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HISTOIRE
DE
L'ÉGLISE CATHOLIQUE
EN FRANGE
de l'an 462 a l'an 584
PAHIS. — , M PHI MEME ADWEX I.E CLERE, HUE CASSETTE,
HISTOIREr, APR 191910 *
L'ÉGLISE CATHOLIQUE
EN FRANGE
D APRES LES DOCUMENTS LES PLUS AUTHENTIQUES
DEPUIS SON ORIGINE JUSQU'AU CONCORDAT DE PIE VII
PAli
M. L'ABBE JAGER
Ancien professeur d'Histoire ecclésiastique à la Sorbonne,
CHANOINE HONORAIRE DE PARIS, DE NANCY ET DE ROLEZ
A
OUVRAGE REVU ET APPROUVÉ A R Om E
PAR UNE COMMISSION SPÉCIALE AUTORISÉE PAR N. S. P. LE PAPE.
TOME DEUXIÈME
PARIS
ADRIEN LE CLERE ET CIe, LIBRAIRES-ÉDITEURS
IMPRIMEURS DE ÏT. S. P. LE PAPE ET DE L'ARCHEVÊCHÉ DE PARIS
RUE CASSETTE, 29, PUES SAINT- SULPICE.
18G2
Droits de traduction et de reproduction réservés.
NOTICE ABRÉGÉE
DE L'ANCIENNE
GÉOGRAPHIE DE LA GAULE
Par le P. LONGUE VAL.
Le temps perfectionne tout, mais aussi il ruine et détruit tout ; il
a tellement changé la face de la Gaule qu'on a peine à y recon-
naître ce que les anciens géographes nous en oat appris. De nou-
veaux peuples s'y sont établis ; de nouvelles villes et de nouvelles
provinces s'y sont formées ; des villes anciennes ont été ruinées par
le temps ou par les barbares , plusieurs de celles qui ont résisté à
ces ravages ont changé de nom, et quelques-unes Kiême de situa-
tion : on cherche, pour ainsi dire, la Gaule dans la Gaule même.
Nous ne pouvions, sans blesser la vraisemblance et choquer même
le bon sens, employer dans cette histoire des noms de villes et de
provinces qui n'étaient point en usage dans les temps dont nous par-
lions. Mais, pour prévenir la confusion qui en pourrait naître, outre
les précautions que nous avons prises souvent dans le texte de l'his-
toire, nous avons cru devoir donner ici une notice de l'état où était
la Gaule sous les Romains et sous nos premiers rois, seulement
par rapport aux changements dans les divisions des provinces et
dans les noms des villes. C'est à cela que nous nous arrêtons. Une
description plus étendue de l'ancienne Gaule serait inutile au dessein
que nous nous sommes proposé, et elle serait plutôt la matière
d'un volume spécial que celle d'un discours.
I
Diverses divisions de la Gaule sous les Romains.
On s'est accordé à nommer Gaule toute l'étendue de pays ren-
fermée entre les Alpes, les Pyrénées, le Rhin, l'Océan et la Médi-
terranée. Ces grandes barrières en sont comme les limites que la
VI
XOTICE ABRÉGÉE
nature semble avoir pris soin de marquer. Cependant, les Gaulois
ayant étendu leurs conquêtes dans l'Italie, on étendit aussi le nom
de Gaule au pays d'au delà des Alpes dont ils s'étaient rendus
maîtres, et on le fit entrer dans les divisions de la Gaule.
Comme avant César on ne connaissait guère les Gaulois à Rome
que par les maux qu'ils y avaient faits et les divers costumes qu'on
leur avait vu porter, on ne les distingua d'abord que par la diffé-
rence de leur accoutrement. Ainsi les Romains divisèrent la Gaule
en trois grandes parties, dont la première fut nommée Gallia To~
gâta, parce que les habitants portaient de longues robes à la ro-
maine ; la seconde fut appelée Gallia Braccata, à cause des braies
ou hauts-de-chausse que portaient ces peuples, et la troisième fut
nommée Gallia Comata, parce que les habitants y portaient les
cheveux longs. La Gaule Togata était la partie de l'Italie qui avait
été conquise par les Gaulois, et qu'on nommait aussi Gaule Cisal-
pine pour la distinguer de la Gaule proprement dite. La Gaule
Braccata était la Gaule Narbonnaise, et la Gaule Cornai compre-
nait tout le reste de la Gaule, savoir: l'Aquitaine, la Celtique et la
Belgique.
César, qui eut occasion de mieux connaître la Gaule par les
guerres qu'il y fit, s'aperçut aisément que ce partage était trop
inégal et peu exact. Il en fit un autre, où il crut devoir omettre la
Gaule Cisalpine et la Gaule Narbonnaise, parce que celle-ci était
depuis longtemps comme une province romaine, et que celle-là n'é-
tait pas proprement de la Gaule. Il se contenta donc de partager la
Gaule Comata, ainsi que nous venons de le dire, en trois grandes
provinces, savoir : l'Aquitaine, la Celtique et la Belgique. L'Aqui-
taine s'étendait depuis les Pyrénées jusqu'à la Garonne, et la Bel-
gique depuis le Rhin jusqu'à l'Océan et la Seine. La Celtique com-
prenait, avec le territoire des Séquaniens etdesHelvétiens, tout le
pays renfermé entre la Seine, la Garonne et l'Océan. Pour la Nar-
bonnaise, que César n'avait pas comptée, elle s'étendait le long
d'une partie du cours du Rhône jusqu'à la Méditerranée.
Auguste, ne jugeant pas assez solide la raison qui avait fait ex-
clure la Narbonnaise du dénombrement des Gaules, l'ajouta aux
trois autres parties, dont il changea les limites pour rendre le par-
tage moins inégal. Il sépara les Séquaniens et les Helvétiens de la
Celtique, pour Jes attribuer à la Belgique, et il étendit jusqu'à la
Loire l'Aquitaine, qui était auparavant bornée par la Garonne.
C'est à cette division que les Romains s'arrêtèrent dans la suite
pour fixer les limites de ces grandes provinces.
DE L'ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GAULE- VII
II
Subdivision des quatre parties de la Gaule en diverses provinces.
La Celtique, la Belgique, l'Aquitaine et la Gaule Narbonnaise
ne firent chacune dans les commencements qu'une grande province ;
mais on les subdivisa bientôt en plusieurs autres.
1° La Celtique, qui fut nommée la Gaule Lyonnaise à cause de
Lyon, sa capitale, fut premièrement divisée en deux provinces, qui
furent appelées la première et la seconde Lyonnaise, dont Lyon et
Rouen étaient les métropoles. Il paraît que la Gaule Lyonnaise
était ainsi divisée lorsque S. Hilaire écrivit de son exil une lettre
aux évêques de la Gaule et de la Bretagne : car il ne nomme que
deux provinces Lyonnaises. On donna bientôt ce nom à deux autres,
qu'on appela: la troisième Lyonnaise, dont Toursfut la métropole,
et la quatrième Lyonnaise ou la province Sénonienne, dont Sens
devint la métropole.
2° La Belgique fut partagée en cinq provinces, savoir : la pre-
mière et la seconde Belgique avec Trêves et Reims pour métro-
poles ; la première et la seconde Germanie, dont les métropoles fu-
rent Mayence et Cologne, et la province des Séquaniens, dont Be-
sançon fut la métropole. La province des Séquaniens est ce qu'on
a depuis nommé la comté de Bourgogne ou la Franche- Comté.
Quant à celles de Mayence et de Cologne, quoiqu'elles fissent
partie de la Gaule, étant situées en deçà du Rhin, on les nomma
Germanies à cause des Germains qui s'y étaient établis.
3° L'Aquitaine, qui ne composa d'abord qu'une province, fut en-
suite divisée en deux, et enfin en trois provinces : la première
Aquitaine avec Bourges pour métropole , la seconde Aquitaine
avec Bordeaux, et la troisième Aquitaine avec Eauze. Dans la
suite des temps, Eauze ayant été ruinée, Auch, qui dans une an-
cienne notice avait le dernier rang parmi les villes de cette province,
passa au premier et devint métropole, comme elle l'est encore. La
troisième Aquitaine fut plus communément appelée la Novempo-
pulanie, nom qu'on lui donna parce qu'elle renfermait neuf peuples
dans son district^
4° La Gaule Narbonnaise fut partagée en cinq provinces, qui
sont : la première Narbonnaise avec Narbonne pour métropole, la
seconde Narbonnaise avec Aix, la Viennoise avec Vienne, les
VIII
NOTICE ABRÉGÉE
Alpes Grecques avec Tarantaise, et les Alpes Maritimes ayant pour
métropole Embrun. La première Narbonnaise fut appelée Septi-
manie, sans qu'on puisse connaître l'origine de ce nom. Le P. Sir-
mond croit que ce fut à 'cause des colonies des soldats de la sep-
tième légion, Septimanorum, qui s'établirent à Béziers. De Va-
lois croit que ce fut plutôt à cause des sept villes qui furent
soumises à la métropole de Narbonne, savoir : Toulouse, Béziers,
Nîmes, Agde, Maguelone, Lodève et Uzès. Mais est-il probable
qu'en donnant le nom à cette province à cause du nombre des villes
qu'elle renfermait, on eût omis de compter la capitale, qui est Nar-
bonne 1 Ne pourrait-on pas dire que la première Narbonnaise fut
nommée Septimanie parce qu'elle était la première province du
corps des sept provinces dont nous parlerons bientôt.
5° Toute la Gaute Narbonnaise était connue dans le rve siècle
sous le nom des cinq provinces. Le concile de Valence, en 374,
adresse sa lettre synodique aux évêques des Gaules et des cinq
provinces. L'emuereur Maxime écrit au pape Sirice qu'il fera
assembler un concile des évêques des Gaules et des cinq provinces,
ce qui montre qu'on distinguait les cinq provinces du corps des
Gaules, apparemment parce que la Gaule Narbonnaise, qui était
province romaine longtemps avant la conquête des Gaules, ne fut
pas comprise d'abord dans le dénombrement des provinces de la
Gaule, ainsi que nous l'avons remarqué. Quelques auteurs croient
que la Novempopulanie était du nombre des cinq provinces, dont
par conséquent ils retranchent une des provinces Narbonnaises, sa-
voir les Alpes Grecques. Mais dans les souscriptions du premier
concile d'Arles, après les noms des évêques des cinq provinces, on
ajoute le titre de Gallia, et on met parmi eux le nom de l'évêque
d'Eauze, capitale de la Novempopulanie. Cette province était donc
réputée appartenir aux Gaules, et ne pas faire partie des cinq pro-
vinces, qu'on distinguait , comme nous l'avons dit , de ce qu'on
nommait simplement la Gaule.
6° Dans le ve siècle on fit une autre division, et, au lieu
des cinq provinces, on forma un corps de sept provinces qu'on
continua aussi à distinguer de la Gaule. Les papes Zozime et Bo-
niface adressèrent leurs lettres aux évêques de la Gaule et des sept
provinces : episcopis per Gallias et septem provincias. Pétronius,
préfet du prétoire dans les Gaules, fit ce changement sous l'empire
d'Honorius, qui ordonna que les juges des sept provinces tien-
draient tous les ans une assemblée à Arles. Ces sept provinces sont
marquées dans l'ancienne notice que nous rapporterons à la fin de
DE L'ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GAULE.
IX
ce discours. C'est la Viennoise, la première et la seconde Aqui-
taine, la Novempopulanie, la première et la seconde Narbonnaise,
et les Alpes Maritimes. On voit par là qu'on détacha des cinq pro-
vinces les Alpes Grecques, et qu'on y ajouta les trois provinces de
l'Aquitaine pour composer le corps des sept provinces.
III
Changements arrivés dans les provinces de la Garde sous la domi-
nation des nations barbares qui s'y établirent.
Les peuples barbares qui pendant la décadence de l'empire inon-
dèrent toute la Gaule, détruisirent cette division des provinces et
en changèrent les noms et les limites, heureuses encore si ces nou-
veaux habitants se fussent bornés à de tels changements.
1° Les Visigoths, ayant obligé l'empereur Honorius à leur céder
Toulouse et quelques autres places de la première Narbonnaise et
de la seconde Aquitaine, étendirent bientôt leurs conquêtes dans
toute la Septimanie, qui prit le nom de Gothie et ensuite celui
de Languedoc, qui paraît signifier terre des Goths : car land en
celtique signifie terre. De savants auteurs donnent cependant
une autre étymologie à ce nom. Ils prétendent qu'on divisa la
Gaule en deux parties, dont l'une , au delà de la Garonne, fut
nommée Langue-d'Oc, parce que les habitants de ces provinces
disaient oc pour affirmer quelque chose ; et que l'autre fut appelée
Langue-d'Oui, parce que les peuples d'en deçà de la Garonne di-
saient oui ou oïl. Quelque naturelle que soit la première étymolo-
gie, celle-ci paraît être la véritable : car nous avons des lettres de
nos rois où il est fait mention du pays de Languedoc et de celui
de Langue-d'Oui ou Langue-d'Oil.
2° Les Bourguignons, à qui le général Aétius permit de s'établir
dans la Savoie, province qui comprenait alors ce qu'on nomme au-
jourd'hui le Dauphiné, étendirent leurs conquêtes dans la première
Lyonnaise et dans la Viennoise, et y formèrent un Etat considérable,
qu'on nomma la Bourgogne. Ce royaume a subsisté longtemps,
même sous les rois francs, qui l'avaient conquis sur les Bourgui-
gnons; et quand la Bourgogne eut cessé d'avoir des rois et de faire
un royaume particulier, il s'y forma un duché et un comté qu'on a
nommés le duché et le comté de Bourgogne, avec cette différence
TOME II. B
X
NOTICE ABRÉGÉE
que l'ancienne Bourgogne avait beaucoup plus d'étendue qu'elle
n'en a eu depuis, puisqu'il y avait au concile d'Epaone vingt-cinq
évêques appartenant à ce royaume.
3° Les Bretons, chassés de l'île de Bretagne par les Anglo-Saxons,
se réfugièrent à l'extrémité de l'Armorique, qui faisait partie de la
troisième Lyonnaise, et donnèrent leur nom au nouveau pays qu'ils
habitèrent. On l'appela la Bretagne, ou la Petite-Bretagne. Ils
n'occupèrent guère d'abord que ce qu'on nomme aujourd'hui la
Basse-Bretagne, où la langue bretonne s'est conservée. Mais dans
la suite ils se rendirent maîtres du territoire de Rennes et du pays
nantais. Malgré ces conquêtes, la nouvelle Bretagne n'égala pas
l'étendue de l'Armorique : car on donnait ce nom au pays qui s'étend
le long des côtes de la mer depuis l'embouchure de la Loire jusqu'à
l'embouchure de la Seine. Quelques auteurs, suivant l'étymologie
du mot Armorique, qui signifie proche de la mer, ont donné ce nom
à toutes les provinces de la Gaule qui sont voisines de la mer ;
mais on l'a pris plus communément pour la partie de la troisième
Lyonnaise que nous avons marquée.
Au reste, les Bretons ne se réfugièrent pas dans la Gaule comme
sur une terre étrangère: car c'était leur ancienne patrie. Il paraît
que l'île de Bretagne avait été peuplée par des colonies gauloises,
et apparemment par ceux que Pline nomme Britannos, et qu'il
place au nombre des peuples de la Belgique. César dit que ce fu-
rent les Belges qui peuplèrent l'île de Bretagne ; mais Bède en
fait l'honneur aux Armoriques. A prendre ce nom dans la significa-
tion qui lui est la plus propre, on peut conclure que les Bretons se
sont réfugiés dans le pays même d'où leurs ancêtres étaient sortis.
Ces nouveaux habitants, s'étant établis dans l'Armorique, ne se
contentèrent pas de la nommer Bretagne, ils s'efforcèrent d'y re-
tracer une image de leur patrie : car, comme ils avaient dans l'île
de Bretagne une province nommée Cornouailles, et une autre appelée
Domnonée, ils donnèrent ces deux noms à différentes parties de la
nouvelle Bretagne.
4° Il était juste que les Francs, s'étant rendus maîtres delà Gaule,
donnassent leur nom à une si belle conquête. Ce ne fut cepen-
dant qu'après plusieurs siècles que toute la Gaule fut appelée la
France. On ne donna d'abord ce nom qu'au pays renfermé entre
l'Oise, la Marne et la Seine, qu'on a nommé l'Ile de France, où ap-
paremment les Francs s'étaient établis en plus grand nombre
après la bataille et la prise de Soissons. On étendit ensuite le nom
de France à tout le pays qui fut nommé la Neustrie. Mais ce ne
de l'ancienne géographie de la GAULE. XI
fut que longtemps après que ce nom devint commun à toute la
Gaule, et c'est sans doute la raison pour laquelle nos rois de la
première et de la seconde race ne prirent jamais le titre de rois de
France, reges Franciœ, qui n'aurait pas répondu à l'étendue de leur
domination; mais celui de reges Francorum, rois des Francs, ou
reges Galliarum, roi des Gaules.
5° Les Francs, laissant à la Bourgogne et à l'Aquitaine les noms
qu elles avaient, divisèrent le reste de leur domination en deux
grandes provinces, dont l'une à l'orient fut nommée Austrie ou
Austrasie : car ost ou est en tudesque signifie orient ; et l'autre,
à l'occident, fut appelée Neustrie ou Neustrasie. L'Austrasie était
renfermée entre le Rhin et la Meuse, et la Neustrie entre la Meuse
et la Loire jusqu'à l'Océan. On donna dans la suite des bornes plus
étroites à la Neustrie, qu'on resserra entre la Loire et la Seine jus-
qu'à l'Océan ; et plus tard enfin on ne donna plus ce nom qu'à
la seconde Lyonnaise, dont Rouen est la métropole.
6° Les Vasconsou Gascons, peuples des Pyrénées, étant descen-
dus de leurs montagnes, se répandirent dans la Novempopulanie
sous les rois de la première race et donnèrent leur nom à cette
province , qu'on appelait la Gascogne. Les rois Théodebert et
Thierry, fils de Childebert II, les y subjuguèrent et les obligèrent
à payer un tribut, moyennant lequel on les laissa dans les terres
qu'ils avaient occupées. Leur vivacité naturelle ne leur permit pas
d'y rester longtemps tranquilles ; mais Aribert et Dagobert, son
frère, surent les réprimer.
7° Les Etats de l'empereur Lothaire ayant été partagés, vers
l'an 855, entre ses trois fils, le jeune Lothaire eut pour ses Etats
une partie de l' Austrasie, de la Belgique et de l'ancienne Bour-
gogne, et ce nouveau royaume fut appelé Lotharingie, du nom de
Lothaire, qui en était roi, nom qui est demeuré au duché que nous
nommons Lorraine. Mais l'ancienne Lotharingia ou Lorraine, qui
comprenait l'Alsace, la province des Séquaniens, le Brabant et
plusieurs autres lieux, avait bien une autre étendue que n'en eurent
depuis les États du duc de Lorraine.
8° Les Normands, après avoir longtemps ravagé toute la Gaule,
s'établirent enfin dans la Neustrie, du consentement de Charles
le Simple, qui leur céda la seconde Lyonnaise depuis la rivière
d'Epte jusqu'à l'Océan. Les nouveaux habitants donnèrent leur
nom à cette province, qui ne fut plus connue que sous le nom de
Normandie; et, comme ils étaient également laborieux et indus-
trieux, ils mirent en peu de temps ce pays dans un état très-floris-
XII NOTICE ABRÉGÉE
sant, surtout quand on le comparait à celui où l'avaient réduit leurs
ravages.
9° Enfin les duchés et les comtés, étant devenus héréditaires sur la
fin de la seconde race de nos rois, donnèrent lieu d'étendre ou de
resserrer les limites de la plupart de nos provinces, selon que les
ducs ou les comtes furent plus ou moins puissants. C'étaient dans le
sein du royaume comme autant de petits Etats, où les ducs et les
comtes, presque toujours armés les uns contre les autres, osaient
quelquefois même réunir leurs armes contre le roi leur souverain.
10° Comme la Gaule Narbonnaise se nommait simplement Pro-
vincia ou Provincia Romana, le nom de Provence est demeuré à une
partie de cette province, qui obéissait à un comte particulier et qui
comprenait les Alpes Maritimes, la seconde Narbonnaise et la pro-
vince d'Arles, qui avait fait partie de la Viennoise. Mais dès le temps
de Grégoire de Tours on nommait Provence le territoire d'Arles et
de Marseille.
11° Le nom de Champagne est aussi fort ancien. On appela d'a-
bord cette province la Champagne de Reims. Mais ensuite, lors-
qu'on en eut étendu les limites, on la nomma simplement la Cham-
pagne, nom qu'elle doit à la situation du pays qu'elle renferme.
12° S. Ouen, dans la Vie de S. Eloi, est à notre connaissance le
premier auteur qui ait parlé de la Flandre. C'était alors un petit
canton de la Belgique maritime. On a depuis étendu ce nom à une
partie considérable de la seconde Belgique.
13° Quant au nom de Picardie, qui a été donné à une autre partie
de la seconde Belgique, il n'est pas plus ancien que le xme siècle,
et on n'en connaît pas précisément l'origine.
14° Le nom de Dauphiné est un peu moins récent, et il doit son
origine au comte Guignon, septième du nom, qui prit le surnom de
Dauphin, que ses successeurs voulurent aussi porter: ce qui fit
nommer ce pays Dauphiné. Plusieurs de nos provinces,, comme
l'Anjou, le Maine,. la Touraine, le Poitou, le Rouergue, le Quercy,
ont conservé le nom de leurs capitales.
IV
Changements arrivés dans les noms des villes et d'autres lieux.
Quoique les noms des villes aient été sujets à moins de variations
que ceux des provinces, on y remarque néanmoins des changements
qu'il est à propos de faire connaître.
de l'ancienne géographie de la galle. XIII
Les villes de la Gaule avaient presque toutes un nom celtique
différent de celui des peuples qui les habitaient. Par exemple, la
ville des Parisiens se nommait Lutetia, celle des Amiénois , Sama-
robriva; celle des Rémois, Duracortorum ; celle des Rennois, Con-
date. Mais comme les peuples étaient plus connus des Romains et
des Francs que les noms barbares de ces villes, il est arrivé qu'on
n'a plus guère désigné celles-ci que par les noms des peuples qui
les habitaient. C'est ainsi qu'on a dit Paris, Amiens, Reims et
Rennes, etc.
Quant à la capitale d'Auvergne, elle a changé plusieurs fois de
nom. On l'appela d'abord Nemetum, puis Augustonemetum ; en-
suite elle n'eut pendant plusieurs siècles que le nom de son peuple,
et fut appelée Arverni ou civitas Arverna. Enfin elle a pris le nom
de sa citadelle, qui était appelée, à cause de sa situation, Clarus
Mons, Clermont. De Valois remarque qu'on peut reconnaître les
villes qui ont pris le nom de leurs peuples à Y s finale qu'elles ont
conservée dans leur nom, et que cette particularité est la preuve qu'il
est dérivé d'un pluriel.
Les noms des villes de la Gaule étaient purement celtiques dans
leur origine. Mais les empereurs romains, surtout Jules César et
Auguste, firent porter leurs noms à plusieurs villes qu'ils avaient
embellies, et c'est de là que sont venus ces noms : Augustodunum,
Autun; Cœsarodunum, Tours; Cœsaromagus, Beauvais ; Juliomagus,
Angers. Les Gaulois joignirent au mot romain la terminaison cel-
tique : car dunum et magus sont des termes gaulois, aussi bien que
durum et briva, qui entrent souvent dans la composition des noms
de villes. Dunum signifie hauteur, colline, et nous nous servons en-
core du mot de dunes dans notre langue pour signifier les hauteurs
sur le rivage de la mer. Durum signifie rivière; dour en bas-
breton signifie eau; briva en celtique signifie pont : d'où vien-
nent Samarobriva, Pont de la Somme; Briva Isarœ, Pontoise ;
Brivodurum, Briare, c'est-à-dire Pont de la rivière.
C'est, à ce qu'on croit, l'empereur Aurélien qui donna son nom à
Orléans. Gratien donna le sien à Grenoble, qui se nommait aupa-
ravant Cularo, et qu'il fit appeler Gratianopolis, la ville de Gratien.
Constantin voulut aussi donner son nom à Arles, qu'on trouve
quelquefois nommée Constantinopolis ; .mais le nom d'Arles lui est
resté. —
On trouve aussi dans la Gaule plusieurs noms de villes purement
romains, surtout dans la Gaule Narbonnaise, où un grand nombre
de colonies romaines se sont établies, comme : Forum Julii, Fréjus;
XIV NOTICE ABRÉGÉE
Vicus Julius, Aires; Aquœ Sextiœ, Aix ; dans les autres provinces,
Constantia, Coutances, qui doit son nom à Constance Chlore, père
de Constantin; Augusta Suessionum, Soissons, etc.
Comme la langue grecque était celle des Phocéens, fondateurs de
Marseille, ils donnèrent des noms grecs à la plupart des villes qu'ils
bâtirent sur ces côtes ou dont ils s'emparèrent. C'est d'où sont ve-
nus les noms de Telo, Toulon; d' Antipolis, Antibes ; à'Agatha,
Agde; de Rhodanus, le Rhône; de Stœchades, les îles Stéchadesy
qui sont des noms dérivés du grec. Pour les Goths, les Bourgui-
gnons et les Normands, nous ne trouvons pas qu'ils aient donné
leurs noms à des villes : ces peuples les pillaient et les saccageaient,
et ils n'en bâtissaient point.
L'établissement de la religion chrétienne a donné lieu à des
changements dans les noms de plusieurs villes, qui ont pris ceux
des saints dont le culte y est devenu célèbre. C'est ainsi que l'an-
cienne Auguste des Vermandois, où S. Quentin avait souffert le
martyre, a pris le nom de ce saint; Aleth, dans l'Armorique, s'est
appelée Saint-Malo, du nom d'un de ses évêques; Leuconaùs est
devenu Saint- Valéry, et Tomières, Saint-Pons. Quelquefois.on s'est
contenté de joindre le nom du saint à l'ancien nom de la ville. On
a dit, par exemple : Quimpér-Corentin, Saint-Pol de Léon, Saint-
Paul-Trois-Châteaux, Saint-Bertrand de Comminges. Un grand
nombre de monastères et d'autres lieux ne sont plus connus que
sous le nom des saints qu'ils prirent pour patrons.
V
De quelques anciennes villes qui ont été ruinées entièrement ou en
partie.
Nous ne parlerons que des villes épiscopales qui, ayant été rui-
nées ou du moins ayant beaucoup perdu de leur splendeur, ont
cessé d'avoir des évêqti3S.
1° Nous commençons parEauze, qui fut longtemps une ville con-
sidérable, puisqu'elle était la capitale d'une aussi grande province
que la Novempopulanie. Cette ville ayant été ruinée, apparemment
par les guerres des Gascons, ses droits de métropole ont été trans-
ie rés à la ville d'Auch. Aujourd'hui Eauze (Gers) n'est plus qu'une
petite ville peu considérable.
2° La ville de Cabales, siège épiscopal et capitale du Gévaudan,
DE L'ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GAULE.
XV
a eu le même sort. Le siège fut transféré à Mende, que le tombeau
de S. Privât avait rendue célèbre. On croit que l'ancienne ville de
Gabales est le lieu aujourd'hui nommé Javoulx.
3° Cémèle, près de Nice, dans la province des Alpes Maritimes, a
été un siège épiscopal célèbre par le martyre de S. Pons. Mais le
pape Hilaire, successeur de S. Léon, ordonna qu'il n'y eût qu'un
évêque pour Nice et pour Cémèle. Cette ville a été détruite par les
Sarrasins.
4° Octodure dans les Alpes Pennines, Avenches et Vindisch dans
la province des Séquaniens étaient des sièges épiscopaux, dont le
premier a été transféré à Sion en Valais , le second à Lausanne, et
le troisième à Constance.
5° Les fréquentes incursions des barbares ayant souvent ruiné la
ville d'Antibes et celle de Maguelone, le siège de celle-ci fut trans-
féré à Montpellier, et celui d'Antibes à Grasse. Le siéged'Elnea
été pour la même raison transféré à Perpignan. On prétend que
celui de Tréguier était autrefois dans une ville nommée Lexobie, qui
fut ruinée par les courses des Normands ; mais cette opinion ne
s'appuie que sur la tradition du pays.
VI
De quelques villes nouvelles qui se sont formées dans les Gaules»
Les nouvelles villes qui se sont formées dans la Gaule depuis l'é-
tablissement de la monarchie sont en grand nombre; mais peu sont
devenues considérables. Plusieurs doivent leur origine à de célèbres
monastères dont elles ont pris les noms , comme : Saint-Denis,
Saint-Flour, Corbie, Saint- Junien, Saint-Pons, Saint-Riquier, Ab-
beville, qui doit sa naissance et son nom, Abbalis villa, à une maison
de campagne de l'abbé de Saint-Riquier. Plusieurs monastères
furent érigés en sièges épiscopaux , comme : Saint-Flour, Tulle,
Saint-Pons, Castres, Lavaur, Vabres, Luçon et Maillezais, dont le
siège a été transféré à La Rochelle.
La puissance des seigneurs francs s'étant accrue aux dépens de
l'autorité royale, ils bâtirent dans leurs domaines plusieurs places
fortes ou châteaux, qui sont devenus des villes. Ces forteresses
étaient nommées Firmitas ou Castrum, et pour les distinguer on y
joignit le nom du seigneur qui les avait fait bâtir. C'est de là que
nous avons en France tant de villes dont les noms commencent par
XVI
NOTICE DE LA GEOGRAPHIE DE LA GAULE.
Château (castrum), ou par La Ferté [firmitas), avec le nom de
quelque seigneur, comme La Ferté-Milon, La Ferté-Bernard, Châ-
teau-Thierry, Château-Gontier , etc. Car, au lieu qu'aujourd'hui
c'est le seigneur qui prend le nom de la terre, c'était alors la terre
qui prenait le nom de son seigneur. Telle est aussi l'origine d'un
grand nombre de bourgs et de villages qui doivent leur naissance
aux maisons de campagne des seigneurs ; en effet, comme une mai-
son de campagne était nommée Cors, Villa ou Villare, on trouve
dans toutes nos provinces un grand nombre de lieux dont les noms
sont terminés en Court, en Ville ou en Villers, avec le nom du
maître à qui ils appartenaient.
VII
Ancienne notice des provinces et des villes de la Gaule.
Le P. Sirmond a donné à la tête de ses conciles une ancienne
notice de la Gaule, la plus estimée et la plus ancienne de toutes
celles qui sont venues jusqu'à nous. Elle fut faite vers le temps de
l'empereur Honorius. Nous avons cru devoir la rapporter ci-contre
en latin et en français, pour justifier ce que nous avons avancé au
sujet de la division de nos provinces. On y verra que toutes les
villes qui sont marquées métropoles civiles, sont encore presque
toutes aujourd'hui métropoles ecclésiastiques, à l'exception d'Eauze
qui a été ruinée, et que presque toutes les villes qui ont le nom de
cités sont des sièges épiscopaux. Pour celles qui n'ont que le nom
de castrum, c'étaient des villes de second ordre, et il était assez rare
qu'elles devinssent des sièges épiscopaux (1).
(1) La plupart des villes qui étaient métropoles ecclésiastiques , à l'époque où
écrivait le P. Longueval, le sont encore aujourd'hui. Mais un grand nombre d'é-
vêchés ont été supprimés par le concordat de Pie VII. Embrun, Vienne, Narbonne,
autrefois métropoles, n'ont plus même d'évêché.
ANCIENNE
GÉOGRAPHIE DE LA GAULE
Le chiffre marqué après le nom de chaque province désigné le nombre des ville
de cette province qui ont le titre de cités,
PROVINCIA LUGDUNENSIS PRIMA. — Num. III.
PREMIÈRE LYONNAISE. :
Metropolis civitas Lugdunen- Lyon, métropole.
sium.
Civitas ^Eduorum. Autun.
Civitas Lingonum. Langres.
Castrum Cabillonense. Chalon-sur-Saône.
Castrum Matisconense. Mâcon.
PROVINCIA LUGDUNENSIS SECONDA. — Num. VIL
SECONDE LYONNAISE.
Metropolis civitas Rotomagen- Rouen, métropole.
sium.
Civitas Bajocassium. Bayeux.
Civitas Abrincatum. Avr anches.
Civitas Ebroicorum. Évreux.
Civitas Sagiorum. Séez.
Civitas Lexoviorum. Lisieux.
Civitas Constantia. Coutances.
PROVINCIA LUGDUNENSIS TERTIA. — Num. IX.
^ TROISIÈME LYONNAISE.
Metropolis civitas Turonorum. Tours, métropole.
Civitas Cenomannorum. Le Mans.
Civitas Redonum. Rennes.
XVIII ANCIENNE GEOGRAPHIE DE LA GAULE.
Civitas Andicavorum. Angers.
Civitas Namnetum. Nantes.
Civitas Coriosopitum. Quùnper.
Civitas Venetum. Vannes.
Civitas Ossismorum. Trêguier ou Saint-Poi de Léon.
Civitas Diablintum.
PROVINCIA LUGDUNENSIS SENONIA. — Num. VIL
PROVINCE SÉNONIENNE.
Metropolis civitas Senonum. Sens, métropole.
Civitas Carnotum. Chartres.
Civitas Autissiodorum. Auxerre.
Civitas Tricassium. Troyes.
Civitas Aurelianorum. Orléans.
Civitas Parisiorum. Paris.
Civitas Melduorum. M eaux.
PROVINCIA BELGICA PRIMA. — Num. IV.
PREMIÈRE BELGIQUE.
Metropolis civitas Treverorum. Trêves, métropole.
Civitas Mediomatricorum Met- Metz.
tis.
Civitas Leucorum Tullo. Toul.
Civitas Verodunensium. Verdun.
PROVINCIA BELGICA SECUNDA. — Num. XII
SECONDE
Metropolis civitas Rhemorum.
Civitas Suessionum.
Civitas Catuellaunorum.
Civitas Veromanduorum .
Civitas Atrabatum.
Civitas Camaracensium.
Civitas Turnacensium.
Civitas Sylvanectum.
Civitas Bellovacorum.
Civitas Ambianensium.
Civitas Morinum.
Civitas Bononensium.
BELGIQUE.
Reims, métropole.
Soissons.
C hâtons -sur-Marne .
Saint -Quentin.
Arras.
Cambrai.
Tournay.
Sentis.
Beau vais.
Amiens.
Thèrouanne .
Boulogne.
ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GAULE.
XIX
PROVINCIA GERMANIA PRIMA. — Num. IV.
PREMIERE GERMANIE.
Metropolis civitas Mogunciacen- Mayence, métropole .
sium.
Civitas Argentoratensium. Strasbourg .
Civitas Nemetum. Spire.
Civitas Vangionum. ÏVorms.
PROVINCIA GERMAMA SECUNDA. — Num. II.
SECONDE GERMANIE.
Metropolis civitas Agrippinen- Cologne, métropole.
sium.
Civitas Tungrorum. Tongres.
PROVINCIA MAXIMA SEQUANORUM. — Num. IV.
PROVINCE DES SÉQUANIENS.
Metropolis civitas Vesoncien-
sium.
Civitas Equestrium Noiodunus.
Civitas Elvitiorum Aventicus.
Civitas Basiliensium.
Castrum Vindonissense.
Castrum Ebredunense.
Castrum Rauracense.
Portus Abucini.
Besançon, métropole.
Nyon.
Avenche.
Baie.
Vindisch, dont le siège a été
transféré à Constance.
Iverdun.
Augst.
On ne connaît plus cette ville.
PROVINCIA ALPIUM GRAIARUM ET PENNINARUM.
Num. II.
PROVINCE DES ALPES GRECQUES ET PENNINES.
Civitas Centronum Darantasia. Tarantaise .
Civitas Valen sium Octodoro. Octodure, aujourd'hui Marti-
gnac.
Item. In provinciis septem. Item. Dans les sept provinces.
XX
ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GAULE.
PROVINCIA VIENNENSIS. — Num. XIII.
PROVINCE VIENNOISE.
Metropolis civitas Viennensium.
Civitas Genavensium.
Civitas Gratianopolitana.
Civitas Albensium.
Civitas Deensium.
Civitas Valentinorum.
Civitas Tricastinorum.
Civitas Vasiensium.
Ciyitas Arausicorum.
Civitas Cabellicorum .
Civitas Avennicorum.
Civitas Arelatensium.
Civitas Massiliensium.
Vienne, .métropole.
Genève.
Grenoble.
Viviers.
Die.
Valence.
Tro is-Châtea ux .
Vaison.
Orange.
Cavaillon .
Avignon.
Arles.
Marseille.
PROVINCIA AQUITANICA PRIMA. — Num. VIII.
PREMIÈRE AQUITAINE.
Metropolis civitas Biturigum.
Civitas Arvernorum.
Civitas Rutenorum.
Civitas Albiensium.
Civitas Cadurcorum.
Civitas Lemovicum.
Civitas Gabalum.
Civitas Vellavorum.
Bourges, métropole.
Clermont.
Rodez.
Albù
Cahors.
Limoges.
Gabales ou Javoulx, dont le
siège a été transféré à Mende.
On croit que c'est la ville aujourd'hui
nommée Saint-Paulien, dont le siège a
été tranféré au Puy en Velay.
PROVINCIA AQUITANICA SECUNDA. — Num. VI.
SECONDE AQUITAINE.
Metropolis civitas Burdegalen- Bordeaux, métropole.
sium.
Civitas Agennensium. Agen.
Civitas Ecolismensium. Angoulême.
Civitas Sanctonum. Saintes.
Civitas Pictavorum. Poitiers.
Civitas Petracoriorum. Péri gueux.
ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA G A CLE.
XXI
PROVINCIA NOVEMPOPULANA. — Num. XII.
NOVEMPOPULANIE.
Metropolis civitas Elusatium,
Civitas Aquensium.
Civitas Lactorantium.
Civitas Convenarum.
Civitas Consorannorum.
Civitas Boatium.
Civitas Benarnensium.
Civitas Aturensium.
Civitas Vasatica.
Civitas Turba, ubi
Castrum Bigorra.
Civitas Elloronensium.
Civitas Ausciorum .
JEauze, métropole.
Acqs.
Lectoure.
Comminges.
Consèrans.
Bayonne.
Lescar.
Aire.
Basas.
Tarbes.
Oléron .
Auch.
PROVINCIA NARBONENSIS PRIMA. — Num. VI.
PREMIÈRE NARBONNAISE.
Metropolis civitas Narbonen- Narbonne, métropole.
sium.
Civitas Tolosatium. Toulouse.
Civitas Beterrensium. Bèziers.
Civitas Nemausensium. Nîmes.
Civitas Lutevensium. Lodève.
CastrumUcesiense,a/ias civitas. Uzès.
PROVINCIA NARBONENSIS SECUNDA. — Num. VII.
SECONDE NARBONNAISE.
Metropolis civitas Aquensium. Aix, métropole.
Civitas Aptensium. Apt.
Civitas Reiensiujn. Riez.
Civitas Forojuliensium. Frèjus.
Civitas Vappincensium. Gap.
Civitas Segesteriorum. Sisteron*
Civitas Antipolitana. Antibes.
XXII
ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GAULE.
PROVINCIA ALPIUM M ARITIMARUM . — Num. VIII.
ALPES MARITIMES.
Metropolis civitas Ebrodunen- Embrun, métropole.
SlUffi.
Civitas
Civitas
Civitas
Civitas
Civitas
Civitas
Civitas
Dinensium.
Ricomagensium,
Solliniensium.
Sanitiensiuin.
Glannatina.
Cemelensium.
Vinciensium.
Digne.
Ces deux villes sont aujourd'hui
inconnues.
Senez.
Glandève.
Cémèle.
Vence.
DISCOURS DU P. LONGUEVAL
SUR LA RELIGION
ET
SUR LES MOEURS DES FRANCS
avant l'établissement de la monarchie
ET SOUS LES DEUX PREMIÈRES RACES DE NOS ROIS.
I
Origine des Francs.
Il est peu de nations qui, sous prétexte d'ennoblir leur ori-
gine, ne l'aient obscurcie par des traditions fabuleuses. Dès le
vine siècle, des auteurs, pour flatter nos rois, prétendirent que les
Francs descendaient des Troyens , et le diacre Paul , dans son
Histoire des évêques de Metz, ne craint pas de dire que c'est pour
cette raison que le fils de S. Arnoul, qui fut la tige de la seconde
race de nos rois, avait été nommé Anchise, quoique en effet il ne
se nommât pas Anchise, mais Ansegise. Une foule d'historiens
postérieurs, sacrifiant la réputation d'habiles et de judicieux écri-
vains à la prétendue gloire de leur patrie, ont adopté cette opinion.
Pour en faire ressembler l'origine à celle de Rome, ils ont supposé
qu'un prince troyen nommé Francus était venu s'établir au delà
du Rhin et avait donné son nom à la monarchie franque, dont il
aurait été le fondateur. Mais la nation française s'est rendue assez
illustre par elle-même pour n'avoir pas besoin d'une origine fabu-
leuse : l'éclat de ses grandes actions lui suffit. Aussi, sans nous
arrêter à combattre ces fictions, nous nous contenterons d'ex-
poser brièvement ce qui nous a paru être le plus probable sur l'ori-
gine des Francs.
XXIV
DISCOURS SUR LA RELIGION
Ce ne fut que dans la seconde moitié du 111e siècle, sous l'em-
pire de Valérien, que les historiens romains commencèrent à
faire mention des Francs , et ils désignèrent par ce nom commun
diverses nations de la Germanie, telles que les Saliens, les At-
tuaires, les Ampsivares, les Kamaves, les Brictères et les Cattes.
Comment tous ces peuples et quelques autres furent-ils appe-
lés Francs, nom inconnu à Tacite et aux plus anciens historiens?
Cette dénomination de Francs fut donnée au 111e siècle à une
confédération de plusieurs peuples de la Germanie, qui se liguèrent
ensemble pour la conservation de leur liberté. La haine des Ro-
mains, leurs ennemis communs, les réunit si étroitement qu'ils ne
firent plus qu'un peuple, qui prit le nom de Francs, c'est-à-dire
libres en langue tudesque. Leur nom était ainsi le symbole de la
cause pour laquelle ils combattaient , et ils y trouvaient les motifs
du courage avec lequel ils devaient la défendre.
Dès que ces peuples eurent été connus sous le nom de Francs ,
on commença à appeler France le pays qu'ils habitaient au delà du
Rhin, entre la Saxe et l'Allemagne, c'est-à-dire la Souabe. Car ce
sont là les limites que S. Jérôme assigne à la France transrhé-
nane. « Entre les Saxons et les Allemands, dit-il, habite une nation
qui a moins d'étendue que de force. On nommait autrefois ce pays
Germanie : on l'appelle aujourd'hui France (1). »
II
De la religion des Francs avant leur conversion à la foi
chrétienne.
Puisque les Francs étaient Germains, il n'y a aucun lieu de
douter qu'ils ne fussent adonnés à toutes les superstitions que les
anciens historiens ont attribuées à ces peuples. Ainsi on peut assu-
rer sans témérité qu'ils adoraient Mars, Hercule et Mercure; qu'ils
souillèrent de sang humain les autels de ce dernier, et qu'ils n'a-
vaient ni temples ni statues de leurs dieux, se contentant de leur
consacrer des fontaines et des forêts , dont le silence leur paraissait
plus propre à inspirer le respect et le recueillement. Dans la suite
les Francs eurent des idoles. « Ils se firent, dit Grégoire de Tours,
(1) Hier., de VU. S. Hilarionis.
HISTOIRE
DE
L'ÉGLISE CATHOLIQUE
EN FRANGE
LIVRE CINQUIEME
La mort de S. Léon fut pour l'Eglise un sujet de deuil uni-
versel; mais le diacre Hilaire, qui fut élevé sur le Saint-Siège,
parut encore un grand pape, même en succédant à S. Léon :
il avait été son archidiacre et envoyé par lui en qualité de légat
au second concile d'Éphèse. Peu après son avènement, le nou-
veau pape écrivit à Léonce d'Arles, successeur de Ravennius,
pour lui donner avis de son élévation au pontificat. Par cette
lettre il le charge de notifier son élection à tous les évêques
de sa province, afin qu'ils prient le Seigneur pour son heu-
reux gouvernement (1). La lettre est datée du 25 janvier sous
le consulat de Sévère, c'est-à-dire l'an 462. Léonce avait pré-
venu le nouveau pape. En lui adressant ses félicitations, il lui
dit que la nouvelle de son élection est venue adoucir l'amer-
tume des larmes que la mort de S. Léon faisait couler; que,
l'Église romaine étant la mère de toutes les Églises, on doit
se réjouir de ce que dans des temps si fâcheux il a été placé
sur ce siège, pour juger les peuples selon l'équité et diriger
les nations de la-terre. Il l'exhorte à achever ce que son pré-
décesseur avait commencé pour l'extirpation des hérésies, et
(t) Hilar. Epist. adLeont., t. I OonciL Gall., p. 127. — Labb., t. IV, p. (039.
TOME II. 1
2 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [462j
il le prie en finissant de maintenir les privilèges que les papes
avaient accordés à son Église : c'est ce que les évêques d'Arles
n'avaient garde d'oublier (1). Peut-on avoir une preuve plus
certaine que les privilèges des métropoles venaient de la con-,
cession du Saint-Siège ?
Le pape Hilaire, ayant reçu cette lettre et voyant que
Léonce n'y faisait pas mention de celle qu'il devait avoir
reçue, lui en écrivit une seconde (2). « Les lettres, dit-il, que
notre fils Papole m'a rendues de votre part, ont fort aug-
menté la tendresse que j'ai pour toutes les Églises des Gaules
et pour tous les prêtres et les évêques de ces provinces. J'en
conjecture cependant que vous n'aviez pas encore reçu la
lettre que nous vous avons écrite dans les commencements
de notre pontificat : car vous nous en auriez parlé si le por-
teur n'avait pas été retardé par quelque accident. Sachez
donc qu'il y a longtemps que nous nous sommes acquitté
de ce que la coutume et la charité demandaient. » Il parle de
la lettre qu'il avait écrite, selon l'usage, pour notifier son
élévation au Saint-Siège. Il ajoute qu'il donnera tous ses
soins à maintenir dans l'Église gallicane la pureté de la dis-
cipline, pourvu qu'on l'avertisse des abus. Il eut bientôt
occasion d'exercer son zèle au sujet du successeur de Rustique
de Narbonne.
Ce saint évêque était mort l'an 462, après environ trente-
cinq ans d'épiscopat ; Hermès, qui avait été élu et ordonné
évêque de Béziers, voyant que les habitants de cette ville
refusaient de le recevoir, s'empara du siège de Narbonne.
Il avait été diacre de cette Église, et il est parlé de lui dans
une ancienne inscription (3) qu'on voyait à Narbonne , et où
l'on désignait différentes personnes qui contribuèrent à
(1) Leont. Ep. ad Hil. papam. , t. V Spicilegii, p. 578. — (2) Hilar. Epist., t. I
Concil.Gall., p. 127. — Labb., t. IV, p. 1040.
(3) Cette inscription, dont nous avons déjà parlé, nous apprend que la porte de
l'église fut placée la quatrième année depuis qu'on eut commencé de la rebâtir,
sous le sixième consulat de Valentinien, c'est-à-dire l'an 455, le 29 novembre,, la
dix-buitième année de l'épiscopat de Rustique. Voici les paroles : DO ET XRO MI-
[462] EN FRANCE. — LIVRE V. 3
faire rebâtir l'église, brûlée apparemment pendant les pre-
miers ravages des barbares. Narbonne fut depuis livrée aux
Yisigoths sous le règne de Théodoric II. Ce roi et sa nation
étaient ariens; mais il paraît que Frédéric, son frère, était
catholique , si l'on en juge par l'intérêt qu'il prenait aux
affaires de l'Église et par la manière dont parle de lui le pape,
qui le nomme son fils. Ce prince, voyant donc les règles de la
discipline violées par l'intrusion d'Hermès, écrivit au pape
Hilaire et lui envoya le diacre Jean pour s'en plaindre. Le
pape, à la nouvelle de ce scandale, écrivit une lettre fort vive
à Léonce. Il lui témoigne sa surprise de ce que, ne voulant
ou ne pouvant pas remédier aux désordres qui arrivent dans
sa province, il néglige d'en avertir le Saint-Siège, et il lui
ordonne de lui envoyer incessamment sur cette affaire une
relation signée de lui et des autres évêques , afin qu'il puisse
décider quelle conduite on doit tenir (1). La lettre est du
3 novembre de l'an 462.
Les évêques de ces provinces n'avaient pas attendu ces
reproches pour députer à Rome deux d'entre eux , Fauste
et Auxanius, à l'occasion de cette affaire. Le pape, les ayant
entendus, tint à ce sujet un nombreux concile de diverses
provinces, à la tête duquel étaient les deux évêques dépu-
tés des Gaules (2). La cause d'Hermès y fut réglée. Le
pape en écrivit le résultat aux évêques des provinces
Lyonnaise, Viennoise, des deux Narbonnaises et des Alpes
Pennines. Il dit que la conduite régulière et édifiante qu'Her-
mès avait tenue jusqu'alors avait fait trouver sa faute plus
pardonnable; qu'ainsi on avait eu égard tout à la fois, dans
la sentence, et à la douceur de la charité et à la sévérité de
SERANTE LUI. HOC C. L. K. T. E. (c'est-à-dire collocatum est) ANNO MI CS
VALENT1NIANO AUG^VI. III K. L. D. XVIII. ANNO EPTUS RUSTI.
(1) Hilar. Epist. ad Leont., t. I Concil. Galkr$. 128.— Labb., t. IV, p. 1040.
(2) L'expression doiït se sert le pape semble marquer qu'il fit présider ce
concile par les deux évêques de la Gaule : prœsidentibus fratribus et coepiscopis no s tris
fausto et Auxanio.
4 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [462]
la discipline. Elle porte qu'Hermès demeurera évèque de
Narbonne; que cependant, pour le punir de son procédé irré-
gulier , on lui ôte le droit d'ordonner des évêques , droit
qu'on transporte à Constance d'Uzès, comme au plus ancien
dans l'épiscopat ; mais qu'après la mort d'Hermès ce droit
retournera à ses successeurs, parce que c'est à la personne
d'Hermès qu'on l'ôte et non à l'Église de Narbonne. Pour
prévenir de pareils abus, le pape ordonne qu'on tienne tous les
ans des conciles, lesquels seront convoqués par Léonce, qu'il
délègue à cet effet . On y terminera les affaires concernant les
ordinations des évêques, des prêtres et des autres personnes du
clergé ; mais on consultera le Saint-Siège sur les causes les plus
importantes qui n'auront pu être terminées sur les lieux (1).
Le pape, par la même lettre, défend aux évêques de sortir
de leurs provinces sans des lettres du métropolitain. Si le
métropolitain les refuse, on pourra s'adresser à Léonce
d'Arles, qui décidera la cause avec deux métropolitains.
Léonce avait présenté une requête au pape pour revendiquer
des paroisses que S. Hilaire d'Arles avait autrefois aliénées.
Le pape renvoie la connaissance de cette affaire aux évêques
auxquels il écrit ; mais il défend d'aliéner désormais les terres
de l'Eglise sans l'autorité d'un concile où l'on aura exposé
les motifs de cette aliénation. Cette lettre est datée du 3 dé-
cembre sous le consulat de Sévère, c'est-à-dire l'an 462.
Telle fut l'issue de l'affaire d'Hermès (2). Il paraît que ce
furent les évêques Fauste et Auxanius, députés des Gaules,
qui adoucirent l'esprit du pape à son sujet. On ne connaît pas le
siège d' Auxanius; mais Fauste était l'abbé de Lérins dont nous
avons parlé. Il fut élevé sur le siège de Riez après la mort
de S. Maxime, à qui il fut jugé digne de succéder deux fois.
(1) Concil. Gall., 1. 1, p. 129. — Lahb., t. IV, p. 1041.
(2) Le P. Quesnel, qui avait intérêt à ce qu'on canonisât ceux que les souverains
pontifes ont condamnés, fait d'Hermès un saint et dit qu'il est dans le Martyrologe
romain au 26 octobre, dans celui des Gaules et dans celui d'Usuard. Mais cer-
tainement il ne se trouve dans aucun des trois. V. Quesnell., t. II Operum S. Léon.,
p. 78G.
[462] EN FRANCE. LIVRE V. 5
Les vertus héroïques de S. Maxime avaient rendu son
épiscopat célèbre dans toute la Gaule. Aussi, quand les mira-
cles qu'on lui attribue ne seraient pas attestés par des auteurs
contemporains , la sainteté de sa vie les rendrait seule aussi
croyables qu'ils furent éclatants. Un jour que le saint évêque
assistait avec ses clercs à l'office de la nuit , on vint annoncer
au diacre Auson qu'un de ses neveux , qu'il élevait chez lui ,
s'était tué en tombant du haut des murs de la ville. Le diacre
y courut aussitôt, et, ayant pris entre ses bras le corps de ce
jeune enfant, il le porta dans la maison de S. Maxime et
le coucha dans son lit. Il vint ensuite à l'église, où était le
saint évêque, et, se prosternant à ses pieds, il lui dit ce qu'il
avait fait, le conjurant de rendre la vie à son neveu. Maxime
le reprit d'abord avec mécontentement, puis, se laissant vain-
cre par la foi et par les prières d' Auson , il voulut aller secrè-
tement à sa chambre avec lui seulement ; mais le peuple qui
était dans l'église les y suivit. Maxime, ayant fait une fervente
prière, prit l'enfant mort par la main et le rendit plein de vie
à son oncle. Tout le peuple, témoin du miracle, s'écria aussi-
tôt : Gloire soit à Dieu, et, comme chacun s'empressait de voir
et d'entendre cet enfant, l'évêque eut beaucoup de peine à
se faire frayer un passage par ses clercs au travers de la foule,
pour retourner achever l'office. Il ressuscita aussi la fille
d'une veuve et rendit la vue à un aveugle en faisant le signe
de la croix sur ses yeux (i).
S. Maxime, sentant sa fin approcher, alla visiter ses parents,
qui n'étaient pas éloignés de Riez. La sainteté n'éteint pas les
sentiments de la nature : elle les perfectionne. Ce saint évêque
mourut dans sa famille vers l'an 460, le 27 novembre, jour
auquel on célèbre sa fête. Gomme on ramenait son corps à
Riez, le convoi se croisa sur la route avec celui d'une jeune
fille d'un village nommé Décima, qui était portée en terre dans
un cercueil découvert. Les personnes qui l'accompagnaient,
(1) Dynian. Vita S. Maximi, e. Tlï.
6 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [4fi2]
prièrent ceux qui portaient le cercueil du saint évêque de le
faire toucher au corps de la jeune fille. Ils le firent, et tous,
s'étant à l'instant prosternés en prière et ayant crié sept fois :
Kyrie eleison, virent avec étonnement ressusciter cette fille,
qui suivit elle-même le convoi , en publiant la puissance de
son libérateur (1).
Tous ces faits sont rapportés par le patrice Dymanius, qui
a écrit la vie de S. Maxime dans le temps où plusieurs témoins
oculaires de ses miracles vivaient encore. S. Maxime fut en-
terré dans l'église de Saint-Pierre, qu'il avait fait bâtir, et qui
prit son nom peu de temps après à cause des fréquents mi-
racles qui se firent à son tombeau. Nous n'en rapporterons
qu'un seul, aussi éclatant qu'il est avéré.
Un enfant de trois ans étant malade et à la dernière extré-
mité, on prit le parti de le porter au tombeau de S. Maxime :
c'était aux yeux de tous le dernier et le plus efficace remède ;
mais il mourut entre les bras de ceux qui l'y portaient. Ses
parents en pleurs déposèrent le corps devant le sépulcre du
saint, et fermèrent l'église le soir en se retirant. Etant revenus
le lendemain matin , leur ravissement fut égal à leur surprise
en voyant leur fils debout et marchant autour de la grille qui
entourait le tombeau : « Nous avons vu, dit S. Grégoire de
Tours, la personne en faveur de laquelle s^cst opéré ce mi-
racle, et elle nous en a raconté elle-même les circonstances (2). »
Il nous reste quelques homélies de S. Maxime, parmi celles
qui sont attribuées à Eusèbe d'Émèse.
Fauste, qui succéda à S. Maxime, était originaire de la Bre-
tagne et s'était acquis de la réputation dans le barreau par
son éloquence. Il tâcha d'enfouir tous ses talents dans la soli-
tude, mais il ne put y réussir. On s'empressa d'autant plus de
rendre justice à son mérite qu'il paraissait seul le mécon-
naître. Il fut élu le troisième abbé de Lérins, l'an 433, et, pen-
dant environ 27 ans qu'il gouverna ce monastère, il en soutint
(1) Dyman. Vita S. Maximini, c. xil et xui. — (2) Gregor., de Gloria confess..
C. L.XXXIII.
[462] EN FRANCE. — LIVRE V. 7
la réputation et la régularité par sa vigilance et par ses exem-
ples. On loue surtout son abstinence. Il ne buvait jamais de
vin et ne mangeait le plus souvent que des fruits et des lé-
gumes crus. Il porta toutes ces vertus sur le siège épiscopal,
et il établit à Riez les prières usitées à Lérins, c'est-à-dire
qu'il régla l'office divin sur les usages de cette communauté ( 1 ) .
S. Nazaire, qui succéda à Fauste dans la charge d'abbé, fit
bâtir à Arluc, sur les côtes de la mer, un monastère pour des
religieuses, en l'honneur de S. Etienne (2). C'était un lieu
consacré autrefois à Yénus , qui y avait un autel dans un bois
nommé Ara luci , d'où est venu le nom d' Arluc. Le saint abbé
crut ne pouvoir mieux réparer les outrages faits à Dieu par
les impudicités qui faisaient partie du culte de cette déesse ,
qu'en établissant au même endroit un monastère de vierges
chrétiennes. On croit que Ste Maxime, honorée au diocèse de
Fréjus le 10 mai, fut du nombre de ces vierges. Nous ne pou-
vons déterminer précisément en quelle année Fauste fut élevé
sur le siège de Riez; mais il y avait peu de temps qu'il était
évêque quand il fut député à Rome au sujet de l'affaire d'Her-
mès de Narbonne.
A peine le pape S. Hilaire eut-il terminé cette affaire, que
son zèle fut éveillé par une autre non moins digne de sa vigi-
lance. Nous avons vu que S. Léon n'avait attribué que quatre
Églises à la métropole de Vienne. Mais S. Mamert, alors évêque
de cette ville, prétendit que sa juridiction s'étendait aussi
sur l'Église de Die et il y ordonna un évêque malgré la
résistance des citoyens. Gundéric, roi des Bourguignons et
maître de la milice, en écrivit au pape Hilaire. Le zèle de ce
prince pour la paix de l'Église et la qualité de fils que lui
donne le pape , ne permettent presque pas de douter qu'il ne
fût catholique. Hilaire écrivit en conséquence à Léonce d'Arles,
et, après quelques reproches sur ce qu'il ne l'avait pas averti
(1) Sidon. Apollinar. Carm. ad Faust.; lib. IX, Epist. m. — (2) Vide Mabill.
Annal. , t. I.
8 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [463 J
de cette entreprise , il le chargea d'examiner l'affaire dans le
concile qu'il devait assembler tous les ans , de sommer Mamert
d'y rendre compte de sa conduite et d'envoyer au Saint-Siège
la relation de cette cause, signée des évêques du concile (1).
Cette lettre est datée du 10 octobre sous le consulat de Basile,
c'est-à-dire de l'an 463.
Léonce, dont les droits étaient lésés par l'entreprise de
Mamert , s'acquitta fidèlement de la commission et députa à
Rome l'évêque Antoine pour y porter la relation du concile.
Le pape, l'ayant reçue, jugea la cause par une lettre adressée
aux évêques de ce concile , qu'il porte au nombre de vingt (2).
Il y relève d'abord en termes assez vifs la faute de Mamert
et dit qu'il aurait mérité d'être déposé; mais que, pour la paix
des Eglises , il aime mieux commencer par des remèdes plus
doux, et qu'ainsi il se contente de déléguer l'évêque Véran
pour lui faire de la part du Saint-Siège la réprimande conve-
nable, et l'avertir que si, dans la suite, lui ou quelqu'un des
évêques ses successeurs ne se contente pas des quatre Églises
que S. Léon a attribuées à celle de Vienne , elles seront réunies
à la métropole d'Arles. Pour l'évêque que S. Mamert avait
ordonné à Die , le pape veut que son ordination soit confirmée
par Léonce, à qui il appartenait de la faire. La lettre est du
25 février après le consulat de Basile , c'est-à-dire de l'an 464.
Le mérite de celui qui avait été ainsi ordonné évêque de
Die, put engager le pape à prendre ce parti : car nous croyons
que ce fut S. Marcel, frère et successeur de S. Pétrone. En
effet, les fragments que nous avons de la vie de ce saint
évêque nous font connaître qu'il y eut une grande division à
l'occasion de son élection, et que si le parti qui l'avait élu
était le meilleur, il était le moins nombreux. Mais Marcel eut
si peu de part à ces factions , qu'il s'enfuit de la ville dès qu'il
sut qu'on l'avait élu. S'il y eut quelque chose qui parut irré-
gulier dans son ordination, il effaça bientôt cette tache par
(1) Hilar. Ep. ad Leont., t. I Conc. Gall., p. 131. — Labb., t. IV, p. 1043. —
\î)Conc.GalL, 1. 1, p. 132. — Labb., t. IV, p. 1044.
)
[464] EN FRANCE. — LIVRE V. 9
l'éclat de ses vertus et de ses miracles. Il eut l'honneur d'être
emprisonné pour la foi par les Bourguignons ariens. L'Église
honore sa mémoire le 9 avril.
Pour prévenir des entreprises pareilles à celles qu'on re-
prochait à S. Mamert, le pape Hilaire écrivit une autre lettre
aux évêques des provinces de Vienne , de Lyon , des deux
Narbonnaises et des Alpes. Il leur défend d'empiéter les uns
sur les autres et leur recommande , comme un remède né-
cessaire, la tenue des conciles , qui doivent être convoqués
tous les ans par Léonce d'Arles (1).
Par une troisième lettre , le même pape délègue Léonce ,
Véran et Victure pour juger un différend survenu entre
Ingénuus d'Embrun et Auxanius : « Ingénuus, dit-il, qui avait
toujours joui des droits de métropolitain des Alpes, s'est
plaint de ce que nous aurions fait quelques règlements à son
préjudice et à la sollicitation d'Auxanius. C'est pourquoi,
ajoute le pape aux évêques qu'il nomme pour arbitres dans
cette affaire , nous vous donnons le pouvoir d'annuler les rè-
glements qu'on aurait pu obtenir de nous par surprise , au
préjudice des saints canons et du jugement rendu par notre
prédécesseur, de sainte mémoire. Car nous voulons conserver
les privilèges de chaque Église et nous ne permettons pas
qu'un évèque s'arroge quelque droit que ce soit dans les pro-
vinces d'un autre... C'est dans le salut des âmes et non dans
l'étendue de pays où nous aurons travaillé à l'obtenir que con-
siste le fruit de notre ministère. » En finissant, le pape ordonne
qu'il n'y ait dans la suite qu'un évêque pour la ville de Cémèle
et pour celle de Nice (2). Ces deux villes étaient trop voisines,
et Nice n'avait pas le titre de cité, mais celui de château. Or
l'on sait qu'il n'y avait communément de siège épiscopal que
dans les cités.
L'étude des saintes lettres continuait de fleurir dans ces
provinces de la Gaule plus voisines de l'Italie. Un auteur gau-
(1) Ap. Baron., an. 464, n. 4. — Labb. t. IV, p. 1044. — (2) Ap. Labb., t. IV,
p. 1038.
10 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [464]
lois, que nous nommons Arnobe le Jeune, soit qu'il s'appelât
en effet Arnobe soit qu'il ait adopté ce nom, y publia, vers
l'an 461, une exposition des Psaumes adressée à Léonce
d'Arles et à Rustique de Narbonne, qui vivait encore. Quoique
le style de ce commentateur se sente de la barbarie des na-
tions qui occupaient le pays , son commentaire n'est pas mé-
prisable , du moins il est court et précis : mérite aussi esti-
mable que rare dans ces sortes d'ouvrages , où l'on étale assez
souvent de l'érudition aux dépens du jugement. Arnobe dé-
veloppe d'une manière ingénieuse les figures de nos mystères
cachées dans les divins cantiques qu'il commente , et il de-
mande aux Juifs comment ils peuvent lire le psautier, comme
ils le font clans leurs synagogues, sans y reconnaître que
celui qu'ils ont crucifié est le Seigneur. On accuse cet auteur
d'avoir donné dans les erreurs de Pélage au sujet du péché
originel , parce qu'il dit que nous avons part en naissant à la
sentence portée contre Adam et non à son péché : Qui nascitur
sententiam Adœ habet, peccatum vero non habet. Mais ce qui
précède peut faire juger qu'il ne parle que du péché actuel
ou personnel. Il reconnaît même la nécessité et le pouvoir de
la grâce , sans cependant que ce pouvoir ôte la liberté. Il
admet une grâce prévenante et universelle , répandue sur tous
les hommes , et il combat avec force les erreurs des prédesti-
natiens. Voici comme il parle à un de ces hérétiques dans le
commentaire du psaume cxlvi : « Prédestinatien , remarquez
bien ce que je dis : la grâce de Jésus-Christ précède la bonne
volonté générale de tous les hommes , de la manière que je
l'ai expliqué... Si vous ne niez pas que ce divin Sauveur soit
mort pour tous , si vous assurez avec l'Apôtre qu'il veut que
tous soient sauvés, passez de cette grâce générale à la
grâce spéciale. Dites comme l'Apôtre : Tous ne sont pas gé-
néralement sauvés; mais quiconque invoquera le Seigneur
sera sauvé (1). Allez donc trouver le médecin : il est venu de
(1) Rom. x, 13.
[464] EN FRANCE. — LIVRE V. 11
lui-même dans notre ville , sans que nous l'en eussions prié;
il est venu pour tous , il a fait crier comme par un héraut :
Venez tous à moi. Après cette invitation la volonté précède
la grâce ; car le Seigneur dit : Si vous voulez nï écouter, vous
serez rassasiés des biens de la terre; si vous ne le voulez pas,
le glaive vous dévorera (1). De même donc que la grâce a pré-
cédé la volonté en se montrant , la volonté précède aussi la
grâce : car vous n'êtes pas baptisé avant de vouloir croire. »
Le venin du semi-pélagianisme pourrait être caché sous ces
dernières paroles et dans quelques autres endroits de ce com-
mentaire ; mais on peut, ce semble, y trouver un sens catho-
lique. Dans son commentaire sur le psaume lvii, Arnobe
parle des anges gardiens et dit qu'ils s'éloignent de nous
quand nous péchons.
On attribue au même auteur une discussion avec l'Égyptien
Sérapion, dans laquelle il traite de la Trinité, des deux natures
et de l'unité de personne en Jésus-Christ, et de la concorde de
la grâce avec le libre arbitre. Il y parle de S. Augustin avec la
plus singulière estime : « Je juge, fait-il dire à Sérapion, sa
doctrine si pure , que quiconque trouve quelque chose à re-
prendre dans Augustin se déclare par là hérétique. » (Il s'agis-
sait entre eux du dogme de la grâce contre les pélagiens.)
Arnobe répond : « Vous avez parlé selon mon sentiment , et
les textes que je vais citer de ce saint docteur, je les crois et
les défends comme ceux des apôtres (2). Si donc cet ouvrage
est d'Arnobe, il était certes bien éloigné de penser que les
prédestinatiens, qu'il réfute ailleurs, fussent les vrais disciples
de S. Augustin (3).
Nous venons de voir que le pape Hilaire recommandait
(1) Isai. i, 19 et 20. — (2) Ad calcem Oper. S. Irenœi, edit. Fevard, p. 564.
(3) Plusieurs critiques attribuent cet écrit à Vigile de Tapse, et non à Arnobe
le Jeune. Nous ne voyons qu'une difficulté dans ce sentiment: c'est que Vigile écri-
vait longtemps après S. Léon, et que l'ouvrage dont nous parlons, paraît avoir été
composé sous le pontificat de ce saint pape. Car: 1° l'auteur ne cite aucun écrivain
postérieur à S. Léon ; 2° en parlant du pape Damase, il le nomme de vénérable mé-
moire, et en citant S. Léon, loin de lui donner une semblable épitbète, il semble
parler de lui comme d'un bomme vivant: Dominus meus vir apostolicus Léo papa.
12 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [465]
instamment aux évêques des Gaules la tenue des conciles ,
comme un remède salutaire et même nécessaire. S. Perpétue,
évêque de Tours , suivant les mouvements de son zèle et les
conseils pressants du pape, en tint un à Vannes , vers l'an 465,
à l'occasion de l'ordination d'un évêque de cette ville. On y
fit seize canons, dont plusieurs sont renouvelés du concile
de Tours. Nous donnons ici les plus remarquables.
IL Ceux qui quittent leurs femmes, excepté pour cause
d'adultère, ou sans l'avoir prouvé, et qui se marient ensuite
à d'autres, sont excommuniés.
Y. On ne recevra point à la communion les clercs qui iront
en quelque lieu que ce soit sans être munis de lettres de
recommandation de leur évêque.
VI. On traitera de même les moines, et si les paroles ne suf-
fisent pas pour les réprimer, on aura recours aux châtiments
corporels.
VII. Les moines ne pourront se retirer de la communauté
pour habiter des cellules solitaires sans la permission de
l'abbé, qui ne l'accordera qu'à ceux qui auront été longtemps
éprouvés, ou qui par leurs infirmités] mériteront d'être dis-
pensés des austérités de la règle : encore faut-il que ces cel-
lules séparées soient dans l'enceinte du monastère et sous la
puissance de l'abbé.
VIII. Défense aux abbés d'avoir plusieurs monastères. On
leur permet cependant d'avoir un hospice dans les villes pour
s'y réfugier en temps de guerre.
XL Les prêtres, les diacres, les sous-diacres (1) et ceux
des autres clercs à qui il n'est pas permis de se marier, ne
se trouveront pas non plus aux festins des noces, ni dans les
assemblées où Ton chante des chansons amoureuses accom-
pagnées de danses indécentes.
XII — XIII. Il est défendu aux clercs de se trouver à la
table des Juifs. « Mais surtout, dit le concile, que les clercs évi-
(I) C'est la première fois que nous voyons le célibat imposé aux sous-diacres.
[465] EN FRANCE. LIVRE V. 13
tent l'ivrognerie, qui est le foyer et la nourrice de tous les
vices. Quand on est pris de vin, on peut tomber dans un
crime sans le savoir ; mais une telle ignorance ne doit pas
être exempte de châtiment, puisqu'il est constant qu'elle
vient d'une démence volontaire. » C'est pourquoi celui qui
sera convaincu de s'être enivré, ou sera excommunié trente
jours ou subira quelque punition corporelle.
XIV. Un clerc qui demeure dans la ville et qui n'assistera
pas à l'office du matin sans une excuse légitime, sera sept
jours excommunié.
XV. On ordonne que l'ordre de l'office divin et la psalmo-
die soit uniformes dans la province ecclésiastique de Tours,
c'est-à-dire la troisième Lyonnaise.
XVI. On défend aux clercs, sous peine d'excommunication,
de consulter les sorts des saints. On nommait ainsi les au-
gures que l'on tirait des premiers passages à l'ouverture des
livres saints. On ne laissa pas dans la suite d'avoir recours à
cette manière de connaître l'avenir , et dans des cas particu-
liers Dieu sembla l'autoriser par des miracles (1).
Les six évêques du concile envoyèrent ces canons à S . Vic-
torius ou Victur du Mans et à Talasius d'Angers, qui n'y as-
sistèrent pas. Gomme ils sont seuls nommés dans la lettre, on
peut présumer qu'ils étaient les seuls de la province absents :
c'est qu'en effet, comme on le sait d'ailleurs, tous les sièges
qui composèrent la province de Tours n'étaient pas encore
établis.
Les évêques du concile sont : Perpétue de Tours, Athé-
nius de Rennes, Nunéchius de Nantes, successeur d'Eusèbe ;
Paterne (2), Albin et Libéral, dont on ignore les sièges.
(1) Concil. Venetiœ, t. I. Conc. Gall., p. 137. — Ap. Labbv t. IV, p. 1054.
(2) Le P. Sirmond a cru que Paterne, qui souscrivit le second aux actes du con-
cile, est S. Paterne de Vannes, et que ce fut à l'occasion de son ordination que se
tint ce concile. Ce savant critique n'avait pas vu la Vie de S. Paterne de Vannes
que nous ont donnée les auteurs des Acta Sanctorum. Elle nous apprend que S. Pa-
terne vivait un siècle après le concile de Vannes. Libéral, qui souscrit le dernier,
pouvait êtrel'évêque de cette ville qui fut ordonné en ce concile.
14 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [467]
On ne sait pas précisément l'époque de ce concile, qu'on rap-
porte communément à l'an 465. Les Goths n'étaient pas en-
core maîtres de Tours : ils ne tardèrent pas à le devenir.
Une révolution qui arriva peu de temps après dans le gou-
vernement de cette nation, apporta quelque changement aux
affaires de la religion, qui étaient alors assez paisibles dans
les Gaules. Théodoric II, quoiquearien, gouvernait avec plus
de bonté ses sujets qu'on ne devait l'attendre d'un prince qui
était monté sur le trône par un fratricide. Son ambition sa-
tisfaite laissa agir son heureux naturel. Il ne craignait rien
tant, dit S. Sidoine, que de se faire craindre (1). Il avait de la
piété dans sa secte, et il se trouvait tous les jours à la prière
avant le jour avec ses évêques, sans cependant avoir un atta-
chement opiniâtre à ses erreurs : car il laissait toute liberté
aux catholiques. Mais l'exemple que ce prince avait donné en
ôtant la vie à Thorismond son frère, pour avoir sa couronne,
lui fut pernicieux : il fut tué lui-même, l'an 467 (2), par un de
ses autres frères nommé Eurice ou Évaric, qui devint un nou-
veau fléau pour les peuples de la Gaule par les guerres qu'il
fit à l'État et à la religion, comme nous le verrons bientôt.
Le Seigneur, qui menace toujours avant de frapper, afin
qu'on ait le temps de désarmer sa colère, sembla donner des
présages de ces nouvelles calamités à plusieurs villes et sur-
tout à Vienne. C'étaient des incendies fréquents, des tremble-
ments de terre presque continuels, des bruits lugubres qu'on
entendait pendant la nuit; on voyait des cerfs et d'autres bêtes
sauvages paraître en plein jour dans les places les plus fré-
quentées de la ville. Soit que ce fussent en effet des animaux
ou que ce ne fussent que des spectres, les augures qu'on en
tirait n'étaient pas moins sinistres. Plusieurs des principaux
de la ville de Vienne crurent devoir en sortir, de peur d'être
(1) Sidon., 1. I, Ep. i.
(2) Le prince Frédéric, frère de Théodoric, avait été tué, Tan 463, en combattant
contre le comte Gilles entre la Loire et le Loiret; Marius d'Avenches lui donne le
titre de roi : nous ne trouvons pas qu'il ait porté la couronne.
[468] EN FKANCE. — LIVRE V. 15
enveloppés sous ses ruines. Les autres étaient dans de conti-
nuelles frayeurs et attendaient avec impatience la fête de
Pâques, espérant qu'elle serait pour eux comme une réconci-
liation solennelle avec le Seigneur, et que la fin de leurs pé-
chés serait celle de leurs maux (1). Ils ne se trompèrent pas ;
mais, pour les affermir dans ces sentiments de pénitence, Dieu
permit que leurs alarmes redoublassent au temps même où
ils se flattaient de les voir finir.
En effet, comme tout le peuple célébrait dans l'église la
veille de Pâques avec un redoublement de ferveur, on enten-
dit un fracas plus terrible encore qu'à l'ordinaire, et l'on vint
annoncer que le palais (2), situé dans le lieu le plus élevé de
Vienne, était tout en feu et menaçait la ville d'un embrase-
ment général. Le peuple alarmé quitte aussitôt l'église,
pour tâcher d'arrêter l'incendie ou pour sauver ses richesses.
Le saint évêque Mamert demeura seul prosterné devant l'au-
tel, et ses larmes furent plus efficaces pour éteindre les
flammes que tous les efforts des habitants. Ce fut en ces tristes
circonstances que ce saint évêque, resté seul en prière,
forma la résolution d'instituer des jeûnes et des processions
solennelles (3) pour désarmer le bras vengeur de Dieu. Il
laissa passer les fêtes de Pâques sans en parler, pour ne pas
troubler la joie de cette solennité. Mais aussitôt après il com-
muniqua son pieux dessein, qui fut unanimement approuvé.
On craignait fort que le sénat de Vienne ne s'opposât à cette
nouvelle institution , attendu qu'il souffrait à peine les an-
ciennes ; mais la componction qui serrait alors tous les cœurs
les rendit aisément dociles.
On choisit pour le jeûne les trois jours qui précèdent l'As-
cension. S. Mamert, pour éprouver la ferveur de son peuple,
(1) Aviti Homil. de Rogat. — Sidon., 1. VII, Ep. i, ad Mamert.
(2) L'édifice où prit le- feu est nommé par S. Avite œdes publica , et par Gré-
goire de Tours palatium regale. Ce pouvait être la maison de ville ou le lieu où
se tenait le sénat : car il y en avait un à Vienne.
(3) Aviti Homilia de Rogat.
16 HISTOIRE DE l/ÉGLISE CATHOLIQUE [470]
marqua pour la station du premier jour une église assez
proche delà ville, mais les jours suivants il assigna un terme
beaucoup plus éloigné, où l'on devait se rendre en procession
en chantant des psaumes et d'autres prières. Telle fut dans
l'Église de Vienne l'institution des Rogations, qui préserva la
ville des malheurs dont elle était menacée. Plusieurs Églises
eurent recours au même remède, et cette sainte pratique, éta-
blie d'abord dans les Gaules par S. Marner t, fut reçue dans
la suite par toute l'Église (1).
Ce saint évêque signala son épiscopat par plusieurs au-
tres œuvres de piété. L'église bâtie, au bord du Rhône, sur le
tombeau de S. Ferréol était fort endommagée par la violence
de ce fleuve et menaçait ruine : il en fit bâtir une autre plus
belle. Pour y transférer les reliques du saint martyr avec-
plus de pompe , il convoqua un grand nombre d'abbés et de
moines à cette solennité. Mais, au jour de la translation, onfut
fort surpris en creusant la terre d'y trouver trois cercueils.
On craignait de ne pouvoir distinguer des autres, celui de
S. Ferréol, lorsqu'un des assistants rappela que, selon une an-
cienne tradition, la tête de S. Julien devait être dans le tom-
beau de S. Ferréol (2). On trouva en effet dans le troisième
cercueil un corps tout entier, comme s'il venait d'être inhumé,
qui tenait une tête entre ses bras. Alors S. Mamert s'écria
« qu'il n'y avait pas de doute que ce ne fût là le corps de
S. Ferréol. » Il transféra donc ces saintes reliques dans la
nouvelle église, où l'on mit cette inscription latine :
HEROAS CHRISTI GEMINOS UMC CONTINET AULA :
JULIANUM CAFITE, CORPORE FERREOLUM (3).
Sidoine Apollinaire écrivit à S. Mamert pour le féliciter
sur l'invention de ces deux saints martyrs et sur l'institu-
ai) Ce fut le pape Léon III qui établit les Rogations dans l'Église romaine. On les
nomma la Litanie gallicane, ou les petites Litanies, pour les distinguer des grandes
Litanies, qu'on célèbre le 25 avril.
(2) Greg. Tur., de Mirac. S. Julian.,c. il. — (3) Ibul.
ET LES MŒUES DES FRANCS.
XXV
les représentations de bêtes, d'oiseaux et des éléments, qu'ils ado-
rèrent, aussi bien que les bois et les fontaines (1). » Il paraît que
l'idole particulière des Francs était la tête d'un bœuf. On en trouva
une d'or dans le tombeau de Childéric, et c'est peut-être à cette su-
perstition qu'un concile d'Orléans fait allusion lorsqu'il défend de
jurer sur la tête des bestiaux. La Vie de S. Vaast nous apprend que
des Francs encore idolâtres offraient à leurs dieux de grands vases
de bière, qui devaient leur servir dans leurs repas.
On ne connaît pas assez tous les détails de leurs superstitions
pour en parler amplement ici. Nous remarquons seulement que les
Francs ne montrèrent pas un attachement opiniâtre à l'idolâtrie.
Dès que Clovis eut embrassé le christianisme, on vit presque tous
ses sujets s'empresser de suivre son exemple. Mais en renonçant à
leurs dieux plusieurs demeurèrent attachés à des pratiques su-
perstitieuses, que les évêques eurent bien de la peine à extirper
entièrement de la France. Cette histoire en fournit de nombreuses
preuves.
III
Mœurs et caractère des anciens Francs.
On ne peut rien ajouter à la belle peinture que Tacite a faite des
mœurs des anciens Germains, parmi lesquels il faut compter les
Francs. Sans répéter ce que cet historien en a écrit en général,
nous nous bornerons à recueillir une partie de ce que d'autres an-
ciens auteurs ont dit des Francs. Cela suffira pour faire voir qu'à
travers la barbarie au sein de laquelle ils ont vécu avant l'établis-
sement de la monarchie, on ne laissait pas de remarquer en eux des
traits de bonté, de pudeur, de magnanimité et de bravoure, qui
pouvaient annoncer quel serait un jour le caractère de cette nation,
quand la religion et la civilisation en auraient adouci les mœurs.
La cordialité et la générosité avec lesquelles les Francs exerçaient
''hospitalité ont paru à Salvien des vertus qui pouvaient balan-
cer les vices qu'il leur reprochait : Menclaces Franci, dit cet auteur,
wd hospitales. C'est donc surtout des Francs qu'il faut entendre ce
pie Tacite a dit en général des Germains, qu'il n'y avait pas de
mtion qui reçût ses hôtes avec plus de courtoisie et qui leur don-
nât une plus large hospitalité.
| (1) Hist., 1. II, c. XVII.
TOME II. C
XXVI
DISCOURS SUR LA RELIGION
Ils n'avaient pas moins de respect pour les lois de la pudeur que
pour celles de l'hospitalité. Un article de la loi salique suffit seul
pour nous faire juger combien nos pères avaient horreur de ce qui
peut blesser cette vertu. On y condamne à l'amende le Franc qui
aurait pris la moindre liberté avec une femme, comme de la toucher
à la gorge ou au bras (1). D'anciennes statues, qu'on croit être celles
de Ste Clotilde et de quelques reines femmes des fils de Clovis,
nous les représentent habillées magnifiquement, mais avec la plus
exacte modestie. Les dames franques ne se croyaient bien parées
que par cette vertu. La mode n'en reviendra -t-elle pas l
Mais ce qu'il y eut de plus éclatant dans le caractère des anciens'
Francs, ce fut la noblesse des sentiments et la bravoure qui les
distinguèrent toujours entre les autres nations germaniques. Un
ancien orateur a fait sans y penser leur éloge en déclamant contre
eux. Il dit que la fierté, ou, comme il s'exprime, la férocité des
Francs leur rendait l'esclavage intolérable (2). En effet, il n'y avait
point de danger auquel ils ne s'exposassent pour l'éviter. L'his-
toire nous en a conservé un bel exemple. Une troupe de Francs
ayant été prise à la guerre et transférée dans le Pont, ils y firent
des prodiges de valeur pour se soustraire à la servitude. Après
s'être emparés de quelques vaisseaux qu'ils trouvèrent dans le
port, ils allèrent piller les plus belles villes de Grèce et d'Asie, pri-
rent Syracuse et retournèrent par l'océan dans leur patrie, chargés
de gloire et de richesses, qu'ils estimèrent moins toutefois que la
liberté qu'ils avaient recouvrée.
Cette bravoure audacieuse était comme innée chez tous les Ger-
mains. C'est même à elle qu'ils doivent leur nom : car germain
signifie homme de guerre. Man signifie homme, et yeere ouveerre
signifie guerre, mots que les Français ont gardés de la langue
de leurs ancêtres, en même temps qu'ils en ont conservé les ins-
tincts guerriers. Un ancien panégyriste de Constantin reconnaît que
les Francs étaient les plus terribles des barbares, et qu'il était bien
difficile de les vaincre, parce que la vie dure qu'ils menaient leur
faisait aisément mépriser la mort. Mais, indépendamment de ces
témoignages, les conquêtes des Francs font assez l'éloge de leur
valeur. Il suffit de dire qu'ils ont enfin dompté les Romains, les Gau-
lois, les Bretons, les Visigoths, les Bourguignons, les Lombards
et les Saxons.
(1) Tit. xxii. .
(2) Panegyr. Co)islant.
ET LES MŒURS DES FRANCS.
XXVII
Nous ne dissimulerons pas que Salvien accuse les Francs detre
menteurs et perfides, perfidi F ranci, mendaces F ranci , et qu'un
autre ancien orateur leur reproche de se faire un jeu de manquer à
leur parole. Il faut convenir que c'était là un vice assez ordi-
naire à toutes les nations barbares et idolâtres ; peut-être aussi
les auteurs romains n'en ont-ils accusé en particulier les Francs
que parce qu'ils les voyaient toujours prêts à reprendre les armes
pour les intérêts de leur liberté, qu'on voulait opprimer. Quoiqu'il
en soit, ils firent dans la suite paraître tant de droiture dans leur
conduite, qu'une manière d'agir ouverte et sincère fut appelée de
leur nom franchise.
Dès que les Francs se furent établis dans les Gaules, ils ne tar-
dèrent pas à montrer des vertus qui leur méritèrent l'estime des
Grecs et des Romains. Voici le portrait qu'en fait l'historien Aga-
thias: « Les Francs, dit-il, ne sont pas errants çà et là, comme la
plupart des barbares. Ils suivent la police et les lois romaines et le
culte du vrai Dieu : car ils sont tous chrétiens. Ils ont des évêques
et des magistrats dans les villes, et ils observent comme nous les
jours de fête. En un mot, pour des barbares ils me paraissent
avoir beaucoup de politesse et d'urbanité. Il n'y a que leur langage
et leur manière de s'habiller qui se ressentent de la barbarie. Pour
moi, entre plusieurs qualités dont ils sont doués, j'admire surtout
la justice et la concorde qui régnent entre eux (1). » Cet éloge de la
part d'un auteur grec est d'autant moins suspect, qu'on sait que les
Grecs craignaient fort les Francs, à cause des conquêtes qu'ils leur
voyaient faire. C'est ce qui donna naissance parmi eux au proverbe :
Ayez le Franc pour ami, ne l'ayez pas pour voisin (2).
Quant aux Romains, les Francs les contraignirent par leurs
bienfaits à les aimer. Rome regarda nos rois de la seconde race
comme ses libérateurs , et il serait difficile de renchérir sur les
éloges que les papes de ce temps-ià firent des Francs, qu'ils nom-
ment une nation sainte, un sacerdoce royal, un peuple de bénédic-
tion, et la plus illustre de toutes les nations.
IV
Des lois des Francs.
Dès que les Francs furent un peu civilisés, ils s'appliquèrent à se
rendre aussi recommandables par la justice qu'ils l'étaient déjà par
(I) Agath., 1. ï, p. 13, editReg. —(2) Egin. Vit. Caroli.
XXVIII
DISCOURS SUR LA RELIGIOiY
leur bravoure : ces deux vertus sont les deux plus fermes soutiens
des États. Ils choisirent quatre des plus sages d'entre eux pour
rédiger par écrit leurs lois et leurs, usages. Ces quatre seigneurs,
ayant tenu à ce sujet trois assemblées, dressèrent la fameuse loi
qui fut nommée salique, du nom des Saliens, la plus noble des na-
tions franques. Les additions et les changements qu'on y a faits à
plusieurs reprises sont la cause de la différence qu'on remarque
dans les anciens exemplaires qu'on en a. Selon l'édition de Pithou
elle contient soixante-onze titres, qui sont subdivisés en plusieurs
articles.
On ne peut disconvenir que la loi salique, qui faisait toute la
jurisprudence franque, ne soit fort imparfaite. La plupart de ses
règlements ne tendent qu'à réprimer les vols, les meurtres et les
autres violences ; les peines qu'on y décerne, même contre le rapt
et l'assassinat, ne sont que des amendes pécuniaires, et l'amende
pour le meurtre d'un Franc est double de celle qui est marquée
pour le meurtre d'un Romain, c'est-à-dire d'un Gaulois. On
décerne aussi une amende pour les paroles injurieuses, comme
d'appeler un homme renard ou lièvre. La franchise et la bravoure
dont se piquaient nos pères, leur faisaient regarder ces traits inju-
rieux comme des outrages intolérables.
L'article 6 du titre lxh de la loi salique est le plus remar-
quable. Il est conçu en ces termes : La femme n'héritera d'aucune
portion de la terre salique : mais tout V héritage appartiendra aux
mâles. Tel est le fameux article qui a toujours servi de règle à la
nation pour exclure les femmes de la couronne, et on ne connaît
plus guère la loi salique que par cette disposition. Aussi est-ce
peut-être le seul de ses règlements qui ne soit pas abrogé.
La loi salique, avec les additions et les changements que plusieurs
de nos rois jugèrent à propos d'y faire, fut longtemps l'unique loi
des Francs. Mais les nouveaux abus réclamèrent de nouveaux
règlements. Les rois de la seconde race en publièrent un grand
nombre, qui furent nommés capitidaires . C'était le résultat des
assemblées générales de la nation, composées du roi, des évêques,
des abbés et des seigneurs laïques. Le nombre prodigieux des nou-
veaux règlements qui furent faits dans ces assemblées nuisit à leur
observation. Il vaut mieux faire peu de lois, quand on veut les faire
observer.
Nos rois n'obligèrent pas les anciens habitants de la Gaule à
suivre la loi salique. Clotaire Ier déclara dans sa Constitu-
tion qu'il permettait aux Romains, c'est-à-dire aux Gaulois, de
ET LES MŒURS DES FRAXCS.
XXIX
vivre selon la loi romaine. Les Visigoths leur donnèrent la même
permission, et Alaric II publia dans l'Aquitaine le code Théodosien.
Après la conquête de la Bourgogne, les Francs laissèrent aussi
aux Bourguignons la liberté de vivre selon la loi de Gondebaud , et
les Visigoths ne rendirent Narbonne qu'après que les assiégeants
leur eurent promis qu'on leur permettrait de conserver leurs usages
et leurs lois. Ainsi, dans le même royaume et sous le même prince,
chaque peuple avait sa loi différente, selon laquelle il était jugé.
C'est la première cause de la grande diversité de lois et de cou-
tumes qui existaient dans l'ancienne France.
V
De V administration de la justice sous les deux premières races
de nos rois.
Le roi est essentiellement le chef de la justice dans ses États.
C'est comme le père d'une grande famille, qui doit surtout veiller
à entretenir la paix parmi ses enfants et à terminer leurs différends.
Les rois francs n'ont pas négligé un devoir si important. Leur
palais était celui de la justice, et l'on y jugeait les causes des parti-
culiers qui y venaient implorer l'équité du prince. C'est pour cette
raison que les tribunaux de la justice sont encore appelés pala is .
Mais, comme les rois ne pouvaient suffire à tout, ils établirent
dans toutes les villes un peu considérables des comtes, pour être
les juges ordinaires des procès , tant en matière civile qu'en ma-
tière criminelle. Ces magistrats avaient des assesseurs nommés ra-
chemburgii ou scabini, d'où nous est venu le nom d'échevins.
Charlemagne ordonna qu'il y en eût au moins sept dans les ju-
gements publics.
Le comte tenait à certains jours des assemblées solennelles ,
pour juger les causes importantes et punir les forfaits avec plus
d'éclat. Cette audience publique étaient nommée mallus ou mallum,
du mot tudesque mael , qui signifie assemblée ou jugement , et le
lieu où elle se tenait était appelé malberg ou malbergium, c'est-
à-dire la montagne ou la colline du jugement, ou, ce qui revient
au même, mons placiti {la montagne des plaids). En effet, dans les
commencements de la monarchie ces assemblées se tenaient à la
campagne et le plus communément sur quelque hauteur. On pré-
XXX
DISCOURS SUR LA RELIGION
tend même que tous les plaideurs y portaient avec eux une portion
de la terre qui leur appartenait, et la jetaient en ce lieu, afin qu'il
fût vrai de dire que l'endroit où se rendait la justice appartenait à
tous en général et n'appartenait à personne en particulier.
Les procès étaient bientôt terminés dans ces tribunaux cham-
pêtres : la chicane n'avait pas encore trouvé l'art de les rendre
éternels. On produisait des témoins et on décidait sur leur rap-
port. C'est avoir à moitié gagné un procès que de le perdre sans
essuyer les longueurs de la procédure. Les affaires les plus impor-
tantes étaient référées au tribunal du roi, qui, par lui-même ou par
le comte de son palais, réformait les sentences des comtes pro-
vinciaux portées contre les dispositions des lois.
Il était permis en certains cas aux particuliers de se faire justice.
Si quelqu'un, par exemple, avait été assassiné ou tué dans
quelque querelle, toute sa famille avait le droit de poursuivre le
meurtrier à main armée p'our le mettre à mort. Les parents ou les
amis de celui-ci ne manquaient pas d'en prendre la défense : ce qui
remplissait tout le royaume d'une infinité de petites guerres civiles.
Nos anciens auteurs nomment cet usage faicla, c'est-à-dire inimitié
ou vengeance. Dans la suite, pour empêcher ces désordres, on publia
des règlements qui obligeaient les parents de celui qui avait été tué,
à accepter la composition de l'amende à laquelle les lois condam-
naient les homicides. Mais dans une nation guerrière il n'y a guère
que les motifs de religion qui puissent réprimer la vengeance.
Quand le meurtrier n'était pas en état de payer l'amende, la loi
lui fournissait une ressource. Il en était quitte pour renoncer à ses
biens, ce qu'il faisait de la manière suivante : il assemblait sa fa-
mille, et, se dépouillant de ses habits, il allait sauter la haie après
avoir jeté derrière son dos de la terre de sa maison sur son plus
proche parent, qui, par cette cérémonie , demeurait chargé de payer
l'amende en question. Cet usage bizarre subsista jusqu'au règne
de Childebert II, qui l'abolit par une loi.
L'expérience fit connaître que la crainte des amendes pécuniaires
n'était pas suffisante pour réprimer les grands crimes. Ainsi on fut
obligé dans la suite de décréter la peine de mort contre ceux qui
s'en rendraient coupables, ou du moins de les condamner à des peines
ignominieuses. Les nobles atteints de quelque crime étaient con-
damnés à porter, nus et en chemise, un chien d'un comté à un autre
comté. Ceux qui n'étaient pas nobles étaient obligés de porter
dans le même équipage une selle de cheval. La coutume de faire
amende honorable en chemise est venue de là. Les nobles étaient
ET LES MŒURS DES FRA.XCS.
XXXI
même quelquefois condamnés à porter la selle. Cet usage subsista
longtemps, puisque dans le xnie siècle un évêque de Liège con-
damna encore des seigneurs à porter sur leurs têtes nues des selles
de chevaux à la suite de la procession, depuis l'église Saint-Martin
de Liège jusqu'à la cathédrale.
VI
Des 'principaux officiers de nos rois.
Les fréquentes occasions que l'histoire nous a fournies de parler
des principaux officiers de nos rois, nous ont engagé à faire ici con-
naître les noms et les fonctions de leurs charges. Commençons par
les charges ecclésiastiques.
L'apocrisiaire , nommé quelquefois l'archiprêtre de France , et
plus souvent l'archichapelain , tenait le premier rang parmi les
officiers du palais. Non-seulement il était le supérieur du clergé qui
desservait l'oratoire du palais ; mais il avait encore inspection ,
quant au spirituel, sur tous les courtisans, en sorte, dit Hincmar,
que personne ne pouvait faire à la cour aucun exercice de zèle sans
son agrément. Il y avait plus : tous les procès ecclésiastiques, toutes
les contestations des clercs et des moines étaient du ressort de son
tribunal. Personne même ne pouvait parler au roi d'une affaire ec-
clésiastique sans l'avoir auparavant communiquée à l'archi-
chapelain, et sans avoir pris son avis. On peut juger par là quel
devait être son crédit. Aussi cette charge fut-elle communément
exercée par des évêques, à qui le pape accordait souvent le pal-
lium et le titre d'archevêque par distinction. On vit cependant
quelquefois de simples prêtres , comme Fulrade et Foulques, re-
vêtus de la dignité d'archichapelain.
Cet officier ne fut d'abord nommé qu'apocrisiaire. Mais dans la
suite, l'oratoire de nos rois ayant été appelé chapelle à cause de la
chape de S. Martin qu'on y conservait, les clercs destinés à des-
servir cet oratoire furent appelés chapelains, et leur supérieur ar-
chichapelain. Telle est l'origine des noms de chapelle et de cha-
pelain , que l'usage a introduits pour signifier les oratoires
particuliers et les clercs qui y font l'office. Cette chape de S. Martin,
capa ou capella,_ét&it un manteau d'une étoffe vile et grossière. Il
paraît même qu'il était de peau de brebis. Le moine de Saint-Gai
quia écrit la Vie de Charlemagne, dit que ce prince avait un habit
de peau qui n'était pas beaucoup plus précieux que le manteau
XXXII
DISCOURS SUR LA RELIGION
de S. Martin ; et Ducange cite un ancien registre de la chambre
des comptes, où il est marqué que les estohers d'Amiens doivent
à Vèvêque à la Saint-Martin d'hiver une penne grant d'agneaux,
appeiïé le mantel de S. Martin.
Outre l'archichapelain, les rois et les reines de France avaient
encore des aumôniers , c'est-à-dire des ecclésiastiques ou des
abbés chargés de distribuer leurs aumônes. Le premier que nous
trouvons revêtu de cette charge est S. Chaumont, qui est appelé
aumônier de la reine Ste Bathilde. Hincmar, qui a écrit un traité
des officiers du palais d'après S. Adalard, abbé de Corbie, ne parle
pas de cette charge. Peut-être de son temps les fonctions d'aumô-
nier étaient-elles réunies à la charge d'archichapelain, comme celles
d archichapelain l'ont été depuis à la charge de grand aumônier.
Il est encore parlé dans les anciens auteurs d'un abbé du palais :
ce qui a fait croire à quelques critiques qu'outre les clercs, il y
avait aussi des moines dans le palais pour y faire l'office divin.
Mais le nom d'abbé se donnait souvent aux ecclésiastiques qui
avaient quelque autorité sur les autres. Les maisons mêmes des
clercs qui vivaient en communauté étaient appelées monastères, et
les supérieurs abbés.
C'est ce qui autorise à croire que l'abbé du palais fut ainsi
nommé parce qu'il était, sous l'archichapelain, le supérieur des
clercs destinés à faire l'office dans la chapelle du roi : c'était ce
qu'on nommerait aujourd'hui le maître de la chapelle.
Quant aux charges civiles , le maire du palais ou major-
dome [major domus), fut sans contredit le plus puissant des offi-
ciers de nos rois. Mais il n'eut pas d'abord ce pouvoir presque sou-
verain qu'il usurpa dans la suite. Les fonctions de sa charge
étaient renfermées dans l'enceinte du palais, dont il avait la surin-
tendance. Ces bornes parurent trop étroites à l'ambition des
maires. Sur la fin de la première race, ils devinrent les premiers
ministres et comme les vice-rois de l'Etat, et on les vit dominer
avec une autorité presque absolue, tyrannisant presque également
les peuples et les souverains , à qui ils ne laissèrent qu'un vain
titre de royauté. Mais les rois de la seconde race, auxquels la
mairie du palais avait servi de degré pour monter sur le trône, su-
rent prescrire des bornes convenables à la puissance de ces offi-
ciers. Aussi, depuis ce temps-là l'histoire n'en parle presque
plus.
Le comte du palais avait la plus grande autorité après le maire
du palais. Quand le roi ne rendait pas la justice par lui-même, le
ET LES MŒURS DES FRAXCS. XXXIII
comte la rendait au nom du prince, et il était chargé déjuger toutes
les causes pour lesquelles on avait formé appel. C'était comme le
juge en dernier ressort de toutes les affaires du royaume. On ne
pouvait même parier au roi d'aucune affaire civile sans avoir
l'agrément du comte du palais.
Le référendaire était un des principaux officiers, qui remplissait
à la cour de nos rois une partie des fonctions qui ont été depuis an-
nexées à la charge de chancelier. Il signait les chartes royales et
communément il gardait le sceau de nos rois. Nous disons com-
munément, parce que nous trouvons quelquefois sous la première
race des seigneurs qui sont nommés gardes du sceau, quoiqu'il ne
paraisse pas qu'ils fussent référendaires. Le référendaire est quel-
quefois nommé chancelier, parce que ces deux charges furent
unies.
Le chancelier, qu'on nommait aussi secrétaire , n'eut d'abord
d'autre emploi que celui de rédiger par écrit les ordres du roi. Les
auteurs le nomment souvent grand chancelier ou archichancelier,
pour le distinguer des secrétaires qu'il avait sous lui , et qu'on
nommait aussi chanceliers. Dès le temps d'Hincmar, le chancelier
remplissait les fonctions de référendaire. Il y joignit encore dans
la suite celles de comte du palais, pour juger les causes dans les-
quelles on en appelait au roi, et casser les sentences des magis-
trats rendues contre les lois.
Le chambellan ou camérier était chargé d'aider la reine à régler
tout le détail des dépenses du palais et à s'en faire rendre compte.
Car, tandis que le roi ne s'occupait qu'à administrer les affaires
du royaume, la reine était chargée de régler les dépenses de la
maison du roi et les gratifications qu'on devait faire aux gens de
guerre.
Il suffira d'indiquer les noms et les fonctions de quelques autres
officiers. Le connétable [cornes stabuli) avait l'intendance sur
l'écurie du roi. Le sénéchal était chargé de faire toutes les pro-
visions pour la bouche du roi, excepté celle du vin, qui concernait le
bouteiller. Sénéchal en tudesque signifie qui a soin des troupeaux,
comme maréchal signifie qui a soin des chevaux. Les noms de ces
charges ont subsisté; mais elles eurent dans la suite des fonctions
beaucoup plus relevées.
Il y avait aussi_à la cour un mansionaire ou maréchal des logis,
un fauconnier et quatre veneurs, et plusieurs conseillers du roi,
partie clercs et partie laïques, outre un grand nombre de charges
moins importantes dont le détail nous entraînerait trop loin .
XXXIV
DISCOURS SUR LA RELIGIOX
VII
De la noblesse française .
Avant que César eut conquis la Gaule, il y avait déjà quelques
traces de noblesse parmi les Gaulois. Les Romains introduisirent
les dignités qui étaient en usage dans la république et ils créèrent
sénateurs romains plusieurs Gaulois. Mais c'est proprement aux
Francs que notre noblesse doit son origine. Aussitôt après leur
conquête, ils partagèrent entre eux la meilleure partie des terres ,
et, comme ils continuèrent à s'occuper à la guerre, ils firent
cultiver leurs terres par les Gaulois, ou ils les leur cédèrent à la
condition de certaines redevances et de certains hommages.
Telle est la première origine des fiefs, quoique ce nom n'ait été en
usage que longtemps après.
Les anciens habitants, chargés de la culture des terres, demeu-
rèrent aussi chargés des tributs. Les Francs en étaient exempts
et ne payaient que de leurs personnes. Ils jouirent de plusieurs
autres prérogatives dans un pays qu'ils avaient conquis : de là la
distinction s'est établie entre la noblesse et les roturiers chargés
de cultiver les terres. Comme ceux-ci demeuraient à la campagne,
in villis , ils furent appelés vilains, villani. Les nobles furent
nommés gentilshommes, soit parce qu'ils étaient issus des nations
barbares (qu'on nommait gentes) , soit parce que chez les auteurs latins
gentilis ou qui gentem habet signifie qui est d'une ancienne famille.
Les seigneurs francs continuèrent à vivre selon la loi salique et les
usages de leur nation, tandis que les Gaulois suivaient les lois des
Romains, leurs anciens maîtres. D'où il est arrivé que dans la
même province les coutumes légales furent différentes pour les
nobles et pour les roturiers.
Les diverses charges que les nobles remplirent, et qui devinrent
héréditaires sous les derniers rois de la seconde race, donnèrent
lieu aux différents titres de noblesse qui sont aujourd'hui en usage
parmi nous, tels que ceux de duc, de marquis, de comte, de vicomte
et de baron. Le duc était le commandant d'une province entière.
Le comte était le juge d'une ville et de son territoire, et, s'il était
nécessaire, il commandait aussi les troupes. Le marquis était un
officier chargé de garder et de défendre une frontière : car marc en
tudesque signifie frontière. Le vicomte n'était que le vice-gérant
ET LES MŒURS DES FRANCS.
XXXV
du comte, dont il faisait les fonctions. Toutefois il y eut des vi-
icomtes qui, en conservant ce titre, devinrent plus puissants que
bien des comtes. Il n'est pas si aisé de marquer quel fut l'office du
baron et l'origine de ce nom. On croit que ce terme signifie seu-
lement homme , et qu'il fut employé pour signifier un homme
distingué par son mérite et par son courage.
Il est parlé dans la loi salique de certains magistrats qui ju-
geaient les procès et qui sont nommés sagibarones : c'est peut-être
la véritable origine du nom de baron. On trouve quelquefois fa-
rones au lieu de barones : fara signifie famille. En ce qui
concerne les autres divers titres de noblesse, tels que ceux de ban-
neret, de chevalier, d'écuyer et de bachelier, ils ne furent en
usage que sous la troisième race de nos rois, et ce n'est pas ici le
lieu d'en parler.
VIII
Des esclaves.
Les Francs, comme les autres Germains, avant l'établissement
de la monarchie avaient des esclaves , qu'ils traitaient presque
comme leurs enfants. Ils en trouvèrent un plus grand nombre
dans les Gaules, quand ils en firent la conquête. Tous les domes-
tiques, tant à la ville qu'à la campagne, étaient serfs, et l'on en tra-
fiquait comme de vils animaux. Les guerres continuelles des Francs
en augmentèrent le nombre. Tous les prisonniers de guerre étaient
réduits en servitude et formaient le plus riche butin du soldat. On
enlevait pour cela les familles entières, et quelques-unes, réduites
à l'indigence, étaient obligées pour conserver leur vie de vendre
leur liberté. Comme dans la suite le plus grand nombre de ces serfs
furent esclavons ou esclaves, on nomma tous les serfs esclaves. Ce
nom seul excite l'idée de la plus misérable condition.
Cependant le sort de tous ceux qui avaient perdu la liberté
n'était pas également dur, et on distinguait diverses sortes de ser-
vitudes. Le plus grand nombre était formé de ceux qu'on nommait
simplement serfs {servi), et ils étaient les plus malheureux. Il y
en avait d'autres que l'on nommait lites, liti ou Udi : leur con-
dition était beaucoup moins dure que celle des serfs et assez sem-
blable à celle des colons (coloni) , qui était la plus douce et comme
mitoyenne entre la condition des libres et celle des serfs. Ils étaient
seulement chargés de cultiver les terres à la condition de certaines
XXXVI
DISCOURS SUR LA RELIGI0X
redevances. Ils étaient comme les fermiers des seigneurs, et il y a
encore des provinces en France où les fermiers sont nommés colons.
Il y avait dans la Gaule diverses manières d'affranchir les
esclaves, conformes aux lois romaines et aux lois barbares. On
pouvait leur donner la liberté par un acte qui était nommé charta
ingenuitatis, ou par un testament. S. Remi et S. Perpétue, dont
nous avons les testaments, y affranchissent un grand nombre de
leurs esclaves. Mais l'usage des Francs marqué dans la loi sa-
lique pour rendre la liberté à un serf, était différent et fort sin-
gulier. Le maître conduisait devant le roi son esclave, qui tenait-
dans sa main un denier comme le prix de sa liberté, et, lui se-
couant la main, il faisait tomber le denier à terre. Alors l'esclave
était légitimement affranchi, et le roi était non-seulement le té-
moin, mais le garant et le défenseur de la liberté qu'il avait
recouvrée par cette cérémonie. Ceux qui avaient été affranchis par
un écrit étaient nommés charhdarii , et ceux qui l'avaient été par
un denier étaient appelés denariales.
Pour rendre plus sacré et plus solennel l'acte de manumission,
on affranchissait souvent les esclaves dans l'église au pied de
l'autel, et on leur mettait sur la tête l'écrit par lequel leur maître
leur accordait la liberté. Ces sortes d'affranchis étaient spéciale-
ment sous la protection de l'Église. Elle prenait leur défense, et on
voit dans les conciles des Gaules plusieurs règlements en leur faveur.
On ne rendait pas toujours la liberté entière aux esclaves. Sou-
vent on ne les affranchissait qu'à condition qu'eux et leurs descen-
dants payeraient un certain cens ou capitation annuelle et feraient
certaines corvées pour leurs anciens maîtres. C'est pourquoi on
nommait ces personnes liomines de capite ou homines de corpore.
Dans la suite des temps cette sorte de servitude ne fut plus annexée
qu'aux terres, et non aux personnes , et c'est par là que les sei-
gneurs particuliers continuèrent d'avoir des vassaux obligés à
certaines corvées ou servitudes. On nomma vassaux ceux qui
tenaient des fiefs, et vavassaux ceux qui tenaient des arrière-fiefs.
IX
De quelques usages particuliers des Francs.
Nous recueillons sous ce titre diverses coutumes de nos ancêtres,
dont le détail pourra servir à éclaircir plusieurs points qui se rap-
ET LES MŒURS DES FRANCS.
XXX Y II
sortent à notre histoire. Commençons par les usages qu'ils obser-
vaient pour la célébration ou la dissolution de leurs mariages.
2'était le mari qui donnait la dot à la femme. Il l'achetait, pour
linsi dire, de ses parents en leur présentant, selon la loi salique,
in sou et un denier. Cette somme donnée et acceptée était un en-
gagement réciproque de contracter le mariage. Les princes mêmes
le donnaient pas une somme plus considérable. Frédégaire marque
}ue ce fut en donnant un sou et un denier que les ambassadeurs de
^lovis épousèrent Clotilde au nom de leur maître. Mais le len-
lemain des noces, au matin, le mari faisait à son épouse un présent
proportionné à son rang : c'est ce qu'on nommait morgageniba,
3'est-à-dire présent du matin. Les biens ainsi donnés étaient
?ensés appartenir à la femme. C'est pourquoi nous voyons que les
reines de France, comme Frédégonde, avaient des villes où elles
levaient des impôts en leur propre nom.
Grégoire de Tours marque que les cérémonies civiles des fian-
;*ailles consistaient pour l'époux à donner un baiser à sa future
épouse, à lui mettre l'anneau au doigt et le soulier au pied (1).
Mais nous pensons que cet usage était plutôt particulier aux Gaulois
qu'aux Francs.
Quand un Franc voulait épouser une veuve , il était obligé
d'en faire la demande dans une assemblée publique. Alors trois per-
sonnes, soutenant de la main un bouclier élevé sur leurs têtes,
examinaient la proposition et les motifs de ce mariage , et s'ils trou-
vaient qu'il était convenable, le mari futur donnait trois sous et un
denier. Cette somme nommée reippus appartenait aux plus proches
parents de la veuve du côté de ses sœurs : c'était comme le prix
dont on l'achetait.
Le divorce était permis aux Francs parleurs lois, et il n'est pas
surprenant qu'il fût commun parmi eux tant qu'ils demeurèrent
idolâtres. Mais ce qui doit paraître étrange, c'est que longtemps
après leur conversion ils crurent qu'il leur était licite de ré-
pudier une femme qui ne leur plaisait plus, pour en épouser une
autre. Cet abus subsistait encore dans le vne siècle. On trouve
parmi les formules de Marculfe qui appartiennent à cette époque,
le modèle d'un acte de divorce, dans lequel on marque que certains
époux , voyant que la discorde troublait leur mariage , et que la
charité n'y régnait pas, sont convenus de se séparer et de se laisser
l'un à l'autre la liberté de se retirer dans un monastère ou de se
(1) L. IT, 30.
»
XXXVIII DISCOURS SUR LA RELIGION
remarier, sans que l'une des parties puisse le trouver mauvais et
s'y opposer, sous peine d'une livre d'or d'amende (1). Il y eut même
des évêques de France dans le vme siècle qui, étant plus versés
dans les usages de la nation que dans les lois du christianisme,
autorisèrent ces divorces par leurs décisions. Ce ne fut qu'avec le
temps que la religion vint à bout de faire cesser un abus permis
par les lois civiles et si favorable aux passions (2).
Non-seulement un Franc pouvait, selon les usages de la nation,
répudier sa femme ; il pouvait même renoncer à sa propre parenté.
Pour cela il se présentait devant le juge dans une audience pu-
blique et rompait sur sa tête quatre bâtons d'aune, dont il jetait
les morceaux à terre. Par cette bizarre cérémonie il était censé
sortir de sa famille : ses parents ne pouvaient plus hériter de lui,
et il ne pouvait plus hériter d'eux.
La manière de donner l'investiture de quelque bien mérite encore
d'être remarquée. Pour mettre une personne en possession de quel-
que chose qu'on lui avait donné ou vendu, on lui mettait en main
un fétu ou un bâton, une branche d'arbre, un couteau, une épée,
un livre, une motte de terre, ou quelque autre chose qu'on trouvait
sous la main; mais le plus souvent c'était une paille ou un bâton,
qu'on rompait en présence de témoins. On en insérait les morceaux
dans le contrat de vente ou de donation et on en faisait mention
dans l'acte.
Le roi Gontran donna l'investiture du royaume de Bourgogne
à son neveu Childebert II en lui mettant sa lance dans la main.
Cette lance tenait lieu de sceptre. Les rois Carloman et Char-
lemagne son frère sont peints, dans un ancien manuscrit, tenant à
la main une lance assez courte, dont le fer a deux crocs recourbés
qui forment une espèce de fleur de lis, et rendent par là cette lance
assez semblable à la manière dont on a dans la suite fait le sceptre
de nos rois. Car, dans son origine et suivant l'étymologie du mot,
le sceptre n'était qu'un bâton pour s'appuyer. Charlemagne en
avait un qui était justement de sa hauteur , et il fallait qu'il fût peu
différent d'un bâton pastoral : car un évêque, pendant l'absence du
roi, demanda permission à la reine de se servir de ce sceptre au lieu
de crosse pendant la célébration de l'office divin.
(1) De Vitis PP., c. xx — (2J C'est Charlemagne qui l'abolit.
ET LES MŒURS DES FRANCS.
XXXIX
X
Des noms et des surnoms en usage parmi les Francs,
Les Romains, et à leur imitation les Gaulois qui se piquaient de
noblesse, avaient plusieurs noms , par lesquels on distinguait en
même temps et les personnes et les familles. Dans l'état floris-
sant de la république le premier nom était le nom propre, et c'était
celui qui désignait la personne. Ainsi Marais Tullius Cieero
n'était distingué de son frère Quintus Tullius que par le
prénom Marais. Mais dans le Bas-Empire et surtout dans la
Gaule le dernier nom était le nom distinctif de la personne, comme
on peut le voir par l'exemple de S. Avite de Vienne et de S. Gré-
goire de Tours, dont l'un se nommait Alcimus Ecalicius Avitus et
l'autre Georgiiis Florentins Gregorius.
Quant aux Francs, ils ne portèrent longtemps qu'un nom, et ce
nom n'avait aucun rapport avec celui de la famille. Le fils du roi
Childéric fut appelé Clovis, et aucun des enfants de Clovis ne
* porta son nom. Les noms francs avaient une signification propre.
Chilpéric, par exemple, signifie puissant secours. Rie signifie puis-
sant, et c'est pourquoi tant de noms de seigneurs et de princes
étaient terminés en rie ; c'est aussi l'étymologiedu mot riche. Bert,
qui est une autre terminaison fort commune dans les noms francs
et particulièrement dans ceux des princes , signifie illustre. Au
reste, il était aisé à la terminaison barbare de distinguer les noms
francs d'avec les noms romains, et c'est une règle assez sûre pour
discerner, dans les premiers conciles des Gaules, les évêques francs
de naissance d'entre ceux qui étaient descendus de familles ro-
maines ou gauloises.
Ce n'est pas que les auteurs, en transportant les noms francs
dans une autre langue, ne les aient souvent défigurés : par exemple,
le nom de Clovis est rendu communément par Chlodoveus, Clodo-
vechus ou Ludovicus. Agathias appelle ce prince KXoOaîoç. Cas-
siodore le nomme Luduin : ce qui peut faire croire que c'est là son
vrai nom tudesqua, comme Karl était le vrai nom qu'on a rendu
par Carolus et par Charles. Une cause de ces variations est que
la plupart des noms francs avaient une aspiration, qu'on exprimait
communément par Ch comme Chlotarius, Chilpericus, Chlodoveus;
quelquefois par l'H seule, comme dans Hlotharius H ludovicus,
XL
RELIGION ET MŒURS DES FRANCS.
Hilpericus. Mais on supprimait souvent cette aspiration difficile
à prononcer, et on disait simplement Lotharius , Ilpericus, Lu-
dovicus (Lothaire, Ilpèric, Louis). Cette observation peut nous
porter à croire que le nom de Louis est le même que celui de
Clovis, dont on a retranché l'aspiration. En effet, Cassiodore, qui
appelle dans un endroit Clovis Luduin, le nomme ailleurs Lu-
dovicus.
Vers la fin de la seconde race de nos rois, les mêmes noms s étant
multipliés, on fut obligé pour distinguer les personnes qui en
avaient de semblables d'y ajouter des surnoms ou sobriquets ,
dont l'usage devint général et nécessaire quand la coutume de
donner des noms de saints au baptême se fut établie. Ces sur-
noms ne se perpétuèrent pas d'abord dans les mêmes familles, et
le fils en avait souvent un différent de celui de son père. On ne les
prenait pas même dans les actes publics ; mais, pour mieux dé-
signer la personne, on écrivait au-dessus de son nom en interligne
le sobriquet qu'elle portait, et on croit que c'est ce qui donna oc-
casion d'appeler ces sobriquets surnoms. Nos rois et nos évêques
ont gardé l'ancienne coutume de ne signer que leur nom propre,
qui est celui du baptême. Ceux qui désireraient connaître d'autres
détails sur les mœurs des Francs peuvent lire le curieux et savant
traité qu'a composé sur ce sujet l'abbé Legendre, chanoine et sous-
chantre de l'Église de Paris.
[470] EN FRANCE. — LIVRE V. 17
tion des Rogations , qu'on avait récemment établies dans
l'Église d'Auvergne, à l'imitation de celle de Vienne. « Le bruit
court, lui dit-il, que les Goths se sont mis en marche contre
les Romains. Nous autres, pauvres habitants de l'Auvergne,
nous sommes toujours la porte par où se font ces irruptions. . . .
Nous n'espérons pas que nos murailles à demi brûlées, nos
vieilles palissades et nos autres fortifications, où l'on fait sans
cesse la garde, nous préservent de ce danger. Nous ne comp-
tons que sur le secours des Rogations que vous avez instituées.
Le peuple d'Auvergne les a commencées, sinon avec le même
effet, du moins avec la même ferveur, et c'est ce qui nous
soutient encore contre les terreurs qui nous environnent (1).»
On voit par là que l'Église d'Auvergne fut une des premières
à recevoir cette sainte pratique, pour conjurer par ses prières
l'orage prêt à fondre sur elle.
Sidoine dit dans une autre lettre (2): « Avant les Rogations,
l'usage des processions était établi ; mais elles étaient rares, et
on y voyait peu de dévotion. Elles étaient même interrom-
pues par des repas, et on ne les faisait que pour demander du
beau temps ou de la pluie. Mais dans celles qu'a instituées ce
saint évêque (S. Mamert), on jeûne, on prie, on psalmodie, on
pleure. » C'est qu'en effet les trois jours des Rogations furent
longtemps des jours de jeûne dans l'Église gallicane.
Caïus Sollius Apollinaris Sidonius (3) était le principal
ornement de la ville d'Auvergne, avant même qu'il en fût
évêque. Il était né à Lyon d'une des plus illustres familles des
Gaules, en qui la vertu et les honneurs paraissaient aussi hé-
réditaires que la noblesse. Apollinaire son aïeul, premier chré-
tien de la famille, et son père furent préfets du prétoire dans-
les Gaules. Le fils, en marchant sur leurs traces, parvint aux
(1) Sidon., 1. VII, Ep.7. — (2) L. V, Ep. xiv.
(3) De tous ces noms Sidoine est le nom propre. Car dans le Bas-Empire le nom
propre qui désignait la personne était mis le dernier , tandis que dans l'état flo-
rissant de la République le nom propre était le premier. Ainsi dans Marcus Tullius
Ci'.ero, Marcus est le nom propre et qui seul distingue Cicéron l'orateur de Quintus
Tullius, son frère. C'est le P. Sirmond qui fait cette remarque.
TOME II. 2
18 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [472]
premières charges de l'empire. Il épousa Papianille, fille de
l'empereur Avite, avec laquelle il vécut dans une grande
union. lien eut un fils nommé Apollinaire et plusieurs filles (1).
Les qualités de l'esprit répondaient dans Sidoine à l'éclat de la
naissance. Il passa pour le poëte le plus célèbre de son temps,
et, en cette qualité, l'empereur Majorien, dont il avait fait le
panégyrique en vers, qu'il prononça en sa présence, lui fit
ériger à Rome une statue couronnée de lauriers.
L'empereur Anthémius, qui succéda à Sévère, eut pour Si-
doine les mêmes sentiments d'estime et d'amitié. Il l'appela à
Rome auprès de lui. Sidoine y arriva avec une fièvre causée
par les fatigues du voyage. Mais à son arrivée il alla se pros-
terner devant les tombeaux des saints Apôtres : il sentit à l'ins-
tant ses forces renaître, et une parfaite santé succéda à la lan-
gueur. Anthémius, en l'honneur de qui il récita aussi un pané-
gyrique en vers, le fit préfet de Rome. Il se servit de son crédit
pour sauver la vie à Arvandus, ancien préfet des Gaules, con-
damné par le sénat à perdre la tête pour avoir entretenu des
intelligences avec Evaric, roi des Yisigoths , et il paraît qu'il
fit commuer la sentence de mort en exil (2) . Sidoine fut élevé
à la dignité de patrice. Il revint quelque temps après à Au-
vergne, où, S. Éparque, évêque de cette Église, étant mort»
il fut élu évêque, quoique laïque, l'an 472 (3).
S. Éparque avait succédé sur ce siège à S. Namace, qui avait
employé douze années de sonépiscopat à bâtir son église cathé-
drale. Elle avait cent cinquante pieds de longueur, soixante de
largeur et cinquante de hauteur jusqu'à la voûte. Il y avait
une abside ou jubé de figure ronde, et deux ailes des deux
côtés, d'un beau travail. Tout l'édifice était en forme de croix
(1) Sidoine ne fait mention que de deux de ses filles, Roscie et Sévérienne. Gré-
goire de Tours en nomme une autre, qu'il appelle Alcime; mais peut-être que
Roscie ou Sévérienne portait aussi le nom d'Alcime.
(2) Sidon., 1. I, £]>. vu.
(3) Nous connaissons l'année où Sidoine fut élevé à l'épiscopat, parce qu'il dit
que S. Loup de Troyes avait alors 45 ans d'épiscopat. Or S. Loup avait été élu
l'an 427. S. Sidoine, dans plusieurs lettres, se dit indigne de l'épiscopat et se plaint
du fardeau qu'on lui impose malgré lui. Vide Sidon., 1. VI, Ep. I, ad Lup.
[472] EN FEAXCE. — LIVRE V. 19
et bien éclairé. Il y avait quarante-deux fenêtres, soixante-dix
colonnes et huit portes. Les murailles du chœur étaient revê-
tues de marbres de diverses couleurs disposés en mosaïque. Ce
saint évêque y plaça des reliques des SS. Vital et Agricole,
qu'il avait envoyé demander à Bologne en Italie. La femme
de S. Namace fît bâtir de son côté, dans les faubourgs de la
ville, l'église de Saint-Étienne, dont les murailles furent ornées
de diverses peintures (1), ce qui montre l'ancien usage des
peintures ou des images dans nos temples.
On commença alors en plusieurs autres endroits de la
Gaule à bâtir des églises magnifiques. S. Perpétue, évêque de
Tours, trouva que celle qu'on avait élevée sur le tombeau de
S. Martin, était trop petite pour le concours continuel de
peuple que de fréquents miracles y attiraient. Il en fit cons-
truire une plus belle et plus grande à cinq cent cinquante
pas de la ville. Elle avait cent soixante pieds de longueur,
soixante de largeur, quarante-cinq de hauteur jusqu'à la
voûte; trente-deux fenêtres dans le chœur et vingt dans la
nef. Il y avait dans tout l'édifice cent vingt colonnes, huit
portes: trois dans le chœur, et cinq dans la nef. C'est Grégoire
de Tours qui nous a laissé la description de cette église (2).
Nous avons cru devoir rapporter ce détail pour faire con-
naître quelle était dans la Gaule la forme et la magnifi-
cence des églises au ve siècle. Perpétue dédia cette église le
4 juillet, jour auquel on célébrait dès lors l'ordination de
S. Martin, et il fit en même temps la première translation de
ses reliques, qu'il renferma dans une châsse précieuse. S. Eu-
phrone d'Autun avait donné le marbre dont on orna le tom-
beau du saint évêque.
S. Perpétue pria Sidoine Apollinaire de faire une inscrip-
tion (3) en vers pour cette nouvelle église : car c'était la cou-
(1) Greg. Tur. Hist., 1. II, c. xvi, xvn. — (2) Greg. Tur. Hist., 1. II, c. xiv.
(3) Voici le commencement de cette inscription :
Martini corpus totis venerabile terris
In quo post vitœ tempora vivit honor,
20 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [472]
tume, comme nous le voyons par plusieurs exemples, de
mettre des inscriptions sur les murailles des églises. Sidoine
en composa une, dans laquelle il compara le nouveau temple
à celui de Salomon. Il ajoute, dans une lettre, que l'édifice est
tel qu'un si grand évêque l'a dû faire en l'honneur d'un si
grand saint. Un poëte nommé Paulin fit aussi, à la prière de
S. Perpétue, une inscription pour la même église.
Ce saint évêque avait engagé Paulin à composer en vers la
Vie même de S . Martin : il le fit dans un poëme divisé en six
livres. Il y rapporte un grand nombre de miracles, dont
S. Perpétue avait été témoin ou sur lesquels il avait fait des
informations, dont le saint évêque lui envoya une relation
signée de sa main. Quand on rapporte des miracles sur de
pareils mémoires, on est bien digne de foi. Cet écrivain nous
apprend que dès lors le peuple de Tours allait en procession
à Marmoutier, pendant les fêtes de Pâques, visiter la cellule de
S. Martin : car tout ce qui avait appartenu à ce saint évêque
était devenu un objet de vénération. Paulin, auteur de ce
poëme, était de Périgueux et assez bon poëte pour le siècle
où il vivait. Mais il n'a ni le goût ni le style du célèbre S. Pau-
lin de Noie, avec lequel son nom et sa qualité de poëte l'ont
fait longtemps confondre.
S. Loup de Troyes vivait encore, parvenu à une grande
Texerat hic primum plebeio machina cultu
Quœ Confessori non erat œqua suo.
Nec desistebat cices onerare pudore
Gloria magna viri , gratia par va loci.
Autistes sed qui numeratur sertus ab ipso,
Longam Perpetuus sustulit invidiam.
Sidon., 1. IV, Ep. XVIII.
Sidoine nomme S. Perpétue le sixième évêque après S. Martin en comptant
S. Brice, successeur de S. Martin, pour le second, et Justinien et Armentaire, qui
furent successivement ordonnés pendant que S. Brice était chassé de son siège,
pour le troisième et le quatrième. S. Grégoire de Tours fait deux calculs différents.
A la fin de son Histoire, il nomme S. Perpétue le sixième évêque de Tours depuis
S. Gatien, parce qu'il ne compte pas les deux intrus Justinien et Armentaire, et
dans le second livre il dit: Quintus })ost B. }f artimon Perpetuus ordinatur. Il met
dans ce calcul S. Brice pour le premier, et compte Justinien et Armentaire. Ainsi
le mot quintus, qu'on lit dans cet endroit, n'est pas une faute , comme l'a cru
Savaron.
[472] EN FRANCE . — LIVRE V. 21
vieillesse et entouré d'une considération plus grande en-
core. Son âge, qui rendait sa vertu plus vénérable, n'avait
rien diminué de la vivacité de son zèle ni de la solidité de son
esprit. La lettre seule qu'il écrivit à S. Sidoine, dès qu'il eut
appris son élection à l'épiscopat, en est une preuve. Il y parle
avec la tendresse et l'autorité d'un père plein de bonté et avec
l'éloquence d'un habile orateur. « Je rends grâces à Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ, lui dit-il (i), de ce que, pour soutenir et
consoler l'Église, sa chère épouse, au milieu des tribulations qui
l'affligent de toutes parts, il vous a appelé à l'épiscopat, afin que
vous soyez une lumière dans Israël , et que vous remplissiez
les ministères humbles et pénibles de l'Église avec autant de
soin et de gloire que vous avez rempli les dignités les plus ho-
norables de l'empire Quand vous étiez dans le siècle, vous
vous efforciez d'ajouter à l'éclat de votre naissance des hon-
neurs encore plus éclatants. Vous croyiez qu'un homme ne de-
vait pas se contenter d'égaler les autres , qu'il devait les sur-
passer. Mais aujourd'hui vous voilà dans un état où, quoique
supérieur à tous, vous ne devez croire l'être à personne. Il
faut à présent que vous travailliez à devenir le serviteur de
tous ceux dont vous paraissiez le maître
« Employez donc aux affaires de Dieu cet esprit qui a brillé
avec tant de gloire dans les affaires du siècle. Que vos peuples
recueillent de votre bouche les épines de Jésus-Christ crucifié,
comme ils recueillirent dans vos discours les roses d'une élo-
quence mondaine. . . . Pour moi, je suis près de ma fin ; mais je
ne croirai pas mourir entièrement, parce que je vivrai en vous
et que je vous laisserai à l'Église.... Oh! si Dieu voulait que
j'eusse la consolation de vous embrasser! Mais je fais en es-
prit ce que je ne puis faire autrement. J'honore et j'embrasse,
en présence de Jésus-Christ, «non plus un préfet de la républi-
que, mais un évêque de l'Église, qui est mon fils par son âge,
mon frère par sa dignité et mon père par ses mérites. »
(t) Lupi Epist., t. V Spicil , p. 579.
22 histoire de l'Église catholiqve [472]
Une lettre d'un style si noble et d'un si bon goût nous fait
regretter de n'avoir pas d'autres ouvrages de S. Loup. On ne
s'étonnera pas qu'un homme si éloquent ait pu calmer les fu-
reurs du féroce Attila.
Sidoine répondit à S. Loup en des termes qui marquent bien
le respect dont il était pénétré pour sa sainteté et son mérite :
« Béni soit, dit-il (1), l'Esprit-Saint et le Père du Christ Dieu
tout-puissant, de ce que vous, qui êtes le père des pères,
l'évêque des évêques et un autre Jacques (2) dans votre siècle,
daignez jeter les yeux sur tous les membres de l'Église, dont
votre charité vous rend comme la sentinelle. Vous êtes ca-
pable de consoler tous les infirmes, et vous méritez que tout
le monde vous consulte. » Sidoine ajoute que S. Loup est sans
contredit le premier de tous les évêques du monde ; qu'il est
la règle des mœurs et la colonne des vertus ; que tous ses col-
lègues dans l'épiscopat respectent et craignent sa censure ; que
les plus âgés ne sont que comme des enfants en comparaison
de lui, qui avait déjà passé neuf lustres, c'est-à-dire quarante-
cinq ans dans l'épiscopat : ce qui montre que cette lettre fut
écrite l'an 472. Il n'est pas nécessaire d'avertir que ce ma-
gnifique éloge n'est ici donné qu'à la sainteté et à l'ancienneté,
qui faisaient regarder avec raison S. Loup comme le père et
le maître de ceux qui lui étaient égaux par leur rang. Quand la
vertu soutient ainsi l'autorité que donne la dignité, elle lui im-
prime un caractère digne de tous les respects.
Le portrait que l'humilité de Sidoine lui fait tracer de lui-
même dans cette lettre, relève celui qu'il vient de tracer de
S. Loup. « Je suis, lui dit-il, le plus indigne des mortels : car
je me vois obligé de prêcher aux autres ce je n'ai pas le cou-
rage de pratiquer. Je me condamne par mes propres paroles,
(1) Sid., 1. VI, ËP. i.
(2) S. Clément, dans l'inscription de sa première lettre à S. Jacques de Jéru-
salem, le nomme Yévêque des évêques : c'est pour cela que Sidoine, après avoir
donné la même qualité à S. Loup, ajoute que c'est un autre Jacques en son siècle.
Kous avons déjà vu qu'on ne soupçonnait pas alors que cette lettre de S. Clément
fût supposée.
[47 2 J EN FRANCE. LIVRE V. 23
et, en ne faisant pas ce que je commande, je dicte tous les
jours contre moi ma sentence. Mais intercédez pour moi au-
près de Jésus-Christ comme un autre Moïse ; il est plus ancien
que vous, mais vous n'êtes pas moins grand que lui. Priez le
Seigneur qu'il éteigne dans mon cœur l'ardeur de mes pas-
sions, afin que je ne porte plus à l'autel un feu étranger et pro-
fane. » Sidoine ne tarissait point sur les louanges de S. Loup.
Il répète encore dans une autre lettre (1) que c'est sans contre-
dit le plus grand évêque des Gaules.
S. Loup méritait cet éloge autant par ses talents et ses ver-
tus que par son ancienneté dans l'épiscopat. Il avait un goût
sûr dans les ouvrages de l'esprit, et les auteurs ne redoutaient
pas moins sa censure que les pécheurs. Il était surtout versé
dans les saintes lettres. Le comte Arbogaste (2), qui savait aussi
bien manier la plume que l'épée, s'étant adressé à Sidoine
pour avoir l'explication de quelques endroits de l'Écriture, ce
savant évêque le renvoya à S. Loup de Troyes et à S. Auspice
de Toul. On prétend qu'Attila, par estime pour S. Loup, l'em-
mena avec lui jusqu'au Rhin, et que ce saint évêque, à son re-
tour, demeura quelques années dans une solitude hors de la
ville de Troyes. Il mourut saintement vers l'an 479, après cin-
quante-deux ans d'épiscopat. On célèbre sa fête le 29 juillet.
L'église où il repose fut jusqu'à la révolution de 1789 un mo-
nastère de chanoines réguliers. On met au nombre des dis-
ciples de S. Loup S. Gamélien, qui fut son successeur; S. Aven-
tin, qui fut son domestique ; S. Sévère de Trêves, S. Polychrone
de Toul, S. Albin ou Alpin de Chàlons- sur-Marne. Il faut en-
core compter parmi eux Némorius , diacre, dont XeMarUjroloye
romain fait mention le 7 septembre , comme ayant souffert le
(1) Le P. Mabillon ctît que Sidoine écrit de S. Loup, dans la même lettre, qu'iV
s'appliquait surtout à l'étude de la religion et qu'il cherchait plus la moelle des pensées
que l écume des mots. Ce savant écrivain se trompe : c'est d'Himérius, disciple de
S. Loup, et non de S. Loup lui-même, que Sidoine fait cet éloge : la suite de la
lettre le démontre. Savaron croit sans fondement que cet Himérius e?t le même que
v. Camélien.
(2) Sidon., h IX, Ep. xi ; h IV, Ep. xvn.
24 HISTOIRE DE //ÉGLISE CATHOLIQUE [472]
martyre à Troyes sous Attila avec quelques autres compa-
gnons. Ces saints étaient apparemment du nombre des dé-
putés que S. Loup envoya à Attila, et que ce barbare fît mettre
à mort, comme nous l'avons dit plus haut.
S. Loup eut la consolation de voir avant sa mort que Si-
doine remplissait parfaitement, par sa conduite, les grandes
espérances qu'il avait conçues d'un épiscopat qui fut si glo-
rieux pour l'Église gallicane. Sidoine avait en effet toutes les
qualités qui font un grand homme, avec tous les talents et
toutes les vertus qui font un grand et saint évêque. On ad-
mirait son érudition et son esprit, on aimait sa bonté, on se
fiait à sa prudence, on respectait son illustre naissance, qui,
jointe à sa dignité, lui donnait la plus grande autorité ; mais il
était rarement obligé de commander : son éloquence persua-
dait assez. Une insigne piété rehaussait le prix de tous ces
talents par le saint usage qu'elle lui en faisait faire. Sidoine
se distingua surtout par une tendre compassion pour les pau-
vres : vertu assez rare en ceux qui ont été élevés dans le
luxe et clans la grandeur. Etant encore laïque, il donnait sou-
vent aux pauvres des vases d'argent de sa vaisselle, afin que
sa femme, venant à l'apprendre, les rachetât d'eux et leur en
payât le prix. Il fît particulièrement éclater sa libéralité dans
une famine qui affligea le royaume de Bourgogne, ravagé par
les Yisigoths (1). ,
La charité pour les malheureux était comme héréditaire
dans cette illustre famille. Ecdice, beau-frère de Sidoine,
porta encore plus loin que lui l'héroïsme de cette vertu pen-
dant la môme calamité. Non content de recevoir et de nourrir
tous les mendiants qui se présentaient, il envoya ses ser-
viteurs avec des chevaux et des chariots par les villes et les
bourgades, avec ordre de lui amener tous les pauvres qu'on
pourrait y trouver. Il en ramassa ainsi plus de quatre mille,
qu'il nourrit pendant tout le temps de la famine , et quand
(I) (Jreg. Tur.. 1. II, c. xxu.
[472] EN FRANCE. — LIVRE V. 25
l'abondance fut revenue, il les fit reconduire dans les lieux où
on les avait pris. Le Seigneur ne se laissa pas vaincre en libé-
ralité , et ce qu'Ecdicc lui avait donné dans la personne des
pauvres, il le lui rendit comme au centuple, le comblant lui
et sa famille des plus abondantes bénédictions (1). Donner aux
pauvres, c'est prêter à intérêt à Dieu même (2).
S. Patient, alors évêque de Lyon et successeur de S. Yéran,
ne se distingua pas moins par sa généreuse charité à soulager
les indigents dans ces temps de misère. Il étendit ses aumônes
aux provinces les plus éloignées, et fît amener une grande
quantité de blé par la Saône et le Rhône pour la subsistance
des pauvres. Il en envoya à Arles, à Riez, à Avignon, à Orange,
à Viviers (3), à Valence et à Trois-Châteaux. Il en fit même
passer dans l'Auvergne, et S. Sidoine en témoigna sa recon-
naissance par une lettre qu'il lui écrivit à ce sujet: « D'autres,
dit-il, feront consister la félicité en d'autres choses. Pour moi
j'estime que l'homme le plus heureux est celui qui vit pour
le bonheur d'autrui,et qui, en compatissant aux calamités des
fidèles, fait sur la terre les œuvres du ciel. C'est de vous que
je parle, très-heureux pontife. Vous ne vous contentez pas de
soulager les misères que vous connaissez : votre charité ingé-
nieuse va les chercher jusqu'aux extrémités des Gaules. Vous
essuyez souvent les larmes de ceux dont vous n'avez pas vu
les yeux. » Il dit ensuite qu'il passe sous silence la sobriété
de S. Patient, son zèle pour la conversion des Bourguignons
ariens et sa magnificence à bâtir des églises , parce que ces
vertus peuvent lui être communes avec d'autres évêques ;
que ce qui lui est propre, c'est d'avoir envoyé dans toutes les
Gaules, et même en Italie, des secours pour soulager la mi-
(1) .Greg. Tur., c. xxtv. — (2) Proverb. xix, 17.
(3) 11 y a dans le texte de Sidoine : Âlbensis urbis, qui signifie Viviers , nommé
par les anciens Alba Hehiorum. Pascal II le dit en termes formels : Alba quœ et
Vivarium dvitur. (Pascal, ad Guid. Vienn.) — Fleury, t. VI, p. 580, a cependant
rendu Albensis urbs par Albi: il y a ici une faute, aussi bien que dans ceux qui
ont traduit Aubenas. Le nom latin à' Albi est Albiga ou Albia ; et celui d'Aubenas
Albenacum ou Albenasium.
26 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [473]
sère publique. En cela il le compare au Triptolème (1) de la
fable, et plus convenablement au patriarche Joseph. Il attribue
cette famine aux ravages des Yisigoths , qui avaient brûlé les
moissons (2).
En effet, la principale cause de ces calamités fut l'ambition
d'E varie, qui le porta à tenter la conquête du reste des Gaules.
La faiblesse de l'empire romain semblait assez l'y inviter.
L'empereur Anthémius avait été tué l'an 472. Olybrius mou-
rut après quelques mois de règne. Glycérius, qui lui succéda,
fut déposé peu de temps après : et tant de révolutions et de
malheurs ne guérissaient point de la passion de régner. On eût
dit que l'ambition des prétendants croissait avec le danger de
posséder l'empire et avec les misères dont il était accablé.
Evaric profita donc des circonstances pour étendre sa do-
mination. Il avait déjà ajouté à ses anciens États Narbonne et
une grande partie de la Provence et de la Touraine. Il voulut
y joindre l'Auvergne et y porta la guerre. MaisEcdice, animé
par son beau-frère Sidoine, défendit généreusement sa patrie.
Ayant levé des troupes à ses dépens, il battit plusieurs fois
les barbares , et dans une rencontre il en défit plusieurs mille
avec dix-huit de ses plus braves cavaliers. Les habitants de
la ville d'Auvergne , animés par l'évêque et le général , sou-
tinrent avec tant de courage les assauts et les extrémités d'un
siège pendant l'hiver, qu'ils obligèrent Evaric à le lever (3).
Ce prince arien faisait encore de plus grands ravages dans
l'Eglise. Passionné pour sa secte, il croyait devoir la prospé-
rité de ses armes à ce prétendu zèle, et il se faisait un point
de religion de persécuter les catholiques de ses États. Pour
faire plus aisément perdre la foi aux peuples, il commençait
par leur enlever leurs pasteurs. Il exilait les évêques ou il
(1) On prétend que Triptolème apprit le premier aux Grecs à cultiver la terre
et à semer le blé. Pour enseigner un art si nécessaire, il parcourut, dit-on, divers
pays avec deux vaisseaux, que la fable n'a pas manqué de métamorphoser en dra-
gons volants, comme le remarque Sidoine au même endroit.
(2) lbid,— (i) Sid., 1. III, Ep. m; 1. VII, Ep. vi et vu.
[473j EX FRANCK. LIVRE V. 27
les faisait cruellement mourir sous quelque prétexte , et dé-
fendait qu'on en ordonnât d'autres à la place de ceux qui
étaient morts. Bordeaux , Périgueux , Rodez , Limoges ,
Mende, Eauze, Basas (1), Gomminges , Auch, et plusieurs
autres villes étaient sans évêques. Les églises tombaient en
ruine , on en avait arraché les portes et on avait bouché
avec des épines l'entrée de plusieurs. Les bestiaux couchaient
dans les vestibules des lieux saints, et ils allaient quelquefois
brouter l'herbe qui croissait autour des autels abandonnés.
Ge n'était pas seulement dans les églises de la campagne que
régnait cette solitude : celles des villes n'étaient guère plus
fréquentées (2). Ainsi la foi s'affaiblissait tous les jours, et
l'arianisme s'établissait au milieu des Gaules sur les ruines de
la catholicité.
Sidoine nous fait cette triste peinture des maux dont il était
témoin. Grégoire de Tours y ajoute des traits encore plus
odieux de la tyrannie d'Evaric. Que ne devait-on pas attendre
de la cruauté d'un prince qui avait trempé ses mains dans le
sang d'un roi son frère? Ge tyran fit mourir dans les tour-
ments plusieurs de ceux qui refusèrent d'embrasser sa doc-
trine impie (3). On range au nombre de ces martyrs les saints
évêques Valère d'Antibes , Gratien de Toulon , Deutérius
de Nice et Léonce de Fréjus, qui doit être distingué de celui
dont nous avons parlé ci-dessus. On désigne comme premier
évêque d'Antibes S. Armentaire. Nous avons remarqué
ailleurs que le siège épiscopal de cette ville avait été transféré
à Grasse (4).
Pendant cette persécution d'Evaric, Euladius, qui avait
succédé à S. Léon dans le siège de Bourges, vint à mourir
avant que cette ville fût soumise aux Yisigoths. Après sa
(1) Nous ne trouvons pas d'évêque de Basas avant Sextilius, qui assista en 506
au concile d'Agde ; ni de Comminges avant Suavis, qui se trouva au même con-
cile. Mais on voit, par cette lettre de Sidoine, que ces villes avaient eu des évê-
ques avant cette époque.
(2) Sid., 1 VII, Ep. vi, ad Basilium.— (3) Greg. Tur., 1. II, c. xxv.— (4) An-
telm., de Init. Eccl. Forojul.
28 HISTOIRE DE l'ÉGLISE CATHOLIQl E [473]
mort il y eut de grandes brigues et de puissantes factions
pour l'élection. Les citoyens partagés appelèrent S. Sidoine,
premier suffragant de cette métropole de la première Aqui-
taine, et, comme ils ne pouvaient s'accorder entre eux, ils con-
vinrent de le rendre seul arbitre de l'élection et ils firent
par écrit un compromis par lequel il s'en rapportaient à son
choix.
Les autres évèques de la province ne purent se rendre à
Bourges , soit parce qu'ils étaient sous la domination d'E va-
rie , à qui l'Auvergne n'était pas encore soumise ; soit parce
qu'en effet la plupart des villes de la première Aqui taine ,
comme Rodez , Limoges , Mende , étaient sans évèques.
S. Sidoine, pour y suppléer, invita des évèques des autres pro-
vinces à se rendre à Bourges pour assister à l'élection. Il
écrivit à ce sujet à Agrèce de Sens et à S. Euphrone d'Autun.
Il mande à Agrèce qu'il a trouvé la ville en proie à toutes
sortes de brigues ; que plusieurs se présentaient effrontément
pour être élus ; que tout était fardé et dissimulé , excepté l'im-
pudence, qui se montrait à découvert; que plusieurs des
prétendants portaient l'effronterie jusqu'à offrir de l'argent
pour obtenir cette sainte dignité. « Il y aurait longtemps, lui
dit-il , qu'on aurait mis l'épiscopat à l'encan si l'on trouvait
des vendeurs aussi aisément qu'on trouve des acheteurs. »
C'est pourquoi il le conjure de venir le soutenir de son auto-
rité et de ne point s'excuser sur la diversité des provinces ,
parce qu'il ne peut être assisté de ses évèques suffragants qui
sont tous soumis aux Goths , excepté l'Auvergne qui obéit
encore aux Romains. « Si vous venez, lui dit-il, vous ferez
voir qu'on a pu mettre des bornes à votre province, mais
qu'on n'en a pu mettre à votre charité (1). >•
Sidoine prie S. Euphrone, au cas où il ne pourrait se
rendre à Bourges, de lui mander son sentiment à l'égard de
Simplice , que le peuple de cette ville demandait pour son
(!) L. VII, Ep. v, ad Ajrœcivm.
[473] EN FRANCE. — LIVRE V. 29
évêque. « Sachez, lui dit-il, que plusieurs personnes ver-
tueuses m'ont dit beaucoup de bien de lui. Ces témoignages
m'étaient d'abord suspects, parce qu'ils paraissaient donnés
à la faveur. Mais quand j'ai vu que ses envieux, la plupart
ariens, étaient réduits au silence, j'en ai conclu qu'il fallait
que ce fût un homme bien accompli , puisque les méchants
ne pouvaient en parler ni les gens de bien s'empêcher d'en
faire l'éloge (1).
Àgrèce se rendit à Bourges avec quelques autres évèques.
Sidoine, ayant pris leur avis, convoqua le peuple dans l'église,
et prononça un discours pour faire connaître celui qu'il avait
choisi pour l'épiscopat selon le compromis. Cette pièce est
fort éloquente, quoiqu'il assure qu'elle ne lui a coûté que
quelques heures de méditation.
Il se plaint d'abord de ce qu'on l'a chargé d'une commis-
sion si délicate dans les commencements de son épiscopat , et
il fait sentir qu'il est impossible de faire un choix agréable
à tout le monde. « Si je nomme un moine, dit-il (2), fùt-il
comparable aux Paul, aux Antoine, aux Hilarion et aux Ma-
caire, j'entends aussitôt résonner à mes oreilles les murmures
bruyants d'une foule de pygmées ignorants qui s'écrient :
Celui qu'on nomme remplit les fonctions non d'un évêque,
mais d'un abbé : il est bien plus propre à intercéder pour le
salut des âmes auprès du Juge céleste que pour la vie du corps
auprès des juges de la terre. Qui ne serait profondément irrité,
en voyant les plus sincères vertus représentées comme des
vices? Si nous choisissons un homme humble, on l'appel-
lera vil et abject ; si nous en proposons un d'un caractère
fier, on le traitera d'orgueilleux ; si nous prenons un homme
peu éclairé, son ignorance le fera passer pour ridicule; si au
contraire c'est un ^savant, sa science le fera regarder comme
un orgueilleux ; s'il est sévère, on le haïra comme cruel ; s'il
(1) L. VII, Ep. ix. — (2) Sidon. Concio., 1. VII, post Ep. ix. — Ap. Baron.,
an. 472, n. 20.
30 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [473]
est indulgent, on l'accusera de faiblesse ; s'il est simple, on
le dédaignera comme une brute; s'il est plein de pénétration,
on le rejettera comme rusé ; s'il est exact, on le traitera de
minutieux; s'il est facile, on l'appellera négligent; s'il a
l'esprit fin, on le déclarera ambitieux; s'il a du calme, on le
tiendra pour paresseux; s'il est sobre, on le prendra pour
avare ; s'il mange pour se nourrir, on l'accusera de gourman-
dise ; s'il jeûne, on le taxera de vanité. Ainsi, de quelque
manière que l'on vive , la bonne conduite et les bonnes
qualités seront livrées aux langues acérées des médisants,
semblables à des hameçons à deux crochets. Et, de plus, le
peuple dans son obstination et les clercs dans leur indoci-
lité ne se soumettront que difficilement à la discipline ecclé-
siastique.
« Si je nomme un clerc, ceux qui le suivent dans le clergé
en seront jaloux; ceux qui le précèdent, refuseront de lui
obéir. 11 y a même quelques personnes du clergé qui veulent
que dans le choix d'un évêque on n'ait égard qu'à l'âge,
comme si avoir longtemps vécu , plutôt qu'avoir bien vécu ,
était un titre qui seul tînt lieu de toutes les qualités néces-
saires pour mériter l'épiscopat. On voudrait gouverner l'Église
dans un âge où l'on aurait besoin soi-même d'être gou-
verné par les autres. Si je nomme un homme qui ait servi
dans la profession des armes , on s'écriera assitôt : Sidoine
en agit ainsi parce qu'il a été lui-même tiré d'entre les laï-
ques pour être élevé à l'épiscopat : il est enflé de ses digni-
tés , il méprise les pauvres de Jésus-Christ. »
Après avoir pris ensuite le Saint-Esprit à témoin que dans
le choix qu'il va faire il n'a égard ni à l'argent ni à la
faveur, il déclare que Simplice lui paraît le plus propre à
remplir dignement le siège métropolitain de Bourges. Il
fait un bel éloge de sa noblesse, de ses talents et de sa
piété. « L'esprit, dit-il, le dispute en lui à l'érudition; il a en
même temps la vigueur de la jeunesse et la prudence de
la vieillesse. » Il ajoute que Simplice avait été délivré mira-
[473] ES FRANCE. — LIVRE V. 31
culeusement de la prison où les barbares le détenaient ;
qu'il avait été plusieurs fois député pour les intérêts de la
patrie vers les empereurs et vers les rois goths ; qu'étant en-
core jeune il avait bâti une église à Bourges, et que le
peuple de cette ville l'avait demandé autrefois pour évêque
préférablement à son père et à son beau-père, mais qu'il
aima mieux être honoré par la dignité de ses parents : ce qui
montre que le père et le beau-père de Simplice avaient été
évêques de Bourges. Pallade était son beau-père , Eulaclius
son père et son prédécesseur. Enfin Sidoine fait aussi l'éloge
des enfants et de la femme de Simplice ; après quoi il finit
en disant : « Gomme vous avez juré que dans cette élection
vous vous en tiendriez à mon avis,... au nom du Père, et du
Fils, et du Saint-Esprit, Simplice est celui que je déclare
devoir être le métropolitain de notre province et l'évêque de
votre ville. » Simplice justifia parfaitement, par sa conduite,
le choix de Sidoine : il est honoré comme saint le premier
jour de mars, et on donne la même qualité à Pallade, son
beau-père.
S. Perpétue de Tours pria Sidoine de lui envoyer le
discours qu'il avait prononcé dans cette circonstance, afin
d'en enrichir sa bibliothèque. Sidoine se rendit à son dé-
sir par une lettre où il parle encore des brigues dont il
avait eu à se défendre. « Deux bancs, dit-il, ne pouvaient
contenir tous les prétendants à ce siège. Tousse plaisaient
à eux-mêmes, et aucun ne plaisait à tous (1). » Nous n'avions
pas encore vu, dans cette histoire, la brigue et la simonie se
montrer avec si peu de pudeur pour obtenir ou même ache-
ter l'épiscopat. Mais comme l'ambition pour les dignités
saintes est la plus criminelle et la plus vive, elle est aussi
la plus aveugle : car briguer ces places , c'est par là même
s'en déclarer indigne.
Sidoine nous apprend qu'il y eut aussi de scandaleuses
(l) Sid.,1. VII, Ep. ix.
32 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
intrigues à Chalon-sur-Saône pour l'élection du successeur
de l'évêque Paul, surnommé le Jeune. S. Patient de Lyon, s'y
étant rendu avec les évêques de la province, trouva la ville
divisée en trois factions en faveur de trois compétiteurs.
Le premier vantait sa noblesse et prétendait qu'elle devait
lui tenir lieu d'une vie sainte et des autres qualités qui lui
manquaient. Le second avait toujours une table bien servie
et s'était attaché un grand nombre d'amis par la bonne chère
qu'il leur faisait faire. Le troisième avait acheté les suffrages
en promettant de céder une partie des biens de l'Église à ceux
qui lui donneraient leurs voix.
S. Patient et S. Euphrone, qui s'étaient rendus à Ghalon,
voyant des hommes si indignes sur les rangs, communiquè-
rent secrètement leur dessein aux autres évêques , et, sans
craindre les murmures d'une populace aveugle, ils prirent
le prêtre Jean (1), qui avait été longtemps archidiacre, lui
imposèrent les mains et l'ordonnèrent évêque, aux acclama-
tions de tous les gens de bien et sans que les méchants
osassent se récrier (2). Ces évêques ne croyaient donc pas que
le suffrage du peuple fût essentiel à l'élection.
On voit par cet exemple que les Bourguignons, sous la do-
mination desquels était Ghalon, laissaient aux évêques la
liberté de s'assembler pour les élections. Il était cependant
arrivé dans ce royaume une révolution peu favorable à la
religion. Gundéric, qui parait avoir été catholique, étant mort
en 473, ses quatre fils : Gondebaud, Godégisile, Ghilpéric et
Godomare , partagèrent son royaume ; mais bientôt après
Gondebaud, qui était arien, ayant fait mourir Ghilpéric et
Godomare , régna seul avec Godégisile et établit le siège
de son royaume à Lyon. S. Patient, évêque de cette ville,
(1) Sidoine fait un bel éloge de la piété de Jean, évêque de Chalon. Nous con-
naissons peu ses prédécesseurs; mais ce que dit Sidoine, qu'il succéda à Paul le
Jeune, nous apprend qu'il y eut dans ce siège un autre Paul plus ancien. L'Eglise
de Chalon honore S. Jean le 30 avril avec plusieurs autres de ses évêques , dont
on assure que le pape Jean VIII permit de faire la fête.
(2) Sid., 1. IV, Ep. xxv.
[474] EN FRAiXCE. LIVRE V. 33
gagna par ses vertus l'estime et l'amitié du prince bourgui-
gnon, qui lui faisait quelquefois l'honneur de manger à sa
table, et le saint évêque, en le traitant splendidement, savait
si bien garder les règles de la sobriété, que, tandis que le roi
louait la magnificence de sa table, la reine (1) admirait la
rigueur de son abstinence (2).
La piété libérale et magnifique de S. Patient éclata par-
ticulièrement dans la construction d'une des plus belles
églises des Gaules, qu'il fit bâtir à Lyon. Il pria S. Sidoine
de faire une inscription pour le frontispice, et Sidoine la
fit en vers her;décasyllabes (3). On voit, par le texte de cette
inscription, que cette église était tournée à l'orient de Fé-
quinoxe,* selon la coutume observée dans presque toutes
les anciennes églises des chrétiens (4) ; que le lambris était
orné de lames d'or; la voûte, le pavé, les fenêtres revêtus
de marbres de diverses couleurs ; qu'elle avait trois por-
tiques ornés d'un grand nombre de colonnes de marbre
d'Aquitaine, c'est-à-dire des Pyrénées, et qu'elle était située
entre la Saône et le grand chemin : ce qui fait croire
qu'il s'agit ici de l'église de Saint-Étienne.
Deux autres poètes célèbres dans ce temps-là, Secondin
et Constance, firent aussi pour la même église des inscrip-
tions qui furent placées sur les murailles des deux côtés de
l'autel. Sidoine loue ailleurs Secondin comme un poëte
excellent , qui réussissait surtout dans la satire , et il
nomme son style mordant une éloquence poivrée (5).
Constance était encore plus célèbre. C'était un prêtre
de l'Église de Lyon, fort distingué par sa prudence, sa
piété et son éloquence. Pendant qu'E varie ravageait l'Au-
(1) Cette pieuse reine était apparemment la princesse Caréténé, que nous savons
avoir été fort zélée catholique. Elle était alors à la cour de Bourgogne, et pouvait
être la femme de Gondebaud ou de quelqu'un de ses frères.
(2) Sid., 1. VI, Ep. xii. — (3) Sid., 1. II, Ep. x.
(4) Les chrétiens d'Antioche avaient un usage différent, et qui leur était par-
ticulier : ils tournaient leurs églises vers l'occident.
(5) Sid., 1. V, Ep. vin.
TOME II. 3
34 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [474]
vergne et assiégeait la ville capitale, ce qu'il fit à plusieurs
reprises, Constance, ayant appris que les citoyens y étaient
divisés en deux factions, et qu'une partie avait abandonné la
ville à demi ruinée, s'y rendit en diligence, et par son auto-
rité et ses sages conseils il apaisa en peu de jours ces dis-
sensions intérieures et réunit les habitants contre l'ennemi
commun (1). C'est lui qui composa la Vie de S. Germain
d'Auxerre, dont nous avons donné des extraits si édifiants. Il
la dédia à S. Patient de Lyon et à S. Censurius, évêque
d'Auxerre , honoré le 10 juin. Il se trouva un grand
nombre d'évêques à la dédicace de l'église, de Lyon. La
fête dura une semaine, et Fauste de Riez y prêcha de
manière à mériter de grands applaudissements (2).
Ce fut à la prière de Constance que Sidoine publia le
recueil de ses lettres, en exigeant de lui qu'il les revît au-
paravant et qu'il les corrigeât (3). Il n'en publia d'abord
que sept livres. Le succès de l'ouvrage et les prières de ses
amis l'engagèrent à en donner deux autres : il le fit aussi
pour imiter, dans le nombre de livres de ses lettres, Pline
le Jeune, dont il s'était efforcé de prendre le style. Les
lettres de S. Sidoine sont pleines de sentiments de religion,
de pensées ingénieuses, de tours d'éloquence et de traits
d'érudition. On s'aperçoit que c'est la piété jointe à l'es-
prit qui les lui a dictées, surtout celles qui ont été écrites
depuis son épiscopat.
Nous ne devons pas omettre que S. Sidoine fait dans une
de ses lettres un bel éloge de la piété, de la charité et
de la mortification d'une sainte veuve d'Auvergne, nom-
mée Eutropie, à qui un prêtre adonné à la chicane in-
tentait un procès (4). Il s'agissait de la succession d'un
fils de cette dame, lequel avait épousé la fille de ce prêtre
appelé Agrippin. S. Sidoine s'entremit pour les amener à un
(1) Sid., 1. HI, Ep. il. — (2) Sid., i. IX, Ep. m. — (3) Sid., 1. I, Ep. i. —
(4) Sid., 1. VI, Ep. il.
[474] EN FRANCE. — LIVRE V. 35
accommodement , ainsi qu'Eutropie et sa bru le désiraient ;
mais le prêtre, habile dans l'art de la chicane, ne voulut prêter
l'oreille à aucune transaction. L'affaire fut portée devant
l'évêque Pragmace : car la charité rendait les évêques arbitres-
nés de tous les différends. Sidoine, en écrivant à Pragmace
à ce sujet, l'avertit qu'Eutropie croira avoir assez gagné si
elle évite un procès. Nous ne rapportons ce fait que parce
qu'on croit que cette pieuse dame est Ste Eutropie dont
le Martyrologe romain fait mention le 15 septembre. Baro-
nius ne paraît pas en douter ; mais il ne se fonde que sur des
conjectures.
Dans une autre lettre, écrite à un premier magistrat,
Sidoine parle de la confession des péchés. Après avoir dit
que les évêques sont chargés de percer les ulcères secrets
des consciences, il ajoute : « Il n'en est pas du Juge souve-
rain du monde comme d'un président de tribunal. A votre
barre celui qui confesse ses crimes est condamné ; mais
celui qui, en se confessant à nous, se confesse à Dieu,
est absous. » Le reste de la lettre est un reproche in-
génieux qu'il fait à ce magistrat de ce qu'il semblait ou-
blier un ancien ami. « On croira, lui dit-il, que le plaisir
de l'amitié est pour vous comme celui que donnent les
fleurs, qui ne peuvent plaire qu'autant qu'elles sont nou-
velles (1). >»
Sidoine avait aussi donné au public un recueil de ses
poésies, dont les plus considérables sont les panégyriques
des empereurs Avite, Majorien et Anthémius. On sent qu'il
avait du goût et du génie pour la versification ; mais aussitôt
qu'il fut évêque, il y renonça, comme à un amusement dont
il ne lui était plus permis de se faire une occupation : ce
sacrifice coûte toujours à un bon poëte, et souvent encore
plus à un mauvais. « Il est temps, écrivait-il à un de ses amis,
de lire et de composer des choses sérieuses, et de songer plus
(1) L. IV, Ep. xm.
