il adressait à ce sujet à Philippe IV, Miotti 


1 J.-W. Neumayr von Rammsra, Des Durchlauchtigen..., etc., Reise im 
Frankreich, Engelland und Niederland. — Leipzig, 1620. 
? Verreries à la facon de Venise, in-80, 1873. 
19 


290 LA VERRERIE 


faisait valoir que « plus de quatre-vingt mille florins sor- 
taient annuellement des Pays-Bas pour solder lachat des 
verreries de luxe, que l’on faisait venir de Venise », et que 
Bruxelles, où résidaient larchiduc Albert et linfante Isa- 
belle, son épouse, fille de Philippe IF, devait être, « ainsi 
que presque toutes les autres capitales de l'Europe, décorée 
d’une semblable manufacture. » Il ajoutait que, possédant 
«les qualités, expérience et invention convenables, il fabri- 
querait des vases, des couppes, des lasses de fin cristal de 
toutes les couleurs, et des verres pour boire vins el biéres, 
avec la même qualité et perfection, et avec les mêmes 
matières que l’on faisait à Venise », ajoutant qu'il vendrait 
ses produits « un tiers moings » que le prix auquel reve- 
naient les verres que l’on allait chercher à Venise « à grands 
risques, frais et despenses ». Le privilège qu'il demandait 
ainsi lui fut accordé, tout en respectant cependant les 
droits qui avaient été concédés antérieurement à Gridolphi, 
d'Anvers, et dont jouissaient ses successeurs. 

Mais Miotti, « plus riche de talent et d'industrie que de 
capitaux, » dut bientôt faire appel à un bailleur de fonds, 
et c’est alors qu'apparait, dans la fabrication bruxelloise, ce 
van Lemens, que nous avons vu déjà intéressé dans la ver- 
rerie d'Anvers, et qui bientôt reste seul propriétaire de la 
manufacture, qu'il demande à faire mettre en son nom, en 
y ajoutant la fabrication « des autres voires (ou velro en 
italien) ». Ce nouveau privilège lui fut accordé pour quinze 
années, moyennant une redevance annuelle de douze cents 
florins qu'il devait payer à l’État. Le gouvernement, en 
outre, fixait le prix de vente à vingt-cinq florins le cent 
pour les verres de cristal, et à quinze pour ceux de cris- 
tallin'. Van Lemens cependant ne fabriqua jamais que de 


‘ Nous avons déjà expliqué ce que l’on entendait à cette époque par verres de 
cristal et de cristallin. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 291 


la gobeleterie ordinaire, et ce qui le prouve, c’est que trois 
ans plus tard il renonçait, moyennant la réduction de sa 
redevance à quatre cents florins, à la prohibition des verres 
de luxe étrangers qui avait été édictée en sa faveur. 

Il fit travailler dans ces conditions jusqu’en 1642, époque 
à laquelle son privilège lui fut retiré au profit de Jean 
Savonetti, « gentilhomme de Murano, de Venise, » qui 
selon toute probabilité dirigeait déjà la fabrication depuis 
longtemps, et qui, pour appuyer sa demande, vante lon- 
guement ses connaissances spéciales, rappelle que, « gen- 
tilhomme vénitien, il se trouve banni de sa patrie avec 
confiscation de tous ses biens pour avoir introduit cette 
fabrication dans les Pays-Bas, » et, à la fin, offre de verser 
annuellement dans les caisses de l’État deux mille quatre 
cents florins. On éleva cette redevance à trois mille flo- 
rins, mais On réédita en sa faveur la « prohibition de tous 
voirres contrefaicts à limitation de Venise et des cristal- 
lins venant d'Allemagne, France, Bohême, Lorraine, pays 
de Liège et tous aultres ». Il s’ensuivit qu’il avait seul le droit 
d’approvisionner le pays, et que « les marchands n'avaient 
licence de vendre des verres qu’autant qu’ils pouvaient prou- 
ver qu'ils les avaient achetés dans l’usine de Bruxelles ». 

Savonetti jouit de cette concession jusqu’en 1653, époque 
présumée de sa mort, et le 22 décembre de la même année 
un nouveau privilège fut accordé à Francesco Savonetti, son 
successeur, et peut-être son fils. Il est probable cepen- 
dant qu'il avait pu rembourser à van Lemens les sommes 
que celui-ci avait mises dans l’entreprise, car cinq ans 
plus tard ce dernier cédait à Henry et Léonard Bon- 
homme (ou Bounam), déjà propriétaires d’une verrerie à 
Liège, les droits qu'il avait conservés sur la verrerie de 
Bruxelles. Avec eux commence la série des verriers natio- 
naux, qui continuèrent à exploiter en Belgique l’industrie 


292 LA VERRERIE 


exercée jusqu'alors par les Vénitiens, qui l'avaient fondée ; 
mais, avant d'étudier cette nouvelle phase de la fabrication, 
nous devons dire quelques mots des verreries établies dans 
le pays de Liège aux xvie et xvrre siècles. 

L'industrie du verre dans le pays de Liège doit son ori- 
cine à deux verriers lorrains, Jean et Nicolas Colnet, qui 
vinrent s'établir à Fontaine-l'Évêque, vers le milieu du 
xve siècle, et qui, à la date du 8 mars 1468, obtinrent de 
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, des lettres patentes 
de sauvegarde leur accordant de nombreux privilèges et 
constatant qu'ils étaient « d’anchienneté procréez et des- 
cenduz de noblesse et devaient être tenuz et réputez pour 
sens francqz, ainsi que leur famille et leurs serviteurs, 
sans estre où pouvoir estre contraincts à aulcunes assiettes, 
subventions, impostz, aydes, gabelles, charges ou servaiges 
quelconques ». En outre, le duc de Bourgogne les autori- 
sait à faire placer sur leurs « habitations, terres et héritaiges, 
des bastons et pennonceaux armoyez de ses armes », défen- 
dant qu'ils ne fussent molestés « en aucune manière, en 
corps ni en biens, ensemble leurs femmes, enffans, fami- 
liers, domestiques, maisnyes et serviteurs ! ». 

Leurs descendants obtinrent à plusieurs reprises, des 
successeurs de Charles le Téméraire, la confirmation de 
ces privilèges et fondèrent de nombreuses verreries dans 
le Brabant, le Hainaut, le pays de Laège, etc. 

A côté de ces verreries, qui étaient purement indus- 
trielles et qui semblent n'avoir produit que des verres 
très ordinaires, il y eut à Liège, pendant le xvie siècle, 
une fabrique d’où sont sortis des verres « à la facon de 
Venise » que l’on cherchait à faire vendre dans les pays 


environnants, et dont, en 1571, Pasquetti, d'Anvers, fort 


1 PixcrarT, loc. cil., p. 383. 


LA VERRERIE DU MWV° AU XIX° SIÈCLE 293 


des privilèges qui lui avaient été accordés, fit saisir deux 
srandes tonnes. 

Suivant M. Schuermans !, cette verrerie aurait été fondée, 
en 1569, par un Italien nommé Nicolas Francisci; mais on 
manque de documents positifs sur son histoire et sur la 
durée de son existence; ce qui est certain, C’est que plu- 
sieurs saisies de « verres de Venise liégeois » furent opérées 
après celle de 1571 et que, en 1607, les verriers privilégiés 
d'Anvers adressaient une protestation dans laquelle ils se 
plaignent que « les fabriques établies à Liège ont suborné 
certains ouvriers de la fabrique d'Anvers et vendent leurs 
produits comme produits de Venise ». Quelques années 
plus tard, en 1611, ils constatent avec plaisir que « les 
fournaises de Liège s’en sont allées en fumée », ce qui 
place la disparition de cette verrerie un peu avant cette 
date. Cependant nous retrouvons encore à Liège, en 1626, 
un certain Gérard Heyne, dit des Preitz, et son gendre 
Marius, qui faisaient travailler des Italiens à la fabrication 
« de cristallins, de verres dorés, de contrefaçon de pierres 
précieuses, et enfin d’émaux de toutes sortes de couleurs »:; 
mais, à part cette courte mention, on ne possède aucun 
autre renseignement jusqu'au moment où les Bonhomme 
(depuis barons de Bonhome ou de Bounam) se rendirent 
possesseurs des verreries de Liège, d'Anvers et de Bruxelles 
et en établirent de nouvelles à Bois-le-Duc, Maestricht, 
Huy, Verdun, etc., dans lesquelles ils firent venir à grands 
frais des verriers de Murano ou d’Altare qui fabriquèrent, 
sous leur direction, des verres dont M. van de Casteele * 
a retrouvé la curieuse énumération suivante : « Verres, 
vases, couppes et tasses de fin cristal de Venise à boire 
vins et bierres, à l’imitation de ceux de Venise; verres à 


! Bull. des com. royales, 22e année, p. 148. 
Op ct pur 


294 LA VERRERIE 


quattre bouttons, deux bouttons et haulte olive; verres extra- 
ordinaires, comme à serpent et d'aultres facons; verres à 
buck, à chaisnettes, à demy cotte et avec des branches; 
verres de bierre az ondes, à escharbottes, glacés, couppes 
az ondes, demy fluttes et restillons, masterlettes, beckers 
lisses et glacés, pessens et cinelles, cibors, ourinals, etc. » 

Il est bien difficile de dire aujourd'hui ce qu'étaient ces 
verres, dont les noms en général n’ont plus pour nous 
aucune signification; mais si l’on veut se rendre un compte 
exact de leurs formes élégantes, on n’a qu'à les étudier 
dans les tableaux des peintres flamands et hollandais. « Que 
lon examine, dit Houdoy, au point de vue spécial qui nous 
occupe, toutes les œuvres des peintres des Pays-Bas du 
xvie et du xvue siècle, depuis les tableaux religieux de 
van Orley et de Jean Mostaert' jusqu'aux scènes bachiques 
de J. Steen, sans oublier les peintres de natures mortes, si 
nombreux en Flandre, et l’on sera frappé de la forme gra- 
cieuse ou originale des verreries dont la représentation 
existe dans ces peintures. Ce ne sont pas seulement les 
élégants cavaliers, les belles dames aux robes de satin, 
représentés par Metzu, Terburg ou Téniers, qui se servent 
de buires délicates, de coupes légères; il n’est pas jusqu'aux 
ivrognes endiablés des peintres de cabarets qui ne tiennent 
entre leurs gros doigts de fins calices à la tige fragile. 

« Ceci est un témoignage irrécusable de l'influence que 
l’industrie vénitienne avait exercée sur la fabrication des 
verreries indigènes. L'école des Pays-Bas, école réaliste par 
excellence, qui ne se faisait nullement scrupule de copier la 
trivialité ou la ladeur humaine, ne se serait certainement pas 
donné la peine d'inventer, pour ses accessoires, des types de 
verrerie qu'elle n'aurait pas eus habituellement sous les veux. 


{ Voir au musée de Bruxelles le tableau de ce maître représentant les Miracles 
de saint Benoît. 


EE 





EZLLOIA 


Plaque d'argent décorée d’émaux translucides, 
exécutée par David Attemstetter, d'Augsbourg. — Fin du xvie siècle. 


(Musée national de Munich.) 


Le. 





LA VERRERIE DU" XV@ AU XIX SIÈCLE 295 


« Mais il faut ajouter que si Part vénitien avait enseigné 
aux verriers flamands à donner à leurs verres à boire la 
lécèreté et l’élégance, s’il leur avait appris à les décorer de 
pâtes et d’émaux colorés, ces artisans, sous linfluence de 
besoins spéciaux, modifièrent les formes primitives impor- 
tées de Murano. Aussi, en outre des aiguières délicates, des 
coupes peu profondes, au pied orné de mascarons comme 
des œuvres d’orfèvrerie, en sus des calices étroits, destinés 
aux vins de France et d’Espagne, ils durent modeler les 
cornets géants et les gobelets cylindriques analogues aux 
vidrecomes allemands, dans lesquels on versait à flots toutes 
les bières du pays. 

« Pour établir la série de ces transformations successives 
des formes primitives, il faudrait, dans une suite de dessins, 
relever chez tous les peintres des écoles du Pays-Bas, et en 
suivant l’ordre chronologique d’après la date des tableaux, 
toutes les verreries représentées ; on aurait ainsi l’histoire 
graphique des produits des usines du pays, ce qui permet- 
trait de classer méthodiquement les échantillons encore 
nombreux qui ont survécu; ce serait là une œuvre utile et 
facile à réaliser. » 

Le désir exprimé par lPauteur des lignes qui précèdent 
a été exaucé. À l’occasion de l’exposition qui eut lieu à 
Bruxelles en 1880, le ministre de l’intérieur chargea un 
artiste de talent, M. Jacques van Mansfeld, d’une mission 
en Hollande, en Belgique et dans la Flandre française, 
à l'effet de copier sur les tableaux de l’école flamande et 
hollandaise les modèles de tous les verres qui y sont 
représentés : les intéressants dessins de cet artiste, après 
avoir figuré à l’exposition, sont aujourd’hui au musée de 
la Porte de Hal, à Bruxelles". 


1 La Pinacothèque royale, à Munich, possède (n° 299) un tableau de David 
Teniers, le Jeune, fort intéressant pour l’histoire de la verrerie du xvu® siècle, 


296 LA VERRERIE 


Tous les procédés usités à Murano ont été employés 
dans les Flandres, et surtout à Anvers, au xvie et au 
xvie siècle. Les plus intéressants parmi les verres de 
cette époque sont ceux qui sont décorés de peintures en 
émaux de couleur; mais ici, comme en Allemagne, l’exé- 
cution laisse beaucoup à désirer. Comme en Allemagne 
également, un certain nombre de ces verres portent des in- 
scriptions souvent très incorrectement écrites en flamand ; 
à l'exposition de 1880, on voyait sur un verre appartenant 
à M. de Wael, bourgmestre d'Anvers, et représentant des 
personnages et une enseigne de verrier, cette inscription, 
que l’on retrouve sur quelques grès fabriqués à Raeren à la 
même époque : 


Comme le vin a très bon goût 

Et fait digérer la lourde nourriture, 

Je veux joyeusement devant tout le monde 
Me nourrir de cette marchandise. 


Cornelis de Wale. 1602, juillet 24. 


Sur une canette en verre bleu émaillé, qui figurait à l’ex- 
position de Liège en 1881, on lisait : 


QUE DIEU ME DONNE L'HONNEUR. 1601 


et un gobelet de la même exposition, en verre émaillé 
bleu, rouge et blanc, portant d’un côté une licorne et de 
l’autre un cerf, disait, en lettres enlevées sur fond d'or : 


NON SUM HERETICUS 


et représentant une foire italienne aux environs de Florence. Dans un coin, à 
droite, un marchand a déballé sur une table posée sur des tréteaux une quan- 
tité de verres et de coupes de Venise aux formes élégantes, dessinés et peints 
avec un soin et une délicatesse remarquables. Au fond on aperçoit le dôme 
de l'église Santa-Maria. 


LA VMERRERIE DU XW° AU XIX° SIÈCLE 297 


Cest surtout dans l'emploi des baguettes filigranées que 
les artisans d'Anvers et de Bruxelles ont fait preuve d’une 
habileté véritablement remarquable; leurs verres à tiges 
































Fig. 55. — Grand calice en verre taillé. — Fabrication flamande, xvinre siècle. 


(Coll. Édouard Garnier.) 


ornées à l’intérieur de cannes de diverses couleurs sont de 
formes toujours élégantes, et d’une exécution qui montre 
à quel point ils connaissaient toutes les pratiques de leur 
art. Moins fantaisistes que leurs devanciers de Murano, ils 
n’ont pas su comme eux tordre la matière en formes capri- 
cieuses; mais leurs verres, malgré leur simplicité apparente, 


298 LA VERRERIE 


n'en dénotent pas moins une dextérité de main et un sen- 
timent artistique qui dépassent de beaucoup tout ce qui se 
faisait en Europe à cette époque. Ce sont eux qui, les pre- 
miers, ont su ménager dans l’épaisseur même de la matière 
des cavités recouvertes d’une couche transparente, dans 
lesquelles la lumière se décompose en gerbes étincelantes. 

Plus tard, au xvire siècle, ils ont dû subir la loi générale 
et tailler, eux aussi, leurs verres en facettes régulières; mais 
là encore ils ont su conserver une certaine originalité, et 
leurs produits se reconnaissent à une taille particulière, qui 
n'a rien de la sécheresse et de la régularité un peu froide 
des cristaux anglais, et dans laquelle ils ont évité les pointes 
de diamant, si fort à la mode alors. Cest l'époque des 
orands calices à couvercles (fig. 55), dont les musées et les 
collections possèdent des spécimens aussi remarquables au 
point de vue de la fabrication proprement dite que par la 
pureté de Ia taille et l'éclat du verre. 

Le caractère essentiellement artistique des produits de la 
manufacture de Liège, qui, en 1736, était passée des mains 
de la famille des de Bonhomme dans celles de Denis Nizet, 
avocat", et qui était alors une des plus importantes de la 
Belgique, est constaté par le passage suivant de l’Jfinéraire, 
ou Voyages en diverses parties de l'Europe, de de Feller 
(1761) : « Je vis à Liège, à la verrerie de M. Nizet, sur le 
quai d’'Avroy, tous les procédés de cet art, de beaux ouvrages 
de grands prix et que je mai vus que là. » Cette manufacture 
cessa d'exister au commencement du siècle; depuis long- 
temps, du reste, on n’y fabriquait plus que de la verrerie 
commune, et principalement des bouteilles en verre noir. 

En Hollande, où l'art de la verrerie parait avoir été pra- 

! Sur un vitrail du musée archéologique de Liège on lit cette inscription : 


Monsieur Denis Nizet, avocat et maître de verreries, 1743. (Cf. ScauERMANS, 


op. cil., 22 année, p. 155.) 


LAMVERRERTENDUEM AU XIX SIÈCLE 299 


tiqué dès le xve siècle, c’est l'influence allemande qui se fit 
plus particulièrement sentir; les manufactures établies à la 
Haye, par un verrier de Hambourg, et à Rotterdam, vers la 
fin du xvure siècle, fabriquèrent principalement des verres 
dont la forme rappelle celle des romers, que nous avons dé- 
crits plus haut, ou de grands gobelets cylindriques destinés 
à contenir de la bière, mais qui n’offrent rien de particulier. 

Cependant l’histoire de la verrerie en Hollande est in- 
téressante en ce sens que c’est là principalement que fut 
pratiquée avec le plus de succès, et par les artistes les plus 
habiles, la décoration du verre au moyen de la gravure au 


diamant. 


Gravure au diamant. — Suivant Mathésius, que nous 
avons souvent eu occasion de citer, et qui parait avoir 
étudié avec attention tout ce qui avait rapport à lindus- 
trie du verre à l’époque où il vivait ', la gravure à la 
pointe de diamant aurait été pratiquée d’abord en Silésie 
sur des verres importés de Venise; introduite en Allemagne 
vers le milieu du xvre siècle, elle passa de là en Hollande, 
où elle se transforma entre les mains d’un très habile 
artiste, Franz Greenvood, né à Rotterdam en 1680, qui 
substitua aux tailles parallèles le travail du pointillé, qui 
donne un modelé plus doux et plus délicat. Le musée 
industriel de Nuremberg possède de cet artiste un verre 
admirablement gravé représentant une superbe rose à la 
tige hérissée d’épines autour de laquelle voltige un pa- 
pillon; on y lit l'inscription : « Pas de rose sans épines, » 
avec la mention : « F. GREENWoOOD fecit, 1746. » Les musées 


1 On trouve dans l'ouvrage de Maraésius, publié en 1864, bien des indica- 
tions intéressantes, entre autres l’idée d’une machine à vapeur; un de ses 
Discours contient une dissertation savante sur les urnes funéraires antiques 
trouvées en Bohême. 


300 LA VERRERIE 


et les collections particulières de la Hollande et de lAlle- 
magne sont riches en verres gravés par cet artiste, qui 
excellait aussi bien dans la reproduction des sujets allégo- 
riques et des scènes à personnages, gravés d’après des 
maitres connus, que dans celle des paysages, des armoiries, 
des ornements et des fleurs; beaucoup portent des dates qui 
varient de 1720 à 1746, époque présumée de sa mort. 

Parmi les autres graveurs sur verre dont les noms méri- 
tent d’être conservés nous citerons À. Schuman, chanoine de 
la cathédrale d'Anvers, et Wolf, qui mourut, jeune encore, 
en 1808. La collection John Pinson possède du premier un 
verre représentant un coq, une poule et ses poussins, le 
tout accompagné d’une longue inscription; dans le pied on 
lit : A-F-A. Schuman, canonicus sanctæ Mariæ, scul- 
psit, 1757. On connait du second un grand nombre de 
verres finement gravés à la roue aussi bien qu'au diamant, 
et reproduisant des scènes champêtres, des allégories, des 
portraits et des armoiries. 


Nous manquons de renseignements précis sur la date de 
l'introduction de l’industrie du verre dans les autres pays 
du Nord; cependant, d’après une courte mention que nous 
avons trouvée dans le Journal de Verdun, nous savons qu'en 
Suède elle ne remonterait pas au delà de 1725 à peu près; 
on y lit, en effet, à l’année 1728 : « Le roy de Suède vou- 
lant encourager les manufactures de verre établies depuis 
peu dans ses États, y a défendu l’entrée de toutes sortes de 


verres, à la réserve de ceux qui servent aux fenêtres. » 


Avant de terminer ce chapitre, nous devons dire quelques 
mots de verres qui semblent avoir été plus particulièrement 


LA VERRERIE DU XY° AU XIX° SIÈCLE 301 


en usage dans les Flandres et dans les Pays-Bas, et qui, 
comme certains verres allemands dont nous avons parlé 
plus haut, avaient pour objet d’exciter à boire en même 
temps qu'ils servaient d'amusement à la fin des repas. Ces 
verres, désignés autrefois sous le nom général de bois-tout, 
se composaient, Comme les handtummler allemands (p. 263), 
d'un calice ou gobelet plus où moins grand et sans pied, 
ce qui forçait naturellement le buveur à le vider avant de le 
reposer sur là table. Parmi les bois-tout, le plus amusant 
était le molenbeker (verre à moulin), portant à la place 
du pied un petit moulin en argent dont les ailes étaient 
en communication avec une tige creuse dans laquelle le 
buveur soufflait après avoir bu; les ailes, en tournant, fai- 
saient marcher une aiguille qui inscrivait ainsi, sur un 
cadran placé sur la face opposée, la force de souffle plus 
ou moins grande déployée par le buveur. Quelquefois les 
conventions changeaient, et le buveur, après avoir soufflé de 
toute la force de ses poumons, devait vider la coupe avant 
que les ailes du moulin fussent arrêtées. 

Il était également d'usage de boire à la maternité future 
des jeunes épouses dans les Hansje in de Kelder (Jean dans 
la cave), ou verres dans lesquels un petit personnage venait 
à se montrer quand la coupe était vide, de même que l’on 
portait la santé des jeunes mères dans des verres d’accou- 
chée, dont les gravures à personnages et les inscriptions 
étaient plus ou moins richement exécutées, suivant la for- 
tune de ceux qui les commandaient. 


302 LA VERRERIE 


$ V 


ANGLETERRE 


Nous avons dit plus haut (p. 207) que des verriers 
furent appelés de France, vers la fin du ve siècle, afin d'y 
fabriquer les verres nécessaires à la clôture des fenêtres de 
plusieurs édifices, et que c’est probablement par eux que 
l’industrie du verre s'était implantée dans la Grande- 
Bretagne. 

Jusqu'au xvie siècle cependant on ne sait rien sur les 
verreries anglaises, et quelques auteurs ont même prétendu 
qu'il n'en avait existé aucune avant cette époque. $e fondant 
sur les lettres patentes de Richard IT, en date du 17 sep- 
tembre 1399, qui permettaient aux marchands des « ga- 
léasses, dites de Flandre », la vente à bord pendant dix 
ans, en franchise de droits, de leurs menues marchandises, 
« savoir de leurs vaisselles de verre et de leurs plats de 
terre, » ils ont avancé que toute la verrerie nécessaire au 
royaume arrivait alors de l'étranger, c’est-à-dire de Venise, 
de France et des Flandres. 

Cette opinion est contredite, d'abord par la mention sur 
le rôle des taxes de la ville de Colchester ({aæatio facta in 
burgo Colcestrie), en 1295 et en 1300, de trois verriers : 
Robert, Matthieu et Henry (Robert le Verrer, Matthieu le 
Verrer, etc.); puis par lassertion de Thomas Charnock, qui, 
dans son Breviary of Philosophy (1557), dit que les verriers 
travaillaient à Chiddingsfold, dans le comté de Sussex, et 
enfin par celle de Fuller, qui affirme que « la fabrication du 


verre commun dans ce comté remonte à la plus haute an- 


PASVERRERIE DU XY° AU XIX° SIÈCLE 303 


tiquité (coarse glass making was in this county ( Sussex) 
of great antiquity)' ». 

Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’une manufacture 
qui employait des verriers vénitiens existait à Londres à 
la fin de la première moitié du xvre siècle; il résulte, en 
effet, de l’analyse de plusieurs documents publiés par 
Brown ?, qu'en 1549 il y avait huit verriers de Murano qui 
travaillaient à Londres aux gages du roi Édouard VI. 
Ces pauvres gens ayant appris quelles pénalités sévères le 
conseil des Dix venait de promulguer contre les verriers qui 
s'étaient expatriés, et qui, dans le délai de huit mois, ne 
seraient pas retournés à Venise, cherchèrent à s’embarquer 
pour regagner leur pays. Malheureusement pour eux, ils 
avaient pris des engagements et avaient reçu des avances 
d'argent considérables; aussi furent-ils arrêtés et retenus 
prisonniers à la Tour de Londres avec menaces du gibet 
S'ils tentaient de s'évader. Ils adressèrent alors une requête 
au conseil à Peffet d'obtenir une autorisation d'absence qui 
leur permit de se libérer, s'engageant à quitter l'Angleterre 
aussitôt après pour retourner à Venise. Pour s’excuser, ils 
alléguaient la pauvreté et le manque de travail qui les 
avaient obligés à accepter les offres séduisantes qu’on leur 
avait faites s'ils voulaient aller travailler dans les Flandres 
et en Angleterre, sans penser qu'ils pouvaient, eux chétifs, 
faire du tort à l’industrie de leur pays. Ils accusaient haute- 
ment les maîtres des verreries de Murano, qui, « au lieu de 
leur donner de l’ouvrage, se réjouissaient de les voir, sur 
les quais de la ville, croupir dans la plus affreuse misère 
et mourant de faim, eux, leurs femmes et leurs enfants. » 
La république, qui avait alors tout intérêt à ménager le roi 
d'Angleterre, fit prendre des informations par son ambas- 


1 Cf. Az. NESBITT, Glass, p. 124. 
? Calendar of State papers, t. III, p. 311, n° 648. 


304 LA VERRERIE 


sadeur, qui eut à s’enquérir des obligations contractées par 
ses compatriotes; il adressa un rapport au conseil à la date 
du 18 février 1550, et, par décision du 13 juin suivant, les 
malheureux verriers furent autorisés à travailler jusqu’à 
l’expiration du terme de leur contrat, c’est-à-dire pendant 
dix-huit mois encore; ce délai passé, ils devaient repartir 
immédiatement et rentrer à Venise. 

En 4567, Jean Quarré, d'Anvers, alla avec plusieurs ou- 
vriers d’origine italienne fonder la verrerie de Savoye-House, 
à Londres, dans le Strand, et demanda, en 1568, la permis- 
sion de se fournir de bois et de faire du charbon dans le 
parc de Windsor; bientôt après 11 passa un contrat avec deux 
verriers des Vosges, Thomas et Balthazar Hennezel, qui s’en- 
cagèrent à aller en Angleterre pour y installer la fabrication 
des verres en table telle qu’elle était pratiquée en Lorraine. 

On sait en outre, par une lettre adressée à lord Burghley 
en 4574 par l’évêque de Chichester, que des verriers fran- 
cais étaient également venus s'établir à cette époque à 
Petworth, dans le comté de Sussex: l’évêque annonce que 
l’on a découvert un complot qui avait pour but de piller et 
de brûler la manufacture des Français, mais que les cou- 
pables avaient été pris et punis". 

En résumé, et bien que, si l’on en croit un document 
concernant un certain George Longe, qui demandait un 
privilège pour un nouveau procédé, l'Angleterre possédât, 
en 1589, quinze manufactures en activité, Pindustrie du 
verre ny était ouère florissante; la grande rareté du bois 
nécessaire à la fabrication telle qu'on la pratiquait alors 
rendait difficile l'existence de ces manufactures, et l’édit de 
Jacques Ier (1615), qui interdisait dans tout le royaume, et 
sous les peines les plus sévères, l'emploi du bois comme 


1 NESBITT, Glass, p. 127. 


LA VERRERIE DU XME AU XIX° SIÈCLE 305 


combustible leur aurait porté un coup funeste si, dès 1611, 
sir William Slingsby n'avait trouvé le moyen de rem- 
placer le bois par la houille, et de sauver ainsi l’in- 
dustrie menacée. Sous la direction d’un homme intelli- 
gent et actif, sir Robert Mansell, qui fut à la verrerie 
anglaise ce que, plus tard, Josiah Wedgwood devait être 
à l’art de la céramique, et qui obtint le privilège exclusif 
de la fabrication, de nouvelles manufactures furent fondées 
sur divers points du territoire, et celles qui existaient 
déjà furent transformées. Un arrêté royal défendit l’entrée 
des verres étrangers, à l’exception des verres rares ou 
curieux, et l'Angleterre fut, à dater de ce moment, en 
possession d’une industrie qui pouvait défier celle des 
nations rivales. Des débris trouvés en 1874 dans Broad- 
Street, sur l’emplacement d’une ancienne verrerie établie 
par sir Robert Mansell, ont montré que l’on y fabriquait des 
verres à tiges ornées de dessins en relief ou de filigranes 
qui prouvent qu’à Londres, comme partout en Europe, 
c'était la verrerie vénitienne que Pon cherchait avant tout à 
imiter, et qui sont venus confirmer ce qu'un historien du 
temps avait dit de cette fabrique : « Il y a là ‘ une fa- 
brique où l’on fait des verres de Venise, et ce sont des 
Vénitiens qui sont employés à ce travail. » Mais à Londres, 
comme en France et dans les Pays-Bas, ce genre de fabri- 
cation était loin d’être exempt de frais et d’ennuis; des 
marchands audacieux trouvaient moyen d’éluder les arrêtés 
de prohibition, et les ouvriers que l’on faisait venir à grands 
frais se dérobaient presque toujours aux engagements qu’ils 
avaient contractés; aussi Mansell se plaignait-il, en 1654, 
d’avoir perdu dans son entreprise trente mille livres st. *. 

Nous ignorons si cette somme lui fut remboursée d’une 

1 Dans Broad-Street. 


? « … That he was out of pocket 30,000 liv. » 
20 


306 LA VERRERIE 


facon ou d’une autre; mais, ce qui est certain, cest que 
l'Angleterre a contracté vis-à-vis de sa mémoire une dette 
qu’elle ne saurait trop lui payer. Cest à Mansell, en effet, et, 
suivant toute probabilité, dans sa verrerie de Newcastle- 
on-Tyne, vers 1623, qu'est due la découverte du cristal ou 
flint-glass dont nous avons parlé dans les précédents cha- 
pitres (p. 238), et qui devait être pour l'industrie de son pays 
une source de richesse. Il fallut cependant attendre de 
longues années avant que ce nouveau produit fût assez per- 
fectionné pour devenir d'un emploi général et se substituer 
aux verres ordinaires; mais du moment où il commença à être 
connu, à la fin du xvire et au commencement du xvire siècle, 
il fut préféré partout à toutes les autres verreries, celles de 
Bohême aussi bien que celles de Venise et de France. 

A cette époque cependant la fabrication du cristal, ainsi 
que celle des autres verres, était entravée en Angleterre par 
un droit intérieur (excise duty) établi en 1695, sous le règne 
de Guillaume IIE, et qui représentait quelquefois au delà de 
trois fois la valeur du produit lui-même. Réduite de moitié 
dans les premières années du xvure siècle, puis abolie tout 
à fait à cause du préjudice considérable qu'elle causait à une 
des principales industries du royaume, la taxe sur le verre 
fut rétablie en 1746, et subit plusieurs modifications ! Jus- 
qu'en 1845, où, sur la proposition de sir Robert Peel, elle 
fut tout à fait supprimée. Cette mesure vexatoire, outre 
augmentation de prix qu'elle faisait peser sur les verres, 
avait aussi pour effet de ralentir la fabrication, les verreries 
étant alors, suivant l'expression employée en Angleterre, 
exercées, c'est-à-dire placées sous la surveillance directe du 
représentant du fisc. « Pendant le règne de l'exercice, dit 
M. Pellatt?, aucun creuset ne pouvait être déplacé de len- 


! En 1812, elle fut doublée comme taxe de guerre. 


? Curiosilies of glass making. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 307 


droit dans lequel il était séché pour être mis dans l'arche à 
cuire les pots sans une autorisation écrite du surveillant du 
fisc; une seconde autorisation était exigée pour le Jauger; 
une troisième pour le placer dans le four; une autre pour 
le remplir et une autre pour le vider. En outre, le maître 
de la verrerie était forcé d’obéir strictement à l’Acte du par- 
lement en donnant six heures à son surveillant pour for- 
muler les autorisations concernant chacune de ces demandes 
compliquées et vexatoires. » 

La fabrication du cristal prit néanmoins une extension 
considérable, surtout dans la dernière moitié du xvrrre siècle. 
En France particulièrement, à cette époque où l’angloma- 
nie! sévissait dans toute sa force, où tout ce qui arrivait de 
Londres était préféré aux produits de notre industrie natio- 
nale, beaucoup plus élégants cependant, et d’un goût plus 
délicat, la gobeleterie anglaise, malgré ses formes lourdes 
et massives, devint vite à la mode. Mais ce qui contribua 
surtout à accroître la réputation du cristal anglais, ce fut son 
application aux instruments d'optique. « On sait, dit M. Pé- 
ligot*, que la découverte de l’achromatisme est due à Euler, 
qui eut, en 1747, l’idée si féconde de corriger par l'emploi 
de plusieurs substances diaphanes l’aberration qui résulte de 
la décomposition de la lumière dans les verres sphériques. 
La théorie d’Euler fut d’abord attaquée par Jean Dollond, 


1 «Ce furent les philosophes, et surtout M. de Voltaire, qui répandirent en 
France l’anglomanie, qui devint si générale sur la fin du siècle dernier. Les 
femmes ne portoient plus que des robes à l’angloise, des popelines, des 
moires, des toiles, des laines d'Angleterre; elles vendoient leurs diamants 
pour acheter des petits grains d’acier et des verreries angloises; la poterie 
angloise faisoit dédaigner les porcelaines de Sèvres; on reléguoit dans les 
garde-meubles les magnifiques tapisseries des Gobelins pour y substituer du 
papier bleu anglois... » (Mme pe Genus, Dictionnaire «les étiquettes de cour, 
PRIEEELSSTE) 

? Le Verre, p. 479. 


308 LA VERRERIE 


célèbre opticien de Londres. Mais cet artiste se convainquit 
bientôt, par des expériences multipliées, que les verres 
alors connus et fabriqués en Angleterre sous les noms de 
flint-glass et de crown-glass, c'est-à-dire le cristal or- 
dinaire à base de plomb, et le verre à vitre en couronne, 
permettaient de réaliser le projet d'Euler et d'obtenir des 
lunettes achromatiques. Une patente fut accordée en 1759 
à cet opticien, qui présenta bientôt à la Société royale de 
Londres une lunette achromatique à triple objectif dont 
l’existence fit dans l'Europe savante une grande sensa- 
tion. » Malgré de nombreuses tentatives faites en France 
à diverses époques, et bien que des prix d’une valeur 
assez considérable aient été proposés par l'Académie des 
sciences, nos industriels ne purent lutter sous ce rapport 
contre les Anglais, qui restèrent seuls maitres de cette fa- 
brication jusqu'au moment où un ouvrier suisse, Pierre- 
Louis Guinand, né aux Brenets, petit village des environs 
de Neuchâtel, trouva le moyen de fabriquer des disques 
parfaitement homogènes, de 30 à 35 centimètres de diamètre, 
de beaucoup supérieurs aux verres anglais !. 


! La Société d'encouragement ayant proposé, en 1837, un prix de dix mille 
francs pour être décerné au fabricant qui pourrait fournir le meilleur flnt- 
glass, ce prix fut partagé entre le fils de Guinand, qui fit connaître les procé- 
dés inventés par son père el perfectionnés par lui, et M. Bontemps, qui avait, 
lui aussi, notablement amélioré ces procédés, qu'il tenait également de Guinand 
fils. (Pécicor, op. cil., p. 482.) 


.LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 309 


SAMI 


ESPAGNE 


M. Juan F. Riano, dans l’introduction qu'il a publiée en 
tête du catalogue de l'exposition d'objets d'art espagnol, 
organisée en 1881 au musée de South Kensington !, consta- 
tait avec peine que l’histoire de la fabrication du verre en 
Espagne n'avait jamais été étudiée jusqu'alors, et que, mal- 
gré leur mérite incontestable et la réputation dont elles 
jouissaient autrefois, les verreries espagnoles n’avaient pas 
été jusqu'alors jugées dignes de figurer dans les musées et 
les collections. À en juger cependant par les verres qui avaient 
été envoyés à cette exposition, et dont beaucoup sont deve- 
nus depuis la propriété du musée de South Kensington, il y 
avait là un art véritable, bien original comme formes et 
comme décoration. 

M. Riano a pu néanmoins rassembler un certain nombre 
de documents qui prouvent que dès le xrre siècle il existait 
en Espagne des verreries renommées, et cite, entre autres, 
un passage d’un historien arabe de cette époque qui dit 
que la ville d’Almeida était « fameuse pour ses vases de 
fer, de cuivre et de verre ». Barcelone paraît également 
avoir été dès les temps les plus reculés un centre impor- 
tant de fabrication, et les verreries y étaient si nombreuses, 
qu'un édit municipal de 1324 interdit l'établissement de 
nouveaux fours dans l’intérieur de la cité, à cause du 
danger qu'il en pouvait résulter pour les. habitants. Dans 
cette même ville, en 1455, les verriers obtenaient l’autori- 


© Catalogue of the special loan exhibition of Spanish and Portuguese or- 
namental art. — Londres, 1881, in-16. 


310 LA VERRERIE 


sation de former, sous le patronage de saint Bernard, une 
corporation dont plusieurs membres occupèrent alors des 
charges municipales assez élevées. 

Quelques auteurs du xve et du xvie siècle parlent avec 
éloge des verres qui étaient fabriqués à Barcelone. Dans un 
manuscrit latin écrit en 1491, Jeronimo Paulo cite parmi 
les plus remarquables produits de Barcelone « les vaisselles 
de verre de différentes sortes et de formes variées, qui sont 
expédiées à Rome et dans d’autres villes, et qui peuvent ri- 
valiser avec celles de Venise », et Gaspar Barreiros, dans sa 
Chronographia, publiée à Coïmbre en 1569, dit « que l’on 
fabrique à Barcelone d’excellent verre, qui égale presque 
celui de Venise ». Les écrivains du xvire siècle constatent 
avec orgueil que des quantités considérables de verres de 
Barcelone sont exportées à l'étranger, et l’auteur de l’Atlante 
Espanol nous apprend que la fabrication des verres à l’imi- 
tation de ceux de Venise avait été continuée à Barcelone 
jusqu’au commencement du xvie; le même auteur ajoute 
qu'en 1780 il existait des verreries dans plusieurs autres 
villes de la Catalogne, à Cervellô, à Almatret et à Mataro; 
cette dernière fabrique était déjà très renommée en 1632, 
puisqu'il est dit, dans le Viage del cardinal Infante, par 
Aedo (1639), que « les galères royales abordèrent à Mataro, 
à quatre lieues de Barcelone, pour y voir les fabriques de 
verre qui fournissent abondamment toute la région ». 

Cadalso, dans la province de Tolède, possédait également 
une verrerie célèbre dont les produits étaient aussi estimés 
que ceux de la Catalogne et pouvaient même « être comparés 
aux verres de Venise »; sa réputation était telle, que les 
auteurs du temps l’appellent souvent la ville des verriers, 
Cadalso de los vidrios. Cette fabrique, fondée au xvie siècle, 
cessa d'exister vers 1750. 


Une lettre datée de 1609. et adressée au comte Gondomar, 


D'AMNERR ER TENDUE AUX IX SIÈCLE 311 


mentionne l'existence d’une verrerie à Cebreros, aux envi- 
rons de Ségovie. « Votre Seigneurie, dit l’auteur de la lettre, 
sait que nous avons ici une verrerie; cette semaine nous 
y avons fabriqué du verre appelé cristallin; j'en envoie seize 
échantillons dans un petit panier. » 

En 1680, Dieudonné Lambotte, de Namur, fils ou petit-fils 
de Thiery Lambotte, dont nous avons parlé précédemment 
(p.164), vint établir à San-Martin de Valdeiglesias, dans la 
province de Madrid, une verrerie dans laquelle il fit avec 
un très grand succès du verre à la façon de Venise; mal- 
heureusement il mourut en 1683, trois ans après son arri- 
vée en Espagne. Il eut pour successeur un Italien, Santiago 
Bandolepo, entre les mains duquel la manufacture déclina 
rapidement et aurait certainement péri, si don Antonio 
Obando, qui avait déjà été à la tête de la manufacture de 
Cadalso, n'était venu donner une nouvelle direction à la 
fabrication. 

À Recuenco, dans la province de Cuenca, qui avait pos- 
sédé déjà une verrerie au commencement du xvie siècle, 
une très importante manufacture fut fondée en 1722 par 
les soins et sous le patronage de don Fernando Lopez de 
Aragon; mais on n’y fabriquait que des verreries de luxe qui 
étaient vendues fort cher, et que pouvaient seuls payer les 
souverains et les grands seigneurs. Deux autres fabriques 
furent établies dans cette ville vers 1739; elles n’existaient 
plus à Ja fin du siècle dernier. 

Enfin, sous le règne de Philippe IV, il y avait à Valdema- 
queda, dans la province d’Avila, une verrerie renommée. 
Dans un arrêté daté de 1680, et fixant les prix auxquels on 
devait vendre à Madrid les verres « facon de Venise » 
fabriqués à Barcelone, à Villafranca et à Valdemaqueda, 
ceux de cette dernière ville sont cotés au plus haut prix. 

M. Riano indique encore comme étant du siècle dernier 


312 LA VERRERIE 


la verrerie de La Granja, plus connue sous le nom de San- 
[idefonso, célèbre par ses lustres, ses miroirs et ses 














Fig. 56. — Verre espagnol à décoration d’émaux polychromes où le vert domine. 


(Musée du Louvre.) 


verres gravés; mais là s'arrêtent les renseignements qui 
ont été publiés jusqu'à présent sur l’histoire de l’industrie 
du verre en Espagne. 


! Le regrelté baron CHARLES DAVILLIER possédait sur l'histoire des arts indus- 

D 
triels en Espagne de nombreux et intéressants documents qu'il se proposait 
de publier, et dans lesquels la verrerie et la céramique devaient occuper une 


LA VERRERIE DU XV®SAU XIX° SIÈCLE 313 


À en juger par les spécimens que possèdent le musée de 
South Kensington et quelques collections particulières, les 
verreries espagnoles dérivent, comme fabrication et comme 
procédé de décoration, de la verrerie vénitienne; on y ren- 
contre les anses et les ornements travaillés à la pincette, 
les filigranes intérieurs, les filets de couleur enveloppant les 
formes et la peinture au moyen d’émaux polychromes; mais 
les formes ont conservé un caractère particulier dans lequel 
on retrouve parfois comme une réminiscence de l’art orien- 
tal; la même observation s'applique à la décoration, qui ne 
rappelle en rien celle des verres émaillés de Murano, bien 
que les émaux y soient employés de la même facon; dans 
tous ceux que nous avons vus il y a comme un parti pris de 
faire dominer la couleur verte, et les motifs décoratifs y sont 
empruntés généralement à la flore ornementale et symétri- 
quement disposés. Tels sont entre autres une superbe coupe 
qui appartient à M. Stein et le beau verre à pied et à cou- 
vercle que reproduit notre gravure (fig. 56), et qui fait partie 
de la collection Davillier, aujourd’hui au Louvre. Quelques 
verres émaillés du musée de Kensington portent les armes 
d'Espagne, avec l'inscription : Vivat el Rey de Espanna; 
c'est la seule inscription que nous ayons rencontrée. 

Malgré la rudesse générale de leurs formes et la sur- 
charge excessive des anses et surtout des reliefs, qui sou- 
vent sont collés avec profusion sur le verre sans aucune 
raison et sans formule décorative, les verreries espagnoles 
sont extrêmement intéressantes et mériteraient certaine- 
ment d’être étudiées avec soin; la matière en est presque 
toujours pure et limpide, et, parmi les spécimens réunis 
au South Kensington museum par les soins de M. Riano, 


place importante. Une mort prématurée l’a enlevé à la science avant qu'il ait 
pu continuer l’ouvrage dont son livre sur l’Hrstoire de l’orfèvrerie espagnole, 
paru quelques mois avant sa mort, était le premier volume. 


31 LA VERRERIE 


beaucoup sont colorés dans la masse avec une intensité de 
tons que l’on rencontre rarement dans les verres des autres 


pays. 


Sr 


CHINE — JAPON — PERSE 


Les Chinois ont connu le verre dès la plus haute anti 
quité, cela est incontestable; mais nous croyons pouvoir 
affirmer qu'ils ont ignoré, ou du moins que, jusqu'à ces 
derniers temps, 1ls n’ont Jamais pratiqué le véritable art de 
la verrerie, c’est-à-dire cette belle industrie aux produits 
multiples dont nous avons cherché à retracer l’histoire dans 
les chapitres précédents. Les verres chinois que nous pos- 
sédons en Europe sont de très petits objets admirablement 
travaillés, de véritables bijoux de ciselure qui dénotent une 
adresse et une habileté extraordinaires (fig. 57), mais qui, 
par leur nature même, sont des pâtes de verre ou des 
émaux ciselés plutôt que des verres proprement dits. 
Quant à la véritable verrerie, aux vases d’usages domes- 
tiques et à la gobeleterie, elle n'existe pas, ou du moins 
on n'en connait pas d'exemples antérieurs au xiIxe siècle. 

Cependant, suivant quelques écrivains chinois, la fabri- 
cation du verre dans le Céleste Empire remonterait à une 
époque de beaucoup antérieure à l'ère chrétienne"; et, d’après 

! Cependant, d’après les livres chinois, entre les années 424 et 451, c'est-à- 
dire sous les petits-fils de Théodose, un marchand européen se serait présenté 
à la cour de l'empereur de Chine pour lui offrir de fabriquer des verres de dif- 
férentes couleurs, comme ceux que la Chine recevait déjà à cette époque de 
l'Occident. (G. ReinauDp, Relations poliliques et commerciales de l'empire 
romain avec la Chine, p. 286.) 


LA VERRERIE DU XVMAU XIX° SIÈCLE 315 


une tradition accréditée en Chine et rapportée par un des 
missionnaires français qui étaient à Pékin en 1770, l’em- 
pereur Ou-Ti, de la dynastie des Han, qui régnait à peu 
près vers l’an 140 avant J.-C, aurait possédé une manu- 
facture de lieou-l, lequel ne serait autre qu’une sorte de 





Fig. 57. — Petit flacon de verre à deux couches, ciselé et gravé. 


(Coll. de M. Bing.) 


verre fabriqué avec de la soude obtenue des cendres de la 
fougère !. Le même missionnaire constate qu'un des plus 
vieux dictionnaires chinois parle du lieou-l en disant que 
les fausses perles sont faites avec cette matière, et ajoute 
qu'un des anciens commentateurs du Hiao-king affirme 
que l’on fabriquait des miroirs avec du verre recouvert en 
dessous d’une composition ?. 

D'un autre côté, le R. P. Duhalde, dans sa Description de 
la Chine, publiée en 1735, dit que l’espèce de verre appelé 
lieou-li était fabriqué à Yen-tching, près de Tsi-nou-fou, ville 


! Désignée en chinois sous le nom de lieou-li-tsao, c'est-à-dire herbe lieou-li. 
? NESBITT, Glass, p. 135. 


316 LA VERRERIE 


principale de la province de Shan-tung; mais il constate que 
ce verre est plus cassant que celui que lon fait en Europe, 
et qu'il se brise quand il est exposé aux intempéries de l'air. 

Enfin un autre missionnaire dit que vers 1770 il existait 
à Pékin une verrerie que empereur avait prise sous sa pro- 


tection, et d'où sortaient chaque année un bon nombre de 





Fig. 58. — Petit flacon en pâte de verre imitant le marbre. 


(Coll. de M. Bing.) 


vases fort bien faits, mais qui demandaient une grande 
somme de travail parce qu'ils n'étaient pas soufflés. 

Cest là une indication précieuse et qui, suivant nous, 
explique limfériorité relative des Chinois en tant que ver- 
riers : 1ls ont toujours ignoré, ou, en tout cas, ils semblent 
n'avoir jamais pratiqué le soufflage du verre. Parmi les 
verres chinois antérieurs à notre époque qui figurent dans 
les collections, nous n’en connaissons pas un qui ait été 
soufflé, et du reste les artistes du Céleste Empire, si 
prompts à reproduire les différentes phases de la fabrica- 
tion et de la décoration de la porcelaine, du tissage de la 
soie et généralement de tous les métiers pratiqués par leurs 


habiles artisans, n’eussent pas manqué de peindre des souf- 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 317 


fleurs de verre s'ils en avaient eu sous les yeux. En outre, 
parmi les objets usuels indiqués dans un Mémoire adressé 
en France, en 1774, et donnant la liste de tout ce qui peut 
être importé avec succès d'Europe en Chine, la vaisselle de 
verre, la gobeleterie, c’est-à-dire le verre soufflé, occupe 
une des premières places, ce qui n’eût certainement pas 





Fig. 59. — Petit flacon en verre doublé transparent à reliefs noirs. 


(Coll. de M. Bing.) 


eu lieu si les Chinois avaient connu la véritable industrie 
du verre. 

Très habiles chimistes et parfaitement au courant de la 
nature des mélanges des différents émaux, les Chinois ont 
su produire des merveilles de coloration, imiter les mar- 
bres les plus variés (fig. 58) et contrefaire les jades, les 
agates et les pierres les plus précieuses, sans pouvoir 
cependant employer l’admirable matière qu'ils obtenaient 
ainsi à autre chose qu'à la confection de petits flacons ou 
de coupes symboliques, qui sont des véritables œuvres 
d'art d’une délicatesse infinie, mais qui ne peuvent pas 
être rangés dans la verrerie proprement dite. 


318 LA VERRERIE 


C’est surtout dans les bouteilles désignées généralement 
dans le commerce de la curiosité sous Ie nom de flacons à 
tabac, et faits en verre à plusieurs couches superposées et 
taillées, — ou plutôt intaillées à la manière des camées, — 
que les artisans chinois ont montré toute leur habileté ; 
celui que reproduit notre figure 957, et qui représente la 
carpe sacrée entourée de lotus et de plantes emblématiques, 
est en pâte de verre d’un beau rouge rubis se détachant sur 
un fond opaque imitant le jade; les deux pâtes super- 
posées qui formaient la masse dans laquelle ce joli flacon a 
été taillé et ciselé sont tellement pures, et le polissage 
qu'elles ont reçu après le travail de la ciselure les a 
rendues si brillantes, qu'il faut v regarder à plusieurs re- 
prises avant de se rendre compte de la nature exacte de la 
matière qui compose ce délicat objet. 

Nous avons cru devoir reproduire aussi un autre flacon 
également à deux couches (fig. 59), qui fait regretter que 
les Chinois n'aient pas poussé plus loim leurs recherches 
en ce genre, et n'aient pas appliqué à une fabrication plus 
importante les ressources que leur procuraient les masses 
vitreuses qu’ils savaient obtenir. Il est impossible de trouver 
un verre plus pur et plus transparent que celui sur lequel se 
détachent en relief d’un noir intense, et qui n’a jamais été 
égalé en Europe, les iris d’eau et les insectes qui décorent 
ce petit flacon; le cristal de roche le plus limpide peut seul 
lutter avec cette belle matière, claire et brillante, qui laisse 
bien loin derrière elle nos verres les plus renommés. 

Pendant un certain temps en France, au siècle dernier, 
la mode fut d'employer dans la décoration des lanternes 
d'appartements et des panneaux de voitures des verres 
peints par des artistes chinois !; mais ces verres, de fabri- 


! On lit dans la Feuille nécessaire (1759) : « Les Chinois, qui sont depuis 


longtemps en possession de tous nos arts, ont aussi le secret de la peinture 


LA VERRERIE DU XV® AU XIX° SIÉCLE 319 


cation européenne, étaient transportés par les vaisseaux 
de la Compagnie des Indes en Chine, où on les décorait. Si 
nous en jugeons d’après des verres semblables, de déco- 

















Fig. 60. — Bouteille japonaise en verre bleu décorée d’or en relief ciselé. 


(Coll, Gasnault, au musée de Limoges.) 


ration récente, les couleurs étaient opaques et employées à 
l'huile ou mélangées avec des gommes qui leur donnaient 


sur glace, qu'ils traitent d'une manière plus agréable que correcte. On nous a 
montré des grotesques et bizarreries chinoises peintes sur des pièces de glaces 
destinées à former les panneaux d’une voiture. On ne doute point que cette 
nouveauté n’ait son cours comme les autres et qu’elle n’ait le mérite de nous 
plaire pendant quelque temps. » 

1 Aujourd'hui encore les verres à vitres de Chine forment une des branches 
importantes du commerce d'importation en Chine. 


320 LA VERRERIE 


une grande solidité; ce n'étaient nullement des couleurs 
vitrifiables, et ce mode de décoration n'avait aucun rapport 
avec l’art du peintre-verrier. 

Pas plus que les Chinois, les Japonais ne paraissent 
avoir exercé l’industrie du verre, au moins jusqu’à l’époque 
actuelle ; et cela est d'autant plus extraordinaire, que les 
spécimens de leur verrerie moderne montrent des procédés 
particuliers de décoration qui dénotent une habileté telle, 
qu'il semble qu'un art ne puisse atteindre à ce degré de 
perfection sans avoir derrière lui plusieurs siècles de re- 
cherches, de tâtonnements et de pratique. La bouteille en 
verre bleu que représente notre fig. 60 est un des spéci- 
mens les plus remarquables de Part japonais appliqué à la 
décoration du verre; les branches de fleurs qui l'entourent 
sont en or mis en épaisseur et ciselé avec une finesse et une 
pureté que l’on s'explique difficilement quand on connait 
les procédés de la dorure sur verre; dans quelques autres 
verreries du même genre, l'or, l'argent et le platine sont 
associés en combinaisons harmonieuses dans lesquelles on 
ne sait ce que l’on doit admirer le plus, de l’art qui a pré- 
sidé à la conception du décor, ou de la prodigieuse habileté 
qu'a déployée le verrier pour vaincre ainsi des difficultés 
qui paraissent insurmontables aux plus habiles praticiens 
de la vieille Europe. 

Nous avons reproduit (p.65) le passage des Voyages en Perse 
el autres lieux dans lequel Chardin, auteur généralement con- 
sidéré comme sérieux et digne de foi, rapporte que la fabrica- 
tion du verre était complètement inconnue en Perse avant la 
fin du xvre siècle, et qu'elle y fut introduite «par un Italien 
avare et nécessiteux qui lenseigna à Schiraz pour cinquante 
écus »; Chardin ajoute que les verres fabriqués à Schiraz 
et à Ispahan à l’époque où il fit son voyage (1672) étaient 


« pailleux, pleins de vessies et de bulles ». Nous ne savons 


LA VERRERIE DU XW MUBEIX SIECLE 321 


si les verriers persans trouvèrent eux-mêmes le moyen de 
perfectionner cette fabrication, que notre voyageur déclare 
être de « qualité très inférieure », ou si quelque Européen 
vint leur apporter des procédés et des tours de main autres 





























Fig. 61. — Aiïguière persane (xvine siècle). 


(Coll. P. Gasnault, au musée de Limoges.) 


que ceux qu'ils avaient payés cinquante écus, toujours est-il 
que les verreries persanes du xvirre siècle ne le cèdent, sous 
aucun rapport, à celles qui étaient fabriquées à la même 
époque dans les autres pays. Si le verre a conservé une 
légère teinte verdâtre, s’il contient encore quelques petites 
bulles, en revanche les formes sont d’une élégance et d’une 
hardiesse qui dénotent une habileté au moins égale à celle 


des Muranistes, et les grandes aiguières au col évasé et au 
21 


322 LA VERRERIE 


long bec d'expansion planté droit sur l’épaulement du vase 
(fig. 61), peuvent être comparées sans trop de désavantage 
aux verreries vénitiennes du xvie siècle. Comme les Véni- 
tiens, les Persans savaient teindre leurs verres en bleu in- 
tense, en vert sombre ou en jaune transparent: comme eux, 
ils les entouraient de filets en relief qui divisaient la lu- 
mière, et s'ils ont ignoré l’art de les décorer d’émaux aux 
couleurs éclatantes, ils savaient au moins l’orner de fleu- 
rons dorés, d’un dessin ferme et d’une disposition harmo- 
nieuse, Les anciennes verreries persanes sont malheureu- 
sement trop peu connues , les spécimens en sont encore 
assez rares dans les musées et dans les collections, et cela 
est d'autant plus regrettable que leur étude pourrait certai- 
nement apporter à nos modernes artistes des indications 
précieuses et leur fournir des modèles qu'ils auraient tort 


de dédaigner. 


$ VIII 


FABRICATION DES GLACES 


LA MANUFACTURE DE SAINT-GOBAIN 


Il paraît hors de doute, ainsi que nous l'avons vu plus 
haut (p. 108), que les Vénitiens connaissaient, dès le 
xive siècle, la fabrication des miroirs; mais 1l est assez 
difficile de savoir comment et par qui cette fabrication leur 
avait été enseignée. Suivant M. Daru!, ils lauraient apprise 
de l'Orient avec les autres procédés de l'industrie du verre, 
et d'après M. Cecchetti*, au contraire, elle leur serait venue 


1 Histoire de la république de Venise. 
? Sulla Storia dell’arte velraria Muranese, in-8°, 1865. 


EAMMERRERTENDIULIE AMMXIX° SIÈCLE 323 


d'Allemagne : à l’appui de son opinion, ce dernier cite un 
décret du 5 février 1317, qui autorise trois Vénitiens à 
s'associer avec « un maitre allemand qui savait fabriquer 
du verre pour miroirs (cum quodam magistro de Alle- 
mania, qui vitrum a speculis laborare sciebat)' ». 

Quoi qu'il en soit de ces deux opinions, il est certain qu’à 
dater du commencement du xvie siècle et pendant la plus 
grande partie du xvue Venise eut seule le monopole de la 
fabrication des miroirs, ou que du moins les glaces qui 
sortaient des fours de ses habiles artisans de Murano 
jouissaient d’une réputation telle, qu’elles étaient partout 
recherchées comme des objets de haut luxe? et payées des 
prix excessifs. En France principalement on faisait des 
importations considérables de miroirs de Venise, et nous 
savons, par une lettre adressée à Colbert, qu'en l’an 1665 il 
était entré par les bureaux des cinq grosses fermes, et 
seulement pour le compte de neuf marchands de Paris. 
216 caisses de glaces pesant 62,020 livres ?. 

Il n’est donc pas étonnant que Colbert, ce grand rénova- 
teur de l’industrie française, voulant affranchir la France 
du lourd tribut qu’elle payait ainsi à l'étranger, ait cherché, 
par tous les moyens possibles, à implanter dans le royaume 
la fabrication de ces glaces qui étaient si fort à la mode 
alors, et qu'il ait tenté de faire pour elle ce qu'il avait 
fait pour d’autres branches beaucoup moins importantes 
du commerce. Mais, pour mettre ce beau projet à exé- 


! Au commencement du xvie siècle, d'après la demande de privilège adressée 
par Andrea et Domenico del Gallo, et que nous avons rapportée plus haut 
(p. 108), il existait encore en Allemagne « une verrerie qui, associée à une 
maison flamande, exerçait le monopole de la fabrication des miroirs ». 

? Un miroir de Venise figure parmi les objets précieux que Sully, en 1603, 
était chargé de porter en Angleterre de la part de Henri IV. 


$ Cf. Deprine, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, 
tp 399; 


324 LA VERRERIE 


cution, il fallait de toute nécessité faire venir en France 
des verriers de Murano, et ce n'était pas chose facile. 
l’évêque de Béziers, François de Gondi, alors ambas- 
sadeur à Venise, écrivait à Colbert à ce sujet, le 8 no- 


vembre 1664 : 


. À Moran, qui est une petite ville dans ces lagunes où l’on tra- 
vaille les cristaux, il n’y a que deux boutiques où l’on fasse les grandes 
glaces, les ouvriers qui en sont capables estant en petit nombre; on 
n'y reçoit aucun estranger pour y travailler. Ils sont exempts de tous 
imposts et ont les mêmes privilèges que les citadins vénitiens. Ils sont 
tous de Moran, et s'ils alloient travailler ailleurs, tous leurs biens sont 
confisquez, et non seullement ils sont bannis de lEstat de la répu- 
blique, mais mesme toutte leur famille encourt la mesme peine, de 
sorte que qui leur proposeroit d’aller en France, courroil risque d'être 
jeté dans la mer... Toutes ces difficultés m'empeschèrent d'y songer 
davantage. Femploiray à présent tout le zèle que j'ai pour le service 
du roy et toute l’adresse qu'il me sera possible et qui est nécessaire 
pour ne pas fascher inutilement la république, affin que le dessein que 
vous me communiquez dans vostre lettre aye le succès que mérite l’ap- 
plication si glorieuse que vous inspirez à $S. M. pour le bien de son 
royaume, et je ne manqueray pas de redoubler mes soins pour sur- 
monter tous les obstacles qui me sont figurez !… 


Avec la persévérance et l'adresse qui étaient le fond de 
son caractère ?, François de Gondi réussit dans cette partie 
de sa mission; mais ce succès ne fut peut-être pas étranger 
à son prompt départ de Venise, à la fin de janvier 1665. 
Dans cette seule année, dix-huit ouvriers vénitiens, dont 


les noms étaient connus par des lettres que linquisition 


! DEPPING, 0p. cil. L 

? SAINT-Simon dit de l’évêque de Béziers : « C'était un prélat supérieur 
à sa dignité, toujours à ses affaires, toujours prêt à obliger; beaucoup 
d'adresse, de finesse, de souplesse, sans friponnerie, sans mensonge el sans 
bassesse. » (Mémoires, 1, ch. x.) — Il mourut cardinal-évêque de Toulouse 
en 1609. 


PANIER RD RIDE AAITEC IN STE CIE 32 


du conseil faisait saisir, et qui sont conservées dans ses 
archives, arrivèrent à Paris. « Pendant que ces ouvriers 
arrivaient, dit M. Cochin, Colbert cherchait à former une 
compagnie; mais cela n'était pas facile. Les capitaux étaient 
rares, le crédit peu développé, la confiance absente. «Chacun, 
« écrit à Colbert un de ses agents, cherche son exemple et 
« attend ce qu’un autre fera. » Colbert avait coutume de com- 
poser le capital des compagnies qu'il organisait par des sub- 
ventions, puis en recourant à des marchands et aussi à des 
comptables de l'État, auxquels le roi accordait des décharges 
à la condition de faire des avances. La compagnie des glaces 
fut formée par un de ces comptables, Nicolas du Nover, 
receveur général des tailles à Orléans, qui recut, en octobre 
1665 (les lettres patentes ne mentionnent pas le jour), le 
privilège d'établir une manufacture de glaces de miroir par 
des ouvriers de Venise. Outre les avantages de toutes sortes 
qui lui étaient concédés, la compagnie recevait une sub- 
vention de douze mille livres, avancées sans intérêt pour 
quatre ans; elle avait de plus le droit de prendre le titre 
de Manufacture royale, de mettre sur sa porte l’écusson 
royal et d’avoir un portier aux armes du roi. 

Établie au faubourg Saint-Antoine, la nouvelle manufac- 
ture eut des débuts assez satisfaisants, et l’un des intéressés 
pouvait, dès le 3 juin 1666, écrire à Colbert : « La com- 
pagnie des glaces va son train ordinaire, c’est-à-dire toujours 
bien. » Mais cet heureux temps dura peu, et à la fin de 
cette même année Nicolas du Noyer, au nom duquel était 
inscrit le privilège, adressait à Colbert un long rapport” 
duquel nous croyons intéressant d'extraire les passages 


CHATS 


! AuG. Cocxin, la Manufacture de Saint-Gobain [dans le Correspondant, 
1865, p. 630). 
? Publié par DEPPING, 0p. cit. 


326 LA VERRERIE 


Du dernier novembre 1666. 


