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Full text of "Histoire de l'Église catholique en France d'après les documents : les plus authentiques depuis con origine jusqu'au Concordat de Pie VII .."

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J.    PIN  AUT 

$c    Sawrdotis  Parisieusis  | 

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HISTOIRE 


DE 


L'ÉGLISE  CATHOLIQUE 


EN  FRANGE 


de  l'an  462  a  l'an  584 


PAHIS. — ,  M  PHI  MEME  ADWEX  I.E  CLERE,  HUE  CASSETTE, 


HISTOIREr, APR 191910  * 


L'ÉGLISE  CATHOLIQUE 


EN  FRANGE 


D  APRES  LES  DOCUMENTS  LES  PLUS  AUTHENTIQUES 

DEPUIS  SON  ORIGINE  JUSQU'AU  CONCORDAT  DE  PIE  VII 


PAli 


M.  L'ABBE  JAGER 

Ancien  professeur  d'Histoire  ecclésiastique  à  la  Sorbonne, 

CHANOINE  HONORAIRE  DE  PARIS,  DE  NANCY  ET  DE  ROLEZ 


  A 

OUVRAGE    REVU    ET     APPROUVÉ    A    R  Om  E 

PAR  UNE  COMMISSION  SPÉCIALE  AUTORISÉE  PAR  N.  S.  P.  LE  PAPE. 


TOME  DEUXIÈME 


PARIS 

ADRIEN  LE  CLERE  ET  CIe,  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

IMPRIMEURS  DE  ÏT.  S.  P.  LE  PAPE  ET  DE  L'ARCHEVÊCHÉ  DE  PARIS 

RUE  CASSETTE,  29,  PUES  SAINT- SULPICE. 

18G2 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés. 


NOTICE  ABRÉGÉE 

DE  L'ANCIENNE 

GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE 

Par  le  P.  LONGUE  VAL. 


Le  temps  perfectionne  tout,  mais  aussi  il  ruine  et  détruit  tout  ;  il 
a  tellement  changé  la  face  de  la  Gaule  qu'on  a  peine  à  y  recon- 
naître ce  que  les  anciens  géographes  nous  en  oat  appris.  De  nou- 
veaux peuples  s'y  sont  établis  ;  de  nouvelles  villes  et  de  nouvelles 
provinces  s'y  sont  formées  ;  des  villes  anciennes  ont  été  ruinées  par 
le  temps  ou  par  les  barbares  ,  plusieurs  de  celles  qui  ont  résisté  à 
ces  ravages  ont  changé  de  nom,  et  quelques-unes  Kiême  de  situa- 
tion :  on  cherche,  pour  ainsi  dire,  la  Gaule  dans  la  Gaule  même. 
Nous  ne  pouvions,  sans  blesser  la  vraisemblance  et  choquer  même 
le  bon  sens,  employer  dans  cette  histoire  des  noms  de  villes  et  de 
provinces  qui  n'étaient  point  en  usage  dans  les  temps  dont  nous  par- 
lions. Mais,  pour  prévenir  la  confusion  qui  en  pourrait  naître,  outre 
les  précautions  que  nous  avons  prises  souvent  dans  le  texte  de  l'his- 
toire, nous  avons  cru  devoir  donner  ici  une  notice  de  l'état  où  était 
la  Gaule  sous  les  Romains  et  sous  nos  premiers  rois,  seulement 
par  rapport  aux  changements  dans  les  divisions  des  provinces  et 
dans  les  noms  des  villes.  C'est  à  cela  que  nous  nous  arrêtons.  Une 
description  plus  étendue  de  l'ancienne  Gaule  serait  inutile  au  dessein 
que  nous  nous  sommes  proposé,  et  elle  serait  plutôt  la  matière 
d'un  volume  spécial  que  celle  d'un  discours. 

I 

Diverses  divisions  de  la  Gaule  sous  les  Romains. 

On  s'est  accordé  à  nommer  Gaule  toute  l'étendue  de  pays  ren- 
fermée entre  les  Alpes,  les  Pyrénées,  le  Rhin,  l'Océan  et  la  Médi- 
terranée. Ces  grandes  barrières  en  sont  comme  les  limites  que  la 


VI 


XOTICE  ABRÉGÉE 


nature  semble  avoir  pris  soin  de  marquer.  Cependant,  les  Gaulois 
ayant  étendu  leurs  conquêtes  dans  l'Italie,  on  étendit  aussi  le  nom 
de  Gaule  au  pays  d'au  delà  des  Alpes  dont  ils  s'étaient  rendus 
maîtres,  et  on  le  fit  entrer  dans  les  divisions  de  la  Gaule. 

Comme  avant  César  on  ne  connaissait  guère  les  Gaulois  à  Rome 
que  par  les  maux  qu'ils  y  avaient  faits  et  les  divers  costumes  qu'on 
leur  avait  vu  porter,  on  ne  les  distingua  d'abord  que  par  la  diffé- 
rence de  leur  accoutrement.  Ainsi  les  Romains  divisèrent  la  Gaule 
en  trois  grandes  parties,  dont  la  première  fut  nommée  Gallia  To~ 
gâta,  parce  que  les  habitants  portaient  de  longues  robes  à  la  ro- 
maine ;  la  seconde  fut  appelée  Gallia  Braccata,  à  cause  des  braies 
ou  hauts-de-chausse  que  portaient  ces  peuples,  et  la  troisième  fut 
nommée  Gallia  Comata,  parce  que  les  habitants  y  portaient  les 
cheveux  longs.  La  Gaule  Togata  était  la  partie  de  l'Italie  qui  avait 
été  conquise  par  les  Gaulois,  et  qu'on  nommait  aussi  Gaule  Cisal- 
pine pour  la  distinguer  de  la  Gaule  proprement  dite.  La  Gaule 
Braccata  était  la  Gaule  Narbonnaise,  et  la  Gaule  Cornai  compre- 
nait tout  le  reste  de  la  Gaule,  savoir:  l'Aquitaine,  la  Celtique  et  la 
Belgique. 

César,  qui  eut  occasion  de  mieux  connaître  la  Gaule  par  les 
guerres  qu'il  y  fit,  s'aperçut  aisément  que  ce  partage  était  trop 
inégal  et  peu  exact.  Il  en  fit  un  autre,  où  il  crut  devoir  omettre  la 
Gaule  Cisalpine  et  la  Gaule  Narbonnaise,  parce  que  celle-ci  était 
depuis  longtemps  comme  une  province  romaine,  et  que  celle-là  n'é- 
tait pas  proprement  de  la  Gaule.  Il  se  contenta  donc  de  partager  la 
Gaule  Comata,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  en  trois  grandes 
provinces,  savoir  :  l'Aquitaine,  la  Celtique  et  la  Belgique.  L'Aqui- 
taine s'étendait  depuis  les  Pyrénées  jusqu'à  la  Garonne,  et  la  Bel- 
gique depuis  le  Rhin  jusqu'à  l'Océan  et  la  Seine.  La  Celtique  com- 
prenait, avec  le  territoire  des  Séquaniens  etdesHelvétiens,  tout  le 
pays  renfermé  entre  la  Seine,  la  Garonne  et  l'Océan.  Pour  la  Nar- 
bonnaise, que  César  n'avait  pas  comptée,  elle  s'étendait  le  long 
d'une  partie  du  cours  du  Rhône  jusqu'à  la  Méditerranée. 

Auguste,  ne  jugeant  pas  assez  solide  la  raison  qui  avait  fait  ex- 
clure la  Narbonnaise  du  dénombrement  des  Gaules,  l'ajouta  aux 
trois  autres  parties,  dont  il  changea  les  limites  pour  rendre  le  par- 
tage moins  inégal.  Il  sépara  les  Séquaniens  et  les  Helvétiens  de  la 
Celtique,  pour  Jes  attribuer  à  la  Belgique,  et  il  étendit  jusqu'à  la 
Loire  l'Aquitaine,  qui  était  auparavant  bornée  par  la  Garonne. 
C'est  à  cette  division  que  les  Romains  s'arrêtèrent  dans  la  suite 
pour  fixer  les  limites  de  ces  grandes  provinces. 


DE  L'ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE-  VII 

II 

Subdivision  des  quatre  parties  de  la  Gaule  en  diverses  provinces. 

La  Celtique,  la  Belgique,  l'Aquitaine  et  la  Gaule  Narbonnaise 
ne  firent  chacune  dans  les  commencements  qu'une  grande  province  ; 
mais  on  les  subdivisa  bientôt  en  plusieurs  autres. 

1°  La  Celtique,  qui  fut  nommée  la  Gaule  Lyonnaise  à  cause  de 
Lyon,  sa  capitale,  fut  premièrement  divisée  en  deux  provinces,  qui 
furent  appelées  la  première  et  la  seconde  Lyonnaise,  dont  Lyon  et 
Rouen  étaient  les  métropoles.  Il  paraît  que  la  Gaule  Lyonnaise 
était  ainsi  divisée  lorsque  S.  Hilaire  écrivit  de  son  exil  une  lettre 
aux  évêques  de  la  Gaule  et  de  la  Bretagne  :  car  il  ne  nomme  que 
deux  provinces  Lyonnaises.  On  donna  bientôt  ce  nom  à  deux  autres, 
qu'on  appela:  la  troisième  Lyonnaise,  dont  Toursfut  la  métropole, 
et  la  quatrième  Lyonnaise  ou  la  province  Sénonienne,  dont  Sens 
devint  la  métropole. 

2°  La  Belgique  fut  partagée  en  cinq  provinces,  savoir  :  la  pre- 
mière et  la  seconde  Belgique  avec  Trêves  et  Reims  pour  métro- 
poles ;  la  première  et  la  seconde  Germanie,  dont  les  métropoles  fu- 
rent Mayence  et  Cologne,  et  la  province  des  Séquaniens,  dont  Be- 
sançon fut  la  métropole.  La  province  des  Séquaniens  est  ce  qu'on 
a  depuis  nommé  la  comté  de  Bourgogne  ou  la  Franche-  Comté. 
Quant  à  celles  de  Mayence  et  de  Cologne,  quoiqu'elles  fissent 
partie  de  la  Gaule,  étant  situées  en  deçà  du  Rhin,  on  les  nomma 
Germanies  à  cause  des  Germains  qui  s'y  étaient  établis. 

3°  L'Aquitaine,  qui  ne  composa  d'abord  qu'une  province,  fut  en- 
suite divisée  en  deux,  et  enfin  en  trois  provinces  :  la  première 
Aquitaine  avec  Bourges  pour  métropole ,  la  seconde  Aquitaine 
avec  Bordeaux,  et  la  troisième  Aquitaine  avec  Eauze.  Dans  la 
suite  des  temps,  Eauze  ayant  été  ruinée,  Auch,  qui  dans  une  an- 
cienne notice  avait  le  dernier  rang  parmi  les  villes  de  cette  province, 
passa  au  premier  et  devint  métropole,  comme  elle  l'est  encore.  La 
troisième  Aquitaine  fut  plus  communément  appelée  la  Novempo- 
pulanie,  nom  qu'on  lui  donna  parce  qu'elle  renfermait  neuf  peuples 
dans  son  district^ 

4°  La  Gaule  Narbonnaise  fut  partagée  en  cinq  provinces,  qui 
sont  :  la  première  Narbonnaise  avec  Narbonne  pour  métropole,  la 
seconde  Narbonnaise  avec  Aix,  la  Viennoise  avec  Vienne,  les 


VIII 


NOTICE  ABRÉGÉE 


Alpes  Grecques  avec  Tarantaise,  et  les  Alpes  Maritimes  ayant  pour 
métropole  Embrun.  La  première  Narbonnaise  fut  appelée  Septi- 
manie,  sans  qu'on  puisse  connaître  l'origine  de  ce  nom.  Le  P.  Sir- 
mond  croit  que  ce  fut  à  'cause  des  colonies  des  soldats  de  la  sep- 
tième légion,  Septimanorum,  qui  s'établirent  à  Béziers.  De  Va- 
lois croit  que  ce  fut  plutôt  à  cause  des  sept  villes  qui  furent 
soumises  à  la  métropole  de  Narbonne,  savoir  :  Toulouse,  Béziers, 
Nîmes,  Agde,  Maguelone,  Lodève  et  Uzès.  Mais  est-il  probable 
qu'en  donnant  le  nom  à  cette  province  à  cause  du  nombre  des  villes 
qu'elle  renfermait,  on  eût  omis  de  compter  la  capitale,  qui  est  Nar- 
bonne 1  Ne  pourrait-on  pas  dire  que  la  première  Narbonnaise  fut 
nommée  Septimanie  parce  qu'elle  était  la  première  province  du 
corps  des  sept  provinces  dont  nous  parlerons  bientôt. 

5°  Toute  la  Gaute  Narbonnaise  était  connue  dans  le  rve  siècle 
sous  le  nom  des  cinq  provinces.  Le  concile  de  Valence,  en  374, 
adresse  sa  lettre  synodique  aux  évêques  des  Gaules  et  des  cinq 
provinces.  L'emuereur  Maxime  écrit  au  pape  Sirice  qu'il  fera 
assembler  un  concile  des  évêques  des  Gaules  et  des  cinq  provinces, 
ce  qui  montre  qu'on  distinguait  les  cinq  provinces  du  corps  des 
Gaules,  apparemment  parce  que  la  Gaule  Narbonnaise,  qui  était 
province  romaine  longtemps  avant  la  conquête  des  Gaules,  ne  fut 
pas  comprise  d'abord  dans  le  dénombrement  des  provinces  de  la 
Gaule,  ainsi  que  nous  l'avons  remarqué.  Quelques  auteurs  croient 
que  la  Novempopulanie  était  du  nombre  des  cinq  provinces,  dont 
par  conséquent  ils  retranchent  une  des  provinces  Narbonnaises,  sa- 
voir les  Alpes  Grecques.  Mais  dans  les  souscriptions  du  premier 
concile  d'Arles,  après  les  noms  des  évêques  des  cinq  provinces,  on 
ajoute  le  titre  de  Gallia,  et  on  met  parmi  eux  le  nom  de  l'évêque 
d'Eauze,  capitale  de  la  Novempopulanie.  Cette  province  était  donc 
réputée  appartenir  aux  Gaules,  et  ne  pas  faire  partie  des  cinq  pro- 
vinces, qu'on  distinguait ,  comme  nous  l'avons  dit ,  de  ce  qu'on 
nommait  simplement  la  Gaule. 

6°  Dans  le  ve  siècle  on  fit  une  autre  division,  et,  au  lieu 
des  cinq  provinces,  on  forma  un  corps  de  sept  provinces  qu'on 
continua  aussi  à  distinguer  de  la  Gaule.  Les  papes  Zozime  et  Bo- 
niface  adressèrent  leurs  lettres  aux  évêques  de  la  Gaule  et  des  sept 
provinces  :  episcopis  per  Gallias  et  septem  provincias.  Pétronius, 
préfet  du  prétoire  dans  les  Gaules,  fit  ce  changement  sous  l'empire 
d'Honorius,  qui  ordonna  que  les  juges  des  sept  provinces  tien- 
draient tous  les  ans  une  assemblée  à  Arles.  Ces  sept  provinces  sont 
marquées  dans  l'ancienne  notice  que  nous  rapporterons  à  la  fin  de 


DE  L'ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 


IX 


ce  discours.  C'est  la  Viennoise,  la  première  et  la  seconde  Aqui- 
taine, la  Novempopulanie,  la  première  et  la  seconde  Narbonnaise, 
et  les  Alpes  Maritimes.  On  voit  par  là  qu'on  détacha  des  cinq  pro- 
vinces les  Alpes  Grecques,  et  qu'on  y  ajouta  les  trois  provinces  de 
l'Aquitaine  pour  composer  le  corps  des  sept  provinces. 

III 

Changements  arrivés  dans  les  provinces  de  la  Garde  sous  la  domi- 
nation des  nations  barbares  qui  s'y  établirent. 

Les  peuples  barbares  qui  pendant  la  décadence  de  l'empire  inon- 
dèrent toute  la  Gaule,  détruisirent  cette  division  des  provinces  et 
en  changèrent  les  noms  et  les  limites,  heureuses  encore  si  ces  nou- 
veaux habitants  se  fussent  bornés  à  de  tels  changements. 

1°  Les  Visigoths,  ayant  obligé  l'empereur  Honorius  à  leur  céder 
Toulouse  et  quelques  autres  places  de  la  première  Narbonnaise  et 
de  la  seconde  Aquitaine,  étendirent  bientôt  leurs  conquêtes  dans 
toute  la  Septimanie,  qui  prit  le  nom  de  Gothie  et  ensuite  celui 
de  Languedoc,  qui  paraît  signifier  terre  des  Goths  :  car  land  en 
celtique  signifie  terre.  De  savants  auteurs  donnent  cependant 
une  autre  étymologie  à  ce  nom.  Ils  prétendent  qu'on  divisa  la 
Gaule  en  deux  parties,  dont  l'une  ,  au  delà  de  la  Garonne,  fut 
nommée  Langue-d'Oc,  parce  que  les  habitants  de  ces  provinces 
disaient  oc  pour  affirmer  quelque  chose  ;  et  que  l'autre  fut  appelée 
Langue-d'Oui,  parce  que  les  peuples  d'en  deçà  de  la  Garonne  di- 
saient oui  ou  oïl.  Quelque  naturelle  que  soit  la  première  étymolo- 
gie, celle-ci  paraît  être  la  véritable  :  car  nous  avons  des  lettres  de 
nos  rois  où  il  est  fait  mention  du  pays  de  Languedoc  et  de  celui 
de  Langue-d'Oui  ou  Langue-d'Oil. 

2°  Les  Bourguignons,  à  qui  le  général  Aétius  permit  de  s'établir 
dans  la  Savoie,  province  qui  comprenait  alors  ce  qu'on  nomme  au- 
jourd'hui le  Dauphiné,  étendirent  leurs  conquêtes  dans  la  première 
Lyonnaise  et  dans  la  Viennoise,  et  y  formèrent  un  Etat  considérable, 
qu'on  nomma  la  Bourgogne.  Ce  royaume  a  subsisté  longtemps, 
même  sous  les  rois  francs,  qui  l'avaient  conquis  sur  les  Bourgui- 
gnons; et  quand  la  Bourgogne  eut  cessé  d'avoir  des  rois  et  de  faire 
un  royaume  particulier,  il  s'y  forma  un  duché  et  un  comté  qu'on  a 
nommés  le  duché  et  le  comté  de  Bourgogne,  avec  cette  différence 

TOME  II.  B 


X 


NOTICE  ABRÉGÉE 


que  l'ancienne  Bourgogne  avait  beaucoup  plus  d'étendue  qu'elle 
n'en  a  eu  depuis,  puisqu'il  y  avait  au  concile  d'Epaone  vingt-cinq 
évêques  appartenant  à  ce  royaume. 

3°  Les  Bretons,  chassés  de  l'île  de  Bretagne  par  les  Anglo-Saxons, 
se  réfugièrent  à  l'extrémité  de  l'Armorique,  qui  faisait  partie  de  la 
troisième  Lyonnaise,  et  donnèrent  leur  nom  au  nouveau  pays  qu'ils 
habitèrent.  On  l'appela  la  Bretagne,  ou  la  Petite-Bretagne.  Ils 
n'occupèrent  guère  d'abord  que  ce  qu'on  nomme  aujourd'hui  la 
Basse-Bretagne,  où  la  langue  bretonne  s'est  conservée.  Mais  dans 
la  suite  ils  se  rendirent  maîtres  du  territoire  de  Rennes  et  du  pays 
nantais.  Malgré  ces  conquêtes,  la  nouvelle  Bretagne  n'égala  pas 
l'étendue  de  l'Armorique  :  car  on  donnait  ce  nom  au  pays  qui  s'étend 
le  long  des  côtes  de  la  mer  depuis  l'embouchure  de  la  Loire  jusqu'à 
l'embouchure  de  la  Seine.  Quelques  auteurs,  suivant  l'étymologie 
du  mot  Armorique,  qui  signifie  proche  de  la  mer,  ont  donné  ce  nom 
à  toutes  les  provinces  de  la  Gaule  qui  sont  voisines  de  la  mer  ; 
mais  on  l'a  pris  plus  communément  pour  la  partie  de  la  troisième 
Lyonnaise  que  nous  avons  marquée. 

Au  reste,  les  Bretons  ne  se  réfugièrent  pas  dans  la  Gaule  comme 
sur  une  terre  étrangère:  car  c'était  leur  ancienne  patrie.  Il  paraît 
que  l'île  de  Bretagne  avait  été  peuplée  par  des  colonies  gauloises, 
et  apparemment  par  ceux  que  Pline  nomme  Britannos,  et  qu'il 
place  au  nombre  des  peuples  de  la  Belgique.  César  dit  que  ce  fu- 
rent les  Belges  qui  peuplèrent  l'île  de  Bretagne  ;  mais  Bède  en 
fait  l'honneur  aux  Armoriques.  A  prendre  ce  nom  dans  la  significa- 
tion qui  lui  est  la  plus  propre,  on  peut  conclure  que  les  Bretons  se 
sont  réfugiés  dans  le  pays  même  d'où  leurs  ancêtres  étaient  sortis. 
Ces  nouveaux  habitants,  s'étant  établis  dans  l'Armorique,  ne  se 
contentèrent  pas  de  la  nommer  Bretagne,  ils  s'efforcèrent  d'y  re- 
tracer une  image  de  leur  patrie  :  car,  comme  ils  avaient  dans  l'île 
de  Bretagne  une  province  nommée  Cornouailles,  et  une  autre  appelée 
Domnonée,  ils  donnèrent  ces  deux  noms  à  différentes  parties  de  la 
nouvelle  Bretagne. 

4°  Il  était  juste  que  les  Francs,  s'étant  rendus  maîtres  delà  Gaule, 
donnassent  leur  nom  à  une  si  belle  conquête.  Ce  ne  fut  cepen- 
dant qu'après  plusieurs  siècles  que  toute  la  Gaule  fut  appelée  la 
France.  On  ne  donna  d'abord  ce  nom  qu'au  pays  renfermé  entre 
l'Oise,  la  Marne  et  la  Seine,  qu'on  a  nommé  l'Ile  de  France,  où  ap- 
paremment les  Francs  s'étaient  établis  en  plus  grand  nombre 
après  la  bataille  et  la  prise  de  Soissons.  On  étendit  ensuite  le  nom 
de  France  à  tout  le  pays  qui  fut  nommé  la  Neustrie.  Mais  ce  ne 


de  l'ancienne  géographie  de  la  GAULE.  XI 

fut  que  longtemps  après  que  ce  nom  devint  commun  à  toute  la 
Gaule,  et  c'est  sans  doute  la  raison  pour  laquelle  nos  rois  de  la 
première  et  de  la  seconde  race  ne  prirent  jamais  le  titre  de  rois  de 
France,  reges  Franciœ,  qui  n'aurait  pas  répondu  à  l'étendue  de  leur 
domination;  mais  celui  de  reges  Francorum,  rois  des  Francs,  ou 
reges  Galliarum,  roi  des  Gaules. 

5°  Les  Francs,  laissant  à  la  Bourgogne  et  à  l'Aquitaine  les  noms 
qu  elles  avaient,  divisèrent  le  reste  de  leur  domination  en  deux 
grandes  provinces,  dont  l'une  à  l'orient  fut  nommée  Austrie  ou 
Austrasie  :  car  ost  ou  est  en  tudesque  signifie  orient  ;  et  l'autre, 
à  l'occident,  fut  appelée  Neustrie  ou  Neustrasie.  L'Austrasie  était 
renfermée  entre  le  Rhin  et  la  Meuse,  et  la  Neustrie  entre  la  Meuse 
et  la  Loire  jusqu'à  l'Océan.  On  donna  dans  la  suite  des  bornes  plus 
étroites  à  la  Neustrie,  qu'on  resserra  entre  la  Loire  et  la  Seine  jus- 
qu'à l'Océan  ;  et  plus  tard  enfin  on  ne  donna  plus  ce  nom  qu'à 
la  seconde  Lyonnaise,  dont  Rouen  est  la  métropole. 

6°  Les  Vasconsou  Gascons,  peuples  des  Pyrénées,  étant  descen- 
dus de  leurs  montagnes,  se  répandirent  dans  la  Novempopulanie 
sous  les  rois  de  la  première  race  et  donnèrent  leur  nom  à  cette 
province ,  qu'on  appelait  la  Gascogne.  Les  rois  Théodebert  et 
Thierry,  fils  de  Childebert  II,  les  y  subjuguèrent  et  les  obligèrent 
à  payer  un  tribut,  moyennant  lequel  on  les  laissa  dans  les  terres 
qu'ils  avaient  occupées.  Leur  vivacité  naturelle  ne  leur  permit  pas 
d'y  rester  longtemps  tranquilles  ;  mais  Aribert  et  Dagobert,  son 
frère,  surent  les  réprimer. 

7°  Les  Etats  de  l'empereur  Lothaire  ayant  été  partagés,  vers 
l'an  855,  entre  ses  trois  fils,  le  jeune  Lothaire  eut  pour  ses  Etats 
une  partie  de  l' Austrasie,  de  la  Belgique  et  de  l'ancienne  Bour- 
gogne, et  ce  nouveau  royaume  fut  appelé  Lotharingie,  du  nom  de 
Lothaire,  qui  en  était  roi,  nom  qui  est  demeuré  au  duché  que  nous 
nommons  Lorraine.  Mais  l'ancienne  Lotharingia  ou  Lorraine,  qui 
comprenait  l'Alsace,  la  province  des  Séquaniens,  le  Brabant  et 
plusieurs  autres  lieux,  avait  bien  une  autre  étendue  que  n'en  eurent 
depuis  les  États  du  duc  de  Lorraine. 

8°  Les  Normands,  après  avoir  longtemps  ravagé  toute  la  Gaule, 
s'établirent  enfin  dans  la  Neustrie,  du  consentement  de  Charles 
le  Simple,  qui  leur  céda  la  seconde  Lyonnaise  depuis  la  rivière 
d'Epte  jusqu'à  l'Océan.  Les  nouveaux  habitants  donnèrent  leur 
nom  à  cette  province,  qui  ne  fut  plus  connue  que  sous  le  nom  de 
Normandie;  et,  comme  ils  étaient  également  laborieux  et  indus- 
trieux, ils  mirent  en  peu  de  temps  ce  pays  dans  un  état  très-floris- 


XII  NOTICE  ABRÉGÉE 

sant,  surtout  quand  on  le  comparait  à  celui  où  l'avaient  réduit  leurs 
ravages. 

9°  Enfin  les  duchés  et  les  comtés,  étant  devenus  héréditaires  sur  la 
fin  de  la  seconde  race  de  nos  rois,  donnèrent  lieu  d'étendre  ou  de 
resserrer  les  limites  de  la  plupart  de  nos  provinces,  selon  que  les 
ducs  ou  les  comtes  furent  plus  ou  moins  puissants.  C'étaient  dans  le 
sein  du  royaume  comme  autant  de  petits  Etats,  où  les  ducs  et  les 
comtes,  presque  toujours  armés  les  uns  contre  les  autres,  osaient 
quelquefois  même  réunir  leurs  armes  contre  le  roi  leur  souverain. 

10°  Comme  la  Gaule  Narbonnaise  se  nommait  simplement  Pro- 
vincia  ou  Provincia  Romana,  le  nom  de  Provence  est  demeuré  à  une 
partie  de  cette  province,  qui  obéissait  à  un  comte  particulier  et  qui 
comprenait  les  Alpes  Maritimes,  la  seconde  Narbonnaise  et  la  pro- 
vince d'Arles,  qui  avait  fait  partie  de  la  Viennoise.  Mais  dès  le  temps 
de  Grégoire  de  Tours  on  nommait  Provence  le  territoire  d'Arles  et 
de  Marseille. 

11°  Le  nom  de  Champagne  est  aussi  fort  ancien.  On  appela  d'a- 
bord cette  province  la  Champagne  de  Reims.  Mais  ensuite,  lors- 
qu'on en  eut  étendu  les  limites,  on  la  nomma  simplement  la  Cham- 
pagne, nom  qu'elle  doit  à  la  situation  du  pays  qu'elle  renferme. 

12°  S.  Ouen,  dans  la  Vie  de  S.  Eloi,  est  à  notre  connaissance  le 
premier  auteur  qui  ait  parlé  de  la  Flandre.  C'était  alors  un  petit 
canton  de  la  Belgique  maritime.  On  a  depuis  étendu  ce  nom  à  une 
partie  considérable  de  la  seconde  Belgique. 

13°  Quant  au  nom  de  Picardie,  qui  a  été  donné  à  une  autre  partie 
de  la  seconde  Belgique,  il  n'est  pas  plus  ancien  que  le  xme  siècle, 
et  on  n'en  connaît  pas  précisément  l'origine. 

14°  Le  nom  de  Dauphiné  est  un  peu  moins  récent,  et  il  doit  son 
origine  au  comte  Guignon,  septième  du  nom,  qui  prit  le  surnom  de 
Dauphin,  que  ses  successeurs  voulurent  aussi  porter:  ce  qui  fit 
nommer  ce  pays  Dauphiné.  Plusieurs  de  nos  provinces,,  comme 
l'Anjou,  le  Maine,. la  Touraine,  le  Poitou,  le  Rouergue,  le  Quercy, 
ont  conservé  le  nom  de  leurs  capitales. 

IV 

Changements  arrivés  dans  les  noms  des  villes  et  d'autres  lieux. 

Quoique  les  noms  des  villes  aient  été  sujets  à  moins  de  variations 
que  ceux  des  provinces,  on  y  remarque  néanmoins  des  changements 
qu'il  est  à  propos  de  faire  connaître. 


de  l'ancienne  géographie  de  la  galle.  XIII 

Les  villes  de  la  Gaule  avaient  presque  toutes  un  nom  celtique 
différent  de  celui  des  peuples  qui  les  habitaient.  Par  exemple,  la 
ville  des  Parisiens  se  nommait  Lutetia,  celle  des  Amiénois  ,  Sama- 
robriva;  celle  des  Rémois,  Duracortorum  ;  celle  des  Rennois,  Con- 
date.  Mais  comme  les  peuples  étaient  plus  connus  des  Romains  et 
des  Francs  que  les  noms  barbares  de  ces  villes,  il  est  arrivé  qu'on 
n'a  plus  guère  désigné  celles-ci  que  par  les  noms  des  peuples  qui 
les  habitaient.  C'est  ainsi  qu'on  a  dit  Paris,  Amiens,  Reims  et 
Rennes,  etc. 

Quant  à  la  capitale  d'Auvergne,  elle  a  changé  plusieurs  fois  de 
nom.  On  l'appela  d'abord  Nemetum,  puis  Augustonemetum ;  en- 
suite elle  n'eut  pendant  plusieurs  siècles  que  le  nom  de  son  peuple, 
et  fut  appelée  Arverni  ou  civitas  Arverna.  Enfin  elle  a  pris  le  nom 
de  sa  citadelle,  qui  était  appelée,  à  cause  de  sa  situation,  Clarus 
Mons,  Clermont.  De  Valois  remarque  qu'on  peut  reconnaître  les 
villes  qui  ont  pris  le  nom  de  leurs  peuples  à  Y  s  finale  qu'elles  ont 
conservée  dans  leur  nom,  et  que  cette  particularité  est  la  preuve  qu'il 
est  dérivé  d'un  pluriel. 

Les  noms  des  villes  de  la  Gaule  étaient  purement  celtiques  dans 
leur  origine.  Mais  les  empereurs  romains,  surtout  Jules  César  et 
Auguste,  firent  porter  leurs  noms  à  plusieurs  villes  qu'ils  avaient 
embellies,  et  c'est  de  là  que  sont  venus  ces  noms  :  Augustodunum, 
Autun;  Cœsarodunum,  Tours;  Cœsaromagus,  Beauvais  ;  Juliomagus, 
Angers.  Les  Gaulois  joignirent  au  mot  romain  la  terminaison  cel- 
tique :  car  dunum  et  magus  sont  des  termes  gaulois,  aussi  bien  que 
durum  et  briva,  qui  entrent  souvent  dans  la  composition  des  noms 
de  villes.  Dunum  signifie  hauteur,  colline,  et  nous  nous  servons  en- 
core du  mot  de  dunes  dans  notre  langue  pour  signifier  les  hauteurs 
sur  le  rivage  de  la  mer.  Durum  signifie  rivière;   dour  en  bas- 
breton  signifie  eau;  briva  en  celtique  signifie  pont  :  d'où  vien- 
nent Samarobriva,  Pont  de  la  Somme;  Briva  Isarœ,  Pontoise  ; 
Brivodurum,  Briare,  c'est-à-dire  Pont  de  la  rivière. 

C'est,  à  ce  qu'on  croit,  l'empereur  Aurélien  qui  donna  son  nom  à 
Orléans.  Gratien  donna  le  sien  à  Grenoble,  qui  se  nommait  aupa- 
ravant Cularo,  et  qu'il  fit  appeler  Gratianopolis,  la  ville  de  Gratien. 
Constantin  voulut  aussi  donner  son  nom  à  Arles,  qu'on  trouve 
quelquefois  nommée  Constantinopolis  ;  .mais  le  nom  d'Arles  lui  est 
resté.  — 

On  trouve  aussi  dans  la  Gaule  plusieurs  noms  de  villes  purement 
romains,  surtout  dans  la  Gaule  Narbonnaise,  où  un  grand  nombre 
de  colonies  romaines  se  sont  établies,  comme  :  Forum  Julii,  Fréjus; 


XIV  NOTICE  ABRÉGÉE 

Vicus  Julius,  Aires;  Aquœ  Sextiœ,  Aix ;  dans  les  autres  provinces, 
Constantia,  Coutances,  qui  doit  son  nom  à  Constance  Chlore,  père 
de  Constantin;  Augusta  Suessionum,  Soissons,  etc. 

Comme  la  langue  grecque  était  celle  des  Phocéens,  fondateurs  de 
Marseille,  ils  donnèrent  des  noms  grecs  à  la  plupart  des  villes  qu'ils 
bâtirent  sur  ces  côtes  ou  dont  ils  s'emparèrent.  C'est  d'où  sont  ve- 
nus les  noms  de  Telo,  Toulon;  d' Antipolis,  Antibes  ;  à'Agatha, 
Agde;  de  Rhodanus,  le  Rhône;  de  Stœchades,  les  îles  Stéchadesy 
qui  sont  des  noms  dérivés  du  grec.  Pour  les  Goths,  les  Bourgui- 
gnons et  les  Normands,  nous  ne  trouvons  pas  qu'ils  aient  donné 
leurs  noms  à  des  villes  :  ces  peuples  les  pillaient  et  les  saccageaient, 
et  ils  n'en  bâtissaient  point. 

L'établissement  de  la  religion  chrétienne  a  donné  lieu  à  des 
changements  dans  les  noms  de  plusieurs  villes,  qui  ont  pris  ceux 
des  saints  dont  le  culte  y  est  devenu  célèbre.  C'est  ainsi  que  l'an- 
cienne Auguste  des  Vermandois,  où  S.  Quentin  avait  souffert  le 
martyre,  a  pris  le  nom  de  ce  saint;  Aleth,  dans  l'Armorique,  s'est 
appelée  Saint-Malo,  du  nom  d'un  de  ses  évêques;  Leuconaùs  est 
devenu  Saint- Valéry,  et  Tomières,  Saint-Pons.  Quelquefois.on  s'est 
contenté  de  joindre  le  nom  du  saint  à  l'ancien  nom  de  la  ville.  On 
a  dit,  par  exemple  :  Quimpér-Corentin,  Saint-Pol  de  Léon,  Saint- 
Paul-Trois-Châteaux,  Saint-Bertrand  de  Comminges.  Un  grand 
nombre  de  monastères  et  d'autres  lieux  ne  sont  plus  connus  que 
sous  le  nom  des  saints  qu'ils  prirent  pour  patrons. 

V 

De  quelques  anciennes  villes  qui  ont  été  ruinées  entièrement  ou  en 

partie. 

Nous  ne  parlerons  que  des  villes  épiscopales  qui,  ayant  été  rui- 
nées ou  du  moins  ayant  beaucoup  perdu  de  leur  splendeur,  ont 
cessé  d'avoir  des  évêqti3S. 

1°  Nous  commençons  parEauze,  qui  fut  longtemps  une  ville  con- 
sidérable, puisqu'elle  était  la  capitale  d'une  aussi  grande  province 
que  la  Novempopulanie.  Cette  ville  ayant  été  ruinée,  apparemment 
par  les  guerres  des  Gascons,  ses  droits  de  métropole  ont  été  trans- 
ie rés  à  la  ville  d'Auch.  Aujourd'hui  Eauze  (Gers)  n'est  plus  qu'une 
petite  ville  peu  considérable. 

2°  La  ville  de  Cabales,  siège  épiscopal  et  capitale  du  Gévaudan, 


DE  L'ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 


XV 


a  eu  le  même  sort.  Le  siège  fut  transféré  à  Mende,  que  le  tombeau 
de  S.  Privât  avait  rendue  célèbre.  On  croit  que  l'ancienne  ville  de 
Gabales  est  le  lieu  aujourd'hui  nommé  Javoulx. 

3°  Cémèle,  près  de  Nice,  dans  la  province  des  Alpes  Maritimes,  a 
été  un  siège  épiscopal  célèbre  par  le  martyre  de  S.  Pons.  Mais  le 
pape  Hilaire,  successeur  de  S.  Léon,  ordonna  qu'il  n'y  eût  qu'un 
évêque  pour  Nice  et  pour  Cémèle.  Cette  ville  a  été  détruite  par  les 
Sarrasins. 

4°  Octodure  dans  les  Alpes  Pennines,  Avenches  et  Vindisch  dans 
la  province  des  Séquaniens  étaient  des  sièges  épiscopaux,  dont  le 
premier  a  été  transféré  à  Sion  en  Valais ,  le  second  à  Lausanne,  et 
le  troisième  à  Constance. 

5°  Les  fréquentes  incursions  des  barbares  ayant  souvent  ruiné  la 
ville  d'Antibes  et  celle  de  Maguelone,  le  siège  de  celle-ci  fut  trans- 
féré à  Montpellier,  et  celui  d'Antibes  à  Grasse.  Le  siéged'Elnea 
été  pour  la  même  raison  transféré  à  Perpignan.  On  prétend  que 
celui  de  Tréguier  était  autrefois  dans  une  ville  nommée  Lexobie,  qui 
fut  ruinée  par  les  courses  des  Normands  ;  mais  cette  opinion  ne 
s'appuie  que  sur  la  tradition  du  pays. 

VI 

De  quelques  villes  nouvelles  qui  se  sont  formées  dans  les  Gaules» 

Les  nouvelles  villes  qui  se  sont  formées  dans  la  Gaule  depuis  l'é- 
tablissement de  la  monarchie  sont  en  grand  nombre;  mais  peu  sont 
devenues  considérables.  Plusieurs  doivent  leur  origine  à  de  célèbres 
monastères  dont  elles  ont  pris  les  noms ,  comme  :  Saint-Denis, 
Saint-Flour,  Corbie,  Saint- Junien,  Saint-Pons,  Saint-Riquier,  Ab- 
beville,  qui  doit  sa  naissance  et  son  nom,  Abbalis  villa,  à  une  maison 
de  campagne  de  l'abbé  de  Saint-Riquier.  Plusieurs  monastères 
furent  érigés  en  sièges  épiscopaux ,  comme  :  Saint-Flour,  Tulle, 
Saint-Pons,  Castres,  Lavaur,  Vabres,  Luçon  et  Maillezais,  dont  le 
siège  a  été  transféré  à  La  Rochelle. 

La  puissance  des  seigneurs  francs  s'étant  accrue  aux  dépens  de 
l'autorité  royale,  ils  bâtirent  dans  leurs  domaines  plusieurs  places 
fortes  ou  châteaux,  qui  sont  devenus  des  villes.  Ces  forteresses 
étaient  nommées  Firmitas  ou  Castrum,  et  pour  les  distinguer  on  y 
joignit  le  nom  du  seigneur  qui  les  avait  fait  bâtir.  C'est  de  là  que 
nous  avons  en  France  tant  de  villes  dont  les  noms  commencent  par 


XVI 


NOTICE  DE  LA  GEOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 


Château  (castrum),  ou  par  La  Ferté  [firmitas),  avec  le  nom  de 
quelque  seigneur,  comme  La  Ferté-Milon,  La  Ferté-Bernard,  Châ- 
teau-Thierry, Château-Gontier ,  etc.  Car,  au  lieu  qu'aujourd'hui 
c'est  le  seigneur  qui  prend  le  nom  de  la  terre,  c'était  alors  la  terre 
qui  prenait  le  nom  de  son  seigneur.  Telle  est  aussi  l'origine  d'un 
grand  nombre  de  bourgs  et  de  villages  qui  doivent  leur  naissance 
aux  maisons  de  campagne  des  seigneurs  ;  en  effet,  comme  une  mai- 
son de  campagne  était  nommée  Cors,  Villa  ou  Villare,  on  trouve 
dans  toutes  nos  provinces  un  grand  nombre  de  lieux  dont  les  noms 
sont  terminés  en  Court,  en  Ville  ou  en  Villers,  avec  le  nom  du 
maître  à  qui  ils  appartenaient. 