36 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
à l'éternité de la vie qu'à l'immortalité de la gloire. Il faut
nous souvenir que nous ne serons pas jugés d'après nos ou-
vrages à l'heure de notre mort, mais d' après nos Œuvres. »
On voit par les lettres de S. Sidoine qu'il était en commerce
avec les plus saints évêques (1) et les plus savants hommes de
son temps : S. Remi de Reims, S. Principius ou S. Princes
de Soissons, frère de S. Remi; Rurice de Limoges, S. Per-
pétue de Tours, S. Auspice de Toul, S. Euphrone d'Autun,
Fauste de Riez, S. Apruncule de Langres, Léonce d'Arles,
S. Marne rt de Yienne, et Glaudien Marne rt, frère de ce saint
r
évêque et prêtre de son Eglise.
Ce dernier était un des auteurs les plus célèbres de son
siècle. Quoiqu'il ne fût que prêtre, il partageait avec S. Ma-
mert, son frère, les soins et les travaux de l'épiscopat. Il avait
pratiqué quelque temps les exercices de la vie monastique, et
il avait profité du loisir que lui donnait la solitude pour se
rendre habile dans les belles-lettres et dans les sciences. Il
était orateur, poëte, dialecticien, géomètre, musicien, inter-
prète de l'Écriture et controversiste(2). Il composa des offices
pour toutes les fêtes de l'année et régla le chant des psaumes.
On le croit auteur de la belle hymne de la Passion : Pange,
lingua, gloriosi lauream certaminis . Le caractère et l'éloge
que fait Sidoine d'une hymne composée par Glaudien Ma-
mert (3), convient parfaitement à celle-ci, qui lui est en effet
attribuée par d'anciens manuscrits (4).
Un auteur qui voulait garder l'anonyme , mais que Gen-
nade (5) nous apprend être Fauste, évêque de Riez, sou-
(1) Il est à remarquer que S. Sidoine, en écrivant aux évêques, leur donne tou-
jours le titre de seigneur pape. Plusieurs saints Pères se sont servis de la même
expression en parlant à des évêques. Le nom de pape, qui veut dire père, n'était
pas encore appliqué exclusivement au souverain pontife, à l'évêque de Rome.
Ce fut Grégoire VII qui défendit dans un concile de Rome, l'an 1073, de donner
cette qualité aux autres évêques.
(2) Epitaph. Mamerti, a Sidon. script., 1. IV, Ep. xi. — (3) L. IV, Ep. m.
(4) Un manuscrit de Gennade du Mont- Saint-Michel, cité par le P. Sirmond, at-
tribue cette hymne à Claudien Mamert; d'autres l'ont attribuée à Fortunat, comme
a fait le moine Dungal dans son Traité des images. V. Sirm., in Notis ad Sidon.
(5) Gen. ap. Hyer. n. 83, versus finem.
[474J EN FRANCE. — LIVRE V. 37
leva à celte époque, on ne sait à quelle occasion, une ques-
tion philosophique d'un haut intérêt. Il adressa à un évêque
qui n'est pas nommé, une lettre assez longue dans laquelle
il soutient que Dieu seul est spirituel, et que les anges et les
âmes humaines sont des substances corporelles. Cet écrit
ayant fait quelque bruit, le savant Claudien Mamert entreprit
de le réfuter. Mais, avant d'en parler, il est nécessaire de faire
l'historique de cette question, qui a été vivement débattue en
divers temps et surtout dans le xvme siècle. Les matérialistes,
voulant associer à leur système les Pères de l'Église, ont pré-
tendu que ceux-ci ont cru à la matérialité de l'âme, du moins
dans les premiers siècles. Les textes qu'ils ont produits ont
trompé certains esprits, même distingués. Un célèbre écri-
vain n'a pas craint d'avancer que « dans les premiers siècles
la matérialité de l'âme était une opinion non-seulement
admise, mais dominante (1), >» et il cite des textes qui ne lais-
sent pas le moindre doute dans son esprit. Le savant écrivain
se trompe, comme beaucoup d'autres auteurs, même catho-
liques, sur le sens de ces textes et sur la croyance des doc-
teurs de l'Église. La profession de foi que nous trouvons à ce
sujet dans les Constitutions apostoliques : Nous croyons et
pro fessons que lame est incorporelle et immortelle (2), a tou-
jours fait partie de l'enseignement ecclésiastique, et a été
adoptée à l'unanimité par les docteurs de l'Église . Jamais on ne
s'est écarté de ce point de doctrine, toujours on a cru à la
spiritualité de l'âme. Les bornes d'un ouvrage historique ne
nous permettant pas de faire de longues et nombreuses cita-
tions, nous nous bornerons au témoignage des deux docteurs
sur lesquels on s'est le plus appuyé pour prouver que l'im-
matérialité de l'âme a été admise dans les premiers siècles :
ces docteurs somV Tertullien et Origène. Or le premier s'ex-
prime ainsi :
(1) M. Guizot, Histoire de la civilisation, leçon vi.
(2) Animam nostram incorporaient et immortalem profitemur. (Constit., lib. VI, c. II,
ap. Labb., t. I.)
3S HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
« Notre âme est simple, elle n'est pas de sa nature plus ins-
tructile qu'elle n'est divisible, parce qu'elle n'est pas disse-
lubie. Si elle était structile (c'est-à-dire composée de parties),
elle serait dissoluble; si elle était dissoluble, elle ne serait plus
immortelle. Ainsi, puisqu'elle n'est pas mortelle, elle n'est
ni dissoluble ni divisible (1). >• Tertullien croit donc non-seu-
lement à la spiritualité de l'âme, mais il la prouve par son im-
mortalité (2).
Origène n'est pas moins explicite. En examinant cette ques-
tion sous le rapport dogmatique, c'est-à-dire selon la foi de
l'Église : secundum dogma nostrum, idest secundum Ecclesiœ
fidem, il dit : « Toutes les âmes et toutes les créatures raison-
nables ont été faites ou créées, qu'elles soient saintes ou mé-
chantes. Toutes sont de leur propre nature incorporelles', mais,
quoique incorporelles, elles ont été faites (3). Dans son Exhor-
tation au martyre il dit : « L'homme aime la vie, parce qu'il
est persuadé que la substance de son âme a quelque affinité
avec Dieu. Car tous deux sont intelligents et invisibles, et tous
deux sont incorporels, comme on le démontre par des raisons
péremptoires (4). »
Ces raisons péremptoires , il les a employées pour prouver
victorieusement la spiritualité de l'âme par les opérations in-
tellectuelles : par la mémoire, par l'intelligence, par l'idée que
nous avons des choses qui ne tombent pas sous nos sens. Plu-
sieurs fois il s'adresse au lecteur et il lui demande si ces sortes
d'idées et de pensées peuvent être le partage d'un corps ou
d'une matière (5). Ailleurs, après avoir prouvé par l'Écriture
que l'homme est créé à l'image de Dieu, il en conclut qu'il
« est nécessairement, sous le rapport de l'âme, invisible,
(I) Singularis alioquin et simplex, et de suo tota est non magis instructilis quant divi-
sibilis ex se, quia nec dissolubilis. Si eninx structilis, et dissolubilis ; si dissolubilis, jamx
non immortalis. Itaque quia non mortalis, neque dissolubilis, neque divisibilis. {De Anima,
art. n, n. 3). — (2) M. de la Luzerne, dans sa Dissertation sur la spiritualité de l'âme,
a eu tort de ranger Tertullien parmi les adversaires de la spiritualité.
(3) De Principiis, lib. I, c. vu, n. 1.
(4) Ut invicta ratione demonstratur. (Exhort. ad martyr., n. 47.)
(5) De Principiis, lib. I, C. I.
[474] EN FRANCE. — LIVRE V. 39
incorporel, incorruptible et immortel. Car, ajoute-t-il, si celui
qui est créé à l'image de Dieu était corporel, il faudrait dire
que Dieu lui-même est corporel: ce qui serait très-évidemment
une impiété (1). »
Tertullien et Origène étaient donc loin de croire à la maté-
rialité de l'âme. Il en est de même des autres Pères de l'Église :
de S. Augustin, de S. Ambroise, de S. Athanase, de S. Basile,
de S. Chrysostome, de S. Grégoire de Nazianze, de S. Gré-
goire de Nysse , etc. Tous ces docteurs ont admis et enseigné
la spiritualité de l'âme comme un dogme fondamental de la
religion chrétienne.
Mais, en dehors de l'enseignement catholique, il y avait des
opinions philosophiques que l'Église a tolérées parce qu'elles
ne touchaient pas au dogme de la spiritualité ; elles le sup-
posaient au contraire. Ces opinions n'ont pas été assez remar-
quées, et c'est ce qui a trompé nos savants écrivains et même
le docte Gabassut(2). Nous ne voulons pas exposer toutes ces
opinions philosophiques, qui ont beaucoup varié, comme tout
ce qui est livré à la discussion libre de la raison individuelle.
Nous n'en exposerons qu'une seule, qui a dominé et qui nous
donne l'explication de tout ce qu'il y a d'embarrassant ou de
contradictoire dans les Pères relativement à la question qui
nous occupe.
Un grand nombre de docteurs de l'Église des premiers
temps n'ont pas pu comprendre que dans l'autre monde on
pût jouir ou souffrir sans l'adjonction d'un corps. Origène dit
ingénument qu'il ne pourrait s'expliquer comment tant de
substances pourraient vivre et subsister sans corps. Dieu
seul, selon lui, a ce privilège (3). En partant de là, Origène,
comme d'autres docteurs avant et après lui, ont donné un
corps aux anges, aux démons et aux âmes humaines, mais un
corps subtil, igné ou aérien, tout à fait différent du corps
(1) In Gènes. Homil. i, n. 13.
(2) Cabassut {Notitia Concil., p. 413 et 414) prétend que la matérialité de l'âme
a été crue par les premiers docteurs de l'Eglise. — (3) De Principiis, lib.I, c. vi, n.4.
40 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [474]
grossier que l'homme porte sur la terre, et ont soutenu que,
hors la Trinité, il n'y a rien d'incorporel. L'exemple de
Lazare, du mauvais riche et de l'ombre de Samuel les confir-
mait dans cette opinion. Mais tout en disant qu'il n'y avait
rien d'incorporel en dehors des personnes de la Trinité, ils ne
niaient pas la spiritualité de l'âme. Ils prétendaient seulement
que l'âme, pour être dans un lieu déterminé, pour jouir et
souffrir, avait besoin d'un corps comme d'un vêtement : vesti-
mento corporeo , comme l'appelle Origène ( 1 ) , corps grossier sur
la terre, corps subtil, délié, igné ou aérien dans l'autre monde.
« Nous savons, dit Origène, que l'âme, de sa nature incor-
porelle et invisible, ne peut résider dans aucun lieu maté-
riel sans avoir besoin d'un corps propre à la nature de ce lieu ;
qu'elle se dépouille de ce corps qu'elle porte maintenant, et
qui lui devient inutile, pour se revêtir d'un corps meilleur, qui
lui devient nécessaire pour arriver aux purs et célestes lieux. »
Il compare ce dépouillement à celui d'un enfant qui, en ve-
nant au monde, quitte l'enveloppe dont il était revêtu au sein
de sa mère, pour prendre une figure meilleure (2).
Origène nous donne ici la clef pour concilier les apparentes
contradictions des Pères, qui d'un côté appellent corporels les
anges et les âmes humaines, et de l'autre supposent ou prou-
vent leur spiritualité. Ainsi on comprendra facilement ce texte
de Tertullien :
« La corporalité de l'âme brille aux yeux des nôtres dans
l'Évangile. L'âme d'un homme souffre aux enfers, elle est
placée au milieu de la flamme, elle sent à la langue une dou-
leur cruelle et elle implore de la main d'une âme plus heu-
reuse une goutte d'eau... Tout cela n'est rien sans le corps :
l'être incorporel est libre de toute espèce de chaîne, étranger à
toute peine comme à tout plaisir : car c'est par le corps que
l'homme est puni ou jouit (3), » c'est-à-dire par l'adjonction
d'un corps.
(1) Huet, Origenian., lib. II, Quœst. v, n. 111.— (2) Contra Celsum, lib. VII, n. 32.
— (3) De Anima, c. v, vu.
[4741 EN FRANCE. — LIVRE V. 4i
On comprendra de la sorte ce passage d'Arnobe :
«< Quel homme ne voit que ce qui est simple et immortel
ne peut connaître aucune douleur ? (1) »
Ou enfin celui de S. Jean Damascène :
« Nous concevons des êtres incorporels et invisibles de deux
façons : les uns par essence, les autres par grâce ; les uns
comme incorporels par nature, les autres comme ne l'étant
que relativement et par comparaison avec la grossièreté de la
matière. Ainsi, Dieu est incorporel par nature; quant aux
anges, aux démons et aux âmes [humaines), on ne les appelle
incorporels que par grâce et en les comparant à la grossièreté
delà matière (1). »
Ce sont là les trois textes que l'auteur de Y Histoire de la
civilisation a cités, pour prouver que la matérialité de l'âme
était dans les premiers siècles une opinion générale ou domi-
nante. On voit combien l'illustre écrivain s'est trompé. Il dit
qu'il pourrait multiplier à l'infini les citations. En effet, un
grand nombre de docteurs des temps primitifs ont suivi ou
copié le système de Tertullien et d'Origène, mais comme
eux ils ont supposé ou prouvé la spiritualité de l'âme.
Quant à Fauste de Riez, il serait difficile de dire s'il a réel-
lement nié la spiritualité de l'âme, ou s'il a seulement soutenu
le système philosophique alors en vogue. Car on ne peut rien
conclure du mot corporel, qui dans le système philosophique
que nous avons exposé signifie non un être corporel, mais un
être uni à un corps. Quoi qu'il en soit, Glaudien Mamert réfuta
la lettre de Fauste dans un traité remarquable, intitulé de Na-
tura animœ, de la Nature de l'âme, dans lequel il dégage l'âme
de tous les corps subtils, ignés ou aériens qu'on voulait lui
donner, et prouve la spiritualité par les arguments que nous
employons encore aujourd'hui. Son traité est divisé en trois
livres. Dans le premier il traite la question d'une manière pu-
rement rationnelle : il y prouve la spiritualité de l'âme parce
(1) Arnob. Adv. gentes, 1. II.— (2) De Orthodojca Fi le, 1. II, c. m, xn.
42 histoire de l'église catholique [474]
qu'elle est l'image de Dieu, et qu'elle n'est pas enfermée dans
un lieu. Il prétend que l'âme pense essentiellement, qu'elle
est la pensée même ; qu'elle peut varier ses pensées, mais
qu'elle ne peut jamais être sans penser ; que les puissances de
l'âme ne sont autre chose que l'âme même ; que les pensées
de l'âme ne dépendent pas des images corporelles ) que non-
seulement il n'y a pas de vide, mais qu'il ne peut y en
avoir.
Dans le second livre, l'auteur appuie sa thèse sur les témoi-
gnages des philosophes grecs et latins, sur l'Évangile, sur
le témoignage de S. Paul et des Pères de l'Église. Dans le
troisième, il explique en faveur de la spiritualité de l'âme
les faits de l'Écriture si souvent allégués par les adversaires,
tels que la résurrection de Lazare, l'apparition de l'ange Ga-
briel à la vierge Marie, etc. Cependant Glaudien Mamert n'a pu
se dégager entièrement du système philosophique qui do-
minait alors : car il donne des corps aux anges, et soutient
qu'ils sont spirituels et corporels. Son traité, quoique bien
écrit et plein d'arguments serrés et pressants , n'a pourtant
point prévalu. Le système des corps aériens, ignés, déjà
réfuté par S. Augustin (1), a encore été longtemps soutenu
par des docteurs de l'Église, comme nous l'avons déjà vu par
le passage de S. Jean Damascène. Il a même repris une nou-
velle faveur à l'occasion des disputes sur le culte des images.
On disait qu'il était d'autant plus permis de représenter les
anges et les saints par la peinture qu'ils ne sont pas tout à
fait incorporels. C'est l'argumentqu'a fait valoir JeandeThes-
salonique au deuxième concile de Nicée (action Y) : il donne
aux anges et aux âmes [humaines) des corps subtils, aériens
et ignés (2), et il traite de païens ceux qui prétendent qu'ils
sont entièrement incorporels et invisibles (3) . Il est vrai que ce
sentiment lui était particulier : car le concile dans sonjuge-
(1; August., de Trinitate, 1. X, n. 13, 14, t. VIII Oper., p. 896.
(2) Subtiles autem corpore et aereos et igneos. (Apud Labb., t. VI, p. 354.)
(3) Non tamen incorporâtes omnino et invisibiles, sicut vos pagani fatemini. (Ibid.)
[474] EN FRANCE. — LIVRE V. 43
ment de l'action précédente (action IV), appelle les saints et
les anges incorporels (1).
De tout ce que nous venons de dire, nous pouvons con-
clure :
1° Que la doctrine catholique des premiers Pères de l'Église
était en faveur de la spiritualité de l'âme.
2° Que la doctrine philosophique qui cherchait à expliquer
les affections de l'âme humaine dans l'autre vie, était différente
selon les divers principes des écoles. Mais, pour démontrer la
croyance inébranlable de la spiritualité de l'âme chez tous les
Pères de l'Église, il suffit de rappeler qu'ils croyaient à l'im-
mortalité de cette âme. Or, il n'est pas possible d'admettre
l'immortalité sans la spiritualité, ainsi que l'enseigne Tertul-
lien dans le passage cité : ainsi, lorsqu'on admet l'immortalité
de l'âme, il faut nécessairement en exclure la matérialité. La
doctrine philosophique dans ce sens était admise par les Pères
de l'Église.
Glaudien Mamert dédia son ouvrage à Sidoine, qui par re-
connaissance lui donna de si grands éloges qu'il faut avouer
que son amitié pour l'auteur en a dicté une partie. Ce saint
évêque dit que Glaudien Mamert réunit tous les talents parti-
culiers par lesquels les plus célèbres philosophes, les plus
grands orateurs et les plus savants des saints Pères se sont
distingués. « Il pense, dit- il (2), comme Pythagore, il divise
comme Socrate, il explique comme Platon, il lie et enveloppe
comme Aristote, il flatte comme Eschine, il se passionne
comme Démosthène, il est fleuri comme Hortensius, il dis-
suade comme Appius, il persuade comme Cicéron...; et, pour
en venir aux saints Pères , il instruit comme Lactance , il
établit comme Augustin, il s'élève comme Hilaire, il s'a-
baisse comme Jean (Ghrysostome) , il reprend comme Basile,
il console comme Grégoire (de Nazianze), il est abondant
comme Orose, il est serré comme Rufîn, il est narrateur
(1) Sanctorum etiam et incorporalium. (Apud Labb., t. VII, p. 322.) — (2) Sid.,
1. IV, Ep. m.
44 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
comme Eusèbe, il touche comme Eucher, il presse comme
Paulin, il se soutient* comme Ambroise. » Cet endroit est
remarquable par la justesse et la précision avec laquelle Si-
doine trace en un mot le caractère des auteurs dont il parle.
On attribue à Claudien Mamert un poëme contre les poètes
profanes. On le croit aussi auteur de quelques poésies chré-
tiennes de bon goût , que la ressemblance de nom a fait at-
tribuer au poëte Claudien, qui certainement était païen.
Gomme notre Claudien Mamert était versé dans toutes les
sciences , il tenait des conférences où il répondait aux ques-
tions les plus difficiles, que chacun avait la liberté de lui
proposer. Mais ce qui achève son éloge et en est le plus beau
trait, c'est qu'il n'était pas moins distingué par sa vertu que
par son érudition. Il mourut avant Mamert, son frère aîné,
on ne sait en quelle année. Sidoine, en qui les qualités du
cœur ne le cédaient pas à celles de l'esprit, pleura amèrement
la mort de celui qu'il regardait comme le plus bel esprit de
son siècle. Pour adoucir sa douleur, il répandit les fleurs de
sa poésie sur le tombeau de son ami , et composa en son hon-
neur une belle épitaphe (1), d'où nous avons tiré une partie
des éloges que nous venons de rapporter. Quand il faudrait
en rabattre beaucoup, il en resterait toujours assez pour
conclure que Claudien Mamert était un des plus savants
hommes de son temps.
Les questions sur la nature de l'âme que cet auteur avait
traitées, devinrent les disputes à la mode. Julien Pomère,
originaire de Mauritanie, mais établi dans les Gaules, y pu-
blia vers le même temps sur ce sujet un ouvrage en forme de
dialogues et divisé en huit livres. Dans le premier, il expli-
quait ce que c'est que l'âme et en quel sens on peut dire
qu'elle a été créée à l'image de Dieu. Dans le second, il exa-
(t) Sidoine dit de Claudien dans cette épitaphe, Antistes fuit ordine in secundo.
Cette expression a fait croire à quelques personnes qu'il avait été coévêque : ma;s
on peut l'entendre de la prêtrise, qui est en effet le second ordre. (SiD.,lib. IV,
Ep. xn.)
! [474] EN FRANCE. — LIVRE V. 45
minait si elle est spirituelle ou corporelle, et il donnait, dit
S. Isidore, dans l'erreur de Tertullien sur la matérialité de
l'âme (1) : nous savons ce que nous devons en penser. Dans le
| troisième livre, il recherchait d'où a été créée l'âme du pre-
mier homme. Dans le quatrième, il traitait la question sui-
vante : L'âme a-t-elle été créée sans péché, ou, venant de notre
premier père par propagation, en a-t-elle contracté le péché?
Dans le cinquième, il expliquait ce que c'est que la faculté de
l'âme ; dans le sixième , quelle est la cause des combats de
la chair et de l'esprit; dans le septième, quelle est la diffé-
rence entre la vie et la mort; et dans le huitième livre, il ré-
solvait des questions qu'on propose sur la résurrection. Cet
ouvrage est perdu, aussi bien qu'un traité que le même auteur
avait composé sur l'institution des vierges.
Il ne nous reste de Julien Pomère que trois livres sur la
vie contemplative, qui ont été longtemps attribués à S. Pros-
per (2). L'auteur y répond à dix questions, qui lui avaient été
proposées par un évêque nommé Julien, principalement
sur la vie contemplative, sur les devoirs des évêques et sur la
nature des vices et des vertus. Dans le premier livre, après
avoir parlé de la vie contemplative , il fait un portrait qui
n'est pas flatté des bons et des mauvais évêques. Les bons
évêques, dit-il, sont ceux qui s'efforcent par leurs exemples
et par leurs prédications de porter les pécheurs à la péni-
tence ; qui ne commandent pas avec empire , mais avec dou-
ceur et humilité ; qui nourrissent les pauvres , rachètent les
captifs, reçoivent les étrangers et qui s'acquittent avec soin
de leurs autres devoirs. Ce sont là les ministres capables d'a-
paiser le Seigneur et de conduire son peuple : voilà les vrais
successeurs des apôtres. Un mauvais évêque est celui qui
cherche les dignités de l'Église, non pour être plus saint,
mais pour être plus- riche et plus honoré; qui ne paît pas son
troupeau, quoiqu'il reçoive tous les jours, par les dîmes et les
(1) Isidor., de Vir. illustr., c. xxv. — (2) Inter Opéra S. Prosperi, 1. 1, c. xxv.
46 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
oblations des fidèles, le lait et la laine de ses ouailles ; qui porte
le nom de pasteur, et qui en fuit le travail (1).
Pomère prétend qu'un évêque ne peut s'excuser de ne
pas prêcher son peuple sur son peu de talent et de capa-
cité, parce qu'un pasteur ne doit enseigner que ce qu'il sait,
et que les auditeurs profitent toujours quand ils entendent
le prédicateur les exhorter d'une manière simple à pratiquer
ce qu'ils lui voient pratiquer lui-même. Il dit que le discours
d'un évêque doit [être simple, grave, clair, et même en mau-
vais latin pour être mieux entendu des ignorants : le latin
d'ailleurs , qui était encore la langue vulgaire , était déjà fort
corrompu. Il ajoute que les prédicateurs qui cherchent les
applaudissements des hommes ne sont que de vains déclama-
teurs , qui font consister tout le fruit de leurs sermons dans
les louanges qu'ils en retirent, et qui songent plus à dire de
belles choses qu'à en dire de bonnes et d'utiles.
Dans le second livre, Julien Pomère traite de la correc-
tion des pécheurs, dans laquelle il faut tantôt employer la
vivacité du zèle et tantôt la douceur et la patience de la cha-
rité. Sur quoi il parle de la confession des péchés secrets,
qu'on découvre au prêtre comme les plaies au médecin. Il
s'étend sur l'usage des biens de l'Église, qui ne sont autre
chose, dit-il, que les vœux des fidèles, la rançon des péchés et
le patrimoine des pauvres. Il n'approuve pas que les ecclé-
siastiques qui ont un patrimoine perçoivent les distributions
de l'Église, au lieu de les laisser aux pauvres, et il dit que, les
biens ecclésiastiques étant des biens sacrés, il n'est pas per-
mis de s'en servir pour vivre dans la mollesse et la volupté.
En parlant de l'abstinence, il recommande surtout l'usage
modéré du vin et blâme ceux qui, faisant profession de ne
pas manger de la chair des animaux à quatre pieds, man-
geaient des poissons les plus délicats ou même des faisans et
d'autres oiseaux. Nous savons d'ailleurs qu'il y avait alors des
(1) Inter Opéra S. Prosperi, 1. I, c. xxi
[474] EN FRANCE. — LIVRE V. 47
personnes pieuses, qui, en s'abstenant par pénitence de la
chair des animaux à quatre pieds, mangeaient de la chair des
oiseaux sans scrupule.
Enfin, dans le troisième livre, Pomère traite des vices
et des vertus, dont il trace des portraits frappants. Il dit
entre autres choses que l'envieux a autant de bourreaux
que celui à qui il porte envie a de panégyristes, et il
montre que la crainte est utile et résiste efficacement au
péché.
Julien Pomère était en commerce (1) d'amitié avec
Rurice, évêque de Limoges, qui était aussi l'ami de S. Si-
doine et fort distingué par sa noblesse et ses grands biens.
Rurice avait épousé Ibérie, fille d'Ommace, et S. Sidoine,
encore laïque, fit un bel épithalame pour ce mariage. Il s'é-
tait séparé de sa femme pour vivre dans la continence lors-
qu'il fut élevé sur le siège de Limoges (2) après la mort d'As-
tidius. Il employa une partie de ses grands biens à faire bâtir
près de cette ville une église en l'honneur de S. Augustin :
ce qui montre la vénération que l'on avait déjà dans la Gaule
pour ce saint docteur environ 50 ans après sa mort (3). Il
nous reste de Rurice deux livres de lettres , où l'on voit de
grands sentiments de piété ; mais on y trouve assez peu de
choses à apprendre pour l'histoire de ce temps-là. Rurice
avait une tendre vénération pour Fauste de Riez, qu'il
consultait comme son directeur, et, Fauste ayant été exilé
dans le Limousin par Evaric, Rurice adoucit son exil
par ses bons offices et lui fit retrouver sa patrie sur une
terre étrangère. La lettre de remercîment que Fauste lui
écrivit à cette occasion est parvenue jusqu'à nous (4). On
croit que l'évêque de Riez avait été exilé pour avoir eu le
courage d'écrire contre les ariens, malgré la tyrannie
(1) Ruriciî Epist. ad Pomer., 1. I, Ep. xvn.
(2) Rurice eut un fils qu'il nomma Ommace, comme son beau-père, et un petit-
fils appelé Rurice, qui fut son successeur sur le siège de Limoges.
(3) Apud Canis., t. V Antiq. Lect. — (4) Ep. Faust, ad Ruric, t. V, p. 439.
48 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
d'Évaric. La persécution est la pierre de touche du vrai zèle.
On paraît assez courageux quand on n'a rien à craindre ; mais
on ne montre souvent dans le péril que de la lâcheté , à la-
quelle on donne le beau nom de prudence.
S. Sidoine ne fut pas de ce caractère, non plus que Fauste.
Son courage ne connaissait point de dangers, dès qu'il s'a-
gissait de secourir la religion en péril. Gomme il n'y avait
point d'évêque à Rodez, il entreprit à l'entrée de l'hiver
un pénible voyage pour aller faire dans le Rouergue la dé-
dicace d'une nouvelle église, qu'Élasius avait fait bâtir
dans un temps où l'on n'osait même réparer les anciennes. Ce
saint évêque d'Auvergne donna de nouvelles preuves de son
zèle à l'occasion d'une paix honteuse qu'on voulait conclure
avec les Yisigoths (1).
Jules Népos, qui était parvenu à l'empire l'an 474, tâcha
d'arrêter par la négociation les conquêtes et les ravages
d'Évaric. Il jugea qu'un traité, quelque dures qu'en soient
les conditions, cesse d'être honteux quand il est nécessaire.
Quatre évêques de Provence : Léonce d'Arles, Fauste de Riez,
Grec de Marseille et Basile d'Aix , furent les médiateurs de la
paix entre les deux princes. La cession de l'Auvergne aux
Yisigoths était un des préliminaires ; le bruit s'étant répandu
qu'on avait acheté la paix à ce prix, S. Sidoine s'en plaignit
amèrement à Grec de Marseille : « Notre condition, dit-il,
était meilleure pendant la guerre : notre servitude est de-
venue le prix de la sécurité des autres. Quel sujet de dou-
leur ! Les habitants de l'Auvergne esclaves ! ce peuple si noble
qui nommait autrefois les Romains ses frères, et qui dans ces
derniers temps s'est rendu si redoutable aux barbares, est
livré à l'esclavage! Est-ce là ce qu'ont mérité ces braves
guerriers, qui, tout exténués qu'ils étaient par la famine, ont
moissonné tant de lauriers? Est-ce dans l'attente de cette
belle paix que nous avons mangé jusqu'à l'herbe qui croissail
(1) Sid., 1. IV, Ep. xv.
[474] EN FRANCE. — LIVRE V. 49
sur nos murailles?. . . Rougissez, je vous en conjure, d'un traité
qui n'est ni utile ni glorieux , trouvez le moyen de rompre
une si honteuse négociation. S'il faut encore soutenir un
siège , combattre les ennemis et la faim , nous nous en fe-
rons un plaisir (1). »
Sidoine écrivit en même temps à Basile cl'Aix, pour le
supplier de faire entrer la paix des Églises dans le traité qu'il
cherchait à faire conclure, avec l'aide de ses collègues (2). Il
le félicite d'abord de ce qu'il avait confondu, par son éloquence
w
et par l'autorité des saintes Ecritures, un Goth arien nommé
Modahaire. Mais il l'avertit que ce loup ne laisse pas de déso-
ler encore la bergerie du Seigneur, après avoir endormi les
pasteurs. Il ajoute qu'on ne doit pas se faire un sujet de
scandale de la prospérité d'É varie, qui étendait tous les jours
les limites de sa domination. « Il est dans l'ordre, dit-il, que ce
mauvais riche soit habillé de pourpre , et que Lazare soit cou-
vert d'ulcères. Il convient que, tandis que nous sommes dans
l'Egypte du monde, ce Pharaon porte le diadème, et l'Israé-
lite des fardeaux... Quant à moi, pour trouver légers tous
les maux, je n'ai qu'à considérer et ce que je mérite et les
avantages que l'homme intérieur peut en retirer. » Il indique
ainsi deux excellents motifs de consolation, que la religion
offre aux malheureux. Pour adoucir et sanctifier nos souf-
frances, nous n'avons qu'à en mettre le poids en balance avec
celui de nos péchés et qu'à comparer nos maux avec les biens
qu'ils nous procurent.
Sidoine peint ensuite avec les plus tristes couleurs la
cruelle persécution d'Évaric, et il fait sentir le danger où
est la foi , pour exciter les évêques négociateurs à s'efforcer
de la mettre en sûreté par le traité. Il tâche particulièrement
de les intéresser en faveur de deux de leurs collègues déte-
nus en exil , Crocus et Simplice. Crocus était évêque de
Nîmes. On ne connaît pas le siège épiscopal de Simplice :
(1) L. VII, Ep. vu. - (2) Sid., 1. VII, Ep. vi.
TOME II.
4
50 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [474]
car il paraît qu'il n'est pas l'évêque de Bourges dont nous
avons parlé (1).
Malgré ces négociations de quelques évêques de la Gaule ,
la paix ne se concluait pas. L'empereur Népos, qui la désirait
ardemment, envoya S. Épiphane de Pavie la demander à
Evaric. Il crut que ce prince barbare respecterait la sain-
teté d'un évêque si puissant en bonnes œuvres , et il ne se
trompa pas. Epiphane , qui n'attendait que du Ciel le succès
de sa négociation, s'efforça de l'obtenir par ses prières. II
chantait des psaumes pendant le voyage, et, quand il trouvait
quelque lieu écarté, il s'y arrêtait pour faire son oraison. Sa
réputation l'avait devancé dans les Gaules. Dès qu'Évaric sut
son arrivée à Toulouse, il le manda à son audience, et le
saint évêque lui parla ainsi :
« Grand prince , quoique la renommée de votre courage et
les glaives dont vous moissonnez les campagnes de vos en-
nemis aient rendu votre nom terrible , cette cruelle ambition
de faire la guerre ne vous rend ni plus grand ni plus agréable
aux yeux de Dieu. Le fer défend mal les confins d'un empire,
quand le Seigneur y est offensé. Souvenez-vous que vous avez
un roi, à qui vous devez vous efforcer de plaire. En montant
au ciel, il a recommandé à ses disciples de conserver la paix,
comme le plus précieux héritage qu'il pût leur laisser. N'ou-
blions jamais ce précepte. Quiconque se laisse vaincre par la
colère ne mérite pas le nom de brave , et personne ne con-
serve mieux son bien que celui qui ne désire pas celui d'au-
trui. C'est pourquoi l'empereur Népos m'a envoyé pour faire-
alliance avec vous. Quoiqu'il ne craigne pas la guerre, il sou-
haite la paix. Contentez-vous des anciennes limites, et qu'il
vous suffise que celui qui a mérité d'être appelé votre maître,
aime mieux, ou du moins souffre d'être appelé votre ami (2). »
(1) Sidoine, parlant de ces deux évêques, dit : Vestros Crocum Simpliciumque col-
legas. Il semble qu'il se serait exprimé autrement s'il eût été question de Sim-
plice de Bourges, son métropolitain.
(2) Ennod. in Vita S. Epiph., p. 383 edit. Cramos., an. 1611.
[475] EN FRANCE. — LIVRE V. 51
La sainteté de l'orateur donna une nouvelle force à un dis-
cours si éloquent et si noble. Une douce sérénité se répandit
sur le visage du roi , qui fît la réponse suivante par un in-
terprète : « Quoique je ne quitte presque jamais la cuirasse,
le bouclier et l'épée, j'ai trouvé un homme qui m'a vaincu par
ses discours, tout armé que je suis. On nous trompe, quand
on nous dit que les Romains n'ont pas un bouclier et des traits
sur leur langue : car ils savent repousser les paroles que nous
leur portons, et faire passer jusqu'au fond de notre cœur
celles qu'ils nous adressent. Je fais donc, ô vénérable pon-
tife, ce que vous me demandez, parce que j'ai plus d'égard à
la personne qui m'est envoyée qu'à la puissance de celui
qui me l'envoie. Recevez ma foi, et promettez au nom de
Népos une alliance inviolable. L'avoir promise, pour vous
c'est l'avoir jurée (1). »
On dressa aussitôt le traité de paix; puis S. Épiphane s'é-
tant retiré, on vint l'inviter à dîner le lendemain avec le roi.
Comme le prince était arien, le saint évêque s'en excusa,
disant qu'il n'avait pas coutume de manger à la table d'au-
trui et qu'il devait partir ce jour-là même. Il le fît en effet,
et se fit débarquer en passant dans les îles Stéchades, c'est-
à-dire les îles d'Hyères ; il visita aussi celles de Léro et de
Lérins, pour s'y édifier des vertus des saints moines dont
elles étaient peuplées. Il paraît que cette paix procura plus
de liberté aux Églises soumises à la domination des Visigoths.
Les évêques en profitèrent pour tenir un concile au sujet du
prédestinatianisme .
Nous avons vu que la doctrine de S. Augustin mal enten-
due pouvait avoir donné naissance à cette hérésie. Elle n'était
pas moins pernicieuse que celle que ce saint docteur avait
combattue dans les pélagiens ; mais elle n'était pas si conta-
gieuse, parce qu'elle choquait autant la raison que le péla-
gianisme semblait la flatter. Un prêtre nommé Lucide, ap-
(1) Vita S. Epiph., p. 384.
52 HISTOIRE DE [/ÉGLISE CATHOLIQUE [475]
partenant, selon toute apparence, à la province d'Arles, crut
pouvoir impunément débiter ces nouvelles erreurs, dans un
temps où les évêques de cette partie des Gaules paraissaient
tout occupés à se défendre contre la persécution d'Évaric et
la séduction de l'arianisme. Les troubles de l'État sont tou-
jours les conjonctures les plus favorables aux progrès des
sectes. Mais l'Église des Gaules fit face à tant d'ennemis diffé-
rents. Les évêques eurent horreur des dogmes impies du
prédestinatianisme, et Léonce d'Arles, qui avait été chargé
par le pape S. Hilaire d'assembler les conciles de ces pro-
vinces, en convoqua un pour ce sujet à Arles, où se trouvè-
rent trente évêques.
Le concile commença par proscrire les erreurs des prédes-
tinatiens, et songeait à procéder contre Lucide, qui les avait
enseignées. Mais Fauste de Riez fit suspendre les procédures
du concile dans l'espérance de convertir ce novateur. Il s'ef-
força d'abord de le gagner dans des entretiens particuliers,
dans lesquels il tâchait de faire entrer la vérité dans son cœur
par les voies de la douceur et de la bonté. Lucide souhaita
d'être instruit par quelque écrit. Fauste eut pour lui cette
complaisance, et, pendant la tenue du concile, il lui écrivit la
lettre suivante (1) :
« C'est l'effet d'une grande charité que de vouloir, avec le
secours de la grâce, corriger plutôt l'erreur d'un frère incon-
sidéré que de le séparer de l'unité, comme les évêques son-
gent à le faire. Mais que puis-je dire là-dessus par écrit,
comme vous souhaitez que je le fasse, après que je n'ai pu
de vive voix, par la douceur et l'humilité, vous faire rentrer
dans le chemin de la vérité? Quand on parle de la grâce de
Dieu et du travail de l'homme, on doit bien prendre garde
de ne s'écarter ni à droite ni à gauche; mais il faut tenir le
milieu et suivre le grand chemin Je vous dirai donc en
peu de mots quels sont les sentiments que vous devez avoir
(l) Epist. Fausti, t. I Conc. Gall., p. 148, — Labb., Concil. t. IV, p. 1042.
[475] EN FRANCE. — LIVRE V. 53
avec l'Église catholique, afin que vous ne sépariez jamais de
la grâce de Dieu le travail d'un serviteur fidèle, et que vous
ne détestiez pas moins celui qui enseigne la prédestination à
l'exclusion du travail de l'homme, que celui qui s'attache
aux dogmes de Pélage.
« Anathème donc à celui qui, entre plusieurs impiétés de
Pélage, croit que l'homme naît sans péché, et qui, par une
damnable présomption, prétend qu'il peut se sauver par son
seul travail et être délivré sans la grâce de Dieu.
« Anathème à celui qui soutient qu'un homme qui, ayant
été baptisé et confessant la foi, vient ensuite à succomber aux
plaisirs et aux tentations du monde, périt en Adam et par le
péché originel.
« Anathème à celui qui dit que l'homme est précipité dans
la mort par la prescience de Dieu.
« Anathème à celui qui dit que l'homme damné n'a pas
reçu le moyen de se sauver : ce qu'on entend de celui qui a
été baptisé, ou d'un païen qui est parvenu à l'âge de pouvoir
croire et qui ne l'a pas voulu.
« Anathème à quiconque dit qu'un vase d'ignominie ne
peut parvenir à être un vase d'honneur.
« Anathème à quiconque dit que Jésus-Christ n'est pas
mort pour tous les hommes, et qu'il ne veut pas que tous
les hommes soient sauvés. »
Fauste ajoute, en s'adressant toujours à Lucide : « Quand
vous viendrez nous trouver au nom de Jésus-Christ, et que
vous serez cité devant les évêques assemblés, alors nous vous
produirons des témoignages propres à confirmer le senti-
ment catholique et à réfuter l'erreur opposée. Pour nous,
nous enseignons, selon la doctrine de Jésus-Christ, avec vérité
et avec confiance, que celui qui a péri par sa faute aurait pu
être sauvé par lâT grâce, s'il n'avait pas refusé de coopérer à
cette grâce par son travail; et que celui qui par la grâce, à
laquelle il a joint l'obéissance, est parvenu au terme d'une
heureuse fin, a pu tomber par sa lâcheté et périr par sa
54 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [475]
faute. C'est ainsi que , suivant Jésus-Christ pour guide, nous
tenons un juste milieu. Après la grâce, sans laquelle nous ne
sommes rien, nous établissons le travail d'une servitude
officieuse ; mais nous excluons en toute manière l'arrogance
et la présomption du travail... »
Fauste fait ensuite une pressante exhortation à Lucide
pour le porter à détester ses erreurs, et il termine cette
lettre en lui disant qu'il en conserve une copie pour la pro-
duire, s'il est nécessaire, jians le concile; qu'il le prie de lui
renvoyer signé de sa main l'exemplaire qu'il lui adresse;
que s'il refuse de le faire, il prendra son silence pour une
preuve de son opiniâtreté et se croira obligé de le dénoncer
au concile.
Fauste, pour donner plus d'autorité à sa lettre, la fît signer
par onze évêques, parmi lesquels on voit S. Patient de Lyon,
S. Euphrone d'Autun, S. Eutrope d'Orange (1) et Mégèthe,
qu'on croit évêque de Belley.
Cette lettre de Fauste, qui est un fort beau monument
contre l'hérésie prédestinatienne, fît impression sur l'esprit
de Lucide, et les décrets du concile achevèrent de le dé-
tromper. Il fit une rétractation conforme à ces décrets, et il l'a-
dressa aux Pères du concile. Il les nomme tous au commen-
cement de sa lettre, et nous apprend par là les noms de ces
trente évêques. Les plus connus sont : Léonce d'Arles, S. Pa-
tient de Lyon, S. Euphrone d'Autun, S. Jean de Chalon-sur-
Saône, S. Mamert de Vienne, Fauste de Riez, S. Eutrope
d'Orange, Fontéiusde Yaison, S. Marcel de Die, Basile d'Aix,
Grec de Marseille et Crocus de Nîmes, qui avait été rendu à
son Église (2). Nous croyons devoir rapporter ici cette rétrac-
(1) Fleury, t. VI, p. 588, dit que, parmi les évêques qui signèrent cette lettre,
il n'y a que Patient de Lyon qu'on connaisse. Il oublie qu'en parlant des évê-
ques à qui Lucide adresse sa rétractation , il a dit que S. Euphrone était évêque
d'Autun. Dans quelques manuscrits cette lettre ne porte que la signature de
Fauste^ qui l'a écrite.
(2) Le P. Duchesne, jésuite, dans son Histoire du prédestinatianisme , dit que
l'évêque Claude qui assista à ce concile est le célèbre S. Claude de Besançon.
[475] EN FRANCE. — LIVRE V. 55
tation de Lucide, afin de faire mieux connaître les erreurs
des prédestinatiens.
« Votre réprimande, dit-il aux Pères du concile, est le
salut de tous, et votre sentence est un remède qui guérit
veux qu'elle frappe. C'est pourquoi je crois que le meilleur
moyen d'excuser mes erreurs passées, c'est de m'en accuser:
et ce n'est que par un aveu salutaire que je prétends m'en
justifier. Aussi, me conformant aux nouveaux décrets du
concile, je condamne avec vous les opinions exprimées dans
les propositions suivantes ; savoir :
« Qu'il ne faut pas joindre à la grâce divine le travail de
l'obéissance humaine.
« Qu'après la chute du premier homme le libre arbitre a
été entièrement éteint.
« Que Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur, n'a pas
souffert la mort pour le salut de tous.
« Que la prescience de Dieu fait violence à l'homme pour
le précipiter dans la mort, ou que ceux qui périssent, péris-
sent par la volonté de Dieu.
« Que quiconque pèche après avoir reçu le baptême en-
court la mort (éternelle) à cause du péché d'Adam.
« Que les uns sont prédestinés à la mort, et les autres à
la vie.
« Que depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ, nul des hommes
n'a été sauvé par la foi en la venue de Jésus-Christ, avec le
secours de la première grâce, qui est la loi naturelle, parce
qu'ils avaient perdu le libre arbitre en Adam.
Mais cet historien, exact d'ailleurs, se trompe en ce point. Ceux qui placent le
plus tôt S. Claude, le font assister au concile d'Epaone en 517, et l'on trouve en effet
un Claude de Besançon dans les souscriptions de ce concile. Or, comme ce saint
évêque, qui abdiqua l'épiscopat pour se faire moine, tint le siège peu d'années, il
ne peut avoir été évêque en 475 et en 517. Le même auteur se trompe encore
lorsqu'il dit que Pragmace qui se trouva à ce concile contre les prédestinatiens,
est S. Pragmace d'Autun : c'était S. Euphrone qui était alors évêque de cette
ville. Car nous savons certainement qu'il vivait encore l'an 475, puisque S. Per-
pétue, dans son testament, daté du premier mai de cette année, lui fait un legs.
S. Pragmace, qui succéda à S. Euphrone, assista en 517 au concile d'Epaone.
56 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [475]
« Que les patriarches, les prophètes et les plus grands
saints ont été reçus dans le paradis avant le temps de la ré-
demption.
« Je condamne tous ces sentiments comme impies et sa-
crilèges. J'admets tellement la grâce de Dieu que j'y joins
les efforts de l'homme, et je dis que le libre arbitre n'a pas
été éteint, mais affaibli; que celui qui est sauvé a été en
péril, et que celui qui est damné a pu être sauvé; que Jésus-
Christ, Dieu et Sauveur, a offert le prix de sa mort pour tous les
hommes, selon les richesses de sa bonté; qu'il ne veut point
que personne périsse, lui qui est le Sauveur de tous les
hommes, principalement des fidèles, et qui est riche pour tous
ceux qui l'invoquent (1).
« Et pour décharger entièrement ma conscience dans une
affaire si importante, je me souviens d'avoir dit auparavant
que Jésus-Christ n'était venu que pour ceux qu'il avait prévu
devoir croire en lui, m'autorisant de ces paroles du Seigneur :
Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour
servir et pour donner sa vie pour plusieurs; et de ces autres :
C'est le calice de mon sang qui fait le testament nouveau, et
qui sera répandu pour le salut de plusieurs (2) . Mais à pré
sent que je suis mieux instruit par l'autorité des témoignages
que l'on trouve en grand nombre dans les divines Écritures,
selon l'interprétation et la doctrine des anciens, je recon-
nais volontiers que Jésus-Christ est venu aussi pour ceux qui
se sont perdus, parce qu'ils se sont perdus malgré lui, n'é-
tant pas permis de restreindre à ceux qui ont été sauvés les
bienfaits de Dieu et les richesses de son immense bonté.
Car si nous disons que Jésus-Christ n'a apporté le remède
que pour ceux qui ont été sauvés, nous paraîtrons absoudre
ceux qui n'ont point été rachetés, quoiqu'il soit constant
qu'ils ont été punis pour avoir méprisé la rédemption.
« Je reconnais aussi que dans le cours des siècles qui se
(1) II Petr. m, 9. — Tim. iv, 10. — Rom. x, 12. — (2) Matth., x, 28;
xxvi, 28.
[475] EN FRANCE. — LIVRE V. 57
sont écoulés, les uns ont été sauvés par la loi de grâce, les
autres sous la loi de Moïse, et d'autres enfin sous la loi natu-
relle écrite par le Seigneur au fond de tous les cœurs ; mais
qu'ils l'ont tous été par l'espérance de l'avènement de Jésus-
Christ, et que depuis le péché d'origine personne n'a été délivré
que par l'intercession de son sang sacré. Je confesse pareil-
lement l'éternité des feux de l'enfer destinés aux crimes
capitaux, parce que la justice divine y punit toujours juste-
ment les péchés qui subsistent toujours; et je suis persuadé
que ceux qui ne croient pas cette vérité de tout leur cœur,
encourent avec justice ces peines éternelles.
« Priez pour moi, saints évêques. Moi Lucide, de ma
main, je souscris cette lettre que j'ai écrite; j'approuve tout
ce qui y est approuvé, et je condamne tout ce qui y est con-
damné (1). »
Un acte si authentique, dressé sur les décrets mêmes du
concile d'Arles, peut suppléer aux actes de ce concile, qui
sont perdus. Il suffit pour nous faire connaître quels dogmes
y furent définis contre le prédestinatianisme, et pour con-
vaincre les plus incrédules que cette hérésie n'est pas un
fantôme, comme on a tâché de le persuader (2). Il paraît, par
le dernier article de la confession de foi de Lucide, que
quelques prédestinatiens avaient pris le parti de nier l'éter-
nité des peines de l'enfer, apparemment pour diminuer
l'horreur que donne naturellement l'idée d'un Dieu qui con-
damnerait ses créatures à des feux éternels pour des péchés
personnels qu'elles n'auraient pu éviter.
Les Pères du concile reçurent avec joie la rétractation de
Lucide, et comme, après le Seigneur, ils en attribuèrent la
(1) Labb., t. IV, p. 1ÛU.
(2) Quelques-uns de ceux qui avaient intérêt à faire passer le prédestinatia-
nisme pour une hérésie imaginaire, ont accusé Fauste d'avoir supposé ce concile,
aussi bien que la rétractation de Lucide. D'autres se sont contentés de traiter les
trente évêques du concile d'Arles de semi-pélagiens, qui ont condamné la saine
doctrine. Une cause est bien désespérée quand, pour la soutenir, on produit de pa-
reilles défenses.
53 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [475]
gloire au zèle et à la lettre de Fauste, ils le chargèrent
d'écrire contre l'hérésie prédestinatienne et de rédiger en
ordre les raisons qu'on avait produites dans le concile pour
combattre ces erreurs. Fauste s'acquitta avec plaisir d'une
commission si honorable. Il composa un ouvrage divisé en
deux livres sur la grâce et le libre arbitre. Mais, avant qu'il
l'eût rendu public, il se tint à Lyon un second concile contre
les prédestinatiens, et ce concile chargea Fauste d'ajouter à
son ouvrage la réfutation de quelques nouvelles erreurs,
qu'on avait découvertes chez ces sectaires. C'est ce que
Fauste nous apprend lui-même (1).
Il adressa ces deux livres à Léonce d'Arles dans une lettre
en forme de préface, qui figure en tête de l'ouvrage, et dans
laquelle il dit ces paroles remarquables : « Il est utile et sa-
lutaire d'établir la grâce, quand on y joint l'obéissance d'un
travail qui en dépend. C'est comme un serviteur qui doit
toujours suivre son maître ou son seigneur : s'il arrive que
l'un soit sans l'autre, alors le maître sans serviteur paraît
sans honneur; et le serviteur sans son maître, oubliant sa
condition, ose prendre la place du maître. »
Il serait à souhaiter que dans la suite de l'ouvrage Fauste
n'eût pas oublié cette maxime. Ses écrits n'auraient pas été
flétris, comme ils le furent dans la suite par le décret attribué
au pape Gélase. Mais la haine d'une hérésie qu'il combattait
le fit donner dans l'écueil opposé, et l'on s'aperçoit aisément,
par la lecture de ces deux livres, qu'il ne reconnaît pas la
nécessité d'une grâce prévenante pour le commencement de
la bonne action. Il parle cependant avec éloge de S. Augustin
dans le second livre (2). Ce qui est d'autant plus remar-
quable qu'il avait dit, dans une lettre à un diacre appelé
Grec (3), « qu'il y avait quelque chose dans les écrits de ce
saint docteur que les plus savants tenaient pour suspect (4). »
(I) In Prœfat. operis. — (2) L. II, c. xn.
(3) On croit, sur des conjectures assez plausibles, que ce diacre nommé Grec est
celui qui fut élevé sur le siège de Marseille après S. Eustase.
(4) Fausti Ep. ad Grec.
[475] EN FRANCE. — LIVRE V. 59
Fauste composa aussi un livre sur le Saint-Esprit, et un autre
contre les ariens et les macédoniens ; ces deux livres sont
perdus. Enfin, il reste de lui plusieurs lettres, et une entre
autres, pleine d'instructions convenables aux personnes qui
embrassent la vie pénitente, adressée à Félix, ancien préfet
jdu prétoire; nous avons encore de Fauste quelques-unes des
(: homélies attribuées à Eusèbe d'Emèse, et nommément celle
f qui contient le panégyrique de S. Maxime (1).
S. Sidoine estimait tant les ouvrages de Fauste , qu'ayant
appris qu'un abbé nommé Riocate (2), qui avait passé par la
ville d'Auvergne, portait en Bretagne un nouvel écrit de cet
auteur, il courut lui-même fort loin après le porteur, et,
l'ayant atteint, il lui embrassa les genoux et ne le quitta
pas qu'il ne lui eût montré l'ouvrage, dont il fit sur-le-
i champ quelques extraits. Après quoi il revint avec autant de
joie que s'il eût été chargé d'un riche butin (3).
Ce saint évêque ne donne pas aux vertus de Fauste des
j éloges moins grands qu'à ses ouvrages. Il le compare à
S. Honorât et à S. Maxime, et nous apprend qu'il retournait
de temps en temps à Lérins pour s'y délasser de ses fonc-
tions épiscopales en servant ses frères, ou qu'il se retirait
| dans quelque solitude des Alpes pour y vaquer plus en re-
pos à l'oraison. Il ne buvait jamais de vin, et ne mangeait
presque rien de cuit. Toujours occupé de pratiquer la cha-
rité, tout son temps était consacré à prêcher son peuple (4),
(1) Gennad. de Script, eccles., c. lxxxv.
(2) On trouve un S. Riocate dans d'anciennes litanies à l'usage des Églises d'An-
gleterre. Ce peut être celui dont il est ici parlé. Sidoine le nomme (Analect., t. I.)
autistes et monachus: le terme (Tantistes peut signifier un évêque, mais on peut
aussi l'entendre d'un abbé, ou même d'un prêtre, qui est un prélat du second ordre,
antistes ordine in secundo, comme dit ailleurs Sidoine.
(3) Sid., 1. IX, Ep. ix.
(4) S. Sidoine dit que Fauste se tenait sur les degrés de l'autel pour annoncer
la parole divine, et que son peuple l'entendait debout. C'était en effet la coutume
de prêcher du sanctuaire et d'entendre le sermon debout. Cet usage n'était ce-
pendant pas universel. S. Augustin (de Cathed. Rudibus, c. xm) nous apprend qu'il
y avait des églises d'outre-mer où les auditeurs étaient assis : ce que le saint
docteur dit être plus convenable , parce qu'on était moins fatigué de la longueur
du sermon. On remarque aussi que S. Jean Chrysostome et quelques autres évêques
60 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE 1.475]
à consoler les prisonniers, à nourrir les pauvres et à ense-
velir les morts. On le vit quelquefois charger sur ses épaules
des cadavres envahis déjà par la corruption et les porter
jusqu'au bûcher (1), ce qui indique qu'alors on brûlait encore
quelquefois les morts. L'exil qu'il souffrit pour la foi, ainsi
que nous l'avons dit, couronna toutes ces vertus. Il mourut
fort âgé (2) dans son Église, on ignore la date de sa mort.
Quoique les écrits de Fauste aient été flétris avec justice,
sa mémoire ne l'a pas été, parce qu'il écrivait avant que
l'Église eût condamné comme une hérésie les opinions qu'il
a soutenues. Il est honoré avec la qualité de saint (3) à Riez,
où il existe une église dédiée en son honneur. Malgré les
taches que laissent dans les ouvrages de Fauste de si dan-
gereuses erreurs, on peut dire qu'on y trouve l'onction de
la piété unie à la force de l'éloquence et du raisonnement.
Sidoine dit de lui qu'il semblait avoir épousé la philoso-
phie, après l'avoir rendue humble et chrétienne , et qu'il avait
fait servir l'académie de Platon à la défense de l'Église de
Jésus-Christ. Il ajoute que Fauste parlait mieux qu'il n'avait
appris, et qu'il vivait mieux qu'il ne parlait (4). Le bon cœur
de S. Sidoine le rend toujours éloquent quand il loue ses
prêchaient de l'ambon, pour être mieux entendus. L'ambon était une tribune élevée
entre le chœur et la nef. Il faut le distinguer de l'abside, qui était derrière l'autel
en hémicycle. La partie inférieure de l'abside se nommait la conque, à cause de sa
figure. Nous voyons par quelques exemples qu'on montait par des degrés dans
l'abside pour se faire voir au peuple : ce qui peut faire regarder la partie su-
périeure de l'abside, qui était faite en forme d'arche, comme une espèce de jubé ;
le mot d'abside se prend aussi quelquefois pour tout le sanctuaire.
(1) Carm. xvi.
(2) Il fallait que Fauste fût bien âgé, puisque Sidoine (lib. IX, Ep. ix) dit qu'il
comptait déjà ses années sur la main droite. Car cette expression signifie qu'il avait
plus de cent ans. En effet, les anciens, qui exprimaient les nombres par certaines
inflexions des doigts, comptaient sur la gauche jusqu'au nombre de cent, et en-
suite on passait à la droite, où lorsqu'on avait compté jusqu'à dix mille, on re-
venait à la gauche. C'est en ce sens que pour marquer le grand âge de Nestor,
Juvénal a dit : Suos jam dextra computat annos. (Satyr., x).
(3) Baronius, au tome VI de ses Annales, s'était exprimé en termes durs
contre ceux qui donnaient à Fauste la qualité de saint. Mais, ayant été mieux
instruit, il se rétracta. Fauste est honoré le 16 janvier, et non le 17, comm(
Baronius et après lui le P. Duchesne l'ont dit. Quelques-uns en marquent la fêtt
à liiez au 28 septembre.
(4) Sic!., 1. IX, Ep. ix.
175] EN FRAXCE. LIVRE V. 61
mis. Mais il les servait encore mieux qu'il ne les louait.
Ce saint évêquc, profitant apparemment de la paix accor-
lée par Evaric, fit un voyage à Toulouse, où ce prince tenait
,a cour. Il se chargea d'y intercéder auprès d'un de ses an-
liens amis, nommé Maxime , en faveur d'un débiteur mori-
|>ond à qui Maxime avait prêté une somme d'argent à in-
érêt. Sidoine le trouva dans une maison de campagne, mais
bien différent de ce qu'il l'avait connu autrefois. Sa démarche,
;es habits, son air, ses discours, tout respirait la piété.
[l portait les cheveux courts et la barbe longue. Ses meubles
i itaient simples : au lieu de chaises , il avait des escabeaux à
:rois pieds, et les rideaux des portes étaient d'une étoffe
grossière. Il n'y avait pas de plume dans son lit ni de tapis
le pourpre sur sa table. Elle était très-frugale, et l'on y
servait plus de légumes que d'autres mets. Sidoine, fort sur-
pris de voir cette réforme dans la manière de vivre de Maxime,
iemanda secrètement à ses gens s'il était moine , clerc ou
pénitent. On lui répondit que les citoyens l'avaient contraint
depuis peu d'accepter l'épiscopat (1).
Ce fait est remarquable en ce qu'il fait voir que les clercs ,
les moines et les pénitents étaient distingués alors des autres
fidèles par l'habit et par la manière de vivre ; mais qu'ils ne
l'étaient pas toujours entre eux, en sorte que Sidoine ne put
connaître lequel de ces trois genres de vie son ami avait
embrassé. On voit aussi par là que les ecclésiastiques por-
taient quelquefois la barbe longue , usage qui fut dans la
suite aboli en Occident.
Maxime accorda non-seulement le délai du payement , il
remit encore tous les intérêts, qui depuis dix ans montaient
plus haut que le principal. Car l'intérêt était un centième
chaque mois ; mais quand les intérêts accumulés surpassaient
(1) Sid., 1. IV, Ep. xxiv. — Fleury, t. VI, p. 595, dit qu'on peut croire qu'il
n'était que prêtre. Mais le mot de sacerdotium, dont se sert Sidoine, est plus sou-
vent pris pour l'épiscopat , et ce qu'ajoute cet auteur, que l'amour des citoyens l'y
arait engagé, ne laisse presque aucun lieu de douter qu'il ne s'agisse d'une élection
à l'épiscopat.
62 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [475]
le capital, on ne payait point le surplus. L'Église n'approu-
vait pas ces usures permises par les lois civiles : ce qui fait
dire à Sidoine que Maxime , en agissant si généreusement ,
n'avait pas moins eu égard à sa conscience qu'à sa réputa-
tion. Maxime avait été un des officiers qu'on nommait pala-
tins, et qui étaient chargés du recouvrement des impôts. Il
avait été ordonné depuis peu évêque, apparemment de Tou-
louse, et sans doute après la paix dont nous avons parlé.
Cette paix, heureuse pour toute l'Église, fut surtout pour
S. Sidoine la cause d'une grande joie, en lui permettant de
renouer le commerce de lettres qu'il entretenait avec ses
amis. S. Eutrope, évêque d'Orange, était du nombre. Sidoine
lui écrivit alors pour savoir l'état de sa santé et le prier
de lui envoyer quelques mots d'exhortation pour le soute-
nir (1). S. Eutrope était originaire de Marseille. Il reçut le
diaconat des mains de S. Eustase, qu'on croit avoir succédé
à Yénérius. Ensuite il fut élu évêque d'Orange. La désola-
tion où il trouva cette ville lui donna l'envie d'éviter par la
fuite le fardeau que son élection lui imposait; mais il fut
détourné de ce dessein par un disciple de S. Augustin
nommé Aper , et comme les biens de son Église avaient été
pillés , il s'adonna à l'agriculture et pourvut à sa subsistance
par le travail de ses mains. C'est ce que nous apprend un
fragment de sa Yie composée par Yérus, son successeur. Il
est écrit avec un caractère de vérité qui nous fait regretter
d'avoir perdu le reste. S. Eutrope est honoré le 27 mai (2).
La paix, qu'on avait eu tant de peine à conclure entre les
Romains et les Yisigoths , fut bientôt rompue par une nou-
velle révolution, qui renversa enfin l'empire d'Occident,
ébranlé par tant de secousses redoublées. Oreste, maître de
la milice, ayant chassé l'empereur Népos au mois de septem-
bre l'an 475, ne voulut pas prendre la pourpre; mais il la
fît donner à son fils Romulus ou Momyllus Augustulus (3) ,
(1) Sid., 1. VI, Ep. vi. — (2) Apud Bolland, 27 maii.
(3) Ducange rapporte une médaille qui donne à cet empereur le nom de Ro-
[476] EN FRANCE. — LIVRE V. 63
prince faible par son âge et par son caractère. Aussi n'eut-il
guère que le titre d'empereur, et il ne l'eut pas longtemps.
Evade prit occasion de ces nouveaux troubles pour recom-
mencer ses hostilités dans la Gaule , sans autre motif que le
désir d'étendre ses conquêtes ; mais pour lui le motif était
suffisant. Les guerres utiles paraissent toujours des guerres
justes aux yeux des ambitieux. Si l'Auvergne n'avait pas été
cédée par le traité à ce roi goth , comme il semble qu'elle le
fut, il ne tarda pas à s'en rendre le maître, et il y établit le
comte Yictorius pour gouverneur.
Evaric ne pardonna pas à S. Sidoine le zèle avec lequel
il avait si longtemps combattu pour la liberté de sa patrie.
Il le confina au château de Liviane, près de Garcassonne,
où une des plus grandes incommodités qu'eut à supporter
le saint évêque fut le voisinage de deux vieilles femmes
presque toujours ivres, qui par leurs cris et leurs querelles
l'empêchaient d'étudier le jour et de reposer la nuit. Mais le
mérite de Sidoine lui fit trouver des amis à la cour même
d'Evaric. Léon, conseiller de ce prince, distingué par son
érudition , son éloquence et sa probité , fit tant par ses bons
offices qu'il obtint son rappel. Le saint évêque, pour lui en
marquer sa reconnaissance, transcrivit (1) pour lui et cor-
rigea de sa main un exemplaire qu'il lui avait demandé de
la vie d'Apollonius de Thyane, ce fameux philosophe et
magicien qui fut peut-être le plus grand imposteur qui ait
paru, si l'on excepte son historien Philostrate. Quelques enne-
mis du christianisme ont cependant osé mettre les miracles
attribués à Apollonius en parallèle avec ceux mêmes de Jésus-
Christ ; mais il a été facile aux docteurs de l'Église de con-
mulus ; il y en a d'autres qui lui donnent celui de Momyllus et d'Augustulus : ce
qui marque que ce dernier nom ne lui fut pas donné par dérision, comme quelques-
uns l'ont cru.
(1) Sid.,1. VIII, £p. m. — Quelques expressions pourraient faire croire que Sidoine
traduisit cet ouvrage du grec, et Fleury le dit. Mais le P. Sirmond, dans ses
notes, montre qu'il ne fit que le corriger et le transcrire : c'est ce que les auteurs
de ce siècle entendaient par le mot transferre.
64 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [476]
fondre l'imposture. En effet, les fables visibles qu'on dé-
couvre dans l'écrit de Philostrate, ne peuvent servir auprès
des esprits sensés qu'à donner un nouvel éclat à la vérité
simple et sans fard qui brille dans nos Évangiles.
Léon, qui connaissait les talents de Sidoine, le pria aussi
de composer un corps d'histoire : il s'en excusa sur sa pro-
fession. « Il est honteux à un clerc, dit-il, de dire des faus-
setés, et il est dangereux de dire la vérité (1). » S. Prosper,
évêque d'Orléans, s'adressa à lui pour un sujet moins étendu.
Il avait succédé à S. Agnan, et il crut ne pouvoir rien faire
de plus glorieux à la mémoire de son prédécesseur que
d'engager un si habile écrivain à composer l'histoire de la
guerre d'Attila. Sidoine, qui la regarda comme une histoire
sainte à cause de la délivrance miraculeuse de la ville d'Or-
léans , entreprit de l'écrire ; mais il fut si peu content de son
travail après l'avoir relu qu'il ne put se résoudre à y mettre
la dernière main. Il écrivit donc à ce sujet une lettre à Pros-
per, dans laquelle il lui marque qu'il espère trouver une autre
occasion de travailler à la gloire de S. Agnan, qu'il com-
pare à celle de S. Loup et de S. Germain (2).
Le comte Yictorius (3) gouverna d'abord l'Auvergne avec
plus de bonté qu'on ne devait en attendre d'un ministre
d'E varie, et il n'omettait rien pour consoler S. Sidoine de l'es-
clavage de sa patrie. Ils assistèrent ensemble à la mort de
S. Abraham, premier abbé du monastère de Saint-Cyr dans
un faubourg de la ville d'Auvergne.
Le comte fit tous les frais des funérailles, qui furent ma-
gnifiques, et Sidoine composa l'épitaphe. Ce saint abbé était
né sur les bords de l'Euphrate ; mais , à l'exemple du saint
patriarche dont il portait le nom, il quitta son pays pour
(1) L. IV, Ep. xxii.
(2) Sid., 1. VIII, Ep. xv.
(3) Sidoine ne donne à Victorius que la qualité de comte ; mais Grégoire de
Tours le nomme duc et dit qu'il avait le gouvernement de sept villes. Quoique
les noms de comte et de duc fussent souvent alors confondus , on appelait com-
munément comte le gouverneur d'une ville, et duc celui d'une province.
j 476 1 EN FRANCE. — LIVRE V. 65
suivre la vocation de Dieu , qui mit aussi sa foi à de rudes
épreuves. Gomme il allait visiter les solitaires d'Egypte, il
fut pris par des idolâtres et détenu cinq ans prisonnier, en
haine du christianisme, par ordre du roi de Perse. Ayant été
délivré miraculeusement, il passa en Occident, où sa vertu
et son pouvoir sur les possédés lui attirèrent de grands
respects. Pour s'y soustraire, il alla se cacher dans l'Au-
vergne et il se bâtit près de la capitale de cette province une
petite cabane couverte de chaume. L'éclat de sa vertu trahit
son humilité. Des disciples vinrent se ranger sous sa con-
duite en assez grand nombre pour former un monastère , où
il bâtit une église en l'honneur de S. Gyr, jeune enfant
martyrisé en Gilicie avec sa mère Ste Julitte (1). S. Abraham
est honoré le 15 juin (2).
Auxanius lui succéda dans la dignité d'abbé ; sa sainteté lui
attirait la vénération de tous, mais il n'avait aucun des ta-
lents nécessaires au gouvernement d'une communauté. Une
santé délabrée et un naturel timide le rendaient plus propre
à obéir qu'à commander. Il ne pouvait se faire craindre de
|ses inférieurs, parce qu'il les craignait. C'était un de ces
hommes de bien que leur vertu fait respecter tant qu'ils
n'occupent aucune charge, et que leur faiblesse fait mépri-
ser quand ils sont en place. Mais il ne s'aveugla pas jusqu'à
!! ne point voir le mal auquel il n'avait pas le courage de porter
remède, et il en écrivit à S. Sidoine, son évêque (3). Sidoine
pria Yolusien , qu'il nomme son frère (4) , d'exercer le droit
l'inspection sur le monastère, d'assister l'abbé de ses con-
heils, de le soutenir de son autorité contre les réfractaires
ht d'établir dans la communauté les observances de Lérins
[du de Grigny.
(1) Sidon.,1. VIT, Ep. xvii. — Greg. Tur., de Vitis PP., c. ni.
(2) Ce monastère devint plus tard l'église paroissiale de Saint-Cyr, vulgairement
kint-Cyrgues. Ce saint est nommé en quelques autres provinces S. Gyerx, S. Cyure
•■t S. Cryq.— (3) Sid., 1. VII, Ep. xvn.
(4) Le P. Sirmond croit que Volusien était en effet frère de Sidoine selon
a chair; Savaron croit plutôt que le nom de frère n'est ici qu'un terme d'amitié,
j 1 est difficile de décider entre ces deux savants hommes.
TOME II. O
66 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [416\
S. Sidoine étant allé un jour célébrer une fête dans le
monastère de Saint-Cyr, on lui déroba le livre dont il se ser-
vait pour faire l'office : c'était apparemment son missel (1),
qu'il avait composé. Mais il y suppléa sur-le-champ avec au-
tant de facilité que s'il eût eu le livre devant les yeux.
Il y avait aussi en Auvergne du temps de S. Sidoine un
saint prêtre nommé Amable. Il vécut longtemps à Riom, qui
n'était alors qu'une bourgade, livré tout entier à la pratique du
saint ministère. Il vint ensuite dans la ville d'Auvergne, où il
mourut saintement. Son tombeau acquit une grande célébrité
parles miracles qui s'y opérèrent. Grégoire de Tours dit avoir
vu un possédé qui y fut délivré du démon, et un parjure
qui y devint tout à coup paralytique, jusqu'à ce qu'il eût con-
fessé son crime (2).
Il y a lieu de croire que c'est environ en ce temps que vivait
dans la même province une sainte vierge nommée Géorgie,
qui est honorée le 15 février (3). Nous en avons une ancienne
épitaphe, qui nous apprend seulement qu'elle consacra à
Dieu sa virginité pour se délivrer de l'importunité de ceux
qui la recherchaient en mariage.
Malgré tous ces exemples de vertu qu'on voyait en Auver-
gne, le comte Yictorius avait bientôt démenti les sentiments
de piété qu'il avait fait paraître dans les commencements de
son gouvernement. Il fît mourir injustement un des plus
illustres sénateurs de la ville, nommé Eucher, et il se rendit
odieux et méprisable par ses impudicités. Rien n'avilit Tau
torité comme les désordres de ceux qui en sont revêtus. Le
habitants de l'Auvergne se soulevèrent contre Yictorius, et c
magistrat , pour se soustraire à la vengeance d'un peuple irrité
(1) Grégoire de Tours dit qu'il avait fait un recueil des messes composées par
Sidoine. C'est peut-être le même ouvrage que Sidoine envoya à l'évêque de Mé-
gèthe, et qu'il nomme Contestatiunculas. Car contestatio était, dans l'ancienne
liturgie gallicane, ce que nous nommons aujourd'hui la préface ; la plupart desmesses
avaient une contestation ou préface propre. V. Greg. Tur., 1. II, c. xxii.
(2) De Glor. conf., c. xxxiii.
(3) Il y a dans un faubourg de Clermont une église paroissiale de sou nom.
[476] EN FRANCE. — LIVRE V. 67
fut obligé de s'enfuir de la province après l'avoir gouvernée
neuf ans. Ce qu'il y eut de plus funeste, c'est que sa disgrâce
ne put guérir son infâme passion, qui le fit enfin périr miséra-
blement à Rome, où il s'était retiré auprès d'Odoacre, roi des
Hérules (1).
Ce prince, choisi parla Providence pour détruire l'empire
d'Occident, entra en Italie l'an 476 avec une puissante armée.
C'était un nouvel Annibal, et les anciens Romains n'existaient
plus. Tout plia sous sa puissance. Il précipita aisément de son
trône l'empereur Romulus ou Momyllus Augustule, qu'il mé-
prisa assez pour le laisser vivre; et après avoir donné, par la
prise de Rome, le dernier coup à l'empire, il en éteignit jus-
qu'au nom dans l'Occident, en prenant le titre de roi d'Italie,
qu'il jugea peut-être plus glorieux que celui d'empereur.
C'est ainsi que le plus puissant empire du monde fut détruit
sous un empereur nommé Romulus, environ douze cent
vingt-huit ans après qu'un autre Romulus en avait jeté les
premiers fondements avec ceux de la ville de Rome. Exemple
bien éclatant de la vicissitude des puissances humaines les
mieux affermies. Ce ne sont pas seulement les sujets et les
rois qui passent et disparaissent : les royaumes mêmes finis-
sent. Il n'y a que celui que Jésus-Christ a établi par sa croix
qui subsistera toujours.
Dans la confusion générale qui suivit ce grand événement,
les nations barbares déjà établies dans l'empire se jetèrent
sur les provinces qui étaient à leur convenance, et d'autres
accoururent pour avoir part aux dépouilles de ce vaste corps.
Le comte Gilles (2), qui avait si bien défendu la Gaule pour
les Romains, était mort dès l'an 464. Son fils Syagrius hérita
de sa charge, sans hériter de son mérite ; il s'efforça de
(1) Greg. Tur. Hist., 1. II, c. xx.
(2) Grégoire de Tours dit que les Francs, ayant chassé Childéric, reconnurent
pour leur roi le comte Gilles, qui les gouverna pendant huit ans, après quoi Chil-
déric fut rappelé. Mais le P. Daniel a montré que ce règne d'un général romain
sur les Francs n'est qu'une fable.
68 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [480]
conserver les provinces qui n'obéissaient pas encore aux bar-
bares, et se fit en effet une espèce de royaume clans les pays
situés entre l'Oise et la Loire. D'un autre côté, les Bretons éta-
blis clans un coin de l'Armorique y étendirent leurs limites.
De nouvelles colonies de leurs compatriotes vinrent se joindre
à eux, pour fuir la domination des Anglo-Saxons et se con-
soler, en conservant leur liberté, de la perte de leurs autres
biens. Le zèle et l'amour de la pénitence y conduisirent aussi
un grand nombre de moines et de missionnaires bretons, qui
y travaillèrent avec succès à étendre le royaume de Jésus-
Christ, comme nous le verrons dans la suite. Mais, à la réserve
de ces provinces les plus éloignées, le reste de la Gaule devint
en peu d'années la proie des Bourguignons et des Yisigoths.
Ces peuples, n'ayant plus à redouter la puissance de l'em-
pire, fantôme dont l'ombre seule leur inspirait encore quelque
crainte, ne voyaient plus rien qui pût les troubler dans la
possession de leurs nouveaux États. Ils ne savaient pas qu'une
conquête est toujours mal assurée quand le conquérant ne
règne pas sur le cœur des peuples qu'il a vaincus. Les Gau-
lois étaient trop attachés à la foi catholique pour aimer le
joug des nations ariennes. Quelque douce que fût d'ailleurs
leur servitude, le danger où ils voyaient leur foi exposée la
leur faisait trouver fort dure. Cependant, comme la vraie reli-
gion n'inspira jamais l'esprit de révolte, ils supportaient le
joug avec patience et sans presque aucune espérance d'en être
délivrés, lorsque Dieu suscita les Francs pour les affranchir
et pour établir dans les Gaules une nouvelle domination, qui
devait y rendre l'Église aussi florissante que l'État.
Les Francs (1) s'étaient depuis longtemps formé un État sur
les bords du Rhin, au delà de ce fleuve, d'où ils se rendaient
formidables aux Gaulois. C'était un des peuples les plus bel-
liqueux et les moins barbares de la Germanie. A travers la
(1) Le P. Longueval désigne les Francs par le nom de Français, qui ne leur a été
donné qu'au IXe siècle, à l'époque de la fusion des deux nations en une seule.
[486] EN FRANCE. — LIVRE Y. 69
rudesse de leurs mœurs , on voyait dès lors éclater en eux des
traits de cette bravoure et de cette courtoisie qui firent dans
la suite le caractère particulier de la nation. Ils avaient souvent
fait des incursions dans les Gaules , même sous le règne des
plus puissants empereurs romains, et il avait fallu toutes les
forces de la république pour les réprimer. Dans la suite, la
faiblesse et la décadence de l'empire leur donnèrent lieu de
franchir toutes les barrières qu'on leur avait opposées. Ils se
répandirent avec de puissantes armées dans toute la Bel-
gique et dans une partie même de la Celtique, sous la con-
duite de Glodion, de Mérovée et de Ghildéric, leurs pre-
miers rois après Pharamond. Mais il paraît qu'ils ne con-
servèrent pas ces provinces ou du moins qu'ils ne s'y établi-
rent pas encore d'une manière stable. Ils cherchaient plutôt
à piller qu'à conquérir, et ils ne jugeaient du succès d'une ex-
pédition militaire que par la richesse du butin qu'ils rempor-
taient. La fondation de la monarchie française dans la Gaule
était réservée à un jeune héros qui devait faire, par cette
conquête , la gloire de sa nation et le bonheur des Gaulois.
Ge fut l'an 486 que Glovis, à l'âge de vingt ans et dans
la cinquième année de son règne, parut sur les bords du Rhin
à la tête d'une nombreuse armée de Francs. Il n'avait ni
moins de bravoure ni moins d'ambition que Ghildéric (1),
(1) En 1653 on découvrit à Tournay, près de l'église de Saint-Brice, le tombeau
de Childéric. Il était plein de richesses et de joyaux, selon la coutume des an-
ciens Francs, qui mettaient dans le tombeau des personnes de qualité une partie
des trésors qu'elles avaient possédés. Il y avait dans celui-ci environ cent médailles
d'or, deux cents médailles d'argent, une épée dont la poignée et le fourreau
étaient ornés d'or, le pommeau de l'épée représentait deux veaux d'or ; de
plus, le fer d'une hache et celui d'un javelot, un étui d'or avec un stylet pour
écrire, une petite tête de bœuf en or, qui était sans doute une idole ; environ trois
cents abeilles d'or, un gkrbe de cristal; enfin un anneau d'or, sur lequel était gravée
la figure de Childéric, tenant de la main droite un javelot avec cette inscription :
CHILDERWI REGIS. Cette particularité fit juger que c'était le tombeau de ce prince.
On y trouva deux têtes d'hommes et la tête d'un cheval. On croit que c'est le
cheval de Childéric qu'on aura enterré avec lui, et que les 300 abeilles d'or or-
naient le caparaçon de ce cheval. Comme on voit des croix sur la plupart des
médailles qui étaient dans ce tombeau , un savant auteur a cru en pouvoir inférer
que Childéric était chrétien. Mais ces médailles sont frappées au coin des em-
pereurs chrétiens, et c'était une partie du butin enlevé aux Gaulois par Childéric.
70 HISTOIRE DE L'EGLISE CATHOLIQUE [486]
son père; mais il montra plus de conduite et joignit à l'ardeur
et à l'impétuosité de la jeunesse la prudence de l'âge mûr.
Étant entré dans les Gaules par la forêt des Ardennes , il
marcha droit à Soissons pour y combattre Syagrius, qui
après la mort du comte Gilles, son père, s'était formé dans
ces provinces un petit État des débris de l'empire romain.
Clovis , sans lui donner le temps de se reconnaître , lui en-
voya présenter la bataille. Syagrius, qui ne manquait pas
de courage, l'accepta avec assez de résolution ; mais la va-
leur des Francs ne laissa pas longtemps balancer la victoire.
Les Romains furent entièrement défaits, et Syagrius se ré-
fugia auprès d'Alaric, roi des Visigoths, qui avait succédé
à son père Évaric l'an 484. Il n'y trouva pas la protection
qu'il espérait : car Clovis (1), voulant assurer sa conquête
par la mort de son adversaire , obligea Alaric à le lui livrer.
A cela près , le vainqueur usa de la victoire avec une modé-
ration qui fît juger qu'il en était digne. Gomme lui et ses
soldats étaient encore idolâtres, il craignit que la- diversité
de religion n'effarouchât les Gaulois : il s'appliqua à les ga-
gner en témoignant du respect pour les évêques et pour
tout ce qui appartenait au culte du vrai Dieu. Il n'empêcha
cependant pas d'abord le pillage des lieux saints, le butin
étant encore l'unique solde de ses troupes.
Les Francs passant près de Reims , quelques soldats se
détachèrent du corps d'armée pour piller une église et enle-
vèrent, entre autres richesses, un vase d'argent d'une beauté
et d'une grandeur extraordinaires. S. Remi, sensible à la perte
de ce vase, députa vers Glovis quelques personnes de son
clergé pour le prier de le faire restituer à l'Église. Le nou-
veau conquérant les reçut avec bonté et leur ordonna de le
(1) Il est bon de remarquer que Clovis et Louis sont le même nom, qu'on pro-
nonçait quelquefois sans aspiration et quelquefois avec une aspiration, laquelle on
exprimait par un C ou par un H. C'est pourquoi on trouve si souvent dans les
anciens auteurs Hludovicus. Cassiodore, qui vivait alors, nomme Clovis Luduin et
Ludovicus. On dit Clovis ou Louis, comme on a dit Chilpéric ou Hilpéric, Clothaire ou
Lothaire,
[491] EX FRANCE. — LIVRE V. 71
suivre jusqu'à Soissons, où devait se faire le partage du butin.
Aussitôt que l'armée y fut arrivée, Glovis fit mettre toutes
les dépouilles dans un même lieu pour en faire les parts, et il
demanda, avant de les tirer au sort , qu'on lui cédât le vase
qui en faisait partie. Tous lui répondirent qu'il pouvait dispo-
ser à son gré non-seulement de ce vase, mais encore du reste
du butin. Il n'y eut qu'un soldat qui ne craignit pas de lui
dire qu'il n'aurait , comme les autres , que ce que le sort lui
donnerait, et en même temps l'insolent déchargea sur ce vase
un coup de sa francisque : c'est ainsi qu'on nommait la hache
qui était l'arme ordinaire des Francs. Tous les assistants
furent indignés de cette audace ; Clovis seul n'en parut
pas ému : il se contenta de prendre le vase et de le rendre en
l'état où il était à S. Remi. Mais l'année suivante, ayant as-
semblé son armée dans le champ de mars , c'est-à-dire pour
la revue générale que les Francs faisaient tous les ans au
commencement du mois de mars, il remarqua ce soldat, et,
prenant prétexte de ce que ses armes ne paraissaient pas en
assez bon état, il visita sa francisque et la jeta à terre. Le sol-
dat s'étant baissé pour la ramasser, Glovis, d'un seul coup, lui
fendit la tête en lui disant : Cest ainsi que tu as frappé le vase
de Soissons (1). Cet exemple de sévérité ne servit pas peu
à maintenir l'autorité de Glovis et â discipliner son armée.
Ce prince se rendit en peu de temps maître de tout le pays
entre le Rhin et la Loire dont les Bourguignons et les Yisi-
goths ne s'étaient pas emparés. Après une expédition contre
le roi de Thuringe , il songea à affermir son nouveau trône
par une alliance digne de sa naissance. Des ambassadeurs
qu'il avait envoyés à Gondebaud, roi de Bourgogne, lui
avaient fait un grand éloge du mérite et de la beauté de la
princesse Glotilde, fille de Ghilpéric, dont Gondebaud, son
frère, avait envahi les États après l'avoir fait mourir. Clovis
envoya un seigneur gaulois nommé Aurélien pour la deman-
(1) Greg. Tur., 1. II, c. xxvii.
72 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [491]
der en mariage. La proposition ne plut pas à Gondebaud. Il
craignait que le roi des Francs ne fit un jour valoir les droits
de Glotilde sur le royaume de Bourgogne ; mais il redoutait
encore plus d'offenser par un refus un jeune conquérant
heureux et entreprenant. La crainte d'une guerre présente
l'emporta sur les vues de la politique. Gondebaud parut con-
sentir au mariage ; mais il éleva des difficultés sur la religion
de Glovis, et témoigna à l'ambassadeur que sa nièce, étant
chrétienne, se résoudrait difficilement à épouser un prince
païen. Au rélien répondit qu'il avait déjà le consentement
de Glotilde. Cette réponse, qui ôtait tout prétexte à Gonde-
baud, l'aigrit : il s'emporta contre sa nièce, qui avait osé
écouter de semblables propositions sans son agrément, et il
ne conclut rien. Glotilde, qui voulait se tirer des mains du
meurtrier de son père et de sa mère , fît avertir Aurélien de
presser l'affaire, parce qu'on attendait d'un jour à l'autre à la
cour de Bourgogne le retour d'Arédius , envoyé par Gonde-
baud à Constantinople. Arédius était l'ennemi déclaré de la
maison de Ghilpéric, et ne manquerait pas de se servir de
l'autorité qu'il avait sur l'esprit de son maître pour empê-
cher ce mariage.
Aurélien fit donc de nouvelles instances, et, Gondebaud
ayant enfin donné son consentement, la princesse fut épousée
au nom de Glovis et partit aussitôt de Chalon-sur-Saône
dans une basterne : c'était une espèce de char couvert, à l'u-
sage des dames (1). La lenteur de cette voiture fît craindre à
Clotilde que Gondebaud n'eût le temps de changer de réso-
lution. Elle proposa à Aurélien de prendre des chevaux pour
sortir au plus tôt des États de Bourgogne et de laisser suivre
la basterne à petites journées. L'événement justifia la sa-
gesse de la précaution. Arédius, arrivé sur ces entrefaites,
avait fait changer d'avis à Gondebaud , qui envoya après Clo-
(1) Plusieurs traits de l'histoire de ces temps nous apprennent que les chars des
dames de qualité étaient souvent traînés par des bœuïs.
[491] EN FRANCE. — LIVRE V. 73
tilde une troupe de cavaliers avec ordre de la ramener. Ils
atteignirent la basterne ; mais ils la trouvèrent vide : Glotilde
était déjà sur les terres de Clovis. Elle arriva peu de jours
après à Soissons , qui était encore la capitale du royaume des
Francs; elle y fut reçue avec tous les honneurs dus à son
mérite et à son rang. Sa présence augmenta l'opinion que
l'on avait conçue de sa beauté et de sa sagesse , et le danger
qu'elle avait couru la rendit plus chère au prince et aux
sujets.
Les Gaulois soumis à la domination de Clovis étaient
presque tous catholiques, et comme Clotilde faisait profes-
sion de la même foi , ils conçurent de ce mariage de grandes
espérances. Cette princesse, quoique élevée à la cour de Bour-
gogne , avait été préservée de la contagion de l'hérésie
arienne, aussi bien que la princesse Chrone, sa sœur, qui avait
voué à Dieu sa virginité. Nous avons vu qu'il y avait eu des
princes bourguignons catholiques, et alors même la reine
Caréténé , qui pouvait être femme de Gondebaud ou de quel-
qu'un de ses frères , vivait dans une grande piété et montrait
un zèle ardent pour la religion catholique (1). Clotilde, qui
n'était pas moins sincèrement attachée à la vraie foi, n'estima
le diadème qu'autant qu'il lui donnait les moyens de la servir.
Elle aimait trop la religion et son mari pour ne pas souhaiter
de procurer à l'Église le plus puissant protecteur, et à Clovis
un bien plus précieux que toutes les couronnes de la terre.
Elle lui faisait sentir dans des entretiens particuliers la vanité
des idoles et le ridicule delà théologie païenne. « Les dieux
que vous adorez, lui disait-elle, ne sont rien, et ils ne peuvent
rien ni pour eux ni pour les autres. Ce n'est que du bois,
de la pierre ou dumétal. Les noms qu'il vous a plu de leur
donner, de faibles mortels les ont portés : tel qu'un Saturne,
qu'on dit s'être échappé par la fuite des mains de son fils, qui
voulait le détrôner ; tel qu'un Jupiter, ce mari de sa propre
(1) Epitaph. Careten., apud Duchesne, t. I, p. 514.
74 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [^91]
sœur, ainsi qu'elle ose s'en vanter (1), cet infâme adultère
que la passion pour les personnes de l'un et de l'autre sexe
a porté aux plus honteux excès. Qu'est-ce que votre Mars et
que votre Mercure? des magiciens plutôt que des dieux. Les
hommages que vous leur prodiguez ne sont dus qu'à Celui
qui d'une seule parole a fait sortir du néant le ciel, la terre et
la mer; qui fait luire le soleil, briller les étoiles; qui a créé
tous les animaux ; qui fait croître les moissons dans les cam-
pagnes, les fruits sur les arbres et les raisins sur les vignes :
voilà, prince, le Dieu digne de votre culte (2). »
La tendresse que Clovis avait pour Clotilde donnait un
nouveau poids à ces raisons ; mais le temps que la Providence
avait marqué pour la conversion de ce prince n'était pas ar-
rivé. Clotilde gagna beaucoup en obtenant le consentement
du roi pour faire baptiser le jeune prince qui venait de naître
de leur mariage. Pour frapper les yeux de Clovis et des
seigneurs francs, elle voulut que la cérémonie s'en fit avec
le plus grand appareil. Elle donna ordre qu'on parât l'église
de riches tapisseries el de courtines. L'enfant fut nommé
Ignomer. Mais Dieu, voulant éprouver la pieuse reine, permit
qu'il mourût peu de jours après son baptême et pendant
qu'il portait encore les habits blancs dont on avait coutume
de revêtir les nouveaux baptisés (3).
Le roi, inconsolable de cette perte, l'attribuait à la co-
lère de ses dieux et s'en prenait à la reine, qui avait fait
baptiser ce jeune prince. Mais la foi dont Clotilde était animée,
sécha les larmes que la tendresse maternelle faisait couler
et la soutint dans son affliction. Elle ne répondait autre chose
aux reproches du roi sinon qu'elle remerciait Dieu de l'avoir
rendue mère d'un fils qu'il avait appelé à son royaume; que
(1) Clotilde fait ici allusion à ce vers de Virgile, où Junou dit :
Ast ego quœ Divùm incedo Regina, Jocixque
Et soror et conju.r , etc.
(2) Greg. Tur. Hist., 1. II, c. xxix. — (3) Greg. Tur., 1. II, c. xxix.
.91] EX FRANCE. — LIVRE V. 75
our elle, elle ne pouvait le pleurer, parce qu'elle savait
u'il était en possession d'une couronne immortelle. Elle eut
n autre fils et elle obtint encore du roi qu'il fût baptisé,
irn le nomma Clodomir; mais peu de jours après son bap-
?me il tomba aussi malade. Le roi disait : « Puisqu'il a été
aptisé au nom de votre Christ, il ne peut manquer de mou-
ir comme son frère. » La reine eut recours à la prière, et
'ieu, content d'avoir mis sa foi à ces épreuves, en récompensa
h mérite en rendant la santé au jeune prince. On voit par
es exemples qu'on n'attendait pas que les enfants eussent
usage de raison pour les baptiser.
Les grandes qualités de Clovis et les espérances que
on conservait de sa conversion , lui gagnèrent le cœur de
lusieurs évêques du royaume de Bourgogne et de celui des
risigoths. S. Apruncule, évêque de Langres, fut soupçonné
e favoriser la nouvelle monarchie, et, comme la défiance tient
ou vent lieu de preuve à une injuste politique, Gonclebaud
j onna ordre qu'on le fît mourir secrètement. Mais Aprun-
ule, qui était à Dijon, en ayant été averti, se fit descendre
iendant la nuit des murailles de la ville (1) et se retira en
oivergne, où il fut, peu de temps après, successeur de S. Si-
Loine, dont nous devons terminer l'histoire (2).
Quelque affligé que fût ce saint évêque d'Auvergne de la
.ervitude de sa patrie , qui gémissait sous la domination des
/isigoths , Dieu lui réservait des épreuves plus sensibles sur
a fin de sa vie. Deux prêtres de son clergé s'élevèrent contre
ui, et concertèrent si artificieusement leurs intrigues qu'ils
ui firent ôter l'administration des biens de son Église. Mais
m de ces calomniateurs étant mort subitement peu de jours
(1) Grégoire de Tours, dans la description exacte, qu'il a faite de Dijon, dit que
bs murailles en étaient hautes de trente pieds et larges de quinze. Il loue la
ituation de la ville, la fertilité du terroir, la bonté de l'air et l'excellence du vin.
1 est surpris qu'une ville si belle n'ait pas le nom de cité. On la nommait seu-
ement caslrum: c'est sans doute par cette raison qu'elle n'était pas siège épiscopal.
plusieurs traits de l'histoire nous apprennent qu'elle était la demeure assez or-
dinaire des évêques de Langres.
(2) Greg Tur., 1. II, c. xxm.
76 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [491]
après , comme Arius , au milieu de cruelles tortures causées
par le déchirement de ses entrailles, on reconnut la main de
Dieu qui l'avait frappé , et Sidoine fut rétabli dans tous ses
droits. Le Seigneur, content d'avoir éprouvé et purifié par ces
contradictions la vertu de son serviteur, se pressa de la cou-
ronner. Le saint évêque tomba malade peu de temps après ,
et, selon une dévotion assez ordinaire en ce temps-là, il se fit
porter à l'église pour y expirer au pied des autels. Son peu-
ple , accouru en foule , fondait en larmes et lui disait : « Bon
pasteur, à qui nous laissez-vous comme des orphelins? (1)'» Il
répondit : « Ne vous affligez point; mon frère Apruncule vit
encore, il sera votre évêque. » Sidoine mourut sous l'empire
de Zénon , on ne sait précisément en quelle année ; mais on
croit que ce fut le 21 août, jour auquel on célèbre sa fête dans
son Église, quoique le Martyrologe romain ne la place qu'au
23 du même mois. Il fut enterré dans l'église de Saint-Satur-
nin; mais dans la suite ses reliques furent transférées dans
celle de Saint-Genès, où on les conservait avec plus de piété
que de magnificence dans une châsse de bois. Les divers traits
que nous avons rapportés de la vie et des ouvrages de Si-
doine, le peignent assez pour faire son éloge. On ne peut mé-
connaître qu'il fut en même temps un des plus grands hom-
mes, un des plus beaux esprits, et un des plus saints évêques
de son siècle, qualités qu'on trouve rarement réunies dans le
même homme.
Aussitôt qu'il eut expiré , celui des deux prêtres ses accusa-
teurs qui vivait encore se porta pour son successeur, et le
dimanche suivant il donna dans la maison de l'église un
grand festin aux principaux citoyens de la ville (2). Il y prit
la première place, tout entier aux premiers mouvements de
cette joie intime et profonde que donne une ambition satis-
(1) Greg. Tur., lib. II, c. xxm.
(2) Ibid. — On voit par d'autres exemples que les évêques nouvellement élus
donnaient un repas aux citoyens dans ]a maison de l'église , c'est-à-dire dans c(
qu'on a depuis nommé l'évêché ou le palais épiscopal.
491] EN FRANCE. — LIVRE V. 77
àite. Mais la punition de son crime l'attendait au moment où
1 croyait en goûter le fruit. Ayant demandé à boire dès le
commencement du repas, celui qui lui en versait lui déclara
m'il avait vu en songe la nuit précédente S. Sidoine le citer
m tribunal de Dieu , et qu'il avait reçu ordre de l'avertir d'y
comparaître pour y répondre au saint évêque. A ce récit, ce
arêtre ambitieux, saisi d'effroi et frappé comme d'un coup de
budre, laisse tomber la coupe qu'il tenait, tombe lui-même
nort à l'instant et va paraître devant le Juge terrible des
calomniateurs , laissant les conviés dans la plus étrange
consternation.
Après une justification si éclatante de S. Sidoine, les prin-
cipaux du clergé et du peuple s'accordèrent, suivant sa
prédiction, à élever sur le siège d'Auvergne S. Apruncule,
jui venait d'être chassé de celui de Langres. Il gouverna peu
ie temps cette nouvelle Église , où il eut pour successeur
5. Euphraise. On célèbre la fête de S. Apruncule le 14 mai,
3t celle de S. Urbain, un de ses prédécesseurs sur le siège
le Langres, le 23 janvier, quoique le Martyrologe romain
l'en fasse mémoire que le 2 avril.
Deux autres évêques du royaume de Bourgogne, Théodore
3t Procule, dont on ignore les sièges épiscopaux, devinrent
aussi suspects à Gondebaud , et ils furent obligés de se réfu-
gier à la cour de Soissons auprès de Glotilde. La qualité de
Bourguignons et de zélés catholiques leur mérita la protec-
tion de cette pieuse reine, qui leur donna dans la suite l'admi-
nistration de l'Église de Tours. Mais à cette époque cette ville
était encore soumise aux Yisigoths, et elle paraissait soupirer
après la domination des Francs. Le soupçonneux Alaric se
servit de ce prétexte pour persécuter et bannir plusieurs
saints évêques , qui tinrent ce siège après la mort de S . Per-
pétue, arrivée l'an 491.
Perpétue, vulgairement Perpet, illustra l'Eglise de Tours,
pendant trente années d'épiscopat , encore plus par sa piété
et sa vigilance pastorale que par ses libéralités envers les
78 HISTOIRE DE I/EGLISE CATHOLIQUE [491]
pauvres et la magnificence des temples qu'il fît élever au
Seigneur. Il craignait si fort que ses biens ne passassent à
d'autres qu'aux pauvres et aux églises , que plus de quinze
ans avant sa mort il fit un testament, que nous avons encore,
pour les déclarer ses héritiers. Il est daté du 1er mai après le
consulat de Léon le Jeune, c'est-à-dire l'an 475. C'est un acte
si authentique et si propre à édifier la piété des fidèles,
que nous avons cru devoir le rapporter ici , comme un mo-
dèle de l'usage que les saints évêques doivent faire de leurs
biens (1).
« Au nom de Jésus-Christ, moi, Perpétue, évêque de
l'Eglise de Tours, je n'ai point voulu sortir de ce monde sans
avoir fait de testament, de peur que les pauvres ne fussent
frustrés des richesses que la bonté divine m'a données si li-
béralement, et que les biens d'un évêque , ce qu'à Dieu ne
plaise, ne passassent à d'autres qu'à l'Eglise. Je donne et je
lègue aux prêtres, aux diacres et aux autres clercs de mon
Eglise la paix de Jésus-Christ. Amen. Seigneur, confirmez ce
que vous avez opéré en nous; qu'il n'y ait pas de schismes
parmi eux, qu'ils demeurent constamment attachés à la foi.
Amen... Paix à l'Eglise, paix au peuple, à la ville et à la
campagne. Amen. Venez, Seigneur, et ne tardez pas. Amen.
Je vous laisse donc à vous, prêtres, diacres et autres clercs
de mon Eglise, le soin de ma sépulture. Vous enterrerez ce
cadavre où il vous plaira, de l'avis du comte Agilon. Je sais
que 7ïi07i Rédempteur vit, et que je verrai mon Sauveur dans
ma chair. Amen. Si cependant vous daignez m'accorder la
grâce que je vous demande humblement, je souhaiterais que
dans l'attente du jugement mon corps reposât aux pieds de
S. Martin. >»
Ensuite S. Perpétue affranchit des esclaves achetés de son
argent ; il lègue plusieurs terres à son Eglise, à la charge que
des revenus d'une de ces terres on entretienne jour et nuit
(t) Greg. Tur., 1. X, c. xxxi, n. 6. — Testam. Perpet., t. V Spicil., p. 107.
491] EN FRAXCE. LIVRE V. 79
les lampes devant le tombeau de S. Martin; il donne à S. Eu-
Dhrone d'Autun le reliquaire d'argent qu'il avait coutume de
porter sur lui , et un livre des Evangiles écrit de la main de
5. Hilaire de Poitiers (1). Quant aux autres livres de sa biblio-
:hèque, il les laisse à son Eglise. Il donne à sa sœur une
:roix d'or où il y avait des reliques de Notre-Seigneur, plu-
sieurs vases sacrés à diverses églises, une tenture de tapis-
serie à celle de Saint-Pierre, une colombe d'argent pour mettre
.'Eucharistie à un prêtre nommé Amalaire. Il assigne une
tension sur ses biens à deux prêtres qu'il avait déposés et
m'il défend de rétablir. Il donne à l'évêque qui sera son
successeur les meubles qu'il voudra choisir de sa chambre
ht de sa chapelle , et il lui recommande d'aimer ses clercs , de
es traiter en père et non en maître. Il lègue son cheval au
■ ;omte Agilon, en reconnaissance des services qu'il avait ren-
lus à l'Eglise.
Après ces dispositions, S. Perpétue conclut ainsi son tes-
ament : « Mais vous, mes délices, mes très-chers frères, ma
couronne, ma joie, mes seigneurs, pauvres de Jésus-Christ,
ndigents, mendiants, malades, veuves, orphelins, c'est vous
jue je constitue et déclare mes héritiers. Je veux que tout ce
[ui reste de mes biens, et dont je n'ai point disposé par ce
estament, vous appartienne; qu'on le vende aussitôt après
na mort et qu'on en fasse trois parts, dont deux seront con-
iées au prêtre Agrarius et au comte Agilon pour être distri-
buées à leur volonté aux hommes qui sont dans l'indigence ;
a troisième sera remise à la vierge Dadolène, pour être distri-
buée, comme il lui plaira, aux veuves et aux autres femmes
muvres. —
S. Perpétue fit deux exemplaires de ce testament, dont
'un fut déposé cacheté entre les mains de Delmace et l'autre
(l; On croit que ce legs ne fut pas exécuté, parce que S. Euplirone mourut
vant S. Perpétue. En effet, on conservait dans l'église de Tours un livre des Evan-
;iles qu'on croyait avoir été écrit de la main de S. Hilaire de Poitiers, et c'était
ans doute celui dont il est ici question.
80 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [491]
entre celles deDadolène, pour être ouverts et lus par le comte
Agilon en présence du clergé de Tours. Un acte si édifiant est
une preuve authentique de la piété de ce saint évêque ; les
conciles qu'il tint, et dont nous avons parlé, prouvent son
zèle pour le maintien de la discipline. Il entrait à ce sujet
dans le plus grand détail. Il avait réglé les jeûnes qui de-
vaient s'observer dans son Église. Voici quel en était l'ordre :
depuis la Quinquagésime jusqu'à la Saint- Jean et depuis le
1er septembre jusqu'à la Saint-Martin, deux jours par se-
maine; depuis la Saint-Martin jusqu'à Noël, trois jours de
jeûne par semaine; enfin, depuis la Saint-Hilaire jusqu'à la
mi-février, deux jours par semaine (1). Il ne parle pas du
Carême, parce qu'il n'y avait rien de nouveau à régler là-
dessus.
Les vigiles et les églises dans lesquelles elles devaient être
célébrées avaient été également l'objet d'un règlement spé-
cial. Parmi les fêtes énoncées dans ce règlement, il est remar-
quable de rencontrer celle de la Chaire de S. Pierre au
nombre des plus solennelles. Après cette fête viennent celles
de S. Symphorien, de S. Hilaire, de S. Lidoire et de S. Brice;
par une omission assez singulière, il n'y est pas parlé de
S. Gatien. On voit aussi que la fête de Pâques était alors dis-
tincte de celle de la Résurrection : la première était mobile,
la seconde était fixée au 27 mars. C'était en effet l'opinion
commune que la mort de Jésus-Christ avait eu lieu le 25 mars.
Cette opinion était celle de Tertullien et de S . Augustin, et d'an-
ciens martyrologes donnent cette date. Quelques-uns cepen-
dant ont indiqué la mort de Notre-Seigneur le 23 et sa résur-
rection le 25 ; S. Martin de Dume attribue même ce dernier
sentiment aux anciens évèques de l'Eglise des Gaules : ce n'é-
tait pas toutefois un sentiment généralement adopté, et nous
voyons qu'il n'était pas partagé par S. Perpétue. L'Église ho-
nore la mémoire de ce saint évêque le 8 avril.
(1) Greg. Tur. Hist., 1. X. c. xxxi, n. G.
[493] EN FRANCE. — LIVRE V. 81
S. Patient, évêque de Lyon, était allé quelques années au-
paravant recevoir la récompense de sa généreuse charité
envers les pauvres, et de ses travaux pour le salut des Bour-
guignons ariens. Il eut la consolation d'en convertir un grand
nombre. Ce saint évêque eut pour successeur S. Lupicin,
honoré le 3 février. S. Rusticius lui succéda. Ce dernier, sous
la robe d'un magistrat, avait mené la vie d'un évêque, et il
n'eut pas moins de générosité que S. Patient pour le soula-
gement des malheureux, étendant à son exemple les effets de
sa charité au delà des monts".
Les dernières révolutions de l'Italie, durant lesquelles
Théodoric, roi des Ostrogoths, avait détrôné Odoacre, roi des
Hérules, avaient répandu la plus affreuse désolation dans ces
belles provinces. Pour que rien ne manquât à leur ruine, les
Bourguignons, profitant de ces troubles, y avaient fait des
excursions malgré la foi des traités, et, non contents de ra-
vager le pays, ils avaient amené un grand nombre de ses habi-
tants captifs dans la Gaule. Après tant de guerres, c'était
presque le seul butin qu'on y pût faire. Dans cette calamité,
l'Église romaine souffrait moins d'avoir perdu ses biens que
de ne pouvoir soulager la misère des autres. Mais plusieurs
évêques des Gaules crurent devoir secourir la mère commune
des fidèles. S. Éone d'Arles, qui avait succédé à Jean, succes-
seur de Léonce, et Rusticius de Lyon envoyèrent des au-
mônes considérables au pape Gélase, successeur de Félix III.
Gélase en remercia Rusticius par une lettre datée du 25 jan-
vier sous le consulat d'Astérius et de Présidius , c'est-à-
dire l'an 494. Il le priait en même temps de lui mander ce
que pensaient les "évêques des Gaules de l'affaire d'Acace de
Gonstantinople, laquelle troublait alors l'Église (1).
Acace fut un de ces prélats qui, en favorisant artificieu sè-
ment les novateurs, font plus de mal à la religion que s'ils
se déclaraient ouvertement hérétiques. Sa vanité et son ambi-
(1) Diptyc. Arel, t. III Analect. — T. IV Conc. Labb., p. 1259.
TOME II. 6
82 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [494]
tion l'attachèrent au parti des euty chiens, et, comme il était
fourbe et hypocrite, il trompa quelque temps les catholi-
ques. Mais YHenotique, dont il fut l'auteur et le promoteur,
fît tomber le masque qui le voilait. On nomma Hénotiqae un
édit que Zénon publia pour réunir les hérétiques, et qui, sous
prétexte d'ôter la division, ne servit qu'à l'augmenter, parce
qu'on voulut y ménager l'erreur et en concilier les intérêts
avec ceux de la vérité. Les souverains pontifes, dont les mal-
heurs de l'Italie n'affaiblissaient pas le zèle, s'élevèrent avec
courage contre Acace. Félix IIÎ, successeur de S. Simplice,
l'excommunia et le déposa. Mais ce patriarche, soutenu par
l'empereur et le peuple de Gonstantinople, aima mieux faire
un schisme que de reconnaître ses erreurs. Sa mort ne mit
pas fin à la division. Gélase, avant de rendre sa communion à
l'Église de Gonstantinople, exigeait qu'on ôtât des sacrés
diptyques le nom d' Acace et qu'on flétrît sa mémoire. Voilà
où en était cette affaire quand ce pape écrivit à Rusticius
pour savoir le sentiment des évêques de la Gaule. Dans la
même lettre il priait ce saint évêque de Lyon d'appuyer de
son crédit la légation de S. Epiphane de Pavie, que Théodoric,
roi d'Italie, envoyait vers Gondebaucl.
Théodoric n'avait de barbare que la naissance et se mon-
trait digne de commander à des Romains. Dès qu'il se vit
paisible possesseur de l'Italie, il songea à remédier aux maux
qu'il avait faits ou qu'il n'avait pu empêcher. Quoique arien,
il protégeait les catholiques et les estimait. Gomme il sut que
S. Epiphane de Pavie avait réussi dans une ambassade vers
E varie, il résolut de le députer à Gonclebaud, et cet évêque
étant venu lui demander quelque grâce pour des malheureux,
il lui parla de la sorte : « Glorieux pontife, jugez de l'estime
que nous faisons de votre mérite par la commission impor-
tante que nous vous confions, préférablement à tant d'autre;
évêques... Vous voyez toute l'Italie déserte et les plus fer
tiles campagnes incultes faute de laboureurs : je ne puis sou
tenir les reproches que me fait ce triste spectacle. A la vérité
[494] EN FRANCE. — LIVRE V. 83
c'est l'ouvrage du cruel Bourguignon ; mais si nous ne por-
tons pas remède à ces maux, nous en devenons les auteurs.
Nous avons de l'or dans nos trésors, et nous différons de ré-
parer les ravages de notre patrie ! Qu'importe que nous vain-
quions nos ennemis par le fer ou par l'or ! Chargez-vous
donc, avec l'aide du Seigneur, de cette commission. Le roi
Gondebaud est plein de vénération pour vous, et il désire
depuis longtemps vous voir. Croyez-moi, votre présence seule
sera le prix de la rançon de l'Italie (1). »
S. Epiphane loua le dessein de Théodoric et le pria de lui
adjoindre, dans cette légation, le saint évêque Victor de Tu-
rin. Les sommes destinées pour la rançon des captifs furent
bientôt prêtes. Les deux évêques partirent sur la fin de l'hi-
ver de l'an 494, et passèrent au mois de mars les Alpes encore
couvertes de neige. Les peuples accouraient partout sur leur
passage et leur apportaient des provisions, que S. Epiphane
distribuait aux pauvres. Rusticius de Lyon alla au-devant
d'eux au delà du Rhône et les instruisit du caractère artifi-
cieux de Gondebaud ; mais la vertu des ambassadeurs parut
faire oublier au prince son naturel. Aussitôt qu'ils furent ar-
rivés à Lyon, il envoya les saluer et leur offrir une audience.
S. Epiphane n'hésita pas à l'accepter. La sainteté qui brillait
sur son visage donna une nouvelle force aux traits de son
éloquence.
« Grand prince, dit -il à Gondebaud (2), c'est pour l'amour
de vous que j'ai entrepris un voyage si rude... Je n'ai pas
craint la mort pour vous apporter le prix de la vie éter-
nelle. Je suis venu comme pour servir de témoin devant
Dieu entre deux grands rois, si la bonté vous fait accorder
ce que la miséricorde fait demander à celui qui m'envoie.
Partagez également la récompense que Dieu promet, ou
plutôt disputez-la entre vous, princes invincibles. Mais dans
ce combat le victorieux remportera le prix de telle sorte que
(1) Ennod. Vit. S. Epiphan. — (2) Ibid.
84 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [494]
le vaincu ne le perdra pas. Suivez mon conseil, et vous serez
l'un et l'autre vainqueurs. Le roi Théodoric veut racheter les
captifs : rendez-les sans rançon. Croyez-moi : personne ne
gagnera plus que celui qui ne recevra rien , et l'argent que
vous aurez méprisé enrichira plus votre armée que si vous
l'aviez reçu. »
S. Epiphane, faisant ensuite parler l'Italie, continua ainsi :
« Écoutez, prince, les justes plaintes de l'Italie votre fidèle
alliée. Si elle pouvait parler, elle vous dirait : Grand roi,
combien de fois, s'il vous en souvient, n'avez-vous pas pris
les armes pour ma défense et pour ma liberté ? C'est vous qui
avez nourri ceux que vous retenez maintenant dans les fers.
Ne m'avez-vous rendu ces services que pour me surprendre
plus facilement? Personne de ceux qui ont été faits prison-
niers ne songeait à fuir à la vue de vos troupes. Les dames
qu'on traînait en captivité se promettaient que vous seriez
leur vengeur, les vierges ne défendaient leur pudeur qu'en
vous réclamant , les laboureurs disaient à ceux qui les char-
geaient de chaînes : N'êtes-vous donc pas Bourguignons?
Combien de fois ces mains que vous liez, n'ont^elles pas payé
le tribut à notre commun maître? Rendez, prince, rendez tous
ces malheureux à leur patrie; rendez-les à votre gloire...
C'est à Dieu que vous accorderez cette grâce ; mais vous ne la
ferez pas à des hommes qui vous soient étrangers. Le maître
de l'Italie donne sa fille à votre fils : que cette princesse soit
le prix de la rançon des prisonniers , que leur délivrance soit
le présent de noces que le mari offre à son épouse : ce sera
Jésus-Christ qui le recevra et qui lui en tiendra compte. »
Un discours si éloquent, accompagné des larmes des deux
saints évêques, toucha Gondebaud. Il répondit cependant
avec assez de fierté : « Vous me parlez de paix, vous ignorez
le droit de la guerre... La loi des combattants, c'est que tout
ce qui n'est pas permis le devient alors... Cependant je ne
fais que repousser l'injure que votre roi m'a faite, en voulant
me jouer sous le prétexte d'un traité. Mais s'il veut une paix
[494] ES FRANCE. — LIVRE V. 85
solide, il me trouvera fidèle à la garder... Pour vous, saints
pontifes, retournez à votre logis : je délibérerai sur ce qui
convient au bien de mon âme et à celui de mon royaume, et
je vous le ferai savoir. » Il consulta Laconius, son ministre, et
consentit à n'exiger de rançon que pour ceux qui avaient été
pris les armes à la main et qui appartenaient aux soldats
qui les avaient pris.
Cette nouvelle sécha les larmes d'un grand nombre de
malheureux esclaves. Il en sortit quatre cents de Lyon en un
seul jour pour retourner en Italie, et ainsi à proportion des
autres villes, de sorte qu'il y en eut plus six mille qui furent
élargis sans rançon. Tout l'argent que Théodoric avait envoyé,
fut employé à racheter les autres. Et comme il ne suffisait
pas, une sainte dame nommée Syagria (1), qui était, dit En-
nodius, comme le trésor de l'Église, fournit le reste avec
S. Àvite de Vienne.
S. Epiphane alla de Lyon à Genève, où Godégisile, frère de
•Gondebaud, tenait sa cour, et il en obtint la même grâce aux
mêmes conditions. En passant à Tarantaise, il délivra une
femme possédée. Il retourna ensuite en Italie comme en
triomphe au milieu des troupes d'esclaves dont il avait rompu
les fers. S. Ennodius, Gaulois d'origine, et depuis évêque de
Pavie, qui a écrit l'histoire de cette légation, était à la suite de
de S. Epiphane et avait été témoin oculaire de ce qu'il ra-
conte (2). Il nous reste plusieurs ouvrages d'Ennodius, savoir:
un recueil de lettres, où l'on voit que le prédestinatianisme
s'était glissé dans l'Italie; plusieurs pièces de poésie et d'élo-
quence, parmi lesquelles on trouve des prières pour la béné-
diction du cierge pascal : ce qui montre l'ancienneté de cet
usage. - r
S. Avite, qui contribua de ses biens et de son crédit au ra-
(1) Syagria était, à ce qu'on croit, femme d'un seigneur arien nommé Latinus,
qui fut converti à la foi par S. Domitien, abbé du monastère de Bebron, depuis
nommé S. Rambert; mais la vie de Saint-Domitien, qui nous apprend ce fait, est
d'ailleurs si pleine d'erreurs qu'on ne peut avoir confiance dans ses récits.
(2) Ennod., 1. IT, Ep. xix.
86 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [494]
chat des captifs, avait succédé, vers l'an 490 (1), sur le siège
de Vienne à S. Hésychius, son père selon la chair et successeur
de S. Mamert, que S. Avite nomme son père parle baptême,
c'est-à-dire que S. Mamert l'avait baptisé ou l'avait tenu sur
les fonts sacrés. Il se nommait Àlcimus Ecdicius Àvitus, et
avait un frère aîné évêque de Valence, appelé Apollinaire.
Ces noms ont fait croire que sa famille était la même que celle
de l'empereur Avite, dont le fils se nommait Ecdicius, et le
gendre Apollinaire. Il est du moins certain que la famille de
S. Avite était une des plus illustres des Gaules, et qu'il était
parent de S. Sidoine. Mais ce qui fut plus glorieux à ce saint
évêque, c'est que l'éclat de ses vertus et de son mérite sur-
passa celui de sa naissance. Il se distingua surtout par un
grand zèle pour la conversion des Bourguignons ariens, et
même pour la réunion des Grecs séparés de l'Église Romaine
au sujet d'Acace.
On ne sait pas ce que les évêques des Gaules répondirent
alors à Gélase , qui souhaitait, comme nous avons dit , d'avoir
leur avis sur cette affaire. Mais la crainte qu'ils montrèrent
dans la suite qu'on ne fit avec les schismatiques une fausse
paix , qui couvrît le feu de la division au lieu de l'éteindre ,
nous apprend assez leur sentiment. Le pape Gélase soutint
avec fermeté toutes les démarches de son prédécesseur contre
Acace, et, dans un concile de soixante-dix évêques qu'il tint à
Rome vers ce temps-là , il condamna sa mémoire avec celle
de tous les autres hérétiques.
Ce grand pape ne borna pas son zèle à cette affaire. Il savait
qu'un des moyens les plus propres à conserver le dépôt de la
foi est de faire connaître aux fidèles les sources pures où ils
doivent puiser, et les citernes infectées du venin de l'erreur
dont ils doivent s'éloigner. Il dressa à ce sujet un décret dans
le même concile touchant les livres que l'Église reçoit et
(1) On célèbre l'ordination de S. Avite le 17 juin : ce qui peut faire croire qu'il
fut ordonné l'an 490: car le 17 juin cette année tombait un dimanche.
[495] EN FRANCE. — LIVRE V. 87
ceux qu'elle rejette (1). Après un catalogue des livres canoni-
ques , il fait deux listes : Tune des ouvrages des Pères reçus de
l'Église, et l'autre des écrits qui sont proscrits comme apo-
cryphes. Pour ne parler que des écrivains de l'Église galli-
cane, on voit dans la première les ouvrages de S. Hilaire et
ceux de S. Prosper; et dans la seconde ceux de Gassien, de
Fauste de Riez , de Posthumien et de Gallus , c'est-à-dire les
dialogues de Sulpice Sévère. Il s'appuie pour proscrire ces
livres sur les raisons que nous avons données en parlant de
ces ouvrages. On n'est pas d'accord sur le temps où fut porté
ce décret , et quelques manuscrits l'attribuent même au pape
Hormisdas. Mais nous croyons devoir nous en tenir à l'opi-
nion la plus ancienne et la plus commune, qui l'attribue à
Gélase(2).
Quoi qu'il en soit, il y a lieu de présumer que ce décret
n'était pas connu dans les Gaules quand Gennade y publia ,
en 495, son Catalogue des écrivains ecclésiastiques ; sans quoi
il n'aurait apparemment pas osé donner tant de louanges à
des auteurs proscrits par le Saint-Siège. Gennade était un sa-
vant prêtre de Marseille , qui écrivit un grand nombre d'ou-
vrages , dont il nous a donné lui-même la liste à la fin de son
Catalogue des auteurs ecclésiastiques : « J'ai composé , dit-il ,
huit livres contre toutes les hérésies , six livres contre Nesto-
rius , onze livres contre Eutychès , trois livres contre Pélage ,
des traités sur les mille ans et sur l'Apocalypse de S. Jean, ce
présent ouvrage (sur les écrivains ecclésiastiques) , et une
lettre touchant ma foi, que j'ai envoyée au pape Gélase (3). »
Tous ces écrits de Gennade sont perdus , excepté son Catalo-
gue et l'exposition de sa foi : car on croit que ce dernier
ouvrage est le traité (4) intitulé des Dogmes ecclésiastiques.
Nous en rapporterons ici quelques extraits.
(t) T.IVConcil. Labb.,p. 1260.— (2) Ce n'est donc pas d'aujourd'hui que les papes
censurent les livres. Ils l'ont fait dans tous les temps, et nous en voyons ici un
exemple du ve siècle. — (3) Gen. CataL, t. V Oper. S. Hieron., novae edit.
(4) Ce traité est attribué à S. Augustin par quelques manuscrits et par le
88 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [495]
L'auteur, après une exposition de la foi dans les mystères de
la Trinité, de l'incarnation, de la résurrection future, de l'éter-
nité des peines , parle ainsi de la grâce : « Nous croyons ,
dit-il, que personne ne cherche à faire son salut, à moins que
Dieu ne l'y invite , et qu'aucun de ceux qui ont été invités ne
peut opérer son salut sinon avec le secours de Dieu. » Ce
qu'il dit sur la communion, sur la pénitence et sur le baptême,
mérite d'être observé : « Je ne loue ni ne blâme, dit-il, ceux
qui reçoivent tous les jours l'Eucharistie ; mais je conseille et
j'exhorte de communier tous les dimanches, pourvu que l'on
soit sans affection au péché. Car je dis que si l'on reçoit l'Eu-
charistie avec la volonté de pécher, loin de se purifier, on se
charge d'un nouveau péché. Pour celui qui est coupable de
péchés capitaux, je l'exhorte à faire une pénitence publique
avant d'approcher de la communion, sans prétendre cepen-
dant qu'une satisfaction secrète ne puisse effacer ces crimes.
La véritable pénitence consiste à ne plus commettre de péché
et à pleurer ceux qu'on a commis. La satisfaction de la péni-
tence a pour objet surtout d'ôter les causes des péchés et
de ne plus donner accès aux tentations. La pénitence efface
les péchés même à l'article de la mort, lorsqu'on les confesse
avec une vraie douleur. »
L'auteur , en parlant de la nécessité du baptême, qui peut
être suppléé par le martyre , fait une belle comparaison du
baptême avec le martyre : « Celui qu'on doit baptiser, dit-il ,
confesse sa foi devant le prêtre : le martyr la confesse devant
le persécuteur. Celui-là après sa confession est plongé dans
l'eau , ou l'on jette de l'eau sur lui : celui-ci après la sienne
est baigné de son sang, ou bien il est jeté dans le feu. Le
baptisé reçoit le Saint-Esprit par l'imposition des mains de
Févêque : le martyr devient l'organe de l'Esprit-Saint, qui
Maître des sentences; à Alcuin par Trithème ; à Gennade par Alger, par S. Tho-
mas et par un manuscrit de la bibliothèque de Colbert. Les critiques s' ac-
cordent aujourd'hui à le donner à Gennade de Marseille. Ratram, moine de
Corbie, l'attribue à Gennade de Constantinople. Mais cet ouvrage ne parait pas
être une traduction.
[495] EN FRANCE. — LIVRE V. 69
parle en lui. Le baptisé reçoit l'Eucharistie , et fait par là mé-
moire de la mort de Jésus-Christ : le martyr meurt avec Jésus-
Christ. Le baptisé renonce au monde, et le martyr à la vie.
Tous les péchés sont remis au baptême : ils sont éteints dans le
martyre. » On voit, par ce que nous venons de rapporter, qu'on
baptisait quelquefois dès lors en versant de l'eau sur le ca-
téchumène, comme l'Eglise le pratique aujourd'hui. Le même
auteur dit qu'il faut honorer les reliques des saints , et surtout
des martyrs , comme les membres de Jésus-Christ ; que le ma-
riage est bon, la continence meilleure, et l'état de virginité
excellent. Nous trouvons encore dans cet ouvrage le système
philosophique qui soutient que les âmes et les anges sont cor-
porels, quoique les uns et les autres soient intellectuels et
immortels.
On croit que Gennade est aussi l'auteur d'une addition faite
au livre de S. Augustin sur les hérésies. Elle lui est attribuée
dans un ancien manuscrit (1), et elle contient les descriptions
des hérésies prédestinatienne , nestorienne , eutychienne et
timothéenne. Quant au Catalogue des écrivains ecclésiastiques,
il est certainement de Gennade. Il le commence là où finit
S. Jérôme et le continue jusqu'à l'an 495. Il y parle de cent
écrivains , dont il indique les ouvrages et trace le caractère en
peu de mots.
On reconnaît la partialité de l'auteur aux louanges qu'il
prodigue aux semi-pélagiens et à la critique qu'il fait des
saints docteurs qui les ont combattus. Un écrivain de parti
ne loue que ceux qui appartiennent à son parti. Gennade n'é-
pargne pas même S. Augustin, et il mêle des traits satiriques
aux éloges qu'il n& peut lui refuser : « Augustin, dit-il, origi-
naire d'Afrique, évêque d'Hippone, fort versé dans les sciences
divines et humaines, connu dans tout l'univers, d'une foi
(1) Dans un manuscrit de la bibliothèque de Saint- Victor, cité par le P. Sirmond,
on voit ces paroles avant cette addition : Hœc quœ sequuniur a S. Gennadio Mas—
siliensi presbytero sunt posita. XC. Prœdestinatiani sunt, etc. Hincmar attribue à Gen-
nade la même description de l'héi'ésie prédestinatienne.
90 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [496]
intègre et d'une vie pure , a tant écrit qu'on ne peut trouver
tous ses ouvrages. Qui pourrait donc se vanter de les avoir
tous, ou qui pourrait lire autant qu'il a écrit? C'est pourquoi,
en composant tant d'ouvrages , il lui est arrivé ce que le Saint-
Esprit a dit par la bouche de Salomon : En parlant beaucoup
vous n'éviterez pas le péché (1). » Ensuite, après avoir donné
de grands éloges aux livres de ce saint docteur, à celui de la
Trinité et à quelques autres ouvrages, sans parler de ses
écrits contre les pélagiens, il ajoute : « Cependant l'erreur où
il est tombé en écrivant beaucoup , et qui a été relevée par ses
adversaires, ne passe pas encore pour une hérésie (2). »
Gennade ne traite guère plus favorablement S. Prosper,
tandis qu'il fait le plus bel éloge des écrits de Cassien et de
Fauste de Riez. « Cet évêque, dit-il de ce dernier, a composé
un fort bel ouvrage sur la grâce par laquelle nous sommes
sauvés : il enseigne que la grâce de Dieu invite toujours, pré-
cède et aide notre volonté , et que tout ce que notre libre
arbitre acquiert de récompense par son travail, n'est pas
notre propre mérite, mais un don de la grâce (3). » Si cet
éloge était véritable et sincère , il servirait également à justifier
la foi de Fauste et celle de Gennade du soupçon de semi-péla-
gianisme. Mais l'auteur tomberait dans une autre erreur s'il
prétendait que la récompense est un pur don de la grâce , et
que nous ne la méritons pas avec le secours de cette grâce.
Honorât (4), évêque de Marseille, est le dernier auteur
dont parle Gennade. Il succéda à Sabinien, qui occupa ce siège
après S. Cannât , honoré le 15 octobre , et qui fut successeur
de Grec, dont nous avons parlé. Gennade fait un bel éloge
d'Honorat. Après avoir loué son éloquence , sa facilité à parler
(1) Prov. x, 19.
(2) Le latin est obscur. Il y a dans le manusci'it de Corbie, Error... necdum
hœresis quœstionem dédit, et dans l'édition d'Yenne de 1703,... necdum hœresis quœs-
tionem absoivit.
(3) Op. S.Hieron., t. V edit. Benedict.
(4) Le P. Pagi et quelques autres auteurs récents donnent la qualité de saint à
Honorât de Marseille; mais on ne le trouve dans aucun martyrologe, pas même
dans celui de France.
[4961 EN FRANCE. — LIVRE V. 91
sans préparation, sa piété et sa prudence, il ajoute : « Sa bouche
est comme un arsenal des divines Écritures ; il compose des
discours fort utiles en forme d'homélies , pour exposer la foi
et confondre les hérétiques. Ce ne sont pas seulement les évê-
ques et les peuples des villes voisines qui se font un plaisir
de l'entendre prêcher avec cette liberté; ceux qui sont les
plus éloignés l'obligent d'annoncer la divine parole dans
leurs églises , lorsque quelque affaire l'attire chez eux. Le
saint pape Gélase a rendu témoignage par écrit à l'intégrité de
sa foi. Il compose pour l'édification de la postérité les Vies des
saints Pères et surtout celle de S. Hilaire qui l'a élevé. » C'est
le seul ouvrage qui nous reste d'Honorat, encore ne porte -t-il
pas son nom (1). C'est ainsi que l'étude des saintes lettres
continuait de fleurir dans la Provence.
Le monastère de Lérins , qui était une académie des sciences
ecclésiastiques et un séminaire des vertus religieuses , avait
alors un parfait modèle de sainteté dans la personne de S. An-
toine. Ce fervent solitaire mourut vers la fin du ve siècle,
après avoir retracé dans l'Occident les vertus du patriarche
des moines d'Orient, dont il portait le nom. Il était né à
Valérie sur les bords du Danube, d'une famille noble, et il
suça la piété avec le lait de sa mère. Il n'avait guère plus de
huit ans lorsqu'il se retira auprès de S. Séverin, qui était en
ce temps-là l'apôtre de ces pays. Après la mort de Séverin, il
se mit sous la conduite d'un de ses oncles nommé Constance,
évêque de Lauréac ou Lork dans le Norique . Les barbares qui
ravagèrent la Pannonie l'obligèrent à se réfugier en Italie. Il
y chercha une solitude où il pût n'être connu que de Dieu.
Mais la vertu est comme la lumière : il est difficile de la ca-
cher, et elle se découvre par son éclat. Le nouveau solitaire
(1) Le manuscrit qui nous a conservé la vie de S. Hilaire d'Arles l'attribue à
Révérentius, qu'on ne connaît pas. Peut-être Honorât aura-t-il déguisé son nom
sous celui de Bevereritius, qui signifie presque la même chose qu'Honoratus. Il serait
difficile de dire en quelle année cette vie a été écrite; mais il est du moins certain
qu'elle a été faite longtemps après la discussion de S. Hilaire avec le pape
S. Léon.
92 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [496]
fut bientôt connu et révéré comme un saint. Les respects
qu'on lui rendait l'ayant obligé plusieurs fois à changer de
demeure , pour trouver un asile à son humilité , il se retira
enfin dans le monastère de Lérins. Il y passa deux ans dans
tous les exercices de la pénitence; le Seigneur l'appela ensuite
à recevoir la couronne due à ses vertus (1). S. Ennodius écrivit
sa Vie à la prière de Léonce, abbé de Lérins, qui avait succédé
à Procaire, successeur de S. Nazaire. Il ne paraît pas que le
règne des Visigoths, établis dans ces provinces , ait empêché
la religion d'y fleurir. On craignait moins ces barbares de-
puis qu'on voyait s'accroître une puissance capable de leur
résister.
En effet, l'empire des Francs s'étendait et s'affermissait
tous les jours dans la Gaule Belgique et dans une partie de la
Celtique. La douceur de leur gouvernement leur soumettait
plus de villes que la force. Les catholiques surtout s'applau-
dissaient d'être sous leur domination. Mais ils n'étaient pas
sans inquiétude : il y avait à craindre qu'une nation si puis-
sante , demeurant attachée à l'idolâtrie , ne fît la guerre aux
ennemis de ses dieux quand elle aurait dompté les siens pro-
pres. Ainsi, à l'exemple de la pieuse reine Glotilde , on faisait
dans tout le royaume de Clovis les vœux les plus ardents pour
sa conversion. Ils furent enfin exaucés par Celui qui tient en
sa main le cœur des rois , et la divine Providence voulut que
la conversion de ce prince , à laquelle celle de toute la natioD
était attachée , se fît par le plus éclatant miracle : comme si
elle n'eût rien épargné pour gagner à la religion un peuple
qui devait lui faire dans la suite tant d'honneur par son atta-
chement. Voici l'occasion de ce grand événement.
Les Allemands , nation belliqueuse de la Germanie , à la-
quelle ils donnèrent leur nom dans la suite, passèrent le Rhii
l'an 496, et se jetèrent d'abord sur le royaume de Sigebert i
prince franc de la maison de Clovis et qui résidait à Cologne |
(1) Ennocl. Vit. S. Ântonini Lirinensis.
[496] EN FRANCE. — LIVRE V. 93
On prévoyait assez que ces barbares ne s'en tiendraient pas à
ce premier envahissement. Aussi Glovis, pour les prévenir, se
hâta de marcher contre eux. Après avoir joint Sigebert, il alla
présenter la bataille à l'ennemi, qu'il trouva dans les fameuses
plaines de Tolbiac (1), aujourd'hui Zulpich, dans la Prusse
Rhénane. Il commença le combat en invoquant ses dieux : mais
ils furent sourds à sa prière. Sigebert ayant été d'abord blessé
au genou , ses troupes prirent la fuite , et celles de Glovis com-
mençaient à plier et à se rompre. Ce désordre redoubla l'ardeur
des Allemands , qui se tenaient déjà assurés de la victoire.
Dans cette extrémité, Glovis, se souvenant des leçons de
Glotilde, ou, selon d'autres auteurs, averti par Aurélien, sei-
gneur gaulois qui combattait à ses côtés, leva au ciel ses yeux
baignés de larmes et dit à haute voix : « Jésus-Christ, vous
que Glotilde assure être le Fils du Dieu vivant, si, comme on
le publie , vous donnez secours aux malheureux et la victoire
à ceux qui espèrent en vous, j'implore instamment votre
assistance. Si vous me faites triompher de mes ennemis, ... je
croirai en vous et je me ferai baptiser en votre nom. Car j'ai
invoqué mes dieux en vain : il faut bien qu'ils n'aient aucun
pouvoir, puisqu'ils ne secourent pas ceux qui les adorent. »
Le Seigneur avait marqué ce moment pour se faire connaître
à Clovis par ses bienfaits. A peine ce prince avait-il achevé
cette prière que la victoire passa tout à coup du côté des
Francs. Les Allemands déjà victorieux prirent la fuite, et
presque tous ceux qui échappèrent au carnage se rendirënt à
discrétion.
On ne put douter que le Dieu des armées n'eût combattu
pour une victoire si inespérée et si complète, et Glovis ne
(1) Comme nos anciens historiens ne nomment pas Tolbiac pour le lieu de cette
bataille, les savants compilateurs des Acta sanctorum ont cru probable qu'elle s'é-
tait donnée dans l'Alsace, puisqu'on marque que Clovis revint à Reims par Toul.
Cette raison ne paraît pas suffisante pour abandonner l'opinion commune. Car Gré-
goire de Tours nous apprend que Clovis, après la bataille , rangea les Allemands
à son obéissance : ainsi il est naturel de croire qu'il fit une incursion dans leur pays,
et par conséquent qu'il ne revint pas du champ de bataille à Reims par le chemin
le plus court.
94 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [496]
méconnut pas le bras tout-puissant à qui il la devait. La con-
naissance du vrai Dieu fut le premier et le plus précieux fruit
qu'il en retira. Il demeura dès lors convaincu de la vérité de
la religion chrétienne. Après s'être avancé sur les terres des
ennemis pour leur imposer sa loi, il repassa en diligence
dans les Gaules avec son armée victorieuse pour accomplir
le vœu solennel qu'il avait fait. Un saint empressement le
porta à se faire instruire de nos mystères même pendant la
marche. Dans ce dessein il prit avec lui , en passant à Toul,
un saint prêtre nommé Yaast, qui jouissait d'une grande
réputation de vertu. Le saint homme le confirma encore
mieux dans la foi par ses miracles que par ses leçons. Car,
comme il passait dans le pays de Youzi, sur le pont de
l'Aisne, un aveugle s'écria : « Homme de Dieu, ayez pitié de
moi : je ne demande ni or ni argent , rendez-moi la vue. »
Vaast , plein de foi et prévoyant combien un miracle opéré
dans ces circonstances serait efficace sur l'esprit des Francs ,
fit le signe de la croix sur l'aveugle en disant : « Seigneur
Jésus , qui avez ouvert les yeux de l'aveugle-né , ouvrez ceux
de celui-ci , afin que ce peuple qui est ici présent connaisse
que vous êtes le seul Dieu. » L'aveugle recouvra la vue à
l'instant, et pour conserver la mémoire du miracle on bâtit
une église en ce lieu (1).
On peut juger de la joie que la victoire et la conversion de
Clovis donnèrent à Glotilde par l'amour que cette pieuse prin-
cesse portait à la religion et au roi son époux. Elle alla au-
devant de lui jusqu'à Reims, et, après l'avoir félicité sur les
dispositions où elle le voyait , bien plus que sur la prospérité
de ses armes , elle prit des mesures pour ne pas laisser ra-
lentir sa ferveur, fruit de tant de vœux et de tant de larmes.
Elle manda secrètement S. Remi, évêque de cette ville, et le
pria d'instruire le roi et de le presser d'accomplir sa pro-
messe. Ce saint évêque, que le Ciel avait orné de tant de
(1) Vita Vedasti Aab lcuino emendata, apud Bollancl., 6 febr.
[496] EN FRANCE. — LIVRE V. 95
talents et de vertus pour en faire l'apôtre des Francs , s'ac-
quitta avec zèle de cette mission. Il représenta au prince
qu'après avoir connu le vrai Dieu par ses bienfaits, il y aurait
autant de folie que d'ingratitude à prodiguer ses adorations
à des idoles dont il avait éprouvé la vanité et l'impuissance.
Glovis ne délibérait plus sur son changement ; mais, avant
de se déclarer, il croyait avoir des ménagements à garder. Il
craignait d'aliéner l'esprit des Francs attachés à leurs super-
stitions. Malheureuse politique, qui retient souvent dans l'er-
reur le cœur des princes longtemps après que l'esprit est
désabusé ! Elle n'arrêta pas longtemps Glovis : il répondit à
S. Remi : « Saint pontife, je suivrai volontiers vos conseils.
Une chose m'embarrasse : mon peuple ne veut pas renoncer à
ses dieux, mais je vais l'y exhorter (1). » Il assembla en effet
ses soldats, et, les haranguant avec cette autorité que donnent
à un prince victorieux l'amour et l'admiration de ses sujets, il
leur rappela la glorieuse journée de Tolbiac et le miracle
que le Dieu des chrétiens avait opéré en leur faveur. Il com-
mençait à leur parler de renoncer à de vaines idoles qui
n'avaient pu les tirer du péril , pour adorer le Dieu à qui ils
étaient redevables de la vie et de la victoire , lorsqu'il fut
tout à coup interrompu par les acclamations des Francs, qui
s'écrièrent de toutes parts : « Nous renonçons aux dieux mor-
tels; nous sommes prêts à adorer le vrai Dieu, le Dieu im-
mortel que prêche Remi. » Ce seul trait fait bien sentir en
quelle vénération ce saint évêque était déjà parmi les Francs.
Le roi, ayant loué le Seigneur d'un succès qui surpassait
son attente, prit jour avec S. Remi pour recevoir le baptême,
et ils convinrent que ce serait la veille de Noël dans l'église
de Saint-Martin, tors des portes de la ville de Reims. Ils la
choisirent préférablement aux autres églises à cause de la
vénération singulière qu'on avait dans toutes les Gaules pour
le grand évêque de Tours. Remi, qui voulait frapper les yeux
(1) Greg. Tm\, 1. II, c. xxxi.
96 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [496]
des Francs par ce que notre religion a de plus auguste dans
ses cérémonies, n'omit rien pour rendre celle-ci éclatante. Il
fît tendre l'église et le baptistère des plus riches tapisseries ,
et fît allumer un grand nombre de cierges, où l'on avait
mêlé avec la cire de précieux parfums, en sorte que ce saint
lieu paraissait comme embaumé d'une odeur céleste (1). Rien
n'est plus magnifique que la description qu'Hincmar nous a
faite de la marche des nouveaux catéchumènes. Les rues et
les places publiques furent tendues de tapisseries , et l'on
marcha en procession, avec les saints Evangiles et la croix ,
depuis le palais du roi jusqu'à l'église, en chantant des
hymnes et des litanies. S. Remi tenait le roi par la main; la
reine suivait avec les deux princesses sœurs de Clovis et
plus de trois mille hommes de son armée , la plupart officiers,
que son exemple avait gagnés à Jésus-Christ. Au milieu de
cette auguste pompe , Clovis hors de lui-même dit au saint
évêque : Mon Père, est-ce là le royaume de Jésus-Christ que
vous m1 avez promis? Remi répondit : Non, mon prince, ce
nest que le chemin qui y conduit (2).
Le roi, étant arrivé au baptistère, demanda le baptême à
S. Remi. Le saint évêque lui dit : Sicambre (3), baissez la tête
sous le joug du Seigneur ; adorez ce que vous avez brûlée et
brûlez ce que vous avez adoré. Lui ayant fait ensuite confesser
la foi dans le mystère de la Trinité , il le baptisa et l'oignit du
saint chrême. Les trois mille officiers ou soldats qui l'accom-
pagnaient, sans compter les femmes et les enfants, furent
baptisés en même temps par les évêques et les autres ministres
qui s'étaient rendus à Reims pour cette cérémonie. Les deux
princesses sœurs de Clovis étaient Alboflède et Lanthilde.
Alboflède reçut le baptême, et Lanthilde, qui était déjà chré-
tienne, mais qui professait l'arianisme, fut réconciliée par
l'onction du saint chrême (4).
(1) Greg., lib. II, c. xxx. — (2) Hincm. Vita Remig., apud Duchesne, 1. 1, p. 527.
(3) Le pays des Sicambres était situé au delà du Rhin et occupé par les Francs :
c'est pourquoi on les appelait quelquefois Sicambres.
(4) On voit par ces exemples que ce que dit S. Grégoire, que l'Orient' recevait
[496] EN FRANCE. — LIVRE V. 97
Clovis ne voulut pas que la joie d'un jour si beau fût trou-
blée par les larmes des malheureux. Il fit mettre en liberté
tous les prisonniers et fît de grandes libéralités aux églises. Il
porta pendant huit jours l'habit blanc des néophytes ; et comme
S. Remi, quicontinuait.de l'instruire pendant ce temps-là, lui
lisait un jour la passion de Jésus-Christ, il s'écria dans un
mouvement de zèle qui trahissait l'ardeur du soldat : Que né-
tais- je là avec mes Francs pour le venger?
La princesse Alboflède, en renonçant au culte des idoles,
renonça aux plaisirs et aux grandeurs du siècle. Elle consacra
courageusement sa virginité à Jésus-Christ, qui ne différa pas
de la récompenser : car elle alla peu de temps après se réunir
dans le ciel au divin Epoux qu'elle avait choisi. Clovis, qui
avait le cœur aussi tendre que grand, fut sensiblement affligé
de sa mort. S. Remi lui écrivit en ces termes pour le conso-
ler : « Je prends beaucoup de part à la douleur que vous res-
sentez de la mort de la princesse Alboflède, votre sœur, de
glorieuse mémoire. Mais sa 'sainte vie et la sainte mort qui
l'a couronnée, doivent faire notre consolation. Jésus-Christ lui
a fait la grâce de recevoir la bénédiction des vierges : il ne faut
point pleurer celle qui a été consacrée au Seigneur et qui a
reçu dans le ciel la couronne de la virginité. Chassez-donc,
mon prince, la tristesse de votre cœur, ... et souvenez-vous que
vous avez un royaume à gouverner (1). » Clovis avait une
troisième sœur nommée Audoflède, qu'il avait mariée avant
sa conversion à Théodoric, roi d'Italie. Elle demeura arienne,
et mourut du poison que sa propre fille mit dans le calice dont
elle se servait pour la communion: car c'était une coutume
parmi les ariens que les princes communiassent avec un ca-
lice différent de cehii qui était destiné pour la communion du
peuple (2).
La nouvelle de la conversion de Clovis répandit la joie dans
les ariens par l'onction, et l'Occident par l'imposition des mains n'était pas univer-
sellement vrai, ou que la discipline avait changé du temps de ce saint pape.
(1) Rem. Epist. ad Clodov.', t. I Concil. G ail. — (2) Gr^g. Tur., 1. III, c. xxxi.
TOME II. 7
98 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [496)
tout le monde chrétien. Le pape Anastase, qui venait de succé-
der à Gélase, y fut d'autant plus sensible qu'il espéra trouver
en ce prince un puissant protecteur de l'Église. C'était en effet
le seul souverain qui fût alors vraiment catholique. L'empe-
reur Anastase était livré aux eutychiens, qu'il protégeait;
Théodoric, roi desOstrogoths en Italie; Àlaric, roi des Yisigoths
dans l'Espagne et l'Aquitaine ; Gondebaud, roi des Bourgui-
gnons dans la Gaule ; Trasamond, roi des Vandales en Afrique,
faisaient tous profession d'arianisme. Qui n'aurait cru qu'une*
hérésie si puissante allait renverser l'Église, qui avait autre-
fois si glorieusement triomphé d'elle? Mais Dieu suscita Glovis
pour la protéger contre tant de rois ariens. Ce prince sou-
tint par son zèle la gloire qu'il eut d'être le premier roi catho-
lique et comme le fils aîné de l'Église : qualité d'autant plus
glorieuse pour ses successeurs, qu'ils l'ont encore méritée
par un zèle constant pour la défense de l'Eglise Romaine.
Le pape écrivit donc à Clovis la lettre suivante, pour lai
marquer sa joie et les espérances qu'il concevait de sa con-
version : « Notre très-glorieux fils, nous nous félicitons de ce
que votre conversion a concouru avec le commencement de
notre pontificat (1). Car la chaire de S. Pierre pourrait-elle ne
pas tressaillir de joie, lorsque le filet que ce pêcheur d'hom-
mes, ce portier du ciel, a reçu ordre de jeter, se remplit d'une
pêche si abondante? C'est ce que nous avons voulu vous faire
savoir par le prêtre Eumérius, afin que, connaissant la joie du
père commun, vous croissiez en bonnes œuvres, vous mettiez
le comble à notre consolation, vous soyez notre couronne, et
que l'Église, votre mère, se réjouisse de l'accroissement d'un
tel fils, qu'elle vient d'enfanter à Jésus-Christ, son époux.
Glorieux et illustre fils, soyez donc la consolation de votre
mère; soyez-lui, pour la soutenir, une colonne de fer... Car
notre barque est battue d'une furieuse tempête. Mais nous es-
(I) Anast. Epist. ad CloJov. t. V Spicileg., p. 582. — C'est une nouvelle preuve
que la conversion de Clovis arriva l'an 496 : car Anastase avait été élevé au ponti-
ficat au mois de novembre de cette môme année.
[496] EN FRANCE. — LIVRE V. 99
pérons contre toute espérance, et nous louons Dieu de ce
qu'il vous a tiré de la puissance des ténèbres, pour donner à
son Église, dans la personne d'un si grand roi, un protecteur
capable de la défendre contre tous ses ennemis. Daigne aussi
le Seigneur continuer à vous accorder à vous et à votre
royaume sa divine protection; qu'il ordonne à ses anges de
vous garder dans toutes vos voies et qu'il vous donne la vic-
toire sur tous vos ennemis. »
S. Àvite, évêque de Vienne, quoique sujet du roi de Bour-
gogne, écrivit aussi à Clovis une fort belle lettre pour le féli-
citer de sa conversion. Il lui dit d'abord que le choix qu'il a
fait de la religion catholique, préférablement à tant de sectes
hérétiques, est un préjugé favorable pour elle et comme
un rayon par lequel la lumière de la vérité se manifeste.
«Votre choix, lui dit-il (1), règle le jugement des autres :
vous jugez pour eux en choisissant pour vous, et votre foi
devient notre victoire. La plupart de ceux que nous pres-
sons d'embrasser la vraie foi, nous opposent les coutumes
et les usages de leurs ancêtres, qu'ils ont honte de con-
damner, et, par un prétendu respect pour leurs pères, ils
demeurent dans leur infidélité. Mais, après le miracle que
nous venons de voir, il faut que cette honte et ce prétexte
disparaissent. Tous n'avez voulu conserver de l'héritage de
vos ancêtres que leur noblesse : tout le reste de ce qui fait
la gloire d'un grand prince vient de vous-même et rejaillit
de vous sur vos pères. S'ils ont fait de grandes choses,
vous en faites de plus grandes. Vous avez appris de vos
aïeux à régner sur la terre : vous apprenez à vos descendants à
régner dans le ciel. Que la Grèce se félicite d'avoir un prince
de notre sainte lorf^) : elle n'est plus la seule qui ait ce bon-
heur. Voici une nouvelle lumière qui s'élève dans la personne
(1) Aviti Ep. xli.
(2) L'empereur Anastase, livré au parti des eutychiens, ne méritait pas le nom
de catholique. Mais S. Avite n'était pas assez instruit de ce qui se passait en
Orient : nous en verrons d'autres preuves^dans ]a suite.
100 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [496]
d'un ancien roi de notre Occident. Et certes ce n'est pas sans
mystère qu'elle a commencé à luire le jour de la naissance
du Rédempteur. Il était convenable que vous fussiez régé-
néré dans l'eau le même jour que le Seigneur du ciel était
né sur la terre pour le salut du monde.
« Que dirai-je de la solennité de votre baptême? Quoique
je n'y aie pas assisté, j'y ai été présent en esprit et j'ai pris
part à la joie commune : car la Bonté divine avait voulu que
vous nous fissiez savoir auparavant cette heureuse nouvelle.
Oh ! que cette nuit sacrée nous a rempli de consolation à
votre sujet ! Qu'elle a fourni de matière à nos réflexions et à
nos entretiens! Quel spectacle, disions-nous, de voir une
troupe de pontifes assemblés servir avec empressement au
baptême de ce grand roi ; de voir cette tête redoutée des na-
tions se courber devant les serviteurs de Dieu, cette chevelure
nourrie sous le casque recevoir par l'onction sainte un casque
de salut, ce guerrier quitter pour un temps la cuirasse pour
se revêtir d'habits blancs! N'en doutez pas, ô le plus glorieux
des rois, la mollesse de ces nouveaux habits (1) donnera une
nouvelle force à vos armes , et ce que votre bonheur a fait
jusqu'à présent, la piété le fera encore mieux.
« Je voudrais mêler à vos éloges quelques mots d'avis et
d'exhortation, s'il y avait quelque chose qui vous fût inconnu,
ou que vous n'eussiez pas la volonté de pratiquer. Mais
prêcherai-je la foi à celui qui a été confirmé dans cette foi (2),
et qui l'a connue auparavant sans le secours des prédicateurs?
Prêcherai-je l'humilité à celui qui nous en a donné tant de
marques, avant même de nous les devoir par la profession du
christianisme? Exhorterai-jc à la clémence celui dont un
(1) L'habit blanc des nouveaux bnptisés était de lin. Us le portaient huit jours;
après quoi, ils i*etournaient à l'église pour le quitter. L'Église fournissait aux
pauvres ces habits.
(2) U y a dans le texte de S. Avite, perfeclo. On nommait parfaits les chrétiens
qui avaient reçu la confirmation , parce que l'effet de ce sacrement est de les
rendre parfaits dans la foi et de les y confirmer; de, là vient aussi le mot de con-
firmation.
[496] EN FRANCE. — LIVRE V. 101
peuple de captifs mis en liberté annonce la miséricorde à Dieu
et aux hommes par les larmes que la joie fait couler ? Il n'y a
qu'une chose, grand prince, que je voudrais augmenter en
vous : c'est que le Seigneur voulant bien se servir de votre mi-
nistère pour gagner toute votre nation, vous étendissiez aussi
votre zèle aux autres peuples de la Germanie. N'ayez pas de
honte de leur envoyer des ambassadeurs pour les intérêts
d'un Dieu qui a eu tant de soin des vôtres... Tout retentit de
vos triomphes. Vos sujets ne sont pas les seuls qui y prennent
part : ce bonheur nous touche aussi, et nous vainquons tou-
tes les fois que vous combattez.... Mais, au comble de la
gloire et de la souveraine puissance, vous ne faites pas moins
éclater votre piété que votre pouvoir. C'est en suivant ses
inspirations que vous vous êtes intéressé à la délivrance du
fils d'un de vos serviteurs. Je l'ai obtenue de mon prince,
qui, quoique roi de sa nation, est votre soldat (1). J'envie à ce
jeune homme le bonheur qu'il aura de vous voir. Il lui sera
moins avantageux d'être rendu à son propre père que d'être
présenté au père commun. »
Nous avons cru devoir rapporter ici presque tout entière cette
lettre de S. Avite, parce que c'est le monument le plus certain
que nous ayons et en même temps le plus glorieux pour le pre-
mier roi chrétien des Francs. On y voit que ce prince fut baptisé
à Noël et non à Pâques, comme le dit Hincmar, et comme on
l'a cru si longtemps sur sa parole. Il est vrai que, selon les
règles ordinaires, on n'administrait le baptême, hors le cas de
nécessité, qu'à Pâques et à la Pentecôte; mais on crut ne devoir
pas différer dans cette circonstance, et peut-être l'usage de bap-
tiser à Noël, dont nous verrons quelques autres exemples dans
cette histoire, était-il déjà établi dans l'Église des Gaules.
Glovis ne frustra pas l'attente des catholiques. L'ardeur de
son zèle égala ses autres qualités, et l'Église en recueillit bien-
(1) Cette expression dont se sert S. Avite, peut faire croire que le royaume de
Bourgogne était dès lors tributaire de celui des Francs.
102 HISTOIRE DE LEGLISE CATHOLIQUE [497]
tôt les plus précieux fruits. Il crut que le premier devoir d'un
roi chrétien est de faire servir le Seigneur, et que si la loi
divine oblige les sujets à obéir au prince, celui-ci ne doit rien
omettre de son côté pour porter ses sujets à obéir à Dieu.
Dans cette vue, peu de temps après sa conversion, il publia un
édit pour inviter tous les idolâtres de sa nation et de son
royaume à embrasser la religion chrétienne, et c'est à juste titre
que S. Remile nomme non-seulement le défenseur, mais encore
le prédicateur de la foi. Les leçons et les exemples de ce grand
roi furent si efficaces qu'en peu de temps il gagna à Jésus-
Christ presque tout son peuple. Il eut cependant la douleur
de voir un prince de sa maison demeurer opiniâtrement atta-
ché à l'idolâtrie, qui le flattait dans ses désordres : c'était Ra-
gnacaire, roi de Cambrai. Il se retira dans cette partie delà
Belgique avec la plupart de ceux qui demeurèrent idolâtres.
Mais Dieu se servit dans la suite des armes de Clovis pour pu-
nir ses infâmes débauches (1).
Le christianisme fit un autre miracle : il adoucit bientôt les
mœurs barbares des Francs qui l'embrassèrent et il leur ins-
pira une humanité dont Clovis donna plusieurs exemples, qui
firent honneur- à la religion. Un seigneur de ses États nommé
Euloge, ayant été convaincu d'un crime de lèse-majesté, se ré-
fugia auprès de S. Remi, qui intercéda pour lui, et Clovis
accorda volontiers à ses prières la grâce du coupable. Euloge
par reconnaissance voulut donner à S. Remi la terre d'Eper-
nay : il la refusa, pour montrer que la charité des pasteurs doit
être désintéressée ; mais Euloge lui ayant témoigné qu'après
la disgrâce qui lui était arrivée, il était résolu à renoncer au
monde et à donner aux pauvres le prix de ses biens, le saint
éveque acheta de lui Epernay, au nom et avec les ressources de
l'Église de Reims (2).
Clovis donna une autre marque plus éclatante de sa clé-
(1) Sigeb. Chronie, — Remigii Epist, ad Léon. Senon. — Flod., h I, c. sali.
(2) Flod., 1. I, c. xiv.
[497) EN FRANCE. — LIVRE V. 103
mence. Les habitants de Verdun s'étant révoltés contre lui, il
alla mettre le siège devant cette place. Il était sur le point de
la prendre et de punir avec la dernière sévérité ces premières
rébellions, comme la politique semblait le demander, lorsque
les assiégés intéressèrent sa piété pour le fléchir. Ils lui dépu-
tèrent un saint prêtre nommé Euspice, à la place de S. Fir-
min (1), leur évêque, mort peu de jours auparavant. Euspice,
que sa sainteté rendait encore plus respectable que ses che-
veux blancs, conjura Clovis de pardonnera des malheureux
en vue de la religion qu'il venait d'embrasser. Ce nom seul
désarma la juste colère du roi (2). Il sacrifia son ressentiment
et sa politique à sa foi, et, sans tirer d'autre punition des
rebelles que celle de leur faire mieux sentir leur faute par sa
bonté, il entra en procession dans la ville, précédé du clergé
et aux acclamations du peuple : genre de triomphe aussi nou-
veau que glorieux pour un conquérant chrétien.
Clovis, charmé de la sagesse et de la vertu d'Euspice, voulut
le faire ordonner évêque de Verdun ; mais le saint homme
s'en excusa sur son grand âge et fit tomber le choix du prince
sur S. Viton ou S. Vannes, un de ses neveux (3). Il avait deux
autres neveux, savoir : Loup, qui fut depuis évêque de Troyes,
second de ce nom, et Maximin, qui était sa consolation et le bâ-
ton de sa vieillesse. Le roi souhaita qu'Euspice et Maximin le
suivissent jusqu'à Orléans, où il leur donna la terre de Mici
pour y bâtir un monastère. Comme c'est la première fonda-
tion qu'aient faite nos rois, nous avons cru devoir en rapporter
ici l'acte, qu'on regarde comme authentique.
« Clovis roi des Francs (4)... Nous vous donnons, vénérable
(1) S. Firmin est marqué le septième évêque de Verdun. Ses six prédécesseurs
sont : Sanctin, Maur, Salvin, Arateur, Pulclirone et Possesseur, qui sont tous honorés
comme saints.
(2) Vita S. Maximini Miciac, apud Duehesne, t. I.
(3) Hugues de Flavigny dans sa Chronique de Verdun, nomme S. Vannes le frère
de S. Maximin et par conséquent neveu de S. Euspice. Les autres auteurs ne
parlent pas de cette parenté. S. Vannes est nommé en latin Victo, Vitenus ou
Videnus.
(4) Clovis ajoute à la qualité de roi des Francs celle d'homme illustre : vàr
104 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [497]
vieillard Euspice, à vous et à Maximin votre neveu, la terre
de Mici (1) et tout ce qui appartient à notre fisc entre les
deux rivières, avec la chênaie, la saussaie et les deux mou-
lins ; le tout exempt de charge et de péage, tant au-dessous
qu'au-dessus de la Loire et du Loiret ; afin que vous et ceux
qui vous succéderont, imploriez la miséricorde divine pour
aotre conservation, pour celle de notre chère épouse et de nos
enfants. Et vous, saint évêque Eusèbe (c'était l'évêque d'Or-
léans), ayez soin de la vieillesse d'Euspice, protégez Maximin.
Défendez-les, eux et leurs biens de toute injure dans l'étendue
devotre diocèse : car on ne doit faire aucun tort à des personnes
que le roi honore de son affection. Vous tous, évêques delà
religion catholique, agissez delà même manière à leur égard.
Vous donc Euspice et vous Maximin, cessez de vous regarder
comme étrangers parmi les Francs. Habitez comme votre pa-
trie les terres que nous vous donnons au nom de la sainte,
indivisible, égale et consubstantielle Trinité. Qu'il soit fait ainsi
que moi Clovisl'ai voulu. Moi Eusèbe l'ai confirmé (2). »
Telle est la fondation du monastère de Mici, qui a pris le
nom de Saint-Maximin, dit par corruption Saint-Mesmin ; il a
été occupé en dernier lieu par les feuillants. Eusèbe d'Orléans
comptait parmi ses prédécesseurs, depuis S. Prosper dont
nous avons parlé/deux autres saints évêques, savoir : S. Moni-
teur, honoré le 10 novembre, et S. Floscule, vulgairement
S. Flou, honoré le 10 février avec Ste Sicaire.
On assure que Glovis prit aussi sous sa protection les
moines de Réomaiis (3) et leur assigna des revenus pour leur
inluster. Parmi divers titres honorifiques qui distinguaient les rangs, comme vir
inluster ou illustris , vir clarissimus et vir spectabilis, la qualité d'homme illustre
était la plus honorable. On la donnait aux préfets du prétoire, et les rois ne dé-
daignèrent pas de la prendre.
(1) Il y a dans le texte, per sanctam confarreationem et annulum tradimus, c'est-
à-dire, comme l'expliquent les glossaires, par la participation aux mêmes choses
saintes, consacrorum communione. Pour l'anneau, on sait que les Francs mettaient
l'acheteur ou le donataire en possession par un anneau ou par une motte de terre,
souvent par un fétu ou par quelque chose de semblable.
(2) Spicil. , t. V, p. 303.
(3) Ce lieu, situé en Bourgogne, a pris son nom d'un petit ruisseau appelé la
Réome. Réomaiis n'est plus connu que sous le nom de Mouslier-Saint-Jean.
[497) EN FEAN'CE. — LIVEE V. 105
entretien. L'abbé Jean, célèbre par sa sainteté, gouvernait ce
monastère qu'il avait établi. Il était originaire de Dijon. Son
père Hilaire, un des sénateur de cette ville, et sa mère Quiéta
étaient recommandables par leur piété. Il profita si bien de
ces exemples domestiques qu'à l'âge de vingt ans il se retira,
avec deux de ses serviteurs, dans une des maisons de cam-
pagne de son père et s'y bâtit une cellule et un oratoire. Il
passa ensuite avec ses compagnons dans un lieu plus désert,
nommé Réomaiïs, qui appartenait aussi à son père, sur le
territoire de Tonnerre. Le nombre de ceux qui vinrent se ran-
ger sous sa conduite l'engagea à y bâtir un monastère, dans
lequel il établit la règle de S. Macaire, accommodée aux usages
des moines occidentaux (1). On prétend que dès que ce saint
abbé eut appris la conversion de Glovis, il le pria de prendre
son monastère sous sa protection, et que Glovis le fit avec
bonté dans un acte par lequel il donna au monastère de
grands biens, et déclara qu'il regardait l'abbé Jean comme son
principal patron, par les mérites duquel il espérait vaincre
tous ses ennemis. Il paraît assez extraordinaire qu'on parle
ainsi d'un homme encore vivant ; mais on en trouve quelques
exemples dans les lettres de Rurice de Limoges. Nous ne ga-
rantissons cependant pas la vérité de cet acte (2), qui nous est
suspect par d'autres endroits. Il est daté de Reims, le 29 dé-
cembre, incliction cinquième et la seizième année du règne de
Glovis.