La possibilité de faire des glaces en France aussy belles qu’à Venise 
n'est plus revocquée en doute, tant que les ouvriers vénitiens voudront 
y travailler. La difficulté est de pouvoir y perpétuer cette noble et 
singulière manufacture. Cette difficulté est très grande; car quoi qu'il 
y ait bien des gens qui se vantent d’en sçavoir faire aussy bien que les 
Vénitiens, il est certain qu'aucun d'eux ne sçait travailler à leur mode, 
qui est la seulle qui puisse réussir. 

Cependant quelques advantages que l’on leur ait proposé, ils ne 
veulent pas enseigner aux Français, ni mesme souffrir qu'aucun de 
nos bas ouvriers des fournaises fassent rien de leur profession, en sorte 
que toute la despense de cet establissement, qui monte à plus de 
180,000 livres, et dont on ne retireroit pas le tiers s’il venoit à tomber, 
dépend non seulement du caprice de ces messieurs-là, mais encore de 
leur vie et mesme de leur santé. 

Cela est si vray, qu'ils ont esté dix jours sans travailler parce que 
celuy qui gouverne les glaces s’est blessé à une jambe, et que ni 
Sr Anthome ni aucun des autres ne scavent faire sa fonction et 
n'ont pas même voulu y essayer, disans que c’est le plus difficile et 
qu'il faut l'avoir apprise dès l’aage de douze ans. 

Cette cessation de leur travail n’a pas faict cesser le payement de 
leurs gages et de tous les autres ouvriers où Commis, qui sont près de 
deux cents, ni les feux de nos deux grandes fournaises, qui consomment 
tous les jours cinq voyes de bois, parce que si le feu cessoit un seul 
jour, lesdites fournaises iroient en poudre et tous les pots et les ma- 
tières qui sont dedans ne vaudroient plus rien, ce qui causeroit une 
perte de plus de 20,000 livres. 


On voit qu'à cette époque, comme en 160% (voir p. 135), 
les ouvriers vénitiens appelés en France avaient toujours Ia 
prétention de conserver pour eux seuls leurs procédés de 
fabrication, et ne voulaient pas faire d'élèves. En outre, ils 
se montraient rarement fidèles observateurs des engage- 
ments qu'ils prenaient et ne se faisaient aucun scrupule de 
quitter en route les commis envoyés par la manufacture 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 327 


pour les conduire en France, quoiqu'ils en reçussent sou- 
vent de fortes avances d'argent, qui naturellement étaient 


perdues pour la compagnie. 


Cependant, continue du Noyer, il ne faut pas demeurer en si beau 
chemin ; cette manufacture est trop esclatante pour la négliger et son 
establissement trop avancé pour l’abandonner. Et quoyque. la despense 
en soit très grande et très certaine et le proffit très incertain, néant- 
moins il ny a point de moyens que l’on ne doibve tenter pour sur- 
monter tous ces inconvénients et perpétuer en France ladite manu- 


facture. 


Parmi les moyens proposés par du Noyer, qui, malgré 
son désir de ne pas voir abandonner l’entreprise, demande 
cependant à s’en retirer et à être dispensé de payer sa part, 
il en est un qui consistait à fonder un autre établissement 
loin de Paris, « dans un lieu où le bois couste peu et où la 
rivière soit à commandement; » on essaverait, dit-il, dv 
contrefaire les procédés des Vénitiens, et, « affin de leur oster 
tout prétexte de jalousie, il ne faudra y travailler pendant 
la première année qu’en verre et autres ouvrages de cristal, 
que l’on faira venir à Paris, dans un magasin, pour les 
débiter. » On y recevrait « tous ceux qui prétendent sçavoir 
faire des glaces, et avec le temps on essayera de les faire 
travailler à la mode de Venise ». Il ajoute que la chose 
réussira si elle est tenue secrète, et que lui-même, du reste, 
« commence à pénétrer la fabrication des Vénitiens. » 

À cette époque justement, Richard Lucas, sieur de 
Nehou', qui dirigeait la verrerie de Tourlaville, près Cher- 
bourg, dont nous avons parlé plus haut (p. 152), faisait des 
recherches pour la fabrication des glaces à la facon véni- 
tienne. On prétend même, mais sans preuves à l’appui, 


1 C’est par erreur que nous l'avons désigné, à la page 152, sous le nom de 
Louis Lucas. 


328 LA VERRERIE 


qu'il était aidé dans ses recherches par quelques jeunes 
sens de Cherbourg, qui étaient allés à Venise pour v étudier 
l’art de la verrerie et le rapporter dans leur pays'. Quoi 
qu'il en soit, ses tentatives avaient à peu près réussi, et 
dès 14666 la verrerie de Tourlaville, située au bord de la 
petite rivière de Trotebec, sur la lisière de la forêt de Brix, 
devenait la succursale de la manufacture royale de Paris: 
la fabrication fit dans ce nouvel établissement des progrès 
assez rapides pour que, en 1670, Colbert fût en droit 
d'écrire à M. de Saint-André, ambassadeur à Venise, qui 
lui proposait des ouvriers de Murano : « La manufacture 
est assez bien établie dans le royaume pour n'avoir pas 
besoin d’un plus grand nombre d'ouvriers. » Deux ans plus 
tard, le 16 septembre 1672, il prohibait expressément l’en- 
trée en France des glaces de fabrication étrangère, et, le 
6 janvier 1673, il pouvait écrire au nouvel ambassadeur à 
Venise, le comte d’'Avaux : « Nos glaces sont maintenant 
plus parfaites que celles de Venise. » 

Richard Lucas de Nehou, auquel ce succès était dû. 
mourut en 1675, laissant deux neveux, Guillaume Lucas, 
qui lui succéda comme directeur de la manufacture de 
Tourlaville, et Louis Lucas, qui vint diriger celle de Paris. 

En 1683, la mort de Colbert et celle de du Nover, qui, 
maleré le désir qu'il avait exprimé autrefois, était resté 
administrateur de la glacerie du faubourg Saint-Antoine, 
forcèrent la compagnie à se réorganiser sur d'autres bases, 
et de nouvelles lettres patentes lui furent accordées; à cette 
même époque cependant d'autres manufactures furent 


établies, auxquelles on octroya également des privilèges qui 


1 On a dit également que, pendant que les Véniliens de la manufacture de 
Paris s'élaient enfermés pour souffler leurs glaces, des ouvriers parisiens 
étaient montés sur les loits, et par de petiles ouvertures pratiquées à cet effet 
avaient pu surprendre les procédés qu'ils employaient. 


PANNE R RE RTEMDUNMA TX IX SIÈCLE 329 


Li 


avaient pour effet de faire concurrence à la manufacture 
royale; mais elles furent bientôt en partie absorbées par elle. 
Il y a là, du reste, dans l’histoire de l’industrie des glaces, 
plusieurs points douteux que les limites de ce travail ne 
nous permettent pas d’éclaircir, et que viennent compliquer 
encore l'emploi, assez habituel à cette époque, dans les 
actes de constitution de sociétés, de noms supposés ou de 
prête-noms. Cest ainsi qu'en 1688 un bourgeois de Paris, 
Abraham Thevart, qui prétendait avoir découvert le secret 
de fabriquer des glaces d’une grandeur extraordinaire au 
moyen de machines inventées par lui, parait n'avoir été qu’un 
prête-nom et peut-être même un être fictif. Ce qui est certain, 
c'est que c’est à Louis Lucas de Nehou qu'est dû le procédé 
du coulage, au moyen duquel on put bientôt faire des glaces 
si grandes et si belles, que le roi voulut les voir, et que 
c'est lui qui persuada aux associés de transporter l’établis- 
sement à quelque distance de Paris, dans un endroit où 
les matières premières fussent moins chères. R 

Cest alors que la manufacture fut installée dans les 
ruines du vieux château de Saint-Gobain, près la Fère, 
qui fut loué, en 1692, moyennant une somme de vingt- 
quatre livres par an, et acheté définitivement, le 11 juillet 
1698, par la compagnie, qui le paya 3,000 livres. L’endroit 
était bien choisi, d’abord à cause de la proximité des bois, 
et aussi par suite du voisinage de l'Oise, qui descendait à 
Paris et facilitait les transports. | 

Cest par eau, en effet, que les glaces brutes arrivaient à 
Paris, de Saint-Gobain par lOise, et de Tourlaville par 
Rouen et la Seine; on les débarquait à la porte de la Confé- 
rence et au port Saint-Nicolas du Louvre, d'où on les 
transportait à la manufacture de la rue de Reuilly, où elles 


! C'est en 1691 que les quatre premières glaces coulées furent présentées à 
Louis XIV. 


330 LA VERRERIE 


étaient polies et doucies. À cette époque, où on n’emplovait 
que les bras pour dégrossir et polir les glaces, aussi bien 
que pour les remuer et les charger dans les voitures ou sur 
les bateaux, le travail était long, et les risques assez grands. 
Le dégrossissage d’une glace durait plusieurs semaines, et, 
d’après un rapport officiel, sur soixante-douze glaces en- 
voyées de Saint-Gobain 1l en arrivait à peu près douze non 
brisées à Paris. (Cest pourquoi, afin de diminuer la perte 
en envoyant un produit qui n'avait pas encore supporté 
toute sa main-d'œuvre, on les transportait brutes au fau- 
bourg Saint-Antoine, où on les achevait !. Aussi le prix des 
glaces était-1l extrêmement élevé à la fin du xvrre siècle. Le 
Livre commode des adresses, d’Abr. du Pradel, en publiait, 
en 1692, une sorte de prix-courant dans lequel nous voyons 
qu'une glace de 37 pouces (un mètre) coûtait 225 livres, 
et celle de 40 pouces, 425*°. 

La compagnie cependant ne faisait pas de bien brillantes 
affaires ; les désastres qui marquèrent la fin du xvire siècle 
avaient porté un coup funeste à une industrie qui ne vivait 
que du luxe, et la manufacture, dont les dettes s’élevaient 
à près de deux millions, dut, en 1702, éteindre ses four- 
neaux et renvoyer la plus grande partie de ses ouvriers, 
que recueillirent avec empressement les fabriques rivales 
fondées depuis peu à l'étranger. 

Cependant, grâce à l’habileté de d’Aguesseau, qui avait 
été chargé de faire la liquidation de la compagnie et 
d’arranger ses affaires au mieux des intérêts des créanciers, 
une nouvelle société se forma, entre les mains de laquelle 
la manufacture fondée par Colbert avec tant de soins et 


1 A. Cocui, loc. cil., p. 938. 

? D'après le tarif publié en 1744, les glaces nues, non compris l'étain, 
valaient : 37 pouces sur 27, 120 livres; 40 pouces sur 30, 150 livres; 100 pouces 
sur 60, 3,000 livres. 


LA VERRERIE DU XV° AU XIX° SIÈCLE 291 


d'efforts se releva plus vigoureuse, plus solidement établie 
que par le passé, et prit bientôt une importance qui ne fit 
que grandir, et qui s’est conservée jusqu’à nos jours sans 
que rien soit venu laffaiblir. 

Cest surtout sous la direction de Deslandes, dont la 
célèbre Mme Geoffrin' avait deviné les grandes capacités 
administratives, que la manufacture de Saint-Gobain se 
releva complètement et établit définitivement sa supériorité 
incontestable. Entré à vingt-six ans, en 1752, comme simple 
petit employé, Deslandes devint directeur en 1758, et resta 
en fonctions jusqu’en 1789; pendant ces trente années, il 
s’efforçca constamment d'introduire des améliorations dans 
les procédés de fabrication, et surtout d'attirer à lui un 
personnel d'ouvriers actifs et intelligents, qu'il s’attacha en 
leur offrant des avantages et des garanties d'avenir qu’ils 
ne pouvaient trouver autre part?. 

Des lettres patentes, qui prolongeaient pendant trente 
années les privilèges accordés autrefois à la manufacture, 
furent octroyées de nouveau à la compagnie en 1759, mal- 
gré l'opposition que firent à leur enregistrement les envieux 
que lui avait suscités l'ère de prospérité dans laquelle elle 
était entrée. En 1792 cependant les fours de Tourlaville 


! Son mari, ancien caissier de la compagnie, avait acheté plusieurs parts ou 
deniers (suivant l'expression employée jusqu’en 1830 pour désigner les parts 
d'intérêt), et était devenu administrateur en 1712. Mme Geoffrin usa toujours 
de son influence pour protéger autant qu'elle pouvait la compagnie des glaces 
à laquelle, à la vérité, elle devait la plus grande partie de sa fortune. 

? On lit dans les Avis divers du 17 octobre 1777 : « M. Deslandes, directeur 
de la manufacture royale de Saint-Gobain, avertit qu’on y reçoit tous les ou- 
vriers et gens de peine qui s’y présentent avec des certificats valables; qu’on 
garde toute leur vie ceux qui veulent s’y fixer; que quand ils sont vieux on 
leur donne la paye des [Invalides et que cette paye est capable de les faire vivre 
commodément; qu'il y a de l'ouvrage pour leurs femmes et leurs enfants, et 
qu'enfin on donne des logements à ceux qui veulent s'attacher et rester con- 
stamment au service de la manufacture. » 


332 LA VERRERIE 


furent éteints définitivement, et Saint-Gobain dut s'ar- 
rèter pendant quelque temps; les ouvriers néanmoins 
ne furent pas dispersés, et grâce à l'énergie du conseil 
d'administration, qui sut maintenir le crédit et inspirer la 
confiance aux actionnaires, la fabrication put reprendre en 
1795, plus active que par le passé. Un an plus tard même 
on construisait de nouveaux bâtiments à Chaunv. 

À partir de cette époque, l’histoire de la manufacture de 
Saint-Gobain n'offre plus rien de bien intéressant. La révo- 
lution avait supprimé les privilèges dont elle jouissait: 
« mais en rentrant dans le droit commun, dit M. Cochin, 
la compagnie a trouvé au lieu de la mort la paix. Pour 
mieux dire, le combat est déplacé : il faut lutter contre la 
concurrence devenue libre, et ce n’est plus à la faveur ou 
aux tribunaux qu'il est nécessaire de recourir ; les armes 
du nouveau combat sont l'habileté de l'administration et 
la supériorité de la fabrication. Heureusement, dans une 
industrie qui exige d'excellents ouvriers, des matières rares 
et des outils coûteux, un siècle d'avance est un inappré- 
ciable avantage, et les adversaires ne peuvent pas être 
promptement armés. Aussi la compagnie eut-elle le temps 
de régulariser et de fortifier sa position. » 

On voit par l'exposé qui précède que l'histoire de lindus- 
trie des glaces en France se trouve comprise tout entière 
dans celle de la manufacture de Saint-Gobain ; toutes les 
fabriques rivales, plus ou moins importantes, établies à 
différentes époques pour lui faire concurrence, furent peu 
à peu absorbées par elle. Seule la verrerie de Saint-Quirin 
(p. 233), qui appartint, vers 1766, à une compagnie puis- 
sante, solidement établie et administrée avec intelligence, 
put lui tenir tête pendant longtemps et soutenir même 
contre elle, à propos des privilèges qui lui avaient été concé- 


dés, une série de procès que la révolution devait terminer; 


LA VERRERIE DU XWM AU XIX° SIÈCLE 3933 


ce qui n’empêcha pas la rivalité de continuer jusqu’au mo- 
ment où, en 1830, les deux compagnies s’entendirent pour 
vendre leurs produits dans un entrepôt commun. Aujour- 
d’hui la compagnie de Saint-Gobain, plus puissante que 
par le passé et propriétaire de plusieurs établissements, 
non seulement en France, mais encore à l’étranger, ne 
cherche plus comme autrefois à supprimer les manufac- 
tures rivales; ses efforts ne tendent qu'à leur rester tou- 
jours supérieure par la pureté, la dimension et la belle 
fabrication de ses glaces. 

Plusieurs manufactures, copiées sur celle de Saint-Gobain, 
et souvent même fondées par des ouvriers qu’elle avait 
formés, furent établies à l’étranger dans le courant du 
siècle dernier. Les plus importantes étaient, en Angleterre, 
celle de Ravenhead, dans le Lancashire, créée en 1773, et 
pour laquelle Watt et Bolton construisirent, en 1788, leur 
seconde machine à vapeur, et, en Allemagne, celle de Neus- 
tadt, fondée en 1788, mais qui ne réussit pas. 

Aujourd'hui la France compte huit manufactures, qui 
produisent à peu près annuellement 410,000 mètres carrés 
de glaces représentant une valeur de 23,000,000 de francs, 
sur lesquels 6,000,000 sont exportés à létranger. L’Angle- 
terre possède trois grandes glaceries dans le Lancashire, et 
une près de Newcastle; Allemagne, six, dont deux appar- 
tiennent à la compagnie de Saint-Gobain; et l'Autriche, 
quatorze, peu importantes, et dans lesquelles on ne fait que 
des glaces soufflées ; avec les six manufactures établies 
récemment en Amérique, et dont la production est assez 
considérable, ce sont à peu près les seules fabriques qui 
fournissent de glaces le monde entier. 


334 LA VERRERIE 


$ IX 


PATES DE VERRE — VERRE FILÉ — STRASS — 
VERRE ÉGLOMISÉ, ETC. 


Nous avons dit (p. 168) qu'à Nevers, sous une influence 
évidemment italienne, la verrerie avait donné naissance à 
un art tout particulier, celui de fabriquer des figurines, 
personnages, animaux, fleurs, etc., en pâtes de verre diver- 
sement colorées. À dire vrai, les objets ainsi façconnés ne 
peuvent guère être considérés comme des œuvres d'art, au 
moins dans leur ensemble ; mais ils ont été tellement à la 
mode pendant près de deux siècles, et aujourd'hui encore 
les rares spécimens qui en restent sont si recherchés par 
les amateurs, qu'ils méritent certainement une mention 
spéciale. La matière qui servait à leur confection étant, en 
réalité, une sorte d’émail, — employé sans excipient, — les 
artisans qui les fabriquaient étaient désignés sous le nom 
général d’émailleurs, et quelquefois, pour les distinguer de 
ceux qui émaillaient l’orfèvrerie, sous celui d’émailleurs en 
verre. 

Dès la fin du xvire siècle, la ville de Nevers était renommée 
pour ses figurines de verre. « Il y a beaucoup de curieux, 
dit un vieil auteur !, qui remplissent leur cabinet de cristaux 
de Venise et de plusieurs pièces rares de verreries de Nevers: 
chacun veut avoir, riche ou pauvre, de ces sortes de gen- 
üllesses propres à orner les eabinets, les cheminées, les 


armoires, etc. » 


! Cilé par M. Grouer dans l’Echo du monde savant, 27 juin 1844. 


LA VERRERIE DU XY° AU XIX° SIÈCLE 339 


On fabriquait ainsi, non seulement des figures de saints, 
des statuettes et des groupes, mais aussi des scènes entières 
assez compliquées, où tout, même les arbres, était en pâte 
de verre; souvent même on faisait des pièces exceptionnelles 
qui étaient offertes aux souverains et aux princes lors 
de leur passage à Nevers. « Le vendredy 23 décembre 1622, 
dit un document cité par Parmentier dans les Archives de la 
ville de Nevers, nous fimes présent au roi (Louis XII) d’un 
ouvrage d'émail représentant la victoire remportée par Sa 
Majesté contre les rebelles de la religion prétendue réfor- 
mée, en l’île de Ré, et encore une chasse; lequel présent 
le roy eut très agréable : aussi était-ce un ouvrage très 
artistement fait. » 

Un siècle plus tard, le 23 septembre 1733, les échevins 
offraient « à Mme la duchesse de Nivernois un service de 
cristal du prix de 400 livres, et deux douzaines de faux 
dieux en émail, montés sur des piédestaux dorés, et autres 
figures d’émail de différentes espèces ». 

Parmi les émailleurs nivernais dont on a conservé les 
noms, les plus habiles étaient les Faucillon, émailleurs de 
père en fils pendant un siècle et demi; de Saint-Éloy, mort 
en 1777; Beaumier, ses fils et ses petits-fils, etc. etc. 

Rouen et Paris possédaient également des émailleurs qui 
ne le cédaient en rien pour l’habileté à ceux de Nevers. 
Dans la première de ces villes, en 1777, « le sieur Mérignon, 
rue Malpalu, vis-à-vis de celle des Augustins, » faisait 
annoncer dans les Aus divers! qu'il venait de terminer 
« l’Histoire de l'enfant prodigue en figures d’émail, de la 
hauteur de deux pouces et demi, renfermée dans six 
tableaux de six pouces de haut sur huit de large, et quatre 
de profondeur... L'artiste, ajoute l’annonce, fait voir aux 


1 22 juillet 1777, p. 895. 


330 LA VERRERIE 


curieux ces ouvrages, qui ont chacun leur perspective et 
sont ornés de cadres à la grecque ». 

Ces tableaux devaient être du même genre que ceux qui 
sont conservés au musée de Cluny (nos 4760-4761), et qui 
représentent : l'un, le Triomphe de Jupiter sur les bords du 
Tibre; l'autre, la Comédie italienne ; le premier comprend 
dix-huit figures, le second six. Les accessoires sont en 
émail, et le fond est peint. Une adresse imprimée collée au 
revers du n° 4760 indique que ces tableaux étaient exécu- 
tés par « Raux, émailleur du roy, marchand jouaillier, 
privilégié du rov, suivant la Cour, demeurant rue Saint- 
Martin, au coin de la rue Saint-Julien-des-Ménétriers, à 
l'enseigne des Armes royales; lequel Raux fait et vend de 
toutes sortes de marchandises d’émail, de Joualerie, savoir : 
toutes sortes de figures grotesques à garnir les cabinets et 
cheminées, aigrettes pour les ballets et tragédies, beaux 
colliers de perles, pendans d'oreilles, etc. ». 

Raux, dont le père avait été également émailleur, rue 
Saint-Denis, et qui faisait aussi « des figures et des aigrettes 
d’émail! », s'attacha surtout à la fabrication des veux arti- 
ficiels, et acquit bientôt dans ce genre une réputation que 
constatent les recueils du temps : « Raux, rue des Juifs. 
émailleur du roy, dit lAlmanach Dauphin, fait des veux 
d’émail qui imitent si parfaitement le naturel, qu'il est 
presque impossible de ne pas s'y méprendre. Sa générosité 
va jusqu'à en faire donner gratis aux pauvres tous les 
lundis. » Il mourut à la fin de Pannée 1777*. 


1 Cf, Le Livre commode des adresses, par ABRAHAM DE PRADEL. 

? « Le sieur Raull, émailleur pour les yeux artificiels, vient de mourir et 
laisse les sieurs Auzou, père el fils, seuls déposilaires d'un secret aussi inté- 
ressant. Leur adresse est rue Salle-au-Comte, à Paris, Pour avoir de leurs ou- 
vrages, il suffit aux personnes de province de leur écrire. » — Avis divers, 
90 déc. 1771. 


PAMVERRERRIEDUMA AU XIX SIÈCLE 3937 

Après lui nous trouvons Charles-François Hazard, véri- 
table artiste qui, après avoir étudié d’abord la peinture, 
fut forcé de prendre la profession d'émailleur. Comme Raux, 





































































































































































































DEWAÏILLY. sc 


Fig. 62. — Henri IV, statuette en émail, modelée par C.-F. Hazard. 


(Musée des Arts décoratifs.) 


il s’appliqua surtout à la fabrication des veux artificiels, 
et arriva bientôt à acquérir une telle habileté, que le 
savant minéralogiste Sage voulut le présenter à Louis XVI 
et à Marie-Antoinette, devant qui il modela une figurine du 
Dauphin et un œil en émail de la couleur des veux de la 


reine. Le musée des Arts décoratifs possède de cet artiste, 
99 


338 LA VERRERIE 


mort en 1812, une statue équestre de Henri IV (fig. 62), 
haute de 20 centimètres, qui peut être regardée comme 
une œuvre absolument remarquable sous tous les rapports. 

Toutes ces figurines et statuettes étaient faites au moven 
de baguettes de pâtes de verre, où émail, de diverses 
couleurs, fondues à la lampe et modelées, à laide de pinces 
et d'instruments de formes variées, autour d’une sorte 
de petite armature en fil de laiton; c’est à la lampe éga- 
lement, mais par le procédé du soufflage, que sont exécutés 
ces milliers de petits objets qui se vendent aujourd'hui 
dans les foires, et qui proviennent presque tous d’Alle- 
magne : vaisseaux à trois mâts, chevaux sur bascules, 
chiens, oiseaux dont la queue est formée d'une aigrette 
de fils de verre aussi fins que les brins de soie les plus 
déliés, etc. Ces fils de verre tissés servent également en 
Allemagne à fabriquer des mèches de lampe qui donnent 
une lumière plus pure et plus claire que les mèches ordi- 
naires. 

Ainsi se trouve mise à exécution l’idée, exprimée par 
Réaumur au commencement du siècle dernier, de tisser 
les fils de verre et d’en fabriquer des étoffes, idée qui fai- 
sait sourire ses confrères : «... L'industrieux académi- 
cien, dit le Journal des sçavants du 10 mai 1717, a poussé 
la chose jusqu'au point de rendre ces fils presque aussi 
fins que le sont ceux de la soye des araignées. Comme la 
flexibilité des fils de verre augmente à proportion de leur 
finesse, M. de Réaumur tire de là cette conséquence para- 
doxe qu'on pourroit faire des tissus et des étoffes de verre 
si lon avoit Part d’en allonger suffisamment les fils, pour 
pouvoir être filez plusieurs ensemble". » Et un des savants 

1 Vers 1843, on s’occupa beaucoup du tissage du verre filé; le musée de 


Sèvres possède plusieurs échantillons de lissus ainsi fabriqués à cette époque, 


et la reine d'Angleterre, à la soirée-concert donnée au château d'Eu, lors de 


DAUVERRERTE DUMMVES AU XIX° SIÈCLE 339 


de l’époque, se moquant de Réaumur, disait gravement à 
ce propos, après une longue dissertation sur le verre : « Il 
ne faut donc qu’une simple connaissance de la nature du 
verre pour être Convaincu que ce corps ne peut jamais être 
ni ductile ni malléable; cela est démontré par le moindre 
physicien". » 

Dans les temps modernes, aussi bien que dans lanti- 
quité, le verre a été employé, avec plus ou moins d’habileté 
et de science, pour contrefaire les pierres transparentes les 
plus précieuses, lémeraude, le rubis, Paméthyste, etc.; mais, 
plus ambitieux que les verriers de Sidon ou d'Alexandrie, 
qui cherchaient seulement à imiter le cristal, nos modernes 
artisans ont voulu rivaliser d'éclat avec le diamant, et ils 
y sont arrivés. Cest à un Allemand du nom de Strass, éta- 
bli à Paris à la fin du règne de Louis XV, qu'est due la 
découverte de ce verre, qui porte son nom; très riche 
en plomb, le strass a beaucoup d'éclat et possède à un tel 
degré les feux du diamant, surtout à la lumière, qu'il 
est très difficile de len distinguer sans un examen appro- 
fondi ; mais il est tellement tendre, que les pierres dures, 
et même les autres espèces de verre, le rayent facilement. 


Il nous reste à dire quelques mots d’une série de verres 
peints dont la désignation, bien qu’elle ne se trouve pas 
encore dans les dictionnaires, est devenue aujourd’hui 
d’un usage courant dans le langage des amateurs : nous 
voulons parler des verres dits églomisés. On appelle ainsi 
des verres dont la décoration, exécutée à l'envers, est 
obtenue au moyen de couleurs opaques, et produit absolu- 
ment l'effet d’une peinture sur laquelle pèserait lourdement 


sa visite au roi Louis-Philippe, en 1844, portait une robe dont une partie 
était tissée en verre. 


1 Aménitcs liticraires, 1"e partie, p. 183. 


340 LA VERRERIE 


un verre; en réalité, c'est une sorte de fixé peint directe- 
ment sous le verre. Dans beaucoup de cas, le dessous de 
la peinture est recouvert entièrement par un vernis qui la 
préserve des influences extérieures, tout en communiquant 
à l’ensemble, malgré lopacité de la couleur, une harmonie 
générale. Quelquefois aussi la décoration est rehaussée de 
parties d’or; mais dans ce cas l’or est dessiné et modelé 
par un lavis plus ou moins bistré transparent, et non dé- 
coupé et gravé, comme cela avait lieu dans les verres ita- 
liens dont nous avons parlé plus haut (p. 71), et qui peu- 
vent être également rangés dans la série des verres églo- 
inisés. 

Ce mode de décoration a été employé en France, en 
Italie et en Allemagne, surtout aux xvie et xvrre siècles, et 
nos musées! en possèdent de très beaux spécimens. Il serait 
trop long d'analyser ici et de décrire les différents procédés 
usités dans la peinture de ces verres; ils variaient sui- 
vant la nature des pièces et la nationalité de l'artiste, mais 
il est facile de s’en rendre compte avec un examen attentif. 
Nous pouvons dire cependant qu’en Italie le dessin est 
tracé en noir dans toutes ses parties, ce qui donne à l’en- 
semble l'aspect d’une gravure au trait reportée sur verre, 
et couverte d’à-plats colorés, et qu'en France et en Alle- 
magne les lignes du dessin sont moins apparentes, et le 
modelé plus cherché par la couleur même?. 

Quant au mot églomisé, un savant et ingénieux critique 
d'art, qui est en même temps un amateur au goût délicat, 
M. Bonnaffé, pense qu'il doit son origine à un célèbre 


expert et marchand de curiosités du siècle dernier, nommé 


! Entre autres le musée de Cluny (n° 4,779 et 4,780). 
? Beaucoup de bijoux italiens el français en cristal de roche sont décorés 
de peintures églomisces, d'une finesse remarquable, exécutées de la même 


manière que les peintures sous verre. 


LA VERRERIE AU XIX° SIÉCLE 341 


Glomy, qui faisait encadrer les dessins, gouaches et aqua- 
relles qu'il avait à vendre au moyen de bandes de papier 
doré et de filets fixés sous le verre lui-même ; la désigna- 
tion de ces sortes d’encadrements ainsi glomisés s’est con- 
servée dans le commerce de la curiosité, et a été appliquée 
plus tard aux verres peints, qui sont devenus, par un oubli 
de l’étymologie du mot, des verres églomisés. 


ÉTAT ACTUEL DE L'INDUSTRIE DU VERRE 


Après avoir étudié les origines de l’art du verre, les 
conditions dans lesquelles il s’est exercé à diverses époques 
et ses différentes manifestations jusqu'au xixe siècle, il 
nous resterait maintenant à examiner l’état actuel de cette 
belle industrie et les développements considérables qu’elle 
a reçus dans ces derniers temps, grâce aux perfectionne- 
ments successifs que la science moderne à apportés à son 
outillage et à la préparation des matières premières qui 
sont la base de la fabrication ; mais un pareil travail rentre 
dans le domaine de la technologie plutôt que dans celui de 
l’histoire et de l'archéologie, et nous devons nous borner à 
renvoyer nos lecteurs aux ouvrages! récemment publiés sur 
ce sujet par d'illustres savants après lesquels il ne reste 
rien à dire, et que nous ne pourrions que copier. 

Nous ferons remarquer cependant que les conditions 
actuelles de la production du verre se modifient sensi- 
blement de jour en jour; primitivement établies, ainsi que 
nous l'avons vu, près des forêts, dans des localités où le bois 


! Bontewrs, l'Art du Verrier. — PÉLIGoT, membre de l'Institut, le Verre. 


— HENRIVAUX , le Verre et le Cristal. 


342 LA VERRERIE 
était abondant et à bon marché, les verreries tendent à se 
transporter à proximité du combustible minéral, et ce sont 


aujourd’hui les pays où la houille est abondante, la Bel- 





Z. x. deb. 


Fig. 63. — Flacon en cristal gravé. 


Cristallerie de Baccarat, 


gique, l'Angleterre, les États-Unis d'Amérique, qui, plus 
que les autres, sont appelés à voir se développer une indus- 
trie où le combustible joue le rôle le plus important. 

La France cependant occupe encore une des premières 
places, principalement dans la fabrication des verreries de 
luxe, et nos cristalleries de Baccarat, de Clichy et de Pantin 
ne connaissent guère de rivales jusqu'à présent, surtout en 


ce qui concerne la pureté de la matière, l’élécance des 


LA VERRERIE AU XIX° SIÈCLE 343 


formes et le goût délicat qui préside à l’ensemble de la 
décoration. 

À côté de ces grandes manufactures, il existe des ver- 
reries moins importantes sous le rapport de la production, 
mais d'où sortent de véritables œuvres d'art qui peuvent 





Fig. 64. — Verre fumé à deux couches. 
Fabrication de M. Rousseau. 


rivaliser avec ce que lantiquité et Venise nous ont laissé 
de plus remarquable. Nous citerons en première ligne 
M. Rousseau, de Paris, et M. Gallé, de Nancy, dont les 
verres, à la dernière exposition de l'Union centrale des Arts 
décoratifs, ont été comme une sorte de révélation d’un art 
nouveau. 

M. Rousseau, qui, sans étre fabricant dans le sens réel 
du mot, est cependant lui-même son propre artisan, s’est 
attaché surtout à-la fabrication des verres doublés ou verres 
à deux et trois couches aussi beaux de matière, mais de 


344 LA VERRERIE 


dimensions beaucoup plus grandes que les petits flacons 
chinois dont nous avons reproduit des spécimens (fig. 57 
et 99). Tirant parti avec une habileté extrême des ressources 
infinies que présentent la décoration et la fabrication du 
verre, sachant profiter même des accidents et des coulures 
qui se produisent si souvent au feu, M. Rousseau à apporté 


la plus grande variété dans la conception des formes et 





Fig. 65. — Verre gravé à trois couches. 
Fabrication de M. Rousseau. 


l’ornementation de ces verres, pour lesquels il a trouvé des 
colorations d’une intensité et d’une vigueur étonnantes et 
que fait d'autant mieux valoir la transparence limpide du 
dessous, découvert et mis à nu, au moven de la gravure à 
la roue, par des motifs décoratifs d’un arrangement et d’un 
goût parfaits. 

Quant à M. Gallé, qui a su créer un art original et qui 
lui appartient bien en propre, ses œuvres resteront comme 
une des manifestations les plus intéressantes de l'industrie 
du verre. Non seulement M. Gallé est un artiste au goût dé- 
licat et un ouvrier d’une habileté consommée, c'est de plus 


un esthéticien de premier ordre. Très épris de la matière 


LA VERRERIE AU XIX° SIÈCLE 343 


3419 
splendide qu’il sait si bien mettre en œuvre, sa préoccupa- 
tion parait être avant tout de faire valoir les qualités excep- 
tionnelles qui lui sont propres: la transparence parfaite et 
la translucidité. Se conformant en outre rigoureusement 
à ce principe, que la forme et l’ornementation doivent tou- 
jours être subordonnées à la matière, cet habile praticien a 
su produire des œuvres remarquables sous tous les rapports, 
d’une composition tout à la fois savante et très artistique, 





Fig. 66. — Verre en forme de nautile, gravé au touret. 
Fabrication de M. Gallé. 


dont la décoration, obtenue sans aucun des artifices em- 
ployés si fréquemment par les verriers, n’en est pas moins 
d’une richesse pleine d'harmonie dans laquelle les rayons 
de lumière se divisent et éclatent en gerbes étincelantes. 
Nous devons signaler en terminant la verrerie de 
MM. Appert frères, véritables savants qui, par des analyses 
patientes et des recherches persévérantes, ont su retrouver 
les procédés employés dans l'antiquité et au moyen âge 
pour la coloration des vitraux et pour celle des verres imi- 
tant les pierres précieuses. Mais ce n’est pas seulement à 
cause de leur grande et incontestable valeur industrielle 
que MM. Appert méritent d'occuper un rang à part dans 


l'histoire du verre ; une place plus belle leur est réservée. 


346 LA VERRERIE 


C'est à eux, en effet, qu'est dû le procédé du soufflage au 
moyen de Pair comprimé, remplaçant le souffle de la poi- 
trine humaine, et il faut avoir vu dans une verrerie les 
malheureux souffleurs approcher de leurs Ièvres la canne 


à lPextrémité de laquelle se balance la masse de matière 





Fig. 67.— Verre en forme de casque nautile, gravé au touret. 


Fabrication de M. Gallé. 


embrasée dont la chaleur effroyable, montant au travers 
le tube de fer, vient dessécher leurs poumons épuisés et 
brûler leur poitrine amaigrie, pour apprécier comme il 
mérite de l'être l’immense service que MM. Appert ont 
ainsi rendu à cette classe si intéressante des verriers, dont 
nous avons cherché, dans les pages précédentes, à suivre 


l’histoire à travers les âges. 


L'ÉMAILLERIE 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 


L'art de l’émaillerie offre à l'étude cette particularité 
intéressante qu'il s’est manifesté à diverses époques sous 
des formes absolument différentes les unes des autres, et 
qui paraissent n'offrir entre elles aucune relation. Il se 
distingue en cela de la plupart des arts industriels, de la 
céramique entre autres, où tout s’enchaîne de telle facon 
qu'un changement dans la matière, une modification dans 
les formes, un nouveau procédé de fabrication ou de 
décoration sont le résultat d’un progrès amené par un 
progrès antérieur, et dont on peut suivre pas à pas les 
phases successives. Dans l’émaillerie, Part du xive siècle 
diffère absolument de l’art du x1e, de même que celui du 
xvIe ne procède en aucune façon de l’un ou de l’autre; il y 
a là trois modes d’expression que rien ne relie ensemble, 
et qui mont de commun entre eux que la matière employée, 


348 L'ÉMAILLERIE 


cest-à-dire lémail, et l'excipient métallique sur lequel il 
est posé. 

Cela tient sans doute à ce que lémaillerie, excepté 
pendant la période qui commence à la fin du xve siècle 
pour s'étendre jusqu'au milieu du xvue, n'est pas un art 
indépendant; c'est plutôt un procédé de décoration qui se 
trouve intimement lié à un autre art, celui de lorfèvre- 
rie, qu'il rehausse par léclat harmonieux de ses couleurs, 
mais auquel il reste, pour ainsi dire, subordonné. Néan- 
moins son importance est telle, et le rôle quil a Joué 
à certaines époques à été si considérable, qu'il occupe 
à juste titre une place à part, et des plus élevées, dans 
ensemble de ces belles industries artistiques qui sont la 
oloire de l'humanité. 


I. L'ÉMAIL ET SES DIFFÉRENTES APPLICATIONS. — L'émail 
est une substance vitreuse, fusible à une température assez 
basse, composée de silice, d'oxyde de plomb et de soude, 
dont le mélange varie dans ses proportions suivant la 
matière sur laquelle elle doit être appliquée. À cet état, 
l'émail, — que l’on désigne alors plus généralement sous le 
nom de fondant, — est incolore et transparent: 1l peut être 
coloré à l’aide d'oxydes métalliques, tout en conservant sa 
transparence ; on le rend opaque, sans lui faire perdre 
cependant les différentes colorations données par les oxydes, 
en y ajoutant de l’oxyde d'étain. 

Les émaux, transparents où opaques, peuvent être appli- 
qués sur toutes les matières susceptibles de supporter sans 
se brûler, sans se fondre ou sans éclater, la chaleur néces- 
saire pour les faire entrer en fusion: ces matières sont la 
terre (faïence, grès ou porcelaine), le verre, la lave et les 
métaux, principalement l'or, Pargent, le cuivre et le fer: 


mais 1l faut, sous peine d'accidents irréparables, que leur 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 349 


composition soit en rapport de dilatation ou de contraction 
avec la matière qui est appelée à les recevoir. 

L'application de l'émail sur les différentes matières que 
nous venons d’énumérer a recu le nom général d’émail- 
lage; mais on réserve exclusivement le mot émaillerie à l'art 
d’émailler les métaux, et, par métonymie, on donne le nom 
d’émail à tout objet en métal recouvert, en totalité ou en 
parte, d'émail; on dit : un émail byzantin, un émail de 
Limoges, un émail de Petitot, etc. 

Sur les métaux, l’application de l'émail se fait de quatre 
facons différentes : dans la première, l’émail, incrusté dans 
le métal, n’est, pour ainsi dire, que l’accessoire de la déco- 
ration, dont les contours ou le dessin sont formés par le 
métal lui-même; dans la seconde, il couvre entièrement la 
partie du métal qui est décorée : dans ce cas, il est trans- 
lucide, et la décoration gravée en relief sur le fond même 
du métal apparait sous l'émail; dans la troisième, c’est 
l'émail lui-même, couvrant le métal en totalité, qui, par 
opposition de tons, ou seulement même de valeurs de ton, 
forme la décoration peinte, et alors le métal sert simplement 
dexcipient, absolument comme la toile, le bois ou le papier 
dans la peinture à l'huile ou à l’aquarelle; dans la qua- 
trième enfin, employée particulièrement dans la joaillerie 
et la bijouterie, émail, appliqué sur certaines parties du 
métal, n’est là que pour en rehausser léclat par sa couleur. 

De ces quatre applications de l'émail, les trois premières 
correspondent à trois époques bien distinctes : les émaux 
incrustés ont été employés dans l'antiquité, et surtout au 
moyen âge, Jusqu'au xive siècle; les émaux translucides ont 
été en usage au xiIve et pendant une partie du xve; les 
émaux peints datent de la fin du xve siècle et sont restés 
en vogue jusqu'à la fin du xvire, mais en subissant une 


transformation. 


350 L'ÉMAILLERIE 


Émaux incrustés. — Les procédés employés dans l’incrus- 
tation des émaux sont de deux sortes : le plus ancien est 
celui qui consiste à remplir d’'émail une cavité formée par 
le creusement où champlevage partiel du métal qui sert 
d'excipient; ce champlevage est fait de facon que les parties 
creusées ainsi dans l'épaisseur du métal, suivant un dessin 
tracé à l'avance, soient reliées ensemble par des arêtes plus 
ou moins larges, constituant autant de petites caisses ‘des- 
tinées à recevoir des pâtes d’émail de couleurs différentes : 
après le passage au feu, les émaux sont usés et polis de 
manière à venir affleurer le métal et à former avec lui une 
surface plane et bien unie. Ce procédé, connu dans l'anti- 
quité, a été repris au xIe siècle; nous verrons plus loin 
qu'il a subi plusieurs modifications, où du moins qu'il a 
été emplové de facon à donner des résultats variés, bien 
que le principe soit resté toujours le même. Les objets ainsi 
décorés sont généralement en cuivre ou en bronze : on les 
désigne sous le nom d'émaux champlevés. 

Dans l’autre procédé, qui était également connu dans l’an- 
tiquité, mais que les Byzantins ont remis en pratique dès le 
vie siècle, les pâtes, de différentes couleurs, sont enserrées 
entre des cloisons formées par de petites lames extrême- 
ment minces de métal, placées sur champ et contournées 
suivant les traits extérieurs et intérieurs du dessin, quel- 
quefois assez compliqué, qui doit être émaillé ; ces lamelles, 
soudées sur le fond, permettent d'isoler les différentes cou- 
leurs d’émail dont on remplit leurs intervalles. Ce procédé, 
qui à été employé presque exclusivement sur des plaques 
d’or destinées à rehausser par leur richesse et éclat cha- 
toyant de leurs couleurs les couronnes et les ornements 
royaux, les autels et les objets destinés au culte, les plaques 
d’évangéliaires, etc., a reçu le nom d’émail cloisonné. 


En Allemagne, et particulièrement dans les ateliers des 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 351 


bords du Rhin, on a quelquefois associé les deux procédés 
du cloisonnage et du champlevage sur des émaux géné- 
ralement en cuivre, qui prennent alors le nom d’émaux 
mixtes. 


Émaux translucides. — Les émaux sont dits franslucides 
sur relief ou de basse-taille', lorsque la surface du métal a 
été gravée en creux de façon à former une sorte de bas- 
relief recouvert entièrement d’émaux transparents, dont la 
coloration augmente d'intensité selon qu'ils se trouvent sur 
des parties creusées plus ou moins profondément. Ce pro- 
cédé, beaucoup plus artistique que les précédents, a été 
appliqué sur des objets et des plaques d’or ou d'argent, 
d'assez petite dimension généralement ; suivant toute pro- 
babilité, 1l a été trouvé en Italie tout à fait à la fin du 
xIIIe siècle, et a été pratiqué un peu partout, mais parti- 
culièrement en France et en Allemagne, au xIve et au 
xve siècle. 


Émaux peints. — On appelle généralement émaux peints 
ceux dont le métal, qui sert d’excipient, est recouvert en son 
entier d'une couche d’émail qui peut être décorée suivant 
divers procédés qui donnent des résultats assez différents 
les uns des autres. Au xvie siècle, on se servait pour les 
fonds d’un émail noir, brun ou bleu foncé, sur lequel la 
décoration, figures ou ornements en émail blanc, se mode- 
lait par transparence, suivant le degré d'épaisseur de cet 


! On les désignait ainsi dès le commencement du xvi° siècle, probablement 
pour les distinguer des émaux peints récemment inventés. « Un calice (don de 
Charles V}), esmaillé de basse-taille, champ d'azur, ete. » (Invent. de l’église 
Saint-Denis, 1534.) -—- « Ung petit tableau d’or, en forme de table d’autel, 
fermans à deux ouvrans, au milieu duquel est, en esmaillure de basse-taille, 
le crucifiement. » — {Invent. de Charles-Quint, 1536.) 


3592 L'ÉMAILLERIE 


émail sur le fond; c'est le procédé qui, à cette époque, 
était particulier à Limoges, et que lon désigne sous le 
nom d’émail limousin où genre limousin. Au xvre siècle, 
on remplaca le fond coloré par un fond entièrement blanc 
sur lequel on peignait avec des couleurs variées; ce genre, 
qui, dans son procédé d'exécution et dans ses résultats, 
se rapproche de la peinture sur porcelaine, a recu plus 


particulièrement le nom d'érnail des peintres. 


IT. L'ÉMAILLERIE DANS L'ANTIQUITÉ. — Il n’est guère de 
questions dans le domaine de l'archéologie qui aient donné 
lieu à plus de controverses que celle des origines de l’émail- 
lerie. Les anciens connaissaient-ils l’art d’émailler les 
métaux? L'électrum (#exroo) dont parlent Homère dans 
l'Odyssée, Hésiode dans la description du bouclier d'Hercule, 
et après eux Sophocle, Aristophane et la Bible grecque des 
Septante, était-il l'émail que nous connaissons aujourd'hui, 
que les artisans du Bas-Empire et du moyen âge avaient 
appliqué à la décoration des objets d’orfèvrerie, et auquel 
le moine Théophile, à la fin du xre siècle, avait conservé 
ce nom? Telle est la question que de savants archéologues, 
d'un égal mérite, ont agitée longuement et sans arriver, il 
faut bien le dire, à la résoudre d’une facon satisfaisante. 
Les uns et les autres ont apporté à l'appui de leurs opinions 
des preuves qui, de chaque côté, paraissaient irréfutables. 
mais qui, en réalité, ne s'appuyant que sur des textes faciles 
à interpréter de diverses facons et suivant les besoins de 
la cause, mont rien prouvé jusqu'à présent relativement à 
la sienification réelle du mot. 

Nous n'avons pas la prétention d'entrer dans ce savant 
débat, au moins en ce qui concerne les temps homériques: 
mais il est difficile, en présence des monuments que ren- 


ferment les vitrines du Louvre, celles du musée de Boulaq 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 303 


et des principales collections publiques de l'Europe, de 
refuser à l’ancienne Égypte la connaissance et la pratique 
de l’émaillerie, et les découvertes faites dans les tombes de 
l’ancienne Étrurie, depuis l’époque où on discutait sur la 
signification probable du mot, ont prouvé que les Grecs 
savaient émailler, eux aussi, les bijoux en or. 


Égypte. — Les Égyptiens, — que l’on trouve, du reste, 
aux origines de tous les arts industriels, — étaient en tout 
genre des ouvriers fort habiles; nous avons vu que les 
procédés qu'ils employaient pour fabriquer et souffler le 
verre étaient identiquement semblables à ceux qui sont 
encore usités dans la plupart de nos verreries, et qu’ils 
excellaient surtout à fabriquer, en pâtes de verre colo- 
rées au moyen d’oxydes métalliques et rendues opaques 
par l'addition d'oxyde d’étain, ces petits flacons à huiles, 
ces bouteilles à parfums et ces amulettes aux formes varices 
(fig. 2 à 9) qui, par la perfection de leur fabrication et la 
diversité de leur coloration, font encore aujourd’hui l’admi- 
ration de nos plus habiles praticiens; or il n'existe aucune 
différence de composition entre ces pâtes et celles que les 
émailleurs ont, de tout temps, employées dans la pratique 
de leur art. 

Si nous examinons maintenant certains bijoux que possède 
le musée égyptien du Louvre (salle historique, vitrine IH De 
nous en trouvons plusieurs dans l’ornementation des- 
quels il entre des pâtes de diverses couleurs, séparées 
entre elles par des cloisons prises dans l'épaisseur même 
du métal évidé et formant ces petites caisses ou alvéoles 
dont nous avons parlé plus haut. Dans un de ces bijoux 
d'or (n° 535), un des plus précieux de la collection, qui re- 
présente un épervier à tête de bélier, les ailes éployées et 


tenant dans ses serres le sceau, emblème de l'éternité 
23 


354 L'ÉMAILLERIE 


(fig. 68), nous trouvons même le procédé de la séparation 
des pâtes au moyen de fines lamelles d’or soudées sur le 
fond et se reliant aux cloisons plus fortes réservées dans le 
métal : ce sont bien là, du moins comme procédés d’exé- 
cution, et sans aucune modification, les émaux champlevés, 
cloisonnés, et même les émaux mixtes, que nous retrouve- 
rons plus tard. 

Il existe dans les musées d'Europe plusieurs autres bijoux 
décorés de la même facon, et la plupart d’entre eux étaient 
connus à l'époque où parurent, 11 + a vingt ans, les disser- 
tations dont nous venons de parler. On admettait bien à 
cette époque, — il est vrai qu'il était difficile de faire autre- 
ment, — que les Égyptiens avaient mis en pratique les 
procédés du champlevage et du cloisonnage ; mais on miait 
que les matières colorantes remplissant les alvéoles fussent 
des émaux : les uns, s’'appuvant sur leur apparence terne 
et mate, prétendaient qu'elles n'étaient qu'une sorte de 
mastic diversement coloré ; les autres, que c’étaient des 
pâtes de verre employées à froid. Ces deux hypothèses nous 
semblent également inadmissibles ; mais, en supposant 
même qu’elles fussent vraies, 1l n’en resterait pas moins ce 
fait indéniable, à savoir que les Égyptiens étaient arrivés, 
par l'emploi des mêmes procédés d'orfèvrerie, à obtenir des 
résultats semblables à ceux dont on attribuait la découverte 
aux Grecs du Bas-Embpire. 

Aujourd'hui, du reste, on à à peu près abandonné la 
croyance à l'emploi d’un mastic, mais on persiste générale- 
ment à admettre lusage des pâtes de verre fixées sur le 
métal sans avoir subi Paction du feu ; examen attentif des 
bijoux du Louvre nous semble contredire cette assertion. 
En effet, la pâte de verre, réduite en poudre et amalgamée 
avec une matière agglutinante, aurait conservé trop de 


friabilité en se desséchant par évaporation, pour résister à 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 355 


l’action du temps, et surtout pour supporter l'emploi du 
tour ou de la roue à polir, dont on retrouve la trace irréfu- 
table sur la plupart des objets que nous signalons. En outre, 
il est difficile de supposer que les Égyptiens, qui connais- 
saient tous les secrets du feu, qui savaient fondre dans des 











Fig. 68. — Bijou en or décoré d’incrustations séparées par des cloisons métalliques. 


(Musée égyptien du Louvre.) 


moules des amulettes en pâte de verre de formes variées 
(fig. 3), et qui émaillaient au four non seulement leurs sta- 
tuettes à pâte siliceuse', mais encore une foule d'objets en 
matière pouvant, comme le schiste, résister à la tempé- 
rature nécessaire pour faire entrer l’émail en fusion, aient 
cherché par un moyen factice à fixer l’émail sur leurs 
bijoux, alors qu'ils avaient à leur disposition un procédé 
facile et dont ils se servaient journellement. 

Les deux principales raisons que l’on a fait valoir à l'appui 


! Désignée improprement sous le nom de porcelaine d'Egypte. — Of. à ce 
sujet notre Histoire de la céramique. 


356 L'ÉMAILLERIE 


de ce que nous pourrions appeler lémaillage à froid sont, 
d’une part, la matité de la matière colorante, et, de l'autre, 
la présence de véritables petits morceaux de verre employés 
parfois concurremment avec cette matière et remplissant 
quelques-uns des alvéoles. 

La matité ne prouve rien: il est reconnu, en effet, que 
l'émail, aussi bien que le verre, s’altère et se décompose 
sous lPaction du temps et suivant les milieux dans lesquels 
il a séjourné, et nous pourrions citer plusieurs pièces d’orfè- 
vrerie émaillée, de deux à trois mille ans postérieures aux 
bijoux du musée égyptien, et qui ne sont pas arrivées Jjus- 
qu'à nous dans un état de conservation aussi satisfaisant : 
du reste, parmi les bijoux du Louvre, il en est qui ont 
conservé une apparence relativement brillante qui vient à 
l'appui de notre opinion. 

Quant aux petits morceaux de verre incrustés quelquefois 
dans les alvéoles et alternant avec l'émail, leur présence 
nous paraît assez facile à expliquer. Les Égyptiens, nous 
l'avons dit plus haut (p. 8), n’ont jamais pu arriver à fabri- 
quer des verres colorés franslucides ; leurs pâtes de verre, 
maloré leurs colorations variées, rendaient un peu lourdes 
et un peu tristes, par leur opacité même, toutes les déco- 
rations dans lesquelles elles entraient ; 11 v manquait ce 
chatoiement et cette vibration que donne la lumière en 
frappant sur une surface transparente. Or leur verre inco- 
lore pouvait, dans une certaine mesure, remédier à ce 
défaut, puisque, malgré sa teinte un peu sale, il était trans- 
lucide; aussi ne manquèrent-ils pas de lemplover en le 
faisant adhérer au métal au moyen de fondants plus fusibles 
que le verre lui-même. S'il en avait été autrement, c’est- 
à-dire si la pâte de verre avait été posée à l’état de mastic 
et sans avoir subi lPaction du feu, les morceaux de verre 


auraient dû être maintenus dans les alvéoles au moven 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 337 


d’un sertissage; c’est le procédé qui a été employé plus 
tard pour les bijoux entièrement décorés d’une sorte de 
mosaïque formée par des petites tables de verre trans- 
lucide de diverses couleurs, et fabriqués à l’époque méro- 
vingienne, alors que l’on avait perdu la véritable pratique 
de l’émaillerie, que l'Occident avait cependant connue dès 
les premiers siècles de notre ère, ainsi que nous le verrons 
plus loin. 

Nous pourrions appeler à notre aide d’autres preuves 
tirées de certains détails tout particuliers de fabrication‘; 
mais celles qui précèdent nous paraissent suffisantes. Nous 
répéterons, du reste, ce que nous avons dit plus haut, que, 
quelle que soit la nature de la matière colorante, lesNré> 
sultats sont absolument les mêmes au point de vue de 
l'effet décoratif, et que par conséquent il nous semblerait 
injuste de refuser aux anciens Égyptiens sinon l'invention, 
au moins la pratique d’un art qui a pu se transformer plus 
tard en se perfectionnant, mais dont les bijoux que nous 
avons cités sont la plus ancienne application connue, jus- 


qu'à présent du moins. 


Grèce, Étrurie. — Les Étrusques, dans les arts et Pindus- 
trie desquels on retrouve une influence orientale si évidente, 
connaissaient les pratiques les plus difficiles de l’émaillerie, 
et ici aucun doute n’est permis, puisque nous nous trou- 
vons en présence de monuments devant lesquels il est 
impossible d'élever la moindre objection. Il existe, en effet, 
au Louvre, dans la salle des bijoux, un assez grand nombre 


‘ On peut remarquer entre autres dans le dessin, fidèlement copié d'eprès 
l'original, du bijou que nous avons reproduit (fig. 68), de pelites déviations 
des lamelles de métal formant le cloisonnage; ces déviations sont dues évi- 
demment à l’action du feu et ne se seraient pas produites si l’émaillage avait 
été fait à froid. 


358 L'ÉMAILLERIE 


de pièces des plus remarquables, trouvées dans les tombes 
de l’ancienne Étrurie, et ornées de véritables émaux, dont 
les couleurs, d’une délicatesse et d’une harmonie exquises, 
témoignent du goût et de l'extrême habileté des artistes qui 
les ont exécutées. La plus importante est un magnifique 
diadème gréco-étrusque (écrin À, no 1), composé d'un 
assemblage de petites lames d’or plus ou moins découpées 
et reliées entre elles par une bande estampée en astragale, 
qui garnit tout le bord inférieur du diadème. Toute la 
surface antérieure est couverte d’ornements variés disposés 
avec beaucoup d'élégance et fixés sur les lames d’or. Vers 
le milieu de la hauteur, sur toute l’étendue du diadème, 
on voit une série de petites marguerites, dont le centre 
est orné d’une perle de pâte de verre, et qui sont entou- 
rées d'autres fleurs plus petites et de quelques palmettes 
émaillées en blanc, bleu et vert. Une foule d’ornements 
du même genre, rehaussés d'émaux et de perles de pâte 
de verre d’un ton très doux, couvrent tout le reste de la 
surface. À côté de ce diadème, qui peut être considéré 
comme un monument d'orfèvrerie unique et presque in- 
imitable, on voit des pendants d'oreilles (nos 102 à 108) 
qui affectent presque tous la forme d'oiseaux, — colombe, 
paon, coq où cygne, — au corps émaillé de blanc, aux 
ailes et à la tête diversement colorées, suspendus à des 
rosaces qui sont également ornées d’émaux. Deux figu- 
rines de femmes en or, d’un style très archaïque, et dont 
les yeux, les diadèmes et les colliers sont émaillés (nos 712 
et 714), prouvent que les Étrusques ont pratiqué l'art de 
l’'émaillerie dès les temps les plus reculés. 

Il est donc bien évident que les peuples anciens, surtout 
les peuples de l'Orient, ont connu lémaillerie; mais ils en 
avaient perdu ou tout au moins abandonné la pratique 


pendant si longtemps, que, avant la découverte toute mo- 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 399 


derne des bijoux égyptiens et étrusques que nous venons 
de signaler, et en présence du grand nombre d'objets 
émaillés trouvés un peu partout en fouillant le sol de la 
vieille Europe, on a pu croire facilement que l’art de 
lémaillerie avait pris naissance en Occident. 


Ancienne (raule, Grande-Bretagne, Germanie. — Ce qui 
est certain, en tout cas, c’est que du temps de Pline (80 ans 
ap. J.-C.) les émaux étaient inconnus du monde romain, 
et que plus de cent ans après lui Philostrate, rhéteur 
grec, venu à Rome au commencement du ie siècle, en 
parle comme d’un mode d’ornementation particulier aux 
peuples qui avoisinaient l'Océan. « Ces couleurs, dit-il, les 
barbares de l'Océan les répandent, paraît-il, sur l’airain 
ardent; elles y adhèrent, s’y pétrifient et conservent les 
dessins. » Les commentateurs de Philostrate ont interprété 
ce passage de différentes manières ; mais la plupart, entre 
autres Blaise de Vigenères, y ont reconnu l’émail : «... Car 
les barbares habitant l'Océan les sçavent coucher (à ce 
que l’on dit) sur le cuivre venant rouge du feu, où puis 
après elles se glacent et convertissent en un esmail dur 
comme pierre, gardant la figure au net qui y aura esté 
enduicte'. » Dans un autre passage ( Vie des sophistes, 1, 
XXV), Philostrate parle aussi de freins d'argent « garnis 
d’ornements celtiques ». 

La quantité relativement assez considérable d'objets 
émaillés, et particulièrement de petites pièces pouvant 
convenir à des harnais de chevaux, qui ont été trouvés lors 
des fouilles opérées dans ces derniers temps en France, 
ainsi qu’en Angleterre, en Écosse et sur les bords du Rhin, 


! Les Images ou Tableaux de platte peinture des deux PHILOSTRATES, 
sophistes grecs, mis en françois par BLaiïse DE ViGEnËÈRES, Bourbonnois. — 
Au tableau de la Chasse des bestes noires.) 


360 L'ÉMAILLERIE 


dans des sépultures remontant aux premiers siècles de 
notre ère, est venue confirmer les allégations de Philostrate, 
sans qu'il soit possible cependant de déterminer d’une facon 
certaine le lieu de fabrication de ces différents objets, que 
l’on peut attribuer à tous les peuples d'origine celtique qui 
avoisinaient l'Océan, aussi bien qu'à une industrie nomade. 

Nous savons cependant que lart de lémaillerie était 
pratiqué non seulement sur les bords de l'Océan, mais au 
cœur même de la Gaule, chez les Éduens!, antérieurement 
à l’ère chrétienne, et par conséquent deux siècles au moins 
avant l’époque où vivait Philostrate. Les fouilles opérées en 
1869 au mont Beuvray, à vingt-cinq kilomètres d’Autun, 
sur l'emplacement de l’ancienne Bibracte, la principale 
forteresse des Éduens, l’oppidum maximæ auclorilatis de 
César, ont fait découvrir un grand nombre d'ateliers où lon 
travaillait principalement le bronze, et parmi eux plusieurs 
autres dans lesquels s’exerçait l’industrie de Pémaillage sur 
métaux. « Les ustensiles gisaient pêle-mêle, disent les 
auteurs de cette importante découverte; les fours étaient 
encore remplis de charbons; à côté de spécimens complè- 
tement terminés, on en vovait d’autres à peine ébauchés,. 
d’autres en pleine fabrication, lun même encore enveloppé 
de terre cuite; tout autour, des fragments d’émail brut, des 
creusets de terre, des grès à polir, une quantité considé- 
rable de déchets, de bavures, de rognures provenant de 
la taille, des coques vitreuses qui conservaient l'empreinte 
des dessins de bronze, et par-dessus tout le témoin même 
des opérations, véritable fossile de nos terrains historiques, 
la médaille qui en fixe l’âge et l’époque ?. » 


! « Entre le Doubs et la Saône habite le peuple des Éduens, ayant une ville, 
Châlons-sur-Saône, et une forteresse, Bibracte... » — {STraBon, IV, 3.) 

? J.-G. Buzuior et H. pe Fontenay, l'Art de l'émaillerie chez les Éduens. 
in-8°, p. à. 


ORIGINES DE LÆMAILLERIE 361 


Les ateliers ainsi découverts paraissaient avoir été détruits 
par un violent incendie, et les malheureux artisans avaient 
dû fuir précipitamment en emportant seulement ce qu'ils 
avaient de plus précieux. Néanmoins les objets trouvés 
dans les fouilles de Bibracte sont, malgré leur peu d’im- 
portance, d’un intérêt considérable au point de vue archéo- 
logique, principalement en ce qu'ils montrent qu'avant 





Fig. 69. — Fragments d'objets en bronze émaillé trouvés au mont Beuvray. 


l'invasion romaine, — puisque toutes les médailles recueillies 
sont exclusivement gauloises et contemporaines de César, 
— l’émaillerie était pratiquée dans la Gaule. 

Déjà à cette époque, comme plus tard au temps de Philos- 
trate, la plupart de ces bronzes émaillés semblent avoir été 
destinés au harnachement des chevaux; ce sont, en général, 
des rondelles ou bossettes qui devaient être placées sur le 
fronteau, à la naissance des oreilles, ou des appendices, en 
forme de dôme à pointe, munis de deux branches minces 
recourbées et terminées par un rivet qui permettait de les 
fixer à une autre pièce, probablement à la muserolle; on y 
a rencontré également un grand nombre de clous à grosses 


! Ces médailles sont actuellement au musée de Saint-Germain. 


362 L'ÉMAILLERIE 


têtes lenticulaires (fig. 69). Tous ces objets sont décorés de 
dessins géométriques gravés en creux, au trait, et remplis 
d'émail rouge; mais, à la vérité, c’est une sorte de niellure 
plutôt qu'un décor d'émail. 

Des pièces analogues et qui datent vraisemblablement 
de la même époque ont été trouvées à l'état isolé dans la 
Côte-d'Or, l'Allier, la Meuse, etc.; la plupart de ces objets 
sont déposés au musée de Saint-Germain. 

Mais ce ne sont là que les premières manifestations, fort 
imparfaites et assez grossières, d’une imdustrie implantée 
dans les Gaules on ne sait comment, et qui devait bientôt 
produire des œuvres d’une technique beaucoup plus avancée, 
d’un art plus élevé, dont on retrouve des spécimens un peu 
partout en Europe, et à laquelle on ne peut non plus ce- 
pendant assigner une origine certaine. 