VII 

Ancienne  notice  des  provinces  et  des  villes  de  la  Gaule. 

Le  P.  Sirmond  a  donné  à  la  tête  de  ses  conciles  une  ancienne 
notice  de  la  Gaule,  la  plus  estimée  et  la  plus  ancienne  de  toutes 
celles  qui  sont  venues  jusqu'à  nous.  Elle  fut  faite  vers  le  temps  de 
l'empereur  Honorius.  Nous  avons  cru  devoir  la  rapporter  ci-contre 
en  latin  et  en  français,  pour  justifier  ce  que  nous  avons  avancé  au 
sujet  de  la  division  de  nos  provinces.  On  y  verra  que  toutes  les 
villes  qui  sont  marquées  métropoles  civiles,  sont  encore  presque 
toutes  aujourd'hui  métropoles  ecclésiastiques,  à  l'exception  d'Eauze 
qui  a  été  ruinée,  et  que  presque  toutes  les  villes  qui  ont  le  nom  de 
cités  sont  des  sièges  épiscopaux.  Pour  celles  qui  n'ont  que  le  nom 
de  castrum,  c'étaient  des  villes  de  second  ordre,  et  il  était  assez  rare 
qu'elles  devinssent  des  sièges  épiscopaux  (1). 

(1)  La  plupart  des  villes  qui  étaient  métropoles  ecclésiastiques ,  à  l'époque  où 
écrivait  le  P.  Longueval,  le  sont  encore  aujourd'hui.  Mais  un  grand  nombre  d'é- 
vêchés  ont  été  supprimés  par  le  concordat  de  Pie  VII.  Embrun,  Vienne,  Narbonne, 
autrefois  métropoles,  n'ont  plus  même  d'évêché. 


ANCIENNE 

GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE 


Le  chiffre  marqué  après  le  nom  de  chaque  province  désigné  le  nombre  des  ville 
de  cette  province  qui  ont  le  titre  de  cités, 

PROVINCIA  LUGDUNENSIS  PRIMA.  — Num.  III. 

PREMIÈRE  LYONNAISE.  : 

Metropolis  civitas  Lugdunen-  Lyon,  métropole. 
sium. 

Civitas  ^Eduorum.  Autun. 

Civitas  Lingonum.  Langres. 

Castrum  Cabillonense.  Chalon-sur-Saône. 

Castrum  Matisconense.  Mâcon. 


PROVINCIA  LUGDUNENSIS  SECONDA.  —  Num.  VIL 

SECONDE  LYONNAISE. 

Metropolis  civitas  Rotomagen-    Rouen,  métropole. 
sium. 

Civitas  Bajocassium.  Bayeux. 

Civitas  Abrincatum.  Avr anches. 

Civitas  Ebroicorum.  Évreux. 

Civitas  Sagiorum.  Séez. 

Civitas  Lexoviorum.  Lisieux. 

Civitas  Constantia.  Coutances. 


PROVINCIA  LUGDUNENSIS  TERTIA.  —  Num.  IX. 

^  TROISIÈME  LYONNAISE. 

Metropolis  civitas  Turonorum.    Tours,  métropole. 
Civitas  Cenomannorum.  Le  Mans. 

Civitas  Redonum.  Rennes. 


XVIII  ANCIENNE  GEOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 

Civitas  Andicavorum.  Angers. 

Civitas  Namnetum.  Nantes. 

Civitas  Coriosopitum.  Quùnper. 

Civitas  Venetum.  Vannes. 

Civitas  Ossismorum.  Trêguier  ou  Saint-Poi  de  Léon. 
Civitas  Diablintum. 

PROVINCIA  LUGDUNENSIS  SENONIA.  —  Num.  VIL 

PROVINCE  SÉNONIENNE. 

Metropolis  civitas  Senonum.  Sens,  métropole. 

Civitas  Carnotum.  Chartres. 

Civitas  Autissiodorum.  Auxerre. 

Civitas  Tricassium.  Troyes. 

Civitas  Aurelianorum.  Orléans. 

Civitas  Parisiorum.  Paris. 

Civitas  Melduorum.  M  eaux. 

PROVINCIA  BELGICA  PRIMA.  —  Num.  IV. 

PREMIÈRE  BELGIQUE. 

Metropolis  civitas  Treverorum.  Trêves,  métropole. 

Civitas  Mediomatricorum  Met-  Metz. 
tis. 

Civitas  Leucorum  Tullo.  Toul. 

Civitas  Verodunensium.  Verdun. 


PROVINCIA  BELGICA  SECUNDA.  —  Num.  XII 


SECONDE 

Metropolis  civitas  Rhemorum. 
Civitas  Suessionum. 
Civitas  Catuellaunorum. 
Civitas  Veromanduorum . 
Civitas  Atrabatum. 
Civitas  Camaracensium. 
Civitas  Turnacensium. 
Civitas  Sylvanectum. 
Civitas  Bellovacorum. 
Civitas  Ambianensium. 
Civitas  Morinum. 
Civitas  Bononensium. 


BELGIQUE. 

Reims,  métropole. 
Soissons. 

C  hâtons -sur-Marne . 

Saint -Quentin. 

Arras. 

Cambrai. 

Tournay. 

Sentis. 

Beau  vais. 

Amiens. 

Thèrouanne . 

Boulogne. 


ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 


XIX 


PROVINCIA  GERMANIA  PRIMA.  —  Num.  IV. 

PREMIERE  GERMANIE. 

Metropolis  civitas  Mogunciacen-  Mayence,  métropole . 
sium. 

Civitas  Argentoratensium.  Strasbourg . 

Civitas  Nemetum.  Spire. 

Civitas  Vangionum.  ÏVorms. 

PROVINCIA  GERMAMA  SECUNDA.  —  Num.  II. 

SECONDE  GERMANIE. 

Metropolis  civitas  Agrippinen-    Cologne,  métropole. 
sium. 

Civitas  Tungrorum.  Tongres. 

PROVINCIA  MAXIMA  SEQUANORUM.  —  Num.  IV. 

PROVINCE  DES  SÉQUANIENS. 


Metropolis  civitas  Vesoncien- 
sium. 

Civitas  Equestrium  Noiodunus. 
Civitas  Elvitiorum  Aventicus. 
Civitas  Basiliensium. 
Castrum  Vindonissense. 

Castrum  Ebredunense. 
Castrum  Rauracense. 
Portus  Abucini. 


Besançon,  métropole. 

Nyon. 

Avenche. 

Baie. 

Vindisch,  dont  le  siège  a  été 

transféré  à  Constance. 
Iverdun. 
Augst. 

On  ne  connaît  plus  cette  ville. 


PROVINCIA  ALPIUM  GRAIARUM  ET  PENNINARUM. 

Num.  II. 

PROVINCE  DES  ALPES  GRECQUES  ET  PENNINES. 

Civitas  Centronum  Darantasia.    Tarantaise . 
Civitas  Valen sium  Octodoro.        Octodure,  aujourd'hui  Marti- 

gnac. 

Item.  In  provinciis  septem.         Item.  Dans  les  sept  provinces. 


XX 


ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 


PROVINCIA  VIENNENSIS.  —  Num.  XIII. 

PROVINCE  VIENNOISE. 


Metropolis  civitas  Viennensium. 
Civitas  Genavensium. 
Civitas  Gratianopolitana. 
Civitas  Albensium. 
Civitas  Deensium. 
Civitas  Valentinorum. 
Civitas  Tricastinorum. 
Civitas  Vasiensium. 
Ciyitas  Arausicorum. 
Civitas  Cabellicorum . 
Civitas  Avennicorum. 
Civitas  Arelatensium. 
Civitas  Massiliensium. 


Vienne,  .métropole. 

Genève. 

Grenoble. 

Viviers. 

Die. 

Valence. 

Tro  is-Châtea  ux . 

Vaison. 

Orange. 

Cavaillon . 

Avignon. 

Arles. 

Marseille. 


PROVINCIA  AQUITANICA  PRIMA.  — Num.  VIII. 

PREMIÈRE  AQUITAINE. 


Metropolis  civitas  Biturigum. 
Civitas  Arvernorum. 
Civitas  Rutenorum. 
Civitas  Albiensium. 
Civitas  Cadurcorum. 
Civitas  Lemovicum. 
Civitas  Gabalum. 

Civitas  Vellavorum. 


Bourges,  métropole. 

Clermont. 

Rodez. 

Albù 

Cahors. 

Limoges. 

Gabales    ou  Javoulx,  dont  le 
siège  a  été  transféré  à  Mende. 

On  croit  que  c'est  la  ville  aujourd'hui 
nommée  Saint-Paulien,  dont  le  siège  a 
été  tranféré  au  Puy  en  Velay. 


PROVINCIA  AQUITANICA  SECUNDA.  —  Num.  VI. 

SECONDE  AQUITAINE. 

Metropolis  civitas  Burdegalen-   Bordeaux,  métropole. 
sium. 

Civitas  Agennensium.  Agen. 

Civitas  Ecolismensium.  Angoulême. 

Civitas  Sanctonum.  Saintes. 

Civitas  Pictavorum.  Poitiers. 

Civitas  Petracoriorum.  Péri  gueux. 


ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  G  A  CLE. 


XXI 


PROVINCIA  NOVEMPOPULANA.  —  Num.  XII. 


NOVEMPOPULANIE. 


Metropolis  civitas  Elusatium, 
Civitas  Aquensium. 
Civitas  Lactorantium. 
Civitas  Convenarum. 
Civitas  Consorannorum. 
Civitas  Boatium. 
Civitas  Benarnensium. 
Civitas  Aturensium. 
Civitas  Vasatica. 
Civitas  Turba,  ubi 
Castrum  Bigorra. 
Civitas  Elloronensium. 
Civitas  Ausciorum . 


JEauze,  métropole. 

Acqs. 

Lectoure. 

Comminges. 

Consèrans. 

Bayonne. 

Lescar. 

Aire. 

Basas. 

Tarbes. 

Oléron . 
Auch. 


PROVINCIA  NARBONENSIS  PRIMA.  —  Num.  VI. 

PREMIÈRE  NARBONNAISE. 

Metropolis  civitas  Narbonen-  Narbonne,  métropole. 
sium. 

Civitas  Tolosatium.  Toulouse. 

Civitas  Beterrensium.  Bèziers. 

Civitas  Nemausensium.  Nîmes. 

Civitas  Lutevensium.  Lodève. 

CastrumUcesiense,a/ias  civitas.  Uzès. 


PROVINCIA  NARBONENSIS  SECUNDA.  —  Num.  VII. 

SECONDE  NARBONNAISE. 

Metropolis  civitas  Aquensium.     Aix,  métropole. 

Civitas  Aptensium.  Apt. 

Civitas  Reiensiujn.  Riez. 

Civitas  Forojuliensium.  Frèjus. 

Civitas  Vappincensium.  Gap. 

Civitas  Segesteriorum.  Sisteron* 

Civitas  Antipolitana.  Antibes. 


XXII 


ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GAULE. 


PROVINCIA  ALPIUM  M  ARITIMARUM .  —  Num.  VIII. 


ALPES  MARITIMES. 


Metropolis  civitas  Ebrodunen-    Embrun,  métropole. 


SlUffi. 

Civitas 
Civitas 
Civitas 
Civitas 
Civitas 
Civitas 
Civitas 


Dinensium. 

Ricomagensium, 

Solliniensium. 

Sanitiensiuin. 

Glannatina. 

Cemelensium. 

Vinciensium. 


Digne. 

Ces  deux  villes  sont  aujourd'hui 

inconnues. 
Senez. 
Glandève. 
Cémèle. 
Vence. 


DISCOURS  DU  P.  LONGUEVAL 

SUR  LA  RELIGION 

ET 

SUR  LES  MOEURS  DES  FRANCS 

avant  l'établissement  de  la  monarchie 
ET  SOUS  LES  DEUX  PREMIÈRES  RACES  DE  NOS  ROIS. 


I 

Origine  des  Francs. 

Il  est  peu  de  nations  qui,  sous  prétexte  d'ennoblir  leur  ori- 
gine, ne  l'aient  obscurcie  par  des  traditions  fabuleuses.  Dès  le 
vine  siècle,  des  auteurs,  pour  flatter  nos  rois,  prétendirent  que  les 
Francs  descendaient  des  Troyens  ,  et  le  diacre  Paul ,  dans  son 
Histoire  des  évêques  de  Metz,  ne  craint  pas  de  dire  que  c'est  pour 
cette  raison  que  le  fils  de  S.  Arnoul,  qui  fut  la  tige  de  la  seconde 
race  de  nos  rois,  avait  été  nommé  Anchise,  quoique  en  effet  il  ne 
se  nommât  pas  Anchise,  mais  Ansegise.  Une  foule  d'historiens 
postérieurs,  sacrifiant  la  réputation  d'habiles  et  de  judicieux  écri- 
vains à  la  prétendue  gloire  de  leur  patrie,  ont  adopté  cette  opinion. 
Pour  en  faire  ressembler  l'origine  à  celle  de  Rome,  ils  ont  supposé 
qu'un  prince  troyen  nommé  Francus  était  venu  s'établir  au  delà 
du  Rhin  et  avait  donné  son  nom  à  la  monarchie  franque,  dont  il 
aurait  été  le  fondateur.  Mais  la  nation  française  s'est  rendue  assez 
illustre  par  elle-même  pour  n'avoir  pas  besoin  d'une  origine  fabu- 
leuse :  l'éclat  de  ses  grandes  actions  lui  suffit.  Aussi,  sans  nous 
arrêter  à  combattre  ces  fictions,  nous  nous  contenterons  d'ex- 
poser brièvement  ce  qui  nous  a  paru  être  le  plus  probable  sur  l'ori- 
gine des  Francs. 


XXIV 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGION 


Ce  ne  fut  que  dans  la  seconde  moitié  du  111e  siècle,  sous  l'em- 
pire de  Valérien,  que  les  historiens  romains  commencèrent  à 
faire  mention  des  Francs  ,  et  ils  désignèrent  par  ce  nom  commun 
diverses  nations  de  la  Germanie,  telles  que  les  Saliens,  les  At- 
tuaires,  les  Ampsivares,  les  Kamaves,  les  Brictères  et  les  Cattes. 
Comment  tous  ces  peuples  et  quelques  autres  furent-ils  appe- 
lés Francs,  nom  inconnu  à  Tacite  et  aux  plus  anciens  historiens? 
Cette  dénomination  de  Francs  fut  donnée  au  111e  siècle  à  une 
confédération  de  plusieurs  peuples  de  la  Germanie,  qui  se  liguèrent 
ensemble  pour  la  conservation  de  leur  liberté.  La  haine  des  Ro- 
mains, leurs  ennemis  communs,  les  réunit  si  étroitement  qu'ils  ne 
firent  plus  qu'un  peuple,  qui  prit  le  nom  de  Francs,  c'est-à-dire 
libres  en  langue  tudesque.  Leur  nom  était  ainsi  le  symbole  de  la 
cause  pour  laquelle  ils  combattaient ,  et  ils  y  trouvaient  les  motifs 
du  courage  avec  lequel  ils  devaient  la  défendre. 

Dès  que  ces  peuples  eurent  été  connus  sous  le  nom  de  Francs  , 
on  commença  à  appeler  France  le  pays  qu'ils  habitaient  au  delà  du 
Rhin,  entre  la  Saxe  et  l'Allemagne,  c'est-à-dire  la  Souabe.  Car  ce 
sont  là  les  limites  que  S.  Jérôme  assigne  à  la  France  transrhé- 
nane. «  Entre  les  Saxons  et  les  Allemands,  dit-il,  habite  une  nation 
qui  a  moins  d'étendue  que  de  force.  On  nommait  autrefois  ce  pays 
Germanie  :  on  l'appelle  aujourd'hui  France  (1).  » 

II 

De  la  religion  des  Francs  avant  leur  conversion  à  la  foi 

chrétienne. 

Puisque  les  Francs  étaient  Germains,  il  n'y  a  aucun  lieu  de 
douter  qu'ils  ne  fussent  adonnés  à  toutes  les  superstitions  que  les 
anciens  historiens  ont  attribuées  à  ces  peuples.  Ainsi  on  peut  assu- 
rer sans  témérité  qu'ils  adoraient  Mars,  Hercule  et  Mercure;  qu'ils 
souillèrent  de  sang  humain  les  autels  de  ce  dernier,  et  qu'ils  n'a- 
vaient ni  temples  ni  statues  de  leurs  dieux,  se  contentant  de  leur 
consacrer  des  fontaines  et  des  forêts ,  dont  le  silence  leur  paraissait 
plus  propre  à  inspirer  le  respect  et  le  recueillement.  Dans  la  suite 
les  Francs  eurent  des  idoles.  «  Ils  se  firent,  dit  Grégoire  de  Tours, 

(1)  Hier.,  de  VU.  S.  Hilarionis. 


HISTOIRE 

DE 

L'ÉGLISE  CATHOLIQUE 

EN  FRANGE 


LIVRE  CINQUIEME 

La  mort  de  S.  Léon  fut  pour  l'Eglise  un  sujet  de  deuil  uni- 
versel; mais  le  diacre  Hilaire,  qui  fut  élevé  sur  le  Saint-Siège, 
parut  encore  un  grand  pape,  même  en  succédant  à  S.  Léon  : 
il  avait  été  son  archidiacre  et  envoyé  par  lui  en  qualité  de  légat 
au  second  concile  d'Éphèse.  Peu  après  son  avènement,  le  nou- 
veau pape  écrivit  à  Léonce  d'Arles,  successeur  de  Ravennius, 
pour  lui  donner  avis  de  son  élévation  au  pontificat.  Par  cette 
lettre  il  le  charge  de  notifier  son  élection  à  tous  les  évêques 
de  sa  province,  afin  qu'ils  prient  le  Seigneur  pour  son  heu- 
reux gouvernement  (1).  La  lettre  est  datée  du  25  janvier  sous 
le  consulat  de  Sévère,  c'est-à-dire  l'an  462.  Léonce  avait  pré- 
venu le  nouveau  pape.  En  lui  adressant  ses  félicitations,  il  lui 
dit  que  la  nouvelle  de  son  élection  est  venue  adoucir  l'amer- 
tume des  larmes  que  la  mort  de  S.  Léon  faisait  couler;  que, 
l'Église  romaine  étant  la  mère  de  toutes  les  Églises,  on  doit 
se  réjouir  de  ce  que  dans  des  temps  si  fâcheux  il  a  été  placé 
sur  ce  siège,  pour  juger  les  peuples  selon  l'équité  et  diriger 
les  nations  de  la-terre.  Il  l'exhorte  à  achever  ce  que  son  pré- 
décesseur avait  commencé  pour  l'extirpation  des  hérésies,  et 

(t)  Hilar.  Epist.  adLeont.,  t.  I  OonciL  Gall.,  p.  127.  — Labb.,  t.  IV, p.  (039. 

TOME  II.  1 


2  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [462j 

il  le  prie  en  finissant  de  maintenir  les  privilèges  que  les  papes 
avaient  accordés  à  son  Église  :  c'est  ce  que  les  évêques  d'Arles 
n'avaient  garde  d'oublier  (1).  Peut-on  avoir  une  preuve  plus 
certaine  que  les  privilèges  des  métropoles  venaient  de  la  con-, 
cession  du  Saint-Siège  ? 

Le  pape  Hilaire,  ayant  reçu  cette  lettre  et  voyant  que 
Léonce  n'y  faisait  pas  mention  de  celle  qu'il  devait  avoir 
reçue,  lui  en  écrivit  une  seconde  (2).  «  Les  lettres,  dit-il,  que 
notre  fils  Papole  m'a  rendues  de  votre  part,  ont  fort  aug- 
menté la  tendresse  que  j'ai  pour  toutes  les  Églises  des  Gaules 
et  pour  tous  les  prêtres  et  les  évêques  de  ces  provinces.  J'en 
conjecture  cependant  que  vous  n'aviez  pas  encore  reçu  la 
lettre  que  nous  vous  avons  écrite  dans  les  commencements 
de  notre  pontificat  :  car  vous  nous  en  auriez  parlé  si  le  por- 
teur n'avait  pas  été  retardé  par  quelque  accident.  Sachez 
donc  qu'il  y  a  longtemps  que  nous  nous  sommes  acquitté 
de  ce  que  la  coutume  et  la  charité  demandaient.  »  Il  parle  de 
la  lettre  qu'il  avait  écrite,  selon  l'usage,  pour  notifier  son 
élévation  au  Saint-Siège.  Il  ajoute  qu'il  donnera  tous  ses 
soins  à  maintenir  dans  l'Église  gallicane  la  pureté  de  la  dis- 
cipline, pourvu  qu'on  l'avertisse  des  abus.  Il  eut  bientôt 
occasion  d'exercer  son  zèle  au  sujet  du  successeur  de  Rustique 
de  Narbonne. 

Ce  saint  évêque  était  mort  l'an  462,  après  environ  trente- 
cinq  ans  d'épiscopat  ;  Hermès,  qui  avait  été  élu  et  ordonné 
évêque  de  Béziers,  voyant  que  les  habitants  de  cette  ville 
refusaient  de  le  recevoir,  s'empara  du  siège  de  Narbonne. 
Il  avait  été  diacre  de  cette  Église,  et  il  est  parlé  de  lui  dans 
une  ancienne  inscription  (3)  qu'on  voyait  à  Narbonne ,  et  où 
l'on  désignait  différentes  personnes   qui  contribuèrent  à 

(1)  Leont.  Ep.  ad  Hil.  papam. ,  t.  V  Spicilegii,  p.  578.  —  (2)  Hilar.  Epist.,  t.  I 
Concil.Gall.,  p.  127.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1040. 

(3)  Cette  inscription,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  nous  apprend  que  la  porte  de 
l'église  fut  placée  la  quatrième  année  depuis  qu'on  eut  commencé  de  la  rebâtir, 
sous  le  sixième  consulat  de  Valentinien,  c'est-à-dire  l'an  455,  le  29  novembre,,  la 

dix-buitième  année  de  l'épiscopat  de  Rustique.  Voici  les  paroles  :  DO  ET  XRO  MI- 


[462]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  3 

faire  rebâtir  l'église,  brûlée  apparemment  pendant  les  pre- 
miers ravages  des  barbares.  Narbonne  fut  depuis  livrée  aux 
Yisigoths  sous  le  règne  de  Théodoric  II.  Ce  roi  et  sa  nation 
étaient  ariens;  mais  il  paraît  que  Frédéric,  son  frère,  était 
catholique ,  si  l'on  en  juge  par  l'intérêt  qu'il  prenait  aux 
affaires  de  l'Église  et  par  la  manière  dont  parle  de  lui  le  pape, 
qui  le  nomme  son  fils.  Ce  prince,  voyant  donc  les  règles  de  la 
discipline  violées  par  l'intrusion  d'Hermès,  écrivit  au  pape 
Hilaire  et  lui  envoya  le  diacre  Jean  pour  s'en  plaindre.  Le 
pape,  à  la  nouvelle  de  ce  scandale,  écrivit  une  lettre  fort  vive 
à  Léonce.  Il  lui  témoigne  sa  surprise  de  ce  que,  ne  voulant 
ou  ne  pouvant  pas  remédier  aux  désordres  qui  arrivent  dans 
sa  province,  il  néglige  d'en  avertir  le  Saint-Siège,  et  il  lui 
ordonne  de  lui  envoyer  incessamment  sur  cette  affaire  une 
relation  signée  de  lui  et  des  autres  évêques ,  afin  qu'il  puisse 
décider  quelle  conduite  on  doit  tenir  (1).  La  lettre  est  du 
3  novembre  de  l'an  462. 

Les  évêques  de  ces  provinces  n'avaient  pas  attendu  ces 
reproches  pour  députer  à  Rome  deux  d'entre  eux ,  Fauste 
et  Auxanius,  à  l'occasion  de  cette  affaire.  Le  pape,  les  ayant 
entendus,  tint  à  ce  sujet  un  nombreux  concile  de  diverses 
provinces,  à  la  tête  duquel  étaient  les  deux  évêques  dépu- 
tés des  Gaules  (2).  La  cause  d'Hermès  y  fut  réglée.  Le 
pape  en  écrivit  le  résultat  aux  évêques  des  provinces 
Lyonnaise,  Viennoise,  des  deux  Narbonnaises  et  des  Alpes 
Pennines.  Il  dit  que  la  conduite  régulière  et  édifiante  qu'Her- 
mès avait  tenue  jusqu'alors  avait  fait  trouver  sa  faute  plus 
pardonnable;  qu'ainsi  on  avait  eu  égard  tout  à  la  fois,  dans 
la  sentence,  et  à  la  douceur  de  la  charité  et  à  la  sévérité  de 


SERANTE  LUI.  HOC  C.  L.  K.  T.  E.  (c'est-à-dire   collocatum  est)  ANNO  MI  CS 

VALENT1NIANO  AUG^VI.  III K.  L.  D.  XVIII.  ANNO  EPTUS  RUSTI. 

(1)  Hilar.  Epist.  ad  Leont.,  t.  I  Concil.  Galkr$.  128.— Labb.,  t.  IV,  p.  1040. 

(2)  L'expression  doiït  se  sert  le  pape  semble  marquer  qu'il  fit  présider  ce 
concile  par  les  deux  évêques  de  la  Gaule  :  prœsidentibus  fratribus  et  coepiscopis  no  s  tris 
fausto  et  Auxanio. 


4  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [462] 

la  discipline.  Elle  porte  qu'Hermès  demeurera  évèque  de 
Narbonne;  que  cependant,  pour  le  punir  de  son  procédé  irré- 
gulier ,  on  lui  ôte  le  droit  d'ordonner  des  évêques ,  droit 
qu'on  transporte  à  Constance  d'Uzès,  comme  au  plus  ancien 
dans  l'épiscopat  ;  mais  qu'après  la  mort  d'Hermès  ce  droit 
retournera  à  ses  successeurs,  parce  que  c'est  à  la  personne 
d'Hermès  qu'on  l'ôte  et  non  à  l'Église  de  Narbonne.  Pour 
prévenir  de  pareils  abus,  le  pape  ordonne  qu'on  tienne  tous  les 
ans  des  conciles,  lesquels  seront  convoqués  par  Léonce,  qu'il 
délègue  à  cet  effet  .  On  y  terminera  les  affaires  concernant  les 
ordinations  des  évêques,  des  prêtres  et  des  autres  personnes  du 
clergé  ;  mais  on  consultera  le  Saint-Siège  sur  les  causes  les  plus 
importantes  qui  n'auront  pu  être  terminées  sur  les  lieux  (1). 

Le  pape,  par  la  même  lettre,  défend  aux  évêques  de  sortir 
de  leurs  provinces  sans  des  lettres  du  métropolitain.  Si  le 
métropolitain  les  refuse,  on  pourra  s'adresser  à  Léonce 
d'Arles,  qui  décidera  la  cause  avec  deux  métropolitains. 
Léonce  avait  présenté  une  requête  au  pape  pour  revendiquer 
des  paroisses  que  S.  Hilaire  d'Arles  avait  autrefois  aliénées. 
Le  pape  renvoie  la  connaissance  de  cette  affaire  aux  évêques 
auxquels  il  écrit  ;  mais  il  défend  d'aliéner  désormais  les  terres 
de  l'Eglise  sans  l'autorité  d'un  concile  où  l'on  aura  exposé 
les  motifs  de  cette  aliénation.  Cette  lettre  est  datée  du  3  dé- 
cembre sous  le  consulat  de  Sévère,  c'est-à-dire  l'an  462. 
Telle  fut  l'issue  de  l'affaire  d'Hermès  (2).  Il  paraît  que  ce 
furent  les  évêques  Fauste  et  Auxanius,  députés  des  Gaules, 
qui  adoucirent  l'esprit  du  pape  à  son  sujet.  On  ne  connaît  pas  le 
siège  d' Auxanius;  mais  Fauste  était  l'abbé  de  Lérins  dont  nous 
avons  parlé.  Il  fut  élevé  sur  le  siège  de  Riez  après  la  mort 
de  S.  Maxime,  à  qui  il  fut  jugé  digne  de  succéder  deux  fois. 

(1)  Concil.  Gall.,  1. 1,  p.  129.  — Lahb.,  t.  IV,  p.  1041. 

(2)  Le  P.  Quesnel,  qui  avait  intérêt  à  ce  qu'on  canonisât  ceux  que  les  souverains 
pontifes  ont  condamnés,  fait  d'Hermès  un  saint  et  dit  qu'il  est  dans  le  Martyrologe 
romain  au  26  octobre,  dans  celui  des  Gaules  et  dans  celui  d'Usuard.  Mais  cer- 
tainement il  ne  se  trouve  dans  aucun  des  trois.  V.  Quesnell.,  t.  II  Operum  S.  Léon., 
p.  78G. 


[462]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  5 

Les  vertus  héroïques  de  S.  Maxime  avaient  rendu  son 
épiscopat  célèbre  dans  toute  la  Gaule.  Aussi,  quand  les  mira- 
cles qu'on  lui  attribue  ne  seraient  pas  attestés  par  des  auteurs 
contemporains ,  la  sainteté  de  sa  vie  les  rendrait  seule  aussi 
croyables  qu'ils  furent  éclatants.  Un  jour  que  le  saint  évêque 
assistait  avec  ses  clercs  à  l'office  de  la  nuit ,  on  vint  annoncer 
au  diacre  Auson  qu'un  de  ses  neveux ,  qu'il  élevait  chez  lui , 
s'était  tué  en  tombant  du  haut  des  murs  de  la  ville.  Le  diacre 
y  courut  aussitôt,  et,  ayant  pris  entre  ses  bras  le  corps  de  ce 
jeune  enfant,  il  le  porta  dans  la  maison  de  S.  Maxime  et 
le  coucha  dans  son  lit.  Il  vint  ensuite  à  l'église,  où  était  le 
saint  évêque,  et,  se  prosternant  à  ses  pieds,  il  lui  dit  ce  qu'il 
avait  fait,  le  conjurant  de  rendre  la  vie  à  son  neveu.  Maxime 
le  reprit  d'abord  avec  mécontentement,  puis,  se  laissant  vain- 
cre par  la  foi  et  par  les  prières  d' Auson ,  il  voulut  aller  secrè- 
tement à  sa  chambre  avec  lui  seulement  ;  mais  le  peuple  qui 
était  dans  l'église  les  y  suivit.  Maxime,  ayant  fait  une  fervente 
prière,  prit  l'enfant  mort  par  la  main  et  le  rendit  plein  de  vie 
à  son  oncle.  Tout  le  peuple,  témoin  du  miracle,  s'écria  aussi- 
tôt :  Gloire  soit  à  Dieu,  et,  comme  chacun  s'empressait  de  voir 
et  d'entendre  cet  enfant,  l'évêque  eut  beaucoup  de  peine  à 
se  faire  frayer  un  passage  par  ses  clercs  au  travers  de  la  foule, 
pour  retourner  achever  l'office.  Il  ressuscita  aussi  la  fille 
d'une  veuve  et  rendit  la  vue  à  un  aveugle  en  faisant  le  signe 
de  la  croix  sur  ses  yeux  (i). 

S.  Maxime,  sentant  sa  fin  approcher,  alla  visiter  ses  parents, 
qui  n'étaient  pas  éloignés  de  Riez.  La  sainteté  n'éteint  pas  les 
sentiments  de  la  nature  :  elle  les  perfectionne.  Ce  saint  évêque 
mourut  dans  sa  famille  vers  l'an  460,  le  27  novembre,  jour 
auquel  on  célèbre  sa  fête.  Gomme  on  ramenait  son  corps  à 
Riez,  le  convoi  se  croisa  sur  la  route  avec  celui  d'une  jeune 
fille  d'un  village  nommé  Décima,  qui  était  portée  en  terre  dans 
un  cercueil  découvert.  Les  personnes  qui  l'accompagnaient, 


(1)  Dynian.  Vita  S.  Maximi,  e.  Tlï. 


6  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [4fi2] 

prièrent  ceux  qui  portaient  le  cercueil  du  saint  évêque  de  le 
faire  toucher  au  corps  de  la  jeune  fille.  Ils  le  firent,  et  tous, 
s'étant  à  l'instant  prosternés  en  prière  et  ayant  crié  sept  fois  : 
Kyrie  eleison,  virent  avec  étonnement  ressusciter  cette  fille, 
qui  suivit  elle-même  le  convoi ,  en  publiant  la  puissance  de 
son  libérateur  (1). 

Tous  ces  faits  sont  rapportés  par  le  patrice  Dymanius,  qui 
a  écrit  la  vie  de  S.  Maxime  dans  le  temps  où  plusieurs  témoins 
oculaires  de  ses  miracles  vivaient  encore.  S.  Maxime  fut  en- 
terré dans  l'église  de  Saint-Pierre,  qu'il  avait  fait  bâtir,  et  qui 
prit  son  nom  peu  de  temps  après  à  cause  des  fréquents  mi- 
racles qui  se  firent  à  son  tombeau.  Nous  n'en  rapporterons 
qu'un  seul,  aussi  éclatant  qu'il  est  avéré. 

Un  enfant  de  trois  ans  étant  malade  et  à  la  dernière  extré- 
mité, on  prit  le  parti  de  le  porter  au  tombeau  de  S.  Maxime  : 
c'était  aux  yeux  de  tous  le  dernier  et  le  plus  efficace  remède  ; 
mais  il  mourut  entre  les  bras  de  ceux  qui  l'y  portaient.  Ses 
parents  en  pleurs  déposèrent  le  corps  devant  le  sépulcre  du 
saint,  et  fermèrent  l'église  le  soir  en  se  retirant.  Etant  revenus 
le  lendemain  matin ,  leur  ravissement  fut  égal  à  leur  surprise 
en  voyant  leur  fils  debout  et  marchant  autour  de  la  grille  qui 
entourait  le  tombeau  :  «  Nous  avons  vu,  dit  S.  Grégoire  de 
Tours,  la  personne  en  faveur  de  laquelle  s^cst  opéré  ce  mi- 
racle, et  elle  nous  en  a  raconté  elle-même  les  circonstances  (2).  » 
Il  nous  reste  quelques  homélies  de  S.  Maxime,  parmi  celles 
qui  sont  attribuées  à  Eusèbe  d'Émèse. 

Fauste,  qui  succéda  à  S.  Maxime,  était  originaire  de  la  Bre- 
tagne et  s'était  acquis  de  la  réputation  dans  le  barreau  par 
son  éloquence.  Il  tâcha  d'enfouir  tous  ses  talents  dans  la  soli- 
tude, mais  il  ne  put  y  réussir.  On  s'empressa  d'autant  plus  de 
rendre  justice  à  son  mérite  qu'il  paraissait  seul  le  mécon- 
naître. Il  fut  élu  le  troisième  abbé  de  Lérins,  l'an  433,  et,  pen- 
dant environ  27  ans  qu'il  gouverna  ce  monastère,  il  en  soutint 

(1)  Dyman.  Vita  S.  Maximini,  c.  xil  et  xui.  —  (2)  Gregor.,  de  Gloria  confess.. 

C.  L.XXXIII. 


[462]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  7 

la  réputation  et  la  régularité  par  sa  vigilance  et  par  ses  exem- 
ples. On  loue  surtout  son  abstinence.  Il  ne  buvait  jamais  de 
vin  et  ne  mangeait  le  plus  souvent  que  des  fruits  et  des  lé- 
gumes crus.  Il  porta  toutes  ces  vertus  sur  le  siège  épiscopal, 
et  il  établit  à  Riez  les  prières  usitées  à  Lérins,  c'est-à-dire 
qu'il  régla  l'office  divin  sur  les  usages  de  cette  communauté  (  1  ) . 

S.  Nazaire,  qui  succéda  à  Fauste  dans  la  charge  d'abbé,  fit 
bâtir  à  Arluc,  sur  les  côtes  de  la  mer,  un  monastère  pour  des 
religieuses,  en  l'honneur  de  S.  Etienne  (2).  C'était  un  lieu 
consacré  autrefois  à  Yénus ,  qui  y  avait  un  autel  dans  un  bois 
nommé  Ara  luci ,  d'où  est  venu  le  nom  d' Arluc.  Le  saint  abbé 
crut  ne  pouvoir  mieux  réparer  les  outrages  faits  à  Dieu  par 
les  impudicités  qui  faisaient  partie  du  culte  de  cette  déesse , 
qu'en  établissant  au  même  endroit  un  monastère  de  vierges 
chrétiennes.  On  croit  que  Ste  Maxime,  honorée  au  diocèse  de 
Fréjus  le  10  mai,  fut  du  nombre  de  ces  vierges.  Nous  ne  pou- 
vons déterminer  précisément  en  quelle  année  Fauste  fut  élevé 
sur  le  siège  de  Riez;  mais  il  y  avait  peu  de  temps  qu'il  était 
évêque  quand  il  fut  député  à  Rome  au  sujet  de  l'affaire  d'Her- 
mès de  Narbonne. 

A  peine  le  pape  S.  Hilaire  eut-il  terminé  cette  affaire,  que 
son  zèle  fut  éveillé  par  une  autre  non  moins  digne  de  sa  vigi- 
lance. Nous  avons  vu  que  S.  Léon  n'avait  attribué  que  quatre 
Églises  à  la  métropole  de  Vienne.  Mais  S.  Mamert,  alors  évêque 
de  cette  ville,  prétendit  que  sa  juridiction  s'étendait  aussi 
sur  l'Église  de  Die  et  il  y  ordonna  un  évêque  malgré  la 
résistance  des  citoyens.  Gundéric,  roi  des  Bourguignons  et 
maître  de  la  milice,  en  écrivit  au  pape  Hilaire.  Le  zèle  de  ce 
prince  pour  la  paix  de  l'Église  et  la  qualité  de  fils  que  lui 
donne  le  pape ,  ne  permettent  presque  pas  de  douter  qu'il  ne 
fût  catholique.  Hilaire  écrivit  en  conséquence  à  Léonce  d'Arles, 
et,  après  quelques  reproches  sur  ce  qu'il  ne  l'avait  pas  averti 

(1)  Sidon.  Apollinar.  Carm.  ad  Faust.;  lib.  IX,  Epist.  m.  —  (2)  Vide  Mabill. 
Annal. ,  t.  I. 


8  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [463 J 

de  cette  entreprise ,  il  le  chargea  d'examiner  l'affaire  dans  le 
concile  qu'il  devait  assembler  tous  les  ans ,  de  sommer  Mamert 
d'y  rendre  compte  de  sa  conduite  et  d'envoyer  au  Saint-Siège 
la  relation  de  cette  cause,  signée  des  évêques  du  concile  (1). 
Cette  lettre  est  datée  du  10  octobre  sous  le  consulat  de  Basile, 
c'est-à-dire  de  l'an  463. 

Léonce,  dont  les  droits  étaient  lésés  par  l'entreprise  de 
Mamert ,  s'acquitta  fidèlement  de  la  commission  et  députa  à 
Rome  l'évêque  Antoine  pour  y  porter  la  relation  du  concile. 
Le  pape,  l'ayant  reçue,  jugea  la  cause  par  une  lettre  adressée 
aux  évêques  de  ce  concile ,  qu'il  porte  au  nombre  de  vingt  (2). 
Il  y  relève  d'abord  en  termes  assez  vifs  la  faute  de  Mamert 
et  dit  qu'il  aurait  mérité  d'être  déposé;  mais  que,  pour  la  paix 
des  Eglises ,  il  aime  mieux  commencer  par  des  remèdes  plus 
doux,  et  qu'ainsi  il  se  contente  de  déléguer  l'évêque  Véran 
pour  lui  faire  de  la  part  du  Saint-Siège  la  réprimande  conve- 
nable, et  l'avertir  que  si,  dans  la  suite,  lui  ou  quelqu'un  des 
évêques  ses  successeurs  ne  se  contente  pas  des  quatre  Églises 
que  S.  Léon  a  attribuées  à  celle  de  Vienne ,  elles  seront  réunies 
à  la  métropole  d'Arles.  Pour  l'évêque  que  S.  Mamert  avait 
ordonné  à  Die ,  le  pape  veut  que  son  ordination  soit  confirmée 
par  Léonce,  à  qui  il  appartenait  de  la  faire.  La  lettre  est  du 
25  février  après  le  consulat  de  Basile  ,  c'est-à-dire  de  l'an  464. 