Si nous en croyons d'anciennes chroniques, la ville de
Strasbourg reçut des marques éclatantes de la piété et de la
magnificence de Clovis. On assure que ce prince en fit bâtir la
cathédrale quelques années après, comme pour faire connaître
(1) Vita S. Joan. Reomensis, auctore Joan., apud Bolland., 28 janv.
(2) 1° On fait dire à Clovis dans cet acte : primo nostro susceptœ christianitalis
atque subjugationis Gallorum anno , comme si ce prince n'avait soumis la Gaule à sa
domination que l'année qu'il reçut le. baptême. 2° L'indietion cinquième désigne
l'an 496, et la seizième année de Clovis marque l'an 497. On assure cependant que
l'original de cet acte a été conservé dans les archives de la chambre des comptes
de Dijon, et qu'il fut reconnu authentique l'an 1324. La critique souscrira -t-elle
à ce jugement ?
106 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [499]
par ce monument aux peuples de la Germanie quelle était sa
foi et les inviter à l'embrasser. Les premiers évêques de
Strasbourg après S. Amand, dont nous avons parlé, sont Jus-
tin, Maximin, Yalentinet Solarius, auxquels on donne le titre
de saints : c'est ce que nous en pouvons dire de plus certain
et en même temps de plus honorable.
Mais de toutes les Églises celle qui eut le plus de part aux
libéralités de Glovis fut l'Église de Reims. Il suivait en cela
les mouvements de sa piété et cle sa reconnaissance envers
S. Remi, qu'il aima et respecta toujours comme son père. Le
saint évêque de son côté fit servir à la propagation de la foi la
protection et la confiance dont ce prince l'honorait. Il envoya
un saint solitaire nommé Antimond, et vulgairement Au-
mond, travailler à la conversion des Morins, c'est-à-dire du
pays de Thérouanne (J) et cle Roulogne, lequel obéissait alors
à un prince franc nommé Gararic. Le saint missionnaire, qui
fut le premier évêque de Thérouanne, n'en fut pourtant pas le
premier apôtre. Nous avons vu que les SS. Fuscien et Yic-
toric et ensuite S. Yictrice y avaient annoncé l'Évangile; mais
le temps et les ravages des barbares y avaient presque étouffé
les semences de la foi.
L'Église d'Arras avait eu le même sort : S. Remi lui procura
les mêmes secours. Il ordonna pour évêque (2) de cette ville
le saint prêtre Yaast, dont nous avons parlé, et il l'envoya
cultiver des terres qui, après avoir été autrefois fertiles, ne
produisaient plus alors que des ronces, faute de culture. De-
puis le baptême de Glovis, Yaast était demeuré à Reims, d'où
l'éclat de ses vertus s'était répandu dans toute la Gaule. On ne
pouvait choisir un ouvrier plus habile et plus laborieux.
Aussi n'accepta-t-il sa nouvelle dignité qu'en vue des travaux
(1) Thérouanne fut détruite par Charles-Quint l'an 1553, et de son diocèse on
fit trois sièges épiscopaux, savoir: Ypres, Boulogne et Saint-Omer; ces deux der-
niers sont compris aujourd'hui dans le diocèse d'An-as.
(2) On compte communément S. Yaast pour le premier évêque d'Arras. Mais il
y a des auteurs qui donnent ce titre à S. Diogène, qu'on croit avoir été martyrisé
par les Vandales et avoir aussi gouverné l'Église de Cambrai.
[499] EX FRANCE. — LIVRE V. 107
qu'il en croyait inséparables, et il ne fut pas trompé. Il ne
trouva à Àrras presque plus d'autres vestiges du christianisme
que les ruines des églises qu'Attila avait renversées, après
avoir arrosé les autels du sang des serviteurs de Dieu. Un si
triste spectacle rendit son zèle encore plus ardent. Il fit rebâtir
les temples du Seigneur, y ordonna des ministres, et il eut la
consolation de voir ses travaux apostoliques produire les plus
heureux fruits. En effet, ses exhortations assidues, appuyées
par ses miracles, réveillèrent en peu de temps la foi des anciens
chrétiens et la firent naître clans le cœur des idolâtres, qui,
charmés de ses vertus, allèrent en grand nombre lui deman-
der le baptême (1). La sainteté du prédicateur est presque tou-
jours la preuve la plus décisive de la vérité de ses discours.
Il n'y avait pas d'évêque à Laon. Cette ville, qui honore
S. Béat (2) comme un cle ses premiers apôtres, avait tou-
jours appartenu jusqu'alors au diocèse de Reims. Mais
S. Remi n'était pas de ces pasteurs qui cherchent plutôt la
gloire de gouverner un grand troupeau que celle de le bien
conduire : il y établit un nouvel évêché. Pour cela il fit don
à l'église de Sainte-Marie de Laon d'une partie des biens que
Clovis lui avait donnés, et il nomma premier évêque de cette
ville (3) Génebaucl, également distingué par sa noblesse et sa
science des saintes Écritures et des auteurs profanes. Il avait,
à ce qu'on croit, épousé la nièce de S. Remi; mais il ne man-
qua pas aussitôt qu'il eut été ordonné de se séparer d'elle,
pour vivre dans la continence, selon les règles de l'Église.
Les fréquentes visites qu'il permit à sa femme de lui rendre
le firent tomber, et il en eut deux enfants étant évêque : tant
(1) Vita S. Vedasti, 6 febr.
(2) L'Eglise de Laon honore S. Béat le 9 mai. Ce qui donne lieu de croire
çpie c'est le même que celui qui est honoré à Vendôme sous le nom de S. Bié ou
S. Bienheuri'.
(3) Hincmar dit que les villes de Boulogne et d'Arras eurent des évêques avant
ia ville de Laon. Ce qui peut faire croire ou que S. Aumond et S. Vaast n'en
Purent pas les premiers évêques, ou que S. Remi n'établit le siège de Laon que
plusieurs années après. Mais Hincmar écrivait contre un évêque de Laon avec
lequel il était en procès.
108 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [429 1
il est vrai que la vertu qui paraît la plus ferme est bien faible
quand elle s'expose au danger des occasions.
Dieu tira sa gloire de cette chute. Génebaud, oppressé par
le poids de son crime, avait fait prier S. Remi de venir à Laon.
Le saint évêque s'y rendit sans délai, et, après avoir été intro-
duit dans un appartement secret de la maison, il demanda à
Génebaud pourquoi il l'avait fait venir. Génebaud, suffoqué
par les larmes et les sanglots, se jeta aux pieds de S. Remi
et lui remit l'étole, qu'il ne se croyait plus digne de porter.
S. Remi le comprit, et, plein de compassion, pleura avec lui.
Après avoir reçu de Génebaud l'aveu de ses fautes, le saint
évêque de Reims le consola avec une bonté paternelle, tout en
sauvegardant les droits de la justice divine: car, pour réparer
le scandale dans le lieu même où il avait été donné , il l'en-
ferma à Laon dans une cellule près de l'église de Saint-Julien.
L'évêque pénitent y demeura reclus sept ans entiers pour
expier son péché ; après quoi Dieu lui fit connaître qu'il lui
avait pardonné. La vie sainte que Génebaud continua de
mener pendant le reste d'un fort long épiscopat, fit oublier
cette faute même aux hommes, qui se souviennent souvent
avec malignité de ces sortes de faiblesses longtemps après
que Dieu lésa pardonnées (1).
S. Remi ne borna pas son zèle au salut des Francs : il
tâcha de gagner aussi à Jésus-Christ les Bourguignons, et,
tandis que Glovis se préparait à la conquête de ce royaume,
il engagea les évêques de la domination de Gonclebaud à tra-
vailler de concert à la réunion des ariens (2). Ces prélats, qui
n'avaient pas moins de prudence que de zèle, jugèrent que
pour mieux faire réussir leur pieux projet il fallait le cacher
et s'assembler à Lyon sous un autre prétexte. La fête de
Saint-Just, qui était proche, en fournit un fort plausible.
(1) Hincm., VitaS. Iiemig., c. v. — Flod., 1. I, c. XIV.
(2) Fleury,t. VII, p. 110,, dit seulement que ce furent l'exemple et les miracles
de S. Remi qui excitèrent les évêques bourguignons à s'assembler. Mais la re-
lation de la conférence dit quelque chose de plus: Domino inspirante pro salute
totius gentis, cor domini Remigii factum est ut episcopi congreyarentur.
[499] EN FRANCE. — LIVRE V. 109
S. Etienne, qui avait succédé à S. Rusticius sur le siège de
Lyon, invita donc à cette solennité les évêques les plus dis-
tingués : S. Eonc d'Arles, Honorât de Marseille, S. Avite de
Vienne, S. Apollinaire de Valence son frère, et plusieurs
autres. Gomme nous avons une relation exacte de la confé-
rence qu'ils eurent avec les ariens, nous avons cru ne pou-
voir rien faire de mieux que d'en rapporter ici le texte, per-
suadé qu'on y verra avec plaisir la foi triompher des chicanes
de l'erreur.
« Ces saints évêques, s'étant donc rendus à Lyon, allèrent
tous ensemble avec l'évêque Etienne saluer le roi Gondebaud
à Sarbiniac ou Servigny, maison de plaisance auprès de Lyon.
Les chefs des ariens auraient bien voulu empêcher le prince
de leur donner audience. Mais Dieu, qui avait ses secrets des-
seins, ne le permit pas. Après que les évêques eurent salué
le roi, Avite, à qui ils avaient déféré l'honneur de porter la
parole, à cause de sa naissance et de son érudition, lui dit :
Prince, si Votre Excellence (1) veuf assurer la paix à l'Église,
nous sommes prêts à montrer si clairement la vérité de
notre foi par l'autorité de l'Évangile et des Épîtres des Apô-
tres, qu'il demeurera hors de doute que votre croyance
n'est pas la foi de Dieu et de l'Église. Vous avez ici les plus
habiles de votre parti : commandez-leur de conférer avec
nous. Qu'ils voient s'ils peuvent répondre à nos raisons,
comme nous sommes prêts à répondre aux leurs.
« Le roi répondit : Si votre foi est la véritable, pourquoi
vos évêques n'empêchent-ils pas le roi des Francs de me dé-
clarer la guerre et de s'unir à mes ennemis pour me dé-
truire? Gar la vraie foi ne s'accorde pas avec la convoitise
du bien d'autrui ni avec la soif du sang des peuples : qu'il
montre sa foi par ses œuvres. Avite repartit avec humilité et
(1) On donnait alors assez communément aux rois le titre d'Excellence. Théo-
doric, roi d'Italie, ]e donne à Clovis. Celui de Majesté ne fut en usage que long-
temps après; encore trouve-t-on qu'on le donnait quelquefois au pape et même à
des évêques.
110 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [499]
modestie : Nous ignorons pourquoi le roi des Francs entre-
prend la guerre dont vous vous plaignez. Mais l'Écriture nous
apprend que les royaumes sont souvent détruits pour avoir
abandonné la foi, et que le Seigneur suscite de toutes parts
des ennemis à ceux qui se déclarent les siens. Embrassez,
vous et votre peuple, la loi de Dieu, et il vous donnera la
paix. Car si vous avez la paix avec lui, vous l'aurez avec les
autres, ou vos ennemis du moins ne prévaudront pas.
« Est-ce donc que je ne professe pas la loi de Dieu? dit le
roi: Quoi! parce que je ne reconnais pas trois dieux, vous
prétendez, vous autres, que je ne professe pas la loi de Dieu?
Je n'ai point lu dans l'Écriture qu'il y ait trois dieux, mais
un seul. ^Avite répliqua : Dieu nous garde, grand roi, d'a-
dorer plusieurs dieux : Ton Dieu, ô Israël, est un. Mais dans
ce Dieu, un en essence, il y a trois personnes. Il expliqua en-
suite plus en détail la foi du mystère de la Trinité, et, voyant
que le prince l'écoutait favorablement, il ajouta : Oh! si vous
vouliez connaître combien notre foi est bien fondée, quels
avantages ne vous en reviendrait-il pas, à vous et à votre
peuple ! Commandez à vos évêques de conférer avec nous
en votre présence, pour vous faire connaître que le Seigneur
Jésus est le Fils éternel du Père, que le Saint-Esprit est co-
éternel à l'un et à l'autre, et que ces trois personnes sont un
seul Dieu avant tous les temps et sans commencement
comme sans fin. Ayant parlé ainsi, lui et les autres évèques
se jetèrent aux pieds du roi, et, les tenant étroitement em-
brassés, ils versaient des larmes amères. Gondebaud se
sentit ému et les releva en leur disant qu'il leur rendrait
réponse sur ce qu'ils avaient demandé.
« Le lendemain, le roi, revenant à la ville par la Saône, en- i
voya chercher Étienne et Avitc et leur dit : Je vous accorde
ce que vous demandez : car mes évèques sont prêts à vous
démontrer que personne ne peut être coétcrnel et consubstan-
tiel à Dieu... Mais je ne veux pas que la conférence se fasse
devant tout le peuple, de peur qu'elle ne soit une occasion
[499] EN FRAXCE. — LIVRE V. 111
de trouble ; elle se fera seulement en présence de mes séna-
teurs et d'autres personnages que je choisirai, comme vous
choisirez de votre côté ceux qu'il vous plaira, mais en petit
nombre, et ce sera demain que commencera la discussion.
Les deux évêques remercièrent humblement le prince, et se
retirèrent pour aller avertir leurs confrères. Ce jour était la
veille de Saint-Just, c'est-à-dire le 1er septembre. Les évèques
eussent bien souhaité que la conférence eût été remise après
la fête; mais ils n'osèrent le proposer et ils allèrent tous
passer la nuit en prière au tombeau du saint. A l'office de
la nuit le lecteur, récitant une leçon de Moïse, lut ces pa-
roles : J 'endurcirai son cœur, je multiplierai mes prodiges
et mes miracles dans l'Egypte, et il ne vous écoutera pas.
Il en récita aussi une des Prophètes, une autre de l'Évangile,
et une quatrième des Epîtres, et l'on trouva dans toutes des
textes formels sur l'endurcissement du cœur. Les évêques,
qui crurent y voir un présage de l'opiniâtreté de Gondebaud,
en furent sensiblement affligés. Ils ne laissèrent pas pour-
tant de se préparer avec soin à la défense de la foi. On voit
ici la coutume de réciter aux grandes solennités des leçons
des principaux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament.
« Les évêques catholiques se trouvèrent le lendemain à
l'heure marquée au palais de Gondebaud, avec plusieurs
prêtres et diacres et quelques laïques, parmi lesquels étaient
Placide et Lucain, deux des principaux officiers de l'armée.
Les ariens y vinrent avec les leurs. Avite portait la parole
pour les catholiques, et Boniface pour les ariens. Avite, na-
turellement éloquent, et à qui le Seigneur donnait une nou-
velle grâce, commença à proposer notre croyance et à la
justifier par les témoignages de l'Écriture avec tant de force
que les ariens en parurent consternés. Boniface, qui l'avait
écouté assez tranquillement, ne pouvant rien opposer à ses
. raisons, voulut faire diversion en proposant les objections
les plus difficiles. S. Avite ne prit pas le change, il pressa
son adversaire de répondre à ses preuves, lui promettant de
112 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [499]
satisfaire ensuite à ses difficultés. Boniface ne put détruire
un seul des arguments d'Avite et ne répondit que par des
invectives, en traitant les catholiques d'enchanteurs et d'a-
dorateurs de plusieurs dieux. Le roi, voyant la confusion de
son parti, se leva et dit que Boniface répondrait le lende-
main. Les évêques se retirèrent, et, comme il se faisait tard,
ils se rendirent aussitôt avec les autres catholiques à la basi-
lique de Saint-Just, dont on célébrait la fête ce jour-là, pour y
remercier le Seigneur de la victoire qu'il leur avait accordée
sur ses ennemis.
« Le lendemain ils revinrent au palais, où ils trouvèrent en
entrant Arédius, qui voulut leur persuader de s'en retourner,
en leur disant que toutes ces disputes ne servaient qu'à ai-
grir les esprits. L'évêque Etienne, qui savait qu'Arédius, quoi-
que catholique, favorisait les ariens pour faire sa cour au roi,
lui répondit qu'il ne fallait pas craindre que le zèle pour le
salut de ses frères et la recherche de la vérité produisissent
la division ; qu'au contraire il n'y avait rien de plus propre à
entretenir l'union d'une sainte amitié que de connaître de
quel côté était la vérité, parce qu'elle est aimable en quelque
lieu qu'elle soit et fait aimer ceux qui la professent; qu'au
reste ils ne venaient que par ordre du roi. Arédius, en bon
courtisan, se rendit à cette dernière raison. Le roi, voyant ve-
nir les évêques catholiques, s'avança au-devant d'eux, et,
s'étant assis entre Étienne et Avite, il leur fît de nouvelles
plaintes contre Glovis, qu'il accusait de pousser son frère
Godégisile à s'armer contre lui. Les évêques répondirent que
l'unité de la foi était le meilleur moyen de procurer la paix ,
et que, s'il l'avait pour agréable, ils lui promettaient leur mé-
diation.
« Chacun ayant pris sa place comme le jour précédent,
Avite fit un discours pour répondre aux objections proposé
par Boniface à la dernière conférence. Il montra si clairement
que les catholiques n'adorent pas plusieurs dieux, que ses
adversaires mêmes en demeurèrent frappés d'étonnemenl
[499] EN FRANCE. — LIVRE V. 113
Boniface, qui voulut répliquer, ne fit que répéter les injures
et les calomnies qu'il avait vomies le jour précédent. Mais il
le fit avec tant de violence et d'emportement qu'il en con-
tracta un enrouement qui l'empêcha de continuer son dis-
cours et qui pensa le suffoquer. Le roi, ayant attendu long-
temps en vain que la parole lui fût revenue, se leva plein d'in-
lignation contre Boniface. Mais Avite lui dit, en montrant les
mtresévêques ariens : Prince, si vous vouliez ordonner à ceux-
ci de répondre à nos raisons, on pourrait juger à quelle doc-
trine il faut s'en tenir. Le roi et les autres ariens ne répondaient
?ien, tant ils étaient interdits et confus. Avite ajouta : Si vos
h'êques ne peuvent nous répondre, à quoi tient-il que nous
le nous réunissions tous dans la même foi? Cette proposition
îxcita les murmures des ariens. Alors Avite, sûr de la vérité
le sa foi et plein de confiance au Seigneur, dit : Si nos rai-
sons ne peuvent les convaincre, je ne doute pas que Dieu ne
asse un miracle pour confirmer notre croyance. Prince, or-
lonnez qu'eux et nous allions ensemble au tombeau de
5. Just, que nous l'interrogions sur notre foi, et Boniface sur
a sienne : le Seigneur décidera par la bouche de son servi-
eur. Le roi, surpris de la proposition, semblait l'accepter;
nais les ariens s'écrièrent qu'il ne leur était pas permis,
lour prouver leur foi, d'avoir recours à des enchantements
Dt à des sortilèges à l'exemple de Saûl, qui avait été maudit
le Dieu. Le roi, qui s'était déjà levé de son siège, prit Etienne
3t Avite par la main et les conduisit jusqu'à son apparte-
nez, où il les embrassa tendrement en leur disant de prier
Dieu pour lui. Yoilà tout le fruit que ce prince retira de la
conférence; mais plusieurs qui y avaient assisté, furent plus
Mêles à la grâce : ils abjurèrent leurs erreurs et furent bap-
isés. » On peut en conjecturer qu'ils étaient sectateurs de
3hotin ou de Paul de Samosate (i).
(1) Un canon (can. 1C) du second concile d'Arles marque qu'on doit baptiser les
)hotiniens et les paulianistes qui se convertissent, et non les bonosiens et les ariens.
TOME XI. 8
114 HISTOIRE DE l'ÉGLISE CATHOLIQUE [499]
Cette conférence, que vous venons de rapporter sur la re-
lation d'un auteur contemporain, se tint pendant que Glovis
faisait des préparatifs pour la guerre de Bourgogne et par
conséquent avant l'an 500 (1). On y voit quelle était la véné-
ration des peuples pour le tombeau de S. Just. On s'y rendait
chaque année de toutes parts pour la fête, et S. Sidoine, qui
y avait assisté, nous en a décrit la solennité (2). Il rapporte
qu'on marchait en procession avant le jour; qu'il y avait une
si grande multitude de fidèles des deux sexes que, quelque
vaste que fût l'église avec ses portiques, elle ne pouvait la con-
tenir ; qu'il y avait un nombre infini de cierges allumés ; qu'à
l'office des vigiles, c'est-à-dire de matines, les psaumes
étaient chantés à deux chœurs par les moines et les clercs ;
qu'après cet office on se retirait jusqu'à l'heure de tierce, à
laquelle on se rassemblait pour la messe. Car selon l'ancienne
discipline on devait la célébrer à la troisième heure du jour,
c'est-à-dire à neuf heures du matin.
La discussion contre les ariens, en donnant lieu à S. A vite
de faire paraître ses talents, augmenta l'amitié et l'estime
dont Gondebaud honorait ce grand évêque. Il le consultait
sur les textes les plus obscurs de l'Écriture, sur divers ar-
ticles de la foi et même sur la divinité de Jésus-Christ. Pour
répondre à ces difficultés, le saint évêque lui écrivit plusieurs
lettres, dans lesquelles il combat toujours avec un nouvel
avantage les erreurs des ariens, des bonosiens et des photi-
niens. Dans une de ces lettres il dit que le nom missa est un
terme commun , pour congédier le peuple , aux églises , aux
palais et aux prétoires : ce que nous faisons remarquer poui
faire voir que ces paroles du prêtre : lté missa est, ont donne'
le nom au sacrifice de la messe (3), selon S. Avite.
Mais dans la suite S. Grégoire ordonna qu'on baptisât aussi les bonosiens, sani
doute parce qu'ils altéraient alors la forme du baptême.
(1) Collât, episc. in Spicil. t. V. — Le P. Pagi rapporte cette conférence à l'an 501
mais elle précéda la guerre de Bourgogne, qu'il faut placer en l'an 500.
(2) Sidon., 1. V, Ep. xvii.
(3) Le P. Sirmond approuve fort l'étymologie latine que S. Avite donne du mo
[499] EN FBANCE. LIVRE V. 115
Gondebaud le chargea d'écrire contre l'hérésie d'Eutychès,
qui commençait à se répandre sourdement dans les Gaules.
Avite le fit avec zèle; mais, en expliquant les dogmes de cette
hérésie, il paraît la confondre avec celle de Nestorius. « Eu-
tychès, dit-il (1), pressé par le concile de confesser et de
souscrire que la vierge Marie est mère de Dieu , ôèoréxou ,
eut recours à ses artifices ordinaires et confessa seulement
qu'elle est mère de Jésus-Christ, Xpt<jroroxou. » Ce saint évêque
se trompe en cette occasion. Car, bien que les eutychiens, en
enseignant que la chair de Jésus-Christ était descendue du
ciel, détruisissent la maternité divine dans Marie, on voit
évidemment que S. Avite attribue ici à Eutychès ce qui ne
convient qu'à Nestorius. En effet, les eutychiens, en suppo-
sant que la chair de Jésus-Christ était descendue du ciel,
sapaient également par là le fondement de la maternité di-
vine dans Marie et celui de sa maternité du Christ, et, comme
ils n'admettaient qu'une personne et qu'une nature en Jésus-
Christ, ils n'avaient garde de distinguer la mère du Christ de
la mère de Dieu ; au lieu que cette distinction, inventée par
Nestorius, ressortait du principe même de son hérésie, qui,
en admettant deux personnes en Jésus-Christ, ne reconnais-
sait qu'une union morale entre le Verbe et l'homme. Mais en
Occident on était peu versé dans toutes les chicanes de ces
hérésies, qui n'avaient troublé que l'Orient.
Dans le reste de sa lettre, S. Avite prouve invincible-
ment, par les textes les plus formels des saintes Écritures,
l'unité de personne en Jésus-Christ et la distinction des na-
tures. Il combat encore l'hérésie euty chienne dans une autre
lettre (2) à Gondebaud ; il le met au fait de la division arrivée
au sujet d'Acace, mort dans l'hérésie des eutychiens, et de
de messe, et raille ceux qui veulent le tirer de l'hébreu. Le P. Hardouin, dans sa
réfutation du P. le Courayer, rend cependant assez vraisemblable ce dernier sen-
timent. Il dérive ce mot d'un verbe hébreu qui signifie facere, sacrificare : suivant
cette étymologie la messs'signifie sacrifice. C'est en ce sens qu'on a appelé le canon
de la messe actio, c'est-à-dire, immolatio, sacriftcium.
(1) Avit. Ep. il. — (2) Avit. Ep. ni.
116 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [499]
celle causée par le Trisagion (1). C'était une hymne, dans
laquelle, pour mieux insinuer la confusion des deux natures
en Jésus-Christ, on avait ajouté quelques paroles qui pouvaient
faire entendre que la divinité même avait souffert. Comme
toute innovation est justement suspecte en temps d'erreur,
surtout quand elle vient de la part des hérétiques, les catho-
liques s'élevèrent contre celle-ci, et il y eut à ce sujet de si
grands troubles à Constantinople que l'empereur Anastase en
pensa perdre la couronne. Tant il est dangereux à un prince de
touchera la religion!
Gondebaud consulta aussi S. Avite sur le centuple que Jé-
sus-Christ promet, et sur deux propositions extraites d'une
lettre de l'évêque Fauste à Paulin de Bordeaux (2) : ce qui
donne lieu de croire que la lettre n'est pas de Fauste le mani-
chéen, comme S. Avite paraît le soupçonner, mais de Fauste
de Riez. Ce dernier pouvait plus aisément avoir connu un
Paulin originaire de Bordeaux dont nous avons parlé, et qui,
s'étant retiré à Marseille pour y faire pénitence après la perte
de ses biens, y vécut jusqu'à une extrême vieillesse. Par la
première proposition, Fauste rejetait comme inutile la péni-
tence faite à l'article de la mort, et dans la seconde il soute-
nait que la foi seule ne servait de rien. S. Avite dit que la
première proposition est trop dure et contraire à la vérité,
parce que l'humilité de celui qui confesse son péché n'est pas
sans fruit , et que la volonté de se corriger, si elle est sin-
cère, plaît à Dieu; il ajoute cependant qu'on ne doit admettre
la pénitence en ces occasions qu'avec crainte et défiance. Il
(1) On nomma cette hymne Trisagion, parce qu'on y répétait trois fois ' Ayio;,
c'est-à-dire Saint, en l'honneur des trois personnes de la Trinité. Pierre le Foulon,
patriarche d'Antioche y ajouta : vous qui avez été crucifié pour nous, ayez pitié d«
nous, voulant par là insinuer Terreur des théopaschites. Les catholiques, qui dé-
couvrirent le piège, s'opposèrent à ce qu'on chantât ce verset. C'est sur quoi S. Avite
ne paraît pas non plus assez au fait : car il impi-ouve la conduite de ceux qui blâ-
maient cette addition. Calendion, éveque d'Antioche, pour ôter le mauvais sens,
rit ajouter au commencement du dernier verset, Xpurrè êacrtXeO, c'est-à-dire
Jésus-Christ roi.
(2) Avit. Epist. in Miscell. Baluz., t. I.
[499] EN FRANCE. — LIVRE V. 117
dit sur la seconde proposition qu'il faut aussi l'adoucir, parce
que la foi seule ne laisse pas d'avoir de grands avantages, et que
c'est le fondement de tous les biens spirituels (1).
Gondebaud paraissait s'approcher du royaume de Dieu, et
l'on concevait de nouvelles espérances de l'arracher à l'erreur.
Un célèbre orateur de ce temps-là nommé Héraclius fît ser-
vir son éloquence à la défense de la foi catholique, et confondit
les ariens et le roi même dans une nouvelle discussion. S. Avite
félicita cet orateur du courage qu'il avait eu de soutenir les
intérêts de la vérité contre ce prince. « Autrefois, lui dit-il,
en prononçant le panégyrique du roi, vous avez rendu à
César ce qui était à César : et aujourd'hui, rendant à Dieu ce
qui est à Dieu, vous n'avez pas cru devoir épargner César.
Mais vous donnez par là même un nouveau prix à l'éloge que
vous avez fait de lui. Car votre résistance au roi est une
marque que vous ne savez pas flatter. » S. Avite prédit à
Héraclius l'épiscopat, dont il se montrait si digne par son
zèle (2).
Ce saint évêque de Vienne continuait lui-même à avoir sou-
vent des entretiens sur la religion avec Gondebaud. Un jour
il le pressa si vivement que ce roi arien, ne pouvant plus ré-
sister à l'évidence de la vérité, le pria de le réconcilier secrè-
tement à l'Eglise par l'onction du saint chrême. Mais S. Avite
lui répondit : « Prince, si vous croyez véritablement, pour-
quoi craignez-vous de confesser Jésus-Christ devant les
hommes, comme il l'a commandé? La crainte de quelque
sédition de la part de vos sujets vous arrête quand il s'agit
d'obéir au Créateur de toutes choses ! . . . Vous êtes roi, et vous
craignez vos sujets] Ne savez-vous pas que c'est plutôt à eux
de vous suivre qu'à vous de vous conformer à leur faiblesse?
N'êtes- vous donc pas le chef de votre peuple , ou votre peuple
(1) Avit. Ep. IV. — (2) Avit. Ep. xlvii. On trouve un Héraclius évêque des
Trois-Châteaux au second concile d'Orange, au second concile de Vaison et au
quatrième d'Orléans : ce pourrait être celui dont il est ici question , et la prédic-
tion de S. Avite aurait été accomplie.
118 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [500]
est-il votre maître? Quand vous allez à la guerre, vous mar-
chez le premier, et vos soldats vous suivent. Faites de même
dans le chemin de la vérité : montrez-le à vos sujets en y en-
trant le premier, plutôt que de vous égarer à leur suite dans
les routes de l'erreur (1). » Rien n'était plus pressant qu'un tel
argument ; mais la crainte de perdre un royaume temporel en
se déclarant catholique l'emporta toujours dans l'esprit de
Gondebaud sur l'espérance d'acquérir celui de Jésus-Christ,
et il ne connut la vérité que pour la sacrifier à sa politique et à
son ambition, à laquelle nous le verrons bientôt immoler la
vie de Godégisile, comme il avait déjà sacrifié celle de ses
deux autres frères.
Pendant que ce prince délibérait ainsi, Glovis exécutait le
dessein qu'il avait formé contre lui. Ayant joint ses armes à
celles de Godégisile, il remporta une grande victoire près de
Dijon, et, après s'être emparé de presque tout le royaume de
Bourgogne, il alla mettre le siège devant Avignon. Gondebaud,
qui avait eu l'imprudence de s'enfermer dans cette place,
eut recours à l'artifice pour se tirer de l'extrémité où il était
réduit : jugeant qu'il serait plus aisé de tromper les Francs
que de les vaincre, il fit passer comme transfuge dans le camp
de Glovis un de ses confidents, qui, en exagérant les forces de
la place, porta facilement ce conquérant à se contenter du tri-
but qu'offrait Gondebaud. A cette condition le siège fut levé.
Mais aussitôt que les Francs se furent retirés, Gondebaud
marcha contre son frère Godégisile, l'assiégea dans Vienne,
et, ayant pris cette ville par stratagème, il fit brûler ce mal-
heureux prince dans une église d'ariens, dans laquelle il s'é-
tait réfugié (2).
C'est ainsi que Gondebaud devint maître de toute la Bour-
gogne. Dès que son ambition fut satisfaite, il montra quelque
amour de la justice. Il s'appliqua à faire pour sa nation des lois
(1) Greg. Tur., 1. II, c. xxxiv. — (2) Marius Avent. Chron. — Greg. Tur.,
1. II, c. xxxii et xxxm.
[500J EN FRANCE. LIVRE V. 119
plus favorables aux Gaulois que les précédentes , afin que
ceux-ci, n'étant plus opprimés par les Bourguignons, désiras-
sent moins la domination des Francs. Il publia dans cette vue
un nouveau code, l'an 501 ou 502 (1); en voici quelques dis-
positions : Les filles qui se sont consacrées à Dieu pour garder
la chasteté auront leur part de la succession paternelle. — Un
Juif qui osera porter la main sur un chrétien aura le poing
coupé ; s'il veut racheter sa main, il payera 75 sous, et 12 sous
d'amende. S'il a frappé un prêtre, on le fera mourir, et ses
biens seront confisqués. — L'homicide et l'adultère sont punis
de mort. — Si une fille libre pèche avec un esclave, qu'ils soient
mis à mort l'un et l'autre. — Une femme qui abandonne son
mari sera étouffée dans la boue. — Ceux qui n'ont pas de bois
pourront librement en aller couper dans les forêts des autres.
Dans les procès civils ou criminels, on se dérobait le plus
souvent aux poursuites en jurant qu'on était innocent, et
l'on faisait même jurer les enfants qui n'avaient pas l'âge de
raison. Si la partie ne voulait pas s'en rapporter au serment
de ceux qui offraient de jurer, on ordonnait un duel, et si celui
qui proposait le serment était tué, tous les témoins qui avaient
offert de jurer avec lui payaient chacun 300 sous (2). On
croyait que celui qui était mort était le coupable, et on nom-
mait jugement de Dieu cette manière de décider les procès.
Cette loi fut nommée la Gondebade, et, toute empreinte de
barbarie qu'elle était, elle ne laissa pas de subsister dans le
royaume de Bourgogne plusieurs siècles après que les Francs
en furent maîtres.
La prospérité a pour effet ordinaire d'enfler le cœur et d'a-
veugler l'esprit. Celle de Gondebaud ne servit qu'à le confir-
mer dans ses erreurs. Mais son attachement à sa secte n'em-
pêcha pas que Dieu n'eût ses élus à sa cour. Une sainte reine
(1) On voit à l'occasion de cette ancienne loi une ordonnance datée de la seconde
année de Gondebaud: ce qu'il faut entendre de son règne sur toute la Bourgogne,
qui commença sur la fin de l'an 500.
(2) Cod. leg. vet. Lindembr., h I, c. lxiii.
120 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [500]
nommée Caréténé, y faisait, comme nous avons dit, une pro-
fession publique de la vraie foi , et elle l'honorait plus encore
par sa piété que par son rang. Elle vivait dans le palais comme
dans un cloître, portait le cilice sous la pourpre, s'adonnait
aux jeûnes, faisait de grandes aumônes et exhortait souvent
ses enfants et ses petits-fils à embrasser la foi catholique (1).
Il est assez vraisemblable qu'elle était femme de Gondebaud ;
sa vertu en fut plus digne d'admiration. Cette princesse mou-
rut pleine de mérites, âgée de plus de cinquante ans, le 16
septembre sous le consulat de Messala, c'est-à-dire l'an 506, et
elle fut enterrée à Lyon dans l'église de Saint-Michel, qu'elle
avait fait bâtir : c'est ce que nous apprend son épitaphe. Gré-
goire de Tours loue la piété d'une reine de Bourgogne qui fit
restituer à l'église de Saint-Julien de Brioude l'argenterie qu'un
parti bourguignon en avait enlevée (2) : il s'agit sans doute ici
de Caréténé.
Cependant le différend qui se renouvela sur la fin du cin-
quième siècle à l'occasion des privilèges des Églises d'Arles
et de Vienne, avait jeté quelques semences de division entre
de saints évêques, qui avaient besoin plus que jamais d'agir
de concert pour combattre avec succès les ennemis de l'Église.
Le crédit que la naissance, l'érudition et les services rendus à
l'Eglise donnaient à S. A vite, lui avait fait aisément obtenir
du pape Anastase une juridiction plus étendue pour son siège.
Mais S. Eone d'Arles en porta ses plaintes à Symmaque, qui
avait succédé à Anastase en l'an 498. Ce pape, voulant exa-
miner de nouveau cette affaire, ordonna aux parties de lui en-
voyer des députés pour soutenir leurs prétentions. Eone en-
voya le prêtre Crescence, mais S. Avite n'envoya personne.
Symmaque jugea donc par provision qu'il fallait s'en tenir à ce
qui avait été anciennement réglé là-dessus par le Saint-Siège,
parce qu'il ne convenait pas que les décrets d'un pape fussent
(1) Epitaph. Careten., apud Ducliesne, t. 1, p. 514. — (2) De Glor. martyr., 1. II,
C. VIÎÎ.
[500] EN FRANCE. — LIVRE V. 121
annulés par ceux qui lui succèdent. « Quel respect, dit-il,
portera-t-on aux successeurs de S. Pierre, si ce qu'ils ont. réglé
pendant leur pontificat perd sa force dès qu'ils sont morts? »
Il ne parle que des règlements de discipline. Comment se
serait-il exprimé s'il se fût agi d'une décision dogmatique
émanée du Saint-Siège et reçue par le corps des pasteurs?
il convient toutefois qu'on peut avoir des raisons d'abroger
des décrets de pure discipline. La lettre est datée du 29 sep-
tembre de la seconde année après le consulat de Paulin (1),
c'est-à-dire l'an 500.
S. A vite se plaignit d'avoir été condamné sans être entendu.
Le pape lui répondit le 13 octobre sous le consulat d'Aviénus,
c'est-à-dire l'an 501, qu'il ne devait pas s'offenser de ce qu'il
avait écrit à Eone ; qu'il ne voulait en aucune manière porter
préjudice à ses droits, et qu'il était encore libre de proposer
sa défense. « Quoique nous ayons mandé, dit-il, que notre
prédécesseur Anastase, de sainte mémoire, avait mis la con-
fusion dans votre province en modifiant les anciens règle-
ments des autres souverains pontifes, et que l'on ne devait pas
souffrir cette innovation, cependant, si vous nous faites con-
naître qu'il a eu de bonnes raisons pour agir ainsi, nous serons
heureux de trouver qu'il n'a rien fait en cela contre les canons.
Car, quoiqu'il faille garder exactement les anciens décrets, il
faut aussi se relâcher de la rigueur de la loi en vue d'un bien
pour lequel la loi aurait fait une exception, si elle l'avait prévu. >•
Cette affaire traîna encore en longueur, apparemment parce
que S. Eone mourut sur ces entrefaites, l'an 502 : il est ho-
noré le 30 août. Nous ne savons de lui rien de remarquable,
et ce qu'il fit assurément cle plus utile à son Église fut de
choisir S. Césaire pour son successeur.
Césaire était né sur le territoire de Chalon-sur-Saône, de
parents également distingués par leur piété et par leur no-
(t) On datait en Occident de ce consulat l'an 500, parce que les deux années
précédentes il n'y avait pas eu de consul d'Occident, quoiqu'il y en ait eu en
Orient.
122 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [502 ]
blesse. Le fils ne démentit point une telle origine. On vit
presque en même temps en lui le germe et les fruits des plus
belles vertus. Il n'avait encore que sept ans qu'il se dépouil-
lait souvent de ses habits pour en revêtir les pauvres et reve-
nait à demi nu à la maison. Quand on lui demandait ce qu'il avait
fait de ses vêtements, il se contentait de répondre que les pas-
sants l'avaient dépouillé. A l'âge d'environ dix-huit ans, il se
sauva de la maison paternelle et alla se jeter aux pieds de
S. Sylvestre, évêque de Ghalon, le conjurant de lui donner la
tonsure cléricale et de l'attacher au service de l'Église. Le
saint évêque ne put résister à des vœux si pressants, et Gé-
saire demeura deux ou trois ans auprès de lui. Après quoi le
désir d'une plus grande perfection le porta à se retirer au mo-
nastère de Lérins (1).
Porcaire, qui en était alors abbé, l'y reçut avec joie et
s'aperçut bientôt que le jeune novice avait déjà toutes les
vertus des plus anciens et des plus fervents religieux. Il lui
donna la charge de cellérier. La charité et l'amour de la pau-
vreté furent les règles que suivit Césaire dans ses modestes
fonctions. Chargé de subvenir aux nécessités de ses frères, il
prévenait ceux dont il connaissait les besoins, et qui par morti-
fication ne demandaient rien; mais il refusait tout à la sensua-
lité, quelques instances qu'on lui fît. Les moines mécontents
murmurèrent bientôt, et l'abbé se vit obligé de lui ôter une
charge dont il s'acquittait avec trop de conscience.
Césaire, rendu pour ainsi dire à lui-même, s'appliqua
avec plus de soin à sa perfection ; mais il porta si loin ses
austérités et ses abstinences qu'il en tomba malade. Comme
on désespérait de sa guérison tant qu'il prolongerait son sé-
jour dans le monastère, l'abbé, qui l'aimait tendrement, l'o-
bligea d'aller passer quelque temps à Arles pour y rétablir
sa santé. Un homme de qualité nommé Firmin et une dame
nommée Grégorie , fort charitable envers les pauvres , le
(l) Cyprian. Vit. Cœsarii, 1. 1, c. I et n.
[502] EN FRANCE. — LIVRE V. 123
rorurent chez eux. Le rhéteur Pomérius fréquentait cette mai-
son (1). Firmin l'engagea à donner des leçons de son art au
jeune moine, qui y consentit d'abord; mais un songe mira-
culeux lui fit connaître que Dieu n'approuvait pas son appli-
cation à ces études profanes. Ses hôtes furent si édifiés de
ses vertus qu'ils en parlèrent à Eone d'Arles en des termes
qui firent naître chez lui l'envie de le connaître par lui-même.
Le saint évêque, l'ayant fait venir quelques jours après et
s'étant informé de son nom et de sa famille , fut ravi d'ap-
prendre qu'il était son parent. Il le prit en affection, et, ayant
obtenu avec 'peine de son abbé qu'il le lai cédât , il l'ordonna
diacre et ensuite prêtre. Gésaire observa dans le clergé toutes
les pratiques de la vie monastique selon la règle de Lérins et
ne se dispensa en rien de la psalmodie qui y était en usage.
L'abbé d'un monastère (2) situé dans une île voisine d'Ar-
les étant mort, Eone mit Gésaire en sa place. Il s'acquitta de
cette charge avec une grande édification et rétablit la régu-
larité parmi ces moines, qu'il gouverna trois ans. Pendant ce
temps-là, S. Eone, qui était fort infirme, disait souvent à
son clergé et aux principaux citoyens qu'on ne devait pas
lui chercher d'autre successeur que Gésaire ; qu'il était seul
capable de remettre en vigueur la discipline, que ses infirmités
ne lui avaient pas permis de surveiller avec assez de vigilance.
Aussi après sa mort on ne délibéra pas sur le choix du succes-
seur. Gésaire, ayant appris son élection, alla se cacher dans
des tombeaux ; mais on le tira du lieu obscur où son humilité
l'avait enseveli, comme une lumière qui devait éclairer la
maison du Seigneur. Il fut élevé sur le siège d'Arles l'an 502,
dans la trente-troisième année de son âge (3).
(1) Ce Pomérius pourrait être l'auteur dont nous avons parlé; cependant la
qualité de rhéteur, qu'on lui donne ici, en peut faire douter.
(2) Le P. Mabillon dit qu'un saint moine nommé Alvéus y vivait sous le gou-
vernement de S. Césaire. Serait-ce S. Aînée honoré dans le Maine le 11 septembre,
dont le nom latin est Alceus ?
(3) Fleury, t. VÎT, p. 143, dit que S. Césaire fut ordonné évêque d'Arles
l'an 501, âgé de trente ans. Mais nous apprenons, par la lettre du pape Sym-
maque à S. Avite, que S. Éone d'Arles , qui est apparemment mort le 30 août,
124 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [502]
Gésaire signala les commencements de son épiscopat par
plusieurs saints établissements. Il ordonna que les clercs
réciteraient tous les jours dans la basilique de Saint-Étienne
l'office de tierce, de sexte et de none, avec les hymnes" appro-
priées, afin que les pénitents et les autres laïques qui vou-
draient y assister, pussent le faire commodément. Et pour
ôter aux laïques l'occasion de s'entretenir dans l'église , il
voulut qu'ils chantassent aussi des psaumes comme les clercs,
les uns en latin et les autres en grec : car cette langue était
fort en usage dans cette province , dont la plupart des villes
étaient des colonies grecques. Il laissa aux diacres tout le soin
du temporel de l'Église, afin de s'appliquer entièrement au spi-
rituel et particulièrement à la prédication de la parole de Dieu,
pour laquelle il avait un rare talent , quoique son éloquence
n'eût pas été cultivée par les leçons de l'art profane. Nous ver-
rons par des exemples frappants quelles ressources inatten-
dues le zèle et la piété peuvent offrir à un orateur chrétien.
Gomme rien n'est plus digne de compassion que l'indi-
gence jointe à l'infirmité, Gésaire fut surtout sensible à la
misère des pauvres malades. Il établit pour eux un hôpital,
dans lequel ils étaient servis avec le plus grand soin , parce
qu'ils l'étaient avec charité. On y récitait tout l'office divin,
comme dans l'église cathédrale; mais on le faisait à voix
basse , apparemment de peur d'incommoder les malades.
Quelques auteurs croient que S. Gésaire fit terminer par le
Saint-Siège, dès le commencement de son épiscopat, le diffé-
rend qui existait entre son Église et celle de Vienne. Mais, sans
développer ici les raisons tirées de la chronologie qui nous
empêchent d'embrasser ce sentiment, le pape Symmaque
était alors occupé d'une affaire personnelle qui dut absorber
jour auquel il est honoré, vivait encore au mois d'octobre 501 ; il est certain que
S. Césaire mourut le 27 août l'an 542, lorsque la quarantième année de son épisco-
pat s'écoulait, dit l'auteur de sa vie, son disciple. Il ne fut donc pas ordonné en 50Ï,
mais en 502. En outre il était dans la trente-troisième année de son âge quand il
fut ordonné , puisqu'il mourut, comme dit le même écrivain , dans la soixante-
treizième année de sa vie et la quarantième de son épiscopat.
[503J EX FRANCE. LIVRE V. 125
toute son attention , et dans laquelle les évêques des Gaules
firent éclater leur zèle pour le Saint-Siège.
Ce saint pape ayant été accusé de plusieurs crimes devant
Théodoric , roi d'Italie , par quelques factieux , qui voulaient
faire un schisme dans l'Église romaine , ce prince ordonna
aux évêques de ses États de s'assembler en concile pour juger
cette affaire. Les évêques de la Ligurie, de l'Émilie et de la
Yénétie passèrent par Ravenne, où était le roi, et lui repré-
sentèrent que c'était au pape à convoquer le concile , et qu'il
était sans exemple que le souverain pontife fût soumis au ju-
gement de ses inférieurs (1). Théodoric répondit que Sym-
maque demandait lui-même le concile , et fitf mettre entre
leurs mains les lettres qu'il lui avait écrites à ce sujet. Les évê-
ques étant arrivés à Rome , le pape confirma ce que le roi
leur avait dit : ils eurent ainsi toute facilité pour s'assembler
en concile. Après quelques incidents qui sont étrangers à cette
histoire, ils déclarèrent par un décret le pape Symmaque dé-
chargé , quant aux hommes , des accusations intentées contre
lui, laissant le tout au jugement de Dieu et exhortant les
fidèles à demeurer dans sa communion (2).
Les évêques des Gaules, ayant appris qu'un concile d'Italie
avait entrepris de juger le pape , en furent alarmés pour
l'honneur du Saint-Siège, et comme S. Avite était celui d'en-
tre eux à qui la naissance et le mérite donnaient le plus de
crédit , ils le chargèrent d'écrire en leur nom pour faire con-
naître leurs sentiments sur cette affaire et leur respect in-
violable pour le souverain pontife. Avite le fit par une fort
belle lettre adressée à Fauste et à Symmaque, les deux séna-
teurs les plus illustres (3) et les plus accrédités de Rome. Il
dit d'abord qu'il serait à souhaiter que les malheurs du
temps n'empêchassent pas les évêques des Gaules d'aller
librement à Rome pour les affaires spirituelles et tempo-
\l)Concil. Labb.,t. IV, p. 1323. — 2) Ibid., p. 1325.
(3) Ils avaient été l'un et l'autre consuls : Fauste l'an 483 et Symmaque
l'an 485.
126 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQt'E [503]
relies, ou que la diversité des royaumes ne fût pas un obstacle
à la convocation d'un concile de toute la nation; que si
cela eût été possible, il leur aurait envoyé sur l'affaire pré-
sente, qui est commune à tous, une relation commune, con-
tenant le sentiment de tous les évêques des Gaules assem-
blés; que cependant il les prie de ne pas regarder sa lettre
comme la lettre particulière d'un évêque , puisqu'il n'écrit
que par ordre de tous ses frères les évêques des Gaules, qui
lui en ont donné commission par leurs lettres :
Après cet exorde, S. A vite entre ainsi en matière.
« Gomme nous sommes persuadés que notre état (l'épis-
copat) est chancelant (1) quand le chef est attaqué, nous
étions en proie à de grandes alarmes et à de cruelles inquié-
tudes touchant l'affaire de l'Église romaine, lorsque nous
avons reçu d'Italie le décret porté par le concile de Rome au
sujet du pape Symmaque. Quoiqu'un nombreux concile rende
ce décret respectable, nous croyons cependant que si le pape
avait été accusé devant un tribunal laïque, il devait plutôt
trouver dans les évêques des défenseurs que des juges,
parce que... l'on ne conçoit pas aisément comment et en
vertu de quelle loi le supérieur est jugé par les inférieurs. En
effet, l'Apôtre nous ayant fait un précepte de ne pas recevoir
légèrement une accusation contre un prêtre, de quel droit
a-t-on pu en recevoir contre celui qui est à la tête de l'Église
universelle? C'est à quoi les Pères de ce concile paraissent
avoir eu égard en marquant clans leur décret qu'ils réservent
au jugement de Dieu une cause (cela soit dit sans les offen-
ser) dont ils n'avaient pu se charger sans quelque témérité, et
en affirmant en peu de mots que ni eux ni le roi Théodoric
n'avaient trouvé aucune preuve des crimes dont le pape était
accusé. »
S. Avite ajoute : « C'est pourquoi, en qualité de sénateur
romain (2) et d'évêque chrétien, je vous conjure... de n'a-
(1) Avit. Ep. li, ap. Labb. t. IV, p. 132G. — (2) Il y avait un si grand nombre
de sénateurs romains de la ville de Vienne qu'on l'appelait Vienna Senatoria.
[503] EN FRANCE. — LIVRE V. 127
voir pas moins à cœur la gloire de l'Église que celle de la
république , d'employer pour nous le pouvoir que Dieu vous
a donné et de n'aimer pas moins dans l'Église romaine la
chaire de Pierre que vous aimez dans Rome la capitale de
l'univers Dans les autres évêques, si quelque chose pa-
raît contre l'ordre , on peut le réformer ; mais si l'on révoque
en doute l'autorité du pape de Rome , ce n'est plus un évê-
que, c'est l'épiscopat même qui paraît chanceler. Vous savez
au milieu de quelles tempêtes soulevées par les hérésies nous
conduisons le vaisseau de la foi : si vous craignez avec nous
ces dangers , il faut que vous travailliez avec nous à défendre
votre pilote. Quand les nautoniers se révoltent contre celui
qui tient le gouvernail , serait-il prudent de céder à leur fu-
reur en les exposant eux-mêmes au danger pour les punir ?
Celui qui est à la tête du troupeau du Seigneur, rendra
compte de la manière dont il le conduit; mais ce n'est pas au
troupeau à demander ce compte à son pasteur, c'est au juge. »
Cette lettre de S. Avite sera un monument éternel du respect
et de l'attachement inviolable que montrèrent pour le Saint-
Siège les évêques des Gaules, au nom desquels elle fut écrite.
L'affaire intentée à Symmaque n'eut point d'autres suites :
ce qu'il dut en partie à la sagesse et à la bonté de Théodoric ,
roi des Ostrogoths, qui rendit volontiers justice à son inno-
cence. Alaric, roi des Yisigoths dans les Gaules, n'était pas
aussi favorable à la religion. Quoiqu'il parût assez modéré,
comme il était bien facile de le paraître en succédant au cruel
É varie, la politique le rendit défiant et lui fit sacrifier plu-
sieurs saints évêques à ses soupçons. S. Yolusien de Tours
fut une de ces victimes. Il devint suspect précisément parce
qu'il était évêque d'une place importante et frontière des
Francs. Alaric le jit enlever de son Église et conduire en
exil la septième année de son épiscopat, c'est-à-dire l'an 498.
Ce saint évêque mourut peu de temps après à Toulouse , et il
y a même lieu de croire que les ariens avancèrent sa mort.
Il est honoré comme martyr à Foix, où l'on garde ses reli-
128 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [506]
ques; mais le Martyrologe romain, qui en fait mention le
18 janvier, ne lui donne pas cette qualité. Vérus, qui suc-
céda à Yolusien sur le siège de Tours , fut bientôt traité de la
même manière et pour la même cause ; cependant on ne Ta
pas mis au nombre des saints. Il envoya de son exil un député
au concile qui se tint à Agde l'an 506.
Les évêques du royaume d'Alaric jugèrent que, pour remé-
dier aux abus qui s'étaient glissés clans la discipline depuis
quel'arianisme était sur le trône dans cette partie des Gaules,
rien ne serait plus efficace qu'un concile. Ils demandèrent au
roi la permission de le tenir, et ce prince, quelque défiant
qu'il fût, voulut bien l'accorder, dans la crainte d'irriter les
catholiques en refusant une si juste demande en un temps où
il craignait d'avoir toutes les forces de Clovis sur les bras.
Ainsi les évêques , au nombre de 24 , avec les députés de dix
absents, s'assemblèrent dans l'église de Saint-André d'Agde,
au commencement de septembre , la vingt-deuxième année
du règne d'Alaric, sous le consulat de Messala, c'est-à-dire
Fan 506. Ils commencèrent par prier le Seigneur d'accorder
un long et heureux règne au roi qui leur avait permis de tenir
ce concile, en le nommant, tout arien qu'il était, un prince très-
pieux (1). Mais ce sont là de ces expressions de style officiel
qui ne tirent pas à conséquence. Après la prière pour le roi,
on fît la lecture des anciens canons, et l'on en dressa qua-
rante-sept, dont voici le sommaire (2).
I. Par compassion pour les bigames qui ont été ordonnés,
on leur laisse le nom de prêtres ou de diacres , mais on leur
défend d'en faire les fonctions.
II. Les clercs qui négligent de se trouver souvent à l'é-
glise seront réduits à la communion étrangère, c'est-à-dire
(1) Le P. Sirmond a mis piissimi, sur la foi d'un manuscrit de Reims : ce-
pendant le P. Hardouin, qui cite en marge ce manuscrit , omet cette épithète sans
en dire la raison. Elle est aussi dans l'édition des conciles du Louvre de 1G44 ;
mais elle n'est pas dans celle du P. Labbe.
(2) Conc. GalL, p. 161. — Labb., t. IV, p. 1381.
506] EN FRANCE. .— LIVRE V. 129
raités comme des clercs étrangers. S'ils se corrigent, on
iscrira de nouveau leurs noms dans la matricule et on leur
endra leur rang. (On nommait matricule le catalogue où
taient inscrits les noms des clercs qui avaient part aux
étributions de l'Église, et ceux des pauvres qu'elle nour-
issait.)
III. Les évêques qui excommunient sans sujet ou pour
es fautes légères seront admonestés par les évêques voi-
ins , et s'ils continuent de refuser leur communion à ceux
u'ils auront ainsi excommuniés , les autres évêques , en at-
telant le concile , accorderont la leur à ces personnes.
IV. Les clercs ou les laïques qui retiennent les legs pieux
ont excommuniés comme meurtriers des pauvres , ainsi que
a ordonné le concile ( c'est celui de Vaison en 442).
V. Le clerc qui aura volé l'Église sera réduit à la commu-
ion étrangère , c'est-à-dire , comme nous venons de Fexpli-
uer, qu'il sera considéré comme n'appartenant plus au clergé
e cette Église.
VI. Ce que les particuliers donnent à l'évêque pour le salut
e leur âme appartiendra à l'Église et non à l'évêque.
VII. Les évêques ne pourront vendre les vases de l'Église
i en aliéner les maisons, les esclaves et autres biens qui
mt subsister les pauvres. Si la nécessité ou l'utilité de l'É-
lise oblige de vendre quelque chose ou d'en céder l'usu-
Miit, l'affaire sera examinée par deux ou trois évêques voi-
ins, qui autoriseront de leur signature l'acte d'aliénation,
.'évêque pourra néanmoins mettre en liberté les esclaves
ui auront bien servi l'Église; mais en les affranchissant, il
e pourra leur donner en terres , vignes ou maisons , plus
e la valeur de vingt sous d'or.
VIII. Le clerc qui pour éviter la punition réclamera
aide d'un laïque, et le laïque qui lui donnera protection,
eront excommuniés.
IX. On recommande l'observation des décrets des papes
nnocent et Sirice contre les prêtres et les diacres qui après
TOME II. 9
130 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [506]
leur ordination ne vivent pas dans la continence avec leurs
femmes.
X-XI. On défend à tous les clercs d'avoir chez eux d'au-
tres femmes que leurs mères, leurs sœurs, leurs filles et
leurs nièces , et d'avoir des servantes ou des affranchies qui
demeurent dans la même maison.
XII. Il est ordonné très-expressément à tous les fidèles de
jeûner, excepté le dimanche, tout le carême, même les sa-
medis. (Il faut observer que dans les Églises d'Orient on ne
jeûnait pas les samedis de carême, et il paraît que tel était
aussi l'usage des Goths venus d'Orient.)
XIII. On expliquera publiquement le symbole aux com-
pétents, le même jour dans toutes les églises, avant la se-
maine qui précède Pâques. (On nommait compétents les caté-
chumènes qu'on jugeait être en état de recevoir le baptême.)
XI Y. On ordonne de consacrer les autels, non-seulement
par l'onction du chrême, mais encore par la bénédiction
sacerdotale (c'est-à-dire celle de l'évêque).
XV. Ceux qui demandent la pénitence doivent recevoir
du prêtre l'imposition des mains et le cilice sur la tête,
ainsi qu'il a été ordonné partout. On ne doit pas admettre au
nombre des pénitents ceux qui ne se sont pas coupé les che-
veux ou qui n'ont pas changé d'habits, ni accorder facile-
ment la pénitence aux jeunes gens, à cause de leur incons-
tance. Il faut néanmoins accorder le viatique à tous ceux qui
sont en danger de mort. (On voit ici la pratique de la péni-
tence publique. On l'imposait communément au commence-
ment du carême (1), et le jeudi saint on donnait l'absolutior
(1) Itéginon, qui vivait à la fin du ixe siècle #et au commencement du xe, décri
ainsi les cérémonies observées pour l'imposition de la pénitence publique
« Le premier jour de carême, tous ceux qui ont reçu ou qui doivent recevoi
la pénitence, se pi'ésentent à l'évêque à la porte de l'église, nu-pieds , cou
verts de sacs et le visage prosterné contre terre. L'évêque , accompagné de
doyens, des arebiprêtres des paroisses et des témoins, c'est-à-dire des prêtre
des pénitents, qui doivent les examiner avec soin, leur impose une pénitence prc
portionnée à leurs pécbés. Après quoi il les introduit dans l'église, et, prostern
en terre avec son clergé, il récite pour eux les sept psaumes de la pénitenc(
[506] EN FRANCE. — LIVRE V. 131
à ceux qui en paraissaient clignes. Les cendres qu'on reçoit
maintenant le premier jour du carême au lieu de cilice, et
l'absoute qu'on fait clans les églises , sont des vestiges de cette
observance.)
XYI-XVII. On ne doit pas ordonner diacre celui qui n'a
pas atteint l'âge de vingt-cinq ans , ni prêtre ou évêque celui
qui n'a pas atteint l'âge de trente , et avant d'ordonner ceux
qui sont mariés il faut avoir le consentement de leurs fem-
mes , et ne les ordonner que lorsqu'ils n'habiteront plus dans
la même maison, et qu'ils auront promis la continence, aussi
bien qu'elles.
XVIII. Les laïques qui ne communient pas à Noël, à Pâques
et à la Pentecôte, ne doivent pas être réputés catholiques.
XIX. On ne donnera pas le voile aux religieuses avant
l'âge de quarante ans.
XX. L'archidiacre doit tondre malgré eux les clercs qui
portent les cheveux longs. Ils ne doivent non plus porter
que des habits et des chaussures convenables à la sainteté de
leur état.
XXI. Si quelqu'un veut avoir un oratoire particulier dans
sa terre , on lui permet d'y faire dire la messe pour la com-
modité de sa famille. Mais il faut célébrer Pâques, Noël, l'Epi-
phanie, l'Ascension, la Pentecôte et les autres jours solen-
nels dans les villes ou dans les paroisses , et ceux qui en ces
jours solennels diraient la messe ou feraient l'office dans
ces oratoires particuliers sans la permission de l'évêque , se-
ront excommuniés.
XXII. On renouvelle les anciens canons qui défendent aux
clercs d'aliéner, en quelque manière que ce soit, les biens
de l'Église dont on leur a accordé l'usufruit.
Ensuite, selon les canons, il leur impose les mains, leur jette de l'eau bénite, leur
met des cendres sur la tête et la leur enveloppe d'un cilice. Enfin , il leur dé-
clare que, comme Adam a été chassé du paradis, il faut qu'ils soient chassés de
l'église et donne ordre à ses ministres de les mettre dehors. Le clergé les met
hors de l'église en chantant ce répons : Vous mangerez votre pain à la sueur de
votre front. » (Regin., de Discipl. eccl., edit. Baluz. p. 135.)
132 HISTOIRE DE L ÉGLISE CATHOLIQUE [506]
Ces biens ecclésiastiques dont on cédait l'usufruit à des
clercs, étaient ce qu'on a depuis nommé bénéfices.
XXIII. L'évêque ne doit pas sans raison préférer pour les
dignités ecclésiastiques les jeunes clercs aux anciens.
XXIV. On observera à l'égard des enfants exposés les rè-
glements du concile (il s'agit de celui de Vaison).
XX Y. Il appartient au concile de la province de juger des
causes de divorce , et ceux qui quittent leurs femmes avant
ce jugement sont excommuniés.
XX VI. Les clercs qui suppriment ou qui livrent les titres
des biens de l'Eglise sont excommuniés avec ceux qui les ont
sollicités de les leur livrer.
XXVII. On ne bâtira pas de nouveaux monastères sans la
permission de l'évêque. Les moines vagabonds ne seront or-
donnés clercs ni pour les villes ni pour la campagne, à
moins que leur abbé n'en rende témoignage. Aucun abbé ne
recevra un moine qui passe d'un monastère à un autre sans
la permission de son premier abbé. S'il est nécessaire d'or-
donner quelque moine, l'évêque ne le fera que du consen-
tement de l'abbé.
XXVIII. Les monastères de filles doivent être éloignés de
ceux des hommes, pour ne pas donner lieu aux embûches du
démon et aux discours des hommes.
XXIX. L'Eglise doit prendre, s'il est nécessaire, la dé-
fense de ceux qui ont été légitimement affranchis par leurs
maîtres.
XXX. Gomme il est à propos de garder l'uniformité dans
la célébration de l'office divin , il est recommandé aux évê-
ques ou aux prêtres de dire les collectes après les antiennes,
ainsi qu'il se pratique partout; on devra chanter chaque
jour les hymnes du matin et du soir; à la fin de l'office du
matin et du soir, après les hymnes, on récitera des capitules
tirés des psaumes; après la collecte de l'office du soir le
peuple sera congédié avec la bénédiction de l'évêque.
On voit par là que l'office divin était composé dès lors
[50(5] EN FRANCE. — LIVRE V. 133
d'antiennes (1), de collectes ou d'oraisons, d'hymnes et de
capitules.
XXXI. Les ennemis qui refusent de se réconcilier doivent
d'abord être avertis par les prêtres; s'ils ne suivent pas leurs
avis, ils seront excommuniés.
XXXII. Un clerc ne peut citer personne devant un juge
laïque sans la permission de l'évêque ; s'il est cité , il peut
répondre; mais il ne doit pas intenter d'accusation en ma-
tière criminelle. Le laïque qui injustement et calomnieuse-
ment oblige un clerc à plaider devant un juge laïque sera
excommunié.
XXXIII. Si un évêque qui n'a point d'enfants institue
d'autres héritiers que l'Eglise dans le cas où il aurait dé-
pensé quelque bien de l'Eglise pour ses affaires particu-
lières, l'aliénation ou la donation sera nulle. Mais s'il a des
enfants, on prendra avant toutes choses, sur les biens qu'il
leur laisse, de quoi indemniser l'Eglise.
XXXIV. On doit éprouver les Juifs pendant huit mois
parmi les catéchumènes avant de leur conférer le baptême,
hors le cas de nécessité.
XXXY. Les évêques qui, étant invités par le métropoli-
tain au concile ou à l'ordination d'un évêque, refuseront de
s'y trouver sans raison de maladie ou sans justifier d'un
ordre du roi, seront jusqu'au premier concile privés de la
communion de l'Eglise.
XXXYI. Tous les clercs qui servent fidèlement doivent,
selon les canons, recevoir des évêques le salaire de leurs
travaux.
Les cinq canons suivants sont tirés presque dans les mêmes
termes du concile de Yannes. On y excommunie les homi-
cides et les faux' témoins; on renouvelle les défenses aux
clercs et aux moines de voyager sans la permission et les
(1) On nomma d'abord antiennes ou antiphones les hymnes ou les psaumes chantés
à deux chœurs. Ensuite on restreignit la signification de ce terme à un verset qu'on
chantait avant le psaume et tiré le plus souvent du psaume lui-même.
134 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [506]
lettres de leurs évêques; aux diacres et aux sous-diacres
de se trouver aux festins des noces , et à tous, clercs ou laï-
ques, de manger avec les Juifs. On recommande surtout aux
ecclésiastiques d'éviter l'ivrognerie, sous peine de punition
corporelle ou d'être excommuniés trente jours.
XLII. Défense aux clercs et aux laïques de s'adonner aux
augures et à ce qu'on nomme les sorts des saints.
XLIII. Défense d'ordonner des pénitents. Les prêtres ou
les diacres qui ont été ainsi ordonnés par ignorance ne
rempliront pas les fonctions de leur ministère.
XLIY. Il n'est nullement permis au prêtre de bénir le
peuple ou un pénitent dans l'église.
Il n'y avait encore que l'évêque qui donnât la bénédiction
dans l'église.
XL Y-XL YI. Il est permis aux évêques d'aliéner pour de
bonnes raisons, et sans le consentement des autres évêques,
les petites terres , les petits vignobles et autres biens moins
considérables de leurs Eglises. Ils pourront aussi disposer
des esclaves fugitifs.
XLYII. Il est ordonné très-expressément à tous les laïques
d'assister le dimanche à la messe (1) entière et de n'en sortir
.qu'après que l'évêque aura béni le peuple.
On voit par les homélies de S. Césaire qu'il avait un grand
zèle pour empêcher qu'on ne sortît de la messe avant la fin.
Les autres canons qu'on trouve dans les éditions des con-
ciles, à la suite des quarante-sept (2) que nous venons de rap-
porter, y ont été ajoutés. Ils proviennent de quelques conciles
postérieurs et particulièrement de celui d'Epaone. C'est pour-
quoi nous nous dispensons d'en parler ici.
Les actes du concile d'Agde furent adoptés le onze sep-
(1) Il y a totas missas teneri : ce mot se prend souvent pour toutes sortes d'offices
divins, mais particulièrement pour celui de la messe. Les pi'êtres ne donnaient pas
encore la bénédiction à la messe.
(2) Le P. Pagi, à l'an 40G, dit que le P. Sirmond a trouvé quarante -huit canons
dans les anciens manuscrits du concile d'Agde : le P. Sirmond marque qu'il n'en
a trouvé que quarante-sept.
506] EN FRANCE. LIVRE V. 135
tembresous le consulat de Messala, c'est-à-dire l'an 506. S. Cé-
saire, qui y présida, souscrivit le premier ; ensuite les métro-
politains Gyprien de Bordeaux, Clair d'Eauze et Tétradius de
Bourges. Les plus éminents parmi les autres évêques qui as-
sistèrent en personne au concile, sont : Héraclius de Toulouse ;
S. Quintien de Rodez, S. Galactoire de Béarn ou de Lescar;
où il est révéré comme martyr après avoir été mis à mort par
les ariens; Gratus d'Oléron, à qui l'on donne la qualité de
bienheureux ; Pierre, qui prend le titre d'évêque du palais (1) ;
S. Glycérius ou Lizier de Gonsérans, dont on fait la fête le
7 août.
Un fragment de la Yie de S. Lizier nous apprend qu'il était
Espagnol de naissance ; qu'il s'attacha à S. Fauste, évêque de
Tarbes, qui fut exilé à Aire par les Visigoths, et qu'après la
mort de Fauste il se retira auprès de S. Quintien de Rodez,
qui le consacra évêque de Consérans. On voit par là que
S. Fauste de Tarbes ou de Bigorre précéda dans l'épiscopat
Aper, qui envoya un délégué au concile d'Agde , et que s'il y
a eu un évêque du nom de Lizier à Tarbes, il faut le distin-
guer de celui de Gonsérans. S. Yalère, honoré le 15 juillet,
fut le premier évêque de Gonsérans. Après sa mort, il révéla
à l'évêque Théodore le lieu où reposait son corps ; on le trouva
entier et sans corruption. Antomarius est le premier évêque
de Tarbes qu'on connaisse (2).
Parmi les évêques qui envoyèrent des députés au concile
d'Agde, on cite Capraire de Narbonne, qui pouvait être suc-
cesseur d'Hermès, dont nous avons parlé; S. Eufraise d'Au-
(1) Comme il n'est guère probable que sous un roi arien, tel qu'Alaric, il y
ait eu un évêque catholique pour le palais, de Valois croit que Palais est ici un
nom de lieu situé près de Limoges. Ainsi il conjecture que Pierre évêque de
Palais, est l'évêque même de Limoges, qui prend le nom d'évêque de Palais parce
qu'il y faisait sa demeure ; comme les évêques de Séez se sont nommés quel-
quefois évêques d'Hiesrrres [Oximenses) ; et ceux de Chartres, de Châteaudun ( Du-
neyises). Mais outre qu'on ne trouve pas cet évêque dans les catalogues des évêques
de Limoges, il nous paraît que Rurice II occupait alors ce siège. Nous aimons mieux
croire qu'il y avait un évêque dans le palais pour les courtisans catholiques, comme
il y en avait un pour les ariens.
(2) Greg. Tur., de Glor. confess., c. lxxxiv.
136 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [506]
vergne ; Marcel d'Aire, le premier évêque qu'on connaisse de
cette Église (i), et Yérus de Tours, qui était alors exilé en
ces provinces pour les causes que nous avons fait connaître.
Il mourut bientôt après et eut pour successeur Licinius.
S. Gésaire devint aussi la victime d'une semblable calomnie,
vers l'époque où se tint le concile d'Agde. Quoiqu'il priât
jour et nuit pour la paix et la tranquillité de l'État, il fut ac-
cusé par son secrétaire de vouloir livrer la ville d'Arles aux
Bourguignons, dont il était né sujet. Il n'en fallut pas davan-
tage au soupçonneux Alaric. On est toujours coupable au tri-
bunal de la politique quand on est accusé en certaines ma-
tières. Césaire fut aussitôt relégué à Bordeaux; mais il survint
bientôt une circonstance qui fît éclater son innocence. Peu de
jours après son arrivée, le feu ayant pris à la ville, les habi-
tants coururent à son logis, le conjurant d'arrêter l'incendie.
Aussitôt ce saint évêque, plein d'une foi vive, s'avance au-de-
vant des flammes, se prosterne en prière, et le feu s'éteint
à l'instant. Ce miracle, en augmentant la vénération que l'on
avait conçue pour sa vertu, permit à son zèle de produire des
fruits plus abondants. Car il ne demeura pas oisif dans son
exil : il prêchait souvent, et clans ses discours il recomman-
dait à ses auditeurs l'obéissance et la fidélité au prince qui les
gouvernait ; mais il les exhortait avec une sainte liberté à ré-
sister à l'hérésie qu'il professait.
Alaric, ayant enfin reconnu la calomnie, le rendit à son
Église et condamna son délateur à être lapidé. A cette nou-
velle, Gésaire courut aussitôt se jeter aux pieds du roi et il en
obtint la grâce de son ennemi : cet acte de charité dut être une
nouvelle preuve de l'innocence du saint évêque et de la vérité
de la religion qui la lui inspirait (2). Mais Dieu réservait d'au-
tres épreuves à son serviteur, et nous verrons bientôt sa fidé-
(1) Le P. Colombi dit que S. Marcel de Die assista à ce concile. On y trouve à
la vérité deux Marcel, mais l'un est désigné comme évêque d'Aire et l'autre de
Senez. D'ailleurs Die était du royaume de Bourgogne.
(2) Vit. Cœsar.
[506] EX FRANCE. — LIVRE V. 137
lité noircie par de nouvelles calomnies à l'occasion de la
guerre que Glovis déclara aux Yisigoths, après qu'il eut été
guéri miraculeusement ainsi que nous allons le rapporter.
Vers la vingt-cinquième année de son règne , c'est-à-dire
l'an 506, ce prince fut attaqué d'une fièvre quarte et il en fut
tourmenté plus d'un an , sans que l'art des médecinsni les prières
des évêques de son royaume pussent arrêter un mal si opi-
niâtre. Alors Tranquillin, son médecin, lui conseilla d'avoir re-
cours à S. Séverin, abbé du monastère d'Agaune. Les Francs
avaient probablement connu le pouvoir de ce saint homme au-
près de Dieu pendant la guerre qu'ils avaient faite en Bour-
gogne. Clovislui députa aussitôt Transvaire, son chambellan,
pour le prier de venir lui rendre la santé. Le saint abbé, malgré
son humilité, ne crut pas devoir refuser l'invitation d'un prince
dont le règne était si glorieux à l'Église. Il dit adieu à ses
frères, comme ne devant plus les revoir en ce monde, et se
mit en chemin avec l'envoyé du roi. En passant par Nevers,
il trouva le saint évêque Eulalius (1) malade depuis un an
et ayant perdu l'usage de l'ouïe et de la parole : il le guérit par
ses prières, et l'évêque se leva le même jour, célébra la messe
et bénit le peuple.
En entrant dans Paris, Séverin trouva à la porte de la ville
un lépreux, à qui il rendit la santé en l'embrassant et en le
frottant de sa salive. Il alla d'abord faire sa prière à l'église;
s'étant ensuite rendu chez le roi, il se prosterna en prière
au pied de son lit, et, se dépouillant de sa robe extérieure, il
en couvrit le malade. Le roi, qui se sentit guéri à l'instant, se
leva de son lit, et, se jetant aux pieds de son libérateur, lui dit :
« Mon père, prenez, je vous conjure, pour les pauvres, de
l'argent de mon trésor autant qu'il vous plaira : j'accorde en
votre considération la liberté aux prisonniers que vous en ju-
gerez dignes (2) . » Séverin fît plusieurs autres miracles à la cour
(1) S. Eulalius est indiqué comme le quatrième évêque de Nevers, et il est ho-
noré dans son Eglise le 2G août. Mais il faut convenir que les catalogues des
évêques de cette ville ne sont pas bien certains.
(2) Vita Severini, apud Bolland., 11 febr.
138 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [507]
de Clovis et dans la ville de Paris. Après quoi il se remit en
chemin et arriva à Château-Landon (1), où Dieu lui avait fait
connaître qu'il devait finir sa carrière. Il le déclara à deux
prêtres, Pascase et Ursien, qui desservaient un petit oratoire
sur le haut de la montagne; il leur recommanda ses deux
compagnons, le moine Vital et le prêtre Fauste, qui l'avaient
servi pendant trente ans. Séverin mourut en effet peu de jours
après et fut enterré dans l'oratoire du lieu : il est honoré le
1 1 février. Il se fit un grand nombre de miracles sur son tom-
beau, et dans la suite Childebert, fils de Clovis, y fit bâtir une
église, qui fut desservie plus tard par des chanoines régu-
liers.
Dès que Clovis eut recouvré la santé, il songea à porter la
guerre dans le royaume des Visigoths. Il ne manquait pas de
prétextes : la politique et la jalousie en fournissent assez aux
princes jaloux de leurs voisins; mais il chercha des motifs
plus nobles. Ayant un jour assemblé ses officiers, il leur dit :
« Je ne puis voir sans douleur les ariens occuper une partie
des Gaules. Allons à eux , avec l'aide du Seigneur, et nous les
réduirons sous notre puissance. » Cette proposition fut reçue
avec applaudissement , et Clovis se prépara à la guerre. Théo-
doric, roi d'Italie, qui était beau-père d'Alaric et beau-frère de
Clovis, n'avait rien omis pour éteindre les premières étin-
celles de division entre ces deux princes. Il leur écrivit et
leur envoya des ambassadeurs ; mais toutes ses démarches
furent mutiles. Clovis voulait la guerre, qu'il jugeait égale-
ment utile à l'État et à la religion : il la déclara (2).
S. Remi, l'ayant appris, crut devoir lui donner quelques
avis paternels et lui écrivit en ces termes : « Il s'est répandu
jusqu'à nous le bruit que vous entreprenez une seconde expé-
dition militaire. Ce n'est pas chose nouvelle que vous soyez
(1) Ce lieu se nommait Castrum Nantonis, d'où l'on a fait Castrum Landonis. La
lettre iVdans les noms est souvent changée en L. Ainsi d' Unkornis on a fait Licorne^
de Bononia, Boulogne.
(2) Greg. Tur., 1. II, c. xxxvn.
[507 J EN FRANCE. — LIVRE V. 139
tel que vos ancêtres ont été. Mais vous devez surtout faire
en sorte que vous ne vous écartiez pas de la loi du Seigneur,
parce que c'est par la fin qu'on juge les actions. Choisissez
des conseillers dont la sagesse donne un nouvel éclat à votre
gloire. Honorez vos évêques et recourez en tout à leurs sages
avis. La bonne intelligence entre le sacerdoce et l'empire ren-
dra votre règne plus heureux et affermira votre trône. Soula-
gez vos peuples, consolez les affligés, protégez les veuves et
nourrissez les orphelins. Faites en sorte que tous vous crai-
gnent et vous aiment. Rendez exactement la justice; ne rece-
vez rien des pauvres ni des étrangers. Que votre palais soit
ouvert à tous, et que personne n'en sorte la tristesse dans le
cœur. Employez au rachat des captifs les biens de votre do-
maine paternel. Qu'aucun de ceux qui paraissent en votre
présence ne s'aperçoive qu'il est étranger. En un mot, si
vous voulez régner avec gloire, montrez-vous affable avec
les jeunes gens; mais ne traitez d'affaires qu'avec les vieil-
lards (1). » C'est là, pour ainsi dire, la préparation à la guerre
que S. Rémi proposait au roi, pour attirer sur ses armes la
protection du Seigneur.
Clovis comprit en effet que, de tous les préparatifs qu'il
avait à faire pour une expédition si importante, le plus néces-
saire était d'intéresser le Ciel en sa faveur. Il fit vœu, par le
conseil de Clotilde, que s'il revenait victorieux, il ferait bâ-
tir à Paris une église en l'honneur des princes des apôtres,
S. Pierre et S. Paul, et, après avoir reçu la bénédiction de
S. Remi, qui lui promit la victoire, il se mit à la tête de son
armée. Mais comme il avait à cœur sur toutes choses que l'E-
glise ne souffrît pas d'une guerre qu'il entreprenait particu-
lièrement pour les intérêts de la religion, il fit, avant d'entrer
sur les terres des Goths, une ordonnance par laquelle il dé-
fendit à tous ses soldats de piller les lieux saints, de faire
aucune insulte ni aucun tort aux vierges consacrées au Sei-
(1) Conc. Gall., t. I, P. 175.
140 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [507]
gneur, aux veuves aux clercs, aux enfants des clercs et des
veuves ou aux esclaves des Églises (1).
Glovis marcha droit à Poitiers, où Alaric l'attendait. En
entrant dans la Touraine, qui était soumise aux Yisigoths, il
voulut donner pour S. Martin une marque de respect qui
lui méritât sa protection (2), et fit publier dans son armée
un ban portant défense, sous les peines les plus rigou-
reuses, de rien prendre que de l'eau et de l'herbe dans
toute l'étendue de cette province. Un soldat, ayant trouvé du
foin, l'enleva de force à un pauvre paysan, en disant que ce
n'était que de l'herbe. Glovis en l'apprenant s'écria : Où sera
r espérance de la victoire si nous offensons S. Martin? et
donna ordre sur-le-champ qu'on punît de mort le coupable . En
même temps, le prince envoya des députés au tombeau du
saint, avec de riches présents, pour tâcher d'obtenir par son
intercession quelque présage de la victoire. Gomme ces dépu-
tés entraient dans l'église de Saint-Martin , ils entendirent
le primicier (3) entonner cette antienne du psaume xvn :
Seigneur, vous ni! avez revêtu de force pour la guerre, vous
avez abattu sous mes pieds ceux qui s'élevaient contre moi ,
vous avez fait tourner le dos à mes ennemis et fait périr
ceux que leur haine avait armés contre moi (4). Après avoir
fait leurs présents et leurs prières au tombeau du saint
évêque, ils revinrent en diligence rapporter de si heureux
pronostics au roi, qui s'avança plein de confiance sur les bords
de la Vienne.
Cette rivière, qui sépare la Touraine du Poitou, était considé-
rablement enflée par les pluies, et on désespérait d'y trouver
un gué. Glovis passa la nuit en prière , et le matin une biche
d'une grandeur extraordinaire traversa la rivière à gué à la
(1) Clodov. Epist. ad ejrisc, t. I Conc. GalL, p. 176. — (2j Greg. Tur. , 1. II,
C. XXXVII.
(3) On nommait primicier celui qui était le premier d'un corps, primicerius :
comme qui dirait primus in cera, c'est-à-dire dont le nom est le premier dans les
catalogues ou les tablettes enduites de cire
(4) Ps. xvn, v. 43, 44.
i07] EN FRANCE. — LIVRE V. 141
ue de toute l'armée, qui la passa ensuite au même endroit,
lovis fit aussi conserver avec grand soin les biens de l'Église
e Poitiers, par respect pour S. Hilaire. Il espérait sa protec-
on contre une nation arienne avec d'autant plus de con-
ance que ce saint évêque avait toujours été le fléau et l'en-
emi irréconciliable de cette hérésie. L'espérance du roi ne
it pas confondue : une lumière éclatante, qui parut sortir de
église de Saint-Hilaire, donna un nouveau présage delavic-
)ire. Cependant Alaric, qui attendait du secours, ne sortait pas
e Poitiers. Glovis, pour l'attirer au combat, fit ravager la cam-
agne ; ce moyen, qui devait lui réussir, lui donna occasion
'honorer la vertu d'un saint abbé de ce pays.
Il y avait aux environs de Poitiers un monastère gouverné
ar S. Maixent, qui y vivait retiré. Ses moines, voyant venir
ne troupe de soldats francs, le tirèrent malgré lui de sa
ellule afin de l'opposer comme un bouclier à leur fureur. Il
'avança hardiment au-devant d'eux et les pria d'épargner
on monastère. Pour toute réponse un soldat brutal tira l'épée
t leva le bras pour frapper le saint homme; à l'instant un
liracle rendit immobile le bras du meurtrier, qui se jeta aux
ieds de Maixent. Celui-ci ne se vengea qu'en rendant la santé
celui qui voulait lui ôter la vie (1). Glovis, ayant appris ce
ouble miracle, rendit de grands honneurs au saint abbé et
îi donna la terre de Milon.
S. Maixent était originaire d'Agde, où il avait été disciple
u saint abbé Sévère, dont nous avons parlé. Il s'était retiré
Poitiers sous la conduite de l'abbé Agapite, et, pour mieux
e cacher, il avait changé son nom d'Adjuteur (2) en celui de
laixent. Il mourut âgé de soixante-huit ans, le 26 juin, jour
uquel l'Église honore sa mémoire. Il a donné son nom au mo-
astère et à la ville qui s'est formée autour de ce saint asile (3).
(1) Greg. Tur., 1. II, c. xxxvii.
(2) S. Maixent est honoré à Clermont en Auvergne et en quelques autres lieux
)us le nom de S. Adjudou ou Adjuteur.
(3) Vita S. Maxentii.
142 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [507]
Alaric sortit enfin de Poitiers, où il se tenait enfermé, et,
s'avançant dans les plaines cle Touillé, il vint présenter la
bataille à l'ennemi, qui l'attendait. Les Francs firent des
prodiges de valeur, et les Yisigoths se défendaient avec un
courage qui balançait la victoire, lorsque Glovis, ayant distin-
gué Alaric dans la mêlée, se précipita à sa rencontre pour le
combattre. Alaric, de son côté, s'avança fièrement contre son
rival. Ce combat singulier, qui attira l'attention des deux
armées, suspendit subitement l'acharnement des autres
combattants, dans l'attente de l'événement : elle ne fut pas
de longue durée. Clovis terrassa bientôt Alaric et le tua de
sa main; mais en même temps deux Goths, fondant sur lui,
lui portèrent les plus rudes coups : dans un danger aussi
pressant il ne dut son salut qu'à la solidité de son armure et
à la vigueur de son cheval (1).
Après la mort d' Alaric, les Yisigoths ne songèrent qu'à
fuir, comme c'était leur coutume, dit Grégoire de Tours. Car
ce peuple, quoique vainqueur des Romains, n'avait pas la
réputation d'être brave. Il n'y eut que les soldats originaires
de l'Auvergne qu'Apollinaire (2), fils de S. Sidoine, avait
amenés au secours cl' Alaric, qui firent quelque résistance.
Elle ne servit qu'à rendre la victoire des Francs plus glorieuse.
Ainsi périt Alaric II, qui aurait pu paraître un des plus
grands princes de son temps s'il n'avait eu un rival tel que
Glovis. Moins cruel que son père E varie, il ne fut pas moins
soupçonneux, et, quoiqu'il donnât plus de liberté aux catho-
liques, il ne laissa pas d'exiler plusieurs saints évêques. Toute-
fois, il parut aimer la justice plus qu'on ne devait l'attendre
d'un roi barbare. Il publia l'an 506, pour servir de loi à ses
sujets, une édition du code Théodosien avec quelques change-
ments et quelques additions, qu'il fit approuver par les
(1) Greg. Tur., 1. II, c. xxxvn.
(2) Le P. Daniel dit, dans son Histoire, qu'Apollinaire périt sur le cliamp de ba-
taille : il n'a pas bien pris le sens de Grégoire de Tours, qu'il cite. Le même Apol-
linaire fut huit ans après élevé sur le siège d'Auvergne, comme nous le verrons.
[507j EN FRANCE. — LIVRE V. 143
évêques et les seigneurs de ses États. C'est peut-être la raison
pour laquelle le droit romain ou le droit écrit est demeuré
long-temps en usage dans ces provinces.
Quoique Alaric n'ait pas fait de martyrs, il y en eut sous son
règne. L'avarice arma contre S. Yaize ses proches parents et
les rendit ses persécuteurs et ses bourreaux. Yaize était un
homme de qualité du territoire de Saintes, qui avait de grands
biens et qui croyait n'en pouvoir faire un meilleur usage que
de les distribuer aux pauvres. Mais sa famille ne lui pardonna
pas ses pieuses libéralités, et Procule, son héritier, lui en fit des
reproches. Il répondit : « Je vous laisse la liberté de disposer de
votre bien : pourquoi trouvez-vous mauvais que j e fasse du mien
ce que je juge à propos (1). » Une si sage réponse ne servit qu'à
irriter la plus injuste des passions. Procule chassa Yaize d'une
terre qui lui restait. Celui-ci eut recours à Alaric , et ce prince
donna des ordres pour la lui faire restituer. Mais un des
enfants de Procule, se laissant aller à toutes les fureurs de
l'avarice, fît souffrir à Yaize une mort cruelle et lui procura
ainsi un héritage infiniment plus précieux que celui qu'il lui
enlevait. S. Yaize est honoré comme martyr le 16 avril.
Un jeune homme nommé Avite fut du nombre des prison-
niers que les Francs firent à la bataille de Youillé ; il ne re-
couvra sa liberté que pour en faire à Dieu le sacrifice dans un
monastère où il se retira. Ensuite il mena la vie érémitique
et en soutint les exercices pendant quarante ans avec le cou-
rage d'un véritable soldat de Jésus-Christ (2). Tels sont les
avantages qu'il retira de sa disgrâce et de la défaite de son
parti. Il est honoré le 17 juin.
Après la mort d' Alaric, les seigneurs visigoths reconnurent
pour leur roi Géselic, son fils naturel, et firent de nouveaux
efforts pour se défendre. Mais Clovis, qui savait aussi bien
profiter d'une victoire que la gagner, se rendit en peu de
temps maître de l'Aquitaine, prit Toulouse et s'empara des
(1) Acta Vasii, apud Boll., 16 april. — (2) Acta S. Aviti, apud. Boll., 17 junii.
144 HISTOIRE DE l' ÉGLISE CATHOLIQUE [508]
trésors d'Alaric qui étaient en cette ville. Mais Théocloric, roi
d'Italie, sauva ceux qui étaient à Garcassonne, parmi lesquels,
dit Procope, il y avait plusieurs vases précieux du temple de
Salomon, apportés à Rome par Titus et enlevés de Rome par
Alaric Ier (1).
Clovis avait un fils nommé Thierry, qui lui était né d'une
concubine avant son mariage avec Glotilde. Il chargea ce jeune
prince d'achever cette guerre et revint couvert de gloire à
Tours, où de nouveaux honneurs l'attendaient. Il y reçut une'
ambassade de l'empereur Anastase, qui lui envoyait le titre
de consul honoraire, ou plutôt de patrice, avec une robe de
pourpre et les autres marques du patriciat (2). Il se revêtit de
ces ornements devant le tombeau de S. Martin, qui était hors
de la ville, et, étant monté à cheval, le diadème en tête, il alla
comme en triomphe jusqu'à la cathédrale de Tours, jetant
pendant la marche une grande quantité de pièces d'argent au
peuple accouru à ce spectacle (3). Le diadème que Clovis
porta en cette occasion était apparemment le cercle d'or
qui était l'ornement des patrices , et ce fut sans cloute cette
couronne d'or que ce prince envoya au Saint-Siège, s'il est
vrai qu'il en ait envoyé une, comme le dit Anastase le Bi-
bliothécaire (4).
(1) Greg. Tur., 1. II, c. xxxvn. — Procop., de Bello Goth.,l. I, c. xn.
(2) Grégoire de Tours ajoute que depuis ce temps-là Clovis fut nommé consul
et auguste : ce qui semblerait marquer qu'Anastase lui aurait donné la qualité
d'empereur. Mais on n'en trouve pas ailleurs de vestiges. Nous croyons même que
le consulat dont il est ici parlé n'est autre chose que le patriciat : on a confondu assez
souvent dans la suite ces deux dignités. Le patriciat avait été institué par Cons-
tantin, et c'était la première dignité de l'empire. Un ancien manuscrit de la bi-
bliothèque du Vatican marque le cérémonial observé à la création d'un patrice.
Celui qui devait recevoir cet honneur, étant conduit à l'empereur par le protospa-
thaire, baisait d'abord les pieds de l'empereur, ensuite les genoux, et enfin le
visage. L'empereur lui disait : II nous est trop pénible de nous acquitter seul du
ministère que le Seigneur nous a donné: nous en partageons les soins avec vous, et nous
vous élevons à celte dignité, afin que vous fassiez justice aux Eglises et aux pauvres, et
que vous en rendiez compte au souverain Juge. Ensuite l'empereur le revêtait d'un
manteau, lui mettait un anneau au doigt, et lui donnait un papier où il avait écrit
de sa main : Soyez patrice juste et miséricordieux. Enfin il lui mettait un cercle d'or
sur la tête.
(3) Greg. Tur., 1. II, c. xxxvm.
(4) Ce qui rend ce fait douteux, c'est qu'Anastase le Bibliothécaire dit que Clovis
508] EN FRANCE. — LIVRE V. 145
Tant d'heureux succès ne rirent pas oublier à Clovis les
puissants protecteurs auxquels il s'en croyait redevable. Il fit
le riches présents à l'église de Saint-Hilaire de Poitiers et à
:elle de Saint-Martin de Tours. Mais il eut soin qu'on ne pût
pas dire qu'il ne faisait en cela que rendre à Dieu d'un côté
:e qu'il lui avait pris d'un autre. En effet, comme dans les
guerres les plus justes il se commet toujours bien des injus-
tices, ce prince écrivit une lettre circulaire aux évêques d'A-
juitaine pour les avertir de réclamer tout ce qui aurait été
enlevé par ses soldats aux églises, aux clercs, aux vierges
consacrées à Dieu et aux veuves, contre les ordres qu'il
ivait donnés en commençant la guerre. Il' permet aussi de
réclamer les esclaves qui n'avaient pas été pris dans la
guerre, et il promet que restitution entière sera faite, pourvu
jue les évêques attestent avec serment la vérité de ce qu'ils
ivanceront : précaution que les Francs avaient demandée, de
peur qu'on ne se servît du nom de l'Église pour priver le
soldat d'un légitime butin (1).
Glovis, en retournant à Paris, vit S. Déodatou Dié, ermite,
sur les bords de la Loire entre Blois et Orléans, et lui donna
une somme d'argent et une terre pour bâtir un monastère (2) .
[lût quelque séjour à Orléans, où Adelfius, évêque de Poi-
tiers, et S. Fridolin, abbé de Saint-Hilaire de cette ville, allèrent
le trouver, pour lui demander la permission de mettre dans
un lieu plus honorable les reliques de S. Hilaire et d'élever
une plus belle église sur son tombeau. Le roi assigna des
fonds pour le nouvel édifice et se rendit ensuite à Paris, où
il établit le siège de son empire, selon la remarque de Gré-
goire de Tours (3) . Ainsi , c'est presque dès les commence-
ments de la monarchie que cette ville a été regardée comme
la capitale du royaume. On croit que Glovis y choisit pour sa
mvoya cette couronne à Hermisdas, qui ne fut pape qu'après la mort de Clovis.
Jet auteur pourrait ne s'être trompé que dans le nom du pape.
(1) Clodov. Episl., t, I Conc. Gall., p. 176.— (2) VUa S. Deodati. — (3) Bai-
eras, Vila Fridol.j et Petr. Damian. Serm. de Translat. Hilar. — Greg. Tur.; 1. Il,
i. XXXVIII.
TOME II. 10
146 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [508]
demeure le palais de l'empereur Julien, qui était hors de la
ville. Puis, voulant accomplir le vœu qu'il avait fait en par-
tant, il commença à faire bâtir assez près de ce palais la ba-
silique de Saint-Pierre et de Saint-Paul, sur le tombeau de
Ste Geneviève. Cette église prit le nom de cette sainte , elle
était mitoyenne avec celle de Saint-Étienne du Mont et fut
démolie pendant notre révolution.
Geneviève était morte quelques années auparavant, re-
nommée dans toute la Gaule pour la sainteté de sa vie et l'é-
clat de ses miracles. L'austérité de sa vie avait été admirable.
Depuis l'âge de quinze ans jusqu'à cinquante, elle ne mangea
que deux fois la semaine, encore sa nourriture n'était-elle que
du pain d'orge avec des fèves ; mais dans la suite elle modéra
cette abstinence par le conseil des évêques , et elle mangea
quelquefois du poisson et du lait. L'eau était la seule boisson
qu'elle se permît. Geneviève sut allier les exercices de la vie
active avec les douceurs de la contemplation. Sa dévotion fut
tendre et agissante, humble et courageuse. Rien ne lui coûtait
quand il s'agissait du service de Dieu et de celui du pro-
chain. Elle vint à bout, par le crédit que lui donnait sa vertu,
de bâtir une église en l'honneur de S. Denis et de ses com-
pagnons, et dans un temps de famine elle entreprit un long-
voyage pour procurer des vivres aux Parisiens, qui en man-
quaient. On ne vit jamais mieux que dans cette sainte fille com-
bien la sainteté est respectable. Les envieux qui l'avaient d'a-
bord persécutée, furent contraints de faire son éloge. Ghildérie,
tout païen qu'il était, lui rendit de grands honneurs, et Glovis
eut pour elle une vénération singulière. Sa réputation ne fut
pas même renfermée dans la Gaule (1). Le célèbre Siméon
Stylite (2), qui était alors en Orient un miracle de pénitence,
(1) Vita S. Genov., apud Bolland., 3 jan., c. iv, n. 13, IG, 21, 26.
(2) £xu)vO; signifie en grec colonne : ou nomma styliles de saints pénitents qu
passaient leur vie sur des colonnes, exposés à toutes les injures de l'air. Ces co
Ion ries étaient surmontées d'une espèce de parapet, sur lequel on pouvait s'ap
puyer ; mais on n'y pouvait ni s'asseoir ni se coucher.
[509] 1 EN FRANCE. LIVRE V. 147
demandait de ses nouvelles du haut de sa colonne aux mar-
chands gaulois qui venaient le visiter , et il les chargeait de
le recommander à ses prières.
Geneviève mourut âgée de plus de quatre-vingts ans, et
par conséquent après l'an 500 : car il paraît qu'elle n'avait
guère que huit à neuf ans quand S. Germain la vit à son
premier voyage de Bretagne, l'an 429. Sa vie fut écrite dix-
huit ans après sa mort. On érigea d'abord sur son tombeau
un petit oratoire construit en bois. Ensuite, comme nous
l'avons dit, Glovis, pour s'acquitter de son vœu et satisfaire sa
dévotion envers cette sainte vierge, choisit cet endroitpour bâ-
tir la basilique de Saint-Pierre et de Saint-Paul, que Clotilde
fit achever avec une magnificence royale. Il y avait trois por-
tiques à l'entrée de l'église, et les murailles étaient couvertes
de peintures représentant des histoires des saints de l'Ancien
et du Nouveau Testament. Geneviève avait de son vivant pré-
servé plusieurs fois la ville de Paris des malheurs dont elle
était menacée ; elle continua après sa mort de protéger cette
capitale du royaume, qui l'honore comme sa patronne et qui
conservait avec vénération ses précieuses reliques, que l'im-
piété révolutionnaire fit brûler sur la place de Grève. Ste Cé-
ligne, honorée à Meauxle 21 octobre, était, à ce qu'on croit,
compagne et amie de Ste Geneviève.
Pendant que Glovis témoignait à Dieu sa reconnaissance
pour la victoire qu'il avait remportée, son fils Thierry en re-
cueillait les fruits par de rapides conquêtes. Ce jeune prince
soumit en peu de temps à l'empire franc et délivra du joug
des ariens l'Auvergne, l'Albigeois et le Rouergue. Il triom-
phait, et la religion triomphait avec lui. Pour affermir ces
nouvelles conquêtes, Glovis avait soin de donner de bons
évêques aux villes dont il s'était rendu maître. Il savait que
rien n'est en effet-plus propre à contenir les peuples dans
l'obéissance que l'autorité de l'exemple d'un saint pasteur.
Héraclien de Toulouse étant mort peu de temps après que
cette ville eut été soumise aux Francs, le roi en fît élire
148 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [509]
évêque S. Germain, qui était alors à Paris. Il avait été or-
donné diacre trois ans auparavant par Grégoire de Saintes. Il
fut sacré évêque à Paris et gouverna l'Église de Toulouse
pendant trente-six ans. Ce siège n'était pas encore métropo-
litain ; mais il avait une juridiction fort étendue , puisque
d'une partie de ce diocèse on forma dans la suite les évêchés
de Pamiers, de Mirepoix, de Lavaur, de Rieux, de Lombez
et de Saint-Papoul, c'est-à-dire tous ses suffragants à l'excep
tion de Montauban, qui fut détaché de Cahors (1).
Les disgrâces des Visigoths les rendirent plus furieux en-
core contre les catholiques. Car c'est environ à cette époque
qu'on doit rapporter le martyre de S. Galactoire de Béarn,
que ces ariens firent mourir dans les tourments en haine de
la foi. On rapporte que ce saint évêque, s'étant mis à la tête
de quelques troupes pour favoriser les Francs, fut pris par
les Yisigoths, qui lui firent subir de cruelles tortures pour
lui faire embrasser l'arianisme, et qu'il souffrit généreuse-
ment une mort d'autant plus glorieuse qu'elle fut accompa-
gnée de plus grandes souffrances (2). Mais, sans révoquer en
doute le martyre, qu'il nous soit permis de douter des cir-
constances. Un évêque à la tête d'un corps de troupes eût
alors paru un monstrueux scandale. Ce ne fut que longtemps
après qu'on vit des prélats quitter la mitre et le bâton pas-
toral pour prendre le casque et l'épée.
Peu s'en fallut que S. Gésaire ne fût aussi sacrifié aux
soupçons des Yisigoths. Les Francs et les Bourguignons,
leurs alliés, ayant mis le siège, l'an 508, devant Arles, ville
alors très -fortifiée et soumise aux Yisigoths, un clerc parent
de S. Gésaire sortit secrètement de la place et alla se rendre
aux assiégeants. Il n'en fallut pas davantage pour susciter les
persécutions les plus vives contre l'évêque. On publia qu'il
avait envoyé son clerc vers les ennemis pour concerter
quelque trahison ; on souleva contre lui le peuple toujours
(1) Catel., Hist. de Languedoc, 1. V. — (2j Marca, Hist. de Béarn. j
[509] EX FRANCE. — LIVRE V. 149
crédule (1), et, sans qu'il lui fût permis de se justifier, il se
vit enlevé de la maison de l'Église, qui fut livrée au pillage.
Le saint évêque fut mis en prison, et l'on annonçait l'intention
de le jeter dans le Rhône la nuit suivante. On se contenta de
l'enfermer dans le château d'Ugerne (2), jusqu'à ce qu'on pût,
après le siège, déterminer ce qu'on aurait à faire. Les Juifs
qui étaient dans la ville étaient ceux qui, pour insulter aux
catholiques, criaient le plus haut à la trahison; mais Dieu les
couvrit eux-mêmes de confusion. Un d'eux jeta aux assié-
geants, du haut des murailles, une lettre attachée à une pierre
pour les avertir de planter la nuit des échelles à l'endroit où
ils étaient de garde, promettant de livrer la ville à condition
que la vie et les biens des Juifs seraient épargnés. Mais, les
assiégeants s'étant un peu éloignés de la muraille, la lettre fut
trouvée le lendemain par les assiégés, et la trahison de ceux
qui accusaient le saint évêque, ayant été découverte, servit à
le justifier.
Une armée que Théodoric, roi des Ostrogoths d'Italie, en-
voya au secours d'Arles, obligea les Francs et les Bourgui-
gnons à lever le siège. Les Goths, qui les battirent dans leur
retraite, ramenèrent à Arles un si grand nombre de prison-
niers que les églises en furent toutes remplies. Ces captifs
étaient réduits à la dernière misère par la dureté des Goths ;
mais la charité de S. Césaire, qui avait été mis en liberté, fut
la ressource de tant de malheureux. Il leur fournit d'abord
abondamment des vivres et des habits. Ensuite il employa à
les racheter tout l'argent que S. Eone, son prédécesseur,
avait laissé dans le trésor de l'Église. Et comme cet argent
n'était pas suffisant, il vendit les encensoirs, les calices, les
patènes et les ornements d'argent qui décoraient les colonnes
de l'église. Il disait qu'il agissait ainsi pour empêcher qu'un
(1) Cyprian. Vita Cœsarii, 1. I, c. XHI.
(2) Les géographes ne sont pas d'accord sur la situation d'Ugerne, dont par-
lent les anciens. Plusieurs croient que c'est la ville nommée aujourd'hui Beau-
caire; il est plus probable que c'est une île du Rhône appelée Gernica, la Vergue :
ce nom a plus de rapporta celui (VUgerne.
150 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [511]
dur esclavage n'obligeât des hommes rachetés par le sang
de Jésus-Christ à se faire ariens ou juifs : ce qui montre
que le plus grand nombre de ces prisonniers étaient catho-
liques. « Je ne crois pas, ajoutait-il, que ce puisse être une
chose désagréable à Dieu que d'employer les vases de ses
autels à racheter les hommes qu'il a aimés jusqu'à se don-
ner lui-même pour les racheter (1). » On fait volontiers des
libéralités à l'Église quand on voit les pasteurs employer ses
biens à un si saint usage.
S. Gésaire avait commencé avant le siège d'Arles à faire bâ-
tir un monastère de filles pour sa sœur Ste Gésarie. L'é-
difice était avancé, et le saint évêque ne dédaignait pas d'y
travailler de ses mains. Mais il eut le chagrin de le voir rui-
ner par les assiégeants, qui en enlevèrent les matériaux pour
les faire servir à leurs travaux. Ce contre-temps ne le rebuta
point. Il reprit son premier dessein aussitôt après la levée du
siège et bâtit pour ce monastère une grande église avec deux
ailes sur les côtés. Le milieu était dédié sous l'invocation de
la Ste Vierge, et les côtés étaient consacrés sous celle de
S. Martin et de S. Jean, dont le monastère a porté le nom. Aus-
sitôt que les bâtiments furent achevés, il rappela sa sœur Gé-
sarie de Marseille, où il l'avait envoyée pour pratiquer dans
un monastère de filles ce qu'elle devait enseigner aux autres
dans cette ville : c'était probablement celui que Gassien avait
fondé (2). Gésarie prit possession du nouveau monastère avec
deux ou trois compagnes; mais en peu de temps des vierges vin-
rent de toutes parts en grand nombre se ranger sous sa con-
duite, pour se préparer avec elle à l'arrivée de l'Époux. S. Gé-
saire composa pour elles une règle qui paraît dictée par l'esprit
de piété et de discrétion. Le saint évêque y marque, dans la pré-
face, qu'entre plusieurs règlements qui sont en usage dans les
monastères d'hommes et de filles, il a choisi ceux qui lui ont
paru plus convenables à des vierges chrétiennes. En voici
le précis (3) :
(1) Vit. Cœsar., lib. I, c. xiv. — (2) Ibid., c. XIII. — (3) Régula S. Cœsarii.
|5llJ EN FRANCE. — LIVRE V. 151
La clôture doit être perpétuelle, et si exacte qu'il ne soit
jamais permis à aucune religieuse de sortir du monastère
ni même d'entrer dans la basilique extérieure.
On éprouvera un an entier les novices avant de leur donner
l'habit. La supérieure pourra cependant abréger ce temps,
selon la ferveur qu'elle aura remarquée.
Les veuves ou les femmes mariées qui quittent leurs maris
pour entrer dans le monastère, n'y seront reçues qu'après
avoir entièrement renoncé à leurs biens ou après en avoir
disposé : ce qui doit aussi s'entendre des filles.
Celles qui sont encore mineures ou qui sont sous la puis-
sance paternelle, seront aussi contraintes de renoncer à leurs
biens quand elles en auront l'âge. Cet article peut faire juger
que le concile d'Agde, portant défense de donner le voile aux
vierges avant l'âge de quarante ans, ne doit s'entendre que de
celles qui demeuraient exposées au milieu des dangers du
siècle.
Aucune sœur, pas même l'abbesse, ne pourra avoir de ser-
vante; mais les jeunes sœurs pourront rendre aux autres les
services nécessaires. On ne prendra pas dans le monastère
de jeunes filles, même de qualité, pour les nourrir et les en-
seigner, c'est-à-dire qu'on ne prendra point de pensionnaires.
Mais on pourra y recevoir des jeunes filles de six à sept ans
pour être religieuses.
Chacune des sœurs aura son travail marqué par la supé-
rieure.
Elles coucheront toutes dans une chambre commune, mais
dans des lits séparés, sans qu'aucune puisse avoir de chambre
particulière ou d'armoire fermée. Celles qui sont âgées ou in-
firmes coucheront dans une autre chambre, qui sera com-
mune aussi.
Il est défendu "a toutes de recevoir aucune fille des fonts
baptismaux, c'est-à-dire d'être marraines.
Celle qui se rendra tard aux exercices de la communauté
sera réprimandée par la supérieure, et si elle ne se corrige
152 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [511]
pas après avoir été avertie deux ou trois fois, elle sera séparée
de la communion ou de la table commune : c'était la commu-
nion de la prière, comme il est énoncé plus bas. On marque
ailleurs la discipline, c'est-à-dire la flagellation, comme un
châtiment en usage pour les grandes fautes.
Chaque sœur fera la cuisine et les autres offices domesti-
ques à son tour, excepté la supérieure.
Que personne n'ait rien en propre; que toutes obéissent
après Dieu à la supérieure ; qu'on garde le silence pendant le
repas et qu'on soit attentif à la lecture ; que toutes appren-
nent à lire.
On emploiera tous les matins deux heures à la lecture; le
reste du temps sera employé au travail, qui se fera en com-
mun et en silence. Une des sœurs lira aux autres pendant le
travail jusqu'à l'heure de tierce. On méditera ou l'on priera
pendant le reste du travail.
On doit avoir la charité de découvrir à la supérieure les
défauts de celles qui, après en avoir été averties secrètement,
ne s'en corrigeraient pas.
Il est très-expressément défendu de recevoir ou d'envoyer
des lettres ou des présents sans la permission de la supérieure.
On recommande d'avoir un soin particulier des malades , et
l'on veut même que, comme le vin de la communauté n'est
pas toujours assez bon, on en ait de meilleur pour les in-
firmes; on leur accordera même la permission de prendre
des bains sur l'avis du médecin.
On ne permettra à personne d'entrer dans le monastère,
excepté aux évêques, au proviseur du monastère (c'était l'in-
tendant pour les affaires du dehors), à un prêtre, à un
diacre, à un sous-diacre et à quelques lecteurs avancés en
ûge, pour célébrer quelquefois (1) la messe. Les ouvriers
n'entreront dans lè monastère qu'avec le proviseur et la per-
(lj Cette expression pourrait faire croire qu'on ne disait pas tous les jours la
messe dans le monastère ; mais on peut entendre ce qui est dit ici des messes
solennelles, qu'on ne disait que rarement dans l'oratoire intérieur.
[511] ES FRANCE. — LIVRE V. 153
mission de l'abbesse , et quand le proviseur entrera, il sera
accompagné de l'abbesse ou de quelqu'une des sœurs.
L'abbesse n'ira pas au parloir sans être accompagnée de
deux ou trois sœurs. Les autres religieuses ne parleront qu'à
leurs parents et en présence de quelqu'une des anciennes.
On ne donnera point de repas dans le monastère, pas même
aux évêques ni aux femmes séculières, excepté aux mères
des religieuses qui, n'étant pas de la ville, viendront voir
leurs filles.
Les habits des religieuses doivent être simples, en étoffe
de laine de couleur blanche, et faits clans le monastère; leurs
lits seront sans ornements, et leur coiffure ne doit pas excéder
en hauteur la mesure marquée (1) par une ligne tirée dans le
livre de la règle. Les ornements de l'autel lui-même ne seront
que de laine, sans broderies. On n'aura d'argenterie que pour
les vases sacrés. Les religieuses ne feront aucun ouvrage de
tapisserie ou de broderie. Il n'y aura ni peintures ni tableaux
dans l'oratoire ; ceux que l'on aura seront vendus au profit
du monastère ou placés dans la basilique de la Sainte- Vierge.
Cette basilique était l'église extérieure.
S. Césaire, après avoir fait une courte récapitulation de ces
règlements, prescrit l'ordre de la psalmodie et des jeûnes. Il
règle la psalmodie sur celle qui était en usage à Lérins, et qui
était fort longue. On y voit que dès lors, les jours solennels
après matines, on chantait l'hymne Te Deum lauda?nns, etc.
Pour les jeûnes, depuis Pâques jusqu'à la Pentecôte on ne
doit faire qu'un repas le vendredi; depuis la Pentecôte jus-
qu'au premier jour de septembre, on laisse à la supérieure le
soin de régler les jeûnes comme elle le jugera convenable;
depuis le premier jour de septembre jusqu'au premier jour
•
(1) Fleury dit que cette- mesure est d'un pouce et deux lignes ; il y a seu-
lement dans les éditions que nous avons vues : capita mrnquam altiora, ou altius li-
gent quam in hune locum mensuram de incausto fecimus. Incaustum est mis pour
signifier une liqueur rouge : ainsi c'était une raie marquée dans le livre de la
règle de la hauteur que devait être la coiffure des religieuses ; mais on ne dit pas
quelle est la longueur de cette raie.
154 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [511J
de novembre, on doit jeûner trois jours de la semaine : le
lundi, le mercredi et le vendredi; et tous les jours depuis le
premier novembre jusqu'à Noël, excepté les fêtes et le sa-
medi. Avant l'Epiphanie (1) sept jours de jeûne. Depuis l'E-
piphanie jusqu'à la semaine qui précède le Carême, on jeû-
nera le lundi, le mercredi, et le vendredi.
Les jours de jeûne on servait trois plats aux religieuses ;.
les autres jours on n'en servait que deux (2) ; on ajoutait
des mets plus délicats les jours solennels. On ne mangeait
jamais de grosse viande, et la chair des oiseaux n'était per-
mise qu'aux infirmes.
S. Gésaire veut que l'abbesse ne puisse rien changer à ces
règles, même par l'autorité de l'évêque. Si elle le tentait,
il exhorte les religieuses à lui résister et à recourir au
Saint-Siège. Il souscrivit cette règle de sa main le 22 juin, on
ne sait précisément en quelle année ; mais le monastère fut
entièrement achevé trente ans avant la mort du saint évêque,
c'est-à-dire l'an 512, et l'église en fut dédiée le 26 août.
Le pape Hormisdas approuva dans la suite cet établisse-
ment, et, à la prière de S. Gésaire, il enleva auxévêques d'Ar-
les tout pouvoir pour le gouvernement de la communauté,
leur permettant seulement d'y faire la visite de temps en
temps. Il se montra plus difficile à confirmer les ventes et les
donations de quelques biens ecclésiastiques que S. Césaire
avait faites en faveur de ce monastère; il ne les approuva que
sous la réserve du consentement des évêques de la province :
ceux-ci y consentirent (3).
Les sages règlements de S. Gésaire, soutenus des exemples
(1) Les jeûnes avant l'Epiphanie avaient été établis pour expier les réjouis-
sances profanes auxquelles les païens et les mauvais* chrétiens se livraient au
commencement de l'année.
(2) Fleury a ici mal traduit : On leur donnait deux portions à diner et trois à souper.
Il y a : Ciborum omnibus diebus in jejunio tria, in prandio bina tantummodo prœpa'
rentur. Le mot de prandium est opposé à celui de jejunium , parce que quand on
dînait on ne jeûnait pas ; le repas qui se faisait les jom's de jeûne se nommait cœnat.
parce qu'on le prenait le soir.
(3) Hormisd. Epist., apud Bolland., 1 januar.,p. 73G.
511] EN FRANCE. LIVRE V. 155
le l'abbesse Ste Gésarie, rendirent en peu de temps cette
ommunauté nombreuse et florissante. Ce fut pour le saint
vêque une consolation au milieu des contradictions qu'il
ontinua d'essuyer sous la domination des ariens , tandis que
'Église, sous celle des Francs, goûtait en paix les fruits des
rctoires de Clovis.
Ce religieux prince, après avoir réglé l'administration de ses
lou veaux États, pressa les évêques de travailler au rétablis-
ement de la discipline, qui souffre toujours du tumulte des
;uerres. Dans ce but, il fit assembler, par le conseil de S. Remi
le Reims et de S. Mélaine de Rennes, un concile à Orléans
u mois de juillet sous le consulat de Félix, c'est-à-dire
'an 511 , et il marqua aux prélats les articles sur lesquels il
onvenait de faire des règlements. On y fit les trente et un
anons suivants (1).
Ï-II-III. Les homicides, les adultères, les voleurs, les
avisseurs, les esclaves qui se réfugient dans l'église ou dans
a maison de l'évêque , n'en seront tirés qu'après que celui à
[ui on les livrera aura juré sur les saints Evangiles qu'il ne
eur sera fait aucun mal. On satisfera cependant les parties ,
ît celui qui aura enlevé une femme malgré elle sera fait
ïsclave ; mais il pourra se racheter.
IV. On ne recevra les laïques dans le clergé que par ordre
lu roi ou avec la permission du juge ; mais les fils , les petits-
ils et les arrière-petits-fils des clercs seront sous la puis-
sance des évêques.
Comme les laïques de condition libre devaient au roi le
service de guerre , on ne les engageait pas sans son agrément
lansla cléricature, qui les exemptait de ces charges.
Y. Les revenus des terres que le roi aura données ou
pourra clans la suite donner avec exemption , seront employés
mx réparations des-églises , à la subsistance des évêques et
les pauvres et au rachat des captifs... Si quelque é vêque en
(t) Conc. Gall., t. I; ap. Labb.,t. IV, p. 1403.
156 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [5] i]
fait un autre usage , il sera réprimandé publiquement par ses
comprovinciaux , et s'il ne tient pas compte de la réprimande,
les évêques se sépareront de sa communion.
VI* Il est défendu d'excommunier ceux qui croient pouvoir
poursuivre leurs droits contre l'évêque ou contre l'Église, à
moins qu'ils ne le fassent d'une manière outrageante et ca-
lomnieuse.
VIL II est défendu sous peine d'excommunication aux
abbés, aux prêtres et aux autres clercs d'aller à la cour solli-
citer des bénéfices sans le consentement et la recommanda-
tion de leurs évêques.
La multitude des ecclésiastiques et des abbés qui se ren-
daient à la cour obligea le roi à demander ce règlement,
pour se délivrer de leurs importunités.
VIII. L'évêque qui ordonnera prêtre ou diacre un esclave,
le connaissant tel, en l'absence ou à l'insu de son maître, dé-
dommagera le maître au double, et l'esclave conservera
l'ordre sacré qu'il aura reçu. Si l'évêque ne savait pas qu'il
fût esclave , ceux qui le lui ont présenté et qui en ont rendu
témoignage seront tenus au même dédommagement.
IX. Le diacre ou le prêtre qui aura commis un crime ca-
pital sera dégradé et excommunié (1).
X. Les clercs hérétiques qui se convertissent sincèrement
à la foi, seront reçus, par l'imposition des mains, dans l'office
dont l'évêque les aura jugés dignes, et les églises des Goths
seront purifiées par une nouvelle dédicace.
XL Ceux qui, après avoir reçu la pénitence , l'abandonnent,
sont excommuniés, aussi bien que ceux qui mangeraient
avec eux.
XII. Les prêtres et les diacres qui se retirent de la com-
munion de l'autel pour faire pénitence, pourront baptiser en
cas de nécessité.
(1) Dans les canons des apôtres il est marqué que quand on dépose un prêtre,
on ne doit pas le priver de la communion, de peur de paraître punir deux fois
mais la discipline était différente en plusieurs Eglises.
[511] EN FRANCE. — LIVRE V. 157
XIII. La veuve d'un prêtre ou d'un diacre ne pourra pas se
remarier.
XIV- XY. Suivant les anciens canons, l'évêque aura la
moitié des offrandes que les fidèles feront à l'autel ( dans la
cathédrale ) ; l'autre moitié sera partagée aux clercs selon
leurs degrés. Il n'aura que la troisième partie des offrandes
qui seront faites à l'autel dans les paroisses. Mais les terres,
les vignes, les esclaves, et même l'argent que les fidèles don-
neront aux paroisses, seront sous la puissance de l'évêque.
On voit ici que l'évêque est comme l'économe universel de
tous les biens ecclésiastiques de son diocèse , excepté des mo-
nastères.
XVI. L'évêque doit nourrir et vêtir, autant qu'il le pourra,
tous les pauvres et les infirmes qui ne peuvent pas travailler.
XVII. Toutes les églises dépendront de l'évêque dans le
territoire duquel elles sont construites.
XVIII. Un homme ne pourra épouser la sœur de sa femme
ni la veuve de son frère.
XIX. Les abbés demeureront soumis aux évêques , qui au-
ront le droit de les punir s'ils font quelque chose contre la
règle. Ils s'assembleront tous les ans dans le lieu que l'évêque
leur aura marqué. Les moines obéiront aux abbés et n'auront
rien en propre. Les moines vagabonds seront pris avec le se-
cours de l'évêque et renfermés comme fugitifs.
XX. Il n'est pas permis aux moines de porter dans le mo-
nastère Yorarium , c'est-à-dire l'étole, et des chaussures (1)
semblables à des cothurnes.
XX. Un moine qui se marie après avoir pris le manteau
(c'était l'habit monastique) ne pourra pas être promu aux
ordres.
XXII. Il est défendu à un moine de se séparer de la commu-
nauté pour se bâti-r- une cellule particulière sans la permis-
sion de l'évêque et l'agrément de l'abbé.
( 1 ) Il y a dans le latin tzangas : c'est une sorte de chaussure de cuir assez sem-
blable au cothurne et peut-être à des bottines.
-158 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [511]
XXIII. Si un évêque donne à des clercs ou à des moines
quelques terres ou vignes à cultiver ou à posséder pour un
temps, cesbiens reviendront à l'Église quelque espace de temps
qu'il se soit écoulé, et la prescription, qui est en usage selon
les lois civiles, n'aura pas lieu pour les biens ecclésiastiques.
XXIV. Tous les évêques ont ordonné que le carême soit de
quarante jours et non de cinquante.
XXV. Les habitants des villes ne pourront célébrer dans
leurs maisons de campagne les fêtes de Pâques, de Noël et de
la Quinquagésime , c'est-à-dire de la Pentecôte , à moins que
quelque infirmité ne les y retienne.
XXVI. Le peuple ne sortira pas avant la fin de la messe et
sans avoir reçu la bénédiction de l'évêque (1), s'il est présent.
XXVII. Les Rogations ou Litanies seront célébrées par toutes
les Églises les trois jours qui précèdent l'Ascension ; on
jeûnera ces trois jours et l'on n'usera que de viandes du
carême ; les esclaves mêmes ne travailleront pas.
XXVIII. Les clercs qui refuseront d'assister aux Rogations
recevront la correction (2) selon la volonté de l'évêque.
XXIX. On renouvelle les canons qui recommandent aux
évêques, aux prêtres et aux diacres d'éviter toute familiarité
avec des femmes étrangères.
XXX. On excommunie ceux qui exercent les augures ou ce
qu'on nomme à tort les sorts des saints.
XXXI. L'évêque se trouvera le dimanche à l'église dont il
est le plus proche, à moins qu'il n'en soit empêché pour cause
de maladie.
Les Pères du concile souscrivirent ces canons le 10 juillet
et les envoyèrent au roi avec la lettre suivante :
(1) La bénédiction était la fin de la messe : car on ne disait pas alors de dernier
évangile. C'est une institution assez récente : elle doit son origine à la dévotion
des fidèles, qui se faisaient souvent réciter le commencement de l'évangile de
S. Jean à la fin de la messe.
(2) Il y a dans le latin : suscipiant disciplinam ; on peut traduire : qu'ils soient fus-
tigés. Le mot disci}>lina se prit d'abord pour toute sorte de correction ; mais comme
la flagellation était particulièrement en usage dans les monastères pour le main-
tien de la discipline, on a nommé cette correction discipline.
[511]
EN FRANCE.
— LIVRE V.
159
(( A leur seigneur le très-glorieux roi Clovis, fils de V Eglise
catholique , tous les évêques assemblés au concile par son
ordre.
« Comme c'est l'ardeur de votre zèle pour le culte de la
religion catholique et de la foi qui vous a porté à faire as-
sembler ce concile, dans lequel nous pussions traiter en-
semble, comme il convient à des évêques, de plusieurs
points nécessaires, nous vous envoyons les réponses que
nous avons jugé à propos de faire aux articles que vous nous
avez proposés. Si vous jugez ces règlements dignes de votre
approbation , l'autorité d'un si grand roi , d'accord avec celle
de tant d'évêques, en assurera l'observation (1). »
Trente-deux évêques assistèrent à ce concile et approuvè-
rent ses décrets. La plupart sont mis au nombre des saints,
ce qui prouve que l'Église gallicane n'avait encore rien
perdu de sa gloire. Nous parlerons des plus célèbres
d'entre eux que nous n'avons pas eu l'occasion de faire con-
naître.
Tétradius de Bourges avait succédé sur ce siège à S. Sim-
plice. 11 donna une terre à l'église de Saint-Julien de Brioude ,
et Grégoire de Tours le nomme un prélat de glorieuse mé-
moire : c'est tout ce qu'on sait de sa vie (2).
Nous sommes mieux instruits au sujet de Licinius de
Tours. Il était originaire d'Angers. Au retour d'un pèleri-
nage qu'il fit en Palestine pour visiter les saints lieux , il se
retira dans une de ses terres sur les confins de l'Anjou et de
la Touraine et il y établit un monastère. Sa réputation le fit
choisir pour gouverner à Tours celui de Saint-Venant , bâti près
(1) Par la sanction de Clovis, les canons du concile d'Orléans devenaient lois
de l'État. C'est le commencement de l'alliance entre le sacerdoce et la royauté,
dont nous aurons souvent occasion de parler.
(2) Greg. Tur., de Glor. mart., 1. II, c. xiv.
160 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [511]
de la basilique de Saint-Martin. Après la mort de Yérus, exilé
par les Goths, Licinius fut tiré de ce monastère et placé sur le
siège de Tours. Il en était déjà évêque, lorsque Glovis revint
de son expédition contre Alaric. Il occupa le siège douze ans
et deux mois, et après sa mort l'Église de Tours fut adminis-
trée par Théodore et Procule , ces deux évêques bourguignons
qui s'étaient réfugiés auprès de Ste Glotilde (1).
S. Gildard ou Godard de Rouen succéda à Grescence et fut
recommandante par les vertus et les talents qui font un grand
évêque; mais le récit de sa vie a si peu d'autorité qu'on ne
peut entrer dans aucun détail.
S. Mélaine, évêque de Rennes, fut en ce siècle une des lu-
mières de l'Église des Gaules (2). Il était né clans le terri-
toire de Vannes et il ne songeait qu'à y pratiquer la péni-
tence dans les exercices de la vie monastique, qu'il avait em-
brassée, lorsque les principaux citoyens de Rennes vinrent
le conjurer d'être leur pasteur après la mort de S. Amand (3),
qui l'avait désigné pour son successeur. Il céda à leurs
prières dans la crainte de résister à la vocation de Dieu , et
il ne tarda pas à surpasser les espérances qu'on avait conçues
de son épiscopat : les grandes positions font bientôt con-
naître les grands hommes. Glovis, qui savait discerner le mé-
rite et le récompenser, ayant soumis l'Armorique à sa domi-
nation, appela Mélaine auprès de lui et l'honora de sa con-
fiance. Il était son conseil, particulièrement dans les affaires
de la religion , et ce fut surtout par ses avis et par ceux de
S. Remi que ce prince assembla le concile d'Orléans. Mélaine
en fut l'àme par son érudition et son zèle à combattre les
erreurs des hérétiques.
Nous aurons encore occasion de parler de S. Mélaine.
S. Quintien de Rodez était, à ce qu'on assure, originaire
(1) Greg. Tur., 1. X, c. ult., n. 9.
(2) Vit S. Melanii, apud Boll., G januar.
(3) S. Amand est honoré le 14 novembre. Bavait succédé à Athénius, qui as-
sista, comme nous avons vu, au concile de Tours en 461.
[511J EX FRANCE. — LIVRE Vj 161
d'Afrique. La persécution allumée dans cette Église l'obligea
probablement de passer dans la Gaule, et il s'y distingua par
sa charité et par son amour pour la chasteté. Ses vertus le
firent élever, tout étranger qu'il était, sur le siège de Rodez,
ville alors soumise aux Yisigoths. C'est ce qui explique son
assistance au concile d'Agde; mais Rodez faisait partie du
royaume de Clovis quand se tint le concile d'Orléans. Quin-
tien fit agrandir l'église de Saint-Chamand et y transféra les
reliques de ce saint évêque. Mais S. Ghamand n'approuva
pas qu'il eût ainsi remué ses cendres et lui prédit qu'il se-
rait chassé de son siège : prédiction qui ne tarda pas à se
vérifier. S. Amant, vulgairement Ghamand, est le premier
évêque qu'on connaisse de Rodez : il est honoré le 4 no-
vembre (1).
S. Principe, évêque du Mans, avait succédé à S. Yictur. L'on
prétend que ce dernier était fils de S. Vieteur, que l'histoire
des évêques du Mans dit avoir été ordonné par S. Martin.
S'il en est ainsi, il faut accorder un long épiscopat à ces trois
évêques ou supposer une longue vacance dans ce siège.
S. Principe est honoré le 16 septembre. On lui attribue la
guérison miraculeuse d'un aveugle, et l'on assure que depuis
son ordination il ne passa jamais un jour sans célébrer la
messe (2). Les auteurs de sa Yie l'ont confondu avec S. Prin-
cipe ou S. Princes, frère de S. Remi et évêque de Soissons :
cette méprise peut rendre suspectes les autres circonstances
qu'on en rapporte.
Maurusion, qui assista aussi au concile d'Orléans, n'est
compté que pour le troisième évêque d'Évreux. Nous devons
en conclure qu'il y a eu une longue vacance clans ce siège,
ou qu'on ignore le nom d'un grand nombre de ses évêques. Le
second évêque d'Évreux après S. Taurin est S. Gaud,. honoré
le 31 janvier. —
Eusèbe d'Orléans, dans l'Église duquel se tint le concile,
(1) Greg. Tur., de Vit. PP., c. iv. — (2) Gesta episcop. Cenom,. t. III Analect.
TOME II. 11
162 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [511]
protégea toujours le monastère de Mici, que Glovis lui avait re-
commandé. Il en consacra l'église en l'honneur de S. Etienne ,
et il ordonna diacre S. Maximin, neveu de S. Euspice. Quel-
que temps après l'abbé Euspice, se voyant près de sa fin,
fît prier cet évêque de donner l'ordre de prêtrise et la béné-
diction d'abbé à Maximin ou Mesmin, qui gouverna ce mo-
nastère environ dix ans, avec une si grande réputation que
Mici ne fut plus connu depuis que sous le nom de Saint-Mesmin.
L'Église honore sa mémoire le 15 décembre, et celle de
S. Euspice le 20 août (1). C'était surtout par la protection
des évêques que les monastères se multipliaient et deve-
naient florissants : nous en verrons ailleurs des preuves
nombreuses.
S. Aventin de Chartres, le dernier des évêques qui souscri-
virent à ce concile, fut un des plus célèbres par sa sainteté,
aussi bien que S. Souleine, son prédécesseur, que quelques
auteurs font aussi son frère. Souleine ayant été élu évêque
de Chartres, se cacha si bien dans une grotte pour éviter
cette dignité, qu'après bien des recherches on ne put le
trouver (2) et l'on procéda à une nouvelle élection. Les voix
se réunirent sur Aventin, qui fut aussitôt sacré évêque. Sou-
leine, l'ayant appris, crut n'avoir plus rien à craindre et
sortit de sa retraite. Il se trompait : ce qu'il avait fait pour
fuir l'épiscopat l'en fit juger plus digne. Le peuple, en le
voyant, déclara qu'il s'en tenait à son premier choix et de-
manda qu'il fut ordonné : ce qui fut fait aussitôt par les pré-
lats, qui étaient encore assemblés. Comme la charité se
trouve toujours unie à l'humilité, ces deux saints évêques,
qui avaient été sacrés pour la même Église, n'eurent aucun
démêlé. Aventin se retira à Chàteaudun, où il exerça les
fonctions épiscopalcs sous la dépendance de S. Souleine,
auquel il succéda. Il fit bâtir plusieurs églises à Chàteau-
dun, et il est honoré le 4 février.
(1) Vita S. Maximini. — (2) Vita S, Aventin., apud Bol!., 4 febr.
[511] EN FHAXCE. — LIVRE V. 163
S. Souleine (1) justifia par ses vertus l'empressement que
les citoyens de Chartres avaient mis à l'avoir pour évêque : il
fut la consolation de son peuple et la gloire de son Église.
Il se distingua surtout par son zèle pour la conversion des
Francs, et Clovis eut pour lui une estime particulière. On
célèbre sa fête le 24 septembre, quoique le Martyrologe ro-
main la place le 25 du même mois. Il fut enterré à Maillé (2)
en Touraine, où existait un monastère devenu dans la suite
une église collégiale (3). Le Seigneur y fît éclater la gloire
de son serviteur par plusieurs miracles, que rapporte Gré-
goire de Tours, qui avait visité son tombeau. Tels furent les
plus célèbres d'entre les évêques qui assistèrent au premier
concile d'Orléans. On peut conclure de ce quelious en avons
dit que l'Eglise n'était pas moins florissante que l'Etat sous
la domination des Francs.
Le concile d'Orléans fut une des dernières preuves du
zèle de Clovis. Il ne pouvait couronner plus glorieusement
un règne si éclatant. Ce grand prince, au comble de la gloire
et dans toute la vigueur de l'âge, mourut quelques mois après,
le 27 novembre 511, dans la trentième année de son règne et
la quarante-cinquième de sa vie (4) : il avait assez vécu pour
sa gloire, mais trop peu pour le bien de ses sujets et pour
celui de la religion. Il fut enterré à Paris dans la basilique
des Saints-Apôtres , qu'il avait commencé à faire bâtir, et
l'on y célébrait tous les ans son anniversaire (5). Son double
(1) S. Souleine est le quatorzième évêque de Chartres. S. Martin, qui a donné
son nom à l'église de Saint-Martin en Vallée, est le quatrième, et S. Aman, le cin-
quième.
(2) La terre de Maillé fut érigée en duché par Louis XIII, sous le nom de
Luynes.
(3) De Glor. conf., c. xxi. — (4) Greg. Tur. , 1. II, c. xliii.
(5) Le mausolée de Clovis qu'on voyait dans le chœur de cette église, était un
ouvrage moderne. C'estje cardinal do la Rochefoucauld qui l'avait fait ériger avec
l'inscription suivante :
Chîodoveo Magno
Re'jum Francorum primo Christiano
Hujus Basilicœ fundatori
Sepuichrum... Abbas et Conventus renovarunt.
164 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [512]
titre de fondateur de la plus florissante monarchie et de
premier roi chrétien de sa race forme un éloge complet,
qu'on affaiblirait en y ajoutant d'autres traits. A la vérité, le
sang de plusieurs princes de sa maison, que son ambition
lui fit verser pour agrandir son royaume, ternit sur la fin
de sa vie l'éclat de ses vertus chrétiennes; mais les signalés
services qu'il a rendus à l'Église, permettent de présumer
que le Seigneur lui aura fait la grâce de réparer ses fautes :
quelques auteurs lui donnent même la qualité de saint.
Glovis laissa quatre fils : Thierry, Clodomir, Childebert et
C]otaire, qui héritèrent de ses États et de sa bravoure sans
hériter de ses autres belles qualités. Ils partagèrent entre
eux la monarchie franque et en firent quatre royaumes,
source féconde de guerres civiles, surtout entre frères.
Thierry eut le royaume qui fut nommé d'Austrasie, Clodomir
celui d'Orléans, Childebert celui de Paris, et Clotaire celui
de Soissons.
S. Remi pleura plus amèrement que personne la mort cle
Clovis, et les contradictions qu'il eut à essuyer aussitôt
après de la part de quelques évêques, lui firent mieux sentir
encore la perte qu'il avait faite. Héraclius de Paris, Léon de
Sens et Théodose d'Auxerre lui suscitèrent des embarras au
sujet d'un prêtre nommé Claude, à qui, selon eux, ce saint
évêque avait conféré la prêtrise contre les règles, et ils lui
faisaient un crime d'avoir ordonné un prêtre qui depuis s'é-
tait montré indigne de son ordination. 11 paraît que ces
évêques voulaient qu'on procédât selon les canons à la dé-
position de Claude, et que S. Remi préférait le parti de la
douceur. Ils lui écrivirent à ce sujet une lettre qui lui sem-
bla pleine d'aigreur et peu mesurée dans ses termes. La vertu,
On trouve dans Aimoin une épitaplie de Clovis attribuée par quelques-uns à
S. Remi, et qui commence par ces vers:
(Uves opivm, virtute païens, clarusque triurnpho,
Condidit liane sedem liex Clodocscus, et idem
Patricius magno sublirnis fulsit honore.
[512] EN FRANCE. — LIVRE V. 165
qui fait pardonner les injures, n'empêche pas d'en sentir les
atteintes.
S. Rcmi répondit avec une fermeté digne de son âge et de
son autorité dans l'épiscopat : « Je ne nie point, leur dit-il,
que Claude n'ait fait de grandes fautes. Mais vous me deviez
quelques égards, je ne dis pas à cause de mon mérite, mais
à cause de mon âge. Par la grâce du Seigneur il y a cin-
quante-trois ans (1) que je suis évèque, et personne ne m'a
jamais traité avec si peu de considération... Je ne me suis
pas laissé corrompre par l'argent pour donner la prêtrise à
Claude : je l'ai fait sur le témoignage d'un grand roi, qui
était non-seulement le prédicateur, mais encore le protecteur
de la foi catholique. Vous écrivez que ce qu'il a ordonné n'é-
tait pas canonique : êtes-vous donc revêtus du souverain
pontificat? Le chef des provinces, le défenseur de la patrie,
le triomphateur des nations l'a ordonné, et vous vous laissez
tellement emporter à votre fiel contre moi que vous man-
quez même à la déférence que vous devriez observer à l'é-
gard de celui de qui vous tenez votre dignité ! (2) J'ai demandé
que Claude, coupable d'un sacrilège, fût admis à la péni-
tence...; mais je vois à l'aigreur de votre lettre qu'après sa
chute vous n'avez nulle compassion de son malheur : vous
voudriez plutôt qu'il ne se convertit pas... Vous dites aussi
que par le nombre des années je suis jubilaire, et vous le
dites plutôt pour en faire un sujet de moquerie que pour
vous en réjouir selon la charité : car c'est en rompre les
liens que de me traiter avec si peu de ménagements [3] . » On
ne sait quelle fut l'issue de ce démêlé; mais on peut présu-
mer que ces évêques réparèrent la faute qu'ils avaient com-
(1) Nous avons placé, selon l'opinion la plus probable, le commencement de l'é-
piscopat de S. Remi en 459. Suivant cette époque, il écrivit cette lettre en 512,
après cinquante-trois~"années d'épiscopat.
(2) Cette expression montre que Clovis avait nommé ces évêques à l'épiscopat,
ou que S. Remi les avait ordonnés. Mais comme ils n'étaient pas de la province de
Reims, il est probable que c'est de Clovis qu'il s'agit.
(3) Ap. Labb., p. 1G08.
166 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE t5*2!
mise à l'égard de S. Remi, et surtout Théodose d'Auxerre
et Léon de Sens, que l'Église a mis au nombre de ses saints.
S. Remi écrivit avec la même force àFalcon ou Foulques,
évêque de Tongres (1), qui, à peine monté sur son siège épisco-
pal, usurpa la juridiction sur l'Église de Mouson, dépendante
de celle de Reims. « D'après ce que je vois, lui dit-il, vous avez
plus d'empressement à m'outrager qu'à me rendre vos de-
voirs. 0 le beau début de votre épiscopat, de blesser mes
droits avant que je vous aie vu comme évêque ! Croyez-moi,
c'est prendre trop tôt l'essor : vos ailes sont encore trop fai-
bles. Dès les premiers pas dans la carrière épiscopale, vous
empiétez sur le domaine des autres, tandis que vous ne de-
viez qu'en tremblant prendre possession de celui qui vous
appartient... Gomme je le crois, vous ne savez pas encore ce
qui est à vous, et déjà vous vous emparez du bien d'autrui (2) . »
Ensuite, après lui avoir reproché les ordinations illicites qu'il
avait faites dai^s l'Église de Mouson, il ajoute : « J'apprends
que vous donnez ordre que les fermiers de cette Église vous
apportent les revenus des terres. C'est une preuve que c'est le
bien de l'Église, et non l'Église même, que vous recherchez.
Au reste, je ne veux pas vous laisser ignorer que les diacres
et les prêtres que vous avez ordonnés contre les canons, ont
déjà été déposés. » Il pouvait y avoir plus d'imprudence que
de manque de respect dans l'entreprise de Falcon , qui est
aussi honoré comme saint, le 20 février, avec son frère et pré-
décesseur S. Eucher (3).
Quand la vertu de S. Remi ne l'aurait pas soutenu dans
ces contradictions, la vénération que tous les autres évêques
des Gaules continuèrent de lui témoigner lui offrait un assez
grand dédommagement. Ils lui donnèrent des marques écla-
(1) Tongres ayant été ruinée, ]e siège épiscopal avait été transféré à Maestricht
par S. Servais ; mais on ne laissa pas dans la suite d'appeler souvent les évêques
de Maestricht évêques de Tongres. On leur donna même encore ce nom après que
ce siège eut été transféré de Maestricht à Liège.
(2) Remig. Epist. ad Falcon., apud Lahh., t. IV, p. 1 009.
(3) Apud Boll., 20 febr.
[512] EN FRANCE. — LIVRE V. 167
tantes de respectueuse déférence dans un concile qu'ils tin-
rent vers ce temps-là, pour ramener à la foi de l'Église les
ariens habitant probablement le pays conquis sur les Yisi-
goths. L'estime que ces évêques avaient conçue de l'élo-
quence et de l'érudition de Remi, leur fit souhaiter qu'il se
rendît à ce concile (1), malgré son grand âge, pour y con-
fondre un évêque arien fort versé dans la dispute et dans
les subtilités de la dialectique. S. Remi s'y rendit, et dès
qu'on le vit entrer tous les Pères du concile se levèrent pour
lui rendre honneur. L'évêque arien fut le seul qui demeura
assis par mépris ; mais Dieu lui réservait une confusion égale
à son orgueil. Remi prononça un discours plein de force
contre l'erreur. Toute l'assemblée était dans l'attente de ce
que l'évêque arien allait répondre ; mais il perdit à l'instant
l'usage de la parole; puis, touché tout à coup et sans pouvoir
proférer un seul mot, il alla se jeter aux pieds du saint
évêque pour confesser son péché et ses erreurs par ses gé-
missements et ses larmes. Alors Remi lui dit : « Au nom de
Jésus-Christ Notre-Seigneur, vrai Fils de Dieu, si vous le
croyez ainsi , parlez et confessez ce que l'Église catholique
croit de lui. » Aussitôt le superbe hérétique, devenu humble
et fidèle , recouvra l'usage de la parole et confessa distincte-
ment la foi dans les mystères de la Trinité et de l'incarna-
tion. S. Remi, au lieu d'exalter son triomphe, ne fît servir cet
événement qu'à montrer aux évêques qu'on ne doit jamais
rebuter les plus grands pécheurs, puisque le Seigneur avait
autorisé par un miracle la pénitence de cet arien (2). Il est
permis de croire que le saint évêque, par cette réflexion, vou-
lut justifier l'indulgence qu'il avait eue peu auparavant pour
le prêtre Claude, dont nous avons parlé.
S. Remi eut plusieurs disciples qui se distinguèrent par la
sainteté de leur vie. Le saint abbé Thierry fut le plus célèbre.
(1) Hincm. Vit. S. Bemig. — Cave, parlant de S. Remi, dit que ce concile se tint
à Reims l'an 517. Ou n'en trouve aucune preuve ; il est bien plus probable,
puisqu'on y invita S. Remi malgré son grand âge , qu'il ne se tint pas dans son
Église. — (2) Flod., 1.1, c. xvi.
168 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [512]
Il était né à Mnaneourt, village du diocèse de Reims, d'un
père de la plus basse extraction, et dont le vol était la seule
profession; mais le jeune Thierry fut comme un lis que Dieu
fit éclore parmi les épines. Ses parents l'ayant engagé mal-
gré lui dans les liens du mariage, il s'efforça, par les conseils
de S. Rémi , de faire connaître à sa femme l'excellence et le
mérite de la virginité. Elle s'en offensa et se crut méprisée.
Thierry eut recours aux prières de S. Remi et à celles de
l'abbesse Susanne , que le saint évêque avait établie supé-
rieure d'une communauté de religieuses. Ayant obtenu par
ce moyen le consentement de sa femme , qui promit aussi
de garder la continence, il se retira auprès de S. Remi. Son
attrait pour la vie religieuse fut bientôt reconnu par le saint
évêque, qui l'envoya avec l'abbesse Susanne chercher près de
Reims un lieu propre à bâtir un monastère. Ils choisirent
le mont d'Hor, et Thierry y assembla en peu de temps une
fervente communauté. Élevé peu après au sacerdoce, il tra-
vailla avec zèle à la conversion des âmes et particulièrement
à celle de son père Marcard, qui de voleur se fît moine.
Un jour que le saint abbé passait avec S. Remi, en chantant
des psaumes, près d'un lieu de débauche hors delà ville, plein
de femmes de mauvaise vie, la voix lui manqua tout à coup.
La même chose lui étant arrivée au retour, S. Remi lui en
demanda la cause. Il répondit que c'était la douleur de voir
des âmes se perdre ainsi presque sous lesyeux de leur évêque,
et il lui conseilla de changer ce lieu infâme en un mo-
nastère de veuves (1), où ces malheureuses débauchées
pourraient se retirer; S. Remi s'empressa de suivre son con-
seil (2). C'est le premier exemple qu'on trouve de monastères
érigés pour ces sortes de personnes. Nous n'avons pas d'au-
tres détails intéressants sur la vie de S. Remi; nous savons
seulement qu'il vécut jusqu'à une extrême vieillesse , pour le
(1) Baillet dit que ce lieu fut changé en un monastère de vierges : il se trompe ,
c'étaient des veuves et des repenties.
(2 Flod., lib. I, c. xxiv.
[512] EN FRANCE. — LIVRE V. 169
bien de l'Église gallicane. Il eut avant sa mort, dont nous
parlerons plus tard, la consolation de voir que la religion con-
tinuait de fleurir de toutes parts dans les États et sous la pro-
tection des enfants de Clovis.
Les sujets catholiques des rois ariens dans la Gaule furent
ceux qui s'aperçurent le plus de la mort de ce prince. Elle
releva le courage des Yisigoths et parut aigrir leur haine
contre les fidèles. Ils reprirent alors plusieurs places sur les
Francs, et entre autres Rodez, dont S. Quintien était évêque.
On ne tarda pas à lui faire un crime de son attachement
aux Francs. On l'accusa même de vouloir leur livrer la
ville, et, comme les conseils de la défiance et d'une injuste
politique sont toujours violents, on résolut sa mort; mais
le saint évêque, l'ayant appris, se sauva pendant la nuit et
se retira en Auvergne auprès de S. Eufraise, qui le reçut
avec bonté, en lui disant : « Les biens de mon Eglise suffisent
pour nous entretenir l'un et l'autre : conservons seulement
la charité, que l'Apôtre nous recommande. » L'évêque de
Lyon, que Grégoire de Tours ne nomme point, et qui
pouvait être S. Yiventiole, se montra également sensible
à la disgrâce de Quintien , et il lui céda quelques terres que
son Église possédait en Auvergne (1).
S. Gésaire d'Arles, dont le sort était d'être toujours en
butte aux calomnies des ariens et de toujours en triompher,
fut vers le même temps accusé de trahison pour la troisième
fois, et l'accusation fut portée à Théodoric, roi d'Italie, à qui
Arles obéissait alors. Ce prince, qui ne négligeait pas ses in-
térêts en soutenant ceux d'Amalaric, son petit-fils, qu'il avait
fait reconnaître roi des Yisigoths après la mort de Géselic ,
s'était emparé d'une partie de ses États sous prétexte de les
mieux défendre. Le saint évêque fut donc conduit à Ravenne
par ses ordres, pour y répondre à ses accusateurs. Mais son
air de sainteté , qui saisissait les esprits au premier aspect ,
(1) Greg. Tur., 1. II, c. xxxvi.
170 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [512]
fut la première preuve de son innocence. Théodoric, frappé
de la majesté qui éclatait sur le visage de Césaire, se leva de
son trône pour le saluer respectueusement, et, sans lui parler
de l'accusation intentée contre lui , il se contenta de lui de-
mander des nouvelles de son voyage et de l'état où il avait
laissé la ville d'Arles et les Goths. Césaire le satisfit sur ces
articles; après quoi, s'étant retiré, le roi dit à ses courti-
sans : « Que le Seigneur ne le pardonne pas à ceux qui ont
obligé sans sujet un si saint homme à faire un si long
voyage. J'ai tremblé de tout mon corps en le voyant entrer,
et j'ai cru voir un ange descendu du ciel. »
Théodoric n'en demeura pas là : il envoya à Césaire trois
cents sous d'or avec un grand bassin d'argent pesant environ
soixante livres , et lui fit dire : « Très-saint évêque , recevez
ce présent. Le roi votre fils vous prie de réserver ce vase
pour votre usage et pour vous souvenir de lui. » Mais Cé-
saire qui, à l'exception des cuillers, ne souffrait pas qu'on
servît à sa table de vaisselle d'argent , fît vendre le vase trois
jours après et se servit du prix de cette vente pour racheter
un grand nombre de captifs. On rapporta cette action à Théo-
doric, qui ne put s'empêcher de la louer. A l'exemple du
prince , plusieurs seigneurs de la cour s'empressèrent de
faire des présents au saint évêque : c'était les donner aux
pauvres ; il employa encore une partie de ces sommes au ra-
chat des prisonniers que les Ostrogoths avaient amenés de la
Gaule en Italie , et particulièrement d'Orange , dont les ha-
bitants avaient presque tous été faits captifs. Le saint évêque,
non content d'avoir rompu leurs fers, leur procura des voi-
tures et des secours pour retourner dans leur patrie (1). Ces
œuvres de charité augmentèrent la réputation de Césaire.
Une nombreuse troupe de mendiants environnait sans cesse
sa maison et le suivait partout, en le comblant de bénédictions.
Le Seigneur, pour la gloire de la catholicité, fit éclatera
(1) Cyprian. Vit. Cœsarii, c. XVI et XVII.
512] ES FRAXCE. — LIVRE V. 171
i cour du roi arien le pouvoir de son serviteur, tlne pauvre
euve de Ravenne avait un fils qui était au service du préfet
tqui la nourrissait de ses gages. Il fut attaqué d'une maladie
[ subite et si violente qu'il expira en peu d'heures. La mère
ésolée courut à la maison de Césaire le conjurer de rendre
t vie à son fils. Il fit d'abord quelque résistance; mais cette
anme désolée arrosait ses pieds de ses larmes : ses gémis-
.unents l'attendrirent, et sa charité l'emporta sur son Inimi-
té. Il se rendit secrètement à la maison du mort, et, après
voir fait sa prière prosterné contre terre, selon sa coutume,
sentit que le Seigneur l'avait exaucé. Il sortit aussitôt et
issa auprès du corps Messien, son secrétaire, avec ordre de
3iiir l'avertir quand il aurait donné quelque signe cle vie.
ne heure après le jeune homme, ayant ouvert les yeux,
éclara à sa mère qu'il devait la vie aux prières du saint évê-
le et la pressa d'aller l'en remercier (1). Ce prodige dut sur-
vendre d'autant plus les Ostrogoths qu'on ne voit pas de
rais miracles dans les sectes hérétiques. On sait que les ariens
irent plus d'une fois recours à l'imposture pour contre-
ire ceux qu'ils voyaient éclater parmi les catholiques.
Il est probable que ce fut S. Césaire qui obtint de Théo-
Dric , pendant ce voyage , des rescrits favorables à quelques
glises des Gaules. Ce prince, qui se piquait d'une exacte
istice jusque dans les désordres de la guerre, commanda
Ibas, général de son armée , de faire restituer à l'Église de
arbonne les biens qui avaient été usurpés pendant les dern-
iers troubles. « Donnez-y vos soins, lui écrit-il, afin que
ou s , qui vous êtes déjà rendu illustre par vos victoires , le
)yez encore plus par votre humanité : c'est le moyen
'attirer sur vos armes la protection du Ciel. » Théo-
oric envoya aussi à un évêque de Provence nommé Sévère
uinze cents sous d'or, afin qu'il les distribuât à ceux qu'il ju-
3rait avoir été lésés par le passage de son armée , et il remit
(l)Cyprian. ViP. Cœsarii, c. xvi, xvn.
172 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [512]
les impôts aux Gaulois placés sous sou obéissance (1). Ces
traits d'équité et de modération dans un roi barbare et arien
ne sont que plus dignes d'admiration.
S. Gésaire alla de Ravenne à Rome, où le bruit de ses
miracles et de ses vertus avait donné à tous un grand
désir de le voir. Le pape Symmaque et les sénateurs ro-
mains lui rendirent les plus grands honneurs. Le pape lui
accorda l'usage du pallium (2) et voulut que les diacres
de l'Église d'Arles portassent des dalmatiques, comme ceux
de Rome (3). G'est ainsi que celui qui avait été conduit en
Italie comme un criminel d'État, en revint comblé d'hon-
neurs et de présents. Il en rapporta huit mille sous d'or,
sans compter les sommes qu'il avait déjà employées au radiai
des prisonniers (4).
Ce fut probablement à l'époque de ce voyage de Rome que
S. Gésaire fît enfin terminer la contestation qui durait depuis si
longtemps entre l'Église d'Arles et celle de Vienne. Le pape
Symmaque, ayant entendu ses raisons, confirma de nouveau
le jugement de S. Léon par une lettre adressée à tous les
(1) Apud Cassiod., 1. IV, Ep. xvn ; 1. II, Ep. vin ; 1. III, Ep. XL.
(2) Le pallium est un ornement pontifical fait de laine blanche, en forme de ban
des et marqué de quatre croix rouges. On n'en sait pas la première origine. Le
uns la rapportent à S. Lin, et d'autres à S. Sylvestre : mais ces derniers ne son
fondés que sur la donation apocryphe de Constantin. Ii n'est point parlé di
pallium avant le pontificat de Marc,, qui occupait le Saint-Siège en 3-JG. Au
gustin Patrice, auteur du xve siècle, dans son livre des Cérémonies de l'Eglise ro
inaine, dit « que le toin de faire et de garder les palliums appartient aux sous
diacres apostoliques, qui y emploient la laine blanche de deux agneaux offert
sur l'autel, le jour de Sainte-Agnès, dans l'église du monastère de cette sainte, à 1
messe solennelle et pendant qu'on chante VAgnus Dei. Quand ils sont faits, le
sous-diacres les portent à la basilique de Saint-Pierre, où les chanoines de cett
église les mettent sous le grand autel sur les corps de S. Pierre et de S. Paul
et, après avoir dit matines, il les y laissent le reste de la nuit. Après quoi ils le
rendent aux sous-diacres, qui les gardent dans un lieu décent. » Ducange dit qu
Christophle Marcel est l'auteur du cérémonial romain que nous venons de citer : i
n'en est que l'éditeur. — L. I, sect. x.
(3) On voit par là que l'usage des dalmatiques n'était pas encore établi dans le
Églises des Gaules. On regardait comme une distinction le privilège d'en porter
et près d'un siècle après, S. Arége de Gap s'adressa à S. Grégoire le Grand pou
obtenir ce privilège. Ce vêtement fut nommé dalmalique parce que l'usage 8:
était venu à Rome de la Dalniatie.
(i) Vit.Cœsar. •
513] E\T FRANCE. — LIVEE V. 173
'\vqucs des Gaules : « C'est au Saint-Siège, dit-il, à maintenir
a paix et l'union dans l'Eglise universelle , et le moyen le
)lus efficace pour le faire, c'est de s'en tenir aux anciens
•êglements. » C'est pourquoi le pape déclare qu'à la requête
le Césaire, il ordonne que le règlement fait par S. Léon soit
)bservé, c'est-à-dire que l'évêque de Vienne n'ait juridiction
juc sur les Églises de Valence, de Tarantaise , de Genève et
le Grenoble, et que les droits dont l'Église d'Arles est en
possession sur les autres Églises soient conservés (1). La
ettre est datée du 13 novembre sous le consulat de Pro-
mus (2), c'est-à-dire l'an 513.
S. Césaire consulta en même temps le pape sur divers
joints de discipline exposés dans un mémoire qu'il lui pré-
senta, et qui était conçu en ces termes : « Comme l'épiscopat
i pris commencement clans la personne de S. Pierre, il est
nécessaire que Votre Sainteté, par des règlements convena-
bles, fasse connaître à toutes les Églises ce qu'elles doivent
observer. Il y a des personnes dans les Gaules qui , sous
divers prétextes , aliènent les terres de l'Église : d'où il arrive
que des biens qui n'ont été donnés que pour les besoins des
pauvres sont dissipés mal à propos. Nous demandons que
ces aliénations soient interdites , à moins qu'il ne s'agisse de
faire quelque donation aux monastères.
« Nous demandons aussi que les laïques qui ont exercé des
charges de judicature et qui ont eu part au gouvernement
des provinces, ne soient reçus dans le clergé ou promus à
l'épiscopat qu'après de longues épreuves d'une conduite ré-
gulière; que les veuves qui ont porté longtemps l'habit des
veuves , ou les religieuses qui demeurent depuis un temps
considérable dans des monastères , ne puissent se marier
(1) Symm. Epist. ad epT^Galh, t. IV Conc. Labb., p. 1309.
(2) Il y eut aussi l'an 502 un Probus consul. C'est pourquoi quelques critiques
ont rapporté à cette année la lettre de Symmaque. Mais Probus qui fut consul
en 502, était consul d'Orient : or, quand on ne nommait qu'un consul clans les actes
faits en Occident, c'était le consul d'Occident.
174 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [513]
quand même elles le voudraient , et que personne ne puisse
les v forcer.
« Nous vous supplions encore très-humblement d'empêcher
qu'on ne parvienne à l'épiscopat par brigue ou en achetant
à prix d'argent le suffrage des hommes puissants, et que, pour
obvier à ces abus , le clergé et les citoyens ne puissent sous-
crire le décret d'élection à l'insu et sans le consentement du
métropolitain. »
Le pape Symmaque répondit à ce mémoire par un rescrit
daté du 6 novembre 513. Il déclare, sur le premier article,
qu'on peut aliéner les biens de l'Église en faveur des monas-
tères et des hôpitaux de pèlerins ou en faveur des clercs qui ont
bien mérité de l'Église , à condition cependant que ces biens
retourneront à l'Église après la mort de ceux à qui on les aura
cédés ; il recommande de ne point accorder ces grâces à ceux
qui aspirent au sacerdoce en vue des biens de l'Église. On voit
encore ici l'origine des bénéfices ecclésiastiques, aussi bien
que les qualités et les services que doivent avoir ceux à qui on
les confère.
Sur les articles suivants, le pape ordonne de ne pas pro-
mouvoir facilement les laïques au sacerdoce, mais de les faire
passer par les divers degrés de la cléricature, où ils doivent
demeurer le temps prescrit. Il excommunie ceux qui enlèvent
des veuves ou des vierges et surtout ceux qui se marient à
des vierges consacrées. Sur quoi il dit : « Nous ne souffrons
pas que les veuves qui ont persévéré plusieurs années dans
la sainte résolution de garde v la viduité , passent à de se-
condes noces, ni que les religieuses qui ont demeuré plusieurs
années dans les monastères se marient. »
Enfin, pour réprimer l'ambition et les brigues, surtout à
l'égard de l'épiscopat, le pape Symmaque ordonne que le dé-
cret d'élection ne sera souscrit qu'en présence du visiteur, et
il veut que ces règlements soient notifiés à tous les évêques (1).
(1) Symm. Epis t., t. IV Conc. Labb., p. 1295.
[513] EN FRANCE. LIVRE V. 175
Le visiteur était un évêque nommé par le métropolitain pour
visiter l'Église vacante et présider à l'élection.
On ne manque guère de trouver des contradictions dans
l'usage des plus beaux privilèges : c'est ce que S. Césaire
éprouva à son retour de Rome. Gomme l'évêque d'Aix refu-
sait de se rendre à son ordre aux ordinations et aux conciles,
il fut obligé de s'en plaindre à Symmaque dans un nouveau
mémoire, qu'il fit porter par l'abbé Gilles et le secrétaire
Messien. Le pape, par une lettre adressée au saint évêque
d'Arles, répondit que, sans donner atteinte aux privilèges des
autres Églises, il lui ordonnait de veiller à toutes les affaires
de la religion qui s'élèveraient dans les provinces de la Gaule
et de l'Espagne, et que s'il était nécessaire d'assembler un
concile, ce serait à lui à le convoquer et à référer de l'affaire
au Saint-Siège si le concile ne l'avait pas entièrement ter-
minée, c'est-à-dire que le pape l'établissait son vicaire pour
la Gaule et l'Espagne. Il veut même qu'aucun ecclésiastique
le ces pays ne puisse aller à Rome sans des lettres de Césaire.
La lettre est datée du il juin sous le consulat de Sénateur,
c'est-à-dire l'an 514 (1).
Par cet acte, le métropolitain d'Arles avait sur le midi de
la France le même pouvoir qu'avaient les patriarches en
Orient. Il remplaçait le pape, qui ne pouvait pas assez sur-
veiller ces provinces à cause de la distance des lieux. Vers la
fin de la même année, le pape Hormisdas , successeur de
Symmaque, confia, pour le nord de la France, la même au-
torité à S. Remi, évêque de Reims : il le nomma son vicaire
apostolique, en lui recommandant de convoquer les conciles,
de terminer les différends et de veiller à l'observation des
règles établies et confirmées par le Saint-Siège. Mais il a
soin d'ajouter : sauf les droits des métropolitains (2). Il ne
veut pas qu'on y porte atteinte, par cette juste raison que
les métropolitains avaient reçu leurs pouvoirs de la même
(1) Symin. Epist., t. IV Conc. Labb., p. 1310. — (2) Labb., t. IV, p. 1420.
176 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [514]
source, et que le Saint-Siège ne voulait pas être contraire à
lui-même.
On croit avec assez de vraisemblance que l'abbé Gilles,
qui présenta au pape le mémoire dont nous venons de parler,
est le célèbre S. Gilles, honoré le 1er septembre. Les actes
de ce saint abbé le font en effet disciple de S. Gésaire; mais on
y trouve des anachronismes qui leur ôtent toute autorité. Ce
qui paraît le plus probable, c'est qu'il était originaire de
Grèce; qu'étant passé dans la Gaule, il s'attacha à S. Gésaire
et qu'ensuite il se retira dans une grotte de la vallée Fia vienne,
vers les extrémités du diocèse de Nîmes. On assure qu'il n'y
vécut que d'herbes de racines et même du lait d'une biche,
laquelle servit à le faire découvrir par le roi, qui était à la chasse,
et qui devait être Amalaric, roi des Yisigoths. Quoi qu'il en
soit, le nom du saint abbé devint très-célèbre dans toute la
Gaule. On a bâti depuis clans le lieu de son ermitage un mo-
nastère, qui a été dans la suite sécularisé , et il s'y est formé
une ville qui a pris le nom de Saint-Gilles, aussi bien qu'une
partie du Languedoc appelée la province de Saint-Gilles.
Nous croyons que ce monastère ne fut bâti qu'après que le
pays eut été délivré de la domination des rois goths. Ces
princes étaient trop attachés à l'arianisme pour souffrir an
pareil établissement dans un lieu qui était particulièrement
de leur domaine (1).