3ien des opinions ont été exprimées à ce sujet, beaucoup 
d'hypothèses ont été émises sans que lon soit arrivé à 
établir nettement les conditions dans lesquelles était pra- 
tiqué l’art de l’émaillerie aux premiers siècles de notre ère. 
Cependant, si on compare entre eux les différents émaux 
dont on rencontre des échantillons en Hongrie aussi bien 
que sur les bords du Rhin, en Danemark, dans la Grande- 
Bretagne et dans l’ancienne Gaule, et qui tous montrent les 
mêmes procédés de fabrication, et, à quelques différences 
près, les mêmes principes et le même style dans la décora- 
tion, on est porté à admettre que ces émaux ont été fabri- 
qués par des artisans nomades, d’origine inconnue, mais 
probablement orientale, qui transportaient leurs fourneaux 
et leur industrie, pour ainsi dire traditionnelle, de pays 
en pays, comme le faisaient à la même époque les fabri- 
cants de poteries rouges à reliefs, qui, eux, étaient d’ori- 
oine italienne. 


Le seul procédé emplové alors pour lémaillage des mé- 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 363 


taux, et particulièrement du bronze, était celui que nous 
désignons aujourd'hui sous le nom de procédé du champ- 
levage, et qui consistait, ainsi que nous l’avons dit, à 
creuser dans lépaisseur du métal des cuves ou alvéoles 
séparées entre elles par des cloisons fixes épargnées par le 
burin ; là cependant on retrouve deux modes d’exécu- 
tion. Dans le premier, qui parait avoir été le plus com- 
munément employé, les cuves étaient remplies d’émaux 
posés à l’état pulvérulent ou pâteux, qui fondaient au feu, 
et que l’on polissait ensuite de façon à leur faire affleurer 
le métal ; on obtenait ainsi une surface lisse, brillante, com- 
posée de couleurs variées formant par juxtaposition une 
sorte de mosaïque dessinée par les cloisons métalliques ; 
chacune des petites cuves ne contenait qu'une seule cou- 
leur. Cest le procédé que nous retrouverons plus tard sur 
les bords du Rhin et à Limoges. 

Le second mode d'exécution demandait une habileté beau- 
coup plus grande, et témoigne d’une technique tellement 
perfectionnée, que, même aujourd'hui, bien peu d’'émailleurs 
seraient en mesure de l’appliquer avec des chances cer- 
taines de réussite sans être obligés de faire préalablement 
de longs essais. L’émail y est toujours emprisonné dans des 
alvéoles, mais chacune d'elles contient plusieurs couleurs 
formant des quadrillages, des damiers ou des figures géo- 
métriques sans qu'aucune de ces couleurs soit maintenue ou 
séparée des autres par des lames métalliques. Quelquefois 
aussi le champ de couleur est semé de points circulaires 
symétriquement disposés et d’un ton plus clair que celui 
du fond (fig. 70 et 71). 

Plusieurs archéologues ont cherché à se rendre compte 
des procédés employés pour arriver à ce résultat; mais, 
parmi les moyens auxquels ils ont songé, les uns sont 
impraticables, et les autres laisseraient supposer chez les 


364 L'ÉMAILLERIE 


émailleurs de ces époques reculées des connaissances en 
chimie qu'ils ne possédaient certainement pas; il leur au- 
rait fallu, en effet, graduer la composition de leurs émaux 
de facon à les amener à des degrés variés de fusibilité 


calculés mathématiquement, et avec une si grande préci- 





Fig. 70. — Fragment de boucle émaillée (ne siècle). 


(Musée de Ratisbonne.) 


sion, que cela est bien difficile à admettre. D’après les 
essais que nous avons vu faire autrefois à un habile émail- 
leur de la manufacture de Sèvres', qui avait cherché à se 
rendre compte des différents procédés employés par les 
émailleurs de tous les temps et de tous les pays, nous 
croyons que le champ était rempli d'émail bien broyé et 
amené à l’état pâteux, puis creusé par places, après une 
dessiccation lente, de façon à permettre, dans les cavités 
ainsi pratiquées, l'introduction d’émaux de couleurs diffé- 
rentes, mais de même fusibilité, et qui ne se mélangeaient 


pas au feu, quoique fondant ensemble: $il se produisait 


Ÿ M. Philips, un des plus habiles émailleurs de notre temps, mort en 1879. 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 365 


quelques bavures à la surface, elles disparaissaient au po- 
lissage, et le dessin retrouvait toute sa netteté. C'était, en 
réalité, une sorte d’incrustation dans le genre de celle qui 
se fait journellement dans la décoration de certaines poteries. 

Tous ces bronzes émaillés ont été trouvés dans des tom- 





Fig 71. — Pièce de harnais émaillée (re siècle ). 


(Musée de Ratishbonne.) 


beaux qui datent du rer au 1ve siècle de notre ère; ce sont 
généralement des pièces de petite dimension : agrafes, 
fibules, plaques de ceinturon, etc., de formes variées et 
souvent gracieuses, et dont beaucoup sont remarquables 
autant pour leur belle ordonnance que pour leur parfaite 
exécution. Le musée de Saint-Germain, le cabinet des 
antiques à la Bibliothèque nationale et le Louvre possèdent 
un assez grand nombre de fibules en forme d'animaux, 
chien, lièvre courant, cheval, panthère, etc. 

A côté de ces petits émaux primitifs, il en existe quelques 
autres datant de la même époque et montrant les mêmes 
procédés techniques, mais beaucoup plus importants, et 
qui méritent une mention spéciale. Nous citerons en pre- 


366 L'ÉMAILLERIE 


mière ligne la belle gourde trouvée en 1866 dans les ruines 
de l’ancienne Pinguentum', avec divers objets en argent, 
en ivoire et en verre, et des médailles d’Antonin le Pieux 
(138-161). Cette gourde, en bronze, de forme circulaire, 
aplatie et munie d'un goulot cylindrique, est ornée sur 
chacune de ses faces de zones concentriques décorées de 
ouirlandes de feuilles ornemanisées réservées en métal sur 
un fond d’émail alternativement bleu lapis et rouge brique; la 
tranche, à triple galon, porte deux oreilles latérales recour- 
bées en crochets et reliées au moven d’anneaux libres à 
une anse surbaissée ; ces appendices sont écalement décorés 
de triangles et de stries en émaux bleu et rouge. Cette 
pièce, d’un diamètre de 0m157 et d’une hauteur totale de 
OmA80, est certainement un des plus importants et des plus 
curieux émaux de ces temps reculés ?. 

Un autre vase presque aussi important, mais postérieur 
d'un siècle au moins à la gourde de Pinguente, a été trouvé 
à la Guierce, sur les anciennes limites du Limousin et de 
lAngoumois; c’est un flacon piriforme de 0m117 de hau- 
teur, orné d’incrustations d’émail en forme de Ç affrontés 
et couchés, et de motifs formés par les mêmes Ç rappro- 
chés par leurs sommets, disposées en bandes verticales 
alternées, interrompues par une Zone unie qui entoure la 
panse ; les émaux sont bleu foncé, orangé et vert clair. Les 
médailles trouvées en compagnie de ce vase sont celles des 
empereurs qui ont régné à Rome de l’année 253 à l'an 270 
de notre ère. Un second vase assez important et datant de 
la même époque a été découvert à Ambleteuse, sur les 
bords de la Manche, en 1838, avec quelques monnaies 
de l’empereur Tacite (276); il est à panse presque sphé- 


1 Pinguente, Istrie, à 30 kilomètres environ S.-E. de Trieste. 
? Elle a été publiée, avec un savant article de M. pe Linas, dans la Gazette 
archéologique, n° 4, 1884. 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 367 


rique, surmontée dun long col terminé par un anneau: 
l’'ornementation, disposée en lignes verticales, était assez 
simple; mais il est difficile de s’en rendre un compte exact 
par suite de la disparition complète des émaux. 

Quelques autres belles pièces ont été également trouvées 
en Angleterre, entre autres le remarquable vase découvert à 
Bartlow, dans le comté d’Essex; malheureusement il a été 
perdu dans un incendie !. 

Dans aucun de ces vases on ne rencontre d'éléments 
décoratifs empruntés à Part romain; €’est un style parti- 
culier qui se rattache à l’ornementation orientale, et qui 
vient à l’appui de ce que nous avons dit plus haut relati- 
vement à l'existence d'artisans nomades qui disparurent 
dans le courant du rve siècle. 


IT. VERROTERIE CLOISONNÉE. — Avec les barbares qui, 
dès le commencement du ve siècle, envahirent l’Europe 
occidentale, apparait un nouveau mode de décoration qui 
n’est pas de l’émaillerie proprement dite, mais qui s’en 
rapproche tellement par certains côtés, et qui avait si bien 
pour objet d’imiter les procédés usités dans les siècles pré- 
cédents, et qui paraissent avoir été perdus à cette époque, 
qu'il nous semble nécessaire de le mentionner ici. Cest le 
procédé que nous avons déjà vu employer par les orfèvres 
de l’ancienne Égypte, et qui consistait à sertir dans des 
alvéoles formées par des cloisons épargnées dans le métal 
ou soudées sur le fond, suivant la valeur de la matière 
mise en œuvre, des petites tables de verre coloré ou de 
pierres dures translucides, et surtout de grenat clair, qui 
venaient affleurer le métal, et produisaient ainsi, comme 
le faisait autrefois l'émail, une sorte de mosaïque brillante: 


# Il a été publié dans l'Album des arts industriels de J. LaABaRTE, pl. C., el 
dans l’Archæologia, t. XXNI. 


368 L'ÉMAILLERIE 


on augmentait souvent l'éclat de ces tables en les posant 
sur des paillons métalliques, qui leur communiquaient 
un chatoiement qu'elles ne possédaient pas par elles- 
nmémes. 

On a beaucoup écrit sur lorigine de ce procédé de déco- 
ration, et là encore on n’est pas arrivé à faire la lumière. 
Cependant, si on étudie avec attention et sans parti pris 
l’ensemble des monuments de toutes sortes rencontrés 
dans presque tous les pays de l'Europe, et dont on retrouve 
des spécimens qui prouvent que ce genre d'ornementation 
a été usité pendant au moins trois siècles, on est porté à 
admettre que, venu de l'Orient, il s’est implanté peu à peu 
dans nos contrées, où il a subi des transformations iné- 
vitables, sinon dans ses procédés d'exécution, au moins 
dans son mode d'expression, d’une délicatesse imfinie par- 
fois, mais parfois aussi d’une rudesse un peu barbare. 

A la première période appartiennent les bijoux et l'épée 
qui ont été trouvés dans le tombeau de Childérie, roi des 
Francs (456-481), découvert en 1653 à Tournai, avec cent 
monnaies d’or des empereurs byzantins contemporains, et 
deux anneaux d’or, dont l’un portait, avec un buste d'homme 
chevelu tenant une lance de la main droite, l'inscription 
CHiILDERICI REGIs'. La garde de la poignée de lépée, la 


! Le bruit de la découverte de ce tombeau s'étant répandu dans la ville de 
Tournai, le peuple accourut en foule, et dans le désordre qui s’ensuivit beau - 
coup d'objets précieux furent brisés ou disparurent ; ceux que l’on put sauver ou 
racheter ensuile devinrent la propriété de l’archiduc Léopold-Guillaume, gouver- 
neur des Pays-Bas pour Philippe IV, et passèrent après sa mort entre les mains 
de son neveu Léopold 1°", empereur d'Allemagne, qui, en 1664, en fit présent à 
Louis XIV; par décision du 27 mars 1720, Louis XV les réunit aux collections 
de la Bibliothèque nationale. Dans la nuit du 5 au 6 octobre 1831, des voleurs 
s'étant introduits dans le cabinet des médailles à la bibliothèque, emportèrent 
toutes les pièces d’or qu'ils purent rencontrer et la plus grande partie des 
pièces composant le trésor sépulcral de Chilpérie; poursuivis par la police, ils 
jetèrent dans la Seine tout ce qu'ils n'avaient pas eu le temps de fondre; on 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 369 


chape qui s'étend sur le dos du fourreau dans une lon- 
gueur de douze centimètres environ, l’anneau central qui 
le contourne et la pièce de l'extrémité, qui épouse la 
forme ovoide du fourreau, sont ornés d’un cloisonnage 
d’or façonné à la pince et soudé sur le fond; dans cha- 
cun des compartiments est serti, au moyen d’un simple 
rabattu des lamelles d’or qui forment le cloisonnage, 
un petit morceau de verre rouge purpurin placé sur une 
feuille très mince de paillon d’or guilloché; le listel d’or 
qui entoure la chape est orné de très petits grenats en- 
châssés dans des trous pratiqués à cet effet, et ces 
mêmes grenats se retrouvent sur la pièce du bout, qui 
porte en outre une cornaline taillée et évidée encadrant 
un morceau de verre central taillé en forme de petite 
amphore. Parmi les diverses opinions qui ont été émises 
relativement à la provenance de cette remarquable épée, 
un des plus anciens monuments de l'orfèvrerie cloison- 
née qui soit parvenu jusqu’à nous, celle de Labarte, qui 
l’attribue à des artistes byzantins, est appuyée de preuves 
si concluantes, que nous ne pouvons mieux faire que de 
les reproduire ici. « On comprend facilement, dit Péminent 
archéologue, que cette belle œuvre d’orfèvrerie, dont tous 
les détails offrent une excessive délicatesse d'exécution, n’a 
pas été confectionnée dans les États d’un chef de tribu 
franc. La Gaule romaine, d’ailleurs, bouleversée pendant 


retrouva sous une des arches de Pont-Marie les objets de ce trésor qui sont 
déposés aujourd’hui au Louvre. 

Un des témoins de la découverte, Jacques CHirrLer, fit paraître en 1655, 
sous le titre d'Anaslasis Childerici (Résurrection de Childcric\, une descrip- 
tion, accompagnée de planches, des objets trouvés, et l'abbé Cocner a publié 
sur le même sujet un excellent ouvrage, le Tombeau de Chilpérice (1859), dans 
lequel il donne l’histoire très étendue de cette précieuse trouvaille. 

! Recherches sur la peinture en émail dans l'antiquité et au moyen âge; 
Paris, 1856, p. 98. 

24 


370 L'ÉMAILLERIE 


tout le cours du ve siècle par les invasions de tant de 
peuples divers, ne devait pas avoir conservé d'ouvriers 
assez experts pour un pareil travail. Qu'on réfléchisse, en 
effet, que cette cornaline blanche qui décore le dessous 
du fourreau est une pierre très dure, qui demandait, pour 
être élaborée, la main d’un lapidaire consommé dans la 
pratique de tous les procédés de la taille des pierres fines. 
On a voulu comparer le travail de cette épée à celui de 
quelques fibules et autres bijoux gallo-romains ; il nv à 
pourtant pas d’assimilation possible : on ne retrouve pas 
là ces cloisons d’or si déliées, contournées à la pince, 
qui tracent l’ornementation capricieuse du dessin, et 
qui dénotent un procédé essentiellement oriental remon- 
tant à l'antiquité... Il est évident que l'Orient revendique 
la mise en œuvre de ce mode de fabrication, qui consiste 
à rendre le tracé de lornementation dans les bijoux 
avec de minces bandelettes de métal posées sur champ. 
et dans les interstices desquelles on introduit soit les 
émaux par fusion, soit des pâtes diverses, des verres 
ou des pierres taillées. L’ornementation de lépée de 
Childéric étant traitée de cette façon, doit donc provenir de 
l'Orient; et ce qui pourrait n'être qu'une présomption 
devient presque une certitude, si l’on remarque qu'à côté 
de cette arme se trouvaient cent monnaies ou médailles 
d'or à l’effigie des empereurs d'Orient contemporains de 
Childéric. Il y a donc tout lieu de croire que c’est à Cons- 
tantinople qu’elle aura été fabriquée, car ltalie ne pouvait 
produire à cette époque une pièce travaillée avec tant d'art. 
Durant le ve siècle, cette contrée n'avait pas été moims 
éprouvée que la Gaule, et les arts sy étaient ressenti 
cruellement de tous les désastres qui entrainèrent la chute 
de l'empire d'Occident : les artistes italiens s'étaient réfu- 


giés à Constantinople, devenue la ville par excellence pour 


ORIGINES DE L'ÉMAILLERIE 371 


la culture des arts et le développement de l’industrie de 


luxe. » 








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Fig. 72. — Plaque de ceinturon en or, décorée de verroteries cloisonnées et de filigranes. 


(Musée national de Munich. ) 


Nous ne suivrons pas le savant archéologue dans les 


témoignages historiques qu’il a rassemblés pour démontrer 


372 L'ÉMAILLERIE 


que cette épée a dû être donnée en présent à Childéric 
pendant un séjour qu'il fit à la cour de Constantinople; ce 
qu'il nous importait de prouver, c’est l'origine orientale du 
procédé de cloisonnage des verroteries, et cela nous parait 
hors de doute'. À ce même moment, du reste, apparait dans 
l’orfèvrerie un mode de décoration qui, lui aussi, venait 
d'Orient : cest le filigrane granulé, que l’on rencontre sou- 
vent associé aux verreries cloisonnées, ainsi que cela a lieu 
dans les magnifiques plaques de ceinturon et les agrafes 
que possède le musée national de Munich, et dont nous 
reproduisons un des plus beaux spécimens (fig. 72). 

Mais à côté de ces œuvres exceptionnelles il en est 
d'autres, et en grand nombre, qui prouvent que ce procédé 
de décoration avait été rapidement adopté par les orfèvres 
aborigènes, successeurs des artistes gallo-romains ; seule- 
ment ici le travail est plus rude, et on ne retrouve plus 
cette délicatesse de cloisonnage, cette recherche de dessim 
que l’on remarque dans les bijoux de la première époque : 
l'ornementation est simple et formée de lignes droites, de 
facon à rendre plus facile la coupe des petites tables de 
verre. On fabriquait ainsi surtout des pièces destinées à 
l’'ornementation des vêtements, principalement des fibules 


l « Au milieu d'un monde qui se renouvelait par d'effroyables calamités, dil 
le même auteur, l’art était tombé en Occident au dernier degré d’avilissement ; 
tous les artistes de renom, fuyant devant la barbarie, durent chercher un asile 
à Constantinople, le seul point où l’art et le luxe brillaient encore. L'empire 
d'Orient exerça alors une influence considérable sur le goût des barbares qui 
devinrent les maîtres de l'Europe. Tous les chefs des tribus barbares envahis- 
santes briguaient les faveurs et les dons de l’empereur, qu'ils cherchaient à 
imiter et dont ils empruntaient le costume. Les productions de l’orfèvrerie, si 
faciles à transporter et toujours recherchées des riches et des puissants de la 
terre, durent être comprises pour une large part dans les importations byzan- 
lines et doivent se rencontrer dès lors assurément parmi les objets de l'époque 
mérovingienne, qui ont pu, à travers tant de périls divers, parvenir jusqu’à 
nous. » — Hist. des arts industriels, L. 1, p. 270. 


ORIGINES DESL'ÉMAILLERIE 373 


et des boucles. On retrouve encore ce procédé employé en 
Espagne au vire siècle; deux des couronnes, aujourd’hui 
au musée de Cluny, du trésor découvert en 1858 à Guar- 
razar, aux environs de Tolède', portent des verroteries 
cloisonnées. Au cercle inférieur de la plus grande pendent 
vingt-quatre chaînettes d’or qui en garnissent tout le con- 
tour, et à lextrémité de chacune desquelles est suspendue 
une lettre découpée dont la face antérieure est garnie de 
petits morceaux de verre rouge cloisonnés par des lamelles 
d'or; ces lettres forment l'inscription suivante : Rrc- 
GESVINTHUS REX OFFERET*. Dans la seconde, une chaine, 
attachée à un double fleuron d’or à six branches, supporte 
une croix de 23 centimètres de hauteur, décorée de cinq 
pierres fines alternant avec des pâtes de verre coloré. 

Saint Éloi, l'illustre orfèvre canonisé, paraît avoir égale- 
ment employé les verroteries cloisonnées dans l’ornementa- 
tion des merveilles d’orfèvrerie dont il enrichit la basilique 
de Saint-Denis, Saint-Martin de Tours et un grand nombre 
d’églises du diocèse de Paris ; mais comme il ne reste mal- 
heureusement de ces œuvres que des descriptions le plus 
souvent incomplètes, on en est réduit sur ce point à des 
conjectures que les limites de ce travail ne nous permettent 
pas de rapporter *. Ce qui est certain, c’est que les auteurs 
du xvue et du xvine siècle, ainsi, du reste, que quelques 


* Le trésor de Guarrazar se compose de neuf couronnes d'or massif d’un 
poids considérable, ornées de saphirs, de perles fines et de pierreries de toute 
sorte. Il est probable qu'il avait été enfoui dans les premières années du 
vue siècle, lors de l'invasion des Visigoths par les Arabes. Cf. De LASTEYRIE, 
Description du trésor de Guarrazar, et pu Soumerar», Catalogue et descrip- 
tion des objets d’art exposés au musce de Cluny, n°5 4,979 à 4,987, p. 391. 

? RECCESVINTHE occupe une place assez importante dans Ja De des 
rois goths d'Espagne. Monté sur le trône en 649, il mourut en 672. | 

* Cf. CHarLes DE Linas, Orfévrerie mérovingienne; les Œuvres de saint 
Éloi et la verroterie cloisonnce, in-80, 1864. 


374 L'EMAILLERIE 


archéologues modernes, ont presque toujours confondu, 
en parlant des œuvres d'orfévrerie, le travail du cloisonnage 
au moyen de verres colorés avec celui de lémaillerie pro- 
prement dite, et qu'il faut n’accepter leurs descriptions 
qu'avec la plus grande circonspection. En ce qui touche 
les œuvres de saint Éloi surtout, il ne faut pas perdre 
de vue que la pratique de lémaillerie avait disparu de 
notre pays depuis près de deux siècles au moins, et qu'on 
ne lv voit reparaitre que quatre siècles plus tard. 


IT 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 


I. ÉMAUX GLoISONNÉS. — Nous avons cherché dans les 
pages précédentes à suivre pas à pas, pour ainsi dire, les 
différentes manifestations de l’art de l’émaillerie depuis sa 
première apparition dans l’ancienne Égvpte jusqu'à cette 
sorte de transformation qu'il subit par suite de la substi- 
tution du verre à la matière colorante vitrifiée qui en est 
la base même. L’émaillerie avait-elle pris naissance en 
Égypte, ou les orfèvres de Thèbes et de Memphis l’avaient- 
ils reçue, comme beaucoup d’autres industries d'art, d’une 
civilisation antérieure dont la trace est aujourd’hui perdue? 
Il est impossible de se prononcer à cet égard ; cependant 
nous avons déjà eu occasion de faire remarquer, à propos 
de la verrerie, que les plus anciens spécimens qui sont 
parvenus jusqu’à nous de l’industrie égyptienne en général 
dénotent une connaissance tellement avancée des différents 
procédés techniques, qu'il est difficile de ne pas admettre 
une période antérieure de recherches et de tâtonnements 
que nous ne connaissons pas encore, mais que des explo- 
rations futures feront peut-être découvrir. Quoi qu'il en 
soit, il nous paraît bien prouvé que l’émaillerie est d’origine 


376 L'ÉMAILLERIE 


orientale, et nous pensons que c'est à cette origine qu'est 
due la première renaissance de cet art, renaissance qui 
correspond à l'établissement de l'empire d'Orient, et dont la 
verroterie cloisonnée fut la première expression. Il était 
tout naturel, en effet, qu'à une époque où la générosité 
fastueuse des empereurs byzantins faisait éclore les mer- 
veilles de toutes sortes dont ils enrichissaient à l’envi les 
palais et les somptueuses églises qu'ils faisaient construire, 
les orfèvres aient cherché à faire revivre un procédé dont 
la tradition subsistait encore, et qui devait apporter à 
leur art un élément puissant de décoration, l'harmonie 
de la couleur associée à l’éclat du métal: de là la ver- 
roterie incrustée, qui fut la première manifestation de 
cette tentative, mais qu'ils durent abandonner bientôt. 
d’une part, parce qu’elle présentait de très grandes dif- 
ficultés d'exécution dans la taille des petites tables de 
verre, et, d'autre part, parce que les résultats ne répon- 
daient certainement pas au but qu'ils s'étaient proposé. Ils 
s’efforcèrent donc d'acquérir la connaissance des véritables 
procédés de l’émaillerie, et ils semblent y être arrivés assez 
promptement, puisque, dès le vie siècle, on trouve, dans 
l'énumération des dons que l’empereur Justin Ier (518-527) 
envoya au pape Hormisdas, la mention d’une sorte de lampe 
d’or qui devait être émaillée, gabatam electrinam, et que 
plus tard l’autel d’or que Justinien, neveu et successeur 
de Justin, et Théodora, son épouse, donnèrent à l’église 
Sainte - Sophie, était, selon toutes probabilités, enrichi 
d’émaux de couleur. Cest du moins ce qui ressort, malgré 
leur obscurité, des descriptions qu’en ont laissées plusieurs 
auteurs, entre autres Nicétas, qui assista à la prise de 
Constantinople par les croisés en 120%, et qui fut témoin 
du pillage pendant lequel cet autel fut détruit. « La sainte 
table, dit-il, composition de différentes matières précieuses 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 3117 


assemblées par le feu, et se réunissant l’une à l’autre en 
une seule masse de diverses couleurs et d’une beauté par- 
faite, fut brisée en morceaux et partagée entre les soldats. » 
Il paraît évident que ces matières, « assemblées par le feu 
et formant une masse de diverses couleurs, » ne pouvaient 
être que de l’émail, de même que le mot electrina, qui 
désigne la lampe, devait très probablement s'appliquer à 
un objet émaillé. 

Le mot electron, en effet, sur lequel on a tant discuté, 
était encore employé au x1e siècle par le moine Théophile, 
dans sa Diversarum artium schedula ', pour désigner 
l'émail, et ici le doute n’est pas possible, en présence 
du texte si clair dans lequel lingénieux moine décrit 
les procédés de fabrication des émaux cloisonnés. Après 
avoir indiqué (chap. Lu, bb. IT, De imponendis gemmis et 
margaritis) de quelle façon doit être disposée la petite 
caisse d’or qui renfermera les émaux, Théophile enseigne 
à disposer les bandes de métal qui formeront le dessin : 
« Vous taillerez alors à la règle des bandelettes de la même 
hauteur dans une feuille d’or aussi mince que possible, et 
avec de petites pinces vous contournerez ces bandelettes à 
votre goût, de manière à en former les dessins que vous 
voudrez reproduire dans les émaux, comme des cercles, des 
nœuds, des fleurs, des oiseaux, des figures humaines; vous 
disposerez délicatement et avec soin chacun des petits mor- 


1 L'Essar sur divers arts, dont le moine THéopxire est l’auteur, est un 
traité sur les procédés employés dans la pratique des arts industriels du 
moyen âge. On ne sait rien de positif sur la nationalité de l’auteur de ce pré- 
cieux ouvrage, ni sur l’époque où il vivait; cependant on est à peu près d’ac- 
cord pour penser que THÉoPuie était allemand et qu'il a écrit son traité à la 
fin du xi° siècle. M. le comte de l’EscaLoPier a publié, en 1843, une traduc- 
tion française de la Diversarum artlium schedula ; il en existe également une 
autre, faite par M. l'abbé Bourassé, et insérée à la suite de son Dictionnaire 
d'archéologie sacrée; Paris, 1857. 


378 L'ÉMAILLERIE 


ceaux à sa place, et vous les fixerez avec de la farine 
délayvée à la vapeur du charbon: lorsque vous aurez ainsi 
complété l'agencement d’une pièce, vous en souderez toutes 
les parties avec beaucoup de précaution, afin que le travail 
délicat ne se dérange pas et que lor mince n'entre pas en 
fusion. » Le dessin ainsi disposé au moven de ces petites 
bandelettes d’or posées sur champ, l’auteur, dans le cha- 
pitre suivant, intitulé De electris, indique la manière de 
poser les émaux de diverses couleurs dans chacune des 
cases qui leur sont réservées : « Toutes les pièces à émailler 
étant ainsi disposées et soudées, prenez les différentes 
espèces de verre! que vous aurez composées pour ce genre 
de travail, brisez un petit morceau de chacune d'elles, et 
placez en même temps tous les éclats sur une feuille de 
cuivre, sans cependant les mêler; portez-la au feu, disposez 
autour et par-dessus des charbons, et, en soufflant, exami- 
nez avec attention si les différents verres entrent en même 
temps en fusion ; si vous obtenez ce résultat, servez-vous 
de tous; si l’une des parcelles est plus dure, mettez-la à 
part. Prenant l’un après l’autre chacun des verres essavyés, 
portez-les au feu séparément, et lorsqu'ils seront chauffés 
à blanc, jetez-les dans un vase de cuivre où il v ait de l’eau: 
ils se briseront en petits morceaux, qüe vous écraserez 
avec un marteau rond, jusqu'à ce qu'ils deviennent très 
menus; vous les laverez dans cet état, et vous les déposerez 
dans une coquille propre que vous couvrirez d'une étoffe de 
laine ; préparez ainsi chaque couleur. Cela fait, prenez une 
des pièces d’or que vous avez soudées, et fixez-la sur une 
table plane, en deux endroits, avec de la cire. Avec une 
plume d'oie taillée en pointe comme pour écrire, mais à 
bec plus long et non fendu, vous puiserez à votre choix l’un 


1 «... Omnia genera vilri.. », c'est-à-dire les différentes pâtes de verre, 
opaques ou translucides, qui constituent les émaux. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 379 


des émaux, qui devra être humide, et, avec un long morceau 
de cuivre effilé se terminant en pointe, vous le détacherez 
avec adresse de la plume pour en remplir, autant que vous 
le jugerez convenable, tel des compartiments que vous 
voudrez de la pièce à émailler. Remettez ce qui vous en 
restera dans la coquille, et couvrez-la. Faites de même 
pour l'emploi de chacun des émaux jusqu’à ce qu’une de 
vos pièces soit remplie. Alors, enlevant la cire qui la rete- 
nait, placez cette pièce sur une tôle qui ait une queue 
courte, et vous la couvrirez d’une espèce de vase de fer qui 
soit profond et percé sur toute sa surface de petits trous, 
unis et plus larges à lintérieur du vase, plus étroits à 
l'extérieur, où ils présenteront des aspérités propres à arrêter 
les cendres, si par hasard il en tombait dessus. 

« Ce vase de fer sera pourvu au sommet d’un petit 
anneau, à l’aide duquel on le posera et on le lèvera. Ces 
dispositions étant prises, réunissez des charbons gros et 
longs ; enflammez-les vivement; au milieu du foyer, faites 
une place que vous égaliserez avec un maillet de bois, de 
manière à pouvoir y maintenir la tôle en la tenant par la 
queue avec des pinces. Posez-la avec soin à cet endroit, 
recouverte comme nous l’avons expliqué; disposez des 
charbons tout autour et par-dessus, et, prenant le soufflet 
des deux mains, soufflez de tous côtés jusqu’à ce que les 
charbons brûülent également. Avez l'aile entière d’une oie ou 
de tout autre gros oiseau; déployée et attachée à un mor- 
ceau de bois, elle vous servira à agiter l'air et à souffler 
fortement de tous côtés jusqu'à ce que vous aperceviez à 
travers les charbons que les trous du vase sont devenus 
blancs à l’intérieur. Alors vous cesserez de souffler. Après 
une demi-heure environ, vous dégagerez un peu les charbons, 
et finirez par les enlever totalement; vous attendrez de nou- 
veau que les trous noircissent à l’intérieur, et lorsque cet 


380 L'ÉMAILLERIE 


effet aura été produit, enlevant la tôle par la queue, placez- 
la, recouverte du vase de fer, dans un coin jusqu'à ce 
qu’elle soit tout à fait refroidie. Alors, découvrant la pièce 
émaillée, prenez-la pour la laver. » 

Avant ainsi indiqué les procédés d'exécution et de cuis- 
son, Théophile nous apprend comment on doit recharger 
la pièce dans le cas où l'émail, s'étant affaissé au feu, ne 
viendrait plus au niveau des bandelettes d’or; puis, dans 
le chapitre LIV, De poliendo electro, il nous donne la ma- 
nière de polir l'émail. « Cela fait, dit-1l, prenez un morceau 
de cire de la longueur d’un demi-pouce, dans lequel vous 
enchâsserez la pièce émaillée de facon que la cire avec 
laquelle vous la tiendrez l'enveloppe de toute part; vous 
frotterez avec soin le côté émaillé sur une pierre de grès 
mouillée, jusqu’à ce que l'or apparaisse également sur toute 
la surface. Ensuite vous le frotterez très longtemps sur une 
pierre à aiguiser dure et unie Jusqu'à ce que l’émail prenne 
‘de l'éclat. Sur cette même pierre mouillée de salive, vous 
frotterez un morceau de têt que vous trouverez parmi les 
débris d'anciens vases, jusqu'à ce que la salive devienne 
rouge et épaisse; vous en enduirez une lame de plomb unie 
sur laquelle vous frotterez l'émail jusqu'à ce que les cou- 
leurs deviennent translucides et éclatantes. Après vous 
frotterez de nouveau le morceau de poterie sur la pierre à 
aiguiser avec de la salive que vous étendez sur un cuir de 
bouc fixé sur un morceau de bois, et dont la surface soit 
unie. Sur ce cuir vous polirez l’émail jusqu'à ce qu'il de- 
vienne entièrement brillant, en sorte que si une moitié était 
humide et l’autre sèche, on ne püût distinguer la partie 
sèche de la partie humide ". » 


! Tout ce que dit THéopniLe sur les émaux cloisonnés est tellement clair et 
si exact, que l'on a pensé, et sans doule avec raison, qu'il avait dû joindre la 


théorie à la pratique, et exécuter lui-même plusieurs des pièces dont il a si 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 381 


Les différentes opérations que Théophile indique avec 
tant de netteté et décrit avec une si grande précision 
ne peuvent s'appliquer qu’à l’émaillerie; aucun doute n’est 
possible à ce sujet. Or, l’art de l’émaillerie cloisonnée ayant 
été, ainsi que nous le verrons plus loin, importé en Alle- 
magne à la fin du xe siècle par des artistes grecs venus de 
Constantinople, il était tout naturel que Théophile, ne 
trouvant dans sa langue aucun vocable pour désigner 
l'émail, inconnu à cette époque en Allemagne, ait em- 
ployé, en le latinisant, le mot %kerpo:, dont se servaient 
les émailleurs byzantins de son temps, ce qui donne 
raison aux archéologues qui traduisent par émail ce mot, 
que l’on trouve dans Homère et dans Hésiode (v. page 352). 
Il est donc à peu près certain que la gabata electrina 
offerte au pape [ormisdas était émaillée, et que par 
conséquent on peut faire remonter au commencement du 
vie siècle les premières manifestations de l’émaillerie cloi- 
sonnée. On sait, du reste, les efforts que Justin et Justinien 
firent pour implanter à Constantinople les industries de luxe, 
et il n’est pas étonnant que parmi les artisans de tout genre 
qu'ils firent venir à grands frais de la Perse et des autres 
contrées de l’Orient, il se-soit trouvé des émailleurs qui 
enseignèrent aux orfèvres byzantins la pratique de leur art. 

Malheureusement les monuments d’orfèvrerie antérieurs 
au xe siècle sont relativement si rares, si peu ont pu 
échapper à la destruction, qu'il est à peu près impossible 
de dire quel rôle a joué l’émaillerie à cette époque, et quelle 


bien décrit ainsi les procédés de fabrication; quelques archéologues même, se 
basant sur ce que, dans un des manuscrits de la Diversarum artium schedula 
qui sont parvenus jusqu’à nous, l’auteur est appelé aussi RurGerus (Theophi- 
lus qui ct Rutgerus), lui attribuent un autel portatif monté en argent re- 
poussé et niellé que possède le trésor de la cathédrale de Paderborn, et qui 
aurait été exécuté au xi° siècle dans l’abbaye d'Helmarshausen, en Franconie, 


par un moine orfèvre du nom de Rulcherus. 


382 L'ÉMAILLERIE 


importance elle avait prise. Les édits de Léon lIsaurien 
(726) et des empereurs ses successeurs, qui défendaient 
aux artistes de reproduire la figure humaine par la pein- 
ture, la ciselure ou le repoussé, sur les instruments du culte 
et les parois des basiliques, durent évidemment en arrêter 
le complet épanouissement; mais comme, d’un autre côté, 
il était permis de composer des ornements dans lesquels 
entraient des animaux, des fleurs et des fruits, l’anéantis- 
sement des arts du dessin ne fut pas complet, et lorsque, en 
842, les édits iconoclastes furent rapportés, l'orfèvrerie, et 
par conséquent l’'émaillerie, qui en était devenue lauxiliaire, 
ne tardèrent pas à prendre un nouvel essor pour arriver 
bientôt à une perfection inconnue jusqu'alors. Cependant les 
édits de proscription lancés par les empereurs iconoclastes 
avaient eu pour effet de faire passer en Italie, où ils étaient 
certains d’être bien accueillis, les artistes qui, fidèles à leur 
foi, continuaient à pemdre et à sculpter les saintes images, 
et parmi eux des émailleurs, auxquels on doit quelques-uns 
des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie dont nous parlerons plus loin. 

Cest surtout au xe siècle, sous le règne de Constantin 
Porphvrogénète, que l’émaillerie arriva à son apogée. Pen- 
dant les longues années où, débarrassé des soucis du 
pouvoir, le jeune empereur était resté sous la tutelle de 
son oncle Alexandre et de sa mère Zoé, il s'était adonné 
avec ardeur à l'étude des sciences, des lettres et des arts. 
et plus que ses prédécesseurs il s’appliqua plus tard à en 
favoriser le développement, dirigeant lui-même les travaux 
des architectes, des peintres, des mosaïstes et des orfèvres 
qu'il emplovait. Sous son influence, le dessin devint plus 
correct et se débarrassa de la lourdeur qui caractérisait les 
productions artistiques du siècle précédent. 

Parmi les œuvres d’orfèvrerie émaillée qui sont arrivées 
jusqu'à nous, et dont l’origine byzantine, au moins en ce 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 383 


qui regarde les émaux, ne fait aucun doute, il en est qui 
sont véritablement remarquables, et dont la date est à peu 
près certaine : ce sont ceux-là surtout que nous mention- 
nerons ici. Mais de ce que les émaux sont byzantins, il ne 
s'ensuit pas pour cela que toutes ces œuvres d’orfèvrerie 
soient de fabrication byzantine. Du temps de Constantin 
Porphyrogénète, — et lui-même a pris soin de nous Pap- 
prendre !, — les boutiques des orfèvres à Constantinople 
étaient remplies d'ouvrages d’or émaillé assez importants 
pour être exposés à la vue du public dans les solennités. 
« Mais ces orfèvres, dit Labarte ?, ne s'étaient pas bornés à 
produire des objets d’une grande valeur, dont le prix ne 
pouvait être abordé que par les riches églises de empire 
d'Orient et par les somptueux seigneurs de la cour byzan- 
tine. Dès le ixe siècle, ils s'étaient livrés à la fabrication des 
croix, reliquaires portatifs de petite dimension, et de ces 
petits émaux détachés qui pouvaient s'adapter à toute pièce 
quelconque d’orfèvrerie. Le commerce les répandait ensuite 
à profusion dans l’Europe, puis les orfèvres français, alle- 
mands et anglais enrichissaient leurs travaux de ces émaux, 
qu’ils sertissaient comme des pierres fines dans des chatons, 
en les faisant alterner avec des rubis, des saphirs ou des 
perles. Au xte siècle, Constantinople continue à fournir ses 
émaux aux orfèvres de l’Europe. L’empereur Henri Il 
(+ 1024) enrichissait d’émaux grecs les somptueuses cou- 
vertures d’or de ses manuscrits, et sa sœur, la reine de 
Hongrie, en faisait border la croix d’or qu’elle plaçait sur 
le.tombeau de leur mère Gisila. La belle boite du musée 
du Louvre, que lorfèvre français s’est plu à ornementer 
d’émaux byzantins, est à peu près de la même époque. » 
Le texte du moine Théophile, que nous avons rapporté 


1 De Cerimoniis aulæ Byzant , t. Ic", p. 572. 
? Hist. des arts industriels, % édit., t. IT, p. 76. 


384 L'ÉMAILLERIE 


plus haut, nous dispense de revenir sur la façon dont ces 
émaux ont été fabriqués ; nous ferons remarquer cependant 
que, dans les uns, la plaque d'or est émaillée en plein, et 
que dans d’autres c’est le métal lui-même qui sert de fond; 
dans ce dernier cas, l’espace occupé par la figure a été 
champlevé ou repoussé en creux dans la feuille d’or, et 
forme ainsi le contour extérieur de cette figure, dont le 
dessin intérieur est obtenu au moyen des bandelettes de 
métal fixées sur le fond (fig. 73). Nous ajouterons que les 
couleurs employées par les émailleurs byzantins sont assez 
variées; on y trouve le blanc, le rouge éclatant, le brun 
rouge, le bleu clair et foncé, le violet, le jaune, le vert et le 
noir; la plupart de ces émaux, à l'exception du blanc, du 
noir et du bleu foncé, sont généralement semi-transparents, 
et les carnations sont rendues avec une couleur rosée qui 
se rapproche autant que possible du ton de chair. 

Le plus ancien monument d'émaillerie cloisonnée que 
nous possédions aujourd’hui est la célèbre couronne d’or, 
plus connue sous le nom de couronne de fer, conservée 
dans le trésor de la cathédrale de Monza, ville située à cinq 
lieues de Milan, et donnée avec d’autres objets précieux à 
cette église, qu’elle avait fondée, par Théodelinde (+ 625), 
reine des Lombards, au commencement du vire siècle. Cest 
un cercle d’or, très simple, haut de sept centimètres en- 
viron, divisé en six plaques séparées entre elles par des 
montants composés de trois beaux cabochons disposés 
verticalement les uns au-dessus des autres ; chacune des 
plaques est recouverte en plein d’un émail vert-émeraude. 
semi-translucide, sur lequel se détachent des fleurs rouges, 
bleues et blanc opaque, dessinées par le procédé du eloi- 
sonnage, et enrichie de pierres fines serties dans des 
chatons et des fleurons d’or. Intérieurement se trouve, 





incrusté dans l'or, un cercle de fer — auquel cette précieuse 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 383 


croix doit son nom, — qui à été, dit-on, forgé avec un 
des clous qui attachèrent Jésus-Christ sur la croix. Suivant 
la tradition, cette couronne aurait été rapportée de Cons- 
tantinople par le pape Grégoire le Grand, qui laurait 
reçue en présent de l’empereur Constantin Tibère, auprès 
duquel il avait été envoyé comme légat du pape Pélage IT, 





M Saint Jean l’Aumônier. 
La Vierge. sa 


ji 


Saint Jean-Baptiste. 


nl 
ME 
CIRE) 





Fig. 73. — Petites plaques d’émaux cloisonnés sur fond d’or décorant la couverture 
d’un évangéliaire du xe siècle 1. 


(Bibliothèque de Sienne.) 


son prédécesseur, et qui, à son tour, l’aurait donnée à la 
reine Théolinde. 

Il nous faut ensuite traverser deux siècles pour trouver 
un second exemple d’orfèvrerie décorée d’émaux cloisonnés, 
l'autel d’or ou paliotto de la basilique Saint-Ambroise de 


1 Ce manuscrit grec, du x siècle, appartient à la bibliothèque communale 
de la ville de Sienne; c'est un magnifique volume in-f°, de 0,365 sur 0,29. Les 
plats, en argent doré, sont couverts de rinceaux en relief d’une rare élégance 
et enrichis, l’un de vingt-trois, l’autre de vingt-cinq émaux cloisonnés en or; 
le dos, qui a une épaisseur de 0,09, était décoré également d’une suite de 
petits médaillons d’émail dont plusieurs ont disparu. Ce beau livre, qui ap- 
partenait à l’empereur Jean Cantacuzène, fut acheté, en 1359, pour le compte 
de la république de Sienne moyennant 3,000 florins d'or. — Cf. LABARTE, 0p. 
cut, t. II, p. 445. 

25 


386 L'ÉMAILLERIE 


Milan, exécuté en 835 par ordre de l'archevêque Angilbert. 
Nous n'avons pas à décrire ici ce magnifique autel, qui est 
certainement un des plus beaux monuments de l'industrie 
humaine! ; nous devons nous borner à dire que les listels 
formant les encadrements des médaillons dans lesquels 
sont exécutés au repoussé les figures du Christ, des apôtres 
et des archanges, ainsi que les sujets empruntés à la vie et 
à la Passion du Sauveur, sont composés de petites plaques 
d’émail cloisonné alternant avec des pierres fines, et formant 
ainsi un ensemble de la plus grande richesse: sur la face 
postérieure se trouvent, en assez grand nombre, des mé- 
daillons circulaires d’émail qui renferment des figures en 
buste se détachant sur un fond émaillé vert translucide 
cloisonné de dessins d’or, et qui offrent cette particularité 
remarquable que les carnations sont en émail blanc opaque. 

L’orfèvre auquel est dû ce merveilleux autel s'est repré- 
senté, sur un des médaillons de la face postérieure, recevant 
la bénédiction de saint Ambroise, et a pris soin d’y inscrire 
son nom : V VOLVINIVS MAGISTER FABER. Était-il également 
émailleur, ou s'est-il fait aider dans son travail par un des 
artistes byzantins venus en Italie, ainsi que nous l'avons dit. 
pour échapper à la persécution des empereurs iconoclastes”? 
Nous pencherions pour cette dernière hypothèse. Si Vol- 
vinius, en effet, avait appris des Grecs l’art de l'émaillerie, 
il est à présumer qu'à son tour il eût fait des élèves, et que 
cet art se serait implanté en Italie; or il n’en est rien, 
puisque c’est de Constantinople que les papes firent, dans 


! I] a la forme d'un parallélépipède surmonté d’une corniche et porté sur 
une base; il mesure 1"10 de hauteur sur 2"90 de largeur : Ja face antérieure 
est entièrement d'or; les deux côtés et la face postérieure sont en argent. Le 
panneau central de celle face postérieure, qui s'ouvre à deux batlants pour 
donner accès sous l'autel, renferme deux médaillons du plus grand intérêt : 
dans l’un, Angilbert présente l'autel à saint Ambroise; dans l’autre, le saint 
donne sa bénédiction à l'artiste qui à exécuté ce beau monument. 


L'ÉMAILLERIE "AU MOYEN AGE 387 


la suite, venir les œuvres d’orfèvrerie émaillée dont ils 
enrichirent leurs églises, et que c’est à Constantinople 
également que Didier, le célèbre abbé du mont Cassin, 
commandait, en 1068, un parement d’autel d’or sur lequel 
étaient reproduits en émail quelques sujets empruntés à 
l'Évangile, et presque tous les miracles de saint Benoît‘. Ce 
qui est certain, en tout cas, c’est que dans l’autel de Milan 
les émaux, à l'exception peut-être des médaillons de figures, 
ont été exécutés avec le monument, faits exprès pour la 
place qu'ils devaient occuper, et ne sont pas, comme ceux 
que l’on rencontre dans la plupart des œuvres de l’or- 
fèvrerie occidentale de cette époque, des plaques ou des 
médaillons fabriqués à l'avance et importés des ateliers 
de Constantinople. 

Parmi les autres émaux d’or cloisonné dont la date est 
indiquée, et qui peuvent être regardés comme les produits 
les plus parfaits de l’industrie byzantine, nous citerons en 
première ligne ceux qui décorent le reliquaire de la vraie 
croix, conservé dans l’église Saint-Georges, à Limbourg, 
dans le duché de Nassau. Ce reliquaire? est une boîte 
plate de forme rectangulaire, ayant Om485 de hauteur 
sur 0m34 de largeur, et 0m055 d'épaisseur ; un couvercle 
qui se tire à coulisse laisse voir à découvert le fond, qui 
renferme un morceau de la sainte croix disposé en forme 
de croix à double traverse; le tout est en or décoré de 
pierres fines, de figures et d’ornements en émail cloisonné. 
Le centre du couvercle est orné d’une plaque comprenant 
neuf petits tableaux d’émail sur fond d’or, distribués trois 
par trois l’un au-dessus de l’autre, et encadrés dans des 


! «.… Quibus videlicet smaltis nonnullas quidem ex Evangelio, fere autem 
omnes beati Benedicti miraculorum insigniri fecit historias. » (Chronica sacri 
monasterii Cassinensis, lib. III, c. xxx, p. 361.) 

? Cf. Annales archéologiques, t. XVIT, p. 337. 


388 L'ÉMAILLERIE 


lignes formées de très petits rubis. « Dans le tableau central, 
dit Labarte’', on voit le Christ assis sur un riche trône à 
coussins ; il bénit de la main droite à la manière grecque, 
et tient de la gauche le livre des Évangiles. Par-dessus 
une tunique talaire, il porte un grand manteau bleu-lapis 
merveilleusement drapé. Sa figure est sévère et pleine de 
noblesse ; ses pieds nus sont chaussés du cothurne antique, 
et ses mains sont parfaitement dessinées. Or, quand on 
songe aux procédés mis en œuvre dans ce genre d’émail- 
lerie pour reproduire les traits du dessin, on à peine à 
comprendre comment l'artiste a pu arriver à tant de per- 
fection. Chacun des huit autres tableaux comprend deux 
personnages d'environ 0m05 de hauteur : à droite du Christ, 
saint Jean et l’ange Gabriel ; à sa gauche, la Vierge et saint 
Michel archange ; puis les douze apôtres, distribués deux 
par deux dans les six autres tableaux ; ils sont vêtus de 
la longue tunique et du grand manteau de l'antiquité, et 
tiennent à la main soit un livre, soit un volumen. Toutes 
les figures de ces neuf tableaux, dessinées avec correction, 
sont exécutées en émail cloisonné, et se détachent sur le 
fond de la plaque d’or qui a été abaissée, en suivant les 
contours extérieurs de chaque figure, pour former la petite 
caisse dans laquelle ont été disposés, et le cloisonnage d’or 
d’une ténuité extrême qui trace le dessin, et les émaux qui 
teignent les carnations et les vêtements. Des inscriptions 
grecques, gravées sur le fond d’or de chacun des tableaux, 
donnent le nom du personnage représenté. » Toute la 
surface est, en outre, enrichie d’un encadrement en émail 
alternant avec des pierres fines. Dans l’intérieur de la boîte, 
un renfoncement, en forme de croix, reçoit la relique et 
son enveloppe d’or, qui peut s’enlever de ce caisson comme 


Once, D. 323. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 389 


on enlève un bijou d’un écrin; tout le champ libre autour 
de la croix est orné de bandes d’ornements en émail repro- 
duisant des motifs d’un très grand goût, et de vingt-quatre 
petites plaques d’or sur lesquelles se détachent des figures 
d’émail, et qui servent de couvercles à de petites cases où 
sont déposées des reliques. De larges inscriptions en ma- 
juscules grecques indiquent que la croix d’or enveloppant 
le morceau de la vraie croix a été faite par les empereurs 
Constantin Porphyrogénète (912-959) et Romain II, son 
fils, et que la riche boite qui renferme ce précieux reli- 
quaire date de la minorité de Basile le Proëdre, fils aîné 
de Romain IF, c’est-à-dire avant l’année 976. Suivant la 
tradition, ce reliquaire, une des œuvres les plus complètes 
de l’orfèvrerie byzantine, aurait été rapporté de Constanti- 
nople par un chevalier allemand, Henri d'Ulmen, qui avait 
pris part au pillage de la ville en 1204, et donné par lui 
au couvent des religieuses de Stuben, près Trèves, d’où il 
est passé en 1827 à l’évêché de Limbourg. 

Au xIe siècle, nous trouvons des émaux qui prouvent 
que les artistes byzantins n’avaient rien perdu de leur ha- 
bileté. Ce sont d’abord les huit plaques d’or ! découvertes, 
en 1860, en labourant un champ à Nvitra-Ivanka, dans le 
comitat de Neutraer, en Hongrie ; elles sont de forme 
oblongue, arrondies par le haut, et devaient, réunies 
ensemble, former ou tout au moins décorer une couronne. 
La plaque du milieu, qui mesure 0m116 de hauteur sur 
Om05, était plus élevée que les autres; elle représente 
un empereur revêtu du grand costume de cérémonie, et 
tenant dans la main droite un labarum à longue hampe 
rouge; une inscription en lettres capitales grecques ré- 
partie en deux moitiés indique que cette figure est celle 


1 Sept de ces plaques appartiennent au musée de Pesth. 


390 L'ÉMAILLERIE 


de Constantin le Monomaque, empereur des Romains; de 
chaque côté de cette plaque s’en trouvaient deux autres un 
peu plus petites (0m109), présentant les effigies des impé- 
ratrices Théodora et Zoé (fig. 74), filles de Constantin VIT: 
cette dernière avait épousé le Monomaque en 1042. Vien- 
nent ensuite deux danseuses, puis les figures de lAwmililé, 
qui a les mains croisées sur la poitrine, et de la Vérité, qui 
tient une croix de la main droite; sur la dernière plaque, de 
forme circulaire, est le buste de saint André, Le champ 
qui entoure ces figures, repoussées en creux, est occupé 
par des inscriptions, des rinceaux, des oiseaux et des cyprès 
dont le dessin est formé par de petites bandelettes extré- 
mement déliées, cloisonnant des émaux très éclatants *. 

La couronne royale de Hongrie, dite couronne de Saint- 
Étienne, conservée dans le château de Bude, et qui fut 
envoyée par l’empereur Michel Ducas à Geysa Ier, roi de 
Hongrie (+ 1077), est un monument non moins remar- 
quable de l’orfèvrerie byzantine. Elle se compose de huit 
plaques d’or carrées alternant avec huit gros saphirs cabo- 
chons et représentant à mi-corps les archanges Michel et 
Gabriel, saint Côme, saint Damien, saint Démétrius, samt 
Georges et les deux figures de Constantin Porphyrogénète 
et de Geysa ou (Géowitz, souverain fidèle de la puissante 
Turquie (Hongrie); au-dessus du bandeau formé par ces 
plaques s'élèvent, sur la face antérieure, une plaque d'or 
arrondie par le haut et représentant le Christ sur un trône, 
entre deux palmiers, et, sur la face opposée, une autre 
plaque sur laquelle se trouve reproduit l'empereur Michel 
Ducas portant la couronne et le vêtement impérial?. Ces 


{ Deux de ces plaques, celle qui représente Constantin le Monomaque et 
une de celles où l’on voit une danseuse, ont figuré, en 1867, à l'exposition 
universelle. 


2? Sur le fond d'or on lit l'inscription suivante, tracée en émail rouge : Michel 





























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L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 391 
plaques sont reliées par d’autres plaques plus petites 
semi-circulaires et triangulaires, décorées d’imbrications 
cloisonnées en émail. Le sommet de la couronne est 























Fig. 74. — Plaque d’or émaillé représentant l’impératrice Zoé. 
— Travail byzantin, xIe siècle. 


(Musée de Pesth.) 


formé par des arceaux composés également de plaques 
émaillées et surmontées à leur point de jonction par une 
croix d’or; sur ces dernières plaques sont représentés le 
Christ et quelques apôtres, dont les noms sont gravés en 
caractères latins. 


Ducas , empereur des Romains, fidèle au Christ.— Cf. LABARTE, 0p. Cut, 
p'o21: 


392 L'ÉMAILLERIE 


Il nous reste maintenant à signaler la célèbre Pala d’oro*, 
qui sert aujourd'hui de retable au maïitre-autel de l'église 
Saint-Marc à Venise, et qui est certainement l’œuvre la plus 
considérable de l’orfèvrerie du moyen âge, en même temps 
qu’elle est la plus riche en émaux cloisonnés byzantins. 

Ce merveilleux monument, dont il est impossible de 
décrire la splendeur ?, a la forme d’un rectangle dont la base 
mesure 3m15 de long, et dont la hauteur est de 2m10. II ne 
contient pas moins de quatre-vingt-trois tableaux ou figures 
d’émail cloisonné sur plaques d’or ou d'argent doré, can- 
tonnés par des colonnettes ou pilastres, enrichis de perles 
et de pierres fines ; ces dernières sont au nombre de treize 
cent neuf, et on compte douze cents perles, plus deux 
camées antiques ; dans les intervalles qui séparent les 
tableaux sont répartis trente-huit médaillons en émail cloi- 
sonné sur fond d’or. Commandé à Constantinople en 976 
par le doge Orseolo Ter, il avait primitivement la forme d’un 
diptyque se fermant dans le sens horizontal, et dut servir 
de devant d’autel jusqu'au moment où il fut changé en 
retable et considérablement remanié et augmenté par ordre 
du doge Ordelafo Faliero, en l’année 1105 ; depuis il a été 
plusieurs fois sinon modifié, au moins enrichi de pierres 
fines, d’abord en 1209, puis en 1345, et enfin restauré en 
1847. Parmi les plaques d’émail, dont quelques-unes, celles 
de la partie supérieure, mesurent 0m35 de hauteur et autant 
de largeur, il en est qui reproduisent des scènes de la vie 


‘ Le mot impropre Pala ou Palla dérive du mot latin pallium, servant 
à désigner une grande pièce d’étoffe avec laquelle, à certaines époques, on 
décorait l'autel. 

2? Du SomMERARD a publié dans son Album des arts au moyen âge (10° sé- 
rie, pl. xxx) une planche en couleur de la Pala d’oro. — Cf. également 
LABARTE, 0p. cil., t. III, p. 11, qui en a donné une figure au trait, et Jacopo 
Monico, la Pala d’oro, Venise, 1847. Tous les chroniqueurs et les historiens 
de Venise ont parlé de ce monument, unique parmi les œuvres de l'orfèvrerie. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 393 


et de la passion du Christ, ainsi que des scènes de la vie 
de saint Marc; d’autres, et ce sont certainement les spé- 
cimens les plus parfaits de la peinture cloisonnée en émail 
qui soient parvenus jusqu’à nous, représentent des apôtres 
et des prophètes; au centre, dans le bas, sur trois plaques 
de petite dimension, se trouvent les figures de la Vierge, 
du doge Ordelafo Faliero et de l’impératrice Irène. A l’excep- 
tion de ces dernières, il est assez difficile de dire quelles 
sont, parmi toutes ces plaques, celles qui datent du com- 
mencement du xne siècle, et celles qui remontent à la 
dernière moitié du xe; mais on peut affirmer néanmoins, 
malgré l’opinion de quelques archéologues italiens, que 
tous les émaux qui entrent dans l’ornementation de la Pala 
d’oro sont de fabrication exclusivement byzantine. 

Nous avons dû nous borner à mentionner les œuvres les 
plus remarquables parmi celles qui sont décorées d’émaux 
cloisonnés; il en est beaucoup d’autres, moins importantes, 
que nous ne pouvons qu'indiquer sommairement ici, mais 
qui n'en offrent pas moins un très grand intérêt au point 
de vue de l’histoire de l’émaillerie. Tels sont, entre autres, 
les deux ais de la couverture de l’évangéliaire de la biblio- 
thèque de Sienne, ornés de quarante-huit plaques d’émail 
(v. fig. 73); les couvertures des deux manuscrits de la 
bibliothèque Saint-Marc, à Venise, de l’évangéliaire de la 
bibliothèque nationale de Paris (n° 10514, ancien 1118, 
suppl. latin), de la boîte d’or du musée du Louvre (D, 1 à 
24), de celle de lévangéliaire du x1e siècle appartenant à la 
bibliothèque royale de Munich !, etc. Nous aurions à citer 
encore les émaux qui ornent la couronne et l’épée dites de 
Charlemagne, et ceux de l’épée de saint Maurice, conservés 


! La bordure d'encadrement de cette riche couverture contient deux émaux 
représentant, l’un le Christ, et l’autre la Vierge, qui sont de travail allemand ; 
les autres émaux, d’une exécution très délicate, sont byzantins. 


394 L'ÉMAILLERIE 


dans le trésor de l'empereur d'Autriche, à Vienne ; ceux du 
reliquaire qui appartient aux religieuses de Notre-Dame de 
Namur; la belle plaque de la crucifixion de la ÆRiche- 
Chapelle du palais royal de Munich; le calice de Saint-Remi 
de Reims, etc. etc. Ainsi que nous lavons dit plus haut, les 
émaux byzantins, exécutés sur des plaques de formes et de 
dimensions variées, étaient recherchés par les orfèvres 
d'Occident, qui les faisaient entrer dans l’ornementation de 
leurs œuvres en les disposant avec plus ou moins de goût 
au milieu des pierres les plus précieuses. Ces émaux repré- 
sentaient, outre le Christ et la Vierge, les archanges et les 
anges, les attributs des quatre évangélistes, les apôtres, et 
souvent aussi des figures indéterminées sur le fond d’or 
desquelles lorfèvre qui les emplovait ne craignait pas de 
oraver, suivant la destination de son œuvre, le nom d'un 
saint quelconque‘. Au xue siècle, on cessa de faire des 
plaques décorées de figures; mais la fabrication des petits 
émaux à ornements variés dura encore pendant tout le 
moven âge. Les orfèvres français s’en servaient très fré- 
quemment, et ce sont eux probablement que les inven- 
taires du xive au xvie siècle désignent sous le nom d'émaur 
de plicque, de plile ou d’applicque, nom qui, suivant 
l’opinion de Labarte, tirerait son origine du mot latin 
plicare, « plier, » indiquant ainsi le mode de fabrication de 
ces émaux au moyen de cloisons pliées suivant les exigences 
du dessin, « ce qui, dit M. Darcel, serait bien ingénieux et 
bien savant pour de simples rédacteurs d'inventaires. » Peut- 


! Dans le trésor de l'ancienne abbaye de Conques, si savamment décrit par 
M. Darcez, l’'éminent directeur du musée de Cluny, deux émaux cloisonnés,. 
qui décorent un autel portatif et qui‘représentent des figures de femmes abso- 
lument semblables, portent, l'une le nom de sainte Foy, s. FIDES, patronne 
de l’abbaye, et l’autre celui de la Vierge, s. MARIA; ces deux noms ont été 
cravés et ne sont pas exécutés en fils d'or dans lémail lui-même, comme 
cela avait lieu pour les émaux dont la destination était prévue. 


» 


L'EMAILLERIE AU MOYEN AGE 395 


être vaut-il mieux, ainsi que le croit M. de Laborde (op. cit.), 
étendre cette désignation à tous les émaux appliqués sur 
l’orfèvrerie, d'autant plus que, par suite de la destruction 
presque complète des monuments décrits dans les inven- 
taires et l’absence de détails sur les émaux ainsi dési- 
gnés', rien n'indique qu'ils aient été fabriqués par les 
procédés du cloisonnage. 

Tous les émaux que nous avons signalés comme étant 
d’origine byzantine étaient, ainsi que nous l’avons vu, 
exécutés sur des plaques d’or ou d'argent doré; on en faisait 
également sur cuivre, mais ces derniers sont tellement 
rares, que l’on n'en connait guère aujourd'hui que trois 
spécimens : la belle plaque (0m16 sur Om19) représentant 
saint Théodore d'Héraclée, qui fait partie de la collection 
de M. Basilewski?; une figure du Christ (0m27 de hauteur), 
dans le musée du Collège romain, à Rome, et un médaillon 
circulaire à double face, ayant servi d’amulette, appartenant 
à M. V. Gay, qui l’a publié dans son Glossaire archéologique 
(p. 615). Le peu de valeur du métal employé aurait dû 
certainement préserver ces émaux de la destruction qui a 
fait disparaître un si grand nombre de plaques d'or et 
d'argent, et leur rareté actuelle prouve que cette fabrication 
devait être tout à fait exceptionnelle. 


Introduction de l’émaillerie cloisonnée en Allemagne. — 
Suivant toutes probabilités, c’est par l'Allemagne et sous 


1 1363. — Une aiguière d'or, semée d'esmaux de plique et de menus rubis. 
(Inventaire du duc de Normandie.) 

1380. — Un calice d'or qui a la tige esmaillée aux armes de France et un 
pommel à esmaux de plite. {Inventaire de Charles V.) 

1661. — Un reliquaire d’esmail d’aplique garny d’or. (Inventaire de Ma- 
zarin.) 

>? Cette belle plaque a été publiée en couleur par M. Dance dans le Cata- 
logue de la collection Basilewski, collection qui aujourd'hui est en Russie. 


396 L'ÉMAILLERIE 

l'influence des artistes grecs que la pratique de l'émaillerie 
S’introduisit en Occident, par suite du mariage, en 971, 
d’Othon IT, fils d'Othon le Grand, avec Théophanie, fille de 
Romain le Jeune, empereur d'Orient, et petite-fille de 
Constantin Porphyrogénète. La jeune princesse, qui dès 
son enfance avait appris à aimer les arts, apportait, parmi 
les richesses qui composaient sa dot, des bijoux magni- 
fiques fabriqués par les orfèvres les plus habiles de son 
pays, et s'était en outre fait suivre d'artistes de tout genre 
qui se fixèrent auprès de la cour de l'Empereur, à Trèves: 
c'est dans cette ville qu'ils établirent les écoles et les ateliers 
qui, sous l’intelligente direction de l’évêque Egbert (977-993) 
et de saint Bernward, précepteur du jeune Othon II, et 
depuis évêque d’'Hildesheim (992-1022), devaient régénérer 
l’art allemand encore barbare, et produire ces œuvres que 
nous admirons tant aujourd'hui. 