Le  mérite  de  celui  qui  avait  été  ainsi  ordonné  évêque  de 
Die,  put  engager  le  pape  à  prendre  ce  parti  :  car  nous  croyons 
que  ce  fut  S.  Marcel,  frère  et  successeur  de  S.  Pétrone.  En 
effet,  les  fragments  que  nous  avons  de  la  vie  de  ce  saint 
évêque  nous  font  connaître  qu'il  y  eut  une  grande  division  à 
l'occasion  de  son  élection,  et  que  si  le  parti  qui  l'avait  élu 
était  le  meilleur,  il  était  le  moins  nombreux.  Mais  Marcel  eut 
si  peu  de  part  à  ces  factions ,  qu'il  s'enfuit  de  la  ville  dès  qu'il 
sut  qu'on  l'avait  élu.  S'il  y  eut  quelque  chose  qui  parut  irré- 
gulier dans  son  ordination,  il  effaça  bientôt  cette  tache  par 

(1)  Hilar.  Ep.  ad  Leont.,  t.  I  Conc.  Gall.,  p.  131.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1043.  — 
\î)Conc.GalL,  1. 1,  p.  132.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1044. 


) 


[464]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  9 

l'éclat  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles.  Il  eut  l'honneur  d'être 
emprisonné  pour  la  foi  par  les  Bourguignons  ariens.  L'Église 
honore  sa  mémoire  le  9  avril. 

Pour  prévenir  des  entreprises  pareilles  à  celles  qu'on  re- 
prochait à  S.  Mamert,  le  pape  Hilaire  écrivit  une  autre  lettre 
aux  évêques  des  provinces  de  Vienne ,  de  Lyon ,  des  deux 
Narbonnaises  et  des  Alpes.  Il  leur  défend  d'empiéter  les  uns 
sur  les  autres  et  leur  recommande ,  comme  un  remède  né- 
cessaire, la  tenue  des  conciles ,  qui  doivent  être  convoqués 
tous  les  ans  par  Léonce  d'Arles  (1). 

Par  une  troisième  lettre ,  le  même  pape  délègue  Léonce , 
Véran  et  Victure  pour  juger  un  différend  survenu  entre 
Ingénuus  d'Embrun  et  Auxanius  :  «  Ingénuus,  dit-il,  qui  avait 
toujours  joui  des  droits  de  métropolitain  des  Alpes,  s'est 
plaint  de  ce  que  nous  aurions  fait  quelques  règlements  à  son 
préjudice  et  à  la  sollicitation  d'Auxanius.  C'est  pourquoi, 
ajoute  le  pape  aux  évêques  qu'il  nomme  pour  arbitres  dans 
cette  affaire ,  nous  vous  donnons  le  pouvoir  d'annuler  les  rè- 
glements qu'on  aurait  pu  obtenir  de  nous  par  surprise ,  au 
préjudice  des  saints  canons  et  du  jugement  rendu  par  notre 
prédécesseur,  de  sainte  mémoire.  Car  nous  voulons  conserver 
les  privilèges  de  chaque  Église  et  nous  ne  permettons  pas 
qu'un  évèque  s'arroge  quelque  droit  que  ce  soit  dans  les  pro- 
vinces d'un  autre...  C'est  dans  le  salut  des  âmes  et  non  dans 
l'étendue  de  pays  où  nous  aurons  travaillé  à  l'obtenir  que  con- 
siste le  fruit  de  notre  ministère.  »  En  finissant,  le  pape  ordonne 
qu'il  n'y  ait  dans  la  suite  qu'un  évêque  pour  la  ville  de  Cémèle 
et  pour  celle  de  Nice  (2).  Ces  deux  villes  étaient  trop  voisines, 
et  Nice  n'avait  pas  le  titre  de  cité,  mais  celui  de  château.  Or 
l'on  sait  qu'il  n'y  avait  communément  de  siège  épiscopal  que 
dans  les  cités. 

L'étude  des  saintes  lettres  continuait  de  fleurir  dans  ces 
provinces  de  la  Gaule  plus  voisines  de  l'Italie.  Un  auteur  gau- 

(1)  Ap.  Baron.,  an.  464,  n.  4.  —  Labb.  t.  IV,  p.  1044.  —  (2)  Ap.  Labb.,  t.  IV, 
p.  1038. 


10  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [464] 

lois,  que  nous  nommons  Arnobe  le  Jeune,  soit  qu'il  s'appelât 
en  effet  Arnobe  soit  qu'il  ait  adopté  ce  nom,  y  publia,  vers 
l'an  461,  une  exposition  des  Psaumes  adressée  à  Léonce 
d'Arles  et  à  Rustique  de  Narbonne,  qui  vivait  encore.  Quoique 
le  style  de  ce  commentateur  se  sente  de  la  barbarie  des  na- 
tions qui  occupaient  le  pays ,  son  commentaire  n'est  pas  mé- 
prisable ,  du  moins  il  est  court  et  précis  :  mérite  aussi  esti- 
mable que  rare  dans  ces  sortes  d'ouvrages ,  où  l'on  étale  assez 
souvent  de  l'érudition  aux  dépens  du  jugement.  Arnobe  dé- 
veloppe d'une  manière  ingénieuse  les  figures  de  nos  mystères 
cachées  dans  les  divins  cantiques  qu'il  commente ,  et  il  de- 
mande aux  Juifs  comment  ils  peuvent  lire  le  psautier,  comme 
ils  le  font  clans  leurs  synagogues,  sans  y  reconnaître  que 
celui  qu'ils  ont  crucifié  est  le  Seigneur.  On  accuse  cet  auteur 
d'avoir  donné  dans  les  erreurs  de  Pélage  au  sujet  du  péché 
originel ,  parce  qu'il  dit  que  nous  avons  part  en  naissant  à  la 
sentence  portée  contre  Adam  et  non  à  son  péché  :  Qui  nascitur 
sententiam  Adœ  habet,  peccatum  vero  non  habet.  Mais  ce  qui 
précède  peut  faire  juger  qu'il  ne  parle  que  du  péché  actuel 
ou  personnel.  Il  reconnaît  même  la  nécessité  et  le  pouvoir  de 
la  grâce ,  sans  cependant  que  ce  pouvoir  ôte  la  liberté.  Il 
admet  une  grâce  prévenante  et  universelle ,  répandue  sur  tous 
les  hommes ,  et  il  combat  avec  force  les  erreurs  des  prédesti- 
natiens.  Voici  comme  il  parle  à  un  de  ces  hérétiques  dans  le 
commentaire  du  psaume  cxlvi  :  «  Prédestinatien ,  remarquez 
bien  ce  que  je  dis  :  la  grâce  de  Jésus-Christ  précède  la  bonne 
volonté  générale  de  tous  les  hommes ,  de  la  manière  que  je 
l'ai  expliqué...  Si  vous  ne  niez  pas  que  ce  divin  Sauveur  soit 
mort  pour  tous ,  si  vous  assurez  avec  l'Apôtre  qu'il  veut  que 
tous  soient  sauvés,  passez  de  cette  grâce  générale  à  la 
grâce  spéciale.  Dites  comme  l'Apôtre  :  Tous  ne  sont  pas  gé- 
néralement sauvés;  mais  quiconque  invoquera  le  Seigneur 
sera  sauvé  (1).  Allez  donc  trouver  le  médecin  :  il  est  venu  de 


(1)  Rom.  x,  13. 


[464]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  11 

lui-même  dans  notre  ville ,  sans  que  nous  l'en  eussions  prié; 
il  est  venu  pour  tous ,  il  a  fait  crier  comme  par  un  héraut  : 
Venez  tous  à  moi.  Après  cette  invitation  la  volonté  précède 
la  grâce  ;  car  le  Seigneur  dit  :  Si  vous  voulez  nï écouter,  vous 
serez  rassasiés  des  biens  de  la  terre;  si  vous  ne  le  voulez  pas, 
le  glaive  vous  dévorera  (1).  De  même  donc  que  la  grâce  a  pré- 
cédé la  volonté  en  se  montrant ,  la  volonté  précède  aussi  la 
grâce  :  car  vous  n'êtes  pas  baptisé  avant  de  vouloir  croire.  » 
Le  venin  du  semi-pélagianisme  pourrait  être  caché  sous  ces 
dernières  paroles  et  dans  quelques  autres  endroits  de  ce  com- 
mentaire ;  mais  on  peut,  ce  semble,  y  trouver  un  sens  catho- 
lique. Dans  son  commentaire  sur  le  psaume  lvii,  Arnobe 
parle  des  anges  gardiens  et  dit  qu'ils  s'éloignent  de  nous 
quand  nous  péchons. 

On  attribue  au  même  auteur  une  discussion  avec  l'Égyptien 
Sérapion,  dans  laquelle  il  traite  de  la  Trinité,  des  deux  natures 
et  de  l'unité  de  personne  en  Jésus-Christ,  et  de  la  concorde  de 
la  grâce  avec  le  libre  arbitre.  Il  y  parle  de  S.  Augustin  avec  la 
plus  singulière  estime  :  «  Je  juge,  fait-il  dire  à  Sérapion,  sa 
doctrine  si  pure ,  que  quiconque  trouve  quelque  chose  à  re- 
prendre dans  Augustin  se  déclare  par  là  hérétique.  »  (Il  s'agis- 
sait entre  eux  du  dogme  de  la  grâce  contre  les  pélagiens.) 
Arnobe  répond  :  «  Vous  avez  parlé  selon  mon  sentiment ,  et 
les  textes  que  je  vais  citer  de  ce  saint  docteur,  je  les  crois  et 
les  défends  comme  ceux  des  apôtres  (2).  Si  donc  cet  ouvrage 
est  d'Arnobe,  il  était  certes  bien  éloigné  de  penser  que  les 
prédestinatiens,  qu'il  réfute  ailleurs,  fussent  les  vrais  disciples 
de  S.  Augustin  (3). 

Nous  venons  de  voir  que  le  pape  Hilaire  recommandait 

(1)  Isai.  i,  19  et  20.  —  (2)  Ad  calcem  Oper.  S.  Irenœi,  edit.  Fevard,  p.  564. 

(3)  Plusieurs  critiques  attribuent  cet  écrit  à  Vigile  de  Tapse,  et  non  à  Arnobe 
le  Jeune.  Nous  ne  voyons  qu'une  difficulté  dans  ce  sentiment:  c'est  que  Vigile  écri- 
vait longtemps  après  S.  Léon,  et  que  l'ouvrage  dont  nous  parlons,  paraît  avoir  été 
composé  sous  le  pontificat  de  ce  saint  pape.  Car:  1°  l'auteur  ne  cite  aucun  écrivain 
postérieur  à  S.  Léon  ;  2°  en  parlant  du  pape  Damase,  il  le  nomme  de  vénérable  mé- 
moire, et  en  citant  S.  Léon,  loin  de  lui  donner  une  semblable  épitbète,  il  semble 
parler  de  lui  comme  d'un  bomme  vivant:  Dominus  meus  vir  apostolicus  Léo  papa. 


12  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [465] 

instamment  aux  évêques  des  Gaules  la  tenue  des  conciles , 
comme  un  remède  salutaire  et  même  nécessaire.  S.  Perpétue, 
évêque  de  Tours ,  suivant  les  mouvements  de  son  zèle  et  les 
conseils  pressants  du  pape,  en  tint  un  à  Vannes ,  vers  l'an  465, 
à  l'occasion  de  l'ordination  d'un  évêque  de  cette  ville.  On  y 
fit  seize  canons,  dont  plusieurs  sont  renouvelés  du  concile 
de  Tours.  Nous  donnons  ici  les  plus  remarquables. 

IL  Ceux  qui  quittent  leurs  femmes,  excepté  pour  cause 
d'adultère,  ou  sans  l'avoir  prouvé,  et  qui  se  marient  ensuite 
à  d'autres,  sont  excommuniés. 

Y.  On  ne  recevra  point  à  la  communion  les  clercs  qui  iront 
en  quelque  lieu  que  ce  soit  sans  être  munis  de  lettres  de 
recommandation  de  leur  évêque. 

VI.  On  traitera  de  même  les  moines,  et  si  les  paroles  ne  suf- 
fisent pas  pour  les  réprimer,  on  aura  recours  aux  châtiments 
corporels. 

VII.  Les  moines  ne  pourront  se  retirer  de  la  communauté 
pour  habiter  des  cellules  solitaires  sans  la  permission  de 
l'abbé,  qui  ne  l'accordera  qu'à  ceux  qui  auront  été  longtemps 
éprouvés,  ou  qui  par  leurs  infirmités]  mériteront  d'être  dis- 
pensés des  austérités  de  la  règle  :  encore  faut-il  que  ces  cel- 
lules séparées  soient  dans  l'enceinte  du  monastère  et  sous  la 
puissance  de  l'abbé. 

VIII.  Défense  aux  abbés  d'avoir  plusieurs  monastères.  On 
leur  permet  cependant  d'avoir  un  hospice  dans  les  villes  pour 
s'y  réfugier  en  temps  de  guerre. 

XL  Les  prêtres,  les  diacres,  les  sous-diacres  (1)  et  ceux 
des  autres  clercs  à  qui  il  n'est  pas  permis  de  se  marier,  ne 
se  trouveront  pas  non  plus  aux  festins  des  noces,  ni  dans  les 
assemblées  où  Ton  chante  des  chansons  amoureuses  accom- 
pagnées de  danses  indécentes. 

XII  —  XIII.  Il  est  défendu  aux  clercs  de  se  trouver  à  la 
table  des  Juifs.  «  Mais  surtout,  dit  le  concile,  que  les  clercs  évi- 

(I)  C'est  la  première  fois  que  nous  voyons  le  célibat  imposé  aux  sous-diacres. 


[465]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  13 

tent  l'ivrognerie,  qui  est  le  foyer  et  la  nourrice  de  tous  les 
vices.  Quand  on  est  pris  de  vin,  on  peut  tomber  dans  un 
crime  sans  le  savoir  ;  mais  une  telle  ignorance  ne  doit  pas 
être  exempte  de  châtiment,  puisqu'il  est  constant  qu'elle 
vient  d'une  démence  volontaire.  »  C'est  pourquoi  celui  qui 
sera  convaincu  de  s'être  enivré,  ou  sera  excommunié  trente 
jours  ou  subira  quelque  punition  corporelle. 

XIV.  Un  clerc  qui  demeure  dans  la  ville  et  qui  n'assistera 
pas  à  l'office  du  matin  sans  une  excuse  légitime,  sera  sept 
jours  excommunié. 

XV.  On  ordonne  que  l'ordre  de  l'office  divin  et  la  psalmo- 
die soit  uniformes  dans  la  province  ecclésiastique  de  Tours, 
c'est-à-dire  la  troisième  Lyonnaise. 

XVI.  On  défend  aux  clercs,  sous  peine  d'excommunication, 
de  consulter  les  sorts  des  saints.  On  nommait  ainsi  les  au- 
gures que  l'on  tirait  des  premiers  passages  à  l'ouverture  des 
livres  saints.  On  ne  laissa  pas  dans  la  suite  d'avoir  recours  à 
cette  manière  de  connaître  l'avenir ,  et  dans  des  cas  particu- 
liers Dieu  sembla  l'autoriser  par  des  miracles  (1). 

Les  six  évêques  du  concile  envoyèrent  ces  canons  à  S .  Vic- 
torius  ou  Victur  du  Mans  et  à  Talasius  d'Angers,  qui  n'y  as- 
sistèrent pas.  Gomme  ils  sont  seuls  nommés  dans  la  lettre,  on 
peut  présumer  qu'ils  étaient  les  seuls  de  la  province  absents  : 
c'est  qu'en  effet,  comme  on  le  sait  d'ailleurs,  tous  les  sièges 
qui  composèrent  la  province  de  Tours  n'étaient  pas  encore 
établis. 

Les  évêques  du  concile  sont  :  Perpétue  de  Tours,  Athé- 
nius  de  Rennes,  Nunéchius  de  Nantes,  successeur  d'Eusèbe  ; 
Paterne  (2),  Albin  et  Libéral,  dont  on  ignore  les  sièges. 

(1)  Concil.  Venetiœ,  t.  I.  Conc.  Gall.,  p.  137.  — Ap.  Labbv  t.  IV,  p.  1054. 

(2)  Le  P.  Sirmond  a  cru  que  Paterne,  qui  souscrivit  le  second  aux  actes  du  con- 
cile, est  S.  Paterne  de  Vannes,  et  que  ce  fut  à  l'occasion  de  son  ordination  que  se 
tint  ce  concile.  Ce  savant  critique  n'avait  pas  vu  la  Vie  de  S.  Paterne  de  Vannes 
que  nous  ont  donnée  les  auteurs  des  Acta  Sanctorum.  Elle  nous  apprend  que  S.  Pa- 
terne vivait  un  siècle  après  le  concile  de  Vannes.  Libéral,  qui  souscrit  le  dernier, 
pouvait  êtrel'évêque  de  cette  ville  qui  fut  ordonné  en  ce  concile. 


14  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [467] 

On  ne  sait  pas  précisément  l'époque  de  ce  concile,  qu'on  rap- 
porte communément  à  l'an  465.  Les  Goths  n'étaient  pas  en- 
core maîtres  de  Tours  :  ils  ne  tardèrent  pas  à  le  devenir. 

Une  révolution  qui  arriva  peu  de  temps  après  dans  le  gou- 
vernement de  cette  nation,  apporta  quelque  changement  aux 
affaires  de  la  religion,  qui  étaient  alors  assez  paisibles  dans 
les  Gaules.  Théodoric  II,  quoiquearien,  gouvernait  avec  plus 
de  bonté  ses  sujets  qu'on  ne  devait  l'attendre  d'un  prince  qui 
était  monté  sur  le  trône  par  un  fratricide.  Son  ambition  sa- 
tisfaite laissa  agir  son  heureux  naturel.  Il  ne  craignait  rien 
tant,  dit  S.  Sidoine,  que  de  se  faire  craindre  (1).  Il  avait  de  la 
piété  dans  sa  secte,  et  il  se  trouvait  tous  les  jours  à  la  prière 
avant  le  jour  avec  ses  évêques,  sans  cependant  avoir  un  atta- 
chement opiniâtre  à  ses  erreurs  :  car  il  laissait  toute  liberté 
aux  catholiques.  Mais  l'exemple  que  ce  prince  avait  donné  en 
ôtant  la  vie  à  Thorismond  son  frère,  pour  avoir  sa  couronne, 
lui  fut  pernicieux  :  il  fut  tué  lui-même,  l'an  467  (2),  par  un  de 
ses  autres  frères  nommé  Eurice  ou  Évaric,  qui  devint  un  nou- 
veau fléau  pour  les  peuples  de  la  Gaule  par  les  guerres  qu'il 
fit  à  l'État  et  à  la  religion,  comme  nous  le  verrons  bientôt. 

Le  Seigneur,  qui  menace  toujours  avant  de  frapper,  afin 
qu'on  ait  le  temps  de  désarmer  sa  colère,  sembla  donner  des 
présages  de  ces  nouvelles  calamités  à  plusieurs  villes  et  sur- 
tout à  Vienne.  C'étaient  des  incendies  fréquents,  des  tremble- 
ments de  terre  presque  continuels,  des  bruits  lugubres  qu'on 
entendait  pendant  la  nuit;  on  voyait  des  cerfs  et  d'autres  bêtes 
sauvages  paraître  en  plein  jour  dans  les  places  les  plus  fré- 
quentées de  la  ville.  Soit  que  ce  fussent  en  effet  des  animaux 
ou  que  ce  ne  fussent  que  des  spectres,  les  augures  qu'on  en 
tirait  n'étaient  pas  moins  sinistres.  Plusieurs  des  principaux 
de  la  ville  de  Vienne  crurent  devoir  en  sortir,  de  peur  d'être 

(1)  Sidon.,  1.  I,  Ep.  i. 

(2)  Le  prince  Frédéric,  frère  de  Théodoric,  avait  été  tué,  Tan  463,  en  combattant 
contre  le  comte  Gilles  entre  la  Loire  et  le  Loiret;  Marius  d'Avenches  lui  donne  le 
titre  de  roi  :  nous  ne  trouvons  pas  qu'il  ait  porté  la  couronne. 


[468]  EN  FKANCE.  —  LIVRE  V.  15 

enveloppés  sous  ses  ruines.  Les  autres  étaient  dans  de  conti- 
nuelles frayeurs  et  attendaient  avec  impatience  la  fête  de 
Pâques,  espérant  qu'elle  serait  pour  eux  comme  une  réconci- 
liation solennelle  avec  le  Seigneur,  et  que  la  fin  de  leurs  pé- 
chés serait  celle  de  leurs  maux  (1).  Ils  ne  se  trompèrent  pas  ; 
mais,  pour  les  affermir  dans  ces  sentiments  de  pénitence,  Dieu 
permit  que  leurs  alarmes  redoublassent  au  temps  même  où 
ils  se  flattaient  de  les  voir  finir. 

En  effet,  comme  tout  le  peuple  célébrait  dans  l'église  la 
veille  de  Pâques  avec  un  redoublement  de  ferveur,  on  enten- 
dit un  fracas  plus  terrible  encore  qu'à  l'ordinaire,  et  l'on  vint 
annoncer  que  le  palais  (2),  situé  dans  le  lieu  le  plus  élevé  de 
Vienne,  était  tout  en  feu  et  menaçait  la  ville  d'un  embrase- 
ment général.  Le  peuple  alarmé  quitte  aussitôt  l'église, 
pour  tâcher  d'arrêter  l'incendie  ou  pour  sauver  ses  richesses. 
Le  saint  évêque  Mamert  demeura  seul  prosterné  devant  l'au- 
tel, et  ses  larmes  furent  plus  efficaces  pour  éteindre  les 
flammes  que  tous  les  efforts  des  habitants.  Ce  fut  en  ces  tristes 
circonstances  que  ce  saint  évêque,  resté  seul  en  prière, 
forma  la  résolution  d'instituer  des  jeûnes  et  des  processions 
solennelles  (3)  pour  désarmer  le  bras  vengeur  de  Dieu.  Il 
laissa  passer  les  fêtes  de  Pâques  sans  en  parler,  pour  ne  pas 
troubler  la  joie  de  cette  solennité.  Mais  aussitôt  après  il  com- 
muniqua son  pieux  dessein,  qui  fut  unanimement  approuvé. 
On  craignait  fort  que  le  sénat  de  Vienne  ne  s'opposât  à  cette 
nouvelle  institution ,  attendu  qu'il  souffrait  à  peine  les  an- 
ciennes ;  mais  la  componction  qui  serrait  alors  tous  les  cœurs 
les  rendit  aisément  dociles. 

On  choisit  pour  le  jeûne  les  trois  jours  qui  précèdent  l'As- 
cension. S.  Mamert,  pour  éprouver  la  ferveur  de  son  peuple, 

(1)  Aviti  Homil.  de  Rogat.  —  Sidon.,  1.  VII,  Ep.  i,  ad  Mamert. 

(2)  L'édifice  où  prit  le-  feu  est  nommé  par  S.  Avite  œdes  publica ,  et  par  Gré- 
goire de  Tours  palatium  regale.  Ce  pouvait  être  la  maison  de  ville  ou  le  lieu  où 
se  tenait  le  sénat  :  car  il  y  en  avait  un  à  Vienne. 

(3)  Aviti  Homilia  de  Rogat. 


16  HISTOIRE  DE  l/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [470] 

marqua  pour  la  station  du  premier  jour  une  église  assez 
proche  delà  ville,  mais  les  jours  suivants  il  assigna  un  terme 
beaucoup  plus  éloigné,  où  l'on  devait  se  rendre  en  procession 
en  chantant  des  psaumes  et  d'autres  prières.  Telle  fut  dans 
l'Église  de  Vienne  l'institution  des  Rogations,  qui  préserva  la 
ville  des  malheurs  dont  elle  était  menacée.  Plusieurs  Églises 
eurent  recours  au  même  remède,  et  cette  sainte  pratique,  éta- 
blie d'abord  dans  les  Gaules  par  S.  Marner t,  fut  reçue  dans 
la  suite  par  toute  l'Église  (1). 

Ce  saint  évêque  signala  son  épiscopat  par  plusieurs  au- 
tres œuvres  de  piété.  L'église  bâtie,  au  bord  du  Rhône,  sur  le 
tombeau  de  S.  Ferréol  était  fort  endommagée  par  la  violence 
de  ce  fleuve  et  menaçait  ruine  :  il  en  fit  bâtir  une  autre  plus 
belle.  Pour  y  transférer  les  reliques  du  saint  martyr  avec- 
plus  de  pompe ,  il  convoqua  un  grand  nombre  d'abbés  et  de 
moines  à  cette  solennité.  Mais,  au  jour  de  la  translation,  onfut 
fort  surpris  en  creusant  la  terre  d'y  trouver  trois  cercueils. 
On  craignait  de  ne  pouvoir  distinguer  des  autres,  celui  de 
S.  Ferréol, lorsqu'un  des  assistants  rappela  que,  selon  une  an- 
cienne tradition,  la  tête  de  S.  Julien  devait  être  dans  le  tom- 
beau de  S.  Ferréol  (2).  On  trouva  en  effet  dans  le  troisième 
cercueil  un  corps  tout  entier,  comme  s'il  venait  d'être  inhumé, 
qui  tenait  une  tête  entre  ses  bras.  Alors  S.  Mamert  s'écria 
«  qu'il  n'y  avait  pas  de  doute  que  ce  ne  fût  là  le  corps  de 
S.  Ferréol.  »  Il  transféra  donc  ces  saintes  reliques  dans  la 
nouvelle  église,  où  l'on  mit  cette  inscription  latine  : 

HEROAS  CHRISTI  GEMINOS  UMC  CONTINET  AULA  : 
JULIANUM  CAFITE,  CORPORE  FERREOLUM  (3). 

Sidoine  Apollinaire  écrivit  à  S.  Mamert  pour  le  féliciter 
sur  l'invention  de  ces  deux  saints  martyrs  et  sur  l'institu- 
ai) Ce  fut  le  pape  Léon  III  qui  établit  les  Rogations  dans  l'Église  romaine.  On  les 
nomma  la  Litanie  gallicane,  ou  les  petites  Litanies,  pour  les  distinguer  des  grandes 
Litanies,  qu'on  célèbre  le  25  avril. 

(2)  Greg.  Tur.,  de  Mirac.  S.  Julian.,c.  il.  —  (3)  Ibul. 


ET  LES  MŒUES  DES  FRANCS. 


XXV 


les  représentations  de  bêtes,  d'oiseaux  et  des  éléments,  qu'ils  ado- 
rèrent, aussi  bien  que  les  bois  et  les  fontaines  (1).  »  Il  paraît  que 
l'idole  particulière  des  Francs  était  la  tête  d'un  bœuf.  On  en  trouva 
une  d'or  dans  le  tombeau  de  Childéric,  et  c'est  peut-être  à  cette  su- 
perstition qu'un  concile  d'Orléans  fait  allusion  lorsqu'il  défend  de 
jurer  sur  la  tête  des  bestiaux.  La  Vie  de  S.  Vaast  nous  apprend  que 
des  Francs  encore  idolâtres  offraient  à  leurs  dieux  de  grands  vases 
de  bière,  qui  devaient  leur  servir  dans  leurs  repas. 

On  ne  connaît  pas  assez  tous  les  détails  de  leurs  superstitions 
pour  en  parler  amplement  ici.  Nous  remarquons  seulement  que  les 
Francs  ne  montrèrent  pas  un  attachement  opiniâtre  à  l'idolâtrie. 
Dès  que  Clovis  eut  embrassé  le  christianisme,  on  vit  presque  tous 
ses  sujets  s'empresser  de  suivre  son  exemple.  Mais  en  renonçant  à 
leurs  dieux  plusieurs  demeurèrent  attachés  à  des  pratiques  su- 
perstitieuses, que  les  évêques  eurent  bien  de  la  peine  à  extirper 
entièrement  de  la  France.  Cette  histoire  en  fournit  de  nombreuses 
preuves. 

III 

Mœurs  et  caractère  des  anciens  Francs. 

On  ne  peut  rien  ajouter  à  la  belle  peinture  que  Tacite  a  faite  des 
mœurs  des  anciens  Germains,  parmi  lesquels  il  faut  compter  les 
Francs.  Sans  répéter  ce  que  cet  historien  en  a  écrit  en  général, 
nous  nous  bornerons  à  recueillir  une  partie  de  ce  que  d'autres  an- 
ciens auteurs  ont  dit  des  Francs.  Cela  suffira  pour  faire  voir  qu'à 
travers  la  barbarie  au  sein  de  laquelle  ils  ont  vécu  avant  l'établis- 
sement de  la  monarchie,  on  ne  laissait  pas  de  remarquer  en  eux  des 
traits  de  bonté,  de  pudeur,  de  magnanimité  et  de  bravoure,  qui 
pouvaient  annoncer  quel  serait  un  jour  le  caractère  de  cette  nation, 
quand  la  religion  et  la  civilisation  en  auraient  adouci  les  mœurs. 

La  cordialité  et  la  générosité  avec  lesquelles  les  Francs  exerçaient 
''hospitalité  ont  paru  à  Salvien  des  vertus  qui  pouvaient  balan- 
cer les  vices  qu'il  leur  reprochait  :  Menclaces  Franci,  dit  cet  auteur, 
wd  hospitales.  C'est  donc  surtout  des  Francs  qu'il  faut  entendre  ce 
pie  Tacite  a  dit  en  général  des  Germains,  qu'il  n'y  avait  pas  de 
mtion  qui  reçût  ses  hôtes  avec  plus  de  courtoisie  et  qui  leur  don- 
nât une  plus  large  hospitalité. 

|    (1)  Hist.,  1.  II,  c.  XVII. 

TOME  II.  C 


XXVI 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGION 


Ils  n'avaient  pas  moins  de  respect  pour  les  lois  de  la  pudeur  que 
pour  celles  de  l'hospitalité.  Un  article  de  la  loi  salique  suffit  seul 
pour  nous  faire  juger  combien  nos  pères  avaient  horreur  de  ce  qui 
peut  blesser  cette  vertu.  On  y  condamne  à  l'amende  le  Franc  qui 
aurait  pris  la  moindre  liberté  avec  une  femme,  comme  de  la  toucher 
à  la  gorge  ou  au  bras  (1).  D'anciennes  statues,  qu'on  croit  être  celles 
de  Ste  Clotilde  et  de  quelques  reines  femmes  des  fils  de  Clovis, 
nous  les  représentent  habillées  magnifiquement,  mais  avec  la  plus 
exacte  modestie.  Les  dames  franques  ne  se  croyaient  bien  parées 
que  par  cette  vertu.  La  mode  n'en  reviendra -t-elle  pas  l 

Mais  ce  qu'il  y  eut  de  plus  éclatant  dans  le  caractère  des  anciens' 
Francs,  ce  fut  la  noblesse  des  sentiments  et  la  bravoure  qui  les 
distinguèrent  toujours  entre  les  autres  nations  germaniques.  Un 
ancien  orateur  a  fait  sans  y  penser  leur  éloge  en  déclamant  contre 
eux.  Il  dit  que  la  fierté,  ou,  comme  il  s'exprime,  la  férocité  des 
Francs  leur  rendait  l'esclavage  intolérable  (2).  En  effet,  il  n'y  avait 
point  de  danger  auquel  ils  ne  s'exposassent  pour  l'éviter.  L'his- 
toire nous  en  a  conservé  un  bel  exemple.  Une  troupe  de  Francs 
ayant  été  prise  à  la  guerre  et  transférée  dans  le  Pont,  ils  y  firent 
des  prodiges  de  valeur  pour  se  soustraire  à  la  servitude.  Après 
s'être  emparés  de  quelques  vaisseaux  qu'ils  trouvèrent  dans  le 
port,  ils  allèrent  piller  les  plus  belles  villes  de  Grèce  et  d'Asie,  pri- 
rent Syracuse  et  retournèrent  par  l'océan  dans  leur  patrie,  chargés 
de  gloire  et  de  richesses,  qu'ils  estimèrent  moins  toutefois  que  la 
liberté  qu'ils  avaient  recouvrée. 

Cette  bravoure  audacieuse  était  comme  innée  chez  tous  les  Ger- 
mains. C'est  même  à  elle  qu'ils  doivent  leur  nom  :  car  germain 
signifie  homme  de  guerre.  Man  signifie  homme,  et  yeere  ouveerre 
signifie  guerre,  mots  que  les  Français  ont  gardés  de  la  langue 
de  leurs  ancêtres,  en  même  temps  qu'ils  en  ont  conservé  les  ins- 
tincts guerriers.  Un  ancien  panégyriste  de  Constantin  reconnaît  que 
les  Francs  étaient  les  plus  terribles  des  barbares,  et  qu'il  était  bien 
difficile  de  les  vaincre,  parce  que  la  vie  dure  qu'ils  menaient  leur 
faisait  aisément  mépriser  la  mort.  Mais,  indépendamment  de  ces 
témoignages,  les  conquêtes  des  Francs  font  assez  l'éloge  de  leur 
valeur.  Il  suffit  de  dire  qu'ils  ont  enfin  dompté  les  Romains,  les  Gau- 
lois, les  Bretons,  les  Visigoths,  les  Bourguignons,  les  Lombards 
et  les  Saxons. 

(1)  Tit.  xxii.  . 

(2)  Panegyr.  Co)islant. 


ET  LES  MŒURS  DES  FRANCS. 


XXVII 


Nous  ne  dissimulerons  pas  que  Salvien  accuse  les  Francs  detre 
menteurs  et  perfides,  perfidi  F  ranci,  mendaces  F  ranci ,  et  qu'un 
autre  ancien  orateur  leur  reproche  de  se  faire  un  jeu  de  manquer  à 
leur  parole.  Il  faut  convenir  que  c'était  là  un  vice  assez  ordi- 
naire à  toutes  les  nations  barbares  et  idolâtres  ;  peut-être  aussi 
les  auteurs  romains  n'en  ont-ils  accusé  en  particulier  les  Francs 
que  parce  qu'ils  les  voyaient  toujours  prêts  à  reprendre  les  armes 
pour  les  intérêts  de  leur  liberté,  qu'on  voulait  opprimer.  Quoiqu'il 
en  soit,  ils  firent  dans  la  suite  paraître  tant  de  droiture  dans  leur 
conduite,  qu'une  manière  d'agir  ouverte  et  sincère  fut  appelée  de 
leur  nom  franchise. 

Dès  que  les  Francs  se  furent  établis  dans  les  Gaules,  ils  ne  tar- 
dèrent pas  à  montrer  des  vertus  qui  leur  méritèrent  l'estime  des 
Grecs  et  des  Romains.  Voici  le  portrait  qu'en  fait  l'historien  Aga- 
thias:  «  Les  Francs,  dit-il,  ne  sont  pas  errants  çà  et  là,  comme  la 
plupart  des  barbares.  Ils  suivent  la  police  et  les  lois  romaines  et  le 
culte  du  vrai  Dieu  :  car  ils  sont  tous  chrétiens.  Ils  ont  des  évêques 
et  des  magistrats  dans  les  villes,  et  ils  observent  comme  nous  les 
jours  de  fête.  En  un  mot,  pour  des  barbares  ils  me  paraissent 
avoir  beaucoup  de  politesse  et  d'urbanité.  Il  n'y  a  que  leur  langage 
et  leur  manière  de  s'habiller  qui  se  ressentent  de  la  barbarie.  Pour 
moi,  entre  plusieurs  qualités  dont  ils  sont  doués,  j'admire  surtout 
la  justice  et  la  concorde  qui  régnent  entre  eux  (1).  »  Cet  éloge  de  la 
part  d'un  auteur  grec  est  d'autant  moins  suspect,  qu'on  sait  que  les 
Grecs  craignaient  fort  les  Francs,  à  cause  des  conquêtes  qu'ils  leur 
voyaient  faire.  C'est  ce  qui  donna  naissance  parmi  eux  au  proverbe  : 
Ayez  le  Franc  pour  ami,  ne  l'ayez  pas  pour  voisin  (2). 

Quant  aux  Romains,  les  Francs  les  contraignirent  par  leurs 
bienfaits  à  les  aimer.  Rome  regarda  nos  rois  de  la  seconde  race 
comme  ses  libérateurs ,  et  il  serait  difficile  de  renchérir  sur  les 
éloges  que  les  papes  de  ce  temps-ià  firent  des  Francs,  qu'ils  nom- 
ment une  nation  sainte,  un  sacerdoce  royal,  un  peuple  de  bénédic- 
tion, et  la  plus  illustre  de  toutes  les  nations. 

IV 

Des  lois  des  Francs. 

Dès  que  les  Francs  furent  un  peu  civilisés,  ils  s'appliquèrent  à  se 
rendre  aussi  recommandables  par  la  justice  qu'ils  l'étaient  déjà  par 

(I)  Agath.,  1.  ï,  p.  13,  editReg.  —(2)  Egin.  Vit.  Caroli. 


XXVIII 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGIOiY 


leur  bravoure  :  ces  deux  vertus  sont  les  deux  plus  fermes  soutiens 
des  États.  Ils  choisirent  quatre  des  plus  sages  d'entre  eux  pour 
rédiger  par  écrit  leurs  lois  et  leurs,  usages.  Ces  quatre  seigneurs, 
ayant  tenu  à  ce  sujet  trois  assemblées,  dressèrent  la  fameuse  loi 
qui  fut  nommée  salique,  du  nom  des  Saliens,  la  plus  noble  des  na- 
tions franques.  Les  additions  et  les  changements  qu'on  y  a  faits  à 
plusieurs  reprises  sont  la  cause  de  la  différence  qu'on  remarque 
dans  les  anciens  exemplaires  qu'on  en  a.  Selon  l'édition  de  Pithou 
elle  contient  soixante-onze  titres,  qui  sont  subdivisés  en  plusieurs 
articles. 

On  ne  peut  disconvenir  que  la  loi  salique,  qui  faisait  toute  la 
jurisprudence  franque,  ne  soit  fort  imparfaite.  La  plupart  de  ses 
règlements  ne  tendent  qu'à  réprimer  les  vols,  les  meurtres  et  les 
autres  violences  ;  les  peines  qu'on  y  décerne,  même  contre  le  rapt 
et  l'assassinat,  ne  sont  que  des  amendes  pécuniaires,  et  l'amende 
pour  le  meurtre  d'un  Franc  est  double  de  celle  qui  est  marquée 
pour  le  meurtre  d'un  Romain,  c'est-à-dire  d'un  Gaulois.  On 
décerne  aussi  une  amende  pour  les  paroles  injurieuses,  comme 
d'appeler  un  homme  renard  ou  lièvre.  La  franchise  et  la  bravoure 
dont  se  piquaient  nos  pères,  leur  faisaient  regarder  ces  traits  inju- 
rieux comme  des  outrages  intolérables. 

L'article  6  du  titre  lxh  de  la  loi  salique  est  le  plus  remar- 
quable. Il  est  conçu  en  ces  termes  :  La  femme  n'héritera  d'aucune 
portion  de  la  terre  salique  :  mais  tout  V héritage  appartiendra  aux 
mâles.  Tel  est  le  fameux  article  qui  a  toujours  servi  de  règle  à  la 
nation  pour  exclure  les  femmes  de  la  couronne,  et  on  ne  connaît 
plus  guère  la  loi  salique  que  par  cette  disposition.  Aussi  est-ce 
peut-être  le  seul  de  ses  règlements  qui  ne  soit  pas  abrogé. 

La  loi  salique,  avec  les  additions  et  les  changements  que  plusieurs 
de  nos  rois  jugèrent  à  propos  d'y  faire,  fut  longtemps  l'unique  loi 
des  Francs.  Mais  les  nouveaux  abus  réclamèrent  de  nouveaux 
règlements.  Les  rois  de  la  seconde  race  en  publièrent  un  grand 
nombre,  qui  furent  nommés  capitidaires .  C'était  le  résultat  des 
assemblées  générales  de  la  nation,  composées  du  roi,  des  évêques, 
des  abbés  et  des  seigneurs  laïques.  Le  nombre  prodigieux  des  nou- 
veaux règlements  qui  furent  faits  dans  ces  assemblées  nuisit  à  leur 
observation.  Il  vaut  mieux  faire  peu  de  lois,  quand  on  veut  les  faire 
observer. 