Il n'en était pas ainsi du royaume de Bourgogne. La reli-
gion y avait fait une conquête qui assura la paix de l'Église
et étendit considérablement le royaume de Jésus-Christ. Le
zèle de S. A vite avait été plus heureux auprès du prince
Sigismond qu'auprès de Gondebaud, son père. Le fils ne se
contenta pas de connaître la vérité : il l'embrassa, malgré les
prétendus intérêts de la politique, et abjura publiquement
l'hérésie d'Arius. Sigeric, son fils et petit-fils de Gondebaud,
(1) Les rois gotlis prenaient le nom de Flavius: c'était comme le nom de la fa-
mille royale. C'est cequi nous fait croire que la vallée Flavienne fut ainsi appelé*
parce qu'elle était du domaine spécial de ces princes.
[514] EN FRANCE. — LIVRE V. 177
suivit bientôt cet exemple, et S. Avite adressa au peuple
une homélie à ce sujet. Le titre seul nous en reste ; il nous ap-
prend qu'une princesse fille de Sigismoncl avait été réconciliée
à l'Église le jour précédent : c'est apparemment celle qui fut
mariée à Thierry, roi d'Àustrasie (1).
Dès que Sigismond eut abjuré l'hérésie, il entreprit le
voyage de Rome pour révérer les tombeaux des saints
Apôtres et rendre ses respects au chef visible de l'Église à
laquelle il avait eu le bonheur de se réunir. Le pape Symma-
que reçut ce prince avec des honneurs proportionnés à la joie
que lui causait sa conversion. Il lui fit présent de plusieurs
reliques, et, lui parlant avec la bonté et l'autorité d'un père,
il lui donna de salutaires avis, qui ne furent pas moins bien
reçus que les présents. Sigismond à son retour en témoigna
sa reconnaissance dans une lettre au pape, qui fut dictée par
S. Avite et portée par le diacre Julien (2). Il y nomme Sym-
maque le prélat de V Église universelle , il attribue sa conver-
sion aux prières de ce saint pontife, le remercie des avis pater-
nels qu'il lui avait donnés de vive voix et le prie de lui
envoyer des reliques de S. Pierre, parce qu'il n'avait pu refu-
ser à diverses Églises une bonne partie de celles qu'il avait ap-
portées de Rome.
Quoique Gondebaud demeurât dans son hérésie , il ne
paraît pas avoir désapprouvé la conversion de son fils ; du
moins elle ne l'empêcha pas de l'associer à son royaume de
son vivant. Sigismoncl tenait sa cour à Genève. Il donna ses
premiers soins à purger cette ville, qui leur servait alors d'asile,
non-seulement des ariens , mais encore des autres hérétiques
et schismatiques, ainsi que nous l'apprenons d'une lettre de
S. Avite. S. Maxime, évêque de Genève, anima et soutint le
zèle de ce prince ; il lui conseilla de faire rebâtir sur un plus
vaste plan le monastère d'Agaune en l'honneur des saints mar-
tyrs de la légion Thébéenne . Il paraît que ce monastère était
(1) Inter Fragmenta Hom. Aviti. — (2) Aviti Epist. xxvii.
TOME XI. 12
17 8 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [517]
alors entièrement ruiné, apparemment par les guerres dont ces
provinces avaient été le théâtre quelques années auparavant.
Sigismond donna ordre qu'on le rétablît avec une magnifi-
cence digne de -sa piété et de son rang (1).
La mort de Gondebaud, arrivée l'an 517 (2),. acheva de
rendre la liberté et la paix aux Églises de son royaume. L'a-
rianisme sembla y expirer avec ce prince , et l'Église eut la
consolation de voir presque tous les Bourguignons rentrer
dans le sein de l'unité sur les pas de Sigismond, leur roi.
S. Hormisdas, qui avait succédé sur la fin de l'an 514 au saint
pape Symmaque, n'eut pas moins de zèle que son prédéces-
seur pour faire fleurir la foi et la discipline dans le royaume
de Bourgogne. Il écrivit plusieurs fois aux évêques de ces
provinces pour les presser d'assembler un concile ; mais ils
n'osèrent le faire du vivant de Gondebaud.
Dès qu'il fut mort, S. A vite de Tienne et S. Yiventiole de
Lyon convoquèrent le concile par des lettres circulaires
adressées à tous les évêques du royaume de Bourgogne.
S. A vite leur dit, dans la sienne, qu'il a essuyé de vifs repro-
ches du pape sur la rareté des conciles dans leurs provinces,
quoique les canons ordonnassent d'en tenir deux chaque année.
Pour réparer le passé, il inclique pour le 6 septembre 517
un concile à Epaone, qui est, à ce qu'on croit, une petite ville
du Bugeix nommée aujourd'hui Yenne (3). Il recommande
instamment que personne ne se dispense de s'y trouver, et
que ceux que quelque maladie en empêcherait y envoient
deux prêtres d'une vertu et d'une capacité reconnues, avec
procuration de leur part (4).
(1) Hist. Àbbatum Agaun., apud Boll., 1 mart., p. 83.
(2) Marins d'Avenche met cette mort l'an 516, mais nous avons une loi de Gon-
debaud du mois de mars 5 17.
(3) Ce qui a déterminé les savants à croire qu'Yenne est l'ancienne Epaone, c'est
qu'on y a trouvé des pierres avec cette inscription: Deœ Eponœ. Quelques critiques
croient qvJEpona est la déesse des chevaux, et qu'Ep en celtique signifie cheval. On
peut dire que la déesse Épaone est la ville même d'Épaone. On sait que les anciens
divinisaient quelquefois les villes, et qu'il y avait des autels érigés en l'honneur de
Rome.
(4) Avit. Ep. lxxx.
| 5 1 7] EN FRANCE. LIVRE V. 179
S. Yivontiole, par sa lettre de convocation (1), oblige tous
les clercs de se rendre au concile et permet à tous les laïques
d'y assister, « afin, dit-il, que le peuple ait connaissance de
ce qui doit y être réglé par les saints évêques. Et comme il est
juste que tous les catholiques désirent avoir des clercs d'une
vie exemplaire, nous donnons la liberté à chacun de les accu-
ser de ce qu'il jugera être répréhensible dans leur conduite,
pourvu qu'on le fasse sans disputes et sans murmures , et
que l'accusateur puisse prouver ce qu'il dénoncera au con-
cile. » La lettre est datée du 10 juin sous le consulat d'Aga-
pite, c'est-à-dire l'an 517.
Le concile s'assembla au temps et au lieu marqués ; il
s'y trouva vingt-quatre évêques avec le député d'un absent.
S. Avite et S. Yiventiole y présidèrent, et l'on y dressa qua-
rante canons de discipline, dont voici les plus remarquables.
I. Quand le métropolitain convoquera les évêques de la
province au concile ou à l'ordination d'un évêque, celui qui
manquera de s'y rendre sans une raison évidente de maladie
sera excommunié pendant six mois.
II-III. Il est interdit d'élever des bigames à la prêtrise ou
au diaconat et d'admettre dans le clergé ceux 'qui ont fait pé-
nitence publique.
IV. Il est défendu aux évêques, aux prêtres et aux diacres
de nourrir des chiens ou des oiseaux pour la chasse, sous
peine de trois mois d'excommunication pour l'évêque, de
deux mois pour le prêtre et d'un mois pour le diacre.
Y. Un prêtre ne pourra desservir une église d'un autre
diocèse sans le consentement de son évêque.
Ce canon est une preuve de l'ancienneté de la discipline
qui [ oblige les prêtres à prendre un exeat de leur évêque
quand ils veulent exercer leur ministère dans un autre dio-
cèse.
(1) Epist. Vivent., t. II Conc. Harduini, p. 1046. — Le P. Hardouin est le pre-
mier qui ait donné cette lettre au public, dans son édition des conciles.
180 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [517|
VI. Un prêtre ou un diacre qui voyage ne sera pas reçu à
la communion s'il n'est muni des lettres de son évêque.
VII. Un prêtre qui gouverne une église ne pourra pas
disposer des biens de cette église. Il ne pourra même faire
aucune acquisition qu'au nom de cette église tandis qu'il la
gouverne.
Ces précautions montrent combien on avait à cœur que l'ar-
gent qui provenait des revenus de l'Église ne fût employé
que pour l'Église.
VIII. Les abbés ne vendront rien sans que l' évêque en ait
connaissance. Les esclaves que l'abbé donne aux moines ne
pourront point être affranchis : car il ne paraît pas juste que
tandis que les moines travaillent tous les jours aux ouvrages
de la campagne, leurs esclaves jouissent de la liberté.
On voit ici que l'agriculture était alors l'occupation des
moines.
IX-X. Un abbé ne pourra gouverner deux monastères , et
l'on n'en bâtira pas de nouveaux sans l'agrément de l'évêque.
XI. Les clercs cités devant un tribunal laïque ne refuse-
ront pas d'y comparaître , mais ils ne pourront y citer per-
sonne sans l'ordre de l'évêque.
XII. Un évêque ne pourra vendre les biens de son Église à
l'insu du métropolitain, mais il peut les échanger.
XIV. Un clerc qui est ordonné évêque dans une autre
Église doit rendre à l'Église qu'il quitte les biens ecclésiasti-
ques dont elle l'avait gratifié.
Ceci montre que les bénéfices d'une Église n'étaient encore
possédés que par ceux qui pouvaient y résider et la servir.
XV. Il est défendu aux clercs catholiques de manger avec
des clercs hérétiques, sous peine d'un an d'excommunication
pour les ecclésiastiques des ordres supérieurs , et pour ceux
des ordres inférieurs sous peine de fouet. Il est même dé-
fendu aux laïques de manger avec les Juifs et aux clercs de
manger même avec ceux qui auraient mangé avec les Juifs.
XVI. On permet aux prêtres de réconcilier par le saint
[517] EX FRANCE. — LIVRE V. 181
chrême les hérétiques mourants : ceux qui sont en santé doi-
vent s'adresser à l'évéque.
XVII. Les legs qu'un évêque fait par testament des biens de
l'Église sont nuls, à moins qu'il ne la dédommage de ses
biens propres.
XVIII. Les biens de l'Église que des clercs possèdent, même
par l'autorité du prince, ne passeront jamais en propriété,
quelque prescription qu'il puisse y avoir.
XIX. Si l'abbé trouvé coupable de quelque faute ne veut
pas recevoir de son évêque un successeur, il devra être
renvoyé au jugement du métropolitain.
XX. Il est interdit à tous les clercs de rendre des visites
aux femmes à des heures indues, c'est-à-dire, comme l'expli-
que le concile, à midi (1) ou le soir ; s'il est nécessaire d'en
visiter quelqu'une, ce sera en présence de prêtres ou de
diacres.
XXI. Il est défendu de consacrer des veuves en qualité de
diaconesses, on leur donnera seulement la bénédiction des
pénitents.
XXII. Le prêtre ou le diacre coupable d'un crime capital
sera déposé et renfermé dans un monastère.
On met ailleurs le faux témoignage au rang des crimes
capitaux .
XXV. Il est interdit de mettre des reliques dans les ora-
toires des maisons de campagne, à moins qu'il n'y ait dans le
voisinage des clercs qui puissent y venir faire l'office , et l'on
n'ordonnera pas des clercs pour ces oratoires avant d'avoir
pourvu à leur subsistance.
XXVI. On ne consacrera par l'onction du chrême que des
autels de pierre.
XXVII. Les évêques de la province suivront le rit de la
métropole dans la- célébration de l'office divin.
XXIX. On abrège la pénitence prescrite par les anciens ca-
(1) Apparemment qu'on reposait alors à midi dans ces provinces.
182 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [5i7]
nons pour ceux qui sont tombés dans l'hérésie après le
baptême : on la réduit à deux ans. Mais pendant ce temps-là
les pénitents doivent jeûner de trois jours l'un, sortir de l'é-
glise avec les catéchumènes et passer par les autres degrés
de la pénitence (1 ), s'ils n'aiment mieux s'en tenir aux anciens
canons.
XXX. On ne recevra à pénitence ceux qui ont contracté des
mariages incestueux qu'après qu'ils se seront séparés. On
déclare incestueux les mariages avec la belle-sœur, la belle-
mère , la belle-fille , la veuve de l'oncle , la cousine germaine
ou issue de germain.
XXXI. Les homicides qui auront évité la peine des lois
feront la pénitence réglée par le concile d'Ancyre (elle était
de sept ans).
XXXII. Si la veuve d'un prêtre ou d'un diacre se remarie,
elle et son époux seront excommuniés.
XXXIII. Les églises que les hérétiques ont bâties ne pour-
ront pas être purifiées , mais seulement celles qu'ils ont enle-
vées de force aux catholiques.
Yictorius, évêque de Grenoble , avait consulté S. Àvite sur
ce sujet et sur les vases sacrés qui avaient servi aux héréti-
ques ; S. Avite répondit conformément à ce qui est réglé par
ce canon (2). Cependant le premier concile d'Orléans avait fait
un règlement contraire (3), et la pratique de l'Église est con-
forme à sa décision.
XXXI Y. Celui qui aura tué son esclave sans l'autorité du
juge est excommunié deux ans.
XXXV. Les citoyens les plus distingués par leur naissance
iront aux fêtes de Pâques et de Noël demander la bénédiction
de leur évêque, en quelque ville qu'ils soient.
(t) Il y avait dans le cours de la pénitence publique diverses classes, savoir:
1° les pleurants, qui priaient à la porte de l'église; 2° les auditeurs, qui étaient
admis à entendre les lectures et les instructions qu'on faisait aux fidèles; 3° les
prosternés, qui priaient dans l'église la face contre terre; 4° les consistants, aux-
quels on permettait de prier debout.
(2) Avit. Ep. vi. — (3) Conc. Aurel., c. x.
[517] EN FRANCE. — LIVRE V. 183
XXXVI. On ne doit rejeter personne de l'Église sans espé-
rance de pardon. On dispensera celui qui est en danger de
mort du temps prescrit pour la pénitence ; mais il est con-
venable qu'il l'accomplisse s'il revient .en santé après avoir
reçu le viatique.
XXXVII. Qn ne permettra l'entrée des monastères de filles
qu'à des personnes que l'âge et la probité mettent à couvert
de tout soupçon. Ceux qui y entrent pour faire l'office divin
en sortiront aussitôt après. Hors ces occasions, les jeunes
clercs et les jeunes moines n'y auront aucun accès , si ce n'est
pour parler à de proches parentes.
Tels sont les principaux canons du concile d'Epaone , qui
furent souscrits le 15 septembre (1) sous le consulat d'Agapite,
c'est-à-dire l'an 517 : ainsi le concile dura dix jours. On
voit par le nombre des signataires quelle était l'étendue du
royaume de Bourgogne. La sainteté des évêques qui firent ces
règlements doit les rendre plus respectables. Après les deux
métropolitains, S. Avite de Vienne et S. Viventiole de Lyon ,
on voit les noms de S. Sylvestre de Chalon-sur-Saône , de
S. Apollinaire de Valence, frère de S. Avite; de S. Claude de
Besançon, de S. Grégoire de Langres, de S. Pragmace d'Au-
tun, de S. Maxime de Genève, de Constance de Gap, que
quelques-uns croient être S. Constantin, évêque de cette ville,
dont on a parlé ailleurs; de S. Florent d'Orange, dont le Mar-
tyrologe romain fait mention le 17 octobre ; de Catulin d'Em-
brun et de Tauricien de Nevers : ce qui démontre que cette
ville était alors soumise aux Bourguignons et dépendait peut-
être de la première Lyonnaise.
S. Viventiole, évêque de Lyon, avait embrassé la vie reli-
gieuse dans les monastères du mont Jura , où il fut élevé à la
prêtrise. Il était en relations d'amitié avec S. Avite, à qui il
envoya de son désert une sellette de bois artistement tra-
(1) Fleury dit que ce concile fut tenu le 15 septembre : il fut terminé ce jour-
là et il commença le G du même mois, cela résulte de la lettre de convocation.
184 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE | ô 1 7 J
vaillée. S. Avite, en l'en remerciant , lui souhaita une chaire
épiscopale et l'exhorta à prendre le gouvernement du mo-
nastère de Saint-Eugend, pour se disposer à l'épiscopat (1).
Les souhaits de S. Avite furent accomplis: car Viventiole (2)
fut désigné pour le siège de Lyon par S. Avite même, après la
mort de S. Etienne ou de S. Yéran, que quelques auteurs font
successeur de S. Etienne. Yéran avait été abbé, et l'on prétend
que S. Avite le fit aussi élire évêque de Lyon. S. Etienne est
honoré le 15 février, et S. Yéran le 11 novembre ; il faut le
distinguer de S. Yéran de Yence , qu'on croit être le fils de
S. Eucher, et peut-être d'un autre Yéran qu'on croit avoir
été le successeur de S. Eucher (3).
S . Sylvestre de Ghalon , qui souscrit le premier après les
métropolitains, était le plus ancien des évêques de ces pro-
vinces. Il avait formé par ses leçons et encore plus par ses
exemples la jeunesse de S. Césaire. Il succéda au saint
évêque Jean, dont nous avons parlé , et il ne se rendit pas
moins célèbre pendant quarante-deux ans d'épiscopat par ses
miracles que par ses vertus. Il suffisait aux malades de se
coucher sur un lit (4) tissu de cordes qui lui avait appartenu,
pour recevoir leur guérison. Il est honoré le 20 novembre (5).
S. Grégoire, évêque de Langres, était issu d'une famille
de sénateurs et avait été comte d'Autun pendant quarante
ans. Après la mort de sa femme Armentaire , il fut élu évêque
de Langres et donna d'admirables exemples de mortifica-
tion par son abstinence et par ses veilles. Il ne buvait que de
(1) Avit. Ep. xvn.
(2) Nous avons une lettre de S. Avite au rhéteur Viventiole, qui l'avait blâmé
d'avoir prononcé longue la seconde syllabe de potitur dans une homélie récitée
pour la dédicace de l'église de Lyon. Il est probable que ce rhéteur est S. Viventiole
depuis évêque de Lyon : car il paraît qu'il enseigna dans le monastère de Saint-
Eugend. — Ep. LUI.
(3) Auctor Vitœ S. Avili, apud Boll., 5 febr.
(4) Il y a dans le latin, sub quo: peut-être que par respect on se couchait sous ce
lit. Le P. Ruinart, p. 909 de son édition de Grégoire de Tours , met la mort de
S. Sylvestre en 514 : l'époque certaine du concile d'Épaone en 517 fait voir qu'il
se trompe.
(5) Greg. Tur., de Glor. confess., c. lxxxv.
[517] EN FRANCE. LIVRE V. 185
l'eau , ne mangeait que du pain d'orge et se levait secrète-
ment la nuit pour aller prier à l'église. Il usait de plusieurs
saintes industries pour cacher ses mortifications. On lui
donnait à boire dans un verre qui n'était pas transparent, et,
pour faire croire qu'il buvait du vin, il se faisait verser de
l'eau sur celle qui y était déjà. Il demeurait à Dijon , où
S. Bénigne était enterré. Mais le tombeau de cet illustre
martyr n'y était connu que par un reste de tradition popu-
laire : ce qui faisait craindre au saint évêque que ce ne fût le
tombeau de quelque personnage indigne. Dans cette incerti-
tude, il défendit qu'on lui rendît aucun culte. Mais S. Bénigne
lui ayant apparu, il fît la translation de ses reliques et bâtit
en son honneur une église et un monastère , qu'il dota de ses
biens , et dont il fit confirmer la fondation par le pape Hor-
misdas (1). Telle est l'origine du monastère de Saint -Bénigne
de Dijon. Nous verrons S. Grégoire de Langres assister dans
la suite à plusieurs autres conciles.
Catulin d'Embrun était un saint évêque fort zélé pour la
conversion des hérétiques. Son zèle lui attira des persécu-
tions : il fut chassé de son siège par quelques seigneurs ariens
qui demeurèrent attachés à leur hérésie , et il se retira auprès
de S. Avite, qui lui fit un accueil plein de charité.
On a lieu de croire que Claude, évêque de Besancon, qui
assista au concile, est le saint évêque de ce nom (2) si re-
nommé pour sa sainteté et ses miracles. On croit qu'il était
originaire de Salins, où l'on honore comme patron de la ville
un saint nommé Anatolius , sur lequel on manque de rensei-
|1) Greg. Tur., Vit PP., c. ni; de Glor. rnart., 1. 1; Chron. S. Benig., t. I Spicîl.
(2) Les savants se sont partagés en deux opinions touchant l'époque de S. Claude.
Les uns le placent au commencement du vie siècle, et les autres à la fin du VIIe:
l'un et l'autre de ces sentiments sont appuyés de raisons probables. Nous avons cru
devoir préférer le premier, sur l'autorité des actes du concile d'Épaone et celle des
anciens catalogues des éveques de Besançon : car ces catalogues ne marquant qu'un
Claude évêque de Besançon, on a lieu de croire que c'est celui qui assista au con-
cile d'Épaone. La Vie de S.Claude écrite au plus tôt dans le xne siècle et quelques
anciennes proses de son monastère le font plus récent , de sorte que nous n'avons
à ce sujet rien de bien assuré.
186 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [517)
gnements certains. Claude, après avoir gouverné son Église
pendant environ sept ans, se retira au monastère de Condat
ou de Saint-Eugend. Ses rares vertus l'y firent élire abbé, et
il y mourut plein de jours et de mérites. On célèbre sa fête
le 6 juin. Son corps fut trouvé entier et sans nulle corruption
dans le xne siècle. Ce miracle (1) a rendu son culte très-
célèbre dans toute la Gaule , et le monastère de Saint-
Eugend n'a plus été connu que sous le nom de Saint-Claude.
Il est regrettable pour l'histoire que la Yie de ce saint évèque
n'ait été écrite que plusieurs siècles après sa mort. Celle de
S. Eugend, dont nous venons de parler, a été composée par
un témoin de la plupart des traits qu'il rapporte, et nous
croyons devoir en présenter un abrégé à l'édification du lecteur.
Eugend ou Oyencl fut reçu à l'âge de sept ans, par S. Ro-
main, dans le monastère de Condat (2). Minautius, successeur
de S. Lupicin, se voyant infirme, l'associa au gouvernement
de cette communauté. Il ne tarda pas à en être élu abbé malgré
sa jeunesse. Les moines plus anciens en murmurèrent, et
l'ambition, qui se cache quelquefois dans les cloîtres sous les
dehors de la pénitence et de l'humilité, en porta quelques-uns
à déserter le monastère. La ferveur des autres consola Eu-
gend de cette défection. Sa prudence suppléa à l'expérience
qui lui manquait, et l'éclat de sa vertu lui donna toute l'auto-
rité de la vieillesse la plus respectable. Il fît abattre les cellules
séparées des moines et les fit coucher dans le même dortoir,
mais en des lits séparés.
Pour mieux conserver l'esprit de pauvreté, il ne souffrit
point qu'aucun de ses religieux eût un coffre ou une armoire.
D'ailleurs, il se distingua par une tendre charité envers les
(1) Le P. Ménétrier, qui examina cette précieuse relique vers la fin du xvie siècle,
époque où elle subsistait encore, rapporte que le corps de S. Claude lui avait paru
être celui d'un vénérable vieillard, d'assez petite taille ; que les chairs en étaient
maniables et vermeilles, excepté les pieds que la dévotion des pèlerins avait noircis
en les baisant ; qu'il avait un œil ouvert et l'autre couvert d'un emplâtre noir, et
qu'il n'y avait aucun vestige d'embaumement.
(2) Vit. Eugend., apud Boll., I januar.
517] EN FRA.XCE. LIVRE V. 187
naïades et les vieillards. Il exerçait sur lui-même un empire
i complet qu'il ne parut jamais triste et qu'on ne le vit non
>lus jamais rire. Toujours le premier à l'office, il en sortait le
iernier. Il ne faisait qu'un repas. Et depuis l'âge de sept ans
[u'il entra dans le monastère, jusqu'à sa mort qui eut lieu dans
;a soixantième année, il n'en sortit jamais. Un supérieur qui
lime à ce point la solitude la rend bien plus aisément aimable à
,es inférieurs. Il portait un cilice que lui avait donné S. Léonien,
lont nous avons parlé. Il fit fleurir dans son monastère la
dence autant que la vertu ; il était lui-même fort instruit et
amilier avec les auteurs grecs et latins; cependant, on ne put
amais le résoudre à recevoir l'ordre de prêtrise.
Ce saint abbé, étant tombé malade à l'âge de soixante ans et
ix mois, manqua pour la première fois de sa vie à se trouver
| l'office avec ses frères. Dès le commencement de sa maladie
l eut un pressentiment de sa mort, et il se fît donner l'extrême -
tnction par un de ses religieux, à qui il avait donné la charge
l'administrer ce sacrement aux malades : ce qui montre l'u-
age de ce siècle et confirme en ce point la tradition de
'Eglise. Le lendemain matin, ses moines étant venus savoir
omment il avait passé la nuit, il leur dit en versant des
armes : « Que le Seigneur vous le pardonne, mes frères, c'est
rous qui me retenez dans la prison de ce corps mortel; j'ai
ru cette nuit les saints abbés Romain et Lupicien apporter
m cercueil devant mon lit pour m'emporter, et vous les en
,vez empêchés. Mais si vous avez quelque compassion pour
m vieillard, si vous aimez un père qui vous aime, ne me re-
enez pas plus longtemps et laissez-moi aller me réunir à
nés pères. » Les religieux ne répondant que par leurs gémis-
ements, il ajouta : « Je vous en conjure, mes chers enfants,
)ersévérez avec tant de constance dans la pratique des obser-
'ances de nos pères que vous remportiez la palme de la vic-
oire. C'est ce que je vous demande pour ma consolation,
)our la vôtre et pour celle de tous les saints. » S. Eugend
;xpira doucement en prononçant ces dernières paroles. Il est
188 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [517|
honoré le 1er janvier. L'auteur qui rapporte ces circonstances
était présent à sa mort.
Onze évêques de ceux qui avaient assisté au concile d'E-
paone en tinrent un autre à Lyon la même année ou Tannée
suivante, a a sujet d'Etienne, préfet du fisc du roi Sigismond.
Ce seigneur avait épousé Palladie sa parente, ou, comme on
le lit dans la Yie de S. Apollinaire, la sœur de sa première
femme. Les évêques, sans avoir égard à sa puissance, l'avaient
excommunié selon les canons qu'ils venaient de renouveler à
Epaone. Sigismond, qui se crut outragé dans la personne de
son ministre, prit hautement la défense du coupable et me-
naça les prélats de sa colère. Mais ils firent bien voir qu'ils
craignaient plus le Seigneur que les puissances cle la terre.
Ils s'assemblèrent donc à Lyon , et , après avoir confirmé la
sentence qu'ils avaient portée contre le mariage incestueux
d'Etienne et de Palladie, ils se firent entre eux la promesse
que si l'un d'eux souffrait à ce sujet quelque violence, tous les
autres y prendraient part et le dédommageraient de toutes
les pertes qu'il pourrait faire; que si le roi se séparait de la
communion des évêques , ils se retireraient dans des mo-
nastères et y demeureraient jusqu'à ce qu'il lui plût de se
laisser fléchir par les prières des saints. Après ces pré-
cautions , ils mitigèrent néanmoins un peu, en considération
du roi, la sentence portée contre Etienne et Palladie, leur
permettant de prier dans l'église jusqu'à l'oraison du peuple
après l'évangile , c'est-à-dire jusqu'à Y Orale , fratres. Ils
firent deux autres canons dans ce concile : le premier défend
aux évêques d'usurper les paroisses d'un autre diocèse , et
le second défend de briguer le siège d'un évèque encore
vivant (1).
S. Apollinaire de Valence fut un des évêques qui firent
paraître le plus de fermeté dans cette affaire. Aussi l'o-
rage tomba-t-il sur lui , et Sigismond l'exila à l'instigation
(1) Conc. Gall., t. 1, p. 203. — Apud Labb., t. IV, p. 158't.
517] EX FRANCE; — LIVRE V. 189
Y Etienne. Un roi fait souvent plus de fautes par les passions
le ses ministres que parles siennes propres. Mais ce prince
âtant tombé malade peu de temps après, la reine, qui connais-
sait le pouvoir d'Apollinaire auprès de Dieu, le fit solliciter de
revenir à la cour, espérant que par ses prières il rendrait la
santé à son mari. Le saint évèque méprisa la cour et refusa
l'y aller; mais, pour montrer que ce n'était point par ressenti-
ment, il envoya son capuchon au roi, qui, s'en étant revêtu, se
trouva immédiatement guéri de la fièvre (1).
Il paraît par d'autres exemples que les mariages inces-
tueux étaient fréquents parmi les Bourguignons nouvellement
convertis à la foi catholique. Victorius de Grenoble consulta
S. À vite sur la manière dont il devait agir avec un nommé
Vincomale, qu'il avait excommunié pour avoir épousé sa
belle-sœur. S. A vite fit réponse qu'il jugeait à propos d'user
de ménagements, et que si cet homme était résolu à quitter sa
femme, on devait seulement l'exhorter à faire pénitence sans
l'y obliger (2). On voit par là combien ces nations barbares
avaient de peine à se soumettre à la sévérité de la discipline ,
et c'est peut-être la première cause des adoucissements que
les évêques se crurent obligés d'y apporter. L'Église aima
mieux modérer la juste rigueur de ses lois que de voir des
enfants rebelles les violer si communément.
S. Avite ne veillait pas seulement à la conservation de la
foi et de la discipline dans l'étendue du royaume de Bour-
gogne; son zèle le portait à s'intéresser à toutes les affaires
de la religion qui se passaient dans les provinces les plus éloi-
gnées, et jusque dans l'Église de Gonstantinople, qui était
encore alors séparée du Saint-Siège au sujet d'Acace. Hormis-
das avait écrit aux évêques (3) des Gaules une lettre circu-
laire, où, en leur faisant part de la réunion des évêques de
(t) Vit. Apollinar., apud Suriura., 5 octob. — (2) Avit. Ep. yi.
(3) Hormisd. Epist., t. IConc. Ga/Z.,p. 188. — L'exemplaire que nous avons de cette
lettre est adressé à S. Césaire ; mais on voit par la réponse de S. Avite qu'il en
avait reçu une semblable. C'est ce qui nous a fait dire qu'elle était circulaire.
190 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [517]
Dardanie et d'Illyrie au Saint-Siège, il leur parlait du schisme
des fauteurs d'Acace et de la légation qu'il avait envoyée en
Orient à ce sujet et dont il ne savait pas encore l'issue. Il
ajoutait que, suivant l'exemple de ses prédécesseurs, qui
avaient fait part aux évêques des Gaules des affaires de la re-
ligion, il leur envoyait un mémoire sur ce qui s'était passé
dans cette affaire, et qu'Urbain, défenseur de l'Église, les ins-
truirait de vive voix plus au long. Les défenseurs de l'Église
romaine étaient des clercs chargés de veiller à l'administra-
tion des biens de cette Église et au soulagement des pauvres.
S. Avite adressa à Hormisdas une réponse digne de son
zèle. Après avoir loué ce saint pape de sa vigilance sur le
troupeau qui lui est confié dans toute l'étendue de l'Église
universelle, et l'avoir remercié de la lettre pleine de sollici-
tude pastorale qu'il avait reçue de lui par des clercs de l'Eglise
d'Arles, il témoigne son étonnement de ce qu'il n'a pas instruit
les évêques des Gaules, comme il l'avait promis, de l'issue de
la seconde légation qu'il avait envoyée à Gonstantinople : ce
qui lui fait craindre qu'elle n'ait pas été heureuse. Il ajoute :
« Nous apprenons de plusieurs personnes dignes de foi que
les Grecs se vantent d'un accommodement et d'une récon-
ciliation avec l'Église romaine. Si cela est vrai, on doit s'en
réjouir ; mais il faut craindre que ce ne soit une paix simulée.
Je vous supplie donc de m'instruire de ce que je dois répondre
à mes frères les évêques des Gaules, s'ils me consultent ;
parce que, je puis le dire hardiment non-seulement de la
province de Vienne, mais de toute la Gaule, tous s'en rap-
portent à votre décision dans ce qui concerne l'état de la
foi. Priez le Seigneur que, puisque la vérité connue nous
attache à l'unité que vous gouvernez, nous ne soyons pas
trompés par une profession de foi artificieuse des Grecs (1).
La lettre fut portée à Rome par le prêtre Alexis et le diacre
Venant, et reçue le 30 janvier sous le consulat d'Agapite,
(t) Avit. Ep. xxxvn, apud Labb., t. IV, p. 1445.
[518] EN FRAXCE. — LIVRE V. 191
c'est-à-dire l'an 517. Elle fournit une nouvelle preuve que
les évêques les plus zélés ont toujours craint la surprise dans
les accommodements avec les hérétiques.
Hormisdas répondît à S. À vite et aux autres évêques de la
province par une lettre datée du 15 février de la même année.
Il leur dit qu'ils ont bien deviné la cause de son silence , qui
est en effet le mauvais succès de la légation de Constanti-
nople; mais qu'ils se trompent en nommant cette légation la
seconde, puisqu'il n'en avait envoyé qu'une. Il ajoute que les
Grecs ne veulent la paix que de bouche et non de cœur, et
qu'ils font assez voir par leurs actions qu'ils n'ont pas inten-
tion de garder ce qu'ils promettent (1).
Le schisme fut enfin éteint dans les Églises d'Orient par le
zèle de l'empereur Justin, successeur d'Anastase, et par celui
du peuple de Constantinople, qui demanda la réunion avec
des acclamations réitérées. En effet, le dimanche qui suivit l'é-
lection de l'empereur, le patriarche Jean étant entré dans
l'église, tout le peuple s'écria : « Pourquoi ne communions-
nous pas depuis tant d'années? Montez sur l'ambon et per-
suadez votre peuple. Tous êtes orthodoxe : que craignez-vous?
Chassez Sévère le manichéen ; publiez tout à l'heure le saint
concile de Ghalcédoine. Ste Marie est mère de Dieu. La foi
de la Trinité est victorieuse... Indiquez la fête du saint
concile (2). Le patriarche, voyant continuer ces acclamations,
fît annoncer pour le lendemain la fête du concile de Ghalcé-
doine, mit ce concile avec le nom de S. Léon et des pa-
triarches catholiques dans les sacrés dyptiques , dont on ôta
Acace, et la paix fut rendue à l'Église d'Orient. S. Avite, qui
jugea la soumission des Grecs sincère, eut une joie sensible
de leur réunion. Sur la première nouvelle qu'il en reçut, il
écrivit au patriarche de Constantinople pour l'en féliciter et
pour l'exhorter à demeurer toujours inviolablement uni à
l'Église romaine (3).
(1) Aviti Ep. ultima., ap. Labb., t. IV, p. 1446. — (2) Conc. Labb., t. Y, p. 178.
(3) Avit. Ep. vu.
192 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [518]
Ce saint évêque de Vienne continuait de recueillir les fruits
de son zèle pour le salut des Bourguignons, lorsque les mal-
heurs de la maison de Sigismond lui causèrent une douleur
d'autant plus vive qu'il avait un tendre attachement pour ce
prince. Sigismond avait épousé en premières noces la fille de
Théodoric, roi d'Italie, et il en avait un fils nommé Sigeric.
Après la mort de sa première femme, il en épousa une au-
tre d'un rang moins illustre et qui n'avait que de l'aversion
pour le jeune prince; celui-ci, de son côté, n'aimait pas sa
belle-mère. La voyant donc un jour de fête parée de ri-
ches habits, il lui dit avec un air de hauteur et de mépris :
« Il vous sied mal de porter ces vêtements, qu'on sait avoir
appartenu à ma mère, votre maîtresse. » Cette parole piqua au
vif la nouvelle reine. Pour s'en venger en belle-mère, elle
entreprit de persuader à Sigismond que son fils tramait quel-
que révolte clans le dessein de se mettre en possession du
gouvernement (1).
Sigismond, trop crédule, donna ordre qu'on étranglât son
fils après l'avoir fait enivrer dans un repas. A peine l'ordre
barbare était-il exécuté que le roi se souvint qu'il était père.
Les sentiments de la nature et de la religion, s'étant réveillés
dans son cœur, lui firent reconnaître toute l'énormité de son
crime. Il se jeta sur le corps de son fils et le baigna de ses
larmes. Un vieillard de sa cour lui dit : « Prince, ce n'est pas
sur votre fils que vous devez pleurer, son innocence est
connue : c'est sur vous-même, qui vous êtes souillé du plus
barbare parricide. » Sigismond, frappé de cette parole, se
retira au monastère cl'Agaune pour expier son péché par les
larmes et les jeûnes dans cette sainte solitude (2).
Les bâtiments de ce monastère avaient été récemment
achevés ; il convoqua pour en faire la dédicace une assemblée
d'évêques et de seigneurs. D'après leur avis, il y établit avec
le titre d'abbé S. Hymnemond, qu'on fit venir avec quelques
(1) Greg. Tur., 1. III, c. v. —12) Greg. Tur., 1. HT, c. iv.
[518] EX FRANCE. — LIVRE V. 193
autres religieux du monastère de Grane. Plusieurs auteurs
croient que ce monastère est le même que celui de Grigny (1).
On y institua la psalmodie perpétuelle sur la demande des
évoques : dans ce but, on partagea les moines en neuf chœurs,
qui se succédaient continuellement pour chanter jour et nuit
les louanges du Seigneur. C'est le premier exemple que l'on
trouve d'un pareil établissement. S. A vite fît pour la dédicace
de l'église du monastère une homélie dont il ne nous reste
que le titre avec un fragment. On transféra clans cette église
les corps des saints martyrs Maurice, Exupère, Candide et
Victor. Quant aux reliques des autres martyrs de la même
légion, dont on ignorait les noms, on décida qu'elles seraient
gardées avec soin et décemment dans un même lieu séparé
de l'église. Sigismond fit approuver par les évêques l'acte de
fondation de ce monastère, qui fut doté pour neuf cents
moines, si nous nous en rapportons à une ancienne hymne à
l'usage du même monastère (2).
Ce prince, qui n'oubliait pas le crime qu'il avait commis,
dit aux évêques du concile : « Je vous ai assemblés afin que
vous me consoliez dans mon affliction (3). » Il parlait sans
doute de la mort de son fils. Il ne trouva de consolation que
dans les larmes de la pénitence. Prosterné devant les tom-
beaux des saints martyrs de la légion Thébéenne , il de-
manda instamment à Dieu qu'il ne différât pas de le punir de
son crime après sa mort, mais qu'il lui en fît porter la peine
en cette vie plutôt qu'en l'autre. Il y a lieu de croire qu'il
fut exaucé.
La reine Clotilde, après la mort de Clovis, s'était retirée
à Tours, d'où elle venait quelquefois à Paris. Sa piété singu-
lière ne lui fit point oublier ses prétentions au royaume de
Bourgogne, ni la mort cruelle de son père et de sa mère.
Elle assembla un-^jour les rois ses fils et leur dit (4) : « Mes
chers enfants, que je ne me repente pas de vous avoir éle-
(1) Conc. Labb., t. IV, p. 1557. — (2) Chifflet ; apud Boll., 6 jun. — (3) Conc.
Labb., t. IV, p. 1557. — (4) Greg. Tur., 1. II, c. xliv.
TOME II. 13
194 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [524]
vés avec tant de soin. Montrez-vous sensibles à l'injure qui
m'a été faite, et vengez la mort cruelle de mon père et de ma
mère ( 1 ) . » Elle ne pouvait faire à de j eunes princes belliqueux
une proposition qui flattât plus agréablement leur ambition
et leur inclination. Ils se mirent aussitôt en campagne et
marchèrent contre Sigismond, qui, sans avoir eu part au
crime de son père, profitait néanmoins de ses usurpations.
Ce prince, que la justice miséricordieuse de Dieu poursuivait
par le glaive de ses ennemis pour ses propres péchés , fut
entièrement défait , et dans la déroute il se sauva sur une
montagne , où il vécut quelque temps caché , adorant la main
qui le frappait. Ayant appris que les Francs étaient maîtres de
la Bourgogne et le faisaient chercher de toutes parts , il se
coupa les cheveux et prit l'habit de moine. Il voulait se re-
tirer au monastère d'Agaune ; mais, afin que rien ne manquât
à sa disgrâce, il fut trahi par quelques-uns de ses sujets et
livré à Glodomir, qui l'emmena prisonnier à Orléans avec sa
femme et deux jeunes princes, Gisclades et Gondebaud (2).
Il était plus aisé aux Francs de conquérir des provinces
que de les conserver. Aussitôt après la retraite des fils de
Clovis , Godemare , frère de Sigismond , réunit les débris de
l'armée bourguignonne et reprit sans peine la Bourgogne. A
cette nouvelle , Clodomir se disposa à marcher pour la re-
conquérir, et, cédant à la colère qui le transportait, il forma
le dessein de faire mourir Sigismond, sa femme et les deux
princes ses enfants, avant de quitter Orléans. S. Avite, qui
était abbé de Mici après S. Mesmin, et qu'il ne faut pas con-
fondre avec le saint évêque de ce nom, ayant appris cette
cruelle résolution du roi , alla le trouver pour l'en détour-
ner. « Prince, lui dit-il, si la crainte de Dieu vous inspire des
desseins plus modérés et vous empêche d'attenter à la vie
de ces illustres prisonniers , le Seigneur sera avec vous , et
(I) Ces sentiments vindicatifs ont été prêtés par certains auteurs à Ste Clotilde;
s'ils sont vrais, ils sont une tache dans la vie de cette pieuse reine. — (2) Vrj7a SÊ
yism., apud Boll., 1 maii.
[524] EN FRANCE. LIVRE V. 195
vous remporterez la victoire. Mais si vous les faites mourir,
vous serez livré à vos ennemis , et ils vous traiteront , vous ,
votre femme et vos enfants , de la manière dont vous aurez
traité Sigismond et sa famille (1). » Quand la politique con-
seille un crime, elle ne manque pas de prétextes pour le jus-
tifier. Glodomir répondit qu'il était contre la prudence de
laisser un ennemi chez soi lorsqu'on allait en combattre un
autre , et donna ordre qu'on fît mourir le roi Sigismond , la
reine et les deux princes. L'exécution se fit l'an 524 à Golu-
melle (2), sur les confins de l'Orléanais et de la Beauce, et les
corps furent jetés dans un puits, qui fut nommé le puits
Saint-Sigismond et par contraction Saint-Simond .
La vie pénitente que mena ce prince depuis son péché , la
foi avec laquelle il osa demander à Dieu , la soumission
avec laquelle il accepta, pour l'expier, les plus humiliantes
tribulations, et surtout la mort injuste qu'il souffrit, l'ont fait
honorer dans l'Église comme un martyr, suivant l'usage assez
ordinaire en ce temps-là de donner cette qualité aux per-
sonnes vertueuses mises à mort injustement. Il y avait trois
ans que son corps , celui de la reine et des deux princes
étaient dans le puits où ils avaient été jetés, lorsque l'abbé
d'Agaune pria un seigneur bourguignon , nommé Ansemond ,
de les demander au prince Théodebert, fils du roi Thierry. Il
les obtint , et on les porta en chantant des psaumes depuis
Orléans jusqu'à Agaune, où ils furent enterrés dans l'église
de Saint-Jean l'évangéliste. Les miracles que Dieu opéra sur le
tombeau de S. Sigismond le rendirent de jour en jour plus
célèbre. L'Église célèbre la fête de ce saint roi le 1er mai.
La prédiction que le saint abbé de Mici avait faite à Glodo-
mir, pour le détourner de verser le sang innocent, ne tarda
(1) Greg. Tur., 1. III, c. vi.
(2) Grégoire de Tours dit que l'exécution se fit dans un village de l'Orléanais,
qu'il nomme Columna : ce qui peut désigner Coulmiers ou Columeile, qui sont deux
villages assez voisins. Nous croyons que c'est plutôt Columeile, parce qu'il e&t
plus proche du lieu qu'on nommait Puteus S. Sigismundi, où il s'est formé depuis
un village qu'on nomme Saint-Simond, pour Saint-Sigismond.
196 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQI E [524]
guère à se vérifier; ce prince fut tué la même année à la
journée de Véseronce dans les bras de la victoire : car il ga-
gna la bataille et perdit la vie, en tachant de reconquérir la
Bourgogne sur Godemare. Mais cette prophétie se vérifia
d'une manière plus tragique encore sur ses enfants , comme
nous le verrons dans la suite.
S. Avite de Vienne porta jusqu'au tombeau la vive douleur
qu'il ressentit de la mort de Sigismond, et il ne survécut pas
longtemps à un prince qu'il aimait si tendrement ; mais on ne
sait pas précisément en quelle année il mourut (1). Les fruits
que l'Église recueillit de son zèle font assez son panégyrique.
Le Martyrologe romain dit que ce fut par la foi, par les tra-
vaux et par l'admirable doctrine de ce saint évèque que les Gau-
les furent préservées de la contagion de l'hérésie arienne (2) :
ce qu'il faut entendre des provinces soumises aux Bourgui-
gnons. Il fut enterré à Vienne dans l'église des Saints-Apô-
tres, où on lui fit une épitaphe (3) qui contient un éloge de
ses vertus d'autant plus beau que la flatterie n'y a point
de part. Avite sut allier l'humilité avec la noblesse et les
honneurs, le désintéressement avec les richesses, l'esprit de
piété avec le goût des lettres , et une aimable douceur avec
une fermeté qui sait se faire craindre et respecter.
Il appartient à la grande époque littéraire et théologique
du ive au vie siècle , où les hommes de génie puisaient leur
goût dans les auteurs profanes et leurs doctrines dans l'É-
criture et les Pères. Nous avons à regretter la perte d'un assez
fl) Cave et Baillet, qui font mourir S. Avite l'an 523, sont démentis par Adon.
Cet auteur dit que ce saint évOque ressentit une extrême douleur de la mort de
Sigismond, arrivée seulement en 524.
(2) Mart., 5 febr.
(3) Cette épitaphe est de bon goût et se sent peu de la barbarie de ce siècle :
en voici le commencement :
Quisquis mœstificum tumuli dum cernis honorer»,
Cespite concludi totum dejlebis Avitum,
Exue sollicitas tristi de pectore curas :
Nam quem plena fides, celsœ quem gloria mentis,
Quem pietas, quem larga manus, quem fama perennat,
Nil socium cum morte tenet. etc.
[524] E\T FRANCE. — LIVEE V. 197
grand nombre de ses ouvrages, tels que ses écrits contre les
hérétiques , et nommément un dialogue excellent contre les
ariens, adressé au roi Gondebaud; deux livres contre les er-
reurs de Nestorius et d'Eutychès; ses homélies, dont il avait
donné lui-même un recueil au public. Une perte plus regret-
table encore est celle d'un livre qu'il avait composé contre les
erreurs de Fauste (1) sur la grâce et le libre arbitre. Il nous
reste de lui un recueil de lettres, dont nous avons mentionné
les plus importantes; une homélie sur les Rogations, avec les
titres et quelques fragments de huit autres et quelques pas-
sages d'un sermon prononcé à l'ordination d'un évêque sur les
qualités et les devoirs qu'exige Fépiscopat ; puis six poëmes
en vers hexamètres, savoir : sur la création du monde, sur le
péché originel, sur le jugement de Dieu ou l'expulsion du
paradis, sur le déluge , sur le passage de la mer Rouge, enfin
sur l'éloge de la virginité. Les trois premiers, sur la création
du monde, le péché originel et le jugement de Dieu, formant
ensemble 1183 vers, peuvent être considérés comme un seul
ouvrage, qu'un profond littérateur moderne (2) n'a pas craint
d'appeler le Paradis perdu. Il est fort probable que le poëte
anglais n'ignorait pas l'ouvrage de S. Avite; peut-être lui doit-
il la première idée de son poëme et la sublimité de ses inspi-
rations : car, comme le fait observer le même écrivain , « l'a-
nalogie des deux poëmes est un fait littéraire assez curieux, et
celui de S. Avite mérite l'honneur d'être comparé de près à
celui de Milton ; » et, après avoir mis en regard la description de
l'Eden de S. Avite et celle de Milton, il ne craint pas d'avancer
que celle de S. Avite est plutôt supérieure qu'inférieure à
celle du poëte anglais : la description des beautés de la na-
ture lui parait à la fois plus variée et plus simple (3) .
Le même écrivain donne aussi de grands éloges au poëme
sur le déluge : la chute des eaux du ciel et l'agglomération
(1) C'est S. Adon de Vienne qui nous fait connaître cet ouvrage de S. Avite.
(2) M. Guizot. — (3) Hist. de la civil., xvme leçon, t. II, p. GG-77.
198 HISTOIEE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [524]
simultanée de toutes les eaux de la terre y sont décrites avec
beaucoup de vigueur et d'éclat. Les deux autres: le Passage
de la mer Rouge et l'Eloge de la virginité, sont inférieurs aux
précédents, quoiqu'on y trouve encore des passages remar-
quables. Ce dernier, en 666 vers, a été composé pour sa
sœur Fuscine , qui avait consacré sa virginité au Seigneur.
On y voit que son père Hésychius et sa mère Audentia
eurent quatre enfants, dont Fuscine était la dernière; que,
dès qu'elle eut l'âge de dix ans, ils la firent babiller de
blanc (1) comme une vierge consacrée à Dieu, et que plu-
sieurs des aïeux de Fuscine , aussi bien que son père et son
oncle, avaient été évêques, comme l'étaient ses deux frères.
Le plus illustre est S. Avite, qui fut tour à tour grand orateur,
théologien profond , controversiste habile et poëte remar-
quable : c'est certainement un des esprits les plus distingués
du ve siècle. L'Église honore sa mémoire le 5 février et celle
de S. Apollinaire évèque de Valence, son frère, le 5 octobre.
S. Avite était ami d'un autre Apollinaire, qui fut élevé
sur le siège d'Auvergne. C'était le fils de S. Sidoine , et celui
qui commandait les habitants de l'Auvergne contre Clovis à
la bataille de Touillé. S. Eufraise, évèque d'Auvergne, étant
mort quatre ans après Clovis, c'est-à-dire sur la fin de
l'année 51-5 , le peuple élut S. Quintien, qui avait été chassé
de Rodez ainsi que nous l'avons dit. Mais les intrigues de
quelques dames firent donner cet évêché à Apollinaire. Al-
cime et Placidine (2) , l'une sa sœur et l'autre sa femme ,
allèrent trouver Quintien et lui dirent qu'il devait se con-
tenter d'avoir déjà la qualité d'évêque et laisser le siège
d'Auvergne à Apollinaire, qui ne ferait rien dans son épisco-
pat que par ses ordres. Quintien répondit qu'il s'estimait trop
heureux de ce que l'Église d'Auvergne voulait bien le nour-
(1) On voit par laque l'habit blanc était celui des vierges. Il paraît par quel-
ques expressions de S. Jérôme que le voile, symbole de la pudeur, était rouge.
(2) Ces deux dames firent bâtir une église en l'honneur de S. Antholin, martyj
d'Auvergne,, dont nous avons parlé. — Greg. Tur., de Glor.'mart., 1. I, c. lxv.
[524] EN FRANCE. — LIVRE V. 199
rir, et qu'il lui suffisait d'avoir la liberté de vaquer à la prière.
Les^ deux dames sur cette réponse firent partir Apollinaire
pour la cour du roi Thierry. Il en obtint l'épiscopat à force de
présents ; mais il mourut trois (1) ou quatre mois après.
Thierry, ayant appris sa mort, donna Févêché à Quintien et
dit : « C'est à cause de son zèle pour notre service qu'il a été
chassé de son siège. » On voit ici que les rois francs se
croyaient avoir le droit déjà de confirmer le choix des évê-
ques et même de nommer aux évêchés. Les troubles insépa-
rables des élections les autorisaient à en agir de la sorte ;
mais souvent en fermant une porte à la brigue et à la simonie
on en ouvrait une autre (2).
Cependant l'Église , après la conservation du dépôt de la
foi , n'avait rien plus à cœur que le digne choix cle ses minis-
tres : c'était l'objet le plus ordinaire de ses canons. S. Césaire,
persuadé que ce point de discipline influait sur tous les au-
tres, tint à ce sujet un concile à Arles, à l'occasion de la
dédicace de l'église de la Vierge (3). On y décida de nouveau
qu'on n'ordonnerait pas de diacres avant l'âge de vingt-
cinq ans, ni de prêtres ou d'évêques avant l'âge de trente;
qu'aucun laïque ne serait promu à l'épiscopat , à la prêtrise
' ou au diaconat , qu'il ne se fût au moins écoulé quelque temps
depuis sa conversion ; qu'on n'ordonnerait pas les bigames ,
ni les pénitents, ni ceux qui ont épousé des veuves, et que
ceux qui recevraient des clercs vagabonds ou les protége-
raient contre leurs évêques seraient excommuniés. Ces canons
furent souscrits le 6 juin sous le consulat d'Opilion, c'est-à-
dire l'an 524 , par treize évêques et par les députés de cinq
absents. On y voit cinq des prélats qui avaient assisté au
(1) Grégoire de Tours, dans son Histoire, donne quatre mois d'épiscopat à Apol-
linaire ; il ne lui en doîme que trois dans la Vie de S. Quintien : c'est apparem-
ment que les quatre mois ne furent pas complets. Quelques auteurs honorent
de la qualité de saint cet Apollinaire : ce n'est pas l'idée que nous en donne Gré-
goire de Tours.
(2) Greg. Tur^ 1. III, ch. — (3) Conc. GalL, t. I, p. 207. — Apud Labb., t. IV,
p. 1G22.
200 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [524]
concile d'Epaone. Ils étaient devenus sujets des Goths, qui
avaient attaqué la Bourgogne d'un côté tandis que les Francs
l'attaquaient d'un autre.
L'objet des conciles n'est pas seulement défaire des lois;
il s'étend aussi à punir ceux qui transgressent celles qui ont
été faites : sans quoi l'autorité qui les a portées serait bientôt
avilie. Agrèce d'Antibes n'observa pas les règlements arrêtés
au sujet des ordinations dans le dernier concile d'Arles, où il
avait assisté par un député. S. Césaire, voulant prévenir les
suites de ce mauvais exemple, convoqua un concile à Carpen-
tras où cet évêque fut cité pour rendre compte de sa conduite.
Il refusa de comparaître, mais son refus n'empêcha pas de
procéder contre lui. Les Pères du concile, au nombre de seize,
lui écrivirent une lettre par laquelle ils le déclarent sus-
pendu pendant un an de la célébration des saints mystères,
pour avoir transgressé des décrets qu'il avait souscrits par
lui-même ou par son député (1). C'était la peine décernée par
le quatrième concile d'Arles contre les évêques qui ordonne-
raient des pénitents ou des bigames : on voit par là quelle
était la faute d' Agrèce.
Les Pères de ce concile ne firent qu'un canon, à l'occasion
des plaintes portées contre quelques évêques qui s'attri-
buaient toutes les donations faites aux paroisses par les fidèles,
à ce point qu'ils n'en laissaient presque rien à ces églises.
Le concile décide que si l'église de la ville où est le siège
épiscopal est assez riche , l'évêque ne prendra rien des do-
nations faites aux paroisses, et que ces donations seront
toutes employées aux réparations de ces églises ou à l'en-
tretien des clercs qui les desservent ; mais que si l'évêque a
peu de biens et est obligé de faire de grandes dépenses,
il ne laissera à ces églises particulières que ce qui est néces-
saire pour leur entretien et pour celui des clercs. On indiqua
le concile de l'année suivante à Yaison , pour le 6 novembre.
(1) Conc. Gall., t I, p. 213.— Labb., t. IV, p. ÏGG3.
|529| EN FRANCE. — LIVRE V. 201
Les actes du concile de Carpentras sont datés du môme jour
sous le consulat de Mavortius, c'est-à-dire l'an 527.
S. Césaire avait envoyé au pape les canons du dernier
concile d'Arles. Félix IV, qui avait succédé en 526 au saint
pape Jean Ier , loua son zèle et l'exhorta particulièrement à
veiller à l'observation des règlements faits contre les ordina-
tions prématurées des laïques. Sur quoi il lui rappelle ce
précepte de S. Paul à Timothée : N'imposez pas aisément
les mains à personne (1). « Car, ajoute-t-il, qu'est-ce qu'un
maître qui ne sait point les premiers éléments, et qu'un pilote
qui n'a point servi parmi les nautoniers? Celui qui n'a pas
appris à obéir ne sait pas commander (2). » La lettre est
datée du 3 février après le consulat de Mavortius , c'est-à-dire
l'an 528.
Le concile indiqué à Yaison pour l'an 528 ne s'y tint que
l'année suivante, le 6 novembre, et il y eut douze (3) évêques
qui s'y trouvèrent, à la tête desquels était S. Césaire. Ils
relurent les canons des conciles précédents et eurent la con-
solation de reconnaître que les évêques présents les avaient
fait observer. Cependant , pour ne se pas séparer, comme ils
le disent, sans faire quelques règlements, ils firent les canons
suivants.
I. Les prêtres qui sont dans les paroisses auront soin,
comme il se pratique en Italie, d'élever chez eux et d'ins-
truire de jeunes lecteurs qui puissent leur succéder ; on
laissera cependant la liberté de se marier à ceux qui seront
en âge.
IL Pour l'édification des Églises et l'utilité du peuple, les
prêtres auront le pouvoir de prêcher non-seulement dans les
villes , mais clans toutes les paroisses , et quand le prêtre ne
pourra pas le faire , on fera lire quelques homélies des saints
(1) I Timoth., v, 22. — (2) Conc. Gall., t. I, p. 214.
(3) Le P. Sirmond ne met qu onze évêques ; mais il avertit dans l'errata qu'il
faut ajouter un évêque nommé Aquitanus. — Concil. (iaW., t. I, p. 12G. — Apud
Labb., t. IV, p. 1G79.
202 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [529]
Pères par les diacres , puisque ceux qui sont dignes de lire
l'Évangile de Jésus-Christ ne peuvent pas être indignes de
lire les expositions qu'en ont faites les saints Pères (1).
III. Selon l'usage du Saint-Siège, de l'Église d'Italie et de
celle d'Orient , on récitera souvent Kyrie eleison à matines
(c'est-à-dire à laudes), à la messe et à vêpres, et le Sanctus à
toutes les messes , même en carême et à celles qu'on dit pour
les morts.
IV. On fera mention publiquement clans les Églises du nom
du pape qui occupe le Saint-Siège.
V. Pour confondre les impostures et les blasphèmes des
hérétiques, qui prétendent qu'il y a eu un temps où le Fils
n'existait pas, on ajoutera dans toutes les Églises au Gloria
Patri ces paroles : sicut erat in principio, etc. (2), selon la
coutume reçue non-seulement par le Saint-Siège, mais encore
par l'Orient, l'Afrique et l'Italie.
Comme la province d'Arles était soumise aux Goths, il
était plus nécessaire qu'ailleurs d'y prémunir les fidèles
contre les erreurs des ariens.
Trois mois avant le concile de Yaison, S. Césaire en avait
tenu un extraordinaire à Orange, où il avait donné le dernier
coup au semi-pélagianisme. Ce saint évêque voyait avec dou-
leur que cette hérésie se soutenait toujours dans les Gaules,
et que les livres de Fauste , quoique flétris parle Saint-Siège,
exerçaient encore quelque influence sur les esprits : il crut
devoir en donner le contre-poison. Il composa à ce dessein
sur la grâce et le libre arbitre un ouvrage où il recueillit sur
ces matières les témoignages des saintes Écritures et des
saints Pères. L'auteur des additions au Catalogne de Gen-
nadc assure que le pape Félix approuva cet écrit de S. Césaire.
Le saint évêque le composa apparemment à l'occasion des
(1) Jusque-là les cvêques seuls portaient ordinairement la parole dans les
églises.
(T) L'addition sicut erat in principio était fort propre à ce dessein , parce qu'elle
était la contradictoire de ce principe des ariens : Erat quando non erat.
[529] EN FRANCE . LIVRE V. 203
1 disputes qui s'élevèrent en Orient sur les livres de Fauste entre
! les moines scythes et Possesseur, évêquc d'Afrique, qui était
alors à Constantinople.
Césaire ne se contenta pas d'écrire contre les semi-péla-
giens , il les combattit plus efficacement en recourant à l'au-
torité du Saint-Siège. Le pape Félix lui envoya plusieurs
articles pour servir de règle sur les points en discussion. Cé-
saire les proposa et les fît souscrire dans le concile qui se tint
à Orange au commencement de juillet 529 , à l'occasion
de la dédicace d'une église que le patrice Libère, préfet
du prétoire dans les Gaules, avait fait bâtir. Les évêques
des villes voisines, au nombre de quatorze , et les seigneurs
laïques les plus distingués se rendirent à cette solennité.
S. Césaire, ami particulier de Libère (1), qu'il avait guéri mira-
culeusement d'une blessure mortelle, ne manqua pas de s'y
trouver, et il profita de cette occasion pour faire condamner
les erreurs du semi-pélagianisme. Hincmar (2) assure même
que ce fut en qualité de légat du Saint-Siège qu'il présida ce
concile, qui, par l'importance des matières qui y furent trai-
tées, est devenu un des plus célèbres conciles de l'Église gal-
licane (3).
Les évêques font connaître, dans la préface des actes, que,
s'étant assemblés pour la dédicace de la basilique que Libère
a fait bâtir et ayant conféré entre eux de la foi, ils ont appris
qu'un certain nombre de personnes , par simplicité sans
doute , n'ont pas sur la grâce et le libre arbitre des senti-
ments conformes à la règle de la foi catholique. « C'est pour-
quoi, ajoutent-ils, de l'avis et par l'autorité du Saint-Siège
apostolique, nous avons jugé à propos défaire observer et
de souscrire de notre main quelques articles que le Saint-
Siège nous a envoyés , et qui ont été recueillis sur ces ma-
tières par les sâmts Pères et tirés des saintes Écritures, pour
(1) Vit. Cœsarii. — (2) Hincm., de Prœdeslin., c. xii.— (3) Concil. Araus. II, t. II
Conc. Gall., p. 215. — Labb., t. IV, p. 1GGG.
204 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [529J
servir à l'instruction de ceux qui n'ont pas les sentiments
qu'ils doivent avoir. » Suivent vingt-cinq articles sur la grâce
et le libre arbitre , qui sont presque tous confirmés par quel-
que autorité de l'Écriture : nous en rapporterons les princi-
paux.
« I. Si quelqu'un dit que par la prévarication d'Adam
l'homme tout entier, c'est-à-dire corps et âme, n'a pas été
changé en un pire état ; mais qu'il n'y a que le corps qui soit
devenu sujet à la corruption, la liberté de l'âme demeurant
sans aucune atteinte , il est trompé par l'erreur de Pélage
et il contredit l'Écriture, etc.
« II. Si quelqu'un dit que la prévarication d'Adam n'a nui
qu'à lui seul et non à sa postérité , ou que la mort du corps,
qui est la peine du péché , a été seule transmise par un seul
à tout le genre humain , et non le péché même qui est la mort
de l'âme , il fait Dieu injuste et contredit l'Apôtre, etc.
« III. Si quelqu'un soutient que la grâce de Dieu peut être
donnée à la prière de l'homme , et que ce n'est pas la grâce
même qui fait que nous la demandons , il contredit ces pa-
roles du prophète Isaïe et cle l'Apôtre : Ceux qui ne me cher-
chaient point m! ont trouvé, et je me suis montré à ceux qui ne
me consultaient pas (1).
« IV. Si quelqu'un prétend que Dieu attend la volonté de
l'homme pour nous justifier du péché, et ne reconnaît pas que
c'est l'infusion ou l'opération du Saint-Esprit en nous qui fait
que nous désirons être justifiés, il contredit le Saint-Esprit,
qui dit par Salomon : La volonté est préparée par (2) le Sei-
çjneur; et ce que dit l'Apôtre : C'est Dieu qui nous fait vouloir
et exécuter selon sa volonté bienfaisante (3).
« Y. Si quelqu'un soutient que le commencement de la foi
(1) Isai. lxv, i; Rom. x, 20.
(2) Le concile cite ce texte selon la version des Septante, qui porte : 'E-rotu-dc^xai,
hélr,(j\.ç uapà Kvpîou, c'est-à-dire : Paralur voluntas a Domino. On lit dans notre Vul-
gate : Hauriet salutem a Domino, et cette leçon est autorisée par d'anciennes ver-
sions grecques et parle texte hébreu.
(3) Prov. vin, 36, juxta Septuag.; Philipp., n, 13.
[529] EN FRANCE. — LIVRE V. 205
aussi bien que l'accroissement (1) de cette foi... est en nous
naturellement , et non par un don de la grâce , il contredit la
doctrine de S. Paul, etc.
« VI. Si quelqu'un dit que la miséricorde estaccordée à ceux
qui croient, qui veulent, qui désirent, qui s'efforcent, qui
travaillent, qui demandent, qui cherchent, qui frappent,
sans la grâce, et ne reconnaît pas que c'est l'infusion et l'opé-
ration du Saint-Esprit qui nous fait croire, vouloir et faire
toutes ces choses comme il faut. . ., celui-là résiste à l'Apôtre.
« VII. Si quelqu'un affirme que par les forces de la nature
nous pouvons faire quelque bien concernant le salut de la vie
éternelle; penser, choisir comme il faut et consentir à la prédi-
cation de l'Évangile sans les lumières et l'inspiration du Saint-
Esprit, il est séduit par l'esprit d'hérésie.
« VIII. Si quelqu'un dit que les uns peuvent arriver à la
grâce du baptême par la miséricorde, et les autres par le libre
arbitre , qui est vicié clans tous les descendants du premier
homme, il montre qu'il est éloigné de la vraie foi. »
Les autres articles contiennent diverses sentences sur la
grâce, dont voici les plus remarquables.
IX. Quand nous faisons le bien, c'est Dieu qui opère en
nous et avec nous, afin que nous le fassions.
X. Les baptisés et les saints ont toujours besoin d'implo-
rer le secours de Dieu , pour pouvoir parvenir à une bonne
fin ou pour persévérer dans la bonne œuvre.
XL Dieu nous aime tels que nous serons par ses dons et
non tels que nous sommes par nos mérites.
XVIII. La récompense est due aux bonnes œuvres qui se
font; mais la grâce, qui n'est pas due, précède pour les
faire.
(1) Il n'est pas nécessaire d'avertir que la soixante-neuvième proposition du
P. Quesnel : La foi, l'usage, l'accroissement et la récompense de la foi, tout est un don
de la pure libéralité de Dieu, est bien différente de ce canon , et qu'elle a été juste-
ment condamnée : en effet, l'auteur en marquant que tout cela est un don de la pure
libéralité de Dieu, fait assez entendre qu'il exclut le mérite de la bonne action.
206 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [529)
XIX. La nature humaine ne pouvait se sauver, même dans
l'état d'innocence où elle avait été créée , sans le secours du
Créateur.
XX. Dieu fait en l'homme plusieurs biens que l'homme ne
fait pas ; mais l'homme ne fait aucun bien que Dieu ne lui
donne le pouvoir de le faire.
XXII. Personne n'a de son fonds que le mensonge, et si
l'homme a quelques traits de la vérité et de la justice , ils
viennent de cette source , dont nous devons avoir soif dans ce
désert.
Les Pères du concile d'Orange craignirent que l'hérésie pré-
destinatienne ne se prévalût , quoique sans raison , des ar-
ticles arrêtés contre les semi-pélagiens. C'est pourquoi, afin
de frapper en même temps une erreur encore plus dange-
reuse, ils ajoutèrent : « Nous croyons aussi , selon la foi
catholique , qu'après avoir reçu la grâce par le baptême , tous
ceux qui ont été baptisés peuvent et doivent avec le secours
de Jésus-Christ, s'ils le veulent, travailler fidèlement à rem-
plir tous les devoirs du salut. Et non-seulement nous ne
croyons pas qu'il y ait des hommes qui soient prédestinés au
mal par la divine puissance ; mais même , s'il y en a quel-
ques-uns qui soient infectés de cette erreur, nous leur disons
anathème. >» S. Césaire et treize autres évêques souscrivi-
rent ces articles le 3 juillet , et les firent souscrire par les
seigneurs laïques que la solennité de la dédicace avait attirés
à Orange.
Ces décisions trouvèrent quelques contradictions, et l'on
osa même attaquer la doctrine de S. Césaire. Les évêques de
la province de Vienne tinrent un autre concile à ce suj et à
Valence. S. Césaire ne put s'y rendre à cause de ses infir-
mités ; mais il y envoya plusieurs évêques , et entre autres
Cyprien de Toulon , qui se distingua par son érudition dans ce
concile , et montra « que l'homme ne pouvait entrer de lui-
même dans la voie du salut s'il n'était prévenu de la grâce ,
appuyant tout ce qu'il avançait de l'autorité des saintes Ecri-
[530] EN FBANCE. — LIVRE V. 207
tures (1). » C'est tout ce que nous savons au sujet de ce con-
cile de Valence ; encore paraît-il que c'est Cyprien de Toulon
qui se rend à lui-même ce témoignage. Mais Boniface II, qui
venait d'être élevé sur le Saint-Siège, termina bientôt ces
discussions.
S. Gésaire lui avait écrit par le prêtre Arménius, avant son
élévation au souverain pontificat, pour le prier d'agir auprès
du pape Félix et d'en obtenir les décrets qu'il avait sollicités
pour l'affermissement de la foi catholique. Boniface ne tarda
pas à les donner lui-même , en confirmant ce qui avait été
décidé à Orange au sujet de la nécessité de la grâce préve-
nante pour les bonnes œuvres et même pour le commence-
ment de la foi. « Tous me marquez, dit-il (2) dans sa ré-
ponse à S. Gésaire, que quelques évêques des Gaules recon-
naissent à la vérité que tous les autres biens viennent de la
grâce ; mais qu'ils attribuent à la nature , et non à la grâce ,
la foi par laquelle nous croyons en Jésus-Christ ; et vous sou-
haitez que, pour ôter tout sujet de doute, nous confirmions
par l'autorité du Saint-Siège la confession de foi que vous
leur avez opposée , et par laquelle vous définissez , selon la
foi catholique, que la vraie foi en Jésus-Christ et le com-
mencement de la bonne œuvre sont inspirés par la grâce
prévenante de Dieu. Plusieurs Pères, et surtout l'évêque
Augustin d'heureuse mémoire et nos prédécesseurs les pon-
tifes romains, ont démontré suffisamment cette vérité. C'est
pourquoi nous n'avons pas cru qu'il fût nécessaire de vous
faire une réponse plus étendue...
« Nous avons éprouvé une bien vive joie, continue le pape,
en apprenant que dans la conférence que vous avez eue avec
quelques évêques des Gaules , on a suivi la foi catholique en
définissant , comme vous le marquez , d'un commun consen-
tement , que la foi par laquelle nous croyons en Jésus-Christ
(1) Cyprian. Vita S. Cœsarii. — (2) Bonif. Epis t. ad Cœsarium , t. I Conc. Gall.,
p. 223. — Labb., t. IV, p. 1087.
208 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [530]
nous est donnée par la grâce divine , qui nous prévient, et en
ajoutant qu'il n'y a aucun bien selon Dieu , qu'on puisse
vouloir commencer, faire ou achever sans la grâce de Dieu ,
suivant ces paroles du Sauveur : Sans moi vous ne pouvez
rien (1)... C'est pourquoi, recevant votre confession de foi avec
l'affection convenable , nous l'approuvons comme étant con-
forme aux règles catholiques des Pères. »
Gésaire avait envoyé à Boniface la lettre d'un évêque qui
combattait ces sentiments. Ce pape croit inutile de le réfuter,
parce qu'il juge ce qu'il a dit suffisant pour confondre les autres
extravagances de l'erreur pélagienne. La lettre de Boniface est
datée du 25 janvier sous le consulat de Lampadius et d'Oreste,
c'est-à-dire l'an 530. Mais cette date est fausse, quant au mois
de janvier : car Boniface ne fut pas élu pape avant le mois
d'octobre de cette année. L'approbation du Saint-Siège donna
tant d'autorité au deuxième concile d'Orange, que les déci-
sions de quatorze évêques ont été reçues de toute l'Église
et sont devenues des règles de la foi, contre lesquelles
il n'a plus été permis de s'élever sans se déclarer héré-
tique.
Il ne paraît pas que les erreurs du semi-pélagianisme
aient pénétré dans les États des enfants de Clovis. La paix
dont la religion y jouissait n'y était troublée que par des
scandales domestiques, que leur ambition et leurs amours
criminelles y donnaient à leurs sujets. La mort de Clodomir
n'avait pas ralenti l'ardeur martiale de ces princes. Thierry
et Clotaire déclarèrent la guerre aux Thuringiens pour les
punir des horribles cruautés qu'ils avaient exercées sur les
Francs contre la foi des traités. Ils conquirent la Thuringe et
en ramenèrent un grand nombre de prisonniers de la pre-
mière noblesse. Clotaire emmena captive Radegonde, fille
de Berthaire et nièce d'Hermenfroi, rois de Thuringe. C'était
une jeune princesse d'une rare beauté. Son vainqueur, dés
qu'il la vit, devint son esclave.
(1) Joan. xv, 5.
[530] EN FRANCE. — LIVRE V. 209
Ce prince voluptueux, qui ne suivait d'autre règle que sa
passion, avait déjà, par un double inceste, épousé la veuve
de son frère Glodomir et la sœur de sa propre femme (1). Il
songea aussi à épouser Radegoncle ; mais comme elle était
encore trop jeune, il la fit élever avec soin à Athies en Ver-
mandois, jusqu'à ce qu'elle fût nubile (2). Les évêques étaient
obligés de gémir en silence de ces excès chez des princes
en qui le christianisme n'avait pas effacé un reste de bar-
barie ; nous en verrons des traits encore plus odieux .
Pendant que Thierry faisait la guerre en Thuringe, le bruit
se répandit qu'il avait été tué. Arcade, un des premiers séna-
teurs d'Auvergne et fils de l'évêque Apollinaire, dont nous
avons parlé, invita Childebert, roi de Paris, à s'emparer de
cette province. La conquête était belle et facile : on n'examina
point si elle était juste. Childebert, qui avait une armée prête
pour une autre expédition, se mit aussitôt en marche et se
présenta devant la ville d'Auvergne. Il en trouva les portes
fermées ; mais Arcade lui en ayant fait ouvrir une à la faveur
du brouillard, le prince se rendit maître de la ville et de
quelques autres places, qui suivirent l'exemple de la capitale.
On reçut bientôt la nouvelle que Thierry était plein de vie et
victorieux (3). Childebert ne laissa pas de mettre garnison
dans la ville d'Auvergne et se mit en marche pour une expé-
dition plus juste et plus glorieuse.
Amalaric, roi des Yisigoths, qui régnait dans la Septimanie,
avait épousé une fille de Clovis nommée Clotilde comme sa
mère et comme elle fort attachée à la foi catholique. Le roi
goth n'oublia rien pour engager la princesse franque dans
l'arianisme. Elle résista à ses caresses et à ses menaces. Il en
vint aux mauvais traitements : il permettait à la plus vile
(1) Clotaire épousa d'abord Ingonde, qui fut mère de Caribert, de Gontran et
de Sigebert. Celle-ci avait une sœur nommée Àregonde, qu'elle pria le roi de bien
marier. Clotaire, l'ayant fait venir et l'ayant trouvée à son gré, l'épousa et dit à
la reine : Je n'ai point trouvé pour votre sœur de meilleur parti que moi. Ce prince
épousa aussi Gondeuoa, veuve de Clodomir son frère, Radegonde et Valdetrude,
veuve de Tbibaud, son neveu. Aregonde fut mère de Chilpéiïc, (GitEG. Tdb.,
1. IV, c. in.) — {2) Vit. Radeg. — (3) Greg. Tur., 1. III, c. ix.
TOME II. 14
210 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [531]
populace d'insulter la pieuse reine lorsqu'elle allait à l'église
des catholiques. On porta l'insolence jusqu'à lui jeter de la
Loue et des ordures (1). La princesse le souffrit avec joie, per-
suadée que ces immondices se changeraient en autant de
pierres précieuses pour enrichir sa couronne. Sa patience et
sa constance ne rirent qu'irriter la fureur du prince hérétique :
l'esprit de secte est toujours violent. Amalaric, oubliant ce
qu'il devait à son rang et à son épouse, la frappa plusieurs fois
jusqu'à faire couler le sang de cette malheureuse princesse.
Alors la reine eut recours à Childebert, et, pour lui faire con-
naître l'excès des mauvais traitements qu'elle avait à souffrir,
elle lui envoya par un homme dévoué un mouchoir teint de son
sang. Childebert en fat vivement touché, et, ne prenant conseil
que de sa tendresse et de sa foi, il marcha en diligence à la
délivrance de sa sœur.
En passant par le Berri, il visita un saint ermite nommé Eu-
sise (2) et lui présenta cinquante pièces d'or. Le saint homme
refusa de les recevoir même pour les pauvres, et dit au roi :
« Prince, je n'en ai pas besoin, donnez plutôt cet argent à
quelqu'un qui en fasse des aumônes : il me suffit de prier le
Seigneur pour la rémission de mes péchés. » Puis il ajouta
par un esprit de prophétie : « Allez, grand roi, allez avec con-
fiance, vous marchez à la victoire. » Childebert fit donner l'ar-
gent aux pauvres, et promit que s'il revenait vainqueur il ferait
bâtir en ce lieu une église pour la sépulture de ce saint vieil-
lard. La prédiction fut accomplie. Childebert entra victorieux
dans Narbonne (3) et pilla les trésors d'Amalaric, qui fut tué
enfuyant, probablement par Theudis, son successeur : car ce
nouveau roi des Visigoths, ayant été assassiné quelques an-
nées après , se rendit justice à lui-même et recommanda
(1) Greg. Tur., 1. III, c. x.
(2) On le nomme en quelques lieux S. Eurice et en d'autres S. Isis.
(3) Greg. Tur., de Glor. conf., c. lxxxii. — Grégoire de Tours marque que cette
expédition se fit en Espagne; mais il donne ailleurs ce nom à la Gaule Narbon-
naise, parce qu'elle obéissait aux Gotlis maîtres de l'Espagne. Les autre? auteurs,
que nous suivons, placent la défaite d'Amalaric dans la Gaule.
}531| EX FRANCE. — LIVRE V. 211
instamment qu'on ne vengeât pas sa mort, parce qu'il avait
tué le chef de son peuple (1).
Childebert revint triomphant avec la reine Clotilde, sa
sœur, le plus précieux fruit de son expédition. Mais c'était un
fruit mûr pour le ciel : car la généreuse princesse mourut en
chemin des mauvais traitements qu'elle avait soufferts pour la
défense de sa foi. Son corps fut porté à Paris et enterré auprès
de celui de Clovis, son père. Nous verrons encore d'autres
princesses des Gaules se distinguer au milieu des nations
ariennes ou idolâtres par un courage pour la foi au-dessus
de leur sexe , mais bien cligne du sang des rois très-chré-
tiens (2).
Parmi le riche butin que Childebert rapporta de cette
guerre, il se trouva un grand nombre de vases sacrés, en-
levés apparemment aux églises ariennes. Il y avait soixante
calices, quinze patènes, vingt couvertures de livres des Évan-
giles, le tout d'or pur et garni de pierres précieuses. Childe-
bert ne voulut pas que ces vases fussent brisés ou appliqués
à des usages profanes : il en gratifia diverses églises de son
royaume.
A son retour, il fît bâtir sur les bords du Cher un monas-
tère à S. Eusise, qui lui avait prédit la victoire : ce monas-
tère est celui de Celles en Berri. Eusise était originaire de
Périgueux. La pauvreté avait obligé ses parents de le vendre à
l'abbé de Percy (3). Il servit quelque temps le monastère;
admis bientôt parmi les moines, il fut élevé à la prêtrise,
et obtint la permission de se retirer dans quelque lieu soli-
taire ; mais sa vertu et ses miracles lui attirèrent de nombreux
disciples (4). Il est honoré le 27 novembre. S. Léonard fut son
successeur dans le gouvernement du monastère de Celles.
A peine la guerre contre Amalaric eut-elle été terminée
(1) Isid. Hist. Gothor. — (2) Greg. Tur.; 1. III, c. x.
(3) Ce monastère est nommé en latin Patriciacus , et de Valois croit que
ce monastère est Percy ou Précy, prieuré du diocèse d'Autun dépendant de l'abbaye
de Fleury.
(4) Bibl. nov. Labb., t. II, p. 371.
212 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [531]
que Ghildebert et Glotaire entreprirent de reconquérir la-
Bourgogne , dont Godemare occupait encore la meilleure
partie, et ils allèrent mettre le siège devant Autun. Les Francs
du royaume de Thierry murmurèrent hautement de ce qu'on
ne les menait pas à une guerre si glorieuse à la nation.
Thierry (t), pour les apaiser, les conduisit contre les rebelles
d'Auvergne, qui n'étaient pas encore rentrés sous son obéis-
sance depuis l'expédition de Ghildebert , et il mit le siège
devant la capitale, résolu de la punir avec éclat, d'en raser
les murailles et d'exiler l'évèque, qui était S. Quintien. Ce bon
pasteur, plus alarmé du danger de son troupeau que de la
disgrâce dont lui-même était menacé, eut recours aux jeûnes
et à la prière. Il passait les nuits avec son clergé à faire des
processions autour des remparts en chantant des psaumes.
On vit bientôt qu'il avait intéressé le Ciel à sa cause.
Le roi Thierry eut un songe dont il fut tellement épouvanté
qu'il sauta à bas de son lit, et courut tout éperdu le long du
grand chemin sans savoir où ses pas le portaient. Hilpingue,
un de ses officiers, saisit cette occasion pour le porter à la clé-
mence et lui dit : « Prince, les murailles de cette ville sont bien
fortes ; elles sont défendues de toutes parts par des remparts
imprenables, je veux dire par les églises des saints qui les en-
tourent, et l'évèque de cette ville passe pour avoir un grand
pouvoir auprès de Dieu. Changez de résolution et promettez de
ne pas démolir la place. » Le roi suivit ce conseil : il pardonna,
et la douceur, plus efficace que la force, soumit la ville à son
autorité. Il marcha ensuite contre le château d'Outre. La justice
divine l'y conduisit pour punir les scandales d'un prêtre qui s'y
était retiré après avoir à plusieurs reprises gravement insulté
S. Quintien, son évêque. Il se nommait Procule et fut massacré
par les soldats francs aux pieds des autels qu'il avait profanés.
(!) Thierry, qui n'était pas fils de Ste Clotilde, n'avait pas les mêmes préten-
tions sur le royaume de Bourgogne. D'ailleurs il avait épousé une fille de
S. Sigismond : c'est ce qui l'empêcha apparemment de marcher à la conquête de
la Bourgogne.
|5M2] E\T FRANCE. LIVRE V. 213
Peu de temps après cette expédition de Thierry, S. Quintien
mourut dans une extrême vieillesse, que sa fermeté et sa
vertu rendirent encore plus respectable que ses années. On
remarque à son sujet qu'il n'eut jamais de respect humain à
l'égard des grands ni de mépris pour les petits, et qu'il
honorait les haillons d'un mendiant autant que la robe d'un
sénateur (1). Dès qu'il entendait un pauvre crier à sa porte, il
disait à ses clercs : « Allez vite lui porter à manger, c'est
peut-être Jésus-Christ lui-même. » Comme il accordait tout
aux pauvres, le Seigneur ne refusait rien à ses prières. On en
eut une preuve éclatante dans une grande sécheresse qui
menaçait l'Auvergne d'une famine. Le troisième jour des
Rogations avant l'Ascension, comme la procession était prête
à rentrer dans la ville, le clergé et le peuple pressèrent le
saint évêque de chanter lui-même une antienne pour obtenir
de la pluie, persuadés que Dieu en accorderait à sa prière. Il
se prosterna dans l'instant sur son cilice et pria longtemps
avec larmes ; puis, s'étant levé, il chanta comme il put l'an-
tienne : Lorsque le ciel sera fermé, et qiïil ne tombera pas de
pluie à cause des péchés de votre peuple, si, se convertissant, il
a recours à vous, exaucez-le, Seigneur, etc. (2). Sa faible voix
pénétra jusqu'au ciel, qui paraissait d'airain : l'air se couvrit
aussitôt de nuages , et il tomba une pluie abondante avant que
la procession eût regagné la ville. S. Quintien joignit à la piété
la science propre à un évêque : car il était fort versé dans les
saintes lettres. L'Église honore sa mémoire le 13 novembre.
S. Gai fut le successeur de S. Quintien, et il soutint par son
mérite la gloire d'un siège qui avait déjà donné tant de saints
évêques à l'Église des Gaules. Il était issu d'une des plus
nobles familles de l'Auvergne et même de la Gaule, et il des-
cendait par sa mère Léocadie de S. Epagathe, cet illustre
martyr de Lyon dont nous avons parlé. Les parents de Gai,
qui fondaient sur lui l'espérance de leur maison, voulurent
(1) Greg. Tur. VU. PP., c. iv. — (2) II Parai., vi. 2G.
214 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [5321
le marier à la fille d'un sénateur ; mais les charmes et les
avantages du monde ne purent le toucher. Il triompha des
caresses d'une mère qu'il aimait tendrement, et, pour assurer
sa victoire par une fuite glorieuse, il se réfugia dans le mo-
nastère de Cournon près de la ville d'Auvergne, suppliant
l'abbé de le recevoir au nombre de ses moines. L'abbé, avant
appris son nom et sa naissance, ne crut pas devoir l'admettre
sans le consentement de Georges son père. Ce vertueux séna-
teur fut attristé à la proposition qu'on lui en fit ; mais la piété
l'emporta clans son cœur sur la tendresse paternelle, il ré-
pondit : « C'est mon fils aîné : c'est pourquoi je voulais le
marier; mais si Dieu l'appelle à son service, que sa sainte
volonté soit faite plutôt que la mienne. » Ainsi l'abbé reçut
Gai et le fit clerc. Cette expression de Grégoire de Tours fait
croire que les abbés donnaient alors la tonsure cléricale (1).
Gai se distingua dans le monastère par sa régularité et par
le charme singulier de sa voix. S. Quintien, l'ayant entendu
chanter, l'attacha à son Église, et comme sa voix devenait de
jour en jour plus belle, on en parla au roi Thierry, qui le fit
venir à sa cour et l'aima comme son fils, aussi bien que la
reine. Gai accompagna ce prince dans un voyage à Cologne,
et il eut occasion d'y exercer son zèle. Il y avait encore dans
cette ville un temple des idoles, où l'on venait offrir des vœux
et des représentations de membres affligés de quelque mala-
die. Gai v mit le feu et le brûla. Les idolâtres en furent irrités
et le poursuivirent, pour le mettre à mort ; mais le roi les
apaisa. Gai regretta toujours de n'avoir pas eu le bonheur de
verser son sang pour une si belle cause, comme il le disait à
S. Grégoire de Tours, son neveu, qui rapporte ce fait (2).
Il était revenu en Auvergne lorsque S. Quintien y mourut.
Gai, qui jusqu'alors avait montré tant de mépris pour les
biens et pour les dignités, laissa entrevoir quelque désir de
l'épiscopat. On retrouve l'homme dans les plus grands saints,
(1) Greg. Tur. Vit. PP., c. vi. — Thomass., de ÎHscipk écoles. , 1. II, c. xxxix,
p. 1. — (2) Greg. Vit. PP., c. vi.
[532] EN FRANCE. — LIVRE V. 215
Dieu le permettant ainsi pour leur humiliation et pour notre
instruction. Voyant clone les mouvements que l'on se donnait
pour l'élection d'un évêque, il dit : « Ils ont beau faire, c'est
moi qui le serai. » Il partit aussitôt, d'après le conseil d'un
prêtre qui était son oncle, pour porter au roi la nouvelle de
la mort de S. Quintien. Gomme il arrivait à Trêves, S. Aprun-
cule, évêque de cette ville, venait de mourir. Le clergé, qui
avait connu Gai pendant son séjour à la cour, alla en corps
prier le roi de le leur donner pour évêque. Le prince répondit :
« Choisissez-en un autre: j'ai sur Gai d'autres vues. » Sur ces
entrefaites des clercs d'Auvergne vinrent présenter l'acte d'une
élection, qu'ils accompagnèrent de grands présents (1). Car,
dit Grégoire de Tours, cette malheureuse coutume s'était déjà
introduite que les rois vendissent Pépiscopat, et que les clercs
l'achetassent. Thierry leur annonça que le diacre Gai serait
leur évêque, et le prince, l'ayant fait ordonner prêtre, donna
un festin au peuple en réjouissance de sa nomination. C'est
pourquoi Gai disait souvent en plaisantant, que l'épiscopat ne
lui avait coûté qu'un tiers de sou, qu'il donna au cuisinier qui
avait préparé le repas. Le roi le fit accompagner par deux
évêques jusqu'à la ville d'Auvergne. Il y fut reçu au chant
des psaumes et ordonné évêque vers l'an 532 (2).
Thierry fit élire évêque de Trêves S. Nicet, qui fut un des
plus dignes prélats de son temps, et que Dieu sembla avoir
suscité pour l'opposer comme un mur d'airain aux passions
déréglées des grands de la terre (3). Il parut dès sa naissance
que le Ciel l'avait destiné à la cléricature. Car il naquit, dit
Grégoire de Tours, avec une couronne de petits cheveux au-
tour de la tête : ce qui fait juger que clans ce temps-là,
c'est-à-clire au commencement du vie siècle , la tonsure des
(1) C'est l'origine de la simonie, qui causa tant de troubles dans l'Église.
(2) Fleury, t. VII, p. 354, dit que S. Gai fut ordonné vers l'an 527 ; mais nous
avons \\\, selon Grégoire de Tours, que S. Quintien était encore évêque d'Auver-
gne lorsque Thierry fit la guerre pour soumettre les rebelles de cette province
<$n 532.
(3) Greg. Vit. PP., c. xvn.
216 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [532]
clercs était semblable à celle que portent aujourd'hui la plu-
part des moines. Ses parents eurent grand soin de le faire
élever dans la piété et dans l'étude des lettres. Ils le mirent
ensuite sous la conduite d'un abbé, et il fit de si grands
progrès qu'il fut jugé digne de lui succéder dans le gouver-
nement du monastère. Nicet joignit dans l'exercice de cette
charge une grande fermeté à une rare prudence, deux talents
dont l'union est nécessaire pour bien gouverner. Gomme il
savait que les péchés de paroles sont les plus fréquents dans
les communautés religieuses, il recommandait surtout à ses
moines de n'en jamais proférer d'oiseuses, mais de n'ouvrir
la bouche que pour glorifier le Seigneur. Il reprenait même
avec une sainte liberté les vices du roi Thierry, et ce prince,
qui avec de grands défauts avait de la droiture, ne s'en offen-
sait pas. Ce fut au contraire ce qui l'engagea à l'élever à l'é-
piscopat : car si les grands n'aiment pas ceux qui osent leur
dire la vérité, ils ne peuvent leur refuser leur estime.
Pendant que Thierry soumettait les rebelles d'Auvergne
comme nous l'avons dit , Childebert et Glotaire achevaient
de réduire sous l'obéissance des Francs ce qui restait à con-
quérir du royaume de Bourgogne. Mais ces deux princes ter-
nirent par un horrible attentat la gloire d'une si belle con-
quête : les crimes les plus odieux semblent ne rien coûter
à ceux que l'ambition aveugle, lorsqu'un royaume en est le
prix.
Clodomir avait laissé en mourant trois enfants fort jeunes
et presque au berceau, savoir : Théobald ou Thibauld, Gon-
thaireet Clodoald ou Cloud. La reine Glotilde, leur aïeule, prit
soin de leur éducation et revint avec eux à Paris, pour être
plus à portée de soutenir les intérêts de ces princes orphelins
auprès des rois leurs oncles et leur faire restituer les États
de leur père. Childebert, roi de Paris, ayant pressenti le dessein
de Glotilde, envoya secrètement prier Glotaire, roi de Sois-
sons , de se rendre à Paris pour y traiter ensemble des
moyens de s'opposer aux desseins de cette princesse relative-
[533] EN FRAA'CE. — LIVRE Y. 217
ment aux enfants de Clodomir. Clotaire s'y rendit en dili-
gence, et Childebcrt fît courir le bruit qu'il n'avait souhaité
cette entrevue que pour remettre les jeunes princes sur le
trône de leur père. Les deux rois, s'étant concertés ensemble,
firent prier Glotilde de leur envoyer les enfants de Clodomir ,
afin, disaient-ils, de les faire reconnaître solennellement
pour rois. La pieuse reine ne pouvait recevoir une nouvelle
qui lui fût plus agréable. Elle envoya aussitôt les jeunes
princes en leur disant : « J'oublierai que j'ai perdu mon fils
si je vous vois régner en sa place. » Mais sa joie fut de courte
durée.
A peine les trois princes étaient-ils entrés dans le palais,
qu'on se saisit d'eux et qu'on les sépara de leurs gouver-
neurs et cle tous ceux qui étaient à leur service. En même
temps Childebert et Clotaire envoyèrent Arcade, ce sénateur
d'Auvergne dont nous avons parlé, présenter de leur part à
Clotilde une paire de ciseaux et une épée nue , afin qu'elle
choisît une des deux pour ses petits-fils et qu'elle déclarât
par ce choix si elle aimait mieux qu'on les fit mourir ou
qu'on leur coupât les cheveux : ce qui aurait été une marque
qu'ils étaient réduits au rang de sujets (1). Clotilde, saisie
d'horreur et toute hors d'elle-même à une proposition si peu
attendue, répondit dans le premier mouvement de son indi-
gnation qu'elle aimait mieux les voir morts que tondus.
Arcade n'attendit pas d'autre réponse et courut dire aux
deux rois que la reine consentait qu'ils exécutassent leur
dessein. Aussitôt Clotaire, prenant Théobald, l'aîné des trois
princes, le jeta contre terre et lui enfonça un poignard dans
le cœur (2). A ce spectacle Gonthaire, qui n'avait guère que
(1) Greg. Tur. — Agatbiasclit que parmi les Francs c'était un privilège de la fa-
mille royale de porter les cheveux longs : ce qu'on ne permettait pas aux sujets,
qui devaient avoir la chevelure tondue en rond.
(2) Comme Grégoire de Tours raconte le massacre de ces trois princes après
avoir parlé de la guerre de Bourgogne, le P. Daniel, que nous avons suivi, rapporte
ce tragique événement à l'an 533. Mais il n'a pas fait réllexion qu'en prenant ce
parti il n'a pu dire que le second de ces princes n'avait que sept ou huit ans,
puisque Clodomir, son père, mourut l'an 524, comme le marque cet historien sur
218 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [533]
neuf ans, courut embrasser les genoux de Childebert en lui
criant : « Sauvez-moi , mon cher père , empêchez qu'on ne
me tue comme mon frère. » Childebert fut attendri des maux
mêmes dont il était le premier auteur, et dit à Glotaire, lesyeux
baignés de larmes : « Mon cher frère , accordez-moi la vie de
cet enfant, et je vous céderai tout ce que vous me demande-
rez. » Mais Clotaire,- transporté de fureur et tenant le poignard
encore dégouttant de sang, lui dit : « Il mourra, ou tu mour-
ras pour lui. C'est toi qui m'as engagé dans cette affaire, et tu
manques sitôt à ta foi ! » À ces mots Childebert lui rejeta le
jeune prince, que Clotaire poignarda aussitôt. Des hommes
de cœur sauvèrent Clodoald ou Cloud, le plus jeune ; mais
ces deux meurtres ne suffirent pas aux deux rois, qui, les
mains teintes du sang de leurs neveux, massacrèrent en-
suite les gouverneurs et tous ceux qui étaient attachés
à ces malheureux princes. Exemple bien tragique des fu-
reurs d'une passion également sourde à la voix de la reli-
gion et à celle de la nature. C'est ainsi que la prophétie du
saint abbé de Mici se vérifia sur les deux enfants deClodomir.
Ste Clotilde fut inconsolable d'une action si barbare com-
mise par ses propres enfants. Pour soulager sa douleur, elle
lit faire aux deux princes de magnifiques funérailles. Un
nombreux clergé y chanta des psaumes, et elle accompagna le
convoi jusqu'à l'église des Saints-Apôtres, qui fut depuis celle
de Sainte-Geneviève, où ils furent enterrés dans le même sé-
pulcre auprès de Clovis, leur aïeul. Clotilde retourna ensuite à
Tours, pour y pleurer, auprès du tombeau de S. Martin, la
mort de ses petits-fils et encore plus le crime de ses enfants.
Ce désastre devint pour Clodoald , échappé au massacre,
la source du plus solide bonheur. Le premier usage que ce
l'autorité de la Chronique de Marius. S. Cloud, le dernier de ces princes, devait
être âgé en 533 de sept ou liait ans : car il fut ordonné prêtre par Eusèbe, évêque
de Paris, à qui S. Germain succéda l'an 555. On sait que suivant l'usage de ce
temps- là il fallait avoir trente ans pour être promu à la prêtrise. Si l'on veut
s'en tenir à l'âge que Grégoire de Tours donne à ces princes, il faut fixer à ce
massacre une date antérieure.
33] EN FRANCE. — LIVRE V. 219
une prince fit de sa raison et de la grâce qui l'cclairait, fut
3 mépriser une couronne qui l'exposait à tant de périls pour
cher d'en mériter une immortelle, que l'ambition n'envie
Dint et qu'elle ne peut enlever. Il se coupa lui-même les
îeveux et se retira auprès d'un saint solitaire nommé Séve-
n, qui vivait retiré dans une cellule près de Paris. li pratiq-
ua quelque temps avec lui les exercices de la vie monas-
que. Mais la crainte qu'il eut que les rois ses oncles ne lui
ordonnassent pas l'estime et les respects que sa naissance et
»s malheurs lui attiraient, l'obligea à chercher un asile dans
, Provence, hors de leurs États. Il revint ensuite à Paris,
î l'évêque Eusèbe l'ordonna prêtre à la prière de tout le
îuple. Clodoald , après avoir servi cette Église quelques
mées, se bâtit un monastère sur la Seine à deux lieues de
iris, dans un village alors nommé Nogent, où il mourut
us célèbre encore par ses miracles et sa sainteté que par
, naissance et les disgrâces de sa famille (1). Son monastère
îvint depuis une église collégiale, où reposait son corps,
village de Nogent n'est plus connu que sous le nom de
lint-Cloud (2). L'Église honore sa mémoire le 7 septembre;
est le premier saint du sang de nos rois. Les reliques de
Sé vérin, dont on vient de parler, furent portées à Notre-
ime de Paris ; il est honoré le 24 novembre (3- .
Les rois francs voulurent, selon toute apparence, en proté-
iant la religion réparer en quelque sorte, le scandale qu'ils
înaient de donner à leurs sujets. Ils ordonnèrent aux évê-
îes de se rendre à Orléans pour y faire les règlements né-
issaires au rétablissement de la discipline. Ceux qui ne rés-
ident aucunes lois ont quelquefois du zèle pour les faire res-
(t) Vit. Clodoaldi.
[2) Dans uu ancien ma^rtyrologe de la bibliothèque de la maison d'Ottoboni,
Cloud est nommé roi et confesseur : les anciens auteurs appellent souvent rois
fils de rois.
13) Le Martyrologe d'Usuard p'ace Ja fête de S. Séverin le 23 novembre, et le
•rtyrolocje romain, le 27 du même mois. Ce n'est pas à lui qu'est dédiée l'église
roissiale de Saint-Séverin de Paris, comme l'a cru le P. Lecointe : c'est à S. Se-
rin de Château-Landon, qui avait guéri Clo> is.
220 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [533
pecter aux autres. Il se tint donc un second concile en cetti
ville, et l'on y fît les canons suivants, qui sont datés di
23 juin de la vingt-deuxième année de Childebert, c'est-à-dir
l'an 533 (1). - I
I. Aucun évêque appelé par son métropolitain aux concile
et aux ordinations ne se dispensera d'y assister.
II. Le métropolitain tiendra tous les ans le concile de 1
province.
III. L'évêque ne recevra rien pour les ordinations.
IV. On rejettera comme un réprouvé celui qui, par une dé I
testable ambition, tâche d'obtenir Tépiscopat à prix d'an
gent (2). I
Y-YI. L'évêque appelé pour les funérailles d'un autr
évêque ne refusera pas d'y aller , et il ne recevra rien sino:
les frais de son voyage. Il assemblera les prêtres, et, aprè
avoir fait avec eux l'inventaire delà maison de l'Eglise, ill
laissera à la garde de personnes sûres, afin que ce qui appaij
tient à l'Église ne se perde point.
On voit par ce canon que les meubles de l'évêque décéd
étaient conservés pour le successeur.
YII. Le métropolitain, suivant les anciens canons, sera él
par les évêques de la même province avec le clergé et ]j
peuple, et il sera ordonné par ses évêques suffragants &
semblés.
VIII. Le diacre qui s'est marié dans la captivité, s'il est r<
mis en liberté, sera privé des fonctions de son ministère.
IX. Défense à tout prêtre de demeurer avec des laïque:
sous peine d'être privé des fonctions du sacerdoce.
Ce canon est remarquable et fait voir que les prêtres dt
meuraient seuls ou avec d'autres clercs dans une espèce d t
communauté.
X. Il est défendu sous peine d'anathème d'épouser sa belle
mère.
(1) Conc. GalL, t. I.— Labb., t. IV, p. 1770. — (2) L'Église n'a pas manqué <
s'opposer à la simonie dès sa première apparition.
J Î3] EN FRANCE. LIVRE V. 221
XI. L'infirmité, quelle qu'elle soit, qui survient après le ma-
Iige contracté n'est pas une raison pour le dissoudre.
XII. Il est défendu d'accomplir des vœux dans les églises
1 chantant, en buvant ou en commettant d'autres immodes-
!S, plus propres à irriter Dieu qu'à l'apaiser.
Ces excès étaient des restes des superstitions païennes,
l'on eut bien de la peine à extirper entièrement.
XIII. Il est interdit aux abbés, à ceux qui gardent les tom-
aux des martyrs, aux reclus et aux prêtres de donner des
ttres de communion.
XIV. Les clercs qui négligent leur office ou qui refusent de
trouver à l'église à leur rang seront dégradés.
XV. On recevra les offrandes pour les morts qui ont été
és dans la perpétration de quelque crime, pourvu qu'ils ne
: soient pas donné la mort eux-mêmes.
XVI. On n'ordonnera pas prêtre ou diacre celui qui n'a
icune teinture des lettres ou qui ne sait pas administrer le
tptême.
XVII -XVIII. Si les femmes qui ont été ordonnées diaco-
ssses contre la défense des canons se remarient, elles se-
mt excommuniées. Et on renouvelle la défense d'ordonner
3s diaconesses, à cause de la fragilité de ce sexe.
XIX. Les mariages avec les Juifs sont défendus, sous peine
'excommunication .
XX. Les catholiques qui retournent au culte des idoles ou
ui mangent des viandes immolées, sont excommuniés, aussi
ien que ceux qui mangent de la chair des animaux mis à
îort par les morsures des bêtes, ou morts de maladie, ousuf-
)qués par quelque accident.
On crut encore longtemps après en quelques Eglises devoir
arder ces observances de la loi mosaïque.
XXI. On ne recevra pas à la communion les abbés qui se
nontrent rebelles aux ordres des évêques.
Vingt-six évêques assistèrent en personne à ce concile , et
inq par députés. Il parait probable qu'Honorât de Bourges,
222 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [533]
qui souscrivit le premier, y présida. Les autres métropolitains,
qui sont : S. Flavius ou Fliu cle Rouen, successeur de S. Gil-
dard, S. Léon de Sens, Injuriosus de Tours, S. Julien de
Vienne, Aspais d'Eauze, ne gardent aucun rang dans les sous-
criptions (1). Injuriosus de Tours avait succédé à Francilion,
qui, ayant demandé à boire la veille de Noël avant d'aller à
matines, fut empoisonné et mourut sur-le-champ. Il aviat
tenu ce siège après Léon, loué pour son adresse à travailler
en bois et en orfèvrerie. Léon succéda à Ommatius, et celui-ci
à Dinisius, qui gouverna l'Église de Tours après les deux
évêques bourguignons dont nous avons parlé (2). Tous ces
prélats tinrent peu de temps ce siège. S. Julien de Vienne
était successeur de S. Avite. Il est honoré le 22 avril. Sa pré-
sence à ce concile est une preuve qu'une bonne partie de la
Bourgogne était dès lors soumise aux Francs.
Parmi les autres évêques du second concile d'Orléans, les
plus distingués sont : S. Lô de Goutances, qui après la mort de
Possesseur fut ordonné évêque de cette ville par S. Gildard;
S. Eleutlière d'Auxerre (3), Eumérius de Nantes, S. Innocent
du Mans, S. Agrippin d'Autun, S. Gai d'Auvergne, qui pareil
avoir été presque le seul évêque des États de Thierry qui ait
assisté à ce concile , et encore il s'y fît représenter par un
député, ainsi que S Léon de Sens, dont l'Église célèbre la
fête le 22 avril. C'est avec ce dernier que S. Rémi eut le dé-
mêlé dont nous avons parlé.
(1) Fleury, t. VIT, p. 352, dit que les souscriptions de ce concile montrent
qu'on y suivait le rang de l'ordination, sans égard à la dignité des sièges. Mai*
elles font voir au contraire qu'on ne suivait nullement le rang de l'ordination. Car
Clironope de Périgueux, qui souscrit après Honorât de Bourges, Léonce d'Or-
léans, Aspais d'Eauze et Eleutlière d'Auxerre, était certainement plus ancien
dans l'épiscopat que ces évêques , puisqu'il assista au premier concile d'Orléans
avec leurs prédécesseurs.
(2) Greg. Tur., 1. X, c. ult. — Dans un autre endroit de son histoire il arrange
autrement cette succession des évêques de Tours : nous avons cru devoir suivre
ce qu'il en dit quand il en traite e.r pfofesso.
(o) Le Martyrologe romain honore la mémoire de S. Éleuthère d'Auxerre ie
1G août. Il est surprenant que les frères de Sainte-Marthe ne lui donnent pas la qualité
de saint. S. Eleuthère avait succédé à S. Droetald, et celui-ci à S. Optât, qui tint
le siège api*ès Grégoire successeur de S. Théodose, dont nous avons parlé.
533] EM FRANCE. — LIVRE V. 223
Ce saint évêque était mort dès le commencement de cette
| innée 533. Ii fit, étant encore en pleine santé, un testament
jtii nous a été conservé et qui passe pour une pièce authen-
tique selon l'édition que Labbe en a donnée (1). Remi y
nstitue ses héritiers l'Église de Reims , Loup évêque de
boissons et le prêtre Agricole, tous deux ses neveux. Entre
mtres choses, il lègue à l'Église de Reims et à celle de Laon
lin grand vase d'argent pesant dix-huit livres, pour en faire
| les calices et des patènes. Il ajoute en parlant à l'Église de
Ifteims : « Je vous lègue aussi un autre vase que m'a donné
e roi Glovis de glorieuse mémoire, que j'ai levé des sacrés
ï font s, et je veux qu'on en fasse un ciboire (2) et un calice
sculpté, ce que je ferai exécuter par moi-même si le Seigneur
ne conserve la vie. » Gomme ce calice devait servir pour la
hommunion du peuple, il ordonna qu'on y gravât trois vers
Latins qu'il avait fait mettre sur un vase de l'Église de Laon.
Ils sont une trop belle preuve de la foi de l'Église sur le chan-
I Renient du vin au sang de Jésus-Christ pour les omettre ; les
iiroici :
Hauriat hinc popuhts vitam de sanguine sacro,
Injectn œternus quem fudit vulnere Christus.
Remigius reddit Domino sua vota sacerdos.
Test-à-dire : « Que le peuple puise la vie en buvant (3) le
sang sacré que Jésus-Christ a versé de ses plaies. L' évêque
Remi accomplit les vœux qu'il a faits au Seigneur. » Hincmar
ajoute que ce calice s'était conservé jusqu'à son temps, qu'il
fut fondu alors pour payer aux Normands la rançon des captifs.
S. Remi donne au prêtre Agricole, son neveu, une vigne, à la
charge de faire pour lui une offrande à l'autel les fêtes et les
(t) Testant . S. Remig., t. I Biblioth. nov. Labb., p. 806.
(2) Il y a dans plusieurs exemplaires turriculuvu Je crois qu'il faut lire tur-
riculam, une petite tour, c'est— à-dire un ciboire : on nommait ainsi les ciboires à
^ause de leur forme. Dans quelques éditions on lit thuribulum, un encensoir.
(3) Le peuple, pour la communion, buvait le sang de Jésus-Christ au moyen d'un
siphon d'or ou d'argent placé dans le calice.
224 HISTOIRE DE l/ÉGLISE CATHOLIQUE [533]
dimanches, et de donner tous les ans un festin aux prêtres
et aux diacres de l'Église de Reims. Il charge un autre de ses
neveux d'en donner aussi un tous les ans aux prêtres et aux
diacres de l'Église de Laon. Cette dévotion de fonder des fes-
tins à certains jours pour les chanoines ou pour les moines
devint fort en usage dans les siècles suivants. S. Remi lègue
huit sous à l'Église de Soissons, six à celle de Chàlons et
cinq à celle de Mouson. On voit par le nombre des legs que
'ce saint évêque était fort riche en terres et en esclaves.
Peu de temps après que S. Remi eut fait ce testament, il
perdit la vue. Cette affliction redoubla sa ferveur et acheva
de le détacher de la terre ; mais il eut la consolation de recou-
vrer l'usage des veux avant sa mort. Il voulut être enterré dans
l'église dédiée aux SS. Timothée et Apollinaire : c'est pourquoi
il ajouta à son testament un codicille par lequel il léguait un
vase d'argent à cette église, parce qu'il y avait choisi sa sé-
pulture. Il mourut dans une extrême vieillesse, le 13 jan-
vier 533, âgé de quatre-vingt-seize ans et après soixante-qua-
torze ans d'épiscopat. Sa fête se célèbre le 1er octobre, jour
de la translation de ses reliques. La reconnaissance des
Francs, qui l'ont regardé avec raison comme l'apôtre de la
nation, et les miracles opérés à son tombeau ont rendu sa
mémoire très-précieuse à l'Église de France.
A ne considérer que les talents naturels de S. Remi, il pour-
rait encore passer pour un des plus grands hommes de son
temps. On loue particulièrement en lui une éloquence égale-
ment solide et brillante, qui le rendait maître des cœurs. Il en
donna des preuves dans un recueil de harangues, ou, comme
on disait alors, de déclamations , qu'il rendit public. Cet ou-
vrage est perdu; mais S. Sidoine, bon connaisseur, nous en
donne la meilleure idée dans une lettre par laquelle il en
félicita l'auteur en ces termes (1) :
« Un de nos concitoyens, qui a fait un voyage à Reims,
(1) Sid., 1. IX, Epist. vu.
[533] EN FRANCE. — LIVRE V. 225
a obtenu do votre libraire ou de votre copiste un exemplaire de
vos discours. Nous nous mîmes aussitôt, moi et tous ceux
qui aiment les belles-lettres, à en apprendre par cœur une
partie et à transcrire le tout. Nous sommes convenus una-
nimement que peu de personnes ont aujourd'hui le talent
d'écrire delà sorte. Et de fait, il y a fort peu d'orateurs,
et peut-être il n'y en a aucun qui s'empare si bien de son
sujet, qui l'arrange et le compose avec tant d'art. On trouve
en vos écrits de la justesse dans les exemples, de la fidélité
dans les citations , de la propriété dans les épithètes , de l'élé-
gance dans les figures, du poids dans les preuves, de la
force dans les pensées , de l'abondance dans les termes :
c'est un fleuve qui coule ; de la véhémence dans les pérorai-
sons : c'est une foudre qui frappe. Ajoutez à cela que tout le
discours forme un corps dont toutes les parties, bien propor-
tionnées , se tiennent et sont liées par de belles transitions :
ce qui rend votre style poli comme une glace de cristal.
Enfin, je puis hardiment assurer qu'il n'y a point d'homme
sur la terre si éloquent que vous ne puissiez surpasser sans
peine. C'est pourquoi, seigneur évêque, je crains presque
qu'un don si rare ne vous inspire quelque orgueil ( par-
donnez-moi ce terme) ; mais quoique vous ayez la conscience
aussi pure que la diction, vous ne devez pas nous mépriser.
Si nous écrivons mal, nous savons estimer ce qui est bien
écrit.»
Grégoire de Tours rend le même témoignage que S. Sidoine
à l'érudition et à l'éloquence de S. Remi (1). Il est bien glo-
rieux pour la religion que les plus grands saints aient sou-
vent été les plus grands hommes et les plus beaux esprits
de leur siècle. Quant au commentaire sur les Épîtres de
S. Paul attribué communément à S. Remi, il est certaine-
ment d'un auteur beaucoup plus récent , et probablement de
Remi d'Auxerre ou d'Haimon d'Halberstadt.
(1) Hïsf., 1. II, c. xxxi.
TOME II.
io
226 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [533]
S. Romain, abbé de Mantenai près de Troyes, fut succes-
seur de S. Remi; mais il occupa peu de temps ce grand siège,
qui avait acquis un nouvel éclat par l'épiscopat de son pré-
décesseur. Hincmar assure que le pape Hormisdas donna à
S. Remi la qualité de légat et de vicaire du Saint-Siège dans
le royaume de Clovis (1). L'estime dont jouissait S. Remi dans
l'épiscopat , et les égards que les papes devaient avoir pour
un protecteur de l'Église aussi zélé que l'était Clovis , rendent
cette assertion probable. Mais il faut reconnaître que la lettre
d'Hormisdas à ce sujet , rapportée par Hincmar, fait naître une
grande difficulté. On y parle de Clovis comme étant encore
vivant , et cependant ce prince était mort avant qu'Hormisdas
fût élevé sur le Saint-Siège. La difficulté disparaît si l'on
suppose qu'Hincmar ne s'est trompé qu'en attribuant à Hor-
misdas un privilège accordé par Symmaque,
Un seigneur franc d'une rare piété nommé Àrnoult , qui
s'était séparé de sa femme pour vivre dans la continence,
ayant appris la mort de S. Remi, qui l'avait baptisé et élevé, i
vint à Reims pour être témoin des miracles qui s'opéraient
à son tombeau. Mais il fut assassiné par les domestiques de sa
femme , qui voulurent la venger à son insu du prétendu mé-
pris qu'il faisait d'elle. Il est honoré comme martyr le 18 juillet
dans une petite ville du diocèse de Versailles appelée de son
nom Saint- Arnoult. On ajoute à ce que nous venons de rappor-
ter qu' Arnoult avait été ordonné évêque de Tours, et que pen-
dant qu'on rapportait son corps de Reims à Tours , il s'arrêta
miraculeusement à l'endroit auquel on a depuis donné son
nom. Mais s'il avait été évêque de Tours, il est difficile de
croire que S. Grégoire de Tours eût ignoré ce fait, ou qu'en
faisant l'histoire de ses prédécesseurs il eût omis de parler
d'un évêque qui par sa noblesse, sa piété et son martyre
devait faire honneur à son Église. Nous n'osons cependant
nous prononcer, parce que d'anciens bréviaires donnent à
(1) Hincm. Vit. Remiy.
[533] EX FRANCE. — LIVRE V. 227
S. Arnoult la qualité d'évêque de Tours. Scariberge, sa femme,
est aussi honorée comme sainte.
Un autre seigneur du diocèse de Reims , nommé Attole ,
ami particulier de S. Remi, mérite bien que l'Église conserve
sa mémoire dans ses annales (1). Il fonda de ses biens jusqu'à
douze hôpitaux, comme l'attestait son épitaphe. Flodoard
rapporte que de son temps on la voyait encore sur le frontis-
pice de l'église de Saint- Julien. Il est d'usage de mentionner
sur les mausolées des grands les terres dont ils ont été les
seigneurs : on les louerait beaucoup mieux si Ton pouvait
narquer celles qu'ils ont données aux pauvres.
S. Thierry, ce fidèle disciple de S. Remi, ne lui survécut
jas longtemps. Il mourut le 1er juillet vers l'an 533, après
I s'être rendu célèbre dans le royaume d'Austrasie par un
j^rand nombre de miracles. Le roi Thierry, ayant appris sa
nort , se rendit en diligence à son monastère et voulut lui-
[nême porter le corps jusqu'au lieu de la sépulture. La recon-
naissance n'eut pas moins de part que la piété à ces devoirs,
"e prince, qui était en danger de perdre un œil , avait été guéri
I )ar ce saint abbé et il donna par reconnaissance la terre de
iermigny à son monastère. On assure aussi que le même saint
ressuscita la fille du roi en lui faisant des onctions avec le
i haint chrême. Les plus anciens actes de S. Thierry ne font pas
; I nention de cette résurrection ; mais on cite des chartes par
esquelles le roi donne à ce sujet deux autres terres au saint
iibbé, savoir celle de Yerdières et celle de Gueux.
Plusieurs autres saints édifièrent la province de Reims sous
'épiscopat de S. Remi. On compte parmi eux S. Bertauld, er-
|nite, et les saintes vierges Libérate et Olivérie ou Olive. Mais
ien ne fut plus éclatant que l'exemple que donnèrent sept
rères , qui passèrent avec leurs trois sœurs d'Irlande dans la
jaule pour se consacrer aux exercices de la piété chrétienne,
ls furent reçus avec charité par S. Remi et ils allèrent s'établir
(l)Flod., 1. I, c. xxin.
228 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [533]
en divers endroits sur la Marne . Ils se nommaient : Gibrien ,
Hélan, Trésain (1), Germain, Yéran, Abran, Pétran, Francia,
Promptia et Posemna. S. Gibrien, prêtre, qui était à la tête de
cette famille , est le plus célèbre ; il est honoré à Reims le
3 mai. S. Hélan est honoré le 7 octobre, S. Trésain le 7 février,
Germain et Yéran le 3 décembre ; le culte des autres n'est pas
aussi certain.
On rapporte qu'une autre sainte famille de sept vierges
chrétiennes édifia cette province vers le même temps. Elles
étaient sœurs, et filles de Sygmar et de Lutrude. Elles reçurent
le voile de S. Albin, évêque de Châlons-sur-Marne , et mé-
ritèrent toutes d'être honorées comme saintes.
S. Mélaine, évêque de Rennes , mourut quelque temps a van
S. Remi, après avoir illustré PArmorique par ses vertus et
par ses talents. Il joignit constamment les exercices d'une
tendre piété aux devoirs de la vigilance pastorale. Toujours
attentif sur lui-même et sur son troupeau , il visitait souvent
son diocèse et se demandait un compte exact de toutes ses
actions, songeant continuellement à la dernière heure. Pour
s'animer en même temps par l'espérance, il regardait sou-
vent le ciel , et cette vue le remplissait d'une si douce cons
lation qu'il ne pouvait retenir ses larmes. Il fît plusieurs
miracles éclatants; mais afin de s'en dérober la gloire à
lui-même, il se servait habituellement d'huile ou d'eau
bénite.
Gomme il prêchait un jour à Vannes, on lui apporta u
enfant qui venait de mourir (2). Les idolâtres, qui étaient en
core en grand nombre dans cette ville , lui dirent qu'ils n
croiraient pas en Jésus-Christ qu'il n'eût rendu la vie à c
mort. Alors Mélaine fît cette prière : « Seigneur, vrai Fils d
Dieu, qui avez donné le pouvoir à S. Martin, mon frère, dt
ressusciter trois morts , daignez m'exaucer afin que ce peupl
(1) Ferrarius dans son Catalogue le nomme Sanissimus. lia pris Trésain (Tresams)
pour très-sain (sanissimus), — (2) Vit. S. Mclan., n. 15, apud Boll., 6jan.
rit
[533] EN FRAXCE. LIVRE V. 229
connaisse votre puissance. » En même temps il mit une croix
sur la poitrine du mort, qui ressuscita à l'instant au grand
étonnement des païens, qui se convertirent pour la plupart.
Le zèle du saint évêque ne fut pas moins heureux dans son
diocèse , et par ses travaux et ses exemples il eut la consola-
lion d'en extirper l'idolâtrie.
Mélaine s'étant trouvé à Angers le premier jour de carême
ivec quatre saints évêques : Lô de Goutances, Aubin d'Angers,
Marse et Victor dont on ne connaît pas les sièges d'une ma-
lière certaine (1), il y célébra la messe et donna des eulogies
i ces prélats. Marse, craignant de rompre son jeûne, refusa
l'en manger; mais le Seigneur lui fit connaître qu'il n'ap-
prouvait pas son scrupule. On ajoute que ces mêmes évêques
issistèrent à la mort et aux funérailles de S. Mélaine, qui
nourut dans une terre de son patrimoine nommée Placium (2),
3Ù il avait bâti un monastère. Dès qu'il crut que son heure
était venue, il se munit du corps et du sang de Jésus-Christ
Dour le dernier combat, ensuite il alla avec confiance recevoir
a récompense de ses travaux.
On reporta par la Vilaine son corps à Rennes, où il fut
mterré avec des honneurs proportionnés à l'estime qu'on
ivait conçue de sa sainteté. La piété des fidèles érigea d'abord
mr son sépulcre un oratoire, qui fut quelque temps après
.onsumé dans un incendie. On craignait que le tombeau du
>aint évêque n'eût été endommagé par le feu; mais on fut
étrangement surpris de voir qu'un voile de lin qui le couvrait,
(1) On croit communément que Marse était évêque de Nantes, et Victor évêque du
vlans. Mais l'histoire des évêques du Mans ne parle pas de ce Victor. S'il fut
hêque de cette ville, il faut le placer après S. Principe. La Vie de S. Mélaine
ie marque pas le siège de Victor , et il y a lieu de présumer qu'on ne l'a fait
îvêque du Mans que parce qu'on l'a confondu avec S. Victeur ou avec S. Victur.
L,eP. Albert de Morlaix parle d'un S. Marse qui vivait du temps de S. Mélaine,
ît dont il dit que le corps a été transféré dans l'église de Sainte-Madeleine de Vitré;
nais c'était un solitaire.
(2) On ne s'accorde pas sur la situation de Placium, Les uns croient que c'est
Slain, situé à trois lieues au-dessus de Redon ; d'autres veulent que ce soit
°loémélen. Le P. Albert de Morlaix prétend que c'est lirain. Il est assez difficile
le décider cette question.
230 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE EN FRANCE. [533]
était demeuré entier et sans aucune atteinte au milieu des
charbons ardents (1). Cet événement miraculeux augmenta
la dévotion des peuples, et l'on croit que c'est à la place
de cet oratoire que fut bâti dans la suite le monastère de
Saint-Mélaine de Rennes. Le Martyrologe romain marque la
fête de S. Mélaine le 6 janvier; cependant on ne la célèbre à
Rennes que le 6 novembre : c'est peut-être le jour de quelque
translation , dont néanmoins on ne fait aucune mention dans
l'office. La Vie de ce saint évêque a été écrite par un auteur
contemporain. .
(1) Greg. Tur., de Glor. confess., c. lv.
FIN DU LIVRE CINQUIEME.
LIVRE SIXIÈME
Rien ne montre mieux combien la religion était florissante
dans les Gaules vers le milieu du vie siècle, que la multi-
tude des saints établissements qu'on y fit alors et la piété qui
y régnait. L'état monastique faisait à cette époque la gloire de
l'Eglise gallicane, bien moins par les richesses des monastères,
qu'on commença à doter, que par les vertus qu'on y pratiquait .
Le nombre de ces saintes retraites se multipliait de toutes
parts, sans que la ferveur y diminuât. Il y avait dans toutes les
provinces de saints abbés qui la soutenaient par leurs exem-
ples plus encore que par leurs leçons.
Pour n'être pas obligé d'interrompre si souvent le fil de l'his-
toire , nous présenterons ici sous un même point de vue les
actions de ces saints patriarches de la vie monastique qui
ont vécu à peu près vers le même temps : leurs portraits
rapprochés les uns des autres jetteront une plus vive lu-
mière, et feront mieux connaître l'éclat dont brillait alors
l'état religieux dans les diverses parties de la Gaule. Com-
mençons par la Neustrie , c'est-à-dire par la province depuis
nommée Normandie, que S. Marcou, S. Paterne, S. Evroul
et S. Yigor peuplèrent de ferventes communautés.
S. Marcou était originaire de Bayeux (1), et il s'adonna
dès sa jeunesse à tous les exercices de la piété chrétienne.
(1) Vita Marculfi, inter Acta SS., 1 maii.
232 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
S. Possesseur, évêque de Coutances, l'ordonna prêtre et le
chargea d'annoncer la parole de Dieu dans son diocèse. Marcou,
qui confirmait par des miracles les vérités qu'il prêchait, re-
cueillit une abondante moisson, et il fit avec le même succès des
incursions apostoliques dans les provinces voisines. Il avait
cependant plus d'attrait pour la vie monastique. Poussé par
son amour pour la solitude, il alla trouver le roi Ghildebert et
obtint de lui la terre de Nanteuil dans le Gotentin pour y bâtir
un monastère. Il en établit plusieurs autres dans la Gaule,
et même dans la Grande-Bretagne, où son zèle lui fît entre-
prendre un voyage.
A son retour il trouva le nombre de ses religieux fort
augmenté, et il eut encore recours à la libéralité de Ghilde-
bert, qui était alors à Compiègne (1). Le roi et la reine Ultro-
gothe le reçurent avec de grands honneurs , et firent voir, en
pourvoyant à la subsistance de ses monastères , que la piété
des princes est le revenu le plus assuré des pauvres de Jésus-
Christ. Le saint abbé, après avoir édifié par ses vertus toute
lâ Gaule , et nommément la Neustrie , mourut dans son mo-
nastère de Nanteuil à une date qu'on ne peut fixer. S. Lô ,
évêque de Coutances , ayant appris sa maladie, vint le visiter
et fit ses funérailles. L'Église célèbre la fête de S. Marcou
le 1er mai. Son corps a été transféré de Nanteuil (2) à Cor-
bigny , au diocèse de Laon, clans l'église de Saint-Pierre,
et Charles le Simple y fit dans suite bâtir un monastère.
Ce lieu , qui a pris le nom de Saint-Marcou , devint célèbre
par la dévotion des fidèles et par les fréquents miracles qui
s'y firent, particulièrement pour la guérison des écrouelles.
C'était un usage des rois de France de la seconde race de visi-
ter les reliques de S. Marcou immédiatement après leur sacre.
(1) De toutes les maisons de plaisance de nos rois, Compiègne est la plus an-
cienne qu'on connaisse. Les enfants de Clovis y tenaient souvent leur cour. Ce
n'était donc pas un lieu désert du temps de Charles le Chauve, comme on l'a dit
dans une réponse à un savant évêque.
(2) Le monastère de Nanteuil fut ruiné par les ravages des Normands, et c'est
apparemment ce qui donna lieu à la translation des reliques de S. Marcou.
[534] EN FRANCE. — LIVRE VI. 233
Cet usage cessa en même temps que les rois cessèrent de se
croire le don de guérir les malades atteints des écrouelles \ï).
S. Paterne, originaire de Poitiers, professa d'abord la vie
religieuse dans le monastère d'Enncsion : on croit qu'il était
situé en Poitou et porta plus tard le nom de Saint-Juin. En-
suite, pour s'éloigner davantage de sa famille et de sa patrie,
Paterne passa dans le Gotentin avec un saint moine nommé
Scobilion, ne portant avec lui qu'un psautier, qui devait faire
toute son étude et toute sa consolation (2). L'idolâtrie, chassée
de presque toutes les parties de la Gaule, semblait s'être re-
tirée dans cette partie reculée de la Neustrie comme dans son
dernier asile. Paterne la combattit avec le succès qu'un grand
zèle et une vie austère ne manquent guère de donner à un
ouvrier évangélique. Toute sa nourriture était du pain et de
l'eau avec quelques légumes assaisonnés de sel ; il ne se dés-
habillait jamais, n'avait pas même de lit pour se coucher et
portait toujours un rude cilice. Léontien, évêque de Goutances,
qui assista au premier concile d'Orléans, touché des vertus
de Paterne , l'ordonna prêtre. Cette dignité augmenta son zèle
sans rien diminuer de son humilité et de ses austérités , et sa
réputation lui attira un grand nombre de disciples sans nuire
à sa solitude. Pour satisfaire leur piété il établit divers mo-
nastères dans l'étendue des diocèses de Goutances , de Bayeux,
du Mans, d'Avranches et de Rennes. L'entretien des moines
était peu dispendieux : car ils vivaient de peu. Le roi Childe-
bert désira voir un homme dont on racontait tant de mer-
(1) Le plus ancien auteur qui, à notre connaissance, ait fait mention du don de
guérir les écrouelles accordé à nos rois, est Guibert, abbé de Nogent, qui vivait
sur la fin du xie siècle et au commencement du xiie. Voici dans quels termes il
en parle : Que dirai-je du miracle journalier que nous voyons opérer au roi Louis notre
maître (Louis le Gros)? J'ai vu ceux qui ont les écrouelles à la gorge ou ailleurs venir
par troupes pour se faire_Joucher par lui. Je voulais les empêcher ; mais, avec sa bonté
naturelle, il leur tendait la main et faisait sur eux le signe de la croix avec beaucoup
d'humilité. Son père Philippe Ier a fait pendant quelque temps le même miracle; mais
il a perdu ce don par je né sais quel accident.... Je sais bien que le roi d'Angleterre n'ose
rien faire de semblable. Guibert citait ces exemples pour prouver que le don des mi-
racles n'était pas toujours une marque de sainteté : il faut avouer que l'argument avait
un appui peu solide. (Guibert., de Pignor. SS., c. i, p. 331.)
(2) Fortunati Vit. S. Paterni interjeta SS., 16 april.
234 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [534]
veilles, et le fit prier de venir à sa cour. Paterne regarda cette
prière comme un commandement : il se rendit à Paris, où il
soutint sa réputation de sainteté par plusieurs guérisons mi-
raculeuses qu'il opéra. Ce saint abbé , après avoir blanchi
dans les exercices de la vie monastique , fut élu évêque
d'Avranches vers l'an 552, étant déjà septuagénaire. Nous
aurons ailleurs occasion de parler de son épiscopat et de sa
mort.
S. Évroul fut aussi dans la même province le fondateur d'un
grand nombre de monastères (1). Il avait longtemps vécu à la
cour du roi Childebert; mais, dégoûté du monde au centre mê-
me de toutes ses séductions, il renonça à toutes les grandeurs
de la terre et rompit avec éclat des chaînes qui pour être d'or
n'en sont que plus pesantes. Après avoir engagé sa femme à
se faire religieuse, il distribua tous ses biens aux pauvres,
et, devenu pauvre lui-même, il se retira avec trois compa-
gnons dans la forêt d'Ouche , qui dépendait du diocèse de
Lisieux. Elle n'était habitée que par des bêtes féroces et par
des voleurs plus redoutables encore ; mais que pouvait crain-
dre celui qui avait tout quitté pour Jésus-Christ ? Il convertit
quelques-uns de ces voleurs, qui se firent ses disciples. Le
bruit de sa retraite lui en attira de toutes parts un si grand
nombre que quinze cents cellules environ se groupèrent au-
tour de la sienne. Les libéralités des fidèles croissaient avec
le nombre de ces saints moines. Elles furent si abondantes
qu'Évroul bâtit jusqu'à quatorze monastères tant d'hommes
que de filles. Geluid'Ouche, connu sousle nomde Saint-Évroul
dans le diocèse de Lisieux, fut le plus célèbre.
Ce saint abbé fit surtout éclater sa charité pendant une peste
qui lui enleva soixante-dix-huit de ses disciples. Cette cruelle
maladie fit voir quel était son crédit auprès de Dieu. Sensible-
ment affligé d'apprendre qu'un de ses moines venait d'expirer
sans avoir reçu le viatique , il se prosterna et après une fer-
(I) VU. S. Ebredulfi, ab ipsins discip. scripta, apud Surium, 29 decemb.
[534] EN FRANCE. — LIVRE VI. 235
vente prière il lui rendit la vie jusqu'à ce qu'on lui eût apporté
le saint sacrifice, c'est-à-clirc le corps et le sang (1) de Jésus-
Christ. S. Évroul mourut dans son monastère d'Ouche, âgé
de plus de quatre-vingts ans , le 29 décembre , la douzième
année de Childebert, c'est-à-dire l'an 587 s'il s'agit ici de
Childebert le Jeune (2). Sa Tie a été écrite par un de ses dis-
ciples. Il ne faut pas le confondre avec un autre S. Évroul qui
fut, à ce qu'on croit, abbé de l'Oroer dans le Beauvoisis et de
Saint-Lucien de Beauvais. On ne s'accorde pas sur le temps
où vécut S . Lucien , qui est honoré comme un des patrons de
la ville de Beauvais.
S. Yigor, évêque de Bayeux, est aussi reconnu pour le
fondateur de plusieurs monastères dans la Neustrie. On croit
qu'il en établit trois dans le Bessin, deux avant son épiscopat,
et le troisième, nommé Gérisy, après qu'il eut été élevé à cette
dignité. Ces monastères furent détruits par les Normands ;
mais le duc Robert et son fils Guillaume rétablirent celui de
Gérisy. S. Yigor était, à ce qu'on prétend, disciple de S. Vaast,
et il soutint par ses vertus la gloire de son siège , qui n'avait
été occupé jusqu'alors que par de saints évêques, savoir :
S. Exupère, S. Regnobert, S. Ruffinien, S. Loup, S. Patrice,
S. Manvieu et S. Gontest. L'ordre de la succession de ces
saints évêques n'est pas encore bien connu.
S. Maixent et S. Fridolin avaient donné au Poitou de rares
exemples des vertus monastiques. Nous n'avons rien à ajou-
ter à ce que nous avons dit du premier. Fridolin , originaire
d'Irlande , était abbé du monastère de Saint-Hilaire de Poi-
tiers (3) . Ayant placé , comme nous avons dit , les reliques de
ce saint évêque dans un lieu plus honorable , il en prit quel-
(1) On trouve assez souvent dans les anciens auteurs qu'on donnait aux malades
le corps et le sang de Jésus-Christ. Ce n'est pas une preuve qu'on leur ait donné
le viatique sous les deux espèces. L'Eucharistie sous la seule espèce du pain est
nommée le corps et le sang de Jésus-Christ. Il y a cependant quelques exemples
qui montrent qu'on a donné quelquefois aux malades le viatique sous les deux
espèces.
(2) Quelques exemplaires de sa Vie marquent la douzième année de Clotaire II,
oe qui désignerait l'an 596. — (3) Vita Fridol., a Balthero, inter Acla SS., G martii.
236 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
ques parcelles et passa dans le royaume d'Austrasie. Le roi,
probablement Thierry, fils de Glovis, lui fit don d'un empla-
cement sur une petite rivière nommée la Roselle (1), où il
établit un monastère en l'honneur de S. Hilaire. Il érigea
plusieurs autres églises sous l'invocation du même saint dans
les Vosges , à Strasbourg et à Coire. Mais le plus célèbre des
établissements qu'il fonda, fut un double monastère dans l'île
de Sekin : l'un pour les filles et l'autre pour les hommes. Il
mourut saintement dans ce dernier, vers l'an 540, renommé
pour ses vertus et pour ses miracles. Il est honoré le 6 mars.
Son culte est très-célèbre dans plusieurs provinces d'Alle-
magne, surtout en Suisse, où le canton de Glaris a longtemps
porté dans ses armes un portrait de ce saint abbé. C'était une
profession publique de l'ancienne foi et un reproche pour le
peuple qui l'avait abandonnée.
S. Déodat, vulgairement S. Dié (2), avait bâti un monastère
entre Blois et Orléans avec le produit des libéralités de Glovis.
Il était originaire de Bourges, et on prétend qu'il embrassa la
vie monastique à Issoudun , sous la discipline du saint abbé
Phalétrus, qui n'est autre que S. Phalier, honoré dans le Berri
le 23 novembre. S. Dié l'est le 24 avril.
Les forêts et les montagnes d'Auvergne étaient peuplées
d'un grand nombre de saints religieux, parmi lesquels
S. Pourcain était un des plus renommés. Il avait été esclave
d'un Franc qui le maltraitait souvent ^3). Quand il avait été
victime de quelque brutalité, il se réfugiait dans un monastère
voisin nommé Mirande, afin que l'abbé le réconciliât avec son
maître. Celui-ci en fit un jour de vifs reproches à l'abbé, l'ac-
cusant de débaucher son esclave ; mais il fut dans l'instant
(1) Dans les actes de S. Fridolin cette rivière est nommée la Moselle : c'est
une faute de copiste. Car le monastère nommé Helera ou Hilariacum , et depuis
Saint-Nabor, est éloigné de la Moselle , et la petite rivière qui y passe est appelée
la Roselle.
(2) Acta S. Deodati, ap. Bolland.,24 april. — Il faut distinguer S. Dié de S. Bié
(Beatus), confesseur, honoré à Vendôme, où on l'appelle quelquefois S. Blé et
S. Bienhuré. Il vivait dans le ve siècle.
(3) Greg. Tur. Vit. PP.} c. vu.
[534] EN FRANCE. — LIVRE VI. 237
frappé d'aveuglement. Alors Pourcain, dont Dieu voulait
faire connaître la vertu, lui ayant imposé les mains par l'ordre
de l'abbé, le guérit, et son maître par reconnaissance lui
donna sur-le-champ la liberté. Il ne la reçut que pour en faire
un sacrifice à Dieu sous la conduite du même abbé , dont il
devint le successeur. L'éclat de ses vertus fit oublier la bas-
sesse de son extraction ; sa piété et ses miracles lui attirèrent
le respect de Sigivalde , duc d'Auvergne , et du roi Thierry ,
qui faisait alors la guerre dans cette province. Mais la charité
seule mit en œuvre son crédit auprès du prince. Peu en peine
d'enrichir son monastère , il ne demanda que la délivrance
des captifs. Le démon lui livra plusieurs assauts , qu'il re-
poussa par la prière et le signe de la croix , suivant le conseil
d'un saint moine nommé Protais , qui vivait alors reclus au
monastère de Combroude dans la même province. Celui de
Mirande a depuis pris le nom de Saint-Pourcain, qui en fut
abbé , aussi bien que la ville qui s'est formée alentour. Il ne
reste du monastère que l'église. On fait sa fête le 24 novembre.
Le duc Sigivalde , dont nous venons de parler, avait un
jeune esclave thuringien nommé Brachion , dont il se servait
ordinairement pour la chasse du sanglier (1). Un jour que
Brachion poursuivait un de ces animaux dans une forêt d'Au-
vergne, la bête se retira à l'entrée de la cellule d'un ermite,
sans que les chiens osassent l'y forcer. Le chasseur, surpris de
ce spectacle , s'avança et trouva dans la cellule un vénérable
vieillard nommé Émilien, qui lui dit : « Mon fils, je vous vois
richement paré , je juge par là que vous cherchez plus à plaire
au monde qu'à Dieu. Ne mettez pas votre gloire à servir un
maître dont la puissance est si faible et si fragile : servez plu-
tôt Celui qui a dit : Mon joug est léger, et qui donne la vie
éternelle pour salaire à ses serviteurs. » Ces paroles furent
comme des traits enflammés qui pénétrèrent jusqu'au cœur
du jeune Thuringien : il résolut de se donner à Dieu. Il se
[ (1) Greg. Tur. Vit. PP., c. xn.
238 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [534j
levait deux ou trois fois la nuit pour prier , et comme il n'a-
vait aucune teinture des lettres, quand des abbés ou des clercs
venaient visiter son maître, il les prenait à part pour se faire
instruire. La mort de Sigivalde, que le roi Thierry fit tuer,
acheva de lui faire sentir la vanité de la faveur et des biens
de ce monde. Il se retira l'an 534 auprès du saint vieil-
lard Émilien , qui mourut quelques années après , âgé d'en-
viron quatre-vingt-dix ans , et laissa à son disciple sa cellule
et quelques pauvres meubles qui faisaient toutes ses ri-
chesses.
Le jeune solitaire, pénétré de l'esprit de son maître, s'as-
socia quelques compagnons dans cet ermitage, et Ranichilde,
fille de Sigivalde, lui donna des terres pour y fonder un mo-
nastère. Il en établit deux autres en Touraine; puis il revint
en Auvergne , où il fut choisi pour rétablir la discipline dans
le monastère de Ménat. Sa manière de gouverner le rendait
fort propre à opérer cette réforme. En effet, quoique plein de
douceur et de bonté pour ceux qui s'acquittaient de leurs de-
voirs , il montrait une sévérité inflexible à l'égard des trans-
gresseurs de la règle. Mais il n'était à personne plus sévère
qu'à lui-même, et il est rare qu'un supérieur se montre trop
exigeant quand il ne demande que ce qu'il fait.
Le monastère de Ménat en Auvergne , sur la petite rivière
de la Sioule, a été une école célèbre des vertus religieuses,
où S. Garilèfe, S. Avite et quelques autres se sont sanctifiés,
et sont devenus ensuite les pères de saintes communautés
dans des monastères qu'ils ont fondés. S. Garilèfe ou Calais
était originaire d'Auvergne. Ses parents le firent élever au
milieu des pratiques de la piété dans le monastère de Ménat (1).
Il y embrassa la vie monastique et se lia d'une étroite amitié
avec S. Avite , qui y menait la vie religieuse. Le désir de s'a-
vancer dans une voie plus parfaite leur fît prendre la résolu-
tion de sortir de Ménat, où la discipline était peut-être alors
(1) Siviard. Vit. Carilefi inter Àcla SS., 1 julii.
[534] EN FRANCE. — LIVRE VI. 239
un peu relâchée. Ils allèrent d'abord au monastère de Mici,
que gouvernait S. Mesmin. Ce saint abbé, charmé des héroï-
ques vertus qu'il découvrit en eux, les fît ordonner prêtres
par l'évêque d'Orléans. Cette dignité ne servit qu'à leur ins-
pirer une nouvelle ardeur pour la perfection. Ils quittèrent
Mici pour chercher quelque solitude dans laquelle ils pussent
fuir jusqu'à l'estime du monde. Retirés d'abord dans les forets
du Perche , ils formèrent ensuite la résolution de se sé-
parer ; S. Avite (1) fonda dans le Dunois un monastère qui a
porté son nom , mais qui plus tard fut occupé par des reli-
gieuses.
S. Calais s'avança dans le Maine et s'arrêta dans un lieu
abandonné sur la rivière d'Anisle (2) , où il trouva les ruines
d'une église dédiée autrefois à S. Pierre par S. Turibe. Là il
se bâtit un monastère avec l'agrément de S. Innocent, évêque
du Mans, et s'associa quelques disciples. Le roi Childebert,
étant venu dans le Maine et chassant dans ces forêts , s'irrita
de ce que les cellules de ces moines avaient servi de retraite
à un buffle (3) . Dans la colère où il était d'avoir manqué sa
proie, il leur ordonna avec menaces de se retirer d'un lieu où
ils s'étaient établis sans sa permission. Mais Celui qui tient
en sa main les cœurs des rois changea bientôt celui de ce
prince. A peine eut-il repris sa route que son cheval s'arrêta
tout à coup sans qu'il lui fût possible de le faire avancer.
Alors quelqu'un de sa suite lui dit : « Seigneur, ces hommes
que vous avez menacés sont les serviteurs de Dieu, et je
crois que s'ils avaient dit au soleil de s'arrêter, il s'arrête-
rait. » Le roi ne trouva son cheval docile que pour retourner
(1) Quelques auteurs confondent S. Avite compagnon de S. Calais avec S. Avite
abbé de Mici ; il nous paraît qu'on doit les distinguer.
(2) Le monastère dAnisle, appelé depuis Saint-Calais, a pris ce nom de S. Ca-
rilèfe ou Calais, qui l'a fondé, et c'est par une erreur inexplicable que les frères de
Sainte-Marthe ont prétendu que ce lieu avait été ainsi nommé à cause de S. Chaletric,
évêque de Chartres, (in Episc. Cam.)
(3) Nous voyons par plusieurs autres traits de notre histoire qu'il y avait alors
des buffles dans la Gaule : ce qui n'est pas surprenant, vu le nombre et l'étendue
des forêts qui en couvraient le sol.
240 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
vers le monastère. Il adressa d'humbles excuses au saint
abbé pour la manière dont il l'avait traité, et, afin de l'en
dédommager, il lui assigna des revenus pour la subsistance
de ses moines. Alors l'humble solitaire, prenant cet air d'au-
torité que la sainteté seule peut donner sur les grands de la
terre, fit entendre à Childebert des vérités qui parviennent
rarement jusqu'aux oreilles des rois. Il l'exhorta à ne jamais
oublier qu'il était homme , qu'il commandait à des hommes
et à des chrétiens comme lui, et que tout roi qu'il était sur la
terre il avait un maître et un juge dans le ciel. Courtes mais
excellentes leçons, qui ne peuvent être trop méditées par
ceux qui exercent le pouvoir.
La reine Ultrogothe était alors dans le Maine avec son mari.
La piété et la curiosité lui rirent naître l'envie d'aller voir le
nouveau monastère. Mais S. Calais, qui le sut , la fît prier de
s'épargner cette peine, parce que, pour mieux tenir ses reli-
gieux dans le recueillement , il avait ordonné qu'aucune
femme n'entrât dans son monastère , pas même dans l'église.
Ce qui s'observait encore dans le monastère fondé par S. Ca-
lais plusieurs siècles après sa mort, aussi bien que dans
quelques autres monastères des Gaules (1).
S. Calais mourut le 1er juillet, mais on ne sait en quelle
année. Pendant les ravages des Normands ses reliques furent
portées à Blois, où on les gardait précieusement. Nous avons
un acte (2) attribué à S. Calais, par lequel, en reconnaissance de
ce que S. Innocent, évêque du Mans, avait consenti à ce qu'il
demeurât dans les terres de l'Église du Mans, il met à perpé-
tuité son monastère d'Anisle et ses biens à la disposition de
l'évêque. Nous avons encore un autre acte par lequel il oblige
(1) Il y avait à l'entrée de plusieurs anciens monastères une croix ou un oratoire
extérieur, afin que les femmes pussent y faire leurs prières. Les chartreux ont con-
servé cet usage.
(2) On voit par la Vie de S. Aldric du Mans que cet acte de S. Calais fut pro-
duit au IXe siècle contre les moines d'Anisle, et qu'il fut reconnu pour authentique ;
ce qui n'a pas empêché que dans la suite l'Église du Mans n'ait perdu ce procès.
Apparemment qu'on a douté, alors de l'authenticité de l'acte en question, sur
lequel en effet la critique peut élever quelques difficultés.
[534] EN FRANCE. — LIVRE VI. 241
son monastère à payer certaines redevances à l'évêque , à
l'É°lise du Mans et aux chanoines de cette Église. Le nom de
— o
chanoines paraît n'avoir été en usage alors que pour signifier
les clercs qui étaient inscrits dans le canon ou la matricule
de l'Église (1).
Plusieurs autres saints solitaires vécurent dans le Maine
sous l'épiscopat de S. Innocent, et donnèrent à cette province
les plus beaux exemples de l'amour de la pénitence et du
mépris des biens de la terre. On compte parmi eux S. Cons-
tantin, S. Ulface, S. Bommer, S. Aimer et S. Léonard abbé
de Yendèvre. Nous entrerions volontiers dans le détail de
leurs actions si leur histoire était aussi certaine qu'elle est
édifiante.
Il en est de même de celle de S. Lié. Ce qu'on peut en
extraire de plus assuré, c'est que ce fut un saint religieux qui
se rendit recommandable par sa simplicité, sa mortification
et sa douceur ; qu'après avoir demeuré seize ans dans un
monastère du Berri, il passa dans celui de Mici, et qu'ensuite
il mena successivement la vie érémitique dans la Sologne et
dans la Beauce. Il fut enterré dans un lieu où s'est formé de-
puis un village qui porte son nom ; mais son corps a été
transféré àPithiviers. Une église collégiale a été érigée dans
cette ville en son honneur. Ces saints solitaires, en changeant
souvent de retraite, ne cherchaient qu'à mieux se cacher ;
mais Dieu avait d'autres vues : il voulait qu'ils édifiassent plu-
sieurs provinces par leurs vertus.
C'est ce qui arriva à S. Trivier : quoique originaire du
Quercy, il embrassa la vie religieuse dans un monastère près
de Thérouanne. Il s'était chargé de reconduire dans la Bresse
deux jeunes seigneurs bourguignons qui avaient été faits pri-
sonniers dans les dernières guerres. Ceux-ci, par reconnais-
sance, offrirent une partie de leur héritage à leur conducteur.
Il n'accepta que l'espace nécessaire pour se faire une cellule
(1) Mabill. Analect., t. III, p. 84.
TOME If.
16
242 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
et un petit jardin : encore faisait-il paître les brebis de ses
bienfaiteurs. Ce fut dans cet humble exercice qu'il se sancti-
fia (1). Il est honoré le 16 janvier; un prieuré de son nom a
longtemps existé dans la principauté de Dombes.
La Yie de S. Marius, abbé de Bodane ou Beuvoux au dio-
cèse de Sisteron, fut plus éclatante. Il était né à Orléans d'une
famille peu aisée et il professa la vie religieuse dans un mo-
nastère de cette ville. Il ne put réussir à cacher les vertus
héroïques qu'il pratiquait : elles le firent connaître jusque
dans les provinces éloignées. Sa réputation détermina les
moines de Bodane à le choisir pour leur abbé, et Jean, évêque
de Sisteron (2), confirma ce digne choix. Dans l'exercice de
cette charge, Marius joignit toujours l'exemple au savoir, le
recueillement à l'action et l'esprit d'oraison aux macérations
dont il affligeait son corps. Ces vertus rendent probable ce
qu'on raconte du don des miracles et de celui de prophétie
dont il fut doué. Ce saint abbé, ayant logé dans un de ses
voyages chez un homme de qualité nommé Agricola , en
baptisa la fille appelée Sisagria, qui était à l'extrémité, et lui
rendit la santé par ses prières. Il passait tout le carême
enfermé dans sa cellule. Lucrèce, évêque de Die, qui avait
été son disciple, étant venu le voir pendant ce temps-là, il
le fit attendre plusieurs jours sans vouloir lui parler ; il lui
découvrit ensuite une vision qu'il avait eue au sujet des mal-
heurs qui menaçaient l'Italie. Il connut pareillement par révé-
lation la mort d'un saint ermite nommé Donat, qui était aussi
d'Orléans et qui est honoré le 19 août (3). On ne sait en quelle
année mourut S. Marius ; mais il était abbé au temps de Gon-
debaucl, roi de Bourgogne, c'est-à-dire avant l'an 517. Lu-
crèce de Die fit ses funérailles, et le patrice Dynamius écrivii
sa Yie vers la fin du même siècle. L'Église honore S. Marius,
vulgairement S. Mari, le 27 janvier.
(1) Vit. Trever., apucl BolL, 16 januar. — (2) La Vie de S. Marius est le seul
monument qui nous fasse connaître cet évêque de Sisteron. Les frères de Sainte-
Marthe l'ont omis. — (3) Dynam. Vit. Marii, apud Boll., 27 januar.
[534] EN FRANCE. — LIVRE VI. 243
S. Ours, originaire de Cahors, fut contemporain de S. Ma-
rins, sous le règne d'Alaric II, roi des Yisigoths (1). Après
avoir établi plusieurs monastères clans le Berri, il passa dans
la Touraine, où il en bâtit un nouveau à Sénevière, dont il
donna le gouvernement, avec la qualité de prévôt, à Léobasse,
vulgairement S. Lubais. Pour lui, il fixa sa demeure à Loches,
où il fonda encore un monastère,, et mourut dans une grande
vieillesse. Il est honoré le 28 juillet. Pour éviter de la fatigue
à ses moines, qui étaient obligés de moudre leur grain à
force de bras, il fît faire un moulin à eau sur la rivière d'Indre.
On a cru longtemps à Loches que ce moulin subsistait encore ,
et l'on en racontait plusieurs merveilles sur lesquelles il
semble difficile qu'on ait pu en imposer.
Dans le Limousin florissaient vers le même temps S. Ju-
nien et S. Léonard. Le premier vécut enfermé clans une cel-
lule pour dérober au monde la connaissance de ses vertus.
Mais le Seigneur les manifesta pendant sa vie et après sa mort
par un grand nombre de miracles ; il fut enterré dans une
église que Rurice II, évêque de Limoges, avait fait bâtir (2).
Ce saint a donné son nom à la petite ville de Saint-Junien dans
le Limousin. Il est honoré le 6 novembre. On doit le distin-
guer d'un autre S. Junien qui professa la vie monastique en
Poitou, et dont nous parlerons dans la suite. Quant à S. Léo-
nard, dont le nom est si célèbre dans le Limousin, il fonda
l'abbaye de Nobillac, qui se nommait, comme la ville qui s'y
est formée , Saint-Léonard-le-Noblet , aujourd'hui Saint-Léo-
nard (Haute-Yienne) (3) . Le monastère a été changé depuis
en une collégiale.
Dans le Berri S. Marien, après avoir vécu plusieurs années
dans un monastère, embrassa la vie érémitique. La mort de ce
saint solitaire n'eut pas plus d'éclat aux yeux des hommes
que la vie cachée qu'il avait menée. Il fut trouvé mort sous
(1) Greg. Tur. Vit. PP., c. xvm. — (2) Greg. Tur., de Glor. confess., c. cm. —
(3) GuidoBern., t. II Biblioth. nov., p. 277.
244 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
un pommier, et l'on crut qu'il était tombé de cet arbre en cueil-
lant des pommes dont il se nourrissait. Mais ce genre de mort
ne refroidit pas la confiance des fidèles en son intercession (1).
Le Martyrologe romain en fait mention le 19 août; cependant
on ne célèbre sa fête dans le Berri que le 19 septembre.
Mais de tous ceux qui glorifiaient alors l'état monastique
dans les Gaules, S. Jean de Réomaùs, dont nous avons déjà
parlé, était le plus illustre aussi bien que le plus ancien (2).
Il établit dans sa communauté les pratiques les plus édifiantes
qu'il remarqua dans les autres. Il avait visité dans ce des-
sein les plus célèbres monastères de la Gaule , et il emprun-
tait de chacun d'eux quelque observance pour perfectionner
sa règle, semblable à l'abeille qui compose son miel du suc
des fleurs les plus odoriférantes. La réputation du monastère
de Lérins l'y attira. Il y demeura dix-huit (3) mois sans se
faire connaître ; mais dès qu'on y eut appris son nom, on lui
rendit avec usure les honneurs dont son humilité l'avait
privé, et les moines lui demandèrent pardon de l'avoir traité
comme un novice. S. Grégoire, évêque de Langres, écrivit
deux lettres à Lérins : une à l'abbé pour le prier de renvoyer
Jean, et l'autre à Jean pour le conjurer de revenir au plus tôt
prendre soin de son monastère de Réomaûs, le menaçant, s'il
différait, de l'accuser au tribunal de Dieu du relâchement ou
de la dispersion de ses frères. Il obéit et par sa vigilance il
remédia sans peine au relâchement qui s'était glissé par-
mi ses moines pendant son absence. Il chercha, comme à
Lérins, à faire fleurir les études; les monastères voisins admi-
raient le développement qu'il avait donné à la science des
saintes Écritures. Sa mère, qui vivait encore dans une extrême
vieillesse, ayant appris son retour, fit le voyage de Réomaus
(1) Greg. Tur., de Glor. eonfcss., c. lxxxi.— Labb. Biblioth. nov., t. II, p. 432.
(2) Vit. S. Joannis , a Jona in Hist. Reom.
(3) Il y a peu d'exactitude dans ce que Fleury dit de S. Jean de Réomaus. 1° Il
marque que ce saint abbé demeura dix-huit ans à Lérins : il fallait dire dix-huit
mois. 2° Il ajoute qu'il vécut cent vingt-huit ans; mais Jouas, qui a écrit sa "Vie,
ne le fait vivre que cent vingt ans. V. Fleury, t. VII, p. 364.
[534] EN FEANCE. — LEVEE VI. 245
pour avoir la consolation de le voir encore une fois. Mais la
grâce fit triompher le saint abbé des sentiments de la nature :
il se refusa à lui-même le plaisir de parler à une mère qu'il
aimait tendrement. Il lui accorda cependant celui de le voir,
et il passa devant elle afin qu'elle pût contenter en partie sa
curiosité. Il lui fit dire ensuite qu'elle ne le verrait plus sur la
terre, et lui conseilla seulement de vivre de telle sorte qu'ils
pussent se revoir dans le ciel.
La règle de S. Macaire d'Egypte, rendue plus conforme aux
usages des Occidentaux, fut comme le fond des observances
que l'abbé Jean établit dans son monastère de Réomaiis (1).
Ses moines demeuraient dans des cellules séparées ; mais ils
avaient un oratoire commun où ils s'assemblaient pour l'office
divin, et l'on ne permettait à aucun laïque d'y assister. Ils
s'appliquaient à la lecture, qui se faisait en commun, à la
prière, à la méditation et au travail des mains. On punissait
les fautes par des réprimandes, des jeûnes, par l'excommuni-
cation de la prière , et quand ces remèdes étaient inefficaces,
on frappait quelquefois le coupable de verges en présence de
tous les frères.
Les moines qui étaient obligés de sortir pour les besoins du
monastère devaient avoir un ou deux compagnons avec eux.
Quand quelqu'un demandait à être reçu dans le monastère,
on lui lisait la règle , et tout ce qu'il apportait était mis en
commun, sans qu'il pût rien posséder en propre. Si dans la
suite il voulait sortir, ne fût-ce que trois jours après son en-
trée, on ne lui permettait pas d'emporter autre chose que les
habits avec lesquels il était venu. On punissait sévèrement
ceux qui violaient le jeûne du mercredi et du vendredi. La
règle recommande de fuir l'oisiveté et la familiarité avec
les séculiers. « Un moine, dit-elle, doit regarder sa cellule
comme un paradis, craindre le supérieur du monastère comme
son maître, l'aimer comme son père. » Après matines il y
(t) Heg. S. Macar. in Hist. Reom., p. 24.
246 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
avait une méditation jusqu'à la seconde heure. Tel est, en
l'abrégeant , la règle de S. Macaire , que S. Jean établit à
Réomaiïs.
Ce saint abbé vécut, malgré son austérité, jusqu'à l'âge
d'environ cent vingt ans, sans ressentir aucune des incommo-
dités d'une si grande vieillesse. Il ne perdit aucune de ses
dents, et l'âge n'affaiblit ni sa vue ni sa mémoire. Trouve-t-on
dans le luxe et l'abondance des exemples d'une si longue vie
et d'une santé si constante? Il mourut le 18 janvier de l'an 512
du cycle de Yictorius, c'est-à-dire l'an 539 (1) de Jésus-Christ,
et il fut enterré dans son monastère, qu'on appela de son
nom Monstier-Saint-Jean. Les miracles éclatants qu'il fît
pendant sa vie et après sa mort justifient le culte que les
peuples lui rendent et leur confiance en son intercession.
S. Seine fut le plus illustre de ses diciples. Il se retira d'a-
bord au village de Yerry, près de la maison de son père et de
la petite ville de Maimon sur les confins de la Bourgogne (2).
Un saint prêtre nommé Eustadius lui donna la tonsure. Cet
exemple et plusieurs autres font juger que les prêtres la don-
naient autrefois dans certaines circonstances. Seine fit pa-
raître tant de piété et de maturité dans la plus grande jeu-
nesse que révêque de Langres l'ordonna diacre à quinze
ans et prêtre à vingt. Cette ordination était, à la vérité, op-
posée aux canons; mais, en faveur du mérite extraordinaire
de Seine et des espérances que l'on en avait conçues pour le
bien de l'Église, on crut pouvoir le dispenser de la règle. En-
gagé dans les fonctions du clergé, il soupirait toujours après
la vie monastique. Il alla en prendre des leçons à Réomaus
sous la conduite de l'abbé Jean. S'étant en peu de temps rendu
habile sous un maître si expérimenté, il fonda un monastère
dans un endroit de la forêt de Ségustre qui appartenait à ses
parents, près des sources de la Seine. C'est le monastère qu'on
(1) Le cycle de Victorius commence à l'an 28 de Jésus-Christ : ainsi, en ajou-
tant les vingt-sept ans à 512, on trouvera 539.
(2) Vita S. Sequani in Historia Reom.
|534| EN FRANCE. — LIVRE VI. 247
a nommé Saint-Seine, et qui a donné son nom à la ville qui
s'y est formée. S. Seine vécut jusqu'à une extrême vieillesse.
Entre plusieurs miracles qu'il opéra, il guérit un paralytique
en faisant sur lui le signe de la croix, après lui avoir donné la
communion le jour de Pâques. L'Église honore sa mémoire le
19 septembre.
S. Romain gouvernait vers le même temps le monastère de
Fontrouge au diocèse d'Auxerre. On suppose dans sa Vie
qu'il est le disciple de S. Benoît nommé Romain qui le servit
d'abord dans sa grotte ; mais cette relation n'a pas assez d'au-
torité pour établir ce fait (1). On a souvent confondu en une
même personne plusieurs saints portant le même nom. On
veut par là augmenter la gloire d'un saint particulier , et on
diminue celle que l'Église tire du grand nombre de saints
qu'elle a formés.
De pieuses femmes imitèrent l'exemple de tant de saints
abbés. Une dame de Chartres nommée Monégonde ressentit
si vivement la perte de deux filles que la mort lui avait en-
levées, qu'elle résolut de renoncer entièrement au monde.
Elle vécut d'abord recluse dans sa maison, ne mangeant que
du pain d'orge qu'elle faisait cuire elle-même sous la cendre.
Ensuite sa dévotion envers S. Martin l'attira à Tours, où elle
assembla quelques saintes filles auprès de l'église nommée
pour cela Saint-Pierre-le-Puel lier (2). Elle y mourut sainte-
ment, après s'être rendue célèbre par ses vertus ; on honore
sa mémoire le 2 juillet. Les calvinistes brûlèrent ses reliques
l'an 1562, mais on réussit à en sauver plusieurs ossements.
Les personnes du sexe ont quelquefois plus de courage que
les hommes pour entrer dans les voies où Dieu les appelle.
Une vierge nomuaée Papula, dont parle Grégoire de Tours,
nous en fournit un exemple. Cette sainte fille, n'ayant pu obte-
nir de ses parents la permission de se faire religieuse, prit un
habit d'homme et fut reçue en Touraine dans un monastère
(1) Vita S. Romani, apud BolL, 22 maii. — (2) Greg. Tur. Vit. PP., c. xix.
248 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [534]
d'hommes. Elle y passa trente ans entiers habillée en moine
sans y être reconnue (1). Mais trois jours avant sa mort la
pudeur l'obligea de déclarer son sexe, afin qu'on la fit ense-
velir par des femmes. Les miracles opérés par son interces-
sion sont une preuve que c'était l'esprit de Dieu qui l'avait
conduite par une voie si extraordinaire.