Parmi les pièces d’orfèvrerie qui datent de cette époque, 
et dans lesquelles on trouve des émaux cloisonnés de 
fabrication allemande, les plus anciennes sont les trois 
croix d’or conservées dans le trésor de l’église d’'Essen, en 
Westphalie. Sur la première de ces croix, bordée de petites 
plaques d’émaux cloisonnés alternant avec des plaques de 
pierres fines cantonnées de perles, se trouve un émail de 
forme rectangulaire, de Om06 sur Om04, représentant, aux 
pieds de la Vierge assise avec l’enfant Jésus sur ses genoux, 
une femme vêtue de blanc et tenant une croix; l'inscription 
MAHTHILD ABBA[fissa|, tracée par un cloisonnage d'or sur 
fond d'émail vert, indique que cette croix fut donnée au 
monastère d'Essen, où n'étaient admises que des filles 
d’une haute noblesse, par l’abbesse Mathilde (+ 1012), fille 
de l’empereur Othon IT et de l’impératrice Théophanie. 

La seconde croix est décorée également d’une petite 
plaque sur laquelle sont représentés un homme et une 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 397 


femme, que les inscriptions, MAHTHILD ABBA et OTTO DVX, 
sur fond d’émail bleu, désignent comme étant Mathilde, 
troisième du nom, abbesse d’'Essen, princesse appartenant à 
la maison ducale de Bavière, et Othon de Nordheim, duc de 
Bavière et de Saxe; ce qui reporterait la date de l'exécution 
de cette croix à la dernière moitié du xre siècle. 

La troisième croix est décorée sur sa face principale de 
cinq médaillons d’émail cloisonné représentant, celui du 
milieu, la crucifixion, et ceux des extrémités, les symboles 
des évangélistes. 

Les émaux de ces trois croix, surtout ceux de la première 
et de la troisième, sont d’un travail assez barbare, qui 
dénote la main inexpérimentée d’un artiste allemand tra- 
vaillant à limitation des émailleurs byzantins. Les couleurs, 
un peu lourdes, sont loin d’avoir l'éclat et la transparence 
de celles des plaques qui ornent une autre croix du trésor 
de la même église, et qui, exécutée par des artistes grecs, 
fut, suivant toute apparence, donnée par l’impératrice 
Théophanie à une de ses petites-filles, treizième abbesse 
d'Essen, qui, comme elle, s'appelait Théophanie'. Malgré 
leur imperfection, cependant ils n’en méritent pas moins 
d’être comptés parmi les monuments les plus intéressants 
de l’histoire de l’art, puisqu'ils montrent que l’émaillerie 
cloisonnée a été pratiquée en Occident dès la fin du 
xe siècle, ou au plus tard dans les premières années 
du xie. 

Quelques archéologues, s'appuyant sur un bijou d’or 
conservé dans l’Ashmoleian Museum, à Oxford, ont pré- 
tendu que l’art de l’émaillerie cloisonnée avait été pratiqué 


! Une inscription en partie détruite, et qui avait été ajoutée à une époque un 
peu postérieure, probablement après la mort de l’abbesse, indique que cette 
croix avait été donnée par elle au monastère d'Essen : « LA NOBLE ABBESSE 
THÉOPHANIE, ISSUE DE RACE ROYALE, À DONNÉ CETTE CROIX. » 


398 L'ÉMAILLERIE 


en Angleterre dès le 1xe siècle ': mais si l'inscription que 
porte ce joyau : « AELFRED MEC HEHT GEVVRCAN (Alfred 
ordonna que je fusse fait), » peut laisser supposer que le 
travail d’orfèvrerie proprement dite à été exécuté par un 
artisan saxon, d’un autre côté le style tout à fait oriental 
de l'émail qui le décore, et la précaution prise par l'orfèvre 
de le préserver par une plaque de cristal de roche, prou- 
vent que cet émail, qui reproduit une figure dont il est 
difficile de préciser le caractère, a dû être apporté de Cons- 
tantinople et donné au roi Alfred le Grand, qui laurait 
fait monter comme une chose précieuse et inconnue en 
Angleterre à cette époque. 


I. Émaux mixres. — Le mouvement de rénovation artis- 
tique en Allemagne, si heureusement commencé sous 
l'influence de l’impératrice Théophanie, devait s’accentuer 
plus vigoureusement encore sous Henri IT (saint Henri), 
qui gouverna l'empire d'Occident de 1002 à 14024. Ce prince, 
que ses libéralités envers les églises et les couvents, qu'il 
comblait de présents et auxquels il accordait de nombreux 
privilèges, avaient fait surnommer le Père des moines, en- 
couragea particulièrement l’art de lorfèvrerie. Cest lui qui 
donna à la cathédrale de Bâle le magnifique devant d’autel 
en or qui est aujourd'hui au musée de Cluny ; c’est lui 
également qui, après avoir passé quelques jours à l’abbaye 
du Mont-Cassin, déposa sur lautel de saint Benoît, pour 
lequel il avait une profonde vénération, et auquel il attri- 
buait la guérison d’une cruelle maladie, de riches présents 
parmi lesquels, dit Léon d’Ostie dans son Histoire du Mont- 
Cassin, se trouvait un calice d’or enrichi de pierres fines, 


1 Ce bijou a été décrit el reproduit par M. AcBerrT Way, dans The Archæolo- 
gical journal, &. 1, p.164.— CF. également H. Saaw, Dresses and decorations, 
LES 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 399 


de perles et de très beaux émaux : Gemmis el margaritis 
ac smaltis' optimis adornatum. | 

La connaissance des procédés employés dans l’art de 
l’émaillerie, en apportant un élement nouveau de décoration, 
ne contribua pas peu également au développement et à la 





. Fig. 75. — Fragment de la bordure dun triptyque du xre siècle. — 
Emploi simultané des plaques d’émail et des plaques d’orfèvrerie. 


(Musée de la porte de Hal, à Bruxelles.) 


transformation de l’orfèvrerie. À cet amoncellement de pierre- 
ries rangées presque sans ordre et reliées par des rinceaux 
filigranés ou granulés, qui avait été jusque-là la base de lor- 
nementation employée par les orfèvres occidentaux, succéda 


1 C’est la seconde fois que l'on trouve, pour désigner l'émail, le mot smal- 
tu, employé déjà par ANASTASE le BiBLiOTHÉCAIRE dans le Vie de Léon IV 
(847-855). À partir du x siècle, ce mot prévalut sur celui d'electron, que 
les Allemands, ainsi que nous l'avons vu, avaient reçu des Grecs. Suivant 
LiTTRÉ, cependant, émail viendrait de l'ancien haut-allemand smelzan, 
smaltzan, fondre ; d’où l'allemand schmelzen. 


100 L'ÉMAILLERIE 
une décoration sagement pondérée et régularisée, pour ainsi 
dire, par lintroduction des plaques d’'émail formant bordure, 
alternant avec des plaques gemmées et filigranées (fig. 75). 
Cependant l’émaillerie, telle que les artistes byvzantins 
avaient apportée à Trèves, ne fut pas pratiquée pendant 
bien longtemps en Allemagne ; cet art si fin et si délicat 
exigeait une patience et une adresse que ne possédaient pas 
généralement les artisans allemands, et nous avons vu par 
les croix d’Essen que leurs premiers essais de reproduction 
de la figure humaine avaient été bien loin d’égaler les 
modèles qu'ils prétendaient copier; aussi durent-ils assez 
promptement se borner à ne fabriquer que des plaques 
décorées de motifs d’ornement d’une exécution plus simple, 
mais qui n’en présentait pas moins encore une assez grande 
difficulté pour des mains peu exercées à plier les bande- 
lettes de métal suivant les exigences d’un dessin souvent 
assez compliqué. En outre, les émaux cloisonnés sur or 
exigeant des plaques assez épaisses, leur emploi se trou- 
vait forcément limité à un petit nombre d'œuvres exception- 
nelles, telles que les merveilleuses châsses de Charlemagne, 
de Notre-Dame ou des Grandes-Reliques, conservées dans 
le trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, et de quelques 
autres qui datent de la fin du xre siècle et du commence- 
ment du xuie. Dans la châsse de Charlemagne, les soubas- 
sements, les cofonnettes, les ares à plein cintre et les bandes 
d'encadrement sont enrichies de petites plaques émaillées 
décorées de rinceaux, d’ornements, d'oiseaux, de dragons 
affrontés ou attachés par la queue, etc.!, qui se ressentent 
de l'influence byzantine. 


1 Les RR. PP. Arraur MarTIN et Cu. CAHIER ont donné la reproduction en 
couleur de ces émaux dans les Mélanges d'archéologie, t. 1er, pl. xzur. La 
châsse de Notre-Dame ou des Grandes-Reliques est reproduite également dans 
de magnifiques planches du même ouvrage [t. Ir, pl. v à 1x). 


L'ÉMAILLERIEMU MOYEN AGE 01 


Dans la châsse de Notre-Dame, outre des plaques du 
même genre, nous signalerons particulièrement les nimbes 
qui servent d’auréoles aux têtes des apôtres (fig. 76), d’un 
style très particulier, un peu sévère, et dans lesquels on ne 
retrouve plus les capricieux détails des émaux grecs. Le 





Fig. 76. — Nimbe d’un des saints de la châsse de Notre - Dame. 
Émail cloisonné. — Travail allemand, xiue siècle. 


(Trésor d’Aix-la-Chapelle.) 


bleu lapis, le gris-bleu, le vert, le jaune, le blanc et un 
rouge vermillon d’une grande richesse de ton sont les cou- 
leurs employées dans ces émaux. 

Cest alors que les orfèvres allemands imaginèrent de 
substituer le cuivre à l’or dont s'étaient servi presque exclu- 
sivement les Grecs ; cela leur permettait de donner une 
place plus importante aux émaux qu’ils faisaient entrer 
dans l’ensemble de la décoration de leurs œuvres, et en 
même temps de les fournir à un prix moins élevé; de 
plus, en agrandissant leurs plaques émaillées, ils suppri- 


maient une partie de la difficulté d'exécution. Pendant 
26 


102 L'ÉMAILLERIE 


quelque temps, ils conservèrent bien intact le procédé du 
cloisonnage qui leur avait été enseigné, réservant seu- 
lement sur le bord de la plaque un large filet d'enca- 


drement pris dans l'épaisseur du métal, qu'ils creusaient 





Fig. 77. — Plaque de bordure. 
Email mixte. — Travail allemand, xre siècle. 


(Musée du Louvre.) 


entièrement, de facon à former une large cuve dans le 
fond de laquelle ils fixaient les lamelles qui devaient 
maintenir l'émail (fig. 77); puis ils laissèrent subsister une 








Fig. 78. — Plaque de bordure. — Émail mixte. — Travail allemand, x siècle. 


a. Plaque champlevée. — D. Plaque champlevée et cloisonnée. 
— c. Plaque émaillée. 


plus grande portion de métal, se bornant seulement à creu- 
ser — ou champlever, — d’après un dessin symétrique, 
quelques parties qu'ils cloisonnaient ensuite et qui se 
trouvaient ainsi reliées ensemble par des bandes plus ou 
moins larges réservées ou épargnées par le burin (fig. 78). 


Ce mode d'exécution les amena peu à peu à suppri- 


L'ÉMAILLERIENAU MOYEN AGE 403 


mer le cloisonnage mobile, c’est-à-dire appliqué après 
coup, et à le remplacer par un cloisonnage fixe réservé 
dans l'épaisseur même du métal. Les premiers exemples 
de ce genre de travail sont remarquables en ce que les 
cloisons ainsi réservées sont tellement minces, qu'il est 











Fig. 79. — Plaque de cuivre doré. 


Émail champlevé imitant le cloisonnage. — Travail allemand, xrre siècle. 


(Coll. de Mme la Csse Dzgialinska.) 


difficile de se rendre un compte exact du procédé em- 
ployé. Telle est la curieuse plaque en cuivre doré repré- 
sentant la Vierge et l'enfant Jésus (fig. 79), qui appartient 
à Mne la comtesse Dzialinska, et que l’on pourrait au pre- 
mier aspect prendre pour un émail cloisonné !. Il semble 
évident, du reste, que cette Vierge est une copie, ou tout 


1 Cette plaque figurait à l'Exposition du métal en 1880. Elle mesure 0,23 de 
haut sur 0,15 de large. 


404 L'ÉMAILLERIE 


au moins une imitation d’une Vierge byzantine, ainsi que 
l'indiquent, non seulement la coloration générale, surtout 
l'émail rosé un peu foncé des chairs, et la façon dont les 
plis sont cloisonnés, mais aussi le vêtement de la Vierge et 
la main droite de l'enfant Jésus, qui bénit à la manière 
grecque. 

La collection de M. Spitzer, si riche en émaux rhénans, 
possède également une plaque du xne siècle décorée par le 
même procédé, et représentant le Christ assis. Le dessin, 
ici, est franchement byzantin, et la préoccupation d’imiter 
les émaux grecs tellement évidente, que lartiste a trouvé, 
ce qui se rencontre rarement dans les émaux rhénans, des 
couleurs presque translucides. 


II. ÉMAUX CHAMPLEVÉS. — École allemande. — Le 
procédé du cloisonnage des émaux au moyen de ces fines 
bandelettes réservées ou champlevées dans l'épaisseur du 
métal était encore, comme celui du véritable cloisonnage, 
trop long et trop difficile à pratiquer pour pouvoir être 
employé pendant longtemps; aussi fut-il bientôt aban- 
donné, au moins pour les figures, et remplacé par un 
autre procédé plus expéditif. 

Mais ici nous nous trouvons en présence de deux modes 
d'exécution qui semblent avoir appartenu à deux écoles 
distinctes, mais dans lesquelles nous retrouvons, au moins 
au début, cette imitation, soit du dessin, soit de la colora- 
tion des émaux byzantins, qui prouve combien avait été 
féconde l'influence exercée par les artistes grecs appelés 
à Trèves par l’impératrice Théophanie. 

Dans lun, qui procède plus directement de l’émaillerie 
byzantine, les figures, creusées dans le métal qui leur sert 
de fond, sont émaillées entièrement en couleurs nuancées. 
Parmi les plus beaux spécimens d'œuvres appartenant à 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 405 


cette première phase de Pémaillerie champlevée, nous cite- 
rons surtout les figures de prophètes et les médaillons qui 
décorent la châsse de saint Éribert, dans l’église de Deutz, 
un des faubourgs de Cologne. Cette magnifique châsse, qui 
date de la première moitié du xre siècle, a la forme d’un 
coffre rectangulaire surmonté dun toit à deux versants ; 
elle ne mesure pas moins de 15% de longueur. Sur 
chacune des faces se trouvent six statues d’apôtres en 
argent repoussé, séparées par des pilastres portant chacun 
la figure, haute de 0m22, et entièrement émaillée, d'un 
prophète; ces pilastres correspondent à des bandes émaillées 
qui séparent les deux versants du toit en six travées, dont 
les champs, ornés de magnifiques rinceaux en repoussé, 
sont occupés par de grands médaillons circulaires repré- 
sentant en émaux de couleurs variées des sujets tirés de la 
légende de saint Éribert; chacun de ces médaillons porte 
sur le listel qui le borde une inscription formée de deux 
vers latins qui en explique le sujet. Ces longues inscriptions 
en vers, qui font preuve d’une érudition assez raffinée et 
qui se rencontrent souvent sur les plus belles œuvres de 
l’orfêvrerie allemande du xue et du xine siècle, autorisent à 
supposer que la plupart des artistes qui les exécutèrent 
travaillaient dans des couvents. Nous verrons plus loin 
qu'il n’en était pas de même à Limoges, où les émailleurs 
étaient généralement de pauvres artisans illettrés, inca- 
pables, non seulement de composer des inscriptions sem- 
blables, mais même de copier correctement celles qu’on 
leur donnait à graver. 

La belle croix que reproduit notre figure 80, et qui fait 
partie des collections de M. Spitzer, appartient également 
à cette première partie de l’émaillerie allemande, ou mieux 
rhénane, car, suivant toutes probabilités, c’est sur les bords 
du Rhin, et plus particulièrement à Cologne, que se trou- 


106 L'ÉMAILLERIE 


vaient les principaux ateliers d’où sont sorties ces merveilles 
d’orfèvrerie émaillée dont aucune description ne peut rendre 
l'éclat et harmonieuse richesse. Dans cette croix, qui ne 
mesure pas moins de 0675 sur 0m455, tout rappelle en- 
core l'influence byzantine : la rigidité du corps du Christ, la 
coloration teintée des chairs, et le travail fin et délicat des 
cloisons métalliques qui, dans certames parties, paraissent 
soudées sur le fond et non champlevées en réserve. 

Les émaux rhénans dans lesquels les figures sont ainsi 
colorées entièrement sont fort rares. La difficulté considé- 
rable que les émailleurs éprouvaient pour rendre le dessin 
des têtes et leur donner une expression satisfaisante au 
moyen des cloisons métalliques, leur fit bientôt prendre le 
parti de réserver en métal les têtes, les mains, les pieds et 
sénéralement toutes les parties nues, pour émailler seule- 
ment les vêtements, dont le cloisonnage exigeait moins de 
souplesse et moins d'habileté. Les parties réservées étaient 
alors gravées au burin en traits qui exprimaient le dessin 
intérieur, et qui étaient assez accentués et assez profonds 
pour pouvoir être remplis d’un émail bleu presque noir ou 
rouge foncé, qui miellait le métal. Le musée du Louvre 
possède plusieurs plaques très intéressantes (D. 60 à Go, 
et D. 73), de dimensions différentes, exécutées à l’aide de 
ce procédé, que nous retrouverons plus tard employé par 
les émailleurs de Limoges. 

Les figures en haut relief qui décorent certains reliquaires 
de cette époque étaient émaillées de la même façon. La 
collection de M. Spitzer renferme en ce genre un grand et 
magnifique coffret du commencement du xne siècle, qui 
porte sur sa face antérieure et sur le couvercle quatre 
figures en demi-relief très saillant, d’un style un peu rude, 
mais néanmoins d'un grand caractère, dont les vêtements 


sont couverts d’'émaux renfermés entre des bandes très 


PÉMATLDERTEAU MOYEN AGE 407 


épaisses réservées dans le metal; ces figures sont d’une 
exécution assez lourde, qui contraste singulièrement avec 









































































































































































































































































































































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Fig. €0. — Croix en émail champlevé. — Travail allemand, x1re siècle. 


(Coll. de M, Spitzer.) 


la finesse du travail des plaques d’émaux cloisonnés qui 
forment la bordure de ce rare et précieux spécimen des 
premières manifestations de l’émaillerie occidentale; les 


408 L'ÉMAILLERIE 


têtes et les mains non émaillées sont légèrement retouchées 
au burin; seules les prunelles sont indiquées au moyen 
d’une petite perle d’émail noir. 

Ce procédé, qui consistait à émailler seulement une partie 
des figures en en réservant certaines autres en métal gravé, 
conduisit bientôt à un autre mode d'exécution plus facile 
et plus prompt, qui fut usité d’abord pour les émaux de 
petite dimension, mais qui devint ensuite d’un emploi 
presque général. Les figures furent entièrement réservées, 
et les fonds et les accessoires recurent seuls une coloration 
en émail. Cétait abandon de la’ tradition grecque, mais 
seulement au point de vue technique, car le dessin, surtout 
dans quelques-unes des premières pièces exécutées ainsi, 
rappelle souvent celui des figures byzantines de la plus 
belle époque. 

Le musée du Louvre possède (D. 70) un bon exemple 
de ce procédé d’émaillerie, décorant un des plus élégants 
spécimens de lorfèvrerie allemande du xrre siècle : c’est le 
reliquaire de saint Henri que reproduit notre fig. 81. Ce 
reliquaire à deux faces, en forme de quatre-lobes à redans, 
est porté sur une base demi-sphérique à trois pieds à 
laquelle le relie une courte tige enfilant une boule de 
cristal de roche. Sur la face antérieure, saint Henri, assis 
sur un banc et portant sur sa tête la couronne impériale, 
tient de la main droite un globe blanc surmonté d’une 
croix bleue, et de la gauche un sceptre fleuronné. A sa 
droite, une femme dont on ne voit que le buste, portant 
une couronne par-dessus le voile qui lui couvre la tête et 
tombe sur ses épaules, tient une fleur dans la main gauche; 
son nom, CVNIGVNDIS, est gravé à côté d'elle; à la gauche 
du saint, un moine bénédictin agenouillé, WELANDYvS 
MO[nachus], lui présente un objet à quatre lobes, émaillé 
en vert, et qui pourrait bien être le reliquaire dont lui- 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 409 


même serait probablement l’auteur. Sur le listel qui forme 
l'encadrement on lit l'inscription suivante en lettres ma- 
juscules carrées : DE GOSTA ET PVLVERE ET VESTIBUS 


KA 
C1 
A4 


= 





Fig. 81. — Reliquaire de saint Henri. — Travail allemand, xrre siècle. 


(Musée du Louvre.) 


S. HEYNRICI IMPRIS ET GFESS (imperaloris et confessoris). 
La plaque de la face opposée représente Jésus-Christ bé- 
nissant de la main droite et tenant de la main gauche le 
livre des Évangiles appuyé sur son genou; à sa droite, un 
roi couronné, et à sa gauche, deux rois; sur l’orbe les in- 
SCriptions : F REX REGV, + OSWALDVS REX : SIGISMVNDVS 


EVGEVS REGES. Dans les deux plaques le fond est bleu 


410 L'ÉMAILLERIE 


piqueté de points en métal réservé, qui n'avaient certaine- 
ment pour but que de retenir l'émail en le divisant et de 
l'empêcher ainsi de se lever. Le pied est décoré de quatre 
médaillons à fond bleu entourés d’un cercle vert, et se dé- 
tachant sur un fond d’'émail blanc constellé en réserve; cha- 
cun des médaillons porte le buste d’un saint guerrier dont 
le nom est indiqué : GEDEON, MAVRITIUS, EUSTACHIUS ET 
SEBASTIANVS. Henri de Bavière ayant été canonisé en 1147 
(ou 1162), et sa femme Cunégonde en 1200, ce reliquaire, 
sur lequel l’empereur est représenté avec le nimbe et 
l’impératrice sans le nimbe, doit donc dater certainement 
de la seconde moitié du xre siècle. M. Spitzer possède un 
petit reliquaire identiquement semblable comme forme et 
comme travail d’émaillerie, et qui doit sortir évidemment 


, 


du même atelier; sur un fond d'émail bleu, également 
piqué de points de métal réservés destinés à retenir Pémail, 
se détache le Christ en croix, ayant à sa droite et à sa 
gauche la Vierge et saint Jean représentés à mi-corps. 
Comme dans le reliquaire du Louvre, la base est hémisphé- 
rique et décorée de rinceaux et de rosaces à quatre lobes 
sur fond d'émail; au revers, sur une plaque de métal ne 
portant aucune trace d’émail, lPartiste a gravé l’Agneau 
pascal et les symboles des quatre évangélistes. 

C’est aussi au xue siècle qu'appartient l'autel portatif! de 
la collection de M. Spitzer ? (pl. B). Ce remarquable spéei- 


! Les autels portalifs, allaria porlatilia, allaria viatica, tabulæ itinerariæ, 
dont l'usage remonte au vu® siècle, se composaient ordinairement d'une petite 
table de marbre où de pierre dure enchàssée dans une pièce de bois de forme 
rectanguläire renfermée dans une enveloppe de métal, richement décorée et 
ciselée, qui laissait la pierre à découvert. En Allemagne, aux x1e et xre siècles, 
la table de marbre el son encadrement servirent de dessus à de petits coffrets 
reliquaires auxquels on donna la forme d'un autel; ces autels sont assez rares 
aujourd'hui, el presque tous ceux qui existent ont été décrits ou figurés. 

= La collection de M. Spitzer est aujourd'hui la seule à Paris qui renferme 


L'ÉMAILLERIEMU MOYEN AGE AAT 


men d’orfèvrerie, un des plus intéressants certainement au 
point de vue de l’histoire de lémaillerie, a la forme d’un 
coffret à couvercle plat, ou mieux d’un petit autel élevé sur 
des pieds en forme de dragons aux ailes ornemanisées. 
Chacune des grandes faces est divisée en six comparti- 
ments séparés par des colonnes dont les fûts sont émaillés 
en blanc et les chapiteaux réservés en métal; au centre de 
chacun de ces compartiments sont assis les douze apôtres 
se détachant en cuivre doré sur des fonds alternativement 
bleu lapis et bleu clair légèrement verdâtre; les nimbes 
sont en émail jaune; les douze figures, champlevées avec 
beaucoup de soin, sont gravées très finement de traits 
remplis d’émail dun noir bleu assez foncé; une bande 
de cuivre qui règne dans toute la longueur porte les noms 
des apôtres en caractères non émaillés; les faces latérales 
sont décorées de plaques représentant, l’une le Christ 
entouré des symboles des évangélistes et ayant à sa droite 
la Vierge et à sa gauche saint Jean, l’autre la Vierge 
assise, tenant le divin enfant sur ses genoux et accom- 
pagnée des anges Gabriel et Raphaël, qui tendent leurs 
mains vers elle; ces deux compositions, d’un dessin correct 
et d’une gravure fine et élégante, se détachent également 
sur des fonds bleus nuancés dans certaines parties acces- 
soires. 

Au centre du couvercle est la pierre consacrée, entourée 
de dix plaques d’émail reliées ensemble et encadrées par 
des bandes de métal gravées en creux, dans la composition 
et l’arrangement desquelles on trouve cette alliance de 
l'Ancien et du Nouveau Testament que l’on rencontre si 


des émaux rhénans; en dehors des reliquaires de saint Henri, le Louvre ne 
possède que les plaques peu importantes que nous avons déjà signalées; le 
musée de Cluny, très riche en émaux de l'école de Limoges, n’a qu'un fragment 
peu intéressant de l’émaillerie allemande. 


412 L'ÉMAILLERIE 


fréquemment dans les œuvres de lorfèvrerie allemande de 
cette époque : le sacrifice d'Abraham (fig. 82); Abel, char- 
mante figure d’adolescent portant dans ses bras l'agneau 
qu'il offre au Seigneur ; Moïse, tenant le serpent d’airain ; 
David, Salomon, etc., puis le Christ en croix, ayant à sa 


























































































































Fig. 82. — Plaque du couvercle d'un autel portatif. 


Email champlevé et gravé, xue siècle. 


(Coll. de M. Spitzer.) 


droite l’Église triomphante, et à sa gauche la Synagogue, 
qui se détourne tristement en emportant les tables de la 
Loi. Sous le rapport du dessin, ces figures sont, en général, 
inférieures à celles des apôtres, qui ont été évidemment 
copiées sur des modèles exécutés par des artistes byzantins 
et que l’on retrouve sur d’autres œuvres du même genre; 
quelques-unes néanmoins, surtout celles d’Abel et de David, 
sont d’un si bon style et d’une si grande tournure, qu’elles 
permettent de supposer l'existence de modèles connus et, 
pour ainsi dire, traditionnels. 


Les trésors de la cathédrale de Bamberg, de l’église 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 413 


Sainte-Marie-du-Capitole, à Cologne, et le château royal 
de Hanovre possèdent des autels de forme semblable et 
à peu près de même dimension’. Comme dans celui de 
M. Spitzer, les faces principales de ces différents autels 
sont décorées de figures d’apôtres réservées, sur fond 












































Fig. 83. — Plaque du couvercle d’un autel portatif. 


Émail champlevé et gravé, x siècle. 


(Coll. de M. Spitzer.) 


d’émail bleu ou vert, en cuivre doré dont la gravure est 
niellée d’émail foncé; seules les tables du dessus offrent 
une assez grande différence dans la décoration. 

Dans celui de la cathédrale de Bamberg, qui, suivant 
la tradition, aurait été donné par l’empereur Henri IT et 
daterait, par conséquent, du commencement du xie siècle, 
l'influence byzantine est évidente; les figures d’anges en 
buste et les séraphins aux corps couverts entièrement par 
leurs ailes, ainsi que les légers ornements qui les séparent, 


1 L’autel portatif de la collection de M. Spitzer a 0,315 de longueur, 0,169 de 
largeur et 0,160 de hauteur totale. 


414 L'ÉMAILLERIE 


paraissent avoir été empruntés à un manuscrit grec et 
sont émaillés en plein dans une tonalité générale qui 
rappelle celle des émaux cloisonnés; c'est évidemment le 
plus ancien des autels portatifs de ce genre connus jusqu’à 
présent; et celui qui à dû servir de type ou de modèle pour 
les autres. 

Celui de Hanovre est intéressant surtout à cause de la 
sionature qu'il porte : Zilbertus Coloniensis me fecit. Cet Eïl- 
bertus, de Cologne, était certainement un élève des artistes 
byzantins ; tout le prouve dans cette œuvre qu'il a signée : 
le dessin général, la manière d’asseoir et de draper ses per- 
sonnages, et Jusqu'à la bénédiction à la manière grecque 
qu'il a répétée deux fois'. Cologne, du reste, ainsi que 
nous Pavons dit plus haut, fut le centre principal de la 
fabrication des émaux au xic et au xne siècle, et cela 
s'explique par ce fait que limpératrice Théophanie, qui v 
avait, en dernier lieu, fixé sa résidence, et qui y mourut 
en l’année 990, s’y était évidemment fait suivre par la 
petite colonie d'artistes qu'elle avait amenée de Constan- 
tinople. 

De Cologne l’art de lémaillerie se propagea, par les 
villes situées sur les bords de la Meuse, jusqu'à Verdun, 
qui possédait, au commencement du xrre siècle, une école 
d’orfèvres émailleurs renommés. 

C’est à cette école qu'appartenait Nicolas, de Verdun, qui 
fut appelé par les moines de la riche abbaye de Kloster- 
neuburg, près Vienne, pour y exécuter le grand parement 
d’autel ou antependium qu'il termina en 1181, et qui, au 
commencement du xive siècle, fut transformé en retable. 

Ce magnifique retable, qui n’a pas moins de 5 mètres de 


long sur 1m10 de hauteur, est composé de cinquante et 


1 Cf. LABARTE, 0p. cil.,t. II, p. 112. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 415 


une plaques émaillées disposées sur trois rangs et termi- 
nées à leur partie supérieure par un cintre trilobé:; cha- 
cune de ces plaques mesure 0m23 de hauteur sur 0m68 
de largeur; les vides formés ainsi entre chaque plaque 
par la disposition de la partie supérieure sont remplis par 
d'autres plaques qui en épousent la forme. Les cinquante 
et une grandes plaques représentent des scènes emprun- 
tées à l’Ancien et au Nouveau Testament, d’une compo- 
sition bien ordonnée et dont les figures, réservées en 
métal, se détachent sur un fond d'émail bleu ou rouge; le 
dessin intérieur est rendu par une gravure plus fortement 
exprimée que dans les émaux de Cologne, et niellée 
également démail bleu ou rouge. Les petites plaques 
qui remplissent les tympans reproduisent en buste les 
Vertus et diverses autres figures sans signification appa- 
rente. 

Les trois rangs de plaques sont séparés par des bandes 
de métal sur lesquelles se trouve gravée en magnifiques 
capitales émaillées en bleu une longue inscription, dont la 
première partie nous apprend que cette œuvre remarquable, 
dédiée à la Vierge Marie’, fut commandée par Werner, 
sixième abbé de Klosterneuburg, et exécutée par Nicolas de 


Verdun, qui la termina en 1181 : 


ANNO MILLENO CENTENO SEPTUAGENO 

NEC NON UNDIGENO GWERNHERUS CORDE SERENO 
SEXTUS PREPOSITUS TIBI VIRGO MARIA DICAVIT 
Quop NICOLAUS OPUS VIRDUNENSIS FABRICAVIT 


Lorsque, plus tard, en 1329, ainsi que l’indique la suite 
de l'inscription, on en changea la destination, on dut, pour 


1 Cette magnifique pièce, si intéressante pour l'histoire de l’art du xrre siècle, 
a été reproduite avec tous ses détails dans l'ouvrage de MM. Camesina et 
G. HerDER, Der Altaraufsatz zu Klosterneuburg: Vienne, 1860. 


416 : L'ÉMAILLERIE 


opérer la transformation, ajouter six autres plaques ; mais 
lémailleur qui fut chargé de ce travail imita si bien le 
style et la facture du maitre dont il complétait l’œuvre, 
qu'il est impossible, au premier abord, de reconnaitre les 
plaques qui ont été exécutées à cette époque. 

De retour dans son pays, maitre Nicolas fut chargé 
d’autres travaux importants; c’est lui qui fabriqua la belle 
châsse, — ou fierte, suivant lexpression du pays', — de 
Notre-Dame de Tournai, qu'il termina en 1205, et qui 
porte sa signature. 

Le procédé employé par Nicolas de Verdun était, comme 
on l’a vu plus haut, celui qui consistait à graver les figures 
sur le métal réservé sur un fond qu'on émaillait ensuite ; 
ainsi que nous l’avons dit, c'était le plus facile et surtout le 
plus expéditif et le moins coûteux; aussi était-il générale- 
ment adopté pour l'exécution des émaux dans lesquels 
l'artiste avait des figures à reproduire, les émaux polv- 
chromes, c’est-à-dire ceux qui procédaient directement des 
émaux bvyzantins, étant réservés presque exclusivement aux 
plaques couvertes d’ornements. (est surtout dans ces der- 
nières que les artistes de l’école de Cologne ont fait preuve 
d’une invention décorative et d’une habileté pratique qui, 
sous ce rapport, les mettent bien au-dessus des émailleurs 
des autres pays. Nous n'avons pas à décrire ici les merveil- 
leuses châsses des Rois-Mages à Cologne, des Grandes- 
Reliques et de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, et tant 
d’autres dans l’ornementation desquelles les orfèvres qui les 
ont exécutées ont fait entrer ces émaux aux rinceaux élé- 
gants, dont la coloration se méêlait si harmonieusement avec 
l'éclat de l'or et des pierreries; nous nous bornerons à citer 


1 Cf. Des Fiertes de Notre-Dame de la cathédrale de Tournai, par M. le 
chanoine Voisin, in-8° de 24 pages. — Le mot fierte pour désigner les châsses 
a été et.est encore en usage dans le nord de la France et en Angleterre. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 417 


comme un des plus beaux exemples en ce genre les émaux 
de couleur qui décorent la belle châsse de style byzantin 





Fig. 84. — Une des plaques du toit de la châsse Sollyko/f. — Émail rhénan, xnre siècle. 


(South -Kensington museum.) 


désignée généralement aujourd’hui sous le nom de chässe 
Soltykojff, et qui appartient au musée de South-Kensington, 
à Londres'. Cette châsse, de Om55 de hauteur, en forme 


1 A la vente de la collection du prince Soltykoff, en 1861, cette châsse a été 
vendue 51,000 francs; elle provenait de l'église collégiale de Rees, sur les bords 
du Rhin. Une châsse semblable existe dans le trésor du palais royal de Hanovre. 

21 


n 18 L'ÉMAILLERIE 


« 


de petit temple à quatre transepts, entouré de portiques 
soutenus par des colonnes et surmonté d'une coupole à 
sodrons, est décorée sous les portiques de seize figures en 
ivoire de morse représentant les prophètes, et, autour de 


la base de la coupole, de statuettes en même matière 





Fig. 85. — Colonnette émaillée de la chässe Soltykof. 


figurant les apôtres; les portes des transepts sont ornées 
de bas-reliefs également en ivoire, dont les sujets sont 
empruntés à la mort et à la résurrection du Christ. Tout 
le reste de l'édifice, les toitures, les colonnettes, etc., est 
en cuivre doré décoré de riches rinceaux en émaux polv- 
chromes et d’ornements d'un effet admirable (fig. 84 et 85). 

Les plaques de la toiture de cette belle châsse prouvent à 
quel degré d’habileté technique étaient arrivés les émailleurs 
de Cologne dans la dernière moitié du x1re siècle; les émaux 
y sont dégradés et nuancés dans une savante harmonie, et 
le travail de champlevage du métal v est exécuté avec une 
précision et une netteté de coupe que lon ne rencontre pas 
souvent dans les œuvres du même genre. 

Les émaux fabriqués à la même époque dans les villes 
situées sur les bords de la Meuse, à Liège, à Maestricht, 


| 
( 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE A19 


à Waulsort, etc. offrent à peu près les mêmes carac- 
tères que ceux de Cologne et de Verdun, bien qu'ils leur 
soient généralement inférieurs sous beaucoup de rapports. 
Plusieurs villes de la Belgique, Huy et Namur surtout, 
possèdent des châsses et plusieurs œuvres d’orfèvrerie 
émaillée de moindre importance, mais fort intéressantes 
néanmoins au point de vue de l’histoire de l’art. Nous 
devons signaler également un procédé mis en œuvre, au 
commencement du xIIIe siècle, par un moine augustin du 
prieuré d’Oignies, sur le bord de la Sambre, le frère Hugo; 
le trésor des sœurs de Notre-Dame, à Namur, possède de 
cet humble religieux plusieurs œuvres, entre autres un 
vase reliquaire et une couverture d’évangéliaire, dans les- 
quels il a su employer avec beaucoup d'art un genre 
d’émaillerie tout particulier, qui fait l’effet d’une sorte de 
niellure dont le ton noirâtre rehausse singulièrement l'éclat 
de l'or et de l'argent. 

École de Limoges. — La question de savoir à quelle 
époque eut lieu lintroduction en France de la pratique de 
l’émaillerie a donné lieu à bien des discussions et à de 
nombreuses controverses ; quelques archéologues, poussés 
par un amour-propre national un peu exagéré, ont voulu 
d'abord en reporter la date au temps de saint Éloi (+ 659); 
se fondant sur certaines indications fournies par une gra- 
vure du xvue siècle, reproduisant un calice conservé au- 
trefois à l’abbaye de Chelles, et que la tradition attribuait 
au ministre de Dagobert, ils prétendaient que ce calice 
avait été émaillé et devait sortir des ateliers de Limoges, 
de tout temps renommés pour leurs œuvres dorfèvrerie; 
mais M. Ch. de Linas' a prouvé d’une façon indiscutable 


1 Cn. ne Linas, les Œuvres de saint Elor et la Verroterie cloisonnée. 


420 L'ÉMAILLERIE 


que cette pièce avait été, non pas émaillée, mais décorée 
au moyen de verroteries cloisonnées. 

On en a fixé ensuite la date au xe siècle, et, à l'appui 
de cette opinion, on citait une crosse émaillée, signée 
FRATER WILLELMVS ME FEGIT, que Willemin, qui l’a publiée, 
prétendait avoir été trouvée dans le tombeau de Ragen- 
froid, évêque de Chartres, mort en 960; mais cette œuvre 
présente d’une facon tellement irréfutable tous les carac- 
tères de l’émaillerie allemande du xre siècle, qu'il est 
évident, ou que lattribution donnée par Willemin est 
fausse, ou que, ainsi que cela s’est présenté pour les 
tombes d’autres saints évêques, la crosse émaillée aurait 
été substituée plus tard à la véritable crosse, que la piété 
des fidèles voulait conserver comme une relique. 

Enfin l'abbé Texier, dans son Essai sur les argentiers et 
les émailleurs de Limoges, s'appuyant sur un émail de sa 
collection qui représente une figure de saint « ménagée sur 
le plat de cuivre et comme niellée », penchait au moins 
pour le x1e siècle, cet émail étant signé FR. GVINAMVNDYVS ME 
FECIT, et un moine de ce nom, appartenant à l’abbaye de la 
Chaise-Dieu, étant connu pour avoir exécuté en 1077 les 
sculptures du tombeau de sant Front, à Périgueux. Mais 
comme, de l'avis même de l’abbé Texier, son émail semble 
appartenir plutôt au x11e siècle qu’au xie, 1l est certain que 
ce n’est pas Guinamundus le sculpteur, mais bien un autre 
artiste portant le même nom qui à émaillé cette figure à 
la fin du x1re siècle ou au commencement du xXHIe. 

On ne connait donc, au moins jusqu'à présent, aucun 
monument émaillé de fabrication française que l’on puisse 
avec certitude attribuer au xIe ni même au xue siècle. Il 
est évident, du reste, que si l’émaillerie avait été pratiquée: 

! Monuments français inédits. L. Ter, pl. XXX. Cette crosse est aujourd'hui 
en Anvolelerre. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 421 


en France à cette époque, Suger n'aurait pas été forcé de 
s'adresser à des artistes étrangers pour faire exécuter cer- 
taines pièces d’orfèvrerie dont il voulait enrichir l’abbaye de 
Saint-Denis, qu'il venait de reconstruire. Ce sont, en effet, 
des orfèvres de la Lorraine (aurifabros Lotharingos) qu'il 
appela pour fabriquer la croix enrichie de pierres précieuses 
et de plaques d’émail qu'il fit élever sur l'emplacement où 
avaient reposé les corps de saint Denis et de ses deux com- 
pagnons, saint Rustique et saint Éleuthère, et lui-même 
nous apprend’ que ces orfèvres, au nombre tantôt de cinq, 
tantôt de sept, mirent deux ans à faire cette croix, qui fut 
terminée en 1145. Cest à eux également qu'il commanda 
la grande châsse qui était placée au-dessus du tombeau 
des trois martyrs. Ces œuvres malheureusement ont été 
anéanties, et comme l'inventaire du trésor de Saint-Denis 
dressé en 153% n'indique pas la nature des émaux qui 
les enrichissaient, nous ne savons pas s'ils étaient poly- 
chromes, comme la plupart de ceux de l’école de Cologne, 
ou gravés et niellés en réserve sur fond d’émail dans le genre 
de ceux que Nicolas de Verdun exécutait peu d’années après 
à l’abbaye de Klosterneuburg. À cette époque, en effet, 
les villes de Cologne et de Verdun faisant partie de la Lor- 
raine, la première de la Lorraine ripuaire, la seconde de la 
Lorraine mosellane ou supérieure, il est assez difficile de 
dire ce que nous devons entendre par « orfèvres lorrains ». 

C’est à partir de ce moment que la fabrication des émaux 
se développa en France, et les plus anciens monuments de 
l’'émaillerie champlevée qui subsistent aujourd’hui montrent 
bien, dans le style général de leur décoration et dans leurs 
procédés d'exécution, l'influence, sinon la main, des émail- 
leurs rhénans. Telle est particulièrement la belle plaque 


! SucEr, De rebus in administratione sua gestis. 


422 L'ÉMAILLERIE 


du musée du Mans qui, suivant quelques archéologues, 
représente Geoffroy de Plantagenet (+ 1151), ou, suivant 
d’autres, son fils Henri (+ 1189), époux de Léonard d’Aqui- 
taine et meurtrier de Thomas Becket. Cet émail, — qui n’est 
pas une plaque tombale, ainsi qu’on le désigne souvent, mais 
plutôt une plaque commémorative, puisqu'il était attaché à 
un pilier de l’église cathédrale Saint-Julien, au Mans,— me- 
sure Om63 de hauteur sur 0m33 de largeur; c’est un des plus 
grands qui existent. Il représente un guerrier debout, tenant 
de la main droite une épée nue; son bras gauche est couvert 
d'un grand écu d'azur à quatre lionceaux rampants gravés 
sur le métal en réserve. [est coiffé d’un bonnet pointu émaillé 
d'azur au lionceau d’or avec un bord émaillé de vert sur le 
front, et vêtu d’une robe longue, bleu clair, avec un bliaut 
vert par-dessus; un manteau de même couleur que la robe 
est attaché sur son épaule et tombe jusque sur ses talons: 
le fond de la plaque est décoré d’un réseau vert dont les 
mailles en métal réservé portent au centre des fleurettes à 
trois feuilles lancéolées, en émail alternativement bleu et 
blanc; la barbe et les cheveux sont émaillés en jaune. 
Cette figure est placée sous une arcature à plein cintre 
surmontée d’édicules; à la partie supérieure de la bordure 
émaillée qui suit les contours de la plaque on lit les deux 


vers suivants : 


ENSE TUO, PREDONUM TURBA FUGATUR, 
ECCLE[S ]IISQUE QUIES, PAGE VIGENTE DATUR. 


Quelle que soit la date à laquelle 1l faille faire remonter 
cet émail, c’est-à-dire au milieu ou à la fin du xrre siècle. 
on ne peut guère l’attribuer à lémaillerie Limousine. « En 
effet, dit M. Darcel, les tons verts et Jaunes dominent dans 
la plaque du Mans comme dans les émaux d'Allemagne, 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 423 


tandis que ce sont les bleus lapis qui signalent surtout ceux 
de fabrication limousine. De plus, les deux vers, non pas 
léonins, mais dont les terminaisons riment ensemble, qui 
sont gravés au-dessus de la figure, appartiennent beau- 
coup plus aux habitudes des ateliers érudits des bords du 
Rhin qu’à celles des artisans sans instruction des bords de 
la Vienne. Cet émail enfin, fût-il de Limoges, militerait à 
nos yeux en faveur d’une influence allemande sur les ori- 
gines de cet atelier, si important plus tard. » 

Le même auteur signale également, à propos des origines 
de lémaillerie champlevée à Limoges, un fait qui ne laisse 
pas d’avoir une certaine importance, bien qu’il ne faille pas 
en tirer des conséquences trop absolues. « Il s’agit, dit-il, 
des relations qui existaient entre les moines de l’abbaye de 
Grandmont, en Limousin, et celle de Sieburg, dans le dio- 
cèse de Cologne, monastères remarquables tous deux par 
les pièces de leurs trésors, en partie conservées. Aïnsi, en 
l’année 1181, un abbé de Sieburg étant allé à Grandmont, 
deux moines et deux frères convers de Grandmont se ren- 
dirent à Sieburg, où 1l fut convenu qu'un service serait 
célébré chaque année, dans les deux monastères, pour 
le repos de l’âme des frères de l’une et de l’autre abbaye. 
Après leur séjour à Sieburg et à Bonn, les moines limou- 
sins restèrent plus d’une semaine à Cologne, visitant les 
églises et les abbayes, parmi lesquelles celle de Saint- 
Éribert, de Deutz, qui possédait déjà une magnifique 
châsse émaillée de son patron. Ils rapportèrent dans des 
bouteilles de verre (lagenas) de nombreuses reliques dont 
la mention se trouve dans les inventaires du trésor de 
Grandmont. 

« Or l’église de Sieburg possède encore quatre grandes 


! Notice des émaux du Louvre. p. 11. 


424 L'ÉMAILLERIE 


châsses de travail allemand, malheureusement fort mutilées, 
de même style que celles de Saint-Éribert, de Deutz, et de 
Saint-Pantaléon, de Cologne, ainsi qu'un coffret en émail 
champlevé très barbare et datant certainement des origines 
de l’art de l’émaillerie', et il est impossible que les moines 
de Grandmont n'aient pas vu ces œuvres dans l’abbaye à 
laquelle elles appartenaient. Il serait également permis de 
supposer qu'ils commandèrent à Cologne quelques châsses 
comme celles qu'ils avaient vues, pour enfermer quelques- 
unes des reliques qu'ils emportaient, et que l'étude de ces 
émaux colonais ait aidé au développement de lémaillerie 
limousine. 

« Précisément nous trouvons dans l’un des inventaires 
de Grandmont la description d’une châsse contenant les 
reliques des deux compagnes de sainte Ursule, décorée 
d’émaux, représentant la légende de la sainte et des images 
de Girard, abbé de Sieburg, et de Philippe, archevêque de 
Cologne, avec cette inscription : 


HI DUO VIRI DEDERUNT HAS DUAS VIRGINES ECCLESIÆ GRANDIMONTIS; 
GIRARDUS, ABBAS SIBERGIE : PHILIPPUS, ARCHIEPISCOPUS COLONIEN- 
SIS . S. ALBINA VIRGO ET MARTYR SCA ESSENTIA . FRATER REGINAL- 
DUS ME FECIT. 


« Or il nous semble bien difficile que « ces deux 
hommes » ici représentés ne soient pas les donateurs de 
la châsse, et que ce soit à Grandmont qu'on les ait figurés 
sur une châsse qu'ils n'auraient point fait exécuter. 

« Par un gracieux échange, les moines de Grandmont 
auraient envoyé à ceux de Sieburg des châsses de Limoges, 
dont deux, d’une excellente exécution et d’une certaine 


{ M. DarcEL a signalé ce coffret dans son Excursion artistique en Alle- 
magne, in-8, Rouen et Paris, 1862, p. 181. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 495 


importance, sont encore conservées dans l’église paroissiale 
de la ville ‘. » 

À l'exception de deux plaques qui sont aujourd’hui au 
musée de Cluny, il ne reste malheureusement plus rien 
des immenses richesses que possédait autrefois l’abbaye 
de Grandmont, et nous ne pouvons savoir ce qu'était la 
châsse dont 1l est question dans les lignes qui précèdent ; 
mais ces deux plaques cependant viendraient à l’appui 
de l’opinion émise par M. Darcel; on y retrouve, en effet, 
l'emploi des procédés d’émaillerie des figures de la châsse 
de Saint-Éribert, de Deutz, c’est-à-dire l’ensemble des fi- 
gures émaillé et les chairs teintées. La première représente 
le moine Étienne de Muret, fondateur, en 1073, de l’abbaye 
de Grandmont, près de Limoges, conversant avec saint 
Nicolas, et porte une légende qui explique le sujet et ne 
laisse aucun doute sur la provenance limousine de ces. 
ÉMaUX : 


NICOLAS ERT PARLA À MON ETEVE DE MURET. 


(Nicolas était parlant avec Monseigneur Étienne de Muret.) 


L'autre plaque, qui a pour sujet lAdoration des Mages, 
n’est pas moins intéressante au point de vue de l’histoire 
de la fabrication; lartiste, en effet, craignant sans doute 
de ne pas rendre avec assez de finesse et d’une facon 
convenable, à l’aide d’un procédé avec lequel il n’était pas 
encore très familiarisé et qui présentait de nombreuses 
difficultés d'exécution, l'enfant Jésus, beaucoup plus petit 
naturellement que les autres figures de la plaque, la 
réservé sur le métal; mais d’un autre côté, et pour lui 


conserver toute son importance, il a eu l’ingénieuse idée 


! Dance, Notice des émaux du Louvre, p. 14. 


426 L'ÉMAILLERIE 


de modeler la tête en relief. Cest là le plus ancien exemple 
de ce procédé, qui paraît appartenir en propre à l’émaillerie 
limousine’, et qui a été appliqué souvent depuis. 

La châsse de saint Étienne de Muret, à laquelle ces deux 
plaques, qui sont regardées comme les plus anciens spéci- 
mens de lémaillerie limousine, semblent avoir appartenu, 
n'ayant pu être exécutée avant l’année 1189, puisque, 
jusqu’à cette époque, le corps du saint était resté en terre 
dans la sépulture où il avait été placé peu après 112%, date 
de sa mort, il en résulte que l’on ne peut faire remonter 
l'époque de lintroduction de cet art dans la ville de saint 
Éloi que bien peu d'années avant le dernier quart du 
XIIe siècle. 

C'est également aux débuts de l’émaillerie à Limoges que 
l'on attribue un ange de bronze conservé dans l’église de 
Saint-Sulpice-les-Feuilles, et dont les ailes seules sont 
émaillées*, ainsi que le bas-relief d’applique en cuivre gravé 
et émaillé que reproduit notre figure 86, et qui représente 
le baptème du Christ. Dans cette œuvre, si rare et si 
curieuse, l’eau baptismale qui s'échappe du vase et enve- 
loppe le Christ, ainsi que les eaux du Jourdain, figurées 
par un triangle dont le sommet monte de facon à couvrir 
complètement les jambes du Sauveur, sont exprimées par 
des raies remplies d'émail blanc traversées par des par- 
ties de métal réservées sur lesquelles lartiste a gravé des 
poissons: toutes les autres parties sont en relief ou gravées, 
à l'exception des yeux, qui sont rendus par des perles 
d’émail. La hauteur de cette plaque est de Om36G. 


! Nous devons dire cependant que la plaque en émail rhénan de la collection 
de M. Spitzer, que nous avons signalée plus haut [p. 404), et qui représente le 
Christ assis, offre cet exemple d'une tête en relief modelée et ciselée avec beau- 
coup de finesse. 

* I a été publié dans les Annales archcologiques, L. XV, p.285. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 497 


a 


L'art de lémaillerie suivit à Limoges à peu près la 
même marche que sur les bords du Rhin, où on com- 
mença, ainsi que nous lavons vu, par émailler en plein 





Fig. 86. — Bas-relief d’applique en cuivre émaillé et ciselé. 
xule siècle. 


(Coll. de Mme la Csse Dzialinska.) 


tout le sujet pour arriver, à force de simplifier le travail, à 
réserver les figures sur le métal et à ne plus émailler que 
les fonds. 

Le musée du Louvre possède une plaque (D. 81) en 
forme de rosace à quatre lobes représentant la Vision de 
saint François d'Assise (fig. 87), qui marque la première étape 
de cette transformation, et qui est évidemment postérieure 


428 L'ÉMAILLERIE 


à l’année 1236, date de la canonisation de saint François 
d'Assise, puisque ce dernier y est figuré avec le nimbe 
autour de la tête; le saint est vêtu d’une robe bleu-lapis à 
capuchon, nouée par une ceinture jaune à nœuds. Dans le 
lobe supérieur, le Christ est représenté par un chérubin 
nimbé, vêtu de six ailes et entouré d’une zone qui figure 
les nuages; de chaque côté s'élèvent deux arbres dont les 
feuillages garnissent les lobes latéraux. L'ange, le saint, 
les arbres et les bords des quatre lobes sont émaillés de 
diverses couleurs, et se détachent sur un fond réservé, 
gravé de traits ondulés parallèles séparés par un trait 
droit, avec des fleurons à quatre feuilles remplacées par des 
étoiles dans le lobe supérieur. 

Parmi les plus anciens et les plus intéressants spéci- 
mens de l’émaillerie limousine, nous citerons également le 
ciboire qui fait partie des collections du Louvre (D. 125). Ce 
ciboire, une des plus belles pièces d’orfèvrerie qui soient 
sorties des ateliers de Limoges', est en cuivre doré; il se 
compose de deux valves à peu près de même profil, dont 
la réunion affecte la forme d’une sphère comprimée dans 
sa partie médiane par un cercle horizontal, portée par un 
pied bas ajouré et surmontée d’un riche bouton. Chacune 
des deux valves est frettée de seize bandes légèrement 
concaves, dont les intersections, incrustées de turquoises, 
d’émeraudes et de grenats, forment seize losanges et seize 
triangles, décorés de figures d’apôtres et d’anges réservées 
en métal gravé sur un fond d’émail bleu lapis enrichi de 
rinceaux également en réserve; les têtes sont en relief 
rapporté: la même disposition se retrouve sur la valve 
inférieure, dont les fonds d’émail sont en bleu plus clair. 
Le bouton est orné de quatre anges en ronde bosse 


! Il a été gravé dans les Annales archcologiques [t. XIV, p. 5), et dans 
le Dict. du mobilier, de Viocrer-Le-Duc (t. IT, p. 223). 


és 


2% 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 429 


placés sous des arcades à plein cintre, et le pied de rin- 
ceaux au milieu desquels se trouvent trois hommes vêtus 
de tuniques courtes poursuivant des dragons dont les 
yeux sont en émail noir. Ce qui rend surtout ce pré- 
cieux ciboire intéressant pour l’histoire de l’émaillerie, 


























Fig. 87.— Vision de saint François d'Assise. 


Email sur fond de métal gravé. — Limoges, xmme siècle. 


(Musée du Louvre.) 


c’est l’inscription suivante, gravée au fond de la coupe 
dans un cercle qui entoure un ange tenant un livre et 
bénissant : 


+ MAGI[S]TER : G : ALPAIS : ME FECIT : LEMOVICARUN : 


Pendant longtemps on a prétendu que des artistes grecs 
étaient venus s'établir à Limoges, et ce nom d’Alpuis, que 
l’on prononçait à la grecque Alpais, comme s’il y avait eu 
un tréma sur li, servait d’argument aux archéologues qui, 


130 L'ÉMAILLERIE 


tels que Du Sommerard, attribuaient une origine orientale 
aux ateliers des émailleurs limousins. Aujourd'hui cet 
argument n’a plus de valeur; on trouve fréquemment dans 
les actes du xHe et du xrr1e siècle des noms limousins qui 
offrent cette désinence, et l’existence à Limoges d’une fa- 
mille de ce nom a été constatée dernièrement par des actes 
authentiques datant de cette époque ". 

À partir du xuie siècle, la décoration des œuvres d’orfè- 
vrerie au moyen des émaux incrustés prit en France une 
extension considérable ; il est à présumer que dans toutes 
les villes où 11 y avait des ateliers d’orfèvres ce genre de 
décoration était exécuté; néanmoins Limoges était le centre 
principal de cette industrie, et ses produits acquirent bien- 
tôt une si grande réputation, que l’orfèvrerie émaillée reçut 
généralement le nom d'ouvrage de Limoges ou d'œuvre de 
Limoges, quelle que soit du reste la provenance de l’objet ; 
on en trouve de fréquents exemples dans les inventaires 
de cette époque : 


1220. — Crux processionalis de opere Lemovicensi (Reg. des visiles 
de Guillaume de Salisbury). 

4231. — Duo bacini qui sunt de opere Lemovitico (/nvent. de 
Foulques, archevèque de Toulouse). 

1240. — Duæ pixides.. vel de opere Lemovicino (Mobilier des 
églises ). 

1298. — Una crux de opere Limoceno (Mobilier de Saint-Paul). 


À la fin du xure siècle, l'expression était si bien consacrée, 
qu'on retranchait même le mot fravail et œuvre. 


1313. — Deux croiz de Limoiges; ung vassel a meitre ancens de 
{ Cf. MoriniEeR, Dictionnaire des émailleurs. — LABARTE a constaté égale- 


ment que la fille de Louis le Débonnaire, mariée à Conrad It", s'appelait 
aussi Àlpais. 


* 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 431 


Limoiges; deus grans chandeliers et ung petit de Limoiges, etc. 
(Invent. des aornemenz de la chapelle de Joigny). 


1382. — Deux fiertes de Limoges (Invent. de l’église Sainte- Anne 
de Douay). 
1423. — Deux petites fiertes de cuevre de Limoges, esmaillées avec 


deux ymages de crucifix (Invent. de l’église de Douuy). 


L’orfèvrerie émaillée de Limoges était recherchée à l’étran- 
ger, surtout en Angleterre, et plusieurs artistes limousins v 
furent appelés pour y exécuter des œuvres importantes, 
surtout des tombes émaillées. M. Albert Way! a cité un 
extrait d’un manuscrit de la bibliothèque d’Antony Wood, 
qui constate qu’en l’année 1267 un orfèvre, maître Jean de 
Limoges, fut chargé d'exécuter la tombe de Gautier de 
Merton, évêque de Rochester, et qui donne le compte des 
sommes payées à l'artiste par les exécuteurs testamentaires, 
tant pour son travail que pour les frais de transport, de 
NOYAaSE Mel. * 

La tombe de Gautier de Merton a été détruite, mais 
l’abbaye de Westminster possède encore celle de Guillaume 
de Valence (+ 1196); cette tombe, qui date à peu près de 
la même époque, fut certainement exécutée à Limoges, et 
peut-être aussi par maître Jean *. 

Cest probablement aussi à Jean de Limoges, qui aurait 
eu un frère dont le nom commençait par un P, que l’on 
devait la tombe de cuivre émaillée qui se trouvait encore 


1 The Archæological Journal, 1846, t. IT, p. 171. 

2 « Computant (executores) 40 1. 5 s. 6 d. liberat. Magistro Johanni Lemo- 
vicensi pro tomba dicti episcopi Roffensis ; scilicet pro constructione et car- 
riagio de Lymoges ad Roffam et 40 s. 8 d. cuidam executori apud Lymoges ad 
ordinandum et providendum constructioni dicte tombe et 10 s. 8 d. cuidam 
garcioni eunti apud Lymoges querenti dictam tombam constructam et ducenti 
eam cum dicto magistro Johanne usque ad Roffam. » 


3 Elle a été publiée dans l'ouvrage de SrorarD, The Monumental effigies, 
pl. 44 et 45. 


432 L'ÉMAILLERIE 


au xvie siècle dans la collégiale de la Chapelle-Taillefer, 
près de Guéret. La longue inscription qui se lisait sur cette 
tombe se terminait ainsi : 


AMEN. Î[. P. LEMOVICI FRATRES FACERE SEPULCHRUM 
HoC AIMERICI MIRANDO STEMMATE PULCHRUM 
HoC LAUS IN TUMULO PROVENIT A FIGULO !. 


Il existait autrefois en France un assez grand nombre 
de ces tombes émaillées; elles ont malheureusement été 
détruites, et nous ne possédons plus que les deux plaques 
des tombeaux des enfants de saint Louis, déposées autrefois 
dans le chœur de l’abbaye de Royaumont, et qui sont 
aujourd'hui dans l’église abbatiale de Saint-Denis, où elles 
ont été restaurées sous la direction de Viollet-le-Duc. Dans 
la plus belle, celle du prince Jean, mort en 1247, le fond, 
fait de plusieurs morceaux, est décoré de rinceaux en 
réserve sur émail bleu, terminés par des fleurs richement 
colorées en émaux blancs, bleus, verts, jaunes et rouges 
qui sont juxtaposés sans cloisons de métal; sur ce fond, la 
statuette en bronze doré du jeune prince est couchée, 
entourée de figures en demi ronde-bosse d’anges thurifé- 
raires à mi-corps et de religieux récitant des prières. Cette 
plaque est entourée d’une inscription en émail rouge et 
d’une bordure émaillée sur laquelle sont les écus armoriés 
aux armes de France et de Castille. 

Jusqu'à cette époque, les œuvres sorties des ateliers de 
Limoges conservent généralement un grand caractère d'art: 
on y sent la préoccupation évidente d’imiter les belles pièces 
de l’orfèvrerie allemande. Les figures, en relief et enrichies 
quelquefois de perles ou de pierres précieuses, se détachent 
sur des fonds émaillés de rinceaux dans lesquels on re- 


! L'abbé Texier, Essai sur les emailleurs de Limoges, p. 84. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 433 


trouve moins d'invention décorative que dans les ornements 
des émaux rhénans, mais qui n’en témoignent pas moins 
d’une certaine recherche artistique. Cest à cette période 
qu'appartiennent deux belles plaques de châsse (0m305 de 





























































































































Fig. 88. — Plaque de châsse; fond émaillé avec rinceaux en réserve et fleurons. 
Limoges, xire siècle. 


(Collection de M. Dutuit.) 


hauteur) de la collection de M. Dutuit, de Rouen, qui 
peuvent être rangées parmi les œuvres les plus parfaites 
qui restent de l’émaillerie limousine du xte siècle, et qui 
font d'autant plus regretter la destruction de la châsse 
qu’elles décoraient autrefois. Elles représentent, en cuivre 


repoussé, ciselé et doré, l’une saint Paul (fig. 88), et l’autre 
28 


434 L'ÉMAILLERIE 


saint Thomas. Dans celle que reproduit notre gravure, 
saint Paul est vêtu d’une robe à orfrois ornée de gemmes, 
de turquoises, de saphirs et de grenats, au col, aux 
manches et dans le bas de la robe; il est assis sur un 
siège émaillé, dessiné sur le fond par des cloisons métal- 
liques assez épaisses. Le fond est en émail bleu décoré de 
rinceaux en réserve, terminés par des fleurons de formes 
variées émaillés de bleu, de rouge, de vert et de jaune. 
Les prunelles sont figurées par une perle d’émail bleu- 
turquoise. 

On peut également attribuer à la même époque les grandes 
Vierges reliquaires, qui, à la vérité, sont plutôt des œuvres 
d’orfèvrerie proprement dite que d’émaillerie, puisque l'émail 
n’y joue qu’un rôle très secondaire; ainsi, dans le reliquaire 
(de Om52 de hauteur) que représente notre figure 89, la 
Vierge et l'enfant Jésus qu’elle tient assis sur ses genoux 
sont entièrement en cuivre doré, repoussé et rehaussé de 
pierres précieuses sur certaines parties des couronnes, 
des vêtements et de la base; le siège seul est recouvert de 
plaques émaillées ; celles des côtés représentent en réserve, 
sous une arcade trilobée, deux figures entourées de rin- 
ceaux terminés par des fleurons émaillés en jaune, en 
vert et en rouge : d’un côté est la Vierge, de l’autre 
l'ange Gabriel; dans la plaque postérieure, la porte du 
reliquaire, en cuivre doré et ajouré, est encadrée d’une 
bordure émaillée décorée de rinceaux fleuronnés du même 
style que ceux des plaques latérales. 

Dans cette œuvre, ainsi que dans la plupart des pièces 
d'orfèvrerie émaillée de Limoges, le travail de l’émailleur, 
surtout à partir de la seconde moitié du xie siècle, cède 
la place à celui du sculpteur, du fondeur ou du graveur; 
son rôle se borne à la simple décoration des fonds, opé- 
ration qui ne présentait guère de difficultés sous le rapport 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 435 


de l’exécution, et qui, par cela même, aida considérable- 
ment à la fabrication des objets émaillés, tout en arrêtant 
le développement artistique de l’émaillerie. 