Nos  rois  n'obligèrent  pas  les  anciens  habitants  de  la  Gaule  à 
suivre  la  loi  salique.  Clotaire  Ier  déclara  dans  sa  Constitu- 
tion qu'il  permettait  aux  Romains,  c'est-à-dire  aux  Gaulois,  de 


ET  LES  MŒURS  DES  FRAXCS. 


XXIX 


vivre  selon  la  loi  romaine.  Les  Visigoths  leur  donnèrent  la  même 
permission,  et  Alaric  II  publia  dans  l'Aquitaine  le  code  Théodosien. 
Après  la  conquête  de  la  Bourgogne,  les  Francs  laissèrent  aussi 
aux  Bourguignons  la  liberté  de  vivre  selon  la  loi  de  Gondebaud ,  et 
les  Visigoths  ne  rendirent  Narbonne  qu'après  que  les  assiégeants 
leur  eurent  promis  qu'on  leur  permettrait  de  conserver  leurs  usages 
et  leurs  lois.  Ainsi,  dans  le  même  royaume  et  sous  le  même  prince, 
chaque  peuple  avait  sa  loi  différente,  selon  laquelle  il  était  jugé. 
C'est  la  première  cause  de  la  grande  diversité  de  lois  et  de  cou- 
tumes qui  existaient  dans  l'ancienne  France. 


V 

De  V administration  de  la  justice  sous  les  deux  premières  races 

de  nos  rois. 

Le  roi  est  essentiellement  le  chef  de  la  justice  dans  ses  États. 
C'est  comme  le  père  d'une  grande  famille,  qui  doit  surtout  veiller 
à  entretenir  la  paix  parmi  ses  enfants  et  à  terminer  leurs  différends. 
Les  rois  francs  n'ont  pas  négligé  un  devoir  si  important.  Leur 
palais  était  celui  de  la  justice,  et  l'on  y  jugeait  les  causes  des  parti- 
culiers qui  y  venaient  implorer  l'équité  du  prince.  C'est  pour  cette 
raison  que  les  tribunaux  de  la  justice  sont  encore  appelés  pala is . 

Mais,  comme  les  rois  ne  pouvaient  suffire  à  tout,  ils  établirent 
dans  toutes  les  villes  un  peu  considérables  des  comtes,  pour  être 
les  juges  ordinaires  des  procès ,  tant  en  matière  civile  qu'en  ma- 
tière criminelle.  Ces  magistrats  avaient  des  assesseurs  nommés  ra- 
chemburgii  ou  scabini,  d'où  nous  est  venu  le  nom  d'échevins. 
Charlemagne  ordonna  qu'il  y  en  eût  au  moins  sept  dans  les  ju- 
gements publics. 

Le  comte  tenait  à  certains  jours  des  assemblées  solennelles  , 
pour  juger  les  causes  importantes  et  punir  les  forfaits  avec  plus 
d'éclat.  Cette  audience  publique  étaient  nommée  mallus  ou  mallum, 
du  mot  tudesque  mael ,  qui  signifie  assemblée  ou  jugement ,  et  le 
lieu  où  elle  se  tenait  était  appelé  malberg  ou  malbergium,  c'est- 
à-dire  la  montagne  ou  la  colline  du  jugement,  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  mons  placiti  {la  montagne  des  plaids).  En  effet,  dans  les 
commencements  de  la  monarchie  ces  assemblées  se  tenaient  à  la 
campagne  et  le  plus  communément  sur  quelque  hauteur.  On  pré- 


XXX 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGION 


tend  même  que  tous  les  plaideurs  y  portaient  avec  eux  une  portion 
de  la  terre  qui  leur  appartenait,  et  la  jetaient  en  ce  lieu,  afin  qu'il 
fût  vrai  de  dire  que  l'endroit  où  se  rendait  la  justice  appartenait  à 
tous  en  général  et  n'appartenait  à  personne  en  particulier. 

Les  procès  étaient  bientôt  terminés  dans  ces  tribunaux  cham- 
pêtres :  la  chicane  n'avait  pas  encore  trouvé  l'art  de  les  rendre 
éternels.  On  produisait  des  témoins  et  on  décidait  sur  leur  rap- 
port. C'est  avoir  à  moitié  gagné  un  procès  que  de  le  perdre  sans 
essuyer  les  longueurs  de  la  procédure.  Les  affaires  les  plus  impor- 
tantes étaient  référées  au  tribunal  du  roi,  qui,  par  lui-même  ou  par 
le  comte  de  son  palais,  réformait  les  sentences  des  comtes  pro- 
vinciaux portées  contre  les  dispositions  des  lois. 

Il  était  permis  en  certains  cas  aux  particuliers  de  se  faire  justice. 
Si  quelqu'un,  par  exemple,  avait  été  assassiné  ou  tué  dans 
quelque  querelle,  toute  sa  famille  avait  le  droit  de  poursuivre  le 
meurtrier  à  main  armée  p'our  le  mettre  à  mort.  Les  parents  ou  les 
amis  de  celui-ci  ne  manquaient  pas  d'en  prendre  la  défense  :  ce  qui 
remplissait  tout  le  royaume  d'une  infinité  de  petites  guerres  civiles. 
Nos  anciens  auteurs  nomment  cet  usage  faicla,  c'est-à-dire  inimitié 
ou  vengeance.  Dans  la  suite,  pour  empêcher  ces  désordres,  on  publia 
des  règlements  qui  obligeaient  les  parents  de  celui  qui  avait  été  tué, 
à  accepter  la  composition  de  l'amende  à  laquelle  les  lois  condam- 
naient les  homicides.  Mais  dans  une  nation  guerrière  il  n'y  a  guère 
que  les  motifs  de  religion  qui  puissent  réprimer  la  vengeance. 

Quand  le  meurtrier  n'était  pas  en  état  de  payer  l'amende,  la  loi 
lui  fournissait  une  ressource.  Il  en  était  quitte  pour  renoncer  à  ses 
biens,  ce  qu'il  faisait  de  la  manière  suivante  :  il  assemblait  sa  fa- 
mille, et,  se  dépouillant  de  ses  habits,  il  allait  sauter  la  haie  après 
avoir  jeté  derrière  son  dos  de  la  terre  de  sa  maison  sur  son  plus 
proche  parent,  qui,  par  cette  cérémonie ,  demeurait  chargé  de  payer 
l'amende  en  question.  Cet  usage  bizarre  subsista  jusqu'au  règne 
de  Childebert  II,  qui  l'abolit  par  une  loi. 

L'expérience  fit  connaître  que  la  crainte  des  amendes  pécuniaires 
n'était  pas  suffisante  pour  réprimer  les  grands  crimes.  Ainsi  on  fut 
obligé  dans  la  suite  de  décréter  la  peine  de  mort  contre  ceux  qui 
s'en  rendraient  coupables,  ou  du  moins  de  les  condamner  à  des  peines 
ignominieuses.  Les  nobles  atteints  de  quelque  crime  étaient  con- 
damnés à  porter,  nus  et  en  chemise,  un  chien  d'un  comté  à  un  autre 
comté.  Ceux  qui  n'étaient  pas  nobles  étaient  obligés  de  porter 
dans  le  même  équipage  une  selle  de  cheval.  La  coutume  de  faire 
amende  honorable  en  chemise  est  venue  de  là.  Les  nobles  étaient 


ET  LES  MŒURS  DES  FRA.XCS. 


XXXI 


même  quelquefois  condamnés  à  porter  la  selle.  Cet  usage  subsista 
longtemps,  puisque  dans  le  xnie  siècle  un  évêque  de  Liège  con- 
damna encore  des  seigneurs  à  porter  sur  leurs  têtes  nues  des  selles 
de  chevaux  à  la  suite  de  la  procession,  depuis  l'église  Saint-Martin 
de  Liège  jusqu'à  la  cathédrale. 

VI 

Des  'principaux  officiers  de  nos  rois. 

Les  fréquentes  occasions  que  l'histoire  nous  a  fournies  de  parler 
des  principaux  officiers  de  nos  rois,  nous  ont  engagé  à  faire  ici  con- 
naître les  noms  et  les  fonctions  de  leurs  charges.  Commençons  par 
les  charges  ecclésiastiques. 

L'apocrisiaire ,  nommé  quelquefois  l'archiprêtre  de  France ,  et 
plus  souvent  l'archichapelain ,  tenait  le  premier  rang  parmi  les 
officiers  du  palais.  Non-seulement  il  était  le  supérieur  du  clergé  qui 
desservait  l'oratoire  du  palais  ;  mais  il  avait  encore  inspection  , 
quant  au  spirituel,  sur  tous  les  courtisans,  en  sorte,  dit  Hincmar, 
que  personne  ne  pouvait  faire  à  la  cour  aucun  exercice  de  zèle  sans 
son  agrément.  Il  y  avait  plus  :  tous  les  procès  ecclésiastiques,  toutes 
les  contestations  des  clercs  et  des  moines  étaient  du  ressort  de  son 
tribunal.  Personne  même  ne  pouvait  parler  au  roi  d'une  affaire  ec- 
clésiastique sans  l'avoir  auparavant  communiquée  à  l'archi- 
chapelain, et  sans  avoir  pris  son  avis.  On  peut  juger  par  là  quel 
devait  être  son  crédit.  Aussi  cette  charge  fut-elle  communément 
exercée  par  des  évêques,  à  qui  le  pape  accordait  souvent  le  pal- 
lium  et  le  titre  d'archevêque  par  distinction.  On  vit  cependant 
quelquefois  de  simples  prêtres  ,  comme  Fulrade  et  Foulques,  re- 
vêtus de  la  dignité  d'archichapelain. 

Cet  officier  ne  fut  d'abord  nommé  qu'apocrisiaire.  Mais  dans  la 
suite,  l'oratoire  de  nos  rois  ayant  été  appelé  chapelle  à  cause  de  la 
chape  de  S.  Martin  qu'on  y  conservait,  les  clercs  destinés  à  des- 
servir cet  oratoire  furent  appelés  chapelains,  et  leur  supérieur  ar- 
chichapelain.  Telle  est  l'origine  des  noms  de  chapelle  et  de  cha- 
pelain ,  que  l'usage  a  introduits  pour  signifier  les  oratoires 
particuliers  et  les  clercs  qui  y  font  l'office.  Cette  chape  de  S.  Martin, 
capa  ou  capella,_ét&it  un  manteau  d'une  étoffe  vile  et  grossière.  Il 
paraît  même  qu'il  était  de  peau  de  brebis.  Le  moine  de  Saint-Gai 
quia  écrit  la  Vie  de  Charlemagne,  dit  que  ce  prince  avait  un  habit 
de  peau  qui  n'était  pas  beaucoup  plus  précieux  que  le  manteau 


XXXII 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGION 


de  S.  Martin  ;  et  Ducange  cite  un  ancien  registre  de  la  chambre 
des  comptes,  où  il  est  marqué  que  les  estohers  d'Amiens  doivent 
à  Vèvêque  à  la  Saint-Martin  d'hiver  une  penne  grant  d'agneaux, 
appeiïé  le  mantel  de  S.  Martin. 

Outre  l'archichapelain,  les  rois  et  les  reines  de  France  avaient 
encore  des  aumôniers  ,  c'est-à-dire  des  ecclésiastiques  ou  des 
abbés  chargés  de  distribuer  leurs  aumônes.  Le  premier  que  nous 
trouvons  revêtu  de  cette  charge  est  S.  Chaumont,  qui  est  appelé 
aumônier  de  la  reine  Ste  Bathilde.  Hincmar,  qui  a  écrit  un  traité 
des  officiers  du  palais  d'après  S.  Adalard,  abbé  de  Corbie,  ne  parle 
pas  de  cette  charge.  Peut-être  de  son  temps  les  fonctions  d'aumô- 
nier étaient-elles  réunies  à  la  charge  d'archichapelain,  comme  celles 
d  archichapelain  l'ont  été  depuis  à  la  charge  de  grand  aumônier. 

Il  est  encore  parlé  dans  les  anciens  auteurs  d'un  abbé  du  palais  : 
ce  qui  a  fait  croire  à  quelques  critiques  qu'outre  les  clercs,  il  y 
avait  aussi  des  moines  dans  le  palais  pour  y  faire  l'office  divin. 
Mais  le  nom  d'abbé  se  donnait  souvent  aux  ecclésiastiques  qui 
avaient  quelque  autorité  sur  les  autres.  Les  maisons  mêmes  des 
clercs  qui  vivaient  en  communauté  étaient  appelées  monastères,  et 
les  supérieurs  abbés. 

C'est  ce  qui  autorise  à  croire  que  l'abbé  du  palais  fut  ainsi 
nommé  parce  qu'il  était,  sous  l'archichapelain,  le  supérieur  des 
clercs  destinés  à  faire  l'office  dans  la  chapelle  du  roi  :  c'était  ce 
qu'on  nommerait  aujourd'hui  le  maître  de  la  chapelle. 

Quant  aux  charges  civiles  ,  le  maire  du  palais  ou  major- 
dome [major  domus),  fut  sans  contredit  le  plus  puissant  des  offi- 
ciers de  nos  rois.  Mais  il  n'eut  pas  d'abord  ce  pouvoir  presque  sou- 
verain qu'il  usurpa  dans  la  suite.  Les  fonctions  de  sa  charge 
étaient  renfermées  dans  l'enceinte  du  palais,  dont  il  avait  la  surin- 
tendance. Ces  bornes  parurent  trop  étroites  à  l'ambition  des 
maires.  Sur  la  fin  de  la  première  race,  ils  devinrent  les  premiers 
ministres  et  comme  les  vice-rois  de  l'Etat,  et  on  les  vit  dominer 
avec  une  autorité  presque  absolue,  tyrannisant  presque  également 
les  peuples  et  les  souverains ,  à  qui  ils  ne  laissèrent  qu'un  vain 
titre  de  royauté.  Mais  les  rois  de  la  seconde  race,  auxquels  la 
mairie  du  palais  avait  servi  de  degré  pour  monter  sur  le  trône,  su- 
rent prescrire  des  bornes  convenables  à  la  puissance  de  ces  offi- 
ciers. Aussi,  depuis  ce  temps-là  l'histoire  n'en  parle  presque 
plus. 

Le  comte  du  palais  avait  la  plus  grande  autorité  après  le  maire 
du  palais.  Quand  le  roi  ne  rendait  pas  la  justice  par  lui-même,  le 


ET  LES  MŒURS  DES  FRAXCS.  XXXIII 

comte  la  rendait  au  nom  du  prince,  et  il  était  chargé  déjuger  toutes 
les  causes  pour  lesquelles  on  avait  formé  appel.  C'était  comme  le 
juge  en  dernier  ressort  de  toutes  les  affaires  du  royaume.  On  ne 
pouvait  même  parier  au  roi  d'aucune  affaire  civile  sans  avoir 
l'agrément  du  comte  du  palais. 

Le  référendaire  était  un  des  principaux  officiers,  qui  remplissait 
à  la  cour  de  nos  rois  une  partie  des  fonctions  qui  ont  été  depuis  an- 
nexées à  la  charge  de  chancelier.  Il  signait  les  chartes  royales  et 
communément  il  gardait  le  sceau  de  nos  rois.  Nous  disons  com- 
munément, parce  que  nous  trouvons  quelquefois  sous  la  première 
race  des  seigneurs  qui  sont  nommés  gardes  du  sceau,  quoiqu'il  ne 
paraisse  pas  qu'ils  fussent  référendaires.  Le  référendaire  est  quel- 
quefois nommé  chancelier,  parce  que  ces  deux  charges  furent 
unies. 

Le  chancelier,  qu'on  nommait  aussi  secrétaire ,  n'eut  d'abord 
d'autre  emploi  que  celui  de  rédiger  par  écrit  les  ordres  du  roi.  Les 
auteurs  le  nomment  souvent  grand  chancelier  ou  archichancelier, 
pour  le  distinguer  des  secrétaires  qu'il  avait  sous  lui ,  et  qu'on 
nommait  aussi  chanceliers.  Dès  le  temps  d'Hincmar,  le  chancelier 
remplissait  les  fonctions  de  référendaire.  Il  y  joignit  encore  dans 
la  suite  celles  de  comte  du  palais,  pour  juger  les  causes  dans  les- 
quelles on  en  appelait  au  roi,  et  casser  les  sentences  des  magis- 
trats rendues  contre  les  lois. 

Le  chambellan  ou  camérier  était  chargé  d'aider  la  reine  à  régler 
tout  le  détail  des  dépenses  du  palais  et  à  s'en  faire  rendre  compte. 
Car,  tandis  que  le  roi  ne  s'occupait  qu'à  administrer  les  affaires 
du  royaume,  la  reine  était  chargée  de  régler  les  dépenses  de  la 
maison  du  roi  et  les  gratifications  qu'on  devait  faire  aux  gens  de 
guerre. 

Il  suffira  d'indiquer  les  noms  et  les  fonctions  de  quelques  autres 
officiers.  Le  connétable  [cornes  stabuli)  avait  l'intendance  sur 
l'écurie  du  roi.  Le  sénéchal  était  chargé  de  faire  toutes  les  pro- 
visions pour  la  bouche  du  roi,  excepté  celle  du  vin,  qui  concernait  le 
bouteiller.  Sénéchal  en  tudesque  signifie  qui  a  soin  des  troupeaux, 
comme  maréchal  signifie  qui  a  soin  des  chevaux.  Les  noms  de  ces 
charges  ont  subsisté;  mais  elles  eurent  dans  la  suite  des  fonctions 
beaucoup  plus  relevées. 

Il  y  avait  aussi_à  la  cour  un  mansionaire  ou  maréchal  des  logis, 
un  fauconnier  et  quatre  veneurs,  et  plusieurs  conseillers  du  roi, 
partie  clercs  et  partie  laïques,  outre  un  grand  nombre  de  charges 
moins  importantes  dont  le  détail  nous  entraînerait  trop  loin . 


XXXIV 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGIOX 


VII 

De  la  noblesse  française . 

Avant  que  César  eut  conquis  la  Gaule,  il  y  avait  déjà  quelques 
traces  de  noblesse  parmi  les  Gaulois.  Les  Romains  introduisirent 
les  dignités  qui  étaient  en  usage  dans  la  république  et  ils  créèrent 
sénateurs  romains  plusieurs  Gaulois.  Mais  c'est  proprement  aux 
Francs  que  notre  noblesse  doit  son  origine.  Aussitôt  après  leur 
conquête,  ils  partagèrent  entre  eux  la  meilleure  partie  des  terres  , 
et,  comme  ils  continuèrent  à  s'occuper  à  la  guerre,  ils  firent 
cultiver  leurs  terres  par  les  Gaulois,  ou  ils  les  leur  cédèrent  à  la 
condition  de  certaines  redevances  et  de  certains  hommages. 

Telle  est  la  première  origine  des  fiefs,  quoique  ce  nom  n'ait  été  en 
usage  que  longtemps  après. 

Les  anciens  habitants,  chargés  de  la  culture  des  terres,  demeu- 
rèrent aussi  chargés  des  tributs.  Les  Francs  en  étaient  exempts 
et  ne  payaient  que  de  leurs  personnes.  Ils  jouirent  de  plusieurs 
autres  prérogatives  dans  un  pays  qu'ils  avaient  conquis  :  de  là  la 
distinction  s'est  établie  entre  la  noblesse  et  les  roturiers  chargés 
de  cultiver  les  terres.  Comme  ceux-ci  demeuraient  à  la  campagne, 
in  villis ,  ils  furent  appelés  vilains,  villani.  Les  nobles  furent 
nommés  gentilshommes,  soit  parce  qu'ils  étaient  issus  des  nations 
barbares  (qu'on  nommait  gentes) ,  soit  parce  que  chez  les  auteurs  latins 
gentilis  ou  qui  gentem  habet  signifie  qui  est  d'une  ancienne  famille. 
Les  seigneurs  francs  continuèrent  à  vivre  selon  la  loi  salique  et  les 
usages  de  leur  nation,  tandis  que  les  Gaulois  suivaient  les  lois  des 
Romains,  leurs  anciens  maîtres.  D'où  il  est  arrivé  que  dans  la 
même  province  les  coutumes  légales  furent  différentes  pour  les 
nobles  et  pour  les  roturiers. 

Les  diverses  charges  que  les  nobles  remplirent,  et  qui  devinrent 
héréditaires  sous  les  derniers  rois  de  la  seconde  race,  donnèrent 
lieu  aux  différents  titres  de  noblesse  qui  sont  aujourd'hui  en  usage 
parmi  nous,  tels  que  ceux  de  duc,  de  marquis,  de  comte,  de  vicomte 
et  de  baron.  Le  duc  était  le  commandant  d'une  province  entière. 
Le  comte  était  le  juge  d'une  ville  et  de  son  territoire,  et,  s'il  était 
nécessaire,  il  commandait  aussi  les  troupes.  Le  marquis  était  un 
officier  chargé  de  garder  et  de  défendre  une  frontière  :  car  marc  en 
tudesque  signifie  frontière.  Le  vicomte  n'était  que  le  vice-gérant 


ET  LES  MŒURS  DES  FRANCS. 


XXXV 


du  comte,  dont  il  faisait  les  fonctions.  Toutefois  il  y  eut  des  vi- 
icomtes  qui,  en  conservant  ce  titre,  devinrent  plus  puissants  que 
bien  des  comtes.  Il  n'est  pas  si  aisé  de  marquer  quel  fut  l'office  du 
baron  et  l'origine  de  ce  nom.  On  croit  que  ce  terme  signifie  seu- 
lement homme ,  et  qu'il  fut  employé  pour  signifier  un  homme 
distingué  par  son  mérite  et  par  son  courage. 

Il  est  parlé  dans  la  loi  salique  de  certains  magistrats  qui  ju- 
geaient les  procès  et  qui  sont  nommés  sagibarones  :  c'est  peut-être 
la  véritable  origine  du  nom  de  baron.  On  trouve  quelquefois  fa- 
rones  au  lieu  de  barones  :  fara  signifie  famille.  En  ce  qui 
concerne  les  autres  divers  titres  de  noblesse,  tels  que  ceux  de  ban- 
neret,  de  chevalier,  d'écuyer  et  de  bachelier,  ils  ne  furent  en 
usage  que  sous  la  troisième  race  de  nos  rois,  et  ce  n'est  pas  ici  le 
lieu  d'en  parler. 

VIII 

Des  esclaves. 

Les  Francs,  comme  les  autres  Germains,  avant  l'établissement 
de  la  monarchie  avaient  des  esclaves  ,  qu'ils  traitaient  presque 
comme  leurs  enfants.  Ils  en  trouvèrent  un  plus  grand  nombre 
dans  les  Gaules,  quand  ils  en  firent  la  conquête.  Tous  les  domes- 
tiques, tant  à  la  ville  qu'à  la  campagne,  étaient  serfs,  et  l'on  en  tra- 
fiquait comme  de  vils  animaux.  Les  guerres  continuelles  des  Francs 
en  augmentèrent  le  nombre.  Tous  les  prisonniers  de  guerre  étaient 
réduits  en  servitude  et  formaient  le  plus  riche  butin  du  soldat.  On 
enlevait  pour  cela  les  familles  entières,  et  quelques-unes,  réduites 
à  l'indigence,  étaient  obligées  pour  conserver  leur  vie  de  vendre 
leur  liberté.  Comme  dans  la  suite  le  plus  grand  nombre  de  ces  serfs 
furent  esclavons  ou  esclaves,  on  nomma  tous  les  serfs  esclaves.  Ce 
nom  seul  excite  l'idée  de  la  plus  misérable  condition. 

Cependant  le  sort  de  tous  ceux  qui  avaient  perdu  la  liberté 
n'était  pas  également  dur,  et  on  distinguait  diverses  sortes  de  ser- 
vitudes. Le  plus  grand  nombre  était  formé  de  ceux  qu'on  nommait 
simplement  serfs  {servi),  et  ils  étaient  les  plus  malheureux.  Il  y 
en  avait  d'autres  que  l'on  nommait  lites,  liti  ou  Udi  :  leur  con- 
dition était  beaucoup  moins  dure  que  celle  des  serfs  et  assez  sem- 
blable à  celle  des  colons  (coloni) ,  qui  était  la  plus  douce  et  comme 
mitoyenne  entre  la  condition  des  libres  et  celle  des  serfs.  Ils  étaient 
seulement  chargés  de  cultiver  les  terres  à  la  condition  de  certaines 


XXXVI 


DISCOURS  SUR  LA  RELIGI0X 


redevances.  Ils  étaient  comme  les  fermiers  des  seigneurs,  et  il  y  a 
encore  des  provinces  en  France  où  les  fermiers  sont  nommés  colons. 

Il  y  avait  dans  la  Gaule  diverses  manières  d'affranchir  les 
esclaves,  conformes  aux  lois  romaines  et  aux  lois  barbares.  On 
pouvait  leur  donner  la  liberté  par  un  acte  qui  était  nommé  charta 
ingenuitatis,  ou  par  un  testament.  S.  Remi  et  S.  Perpétue,  dont 
nous  avons  les  testaments,  y  affranchissent  un  grand  nombre  de 
leurs  esclaves.  Mais  l'usage  des  Francs  marqué  dans  la  loi  sa- 
lique  pour  rendre  la  liberté  à  un  serf,  était  différent  et  fort  sin- 
gulier. Le  maître  conduisait  devant  le  roi  son  esclave,  qui  tenait- 
dans  sa  main  un  denier  comme  le  prix  de  sa  liberté,  et,  lui  se- 
couant la  main,  il  faisait  tomber  le  denier  à  terre.  Alors  l'esclave 
était  légitimement  affranchi,  et  le  roi  était  non-seulement  le  té- 
moin, mais  le  garant  et  le  défenseur  de  la  liberté  qu'il  avait 
recouvrée  par  cette  cérémonie.  Ceux  qui  avaient  été  affranchis  par 
un  écrit  étaient  nommés  charhdarii ,  et  ceux  qui  l'avaient  été  par 
un  denier  étaient  appelés  denariales. 

Pour  rendre  plus  sacré  et  plus  solennel  l'acte  de  manumission, 
on  affranchissait  souvent  les  esclaves  dans  l'église  au  pied  de 
l'autel,  et  on  leur  mettait  sur  la  tête  l'écrit  par  lequel  leur  maître 
leur  accordait  la  liberté.  Ces  sortes  d'affranchis  étaient  spéciale- 
ment sous  la  protection  de  l'Église.  Elle  prenait  leur  défense,  et  on 
voit  dans  les  conciles  des  Gaules  plusieurs  règlements  en  leur  faveur. 

On  ne  rendait  pas  toujours  la  liberté  entière  aux  esclaves.  Sou- 
vent on  ne  les  affranchissait  qu'à  condition  qu'eux  et  leurs  descen- 
dants payeraient  un  certain  cens  ou  capitation  annuelle  et  feraient 
certaines  corvées  pour  leurs  anciens  maîtres.  C'est  pourquoi  on 
nommait  ces  personnes  liomines  de  capite  ou  homines  de  corpore. 
Dans  la  suite  des  temps  cette  sorte  de  servitude  ne  fut  plus  annexée 
qu'aux  terres,  et  non  aux  personnes  ,  et  c'est  par  là  que  les  sei- 
gneurs particuliers  continuèrent  d'avoir  des  vassaux  obligés  à 
certaines  corvées  ou  servitudes.  On  nomma  vassaux  ceux  qui 
tenaient  des  fiefs,  et  vavassaux  ceux  qui  tenaient  des  arrière-fiefs. 

IX 

De  quelques  usages  particuliers  des  Francs. 

Nous  recueillons  sous  ce  titre  diverses  coutumes  de  nos  ancêtres, 
dont  le  détail  pourra  servir  à  éclaircir  plusieurs  points  qui  se  rap- 


ET  LES  MŒURS  DES  FRANCS. 


XXX  Y II 


sortent  à  notre  histoire.  Commençons  par  les  usages  qu'ils  obser- 
vaient pour  la  célébration  ou  la  dissolution  de  leurs  mariages. 
2'était  le  mari  qui  donnait  la  dot  à  la  femme.  Il  l'achetait,  pour 
linsi  dire,  de  ses  parents  en  leur  présentant,  selon  la  loi  salique, 
in  sou  et  un  denier.  Cette  somme  donnée  et  acceptée  était  un  en- 
gagement réciproque  de  contracter  le  mariage.  Les  princes  mêmes 
le  donnaient  pas  une  somme  plus  considérable.  Frédégaire  marque 
}ue  ce  fut  en  donnant  un  sou  et  un  denier  que  les  ambassadeurs  de 
^lovis  épousèrent  Clotilde  au  nom  de  leur  maître.  Mais  le  len- 
lemain  des  noces,  au  matin,  le  mari  faisait  à  son  épouse  un  présent 
proportionné  à  son  rang  :  c'est  ce  qu'on  nommait  morgageniba, 
3'est-à-dire  présent  du  matin.  Les  biens  ainsi  donnés  étaient 
?ensés  appartenir  à  la  femme.  C'est  pourquoi  nous  voyons  que  les 
reines  de  France,  comme  Frédégonde,  avaient  des  villes  où  elles 
levaient  des  impôts  en  leur  propre  nom. 

Grégoire  de  Tours  marque  que  les  cérémonies  civiles  des  fian- 
;*ailles  consistaient  pour  l'époux  à  donner  un  baiser  à  sa  future 
épouse,  à  lui  mettre  l'anneau  au  doigt  et  le  soulier  au  pied  (1). 
Mais  nous  pensons  que  cet  usage  était  plutôt  particulier  aux  Gaulois 
qu'aux  Francs. 

Quand  un  Franc  voulait  épouser  une  veuve ,  il  était  obligé 
d'en  faire  la  demande  dans  une  assemblée  publique.  Alors  trois  per- 
sonnes, soutenant  de  la  main  un  bouclier  élevé  sur  leurs  têtes, 
examinaient  la  proposition  et  les  motifs  de  ce  mariage ,  et  s'ils  trou- 
vaient qu'il  était  convenable,  le  mari  futur  donnait  trois  sous  et  un 
denier.  Cette  somme  nommée  reippus  appartenait  aux  plus  proches 
parents  de  la  veuve  du  côté  de  ses  sœurs  :  c'était  comme  le  prix 
dont  on  l'achetait. 

Le  divorce  était  permis  aux  Francs  parleurs  lois,  et  il  n'est  pas 
surprenant  qu'il  fût  commun  parmi  eux  tant  qu'ils  demeurèrent 
idolâtres.  Mais  ce  qui  doit  paraître  étrange,  c'est  que  longtemps 
après  leur  conversion  ils  crurent  qu'il  leur  était  licite  de  ré- 
pudier une  femme  qui  ne  leur  plaisait  plus,  pour  en  épouser  une 
autre.  Cet  abus  subsistait  encore  dans  le  vne  siècle.  On  trouve 
parmi  les  formules  de  Marculfe  qui  appartiennent  à  cette  époque, 
le  modèle  d'un  acte  de  divorce,  dans  lequel  on  marque  que  certains 
époux ,  voyant  que  la  discorde  troublait  leur  mariage  ,  et  que  la 
charité  n'y  régnait  pas,  sont  convenus  de  se  séparer  et  de  se  laisser 
l'un  à  l'autre  la  liberté  de  se  retirer  dans  un  monastère  ou  de  se 


(1)  L.  IT,  30. 


» 


XXXVIII  DISCOURS  SUR  LA  RELIGION 

remarier,  sans  que  l'une  des  parties  puisse  le  trouver  mauvais  et 
s'y  opposer,  sous  peine  d'une  livre  d'or  d'amende  (1).  Il  y  eut  même 
des  évêques  de  France  dans  le  vme  siècle  qui,  étant  plus  versés 
dans  les  usages  de  la  nation  que  dans  les  lois  du  christianisme, 
autorisèrent  ces  divorces  par  leurs  décisions.  Ce  ne  fut  qu'avec  le 
temps  que  la  religion  vint  à  bout  de  faire  cesser  un  abus  permis 
par  les  lois  civiles  et  si  favorable  aux  passions  (2). 

Non-seulement  un  Franc  pouvait,  selon  les  usages  de  la  nation, 
répudier  sa  femme  ;  il  pouvait  même  renoncer  à  sa  propre  parenté. 
Pour  cela  il  se  présentait  devant  le  juge  dans  une  audience  pu- 
blique et  rompait  sur  sa  tête  quatre  bâtons  d'aune,  dont  il  jetait 
les  morceaux  à  terre.  Par  cette  bizarre  cérémonie  il  était  censé 
sortir  de  sa  famille  :  ses  parents  ne  pouvaient  plus  hériter  de  lui, 
et  il  ne  pouvait  plus  hériter  d'eux. 

La  manière  de  donner  l'investiture  de  quelque  bien  mérite  encore 
d'être  remarquée.  Pour  mettre  une  personne  en  possession  de  quel- 
que chose  qu'on  lui  avait  donné  ou  vendu,  on  lui  mettait  en  main 
un  fétu  ou  un  bâton,  une  branche  d'arbre,  un  couteau,  une  épée, 
un  livre,  une  motte  de  terre,  ou  quelque  autre  chose  qu'on  trouvait 
sous  la  main;  mais  le  plus  souvent  c'était  une  paille  ou  un  bâton, 
qu'on  rompait  en  présence  de  témoins.  On  en  insérait  les  morceaux 
dans  le  contrat  de  vente  ou  de  donation  et  on  en  faisait  mention 
dans  l'acte. 

Le  roi  Gontran  donna  l'investiture  du  royaume  de  Bourgogne 
à  son  neveu  Childebert  II  en  lui  mettant  sa  lance  dans  la  main. 
Cette  lance  tenait  lieu  de  sceptre.  Les  rois  Carloman  et  Char- 
lemagne  son  frère  sont  peints,  dans  un  ancien  manuscrit,  tenant  à 
la  main  une  lance  assez  courte,  dont  le  fer  a  deux  crocs  recourbés 
qui  forment  une  espèce  de  fleur  de  lis,  et  rendent  par  là  cette  lance 
assez  semblable  à  la  manière  dont  on  a  dans  la  suite  fait  le  sceptre 
de  nos  rois.  Car,  dans  son  origine  et  suivant  l'étymologie  du  mot, 
le  sceptre  n'était  qu'un  bâton  pour  s'appuyer.  Charlemagne  en 
avait  un  qui  était  justement  de  sa  hauteur ,  et  il  fallait  qu'il  fût  peu 
différent  d'un  bâton  pastoral  :  car  un  évêque,  pendant  l'absence  du 
roi,  demanda  permission  à  la  reine  de  se  servir  de  ce  sceptre  au  lieu 
de  crosse  pendant  la  célébration  de  l'office  divin. 

(1)  De  Vitis  PP.,  c.  xx  —  (2J  C'est  Charlemagne  qui  l'abolit. 


ET  LES  MŒURS  DES  FRANCS. 


XXXIX 


X 

Des  noms  et  des  surnoms  en  usage  parmi  les  Francs, 

Les  Romains,  et  à  leur  imitation  les  Gaulois  qui  se  piquaient  de 
noblesse,  avaient  plusieurs  noms ,  par  lesquels  on  distinguait  en 
même  temps  et  les  personnes  et  les  familles.  Dans  l'état  floris- 
sant de  la  république  le  premier  nom  était  le  nom  propre,  et  c'était 
celui  qui  désignait  la  personne.  Ainsi  Marais  Tullius  Cieero 
n'était  distingué  de  son  frère  Quintus  Tullius  que  par  le 
prénom  Marais.  Mais  dans  le  Bas-Empire  et  surtout  dans  la 
Gaule  le  dernier  nom  était  le  nom  distinctif  de  la  personne,  comme 
on  peut  le  voir  par  l'exemple  de  S.  Avite  de  Vienne  et  de  S.  Gré- 
goire de  Tours,  dont  l'un  se  nommait  Alcimus  Ecalicius  Avitus  et 
l'autre  Georgiiis  Florentins  Gregorius. 

Quant  aux  Francs,  ils  ne  portèrent  longtemps  qu'un  nom,  et  ce 
nom  n'avait  aucun  rapport  avec  celui  de  la  famille.  Le  fils  du  roi 
Childéric  fut  appelé  Clovis,  et  aucun  des  enfants  de  Clovis  ne 
*  porta  son  nom.  Les  noms  francs  avaient  une  signification  propre. 
Chilpéric,  par  exemple,  signifie  puissant  secours.  Rie  signifie  puis- 
sant, et  c'est  pourquoi  tant  de  noms  de  seigneurs  et  de  princes 
étaient  terminés  en  rie  ;  c'est  aussi  l'étymologiedu  mot  riche.  Bert, 
qui  est  une  autre  terminaison  fort  commune  dans  les  noms  francs 
et  particulièrement  dans  ceux  des  princes ,  signifie  illustre.  Au 
reste,  il  était  aisé  à  la  terminaison  barbare  de  distinguer  les  noms 
francs  d'avec  les  noms  romains,  et  c'est  une  règle  assez  sûre  pour 
discerner,  dans  les  premiers  conciles  des  Gaules,  les  évêques  francs 
de  naissance  d'entre  ceux  qui  étaient  descendus  de  familles  ro- 
maines ou  gauloises. 

Ce  n'est  pas  que  les  auteurs,  en  transportant  les  noms  francs 
dans  une  autre  langue,  ne  les  aient  souvent  défigurés  :  par  exemple, 
le  nom  de  Clovis  est  rendu  communément  par  Chlodoveus,  Clodo- 
vechus  ou  Ludovicus.  Agathias  appelle  ce  prince  KXoOaîoç.  Cas- 
siodore  le  nomme  Luduin  :  ce  qui  peut  faire  croire  que  c'est  là  son 
vrai  nom  tudesqua,  comme  Karl  était  le  vrai  nom  qu'on  a  rendu 
par  Carolus  et  par  Charles.  Une  cause  de  ces  variations  est  que 
la  plupart  des  noms  francs  avaient  une  aspiration,  qu'on  exprimait 
communément  par  Ch  comme  Chlotarius,  Chilpericus,  Chlodoveus; 
quelquefois  par  l'H  seule,  comme  dans  Hlotharius  H  ludovicus, 


XL 


RELIGION  ET  MŒURS  DES  FRANCS. 


Hilpericus.  Mais  on  supprimait  souvent  cette  aspiration  difficile 
à  prononcer,  et  on  disait  simplement  Lotharius ,  Ilpericus,  Lu- 
dovicus  (Lothaire,  Ilpèric,  Louis).  Cette  observation  peut  nous 
porter  à  croire  que  le  nom  de  Louis  est  le  même  que  celui  de 
Clovis,  dont  on  a  retranché  l'aspiration.  En  effet,  Cassiodore,  qui 
appelle  dans  un  endroit  Clovis  Luduin,  le  nomme  ailleurs  Lu- 
dovicus. 

Vers  la  fin  de  la  seconde  race  de  nos  rois,  les  mêmes  noms  s  étant 
multipliés,  on  fut  obligé  pour  distinguer  les  personnes  qui  en 
avaient  de  semblables  d'y  ajouter  des  surnoms  ou  sobriquets  , 
dont  l'usage  devint  général  et  nécessaire  quand  la  coutume  de 
donner  des  noms  de  saints  au  baptême  se  fut  établie.  Ces  sur- 
noms ne  se  perpétuèrent  pas  d'abord  dans  les  mêmes  familles,  et 
le  fils  en  avait  souvent  un  différent  de  celui  de  son  père.  On  ne  les 
prenait  pas  même  dans  les  actes  publics  ;  mais,  pour  mieux  dé- 
signer la  personne,  on  écrivait  au-dessus  de  son  nom  en  interligne 
le  sobriquet  qu'elle  portait,  et  on  croit  que  c'est  ce  qui  donna  oc- 
casion d'appeler  ces  sobriquets  surnoms.  Nos  rois  et  nos  évêques 
ont  gardé  l'ancienne  coutume  de  ne  signer  que  leur  nom  propre, 
qui  est  celui  du  baptême.  Ceux  qui  désireraient  connaître  d'autres 
détails  sur  les  mœurs  des  Francs  peuvent  lire  le  curieux  et  savant 
traité  qu'a  composé  sur  ce  sujet  l'abbé  Legendre,  chanoine  et  sous- 
chantre  de  l'Église  de  Paris. 