On rapporte environ à ce même temps les commencements
du monastère de Sens dit Sai7it-Pierre-le-Vif. On croit qu'il fut
fondé par Teudechilde, fille de Thierry, roi d'Austrasie. Si l'on
joint aux saints établissements dont nous venons de parler
ceux dont nous avons rapporté ailleurs les commencements,
on pourra se former une idée du nombre de ceux qui édi-
fiaient l'Église des Gaules vers le milieu du vie siècle. Car
les moines offraient alors l'ensemble de toutes les vertus
chrétiennes portées à un haut degré de perfection. Le monde,
tout barbare et tout corrompu qu'il était, ne pouvait leur re-
fuser son estime et son admiration. Aussi était-ce parmi eux
qu'on choisissait les évêques. On était sûr de trouver dans ces
retraites des hommes réunissant toutes les qualités du cœur
et de l'esprit. En effet, comme nous l'avons vu, la science y
était cultivée aussi bien que la vertu. Les monastères étaient
déjà au ve et au vie siècle ce qu'ils ont été pendant tout le
moyen âge, un foyer de lumières et un centre de civilisation.
Thierry, roi d'Austrasie, mourut la vingt-troisième année
de son règne, c'est-à-dire l'an 534. Ce prince avait plusieurs
des belles qualités qui font un grand roi et des vices qui
font un méchant homme. Quoiqu'il pratiquât rarement la
vertu, il la respecta toujours et la récompensa souvent. Il
eut surtout à cœur de faire rendre une exacte justice à ses su-
jets. Il fit à ce dessein composer un corps de droit ou une
collection des lois des Francs, des Allemands et des Bavarois :
car sa domination s'étendait sur ces peuples au delà du
(1) Greg. Tur., de Glor. confess., c. xvi. — On a vu de même des femmes qui ont
servi comme soldats dans les armées sans être reconnues.
[534) EN FRANCE . — LIVRE VI. 249
Rhin (1). Il ajouta à ces lois les articles qu'il jugea néces-
saires, et il en retrancha certains usages qui étaient des restes
de paganisme ou de barbarie ; mais il ne put les abolir tous.
Théodebert, son fils, qui lui succéda, parut avoir hérité des
vertus et des vices de son père. Avec un cœur enclin aux plus
violentes passions, il avait de la grandeur d'âme et de la no-
blesse dans les sentiments. On espérait tout de son règne : il
l'inaugura par une action qui fît tout craindre et qui scanda-
lisa son peuple et alarma l'Église. Il avait épousé Yisigarde,
fille de Yacon, roi des Lombards ; mais en faisant la guerre
contre les Goths il fut épris de la beauté d'une dame nom-
mée Deutérie, sa prisonnière de guerre , et dès qu'il fut sur le
trône, se croyant tout permis parce qu'il pouvait tout, il
l'épousa quoiqu'elle fût mariée aussi bien que lui. Les Francs
en murmurèrent en vain : un jeune prince puissant et pas-
sionné n'écoute que la passion qui le domine , et le temps seul
peut le guérir. Théodebert demeura sept ans engagé dans ce
scandaleux commerce, malgré les réprimandes et les exhor-
tations de S. Nicet, évêque de Trêves, jusqu'à ce que l'objet
même de sa passion en fournît le remède (2).
Deutérie avait de son premier mari une fille qui, parles
grâces de sa jeunesse, commençait à donner de l'ombrage à
sa mère : de quoi n'est pas capable une femme jalouse et sans
pudeur ! Cette mère dénaturée ne vit plus dans sa fille qu'une
rivale, dont elle résolut la perte; et comme cette fille passait
sur le pont de Yerdun dans une basterne (3), elle la fit préci-
piter dans la rivière, sacrifiant ainsi la vie de celle qu'elle
avait mise au monde aux soupçons de son amour criminel (4).
Mais un attentat si odieux acheva de détruire le charme qui
fascinait Théodebert : il ne put aimer une parricide , et quoi-
qu'il en eût un fils nommé Thibauld, il la répudia pour re-
prendre sa légitime épouse. Malgré ces coupables désordres,
(1) Append. nov. edit. Oper. Greg. Tur.; p. 1334.— (2) Greg. Tur. 1. III, c. xxii,
XXiii. — (3) On appelait ainsi au ive siècle une litière portée par des mulets.
('») Greg. Tur., 1. III, c. xxvi, xxvii.
250 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [535]
ce prince faisait paraître de grands sentiments de religion
et de bonté, dont les habitants de Verdun ressentirent les ef-
fets.
Désidérat, évêque de cette ville, avait souffert plusieurs
mauvais traitements de la part du roi Thierry, qui l'avait exilé
et dépouillé de ses biens. Rendu à son Église après la mort de
ce prince, il fut vivement affligé de l'extrême indigence dans
laquelle il trouva son peuple à son retour. Il s'adressa à
Théodebert et lui demanda à emprunter une somme d'argent
qui pût mettre les citoyens de Verdun en état de rétablir leur
commerce. Le roi lui donna sept mille écus d'or, somme alors
très-considérable. Quelques années après, l'évêque étant allé
la lui reporter, il refusa de la recevoir en lui disant qu'il était
assez satisfait d'avoir secouru les pauvres (1). Ces traits de
bonté et de compassion pour les malheureux ne contribuent
pas moins à faire les grands rois que les actions les plus hé-
roïques.
Dès la seconde année de son règne Théodebert permit aux
évêques de ses États de s'assembler dans la ville d'Auvergne
pour traiter des affaires de la religion. Ils commencèrent le
concile par prier à genoux pour la personne du roi et la pros-
périté de son règne. Ensuite, après s'être fait lire les anciens
règlements, ils jugèrent à propos d'en renouveler quelques-
uns et d'en ajouter de nouveaux. Ils firent seize canons, qui
furent souscrits le 8 novembre après le consulat de Paulin le
Jeune, c'est-à-dire l'an 535. Nous donnons ici les plus remar-
quables (2) :
I. Dans les conciles aucun évêque ne proposera d'affaires
particulières avant qu'on ait réglé ce qui concerne la disci-
pline et la réformation des mœurs.
II. Ceux qui auront brigué la protection des grands pour
obtenir l'épiscopat, qui auront engagé les uns par présents et
(1) Greg. Tur., 1. III, c. xxxiv.— (2) Conc. GalL, t. I, p. 241. — Labb., t. IV,
p. 1803.
|SÔ] EX FRANCE. — LIVRE VI. 251
>> autres par menaces à signer le décret de l'élection, se-
!i nt privés de la communion de l'Église qu'ils veulent gouver-
r.
III. Il est défendu de couvrir les corps morts des voiles qui
rvent à l'autel et aux sacrés mystères.
V. On excommunie ceux qui demandent aux rois les biens
; l'Église et on en déclare nulle l'impétration.
VI -VII. Quand on porte le corps d'un prêtre au lieu de la
pulture, il est défendu de le couvrir des voiles qui servent
couvrir le corps du Seigneur. Il est également interdit de
-êter les vases sacrés pour servir aux noces.
XII. On excommunie ceux qui contractent des mariages in-
;stueux et nommément celui qui épouse la veuve de son
ère et la sœur de sa femme.
On ne pouvait désigner plus clairement le roi Glotaire.
3S Pères du concile ne jugèrent pas à propos de parler des
ariages adultères, dans la crainte d'aigrir Théodebert, leur
mverain. Un zèle prudent dissimule quelquefois les abus
)ur mieux les corriger.
XV. Il est défendu de célébrer les saints mystères dans les
Gloires particuliers aux principales fêtes de l'année, c'est-à-
re à Noël, à Pâques et à la Pentecôte. Les prêtres et les
acres qui ne sont pas attachés au service de la ville ou des
iroisses, mais qui demeurent dans les maisons de cam-
igne, se rendront auprès de l'évêque pour célébrer avec
i ces solennités. Les principaux (1) des citoyens revien-
xmt pour le même sujet à la ville, sous peine d'excommu-
cation.
Ce canon est renouvelé des conciles précédents.
XVI. On renouvelle aussi les anciens règlements sur la
mtinence des prêtres et des diacres, et on leur défend, aussi
en qu'aux évêques, de laisser entrer dans leur chambre
'!) H y a dans le latin : natu majores: cette expression, aussi bien que seniores,
;nifie souvent : les plus distingués, les seigneurs.
252 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [53,
ou dans leur cabinet aucune femme étrangère, pas même de
servantes ou des vierges consacrées à Dieu. (On était persuad
que la bonne réputation d'un ecclésiastique contribue plu
que toute autre chose à rendre son ministère efficace.)
La division de la monarchie franque en divers royaume
donna lieu à plusieurs injustices, qu'il n'était pas au pouvoir d
l'Église d'empêcher. Les Pères du concile d'Auvergne eurei ■
recours à l'autorité royale. Ils écrivirent une lettre commune
Théodebert pour le conjurer de ne pas permettre que les sujet
d'un roi fussent dépouillés des biens qu'ils possédaient dan
un autre royaume. « C'est, lui disent-ils, ce que nous atter
dons de votre piété et de votre justice. Ce sera un moyen d'aï
tirer de nouvelles prospérités sur votre règne , et votre gou
vernement en deviendra une image plus parfaite de celui du
Seigneur. Nous vous demandons très-humblement que vo
sujets et ceux des rois vos oncles (1), soit évêques, clercs o\i
laïques, puissent jouir librement des biens qui leur appar
tiennent, en payant les tributs ordinaires : ce qui sera mêm<
plus profitable à votre épargne. »
Quinze évêques se trouvèrent à ce concile; ils souscriviren
dans l'ordre suivant (nouvelle preuve que dans les souscrip-
tions on n'avait souvent égard ni à l'ancienneté dans l'épis-
copat ni à la dignité des sièges) : Honorât de Bourges, qui
présida comme métropolitain; S. Gai d'Auvergne; S. Gré-
goire de Langres; S. Hilaire des Gabales, c'est-à-dire deMende;
Rurice de Limoges, second du nom et petit-fils de Rurice Ier,
(deux prélats distingués par leur noblesse et par leur piété :
l'un fit bâtir une église en l'honneur de S. Pierre, et l'autre
en fit bâtir une en l'honneur de S. Augustin); Flavius de
Reims, successeur de S. Romain ; Nicet de Trêves; Deutérius
de Lodève; S. Dalmace de Rodez, successeur de S. Quintien;
Loup de Ghâlons-sui -Marne; Domitiende Cologne (2); S. Ve-
(1) Il y a dans le texte: des rois vos pères, patrum vestrorum, au lieu de patruorum.
On donne quelquefois le nom de pères aux oncles.
(2) Le P. Lecoiute et Fleury font Domitien évêque de Tongres ; nous avons
5] EN FRANCE. LIVRE VI. 253
i at de Viviers, honoré le 9 août ; S. Hespérius de Metz; Dé-
jj.érat de Verdun , successeur de S. Vannes; Gramace de
1 idisch, dont le siège a été transféré à Constance.
Les exemples de ces saints évêques et de plusieurs autres
|i faisaient alors la gloire de l'épiscopat dans les Gaules,
j ivaicnt pas empêché quelques prélats d'oublier la sainteté
leur ministère. Contuméliosus de Riez, qui avait assisté
quatrième concile d'Arles, au second de Vaison et à celui
Carpentras, n'en fut pas plus religieux observateur des ca-
qs. On l'accusa de' plusieurs crimes et nommément d'im-
dicité. Le scandale était grand , le remède fut prompt.
Césaire et les autres évêques de la province instruisirent
ssitôt le procès du coupable, et, lui ayant fait confesser ses
mes, ils en envoyèrent la relation au pape Jean II, succes-
ir de Boniface II, pour le consulter sui1 la manière dont ils
vaient agir dans cette affaire. Le pape écrivit trois lettres à
sujet, dont deux sont datées du 7 avril sous le consulat de
ulin le Jeune, c'est-à-dire l'an 534. La première est adressée
x évêques des Gaules (1). Il leur fait connaître qu'ayant lu
ir relation, d'après laquelle Contuméliosus est atteint et
nvaincu de plusieurs crimes, il juge qu'il doit être privé de
s fonctions et enfermé dans un monastère ; de plus qu'il
it présenter une requête aux évêques pour demander la pé-
tence et faire par écrit dans cette requête l'aveu de ses
ates. Il ordonne aussi d'établir à sa place un visiteur, qui ne
mrra cependant pas faire d'ordinations ni administrer les
ens de l'Église, c'est-à-dire qu'il devait seulement avoir
s pouvoirs qu'ont aujourd'hui les vicaires généraux.
Le pape , par sa seconde lettre , mande au clergé de Riez
le leur évêque, étant convaincu par sa propre confession de
lusieurs crimes , est indigne de son ministère ; qu'ainsi il
u devoir suivre les éditions des conciles des PP. Sirmond , Labbe et Hardouin,
u ont seulement fait remarquer que le manuscrit de Pithou porte : Domitien
Tongres.
(1) Joan. pap. Epist., t. I Conc. GalL, p. 237. — Labb,, t. IV, p. 1754.
254 HISTOIRE DE LEGLISE CATHOLIQUE [535
leur ordonne d'obéir au visiteur qui sera nommé par Césaire
évêque d'Arles , et qui n'aura de pouvoir que pour régler ce
qui concerne les sacrés mystères. La troisième lettre es
adressée à S. Césaire. Le pape lui marque qu'il est affligé d<
la perte de Contuméliosus , mais qu'il faut observer la rigueu:
des canons. « C'est pourquoi , dit-il, nous le suspendons pa
notre autorité de l'épiscopat... Ordonnez-lui de se retire
dans un monastère pour y pleurer ses péchés... et établisse,
un visiteur jusqu'à ce que cette Église ait un autre évêque.
Le pape joignit à cette lettre plusieurs autorités tirées de
lettres du pape Sirice , des canons des apôtres et de ceu:
d'Antioche, concernant la déposition des évêques et de
prêtres convaincus de quelque crime.
On trouve joint à ces pièces un mémoire qui paraît être d
Césaire , et qui devajjt servir de réponse à ceux qui parlaien
de rétablir Contuméliosus (1). On y rappelle d'abord l'auto
rité du concile de Nicée et de plusieurs autres ; on y cil
même l'autorité de Fauste de Riez, comme d'un saint évêque
qui avait dit dans une lettre : Celui-là perd la grâce de Vordr
sacré qui veut encore faire l'office de mari. « Cela étan
ainsi, ajoute l'auteur du mémoire, avec quelle pudeu
pourra-t-on prétendre que celui qui est coupable d'un adul
tère puisse être rétabli? >> Ce trait nous fait connaître le crim
dont Contuméliosus était accusé. En terminant son mémoire
l'auteur établit qu'on ne doit pas refuser la sépulture dan
le cimetière des fidèles à ceux qui ont été condamnés à mor
pour leurs crimes, ni rejeter les offrandes qu'on fait pou
eux; mais qu'il faut retrancher de la communion ceux qn
violent les tombeaux (2).
Le pape Jean étant mort l'année suivante , Contuméliosu
appela au Saint-Siège du jugement rendu contre lui par le
(1) Conc. GalL, t. I, p. 232. — Labb., t. IV, p. 1756.
(2) Les richesses qu'on enfermait dans les tombeaux avec les corps étaient 1
cause de ces attentats. Pour les prévenir, on affranchissait des esclaves à cou
dition qu'ils garderaient les sépulcres de leurs anciens maîtres.
35] EN FRANCE. — LIVRE VI. 255
rêques en conséquence des lettres de ce pape. Agapet, qui
?cupait le Saint-Siège, reçut favorablement son appel et
îsolut de nommer des commissaires pour examiner la pro-
idure de S. Gésaire. Il en écrivit à ce saint évêque et lui
larqua que, la cause de Gontuméliosus intéressant l'honneur
3 tout l'épiscopat, il était à souhaiter que cet évêque, qui
mit eu recours à l'appel, pût se justifier (1).« C'est pourquoi,
t— il , nous déléguerons , Dieu aidant , pour examiner selon
s canons et la justice les procédures que vous avez faites
ms cette cause... Quoique le défenses Émérite , que nous
fons blâmé , ait avec votre agrément rétabli cet évêque dans
m Eglise jusqu'à l'entière décision de cette affaire, pour la-
îelle nous lui déléguerons des juges, nous voulons néan-
oins qu'en attendant il demeure suspendu de l'administra-
3n des biens de l'Église et de la célébration de la messe ;
l'on lui rende seulement ses biens propres... »
Agapet ne jugeait donc pas que l'appel fût suspensif quant
ces peines. Il trouve cependant mauvais qu'on ait enfermé
Dntuméliosus dans un monastère , et il semble ignorer que
, Gésaire n'avait agi en cela que de l'avis du pape Jean.
Vous eussiez mieux fait, ajoute-t-il, de ne pas permettre
d'après son appel on fit rien contre sa personne. Car si l'on
Let en exécution la première sentence, de quoi sert-il de
ire de nouvelles informations? Ajoutez à cela que, quand
lême il n'aurait pas réclamé contre ce jugement, il lui était
bre selon les canons de choisir une vie privée plutôt que
'embrasser l'austérité de la vie religieuse. » La lettre est
atée du 18 juillet après le consulat de Paulin le Jeune, c'est-
-dire l'an 535. Agapet ajoute qu'il joint à cette lettre un
îcueil de canons : on ne le trouve plus. Il paraît que ce saint
ape n'avait encore été instruit de cette cause que par Gon-
iméliosus lui-même.
Par une autre lettre du même jour Agapet refuse à S. Gé-
(!) Agapiti Epist., t. lConc. G«U.,p. 239. — Labb. Cône., t. IV, p. 1798.
256 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [537]
saire la permission d'aliéner les fonds de l'Église, même en
faveur des pauvres : « Nous avons tant d'envie, dit-il, de
soulager les pauvres et de vous faire plaisir que nous vous
accorderions volontiers ce que vous nous demandez ; mais
nous en sommes empêché par les canons des Pères, qui dé-
fendent, pour quelque motif que ce soit, d'aliéner les terres
de l'Église. » Il cite à ce sujet un décret du pape Symmaque
porté dans un concile de Rome (1).
On ne sait quelle fut l'issue (2) de l'affaire de Contumélio-
sus ; mais on voit par les procédures que nous avons rappor-
tées quel était le zèle des évêques des Gaules pour réprimer
le scandale jusque dans leurs confrères. Une Eglise bien
disciplinée n'est pas précisément celle où il ne se commet pas
de fautes : c'est celle où elles ne demeurent pas impunies.
Ces évêques n'avaient pas moins de courage pour s'opposer
aux scandales que donnaient quelques seigneurs francs.
S. Nicet de Trêves ne cessait de s'élever avec une fer-
meté inflexible contre les désordres du roi Théodebert. Il
savait que rien n'est plus contagieux que le mauvais exemple
des grands , et que celui du prince est la première loi des
courtisans. En effet, plusieurs seigneurs de la première no-
blesse imitèrent Théodebert dans ses débauches et se por-
tèrent à des excès non moins scandaleux, en contractant des
mariages incestueux. S. Nicet, voyant les exhortations et les
réprimandes inutiles , prit en main le glaive de l'autorité spi-
rituelle et retrancha ces seigneurs -de la communion des
fidèles. Ils méprisèrent les censures de l'Église, ce que font
souvent ceux qui les méritent le plus, et prétendirent se
trouver à l'office divin malgré l'évêque ; mais ils furent con-
fondus.
Le roi , accompagné de ces courtisans excommuniés , était
entré dans l'église un jour de dimanche pour assister à la
(1) Agapiti Epis t. ad Cœsarium, apud Labb., t. IV, p. 1798.
(2) Il y a tout lieu de croire qu'il ne recouvra pas son siège.
[537] EN FRANCE. — LIVRE VI. 257
messe; après qu'on eut récité les leçons marquées par l'an-
cien rituel et fait l'oblation sur l'autel, S. Nicet se tourna vers
le peuple et dit à haute voix : « Nous ne célébrerons pas ici
la messe aujourd'hui, à moins que les excommuniés ne sor-
tent auparavant de l'église (1). » Le roi Théodebert, qui re-
gardait comme un affront personnel celui qu'on faisait aux
seigneurs de sa suite, s'opposait à ce qu'on les fit sortir; mais
il eut sa part de la confusion : car un jeune homme tour-
menté du démon commença à publier dans l'église les vertus
de l'évèque et les adultères du roi. Le prince, épouvanté et
2t confus, ordonna qu'on chassât cet énergumène. Mais l'évè-
que, s'adressant au roi, dit qu'il fallait que les incestueux,
[es homicides et les adultères sortissent auparavant : on obéit
i l'évèque, et à l'instant le possédé disparut sans qu'on pût ïe
fe trou ver.
S. Nicet se rendait redoutable à tous les pécheurs. En
3rêchant son peuple il faisait quelquefois des portraits si res-
semblants des vices qu'on y reconnaissait les coupables. Cette
iberté, que son zèle jugeait utile en certaines rencontres,
'exposa à de grandes persécutions ; mais ce saint évêque ne
feignait que le Seigneur dans l'exercice de son ministère et
lisait souvent : Je mourrai volontiers pour la justice. Il
l'avait rien à craindre de la part de Théodebert.
La passion qui captivait le cœur de ce prince n'avait pas
îteint chez lui les sentiments de la religion. Tout engagé qu'il
îtait dans un mariage adultère , il ne pouvait souffrir les ma-
riages incestueux. Il voulut s'instruire sur ce point des rè-
gles de l'Église , apparemment pour les faire observer. Les
}lus vicieux ont quelquefois du zèle contre les vices qu'ils ne
se reprochent pas. JComme Théodebert s'était rendu maître de
a Provence et d'une partie de l'Italie, il chargea Moderic, son
imbassadeur, de consulter le Saint-Siège sur la pénitence que
levait faire celui qui avait épousé la sœur de sa femme. Vi-
(1) Greg. Tur. Vit. PP , c. xmi.
TOME ii. 17
258 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [538]
gile , par les artifices et l'autorité de l'impératrice Théodora,
femme de Justinien, était alors intrus dans la chaire de
S. Pierre à la place de S. Silvère, successeur de S. Agapet.
Il fut bien aise d'avoir cette occasion d'usurper les fonctions
du souverain pontife. Outre la réponse qu'il fit au roi, il manda
à S. Gésaire que c'était aux évêques des lieux à régler la pé-
nitence et à l'abréger selon que la ferveur du pénitent parais-
sait le mériter. Il recommande surtout qu'on prenne des me-
sures pour empêcher les coupables de retomber. C'est
pourquoi il ordonne qu'on sépare ceux qui ont contracté ces
mariages incestueux, et charge S. Gésaire de prier le roi de
tenir la main à ce que rien de semblable n'arrive dans la suite.
La lettre est datée du 6 mars (l)sous le consulat de Jean, c'est-
à-dire l'an 538. On traita encore des mariages incestueux au
troisième concile d'Orléans, qui se tint cette même année.
Théodebert, dont le règne devenait de jour en jour plu*
éclatant, en fit rejaillir en partie la gloire sur l'Eglise, en lui
procurant les moyens de veiller au maintien de sa discipline
par la tenue des conciles. Childebert, roi de Paris, ne montrait
pas moins d'amour pour la religion , et il fit presque oublier
par ses vertus que l'ambition l'avait rendu coupable du
meurtre de ses neveux. Ces deux princes firent donc assem-
bler les évêques de leurs États à Orléans au commencement
de mai 538. Ce concile fit trente-trois canons, dont nous
allons rapporter les principales dispositions (2).
L Le métropolitain tiendra tous les ans un concile avec ses
sufTragants, et s'il passe deux ans en temps de paix sans en
convoquer, il sera un an entier suspendu de la célébration de
la messe. Les sufTragants qui sans raison de maladie se dis-
penseront d'assister au concile ( convoqué par le métropoli-
tain ) seront soumis à la même peine , sans que la diversité
des royaumes puisse servir d'excuse.
(1) Vigil. Ep. ad Cœsar., t. I Conc. Gall., p. 240. — Fleury, t. VII, p. 394, dit
que la lettre est du 3 mars: il a mal supputé. Vigile, qui était intrus quand il
l'écrivit, devint ensuite pape légitime.— (2) Conc. Gall., t. I, p. 248. — Labb., t.V.
p. 294.
[538] EN FRANCE. LIVRE VI. 259
II. Les sous-diacres et les autres clercs des ordres supé-
rieurs garderont la continence, sous peine d'être réduits à la
communion laïque , et si un évêque leur laisse exercer leurs
fonctions, il fera trois mois de pénitence (1).
III. Les métropolitains seront ordonnés par des métropo-
litains en présence des évêques delà province; mais ils seront
élus, selon les décrets du Saint-Siège, par les suffragants, du
consentement du clergé et des citoyens.
IY. On recommande encore aux ecclésiastiques d'éviter
toute familiarité avec les femmes. Si quelque évêque ou
quelque clerc refuse d'observer là-dessus les décrets, il sera
excommunié pendant trois ans ; que si l'on prouve qu'il soit
coupable d'adultère, il sera dégradé selon les canons. Le
métropolitain sera corrigé en ce point par ses suffragants, et
l' évêque suffragant par le métropolitain et les autres évêques
de la province.
V. Les offrandes qui sont faites aux églises des cités seront
sous la puissance de l'évêque, et il réglera à son gré ce qu'il
en faudra assigner pour les réparations de l'église et pour
l'entretien de ceux qui la desservent. Quant aux offrandes
faites aux paroisses et aux églises de la campagne, on obser-
vera la coutume des lieux.
YI. On n'ordonnera de laïque qu'après un an de conversion,
c'est-à-dire après qu'il aura fait vœu de continence depuis
un an ; on n'ordonnera un diacre qu'à vingt-cinq ans et un
prêtre qu'à trente. On n'ordonnera pas non plus les bigames,
ni ceux qui sont mutilés (2), ou qui ont été publiquement
tourmentés du démon, sous peine pour ceux qui seraient
ainsi ordonnés d'être dégradés, et pour l'évêque qui les or-
donnerait d'être suspendu pendant six mois.
VII. Il est défendu à tous les clercs de se marier après leur
ordination. Ceux qui ont été ordonnés malgré eux seront
(1) Le célibat continua d'être imposé aux sous-diacres.
(2) Il y a dans le latin semus corpore, c'est-à-dire tronqué, mutilé.
260 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [538]
déposés, mais ils ne seront pas excommuniés. L'évëque qui
ordonnera un clerc malgré lui fera un an de pénitence et
demeurera tout ce temps suspendu de la célébration de la
messe. Un clerc des ordres supérieurs qui sera convaincu
d'adultère ou qui avouera ce crime, sera déposé et renfermé
dans un monastère pour le reste de sa vie ; mais on lui accor-
dera la communion. [C'est la peine qu'on avait décernée
contre l'évëque Contuméliosus.)
VIII. Le clerc convaincu de vol ou de falsification sera dé-
posé, mais on lui accordera la communion. Celui qui sera
convaincu de faux témoignage en justice sera excommunié
pendant deux ans.
X. On recommande l'observation des canons contre les
mariages incestueux ; mais on déclare qu'on doit user d'in-
dulgence envers ceux qui ont péché en ce point par ignorance,
surtout envers les gentils qui se convertissent, et qu'il faut
tolérer ces sortes de mariages contractés avant leur bap-
tême.
XI. Les clercs qui s'autorisent de la protection des laïques
pour se dispenser de leurs devoirs ou pour s'élever contre
leurs évèques, seront retranchés du canon où sont les autres
clercs et n'auront plus de part aux rétributions de l'Église.
Les clercs attachés au service d'une église et qui en rece-
vaient des rétributions étaient inscrits dans un canon ou ca-
talogue, et on les nommait pour ce sujet canonici. C'est l'o-
rigine du nom de chanoine, comme nous l'avons déjà re-
marqué.
XII. Toute aliénation ou engagement des biens ecclésiasti-
ques est déclaré nul, et les biens qui ont été aliénés ou
engagés au détriment de l'Église pourront être retirés dans
l'espace de trente ans.
XIII. On fait quelques règlements en faveur des esclaves
chrétiens qui sont au service des Juifs, et on défend à tous
les fidèles, sous peine d'un an d'excommunication, de manger
avec les Juifs; on leur interdit aussi d'épouser des personnes
[538] EX FRANCE. — LIVRE VI. 261
de cette nation, sous peine d'être excommuniés jusqu'à ce
qu'ils s'en soient séparés.
Les Juifs étaient alors en grand nombre dans les Gaules.
XIY. Aux fêtes les plus solennelles la messe sera célébrée
à la troisième heure, c'est-à-dire à neuf heures du matin,
afin que les prêtres puissent plus commodément se trouver à
l'office des vêpres.
XV. Un évêque ne doit pas aller dans le diocèse d'un autre
évêque pour y faire des ordinations ou consacrer des au-
tels. S'il le fait, les clercs seront déposés, mais l'autel demeu-
rera consacré, et l'évêque transgresseur des canons sera
pendant un an suspendu de la célébration de la messe. Pour
les clercs qui, sous quelque prétexte que ce soit, demeurent
dans un autre diocèse, ils ne pourront être promus à aucun
honneur de la cléricature sans le consentement par écrit de
leur propre évêque.
On voit ici que l'usage des dimissoires est bien établi.
XVII. Un évêque ne pourra ôter aux clercs les biens de
l'Église qu'ils tiennent de la libéralité de ses prédécesseurs;
mais, s'il le juge à propos, il peut les échanger : il faut cepen-
dant que les clercs qui jouissent de ces bienfaits rendent
service à l'Église et obéissance aux ôvêques. Quant aux libé-
ralités que l'évêque aurait faites lui-même, il peut les~ô!er à
ceux qui s'en rendraient indignes par leur désobéissance.
Ce canon nous apprend qu'il y avait dès lors des bénéfices
dont l'évêque ne pouvait priver à son gré les clercs qui en
étaient pourvus.
XVIII. Pour les clercs qui sont tirés de l'église de la ville
pour gouverner des monastères, des basiliques ou des dio-
cèses, il sera au pouvoir de l'évêque de déterminer comme il
voudra s'ils conserveront quelque chose des biens ecclésias-
tiques qu'ils avaient auparavant ou s'ils n'en garderont rien.
Car les biens du monastère, de la basilique ou du diocèse
dont ces clercs prennent le gouvernement, leur doivent en-
tièrement suffire.
262 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [538]
XIX. Les clers contumaces seront réduits à la communion
laïque.
XXI. Si des clercs conspirent ensemble pour se révolter
contre l'autorité, par des serments qu'ils se font les uns aux
autres ou par des écrits qu'ils signent, comme il est mani-
feste, dit le concile, qu'il est arrivé depuis peu en plusieurs
lieux à l'instigation du démon, qu'on n'excuse nullement
cet attentat ; mais qu'il soit dénoncé au concile, qui punira
les coupables selon la qualité et le rang des personnes.
XXIV. On ne donnera pas la pénitence aux jeunes gens ni
aux personnes mariées, . sans le consentement des 'parties et
si elles ne sont pas dans un âge mûr.
La pénitence obligeait à la continence.
XXV. Ceux qui quittent la pénitence seront excommuniés
jusqu'à la mort, mais on leur accordera le viatique.
XX YI. On n'ordonnera pas d'esclaves ou de colons (1) à
moins qu'il ne soit constant qu'ils aient été affranchis dans
les formes.
XXVII. Il est défendu, sous peine de dégradation, aux dia-
cres et aux autres clercs des ordres supérieurs de prêter à
usure ou d'exercer quelque négoce pour un gain sordide,
même sous un nom emprunté ; on leur accordera cependant
la communion (2).
XXVIII. Il est permis de voyager le dimanche avec des
chevaux, des bœufs ou des chariots, de préparer à manger
et de faire ce qui convient à la propreté des maisons et des
personnes. Mais on défend de vaquer aux travaux de la cam-
pagne, c'est-à-dire, comme le concile l'explique, de labourer,
de travaillera la vigne, de faucher, de moissonner, de battre
le grain, d'essarter ou de faire des haies. Si quelqu'un est sur-
(1) La servitude de ceux qu'on nommait colons, coloni, était plus douce que celle
des serfs, servi : les colons étaient obligés de cultiver des terres dont ils rendaient
aux maîtres une partie des fruits.
(2) Suivant les canons des apôti'es on n'excommuniait pas les clercs qu'on dé-
posait. Nous avons vu cependant que cette discipline n'était pas généralement ob-
servée, et qu'on joignait assez souvent l'excommunication à la déposition.
[538] EN FRANCE. — LIVRE VI. 263
pris s'occupant à*ces travaux, ce n'est pas aux laïques, mais
à l'évèque à le punir.
XXIX. Aucun laïque ne doit sortir de l'office avant qu'on
ait dit l'oraison (1) dominicale, et si l'évèque est présent on
attendra sa bénédiction ; personne ne devra assister à la
messe et à l'office des vêpres avec des armes.
Ceci regarde particulièrement les Francs, qui marchaient
toujours armés. Nous avons vu aussi, en parlant de l'ordina-
tion de S. Germain, que les Gaulois portaient des armes dans
l'église.
XXX. Il est interdit aux Juifs de se trouver avec les chré
tiens depuis le jour de la cène du Seigneur jusqu'à la se-
conde férié de Pâques.
On craignait apparemment ou que les Juifs n'insultassent
les fidèles au sujet de la passion, ou que la présence de ces
meurtriers de Jésus-Christ ne portât en ce saint temps les
fidèles à venger sa mort.
XXXI. Le juge laïque qui ne punira pas les bonosiens et
autres hérétiques qui auront rebaptisé quelque catholique,
sera excommunié pendant un an.
Il y avait donc des peines contre les hérétiques et une
obligation pour les magistrats de les infliger.
XXXII. Un clerc ne pourra poursuivre un laïque devant un
tribunal séculier, ni y être traduit par un laïque sans la per-
mission de l'évèque.
Ces canons furent souscrits le 7 du troisième mois (2), c'est-
à-dire de mai, par dix-neuf évêques présents et par les députés
(1) Il y a dans le latin de missis : ce mot se prend souvent pour les diverses
heures de l'office divin,, qui étaient toutes terminées par l'oraison dominicale ,
comme elles le sont encore aujourd'hui.
(2) De ce que le mois de mai est ici nommé le troisième mois., le P. Pagi con-
clut que les Francs commençaient alors l'année à Pâques. Ce n'est pas ici le lieu
d'examiner quand a commencé en France cet usage ; nous remarquons seulement
que la preuve apportée par ce critique est peu solide. Pâques fut cette année, 538,
le 4 avril : ainsi, si l'on commença l'année à Pâques, mai était seulement le second
mois. Mais, soit que l'on commençât l'année à Pâques ou au mois de janvier, mai
était toujours nommé le troisième mois, comme septembre était appelé le septième,
ainsi que le marque son nom.
204 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [538]
de sept absents. Cinq métropolitains (1) souscrivirent les pre-
miers : S. Loup de Lyon, qui présida; S. Pantagathe de
Tienne, S. Léon de Sens, S. Arcade de Bourges, S. Flavius
ou Flieu de Rouen, assisté de tous ses suffragants, savoir :
Leucadius de Baveux, S. Lô de Coutances, Passivus de Sécz,
Théodebaud, le premier évèque que nous trouvons de Lisieux,
quoique ce siège soit plus ancien, Licinius d'Évreux et Per-
pétue d'Avranches représenté par un député. Les plus célè-
bres parmi les autres évèques du troisième concile d'Orléans
sont : Injuriosus de Tours, S. Eleuthère d'Auxcrre, S. Au-
bin d'Angers, S. Gai d'Auvergne, S. Agricole de Chalon-sur-
Saône et S. Grégoire de Langres.
Ce dernier mourut peu de temps après le concile, dans la
quatre-vingt-dixième année de son âge et la trente-troisième
de son épiscopat. Sa mort eut lieu à Langres, où il s'é-
tait rendu pour la fête de l'Epiphanie ; mais il fut enterré à
Dijon, où était sa demeure habituelle. Un miracle opéré à ses
funérailles augmenta l'opinion que l'on avait conçue de sa
sainteté. Comme on portait son corps au lieu de la sépulture,
les prisonniers implorèrent son secours, et à l'instant la pri-
son devant laquelle passait le convoi s'ouvrit miraculeuse-
ment (2). Il est honoré le 4 janvier. S. Tétric, son fils, fut son
successeur.
S. Loup de Lyon avait mené la vie solitaire dans l'ile Barbe
près de Lyon. L'éclat de ses vertus le fit élever sur le siège
de cette grande ville après la mort de S. Yiventiole, ou, selon
quelques-uns, après un second Eucher, que nous ne croyons
pas nécessaire d'admettre. L'Église honore la mémoire de
S. Loup le 25 septembre.
S. Pantagathe de Vienne, non moins distingué par ses ta-
lents que par sa noblesse, avait occupé dans le monde la posi-
(1) Fleury, t. VII, p. 397, parlant des évêques de ce concile dit : Le premier était
loi//', archevêque de Lyon^ puis trois autres archevêques ; il fallait dire : puis quatre
autres. D'ailleurs le nom (Tarclirvêque pour signifier métropolitain n'était pas
encore en usage alors dans l'Occident.
(2) Greg. Tur„ de Vit. PP., c. vu.
[Ô38] E.\ FRANCK. LIVRE A I. 2G5
tion la plus élevée. Mais le mépris de ces avantages lui ac-
quit une plus solide gloire et rendit plus éclatante celle qu'il
procura à l'Église par son érudition et sa piété (1). Il mourut à
Page de soixante-cinq ans, avant l'année 541, pendant laquelle
se tint le quatrième concile d'Orléans; il est honoré le 17 avril.
S. Agricole de Ghalon était issu d'une famille de sénateurs ;
il se rendit recommandante par son aménité, sa prudence et
sa vie austère; on admirait son rare génie et son éloquence.
Sa taille fort petite contrastait avec ce qu'il y avait de grand
et d'élevé dans son caractère (2), Il fît faire plusieurs beaux
édifices à Chalon, et entre autres une église soutenue de
belles colonnes et ornée d'ouvrages en mosaïque. Il fut élu
évêque de cette ville vers l'an 532 et tint le siège quarante-
huit ans, pendant lesquels nous le verrons encore dans la
suite assister à plusieurs conciles. Il mourut âgé de quatre-
vingt-treize ans, et il est honoré le 17 mars.
S. Aubin, qui fut une des lumières du troisième concile
d'Orléans, était originaire du territoire de Tannes. Il quitta
ses parents dès sa jeunesse et se retira au monastère de ïincil-
lac, dont la situation exacte n'est plus connue : il paraît cepen-
dant probable qu'il était situé dans l'Anjou (3) . Aubin en fut élu
abbé à l'âge de trente-cinq ans, et pendant vingt-cinq années 4
qu'il gouverna ce monastère, il y fît fleurir toutes les vertus re-
ligieuses. Mais il en fut tiré, malgré son humilité , pour être
placé sur le siège d'Angers (5). Dans cette nouvelle dignité il
s'appliqua à soulager les pauvres par ses aumônes, à défendre
ses concitoyens, à visiter les malades et à racheter les captifs.
Il ressuscita un mort et rendit la vue à trois aveugles en faisant
(t) Epilaph. Pantagathi, apud Andream Duchesne, 1. 1 Script. Hist. Fr., p. 515.
(2) Greg. Tur. Hist., 1. VI, c. xlv. — C'est le sens qu'on doit donner à.
l'expression de Grégoire de Tours : humanitatis ej.iyuœ erat, c'est-à-dire : il était
de petite taille.
(3) Fort'unat passa par Tincillac en allant de Poitiers à Angers. Ainsi il ne faut
pas chercher ce monastère dans la Bretagne, comme font quelques auteurs.
(4) Fleury, t. VII, p. 297, dit que S. Aubin gouverna ce monastère seulement
cinq ans : c'est une erreur.
(5) Fortun. Vit. Albini, p. 4, apud Boll., I mart.
266 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [538]
le signe de la croix sur leurs yeux. Fortunat raconte les cir-
constances de ces miracles. Il exalte surtout le zèle de ce saint
évéque contre les mariages incestueux et il nous apprend
qu'il travailla dans plusieurs conciles à corriger cet abus. Les
canons du troisième concile d'Orléans peuvent en être une
preuve. Sa fermeté sur ce point de discipline lui attira quel-
ques mortifications.
Une personne puissante qu'il avait excommuniée à ce sujet
s'en plaignit au concile, qui était apparemment celui de la
province. Les évêques l'obligèrent à lever l'excommunica-
tion. Il obéit; mais comme ces prélats le priaient de bénir les
eulogies qu'ils envoyaient à cette personne en signe de com-
munion, il répondit : Je suis contraint par vos ordres de
donner ma bénédiction; mais tandis que vous abandonnez la
cause de Dieu, il saura bien la défendre. En effet , la personne
excommuniée mourut avant l'arrivée de celui qui lui portait
ces eulogies de la part du concile.
S. Aubin avait tant à cœur de purger l'Église de ces ma-
riages incestueux qu'il fit le voyage d'Arles pour consulter
S. Césaire sur cette question. Il fut accompagné par S. Lubin,
depuis évêque de Chartres et alors abbé de Brou. Ghildebert,
étant venu à Angers, qui était de son royaume, rendit de
grands honneurs à S. Aubin. Ce saint évêque gouverna son
Église vingt ans et six mois, et mourut vers l'an 550 à l'âge
de quatre-vingts ans, le 1er mars, jour auquel l'Église
honore sa mémoire. Sa Vie a été écrite par Fortunat de Poi-
tiers et adressée à Domitien d'Angers, successeur de S. Aubin
après Eutrope (1).
Tels étaient les plus saints évêques qui assistèrent au troi-
sième concile d'Orléans. On est surpris qu'il n'en soit pas
venu des États de Glotaire, quoiqu'il y eût aussi dans ce
royaume de grands et saints évêques. Mais on doit suppo-
ser que ce prince n'était pas alors en bonnes relations avec
Ghildebert et Théodcbert.
(1) Vit, Leobini. — Vit. Albini, n. 19.
38] EN FRA.NXE. — LIVRE VI. 267
S. Vaast, évèque d'Arras, vivait encore et jouissait d'une
•ande estime auprès de Clotaire, qui savait apprécier la
3rtu quoiqu'il ne fût rien moins que vertueux (1). Un sei-
peur franc invita un jour le saint évèque à dîner chez lui
bec le roi. S. Yaast trouva plusieurs coupes remplies de
ère qui avaient été offertes au démon et qui devaient servir
îx idolâtres invités à ce repas : car il y en avait encore, sur-
mt parmi les Francs établis du côté de Cambrai. Yaast fît le
gne de la croix sur ces vases, et ils se brisèrent aussitôt en
résence du roi et des seigneurs, qui demeurèrent saisis d'une
linte frayeur. Le saint évèque en prit occasion de parler
Dntre la vanité des superstitions païennes et convertit à la
)i plusieurs des assistants. Il gouverna son Église quarante
os et mourut vers l'an 540; il est honoré le 6 février. Il fut
nterré dans l'église cathédrale, d'où son corps fut transféré
n un oratoire qu'il avait fait élever sur les bords du Crinchon
t où il avait choisi sa sépulture. On y a bâti dans la suite la
Éèbre abbaye de Saint- Vaast. Il eut pour successeur S. Domi-
ique, et celui-ci S. Védulfe, qui transféra le siège épiscopal à
ambrai.
S. Médard était aussi alors dans le royaume de Clotaire
ne des plus éclatantes lumières de l'épiscopat. Il était né à
alency près de Noyon d'un seigneur franc nommé Nectard
t d'une dame romaine, c'est-à-dire gauloise (2), nommée
rotagie (3). Il montra dès son enfance un tendre amour pour
h pauvres. S'il en rencontrait en paissant les troupeaux
e son père (car cette occupation innocente n'avait alors
ien de vil ) , il donnait ce qu'il avait apporté pour sa nourri-
ire et jeûnait le reste du jour. Sa mère, comme celle du
îune Samuel, lui avait fait une robe, et un jour qu'il allait
(1) Vita Vedasti ab Alcuino emendata, apud Boll., 8 febr.
(2) Nous avons déjà remarqué que les Gaulois étaient nommés Romains, parce
a'ils avaient été sujets de l'empire romain.
(3) Vita AJedardi, apud Surium, 8 junii. — Fortunat. Vita S. Medardi , t. VIII
pfeif., c. ii, p. 391.
268 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [538]
à l'écoie dans la ville do Yermandois, depuis nommée Saint-
Quentin, elle la lui donna pour la faire racommoder par un
ouvrier; mais le saint enfant en revêtit un pauvre qu'il ren-
contra sur son chemin. Il avait pour condisciple un jeune
homme nommé Éleuthère, avec qui il se lia d'une étroite ami-
tié et auquel il prédit l'épiscopat. Ce jeune homme est S. Éleu-
thère évêque de Tournay, dont nous parlerons plus bas.
Les vertus de Médard croissaient avec l'âge, et sa réputation
avec ses vertus. Il était déjà connu dans presque toute la
Gaule lorsqu'après la mort d'Allomère, successeur de So-
phronius, qui avait assisté au premier concile d'Orléans, il fut
ordonné évêque de Yermandois par S. Remi, vers l'an 530. Il
transféra son siège à Noyon, ville plus fortifiée que l'ancienne
Auguste, capitale du Yermandois, qui avait été ruinée par
les courses des barbares dans le ve siècle. Mais rien ne
montre mieux l'estime qu'on avait du mérite de ce saint
évêque que ce qu'on crut devoir faire en sa faveur contre les
règles ordinaires de la discipline. S. Eleuthère, évêque de
Tournay, étant mort quelque temps après, S. Médard fut élu
du consentement du roi, du peuple et du clergé pour gouver-
ner cette Église conjointement avec celle de Noyon, et les
deux Églises gouvernées par un même évêque demeurèrent
unies pendant plus de six cents ans.
S. Eleuthère avait succédé à Théodore sur le siège de
Tournay. C'était un des plus grands diocèses de toute la
Gaule, et peul-être celui où il restait le plus d'idolâtres (1).
Eleuthère cultiva ce vaste champ avec un zèle infatigable. Il
fit beaucoup et souffrit encore plus; mais ses miracles con-
vainquirent enfin les esprits en même temps que sa douceur
lui gagnait les cœurs. Il ressuscita, lorsqu'elle était déjà inhu-
mée, la fille d'un tribun, et il ne se vengea des mauvais trai-
tements qu'il avait reçus des habitants de Tournay, la plupart
(1) Vit. Eleuth., apud Bolland., (Ofebr. — Le diocèse de Tournay s'étendait alors
jusqu'à Gand et Anvers.
538j EN FBAKCÉ. — LIVEE VI, 269
tlolûtrcs, qu'en les délivrant par ses prières d'une maladie
•onfagieuse. Un homme si puissant en œuvres ne pouvait
nanquer de l'être en paroles. Il convertit un grand nombre
le païens par ses prédications, et l'on assure qu'il eut la con-
olation d'en baptiser onze mille en une semaine. S. Eleu-
hère fit plusieurs fois le pèlerinage de Home pour puiser et
•enouveler l'esprit de l'apostolat au pied des tombeaux des
)rinccs des apôtres. Il mourut ssintement vers l'an 531,
iprès avoir reçu le corps du Seigneur avec de grands senti-
nents de piété; il est honoré le 20 février.
S. Médard ne s'était rendu à Tournay que pour y faire les
unérailles de S. Eleuthère, son ami particulier. Mais la Pro-
vidence avait sur lui d'autres vues pour le bien de cette
iglise, dont il fut obligé de prendre le gouvernement sans
[uitter la sienne. Alors son zèle parut s'accroître avec son
roupeau, qui ne se ressentit pas du partage qu'il fut obligé
le faire de ses soins. S. Médard mourut après quinze ans
t'épiscopat, et sa mort ne fut pas moins éclatante que sa vie,
iar la pompe de ses obsèques et les miracles qui les accom-
lagnèrent. Dès que le roi Clotaire eut appris sa maladie, il
lia avec un pieux empressement le visiter et lui demander
a bénédiction. Ce prince n'en demeura pas là. Pour se con-
oler de la mort de ce saint évêque, qu'il regardait comme un
hissant protecteur auprès de Dieu, il fit porter son corps à
>oissons, où il tenait sa cour, et promit de faire bâtir une
glise et un monastère sur son tombeau dans une de ses
erres nommée Crouy (1). C'est l'origine du célèbre monastère
ie Saint-Médard de Soissons. Les chaînes de plusieurs prison-
niers furent brisées pendant le convoi, et Grégoire de Tours
es avait vues attachées au tombeau du saint en mémoire du
airacle (2).
Ste P\adegonde avait encore plus de vénération pour
fi) Fortun. VitaS. Medardi, c. vu, t. VII! Spicii:, p. 394. — [T,Gvcg. Tur. Hist.
IV, c. xix.
270 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [539]
S. Médarcl (1) que le roi Clotaire, son mari. Elle avait été
élevée clans le diocèse de ce saint évêque, et il y a lieu de
croire que ce fut lui qui versa dans le cœur de cette princesse
les heureuses semences des vertus chrétiennes qu'elle fit
éclatera la cour. Clotaire, dont elle était prisonnière, comme
nous l'avons dit, l'avait épousée malgré elle. Mais l'horreur
qu'elle avait de ses concubinages et de ses mariages inces-
tueux la faisait gémir en secret des liens qui l'attachaient à
ce prince voluptueux. Elle se levait souvent la nuit et quittait
la couche royale pour vaquer à la prière (2). Ses plus chères
délices étaient d'aller servir les malades clans un hôpital
qu'elle avait établi à Athies, où elle avait été élevée; elle
croyait perdu tout ce qu'elle n'avait pas donné aux pauvres.
Gémissant comme Esther des vaines parures que son rang
l'obligeait de porter, elle cachait un rude cilice sous l'éclat et
la mollesse de ses habits et trouvait le moyen de pratiquer une
exacte abstinence à la table même du roi. Clotaire, qui l'aimait
passionnément à cause de sa beauté, se plaignait souvent
qu'il avait pour épouse non une reine, niais une religieuse.
Raclegonde fit servir son autorité à l'extirpation de l'ido-
lâtrie. Ayant été invitée un jour par une dame franque à dîner
dans une maison de campagne , elle vit avec douleur, en s'y
rendant, un temple où des Francs exerçaient encore leurs su-
perstitions. Elle commanda aussitôt qu'on y mît le feu, et,
malgré la résistance des idolâtres, qui s'efforçaient de dé-
fendre leurs dieux , elle ne quitta pas la place qu'elle n'eût vu
le temple réduit en cendres (3).
Une cour aussi licencieuse que celle de Clotaire n'était
pas digne de posséder longtemps une si sainte princesse. Ra-
degonde avait souvent pressé vainement le roi de lui pér-
il) S. Médarcl est honoré le 8juin; on le nomme en quelques provinces S. Mard.
Nous ne voulons pas examiner s'il était frère de S. Godard de Rouen, et s'ils
naquirent, furent ordonnés et moururent le même jour, comme on le croit com-
munément.
(2) Fortun. Vit. Radeg., 1. I, c. II. — (3) Baudon. Vit. Tîadeg., 1. II, c. H.
[540] EN FRANCE. LIVRE VI. 271
mettre de se retirer pour se consacrer à Dieu. Ce prince
ayant fait mourir sur de vains soupçons un frère qu'elle aimait
tendrement, et qui avait été fait prisonnier avec elle, le
chagrin qu'elle en ressentit lui fit redoubler ses instances, et
elle obtint enfin le consentement qu'elle désirait. La princesse
se retira aussitôt à Noyon et pria S. Médard, qui vivait en-
core, de la consacrer à Dieu en lui donnant le voile. Des
seigneurs francs, qui étaient présents, s'y opposaient et vou-
laient employer la violence pour éloigner S. Médard de l'autel.
Radegonde, voyant ces oppositions , entra dans la sacristie,
s'y revêtit elle-même de l'habit de religieuse, et, revenant à
L'autel aux pieds du saint évêque , lui dit : Si vous différez
davantage de me consacrer à Dieu , vpus ferez voir que vous
craignez plus les hommes que vous ne craignez le Seigneur.
S. Médard lui imposa donc les mains et l'ordonna (1) dia-
conesse : ce qui semble montrer que les canons du second
concile d'Orléans n'étaient pas observés dans le royaume
de Clotaire. On ne voit pas en effet que les évêques de ce
royaume y aient assisté.
Radegonde, au comble de ses vœux, offrit aussitôt sur l'au-
tel les vêtements précieux qu'elle venait de quitter. C'étaient
comme les dépouilles de l'Égypte, dont elle voulait orner
l'arche du Seigneur. Elle aimait trop tendrement les pauvres
pour les oublier dans cette occasion : elle fît rompre en mor-
ceaux un cercle d'or pour leur être distribués. Cette princesse,
se voyant ainsi dégagée des biens qui l'attachaient au monde,
s'empressa de visiter les plus célèbres solitaires du pays pour
(1) Vit. Raoeg. Fort., 1. I, c. n. — Le P. Mabillon dit qu'il est difficile d'expliquer
comment S. Médard a p_u canoniquement consacrer à Dieu l'épouse d'un roi sans
que ce prince fût obligé à garder la continence. L'explication ne nous semble pas
difficile à donner. S. Médard a dû regarder ce mariage comme nul, soit par dé-
faut de consentement soit à cause de la bigamie, puisque Clotaire avait plusieurs
femmes encore vivantes lorsqu'il épousa Radegonde. Il est certain d'ailleurs que la
question de l'indissolubilité du mariage n'était pas alors dans la Gaule aussi éclaircie
qu'elle le fut dans la suite , et nous y verrons même des conciles décider, quoi-
que mal à propos, qu'un mari dont la femme prend le voile de religieuse peut se
remarier. (Concil. Vernense, can. 13.)
272 HISTOIRE DE L'EGLISE CATHOLIQUE
apprendre d'eux les voies de la perfection. On compte parmi
eux S. Eumère ou Jumère; S. Dadon, qui était abbé d'un mo-
nastère , et S. Gondulfe , qu'on prétend avoir été dans la suite
évêque de Metz (i). Après s'être édifiée de leurs vertus, elle
leur fit présent de plusieurs de ses joyaux et se rendit
ensuite au tombeau de S. Martin, pour lequel elle avait ré-
servé ce qu'elle avait de plus précieux. Quand elle y eut sa-
tisfait sa dévotion , elle se retira dans une terre que le roi lui
avait donnée sur les confins du Poitou et de la Touraine, et
elle y passa plusieurs années dans tous les exercices de la
charité chrétienne et de la mortification religieuse avec de
saintes filles qu'elle s'associa.
Les austérités qu'elle pratiqua dans cette retraite eussent
paru dignes d'admiration même dans un ancien solitaire :
combien étaient-elles plus admirables dans une jeune reine,
que sa naissance et sa beauté faisaient juger si digne de la
couronne qu'elle venait de quitter pour porter la croix de
Jésus-Christ! Depuis qu'elle eut été consacrée à Dieu par
S. Médard jusqu'à la fin de sa vie, elle ne mangea ni chair,
ni poisson, ni œufs, ni fruits; elle ne buvait ni vin ni bière.
Sa nourriture était du pain bis, des légumes et de l'eau (2).
Pendant le carême elle vivait enfermée dans une cellule et ne
prenait son repas que tous les quatre jours; à l'exemple de
S. Germain d'Auxerre, elle avait l'habitude de moudre elle-
même le grain qui lui était nécessaire pour vivre pendant ce
saint temps.
A peine Radegonde avait-elle commencé à goûter les dou-
ceurs de la solitude , qu'elle apprit que Glotaire se repentait
d'avoir consenti à sa retraite et songeait à la rappeler à sa
cour. Consternée de cette nouvelle, elle redoubla ses austé-
(1) C'est ce que la Vie de Ste Radegonde marque de S. Gondulfe. Mais comme
on ne trouve de Gondulfe évêque de Metz que dans le ixe siècle, c'est ou une
omission dans les catalogues, ou, ce qui est plus probable, c'est dans la Vie de
Ste Radegonde une addition de quelque copiste, qui, sachant qu'il y avait eu un
Gondulfe évêque de Metz, a cru que c'était celui dont il est ici question.
(2) Fortun. Vita Radeg., 1. I, c. vu.
540] EX FRANCE. — LIVRE VI. 273
•ités et eut recours aux prières des serviteurs de Dieu. Il y
ivait à Chinon un saint prêtre reclus appelé Jean (1). Il était
ire ton de nation et renommé pour sa sainteté et ses mira-
îles. Radegonde le fit prier de la recommander à Dieu dans
;ette circonstance, et lui envoya en aumône un des orne-
nents royaux qui lui restaient, en or massif et garni de pier-
reries du prix de mille sous d'or. Elle lui demandait en
Eâee qu'il lui envoyât un cilice en échange et qu'il lui fit sa-
voir ce que le Seigneur lui avait révélé concernant l'affaire qui
'intéressait. Le saint homme, après avoir prié, lui fit dire qu'il
lait vrai que le roi avait la volonté de la rappeler, mais que
)ieu ne permettrait pas qu'il l'exécutât. Cette réponse rendit
a tranquillité à la sainte princesse , et elle ne songea plus
[u'à plaire au nouvel Époux qu'elle avait choisi (2] .
L'exemple de Ste Glotilde, qui vivait encore dans sa retraite
le Tours, pouvait servir à soutenir la ferveur de Radegonde.
Uotilde n'avait d'autres sujets de chagrin que les dissensions
[u'elle voyait naître entre les rois ses enfants. Le crime n'est
amais le nœud d'une alliance solide et constante. Glotaire
;t Childebert, qui s'étaient réunis pour le massacre de leurs
îeveux , se divisèrent bientôt pour des raisons que l'histoire
îe nous a pas apprises : mais des princes voisins l'un de l'autre,
ussent-ils même frères, n'en manquent jamais.
Glotaire entra dans le royaume de Childebert et pénétra
lans la Neustrie jusqu'à l'embouchure de la Seine. Ghildebert
ît son neveu Théodebert, qui avait fait alliance avec lui, l'y
suivirent et luixoupèrent la retraite. Il se retrancha dans la
"orêt Bretonne (3' ou de Routotprès de la Seine, vis-à-vis. de
Gaudebec. Mais ses forces étaient si inégales que sans un
axiracle il ne pouvait manquer d'y périr.
(1) S. Jean de Chinon est honoré le 5 mai. Sa cellule était voisine de l'église, et
1 avait un petit jardin où il avait planté des lauriers, au sujet desquels Grégoire
le Tours rapporte quelques faits miraculeux.
(2) Baudon. Vita Badeg., 1. II, c. iv. — Greg. Tur., de Glor. confess., c. xxm.
(3) Cette forêt est nommée Arelaunum par les anciens auteurs , et il y avait auprès
me maison royale de ce nom.
TOME II. 18
274 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [541]
Glotilde, à la nouvelle du danger que courait Glotaire
assiégé dans ses retranchements, passait les jours et les nuits
en prière auprès du tombeau de S. Martin. Le Seigneur fut
touché de ses larmes et en faveur de la mère il épargna le
fils. Déjà Childebert et Théodebert avaient tout préparé pour
donner l'assaut et forcer Glotaire, lorsqu'il survint tout à
coup un furieux orage accompagné d'éclairs, de tonnerre et
de grêle , qui jeta la consternation et le trouble dans tout le
camp. La grêle était si grosse que les soldats furent obligés
de se couvrir la tête avec leurs boucliers. On prétend même
qu'il tomba des pierres mêlées avec la grêle. Ce qui parut
plus miraculeux, c'est que la tempête ne se fit nullement
sentir dans le camp de Clotaire : ainsi personne ne douta
que le Ciel ne combattît pour lui. Ce miracle accordé aux
prières de Ste Glotilde en produisit un second : il fit succéder
l'amitié à la haine qui armait ces frères l'un contre l'autre (1).
Ste Glotilde vécut encore quelques années et mourut à
Tours vers l'an 545, sous l'épiscopat d'Injuriosus. Princesse
véritablement grande sur le trône , où elle ne monta que pour
faire régner Jésus-Christ sur le cœur de son mari et de ses-
sujets; plus grande encore lorsqu'elle en descendit, pour
se sanctifier dans la retraite par la pratique de toutes les
bonnes œuvres. Son corps fut porté à Paris accompagné d'un
nombreux clergé, et ses deux fils, Glotaire et Childebert, la
firent enterrer auprès de son mari dans l'église des Saints-
Apôtres, qu'elle avait fait bâtir, et qui prit depuis le nom de
Sainte-Geneviève (2). Ony conservalongtemps ses reliques (3).
Les saints établissements que fit Clotilde sont des preuves
subsistantes de sa piété et de sa libéralité. On la reconnaît
pour fondatrice du célèbre monastère de Saint-Germain
d'Auxerre bâti sur le tombeau de ce saint. Elle fonda à Tours
un monastère de religieuses dédié à S. Pierre, où Ste Moné-
(I) Greg. Tur., 1. III, c. xxvm.— (2) Greg. Tur., 1. IV, c. i. — (3) Les reliques
ont disparu et l'église a été démolie pendant la révolution ; la rue Clovis a été
ouverte sur son emplacement.
{54 1] EN FRANCE. — LIVRE VI. 275
gonde se retira ; elle en fonda également un autre pour des
religieuses à Chelles dédié à S. Georges, et un troisième aux
Andelys près de Rouen, dédié à la Mère de Dieu. L'auteur de
sa Vie lui attribue aussi la fondation du monastère de Rouen
depuis nommé Saint-Ouen (1) ; mais d'autres écrivains en
font honneur à Clotaire. Cette pieuse reine fit Mtir plusieurs
autres églises, entre autres une collégiale à Laon en l'hon-
neur de S. Pierre et une autre église à Reims sous l'invoca-
tion du même saint, qui fut appelée depuis Saint-Pierre-le-
Yieux. On célèbre la fête de Ste Clotilde le 3 juin.
Clotaire n'était pas encore bien réconcilié avec les autres
rois francs lorsque se tint en 541 le quatrième concile d'Or-
léans , où l'on ne voit en effet aucun évêque de son royaume,
si ce n'est peut-être Injuriosus de Tours : car il paraît que
cette ville fut cédée à Clotaire. Les disputes qui s'élevèrent
en ce temps-là sur le jour auquel on devait célébrer la Pâque
furent la principale cause de la convocation de ce concile. On
y fit trente-huit canons ; nous transcrivons ceux qui peuvent
le mieux faire connaître la discipline de ce siècle (2).
I. Tous les évêques célébreront la Pàque le même jour selon
le cycle de Yictorius , et chaque évêque annoncera cette fête
à son peuple le jour de l'Epiphanie. Si quelque doute s'élève
à ce sujet, les métropolitains consulteront le Saint-Siège, et
l'on s'en tiendra à sa réponse.
Le cycle de Yictorius, qu'on propose ici pour règle, n'était
pas sans erreur , et Yictor de Capoue fit voir vers le même
temps que l'auteur s'était trompé en marquant la Pâque de
l'année 455 le 17 avril, tandis qu'elle devait être le 24.
II. Le carême sera uniformément observé dans toutes les
Églises, sans qu'aucun évêque le fasse commencer à la Sexa-
gésime ou à la Quinquagôsime. Mais aussi personne, sans
raison d'infirmité, ne devra se dispenser de jeûner les sa-
li) Apud Boll., Annal, ad Vit. Clot. — (2) Conr. Gall., t. I, p. 2GI.. — Labb.,
t. V, p. 380.
276 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [541]
médis (1) de carême; il ne sera permis de dîner que le di-
manche.
Le repas qu'on prenait les jours de jeûne, se faisant le soir,
se nommait souper. On ne faisait donc pas encore alors de
collation les soirs des jours de jeûne.
III. Si quelqu'un des principaux citoyens est obligé de
s'absenter de la ville à Pâques et aux fêtes solennelles, il ne
le fera qu'avec la permission de l'évêque.
IV. Que personne n'offre dans le calice d'autre liqueur que
du vin mêlé d'eau, parce que c'est un sacrilège d'offrir autre
chose que ce que le Seigneur a ordonné.
Les Francs assaisonnaient souvent leur vin de miel et
d'absinthe, et c'est ce qui donna lieu à ce canon.
V. L'évêque doit être sacré dans son Église; si cela ne se
peut , il faut du moins qu'il le soit dans sa province par les
évêques de sa province , en présence ou par l'autorité du mé-
tropolitain.
VI. Les évêques doivent avoir soin que les clercs des pa-
roisses aient un exemplaire des canons, afin qu'eux et leurs
peuples ne puissent prétexter leur ignorance.
VII. On n'admettra pas de clercs étrangers pour desservir
les oratoires des maisons de campagne sans l'agrément de
l'évêque diocésain.
XI. Il est défendu aux abbés et aux prêtres de s'attribue!
ce qui est donné aux monastères ou aux paroisses.
XII. Les évêques qui ont des procès entre eux les termi-
neront dans l'espace d'un an , et on se séparera de la com-
munion de celui qui refusera de terminer le différend dans le
terme prescrit.
XIII. Tous les clercs seront exempts des charges publiques,
et le juge qui les leur imposera, s'il ne se désiste après avoir
été averti, sera excommunié. Les évêques, les prêtres et les
(I) Quand on commençait le carême à la Sexagésime, on ne jeûnait pas les sa-
medis , et c'est la raison pourquoi le concile, en défendant de commencer sitôt le
carême, ordonne de jeûner les samedis.
[541] EN FRANCE. — LIVRE VI. 27 7
diacres seront pareillement exempts de tutelle; parce qu'il
est juste que les chrétiens jouissent d'un privilège que les
lois civiles accordaient aux prêtres des idoles.
XV. On excommuniera ceux qui, après avoir reçu le bap-
tême , mangent des viandes immolées aux démons , s'ils ne
s'en corrigent après avoir été avertis par les évèques.
XVI. On traitera de la même manière les chrétiens qui ju-
rent, suivant la coutume des gentils, sur la tète des ani-
maux sl) en invoquant les dieux [2] des païens.
Ces canons font assez voir qu'on faisait encore alors des
sacrifices aux idoles dans les Gaules; ce qui n'est pas sur-
prenant de la part des Francs : car ils n'avaient reçu la foi
qu'après les Gaulois.
XX. Qu'aucun laïque n'ait la hardiesse d'emprisonner,
d'interroger ou de condamner un clerc sans l'autorité de l'é-
vèque ou du supérieur ecclésiastique ; mais que le clerc ,
averti par le supérieur ecclésiastique , se trouve à l'audience
et n'ait recours à aucun subterfuge pour décliner le jugement.
Quand il y a procès entre un clerc et un laïque, le juge laïque
ne doit donner audience qu'en présence d'un prêtre ou d'un ar-
chidiacre. Si le clerc veut poursuivre un procès devant un tri-
bunal laïque, le supérieur ecclésiastique devra le lui permettre.
XXI. L'asile des églises sera sacré, et ceux qui le viole-
ront seront excommuniés.
XXII. Il est défendu, sous peine d'excommunication, d'é-
pouser une fille par autorité de quelque puissance que ce
soit.
XXIV. On ne tolérera pas que les esclaves se réfugient
dans les églises pour se marier ensemble ; ils seront sépares
et rendus à leurs parents et à leurs maîtres.
(I) Les Francs adoraient la tête d'un bœuf. On en trouva une idole dans le
tombeau de Childéric : c'est peut-être de cette superstition que parle le concile en
disant : ad caput alicujus ferœ vel pecudis.
(2/ Il y a dans le texte, invo.:atis nominibus pajanorum : nous croyons qu'il faut
lire, numinibus.
278 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [541]
XXYI. Si les clercs des paroisses établies sur les terres des
seigneurs négligent leurs devoirs sous prétexte de servir
leurs maîtres , ils seront admonestés et corrigés par l'archi-
diacre de la ville.
XXYII. Les homicides qui auront obtenu grâce de la justice
séculière, ne laisseront pas d'être soumis à la pénitence au
gré de l'évêque.
XXIX. On punira non-seulement les clercs impudiques,
mais encore les femmes avec lesquelles ils auront été surpris
dans le crime (1); elles seront châtiées au gré de l'évêque,
et s'il l'ordonne, on les chassera de la ville.
XXX. Si les esclaves chrétiens qui servent les Juifs se ré-
fugient dans l'église ou auprès de quelque chrétien, on les
rachètera ajuste prix.
XXXI. Il est défendu aux Juifs de circoncire les étrangers
et les chrétiens ou -d'épouser des esclaves chrétiennes. Un
Juif qui pervertit un esclave chrétien perdra tous ses esclaves ;.
et si quelque esclave chrétien a été mis en liberté à condition
de se faire juif, la condition est nulle.
XXXIII. Si quelqu'un veut avoir une paroisse dans sa terre,
il devra lui assigner des revenus suffisants et des clercs pour
la desservir.
XXXI Y. Celui à qui l'évêque a donné la jouissance d'une
terre de l'Église sa vie durant, ne pourra rien aliéner des
profits qu'il y fera , et ses parents ne pourront rien s'en at-
tribuer.
On voit ici que les fruits perçus des biens ecclésiastiques
n'appartenaient pas aux héritiers.
Léonce de Bordeaux présida ce concile , où se trouvèrent
trente-huit évèques présents et les députés de douze absents.
Les métropolitains Aspais d'Eauze (2), Flavius de Rouen et
(1) Il y £i dans le texte, in adulterio : ce terme est souvent employé par les au-
teurs de ce siècle et des suivants pour signifier l'inceste et la simple fornication.
(2) Fleury, t. VII, p. 427, met: Aspase d'Eauze oud'Auch. Ces sièges, qui ont été
unis dans la suite, étaient alors si distingués qu'on voit dans ce concile même nu
1 5-11] EN FEANCE. LIVRE VI. 279
Injuriosus de Tours souscrivirent les premiers après Léonce.
S. Gallican d'Embrun souscrivit au rang des simples évêques.
Il était successeur de Catulin, qui assista au concile d'Epaone,
et il fut prédécesseur de S. Pélade, honoré à Gampreclon. Les
plus célèbres des autres évêques sont : S. Gyprien de Toulon,
Rurice de Limoges, S. Gai d'Auvergne, S. Dalmace de Rodez,
S. Agricole de Chalon-sur-Saône, S. Firmin d'Uzès, S. Inno-
cent du Mans, S. Eleuthère d'Auxerre, Eumérius de Nantes,
S. Arcade (1) de Bourges, honoré le 1er août, et S. Lô de
Coutances. Ces deux derniers n'y assistèrent que par dé-
putés.
Il y avait à ce concile des évêques des quatre provinces
Lyonnaises (2), des deux Viennoises, des Alpes Grecques et
Maritimes, des deux Narbonnaises, des provinces d'Aquitaine,
de la Novempopulanie et de la province des Séquaniens, c'est-
à-dire de toutes les provinces des Gaules excepté des deux
Germanies et des deux Belgiques.
On ne sait pas d'une manière certaine si Léonce de Bordeaux,
qui présida le concile , fut le premier ou le second évêque de
ce nom qui gouverna cette Église. L'un et l'autre illustrè-
rent l'épiscopat par leurs talents et leurs vertus. Le premier
est honoré comme saint le 21 août ; le second l'est dans son
évêque d'Audi (Proculeianus, episc. civitatis Auscensis) , et un évêque d'Eauze
{Aspasius, episc. Eccl. Elusanœ).
(1) Fleury, t. VII, p. 428, dit que S. Arcade était alors malade de la maladie
dont il mourut. Il transcrit le P. Lecointe, qui semble s'autoriser de la Vie de
S. Désidérat ; mais cette pièce n'est qu'une misérable rapsodie, et l'on peut seu-
lement en conclure qu'Arcade mourut Tan 5il . Le Patriarchium de Bourges le fait
vivre jusqu'en 545.
(2) Fleury, t. VII, p. 427, fait beaucoup de fautes en peu de mots. Il dit que les
évêques de ce concile étaient rassemblés de tous les trois royaumes de France et de toutes
les provinces des Gaules, excepté la première Narbonnaise. Mais il n'y avait pas à ce
concile d'évêques du royaume de Clotaire, non plus que des deux provinces Germa-
niques et des deux BeTgiques ; au contraire, il y en avait do la première Narbon-
naise : car Uzès était de cette province. Quoique cette ville en ait été dans la suite
démembrée à cause de la domination des Gotlis, on n'a point de preuve qu'elle le
fût alors. Ce qui a trompé Fleury, c'est qu'il a copié sur le quatrième concile d'Or-
léans ce que le P. Lecointe a dit du cinquième concile de cette ville. C'est aussi
en suivant cet auteur qu'il reconnaît cinq provinces Lyonnaises. Les anciennes
notices n'en indiquent que quatre, et la province des Séquaniens doit plutôt être
comptée pour la troisième Germanie que pour la cinquième Lyonnaise.
280 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [541]
Église le 15 novembre, et, quoique les anciens martyrologes
n'en fassent pas mention , il fut un des plus grands et des plus
pieux évêques de son temps. Une illustre naissance, dont il ne
se glorifiait pas, et de grands biens, dont il était libéral, don-
nèrent un nouvel éclat au mérite personnel qui le distin-
guait (1). Il épousa dans sa jeunesse Placidine, qui comptait
parmi ses aïeux S. Sidoine et l'empereur Avite (2) , et il acquit
de la gloire par sa bravoure dans les guerres contre les Yisi-
goths d'Espagne. Mais dès lors ce qu'il y avait de plus dis-
tingué dans le siècle par la noblesse et le mérite se croyait
honoré par les dignités ecclésiastiques. Léonce fut élu évèque
de Bordeaux, le treizième de cette Église (3) et le second du
nom. Il ne regarda plus Placidine son épouse que comme sa
sœur. C'était une dame d'une grande piété et qui avait des sen-
timents dignes de sa naissance. Elle ne se sépara pas de son
mari en ce qui concernait les bonnes œuvres, auxquelles elle
voulut participer.
Léonce n'était pas entré dans l'épiscopat pour s'enrichir
des biens de l'Église : il voulait plutôt enrichir l'Église de ses
biens propres. Il employa, du consentement de sa femme, ses
grandes richesses à construire et à doter un grand nombre
d'églises. Il en fit bâtir une en l'honneur de S. Martin dans
une de ses terres, et deux autres en l'honneur de S. Vincent
martyr d'Agen ; il éleva la première sur les bords de la Ga-
ronne et il la fit couvrir de lames d'étain ; la seconde dans
un bourg d'Aquitaine nommé alors Vcrnemète, qui signifie en
ancien gaulois grand temple, d'où l'on peut conjecturer qu'il
y avait eu un temple fameux en cet endroit. Ce saint évèque
fit aussi bâtir une église en l'honneur de S. Nazaire, une
(1 ) Fort., 1. I, carm. 15.
(2) Placidine, femme de Léonce, était fille d'Arcade, petit-fils de S. Sidoine et ar-
rière-petit-fils de l'empereur Avite, dont Sidoine avait épousé la fille.
(3) Les frères de Sainte-Marthe dans la Gaina chrisliana ne comptent Léonce que
pour le onzième évèque de Bordeaux ; mais Fortunat nous «apprend qu'il était le
treizième.
•Tèrïius ailecinio huic urbi autistes haberis,
Secl primus meritis enumerandus eris.
[54 1] EX FRANCE. LIVRE VI. 281
autre sous l'invocation de S. Denis (elle avait été commencée
par son prédécesseur Amélius), et une troisième à Bordeaux
en l'honneur de la S te Vierge; on y allumait par ses soins
un si grand nombre de lampes que la clarté de la nuit ne le
cédait pas à celle du jour. Il étendit sa magnificence jusqu'aux
villes voisines : il fît rebâtir à Saintes l'église dédiée à S. Eu-
trope, premier évèque de cette ville ; il y fît achever celle com-
mencée par Eusèbe, évèque de Saintes, en l'honneur de S. Vi-
vien et il fit couvrir de lames d'argent et d'or le tombeau de
ce saint évèque (1). Nous aurons encore occasion de parler
de Léonce II de Bordeaux. Fortunat a fait l'éloge et Fépi-
taphe des deux évèques de ce nom. Il nous apprend - que le
premier vécut cinquante-sept ans, et le second cinquante-
quatre 2).
S. Firmin d'Uzès ^3) n'était pas moins distingué par sa
piété et sa noblesse. On le dispensa, en considération de son
mérite, des règles ordinaires, et après la mort de son oncle
llorice, évèque d'Uzès, qui l'avait élevé, il fut placé sur ce
siège, lorsqu'il n'était âgé seulement que de vingt-deux ans;
mais la prudence et la sainteté suppléent quelquefois au
nombre des années. La réputation de Firmin ne fut pas ren-
fermée dans la Gaule. La renommée de ses talents se répandit
au delà des Alpes, et le poëte Arator (4), qui était alors si cé-
lèbre en Italie, en fait un bel éloge. Il dit que, parmi un grand
nombre de bons évèques qui faisaient la gloire de l'Église
gallicane, Firmin se distinguait par son éloquence, et que
(!) Fort., 1. I, carm. G, 8, 9, 10, 11, 15. — (2) Fort., 1. IV, carm. 9, 10.
<v3) On lisait dans le Martyrologe romain le 11 octobre : Ucetiœ in Africa S. Fir-
episcopi. Urbain VIII a fait corriger cette faute. Baronius a soupçonné qu'il
fallait lh-e : Venciœ (à Vence) et a mis cette leçon en marge. Mais Deutérius de
Vence était avec Firmin au concile d'Orléans : ainsi Firmin ne pouvait être
évèque de Vence.
(4) Arator. Ep. ai Parlhenium. — Arator, sous-diacre de l'Église romaine,
composa un poë'me en deux livres sur les actes des apôtres. 11 le présenta au pape
Vigile devant la confession de S. Pierre , et ce pape le lui lit réciter publiquement
dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens. On donna tant d'applaudissements au poëte
et on lui rit répéter si souvent les beaux endroits qu'il faillit sept séances pour en
achever la lecture.
282 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [541]
l'éclat de son mérite se répandait au loin hors de sa
patrie.
S. Innocent du Mans, successeur de S. Principe, soutint la
réputation de son Église, qui depuis son établissement n'avait
eu que de saints évêques. Il se montra surtout le père et le
protecteur des moines : la protection qu'il leur accordait attira
dans les forêts du Maine un grand nombre de saints solitaires.
Nous avons déjà parlé de plusieurs d'entre eux. S. Innocent
fit achever sa cathédrale et y plaça des reliques des SS. Ger-
vais et Protais : ce qui fut cause que dans la suite cette église,
dédiée sous l'invocation de la Ste Vierge, porta aussi le nom
de ces saints martyrs (1).
Eumérius de Nantes, qui assista à ce concile, était aussi un
prélat distingué par sa naissance, son éloquence et sa cha-
rité envers les pauvres. Il avait exercé avec une grande inté-
grité l'office de juge : dans des fonctions de cette nature la
vertu est soumise à des épreuves décisives, et il ne se dé-
mentit pas dans i'épiscopat. Il commença l'église de Nantes,
qui fut achevée par son successeur Félix (2). Eumérius, ayant
trouvé dans son diocèse un enfant qui ne se souvenait pas
d'avoir été baptisé, mais seulement d'avoir eu la tète enve-
loppée d'un linge, consulta S. Trojan, évêque de Saintes, qui
lui répondit que le linge dont cet enfant se rappelait avoir
eu la tête enveloppée était un signe équivoque, puisqu'on
enveloppe souvent la tête pour cause de maladie. C'est pour-
quoi il conclut : « Sachez qu'il est ordonné que quiconque
ne se souvient point d'avoir été baptisé, personne d'ailleurs
ne pouvant prouver qu'il l'ait été, doit recevoir au plus tôt le
baptême, de peur qu'on ne nous demande compte de cette
âme si elle demeure privée de ce sacrement (3). » Le linge
dont on enveloppait la tête des nouveaux baptisés est un fait
digne d'intérêt : on procédait ainsi sans doute à cause de
(I) Act. Ejiisc. Cenoman. — (2) Fort., 1. IV, carm. t. — (3) Conr. Gall., t. I
p. 259.
[541] EX FRANCE. LIVRE VI. 283
l'onction du saint chrême, comme on le fait encore aujour-
d'hui à la confirmation.
S. Trojan, qui écrivait cette lettre, était si révéré de son
peuple, et sa sainteté était en si haute estime qu'il ne pou-
vait porter de franges à ses habits qu'on ne les arrachât aus-
sitôt pour les conserver comme des reliques. Il fut enterré
auprès de S. Vivien, dont le Seigneur avait rendu le tombeau
glorieux par un grand nombre de miracles qui s'y opéraient.
Bibien ou Vivien fut un des premiers évèques de Saintes. La
célébrité de son culte nous fait connaître l'éclat de ses ver-
tus, et le peu que nous en dit Grégoire de Tours, qui avait lu
sa Vie, nous en donne une grande idée (1).
S. Léon de Sens, qui vivait encore, ne se trouva pas au qua-
trième concile d'Orléans, peut-être parce qu'il avait alors
encouru la disgrâce de Childebert au sujet de l'évèché que ce
prince voulait ériger àMelun (2). Cette ville de son royaume
était du diocèse de Sens, et comme Sens faisait partie du
royaume de Théodebert, Childebert souffrait impatiemment
que ses sujets fussent soumis à un prélat dépendant d'un
autre prince. Il prit donc la résolution d'ériger un siège épis-
copal à Melun et il manda à Léon de se trouver comme mé-
tropolitain à l'ordination du nouvel évêque. Léon lui répon-
dit (3) qu'il avait reçu ses lettres avec respect, mais qu'il
était surpris qu'on voulût faire une pareille innovation sans
l'agrément du roi Théodebert, son maître; que pour lui il ne
pouvait se résoudre à voir ainsi passer entre les mains d'un
autre une partie de son troupeau.
« C'est pourquoi, grand prince, ajoute-t-il, gardez, je vous
en conjure, les canons des Pères et ne souffrez pas que du
vivant d'un évêque on en ordonne un autre, comme vous
(1) Greg. Tur., de Glor. coiifess., c. lix.
(2) La ville de Melun n'avait que le titre de castrum. On la nommait aussi Isia ,
apparemment à cause du culte d'Isis; ce qui a fait croire faussement au moine
Abbon, dans le ixe siècle, que Paris avait été nommé Paris parce qu'il était égal
à Melun : Isiœ quasi par, dit ce poëte.
(3) Leonis Epist., t.lConc. Gaîl., p. 258.
284 HISTOIRE DE L'EGLISE CATHOLIQUE [541]
écrivez que les habitants de Melun le demandent. Car s'ils le
font, ce qu'on ne peut croire, il faut les regarder plutôt
comme des déserteurs que comme des ouailles fidèles, et
un prince ne doit pas prêter l'oreille à de pareilles demandes,
qui ne peuvent causer que du scandale au lieu de procurer
la paix chérie de Dieu. Que s'ils veulent avoir un évêque par-
ticulier, parce que, les chemins nous étant fermés, nous ne
pouvons ni les visiter ni leur envoyer des visiteurs, ce n'est pas
à nous qu'on doit s'en prendre. Assurément si vous n'aviez pas
interdit les passages depuis si longtemps, ni nos infirmités
ni notre âge avancé ne nous eussent empêché de visiter, selon
la discipline de l'Église, un peuple confié à nos soins, ou au
moins d'y envoyer un visiteur, comme les canons l'ordon-
nent. » On voit ici bien établie l'obligation où sont les évèques
de faire la visite de leur diocèse ou d'y députer un visiteur
quand ils ne le peuvent par eux-mêmes.
Léon continue : « Au reste, vous devez être persuadé que
si l'on entreprend d'ordonner un évêque à Melun contre les
canons et sans notre consentement, ceux qui l'ordonneront
et celui qui sera ordonné demeureront séparés de notre
communion, jusqu'à ce que le pape ou le concile ait pris con-
naissance de cette affaire. » Il paraît que Childebert se rendit
à ces raisons et sacrifia les vues de la politique à l'observa-
tion des règles de l'Église ; du moins cette affaire n'eut pas
d'autres suites.
Léon de Sens mourut, fort âgé et plein de mérites, peu de
temps après ce différend. Le Martyrologe romain honore sa
mémoire le 22 avril, et elle doit être précieuse même aux
habitants de Melun : car s'il leur refusa un évêque, il leur
donna un apôtre dans la personne de S. Aspais (1). Ce fut
Léon qui envoya ce saint prêtre travailler à Melun sous ses
ordres. Aspais, dont le zèle était soutenu par une vie sainte,
y recueillit de grands fruits de ses travaux apostoliques, et il
(1) Brev. Se non.
[542] EX FRANCE. — LIVRE VI. 285
est honoré comme patron de la ville le 2 janvier. Avant la
tourmente révolutionnaire, ses reliques étaient conservées à
Melun, en partie clans son église et en partie dans l'église
dédiée à la Ste Vierge. Quelques auteurs l'ont confondu
mal à propos avec Aspais, évéque d'Eauze, dont nous avons
parlé.
L'Église des Gaules perdit vers le même temps un de ses
plus grands évêques. S. Césaire d'Arles, qui en faisait la gloire
depuis si longtemps par ses vertus et ses talents, mourut
l'an 542, dans la soixante-treizième année de son âge et la
quarantième de son épiscopat. Ses travaux et ses austérités
l'avaient encore plus affaibli que les infirmités de la vieillesse.
Il tomba malade au mois d'août, et au milieu de ses plus
vives douleurs il demanda si la fête de S. Augustin était
proche. Comme on lui eut répondu qu'elle n'était pas éloi-
gnée : « J'espère, dit-il, que le Seigneur ne mettra pas un
long intervalle entre ma mort et la fête de ce saint docteur,
parce que vous savez l'attachement que j'ai toujours eu à sa
doctrine très-catholique (1) : » il sentit bientôt que ses vœux
seraient exaucés.
La bonté de son cœur le rendait plus sensible à la douleur
qu'il voyait peinte sur tous les visages qu'à celle que lui
causait son mal. Dès qu'il sentit ses forces défaillir, il se fit
porter clans le monastère de filles qu'il avait fondé, pour les
consoler lui-même de sa mort prochaine : car leur affliction
était extrême, et souvent les pleurs et les sanglots interrom-
paient la récitation des offices. Deux cents religieuses vivaient
alors dans ce monastère établi depuis trente ans, et elles
étaient gouvernées par l'abbesse Césarie seconde du nom,
qui avait succédé à Ste Césarie, sœur de S. Césaire. Le saint,
évêque exhorta l'abbesse et la communauté, dans les termes
les plus tendres, à persévérer dans l'observance de la règle
qu'il leur avait donnée. Mais ce qu'il leur dit pour adoucir
(1) Vit. Cœsarii, 1. II, c. xxn, ap. Sur., 27 aug.
286 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [542]
leur douleur ne servit qu'à la rendre plus vive, en leur
faisant mieux sentir ce qu'elles perdaient. Après les conseils
et les exhortations les plus paternelles, il pria pour elles,
leur donna sa bénédiction et leur dit le dernier adieu, au-
quel elles ne répondirent que par leurs larmes et leurs san-
glots. Il se fît rapporter ensuite dans son église, où il mourut
entouré des évêques, des prêtres et des diacres, le 27 août,
avant la première heure du jour, le lendemain de la dédicace
de son monastère, la veille de la fête de S. Augustin et le
troisième jour après celle de S. Genès, martyr d'Arles.
Aussitôt qu'il eut rendu le dernier soupir, le peuple qui
était présent se jeta avec tant d'empressement sur ses habits,
que les évêques et les prêtres ne purent empêcher qu'ils ne
fussent mis en pièces pour être conservés comme des reli-
ques, et Dieu opéra dans la suite plusieurs miracles par leur
vertu. Il fut enterré dans l'église de son monastère dédiée
sous l'invocation de la Ste Vierge, et mis dans un des tom-
beaux de pierre qu'il avait fait préparer pour servir à la sé-
pulture des religieuses. Le deuil fut général à ses obsèques.
Comme le saint évêque avait fait du bien à tous, les bons et
les méchants, les chrétiens et les juifs réunirent tous leurs
larmes pour le pleurer, et pendant le service funèbre ils in-
terrompaient souvent le chant des psaumes en s'écriant :
Hélas! le monde était pas digne de posséder un si puissant
intercesseur . Éloge plus éloquent et plus glorieux que ceux
que la flatterie compose avec tant d'art.
S. Césaire fit un testament en forme de lettre adressée à
l'Église d'Arles et à l'abbesse Gésarie, par lequel il institue
le monastère et Fëvêque qui lui devait succéder pour ses
héritiers. Il conjure celui-ci, dans les termes les plus pressants,
de protéger les religieuses et de ne donner aucune atteinte
aux donations qu'il leur a faites de quelques biens de son
Église, avec le consentement de ses frères les évêques et par
l'autorité du pape. Il nomme dans ce testament son succes-
seur archevêque : c'est la première fois qu'on trouve dans un
342] EN FRANCE. — LIVRE VI. 287
cte authentique cette qualité donnée à un métropolitain. Il
xhorte pareillement les religieuses à rendre à son succes-
eur le respect et l'obéissance dus à sa dignité (1). Il écrivit
,ussi des lettres avant sa mort pour recommander ce monas-
ère aux magistrats et aux principaux citoyens de la ville.
La Vie de S. Césaire fut écrite en deux livres peu de temps
iprès sa mort. S. Cyprien de Toulon est l'auteur du premier,
[u'il dédia à l'abbesse Gésarie; deux évêques, Firmin et Yi-
rentius, y prirent part (2). Ils terminent ce livre par ces pa-
oles : Nous vous prions , vous Messien, prêtre, et vous Etienne,
liacre, qui avez été dès votre jeunesse au service de Césaire,
V ajouter votre quote-part à cet ouvrage. Messien et Etienne
composèrent donc le second livre. Ces auteurs, témoins ocu-
aires de ce qu'ils ont écrit, nous apprennent plusieurs cir-
constances de la vie de S. Césaire qui méritent d'être rappor-
ées, comme également propres à faire connaître de plus en
)lus les vertus de ce saint évêque et divers usages de la dis-
cipline.
Lorsque Césaire bénissait tous les ans le saint chrême dans
Le baptistère, il s'y trouvait un grand nombre de jeunes en-
fants de l'un et de l'autre sexe, envoyés par leurs parents
pour lui présenter des vases pleins d'huile ou d'eau afin qu'il
les bénît : ce qui marque qu'on conservait de l'huile et de
L'eau bénites dans les maisons. Dans ses voyages un clerc por-
tait devant lui son bâton. pastoral. Il se faisait toujours lire
pendant ses repas, afin de donner à l'âme une nourriture
plus nécessaire que celle que prenait le corps. Il ne souffrit
jamais, sous quelque prétexte que ce fût, que les femmes
entrassent dans la maison épiscopale. Il n'ordonnait pas de
diacres qu'ils n'eussent lu quatre fois l'Ancien et le Nouveau
Testament, tant il était persuadé que la connaissance des
saintes Écritures est nécessaire à un ecclésiastique. Il voulait
(1) Vit. Cœsarii, 1. II, c. xxn.
(2) Ce qui est dit dans ce premier livre de Cyprien de Toulon, que c'est un grand
et illustre prélat, y a été sans doute inséré par ces deux évêques.
268 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [542]
que les nouveaux époux, après avoir reçu la bénédiction
nuptiale, gardassent trois jours la continence. Il avait surtout
grand soin que personne ne mourût sans avoir reçu le remède
de la pénitence. Quand il ne pouvait prêcher, il faisait ré-
citer ses homélies par quelqu'un de ses prêtres ou de ses
diacres, et il les envoyait aux évêques afin qu'ils les fissent
réciter dans leurs églises, s'ils ne pouvaient prêcher eux-
mêmes (1).
Il nous reste de lui cent quarante-deux homélies (2), qui sont
d'un grand prix pour ceux qui exercent le saint ministère dans
les campagnes. Plusieurs écrivains les ont dédaignées, comme
n'étant pas dignes de figurer parmi des oeuvres d'éloquence.
M. l'abbé Guillon, dans son Cours cV éloquence sacrée, prétend
qu'on n'y trouve pas un seul traita citer, et déclare S. Césaire
nul pour V éloquence (3), Le P. Longueval ne diffère guère de
ce sentiment. « Ses homélies, dit-il, nous donnent une plus
grande idée de son zèle que de son éloquence. » Il avoue ce-
pendant qu'elles sont instructives, pleines de sentiments de
piété, mais d'un style simple et populaire. « On s'aperçoit,
ajoute-t-il, que le prédicateur cherche plutôt la conversion de
ses auditeurs que leurs applaudissements. » Mais quel est donc
le but de l'orateur de la chaire? Est-ce de convertir ou de se
faire applaudir? Le discours qui convertit n'est-il pas plus
utile, plus efficace et par conséquent plus éloquent que celui
qui n'attire à son auteur que de simples applaudissements?
Ces écrivains ont oublié qu'à côté de l'éloquence majes-
tueuse qni se produit avec toutes les irragnifieences du style,
flatte l'oreille et s'adresse aux gens instruits, il y a une élo-
quence simple qsi parle aux sens et qui, prenant ses images
et ses comparaisons dans la nature et dans les choses usuelles
de la vie, rend en quelque sorte les vérités palpables et les
(1) Vit. Cœsarii, I. II, c. VIII, xn, xvm, xxviii.
(2) Environ quarante insérées dans la Bibliothèque des Pères, et cent deux dans
l'Appendice du Ve volume des Œuvres de S. Augustin.
(3) Bibliothèque choisie des Pères, t. XXXIII.
542] EN FRANCE. — LIVRE VI. 289
çrave plus profondément dans la mémoire et dans le cœur.
]e genre d'éloquence, selon nous, est non-seulement utile,
nais nécessaire pour les gens de la campagne, c'est-à-dire
Dour le plus grand nombre des fidèles, et n'exclut pas les
sentiments élevés ni les émotions vives et tendres. Il mé-
rite d'autant plus d'être étudié qu'il est plus rare et peut-être
plus difficile : car il demande un travail plus assidu, du moins
an travail d'observation. S. Gésaire nous offre en ce genre des
modèles parfaits, sur lesquels on ne saurait assez méditer.
On en jugera pas les extraits suivants (1). S. Gésaire, voulant
exhorter les fidèles à avoir soin de leur âme, s'exprime ainsi :
« Le soin de notre âme, mes très-chers frères, ressemble
fort à la culture de la terre ; de même que dans une terre on
arrache certaines choses afin d'en semer d'autres qui seront
bonnes, de même en doit-il être pour notre âme : que ce qui
est mauvais soit déraciné, ce qui est bon planté...; que la su-
perbe soit arrachée et l'humilité mise à sa place ; que l'avarice
soit rejetée et la miséricorde cultivée... Personne ne peut
planter de bonnes choses dans sa terre, s'il ne l'a débarrassée
des mauvaises : ainsi vous ne pourrez planter dans votre âme
les saints germes des vertus, si vous n'en avez d'abord arraché
les épines et les chardons des vices. Dites-moi, je vous en
prie, vous qui disiez tout à l'heure que vous ne pouviez accom-
plir les commandements de Dieu parce que vous ne savez pas
lire, dites-moi qui vous a enseigné de quelle façon tailler vo-
tre vigne, à quelle époque en planter une nouvelle? Qui vous
l'a appris? Ou vous l'avez vu, ou vous l'avez entendu dire, ou
vous avez interrogé d'habiles cultivateurs. Puisque vous êtes
si occupé de votre vigne, pourquoi donc ne l'êtes-vous pas de
votre âme. Faites attention, je vous en prie, mes frères, il y a
deux sortes de champs : l'un est à Dieu, l'autre à l'homme ;
vous avez votre domaine, Dieu a le sien : votre domaine, c'est
(l)Nous nous "bornerons à ceux qu'ont produits M. Guizot et après lui d'autres
écrivains.
TOME II. 19
290 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [542|
la terre ; le domaine de Dieu, c'est votre âme. Est-il donc juste
de cultiver votre domaine et de négliger celui de Dieu? Lors-
que vous voyez votre terre en bon état, vous vous en réjouis-
sez : pourquoi donc ne pleurez-vous pas en voyant votre âme
en friche? Nous n'avons que peu de jours à vivre dans le
le monde sur les fruits de notre terre : tournons donc notre
plus grande application à notre âme ; travaillons-la de
toutes nos forces, avec l'aide de Dieu, afin que lorsqu'il voudra
venir à son champ, qui est notre âme, il le trouve cultivé,
arrangé, en bon ordre; qu'il y trouve des moissons, non
des épines ; du vin, non du vinaigre, et plus de froment que
d'ivraie (1). »
Ce champ, cette vigne, dont le saint évêque fait une 'si heu-
reuse application, voilà ce qui frappe les imaginations et peut
inspirer de sérieuses réflexions à la ville aussi bien qu'à la
campagne.
Mais dans une ville où il y avait encore des écoles floris-
santes, et où les lettres grecques et latines étaient cultivées avec
soin, ce genre d'éloquence n'était pas goûté de tout le monde;
certains assistants sortaient après l'évangile pour ne pas en-
tendre le sermon. Un jour S. Gésaire courut après eux en
criant : « Que faites-vous, mes chers enfants? Pourquoi sor-
tez-vous ainsi? Pour le salut de vos âmes, restez et écoutez
attentivement ce que je vais dire. Il ne vous sera pas permis
au jour du jugement de vous échapper ainsi. » Il fut même
obligé quelquefois de faire fermer l'église après l'évangile.
Ces précautions devinrent bientôt inutiles. A force de soins
l'évêque parvint à intéresser son auditoire au plus haut degré,
et l'on accourut à l'église avec une grande curiosité (2). Le
saint évêque en éprouva la plus grande joie, et en profita pour
exhorter ses auditeurs à bannir de la prière toute occupation
étrangère. Yoici encore un fragment dans lequel on trouve
le même genre d'éloquence.
(1) Aug. Append. t. V, Serm. CCCHI. — (2J Vita Cœsar., lib. I, c. xxn.
[542] EN FRANCE. — LIVRE VI. 291
«Quoique en beaucoup de sujets, mes très-chers frères,
nous ayons souvent à nous réjouir de vos progrès dans la
voie du salut, il y a cependant certaines choses dont nous
devons vous avertir, et je vous prie d'accueillir volontiers,
selon votre usage, nos observations. Je me réjouis et je rends
grâces à Dieu de ce que je vous vois accourir fidèlement à
l'église pour entendre les lectures divines ; mais si vous voulez
compléter votre succès et notre joie, venez-y de meilleure
heure ; vous le voyez, les tailleurs, les orfèvres, les forge-
rons se lèvent dès le matin afin de pourvoir aux besoins du
corps : et nous, nous ne pourrions pas aller avant le jour à
l'église pour y solliciter le pardon de nos péchés?... Yenez
donc de bonne heure, je vous en prie..., et, une fois arrivés,
tachons avec l'aide de Dieu qu'aucune pensée étrangère ne
se glisse au milieu de nos prières, de peur que nous n'ayons
autre chose sur les lèvres et autre chose dans le cœur; tandis
que notre langue s'adresse à Dieu, craignons que notre esprit
n'aille s'égarer sur toute sorte de sujets... Si, voulant traiter
avec quelque homme puissant une affaire importante, vous
vous détourniez tout-à-coup de lui et interrompiez la con-
versation pour vous occuper de je ne sais quelles puéri-
lités, quelle injure ne lui feriez-vous pas? Quelle ne serait
pas contre vous sa colère? Si donc, lorsque nous nous entre-
tenons'avec un homme , nous mettons tous nos soins à ne
point penser à autre chose de peur de l'offenser, n'avons-
nous pas honte, lorsque nous nous entretenons avec Dieu par-
la prière, lorsque nous avons à défendre devant sa majesté si
sainte les misères de nos péchés, n'avons-nous pas honte de
laisser notre esprit errer çà et là et se détourner de la face
divine?... Tout homme, mes frères, prend pour son dieu ce
qui absorbe sa "pensée au moment de la prière, et semble
l'adorer comme son seigneur... Celui-ci, tout en priant, pense
à la place publique : c'est la place publique qu'il adore ; celui-
là a devant les yeux la maison qu'il construit ou répare : il
adore ce qu'il a devant les yeux ; un autre pense à sa vigne ,
292 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [542]
un autre à son jardin... Que sera-ce si la pensée qui nous oc-
cupe est une mauvaise pensée, une pensée illégitime? si, au
milieu de notre prière, nous laissons notre esprit se porter sur
la cupidité, la colère, la haine, la luxure, l'adultère ?. . . je vous
en conjure donc, mes frères chéris, si nous ne pouvons éviter
complètement ces distractions de l'âme , travaillons de notre
mieux et avec l'aide de Dieu pour n'y succomber que le plus
tard qu'il se pourra (i). »
Voici par quelles images sensibles il exhorte à faire l'au-
mône.
« Faites l'aumône, mes frères, exercez la miséricorde : car
l'aumône délivre de la mort et ne laisse pas aller dans les
ténèbres celui qui la fait. Que chacun, selon ses moyens, ou-
vre sa main au pauvre : vous avez de l'or, donnez de l'or ; de
l'argent, donnez de l'argent; vous n'avez que du pain à don-
ner, donnez du pain ; vous ne pouvez donner un pain tout en-
tier, donnez-en un morceau, partagez ce que vous avez. Le
Seigneur n'a pas dit par la bouche du prophète : Donnez tout
votre pain à celui qui a faim ; mais il a dit : Partagez votre
pain avec celui qui a faim.
« Votre charité sera toujours agréable à Dieu si vous la
faites de bon cœur : car écoutez ce que dit le Seigneur dans
l'Évangile en parlant de cette pauvre veuve qui n'avait offert
que deux petites pièces d'argent : Cette veuve, dit-il, a donné
plus que tous les autres. Les autres, en effet, qui étaient riches,
avaient pris sur ce qu'ils avaient de trop. Elle, au contraire,
avait donné tout ce qu'elle possédait : aussi a-t-elle mérité
d'être louée par la bouche même du Seigneur. Que chacun
donne donc ce qu'il pourra, mais qu'il donne de bon cœur et
avec joie.
« Pourquoi faut-il être joyeux en faisant l'aumône? Parce
que vous donnez peu et recevez beaucoup. Que donnez-vous?
une chétive pièce de monnaie. Que recevez-vous ? un royaume,
(1) Aug. Append., t. V, Serm. cclxxxiii.
[542] EN FRANCE. — LIVRE VI. 293
la vie éternelle. Vous donnez des choses passagères, tempo-
relles, et vous méritez des choses durables, éternelles: voilà
pourquoi nous devons faire l'aumône de bon cœur et avec
joie.
« Si quelqu'un venait vous dire franchement et de bonne
foi : Donnez-moi une pièce d'or, et je vous donnerai cent pièces
d'or d'une plus grande valeur, ne seriez- vous pas très-joyeux
de recevoir ainsi plus de cent pour un? Combien donc nous
devons-nous réjouir en entendant ces paroles du Seigneur:
Celui qui donne aux pauvres prête à Dieu avec intérêt (1). Yous
devez prêter à Dieu sur la terre, pour recevoir les intérêts
dans la vie éternelle et pour être en état de dire au souverain
Juge quand vous paraîtrez devant son tribunal : Seigneur,
vous êtes mon débiteur, car j'ai fait l'aumône : j'ai fait ce que
vous m'avez dit, donnez-moi maintenant ce que vous m'avez
promis (2). »
En traitant de l'exercice le plus pénible de la charité, du
pardon des injures, il s'exprime ainsi :
« Ce n'est pas sans raison, vous le comprenez bien, que je
vous entretiens si souvent de la vraie et parfaite charité. Je
le fais parce que je ne connais aucun remède si salutaire ni
si efficace pour les blessures des pécheurs. Ajoutons que,
quelque puissant que soit ce remède, il n'y a personne qui,
avec l'aide de Dieu, ne puisse se le procurer. Pour les autres
bonnes œuvres, on peut trouver quelque excuse; il n'y en a
point pour le devoir de la charité. Quelqu'un peut me dire : Je
ne puis pas jeûner; qui peut me dire : Je ne puis pas aimer?
On peut dire : A cause de la faiblesse de mon corps, je ne puis
pas m' abstenir de viande et de vin ; qui peut me dire : Je ne
puis pas aimer mes ennemis ni pardonner à ceux qui m'ont
offensé? Que personne ne se fasse illusion, mes très-chers
frères, car personne ne trompe Dieu... Il y a beaucoup de
(1) Prov. xix, 17.
(2j Append.. Serm. lxxviii.
294 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [542]
choses que nous ne pouvons tirer de notre grenier ou de
notre cellier ; mais il serait honteux de dire qu'il y -a quelque
chose que nous ne pouvons tirer du trésor de notre cœur : car
ici nos pieds ne se lassent point à courir, nos yeux à regar-
der, nos oreilles à entendre, nos mains à travailler. Nous ne
pouvons alléguer aucune fatigue pour excuse : on ne nous dit
point : Allez à l'orient pour y chercher la charité, naviguez
vers l'occident et rapportez-en l'affection. C'est en nous-
mêmes et dans nos cœurs qu'on nous ordonne de rentrer ;
c'est laque nous trouverons tout....
« Mais, dit quelqu'un, je ne puis en aucune façon aimer mes
ennemis. Dieu vous a dit, dans l'Ecriture, que vous le pou-
vez : vous, vous répondez que vous ne le pouvez pas. Regar-
dez maintenant : qui faut-il croire Dieu, ou vous?. . . Quoi donc !
tant d'hommes, tant de femmes, tant d'enfants, tant et de si
délicates jeunes filles ont supporté d'un cœur ferme, pour
l'amour du Christ, les flammes ,1e glaive, les bêtes féroces : et
nous, nous ne pouvons supporter les outrages de quelques
insensés ! Et , pour de légers maux que nous a faits la
méchanceté de quelques hommes, nous poursuivons contre
eux, jusqu'à leur mort, la vengeance de nos injures ! En vérité,
je ne sais de quel front et avec quelle conscience nous osons
prétendre à partager avec les saints la béatitude éternelle,
nous qui ne savons pas suivre leur exemple, même dans les
moindres choses (1). »
« Ceci, dit M. Guizot, n'est pas dépourvu de verve; le senti-
ment en est vif, le tour pittoresque. » Cette justice rendue à un
saint évêque dont l'éloquence a été si dépréciée fait honneur à
l'illustre écrivain.
Plus le mal qu'il attaque est difficile à guérir, plus il rend
ses images sensibles. Yoici dans quels termes il représente le
danger des rechutes.
« Nous pouvons, par les blessures de nos corps, nous for-
(1) AppenJ., Serm. cclxxiiï.
[542] EN FRANCE. — LIVRE VI. 295
mer une idée de celles de nos âmes. Si quelqu'un se casse le
pied ou la main, il se remet de sa blessure, quoiqu'il ait de la
peine à faire revenir son membre à son premier état ; mais s'il
se casse le même membre deux fois, trois fois ou plus souvent,
vous pouvez comprendre combien il aura de peine à guérir.
Il en est ainsi des blessures de nos âmes. Si quelqu'un a péché
une ou deux fois , il pourra recouvrer sa première vigueur,
pourvu qu'il ait bien vite recours au remède delà pénitence.
Mais s'il accumule péchés sur péchés, s'il les cache au fond de sa
conscience et les laisse engendrer la pourriture dans son âme,
au lieu de les guérir en les confessant et en faisant pénitence,
je crains bien qu'il ne voie se vérifier en lui cette parole de
l'apôtre : Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite au re-
pentir? mais vous, par la dureté de votre cœur impénitent,
vous amassez un trésor de colère pour le jour où éclatera le
juste jugement de Dieu (1). »
Cependant il ne veut pas jeter le pécheur dans le déses-
poir'; il se hâte de lui dire que quand même il aurait commis
cent péchés, mille crimes, il ne doit jamais désespérer de la
miséricorde de Dieu (2).
S. Césaire corrige souvent à la fin de ses discours ce qu'il
peut avoir dit de trop sévère ou de trop blessant pour son
auditoire. Ainsi, après avoir tonné contre le vice opposé à
la chasteté, il réclame, par une nouvelle image fort ingé-
nieuse et souvent employée après lui , l'indulgence de ses au-
diteurs.
« Quand je fais ces réflexions, dit-il, je crains qu'il ne s'en
trouve qui s'irritent plutôt contre nous que contre eux-mêmes.
Notre discours est offert à votre charité comme un miroir ;
et ainsi qu'une matrone, lorsqu'elle regarde son miroir,
corrige sur sa personne ce qu'elle y voit de défectueux et ne
brise pas le miroir: de même, lorsque quelqu'un de vous aura
reconnu sa difformité dans un discours, il est juste qu'il se
(1) Append., Serm. CCLVIU. — (2) Ibid.
296 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [542]
corrige plutôt que de s'irriter contre le prédicateur, comme
contre un miroir. Ceux qui reçoivent quelque blessure sont
plus disposés à la soigner qu'à se prendre de colère contre
les remèdes : que personne donc n'ait d'irritation contre les
remèdes spirituels ; que chacun reçoive non-seulement avec
patience , mais encore de bon cœur ce qui lui est dit de bon
cœur : il est bien certain que celui-là s'éloigne déjà du mal, qui
reçoit volontiers une correction salutaire ; celui à qui ses dé-
fauts déplaisent commence à prendre goût à ce qui est bon, et
autant il s'éloigne des vices autant il s'approche des vertus (1).»
Ce sont là des traits excellents de l'éloquence simple et
populaire, ou plutôt c'est la perfection du genre. Citons
encore un autre passage, dans lequel S. Gésaire veut prouver
qu'il ne suffit pas d'éviter le mal, mais qu'il faut faire le bien.
« Beaucoup de gens, mes très-chers frères, pensent qu'il
leur suffit pour la vie éternelle de n'avoir pas fait de mal;
s'il s'en trouve par hasard qui s'abusent par cette fausse
tranquillité, qu'ils sachent positivement qu'aucun chrétien
n'a fait assez en évitant le mal , s'il n'a aussi , autant qu'il
était en son pouvoir, accompli les choses qui sont bonnes : car
Celui qui dit : Éloigne-toi du mal, nous dit également : Fais
le bien.
« Celui qui croit qu'il lui suffit de n'avoir pas fait de mal,
quoiqu'il n'ait pas fait de bien, qu'il me dise s'il voudrait dans
son serviteur ce qu'il fait pour son Seigneur : y a-t-il quel-
qu'un qui veuille que son serviteur ne fasse ni bien ni mal ?
Nous exigeons tous que nos serviteurs non-seulement ne fas-
sent pas le mal que nous leur interdisons, mais encore qu'ils
s'acquittent des travaux que nous leur imposons. Votre servi-
teur serait plus gravement coupable s'il vous dérobait votre
bétail : cependant il n'est pas exempt de faute s'il ne le garde
qu'avec négligence. Il n'est pas juste que nous soyons envers
Dieu comme nous ne voulons pas que nos serviteurs soient
(i) Append., Serm. cclxxxviii.
[542] EN FRANCE. — LIVRE VI. 297
envers nous. Ceux qui croient qu'il leur suffit de n'avoir pas
fait de mal ont coutume de dire : Plût à Dieu que je méritasse
d'être trouvé à l'heure de la mort tel que je suis sorti du sa-
crement du baptême ! Sans doute il est bon à chacun d'être
trouvé pur de fautes au jour du jugement, mais c'est déjà une
faute grave de n'avoir point avancé dans le bien. Il suffit
d'être tel qu'il est sorti du baptême à celui-là seul qui est sorti
de ce monde aussitôt après avoir reçu ce sacrement : il n'a
pas eu le temps de s'exercer aux bonnes œuvres ; mais celui
qui a eu le temps de vivre et est devenu d'âge à faire le bien,
il ne lui suffira point d'être exempt de fautes, s'il a voulu être
aussi exempt de bonnes œuvres. Je voudrais que celui qui dé-
sire être trouvé tel à la mort qu'il était lorsqu'il a reçu le sa-
crement de baptême, me dît si, lorsqu'il a planté une nouvelle
vigne, il voudrait qu'au bout de dix ans elle fût telle que le
jour où il l'a plantée. S'il a greffé un plant d'oliviers, lui con-
viendrait-il qu'il fût au bout de plusieurs années tel que le jour
où il l'a greffé? S'il lui est né un fils, qu'il regarde s'il vou-
drait qu'après cinq ans il fût au même âge et de la même taille
qu'au jour de sa naissance. Puisque donc il n'y a personne à
qui cela convient pour les choses qui sont à lui ; de même qu'il
se plaindrait si sa vigne, son plant d'oliviers et son fils ne
faisaient aucun progrès, qu'il se plaigne pareillement s'il voit
qu'il n'a fait aucun progrès depuis le moment où il est né dans
le Christ (1). »
Cette simplicité familière à S. Césaire n'exclut pas la verve,
l'énergie et les mouvements oratoires. En voici un exemple,
c'est le dernier que nous citons. L'orateur veut détourner
ses auditeurs de la voie large qui conduit à la mort, et les
ramener dans la voie étroite qui mène à la vie. Il traite donc
une des vérités les plus terribles de l'Évangile. Yoici avec
quelle simplicité ëï quelle vigueur il en parle :
« Je sais, mes très-chers frères, que votre sainte charité
(1) Append., Serin, cclxiii.
298 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [542]
n'ignore pas qu'Adam, notre premier père, fut placé au milieu
des délices du paradis ; mais qu'ayant, à l'instigation du dé-
mon, méprisé les ordres de Dieu, il est tombé dans les mi-
sères de ce monde.
« Son premier état était un paradis , son second fut un en-
fer : car il y a deux enfers, celui de ce monde et l'enfer infé-
rieur, où les pécheurs et les impies seront ensevelis après
la mort. Notre Dieu, qui est bon et miséricordieux, n'a pas
voulu que la faute de notre premier père nous fit tomber né-
cessairement dans cet enfer, et il nous a laissé la possibilité de
remonter vers notre patrie. Considérons donc, mes très-chers
frères, non pas à la légère, mais avec crainte et tremblement,
et comprenons bien que nous avons été placés, par la misé-
ricorde du Seigneur, dans l'enfer supérieur de ce monde
afin que nous fassions effort pour remonter, par les degrés de
nos bonnes œuvres, jusqu'à Celui qui nous a créés, et non
afin que nous descendions dans les abîmes de l'enfer inférieur
avec celui qui nous a trompés.
« Placés entre l'eau et le feu, entre le souverain bien et le
souverain mal, entre l'abîme de l'enfer inférieur et la mon-
tagne du paradis, écoutons le Seigneur qui nous dit : Je t'ai
placé entre la mort et la vie : choisis la vie afin que tu vives.
Le Seigneur nous a indiqué les deux voies que nous pouvions
suivre; dans l'Évangile il nous dit : Elle est large et spa-
cieuse, la voie qui conduit à la mort, et il en est beaucoup qui
y marchent. Elle est étroite et resserrée la voie qui conduit à la
vie, et il en est peu qui la trouvent. On va donc en paradis par
la voie étroite et en enfer par la voie large. Il faut par consé-
quent, tandis que nous le pouvons encore, nous efforcer de
monter au paradis par la voie étroite, et prendre garde d'arri-
ver aux supplices de l'enfer en marchant dans la voie large
et spacieuse.
« Quelqu'un me dira peut-être : Je voudrais bien savoir
quels sont ceux qui descendent par la voie large, et ceux qui
montent par la voie étroite.
,42] EN FRANCE. — LIVRE VI. 299
« Ceux qui descendent par la voie large sont les amis du
îonde, les orgueilleux, les avares, les envieux, les ivrognes,
eux qui commettent l'adultère, qui conservent de la rancune
u fond de leur âme, qui rendent le mal pour le mal, ceux en-
n qui aiment les spectacles sanglants ou impurs. Ceux qui
îontent par la voie étroite, ce sont les amis de la chasteté, de
i sobriété, de la justice, ceux qui exercent la miséricorde,
ui mettent leur bonheur à secourir leur prochain, qui par-
onnent du fond de leur cœur les injures qu'on leur a faites.
,eux-là sont déjà dans les cieux, quoique leur corps habite
ncore la terre, et quand le prêtre dit à la messe : Sursum
orcla : Élevez vos cœurs, ils peuvent répondre avec vérité :
labemus ad Dominum : Nous les tenons élevés vers le Sei-
;neur.
« Considérez avec douleur, je vous en prie, mes frères, ceux
ni se précipitent dans la voie large et spacieuse ; ayez pitié
l'eux ; dites-leur qu'après cette courte vie ils auront à souf-
rir un supplice éternel. Pour ceux qui marchent dans la voie
troite, joignez-vous à eux, allez ensemble à la béatitude de
a vie éternelle ; ne tremblez pas à la vue des difficultés que
'ous aurez à surmonter, marchez au contraire avec joie en
lensant à la récompense magnifique que vous trouverez dans
a patrie. Je vous en prie, mes très-chers frères, pensons à la
oie éternelle qui couronnera la peine si légère que les justes
»nt à supporter en cette vie, et craignons le supplice éternel
[ui suivra la joie si passagère des pécheurs (1). »
Quand on lit ces homélies, dont nous n'avons cité que quel-
les fragments, on n'est plus étonné que les évêques voisins
le S. Césaire les lui aient demandées pour les lire en chaire,
ls ne croyaient pas pouvoir donner à leurs peuples une ins-
ruction plus solide ni plus à leur portée.
S. Césaire a attaqué tous les vices et tous les abus, et tou-
ours avec la même simplicité. Il est entré dans un grand dé-
(l) Append. Serm., lyviii.
300 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [542]
tail sur les superstitions auxquelles le peuple s'adonnail
encore. On dansait devant les églises; on jetait de grands cris
pendant l'éclipsé delà lune, comme pour la défendre contre
le monstre qui, croyait-on, voulait la dévorer; on acquit-
tait des vœux aux arbres et aux fontaines ; on chômait k
jeudi en l'honneur de Jupiter; on avait recours aux devins
dans les maladies, et l'on portait sur soi certains caractèreî
pour recouvrer la santé. S. Césaire dit que quand un chrétiei
est malade, il doit recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ
et ensuite l'onction des infirmes pour la guérison du corps e
de l'âme. On voit ici qu'on donnait alors le Viatique avant l'ex
trême-onction : nous verrons souvent dans la suite qu'on don
nait l'extrême-onction avant le Viatique. On attribue à S. Gé
saire un sermon sur les superstitions auxquelles les païens e
quelques chrétiens se livraient au commencement de janvier
Le saint évêque y déplore l'aveuglement de ceux qui en ce
jours prenaient des figures obscènes et monstrueuses, et cou
raient les rues déguisés en bêtes ou en femmes, comme le
idolâtres (1). Telle est l'origine honteuse des mascarade
qu'on fait encore à peu près dans le même temps.
S. Césaire a écrit plusieurs homélies sur la pénitence, su
l'ivrognerie et contre ceux qui sortent de l'église avant 1
fin de la messe. Il y remarque que ceux que l'on mettai
en pénitence publique recevaient un cilice, ne buvaient pa
de vin et ne mangeaient pas de chair, s'ils n'y étaiec
obligés par maladie (2). En parlant contre l'ivrognerie, il dé
clame avec force contre l'abus qui s'était introduit de boir
plusieurs coups à la fin du repas en l'honneur des anges €
des saints (3).
Nous ne devons pas omettre que dans ces homélies ce sair
évêque établit clairement la foi dans le purgatoire : il d
(1) Les paysans, au commencement de janvier ou à la fin de décembre, célébraiei
la fête de leur dieu Mithras, et prenaient la forme de divers animaux, comme poi
représenter les constellations du zodiaque.
(2) Hom. i inter Baluzianas. — (3) Hom. vi inter Baluzianas.
42] EN FRANCE. — LIVRE VI. 301
ue ce feu/ destiné" à expier les péchés légers, est unepeine
lus sensible que toutes celles de cette vie (1).
S. Gésaire eut plusieurs disciples, dont les plus célèbres
irent : l'abbé Gilles, que nous croyons être S. Gilles dont
dus avons parlé; Florien, qui fut moine de Roman-Moustier ,
; dont il nous reste quelques lettres (2), et S. Theudérius,
jlgairement S. Gherf, qui fonda plusieurs monastères. Il
ait né d'une famille noble de la province de Vienne. Après
/oir distribué son patrimoine aux pauvres, il vint trouver
. Gésaire , dans l'espérance qu'à sa recommandation il serait
deux reçu dans le monastère de Lérins. Mais S. Gésaire le
?tint près de lui et l'ordonna diacre (3).
Theudérius, après s'être perfectionné dans la pratique des
3rtus chrétiennes, retourna à Vienne, où il éleva d'abord
rès de la ville un petit oratoire en l'honneur de S. Eusèbe
e Verceil. Ensuite, le nombre de ses disciples croissant tous
s jours , il bâtit jusqu'à quatre monastères sur le territoire
3 Vienne. C'était la coutume de cette ville d'avoir toujours
uelque saint moine reclus (4). La place étant venue à
aquer, Philippe, évêque de Vienne, jeta les yeux sur S. Theu-
érius et l'enferma dans une cellule près de l'église de
aint-Laurent. Il vécut encore douze ans dans ce nouveau genre
e vie. Il fut enterré dans le monastère qu'il avait bâti en
honneur de la Ste Vierge, et qui de son nom a été appelé
'aint-Cherf. S. Theudérius ou S. Gherf est honoré le 29 oc-
Dbre.
Auxanius fut le successeur de S. Gésaire sur le siège
'Arles. Ihécrivit au pape Vigile quelque temps après son élec-
ion ; le prêtre Jean et le diacre Térédius étaient porteurs de sa
sttre, par laquelle il donnait au pape avis de son ordination et
(1) Homil. vin in Biblioth. PP.
(2) Ces lettres sont adressées à S. Nicet de Trêves. On trouve un Florien abbé de
iérins en ce temps-là : ce pouvait être le même.
(3) Adon. Vit. Theuderii, ap. Mabill. — (4) S. Léonien avait été longtemps reclus
• Vienne.
302 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [543
lui demandait le pallium. Vigile , en le félicitant de soi
élévation sur ce grand siège, l'exhorta à imiter les vertus di
son prédécesseur et à demeurer inviolablement attaché au:
décrets du Saint-Siège (1). Mais quant au pallium et aux au
très distinctions qu'Auxanius demandait, il répondit qu'il n
pouvait les accorder sans le consentement de l'empereur (%)
Cet empereur était Justinien, prince adroit et puissant , entre
prenant et heureux , qui s'était rendu la terreur des Vandale
et des Goths autant par sa prudence que par la valeur d
ses généraux', qu'il savait bien choisir. Ces généraux lui ga
gnaient des batailles et faisaient des conquêtes, tandis qu'
s'occupait à faire des lois. Il n'aurait rien manqué à sa gloin
si, content de protéger l'Église, il n'eût pas entrepris de ]
gouverner, ou s'il se fût lui-même laissé moins gouverner pa
sa femme Théodora. Vigile, qui avait obtenu le souverai
pontificat par les intrigues de cette princesse, faute qu'il r<
para et expia dans la suite, craignit de choquer l'empereur s'
accordait le pallium à un évêque de la Gaule sans son agi
ment. On pria Bélisaire de négocier cette affaire.
Ce grand capitaine, encore plus célèbre dans l'histoire pî
l'ingratitude de ses maîtres que par les services signait
qu'il leur rendit, faisait alors la guerre en Italie pour Just
nien. Il écrivit à ce prince en faveur de l 'évêque d'Arles
(1) Conc. Gall., t. I, p. 270. — Labb., t. V, p. 319.
(2) Il est difficile d'expliquer pourquoi on demandait le consentement de Ter
pereur pour donner le pallium. Quelques savants ont cru en trouver la raison i
prétendant que le pallium dans sa première origine était un ornement profan
que les empereurs accordaient par distinction à des seigneurs. Le P. Cantel, jésuit
réfute ce sentiment, et montre qu'on n'a demandé le consentement de Tempère
pour donner le pallium que lorsque Rome était soumise aux Grecs, et qu'il s'
gissait d'accorder cette prérogative à des évêques sujets d'un prince étranger. 1
savant P. Garnier est du même sentiment : d'où ces auteurs concluent que si 1
papes ont quelquefois voulu avoir l'agrément de .l'empereur pour donner le palliw
ils ne l'ont fait que par une déférence politique et pour ôter à l'empereur tout li<
de soupçonner qu'ils voulussent contre ses intérêts s'appuyer de la protection <
nos rois, qui demandaient ces grâces pour quelques-uns de leurs évêques. 1
P. Daniel donne une autre raison. Il dit que les papes en ont agi ainsi parce qi
les empereurs prétendaient avoir des droits sur les anciens royaumes des Visigotl
et des Bourguignons. Mais est-il probable que nos rois eussent paru autoriser c
chimériques prétentions, en permettant à leurs sujets de solliciter le consentemei
de l'empereur? V. Cant. Eût. metrop.
[543] EN FRANCE. — LIVRE VI. 303
et dès que l'empereur eut donné son agrément, Vigile dé-
clara Àuxanius vicaire du Saint-Siège dans les Gaules (1). En
conséquence, il lui donne le pouvoir de terminer avec un
nombre compétent d'évèques les différends qui pourraient
naître dans l'épiscopat. « Mais, dit-il, si, ce qu'à Dieu ne
plaise, il s'élève des disputes sur la foi, ou s'il y a quelque
cause qui, attendu l'importance de l'affaire, ne puisse
être terminée sur les lieux, après un examen exact en-
voyez-nous-en la relation et réservez-en le jugement au
Siège apostolique. » Le pape défend aussi à tous les évê-
ques des Gaules d'entreprendre quelque long voyage sans
avoir des lettres formées de l'évêque d'Arles , selon le
privilège accordé à Gésaire. Nous avons expliqué ailleurs
la teneur et l'usage des lettres formées. Il ajoute à Auxanius
que, pour honorer la qualité de vicaire du Saint-Siège dans sa
personne, il lui accorde l'usage du-pallium, lui recomman-
dant de prier pour l'empereur, pour l'impératrice, pour
Bélisaire, et surtout d'employer son crédit pour entretenir
la paix entre Justinien et Ghildebert (2). La lettre est datée
du 22 mai de la quatrième année après le consulat de Basile,
c'est-à-dire l'an 545.
Le même jour le pape écrivit deux autres lettres. La
première est adressée aux évêques des Gaules du royaume
de Ghildebert, et à ceux qui, selon l'ancienne coutume,
étaient ordonnés par l'évêque d'Arles, pour les avertir qu'il
a établi Auxanius son vicaire, et qu'ainsi tous seront obligés
de se rendre aux conciles qu'il indiquera et de prendre
de lui des lettres formées. Dans la seconde Vigile donne
à Auxanius une commission spéciale pour juger, avec un
nombre compétent de prélats, la cause de l'évêque Prétex-
tât, sur la conduite duquel il lui avait porté ses plaintes.
(1) Nouvelle preuve évidente que les vicariats apostoliques venaient d'une con-
cession du Saint-Siège. Les évêques sont égaux entre eux par leur ordination : si
l'un d'eux à un pouvoir supérieur à celui des autres, ce pouvoir vient du chef de
l'Eglise.
(2) Conc. GalL, t. I, p. 272. — Labb., t. V, p.320.
304 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [543]
Il l'exhorte à faire des règlements pour empêcher que les
laïques ne soient promus si précipitamment aux ordres
sacrés (1) : ce qui fait croire qu'on accusait Prétextât d'une
ordination prématurée. C'est apparemment l'évêque d'Apt
de ce nom qu'on trouve au quatrième concile d'Orléans, ou
Prétextât de Cavaillon, qui envoya un député au cinquième
concile de la même ville.
Vigile ne fait dans ces lettres aucune mention de Théo-
debert, à qui la province d'Arles était cependant soumise
en partie. Il jugea sans, doute que ce prince, qui n'étail
pas en bonne intelligence avec l'empereur et qui savail
mieux que personne soutenir les droits de sa couronne, ne
serait pas d'humeur à souffrir que ses sujets reconnusses
l'autorité d'un vicaire du Saint-Siège nommé dans ses États
à la recommandation de son ennemi.
Childebert, moins heureux à la guerre que son neveu,
était plus pacifique. Il ne demeura cependant pas longtemps
oisif. Comme" il entretenait la paix avec Justinien, il ne
voulut point profiter des troubles de l'Italie. Mais, ayant joinl
ses forces à celles de Clotaire (2) , avec qui il s'était récon-
cilié, comme nous l'avons dit, il porta la guerre en Espagne
contre les Visigoths. Il entra sans résistance dans ces pro-
vinces et alla mettre le siège devant Saragosse. Les habi-
tants, ne comptant pas sur leurs forces pour résister à l'ar-
mée franque, s'appliquèrent, par le conseil de leur évêque^
à obtenir le secours du Ciel. Ils jeûnèrent, se revêtirent du
cilice et firent porter en procession autour de leurs mu-
railles la tunique de S. Vincent, célèbre martyr et patron
de la ville. Les femmes en habit de deuil et les cheveux
épars, comme c'était la coutume aux funérailles de leurs
maris, suivaient la procession en se frappant la poitrine : ma-
(1) Labb., t. V, p. 321, 322, — Il y a dans le latin, saltu prœcipiti : on nomme
communément une ordination per saltum celle par laquelle quelqu'un est promu
aux ordres supérieurs sans avoir reçu les inférieurs.
(2) Crreg. Tur., 1. III, c. xxix.
543] EN FRANCE. — LIVRE VI. 305
aière nouvelle, mais efficace de défendre une place assiégée.
Les Francs, qui ne distinguaient pas de loin ce qui se passait
sur les murailles de la ville, se persuadèrent d'abord qu'on
■aisait des maléfices contre eux; mais, ayant appris la vérité
i'un prisonnier, ils ne crurent pas devoir combattre contre
.e saint martyr dont on implorait la protection avec tant
le ferveur et d'humilité. Childebert manda l'évêque de Sa-
^agosse, qui vint le trouver avec de riches présents; mais
e prince lui demanda quelque chose de plus précieux. Il
e pria de lui donner des reliques de S. Vincent, et l'évêque
ui offrit l'étole ou la tunique (1) de ce saint martyr.
Le roi, plus glorieux de cette conquête qu'il ne l'eût été
le la prise de la ville, revint dans les Gaules. Cette relique
ùt tout le fruit de son expédition, elle le consola d'un échec
[u'il reçut au passage des Pyrénées et dont il eut sa re-
ranche l'année suivante. Lorsque cette guerre fut terminée,
l fît commencer, dans une prairie près de Paris, une magni-
ique église en l'honneur de S. "Vincent, afin d'y placer la
unique du saint ; il y fît bâtir également peu de temps après
m monastère. C'est l'origine de la célèbre abbaye nommée
epuis Saint-Germain des Prés, qui devint, comme le chef-
ieu de la congrégation de Saint -Maur. C'est vers cette
I aême époque que ce saint accomplit sa mission d'Italie en
'rance.
On assure qu'un évêque du Mans, qui selon toute appa-
rence était S. Innocent, ayant entendu parler avec éloge
e la règle de S. Benoît et des vertus de ceux qui la p ra-
quaient , députa à ce saint patriarche , qui vivait encore,
our lui témoigner le désir d'avoir une colonie de ses
isciples dans son diocèse, où il s'offrait de leur bâtir un
lonastère, et que &. Benoît y envoya Maur, Fauste, Sim-
(1) Gesta Francor., c. xxvi. — Les anciens auteurs nomment indifféremment
îtte relique stoîam ou tunicam. Stola signifie en effet une robe aussi bien qu'une
:ole. On ne peut décider, parce qu'on n'a plus cette relique dans l'église de Saint-
ermain, où elle avait été placée,
TOME II. 20
»
306 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [54 S
plice, Antoine et Constantin. On ajoute que ces saints reli
gieux, ayant appris en chemin la mort de S. Benoît, continué
rent néanmoins leur route; mais qu'arrivés à Orléans, il
apprirent aussi la mort de l'évêque du Mans qui les avai
mandés, et furent avertis que son successeur n'était pa
disposé à les recevoir. On dit enfin qu'un seigneur de 1
cour de Théodebert leur donna la terre de Glanfeuil ei
Anjou et y bâtit un monastère, dans lequel il fît entrer soi
fils Bertulfe, âgé seulement de huit ans, et où lui-même pei
de temps après embrassa la vie monastique.
Ces faits ne sont pas à l'abri de toute critique ; mais la mis
sion de S. Maur ne peut être révoquée en doute. Elle es
fondée sur d'anciens monuments qui la prouvent ou la sup
posent.
S. Maur avait été mis par son père Eutychius, dès l'agi
de douze ans, sous la conduite de S. Benoît. Il fit de si ra
pides progrès dans la vertu sous un si habile maître, que
malgré sa jeunesse, il fut jugé digne d'être associé au gou
vernement du monastère. Il ne s'en distingua pas moins pa
une obéissance prompte et aveugle aux ordres de son supé
rieur, et Dieu en fit éclater le mérite par un miracle. Ui
jour le jeune Placide, aussi disciple de S. Benoît, étant alL
puiser de l'eau près du monastère , tomba dans un lac
Benoît, qui était dans sa cellule, ayant connu à l'instant ce
accident par révélation, commanda à Maur d'aller aussitô
tirer Placide du lac où il se noyait. Maur y courut avec em
pressement, et, porté pour ainsi dire sur les ailes de l'o
béissance, il marcha sur l'eau comme sur la terre ferme
C'est S. Grégoire le Grand qui rapporte ce miracle (1).
On prétend que S. Maur mourut à l'âge de soixante-douz(
ans; il en avait passé vingt sous la conduite de S. Benoî
et quarante à Glanfeuil : ainsi il faut rapporter sa mort i
l'an 584. Il y avait quatre églises dans ce monastère. La prin
(1) Greg. Dial., 1. II, c. vil.
[543] EN FRANCE. — LIVRE VI. 307
cipale , dans laquelle les moines faisaient l'office divin, était
celle de Saint-Pierre; la seconde était dédiée à S. Martin; la
troisième, à S. Séverin, et la quatrième, bâtie en forme de
tour carrée à la porte du monastère, était sous l'invocation de
S. Michel (1). Le monastère de Glanfeuil a été surtout connu
sous le nom de Saint-Maur sur Loire. Les reliques de ce
saint abbé, ayant été transférées au monastère de Saint-Pierre
des Fossés, dont nous rapporterons la fondation, lui donnè-
rent son nom : c'est Saint-Maur des Fossés prés de Paris. Ce
monastère devint plus tard une collégiale de chanoines ; il
n'existe plus aujourd'hui.
Si S. Maur de Glanfeuil est, comme on l'assure, le disciple
de S. Benoît, il n'est pas douteux qu'il n'ait établi en ce lieu
la règle de ce saint patriarche , et comme cette règle a été
dans la suite adoptée par tous les monastères des Gaules,
on ne peut se dispenser de la faire ici connaître, pour donner
une idée d'un institut dont nous serons souvent obligés
de parler.
S. Benoît distingue d'abord quatre sortes de moines : les
cénobites, qui vivaient en communauté sous la conduite d'un
supérieur; les anachorètes, qui, après s'être longtemps
éprouvés dans une communauté, se retiraient pour vivre
en solitaires (2); les sarabaïtes (3), qui vivaient seuls ou
deux ou trois ensemble sans supérieur et sans autre règle
que leur volonté propre; enfin, les vagabonds, qui, sans se
fixer en aucun lieu, couraient de monastère en monastère
et de province en province; esclaves de leurs plaisirs et
enclins à la gourmandise , ils étaient par là pires encore que
les sarabaïtes. S. Benoit avertit qu'il n'écrit sa règle que pour
(1) Nous trouvons souvent dans cette histoire des oratoires dédiés aux saints
anges à la porte des villes ou des monastères : on voulait par là faire entendre que
les anges étaient les gardiens de ces lieux.
(2) Cassian. Coll. XVIII.
(3) On croit que sarabaïte est un mot égyptien. Cependant S. Jérôme dit qu'en
Egypte on nommait ces moines remoboth, ou, selon quelques exemplaires, rennuoth.
Nous croyons que la dernière leçon est la vraie : car plusieurs auteurs latins les
appellent renuitœ.
308 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [545]
les cénobites. Il la commence en exposant ainsi les devoirs
de l'abbé (1). Ml\ . Vi
Il doit toujours se souvenir que le nom d'abbé signifie
père y et qu'il rendra compte au jugement de Dieu de la
conduite des âmes qui lui ont été confiées. Il est obligé d'ins-
truire par ses discours et d'édifier par sa conduite. Il ne doit
pas faire acception des personnes dans le gouvernement des
affaires, ni préférer les gens de qualité aux autres. Il doit,
pour corriger les coupables, joindre les caresses aux me-
naces et la tendresse du père à la sévérité du maître , et
surtout ne point préférer le soin du temporel à celui du spi-
rituel. Il semble que S. Benoît ait prévu les grandes richesses
qu'auraient un jour ses enfants, et qu'il ait voulu les pré-
munir contre les dangers auxquels elles exposent.
Dans les affaires l'abbé doit assembler le chapitre et prendre
le conseil des frères; mais il demeure toujours maître de
suivre l'avis qu'il jugera le meilleur.
S. Benoît recommande ensuite aux moines la pratique de
toutes les vertus chrétiennes, et particulièrement de l'obéis-
sance, du silence et de l'humilité, dont il marque douze de-
grés, qui sont en effet ceux de la perfection. Il veut que les
bouffonneries et les plaisanteries qui ne peuvent qu'exciter
le rire, soient absolument interdites à des religieux.
Gomme l'office divin doit être la plus douce et la plus
sainte occupation d'un moine, S. Benoît entre à ce sujet dans
un grand détail. En hiver, on chantait matines à deux heures
du matin. L'office était composé de douze psaumes et de trois
leçons tirées de l'Ancien et du Nouveau Testament, et des ho-
mélies des saints Pères ; chacune était suivie d'un répons ana-
logue à la leçon. Pendant l'été, il ne marque pas l'heure pré-
cise du lever ; il veut seulement qu'on le règle de telle sorte
qu'il y ait un léger intervalle entre les vigiles et les matines.
Quant à la discipline monastique, S. Benoît ordonne que
(1) Regul. S. Bened., c. \, H, iv, v, etc.
[545] EN FRANCE. — LIVRE VI. 309
dans les communautés on établisse des officiers subalternes,
qui veillent chacun sur dix moines : c'est pourquoi il les
nomme doyens, decani ; que tous les frères couchent tout
habillés dans le même dortoir, mais dans des lits séparés ;
qu'il y ait de la lumière pendant toute la nuit dans le dor-
toir ; qu'on punisse les fautes par la séparation de la table
commune, par l'excommunication et la flagellation, si l'ex-
communié ne se corrige point. Pour les jeunes gens qui ne
connaissent pas combien l'excommunication est une peine
grave, il veut qu'on commence par la flagellation; qu'on
chasse du monastère les incorrigibles, et, s'ils demandent
ensuite à y rentrer, qu'on les reçoive jusqu'à trois fois.
Un moine ne doit rien avoir en propre , pas même un livre
ou un style (1) ; mais l'abbé doit fournir à tous le nécessaire :
comme les vêtements, un couteau, un style, des tablettes, une
aiguille à coudre. Chacun fera la cuisine à son tour par se-
maine. La règle recommande sur toutes choses d'avoir un
soin particulier des malades, des vieillards et des enfants.
Pour la nourriture des moines , elle ordonne deux portions
cuites, et en permet une troisième de légumes ou de fruits
croissant sur les lieux. Elle marque une livre de pain par
jour (2). La chair des animaux à quatre pieds (3) est dé-
fendue à tous, excepté aux malades.
(1) Le style servait à écrire sur des tablettes enduites de cire, selon l'usage de ce
temps -là. Un des bouts du style était plat , et l'on s'en servait pour effacer ce
qu'on voulait changer. C'est en ce sens qu'Horace a dit : Sœpe stylum vertas, c'est-
à-dire, Effacez souvent.
(2) On ne sait pas de quel poids était la livre de pain que marque S. Benoît.
L'assemblée d'Aix-la-Chapelle, qui voulait établir dans tous les monastères la règle
de ce saint instituteur, ordonna que la livre de pain qu'on donnerait à un moine
pèserait 30 sous avant que d'être cuite , c'est-à-dire qu'elle devait peser 18 onces
Car 20 sous pesaient 12 onces ou une livre. (Plus tard la livre fut fixée à 16 onces*
ou 5C0 grammes des mesures aujourd'hui en usage, l'once représentant un peu plus
de 31 grammes.)
(3) Comme S. Benoît ne parle que de la chair des animaux à quatre pieds, quel-
ques-uns ont cru qu'il -permettait à ses moines la chair des animaux à deux pieds.
On voit en effet par plusieurs exemples que les personnes de piété se faisaient
moins de scrupule de manger de la chair des oiseaux que de manger de la chair
des animaux à quatre pieds : peut-être parce qu'on croyait que les oiseaux ayant
été produits des eaux, comme l'Écriture le marque, leur nature approchait plus
de celle des poissons. Il paraît même que d'anciens abbés autorisaient la chair des
310 HISTOIRE DE L ÉGLISE CATHOLIQUE [545]
« Pour la boisson, dit S. Benoît, quoique nous lisions
que le vin n'est pas pour les moines, cependant, comme
il est difficile de persuader cette maxime aux moines de ce
temps, il faut du moins avoir soin qu'ils en boivent peu : »
ainsi il marque une hémine (1) par jour. C'est une mesure
qu'on ne connaît plus; mais ce que dit S. Benoit, qu'il faut
boire peu de vin, fait juger qu'elle n'était pas grande. Il veut
qu'on règle tellement les heures des repas que le souper
puisse se faire de jour, et sans qu'il soit besoin de lu-
mière.
Le silence est recommandé en tout temps, mais particu-
lièrement après complies. On n'accorde aucune récréation
aux moines : on veut seulement qu'après le repas ils s'as-
semblent en commun pour lire les conférences ou les Yies
des Pères du désert, ou quelque autre livre édifiant.
Tout le temps de la journée qui n'est point employé
au chœur et à la lecture, est destiné au travail des mains.
S. Benoît le croit si essentiel à la vie monastique, qu'il veut
même qu'on donne aux infirmes un travail proportionné
à leur faiblesse. Il ne recommande pas l'hospitalité avec
moins d'instances, et, afin que les hôtes soient mieux traités,
il ordonne qu'ils mangent à la table de l'abbé.
Quant aux habits des moines, S. Benoît dit qu'il ne marque
ni la couleur ni la qualité des étoffes. Il croit que dans
les lieux tempérés il suffit d'une cuculle, d'une tunique et
d'un scapulaire pour le travail. Cependant chaque moine
doit avoir deux de ces vêtements, afin d'en pouvoir changer
pour les laver et pour se coucher.
oiseaux à la table de leurs moines aux grandes solennités. Nous ne pouvons cepen-
dant nous persuader que S. Benoît, en défendant l'usage d'une nourriture grossière,
ait permis des mets plus propres à flatter le goût.
(1) Cette mesure a été interprétée diversement selon le goût ou les besoins de
chacun. Quelques-uns ont cru qu'elle ne contenait que 7 onces et demie de vin;
plusieurs lui en assignent 12 onces ou une livre, et d'autres lui en donnent 20 onces
et même davantage. Il paraît certain par d'anciens règlements monastiques que
l'hémine ne contenait que trois verres de vin ; mais il est assez difficile de déter-
miner la capacité de ces verres. Les trois mesures ci-dessus correspondent â 24,.
-°>0 et 65 centilitres environ de nos mesures modernes.
[545] EN FRANCE. — LIVRE VI. 311
Voici la manière de recevoir les postulants. On les fera
attendre quatre ou cinq jours à la porte sans les admettre.
S'ils persévèrent , on leur dira ce que la règle a de plus dur
et on les mettra dans la cellule des novices. Pendant un an
d'épreuve on leur lira plusieurs fois la règle. Celui qui aura
persévéré sera reçu dans l'église en présence de toute la
communauté. Il promettra stabilité, conversion de ses mœurs
et obéissance : il écrira cette promesse de sa main et la
mettra lui-même sur l'autel. Alors on le dépouillera de
ses habits et on le revêtira de ceux de la communauté.
Ainsi, selon la règle de S. Benoît, on ne prenait l'habit
monastique qu'après le noviciat.
Un père pouvait offrir son fils en bas âge pour être admis
dans le monastère. Il faisait la promesse pour lui par écrit,
et il enveloppait cet acte , avec la main de l'enfant et avec
son offrande, de la nappe de l'autel.
Il y avait souvent dans les monastères des prévôts au-
dessous de l'abbé et au-dessus du prieur; mais comme
l'ambition de ces prévôts, qui s'égalaient quelquefois aux
abbés, causait du trouble, S.. Benoît laisse libre aux abbés
d'en établir ou non. Il veut que tous les moines se traitent
avec respect et charité; qu'on donne à l'abbé le titre de
dom (1) ou de seigneur; que les anciens nomment frères
les jeunes, et que les jeunes appellent les anciens nonnes (2),
c'est-à-dire pères. Les prêtres devaient être en petit nombre
dans le monastère , et ils étaient soumis comme les autres
aux observances monastiques.
Tel est le précis de la règle de S. Benoît, qu'on assure
(1) Domnus, qui est un diminutif de dominus, est un titre d'honneur qui a été
donné aux saints , aux princes, aux évêques, aux abbés et enfin aux simples
moines, à qui il est resté. On a aussi donné le titre de domna aux religieuses, et
S.Jérôme, écrivant à une"vierge consacrée à Dieu, dit qu'il convient de la nommer
dame, puisqu'elle est l'épouse du Seigneur. V. Hier., de Cust. virg.
(2) S. Benoît, pour expliquer ce que signifie nonnus, ajoute : quod intelligitur pa-
terna reverentia. On croit cependant que ce mot égyptien signifie seulement moine
ou religieux, et c'est en ce sens qu'on appelle nonnes les religieuses ; mais ce nom
est tombé dans le style familier.
312 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQI E [545]
avoir été établie par S. Maur au monastère de Glanfeuil. On
voit assez que la piété et la sagesse l'ont dictée, et il n'est
point surprenant qu'une règle si pleine de l'esprit de Dieu ait
conduit tant de saints moines à la perfection religieuse.
On prétend que le roi Théodebert dota aussi le monastère
de Glanfeuil, et que, par estime pour le nouvel institut, il
voulut que son nom fût inscrit parmi ceux des religieux : la
piété que montra ce prince sur la fin de son règne rend le
fait moins incroyable (1). La renommée de ses vertus royales
et chrétiennes avait porté la gloire de son nom dans toute la
terre. C'est du moins l'opinion qu'en exprime S. Aurélien,
évêque d'Arles.
Aurélien succéda à Auxanius l'an 546, et envoya aussitôt un
député au pape Vigile avec des lettres de recommandation du
roi Childebert , pour en obtenir le pallium et la qualité de vi-
caire du Saint-Siège dans les Gaules. Le député avait ordre
d'aller solliciter le consentement de l'empereur; mais Béli-
saire se chargea encore d'écrire à ce prince, et, sur sa réponse,
Vigile donna le pallium à Aurélien et le nomma son vicaire
dans les Gaules avec les prérogatives accordées à Auxanius ^2).
La lettre de Vigile à Aurélien est du 23 août de la cinquième
année après le consulat de Basile, c'est-à-dire l'an 546. Il écri-
vit une circulaire à tous les évêques du royaume de Childebert,
pour les avertir qu'il avait nommé Aurélien son vicaire.
Ce saint évêque , quelque temps après son ordination, écrivit
au roi Théodebert une lettre qui contient un magnifique éloge
de ce prince. Il loue particulièrement sa piété , sa bonté
pour les malheureux et sa libéralité envers tous. Ces vertus,
par lesquelles on règne sur les cœurs, font les rois plus que
le sceptre et la couronne. Aurélien joint à ces louanges des
(1) L'auteur de la Vie de S. Maur est le seul qui rapporte ces faits. Il ne nous
paraît même pas certain que Théodebert, roid'Austrasie, eût un domaine en Anjou.
Le silence des historiens à ce sujet balance fort l'autorité d'un écrivain en qui
d'ailleurs on remarque tant d'erreurs.
(2) On voit par là que le pouvoir des évêques d'Arles n'était pas attaché à leur
siège, comme celui des patriarches en Orient.
[545] EN FRANCE. — LIVRE VI. 313
avis salutaires : il exhorte Théodebert à songer sans cesse au
jour des vengeances du Seigneur , à ce jour où les rois ren-
dront un compte si exact de leurs actions, où il n'y aura plus
de distinction de rang et de naissance, mais seulement de
mérites, et où les richesses ne serviront de rien, excepté celles
qu'on aura employées à faire de bonnes œuvres (1).
Théodebert était en effet un grand roi et un prince fort
religieux. Il gouvernait ses sujets selon la justice, révérait
les évêques, aimait les pauvres et soulageait leur misère.
Il était surtout libéral à l'égard des églises. Il remit à celles
d'Auvergne tous les tributs qu'elles devaient au fisc royal , et
il contribua par ses largesses à en faire bâtir une sur le tom-
beau de S. Valentin (2).
Yalentin était un jeune solitaire , qui triompha généreuse-
ment de l'amour du monde et de ses plaisirs. Apprenant que
ses parents, qui étaient nobles, l'avaient fiancé malgré lui à
l'âge de vingt ans, il s'enfuit de la maison paternelle etse retira
dans une caverne près de Langres, sa patrie, où il mourut peu
de temps après dans les exercices de la vie érémitique. Il est
honoré le 5 juillet.
La piété n'est pas incompatible, surtout dans un prince,
avec l'amour de la gloire bien réglé. Tandis que Théodebert
réparait par de bonnes œuvres les scandales de sa jeunesse,
il s'appliquait à soutenir la réputation de ses armes par de
nouveaux exploits. Il s'était rendu la terreur des Goths et des
Grecs, qui se disputaient l'Italie. Le politique Justinien le
craignait jusque dans Gonstantinople. Théodebert prenait
même le titre d'auguste (3), en représailles de ce que l'em-
pereur avait pris celui de francique, et il songeait à porter
la guerre dans l'Orient lorsqu'un accident aussi funeste
(1) Apud Duchesne. Sa-ipt. Franc, t. I, p. 857. — (2) Greg. Tur. Hist., l.III,
C. XXV.
(3) On a gardé longtemps autrefois au collège Louis-le-Grand une médaille
d'or de Théodebert fort précieuse par sa rareté. Ce prince y était représenté avec
les ornements impériaux et cette légende : Dominus noster Theudebertus Augttatus.
Cette médaille fut enlevée furtivement.
314 HISTOIRE DE l/ÉGLISE CATHOLIQUE [545]
qu'imprévu mit un terme à tous ses projets. Ce prince,
qui avait tant de fois affronté la mort dans les combats, la
trouva dans ses divertissements. Il fut blessé à la chasse par la
chute d'un arbre qu'un buffle renversa sur lui , et il mourut
peu de jours après, dans la quatorzième année de son règne
et la trente-septième depuis la mort de Glovis, c'est-à-dire
l'an 548 (1). Théobalde ou Thibauld, son fils, âgé seulement
de douze ou treize ans, lui succéda.
Le temps d'une minorité est toujours un temps critique
pour ceux qui ont eu part aux affaires sous le règne précédent.
Parthénius , ministre de Théodebert , l'éprouva. C'était un
homme violent et qui, sur de légers soupçons inspirés par sa
jalousie , avait fait mourir injustement sa femme Papianille
et son ami Ausanius. Il s'était rendu fort odieux au peuple,
qui s'en prenait à lui plutôt qu'au roi des lourds tributs dont
il était surchargé; mais le respect pour l'autorité de Théo-
debert avait suspendu la haine contre le ministre. Elle n'en
éclata qu'avec plus de furie après la mort du prince. Parthé-
nius fut contraint de s'enfuir de Metz, et, pour mettre sa vie
en sûreté, il pria deux évêques de le conduire à Trêves. La
charité leur en fit un devoir; mais, en arrivant avec lui dans
cette ville , ils trouvèrent le peuple ameuté et proférant des
menaces de mort contre leur protégé. Voyant qu'ils ne pou-
vaient faire entendre raison à cette populace irritée , ils se
réfugièrent dans l'église et cachèrent le malheureux Par-
thénius dans un coffre où l'on serrait les ornements de l'autel.
Le peuple força l'église, et, après avoir inutilement cherché
partout sa victime, il s'avisa de faire ouvrir le coffre, et l'on en
tira Parthénius, qui, après plusieurs outrages, fut attaché à
une colonne et accablé de pierres (2). Triste vicissitude qui fait
de temps en temps payer bien cher la faveur des princes à
ceux qui en ont abusé, et quelquefois aussi, malheureusement,
(1) Agathias, 1. I.— Greg. Tur., 1. III, c. xxxvn.— (2) Greg. Tur. Hist., l.IH£
c. xxxvi.
546] EN FRANCE. — LIVRE VI. 315
, ceux mêmes qui en ont bien usé ! Mais on n'a guère vu que
j es périls des grands emplois aient ralenti l'ambition qui les
ait rechercher.
S. Nicet de Trêves eut aussi des contradictions à essuyer
iprès la mort de Théodebert , mais pour une cause bien
lifférente. Il avait excommunié, comme nous l'avons dit,
[uelques seigneurs francs pour avoir contracté des mariages
ncestueux : abus que tant de conciles n'avaient encore pu dé-
•aciner. Ils s'en plaignirent avec aigreur au jeune roi, insul-
èrent à ce sujet le saint évêque et lui firent même subir de
nauvais traitements. Pour examiner cette affaire , Thibauld
convoqua un concile à Toul pour le 1er juin , on ne sait
précisément en quelle année.
Mappinius de Reims, ayant reçu une lettre du roi qui lui
j ordonnait de se rendre à ce concile, répondit qu'il ne pouvait
s'y trouver sans en connaître le sujet et les matières qu'on
levait y traiter. Le roi les lui exposa par une autre lettre ; mais
Mappinius la reçut trop tard , et il écrivit à S. Nicet pour s'ex-
cuser de ne s'être pas trouvé à un concile où il s'agissait de
défendre ses intérêts et ceux de la religion, l'assurant de la
part qu'il prenait aux peines que son zèle pour la discipline
lui avait attirées (1). C'est tout ce que l'on sait de cette affaire.
Clotaire avait fait tenir un peu auparavant une assemblée
des évêques de ses États, où se trouva Injuriosus de Tours.
Il est probable que la Touraine appartenait alors, du moins en
partie, au roi de Soissons. Clotaire demanda aux évêques
assemblés la troisième (2) partie des revenus de l'Église. Ils y
consentirent presque tous , quoique à regret. Mais Injuriosus
refusa et dit hardiment à Clotaire : « Prince, si vous voulez
enlever ce qui est à Dieu, Dieu vous enlèvera bientôt votre
(1) Conc. Gall., t. I, p. 292, et apud Duchesne, t. I, p. 898.
(2) C'est la première fois qu'on trouve l'exemple d'un secours demandé au clergé
pour les besoins de l'État. Ce n'était pas un impôt, puisqu'on voulait le consente-
ment des évêques : c'était un don gratuit, que plusieurs cependant faisaient malgré
eux.
316 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [548]
royaume. N'est-ce pas une chose inique? Vous qui devriez
nourrir les pauvres des réserves de vos greniers, vous voulez
remplir vos greniers du bien des pauvres ! » Ayant parlé de la
sorte, il sortit brusquement de l'assemblée sans prendre congé
du roi. Clotaire fut effrayé, et craignit de s'attirer l' indignation
de S. Martin s'il méprisait les remontrances d'un de ses succes-
seurs. Il se désista de son entreprise sur les biens de l'Église,
et envoya vers Injuriosus des personnes chargées de présents
pour l'engager à implorer pour lui la protection de S. Martin
Ainsi ce fut la fermeté d'un seul évêque qui mit un frein à la cu-
pidité d'un puissant roi. Ce trait montre quelle était la vénéra*
tion qu'on avait pour S. Martin.
Injuriosus occupa son siège dix-sept ans. Il fit bâtir àTouri
l'église de la Vierge et établit l'usage de chanter tierce e
sexte dans sa cathédrale. Il mourut l'an 548, laissant dans li
trésor de son Église plus de vingt mille sous d'or (1). Mais c<
n'est pas pour amasser que l'Église a des biens : aussi n'a-t-elL
pas mis ce prélat au nombre des saints. Baudin, référendaire m
du roi Glotaire, lui succéda, et distribua ces sommes aux pau
vres : c'était le meilleur usage qu'il pût en faire.
Childebert, bien différent de Glotaire, loin de vouloir gros
sir son épargne des biens des Églises, faisait servir ses trésor
à les enrichir et son autorité à les protéger. Il fonda plusieur
hôpitaux et plusieurs monastères ; il dota entre autres ceu:
que S. Aurélien établit à Arles au commencement de son épis
copat, et dont nous parlerons bientôt. Il s'appliqua, sur toute:
choses, à maintenir par ses édits la pureté des mœurs et de 1<
discipline dans ses États. Il publia à ce sujet une constitutioi
pour extirper les dernières racines de l'idolâtrie, et faire ces
ser les profanations qui se commettaient clans la célébratioi
des fêtes. Nous avons cru qu'on verrait ici avec plaisir ui
monument si digne du zèle d'un roi très-chrétien.
(1) Le sou «l'or valait h peu près 100 fr. de notre monnaie.
(2) Greg. Tur. Hist., lib. X, c. ult., n. 15, 1G. — Le référendaire était un de
premiers officiers de nos rois, et c'était lui qui était le garde du sceau royal.
149] EN FRANCE. — LIVRE VI. 317
« Nous ordonnons, dit Ghildebert, que quiconque, ayant été
verti qu'il y a dans son champ (1) des idoles consacrées aux
émons, ne les en aura pas fait disparaître, ou aura empêché
îs évêques de les briser, soit obligé de donner caution et de
omparaître devant nous , afin que nous vengions l'injure faite
Dieu. On nous a aussi porté de grandes plaintes au sujet des
ébauches auxquelles se livre le peuple, au mépris de la loi
Le Dieu, en passant les nuits à boire, à chanter et à faire des
ouffonneries. On ose même profaner par ces désordres les
3tes de Pâques, de Noël et les autres solennités. On nous a
ncore représenté que la veille du dimanche , il y a des dan-
euses (2) qui courent par les campagnes de maison en mai-
on. Nous ne pouvons tolérer de pareils désordres, qui offen-
ent le Seigneur. C'est pourquoi quiconque y retombera
près avoir été averti par les évêques et après la publication
le ce présent édit, nous ordonnons que s'il est esclave, il soit
mni de cent coups de fouet ; et s'il est libre, qu'il soit mis en
)rison. » C'est la première ordonnance de nos rois établissant
les peines temporelles contre la désobéissance aux avertis-
;ements des évêques. Nous verrons dans la suite bien d'autres
aits de ce genre.
Mais autant un prince chrétien doit prêter son autorité à l'É-
glise pour lui soumettre les réfractaires, autant doit-il crain-
Ire, en la protégeant, d'en usurper la juridiction. C'est l'écueil
contre lequel l'empereur Justinien se heurtait, et que Childe-
bert sut toujours éviter. Quelques plaintes qu'il eût reçues
contre Marc, évêque d'Orléans, il en laissa le jugement à un
concile national, qui fut convoqué dans cette ville (3) au mois
(1) Après la destruction des temples, il restait encore plusieurs idoles dans
la campagne , parce qu'on honorait les bornes des champs sous le nom de dieu
Terme.
(2) Il y a dans le latin-bansatrices : il paraît que c'est de ce mot que s'est formé
celui de danseuses. Le P. Hardouin, dans son édition des Conciles a mis dansatrices,
sans avertir que les manuscrits portent bansatrices . Ducange avait eu quelque
soupçon qu'il fallait lire balatrices ou bansatrices.
(3) Comme Orléans est presque situé au centre de la Gaule, on jugea cette ville
plus commode pour la tenue des conciles.
318 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [549J
d'octobre 549. Il ne s'agissait pas seulement de la cause per-
sonnelle de cet évêque : on avait appris en France les troubles
que les nestoriens et les eutychiens excitaient de nouveau en
Orient , et l'on craignait que le mal ne se communiquât dans les
Églises d'Occident. C'est ce qui donna lieu au premier canon,
qui anathématise les erreurs de Nestorius et d'Eutychè.-
avec leurs auteurs et leurs sectateurs (1). On dressa dans ce
concile vingt-trois autres canons, qui ne concernent que la
discipline.
II. On défend aux évêques d'excommunier pour des causes
légères ; on leur recommande de n'employer les censures que
dans les occasions marquées par les anciens règlements.
III. On croit encore nécessaire de réitérer les défenses tant de
fois faites aux évêques, aux prêtres et aux diacres d'avoir chez
eux des femmes étrangères, même pour les servir, ou d'y souf-
frir leurs parentes à une heure indue, de peur que les suivantes
de ces parentes ne donnent lieu à de mauvais soupçons : et
cela sous peine pour les contrevenants d'être suspendus pen-
dant un an des fonctions de leur ministère.
IV. Si un clerc, de quelque ordre qu'il soit, a encore com-
merce avec sa femme, il sera déposé; mais on lui accordera
la communion. (Le concile étend ici l'obligation de la conti-
nence à tous les clercs, comme nous avons vu qu'il se prati-
quait dans quelques Églises, et nommément dans celle d'Autun.
VI. L'évêque qui ordonnera avec connaissance de cause un
esclave ou un affranchi sans la permission de son maître, sera
pendant six mois suspendu de la célébration des sacrés mys-
tères ; et le nouveau clerc demeurera sous la puissance de son
maître, qui n'en exigera que des services honnêtes. Si le maître
en exige des services qui puissent déshonorer l'ordre sacré,
l'évêque qui l'a ordonné donnera, selon les anciens canons,
deux esclaves en sa place.
Les affranchis ne recevaient pas une entière liberté, et ils
(1) Conc. Gall., t. I, p. 277.
549] EN FRANCE. — LIVRE VI. 319
levaient encore certaines redevances et un certain service à
eurs maîtres. C'est pourquoi le concile ne veut pas qu'on
Duisse sans le consentement de ces maîtres engager les affran-
chis dans le clergé, ce qui les exemptait de ces charges.
VII. Il est défendu de remettre en servitude les esclaves qui
3nt été affranchis dans l'église , à moins qu'ils ne se soient
rendus indignes de ce bienfait par des fautes prévues par la loi.
VIII. Pendant la vacance d'un siège, aucun évêque n'ordon-
aera de clercs ni ne consacrera d'autels dans l'étendue du
Jiocèse.
X. Qu'il ne soit permis à personnne d'acheter l'épiscopat ;
nais que celui qui a été élu par le clergé et le peuple, suivant
Les anciens canons, soit ordonné, avec l'agrément du roi, par
e métropolitain et les évêques de la province. Que l'évêque
jui aura obtenu son ordination à prix d'argent soit déposé.
XI. On n'ordonnera aucun évêque malgré les clercs et les
citoyens de la ville ; défense est faite également d'employer
pour extorquer leur consentement l'autorité des personnes
puissantes , sous peine de déposition pour ceux qui auront
Dbtenu l'épiscopat par de tels moyens.