On est étonné, en effet, quand on étudie avec attention 





Fig. 89. — Vierge reliquaire. — Orfèvrerie émaillée. 


Limoges, xuie siècle. 


(Coll. de M. le baron Seillière.) 


les œuvres de l’émaillerie limousine qui sont parvenues 
jusqu’à nous, de voir combien est peu varié le genre de 
décoration employé dans les fonds. Il semble que les 
orfèvres de Limoges aient cherché avant tout à profiter 
de la vogue qui s’attachait à leurs œuvres, et à fabriquer 
vite et à peu de frais les objets de mobilier ecclésiastique 
qu’on leur demandait de tous côtés; ils les recouvraient 


436 L'ÉMAILLERIE 


démaux dans certaines parties, parce que leurs couleurs 
se mélaient harmonieusement au métal doré; mais ce 
n'était pour eux qu'un accessoire, qu’un fond destiné à 
faire valoir leur travail, et, dans beaucoup de cas, à le 
simplifier. 

Parmi les œuvres d’orfèvrerie émaillée de cette époque, 
les plus remarquables au point de vue de l’art sont cer- 
tainement les crosses d’évêques ou d’abbés et les châsses. 

Presque toutes les crosses sont faites sur le même 
modèle et d’après le même principe de décoration. Celle 
que reproduit notre gravure (fig. 90) peut être regardée 
comme un des types les plus parfaits en ce genre; elle se 
compose d'une douille ornée de trois dragons en relief, 
sans pattes ni ailes, dont la queue s’arrondit sous un 
nœud autour duquel sont gravés également en relief des 
animaux fantastiques; une couronne de feuilles aiguës 
surmonte le nœud et entoure la base du crosseron, sur 
lequel sont gravés en creux de petits losanges alternati- 
vement émaillés de bleu et de rouge. L'Annonciation est 
représentée: dans le crosseron; les figures en ronde-bosse 
de la Vierge et de l’ange Gabriel sont en cuivre doré et 
oravé; sur la douille, les champs compris entre les dra- 
sons sont décorés de rinceaux en réserve sur fond émaillé 
de bleu. 

(C’est là le type ordinaire de ces élégantes crosses émaillées 
dont les musées et les collections possèdent d'assez fré- 
quents exemples ; les sujets représentés en ronde-bosse 
dans la volute varient peu; ceux que lon rencontre le plus 
souvent sont, outre lAnnonciation, le Christ en croix ou 
saint Michel; quelquefois le crosseron se termine par une 
tête de dragon ou de serpent mordant un large fleuron 
émaillé qui occupe la place du sujet, et dans ce cas les 


losanges figurent les écailles du corps de Panimal. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 437 
Mais ce que les ateliers de Limoges ont surtout produit 


à cette époque, ce sont les petites châsses destinées à 





À 


SS 


C7 
S 


Fig. 90. — Crosse en cuivre doré et émaillé. — Limoges, xine siècle. 


(Musée de Cluny.) 


renfermer les reliques que les croisés rapportaient de la 
terre sainte; il n’y avait pas une église de village, pas une 
chapelle qui n’en possédât une ou plusieurs, et la riche 


138 L'ÉMAILLERIE 


abbaye de Grandmont, au diocèse de Limoges, en avait à 
elle seule au moins trente. Malheureusement Ia plus grande 
partie a disparu à une époque, relativement assez récente, où 
on en méconnaissait absolument la valeur artistique, et où 
on les vendait au poids du métal seulement, — déduction 
faite du poids présumé de l'émail, — à des chaudronniers 
qui les brisaient à coups de marteaux pour en refondre le 
cuivre !; il en reste bien peu aujourd’hui : quelques églises 
ont conservé les leurs, mais la plus grande partie de celles 
qui subsistent sont dans les musées ou dans les collections; 
beaucoup malheureusement sont passees à l'étranger. 

La forme de ces châsses a peu varié; pendant le 
xue siècle et une grande partie du xive, elles figuraient 
un coffret oblong, surmonté d’un toit à double versant, 
et porté sur quatre pieds-droits; le plus ordinairement 
elles étaient en bois recouvert de plaques de métal 
oravé et émaillé, clouées sur le bois, et généralement 
assez minces. 

Quant à la décoration, elle a suivi la marche que nous 
avons indiquée pour celle des autres objets d’orfèvrerie 
limousine. 

: Dans le principe, ainsi que nous l'avons vu, alors que 
l'influence de l’école rhénane se faisait encore sentir, les 
plaques étaient émaillées à peu près en entier, sur les fonds 
aussi bien que dans les vêtements des personnages : c’est 
ainsi qu'ont été exécutées les plaques de la châsse de saint 
Étienne de Muret, dont nous avons parlé plus haut. Puis, à 
limitation des châsses allemandes, les figures sont en métal 
fondu ou repoussé, se détachant sur un fond émaillé : une 


! Du Sommerarp, dans les Arts au moyen âge, rapporte la rencontre qu'il 
fit d'un chaudronnier qui se vantait d’avoir détruit à lui seul plusieurs cen- 
taines de ces châsses émaillées. « J'en ai fait, lui disait-il, des quintaux de 
cuivre brut que j'aurais tout autant aimé vendre au poids sans cette peine. » 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 439 


des plus belles châsses de Limoges qui soient parvenues 
jusqu'à nous, la châsse de saint Calmine (ou Carmery), 
duc d'Aquitaine, fondateur des monastères de Saint-Théo- 

























































































































































































Fig. 91. — Figure en réserve gravée sur fond d’émail. 
Limoges, xue siècle. 


(Collection de M. Spitzer.) 


phrède en Velay et de Marsac en Auvergne, est un exemple 
remarquable de ce genre d’orfèvrerie émaillée "; les trois 


! Cette châsse qui provenait de l’église de la Guêne (Corrèze), est une 


440 L'ÉMAILLERIE 


figures du Christ, de saint Calmine et d’un saint abbé qui 
décorent la face antérieure, ainsi que les anges thurifé- 
raires du toit, sont en relief. 

Bientôt on ne laisse plus en relief que la figure prin- 
cipale, surtout lorsqu'elle représente le Christ, comme dans 
la grande châsse (no 4500) du musée de Cluny; dans ce cas, 
les personnages qui l'entourent, — généralement ce sont les 
apôtres, — sont réservés en métal gravé sur le fond émaillé: 


EEE 


D. 


pie) 








Fig. 92. — Décoration du revers de la chàsse carrée. (PI. 11.) 
Limoges, xue siècle. 


(Collection de M. Spitzer. 


mais leurs têtes sont fondues en relief et fixées après coup. 
Quelquefois les traits gravés des figures principales sont 
seulement creusés, mais assez profondément pour consti- 
tuer une sorte de demi-relief peu prononcé, ainsi que cela 
a lieu pour la figure de la Vierge qui décore la face prin- 
cipale de la petite châsse reliquaire de forme carrée que 
représente notre planche IT. 

Généralement la face principale de la châsse est seule 
décorée de ces figures en relief ou en demi-relief ; les- 
figures des côtés et celles de la face postérieure sont sim- 
plement réservées en cuivre gravé avec fond d’émail; le 
des plus grandes parmi celles de Limoges; elle mesure 0"69 de longueur 
sur 060 de hauteur. A la vente Soltikoff, elle a été vendue 7,720 francs. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 441 


musée de Cluny possède plusieurs exemples remarquables 
de ce genre de décoration, entre autres les belles châsses 
de sainte Fausta, provenant de l’église de Ségry, près 
d'Issoudun, dont les revers représentent, dans l’une, di- 
verses scènes du martyre de la sainte, et, dans l’autre, des 
anges dans des médaillons circulaires, gravés au trait sur 
le métal réservé, alors que les faces principales sont ornées 
de figures et de sujets en relief. 





Fig. 93.— Écusson de la ville de Limoges. 
Plaque en cuivre repoussé, xive siècle. — Fond émaillé ea rouge et en bleu. 


(Musée de Limoges.) 


Dans la petite châsse que nous avons reproduite 
(pl. Il), les deux côtés portent également des figures 
d’apôtres gravées simplement au trait sur le cuivre 
épargné (fig. 91). 

Puis on en arriva à supprimer entièrement les figures 
en relief, tout en conservant dans beaucoup de cas les 
têtes en saillie, fondues à part et fixées après coup sur 
la plaque de cuivre. Cest là surtout qu'apparaïît le caractère 
peut-être un peu trop industriel de l’orfèvrerie limousine; 
dans certaines châsses, les petites têtes fondues ainsi en 
relief sortent toutes du même moule et sont les mêmes 
pour toutes les figures, même quand ces figures sont de 
hauteurs variées, ce qui donne quelquefois à certains per- 


442 L'ÉMAILLERIE 


sonnages de petites têtes fort peu en rapport avec leur 
grande taille. 

Quant aux fonds émaillés sur lesquels se détachent ces 
figures gravées ou en relief, la décoration en est généra- 
lement des plus simples, au moins comme conception ; 
on ny retrouve plus cette variété d’ornements ni cette 
recherche de composition que lon remarque si souvent 
dans les émaux rhénans; mais les couleurs, où la gamme 
bleue domine, en sont si belles, si harmonieuses, et 
font si bien ressortir l'éclat du métal, que l’on oublie fa- 
cilement leur pauvreté au point de vue artistique pour 
ne plus voir que leur richesse décorative. Les motifs qui 
sont le plus fréquemment employés, surtout à dater de la 
deuxième moitié du xie siècle, ne sont que de deux 
sortes : des rinceaux en forme d'$ réservés en métal et 
terminés par des fleurons émaillés plus ou moins chargés, 
mais toujours assez simples cependant, et des ronds, éga- 
lement réservés, dans le centre desquels sont inscrits des 
astéroïdes émaillés dans des gammes alternées de rouge, 
vert et jaune, ou de bleu lapis, bleu clair et blanc (fig. 92). 
Ces motifs se trouvent aussi dans les œuvres de lorfèvrerie 
rhénane, et c’est certainement aux émailleurs de Cologne 
que les Limousins les ont empruntés, en les copiant fidèle- 
ment d’abord et en les simplifiant ensuite peu à peu. 

La petite châsse carrée que représente notre planche en 
couleurs est un des exemples les plus complets et les plus 
remarquables de cette première période de lémaillerie 
limousine. 

Quelquefois aussi les fonds sont unis (fig. 93), mais à 
la condition cependant que les champs d’émail soient 
coupés par des lignes d'architecture, par des accessoires 
ou des bandes de métal qui les rétrécissent de façon à 
empêcher lPémail de se lever ou de s’écailler lors de la 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 443 


cuisson, ce qui aurait certainement lieu si le champ était 
trop grand. 

Ces différents genres d’ornementation émaillée n'étaient 
pas particuliers aux châsses; on les retrouve sur un grand 
nombre d’autres ustensiles liturgiques, notamment sur 
certaines plaques oblongues désignées habituellement, on 





Fig. 9. — Colombe eucharistique. 


Limoges, xure siècle. 


(Collection de M. Spitzer.) 


ne sait trop pourquoi, sous le nom de couvertures d’é- 
vangélaires, et qui devaient être simplement employées 
comme ornements d’autels; d’un côté, en effet, rien n’in- 
dique, au moins dans aucune de celles que nous connais- 
sons, qu’elles aient servi de plaques de reliure, ce qui 
aurait laissé des traces ; et, d’un autre, leur forme, presque 
toujours très allongée, n’est pas en rapport avec le format 
habituel des livres d'église, de même que leur épaisseur 
les rend peu propres à un pareil usage. Ces sortes d’ob- 
jets, généralement formés d’un ais en bois recouvert de 
plaques de cuivre doré et émaillé, se composent d’un ta- 
bleau central entouré d’un encadrement également émaillé. 


444 L'ÉMAILLERIE 


Les sujets représentés sont le plus ordinairement le Christ 
dans sa gloire, entouré des symboles des évangélistes, ou 
le Christ en croix, ayant à sa droite la Vierge et à sa 
gauche saint Jean; au-dessus de la croix sont des anges 
ailés. Comme dans les châsses, les figures sont entièrement 
en relief ou gravées sur le métal réservé, avec les têtes en 
relief, une des plaques de la collection de M. Spitzer, 
décorée par ce dernier procédé, offre cette particularité 
curieuse que nous venons de signaler, que les têtes ainsi 
rapportées sont les mêmes pour toutes les figures, celle de 
la Vierge aussi bien que celles de saint Jean et des anges. 

Parmi les nombreux objets émaillés fabriqués à Limoges, 
et qui étaient destinés au service des églises, nous citerons 
encore les croix de procession, les chandeliers d’autels, les 
burettes, les navettes à encens et les custodes ou boites à 
réserves eucharistiques de modèles variés. Beaucoup de ces 
dernières, assez rares aujourd’hui, étaient en forme de 
colombes semblables à celle que représente notre gravure 
(fig. 94), et dont les ailes seules étaient émaillées; une 
petite cavité pratiquée dans le dos, et fermée par un 
couvercle à charnière, était destinée à recevoir lhostie 
consacrée '. Les custodes ou pyxides de forme cylindrique 
surbaissée à couvercles coniques sont beaucoup plus com- 
munes; le Louvre et le musée de Cluny en possèdent un 
certain nombre dont les motifs décoratifs, assez variés ?, 


! Ces colombes étaient placées dans l'appareil qui, aux xu° et xui° siècles, 
servait de tabernacle, et qui était suspendu, dans les cathédrales ou collégiales, 
au-dessus du maïître-autel. Il n'existe plus guère en France qu'un seul exemple 
de ces colombes, dans l’église de la Guène (Corrèze). L'église de Saint-Yrieix 
(Haute-Vienne) a conservé l'appareil de suspension, mais la colombe a dis- 
paru. — Cf. sur ce sujet l'abbé Corscer, Revue de l’art chrétien, t. II, p. 388, 
et le P. Cu. Canier, Nouveaux Mélanges d'archéologie; ivoires, minia- 
tures, etc., p. 212. 

? « Les sujets profanes qui ornent exceptionnellement quelques-unes de ces 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 445 


sont ramenés au même principe comme exécution, c’est- 
à-dire aux réserves de métal sur fond d’émail. 
L'industrie de lémaillerie limousine s’appliquait égale- 
ment aux objets d'usage domestique; parmi ces objets, 
ceux que l’on rencontre le plus communément sont les gé- 
mellions, sorte de bassins à laver qui allaient toujours par 
paires, l’un muni d’un petit biberon ou gargouille qui don- 
nait passage à l’eau, l’autre destiné à recevoir cette même 
eau que l’on versait sur les mains de la personne à laquelle 








Dee ii 


Fig. 95. — Frise d’une pyxide en cuivre émaillé. 


Fabrication française, xtne siècle. 


(Coll. de M. L. Berthet.) 


« on donnait à laver », usage assez commun dans les fes- 
tins de cette époque, où l’absence de fourchettes rendait ce 
soin de propreté indispensable '. Presque tous les gémel- 
lions qui sont conservés dans les musées et dans les col- 
lections sont décorés en réserve, sur fond d’émail, de 
blasons accompagnés d'animaux fantastiques, de person- 
nages quelquefois grotesques ou de scènes familières. 


boîtes à hosties avaient fait croire à quelques archéologues qu’elles répon- 
daient à l'expression de drageoirs que l’on trouve dans les textes; mais, d’un 
côté le moyen âge avait ses libertés; de l’autre, nous savons par les descrip- 
tions des inventaires et par les miniatures que le drageoir avait une forme 
différente et une tout autre importance. » (Lasorpe, Notice des émaux du 
Louvre.) 

1 On se servait également de ces bassins dans les églises, et leur usage S'y 
conserva même plus longtemps que dans la vie privée, où on trouva bientôt 
plus commode de les remplacer par des aiguières. 


44G L'ÉMAILLERIE 


Nous devons mentionner également dans cette série 
d'objets domestiques les coffrets décorés de plaques ou 
d’écussons émaillés, particulièrement le coffret de mariage 
que possède le musée du Louvre (D. 149), et qui est certai- 
nement le plus complet et le plus curieux parmi ceux qui 
subsistent aujourd’hui. Ce coffret, qui date du xrve siècle, 
est émaillé sur toutes ses faces d’écus triangulaires aux 
armes de France et d'Angleterre, entourés de monstres à 
tête humaine et de dragons en forme d'oiseaux; sur le cou- 
vercle, deux scènes personnifiant la rencontre et l'accord 
et une inscription en réserve ne laissent aucun doute sur 
la destination de cet intéressant objet. 

Bien qu’il soit généralement regardé et catalogué comme 
étant de fabrication limousine, ce coffret présente dans son 
mode d'exécution une particularité qui nous fait douter de 
sa provenance, c’est-à-dire que les traits de la gravure, 
rudes et larges, y sont remplis d’émail, ce qui ne se 
rencontre pas habituellement dans les émaux de Limoges; 
en outre, le bleu y est d’un ton tout à fait exceptionnel. 
Il est probable, du reste, que les orfèvres de Limoges, 
quoiqu'ils fussent certainement les plus renommés et les 
plus habiles, n'étaient pas les seuls en France à pratiquer 
l’art de l’émaillerie sur cuivre doré; et quand on étudie 
avec attention et que l’on compare entre eux les spé- 
cimens de divers genres qui sont désignés aujourd'hui sous 
le nom général d’émaux limousins, on remarque dans 
quelques-uns des différences de style, de couleur et d’exé- 
cution tellement évidentes, que l’on ne peut nier l'existence 
d'ateliers moins importants dans lesquels on aurait fabriqué 
le genre spécial d'orfèvrerie auquel Limoges avait donné 
son nom. Telle est, entre autres, la petite pyxide à la- 
quelle nous empruntons la frise en réserve sur fond d’émail 


que représente notre fig. 95, et qui est d’une composition 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 447 


plus cherchée et d’une exécution beaucoup plus délicate 
que celles qui décorent habituellement les pyxides limou- 
sines. 

Le xrre siècle fut certainement l’époque la plus brillante 
de cette émaillerie sur cuivre que les orfèvres de Limoges 
n’ont pas su, il faut bien l’avouer, maintenir au rang élevé 
qu'elle avait pris tout d’abord et qu'ils auraient pu lui 
conserver à la condition d’ajouter à la valeur presque 
nulle du métal qu'ils mettaient en œuvre une valeur artis- 
tique réelle. Ils ne le comprirent pas ainsi, et, soit par 
impuissance, soit par un esprit commercial mal entendu, 
leurs ateliers devinrent au xive siècle des fabriques d’où 
l'art devait bientôt être banni. Il est vrai qu’à cette époque, 
et malgré les guerres souvent désastreuses que la France 
eut à soutenir, un goût très prononcé pour l’orfèvrerie d’or 
et d'argent commença à prévaloir. « Lorsque Charles V, 
dit Labarte', par la sagesse de son administration et grâce 
aux victoires de ses généraux, eut enfin rendu la France 
glorieuse et prospère, ce goût pour l’orfèvrerie devint de 
plus en plus dominant. Les ducs de Berry, d'Anjou et de 
Bourgogne, frères du roi, rivalisèrent avec lui de luxe et 
de magnificence. Il est facile de se convaincre, par les in- 
ventaires des trésors de ces princes, de la haute importance 
qu'avait acquis l’art de l’orfèvrerie, qui absorbait tous les 
autres. Les meilleurs artistes de cette époque, sculpteurs, 
ciseleurs, fondeurs, se faisaient orfèvres, et les plus belles 
productions de l’art étaient des œuvres d’orfèvrerie. La 
coloration de l’or et de l’argent par des émaux ne cessa 
pas d’être employée; mais l’émaillerie par incrustation ne 
pouvait suffire à ces habiles dessinateurs, à ces ciseleurs 
émérites, lorsqu'ils voulaient enrichir leurs travaux de 


AO CT AID MAT 


448 L'ÉMAILLERIE 


scènes historiques, ce qui était fort en vogue à cette 
époque. [ls gravèrent d’abord en fines intailles sur le métal 
leurs précieuses compositions, qu'ils faisaient ressortir sur 
un fond d’émail, et bientôt lintroduction de l’émaillerie 
translucide sur relief, imventée par les Italiens, leur permit 
de teindre leurs fines ciselures des plus riches couleurs 
d’émail et de les transformer ainsi en véritables minia- 
tures d’un éclat merveilleux. En présence d'œuvres aussi 
brillantes et de procédés si bien en harmonie avec les pro- 
erès toujours croissants des arts du dessin, que devait-il 
advenir de lorfèvrerie de cuivre émaillé de Limoges ? Dans 
sa nouveauté, les princes et les riches églises l'avaient 
recherchée; à la fin du xive siècle elle disparaissait de leurs 
trésors. Si la fabrication limousine continua de produire, 
ce ne fut plus que pour les églises pauvres et pour les 
usages vulgaires. Le goût du public, qui avait soutenue 
pendant plus de deux siècles, finit par la délaisser tout à 
fait, et les ateliers se fermèrent successivement. Il est à 
croire cependant que quelques-uns restèrent ouverts en 
fabriquant des pièces médiocres sur les anciens modèles, 
jusqu'au moment où des artistes limousins en vinrent à 
découvrir un nouveau genre d'émaillerie qui devait éclipser 
tous les autres : la peinture en couleurs vitrifiables sur 
fond d’émail. » 


IV. ÉMAUX TRANSLUCIDES ou de BASSE TAILLE. — Des deux 
procédés d’émaillerie que nous avons étudiés dans les 
pages qui précèdent, le premier, celui du cloisonnage, d’une 
exécution lente, difficile, coûteuse, et par conséquent d’une 
application restreinte, devait disparaître avec la civilisation 
byzantine, qui l'avait vu naître ; transplanté en Allemagne, 
il se transforma, ainsi que nous lavons dit, et donna 
naissance au procédé du champlevage, qui dès le début 


L'EMAILLERIE AU MOYEN AGE 449 


produisit, surtout sur les bords du Rhin, des œuvres 
remarquables, mais presque exclusivement ornementales, 
et finit enfin, dans les ateliers de Limoges, par devenir 
purement industriel. L’émail cependant, par sa nature 
même, sa transparence, la richesse de sa coloration, était 
pour l’orfèvrerie un auxiliaire tellement précieux, que de vé- 
ritables artistes s’en emparèrent à leur tour, mais sans rien 
conserver du mode d'emploi qui avait été suivi jusqu'alors. 
Au lieu de l’emprisommer dans des cloisons qui donnaient 
forcément aux figures une raideur et une immobilité qui 
ne pouvaient convenir à leur talent si vivant et si expres- 
sif, les orfèvres italiens s’en servirent pour lui faire re- 
hausser par l’éclat de ses couleurs les délicates ciselures 
dont ils couvraient leurs œuvres, créant ainsi, suivant 
l'expression heureuse de Vasari, une sorte « de peinture 
associée à la sculpture » (spezie di pittura mescolata con 
la scullura!). 

Dans ce nouveau procédé, où le métal ciselé et l’émail 
jouaient un rôle aussi important l’un que l’autre et se 
faisaient valoir mutuellement, l'artiste, après avoir tracé 
son dessin sur la plaque d’or ou d'argent qu'il voulait 
mettre en œuvre, le gravait en demi-relief, en lui donnant 
toutes les finesses du modelé; puis il posait sur cette 
plaque une couche d’émail translucide en poudre qui 
fondait au feu, recouvrant ainsi la gravure d’une sorte de 
vernis coloré, d'autant plus brillant qu'il participait de 
l'éclat du métal. Les saillies du bas-relief laissant à l’émail 
peu d'épaisseur, et les parties creusées lui en donnant, au 
contraire, davantage, suivant qu’elles étaient plus ou moins 
profondes, et augmentant par cela même sa coloration, il 
en résultait une échelle indéfinie de tons différents dans 

1 Vasari, Introduzione alle tre arli del disegno, t. le, p. 185; Flo- 


rence, 1846. 
29 


450 L'ÉMAILLERIE 


la même nuance'. On en arriva bientôt à varier les couleurs 
et à composer ainsi sur métal de véritables miniatures 
polychromes* d’une harmonie et d’une douceur extraor- 
dinaires, dont il nous reste encore d’admirables spécimens, 
trop rares malheureusement. 

Suivant toute apparence, c’est en Italie, dans le courant 
du xire siècle, que ce genre d’émaillerie fut appliqué pour 
la première fois; on en a attribué la découverte à Jean de 
Pise (1250-1328), d’après un texte de Vasari, qui rapporte 
que cet artiste fut appelé à Arezzo en 1286 pour y exécuter 
un maitre-autel en marbre, qu'il remplit de figures, de 
feuillages et d’ornements, « en distribuant sur tout lou- 
vrage de très fines mosaïques et des émaux sur argent » 
(scompartendo per tutta l'opera alcune cose di musaico sottile 
e smalti posti sopra piastre d'argento*); mais cela ne prouve 
pas qu'il fût inventeur de ces émaux. Il est à présumer, 
au contraire, que Jean de Pise, charmé par la nouveauté 
du procédé, fit exécuter, d’après ses dessins, les plaques 
d'argent émaillé qui lui servirent à décorer l'autel dont il 
était à la fois l'architecte et le sculpteur. 

Quoi qu'il en soit, lémaillerie translucide sur bas-relief 
de métal prit une rapide extension, et tous les orfèvres 
italiens devinrent bientôt des émailleurs. Au xive siècle, 
les plus célèbres furent Andrea Ognabene, auquel on doit 
le paliotto d'argent de lautel de Saint-Jacques, dans la 
cathédrale de Pistoia, terminé en 1316, ainsi que l’atteste 
la fin de limscription gravée sur l'autel: puis Berto Geri, 


! Ce procédé fut appliqué, il y a quarante ans à peu près, à la décoration 
des faïences dans la manufacture de Rubelles, près Melun; on lui donna alors 
le nom de décoration au moyen des émaux ombrants : il est encore employé 
aujourd'hui, mais sur des poteries qui n’ont plus rien d’artistique. 

? Vasani (loc. cit.) et BENVENUTO CELLNI | Trattato dell orificeria) décrivent 
avec détails les divers procédés de ce genre d'émaillerie, 

3 Vasari, t. IT, p. 212; Milano, 1809. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 451 


qui commença le parement d’autel en argent émaillé du 
baptistère de Florence, auquel travailla également Leonardo 
di Ser Giovanni; Ugolino, de Sienne, qui exécuta avec 
plusieurs de ses compagnons le fameux reliquaire de la 
cathédrale d’Orvieto, destiné à renfermer le saint corporal 
de Bolsène ‘; une inscription en lettres gothiques constate 
que ce reliquaire a été fait en 1388, per magistrum Ugholi- 
num et socios aurifices de Senis; Ugolino fit également le 
reliquaire de Saint-Juvénal, qui porte sa signature ainsi que 
celle d’un orfèvre nommé Viva. Nous citerons encore Paolo 
et Pietro d’Arezzo, auteurs du chef de saint Donat, qui existe 
encore aujourdhui à Ârezzo; Goro di Neroccio et Guccio, 
de Sienne; Spinelli, dont Vasari parle avec éloges; Borgino, 
de Milan ; Bracini, etc., qui ont produit des œuvres qu’ils 
ont signées, et dont beaucoup existent encore aujourd’hui. 

Au xve siècle, nous trouvons Tommaso Finiguerra, 
auquel on fait remonter l’origine de la gravure en Italie; 
Giudino di Guido, de Florence; Giovanni di Turini, de 
Sienne; Salvadore Pilli, que Benvenuto Cellini cite comme 
un artiste de grand talent, et surtout Antonio del Pollaiuolo, 
auquel on doit un nombre assez considérable de pièces 


! On rapporte qu’un prêtre de la ville de Bolsène ayant douté, au moment 
de la consécration, de la présence réelle du corps de Jésus-Christ dans 
l’hostie, des gouttes de sang en jaillirent et teignirent le eorporal. Ce taber- 
nacle, qui présente en petit le modèle de la façade de la cathédrale d'Orvieto, 
a environ 1"80 de hauteur et pèse six cents livres; malheureusement 1l est 
renfermé dans un tabernacle de marbre placé à une grande élévation au- 
dessus du sol et fermé par des portes de fer à quatre serrures, dont les clefs 
sont confiées à quatre personnes qu'on ne peut jamais réunir, pour en faire 
l'ouverture, si ce n’est le jour de Pâques et le jour de la fête du Saint-Sacre- 
ment, durant lesquels il est exposé à la vénération des fidèles. Malgré de 
puissantes recommandations, nos plus savants archéologues n'ont jamais pu 
parvenir à voir cette magnifique œuvre d'orfèvrerie, qu’ils ont dû se borner à 
décrire d’après la gravure qu'en a donnée le R. P. Deuca Varce, /storia del 
duomo di Orvieto, Rome, 1791, et celle publiée par p'AcincourT, His. de 
art, &. NL, pl. exxnr. — Cf: Laparre, op. cût., t. Il, p. 66. 


452 L'ÉMAILLERIE 


d'orfèvrerie émaillée, parmi lesquelles la grande croix 
d'argent du baptistère de Saint-Jean, et la Paix du cabinet 
des médailles, à Florence. 

Bien que pendant ces deux siècles le procédé d'exécution 
soit toujours resté le même, c’est-à-dire l'émail translucide 
couvrant la superficie entière de la plaque et laissant trans- 
paraître par conséquent les finesses de la ciselure et toutes 
les délicatesses de la gravure, quelques modifications dans 
les détails ont été apportées à diverses reprises par les dif- 
férents artistes qui ont employé ce genre de décoration. 
C'est ainsi que les uns, au lieu de ciseler le sujet en 
bas-relief, se sont bornés à le graver en traits fortement 
exprimés, qu'ils niellaient partiellement d'émail opaque 
avant d’émailler l’ensemble; que d’autres ont réservé les 
têtes, les mains et les nus sans les recouvrir d’émail, ou 
en se servant d’un émail tellement incolore, que le métal 
conservait son aspect primitif; que d'autres enfin ont 
guilloché certaines parties de façon à les faire vibrer en 
notes éclatantes sous leur brillant manteau d’émail. 

Le procédé d’émaillage sur bas-relief d’or ou d'argent 
passa rapidement d'Italie dans les autres contrées de 
l'Europe, notamment en France, en Allemagne et dans les 
Pays-Bas; les inventaires du xive et du xve siècle men- 
tionnent de nombreux objets d’orfèvrerie émaillée, mais en 
les désignant malheureusement d’une facon beaucoup trop 
sommaire pour que l’on puisse être fixé sur leur prove- 
nance et sur la nature de leurs émaux, la désignation 
émail de basse taille n'ayant été employée qu’au xvie siècle, 
après la découverte des émaux peints de Limoges. Il est 
donc bien difficile de savoir comment et à quelle époque 
la pratique de cet art a été introduite en France, et la 
marche qu'il y a suivie, de même qu'il est à peu près 
impossible de dire la provenance exacte des émaux de 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 453 


cette nature qui subsistent aujourd’hui. Nous attribuerons 
cependant aux artistes français la plupart des émaux trans- 
lucides du musée du Louvre (D. 177 à 185), le reliquaire 
(no 5006) du musée de Cluny, le petit tryptique de la Riche- 
Chapelle du musée royal de Munich, que l’on dit avoir 
appartenu à Marie Stuart, et surtout la belle coupe d’or 
qui appartient à M. le baron J. Pichon, et qui mérite une 
mention particulière. 

Cette coupe, en or massif, de 0m933 de hauteur sur 
Om18 de diamètre, est décorée sur le couvercle et sur 
tout son pourtour de scènes empruntées à la vie et au 
martyre de sainte Agnès; on n’y compte pas moins de 
quarante-six personnages admirablement dessinés et cise- 
lés, recouverts d’émaux polychromes de la plus parfaite 
pureté et d’une grande richesse de tons. Contrairement à 
ce que présentent la plupart des œuvres un peu impor- 
tantes de ce genre, où les émaux, exécutés à part sur des 
plaques indépendantes, sont fixés ensuite sur la pièce, les 
figures, dans la coupe de M. le baron Pichon, ont été 
ciselées dans lépaisseur même du métal, et toutes les 
scènes se relient entre elles sans interruption. Ce mer- 
veilleux monument de lorfèvrerie émaillée de la fin du 
xive siècle, ou au plus tard du commencement du xve, 
avait été donné, ainsi que l'indique une légende inscrite 
sur un anneau ajouté au xvie siècle, à J. Velasco, duc de 
Frias et connétable de Castille, lorsqu'il vint en Angleterre 
pour négocier la paix entre Jacques Ier et Philippe IIT, au 
mois d'août de l’année 1604. Dans une relation du voyage 
du connétable, imprimée à Anvers en 1604, — et attribuée 
par de Thou au duc de Frias lui-même, — il est question 
des présents que le roi d'Angleterre lui fit remettre le 51 
août, avant son départ; parmi ces présents, qui consistaient 
en une quantité de vaisselle précieuse provenant du trésor 


154 L'ÉMAILLERIE 


des rois d'Angleterre, se trouvent mentionnées « trois 
coupes, ou ciboires, dont une très ancienne, avec des 
émaux et des images de saints (y tres copones o custodias, 
la una d’ellas antiquissima con esmalle y imagines de san- 
clos) ». Déposée par le connétable de Castille, à son retour 
en Espagne, dans le trésor de l’abbaye de Sainte-Claire de 
Médina, cette précieuse coupe y est restée jusqu’à ces der- 
nières années, où les religieuses la vendirent à un anti- 
quaire espagnol, qui la céda ensuite au possesseur actuel. 

Les habiles orfèvres allemands ne manquèrent pas 
d'adopter à leur tour les émaux translucides pour enrichir 
leurs œuvres; la cathédrale de Cologne possède en ce genre 
une magnifique crosse émaillée sur son bâton et sa volute, 
et le trésor d’Aix-la-Chapelle renferme une monstrance con- 
tenant la ceinture de la Vierge ainsi que deux reliquaires, en 
forme de chapelles, garnis d’émaux translucides. La collec- 
tion Basilewski possédait également deux reliquaires dé- 
corés ainsi de sujets représentant la légende allemande de 
saint Henri et de sainte Cunégonde, et la dernière exposi- 
tion du métal à Nuremberg montrait, parmi les plus belles 
œuvres prêtées par les amateurs, un merveilleux ciboire 
provenant de l’abbaye bénédictine de Maihingen, près 
Nortling, en Bavière, et décoré de trente plaques d’'émaux 
translucides de formes variées et d’un admirable travail. 
Ces différentes œuvres sont toutes du xive siècle. 


A côté de ces trois grandes classes d’émaux qui se sont 
partagé la décoration des œuvres d’orfèvrerie du vie au 
xvie siècle, il en est deux autres dont le rôle a été beau- 
coup moins important, mais que nous devons cependant 
signaler 101. 





Ed.GARNIER dett “TRICHON. Se. 


D 


La Charité. — Plaque centrale d’un bénitier en émail, 


composé et exécuté par M. A. de Courcy. 


(Email limousin sur paillons.) 





L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 455 


Émaux translucides cloisonnés à jour. — Les premiers 
sont les émaux cloisonnés à jour, dont on trouve à plu- 
sieurs reprises la mention dans les anciens inventaires sous 
le nom de esmalta clara', esmaux à jour, esmaillio per 
quod videtur dies*, esmaulx de plicque par où l’on veoit le 
Jour *, etc. La belle coupe de Cosroès Ier, roi de Perse 
(579), qui, du trésor de Saint-Denis {, — où elle était dé- 
signée sous le nom de coupe de Salomon, — a passé au 
cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, répond 
au premier aspect à cette description, bien qu’elle soit com- 
posée, non d’émaux, mais de morceaux de verre coloré 
translucide, sertis dans des cloisons métalliques. Comme 
cette coupe, de fabrication persane, remonte au vie siècle, 
il est à présumer que ce genre de travail, pratiqué d’abord 
en Orient, passa ensuite en Occident, et que les verres colo- 
rés, après l'introduction de l’art de l’émaillerie en Europe, 
y furent remplacés par des émaux translucides. Mais les 
émaux à Jour, probablement à cause de la difficulté de leur 
exécution, ne furent pas d’une fabrication bien suivie; les 
mentions qui en sont faites dans les inventaires en sont 
assez rares, et les spécimens qui sont parvenus jusqu’à 
nous en sont beaucoup plus rares encore; nous n’en con- 
naissons qu'un seul exemplaire au musée de Kensington, 
à Londres : c’est un gobelet d'argent doré, obconique, un 
peu évasé, de Om 18 de hauteur et de Om 12 de largeur à 
peu près; au milieu de la panse, et sur toute la circonfé- 
rence du couvercle, se trouve une bande d’émail translu- 


! Inventaire du Saint-Siège, dressé en 1295 par ordre de Boniface VIII. 

? Inventaire de la Sainte- Chapelle du Palais (1480). 

* Inventaire de 1573, publié dans la Revue archéologique, t. V, p. 167. 

 « En 1791 furent apportées de Saint-Denis, aujourd'hui Franciade, des 
antiquités faisant auparavant partie de son trésor... 5. Une grande soucoupe 
d'or, ornée d’émaux de diverses couleurs. » [Hist. abrégée du cabinet des 
Médailles, par A.-L. ComnTreau, Paris, 1800.) 


136 L'ÉMAILLERIE 


cide à jour, vert-émeraude, avec des fleurettes en émail 
bleu et des petits fruits en émail Jaune. Sur le gobelet, la 
bande est coupée en trois parties par trois fenêtres de style 
ogival, divisées par deux meneaux et garnies d’'émaux trans- 
lucides bleus ou verts. Au fond du gobelet, à l’intérieur, 
on voit un médaillon d’émail cloisonné décoré de fleurettes 
bleues et jaunes montées sur des tiges d’or; les parties 
non émaillées sont ornées extérieurement de feuillages et 
d'oiseaux gravés au pointillé sur le fond même du métal. 

Il existe, paraît-il, dans la chapelle de Phôpital de Santa- 
Maria della Scala, à Sienne, un coffret décoré également 
de cette façon; mais nous ne le mentionnerons que pour 
mémoire. 

Les opinions sont partagées au sujet de la date et du 
lieu d'exécution de ces émaux cloisonnés à Jour; ce qui est 
certain, c’est qu'au xvie siècle Les orfèvres italiens et fran- 
cais en avaient perdu entièrement le souvenir. Cellini ra- 
conte, en effet ‘, que, en 1541, François Ier le fit appeler 
un jour « après vêpres » pour lui montrer un gobelet 
(una tazza senza piede) ainsi décoré, et lui demanda sil 
connaissait la facon dont ce travail avait pu être exécuté : 
après avoir examiné cette œuvre merveilleuse (opera la- 
vorata molto maravigliosamente), Cellini déclara que ce 
genre d’émail lui était absolument inconnu; mais, avec son 
assurance habituelle, 1l ne tarda pas à en expliquer au roi 
les procédés de fabrication, procédés remplis de difficultés 
et que l’habile orfèvre n’essaya sans doute pas de mettre à 
exécution, ce qu'il n’eùût pas manqué de nous apprendre, 
surtout s’il avait réussi. 


Emaux des orfèvres. — L'autre procédé diffère essen- 


! Trallali sopra l’orificiera, cap. ur, p. 41. 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 457 


tiellement de ceux que nous avons cherché à décrire jusqu’à 
présent en ce sens qu'ils consistent, non à incruster des 
émaux dans le métal, mais à le colorer à l’aide d’émaux 
appliqués par-dessus. Ce genre d’émaillerie, ou, pour être 
plus exact, d’émaillage du métal, a été pratiqué un peu 
partout, en France, en Italie et en Allemagne à dater du 
xIve siècle; mais, ses procédés r’offrant rien de particulier, 
et son histoire appartenant plutôt à celle de l’orfèvrerie et 
de la bijouterie, nous n'avons pas à en parler longuement ici. 

Les inventaires des trésors des rois de France et des 
princes, ainsi que les comptes des orfèvres, mentionnent 
très fréquemment des pièces d’orfèvrerie ainsi émaillées ; le 
plus souvent les émaux étaient polychromes, opaques ou 
translucides, et quelquefois aussi entièrement blancs, mais 
l’objet émaillé était toujours en or ou en argent. 


1399. — Un image d’or de Nostre-Dame, esmaillé de blanc, assise 
en une chayère d’or, laquelle tient son enfant en son giron vestu d’une 
cotte esmaillée de rouge clerc et sont les choses dessus dictes toutes 
d’or... (Comptes royaux.) 


1410. — Deux ymages en facon de Dieu le père, esmaillez de plu- 
sieurs couleurs, et viij ymages de Adam et Eve esmaillez de blanc 
comme nuz. (/nvent. des ducs de Bourgogne, n° 6199.) 


1467. — Une paix d’or, où il y a dedens une Veronniche![ Véronique], 
esmaillée de blanc et dessoubs ïiij ymaiges taillées et esmaillées. 
(Ibid., n° 20441.) 


L’Inventaire de la Sainte-Chapelle de Bourges, publié 
par M. de Girardot, cite, sous le nom de la Croix de Blois, 
une œuvre des plus importantes qui laisserait supposer 
que, dès le xrve siècle, l’art de l’orfèvrerie émaillée, que 
nous retrouverons à Blois au xvue, était déjà en pleine 
prospérité. 


! De Laporpe, Glossaire, p. 271. 


458 L'ÉMAILLERIE 


1405. — Une croix d’or, appelée la Croix de Blois, où il y a un cru- 
cifix au milieu, esmaillé de blanc et aux costez dudit crucifix l'ymage 
de Notre-Dame, esmaillé de vert, et l’image de saint Jehan, esmaillé 
de bleu, et en ladite croix garnie de pierreries, etc. 


Nous devons mentionner encore, parmi les œuvres fran- 
çaises les plus considérables de ce genre d’orfévrerie qui 
sont parvenus jusqu'à nous, le « petit cheval d’or » (das 
goldene Rossel) conservé dans le trésor de la Sainte-Cha- 
pelle d’Altætting, en Bavière. Ce magnifique monument, 
qui à Om 58 de hauteur, est à deux étages. L’étage inférieur, 
d'argent doré, reproduit un portique à jour composé de 
quatre colonnes qui soutiennent une plate-forme à laquelle 
conduisent deux escaliers latéraux. Sous le portique, un 
page tient un cheval sellé et richement harnaché. L’étage 
supérieur, qui est tout d’or, est établi sur la plate-forme. 
Au fond s'élève une estrade que domine un berceau couvert 
de feuillages et de fleurs, au milieu desquels sont disposées 
des pierres fines d’une grande valeur. Sous le berceau, la 
Vierge, assise, tient sur ses genoux l'enfant Jésus, qui offre 
un anneau à sainte Catherine à genoux devant lui. Saint 
Jean-Baptiste, représenté tout jeune, avec un agneau, est 
auprès de la sainte épouse du Christ. De l’autre côté, on 
voit saint Jean l'Évangéliste tenant un calice. Au pied de 
l’estrade, à droite de la Vierge, est le roi Charles VI à ge- 
noux ; il est armé de toutes pièces, et porte par-dessus son 
armure une cotte d'armes bleue fleurdelisée. Sa tête est 
couronnée de fleurs. En face de Charles VI, à la gauche de 
la Vierge, est un chevalier à genoux qui tient le heaume du 


‘ Les Annales archéologiques (t. XXVI, 1869, p. 119) ont donné une gra- 
vure de cet énorme joyau; LABARTE, auquel nous en empruntons la descrip- 
ion, et M. Hucner ont publié dans le même volume des dissertations sur 
ce sujet, p. 204 et 402, 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 459 


roi. Toutes ces figures, exécutées en ronde bosse, sont 
coloriées par des émaux. 

Ce somptueux bijou, enlevé en 1413, avec plusieurs 
autres, du trésor de Charles VI par le duc Louis de Ba- 
vière, frère de la reine Isabeau, qui les emporta dans son 
pays, a dû être fabriqué par un orfèvre parisien : il est dé- 
crit dans un inventaire ' du trésor de Charles VI, dressé 
à la fin de 1405, avec la mention « … et fut donné par la 
Reine au Roy le premier jour de lan 1404 ». 

Le musée du Louvre possède en ce genre une œuvre 





Fig. 96. — Pièce de harnais en émail champlevé. 
Angleterre, xive siècle. 
(D’après l’Archæological journal.) 


assez importante qui date de la même époque, mais qui 
n'offre pas à beaucoup près, au point de vue de l’émaille- 
rie, l’intérêt du Rossel d’or; c’est un petit reliquaire de 
0 m 45 de hauteur, présentant, sur sa face antérieure, une 
sorte de portique décoré de niches qui renferment des figu- 
rines émaillées; des rubis, des saphirs et des perles sont 
répandus en grand nombre sur ce petit monument, dont 
Henri IIT, auquel il appartenait, fit présent à la chapelle de 
l’ordre du Saint-Esprit, qu'il avait créé. 


! Bibliothèque nationale, man. franc., n° 21446, fol. 24. 


160 L'ÉMAILLERIE 


Jusqu'à la fin du xve siècle, en dehors de l'Allemagne, de 
la France et de l'Italie, les autres contrées de l’Europe n’ont 
produit, dans l’art de lPémaillerie, rien qui mérite d’être 
signalé, et si l’on trouve, en Angleterre et en Espagne, 
quelques pièces que l’on puisse attribuer aux industries 
locales (fig. 96), elles n’ont rien d’original et ne montrent 
qu'une application très superficielle des procédés les plus 
simples de cet art, dont nous avons cherché, dans les pages 
précédentes, à suivre la marche et les progrès depuis son 
apparition en Occident. 


III 


L'ÉMAILLERIE AU XVIe SIÈCLE 


I. LES ÉMAUX PEINTS. — Première période. — La déca- 
dence que nous avons signalée plus haut dans la fabrication 
des émaux champlevés à Limoges s’accentua davantage au 
xve siècle, et bientôt la vieille cité, déchue de son ancienne 
splendeur, vit augmenter le discrédit dans lequel étaient 
tombées les œuvres de ses modestes artisans, dont les 
émaux un peu grossiers étaient délaissés pour les produits 
fins et délicats de lémaillerie translucide, qui, du reste, 
n'était pratiquée que sur l'or et l'argent, c’est-à-dire sur des 
métaux que les orfèvres limousins n'avaient pas l’habitude 
de travailler. Cest alors que ces derniers, abandonnant 
l'ancien mode de fabrication, imaginèrent un procédé qui 
devait jeter un nouveau lustre sur l’industrie dont leur ville 
avait été fière pendant si longtemps, et qui fut pour leurs 
successeurs une source de gloire et de richesse. 

Il est assez difficile de dire comment s’opéra ce change- 
ment, dans lequel certains archéologues ont cru voir une 
sorte de transformation des procédés de la peinture sur 
verre, et qu'ils ont en conséquence attribué aux peintres- 
verriers ; 1l est permis de croire que ce fut plutôt le désir 


462 L'ÉMAILLERIE 


de lutter contre l’émaillerie translucide et de donner aux 
émaux sur cuivre l’apparence des émaux de basse - taille, 
qui fit trouver ce nouveau genre d’émaillerie, dont les pre- 
miers spécimens montrent un emploi un peu exagéré 
des émaux transparents posés sur des feuilles ou paillons 
d’or ou d'argent, qui remplissaient l'office du métal gravé 
et donnaient ainsi aux couleurs un éclat chatoyant que 
venaient aviver encore des rehauts d’or posés au pinceau. 

Il est difficile également de savoir exactement à quelle 
époque ce procédé fut trouvé; pourtant, d'après le style 
des figures, qui présentent généralement tous les caractères 
des anciennes miniatures françaises exécutées sous lin- 
fluence de l’école flamande des Van-Eyck, ainsi que d’après 
les costumes des personnages, on peut en faire remonter 
les premières manifestations entre les années 1470 ou 1480 
à peu près. Quant aux modestes artistes qui l'ont appliqué 
au début, on ne sait rien ou presque rien sur leur compte: 
on en connait trois qui ont signé leurs œuvres, et encore, 
sur ces trois, y en a-t-il un dont la signature est douteuse 
et l’existence assez problématique. 

Les premiers émaux peints représentent des sujets exclu- 
sivement religieux, exécutés sur des plaques de cuivre assez 
épaisses, disposées généralement en tryptiques ‘, montées 
sur des ais en bois et encadrées d’étroites moulures de 
cuivre doré reliées par des charnières (pl. HT). Le dessin est 
indiqué par des traits gravés sur le cuivre et recouverts 
d’émail brun presque noir; ces traits, assez forts, remplis- 
saient l’office des anciennes cloisons métalliques, et suffi- 
saient pour retenir les différents émaux et les empêcher de 
couler. La coloration, au début surtout, est un peu violente; 
les vêtements, aux grands plis cassés, éclairés par des traits 

1 Ces petits tryptiques étaient destinés à orner les autels particuliers: on 
les suspendait également au chevet des lits. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI° SIÈCLE 463 


d’or au pinceau, sont en émail bleu, violet ou vert d’un 
ton vif et parfois trop cru; les carnations, presque toujours 
violacées ou bistrées, sont modelées en rehauts de blanc 
opaque, qui laissent transparaître le dessous à mesure que 
leur épaisseur décroît. Des perles ou des gouttes d’émail, 
posées sur des paillons d’or, et qui brillent comme des 
pierres précieuses, ajoutent leur éclat à celui des ors et 
des émaux. 

Des trois artistes dont on retrouve les signatures sur les 
œuvres de cette première époque, le plus ancien paraît être 
MonvaERNI, dont le nom a été lu sur quelques rares émaux 
parmi les inscriptions qui se trouvent sur les bordures des 
vêtements, les ceintures, et jusque sur les épées. La forme 
un peu bizarre de ce nom et la facon dont il est écrit, 
au milleu de lettres qui m’offrent souvent aucun sens et 
qui paraissent avoir été employées comme ornements, ont 
laissé de la place au doute, et quelques archéologues se 
sont demandé si C'était là véritablement une signature, 
et si Monvaerni avait existé; d’autres savants, d’après la 
désinence du nom, avaient cru pouvoir attribuer à lltalie 
l'invention de lémaillerie peinte, puisque ces émaux sont 
certainement ceux qui offrent le plus grand caractère d’an- 
cienneté; ces deux opinions ont été rejetées : d’une part, 
parce que le nom de Monvaerni se retrouve sur plusieurs 
émaux présentant entre eux une similitude absolue de style 
et d'exécution; d'autre part, parce que dans un tryptique 
signé ainsi le mot j'enrage se lit sur le collet du justau- 
corps dont est revêtu le diable que sainte Catherine foule 
aux pieds : l'existence de Monvaerni est donc généralement 
admise aujourd’hui, et il a pris rang parmi les émailleurs 
limousins. Ses œuvres et celles de son école se reconnais- 
sent à des empâtements considérables, surtout dans les 
draperies blanches, qui se relèvent en bosse entre les traits 


464 L'ÉMAILLERIE 


noirs qui marquent les plis, et à leur dessous ou apprêt 
blanc recouvert de glacis en émaux translucides; l’aspect 
en général n’en est guère attrayant". 

Après lui nous trouvons LÉONARD PÉNICAUD, — ou NARDON 
PéNicauD, pour nous servir de l’abréviation en patois li- 
mousin qu'il emploie dans sa signature, — chef d’une 
famille qui æ fourni d'excellents artistes à l’émaillerie 
limousine pendant une grande partie du xvie siècle. 

En rapprochant les dates de plusieurs actes conservés 
dans les archives de Limoges et dans lesquels il est men- 
tionné, on voit que Nardon Pénicaud dut naître vers 1470 
et qu'il existait encore en 1539. C'était donc un artiste fait 
et dans toute la plénitude de son talent, lorsqu'il exécutait, 
en 1503, le bel émail du musée de Cluny (n° 4578), sur 
lequel se trouve la signature qui à révélé son existence. Cet 
émail représente le Christ en croix entre la Vierge et saint 
Jean, au milieu des anges et des emblèmes et instruments 
de la Passion, en couleur sur fond bleu semé de fleurs de lis 
d'or; au-dessous du Calvaire se trouve un grand écusson 
aux armes de France : d’un côté un seigneur est agenouillé, 
ayant derrière lui un écusson aux armes du roi René; de 
l’autre, un prêtre, sans doute le donateur, est également à 
cenoux, et près de lui se trouve l'inscription suivante : 
LUCAS DE UOLO PSBR{[presbyter]Hoc ops[opus]r. F.'{fieri 
fecit|pro saro[sanclo]PETRO DE ROGIANO HUMILIT{er] 
ROGAT ORATE P[T0]E0: NARDON PENIGAUD DE LIMOG{?a| 
n[oc]r{ecit|r*[prima]pre APL{aprilis|ANNO MiLzme vo 
TERTIO (1503)*°. 

i « Monvaerni, dit M. Darcez, appartient à celte période de l’art français 
qui semble s'être complu dans le laid et dans la maigreur, comme s’il avail 
voulu nous conserver le souvenir des longues souffrances qui affligerent notre 
malheureux pays pendant le long règne de Charles VE et le commencement de 


celui de Charles VIT. » {Notice des émaux du Louvre, p. 97.) 
? Le prétre Lucas de Verolo fit faire cet ouvrage pour Saint-Pierre de 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE , 165 


On à pu, à laide de ce tableau, reconnaître un grand 
nombre d'émaux exécutés par Nardon lui-même ou par 
ses élèves, bien qu'il soit assez difficile de classer ses 
œuvres, les premières appartenant à l’art du xve siècle, et 
les autres se ressentant déjà de l'influence que la renais- 
sance italienne commencait à exercer en France. L’exé- 
cution cependant en est toujours restée la même; comme 
dans le tableau du musée de Cluny, qui peut être pris pour 
type de la manière de Nardon Pénicaud, un trait en bistre 
noir y accentue le dessin d’une façon vigoureuse et nette, 
et les carnations y sont modelées en blanc sur un fond vio- 
lacé légèrement bleuâtre assez caractéristique ; les émaux 
emplovés sont surtout le bleu turquoise, le vert d’eau, le 
jaune, le blanc et le brun; les lumières sont indiquées par 
des rehauts d’or appliqués au pinceau, parfois avec un peu 
d’exagération, et souvent les orfrois des costumes et l’archi- 
tecture sont semés de gouttelettes d’émail translucide sur 
paillons imitant les pierreries. 

Nardon Pénicaud eut pour élève, et probablement pour 
associé et successeur, JEAN PÉNICAUD, qui devait être son 
frère ou son neveu; les émaux de ce dernier offrent à peu 
près les mêmes caractères et les mêmes procédés d’exécu- 
tion que ceux de Nardon, et on pourrait facilement les con- 
fondre avec eux s'ils ne portaient souvent la signature IOHAN : 
PENICAULT, Où un monogramme formé par les lettres Z. P. 
reliées ensemble par une sorte de cordelière; souvent aussi 
on voit au revers un poinçon représentant un P couronné, 
qui est comme la marque de fabrique des émailleurs de 
cette famille ‘. Vers la fin de sa vie, Jean Pénicaud parait 


Rogiano ; il demande humblement que l’on prie pour lui. Nardon Penicaurl 
de Limoges l’a fail le premier jour d’avril de l'année mil cinq cent trois. 
1 Ce poinçon, dans lequel le P est terminé par une queue qui peut former 
aussi bien un L qu'un J retourné, a peut-être été employé d'abord par Léonard; 
30 


466 L'ÉMAILLERIE 


avoir un peu modifié sa manière; il emploie quelquefois 
des émaux translucides appliqués sur le métal même, sans 
apprêt ni paillons, — et, parmi ces émaux, un pourpre 
d'un éclat et d’une intensité remarquables, — et son dessin 
devient plus correct, surtout quand il copie les œuvres des 
maitres italiens ou allemands. 

D'après les actes dans lesquels il est cité, cet artiste, 
né vers 1485, vivait encore en 1553. On le désigne généra- 
lement sous le nom de Jean Pénicaud l'Ancien, ou Jean f, 
pour le distinguer de JEAN IT PÉNICAUD, ou Pénicaud Jeune, 
qui, suivant toute apparence, devait être le fils de Nardon. 

Mais, avant d'aller plus loin, nous devons signaler la 
transformation qui s’opéra, de 1520 à 1525 à peu près, dans 
le mode d'exécution des émaux peints. Les artistes que 
nous venons de citer et ceux dont les noms nous sont 
encore inconnus, mais auxquels on doit un grand nombre 
d’émaux appartenant également à cette première période 
de l’émaillerie peinte, exécutaient leurs œuvres au moyen 
d’émaux opaques ou translucides, toujours de plusieurs 
couleurs; ceux qui les suivent abandonnent en partie ce 
procédé pour celui de la grisaille, auquel l'école de Limoges 
a dû sa plus grande gloire, et qui est resté le principal type 


de l’émaillerie limousine. 


Deuxième période : Émaux en grisaille. — Les procédés 
d'exécution des émaux en grisaille étaient beaucoup plus 
simples que ceux des émaux de la période précédente, 
plus faciles, et par conséquent permettaient d'obtenir des 
résultats sinon aussi éclatants, du moins plus artistiques, 
puisque le métier y tenait une moins grande place, et que 
l’on n'avait pas autant à compter avec les accidents qui pou- 


mais il se trouverait alors masqué par le contre-émail opaque dont le revers 
des émaux de cet artiste est toujours recouvert. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 467 


vaient se produire au feu. Voici comment on procédait Séné- 
ralement. Sur une plaque de cuivre préalablement emboutie 
et décapée, on étendait une couche assez épaisse d’émail 
noir, ou, dans certains cas, bleu ou brun foncés; cette pre- 
mière couche, fondue et, pour ainsi dire, vitrifiée au feu. 
formait un fond bien uni que l’on recouvrait d’une mince 
couche d’émail blanc bien broyé, qui en séchant laissait 
transparaitre le noir sous-jacent; on décalquait alors sur 
cette sorte de pellicule pulvérulente le dessin que l’on de- 
vait exécuter, et on enlevait, au moyen d’une pointe ou d’un 
grattoir en bois, tout l'émail qui dépassait les contours du 
dessin, de façon à obtenir une sorte de silhouette grise 
légère se détachant bien franchement sur le fond noir. 
Cest sur cette silhouette, fixée au fond par un second pas- 
sage au feu, que l’artiste exécutait son travail en superpo- 
sant, suivant les exigences du dessin, émail blanc opaque 
en épaisseurs variables, selon qu'il voulait avoir des blancs 
purs ou des demi-teintes, le modelé sobtenant par la 
transparence du dessous. 

C'était là le véritable procédé, celui qui donnait les effets 
les plus doux, le modelé le plus délicat et le plus artis- 
tique; mais il faut bien dire aussi que c’est celui qui a été 
le moins souvent exécuté, d’abord parce qu’il exigeait une 
très grande habileté et une connaissance profonde du de- 
gré de transparence des émaux, puis parce qu'il nécessitait 
de nombreux passages au feu, le modelé ne pouvant être 
obtenu que peu à peu et par de lentes superpositions d’é- 
mail blanc, sous peine d'accidents irréparables. La plupart 
du temps les émailleurs procédaient par enlevage, c’est- 
à-dire qu'ils rendaient le dessin intérieur des figures, les 
détails, les accessoires et le modelé, au moyen de lignes et 
de hachures tracées, ou enlevées à la pointe sur la première 
couche d’émail; ils recouvraient ensuite le tout d'un glacis 


468 L'EMAILLERIE 


d’émail blanc, afin d’assourdir le noir trop absolu et de mé- 
nager une transition moins brusque entre lombre et la lu- 
mière; quelques-uns, pour obtenir une gamme grise plus 
douce, se servaient, comme fond, de la première couche 
blanche fixée au feu sur l'émail noir. 





Fig. 97. — Fragment d’un plat de Pierre Raymond; 
modelé obtenu au trait par enlevage. 


(Musée du Louvre, D. 471.) 


Souvent le sujet représenté formait un véritable tableau ; 
dans ce cas, les figures, au lieu de s’enlever en silhouette 
sur le fond noir, se détachaient en clair ou en foncé, suivant 
les exigences de la composition, sur le ciel ou sur les fonds 


Fa 


d'architecture (fig. 97); c'était à l'artiste à savoir tirer parti 
des ressources que lui offraient les différents degrés d’opa- 
cité de Fémail pour arriver à mettre chaque chose et chaque 
personnage à leur plan, et à obtenir tous ses effets en res- 
tant dans une gamme harmonieuse. 


Quand les couches successives d’émail avaient été fon- 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 469 


dues au feu et que le travail de la grisaille était terminé, 
lémailleur complétait son œuvre à l’aide de quelques re- 
hauts d’or qui dessinaient les accessoires, ornaient les 
vêtements ou couraient en élégantes arabesques sur les 
fonds ou les bords des pièces. Une belle plaque du Louvre 





Fig. 98. — /enri II. 
Émail de Léonard Limosin, dont l’or a disparu en partie. 


(Musée du Louvre, D, 340.) 


(D. 340) représentant Henri IT à cheval (fig. 98) montre 
bien comment les artistes limousins procédaient; l’or qui 
dessinait le surtout noir à manches courtes et sans col 
posé par-dessus le justaucorps blanc ayant disparu, 
toute la partie couverte autrefois par ce vêtement se 
confond aujourd’hui avec le fond, et ce n’est qu'en re- 
gardant la plaque à jour frisant que l’on peut apercevoir 
les traces à peine visibles des riches ornements d’or qui 
décoraient autrefois lPhabit du roi. Dans cet émail, la 


470 L'ÉMAILLERIE 


orisaille a été dessinée et préparée par enlevage, puis 
glacée en blanc pour adoucir la préparation : les carna- 
tions sont légèrement saumonées et le terrain glacé de vert. 

Le procédé de la grisaille ne fit pas abandonner lem- 
ploi des émaux polychromes, mais le mode d'exécution fut 
modifié; on supprima presque entièrement les paillons, 
et les émaux colorés furent posés en couches plus ou 
moins épaisses sur la préparation blanche et grise dont le 
dessin et le modelé étaient assez accentués pour transpa- 
raitre sous la couleur. L'emploi de ce procédé est très vi- 
sible dans plusieurs émaux du Louvre (surtout dans ceux 
qui portent les nos D. 40T et 498). Presque toujours les con- 
tours sont cernés par un trait noir assez prononcé qui des- 
sine avec beaucoup de fermeté les divers éléments du sujet, 
et donne à tous ces émaux un aspect décoratif très prononcé. 

Au modelé par transparence, — c’est-à-dire obtenu par 
la superposition de lémail blanc, — qui ne pouvait être 
employé que dans les parties n’exigeant pas une bien 
grande finesse, certains émailleurs, Léonard Limosin entre 
autres, ajoutèrent un mode d'exécution qui leur permettait 
d'obtenir plus de précision, et de faire sur émail ces beaux 
portraits qu'ils copiaient d’après les estampes et les dessins 
des artistes contemporains : ils préparaient les carnations 
avec une assez forte couche d’émail blanc, et sur cette 
couche, fondue et durcie au feu, revenaient au pinceau, 
avec du bistre roux léger, employé en fines hachures ou au 
pointillé, pour modeler le visage et accuser les traits; les 
cheveux et la barbe, préparés en émail jaune clair ou brun, 
étaient redessinés avec du bistre de même couleur, mais 
d’un ton plus foncé : en réalité, c'était la première applica- 
tion du procédé que les miniaturistes et les peintres sur 
émail des xvire et Xvie siècles devaient employer avec tant 


de succès. La plaque centrale du tableau votif de la Sainte- 


L'ÉMAILLERIE AU XV[L SIÈCLE 471 


Chapelle, au musée du Louvre (D. 282), représentant la 
Crucifixion, par Léonard Limosin, donne un exemple 
bien curieux de l’emploi simultané de ces deux procé- 
- dés; dans cette plaque, qui contient un grand nombre 
de personnages dont les têtes sont exécutées d’une façon 
assez large par le procédé du modelé transparent, on voit 
sur le second plan, près de la croix, trois cavaliers dont les 
figures sont peintes comme de véritables miniatures; ce 
sont là évidemment trois portraits. 

Après avoir ainsi cherché à expliquer les différents pro- 
cédés employés par les artistes limousins dans lexécution 
de leurs émaux, il nous reste à étudier la manière de cha- 
cun d'eux, ou du moins des principaux d’entre eux, en pre- 
nant surtout comme types celles de leurs œuvres qui font 
partie de la collection du musée du Louvre, la plus riche 
et la plus complète en ce genre, ou qui appartiennent au 
musée de Cluny. Nous suivrons la division par familles, 
adoptée par M. Darcel dans son excellente Notice des émaux 
du Louvre. Si on peut reprocher à cette classification de ne 
pas respecter rigoureusement l’ordre chronologique, elle a 
au moins pour résultat de faciliter singulièrement l’étude 
de l’émaillerie au xvie siècle. 


LES PEÉNICAUD 


Après Léonard ou Nardon Pénicaud et Jean Ier Péni- 
caud, dont nous avons parlé plus haut, nous trouvons, 
ainsi que nous l’avons dit, JEAN IT PÉNICAUD, qui, sui- 
vant quelques auteurs, était le fils de Léonard, ou, suivant 
d’autres, de Jean Ier. Selon toute probabilité, il serait mort 
en 1588 dans un âge assez avancé, après avoir partagé, 
en 1571, avec son confrère Léonard Limosin les honneurs 
du consulat. 