[470]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  17 

tion  des  Rogations  ,  qu'on  avait  récemment  établies  dans 
l'Église  d'Auvergne,  à  l'imitation  de  celle  de  Vienne.  «  Le  bruit 
court,  lui  dit-il,  que  les  Goths  se  sont  mis  en  marche  contre 
les  Romains.  Nous  autres,  pauvres  habitants  de  l'Auvergne, 
nous  sommes  toujours  la  porte  par  où  se  font  ces  irruptions. . . . 
Nous  n'espérons  pas  que  nos  murailles  à  demi  brûlées,  nos 
vieilles  palissades  et  nos  autres  fortifications,  où  l'on  fait  sans 
cesse  la  garde,  nous  préservent  de  ce  danger.  Nous  ne  comp- 
tons que  sur  le  secours  des  Rogations  que  vous  avez  instituées. 
Le  peuple  d'Auvergne  les  a  commencées,  sinon  avec  le  même 
effet,  du  moins  avec  la  même  ferveur,  et  c'est  ce  qui  nous 
soutient  encore  contre  les  terreurs  qui  nous  environnent  (1).» 
On  voit  par  là  que  l'Église  d'Auvergne  fut  une  des  premières 
à  recevoir  cette  sainte  pratique,  pour  conjurer  par  ses  prières 
l'orage  prêt  à  fondre  sur  elle. 

Sidoine  dit  dans  une  autre  lettre  (2):  «  Avant  les  Rogations, 
l'usage  des  processions  était  établi  ;  mais  elles  étaient  rares,  et 
on  y  voyait  peu  de  dévotion.  Elles  étaient  même  interrom- 
pues par  des  repas,  et  on  ne  les  faisait  que  pour  demander  du 
beau  temps  ou  de  la  pluie.  Mais  dans  celles  qu'a  instituées  ce 
saint  évêque  (S.  Mamert),  on  jeûne,  on  prie,  on  psalmodie,  on 
pleure.  »  C'est  qu'en  effet  les  trois  jours  des  Rogations  furent 
longtemps  des  jours  de  jeûne  dans  l'Église  gallicane. 

Caïus  Sollius  Apollinaris  Sidonius  (3)  était  le  principal 
ornement  de  la  ville  d'Auvergne,  avant  même  qu'il  en  fût 
évêque.  Il  était  né  à  Lyon  d'une  des  plus  illustres  familles  des 
Gaules,  en  qui  la  vertu  et  les  honneurs  paraissaient  aussi  hé- 
réditaires que  la  noblesse.  Apollinaire  son  aïeul,  premier  chré- 
tien de  la  famille,  et  son  père  furent  préfets  du  prétoire  dans- 
les  Gaules.  Le  fils,  en  marchant  sur  leurs  traces,  parvint  aux 

(1)  Sidon.,  1.  VII,  Ep.7.  —  (2)  L.  V,  Ep.  xiv. 

(3)  De  tous  ces  noms  Sidoine  est  le  nom  propre.  Car  dans  le  Bas-Empire  le  nom 
propre  qui  désignait  la  personne  était  mis  le  dernier ,  tandis  que  dans  l'état  flo- 
rissant de  la  République  le  nom  propre  était  le  premier.  Ainsi  dans  Marcus  Tullius 
Ci'.ero,  Marcus  est  le  nom  propre  et  qui  seul  distingue  Cicéron  l'orateur  de  Quintus 
Tullius,  son  frère.  C'est  le  P.  Sirmond  qui  fait  cette  remarque. 

TOME  II.  2 


18  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [472] 

premières  charges  de  l'empire.  Il  épousa  Papianille,  fille  de 
l'empereur  Avite,  avec  laquelle  il  vécut  dans  une  grande 
union.  lien  eut  un  fils  nommé  Apollinaire  et  plusieurs  filles  (1). 
Les  qualités  de  l'esprit  répondaient  dans  Sidoine  à  l'éclat  de  la 
naissance.  Il  passa  pour  le  poëte  le  plus  célèbre  de  son  temps, 
et,  en  cette  qualité,  l'empereur  Majorien,  dont  il  avait  fait  le 
panégyrique  en  vers,  qu'il  prononça  en  sa  présence,  lui  fit 
ériger  à  Rome  une  statue  couronnée  de  lauriers. 

L'empereur  Anthémius,  qui  succéda  à  Sévère,  eut  pour  Si- 
doine les  mêmes  sentiments  d'estime  et  d'amitié.  Il  l'appela  à 
Rome  auprès  de  lui.  Sidoine  y  arriva  avec  une  fièvre  causée 
par  les  fatigues  du  voyage.  Mais  à  son  arrivée  il  alla  se  pros- 
terner devant  les  tombeaux  des  saints  Apôtres  :  il  sentit  à  l'ins- 
tant ses  forces  renaître,  et  une  parfaite  santé  succéda  à  la  lan- 
gueur. Anthémius,  en  l'honneur  de  qui  il  récita  aussi  un  pané- 
gyrique en  vers,  le  fit  préfet  de  Rome.  Il  se  servit  de  son  crédit 
pour  sauver  la  vie  à  Arvandus,  ancien  préfet  des  Gaules,  con- 
damné par  le  sénat  à  perdre  la  tête  pour  avoir  entretenu  des 
intelligences  avec  Evaric,  roi  des  Yisigoths ,  et  il  paraît  qu'il 
fit  commuer  la  sentence  de  mort  en  exil  (2) .  Sidoine  fut  élevé 
à  la  dignité  de  patrice.  Il  revint  quelque  temps  après  à  Au- 
vergne, où,  S.  Éparque,  évêque  de  cette  Église,  étant  mort» 
il  fut  élu  évêque,  quoique  laïque,  l'an  472  (3). 

S.  Éparque  avait  succédé  sur  ce  siège  à  S.  Namace,  qui  avait 
employé  douze  années  de  sonépiscopat  à  bâtir  son  église  cathé- 
drale. Elle  avait  cent  cinquante  pieds  de  longueur,  soixante  de 
largeur  et  cinquante  de  hauteur  jusqu'à  la  voûte.  Il  y  avait 
une  abside  ou  jubé  de  figure  ronde,  et  deux  ailes  des  deux 
côtés,  d'un  beau  travail.  Tout  l'édifice  était  en  forme  de  croix 

(1)  Sidoine  ne  fait  mention  que  de  deux  de  ses  filles,  Roscie  et  Sévérienne.  Gré- 
goire de  Tours  en  nomme  une  autre,  qu'il  appelle  Alcime;  mais  peut-être  que 
Roscie  ou  Sévérienne  portait  aussi  le  nom  d'Alcime. 

(2)  Sidon.,  1.  I,  £]>.  vu. 

(3)  Nous  connaissons  l'année  où  Sidoine  fut  élevé  à  l'épiscopat,  parce  qu'il  dit 
que  S.  Loup  de  Troyes  avait  alors  45  ans  d'épiscopat.  Or  S.  Loup  avait  été  élu 
l'an  427.  S.  Sidoine,  dans  plusieurs  lettres,  se  dit  indigne  de  l'épiscopat  et  se  plaint 
du  fardeau  qu'on  lui  impose  malgré  lui.  Vide  Sidon.,  1.  VI,  Ep.  I,  ad  Lup. 


[472]  EN  FEAXCE.   —  LIVRE  V.  19 

et  bien  éclairé.  Il  y  avait  quarante-deux  fenêtres,  soixante-dix 
colonnes  et  huit  portes.  Les  murailles  du  chœur  étaient  revê- 
tues de  marbres  de  diverses  couleurs  disposés  en  mosaïque.  Ce 
saint  évêque  y  plaça  des  reliques  des  SS.  Vital  et  Agricole, 
qu'il  avait  envoyé  demander  à  Bologne  en  Italie.  La  femme 
de  S.  Namace  fît  bâtir  de  son  côté,  dans  les  faubourgs  de  la 
ville,  l'église  de  Saint-Étienne,  dont  les  murailles  furent  ornées 
de  diverses  peintures  (1),  ce  qui  montre  l'ancien  usage  des 
peintures  ou  des  images  dans  nos  temples. 

On  commença  alors  en  plusieurs  autres  endroits  de  la 
Gaule  à  bâtir  des  églises  magnifiques.  S.  Perpétue,  évêque  de 
Tours,  trouva  que  celle  qu'on  avait  élevée  sur  le  tombeau  de 
S.  Martin,  était  trop  petite  pour  le  concours  continuel  de 
peuple  que  de  fréquents  miracles  y  attiraient.  Il  en  fit  cons- 
truire une  plus  belle  et  plus  grande  à  cinq  cent  cinquante 
pas  de  la  ville.  Elle  avait  cent  soixante  pieds  de  longueur, 
soixante  de  largeur,  quarante-cinq  de  hauteur  jusqu'à  la 
voûte;  trente-deux  fenêtres  dans  le  chœur  et  vingt  dans  la 
nef.  Il  y  avait  dans  tout  l'édifice  cent  vingt  colonnes,  huit 
portes:  trois  dans  le  chœur,  et  cinq  dans  la  nef.  C'est  Grégoire 
de  Tours  qui  nous  a  laissé  la  description  de  cette  église  (2). 
Nous  avons  cru  devoir  rapporter  ce  détail  pour  faire  con- 
naître quelle  était  dans  la  Gaule  la  forme  et  la  magnifi- 
cence des  églises  au  ve  siècle.  Perpétue  dédia  cette  église  le 
4  juillet,  jour  auquel  on  célébrait  dès  lors  l'ordination  de 
S.  Martin,  et  il  fit  en  même  temps  la  première  translation  de 
ses  reliques,  qu'il  renferma  dans  une  châsse  précieuse.  S.  Eu- 
phrone  d'Autun  avait  donné  le  marbre  dont  on  orna  le  tom- 
beau du  saint  évêque. 

S.  Perpétue  pria  Sidoine  Apollinaire  de  faire  une  inscrip- 
tion (3)  en  vers  pour  cette  nouvelle  église  :  car  c'était  la  cou- 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  II,  c.  xvi,  xvn.  —  (2)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  II,  c.  xiv. 
(3)  Voici  le  commencement  de  cette  inscription  : 


Martini  corpus  totis  venerabile  terris 
In  quo  post  vitœ  tempora  vivit  honor, 


20  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [472] 

tume,  comme  nous  le  voyons  par  plusieurs  exemples,  de 
mettre  des  inscriptions  sur  les  murailles  des  églises.  Sidoine 
en  composa  une,  dans  laquelle  il  compara  le  nouveau  temple 
à  celui  de  Salomon.  Il  ajoute,  dans  une  lettre,  que  l'édifice  est 
tel  qu'un  si  grand  évêque  l'a  dû  faire  en  l'honneur  d'un  si 
grand  saint.  Un  poëte  nommé  Paulin  fit  aussi,  à  la  prière  de 
S.  Perpétue,  une  inscription  pour  la  même  église. 

Ce  saint  évêque  avait  engagé  Paulin  à  composer  en  vers  la 
Vie  même  de  S .  Martin  :  il  le  fit  dans  un  poëme  divisé  en  six 
livres.  Il  y  rapporte  un  grand  nombre  de  miracles,  dont 
S.  Perpétue  avait  été  témoin  ou  sur  lesquels  il  avait  fait  des 
informations,  dont  le  saint  évêque  lui  envoya  une  relation 
signée  de  sa  main.  Quand  on  rapporte  des  miracles  sur  de 
pareils  mémoires,  on  est  bien  digne  de  foi.  Cet  écrivain  nous 
apprend  que  dès  lors  le  peuple  de  Tours  allait  en  procession 
à  Marmoutier,  pendant  les  fêtes  de  Pâques,  visiter  la  cellule  de 
S.  Martin  :  car  tout  ce  qui  avait  appartenu  à  ce  saint  évêque 
était  devenu  un  objet  de  vénération.  Paulin,  auteur  de  ce 
poëme,  était  de  Périgueux  et  assez  bon  poëte  pour  le  siècle 
où  il  vivait.  Mais  il  n'a  ni  le  goût  ni  le  style  du  célèbre  S.  Pau- 
lin de  Noie,  avec  lequel  son  nom  et  sa  qualité  de  poëte  l'ont 
fait  longtemps  confondre. 

S.  Loup  de  Troyes  vivait  encore,  parvenu  à  une  grande 

Texerat  hic  primum  plebeio  machina  cultu 

Quœ  Confessori  non  erat  œqua  suo. 
Nec  desistebat  cices  onerare  pudore 

Gloria  magna  viri ,  gratia  par  va  loci. 
Autistes  sed  qui  numeratur  sertus  ab  ipso, 

Longam  Perpetuus  sustulit  invidiam. 

Sidon.,  1.  IV,  Ep.  XVIII. 

Sidoine  nomme  S.  Perpétue  le  sixième  évêque  après  S.  Martin  en  comptant 
S.  Brice,  successeur  de  S.  Martin,  pour  le  second,  et  Justinien  et  Armentaire,  qui 
furent  successivement  ordonnés  pendant  que  S.  Brice  était  chassé  de  son  siège, 
pour  le  troisième  et  le  quatrième.  S.  Grégoire  de  Tours  fait  deux  calculs  différents. 
A  la  fin  de  son  Histoire,  il  nomme  S.  Perpétue  le  sixième  évêque  de  Tours  depuis 
S.  Gatien,  parce  qu'il  ne  compte  pas  les  deux  intrus  Justinien  et  Armentaire,  et 
dans  le  second  livre  il  dit:  Quintus  })ost  B.  }f artimon  Perpetuus  ordinatur.  Il  met 
dans  ce  calcul  S.  Brice  pour  le  premier,  et  compte  Justinien  et  Armentaire.  Ainsi 
le  mot  quintus,  qu'on  lit  dans  cet  endroit,  n'est  pas  une  faute ,  comme  l'a  cru 
Savaron. 


[472]  EN  FRANCE .   —  LIVRE  V.  21 

vieillesse  et  entouré  d'une  considération  plus  grande  en- 
core. Son  âge,  qui  rendait  sa  vertu  plus  vénérable,  n'avait 
rien  diminué  de  la  vivacité  de  son  zèle  ni  de  la  solidité  de  son 
esprit.  La  lettre  seule  qu'il  écrivit  à  S.  Sidoine,  dès  qu'il  eut 
appris  son  élection  à  l'épiscopat,  en  est  une  preuve.  Il  y  parle 
avec  la  tendresse  et  l'autorité  d'un  père  plein  de  bonté  et  avec 
l'éloquence  d'un  habile  orateur.  «  Je  rends  grâces  à  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  lui  dit-il  (i),  de  ce  que,  pour  soutenir  et 
consoler  l'Église,  sa  chère  épouse,  au  milieu  des  tribulations  qui 
l'affligent  de  toutes  parts,  il  vous  a  appelé  à  l'épiscopat,  afin  que 
vous  soyez  une  lumière  dans  Israël ,  et  que  vous  remplissiez 
les  ministères  humbles  et  pénibles  de  l'Église  avec  autant  de 
soin  et  de  gloire  que  vous  avez  rempli  les  dignités  les  plus  ho- 
norables de  l'empire  Quand  vous  étiez  dans  le  siècle,  vous 

vous  efforciez  d'ajouter  à  l'éclat  de  votre  naissance  des  hon- 
neurs encore  plus  éclatants.  Vous  croyiez  qu'un  homme  ne  de- 
vait pas  se  contenter  d'égaler  les  autres  ,  qu'il  devait  les  sur- 
passer. Mais  aujourd'hui  vous  voilà  dans  un  état  où,  quoique 
supérieur  à  tous,  vous  ne  devez  croire  l'être  à  personne.  Il 
faut  à  présent  que  vous  travailliez  à  devenir  le  serviteur  de 

tous  ceux  dont  vous  paraissiez  le  maître  

«  Employez  donc  aux  affaires  de  Dieu  cet  esprit  qui  a  brillé 
avec  tant  de  gloire  dans  les  affaires  du  siècle.  Que  vos  peuples 
recueillent  de  votre  bouche  les  épines  de  Jésus-Christ  crucifié, 
comme  ils  recueillirent  dans  vos  discours  les  roses  d'une  élo- 
quence mondaine. . . .  Pour  moi,  je  suis  près  de  ma  fin  ;  mais  je 
ne  croirai  pas  mourir  entièrement,  parce  que  je  vivrai  en  vous 
et  que  je  vous  laisserai  à  l'Église....  Oh!  si  Dieu  voulait  que 
j'eusse  la  consolation  de  vous  embrasser!  Mais  je  fais  en  es- 
prit ce  que  je  ne  puis  faire  autrement.  J'honore  et  j'embrasse, 
en  présence  de  Jésus-Christ,  «non  plus  un  préfet  de  la  républi- 
que, mais  un  évêque  de  l'Église,  qui  est  mon  fils  par  son  âge, 
mon  frère  par  sa  dignité  et  mon  père  par  ses  mérites.  » 


(t)  Lupi  Epist.,  t.  V  Spicil  ,  p.  579. 


22  histoire  de  l'Église  catholiqve  [472] 

Une  lettre  d'un  style  si  noble  et  d'un  si  bon  goût  nous  fait 
regretter  de  n'avoir  pas  d'autres  ouvrages  de  S.  Loup.  On  ne 
s'étonnera  pas  qu'un  homme  si  éloquent  ait  pu  calmer  les  fu- 
reurs du  féroce  Attila. 

Sidoine  répondit  à  S.  Loup  en  des  termes  qui  marquent  bien 
le  respect  dont  il  était  pénétré  pour  sa  sainteté  et  son  mérite  : 
«  Béni  soit,  dit-il  (1),  l'Esprit-Saint  et  le  Père  du  Christ  Dieu 
tout-puissant,  de  ce  que  vous,  qui  êtes  le  père  des  pères, 
l'évêque  des  évêques  et  un  autre  Jacques  (2)  dans  votre  siècle, 
daignez  jeter  les  yeux  sur  tous  les  membres  de  l'Église,  dont 
votre  charité  vous  rend  comme  la  sentinelle.  Vous  êtes  ca- 
pable de  consoler  tous  les  infirmes,  et  vous  méritez  que  tout 
le  monde  vous  consulte.  »  Sidoine  ajoute  que  S.  Loup  est  sans 
contredit  le  premier  de  tous  les  évêques  du  monde  ;  qu'il  est 
la  règle  des  mœurs  et  la  colonne  des  vertus  ;  que  tous  ses  col- 
lègues dans  l'épiscopat  respectent  et  craignent  sa  censure  ;  que 
les  plus  âgés  ne  sont  que  comme  des  enfants  en  comparaison 
de  lui,  qui  avait  déjà  passé  neuf  lustres,  c'est-à-dire  quarante- 
cinq  ans  dans  l'épiscopat  :  ce  qui  montre  que  cette  lettre  fut 
écrite  l'an  472.  Il  n'est  pas  nécessaire  d'avertir  que  ce  ma- 
gnifique éloge  n'est  ici  donné  qu'à  la  sainteté  et  à  l'ancienneté, 
qui  faisaient  regarder  avec  raison  S.  Loup  comme  le  père  et 
le  maître  de  ceux  qui  lui  étaient  égaux  par  leur  rang.  Quand  la 
vertu  soutient  ainsi  l'autorité  que  donne  la  dignité,  elle  lui  im- 
prime un  caractère  digne  de  tous  les  respects. 

Le  portrait  que  l'humilité  de  Sidoine  lui  fait  tracer  de  lui- 
même  dans  cette  lettre,  relève  celui  qu'il  vient  de  tracer  de 
S.  Loup.  «  Je  suis,  lui  dit-il,  le  plus  indigne  des  mortels  :  car 
je  me  vois  obligé  de  prêcher  aux  autres  ce  je  n'ai  pas  le  cou- 
rage de  pratiquer.  Je  me  condamne  par  mes  propres  paroles, 

(1)  Sid.,  1.  VI,  ËP.  i. 

(2)  S.  Clément,  dans  l'inscription  de  sa  première  lettre  à  S.  Jacques  de  Jéru- 
salem, le  nomme  Yévêque  des  évêques  :  c'est  pour  cela  que  Sidoine,  après  avoir 
donné  la  même  qualité  à  S.  Loup,  ajoute  que  c'est  un  autre  Jacques  en  son  siècle. 
Kous  avons  déjà  vu  qu'on  ne  soupçonnait  pas  alors  que  cette  lettre  de  S.  Clément 
fût  supposée. 


[47 2 J  EN  FRANCE.           LIVRE  V.  23 

et,  en  ne  faisant  pas  ce  que  je  commande,  je  dicte  tous  les 
jours  contre  moi  ma  sentence.  Mais  intercédez  pour  moi  au- 
près de  Jésus-Christ  comme  un  autre  Moïse  ;  il  est  plus  ancien 
que  vous,  mais  vous  n'êtes  pas  moins  grand  que  lui.  Priez  le 
Seigneur  qu'il  éteigne  dans  mon  cœur  l'ardeur  de  mes  pas- 
sions, afin  que  je  ne  porte  plus  à  l'autel  un  feu  étranger  et  pro- 
fane. »  Sidoine  ne  tarissait  point  sur  les  louanges  de  S.  Loup. 
Il  répète  encore  dans  une  autre  lettre  (1)  que  c'est  sans  contre- 
dit le  plus  grand  évêque  des  Gaules. 

S.  Loup  méritait  cet  éloge  autant  par  ses  talents  et  ses  ver- 
tus que  par  son  ancienneté  dans  l'épiscopat.  Il  avait  un  goût 
sûr  dans  les  ouvrages  de  l'esprit,  et  les  auteurs  ne  redoutaient 
pas  moins  sa  censure  que  les  pécheurs.  Il  était  surtout  versé 
dans  les  saintes  lettres.  Le  comte  Arbogaste  (2),  qui  savait  aussi 
bien  manier  la  plume  que  l'épée,  s'étant  adressé  à  Sidoine 
pour  avoir  l'explication  de  quelques  endroits  de  l'Écriture,  ce 
savant  évêque  le  renvoya  à  S.  Loup  de  Troyes  et  à  S.  Auspice 
de  Toul.  On  prétend  qu'Attila,  par  estime  pour  S.  Loup,  l'em- 
mena avec  lui  jusqu'au  Rhin,  et  que  ce  saint  évêque,  à  son  re- 
tour, demeura  quelques  années  dans  une  solitude  hors  de  la 
ville  de  Troyes.  Il  mourut  saintement  vers  l'an  479,  après  cin- 
quante-deux ans  d'épiscopat.  On  célèbre  sa  fête  le  29  juillet. 
L'église  où  il  repose  fut  jusqu'à  la  révolution  de  1789  un  mo- 
nastère de  chanoines  réguliers.  On  met  au  nombre  des  dis- 
ciples de  S.  Loup  S.  Gamélien,  qui  fut  son  successeur;  S.  Aven- 
tin,  qui  fut  son  domestique  ;  S.  Sévère  de  Trêves,  S.  Polychrone 
de  Toul,  S.  Albin  ou  Alpin  de  Chàlons- sur-Marne.  Il  faut  en- 
core compter  parmi  eux  Némorius ,  diacre,  dont  XeMarUjroloye 
romain  fait  mention  le  7  septembre ,  comme  ayant  souffert  le 

(1)  Le  P.  Mabillon  ctît  que  Sidoine  écrit  de  S.  Loup,  dans  la  même  lettre,  qu'iV 
s'appliquait  surtout  à  l'étude  de  la  religion  et  qu'il  cherchait  plus  la  moelle  des  pensées 
que  l  écume  des  mots.  Ce  savant  écrivain  se  trompe  :  c'est  d'Himérius,  disciple  de 
S.  Loup,  et  non  de  S.  Loup  lui-même,  que  Sidoine  fait  cet  éloge  :  la  suite  de  la 
lettre  le  démontre.  Savaron  croit  sans  fondement  que  cet  Himérius  e?t  le  même  que 
v.  Camélien. 

(2)  Sidon.,  h  IX,  Ep.  xi  ;  h  IV,  Ep.  xvn. 


24  HISTOIRE  DE  //ÉGLISE  CATHOLIQUE  [472] 

martyre  à  Troyes  sous  Attila  avec  quelques  autres  compa- 
gnons. Ces  saints  étaient  apparemment  du  nombre  des  dé- 
putés que  S.  Loup  envoya  à  Attila,  et  que  ce  barbare  fît  mettre 
à  mort,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut. 

S.  Loup  eut  la  consolation  de  voir  avant  sa  mort  que  Si- 
doine remplissait  parfaitement,  par  sa  conduite,  les  grandes 
espérances  qu'il  avait  conçues  d'un  épiscopat  qui  fut  si  glo- 
rieux pour  l'Église  gallicane.  Sidoine  avait  en  effet  toutes  les 
qualités  qui  font  un  grand  homme,  avec  tous  les  talents  et 
toutes  les  vertus  qui  font  un  grand  et  saint  évêque.  On  ad- 
mirait son  érudition  et  son  esprit,  on  aimait  sa  bonté,  on  se 
fiait  à  sa  prudence,  on  respectait  son  illustre  naissance,  qui, 
jointe  à  sa  dignité,  lui  donnait  la  plus  grande  autorité  ;  mais  il 
était  rarement  obligé  de  commander  :  son  éloquence  persua- 
dait assez.  Une  insigne  piété  rehaussait  le  prix  de  tous  ces 
talents  par  le  saint  usage  qu'elle  lui  en  faisait  faire.  Sidoine 
se  distingua  surtout  par  une  tendre  compassion  pour  les  pau- 
vres :  vertu  assez  rare  en  ceux  qui  ont  été  élevés  dans  le 
luxe  et  clans  la  grandeur.  Etant  encore  laïque,  il  donnait  sou- 
vent aux  pauvres  des  vases  d'argent  de  sa  vaisselle,  afin  que 
sa  femme,  venant  à  l'apprendre,  les  rachetât  d'eux  et  leur  en 
payât  le  prix.  Il  fît  particulièrement  éclater  sa  libéralité  dans 
une  famine  qui  affligea  le  royaume  de  Bourgogne,  ravagé  par 
les  Yisigoths  (1).  , 

La  charité  pour  les  malheureux  était  comme  héréditaire 
dans  cette  illustre  famille.  Ecdice,  beau-frère  de  Sidoine, 
porta  encore  plus  loin  que  lui  l'héroïsme  de  cette  vertu  pen- 
dant la  môme  calamité.  Non  content  de  recevoir  et  de  nourrir 
tous  les  mendiants  qui  se  présentaient,  il  envoya  ses  ser- 
viteurs avec  des  chevaux  et  des  chariots  par  les  villes  et  les 
bourgades,  avec  ordre  de  lui  amener  tous  les  pauvres  qu'on 
pourrait  y  trouver.  Il  en  ramassa  ainsi  plus  de  quatre  mille, 
qu'il  nourrit  pendant  tout  le  temps  de  la  famine ,  et  quand 


(I)  (Jreg.  Tur..  1.  II,  c.  xxu. 


[472]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  25 

l'abondance  fut  revenue,  il  les  fit  reconduire  dans  les  lieux  où 
on  les  avait  pris.  Le  Seigneur  ne  se  laissa  pas  vaincre  en  libé- 
ralité ,  et  ce  qu'Ecdicc  lui  avait  donné  dans  la  personne  des 
pauvres,  il  le  lui  rendit  comme  au  centuple,  le  comblant  lui 
et  sa  famille  des  plus  abondantes  bénédictions  (1).  Donner  aux 
pauvres,  c'est  prêter  à  intérêt  à  Dieu  même  (2). 

S.  Patient,  alors  évêque  de  Lyon  et  successeur  de  S.  Yéran, 
ne  se  distingua  pas  moins  par  sa  généreuse  charité  à  soulager 
les  indigents  dans  ces  temps  de  misère.  Il  étendit  ses  aumônes 
aux  provinces  les  plus  éloignées,  et  fît  amener  une  grande 
quantité  de  blé  par  la  Saône  et  le  Rhône  pour  la  subsistance 
des  pauvres.  Il  en  envoya  à  Arles,  à  Riez,  à  Avignon,  à  Orange, 
à  Viviers  (3),  à  Valence  et  à  Trois-Châteaux.  Il  en  fit  même 
passer  dans  l'Auvergne,  et  S.  Sidoine  en  témoigna  sa  recon- 
naissance par  une  lettre  qu'il  lui  écrivit  à  ce  sujet:  «  D'autres, 
dit-il,  feront  consister  la  félicité  en  d'autres  choses.  Pour  moi 
j'estime  que  l'homme  le  plus  heureux  est  celui  qui  vit  pour 
le  bonheur  d'autrui,et  qui,  en  compatissant  aux  calamités  des 
fidèles,  fait  sur  la  terre  les  œuvres  du  ciel.  C'est  de  vous  que 
je  parle,  très-heureux  pontife.  Vous  ne  vous  contentez  pas  de 
soulager  les  misères  que  vous  connaissez  :  votre  charité  ingé- 
nieuse va  les  chercher  jusqu'aux  extrémités  des  Gaules.  Vous 
essuyez  souvent  les  larmes  de  ceux  dont  vous  n'avez  pas  vu 
les  yeux.  »  Il  dit  ensuite  qu'il  passe  sous  silence  la  sobriété 
de  S.  Patient,  son  zèle  pour  la  conversion  des  Bourguignons 
ariens  et  sa  magnificence  à  bâtir  des  églises ,  parce  que  ces 
vertus  peuvent  lui  être  communes  avec  d'autres  évêques  ; 
que  ce  qui  lui  est  propre,  c'est  d'avoir  envoyé  dans  toutes  les 
Gaules,  et  même  en  Italie,  des  secours  pour  soulager  la  mi- 

(1)  .Greg.  Tur.,  c.  xxtv.  —  (2)  Proverb.  xix,  17. 

(3)  11  y  a  dans  le  texte  de  Sidoine  :  Âlbensis  urbis,  qui  signifie  Viviers  ,  nommé 
par  les  anciens  Alba  Hehiorum.  Pascal  II  le  dit  en  termes  formels  :  Alba  quœ  et 
Vivarium  dvitur.  (Pascal,  ad  Guid.  Vienn.)  —  Fleury,  t.  VI,  p.  580,  a  cependant 
rendu  Albensis  urbs  par  Albi:  il  y  a  ici  une  faute,  aussi  bien  que  dans  ceux  qui 
ont  traduit  Aubenas.  Le  nom  latin  à' Albi  est  Albiga  ou  Albia  ;  et  celui  d'Aubenas 
Albenacum  ou  Albenasium. 


26  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [473] 

sère  publique.  En  cela  il  le  compare  au  Triptolème  (1)  de  la 
fable,  et  plus  convenablement  au  patriarche  Joseph.  Il  attribue 
cette  famine  aux  ravages  des  Yisigoths  ,  qui  avaient  brûlé  les 
moissons  (2). 

En  effet,  la  principale  cause  de  ces  calamités  fut  l'ambition 
d'E varie,  qui  le  porta  à  tenter  la  conquête  du  reste  des  Gaules. 
La  faiblesse  de  l'empire  romain  semblait  assez  l'y  inviter. 
L'empereur  Anthémius  avait  été  tué  l'an  472.  Olybrius  mou- 
rut après  quelques  mois  de  règne.  Glycérius,  qui  lui  succéda, 
fut  déposé  peu  de  temps  après  :  et  tant  de  révolutions  et  de 
malheurs  ne  guérissaient  point  de  la  passion  de  régner.  On  eût 
dit  que  l'ambition  des  prétendants  croissait  avec  le  danger  de 
posséder  l'empire  et  avec  les  misères  dont  il  était  accablé. 

Evaric  profita  donc  des  circonstances  pour  étendre  sa  do- 
mination. Il  avait  déjà  ajouté  à  ses  anciens  États  Narbonne  et 
une  grande  partie  de  la  Provence  et  de  la  Touraine.  Il  voulut 
y  joindre  l'Auvergne  et  y  porta  la  guerre.  MaisEcdice,  animé 
par  son  beau-frère  Sidoine,  défendit  généreusement  sa  patrie. 
Ayant  levé  des  troupes  à  ses  dépens,  il  battit  plusieurs  fois 
les  barbares ,  et  dans  une  rencontre  il  en  défit  plusieurs  mille 
avec  dix-huit  de  ses  plus  braves  cavaliers.  Les  habitants  de 
la  ville  d'Auvergne ,  animés  par  l'évêque  et  le  général ,  sou- 
tinrent avec  tant  de  courage  les  assauts  et  les  extrémités  d'un 
siège  pendant  l'hiver,  qu'ils  obligèrent  Evaric  à  le  lever  (3). 

Ce  prince  arien  faisait  encore  de  plus  grands  ravages  dans 
l'Eglise.  Passionné  pour  sa  secte,  il  croyait  devoir  la  prospé- 
rité de  ses  armes  à  ce  prétendu  zèle,  et  il  se  faisait  un  point 
de  religion  de  persécuter  les  catholiques  de  ses  États.  Pour 
faire  plus  aisément  perdre  la  foi  aux  peuples,  il  commençait 
par  leur  enlever  leurs  pasteurs.  Il  exilait  les  évêques  ou  il 

(1)  On  prétend  que  Triptolème  apprit  le  premier  aux  Grecs  à  cultiver  la  terre 
et  à  semer  le  blé.  Pour  enseigner  un  art  si  nécessaire,  il  parcourut,  dit-on,  divers 
pays  avec  deux  vaisseaux,  que  la  fable  n'a  pas  manqué  de  métamorphoser  en  dra- 
gons volants,  comme  le  remarque  Sidoine  au  même  endroit. 

(2)  lbid,—  (i)  Sid.,  1.  III,  Ep.  m;  1.  VII,  Ep.  vi  et  vu. 


[473j  EX  FRANCK.    LIVRE  V.  27 

les  faisait  cruellement  mourir  sous  quelque  prétexte  ,  et  dé- 
fendait qu'on  en  ordonnât  d'autres  à  la  place  de  ceux  qui 
étaient  morts.  Bordeaux ,  Périgueux  ,  Rodez  ,  Limoges , 
Mende,  Eauze,  Basas  (1),  Gomminges ,  Auch,  et  plusieurs 
autres  villes  étaient  sans  évêques.  Les  églises  tombaient  en 
ruine ,  on  en  avait  arraché  les  portes  et  on  avait  bouché 
avec  des  épines  l'entrée  de  plusieurs.  Les  bestiaux  couchaient 
dans  les  vestibules  des  lieux  saints,  et  ils  allaient  quelquefois 
brouter  l'herbe  qui  croissait  autour  des  autels  abandonnés. 
Ge  n'était  pas  seulement  dans  les  églises  de  la  campagne  que 
régnait  cette  solitude  :  celles  des  villes  n'étaient  guère  plus 
fréquentées  (2).  Ainsi  la  foi  s'affaiblissait  tous  les  jours,  et 
l'arianisme  s'établissait  au  milieu  des  Gaules  sur  les  ruines  de 
la  catholicité. 

Sidoine  nous  fait  cette  triste  peinture  des  maux  dont  il  était 
témoin.  Grégoire  de  Tours  y  ajoute  des  traits  encore  plus 
odieux  de  la  tyrannie  d'Evaric.  Que  ne  devait-on  pas  attendre 
de  la  cruauté  d'un  prince  qui  avait  trempé  ses  mains  dans  le 
sang  d'un  roi  son  frère?  Ge  tyran  fit  mourir  dans  les  tour- 
ments plusieurs  de  ceux  qui  refusèrent  d'embrasser  sa  doc- 
trine impie  (3).  On  range  au  nombre  de  ces  martyrs  les  saints 
évêques  Valère  d'Antibes ,  Gratien  de  Toulon  ,  Deutérius 
de  Nice  et  Léonce  de  Fréjus,  qui  doit  être  distingué  de  celui 
dont  nous  avons  parlé  ci-dessus.  On  désigne  comme  premier 
évêque  d'Antibes  S.  Armentaire.  Nous  avons  remarqué 
ailleurs  que  le  siège  épiscopal  de  cette  ville  avait  été  transféré 
à  Grasse  (4). 

Pendant  cette  persécution  d'Evaric,  Euladius,  qui  avait 
succédé  à  S.  Léon  dans  le  siège  de  Bourges,  vint  à  mourir 
avant  que  cette  ville  fût  soumise  aux  Yisigoths.  Après  sa 

(1)  Nous  ne  trouvons  pas  d'évêque  de  Basas  avant  Sextilius,  qui  assista  en  506 
au  concile  d'Agde  ;  ni  de  Comminges  avant  Suavis,  qui  se  trouva  au  même  con- 
cile. Mais  on  voit,  par  cette  lettre  de  Sidoine,  que  ces  villes  avaient  eu  des  évê- 
ques avant  cette  époque. 

(2)  Sid.,  1  VII,  Ep.  vi,  ad  Basilium.—  (3)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxv.—  (4)  An- 
telm.,  de  Init.  Eccl.  Forojul. 


28  HISTOIRE  DE  l'ÉGLISE  CATHOLIQl  E  [473] 

mort  il  y  eut  de  grandes  brigues  et  de  puissantes  factions 
pour  l'élection.  Les  citoyens  partagés  appelèrent  S.  Sidoine, 
premier  suffragant  de  cette  métropole  de  la  première  Aqui- 
taine, et,  comme  ils  ne  pouvaient  s'accorder  entre  eux,  ils  con- 
vinrent de  le  rendre  seul  arbitre  de  l'élection  et  ils  firent 
par  écrit  un  compromis  par  lequel  il  s'en  rapportaient  à  son 
choix. 

Les  autres  évèques  de  la  province  ne  purent  se  rendre  à 
Bourges ,  soit  parce  qu'ils  étaient  sous  la  domination  d'E va- 
rie ,  à  qui  l'Auvergne  n'était  pas  encore  soumise  ;  soit  parce 
qu'en  effet  la  plupart  des  villes  de  la  première  Aqui  taine , 
comme  Rodez  ,  Limoges  ,  Mende  ,  étaient  sans  évèques. 
S.  Sidoine,  pour  y  suppléer,  invita  des  évèques  des  autres  pro- 
vinces à  se  rendre  à  Bourges  pour  assister  à  l'élection.  Il 
écrivit  à  ce  sujet  à  Agrèce  de  Sens  et  à  S.  Euphrone  d'Autun. 

Il  mande  à  Agrèce  qu'il  a  trouvé  la  ville  en  proie  à  toutes 
sortes  de  brigues  ;  que  plusieurs  se  présentaient  effrontément 
pour  être  élus  ;  que  tout  était  fardé  et  dissimulé ,  excepté  l'im- 
pudence, qui  se  montrait  à  découvert;  que  plusieurs  des 
prétendants  portaient  l'effronterie  jusqu'à  offrir  de  l'argent 
pour  obtenir  cette  sainte  dignité.  «  Il  y  aurait  longtemps,  lui 
dit-il ,  qu'on  aurait  mis  l'épiscopat  à  l'encan  si  l'on  trouvait 
des  vendeurs  aussi  aisément  qu'on  trouve  des  acheteurs.  » 
C'est  pourquoi  il  le  conjure  de  venir  le  soutenir  de  son  auto- 
rité et  de  ne  point  s'excuser  sur  la  diversité  des  provinces  , 
parce  qu'il  ne  peut  être  assisté  de  ses  évèques  suffragants  qui 
sont  tous  soumis  aux  Goths ,  excepté  l'Auvergne  qui  obéit 
encore  aux  Romains.  «  Si  vous  venez,  lui  dit-il,  vous  ferez 
voir  qu'on  a  pu  mettre  des  bornes  à  votre  province,  mais 
qu'on  n'en  a  pu  mettre  à  votre  charité  (1).  >• 

Sidoine  prie  S.  Euphrone,  au  cas  où  il  ne  pourrait  se 
rendre  à  Bourges,  de  lui  mander  son  sentiment  à  l'égard  de 
Simplice ,  que  le  peuple  de  cette  ville  demandait  pour  son 


(!)  L.  VII,  Ep.  v,  ad  Ajrœcivm. 


[473]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  29 

évêque.  «  Sachez,  lui  dit-il,  que  plusieurs  personnes  ver- 
tueuses m'ont  dit  beaucoup  de  bien  de  lui.  Ces  témoignages 
m'étaient  d'abord  suspects,  parce  qu'ils  paraissaient  donnés 
à  la  faveur.  Mais  quand  j'ai  vu  que  ses  envieux,  la  plupart 
ariens,  étaient  réduits  au  silence,  j'en  ai  conclu  qu'il  fallait 
que  ce  fût  un  homme  bien  accompli ,  puisque  les  méchants 
ne  pouvaient  en  parler  ni  les  gens  de  bien  s'empêcher  d'en 
faire  l'éloge  (1). 

Àgrèce  se  rendit  à  Bourges  avec  quelques  autres  évèques. 
Sidoine,  ayant  pris  leur  avis,  convoqua  le  peuple  dans  l'église, 
et  prononça  un  discours  pour  faire  connaître  celui  qu'il  avait 
choisi  pour  l'épiscopat  selon  le  compromis.  Cette  pièce  est 
fort  éloquente,  quoiqu'il  assure  qu'elle  ne  lui  a  coûté  que 
quelques  heures  de  méditation. 