Les évêques s'efforçaient par ces canons de rétablir la liberté
des élections, qui était souvent gênée par l'autorité royale ou
par les recommandations des seigneurs. Nous avons vu, par plu-
sieurs exemples, que les rois avaient dès lors la plus large
part d'influence dans la nomination aux évêchés, et c'est un
fait digne de remarque que dans les canons mêmes ayant pour
but la liberté des élections, on requiert le consentement du roi
pour l'ordination du nouvel évêque.
XV. Le roi Ghildebert et la reine Ultrogothe avaient fondé
un hôpital à Lyon pour loger les étrangers et soigner les
malades. Ils souhaitèrent que les évêques du concile autori-
sassent de leur souscription cet établissement et les règle-
ments qui avaient été dressés pour le maintenir. Le concile le
fit, et ordonna, par un canon exprès, que l'évêque de Lyon et
ses successeurs ne pourraient rien attribuer à leur Église des
320 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [549 1
biens qui avaient été donnés ou qui pourraient être donnés
dans la suite à cet hôpital, ni rien changer dans les règlements
qu'on y avait établis ; qu'ils auraient seulement inspection sur
la maison, pour qu'il y eût toujours des supérieurs et des
administrateurs soigneux et craignant Dieu. On excommunie
comme meurtriers des pauvres ceux qui contreviendraient à
ce canon ou qui usurperaient les biens de cet hôpital.
XVII. Si quelqu'un a quelque démêlé avec l'évêque ou
avec les agents de l'Église, il s'adressera d'abord à l'évêque,
afin que le différend soit terminé à l'amiable. Si cette démarche
ne réussit pas, on aura recours au métropolitain, qui en
écrira à l'évêque pour faire terminer la cause par arbitrage.
Si l'évêque ne veut pas se prêter à un accommodement, et que
le métropolitain soit obligé de lui écrire une seconde fois, il
demeurera privé de la communion du métropolitain jusqu'à
ce qu'il soit venu lui rendre compte de l'affaire. Mais s'il est
évident qu'on suscite à l'évêque une querelle injuste, celui qui
la lui aura suscitée sera excommunié pendant un an. Si le
métropolitain interpellé deux fois par un évêque diffère de
lui rendre justice, l'évêque se pourvoira au concile prochain.
XIX. Les filles qui se consacreront à Dieu de leur propre
volonté dans un monastère, y demeureront un an avant de
prendre l'habit de religion. Mais celles qui se consacrent dans
des communautés où la clôture n'est pas perpétuelle, y garde-
ront pendant trois ans l'habit séculier.
C'était le temps du noviciat : il était plus long dans les com-
munautés où l'on n'était pas obligé à la clôture , parce qu'on
jugeait que la vertu, y devant être plus exposée, devait aussi y
être plus longtemps éprouvée.
XX. L'archidiacre ou le prévôt de l'Église doit visiter les
prisonniers tous les dimanches, afin de soulager leurs mi-
sères. L'évêque nommera une personne fidèle et soigneuse
qui pourvoira à leur nourriture et à leurs autres besoins aux
dépens de l'Église.
XXI. On recommande aussi particulièrement aux évêques
549J EN FRANCE. — LIVRE VI. 321
le soin des lépreux de leur diocèse, et c'est à eux qu'il appar-
ient de leur fournir le vivre et le vêtement selon les ressources
le leur Église.
On voit ici que les biens de l'Église étaient ceux de tous les
malheureux, et, pour cette raison, on doit d'autant moins s'é-
tonner de la libéralité des peuples à l'enrichir.
XXIII. Le métropolitain tiendra tous les ans le concile de
la province.
Ces canons furent arrêtés et souscrits par cinquante évêques
présents et par les députés de vingt et un absents, le 28 oc-
obre, in diction XIII (1) et la trente-huitième année du règne
le Ghiidebert, c'est-à-dire l'an 549.
Les Pères du concile ayant examiné la cause de Marc, évêque
l'Orléans, accusé de plusieurs crimes, pour lesquels il avait
3té envoyé en exil, déclarèrent ces accusations calomnieuses
3t le rétablirent sur son siège (2). Si cet évêque assista à ce
xmcile, il n'y souscrivit pas, parce qu'il était en cause.
. Sept métropolitains souscrivirent les premiers : S. Sacer-
dos de Lyon, qui présida; S. Aurélien d'Arles; S. Hésychius
:1e Vienne, second du nom (3) ; S. Nicet de Trêves ; S. Désidérat
de Bourges; Aspais d'Eauze, etConstitut de Sens, successeur
de S. Léon. On y remarque aussi, mais hors de rang, les sous-
criptions d'Urbique de Besançon, d'Avole d'Aix et de Mappi-
nius de Reims, qui n'assista au concile que par un député,
aussi bien que S. Léonce de Bordeaux et S. Gallican d'Embrun.
Les plus célèbres des autres évêques sont : S. Firmin d'Uzès,
(1) L'indiction est une révolution de quinze années : en sorte que quand on a
compté indiction XV, on recommence à marquer indiction I. Cette époque fut
établie en Orient dès le règne de Constantin. Mais elle ne commença à être en usage
dans la Gaule que dans le vie siècle. Le quatrième et le cinquième concile d'Or-
léans sont les premiers actes bien authentiques où les Francs s'en soient servis. La
nouvelle indiction commençait alors en France au mois de septembre, comme en
Orient. Dans la suite on lâTcommença au mois de janvier, selon l'usage de Rome.
(2) Greg. Tur. Vit. PP., c. vi.
(3) Robert, dans sa Gaule chrétienne, donne la qualité de saint à Hésychius Ier
et ne la donne pas au second. Mais le supplément du Martyrologe d'Adon la
, donne au second, successeur de S. Pantagathe , et non au premier, qui fut père cr
prédécesseur de S. A vite.
TOME II. 21
322 histoire DE l'Église catholique [549j
S. Agricole de Chalon-sur-Saône, S. Gai d'Auvergne, S. Eleu-
thère d'Auxerre, Désidérat de Verdun, S. Tétric de Langres,
S. Nectaire d'Autun, S. Domitien de Tongres, S. Arége ou
Arey de Nevers, S. Lô de Goutances, S. Lubin de Chartres,
Rurice de •Limoges, S. Aubin d'Angers, S. Génebaud, premier
évêque de Laon, qui devait être alors fort âgé. Latro, son fils,
fut son successeur et mérita aussi d'être mis au nombre des
saints. Ces trois derniers n'assistèrent au concile que par dé-
putés (i). Nous devons faire ici connaître quelques-uns de ces
saints évêques.
S. Désidérat de Bourges avait succédé à S. Arcade. Il se
rendit surtout recommandable par son zèle pour la discipline.
On assure qu'il déposa de l'épiscopat Forbius ou Fortius,
évêque du Puy, à cause de sa vie scandaleuse. S. Désidérat
mourut un dimanche, le 8 mai, probablement l'an 550.
Le nom de S. Lô est aussi célèbre que son histoire est peu
connue. Après la mort de Possesseur de Coutances, il fut or-
donné évêque de cette Église par S. Gildard ou Godard de
Rouen. On ne peut douter qu'il n'ait rempli tous les devoirs
de l'épiscopat. Il assista en personne ou par député aux
quatre derniers conciles d'Orléans : c'est une marque de son
zèle pour le rétablissement de la discipline. Le Martyrologe
romain en marque la fête au 22 septembre, et celui de France
au 21. Ce saint évêque est particulièrement honoré dans la
ville appelée de son nom Saint-Lô.
Nous sommes mieux instruits de ce qui regarde S. Lubin de
Chartres. Il était originaire de Poitiers. En gardant les trou-
peaux et en labourant la terre, il apprit à lire d'un moine du mo-
nastère de Noaillé : c'est du moins ce qui paraît probable (2).
(1) On trouve dans les souscriptions un député d'Agrestius, qui est marqué
évêque Toronnicœ civitatis. On ne sait quelle est cette ville : ce n'est certainement
pas Tours, dont Baudin était alors évêque, à moins qu'on ne suppose qu'il avait
deux noms. Toronnica civitas est peut-être Turenne, qui aurait eu pendant quelque
temps un évêque, de même que l'Arsat, l'Ile-Bonne et quelques autres villes.
(2) L'auteur de la Vie de S. Lubin nomme ce monastère Noigelense. Quelques
[549] EN FRANCE. — LIVRE VI. 323
Il fut ensuite reçu dans un monastère, où il passa huit ans.
Désireux alors de recevoir les leçons des personnes les plus
consommées dans la vertu et dans les exercices de la vie
monastique, Lubin alla visiter S. Avite clans les solitudes du
Perche, S. Hilaire évêque de Mende, et S. Loup depuis évê-
que de Lyon et alors abbé de l'île Barbe. Dans ce dernier
monastère, où il passa cinq ans, il fut soumis à la question par
les Francs, alors en guerre avec les Bourguignons : on. vou-
lait par ces violences lui faire déclarer où était l'argent du
monastère. Il revint ensuite auprès de S. Avite et reçut de lui
la charge de cellérier. Après la mort de ce saint abbé, il mena
la vie érémitique dans les forêts du Perche, en un lieu nommé
la Charbonnière. Euthérius, évêque de Chartres, le promut à
la prêtrise sur la réputation de ses vertus et de ses miracles,
et, l'ayant établi abbé du monastère de Brou, il lui ordonna,
pour s'instruire plus parfaitement, d'aller consulter S. Césaire
d'Arles, qui vivait encore. Lubin se proposait autre chose que
d'apprendre à gouverner ses moines; S. Aubin d'Angers l'ac-
compagnait dans ce voyage. Césaire leur en ayant demandé le
sujet, S. Aubin lui répondit qu'il ri' était venu de si loin que
pour avoir la consolation de le voir et prendre ses avis sur
quelques points de discipline; mais que Lubin avait résolu
de quitter le monastère dont il était abbé, pour se faire le
dernier de tous àLérins. S. Césaire ayant blâmé ce dessein,
Lubin retourna prendre le gouvernement de son monastère. Sa
seule pensée était de s'y faire oublier et de cacher ses vertus
dans la retraite , lorsque , Euthérius de Chartres étant mort,
le roi Childebert le nomma pour occuper ce siège. Le clergé
et le peuple de Chartres en apprirent la nouvelle avec joie,
et, malgré la résistance de Lubin et la jalousie de quelques
évêques qui le jugeaient indigne de l'épiscopat parce qu'il
avait une partie clu nez rongée par un chancre, il fut ordonné
critiques pensent que ce pourrait être Noaillé en Poitou. V. Vit. Leobini, ap. Bol-
land., 14 mart.
324 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [549]
évêque, on ne sait précisément en quelle année. Nous aurons
encore dans la suite occasion de parler de Lubin.
On croit que Béat , évêque d'Amiens, qui assista à ce concile,
eut pour successeur S. Honoré. Mais rien n'est plus incer-
tain (1) que le temps où a vécu ce dernier. Tout ce qu'on en
sait , c'est qu'il était né dans un pays du Ponthieu appelé le
Port; qu'il tira de leur tombe les reliques des SS. Fuscien,
Victor et Gentien et les transféra dans son Église , et qu'après
avoir rendu son épiscopat éclatant par ses miracles et par ses
vertus apostoliques, il mourut au lieu de sa naissance (2), où
son corps demeura jusqu'aux ravages des Normands, pendant
lesquels il fut transféré à Amiens dans l'église de Saint-Pierre
et de Saint-Paul, dite de Saint-Firmin le Confesseur.
Le premier canon du cinquième concile d'Orléans, portant
condamnation des hérésies de Nestorius et d'Eutychès, fut un
effet des inquiétudes causées dans les Gaules par les troubles
de l'Orient, dont voici l'occasion. Justinien, qui voulait étendre
son empire jusque sur les affaires de la religion, avait entre-
pris de faire condamner ce qu'on nomma les trois chapitres,
c'est-à-dire les écrits de îhéodoret contre S. Cyrille, la lettre
d'Ibas, évêque d'Edesse, à Maris, persan, et les écrits et la per-
sonne de Théodore de Mopsueste, qui était la première source
du nestorianisme. Les euty chiens poursuivaient avec chaleur
cette condamnation, dont ils espéraient tirer de grands avan-
tages ; et bien des catholiques en étaient alarmés, parce qu'ils
craignaient qu'on n'en abusât pour donner atteinte à l'autorité
du saint concile de Chalcédoine, où la lettre d'Ibas avait été lue
sans être flétrie, et où Théodoret et Ibas avaient été reçus
(1) Ce qui rend incertaine l'époque de S. Honoré, c'est qu'on le fait vivre sons
le'roi Childebert, et que S. Salve, qu'on lui donne communément pour successeur,
vécut sous le roi Thierry : or il y a eu trois Childebert et quatre Thierry qui ont
régné en France en des temps bien différents. D'ailleurs la Vie de S. Honoré et
celle de S. Salve ne sont pas d'une authenticité suffisante.
(2) Comme le lieu où naquit et mourut S. Honoré s'appelait le Port, on a fait
les deux vers suivants, que nous citons parce qu'ils sont anciens :
Quem genuit Portus, decessit ubi fuit ortus.
ïs suus est portus, suus est ocrasus et ortus.
[549] EN FRANCE. — LIVRE VI. 325
au nombre des évêques catholiques. Quant à Théodore de
Mopsueste, quelques-uns jugeaient qu'il était contre les règles
et la pratique de l'Église d'anathématiscr après sa mort un
évêque qui ne pouvait plus se défendre et qui était mort
dans la communion de l'Église .
Le pape Vigile, qui s'était rendu à Gonstantinople dès
l'an 547, avait d'abord rejeté l'édit de l'empereur portant con-
damnation des trois chapitres. Gagné ensuite par l'espérance
de la paix, il les avait condamnés lui-même par son Judicatum ,
mais avec cette réserve : sauf V autorité du concile de Chalcé-
doine. On n'en craignait pas moins l'abus qu'on pourrait faire
de ce jugement. Deux diacres de Vigile, qui s'étaient élevés
contre lui à cette occasion, redoublèrent les alarmes dans
quelques Églises d'Occident, en écrivant que Vigile avait aban-
donné le saint concile de Ghalcédoine.
Aurélien, évêque d'Arles et vicaire du Saint-Siège, avait
reçu une de ces lettres; afin de connaître la vérité, il envoya
Anastase à Constantinople avec des lettres pour Vigile. Elles
lui parvinrent le 14 juillet 549 (1) ; mais ce pape qui, dans
l'état où il était réduit à Gonstantinople, n'avait pas l'entière
liberté de déclarer ses sentiments, ne put y faire réponse que
l'année suivante ; encore ne lui permit-on de s'expliquer qu'en
termes généraux.
Après avoir dit à Aurélien qu'il lui sait bon gré de sa solli-
citude dans la cause de la foi, il lui parle ainsi (2) : « Soyez
assuré que nous n'avons rien fait qui puisse être contraire (ce
qu'à Dieu ne plaise!) aux constitutions de nos prédécesseurs,
à la foi des quatre conciles, c'est-à-dire : celui de Nicée, celui
de Gonstantinople , le premier d'Éphèse et celui de Ghalcé-
doine, ou qui puisse intéresser l'honneur des personnes qui
ont souscrit cette foi ; qu'au contraire nous rejetons tous
ceux qui n'adhèrent pas à la foi de ces quatre conciles, qui
en rejettent les canons ou qui s'efforcent de les rejeter ou
(1) Ep. -leric. Ital. — (2) Epist. Vigil. ad Aurelian., t. I Conc. GalL, p. 287. —
Labb., t. V, p. 558.
326 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [549]
de les décrier... Que Votre Fraternité, en qualité de vicaire du
Saint-Siège, fasse donc savoir à tous les évêques qu'ils ne
doivent point se laisser troubler par les écrits supposés qu'on
répand ou par les faux bruits qu'on débite... Quand l'empe-
reur nous aura permis de retourner en Italie, nous vous en-
verrons quelqu'un pour vous instruire plus en détail de tout-
ce qui s'est passé. »
Vigile finit sa lettre par des paroles bien glorieuses pour
Childebert. « Gomme nous connaissons, dit-il, la profonde vé-
nération que le zèle de la religion inspire à notre glorieux fils
le roi Childebert pour le Saint-Siège, sur lequel Dieu a voulu
que nous fussions placés, nous espérons que vous ne cesserez
de le supplier de protéger l'Église dans une si grande néces-
sité. On publie que les Goths sont entrés dans Rome : c'est
pourquoi je le conjure d'avoir la bonté d'écrire à leur roi
qu'il ne fasse rien au préjudice de notre Église, sous prétexte
qu'il est d'une autre religion , et de ne pas souffrir qu'on en-
treprenne rien qui puisse troubler la paix des fidèles. Car il est
digne d'un prince catholique, tel qu'est votre roi, de défendre
de tout son pouvoir la foi et l'Église dans laquelle il a été
baptisé. Son zèle ne demeurera pas sans récompense : Je vis,
dit le Seigneur, et je glorifierai ceux qui me glorifieront.
Tâchez donc, mon cher frère, de faire en sorte qu'en persis-
tant dans la vraie foi vous entreteniez, avec l'aide du Seigneur,
la paix des Églises. Dieu vous a confié le soin de la conserver,
cette paix, en vous élevant à l'éplscopàt; nous vous l'avons
confié nous-même par l'autorité apostolique, en vous délé-
guant notre puissance : montrez par des œuvres dignes de
Dieu que vous êtes en effet le vicaire du Siège apostolique. »
La lettre est datée du 29 avril de la vingt-quatrième année de
Justinien et la neuvième après le consulat de Basile, c'est-à-
dire l'an 550.
Le roi des Goths dont parle Vigile était ïotila , qui avait
repris Rome l'an 549. Justinien, qui songeait à délivrer l'Italie
de ce terrible fléau, envoya une ambassade avec des présents
|549] EX FRAXCE. LIVRE VI. 327
à Thibauld, roi d'Austrasie, pour s'assurer de son alliance
contre un ennemi si formidable. Thibauld, de son côté,
nomma des ambassadeurs pour la cour de Justinien. Les clercs
d'Italie, l'ayant appris, crurent qu'on ne pouvait trouver une
intercession plus puissante auprès de l'empereur en faveur
du pape, qui avait souffert d'indignes traitements. Ils écrivi-
rent donc une lettre (1) à ces ambassadeurs francs, afin de les
intéresser dans cette importante affaire de l'Église. Dans ce
dessein, ils font d'abord un exposé pathétique des violences
qui avaient été faites à Vigile pour l'engager à supprimer le
concile de Ghalcédoine. Ces violences avaient été telles, disent-
ils (2), qu'il fut obligé de s'écrier en pleine assemblée : Je
proteste que, quoique vous me teniez prisonnier , vous ne pour-
rez jamais tenir cap>tif l'apôtre S. Pierre. Puis ils exposent
ce qui s'était passé dans cette affaire : Vigile avait excom-
munié ceux qui obéiraient aux édits de l'empereur portant
condamnation des trois chapitres, et Datius de Milan avait dé-
claré publiquement qu'il se séparerait de leur communion, lui
et tous les évêques des Églises au milieu desquelles la sienne
est située, c'est-à-dire les Églises de la Gaule, de la Bour-
gogne, de l'Espagne, de la Ligurie, de l'Émilie et de la Vé-
nétie ; après cette excommunication, Vigile ne s'était plus
trouvé en sûreté, même dans la basilique de Saint-Pierre, où il
s'était réfugié, et s'était trouvé exposé aux outrages des satel-
lites que le préteur avait amenés pour l'en faire sortir ; là s'é-
tait passée une scène d'une violence inouïe : on avait tiré par
les pieds, par la barbe, par les cheveux, le pontife qui tenait
embrassées les colonnes de l'autel ; il avait failli être écrasé
sous les débris de l'autel, qui s'était écroulé.
Après une vive peinture de ces indignes traitements, les
auteurs de cette lettre ajoutent : « On a envoyé des émissaires
dans les provinces d'Italie pour rendre odieux le pape et l'é-
vèque Datius, en répandant sur leur compte plusieurs calom-
(1) Le P. Sirmond rapporte cette lettre à l'an 552 ; le cardinal Noria et le
P. Pagi croient qu'elle fut écrite l'an 551.— (2) Conc. Gall., t. I, p. 291.
328 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [549]
nies, et pour tâcher de faire ordonner en leur place d'autres
évêques qui approuvassent les nouveautés. On a même eu
recours au plus indigne artifice, en subornant un des secré-
taires du pape, qui sait imiter son écriture , et, autant que
nous l'avons pu connaître, on a fait écrire en son nom
de fausses lettres, dont ses ennemis ont chargé un nommé
Etienne, qu'ils ont envoyé en Italie avec les ambassadeurs des
Goths , afin d'aigrir par ses fourberies les esprits contre le
pape.
« C'est pourquoi nous vous conjurons par le jugement futur
de notre Dieu, si terrible à tout homme, de faire au plus tôt
connaître ces choses dans vos provinces , afin qu'on ne s'y
laisse pas surprendre par ces émissaires, et qu'un certain
Anastase , envoyé par le saint évêque Aurélien d'Arles à
Gonstantinople il y a plus de deux ans , ne débite pas des
mensonges dans les Gaules. Car cet homme , ne pouvant obte-
nir la permission de sortir de Constantinople, s'est avisé de
promettre que si on le laissait partir il engagerait les évêques
des Gaules à condamner les trois chapitres. Aussitôt on lui
envoya de grands présents et on lui fit prêter serment qu'il
garderait sa parole. On ne laissa pas la liberté au pape de
mander par cet Anastase aux évêques des Gaules ce qui se
passait dans cette cause : on lui permit seulement d'écrire sur
d'autres affaires et de déclarer en général qu'il demeurait at-
taché à la foi catholique et aux quatre conciles selon la tra-
dition des Pères. »
Les clercs d'Italie terminent leur lettre en priant les am-
bassadeurs francs de proposer aux évêques des Gaules d'é-
crire au pape Vigile et à l'évêque Datius, pour les consoler
et les exhorter à ne consentir à aucune nouveauté. Ils les invi-
tent à faire eux-mêmes auprès de Justinien tout ce qu'ils
pourront en leur faveur, surtout pour obtenir le retour de
Datius et faire cesser les cruautés qu'on exerçait envers les
clercs romains ou africains qui étaient à Constantinople.
On ne sait pas précisément quel effet produisit cette lettre ;
[550] EN FEAXCE. LIVRE VI. 329
mais on peut présumer que les ambassadeurs francs y eurent
égard et qu'ils employèrent avec succès leur crédit et celui
de leur maître en faveur de Vigile. On voit en effet que de-
puis ce temps-là Justinien donna plus de liberté à ce pape, et
qu'il laissa le jugement des trois chapitres à un concile qui les
condamna, sans donner atteinte à celui de Chalcédoine.
S. Aurélien d'Arles, qui avait pris tant de part à cette grande
affaire, n'en vit pas la conclusion. Il mourut le 16 juin vers
l'an 551, après avoir soutenu par ses talents et par ses vertus
la gloire d'un siège illustré par tant de grands et saints
évêques. Il établit à Arles, par les libéralités du roi Childe-
bert, deux monastères : l'un pour les hommes, dédié aux
apôtres, et l'autre pour les femmes, dédié à la Ste Vierge. Le
saint évêque donna aux moines et aux religieuses une règle
pleine de l'esprit de sagesse et de mortification, et qui est
presque la même pour les uns et pour les autres. En voici le
précis ,1\
On lira la règle aux postulants à l'entrée du monastère, et
s'ils promettent de la garder, on les recevra ; mais on ne leur
donnera l'habit de religion qu'après qu'ils auront distribué
ou vendu leurs biens. On mettra sur la confession (2), comme
pour servir de témoignage, les cheveux qu'on aura coupés aux
laïques. Il paraît qu'on offrait ces cheveux à quelque saint sur
le tombeau ou sur l'autel érigé en son honneur.
Les moines ne parleront jamais à aucune femme, pas même
à leur propre mère. Ils ne pourront parler aux hommes qu'en
présence de l'abbé , du prévôt ou de quelque autre ancien ;
l'on ne permettra pas aux séculiers, de quelque qualité qu'ils
soient, d'entrer dans l'intérieur du monastère ou même dans
l'église. On n'aura pas à l'autel de voiles de soie ou garnis
d'or et de pierreries. Si les fidèles en font présent au monas-
tère, on les vendra. On emploiera tous les jours deux heures à
(1) Reg. S. Aurel., c. I, il, m, iv, xv, xvi, xxvii, xxvm, xxxii.
(2) On nommait confession non-seulement le tombeau d'un martyr, mais encore
l'autel qui souvent était érigé sur le tombeau.
330 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [551]
la lecture, et tous doivent apprendre à lire. On recommande
le travail des mains. On veut même que, pour éviter le sommeil
à l'office de la nuit, les jours ordinaires, les moines travaillent
au chœur à quelque ouvrage pendant qu'on récite les leçons.
Cet article est singulier et peut faire juger que les leçons
étaient fort longues. Les moines ne doivent pas avoir de pro-
cès, parce qu'il ne convient pas qu'un serviteur de Dieu soit
processif.
Pour quelque faute que ce soit on ne donnera pas plus de
trente-neuf coups de discipline. C'est ce qu'on nomme ailleurs
la discipline légitime.
Personne ne sera promu à la prêtrise ou au diaconat sans
le consentement de l'abbé (1). L'abbé ne mangera qu'en com-
munauté (la règle de S. Benoît accorde aux abbés une table
particulière). On ne mangera jamais de chair, pas même de
celle des oiseaux, à moins qu'on ne soit malade. Cet article
confirme ce que nous avons remarqué ailleurs, qu'on permet-
tait plus aisément aux moines l'usage de la chair des oiseaux
que celui de la chair des animaux à quatre pieds. On servira
du poisson à la communauté les jours solennels et quand
l'abbé voudra user d'indulgence. Tous les premiers jours
du mois on lira la règle (2).
S. Àurélien règle fort en détail l'office divin et d'une
manière différente de celle de S. Benoît et de S. Césaire.
Il parle des complies, dont S. Césaire ne fait aucune men-
tion. En déterminant les jeûnes de l'année, il dit que depuis
l'Epiphanie j usqu'à Pâques il faut j eûner tous les j ours, excepté
les grandes fêtes , le samedi et le dimanche : ce qui montre
qu'il y avait encore des personnes, surtout dans la Provence,
qui ne jeûnaient pas les samedis de carême. C'étaient, à ce qu'on
(1) Il y a dans le latin : Nullus honorem presbyterii aut diaconatus accipiat prœter
abbatem: ce qui a fait croire à quelques auteurs que S. Aurélien ordonnait qu'il
n'y eût que l'abbé de prêtre ou de diacre. Mais la suite de cet article fait voir
évidemment que prœter abbatem signifie la même chose que prœter abbatis volm-
tatem.
(2) C. XXXIX, LV.
51] EX FRANCE. — LIVRE VI. 331
'oit, les Goths qui avaient apporté d'Orient cet usage clans la
aule. Le concile d'Agde et le quatrième d'Orléans l'avaient
l'oscrit , mais il n'était pas aboli. Cet extrait de la règle de
I. Aurélien fait voir qu'elle était, par quelques dispositions,
Jicore plus austère que celle de S. Benoit.
Le saint abbé Tétradius ou Téridius donna aussi, vers le
jiême temps, à divers monastères de ces provinces une règle
ui lui avait été dictée par S. Gésaire, son oncle. Elle est en
1 (Tet presque semblable à celle que ce saint évêque donna aux
jiligïeuses, mais les jeûnes y sont plus fréquents. Nous ne
royons donc pas devoir en parler plus au long.
S. Aurélien établit abbé de son monastère d'Arles S. Flo-
sntin, qui le gouverna cinq ans et six mois ; il mourut, âgé
e soixante-dix ans, le 12 avril 553. Il est honoré à Arles le
1 mai. On voyait son épitaphe dans l'église de Sainte-Croix,
•ù l'abbé Constantin fît d'abord transporter ses reliques ; elles
urent ensuite déposées dans celle de Saint-Pierre. Cette
pitaphe était en vers latins acrostiches (1) : c'est le premier
xemple que nous trouvons dans cette histoire de cette sorte
le poésie, dont tout le mérite consiste en un travail aussi
nzarre qu'inutile.
La province d'Arles et la plupart des autres provinces de la
jaule étaient alors fort affligées d'une peste, que les auteurs
le ce temps-là nomment ingui?iaire , parce que le mal se dé-
parait dans l'aine. Cette contagion fit presque partout d'é-
xanges ravages, et elle en aurait fait déplus grands si la piété
des peuples, qui se réveille dans l'adversité, n'eût eu recours
i de puissants intercesseurs pour fléchir la colère de Dieu .
Les habitants de Reims implorèrent avec confiance la protec-
tion de S. Remi. On courut à son tombeau, on prit le voile qui
le couvrait et on le porta en procession par toute la ville. C'en
fut assez pour arrêter le mal (2). Le circuit que fit la procès -
(1) En assemblant les premières lettres des vers de cette épitaphe, on trouve :
Florentinus ahbas hic in pace quiescit. Amen.
(2) Greg. Tur., de Glor. confess., c. lxxix.
332 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [551
sion avec cette relique fut comme une barrière qui empêchi
la contagion de pénétrer dans la ville, quoiqu'elle en ravagea
les environs. Trêves fut aussi préservée de ce fléau par le
mérites de S. Euchaire, de S. Maximin et de S. Nicet, qui ei
était alors évêque (1).
S. Gai, évêque d'Auvergne, ne cessait de s'offrir au Sei
gneur comme une victime d'expiation pour sauver son peupl
menacé de cette peste , et il décida qu'à la mi-carême oi
irait en procession à pied de la ville d'Auvergne à Saint-Julie]
de Brioude, qui en est éloigné de plus de dix lieues. Gomme i
priait un jour avec un redoublement de ferveur, un ange lui ap
parut et lui affirma que de son vivant personne de son peupL
ne serait atteint de cette contagion ; mais que lui-même n'a
vait plus que quelques années à vivre (2). La première parti
de cette prédiction le consola, et la seconde ne l'affligea pas.
Dès que ce saint évêque sentit sa fin approcher, il fit assem
bler son peuple dans l'Église et lui donna la communion d
sa main, faisant ainsi l'office de pasteur jusqu'au dernier mo
ment. Le troisième jour suivant, qui était le dimanche de l'As
cension, il demanda dès le matin ce qu'on chantait à l'Église
et comme on lui eut répondu qu'on chantait actuellement 1
Benedicite, il chanta ce cantique avec le psaume Miserere £
le capitule. Ayant ensuite dit adieu à ses clercs, il rendit so:
esprit à son Créateur (3). On lava aussitôt son corps, on 1
déposa dans l'église , où il demeura trois jours sans êtr
inhumé en attendant l'arrivée des évêques voisins. Ils netai
dèrent pas avenir, et le quatrième jour il fut porté avec u;
concours extraordinaire dans l'église de Saint-Laurent , où i
fut enterré. Les femmes suivirent le convoi en habits de deuil
comme si c'eussent été les funérailles de leurs maris , et le
hommes, dit Grégoire de Tours, y parurent la tête couverte
comme s'ils eussent assisté aux obsèques de leurs femmes
(l) Greg. Tur. Vit. PP., c. xvii. — (2) Greg. Tur. Hisl., 1. IV, c. v. -
(3) Greg. Tur. Vit. PP., c. vi.
51] EN FRANCE. — LIVRE VI. 333
■3 qui nous apprend en quoi consistait le grand deuil pour les
ommes. Tous pleuraient S. Gai comme leur père et disaient
a se frappant la poitrine : Malheur à nous ! nous ne mérite-
ms jamais d'avoir un tel évêque. Les Juifs mêmes portaient
es lampes pour honorer ses funérailles : car les plus grands
rnemis de la religion ne peuvent s'empêcher de révérer la
lînteté. La mort ne servit qu'à faire éclater celle de S. Gai
ar le grand nombre de miracles qui s'opérèrent sur son
jjmbeau. L'Église honore la mémoire de ce saint évêque le
rr juillet, qui n'est pas le jour de sa mort (1).
Il y a lieu de croire que S. Gai était mort lorsque dix des
| vêques qui avaient assisté au dernier concile d'Orléans en tin-
tait un autre, quelques années après, dans la ville d'Auvergne.
( s n'y statuèrent rien de nouveau et ne firent que confirmer
3ize canons du cinquième concile d'Orléans, qu'ils insérèrent
ans leurs actes (2) : c'est ce qui nous autorise à ne pas en
arler plus au long. Gomme on ne voit pas à ce concile d'évè-
ue d'Auvergne, c'est une raison de croire qu'il se tint pendant
i vacance de ce siège, et peut-être ces prélats n'étaient-ils as-
amblés que pour les obsèques de l'évêque défunt et l'ordina-
.on qu'ils s'attendaient à faire du successeur.
En effet, aussitôt que S. Gai eut été enterré, le clergé de la
ille alla faire compliment au prêtre Caton sur l'épiscopat,
u'on regardait comme ne pouvant lui échapper. Il se porta
ji-même pour évêque, mit sous sa main les biens de l'Église,
hassa les administrateurs et régla tout avec autorité. Les
vêques qui s'étaient assemblés pour les funérailles de S. Gai
ni dirent (3) : « Nous voyons que la plus grande partie du
peuple vous a élu : venez, nous vous ordonnerons évêque. Le
(1) Il est difficile de déterminer en quelle année mourut S. Gai, parce que Gré-
tire de Tours paraît se contredire. Il place le commencement de son épiscopat
)rès l'expédition que Thierry fit en Auvergne l'an 431, et sa mort avant celle du
»i Thibauld, arrivée l'an 555, et cependant il lui donne vingt-sept ans d'épis-
>pat ; Fortunat ne lui en donne que vingt-cinq. Il faudrait peut-être lui en
)rmer encore moins. V. Fort. Epith. Gall., 1. IV, carm. 4.
(2) Conc. Gall., t, I. - (3) Greg. Tur., 1. IV, c. v, vi.
334 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [553
roi est un enfant : si l'on vous en fait un crime, nousprendron
la faute sur nous et nous vous soutiendrons. » Gatonleu
répondit avec orgueil : « La renommée ne tous a pas laiss'
ignorer avec quelle piété j'ai vécu depuis mon enfance. L
jeûne, l'aumône, la prière, la psalmodie font toutes mes dé|
ces et toutes mes occupations. Le Seigneur, que j'ai si biei
servi, ne permettra pas que je sois privé de cet évêché. J'ê
été dix ans lecteur, cinq ans sous-diacre, quinze ans diacre
et il y a vingt ans que je suis prêtre. Que me reste-t-il maii
tenant, sinon d'être élevé à l'épiscopat, que j'ai mérité pa
mes services? Retournez dans vos diocèses : je ne veux recf
voir cette dignité que selon les canons. » Il voulait dire qu'
fallait le consentement du roi, ainsi que le dernier concil
d'Orléans l'avait ordonné. Il avait en cela raison, et il eût m(
rité l'épiscopat, s'il eût été moins persuadé qu'il en était dign<
Mais il n'y a pas de vrai mérite, surtout quand il s'agit d(
dignités de l'Eglise, sans une sincère humilité. La vanité ù
Gaton fit perdre à ses vertus tout leur prix, et elle trouva so
châtiment dans la sévérité même qu'elle lui inspira.
Dès que cet hypocrite ambitieux se vit élu par le clergé,
menaça l'archidiacre Gautin de le déposer. Celui-ci eut bea
lui demander humblement ses bonnes grâces et s'offr
même à aller solliciter pour lui le consentement du roi : Ci
ton tourna ses offres en dérision. Mais le mépris est une injui
qu'on ne pardonne guère. L'archidiacre, pour s'en venger, al
secrètement trouver le roi Thibauld et lui apprit la mort c
S. Gai. Le jeune prince, sans aucun examen, lui donna l'év<
ché d'Auvergne et le fit aussitôt ordonner à Metz (1), ensor
qu'il était déjà sacré quand les députés de Gaton arrivèren
Ce prêtre superbe fut si outré de cette préférence qu'il ne pi
se résoudre à se soumettre à Gautin, et il fit un schisme dai
l'Église d'Auvergne : ce qui obligea le nouvel évêque à ôter
(1) On voit ici avec quelle légèreté les rois commençaient à disposer des évêch<
L'Eglise devait s'en ressentir tôt ou tard.
5 5 ' î î EN FRAN'CE. LIVRE VI. 335
lui et à ses adhérents tout ce qu'ils possédaient des biens de
nÉglise. &tiC
Mais Cautin avait beau sévir contre les réfractaires : sa
onduite scandaleuse avilissait son autorité et fournissait des
rmcs contre lui. En effet, les vices de ce prélat parurent
l'autant plus monstrueux qu'il succédait à S. Gai : il désho-
lora son caractère par les passions honteuses de l'avarice et de
'intempérance, avec si peu de retenue et tant de scandale
[u'on était souvent obligé de l'emporter de table dans l'état où
ivresse l'avait mis. Mais les cruautés que son avarice lui
t exercer le rendirent encore plus odieux qu'il n'était mépri-
able. En voici un exemple.
Ste Clotilde avait donné quelque fonds de terre à un prêtre
ommé Anastase. Gautin, qui voulait l'en dépouiller, lui or-
onna de lui remettre en main l'acte de la donation , et sur le
3fus d' Anastase il le fit inhumainement ensevelir tout vivant
ans un ancien tombeau de l'église Saint-Cassy. L'évêque vou-
lit l'y laisser mourir ; mais Anastase, que l'extrême péril
3ndit industrieux, ayant trouvé le moyen de sortir de sa
rison souterraine, alla implorer la protection de Clotaire,
ui, par la mort de Thibauld, décédé sans enfants l'an 555,
tait devenu maître de l'Auvergne et même de tout le royaume
'Austrasie. Quelque cruel que fût Clotaire, il détesta dans
n évêque une action qui ferait horreur dans un tyran. On ne
oit cependant pas qu'il l'ait punie.
Le roi Ghildebert montra plus de zèle pour faire cesser le
candale que l'évêque de sa capitale donnait à l'Église de
'rance. Saffarac de Paris, qui avait assisté au cinquième concile
'Orléans, était accusé de plusieurs crimes qu'on ne jugea pas
evoir laisser impunis, et, après les informations juridiques
u'on en fît, il les confessa devant les évêques Médovée de
leaux, Lubin de Chartres, Arédius qu'on croit être le même
u'Arége de Ne vers, l'abbé Leubachaire, le prêtre Hiculfe,
archidiacre Eternus et le diacre Castricius. Il fut en consé-
[uence renfermé dans un monastère ; mais pour le déposer
336 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [554 1
canoniquement Childebert convoqua un concile à Paris vers
l'an 553. On y examina toutes les procédures faites contre
Saffarac , et les commissaires devant qui il avait fait l'aveu de
ses crimes en rendirent compte au concile, qui les jugea capi-
taux et suffisamment prouvés. En conséquence, après avoir
ratifié ce qu'on avait fait contre cet évêque en le confinant dans
un monastère, le concile déclara qu'il avait mérité la déposi-
tion et il ordonna au métropolitain d'y procéder, et d'observer
en cela ce que les canons du concile tenu peu de temps aupa-
ravant à Orléans prescrivaient pour de semblables crimes (1).
On peut conjecturer d'après cette décision qu'il s'agissait ici
de simonie : car le dernier concile d'Orléans ne parle de dépo-
sition d' évêque qu'au dixième canon, au sujet de ceux qui au-
raient acheté l'épiscopat, et Saffarac avait souscrit ces canons.
Yingt-sept évêques composèrent le second concile de Pa-
ris ; à leur tête étaient six métropolitains : Sapaudus d'Arles,
successeur de S. Aurélien; S. Hésychius de Vienne; S. Nicet
de Trêves ; Probien de Bourges ; Constitut de Sens, métro-
politain de Saffarac, et S. Léonce de Bordeaux. Parmi les
autres évêques, nous ne nommerons que ceux que l'Église a
mis au nombre des saints, savoir : S. Firmin d'Uzès, S. Agri-
cole de Chalon, S. Arédius de Nevers, S. Tétric de Langres
et S. Lubin de Chartres. Les Pères de ce concile ne crurent
pas que la punition d'un de leurs confrères fût une tache pour
l'épiscopat; ils jugèrent au contraire que son impunité en
aurait fait la honte : il n'y a que les fautes impunies qui dés-
honorent le corps où elles sont tolérées.
Sapaudus, qui avait présidé le concile de Paris, en tint un
autre à Arles au mois de juin de l'an 554 : c'est le cinquième
qui ait été tenu en cette ville. Il s'y trouva onze évêques avec
les députés de huit autres , et l'on y formula les sept canons
suivants (2).
I. Les évêques de la province n'offriront les pains pour le
(1) Conc. GalL, t. I, p. 301 ; — (2) Conc. Gail., t. I, p 298. — Labb., t. V.
p. 780.
554] EN FBAiVCE. — LIVRE VI. 337
sacrifice que selon la forme (1) qui est en usage dans l'Eglise
l'Arles.
II. Les monastères seront^soumis à la correction del'évêque
liocésain.
III. Il est défendu aux abbés de faire de longs voyages et de
>'absenter longtemps de leurs monastères, sous peine d'être
;>unis parl'évèque selon les canons.
IV. Il est défendu aux prêtres de déposer un diacre ou un
sous-diacre sans la participation de l'évêque.
V. Les évêques prendront soin des monastères de filles qui
sont dans leurs diocèses, et tiendront la main à ce que les
ibbesses ne fassent rien contre la règle.
VI. Il est défendu aux clercs qui jouissent, des biens de
.'Église de négliger le soin de ces biens, sous peine delà dis-
cipline pour les clercs des ordres inférieurs, et, pour ceux
les ordres supérieurs, sous peine d'être traités comme meur-
riers des pauvres.
VII. Il est défendu à un évêque, sous peine de trois mois de
suspense, de promouvoir à quelque ordre un clerc d'un autre
liocèse, sans une lettre de son évêque.
Ces règlements furent arrêtés et souscrits le 29 juin, indic-
ion III et la quarante-troisième année du règne de Childe-
3ert, c'est-à-dire l'an 554.
Saffarac de Paris ayant été déposé par son métropolitain,
comme l'avait décidé le concile de Paris, Eusèbe (2) fut or-
lonné à sa place. C'est lui qui promut à la prêtrise S. Cloud,
lont nous avons parlé. Il occupa le siège peu de temps, étant
nort vers l'an 555.
(1) Ou donne à ce canon deux interprétations assez |plausibles : 1° On peut
'expliquer de la figure des pains offerts pour le sacrifice, lesquels devaient être
xniformes dans toute la province. Ils étaient communément ronds et marqués
l'une croix. 2° On peut croire que le concile parle de la manière de ranger sur
'autel les pains qui étaient offerts et qui doivent être consacrés. Plusieurs Églises
ivaient là-dessus différents usages. Le plus commun était de les ranger en croix;
nais ces croix mêmes formaient diverses figures.
(2) D'anciens catalogues .font succéder à Saffarac un nommé Libanius, qu'on
\e connaît pas d'ailleurs.
TOME II. 2-
338 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [555]
S. Lubhi de Chartres mourut quelques années après, re-
nommé à cause de ses miracles et de la vie austère qu'il con-
tinua de mener dans l'épiscopat, malgré ses infirmités. La ville
de Paris éprouva son pouvoir auprès de Dieu dans un incendie
qui menaçait de la consumer (1). Le roi Childebert avait
appelé le saint évêque à Paris avec Médovée de Meaux, pour
y officier à la fête de Pâques à la place de l'évêque de cette
ville, qui était mort. Ce devait être Amélius, prédécesseur de
Saffarac, ou Eusèbe, son successeur. Pendant que Lubin était
en cette ville, le feu prit pendant la nuit à quelques maisons,
et, poussé par le vent, il gagna celles qui dès lors étaient bâties
sur le pont. Les cris du peuple ayant éveillé le roi, ce prince
ne vit de ressource que dans les prières de Lubin et l'en-
voya prier de venir au secours de la ville. On voulait conduire
le saint évêque vers les maisons qui étaient en feu ; mais il
alla d'abord à l'église, où les larmes qu'il répandit furent si
efficaces que les flammes s'éteignirent aussitôt qu'il parut sur
le théâtre de l'incendie.
Entre plusieurs autres miracles qu'on rapporte de S. Lu-
bin, on assure qu'en faisant la visite de son diocèse, il gué-
rit un aveugle et ressuscita une jeune fille. Un saint prêtre
de son clergé, nommé Chaletric, étant tombé dangereuse-
ment malade, le saint évêque lui envoya d'abord de l'huile
bénite; puis, étant allé le voir, il lui en fit les onctions en di-
sant : Seigneur, si vous jugez que votre serviteur soit nécessaire
à votre Église, rendez-le-nous en santé. Le Seigneur, qui avait
destiné Chaletric à l'épiscopat, le guérit à l'instant. S. Lubin
fut enterré dans l'église de Saint-Martin en Vallée. Le nombre
des lieux qui portent le nom de ce saint évêque de Chartres
montre la célébrité de son culte ; l'Église honore sa mé-
moire le 14 mars, et celle de S. Chaletric, qui lui succéda,
le 8 octobre.
Le Seigneur, qui ne cessait de veiller au bien et à la
(1) Vit. Leob., n. 16, apud Boll., 14 mart.
[555] EX FRAXCE. — LIVRE VI. 339
gloire de l'Église gallicane , venait d'élever sur le siège de
la capitale un saint évêque, bien capable de réparer les scan-
lales que Saffarac pouvait y avoir donnés. Après la mort
l'Eusèbe, S. Germain (i), alors abbé de Saint-Symphorien
l'Autun, fut élu évêque de Paris pendant qu'il était en route
pour se rendre auprès du roi Childebert. Sa grande réputa-
ion et ses rares vertus lui valurent seules cette dignité, qu'il
craignait autant que ses talents l'en rendaient digne (2).
■ était issu d'une famille aisée du territoire d'Autun. Son
)ère se nommait Eleuthère, et sa mère, Eusébie. Il parut
nême avant sa naissance que la divine providence s'inté-
•essait à sa conservation : car sa mère, étant enceinte de lui,
it tous ses efforts pour lui donner la mort clans son sein ;
nais Dieu ne permit pas qu'elle réussît dans son détestable
projet. Germain fut élevé dans son enfance à A vallon chez
me de ses parentes, qui n'eut pas pour lui des sentiments
ilus humains. Cette méchante femme conçut le noir des-
tin de s'en défaire par le poison, et, en ayant préparé, elle
•rdonna à sa fille de le donner à Germain lorsqu'il revien-
rait de l'école avec un fils qu'elle avait, nommé Stratidius ;
dais la fille se méprit et donna le poison à Stratidius.
Germain, échappé à ces périls, se retira à Lazy chez un
aint prêtre, qui jeta dans son âme les premières semences
e la vertu. Il y avait demeuré quinze ans, lorsque S. Agrip-
in, évêque d'Autun , l'ordonna diacre et ensuite prêtre
X)is ans après. Enfin, S. Nectaire, évêque de la même
ille, par estime pour sa sagesse et pour sa piété, le fit
bbé du monastère de Saint-Symphorien. Germain fit éclater
îalgré lui dans cette charge les vertus qu'il s'était efforcé
isqu'alors de cacher aux hommes. On admira en lui une
ire austérité sans ostentation, une grande vigilance sans
(1) Le P. Mabillon, dans ses Annales, fait succéder S. Germain à Saffarac; la Vie
: S. Droctovée marque que ce saint évêque fut le successeur d'Eusèbe , et la Vie
i S. Germain le suppose, en disant qu'il fut élu après la mort de l'évêqne de
n*is. Ce n'était donc pas après la déposition de Saffarac.
(2) Fortun. Vita S. Germant.
340 HISTOIRE DE I/EGLISE CATHOLIQUE [555
inquiétude, une union continuelle avec Dieu au milieu des
affaires et surtout un tendre amour pour les pauvres. I
ne pouvait leur rien refuser, et leurs besoins lui faisaien
quelquefois oublier ceux de sa communauté (1).
Un jour qu'il avait donné aux pauvres tout ce qu'il 1
avait de pain dans le monastère, les moines, qui en man-
quaient, commencèrent à murmurer contre lui. Il s'en
ferma dans sa cellule, et, aussi affligé de leurs murmures
que sensible à leurs nécessités, il répandit des larmes de van
le Seigneur. Sa prière n'était pas achevée qu'on vit arri
ver à la porte du monastère deux chevaux chargés de pain
qu'une pieuse dame envoyait en aumône.
Le saint abbé avait le don de prophétie. Étant allé trou
ver le roi Childebert à Chalon-sur-Saône au sujet de quel
ques terres de l'Église d'Autun, il avertit ce prince de si
préparer à paraître devant le Seigneur, parce qu'il mour
rait bientôt : prédiction que l'événement justifia.
Tel était l'illustre S. Germain de Paris, lorsqu'il fu
élevé à l'épiscopat, pour y retracer par ses vertus celles di
saint évêque d'Auxerre dont il portait le nom. Il sut, comm
lui, allier avec sa dignité l'humilité et l'austérité de la vi
monastique ; se faire aimer des petits et respecter des grands
fréquenter la cour sans y rien perdre de sa vertu ni de soi
amour pour la retraite, parce que le devoir et la charité seul
l'y conduisaient. Childebert avait conçu tant d'estime pou
Germain qu'il faisait de lui le dispensateur de ses aumônes
persuadé qu'en passant par des mains si pures elles acqué
raient un nouveau mérite devant Dieu.
Un jour ce prince lui donna six mille sous d'or pour le
pauvres. Germain en distribua sur-le-champ trois mille
Étant retourné au palais, le roi lui demanda s'il avait encor
(l) On lit dans un ancien manuscrit de la Vie de S. Germain, qui était à l'abbav
de Saint-Gai, que l'évêque d'Autun, pour punir ce saint abbé de ses profusions envei
les pauvres, le fit mettre quelque temps en prison. On ne trouve pas ce fait ailleun
V. Mabill. Ann., t. I.
[555] EN FRANCE. — LIVRE VI. 341
de quoi donner. Le saint évêque ayant répondu qu'il lui
restait la moitié de la somme : Distribuez libéralement , re-
prit le roi, les fonds pour donner ne vous manqueront pas,
et aussitôt, faisant mettre en pièces de la vaisselle d'argent,
il la donna à Germain, qui la fit bientôt passer entre les
mains des pauvres : car, dit l'auteur de sa Vie, il ne croyait
posséder que ce qu'il leur avait donné.
Ghildebert reçut même dès cette vie la récompense des
libéralités que S. Germain lui inspirait de faire aux pau-
vres et aux Églises. Ce prince étant tombé dangereusement
malade, le saint évêque lui rendit miraculeusement la santé,
et le roi, par reconnaissance, donna à l'Eglise de Paris la
terre où il avait été guéri. Voici dans quels termes il en
parle dans l'acte de la donation, qu'on regarde comme au-
thentique (1) : « Notre père et seigneur Germain, évêque
de Paris, homme vraiment apostolique, nous a fait con-
naître par ses prédications que , tandis que nous sommes
en ce monde, nous devons penser à l'autre vie, et il nous
a recommandé d'augmenter de plus en plus les biens des
Églises et de soulager la misère des pauvres, comme il
nous en donne lui-même l'exemple. Or, ce saint évêque
m'ayant trouvé dangereusement malade dans ma maison
de Celles, qui est située dans le territoire de Melun, et
voyant que la médecine avait épuisé en vain tous les secrets
de son art , eut recours à la prière , qui fut plus efficace
que tous les remèdes: car, ayant passé la nuit en oraison,
il m'imposa les mains le lendemain matin , et aussitôt je re-
couvrai la santé, que les plus habiles médecins n'avaient
pu me rendre. C'est pourquoi, en reconnaissance de ce mi-
racle que Dieu a opéré par son intermédiaire, pour l'affermis-
sement de notre règne et pour notre salut éternel , nous
donnons à notre mère l'Église de Paris, dont le seigneur
Germain est évêque, notre dite maison de Celles, située sur
\\) Apud Boll., 6 maii, p. 777. '
342 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [556]
le territoire de Melun, sur le bord de la Seine, au con-
fluent de F Yonne. »
Le zèle que Childebcrt montrait pour conserver la pu-
reté de la foi le rendit encore plus reconimandable que ses
libéralités envers les pauvres. Il en donna des marques écla-
tantes à l'occasion des troubles dont l'Église était agitée
en Orient.
On était plus alarmé que jamais dans les Gaules au sujet
de l'affaire des trois chapitres. Ils avaient été condamnés
par le cinquième concile et même par le pape Yigile ; mais
on croyait que ce n'était que le résultat des intrigues el
des violences de Justinien. L'alarme augmenta après la
mort de Yigile, qui arriva le 10 janvier de l'an 555, comme
il retournait en Italie. Pélage, qui lui succéda, fut soup-
çonné d'avoir eu part aux mauvais traitements qu'on avait
fait subir à ce pape et même d'avoir avancé sa mort. C'est
pourquoi plusieurs laïques et même quelques évêques
refusaient ouvertement de communiquer avec lui. Pélage,
voulant mettre fin à ce scandale, alla en procession de
Saint-Pancrace à Saint-Pierre, et là, tenant l'Évangile et la
croix sur sa tête , il monta» dans l'ambon et jura solennel-
lement qu'il n'avait nullement trempé dans les rigueurs
exercées contre son prédécesseur. Un serment si solennel
ayant dissipé les injustes soupçons du peuple, Pélage s'ap-
pliqua ensuite à se concilier les évêques et à détruire les
vains ombrages que la condamnation des trois chapitres
avait fait naître contre sa foi.
Ce pape écrivit le premier à Sapaudus d'Arles une lettre
pleine de bienveillance, dans laquelle il lui faisait cependant
sentir qu'il aurait dû le prévenir et l'envoyer complimen-
ter au sujet de son exaltation sur le Saint-Siège (1). Sapau-
dus répondit à ces civilités par une lettre pleine d'éloges de
la personne de Pélage, dont il connaissait le mérite et l'éru-
(I) Conc. Gall., t. I, p. 303.— Ap. Labb., t. V, p. 707.
[556] EN FRANCE. — LIVRE VI. 343
dition, et le pape reçut ces louanges avec une modestie qui
faisait assez connaître qu'il les méritait. «^Ne sentant rien
en moi, lui dit-il, de ce que vous y trouvez, je n'ai pu
m'cmpècher de rougir des éloges que vous me donnez, et
je me suis rappelé ce qu'a dit un savant homme, que la
louange qui est vraie est un éloge, mais que celle qui est
fausse est une réprimande. » La lettre est datée du 16 sep-
tembre de la quinzième année après le consulat de Basile,
c'est-à-dire l'an 556. Pélage ajoute qu'il a écrit en même
temps à Childebert.
Ce religieux prince, voyant les préventions où l'on était
en France contre la foi môme du vicaire de Jésus-Christ au
sujet des trois chapitres, prit des mesures pour éclaircir un
point si important à la paix de l'Église. Il envoya vers le
pape une ambassade pour le presser de faire cesser le scan-
dale en lui envoyant sa profession de foi sur les articles en
question. Le zèle et la charité firent entrer Pélage dans les
vues du roi, et il lui fît réponse en ces termes (1) : « Au très-
fjlorieux et très-excellent seigneur notre fils le roi Childe-
bert. Rufin, l'ambassadeur de Votre Excellence, nous a re- »
présenté qu'il s'est répandu des semences de scandale dans
les provinces des Gaules, par les discours de ceux qui pu-
blient qu'on a donné quelque atteinte à la foi catholique...
Quoique depuis la mort de l'impératrice Théodora l'Église
n'ait plus à craindre qu'on agite dans l'Orient des questions
nuisibles à la foi, et qu'on y ait seulement traité quelques
articles qui ne lui portent aucun préjudice, et qu'il serait
trop long de vous exposer dans une lettre, nous avons cru,
d'après l'avis dudit seigneur Rufin, pour calmer votre in-
quiétude et celle des évêques des Gaules, devoir vous décla-
rer en peu de mots que nous anathématisons et jugeons
indigne de la vie-éternelle quiconque s'est écarté ou s'écar-
tera dans la moindre chose de la foi que le pape Léon,
(1) Conc. Gall., t. I, p. 304. - Ap. Labb., t. V, p. T98.
344 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE |Gô6|
d'heureuse mémoire, a annoncée dans ses lettres, et que
le concile de Chalcédoine, en suivant la doctrine de ce grand
pontife, a reçue par sa définition. »
Pélage exhorte ensuite Ghildebert et ses évêques à ne
pas se laisser séduire par les bruits et les faux écrits qu'on
répand. « Quand nous étions à Gonstantinople , dit-il, on
envoyait en Italie de fausses lettres sous notre nom, comme
si nous avions dit que l'on avait attenté à la foi catholique ,
et à présent on fait courir ici des lettres anonymes contre
nous, sans qu'on puisse en connaître les auteurs. » Le pape
s'attache aussi à justifier la foi de l'empereur Justinien et
fait retomber tout l'odieux sur l'impératrice. « L'empereur
votre père, dit-il, n'a donné aucune atteinte à la décision du
pape Léon ni à la foi du concile de Chalcédoine. »
Ghildebert avait chargé ses ambassadeurs de demander
des reliques au pape. Pélage lui marque qu'il lui en avait
déjà envoyé des saints apôtres et des saints martyrs par
des moines de Lérins , et qu'il a député le sous-diacre Ho-
mobon pour porter jusqu'à Arles celles que ses ambas-
sadeurs lui ont encore demandées. La lettre est datée du
3 décembre de la quinzième année après le consulat de Ba-
sile, c'est-à-dire l'an 556, et elle est signée : Pélage, par la
miséricorde de Dieu , évêque de V Eglise catholique de la
ville de Rome.
Les ambassadeurs de Ghildebert avaient aussi demandé au
pape le pallium et le vicariat du Saint-Siège dans les Gaules
pour Sapaudus. Le pape écrivit à cet évêque qu'il était disposé
à le lui accorder ; mais qu'il convenait que, suivant la coutume
de ses prédécesseurs, il écrivît lui-même et envoyât quel-
ques personnes de son clergé pour demander ces grâces en son
nom (1). Il lui recommandait en même temps le sous-diacre
Homobon, qui portait les reliques des saints apôtres , et il
priait Sapaudus de dire au patrice Placide, son père, d'envoyer
il) Conc.MalL, t. I, p. 306.— Ap. Labb., t. V, p. 799.
,556] EN l-RANCE. — LIVRE VI. 315
i Rome ce qu'il pourrait réunir des revenus de l'Eglise ro-
maine dans les Gaules, parce que les terres d'Italie étaient
tellement désolées qu'on n'en pouvait rien recueillir. Le pape
lemande qu'on emploie l'argent à acheter des tuniques blan-
ches, des cuculles, des saies et d'autres habits à l'usage des
pauvres, et qu'on les envoie par le premier vaisseau à Rome,
où. le pillage de la ville par Totila avait réduit les personnes
les plus aisées à une extrême indigence.
Sapaudus envoya aussitôt à Rome le diacre Flavien et le
sous-diacre Nestorius , avec des lettres de sa part et de
nouvelles lettres de Childebert pour demander le pallium.
Le pape le lui accorda et le déclara vicaire du Saint-Siège
dans les Gaules , avec les mêmes prérogatives que ses
prédécesseurs , par une lettre datée du 3 février 557. Il
ne paraît pas que le pape , pour accorder cette grâce, ait
demandé le consentement de Justinien. Il écrivit en même
temps à Childebert une lettre dans laquelle il lui recom-
mande de faire respecter dans la personne de Sapaudus la
qualité de vicaire du Saint-Siège , qu'il avait accordée à sa
recommandation (1).
Ce prince ne fut point satisfait de ce que le pape ne lui
avait pas envoyé une profession de foi aussi détaillée qu'il
l'avait demandée. Il avait cet article plus à cœur que les
privilèges qu'il sollicitait pour l'Eglise d'Arles , et il fît faire
sur ce point de nouvelles instances. Pélage, qui avait intérêt
à le satisfaire , ne crut point qu'il fût contraire à sa dignité
de rendre compte de sa croyance à un si grand roi pour
dissiper les soupçons qu'on s'en était formés. Ceux qui sont
faussement suspectés sur la foi ne le sont pas longtemps.
Il envoya donc à Childebert sa confession de foi dans une
nouvelle lettre, et il s'exprime ainsi ^ Le Sauveur du monde
a dit à ses disciples : Ce n'est pas la volonté de votre Père
(1) Conc. (ialL, 1. 1, p. 308.— Labb., t. V, p. 800. — (2| Labb., t. V, p. 803.—
Cone. Gall, t. I, p. 310.
346 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
qu'un seul de ces petits enfants périsse (1) , il menace de
grands supplices ceux qui les scandalisent. Quel soin ne de-
vons-nous donc pas apporter pour dissiper, par notre con-
fession de foi, les moindres soupçons de scandale de l'esprit
des rois , à qui les saintes Écritures nous commandent d'être
soumis ? En effet, le seigneur Rafin , envoyé par Votre Excel-
lence , nous a demandé sans détour , comme il convenait ,
que nous eussions à vous faire savoir si nous recevions en
toutes choses la lettre du pape Léon d'heureuse mémoire ou
que nous rédigions nous-même une confession de notre foi.
Nous avons exécuté aussitôt la première partie de sa demande,
comme étant plus facile , et nous avons attesté par une lettre
signée de notre main que notre croyance est parfaitement
conforme à celle de ce pape. Mais afin qu'il ne demeure aucun
soupçon, je me suis empressé de satisfaire aussi à l'autre partie
de la demande que cet envoyé m'avait faite. J'ai clone cru
nécessaire de déclarer d'abord à Votre Excellence que je
suis entièrement soumis aux définitions cle foi des quatre
conciles généraux. » Suit la profession de foi du pape sous
ce titre : Foi du pape Pelage. Il y expose sa croyance sur
la Trinité , l'incarnation du Verbe , l'unité de personne et
les deux natures en Jésus-Christ , sur les autres mystères du
Sauveur, sur le jugement dernier et l'éternité des peines.
Après quoi il ajoute :
« Voilà , prince , quelle est , par un don de la miséricorde
divine, ma foi et mon espérance, dont S. Pierre nous a
ordonné d'être toujours prêts à rendre compte à quiconque
nous le demanderait. Il faut maintenant que le zèle ardent
que nous nous réjouissons de voir en vous pour cette même
foi , vous fasse prendre des mesures pour réprimer l'audace
de ceux qui répandent des semences de division et de scan-
dale dans les provinces de votre royaume , et pour empêcher
qu'ils ne portent quelques-uns de nos frères les évèques et
(1) Mattli. xviii, 1 ».
[557] ENT FRANCE. — LIVRE VI. 347
les peuples qui leur sont confiés à exciter des troubles....
Que le Seigneur, qui par sa miséricorde vous a suscité dans
ces temps malheureux pour combattre les ennemis de la
paix de l'Eglise , vous rende si circonspect et si vigilant ,
qu'ils ne paissent jeter dans le champ de l'Eglise les mali-
gnes semences de leur ivraie. »
Pélage, inquiet du succès de cette lettre , dans laquelle il
justifiait sa foi, écrivit peu de temps après à Sapaudus pour
le prier de lui faire savoir si elle avait été agréable au roi, et
si lui-même et les autres évêques en avaient été satisfaits. Il
lui recommande en même temps, ainsi qu'au patrice Placide,
les Romains que le malheur des guerres avait obligés de se
réfugier en Provence, et il les prie d'envoyer au plus tôt poul-
ies pauvres les habits qu'il les avait chargés d'acheter de-
revenus de l'Eglise de Rome, « parce que, dit-il, nous ne
pouvons voir sans être pénétré de la plus vive douleur des
personnes nées d'honnêtes familles réduites à la dernière
misère (1). » C'était en effet un spectacle bien touchant de voir
les plus illustres dames romaines obligées de mendier leur
pain à la porte des Goths, qui leur avaient tout enlevé excepté
l'honneur, que Totila leur conserva avec soin contre la bru-
talité du soldat (2).
La confession de foi de Pélage dissipa à la vérité les
soupçons injustes qu'on avait malignement répandus contre sa
foi ; mais elle ne guérit pas les préventions de tous ceux que
la condamnation des trois chapitres avait alarmés mal à pro-
pos. Nous verrons que ces trois fameux articles eurent
encore longtemps après des défenseurs dans les Gaules ,
et il n'y a pas lieu de s'en étonner. Quand on s'est déclaré
ouvertement pour un parti , l'opiniâtreté et la fausse gloire
y retiennent quelquefois encore après même qu'on en a re-
connu la faiblesse et l'injustice.
Sapaudus d'Arles ayant eu vers le même temps quelque
(1) On voit par cette lettre l'usage que faisaient les papes des revenus de
l'Église. — (2) Proc., de Bello Goth., 1. III, c. xx.
348 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
démêlé avec un évêque de sa province, Childebert leur
prescrivit de s'en rapporter au jugement de l' évêque d'une
ville voisine. Pélage écrivit à Childebert pour se plaindre
d'un pareil ordre, qui renversait la discipline des jugements
ecclésiastiques et violait les droits d'un vicaire du Saint-
Siège (1). Mais le souverain pontife assaisonna ces plaintes
des justes louanges que méritait un prince si religieux.
« La divine miséricorde, lui dit-il, vous a comblé de mille
bienfaits; mais c'est particulièrement en vue de l'amour
sincère que vous portez à l'Église qu'elle vous a rendu
plus glorieux que la plupart des autres princes. On sait en
effet que, parmi les soins que demande le gouvernement de
votre royaume , vous n'avez pas de plus grande sollicitude
que de conserver la tranquillité dans l'Église. Mais par là
même nous apprenons avec plus d'étonnement que vous
vous soyez laissé surprendre jusqu'à décider, contre toutes
les lois ecclésiastiques, que Sapaudus d'Arles devra se
présenter, à la requête d'un évêque qu'il a sacré, devant
un autre évêque d'une ville voisine pour en subir le juge-
ment, lui dont l'Église jouit du privilège de la prima tie et
du vicariat du Saint-Siège dans les Gaules. Ainsi donc,
ajoute-t-il, nous confiant dans votre religion, nous vous
demandons avec un amour paternel que si un tel désordre
a été commis, vous le fassiez au plus tôt réparer par une
satisfaction convenable (2). »
On ne sait quelle fut l'issue de cette affaire. Mais la
piété de Childebert ne permet guère de douter qu'il ne se soit
rendu aux remontrances du souverain pontife, et qu'il n'ait
fait mieux observer l'ordre des jugements ecclésiastiques.
Ce grand prince avait surtout à cœur de donner à l'Église
de dignes prélats. Dès ce temps-là, comme nous l'avons déjà
remarqué, nos rois avaient la principale autorité dans les
(1) Les princes se mêlent de plus en plus des affaires ecclésiastiques. Leur in-
fluence ne tardera pas à être funeste à l'Église.
(2) Conc. GalL, t. I, p. 308.
[557] EN FRANCE. — LIVRE VI. 349
élections, et les plus saints évêques s'adressaient à eux
pour faire nommer leurs successeurs. S. Sacerclos, évêque
àe Lyon, étant retenu à Paris par la maladie dont il mourut,
le roi Childebert, plein d'estime pour ses vertus, l'honora
d'une visite, et le saint évêque lui parla ainsi : « Vous. savez,
très-religieux prince, avec quelle fidélité je vous ai toujours
servi. Maintenant que ma fin approche, consolez-moi
et accordez-moi la grâce que je vous demande. Demandez
ce qu'il vous plaira, répondit le roi : vous l'obtiendrez. Je
vous supplie donc, reprit Sacerdos, que Nicet, mon neveu,
soit mon successeur dans le siège de Lyon : car il aime
la chasteté, l'Église et les pauvres, et l'on voit dans ses
actions et dans ses mœurs tout le caractère d'un parfait ser-
viteur de Dieu. Le roi répondit : Que la volonté de Dieu
soit faite ; » et Nicet fut élu d'un commun consentement
par le clergé et par le peuple (1). S. Sacerdos ou Serdot est
honoré le 12 septembre.
S. Nicet de Lyon, vulgairement S. Nizier, était fils d'un
sénateur nommé Florentin. Sa mère Artémie était enceinte
de lui lorsque son père, qui avait déjà eu deux enfants,
fut élu évêque de Genève, et le roi avait déjà donné son
agrément à l'élection. Mais lorsque Florentin vint annoncer
cette nouvelle à sa femme, elle le détourna d'accepter cette
dignité, lui disant, comme par un esprit prophétique : Ne
cherchez pas V épiscopat, je porte dans mon sein un évêque.
Nicet fut élevé avec grand soin dans les sciences profanes
et sacrées , et l'on pouvait tout espérer de ses talents et de
sa vertu lorsqu'une maladie dangereuse fit craindre pour
sa vie. Sa mère, éplorée, invoqua S. Martin avec confiance.
Cependant le mal paraissant augmenter, elle prépara tout
pour les funérailles, sans cesser néanmoins d'espérer. Il y
avait deux jours que le malade avait perdu l'usage de la
parole, lorsqu'il s'écria tout à coup : « Ma mère, ne craignez
(1) Greg. Tur. VU. PP., c. vni.
350 HISTOIRE DE f/ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
rien: S. Martin m'a guéri en faisant sur moi le signe de la
croix et il m'a ordonné de me lever. » Il se leva en effet
à l'instant en parfaite santé (1).
S. Grégoire de Tours, qui rapporte ce miracle, l'avait sans
doute .appris de la bouche même de S. Nicet, auprès de
qui il fut élevé. Nicet, s'étant engagé dans le clergé, fut
ordonné prêtre à l'âge de trente ans par S. Agricole de
Chalon. Les fonctions de son ministère et ses grands biens
ne l'empêchèrent point de travailler de ses mains. Il était
persuadé qu'on ne pouvait vaincre les passions que par
la fuite de l'oisiveté. Il craignait surtout de blesser deux
vertus bien délicates et bien précieuses, à savoir : la charité
et la chasteté. Il défendit à ses clercs de lui rapporter jamais
ce qu'ils auraient entendu dire contre lui; et il portait si
loin la circonspection pour éviter tout ce qui pouvait alarmer
la pudeur , que Grégoire de Tours raconte que ce saint
évêque, l'ayant pris encore enfant dans ses bras, s'enveloppa
les mains de sa robe de crainte de le toucher. S. Nicet
fut ordonné êvêque à l'âge de trente-huit ans, et il mourut
à soixante, la vingt-deuxième année de son épiscopat. Un
prêtre assura avec serment à Grégoire de Tours qu'étant
allé faire sa prière sur son tombeau, il y avait vu trois aveu-
gles recouvrer la vue.
S. Firmin d'Uzès, qui mourut l'an 553, eut aussi son neveu
S. Ferréol pour successeur [2). Ferréol était fils d'Ànsbert el
de Blitide, célèbres par la part qu'ils prirent aux discussions
entre les savants sur les généalogies de nos rois. Il fut
élevé à Uzès auprès de son oncle paternel, à qui il succéda.
Dès le commencement de son épiscopat il s'appliqua à gagner
les Juifs par la douceur, et il les admettait même à sa table.
Comme plusieurs conciles des Gaules avaient défendu de
manger avec les Juifs, on interpréta dans un sens défavorable
la conduite du saint évêque, et, sur les plaintes qu'en reçut
(1) Greg. Tur. Vit. PP. c. Vin. — (2) Vita Verreoli, apud Anton. Doœinici, in
Append. ad famil. Ansberti.
[557] ENT FRANCE. — LIVRE VI. 351
Childebert, il lui envoya ordre de se rendre à Paris. On l'y
retint trois ans entiers dans une espèce d'exil, après
lesquels, sa vertu et la pureté de ses intentions ayant été
reconnues, il lui fut enfin permis de retourner dans son
Église. Ferréol changea alors de conduite et chassa de la
ville tous les Juifs qui ne voulurent pas se convertir. Il
fonda un monastère en l'honneur de S. Ferréol martyr, dont
il portait le nom, et composa pour cette communauté une
règle où l'on trouve plusieurs choses dignes de remarque.
Elle est divisée en trente-neuf chapitres et adressée à
Lucrèce, évêque de Die, au jugement duquel l'auteur la
soumet. En voici le précis.
Il est défendu à l'abbé de recevoir un moine ou un clerc
d'un autre monastère, sous quelque prétexte que ce soit,
parce que c'est un sujet de querelle entre les abbés et les
monastères. Tous les moines doivent apprendre à lire et
savoir par cœur le psautier, même ceux qui sont occupés
à garder les troupeaux. Dans l'office on dira les psaumes
de suite depuis le commencement du psautier jusqu'à la
fin , ce qui ne doit pas empêcher les moines de réciter en par-
ticulier, par dévotion, autant de psaumes qu'ils le pourront.
Il est interdit aux moines de baptiser, comme cela se prati-
quait dans les autres monastères, ou d'être parrains. On ré-
digera un recueil des actes des martyrs et des saints, qu'on
récitera dans l'oratoire le jour de leur mort. C'était une espèce
de martyrologe où on lisait les saints du jour : c'est la pre-
mière fois que nous trouvons cet usage.
Aucun moine ne passera un seul jour sans faire quelque
lecture des saintes Écritures. Celui qui s'absentera du mo-
nastère sans permission jeûnera au retour une fois autant de
jours que son absence aura duré, et pendant ce temps-là il
ne boira pas de vin. Une parole contre la pudeur est punie
par une excommunication de six mois.
Tous feront une lecture jusqu'à la troisième heure du jour,
c'est-à-dire jusqu'à neuf heures du matin, excepté les ma-
352 HTSTOIRE de l'église catholique [557'
lades et ceux qui dans le temps de la moisson travaillent à
couper les blés. Celui qui aura passé un jour de la semaine
sans travailler sera exclus du réfectoire. Ceux qui ne labou-
rent pas la terre pourront écrire, faire des filets ou des sou-
liers. Quant à l'abbé, il pourra se dispenser du travail des
mains, parce qu'il doit étudier pour enseigner les autres.
Il est interdit aux moines d'avoir des chemises de toile, d(
porter des habits remarquables par une couleur trop blanche
ou trop rousse, et d'avoir des souliers étroits, dont la forme
accuse quelque tendance mondaine. Ils coucheront dans des
lits séparés, pour avoir plus de liberté de prier. Il est cléfendi
aux moines d'aller à la chasse : ils doivent plutôt faire h
guerre aux vices de leur âme qu'aux bêtes des forêts.
On exclura de la table commune un moine qui aura cueill
un fruit ou qui l'aura ramassé par gourmandise pour h
manger. L'abbé fera la cuisine trois fois Tannée : à Noël, i
Pâques et à la fête de S. Ferréol martyr, patron du monastère
Les grandes fautes doivent être punies par la flagellation
On relira la règle à la communauté assemblée le premier joui
de chaque mois.
S. Ferréol publia aussi un recueil de ses lettres, à l'imita-
tion de S. Sidoine (1), et, après avoir gouverné son Église
vingt-huit ans, il mourut la sixième année de Childebert II
c'est-à-dire l'an 581. Il est honoré le 4 janvier.
S. Ferréol avait une sœur nommée Tarsicie, qui mérita pai
son amour pour la virginité et par ses autres vertus d'être
mise au nombre des saintes vierges. Elle est honorée à Rodes
le 15 janvier.
L'Église de France compte au nombre de ses saints un autre
Sacerdos, qui fut évêque de Limoges et qui florissait vers le
même temps que celui de Lyon. En effet, quoique son épisco-
pat n'ait pas d'époque bien certaine, on le rapporte plus pro-
bablement au vie siècle. Il était né d'une noble famille de
(l) Greg. Tur. ffist., 1. VI, c. vu.
[557] EN FRANCE. — LIVRE VI, 353
Bordeaux, et il fut élevé à Cahors par un saint évëque nommé
Capuan. Il fut ensuite abbé d'un monastère de ce diocèse, d'où
on le tira pour l'élever sur le siège de Limoges. L'éclat de ses
vertus inspira à son père Laban et à sa mère Mundane le dé-
sir de garder la continence (1). On dit que, Laban étant mort
sans avoir été muni du saint Viatique, l 'évëque son fils lui
rendit la vie afin qu'il le reçût. Sacerdos est honoré le 5 mai,
lour de sa mort. Son corps fut enterré, selon ses ordres, dans
e monastère du Quercy dont il avait été abbé ; mais ce mo-
lastère ayant été ruiné, les moines de Saint-Sauveur de Sarlat
.e transférèrent dans leur église avec celui de Ste Mundane
>a mère, qui est honorée le 13 mai comme martyre, ayant été
nise à mort apparemment dans quelque excursion des Goths.
Lie monastère de Saint-Sauveur de Sarlat fut depuis érigé en
m siège épiscopal (2), et la cathédrale dédiée sous l'invocation
le S. Sacerdos, vulgairement S. Serdot.
Nous avons différé jusqu'ici de parler en détail de l'Armo-
•ique Bretonne, pour réunir sous les yeux du lecteur tout ce
mi concerne l'histoire de la religion dans cette province, qui
îe le cédait alors à aucune autre des Gaules en saints évêques
;t en fervents religieux. Les Bretons qui s'y étaient réfugiés,
:hassés par les Anglo-Saxons, y avaient amené avec eux leurs
)asteurs, et ces hommes apostoliques, non contents de culti-
ver la foi parmi leurs compatriotes, travaillèrent avec succès à
m répandre les semences dans les cantons de l'Armorique qui
'estaient encore idolâtres. Ils furent secondés dans leurs tra-
vaux par plusieurs colonies de saints moines bretons qui
ivaient quitté leur patrie désolée par les barbares, pour cher-
cher dans cette partie de la Gaule un asile où ils pussent s'a-
lonner en paix aux exercices de la pénitence et aux inspi-
rions de leur zèle. Les SS. Samson, Magloire, Léonore, Paul,
tfalo, Brieuc, Guinolé, Gildas et Jacut furent de ce nombre,
it, par leurs prédications et leurs exemples, ils procurèrent
(1) Vita S. Sacerdotis, apudBoll., 5 maii. — (2) Par Jean XXII, en 1317.
TOME II. 23
354 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
aux anciens habitants de l'Armorique des secours infiniment
plus précieux que ceux qu'ils y venaient chercher. Le précis
que nous allons faire de leur histoire montrera ce que les
Bretons doivent au zèle de ces saints missionnaires, leurs
apôtres et leurs compatriotes.
S. Samson était né dans la province de Galles, d'une fa-
mille distinguée par sa noblesse. Il fut instruit dans la piété
et dans les saintes lettres par S. Eltut, célèbre abbé dans le
Glamorgan. S. Gildas, S. Magloire et S. Paul, c'est-à-dire les
plus illustres apôtres de l'Armorique, sortirent de la même
école : de pareils disciples font assez l'éloge du maître. Samson,
ayant embrassé la vie monastique sous la discipline d'Eltut, y fil
de si grands progrès qu'après avoir été ordonné prêtre pai
S. Dubrits, évêque de Gaerleon, il fut chargé du gouvernemenl
d'un monastère. Il eut la consolation d'engager son père el
cinq de ses frères à renoncer au monde. S. Dubrits, voyant les
rares talents qu'il avait reçus du ciel pour travailler au salul
du prochain, l'ordonna évêque régionnaire, c'est-à-dire sans lu
assigner de siège. Alors le zèle de Samson et les malheurs d(
son pays lui firent prendre la résolution de passer dans l'Arma
rique. Il s'embarqua avec S. Magloire, son cousin germain, e
plusieurs autres moines, et il aborda auprès de la ville d'Aleth
qui était située dans le voisinage du lieu où est aujourd'hu
Saint-Malo. Les miracles du saint missionnaire prévinrent lef
esprits en sa faveur, et les habitants lui permirent de bâtir ur
monastère dans un lieu nommé Dol. C'est ce qui a fait regarde]
S. Samson comme le premier évêque de Dol (1), quoique, i
proprement parler, ce siège n'ait été érigé que dans le ixe siècle
Le zèle de Samson ne se déploya pas seulement dans l'Ar-
morique ; sa réputation s'étendit au delà des limites de ce
pays. Le saint évêque fit quelques voyages à Paris et il s'en*
(l) Dans le troisième concile de Landaf, S. Samson est nommé premier arche-
vêque de Dol ; mais il paraît que c'est une addition faite depuis l'érection de Ci
siège en archevêché par Nomenoi , duc de Bretagne. V. Conc. Labb. , t. V
p. 830.
[557] EN FRAXCE. — LIVRE VI. 355
ploya auprès de Ghildebert en faveur de Judual, prince breton,
chassé de ses États par Commore ou Gonomor. Dans l'un de
ses voyages il assista au troisième concile de Paris, dont nous
parlerons bientôt, et il obtint du roi la permission de bâtir un
monastère dans un lieu nommé Pentale, aujourd'hui Saint-
Samson en Normandie, entre Brionne et Pcmt-Audemer. Il _
mourut fort âgé vers l'an 564, le 28 juillet, jour auquel l'É-
glise honore sa mémoire. Sa Vie a été écrite par des auteurs
qui y ont inséré des fables (1) plus propres à obscurcir son
histoire qu'à lui donner de l'éclat. Les reliques de ce saint
évêque ayant été portées à Orléans et déposées dans l'église
de Saint-Symphorien , cette église prit alors le nom de Saint-
Samson, aussi bien que la cathédrale de Bol.
S. Samsqn désigna en mourant S. Magloire pour son suc-
cesseur dans le gouvernement du monastère de Dol. Mais ce
saint abbé, qui avait reçu l'ordination épiscopale, mit quelque
temps après S. Budoc en sa place, et se retira d'abord dans
une solitude de l'Armorique et ensuite dans l'île de Jersey, où
il établit un nouveau monastère. L'austérité de sa vie rend
croyables les miracles qu'on en rapporte. Il ne buvait jamais
ni vin ni bière, et il passait les mercredis et les vendredis
sans prendre aucune nourriture. Il mourut fort âgé dans son
monastère de Jersey vers l'an 575 ; il est honoré le 24 octobre.
Ses reliques, portées à Paris pendant les ravages des Normands,
donnèrent occasion d'y établir un monastère en son honneur.
Ce monastère était dans la Gité (2).
(1) On peut mettre au nombre de ces fables les divers dragons qu'on fait tuer
à S. Samson, et ce qu'on rapporte de la reine Ultrogothe, qui voulut, dit-on, empoi-
sonner ce saint évêque : ce qui nous paraît une calomnie, attendu la piété sin-
gulière de cette princesse.
(2) Ce fut Hugues Capet qui donna aux moines de Saint-Magloire l'église de
Saint Barthélemi dans la Cité. En 1138, s'y trouvant trop resserrés, ils allèrent s'é-
tablir près de la porte~"Saint— Denis , auprès d'une chapelle de Saint-Georges qui
leur avait été donnée pour leur servir de cimetière. Mais en 1572, Catherine de
Médicis, ayant pris l'emplacement des filles pénitentes pour bâtir l'hôtel de Sols.
sons, donna à ces filles le monastère de S aint-Magloire et transféra les moines à
Saint- Jacques du Haut-Pas. C'était une église dédiée en l'honneur de S. Ra-
phaël, et qui appartenait à des chevaliers Toscans dits de Saint-Jacques du Haut-
356 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [55"
S. Paul, né dans la Grande-Bretagne en un lieu nommé Peu
hoen, c'est-à-dire Tête-de-bœuf, sortit de l'île pour fuir le
honneurs de l'épiscopat, qu'on le pressait d'accepter. S'étan
embarqué avec plusieurs compagnons, il aborda à l'île d'Oues
sant à quatre ou cinq lieues de la côte de Léon. Il fit bâti
deux monastères qui ne subsistent plus depuis longtemps, e
il donna, dit-on, le gouvernement de l'un des deux au sain
abbé Tanguy, qui, croit-on, fut le fondateur de celui de Saint
Matthieu, vulgairement Saint-Mahé.
S. Paul était parent du comte Withure, qui gouvernait alor
cette partie de l'Armorique (1). Il alla lui rendre visite et 1<
trouva occupé à écrire une explication du livre des Évangiles
Le comte, qui avait beaucoup de piété, lui donna l'île de Baaz
et, ayant apprécié ses talents et sa modestie, il usa de strata
gème pour le faire évêque. Il l'envoya porter une lettri
au roi Childebert (2), dans laquelle, faisant l'éloge du por
teur, il conjurait ce prince de le faire ordonner évêque. Paul
qui ignorait le contenu de la lettre, fut surpris et afflige
quand le roi lui fît imposer les mains par les prélats qui étaien
à sa cour. Il fut le premier évêque de Léon; mais, après avoii
gouverné quelque temps cette Église, il mit en sa place
S. Johevin et après celui-ci Ternomail, tous deux ses disciples,
A la mort de ce dernier, il reprit pendant quelque temps le
gouvernement de son Église; après quoi il établit Cétomorir
sur ce siège et se retira dans sa solitude de l'île de Baaz, où i]
mourut plein de jours et de mérites, le 12 mars l'an 573.
S. Léonore ou Lunaire, autre apôtre de l'Armorique, était
Pas, du nom de leur première église de Toscane. L'église de Saint-Raphaé'l prit
bientôt le nom de Faint-Magloire, et l'on en bâtit une autre auprès qu'on nomma
Saint-Jacques du Haut-Pas. Enfin, en 1G21 , le cardinal Henri de Gondi établit à
Saint-Magloire un séminaire d'ecclésiastiques, dont la direction fut donnée aux
Pères de l'Oratoire, et les biens de l'abbaye de Saint-Magloire furent réunis à
l'évêché de Paris. C'est aujourd'bui la maison des Sourds-muets.
(1) Vita S. Paul., apud Boll., 12mart.
(2) On voit par là que Childebert était souverain de l'Armorique Bretonne, puis-
que le comte "Withure voulut que S. Paul fut ordonné évoque par ordre de ce
prince. On voit aussi que déjà les souverains nommaient aux évêchés sans prendre
l'avis du peuple et du clergé.
[557] EN FRANCE. — LIVRE VI. 357
aussi évêque, mais il n'eut pas de siège fixe et il s'employa à
prêcher en divers cantons de cette province, où il s'était
bâti un monastère. Il est honoré le 1er juillet. Une partie de
ses reliques fut transférée à Beaumont en Beauvoisis, où il est
nommé S. Liénuère.
S. Malo ou Machut (1), parent de S. Magloire et de S. Sam-
son, ne leur fut pas inférieur en sainteté. Il fut baptisé et élevé
par l'abbé Brandan. Ayant été ensuite ordonné évêque région-
naire, il passa dans l'Armorique et aborda dans une petite île
où l'abbé Aaron menait une vie angélique avec ses disciples.
Cette ile, où plutôt cette péninsule, était près de l'ancienne
ville d'Aleth. Malo travailla avec zèle à la conversion des
idolâtres, qui étaient encore en assez grand nombre dans cette
extrémité de la Gaule. Les habitants d'Aleth, charmés de ses
vertus, l'obligèrent à devenir leur évêque (2). Tel est, à ce
qu'on croit, l'origine du siège d'Aleth, aujourd'hui, nommé
Saint-Malo.Le saint prélat essuya dans la suite des contradic-
tions qui le portèrent à quitter son Église. Il se retira en Sain-
tonge, où l'évêque Léonce lui donna toutes les marques de
l'estime la plus respectueuse et de la plus généreuse charité.
Cependant les habitants d'Aleth, que la famine et la contagion
désolaient, attribuèrent la cause de ces fléaux à l'absence de
leur pasteur, et, pour les faire cesser, ils le rappelèrent. L'a-
bondance et la santé parurent revenir avec lui dans cette
ville. Mais S. Malo n'y séjourna pas longtemps : il retourna
en Saintonge , où il mourut à Archambry sur la cendre
et le cilice, le 15 novembre (3). On prétend que S. Gurval,
qu'il fit venir de la Grande-Bretagne, fut son successeur. Les
(1) S. Malo est nommé Maclovius, Macliavus, Machutus ou Machutes.
(2) Vita S. Machutis, in Dibliotheca Floriacensi.
(3) On ne s'accorde pas sur le temps de la mort de S. Malo. Quelques-uns la
placent vers l'an 626 , parce qu'on trouve un Léonce de Saintes au concile de Reims
l'an 625 ; d'autres croient que l'évêque Léonce dont il est fait mention dans la
Vie de S. Malo, est S Léonce de Bordeaux , qui vivait encore l'an 562 : on n'a
rien là-dessus de bien certain. Au reste, rien n'oblige de croire que S. Malo ait été
le premier évêque d'Aleth. Quelques expressions de l'auteur de sa Vie peuvent
faire juger que ce siège est plus ancien.
358 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
reliques de S. Malo furent quelque temps après rapportées à
Aleth, et on en mit une partie dans l'église de Saint-Pierre de
cette ville, et l'autre dans celle de Saint- Yincent du monas-
tère d'Aaron. Elles furent dans la suite portées à Paris, où
l'on en a conservé longtemps une partie.
S. Tugdual ou Tugal (1) avait préparé les voies aux saints
missionnaires dont nous venons de parler. Il était fils de
Ste Pompaie, qui, à ce qu'on assure, était elle-même sœur de
llival, un des chefs de la transmigration des Bretons. On dit
qu'il passa dans l'Armoriqueavec sa mère, sa sœur et soixante-
douze moines. Il parcourut toute la province pour annoncer
la parole de Dieu avec un zèle infatigable et y bâtit divers
monastères. Le plus considérable fut celui de Trécor ou Tré-
guier. Ghilclebert fit ordonner évêque ce saint abbé : telle est
l'origine du siège épiscopal de Tréguier ; car nous ne saurions
ajouter foi au récit qu'on a fait d'une ancienne ville nommée
Lexobie (2), dont le siège fut, dit-on, transféré à Tréguier,
et à laquelle on donne une longue suite d'évêques avant
S. Tugal. Ce saint fit un voyage à Rome, au retour duquel il
mourut saintement dans son Église , un dimanche dernier
jour de novembre : ce qui peut désigner l'an 553, ou l'an 559.
S. Ruélin fut son successeur.
S. Brieuc fut une autre lumière de l'Armorique Bretonne.
Mais on connaît peu les particularités de sa vie. Les uns le
(1) Le nom de S. Tugdual se prononce et s'écrit de plusieurs manières. A Laval,
où il y a eu une église collégiale de son nom, on l'appelle S. Tugal, et à Tréguier
on le nomme S. Pabu ou Papu. De papu Tugdualus, c'est-à-dire père Tugdual ou Tugal,
on n'a conservé que les dernières syllabes au Maine et que les premières en Bre-
tagne. Ce qu'il y a de surprenant, c'est que sur ce nom papu on s'est imaginé
que S. Tugal avait été pape, et que le F, qui remplaçait autrefois la lettre U dans
l'écriture, signifiait qu'il était cinquième du nom : ainsi on l'a fait Léon V. Il est
regrettable que des bévues si grossières aient été pendant un temps insérées dans
l'office du saint ?
(2) De Valois, dans sa Notice des Gaules, croit que cette prétendue Lexobie de
l'Armorique, est une ville fabuleuse qui n'a jamais existé. On assure cependant
qu'elle était située au lieu nommé Cosque-Audet , c'est-à-dire vieille cité. Il ne serait
pas impossible que cette ville eût été détruite au ixc siècle par les Normands :
c'est la tradition du pays, qui sur un point de cette nature est bien d'un aussi
grand poids que la décision d'un savant. Mais il ne s'ensuit pas que cette ville ait
eu avant S. Tugal les quarante-deux évêques que des catalogues fabuleux lui assi-
gnent contre toute vraisemblance.
557] EN FRANCE. — LIVRE VI. 359
t'ont disciple de S. Germain d'Auxcrrc et les autres de S. Ger-
main de Paris. Ce qu'il y a de constant, c'est qu'il fut célèbre
par ses vertus et ses miracles et qu'il bâtit un monastère dans
le lieu où s'est formée la ville qui porte son nom. Ce monas-
tère a été depuis érigé en un siège épiscopal ; S . Brieuc est
honoré le 1er mai. Une inscription trouvée dans sa châsse,
l'an 1210, lui donne la qualité d'évêque : il est probable
qu'il ne fut qu'évêque régionnaire.
Il y avait dans l'Armorique , au vie siècle , plusieurs
autres saints abbés venus aussi de Bretagne , qui firent fleu-
rir l'état monastique dans les terres incultes de cette pro-
vince. S. Gildas, surnommé le Sage, vint éclairer cette partie
des Gaules après avoir été une des plus éclatantes lumières
de la Bretagne. Il avait été disciple du saint abbé Eltut , et il
se distingua dans sa patrie par son zèle et par ses rares talents
pour la prédication. Mais il vint les cacher dans l'Armorique,
pour y vivre inconnu dans les exercices de la vie monastique.
Il bâtit auprès de Vannes le monastère de Rhuis, qui a porté
son nom. Ce fut dans cette retraite qu'il composa deux écrits
sur la désolation de sa patrie par les Anglo-Saxons : la dou-
leur et le zèle paraissent les avoir dictés. Il attribue la cause
de ces malheurs à la dépravation des mœurs, et reprend avec
une grande liberté les vices des princes et du clergé de la Bre-
tagne (1). On le croit aussi auteur de quelques règlements de
discipline qui portent son nom. S. Gildas, après avoir bâti
plusieurs monastères, mourut saintement dans celui de Rhuis.
S. Guinolé ou Guingualé était né d'une famille qui brilla
plus encore par la sainteté que par la noblesse. Il eut pour
père S . Fracan, sa mère se nommait Guen ou Blanche . Ses frères
Jacut et Guétenok et sa sœur Greirvie ont mérité d'être mis
au nombre des saints. S. Guinolé fut fondateur et premier
abbé du monastère de Landevenec, où il établit une discipline
exacte et austère. On n'y mangeait que du pain d'orge et l'on
(1) Vita S. Gild., apudBoll.. 29 januar.
360 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
n'y buvait ni vin ni bière. S. Guesnael ou Guesnau, son dis-
ciple, fut son successeur : il est honoré le 3 novembre, et
S. Guinolé, le 3 mars. S. Jacut établit dans la même province
un monastère qui a porté son nom.
S. Hervé, qui naquit et vécut aveugle, à ce qu'on assure,
ne laissa pas d'évangéliser avec succès l'Armorique et d'y
établir des monastères. Mais son histoire est aussi obscure
que son culte est célèbre dans cette province. Il est honoré
le 17 juin à Nantes, où reposaient ses reliques. Nous parlerions
plus en détail de tous ces saints bretons et d'un grand nombre
d'autres qui illustrèrent cette contrée par leurs vertus au
vic siècle, tels que les SS. Renan, Idiunet, Gunthiern, Briac,
Goneri, Efïlam, Conogan, Tenenan, Saliau, Trifine, Trecmor
et quelques autres , si les histoires que nous en avons
avaient plus d'autorité. Mais ceux qui les ont écrites, entraînés
par le goût du merveilleux, en ont fait un tissu de fables. Il
est difficile de reconnaître dans le caractère de ces auteurs la
sincérité, dont la nation bretonne se fait honneur.
La piété de Childebert, souverain de l'Armorique , secon-
dait le zèle des saints missionnaires dont nous venons de par-
ler et contribuait à y faire fleurir la religion. Il n'en était pas
ainsi du royaume de Glotaire. Les scandaleux exemples de
ce prince et les troubles des guerres civiles qui en furent la
punition, y donnèrent lieu à bien des désordres. Clotaire,
qui s'était emparé du royaume de son neveu Thibauld, sans
vouloir en partager la succession avec Childebert, voulut aussi
avoir sa veuve Yaldetrude , et il l'épousa quoiqu'il eût déjà
d'autres femmes. Mais les évèques s'élevèrent enfin avec tant
de force contre ce scandale qu'il fut obligé de la quitter.
S. Nicet de Trêves osa même excommunier ce prince adultère,
qui l'envoya aussitôt en exil; mais la justice ou la bonté di-
vine préparait à Glotaire de grands malheurs, pour punir
ou pour expier d'aussi grands crimes (1).
(1) Greg. Tur. Hist., 1. IV, c. ix.
[557] EN FEANCE. — LIVRE VI. 361
Il avait donné le gouvernement d'Auvergne à Chramne,
l'aîné de ses fils. Ce jeune prince y abusa de l'autorité qui lui
avait été confiée, et il s'attira les malédictions du peuple. Son
conseil et sa cour n'étaient composés que déjeunes hommes
débauchés et de basse condition , et il faisait enlever les filles
des sénateurs pour les faire épouser à ses compagnons de li-
bertinage. Il maltraita et voulut envoyer en exil le comte Fir-
min et sa belle-mère Césarie ; mais ils se réfugièrent dans l'é-
glise. C'était pendant le temps du carême, et l'évêque Cautin
était allé en procession avec son clergé de la ville d'Auvergne
à l'église de Saint-Julien de Brioude, suivant l'institution faite
par S. Gai, son prédécesseur. Chramne profita de l'absence de
l'évêque pour faire enlever Firmin et Césarie de leur asile et
pour les conduire sous bonne garde au lieu de leur exil. Mais
ils s'échappèrent en chemin et se sauvèrent vers l'église de
Saint- Julien de Brioude. Cautin, comme nous venons de
le dire, y allait avec son peuple en procession, chantant des
psaumes selon la coutume. Quand il vit venir derrière lui
quelques cavaliers, il ne douta point que ce ne fût Chramne
qui l'envoyait arrêter, et, montant aussitôt avec ses habits
pontificaux sur un cheval qui le suivait tout sellé , il quitta
la procession et courut à toute bride jusqu'à ce qu'il fût ar-
rivé à Saint-Julien (1).
Ce n'était pas une terreur panique : car souvent Chramne
avait menacé l'évêque Cautin et il soutenait contre lui le
prêtre Caton dans sa rébellion. Il avait même promis à ce der-
nier que, dès que Clotaire aurait les yeux fermés, il le met-
trait sur le siège d'Auvergne. Cautin, pour écarter ce rival, en-
gagea Clotaire à le nommer à l'évêché de Tours après la mort
de Gonthaire. Le clergé de Tours, l'ayant élu selon les ordres
du roi (2), lui envoya des députés en Auvergne pour le prier
(1) Greg. Tur. Hist., 1. IV, c. xi, xm.
(2) Souvent les souverains, pour donner une apparence de régularité au choix
des évêques, faisaient élire ceux qu'ils voulaient au lieu de les nommer di-
rectement.
362 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [557]
de consentir à son élection. Caton les retint quelques jours
sans leur rendre de réponse précise. Lorsque ces députés re-
vinrent savoir sa dernière résolution , ils trouvèrent rassem-
blés devant sa porte une troupe de pauvres, qui s'écrièrent,
suivant l'ordre secret qu'ils en avaient reçus : Père charitable,
pourquoi abandonnez-vous vos enfants ? Si vous nous quittez,
qui nous nourrira, comme vous avez fait jusqu'à présent?
Alors, se tournant vers les députés , il leur dit : Vous voyez ,
mes chers frères , combien je suis aimé de ces pauvres : je ne
puis me résoudre à les abandonner. Tel était l'orgueil artifi-
cieux de ce prêtre , dont nous avons déjà cité d'autres traits.
Le clergé et le peuple de Tours , voyant son refus , élurent
Euphrone, issu d'une famille de sénateurs, et députèrent à
Clotaire pour avoir son agrément. Le roi répondit : J'avais
commandé qu'on ordonnât le prêtre Caton : pourquoi a-t-on
méprisé mes ordres? Les députés répondirent qu'il avait re-
fusé ce siège , et ils étaient encore avec le roi lorsque Gaton
arriva lui-même pour le prier de le mettre plutôt en la place
de Gautin. Clotaire rejeta sa demande avec mépris. Alors
Gaton dit qu'il acceptait le siège de Tours; mais le roi lui ré-
pondit que, puisqu'il avait méprisé cette Eglise, il n'aurait
jamais l'honneur de la gouverner. Le prince demanda en-
suite quel était Euphrone, qu'on avait élu au refus de Gaton,
et, ayant appris qu'il était neveu de S. Grégoire de Langres,
il dit : Cest une grande et illustre famille : que la volonté de
Dieu et de S. Martin soit faite , et il donna ses ordres pour
l'ordination (1).
Gonthaire , à qui succédait Euphrone , occupa à peine trois
ans le siège de Tours. Il avait été abbé de Saint-Venant
et s'était acquis une estime universelle dans cette charge ; il
eût paru mériter l'épiscopat, s'il n'avait jamais été évêque.
Mais, aussitôt qu'il le fut devenu, les vertus et les talents qu'il
avait montrés disparurent, et, comme s'il eût voulu se dé-
fi) Greg. Tur., 1. IV, c. xv.
[557 J EN FRANCE . — LIVRE VI. 363
dommager de l'abstinence qu'il avait gardée étant moine , il
se livra, dès qu'il fut évèque, à des excès de vin qui, en le
déshonorant, le privèrent presque de l'usage de sa raison (1).
Les grandes places sont la pierre de touche des vertus , et les
dignités éminentes font souvent paraître bien petits ceux
qu'on avait regardés auparavant comme de grands hommes.
Cependant les plaintes que Clotaire avait reçues de toutes
parts de la conduite de Chramne, l'avaient obligé aie rappeler
auprès de lui. Chramne refusa d'obéir et se mit en état de
soutenir par les armes sa désobéissance contre le roi son père.
Clotaire , occupé ailleurs , envoya contre lui deux de ses
enfants , Caribert et Gontran , et l'on était sur le point d'en
venir aux mains, lorsqu'un orage s'éleva tout-à-coup et obli-
gea les deux armées à se retirer dans leurs camps. Pendant
ce délai Chramne supposa un courrier, qui apporta à Cari-
bert et à Gontran la nouvelle que Clotaire avait été tué en
faisant la guerre contre les Saxons, et sur cette fausse nou-
velle ils se retirèrent en Bourgogne. Chramne les suivit et
alla se présenter devant Dijon, qui lui ferma ses- portes. C'é-
tait un-dimanche , et le clergé consulta les sorts des saints sur
la fortune de ce prince. On mit sur l'autel trois livres , les Pro-
phètes, les Épîtres de S. Paul et des autres apôtres , et les
saints Evangiles : car on lisait alors à la messe, selon la litur-
gie gallicane, une leçon (2) tirée de chacun de ces livres. On
les ouvrit tous trois , et à l'ouverture on trouva des pronostics
de la perte de ce fils rebelle. S. Tétric , évêque de Langres,
qui était à Dijon, ne laissa pas de le recevoir avec honneur
dans une église hors de la ville (3) .
Childebert de son côté , mécontent de Clotaire qui s'était
emparé de toute la succession de Thibauld, fomentait la guerre
civile et s'efforçait d'en profiter. Sur le faux bruit de la mort
(î) Greg. Tur., 1. X, c. ult.
(2) On nomma dans la suite cette leçon ipllre, parce qu'elle fut plus communé-
ment prise des Epîtres des apôtres.
(3) Greg. Tur., 1. IV, c. xvi.
364 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [557)
de Clotaire il entra dans ses États ei s'avança jusqu'à Reims,
dévastant tout le pays. Après quelques événements qui n'ap-
partiennent pas à cette histoire, Chramne fit sa paix avec Clo-
taire; mais Dieu, qui voulait punir l'un par l'autre, permit
qu'elle ne fût pas de longue durée.
L'Église souffre toujours des troubles de l'État; ces agita-
ions n'ébranlent pas seulement l'ordre spirituel, souvent
aussi le temporel en ressent les atteintes. En effet les biens
ecclésiastiques deviennent communément la première proie
de l'avarice et de la violence, surtout dans les guerres civiles.
Plusieurs Églises en portèrent leurs plaintes à Childebert , et
ce prince, profitant du calme rendu aux deux royaumes, con-
voqua à Paris un concile pour remédier aux maux qu'on lui
signalait. On y fit dix canons.
I-II-III. On excommunie dans les trois premiers ceux qui
retiennent les legs pieux , ceux qui usurpent les biens de
l'Église ou les biens appartenant aux évêques, ceux qui obtien-
nent des princes les biens des Églises ou qui les envahissent
sous prétexte de les défendre. Le concile exige que les biens
qui ont été aliénés du temps de Glovis soient restitués, quand
même ils auraient passé aux héritiers de ceux qui les avaient
obtenus. Si l'usurpateur est d'un autre diocèse, l'évêque de
l'Église dont les biens ont été usurpés en écrira à son con-
frère , qui admonestera l'usurpateur , et s'il ne se corrige pas,
on emploiera contre lui les censures. « Il n'est pas juste, di-
sent les évêques , que nous soyons les gardiens des chartes
de l'Église et que nous ne soyons pas, comme nous le
devons, les défenseurs des biens qui sont donnés par ces
chartes. »
IV. On renouvelle les canons contre les mariages inces-
tueux, et l'on déclare tels les mariages contractés avec la
veuve de son frère ou de son oncle, avec la sœur de sa femme,
avec une belle-mère , une bru , une tante , une belle-fille
et avec la fille de la belle-fille.
V. Il est défendu, sous peine d'excommunication, d'enlever
[557] EN FRAXCE. LIVRE VI. 365
des vierges consacrées à Dieu ou de se marier avec elles,
aussi bien qu'avec les veuves ou les filles qui ont fait, par le
changement d'habit, une profession publique de religion, de
pénitence ou de virginité.
VI. Il est défendu, sous la même peine, de demander au roi
le bien d'autrui ou d'implorer l'autorité du prince pour épou-
ser une veuve ou une fille sans le consentement de ses parents.
VII. Celui qui a été excommunié par un évêque ne pourra
être absous par un autre évêque , sous peine d'excommunica-
tion pour l'évêque qui l'absoudrait ainsi.
On a pu remarquer par plusieurs exemples la part que les
rois avaient dès lors à la nomination des évêchés; mais comme
l'ambition et l'hypocrisie abusaient quelquefois de leur auto-
rité pour parvenir à l'épiscopat par la faveur et l'intrigue, les
Pères du concile tâchèrent de rétablir l'ancienne discipline.
C'est le sujet du huitième canon, qui est le plus remarquable;
il est conçu en ces termes :
VIII. « Puisqu'en certains points on néglige de se confor-
mer aux anciens usages, et que même on viole les canons,
nous avons jugé à propos d'ordonner que ces canons soient
observés selon l'ancienne coutume. Ainsi, que personne ne
soit ordonné évêque d'une Eglise malgré les citoyens et sans
avoir été élu par les suffrages libres du clergé et du peuple.
Que personne n'entre dans l'épiscopat, par l'autorité du prince
ou par quelque autre moyen que ce soit, contre la volonté du
métropolitain et des autres évêques de la province. Si quel-
qu'un ose usurper cette dignité en vertu d'un ordre du roi,
qu'il ne soit pas reçu des évêques de la province qui connais-
sent l'irrégularité de son ordination. Celui qui, malgré cettedé-
fense, oserait le recevoir, demeurera séparé de la communion
des autres. Pour les ordinations qui ont déjà été faites, il est à
propos que le métropolitain assemble les évêques de sa pro-
vince et tels autres évêques qu'il voudra , pour juger ces or-
dinations selon les anciens canons. »
Le concile permet d'appeler d'autres évêques que ceux de
366 HISTOIRE DE L'EGLISE CATHOLIQUE 1 557]
la province afin de réunir le nombre suffisant pour juger un
évêque.
IX. A l'occasion des esclaves qui sont chargés de garder
les tombeaux des morts, le concile ordonne qu'on observera
les conditions auxquelles ils ont été affranchis par leurs
maîtres.
X. Enfin on déclare que tous les évêques absents à qui on
présentera ces canons, doivent y souscrire (I).
Il se trouva quinze évêques à ce concile. Les plus connus
sont : Probien de Bourges, qui présida; S. Prétextât de Rouen,
S. Léonce de Bordeaux, S. Germain de Paris, Euphrone de
Neversou de Tours, Félix d'Orléans, S. Paterne d'Àvranches,
S. Chaletric de Chartres, et un évêque nommé Samson, qu'on
croit être S. Samson, évêque breton dont nous avons parlé.
S. Paterne, après avoir blanchi dans les travaux de la vie
monastique et de l'apostolat, succéda à Gilles, évêque d'A-
vranches, qui avait assisté au quatrième concile d'Orléans (2).
On reconnut dans le nouvel évêque le solitaire mortifié et
l'apôtre laborieux. Tout le changement que fit en lui sa di-
gnité, c'est qu'elle lui fit augmenter ses travaux sans lui
servir de prétexte pour diminuer quelque chose de ses austé-
rités; sa vieillesse même, qui donnait plus d'autorité à son
zèle, semblait aussi lui donner plus de vivacité. Il fit bâtir de
nouvelles églises et réparer les anciennes, et il se montra
surtout le père des pauvres par sa généreuse charité. Après
avoir ainsi gouverné son Église pendant treize ans, il tomba
malade la seconde fête de Pâques, vers l'an 565 (3), et mourut
âgé de quatre-vingt-cinq ans, le 16 avril, jour auquel on cé-
lèbre sa fête. S. Lô, qui ne savait rien de sa maladie, étant
venu pour lui rendre visite, fit ses funérailles. On a remarqué,
comme une circonstance plus singulière, la mort de S. Scobi-
lion, qui arriva le même jour; il avait toujours été le fidèle
(1) Ap. Labb., t. V, p. 814.— (2) Vita Patern., apudBoll., 16 april.— (3) Pâques
était cette année le 5 avril.
[558] EN FRANCE. — LIVKE VI. 367
compagnon de S. Paterne, et Dieu voulut réunir dans la gloire
en un même jour ceux que les mêmes pratiques d'humilité
et de mortification avaient si longtemps unis sur la terre.
L'évêque Lascivus [1), dont on ne connaît pas le siège épis-
copal, fît les obsèques de S. Scobilion, qui fut enterré dans
la même église que S. Paterne.
Peu de temps après le concile de Paris, S. Germain se pré-
para à faire la dédicace de l'église que Ghildebert avait fait
bâtir près de cette ville en l'honneur de la Ste Groix et de
S. Vincent, pour y placer la tunique de ce saint martyr et
une belle croix d'or ornée de pierreries qu'il avait enlevée
aux Goths dans son expédition contre Àmalaric (2). L'église,
bâtie en forme de croix, était alors un des plus superbes édi-
fices des Gaules. Les colonnes étaient de marbre, et le pavé
de pièces de rapport dont les couleurs habilement nuancées
formaient diverses figures. La voûte était ornée de lambris
dorés, et les murailles de peintures à fond d'or. Le toit était
couvert de lames de cuivre doré : ce qui fit nommer dans la
suite cette église Saint-Germain-le-Doré (3). Fortunat en loue
particulièrement les vitraux (4).
Gomme cette église était bâtie en forme de croix, il y avait
quatre autels. Le principal, qui était à l'orient, fut consacré en
l'honneur de la Ste Groix et de S. Vincent; celui du côté du
septentrion fut dédié aux SS. Ferréol et Ferrution; celui du
midi, à S. Julien de Brioude, et celui d'occident, aux SS. Ger-
vais et Protais, à S.Celseetà S. Georges. A l'entrée de l'église,
au midi, on avait bâti un oratoire sous l'invocation de S. Sym-
phorien, et de l'autre côté, au septentrion, un autre sous celle
de S. Pierre. Il y a lieu de croire qu'on mit à tous ces autels des
(1) On trouve au troisième concile de Paris un évêque nommé Lascivus, dont le
siège n'est pas indicé. Peut-être faut-il lire Passivus, qui était évêque de Séez.
(2) L'auteur de la Vie de S. Droctovée, qui est suivi par Fleury, dit que Chil-
debert apporta cette croix de Tolède quand il alla délivrer sa sœur des ma;::i
d' Amalaric. Mais nous avons vu que ce fut à Narbonne et non à Tolède que se fit
cette expédition.
(3) VitaS. Droctovei, apud Boll., 10 mart. — (4) Fort., 1. II, c. xi.
368 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [558]
reliques des saints martyrs en l'honneur desquels ils furent
dédiés, et il paraît que ce fut à ce dessein que Childebert en
envoya demander au pape, comme nous l'avons dit plus
haut.
Ce prince fit don à cette église d'un grand nombre de riches
terres et de précieux ornements, et il chargea S. Germain d'y
établir une communauté de moines. Le saint évêque le fît et
lui donna pour premier abbé Authaire (1), distingué par sa
noblesse, ou, selon quelques auteurs, S. Droctovée, qui avait
été son disciple à Autun dans le monastère de Saint-Sympho-
rien (2). Comme on pratiquait à Autun la règle de S. Antoine
et de S. Basile, il est probable que S. Germain et S. Droctovée
l'auront établie dans cette nouvelle communauté.
Tout était prêt pour la dédicace de l'église lorsque Childe-
bert tomba dangereusement malade. C'était vers la fête de
Noël, et plusieurs évêques s'étaient déjà rendus à Paris pour
la célébrer avec le roi. Mais ce prince mourut le 23 décembre,
la quarante-huitième année de son règne, c'est-à-dire l'an 558.
Comme S. Germain voulait inhumer Childebert clans la
nouvelle église, et qu'une grande affluence de personnes de
toutes conditions s'était rendue à Paris tant pour la fête que
pour les funérailles du roi, il crut devoir profiter de cette
occasion pour faire la dédicace, assisté de S. Nicet de Lyon
et de cinq autres évêques (3). Le même jour il y fit les ob-
(1) Tous les anciens catalogues, aussi bien qu'Aimoin, signalent Authaire comme
le premier abbé de Saint-Germain. L'auteur de la Vie de S. Droctovée ne parle pas
d'Authaire et place S. Droctovée le premier. Il est difficile de déterminer qui l'on
doit croire. Mais la Vie de S. Droctovée, que suit pourtant le P. Mabillon, con-
tient beaucoup d'erreurs.
(2) Aim., 1. II, c. xx.
(3) L'auteur de la Vie de S. Droctovée se trompe dans l'assignation des sièges
de quelques-uns de ces évêques , et c'est ce qui nous a empêché de les nommer.
Il marque par exemple Prétextât de Chalon-sur-Saône , Victeur du Mans et
Domitien de Chartres. Mais S. Agricole était alors évêque de Chalon, S. Chaletric
de Chartres, et Scienfroi occupait le siège du Mans, qu'il avait usurpé après la mort
de S. Innocent; Victeur était évêque de Rennes, et Domitien d'Angers; Prétextât
pouvait l'être de Rouen ou de Cavaillon. Ainsi il faudrait peut-être lire Cavillocensi,
pour Cabillonensi. Il y avait en ce temps-là un Prétextât évêque de Cavaillon.
Cet auteur ne s'est point trompé en désignant Félix à Orléans et Euphrone à
Ne vers.
[558] EN FRANCE. — LIVRE VI. 369
sèques de Childebert avec un appareil digne de la grandeur
et de la magnificence de ce prince. Childebert fut enterré dans
le chœur de cette église, qu'il sembla n'avoir bâtie que pour
lui servir de tombeau. On lui attribue aussi la fondation de
l'église de Saint-Germain ditl'Auxerrois, qui est aujourd'hui,
comme celle de Saint-Germain des Prés, une église parois-
siale. C'est par les monuments de leur piété que la mémoire
des princes vit le plus longtemps dans l'esprit des peuples.
Les divers traits que nous avons vus de la'bonté et du zèle
de Childebert, effacèrent le souvenir des attentats que son
ambition lui avait fait commettre contre ses neveux. Tous ses
sujets le regrettèrent comme leur père. Il l'était particulière-
ment des pauvres, en faveur desquels il ne craignait pas d'é-
puiser ses trésors. L'Église de France le pleura comme son
plus zélé protecteur. Aucun de nos rois n'a peut-être érigé
plus de monastères, n'a fait tenir plus de conciles, et n'a vu
fleurir de son temps dans ses États un plus grand nombre de
saints évêques et de saints abbés, qu'il honorait de sa con-
fiance et de ses dons. La piété des sujets fait l'éloge du
prince.
La reine Ultrogothe, femme de Childebert, secondait parfai-
tement ses pieux desseins. Un ancien auteur nous apprend
qu'elle était la mère des orphelins, la consolation des affligés
et la protectrice (1) des serviteurs de Dieu, surtout des
moines. La renommée des miracles de S. Martin la porta à
visiter son tombeau et lui fit souhaiter de voir ses reliques à
découvert. Elle s'y prépara par les jeûnes, les veilles et les
aumônes. Cependant, étant entrée dans l'église, une sainte
frayeur la saisit et l'empêchait d'approcher du sacré monu-
ment. Elle passa la nuit en prière et, le lendemain, ayant fait
célébrer la messe en l'honneur de S. Martin, elle eut la con-
solation de voir pendant cette messe trois aveugles, qui de-
(1) L'auteur de la Vie de S. Samson fait un portrait odieux de la reine Ultro-
gothe. Nous croyons le témoignage de Grégoire de Tours et celui de l'auteur de
la Vie de Ste Bathilde préférable au témoignage de cet écrivain.
TOME II. 24
370 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [559]
puis longtemps se tenaient au pied de son tombeau, recouvrer
subitement la vue (1). Il ne manquait à la vertu de cette prin-
cesse que d'être purifiée par les souffrances : cette grâce ne
tarda pas à lui être accordée.
Ghildebert étant mort sans enfant mâle, Glotaire devint
maître de tout l'empire franc et commença ce nouveau règne
par exiler la reine Ultrogothe et ses deux filles, Grodesende
et Crotberge. Peut-être les soupçonna-t-il d'avoir eu part à la
nouvelle révolte de Chramne, son fils aîné. Mais après quelque
temps d'épreuve, la reine et les deux princesses furent rap-
pelées de leur exil et remises en possession des beaux jar-
dins de Ghildebert ^w2), où ce prince prenait plaisir à cultiver
des arbres fruitiers qu'il avait plantés de sa main. Ultrogothe
fut enterrée auprès de son mari dans l'église de Saint-Vin-
cent, aujourd'hui Saint-Germain des Prés.
Dès que Glotaire se vit en possession de toute la monar-
chie, il voulut rassurer les évêques, qui paraissaient craindre
le règne d'un prince si débauché qu'il s'était fait excommu-
nier par S. Nicet de Trêves. C'est pourquoi il publia une
constitution très-favorable à la religion, et qui confirme la
plupart des canons du dernier concile de Paris, sans parlei
néanmoins de ce qu'on y avait décrété sur les élections de*
évêques. Glotaire règle d'abord quelques articles de la lo:
civile. « Pour les successions, dit-il (3), on suivra la disposi-
tion des lois, et toutes les grâces obtenues à leur préjudice
seront réputées nulles par les juges. Si quelqu'un est accuse
d'un crime, qu'il ne soit pas condamné sans être entendu :
mais s'il est convaincu, qu'il soit puni selon la nature du
crime.
« Les causes des Romains (c'est-à-dire des Gaulois! seront
terminées suivant les lois romaines. Une grâce obtenue de
(1) Auct. Vit. S. Bathildis, 1. I. — Greg. Tur., de Mirac. S. Mort., e. xn.
(2) On voit par la description que Fortunat fait de ces jardins qu'ils n'étaient
pas éloignés du monastère de Saint-Germain des Prés.
(3) Conc. Gall., 1. 1, p. 318.
[559] EN FRANCE. — LIVRE VI. 371
nous par subreption sera nulle. Si quelque juge condamne
quelqu'un injustement et contre la loi, il sera corrigé en notre
absence par les évêques (1) et obligé de réformer ce qu'il a
mal jugé. Personne ne se servira de notre autorité pour
épouser une veuve ou une fille malgré elle ou pour l'en-
lever. Que personne n'ait la hardiesse d'épouser une reli-
gieuse... Les oblations des morts faites aux églises ne pour-
ront être enlevées à celles-ci. »
Il faut entendre ici les biens donnés à l'Église par testa-
ment ou les legs destinés à faire prier pour les morts.
Glotaire continue : « Nous remettons à l'Église par dévo-
tion les tributs imposés sur les terres et les pâturages et les
dîmes des porcs » (c'était un tribut en usage parmi les
Francs). Il paraît même que d'autres tributs se levaient en
espèces sur les fruits des terres : c'est pourquoi le roi défend
à ceux qui levaient les dîmes d'aller sur les terres de l'Église.
Il déclare exempts de toutes charges publiques les clercs
et les Églises à qui Clovis (2) et Childebert en ont accordé
l'immunité, et il confirme toutes les donations faites aux
Églises par ces princes et par quelque autre personne que ce
soit. Enfin il ordonne qu'on ne soit point reçu à revendiquer
des biens que les Eglises, les clercs et ses autres sujets pos-
sèdent depuis trente ans, pourvu cependant que le commen-
cement de la possession ait été juste. Ces dernières paroles
paraissent avoir été ajoutées en faveur du canon du dernier
concile de Paris, qui ordonne de répéter les biens ecclésias-
tiques usurpés même sous Clovis. Cette constitution est sans
date ; mais on la rapporte avec raison au commencement de
la monarchie de Clotaire dans les Gaules.
(1) On voit ici que les-évêques pouvaient réformer en l'absence du roi les juge-
ments des magistrats laïques. Les lois des Visigoths donnaient la même autorité
aux évêques.
(2) Il y a dans l'imprimé: qui a/oi, genitoris , et germant immunitatem meruerunt.
Mais le P. Sirmond a vu un exemplaire où le mot avi ne se trouve pas. Il est en
effet difficile de croire que Childéric, qui n'était pas chrétien et qui n'eut pas
d'État fixe dans la Gaule, ait accordé ces grâces aux Églises.
372 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [559]
Ce roi ne goûta pas longtemps le plaisir de se voir maître
absolu de tant de royaumes, et Chramne lui donna bientôt de
nouveaux chagrins, qui lui firent sentir qu'un prince en de-
venant plus puissant n'en devient point plus heureux. Ce
fils ingrat se révolta une seconde fois; mais, n'ayant plus la
protection de Childebert, il fut contraint de se réfugier, avec
sa femme et ses filles, auprès de Gonobre ou Conobert, comte
de Bretagne (1).
Villiachaire, beau-père de Chramne, se réfugia à Tours
dans l'église de Saint-Martin, et comme il s'y vit cerné, il y mit
le feu pour s'échapper à la faveur de l'incendie, qui consuma
cette belle église, bâtie par S. Perpétue. Glotaire la fit aus-
sitôt restaurer et couvrir d'étain, et marcha à la tête de son
armée contre son fils rebelle, que le comte de Bretagne se
mettait en état de soutenir de toutes ses forces. En passant
par le Maine, il vit à Javron le saint abbé Gonstantien, qui lui
prédit la victoire (2). Chramne, de son côté, n'eut pas horreur
de marcher contre son père, et, les deux armées s'étant trou-
vées en présence sur le soir, on remit le combat au lende-
main.
Le comte de Bretagne, profitant de ce délai , dit à
Chramne (3) : « Prince, je ne crois pas qu'il convienne que
vous combattiez contre votre père : laissez-moi tomber sur
lui cette nuit, et je me tiens assuré de la victoire. » Chramne,
que la justice divine poursuivait, ne se rendit pas à cette pro-
position et se prépara au combat pour le lendemain. Clo-
taire, qui ne ressemblait guère à David que par ses adul-
tères et par la nécessité où il se trouvait de combattre contre
un fils rebelle, se compara à ce prince dans la prière qu'il
adressa à Dieu avant de donner la bataille : « Seigneur,
lui dit-il, voyez du haut du ciel les outrages que me fait mon
fils, et jugez ma cause comme vous avez jugé autrefois entre
(1) Greg. Tur., 1. IV, c. xx. — (2) Vit. Constant., apud Ducheene, t. I, p. 544.—
,3) Greg. Tur., 1. IV, c. xx.
[560 J EN FRANCE. — LIVRE VI. 373
Absalon et David son père. » Ayant parlé ainsi, il donna le
signal du combat, qui fut terrible: car il règne toujours plus de
fureur dans les guerres civiles que dans les autres, parce
qu'il y entre plus de haine et d'acharnement. La victoire ne
tarda cependant pas à se déclarer pour le parti de la justice.
Le comte de Bretagne fut tué en combattant contre son
souverain, et Ghramne prit la fuite vers les vaisseaux qu'il
avait fait tenir prêts. Mais, père aussi tendre que fils
dénaturé, il se souvint que ses filles et sa femme étaient
exposées au péril et revint sur ses pas pour les en tirer. Dans
ce retour il fut enveloppé avec les princesses par l'armée de
Glotaire et enfermé dans la chaumière d'un paysan. Clo-
taire, l'ayant appris, ordonna dans le premier mouvement
de sa colère qu'on y mît le feu et qu'on brûlât tout vif
le prince avec sa femme et ses filles, quelque innocentes
qu'elles fussent de sa révolte. L'ordre barbare fut exécuté
à la lettre; toutefois Ghramne, qui était le seul coupable, fut
étranglé avant d'être brûlé. Telle fut la fin tragique de ce
nouvel Absalon. Il en avait la beauté, l'ambition et la perfi-
die : il en eut le sort, et sa rébellion a rendu son nom si
odieux aux Francs qu'aucun prince de la famille royale
ne l'a porté dans la suite.
Après cette tragique expédition, Glotaire, les mains en-
core teintes, pour ainsi dire, du sang de son fils, alla à
Tours offrir de riches présents au tombeau de S. Martin,
dans l'église qu'il venait de faire restaurer. La sainteté du
lieu lui inspira des sentiments de pénitence. Il y repassa
dans l'amertume de son cœur les désordres de sa vie passée,
et pria S. Martin avec larmes de lui obtenir de la divine
miséricorde le pardon de tant de crimes dont il se recon-
naissait coupable (1). Il séjourna quelque temps à Tours
avec S. Germain de Paris et quelques autres saints évêques,
qui tâchèrent de profiter pour son salut des heureuses dis-
(1) Greg. Tur.,1. IV, c. xxi.
374 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [561]
positions de son cœur. Les exemples de Ste Radegonde,
qui avait été sa femme et qui remplissait alors tout ce pays
de l'odeur de ses vertus, auraient dû faire encore plus d'im-
pression sur l'esprit de Glotaire que les exhortations des
prélats. Mais le seul souvenir d'une princesse qu'il avait si
tendrement aimée, pensa faire évanouir toutes ses bonnes
résolutions.
Radegonde, après avoir passé plusieurs années à Sais, sui
les confins du Poitou et de la Touraine, dans une sainte soli-
tude, avait obtenu de Clotaire la permission de bâtir ur
monastère à Poitiers. La construction en fut faite rapide-
ment, grâce au zèle de Pientius, alors évêque de cette ville
et aux soins du duc Austrapius. La naissance et les vertu*
de la pieuse reine y attirèrent bientôt un grand nombre de
filles de qualité, qui vinrent pour s'y consacrer à Dieu souî
sa conduite (1). Mais Radegonde n'avait pas renoncé au?
grandeurs du monde pour se faire une domination dan*
le cloître. Elle préféra le mérite de l'obéissance à la satisfactior
de gouverner une noble et nombreuse communauté , qu'elle
avait formée, et fit élire abbesse une de ses disciples nom-
mée Agnès, à qui elle fut en tout soumise comme la der-
nière des religieuses.
Il arriva à Ste Radegonde le contraire de ce qui arrive
communément aux personnes qui quittent le monde : elle
l'oublia facilement et ne put s'en faire oublier. Glotaire
l'aimait toujours, et les courtisans, qui s'en aperçurent
ne manquèrent pas de flatter une passion que l'âge n'avai
pu guérir. On lui conseilla de rappeler Radegonde à sa coui
et d'aller de Tours, où il était alors, à Poitiers pour h
tirer de son monastère. Il n'en fallait pas tant pour rallu-
mer un feu mal éteint. Glotaire, oubliant ses projets de
conversion, parut déterminé à suivre un conseil si con-
forme à ses inclinations. Au premier bruit qui s'en répandit
(1) Baudon. Vita S. Badeg., 1. II, c. iv.
|5611 EN FRANCE. — LIVRE VI. 375
la sainte princesse alarmée écrivit secrètement à S. Germain,
qui accompagnait le roi dans ce voyage, et lui envoya la
lettre avec quelques présents par Procule, son homme d'af-
faires. Elle conjurait instamment ce saint évêque, dont elle
connaissait la piété et le crédit, de détourner le coup dont
elle était menacée. Germain, pour mieux toucher le roi, se
jeta à ses pieds devant le tombeau de S. Martin et le sup-
plia avec larmes de ne pas aller à Poitiers. Clotaire ne
douta pas que ce ne fût Radegonde qui lui faisait faire cette
prière. Il se sentit attendri, imputa la résolution qu'il avait
prise aux mauvais conseils, et, se jetant lui-même aux
pieds de Germain , le conjura de prier la sainte reine de
lui pardonner. Il l'envoya même à ce sujet à Poitiers, et ce
fut sans doute en cette occasion que ce saint évêque bénit
l'abbesse Agnès (1).
Il sembla que Dieu, en inspirant ces sentiments de piété
à Clotaire, voulait le disposer à la mort et le porter à
faire pénitence de ses fautes. S'il profita du peu de temps
qui lui restait, sa conversion est un nouvel exemple des
miséricordes de Dieu envers les plus grands pécheurs. A
peine ce prince fut-il de retour de ce voyage, qu'il fut pris
de la fièvre pendant qu'il chassait dans la forêt de Guise (2),
auprès de Gompiègne, l'une des plus anciennes maisons de
plaisance de nos rois. Il s'y retira pour y rétablir sa santé ;
mais le mal, plus fort que les remèdes, augmentant tous les
Jours, il sentit bientôt que sa fin était proche. Alors, sur le
point d'être dépouillé de sa grandeur, il n'en connut plus
de véritable que celle de Dieu (3). Il disait aux courtisans
qui entouraient son lit : Hélas ! combien pensez-vous que
doit être grand le Roi du ciel, qui fait ainsi mourir de si
grands rois! Réflexion salutaire , mais bien tardive. Il mou-
(1) Radeg. Epist. ad episc.
(2) La forêt de Compiègne est nommée par les anciens auteurs Cotia sylva ou
Causia.
(3) Greg. Tur., I IV, c. xii.
376 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [56 1J
rut ainsi à Gompiègne l'an 561, après un règne de cinquante
ans, dont il avait terni la gloire par sa cruauté et ses dé-
bauches. Heureux si les sentiments de pénitence qu'il fit
paraître sur la fin de sa vie furent sincères et efficaces! C'est
ce qu'il ne nous appartient pas de pénétrer. Il nous suffit
de savoir que la miséricorde et la justice de Dieu sont éga-
lement infinies. Cette vérité fait un devoir aux plus justes de
craindre encore, elle permet aux plus grands pécheurs de ne
pas désespérer.
Les quatre fils de Clotaire firent porter son corps de
Gompiègne à Soissons, où il fut enterré avec un magnifique
appareil dans l'église qu'il avait commencé à faire bâtir sur
le tombeau de S. Médard. Ensuite ils firent entre eux le
partage de la monarchie : nouvelle source de divisions et
de guerres civiles. Caribert eut le royaume de Paris, Con-
tran celui de Bourgogne, Ghilpéric celui de Soissons, et
Sigebert celui d'Austrasie. Nous verrons bientôt les carac-
tères différents de ces princes, et le bien ou le mal qu'ils
firent à la religion par leur conduite édifiante ou scanda-
leuse : car l'exemple d'un roi est souvent une loi, et tou-
jours un puissant attrait pour les sujets. C'est une maxime
dont nous verrons l'application dans la conversion d'une
nation entière, dont nous devons parler, puisqu'elle fut
particulièrement due à l'intercession et aux mérites d'un
saint évêque de l'Eglise de France.
Les Suèves, établis depuis environ cent cinquante ans dans
la Galice, province d'Espagne, avaient eu le malheur, comme
presque toutes ces nations barbares, d'embrasser l'aria-
nisme. On voyait peu d'espérance de pouvoir les désa-
buser, lorsque Dieu se servit de l'éclat que répandait dans
le monde entier la gloire de S. Martin pour leur ouvrir les
yeux. Leur roi, que Grégoire de Tours nomme Ghararic (1),
et les autres historiens Théodemire ou même Ariamire»
(1) Greg. Tur., de Mirac. S. Mart., 1. I, c. XI.
[561] EX FRANCE. — LIVRE VI. 377
voyant son fils encore enfant dangereusement malade, dit
à ses courtisans : « Ce Martin qu'on dit faire tant de mira-
cles dans les Gaules, dites-moi, quelle religion professait-il? »>
Ils lui répondirent qu'il professait la religion catholique,
qu'il avait cru et prêché la consubstantialité du Père, du
Fils et du Saint-Esprit, et qu'il ne cessait de combler de
bienfaits ceux qui imploraient son assistance. « Si cela est
ainsi, reprit le roi, que quelques-uns de mes officiers aillent
jusqu'à son église lui offrir des présents pour la guérison
de mon fils. » Il voulut que les présents fussent magnifiques
et proportionnés à l'amour qu'il portait à son fils. Il fit peser
une somme d'or et d'argent du poids du jeune prince et
l'envoya au tombeau de S. Martin, ne doutant pas que
des vœux accompagnés d'un si riche présent ne fussent
exaucés. Mais c'est surtout le cœur qui fait le prix des dons
que nous offrons à Dieu, et l'on ne peut lui plaire sans une
foi pure.
Gomme le roi des Suèves était encore attaché à l'hérésie , il
n'obtint pas la guérison de son fils ; mais cependant un mieux
sensible se déclara. Les envoyés, étant de retour, rapportè-
rent au roi qu'ils avaient été eux-mêmes témoins de plusieurs
miracles opérés au tombeau de S. Martin, ajoutant qu'ils
étaient surpris que le jeune prince n'eût pas reçu, comme tant
d'autres, la grâce entière.
Le roi comprit qu'il ne mériterait d'être exaucé que quand
il professerait la foi de S. Martin. Il forma la résolution de
l'embrasser, fît bâtir une belle église en .l'honneur du saint
évêque, et dit : Si je suis assez heureux pour obtenir de ses
reliques, je croirai tout ce que les prélais (catholiques] me prê-
cheront. Il renvoya ses députés à Tours avec des présents
plus grands encore que la première fois, pour demander des
reliques. On offrit de leur donner, selon la coutume, des
linges ou des pièces d'étoffe qui avaient été quelque temps
sur le tombeau de S. Martin. Ils demandèrent qu'il leur fût
permis de mettre eux-mêmes sur le tombeau ce qu'ils vou-
378 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [56 1 ]
laient emporter, et y placèrent une partie d'une étoffe (1) de
soie qu'ils pesèrent auparavant, en disant : « Elle sera demain
plus pesante si nous avons trouvé grâce devant celui dont
nous recherchons la protection. » Ils passèrent la nuit en prière
au pied du tombeau, et le lendemain l'étoffe, ayant été mise
une seconde fois dans la balance, enleva entièrement le
poids avec lequel elle était auparavant en équilibre. Les dépu-
tés de Galice, pénétrés de joie à la vue de ce miracle, empor-
tèrent ces reliques comme en triomphe et partirent en chan-
tant des psaumes dans les rues de Tours. En traversant ainsi
la ville, ils passèrent devant la prison, et leurs chants parvin-
rent aux oreilles des prisonniers, qui en apprirent le sujet.
Ces malheureux se mirent aussitôt à invoquer S. Martin avec
confiance. A l'instant leurs chaînes se brisèrent, et la prison
s'ouvrit. Ils coururent en présence de tout le peuple se pros-
terner devant les reliques et les arroser des larmes que la joie
et la reconnaissance leur faisaient verser. L'évêque de Tours,
qui pouvait être S. Euphrone, fit ratifier par le juge la grâce
que S. Martin venait de faire à ces criminels (2).
Ce miracle inspira une nouvelle confiance aux députés du
roi des Suèves. Ils arrivèrent en Galice après une heureuse
navigation. Le jeune prince, qui se nommait Miron, recouvra
une santé parfaite; et la lèpre, maladie jusqu'alors fort com-
mune parmi les Suèves, disparut à l'arrivée des reliques de
S. Martin. Mais ce peuple fut délivré d'une contagion infini-
ment plus dangereuse. Le roi, que l'évidence du miracle avait
convaincu, abjura solennellement l'arianisme avec toute sa
famille, et son exemple fut bientôt suivi de toute la nation,
qui vit dans ce don des miracles, subsistant dans l'Église ca-
tholique depuis l'établissement du christianisme, une dé-
monstration de la vérité que toutes les ruses de l'erreur ne
peuvent ni affaiblir ni éluder. C'est ainsi que le grand S. Mar-
(1) Ces linges ou ces étoffes qu'on faisait toucher aux tombeaux des saints et
qu'on gardait comme des reliques, sont ce qu'on nommait brandea.
(2) Greg. Tur., de Mirac. S. Mart., 1. 1, o. Xt
[561] EN FRANCE. — LIVRE VI. 379
tin combattait encore après sa mort, par ses miracles, une
hérésie qu'il avait combattue de son vivant par ses prédica-
tions.
11 ne manquait aux Suèves qu'un ouvrier évangélique pour
recueillir cette riche moisson. Mais Dieu avait suscité un
autre S. Martin, originaire comme lui de Pannonie, qui, par
une disposition particulière de la Providence, arriva en Galice
avec les députés du roi. On ne peut donc pas méconnaître que
le Ciel l'avait destinéà devenir l'apôtre de lanation.Cet envoyé
de Dieu était S. Martin d'abord abbé et évêque de Dume, et
ensuite évêque de Brague. Il parut avoir hérité du zèle et des
vertus aussi bien que du nom du grand S. Martin. Il fît plu-
sieurs ouvrages de piété et composa une inscription en vers qui
fut placée sur la porte méridionale de l'église de Saint-Martin
de Tours. Ste Radegonde avait tant d'estime pour sa vertu
qu'elle lui fit écrire en Galice pour se recommander à ses
prières (1). C'est ainsi que l'humilité fait chercher des inter-
cesseurs auprès de Dieu à ceux-là mêmes qui pourraient en
servir aux autres.
(1) Greg. Tur. Hist., 1. V, c. xxxvni. — Fort., 1. V, carm. 1.
FIN DU LIVRE SIXIEME.
LIVRE SEPTIÈME
Le caractère des nouveaux rois francs se ressentait de l'é-
ducation et des exemples qu'ils avaient reçus. On pouvaii
reconnaître aux vices de Garibert et de Chilpéric (1) les en-
fants deClotaire, et aux vertus de Gontran et de Sigebert les
petits-fils du grand Glovis. Sigebert commença son règne pai
rappeler S. Nicet de Trêves, envoyé en exil par Glotain
pour avoir eu le courage de l'excommunier, comme nous l'a-
vons raconté plus haut. Ge saint évêque avait eu la douleur d(
se voir abandonné dans sa disgrâce par la plus grande partie
de son clergé et même par plusieurs de ses frères dans l'é
piscopat : car le plus grand malheur des mauvais princes
c'est qu'ils ne manquent guère de trouver, même parmi les
ministres du Seigneur, des hommes qui les flattent dans leur;
désordres. S. Nicet demanda un jour à un diacre qui l'aval
suivi, s'il voulait aussi l'abandonner. Le diacre l'ayant as
suré qu'il lui serait toujours fidèle, le saint évêque lui dit
« Parce que vous êtes animé de ces sentiments, je vous dira
que demain à cette heure je serai rétabli dans mon Église (2). >
En effet, le lendemain dès le matin il reçut un courrier por
teur des lettres de Sigebert qui le rappelaient à Trêves. G(
(1) Fortunat nous apprend que Chilpéric en langue barbare, c'est-à-dire tu
desque, signifie puissant secours, adjutor fortis. En effet, rie signifie puissant : tell<
est l'étymologie du mot riche.
(2) Greg. Tur. Vit. PP., c. xvn.
563] HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE EN FRANCE. 381"
prince, en lui apprenant la mort deClotaire, lui marquait qu'il
ne voulait pas prendre possession de son royaume sans avoir
pour ami un saint évêque qui, par ses prières et ses conseils, l'ai-
derait à porter le poids de sa couronne. S. Nicet, à son retour,
ne fit aucun reproche à ceux de son clergé qui l'avaient si lâ-
chement abandonné. Il leur fit sentir au contraire par ses bon-
tés qu'il avait oublié leurs fautes. Du reste, ce saint évèque
montra plus de fermeté et plus de courage que jamais pour
s'opposer aux passions des hommes et surtout à celles des
grands. Il ne laissa échapper aucune occasion de leur annoncer
la loi de Dieu. La conversion des princes barbares et héréti-
ques devint même l'objet de son zèle, et s'il n'eut pas la con-
solation de réussir, il eut du moins le mérite d'y avoir tra-
vaillé.
Alboin, roi des Lombards (1), qui passa quelques années
après en Italie, commençait à remplir l'Occident de la gloire
et de la terreur de son nom. Ce prince professait l'arianisme ,
et on craignait de retrouver en lui un autre Alaric ou un second
Totila. Il avait en effet leur férocité et leur amour de la guerre.
Mais comme il avait épousé Glodosinde, fille de Clotaire, on
se flatta qu'une princesse franque et catholique lui inspirerait
de la modération et pourrait même le gagner à la vraie foi.
Cette reine ayant envoyé une ambassade aux rois francs ses
frères, S. Nicetse servit de cette occasion pour lui écrire etpour
l'exhorter à travailler, autant qu'elle le pourrait, à la conver-
sion du roi son mari. Après avoir loué Glodosinde de sa piété,
de son amour pour la religion, de sa tendresse pour les pau-
vres, il fait les vœux les plus ardents pour la conversion du roi
des Lombards, auquel il la conjure d'expliquer cette lettre.
(1) Les Lombards étaient originaires de Scandinavie. Après s'être fixés quelque
temps en Pannonie, ils passèrent en Italie l'an 568, conduits par Alboin, leur roi,
et ils y fondèrent un royaume qui subsista jusqu'au règne de Charlemagne. Paul
Diacre dit qu'ils furent nommés Lombards parce qu'ils portaient la barbe longue.
Vossius prétend que ce fut parce qu'ils avaient de longues bacbes qu'on appelait
baerd, et que c'est de là que nous vient le mot de hallebarde, qui signifie un«
hache luisante.
362 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [563]
Il y rapporte plusieurs textes de l'Ecriture propres à établir le
dogme de la Trinité et à répondre aux objections des ariens.
Le saint évêque tire ensuite des miracles qui se font
tous les jours dans l'Église catholique, et qui n'ont jamais
lieu dans l'Église arienne, un argument qui était plus à la
portée d'un prince peu versé dans la théologie. « Que le roi
Alboin, dit-il (1), envoie des gens à S. Martin de Tours le
jour de sa fête , qui est le 1 1 novembre , et là, sans parler des
lépreux et de tant d'autres malades qui y sont guéris, ils ver-
ront les aveugles ouvrir les yeux à la lumière, les sourds en-
tendre et les muets parler Que dirai-je maintenant des
saints évêques Germain d'Auxerre, Hilaire de Poitiers et
Loup de Troyes, qui opèrent tant de merveilles dans leurs
églises? je n'ai pas de termes assez éloquents pour les expri-
mer. Les démons sont contraints de reconnaître le pouvoir
de ces serviteurs de Dieu. Je vous le demande, voit-on des
choses semblables dans les églises des ariens? Non, ces ma-
lins esprits sentent que Dieu et les saints n'y habitent pas : le
démon n'exorcise pas le démon. Que dirai-je encore deS. Remi
et de S. Médard, que vous avez connus, je crois, et comment
rapporter tous les miracles que nous voyons s'opérer par leurs
mérites?
« Vous avez entendu raconter à votre aïeule Glotilde com-
ment elle vint en France et comment elle convertit le roi
Glovis à la foi catholique. Gomme c'était un prince fort pru-
dent, il ne voulut pas se rendre avant de connaître la vérité;
mais dès qu'elle fut devenue manifeste à ses yeux, il se pros-
terna humblement àlaporte de l'église de Saint-Martin, où il se
fit baptiser sans délai. Or, vous savez quelles victoires ce
grand prince remporta depuis son baptême contre les rois hé-
rétiques Alaric et Gondebaud , et quels biens ses enfants pos-
sédèrent sur la terre. La renommée et les qualités du roi
Alboin nous font désirer ardemment qu'il ouvre les yeux à la
(t) Niceti Epist. ad Clodosindam in Conc. UalL, t. I, p. 31?.
[564] EN FRANCE. — LIVRE VII. 383
vérité. Dieu de bonté, qui êtes la gloire des saints et le salut
de tous, communiquez-vous à lui ! Et vous, grande reine, ré-
jouissez l'Église par une si belle conquête ; ne vous lassez pas
de prier et de presser. Vous savez ce que dit l'Écriture : Le
mari infidèle sera sauvé "par la femme fidèle (1). Consacrez à
cela vos soins .et vos veilles : car c'est par là que vous ferez
triompher la nation lombarde de tous ses ennemis, et que
vous nous remplirez de la plus grande consolation. C'est à
votre propre salut que vous travaillerez en travaillant à celui
de votre mari. »
Alboiii ne se rendit pas aux remontrances de S. Nicet et de
la reine Clodosinde, et, après avoir fondé par sa valeur un
nouvel État en Italie sur les débris de celui des Goths et des
Grecs, il périt misérablement par les embûches de Rosemonde,
sa seconde femme (2). Il avait obligé cette princesse, dans un
festin solennel, à boire dans le crâne de son propre père, qu'il
avait tué autrefois : elle eut tant d'horreur de cette barbarie
qu'elle sacrifia à son ressentiment et aux mânes de son père
la vie de son mari.
Le zèle de S. Nicet le rendait comme l'apôtre de toutes les
têtes couronnées: il annonçait les jugements de Dieu à tous
les princes de la terre qui s'écartaient de la route du salut. Un
prêtre nommé Lactance, étant venu de la Grèce dans la Gaule
pour visiter les lieux rendus célèbres par la dévotion des
fidèles, apprit au saint évêque de Trêves que l'empereur Jus-
tinien était tombé dans l'hérésie des incorruptibles . Cette nou-
velle secte, rejeton de celle d'Eutychès, enseignait que le
corps de Jésus-Christ avait été formé incorruptible , de sorte
qu'il n'était pas susceptible d'altération ni même des senti-
ments que peuvent exciter les besoins les plus naturels, tels
que la faim et la soif. Nicet prit de cette circonstance l'occasion
d'écrire à cet empereur; ce qu'il fit avec la force et l'autorité
que le zèle et la sainteté peuvent donner à un ancien évêque,
(1) I Cor. vu, 14. — (2) Paul. Diac, 1. II.
384 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [564J
accoutumé depuis longtemps à ne craindre que le Seigneur
dans l'exercice de son ministère.
« Vous resplendissiez dans le monde comme un soleil, dit-il à
Justinien, et l'éclat de votre gloire faisait notre joie; mais au-
jourd'hui votre chute fait notre tristesse et notre humiliation.
Quel est le séducteur qui vous a trompé, en vgus engageant à
détruire des mystères pour lesquels les apôtres et Jésus-Christ
ont souffert la mort? C'est l'ennemi artificieux qui a séduit
Adam pour lui faire manger du fruit défendu, et qui a préci-
pité Judas dans le feu éternel en lui faisant regarder Jésus-
Christ comme un homme ordinaire. Grand prince, souvenez-
vous de ce que vous avez promis à votre baptême et de la foi
que vous y avez professée. Vous avez juré de croire un seul
Fils en deux natures avec le Père et le Saint-Esprit : qu'avez-
vous fait, que vous êtes-vous préparé en vous écartant de
cette foi ! ... . Mais il est encore temps, si vous voulez revenir. . . .
Nous vous en conjurons par cette lettre au nom de Jésus-
Christ, notre rédempteur.... Pressez-vous, et ne différez pas
un seul moment : car si la mort vous surprend dans cet état,
l'enfer sera votre partage. Réjouissez par votre retour l'Église
affligée de votre égarement.... Car sachez que l'Italie, l'A-
frique, PEspagne et la Gaule pleurent votre perte et anathé-
matisent votre nom. Si donc vous ne détruisez pas ce que
vous avez fait et si vous ne criez pas à haute voix : Je me suis
égaré, j'ai été dans l erreur , f "ai péché ; anathème à Nestorius,
anathème à Eutychès, vous serez précipité avec eux dans les
supplices éternels (1). »
On ne sait si Justinien reçut cette lettre : car il mourut
peu de temps après qu'elle eut été écrite, et lorsqu'il était sur
le point de faire publier par tout l'empire un édit en faveur de
l'hérésie des incorruptibles. On a dit beaucoup de bien et beau-
coup de mal de ce prince , sans cependant s'écarter de la vé-
rité. On loue la sagesse de ses lois et la magnificence qu'il dé-
(1) Conc. Gall., t. II, p. 321.
|564j EN FRANCE. — LIVRE VII. 385
ployait dans la construction des églises (1) et des hôpitaux ;
mais on blâme son avarice et la manie qu'il eut toujours de
juger des matières de la religion : sans ces défauts, il aurait
mérité, par l'éclat de son règne, d'être comparé aux Constan-
tin et aux Théodose.
Cette lettre de S. Nicet fut un des derniers monuments de
son zèle. Il alla bientôt après en recevoir la récompense : car il
mourut vers l'an 565. Il fut enterré dans l'église de Saint-Maxi-
min, où son tombeau ne tarda pas à devenir célèbre par le
grand nombre de miracles qui s'y opérèrent. L'Église honore
sa mémoire le 5 décembre.
Fortunat de Poitiers avait chanté sa gloire dans des vers qui
méritent de trouver place dans l'histoire ecclésiastique.
« Nicet , glorieux défenseur de la foi , vous que l'univers
entier aime et révère, et que les évêques regardent comme
leur chef! vous qui, déjà illustre par le troupeau dont la garde
vous a été confiée , unissez à cet éclat celui de vos mérites !
tout entier à l'œuvre divine , vous méprisez les choses de la
terre ; mais si pour vous le monde est mort , vous-même ne
mourrez jamais. Puisque les bons ne périssent pas, vous serez
certainement immortel. Économe pour vous-même, vous êtes
prodigue pour les pauvres. Que de captifs ont revu, grâce à
wus , leur foyer et leur patrie ! Que d'exilés vous avez secou-
rus ! Celui qui vient à vous mourant de faim s'en retourne
rassasié ; vous séchez les larmes de ceux qui pleurent , vous
•endez la joie et le bonheur aux affligés et vous faites renaître
'espérance darïs les âmes abattues par la tristesse. Pasteur vi-
olant, vos brebis et vos agneaux paissent tranquilles et n'ont
joint à redouter les ravages des loups. Les temples du Soi-
(l) L'église de Sainte-Sophie de Constantinople, c'est à-dire de la Sagesse
ternelle, e*t le plus illustre monument de la magnificence de Justinien. Ce su-
erbe édifice, qui sert aujourd'hui de mosquée aux infidèles , a passé pour une des
aerveilles du monde. L'autel fut fait d'or et d'argent fondu , avec une quantité
rodigieuse de différentes pierres précieuses. Justinien, contemplant cette ma-
nifique église le jour de la dédicace, s'écria : Gloire à Dieu : je -cous ai vaincu,
nlomon.
TOME H* 23
386 HISTOIRE DE i/ÉCLISE CATHOLIQUE [564
gneur tombant de vétusté se relèvent par vos soins; vous
savez donner à la maison de Dieu une splendeur nouvelle
Puissiez-vous y prier encore longtemps pour vos brebis ! »
On sait que ce saint évêque est auteur de deux opuscules
l'un a pour titre : des Veilles des serviteurs de Dieu, et l'autre
de V Utilité de la psalmodie. Il dit dans le premier que les per
sonnes infirmes et délicates ne doivent pas regarder commi
une chose trop pénible de donner à Dieu, pour assister à l'office
une partie des deux nuits du samedi et du dimanche : ce qu
montre que les fidèles s'assemblaient encore le samedi au soi:
pour l'office de la nuit. Dans le second , après avoir établ
qu'on trouve dans les psaumes des exemples et des modèle
de toutes les vertus , ainsi que des leçons pour tous les états
il ajoute (1) : « Mais ce qu'il y a de plus excellent, c'est qu'ei
chantant ces divins cantiques nous chantons les mystère;
mêmes de Jésus-Christ. Sa génération y est exprimée , sa pas
sion y est dépein'e comme dans un tableau , la gloire de sa ré
surrection s'y manifeste ; on nous y montre la place qu'il oc
cupe à la droite du Père, on y décrit l'appareil de son seconc
avènement et du jugement qu'il doit faire des vivants et dei
morts, etc. » Et en effet, les fidèles trouvent une grande con-
solation et une abondance de lumières dans la lecture et dan;
le chant des psaumes. Quelques écrivains ont aussi attribué <
S. Nicet l'hymne Te Deum; mais, comme il en est fait mentioi
dans la règle de S. Benoît, son auteur doit être plus ancien.
S. Magneric, qui fut successeur de S. Nicet sur le siège dt
Trêves, avait été son disciple, aussi bien que S. Iriez, abbé d'A-
tane , dont nous aurons occasion de parler ailleurs. C'est et
dernier qui raconta à Grégoire de Tours les particularités dt
la vie de S. Nicet que nous avons rapportées. « Et il ne faul
pas soupçonner (2), ajoute ce saint évêque, que cet abbé ail
voulu m'en imposer, puisque, quand il me racontait ces mer-
veilles, il opérait lui-même des miracles, rendant la vue aux
(1) Spicil., t. III, p. 9. - (2) Greg. Tnr. Vit. PP., o. xvn.
[564] EX FRANCE. — LIVRE Vit. 387
aveugles, guérissant les paralytiques et chassant les démons
du corps des possédés. » Quand on rapporte des miracles sur
l'autorité de pareils témoins , doit-on craindre de ne pas
convaincre ceux en qui un esprit d'incrédulité n'a pas éteint
les lumières de la raison?
Caribert, roi de Paris , montra au commencement de son
règne des qualités qui servirent quelque temps de voile à ses
vices , et ses sujets purent croire qu'il avait hérité des vertus
de Ghildebert aussi bien que de son royaume. Il était doux,
affable , pacifique , amateur des belles-lettres , pour lesquelles
il avait du goût , entendant le latin et le parlant comme sa
langue naturelle (1). Dès qu'il fut sur le trône, il confirma la
constitution faite par Clotaire que nous avons fait connaître (2).
Il montra surtout une grande vénération pour S. Martin.
Clotaire avait exempté d'impôts les habitants de Tours par
respect pour ce saint , et Caribert, en recevant leur serment
de fidélité, ratifia volontiers ces privilèges. Cependant le
comte Gaison, ayant trouvé un ancien état des impôts, voulut
les lever dans la ville de Tours ; le saint évêque Euphrone s'y
opposa avec fermeté, et, sur son opposition, Gaison envoya au
roi le rôle des taxes dont il s'autorisait. Mais le roi, l'ayant lu,
le jeta aussitôt au feu, dans la crainte de s'attirer l'indignation
de S. Martin ; il renvoya même à l'Église de Tours tout l'argent
qui avait déjà été levé (3).
Tels furent les heureux commencements de Caribert.
Mais un honteux concubinage ternit bientôt l'éclat de ces pre-
mières vertus et engagea ce jeune prince dans tous les vices
que l'impudicité traîne après elle. La reine Ingoberge, sa
femme, avaità son service deux sœurs, Marcovèfe et Méroflède,
filles d'un ouvrier en laine. Le roi conçut pour elles une vio-
lente passion , malgré la bassesse de leur naissance et quoi-
que Marcovèfe fût consacrée à Dieu. La reine, croyant le déta-
il Fort., 1. VI, carm. i. — (2) Conc. Tur. //, c. 20. — (3) Greg. Tur., 1. IX,
C. XXX.
388 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [564]
cher de ces indignes amours, lui fit remarquer un jour le père
de ses maîtresses occupé aux travaux de son métier. Mais le
roi n'en fut que plus irrité contre la reine : il la répudia et
épousa Méroflède. Quand on a une fois franchi les bornes de
la pudeur on ne s'arrête pas aisément. Quelque temps après,
Garibert épousa encore la fille d'un berger, nommée Théode-
childe, et, pour mettre enfinle comble au scandale, il mit aussi
au nombre de ses femmes MarCovèfe , quoiqu'elle fût sœur de
Méroflède, qu'il avait déjà épousée, et qu'elle portât encore
l'habit de religieuse (1).
Une passion si aveugle et si criminelle éteignit dans le cœur
de Garibert les sentiments de bonté et de modération qu'il
avait montrés jusqu'alors, et de débauché qu'il était il devint
violent et emporté, comme il le fît voir bientôt. C'est l'effet
naturel de cette passion : ceux qui s'y livrent deviennent inhu-
mains, vindicatifs et cruels : l'histoire nous en fournira bien
des exemples. S. Léonce de Bordeaux , ayant assemblé à
Saintes le concile de sa province, y déposa Émérius de Saintes,
par le motif que son ordination n'était pas légitime , parce
qu'elle n'avait été faite qu'en vertu d'un décret de Glotaire et
sans la participation du métropolitain : ce qui était manifeste-
ment contraire aux canons du dernier concile de Paris, où
Léonce s'était trouvé. On élut à sa place Héraclius, prêtre de
Bordeaux, et l'on envoya le prêtre Nuncupat porter l'acte d'é-
lection à Garibert pour obtenir son consentement (2) . En pas-
sant par Tours, l'envoyé présenta ce décret à signer à S. Eu-
phrone; mais ce saint évêque, qui connaissait Garibert, et que
d'ailleurs cette affaire ne regardait pas, ne jugea pas à propos
d'y souscrire. Nuncupat, s'étant présenté devant le roi, lui
dit : « Prince, le siège apostolique vous salue. Caribert répon-
dit : Ëtes-vous allé à Rome (3), pour m apporter des compli-
(I) Greg. Tur., 1. IV, c. xxvi. — (2) Ibid.
(3) Dans les anciennes éditions de Grégoire de Tours et dans celles des conciles
des PP. S>mond, Labbe et Hardouin, où ce texte de Grégoire est rapporté, on
lit Turonicam urbem au lieu de Romanam que demande le sens, et que le P. Rui-
nart amis dans son édition, sur la foi de quelques manuscrits. Nous croyons que
[565] EN FRANCE. — LIVRE VII. 389
ments du papet C'est votre père Léonce, reprit Nuncupat, et
les évêques de sa province qui m'envoient pour vous faire sa-
voir qu'Émérius a été déposé du siège de Saintes, qu'il avait
obtenu contre les canons , et voici le décret d'une autre élec-
tion qu'ils vous prient de confirmer. A ces paroles, le roi fré-
missant de colère contre cet envoyé : Quoi! penses-tu donc,
lui dit-il, qu'il ne reste plus d'enfants de Clotaire pour soute-
nir ce qu'il a fait? » Et aussitôt, le chassant de sa présence,
il le fît mettre sur un chariot plein d'épines , ce qui était une
marque d'opprobre, et le fit ainsi conduire en exil. Il envoya
en même temps à Saintes pour faire rétablir Émérius, et con-
damna Léonce, qui l'avait déposé, à une amende de mille sous
d'or, et les autres évêques à des amendes proportionnées à la
part qu'ils avaient prise à l'affaire.
Ce respect apparent de Caribert pour ce qu'avait ordonné
Clotaire n'était qu'un voile spécieux dont il voulait pallier
ses violences. Il ne suivit même pas toujours, en nommant
aux évêchés, les dispositions faites par son père : en voici un
exemple. Clotaire avait témoigné une tendre affection et une
vive reconnaissance pour le duc Austrapius, qui avait beau-
coup souffert pour son service dans la dernière guerre civile.
En effet , ce duc ayant été obligé de se réfugier dans l'église
de Saint-Martin de Tours, Chramne, qui n'osa le forcer clans un
si saint asile , défendit sous de graves peines de lui porter au-
cune nourriture. Les magistrats se mirent en devoir de faire
exécuter ces ordres, que le peuple méprisait par respect pour
S. Martin; le juge de la ville , ayant même aperçu quelqu'un
qui portait de l'eau au duc , lui arracha le vase des mains.
Mais S. Martin ne tarda pas à venger l'outrage qu'on lui faisait ,
le sens demande qu'on lise Romanam urbem, parce que, quoiqu'on donnât encore le
nom de papa ou d'apostolicus aux évêques, il n'en est pas moins certain que quand
on nommait simplement le pape ou le Sirge apostolique, on entendait communément
l'évêqne ou le siège de Rome. Les canons des conciles d'Orléans, où l'Église ro-
maine est souvent nommée simplement aposlolica Seûes, et la lettre de S. Léon de
Sens, où le souverain pontife n'est désigné que par le nom de pape, en sont des
preuves.
390 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [566]
et ce magistrat étant mort subitement la nuit suivante, chacun
s'empressa de porter des rafraîchissements au réfugié (1).
On se sent porté au détachement du monde quand on en
éprouve la perfidie. Austrapius, délivré d'un si grand péril,
renonça au siècle et se consacra à Dieu dans le clergé. Clo-
taire, qui n'avait pas alors d'évêché vacant à lui donner, en créa
un nouveau pour lui et le fit ordonner évêque de Selles dans
le diocèse de Poitiers , en lui promettant l'évêché de Poitiers
dès qu'il deviendrait vacant par la mort de Pientius. Mais le
nouveau roi, oubliant les services d' Austrapius et les pro-
messes de son père, nomma à ce siège Pascentius, alors abbé du
monastère de Saint-Hilaire. Austrapius eut beau faire de vives
représentations , Garibert ne l'écouta pas. De tels princes ne
se croient pas obligés à garder les paroles données par leurs
prédécesseurs ; on doit s'estimer heureux quand ils veulent
bien garder celles qu'ils donnent eux-mêmes. Pour comble de
malheur, Austrapius fut tué peu de temps après par les Thei-
faliens (2), nation barbare dont une colonie s'était établie dans
un lieu du Poitou appelé encore aujourd'hui de leur nom
Tiff auges. Le nouvel évèché de Selles cessa d'exister après sa
mort , et ce qui avait été démembré du diocèse de Poitiers y
fut réuni. Pientius de Poitiers était un saint évêque , et il est
honoré le 13 mars sous le nom de S. Pien.
Cependant S. Germain de Paris et les plus saints évêques
du royaume de Garibert voyaient avec douleur les désor-
dres de ce prince. Pour apporter quelque remède au mal T
ils tinrent au mois de novembre de l'an 567 un concile dans
l'église de Saint-Martin de Tours , où ils s'étaient proba-
blement rendus pour la fête de ce saint. Il ne s'y trouva que
neuf évêques; mais leur mérite suppléa au nombre. S. Eu-
phrone de Tours présida ; S. Prétextât de Rouen, S. Germain
(1) Greg. Tur., 1. IV, c. xvin.
(2) Ces Theifaliens pouvaient être venus en Gaule avec les Goths ou avec les-
Alains ; mais petit-être étaient-ils plus anciens : car la Notice de l'empire met une
garnison de soldats theifaliens à Poitiers.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VIL 391
de Paris , S. Félix de Nantes, S. Chaletric de Chartres, Domi-
tien d'Angers, Yicture de Rennes, S. Domnole du Mans et
Leudebaude de Séez s'élevèrent avec courage contre plusieurs
abus et surtout contre les mariages incestueux ; ils firent
vingt-sept canons fort étendus, datés du 17 novembre et de
la sixième année de Caribert, c'est-à-dire l'an 567. En voici
les principales dispositions (1).
I. Le concile provincial se tiendra deux fois chaque année,
ou au moins une fois , et l'évêque qui ne s'y rendra pas, même
sous prétexte d'une défense du roi , demeurera excommunié.