472 L'ÉMAILLERIE 


Le style et la facture des émaux sur lesquels on a trouvé 
son nom en toutes lettres : IOHANNES PENIGAUDI IVNIOR, 1539, 
et surtout une suite de quatre émaux représentant les 
Quatre Vertus, dont deux sont signées TA. PENICAVD TUNIOR 
et les deux autres P.1., ont permis de restituer à cet artiste 
les émaux marqués du monogramme J. P. et de rattacher à 
son ‘atelier ceux qui sont signés K 1, IKP ou KP 
marques que l’on rencontre sur des pièces fort belles, et 
souvent même d’un dessin supérieur à celui du maitre. 

Le Louvre possède seulement cinq émaux de Jean IT Péni- 
caud ou de son atelier. L’un d'eux marqué P.1. et repré- 
sentant le portrait du pape Clément VIT (fig. 99), est curieux, 
surtout en ce qu'il montre un des premiers essais de la 
coloration des émaux en grisaille au moyen de glacures 
polychromes; la tête, peinte d’abord en gris, puis redessinée 
sur un fond d’émail bleu-noir transparent, a été recouverte, 
à l'exception de la barbe et des cheveux, qui sont rehaussés 
de blanc, d’une glaçure générale de bistre rose transparent 
trop foncé; sur Porfroi de la chape, bordé de chaque côté 
par un rang de perles interrompu par des pierres fines, 
sont représentées en camaïeu d’or * trois scènes de la lé- 
sende de Saint-Pierre. On sent encore dans cet intéressant 
portrait, qui serait absolument remarquable sans la colo- 
ration bizarre de la tête, l’influence de Nardon Pénicaud, 
bien que les procédés d'exécution ne soient plus les mêmes. 

Les autres émaux du Louvre attribués à Jean IT sont des 
orisailles d’une facture soignée et d’un modelé très doux. 


! Pour cette dernière marque, il ne peut y avoir aucun doute, l'un des émaux 
ainsi signés portant au revers le poinçon de Pénicaud. 

? Les émailleurs de Limoges ont employé trop rarement ce mode de décora- 
tion en camaïeu d'or sur fond noir ou brun, dont quelques-uns ont su tirer 
cependant un excellent parti; il existe au Louvre [D. 201) un médaillon cireu- 
laire représentant Jehan Fouquet, peintre du roi Louis X[, qui est une des 


œuvres les plus remarquables de ce genre. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI° SIÈCLE 473 


On peut rattacher également à l’école de cet artiste les 
émaux portant les monogrammes M.1. et MP; une plaque 
du Louvre représentant un Combat de cavalerie et une autre 
appartenant à M. Spitzer, l’'Adoration des bergers, signées 
ainsi, peuvent certainement être classées parmi les œuvres 
les plus précieuses de l’'émaillerie du xvie siècle. 





Fig. 99. — Clément VII. 
Émail en grisaille colorée par Jean II Pénicaud. 


(Musée du Louvre, D. 216.) 


JEAN TT PÉNIGAUD. — II à existé un autre Jean Pénicaud 
sur les œuvres duquel on retrouve également le poincon de 
la famille, et que l’on croit avoir été fils de Jean IL; bien que 
son existence soit attestée par plusieurs documents conservés 
dans les archives de la Haute-Vienne, on ignore absolument 
ce qui le concerne; mais ce que l’on sait, c’est que ce fut un 
véritable artiste et un des émailleurs les plus remarquables 
de son temps. « Les yeux sont frappés, dit M. de Laborde, et 
aussi charmés par les effets vigoureux et harmonieux qu’il 
sait trouver pour faire poindre ses compositions au milieu 
du noir, comme une apparition qui perce la nuit et dont 
l'éclat va grandissant. Ses blancs crémeux, ses rehauts d’or 
touchés sobrement et à propos, l’ensemble distingué et 
séduisant de ses émaux, sont des signes caractéristiques 


474 L'ÉMAILLERIE 


que confirme toujours le poincon de la famille frappé sur 
toutes ses plaques. Son talent ne la pas mis plus qu'un 
autre à l'abri de la presse industrielle et de la nécessité 
d'appliquer son habile pinceau aux ustensiles de la vie 
privée. Nous avons de ses plats, de ses assiettes, de ses 
aguières, coupes, salières et chandeliers, mais partout, 
même dans ses œuvres les plus rapides et les plus fugitives, 
on voit que l’homme de talent à dominé industriel". » 
Cest un des rares émailleurs de Limoges qui ait un 
talent original, et quand il copie les maitres, il le fait avec 
assez de liberté pour conserver à ses œuvres un caractère 
particulier d'élégance qui les font toujours reconnaitre; ses 
draperies sont extrêmement légères, collantes, à plis nom- 
breux, et, suivant la définition de M. Darcel, « comme fouet- 
tées par le vent avec une tendance à s’effilocher en haillons 
par suite de limportance que les noirs des fonds v acquiè- 
rent dans les ombres. » Le Louvre possède de cet artiste 
plusieurs émaux des plus remarquables, entre autres une 
superbe plaque rectangulaire représentant la Vierge et l’en- 
fant Jésus (D. 222), une buire, deux coupes, etc. Les collec- 
tions particulières surtout sont riches en œuvres de Jean IE 
Parmi ces dernières nous citerons principalement un beau 
plat* ou bassin daiguière sur lequel lartiste à peint d’après 
la composition de Raphaël, mais toujours avec sa liberté 
d'interprétation, les Noces de Psyché; nous donnons (fig. 100) 
le revers de ce plat, dont le bord est décoré de quatre mé- 
daillons à sujets de figures en or représentant des scènes 
tirées de Ia fable de Psvché, et qui doivent être de la com- 
position de Pénicaud, ainsi du reste que toute la partie 
décorative du bassin, qui ne ressemble en rien à celles que 
! Notice des émaux du Louvre, p. 154. 


* Ce beau plat, appartenant à M. le baron Seillière, a figuré à l'exposition 
du métal, en 1881, 


L'ÉMAILLERIE AU XVE SIECLE 475 


les autres émailleurs de Limoges copiaient dans les œuvres 
des maitres ornemanistes de cette époque. 


PIERRE PÉNICAUD, qui joignait à sa profession celle de 
peintre-verrier !, parait être le dernier membre de la famille 





Fig. 100. — Revers d'un plat représentant les Noces de Psyché. 


Émail en grisaille rehaussé Wor, par Jean III Pénicaud. 


(Coll, de M le baron Seillière, ) 


qui ait cultivé l’art de l'émail : il exagéra la manière de 
Jean IT, dont il était probablement l'élève; ses figures sont 
plus allongées, d’un dessin plus maniéré, quoique assez 
correct cependant; ses oppositions de noir et de blanc, plus 


! Le livre des recettes et dépenses de la confrérie du Saint-Sacrement de 
Saint-Pierre de Limoges mentionne, en 1555, un payement, acompte, de 
60 livres qui lui aurait été fait pour un vitrail représentant la Cène. — {[Cf. 
MAURICE ARDAnT, les Pénicaud, p. 29.) 


476 L'ÉMAILLERIE 


tranchées. Le musée de Cluny possède une de ses œuvres 
les plus remarquables; c’est un grand plat ou bassin de 0,43 
de diamètre, d’un très beau dessin et d’une facture très étu- 
diée, représentant Moïse expliquant les tables de la loi; le 
revers est décoré d’un médaillon richement orné, avec les 
figures de Moïse et d’Aaron: ce beau plat est marqué des 
initiales P.P. 


LES LIMOSIN 


Le chef de cette famille, LÉONARD LimosiN, est, sans 
contredit, le plus justement célèbre de tous les émailleurs 
de Limoges, celui qui a su appliquer avec le plus de variété 
et de véritable intelligence artistique les différents procédés 
qu'avaient employés ses devanciers, en y ajoutant en outre 
un mode particulier d'exécution dont il ne fut peut-être pas 
inventeur, mais dont il sut, en tout cas, tirer un meilleur 
parti que ses contemporains. 

Léonard Limosin, fils d’un aubergiste, dut naître vers 
1505 et mourir dans le courant de l’année 1576. La 
plus ancienne date que l’on ait trouvée sur ses émaux est 
celle de 1532, et la dernière, celle de l’année 1574. 

Comme la plupart des émailleurs de Limoges, il com- 
mença par exécuter ses émaux d'après les gravures des 
maîtres allemands ou italiens; la collection Debruge- 
Dumesnil? possédait de lui dix-huit plaques de 0,17 de 
hauteur sur 0,14 de largeur, réunies en deux tableaux, et 
représentant en émaux de couleur des scènes empruntées 
à la vie du Christ, dont les unes, celles de la Passion, 


! Il est certain qu'il n'existait plus au commencement de 1577, car un acte 
en date du 10 février de cette année fait mention des « hoirs de feu Léonard 
Limosin, esmailleur. » 

? No 699 du catalogue de LABARTE. 


WÉMAILLARIEMU"XVI SIÈCLE 477 


étaient copiées d’après Albert Durer; ces émaux sont datés 
de 1533. La plaque du Louvre (D. 248), reproduisant en 
grisaille Psyché emportée par Zéphyr, d’après une compo- 
sition de Raphaël gravée par « le maître au dé », est de 
1535. Plus tard, sous l’influence de l’école de Fontainebleau, 
il élargit sa manière et commença à exécuter des œuvres 
plus importantes et plus franchement décoratives que celles 
qui avaient été faites jusqu'alors en émail. Cest ainsi 
qu’en 1545, dans la pleine maturité de son talent, il reçut 
de François Ier la commande de douze plaques d’émail 
représentant les apôtres, dont les cartons lui furent fournis 
par Michel Rochetel, ainsi qu’il résulte des comptes des bü- 
timents royaux pour l’année 1545": « À Michel Rochetel, 
paintre, pour avoir par luy fait douze tableaux de painture 
de couleurs sur pappier, chacun de deux pieds et demy, et en 
chacun d’iceux paint la figure de l’un des apostres, qui sont 
les douze apostres de Nostre-Seisneur, et une bordure, aussi 
de painture, au pourtour de chacun tableau, pour servir 
de patrons à l’esmailleur de Lymoges, esmailleur pour le 
roy, pour faire sur iceux douze tableaux d’esmail. » Ter- 
minés en 1547, après la mort de Francois Ier, ces émaux 
furent envoyés au château d’Anet, que construisait alors 
Philibert Delorme, et y furent employés à la décoration de 
la chapelle : ils y restèrent jusqu’en 1797, époque à laquelle 
ils en furent enlevés pour être donnés au département 
d’Eure-et-Loir, dont l’administration les attribua, en 1802, 
à l’église Saint-Père de Chartres, où ils ornent aujourd’hui 
la chapelle absidale. Ces douze tableaux sont exécutés en 
émaux de couleur sur fond blanc et composés d’un ensemble 
de plaques formant une disposition absolument semblable 
à celles du Louvre (D. 341 et D. 350) qui représentent saint 


! Cités par pe Laporne, Notice des émaux du Louvre, p. 170. 


178 L'ÉMAILLERIE 


Thomas sous les traits de Francois Ier, et saint Paul sous 
ceux de Pamiral Chabot; les plaques du milieu, celles 
sur lesquelles sont peints les apôtres, ont 0,61 de hau- 
teur sur 0,27 de largeur. 

Nommé, en 1548, valet de chambre et émailleur du roi, 
Léonard fut chargé d'exécuter en émail le retable de la 
Sainte-Chapelle, dont les deux tableaux votifs, formés cha- 
eun par un assemblage de vingt-trois plaques d'émail réu- 
nies dans une monture en bois, sont aujourd’hui au musée 
du Louvre (D. 282 et D. 305). Ces beaux émaux, dans la 
facture desquels il a su employer, avec une adresse merveil- 
leuse et une habileté qui dénote un praticien consommé. 
tous les procédés de l’émaillerie sur cuivre, ont été exécutés 
en grande partie d’après les dessins de Nicolo dell Abbate, 
qui travaillait alors à Fontainebleau. Chacun des tableaux est 
composé d’une plaque ovale, entourée d’une bordure annu- 
laire formée de huit pièces et cantonnée de quatre plaques 
circulaires posées sur les diagonales : les champs restés 
libres entre ces plaques et l'encadrement général rectangu- 
laire sont remplis par dix autres plaques de formes irrégu- 
lières; dans le premier, la plaque centrale, qui représente 
la Crucifixion, est signée dans un cartel: LÉONARD. LIMOSIN. 
ESMAILLEUR.. ET.PEINCTRE.ORDINAYRE. DE. LA.CHANBRE. DV. ROY. 
M.F. 4953. Des quatre plaques circulaires, les deux supé- 
rieures reproduisent le Portement de la croix et la Mise au 
tombeau, et les deux du bas, les portraits agenouillés de 
Francois Ler et de la reine Éléonore; sur les plaques inter- 
médiaires sont quatre anges portant les instruments de la 


Passion !: les autres petites plaques représentent des écus- 


1 M. Emile Galichon possédait dans sa belle collection de dessins, vendue il 
y a quelques années, les dessins de Nicolo dell Abbate qui avaient servi à l'exé- 
culion de ces quatre anges: ces dessins étaient piqués sur leur contour de 


facon à former un poncis. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI° SIÈCLE 479 


sons, des chiffres royaux, des salamandres, des génies, etc. 
en camaïeu d'or sur fond bleu. Le sujet de la plaque 
centrale du second tableau est la Résurrection, et les 





Fig. 101. — Anne de Montmorency, Connétable de France 


Émail de Léonard Limosin. 


( Musée du Louvre D 330.) 


portraits des plaques circulaires, ceux du roi Henri IT et de 
Catherine de Médicis, disposés absolument comme dans le 
tableau précédent, ainsi que les autres motifs. 

Les portraits peints sur ces deux tableaux sont dune 


480 L'ÉMAILLERIE 


exécution extrêmement remarquable; c'est, du reste, dans la 
peinture de portraits que brille principalement le talent de 
Léonard Limosin, et c'est là surtout qu'il a su le mieux 
employer toutes les ressources de son art. Le musée de 
Cluny possède de lui le portrait d'Éléonore d'Autriche, sœur 
ainée de Charles-Quint et seconde femme de François Ier, 
qui porte la date de 1536, et qui est certainement un des 
premiers portraits en ce genre que Léonard à dû exécuter, 
un des premiers essais de cette peinture en couleurs vi- 
trifiables sur émail blanc, retouchée au pomtilé ou au 
moyen de hachures, qui devait entre ses mains produire 
tant d'œuvres remarquables. | 

Malheureusement, de tous les portraits que notre habile 
émailleur exécuta ainsi pendant plus de trente années, et 
qui auraient formé la plus splendide galerie historique 
qui ait Jamais existé, la plupart ont été détruits ou sont 
passés à l'étranger et surtout en Angleterre’. Le Louvre ce- 
pendant en a conservé quelques-uns parmi les plus beaux, 
entre autres ceux de François de Lorraine, duc de Guise 
(daté de 1557), du roi François IT, et surtout du conné- 
table Anne de Montmorency * (fig. 101), signé L. L. 1556. 
Ce beau portrait, peint sur une plaque ovale de 0,45 
de hauteur, est monté dans un cadre de bois doré et 
sculpté, en forme de cartouche et divisé en comparti- 
ments qui renferment huit plaques d’émail, dont deux, 
représentant des satyres, homme et femme, sont exécutées 
en grisaille d’après des compositions du Rosso; les quatre 
plaques des angles portent, également en grisaille sur 


fond noir décoré de grotesques d’or, une main sortant des 


! A la seule exposition de 1862, au musée de South Kensington, on ne comp- 
tait pas moins de trente-lrois portraits exécutés par Léonard Limosin. 

? Le dessin au crayon d’après lequel Léonard a peint ce beau portrait 
appartient au musée de Limoges. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 481 


nuages et tenant une épée élevée qu'entoure une banderole 
avec le mot APLANOS, devise du connétable; la tête d’en- 
fant et la tête de Méduse, appliquées l’une dans le haut, 





Fig. 102. — Françoise d'Orléans, princesse de Condé. 


Émail de Léonard Limosin. 


(Musée du Louvre, D. 363. 


l'autre dans le bas du cadre, sont très fortement relevées 
en bosse et peintes en couleur. 

Léonard semble avoir travaillé jusqu’à la fin de sa vie; 
mais ses dernières œuvres sont très loin de valoir celles qui 


avaient fait sa réputation, et il en est quelques-unes sur 
21 


482 L'ÉMAILLERIE 


lesquelles on regrette de voir sa signature. Ses derniers por- 
traits cependant sont assez intéressants, surtout au point 
de vue de l'histoire de l’art, en ce qu'ils exagèrent un peu 
sa manière tout en conservant dans certains détails cette 
prodigieuse habileté de métier qu'aucun émailleur n’a pos- 
sédée après lui; c’est à ce titre que nous reproduisons 1e le 
curieux portrait de Françoise d'Orléans, dans lequel se 
trouvent réunis tous les procédés employés par Léonard: 
les émaux translucides sur métal et sur paillons, la grisaille, 
les rehauts d’or et les colorations peintes. 

Outre ses portraits et ses plaques décoratives, Léonard 
Limosin a exécuté des pièces d’orfèvrerie émaillée, c’est-à- 
dire des plats, des coupes, des aiguières, etc., dont quelques- 
unes, actuellement en Angleterre, sont citées comme des 
æuvres de premier ordre; 1l s’essaya également dans la pein- 
ture à l'huile et la gravure. Le musée de Limoges possède 
de lui un tableau provenant d’une paroisse de cette ville, 
Saint-Pierre-du-Quevroix; il représente l’Incrédulité de 
saint Thomas, et porte la signature LEONARD . LIMOSIN . ES- 
MAILLEUR . PEINCTRE . VALET . DE . CHAMBRE. DU . ROY . 1951, 
inscrit sur un livre tenu par un apôtre, sous les traits 
duquel on suppose que lartiste s’est représenté. Ce tableau, 
dans lequel les personnages, d’un style assez maniéré, sont 
de grandeur naturelle, indique une main très habile, quoi- 
qu'il soit de cette touche un peu mince que l'on remarque 
dans les tableaux de lécole française à cette époque. Quant à 
ses gravures, assez médiocres du reste, nous n’en Connais- 
sons que quatre, ayant fait partie d’une suite représentant 
les scènes de la Passion; elles sont datées de 1544. On trouve 
souvent le nom de Léonard Limosin dans les Comptes de 
l’argenterie des rois de France; en 1559 il figure, en qualité 


1 Cf. Darcer, 0p. cût., p. 135. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 483 


« d’émailleur et peintre du feu roi (Henri Il) », pour une 
allocation de « sept aulnes et demye de drap! », et il est 
porté sur « lEstat des officiers domestiques du Roy pour 
l'année commencée le 1er juillet 1559 et finye le 31 dé- 
cembre 1560 » comme ayant touché une somme de 80 livres. 

Léonard eut deux frères, dont un, MARTIN LIMOsIN, mort 
vers 1571, a travaillé avec lui; on suppose qu'il était chargé, 
dans l'atelier commun, de l’exécution matérielle des émaux 
que Léonard peignait, car on ne connaît aucune œuvre 
signée de son nom, bien qu'il soit cité avec la qualification 
d’émailleur dans les actes où lui et son frère interviennent. 

Parmi les autres membres de cette famille qui ont exercé 
la même profession, nous trouvons JEAN LIMOSIN, qui était 
probablement un des neveux de Léonard; il dut naître 
vers 1561, et il vivait encore en 1646. Le plus ancien émail 
de lui que l’on connaisse est le portrait de Bardon de Brun, 
avocat, fondateur, à Limoges, de la confrérie des pénitents, 
puis prêtre; cet émail est signé /. L. et daté de 1597. Le 
Louvre possède de lui plusieurs émaux portant son nom en 
toutes lettres : IEHAN LIMOSIN, et il signait ainsi, mais avec 
la mention : ESMAILLEVR . DU . ROY, une girouette émaillée 
qu'il exécutait, en 1619, pour l’église de Solignac. « Bien 
qu'il ait persévéré dans la pratique des grisailles préparées 
par enlevage, dit M. Darcel, il modèle les figures de ses 
compositions au moyen de fines hachures en bistre rouge, 
senlevant sur un fond bleu légèrement opaque; mais il 
sacrifie surtout au goût de son temps pour les émaux 
éclatants, pour les rehauts d’or. » 

Nous citerons enfin LÉONARD IT LIMOsiN, qui signait aussi 
L. Limosin ou L. L., mais dont les émaux, excessivement 
rares du reste, et exécutés sur paillon dans le style du 


! A l’occasion des obsèques du roi. — Cf. DE LABoRDE, 0p. cil., p.176. 


484 L'ÉMAILLERIE 


xvire siècle, ne peuvent être confondus avec ceux du chefde 
la famille, et FRANÇoIS LimosiN, mort vers 1646, qui paraît 
avoir été associé avec le précédent et qui a surtout exécuté, 
d'après les compositions d’Étienne de Laulne et de Virgilius 
Solis, des émaux en grisaille un peu foncée, modelés au 
moyen de fines hachures, et qu'il signait F. L. On ne sait 
rien sur le degré exact de parenté qui unissait ce dernier à 
Léonard Limosin; il est à présumer cependant que c'était 
son arrière-neveu, puisque des actes datés de 1588 et 
de 1600 le montrent comme étant propriétaire de maisons 
ayant appartenu autrefois à Léonard. Le Louvre possède une 
salière qui porte le nom de JosEPH LIMOSIN, émailleur peu 
connu, mais qui devait être également un arrière-petit-neveu 
de Léonard, puisque, en 1666, il figure comme héritier des 
biens qui avaient été autrefois la propriété de celui-ci. « Ses 
figures, longues de formes, un peu exagérées, sont modelées 
par hachures et bistre roux. Il emploie volontiers le paillon 
sous le vêtement et abuse quelque peu de rehauts d’or !. » 


LES NOUAILHER 


On compte au moins cinq émailleurs de ce nom apparte- 
nant à la même famille, mais dont les degrés de parenté 
sont à peu près impossibles à établir : un seul, du reste, 
CoLiN ou CouLy NOUAILHER ?, mérite que l’on s’occupe de lui. 
Il vivait encore en 1588; toutefois la période pendant laquelle 
il a signé ses émaux ne s'étend que de 1539 à 1545. C'était 
un émailleur habile, mais un artiste assez médiocre; son 
dessin est lourd et maladroit. Le Louvre possède de lui une 
plaque rectangulaire représentant la Lignée [de] Madame 


! DARCEL, 0p. cûl., p. 186. 
2 Ce nom s'écrit aussi quelquefois NoyuiEr; Colin ou Couly sont le diminutif 


de Nicolas. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI° SIÈCLE 485 


sainte Anne, signée C.N. 1545, préparée en grisaille et re- 
couverte d’émaux de couleurs d’un aspect vitreux, par suite 
de l’excès de fondant qu'ils contiennent, et dont les figures, 
les têtes surtout, sont accentuées par un trait noir assez 
épais. La plupart de ses œuvres portent des inscriptions, 
françaises ou latines, remarquables par leur incorrection. 

Voici, dans leur ordre chronologique, quels sont les autres 
membres de la famille Nouaïlher. 


Pierre Î NOUAILHER (fin du xvie et commencement du 
xvire siècle), dont les œuvres en grisaille et les émaux de 
couleurs se ressentent encore des traditions de l’école du 
xvie siècle; son dessin est assez élégant; il procède par 
enlevage, mais commence cependant à retoucher ses émaux 
au moyen d’un trait de bistre noir appliqué par-dessus; il 
signe P.N. 


JACQUES NOUAILHER, fils du précédent, né vers 1605, 
mort en 1674', s’est surtout livré à la fabrication des 
pièces de service émaillées, aiguières, tasses ou chandeliers. 
Un émail de lui est signé : Füuict à Limoges, par Jacques 


Noalher, rue Magninie. 


PIERRE IT NOUAILHER, né en 1665, mort en 1717, appar- 
tient à l’époque de la décadence. Il signait ses émaux en 
noir, au revers : P. NOUAILHER, émailleur à Limoges. 


JEAN - BAPTISTE NOUAILHER : deux émailleurs, le père et 
le fils, ont porté ce nom; le premier, né en 1699, mourut 
en 1775; le second, mort en 1804, peut être regardé comme 
le dernier représentant de l’art de l’émaillerie à Limoges : 


1 Nous empruntons ces dates au Dictionnaire des émailleurs, de M. Emire 
MoLiNIER. 


186 L'ÉMAILLERIE 


l’un et l’autre, du reste, n'avaient aucun talent, et « leurs 
émaux ne sont guère que des images de piété colo- 
riées ». Ils ont signé tantôt de simples initiales Z. B. N,, 
tantôt en toutes lettres : Bas” Nouailher, emalieur, à Li- 
moges. 


LES REYMOND 


Le chef de la famille d’émailleurs de ce nom, PIERRE 
REYMOND, naquit, comme Léonard Limosin, dans les pre- 
mières années du xvie siècle; on sait qu'il se maria en 1530, 
qu'il reçut les honneurs du consulat deux fois, en 1560 et 
en 1567, et qu'il dut mourir en 1584; mais là s'arrêtent les 
documents biographiques que l’on possède sur son compte. 
Il fut le plus fécond sinon le plus habile des artistes de 
Limoges, et il semble que pendant une période d'au 
moins cinquante ans il ait pris à tâche de multiplier ses 
produits, S’attachant plutôt à la quantité qu'à la qualité des 
pièces qui sortaient de ses ateliers; bon ou mauvais, il 
signait tout, tantôt simplement de ses initiales P. R., tantôt 
en toutes lettres : P. RAYMo, REXMOND, REMON, REXMAN, et 
même, parait -il, REXMANN:; il est à présumer qu'il n’em- 
ployait cette dernière forme de signature que sur les 
pièces qu’il fabriquait en grand nombre pour PAllemagne, 
et notamment pour les grandes familles d’Augsbourg et 
de Nuremberg, dont 1l recevait directement les com- 
mandes'. Pendant longtemps même l'Allemagne la reven- 
diqué comme un de ses enfants; mais Maurice Ardant à 
fait bonne justice de cette prétention, en prouvant l'origine 


l Le Musce national de Munich possède plusieurs émaux de Pierre Rey- 
mond portant les armoiries de la célèbre famille des de Tucher, de Nuremberg ; 
on trouve également de lui des pièces armoriées dans les collections royales 
de Munich et de Dresde, ainsi qu'à Berlin et à Gotha. 


L'ÉMAILLERIE AU XV[E SIÈCLE 487 


essentiellement limousine de la famille de Pierre Reymond, 
dont plusieurs membres furent consuls de la ville de Limoges 
au xive et au xve siècle. 

Comme presque tous les émailleurs de son temps, Pierre 





Fig. 103. — Revers d’un plat en grisaille. 


Émail de Pierre Reymond. 


( Musée du Louvre, D. 471.) 


Reymond empruntait un peu partout les sujets qu'il repro- 
duisait: aux maîtres allemands aussi bien qu'aux peintres 
italiens ; il a copié également beaucoup des gravures sur bois 
qui illustraient les Bibles et les divers ouvrages publiés 
alors à Lyon et à Paris, en en conservant les hachures 
(voir plus haut fig. 97) et un peu aussi la sécheresse des 
traits; ses personnages ont souvent de la raideur, mais les 
ornements dont il savait enrichir les bords et les dessous 
des plats (fig. 103) et des assiettes, ainsi que l’intérieur et le 


188 L'ÉMAILLERIE 


pied des coupes qu'il exécutait, étaient traités avec une 
grande finesse d'interprétation, un goût exquis et une élé- 
gance parfaite. Théodore de Brv, Étienne de Laulne, Vigilius 
Solis et Holbein sont les maitres dont il aimait à repro- 
duire les compositions décoratives et les fantaisies orne- 
mentales. 





Fig. 104. — Frises de grotesques décorant un plat en grisaille de Pierre Reymond. 


(Musée du Louvre, D. 492.) 


Il est difficile de décrire ces frises de grotesques qui 
décorent les marlis des plats de Pierre Reymond (fig. 104), 
ces suites de petits satyres à têtes de singes, de boucs ou 
de chiens, ces escargots chevauchant des éléphants sur 
la trompe desquels se posent des oiseaux, ces dragons 
ailés, et toutes ces fantaisies d’une originalité bizarre qui 
s'accordent peu, il faut en convenir, avec les sujets bi- 
bliques qu'ils accompagnent et encadrent presque toujours. 
Mais les émailleurs de Limoges et Pierre Reymond en par- 
ticulier n’y regardaient pas de si près, et il n’est pas rare 
de rencontrer dans leurs œuvres des pièces réunissant des 


L'ÉMAILLERIE AU XV[/ SIÈCLE 189 


sujets empruntés aux textes sacrés et aux mythes du paga- 
nisme. 

Presque toujours les fonds des émaux de Pierre Reymond 
sont ornés de légères brindilles d’or, de même que les bor- 
dures sont décorées d’un ornement courant d’arabesques 
dont MD) 

Il semble avoir été le premier qui ait appliqué l’'émaillerie 
aux objets usuels : chandeliers, salières, plats, assiettes, etc., 
qui allaient orner la table et les dressoirs des grands per- 
sonnages en France et à l'étranger. Le musée du Louvre ne 
possède pas moins de cinquante-cinq émaux de cet artiste 
fécond, qui, malgré le nombre considérable des pièces qu'il 





Fig. 105. — Bordure d’ornements en or sur fond noir. 


Émail de Pierre Reymond. 


a produites, trouvait encore le temps de dessiner des mo- 
dèles pour des vitraux et des pièces d’orfèvrerie, ou d’enlu- 
miner de frontispices en miniature et de lettres ornées les 
registres des confréries de Limoges. 

Pierre Reymond a peint surtout en grisaille rehaussée de 
glacis saumonés sur les têtes et les nus; son dessin a tou- 
jours un peu de raideur et de sécheresse, augmentée en- 
core par abus des hachures et des traits enlevés sur le 
fond; ses émaux colorés sont excessivement rares, mais 
il existe de lui un certain nombre de pièces peintes en 
camaïeu bleu. 

Les autres émailleurs de cette famille sont peu connus. 
Cependant les deux frères, JEAN et JosepH REYMOND, qui 
tous les deux ont signé LR, ont produit quelques œuvres 


190 L'ÉMAILLERIE 


remarquables à la fin du xvie siècle et tout à fait au com- 
mencement du xvie. De MARTIAL REYMOND, mort en 1599 
et qui a peu produit, on connait des émaux très colorés 
qui se rapprochent de la manière de Jean et de Suzanne de 
Court, dont nous parlerons plus loin; il signait M. REYMoND 


ou simplement A7. R. 


M’ D-:PAPE 


Bien que plusieurs émaux, un au Louvre entre autres 
(D. 496 is), portent la signature M. PAPE en toutes lettres, on 
ne sait absolument rien sur cet artiste que M. Darcel range 
parmi les émailleurs anonymes du milieu du xvre siècle, en 
attribuant à la même main les œuvres signées ainsi et celles 
qui portent les monogrammes M D., MM. P.P., M. D.I. et 
le nom M.D. PAPE, qui pourrait bien n'être qu'un sur- 
nom. Quoi qu'il en soit, cet émailleur était un artiste de 
talent. « M. D. Pape, dit M. Darcel, nous semble appartenir 
à la génération des Léonard Limosin, des Jean Pénicaud IT 
et IT et des Pierre Reymond. Il procède des deux derniers 
surtout : de. P. Reymond par le style du dessin et par les 
procédés d'exécution, abusant parfois comme lui des pré- 
parations par enlevage, qui donnent un ton dur aux émaux; 
de Pénicaud par la puissance du relief, l'opposition des 
blancs éclatants aux noirs absolus, et l’adoucissement des 
travaux préparatoires par de légers frottis d’émail blanc. 
En tout cas son dessin est d’un grand style; ses grisailles, 
qu'il glace rarement de couleurs, sont d’un ton puissant, 
remarquables par l'intensité des noirs. Quelque chose de 
sinistre enfin se remarque dans ses physionomies par la 
façon dont 1l éclaire le blanc des veux. » Le Louvre possède 
de cet artiste inconnu plusieurs émaux, dont un coffret, 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 491 


orné de cinq plaques d’émail d’une exécution remarquable, 
représentant l'Histoire de Psyché, d’après les compositions 
de Raphaël, gravées par le « maitre au dé ». 


LES COURTEYS ou COURTOYS 


Cette famille est surtout connue par deux émailleurs qui 
vivaient dans la dernière moitié du xvie siècle, et dans les- 
quels certains auteurs ont voulu voir également les peintres- 
verriers du même nom qui, à cette époque, ont orné de 
vitraux l’église de la Ferté - Bernard; cette supposition, qui 
ne reposait que sur une similitude de noms, est aujourd’hui 
écartée. 

Le plus célèbre émailleur de cette famille est PIERRE 
COURTEYS, qui signait quelquefois P.C. ou P.C.T. et quel- 
quefois de son nom entier, avec une orthographe variable, 
P. CorTEys, COURTEYS, CoRToys où COURTOYS ; on ignore la 
date de sa naissance; mais, comme on connaît de lui un 
émail daté de 1545, on peut supposer qu'il naquit vers 1520. 
Sa manière rappelle celle de Pierre Reymond, avec plus de 
lourdeur dans le dessin et l'exécution. C’est à lui que lon 
doit les grands émaux décoratifs de 1m65 de haut sur 1m 
de largeur environ, incrustés autrefois dans la façade du 
château de Madrid, au bois de Boulogne, et conservés au- 
jourd’hui au musée de Cluny (n* 4580 -4588). Ces émaux 
ovales, qui représentent des divinités de l’Olympe et des 
figures allégoriques ', sont formés de quatre plaques de 
cuivre dont la réunion est dissimulée sous les bracelets, 
les ceintures et les détails des vêtements. Les figures sont 


1 Elles sont au nombre de neuf, représentant Saturne, Jupiter, Mars, Her- 
cule, Mercure, la Justice, la Prudence, la Charité et le Soleil. Ce sont les 


plus grands émaux sur cuivre connus. 


492 L'ÉMAILLERIE 


repoussées en reliefau marteau et dessinées avec une grande 
exagération de formes ; les carnations sont entièrement sau- 
monées, et le modelé est obtenu au moyen de larges ha- 
chures de bistre sur fond blanc glacé d’émaux d’une colora- 
tion un peu brutale : ces exagérations de dessin et de cou- 
leur qui nous choquent aujourd’hui dans la salle, où ces 
plaques sont exposées trop près de la vue, devaient dispa- 
raître dans l'effet d'ensemble et s’harmoniser avec la dé- 
coration polychrome des façades de ce château, que les 
contemporains appelaient le château de faience. 

Comme Pierre Reymond, Pierre Courteys à exécuté un 
grand nombre de pièces de service et de coupes. La dernière 
date que l’on rencontre sur ses émaux est celle de 1568. 

Le monogramme J.C. qui se trouve sur plusieurs émaux 
a été attribué à un émailleur du nom de JEAN COURTEYS, 
qui vivait à Limoges en 1545, et qui était sans doute parent 
de Pierre; mais la plus grande incertitude règne à ce sujet, 
cette marque pouvant également être celle de Jean Court 
ou de Court. 


LES COURT ou DE COURT 


La difficulté d'établir avec quelque certitude les degrés de 
parenté qui existaient entre les membres de la plupart des 
familles d’'émailleurs que nous avons citées jusqu'ici, s’ac- 
centue davantage dans la famille des Court ou de Court; on 
a confondu pendant longtemps, et l’on confond encore au- 
Jourd’hui les œuvres des émailleurs Jehan Courteys, Jehan 
Court, dit Vigier, et Jehan de Court, auxquels on peut attri- 
buer la marque Z GC. que portent plusieurs émaux; ce sont 
cependant trois artistes parfaitement distincts les uns des 
autres, ainsi que le prouvent les vers suivants du poète li- 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 493 


mousin Jacques Blanchon, qui les nomme en toutes lettres 
dans une ode datée de 1583: 


Tayseray-je soubz silence 
La surartiste excellence 

De l’estimable de Court 
Que tout l’univers appelle 
L’admirable esprit d’Apelle, 
Veu en la royale court. 


Ne reluyra la patrie 

De la sçavante industrie 

De mille autres bons esprits, 
D'un Vigier pour l’esmailheure 
Et de la science meilheure 

D'un Corteys des mieux appris ‘. 


Nous devons donc nous borner à répéter ce que l’on sait 
sur le compte de chacun d’eux, en prenant comme types de 
leur manière celles de leurs œuvres, qui portent leurs 
signatures en toutes lettres. 

Le premier est JEHAN CouRT, dit VIGIER, fils de Jehan 
Court, cité, lui aussi, avec le surnom de Vigier *, ortèvre à 
Limoges, mort en 1541. Par suite de cette similitude de 
nom entre le père et le fils, il est assez difficile d'établir la 
date de la naissance de ce dernier, mais on pense qu'il 
mourut vers 1583. Les archives de la Haute-Vienne con- 
servent trois plans datés de 1563 et 1564, dressés et colo- 
riés par lui, et dont l’un porte la mention : Figure faicte 
par moy, Jean Court, dit Vigier, maistre peintre de la ville 
de Limoges; ce qui laisserait supposer que l’émaillerie 


1 MaurICE ARDaNT, les Courteys, Court et de Court, p. 37. 
? Les Vigiers étaient des magistrats d'un degré inférieur à celui des 
consuls. 


494 L'ÉMAILLERIE 


n'était pas sa profession ordinaire; ce qui est certain, en 
tout cas, c’est que ses émaux sont très rares, et que tous 
ceux qui portent sa signature sont datés seulement des 
années 1556 à 1558 (fig. 106). Ses œuvres cependant dé- 
notent un artiste de grand talent et un praticien habile: 
son dessin est ferme et élégant, sa couleur harmonieuse 
dans les grisailles, dont les chairs sont relevées d’une légère 
teinte saumonée, son émail admirablement glacé. La col- 
lection Portalès possédait de lui une charmante coupe 
dont le fond représentait le Festin des dieux, d’après 
Raphaël, et dont le couvercle portait les armes d'Écosse , 
surmontées de la couronne du dauphin de France; cette 
pièce, une des plus remarquables de Pémaillerie française ", 
avait dû évidemment être faite pour Marie Stuart, alors 
qu’elle était fiancée au dauphin, depuis François IT, qu'elle 
épousa en 1558. Une autre très belle coupe couverte, repré- 
sentant la Défaite des Égyptiens et les Hébreux ramassant 
la manne dans le désert, ayant appartenu à la collection 
Jones, aujourd’hui au musée de South Kensington, est signée 
I. Covrt, dit Vigier ma faict. Le Louvre n’a de cet artiste 
que deux assiettes ayant fait partie d’une série des mois”; 
lune d'elles porte les lettres Z.C. D. V. 

On a supposé que « l’estimable de Court », dont parle 
Blanchon dans les vers que nous avons cités plus haut, et 
qui brillait « en la royale court », devait être le même que 
JEHAN DE COURT, lémailleur dont le Louvre possède une 
plaque (D. 591) représentant Minerve et signée ZDC ; la 
chose paraît peu probable. Il y eut bien, en effet, un artiste 


{ A la vente de la coilection Portalès, en 1865, celte pelite coupe, haute 
de 0m17 seulement, a été vendue 28,455 francs. 

2 On trouve très fréquemment dans l’œuvre des émailleurs de Limoges des 
séries de ces assiettes des mois, dont les revers sont décorés de riches orne- 
ments également en émail sur un fond rehaussé d'arabesques d’or. 


L'ÉMAILLERIE AU XV[I SIÈCLE 495 


de ce nom qui, en 1572, succéda à Francois Clouet dans 
l'office de peintre du roi, et cet artiste devait être de Li- 
moges, puisque Blanchon le dit, mais ce devait être aussi, 
bien évidemment, un homme de talent ', et notre émailleur, 
quoique très versé dans la pratique de son métier, ne 
semble pas avoir été autre chose qu'un dessinateur très 
médiocre et un peintre plus médiocre encore, à en juger 





Fig. 106. — Ombilic d’un plat de Jehan Court, dit Vigier. 


(Coll. de M. Spitzer.) 


par l'abus qu’il fait des paillons colorés, d’un ton éclatant 
et toujours un peu criard. Il existe cependant de lui un por- 
trait de Marguerite de France, fille de François Ier, signé 
JEHAN DE COVRT MA FAICT 1555, assez bon comme fac- 
ture et qui se ressent de l’influence de Léonard Limosin, 
dont Jehan de Court aurait été l’élève; mais ce portrait, qui 
serait alors de sa première manière, si on le compare aux 
autres émaux exécutés postérieurement, prouverait que 
l'artiste n'avait fait aucun progrès, loin de là, et que ce 
n’est pas lui, mais probablement un membre de sa famille, 
portant le même nom, qui aurait été jugé digne de succéder 
à Clouet. 

Cet emploi du paillon coloré se retrouve à un plus haut 


1 Cf. DE LaBoRDE, la Renaissance des arts à la cour de France, t. Ter, 
p. 231 à 317. 


196 L'ÉMAILLERIE 


degré encore dans les émaux de la femme artiste, qui si- 
gnait tantôt SUZANNE COURT et tantôt SUZANNE DE COURT. 
Les recherches faites sur son compte par Maurice Ardant ‘ 
sont restées infructueuses; on sait seulement qu'en 1600 
elle habitait le faubourg Boucherie à Limoges. M. Darcel la 
croit élève de l’émailleur qui signait Z.C., tant leurs émaux 
montrent de ressemblance entre eux. « Ce sont, dit-1l, les 
mêmes sujets, d'après les maîtres ronflants de la décadence, 
exprimés avec le même dessin mou et exagéré tout en- 
semble; ce sont les mêmes profils aigus, le même abus des 
paillons que recouvrent des émaux éclatants indiscrètement 
rehaussés d’or. » Le Louvre possède plusieurs émaux de 
Suzanne de Court (D. 592 à D. 596), entre autres une 
aiguière représentant le Triomphe de Flore, d’après une 
composition de Virgilius Solis, et deux plats ovales. 


LES LAUDIN 


NoEL I LAUDIN, né en 1586 et mort en 1681, est le chef 
de cette famille d’émailleurs qui appartiennent à l’époque 
de la décadence, et dont les œuvres, à quelques exceptions 
près, m'offrent rien de bien artistique, et surtout rien 
de bien intéressant, quoiqu’elles soient fort nombreuses. 

L'abbé Texier ? cite de lui des cartons conservés dans la 
cathédrale de Limoges, comme étant assez remarquables, 
et Labarte (op. cit.) mentionne plusieurs émaux d'un bon 
dessin et d’une exécution parfaite, à côté « d'objets de paco- 
tille qui feraient croire que, tout en peignant lui-même des 
œuvres de choix, Noël Laudin avait un atelier où des 


! Les Courteys, Court et de Court. 
? Dictionnaire d’orfèvrerie (t. XXVIT de l'Encyclopédie thcologique ). 
Paris, 1856. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 497 


ouvriers fabriquaient à la douzaine des ustensiles domes- 
tiques. » [l'est à présumer que ces « objets de pacotille » 
n'étaient pas de Noël T, auquel on ne peut attribuer que 
très peu d’émaux en grisaille d’un aspect un peu froid et 
des émaux colorés sur fond noir, mais de son fils Nicolas 
ou de son petit-fils Noël IT Laudin, qui, lorsqu'ils ne si- 
gnaient pas en toutes lettres, employaient le monogramme 
N.L., ce qui a amené forcément une assez grande confusion. 

Il eut deux fils : Jacques I LaupiN (1627 + 1695), qui 
peignait également en grisaille, et auquel on doit, entre 
autres, de nombreuses séries de médaillons représentant 
les douze Gésars, dont on trouve des exemplaires dans 
beaucoup de collections ; il signait : Laudin, émailleur à 
Limoges, ou I.L.; et Nicoras I LaAuDIN (1698 +13 avril 1698), 
qui a exécuté surtout des émaux en couleur, signés N. Lau- 
din, émaillieur pres les iesuites à Limoges, ou N. Laudin, à 
Limoges, ou simplement NL accolés. 

Nicolas I Laudin eut trois enfants, tous les trois émail- 
leurs : VALÉRIE LAUDIN (+ 1682), dont on ne connaît aucun 
émail signé, et qui travaillait probablement avec un de 
ses frères; NoëL Il LauDniN (1657 + 1727), praticien d’une 
habileté consommée, qui enseigna, dit-on, au due d’Or- 
léans, plus tard régent, les procédés de la peinture en 
émail; ses productions sont innombrables ; il émaillait tout, 
les tasses et les sucriers, les râpes à tabac, les bourses, 
les cuillers, les vases d'église, les burettes et les béni- 
tiers, etc. etc.; il signait : N Laudin l’aisné, N Laudin 
laine .emailleur au faubourg Boucherie.à Limoges, ou 
simplement aussi NL accolés; et Jacques Il LAUDIN 
(1663 + 1729), qui a peint des grisailles et des émaux de 
couleur sur fond blanc ou noir; ses signatures sont : I. L,, 
I. Laudin emaillieur à Limoges 1693, ou Laudin aux 


fauxbourgs de Manigne a Limoges. 
32 


498 L'ÉMAILLERIE 


Il y a encore NicoLas IT, NicoLas IIT, mort en 1737, et 
peut-être NoEL IT LAUDIN; mais on ne sait rien sur leur 
compte, et, du reste, à en juger par un émail portant la 
signature N. Laudin. 1730, ils ne méritent guère qu'une 
simple mention. 


Un des procédés employés habituellement par les Laudin 
consistait à décorer les fonds au moyen de fins rinceaux 
d’émail blanc en relief terminés par des gouttelettes en 
épaisseur et contre-dessinés de filets d’or au pinceau 
(fig. 107); ils se servaient souvent aussi pour leurs sujets 
décoratifs de quelques-uns des motifs usités autrefois par 
leurs devanciers, donnant un exemple qui à été suivi, dans 
ces derniers temps, par les nombreux fabricants de faux 
émaux de Limoges. C'est ainsi que, dans la petite boite 
d'horloge que représente notre gravure, les plaques de côté 
reproduisent, d’une façon très incorrecte d’ailleurs, les 
deux figures du Rosso dont Léonard Limosin s'était servi 
pour les émaux qui entourent le beau portrait du conné- 


table de Montmorency que nous avons donné plus haut 
(fig. 101). 


Nous citerons encore parmi les émailleurs sur lesquels 
les renseignements font défaut : 


H. Poxcer, que M. Darcel croit avoir été élève de Jean 
Court, dit Vigier, et qui aurait exécuté un assez grand 
nombre d’émaux représentant saint Ignace de Loyola et 
saint François Xavier; ces portraits, signés H PoxcEr 
ou HP F (VH et le P accolés), sont postérieurs à l’an- 
née 1622, date de la canonisation de saint Ignace. 


Les PoizLevÉé; plusieurs émailleurs de Limoges ont porté 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 499 
ce nom : JEAN POILLEVÉ, orfèvre et émailleur qui exécuta, 
en 1555, un calice conservé aujourd’hui à l'hôpital de 
Limoges, et dont la signature I. P peut être confondue avec 





























































































































































































































































































































































































































































































































Fig. 107, — Boîte d'horloge, — Email limousin, 


Période d'imitation, 


celles de Pénicaud ; FRANÇOIS PoILLEVÉ, qui signait FP. et 
qui vivait encore en 1636, et enfin Jean- Baptiste Poillevé, 
qui a signé en toutes lettres, avec la date de 1694, un Christ 
en croix qui est au musée de. Limoges ‘. 


1 E. Mounier, Dictionnaire des émailleurs. 


500 L'ÉMAILLERIE 


Les Mourer, dont plusieurs ont été orfèvres -émailleurs 
au xvie siècle et au xvire siècle. On ne connaît des Mouret 
aucune œuvre signée; mais l’un d’entre eux, DOMINIQUE, 
qui vivait au xvie siècle, a laissé un recueil manuscrit 
contenant plusieurs recettes précieuses pour la fabrication 


des émaux ‘. 


BARTHÉLEMY TEXIER, dit PÉNICAILLE, qui vivait au 
xvie siècle; le musée de Poitiers possède de lui un 
émail représentant le massacre des Innocents, dont lexé- 
cution se rapproche de la manière de Jean II Péni- 


caud. 
JEAN FLEUREL, qui a signé un émail daté de 1570. 


F.P. MimBiezce, dont la collection Didier-Petit pos- 
sédait un émail représentant saint François d'Assise, 
signé {°.P. Mimbielle, 158%. 


Les archives de Limoges contiennent lindication des 
noms de quelques autres émailleurs; mais, comme on ne 
connait aucun émail qui puisse leur être attribué, il est 
inutile de les mentionner ici. 

Il existe aussi un certain nombre d'œuvres signées de 
monogrammes inexpliqués jusqu'ici, et dont l’exécution 
révèle chez leurs auteurs un certain talent; les plus intéres- 
sants sont : A.S. sur deux plaques du musée de Cluny 
(n®S 4660 et 4661); ZM. sur une plaque du Louvre 
(D. 218), d’une belle exécution, et N.B., 1543, sur -deux 
plaques assez médiocres du musée de Cluny (n% 4651 
et 4632). 


1 Elles ont été publiées par MauRICE ARDANT en même temps que d’autres 
receltes provenant des Laudin et des Nouailler. 


L'ÉMAILLERIE AU XVI SIÈCLE 501 


Nous n'avons pu, dans cette rapide esquisse, indiquer 
que très sommairement la part qui revient à chacun dans 
léclosion et le développement de cet art si exclusivement 
français de l’émaillerie peinte. Les Pénicaud, Léonard Li- 
mosin et quelques autres, en possession de ce magnifique 
moyen d'expression, firent tous leurs efforts pour donner à 
leurs œuvres ce caractère élevé qui leur assigne une place 
à part dans l’histoire des arts industriels; mais leur exemple 
ne fut pas suivi, et ce qui s'était passé autrefois pour 
l’émaillerie champlevée se reproduisit de nouveau. Comme 
autrefois, les émailleurs limousins abusèrent de la faveur 
qui avait accueilli ce nouveau genre de décoration et de la 
vogue dont jouissaient leurs produits; la routine et l’adresse 
de main remplacèrent le sentiment de Part, et les artistes 
ne furent bientôt plus que des artisans. Il en résulta une 
dépréciation due à une production excessive et par consé- 
quent peu soignée, plutôt qu'à la vulgarisation des procédés 
de fabrication, ainsi que le pensait Bernard Palissy, très 
jaloux, comme on le sait, de conserver les secrets quil 
avait trouvés '. « Il y a plusieurs inventions, dit-il, les- 
quelles sont contaminées et méprisées pour estre trop 
communes aux hommes. As-tu pas veu aussy les esmail- 
leurs de Limoges, lesquels par faute d’avoir tenu leur 
invention secrette, leur art est devenu si vil, quil leur 
est difficile de gaigner leur vie au prix quils donnent 
leurs œuvres. Je m’asseure avoir veu donner, pour trois 
sols la douzaine, des figures d’enseignes que lon portoit 
aux bonnets, lesquelles enseignes estoyent si bien la- 
bourées, et leurs esmaux si bien parfondus sur le cuivre, 
qu'il ny avoit nulle peinture si plaisante. Et n'est pas 
cela seulement advenu une fois, mais plus de cent mil, 


1 Cf. notre Histoire de la Céramique, deuxième édition, p. 230. — Alfred 


Mame et fils, éditeurs. 


302 L'ÉMAILLERIE 


et non seulement èsdittes enseignes, mais aussi aux 
esguières, salières et toutes aultres espèces de vaisseaux et 
aultres histoires, lesquelles ils se sont advisez de faire : 
chose fort à regretter !. » 


! Pauissy parle aussi « des boutons d’esmail, qui est une invention tant gen- 
tille, lesquels au commencement se vendoient trois francs la douzaine, et qui 
furent donnés plus tard pour un sol la douzaine ». — (Œuvres de BERNARD 
Pauissy, in-40, 1777, p. 9. 


IV 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XVIIe ET AU XVIII SIÈCLE 


LES ÉEMAUX DES PEINTRES 


La désignation d’émaux peints, généralement adoptée 
aujourd’hui en opposition avec celle d'émaux incrustés, 
s’applique à deux classes d’émaux exécutés par des pro- 
cédés différents : la première, qui comprend les émaux 
que nous avons étudiés dans le chapitre précédent, ceux 
dont la décoration est obtenue à l’aide d’une peinture 
en émail; la seconde, qui renferme cette série si nombreuse 
d'œuvres de toute sorte ornées de peintures sur émail. 
Dans la première, le métier tient une place assez impor- 
tante : l’artiste doit avant tout être émailleur dans le sens 
absolu du mot ; dans la seconde, le métier d’émailleur n’est 
rien, tous les peintres peuvent faire de la peinture sur 
émail. Ce genre de peinture, en effet, s'exécute à l’aide de 
couleurs composées d’oxydes métalliques mêlés dans une 
proportion déterminée à des fondants d’une nature spéciale, 
sur un excipient recouvert d’un émail déjà cuit, et par 


04 L'EMAILLERIE 


conséquent solide, sur lequel on peint absolument comme 
sur une plaque de porcelaine ou d'ivoire; 1l n’est même pas 
nécessaire que l'artiste fasse cuire lui-même ses œuvres, ni 
qu'il en surveille la cuisson; aussitôt qu'il est un peu fami- 
liarisé avec lemploi, assez facile du reste, des couleurs, il 
peut être certain du résultat qu'il doit obtenir, et n’a pas à 
craindre les accidents qui se produisent si souvent avec les 
procédés de l’émaillerie limousine. 





Fig. 108. — Plaque peinte sur émail, xvie siècle. 


(Coll. de M. Ch. Stein. 


Pendant longtemps on a attribué la découverte de ce 
mode de peinture sur émail à un habile orfèvre de Blois, 
JEAN TOUTIN, qui l'aurait trouvé vers 1632 : il n’en est rien. 
Nous avons dit plus haut comment, au milieu du xvre siècle, 
Léonard Limosin peignait les têtes et les mains de ses 
portraits au moyen de hachures ou d’un pointillé en bistre 
roux sur fond d’émail blanc passé au feu; mais il ne fai- 
sait qu'appliquer là un procédé dont on s'était déjà servi 
avant lui, et qui ne devait pas être très usité, si on en 
Juge par la rareté et le peu d'importance des spécimens qui 
sont parvenus Jusqu'à nous. Entre autres exemples, nous 
citerons une petite plaque rectangulaire représentant le 
Triomphe d'un guerrier (fig. 108), peint sur un fond d’émail 


L'ÉMAILLERIE AU XVIISET AU XVIII SIÈCLE 905 


opaque au moyen d'un simple trait de bistre brun foncé, 
cernant dans certains endroits une légère glacçure bleue ou 
violette posée sur les costumes. Outre cette plaque, qui 
paraît être de travail italien, nous reproduisons une enseigne 
de chapeau! datant des premières années du xvie siècle, 
et qui porte une inscription française (fig. 109). 

Quoi qu'il en soit, Jean Toutin eut au moins l’heureuse 
idée de faire revivre ce procédé en lappliquant d’une façon 





Fig. 109. — Enseigne de chapeau. 
Peinture sur émail, xvie siècle. 


Coll. de M. Ch. Stein.) 


nouvelle, et la chance d’arriver à une époque où les émaux 
de Limoges étaient tombés dans un discrédit complet. Il 
commença par décorer ainsi sur émail les menus objets 
d’orfèvrerie, bijoux et boîtiers de montres, qu'il fabriquait; 
puis, avec l’aide de son fils, HENRI TouriN?, et d’un peintre 


! On appelait enseignes les médailles, emblèmes ou images de dévotion que 
l’on portait d’une facon apparente, et particulièrement sur le chapeau, soit 
comme signes de reconnaissance, soit le plus souvent comme parure ou comme 
marque de distinction. 

2 Le Trésor impérial de Vienne possède de cet artiste un médaillon en émail 
signé H. To[u]rin, représentant Louis XIV et Anne d'Autriche; HÉBERT, dans 
son Dictionnaire pittoresque et historique, cile de lui « une copie de la 
Mère et la fille de Darius aux pieds d'Alexandre le Grand, d’après le Brun, 


506 L'ÉMAILLERIE 


de pastel, ISAAG GRIBELIN, qu'il s'était associés, se mit à 
peindre des portraits qui lui valurent promptement une 
certaine renommée. Il eut bientôt des élèves et des imita- 
teurs, entre autres DUBIÉ, qui vint à Paris, où son talent 
lui fit obtenir un logement au Louvre ; MorLiÈRE, d'Orléans: 
RogertT VAUQUER, de Blois, mort en 1670, dont on connaît 
quelques émaux signés Vauquer pin.', et PIERRE CHARTIER, 
de Blois également, qui se distingua particulièrement dans 
la peinture de fleurs. 

Mais le plus célèbre, celui qui brilla par-dessus tous les 
autres dans ce nouveau genre de peinture, fut JEAN PETITOT, 
né à Genève le 12 janvier 1607, fils de Paul Petitot, « maitre 
sculpteur et menuisier. » À cette époque, Genève était par- 
ticulièrement renommée pour son émaillerie de boîtes de 
montres, de nécessaires, de cassolettes, de tabatières, etc. 
d’une exécution merveilleuse au point de vue du métier, 
mais d’une pauvreté remarquable sous le rapport du dessin 
et du style. Ce fut dans ce genre de travail que Petitot se 
distingua d’abord”. « Sa profession de metteur en œuvre, dit 
Mariette”, dans un temps où l’on étoit fort dans le goût 
d'enrichir les bijoux d’ornemens peints en émail, lavoit mis 
à portée de peindre avec beaucoup de propreté des fleurs, 
des rinceaux d’ornemens et tout ce qui convenoit à ce genre 


sur un tableau d’émail de six pouces de long, où les caractères et les belles 
expressions sont parfaitement rendus ». 

! Tourin et VauQUER ont laissé quelques planches gravées, malheureusement 
fort rares, portant le titre d'Ornemens pour émailleuwrs ; nous en connaissons, 
du premier, quatre planches, et du second, sept, donnant des modèles de dessus 
de boîtes, sujets religieux, frises avec sujets d'enfants, bouquets de fleurs, etc. 

* Suivant certains auteurs il aurait appris le métier d'émailleur chez PIERRE 
Bornier, avec lequel il serait ensuite allé en Angleterre, et dont le fils Jacques, 
auquel il donna à son tour des leçons, devait être plus tard son associé et son 
beau-frère. 

3 MARIETTE, Abccédario, édition PH. DE CHENEVIÈRES et bE MoNTAIGLON , 
CVS ND AATE 


L'ÉMAILLERIE AU XVIISET AU XVIII SIÈCLE 507 


de travail dans lequel il s’étoit rendu fort habile. » (?est 
alors que, à l'exemple de plusieurs de ses compagnons, 
émailleurs de mérite, qui ne trouvaient pas dans les pro- 
ductions banales demandées à l’industrie de Genève de 
quoi satisfaire leurs aspirations artistiques, Petitot quitta la 
Suisse pour aller chercher fortune ailleurs ; on croit qu’il 
voyagea en lialie, et qu’il vint ensuite en France, où il 
aurait travaillé chez Toutin; mais la chose n’est pas prouvée; 
ce qui est certain, c’est qu'il n’était pas très âgé quand il se 
rendit à Londres, où le joaillier de la cour lui donna immé- 
diatement des travaux dont il voulut s’attribuer tout le 
mérite, et qu'il présenta au roi Charles Ier comme étant 
son œuvre. « Le roy, dit Mariette, qui avoit un grand 
goût pour les beaux-arts, ayant vu de ses ouvrages émail- 
lés, pensa qu’on pourroit employer ce genre de peinture à 
quelque chose de plus considérable que des ornemens. 
Il demanda donc à son jouaillier d'essayer de peindre un 
portrait dans cette manière de peindre, et celui-ci $y étant 
engagé, il en fit la proposition à Petitot, qui hazarda de le 
faire. Le roy parut fort content du portrait qu'on luv pré- 
senta; il le fit voir à Van-Dyck, qui estoit pour lors à sa 
cour, et ce peintre connut qu'on pourroit faire quelque 
chose de merveilleux dans ce nouveau genre de peinture, 
si l’ouvrier vouloit se laisser conduire. Il offrit de lui donner 
luy-même des enseignemens sur les différentes natures de 
teintes propres à exprimer de la chair, qui étoit en quov 
Petitot, faute de connoissance, avait péché dans son pre- 
mier essai. Le roy en parla à son jouaillier, qui fut alors 
obligé d’avouer que l’ouvrage étoit d’un autre que de luy. Il 
nomma Petitot; le roy voulut le voir, et luy ordonna de 
travailler, sous les ordres de Van-Dyck, à un portrait de sa 
personne, qui fut, dit-on, une des plus belles choses qu'il 
fit de sa vie. Ce portrait, qui avoit paru si admirable, fut 


508 L'ÉMAILLERIE 


suivi de beaucoup d’autres, car 11 n°v eut guère de personne 
de considération qui ne voulust avoir le sien peint en émail 
par Petitot. Il continua donc de travailler avec réputation 
pendant le reste du temps qu'il demeura à Londres, c’est- 
à-dire jusqu'à la mort tragique de Charles Ier, » 

Outre les conseils qu'il reçut de Van-Dvyck, Petitot trouva 
dans un de ses compatriotes, Turquet de Mayerne, médecin 
du roi et habile chimiste, un précieux auxiliaire, qui laida 
dans ses recherches, et lui fournit les couleurs qui devaient 
compléter sa palette, et lui permettre de donner à ses 
portraits ces colorations harmonieuses dont il semble avoir 
emporté le secret. 

Pendant longtemps Petitot, logé à Whitehall, travailla 
exclusivement pour Charles Ier; il conserva toujours pour 
le malheureux monarque une affection et un dévoue- 
ment qui ne se démentirent jamais, et dont il donna si 
publiquement des preuves, que, si lon en croit Mariette, 
on n'osa pas lui demander de peindre un boîtier de montre 
en émail dont le parlement voulait faire présent au géné- 
ral Fairfax, et sur lequel devait être représentée la vic- 
toire que ce général avait remportée, en 1645, à Naseby, 
sur le parti du roi. Ce travail fut confié à JAGQUES BORDIER, 
peintre en émail, né à Genève en 1616, qui était venu re- 
trouver Petitot à Londres, et qui n'avait pas les mêmes 
raisons que son compatriote pour refuser de peindre cet 
émail, dont il fit, paraît-il, un chef-d'œuvre. 

C'est probablement à cette époque que Petitot forma avec 
3ordier une association que la mort seule devait rompre, et 
dans laquelle chacun avait sa part de travail : Bordier peignait 
les fonds, les draperies, les vêtements, les accessoires; Pe- 


titot exécutait les figures et les carnations, et revenait sur 


! Cf. WaLroLe, Anecdoles of painting. 


LÉMAIDIÉRRIENAUNXVIIIMMEU AU) XVIII SIÈCLE 09 


ensemble du travail pour lui donner une harmonie gé- 
nérale. 

En 1649, après la mort tragique de son protecteur, Petitot, 
accompagné de Bordier, se rendit en France, où sa réputa- 
tion l'avait précédé ; 1l y retrouva les succès qu'il avait eus 
en Angleterre. « Louis XIV et la reyne sa mère, dit Mariette, 
avoient une vraye considération pour luy; il est vray qu'il 
poussa la peinture en émail au plus haut point de perfec- 
tion où elle pouvoit atteindre. » Le roi le gratifia bientôt 
d’une pension, et 1l obtint au Louvre un logement qui fut 
assiégé par tout ce que Paris comptait de princes et de 
grands seigneurs, qui venaient demander leurs portraits 
à Phabile artiste, dont la vogue dura près d’un demi-siècle 
encore. 

Au mois de novembre 1651, Petitot, âgé de quarante-cinq 
ans, épousa la fille d’un contrôleur des finances de Blois, 
Marguerite Cuper, dont il eut dix-sept enfants, neuf fils et 
huit filles; peu de temps après, Jacques Bordier épousait 
la sœur de Marguerite, et les deux associés, devenus beaux- 
frères, virent se resserrer les liens d'amitié qui les unis- 
salent. 

Lors de la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, Petitot, 
protestant sincère, refusa de renoncer à sa religion, malgré 
les efforts que Bossuet tenta auprès de lui à ce sujet; 
quoique âgé de soixante-dix-huit ans, il fut enfermé au 
Fort-l'Évêque, d’où il ne sortit qu'après une abjuration 
simulée. Il retourna alors dans son pays natal, et se retira 
à Vevey, où il mourut en 1691. Bordier, son beau-frère, 
était mort en 1684. 