Il  se  plaint  d'abord  de  ce  qu'on  l'a  chargé  d'une  commis- 
sion si  délicate  dans  les  commencements  de  son  épiscopat ,  et 
il  fait  sentir  qu'il  est  impossible  de  faire  un  choix  agréable 
à  tout  le  monde.  «  Si  je  nomme  un  moine,  dit-il  (2),  fùt-il 
comparable  aux  Paul,  aux  Antoine,  aux  Hilarion  et  aux  Ma- 
caire,  j'entends  aussitôt  résonner  à  mes  oreilles  les  murmures 
bruyants  d'une  foule  de  pygmées  ignorants  qui  s'écrient  : 
Celui  qu'on  nomme  remplit  les  fonctions  non  d'un  évêque, 
mais  d'un  abbé  :  il  est  bien  plus  propre  à  intercéder  pour  le 
salut  des  âmes  auprès  du  Juge  céleste  que  pour  la  vie  du  corps 
auprès  des  juges  de  la  terre.  Qui  ne  serait  profondément  irrité, 
en  voyant  les  plus  sincères  vertus  représentées  comme  des 
vices?  Si  nous  choisissons  un  homme  humble,  on  l'appel- 
lera vil  et  abject  ;  si  nous  en  proposons  un  d'un  caractère 
fier,  on  le  traitera  d'orgueilleux  ;  si  nous  prenons  un  homme 
peu  éclairé,  son  ignorance  le  fera  passer  pour  ridicule;  si  au 
contraire  c'est  un ^savant,  sa  science  le  fera  regarder  comme 
un  orgueilleux  ;  s'il  est  sévère,  on  le  haïra  comme  cruel  ;  s'il 

(1)  L.  VII,  Ep.  ix.  —  (2)  Sidon.  Concio.,  1.  VII,  post  Ep.  ix.  —  Ap.  Baron., 
an.  472,  n.  20. 


30  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [473] 

est  indulgent,  on  l'accusera  de  faiblesse  ;  s'il  est  simple,  on 
le  dédaignera  comme  une  brute;  s'il  est  plein  de  pénétration, 
on  le  rejettera  comme  rusé  ;  s'il  est  exact,  on  le  traitera  de 
minutieux;  s'il  est  facile,  on  l'appellera  négligent;  s'il  a 
l'esprit  fin,  on  le  déclarera  ambitieux;  s'il  a  du  calme,  on  le 
tiendra  pour  paresseux;  s'il  est  sobre,  on  le  prendra  pour 
avare  ;  s'il  mange  pour  se  nourrir,  on  l'accusera  de  gourman- 
dise ;  s'il  jeûne,  on  le  taxera  de  vanité.  Ainsi,  de  quelque 
manière  que  l'on  vive ,  la  bonne  conduite  et  les  bonnes 
qualités  seront  livrées  aux  langues  acérées  des  médisants, 
semblables  à  des  hameçons  à  deux  crochets.  Et,  de  plus,  le 
peuple  dans  son  obstination  et  les  clercs  dans  leur  indoci- 
lité ne  se  soumettront  que  difficilement  à  la  discipline  ecclé- 
siastique. 

«  Si  je  nomme  un  clerc,  ceux  qui  le  suivent  dans  le  clergé 
en  seront  jaloux;  ceux  qui  le  précèdent,  refuseront  de  lui 
obéir.  11  y  a  même  quelques  personnes  du  clergé  qui  veulent 
que  dans  le  choix  d'un  évêque  on  n'ait  égard  qu'à  l'âge, 
comme  si  avoir  longtemps  vécu  ,  plutôt  qu'avoir  bien  vécu , 
était  un  titre  qui  seul  tînt  lieu  de  toutes  les  qualités  néces- 
saires pour  mériter  l'épiscopat.  On  voudrait  gouverner  l'Église 
dans  un  âge  où  l'on  aurait  besoin  soi-même  d'être  gou- 
verné par  les  autres.  Si  je  nomme  un  homme  qui  ait  servi 
dans  la  profession  des  armes ,  on  s'écriera  assitôt  :  Sidoine 
en  agit  ainsi  parce  qu'il  a  été  lui-même  tiré  d'entre  les  laï- 
ques pour  être  élevé  à  l'épiscopat  :  il  est  enflé  de  ses  digni- 
tés ,  il  méprise  les  pauvres  de  Jésus-Christ.  » 

Après  avoir  pris  ensuite  le  Saint-Esprit  à  témoin  que  dans 
le  choix  qu'il  va  faire  il  n'a  égard  ni  à  l'argent  ni  à  la 
faveur,  il  déclare  que  Simplice  lui  paraît  le  plus  propre  à 
remplir  dignement  le  siège  métropolitain  de  Bourges.  Il 
fait  un  bel  éloge  de  sa  noblesse,  de  ses  talents  et  de  sa 
piété.  «  L'esprit,  dit-il,  le  dispute  en  lui  à  l'érudition;  il  a  en 
même  temps  la  vigueur  de  la  jeunesse  et  la  prudence  de 
la  vieillesse.  »  Il  ajoute  que  Simplice  avait  été  délivré  mira- 


[473]  ES  FRANCE.  —  LIVRE  V.  31 

culeusement  de  la  prison  où  les  barbares  le  détenaient  ; 
qu'il  avait  été  plusieurs  fois  député  pour  les  intérêts  de  la 
patrie  vers  les  empereurs  et  vers  les  rois  goths  ;  qu'étant  en- 
core jeune  il  avait  bâti  une  église  à  Bourges,  et  que  le 
peuple  de  cette  ville  l'avait  demandé  autrefois  pour  évêque 
préférablement  à  son  père  et  à  son  beau-père,  mais  qu'il 
aima  mieux  être  honoré  par  la  dignité  de  ses  parents  :  ce  qui 
montre  que  le  père  et  le  beau-père  de  Simplice  avaient  été 
évêques  de  Bourges.  Pallade  était  son  beau-père  ,  Eulaclius 
son  père  et  son  prédécesseur.  Enfin  Sidoine  fait  aussi  l'éloge 
des  enfants  et  de  la  femme  de  Simplice  ;  après  quoi  il  finit 
en  disant  :  «  Gomme  vous  avez  juré  que  dans  cette  élection 
vous  vous  en  tiendriez  à  mon  avis,...  au  nom  du  Père,  et  du 
Fils,  et  du  Saint-Esprit,  Simplice  est  celui  que  je  déclare 
devoir  être  le  métropolitain  de  notre  province  et  l'évêque  de 
votre  ville.  »  Simplice  justifia  parfaitement,  par  sa  conduite, 
le  choix  de  Sidoine  :  il  est  honoré  comme  saint  le  premier 
jour  de  mars,  et  on  donne  la  même  qualité  à  Pallade,  son 
beau-père. 

S.  Perpétue  de  Tours  pria  Sidoine  de  lui  envoyer  le 
discours  qu'il  avait  prononcé  dans  cette  circonstance,  afin 
d'en  enrichir  sa  bibliothèque.  Sidoine  se  rendit  à  son  dé- 
sir par  une  lettre  où  il  parle  encore  des  brigues  dont  il 
avait  eu  à  se  défendre.  «  Deux  bancs,  dit-il,  ne  pouvaient 
contenir  tous  les  prétendants  à  ce  siège.  Tousse  plaisaient 
à  eux-mêmes,  et  aucun  ne  plaisait  à  tous  (1).  »  Nous  n'avions 
pas  encore  vu,  dans  cette  histoire,  la  brigue  et  la  simonie  se 
montrer  avec  si  peu  de  pudeur  pour  obtenir  ou  même  ache- 
ter l'épiscopat.  Mais  comme  l'ambition  pour  les  dignités 
saintes  est  la  plus  criminelle  et  la  plus  vive,  elle  est  aussi 
la  plus  aveugle  :  car  briguer  ces  places ,  c'est  par  là  même 
s'en  déclarer  indigne. 

Sidoine  nous  apprend  qu'il  y  eut  aussi  de  scandaleuses 


(l)  Sid.,1.  VII,  Ep.  ix. 


32  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

intrigues  à  Chalon-sur-Saône  pour  l'élection  du  successeur 
de  l'évêque  Paul,  surnommé  le  Jeune.  S.  Patient  de  Lyon,  s'y 
étant  rendu  avec  les  évêques  de  la  province,  trouva  la  ville 
divisée  en  trois  factions  en  faveur  de  trois  compétiteurs. 
Le  premier  vantait  sa  noblesse  et  prétendait  qu'elle  devait 
lui  tenir  lieu  d'une  vie  sainte  et  des  autres  qualités  qui  lui 
manquaient.  Le  second  avait  toujours  une  table  bien  servie 
et  s'était  attaché  un  grand  nombre  d'amis  par  la  bonne  chère 
qu'il  leur  faisait  faire.  Le  troisième  avait  acheté  les  suffrages 
en  promettant  de  céder  une  partie  des  biens  de  l'Église  à  ceux 
qui  lui  donneraient  leurs  voix. 

S.  Patient  et  S.  Euphrone,  qui  s'étaient  rendus  à  Ghalon, 
voyant  des  hommes  si  indignes  sur  les  rangs,  communiquè- 
rent secrètement  leur  dessein  aux  autres  évêques ,  et,  sans 
craindre  les  murmures  d'une  populace  aveugle,  ils  prirent 
le  prêtre  Jean  (1),  qui  avait  été  longtemps  archidiacre,  lui 
imposèrent  les  mains  et  l'ordonnèrent  évêque,  aux  acclama- 
tions de  tous  les  gens  de  bien  et  sans  que  les  méchants 
osassent  se  récrier  (2).  Ces  évêques  ne  croyaient  donc  pas  que 
le  suffrage  du  peuple  fût  essentiel  à  l'élection. 

On  voit  par  cet  exemple  que  les  Bourguignons,  sous  la  do- 
mination desquels  était  Ghalon,  laissaient  aux  évêques  la 
liberté  de  s'assembler  pour  les  élections.  Il  était  cependant 
arrivé  dans  ce  royaume  une  révolution  peu  favorable  à  la 
religion.  Gundéric,  qui  parait  avoir  été  catholique,  étant  mort 
en  473,  ses  quatre  fils  :  Gondebaud,  Godégisile,  Ghilpéric  et 
Godomare ,  partagèrent  son  royaume  ;  mais  bientôt  après 
Gondebaud,  qui  était  arien,  ayant  fait  mourir  Ghilpéric  et 
Godomare  ,  régna  seul  avec  Godégisile  et  établit  le  siège 
de  son  royaume  à  Lyon.  S.  Patient,  évêque  de  cette  ville, 

(1)  Sidoine  fait  un  bel  éloge  de  la  piété  de  Jean,  évêque  de  Chalon.  Nous  con- 
naissons peu  ses  prédécesseurs;  mais  ce  que  dit  Sidoine,  qu'il  succéda  à  Paul  le 
Jeune,  nous  apprend  qu'il  y  eut  dans  ce  siège  un  autre  Paul  plus  ancien.  L'Eglise 
de  Chalon  honore  S.  Jean  le  30  avril  avec  plusieurs  autres  de  ses  évêques ,  dont 
on  assure  que  le  pape  Jean  VIII  permit  de  faire  la  fête. 

(2)  Sid.,  1.  IV,  Ep.  xxv. 


[474]  EN  FRAiXCE.    LIVRE  V.  33 

gagna  par  ses  vertus  l'estime  et  l'amitié  du  prince  bourgui- 
gnon, qui  lui  faisait  quelquefois  l'honneur  de  manger  à  sa 
table,  et  le  saint  évêque,  en  le  traitant  splendidement,  savait 
si  bien  garder  les  règles  de  la  sobriété,  que,  tandis  que  le  roi 
louait  la  magnificence  de  sa  table,  la  reine  (1)  admirait  la 
rigueur  de  son  abstinence  (2). 

La  piété  libérale  et  magnifique  de  S.  Patient  éclata  par- 
ticulièrement dans  la  construction  d'une  des  plus  belles 
églises  des  Gaules,  qu'il  fit  bâtir  à  Lyon.  Il  pria  S.  Sidoine 
de  faire  une  inscription  pour  le  frontispice,  et  Sidoine  la 
fit  en  vers  her;décasyllabes  (3).  On  voit,  par  le  texte  de  cette 
inscription,  que  cette  église  était  tournée  à  l'orient  de  Fé- 
quinoxe,* selon  la  coutume  observée  dans  presque  toutes 
les  anciennes  églises  des  chrétiens  (4)  ;  que  le  lambris  était 
orné  de  lames  d'or;  la  voûte,  le  pavé,  les  fenêtres  revêtus 
de  marbres  de  diverses  couleurs  ;  qu'elle  avait  trois  por- 
tiques ornés  d'un  grand  nombre  de  colonnes  de  marbre 
d'Aquitaine,  c'est-à-dire  des  Pyrénées,  et  qu'elle  était  située 
entre  la  Saône  et  le  grand  chemin  :  ce  qui  fait  croire 
qu'il  s'agit  ici  de  l'église  de  Saint-Étienne. 

Deux  autres  poètes  célèbres  dans  ce  temps-là,  Secondin 
et  Constance,  firent  aussi  pour  la  même  église  des  inscrip- 
tions qui  furent  placées  sur  les  murailles  des  deux  côtés  de 
l'autel.  Sidoine  loue  ailleurs  Secondin  comme  un  poëte 
excellent ,  qui  réussissait  surtout  dans  la  satire ,  et  il 
nomme  son  style  mordant  une  éloquence  poivrée  (5). 

Constance  était  encore  plus  célèbre.  C'était  un  prêtre 
de  l'Église  de  Lyon,  fort  distingué  par  sa  prudence,  sa 
piété  et  son  éloquence.  Pendant  qu'E varie  ravageait  l'Au- 

(1)  Cette  pieuse  reine  était  apparemment  la  princesse  Caréténé,  que  nous  savons 
avoir  été  fort  zélée  catholique.  Elle  était  alors  à  la  cour  de  Bourgogne,  et  pouvait 
être  la  femme  de  Gondebaud  ou  de  quelqu'un  de  ses  frères. 

(2)  Sid.,  1.  VI,  Ep.  xii.  —  (3)  Sid.,  1.  II,  Ep.  x. 

(4)  Les  chrétiens  d'Antioche  avaient  un  usage  différent,  et  qui  leur  était  par- 
ticulier :  ils  tournaient  leurs  églises  vers  l'occident. 

(5)  Sid.,  1.  V,  Ep.  vin. 

TOME  II.  3 


34  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

vergne  et  assiégeait  la  ville  capitale,  ce  qu'il  fit  à  plusieurs 
reprises,  Constance,  ayant  appris  que  les  citoyens  y  étaient 
divisés  en  deux  factions,  et  qu'une  partie  avait  abandonné  la 
ville  à  demi  ruinée,  s'y  rendit  en  diligence,  et  par  son  auto- 
rité et  ses  sages  conseils  il  apaisa  en  peu  de  jours  ces  dis- 
sensions intérieures  et  réunit  les  habitants  contre  l'ennemi 
commun  (1).  C'est  lui  qui  composa  la  Vie  de  S.  Germain 
d'Auxerre,  dont  nous  avons  donné  des  extraits  si  édifiants.  Il 
la  dédia  à  S.  Patient  de  Lyon  et  à  S.  Censurius,  évêque 
d'Auxerre  ,  honoré  le  10  juin.  Il  se  trouva  un  grand 
nombre  d'évêques  à  la  dédicace  de  l'église,  de  Lyon.  La 
fête  dura  une  semaine,  et  Fauste  de  Riez  y  prêcha  de 
manière  à  mériter  de  grands  applaudissements  (2). 

Ce  fut  à  la  prière  de  Constance  que  Sidoine  publia  le 
recueil  de  ses  lettres,  en  exigeant  de  lui  qu'il  les  revît  au- 
paravant et  qu'il  les  corrigeât  (3).  Il  n'en  publia  d'abord 
que  sept  livres.  Le  succès  de  l'ouvrage  et  les  prières  de  ses 
amis  l'engagèrent  à  en  donner  deux  autres  :  il  le  fit  aussi 
pour  imiter,  dans  le  nombre  de  livres  de  ses  lettres,  Pline 
le  Jeune,  dont  il  s'était  efforcé  de  prendre  le  style.  Les 
lettres  de  S.  Sidoine  sont  pleines  de  sentiments  de  religion, 
de  pensées  ingénieuses,  de  tours  d'éloquence  et  de  traits 
d'érudition.  On  s'aperçoit  que  c'est  la  piété  jointe  à  l'es- 
prit qui  les  lui  a  dictées,  surtout  celles  qui  ont  été  écrites 
depuis  son  épiscopat. 

Nous  ne  devons  pas  omettre  que  S.  Sidoine  fait  dans  une 
de  ses  lettres  un  bel  éloge  de  la  piété,  de  la  charité  et 
de  la  mortification  d'une  sainte  veuve  d'Auvergne,  nom- 
mée Eutropie,  à  qui  un  prêtre  adonné  à  la  chicane  in- 
tentait un  procès  (4).  Il  s'agissait  de  la  succession  d'un 
fils  de  cette  dame,  lequel  avait  épousé  la  fille  de  ce  prêtre 
appelé  Agrippin.  S.  Sidoine  s'entremit  pour  les  amener  à  un 

(1)  Sid.,  1.  HI,  Ep.  il.  —  (2)  Sid.,  i.  IX,  Ep.  m.  —  (3)  Sid.,  1.  I,  Ep.  i.  — 
(4)  Sid.,  1.  VI,  Ep.  il. 


[474]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  35 

accommodement ,  ainsi  qu'Eutropie  et  sa  bru  le  désiraient  ; 
mais  le  prêtre,  habile  dans  l'art  de  la  chicane,  ne  voulut  prêter 
l'oreille  à  aucune  transaction.  L'affaire  fut  portée  devant 
l'évêque  Pragmace  :  car  la  charité  rendait  les  évêques  arbitres- 
nés  de  tous  les  différends.  Sidoine,  en  écrivant  à  Pragmace 
à  ce  sujet,  l'avertit  qu'Eutropie  croira  avoir  assez  gagné  si 
elle  évite  un  procès.  Nous  ne  rapportons  ce  fait  que  parce 
qu'on  croit  que  cette  pieuse  dame  est  Ste  Eutropie  dont 
le  Martyrologe  romain  fait  mention  le  15  septembre.  Baro- 
nius  ne  paraît  pas  en  douter  ;  mais  il  ne  se  fonde  que  sur  des 
conjectures. 

Dans  une  autre  lettre,  écrite  à  un  premier  magistrat, 
Sidoine  parle  de  la  confession  des  péchés.  Après  avoir  dit 
que  les  évêques  sont  chargés  de  percer  les  ulcères  secrets 
des  consciences,  il  ajoute  :  «  Il  n'en  est  pas  du  Juge  souve- 
rain du  monde  comme  d'un  président  de  tribunal.  A  votre 
barre  celui  qui  confesse  ses  crimes  est  condamné  ;  mais 
celui  qui,  en  se  confessant  à  nous,  se  confesse  à  Dieu, 
est  absous.  »  Le  reste  de  la  lettre  est  un  reproche  in- 
génieux qu'il  fait  à  ce  magistrat  de  ce  qu'il  semblait  ou- 
blier un  ancien  ami.  «  On  croira,  lui  dit-il,  que  le  plaisir 
de  l'amitié  est  pour  vous  comme  celui  que  donnent  les 
fleurs,  qui  ne  peuvent  plaire  qu'autant  qu'elles  sont  nou- 
velles (1).  >» 

Sidoine  avait  aussi  donné  au  public  un  recueil  de  ses 
poésies,  dont  les  plus  considérables  sont  les  panégyriques 
des  empereurs  Avite,  Majorien  et  Anthémius.  On  sent  qu'il 
avait  du  goût  et  du  génie  pour  la  versification  ;  mais  aussitôt 
qu'il  fut  évêque,  il  y  renonça,  comme  à  un  amusement  dont 
il  ne  lui  était  plus  permis  de  se  faire  une  occupation  :  ce 
sacrifice  coûte  toujours  à  un  bon  poëte,  et  souvent  encore 
plus  à  un  mauvais.  «  Il  est  temps,  écrivait-il  à  un  de  ses  amis, 
de  lire  et  de  composer  des  choses  sérieuses,  et  de  songer  plus 


(1)  L.  IV,  Ep.  xm. 


36  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

à  l'éternité  de  la  vie  qu'à  l'immortalité  de  la  gloire.  Il  faut 
nous  souvenir  que  nous  ne  serons  pas  jugés  d'après  nos  ou- 
vrages à  l'heure  de  notre  mort,  mais  d'  après  nos  Œuvres.  » 
On  voit  par  les  lettres  de  S.  Sidoine  qu'il  était  en  commerce 
avec  les  plus  saints  évêques  (1)  et  les  plus  savants  hommes  de 
son  temps  :  S.  Remi  de  Reims,  S.  Principius  ou  S.  Princes 
de  Soissons,  frère  de  S.  Remi;  Rurice  de  Limoges,  S.  Per- 
pétue de  Tours,  S.  Auspice  de  Toul,  S.  Euphrone  d'Autun, 
Fauste  de  Riez,  S.  Apruncule  de  Langres,  Léonce  d'Arles, 
S.  Marne rt  de  Yienne,  et  Glaudien  Marne rt,  frère  de  ce  saint 

r 

évêque  et  prêtre  de  son  Eglise. 

Ce  dernier  était  un  des  auteurs  les  plus  célèbres  de  son 
siècle.  Quoiqu'il  ne  fût  que  prêtre,  il  partageait  avec  S.  Ma- 
mert,  son  frère,  les  soins  et  les  travaux  de  l'épiscopat.  Il  avait 
pratiqué  quelque  temps  les  exercices  de  la  vie  monastique,  et 
il  avait  profité  du  loisir  que  lui  donnait  la  solitude  pour  se 
rendre  habile  dans  les  belles-lettres  et  dans  les  sciences.  Il 
était  orateur,  poëte,  dialecticien,  géomètre,  musicien,  inter- 
prète de  l'Écriture  et  controversiste(2).  Il  composa  des  offices 
pour  toutes  les  fêtes  de  l'année  et  régla  le  chant  des  psaumes. 
On  le  croit  auteur  de  la  belle  hymne  de  la  Passion  :  Pange, 
lingua,  gloriosi  lauream  certaminis .  Le  caractère  et  l'éloge 
que  fait  Sidoine  d'une  hymne  composée  par  Glaudien  Ma- 
mert  (3),  convient  parfaitement  à  celle-ci,  qui  lui  est  en  effet 
attribuée  par  d'anciens  manuscrits  (4). 

Un  auteur  qui  voulait  garder  l'anonyme ,  mais  que  Gen- 
nade  (5)  nous  apprend  être  Fauste,  évêque  de  Riez,  sou- 

(1)  Il  est  à  remarquer  que  S.  Sidoine,  en  écrivant  aux  évêques,  leur  donne  tou- 
jours le  titre  de  seigneur  pape.  Plusieurs  saints  Pères  se  sont  servis  de  la  même 
expression  en  parlant  à  des  évêques.  Le  nom  de  pape,  qui  veut  dire  père,  n'était 
pas  encore  appliqué  exclusivement  au  souverain  pontife,  à  l'évêque  de  Rome. 
Ce  fut  Grégoire  VII  qui  défendit  dans  un  concile  de  Rome,  l'an  1073,  de  donner 
cette  qualité  aux  autres  évêques. 

(2)  Epitaph.  Mamerti,  a  Sidon.  script.,  1.  IV,  Ep.  xi.  —  (3)  L.  IV,  Ep.  m. 

(4)  Un  manuscrit  de  Gennade  du  Mont- Saint-Michel,  cité  par  le  P.  Sirmond,  at- 
tribue cette  hymne  à  Claudien  Mamert;  d'autres  l'ont  attribuée  à  Fortunat,  comme 
a  fait  le  moine  Dungal  dans  son  Traité  des  images.  V.  Sirm.,  in  Notis  ad  Sidon. 

(5)  Gen.  ap.  Hyer.  n.  83,  versus  finem. 


[474J  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  37 

leva  à  celte  époque,  on  ne  sait  à  quelle  occasion,  une  ques- 
tion philosophique  d'un  haut  intérêt.  Il  adressa  à  un  évêque 
qui  n'est  pas  nommé,  une  lettre  assez  longue  dans  laquelle 
il  soutient  que  Dieu  seul  est  spirituel,  et  que  les  anges  et  les 
âmes  humaines  sont  des  substances  corporelles.  Cet  écrit 
ayant  fait  quelque  bruit,  le  savant  Claudien  Mamert  entreprit 
de  le  réfuter.  Mais,  avant  d'en  parler,  il  est  nécessaire  de  faire 
l'historique  de  cette  question,  qui  a  été  vivement  débattue  en 
divers  temps  et  surtout  dans  le  xvme  siècle.  Les  matérialistes, 
voulant  associer  à  leur  système  les  Pères  de  l'Église,  ont  pré- 
tendu que  ceux-ci  ont  cru  à  la  matérialité  de  l'âme,  du  moins 
dans  les  premiers  siècles.  Les  textes  qu'ils  ont  produits  ont 
trompé  certains  esprits,  même  distingués.  Un  célèbre  écri- 
vain n'a  pas  craint  d'avancer  que  «  dans  les  premiers  siècles 
la  matérialité  de  l'âme  était  une  opinion  non-seulement 
admise,  mais  dominante  (1),  >»  et  il  cite  des  textes  qui  ne  lais- 
sent pas  le  moindre  doute  dans  son  esprit.  Le  savant  écrivain 
se  trompe,  comme  beaucoup  d'autres  auteurs,  même  catho- 
liques, sur  le  sens  de  ces  textes  et  sur  la  croyance  des  doc- 
teurs de  l'Église.  La  profession  de  foi  que  nous  trouvons  à  ce 
sujet  dans  les  Constitutions  apostoliques  :  Nous  croyons  et 
pro fessons  que  lame  est  incorporelle  et  immortelle  (2),  a  tou- 
jours fait  partie  de  l'enseignement  ecclésiastique,  et  a  été 
adoptée  à  l'unanimité  par  les  docteurs  de  l'Église .  Jamais  on  ne 
s'est  écarté  de  ce  point  de  doctrine,  toujours  on  a  cru  à  la 
spiritualité  de  l'âme.  Les  bornes  d'un  ouvrage  historique  ne 
nous  permettant  pas  de  faire  de  longues  et  nombreuses  cita- 
tions, nous  nous  bornerons  au  témoignage  des  deux  docteurs 
sur  lesquels  on  s'est  le  plus  appuyé  pour  prouver  que  l'im- 
matérialité de  l'âme  a  été  admise  dans  les  premiers  siècles  : 
ces  docteurs  somV  Tertullien  et  Origène.  Or  le  premier  s'ex- 
prime ainsi  : 


(1)  M.  Guizot,  Histoire  de  la  civilisation,  leçon  vi. 

(2)  Animam  nostram  incorporaient  et  immortalem  profitemur.  (Constit.,  lib.  VI,  c.  II, 
ap.  Labb.,  t.  I.) 


3S  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

«  Notre  âme  est  simple,  elle  n'est  pas  de  sa  nature  plus  ins- 
tructile  qu'elle  n'est  divisible,  parce  qu'elle  n'est  pas  disse- 
lubie.  Si  elle  était  structile  (c'est-à-dire  composée  de  parties), 
elle  serait  dissoluble;  si  elle  était  dissoluble,  elle  ne  serait  plus 
immortelle.  Ainsi,  puisqu'elle  n'est  pas  mortelle,  elle  n'est 
ni  dissoluble  ni  divisible  (1).  >•  Tertullien  croit  donc  non-seu- 
lement à  la  spiritualité  de  l'âme,  mais  il  la  prouve  par  son  im- 
mortalité (2). 

Origène  n'est  pas  moins  explicite.  En  examinant  cette  ques- 
tion sous  le  rapport  dogmatique,  c'est-à-dire  selon  la  foi  de 
l'Église  :  secundum  dogma  nostrum,  idest  secundum  Ecclesiœ 
fidem,  il  dit  :  «  Toutes  les  âmes  et  toutes  les  créatures  raison- 
nables ont  été  faites  ou  créées,  qu'elles  soient  saintes  ou  mé- 
chantes. Toutes  sont  de  leur  propre  nature  incorporelles',  mais, 
quoique  incorporelles,  elles  ont  été  faites  (3).  Dans  son  Exhor- 
tation au  martyre  il  dit  :  «  L'homme  aime  la  vie,  parce  qu'il 
est  persuadé  que  la  substance  de  son  âme  a  quelque  affinité 
avec  Dieu.  Car  tous  deux  sont  intelligents  et  invisibles,  et  tous 
deux  sont  incorporels,  comme  on  le  démontre  par  des  raisons 
péremptoires  (4).  » 

Ces  raisons  péremptoires ,  il  les  a  employées  pour  prouver 
victorieusement  la  spiritualité  de  l'âme  par  les  opérations  in- 
tellectuelles :  par  la  mémoire,  par  l'intelligence,  par  l'idée  que 
nous  avons  des  choses  qui  ne  tombent  pas  sous  nos  sens.  Plu- 
sieurs fois  il  s'adresse  au  lecteur  et  il  lui  demande  si  ces  sortes 
d'idées  et  de  pensées  peuvent  être  le  partage  d'un  corps  ou 
d'une  matière  (5).  Ailleurs,  après  avoir  prouvé  par  l'Écriture 
que  l'homme  est  créé  à  l'image  de  Dieu,  il  en  conclut  qu'il 
«  est  nécessairement,  sous  le  rapport  de  l'âme,  invisible, 

(I)  Singularis  alioquin  et  simplex,  et  de  suo  tota  est  non  magis  instructilis  quant  divi- 
sibilis  ex  se,  quia  nec  dissolubilis.  Si  eninx  structilis,  et  dissolubilis ;  si  dissolubilis,  jamx 
non  immortalis.  Itaque  quia  non  mortalis,  neque  dissolubilis,  neque  divisibilis.  {De  Anima, 
art.  n,  n.  3).  — (2)  M.  de  la  Luzerne,  dans  sa  Dissertation  sur  la  spiritualité  de  l'âme, 
a  eu  tort  de  ranger  Tertullien  parmi  les  adversaires  de  la  spiritualité. 

(3)  De  Principiis,  lib.  I,  c.  vu,  n.  1. 

(4)  Ut  invicta  ratione  demonstratur.  (Exhort.  ad  martyr.,  n.  47.) 

(5)  De  Principiis,  lib.  I,  C.  I. 


[474]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  39 

incorporel,  incorruptible  et  immortel.  Car,  ajoute-t-il,  si  celui 
qui  est  créé  à  l'image  de  Dieu  était  corporel,  il  faudrait  dire 
que  Dieu  lui-même  est  corporel:  ce  qui  serait  très-évidemment 
une  impiété  (1).  » 

Tertullien  et  Origène  étaient  donc  loin  de  croire  à  la  maté- 
rialité de  l'âme.  Il  en  est  de  même  des  autres  Pères  de  l'Église  : 
de  S.  Augustin,  de  S.  Ambroise,  de  S.  Athanase,  de  S.  Basile, 
de  S.  Chrysostome,  de  S.  Grégoire  de  Nazianze,  de  S.  Gré- 
goire de  Nysse ,  etc.  Tous  ces  docteurs  ont  admis  et  enseigné 
la  spiritualité  de  l'âme  comme  un  dogme  fondamental  de  la 
religion  chrétienne. 

Mais,  en  dehors  de  l'enseignement  catholique,  il  y  avait  des 
opinions  philosophiques  que  l'Église  a  tolérées  parce  qu'elles 
ne  touchaient  pas  au  dogme  de  la  spiritualité  ;  elles  le  sup- 
posaient au  contraire.  Ces  opinions  n'ont  pas  été  assez  remar- 
quées, et  c'est  ce  qui  a  trompé  nos  savants  écrivains  et  même 
le  docte  Gabassut(2).  Nous  ne  voulons  pas  exposer  toutes  ces 
opinions  philosophiques,  qui  ont  beaucoup  varié,  comme  tout 
ce  qui  est  livré  à  la  discussion  libre  de  la  raison  individuelle. 
Nous  n'en  exposerons  qu'une  seule,  qui  a  dominé  et  qui  nous 
donne  l'explication  de  tout  ce  qu'il  y  a  d'embarrassant  ou  de 
contradictoire  dans  les  Pères  relativement  à  la  question  qui 
nous  occupe. 

Un  grand  nombre  de  docteurs  de  l'Église  des  premiers 
temps  n'ont  pas  pu  comprendre  que  dans  l'autre  monde  on 
pût  jouir  ou  souffrir  sans  l'adjonction  d'un  corps.  Origène  dit 
ingénument  qu'il  ne  pourrait  s'expliquer  comment  tant  de 
substances  pourraient  vivre  et  subsister  sans  corps.  Dieu 
seul,  selon  lui,  a  ce  privilège  (3).  En  partant  de  là,  Origène, 
comme  d'autres  docteurs  avant  et  après  lui,  ont  donné  un 
corps  aux  anges,  aux  démons  et  aux  âmes  humaines,  mais  un 
corps  subtil,  igné  ou  aérien,  tout  à  fait  différent  du  corps 

(1)  In  Gènes.  Homil.  i,  n.  13. 

(2)  Cabassut  {Notitia  Concil.,  p.  413  et  414)  prétend  que  la  matérialité  de  l'âme 
a  été  crue  par  les  premiers  docteurs  de  l'Eglise. — (3)  De  Principiis,  lib.I,  c.  vi,  n.4. 


40  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

grossier  que  l'homme  porte  sur  la  terre,  et  ont  soutenu  que, 
hors  la  Trinité,  il  n'y  a  rien  d'incorporel.  L'exemple  de 
Lazare,  du  mauvais  riche  et  de  l'ombre  de  Samuel  les  confir- 
mait dans  cette  opinion.  Mais  tout  en  disant  qu'il  n'y  avait 
rien  d'incorporel  en  dehors  des  personnes  de  la  Trinité,  ils  ne 
niaient  pas  la  spiritualité  de  l'âme.  Ils  prétendaient  seulement 
que  l'âme,  pour  être  dans  un  lieu  déterminé,  pour  jouir  et 
souffrir,  avait  besoin  d'un  corps  comme  d'un  vêtement  :  vesti- 
mento  corporeo ,  comme  l'appelle  Origène  (  1  ) ,  corps  grossier  sur 
la  terre,  corps  subtil,  délié,  igné  ou  aérien  dans  l'autre  monde. 

«  Nous  savons,  dit  Origène,  que  l'âme,  de  sa  nature  incor- 
porelle  et  invisible,  ne  peut  résider  dans  aucun  lieu  maté- 
riel sans  avoir  besoin  d'un  corps  propre  à  la  nature  de  ce  lieu  ; 
qu'elle  se  dépouille  de  ce  corps  qu'elle  porte  maintenant,  et 
qui  lui  devient  inutile,  pour  se  revêtir  d'un  corps  meilleur,  qui 
lui  devient  nécessaire  pour  arriver  aux  purs  et  célestes  lieux.  » 
Il  compare  ce  dépouillement  à  celui  d'un  enfant  qui,  en  ve- 
nant au  monde,  quitte  l'enveloppe  dont  il  était  revêtu  au  sein 
de  sa  mère,  pour  prendre  une  figure  meilleure  (2). 

Origène  nous  donne  ici  la  clef  pour  concilier  les  apparentes 
contradictions  des  Pères,  qui  d'un  côté  appellent  corporels  les 
anges  et  les  âmes  humaines,  et  de  l'autre  supposent  ou  prou- 
vent leur  spiritualité.  Ainsi  on  comprendra  facilement  ce  texte 
de  Tertullien  : 

«  La  corporalité  de  l'âme  brille  aux  yeux  des  nôtres  dans 
l'Évangile.  L'âme  d'un  homme  souffre  aux  enfers,  elle  est 
placée  au  milieu  de  la  flamme,  elle  sent  à  la  langue  une  dou- 
leur cruelle  et  elle  implore  de  la  main  d'une  âme  plus  heu- 
reuse une  goutte  d'eau...  Tout  cela  n'est  rien  sans  le  corps  : 
l'être  incorporel  est  libre  de  toute  espèce  de  chaîne,  étranger  à 
toute  peine  comme  à  tout  plaisir  :  car  c'est  par  le  corps  que 
l'homme  est  puni  ou  jouit  (3),  »  c'est-à-dire  par  l'adjonction 
d'un  corps. 

(1)  Huet,  Origenian.,  lib.  II,  Quœst.  v,  n.  111.— (2)  Contra  Celsum,  lib.  VII,  n.  32. 
—  (3)  De  Anima,  c.  v,  vu. 


[4741  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  4i 

On  comprendra  de  la  sorte  ce  passage  d'Arnobe  : 

«<  Quel  homme  ne  voit  que  ce  qui  est  simple  et  immortel 
ne  peut  connaître  aucune  douleur  ?  (1)  » 

Ou  enfin  celui  de  S.  Jean  Damascène  : 

«  Nous  concevons  des  êtres  incorporels  et  invisibles  de  deux 
façons  :  les  uns  par  essence,  les  autres  par  grâce  ;  les  uns 
comme  incorporels  par  nature,  les  autres  comme  ne  l'étant 
que  relativement  et  par  comparaison  avec  la  grossièreté  de  la 
matière.  Ainsi,  Dieu  est  incorporel  par  nature;  quant  aux 
anges,  aux  démons  et  aux  âmes  [humaines),  on  ne  les  appelle 
incorporels  que  par  grâce  et  en  les  comparant  à  la  grossièreté 
delà  matière  (1).  » 

Ce  sont  là  les  trois  textes  que  l'auteur  de  Y  Histoire  de  la 
civilisation  a  cités,  pour  prouver  que  la  matérialité  de  l'âme 
était  dans  les  premiers  siècles  une  opinion  générale  ou  domi- 
nante. On  voit  combien  l'illustre  écrivain  s'est  trompé.  Il  dit 
qu'il  pourrait  multiplier  à  l'infini  les  citations.  En  effet,  un 
grand  nombre  de  docteurs  des  temps  primitifs  ont  suivi  ou 
copié  le  système  de  Tertullien  et  d'Origène,  mais  comme 
eux  ils  ont  supposé  ou  prouvé  la  spiritualité  de  l'âme. 

Quant  à  Fauste  de  Riez,  il  serait  difficile  de  dire  s'il  a  réel- 
lement nié  la  spiritualité  de  l'âme,  ou  s'il  a  seulement  soutenu 
le  système  philosophique  alors  en  vogue.  Car  on  ne  peut  rien 
conclure  du  mot  corporel,  qui  dans  le  système  philosophique 
que  nous  avons  exposé  signifie  non  un  être  corporel,  mais  un 
être  uni  à  un  corps.  Quoi  qu'il  en  soit,  Glaudien  Mamert  réfuta 
la  lettre  de  Fauste  dans  un  traité  remarquable,  intitulé  de  Na- 
tura  animœ,  de  la  Nature  de  l'âme,  dans  lequel  il  dégage  l'âme 
de  tous  les  corps  subtils,  ignés  ou  aériens  qu'on  voulait  lui 
donner,  et  prouve  la  spiritualité  par  les  arguments  que  nous 
employons  encore  aujourd'hui.  Son  traité  est  divisé  en  trois 
livres.  Dans  le  premier  il  traite  la  question  d'une  manière  pu- 
rement rationnelle  :  il  y  prouve  la  spiritualité  de  l'âme  parce 


(1)  Arnob.  Adv.  gentes,  1.  II.—  (2)  De  Orthodojca  Fi  le,  1.  II,  c.  m,  xn. 


42  histoire  de  l'église  catholique  [474] 

qu'elle  est  l'image  de  Dieu,  et  qu'elle  n'est  pas  enfermée  dans 
un  lieu.  Il  prétend  que  l'âme  pense  essentiellement,  qu'elle 
est  la  pensée  même  ;  qu'elle  peut  varier  ses  pensées,  mais 
qu'elle  ne  peut  jamais  être  sans  penser  ;  que  les  puissances  de 
l'âme  ne  sont  autre  chose  que  l'âme  même  ;  que  les  pensées 
de  l'âme  ne  dépendent  pas  des  images  corporelles  )  que  non- 
seulement  il  n'y  a  pas  de  vide,  mais  qu'il  ne  peut  y  en 
avoir. 