II. Les évêques qui ont des différends entre eux doivent
choisir des prêtres pour arbitres, et se soumettre à leur dé-
cision, sous peine d'être soumis à la pénitence par le concile
suivant.
III. Le corps du Seigneur ne doit point être placé sur l'au-
tel dans un arrangement arbitraire , mais il devra être mis en
forme de croix .
Ce canon est obscur : il nous a paru qu'on devait l'entendre
de la manière de ranger sur l'autel les hosties, de telle sorte
que par leur arrangement elles formassent une croix.
IV. Il est défendu aux laïques de se tenir avec les clercs près
de l'autel pendant la messe et pendant les vigiles, c'est-à-dire
pendant les matines. La partie supérieure de l'église séparée
par une balustrade ne doit être ouverte qu'aux chœurs des
clercs qui psalmodient. (C'est de là que cette partie de l'église
a été nommée le chœur.) Cependant, ajoute le concile, le
sanctuaire (2) sera ouvert aux laïques et même aux femmes
pour prier et pour recevoir la communion ,3).
(1) Conc. Gall, t. I, p. 329. — Labb., t. V, p. 851.
(2) Le concile nomme le sanctuah-e, sancta sanclorum. Ce terme nous vient de
l'ancienne loi : car le tabernacle de Moïse était divisé en deux parties , dont la pre-
mière se nommait sancta, et la seconde, qui était séparée delà première par le voile,
était appelée sancta sanctorum, c'est-à-dire sanctissima.
(3) Ce canon nous fait voir qu'il était d'usage dans l'Église des Gaules que les
hommes et les femmes allassent recevoir la communion dans le sanctuaire. La dis-
cipline de l'Église romaine était différente : il est marqué dans VOrdre romain que
les évêques qui avaient assisté le pnpe à la messe parcouraient l'église, com-
muniant hommes et femmes chacun à sa place.
392 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
V. Chaque ville doit nourrir ses pauvres; les prêtres de la
campagne et les habitants nourriront aussi les leurs, afin
d'empêcher les mendiants vagabonds de courir les villes et les
provinces.
VI. Il ne sera permis qu'aux évêques de donner des lettres
de communion.
VII. Il est défendu aux évêques de déposer un archiprêtre
ou un abbé sans le consentement des prêtres de leur clergé,
ou des abbés du diocèse.
La facilité avec laquelle les évêques déposaient les abbés
pouvait causer de grands troubles, et c'est peut-être ce qui
occasionna le scandale arrivé quelques années auparavant dans
le monastère d'Agaune , dont les moines allèrent armés pen-
dant la nuit pour tuer Agricole d'Octodure, leur évêque (1).
VIII. Il est défendu à un évêque, sous peine d'excommuni-
cation, de communiquer avec celui qu'il saura avoir été ex-
communié par un autre évêque.
IX. Il est défendu d'ordonner dans l'Armorique un évêque
breton ou romain , c'est-à-dire gaulois , sans le consentement
du métropolitain ou des comprovinciaux.
Ce canon fait juger que les Bretons, qui composaient une
nation particulière dans l'Armorique , tâchaient dès cette
époque de se soustraire à la juridiction de l'évêque de Tours,
leur métropolitain. Nous ne voyons pas en effet que l'autorité
de l'évêque de Tours soit intervenue dans l'ordination des
nouveaux évêques bretons dont nous avons parlé.
X-XI. Il est défendu, sous peine d'excommunication, aux
évêques, aux prêtres, aux diacres, aux sous-diacres d'avoir
chez eux , sous quelque prétexte que ce soit , même pour con-
duire leurs maisons, des femmes étrangères, des veuves ou des
vierges consacrées à Dieu. Il n'y a que la mère, la sœur et la
fille qui soient exceptées. On ordonne aux évêques de tenir la
main à ce règlement et de se soutenir les uns les autres.
(1) Mar. A vent. Chron.
{567] EN FRANCE. — LIVRE VII. 393
«< Puisqu'il nous est ordonné , dit le concile , de travailler de
nos mains pour nous nourrir et nous vêtir, pourquoi enfermer
dans notre maison un serpent, sous prétexte que nous en
avons besoin pour travailler à nos vêtements? »
XII-XIII. L'évêque qui est marié doit vivre avec sa femme
comme avec une sœur , et quoique ses clercs, pour être té-
moins de sa chasteté, doivent toujours l'accompagner tant
dans sa chambre qu'ailleurs, cependant, afin d'éviter tout
soupçon, il sera séparé d'habitation d'avec sa femme. Si l'é-
vêque n'est pas marié (1), il sera permis à ses clercs d'éloigner
de sa maison les femmes étrangères qui la fréquentent.
XIY. Gomme les laïques, dit le concile, sont toujours enclins
à soupçonner chez les autres le mal qu'ils font eux-mêmes,
les prêtres et les moines coucheront toujours seuls, et les
moines coucheront dans un dortoir commun sous l'inspection
de l'abbé ou du prévôt.
XV. On veillera à ce que les moines ne courent pas hors du
monastère et n'aient pas de familiarité avec les femmes. Si
un moine ose se marier, il sera excommunié, et l'on emploiera
pour le séparer de sa femme l'autorité du juge laïque, qui
sera obligé de prêter main-forte , sous peine d'excommunica-
tion.
XVI. Qu'on ne permette à aucune femme d'entrer dans l'en-
ceinte des monastères. L'abbé et le prévôt qui seraient négli-
gents sur ce point, seront excommuniés.
XVII. On règle lesjeûnesdes moines de la manière suivante.
Depuis Pâques jusqu'à la Quinquagésime, c'est-à-dire la Pente-
côte, ils ne jeûneront que les jours des Rogations. Mais ils
jeûneront la semaine entière qui suit la Pentecôte, et ensuite
trois jours la semaine : le jeudi, le mercredi et le vendredi,
jusqu'au mois d'août. On ne jeûnera pas pendant le mois
d'août, parce qu'on y célèbre tous les jours quelque fête de
saint. En septembre, octobre et novembre, on jeûnera trois
(1) La femme d'un évêque est nommée dans ce canon episcopa.
394 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
jours de la semaine, et depuis le premier décembre jusqu'à
Noël, tous les jours. « Depuis Noël jusqu'à l'Epiphanie, on jeû-
nera, dit le concile, pendant les trois jours durant lesquels nos
pères, pour abolir les superstitions païennes du commence-
ment de janvier, ont ordonne qu'on récitât en particulier des
litanies, qu'on psalmodiât dans les églises, et que le jour de
la Circoncision on célébrât la messe à la huitième heure, c'est-
à-dire à deux heures après midi. » Depuis l'Epiphanie jus-
qu'au carême on jeûnera trois fois la semaine (1).
XVIII. Par respect pour S. Martin et pour l'honneur de son
culte, voici, disent les Pères du concile, l'ordre de la psalmodie
qui sera observé tant dans la basilique de ce saint que dans
nos églises. Tous les jours de fête on clira à matines six an-
tiennes avec deux psaumes à chaque antienne. Comme il y a
des fêtes et des messes de saints dans tout le mois d'août, on
fera l'office plus matin (apparemment afin que le peuple pût
ensuite vaquer aux travaux de la moisson). Dans le mois
d'octobre on dira huit antiennes avec trois psaumes à chaque
antienne ; au mois de novembre neuf antiennes avec trois
psaumes à chaque antienne ; au mois de décembre (2) dix an-
tiennes et trois psaumes à chaque antienne. On fera la même
chose les mois de janvier et de février et jusqu'à Pâques. On
fera en sorte de ne dire jamais moins de douze psaumes à ma-
tines. « Car les Pères, dit le concile, ont ordonné qu'on récitât
six psaumes à sexte et douze à la douzième heure, c'est-à-
dire à vêpres, ce qu'ils ont appris par la révélation d'un
ange (3). Pourquoi donc ne dirait-on pas aussi pour le moins
douze psaumes à matines? Celui qui aura manqué de le faire
(1) Ces règlements pour les jeûnes des moines sont entièrement différents de ce
qui est ordonné par la règle de S. Benoît. C'est une preuve que cette règle n'était
pas encore reçue dans les monastères des provinces de ces évêques.
(2) On voit par là qu'on réglait la longueur de l'office sur celle de la nuit , afin
qu'on remployât tout entière à louer le Seigneur.
(3) Le concile fait ici allusion à ce que rapporte Cassien, L. II, c. iv des Insti-
tutions monastiques, savoir, que les solitaires de l'Egypte et de la Thébaïde ré-
citaient douze psaumes à vêpres et douze à l'office de la nuit, comme un ange les
avait avertis de faire.
[567] Ei\ FRANCE. — LIVRE VU. 395
jeûnera ce jour-là au pain et à l'eau , et s'il a omis ce jeûne, il
jeûnera une semaine entière au pain et à l'eau. »
Aimoin nous apprend que l'ordre de la psalmodie observé à
Suint-Martin de Tours avait été établi par S. Avitc au mo-
nastère de Saint-Maurice et par S. Germain dans celui de
Saint-Vincent; que le roi Gontran l'introduisit ensuite dans le
monastère de Saint-Marcel, et le roi Dagoberl dans celui de
Saint-Denis (1).
XIX. Les archiprêtres de la campagne feront toujours cou-
cher un clerc dans leur chambre ; ce clerc les accompagnera
partout pour être témoin de leur chasteté. Quant aux prêtres,
aux diacres et aux sous-diacres qui sont mariés, il suffira
qu'ils ne couchent pas dans la même chambre que leurs
femmes, et que celles-ci soient toujours accompagnées de
leurs esclaves. Les archiprêtres qui ne veilleront pas sur
la chasteté des jeunes clercs qui leur sont soumis, seront
renfermés par l'évèquc pour jeûner un mois au pain et à
l'eau.
On voit par toutes ces précautions combien l'Église avait à
cœur que la réputation de ses ministres ne fût pas exposée
aux soupçons de la médisance.
XX-XXI. On renouvelle les anciens canons contre les ma-
riages incestueux et contre ceux des religieuses et des veuves
qui, par le changement d'habit (2), ont fait profession de garder
la viduité. Les Pères du concile citent avec tant de soin sur
ces articles les autorités des souverains pontifes et des con-
ciles précédents, qu'il y a lieu de croire qu'ils voulaient faire
sentir au roi Caribert la grièveté de son crime, et justifier la
sévérité avec laquelle on serait obligé d'en user à son égard ,
s'il ne faisait cesser le scandale qu'il avait donné en épousant,
les deux sœurs, dont l'une était religieuse.
XXII. Il y avait des chrétiens qui, par un reste de supersti-
(1) Aimoin., 1. III, c. lxxxi.
(2) Les veuves qui faisaient profession de garder la viduité avaient un habit
particulier. Vincent de Lérins nous apprend qu'il était noir.
396 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [567 J
tion, faisaient des réjouissances le 1er janvier en l'honneur
du dieu Janus. D'autres offraient des viandes aux mânes des
morts le jour de la Chaire de S. Pierre , et, rentrés chez eux
après avoir entendu la messe et reçu le corps du Seigneur,
mangeaient ces viandes immolées au démon sous le nom de
mânes. Le concile ordonne qu'on chasse de l'église ceux qui
se sont rendus coupables de ces folles superstitions, aussi
bien que ceux qui honorent certaines pierres, des arbres ou
des fontaines.
Les païens célébraient en effet le 22 février, jour de la
Chaire de S. Pierre, une fête en l'honneur des morts (1) et ils
portaient des viandes sur les tombeaux, persuadés que les
mânes venaient s'en nourrir. Ils faisaient aussi dans le même
mois et vers le même temps la fête du dieu Terme , et c'est
apparemment de cette superstition que parle encore le con-
cile, en disant qu'il y en a qui honorent on ne sait quelles
pierres (2). La fête de la Chaire de S. Pierre fut instituée pour
détourner les fidèles des superstitions (3) qui se pratiquaient
ces jours-là, et nous avons vu que dès le temps de S. Perpétue,
c'est-à-dire plus d'un siècle avant ce concile de Tours, elle
était déjà fort célèbre.
XXIII. Indépendamment des hymnes de S. Ambroise qui
étaient reçues dans l'office, le concile permet d'en admettre
quelques autres qui paraissent dignes d'être chantées, pourvu
toutefois que le nom de l'auteur soit marqué au commence-
ment.
Ce canon semble avoir été fait en faveur des hymnes de
(1) Cette fête des païens se nommait carisliat ou cara coqnatio. Elle était pré-
cédée d'une autre fête aussi en l'honneur des morts, qu'on nommait feralia, et qui
durait plusieurs jours.
(2) Les pierres qui servaient de bornes aux champs étaient honorées sous le nom
de dieu Terme.
(3) Il paraît que pour détourner plus aisément les fidèles des festins superstitieux
qu'on faisait aux morts le 22 février, on leur permit de faire ce jour-là des
agapes en l'honneur de S. Pierre. C'est pourquoi cette fête fut appelée festum
Epularum S. Pétri, le Banquet de S. Pierre. La fête de S. Pierre ès Liens fut aussi
placée le 1er août pour détourner les chrétiens des superstitions païennes qui se
faisaient au commencement de ce mois.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VII. 397
Forlunat, qui était alors à Poitiers auprès de S te Radegonde.
C'était l'ami particulier de S. Germain et de S. Euphrone, et
nous aurons bientôt occasion de le faire connaître.
XXIV-XXV. On continuait, à la faveur des guerres civiles,
d'envahir ou de faire confisquer les biens des Églises et des
évéques situés dans un autre royaume. Le concile s'élève
avec force contre un abus si souvent proscrit et contre ceux
qui retiennent les legs pieux. Il veut qu'un prêtre aille d'a-
bord avertir l'usurpateur de restituer ; qu'ensuite tous les
frères, c'est-à-dire les évêques, lui écrivent une lettre com-
mune pour l'y engager. « Mais s'il persiste dans son usurpa-
tion, dit le concile, comme nous n'avons pas d'autres armes,
tous, d'un commun consentement avec les abbés, les prêtres
et le reste du clergé, réciteront contre ce meurtrier des pau-
vres le psaume cvm, afin qu'il soit frappé de la malédiction
qui est tombée sur Judas pour avoir soustrait la nourriture
des pauvres; et que celui qui, au mépris de Dieu, de l'Église
et des évêques, fait ces usurpations, soit frappé du glaive du
Seigneur et meure non-seulement excommunié, mais encore
anathématisé. »
L'anathème ajoutait à la simple excommunication des ma-
lédictions portant menace de peines temporelles , et c'est la
raison pour laquelle on récitait le psaume cvin, qui est plein
des plus terribles imprécations.
Les deux derniers canons ont été dressés contre les juges ei
les seigneurs qui oppriment les pauvres, et contre les évêques
qui vendent les ordinations : on cite à ce sujet le. Traité des
Dogmes ecclésiastiques pour montrer que la simonie est une
hérésie.
Le canon du second concile de Tours contre les usurpateurs
des biens de l'Église regardait encore Caribert. Ce prince, qui
s'était bientôt démenti du respect qu'il avait d'abord montré
pour S. Martin, s'était emparé de la terre de Nazelles, appar-
tenant à l'église de ce saint, et quoique ceux qu'il envoya s'en
saisir eussent été frappés de la main de Dieu, il protesta qu'il
398 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
ne la restituerait point, que la possession fût juste ou non (1).
Mais la vengeance divine ne tarda pas à éclater contre lui-
même, comme nous le verrons, aussi Lien que contre plu-
sieurs seigneurs coupables de semblables usurpations deve-
nues fréquentes dans les autres royaumes des Gaules. En
voici des exemples bien propres à réprimer la convoitise des
biens ecclésiastiques.
Un seigneur nommé Ghildéric, favori du roi Sigebert, ayanl
trouvé à sa convenance la maison de campagne de Francon,
évèque d'Aix, lui intenta un procès, prétendant qu'elle appar-
tenait au fisc. L'évêque fut obligé devenir plaider sa cause
à la cour de Sigebert, et conjura le roi de prendre bien
garde à la décision de cette affaire, de peur qu'il ne s'attirât la
vengeance du Ciel. « Je connais, dit-il, le pouvoir de S. Mé-
trias : il ne tardera pas à se venger de l'usurpateur de son
bien. » C'est un saint confesseur honoré à Aixle 13 novembre,
et qui dans la condition d'esclave parvint à une sainteté écla-
tante (2). Le roi renvoya le jugement de cette cause à son
conseil ; mais le crédit de Ghildéric l'emporta sur la justice.
Francon fut dépouillé de sa maison de campagne et condamné
à une amende de trois cents sous d'or. Aussitôt qu'il fut de
retour à Aix après ce jugement inique, il alla se prosterner
au tombeau de S. Métrias, et, après une fervente prière, il lui
dit avec une pieuse simplicité : « Grand saint, on n'allumera
plus ici de cierges ni de lampes, on n'y chantera plus de
psaumes , jusqu'à ce que vous ayez fait justice de vos
ennemis et que vous ayez rendu à l'Église les biens qu'on
lui a violemment enlevés. » Après quoi il jeta des ronces et
des épines sur le tombeau du saint , et , sortant aussitôt, il
ferma la porte de l'église et plaça aussi des épines à l'entrée :
c'était une marque d'interdit. L'usurpateur fut aussitôt frappé
d'une maladie longue et violente. Ses cheveux et sa barbe
(1) Greg. Tur., de Mirac. S. Mart., 1. 1, c. ïxix.
(2) On le nomme vulgairement S. Mitre.
[567) EN FRANCE. LIVRE MI. 399
tombèrent : il paraissait comme un cadavre sorti du tombeau.
Dans ce funeste état, il reconnut la main d'où partaient ces
coups. « J'ai péché contre le saint évêque , dit-il à ses gens :
allez, rendez-lui sa maison de campagne et mettez six cents
sous d'or sur le tombeau du saint ; j'ai espérance qu'il me
rendra la santé, puisque je rends le bien usurpé. » Son espoir
fut trompé, car il expira peu de temps après (1).
Léon, évêque cl'Agde, sous la domination des Goths, eut
recours aux mêmes armes pour défendre les biens de son
Église. Le comte Gomachaire, arien, ayant envahi une terre
qui en dépendait, l'évêque alla le trouver et lui dit : Mon fils,
laissez-là le bien des pauvres, de peur que leurs larmes ne
vous fassent mourir. Le comte arien se moqua de ses remon-
trances; mais il ne s'en moqua pas impunément : car il fut aus-
sitôt saisi d'une fièvre ardente. Alors le péril et la douleur
parurent lui inspirer des sentiments d'humilité et de componc-
tion. Il envoya se recommander aux prières de l'évêque, pro-
mettant de rendre la terre en question , et l'évêque lui obtint
sa guérison (2).
Dès que le danger fut passé, le comte oublia ses promesses,
et, ajoutant l'insulte à l'ingratitude qui lui faisait méconnaître
la grâce qu'il avait reçue, il disait : « Que veulent dire ces Ro-
mains? que j'ai été saisi de la fièvre parce que j'ai usurpé leur
champ? Ils ne l'auront pas de mon vivant. » Ce fut en vainque
l'évêque Léon alla lui faire de nouvelles instances ; il lui
répondit: Tais-toi, vieillard décrépit ; je te ferai lier sur un
âne et promener ainsi par la ville, pour t' exposer à la risée du
peuple. L'évêque, n'espérant plus le fléchir, alla se prosterner
devant les reliques de S. André qui étaient dans son église ,
et, après y avoir passé la nuit en prière et en gémissements,
il cassa avec soa bâton toutes les lampes qui pendaient de la
voûte, en disant : « Il n'y aura plus ici de luminaire que Dieu
ne se soit vengé et qu'il n'ait fait rendre à l'Église ce qui lui
(1) Greg. Tur., de Glor. confess., c. lxxi. — (2) Greg. Tur., de Glor. mart., 1. I,
c. LXXIX.
400 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
appartient. » Aussitôt Gornaehaire retomba malade, et, rede-
venu humble dans le péril, il envoya supplier l'évêque de
prier de nouveau pour lui. L'évêque répondit : « J'ai déjà prié,
et le Seigneur m'a exaucé. » Le comte, ne pouvant tirer de
lui d'autre réponse après plusieurs messages, se fit porter
dans sa maison et l'obligea d'aller à l'église prier pour lui ;
mais ce malheureux expira au moment où l'évêque y entrait.
Une vengeance de Dieu si marquée intimida les héritiers du
comte et les porta à rendre à l'Église la terre qu'il avait usur-
pée. Ce furent ces usurpations fréquentes des biens ecclé-
siastiques qui donnèrent lieu aux canons du second concile
de Tours, que nous avons rapportés.
Les règlements presque minutieux que les Pères de ce con-
cile crurent devoir faire contre les mariages contractés avec
des parentes ou avec des personnes consacrées à Dieu, n'ayant
pu engager Garibert à se séparer de Marcovèfe , S. Ger-
main jugea à propos de ne plus dissimuler un désordre si
criant, et il les excommunia l'un et l'autre. Ce dernier remède
fut aussi inutile pour leur amendement que le premier ; mais
il parut avoir un effet bien terrible pour la punition de leur
crime : car Marcovèfe mourut bientôt après, et Garibert ne
lui survécut que fort peu de temps (1).
Il mourut sans enfant mâle, après six ans de règne, sur la
fin de la même année 567 ou au commencement de l'année sui-
vante. Ge prince aurait eu toutes les qualités d'un grand et
bon roi, si l'amour déréglé des femmes n'eût pas fait la
honte et le malheur de son règne. Ses trois frères partagèrent
entre eux ses États, excepté Paris, sur la possession duquel ils
ne purent s'accorder, chacun prétendant avoir cette ville dans
son partage. Aussi prirent-ils le parti de la regarder comme
une ville commune, qui leur appartiendrait à tous les trois,
et où aucun d'eux ne pourrait entrer sans la permission des
deux autres : ce qu'ils se promirent mutuellement par les ser-
(1) Greg. Tur., 1. JV, c. xxix.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VU. 401
ments les plus solennels, en invoquant S. Polyeucte, S. Hilaire
et S. Martin comme vengeurs du parjure.
Des prélats qui s'élevaient avec tant de force contre les
désordres des princes mêmes, n'eurent garde de fermer les
yeux sur ceux de leurs confrères. Au milieu des saints évê-
ques et des saints abbés qui en si grand nombre édifiaient
alors l'Armorique, Macliau, évêque de Vannes, donnait à
l'Église un grand scandale, pour lequel il fut enfin excom-
munié, comme nous allons le voir, après avoir rapporté les
tragiques aventures qui le conduisirent à l'épiscopat.
L'ambition n'était pas moins vive parmi les comtes bre-
tons que parmi les princes francs, et elle était plus cruelle.
Ganaon ouGonan, comte de Bretagne, ayant fait mourir trois
de ses frères, voulait traiter avec la même inhumanité Macliau,
le quatrième. S. Félix, évêque de Nantes, employa si heureu-
sement son crédit et son éloquence qu'il obtint grâce pour
lui. Macliau, qui ne pouvait se fier au meurtrier de ses frères,
se réfugia auprès de Gommore, autre comte breton. Conan se
repentit en effet de n'avoir pas consommé son crime , et il
envoya à la cour de Gommore des satellites pour mettre à
mort son frère, quelque part qu'ils le trouvassent. Gommore,
pressé à la fois par la crainte de s'attirer une guerre, s'il s'op-
posait à cette violence, et par le désir de sauver son hôte, s'a-
visa d'un étrange stratagème (1 ). Il le fit enterrer tout vivant
en lui ménageant une ouverture pour la respiration, et quand
les envovés de Gonan vinrent lui demander Macliau, il leur ré-
pondit avec un air de compassion qui paraissait naturel : Hélas !
Macliau rfest plus: voici rendrait où nous venons de V enter-
rer. Ils burent et mangèrent sur sa tombe en réjouissance de
sa mort, et allèrent en rapporter la nouvelle à leur maître.
Celui-ci la reçut avec une vive satisfaction, bien moins à cause
du crime que cette mort lui épargnait que parce qu'elle assu-
rait ses prétentions.
(1) Greg. Tur., 1. IV, c. iv.
TOME n.
26
402 HISTOIRE DE l/EGLISE CATHOLIQUE [567]
Macliau, au sortir de son tombeau, parut vouloir mourir au
monde et renoncer, en entrant dans le clergé, à toutes les es-
pérances d'une grandeur qui l'exposait à tant de périls. Il fut
bientôt élu évêque de Vannes, sans autre mérite que sa nais-
sance. Tant qu'il craignit son frère, il sembla craindre le Sei-
gneur ; mais après la mort de Conan il démasqua son ambition
et ses autres vices, auxquels l'habit ecclésiastique avait servi
de voile. Macliau laissa croître ses cheveux et reprit avec sa
femme, dont il s'était séparé, la qualité de comte, sans quitter
celle d'évêque, quoique ne remplissant plus d'autres fonctions
que celle de percevoir les revenus de son évêché. Un si mons-
trueux scandale excita le zèle des évêques de la province. Ils
excommunièrent solennellement cet indigne prélat, et il y a
lieu de croire que l'excommunication fut lancée au concile
de Tours dont nous venons de parler. Macliau méprisa les
foudres de l'Église, mais il n'évita pas le châtiment du Ciel :
il fut tué misérablement par le fils d'un comte breton dont
il avait usurpé le domaine. Triste exemple, qui fait bien voir
que si l'Église peut tout espérer des personnes de la plus il-
lustre naissance quand le Seigneur les appelle aux dignités
ecclésiastiques, elle a tout à en redouter quand elles n'ont eu
d'autre vocation que l'ambition et l'intérêt.
Avant que les évêques du second concile de Tours se sé-
parassent, Ste Radegonde leur écrivit pour les prier d'autoriser
les règlements qu'elle voulait établir dans son monastère,
particulièrement au sujet de la clôture (1). Les évêques, dans la
réponse qu'ils lui firent, la félicitent sur son zèle à veiller au
salut du prochain. Ils lui disent qu'étant venue presque du
même pays que S. Martin, il n'est pas surprenant qu'elle
marche sur ses traces, et que tant de jeunes filles la préfèrent
(1) Nous n'avons plus cette lettre de Ste Radegonde. Celle qu'on voit d'elle dans
les éditions des conciles fut écrite longtemps après , et elle est adressée à tous les
évêques , au lieu que celle dont nous parlons l'était seulement aux évêques
du concile de Tours. Le P. Sirmond et plusieurs habiles critiques ont cependant
confondu ces deux lettres.
1567] EN FRANCE. — LIVRE VI£. 403
à leurs mères, qu'elles abandonnent pour vivre sous sa con-
duite (1).
« C'est pourquoi, ajoutent-ils , comme nous avons appris
qu'il y a de nos diocésaines qui se sont retirées dans votre
monastère, ayant égard à ce que vous nous demandez dans
votre lettre..., nous décidons que celles qui auront mérité d'y
être reçues ne pourront plus en sortir, selon la règle du
seigneur Césaire, évêque d'Arles, d'heureuse mémoire; et si
quelqu'une (ce qu'à Dieu ne plaise! ), séduite par les artifices
de l'ennemi, comme Ève qui fut chassée du paradis, vient à
sortir de l'enceinte du monastère pour se souiller dans la
fange des rues, qu'elle soit séparée de notre communion et
frappée d'anathème; si elle se marie, que l'époux ou plutôt
l'adultère et le sacrilège qui l'aura épousée et ceux qui lui
auront donné ce conseil soient sujets avec elle à la même
malédiction, jusqu'à ce qu'elle ait fait une pénitence conve-
nable et mérité d'être reçue dans le monastère dont elle était
sortie... S'il arrivait, ce que nous ne croyons pas, que les
évêques nos successeurs voulussent atténuer les peines que
nous avons édictées, nous déclarons que nous nous élèverons
contre eux au tribunal de Dieu. » La suite fera voir combien
toutes ces précautions étaient nécessaires.
Quelque temps après ce même concile, quatre évêques de
la province de Tours écrivirent une lettre commune aux
peuples de leurs diocèses pour les exhorter à faire pénitence,
afin de détourner les fléaux de la justice divine dont ils
étaient menacés. On voit par la lettre qu'il s'agissait d'une
maladie contagieuse qui sur dix personnes n'en épargnait
souvent qu'une. Il y avait plusieurs années que la peste qu'on
nomma inguinaire avait désolé quelques provinces de la
Gaule. Cette cruelle maladie, qu'on croyait éteinte, reparut
tout à coup portant partout la terreur avec la menace d'une
mort presque certaine.
(1) Epist. episc. ad Radeg., ap. Greg. Tur., 1. IX. c. xxxix. — Labb., t. V,
p. 872.
404 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
La ville d'Auvergne, qui avait été préservée de ce fléau du
vivant de S. Gai, en fut alors tellement affligée qu'on y compta
en un seul jour trois cents morts, qui avaient été portés dans
l'église de Saint-Pierre. Le prêtre Caton, dont nous avons
parlé, mourut en assistant avec courage les pestiférés : heu-
reux d'avoir eu l'occasion d'expier par ce martyre de la
charité les fautes que son orgueil lui avait fait commettre.
Pour l'évêque Gautin, son rival, il ne se piqua pas de l'imiter;
au contraire, ce pasteur mercenaire abandonna lâchement son
troupeau et se retira successivement en divers lieux pour
fuir la contagion, qu'il ne put éviter. Obligé de revenir à la
ville pour célébrer la fête de Pâques, il en fut atteint et mou-
rut le vendredi saint (1). Sa mort délivra l'Eglise d'Auvergne
d'un indigne prélat; S. Avite fut son successeur.
Dans les calamités publiques Dieu frappe souvent les saints
comme les pécheurs, pour corriger et punir ceux-ci, pour
éprouver jet récompenser ceux-là. Un saint moine de Randau
nommé Julien, renommé dans toute la province pour ses
miracles, fut enlevé par cette maladie contagieuse, aussi
bien que son abbé, qui eut pour successeur un saint religieux
nommé Siniulfe, célèbre par ses révélations (2).
La contagion pénétra dans le Berri, et, par les ravages
qu'elle y fît, jeta l'alarme dans les provinces voisines. Ge
fut dans ces tristes conjonctures que quatre évêques de la
troisième Lyonnaise, c'est-à-dire de la province ecclésiastique
de Tours, écrivirent la lettre pastorale dont nous venons de
parler, pour exhorter leurs peuples à désarmer la colère de
Dieu.
« Gomme le devoir des évêques, disent-ils (3), consiste à veil-
ler sans cesse au salut des âmes, à reprendre et à exhorter les
pécheurs, nous avons cru devoir vous avertir que dans la ca-
lamité présente l'observation des préceptes et les œuvres de
(1) Greg. Tur. Hist., 1. IV, c. xxxi. — (2) IbiJ.,?. 33. — (3) Epist. episd
prov. Tur., t. I Conc. GaW ,p. 343.— Labb., t. V, p. 8(>7.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VII. 405
pénitence sont la seule ressource en laquelle nous puissions
avoir confiance. C'est pourquoi nous exhortons ceux d'entre
vous qui sont fiancés à différer leur mariage... Nous recom-
mandons à tous de donner à Dieu la dîme de tous leurs biens
pour conserver le reste. Il nous a dit que Y aumône éteint le
péché ', comme Veau éteint le feu (1). Pourquoi ne lui offririons-
nous pas une partie de ces biens? Ce n'est pas les perdre que
de les lui donner. Nous exhortons tous les ennemis à se par-
donner mutuellement et à se réconcilier avec une charité
sincère ; nous souhaitons même que chacun de vous donne le
dixième de ses esclaves. Car puisqu'on dit que cette maladie
enlève neuf personnes sur dix, n'est-il pas convenable d'en
donner une à Dieu pour en conserver neuf? Ceux qui n'ont
pas d'esclaves pourront donner à l'évêque le tiers d'un sou
pour chacun de leurs enfants. Toutes ces aumônes seront fidè-
lement employées au rachat des captifs. Enfin, s'il y en a
parmi vous qui aient contracté des mariages incestueux, nous
les exhortons et nous les prions même pour leur salut de se
séparer jusqu'au grand concile, de peur qu'ils n'attirent sur
eux la vengeance du ciel. » Cette lettre pastorale fut signée de
S. Euphrone de Tours, de S. Félix de Nantes, de Domitien
d'Angers et de S. Domnole du Mans.
S. Félix de Nantes était issu d'une des plus nobles familles
d'Aquitaine, et il possédait tous les dons que le monde admire
et respecte : une illustre naissance , de grandes richesses et
une vive éloquence. L'usage qu'une piété sincère lui fit faire
de ces avantages rendit sonépiscopat aussi glorieux qu'utile à
son Eglise. Une colonie de Saxons, restes d'une de ces armées
de barbares qui avaient tant de fois inondé la Gaule, s'était éta-
blie dans le territoire de Nantes et y vivait encore dans l'ido-
lâtrie. Félix travailla avec tant de succès à leur conversion
que ces hommes, qui paraissaient comme autant de bêtes fé-
roces, devinrent des ouailles de Jésus-Christ, et le saint évêque
(1) Eccl. m, 33.
406 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
eut la consolation de les baptiser à la fête de Pâques. Les
grands biens de Félix devinrent ceux des pauvres , et ses libé-
ralités n'eurent d'autre règle que leurs besoins. Son éloquence
fît plus d'une fois ce que des armées n'avaient pu faire : il
arrêta les ravages des Bretons et adoucit l'esprit de leurs
comtes. Mais ce qui rendit son nom plus célèbre, ce furent les
grands ouvrages qu'il entreprit et acheva pour le bien public.
Il détourna la rivière avec des travaux et des dépenses im-
menses, et l'on croit communément à Nantes que le canal de la
Loire, qui forme le beau port de la Fosse, a été son ouvrage (1).
Ce saint évêque fit achever avec une grande magnificence
l'église de Nantes commencée par son prédécesseur Eumé-
rius. On voit par la description que Fortunat nous en a laissée,
qu'il y avait deux grandes ailes aux côtés de la nef; que le toit
était couvert d'étain, et le lambris orné de peintures; que du
milieu de l'édifice s'élevait à une grande hauteur une tour
carrée terminée par une espèce de dôme. Le principal autel
était sous l'invocation de S. Pierre, celui de l'aile droite sous
celle de S. Hilaire et de S. Martin, et celui de l'aile gauche
était dédié à S. Ferréol (2).
Les évêques voisins furent invités à la dédicace ; S. Eu-
phrone, évêque de Tours, Yicture de Rennes, Domitien d'An-
gers, Domnole du Mans, et Marachaire, qui de comte d'An-
goulême en était devenu évêque, assistèrent à cette cérémo-
nie (3). Un différend personnel que Grégoire de Tours eut
avec Félix de Nantes l'empêcha de lui rendre toute la justice
qu'il méritait , comme nous le verrons (4). Les saints mêmes
ne sont pas toujours exempts de préventions : mais c'est à
(1) Fortun., 1. III, carm. 6, 7, 8. — D'habiles critiques croient que Félix
détourna seulement le lit de la petite rivière de Ceil, qui va tomber dans la Loire.
Une expression de Fortunat autorise cette opinion. En effet , il nomme la [rivière
qui fut détournée, (luvius celer, ce qui peut marquer la rivière de Ceil. Mais outre
que celer peut ici n'être qu'une épithète de la Loire, Fortunat parle d'une rivière
considérable qui fournissait des vivres à la ville : Ad victum plebis nunc famulantur
aquœ. Il ajoute : et quo prora prius, nunc modo plaustra gemunt : ce qui convient
mieux à la Loire.
(2) Fortun., 1. III, carm. 5.— (3) Fort., 1. III, carm. 4.— (4) Greg. Tur., 1. IV,
c. xxxvii ; 1. V, c. v.
[567] EX FRANCE. — LIVRE VII. 407
l'humanité, et non à la sainteté qu'il faut attribuer ces défauts.
On trouve aussi dans le même historien (1) quelques traits
qui donnent à penser que S. Domnole du Mans n'eut pas tou-
jours ces sentiments de haute piété qui l'ont rendu un des
plus saints évêques de son temps. Il était abbé du monastère
de Saint-Laurent (2) près des murs de Paris, et, quoique sujet
de Ghildebert, il s'était attaché à Glotaire et recevait chez
lui les espions que ce prince envoyait à Paris. Après la mort
de Ghildebert, Clotaire, étant allé par dévotion visiter la basi-
lique de Saint-Martin (3), nomma Domnole pour remplir le siège
d'Avignon. Mais cet abbé, après avoir passé la nuit en prière
dans la basilique , fit représenter au roi qu'un évêché si éloi-
gné de la cour serait pour lui une espèce d'exil ; que d'ailleurs
il était peu propre à vivre avec des sénateurs sophistes et des
juges philosophes : expressions qui montrent que l'étude de
la philosophie était florissante à Avignon. Glotaire, qui ne
cherchait qu'à faire plaisir à Domnole , lui donna l'évêché du
Mans , dont le siège, après la mort de S. Innocent , avait été
usurpé par un nommé Scienfroi (4). Le nouvel évêque y fut
reçu avec de grandes démonstrations de joie. Il s'appliqua à
sanctifier son peuple et se sanctifia lui-même par toutes les
vertus propres à un saint évêque. On rapporte qu'il guérit un
boiteux nommé Rainier et qu'il rendit la vue à un aveugle
appelé Syagrius. Il n'oublia pas clans l'épiscopat la vie monas-
tique, dont il avait fait profession (5). Il fonda au Mans un mo-
(1) Le P. Lecointe croit que le chapitae où il est question de S. Domnole dans
VHistoire de Grégoire de Tours, est une addition faite à cet historien par quelque
écrivain postérieur. Les raisons qu'il apporte et qu'il serait trop long de discuter,
n'ont pas convaincu les plus habiles critiques.
(2) L'église du monastère de Saint-Laurent fut depuis changée en une église pa-
roissiale du nom de ce saint martyr. Elle est près du chemin de fer de l'Est.
(3) Baillet dit que _Téglise de Saint-Martin dont il est ici parlé est Saint-Martin
des Champs de Paris. Mais 1° quand Grégoire de Tours nomme simplement l'église
de Saint-Martin, il entend celle de Tours, où nous savons en effet que Clotaire
fit un voyage. 2° Le monastère de Saint-Martin des Champs ne fut fondé que dans
le XIe siècle. Il est vrai qu'il y avait auparavant au même endroit un monastère,
qui avait été détruit par les barbares ; mais il y a tout lieu de croire qu'il n'existait
pas du temps de Clotaire.
(4) Greg. Turv c. ix. — (5) Vit, S. Domnoli.
408 HISTOIRE DE l' EGLISE CATHOLIQUE [567]
nastère en l'honneur de S. Vincent et de S. Laurent, et il y
mit des reliques de ces deux saints martyrs , et nommément
une partie du gril sur lequel S. Laurent avait souffert.
L'exemple de tant de saints évêques qui faisaient alors la
gloire de l'Église de France , n'empêcha pas qu'il n'y eût des
scandales dans l'épiscopat. Ils parurent d'autant plus mons-
trueux qu'ils étaient plus rares, et on déploya un grand zèle
pour les réprimer. En effet, la même année que se tint le con-
cile de Tours, les évêques du royaume de Gontran en tinrent
un autre à Lyon par ordre de ce prince pour juger les accu-
sations intentées contre Salonius d'Embrun et Sagittaire de
Gap. Ces deux évêques étaient frères et ils avaient été élevés
ensemble auprès de S. Nicet de Lyon, qui les avait ordonnés
diacres, trompé par un masque de vertu dont l'hypocrisie ne
se pare que trop souvent pour parvenir aux honneurs de
l'Église (1). 1
Ce masque tomba dès qu'ils eurent été promus à l'épiscopat.
Leur ambition satisfaite laissant alors agir leurs autres pas-
sions,qu'elle avait contenues, ils s'y livrèrent sans même garder
les bienséances que l'honneur fait souvent observer aux plus
vicieux, et l'on vit dans ces deux frères, trop semblables l'un à
l'autre , l'alliance monstrueuse du brigandage , du meurtre et
de l'adultère avec le ministère le plus saint. Un jour entre au-
tres que Victor, évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, célé-
brait avec ses amis l'anniversaire de sa naissance , ces deux
évêques envoyèrent une troupe de gens armés d'épées et de
flèches qui se jetèrent sur lui, déchirèrent ses habits, frap-
pèrent ses serviteurs et emportèrent la vaisselle avec ce qui
était préparé pour le festin (2) .
L'évêque de Trois-Châteaux se plaignit au roi Gontran d'une
pareille violence, et ce prince, qui aimait l'ordre, fit assembler
à ce sujet un concile à Lyon. Les Pères, ayant examiné cette
affaire, jugèrent Salonius et Sagittaire dûment atteints et
(1) Labb., t. V, p. 850. — (2) Ibid.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VII. 409
convaincus de ce crime et de plusieurs autres, et ils les dépo-
sèrent comme indignes de l'épiscopat. La procédure fut courte :
nous verrons comment le jugement fut exécuté. Le concile,
avant de se séparer, fit les six canons suivants.
I. Les différends entre les évêques seront terminés par le
métropolitain , si les contendants sont de même province ; ou
par les deux métropolitains assemblés, s'ils sont de diverses
provinces.
II. On avait souvent recours à diverses chicanes pour pri-
ver l'Église de legs pieux qui lui étaient faits par testament.
Le concile, pour remédier à ce désordre, ordonne, sous peine
d'excommunication , que, quand il manquerait à la donation
ou au testament de qui que ce soit quelqu'une des formalités
requises par les lois, on ne laisse pas d'exécuter la volonté du
testateur, qui les aurait omises par nécessité ou par simplicité.
III. Ceux qui retiennent injustement dans l'esclavage des
personnes libres, sont excommuniés.
IV. Aucun évêque ne doit accorder sa communion à quicon-
que aura été excommunié par un autre évëque.
V. Un évêque ne pourra ôter aux clercs ce que les évêques
ses prédécesseurs leur auront donné de leurs biens en pro-
priété, ou des biens de l'Église en usufruit, et si ces clercs font
des fautes , il faudra les punir autrement qu'en leur ôtant ces
biens.
Ainsi voilà les bénéfices qui ne sont plus amovibles à la vo-
lonté de Kévêque , excepté ceux qu'il aurait donnés lui-même,
comme il avait déjà été réglé par le troisième concile d'Or-
léans (1).
YI. Les jours qui précèdent le premier dimanche de no-
r
vembre, on fera dans toutes les Eglises et dans toutes les pa-
roisses des prières et des processions comme avant l'Ascen-
sion. (C'est-à-dire que le concile établit ici des secondes Roga-
tions au mois de novembre.)
(1) Conc.Aur. ///, can. 17,
410 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
Il n'y eut que huit évêques présents à ce concile avec les
députés de huit autres. S. Philippe de Vienne, qui présida,
S. Nicet de Lyon, S. Agricole de Chalon-sur-Saône et
S. Syagrius d'Autun sont les plus remarquables. S. Tétric de
Langres, ne pouvant s'y rendre à cause de ses infirmités , y
députa le prêtre Piolus.
Ce saint évêque avait eu une attaque d'apoplexie qui l'a-
vait mis hors d'état de vaquer aux fonctions de son ministère.
Le clergé de Langres, n'espérant plus qu'il recouvrât la santé,
demanda un évêque au roi Gontran. Ce prince fit ordonne 1
pour ce siège Monderic, frère de S. Ferréol d'Uzès, à condi-
tion néanmoins que du vivant de S. Tétric il demeurerait à
Tonnerre et qu'il gouvernerait cette Église en qualité d'ar-
chiprètre. Mais quelque temps après, Monderic, ayant encouru
la disgrâce de Gontran, fut exilé. S. Nicet fit changer le lieu
de son bannissement et le retint à Lyon , où il n'omit rien
pour lui rendre son exil agréable. Monderic, voyant qu'il ne
pouvait pas obtenir de retourner à Tonnerre , se réfugia à la
cour du roi Sigebert , où sa noblesse fut pour lui une puis-
sante recommandation. Sigebert n'avait pas d'évêché à lui
donner, mais il l'établit évêque dans l'Arsat, canton du Rouer-
gue où il y avait environ quinze paroisses qui avaient été
sous la domination des Goths , et que S. Dalmace, évêquc-
de Rodez, prétendait appartenir à son diocèse (1). Monderic
se contenta de ce petit évêché, qui subsista encore quel-
que temps après sa mort. On assure qu'elle fut précieuse
devant Dieu, et quelques auteurs le mettent au rang des
saints (2).
Salonius et Sagittaire, que nous venons de voir condamnés
au concile de Lyon, allèrent se jeter aux pieds du roi Gontran,
se plaignant qu'ils avaient été injustement déposés et deman-
dant avec instance qu'il leur fût permis de recourir au pape.
Le roi consentit à une proposition si conforme à l'équité et à
(1) Greg. Tur., 1. V, c. v. — (2) Thom. Aquiu. Carmelita in Afoa's ad Carmen <1t
origine Francor.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VII. 411
la bonté qui faisaient son caractère , et il leur donna même
des lettres de recommandation. Le pape Jean III, qui avait suc-
cédé à Pelage Ier , occupait alors le Saint-Siège. Il reçut
favorablement les deux évèques, qu'il ne connaissait pas assez,
et, sur l'exposé qu'ils lui firent, il écrivit au roi en leur faveur
et ordonna qu'ils fussent rétablis dans leurs sièges (1). Le roi
fît exécuter cette décision après néanmoins leur avoir fait
une vive réprimande.
Ces deux prélats demandèrent les bonnes grâces de Victor
de Trois-Châteaux et lui livrèrent ceux de leurs domestiques
qui l'avaient insulté ; mais il les leur renvoya sans en vouloir
tirer aucune vengeance. Sa facilité à se réconcilier fut un nou-
veau sujet de trouble. Les autres évèques qui avaient dépose
Salonius et Sagittaire, furent choqués de voir que Victor eût
sans leur participation fait sa paix avec ceux dont il s'était
rendu accusateur auprès d'eux, et ils se séparèrent de sa com-
munion. Gontran parvint encore à calmer les esprits et s'ap-
plaudit pendant quelque temps d'avoir rétabli la paix dans
l'épiscopat. Mais il s'aperçut bientôt qu'on ne peut en pro-
curer une solide que par le châtiment des hommes qui la
troublent.
En effet, l'impunité sembla inspirer une nouvelle audace à
Salonius et à Sagittaire. Ils portaient publiquement des armes
comme des laïques , et on eût dit qu'ils rougissaient de l'épis-
copat, qui rougissait d'eux. Gontran, ayant reçu de nouvelles
plaintes de leur conduite, leur envoya ordre de se rendre à la
cour. Sagittaire se présenta à l'audience; mais le prince, qui
voulait le mortifier, refusa de lui parler; ce refus provoqua
chez cet évêque une telle fureur qu'oubliant ce qu'il devait à
son caractère et à la dignité royale, il se répandit en injures
contre le roi, osan4-même dire que les enfants que ce prince
avait eus d'une femme de basse naissance étaient incapables
(1) Greg. Tur., lib. V, c. xxi. — Ap. Labb. ubi supra. — Le pape jugea peut-être
que la déposition de ces évèques n'était pas canonique, parce qu'elle n'avait été
faite que par huit évèques présents.
412 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [567
de lui succéder. Gontran, outré de cette insulte, fit enferme]
ces deux évêques dans des monastères séparés, avec défens<
de les laisser communiquer avec qui que ce fût. Ils y firen
pendant quelque temps une pénitence forcée, que la bontt
du roi abrégea encore : car le fils aîné de ce prince étan
tombé malade, on suggéra à celui-ci que ce pouvait êtr<
une punition du traitement qu'il faisait subir à ces prélats
peut-être innocents. Il n'en fallut pas davantage. Gontran
qui aimait son fils et qui craignait Dieu , dit aussitôt
Mettez-les en liberté, et recommandez-leur de prier pour noi
enfants (1).
Salonius et Sagittaire parurent d'autres hommes en sortan
de prison : on les vit pendant quelque temps joindre le jeûn<
à la prière et se rendre assidus au chœur. Ils avaient tous lei
dehors de la vertu, mais ces dehors trompeurs se démenti
rent bientôt, parce qu'ils n'étaient pas sincères. Ces deux évê
ques trouvèrent qu'il en coûte trop pour faire l'homme d<
bien quand on ne l'est pas , et ils se replongèrent dans leurs
premiers désordres avec plus de scandale qu'auparavant
Tandis qu'ils se reposaient sur leur clergé du soin de fair<
l'office divin, ils passaient une partie de la nuit à boire ave<
des femmes débauchées. Ils se livraient ensuite au sommei
jusqu'à la troisième heure du jour, c'est-à-dire jusqu'à neu
heures du matin , et à peine étaient-ils levés qu'ils se remet-
taient à table jusqu'au soir. Une vie si licencieuse ne justifiail
que trop la sévérité du concile de Lyon ; elle fit connaître à
Gontran que sa bonté avait mis en défaut son zèle et sa
justice.
Il fit donc assembler, l'an 579, un nouveau concile à Chalon-
sur-Saône, où ces deux évêques furent de nouveau déposés.
Outre les crimes d'homicide et d'adultère dont ils étaient
convaincus, on les y accusa de trahison et de lèse-majesté , el
ils furent renfermés dans la basilique de Saint-Marcel, d'où
(l) Greg. Tur., 1. V, c. xxi.
567] EN FRANCE. LIVRE VII. 413
fis trouvèrent encore moyen de s'échapper (1). Mais ils ne
lurent recouvrer leurs sièges, qui avaient été donnés à d'au-
Ires évèques, et Sagittaire fut tué les armes à la main contre
Ion prince (2). Nous avons cru devoir rapporter sans inter-
uption des événements arrivés en divers temps, pour réunir
ous un même point de vue l'histoire de ces deux évêques et
fin que le récit de leur punition soit comme une réparation du
-candale qu'ils ont causé.
Gontran ne les protégea qu'aussi longtemps qu'ils surent le
romper. C'était effectivement un prince qui aimait la religion
;t qui lui fit honneur par ses vertus, qui l'ont fait mettre
Lu nombre des saints. S'il n'eut pas les qualités d'un héros et
l'un grand roi, il eut du moins celles d'un bon roi, père de
•on peuple et protecteur de l'Église. Les passions de la jeu-
îesse le firent cependant donner dans quelques écueils, et il
îut quelque temps une concubine nommé Yénérande. Mais il
le tarda pas à rompre ces liens criminels pour s'engager dans
:eux d'un légitime mariage, en épousant Marcatrude, fille
l'un de ses sujets : car ce prince consultait plus pour ses ma-
riages les inclinations de son cœur que les bienséances de son
?ang, et il choisit deux fois assez mal. Marcatrude fit empoi-
sonner un fils qu'il avait eu de Yénérande ; mais elle perdit
bientôt le sien, juste punition de son crime, et mourut elle-
nême peu après (3).
Gontran épousa en secondes noces Austrechilde, malgré
toutes les intrigues de Théodechilde (4), veuve de Garibert,
(1) Labb., t. V, p. 963. — Le monastère de Saint-Marcel de Cbalon ne fut fondé
par le roi Gontran que quelques années après, comme nous le verrons. Mais avant
cette fondation il y avait en cet endroit une église de ce saint martyr.
'(2) Greg. Tur.,-1. V, c. xxvm.
(3) Greg. Tur. Hist., 1. IV, c. xxv.
(4) Fortunat loue la piété, la noblesse et les aumônes d'une reine nommée Théo—
deebilde, ou Theudechilde,
Cui f rater, genitor, conjux, avus, atque priores,
Ordine succiduo regius ordo fuit.
On sent assez que ces éloges ne peuvent convenir à la veuve de Caribert. For-
tunat parle de Théodechilde fille du roi Thierry, laquelle fut mariée au roi de
Varnes. On croit que ce fut cette princesse qui fonda le monastère de Saint-Pierre—
le-Vifj dont nous avons parlé. Elle est honorée comme sainte le 28 juin.
414 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [567]
qui prétendait à cet honneur. Cette femme ambitieuse, qui du
plus bas étage était montée sur le trône, n'était pas satisfaite
d'avoir été l'épouse d'un roi : elle voulut devenir la femme de
Gontran, et tenta de l'éblouir par l'offre de grands trésors,
qu'elle promettait de lui apporter. Elle se nattait apparem-
ment que ses richesses suppléeraient, comme il arrive sou-
vent dans les alliances, à la noblesse qui lui manquait; mais
Gontran avait trop d'honneur et de piété pour épouser la fille
d'un berger et la veuve de son frère. Il laissa cependant venir
Théodechilde à sa cour, et, après l'avoir dépouillée d'une par-
tie de ses trésors mal acquis, il la relégua à Arles dans le mo-
nastère de Saint-Césaire , où elle fit une pénitence d'autant
plus rude qu'elle fut moins volontaire (1). Ainsi, malgré quel-
ques dérèglements qu'on peut reprocher à Gontran, ce prince
respecta toujours les engagements sacrés qu'impose le sa-
r
c rement, et ne scandalisa point l'Eglise par des mariages
illicites.
Il n'en était pas ainsi de Ghilpéric, roi de Soissons. L'amour
d'une femme qui se rendit maîtresse de son cœur et de son
royaume , autant par ses artifices que par ses charmes , lui fît
violer les lois les plus saintes et fut pour toutes les Gaules et
pour lui-même la source des plus grands malheurs. Tant il
est vrai qu'une passion criminelle porte souvent en elle-même
sa punition. On ne peut refuser à Frédégonde (c'est de cette
femme que nous parlons) la gloire d'avoir eu un courage et
un esprit au-dessus de son sexe et de sa condition ; mais elle
avait encore plus de méchanceté que d'esprit et de beauté.
L'artifice dont elle se servit pour faire répudier Audovère,
épouse légitime de Ghilpéric, en est une preuve ajoutée à bien
d'autres.
Cette princesse , étant accouchée d'une fille pendant que le
roi faisait la guerre aux Saxons , différa de la faire baptiser.
L'artificieuse Frédégonde , informée du prochain retour
II) Greg. Tur.; 1. IV, c. xxvi.
[567] EN FRANCE. — LIVRE VU. 415
de Ghilpéric, dit à la reine : « Gomment le roi pourra-t-il
voir sa fille avec plaisir si elle n'est pas baptisée ? » La reine
fit aussitôt préparer le baptistère et manda un évêque pour
faire la cérémonie du baptême ; mais comme il ne se trouva
pas de personne d'assez haute naissance pour être la marraine,
Frédégonde conseilla à la reine d'en tenir lieu : ce qu'elle fit .
Aussitôt Frédégonde allaau-devant du roi et lui dit qu'il n'avait
plus d'épouse , parce que la reine avait tenu sa fille sur les
fonts sacrés : elle faisait ainsi allusion à l'affinité spirituelle
que les parrains et les marraines contractent avec les parents
des enfants baptisés. Les charmes de Frédégonde firent réus-
sir ses artifices. Ghilpéric l'épousa, après avoir obligé la reine
Àudovère à se consacrer à Dieu dans un monastère avec sa
fille ; en même temps il punit de l'exil l'évêque qui avait bap-
tisé l'enfant (1).
Sigebert, roi d'Austrasie, avait des sentiments plus élevés.
Il chercha une alliance digne de sa naissance et demanda
en mariage Brunechilde ou Brunehaut, fille d'Athanagilde ,
I roi des Visigoths en Espagne. Cependant une difficulté exis-
tait : Brunehaut était engagée dans l'arianisme , et Sigebert
ne voulait pas qu'une reine de France fût hérétique. L'obstacle
fut bientôt levé par les bonnes dispositions de la princesse,
qui ne témoignait d'aucun attachement à l'hérésie que détes-
tait Sigebert. Dès que Brunehaut fut en France, elle se fît ins-
truire par les évêques, et, ayant sans peine reconnu l'erreur
où sa naissance et son éducation l'avaient engagée, elle fut
solennellement réconciliée à l'Église par l'onction du saiût
chrême (2). Cette princesse avait toutes les qualités d'une
grande reine; mais son ambition, qui lui fit tout sacrifier, et
dont à la fin elle fut la victime , rendit ces qualités perni-
cieuses au repos de toute la France , comme nous le verrons
i dans la suite.
L'exemple de Sigebert excita l'émulation de Ghilpéric. Il
(1) Gesta Reg. Franc, c. xxxi. — (2) Greg., 1. IV, c. xxyii.
416 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [566]
envoya demander en mariage la princesse Galswinthe , sœur
aînée de Brunehaut, promettant de répudier ses autres
femmes. On la lui accorda à cette condition. La princesse vint
en France avec un équipage magnifique (1). Elle vit en passant
par Poitiers Ste Radegonde, qui pouvait mieux que personne
lui donner des leçons, lui enseigner la manière dont elle devait
se comporter avec un prince livré à la débauche. Il parut
qu'elle en profita : car, après avoir été, comme sa sœur, récon-
ciliée à l'Église par le saint chrême , elle montra de grands
exemples de vertu chrétienne dans une cour si licencieuse {%).
Sa patience ne fut pas cependant à l'épreuve des insultes que
lui faisait Frédégonde, toujours maîtresse du cœur du roi. Ces
sortes de croix sont bien pesantes pour une reine , et la piété
n'empêche pas d'en sentir le poids.
Galswinthe, ne pouvant plus souffrir une rivale si impérieuse,
demanda la permission de se retirer en Espagne, et offrit
même pour l'obtenir de laisser les trésors qu'elle avait appor-
tés en France pour sa dot. Chilpéric, après avoir cherché à
l'apaiser par des paroles trompeuses, se porta contre elle au
plus noir attentat en la faisant étrangler dans son lit (3\
Nouvelle preuve que la volupté est la plus cruelle et la
plus injuste des passions. Toute la France pleura la funeste
mort d'une si bonne princesse. Chilpéric fit semblant de la
pleurer lui-même pour cacher son crime, sans cependant
pouvoir en imposer à personne. Le bruit de quelques mira-
cles opérés au tombeau de cette pieuse reine augmenta les
regrets du peuple et son indignation contre Frédégonde, que
Chilpéric avait reprise (4). Mais une femme artificieuse est
capable de jouer tous les rôles. Frédégonde , pour calmer la
haine publique, dont elle se voyait chargée , prit alors un
masque de piété et montra des semblants de vertu qui lui
(1) Fortunat, qui était à Poitiers lorsque Galswinthe y passa, dit qu'elle était
portée sur un char d'argent fait en forme de tour. V. Fort., 1. VT, earm. 7.
(2) Greg., c. xxvm. — Fort., 1. VI, carra. G. — (3) Greg. Turv 1. IV, c. xxvm.
(4) Fort., 1. VI, carra. 7.
[569] EN FRANCE. — LIVRE VII. 417
attirèrent bientôt de grands éloges de la part même de Fortu-
nat(l). C'était le poëte le plus célèbre de son siècle, et qui
avait su allier à la réputation de bel esprit celle d'un saint
homme. Les gens de bien sont souvent les plus faciles à trom-
per par les apparences de la vertu , et d'un autre côté les
louanges coûtent peu aux poètes, bien que souvent ils les ven-
draient volontiers fort cher.
Fortunat était depuis quelques années à Poitiers auprès de
Ste Radegonde, dont il gérait les affaires. Il était né en Italie
près de Trévise et il avait fait ses études à Ravenne. Les mal-
heurs de sa patrie et sa reconnaissance envers S. Martin lui
firent quitter l'Italie pour passer dans les Gaules. Il raconte
lui-même qu'étant à Ravenne attaqué d'un mal d'yeux qui le
mettait en danger de perdre la vue, il alla faire sa prière dans
l'église dédiée aux saints martyrs Jean et Paul , devant une
image de S. Martin peinte sur la muraille , devant laquelle
brûlait une lampe , et que s'étant frotté les yeux avec l'huile
de cette lampe, il fut entièrement guéri. A son arrivée dans
les Gaules, Sigebert, qui aimait les gens de lettres, le reçut
avec bonté ; mais Fortunat cherchait pour sa vertu un asile
plus sûr que la cour. Après avoir satisfait sa dévotion à Tours,
il se retira à Poitiers auprès de Ste Radegonde, qui l'employa
aux affaires dont le rang qu'elle avait tenu dans le monde
l'obligeait encore de s'occuper. Son mérite engagea l'évêque de
Poitiers à l'attacher à son Église en l'ordonnant prêtre (2).
Fortunat, non content d'imiter les actions des saints , s'ap-
pliqua aussi à en tracer le récit : cette sorte d'ouvrages est une
source d'édification et pour l'auteur et pour les lecteurs. Ce
fut dans ce dessein qu'il composa la Yie de plusieurs des plus
célèbres saints de l'Église gallicane (3). A ses heures de loisir
(1) Fort., 1. IX, carm. 1. — (2) Fort., de Vita Mart., 1. IV, sub finem.
(3) Fortunat a composé les Vies de S. Hilaire de Poitiers, de S. Martin de Tours,
de S. Aubin d'Angers, de S. Paterne d'Avrancbes, de S. Germain de Paris et de
Ste Radegonde. On lui attribue encore celles de S. Marcel de Paris, de S. Remi
de Reims, de S. Médard de Soissons et de quelques autres.
TOME II. 27
418 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [569]
il cultivait le talent qu'il avait pour la poésie latine : talent, il
est vrai, qui ne saurait l'élever à la hauteur des poètes de la
bonne époque , mais talent rare dans un siècle où la barbarie
des nations dominantes avait envahi même la république
des lettres. Il choisissait presque toujours des sujets con-
formes à sa piété et à celle de Radegonde , pour laquelle il
écrivait souvent. Il fut élevé sur le siège de Poitiers après la
mort de Platon , successeur de Mérovée , et il est invoqué
comme saint dans d'anciennes litanies. Il nous reste de lui un
poème divisé en quatre livres sur la vie de S. Martinet un
recueil de ses poésies divisé en onze livres, où l'on trouve à la
fois de la piété et de l'esprit mêlé d'un peu de cette affectation
particulière aux écrivains de cette époque. Il a cependant plu-
sieurs vers fort heureux , et dans les caractères qu'il trace
il sait dire beaucoup de choses en peu de mots. Nous avons
aussi de lui une explication du Pater et du Credo, et quelques
lettres en prose beaucoup plus obscures que ses vers. Fortu-
nat fut enterré dans l'église de Saint-Hilaire , près des murs de
la ville de Poitiers, et Paul Warnefride, étant venu longtemps
après prier sur son tombeau , composa son épitaphe en vers
pour lui rendre un devoir qu'il avait rendu à tant d'autres.
Plusieurs ne le méritaient pas assurément autant que lui (1).
Ste Radegonde n'avait pour mieux goûter les douceurs de
son état qu'à jeter les yeux sur ce qui se passait alors à la cour
parmi tant de reines rivales. Aurait-elle pu apprendre les
tristes scènes qu'y donnaient la jalousie et l'ambition sans
sentir redoubler son attrait pour la solitude? C'était un port
d'où elle voyait les tempêtes et les naufrages des autres avec
compassion, à la vérité, mais avec une joie secrète d'en être
délivrée. Dans ces sentiments, elle ne négligeait aucune des
pratiques de piété propres à témoigner son amour et sa recon-
naissance au céleste Époux qu'elle avait choisi. Elle avait
surtout une dévotion particulière pour les reliques des saints :
(1) Paulus, de G^tis Longob., 1. II, c. xiii.
[570] EX FRANCE. — LIVRE VU. 419
c'étaient ses plus précieux trésors. Elle envoya le prêtre
Recule jusqu'à Jérusalem pour demander au patriarche des
reliques de S. Mammès, et elle obtint un doigt de ce saint
martyr, qu'elle reçut avec grande solennité. L'amour qu'elle
avait pour la croix du Sauveur lui fit souhaiter avec ardeur
d'avoir quelque parcelle de cet instrument de notre salut (1).
Elle prit la résolution d'envoyer pour l'obtenir des députés à
l'empereur Justin, successeur de Justinien. Mais elle ne crut
point devoir faire cette démarche sans l'agrément de Sigebert,
qui avait eu la Touraine et le Poitou dans son partage après la
mort de Garibert. Elle lui écrivit donc pour avoir la permis-
sion d'envoyer demander à l'empereur une si précieuse re-
lique, qui serait le soutien de son royaume et la consolation
de ses peuples. Sigebert y consentit avec plaisir. Radegonde
députa des clercs à Constantinople. Sa pauvreté l'empêcha de
leur donner des présents pour l'empereur ; mais la pieuse
princesse ne cessa de recommander à Dieu 'cette affaire dans
ses prières. Elles furent exaucées : l'empereur lui envoya un
morceau de la vraie croix orné de pierreries, et plusieurs
reliques des saints les plus illustres de l'Orient (2).
Ste Radegonde pria l'évêque Mérovée, qui avait succédé à
Pascentius (3) sur le siège de Poitiers, de recevoir dans la ville
la croix et les autres reliques avec un appareil convenable et
de les placer dans son monastère. Mais cet évêque, qui paraît
avoir été un peu prévenu contre Ste Radegonde et contre sa
communauté, au lieu d'écouter favorablement une si juste
demande , monta à cheval sur l'heure et se retira à sa maison
de campagne. La sainte princesse s'en plaignit à Sigebert et
le pria de charger quelque autre prélat de recevoir les reli-
ques avec son clergé, pour les déposer dans son monastère;
et, en attendant, elle les envoya à Tours dans un monastère
(1) Baudon. Vita S. Radeg., 1. II, c. XI.
(2) Vita Radeg., c. xxxv.
(3) Fleury, t. VII, p. 564, dit que Mérovée était le successeur de Pientius; mais
nous avons vu que ce fut Pascentius qui succéda à Pientius.
420 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [57 Oj
qu'elle y avait fondé pour les hommes, et qu'on ne nomme
point. Mais elles n'y furent pas reçues avec plus d'honneur,
apparemment parce qu'on craignait de blesser l'évêque
Mérovée.
Le roi Sigebert dépêcha un seigneur nommé Justin à S. Eu-
phrone, évêque de Tours, pour lui ordonner de faire la céré-
monie. Euphrone obéit avec joie. Il se rendit à Poitiers avec
son clergé et fit porter en triomphe, au chant des psaumes et
avec un grand nombre de cierges allumés, la croix et les
autres reliques jusqu'au monastère de Ste Radegonde, qui fut
depuis nommé le monastère de Sainte-Croix. Ce fut pour cette
cérémonie que Fortunat composa la belle hymne Vexilla
Régis, etc., que l'Église chante encore en l'honneur de la
croix (1). Il y cite comme de David ces paroles :
Dicite in nationibus :
Regnavit a ligno Deus.
Ce qui fait juger que les mots a ligno, que nous ne lisons
plus dans la Yulgate du psaume xcv, où l'on lit seulement :
Dicite in gentibus, quia Dominus regnavit, se trouvaient alors
dans le psautier à l'usage des Églises de France (2).
Fortunat écrivit aussi une lettre en vers à l'empereur Justin
et à l'impératrice Sophie, pour les remercier du précieux pré-
(1) On a retranché de cette hymne quelques strophes de Fortunat, et l'on a
substitué la strophe, 0 crux, ave, etc., à la place de celle-ci, qui méritait peut-être
autant d'être conservée :
Salve ara, salve victima,
De passionis gloria,
Qua vita mortem pertulit,
Et mortem vitam protulit.
On a aussi attribué à Fortunat l'hymne de laPassion, Pange, lingua, gloriosi lau—
rcam certaminis. Mais elle a pour auteur Claudien Mamert.
(2) S. Justin, dans son Dialogue avec Tryphon, reproche aux Juifs d'avoir falsifié
cet endroit du psaume xcv, et d'en avoir effacé ces mots a ligno, en haine du chris-
tianisme. En effet, Tertullien, S. Léon, S. Grégoire le Grand et plusieurs autres
ont lu : a ligno. Cependant comme ces deux mots ne se trouvent plus ni dans l'hé-
breu, ni dans les Septante, ni dans notre Vulgate, nous n'osons assurer qu'ils soient
véritablement du texte de l'Écriture.
[572j EN FRANCE. — LIVRE VII. 421
sent qu'ils avaient fait à Ste Radegonde. Il dit à Justin qu'il
mérite de commander à l'empire romain, puisqu'il est uni
par la croyance avec la chaire de S. Pierre (1). Justin, en se
déclarant pour la foi du concile de Chalcédoine, venait d'étouffer
les semences du schisme qui se formait entre les Églises
d'Orient et celle de Rome.
Ste Radegonde, s'étant efforcée en vain de recouvrer les
bonnes grâces de Mérovée, son évêque, mit son monastère
sous la protection du roi Sigebert, et fît avec l'abbesse Agnès
le voyage d'Arles pour y étudier de près les observances de
la règle de S. Gésaire, qu'elle avait établie dans sa commu-
nauté (2). Le monastère de Saint-Césaire était probablement
alors gouverné par l'abbesse Liliola, qui en soutint la réputation
par sa vigilance et par sa piété. Les exemples de vertu que
Radegonde y admira, donnèrent une nouvelle vivacité à sa
ferveur ; mais il serait difficile de décider si elle fut plus édi-
fiée par ces saintes filles qu'elle ne les édifia elle-même. A
son retour à Poitiers, elle s'appliqua à faire observer dans
son monastère toutes les pratiques qui étaient en usage dans
celui de Saint-Césaire, et comme elle et l'abbesse Agnès s'y
conformèrent les premières, elles n'eurent pas de peine à y ga-
gner les autres (3) : en effet, dans les communautés religieuses
l'exemple des supérieurs est toujours la leçon la plus persua-
sive. Cette sainte princesse, qui depuis longtemps avait oublié
le monde, ne songeait qu'à s'en faire oublier de plus en plus,
lorsque la charité l'obligea à interrompre le silence de sa re-
traite pour tâcher d'inspirer des pensées de paix aux rois
francs.
L'ambition et la jalousie des fils de Clotaire, ou plutôt la
haine que deux femmes impérieuses, Brunehaut et Frédé-
gonde, avaient conçue l'une contre l'autre, et qu'elles sa-
vaient inspirer à leurs maris, remplissait toute la Gaule de
troubles et de carnage. Radegonde fut touchée de ce triste
(1) Fort., lib. Singulari.
(2) Greg., 1. IX, c. XL. — (3) Fort., 1. VIII, carm. 4.
422 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [573]
spectacle, qu'elle avait devant les yeux : car la Touraine et le
Poitou étaient presque toujours le premier théâtre de ces
scènes sanglantes. Elle écrivit aux rois et aux seigneurs de
leurs cours des lettres fort pressantes pour les porter à la
paix. Mais, n'attendant cette paix que de Dieu, elle indiqua des
prières à ce sujet dans sa communauté et redoubla les macé-
rations dont elle affligeait son corps. Ses vœux furent exaucés,
et ses larmes éteignirent pour un temps le feu de la guerre
allumée entre Chilpéric et Sigebert; mais on ne goûta pas
longtemps les fruits de cette paix. L'intérêt avait facilement fait
conclure à ces princes des traités qu'ils ne voulaient pas gar-
der, et l'ambition et la haine les leur faisaient rompre encore
plus aisément. Un différend survenu entre des évêques de
leurs royaumes réveilla toute leur animosité.
Gilles, évêque de Reims, successeur de Mappinius, a va il
ordonné le prêtre Promotus évêque de Ghâteaudun, ville du
royaume de Sigebert, au préjudice de l'Église de Chartres,
qui faisait partie du royaume de Chilpéric, et dans le dio-
cèse de laquelle Chàteaudun est situé. Pappole, évêque de
Chartres, se plaignit d'une ordination si irrégulière, et comme
Chilpéric et Sigebert voulaient soutenir les évêques leurs su-
jets, Gontran, qui ne prenait part à toutes ces guerres civiles
que pour les faire cesser, voulut être le médiateur de ce dif-
férend. Mais, parce qu'il s'agissait d'unpoint de discipline ecclé-
siastique, il n'entreprit pas de le juger et en laissa la décision
aux évêques. Il fit donc assembler, du consentement de Chil-
péric et de Sigebert, un concile à Paris, ville qui, comme nous
l'avons dit, n'appartenait à aucun des rois francs en parti-
culier, mais à tous les trois en commun. La contestation sur
l'évêché de Chàteaudun n'était pas l'unique sujet du concile :
on y devait aussi chercher les moyens de concilier les autres
différends qui armaient si souvent les deux frères Chilpéric
et Sigebert l'un contre l'autre. Il aurait fallu, chose im-
possible, commencer par réconcilier les deux reines leurs
épouses.
[573] EN FRANCE. — LIVRE VU. 423
Le concile se tint au mois de novembre 573 (1) dans la
basilique de Saint-Pierre, qu'on nomma depuis l'église de
Sainte-Geneviève. Pappole, évêque de Chartres, commença par
y présenter la requête suivante : « Les canons nous avertissent
de porter aux tribunauxdes conciles les différends qui s'élèvenl
dans l'Église. C'est pourquoi, très-pieux évèques, j'ai cru de-
voir vous déférer, par ce présent mémoire, ce qui a été fait à
notre préjudice. Quoique j'aie été élu évêque de Chartres par
les suffrages du clergé et des citoyens, et du consentement
de mon métropolitain, un prêtre de mon diocèse, nommé
Promotus , qui avait quitté sa cellule sans lettres de mon
prédécesseur, a usurpé une de mes églises appelée Dun,
en vertu d'un prétendu titre d'évêché. Il a même osé, je ne
sais par quelle autorité, envahir les modestes biens de mon
Église qui sont situés dans le Dunois. Je supplie Votre Sain-
teté et je la conjure par le Saint-Esprit qui habite en vous,
messeigneurs, et par le jugement dernier et la rémission des
péchés, de corriger ce désordre et de ne pas souffrir qu'on
me fasse ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit à vous-
mêmes. Ce sera le moyen de prévenir pour la suite de pareils
désordres et de rétablir la paix dans l'Église. »
Après que la lecture de cette requête eut été faite au concile,
Germain de Paris fut chargé, à la réquisition de Constitut de
Sens, métropolitain de Chartres, de sommer Promotus de ve-
nir au concile pour y rendre compte de sa conduite. Promotus
chercha, comme font tous les coupables, à décliner un tribu-
nal que sa conscience lui faisait craindre, et il déclara qu'il ne
comparaîtrait point. Germain et Constitut en ayant fait leur
rapport au concile, on ne laissa pas de passer outre et de pro-
céder au jugement. Les Pères du concile rendirent un décret,
qu'ils adressèrent à Gilles de Reims; dans ce décret, après
s'être plaints de l'atteinte qu'il avait donnée aux saints canons,
en ordonnant contre toutes les règles un évêque dans un dio-
(1) Conc. Gall., t. I, p. 350. — Labb., t. V, p. 918.
424 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [573j
cèse qui n'était pas le sien et ne dépendait même pas de sa
province, ils déclarent que celui qui a été ainsi ordonné mé-
rite d'être déposé, et que celui qui l'a ordonné doit être puni.
« Cependant, ajoutent-ils, voulant conserver la charité...,
nous vous enjoignons d'appeler et de retenir auprès de vous
le prêtre Promotus, afin qu'il ne puisse plus faire outrage à
l'Église et à son évêque , et parce qu'il a refusé de venir au
concile, comme il en avait été sommé par notre frère Germain,
selon la réquisition de son métropolitain Constitut..., que
Yotre Sainteté sache que tout le concile a ordonné que si ce
prêtre, soutenu par quelque puissance ou par la seule contu-
mace, sous le prétexte d'une dignité qu'il n'a obtenue que par
subreption, a l'audace de demeurer davantage dans l'Église de
Châteaudun, d'en retenir les biens, de bénir des autels, de
confirmer des enfants, de faire des ordinations dans quelque
paroisse que ce soit ou de résister à son évêque, il sera frappé
d'un anathème éternel et séparé de la communion des évê-
ques.... De plus, nous avons ordonné que quiconque, après la
publication de ce décret, demandera ou recevra la bénédiction
de ce prêtre, soit excommunié (1). »
Ce décret fut souscrit par trente-deux évêques et par un dé-
puté de Ricomer d'Orléans, le 11 septembre , indiction VI (2)
et la douzième année du règne des rois francs, c'est-à-dire
l'an 573. Les métropolitains S. Philippe de Vienne, Sapau-
dus d'Arles, S. Prisque de Lyon , Constitut de Sens, Laban
d'Eauze et S. Félix de Bourges souscrivirent les premiers.
Les plus connus des autres évêques sont : S. Germain de
Paris , Lucrèce de Die , S. Syagrius d'Autun, S. Félix de
Nantes, S. Aunachaire ou Aunaire d'Auxerre, S. Quinidius
ou Quiniz de Yaison et S. Pallade (3) de Saintes. On vit aussi,
(1) Conc. GalL, p. 351. — Labb., t. V, p. 919.
(2) Pour accorder la date de l'indiction VI avec le 11 septembre et la dou-
zième année des rois francs, il faut reconnaître que l'indiction ne commençait
alors en France qu'au 24 septembre. On la commença ensuite le 1er septembre, et
enfin le 1er janvier.
(3) On donne communément la qualité de saint à ce Pallade, et il y a en effet
[573] EN FRANCE. — LIVRE Ml. 425
parmi tant de saints évoques, Salonius d'Embrun et Sagittaire
de Gap, qui avaient été alors rétablis sur leurs sièges, comme
nous l'avons dit plus haut. La plupart de ces évêques appar-
tenaient au royaume de Gontran.
Les Pères de ce concile jugèrent bien que leur décret ne
serait pas exécuté si le roi Sigebert continuait à protéger
Promotus. Ils écrivirent donc à ce prince (1) pour le conjurer
de ne point s'obstiner à soutenir contre les canons une si
mauvaise cause. La lettre est datée du même jour que le dé-
cret ; mais le même rang n'est pas observé dans les souscrip-
tions (2) : ce qui indique qu'on n'était pas alors si délicat sui-
tes préséances. Sigebert ne déféra ni au jugement ni aux re-
montrances des évêques, et maintint Promotus dans le pré-
tendu siège de Châteaudun. Le concile ne réussit pas mieux
à terminer les autres différends entre Chilpéric et Sigebert.
Pappole de Chartres, qui était partie dans cette cause pour
soutenir les droits de son Église, ne souscrivit pas aux actes
du concile, auquel il n'avait pas assisté en qualité de juge. On
place deux évêques sur ce siège entre lui et S. Chaletric : car
l'épiscopat de ce dernier ne fut pas long, puisqu'il mourut à
l'âge de trente-huit ans. Fortunat, qui a composé l'épitaphe de
cet évêque, loue sa piété, sa libéralité envers les pauvres, la
douceur de son éloquence, son zèle pour corriger les pécheur.-,
son habileté à jouer des instruments, la beauté de sa voix et
celle de son visage (3) : car il n'y a pas jusqu'aux talents et
aux dons naturels qui ne deviennent matière à l'éloge des
saints par le pieux usage qu'ils en ont fait.
On croit que ce fut l'évêque Pappole qui fonda, près de
un saint évêque de ce jiom honoré à Saintes. Cependant quelques-uns croient que
ce n'est pas celui dont il s'agit ici , mais un autre plus ancien et qui n'est pus
marqué dans les catalogues. Quelques fautes qu'on a reprochées au Pallade qui
était à ce concile ont apparemment fait naître cette opinion ; mais nous avons vu
plus d'une fois dans cette histoire que les saints n'ont pas été impeccables.
(1) Labb., t. V, p. 921.
(2) La plupart de ces évêques expriment dans leurs souscriptions leur respect
pour le roi Sigebert par ces paroles : humilis rester.
(3) Fort., 1. IV. carm. 7.
426 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [573J
Chartres, l'église et le monastère de Saint-Chéron, possédés
depuis par des chanoines réguliers. Il y avait dès lors auprès
de cette ville deux autres célèbres monastères : celui de Saint-
Pierre dans la ville, et celui de Saint-Martin hors des murs.
Mais on ne sait rien de certain sur les commencements de ces
abbayes, sinon qu'elles étaient fort anciennes.
Cette même année 573, la douzième du règne de Sigebert,
s'éleva au sein de l'épiscopat une nouvelle lumière qui de-
vait jeter un vif éclat sur l'Eglise gallicane : nous voulons par-
ler de S. Grégoire de Tours. Il se nommait Georges Florent
Grégoire et était issu d'une des plus saintes et des plus an-
ciennes familles de l'Auvergne. Le sang du célèbre martyr
S. Épagathe coulait dans ses veines. Son père Florent était
frère de S. Gai, évêque d'Auvergne, et sa mère Armentaire
était nièce de S. Nicet de Lyon et petite-fille de S. Grégoire
de Langres. La plupart de ses prédécesseurs sur le siège de
Tours étaient ses parents ou ses alliés. Dès sa plus tendre jeu-
nesse il se montra digne d'une famille encore plus illustre par
sa piété que par sa noblesse. S. Nicet et S. Gai répandirent
dans son âme les premières semences de la vertu; S. Avite,
évêque d'Auvergne, les cultiva et lui donna le goût des saintes
lettres. Pour l'étude de la grammaire et la lecture des auteurs
profanes, Grégoire les méprisa. Il le dit lui-même, et nous
devons reconnaître que son style en fournit la preuve.
Ayant été miraculeusement guéri dans sa jeunesse au tom-
beau de S. Allyre, il fit vœu d'embrasser l'état ecclésiastique,
et fut promu au diaconat dès que son âge le permit. Tombé
de nouveau dangereusement malade la seconde année du
règne de Sigebert, il invoqua S. Martin, pour qui il avait une
dévotion particulière, et il sentit à l'instant son mal diminuer.
Aussitôt, tout faible qu'il était encore, il se mit en chemin,
malgré les remontrances de ses amis, pour aller visiter le
tombeau de son libérateur et il y recouvra une parfaite santé,
aussi bien qu'un clerc qui l'accompagnait. En s'en retournant,
il emporta trois cierges qui avaient brûlé sur le tombeau du
[573] EN FRANCE. LIVRE VII. 427
saint et s'en servit pour opérer plusieurs miracles (1) : ce qui
montre l'antiquité et l'efficacité de certaines pratiques que de
prétendus esprits forts traitent quelquefois de dévotions po-
pulaires et superstitieuses.
S. Euphrone, évèque de Tours, honoré le 4 août, étant mort
l'an 573, âgé de soixante-dix ans, après dix-sept ans d'épisco-
pat, le peuple, la noblesse et le clergé de Tours, qui connais-
saient les vertus et les talents de Grégoire, l'élurent évêque
d'un commun consentement et envoyèrent le décret d'élection
à Sigebert, qui témoigna toute sa satisfaction d'un tel choix.
Grégoire seul en fut affligé. Il ne pouvait se résoudre à accep-
ter l'épiscopat ; mais comme, heureusement pour. l'Église, il
se trouvait alors à la cour de Sigebert, ce prince et la reine
Brunehaut l'y obligèrent et le firent ordonner à Reims par
l' évêque Gilles, le vingtième jour après la mort d'Euphrone :
en sorte que le siège de Tours ne fut vacant que dix-neuf
jours. Grégoire était alors âgé d'environ trente-quatre ans.
Le second mois après son ordination, peu de temps après avoir
pris possession de son diocèse, il tomba malade d'une dyssen-
terie accompagnée d'une fièvre qui le réduisit en peu de jours
à l'extrémité. x\lors il appela Àrmentaire, son médecin, et lui
dit : « Vous avez épuisé tous les secrets de votre art, et tout
est inutile. Mais j'ai une excellente thériaque, dont je veux
vous donner la recette : si elle ne me guérit pas, il n'y a plus
d'espérance. Allez prendre de la poussière du tombeau de
monseigneur S. Martin, et faites-m'en une potion. » On le
fit et on délaya cette poussière dans un bouillon qu'il prit à
neuf heures du matin. Il se sentit quelques moments après si
parfaitement guéri qu'il se leva à midi pour prendre son re-
pas à l'ordinaire. C'est lui-même qui rapporte ce miracle opéré
en sa personne (2).
Ce saint évèque, en arrivant à Tours, avait trouvé la ville
désolée par un grand incendie arrivé sous son prédécesseur et
(1) Vit. PP., c. il. — De Miras. S. Mart., 1. I, c. xxxn, xxxm.
(2) Greg., 1. X, c. ult. — De Mime. S. Mart., 1. II, c. i.
428 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [573]
par les ravages des guerres civiles dont nous avons parlé. Il
s'appliqua aussitôt à réparer les églises ruinées , et nommé-
ment la cathédrale dédiée sous l'invocation des martyrs
d'Agaune, S. Maurice et ses compagnons. Mais il donna surtout
ses soins à corriger les abus que la licence des armes ne manque
jamais d'introduire.
Le feu de la guerre civile, soufflé par les deux reines Fré-
dégonde et Brunehaut, se ralluma bientôt avec plus de vio-
lence que jamais. Glovis, fils de Ghilpéric, pénétra dans la Tou-
raine et s'avança jusqu'à Bordeaux ; mais il en fut honteusement
chassé. Pour le venger, Théodebert, son frère aîné, malgré le
serment qu'il avait fait de ne point porter les armes contre Si-
gebert, se jeta sur la Touraine, le Poitou, le Quercy et le Li-
mousin, et y retraça par ses cruautés une image trop fidèle de
la persécution des premiers tyrans. Il brûla les églises, enleva
les vases des autels, massacra les prêtres, déshonora les vierges
consacrées à Dieu et détruisit les monastères (1). Telle est
la fureur des guerres civiles : une armée de barbares idolâtres
aurait fait moins de ravages. Mais tant de maux demandaient
vengeance contre celui qui en était l'auteur. Elle fut prompte,
et la justice divine éclata bientôt contre Théodebert. Ce jeune
prince, parjure et sacrilège, qui semblait faire la guerre plus
à Dieu qu'aux hommes, fut tué au milieu de ses conquêtes
dans un combat que les généraux de Sigebert lui livrèrent.
Sigebert, de son côté, se préparait à user de représailles et à
mettre tout à feu et à sang dans le royaume de Ghilpéric.
Cette nouvelle jeta la consternation dans les provinces voi-
sines de Paris. S. Germain, comme un bon pasteur, n'omit
rien afin de garantir son troupeau de ce péril, et, pour aller
à la source du mal, il s'efforça de toucher et d'apaiser la
reine Brunehaut, qui était comme le flambeau de ces guerres
civiles. Il lui écrivit une lettre digne de son zèle et de sa fer-
meté, pour la conjurer d'inspirer des pensées de paix au roi
(1) Greg. Tur., 1. IV, c. xlii, xlv.
[573] EX FRANCE. — LIVRE VII. 429
son époux. L'inscription de la lettre est celle-ci : A la très-
débonnaire, très-excellente et très-pieuse dame la reine Bru-
nehaut, fille de V Église catholique, Germain pécheur .
« La charité, lui dit-il (1), qui se réjouit de la vérité et qui
souffre tout, nous fait prendre la hardiesse de vous exposer
la douleur dont notre cœur est pénétré. Les premiers fidèles
disaient avec les apôtres : Voici le temps favorable, voici les
jours de salut (2); mais nous, au contraire, à la vue de ces
temps malheureux, nous disons les larmes aux yeux : Voici
les jours de notre tribulation et de notre perte : malheur à
nous, parce que nous avons péché! (3) Si l'amertume où nous
a plongé le triste spectacle de tant de maux ne nous avait pas
ôté la santé du corps, nous n'eussions pas manqué de nous
présenter devant vous, parce que, s'il nous est permis de le
dire, nous vous portons particulièrement dans notre cœur...
Or, celui qui aime quelqu'un sincèrement ne doit lui rien ca-
cher de ce qui concerne ses vrais intérêts pour le temps et
pour l'éternité, et quand il ne peut les lui découvrir de vive
voix, il doit le faire par écrit. Cette considération m'engage à
ne pas vous dissimuler les discours du peuple. Si l'on en croit
les bruits publics, c'est par votre conseil et à votre instigation
que le très-glorieux seigneur le roi Sigebert a résolu de porter
la désolation et le ravage dans cette province. Ce n'est pas que
nous ajoutions foi à ces bruits; mais nous vous supplions de
n'y donner aucune occasion.
« Je sais, continue S. Germain, que nous avons mérité d'être
punis pour nos péchés ; mais nous nous flattions que notre
perte était différée et comme suspendue dans l'attente de
notre amendement... Je ne cesse de crier à tous d'examiner
avec soin leur conscience pour éviter la condamnation.
Dieu le sait, eTfcela me suffit : j'ai souhaité ou de mourir
pour leur procurer la vie, ou du moins d'être enlevé de ce
(1) Conc. liait., t. 1, p. 355.— Labb., t. V, p. 923. - (2) Cor. vï, 12.— (3) Thren.
v, 16.
430 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [574]
monde avant de voir la désolation de ce pays ; mais per-
sonne ne m'écoute Je vous écris ceci les larmes aux yeux,
parce que je vois comment les rois et les peuples courent à
leur perte, en courant dans les voies de l'iniquité Le Juge
éternel, qui ne se laisse point corrompre par argent et qui
rendra à chacun selon ses œuvres, exerce déjà son jugement.
N'est-ce pas en effet une victoire bien honteuse que de vaincre
un frère, que de ruiner sa propre famille et de détruire l'héri-
tage de ses pères? » S. Germain rappelle ensuite à Brunehaut
les châtiments dont Dieu a puni avec éclat dans l'Écriture
ceux qui se sont élevés contre leurs propres frères , et il la
conjure de faire, dans les circonstances présentes, l'office de
la pieuse Esther, qui sauva son peuple condamné à périr.
Les larmes et les remontrances d'un si saint évêque ne
touchèrent point Brunehaut et ne désarmèrent pas Sigebert :
la haine la plus violente est celle qui succède à l'amour fra-
ternel. Ce prince n'écouta que sa passion , et pour la satis-
faire il fît de cruels ravages aux environs de Paris sur les
terres de son frère. Ghilpéric, qui craignait les chances d'une
bataille, conclut la paix et la rompit presque aussitôt. Mais,
voyant que Gontran s'était déclaré pour Sigebert, il alla s'en-
fermer dans Tournay, abandonnant le reste de ses États au
ressentiment du vainqueur (1). Sigebert, qui s'était rendu à
Paris, envoya des troupes assiéger Ghilpéric et se prépara à
les suivre. S. Germain lui dit alors : « Prince, si vous faites
cette expédition sans avoir le dessein d'attenter à la vie de
votre frère, vous en reviendrez victorieux; mais si vous vou-
lez le faire mourir, vous mourrez vous-même ; car le Seigneur
l'a dit par Salomon : Yous tomberez dans le précipice que
vous aurez creusé pour votre frère. »
Le moment de la victoire est rarement celui de la modéra-
tion. Sigebert méprisa encore ces sages avis, et courut à sa perte
en pensant précipiter celle de son frère, qui paraissait inévi-
(1) Greg., 1. IV, c. xlvi.
|575j EN FRANCE. LIVRE VII. 43 J
table. En effet, Chilpêrie, abandonné de ses sujets et assiégé
dans Tournay, était sans espérance et sans ressources ; mais
Frédégonde en trouva dans sa méchanceté. Elle suborna deux
scélérats, tels qu'elle en avait toujours auprès d'elle, et les
arma de poignards empoisonnés, dont ils frappèrent Sigebert
à Vitry, entre Douai et Arras (1). Ainsi périt malheureusement,
au comble de la prospérité, dans la quarantième année de son
âge et la quatorzième de son règne, un prince qui par sa va-
leur, parla noblesse de ses sentiments et par ses autres belles
qualités était digne d'un meilleur sort. Son sang parut
avoir éteint la haine de Ghilpéric, qui lui fit rendre les hon-
neurs funèbres dus à sa naissance. Il est aisé d'être généreux
envers un ennemi qu'on ne craint plus; mais il est bien tard
de ^vouloir le paraître quand on s'est vengé avec tant de lâ-
cheté. Sigebert fut d'abord enterré dans un lieu nommé Lam-
bines, d'où quelque temps après son corps fut porté à Soissons
et inhumé auprès de celui de son père dans l'église de Saint-
Médard. qu'il avait fait achever après la mort de Glotaire.
Une révolution si subite et si inopinée ne calma pas les
anciens troubles et en excita de nouveaux. Dès que Gon-
debauld, général de Sigebert, eut appris sa mort, il enleva de
Paris Childebert, fils de ce prince, qui était à peine âgé de
cinq ans et le fît proclamer roi d'Austrasie. Pour Brunehaut,
elle tomba entre les mains de Ghilpéric, qui, voulant montrer
quelque modération, se contenta de l'envoyer en exil à Rouen
et de faire enfermer à Meaux les princesses ses filles.
Cette reine ne s'abandonna pas au découragement dans des
revers si imprévus. L'esprit et la beauté sont pour une femme
malheureuse deux grandes ressources : Brunehaut sut les
mettre en œuvre. Ghilpéric, pour profiter de ses premiers
avantages, avaifénvoyé son fils Mérovée à la tête d'une armée
se saisir du Poitou ; mais ce jeune prince, peu soigneux d'exé-
cuter les ordres du roi son père, alla passer les fêtes de Pâques
(I) Greg. Tur., 1. IV, c. xlvi.
432 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [576]
à Tours, où son armée causa de grands désordres; de là, fai-
sant semblant d'aller voir la reine Audovère sa mère, qui était
retirée dans un monastère du Maine, il se rendit à Rouen au-
près de Brunehaut. Les malheurs de cette reine avaient donné
un nouvel éclat à ses charmes et ajouté de nouvelles séduc-
tions aux grâces de son esprit. Mérovée ne put s'empêcher de
la plaindre ; il l'aima bientôt et l'épousa solennellement,
quoique veuve de son oncle Sigebert (1).
Chilpéric, plus irrité de ce mariage parce qu'il déconcertait
les vues de sa politique que parce qu'il blessait les lois de
l'Eglise, accourut aussitôt à Rouen pour le faire rompre. Les
nouveaux époux se réfugièrent dans l'église de Saint-Martin,
qui était bâtie sur les murs de la ville , et ils n'en sortirent
qu'après que le roi leur eut juré que si c'était la volonté de
Dieu, il ne les séparerait pas. Chilpéric n'eut pas de peine à se
soustraire à l'obligation de son serment : il emmena avec lui son
fils à Soissons et laissa retourner Brunehaut en Austrasie, afin
que l'éloignement pût guérir la passion de Mérovée. Mais quel-
que temps après ayant soupçonné ce jeune prince de tramer
quelque révolte, il le fit tonsurer et ordonner prêtre et le
confina dans le monastère d'Anisle, c'est-à-dire de Saint-Calais,
sous prétexte de l'y faire instruire des devoirs de l'état ecclé-
siastique (2). Ignorait-il qu'une vocation forcée, en faisant le
malheur de celui qu'on y engage malgré lui, cause souvent
aussi la perte de ceux qui l'y engagent?
Les chagrins que donnait à Chilpéric un fils désobéissant e^
rebelle, semblèrent lui rendre plus chère la mémoire de
Théodebert, son autre fils, qui avait été tué dans la dernière
guerre. Il s'en prenait de cette mort au duc Gontran Boson
et il le faisait poursuivre partout pour en tirer vengeance.
Boson se réfugia à Tours dans l'église de Saint-Martin. C'était
l'asile le plus sacré de toute la France, et l'on n'avait pas en-
core osé le violer. Mais Chilpéric, ne prenant conseil que de son
(1) Greg. Tur., 1. V, c. n. — (2) Greg., 1. V, c. xiv.
[576] EN FRANCE. — LIVRE VII. 433
ressentiment, envoya un de ses généraux nommé Roccolin
avec un détachement de troupes pour tirer le duc de ce lieu
protecteur. Roccolin, étant arrivé à Tours de l'autre côté de la
Loire, fit dire à l'évêque S. Grégoire qu'il eût à lui livrer
Roson, sans quoi il ferait mettre le feu aux faubourgs et à la
ville. L'évêque, affligé d'unetelle demande, alla prier et pleurer
devant le tombeau de S. Martin, et pendant sa prière une
femme paralytique depuis douze ans fut guérie. Encouragé
par ce miracle, il envoya dire le lendemain à Roccolin « qu'il
demandait une chose qui ne s'était jamais faite; qu'on ne
pouvait nullement permettre de violer ainsi l'église de Saint-
Martin ; que s'il le faisait de force, ni lui ni le roi dont il exé-
cuterait les ordres, ne s'en trouveraient bien; qu'il devait
plutôt craindre la vertu du saint évêque, qui encore le jour
précédent avait guéri une femme paralytique (1). >>
Roccolin, peu touché de ces remontrances, commença par
faire détruire une maison de l'église dans laquelle il logeait
au delà de la rivière. Mais il fut aussitôt frappé d'une jau-
nisse (2). C'était un avertissement du Ciel : Roccolin ne l'en-
tendit point et persista à vouloir suivre son dessein. Pour
l'exécuter, il monta à cheval le jour de l'Epiphanie, et, ayant
trouvé dans les rues de Tours le clergé qui allait en proces-
sion de la cathédrale à l'église de Saint-Martin, il suivit la
procession à cheval immédiatement après la croix, qui était
précédée des bannières, comme on le pratique encore au-
jourd'hui. En entrant dans l'église de Saint-Martin il sentit
sa fureur se calmer; mais son mal s'aggrava, et il en mourut
sur la fin du mois suivant. Le carême était commencé, et
Grégoire de Tours remarque que Roccolin avait souvent
mangé de la viande, ce qu'il trouve étrange et dans un géné-
ral d'armée et même dans un homme gravement malade (3) :
tant l'abstinence de la chair en carême était alors exactement
(1) De Mir. S. Martini, 1. II, c. xxvii. — (2) Greg., 1. V, c. xiv. — (3) Greg.,
1, V, c. xiv.
TOME H. 28
434 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [576]
observée. Les mœurs ont changé ; on a pu dispenser d'une
partie de la loi, mais elle subsiste toujours.
La mort funeste de Roccolin intimida Ghilpéric, sans lui
faire cependant abandonner le dessein qu'il avait formé de ti-
rer Gontran Boson de son asile. L'ardeur de la vengeance était
combattue dans le cœur de ce prince par un reste de religion :
il prit un singulier parti, celui d'écrire une lettre à S. Martin,
dans laquelle il priait le saint de lui mander s'il lui était per-
mis de faire enlever Boson de son église, et il dépêcha à Tours
le diacre Baudin pour y porter cette lettre. Le diacre la mit
respectueusement sur le tombeau de S. Martin avec du papier
blanc pour servir à la réponse. Mais après avoir attendu trois
jours il ne s'en trouva aucune. Ghilpéric envoya d'autres dé-
putés qui rirent prêter serment de sa part à Boson qu'il ne
sortirait pas de l'église dé Saint-Martin à son insu : ce qu'il
jura touchant de la main la nappe qui couvrait l'autel (1). Mais
il n'était pas homme à craindre beaucoup de se parjurer.
Cependant Boson, ayant reconnu par expérience combien
l'église de Saint-Martin était un asile assuré, envoya le sous-
diacre Riculfe à Mérovée pour l'inviter à s'y réfugier, afin de
concerter ensemble ce qu'ils auraient à faire. Mérovée s'é-
chappa sans peine de son monastère d'Anisle , se rendit à
Tours, et entra la tête couverte, revêtu d'un habit de laïque,
dans l'église de Saint-Martin, pendant que l'évêque Grégoire
y célébrait les saints mystères. A la fin de la messe, il se pré-
senta pour recevoir les eulogies (c'était, comme nous l'avons
dit plus haut, le reste des pains offerts et non consacrés
qu'on distribuait à ceux qui n'avaient pas communié). Grégoire
refusa d'abord de lui en donner. Mais le prince lui ayant dit
d'un ton menaçant qu'il ne devait pas le suspendre ainsi de
la communion sans le consentement des autres évêques,
Grégoire prit l'avis de Ragnemode, évêque de Paris, qui était
dans l'église, et lui donna des. eulogies dans la crainte que ce
(Il Greg., 1. V, c. xiv.
[576] EN FRANCE. — LIVRE VII. 435
prince ne se portât à quelque violence. Il députa aussitôt son
diacre avec son neveu Nicet, pour rendre compte au roi de
ce qui s'était passé ; mais Frédégonde dit que ces envoyés
étaient des espions de Mérovée et les fît exiler.
Ragnemode, qui se trouvait alors à Tours, venait de succé-
der à S. Germain, évêque de Paris, mort à l'âge de près de
quatre-vingts ans, cette même année 576, le 28 mai, ainsi
qu'il en avait eu révélation. En effet, quelques jours avant sa
mort il appela son secrétaire et lui commanda d'écrire sur
son lit ces mots : le cinquième des calendes de juin , c'est-à-
dire le 28 mai. On n'en comprit le sens qu'après sa mort. Ce
saint évêque fut enterré dans l'oratoire de Saint-Symphorien,
qui était à l'extrémité de l'église de Saint-Vincent du côté du
midi. C'est aujourd'hui une chapelle de catéchisme.
La pompe funèbre fut changée comme en un triomphe par
le nombre et l'éclat des miracles qui s'opérèrent à ses funé-
railles. Les prisonniers l'ayant invoqué pendant que le convoi
passait devant la prison , leurs chaînes furent aussitôt brisées
et les portes ouvertes , et ils accompagnèrent le corps de leur
libérateur jusqu'au lieu de la sépulture. Un paralytique qui se
tenait assis à la porte de l'église de Saint- Vincent , y recouvra
la santé par l'intercession de S. Germain. Ghilpéric, qui était
arrivé à Paris le jour précédent, fut confirmé par ce miracle
dans la vénération qu'il avait pour ce saint évêque. On pré-
tend même qu'il composa en son honneur une épitaphe (1) en
vers latins , où il dit qu'il a été le miroir de l'Église , la force
de sa patrie, l'asile des coupables, le père et le médecin de son
(1) Cette épitaphe, quel qu'en soit l'auteur, est bien glorieuse pour S. Germain,
comme on peut en juger par ce commencement :
Ecclesiœ spéculum, patriœ vigor, ara reorum,
Et pater, et medicus, pastor amorque gregis;
Germanus virtute, fide, corde, ore beatus.
Carne tenet tumulum, mentis honore polum.
Vir cui dura nihil nocuerunt fata sepulchri ;
Vivit enim ; nam mors quem tulit, ipsa timet.
—Fort. Vit, Germ., apucl Boll., 28 maii.— Greg., de Glor. confess., c. lx. — Aimoin.,
h ni, c. xvi.
436 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [576j
troupeau , et que la mort craint encore celui qu'elle a en-
levé. Chilpéric était poëte; mais on trouve les vers de
l'épitaphe trop beaux pour avoir été composés par lui : il est
probable qu'on les aura retouchés.
S. Germain avait en effet toutes les qualités dont la réunion
fait les grands prélats et les grands saints, c'est-à-dire un zèle
ardent et sage pour le maintien de la discipline, une élo-
quence vive qui le rendait maître des cœurs , une piété tendra
qui lui faisait trouver ses plus chères délices à chanter les
louanges de Dieu , et une charité si compatissante qu'il souf-
frait tous les maux qu'il voyait souffrir aux autres , surtout
lorsqu'il ne pouvait les soulager. Le saint évêque délivra plu-
sieurs fois miraculeusement les prisonniers ; il donnait aux
pauvres jusqu'à ses propres vêtements. Il n'épargnait rien
surtout quand il s'agissait de racheter des esclaves. Si l'argent
lui manquait alors, la tristesse de son cœur se peignait sur son
visage, et s'il était invité à quelque festin, il engageait les
conviés à se taxer pour fournir la somme nécessaire. Il se
faisait lire la sainte Écriture pendant ses repas : c'était pour
lui une manne délicieuse dont il assaisonnait, pour ainsi dire,
les mets insipides qu'on lui servait. Pour l'office divin, il le
récitait toujours tête nue, même dans ses voyages et quoi-
qu'il tombât de la pluie ou de la neige (1).
Le zèle de la gloire de Dieu était l'unique motif de ces
voyages. Une se fit en effet en ce temps-là presque aucune céré-
monie éclatante de piété à laquelle Germain ne fût invité. On
eût cru qu'il aurait manqué quelque chose à la fête s'il ne
l'eût pas honorée de sa présence. Il se trouva à Angers pour la
translation des reliques de S. Aubin (2) ; au Mans pour la dé-
dicace de l'église et du monastère de Saint- Vincent, bâti par
S. Domnole ; à Poitiers pour la bénédiction de l'abbesse Agnès ;
(1) Fort. Vita S. Germ.
(2) On croit que ce fut à l'occasion de la translation des reliques de S. Aubin
que fut établi à Angers, par les libéralités de Childebeit, le monastère de Saint-
Aubin.
[576] EN FRANCE. LIVRE VII. 437
à Autun pour l'ordination de S. Syagrius, un des plus grands
évêques de son siècle; à Bourges pour celle de S. Félix et
pour la translation des reliques de S. Ursin. Le don des mi-
racles, que Germain avait reçu duCiel, l'accompagna dans tous
ces lieux et lui attira partout les plus grands témoignages de
vénération. Mais le pouvoir du saint évêque auprès de Dieu
parut d'une manière encore plus éclatante après sa mort. Les
merveilles opérées sur son tombeau le rendirent si glorieux
et si célèbre , que l'église et le monastère de Saint-Vincent ne
lurent plus guère connus dans la suite que sous le nom de
Saint-Germain.
La réputation de Germain s'était répandue de son vivant
jusqu'au delà des Alpes. Un saint évêque d'Italie nommé
Fortunat, qu'il faut distinguer de Fortunat de Poitiers, vint en
France pour s'édifier de ses vertus. Mais il apprit en chemin
la maladie de celui qu'il était venu chercher de si loin, et il
mourut lui-même à Celles, au diocèse de Sens, sans avoir eu
la consolation de le voir. Il est honoré le 18 juin (1).
S. Félix de Bourges, dont nous venons de parler, mourut
aussi, à ce que l'on croit, la même année 576. Sa vertu , qui
avait été obscure pendant sa vie, se révéla avec éclat après sa
mort. Un aveugle recouvra la vue auprès de son tombeau, et*
son corps fut trouvé entier douze ans après qu'il eut été in-
humé. Remi, qui lui succéda, est aussi honoré comme
saint (2). Fortunat de Poitiers parle d'un vase précieux que
Félix avait fait faire pour conserver le corps de Jésus-Christ , et
il nomme ce vase une tour, parce que les vases où l'on conser-
vait l'Eucharistie étaient communément faits en forme de
tour. Nous faisons cette remarque pour faire voir que l'on gar-
dait dès lors le corps du Sauveur dans les églises hors le
temps du sacrifice (3) .
Dès que Chilpéric eut appris que le prince Mérovée, son fils,
(1) Boll., 18 junii. — (2) Greg. Tur., de Glor. confess., c. cil. — (3) Fort., 1. III,
carm. 23.
438 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [576]
s'était réfugié dans la basilique de Saint-Martin, il envoya dire
à l'évêque de Tours : Chassez de l'église cet apostat, sinon je
mettrai toute la province en feu. L'évêque lui répondit qu'on
demandait une chose impossible , et qu'il n'était pas croyable
que sous des princes catholiques on entreprît ce qu'on n'a-
vait jamais osé faire sous le règne des hérétiques (A). (Il par-
lait des Yisigoths , qui avaient été quelque temps maîtres de
Tours.) Une réponse si ferme n'arrêta pas Chilpéric, qui, n'é-
coutant que sa colère et les conseils de Frédégonde , fit aussi-
tôt marcher son armée vers la Touraine. Mérovée, en ayant
reçu la nouvelle , dit : A Dieu ne plaise que pour moi l'église
et les terres de Saint-Martin souffrent quelque dommage. Il
prit donc la résolution de se retirer avec Gontran Boson au-
près de la reine Brunehaut , qui était en Austrasie à la cour
du jeune roi son fils.
Boson envoya consulter une femme qui prédisait l'avenir, et
qu'il croyait lui avoir annoncé le jour et l'heure de la mort de
Garibert. Elle lui répondit que Chilpéric mourrait dans l'an-
née , que Mérovée régnerait à l'exclusion de ses frères , et que
lui Boson, après avoir été quatre ans duc de tout le royaume,
serait évêque d'une ville sur la Loire. C'est ainsi que l'esprit
de mensonge aime à tromper ceux qu'une criminelle curiosité
porte à le consulter ; c'est d'ailleurs vouloir être trompé et
mériter de l'être que de chercher la connaissance de l'avenir
par ces voies réprouvées. Cependant Boson, qui s'imaginait
déjà être évêque de Tours, envoya dire ces nouvelles au saint
évêque Grégoire, qui s'en moqua.
Quant à Mérovée, il n'ajouta pas foi à ces prestiges. Mais
l'envie de connaître sa destinée, tentation à laquelle ne résis-
tent guère les malheureux, lui fit avoir recours aux sorts des
saints, si souvent défendus par les conciles. Il mit sur le tom-
beau de S. Martin le livre des Psaumes, celui des Rois et celui
desÉvangiles, et, après avoir passé trois jours dans le jeûneet la
(1) Greg., 1. V, c. xiv.
[576] EN FRANCE. LIVRE VII. 439
prière, il ouvrit le livre des Rois. Les premières paroles qu'il
y lut, furent celles-ci : Parce que vous avez abandonné le Sei-
gneur votre Dieu, il vous a livré entre les mains de vos enne-
mis (1). N'ayant pas trouvé de pronostics plus favorables dans
les deux autres livres , il pleura longtemps devant le tombeau
de S. Martin et sortit enfin de cet asile avec le duc Boson,
après y être demeuré près de deux mois.
Mérovée fut pris dans le voisinage d'Àuxerre par un géné-
ral du roi Gontran son oncle ; mais, ayant trouvé le moyen de
s'échapper, il se réfugia dans l'église de Saint-Germain
d'Auxerre, et de là il se rendit auprès de la reine Brunehaut.
Il n'en fut pas reçu comme il avait lieu de l'attendre d'une per-
sonne à l'amour de laquelle il avait tout sacrifié. Les senti-
ments de cette reine étaient changés avec sa fortune , et les
seigneurs austrasiens ne jugeaient pas à propos de donner re-
traite à ce prince , de peur de s'attirer la guerre. Gomme Mé-
rovée était incertain du parti qu'il devait prendre, le bruit se
répandit qu'il voulait retourner à Tours. Mais Chilpéric fit
mettre des gardes à toutes les portes de l'église de Saint-
Martin, de peur qu'il ne s'y réfugiât. Ce malheureux prince,
après avoir erré quelque temps, fut enfin pris et tué près de
Thérouanne par une trahison à laquelle Gilles, évêque de
Reims, et Gontran Boson lui-même furent accusés d'avoir
pris part (2). Ce dernier était celui qui avait engagé Mérovée
dans sa rébellion : mais ceux qui ont trahi leur roi sont bien
capables de se trahir les uns les autres (3).
Pendant ce temps-là Chilpéric faisait faire le procès à ceux
qu'on accusait d'avoir trempé dans la révolte de Mérovée.
S. Prétextât de Rouen fut à cette occasion sacrifié aux soup-
çons d'une injuste politique. Le roi avait appris que cet évêque
distribuait des présents au peuple : il le manda à sa cour, et,
ayant découvert que la reine Brunehaut lui avait laissé en
(1) III Reg. ix, 9. — (2) Greg. Ibid.
(3) Gontran Boson était sujet du roi d'Austrasie, qu'il trahit plusieurs fois.
440 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
dépôt ses trésors, il les lui enleva et le fît garder en exil,
jusqu'à ce qu'il eût fait terminer cette affaire par un jugement
canonique (1). Il convoqua donc à ce sujet à Paris un concile
de quarante-cinq évêques dans la basilique de Saint-Pierre,
en 577 (2).
Le roi parut lui-même au milieu de l'assemblée, et, adres-
sant la parole à Prétextât, qui avait eu ordre de se rendre au
concile , il lui dit (3) : « A quoi avez-vous pensé , évêque , de
marier Mérovée, qui aurait dû être mon fils et qui est mon en-
nemi, avec sa tante , c'est-à-dire avec la femme de son oncle?
Ignorez-vous les dispositions des saints canons à ce sujet?
Mais vous n'en êtes pas demeuré là : vous avez conspiré avec
lui et donné des présents pour me faire assassiner ; vous m'a-
vez fait un ennemi de mon fils, vous avez séduit mon peuple
par argent afin que personne ne me gardât la fidélité pro-
mise, et vous avez voulu m'enlever ma couronne. » Les Francs
qui étaient présents en grand nombre frémirent à ce discours,
et voulaient ouvrir les portes de l'église pour en tirer Prétextât
et le lapider; mais le roi les en empêcha.
Ce saint évêque nia avec fermeté tous les faits avancés
contre lui, malgré les dépositions de faux témoins, qui mon-
trèrent divers présents qu'il leur avait faits pour les engager
à être fidèles à Mérovée. Il répondit : « Vous dites vrai : je vous
ai fait divers présents , mais ce n'a pas été en vue de tenter
votre fidélité au roi. Vous m'aviez donné des chevaux de prix
et plusieurs autres choses : que pouvais-je faire de mieux que
de témoigner ma reconnaissance par des présents mutuels? »
On parut se contenter de cette réponse, et le roi , ayant ainsi
terminé la première séance , se retira dans son palais pour y
mieux concerter ses accusations.
Après le départ de Chilpéric , les évêques demeurèrent dans
la sacristie (4), et, comme ils conféraient ensemble, Aétius,
(1) Greg., 1. V, c. xix.— (2) C'est l'église Sainte-Geneviève qui n'existe plus. —
(3) Greg. Ibid. — Ap. Labb., t. V, p. 925. — (4) Il y a dans le texte: in secretario.
Nous avons marqué ailleurs les diverses significations de ce terme.
[577] EN FRANCE. — LIVRE VII. 441
archidiacre de l'Église de Paris, les y vint trouver et leur dit :
« Évêques du Seigneur qui êtes assemblés, écoutez-moi. C'est
maintenant que vous allez rendre votre nom .illustre ou vous
déshonorer à jamais. Personne ne vous regardera plus comme
des évêques si vous manquez de fermeté et si vous laissez périr
votre frère. » La crainte de Frédégonde avait fermé la bouche
aux évêques : ils demeurèrent dans le silence et se mirent le
doigt sur les lèvres , comme pour faire entendre qu'ils ne vou-
laient point parler.
Alors Grégoire , évêque de Tours , prenant la parole , dit :
» Très-saints évêques, et vous surtout qui avez le plus de part
à la confiance du roi, écoutez-moi. Donnez à ce prince un con-
seil salutaire et digne des évêques , de peur qu'il ne perde
son royaume et ne flétrisse sa gloire en suivant les mouve-
ments de sa colère contre un ministre du Seigneur. » Les
évêques gardèrent encore le silence; Grégoire continua en
citant l'exemple de la punition de Glodomir et de celle de
l'empereur Maxime , dont l'un avait méprisé les avis de
S. Avite d'Orléans , et l'autre ceux de S. Martin. Les évêques
demeurèrent interdits et étonnés de ce discours , et personne
n'osa répondre; mais deux d'entre eux, en véritables courti-
sans, allèrent dire au roi qu'il n'avait pas de plus grand ennemi
que Grégoire. C'est ainsi que dans les plus saintes assemblées
il y a souvent de faux frères, prêts à trahir les intérêts de la
justice pour ceux de leur fortune.
Chilpéric irrité manda sur-le-champ Grégoire. Ce saint
évêque, s'étant rendu au palais, trouva le roi dans son jardin
auprès d'un cabinet de verdure fait de branches d'arbres. Il
avait à sa droite Bertram , évêque de Bordeaux , et à sa gauche
Ragnemode, évêque de Paris. Devant eux était un banc sur
lequel il y avaiT du pain et divers mets. Le roi, ayant aperçu
Grégoire , lui dit : « Évêque, vous devez la justice à tous , et
vous me la refusez ! Je vois bien que vous êtes complice de
l'iniquité et vous vérifiez le proverbe que jamais corbeau
n'arrache l'œil du corbeau. »> Grégoire répondit : « Prince , si
442 HISTOIRE DE L* ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
quelqu'un de nous s'écarte des voies de la justice , vous pou-
vez le corriger ; mais si vous vous en écartez vous-même, qui
vous corrigera? Nous vous parlons, il est vrai; mais vous
nous écoutez si vous le voulez : si vous ne le voulez pas, qui
vous condamnera, si ce n'est Celui qui a dit qu'il était la jus-
tice même ? »
Le roi, que les flatteurs avaient aigri contre Grégoire, reprit
avec chaleur : « Tous me rendent justice, il n'y a que vous de
qui je ne puis l'obtenir; mais je sais ce que je ferai pour vous
démasquer et faire connaître vos injustices. J'assemblerai le
peuple de Tours et je lui dirai de s'élever contre vous. J'ap-
puierai ses clameurs, en disant : Tout roi que je suis, je ne
puis trouver justice auprès de cet évêque : comment vous au-
tres la trouveriez-vous? » Grégoire repartit : « Si je suis injuste,
vous n'en savez rien : il n'y a que Celui qui pénètre le secret
des cœurs qui le sache. Pour les clameurs du peuple, que
vous me menacez d'exciter contre moi, elles vous feraient
plus de tort qu'à moi , parce qu'on n'ignorerait pas que vous
en auriez été l'instigateur. Mais à quoi bon tant de discours?
Yous avez la loi et les canons : étudiez-les bien et sachez que
si vous n'observez pas ce qu'ils ordonnent, la vengeance de
Dieu ne tardera pas à éclater contre vous. »
Cette fermeté de Grégoire parut calmer la passion de Chil-
péric. En effet, ce prince, prenant un ton radouci, le pressa de
manger d'un mets qu'on lui avait servi. « C'est pour vous, lui
dit-il, que je l'ai fait préparer : il n'est composé que de chair
d'oiseaux et d'un peu de pois chiches. » Ce qui montre que les
saints évêques, aussi bien que les moines, se faisaient moins de
scrupule de manger de la chair des oiseaux que de la grosse
viande. Grégoire répondit : « Notre nourriture doit être de faire
en toutes choses la volonté de Dieu, sans chercher à flatter notre
goût par toutes ces délices. Mais vous, prince, qui taxez les
autres d'injustice, promettez de ne rien faire contre la loi et les
canons, et alors nous croirons que vous ne cherchez que la
justice. » Le roi étendit la main et jura par le Dieu tout-puis-
|577] EN FRANCE. — LIVHE VII. 443
sant qu'il s'en tiendrait à ce que les canons ordonnent. Alors
Grégoire prit du pain et du vin et se retira. D'autres exemples
font voir que nos premiers rois ne laissaient pas sortir de leur
palais les personnes de quelque considération sans leur offrir
quelque chose en signe d'hospitalité.
La nuit suivante, après qu'on eut chanté l'office de matines,
Grégoire entendit frapper rudement à sa porte. C'était des gens
de Frédégonde, qui venaient le saluer de la part de la reine.
Ils le prièrent de ne pas s'opposer à ses desseins, lui promet-
tant deux cents livres d'argent s'il voulait se déclarer contre
Prétextât. Ils ajoutèrent qu'ils avaient la parole de tous les
autres évêques, et le conjurèrent de n'être pas du moins le
seul opposant. Grégoire répondit : « Quand vous me don-
neriez mille livres d'or et d'argent, que pourrais-je faire autre
chose que ce que le Seigneur me commande ? Tout ce que je
puis vous promettre , c'est que je me conformerai à ce que
les autres feront selon les canons. » Les gens de Frédégonde
ne comprirent pas sa pensée et se retirèrent en le remerciant.
Dès que le jour parut, quelques évêques vinrent lui faire les
mêmes propositions, et ils en reçurent la même réponse.
Le concile s'étant assemblé pour la seconde séance, le roi
y vint dès le matin et dit : « Les canons ordonnent de déposer
un évêque convaincu de larcin. » Les prélats demandèrent
quel était l'évêque accusé de ce crime. Le roi répondit : «Vous
avez vu ce qu'il nous a volé. » Il avait montré en effet trois
jours auparavant deux coffres pleins de meubles et de bijoux
précieux, estimés plus de trois mille sous d'or, et un sac qui
en contenait environ deux mille en espèces, prétendant que
Prétextât les lui avait dérobés.
Prétextât répondit : « Je crois, prince, que vous vous souve-
nez qu'après que la: reine Brunehaut eut quitté Rouen, j'allai
vous trouver et que je vous dis qu'elle m'avait laissé en dépôt
cinq coffres et qu'elle m'envoyait souvent de ses gens me les
redemander; mais que je ne voulais pas m'en dessaisir sans
votre agrément. Vous me dites : Défaites-vous de cela, rendez à
444 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
cette femme ce qui lui appartient, de peur que ce ne soit une
semence d'inimitié entre mon neveu Childebert et moi. Ainsi,
étant retourné à Rouen, je délivrai aux gens de Brunehaut
un coffre : car ils ne purent en emporter davantage. Étant re-
venus, ils demandèrent les autres. Je voulus encore avoir
votre consentement, et vous me répondites : Défaites-vous de
tout cela, ô évêque, de peur que ce ne soit un sujet de scan-
dale. Je leur donnai encore deux coffres : ainsi, deux sont de-
meurés chez moi. Pourquoi donc me calomniez-vous et nom-
mez-vous larcin ce qui est un dépôt ? »
Le roi répliqua : « Si c'était un dépôt, pourquoi avez-vous
ouvert un de ces coffres et partagé un drap d'or à des gens
que vous vouliez engager à me chasser de mon royaume? » L'é-
vêque reprit : « Je vous ai déjà dit que j'avais reçu des présents
de ces personnes, et que, n'ayant rien alors à leur donner, je
pris quelque chose de ce dépôt : je regardais comme à moi j
tout ce qui appartenait à mon fils Mérovée, que j'ai tenu sur |
les fonts du baptême. » Le roi demeura confus, et la simple ;
vérité triompha cette fois de tous les artifices de la calomnie. \
Chilpéric, étant sorti du concile, dit à quelques prélats qui
étaient ses flatteurs : « J'avoue que les réponses de l'évéque s
m'ont confondu et je sais dans ma conscience qu'il dit vrai. |
Que ferai-je donc maintenant pour contenter la reine à son su- 1
jet ?» Après y avoir pensé un moment, il ajouta : « Allez et dites- 1
lui comme de vous-mêmes et par manière de conseil : Vous sa- ;
vez que le roi Chilpéric est plein de bonté et se laisse aisé- :
ment fléchir : humiliez-vous devant lui et dites que vous avez
fait ce dont il vous accuse. Alors nous nous jetterons tous à - ■
ses pieds pour lui demander votre grâce (1). » Prétextât, que
son innocence ne rassurait pas contre les intrigues de ses en-
nemis, donna dans le piège qui lui était tendu.
Le lendemain matin, le roi, s'étant rendu à la troisième
séance du concile, dità Prétextât : « Si vous ne faisiez des pré-
(1) Greg. Tur. Ibid. — Labb. Ibid.
577] EN' FRANCE. — LIVRE VU. 445
sents à ces personnes que parce que vous en aviez reçu , pour-
juoi les engagiez-vous à prêter serment d'être fidèles à Méro-
vée? » L'évêque répondit : « J'ai demandé, je l'avoue, leur ami-
ié pour lui : j'aurais appelé à son secours non-seulement les
tiomines, mais les anges du ciel si je l'avais pu, parce qu'il
3tait mon fils spirituel par le baptême, ainsi que je l'ai dit. •>
domine sur cette réponse la contestation s'échauffait, Pré-
extat, suivant le conseil perfide qu'on lui avait donné, se
orosterna tout-à-coup, en disant : « J'ai péché contre le Ciel et
:ontre vous, 6 prince très-miséricordieux : je suis un infâme
aomicide, j'ai voulu attenter à votre vie et mettre votre fils
sur votre trône. »
Le roi, ravi de voir que son artifice avait réussi, se jeta de
son côté aux pieds des prélats, et leur dit : « Très-pieux évê-
jues, écoutez un criminel qui confesse un attentat exécrable. »
Les évêques, lesyeux baignés de larmes, relevèrent le roi, qui
s'en retourna au palais après avoir donné ordre qu'on fît sor-
:ir Prétextât de l'église. Ghilpéric envoya au concile une collec-
:ion de canons, à laquelle on avait ajouté un nouveau recueil
l'autres canons qu'on disait être des apôtres (1). On en lut cet
article : Que l'évêque convaincu d'homicide, a" adultère et de
parjure soit déposé. Prétextât, qui reconnut alors trop tard
}u'on l'avaitjoué, demeurait interdit. Bertram, évêque de Bor-
deaux, lui dit en bon courtisan : « Mon frère, puisque vous
êtes dans la disgrâce du roi, vous n'aurez pas notre communion
avant qu'il ne vous ait rendu sa bienveillance. >»
Ghilpéricne voulaitpasenrester là :il demanda qu'on déchi-
rât la robe de Prétextât, ce qui était une marque ignominieuse
de déposition; ou bien qu'on récitât sur sa tête le psaume cvin,
contenant les malédictions lancées contre Judas ; ou du moins
(1) Quoique les canons qu'on nomme des apôtres ne soient pas des apôtres
mêmes, ils sont fort anciens. Les Grecs en comptent quatre-vingt-cinq, et les Latins
n'en reçoivent que cinquante. Le décret attribué au pape Gélase met les Canom
des apôires au nombre des livres apocryphes, apparemment à cause des additions des
Grecs et parce qu'en effet ils ne sont pas des apôtres.
446 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [677]
qu'on prononçât contre cet évêque une excommunication per-
pétuelle. Grégoire de Tours s'opposa avec courage à ces propo-
sitions et somma le roi de tenir la parole qu'il avait donnée de
ne rien faire contre les canons. Mais Prétextât fut enlevé du
concile et jeté dans une prison, d'où il tenta de "s'évader pen-
dant la nuit. On lui fit subir à cette occasion les plus rudes
traitements, puis il fut relégué dans une île près de Coutances,
apparemment dans l'île de Jersey. Mélantius, créature de Fré-
dégonde, fut mis sur le siège de Rouen.
Telle fut l'issue du cinquième concile de Paris, où l'inno-
cence fut enfin opprimée par la puissance du roi, par la lâcheté
de quelques évéques et par la simplicité même de Prétextât,
qui ne fut coupable que de s'être accusé d'un crime dont il était
innocent. S. Grégoire de Tours, dont nous n'avons fait que tra-
duire les paroles dans tout ce récit, montra en cette occasion
une vigueur vraiment épiscopale. Ce qu'il dit de la collection
des canons envoyée par le roi au concile, à laquelle on avait
ajouté un nouveau recueil de ceux qu'on disait être des apô-
tres, fait juger que c'était la collection de Denys le Petit (1) ,
et que ce qu'on nomme les Canons des apôtres était alors peu
connu dans les Gaules. Le canon dont on fît lecture dans le
concile est le vingt et unième de ceux des apôtres ; mais il fut
falsifié par les adversaires de Prétextât, qui substituèrent le
mot & homicide à la place de celui de larcin.
S. Prétextât de Rouen ne fut pas le seul qui éprouva la vio-
lence de Ghilpéric. Ce prince était irrité contre tout le clergé.
Les pauvres nourris aux dépens de l'Église et les clercs des
ordres inférieurs étaient exempts des charges publiques. Il ne
laissa pas de les condamner à une amende pour n'avoir pas
prêté le service militaire dans une expédition qu'il fit contre
(1) Cassiodore fait un bel éloge du moine Denys le Petit. Il dit qu'il était
scythe de nation et romain de mœurs ; qu'il avait allié la simplicité avec la sagesse,
l'humilité avec l'érudition , et qu'il parlait peu quoiqu'il parlât bien. Cassiodore
ajoute que Denys, étant fort habile dans la langue grecque et dans la langue latine,
fit une collection de canons qui a été reçue de l'Église romaine. C'est Denys le Petit
qui est l'auteur de l'ère de Jésus-Christ dont nous nous servons. V. Cassiod. d&
Divin. Lect., xxm.
[577] EX FRANCE. — LIVRE VII. 447
les Bretons. La haine qu'il témoignait en toute occasion
aux ecclésiastiques , ne le rendit pas plus favorable aux laï-
ques. Il fît mourir plusieurs seigneurs et entre autres un
nommé Daccon, qui, se voyant condamné à mort, reçut se-
crètement la pénitence d'un prêtre à l'insu du roi (1).
Pour le peuple, Chilpéric le surchargea d'un si grand
nombre de nouveaux impôts, qu'il y eut en plusieurs provinces
des révoltes contre ses officiers. On en fit un nouveau crime
au clergé , et on appliqua à de cruelles tortures des prêtres et
des abbés accusés calomnieusement d'avoir soufflé le feu de
la sédition. Il ne fallait s'en prendre qu'aux vexations du
prince : c'est un mauvais moyen de rendre les peuples fidèles
que de les rendre malheureux.
Telles étaient les tumultueuses scènes qui se passaient à la
cour de Chilpéric, au préjudice de la religion et du bien des
peuples. Mais détournons les yeux de ces tristes tableaux
pour nous édifier des vertus paisibles d'un grand nombre de
saints solitaires, qui, au milieu de ces désordres, florissaient
comme des lis parmi les épines et répandaient dans toute la
Gaule l'odeur de leur sainteté. L'histoire de l'Église n'a rien
de plus édifiant ni de plus digne de ses récits.
L'esprit de S. Martin vivait encore dans la Touraine et y
excitait plusieurs saints moines à imiter les vertus de sa vie
solitaire. Un saint reclus nommé Senoch fut un des plus célè-
bres. Il était né dans le Poitou et Theifalien d'origine, nation
barbare dont nous avons parlé. Admis dans le clergé après sa
conversion, il passa dans le diocèse de Tours pour chercher
une retraite. Il y trouva de vieilles masures dans un endroit
où avait existé, disait-on, un oratoire à l'usage de S. Martin :
cette circonstance l'engagea à s'y établir. Il le fit reconstruire
et pria S. Euphrone d'en venir bénir l'autel. Euphrone y con-
sentit et ordonna~Senoch diacre, et ensuite prêtre. Ce fut en ce
lieu que ce saint renouvela les austérités des anciens soli-
(1) Greg. Tur., 1. V. c. xxvi, xxyii, xxix.
448 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
taires en compagnie de trois moines qu'il s'associa (1). Il mar-
chait nu-pieds , même dans les plus grands froids de l'hiver ,
et portait toujours une chaîne de fer aux pieds, aux mains et
au cou. Son jeûne était continuel; mais il redoublait ses mor-
tifications et son abstinence en carême, ne mangeant chaque
jour pendant ce saint temps qu'une livre de pain d'orge et ne
buvant qu'une petite mesure d'eau. Il se sépara ensuite de ses
compagnons pour vivre reclus dans une cellule. Les fidèles
venaient en foule l'y visiter et lui apportaient des aumônes,
qu'il employait au soulagement des pauvres. On compta plus
de deux cents personnes dont il avait payé les dettes ou la
rançon, pour les -délivrer de l'esclavage.
Cependant la vertu de Senoch n'était pas aussi affermie qu'il
le croyait, et un léger souffle de vanité pensa la renverser :
c'est unécueil qu'on a toujours à craindre dans le chemin de
la perfection, même après avoir évité tous les autres. Ce saint
reclus eut envie d'aller visiter sa famille dans le Poitou , et il
succomba à une tentation qui se déguisait sous les apparences
de la charité et du zèle. Mais il éprouva bientôt que le com-
merce du monde n'est à personne plus contagieux qu'à ceux qui
s'y engagent de nouveau après l'avoir quitté. Il rentra dans sa
cellule avec des sentiments d'orgueil, inspirés par les témoi-
gnages de respect que sa réputation de sainteté lui avait attirés.
Étrange faiblesse de l'homme, lors même qu'il semble être ar-
rivé à la plus haute vertu! Gomme la vanité ne peut jamais bien
se cacher, S. Grégoire, évêque de Tours, s'aperçut bientôt de.
celle du solitaire et lui en fit une réprimande paternelle. Senoch
la reçut avec humilité, il eut honte de son égarement, et, pour
s'en punir et s'ôter l'occasion d'y retomber, il forma la réso-
lution non-seulement de ne plus sortir de sa cellule, mais
encorè de ne se laisser voir à personne. Son évêque lui con-
seilla de ne garder cette exacte réclusion que depuis la Saint-
Martin jusqu'à Noël et pendant le carême, et de se montrer
(t) Greg. Vit. PP., c. xix.
[577] EN FRANCE. — LIVRE VII. 449
au peuple dans les autres temps pour la consolation des ma-
lades. Il suivit ce conseil et il devint célèbre dans toute la
province par l'éclat de ses miracles. Il rendit la vue à trois
aveugles et guérit plusieurs paralytiques.
Dieu se pressa de couronner ses vertus et l'appela à lui à la
fleur de l'âge : car il mourut en 576, ûgé seulement d'environ
quarante ans. Dès que Grégoire de Tours eut appris sa mala-
die, il se rendit à sa cellule; mais il avait déjà perdu l'usage
de la parole. Les malades que Senoch avait guéris, les es-
claves dont il avait rompu les fers et les pauvres qu'il avait
nourris , accoururent de toutes parts à ses obsèqu es et firent
par leurs regrets et leurs larmes un éloge funèbre bien glo-
rieux pour ce saint solitaire. Il est honoré le 24 octobre. Il y a
auprès de Loches un village appelé de son nom Saint-Senou.
S. Léobard vivait en ce même temps reclus dans une cellule
de Marmoutier (i). Il était natif d'Auvergne, et ses parents
l'avaient obligé dans sa jeunesse à se fiancer avec une fille
qu'ils lui destinaient pour épouse : ce qu'il avait fait en lui
donnant le baiser, en lui mettant l'anneau au doigt et le sou-
lier au pied. Telles étaient les cérémonies civiles des fian-
çailles usitées en ce temps-là. Mais Léobard, devenu libre par
la mort de ses parents , se sentit porté comme par inspira-
tion à se retirer au tombeau de S. Martin. Ayant trouvé vide
une des cellules de Marmoutier, il s'y renferma, et il employait
tout le temps qu'il ne donnait pas à la prière à tailler des
pierres dans le roc , à faire du parchemin ou à transcrire des
livres. Ce dernier travail était, au témoignage de Sulpice
Sévère, l'occupation ordinaire des moines de Saint-Martin :
occupation fort utile dans un temps où l'imprimerie n'exis-
tait pas.
Le nouveau solitaire eut de rudes tentations à combattre.
Les imperfections mêmes de ceux qui avaient vieilli avant lui
dans la pratique de la vie monastique, furent le premier écueil
(1) Greg. Vit. PP., c. xx.
TOME II.
29
450 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [577 J
contre lequel faillit se briser sa vocation. Léobard ne trouva
pas que le monastère de Saint-Martin, qui était l'asile de la pé-
nitence, fût celui de la charité. Il fut même si scandalisé d'un
différend survenu entre quelques moines qu'il prit la résolu-
tion de quitter cette retraite. Il s'en ouvrit à Grégoire, son
évêque, qui lui fit connaître que c'était une tentation; il lui
remontra qu'il faut s'attendre à trouver des imperfections et
même des passions dans les plus saintes communautés, parce
qu'on y trouve des hommes ; que Dieu le permet ainsi afin que
les fautes des uns servent d'exercice à la vertu des autres ;
qu'au reste il y aurait de l'injustice à attribuer à la vie religieuse
des défauts qu'elle s'efforce de corriger. Pour le mieux con-
vaincre de ces vérités, il lui envoya les Vies des Pères du désert
et les Institutions monastiques de Gassien.
Léobard profita si bien de ces leçons qu'il fit servir à son
avancement ces imperfections mêmes qui l'avaient scandalisé.
Sa douceur était inaltérable, et sa charité s'étendait à tout. Du
fond de sa cellule il s'intéressait au bien des peuples et à
celui des princes qui les gouvernaient. Il priait particulière-
,ment pour le clergé. Sa piété était sans ostentation. Il n'affec-
tait pas, comme font quelques-uns, dit Grégoire de Tours,
d'avoir une longue chevelure et une longue barbe ; mais il se
faisait couper l'une et l'autre de temps en temps : ce qui montre
qu'il y avait de ces solitaires qui mettaient une sorte de vanité
à porter les cheveux longs et la barbe inculte.
Parmi plusieurs miracles qu'on rapporte de S. Léobard, le
plus éclatant fut la guérison d'un aveugle , à qui il rendit la
vue en lui faisant le signe de la croix sur les yeux. Le saint
solitaire, ayant passé vingt-deux ans dans sa cellule, tomba ma-
lade le dixième mois , c'est-à-dire en décembre , et envoya
prier Grégoire, son évêque, de venir le visiter et de lui donner
les eulogies (i) : ce qu'on doit ici entendre de l'Eucharistie.
(1) Eulogie signifie quelquefois dans les anciens auteurs YEucharistie. Én effet,
S. Paul nomma le sang de Jésus-Christ: to icot^ptov Tr,ç sCXo^ia; : calix benedi-
ctionis. Nous avons marqué ailleurs d'autres significations du mot eulogie.
[577] Ei\T FRAN'CE. — LIVRE VII. 451
Après les avoir rerues et pris un peu de vin, probablement
par forme d'ablution, il dit : « Ma mort est différée pour
quelque temps; mais je serai appelé avant le saint jour do
Pâques (1). » Il mourut en effet un dimanche du douzième
mois, c'est-à-dire du mois de février, on ne sait quelle année.
Il est honoré le 18 janvier et nommé vulgairement S. Liberd.
Le Maine était devenu pour la Gaule une nouvelle Thébaïde
par le grand nombre de saints solitaires qui venaient de toutes
parts s'y établir, et s'y livraient aux exercices de l'apostolat
et à ceux de la vie érémitique. Les mœurs des habitants four-
nissaient matière à leur zèle , tandis que les bois dont le pays
était couvert les invitaient à la solitude. Nous avons déjà fait
connaître plusieurs de ces saints : en voici quelques autres.
S. Fraimbauld et S. Constantien, l'un et l'autre originaires
d'Auvergne, vinrent éclairer le Maine par leurs vertus et par
leurs prédications. Ils ne sortaient de leur solitude que pour
aller travailler de temps en temps au salut du prochain , et cet
amour de la retraite donnait plus d'efficacité à leur zèle : car
lorsqu'on veut convertir le monde il ne faut pas aimer à s'y
faire voir. Fraimbauld se bâtit un oratoire en un endroit
nommé aujourd'hui Saint-Fraimbauld de Prière, et il mou-
rut saintement le 15 août dans un autre lieu qu'on a depuis
appelé Saint-Fraimbauld-siir-Pisse. On ne célèbre sa fête que
le 16 du même mois. Ses reliques furent transférées à Senlis,
où la reine Adélaïs, femme de Hugues Capet , fît bâtir une
église collégiale en son honneur.
S. Constantien se fixa à l'autre extrémité de la forêt de Nuz,
et se bâtit un monastère sur le territoire de Javron vers cette
époque. Les reliques de ce saint abbé y demeurèrent jusqu'aux
ravages des Normands ; elles furent d'abord portées au Mans ,
ensuite à Breteuil en Beauvoisis, où elles étaient en grande
vénération.
Les SS. Ernée et Aînée, Gault et Front édifiaient vers ce
(1) Greg. Vit. PP.. c. xx.
452 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
même temps divers cantons du Maine. S. Ernée fut enterré à
Ceaucé. Il est honoré le 11 septembre, et S. Aînée le 9 août.
Ils étaient venus l'un et l'autre d'Aquitaine. S. Gai ou Gault
s'établit sur le territoire de Laval; S. Front se bâtit une cellule
vers le lieu où s'est depuis formée la ville de Domfront, à la-
quelle quelques-uns croient qu'il a donné son nom (1). La
crainte de reproduire des faits fabuleux ou incertains nous
empêche d'entrer dans de plus grands détails sur la vie de ces
saints solitaires.
Nous avons parlé plus haut de la ferveur d'un grand nombre
de saints moines établis dans l'Armorique Bretonne. Le pays
nantais, qui n'était pas occupé par les Bretons , ne fournissait
pas des exemples moins édifiants. S. Friard , natif, à ce qu'on
croit , de la paroisse de Besné dans le duché de Goislin , se re-
tira près de Nantes dans une petite île de la Loire nommée
Yindunet , pour y mener la vie solitaire avec l'abbé Sapaudus
et le diacre Secondel. Mais l'abbé, qui devait donner l'exemple
aux autres, eut moins de courage que ses compagnons. Il se
dégoûta bientôt d'une si grande solitude , et rentra dans le
monde ; ce dernier parti lui fut bien funeste : car il fut tué peu
de temps après (2). C'est apparemment cet abbé Sapaudus que
S. Aubin d'Angers avait député en 549 au cinquième concile
d'Orléans.
Secondel abandonna aussi la solitude, trompé par une illu-
sion du démon , qui lui fît accroire qu'il était assez saint pour
aller édifier le monde par ses vertus et s'en faire admirer par
ses miracles. Mais il revint dans l'île quelque temps après
et répara cette faute par un redoublement de ferveur.
Friard était bien éloigné de donner dans un pareil piège.
(1) Courvaisier et Bondonnet, dans V Histoire des évêques du Mans, prétendent
que le nom de Domfront a été formé de domus Frontonis, ou, ce qui est plus pro-
bable, de domus Fronto. Domus se mettait souvent pour sanctus, et nos ancêtres
exprimaient en français domus par dam; comme Dam Dieu, Dominus Deus ; c'est
pourquoi on a dit aussi Dam front. D'autres ont cru que cette ville, étant située sur
les confins du Maine et de la Normandie, avait été nommée à cause des Normands-
Danois, Danifrons.
(2) Greg. Tur. Vit. PP., c. x.
[577] EN FRANCE. — LIVRE VII. 453
On rapporte un trait de sa modestie plus digne d'admira-
tion que le prodige qui en fut l'occasion. Cet humble soli-
taire, voyant qu'un bâton sec qu'il avait enfoncé dans la terre
avait reverdi, et qu'on venait de toutes parts admirer cet
arbre qu'on jugeait miraculeux, le coupa pour s'oter tout sujet
de vaine gloire.
La mort de Friard acheva de faire connaître sa vertu. Ce
saint ermite, étant tombé malade, envoya prier S. Félix,
évêque de Nantes , de venir le visiter avant son décès , qui
arriverait un dimanche. Félix, qui avait quelques affaires , lui
fît dire qu'il ne pouvait aller le voir sitôt (1). Alors Friard se
leva sans fièvre, en disant : « Il est juste d'attendre son
évêque. » Félix étant arrivé quelque temps après, Friard lui
dit : « Saint évêque, vous retardez bien le voyage que j'ai à
faire. » Aussitôt la fièvre le reprit, et, après avoir passé la nuit
du samedi en prière avec l'évêque , il mourut saintement le
dimanche matin, et, à ce qu'on croit, le premier jour du mois
d'août : ce qui fixerait l'époque de sa mort à l'an 577. S. Félix,
ayant lavé (2) et revêtu son corps, l'enterra dans un lieu où
s'est élevée depuis une église paroissiale dédiée sous l'invoca-
tion de S. Friard et de S. Secondel. On ne fait la fête de S. Friard
dans l'Église de Nantes que le 2 août.
Dans le même diocèse, S. Martin de Yertou s'adonna d'abord
aux fonctions de l'apostolat et ensuite aux exercices de la vie
solitaire et cénobitique. Il était né à Nantes d'une famille dis-
tinguée. L'évêque Félix, l'ayant ordonné diacre, l'envoya prê-
cher la foi et la pénitence à Herbadille, ville bâtie par les habi-
tants fugitifs de Nantes, à deux lieues de la Loire, vers les li-
mites du Poitou. On prétend que ce peuple endurci se moqua
des discours de ce saint missionnaire, et que la ville fut peu de
temps après engloutie dans le sein de la terre ou submergée
(1) Ibid.
(2) On voit par un grand nombre d'exemples que la ooutume était de laver les
corps morts et de les revêtir d'habits, avec lesquels on le» enterrait.
45 4 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
parles eaux (1) , vers l'an 580 (2). Mais nous ne trouvons pas
ce fait assez bien appuyé pour oser le garantir.
Quoi qu'il en soit , S. Martin fît ensuite divers pèlerinages
dans les pays étrangers et visita les plus célèbres monastères
pour s'instruire et s'édifier; puis il revint dans le pays
nantais, résolu d'y mener la vie solitaire. Mais les talents
dont il était doué ne lui avaient pas été donnés pour ne tra-
vailler qu'à son salut. Sa réputation lui ayant attiré un grand
nombre de disciples dans sa retraite, il bâtit un monastère en
l'honneur de S. Jean-Baptiste à deux lieues de Nantes,
dans un lieu nommé Vertou , et y établit une règle qu'il avait
apportée d'au delà des Alpes, probablement celle de S. Benoît.
Il bâtit dans la suite deux autres monastères en un lieu nommé
Durin (3) , l'un pour les hommes et l'autre pour les filles, et
gouverna jusqu'à trois cents moines. Il mourut fort âgé sur la
fin de ce siècle , et Dieu attesta après sa mort sa sainteté par
plusieurs miracles. L'Église honore sa mémoire le 24 octobre.
Baronius l'a confondu avec S. Martin abbé de Saintes et dis-
ciple du grand S. Martin (4).
S. Junien acquit dans le Poitou une grande célébrité. Il
était né d'une famille noble du pays ; mais, pour éviter les
pièges du monde , il renonça généreusement à tous les avan-
tages qu'il lui promettait et se retira dans un endroit solitaire
nommé Ghaulnai (5). Ste Radegonde, qui entendit parler de ses
vertus, se lia d'une sainte amitié avec lui. Ils s'envoyaient des
présents conformes à leurs pieuses inclinations , c'est-à-dire
des instruments de pénitence. Ste Radegonde donna à Junien
un cilice qu'elle avait fait de ses mains , et Junien lui envoya
une chaîne de fer dont elle se ceignit . Les liaisons que la vertu
(1) Il y a auprès de l'ancien emplacement d'Herbadille un grand lac qu'on pré-
tend s'être formé des eaux qui submergèrent la ville. Il est plus probable que c'est
ce lac qui a fait naître l'opinion que la ville avait été submergée.
(2) Vita Martini, apud Mabill.
(3) Ce lieu est nommé en latin Durivum , à cause du confluent de deux ruis-
seaux.
(t) Soi. ad Mart., 2i oct. — (5) Yulsinus Brenus, FIT*. S.Juniani.
[577] EN FRANCE. LIVRE VII. 455
forme entre les saints sont les plus douces et les plus cons-
tantes. La mort môme ne fit qu'unir plus étroitement Junien
et Radegonde : car Dieu les appela à lui le même jour et à la
même heure , comme nous le dirons dans la suite.
Junien, voyant le nombre de ses disciples s'accroître, bâtit
un monastère dans la terre de Mairé, que Glotaire lui donna.
Mais, pour mieux vaquer à la prière, il se retirait de temps en
temps dans son ermitage de Chaulnai. Il y mourut dans une
grande vieillesse le 13 août 587, après avoir désigné pour son
successeur dans le gouvernement de sa communauté Aure-
moncl, son disciple et son filleul. Le monastère de Mairé n'est
plus aujourd'hui qu'une paroisse qu'on nomme Mairé-l'Eves-
caut. Les reliques de S. Junien ont été dans la suite transférées
au monastère de Noaillé, où la crainte des calvinistes les a si
bien fait cacher qu'on ne les a plus retrouvées.
En Auvergne, S. Galuppan était religieux dans le monastère
de Melet, dont il ne reste depuis longtemps aucun vestige.
Gomme ses austérités l'avaient rendu si faible qu'il ne pou-
vait travailler, le prévôt du monastère lui en faisait de fré-
quents reproches, disant qu'un moine qui ne travaille pas,
ne doit pas manger. Pour les éviter, Caluppan se retira dans
le creux d'un rocher voisin, où il mena une vie angélique. Il
eut beaucoup à souffrir dans ce lieu, et il racontait à Grégoire
de Tours, qui alla le visiter avec S. Avite évêque d'Auvergne,
que souvent les serpents lui tombaient sur la tète et s'entor-
tillaient autour de son cou, lorsqu'il était en prière. Mais
rien ne put l'engager à sortir de son ermitage, qu'il regarda
en y entrant comme son tombeau. Il y vivait du pain qu'on
lui envoyait du monastère et de l'eau qui dégouttait de la
voûte de sa grotte. Les malades accouraient à lui de toutes
parts ; mais il Tle se montrait pas et il passait seulement
la main par une petite fenêtre pour faire sur eux le signe de
la croix (1). Il mourut renommé par ses miracles cà l'âge de
(t) Greg. Tur. Vit. PP.: c. xi ; Hist.j 1. V, c. ix.
456 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
cinquante ans, en 576; plusieurs martyrologes en font men-
tion le 3 mars.
La même année mourut S. Patrocle, illustre solitaire qui
fut une des lumières du Berri, sa patrie. Il était né dans une
modeste condition, et il garda quelque temps les troupeaux
de son père. Une raillerie de son frère, qui étudiait, le porta à
aller aussi à l'école, où il fît en peu de temps de grands pro-
grès (i). On le mit ensuite auprès d'un courtisan de Childe-
bert, roi de Paris, pour achever de le former. Patrocle se fit
estimer à la cour par ses talents et encore plus par sa sagesse.
Ayant été obligé de revenir dans le Berri, après la mort de son
père, sa mère, qui le regardait comme devant être la consola-
tion de sa vieillesse, voulut le marier. Il répondit qu'il avait
un autre dessein, et, sans s'expliquer davantage, il alla se
jeter aux pieds de S. Arcade, alors évêque de Bourges, lui
demandant avec instance la tonsure cléricale. Le saint évêque
la lui donna aussitôt, et quelque temps après il l'ordonna
diacre.
Patrocle paraissait irréprochable dans l'exercice de son mi-
nistère : on lui lit un crime de ses vertus mêmes. Comme
l'amour de l'abstinence et de la prière l'empêchait de se trouver
à la table commune des clercs, l'archidiacre l'en reprit avec
aigreur, et lui dit de vivre comme les autres ou de se retirer
ailleurs : ce qui montre que les clercs vivaient en commu-
nauté. Patrocle, qui songeait à mener une vie plus parfaite, se
retira dans le bourg de Néris (2), où il bâtit un oratoire en
l'honneur de S. Martin. Sa principale occupation était d'en-
seigner les lettres aux jeunes enfants. Sa vertu ne tarda pas à
éclater dans cet emploi , aussi pénible qu'obscur , et on lui
amenait de toutes parts des possédés qu'il délivrait. Mais,
comme il vit que sa réputation nuisait à son amour de la soli-
tude, il résolut de quitter ce lieu. Il établit une communauté
(1) Greg. Hist., 1. V, c. x ; VU. PP., c. ix.
(2) La table de Peutinger fait mention d'un lieu nommé Aquœ Neri. De Valois
croit que c'est Néris en Bourbonnais, et que ce fut là que S. Patrocle se retira.
[577] EN FRANCE. — LIVRE vu. 457
de religieuses auprès de son oratoire , et sortit de Néris sans
rien emporter qu'un râteau et une hache, avec laquelle il se
fit une petite cellule dans le fond d'une forêt.
Il bâtit dans la suite le monastère de Colombières , à cinq
quarts de lieue environ de sa nouvelle cellule; mais il y établit
un abbé pour n'être pas obligé d'interrompre sa retraite. Ce-
pendant ses vertus le firent élèvera la prêtrise : ce fut pour lui
une nouvelle raison de redoubler ses austérités. Il portait
continuellement le cilice et ne buvait jamais de vin. Toute sa
nourriture était du pain trempé dans l'eau avec un peu de sel,
et sa boisson de l'eau tempérée par un peu de miel (1). Quand
on traite sa chair de la sorte, elle est bientôt soumise à l'esprit,
et l'esprit soumis à Dieu. Une oraison presque continuelle était
en effet toute l'occupation et toutes les délices de Patrocle : il
ne l'interrompait de temps en temps que pour lire ou écrire,
persuadé que la prière et le travail sont l'unique moyen de
sanctifier la solitude et d'en prévenir l'ennui. Il passa ainsi
dix-huit ans. Il fut enterré à Colombières, où trois aveugles
recouvrèrent la vue à son tombeau. Quelques-uns le nomment
vulgairement S. Parre.
S. Lomer, originaire du pays chartrain, se retira d'abord
dans les forêts du Perche pour y mener la vie érémitique.
Des voleurs, s'imaginant qu'il avait de l'argent, formèrent le
dessein de le lui enlever; mais ils errèrent longtemps dans
les bois, et, en paraissant devant le saint homme, ils furent
tellement frappés de l'air de sainteté qui éclatait sur son vi-
sage, qu'ils se jetèrent à ses pieds, lui confessant leur mauvais
dessein et lui en demandant pardon. Il leur dit (2) : « Vous
vous étiez trompés : Jésus-Christ est tout mon trésor; je vous
pardonne, que le Seigneur ait pitié de vous. » Il retint trois
jours ces voleurs, qui ne se séparèrent de lui qu'à regret et
pour aller publier ses vertus. Cette aventure fit connaître
Lomer. Plusieurs disciples s'étant joints à lui, il bâtit dans ces
(1) Greg. Tur , 1. V, c. x. — (2) Vita Launomari, apud Boll., 19 jaimar.
458 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
forêts un monastère, qui fut appelé de son nom Bellomer.
Plus tard un seigneur du pays nommé Ragnosinthe lui donna
la terre de Corbion au territoire de Dreux, où il bâtit un autre
monastère la seconde année de Chilpéric.
Le saint abbé gouvernait depuis longtemps ce monastère en
paix et il était parvenu à une grande vieillesse, lorsque, l'évê-
que (1) de Chartres l'ayant appelé auprès de lui, il tomba ma-
lade. Le prélat lui en témoignant sa douleur par ses larmes,
Lomer lui dit : « Saint évêque, ne vous affligez point. La mort-
est une loi que nous devons tous subir ; mais je l'envisage avec
joie, parce que j'ai confiance en la miséricorde infinie de mon
Dieu. Quand on me donnerait le choix de demeurer sur la
terre, je ne l'accepterais point, pour ne pas voir la désolation de
cette province et le sac de cette ville. Mais rassurez-vous :
vous n'aurez pas non plus la douleur d'être le spectateur de
ces maux et vous mourrez avant le siéçede Chartres. » Nous
verrons comment cette prophétie se réalisa. S. Lomer mourut
le 19 janvier et fut enterré dans l'église du monastère de
Saint-Martin en Yallée. Mais Regnobert, son successeur dans
le gouvernement du monastère de Corbion, ayant inutilement
redemandé son corps, le fit enlever furtivement par deux de
ses religieux, qui, pour mieux exécuter leur dessein, se firent
moines à Saint-Martin en Yallée.
Dans l'Angoumois, S. Eparchius, vulgairement appelé S. Ci-
bar, ne faisait pas moins honneur à la vie cénobitique et à la
vie solitaire, qu'il mena successivement. Il était issu d'une des
premières familles du Périgord ; mais, prévenu par la grâce dès
sa jeunesse, il préféra l'amour de la croix et de la pauvreté à
tous les avantages de la fortune ; et il n'attendit pas pour s'ar-
racher aux plaisirs du monde, qu'il en eût éprouvé la vanité
et le danger. A l'âge de quinze ans il alla se jeter aux pieds de
(1) La Vie de S. Lomer nomme cet évêque de Chartres Malard ou Maillard. Ou
croit que c'est une faute, et qu'il faut lire Pappole. Car S. Malard n'a vécu qu'après
la prise de Chartres. Ce serait peut-être une raison de reconnaître deux Malard
évêques de Chartres.
1577] EN FRANCE. — LIVRE VII. 459
Martin, abbé de Sédaciac, le conjurant de lui donner l'habil
monastique. On le reçut avec joie dans ce monastère, et il y
passa quelques années dans une grande ferveur (1).
Aphtone, évêquc d'Angoulême, ayant connu Eparchius lors
d'un voyage que celui-ci avait été obligé de faire, fut si édi-
fié de ses vertus qu'il le pria de fixer sa demeure dans son
diocèse. Le saint moine voulut avoir le consentement de son
abbé et de son évèque, qui était Sabaudes de Périgueux (2).
Après l'avoir obtenu non sans peine, il s'associa quelques
disciples et s'enferma dans une cellule où il demeura jus-
qu'à sa mort, c'est-à-dire pendant trente-neuf ans (3). Il s'y
ensevelit tout vivant comme dans un tombeau pour mourir
plus parfaitement au monde. L'office divin y était toute son
occupation et toute sa consolation. Il passait les jours et les
nuits à le réciter, et son attrait pour la prière était si grand,
qu'il ne voulait pas que ses disciples travaillassent des mains :
il leur recommandait plutôt de s'adonner entièrement à l'orai-
son. Le saint solitaire se distingua par une compassion tendre
pour tous les malheureux : ceux qui sont les plus durs envers
eux-mêmes sont communément les plus sensibles aux souf-
frances des autres. Il rachetait par le ministère de ses disciples
un grand nombre d'esclaves avec les aumônes qu'on lui fai-
sait , et il se servait auprès des juges du crédit que lui donnait
sa vertu pour délivrer les criminels condamnés à mort : cha-
rité que Dieu a quelquefois autorisée en lui par d'éclatants
miracles. Il mourut en 581, le 1er juillet, jour auquel on
célèbre sa fête (4). On a bâti après sa mort un monastère ap-
pelé de son nom Saint-Cibar : car c'est ainsi que l'usage et le
peuple ont défiguré le nom & Eparchius.
(I) 17/. Eparchii. — (2) Le P. Mabillon hésite à décider si Sabaudes était évêque
de Périgueux ou de Saintes, et il dit qu'il faudrait le mettre dans le catalogue des
éveques de l'un de ces sièges. 11 n'avait pas fait attention que les frères de Sainte-
Marthe l'ont inséré parmi les évêques de Périgueux.
(3) L'auteur de la Vie de S. Cibar ne lui donne que trente-neuf ans de réclusion ;
Crégoire de Tours en marque quarante -quatre. Ce dernier compte peut-être les
années que Cibar passa dans son premier monastère.
(4) Greg. Tur. Hist., 1. VI, c. viii.
460 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
S. Arédius ou Yrieix faisait en ce même temps fleurir la dis-
cipline monastique dans le Limousin. Il naquit à Limoges,
d'une riche famille, et fut élevé à la cour de Théodebert, roi
d'Àustrasie. S. Nicet de Trêves, qui le connut alors, eut quel-
que pressentiment des desseins que Dieu avait sur lui, et s'ap-
pliqua à le désabuser des vanités du siècle. Yrieix fut docile à
ses leçons et quitta la cour pour s'engager dans le clergé de
Trêves (1). Il s'y forma pendant quelques années à la vertu.
La mort de son père et de son frère l'ayant obligé de retourner
à Limoges pour consoler Pélagie , sa mère , il lui abandonna
l'administration de tous ses biens, se réservant le soin de faire
bâtir des églises en l'honneur des saints. Il fonda un monas-
tère près de. Limoges , dans un lieu nommé alors Atane , au-
jourd'hui Saint- Yrieix, où la plupart de ses serviteurs, à qui il
avait inspiré des sentiments de piété, embrassèrent la vie reli-
gieuse. Les domestiques sont portés naturellement au bien
sous un maître vertueux. Yrieix établit à Atane une règle
composée de celles de Cassien, de S. Basile et des plus cé-
lèbres instituteurs de la vie monastique.
La vertu du saint abbé et le don des miracles, qu'il avait
reçu du Ciel, le firent respecter des princes de la terre. Sa cha-
rité le rendait auprès d'eux l'avocat et le défenseur des peuples
opprimés , et il se rendit deux fois à la cour de Chilpéric pour
demander quelque diminution des impôts : ce que ce prince
ne put lui refuser. Yrieix avait une dévotion particulière pour
S.Martin, et pour la satisfaire il visitait souvent son tom-
beau. Sentant sa fin approcher, il voulut encore faire ce pèle-
rinage et se trouver à la fête du saint évêque. C'était celle du
mois de juillet. Peu de tempsaprès son retour à sonmonastère,
il tomba malade au mois d'août d'une dyssenterie. Il appela
aussitôt un serviteur et lui dit : Allez dire à Astidius qu'il se
presse de venir : car il doit gouverner ce monastère après moi.
Il fit en môme temps assembler ses moines, leur recommanda
(1) Greg. Tur., 1. X, c. xxix.
[57 7] EX FRANCE. LIVRE VII. 461
de se souvenir des avis qu'il leur avait donnés, et surtout de
penser souvent aux jugements de Dieu. Après quoi, les ayant
embrassés tendrement pour leur faire ses adieux (1), il leva
les yeux au ciel et dit avec larmes : « Seigneur, rédempteur
du monde, souvenez-vous de moi, vous qui seul êtes sans
péché, et délivrez-moi de ce corps de mort. Vous êtes mon
protecteur et mon Dieu; je remets mon âme entre vos mains,
recevez-la selon votre grande miséricorde. » Il expira en di-
sant ces paroles, âgé de plus de quatre-vingts ans, le 25 août
591. Astidius, qui étaitson neveu, le trouva mort quand il
arriva .
S. Ferréol, évéque de Limoges, se rendit en diligence au
monastère d'Atane, pour y faire les funérailles de S. Yrieix. Il
avait une telle vénération pour ce saint abbé, qu'aussitôt qu'il
se sentait malade il avait recours à ses prières comme au re-
mède le plus efficace, quoiqu'il opérât lui-même des miracles.
Il avait succédé sur le siège de Limoges à Esotius, qui gou-
verna cette Église quinze ans et qui se rendit recommandable
par sa chasteté, par sa patience et par son zèle pour la décoration
des églises (2). Nous aurons encore occasion ailleurs de parler
de S. Ferréol.
S. Yrieix avait fait, du vivant et avec l'agrément de sa mère
Pélagie, un testament daté du 31 octobre de la onzième année
de Sigebert, c'est-à-dire de l'an 572 (3), par lequel il institue
ses héritiers S. Martin de Tours et son monastère d'Atane, qu'il
soumet à l'église de Saint-Martin (4). Ce que nous y remar-
quons déplus particulier, c'est que ce saint abbé conjure le
prévôt de Saint-Martin et les moines d'Atane, par le corps et
le sang de Jésus-Christ et par les mérites de tous les saints, de
faire dire tous les jeudis une messe en l'honneur de S. Hilaire
(1) Vita Aredii., t. IV Anal. — (2) Fort., 1. IV, carm. 6.
(3) Le P. Lecointe rejette le testament de S. Yrieix comme une pièce supposée
et qui fait mal au cœur, selon son expression. Le P. Mabillon l'a donné comme
un acte authentique, et nous n'y voyons rien qui ne s'accorde avec les mœurs
de ce temps-là.
(4) Anal,, t. II.
462 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [577]
et de S. Martin dans l'oratoire dédié à S. Hilaire. On voit par le
nombre des legs quels grands biens il possédait en terres et en
esclaves. Ce n'est pas le seul exemple que nous puissions
citer de saints abbés qui aient disposé de leurs biens par
testament ; cette faculté leur fut interdite dans la suite.