Pendant sa longue carrière, Petitot a peint un nombre 
considérable d’émaux qui n’ont pas tous la même valeur 
artistique, mais qui tous néanmoins sont des œuvres 
absolument remarquables, surtout ceux qu'il a exécutés 


F 


510 L'ÉMAILLERIE 


d’après les tableaux de Van-Dyck, Philippe de Champaigne", 
Le Brun, Mignard et Nanteuil. Au début, il donnait à ses 
portraits des fonds de ciel ou de paysages d’une exécution 
très finie, mais un peu dure, auxquels il renonça bientôt, 
d’après les conseils de Van-Dyck, qui ne cessa de laider 
de ses lumières, et auquel il dut certainement la plus 
erande partie de son talent. Beaucoup de ses émaux mal- 
heureusement ont été détruits, les uns par des gens avides 
et maladroits qui préféraient à la peinture de Petitot la 
plaque d’or sur laquelle elle était exécutée, les autres parce 
que, suivant la mode du temps, ils avaient été montés en 
bracelets, en tabatières, en bijoux de toute sorte, et qu'ils 
n’ont pu résister au frottement, à l'usage et aux accidents. 
Il a peint aussi un grand nombre de portraits de Louis XIV, 
que Pitan, et après lui Pierre le Tessier de Montarsy, joail- 
liers de la cour, montaient dans de riches boïtes à portraits. 
et qui étaient destinés aux cadeaux diplomatiques *. 

Le Louvre possède une collection assez remarquable des 
émaux de Petitot*; mais c'est en Angleterre surtout que 
sont conservées aujourd'hui ses plus belles œuvres; on en 
compte deux cent cinquante au château de Windsor, et la 
collection Jones, léguée au musée de South Kensington, en 
possède à elle seule soixante-douze. À l'exposition de 186», 
à Londres, on en avait réuni cent cinquante-huit, parmi 
lesquelles figuraient les plus beaux portraits du maitre, 

! Entre autres ceux de Richelieu et de Mazarin. 

2 « M. le Mareschal, de sa part, donna à don Christoval une enseigne de 
diamants avec le portrait du roy en mignature, fait par Petiteau sur de l'émail, 
en 4659. » — Journal du voyage d'Espagne, par BERTAULT. 

3 La plupart de ces émaux proviennent du cabinet de M. d'Ennery, un des 
plus célèbres curieux du siècle dernier, « si connu, dit MARIEITE, par sa 
fameuse collection de médailles, la plus complelte et la mieux choisie qu'il y 
ait peut-être au monde. » Cf. Catalogue du cabinet de feu M. d'Ennery, 


écuyer, par les sieurs Remy et Minorri (vente le 11 décembre 1786), et Dic- 
tionnaire pittoresque et historique d'HÉBERT. 


L'ÉMAILBERIE AU XVIISET AU XVIII SIÈCLE 11 


entre autres celui de la belle comtesse d'Olonne, d’après 
Mignard, « enfermé dans une guirlande ovale de fleurs en 
relief peintes en émail par GILLES LESGARÉ', qui, dans ce 
genre, a surpassé tous ceux qui se sont méêlés d'y tra- 
vailler, » dit Mariette, à qui ce portrait appartenait *?; celui 
de J.-B. Colbert, vêtu de noir, avec collerette de dentelle et 
collier de l’ordre du Saint-Esprit; celui du duc de Bour- 
gogne *, etc. 

Des nombreux enfants de Petitot, un seul, JEAN PETITOT, 
né en 1653, parait avoir été peintre en émail ; il fut élève 
de son père, et prit si bien sa manière, qu’il est difficile, à | 
première vue, de distinguer les œuvres du fils de celles du 
père, et réciproquement ; 1l dut commencer à peindre de 
très bonne heure, puisque en 1669, à peine âgé de seize 
ans, il signait un portrait de femme, assez médiocre du 
reste, peint sur émail, qui à passé en vente publique il y a 
une vingtaine d'années‘. En 1683, 1l épousa sa cousine Made- 
leine Bordier, dont il fit un portrait qui figurait à l’exposi- 
tion de 1865, et qui porte linscription suivante : Petitot 
a fai ce portrait à Paris en janvier 1090, qui est sa 
femme ; cet émail appartenait à lord Cremorne, qui avait 
envoyé à la même exposition un cadre contenant les por- 
traits des deux Petitot: le père, un beau vieillard à lair 
sérieux et doux et à la chevelure de neige, a été peint par 
probablement par son fils, qui s’est représenté lui-même 
sur l’autre émail, ainsi que le prouve la mention : Peti- 


1 GizLEs LESGARÉ, orfèvre et émailleur, né à Langres; on a de lui un Livre 
des ouvrages d’orfèvrerie, par Gizres LEsGaré, orfèvre du roy, publié 
en 1663; il quitta la France lors de la révocation de l’édit de Nantes. 

? Après la mort de Mariette, en 1774, il fut acheté par sir Horace Walpole; 
il appartient aujourd’hui à M. S. R. Holford. 

3 A la vente Hamilton, en 1882, ce beau portrait a été vendu 650 guinées 
(17,042 fr. 50). 

4 Cf. Gazette des beaux-arts, t. XXIT, p. 262. 


512 L'ÉMAILLERIE 


tot, fail par luy-mesme, d'üge de trente-trois ans, 1685, 
oravée sur le cadre. Comme son père, Jean Petitot passa 
une partie de sa vie en Angleterre; mais il est probable 
qu'il revint à Paris pour se marier, et qu'il habitait avec son 
père avant que celui-ci retournât en Suisse, puisque nous 
trouvons l'adresse suivante dans le Livre commode d’Abra- 
ham du Pradel : « Pour la mignature en émail, messieurs 
Petitot, rue de lUniversité; Perrault, rue du Chantre; 
Le Brun, rue Neuve-des-Petits-Champs. » On sait qu'il 
retourna à Londres en 1696, mais on ignore la date de 
sa mort. | 

Des deux émailleurs cités avec lui par Abraham du 
Pradel, l’un, PERRAULT, a peint des portraits dans le genre 
de Petitot; quant à l’autre, ce devait être MADELEINE 
LE BRUN, qui vivait à cette époque, et dont on connaît des 
portraits signés : Madeleine Le Brun pinæit. 

Petitot eut plusieurs élèves, parmi lesquels Louis DE 
CHATILLON, né à Sainte-Menehould en 1639. Envoyé de 
bonne heure à Paris pour y apprendre le métier d’orfèvre 
chez un ami de Petitot, Pezey, qui peignait également sur 
émail, il quitta l’orfévrerie pour se consacrer exclusivement 
à la peinture et à la gravure des plantes, où 1l réussit assez 
pour être nommé bientôt dessinateur et graveur de PAca- 
démie des sciences, et obtenir, en 1689, un logement aux 
oaleries du Louvre. Cest surtout à dater de ce moment 
qu'il se mit à peindre sur émail; il exécuta surtout des 
portraits de Louis XIV, destinés, comme ceux que faisait 
Petitot avant lui, à être montés dans de splendides boîtes à 


! MARIETTE dit de lui à propos de la peinture sur émail : « Il est rare de 
trouver des personnes qui réussissent dans cet art, puisque le nombre de ceux 
qui ont paru depuis la mort de Pelitot se réduit à deux; l'un, M. Perrault, 
qui vient de mourir, auroit poussé l'émail encore plus loin qu'il ne l'a fait, 
vu son application et le soin qu'il prenoit de préparer luy-même ses émaux. » 


et 


L'ÉMAIBBERIE AU XVIISET AU XVIII SIÈCLE 513 


portraits, pour être offerts ensuite aux princes étrangers et 
aux ambassadeurs. Il mourut le 28 avril 173%, avec le titre 
de « peintre du roy pour lPesmail ». : 

Il eut pour élève JEAN-BAPTISTE MAGÉ, né en 1688, et 
mort en 1767, qui avait étudié la peinture chez Jouvenet, 
et auquel il apprit seulement la gravure et la pratique de 
l'émail. Nommé peintre du roi, puis membre de l’Académie 
en 1717, Macé devint bientôt un des peintres de portraits 
en miniature les plus à la mode. Voltaire fait dire à un de 
ses personnages, dans la scène vi de l’Indiscret, comédie 
en.un acte : | 


Regarde ce portrait, mon cher ami Clitandre; 
Ca, dis-moi si tu vis jamais de tes deux yeux 
Rien de plus agréable et de plus précieux : 
C’est Macé qui l’a peint; c’est tout dire. 


… 


On connait de lui peu de portraits en émail, et il parait 
avoir cultivé surtout la gouache et la miniature. 


Parmi les émailleurs de la fin du xvrre siècle qui subirent 
l'influence de Petitot, nous citerons encore : 


JACQUES-PHILIPPE FERRAND, né à Joigny le 25 janvier 
1653, fils de Louis Ferrand, médecin de Louis XII. Il 
étudia le dessin dans l’atelier de Mignard, et devint ensuite 
élève de Samuel Bernard, l’habile miniaturiste. Plus tard, 
il apprit la peinture sur émail, et acquit bientôt en ce genre 
une grande réputation : il fut reçu membre de l’Académie 
en 1690. Ferrand fit plusieurs voyages en Angleterre et en 
Allemagne, et séjourna longtemps en Italie, et particulière- 
ment à Turin, où il travailla pour le duc de Savoie. On 
a de lui un traité intitulé : l’Art du feu ou de peindre sur 


émail, publié en 1721. Il mourut à Paris le 5 janvier 1732. 
33 


514 L'ÉMAILLERIE 


Henri CHÉRON, mort en 1697. On a peu de renseigne- 
ments sur cet artiste, fort habile, parait-il, mais dont les 
œuvres sont très rares; on sait seulement qu'après avoir 
vécu à Paris, il abandonna sa femme et ses enfants, et se 


retira à Lyon, où 1l mourut. 


ÉLiISABETH-SOPHIE CHÉRON, fille du précédent, artiste d’un 
erand talent, qui se distingua dans la peinture d'histoire et 
de portraits, aussi bien que dans la miniature et l'émail: 
c'était en outre une bonne musicienne et une femme fort 
instruite, qui connaissait le latin et l'hébreu et cultivait la 
poésie: avec succès. Les écrits du temps en parlent avec 
le plus grand éloge, et ses talents multiples furent souvent 
célébrés par les poètes contemporains; c’est ainsi que Pun 
d'eux disait : 


La savante Chéron, par de merveilleux traits, 
Imita la nature, anima les portraits; 
Ses écrits sont gravés au temple de Mémoire; 
Le Parnasse en nos jours n’a rien vu de plus beau, 
Et cette femme illustre acquit autant de gloire 

Par ses vers que par son pinceau. 


Née en 1648, elle mourut en 1711; elle avait été nommée 
membre de l’Académie royale de peinture en 1672, et rece- 
vait une pension du roi. Nous ne connaissons d'elle aucun 


émail. 


CHARLes Boirr, né à Stockholm de parents français, 
vers 1663, mort à Paris le 6 février 1727. Après avoir 
appris le métier d’orfèvre, il se rendit en Angleterre, où il 
se mit à faire des portraits en émail qui lui furent très bien 
payés ; 1l passa ensuite quelque temps à Vienne, puis vint 
se fixer en France en 1715. Le régent l’accueillit avec 


he mi à. 


dd 'Vice nn 


L'ÉMAILLERIE AU XVIISET AU XVILI SIÈCLE 515 


faveur, le logea au Louvre et le fit recevoir à l’Académie de 
peinture, bien qu’il fût protestant. Le musée du Louvre 
possède de lui quatre émaux, entre autres la Charité, 
d’après Blanchard, et un portrait du régent qui lui ser- 
virent de morceaux de réception ; il signait : C. Boit; 
GC. Boil, pinx. « Le sieur Boit, dit le Mercure de France 
(août 1718, page 190), fameux peintre en émail, membre 
de l’Académie royale, ayant été introduit par M. le due 
d'Aumont au lever du roy, eut l'honneur de présenter le 
portrait en émail qu'il avoit fait de Sa Majesté. Il en fut 
recu très gracieusement. » | 


JEAN-FRÉDÉRIC BRUCKMANN, né également en Suède, 
mais qui travailla à Paris de 1695 à 1718; il a fait surtout 
un grand nombre de portraits destinés aux présents diplo- 
matiques. FSI 


La peinture sur émail, délaissée pendant les premières 
années du règne de Louis XV, reprit faveur vers le milieu 
du xvime siècle. L’Almanach des beaux-arts pour 1753 
le constatait en ces termes : « ... Cet art, qui n’est pas 
nouveau, après. avoir été longtemps négligé, a repris, 
dans ces derniers temps, plus de vogue que jamais, et a 
été prodigieusement perfectionné. Les plus connus d’entre 
les artistes qui y excellent sont : MM. AuBerT, Counior, 
Hugert', Lior, LiorarD, Mlle pu PLessis et M. TAUNAY; ce 
dernier, outre le talent de peindre sur émail, possède aussi 
exclusivement le secret de la préparation des plus belles 
couleurs qui s’y emploient. » 

De ces artistes, les seuls qui soient connus aujour- 
d'hui sont : Louis-FRANCÇOIS AUBERT, autorisé par brevet 


1! On retrouve son nom, en 1716, dans l’Almanach historique, el il exposait 
encore au salon de 1719. 


516 L'ÉMAILLERIE 


à «se dire et qualifier peintre en émail du roy! », et JEAN- 
ÉriENNe Liorarp, né à Genève en 1702, peut-être plus 
connu par son excentricité et son costume, qui l'avait fait 
surnommer le peintre Lurc*, que par son talent. Sa vocation 
pour la peinture se manifesta avec tant de force, que son 
père, bien qu'il le destinât au commerce, dut céder à ses 
sollicitations. En 1725 il vint à Paris, où il commença à 
peindre en miniature et sur émail, « et ce fut alors, dit 
Mariette, qu'ayant copié une peinture en émail de Petitot, 
il la rendit si parfaitement, que peu s’en fallut que la 
copie n’égalât original. » Liotard néanmoins a laissé peu 
d’émaux ; il est connu surtout comme peintre de pastel. Il 
signait : J.-S. Liotard. 

L’'Almanach des beaux-arts a oublié de mentionner, 
parmi les peintres en émail de cette époque, JEAN-ApaM 
Marmieu, né vers 1698, artiste de talent, qui parait avoir 
émaillé surtout des tabatières et des bijoux; il était logé 
au Louvre en 1748. Par une faveur spéciale, le roi 
lui fit remettre, en 1753, les poinçons nécessaires pour 
marquer les bijoux qu'il enrichissait de ses émaux, et le 
nomma son « peintre-orfèvre »; Adam ne profita pas de 
ces privilèges exceptionnels, car il mourut la même année. 
Il fut remplacé dans son logement du Louvre par ANDRÉ 
Rouquer, né à Genève en 1703, qui fut, sur l’ordre du roi, 
et quoique protestant, reçu membre de l'Académie royale 
de peinture le 23 février 1754. Après avoir étudié pendant 
quelques années à Paris, Rouquet était allé, jeune encore, 


1 11 fabriquait des émaux en relief et peignait des portraits pour les taba- 
lières. 

? Après un séjour de quatre ans à Constantinople, Liotard s'établit à Vienne, 
où sa longue barbe et son costume oriental, qu’il conserva toute sa vie, com- 
mencèrent à attirer sur lui la curiosité; il revint ensuile à Paris, puis alla en 
Angleterre el en Hollande, où il se maria. 

3 Cf. l'Esprit du commerce pour 1748. 


MÉNATPLERTERAUCUURS ET AU XVII SIÈCLE D 17 


s'établir en Angleterre, d’où il ne revint qu'en 1750. Mariette 
le dépeint comme un homme « peu communicatif, et d’un 
caractère qui ne le rendait pas fort aimable dans la société » ; 
mais cela ne l’empêchait pas d’avoir beaucoup de talent, et 
c’est avec raison que Lafont de Saint-Yenne disait de lui! : 
«Je dois encore un tribut de louanges bien méritées au 
sieur Rouquet, peintre en émail, qui nous a exposé des 
choses excellentes dans un genre de peinture où il est si 
rare de réussir, par l'extrême difficulté de la préparation des 
couleurs... La beauté des portraits qui ont paru de lui au 
Salon de 1753 a fait augurer qu’il remplacera le célèbre Pe- 
titot, appelé le Raphaël des peintres en émail. » Grimm * en 
parle également : « M. Rouquet, dit-il, Génevois, peintre en 
émail, est surprenant dans ses petits portraits. » Il a publié 
plusieurs ouvrages, entre autres l’État des arts en Angle- 
terre, paru en 1755, les Illustres Angloises, etc.; il mourut 
fou en 1759. Le Louvre possède de lui le portrait du mar- 
quis de Marigny, qui figura au salon de 1755. 

Cest à la même époque également que vivait DURAND, 
dont Diderot n’a pas dédaigné de faire l’éloge dans son 
Salon de 1761 : « Un homme riche, dit-il, qui voudrait 
avoir un beau morceau en émail, devrait faire exécuter ce 
tableau de Greuze * par Durand, qui est habile avec les cou- 
leurs que M. de Montani‘ (sic) a découvertes. Une bonne copie 
en émail est presque regardée comme un original, et cette 


1 LAFONT DE SAINT-VENNE, Sentiments sur quelques ouvrages de pein- 
Lure. 

? Correspondance, t. Ier, p.70. 

5 L’Accordée de village. 

4 D'ArcLAIS DE MonTamy a rédigé un Traité des couleurs pour la peinture en 
émail, publié en 1765, après sa mort. Il fut aidé dans ce travail par Durand, 
ainsi que le constate un passage de l'introduction : « Cette description de l’art 
a été faite autrefois sous les yeux de M. Durand, peintre de monseigneur le duc 
d'Orléans, et c'est du même artiste que M. de Montamy s’est servi pour s’as- 
surer des qualités qu’il se proposait de donner à ses couleurs. » 


518 L'ÉMAILLERIE 


sorte de peinture est particulièrement destinée à copier. » 
Durand, qui avait le titre de « peintre du duc d'Orléans », 
était également sculpteur sur nacre et a produit en ce 
genre des portraits qui sont de véritables merveilles. 

Plus tard, nous trouvons parmi les émailleurs les plus 
le OMIMEÉS : 


F. BourGoiN, désigné en 176% comme agréé de lAca- 
démie de Saint-Luc, où il exposa, en cette même année, une 
Nativité peinte sur émail et plusieurs portraits sur émail et 
en miniature. [Il vivait encore en 1778. 


NicoLAS-ANDRÉ CourTois, agréé de l’Académie royale de 
peinture en 1770; il envoya aux salons de 1771, 1773, 1775 
et 1777 des portraits qui lui valurent de nombreux éloges. 
Il signait : Courtois. 


VassaL, qui exposa, en 1774, plusieurs émaux au salon 
de l’Académie de Saint-Luc, dont il faisait partie. Il demeu- 
rait rue du Harlay. 


LE TELLIER. Il peignait des portraits en émail pour les 
tabatières ; en 1775 il exécuta cinq portraits de Marie- 
Antoinette. L’Almanach historique de 1777 nous apprend 
qu'il demeurait quai Conti. 


KRUGER (GEORGES), né à Londres en 1728; il travailla 
longtemps à Paris, où il fut nommé de l’Académie en 1774; 
l’Almanach historique pour 1776 le cite avec la mention : 
« Peint très bien l'histoire sur émail'. » Il mourut en 1788 
à Berlin, où il était allé s'établir en 1781. 


ee 


1 L'Almanach dauphin de 1777 le mentionne ainsi : « CREUTGER, peintre en 
émail. Ce célèbre artiste est particulièrement renommé pour la figure el l’or- 
nement en bas-relief, » 


L'ÉMAILLERIE AU XVII ET AU XVIII SIÈCLE 019 


CARTEAU, peintre peu connu; on sait seulement qu’il a 
exécuté d’après nature un portrait de Louis XVI, « à cheval 
jet armé, sur une plaque de dix pouces de haut sur seize 
de large », qui lui fut payé 6,000 livres, et qu’il fit en outre 
plusieurs portraits du roi et de la reine. 


JACQUES THOURON, né à Genève en 1737, mort à Paris vers 
1790, peintre du comte de Provence. Un de ses contempo- 
rains, Senebier, disait de lui : « Jacques Thouron s’est fait 
connaître à Genève, et surtout à Paris, par la beauté de ses 
portraits en émail. Il a su donner à ce genre de peinture la 
chaleur et la vie que l'huile seule s’était réservées. Aussi 
ses portraits, qui intéressent par la correction du dessin et 
le choix des attitudes, se font surtout remarquer par l'âme 
qu'il y fait renfermer et le grand effet qu’il sait leur faire 
produire ‘. » Le Louvre possède de lui un portrait de Fran- 
klin et une copie d’une Bacchante, d’après Mme Lebrun. 


PIERRE-ADOLPHE HALL, né à Boras (Suède) en 1739, 
peintre de portraits à l’huile, au pastel, en miniature et sur 
émail. Il vint s'établir à Paris vers 1760, et y acquit rapide- 
ment une grande célébrité; en 1769, il fut nommé agréé de 
l’Académie de peinture et peintre du cabinet du roi; il exposa 
aux salons de 1773, 1775, 1777 et 1779. En septembre 1783, 
le Mercure de France disait de lui : « M. Hall est toujours un 
peintre admirable et supérieur dans ses miniatures et ses por- 
traits en émail. » En 1791, Hall, qui, après avoir gagné des 
sommes considérables, dissipées follement, se voyait sans 
travail et sans ressources, voulut retourner dans son pays; 
mais il mourut à Liège, le 15 mai 1793, après une maladie 
qui avait duré plusieurs mois et pendant laquelle il avait 
été soigné par un chirurgien français qui l'avait recueilli. 


! SENEBIER, Llistoire littéraire de Genève. t. IT, p. 332. 


520 L'ÉMAILLERIE 


WEYLER (JEAN-BAPTISTE), né à Strasbourg vers 1745, 
mort à Montmartre le 25 juillet 1791. Reçu agréé à l’Aca- 
démie en 1775, il fut nommé académicien quatre ans plus 
tard. Son morceau de réception, le portrait du comte d’An- 
givillier, « conseiller du Roy, Directeur général des Arts, » 
qui fut son protecteur et son ami, est aujourd’hui au Louvre. 
Il avait commencé sur émail Pexécution d’une série de por- 
traits de grands hommes, lorsque la mort vint le sur- 
prendre. Cette œuvre fut continuée par sa veuve, LouIsE 
BourDoN, remariée plus tard et devenue Mme KUGLER; mais 
les émaux exposés par elle de 180% à 1812 sont bien infé- 
rieurs à ceux de Weyler. 


Parmi les artistes étrangers qui ont peint sur émail et 
dont les noms sont moins connus en France, nous citerons : 


SIKES, un anglais que nous trouvons mentionné dans les 
2 © 
Affiches de Paris de 1754, et qui était venu à Paris en 1752 
pour acheter, à la vente qui eut lieu du 27 novembre au 
22 décembre de cette année, une assez grande quantité de 
portraits de Petitot, qu'il revendit ensuite en Angleterre. 


CHopowrEckI (DANIEL), plus connu comme graveur; né a 
Dantzig en 1726, il mourut à Berlin en 1801. 


ZINCKE (CHRISTIAN - FRÉDÉRIC), mort à Londres en 1767; 


1 Il acheta entre autres les portraits suivants : « Mme la duchesse de Cha- 
tillon, 700 1. ; Mme la duchesse de la Valière, 750 1.; Mme de Montpensier, 7001.; 
Marie-Thérèse d'Autriche, 621 1.; Louis XIV, 2801. 19 s.; Ninon Lenclos, 230 ].; 
une dame, 500 1.; Mme de Maintenon, 356 L.; Anne d'Autriche, 240 1., ele. » 
A cette même vente, un portrait de la duchesse de Longueville fut payé 806 1. 
par un marchand nommé Joulain, qui se rendit également acquéreur des 
portraits de Mme de Montespan pour 480 1.; de la duchesse de Montpensier, 
303 1. 1 s.; de Marie- Jeanne- Baptiste de Savoye, 341 1. 1 s. ete. etc. (Cf. les 
Affiches de Paris, 1753, p. 37.) 


L'ÉMAILLERIE AU XVIIÆŒT AU XVIII SIÈCLE D21 


il était né à Dresde de parents suédois, mais passa sa vie en 
Angleterre, où sa réputation était immense. Rouquet, dont 
nous avons parlé plus haut, dit de lui dans son État des 
arts en Angleterre : « Comme Petitot, M. Zincke a aussi 
possédé des manœuvres et des substances qui lui étaient 
particulières, et sans lesquelles ses portraits n’auraient 
jamais eu cette liberté de pinceau, cette fraicheur, cet em- 
pâtement qui lui donnent l'effet de la nature, et qui font le 
mérite principal de ses ouvrages. » 


MEYER (JEREMIAH), né à Tubingue en 1728, mort en 1789: 
il vint en Angleterre en 1742, et y apprit l’art de la pein- 
ture sous la direction de Zincke. Il fut un des membres 
fondateurs de l’Académie royale de Londres. 


ENGEHEART (GEORGES), né et mort en Angleterre. Il était 
peintre du roi Georges IIT, et, de 1774 à 1812, exposa sou- 
vent à l’Académie royale de Londres. 


Howe (NATHANIEL), né à Dublin en 1730, mort en 1784: 
il vint de très bonne heure en Angleterre, et séjourna sur- 
tout à York et à Londres, où il fut, comme Meyer, un des 
-membres fondateurs de l’Académie royale. Il signait N. FH. 
ou Nath! Howe. | 


CoLLiNs (RicHARD), né à Londres en 1751, élève de 
Mever ; en 1789, il fut nommé peintre en émail du roi; on 
connaît de lui plusieurs beaux portraits. 


BonE (HENRY), né en 1765; après avoir travaillé dans les 
manufactures de porcelaines de Plymouth et de Bristol, il 
vint à Londres en 1788, où il peignit des portraits qui le 
firent nommer pensionnaire de l'Académie royale; il mourut 
en 1832. 


522 L'ÉMAILLERIE 


À côté des peintres sur émail dont nous venons de citer 
les noms, et qui étaient de véritables artistes, il v avait, 
au xXvire et au xvie siècle, une légion d’orfèvres et de 
bijoutiers émailleurs . d'une habileté prodigieuse, et qui 
savaient varier à l'infini les effets qu'ils obtenaient sur l'or 
et l'argent avec les émaux peints ou les émaux opaques et 
translucides, sur des fonds unis ou guillochés, ou sur des 
ciselures en relief. À la fin du règne de Louis XV surtout, 
et pendant celui de Louis XVI, les bijoux émaillés devinrent 
à la mode; on émaillait tout, même les boucles de souliers. 
Quant à Limoges, il n’y restait, pour ainsi dire, aucune 
trace de l’émaillerie au milieu du xvinre siècle. « Cet art, dit 
le Dictionnaire de d’Expilly, qui avoit autrefois beaucoup 
de célébrité à Limoges, et qui supposoit dans ceux qui 
lexerçcoient une certaine connoissance du dessin et même 
de l’entente dans la distribution des couleurs, y est aujJour- 
d'hui réduit à fort peu de chose. Il n’y a plus dans cette 
ville qu'un seul artiste qui le possède'et l’exerce encore. » 


1 On lit dans les Avis divers du 20 janvier 1778 : 

« D'abord on s’est contenté d’émailler les ouvrages de poche, comme bon- 
bonnières, souvenirs, boîtes à mouches et autres. Mais on s’est appliqué 
depuis peu à employer ces nouveaux ornements sur les boucles de souliers 
d'hommes et de femmes; et on l’a fait non seulement avec une délicatesse et 
un art que rien ne peut surpasser, mais encore avec Loute la solidité possible. 

« Leur beauté parfaite, soit pour le travail, soit pour la forme et le goût, 
donne lieu d'espérer qu'elles seront recherchées avec plaisir et empressement. 

« On trouvera de ces nouvelles garnitures de boucles émaillées en or, à Paris, 
chez le sieur GRANCHER, bijoutier de la reine, quai de Conty, au Petit Dun- 
kerque, vis-à-vis le Pont-Neuf. » 


L'ÉMAILLERIE À L'ÉTRANGER DU XVIe AU XVIIIe SIÈCLE 


En dehors de la France, l’histoire de l’émaillerie, du 
xvie siècle jusqu'à la fin du xvine, n'offre rien de bien 
intéressant, au moins sous le rapport artistique; nous nous 


bornerons donc à indiquer brièvement, pour chaque pays, 
les quelques particularités qui méritent d’être signalées. 


IraALtE. — Les émaux sur relief ou de basse taille, dont 
nous avons parlé plus haut, et qui, ainsi que nous l'avons 
vu, avaient servi à enrichir un si grand nombre d'œuvres 
d’orfèvrerie, paraissent avoir été à peu près abandonnés en 
Italie à dater du commencement du xvie siècle. BENVENUTO 
CELLINI, dans son Trailé de l’orfèvrerie, parle assez lon- 
guement de l’art de l'émail, « cet art, dit-il, si florissant à 
Florence, et cultivé avec succès par les orfèvres allemands 
et français, notamment par ceux de Paris, » et l’on peut, 
ainsi que son élève AscanIo DE Mari, le ranger au nombre 
des émailleurs; mais l’émail tel qu'il Pappliquait semble 
avoir joué un rôle relativement peu important dans les 
œuvres d’orfèvrerie qu'il exécutait, et ne constituait pas, en 
tout cas, un art indépendant. 


524 L'ÉMAILLERIE 


L’émaillerie, du reste, était trop limitée dans ses moyens 
d'expression et se trouvait assujettie à des difficultés d’exé- 
cution trop grandes pour pouvoir convenir à des artistes qui 
avaient à leur disposition les ressources infinies que leur 
fournissaient les différents modes de peinture usités alors 
en Italie, et qui en outre, sous le rapport de l’art indus- 
triel, trouvaient dans les belles mosaïques de Pesaro, de 
Faenza, de Caffagiolo, d'Urbino, etc., les moyens de lutter 
avantageusement avec les produits des artistes de Limoges. 

Quelques orfèvres néanmoins s’essayèrent dans l’art des 
Pénicaud; mais leurs émaux, fort rares et de peu d’impor- 
tance, montrent combien le génie italien se pliait peu 
facilement à lemploi de ces procédés longs et difficiles. 
Comme à Limoges, ils se sont servi généralement d’émaux 
translucides de couleurs variées, posés sur des paillons ou sur 
le métal légèrement guilloché, et rehaussés de fines hachures 
d’or ou d'émail blanc; les chairs étaient également modelées 
en blanc sur un dessous violacé, mais ces blancs sont d’une 
touche un peu maigre et légèrement en épaisseur; on 
sent qu'ils ont été posés au pinceau, procédé que n’em- 
ployaient pas les émailleurs limousins. Le Louvre possède 
deux émaux de ce genre, et on en trouve dans la collection 
de M. Spitzer un très bel exemple, qui montre bien de 
quelle façon on procédait : c’est une belle Paix en forme 
dautel, dont la plaque en émail représente la Déposition de 
la croix; à la partie supérieure, on voit Dieu le Père ; 
quelques vêtements sont en émaux opaques rehaussés de 
blanc légèrement nuancés, d’autres en émaux translucides 
modelés en hachures d’or. 

La même collection possède d’autres spécimens datant 
également de la première moitié du xvie siècle, dans les- 
quels les procédés varient un peu; on y sent toujours l’in- 
tention d’imiter les émaux de Limoges, mais à l’aide de 


L'ÉMAILLERIE DU XV AU XVIII SIÈCLE 929 


moyens plus simples et plus faciles, qui consistaient à 
colorer les personnages et les accessoires dessinés au trait 
sur le métal, et à recouvrir le tout d’une couche d’émail in- 
colore transparent. Ces différences dans les procédés d’exé- 
cution prouvent bien que ce sont là les résultats de ten- 
tatives individuelles, et que l’émaillerie n’était pas pratiquée 
d’une facon suivie à cette époque en Italie. 

Il est cependant une sorte d’émaux qui, sans avoir rien 
de très artistique, forment cependant une classe tout à fait 
à part, qui appartient bien en propre à l’Italie. Ce sont 
surtout des bouteilles plates, des aiguières, des vasques, 
des bassins et quelquefois des vases religieux, de formes très 
pures, en cuivre décoré généralement, en relief au repoussé, 
de godrons droits ou courbes. Ces pièces sont couvertes en 
plein de fonds en émail blanc, bleu et vert, semés d'étoiles, 
de feuilles légères de chêne ou de fougères appliquées en or 
après coup. Quelques rares spécimens portent au centre 
des armoiries italiennes ou allemandes assez grossièrement 
peintes, avec des émaux lourds et sans éclat. On attribue 
généralement ces émaux à Venise, et on les désigne habi- 
tuellement sous le nom d’émaux vénitiens, mais, en réa- 
lité, on ne sait rien sur leur origine ; quant à la date de 
leur fabrication, elle est connue par l'inscription suivante, 
qui se trouve sur un ciboire appartenant à M. le baron 
Gustave de Rothschild : DNS BERNARDINYS DE GARAMELLIS 
PLEBANVS FECIT FIERI DE ANNO MCCCCCII. 

Il ne semble pas non plus que la miniature sur émail ait 
été beaucoup pratiquée en Italie, et c’est à peine si on trouve 
une artiste, GIOVANNA MARMOCHINI, née à Florence en 1666 
et morte en 17351, que l’on puisse ranger parmi les peintres 
en émail ayant eu quelque talent. 


ALLEMAGNE. — Cologne, dont les ateliers avaient fourni, 


3526 | L'ÉMAILLERIE 


au xue et au xuie siècle, les couvents et les églises d’Alle- 
magne d'un si grand nombre de chefs-d'œuvre d’orfèvrerie 
émaillée, avait vu, comme Limoges, baisser peu à peu la 
vogue dont jouissaient autrefois ses émaux, et avait dû 
transformer sa fabrication ; on y fit, comme en Italie et en 
France, des émaux de basse taille; mais ce n’étaient géné- 
ralement que des imitations, dans lesquelles on ne retrouve 
plus ce caractère d'art qui distinguait ses anciens émaux 
champlevés. | 

L’émail cependant fut toujours en grand honneur en 
Allemagne; mais on ly employa surtout à recouvrir de l'éclat 
de ses couleurs les reliefs des bijoux ou des pièces d’orfè- 
vrerie ciselée qui sortaient des mains des habiles artistes 
d'Augsbourg et de Nuremberg. Le musée de la Voûte-Verte 
(Grüne Gewælbe), à Dresde, conserve un grand nombre de 
ces pièces émaillées, datant du xvue et du xvine siècle, et 
parmi celles-ci les fantaisies plus où moins bizarres que 
MELcxioR DINGLINGER (+ 1731), orfèvre et émailleur, né à 
Ulm, mais qui avait appris son art à Augsbourg, exécutait 
pour l’anmusement de entourage frivole d’Auguste le Fort, 
électeur de Saxe et roi de Pologne; le plus curieux et le 
plus important de ses ouvrages est, sans contredit, la Cour 
du Grand-Mogol Aureng-Zeyb, à Delhi, qui reproduit en 
ronde-bosse tout un monde de petits personnages, princes, . 
soldats et serviteurs, ciselés en or avec un talent incontes- 
table, et recouvert d’émaux de diverses couleurs. 

Parmi les plus célèbres orfèvres émailleurs allemands 
nous citerons encore WENZEL JAMNITZER ! (1508-1586), de 
Nuremberg, et son neveu et élève CHRISTOPHE JAMNITZER 
(1563-1618), qui tous deux ont dessiné et gravé un certain 
nombre de modèles d’orfèvrerie ; HANS MuELICH ou MIELICK, 


1 1] fut successivement orfèvre de Charles-Quint, de Ferdinand [°", de Maxi- 
milien IE et de Rodolphe IT. 


L'ÉMAILLERIE DU XVIS AU XVIII SIÈCLE DO 


qui vivait dans la seconde moitié du xvie siècle, et surtout 
. Davin ATTEMSTETTER (+ 1600), d’Augsbourg, qui décorait 
démaux translucides d’un caractère assez particulier des 
plaques d'argent (pl. C) destinées à orner les cabinets ?, les 
pendules, les coffrets, etc. Le musée national de Munich 
possède un très riche cabinet d'ivoire fait par Christophe 
Angermaier, et dont les tiroirs et les portes sont décorés 
d’un grand nombre de plaques sorties des mains de cêt 
habile émailleur. | ; | 

Quant à la peinture sur émail; elle fut pratiquée égale- 
ment en Allemagne, mais avec beaucoup moins de talent 
qu'en France; les portraits et les copies de tableaux que 
nous avons vus dans les musées et les collections dénotent 
une habileté extrême et montrent l'emploi de couleurs 
pures et admirablement glacées, mais ils sont d’une facture 
sèche et maigre qui contraste singulièrement avec la ma- 
nière franche et la touche sûre de la plupart des miniatu- 
ristes français. Les plus renommés parmi les peintres sur 
émail allemands sont : GEORGE SrraucH (1613-1675), de 
Nuremberg, dont la Kunstkammer de Berlin conserve un 
bel émail représentant la Paix embrassant la Justice, Signé 
Gr. St. 1661; — BLÉZENDORF, né en Suède, mais qui vint 
s'établir à Berlin, où il mourut en 1706; il existe de lui dans 
la Kunstkammer un remarquable portrait de la reine Char- 
lotte; — Peter Boy, de Francfort qui a peint d’après nature 


! On lui doit les dessins d’après lesquels furent exécutées les poignées de 
l'épée et du poignard qui ont, dit-on, appartenu à Parisot de la Valette, 
grand maîlre de Malle, et qui sont conservés au Louvre et au cabinet des mé- 
dailles à la Bibliothèque nationale. 

? On donnait autrefois le nom de cabinet à un petit meuble à compartiments 
et à nombreux tiroirs, dont la forme compliquée, et souvent architecturale, 
tenait tout à la fois du coffre et de l'armoire. « C’est, dit Nicor, un coffre ou 
une armoire de bois dedans quoy l’on serre or et argent, joyaux et habillemens 
précieux, vaisselle et bague, papiers d'importance, et en somme ce que l’on a 
de beau pour délices et usage plus nécessaire. » 


528 L'ÉMAILLERIE 


des portraits pour dessus de boîtes, tabatières, etc.; on con- 
nait de lui les signatures : P. B. 1679; Peter Boy ad viv. pinxit 
a° 1076 ; il était également orfèvre; son fils, PIERRE Boy, 
mort en 1742, peignait également sur émail; — Isaac-Jacos 
CLAUZE, né à Berlin en 1728; c'était en outre un habile 
peintre sur porcelaine; — ARDIN, de Dusseldorf; — ISMAEL 
MENGS, né à Copenhague, mais qui passa presque toute 
son existence à Dresde, où le musée de la Voûte-Verte 
possède de lui une Madone et un Ecce homo assez remar- 
quables; il mourut en 1764; le célèbre RAPpHAEL MEXGs, 
son fils, né à Aussig, en Bohème, commença sous sa 
direction à peindre sur émail. 

À Vienne, nous trouvons : PH.-E. SCHINDLER, né à Dresde 
en 1723, qui, jeune encore, se rendit à la cour de Vienne, 
où 1l fut bien accueilli, et où il fut nommé, en 1770, direc- 
teur de l'Académie impériale et royale; il a peint surtout 
des boitiers de montres et des tabatières, qu'il signait : 
Schindler Wienn; et JAcoB BoDEMER, né à Nottingen, près 
Carlsruhe, en 1777, et mort en 1824 à Vienne, où 1l avait 
acquis une grande réputation. 

Nous citerons aussi les deux frères HuAULT (JEAN- 
PIERRE et AMi), qui, tout jeunes encore, quittèrent Châtel- 
lerault, leur ville natale, pour aller à Genève et de là à 
Berlin, où ils furent nommés, en 1686, peintres de l’élec- 
teur de Brandebourg ; ils ont peint surtout des boîtiers de 
montres; mais il existe d’eux quelques portraits d’une belle 
exécution, et dont plusieurs ont été gravés. Ils revinrent à 
Genève en 1700. Ils signaient : Les deux frères Huault, 
peintres de S. A. $S. de B. à Berlin; Les frères Huault; 
P. Huavo primogenitus f.; Huaud le puisné fecit, etc. à 

Nous devons mentionner également parmi les œuvres de 
l’'émaillerie allemande les petits objets de fantaisie qui étaient 
de fabrication courante à la fin du xvre et pendant une 


L'ÉMAILLERIE DU XVI AU XVIII SIÈCLE 529 


grande partie du xvire siècle, tabatières, boîtes à mouches, 
bonbonnières, étuis, etc., en cuivre entièrement émaillé en 
blanc pour imiter la porcelaine, et décorés de sujets variés 
en couleurs ou en camaïeu brun-sépia ou rose carminé. 
Ces objets sont généralement d’une exécution qui n’a rien 
de bien artistique; mais on en rencontre quelquefois qui 
ont été décorés par des peintres de talent. On les confond 
souvent avec les émaux de même nature sortis de la manu- 
facture anglaise de Battersea, dont nous parlerons plus loin. 


ESPAGNE. — On ne savait absolument rien sur l’histoire 
de lémaillerie en Espagne jusqu’au jour où la publication 
de l’ouvrage' du regretté baron Ch. Davillier est venue jeter 
un peu de lumière sur la marche de cet art, qui n’a peut- 
être pas produit des œuvres bien originales, mais qui n’en 
a pas moins joué un rôle assez considérable dans la déco- 
ration de l’orfèvrerie espagnole, surtout au xvie siècle. Cest 
donc cet excellent ouvrage que nous prendrons pour guide 
dans cette partie de notre travail. 

On conserve en Espagne plusieurs bijoux datant du 
xve siècle, surtout des amulettes d’or et d'argent, entière- 
ment décorés d’arabesques et d'inscriptions dessinées par 
des cloisons extrêmement minces, soudées avec une habi- 
leté remarquable et formant des alvéoles remplies d’'émaux 
opaques bleu turquoise, vert foncé, noir et rouge brique, 
et l’on connaît quelques armes ? ornées d’émaux également 
cloisonnés d'un travail délicat, et dont les dessins, aux 


1 Recherches sur l’orfévrerie en Espagne au moyen äge et à la renaissance. 
Paris, grand in-8°, Quantin, éditeur. 

? Entre autres la belle épée que le duc de Luynes a offerte au cabinet des 
médailles de la Bibliothèque nationale, ainsi que l'épée et la dague apparte: 
nant au marquis de Villaseca et qui, suivant la tradilion, sont celles de Boab- 
dil, dernier roi de Grenade, qu’un des ancêtres du possesseur actuel, Diego 
Fernandez de Cordoba, fit prisonnier le 21 avril 1483. 

34 


530 L'ÉMAILLERIE 


combinaisons géométriques, rappellent les plus riches déco- 
rations de l'Alhambra; mais ce sont là les produits des arts 
importés par les Maures, et qui paraissent n’avoir exercé 
aucune influence sur l’émaillerie espagnole. 

Il ne reste pas de spécimen des pièces d’orfèvrerie men- 
tionnées dans les inventaires des xive et xve siècles, et 
décorées « d’esmaux à la façon d’Espagne » ou « d’esmaux 
d'Aragon ! », et il est assez difficile de dire à quelle classe 
appartenaient ces émaux; il est à présumer cependant que 
c'étaient des émaux de basse taille ou sur relief, faits à 
limitation de ceux qui étaient fabriqués en si grand nombre 
en France, et surtout en [talie, à cette époque; ce qui est 
certain, c’est que toutes les œuvres de l’orfèvrerie émaillée 
espagnole du xvie siècle qui sont parvenues jusqu'à nous 
sont généralement ornées d’émaux translucides sur bas- 
relief d’un travail de ciselure un peu lourd, si nous en 
jugeons par les quelques pièces que nous connaissons, entre 
autres par la grande croix de procession de la collection de 
M. Spitzer. Cette croix, qui est certainement un des monu- 


ments les plus importants et les plus remarquables de’ 


l'orfèvrerie religieuse du xvie siècle, est décorée, d'une 
facon assez discrète du reste, de petits sujets recouverts 
d’émail translucide monochrome, dont l’exécution ne ré- 
pond pas à celle de l’ensemble général de l'œuvre. M. Davil- 
lier donne les noms de quelques orfèvres du xvie siècle; 
mais les travaux d’'émaillerie qu'ils ont exécutés sont trop 
peu importants pour que nous les mentionnions. 

Il existe cependant quelques émaux champlevés sur cuivre 
en réserve, à gravure niellée d’émail d'un travail générale- 
ment maladroit, mais qui donne une idée assez exacte 
des émaux espagnols pour que nous en reproduisions 1ci 


1 Cf. De Larorne, Glossaire. 


its à db dll és, Là 


L'ÉMAILLERIE DU XVI° AU XVIII SIÈCLE 531 


un spécimen (fig. 110), et cela d'autant mieux que le genre 
de ciselure ou de gravure employé dans les émaux de basse 
taille est du même style. 

Mais nous devons mentionner surtout des émaux qui 
sont d’un genre bien particulier, et qui étaient exécutés par 





Fig, 110. — Émail champlevé à gravure niellée d’émail. 


Travail espagnol, xvr siècle. 


(Coll. de M. Ch. Stein.) 


les orfèvres de Barcelone à la fin du xvre et au commence- 
ment du xvie siècle. Ce sont surtout des reliquaires, des 
médaillons, des ex-voto, quelquefois des paix, ou même de 
petites boîtes et des colliers, en cuivre décoré d’émaux in- 
crustés qui ont été parfondus dans des alvéoles creusées 
dans le métal, et qui n’ont reçu aucun polissage. Les cou- 
leurs employées le plus souvent sont le blane, le noir et le 
bleu lapis; parfois, mais rarement, on y trouve le bleu tur- 
quoise. « La forme de ces reliquaires ou médaillons, dit 
M. Davillier, est tantôt triangulaire, tantôt carrée, tantôt 
hexagonale, ovale, etc. Ils se composent de deux parties, 
dont l’une est un cadre découpé à jour et entouré de rayons; 


D 32 L'ÉMAILLERIE 


l’autre partie, qui vient s'adapter dans ce cadre, représente 
assez souvent le saint Sacrement accompagné de palmes, 
d’anges, ou de la devise-rébus esclavo, figurée par un $ et 
par un clou.(clavo) entrelacés'. On y voit aussi le mono- 
oramme du Christ avec les emblèmes de la passion, celui 
de Marie surmonté d’une couronne (fig. 111) ou entouré 
de l'inscription : Concebida sin pecado original; parfois, 
au revers, une miniature est encadrée sous une plaque 
de cristal ?. » 

On faisait également en Catalogne de petits émaux peints 
sur plaques de cuivre, représentant Notre-Dame de Mon- 
serrat. « Ce couvent, dit M. Davillier*, situé à peu de 
distance de Barcelone, était autrefois, comme il l’est encore 
de nos jours, un lieu de pèlerinage en grande vénération ; 
il était fréquenté par de nombreux pèlerins, à qui étaient 
vendus ces émaux fabriqués à la grosse. Ils sont d’une exé- 
cution peu soignée et d’un dessin fort médiocre. Cependant 
nous en avons vu quelques-uns sur or, d’un meilleur travail; 
ils sont quelquefois sertis sur des médaillons d’or ou d’ar- 
gent. Le contre-émail est presque toujours grossier. » 

Quant à la miniature sur émail, elle paraît avoir été 
peu pratiquée en Espagne. Cependant Palomino“‘ consacre 
quelques lignes à cette peinture, qu'il appelle pintura de 
porcelana, et qui se fait « en émaillant en blanc sur or ou 
sur cuivre, au moyen de couleurs vitrifiables et minérales, 
qu'on mélange et qu’on fait durcir au feu... De notre temps, 
ajoute-t-1il, on fait de très belles choses de ce genre en 


! On se servait de ce signe en Espagne pour marquer les esclaves sur l'épaule 
au moyen d’un fer rouge. 

? M. Spilzer possède plusieurs de ces médaillons à miniatures peints sur vé- 
lin; il en a également un que ne connaissait sans doute pas M. Davillier, et 
qui renferme de petites figures en ronde bosse émaillées en plein. 

SOD CU DO: 

# Museo pictorico, Madrid, 1715, in-folio. 


L'ÉMAILLERIE DU XWE AU XVIII SIÈCLE 533 


Italie, en Allemagne et en France; les travaux qu'on exé- 
cute en Espagne ne leur sont pas inférieurs, notamment 
ceux de FRANCISCO PEDRAZA; et le sérénissime prince don 
Juan d'Autriche, dont il fut aposentador (chambellan), ne 
dédaignant pas ce précieux passe-temps, a peint des émaux 
aussi dignes de son génie que de sa grandeur. J'en ai vu 


CS) 






EX 
TA 
















re 





























Fig. 111. — Médaillon en cuivre décoré d’émaux incrustés. 


Travail espagnol, xvrie siècle. 


(Coll. de M. Ed. Bonaffé.) 


un de sa main, exécuté avec une rare perfection, qui re- 
présentait une Conception de Notre-Dame daprès une 
estampe de Pietro de Cortone... ». 

PORTUGAL. — Parmi les objets précieux que le Portugal 
avait envoyés à l'exposition rétrospective de 1867, figurait 
l’ostensoir en or massif, ciselé et émaillé, que don Manoel 
avait fait exécuter en 1506 pour le monastère de Belem avec 
l'or recueilli par Vasco da Gama dans la province de Quiloa '; 
si les émaux qui décorent ce chef-d'œuvre d’orfèvrerie ont 


! On lit sur cel ostensoir une inscription en caractères émaillés de blanc, dont 
voici la traduction: Le très haut prince et puissant seigneur roi don Manoel 
a ordonné de le faire avec l’or et les tributs de Quiloa. Achevé l'an [11506. 


534 L'ÉMAILLERIE 


été exécutés par un artiste portugais, ils font regretter que 
l’art de l’émaillerie n'ait pas poussé de plus profondes 
racines dans ce pays. « La plume, dit M. de Linas!, est 
impuissante à décrire l’ostensoir de don Manoel... Ces émaux 
opaques ou translucides sur relief sont d’une admirable pu- 
reté et d’un poli très brillant. Non seulement les motifs 
principaux, mais encore les moindres ornements d’archi- 
tecture ont des parties émaillées. Les ramages des étoftes, 
les plumes des oiseaux, les nervures des fleurs et des mol- 
lusques, sont exprimés par un cloisonnage d’une délicatesse 
infinie, qui rappelle les plus beaux jours de Part byzan- 
tin... » On sait que ce chef-d'œuvre d'orfèvrerie fut fabriqué 
par GiL VICENTE, à cette époque où l’art portugais était en- 
core sous l'influence de l’école flamande, dont Jean Van- 
Evck avait introduit les principes à Lisbonne, lorsqu'il ac- 
compagna l’ambassadeur chargé de demander la main de 
l’infante Isabelle pour le duc Philippe le Bon; mais on 
ignore s’il en exécuta lui-même l’émaillerie, ou s'il appela 
à son aide un artiste étranger. Ce qui est certain, c’est que, 
depuis cette époque, on ne trouve rien dans les œuvres 
de l’orfèvrerie portugaise qui, sous le rapport des émaux, 
se rapproche de l’ostensoir de Belem. 


ANGLETERRE. — Nous avons vu plus haut quels encoura- 
gements avait reçus en Angleterre la peinture sur émail et 
avec quelle faveur Petitot, Bordier et d’autres artistes après 
eux y avaient été accueillis. Il nous reste à parler mainte- 
nant d'une classe toute particulière d’émaux fabriqués vers 
le milieu du xvine siècle à Battersea, un des faubourgs de 
Londres, et dont on rencontre souvent dans les collections 
des spécimens qui généralement sont confondus avec 


{DE Lixas, Histoire du travail. 


L'ÉMAILLERIE DU XYI° AU XVIII SIÈCLE D3D 


les émaux de Dresde, auxquels ils sont cependant supé- 
rieurs. cb t 

La manufacture d’émaux de Battersea fut fondée, vers 
1753 ou 1754, par ÉTIENNE-THÉoDoRE JANSSEN, fils d’un 
Français qui avait dû s’expatrier lors de la révocation de 
l'édit de Nantes. Janssen ne chercha pas, comme les 
peintres français, à produire des œuvres d'art ou des mi- 
niatures, et se borna à fabriquer de petits objets élégants et 
coquets, de formes et de destinations variées, qui devinrent 
bientôt à la mode. Horace Walpole écrivait, le 18 septembre 
1755, à son ami Richard Bentley : « J’ai acheté pour vous, 
mais simplement comme spécimen, une jolie petite baga- 
telle de la nouvelle manufacture de Battersea; c’est une 
tabatière en cuivre émaillé... » Il ne semble pas cependant 
que Janssen ait fait de bien bonnes affaires, car dès 1756 le 
Public Advertiser annonçait à deux reprises « la vente par 
autorité de justice des meubles, objets d'art, émaux, etc. 
de la manufacture de Battersea ». Cependant la fabrication 
ne cessa point tout à fait; un arrangement particulier inter- 
vint probablement, et la manufacture subsista encore, 
mais languissante et presque abandonnée, jusqu'en 1775, 
époque où elle disparut tout à fait. | 

Les émaux de Battersea sont remarquables par la variété 
de leurs formes, la perfection de leur fabrication, la pureté 
et la blancheur de l'émail, et surtout par la délicatesse de 
la dorure et de la partie de l’ornementation qui accompagne 
le décor imprimé. Cest là, en effet, un des caractères dis- 
tinctifs de ces émaux, d’être presque tous décorés par 
impression, c’est-à-dire au moyen de reports de gravures 
en taille-douce tirées avec des encres contenant des oxydes 
colorants qui résistent au feu. Cest, du reste, en Angleterre 
que furent faites les premières applications des procédés 
d'impression à la décoration de la céramique, procédés que 


536 L'ÉMAILLERIE 


la France ne devait employer que dans les premières années 
de notre siècle, alors que depuis cinquante ans les manu- 
factures de Worcester et du Staffordshire, ainsi que celle 
de Rôrstrand, en Suède, décoraient ainsi leurs nombreux 
produits '. Et cependant, dès 1755, Rouquet, peintre émail- 
leur français, dont nous avons parlé plus haut, de retour 
à Paris après son séjour en Angleterre, avait signalé dans 
sa brochure sur l’État des arts en Angleterre les procédés 
d'impression sur émail et tout le parti que l’on en pou- 
vait tirer. Certains graveurs anglais semblent même avoir 
travaillé spécialement pour les émailleurs et les céra- 
mistes, à en juger du moins par les répétitions assez 
fréquentes des mêmes sujets sur des pièces de faïence 
ou de porcelaine de diverses fabriques et de dimensions 
variées, ainsi que sur des émaux de Battersea. Un des 
plus féconds en ce genre, celui dont les gravures se 
trouvent reproduites le plus souvent, est un dessinateur- 
graveur nommé Pillement, qui prenait son bien un peu 
partout, et qui publia, sous le titre de The Ladies Amu- 
sement, un curieux recueil de deux cents planches sur 
cuivre, contenant plus de quinze cents petits sujets gravés 
quelquefois avec des réductions, et « pouvant, disait-il, 
être ainsi fort utiles aux fabriques de porcelaines, d’émaux 
et autres ». 

La manufacture de Battersea a produit une quantité 
considérable d'objets variés : tabatières, boîtes à mouches, 
bonbonnières, salières, étiquettes à vins et à liqueurs, 
flacons, vases, etc., enrichis de portraits, de scènes fami- 
lières ou satiriques, de paysages, de marines et de fleurs. 
Parmi les vases, les plus élégants et les plus ingénieux sont 
certainement les vases désignés sous le nom particulier de 


! Cf. notre Histoire de la céramique. 


L'ÉMAILLERIE DU XVI AU XVIII SIÈCLE 9937 


reversible candlestick, dont notre gravure (fig. 112) reproduit 
un spécimen que nous avons dessiné à Londres dans la 
riche collection de lady Charlotte Schreiber ‘. Le couvercle 





Fig. 112. — Reversible candlestick. 
Émail de Battersea. 


(Coll. de lady Charlotte Schreïber, à Londres.) 


vissé à l’orifice peut se retourner, et présente alors un bo- 
béchon qui transforme le vase en chandelier. Sur la face 
antérieure se trouvent des cartels à riche entourage en 


! Cette collection, une des plus importantes et des plus complètes qui 
existent en Angleterre, et qui comprend non seulement les plus beaux produits 
des manufactures de porcelaines et de faïences anglaises, mais aussi d’admi- 
rables porcelaines de vieux Chine, a été généreusement donnée par lady 
Charlotte Schreiber au musée de South-Kensington. 


538 L'ÉMAILLERIE 


relief doré, décorés de paysages imprimés en camaïeu rose 
violacé. 


Nous manquons de renseignements sur l’époque où lart 
de lémaillerie fut introduit dans les autres contrées de 
l'Europe, et sur la façon dont il y fut pratiqué ; à en juger, 
du reste, par les spécimens qui existent dans quelques 
collections et par ceux qui ont figuré dans nos expositions 
rétrospectives, les émaux des pays étrangers, en dehors 
de ceux que nous avons étudiés, m'offrent rien de bien 
intéressant sous le rapport artistique, ni rien de particulier 
comme fabrication. 


VI 


L'ÉMAILLERIE EN ORIENT 


PERSE. — A l'exception de la coupe de la Bibliothèque 
nationale que nous avons signalée plus haut (p. 455), et 
qui donne un exemple de décoration obtenue par le pro- 
cédé du cloisonnage, nous ne possédons aucun spécimen 
de fabrication persane qui se rattache à l’émaillerie, bien 
que, suivant toute apparence, ce soit par la Perse que la 
pratique de cet art est arrivée à Byzance au vie siècle. Les 
pièces les plus anciennes que nous connaissions de l’orfè- 
vrerie persane émaillée ne montrent généralement que le 
procédé banal d’ornements réservés en relief se -détachant 
sur un fond uni d’émail monochrome, ou celui qui consiste 
à appliquer de petites plaques d’émail peint rapportées 
sur la surface de la pièce, et serties dans une bande de 
métal qui leur sert d'encadrement. | 

Il existe cependant, dans la collection de M. Bing, deux 
curieux plats en cuivre émaillé dans lesquels on trouve l’em- 
ploi d’un procédé dont nous ne connaissons aucun autre 
exemple, et qui est certainement une tradition et comme une 
sorte de transformation de l’ancien procédé du cloisonnage. 

Dans ces deux plats, qui, suivant toute apparence, re- 


540 L'ÉMAILLERIE 


montent au xvie siècle, le cloisonnage est obtenu par 
repoussé, c’est-à-dire que sur le métal très mince et très 
malléable, — mais doublé et renforcé après coup pour lui 
donner plus de résistance, — les lignes du dessin ont été, 
pour ainsi dire, soulevées au marteau, de façon à former 
des cuves remplies ensuite d’émaux de diverses couleurs, 
et cela avec assez de précision et de délicatesse pour que 
ces lignes repoussées en relief aient conservé l'apparence 
d’un cloisonnage ordinaire (fig. 113). Cest là un travail qui 
dénote chez son auteur une habileté tellement grande, et 
qui devait exiger une somme de temps si considérable, que 
nous ne sommes pas surpris de le voir aussi rarement 
employé. Les émaux où le bleu et le vert clair dominent 
sont d'une fraicheur de ton, d’une pureté et d’une harmonie 
remarquables. 


CHINE. — L'art de l’émaillerie, comme celui de la fabrica- 
tion de la porcelaine, remonte en Chine à une très haute 
antiquité ; le musée chinois de Fontainebleau, celui de 
South-Kensington, à Londres, et le musée industriel de 
Nuremberg, entre autres, possèdent des pièces antérieures 
bien certainement à la dynastie des Ming (1368), et qui 
sont remarquables par leurs beaux émaux opaques aux 
colorations chaudes et vibrantes, autant que par la sim- 
plicité et le grand caractère de la décoration; le pro- 
cédé employé est celui du cloisonnage obtenu à laide 
de lamelles mobiles soudées sur le fond. Plus tard, 
le décor perd un peu de sa sobriété, tout en conser- 
vant néanmoins une certaine sévérité d'aspect, mais les 
éléments qui le constituent restent toujours les mêmes. 
Comme dans les porcelaines, ce sont surtout les animaux 
symboliques : le dragon à la tête effrayante, à la mâchoire 
armée de dents aiguës, aux membres terminés par des 


L'ÉMAILLERIE.EN ORIENT 41 


griffes acérées, mais qui, malgré son aspect terrible, n’ap- 
paraît aux hommes que pour leur annoncer des événements 
heureux, ou le fong-hoang, l'oiseau des impératrices, en- 




































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































Fig. 113. — Plat en émail cloisonné par repoussé. 


Travail persan, xvire siècle, 


(Coll. de M, Bing.) 


touré de flammes trilobées; c’est surtout la chauve-souris, 
dont la présence exprime un vœu de félicité, ou les plantes 
et arbustes qui sont les emblèmes de la longévité : le 
bambou, le pin, la fleur du pécher, le ling-tchy, sorte 
d’agaric qui se conserve tel qu'on l’a cueilli, et enfin le 
nélumbo, la plante bouddhique par excellence et le symbole 
des forces vives de la nature; ce sont aussi, et plus parti- 


542 L'ÉMAILLERIE 


culièrement encore, les caractères chéou ou chou (longé- 
vité), dont la forme varie, mais qui tient toujours une place 
importante dans la décoration, et les koua, composés de 
huit combinaisons de trois lignes, brisées ou entières, 
représentant, les unes l'élément céleste, la force, les autres 
l'élément terrestre, la faiblesse, et entourant l'emblème 
mystique qui symbolise les deux principes de la nature. 

L'adresse des émailleurs chinois est extraordinaire; il 
semble que les difficultés de métier n'existent pas pour 
eux ; les brüle-parfums, de dimensions considérables, 
destinés aux pagodes ou aux palais des empereurs, sont 
décorés avec autant de soin et de finesse que les pièces 
d'orfévrerie les plus délicates. « La beauté des tons de ces 
cloisonnés, dit un savant critique d'art qui est en même 
temps un amateur de grand goût, est surprenante. Les 
châles de Cachemire et les tapis de prière persans du 
xvie siècle n'avaient rien de plus harmonieux dans la viva- 
cité, de plus tempéré dans léclat. Les artistes chinois 
emploient presque toujours les tons mats. Leur blanc est 
parfois légèrement teinté de lilas; leur bleu lapis rappelle 
l’éther insondable des nuits d'été, et leur bleu turquoise la 
palpitation du ciel lorsque naît l'aube. Ils ont un rouge 
éclatant comme le cœur dun œillet, et un jaune aussi 
velouté que celui des pétales du chrysanthème couleur de 
soufre !. » 

Sous la dynastie des Tsing, et particulièrement pendant 
le règne de Xien-Long (1736-1795), les émaux cloisonnés, 
qui avaient perdu en grande partie leur caractère d'art, 
furent à peu près abandonnés et remplacés par les émaux 
peints ou, suivant l'expression des Chinois eux-mêmes, 
les émaux-porcelaine (pl. IV'), dans lesquels on retrouve 


! Paicippe Burry, les Emaux cloisonnés; in-12; Paris, 1868. 


L'ÉMAILLERIE EN ORIENT 543 


toute la richesse de composition et l’habileté d'exécution 
qui distinguent les porcelaines de cette époque ; ce sont, 
du reste, les mêmes procédés de peinture, comme ce sont 
aussi les mêmes éléments décoratifs: les bordures élégantes 
à fonds de mosaïques variées ou à rinceaux fleuris, coupées 
par des réserves de fleurs (fig. 114), encadrant des sujets 






































Fig. 114, — Fragment de la bordure d’un grand plat en émail peint. 


Chine, xvine siècle, 


(Collection de M. Bing.) 


familiers, des scènes de la vie intime, des paysages, des 
fleurs ou des oiseaux. 

Malheureusement cette belle période ne dura pas long- 
temps, et, comme cela avait eu lieu pour la porce- 
laine, la peinture sur émail tomba bientôt dans un état 
de décadence et d’infériorité dont elle ne s’est pas relevée 
depuis. 

Les Chinois ont également connu et pratiqué le procédé 
du champlevage ; cependant les spécimens de ce genre 
d’émaillerie sont assez rares pour laisser croire qu'ils ne 
l’ont pas employé d’une facon suivie, et qu’ils lui préféraient 
le cloisonnage, dans lequel ils se sont montrés si habiles. 
La plaque, provenant d’un très curieux meuble, que re- 


544 L'ÉMAILLERIE 


produit notre figure 115, offre cette particularité qui ne se 
retrouve pas dans les émaux champlevés fabriqués en 
Europe, qu’elle a été fondue avec les cuves ou alvéoles 
destinées à recevoir l'émail, et que l’ouvrier n’a eu qu’à en 
retoucher les bords, et non à les creuser entièrement, 
comme cela se faisait pour nos anciens émaux champlevés. 
Les trois feuilles de la rosace du milieu sont entièrement 


réservées en cuivre gravé. 





Fig. 115. — Plaque d’applique en émail champlevé. 


Ancien Chine. 


(Collection de M. Bing.) 


JAPON. — Les émaux cloisonnés japonais diffèrent des 
émaux chinois autant sous le rapport de la décoration que 
sous celui de la couleur ; mais l’habileté et l'adresse sont 
les mêmes chez les artistes des deux pays. Alors que les 
Chinois se plaisent habituellement dans les colorations 
franches et parfois même un peu crues, les émailleurs japo- 
nais semblent rechercher avant tout l'harmonie dans les 
tons rompus, dans les nuances douces, calmes et un peu 
effacées. Quant à leurs décorations, elles sont plus variées, 
plus fantaisistes et surtout plus vivantes que celles des 
Chinois; c’est principalement dans la nature qu'ils prennent 
leurs modèles, et s'ils représentent des animaux, des in- 
sectes, des poissons, des oiseaux ou des fleurs, ils le font 
avec ce sentiment exact de la forme qui est un des carac- 
tères de leur talent, et ils savent leur donner une vérité de 
mouvements et dattitudes qui contrastent singulièrement 


POP NT. LL, 


L'ÉMAILLERIE EN ORIENT 545 


avec l’art conventionnel, immobilisé, et, pour ainsi dire, 
hiératique des Chinois. 