Dans  le  second  livre,  l'auteur  appuie  sa  thèse  sur  les  témoi- 
gnages des  philosophes  grecs  et  latins,  sur  l'Évangile,  sur 
le  témoignage  de  S.  Paul  et  des  Pères  de  l'Église.  Dans  le 
troisième,  il  explique  en  faveur  de  la  spiritualité  de  l'âme 
les  faits  de  l'Écriture  si  souvent  allégués  par  les  adversaires, 
tels  que  la  résurrection  de  Lazare,  l'apparition  de  l'ange  Ga- 
briel à  la  vierge  Marie,  etc.  Cependant  Glaudien  Mamert  n'a  pu 
se  dégager  entièrement  du  système  philosophique  qui  do- 
minait alors  :  car  il  donne  des  corps  aux  anges,  et  soutient 
qu'ils  sont  spirituels  et  corporels.  Son  traité,  quoique  bien 
écrit  et  plein  d'arguments  serrés  et  pressants ,  n'a  pourtant 
point  prévalu.  Le  système  des  corps  aériens,  ignés,  déjà 
réfuté  par  S.  Augustin  (1),  a  encore  été  longtemps  soutenu 
par  des  docteurs  de  l'Église,  comme  nous  l'avons  déjà  vu  par 
le  passage  de  S.  Jean  Damascène.  Il  a  même  repris  une  nou- 
velle faveur  à  l'occasion  des  disputes  sur  le  culte  des  images. 
On  disait  qu'il  était  d'autant  plus  permis  de  représenter  les 
anges  et  les  saints  par  la  peinture  qu'ils  ne  sont  pas  tout  à 
fait  incorporels.  C'est  l'argumentqu'a  fait  valoir  JeandeThes- 
salonique  au  deuxième  concile  de  Nicée  (action  Y)  :  il  donne 
aux  anges  et  aux  âmes  [humaines)  des  corps  subtils,  aériens 
et  ignés  (2),  et  il  traite  de  païens  ceux  qui  prétendent  qu'ils 
sont  entièrement  incorporels  et  invisibles  (3) .  Il  est  vrai  que  ce 
sentiment  lui  était  particulier  :  car  le  concile  dans  sonjuge- 


(1;  August.,  de  Trinitate,  1.  X,  n.  13,  14,  t.  VIII  Oper.,  p.  896. 

(2)  Subtiles  autem  corpore  et  aereos  et  igneos.   (Apud  Labb.,  t.  VI,  p.  354.) 

(3)  Non  tamen  incorporâtes  omnino  et  invisibiles,  sicut  vos  pagani  fatemini.  (Ibid.) 


[474]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  43 

ment  de  l'action  précédente  (action  IV),  appelle  les  saints  et 
les  anges  incorporels  (1). 

De  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  nous  pouvons  con- 
clure : 

1°  Que  la  doctrine  catholique  des  premiers  Pères  de  l'Église 
était  en  faveur  de  la  spiritualité  de  l'âme. 

2°  Que  la  doctrine  philosophique  qui  cherchait  à  expliquer 
les  affections  de  l'âme  humaine  dans  l'autre  vie,  était  différente 
selon  les  divers  principes  des  écoles.  Mais,  pour  démontrer  la 
croyance  inébranlable  de  la  spiritualité  de  l'âme  chez  tous  les 
Pères  de  l'Église,  il  suffit  de  rappeler  qu'ils  croyaient  à  l'im- 
mortalité de  cette  âme.  Or,  il  n'est  pas  possible  d'admettre 
l'immortalité  sans  la  spiritualité,  ainsi  que  l'enseigne  Tertul- 
lien  dans  le  passage  cité  :  ainsi,  lorsqu'on  admet  l'immortalité 
de  l'âme,  il  faut  nécessairement  en  exclure  la  matérialité.  La 
doctrine  philosophique  dans  ce  sens  était  admise  par  les  Pères 
de  l'Église. 

Glaudien  Mamert  dédia  son  ouvrage  à  Sidoine,  qui  par  re- 
connaissance lui  donna  de  si  grands  éloges  qu'il  faut  avouer 
que  son  amitié  pour  l'auteur  en  a  dicté  une  partie.  Ce  saint 
évêque  dit  que  Glaudien  Mamert  réunit  tous  les  talents  parti- 
culiers par  lesquels  les  plus  célèbres  philosophes,  les  plus 
grands  orateurs  et  les  plus  savants  des  saints  Pères  se  sont 
distingués.  «  Il  pense,  dit- il  (2),  comme  Pythagore,  il  divise 
comme  Socrate,  il  explique  comme  Platon,  il  lie  et  enveloppe 
comme  Aristote,  il  flatte  comme  Eschine,  il  se  passionne 
comme  Démosthène,  il  est  fleuri  comme  Hortensius,  il  dis- 
suade comme  Appius,  il  persuade  comme  Cicéron...;  et,  pour 
en  venir  aux  saints  Pères ,  il  instruit  comme  Lactance ,  il 
établit  comme  Augustin,  il  s'élève  comme  Hilaire,  il  s'a- 
baisse comme  Jean  (Ghrysostome) ,  il  reprend  comme  Basile, 
il  console  comme  Grégoire  (de  Nazianze),  il  est  abondant 
comme  Orose,  il  est  serré  comme  Rufîn,  il  est  narrateur 

(1)  Sanctorum  etiam  et  incorporalium.  (Apud  Labb.,  t.  VII,  p.  322.)  —  (2)  Sid., 
1.  IV,  Ep.  m. 


44  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

comme  Eusèbe,  il  touche  comme  Eucher,  il  presse  comme 
Paulin,  il  se  soutient*  comme  Ambroise.  »  Cet  endroit  est 
remarquable  par  la  justesse  et  la  précision  avec  laquelle  Si- 
doine trace  en  un  mot  le  caractère  des  auteurs  dont  il  parle. 

On  attribue  à  Claudien  Mamert  un  poëme  contre  les  poètes 
profanes.  On  le  croit  aussi  auteur  de  quelques  poésies  chré- 
tiennes de  bon  goût ,  que  la  ressemblance  de  nom  a  fait  at- 
tribuer au  poëte  Claudien,  qui  certainement  était  païen. 
Gomme  notre  Claudien  Mamert  était  versé  dans  toutes  les 
sciences ,  il  tenait  des  conférences  où  il  répondait  aux  ques- 
tions les  plus  difficiles,  que  chacun  avait  la  liberté  de  lui 
proposer.  Mais  ce  qui  achève  son  éloge  et  en  est  le  plus  beau 
trait,  c'est  qu'il  n'était  pas  moins  distingué  par  sa  vertu  que 
par  son  érudition.  Il  mourut  avant  Mamert,  son  frère  aîné, 
on  ne  sait  en  quelle  année.  Sidoine,  en  qui  les  qualités  du 
cœur  ne  le  cédaient  pas  à  celles  de  l'esprit,  pleura  amèrement 
la  mort  de  celui  qu'il  regardait  comme  le  plus  bel  esprit  de 
son  siècle.  Pour  adoucir  sa  douleur,  il  répandit  les  fleurs  de 
sa  poésie  sur  le  tombeau  de  son  ami ,  et  composa  en  son  hon- 
neur une  belle  épitaphe  (1),  d'où  nous  avons  tiré  une  partie 
des  éloges  que  nous  venons  de  rapporter.  Quand  il  faudrait 
en  rabattre  beaucoup,  il  en  resterait  toujours  assez  pour 
conclure  que  Claudien  Mamert  était  un  des  plus  savants 
hommes  de  son  temps. 

Les  questions  sur  la  nature  de  l'âme  que  cet  auteur  avait 
traitées,  devinrent  les  disputes  à  la  mode.  Julien  Pomère, 
originaire  de  Mauritanie,  mais  établi  dans  les  Gaules,  y  pu- 
blia vers  le  même  temps  sur  ce  sujet  un  ouvrage  en  forme  de 
dialogues  et  divisé  en  huit  livres.  Dans  le  premier,  il  expli- 
quait ce  que  c'est  que  l'âme  et  en  quel  sens  on  peut  dire 
qu'elle  a  été  créée  à  l'image  de  Dieu.  Dans  le  second,  il  exa- 

(t)  Sidoine  dit  de  Claudien  dans  cette  épitaphe,  Antistes  fuit  ordine  in  secundo. 
Cette  expression  a  fait  croire  à  quelques  personnes  qu'il  avait  été  coévêque  :  ma;s 
on  peut  l'entendre  de  la  prêtrise,  qui  est  en  effet  le  second  ordre.  (SiD.,lib.  IV, 
Ep.  xn.) 


! [474]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  45 

minait  si  elle  est  spirituelle  ou  corporelle,  et  il  donnait,  dit 
S.  Isidore,  dans  l'erreur  de  Tertullien  sur  la  matérialité  de 
l'âme  (1)  :  nous  savons  ce  que  nous  devons  en  penser.  Dans  le 
| troisième  livre,  il  recherchait  d'où  a  été  créée  l'âme  du  pre- 
mier homme.  Dans  le  quatrième,  il  traitait  la  question  sui- 
vante :  L'âme  a-t-elle  été  créée  sans  péché,  ou,  venant  de  notre 
premier  père  par  propagation,  en  a-t-elle  contracté  le  péché? 
Dans  le  cinquième,  il  expliquait  ce  que  c'est  que  la  faculté  de 
l'âme  ;  dans  le  sixième ,  quelle  est  la  cause  des  combats  de 
la  chair  et  de  l'esprit;  dans  le  septième,  quelle  est  la  diffé- 
rence entre  la  vie  et  la  mort;  et  dans  le  huitième  livre,  il  ré- 
solvait des  questions  qu'on  propose  sur  la  résurrection.  Cet 
ouvrage  est  perdu,  aussi  bien  qu'un  traité  que  le  même  auteur 
avait  composé  sur  l'institution  des  vierges. 

Il  ne  nous  reste  de  Julien  Pomère  que  trois  livres  sur  la 
vie  contemplative,  qui  ont  été  longtemps  attribués  à  S.  Pros- 
per  (2).  L'auteur  y  répond  à  dix  questions,  qui  lui  avaient  été 
proposées  par  un  évêque  nommé  Julien,  principalement 
sur  la  vie  contemplative,  sur  les  devoirs  des  évêques  et  sur  la 
nature  des  vices  et  des  vertus.  Dans  le  premier  livre,  après 
avoir  parlé  de  la  vie  contemplative  ,  il  fait  un  portrait  qui 
n'est  pas  flatté  des  bons  et  des  mauvais  évêques.  Les  bons 
évêques,  dit-il,  sont  ceux  qui  s'efforcent  par  leurs  exemples 
et  par  leurs  prédications  de  porter  les  pécheurs  à  la  péni- 
tence ;  qui  ne  commandent  pas  avec  empire ,  mais  avec  dou- 
ceur et  humilité  ;  qui  nourrissent  les  pauvres ,  rachètent  les 
captifs,  reçoivent  les  étrangers  et  qui  s'acquittent  avec  soin 
de  leurs  autres  devoirs.  Ce  sont  là  les  ministres  capables  d'a- 
paiser le  Seigneur  et  de  conduire  son  peuple  :  voilà  les  vrais 
successeurs  des  apôtres.  Un  mauvais  évêque  est  celui  qui 
cherche  les  dignités  de  l'Église,  non  pour  être  plus  saint, 
mais  pour  être  plus- riche  et  plus  honoré;  qui  ne  paît  pas  son 
troupeau,  quoiqu'il  reçoive  tous  les  jours,  par  les  dîmes  et  les 

(1)  Isidor.,  de  Vir.  illustr.,  c.  xxv. —  (2)  Inter  Opéra  S.  Prosperi,  1. 1,  c.  xxv. 


46  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

oblations  des  fidèles,  le  lait  et  la  laine  de  ses  ouailles  ;  qui  porte 
le  nom  de  pasteur,  et  qui  en  fuit  le  travail  (1). 

Pomère  prétend  qu'un  évêque  ne  peut  s'excuser  de  ne 
pas  prêcher  son  peuple  sur  son  peu  de  talent  et  de  capa- 
cité, parce  qu'un  pasteur  ne  doit  enseigner  que  ce  qu'il  sait, 
et  que  les  auditeurs  profitent  toujours  quand  ils  entendent 
le  prédicateur  les  exhorter  d'une  manière  simple  à  pratiquer 
ce  qu'ils  lui  voient  pratiquer  lui-même.  Il  dit  que  le  discours 
d'un  évêque  doit  [être  simple,  grave,  clair,  et  même  en  mau- 
vais latin  pour  être  mieux  entendu  des  ignorants  :  le  latin 
d'ailleurs ,  qui  était  encore  la  langue  vulgaire ,  était  déjà  fort 
corrompu.  Il  ajoute  que  les  prédicateurs  qui  cherchent  les 
applaudissements  des  hommes  ne  sont  que  de  vains  déclama- 
teurs ,  qui  font  consister  tout  le  fruit  de  leurs  sermons  dans 
les  louanges  qu'ils  en  retirent,  et  qui  songent  plus  à  dire  de 
belles  choses  qu'à  en  dire  de  bonnes  et  d'utiles. 

Dans  le  second  livre,  Julien  Pomère  traite  de  la  correc- 
tion des  pécheurs,  dans  laquelle  il  faut  tantôt  employer  la 
vivacité  du  zèle  et  tantôt  la  douceur  et  la  patience  de  la  cha- 
rité. Sur  quoi  il  parle  de  la  confession  des  péchés  secrets, 
qu'on  découvre  au  prêtre  comme  les  plaies  au  médecin.  Il 
s'étend  sur  l'usage  des  biens  de  l'Église,  qui  ne  sont  autre 
chose,  dit-il,  que  les  vœux  des  fidèles,  la  rançon  des  péchés  et 
le  patrimoine  des  pauvres.  Il  n'approuve  pas  que  les  ecclé- 
siastiques qui  ont  un  patrimoine  perçoivent  les  distributions 
de  l'Église,  au  lieu  de  les  laisser  aux  pauvres,  et  il  dit  que,  les 
biens  ecclésiastiques  étant  des  biens  sacrés,  il  n'est  pas  per- 
mis de  s'en  servir  pour  vivre  dans  la  mollesse  et  la  volupté. 
En  parlant  de  l'abstinence,  il  recommande  surtout  l'usage 
modéré  du  vin  et  blâme  ceux  qui,  faisant  profession  de  ne 
pas  manger  de  la  chair  des  animaux  à  quatre  pieds,  man- 
geaient des  poissons  les  plus  délicats  ou  même  des  faisans  et 
d'autres  oiseaux.  Nous  savons  d'ailleurs  qu'il  y  avait  alors  des 


(1)  Inter  Opéra  S.  Prosperi,  1.  I,  c.  xxi 


[474]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  47 

personnes  pieuses,  qui,  en  s'abstenant  par  pénitence  de  la 
chair  des  animaux  à  quatre  pieds,  mangeaient  de  la  chair  des 
oiseaux  sans  scrupule. 

Enfin,  dans  le  troisième  livre,  Pomère  traite  des  vices 
et  des  vertus,  dont  il  trace  des  portraits  frappants.  Il  dit 
entre  autres  choses  que  l'envieux  a  autant  de  bourreaux 
que  celui  à  qui  il  porte  envie  a  de  panégyristes,  et  il 
montre  que  la  crainte  est  utile  et  résiste  efficacement  au 
péché. 

Julien  Pomère  était  en  commerce  (1)  d'amitié  avec 
Rurice,  évêque  de  Limoges,  qui  était  aussi  l'ami  de  S.  Si- 
doine et  fort  distingué  par  sa  noblesse  et  ses  grands  biens. 
Rurice  avait  épousé  Ibérie,  fille  d'Ommace,  et  S.  Sidoine, 
encore  laïque,  fit  un  bel  épithalame  pour  ce  mariage.  Il  s'é- 
tait séparé  de  sa  femme  pour  vivre  dans  la  continence  lors- 
qu'il fut  élevé  sur  le  siège  de  Limoges  (2)  après  la  mort  d'As- 
tidius.  Il  employa  une  partie  de  ses  grands  biens  à  faire  bâtir 
près  de  cette  ville  une  église  en  l'honneur  de  S.  Augustin  : 
ce  qui  montre  la  vénération  que  l'on  avait  déjà  dans  la  Gaule 
pour  ce  saint  docteur  environ  50  ans  après  sa  mort  (3).  Il 
nous  reste  de  Rurice  deux  livres  de  lettres ,  où  l'on  voit  de 
grands  sentiments  de  piété  ;  mais  on  y  trouve  assez  peu  de 
choses  à  apprendre  pour  l'histoire  de  ce  temps-là.  Rurice 
avait  une  tendre  vénération  pour  Fauste  de  Riez,  qu'il 
consultait  comme  son  directeur,  et,  Fauste  ayant  été  exilé 
dans  le  Limousin  par  Evaric,  Rurice  adoucit  son  exil 
par  ses  bons  offices  et  lui  fit  retrouver  sa  patrie  sur  une 
terre  étrangère.  La  lettre  de  remercîment  que  Fauste  lui 
écrivit  à  cette  occasion  est  parvenue  jusqu'à  nous  (4).  On 
croit  que  l'évêque  de  Riez  avait  été  exilé  pour  avoir  eu  le 
courage  d'écrire  contre  les  ariens,  malgré  la  tyrannie 

(1)  Ruriciî  Epist.  ad  Pomer.,  1.  I,  Ep.  xvn. 

(2)  Rurice  eut  un  fils  qu'il  nomma  Ommace,  comme  son  beau-père,  et  un  petit- 
fils  appelé  Rurice,  qui  fut  son  successeur  sur  le  siège  de  Limoges. 

(3)  Apud  Canis.,  t.  V  Antiq.  Lect. — (4)  Ep.  Faust,  ad  Ruric,  t.  V,  p.  439. 


48  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

d'Évaric.  La  persécution  est  la  pierre  de  touche  du  vrai  zèle. 
On  paraît  assez  courageux  quand  on  n'a  rien  à  craindre  ;  mais 
on  ne  montre  souvent  dans  le  péril  que  de  la  lâcheté ,  à  la- 
quelle on  donne  le  beau  nom  de  prudence. 

S.  Sidoine  ne  fut  pas  de  ce  caractère,  non  plus  que  Fauste. 
Son  courage  ne  connaissait  point  de  dangers,  dès  qu'il  s'a- 
gissait de  secourir  la  religion  en  péril.  Gomme  il  n'y  avait 
point  d'évêque  à  Rodez,  il  entreprit  à  l'entrée  de  l'hiver 
un  pénible  voyage  pour  aller  faire  dans  le  Rouergue  la  dé- 
dicace d'une  nouvelle  église,  qu'Élasius  avait  fait  bâtir 
dans  un  temps  où  l'on  n'osait  même  réparer  les  anciennes.  Ce 
saint  évêque  d'Auvergne  donna  de  nouvelles  preuves  de  son 
zèle  à  l'occasion  d'une  paix  honteuse  qu'on  voulait  conclure 
avec  les  Yisigoths  (1). 

Jules  Népos,  qui  était  parvenu  à  l'empire  l'an  474,  tâcha 
d'arrêter  par  la  négociation  les  conquêtes  et  les  ravages 
d'Évaric.  Il  jugea  qu'un  traité,  quelque  dures  qu'en  soient 
les  conditions,  cesse  d'être  honteux  quand  il  est  nécessaire. 
Quatre  évêques  de  Provence  :  Léonce  d'Arles,  Fauste  de  Riez, 
Grec  de  Marseille  et  Basile  d'Aix ,  furent  les  médiateurs  de  la 
paix  entre  les  deux  princes.  La  cession  de  l'Auvergne  aux 
Yisigoths  était  un  des  préliminaires  ;  le  bruit  s'étant  répandu 
qu'on  avait  acheté  la  paix  à  ce  prix,  S.  Sidoine  s'en  plaignit 
amèrement  à  Grec  de  Marseille  :  «  Notre  condition,  dit-il, 
était  meilleure  pendant  la  guerre  :  notre  servitude  est  de- 
venue le  prix  de  la  sécurité  des  autres.  Quel  sujet  de  dou- 
leur !  Les  habitants  de  l'Auvergne  esclaves  !  ce  peuple  si  noble 
qui  nommait  autrefois  les  Romains  ses  frères,  et  qui  dans  ces 
derniers  temps  s'est  rendu  si  redoutable  aux  barbares,  est 
livré  à  l'esclavage!  Est-ce  là  ce  qu'ont  mérité  ces  braves 
guerriers,  qui,  tout  exténués  qu'ils  étaient  par  la  famine,  ont 
moissonné  tant  de  lauriers?  Est-ce  dans  l'attente  de  cette 
belle  paix  que  nous  avons  mangé  jusqu'à  l'herbe  qui  croissail 

(1)  Sid.,  1.  IV,  Ep.  xv. 


[474]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  49 

sur  nos  murailles?. . .  Rougissez,  je  vous  en  conjure,  d'un  traité 
qui  n'est  ni  utile  ni  glorieux ,  trouvez  le  moyen  de  rompre 
une  si  honteuse  négociation.  S'il  faut  encore  soutenir  un 
siège ,  combattre  les  ennemis  et  la  faim ,  nous  nous  en  fe- 
rons un  plaisir  (1).  » 

Sidoine  écrivit  en  même  temps  à  Basile  cl'Aix,  pour  le 
supplier  de  faire  entrer  la  paix  des  Églises  dans  le  traité  qu'il 
cherchait  à  faire  conclure,  avec  l'aide  de  ses  collègues  (2).  Il 
le  félicite  d'abord  de  ce  qu'il  avait  confondu,  par  son  éloquence 

w 

et  par  l'autorité  des  saintes  Ecritures,  un  Goth  arien  nommé 
Modahaire.  Mais  il  l'avertit  que  ce  loup  ne  laisse  pas  de  déso- 
ler encore  la  bergerie  du  Seigneur,  après  avoir  endormi  les 
pasteurs.  Il  ajoute  qu'on  ne  doit  pas  se  faire  un  sujet  de 
scandale  de  la  prospérité  d'É varie,  qui  étendait  tous  les  jours 
les  limites  de  sa  domination.  «  Il  est  dans  l'ordre,  dit-il,  que  ce 
mauvais  riche  soit  habillé  de  pourpre ,  et  que  Lazare  soit  cou- 
vert d'ulcères.  Il  convient  que,  tandis  que  nous  sommes  dans 
l'Egypte  du  monde,  ce  Pharaon  porte  le  diadème,  et  l'Israé- 
lite des  fardeaux...  Quant  à  moi,  pour  trouver  légers  tous 
les  maux,  je  n'ai  qu'à  considérer  et  ce  que  je  mérite  et  les 
avantages  que  l'homme  intérieur  peut  en  retirer.  »  Il  indique 
ainsi  deux  excellents  motifs  de  consolation,  que  la  religion 
offre  aux  malheureux.  Pour  adoucir  et  sanctifier  nos  souf- 
frances, nous  n'avons  qu'à  en  mettre  le  poids  en  balance  avec 
celui  de  nos  péchés  et  qu'à  comparer  nos  maux  avec  les  biens 
qu'ils  nous  procurent. 

Sidoine  peint  ensuite  avec  les  plus  tristes  couleurs  la 
cruelle  persécution  d'Évaric,  et  il  fait  sentir  le  danger  où 
est  la  foi ,  pour  exciter  les  évêques  négociateurs  à  s'efforcer 
de  la  mettre  en  sûreté  par  le  traité.  Il  tâche  particulièrement 
de  les  intéresser  en  faveur  de  deux  de  leurs  collègues  déte- 
nus en  exil ,  Crocus  et  Simplice.  Crocus  était  évêque  de 
Nîmes.  On  ne  connaît  pas  le  siège  épiscopal  de  Simplice  : 


(1)  L.  VII,  Ep.  vu.  -  (2)  Sid.,  1.  VII,  Ep.  vi. 

TOME  II. 


4 


50  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [474] 

car  il  paraît  qu'il  n'est  pas  l'évêque  de  Bourges  dont  nous 
avons  parlé  (1). 

Malgré  ces  négociations  de  quelques  évêques  de  la  Gaule , 
la  paix  ne  se  concluait  pas.  L'empereur  Népos,  qui  la  désirait 
ardemment,  envoya  S.  Épiphane  de  Pavie  la  demander  à 
Evaric.  Il  crut  que  ce  prince  barbare  respecterait  la  sain- 
teté d'un  évêque  si  puissant  en  bonnes  œuvres ,  et  il  ne  se 
trompa  pas.  Epiphane ,  qui  n'attendait  que  du  Ciel  le  succès 
de  sa  négociation,  s'efforça  de  l'obtenir  par  ses  prières.  II 
chantait  des  psaumes  pendant  le  voyage,  et,  quand  il  trouvait 
quelque  lieu  écarté,  il  s'y  arrêtait  pour  faire  son  oraison.  Sa 
réputation  l'avait  devancé  dans  les  Gaules.  Dès  qu'Évaric  sut 
son  arrivée  à  Toulouse,  il  le  manda  à  son  audience,  et  le 
saint  évêque  lui  parla  ainsi  : 

«  Grand  prince ,  quoique  la  renommée  de  votre  courage  et 
les  glaives  dont  vous  moissonnez  les  campagnes  de  vos  en- 
nemis aient  rendu  votre  nom  terrible ,  cette  cruelle  ambition 
de  faire  la  guerre  ne  vous  rend  ni  plus  grand  ni  plus  agréable 
aux  yeux  de  Dieu.  Le  fer  défend  mal  les  confins  d'un  empire, 
quand  le  Seigneur  y  est  offensé.  Souvenez-vous  que  vous  avez 
un  roi,  à  qui  vous  devez  vous  efforcer  de  plaire.  En  montant 
au  ciel,  il  a  recommandé  à  ses  disciples  de  conserver  la  paix, 
comme  le  plus  précieux  héritage  qu'il  pût  leur  laisser.  N'ou- 
blions jamais  ce  précepte.  Quiconque  se  laisse  vaincre  par  la 
colère  ne  mérite  pas  le  nom  de  brave ,  et  personne  ne  con- 
serve mieux  son  bien  que  celui  qui  ne  désire  pas  celui  d'au- 
trui.  C'est  pourquoi  l'empereur  Népos  m'a  envoyé  pour  faire- 
alliance  avec  vous.  Quoiqu'il  ne  craigne  pas  la  guerre,  il  sou- 
haite la  paix.  Contentez-vous  des  anciennes  limites,  et  qu'il 
vous  suffise  que  celui  qui  a  mérité  d'être  appelé  votre  maître, 
aime  mieux,  ou  du  moins  souffre  d'être  appelé  votre  ami  (2).  » 

(1)  Sidoine,  parlant  de  ces  deux  évêques,  dit  :  Vestros  Crocum  Simpliciumque  col- 
legas.  Il  semble  qu'il  se  serait  exprimé  autrement  s'il  eût  été  question  de  Sim- 
plice  de  Bourges,  son  métropolitain. 

(2)  Ennod.  in  Vita  S.  Epiph.,  p.  383  edit.  Cramos.,  an.  1611. 


[475]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  51 

La  sainteté  de  l'orateur  donna  une  nouvelle  force  à  un  dis- 
cours si  éloquent  et  si  noble.  Une  douce  sérénité  se  répandit 
sur  le  visage  du  roi ,  qui  fît  la  réponse  suivante  par  un  in- 
terprète :  «  Quoique  je  ne  quitte  presque  jamais  la  cuirasse, 
le  bouclier  et  l'épée,  j'ai  trouvé  un  homme  qui  m'a  vaincu  par 
ses  discours,  tout  armé  que  je  suis.  On  nous  trompe,  quand 
on  nous  dit  que  les  Romains  n'ont  pas  un  bouclier  et  des  traits 
sur  leur  langue  :  car  ils  savent  repousser  les  paroles  que  nous 
leur  portons,  et  faire  passer  jusqu'au  fond  de  notre  cœur 
celles  qu'ils  nous  adressent.  Je  fais  donc,  ô  vénérable  pon- 
tife, ce  que  vous  me  demandez,  parce  que  j'ai  plus  d'égard  à 
la  personne  qui  m'est  envoyée  qu'à  la  puissance  de  celui 
qui  me  l'envoie.  Recevez  ma  foi,  et  promettez  au  nom  de 
Népos  une  alliance  inviolable.  L'avoir  promise,  pour  vous 
c'est  l'avoir  jurée  (1).  » 

On  dressa  aussitôt  le  traité  de  paix;  puis  S.  Épiphane  s'é- 
tant  retiré,  on  vint  l'inviter  à  dîner  le  lendemain  avec  le  roi. 
Comme  le  prince  était  arien,  le  saint  évêque  s'en  excusa, 
disant  qu'il  n'avait  pas  coutume  de  manger  à  la  table  d'au- 
trui  et  qu'il  devait  partir  ce  jour-là  même.  Il  le  fît  en  effet, 
et  se  fit  débarquer  en  passant  dans  les  îles  Stéchades,  c'est- 
à-dire  les  îles  d'Hyères  ;  il  visita  aussi  celles  de  Léro  et  de 
Lérins,  pour  s'y  édifier  des  vertus  des  saints  moines  dont 
elles  étaient  peuplées.  Il  paraît  que  cette  paix  procura  plus 
de  liberté  aux  Églises  soumises  à  la  domination  des  Visigoths. 
Les  évêques  en  profitèrent  pour  tenir  un  concile  au  sujet  du 
prédestinatianisme . 

Nous  avons  vu  que  la  doctrine  de  S.  Augustin  mal  enten- 
due pouvait  avoir  donné  naissance  à  cette  hérésie.  Elle  n'était 
pas  moins  pernicieuse  que  celle  que  ce  saint  docteur  avait 
combattue  dans  les  pélagiens  ;  mais  elle  n'était  pas  si  conta- 
gieuse, parce  qu'elle  choquait  autant  la  raison  que  le  péla- 
gianisme  semblait  la  flatter.  Un  prêtre  nommé  Lucide,  ap- 


(1)  Vita  S.  Epiph.,  p.  384. 


52  HISTOIRE  DE  [/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [475] 

partenant,  selon  toute  apparence,  à  la  province  d'Arles,  crut 
pouvoir  impunément  débiter  ces  nouvelles  erreurs,  dans  un 
temps  où  les  évêques  de  cette  partie  des  Gaules  paraissaient 
tout  occupés  à  se  défendre  contre  la  persécution  d'Évaric  et 
la  séduction  de  l'arianisme.  Les  troubles  de  l'État  sont  tou- 
jours les  conjonctures  les  plus  favorables  aux  progrès  des 
sectes.  Mais  l'Église  des  Gaules  fit  face  à  tant  d'ennemis  diffé- 
rents. Les  évêques  eurent  horreur  des  dogmes  impies  du 
prédestinatianisme,  et  Léonce  d'Arles,  qui  avait  été  chargé 
par  le  pape  S.  Hilaire  d'assembler  les  conciles  de  ces  pro- 
vinces, en  convoqua  un  pour  ce  sujet  à  Arles,  où  se  trouvè- 
rent trente  évêques. 

Le  concile  commença  par  proscrire  les  erreurs  des  prédes- 
tinatiens,  et  songeait  à  procéder  contre  Lucide,  qui  les  avait 
enseignées.  Mais  Fauste  de  Riez  fit  suspendre  les  procédures 
du  concile  dans  l'espérance  de  convertir  ce  novateur.  Il  s'ef- 
força d'abord  de  le  gagner  dans  des  entretiens  particuliers, 
dans  lesquels  il  tâchait  de  faire  entrer  la  vérité  dans  son  cœur 
par  les  voies  de  la  douceur  et  de  la  bonté.  Lucide  souhaita 
d'être  instruit  par  quelque  écrit.  Fauste  eut  pour  lui  cette 
complaisance,  et,  pendant  la  tenue  du  concile,  il  lui  écrivit  la 
lettre  suivante  (1)  : 

«  C'est  l'effet  d'une  grande  charité  que  de  vouloir,  avec  le 
secours  de  la  grâce,  corriger  plutôt  l'erreur  d'un  frère  incon- 
sidéré que  de  le  séparer  de  l'unité,  comme  les  évêques  son- 
gent à  le  faire.  Mais  que  puis-je  dire  là-dessus  par  écrit, 
comme  vous  souhaitez  que  je  le  fasse,  après  que  je  n'ai  pu 
de  vive  voix,  par  la  douceur  et  l'humilité,  vous  faire  rentrer 
dans  le  chemin  de  la  vérité?  Quand  on  parle  de  la  grâce  de 
Dieu  et  du  travail  de  l'homme,  on  doit  bien  prendre  garde 
de  ne  s'écarter  ni  à  droite  ni  à  gauche;  mais  il  faut  tenir  le 

milieu  et  suivre  le  grand  chemin        Je  vous  dirai  donc  en 

peu  de  mots  quels  sont  les  sentiments  que  vous  devez  avoir 


(l)  Epist.  Fausti,  t.  I  Conc.  Gall.,  p.  148,  —  Labb.,  Concil.  t.  IV,  p.  1042. 


[475]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  53 

avec  l'Église  catholique,  afin  que  vous  ne  sépariez  jamais  de 
la  grâce  de  Dieu  le  travail  d'un  serviteur  fidèle,  et  que  vous 
ne  détestiez  pas  moins  celui  qui  enseigne  la  prédestination  à 
l'exclusion  du  travail  de  l'homme,  que  celui  qui  s'attache 
aux  dogmes  de  Pélage. 

«  Anathème  donc  à  celui  qui,  entre  plusieurs  impiétés  de 
Pélage,  croit  que  l'homme  naît  sans  péché,  et  qui,  par  une 
damnable  présomption,  prétend  qu'il  peut  se  sauver  par  son 
seul  travail  et  être  délivré  sans  la  grâce  de  Dieu. 

«  Anathème  à  celui  qui  soutient  qu'un  homme  qui,  ayant 
été  baptisé  et  confessant  la  foi,  vient  ensuite  à  succomber  aux 
plaisirs  et  aux  tentations  du  monde,  périt  en  Adam  et  par  le 
péché  originel. 

«  Anathème  à  celui  qui  dit  que  l'homme  est  précipité  dans 
la  mort  par  la  prescience  de  Dieu. 

«  Anathème  à  celui  qui  dit  que  l'homme  damné  n'a  pas 
reçu  le  moyen  de  se  sauver  :  ce  qu'on  entend  de  celui  qui  a 
été  baptisé,  ou  d'un  païen  qui  est  parvenu  à  l'âge  de  pouvoir 
croire  et  qui  ne  l'a  pas  voulu. 

«  Anathème  à  quiconque  dit  qu'un  vase  d'ignominie  ne 
peut  parvenir  à  être  un  vase  d'honneur. 

«  Anathème  à  quiconque  dit  que  Jésus-Christ  n'est  pas 
mort  pour  tous  les  hommes,  et  qu'il  ne  veut  pas  que  tous 
les  hommes  soient  sauvés.  » 

Fauste  ajoute,  en  s'adressant  toujours  à  Lucide  :  «  Quand 
vous  viendrez  nous  trouver  au  nom  de  Jésus-Christ,  et  que 
vous  serez  cité  devant  les  évêques  assemblés,  alors  nous  vous 
produirons  des  témoignages  propres  à  confirmer  le  senti- 
ment catholique  et  à  réfuter  l'erreur  opposée.  Pour  nous, 
nous  enseignons,  selon  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  avec  vérité 
et  avec  confiance,  que  celui  qui  a  péri  par  sa  faute  aurait  pu 
être  sauvé  par  lâT  grâce,  s'il  n'avait  pas  refusé  de  coopérer  à 
cette  grâce  par  son  travail;  et  que  celui  qui  par  la  grâce,  à 
laquelle  il  a  joint  l'obéissance,  est  parvenu  au  terme  d'une 
heureuse  fin,  a  pu  tomber  par  sa  lâcheté  et  périr  par  sa 


54  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [475] 

faute.  C'est  ainsi  que ,  suivant  Jésus-Christ  pour  guide,  nous 
tenons  un  juste  milieu.  Après  la  grâce,  sans  laquelle  nous  ne 
sommes  rien,  nous  établissons  le  travail  d'une  servitude 
officieuse  ;  mais  nous  excluons  en  toute  manière  l'arrogance 
et  la  présomption  du  travail...  » 

Fauste  fait  ensuite  une  pressante  exhortation  à  Lucide 
pour  le  porter  à  détester  ses  erreurs,  et  il  termine  cette 
lettre  en  lui  disant  qu'il  en  conserve  une  copie  pour  la  pro- 
duire, s'il  est  nécessaire,  jians  le  concile;  qu'il  le  prie  de  lui 
renvoyer  signé  de  sa  main  l'exemplaire  qu'il  lui  adresse; 
que  s'il  refuse  de  le  faire,  il  prendra  son  silence  pour  une 
preuve  de  son  opiniâtreté  et  se  croira  obligé  de  le  dénoncer 
au  concile. 

Fauste,  pour  donner  plus  d'autorité  à  sa  lettre,  la  fît  signer 
par  onze  évêques,  parmi  lesquels  on  voit  S.  Patient  de  Lyon, 
S.  Euphrone  d'Autun,  S.  Eutrope  d'Orange  (1)  et  Mégèthe, 
qu'on  croit  évêque  de  Belley. 

Cette  lettre  de  Fauste,  qui  est  un  fort  beau  monument 
contre  l'hérésie  prédestinatienne,  fît  impression  sur  l'esprit 
de  Lucide,  et  les  décrets  du  concile  achevèrent  de  le  dé- 
tromper. Il  fit  une  rétractation  conforme  à  ces  décrets,  et  il  l'a- 
dressa aux  Pères  du  concile.  Il  les  nomme  tous  au  commen- 
cement de  sa  lettre,  et  nous  apprend  par  là  les  noms  de  ces 
trente  évêques.  Les  plus  connus  sont  :  Léonce  d'Arles,  S.  Pa- 
tient de  Lyon,  S.  Euphrone  d'Autun,  S.  Jean  de  Chalon-sur- 
Saône,  S.  Mamert  de  Vienne,  Fauste  de  Riez,  S.  Eutrope 
d'Orange,  Fontéiusde  Yaison,  S.  Marcel  de  Die,  Basile  d'Aix, 
Grec  de  Marseille  et  Crocus  de  Nîmes,  qui  avait  été  rendu  à 
son  Église  (2).  Nous  croyons  devoir  rapporter  ici  cette  rétrac- 

(1)  Fleury,  t.  VI,  p.  588, dit  que,  parmi  les  évêques  qui  signèrent  cette  lettre, 
il  n'y  a  que  Patient  de  Lyon  qu'on  connaisse.  Il  oublie  qu'en  parlant  des  évê- 
ques à  qui  Lucide  adresse  sa  rétractation ,  il  a  dit  que  S.  Euphrone  était  évêque 
d'Autun.  Dans  quelques  manuscrits  cette  lettre  ne  porte  que  la  signature  de 
Fauste^  qui  l'a  écrite. 

(2)  Le  P.  Duchesne,  jésuite,  dans  son  Histoire  du  prédestinatianisme ,  dit  que 
l'évêque  Claude  qui  assista  à  ce  concile  est  le  célèbre  S.  Claude  de  Besançon. 


[475]  EN  FRANCE.  —   LIVRE  V.  55 

tation  de  Lucide,  afin  de  faire  mieux  connaître  les  erreurs 
des  prédestinatiens. 

«  Votre  réprimande,  dit-il  aux  Pères  du  concile,  est  le 
salut  de  tous,  et  votre  sentence  est  un  remède  qui  guérit 
veux  qu'elle  frappe.  C'est  pourquoi  je  crois  que  le  meilleur 
moyen  d'excuser  mes  erreurs  passées,  c'est  de  m'en  accuser: 
et  ce  n'est  que  par  un  aveu  salutaire  que  je  prétends  m'en 
justifier.  Aussi,  me  conformant  aux  nouveaux  décrets  du 
concile,  je  condamne  avec  vous  les  opinions  exprimées  dans 
les  propositions  suivantes  ;  savoir  : 

«  Qu'il  ne  faut  pas  joindre  à  la  grâce  divine  le  travail  de 
l'obéissance  humaine. 

«  Qu'après  la  chute  du  premier  homme  le  libre  arbitre  a 
été  entièrement  éteint. 

«  Que  Jésus-Christ,  notre  Seigneur  et  Sauveur,  n'a  pas 
souffert  la  mort  pour  le  salut  de  tous. 

«  Que  la  prescience  de  Dieu  fait  violence  à  l'homme  pour 
le  précipiter  dans  la  mort,  ou  que  ceux  qui  périssent,  péris- 
sent par  la  volonté  de  Dieu. 