Pélagie, mère de S. Yrieix, est aussi honorée comme sainte
le second jour du mois d'août. Elle pria son fils de ne la faire
enterrer que le quatrième jour après sa mort, afin que tous
ceux qui avaient été à son service, et à qui elle avait fait du
bien, eussent le temps de se rendre à ses obsèques. Il s'y fil
plusieurs miracles (1),
Avant S. Yrieix, S. Yalleri avait illustré le Limousin par l'é-
clat de ses vertus. Il était originaire de la Basse-Germanie. Sa
dévotion envers S. Martial l'ayant attiré à Limoges, il s'y fixa
et vit bientôt plusieurs moines venir se ranger sous sa direc-
tion. Il est honoré le 10 janvier. Il faut le distinguer de S. Ya-
lery du Ponthieu, dont nous parlerons dans la suite.
S. Yrieix eut un disciple qui renouvela dans les Gaules les
vertus et les merveilles des stylites de l'Orient. Il se nommait
Yulfilaïc, vulgairement S. Oui f roi ou Val f roi. Il était Lombard
de naissance, et dès sa jeunesse il se sentit une tendre dévo-
tion pour S. Martin. Il veillait souvent en son honneur dans
l'église, et donnait aux pauvres ce qu'il pouvait amasser d'ar-
gent. Comme le monastère d'Atane était alors fort renommé,
il y entra pour se mettre sous la conduite de S. Yrieix. Ce saint
abbé conduisit un jour son nouveau disciple à Tours au tom-
beau de S. Martin, et y prit un peu de terre qu'il serra dans
une boite ; mais à leur retour au monastère il trouvèrent cette
terre tellement multipliée, que toute la boite en était pleine.
Ce miracle inspira à Yulfilaïc une nouvelle confiance en
S. Martin. Il quitta Âtane quelque temps après, et se retira au
diocèse de Trêves pour y mener une vie encore plus parfaite
et plus solitaire (2). Il trouva environ à une lieue cl'Yvois,
(1) Greg. Tur., de Glor. confess., c. civ. — (2) Greg. Tur., 1. VIII, c. xv.
[577] EN FRANCE. — LIVRE VII. 463
aujourd'hui nommé Garignan, une montagne consacrée à
Diane, et où il y avait une statue colossale de cette déesse (1).
Pour purifier ce lieu souillé par ce culte sacrilège et réparer
par un culte saint l'outrage fait à la majesté de Dieu, il y bâtit
une église et un monastère en l'honneur de S. Martin, où il
plaça quelques-unes de ses reliques.
Mais les austérités de la vie monastique ne pouvant encore
satisfaire assez la ferveur de Vulfilaïc, il crut pouvoir retracer
la merveilleuse pénitence des stylites orientaux. Il érigea donc
au plus haut de la montagne une colonne, sur laquelle il se
tint debout nu-pieds, exposé à toutes les rigueurs de l'hiver,
qui est fort rude en ce pays-là : en sorte que le froid lui fit
tomber plusieurs fois les ongles des pieds. Sa nourriture ne
consistait qu'en un peu de pain et d'eau avec quelques herbes.
La nouveauté d'une pénitence si extraordinaire frappa les ha-
bitants des environs. Ils accouraient en foule au pied de la
colonne de Vulfilaïc , et il leur prêchait de cette chaire la va-
nité des idoles et l'indécence des chansons qu'ils chantaient
dans leurs festins. Il leur représentait surtout que la Diane
qu'ils adoraient n'était qu'une faible idole, sourde à leurs
vœux et insensible au culte qu'ils lui rendaient (2). Des dis-
cours soutenus par une vie si austère furent persuasifs : ils
détrompèrent ces pauvres idolâtres.
Dès que le nouveau stylite s'en aperçut, il descendit de sa
colonne pour renverser la statue, qui était d'une grandeur
prodigieuse : il ne put d'abord en venir à bout, même avec
l'aide de plusieurs personnes. Mais après qu'il eut fait sa prière
dans l'église, la statue céda aux premiers efforts, et il la réduisit
en poussière. À l'instant son corps parut tout couvert de pe-
tits ulcères, comme si le démon eût voulu se venger sur lui
il) On voit par d'anciennes inscriptions que Diane était honorée particulièrement
dans la forêt d'Ardenne, sous le nom à'Ârdoine : ce qui nous fait croire que cette
déesse a pris son nom de la forêt, ou qu'elle lui a donné le sien. Or, la forêt d'Ar-
denne comprenait une partie du diocèse de Trêves, et elle s'étendait autrefois
oeaucoup plus loin.
(2)Greg. Tur. Hist., L VIII, c. xv.
464 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [57 7 J
de l'injure qu'il venait de recevoir ; mais le saint se remit en
oraison au pied de l'autel, puis il se frotta avec de l'huile qu'il
avait apportée de l'église de Saint-Martin et s'endormit. S'é-
tant réveillé vers minuit pour chanter l'office, il se trouva
entièrement guéri, et il remonta sur sa colonne.
Cependant on parlait diversement de son genre de vie, et
quelques-uns craignaient qu'il n'y eût quelque exagération
répréhensihle dans une pénitence qui paraissait si fort au-
dessus des forces humaines. Les évêques voisins vinrent donc
le trouver et lui dirent : « La voie que vous suivez n'est pas
sûre : vous n'êtes pas en état d'imiter le célèbre Siméon d'An-
tioche, et le climat où nous sommes ne le permet pas : des-
cendez plutôt et demeurez avec les frères que vous avez ras-
semblés. » Il montra par son obéissance et son humilité que
le même esprit qui avait conduit le grand Siméon son modèle,
était celui qui l'animait. Il descendit aussitôt et mangea avec
les évêques. Quelque temps après, celui de Trêves l'envoya
quérir sous quelque prétexte, et pendant son absence il com-
manda des ouvriers pour aller abattre la colonne. Vulfilaïc,
qui n'en vit que les débris à son retour, ne put retenir ses
larmes. Mais il n'osa la rétablir par respect pour son évêque.
Il demeura depuis ce temps-là avec ses frères dans son monas-
tère, où il raconta lui-même à S. Grégoire de Tours tout ce
que nous venons de rapporter : il lui fit aussi le récit d'un
grand nombre de miracles opérés dans l'église de son monas-
tère par la vertu de S. Martin, et principalement pour la puni-
tion des criminels qui avaient osé y faire de faux serments en
prenant S. Martin à témoin de leur innocence (1).
C'était en effet l'usage à cette époque, que ceux qui étaient
accusés de quelque crime vinssent aux tombeaux des saints les
plus renommés par leurs miracles se purger par serment (2)
(1) Greg. Tur. Hist., 1. VIII, c. xv.
(2) Nous avons un modèle de ces serments dans d'anciennes formules qu'on
nomme angevines, parce qu'elles ont été tirées des actes publics de la ville d'An-
gers faits sous le règne de Childebert Ier. En voici la teneur : Juratus dixit : Per
hune loco sancto et divina omnia sanctorum patrocinia qui hic requiescunt , unde mihi
[577] EX FRANCE. LIVRE VII. 465
des crimes pour lesquels ils étaient poursuivis en justice. Sou-
vent môme la personne accusée en faisait jurer une autre pour
elle. Ces sortes de serments étaient quelquefois l'occasion de
rixes scandaleuses et de luttes à main armée, qui faisaient cou-
ler le sang jusque dans le lieu saint. Une dame de Paris ayant été
accusée d'adultère par son mari, le père de cette femme alla
jurer sur le tombeau de S. Denis qu'elle était innocente. Mais
à l'instant on s'écria parmi les témoins qu'il se parjurait, et,
les parties ayant mis l'épée à la main dans l'église , quelques-
uns des combattants furent tués sur la place. On mit l'église
en interdit, et l'affaire fut portée au roi, qui en reriYoya la
connaissance à Ragnemode, évèque de Paris (1). La femme,
qui apparemment était coupable, voyant qu'on instruisait son
procès, se pendit.
On ne sait en quelle année mourut Vulfilaïc. Il est honoré
le 21 octobre. C'est par suite d'une grave erreur que quelques
auteurs, divisant en deux le nom de Vulfilaïcy l'ont nommé
S. Vulphe, convers, quoiqu'il fût diacre.
Dans une autre extrémité de la Gaule, près de Nice en Pro-
vence, vivait un saint solitaire nommé Hospice, qui était aussi
un parfait modèle de la vie solitaire et pénitente. Il était tou-
jours couvert d'un rude cilice et ceint de grosses chaînes de
fer, il ne mangeait que du pain avec quelques dattes- (2). En
carême, il ne vivait que de racines d'herbes d'Egypte, que les
marchands lui apportaient : ce qui peut faire penser qu'il était
Égyptien. Il fut doué du don de prophétie et dit un jour à
plusieurs personnes qui entouraient sa cellule : « Les Lombards
aliquid homenis illi et germanus suos illi reputaverunt quod parente eorum illo
quondam interfecisse aut interficere rogasse : ipsum non occisi, nec occidere rogavi,
nec consciens, nec consentaneus ad morte sua nunquam fui, nec illud de hac causa
non redebio nisi illo edonio sacramento quem judicatum habui, legibus transivi, etc.
On voit par cet extrait le latin barbare qui était alors en usage dans les actes du
barreau.
(1) Greg. Tur., 1. Y, c. xxxm.
(2) Les dattes sont le fruit du palmier ; Hospice s'en faisait apparemment ap-
porter d'Égjpte, pour imiter les anciens solitaires, qui en faisaient leur nour-
riture.
TOME II. 30
466 HISTOIRE DE l'église catholique [577]
viendront dans les Gaules et y ravageront sept villes, parce
que les péchés des Gaulois se sont multipliés devant Dieu, et
que personne ne songe à apaiser sa colère. Tout le peuple
est infidèle, adonné aux parjures et aux homicides... On ne
paye point les dîmes, on ne nourrit point les pauvres, on
n'exerce point l'hospitalité : toutes ces prévarications attire-
ront sur vous ce fléau. Aussi, je vous avertis de mettre vos
biens en sûreté dans l'enceinte des places fortes et de vous y
retirer vous-mêmes. » Puis, adressant la parole aux moines
ses disciples : « Prenez aussi la fuite, vous autres, leur dit-il :
car voici cette nation barbare qui approche. » Et comme ils ne
pouvaient se résoudre à le quitter, il ajouta : « Ne craignez
pas pour moi : ils m'outrageront, mais ils ne me feront pas
mourir (1). »
A peine les moines s'étaient-ils retirés, que les Lombards se
présentèrent à la cellule d'Hospice, cherchant partout du bu tin.
Ils s'adressaient bien mal. Le saint homme se montra à eux
par la fenêtre de la tour où il était enfermé. Et comme ils ne
trouvèrent pas de porte pour y entrer, deux d'entre eux
grimpèrent sur le toit et le découvrirent. Alors, surpris et
effrayés de voir un homme chargé de chaînes et couvert d'un
cilice affreux, ils jugèrent que c'était quelque malfaiteur qu'on
avait enfermé dans cette espèce de cachot . Ils lui demandèrent
donc par leur interprète quels crimes il avait commis pour
être traité de la sorte. Il répondit avec humilité qu'il était en
effet coupable de toutes sortes de forfaits. Ils le crurent , et
un de ces barbares leva le bras pour lui fendre la tête d'un
coup de sabre ; mais le bras levé demeura immobile. A la vue
de ce miracle, les compagnons du Lombard jetèrent un grand
cri, implorant le secours du saint solitaire. Hospice fit le signe
de la croix sur le bras perclus et le guérit à l'instant, rendant
ainsi la santé à celui qui avait voulu lui ôter la vie. Ce miracle
en opéra un autre plus grand. Le soldat lombard se convertit.
(I) Greg. Tur , 1. VI, c. vin.
[577J EN FRANCE. — LIVRE VII. 467
et par reconnaissance se fit moine et disciple de son bienfai-
teur.
Les Lombards firent une première irruption dans les Gaules
en 568, l'année même de leur établissement en Italie. Ils en
firent une seconde l'an 573, et ils demeurèrent plusieurs jours
dans le monastère d'Agaune ; mais leur armée fut battue et
presque entièrement détruite par les généraux du roi Gon-
tran (1). C'est à l'une de ces deux excursions qu'il faut rap-
porter le miracle dont nous venons de parler.
Quelque temps après, un diacre du diocèse d'Angers allant
à Rome pour en rapporter des reliques des saints apôtres et
des autres saints martyrs les plus célèbres, un citoyen d'An-
gers, qui était devenu sourd et muet, eut la dévotion de faire
ce pèlerinage avec lui (2). En passant par Nice, ils visitèrent
S. Hospice, et le diacre lui découvrit le sujet de son voyage
et l'infirmité de son compagnon. Le saint fit approcher le ma-
lade, et, parla fenêtre de sa tour, le frotta à la bouche et à la
tête d'huile bénite, en disant : « Au nom du Seigneur Jésus-
Christ, que vos oreilles soient ouvertes, et que la vertu qui
a chassé un démon d'un homme sourd et muet vous délie la
langue. » Hospice, ayant fait cette prière, demandaà l'Angevin
quel était son nom, et cet homme muet auparavant le pro-
nonça aussitôt d'une voix claire et distincte (3). Alors le
diacre s'écria : « Je cherchais Pierre, je cherchais Paul, Lau-
rent et les autres saints qui ont illustré Rome de leur sang,
je les ai trouvés tous ici. » Hospice lui dit : « Mon cher frère,
ne parlez pas de la sorte : ce n'est pas moi qui agis en tout
ceci, c'est Celui qui d'une parole a créé le monde de rien.» Il
guérit de la même manière un aveugle-né nommé Dominique.
Quand Hospice sentit sa fin approcher, il fit appeler le pré-
vôt de son monastère et lui dit : « Apportez un pic pour en-
(1) Marius Avent. in Chron. — (2) Greg. Tur., 1. VI, c. VI.
(3) Fleury, t. VII, p. 582, dit que cet homme se nommait Pir. Il y a en effet
dans quelques éditions de Grégoire de Tours : Pir dicor ; mais dans le plus grand
nombre des manuscrits et dans la dernière édition on lit : Sic dicor.
468 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
foncer la muraille, et mandez à l'évêque de la ville qu'il vienne
m'ensevelir, parce que dans trois jours j'irai jouir du repos
que le Seigneur m'a préparé. » Le prévôt s'empressa de faire
transmettre à l'évêque de Nice les paroles du saint. Un té-
moin de cet entretien nommé Crescens, s'étant alors approché
de la fenêtre et voyant Hospice chargé de chaînes et couvert
de plaies où les vers pullulaient, s'écria-: « 0 mon seigneur,
comment pouvez-vous supporter avec tant de courage d'aussi
horribles tourments? Celui pour la gloire de qui je souffre
ces choses, répondit Hospice, m'en donne la force; mais je le
dis, bientôt mes chaînes seront brisées, et je m'en vais au
repos. » Quand son heure fut venue, il quitta les chaînes dont
il était chargé , pria longtemps la face contre terre ; puis il se
coucha sur un banc, où il expira. Austadius, évêque de Nice et
de Gémèle (1), vint accomplir la cérémonie de son inhuma-
tion. « J'ai appris toutes ces choses, dit S. Grégoire de Tours ,
de la bouche même du sourd et muet qui avait été guéri par
le saint solitaire. » On croit que S. Hospice a vécu dans le lieu
nommé aujourd'hui par corruption San-Sospir, à trois quarts
de lieue de Nice. L'Église honore sa mémoire le 21 mai; il
mourut vers l'an 580.
S. Lifard, abbé de Meun, était mort plusieurs années aupa-
ravant. Il naquit à Orléans , et s'y distingua dans le barreau
par une rare connaissance des lois civiles. Mais à l'âge de qua-
rante ans il s'engagea dans le clergé et résolut de ne plus
étudier que la loi de Dieu. Pour la pratiquer plus parfaitement,
il se retira avec un compagnon nommé Urbice à Meun, qui
était un lieu inhabité depuis les ravages des Vandales. Il y
bâtit un monastère que sa réputation rendit célèbre , et que
S. Urbice gouverna après lui. Ce fut pendant plus de six cents
ans une église collégiale, qui porta le nom de Saint-Lifard.
Il est honoré le 2 juin, et S. Urbice le 30 mai. On croit
(l) Austadius ne se trouve pas dans le catalogue des évêques de Nice et de
Cénièle : c'est une faute.
[580] E.V FRANCE. — LIVRE VII. 469
que ces saints, avant de se retirer à Meun, avaient pris des
leçons de la vie religieuse dans le monastère de Mici, qui con-
tinua d'être très-florissant sous la discipline des saints abbés
Théodemir et Mcsmin, deuxième du nom.
S. Théodulfe et S. Basolc , vulgairement appelés S. Thiou
et S. Basle, illustrèrent par leurs vertus l'état monastique dans
cette partie de la Belgique qu'on commençait alors à nommer
la Champagne. S. Thiou fut le troisième abbé de Saint-Thierry
de Reims , et il gouverna ce monastère pendant environ cin-
quante ans. On rapporte sa mort à l'an 590. S. Basle était né
dans le Limousin d'une famille distinguée par sa noblesse.
Le désir de cacher le sacrifice qu'il faisait à Dieu en quittant
tout , le fit passer dans le diocèse de Reims sous le pontificat
de l'évêque Gilles, qui le reçut avec bonté. Il se retira dans
le monastère de Verzy, où il n'y avait que douze moines. Il y
apprit les lettres et les exercices de la vie religieuse. Après
quoi, pour mener une vie plus solitaire, il se bâtit une cellule
sur la montagne voisine , où l'on prétend qu'il vécut enfermé
pendant quarante ans (1). La sainteté de sa vie fut signalée
par plusieurs miracles; il est honoré le 26 novembre. Le mo-
nastère de Yerzy fut transféré sur la montagne et porta depuis
le nom de Saint-Basle.
Il paraît assez vraisemblable que ce fut vers le même
temps qu'un saint prêtre nommé Victor (2) mena la vie
érémitique près d'Archies, dans le diocèse de Troyes, sa
patrie. Les miracles qu'on lui attribue, sont des preuves de
ses vertus ; mais nous n'en connaissons pas assez le détail. Ses
reliques ayant été dans la suite transférées à Monstier-Ramey,
Guy, qui en était alors abbé, pria S. Bernard de composer un
office propre de ce saint, dont il lui envoya la Vie : cette rela-
tion est venuejusqu'à nous, elle ne nous fait guère connaître
(1) Flod., 1. II, c. m.
(2) On n'a aucune certitude sur le temps où a vécu S. Yictor. Il est parlé dans
sa Vie d'un roi de France qui le visita dans sa cellule ; mais on ne nomme pas ce
roi. Camuzat dit seulement qu'il a vu d'anciens manuscrits qui font vivre S. Victor
sous Chilpéric.
470 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
que des miracles. Le saint abbé de Clairvaux fit en l'honneur
de S. Victor deux sermons pour servir de leçons, une hymne,
dans laquelle il dit qu'il a négligé la mesure des vers pour
mieux conserver la force des pensées, et des répons avec des
antiennes propres (1). Nous avons encore tout cet office, et l'on
y reconnaît l'onction et la piété qui coulaient du cœur de
S. Bernard et inspiraient sa plume. C'est une nouvelle gloire
pour S. Victor d'avoir eu ce grand saint pour panégyriste ; on
célèbre la fête de S. Victor le 26 février.
Tandis que Dieu faisait goûter les douceurs de son service
à tous ces saints solitaires au milieu des afflictions du monde
et des austérités de la pénitence , Ghilpéric et Frédégonde, au
sein des délices de la cour, éprouvaient que le crime ne pro-
cure ni la paix ni la félicité. Comme Frédégonde était surtout
l'objet de la haine publique , on répandait sans cesse sur son
compte les bruits les plus odieux, on alla même jusqu'à l'ac-
cuser d'adultère avec un évêque. Ces discours, qui arrivaient
jusqu'aux oreilles du roi, vengeaient en quelque sorte les lois
que ce prince avait violées pour épouser cette femme , et ils
auraient pu lui faire ouvrir les yeux si sa passion eût été
moins aveugle. Mais Frédégonde, en perdant sa réputation,
ne perdit rien de son crédit; et Chilpéric, sans s'en prendre
à celle qui donnait lieu par sa conduite à de pareils bruits, ne
songea qu'à faire le procès à ceux qui les répandaient.
Leudaste, qui avait été comte de Tours (2), crut avoir trouvé
une occasion favorable de perdre le saint évêque de cette ville,
à qui il s'en prenait d'avoir été révoqué. C'était un homme de
fortune, qui de l'esclavage, où il était né, s'était avancé par ses
artifices jusqu'à devenir comte de Tours. Ses malversations et
ses violences lui ayant fait perdre cette charge, il était retourné
à la cour nouer de nouvelles intrigues , plus ambitieux encore
et plus méchant homme dans la disgrâce que dans la prospé-
(1) Apud. Boll., 26 febr. — Bernardi Ep. cccxcvm, nov. edit.
(2) Le comte était le premier magistrat d'une ville; c'était lui qui jugeait les
procès et qui veillait à la levée des impôts.
[580] EN FRAXCE. — LIVRE VII. 471
rité. Leudaste , ayant donc concerté ses calomnies avec un
prêtre de Tours nommé Riculfe et un sous-diacre du même
nom , alla trouver Chilpéric et lui dit que l'évêque Grégoire
voulait livrer la ville de Tours au fils de Sigebert. Le roi ré-
pondit : Je n'en crois rien : vous inventez cette calomnie parce
que vous avez été révoqué. Leudaste reprit : Cet évêque publie
quelque chose de plus atroce contre vous : il dit que la reine
votre épouse est en commerce d'adultère avec V évêque Ber-
tram (1).
Le roi , ne pouvant retenir son indignation, frappa Leudaste
des pieds et des poings et le fît mettre en prison. Celui-ci, qui
ne s'attendait pas à recevoir une pareille récompense de sa dé-
lation, ne se déconcerta cependant point. Il dit qu'il avait le
sous-diacre Piiculfe pour garant de ce qu'il avançait ; on le re-
lâcha, et Riculfe, ayant été emprisonné, désigna les deux ar-
chidiacres de Tours Gallien et Platon , en présence desquels
il disait avoir entendu l'évêque Grégoire tenir ces discours
calomnieux. Leudaste vint à Tours le samedi saint, arrêta les
deux prétendus témoins et les conduisit en présence de la
reine chargés de chaînes. En même temps, sous prétexte qu'on
craignait une entreprise du roi Gontran , on donna ordre de
mettre des gardes à toutes les portes de Tours ; mais c'était en
effet pour empêcEer que l'évêque ne s'échappât. Il n'y avait
rien à craindre de ce côté : l'innocence de Grégoire et sa con-
fiance en Dieu le rassuraient contre des ennemis aussi puis-
sants qu'artificieux. Chilpéric respecta sa vertu et son carac-
tère et n'entreprit rien contre sa personne. Mais, pour tirer à
clair cette affaire, il fit assembler à ce sujet un concile à
Braisne (2), maison royale sur la Vesle, à trois lieues de Sois-
sons , où Grégoire de Tours fut cité pour répondre aux accu-
sations intentées contre lui. Il s'y rendit sans hésiter; et,
(1) Greg. Tur., 1. V, c. xlviii.
(2) Braisne-sur-Vesle appartint longtemps dans la suite à l'Église de Rouen,
et c'est apparemment ce qui donna occasion d'y transférer les reliques de S. Évode,
vulgairement Yved, évêque de Rouen,, en l'honneur duquel il y a eu à Braisne une
célèbre abbaye de prémontrés.
472 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
comme il priait pendant la nuit dans l'église de Saint-Médard,
un pauvre artisan, qui avait été emprisonné pour avoir fait des
reproches au sous-diacre Riculfe de ce qu'il calomniait son
évèque, vint s'y réfugier, assurant qu'il avait été délivré mi-
raculeusement par la vertu de S. Martin et de S. Médard, qu'il
avait invoqués (1).
Le concile étant assemblé , le roi vint y prendre place , et ,
après avoir salué les évêques et reçu leur bénédiction , il ou-
vrit la séance. Alors Bertram , évêque de Bordeaux, qui était
accusé d'adultère avec la reine , exposa l'affaire et interpella
Grégoire comme auteur de la calomnie. Grégoire répondit
qu'il n'avait jamais dit ce qu'on lui imputait, mais qu'il l'a-
vait entendu dire aux autres; qu'il n'était. pas l'auteur de ce
bruit. Le roi dit : « Le crime de ma femme est mon déshon-
neur : si vous croyez donc qu'on doive ouïr des témoins contre
un évêque, les voici. Si vous jugez qu'il faille plutôt s'en
rapporter à l'évêque, je suivrai volontiers ce que vous ordon-
nerez. » Tout le monde admira la prudence et la modération
du roi , et l'on s'écria unanimement qu'on ne devait pas ad-
mettre contre un évêque le témoignage d'une personne infé-
rieure, c'est-à-dire d'un sous-diacre, tel que Riculfe. Ainsi
l'on convint que Grégoire, après avoir dit la messe sur trois
autels, se purgerait par serment de l'accusation intentée contre
lui. Cet usage était opposé aux canons; mais le concile crut
devoir passer par-dessus les règles ordinaires pour donner
quelque satisfaction au roi.
Cependant le peuple murmurait hautement contre ce prince
de ce qu'il poursuivait cette affaire pour perdre un saint
évêque , et la princesse Rigonthe , fille de Ghilpéric et de Fré-
dégonde, en était si affligée qu'elle garda un jeûne exact, elle
et toute sa maison, jusqu'à ce que Grégoire eût été justifié.
Alors les Pères du concile allèrent en corps trouver le roi ,
et lui dirent : « Prince , l'évêque de Tours a accompli tout ce
(1) Greg Tur. Hist., 1. V, c. xliv. — Labb., t. V, p. 965.
[580] EN FRANCE. — LIVRE VII. 473
qui a été ordonné : que reste-t-il maintenant à faire , sinon de
séparer de la communion vous et Bertram , l'accusateur de
son frère ? » (En effet, selon les canons, ceux qui intentaient de
fausses accusations, surtout contre leurs frères, étaient ex-
communiés.) « Gela n'est pas juste, répondit le roi : je n'ai
fait que rapporter ce que j'ai entendu dire , » et il nomma Leu-
daste, qui avait déjà pris la fuite. Le concile déclara excom-
munié ce dernier, auteur de tout le scandale, et écrivit à cette
occasion une lettre circulaire à tous les évêques absents (1).
Le sous-diacre Riculfe fut condamné à mort comme calom-
niateur. Grégoire lui obtint la grâce de la vie, mais il ne put
obtenir qu'il ne fût pas appliqué à de cruelles tortures. Quant
à Leudaste, après s'être réfugié successivement en diverses
églises, il fit sa paix avec le roi et avec la plupart des évê-
ques. Mais Frédégonde ne put lui pardonner l'éclat qu'il avait
fait à son occasion , et elle ne crut sa honte bien lavée que dans
le sang de ce malheureux, qu'elle fit enfin mourir. C'est ainsi
que les délateurs se rendent souvent odieux à ceux mêmes à
qui ils cherchent à faire leur cour (2).
Les désordres de Chilpéric l'engagèrent dans l'infidélité :
rien ne fait plus aisément perdre la foi que le libertinage du
cœur. Ce prince était tombé depuis quelque temps dans l'hé-
résie de Sabellius , et il avait composé un traité pour faire voir
qu'il ne faut pas admettre la pluralité des personnes en Dieu,
et que le Père n'est nullement distingué du Fils ni du Saint-
Esprit. Il profita de l'occasion du concile pour tenter de faire
goûter ses erreurs aux évêques dans des entretiens particu-
liers, et surtout à Grégoire de Tours. Il savait que ce saint
évêque était fort versé dans ces matières, et qu'il avait con-
fondu peu de temps auparavant Agilane , ambassadeur de
Leuvigilde , roi des Visigoths , clans une discussion sur la
divinité de Jésus-Christ. Quoique cet arien voulût se roidir
(1) Greg. Tur. Hitt., 1. V, c. xux. — Labb., t. V; p. 86. — (2) Greg. Tur., 1. VI,
C. XXXII.
474 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
contre la vérité, il fut contraint de se rendre, et à son retour
en Espagne, étant tombé dangereusement malade, il abjura
ses erreurs (1). On n'a jamais vu de catholique abandonner la
vraie foi au lit de la mort pour embrasser l'hérésie ; mais à
ce moment fatal, combien voit-on de sectaires détester un
parti qui les avait séduits? Quand tous les intérêts humains
s'évanouissent, l'erreur n'a plus de quoi faire illusion.
Chilpéric s'efforça donc de gagner Grégoire, et il fit lire son
écrit en sa présence, en lui disant : « Je veux que cette doc-
trine soit acceptée par vous et les autres qui enseignent dans
l'Église. Grégoire lui répondit : Grand roi, abandonnez
plutôt ce sentiment, et conformez votre foi à celle que les apô-
tres et les saints docteurs nous ont transmise, qu'Hilaire de
Poitiers et Eusèbe de Yerceil nous ont enseignée, et que vous
avez confessée au baptême. Je sais, repartit le roi tout en co-
lère, qu'Hilaire et Eusèbe sont en ce point mes adversaires. Il
vous serait plus avantageux, reprit F évêque, de n'avoir ni Dieu
ni ses saints pour adversaires. » Il commençait à réfuter avec
force le sabellianisme contenu dans l'écrit qu'on avait lu,
lorsque le roi, l'interrompant, lui dit avec cet air de mépris
que les novateurs témoignent toujours avoir pour ceux qui ne
sont pas de leur avis : « Eh bien, j'exposerai ces sentiments à
de plus habiles gens que vous. Ceux qui les goûteront, repar-
tit Grégoire, ne seront ni habiles ni sensés (2). »
Quelques jours aprgs, Chilpéric fit lire le même écrit devant
S. Salvi, évêque d'Albi, et il le pria de l'approuver. Mais ce
saint évêque en eut tant d'horreur, que s'il eût pu arracher le
papier des mains de celui qui le lisait, ill'aurait mis en pièces.
Chilpéric, voyant ces contradictions, abandonna son senti-
ment et reconnut qu'une opinion en matière de foi qui est
combattue et rejetée par le corps des évêques, ne peut être
qu'une erreur pernicieuse.
Grégoire, ayant pris congé de ce prince pour retourner à
(1) Greg. Tur.; 1. V, c. xliv. - (2) Greg.Tur., 1. V, c. xlv.
[550J EN FRANCE. — LIVRE Vif. 475
Tours, ne voulut point partir de Braisne sans avoir embrasse
S. Salvi. Il le trouva clans la cour du palais. Après avoir con-
féré quelque temps ensemble à l'écart, Salvi lui dit, en mon-
trant le palais du roi : « Voyez-vous sur le toit cle cette maison
ce que j'y remarque? J'y vois, répondit Grégoire, les nou-
veaux ornements que le roi y a fait placer depuis peu. » Salvi
lui demanda s'il ne voyait rien autre chose. « Non, reprit Gré-
goire, qui croyait que le saint évêque voulait railler. Et moi,
dit Salvi, en jetant un profond soupir, je vois le glaive de
la justice divine tiré du fourreau et suspendu sur cette mai-
son (1). » Nous verrons bientôt comment l'événement justifia
la vérité de cette vision.
Grégoire, à son retour, trouva son Église dans un grand
trouble par la faction du prêtre Riculfe, complice des calomnies
et des desseins de Leudaste. Ce prêtre ambitieux, ne doutant
pas du succès de ses intrigues pour faire déposer Grégoire, se
portait déjà pour évêque cle Tours. Il fit de grands présents
aux principaux du clergé, promit l'archidiaconat au sous-
diacre Riculfe, et maltraita à coups de bâton les clercs des
ordres inférieurs, en leur disant : Reconnaissez votre maître,
et celui qui a délivré V Église de Tours des Auvergiwts . Il ne
savait pas, le malheureux , dit Grégoire, qu'à P exception de cinq
de mes prédécesseurs, tous les autres étaient de ma famille. Le
retour du saint évêque déconcerta les projets de Riculfe, sans
abattre son orgueil, et Grégoire se vit contraint, après avoir
pris l'avis des évêques de sa province, de le faire enfermer
dans un monastère. Mais Félix de Nantes (2), qui le protégeait,
lui ménagea les moyens d'en sortir et lui donna refuge clans
(1) Greg. Tur., 1. V, c. l.
(2) Comme Grégoire de Tours ne nomme pas le siège de l'évêque Félix qui se
déclara protecteur de Riculfe, de savants auteurs conjecturent qu'on pourrait dire
que c'est Félix de Bourges. Mais 1° ce serait excuser un saint pour en accuser un
autre. 2° Félix de Bourges était mort, selon l'auteur du Patriarddum, dès. l'an 576.
•3° Grégoire de Tours, après avoir dit que Riculfe se retira auprès de l'évêque Félix,
ajoute: Leudastes vero pergens in Bituricum ; ils ne se retirèrent donc pas dans la
même ville. 4° Le voisinage de Nantes et la mésintelligence que nous savons
d'ailleurs avoir existé quelque temps entre Grégoire de Tours et Félix de Nantes,
476 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
sa ville. Nous avons dit qu'un différend survenu quelques
années auparavant entre Grégoire et Félix avait altéré la bonne
intelligence entre ces deux prélats, saints évêques d'ailleurs.
Félix désirait posséder une terre de l'Église de Tours, qui
était à sa convenance, et, sur le refus que fit Grégoire de la
lui céder , ils s'écrivirent des lettres que la charité ne dicta
pas. Les saints ne sont pas toujours saints pour n'avoir pas
fait de fautes, mais pour les avoir réparées. Il faut se sou-
venir qu'ils sont hommes, et s'instruire par leurs faiblesses
en même temps qu'on s'édifie par leurs vertus (1),
L'année même du concile de Braisne, c'est-à-dire l'an 580,
l'Eglise gallicane perdit plusieurs saints évêques : S. Agricole
de Chalon-sur-Saône, S. Dalmace de Rodez, S. Maurile de
Cahors et S. Elaphe de Châlons-sur-Marne. S. Agricole mou-
rut âgé de quatre-vingt-trois ans , après quarante-huit ans
d'un épiscopat qu'il honora par ses vertus et ses talents : nous
avons parlé ailleurs de ce saint évêque. L'Église révère sa
mémoire le 17 mars (2).
S. Dalmace eut tout le temps de réparer, pendant un épisco-
pat encore plus long, tous les dommages que l'Église de Rodez
avait soufferts sous la domination des Yisigoths ariens. Il
était natif de Rodez, et il en fut élu évêque assez jeune; mais
la maturité du caractère avait devancé chez lui celle de l'âge.
Amalaric, tout arien qu'il était, respecta sa vertu; Théo-
debert l'aima et l'honora. Dalmace était si maître de ses pas-
sions qu'elles paraissaient éteintes. Il se distingua par une
rare abstinence, par un tendre amour pour les pauvres et par
un grand zèle pour la décoration des Eglises. Il avait entrepris
de rebâtir sa cathédrale ; mais le désir de la rendre plus belle
lui fit recommencer l'ouvrage tant de fois qu'il la laissa im-
parfaite en mourant (3). Gomme il n'avait rien plus à cœur
ne laissent aucun lieu de douter qu'il ne s'agisse de ce dernier. Au reste , Gré-
goire de Tours rend ailleurs justice à la vertu de Félix. V. Acta SS., 7 jul., de
S. Felice; Vit. PP., c. x. — (1) Greg., 1. V, c. v. — (2) Greg., 1. V, c. xlvi. —
(3) 17/. Daim., t. II Bibl. nov. in Append.
[580] Etf FRANCE. — LIVRE VII. 477
que de laisser son troupeau dans les mains d'un bon pasteur,
il fît un testament dans lequel il conjura Childebert, roid'Aus-
trasie, par ce qu'il y a de plus sacré, de ne point lui nommer
pour successeur dans le siège de Rodez un étranger, un
avare ou un homme engagé dans le mariage (1).
Malgré cette précaution, dès qu'il eut les yeux fermés, plu-
sieurs briguèrent ouvertement l'épiscopat, et un nommé
Transobauld fut un des plus ardents. Mais, dans un repas qu'il
donna au clergé pour s'assurer des suffrages, un prêtre, s'étant
laissé emporter jusqu'il déchirer la mémoire de S. Dalmace,
expira à l'instant et fut porté de la table au tombeau. Childe-
bert, lorsqu'il apprit cet événement, se fit relire le testament
du saint évêque en présence des seigneurs de la cour ; et il
consentit à ce que Théodose, archidiacre de Rodez, fut or-
donné évêque. S. Dalmace tint le siège cinquante-six ans. Il
est honoré le 2 novembre (2).
S. Maurile ou Maurilion de Gahors alla la même année rece-
voir la récompense de ses vertus. Ce fut un saint évêque qui
fît beaucoup et qui souffrit encore plus pour lagloire de Dieu.
Toujours intrépide pour s'opposer aux vexations des magis-
trats et des seigneurs qui opprimaient son peuple, il fut,
comme Job, l'œil des aveugles, le pied des boiteux et le sou-
tien des faibles. Il puisait sa force et sa consolation dans les
saintes Écritures, il y était si versé qu'il savait par cœur toutes
les généalogies de l'Ancien Testament. L'amour des souf-
frances lui faisait supporter avec joie les douleurs aiguës de
la goutte, à laquelle il était sujet, et sa vertu savait trouver
ainsi dans un mal inévitable le moyen d'enrichir sa cou-
ronne en augmentant ses mérites. Maurile, voyant que sa
mort prochaine donnait occasion à plusieurs de briguer son
évêché, crut devoir choisir lui-même son successeur (3).
Il jeta les yeux sur Ursicin, ancien référendaire de la reine
(() Greg., 1. V, c. xlvii.
(2) Le P. Labbe a donné au public une ancienne Vie de S. Dalmace, où se
trouve relatée la durée de son épiscopat. — (3) Greg. Tur., I. V, c. xliii.
478 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
Ultrogothe (1) , et pria qu'on l'ordonnât de son vivant. Il mou-
rut ensuite saintement, l'an 580. Quelques auteurs, que nous
avons suivis, lui donnent la qualité de saint; mais on ne
trouve pas son nom dans les martyrologes.
S. Elaphe, évèque de Ghâlons-sur-Marne, mourut la même
année en Espagne, où la reine Brunehaut l'avait envoyé en
ambassade. Son corps fut rapporté à Châlons; mais les habi-
tants de l'Espagne gardèrent celui [de Ste Eulalie de Mérida,
qu'il avait obtenu, dit-on, pour enrichir son Église.
Ce saint évêque, qui est honoré le 14 août, avait un
frère nommé Ludmire ou Ludmier, qui fut son successeur et
qui est honoré comme saint. Ils donnèrent plusieurs terres
à l'Église de Saint-Étienne de Châlons, par un acte daté du
9 juin de la quatrième année de Sigebert, c'est-à-dire de
l'an 565 (2).
Il semble que Dieu se soit pressé d'appeler à lui ces saints
évêques pour leur épargner la douleur de voir les maux dont
il voulait affliger la Gaule. Divers prodiges apparurent à la fois
dans plusieurs villes, comme des présages de la colère divine
prête à éclater. Ils étaient les éclairs qui annonçaient la
foudre, et furent suivis d'une dyssenterie contagieuse, qui
commença au mois d'août. Cette maladie ne tarda pas à vérifier
la prophétie de S. i?alvi contre la maison de Chilpéric (3). Ce
prince en fut atteint, et réduit bientôt à l'extrémité peu de
jours après le concile de Braisnc; et ce fut pendant sa maladie
que S. Yrieix arriva à sa cour, pour lui demander au nom des
peuples la diminution des impôts, comme nous l'avons dit. A
peine le roi était-il hors de danger, que le plus jeune de ses
fils, qui n'avait pas encore reçu le baptême, fut pris du même
mal et baptisé à cause du péril où il se trouvait. Il paraissait
se porter un peu mieux, lorsque Clodobert, l'aîné des enfants
(I) Les reines de France avaient dès lors leurs officiers distincts de ceux des rois
leurs maris. — (2) Greg. Tur., 1. V, c. xli. — Ruinart. in Notis ad 1. F, c. xli.
(3) Greg.; 1. V, c. xxxiv, xxxv. — Cette dyssenterie contagieuse, appelée peste
par certains auteurs, était probablement le choléra, dont les terribles effets se sont
de nos jours fait sentir dans toutes les parties de l'Europe et de l'Asie.
[580] EN FRANCE. — LIVRE MI. 479
de Chilpérie et de Frédégonde, fut frappé à son tour de la
contagion.
Alors Frédégonde , voyant ses deux fils dangereusement
malades et son maria peine convalescent, sembla reconnaître
l'horreur de ses crimes et la justice de Dieu qui les punis-
sait. Dans les sentiments de repentir que la crainte du péril
. lui inspirait , elle dit au roi : « Il y a trop longtemps que la
bonté divine souffre nos désordres. Elle nous a souvent châ-
tiés par des maladies et par d'autres fléaux , sans que nous
nous soyions corrigés. Voilà que nous perdons nos enfants :
ce sont les larmes des pauvres , les gémissements des veuves
et des orphelins qui les tuent. Insensés que nous sommes !
nous thésaurisons , et nous ne savons pas ce que nous amas-
sons ! Est-ce que nous n'avons pas assez d'or et d'argent, assez
de pierreries dans nos trésors ? Hélas ! nous perdons ce que
nous avons de plus cher et de plus précieux. Croyez-moi,
brûlons tous les édits injustes que nous avons faits pour
lever des taxes, et contentons-nous des revenus qui ont suffi
au roi Glotaire votre père. » En même temps , se frappant
la poitrine, elle se fît apporter les registres des nouvelles
taxes qu'elle avait imposées aux villes de son apanage (1), et
les jeta au feu en disant au roi : « Qu'attendez-vous? Faites
ce que vous me voyez faire , afin que si nous perdons nos en-
fants , nous sauvions au moins nos âmes et évitions les peines
éternelles (2). »
L'adversité est une "grâce bien puissante et qui ébranle les
cœurs les plus endurcis, si elle ne les convertit pas. Chilpérie,
pénétré de douleur, se fit aussitôt apporter les édits et les rôles
des nouveaux impôts et les brûla également . Mais le bras de
Dieu était levé , et ces marques équivoques de pénitence n'en
arrêtèrent pas les coups. Dagobert, le plus jeune des deux
(1) Les reines avaient un apanage, c'était un présent que les rois leur faisaient
le lendemain des noces au matin : c'est pourquoi la loi salique le nomme mor-
qageniba, c'est-à-dire présent du matin.
(2) Greg. Tur., 1. Y, c. xxxiv, xxxv.
480 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
princes, mourut le premier, et on le fit porterde Braisne à Paris
pour être enterré dans l'église de Saint-Denis. Ghilpéric et Fré-
dégonde, voyant qu'il n'y avait plus d'espérance dans les
hommes pour sauver Glodobert qui était l'aîné, le firent
mettre tout mourant sur un brancard et transporter à Soissons
au tombeau de S. Médard, où ils firent pour lui les vœux les
plus ardents; mais il expira la nuit même, âgé de quinze ans,
et fut enterré dans l'église dédiée aux saints martyrs Grépin et
Crépinien.
Ces deux princes moururent vingt jours après la prophétie
de S. Salvi. On ne saurait guère douter que ce coup de la jus-
tice de Dieu envers Ghilpéric et Frédégonde ne fût un trait de
sa miséricorde envers ces innocentes victimes , qu'il parut ne
sacrifier à sa colère que pour punir les pères coupables par
la mort des enfants. Les Francs, à qui l'amour de leurs princes
est si naturel , pleurèrent amèrement ces deux enfants , et les
femmes suivirent le convoi en habits de deuil, comme si elles
eussent assisté aux funérailles de leurs maris. Fortunat, non
content d'en avoir fait les épitaphes en vers , adressa une élé-
gie au roi et à la reine pour les consoler de ces pertes par les
motifs que suggère le christianisme (1).
Ghilpéric parut avoir compris les enseignements cachés sous
ces afflictions : il se montra dans la suite plus humain envers
ses sujets, et fit même de grandes aumônes aux pauvres et
aux Églises (2). Mais quant à Frédégonde, elle sembla s'en-
durcir sous les coups de la main de Dieu qui la frappait , et la
perte de ses enfants la rendit semblable à une lionne à qui on
a enlevé ses lionceaux (3). Sa fureur se manifesta par de nou-
veaux crimes. Il restait à Ghilpéric un fils de la reine Audo-
(1) Greg. Tur., Ibid. — Fortun., 1. IX, carm. 4, 5 et 8. — (2) Greg. Tur., 1. V,
c. xxxix. — (3) Nous savons par Grégoire de Tours que Frédégonde se retira dans
son palais pour y pleurer ses enfants. Or, on vient de découvrir au milieu de la forêt
de Compiègne, près de Saint-Jean au Bois, les ruines d'une vaste construction
franque que l'on croit être le palais de Frédégonde. Les fouilles qu'on y exécute
ont fait découvrir des médailles, des monnaies, des poteries d'un haut intérêt
archéologique.
[580] EN FRANCE. — LIVRE VII. 481
vère, nommé Clovis : Frédégondc entreprit de le perdre , et
son esprit méchant et artificieux ne servit que trop bien sa
haine de marâtre. Elle rendit suspecte la fidélité de ce jeune
prince; et, ayant obtenu du roi qu'on l'arrêtât, elle le fît assas-
siner dans la prison puis répandit le bruit qu'il s'était tué
lui-même : elle ne trompa que le crédule Chilpéric [2). A
quels excès ne se porte pas la haine d'une femme dont le
pouvoir égale la méchanceté ? Un crime était toujours pour
Frédégonde un acheminement vers un autre crime.
La reine Audovère, qu'elle avait fait répudier par ses arti-
fices, s'était retirée, comme nous l'avons dit, dans un monas-
tère du Maine. Sa retraite et son humiliation ne la mirent pas
à couvert des coups de sa cruelle rivale. Cette reine avait beau
pardonner à Frédégonde le mal qu'elle en avait reçu ; Frédé-
gonde ne lui pardonna pas celui qu'elle-même lui avait fait,
et trouva moyen de la faire mourir dans son monastère. Au-
dovère avait eu de Chilpéric une fille nommée Basine. Fré-
dégonde épargna la vie de cette jeune princesse; mais elle
la contraignit de se faire religieuse clans le monastère de
Ste Radegonde. La haine de Frédégonde lui aurait procuré le
plus solide bonheur, si en prenant le voile elle eût pris les
sentiments d'une vierge consacrée à Dieu, et ne se fût pas mon-
trée plus glorieuse d'être la fille d'un roi de la terre que d'être
l'épouse de Jésus-Christ.
Les exemples et les leçons de Radegonde la soutinrent ce-
pendant quelque temps, et parurent lui faire assez aimer son
état pour le préférer à une couronne. Car Chilpéric ayant
voulu quelques années après la tirer de son cloître pour la
marier à Récarède, fils de Leuvigilde roi des Yisigoths en
Espagne, Ste Radegonde s'y opposa, et représenta au roi et à
la jeune princesse combien ce serait une chose indigne que
(1) Le jeune Clovis fut assassiné à Noisy-le-Grand, et son corps fut jeté dans
la Marne. Un pêcheur, l'ayant trouvé, l'enterra dans un champ. Mais dans la suite
Gontran le fit transférer dans l'église de Saint-Vincent, c'est-à-dire de Saint-
Germain des Prés, aussi hien que celui de Mérovée. — (2) Greg., I. V, c xl.
tome n. 31
482 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [580J
de contracter un mariage avec un prince de la terre, après
avoir choisi le Roi du ciel pour époux. Basine parut le com-
prendre et demeura dans son cloître (1). Nous verrons dans
la suite que si elle prit l'esprit de son état, elle ne sut pas le
conserver.
Les outrages qu'une autre princesse des Francs recevait
alors à la cour d'Espagne, contribuèrent peut-être à faire
goûter à Basine les raisons de Ste Radegonde. Ingonde, fille de
Sigebert, roid'Austrasie, et de la reine Brunehaut, était mariée
à Herménigilde, fils aîné du roi des Yisigoths. On lui fit dans
cette cour arienne l'accueil le plus gracieux; mais elle apprit
bientôt que ce n'étaient que de perfides caresses pour lui
enlever sa foi : on ne tarda pas à lui faire subir les plus in-
dignes traitements.
Galswinthe, aïeule d'Ingonde, mère de Brunehaut et ma-
riée en secondes noces au roi Leuvigilde, était une de ces
femmes que l'hérésie pousse à tout sacrifier aux intérêts de
la secte, pour se donner la gloire d'en être les appuis. Elle
vit avec douleur une princesse de son sang faire à sa cour
une profession publique de catholicisme, et commença par
mettre en œuvre toutes les marques d'une artificieuse ten-
dresse pour la porter à se faire rebaptiser dans l'Église des
ariens. Tout fut inutile; Ingonde, à qui sa foi inspirait un
courage au-dessus de son sexe, lui répondit (2) : « lime suffit
d'avoir été une fois purifiée de la tache originelle par le bap-
tême. J'y ai confessé l'égalité des personnes de la Trinité :
c'est ma foi. Je la confesse encore de tout mon cœur, et je la
confesserai jusqu'au dernier soupir. »
Le démon de l'hérésie porte quelquefois aux dernières
violences une femme qui en est possédée. La vieille Gal-
swinthe, qui était borgne et qui ne ressemblait pas moins à
une furie par la difformité de son visage que par ses empor-
tements, entra dans une telle fureur sur la réponse de la
(1) Greg., 1. VJ, c. xxxiv.— (2) Greg.. 1. V, c. xxxix.
[580] EN FRANCE. — LIVRE VII. 483
princesse qu'elle la prit par les cheveux, la jeta par terre, la
frappa des pieds, et, après l'avoir mise toute en sang, la fit
dépouiller et plonger dans une piscine, comme pour la re-
baptiser malgré elle. Ces violences, qui sont un des caractères
les plus marqués de l'erreur, ne servirent qu'à confirmer In-
gonde dans la foi, et qu'à lui inspirer du zèle pour la ré-
pandre. Elle entreprit la conversion du prince son époux. La
résistance fut longue ; mais une personne qu'on aime, est bien
éloquente pour persuader la vérité. Herménigilde se rendit
enfin aux prières et aux raisons d'Ingonde. Il fut réconcilié à
l'Église par l'onction du chrême et nommé Jean, quoiqu'il
ne soit connu que sous son premier nom d'Herménigilde.
Les malheurs de ce prince n'appartiennent pas à cette his-
toire. Il suffit de remarquer qu'ils n'ébranlèrent pas sa foi, et
que sa généreuse constance lui mérita la palme du martyre.
La fureur de l'hérésie arma contre lui le bras de son père, qui
n'eut pas horreur de devenir son bourreau. Mais le sang
d'Herménigilde fut pour la terre qu'il arrosa un précieux
germe de la foi, qu'on vit bientôt éclore et fructifier au cen-
tuple. L'exemple du saint martyr gagna Récarède son frère,
et par celui-ci toute la nation. Ainsi on peut dire qu'après la
grâce, ce fut au zèle d'une princesse franque que la nation des
Yisigoths dut sa conversion à la foi catholique, pour laquelle
encore aujourd'hui l'Espagne professe un si sincère attache-
ment. Ingonde eut part aux souffrances et à la couronne de son
mari, et elle mourut quelque temps après en Afrique, lorsque
les Grecs l'emmenaient prisonnière à Gonstantinople. C'est la
seconde princesse'du sang de nos rois dont l'attachement à la
foi catholique a hâté la mort et l'a rendue précieuse devant Dieu .
Ghilpéric, que l'adversité semblait avoir rendu meilleur,
montrait de somcôté un zèle ardent pour la conversion des
Juifs, qui étaient alors dans les Gaules presque les seuls en-
nemis de Jésus-Christ. S. Grégoire de Tours en fut le témoin.
Quelques affaires l'ayant obligé, un an après le concile de
Braisne, à retourner à la cour de ce prince, qui était à Nogent-
484 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [580]
sur-Marne ^ 1 ; , il en fut fort bien reçu ; et comme il allait prendre
congé de lui avant son départ, il le trouva avec un marchand
juif nommé Prisque. Le roi, voyant venir Grégoire, prit en
riant le Juif par la chevelure et dit à l'évêque : « Venez, pon-
tife du Seigneur, imposez-lui les mains. » Le Juif faisant de
la résistance, le roi s'écria : « 0 cœur endurci, ô race toujours
incrédule, qui s'opiniàtre à ne pas reconnaître le Fils de Dieu,
promis par les prophètes, et à ne pas croire les mystères de
notre foi, figurés par les sacrifices ! »
Le Juif répondit : « Le mariage ne convient pas à Dieu, et
il n'a point d'enfants ; il ne souffre personne qui partage avec
lui son royaume, lui qui a dit par Moïse : Voyez que je suis le
Seigneur, et il n'y a pas d'autre Dieu que moi (2). Dieu, ré-
pliqua le roi, a engendré de son sein spirituel son Fils éternel,
aussi ancien et aussi puissant que lui : Je vous ai engendré,
lui a-t-il dit, avant l étoile du matin. Mais ce Fils, né avant les
siècles, il l'a envoyé dans le monde en ces derniers temps,
pour remédier à nos maux, comme dit votre prophète : Il a
envoyé son Verbe, et il les a guéris... Est-ce que Dieu, dit le
Juif, a pu se faire homme, naître d'une femme, souffrir la fus-
tigation et être condamné à la mort? »
Le roi se taisant, Grégoire prit la parole et parla ainsi :
« Ce sont nos besoins, et non les siens, qui ont engagé Dieu à
se faire homme : car s'il n'avait pas pris la nature humaine, il
n'aurait pu racheter l'homme de la servitude du démon. Je
n'emploierai pas ici l'autorité de l'Évangile et de l'Apôtre :
vous n'y croyez pas ; je ne vous citerai que des témoignages
de vos livres, pour vous percer de votre propre épée, comme
David perça Goliath. » Il rapporta ensuite les plus belles pro-
(1) Il n'y a presque point de province en France où il n'y ait quelque lieu
nomme Nogent. Il y en avait deux dans le seul territoire de Paris, savoir: Nogent-
sur-Seine, qui est aujourd'hui Saint-Cloud, et Nogent-sur-Marne, qui était une maison
royale : ce qui nous fait croire que ce fut dans ce dernier que Grégoire de Tours
trouva Chilpéric.
(2) Nous ne savons selon quel texte le Juif cite ici l'Écriture. Il y a dans notre
Vul°ate: Videte quod ego sim solus, et dans l'hébreu: Videte quod ego ejo ipse.
[580] EN FRAXCE. — LIVRE Vit. 485
phétîes de l'Ancien Testament, qui marquent que Dieu devait
se faire homme et souffrir la mort. D'abord celle de Baruch :
Cest là notre Dieu, on ne reconnaîtra pas d'antre Dieu que lui.
Cest lai qui a trouvé toutes les voies de la science, qui la donnée
à Jacob son fils et à Israël son bien-aimé. Ensuite, il a été vu
sur la terre et il a conversé avec les hommes ; puis celle-ci
d'Isaïe : Voilà qunne vierge concevra dans son sein et enfantera
un fils, et il sera nommé Emmanuel, c est-à-dire Dieu avec
nous; celle du psaume xxi, sur la passion du Sauveur: Ils ont
percé mes pieds et mes mains, et ont partagé mes vêtements.
Grégoire cita aussi dans cette discussion ce texte connu du
psaume xcv : Le Seigneur a régné par le bois : Dominus
regnavit a ligno, pour montrer que Jésus-Christ devait être
attaché à la croix : ce qui est une nouvelle preuve qu'on
lisait ainsi dans la version qui était alors à l'usage de l'Église
de France (1).
Gomme le Juif paraissait scandalisé des souffrances d'un
Dieu, Grégoire, pour lui en faire sentir les causes et les fruits,
lui cita le bel endroit d'Isaïe où ce prophète, dévoilant l'ave-
nir, décrit si exactement toutes les circonstances de la pas-
sion du Sauveur, qu'il semble plutôt avoir fait le récit d'un
fait passé que la prédiction d'un événement futur. Il rap-
porta aussi la célèbre prophétie de Jacob sur l'avènement du
Messie ; et il n'eût pas manqué de parler ensuite des semaines
de Daniel, si le roi n'eût mis fin à cette discussion. Car ce
prince, voyant que tous ces témoignages confondaient le Juif
incrédule sans cependant le convaincre, parce que l'opiniâ-
treté tient lieu de raisons à ceux qui en manquent, termina
cette controverse, et, se tournant vers le saint évêque, il lui
dit : « Je vous dirai ce que Jacob disait à l'ange : Je 7ie vous
laisserai pas atter que vous ne ni ayez donné votre bénédic-
tion. » Aussitôt il fit donner à laver, et, après la prière qui
précède le repas, Grégoire prit du pain, le bénit, en donna au
(1) Greg., 1. VI, c. v. — Outre les saints Pères que nous avons cités ci-dessus.
486 HISTOIRE DE L 'ÉGLISE CATHOLIQUE [581]
roi et en mangea lui-même, but un verre de vin et prit en-
suite congé de ce prince.
On voit, par ce récit, que ce saint évêque était fort versé
dans la science des saintes Écritures, et qu'il savait manier
avec force et adresse les armes invincibles que les pro-
phéties fournissent aux docteurs catholiques contre le Juif et
le gentil. Ce serait s'aveugler à la lumière même de la vérité,
que de prétendre éluder par de vaines subtilités ces divins
oracles, dont l'accomplissement a tant contribué à la conver-
sion de l'univers. L'opiniâtreté même des Juifs, loin de porter
atteinte aux prophéties, ne sert qu'à les justifier , puisqu'elle
y est clairement prédite.
L'obstination de Prisque ne ralentit pas le zèle de Chilpéric
pour la conversion des Juifs. Il se flatta d'en avoir converti
plusieurs , qu'il fît baptiser à Paris l'année suivante avec un
grand appareil, voulant lui-même en être le parrain. Ce ne
fut néanmoins de la part de quelques-uns qu'une conversion
simulée. Ce prince, ayant fait inutilement de nouveaux efforts
pour gagner Prisque au christianisme, le fît emprisonner.
Prisque, pour obtenir sa liberté, renonça ou fit semblant de
renoncer au judaïsme; mais un autre Juif converti, l'ayant
trouvé à Paris observant encore le sabbat, le tua et se réfugia
dans l'église de Saint-Julien (1). Cette église est celle qui est
dédiée à S. Julien dit le Vieux ou le Pauvre. Elle sert actuel-
lement de chapelle aux malades de l'Hôtel-Dieu. Car celle de
Saint-Julien des Ménétriers, avec laquelle elle a été quelque-
fois confondue, ne fut fondée qu'en l'année 1330.
Quelques années auparavant, le zèle de S. Avite, évêque
d'Auvergne, avait été plus heureux pour gagner les Juifs à la
foi. Ce saint évêque ne cessait de prier pour eux et de les
exhorter à soulever le voile de la loi , pour ouvrir les yeux à
et qui ont lu dans ce psaume a ligno, on trouve ces mômes paroles dans un ancien
psautier qu'on prétend avoir été à l'usage de S. Germain de Paris, et qui a été
conservé longtemps dans la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain des Prés.
(1) Greg. Tur., 1. VI, c. xvn.
[581] EN FRANCE. — LIVRE VII. 4SI
la lumière et reconnaître Jésus-Christ dans les oracles des
prophètes. Un Juif, touché de ses discours, lui demanda le bap-
tême et le reçut à Pâques. Mais comme ce néophyte marchait
en procession vêtu de blanc avec les autres nouveaux baptisés,
un autre Juif, par dérision du baptême, lui jeta de l'huile
puante sur la tête (1). Le peuple fidèle indigné de cette insulte
poursuivit le coupable à coups de pierres, et l'aurait assommé
si l'évêque n'eût interposé son autorité. Il resta cependant
dans les esprits contre cette nation un levain d'aigreur, dont
Dieu sut tirer sa gloire.
Le jour de l'Ascension, comme S. Àvite allait en procession
de l'église à la basilique (2) , c'est-à-dire de la cathédrale à
une autre église qui n'est pas nommée, le peuple qui suivait
le clergé se jeta sur la synagogue des Juifs et la démolit de
fond en comble. Le lendemain le saint évèque envoya dire aux
Juifs : « Je ne vous contrains pas de confesser le Fils de Dieu,
mais je vous le prêche.... Je suis un pasteur préposé au trou-
peau du Seigneur. Le Pasteur par excellence, qui est moi-!
pour nous, a dit de vous : Jrài d'autres brebis, qui ne sont pas
de cette bergerie : il faut que je les y amène, afin qu'il n'y ait
qu'une bergerie et qu'un pasteur. Si vous voulez donc embras-
ser la foi que je vous annonce, joignez- vous au troupeau qui
est sous ma conduite ; sinon retirez-vous ailleurs. »
Les Juifs délibérèrent deux jours , et le troisième ils firent
dire à S. Avite qu'ils croyaient en Jésus-Christ et demandaient
le baptême. Le saint évêque, versant des larmes de joie, les
baptisa la veille de la Pentecôte au nombre de plus de cinq
cents, avec un appareil qui répondit à la grandeur de cette vic-
toire de la foi (3). Car si la conversion de ces Juifs fut sincère,
comme il parut qu'elle l'était , on peut la regarder comme un
(1) Greg. Tur., 1. V, c. xi.
(2) La cathédrale est communément nommée dans les anciens auteurs simple-
ment l'église, ecclesia, et quelquefois senior ecclesia. On donnait le nom de basiliques
aux autres églises qui étaient célèbres d'ailleurs ; les petites églises étaient nommées
oratoires.
(3) Fort,, I. V, carm. 5. — Greg. Tur., l.V, c. xi.
488 HISTOIRE DE l' EGLISE CATHOLIQUE [581]
des plus signalés miracles de la grâce, et tel qu'on n'en avait
peut-être pas vu depuis le temps des apôtres. Aussi un événe-
ment si glorieux à la religion fît-il un grand éclat dans toute
la Gaule, et Fortunat, à la prière de Grégoire de Tours, le cé-
lébra dans ses vers. Les autres Juifs d'Auvergne qui demeu-
rèrent obstinés dans leur croyance, se retirèrent à Marseille
dans le royaume cle Gontran, où cette nation n'était guère mieux
traitée , comme on le voit par les règlements et les canons
des conciles.
Gontran, vers cette époque, provoqua la réunion d'un con-
cile à Mâcon (1) ; on y dressa dix-neuf canons, dont plusieurs
sont rédigés contre les Juifs. Ils sont datés du 1er novembre
de l'indiction XY et de la vingt et unième année du règne de
Gontran, c'est-à-dire de l'an 581 ou 582. On ignore quelle fut
l'occasion de ce concile. Les évêques disent dans le préam-
bule qu'étant assemblés pour des affaires publiques et pour les
intérêts des pauvres, ils ont plutôt songé à renouveler les an-
ciens canons qu'à en faire de nouveaux. Voici l'abrégé de ceux
qu'ils publièrent.
I. Les évêques, les prêtres et les diacres pourront demeu-
rer en cas de nécessité avec leur aïeule, leur mère, leurs sœurs
et leurs nièces; mais jamais avec des femmes étrangères.
II. Aucun évêque, ni aucun prêtre ou diacre , non plus que
tout autre clerc ou laïque ne demeurera dans un monastère
de filles et ne leur parlera en particulier, s'il n'est d'une vertu
ou d'un âge qui le mette à l'abri des mauvais soupçons. Il ne
sera permis à personne d'entrer ailleurs que dans le parloir
ou l'oratoire , excepté les ouvriers nécessaires pour les répa-
rations. Mais, sous quelque prétexte que ce soit , on ne per-
mettra jamais aux Juifs de parler en particulier à une religieuse.
Quoique la plupart des religieuses gardassent dès lors la
clôture , leurs parloirs n'étaient pas grillés , et c'est la raison
pour laquelle on prenait tant de précautions pour empêcher
les visites suspectes.
(1) Cane Gall., 1. 1, p. 379. — Labb., t. V, p. 9GG.
[581]- EN FRANCE. LEVEE VII. 489
III. Il est défendu aux évêques de laisser entrer dans leurs
chambres aucune femme, si ce n'est en présence de deux prê-
tres ou de deux diacres.
Y. Il est défendu aux clercs de porter des saies, des habits,
ou des chaussures comme les laïques, sous peine d'être en-
fermés trente jours, pendant lesquels ils jeûneront au pain et
à l'eau.
VI. Il est interdit à l'archevêque de célébrer l'office divin
sans le pallium.
On restreignit dans la suite l'usage du pallium aux jours
les plus solennels. C'est la première fois qu'on trouve le nom
<X archevêque dans les actes publics pour signifier un métro-
politain. Il est vrai que nous l'avons déjà remarqué dans le
testament de S. Gésaire; mais, outre que c'est un acte particu-
lier, il pouvait y avoir des raisons spéciales de donner cette qua-
lité aux évêques d'Arles, à cause du vicariat du Saint-Siège .
VII. Il est défendu, sous peine d'excommunication, aux
juges laïques de faire emprisonner des clercs, si ce n'est pour
des causes criminelles , telles que l'homicide , le larcin et le
maléfice.
On voit ici l'exception de ce qu'on nomme les cas privilégiés.
VIII. Défense aux clercs d'accuser un autre clerc à un tribu-
nal laïque , sous peine de trente-neuf coups de fouet pour les
clercs des ordres inférieurs , et d'un mois de prison pour ceux
qui sont dans les ordres supérieurs.
IX. Depuis la Saint-Martin jusqu'à Noël, on jeûnera le lundi,
le mercredi et le vendredi; on célébrera ces jours-là les
messes selon l'ordre qui s'observe en carême, et l'on fera lire
alors les canons, afin que personne ne puisse arguer de son
ignorance.
XI. On dégradera pour toujours ceux qui, étant dans les
ordres sacrés, seront convaincus d'avoir eu commerce avec
leurs femmes.
XII. Les filles qui se marient après s'être consacrées à
Dieu, et ceux qui les épousent, sont excommuniés. S'ils se
490 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [581]
séparent pour faire pénitence, l'évêque du lieu les tiendra
suspendus de la communion autant de temps qu'il le jugera
à propos ; cependant en cas-de maladie ou de danger on ne leur
refusera pas le Viatique.
XIII-XIV. Il est défendu aux Juifs d'exercer aucune charge
de juge parmi les chrétiens, d'être receveurs des impôts (1),
ou de sortir de leurs maisons depuis le jour de la cène jus-
qu'à la première Pàque, suivant l'ordonnance du roi Ghildebert
d'heureuse mémoire. (Le troisième concile d'Orléans avait fait
la même défense, et Ghildebert Ier avait appuyé de son autorité
ce règlement.) On ordonne pareillement aux Juifs de porter
respect au clergé, avec défense de s'asseoir en présence des
évèques sans en avoir reçu l'ordre.
XY-XVI. On défend aux chrétiens de manger avec les
Juifs, et aux Juifs d'avoir des esclaves chrétiens; on permet
de racheter l'esclave chrétien d'un Juif pour douze sous.
XYII-XVIII. On excommunie ceux qui se parjurent ou qui
subornent de faux témoins, et ceux qui intentent des accusa-
tions calomnieuses contre des personnes innocentes.
XIX. Le dernier canon concerne une religieuse nommée
Agnès, qui, cherchant à s'enfuir une seconde fois de son mo-
nastère, voulait disposer des biens qui lui avaient appartenu,
pour se ménager des protecteurs dans le siècle. Le concile
l'excommunie aussi bien que ceux qui recevraient d'elle ou
de toute autre religieuse quelque donation pour les protéger
contre la règle.
Vingt-un évèques assistèrent à ce concile, parmi lesquels
on trouve S. Prisque de Lyon (2), S. Evance de Vienne,
(1) Il y a dans le texte du concile : telonarii. Ce mot signifie ceux qui sont char-
gés de lever les droits sur les denrées , surtout dans les ports de mer. Telonarius se
prend aussi quelquefois pour celui à qui ces droits appartiennent. Il est employé
en ce sens dans un ancien cartulaire français de l'abbaye de Corbie, cité par Du-
cange. En voici les termes : Tous les tonlius des denrées c'on vent et acale à Corbie, est
siens (à l'abbé), car il est tonloyers de ladite ville.
(2) Quoique les martyrologes ne fassent pas mention de Prisque de Lyon, d'an-
ciens monuments cités par le P. Lecointe lont voir qu'il était honoré comme saint
au mois de juin.
[581] EN FRANCE. LIVRE VII. 4(Jl
S. Àrtème de Sens, S. Rémédius ou Remi de Bourges, S. Sya-
grius d'Autun, S. Àunaire d'Auxerre, S. Agricole ou S. Arigle
de Ne vers, S. Flavius de Chalon-sur-Saône, Mummole de
Langres, et Hiconius de Mauricnne, qui parait avoir été le
premier évéque de ce siège, érigé sous le règne de Goutran.
Voici à quelle occasion ce siège fut fondé.
Une femme venue du Levant ayant apporté à Mauriennc un
doigt de S. Jean-Baptiste, cette ville peu connue auparavant
devint fort célèbre par la dévotion des peuples, et on la
nommai ville de Saint-Jean. Cette circonstance donna lieu
au roi Gontran d'y ériger un évèché, pour honorer l'église du
saint précurseur. La politique eut aussi quelque part à cet éta-
blissement ; Gontran ne voulait pas que ses suj ets du territoire
de Maurienne fussent soumis à la juridiction de l'évêque de
Turin, qui était sous la domination des Lombards.
Mummole de Langres, surnommé le Bon à cause de ses
vertus, avait été le troisième abbé àeRéo)?iaùs; il avait succédé
à S. Sylvestre, successeur du saint abbé Jean, le fondateur de
ce monastère.
L'Église de Langres avait besoin d'un saint évèque pour
réparer les scandales que la jalousie et l'ambition de quelques
clercs y avaient causés. Après la mort de S. Tétric, Sylvestre
fut élu pour remplir ce siège ; mais il mourut d'épilepsie en
allant à Lyon pour se faire ordonner. Le diacre Pierre, frère
de S. Grégoire de Tours, fut accusé d'avoir été l'auteur de sa
mort, et, quoiqu'il se fût juridiquement purgé de ce crime par
serment, ilfut cruellement assassiné. Pappole, qui fut élu à la
place de Sylvestre, augmenta le trouble par sa conduite et
mourut misérablement la huitième année de son épiscopat.
Ce fut pour succéder à Pappole que l'abbé Mummole fut tiré
de sa solitude (1).
Les Pères du concile de Màcon ne marquent pas pour
quelles affaires publiques ils furent convoqués ; mais il y a
(1) Greg. Turv 1. V, c. v.
492 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQIE [581]
lieu de croire que c'était pour chercher les moyens de con-
cilier les intérêts des rois francs, toujours divisés. Il est du
moins certain que la même année 581 il se tint à Lyon un
concile, dont les évêques allèrent conférer avec le roi Gon-
tran sur la révolte du duc Mummole et sur les autres trou-
bles du royaume (1). Ce religieux prince, qui ne voulait rien
faire contre la loi de Dieu, croyait ne pouvoir trouver de
meilleurs conseillers que ceux qui en sont les interprètes.
Il consultait les évêques pour s'assurer de la justice des
guerres qu'il entreprenait ; et les conciles étaient ses conseils
d'État. Nous n'avons pas les actes de ce concile de Lyon.
S. Aunaire, évêque d'Auxerre, convoqua vers le même
temps, sans qu'on sache précisément en quelle année, un
synode des prêtres et des abbés de son diocèse ; on voit par là
que dès ce temps les évêques tenaient ces sortes d'assemblées,
pour y publier les statuts nécessaires au maintien du bon
ordre dans leurs Églises. On dressa dans ce synode quarante-
cinq canons, que nous rapporterons la plupart, comme étant
propres, par le détail où l'on y entre, à donner des mœurs et
de la discipline de ce siècle une connaissance qui est un des
principaux objets de l'histoire ecclésiastique.
I. Il est défendu de se déguiser le 1er janvier en vache
ou en cerf (2), ou de donner des étrennes diaboliques (3) ;
mais on peut ce jour-là se rendre service les uns aux autres,
comme dans tout autre jour de l'année.
Pour entendre ceci, il faut savoir que, par une superstition
(1) Grog. Tur., 1. VI, c. i.
(2) Il y a dans le texte cervolo vel vetula far.ere. On sait que vetula est souvent
écrit dans les anciens livres pour vitula, et que vitula signifie une génisse ou même
une vache. Mais le sens de ces termes n'en serait pas moins obscur, si nous ne sa-
vions d'ailleurs que les mascarades auxquelles les païens et quelques mauvais chré-
tiens prenaient plaisir le 1er janvier, consistaient à prendre la figure de divers ani-
maux et nommément du cerf et de la vache. Un ancien pénitentiel, tiré d'un manus-
crit d'Angers, marque trois ans de pénitence pour ces ridicules mascarades : Si quis
calendis januariis in vitula vel cervolo vadet, tribus annis pœniteat. C'est à cause de ces
superstitions que dans un ancien Ordre romain on trouve au lPr janvier une messe
pour demander à Dieu l'extirpation de l'idolâtrie, ad prohibendum ab idolis.
(3) Conc. Gall., p. 3G2. — Bonifacii Mogunt. Ep. cxxn ad Zachar. — Labb., t. V,
p. 956.
[581] EN FRANCE. — livre ml 493
païenne dont on voit encore les traces dans le vme siècle,
on n'osait rien prêter à son voisin le premier jour de
l'an, non pas même lui donner du feu. Mais chacun mettait à
sa porte ce jour-là des tables chargées de viandes pour les
passants : c'est apparemment ce qu'on nomme ici des
étrennes diaboliques.
II. Tous les prêtres enverront avant l'Epiphanie demander
quel jour commence le carême, et ils l'annonceront au
peuple le jour de l'Epiphanie.
III. Il n'est pas permis de s'assembler dans des maisons
particulières (1) pour célébrer les veilles des fêtes, ni d'ac-
quitter des vœux à des buissons, à des arbres ou à des fon-
taines, ou de faire des figures de pieds et d'hommes avec du
linge (2). Il faut donner ce qui a fait l'objet d'un vœu aux pau-
vres ou à la matricule (qui les nourrit).
IV. Il est défendu de consulter les sorciers, les augures,
les devins, les sorts des saints ou les divinations qu'on
exerçait avec du bois ou du pain.
V. Il faut absolument empêcher les veilles en l'honneur de
S. Martin.
Il est probable que les réjouissances qu'on y faisait dés
lors, avaient déjà dégénéré en abus.
VI. Les prêtres iront chercher le saint chrême après la
mi-carême, et ceux qui ne pourront y aller eux-mêmes y
enverront leur archidiacre ou leur archisousdiacre. Ils le por-
teront respectueusement, comme on porte les reliques des
(1) Il est diflScile de déterminer ce que signifie dans ce troisième canon : non licet
compensas facere. Quelques-uns entendent par ce terme les assemblées que faisaient
les femmes le soir pour filer ensemble. Pensum est en eifet la tâche de laine qu'on
donnait aux femmes pour filer. Ainsi compensum ou compensos facere pourrait si-
gnifier: faire ensemble saJâche, filer ensemble. D'autres croient que compensum est une
offrande, ainsi nommée parce que plusieurs y contribuaient. Le P. Lc-cointe a
tranché la difficulté en mettant dans le texte : conventus, sans avertir qu'on lit :
compensos.
(2) On lit dans le texte: pede et homine lineo. Flem-y a lu ligneo, puisqu'il traduit:
des pieds de bois; cependant toutes les éditions portent : lineo. On voit par un sermon
de S. Éloi qu'on plaçait ces figures de pieds sur les grands chemins ; mais le synode
d'Auxerre ne le marque pas, comme ditFleury.
494 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [58 1J
saints, dans un vase destiné à cet usage et enveloppé d'un linge.
C'est la première fois qu'on trouve la qualité d'archisous-
diacre. Ce canon semble marquer que le saint chrême se
faisait alors à la mi-carême dans l'Église d'Auxerre (1).
VII. Vers le milieu du mois de mai tous les prêtres vien-
dront dans la ville au synode , et tous les abbés le premier
jour de novembre.
VIII. Il est défendu d'offrir à l'autel du vin assaisonné de
miel, ou quelque autre boisson que du vin mêlé d'eau, parce
que ce serait un grand péché que d'offrir autre chose pour la
consécration du sang du Seigneur.
IX. Il faut empêcher les laïques de danser dans l'église, d'y
faire chanter des chansons à des filles ou d'y donner des
festins.
On voit ici à quel point on portait la profanation des lieux
saints.
X. Il est défendu de dire en un jour deux messes sur le
même autel ; surtout un prêtre ne doit pas dire la messe sur
un autel le même jour que l'évêque l'y aura dite.
Les messes n'étaient donc pas encore bien fréquentes.
XI. Il est défendu de boire et de manger la veille de Pâques
après minuit ; il faut la célébrer, aussi bien que la veille de
Noël et des autres solennités, jusqu'à la deuxième heure,
c'est-à-dire jusqu'à environ sept heures du matin.
XII-XIII. Il est défendu de donner l'Eucharistie (2) ou le
baiser aux morts, d'envelopper leurs corps des voiles qui
servent à l'autel. Il n'est pas même permis au diacre de s'en-
velopper les épaules de ces voiles.
(1) Le premier concile de Tolède déclare qu'il est permis à l'évêque de faire le saint
chrême en quelque jour que ce soit. Il y a cependant fort longtemps que l'Église
paraît avoir choisi le jeudi saint pour cette cérémonie,, et l'évêque disait ce jour-là
trois messes, qui sont rapportées dans d'anciens sacramentaires : la première, pour
la réconciliation des pénitents ; la seconde, pour la bénédiction du chrême, et la
troisième du jour, laquelle se disait le soir en mémoire de la cène.
(2) On donnait quelquefois l'Eucharistie aux morts , ou du moins on la mettait
avec eux dans le tombeau : ce qui fut défendu par le troisième concile de Car-
thage et par celui de Trulle.
[581] EN FRANCE. — LIVEE MI. 495
XIY-XV-XVI. Il est interdit d'enterrer dans le baptistère,
de mettre un mort sur un mort (1), c'est-à-dire d'enterrer
deux corps l'un sur l'autre dans le même tombeau, d'atteler
les bœufs le dimanche ou de faire d'autres travaux que ceux
qui sont marqués par les canons.
XVII. On ne recevra pas d'offrande pour ceux qui se sont
donné volontairement la mort.
XVIII. On ne baptisera qu'à Pâques, même les enfants,
excepté dans le danger de mort.
XIX. Il n'est pas permis aux prêtres, aux diacres et aux
sous-diacres d'officier à la messe, ni même d'y assister, s'ils
ne sont à jeun.
Tous les ministres de l'autel communiaient alors avec le
célébrant.
XX. Si l'archiprêtre n'avertit pas l'évêque ou l'archidiacre
des fautes qu'il saura avoir été commises contre la continence
par les prêtres, les diacres et les sous-diacres, il demeurera
excommunié pendant un an, et les coupables seront déposés.
XXII. Il n'est point permis à la veuve d'un prêtre, d'un
diacre, ou d'un sous-diacre de se remarier.
XXIII. Si un moine commet un adultère (2) ou un larcin,
ou possède quelque chose en propriété, l'abbé qui ne le châ-
tiera pas ou qui ne le déférera pas à l'évêque ou à l'archi-
diacre, sera enfermé pendant un an dans un autre monastère
pour y faire pénitence.
XXIV-XXV. Il est défendu aux abbés et aux moines d'aller
aux noces et d'être parrains.
XXVI. L'abbé qui permettra à une femme d'entrer dans
(1) Quand on enterrait deux corps dans le même tombeau, on avait grand soin
de ne pas les mettre l'un sur l'autre, mais à côté l'un de l'autre. Gruter rapporte
une assez plaisante épitaphe d'un ancien chrétien, qui ordonna qu'on l'enterrât
seul, afin qu'au jour du jugement il lui fût plus aisé de sortir de son tombeau.
Solus cur sim quœris ?
Ut in censorio die sine impedimento facilius resurgam.
(2) Il faut se souvenir de ce que nous avons remarqué ailleurs, que le terme
à'adultèrc se prend souvent pour la simple fornication ou pour l'inceste.
496 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [581]
son monastère, sera enfermé trois mois dans un autre monas-
tère, pour y jeûner au pain et à l'eau.
XXYII-XXVIII-XXIX-XXX-XXXI-XXXII. Il n'est pas per-
mis à qui que ce soit d'épouser sa belle-mère, ni sa belle-
fille, ni la veuve de son frère ou de son oncle, ni la sœur de sa
femme défunte, non plus qu'une cousine germaine ou issue
de germain.
XXXIII-XXXIV. Il est défendu aux prêtres et aux diacres
d'assister à un jugement portant la peine de mort, ou d'être
présents lorsqu'on donne la torture aux criminels.
XXXYI-XXXVII. Il n'est pas permis à une femme de rece-
voir l'Eucharistie dans la main nue(l), ou de toucher la palle
du Seigneur, c'est-à-dire le corporal.
On recevait encore ^à cette époque l'Eucharistie dans la
main, que les hommes avaient nue , et les femmes couverte
d'un linge.
XL. Il n'est pas permis aux prêtres et aux diacres de chan-
ter ou de danser dans un festin.
XLII. Les femmes, quand elles communient, doivent avoir
leur dominical (2), c'est-à-dire un voile sur la tête, ainsi
nommé parce qu'on le portait les dimanches. Celle qui ne l'aura
pas, attendra jusqu'au dimanche suivant pour communier.
XLIII. Un juge ou quelque laïque que ce soit, qui fera
quelque chose au préjudice d'un clerc sans l'aveu de l'évêque,
ou de l'archidiacre, ou de rarchiprètre, sera excommunié
pendant une- année.
(1) On voit cet usage bien marqué dans un sermon attribué à S. Augustin, et
qu'on croit être de S. Césaire : Tous les hommes, dit cet auteur, quand ils doivent
approcher de l'autel, lavent leurs mains, et les femmes présentent des linges blancs, pour
y recevoir le corps de Jésus-Christ. (Serm. xxix Appendicis t. V, ult. edit.)
(2) Le terme dominical signifie un voile sur la tête , et non un linge dans la
main, comme a traduit Fleury. Cela est rendu évident par ce canon dans un ancien
livre pénitentiel : Si mulier communicans dominicale suum super caput non habuerit,
usque ad aliurn diem d>minicum non communicet. Les femmes pouvaient tenir un bout
de ce voile dans la main pour y recevoir l'Eucharistie ; mais ce n'est pas ce que ce
synode ordonne ici. Il avait déjà marqué dans un autre canon que les femmes ne
doivent pas recevoir l'Eucharistie dans la main nue : il veut dans celui-ci que,
pour approcher de la sainte table avec plus de modestie et de respect , elles aient
un voile sur la tête.
[581] EN FRANCE. — LIVRE VII. 497
XLIV. Les laïques qui par contumace refuseront d'écouter
les avertissements de leur arehiprêtre, seront excommuniés,
et de plus payeront l'amende que le roi a ordonnée.
On voit par là qu'il y avait déjà des peines temporelles atta-
chées à l'excommunication.
XLY. Quiconque ne gardera pas ces statuts ou négligera
d'avertir l'évêque de leur infraction, sera excommunié pen-
dant un an.
Tels sont les principaux règlements du synode d'Auxerre,
qui fut souscrit par l'évêque, par trente-quatre prêtres,
par trois diacres, dont l'un souscrivit pour un prêtre absent, et
par sept abbés : il y avait donc dès cette époque au moins
sept abbayes dliommes dans le diocèse d'Auxerre.
S. Aunachaire ou Aunaire, qui tint ce synode, était né à
Orléans d'une famille illustre par sa noblesse. Il se distinguait
lui-même par son mérite à la cour du roi Gontran, lorsqu'il
fut pressé intérieurement d'aller visiter le tombeau de
S. Martin. C'était la grâce qui l'y conduisait, pour l'y appeler
plus particulièrement au service de Dieu. Aunaire, au pied
de ce saint monument, forma la résolution de renoncer au
monde et se coupa les cheveux; il se retira ensuite auprès
de Syagrius, évêque d'Autun. A cette école ses progrès dans
la vertu et dans les sciences divines furent si grands, qu'ayant
été élu évêque d'Auxerre, il se montra par son zèle et son
érudition un des plus grands prélats qu'eût alors l'Église gal-
licane (J). Il avait succédé à S. Éthérius, dont le Martyrologe
romain fait mention le 27 juillet [2] .
S. Aunaire était en commerce de lettres avec Pelage II. Il
écrivit à ce pape de la part du roi Gontran, pour lui demander
des reliques et l'assurer que sans les troubles dont l'Italie
(1) Hist. episc. Âutiss.
(2) L'ancienne Histoire des e'véques d'Auxerre ne nous apprend rien de S, Ethé-
rius, sinon qu'il tint le siège neuf ans, et qu'il succéda à S. Romain, à qui elle donne
la qualité de martyr, en se bornant à dire qu'il eut la tête tranchée. Le Martyrologe
gallican ne fait mention au 6 octobre de S. Romain d'Auxerre que comme d'un
confesseur.
TOME II. 32
498 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [581 j
était alors agitée par la nouvelle domination des Lombards, il
serait allé lui-même rendre se» respects à Sa Sainteté. Pélage
saisit cette occasion pour le prier d'intéresser les rois francs
aux maux dont les Lombards affligeaient l'Italie.
« Si vous jugez, lui dit-il dans sa réponse, que cette ville
soit vénérable à toute la terre..., pourquoi la compassion de la
charité ne vous fait-elle pas gémir sur nos tribulations...,
pendant que tant de sang innocent est répandu presque sous
vos yeux, que les autels sont violés, et que les idolâtres insul-
tent à la foi catholique ? Yous auriez bien dû, vous qui êtes les
membres de l'Église catholique, unis à un même corps par le
gouvernement du même chef, unir toutes vos forces pour
nous procurer la tranquillité. Car ce n'est pas en vain et sans
un dessein particulier de la divine providence que vos rois
font profession, comme l'empire romain, de la foi catholique.
Dieu a voulu par là nous procurer des voisins capables de se-
courir l'Italie, et surtout la ville de Rome, d'où la foi leur est
venue. » Il exhorte ensuite Aunaire à se servir de la confiance
que les rois francs ont en ses conseils, pour les engager à
donner du secours à l'Italie et pour les détourner de faire
aucune alliance avec les Lombards. La lettre est datée du 5 oc-
tobre de la septième année de Tibère, c'est-à-dire de l'an 584,
si Pélage compte les années de Tibère depuis qu'il fut associé
à l'empire avec le titre d'empereur; ou bien de l'an 580, s'il
les compte depuis qu'il fut déclaré césar.
Aunaire avait reçu quelques années auparavant une autre
lettre de Pélage, dans laquelle ce pape le félicite de son em-
pressement à montrer sa soumission et son respect pour le
Saint-Siège, et il lui marque la joie qu'il a d'apprendre par ses
lettres qu'on bâtit dans toutes les Gaules un grand nombre de
nouvelles églises (1).
En effet, sans parler des évêques, plusieurs seigneurs, à
l'exemple du pieux roi Gontran, croyaient ne pouvoir faire un
(1) Labb., t. V, p. 954.
[581] EN FRANCE. — LIVRE VII. 499
meilleur usage de leurs biens que d'ériger des temples à
Dieu et de doter des monastères. Le nombre de ces saintes
retraites croissait tous les jours. S. Lauteinen établit plusieurs
au vie siècle dans le royaume de Bourgogne. Après avoir em-
brassé la vie religieuse dans un monastère d'Autun, son zèle
et l'esprit de pénitence dont il était pénétré le portèrent à en
sortir pour en fonder plusieurs autres. Nous citerons le mo-
nastère de Moisnay, et celui qui fut appelé de son nom la Celle-
Lautein, au diocèse de Besançon. Un ancien bréviaire cleCluny
marque la fête de ce saint abbé au 25 septembre.
S. Aunaire donna à son Église son patrimoine, consistant
en plusieurs belles terres. Mais il eut encore plus de soin de
la bien gouverner que de l'enrichir. Outre les statuts du synode
d'Auxerre, dont nous avons parlé, il fît plusieurs autres rè-
glements pour maintenir une exacte discipline dans son
clergé. Il ordonna que depuis Pâques jusqu'au 1er octobre
les vigiles se célébreraient, dans l'église, depuis le commence-
ment de la nuit jusqu'à la pointe du jour ; mais que depuis le
1er octobre jusqu'à Noël elles commenceraient seulement au
chant du coq; et depuis Noël jusqu'à Pâques, à minuit (1). On
voit par ce règlement que l' office de la nuit n'était pas plus long
dans l'Église d'Auxerre en hiver qu'en été, puisqu'on le com-
mençait plus tard quand les nuits étaient plus longues. Ce
n'était pas un usage général ; suivant l'usage de la province
de Tours et de plusieurs monastères, la longueur de l'office
augmentait à proportion de celle des nuits.
Ce saint évêque d'Auxerre régla aussi des stations et des pro-
cessions pour tous les jours du mois dans les diverses églises
de son diocèse, en sorte que chaque jour il y avait une pro-
cession du clergé ou des moines de ces églises. Ces processions
étaient plus renommées les premiers jours de chaque mois (2).
Les calamités publiques donnèrent lieu sans doute à cette
institution. Car la maladie contagieuse dont nous avons parlé,
(I) Hist. episc. Autiss., t. I, c. xix Bibl. nov. Labb. — (2) Ibid.
500 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [581]
avait pénétré dans le royaume de Bourgogne et y faisait de
grands ravages, aussi bien que dans les autres provinces des
Gaules.
La reine Austrechilde, femme du roi Gontran, en fut atta-
quée, et, malgré les secours de l'art, le mal parut bientôt sans
remède. Dès qu'elle ne vit plus d'espérance, elle s'en prit à
ses médecins et songea à se venger sur eux de la nécessité où
elle se voyait de mourir à la fleur de son âge. « J'aurais espéré
de guérir, dit-elle au- roi, si je n'étais tombée entre les mains
de médecins infidèles : ce sont les potions qu'ils m'ont données
qui m'ôtent la vie. C'est pourquoi je vous conjure de me pro-
mettre avec serment de venger ma mort par la leur, afin qu'ils
ne puissent se glorifier de m'a voir fait mourir. » De pareils
sentiments ne montrent pas que cette princesse méritât beau-
coup de vivre, ni qu'on dût fort la regretter. Cependant Gon-
tran, prince d'ailleurs plein d'humanité et de religion, eut la
complaisance doublement criminelle de lui jurer ce qu'elle
souhaitait et de tenir son serment : dès qu'il eut rendu les
derniers devoirs à la reine, il fit en effet mourir Nicolas -et
Donat, qui l'avaient traitée dans sa maladie (1). Les rois au-
raient trouvé peu cle médecins à de telles conditions ; dans
la pratique de l'art médical, les fautes, quelque graves qu'en
soient les conséquences, demeurent presque toujours impu-
nies, parce qu'on suppose avec raison qu'elles ne sont pas
criminelles. Cest le médecin qui traite, mais c'est le Seigneur
qui rend la santé.
Austrechilde est louée dans une ancienne épitaphe (2) pour
sa piété et pour ses aumônes ; mais on ne doit guère plus
chercher la vérité dans les épitaphes des grands que dans
leurs oraisons funèbres. Gontran, qui n'avait pas été heureux
dans le choix de ses femmes, ne voulut plus se remarier.
(1) Greg. Tur. Hist., 1. V, c. xxxvi. — Marins Advent. in Chron.
(2) Selon Grégoire de Tours, Austrechilde mourut l'an 580, et selon Marius
d'Avenche, l'an 581. L'épi taphe de Cette reine marque qu'elle mourut âgée de
trente-deux ans. V. Epitaph. vetera, apud Duchesne, Script. Fr., t. I, p. 557.
1 581] EN FRANCK. — LIVRE VII. 501
Nantin, comte d'Angoulême, mourut de la même contagion ;
mais les circonstances de sa mort lui firent sentir que c'était la
main de Dieu qui le frappait, pour punir les vexations qu'il
avait faites au clergé. Ce comte était neveu de Marachaire,
évêque d'Angoulême, qui était mort empoisonné par ses
propres clercs, la septième année de son épiscopat. Fronto-
nius, qui lui succéda et qui était complice du crime, ayant été
enlevé après un an d'épiscopat , Héraclius, prêtre de Bor-
deaux (1), fut élu en sa place. Nantin, qui voulait venger la
mort de son oncle, brigua et obtint la charge de comte d'An-
goulême, afin d'être plus à portée d'en punir les auteurs.
Son ressentiment pouvait paraître juste; mais il y mit une
telle passion qu'il confondit les innocents avec les coupables,
et il ne se défia pas assez de lui-même en poursuivant une
cause dans laquelle il était intéressé. Ce comte, à cette occa-
sion, outragea l'évêque Héraclius à plusieurs reprises, l'accu-
sant de retenir auprès de lui et de recevoir à sa table des
personnes coupables de la mort de son prédécesseur. Il fit
mourir plusieurs laïques, et même un prêtre qui dans les tour-
ments protesta constamment de son innocence. Sa vengeance
parut enfin satisfaite : sa cupidité et son avarice ne l'étaient
pas. Il s'empara des terres que son oncle avait données par
testament à son Église, sous prétexte que le crime des clercs
rendait l'Église incapable de recueillir les biens que l'évêque
lui avait laissés (2).
Pour réprimer ces violences, Héraclius se crut obligé
d'excommunier le comte. Celui-ci eut recours à un concile,
qui se tint à Saintes, et il pria les Pères de faire sa paix avec
son évêque, promettant de restituer les biens usurpés. Le
prélat, à la prière de ses confrères, le reçut à sa communion,
en laissant néanmoins à la justice divine le soin de venger la
mort du prêtre. Le comte n'exécuta pas de bonne foi ses
(1) C'est celui qui avait été élu évêque de Saintes à la place d'Émérius, que le
roi Caribert maintint dans ce siège. — (2) Greg. Tur., 1. V, c. xxxvii.
502 HISTOIRE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [582]
promesses. Avant de restituer les terres de l'Église, il les dé-
vasta et abattit les maisons qui en dépendaient : ce qui obli-
gea l'évêque Héraclius à l'excommunier une seconde fois.
Mais Héraclius étant mort sur ces entrefaites, Nantin gagna,
par argent et par flatterie, quelques évéques, qui le reçurent
à leur communion.
Il n'eut pas longtemps lieu de s'en applaudir. En effet,
quelques mois après, étant attaqué de la maladie contagieuse,
il s'écriait dans les ardeurs de la fièvre : « Hélas ! je suis brûlé
par l'évêque Héraclius : c'est lui qui me tourmente et qui
m'appelle au jugement de Dieu... Je reconnais mon crime, et
je demande la mort plutôt que de souffrir ce tourment. » Il
expira en répétant ces paroles. Terrible exemple de la sévérité
avec laquelle Dieu punit l'abus de l'autorité dans ceux qui,
n'étant armés du glaive de la justice que pour frapper le crime
et défendre l'innocence, s'en servent pour persécuter ses ser-
viteurs et surtout les ministres de ses autels. C'est la réflexion
que fait ici Grégoire de Tours (1).
Mais la contagion, qui dura encore quelques années, enleva
des victimes plus précieuses, que Dieu sembla ne sacrifier à sa
colère que pour les couronner plus tôt dans le ciel : car il pa-
raissait tellement irrité contre les péchés des hommes qu'il se
pressa, pour ainsi dire, d'appeler à lui les saints qui eussent
pu le désarmer. S. Salvi d'Albi, un des plus pieux évêques de
ce siècle, fut de ce nombre, comme nous le verrons bientôt.
S. Félix de Nantes mourut l'an 582. Dès qu'il sentit les pre-
mières atteintes du mal, il appela les évêques voisins, et les
pria de consentir à ce que son neveu Burgundion, qui n'avait
que vingt-cinq ans, lui succédât. Ils en dressèrent un acte
qu'ils envoyèrent à Grégoire de Tours, métropolitain. Bur-
gundion alla lui-même le prier de lui donner la tonsure, et
de venir l'ordonner à Nantes du vivant de son oncle. Mais
Grégoire refusa constamment de faire une ordination si con-
(1) Greg. Tur.,1. V, c. xxxvn.
[582] EN FRAiXCE. — LIVRE VII. 503
traire aux canons. Si le choix que fit S. Félix paraît entaché
de népotisme, on peut dire, pour l'excuser, que le mérite de son
neveu et les espérances qu'il en avait conçues, surprirent son
zélé. Ce saint évêque mourut dans la soixante-dixième année
de son âge et la trente-troisième de son épiscopat. On croit
qu'il mourut le 8 janvier ; cependant on ne célèbre sa fête
dans son Église que le 7 juillet. Nonnichius, son cousin, fut
nommé par le roi son successeur sur le siège de Nantes. Nous
avons fait ailleurs un portrait fidèle des vertus et du mérite
de Félix.
Dieu a ses saints dans tous les états, et la plus haute vertu
n'est pas incompatible avec la grandeur et les richesses. Si
elles la rendent plus difficile, elles la rendent aussi plus écla-
tante. La piété singulière du duc Ghrodin, qui mourut la
même année et au même âge que S. Félix, en peut servir de
preuve. C'était un de ces riches que Dieu suscite pour le sou-
lagement et la consolation des malheureux. Né dans l'éclat et
dans l'opulence, il ne fut sensible qu'aux souffrances qu'en-
gendre la misère, et avec de grandes richesses il eut encore
un cœur plus grand, pour les distribuer avec une sainte pro-
fusion. Il regardait comme le plus glorieux de ses titres la
qualité de père des pauvres et de bienfaiteur des Églises. Il
épargnait à ceux dont il connaissait les besoins la honte de
demander; et la grâce avec laquelle il savait donner ajoutait
à ses dons un nouveau prix. Ce duc prenait souvent plaisir à
acheter- de nouvelles terres, à y bâtir des maisons et à y plan-
ter des vignes. Quand tout était en état, il y invitait quelqu'un
des évêques qu'il connaissait les plus pauvres, et, après l'y
avoir traité pendant quelques jours, il lui faisait présent de
cette terre avec^ toutes ses dépendances, en disant : Je la
donne à l'Église, afin que les pauvres qui en seront nourris,
m'obtiennent miséricorde (1).
Dieu ne se laisse pas vaincre en libéralité : il récompensa
(\) Greg. Tur., 1. VI, c.xx.
504 HISTOIRE DE L EGLISE CATHOLIQUE [582]
celle de Chrodin. Un jour qu'il faisait creuser une fosse
par un motif de charité, pour y enterrer un pauvre, il y
trouva un riche trésor; mais il le rendit bientôt à Dieu dans
la personne des pauvres. Grégoire de Tours et Fortunat don-
nent les plus beaux éloges à la piété et à la charité de ce duc,
dont le nom mérite d'être conservé dans l'histoire de l'Église,
comme celui d'un de ses plus illustres bienfaiteurs (1).
La peste qui désolait la France, n'empêcha pas Leuvigilde,
roi des Yisigoths en Espagne , de négocier le mariage de son
fils Récarède avec la princesse Rigonthe, fille de Chilpéric.
A cette occasion il avait envoyé en ambassade à la cour de
Chilpéric, l'an 582, deux seigneurs espagnols, Florent el
Exupère. Ces envoyés passèrent par Tours, et, comme ils
faisaient profession de la foi catholique, l'évêque les reçut à
sa table. On vint à parier de S. Martin et des merveilles
qu'il opérait, et ils prièrent Grégoire de les leur raconter. Ce-
lui-ci, surpris de cette question, leur demanda si ce saint
était connu dans leur pays. « J'ai, dit Florent, une dévotion
particulière envers lui, parce qu'il a témoigné son pouvoir par
un insigne miracle opéré en ma faveur (2). »
Il raconta ensuite que son aïeul avait fait bâtir en l'honneur
de S. Martin une belle église, où il allait tous les jours avec
sa femme pour invoquer la protection de ce saint évêque ; que
lui, Florent, né longtemps après la fondation de cette église,
était mort de langueur dans son enfance ; qu'alors son aïeule
et sa mère le portèrent dans l'église du saint, et qu'ayant
placé son corps devant l'autel, son aïeule adressa une fer-
vente prière à S. Martin pour qu'il rendît la vie à son enfant.
Il ajouta qu'après cette prière son aïeule et sa mère se retirè-
rent, laissant le corps de l'enfant dans l'église ; mais que le
lendemain matin, étant revenues, elles furent merveilleu-
sement surprises de le trouver plein de vie et tourné vers
l'autel (3). . . / -- Vf. .- ,• -
(1) Fredeg. Ep. , c. lxxxviii. — Fort., 1. IX, carm. 1G. — (2) Greg. Turv 1. VI,
c. xvm ; De Mirac. S. Mart., L III, c. vill.— (3) Ibid.
[583] E?i FRANCE. — LIVRE MI. 505
Grégoire de Tours, qui avait appris ce miracle de la bouche
même de Florent, nous apprend aussi que pendant le cours
de la dyssenterie contagieuse dont nous avons parlé, plusieurs
malades furent guéris par la poussière du tombeau de S. Mar-
tin ou en buvant de l'eau dont on l'avait lavé avant Pâques (Jr).
On voit par là que c'était l'usage de laver les tombeaux des
saints avant Pâques, et sans doute le jeudi saint, en même
temps qu'on lavait les autels avec de l'eau et du vin, comme
on le pratique encore dans la plupart des Églises de France.
Pour mettre le comble à tant de misères, le fléau de la
guerre civile se joignit bientôt à celui de la peste. Chilpéric
et Childebert , qui s'étaient ligués contre Gontran par l'entre-
mise de Gilles, évèquc cle Reims, envoyèrent l'an 583 des
troupes nombreuses ravager les États de ce prince. Mais le
saint roi Gontran, qui ne mettait sa confiance qu'en Dieu,
défit l'armée de Chilpéric, et après des flots de sang répandu on
fit la paix, à la condition que chacun s'en rapporterait sur ses
prétentions au jugement des évêques et des seigneurs (2). Ce-
pendant le peuple, qui s'en prenait à Gilles de Reims des
malheurs de cette guerre, se souleva contre cet évêque; on lui
jeta des pierres, et on l'eût mis en pièces s'il n'eût heureu-
sement trouvé un vigoureux cheval, sur lequel il put prendre
la fuite à la hâte. Dieu lui réservait une autre punition de ses
intrigues. Quant aux évêques du royaume de Gontran, ils ne
prirent aucune part à ces troubles; ils cherchèrent plutôt à
les apaiser et à désarmer la colère de Dieu, en remédiant aux
abus dans les conciles qu'ils continuèrent à tenir, malgré les
désordres de la guerre et la crainte de la contagion. Ils s'as-
semblèrent à Lyon au mois de mai de l'an 583, et ils firent les
six canons suivants (3) .
I. Il est défendu aux clercs des divers ordres, depuis l'évê-
que jusqu'au sous-diacre, d'avoir d'autres femmes chez eux
(1) Gregv de Mirac. S. Mort., 1. II, c. li, et 1. III, c. xxxiv. — (2) Greg. Tiu\,
1. VI, c. xxxi. — (3) Con:. GaW.,,t. I, p. 377. — Labb., t. V, p. 973.
506 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [583]
que leur mère, leurs tantes et leurs sœurs . ( Il était donc défendu
à ces clercs de demeurer avec leurs nièces : ce que d'autres
conciles avaient permis. ) Les prêtres et les diacres qui seront
mariés, seront séparés de demeure d'avec leurs femmes , et
ceux qui ne garderont pas une exacte continence, seront dé-
gradés.
II. Le concile ordonne aux évêques de prendre des mesures
pour empêcher la supposition ou la falsification des lettres
de recommandation, qu'ils donnent aux captifs et aux autres
personnes.
III. Les religieuses fugitives seront excommuniées jusqu'à
ce qu'elles rentrent dans leur monastère ; cependant, par
compassion, on leur accordera le Viatique.
IV. On renouvelle les règlements contre les mariages in-
cestueux.
V. Aucun évêque ne célébrera les fêtes de Noël et de Pâ-
ques hors de son Église , à moins qu'il ne soit retenu ailleurs
par quelque maladie ou par un ordre du roi.
VI. Chaque évêque aura soin de nourrir et de vêtir tous les
lépreux de son diocèse , afin que la nécessité ne les rende pas
vagabonds.
On voit par ce règlement que la lèpre était dès lors une
maladie assez commune dans la Gaule ; elle le devint beau-
coup plus encore dans la suite , et c'est ce qui donna occasion
de bâtir tant d'hôpitaux qui furent appelés ladreries, parce
qu'ils étaient dédiés sous l'invocation de S. Lazare, vulgaire-
ment appelé S. Ladre.
Prisque de Lyon présida à ce concile, auquel assistèrent
neuf évêques, avec les députés de douze autres.
Le zèle de Gontran soutenait et animait celui des prélats
de son royaume. Ce pieux roi, quelque affligé qu'il fût par la
mort prématurée des princes ses enfants et ses héritiers (1),
(1) Les deux fils de Gontra^ se nommaient Clotaire et Clodomère. Le premier
mourut à l'âge de dix ans, et le second à l'âge de quatre.
1583] EX FRANCE. LIVRE VII. 507
ne voulut pas se remarier, par amour pour la continence et afin
de pouvoir se livrer plus librement à la pratique des bonnes
œuvres propres à son rang. Il s'appliqua alors plus que jamais
à gouverner son peuple avec bonté et selon la justice, et à
faire fleurir la piété dans son royaume. Il paraissait, dit un
historien, comme un évèque avec les évèques, tant il avait
de zèle pour les intérêts de l'Église. Les exemples d'un si bon
roi sanctifièrent sa famille. Les deux princesses ses filles, Clo-
deberge et Glodehilde, renoncèrent aux grandeurs et aux
plaisirs du monde pour consacrer à Dieu leur virginité, et
Glodeberge ne tarda pas à en recevoir la récompense dans le
ciel (1).
Gontran se distingua surtout par sa magnificence à fonder
et à doter des églises. Il donna plusieurs belles terres au mo-
nastère de Saint-Symphorien d'Autun et à celui de Saint-Bé-
nigne de Dijon; et il établit dans ce dernier la psalmodie per-
pétuelle, selon l'usage du monastère d'Agaune, où les moines,
divisés en plusieurs troupes, se relevaient les uns les autres
pour chanter jour et nuit sans interruption les louanges de
Dieu. Ce prince fît bâtir une magnifique église et un monastère
dans le faubourg de Chalon-sur-Saône, en l'honneur de
S. Marcel martyr, dont nous avons parlé en son lieu; il y
institua aussi un chœur perpétuel, voulant que l'ordre de la
psalmodie fût le même que celui qui était observé dans
l'Église de Tours. Les règlements qu'il y établit furent ap-
prouvés à sa demande par quarante évêques. Rien n'est plus
édifiant que la manière dont ce prince s'exprime dans l'acte
de fondation de ce monastère : il commence ainsi (2) :
« Gontran, par la disposition de la divine providence, roi
sous le règne de-Dieu, serviteur des serviteurs du Seigneur, à
tous les enfants de notre mère la sainte Église, salut. Je vois
avec douleur qu'en punition de nos péchés, des églises fon-
dées pour le service de Dieu dépérissent par l'ambition déme-
(l) Fredeg.. in Chron.: c. i. — (2) ApudBoll., 23 mart.
508 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [584]
surée des princes et parla trop grande négligence des prélats,
et je suis pénétré de douleur de ne pouvoir suffire à tout .
Cependant, pour ne pas paraître les mains vides devant l'arche
du Seigneur, nous avons résolu de doter des plus belles terres
la basilique que nous avons fait ériger en l'honneur du glo-
rieux martyrS. Marcel de Ghalon. » Gontran indique ensuite
les diverses localités dont les habitants devront bâtir les édi-
fices nécessaires au monastère. Mais comme ce prince crai-
gnait que dans la suite quelqu'un des rois ses successeurs, ou
même quelque évêque, ne s'emparât des terres qu'il avait
données aux Églises, il souhaita que ces donations fussent
confirmées par l'autorité ecclésiastique , afin que la crainte des
censures retînt les usurpateurs. Il fit donc assembler un
concile à Valence le 23 mai, indiction II et la vingt-troisième
année de son règne, c'est-à-dire l'an 584. Il ne nous en reste
que le décret suivant (1) :
« Nous étant assemblés, disent les Pères, par ordre du très-
glorieux roi Gontran, dans la ville cle Valence, pour apporter
remède à diverses plaintes des pauvres, nous avons cru d'abord
devoir ordonner ce qui nous a paru le plus avantageux pour
la conservation du roi, pour le salut de son âme et pour le
bien de la religion. Car ce prince a fait écrire au saint concile
par Asclépiodote, son référendaire, pour nous enjoindre de
confirmer par l'autorité apostolique et par nos souscriptions
toutes les donations que lui, la reine Austrechilde d'heureuse
mémoire, les princesses leurs filles consacrées à Dieu,
Clodeberge d'heureuse mémoire et Clodehilde, ont faites aux
Églises ou pourront faire dans la suite. C'est pourquoi,
comme nous sommes persuadés que les évêques doivent au-
toriser une si louable dévotion, qui ne peut manquer d'être
agréable à Dieu, le saint concile, Dieu présidant au milieu de
lui, a ordonné d'un commun consentement, par cette présente
constitution, que rien de tout ce que ledit seigneur roi, la reine
(l) Labb., t. V, p. 976.— Conc. GalL, t. I. p. 379.
[584] EN FRANCE. LIVRE VII. 500
son épouse et les prineesses leurs filles ont donné ou pour-
ront donner dans la suite à la basilique de Saint-Marcel et de
Saint-Symphorien, ou autres lieux, ou aux serviteurs de Dieu,
en quelque forme et de quelque espèce que soient les dona-
tions, ne puisse être usurpé par les évèques des lieux ou par les
rois futurs, même du consentement des évêques. Si quelqu'un
a la témérité de donner atteinte à aucune de ces donations,
que par le jugement de Dieu il soit frappé d'anathème, comme
meurtrier des pauvres et comme sacrilège, qu'il soit con-
damné pour son crime aux supplices éternels. »
Ce décret fut souscrit par dix-sept évèques, dont les plus
connus sont Sapauclus d'Arles, S. Prisque de Lyon, S. Evance
de Vienne, Martien de Tarantaise, S. Flavius de Chalon-sur-
Saône, qui succéda à S. Agricole, après avoir été référendaire
du roi Gontran; Urbique de Riez, qui engagea le patrice
Dynamius à ajouter à la vie de S. Maxime, évèque de cette
ville, plusieurs traits édifiants attestés par d'anciens mé-
moires, et S. Arige de Gap, qui fut un des plus saints évêques
de son temps. Sapaudus,qui présida ce concile, occupait le
siège d'Arles depuis plus de trente ans. Il mourut quelques
années après, et eut pour successeur Licérius,dont l'épiscopat
fut de courte durée.
Tandis que Gontran se ménageait la protection du Ciel par
ces œuvres de piété, Chilpéric attirait sur lui sa vengeance par
de nouveaux crimes. Nous avons vu que les trois rois francs,
en partageant le royaume de Caribert, avaient juré solennelle-
ment qu'aucun d'eux n'entrerait dans Paris sans le consente-
ment des deux autres ; et que si quelqu'un osait violer ce
serment, S. Polyeucte (1), S. Hilaire et S. Martin seraient les
vengeurs du parjure. Chilpéric avait transgressé plusieurs fois
un serment si solennel, et, quoique sa conscience fût endurcie
au crime, il n'était pas sans remords. C'est pourquoi, comme
( 1; S. Polyeucte est un célèbre martyr de Mélitène en Arménie, qui était renommé
pour son pouvoir à punir le parjure.
510 HISTOIRE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE [584]
il voulait venir encore passer à Paris la fête de Pâques de
l'an 583, il s'avisa d'un stratagème pour les calmer. Il fît
porter plusieurs reliques des saints en procession devant lui,
et il entra ainsi à leur suite dans Paris le samedi saint, se per-
suadant que ces reliques détourneraient la malédiction qu'il
aurait pu s'attirer par son parjure (1). La passion est un casuiste
commode : elle sait toujours éluder ou interpréter comme il
lui plaît les lois les plus saintes et les plus claires.
Chilpéric passa les fêtes de Pâques dans de grandes réjouis-
sances; il sentit bientôt que la joie de l'impie est courte. Un
fils lui était né, qui le consolait de la mort des autres ; il le
fit baptiser à Paris. L'évêque Ragnemode en fut le parrain, et
le nomma Thierry (2). Mais le jeune prince mourut quelques
mois après de la dyssenterie, comme ses frères, et sa mort re-
plongea Frédégonde dans toutes ses fureurs. Elle l'attribua à
des maléfices, et, sous ce prétexte, elle fit mourir dans les sup-
plices plusieurs femmes de Paris, dont les unes furent brûlées
et les autres rouées (3). Le préfet Mummole fut appliqué à de
cruelles tortures pour s'être vanté d'avoir un remède spéci-
fique pour la dyssenterie. On lui fit un crime de ne l'avoir pas
donné, et c'était particulièrement à lui que Frédégonde s'en
prenait. Elle n'aurait dû s'en prendre qu'à elle-même et qu'à
ses crimes, que Dieu punissait par la mort de ses enfants.
Le deuil de la cour fit différer le mariage de la princesse
Rigonthe, fiancée au prince Récarède. Chilpéric fit dire
(1) Greg., 1. VI, c. xxvn.
(2) On voit que l'usage était déjà établi d'attendre le baptême pour donner un
nom aux enfants, et que c'était le parrain qui le nommait. Cependant cet usage ne
s'observait pas quand le baptême était différé longtemps. Il faut aussi remarquer
que les évêques étaient assez communément les parrains des fils de nos rois. Outre
Ragnemode de Paris, qui le fut du prince Thierry, fils de Chilpéric, S. Prétextât
de Rouen le fut de Mérovée, S. Agéric de Verdun, de Childebert II, et S. Véran
de Cavaillon, de Thierry, fils de Childebert II.
(3) Plusieurs auteurs ont avancé que le supplice de la roue était inconnu en
France avant François Ier, qui l'a établi par un édit. Mais ce que Grégoire de Tours
dit de ces femmes, qu'elles furent attachées à la roue après avoir eu les os rom-
pus, montre que les anciens Francs employaient ce supplice pour la punition des
grands crimes.
[584] EN FRANCE. — LIVRE VII. 511
aux ambassadeurs qui étaient venus presser son départ: «Vous
voyez ma maison dans le deuil : comment célébrerais-jc les
noces de ma fille? » Le roi des Goths recherchait avec empres-
sement cette alliance, afin de s'assurer du secours de Chilpéric
dans la guerre que Childebert menaçait de lui faire dans l'in-
térêt de la princesse Ingonde, sa sœur, femme du prince
Herménigilde. 11 renvoya à Chilpéric un nouvel ambassadeur
nommé Oppila, avec de riches présents, pour l'engager à s'allier
avec lui contre le roi d'Austrasie et pour presser le départ de
Rigonthe (1).
Oppila arriva à Tours le jour de Pâques. L'évêque S.Grégoire
lui demanda s'il faisait profession de la foi catholique. Il
répondit qu'il croyait tout ce que croient les catholiques. Il
assista même au sacrifice de la messe; mais il ne reçut pas la
paix et ne communia pas : ce qui fit juger qu'il n'était pas
catholique, comme il le disait. L'évêque, pour mieux s'en
assurer, l'invita à dîner et lui demanda quelle était sa foi sur
la Trinité (2). Il répondit : « Je crois que le Père, le Fils et le
Saint-Esprit ont une même vertu. Si vous le croyez, comme
vous le dites, reprit Grégoire, pourquoi n'avez-vous pas com-
munié du sacrifice que nous avons offert? C'est, dit-il, parce
que vous ne dites pas comme il convient l'hymne de la gloire,
c'est-à-dire le Gloria Patri. Car nous disons avec S. Paul:
Gloire à Dieu le Père par le Fils ; et vous autres vous dites :
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit.» Il fut plus aisé
à un évêque aussi habile que Grégoire de confondre les faux
raisonnements de l'arien que de vaincre son opiniâtreté. On
peut ici remarquer en passant que c'était encore alors la cou-
tume que tous les fidèles communiassent à la messe les jours
solennels, puisqu'on jugea que cet ambassadeur n'était pas
catholique dès qu'on ne le vit pas communier le jour de Pâques
avec les fidèles. L'ancien usage était même de communier
toutes les fois qu'on assistait à la messe ; et Yalafrid Strabon
(I) Greg., 1. IX, c. xxxiv. — (2) Greg. Tur., 1. VI, c. xl.
512 histoire de l'église catholique [584]
nous apprend que de son temps, c'est-à-dire au ixe siècle, il y
avait encore des personnes qui ne manquaient pas de commu-
nier plusieurs fois en un jour, quand elles assistaien l à plusieurs
messes (1).
La princesse Rigonthe partit enfin pour l'Espagne avec un
équipage si magnifique et de si riches trésors, que les Francs
en murmurèrent. Mais dès la première nuit qu'on campa,
on lui déroba cent des meilleurs chevaux de sa suite, qui
avaient chacun un frein d'or. Cette princesse n'alla que
jusqu'à Toulouse, et la mort de son père rompit un mariage
qu'elle paraissait redouter (2).
Chilpéric était encore, malgré son serment, entré dans
Paris au mois de septembre 584. De là il se rendit à Chelles,
maison royale, où il fut assassiné un soir, comme il des-
cendait de cheval à son retour de la chasse (3). On prétendit
qu'un si exécrable attentat avait été commis par l'ordre même
de Frédégonde, qui craignait que le roi ne punît ses amours
criminelles avec un seigneur franc nommé Landri. Si ce fait
est véritable, Chilpéric fut lui-même la malheureuse victime
d'une femme impudique, à laquelle il avait sacrifié si long-
temps sa conscience, le repos de ses sujets et la vie de tant
d'innocents. Mais le silence de Grégoire de Tours nous porte
à croire qu'on ne doit pas attribuer à Frédégonde tous les
crimes dont elle était capable (4).
Cet historien fait en deux traits un portrait de Chilpéric
d'autant plus affreux qu'il n'est que trop ressemblant : il
le nomme le Néron et Piler ode de son siècle. Ce prince eut en
effet les vices les plus odieux de ces deux monstres. Éga-
lement cruel et débauché, il fut le tyran de son peuple, le
bourreau d'une reine son épouse et l'esclave d'une femme
à qui le crime ne coûtait rien! Barbare jusqu'à faire arracher
les yeux à ceux qui contrevenaient à ses ordres, il semblait
(i) Strab., c. xxn. — (2) Greg., 1. VI, c. xlv.— (3) Gest. Reg. Franc, c. xxxv.—
(4; Greg. Tur. Hist., 1. VI, c. xlyi.
[584] EN FRANCE. — LIVRE VII. 513
prendre plaisir à voir couler les larmes des malheureux et le
sang des innocents. Avare au milieu de ses trésors, il faisait
mourir pour des crimes supposés ceux dont la dépouille
pouvait enrichir son épargne : c'était être coupable à son tri-
bunal que d'être riche. Il ne pouvait surtout pardonner
ce crime aux évèques. Il disait souvent : « Notre fisc est
pauvre, nos richesses sont passées aux Églises : ce sont main-
tenant les évêques qui régnent. » Aussi cassait-il presque
toujours les testaments faits en faveur des Églises. Il prenait
même plaisir dans ses entretiens à tourner les prélats en
ridicule (1), et comme il en nomma peu de bons, la conduite
de plusieurs fournissait assez de sujets à ses railleries.
Mais pour rendre justice à un prince qui se mit peu en
peine de la rendre aux autres, il faut ajouter quelques traits à
ce portrait. Ghilpéric avait de la bravoure, de l'esprit et même
de l'érudition dans les sciences profanes et sacrées. Il savait sa
religion mieux qu'il ne la pratiquait. Il publia deux livres de
poésies à l'imitation de Sédulius (2) ; mais il y observait mal
la mesure des vers. Il fît même des ouvrages de piété, et com-
posa pour diverses fêtes de l'année des hymnes et des messes
qui ne furent pas admises dans la liturgie. Il ne fut pas plus
heureux dans ce qu'il fît pour étendre son empire sur l'ortho-
graphe. Jugeant l'alphabet défectueux, il publia une ordon-
nance pour y faire ajouter quatre lettres de son invention (3),
et défendit d'écrire dans la suite autrement que d'après cette
nouvelle méthode, ordonnant même d'effacer des anciens livres
les mots où ces lettres devaient entrer, pour les écrire autre-
ment (4). Mais tous ces ordres restèrent inexécutés et démon-
(1) Greg. Tur. HisL, 1. VI, c. xlvi.
(2) Sédulius est un poëte chrétien du Ve siècle , qui a composé un poëme en
quatre livres sur la vie de Jésus-Christ. Son style est nohle et coulant.
(3) Grégoire de Tours marque ainsi les caractères des nouvelles lettres que
Chilpéric voulut introduire : ii, W, Z, II; et il y dit que par là ce prince voulait
exprimer l'oméga des Grecs, et les sons que forment dans la composition des mots
les lettres ou les diphtongues suivantes : œ, the, vitui. Les caractères de ces lettres
varient dans les manuscrits et dans les éditions. Le P. Ruinart exprime le dernier
par un A. Suétone dit que l'empereur Claude inventa aussi quelques lettres, qu'il
ordonna d'ajouter àl'alphahet. — (4) Greg., 1. V, c. xlv.
TOME II. 33
514 HISTOIKE DE i/ÉGLISE CATHOLIQUE [â84j
trèrent seulement que l'usage est le maître et l'arbitre de
l'orthographe aussi bien que du langage, et que les princes,
comme les autres hommes, sont sujets à ses lois.
Il faut aussi convenir que Ghilpéric ne laissa pas de faire
quelques libéralités aux Églises. Celle de Tournay et le mo-
nastère de Saint-Lucien de Beauvais ont eu en lui un de leurs
plus insignes bienfaiteurs. On assure même qu'il rebâtit ce
monastère à la prière de Dodon, évêque de Beauvais, et du
saint abbé Evroul. Mais le diplôme qu'on produit pour prou-
ver ce fait, est une pièce sans autorité, et dont les dates se
contredisent. Il n'est pas même constant que S. Evroul de
Beauvais ait été abbé de Saint-Lucien , et encore moins de
Saint-Fuscien près d'Amiens : l'établissement de ces monas-
tères paraît plus récent.
Un roi du caractère de Ghilpéric n'aimait sincèrement per-
sonne, et l'on vit à sa mort que personne ne l'aimait. Dès
qu'il eut expiré, tous ses courtisans disparurent et l'aban-
donnèrent. Grand sujet d'humiliation pour les princes de la
terre ! ce n'est le plus souvent que la fortune qu'on sert en
paraissant les servir. De tous les personnages qui se trou-
vaient alors à la cour, il n'y eut que S. Mallulfe, évêque de
Senlis, qui resta pour prendre soin de la sépulture de Ghil-
péric. Ge saint évêque était depuis trois jours à Ghelles, pour
solliciter une audience du roi, et n'avait pu encore l'obtenir.
Cependant, dès qu'il eut appris sa mort, il alla avec em-
pressement lui rendre les derniers devoirs. Il lava son corps,
le revêtit d'habits précieux; et, après avoir passé la nuit en
prière auprès de lui, il le fît transporter à Paris par la rivière,
et le fit inhumer dans l'église de Saint-Yincent, depuis Saint-
Germain des Prés (1).
(1) Greg., 1. VI, c. xlvi. — On découvrit l'an 1643 dans le cloître de Saint-
Germain des Prés deux tombeaux de pierre, sur l'un desquels on lisait, en caractères
assez barbares, cette inscription :
Precor ego Ilpericus non auferantur hinc ossa mea.
Tempore nullo hinc tollantur ossa Hilperici.
Quelques savants, et entre autres Adrien de Valois, jugèrent que c'était le tombeau
[5»4j EJN FflANCE. — LIVitE VU. 515
S. Mallulfe est honoré à Senlis le 4 mai. On le désigne
eomme ayant succédé à Sanctin, successeur de Gonotigerne,
qui assista à plusieurs conciles. Il est plus probable que Mal-
lulfe fut élu à la place de S. Léthar après son départ pour
l'Angleterre, où une princesse franque, mariée à un roi païen,
Femmena avec elle, comme nous le dirons dans la suite.
Le cruel assassinat commis sur la personne du roi Chilpéric
rend moins surprenants les excès auxquels on se porta, vers
ce temps-là, contre un évèque et contre des abbés vénérés par
leur sainteté. Ethérius de Lisieux éprouva de la part de quel-
ques-uns de ses clercs ce que la perfidie a de plus noir, et la
violence de plus furieux : l'histoire doit en être rapportée.
Un clerc du Mans, ayant enlevé une femme avec laquelle il
était en mauvais commerce, fut pris avec elle par les parents
de cette femme; ceux-ci la firent aussitôt brûler selon l'u-
sage de ce temps-là, qui permettait aux parents de se faire
justice pour venger l'honneur de la famille. Quant au clerc,
ils se contentèrent de le retenir en prison, en attendant
que quelqu'un lui rachetât la vie moyennant une somme
considérable (1) : car l'amour de l'argent avait plus d'empire
encore sur eux que l'ardeur de la vengeance.
Ethérius, évêque de Lisieux, ayant appris cet événement,
eut pitié de ce clerc et paya vingt sous d'or pour lui sauver
la vie. Il fit plus : lui ayant trouvé du talent et le croyant
converti , il l'attacha à son Eglise et le chargea d'enseigner
les lettres aux jeunes enfants. Mais c'était un serpent qu'il
recevait dans son sein. Ce malheureux ne se corrigea pas
de ses désordres, et le saint évêque, par un excès de bonté,
le tira une seconde fois de prison, où l'avaient enfermé les
du roi Chilpéric. Car Ilperic est le même nom que Chilpéric , dont on a retranché
l'aspiration Cht ainsi qu'on a fait au nom de Chlovis et à celui de Chlotaire pour
faire Louis et Lothaire. Cependant comme la qualité de roi n'est pas marquée sur ce
tombeau, on peut révoquer en doute que ce soit celui du roi Chilpéric. On montrait
en effet dans l'église même de Saint-Germain le tombeau de ce prince , mais il
paraît que ce monument était plus récent. V. Adrien de Valois, Notitia Gal-
liarum, 1675; Gesta Franco rum.
(1) Greg. Tur., 1. VI, c. xxxvi.
516 HISTOIKE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE L584]
parents d'une autre femme, qui découvrit à son mari ses
infâmes poursuites. Tant de bienfaits auraient gagné un cœur
moins perfide et moins endurci. Mais quand au mépris de la
sainteté de son état on se livre sans retour au libertinage,
on est capable des plus noirs attentats. Manseau, c'était le
nom de ce clerc, résolut de donner la mort à celui qui lui
avait sauvé la vie. Ayant donc concerté son dessein avec
l'archidiacre de Lisieux, ils subornèrent un clerc pour assas-
siner Ethérius. Mais l'assassin, sur le point de consommer
son crime, en eut tant d'horreur qu'il se jeta aux pieds
de l'évêque pour le lui confesser.
L'archidiacre et le clerc Manseau, voyant leur projet man-
qué, tentèrent une autre voie. Ils entrèrent pendant la nuit,
avec quelques personnes gagnées par eux, dans la maison du
saint évêque et se mirent à crier qu'ils avaient vu une femme
sortir de sa chambre. Rien n'était plus mal concerté que
cette calomnie. Car Ethérius était presque septuagénaire
et il faisait en outre toujours coucher plusieurs de ses clercs
dans sa chambre, pour avoir des témoins de sa conduite.
Mais la fureur de ses ennemis s'embarrassait peu des vrai-
semblances. Ils se jetèrent sur ce vénérable vieillard, le
chargèrent de chaînes et le mirent en prison. Parvenu à
s'en échapper comme par miracle, le saint évêque se réfugia
dans le royaume de Gontran, auprès de qui il espérait trouver
plus de justice. Les conjurés allèrent aussitôt demander
cet évêque à Chilpéric, qui vivait encore. Ce prince leur
ordonna de retourner à Lisieux jusqu'à ce qu'il fût mieux
instruit de cette affaire. Mais, à leur arrivée dans cette ville,
les habitants se jetèrent sur eux, et, après leur avoir fait su-
bir le supplice qu'ils méritaient, ils envoyèrent au roi des
députés pour redemander leur évêque. Chilpéric en écrivit à
Gontran, qui engagea aussitôt Ethérius à retourner dans son
Église. A son départ, il combla le saint évêque de présents,
et le munit de lettres de recommandation pour les évêque s
<lf>s villes de ses États par lesquelles il devait passer.
[584] E.\T FRANCE. — LIVRE MI. 517
Lupentius, abbé de Saint-Privat des Gabales (1), eut un sort
plus heureux aux yeux de Dieu : il ne triompha d'une artifi-
cieuse calomnie que pour succomber à une injuste violence.
Ayant été accusé par Innocent, comte des Gabales, d'avoir tenu
des discours injurieux sur la reine Brunehaut, il fut obligé
d'aller à la cour d'Austrasie pour y répondre à ses accu-
sateurs. Il les confondit sans peine et leur pardonna vo-
lontiers. Mais eux ne lui pardonnèrent pas de s'être justifié à
leur confusion. Le comte Innocent l'attendit en chemin à
son retour et le mena à Pontion dans le Perthois, où il lui
fit souffrir de cruelles tortures. L'ayant ensuite relâché, il
le fit suivre par des satellites, qui le mirent à mort sur
les bords de l'Aisne et jetèrent son corps dans la rivière.
Des bergers l'y découvrirent miraculeusement, et Dieu at-
testa par plusieurs prodiges la sainteté de cet abbé, qui est
honoré comme martyr à Châlons-sur-Marne le 22 octobre (2):
il est connu sous le nom de S. Louvent. Ce qu'il y eut de
plus scandaleux dans cet attentat, c'est que le comte Innocent,
loin d'être puni, fut élevé à l'épiscopat, par la faveur de
Brunehaut, après la mort de Théodose de Rodez. Opposons
à ces scandales les héroïques vertus et la sainte mort de
S. Salvi, évêque d'Albi, arrivée la même année 584. •
La peste dont nous avons parlé ayant envahi la ville d'Albi,
ce bon pasteur n'eut garde d'abandonner son troupeau dans
une si grande 'désolation. Il eut la douleur d'en voir mourir
la plus grande partie, sans que son zèle se ralentît pour se-
courir ceux qui restaient. Il profitait avec soin des dispositions
où le spectacle affreux des morts et des mourants mettait les
esprits, et il les exhortait continuellement à se préparer par la
prière et les bonnes œuvres à comparaître devant le tribunal
de Dieu. La récompense qu'il reçut de sa charité fut d'en
(1) Gabales, aujourd'hui Javols (Lozère), fut le siège d'un évêché transféré
depuis à Mende.
(2) Greg. Tur., 1. VI, c. xxxvn. — Les reliques de S. Louvent ont été brûlées
dans l'incendie de la cathédrale de Châlons, causé parla foudre le 19 janvier 1667,
On n'en sauva que quelques ossements à demi brûlés.
518 HISTOIRE DT. L'ÉGLISE CATHOLIQUE 1 584J
être la victime et le martyr. Dès qu'il se sentit atteint du mal
contagieux, il lava lui-même son corps, le revêtit comme s'il
eût été mort et se mit dans le cercueil qu'il s'était préparé (1).
Il mourut ainsi, après s'être rendu lui-même les derniers
devoirs, dans la crainte que la contagion n'empêchât les
autres de les lui rendre.
Une mort si précieuse devant Dieu couronna une vie toute
sainte et toute miraculeuse, comme nous allons le voir. Car il
y a dans l'histoire de ce saint évêque des traits si singuliers, et
cependant si certains, que nous ne pouvons nous dispenser
d'en faire connaître quelques-uns pour l'édification des fidèles.
Après avoir suivi quelque temps le barreau dans sa jeunesse,
évitant par sa sagesse prématurée les périls de l'âge sans don-
ner contre les écueils de la profession, Salvi se retira dans un
monastère, où il ne se distingua que par son humilité et sa
mortification. La grande abstinence et les autres austérités
qu'il pratiquait, altérèrent tellement sa santé qu'il disait lui-
même avoir changé neuf fois de peau pour se dépouiller plus
parfaitement du vieil homme. L'abbé du monastère étant
mort, il fut élu à sa place ; mais il aimait trop la solitude
pour s'accommoder d'une charge qui l'exposait à tant de dis-
tractions (2). Après avoir gouverné les moines quelque temps,
il leur dit adieu et s'enferma dans une cellule, résolu de n'en
jamais sortir. C'était comme un tombeau, où il s'ensevelissait
tout vivant, pour mourir au monde et s'en faire oublier. Mais
le monde, qui se rend en quelque sorte justice, recherche et
estime ceux qui le méprisent. On accourait de toutes parts à
la cellule du nouveau reclus, et l'on s'en retournait toujours
édifié de ses discours et soulagé par ses prières : car il don-
nait aux malades des eulogies qui leur rendaient la santé.
Cependant Salvi, qui guérissait les autres, fut atteint lui-
même dans la cellule où il s'était renfermé d'une maladie qui
le réduisit en peu de temps à l'extrémité. On le crut mort, et
(1) Greg. Tur., 1. V, c. i. — (2) Ibid.
[584J EN FRANCE. — LIVRE VII. 519
peut-être l'était-il en effet. On commença donc à lui rendre les
derniers devoirs; on lava son corps, on le revêtit et on le mit
dans un cercueil ouvert, selon la coutume. Les moines et sa
mère, qui vivait encore, passèrent la nuit à chanter des psaumes
auprès du corps. Le lendemain matin, tout étant prêt pour les
funérailles, on allait procéder à l'inhumation quand on s'a-
perçut qu'il donnait quelques signes de vie. On fut bien plus
surpris, lorsque, paraissant s'éveiller comme d'un profond
sommeil, il s'écria : Seigneur Dieu de miséricorde, pourquoi
me renvoyez-vous dans ce lieu de ténèbres ?
Il se leva aussitôt de son cercueil, sans conserver aucune
trace de la maladie qui l'avait réduit en cet état, et il passa en-
suite trois jours sans boire et sans manger. Le troisième jour,
en présence de sa mère, il fit assembler ses moines et leur dit :
« Écoutez, mes frères, et comprenez, par ce que je vais racon-
ter, que tous les biens de ce monde ne sont que vanité, comme
Salomon Fa dit. Heureux l'homme qui vit tellement sur la
terre qu'il mérite de voir la gloire du ciel ! » Après ces pa-
roles, il s'arrêta, délibérant s'il en dirait davantage; mais ses
frères le pressèrent avec tant d'instances, qu'il leur fit le récit
des merveilles qu'il avait vues. Il leur raconta qu'ayant été
conduit au ciel par deux anges, il entendit une voix qui disait :
Qu'il retourne dans le siècle, parce qu'il est nécessaire à nos
Églises. « Alors, dit-il, je m'écriai, les yeux baignés de lar-
mes : Hélas , Seigneur ! pourquoi m'avez-vous montré ces
merveilles, si vous vouliez m'en priver? On me répondit :
Allez en paix; je serai votre gardien jusqu'à ce que je vous
ramène en ce lieu. »
« Je crains, dit Grégoire de Tours, qui rapporte ce prodige,
que ce que j'écris ici ne paraisse incroyable à quelqu'un ; mais
je prends le Dieu tout-puissant à témoin que je ne dis rien que
ce que j'ai appris de la bouche de Salvi lui-même. » Tout ceci
pouvait s'être passé dans une extase ; cependant cet historien
dit en termes formels que Salvi avait rendu l'esprit.
Après un événement aussi miraculeux, il vécut encore
520 HISTOIRE DE j/ÉGLISE CATHOLIQUE [584]
longtemps enfermé dans sa cellule, dans un redoublement
de ferveur. Il en fut tiré vers l'an 574, et élevé malgré lui
sur le siège d'Albi. Il parut bien par sa conduite dans l'épis-
copat qu'un seul rayon de la gloire céleste, tel qu'il l'avait vu,
suffit pour détacher le cœur des biens de la terre, et pour en
faire connaître à l'esprit toute la vanité. Rien n'égalait le dé-
sintéressement et la charité de Salvi. Il n'avait rien à lui, et
l'argent qu'on le forçait quelquefois de recevoir, il le distri-
buait aussitôt aux pauvres. Le patrice Mummole ayant em-
mené d'Albi un grand nombre de captifs, le saint évêque sui-
vit ce général et ne le quitta pas qu'il ne les eût tous rache-
tés. Enfin, après environ dix ans d'épiscopat, Salvi mourut,
peut-être pour la seconde fois, en assistant courageusement
les pestiférés de la manière que nous l'avons dit (1). Désidé-
rat, son successeur, ne fut élu que l'année suivante (2) : il est
probable que le siège fut vacant quelque temps à cause de
la contagion.
S. Salvi avait une nièce nommée Disciole, qui était reli-
gieuse dans le monastère de Ste Radegonde. Elle profita si
bien des exemples de vertu qu'elle avait connus dans la per-
sonne de son oncle, qu'elle devint elle-même l'exemple de
ses sœurs. Elle mourut saintement l'an 583, après avoir eu
une vision céleste qui répandit sur son visage mourant l'é-
clat d'une sainte joie (3). Elle est honorée le 13 mai, et S. Salvi
le 10 septembre. Quelques légendaires ont attribué à S. Salve
d'Amiens une partie des merveilles que Grégoire de Tours
rapporte de S. Salvi d'Albi.
Nous n'avons rien de bien certain sur le temps où vécut
S. Salve, évêque d'Amiens : les uns le placent à la fin du
ve siècle, et les autres à la fin du vie, sans qu'il soit possible
de s'éclairer sur ce point, faute de monuments. Cette incer-
(1) Greg Tur., 1. VÏÏI, c. xxn.
(2) Quelques auteurs font succéder à S. Salvi un nommé Théofroi. Il nous semble
qu'on doit plutôt s'en rapporter au témoignage de Grégoire de Tours,
(3) Greg. Tur., 1. VI. c. xxj*.
[534) EN FRANCE. — LIVRE VII. 521
titude ne saurait nous contraindre à laisser dans l'oubli pe
saint évêque. Voici, en quelques mots, ce que nous croyons
la vérité, au milieu des fables dont on a voulu embellir son
histoire.
Salve était originaire du territoire d'Amiens; après avoir
vécu quelque temps dans le monde , il se consacra à Dieu dans
un monastère qu'il avait fait bâtir en l'honneur de la S te Viergi •
et de S. Pierre (1). On croit que c'est celui qui a donné son nom
à la ville de Montreuil (2), où les reliques de S. Salve ont été
transférées dans la suite. Il fut élevé à l'épiscopat après la
mort de S. Honoré, et il en imita les vertus, joignant dans
l'exercice de son ministère une prudence consommée à la plus
exquise simplicité. De l'église de la Vierge, connue sous le
nom de Saint-Acheul, il transféra dans la ville le corps de
S. Firmin le Martyr, ainsi que ceux des saints martyrs Achée
et Acheul, et celui de S. Firmin le Confesseur. On ajoute qu'il
fit bâtir à Amiens une église sous l'invocation de S. Pierre
et de S. Paul, devenue depuis Saint-Firmin-le-Gonfesseur.
S. Salve mourut le 28 octobre : mais le Martyrologe romain
place sa fête au 11 janvier.
S. Félix, S. Salvi, S. Salve continuent la longue série des
pontifes qui, durant les premiers siècles, se signalèrent dans
les Gaules par la plus héroïque sainteté. Ce sont ces pontifes
qui firent germer et s'épanouir dans le cœur des peuples cette
foi vivante qui enfante les œuvres, dont chaque page de cette
histoire porte le témoignage. Ce sont leurs prédications et leurs
exemples qui produisirent tant d'admirables vertus, que nous
avons vu brillera la fois dans le monde, dans l'Église, dans les
monastères. V
Pour faire tomber les idoles et détruire les superstitions,
pour changer les croyances et les mœurs de la nation gallo-
franque, ce n'était peut-être pas assez de posséder le zèle et
(t) Vit. Salvii, apud Boll., 11 jan.
(2) Montreuil- sur-Mer (Pas-de-Calais), Monasteriolum, est ainsi nommé à cause (Jy
monastère qui a été l'origine de cette ville,
522 HISTOIRE DE l/ÉGLISE CATHOLIQUE EX FRANCE. [584]
la sainteté des apôtres, la générosité des martyrs : Dieu voulut
encore accorder à ses envoyés le don des miracles pour fléchir
les volontés les plus rebelles et adoucir les cœurs les plus en-
durcis. D'illustres pontifes, d'humbles solitaires donnèrent
partout des preuves nombreuses et éclatantes de la puissance
divine, dont ils étaient les dépositaires. Ces miracles furentfaits
au grand jour ; ils frappèrent tous les yeux ; nous en tenons le
récit d'écrivains contemporains ; ils sont attestés par des té-
moins oculaires, souvent par ceux-là mêmes qui en ont ressenti
les heureux effets ; des populations entières les ont proclamés
en donnant aux villes et aux villages les noms des saints qui
les avaient opérés. Ne semble-t-il pas que la Providence ait
voulu dès l'origine prendre sous sa protection spéciale cette
nation, qui devait devenir une des plus illustres de l'univers et
l'un des plus fermes appuis de la foi catholique?
FIN DU TOME DEUXIÈME.
TABLE DES MATIÈRES
XOTICE ABRÉGÉE DE L* ANCIENNE GÉOGRAPHIE DE LA GALLE. V
DISCOURS DU P. LOXGUEYAL SUR LA RELIGION ET SUR LES
MŒURS DES ANCIENS FRANCS. XXIII
LIVRE CINQUIEME,
L'archidiacre Hilaire succède au pape
S. Léon. 1
Sa lettre à Léonce d'Arles. 1
L'affaire d'Hermès, qui s'empare du siège
de Narbonne. 2
Sentence du pape contre lui. 3
Miracles de S. Maxime de Riez. 5
Commencements de Fauste de Riez. 6
Différend entre S. Mamert de Vienne et
Léonce d'Arles. 7
Décision du pape. 8
S. Marcel de Die. 8
Commentaire d'Arnobe le Jeune sur les
Psaumes. 10
Concile de Vannes et ses canons. 12
Mort de Théodoric. 14
Evaric monte sur le trône. 14
Présages sinistres. 1 4
Institution des Rogations par S. Ma-
mert. 15
Commencements de S. Sidoine. 17
Mort de S. Éparque d'Auvergne. 18
Description de deux églises de cette
ville. 18
Église magnifique bâtie à Tours sur le
tombeau de S. Martin. 19
Correspondance entre S. Loup de Troyes
et S. Sidoine. — 21
Vertus épiscopales de S. Sidoine. 24
Charité inépuisable de S. Patient de
Lyon. 25
Ambition , tyrannie et persécution d'Ë-
varic, roi des Visigoths. 26
Curieux discours de S. Sidoine, appelé
à Bourges pour l'élection d'un évêque
de cette ville. 29
Intrigues à l'occasion du choix d'un
évêque à Chalon-sur-Saône. 32
I Description d'une magnifique église
bâtie à Lyon par S. Patient. 33
j Publication des lettres de S. Sidoine
Apollinaire. 34
Question de la spiritualité de l'âme; Clau-
dien Mamert. 37
L'âme incorporelle d'après les Constitu-
tions apostoliques. 37
Sentiments de Tertullien et d'Origène
sur ce sujet. 38
Systèmes philosophiques qui donnent un
corps subtil à l'âme, sans nuire à la
spiritualité. 39
Ouvrage de Claudien Mamert sur la spi-
ritualité de l'âme. 4t
Julien Pomère écrit sur le même sujet.
44
Rurice, premier de ce nom , évêque de
Limoges. 47
Exil de Fauste de Riez pour la foi. 47
Négociations pour la paix entre l'empire
et les Visigoths. 48
Ambassade de S. Épiphane à Pavie,vers
Evaric. 50
Concile d'Arles au sujet de Lucide, prê-
tre prédestinatien. 52
Lettre que lui écrit Fauste de Riez. 52
Rétractation de Lucide. 54
Ouvrage de Fauste sur la grâce,, ses er-
reurs. 58
Voyage de S. Sidoine à Toulouse. 61
Exil de S. Sidoine. 63
S. Abraham, abbé en Auvergne. 64
Autres saints en Auvergne. 66
Odoacre éteint l'empire d'Occident. 67
Invasion des Francs. 68
Clovis passe le Rhin avec une nom-
breuse nrmée. 69
524
TABLE DES MATIERES.
Sa victoire sur Syagrius. 7 0
Politique de Clovis. 70
Il fait restituer à S. Remi un vase en-
levé à l'Église de Reims. 7 1
Mariage de Clovis avec Clotilde. 72
Zèle de Clotilde pour la conversion de
son mari. 73
Un prince premier-né est baptisé et
meurt. 74
Mort de S. Sidoine. 76
Punition éclatante des deux prêtres ca-
lomniateurs. 76
Testament de S. Perpétue, évêque de
Tours. 78
Ses règlements. 80
Mort de S. Patient de Lyon. 81
Les évêques des Gaules envoient des au-
mônes au pape Gélase. 81
Le pape les en remercie et les consulte
sur le schisme d'Acace. 81
Théodoric, roi d'Italie, envoie S. Épi-
phane en ambassade vers Gondebaud,
roi des Bourguignons. 82
S. Avite, évêque de Vienne. 86
Décret du pape Gélase sur les livres
sacrés. 87
Ouvrages de Gennade. 87
Éloge de S. Honoi*at , évêque de Mar-
seille. 90
Victoire de Clovis dans les plaines de
Tolbiac. 93
Sa conversion, instruction donnée par
S. Vaast, joie de Clotilde. 94
Baptême solennel de Clovis. 96
Lettre de S. Remi à Clovis sur la mort
de sa sœur. 97
Lettre de félicitation du pape Anastase à
Clovis. 98
Lettre d' Avite de Vienne sur le même
sujet. 99
Humanité de Clovis à l'égard d'Euloge
et des habitants de Verdun. 102
Clovis fonde le monastère de Mici, près
d'Orléans. 103
Il dote le monastère de Réomaiis. 104
Il fit bâtir une église cathédrale à Stras-
bourg. 105
S. Remi établit différents évêchés, et
nomme S. Aumond à Thérouanne,
S. Vaast à Arras et S. Génebaud à
Laon. 106
Célèbre conférence entre les évêques ca-
tholiques du royaume de Bourgogne
et les évêques ariens. 109
Diverses lettres dogmatiques de S. Avite
de Vienne. \ 15
Expédition de Clovis contre la Bour-
gogne. 118
Jugement provisionnel du pape Sym-
maque au sujet du différend entre
l'Église d'Arles et celle de Vienne. 120
S. Avite se plaint du jugement. 121
Commencements de S. Césaire d'Arles, sa
vie monastique et son épiscopat. 121
Lettre de S. Avite, au nom des évêques
de la Gaule , pour la défense du pape
Symmaque et du Saint-Siège. 125
Concile d'Agde, ses canons. 128
S. Césaire est exilé par Alaric. 136
Miracles de S. Séverin, abbé du monas-
tère d'Agaune. 137
Guérison miraculeuse de Clovis. 137
Clovis déclare la guerre à Alaric. 138
Respect de Clovis pour S. Martin. 140
Miracles de S. Maixent, abbé. 141
Bataille de Vouillé, mort d'Alaric. 142
Clovis reçoit le titre et les honneurs du
patriciat. 144
Justice et générosité de Clovis envers
les Églises. 145
Mort de Ste Geneviève. 146
Conquêtes des Francs sur les Visi-
goths. 147
S. Césaire calomnié et emprisonné. 148
Sa charité s'exerce envers les prisonniers
francs. 149
Monastère de religieuses bâti par S. Cé-
saire, règle qu'il leur donne. 150
Clovis fait convoquer un concile à Or-
léans; canons de ce concile. 155
Les plus célèbres des évêques qui y as-
sistèrent. 159
S. Quintien de Rodez. 160
S. Principe du Mans. 161
Maurusion d'Évreux. 161
Eusèbe d'Orléans. 161
S. Aventin de Chartres. 162
Mort de Clovis. 163
Démêlé de S. Remi avec quelques évê-
ques. 164
Autre démêlé avec Falcon , évêque de
Tongres. 166
Concile des Gaules où S. Remi confond
un arien. 167
S. Thierry de Reims. 167
S. Quintien chassé de Rodez. 169
S. Césaire à la cour de Théodoric. 169
Honneurs et présents qu'il y reçoit. 170
Il î-essuscite un mort. 171
Étant allé à Rome, il fit terminer par le
pape Symmaque le différend entre
l'Église d'Arles et celle de Vienne. 1 72
TABLE DES MATIERES.
525
Mémoire de S . Césaire présenté au pape
Symmaque. 173
Réponse du pape. 174
L'abbé S. Gilles. 170
Conversion du prince Sigismond. 170
Il est associé au royaume par Gondebaud,
son père. 177
Roi de Bourgogne après la mort de Gon-
debaud. 178
Concile d'Epaone, ses canons. 178
S. Viventiole de Lyon. 183
S. Sylvestre de Chalon. 184
S. Grégoire de Langres. 184
Catulin d'Embrun. 185
S. Claude de Besançon. 185
S". Eugend, abbé de Condat. 180
Concile de Lyon. 188
Fermeté de S. Apollinaire , évêque de
Valence. 188
Intérêt que porte S. Avite aux affaires
de l'Église d'Orient. 189
Sigismond fait étrangler son fils et va
pleurer son péché au monastère d'A-
gaune. 192
Concile pour la dédicace de l'église
d'Agaune. 193
Sigismond fait prisonnier et mis à mort
avec la reine , et deux princes ses en-
fants. 19't
Mort de Ciodomir, son assassin. 190
Mort de S. Avite, ses ouvrages. 190
Quatrième concile d Arles. 190
Concile de Carpentras. 20O
Second concile de Yaison, canons de ce
concile. 201
Second concile d'Orange, décisions de ce
concile. 203
Lettre de Boniface II en confirmation
du second concile d'Orange. 207
Cbildebert s'empare de l'Auvergne. 209
Il délivre sa sœur Clotilde, persécutée
pour la foi par Amalaric roi des Visi-
goths. 210
S. Eusise. 211
Guerre de Thierry en Auvei'gne. 212
Mort de S. Quintien d'Auvergne. 213
S. Gai devient son successeur. 213
S. Nicet, évêque de Trêves. 215
Massacre de deux fils de Ciodomir par
leurs oncles, les rois Clotaire et Cbil-
debert. 217
S. Cloud y échappe. 218
Douleur de Ste Clotilde, funérailles des
princes. 218
Second concile d'Orléans. 220
Testament et mort de S. Remi. 223
Lettre de S. Sidoine sur l'éloquence de
S. Remi. 224
Mort de S. Thierry, fidèle disciple de
S. Remi. 227
Vertus et mort de S. Mélaine, évêque de
Rennes. 228
LIVRE SIXIEME
Fondation d'un grand nombre de mo-
nastères dans la Gaule. 231
Monastères de la Neustrie ; S. Marcou,
fondateur de plusieurs monastères. 231
S. Paterne. 233
S. Evroul. 234
S. Vigor, évêque de Bayeux. 235
Monastères du Poitou, S. Fridolin. 235
S. Dié, fondateur d'un monastère entre
Blois et Orléans. 230
Religieux d'Auvergne , S. Pourcain,
abbé du monastère de Mirande. 230
L'abbé Brachion. 1— 237
Monastère de Ménat. 238
Monastère établi par S. Calais dans le
Maine. 239
S. Lié. 241
S. Trivier. 241
S. Marius. 242
S. Ours. 243
S. Junien et S. Léonard, religieux du
Limousin. 243
S. Marien dans le Berri. 243
S. Jean de Réomaus. 244
S. Seine. 240
S. Romain. 247
Ste Monégonde. 247
Ste Papula passant sa vie dans un mo-
nastère d'hommes. 247
Mort du roi Thierry. 248
Mariage adultère du roi Théodebert. 249
Concile de Clermont, ses canons. 250
Contuméliosus de Riez, déposé. 253
Son appel au Saint-Siège. 254
Lettre du pape Agapet à ce sujet. 255
Zèle et fermeté de S. Nicet. 256
Théodebert consulte le Saint-Siège sur
les mariages incestueux. 256
Réponse du pape Vigile à la lettre de
ce roi. 258
TABLE DES MATIERES.
Troisième concile d'Orléans, canons de
ce concile. 258
Mort de S. Grégoire de Langres. 204
S. Loup, évêque de Lyon; S. Pantagathe,
évêque de Vienne. 2G4
S. Aubin d'Angers. 265
S. Vaast, évêque d'Arras; S. Médard,
évêque de Noyon. 207
S. Eleuthère de Tournay. 2(58
Vertus de Ste Radegonde. 270
Elle se retire de la cour, ses aumônes et
ses austérités. 271
Clotaire délivré d'un grand péril par les
prières de Clotilde. 274
Mort de Ste Clotilde. 274
Quatrième concile d'Orléans, canons de
ce concile. 275
SS. Léonce de Bordeaux. 279
S. Firmin d'Uzès. 281
S. Innocent du Mans. 282
Eumérius de Nantes. 282
S. Léon de Sens. 283
Lettre de cet évêque à Childebert , au
sujet de l'évêché que ce prince vou-
lait établir à Melun. 283
Mort de S. Césaire d'Arles. 285
Homélies de S. Césaire, son genre d'élo-
quence. 288
Divers extraits tirés des homélies de
S. Césaire. 289
Disciples de S. Césaire, S. Cherf. 301
Theudérius. 301
Auxanius remplace S. Césaire. 301
Déclaré vicaire du Saint-Siège dans les
Gaules. 303
Expédition de Childebert en Espagne,
siège de Saragosse. 304
Mission de S. Maur dans la Gaule. 306
Règle de S. Benoît. 307
Aurélien, évêque d'Arles et vicaire du
Saint-Siège. 312
Mort de Théodebert. 314
Tbibauld, son fils, lui succède. 314
Il assemble un concile à Toul au sujet
de S. Nicet. 315
Lettre de Mappinius de Reims à S. Ni-
cet. 315
Résistance d'Injuriosus, évêque de Tours,
à Clotaire au sujet des biens de
l'Église. 315
Ordonnance de Childebert en faveur de
la religion. 317
Cinquième concile d'Orléans, canons de
ce concile. 317
S. Désidérat de Bourges, S. Lô. 322
S. Lubin de Castres. 322
S. Honoré d'Amiens. 3:24
Troubles en Orient au sujet des trois
chapitres. 324
Lettre de Vigile à S. Aurélien, évêque
d'Arles. 325
Lettre des clercs d'Italie aux ambassa-
deurs francs envoyés à Constanti-
nople au sujet de l'affaire des trois
chapitres. 327
Mort de S. Aurélien d'Arles. 329
Sa règle. 329
Peste dans les Gaules. 331
Mort de S. Gai d'Auvergne. 333
Orgueil du prêtre Caton. 333
Inconduite de Cautin , successeur de
S. Gai. 335
Second concile de Paris, où Saffarac,
évêque de cette ville, est juridique-
ment déposé. 336
Cinquième concile d'Arles, canons de
ce concile. 336
Mort de S. Lubin de Chartres. 338
S. Germain de Paris. 339
Ses vertus dans l'épiscopat. 340
Childebert guéri par lui. 341
Alarmes dans les Gaules au sujet des
trois chapitres. 342
Lettre du pape Pélage à Sapaudus d'Ar-
les à ce sujet. 342
Autre lettre du même pape au roi
Childebert. 343
Confession de foi du pape envoyée à
Childebert. 345
Nouvelle lettre du pape Pélage au roi
Childebert. 348
S. Sacerdos de Lyon; S. Nicet ou Ni-
zier, son neveu et son successeur sur
le siège de Lyon. 349
S. Ferréol d'Uzès. 350
Sa règle. 351
S. Sacerdos de Limoges. 352
État florissant de la religion dans l'Ai'—
morique ou Bretagne. 353
S. Samson. 354
S. Magloire. 355
S. Paul de Léon. 356
S. Léonore. 356
S. Malo. 357
S. Tugal. 358
S. Brieuc. 358
S. Gildas et S. Guinolé. 359
S. Hervé. 360
Violences du prince Chramne, fils de
Clotaire. 361
S. Euphrone, son élection à l'évêché de
Tours. 362
TABLE DES
Révolte de Chramne. 303
Troisième concile de Paris, canons de
ce concile. 304
S. Paterne, évêque d'Avranches. 306
Magnifique église de Saint-Germain des
Prés bâtie par Childebert. 307
Mort de Childebert. 308
Constitution de Clotaire. 370
MATIÈRES. 527
Nouvelle révolte du prince Cliramne. 372
Il est brûlé tout vif avec sa femme et ses
filles. 373
Visite de Clotaire au tombeau de S. Mar-
tin. 373
Mort de ce prince. 370
Conversion des Suèves à l'occasion d'un
miracle de S. Martin. 377
LIVRE SEPTIÈME,
S. Xicet de Trêves est rappelé de son
exil par Sigebert , à son avènement
au royaume d'Àustrasie. 380
Lettre de ce saint évêque à Clodosinde,
reine des Lombards. 381
Lettre du même à l'empereur Justinien.
383
Mort de Justinien. 384
Mort de S. Nicet. 385
Éloge de ce saint évêque par Fortunat
de Poitiers. 385
Caractère de Caribert, roi de Paris ; son
respect pour S. Martin ; ses amours
criminelles. 387
Emérius de Saintes déposé par Léonce
de Bordeaux. 388
Rétabli par Caribert. 389
Clotaire établit de sa propre autorité
un évêché à Selles, et y nomme Aus-
trapius. 390
Deuxième concile de Tours, canons de
ce concile. 390
Usurpation de biens ecclésiastiques pu-
nie de Dieu. 398
Caribert excommunié par S. Germain ,
mort de ce prince. 400
Histoire et déposition de Macliau, évê-
que de Vannes. 401
Réponse des évêques du deuxième con-
cile de Tours à la lettre de Ste Ra-
degonde. 402
Lettre pastorale de quatre évêques de la
province de Tours au sujet de la peste
qui désolait ce pays. 403
S. Félix de Nantesr" 405
S. Domnole du Mans. 407
Concile de Lyon contre Salonius d'Em-
brun et Sagittaire de Gap, canons de
ce concile. 408
S. Tétric, évêque de Langres ; évêché
d'Arsat. 410
Suite de l'histoire de Salonius et de Sa-
gittaire. 410
Mariages de Contran, de Chilpéric et de
Sigebert. 413
Mort cruelle de Galswinlhe , femme
de Chilpéric. 410
Ouvrages de Fortunat. 417
Ste Radegonde obtient du bois de la
vraie croix. 419
Règle de S. Césaire établie dans son mo-
nastère. 421
Quatrième concile de Paris au sujet de
l'évêché de Châteaudun. 423
Commencements du célèbre S. Grégoire
de Tours. 420
Guerres civiles parmi les Francs. 428
Lettre de S. Germain à Brunehaut au
sujet de ces guerres. 429
Assassinat de Sigebert, commandé par
Frédégonde. 431
Brunehaut exilée à Rouen. 431
Mariage de Mérovée, fils de Chilpéric,
avec Brunehaut. 432
Mérovée en est séparé et ordonné prêtre
malgré lui. 432
Contran Boson réfugié à Saint-Martin de
Tours. 432
Mérovée%se réfugie au même asile. 434
Mort de S. Germain de Paris , ses mi-
racles. 435
Mort de S. Félix de Bourges. 437
Chilpéric cherche à faire sortir son fils
de l'église de Tours, résistance de
S. Grégoire. 438
Concile de Paris contre Prétextât de
Rouen. 440
Sa défense énergique par Grégoire de
Tours. 441
Suite du procès de Prétextât. 443
Piège qu'on lui tend. 444
Violences de Chilpéric. 446
Plusieurs saints solitaires, S. Senoch. 447
S. Léobard, reclus. 449
Saints solitaires dans le Maine. 451
Solitaires dans l'Armorique. 452
5*26
TABLE DES MATIERES.
S. Junien dans le Poitou.
S. Caluppan dans l'Auvergne.
S. Patrocle dans le Berri.
S. Lomer.
454
455
45G
457
S. Éparchius dans l'Angoumois. 458
S. Yrieix dans le Limousin. 460
S. Vulfilaïc, stylite, près de Trêves. 4G2
S. Hospice, près de Nice. 465
S. Lifard, abbé de Meun. 468
Solitaires en Champagne. 469
Concile de Braisne, au sujet des accusa-
tions contre S. Grégoire de Tours. 471
Chilpéric tombe dans l'hérésie de Sabel-
lius, et en est désabusé par S. Grégoire
de Tours et S. Salvi d'Albi. 473
Troubles dans l'Église de Tours. 475
Mort de plusieurs saints évêques : de
S. Agricole de Chalon-sur-Saône, de
S. Dalmace de Rodez, de S. Maurile
de Cahoi*s, de S. Élaphe de Châlons-
sur-Marne. 476
Sentiments de pénitence de la reine Fré-
dégonde. 479
Mort de deux princes fils de Chilpéric.480
Nouveaux crimes de Frédégonde. 481
Basine, fille de Chilpéric, contrainte de
se faire religieuse. 481
Courage d'Ingonde pour la défense de la
foi. 482
Zèle de Chilpéric pour la conversion des
Juifs. 484
Discussion de ce prince et de Grégoire de
Tours avec un Juif. 484
S. Avite, évêque d'Auvergne, baptise en
un jour cinq cents Juifs. 487
Premier concile de Mâcon, canons de ce
concile. 488
Concile de Lyon. 492
Synode de S. Aunaire, évêque d'Auxerre;
ses règlements. 492
Lettre de S. Aunaire d'Auxerre au pape
Pelage II. 497
Le pape exhorte S. Aunaire à intéresser
les rois francs à la défense de Rome
et de l'Italie contre les Lombards. 498
Auti-es règlements de S. Aunaire. 499
Mort de la reine Austrechilde, femme de
Gontran ; ses injustes ressentiments
contre ses médecins. 500
Mort du comte Nantin. 501
Mort de S. Félix de Nantes. 502
Mort du duc Chrodin, bienfaiteur des
Églises. 503
Miracle de S. Martin en Espagne. 504
Guerre civile entre les rois francs. 505
Troisième concile de Lyon, canons de ce
concile. 505
Piété du roi Gontran. 507
Premier concile de Valence. 508
Discussion de S. Grégoire de Tours avec
un arien. 511
Assassinat de Chilpéric, attribué à Fré-
dégonde. 512
Caractère de ce prince. 512
Ses prétentions littéraires. 513
Ses libéralités aux Églises. 514
Sépulture de ce roi. 514
S. Mallulfe. 515
Éthérius, évêque de Lisieux. 515
S. Louvents, abbé de Saint-Privat des
Gabales. 517
Récit de la vie et de la mort de S.
Salvi, évêque d'Albi. 517
S. Salve, évêque d'Amiens. 520
FIN DE LA TABLE DU DEUXIEME VOLUME.
BX1528 J24 v.2
Histoire de l'Eglise catholique en
Princeton Theological Seminary-Speer Library
1 1012 00039 4082