Il y à vingt ans à peu près, l’art de l’'émaillerie cloisonnée 
a eu au Japon une sorte de renaissance qui a produit des 
œuvres absolument remarquables, dont l'envoi à l'exposition 
de 1867 avait excité une admiration générale. Malheureu- 
sement cette belle période ne dura pas longtemps, et les 



































Fig. 116. — Poignée en émail champlevé. 


Travail japonais, période moderne. 


(Coll. de M. Bing.) 


émailleurs japonais inondent aujourd’hui nos magasins de 
produits d’un bon marché incroyable, il est vrai, mais qui, 
sous tous les rapports, sont tellement inférieurs aux émaux 
de 1867, qu'il est à craindre que cet art si original et d’un 
caractère si particulier ne disparaisse bientôt. 

Les Japonais semblent n'avoir jamais pratiqué la pein- 
ture sur émail, que les Chinois avaient poussée si loin; mais 
ils connaissaient l’émaillerie champlevée, et ont fabriqué et 
fabriquent encore en ce genre des objets d'usage domestique 
et des pièces d'ornement pour armes, meubles (fig. 170); 


ustensiles, etc., dont les alvéoles sont remplies d’émaux 


546 L'ÉMAILLERIE 


d’une pureté remarquable. Quelquefois on trouve associés 
sur la même pièce les deux procédés ,de champlevage et 
d’émaillage par gouttelettes d’émail nuancé (fig. 117) posées 
avec une habileté que pourraient envier nos plus habiles 
émailleurs. 





Fig. 117. — Ornement d’applique en cuivre découpé émaillé par champlevage 
et par gouttelettes en épaisseur. — Travail japonais. 


(Coll. de M. Bing.) 


Nous devons signaler également parmi les produits de 
l’émaillerie japonaise les porcelaines recouvertes de dessins 
et d’ornements en émail cloisonné ; les procédés et les émaux 
employés pour ces porcelaines sont absolument les mêmes 
que pour les cloisonnés sur métal, dont elles ont l’appa- 
rence, égayée parfois par des zones de porcelaine blanche 
décorées en bleu sous couverte, et venant affleurer la partie 
émaillée. 


VIT 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE 


L'art de l’émail, dont nous avons suivi dans les chapitres 
précédents les différentes manifestations et les, transforma- 
tions successives, fut à peu près complètement abandonné 
pendant toute la première moitié du siècle actuel. Les expo- 
sitions du Louvre nous montrent bien encore de rares 
émaux peints par quelques-uns des miniaturistes émailleurs 
dont nous avons cité les noms plus haut; mais en réalité 
cet art, qui avait été en si grand honneur avant la révolu- 
tion, n'avait pu survivre au naufrage de l’ancienne société, 
et, à part AUGUSTIN !, « peintre en miniature de la chambre 
et du cabinet de Louis XVIII, » nous ne trouvons pas, 
jusqu’à l'époque actuelle, de peintres en émail dont le nom 
mérite d’être mentionné. 

L'art d’émailler les métaux était bien plus abandonné 


1 AUGUSTIN (JEAN-BAPTISTE-JACQUES), né à Saint-Dié (Vosges) en 1759, 
peintre en miniature et en émail, étudia seul et se forma sans maître (il figure 
au salon de 1796 comme clève de la nature et de la méditation). Ses plus 
beaux portraits en émail sont ceux de Napoléon Ier, de Joséphine, de Denon, 
de Louis XVIIT, et surtout son propre portrait, peint par lui-même en 1809, 
et qui est actuellement au Louvre. Il mourut du choléra en 1832. 


548 L'ÉMAILLERIE 


encore. « Ce n’était plus, dit un de nos plus habiles or- 
fèvres, qui est en même temps un écrivain distingué dont 
le nom se cache sous le pseudonyme modeste de M. Josse, 
qu'un métier fort accessoire dont l’orfèvre ne se servait ja- 
mais, dont le bijoutier usait avec de grandes réserves et qui 
nourrissait mal ceux qui le pratiquaient. Les émaux, tels 
qu'on les employait sur les bijoux et sur les montres, con- 
sistaient en nielles champlevés, en filets blancs et noirs, en 
guillochés et flinqués couverts d’une couleur transparente: 
l'extrême fragilité de ces verres, qui éclataient au moindre 
choc ou se fendaient sous l’action d’un courant d'air, les 
avait fait peu à peu près rejeter de l’ornementation des 
bijoux. (était le temps où les massives parures d’or mat 
nous venaient d'Angleterre et prenaient ici la vogue. En or- 
fèvrerie, l'émail avait moins de succès encore : les fabri- 
cants de grosserie ne soupconnaient pas qu’on en püt orner 
un vase d'argent; les fabricants dorfèvrerie religieuse en 
usaient timidement, recourant plus volontiers aux émaux à 
froid qu’au véritable émail: les grandes traditions décora- 
tives étaient perdues !. » 

Quant aux émaux limousins, qui avaient brillé d’un si vif 
éclat au xvie siècle et qui resteront une des gloires de lin- 
dustrie française, la fabrication en était délaissée depuis 
plus d’un siècle, et les procédés d'exécution complètement 
perdus. (Cest par eux cependant que commenca la renais- 
sance de l’émaillerie. 

Lorsque, à la fin de la Restauration, on voulut arracher 
l’art industriel à cette école pseudo-classique qui s'était 
absorbée dans la prétendue imitation d’une antiquité mal 
étudiée et surtout mal comprise, imitation qui n'avait su 
produire que des œuvres lourdes, sans grâce et sans élé- 


! Lettre de M. Josse, dans la Revue des arts décoratifs (mai 1883). 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XIX° SIÈCLE 949 


gance, c'est aux reliques des siècles passés, pendant trop 
longtemps dédaignées, mais recueillies depuis quelques 
années par des hommes intelligents et éclairés, tels que les . 
Lenoir, les du Sommerard, les Revoil, et plus tard les 
Sauvageot, les Carrand, les Debruge-Duménil, etc., que l’on 
demanda des modèles. 

Nous n'avons pas à étudier ici la marche qui se produisit 
dans la transformation des industries d'art à cette époque 
et pendant les années qui suivirent; on tomba d’un excès 
dans un autre, et après le faux classique on nous donna un 
faux gothique, puis une fausse renaissance qui ne valaient 
guère mieux. 

L’émaillerie, dont les procédés d'exécution présentaient 
de trop grandes difficultés pour être à la portée de tous, 
échappa à ce mouvement un peu désordonné. ; 

Quelques fabricants s’en emparèrent cependant; mais 
comme, après de longues années de recherches et de tâton- 
nements, ils n'avaient obtenu que des résultats assez mé- 
diocres, la manufacture de Sèvres, fidèle à sa mission, qui 
doit être, avant tout, de venir en aide à l’industrie privée, 
et qui avait déjà remis en honneur l’art de la peinture sur 
verre, prit la cause de lémaillerie en mains. On trans- 
forma les anciens ateliers de peinture sur verre en ateliers 
de peinture en émail, et bientôt la manufacture put mon- 
trer avec orgueil les beaux travaux de M. MEvYER-HEINE 
d'abord, puis de M. Aporr', de M. Paur Avisse et surtout 
de M. Gogerr, l'artiste éminent dont les émaux. trop rares 
malheureusement, resteront parmi les œuvres les plus re- 
marquables de l’émaillerie française. 

L'élan était donné, et l’art des Pénicaud et des Limosin 


! M. Apoic a exécuté sur fer des émaux qui, comme dimension, sont supé- 
rieurs aux grandes plaques du musée de Cluny dont nous avons parlé plus 
haut. : 


550 L'ÉMAILLERIE 


eut bientôt de fervents adeptes, parmi lesquels nous citerons 
en première ligne M. CLAUDIUS POPELIN, artiste distingué 
autant qu'écrivain érudit et délicat, qui aida à la renais- 
sance de lémaillerie non seulement en produisant des œuvres 
qui sont des merveilles de goût, de dessin et d'exécution, 
mais encore en écrivant des livres, comme l’Émail des 





Fig. 118. — Petit flacon à odeur. 
Émail genre limousin. 


(Fabrication de MM. Debut et Coulon.) 


peintres et les Vieux Arts du feu, dans lesquels il se 
montre tout à la fois praticien habile et littérateur exquis: 
M. FRÉDÉRIG DE Courcy, pour lequel la pratique de 
lémaillerie n’a pas de secrets, et qui emploie toutes les 
ressources que lui offre la coloration chaude et vibrante 
des paillons recouverts d’émaux translucides à l’exécu- 
tion d'œuvres d’un caractère élevé, empreintes d’un pro- 
fond sentiment religieux (pl. D), ou de portraits d’un des- 
sin élégant et distingué qui lui ont conquis une place 
à part parmi les artistes émailleurs de notre époque: 
M. CHARLES LEPEC, qui figure trop rarement aux expo- 
sitions, et M. ALFRED MEYER, dont le talent souple et 
varié se plie avec une égale facilité et avec un succès aussi 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XIX® SIÈCLE 551 


grand à l'exécution des pièces les plus importantes ou des 
bijoux les plus délicats. | 

L'industrie s’est emparée à son tour de cet art délaissé 
pendant si longtemps, et les délicieuses fantaisies créées par 
nos orfèvres et nos bijoutiers sont le plus souvent aujour- 





Fig, 119. — Plat en émail cloisonné, par M./Thesmar. 


(Musée des Arts décoratifs.) 


d’hui rehaussées d’émaux peints d’une exécution à rendre 
jaloux les plus habiles émailleurs de Limoges. | 

La renaissance de l’émaillerie incrustée est de date plus 
récente et ne remonte guère au delà de 1867, quoique bien 
avant cette époque M. Didron, le savant directeur des An- 
nales archéologiques, ait été l’ardent promoteur de lPappli- 
cation de l’émaillerie champlevée aux objets de mobilier 
ecclésiastique. 

Quant à lémaillerie cloisonnée, qui offrait de bien plus 


552 L'ÉMAILLERIE 


orandes difficultés d'exécution, les Lettres de M. Josse, que 
nous avons déjà citées, nous apprennent comment elle fut 
retrouvée par un ouvrier adroit, doué de persévérance et de 
volonté, nommé TARD, qui vint soumettre à deux orfèvres, 
MM. Christofle et Bouilhet, un premier essai où les dessins 
d’émail étaient circonscrits par des fils de cuivre laminé. 
Tard savait-il qu'il faisait 1à un émail cloisonné, ou plu- 
tôt, n'étant pas graveur lui-même et ne pouvant exécuter 
au burin les champlevés qui constituent la taille d'épargne, 
avait-il simplement cherché un procédé économique pour 
se passer du concours d’un graveur? La chose est probable, 
car son échantillon, d’un dessin incorrect et baroque, 
n'avait aucune analogie avec les types byzantins et les 
types chinois, et lPexcellent émailleur ne semblait pas se 
douter qu’il existât avant lui des émaux cloisonnés. 

Avec le procédé nouveau et presque inconnu qui leur 
était apporté, MM. Christofle et Bouilhet firent faire des 
essais de peu d'importance, mais d’un art charmant, qui 
figurèrent aux expositions de 1867, et qui furent suivis 
bientôt après d'œuvres plus considérables, et surtout de 
bijoux dessinés et exécutés avec l’aide de Tard par un homme 
d’un grand talent et d’un goût délicat, M. FALIZE ainé. 

Après MM. Christofle et Falize, plusieurs artistes et 
fabricants ont essayé de l'émail cloisonné en puisant dans 
l’art japonais un nouveau style de décoration; parmi les 
premiers nous citerons plus particulièrement deux artistes 
éminents, MM. THESMAR et JAMES TissorT. 

De M. Thesmar nous citerons particulièrement quelques- 
unes des pièces qu'il a exécutées pour le compte de M. Bar- 
bedienne, l’éminent fabricant de bronzes, entre autres le 
Faisan doré et le Canard volant, qui resteront des œuvres 
maîtresses dans lesquelles on ne sait ce qu'il faut le plus 
admirer, de la composition ingénieuse et du dessin toujours 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XIX° SIÈCLE 993 


correct de l'artiste, ou de l’adresse et de l’habileté de lémail- 
leur, qui a su nuancer ses émaux en teintes dégradées, 
fondre ses couleurs sur de grandes surfaces (fig. 119) et 
accumuler, pour ainsi dire, à plaisir les difficultés de cet 
art, déjà si difficile cependant. 

Quant à M. Tissot, ses émaux, exposés en 1885 au musée 
des Arts décoratifs, et fort admirés alors, portent la marque 
d’un talent très personnel aidé par une puissante imagina- 
tion d'artiste. 

En présence de tant d'œuvres remarquables, il est 
permis d'espérer que ces éminents praticiens trouveront 
des imitateurs, et qu'après avoir été délaissé pendant si 
. longtemps, l’art de l'émail reprendra dans la série des arts 
décoratifs la place d'honneur à laquelle il a droit. 


FIN 





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TABLE DES MATIÈRES 


PRAGUE ne PACE LEE mA AREA EN NE SET ALMA 2 


LA VERRERIE 


PAS VER RERUE DANS LAINIDIOUNRE NE RON En 


pe ee nn RE a RIDE AR it ne RPM ARR A dde < 
ASSURE Ne Ne RES TE D ER ON AN AP AS AT LE Mens 4 
RECENSE NAT ES Re Ann CLERS A A NE NERO CA CAM GE EEE 
IC CR ET ARE 

RÉ CE AT En me de ARE te et MA SE NE RP ee A ET 
alles ere UE PR AE ET PA NERO ST DE Le PETER LUN 
CRAN Er EE CP ere NL PM AE cn AE ST Ar AS ER Pt is 
Dirérentessortesdemerte antique RP SRE 


II. — LA VERRERIE AU MOYEN AGE EN ORIENT ET EN OCCIDENT. 


ITT. — LA VERRERIE EN EUROPE, DU XV® AU XIXC SIÈCLE. . . . . . : . . 
SO NC MISE EN D AE ne RNA NT RE rte 
SAR MARS CPR PE EE EN ne RER LAN pe Mo CN A SN PE 
SEEN ae ee A RE NUE nee ae MRAIEe eNUR ES AN GENRES 
$ IV. — Pays-Bas. — Hollande. — Belgique. . . . . . . . . . . . 
SANS AMIE lee AR LT En ee em nee AN AN 
SAVIRREREES DATE A Re Eee LS SN TE pe er ee 
SN Chine Japon: Perse CRC NOURRIR CL 
S VIIT. — Fabrication des glaces. — La manufacture de Saint-Gobain. 
S IX. — Pâte de verre. — Verre filé. — Strass. — Verre églomisé, etc. 
Étabactueltdendhindustrie du verres. ee ne sie 0. 


556 TABLE DES MATIÈRES 


L'ÉMAILLERIE 


I: == "ORIGINES DE L'ENAILLERIE. 80 0 PU RRQ MT ARR 347 
SEM ANLLERIE AU MOYEN AGE D MAR RENE D RTE 379 
TL EMATCOLERIE AU RVIS SIECLE ES ON RARE NE RER Tr | AT AU 
Les aPénaudt Are A RP En ee 471 
LES ÉNMOMNerS 2  MRTER LT RC A DER RUE 31 te RASE ON SE 476 
Les Nouailner SE EU NU ge RE AU TR RP NE 484 
Les-Reymont SE CAEN Le ART RER 486 
M:-D. Pape s 4er CRETE ADEME € :. 'AREORPeRRE 490 
Les Conrteys 01 Courloysite eee SERRE "157, 5 Na CUT TRES 
Les Court où de COUT ENS PP <e RE 492 
Les Aude ER OS 0 ue CRU T ANNEES 496 
IV. — L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XVIIS ET AU XVIII siècle . . . . . . . 502 
Les émaux:Tesipelnires er RENE RER CT es CS AN Ibid. 
M. — L'ÉMAILLERIE À L'ÉTRANGER, DU XVI AU XVIIIS SIÈCLE. 523 
NI == D'ÉMAILLERIE EN ORIENT. SOLE Me et SOON CT TA TRE 39 


VII. — L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XIX® SIÈCLE. . . . . RS NE LAURE NS ONE A EC 


INDEX 


LA VERRERIE 


A 


Adlergläser | Verres à aigles). . 
Air comprimé (Soufflage du verre 

SON ENTENDRE TE 
Alexandrie | Verreries d’}.13, 49, 
Alicante { Soude d’) 
Allemagne (Fabrication du verre 


DEN ONE LT ET 


Altare | Verreries d'}. . . 
Altare |Verriers d’) 
Amulettes en pâte de verre. . . 
Angleterre [Les verreries en). . 
Animaux {Verres en forme d’). . 
Antioche (Verreries de 
Anvers (Verreries d’) . 
Apostelgläser (Verres des 4 
RES) EP DOME RNE TIENNE ee 
Appert frères, verriers. 
Apremont (Règlement de la ver- 
ROMEO ER ET ue dem 
Arabes PVerres nn ee, 
Argent | Verres à enveloppe d’) . 
Argonne | Verreries de l'}. . . . 
Aristophane mentionne les verres 
HÉRENSOMMREPMRINN LEA ETS 
Assyrie (Verres d'}. . . . . 
Attrape (Verres dits à) . : . . 
Aubisnya (Verres d'}..1170 
Aventurine | Verre dit) . . . 
Azémar (Jean et Pierre d’), ver- 


192 


162 


17 
16 
279 
116 
110 


B 


Beccarat | Verreries de) . . . . 
Bagues en pâte de verre. . . 
Baguettes de verre (Fabrication 
GE AN EN A AE Van La 
Bainville-aux-Miroirs | Verreries 
CO RAnNteRtEs 
Baldenievercien em eme 
Balladino (Francisco), verrier . 
Ballerino (Giorgio, dit {l), ver- 
RO NON SRE Era 
Barcelone (Verreries de). . 
Barille (Souderde | mure 
Bartholus (Thomas), verrier . . 
Bayet (Manufacture royale de) . 
BENOIT VERTE EEE 
Billes de Venere. VRP 
Blancs (Verres) de Venise . . . 
Bohême | Verreries de). . . . . 
Bongars (Les), verriers . . . . 
Bongart (Florent), verrier. . . 
Bonhomme {Les}, verriers. . . 
Bontemps. {Ses travaux sur la 
fabrication du verre. . . . . 
Bosc d’Antic {Mémoire sur le 
DORRELA DAT) er Mens de AN 
Bové rertenMes EN Dune 
Briani (Cristoforo), verrier. . . 
Briati (Giuseppe), verrier de 
Murano RCE 
Brossard (Antoine de), verrier . 


245 
12 


dE 


160 
175 
93 


88 
309 
129 
139 
202 

88 

ol 

90 
275 
154 
126 
291 


96 
230 
241 

69 


111 
186 


DD8 INDEX 


Bruxelles (Verreries de). . . . 289 E 
Bruyninck (J.), verrier . . . . 127 
3usson (Vincent), verrier . . . 139 | Églomisés (Verres dits). . . . 339 
Égypte (La verrerie en) . È N 
C Émaillés (Verres allemands) . 249 
Émaillés (Verres vénitiens) et 
Cacqueray (Philippe de), ver- HORS NS RUE € , ESS 
HER NS ME :.... . 458 | Émeraude {Verre imitant l') 21 
Cadalso | Verrerie de) . . . . . 310 | Espagne (La verrerie en). . . . 309 
Carpel (Matthieu de}, verrier. . 167 | Etoffes de verre. . . . . . . . 338 
Catacombes {Verres des). . . . 52 
Chambarant (Verrerie de la forêt F 
DEN NE NE Le aleS 
Charlemagne (Verre dit de) -. - 6L | Ferry{Benoît de), verrier, 2 #13 
Charles VI et les verriers . . . 115 | Figurines en pâte de verre. . . 334 
Chinie (Instruments de} en verre HhleNerre |... re 338 
antique oi TR Ce te o1 | Filigranés {Verres allemands) . 266 
Chine {La verrerie en). . . . . 314 | Filigranés (Verres de Venise) . 95 
Chrétiens (Verres) Mere 92 | Filigranes (Baguettes de verreà). 99 
Cives (Verres appelés). . . . . 209 | Flandres (Commerce de Venise 
Classification des verreries véni- SCOR ES REP ER EME 70 
HeNNES TE NNRARN ER EURE 85 | Flint-Glass. . . . . 172, 238, 306 
Colliers en pâte de verre. . . . 10 | Fontaine-du-Houx{Verreriedela). 152 
Comburants (Verres). . . . . 90 | Fortunat, évêque de Poitiers; — 
Constantin {Édit de}, rent ce qu'il dit des verres. : . . 114 
lestvenners "ee rie 175 | Fougère (Potasse extraite des 
Conte NS EE 204 cendreside la): 00 RE 130 
Cormoras (Verrerie de) . . . . 235 | Fougèére (Verres dits de). . . . 131 
Couches (Verres chinois à plu- France (La verrerie en) . . : . 443 
SEULS RENE PER RENE UNE 315 | France [Verre dit dej. . . . . 210 
Craquelés (Verres) . . . . . . 111 | Frédéric IIT (L'empereur et les 
Creuzot (Cristallerie du). . . . 243 verriers vénitiens):1-#n1e te 80 
Gristallin [Verre dit}: 24% #01 AN ERIÈTE LE Mar SARA 129 
Crown-glass (Verre dit) . . . . 308 | Frotté d’or (Verre vénitien). . 90 
Funéraires {Verres antiques). . 29 
D J 
G 
Damant (Pierre), verrier. . . . 165 
Damas {Verrerie de}. . : : . 58 | Gallé, de Nancy, verrier . . . . 343 
Darney (Verrerie de la forêt de). 157 | Gallo (Andrea et Domenico del), 
Dauphiné (Verrerie du) . . . . 124 VELDIBUE LL 07 UE SONNERIES 108 
Delamarre BRU EE Gallo-romaines (Verreries). . . 34 
Hier pad 142 a Re 140 
Dolmens (Objets en pâte de verre Gaulois { Verres). 2 er | 
trouvés dans les) . . . . . . 19 | Gentilshommes-verriers [Les) . 174 
Dorés (Verres antiques} ....  D2 | Girard (Anne), propriétaire de la 
Dorés (Verres italiens). . . . . 71 verrerie de Rouen. m4 1 
Doublés (Verres allemands) et Girard (Antoine), sieur de Saint- 
(16) VE MÉPNEE EE SPL PERRET OR a 271 Amand: 1%. 1087 ue 
Doublés {Verres antiques) . . . 35 | Givors {Verrerie de). . . . . . 237 
Drolenvaux, verrier. . . . . : 234 | Glaces de Menise . . . . . . . 108 


Ductilité du verre. . « . … . , 97 |: Gobert; verrier.. : 15 .., 2.008163 


Gotlelfes, Godolfes ou Guc- 
doufles (Verres appelés). . . 
Goult Verrerie de) rm en 
Gravés (Verres antiques). . 
Gravure au diamant. . . . 
Grèce (Verres de). . 
Gridolphi, verrier. . . 
Grosses verreries. . . . . 
Grue (Verre Hrouvé a) 00 
Guionnet-verriér.t Lee 


dire Re 


H 


Hazard énmaulleur seen 
Hématins | Verres dits) . 
Henri IT et les verriers de Venise. 


I 


Innungshumpen (Verres des 
COFPOrAlIONS) D ie Lee 
Inscriptions(Verres allemands à). 
Inscriptions (Verres antiques à }. 
Inscriptions (Verres français à) 
DHMAVIE SIRCIE MEET SECTEUR 
Irisations { Verres antiques à). . 
Italie (La verrerie dans l’ancienne) 
Italiennes (Verreries) du xv° au 
RECSIO TE EEE 


J 


_ Jacquin, fabricant de perles. . 
Japon_( La verrerie au). . . . 
. Judée {Verres de) 


Kali ou al-kali, employé dans 
la fabrication du verre. . 

Kunckel, chimiste ; ses verres 

Kurfürstengläser (Verres des 
Électeurs) 


Lacryimatoires: 2-20 he 
PasHaye Werreriende)6.4°% 

Lambert, verrier . . 
Lambotte (Thiery}), verrier. . . 
Lampes de mosquée en verre. . 
Lange (Jean), verrier 
Larmes bataviques. . 


INDEX 


125 
116 

45 
299 

22 
286 
19 
114 
125 


76 


254 
256 
31 


32 
23 


142 


107 
320 
29 


[4] 


128 
271 


253 


29 
153 


241 


164 
61 
161 
197 | 


Latticinio (Verre blanc opaque 
AUD) TRE Re 
Péntilestdenvernre Rem 
Le Vaillant de la Fiefte (Les), 
MERE LS SR CRT. Mie 
Liese (Verreries de}. . 
Lorraine | Verreries de la). . 
Lucas {Louis}, sieur de Nenou, 
VÉRÉLE TR 0 EN RM TN TRUE 
Lucas {Richard}, sieur de Nehou, 
VELHIER ARRETE 
Lyon (Verreries de). 
M 


Maladies des verriers. . . . . 
Malléable {Verre}. . . . . ù 
Mansell (sir Robert), verrier. . 
Marchands verriers à Paris en 
LES PRES HOT 
Mastic desvitriers: . : 2 à. 
M'illefiori (Verres anciens à). . 
Millefiori (Verres de Venise à). 
Miotlo (Domenico), verrier. . . 
Miroirs antiques en verre. . . 
Miroir de Venise. . 13e 
Mosaïque MERE) EEE 
Motta (Liberale), fabricant de 
MATOS ANMMRANONME HEART 
Motte (De La), verrier. . . . 
Mouchamp (Verreries de). . 
Moulés | Verres antiques). . . . 
Moyen âge (La verrerie au). . 
Muraille de verre 
Muranon(ile de) 2er 
Mutio (Theses ou Theseo), 
rier . 


VET- 


Nantes [Verrerie de). : : . : . 
Navire (Verres en forme de). . 
Nevers (Figurines de). . . . 
Nevers (Verreries de). . . 13, 
Normandie |Verreries de la). . 
Noyer {Nicolas du), verrier. . . 


0 
Opalins (Verres) 


Origine de la fabrication du 
VeRFEs et 


SRE etipeti a Dis 


509 


96 
50 


154 
292 
197 


327 
166 


183 
46 
305 


239 
227 
44 
105 
69 
48 
108 
105 


109 
170 
176 
3) 
DD 
D8 
68 


134 


124 

93 
399 
168 
154 
329 


960 


Orléans | Verreries d’). . . .. 
Orves (Verrerie de la forêt d'). 
Outils servant à fabriquer le verre. 


P 


Papier huilé remplaçant le verre. 
Paris | Verreries de). . . 
Parquets de verre. . . 
Passglas (Verre dit). . 
Pastillage (Décoration du verre 
au moyen du}... © 
Paten0iniers 0 
Pâtes colorées(Verres de Venise à). 
Pôle de verre 2eme 
Pays-Bas (Les verreries dans (be): 
Peintures égyptiennes représen- 
tant des verriers. . 
Peints (Verres allemands) . . . 
Peints (Verres antiques). . . 


Perles de verre . . . . . . 69, 
Perrot |{ Bernard), verrier. . . . 
Perse (La verrerie en) . . . 65, 
Petites-verreries. . . . . 153, 


Phénicie (Verre de). 3 
Pline (Récits de) sur l’origine du 


Pline (Ce qu’il dit sur la verrerie 
dans l'antiquité). à D Pete 
Plat (Verre dit en). : : . 156, 
Poitou (Verreries du) . : 
Porceluine | Verre façon). . . . 
Portland | Vase en verre dit de). 
Privilèges accordés aux verriers 
de Venise. à 
Prix des verres en 1 783. 
Provence (Verres de) . 
Pterotes (Verres dits) . . . . . 


R 


Rasenut Verrieres OLPC UAT. 
Rassades . . . 
Raux-émailleur.. 1.04 "2: re 
Recuence | Verreriede}. . . .« 
Reichshumpen (hanaps de l'Em- 
DOTE] NAMUR PATTES CE 
Renault du Bexy (Antoine), ver- 
DOTE PEN AE ANA CL 
René d'Anjou protège l induite 
AUVERTE AIR AT RNA AR ne 
Réticulée (Verres à enveloppe). 


INDEX 


169 
116 
94 


208 
133 

49 
264 


247 
142 
104 


280 


4 
269 
45 
100 
169 
320 
179 
17 


24 
210 
119 
170 


2 IN 
O0 OX 


EE = D 1 
OT © 


116 
39 


Rilorti [Verres dits à}. . . . . 
Kabert, -verrien es TRES IS 
Romer (Verre dit). . . . 
Rouen | Verreries de). . 
Rousseau, verrier. . 


S 


Sacro-Catino {Verre dit le) . . 
Saint-Amand et la verrerie de 
ROME.» Se ME 
Sainte-Anne | Verrerie de) . 
Saint-Antoine (Manufacture ‘de 
glaces du faubourg). . . . . 
Saint-Germain-en-Laye | Verre- 
MEME). + 'hE ON 
Saint-Gobain {Manufacture de ); 
sbnehimoire. 2 Tee 
Saint-Graal. Ne 
Saint-Louis {Cristallerie de}. 
Saint-Quirin (Verreries de). 
Salviati (Fabiano), verrier. . . 
San Martin de Valdeiglesias 
(VNerreme del Reese 
Sarcophages en verre. . . . . 
Sarode (Les), verriers. 
Schapergläser (Verres dits) . 
Schwanhart (Henri), inventeur 
de la gravure sur verre. . 
Sèvres (Cristallerie de). . 
Sèvres {Verrerie royale de). . . 
Sidon/(Verreries dé) 07-008 
Sidon | Verres de}, à inscriptions 
grecques . AE 
Silhouettes | Verres à) SE NE 
Soude employée dans la fabrica- 
Hlonjdu verre RANCE 
Soudés (Verres } Lee 
Soufflés (Verres antiques) . . . 
Spitzer (Verres de la collection). 
Strasbourg (Verre antique trouvé 


Table (Verre dit en). - . : . : 

Table (Fabrication du verre en). 
Taillés (Verres allemands) et 
dorés. é ESS 

Talmud | Passage du) relatif aux 
VOLTÉS 7 mes LU te MEME 


21 


145 
238 


325 
133 


322 

21 
244 
160 
119 


311 
14 
123 
70 


274 
240 
229 

18 


271 


128 
38 
29 
62 


39 
339 


DR Te 


RESSEreS eNIVErTEN ENTREE 
Thoret (Samuel), verrier. . . 
Toile cirée remplaçant le verre. 
Tourlaville {Verrerie de) 
Tummiler (Verre dit) 
Tyr (Verreries de). 


v 


Valdemaqueda [Verrerie de) . . 
Vendôme | Verre de}. . . , 
Vendrennes (Verrerie de). . . . 
Venise | Origines de la fabrication 

HP VENTE, à) RP RENE EEE 
Viadore (Andrea), fabricant de 

perles 


INDEX 


ol 
151 
208 
152 
262 

19 


311 
116 
123 


L’'ÉMAILLERIE 


A 


Allemagne(L'émaillerie en). 395, 
Angleterre {L’émaillerie en) . . 
Antiquité | L'émaillerie dans l’). 
Apoil, émailleur. 
Applications (Différentes) de l'é- 
HR SR Dre ne NC ee 
Aron EinaUs dj NN 
Ardin, peintre sur émail. 
Arezzo (Paolo et Pietro d’}, 
lévres-émailleurs LE. 
AS, marque d'émailleur. . . . 
Attemstetter {David}, orfèvre et 
ÉMAEUTAEN ESS 2e REA Er 
Avisse (Paul), émailleur. . . 
Aubert, peintre sur émail . . . 
Augustin (Jean-Baptiste-Jacques), 
peintre Sur Email Mer 
ANCISDORDAUISN NME Cu 


Barcelone [Émaux de). . . .. 
Basse taille (Émaux dits de}. 351, 
Battersea {Émaux de). . . . . 
Belem (Ostensoir de) . . . . . 
Blézendorf, peintre sur émail. . 


525 
934 
302 
949 


348 
530 
928 


451 
500 


927 
049 
915 


047 
410 


991 
448 
034 
933 
927 


561 
Vienne [Verreries de) . . . . . 248 
Mibrest(Verres a): 5020 48, 205 
Vonèche {Cristallerie de). . 245 
W 
Weidlingau, près Vienne {Ver- 
RORIEN UE) EE One MA ue 248 
Y 
Méux/ariciels ee ARE Lu 330 
Z 
Zurich {Verreries de) . . . . . 259 
Bodemer {Jacob}, peintre sur 

ÉTAT ES APN AE NEA RES Le D28 
Boit (Charles), peintre sur émail. 514 
Bone (Henry), peintre sur émail. 521 
Bordier (Jacques), peintre sur 

CHAR ER A2 Een 508 
Hier) EMAlEnTEEeNe _ 506 
Borgino, de Milan, orfèvre-émail- 

JET SRE ES (EE Le 451 
Boucles de émaillées. 022 
Bourdon (Louise), peintre sur 
A ÉANEEAN) e ee En 920 
Bourgoin (F}), peintre sur émail. 518 
Boy (Peter), peintre sur émail. 527 
— (Pierre), peintre sur émail . 528 
Bracini, orfèvre-émailleur. . . 451 
Bruckmann  (Jean-Frédéric), 

peintre sun émail ete nn D15 

C 
Carteau, peintre sur émail. . . 519 
Cellini (Benvenuto), orfèvre- 

ÉMATEUTAE SEC RE 023 
Champlevés (Emaux). . . 358, 404 
Chartier (Pierre), peintre sur 

CAN ONCE TRUE RER 906 
Châsses de Limoges. : . . . . 437 


36 


562 
Châtillon (Louis de), peintre sur 


Chéron (Sophie), peintre sur 
émail 
Chéron (Henri), peintre sur émail. 
Childérie (Bijoux trouvés dans le 
tombeau de) 
Chine (L'émaillerie en). . . . . 
Chodowiecki (Daniel), peintre 
SAT OA EP ME UE LAS 
Clauze (Isaac-Jacob), peintre 
SUR OAI SCI rReME Ne 
Cloisonnée | Verroterie) . . . + 
Cloisonnés (Émaux) . . . 350, 
Coffret de mariage émaillé. . . 
Collins (Richard), peintre sur 
ÉNALE SNS RS NE AINEEE 
Colombes eucharistiques. . . 
Couniot, peintre sur émail. . 
Courcy { Frédéric de) , émailleur. 
Couronnes d'or trouvées à Guar- 


Couronne de fer (La). . . . . 
Court ou de Court {Jehan) dit 
Vigier, émailleur. ; 

Court |! Suzanne}, émailleur . 
Courteys ou Courtois (Jean), 
éMALNEUT: MEL 0 ERA 
— (Pierre), émailleur. . . . . 
Courtois (Nicolas-André), peintre 
SUT éMaI O MESAR TAECRr 
Couvertures d'évangéliaires. . . 
Crosses émaillées 
Cuivre (Émaux cloisonnés sur ). 


D 


Darcel (Alfred). Sa Notice des 
émaux du Louvre. … . à... 

Davillier (Baron Ch.). Son livre 
sur l'Orfèvrerie en Espagne. 

Dinglinger ({Melchior), orfèvre et 
ÉRMRIEUT AMEN Se ne Mes cine 

Dubié, peintre sur émail. . 

_ Durand, peintre sur émail. . . 


Ï 


Li 


Egypte (L'émaillerie en). . . . 
ÉMaAUX PERS SR EME EE 27, 
Engeheart (Georges), peintre sur 

émail ere EMA de 


INDEX 


D12 


o14 
514 


308 
040 


020 


528 
307 
379 
446 


921 
444 
o15 
590 


373 
304 


493 
496 


492 
491 


D18 
443 
436 
395 


AT 
629 
026 


906 
017 


460 


Éribert {Châsse de saint) . . . 

Espagne (L’émaillerie en). . . 

EÉtrurie (L'émaillerie en). . . . 
F 

Falize aîné, émailleur. . . . . 

Ferrand {Jacques - Philippe), 

peintre sur émail . . .: . . - 


Fiertes, nom donné dans le Nord 
aux ChASSES. VAE OT UNE 
Finiguerra (Tommaso), orfèvre- 
émalleur. MEET AIREEE 
Fleurel (Jean), émailleur. . 
F'P, marque d'émailleur. . . . 
France (L'émaillerie en), époque 
ADHUEILE. +! : VS NES 


Gaule (L'émaillerie dans l’an- 
CPE). Le Us NE 
Gémellions ou bassins à laver . 
Geri (Berto}, orfèvre-émailleur. 
Germanie (L’émaillerie dans 
lantienne) Qt sic EU 
Giovanni di Turini, orfèvre- 
ÉMANOUr 7 7 ENTRER 
Giudino di Guido, orfèvre-émail- 
GUITARES ONE ER EERERE 
CObEL LL EMALIEUT EEE 
Goro di Neroccio, orfèvre-émail- 
leur 
Grèce (L'émaillerie en): . : 
Grande-Bretagne(L’émaillerie en) 
Gribelin (Isaac), peintre sur 
CNANLS ES EUX Mot PESTE 
Grisaille ( Émaux en) 
Guarrazar (Couronnes d’or trou- 
VÉCS A) RP NE PRES 
Guccia, de Sienne, orfèvre-émail- 
leur 


ve rat ier is inter retts Me nt 


H 


Hall (Pierre-Adolphe}), peintre 
Sur ÉMaIlL E RENAN 
How ({Nathaniel), peintre sur 


H PF, marque d'émailleur. . . 
Huault (Jean-Pierre et Ami), 

peintres sur émail. : . . . . 
Hubert, peintre sur émail . . . 


405 
026 
307 


416 
451 
500 
499 


047 


309 
445 
450 
399 
451 


451 
049 


451 
307 
399 


506 
466 


373 


451 


no 


D Au 


I 


I. C. D.V., marque d'émailleur. 
IK P, marque d’émailleur . . . 
IL, marque d'émailleur . . 

IM, marque d'émailleur. . . . 
Incrustestlimaux) pe. 0. 20 
1P, marque d’émailleur . . 

Iialie (L'émaillerie en}. . . . . 


J 


Jamnitzer (Christophe), orfèvre 
ÉD MATE ES ERP RENE 
Jamnitzer (Wenzel}, orfèvre et 
ÉMANIEUTIE LR ANIOEEMENEN 
Japon (L'émaillerie au) . . 
Jean de Pise, émailleur (?). . 


K 


P.I.— K.I.K., marques d'émail- 


Klosterneuburg ( Antependium 
de l’abbaye de) 
Kruger ou Creutzer |[Georges), 
peintre sur émail 
Kugler (Mme), peintre sur émail. 


L 


Laudin (Les), émailleurs. . . 
Le Brun (Madeleine), peintre sur 


Lepec (Charles), émailleur . . 
Lesgaré (Gilles), orfèvre-émail- 
ICUPE PR ETET 
Limoges (École de). . . . . . 
Limosin (François), émailleur . 
— (Joseph), émailleur . . 
— (Léonard), émailleur . 
—  (Léonardil}), émailleur. 
Limousin (Émaux genre) . 
Liot, peintre sur émail . . . . 
Liotard, peintre sur émail. . . 


M 


Mans (Plaque du musée du) . . 
Mari (Ascanio de’), orfèvre- 
ÉTAT ANSE Er 


INDEX 


494 
472 
497 
500 
390 
499 
023 


026 


926 
044 
450 


472 


44 


D18 
020 


496 


012 
990 


o11 
419 
484 
484 
416 
483 
392 
915 
D15 


513 


422 


023 


Mathieu {Jean-Adam), orfèvre- 
ÉDANlEMAS SAME nus 
MD.— MM P P.— MDI, mar- 
quesid'émailleurs MN 


Meyer (Alfred), émailleur . . . 
Meyer-Heine, émailleur . . 
Meyer (Jérémiah}, peintre sur 
ÉCRAN AN MARS RU TEL 
MI.—MP, marques d'émailleurs. 
Mixtes (Émaux) 391, 
Montamy (D'Arclay de); son 
Traité des couleurs pour la 
peinture en émail. . . . . . 
Mont-Beuvray (Émaux trouvés 


ee tee de 


Monvaerni, émailleur . . . . . 
Morlière, peintre sur émail. . . 
Mouret | Les), émailleurs . . . 
Moyen âge {L'émaillerie au). . 
Muelich ou Mielick (Hans), or- 

Iévre CHÉMAllEUR EEE 


N 


NB, marque d'émailleur. . 
Nicolas de Verdun, émailleur. . 
NL, marque d'émailleur. . . . 
Nouaïilher (Colin ou Couly}, 
ÉMANEUT ENTER PES CARE 
— (Jacques), émailleur . . . 
=— (Jean-Baptiste), émailleur . 
Nouailher (Pierre 1}, émailleur. 
— (Prerre I) -émailleur. 2" 
Nyitra-Ivanka [Plaques émail-) 
lÉRENTOUVER SA) ETES: 


O 


Ognabene (Andrea), orfèvre. . 
Orfèvres (Émaux des]. . . . . 
Origines de l’émaillerie. . - 
Orvieto (Reliquaire d’). . . . . 
Ostensoir de Belem 


P 


Pala d'oro (La), dans l'église 
Saint-Marc, à Venise . . . . 


516 
490 
028 
028 
D90 
949 
D21 


AT3 
398 


517 
360 
463 
506 
500 


37 


526 


900 
AL4 
497 


484 
485 
485 
485 
485 


389 


450 
456 


… 347 


451 
033 


392 


64 


Paliotto (Le), de l’église Saint- 
Ambroise de Milan . 

Palissy (Bernard); son opinion 
sur les émaux. 

Pape (M. D.), émailleur: 

P.C.— PTG, marques de Pierre 
Courtes ME ART AMLE TER. 

Pedraza (Francisco), peintre sur 


Peintres (Les émaux des) . . . 
Péints lEmatt) MD ENS 
Peinture sur émail. . . . 
Pénicaille (Barthélemy 
dit), émailleur . . . 
Pénicaud (Jean I), émailleur. 
— (Jean IT), émailleur. 
— (Jean II), émailleur. . . . 
— (Léonard ou Nardon), émail- 
TERRE EU PAR Re 
— (Pierre), émailleur. . 
Perrault, peintre sur émail. 
Perse (L'émaillerie en). 
Petitot (Jean), peintre sur 
émail. FPS EP ARERER ns 
Petitot fils (ea). SRE SN 
Petitot (Prix de quelques émaux 
de), en 1753 
P I, marque de Jean IL Péni- 


Texier 


Pichon (Coupe émaillée apparte- 
nant à M. le baron Jérôme). . 
Pillement graveur entroct 
Pilli (Salvadore), orfèvre- émail 
leur 
Philips témaileur eme 
Philostrate (Passage de) sur l’é- 
maillerie 
Plaque du musée du Mans. . 
Plessis (Mle du), peintre sur 
EMA Le te Ne Rae 
Plicque (Émaux dits de). 
Poillevé (Les), émailleurs . 
Pollaiuolo (Antonio del), orfèvre- 
CREME 7 ee LUN a 
Poncet (H.), émailleur. . . . . 
Popelin {Claudius), émailleur. . 
Portugal (L’émaillerie au) . . 


R 


Repoussé [Procédé du cloison- 
Rage DAT) LENS 


INDEX 


389 


901 
490 


491 


033 
903 
391 
003 


500 
465 
ATA 
473 


464 
AT 
d12 
939 


906 
o11 


309 
422 


D15 
394 
498 


451 
498 
049 
033 


Reymond (Jean et Joseph}, émail- 
LENTE;t': Li ET ARR 
— (Martial), émailleur . . . . 
Reymond {Pierre}, émailleur. 
Rôssel (Le) d’or. 
Rouquet (André), 
émail, tie 


peintre en 


Saint-Étienne (Couronne de). . 
Saint Henri (Reliquaire de) . . 
Schindler (Ph.-E.), peintre sur 
ÉLRANIÉ 2 & ‘4 MARSENER NE 
Schreiber (Collection de . 
Charlotte). j 
Ser Giovanni (Léonardo di}, or- 
levre-émailleur ; cn 
Sèvres (Les émaux de la manu- 
facture de): 12". 2 
Sikes, peintre sur émail. . 
Soltykoff ( Châsse de Ja collection 
dupeinire) er en orties 
Spinelli, orfèvre-émailleur. . . 
Strauch (George), peintre sur 
émail. . 


Hard eMmAllents PERS 
Taunay, peintre sur émail. . 
Tellier (Le), peintre sur émail. 
Texier (Barthélemy), dit Péni- 
caille, émailleur. . . . . . 
Théophile (Passages tirés d'un 
ouvrage du moine). . 
Thesmar, émailleur 
Thouron (Jacques), 
ÉMIS RESTE 
Tissot (James), émailleur . 
Toutin (Henri), peintre sur 
ÉMA sR 2er LT UD 
Toutin\{leant es TL ERASRS 
Translucides (Émaux), 301, 448, 
Translucides (Émaux) cloisonnés 
à jour 


peintre sur 


Ugolino, de Sienne, orfèvre- 
ÉMANIEUT et LEA 0 ME 


489 
490 
486 
458 


16 


390 
408 


997 
451 


049 
920 


417 
451 


xs 


pol 
515 
018 


500 


INDEX 


M 
Vassal, peintre sur émail. . . 518 
Vauquer (Robert), peintre sur 
CAP NE RAR diet 906 


Venise { Émaux de). . . . . . on 


Verroterie cloisonnée. . . . . . 307 
Vicente {Gil),orfèvreetémailleur. 534 
Viersesreliquaires 110200 434 
Vigier (Jehan Court, dit}, émail- 

PEUT RE RE Et en Net 493 
Volvinius, orfevre 1. "00 386 


510) 
W 
Westminster (Tombe émaillée 
dans l’abbaye de). STOrAG 
Weyler (Jean-Baptiste), peinire 
ACTEUR ER EEE RE 920 
Z 
Zincke {Christian - Frédéric) 
peintre sur émail #22#0"00 026 


INDEX DES FIGURES 


PLANCHES TIRÉES A PART 


PI. I. Buire émaillée et dorée; fabrique vénitienne, fin du xve siècle. (Coll. de 
M. Spitzer.) — Vidrecome décoré d’armoiries en émaux de couleur; fabrique 
allemande, xvit siècle. (Coll. de M. Spitzer.) — Pot à anse en verre bleu 
opaque décoré d'émaux de couleur ; fabrique française, Rouen (?), xvu® siècle. 
(Coll. de M. Gasnault.) 


PI. II. Petite châsse carrée; travail de Limoges, xin° siècle. (Coll. de 
M. Spitzer.) à 


PI. LL. Tryptique en émail rehaussé d’or ; travail de Limoges, commencement 
du xvie siècle. (Coll. de M. Ch. Stein.) 


PI. IV. Plateau en émail peint; travail chinois, xvn® siècle. (Coll. de M. Bing.) 
— Émail cloisonné; travail chinois, xv® siècle. (Coll. de M. Bing.) 


A. Grande aiguière de Venise en cannes de lallicinio ; monture en vermeil 
exécutée à Augsbourg. (Musée national de Munich.) 


B. Autel portalif décoré de plaques en émail champlevé; travail allemand, 
x11e siècle. (Coll. de M. Spitzer.) 


C. Plaque d'argent décorée d'émaux translucides, exécutée par David Attems- 
tetter, d'Augsbourg; fin du xvi° siècle. (Musée national de Munich.) 


D. La Charilé, plaque centrale d’un bénilier en émail, composée et exécutée 
par M. A. de Courey; émail limousin sur paillons. 


-INDEX DES FIGURES 


FIGURES DANS LE TEXTE 


LA VERRERITE 


LA VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ 
ÉGYPTE 
Ouvriers verriers, d’après une peinture de MAÉDE NE LAS Orne 
Flacon en pâte de verre portant le nom de Thotmès LIT. (British Museum.). 
Amuletltes/en pate demverremoulée M 
Petit flacon en pâte de verre à stries noires. (Musée du Louvre). . . . 
ARE en forme one Fa JUMENT) EAN STEP 


Tête de nègre en pâte de verre. ee du on SAME RE a AO 
ken parendemerre (Musée duil ouvres) EN EN" PSN NE ee 
Petite amphore en pâte de verre. [Musée du Louvre.) . . . . . . . . . 
Basueenpatemdevenre [IMuSEe du loNnEe SEM CRE 


GRÈCE 
Amphorisque en pâte de verre, trouvée en Grèce. (British Museum.). . . 
GAULE 
Perle d’un collier trouvée dans une tombe gauloise. | Coll. Moreau.). . 
DIFFÉRENTES SORTES DE VERRE ANTIQUE 


Fioles en verre, dites lacrymatoires. [Musée de Saint-Germain.) . . . 
Petite amphore antique en verre moulé. { British Museum.). . . . . . . 
Verre à inscription Teri en relief, trouvé dans la province de Constan- 

(HITS RE IR RE SUP AEESE EP AIT D AR CURE SE GET 
Verre antique à irisations d'apparence métallique. (Col. pd Ge) 
Amphore en verre à deux couches, trouvée à Pompéi. ( Musée de Naples.). 
Médaillon en verre à deux couches. (Ancienne coll. Gharvet.). . . . . 
Verre à enveloppe réticulée et à inscription en relief, trouvé à Stras- 

DONNE MSIE PAR ENT MR DEP EMAS A R MERE DE ERAT RE 
Verre antique à bossages en relief, econen ne Enveloppe d'argent. 

(RE DIS DENUSE LUNA) RE SEP PO EN MER ENCRES RIM) SPL 
Tessères ouvjetons en verre. (Anc. coll Charvet.). 2. . .. . . | 
Verre doré trouvé dans les catacombes. {Musée du Vatican.). . 


067 


CONMOLOMOZ 


10 


. Ibid. 


11 


Ibid. 


12 


RONTE rue 


23 


27 


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31 


32 
93 
31 
38 


39 
A1 


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93 


D 68 INDEX DES FIGURES 


LA VERRERIE AU MOYEN AGE EN ORIENT ET EN OCCIDENT 


Lampe de mosquée en verre émaillé et doré; fabrication arabe. (Coll. de 
MS -Spitaon a RON Re dE EE D M ee tua LU a de) EU AR 62 
Petit tableau en verre doré gravé ; brieation italienne du xiv° siècle. 
((Gollechion de Me"Sniiren) METRE SU EEE ER EN A Tr 72 


LA VERRERIE EN EUROPE DU XVe AU XIXe SIÈCLE 


VENISE 

Verre en forme d'éléphant. Venise, xvi° siècle. (Musée de Cluny.). . . . 81 
Verre en forme de souris. Venise, xvi° siècle. { Musée de Cluny.). . . . . 82 
Verre émaillé et frotté d'or. Venise, xve siècle. {Coll. de M. Spitzer.). . 87 


Hanap en verre vert émaillé et doré. Venise, fin du xv° siècle. {British 


MUSEN | ES OR Se ES ER Dr er ; », = NUE 
Verre à ornements travaillés à la pincelle. Venise, xvi® siècle. (Coll. de 

NT Ch Mannheln EP RS EN e N EN AURSE 91 
Verre en forme de navire. Venise, xvi° siècle. . . . . . . . . STE TT EEE 
Verre à pied décoré de reliefs. Venise, xvi siècle. (Coll. de M. Spitzer.). 95 
Baguettes afilisranes TOrSMmés. 71. 27 Le HN EE ELLE UE 99 
Baguette à filigranes à grains de chapelet . . . . . . . . . .. 580 08 
Baguette à filigranes torsinés avec filet au centre . . . : . . … . . . . 101 


Moule cylindrique avec baguettes en verre coloré et en verre transparent. 102 
Verre de Venise à filets en latticinio et mascarons en relief. (British Mu- 
SEMI) Nan SN Ne ELU ed end Ne RNA LT De es SN DIRE 103 


Verre de Venise à ornements en pâtes colorées. (Coll. de M. Mannheim.). 105 
FRANCE 


Verre émaillé et doré; fabrication française, xvi° siècle. (Musée de Cluny.). 121 
Verre opalin à décor polychrome avec inscription. (Coll. de M. Paul 


GAS Ut) re LR A Le SENS ME Le AE RS CS SRE 174 
Un gentilhomme verrier, d'après Radel . 2 5... . : an 190 
Servants de verrerie, d'après Radel.. : +. ..  … . . SA FRANS 
Fabrication du verre ‘en plat, d'après Radele. 213 
Soufflage du verre dit en table ou en cylindre. . . . . . . . . . : . . 215 


Panier de verre ‘en plats, d'apres thadel tete MERS COM 217 


ALLEMAGNE 


Verre des Apôtres (apostelglüser). (Coll. Gasnault, au musée de Limoges.). 255 
Flacon en verre bleu! décoré d'émaux polychromes ; fabrication suisse 

de 1604; {Muséede Gluny.) ee Te LAN EN aeS AU RUE 
Ancien verre allemand à pastillages en relief. (British Museum.) . . . . 263 


1 C’est par suite d’une erreur que la légende inscrite au bas de notre gravure porte que ce flacon 
est en verre blanc. 


ES 


INDEX DES FIGURES 069 


Passglas portant l'inscription : Ich steche dich. (Musée industriel de 


INIHIR CID CREER RER NOR e PRE MEN En er PP ee 264 
Verre en forme de cornet de chasse; xvn siècle. (Coll. L. Berthet.). . . 263 
Verre à boire de la corporation des jardiniers. (Musée de Bâle.) . . . . 266 
Verre filigrané allemand, aux armes de Saxe. (British Museum.) . . . . 267 
Verre de Venise gravé en Allemagne. (Coll. de M. Ch. Mannheim.) . . . 273 
Verre doublé et doré, représentant en silhouette le profil de François- 

Joseph. (Coll. P. Gasnault, au musée de Limoges.) . . . . . . . .. 219 

PAYS-BAS. — HOLLANDE. — BELGIQUE 
Verre flamand « façon de Venise ». { Coll. de L. Berthet.). . . . . . . . 289 
Grand calice en verre taillé; fabrication flamande, xvinre siècle. (Coll. Ed. 
CARACAS EST A EP Gr AAA OUEN PO ATARI 297 
ESPAGNE 


Verre espagnol à décoration d’émaux polychromes où le vert domine. (Mu- 
SÉPUPÉOUTEEN) EME) je LE) ee Reed SEL EN OT tn à A 312 


CENINE SEEN TPAPIONN ENP/FIRISIE 


Petit flacon en verre à deux couches, ciselé et gravé. (Coll. de M. Bing.). 313 
Petit flacon en pâte de verre imitant le marbre. (Coll. de M. Bing.). . . 316 
Petit flacon en verre doublé transparent à reliefs noirs. { Coll. de M. Bing.). 317 
Bouteille japonaise en verre bleu décorée d’or en relief ciselé. (Coll. P. 
Gasnault, au musée de Limoges.) . . . . . . . . .. CRM 319 
Aiguière persane; xvine siècle. (Coll. P. Gasnault, au musée de Limoges.). 321 


PATES DE VERRE. — VERRE FILÉ. — STRASS. — VERRE ÉGLOMISÉ, ETC. 


Henri IV, statuette en émail, modelée par C.-F. Hazard. (Musée des arts 
DÉCORS EME PUR SN DRE SRE EN sg PR 337 


ÉTAT ACTUEL DE L'INDUSTRIE DU VERRE 


Flacon en cristal gravé; cristallerie de Baccarat. . . . . . . . . . . . 942 
Verre fumé à deux couches; fabrication de M. Rousseau . . . . . . . 343 
Verre gravé à trois couches; fabrication de M. Rousseau . . . . . . . 344 
Verre en forme de nautile, gravé au touret; fabrication de M. Gallé . . 345 


Verre en forme de casque nautile, gravé au touret; fabrication de 
MAC NERO) PR CR bee ete ni nas à 346 


970 INDEX DES FIGURES 


L'ÉMAILLERIE 


ÉGYPTE 


Bijou en or décoré d’incrustations séparées par des cloisons métalliques. 


. 
(Musée-éryphen "du Louvre) PER T7 PONS ANNEE 399 
ANCIENNE GAULE. — GRANDE-BRETAGNE. — GERMANIE 
Fragments d'objets en bronze émaillé trouvés au mont Beuvray. . . . . 361 
Fragment de boucle émaillée; ru siècle. (Musée de Ratisbonne.). . . . . 364 
Pièce de harnais émaillée; rm° siècle. (Musée de Ratishonne.). . . . . . 365 


VERROTÉRIE CLOISONNÉE 


Plaque de ceinturon en or, décorée de verroteries cloisonnées et de fili- 
granes. (Musée national de Munich)..." ..:1 22e. - Le EN SEE 


L'ÉMAILLERIE AU MOYEN AGE 
ÉMAUX CLOISONNÉS 


Petites plaques d’émaux cloisonnés sur fond d’or décorant la couverture 
d’un évangéliaire du x° siècle. {Bibliothèque de Sienne.). . . . . . . 385 
Plaque d’or émaillé représentant l’impératrice Zoé; travail byzantin, 


#9 siècle. 1{ Musée:de PERD) EL EN. CN Rte SEEN 391 
ÉMAUX MIXTES 

Fragment de la bordure d'un tryptique du x siècle ; emploi simultané 

des plaques d'émail et des plaques d’orfèvrerie. (Musée de la porte de 

Hal A Bruxelles) ne EG EES LS Pre er RS EN ORNE 399 
Nimbe d’un des saints de la châsse de Notre-Dame; émail cloisonné ; 

travail allemand , xnr° siècle. {Trésor d’Aix-la-Chapelle.). . , . . . . A0 
Plaque de bordure; émail mixte; travail allemand, xme siècle. (Musée 

QU LONPPR SERPENT Eee LA UT IE SN Re COR SOURIS 402 
Plaque de bordure; émail mixte; travail allemand, x siècle. . . . . Ibid. 


Plaque de cuivre doré ; émail champlevé imitant le cloisonnage ; travail 
allemand, xu° siècle. (Coll. de Mme Ja comtesse Dzialinska.). . . . . 403 


M cd 


INDEX DES FIGURES 


ÉMAUX CHAMPLEVÉS. — ÉCOLE ALLEMANDE 


Croix en émail champlevé; travail allemand, xu° siècle. [Coll. de 
MAS DITAER: | NN APRES Re Re RE LT AA Ne de 
Reliquaire de saint Henri; travail allemand, xu° siècle. (Musée du 
OUR APN TE MEN RENE AE ue RUN ER 
Plaque du couvercle d'un autel portatif; émail champlevé et gravé, 
M SecleN(ColATe MASDIZER RC EMUENT PE PR RSR nes 
- Plaque du couvercle d'un autel portatif; émail champlevé et gravé, 
uSiecle Code MES piErer) Bo RS M A à EU US 
Une des plaques du toit de la Chässe Soltykoff; émail rhénan, xue siècle. 
(SoutheKenSineatonemUuseNM) MEME RIERTRREE RAR MENCE 
Colonnette emanlée dela sse Solo) NE RE EN 


ÉCOLE DE LIMOGES 


Bas-relief d'applique en cuivre émaillé et ciselé, xr1° siècle. (Coll. de 
MAP ontESS 0 Dans) Penn EE e  AU ER Li AE 
Vision de saint François d'Assise ; émail sur fond de métal gravé. Li- 
Moses xniSiecle Musée dus dtvre) EEE N EE RE Te 
Plaque de châsse; fond émaillé avec rinceaux en réserve et fleurons. 
Bimosessemesieclen(Coliide NE DutuIt) SRE ER 
Vierge reliquaire ; orfèvrerie émaillée. Limoges, xrr1e siècle. (Coll. de 
MSIE baron SCIE) ER RL D CAS Le Ve TETE 
Crosse en cuivre doré et émaillé. Limoges, xrr° siècle. (Musée de 
CE LATNES) RAR PR CAR Eu ED AR QE SA mA EE AR 
Figure en réserve gravée sur fond d’émail. Limoges, xrrre siècle. { Coll. de 
MPRSDIZER)R NPA AL MUR ERA ERRe See NRA AE 4 
Décoration du revers de la châsse carrée. (PI. IL.) Limoges, xin siècle. 
HCOEAE MP SDILZET.) EMPIRE RE Ant AIN LA CDN M PUCES ER A 
Écusson de la ville de Limoges ; plaque en cuivre repoussé, x1v® siècle ; 
fond émaillé en rouge et en bleu. (Musée de Limoges.) . . . . . 1e 
Colombe eucharistique. Limoges, xine siècle. (Coll. de M. Spitzer.). . 
Frise d'une pyxide en cuivre émaillé ; fabrication française, x1u® siècle. 
(MOTEUR Bent) RTE ee ent Lt A SR ER CT 


ANGLETERRE 


Pièce de harnais en émail champlevé, xive siècle. (D’après l’Archæological 
MOULE) ARR Ce SP RER ee ee re ESA ES A) 4e 


971 


407 


409 


412 


413 


417 
418 


427 


429 


433 


430 


437 


439 


440 


441 
443 


445 


972 INDEX DES FIGURES 


L'ÉMAILLERIE AU XVIe SIÈCLE 
ÉMAUX PEINTS — ÉMAUX EN GRISAILLE 


Fragment d’un plat de Pierre Raymond; modelé oblenu au trait par 
enlevagb/1Musée du Louvre, D, ASS Gore. LEE 1-14 100 468 
Henri IT; émail de Léonard Limosin, dont l'or a disparu en partie. (Musée 
du Lors, D940:) Es Re Lee ete" PURE NE RE 469 
Clément VII; émail en grisaille colorée par Jean II Pénicaud. { Musée du 
Louvre D 2160) ae 2 nee RTL OT RUES 473 
Revers d'un plat représentant les Moces de Psyché ; émail en grisaille 
rehaussé d’or, par Jean IIT Pénicaud. (Coll. de M. le baron Seil- 


LTÈre a A MESA RS PQ RE ne LE RER EREE 475 
Anne de Montmorency, connétable de France; émail de Léonard Limosin. 
(Musée:du Louvre D:255D) CMP Am UC CO MR RE 479 
Françoise d'Orléans, princesse de Condé; émail de Léonard Limosin. 
(Musée du Ouvre ; DB UE PR RENE ER RE OT AMENER 48 
Revers d’un plat en grisaille; émail de Pierre Reymond. (Musée du Louvre, 
PA ES A TT ae ne De IE DR EEE 487 
Frises de grotesques décorant un plat en grisaille de Pierre Reymond. 
(Musée du Touvre,0D.,402:)107 AMP EN AE TOR 488 
Bordure d’ornements en or sur fond noir; émail de Pierre Reymond. . . 489 
Ombilic d’un plat de Jehan Court, dit Vigier. { Coll. de M. Spitzer.). . . . 495 
Boîle d'horloge; émail limousin. Période d'imitation. . . . . . . . . . 499 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XVII ET AU XVIIIe SIÈCLE 


. 


LES ÉMAUX DES PEINTRES 


Plaque peinte sur émail, xvr° siècle. { Coll. de M. Ch. Stein.). . . . . . 904 
Enseigne de chapeau ; peinture sur émail, xvi° siècle. (Coll. de M. Ch. 
SUEDE) ES RE OURS der ee a ER GER NA PAPE NL CS ASS 905 


L'ÉMAILLERIE A L'ÉTRANGER DU XVIe AU XVIIIe SIÈCLE 


Email champlevé à gravure niellée d'émail; travail espagnol, xvit siècle. 


(Gode MI: Ch: Seine), AR EE Ce EC 531 
Médaillon en cuivre décoré d’émaux incrustés ; travail espagnol, xvir° siècle. 
(Coll de MEL IBonAReM RER ERIC d33 


Reversible candlestich; émail de Battersea. (Coll. de lady Charlotte 
Stbréher MbbnAnes NE ER EME PRES 557 ‘COR 





INDEX DES FIGURES 573 


L'ÉMAILLERIE EN ORIENT 


Plat en émail cloisonné par repoussé; travail persan, xvut siècle. ( Coll. 


ENNEMI RL RE sn 941 
Fragment dela bordure d’un grand platen émail peint; Chine, xvune siècle. 
OA NP Te) AE AO EE RER TEE a A DAC NE PANNE ee 543 


Plaque d’appliqueen émail champlevé ; ancien Chine. (Coll. de M. Bing.}). 544 
Poignée en émail champlevé; travail japonais, période moderne. {Coll. 


Ornement d’applique en cuivre découpé, émaillé par champlevage et par 
gouttelettes en épaisseur; travail japonais. (Coll. de M. Bing.). . . . 546 


L'ÉMAILLERIE EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE 


Petit flacon à odeur; émail genre limousin. | Fabrication de MM. Debut 
CHRONO NE) ARE PE ne SN mel 
Plat en émail cloisonné, par M. Thesmar. { Musée des Arts décoratifs. )}. 551 





15977. — Tours, impr. Mame. 











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