«  Que  quiconque  pèche  après  avoir  reçu  le  baptême  en- 
court la  mort  (éternelle)  à  cause  du  péché  d'Adam. 

«  Que  les  uns  sont  prédestinés  à  la  mort,  et  les  autres  à 
la  vie. 

«  Que  depuis  Adam  jusqu'à  Jésus-Christ,  nul  des  hommes 
n'a  été  sauvé  par  la  foi  en  la  venue  de  Jésus-Christ,  avec  le 
secours  de  la  première  grâce,  qui  est  la  loi  naturelle,  parce 
qu'ils  avaient  perdu  le  libre  arbitre  en  Adam. 

Mais  cet  historien,  exact  d'ailleurs,  se  trompe  en  ce  point.  Ceux  qui  placent  le 
plus  tôt  S.  Claude,  le  font  assister  au  concile  d'Epaone  en  517,  et  l'on  trouve  en  effet 
un  Claude  de  Besançon  dans  les  souscriptions  de  ce  concile.  Or,  comme  ce  saint 
évêque,  qui  abdiqua  l'épiscopat  pour  se  faire  moine,  tint  le  siège  peu  d'années,  il 
ne  peut  avoir  été  évêque  en  475  et  en  517.  Le  même  auteur  se  trompe  encore 
lorsqu'il  dit  que  Pragmace  qui  se  trouva  à  ce  concile  contre  les  prédestinatiens, 
est  S.  Pragmace  d'Autun  :  c'était  S.  Euphrone  qui  était  alors  évêque  de  cette 
ville.  Car  nous  savons  certainement  qu'il  vivait  encore  l'an  475,  puisque  S.  Per- 
pétue, dans  son  testament,  daté  du  premier  mai  de  cette  année,  lui  fait  un  legs. 
S.  Pragmace,  qui  succéda  à  S.  Euphrone,  assista  en  517  au  concile  d'Epaone. 


56  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [475] 

«  Que  les  patriarches,  les  prophètes  et  les  plus  grands 
saints  ont  été  reçus  dans  le  paradis  avant  le  temps  de  la  ré- 
demption. 

«  Je  condamne  tous  ces  sentiments  comme  impies  et  sa- 
crilèges. J'admets  tellement  la  grâce  de  Dieu  que  j'y  joins 
les  efforts  de  l'homme,  et  je  dis  que  le  libre  arbitre  n'a  pas 
été  éteint,  mais  affaibli;  que  celui  qui  est  sauvé  a  été  en 
péril,  et  que  celui  qui  est  damné  a  pu  être  sauvé;  que  Jésus- 
Christ,  Dieu  et  Sauveur,  a  offert  le  prix  de  sa  mort  pour  tous  les 
hommes,  selon  les  richesses  de  sa  bonté;  qu'il  ne  veut  point 
que  personne  périsse,  lui  qui  est  le  Sauveur  de  tous  les 
hommes,  principalement  des  fidèles,  et  qui  est  riche  pour  tous 
ceux  qui  l'invoquent  (1). 

«  Et  pour  décharger  entièrement  ma  conscience  dans  une 
affaire  si  importante,  je  me  souviens  d'avoir  dit  auparavant 
que  Jésus-Christ  n'était  venu  que  pour  ceux  qu'il  avait  prévu 
devoir  croire  en  lui,  m'autorisant  de  ces  paroles  du  Seigneur  : 
Le  Fils  de  l'homme  n'est  pas  venu  pour  être  servi,  mais  pour 
servir  et  pour  donner  sa  vie  pour  plusieurs;  et  de  ces  autres  : 
C'est  le  calice  de  mon  sang  qui  fait  le  testament  nouveau,  et 
qui  sera  répandu  pour  le  salut  de  plusieurs  (2) .  Mais  à  pré 
sent  que  je  suis  mieux  instruit  par  l'autorité  des  témoignages 
que  l'on  trouve  en  grand  nombre  dans  les  divines  Écritures, 
selon  l'interprétation  et  la  doctrine  des  anciens,  je  recon- 
nais volontiers  que  Jésus-Christ  est  venu  aussi  pour  ceux  qui 
se  sont  perdus,  parce  qu'ils  se  sont  perdus  malgré  lui,  n'é- 
tant pas  permis  de  restreindre  à  ceux  qui  ont  été  sauvés  les 
bienfaits  de  Dieu  et  les  richesses  de  son  immense  bonté. 
Car  si  nous  disons  que  Jésus-Christ  n'a  apporté  le  remède 
que  pour  ceux  qui  ont  été  sauvés,  nous  paraîtrons  absoudre 
ceux  qui  n'ont  point  été  rachetés,  quoiqu'il  soit  constant 
qu'ils  ont  été  punis  pour  avoir  méprisé  la  rédemption. 

«  Je  reconnais  aussi  que  dans  le  cours  des  siècles  qui  se 

(1)  II  Petr.  m,  9.  —  Tim.  iv,  10.  —  Rom.  x,  12.  —  (2)  Matth.,  x,  28; 
xxvi,  28. 


[475]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  57 

sont  écoulés,  les  uns  ont  été  sauvés  par  la  loi  de  grâce,  les 
autres  sous  la  loi  de  Moïse,  et  d'autres  enfin  sous  la  loi  natu- 
relle écrite  par  le  Seigneur  au  fond  de  tous  les  cœurs  ;  mais 
qu'ils  l'ont  tous  été  par  l'espérance  de  l'avènement  de  Jésus- 
Christ,  et  que  depuis  le  péché  d'origine  personne  n'a  été  délivré 
que  par  l'intercession  de  son  sang  sacré.  Je  confesse  pareil- 
lement l'éternité  des  feux  de  l'enfer  destinés  aux  crimes 
capitaux,  parce  que  la  justice  divine  y  punit  toujours  juste- 
ment les  péchés  qui  subsistent  toujours;  et  je  suis  persuadé 
que  ceux  qui  ne  croient  pas  cette  vérité  de  tout  leur  cœur, 
encourent  avec  justice  ces  peines  éternelles. 

«  Priez  pour  moi,  saints  évêques.  Moi  Lucide,  de  ma 
main,  je  souscris  cette  lettre  que  j'ai  écrite;  j'approuve  tout 
ce  qui  y  est  approuvé,  et  je  condamne  tout  ce  qui  y  est  con- 
damné (1).  » 

Un  acte  si  authentique,  dressé  sur  les  décrets  mêmes  du 
concile  d'Arles,  peut  suppléer  aux  actes  de  ce  concile,  qui 
sont  perdus.  Il  suffit  pour  nous  faire  connaître  quels  dogmes 
y  furent  définis  contre  le  prédestinatianisme,  et  pour  con- 
vaincre les  plus  incrédules  que  cette  hérésie  n'est  pas  un 
fantôme,  comme  on  a  tâché  de  le  persuader  (2).  Il  paraît,  par 
le  dernier  article  de  la  confession  de  foi  de  Lucide,  que 
quelques  prédestinatiens  avaient  pris  le  parti  de  nier  l'éter- 
nité des  peines  de  l'enfer,  apparemment  pour  diminuer 
l'horreur  que  donne  naturellement  l'idée  d'un  Dieu  qui  con- 
damnerait ses  créatures  à  des  feux  éternels  pour  des  péchés 
personnels  qu'elles  n'auraient  pu  éviter. 

Les  Pères  du  concile  reçurent  avec  joie  la  rétractation  de 
Lucide,  et  comme,  après  le  Seigneur,  ils  en  attribuèrent  la 

(1)  Labb.,  t.  IV,  p.  1ÛU. 

(2)  Quelques-uns  de  ceux  qui  avaient  intérêt  à  faire  passer  le  prédestinatia- 
nisme pour  une  hérésie  imaginaire,  ont  accusé  Fauste  d'avoir  supposé  ce  concile, 
aussi  bien  que  la  rétractation  de  Lucide.  D'autres  se  sont  contentés  de  traiter  les 
trente  évêques  du  concile  d'Arles  de  semi-pélagiens,  qui  ont  condamné  la  saine 
doctrine.  Une  cause  est  bien  désespérée  quand,  pour  la  soutenir,  on  produit  de  pa- 
reilles défenses. 


53  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [475] 

gloire  au  zèle  et  à  la  lettre  de  Fauste,  ils  le  chargèrent 
d'écrire  contre  l'hérésie  prédestinatienne  et  de  rédiger  en 
ordre  les  raisons  qu'on  avait  produites  dans  le  concile  pour 
combattre  ces  erreurs.  Fauste  s'acquitta  avec  plaisir  d'une 
commission  si  honorable.  Il  composa  un  ouvrage  divisé  en 
deux  livres  sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre.  Mais,  avant  qu'il 
l'eût  rendu  public,  il  se  tint  à  Lyon  un  second  concile  contre 
les  prédestinatiens,  et  ce  concile  chargea  Fauste  d'ajouter  à 
son  ouvrage  la  réfutation  de  quelques  nouvelles  erreurs, 
qu'on  avait  découvertes  chez  ces  sectaires.  C'est  ce  que 
Fauste  nous  apprend  lui-même  (1). 

Il  adressa  ces  deux  livres  à  Léonce  d'Arles  dans  une  lettre 
en  forme  de  préface,  qui  figure  en  tête  de  l'ouvrage,  et  dans 
laquelle  il  dit  ces  paroles  remarquables  :  «  Il  est  utile  et  sa- 
lutaire d'établir  la  grâce,  quand  on  y  joint  l'obéissance  d'un 
travail  qui  en  dépend.  C'est  comme  un  serviteur  qui  doit 
toujours  suivre  son  maître  ou  son  seigneur  :  s'il  arrive  que 
l'un  soit  sans  l'autre,  alors  le  maître  sans  serviteur  paraît 
sans  honneur;  et  le  serviteur  sans  son  maître,  oubliant  sa 
condition,  ose  prendre  la  place  du  maître.  » 

Il  serait  à  souhaiter  que  dans  la  suite  de  l'ouvrage  Fauste 
n'eût  pas  oublié  cette  maxime.  Ses  écrits  n'auraient  pas  été 
flétris,  comme  ils  le  furent  dans  la  suite  par  le  décret  attribué 
au  pape  Gélase.  Mais  la  haine  d'une  hérésie  qu'il  combattait 
le  fit  donner  dans  l'écueil  opposé,  et  l'on  s'aperçoit  aisément, 
par  la  lecture  de  ces  deux  livres,  qu'il  ne  reconnaît  pas  la 
nécessité  d'une  grâce  prévenante  pour  le  commencement  de 
la  bonne  action.  Il  parle  cependant  avec  éloge  de  S.  Augustin 
dans  le  second  livre  (2).  Ce  qui  est  d'autant  plus  remar- 
quable qu'il  avait  dit,  dans  une  lettre  à  un  diacre  appelé 
Grec  (3),  «  qu'il  y  avait  quelque  chose  dans  les  écrits  de  ce 
saint  docteur  que  les  plus  savants  tenaient  pour  suspect  (4).  » 

(I)  In  Prœfat.  operis.  —  (2)  L.  II,  c.  xn. 

(3)  On  croit,  sur  des  conjectures  assez  plausibles,  que  ce  diacre  nommé  Grec  est 
celui  qui  fut  élevé  sur  le  siège  de  Marseille  après  S.  Eustase. 

(4)  Fausti  Ep.  ad  Grec. 


[475]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  59 

Fauste  composa  aussi  un  livre  sur  le  Saint-Esprit,  et  un  autre 
contre  les  ariens  et  les  macédoniens  ;  ces  deux  livres  sont 
perdus.  Enfin,  il  reste  de  lui  plusieurs  lettres,  et  une  entre 
autres,  pleine  d'instructions  convenables  aux  personnes  qui 
embrassent  la  vie  pénitente,  adressée  à  Félix,  ancien  préfet 
jdu  prétoire;  nous  avons  encore  de  Fauste  quelques-unes  des 
(: homélies  attribuées  à  Eusèbe  d'Emèse,  et  nommément  celle 
f  qui  contient  le  panégyrique  de  S.  Maxime  (1). 

S.  Sidoine  estimait  tant  les  ouvrages  de  Fauste ,  qu'ayant 
appris  qu'un  abbé  nommé  Riocate  (2),  qui  avait  passé  par  la 
ville  d'Auvergne,  portait  en  Bretagne  un  nouvel  écrit  de  cet 
auteur,  il  courut  lui-même  fort  loin  après  le  porteur,  et, 
l'ayant  atteint,  il  lui  embrassa  les  genoux  et  ne  le  quitta 
pas  qu'il  ne  lui  eût  montré  l'ouvrage,  dont  il  fit  sur-le- 
i champ  quelques  extraits.  Après  quoi  il  revint  avec  autant  de 
joie  que  s'il  eût  été  chargé  d'un  riche  butin  (3). 

Ce  saint  évêque  ne  donne  pas  aux  vertus  de  Fauste  des 
j éloges  moins  grands  qu'à  ses  ouvrages.  Il  le  compare  à 
S.  Honorât  et  à  S.  Maxime,  et  nous  apprend  qu'il  retournait 
de  temps  en  temps  à  Lérins  pour  s'y  délasser  de  ses  fonc- 
tions épiscopales  en  servant  ses  frères,  ou  qu'il  se  retirait 
|  dans  quelque  solitude  des  Alpes  pour  y  vaquer  plus  en  re- 
pos à  l'oraison.  Il  ne  buvait  jamais  de  vin,  et  ne  mangeait 
presque  rien  de  cuit.  Toujours  occupé  de  pratiquer  la  cha- 
rité, tout  son  temps  était  consacré  à  prêcher  son  peuple  (4), 

(1)  Gennad.  de  Script,  eccles.,  c.  lxxxv. 

(2)  On  trouve  un  S.  Riocate  dans  d'anciennes  litanies  à  l'usage  des  Églises  d'An- 
gleterre. Ce  peut  être  celui  dont  il  est  ici  parlé.  Sidoine  le  nomme  (Analect.,  t.  I.) 
autistes  et  monachus:  le  terme  (Tantistes  peut  signifier  un  évêque,  mais  on  peut 
aussi  l'entendre  d'un  abbé,  ou  même  d'un  prêtre,  qui  est  un  prélat  du  second  ordre, 
antistes  ordine  in  secundo,  comme  dit  ailleurs  Sidoine. 

(3)  Sid.,  1.  IX,  Ep.  ix. 

(4)  S.  Sidoine  dit  que  Fauste  se  tenait  sur  les  degrés  de  l'autel  pour  annoncer 
la  parole  divine,  et  que  son  peuple  l'entendait  debout.  C'était  en  effet  la  coutume 
de  prêcher  du  sanctuaire  et  d'entendre  le  sermon  debout.  Cet  usage  n'était  ce- 
pendant pas  universel.  S.  Augustin  (de  Cathed.  Rudibus,  c.  xm)  nous  apprend  qu'il 
y  avait  des  églises  d'outre-mer  où  les  auditeurs  étaient  assis  :  ce  que  le  saint 
docteur  dit  être  plus  convenable ,  parce  qu'on  était  moins  fatigué  de  la  longueur 
du  sermon.  On  remarque  aussi  que  S.  Jean  Chrysostome  et  quelques  autres  évêques 


60  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  1.475] 

à  consoler  les  prisonniers,  à  nourrir  les  pauvres  et  à  ense- 
velir les  morts.  On  le  vit  quelquefois  charger  sur  ses  épaules 
des  cadavres  envahis  déjà  par  la  corruption  et  les  porter 
jusqu'au  bûcher  (1),  ce  qui  indique  qu'alors  on  brûlait  encore 
quelquefois  les  morts.  L'exil  qu'il  souffrit  pour  la  foi,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit,  couronna  toutes  ces  vertus.  Il  mourut 
fort  âgé  (2)  dans  son  Église,  on  ignore  la  date  de  sa  mort. 

Quoique  les  écrits  de  Fauste  aient  été  flétris  avec  justice, 
sa  mémoire  ne  l'a  pas  été,  parce  qu'il  écrivait  avant  que 
l'Église  eût  condamné  comme  une  hérésie  les  opinions  qu'il 
a  soutenues.  Il  est  honoré  avec  la  qualité  de  saint  (3)  à  Riez, 
où  il  existe  une  église  dédiée  en  son  honneur.  Malgré  les 
taches  que  laissent  dans  les  ouvrages  de  Fauste  de  si  dan- 
gereuses erreurs,  on  peut  dire  qu'on  y  trouve  l'onction  de 
la  piété  unie  à  la  force  de  l'éloquence  et  du  raisonnement. 
Sidoine  dit  de  lui  qu'il  semblait  avoir  épousé  la  philoso- 
phie, après  l'avoir  rendue  humble  et  chrétienne ,  et  qu'il  avait 
fait  servir  l'académie  de  Platon  à  la  défense  de  l'Église  de 
Jésus-Christ.  Il  ajoute  que  Fauste  parlait  mieux  qu'il  n'avait 
appris,  et  qu'il  vivait  mieux  qu'il  ne  parlait  (4).  Le  bon  cœur 
de  S.  Sidoine  le  rend  toujours  éloquent  quand  il  loue  ses 

prêchaient  de  l'ambon,  pour  être  mieux  entendus.  L'ambon  était  une  tribune  élevée 
entre  le  chœur  et  la  nef.  Il  faut  le  distinguer  de  l'abside,  qui  était  derrière  l'autel 
en  hémicycle.  La  partie  inférieure  de  l'abside  se  nommait  la  conque,  à  cause  de  sa 
figure.  Nous  voyons  par  quelques  exemples  qu'on  montait  par  des  degrés  dans 
l'abside  pour  se  faire  voir  au  peuple  :  ce  qui  peut  faire  regarder  la  partie  su- 
périeure de  l'abside,  qui  était  faite  en  forme  d'arche,  comme  une  espèce  de  jubé  ; 
le  mot  d'abside  se  prend  aussi  quelquefois  pour  tout  le  sanctuaire. 

(1)  Carm.  xvi. 

(2)  Il  fallait  que  Fauste  fût  bien  âgé,  puisque  Sidoine  (lib.  IX,  Ep.  ix)  dit  qu'il 
comptait  déjà  ses  années  sur  la  main  droite.  Car  cette  expression  signifie  qu'il  avait 
plus  de  cent  ans.  En  effet,  les  anciens,  qui  exprimaient  les  nombres  par  certaines 
inflexions  des  doigts,  comptaient  sur  la  gauche  jusqu'au  nombre  de  cent,  et  en- 
suite on  passait  à  la  droite,  où  lorsqu'on  avait  compté  jusqu'à  dix  mille,  on  re- 
venait à  la  gauche.  C'est  en  ce  sens  que  pour  marquer  le  grand  âge  de  Nestor, 
Juvénal  a  dit  :  Suos  jam  dextra  computat  annos.  (Satyr.,  x). 

(3)  Baronius,  au  tome  VI  de  ses  Annales,  s'était  exprimé  en  termes  durs 
contre  ceux  qui  donnaient  à  Fauste  la  qualité  de  saint.  Mais,  ayant  été  mieux 
instruit,  il  se  rétracta.  Fauste  est  honoré  le  16  janvier,  et  non  le  17,  comm( 
Baronius  et  après  lui  le  P.  Duchesne  l'ont  dit.  Quelques-uns  en  marquent  la  fêtt 
à  liiez  au  28  septembre. 

(4)  Sic!.,  1.  IX,  Ep.  ix. 


175]  EN  FRAXCE.    LIVRE  V.  61 

mis.  Mais  il  les  servait  encore  mieux  qu'il  ne  les  louait. 

Ce  saint  évêquc,  profitant  apparemment  de  la  paix  accor- 
lée  par  Evaric,  fit  un  voyage  à  Toulouse,  où  ce  prince  tenait 
,a  cour.  Il  se  chargea  d'y  intercéder  auprès  d'un  de  ses  an- 
liens  amis,  nommé  Maxime ,  en  faveur  d'un  débiteur  mori- 
|>ond  à  qui  Maxime  avait  prêté  une  somme  d'argent  à  in- 
érêt.  Sidoine  le  trouva  dans  une  maison  de  campagne,  mais 
bien  différent  de  ce  qu'il  l'avait  connu  autrefois.  Sa  démarche, 
;es  habits,  son  air,  ses  discours,  tout  respirait  la  piété. 
[l  portait  les  cheveux  courts  et  la  barbe  longue.  Ses  meubles 
i  itaient  simples  :  au  lieu  de  chaises ,  il  avait  des  escabeaux  à 
:rois  pieds,   et  les  rideaux  des  portes  étaient  d'une  étoffe 
grossière.  Il  n'y  avait  pas  de  plume  dans  son  lit  ni  de  tapis 
le  pourpre  sur  sa  table.  Elle  était  très-frugale,  et  l'on  y 
servait  plus  de  légumes  que  d'autres  mets.  Sidoine,  fort  sur- 
pris de  voir  cette  réforme  dans  la  manière  de  vivre  de  Maxime, 
iemanda  secrètement  à  ses  gens  s'il  était  moine ,  clerc  ou 
pénitent.  On  lui  répondit  que  les  citoyens  l'avaient  contraint 
depuis  peu  d'accepter  l'épiscopat  (1). 

Ce  fait  est  remarquable  en  ce  qu'il  fait  voir  que  les  clercs , 
les  moines  et  les  pénitents  étaient  distingués  alors  des  autres 
fidèles  par  l'habit  et  par  la  manière  de  vivre  ;  mais  qu'ils  ne 
l'étaient  pas  toujours  entre  eux,  en  sorte  que  Sidoine  ne  put 
connaître  lequel  de  ces  trois  genres  de  vie  son  ami  avait 
embrassé.  On  voit  aussi  par  là  que  les  ecclésiastiques  por- 
taient quelquefois  la  barbe  longue ,  usage  qui  fut  dans  la 
suite  aboli  en  Occident. 

Maxime  accorda  non-seulement  le  délai  du  payement ,  il 
remit  encore  tous  les  intérêts,  qui  depuis  dix  ans  montaient 
plus  haut  que  le  principal.  Car  l'intérêt  était  un  centième 
chaque  mois  ;  mais  quand  les  intérêts  accumulés  surpassaient 

(1)  Sid.,  1.  IV,  Ep.  xxiv. — Fleury,  t.  VI,  p.  595,  dit  qu'on  peut  croire  qu'il 
n'était  que  prêtre.  Mais  le  mot  de  sacerdotium,  dont  se  sert  Sidoine,  est  plus  sou- 
vent pris  pour  l'épiscopat ,  et  ce  qu'ajoute  cet  auteur,  que  l'amour  des  citoyens  l'y 
arait  engagé,  ne  laisse  presque  aucun  lieu  de  douter  qu'il  ne  s'agisse  d'une  élection 
à  l'épiscopat. 


62  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [475] 

le  capital,  on  ne  payait  point  le  surplus.  L'Église  n'approu- 
vait pas  ces  usures  permises  par  les  lois  civiles  :  ce  qui  fait 
dire  à  Sidoine  que  Maxime ,  en  agissant  si  généreusement , 
n'avait  pas  moins  eu  égard  à  sa  conscience  qu'à  sa  réputa- 
tion. Maxime  avait  été  un  des  officiers  qu'on  nommait  pala- 
tins, et  qui  étaient  chargés  du  recouvrement  des  impôts.  Il 
avait  été  ordonné  depuis  peu  évêque,  apparemment  de  Tou- 
louse, et  sans  doute  après  la  paix  dont  nous  avons  parlé. 

Cette  paix,  heureuse  pour  toute  l'Église,  fut  surtout  pour 
S.  Sidoine  la  cause  d'une  grande  joie,  en  lui  permettant  de 
renouer  le  commerce  de  lettres  qu'il  entretenait  avec  ses 
amis.  S.  Eutrope,  évêque  d'Orange,  était  du  nombre.  Sidoine 
lui  écrivit  alors  pour  savoir  l'état  de  sa  santé  et  le  prier 
de  lui  envoyer  quelques  mots  d'exhortation  pour  le  soute- 
nir (1).  S.  Eutrope  était  originaire  de  Marseille.  Il  reçut  le 
diaconat  des  mains  de  S.  Eustase,  qu'on  croit  avoir  succédé 
à  Yénérius.  Ensuite  il  fut  élu  évêque  d'Orange.  La  désola- 
tion où  il  trouva  cette  ville  lui  donna  l'envie  d'éviter  par  la 
fuite  le  fardeau  que  son  élection  lui  imposait;  mais  il  fut 
détourné  de  ce  dessein  par  un  disciple  de  S.  Augustin 
nommé  Aper ,  et  comme  les  biens  de  son  Église  avaient  été 
pillés ,  il  s'adonna  à  l'agriculture  et  pourvut  à  sa  subsistance 
par  le  travail  de  ses  mains.  C'est  ce  que  nous  apprend  un 
fragment  de  sa  Yie  composée  par  Yérus,  son  successeur.  Il 
est  écrit  avec  un  caractère  de  vérité  qui  nous  fait  regretter 
d'avoir  perdu  le  reste.  S.  Eutrope  est  honoré  le  27  mai  (2). 

La  paix,  qu'on  avait  eu  tant  de  peine  à  conclure  entre  les 
Romains  et  les  Yisigoths ,  fut  bientôt  rompue  par  une  nou- 
velle révolution,  qui  renversa  enfin  l'empire  d'Occident, 
ébranlé  par  tant  de  secousses  redoublées.  Oreste,  maître  de 
la  milice,  ayant  chassé  l'empereur  Népos  au  mois  de  septem- 
bre l'an  475,  ne  voulut  pas  prendre  la  pourpre;  mais  il  la 
fît  donner  à  son  fils  Romulus  ou  Momyllus  Augustulus  (3) , 

(1)  Sid.,  1.  VI,  Ep.  vi.  —  (2)  Apud  Bolland,  27  maii. 

(3)  Ducange  rapporte  une  médaille  qui  donne  à  cet  empereur  le  nom  de  Ro- 


[476]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  63 

prince  faible  par  son  âge  et  par  son  caractère.  Aussi  n'eut-il 
guère  que  le  titre  d'empereur,  et  il  ne  l'eut  pas  longtemps. 
Evade  prit  occasion  de  ces  nouveaux  troubles  pour  recom- 
mencer ses  hostilités  dans  la  Gaule ,  sans  autre  motif  que  le 
désir  d'étendre  ses  conquêtes  ;  mais  pour  lui  le  motif  était 
suffisant.  Les  guerres  utiles  paraissent  toujours  des  guerres 
justes  aux  yeux  des  ambitieux.  Si  l'Auvergne  n'avait  pas  été 
cédée  par  le  traité  à  ce  roi  goth ,  comme  il  semble  qu'elle  le 
fut,  il  ne  tarda  pas  à  s'en  rendre  le  maître,  et  il  y  établit  le 
comte  Yictorius  pour  gouverneur. 

Evaric  ne  pardonna  pas  à  S.  Sidoine  le  zèle  avec  lequel 
il  avait  si  longtemps  combattu  pour  la  liberté  de  sa  patrie. 
Il  le  confina  au  château  de  Liviane,  près  de  Garcassonne, 
où  une  des  plus  grandes  incommodités  qu'eut  à  supporter 
le  saint  évêque  fut  le  voisinage  de  deux  vieilles  femmes 
presque  toujours  ivres,  qui  par  leurs  cris  et  leurs  querelles 
l'empêchaient  d'étudier  le  jour  et  de  reposer  la  nuit.  Mais  le 
mérite  de  Sidoine  lui  fit  trouver  des  amis  à  la  cour  même 
d'Evaric.  Léon,  conseiller  de  ce  prince,  distingué  par  son 
érudition ,  son  éloquence  et  sa  probité ,  fit  tant  par  ses  bons 
offices  qu'il  obtint  son  rappel.  Le  saint  évêque,  pour  lui  en 
marquer  sa  reconnaissance,  transcrivit  (1)  pour  lui  et  cor- 
rigea de  sa  main  un  exemplaire  qu'il  lui  avait  demandé  de 
la  vie  d'Apollonius  de  Thyane,  ce  fameux  philosophe  et 
magicien  qui  fut  peut-être  le  plus  grand  imposteur  qui  ait 
paru,  si  l'on  excepte  son  historien  Philostrate.  Quelques  enne- 
mis du  christianisme  ont  cependant  osé  mettre  les  miracles 
attribués  à  Apollonius  en  parallèle  avec  ceux  mêmes  de  Jésus- 
Christ  ;  mais  il  a  été  facile  aux  docteurs  de  l'Église  de  con- 

mulus  ;  il  y  en  a  d'autres  qui  lui  donnent  celui  de  Momyllus  et  d'Augustulus  :  ce 
qui  marque  que  ce  dernier  nom  ne  lui  fut  pas  donné  par  dérision,  comme  quelques- 
uns  l'ont  cru. 

(1)  Sid.,1.  VIII, £p.  m. — Quelques  expressions  pourraient  faire  croire  que  Sidoine 
traduisit  cet  ouvrage  du  grec,  et  Fleury  le  dit.  Mais  le  P.  Sirmond,  dans  ses 
notes,  montre  qu'il  ne  fit  que  le  corriger  et  le  transcrire  :  c'est  ce  que  les  auteurs 
de  ce  siècle  entendaient  par  le  mot  transferre. 


64  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [476] 

fondre  l'imposture.  En  effet,  les  fables  visibles  qu'on  dé- 
couvre dans  l'écrit  de  Philostrate,  ne  peuvent  servir  auprès 
des  esprits  sensés  qu'à  donner  un  nouvel  éclat  à  la  vérité 
simple  et  sans  fard  qui  brille  dans  nos  Évangiles. 

Léon,  qui  connaissait  les  talents  de  Sidoine,  le  pria  aussi 
de  composer  un  corps  d'histoire  :  il  s'en  excusa  sur  sa  pro- 
fession. «  Il  est  honteux  à  un  clerc,  dit-il,  de  dire  des  faus- 
setés, et  il  est  dangereux  de  dire  la  vérité  (1).  »  S.  Prosper, 
évêque  d'Orléans,  s'adressa  à  lui  pour  un  sujet  moins  étendu. 
Il  avait  succédé  à  S.  Agnan,  et  il  crut  ne  pouvoir  rien  faire 
de  plus  glorieux  à  la  mémoire  de  son  prédécesseur  que 
d'engager  un  si  habile  écrivain  à  composer  l'histoire  de  la 
guerre  d'Attila.  Sidoine,  qui  la  regarda  comme  une  histoire 
sainte  à  cause  de  la  délivrance  miraculeuse  de  la  ville  d'Or- 
léans ,  entreprit  de  l'écrire  ;  mais  il  fut  si  peu  content  de  son 
travail  après  l'avoir  relu  qu'il  ne  put  se  résoudre  à  y  mettre 
la  dernière  main.  Il  écrivit  donc  à  ce  sujet  une  lettre  à  Pros- 
per, dans  laquelle  il  lui  marque  qu'il  espère  trouver  une  autre 
occasion  de  travailler  à  la  gloire  de  S.  Agnan,  qu'il  com- 
pare à  celle  de  S.  Loup  et  de  S.  Germain  (2). 

Le  comte  Yictorius  (3)  gouverna  d'abord  l'Auvergne  avec 
plus  de  bonté  qu'on  ne  devait  en  attendre  d'un  ministre 
d'E varie,  et  il  n'omettait  rien  pour  consoler  S.  Sidoine  de  l'es- 
clavage de  sa  patrie.  Ils  assistèrent  ensemble  à  la  mort  de 
S.  Abraham,  premier  abbé  du  monastère  de  Saint-Cyr  dans 
un  faubourg  de  la  ville  d'Auvergne. 

Le  comte  fit  tous  les  frais  des  funérailles,  qui  furent  ma- 
gnifiques, et  Sidoine  composa  l'épitaphe.  Ce  saint  abbé  était 
né  sur  les  bords  de  l'Euphrate  ;  mais ,  à  l'exemple  du  saint 
patriarche  dont  il  portait  le  nom,  il  quitta  son  pays  pour 

(1)  L.  IV,  Ep.  xxii. 

(2)  Sid.,  1.  VIII,  Ep.  xv. 

(3)  Sidoine  ne  donne  à  Victorius  que  la  qualité  de  comte  ;  mais  Grégoire  de 
Tours  le  nomme  duc  et  dit  qu'il  avait  le  gouvernement  de  sept  villes.  Quoique 
les  noms  de  comte  et  de  duc  fussent  souvent  alors  confondus ,  on  appelait  com- 
munément comte  le  gouverneur  d'une  ville,  et  duc  celui  d'une  province. 


j 476 1  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  65 

suivre  la  vocation  de  Dieu ,  qui  mit  aussi  sa  foi  à  de  rudes 
épreuves.  Gomme  il  allait  visiter  les  solitaires  d'Egypte,  il 
fut  pris  par  des  idolâtres  et  détenu  cinq  ans  prisonnier,  en 
haine  du  christianisme,  par  ordre  du  roi  de  Perse.  Ayant  été 
délivré  miraculeusement,  il  passa  en  Occident,  où  sa  vertu 
et  son  pouvoir  sur  les  possédés  lui  attirèrent  de  grands 
respects.  Pour  s'y  soustraire,  il  alla  se  cacher  dans  l'Au- 
vergne et  il  se  bâtit  près  de  la  capitale  de  cette  province  une 
petite  cabane  couverte  de  chaume.  L'éclat  de  sa  vertu  trahit 
son  humilité.  Des  disciples  vinrent  se  ranger  sous  sa  con- 
duite en  assez  grand  nombre  pour  former  un  monastère ,  où 
il  bâtit  une  église  en  l'honneur  de  S.  Gyr,  jeune  enfant 
martyrisé  en  Gilicie  avec  sa  mère  Ste  Julitte  (1).  S.  Abraham 
est  honoré  le  15  juin  (2). 

Auxanius  lui  succéda  dans  la  dignité  d'abbé  ;  sa  sainteté  lui 
attirait  la  vénération  de  tous,  mais  il  n'avait  aucun  des  ta- 
lents nécessaires  au  gouvernement  d'une  communauté.  Une 
santé  délabrée  et  un  naturel  timide  le  rendaient  plus  propre 
à  obéir  qu'à  commander.  Il  ne  pouvait  se  faire  craindre  de 
|ses  inférieurs,  parce  qu'il  les  craignait.  C'était  un  de  ces 
hommes  de  bien  que  leur  vertu  fait  respecter  tant  qu'ils 
n'occupent  aucune  charge,  et  que  leur  faiblesse  fait  mépri- 
ser quand  ils  sont  en  place.  Mais  il  ne  s'aveugla  pas  jusqu'à 
!!  ne  point  voir  le  mal  auquel  il  n'avait  pas  le  courage  de  porter 
remède,  et  il  en  écrivit  à  S.  Sidoine,  son  évêque  (3).  Sidoine 
pria  Yolusien ,  qu'il  nomme  son  frère  (4) ,  d'exercer  le  droit 
l'inspection  sur  le  monastère,  d'assister  l'abbé  de  ses  con- 
heils,  de  le  soutenir  de  son  autorité  contre  les  réfractaires 
ht  d'établir  dans  la  communauté  les  observances  de  Lérins 
[du  de  Grigny. 

(1)  Sidon.,1.  VIT,  Ep.  xvii.  —  Greg.  Tur.,  de  Vitis  PP.,  c.  ni. 

(2)  Ce  monastère  devint  plus  tard  l'église  paroissiale  de  Saint-Cyr,  vulgairement 
kint-Cyrgues.  Ce  saint  est  nommé  en  quelques  autres  provinces  S.  Gyerx,  S.  Cyure 
•■t  S.  Cryq.—  (3)  Sid.,  1.  VII,  Ep.  xvn. 

(4)  Le  P.  Sirmond  croit  que  Volusien  était  en  effet  frère  de  Sidoine  selon 
a  chair;  Savaron  croit  plutôt  que  le  nom  de  frère  n'est  ici  qu'un  terme  d'amitié, 
j  1  est  difficile  de  décider  entre  ces  deux  savants  hommes. 

TOME  II.  O 


66  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [416\ 

S.  Sidoine  étant  allé  un  jour  célébrer  une  fête  dans  le 
monastère  de  Saint-Cyr,  on  lui  déroba  le  livre  dont  il  se  ser- 
vait pour  faire  l'office  :  c'était  apparemment  son  missel  (1), 
qu'il  avait  composé.  Mais  il  y  suppléa  sur-le-champ  avec  au- 
tant de  facilité  que  s'il  eût  eu  le  livre  devant  les  yeux. 

Il  y  avait  aussi  en  Auvergne  du  temps  de  S.  Sidoine  un 
saint  prêtre  nommé  Amable.  Il  vécut  longtemps  à  Riom,  qui 
n'était  alors  qu'une  bourgade,  livré  tout  entier  à  la  pratique  du 
saint  ministère.  Il  vint  ensuite  dans  la  ville  d'Auvergne,  où  il 
mourut  saintement.  Son  tombeau  acquit  une  grande  célébrité 
parles  miracles  qui  s'y  opérèrent.  Grégoire  de  Tours  dit  avoir 
vu  un  possédé  qui  y  fut  délivré  du  démon,  et  un  parjure 
qui  y  devint  tout  à  coup  paralytique,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  con- 
fessé son  crime  (2). 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  c'est  environ  en  ce  temps  que  vivait 
dans  la  même  province  une  sainte  vierge  nommée  Géorgie, 
qui  est  honorée  le  15  février  (3).  Nous  en  avons  une  ancienne 
épitaphe,  qui  nous  apprend  seulement  qu'elle  consacra  à 
Dieu  sa  virginité  pour  se  délivrer  de  l'importunité  de  ceux 
qui  la  recherchaient  en  mariage. 

Malgré  tous  ces  exemples  de  vertu  qu'on  voyait  en  Auver- 
gne, le  comte  Yictorius  avait  bientôt  démenti  les  sentiments 
de  piété  qu'il  avait  fait  paraître  dans  les  commencements  de 
son  gouvernement.  Il  fît  mourir  injustement  un  des  plus 
illustres  sénateurs  de  la  ville,  nommé  Eucher,  et  il  se  rendit 
odieux  et  méprisable  par  ses  impudicités.  Rien  n'avilit  Tau 
torité  comme  les  désordres  de  ceux  qui  en  sont  revêtus.  Le 
habitants  de  l'Auvergne  se  soulevèrent  contre  Yictorius,  et  c 
magistrat  ,  pour  se  soustraire  à  la  vengeance  d'un  peuple  irrité 

(1)  Grégoire  de  Tours  dit  qu'il  avait  fait  un  recueil  des  messes  composées  par 
Sidoine.  C'est  peut-être  le  même  ouvrage  que  Sidoine  envoya  à  l'évêque  de  Mé- 
gèthe,  et  qu'il  nomme  Contestatiunculas.  Car  contestatio  était,  dans  l'ancienne 
liturgie  gallicane,  ce  que  nous  nommons  aujourd'hui  la  préface  ;  la  plupart  desmesses 
avaient  une  contestation  ou  préface  propre.  V.  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxii. 

(2)  De  Glor.  conf.,  c.  xxxiii. 

(3)  Il  y  a  dans  un  faubourg  de  Clermont  une  église  paroissiale  de  sou  nom. 


[476]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  67 

fut  obligé  de  s'enfuir  de  la  province  après  l'avoir  gouvernée 
neuf  ans.  Ce  qu'il  y  eut  de  plus  funeste,  c'est  que  sa  disgrâce 
ne  put  guérir  son  infâme  passion,  qui  le  fit  enfin  périr  miséra- 
blement à  Rome,  où  il  s'était  retiré  auprès  d'Odoacre,  roi  des 
Hérules  (1). 

Ce  prince,  choisi  parla  Providence  pour  détruire  l'empire 
d'Occident,  entra  en  Italie  l'an  476  avec  une  puissante  armée. 
C'était  un  nouvel  Annibal,  et  les  anciens  Romains  n'existaient 
plus.  Tout  plia  sous  sa  puissance.  Il  précipita  aisément  de  son 
trône  l'empereur  Romulus  ou  Momyllus  Augustule,  qu'il  mé- 
prisa assez  pour  le  laisser  vivre;  et  après  avoir  donné,  par  la 
prise  de  Rome,  le  dernier  coup  à  l'empire,  il  en  éteignit  jus- 
qu'au nom  dans  l'Occident,  en  prenant  le  titre  de  roi  d'Italie, 
qu'il  jugea  peut-être  plus  glorieux  que  celui  d'empereur. 
C'est  ainsi  que  le  plus  puissant  empire  du  monde  fut  détruit 
sous  un  empereur  nommé  Romulus,  environ  douze  cent 
vingt-huit  ans  après  qu'un  autre  Romulus  en  avait  jeté  les 
premiers  fondements  avec  ceux  de  la  ville  de  Rome.  Exemple 
bien  éclatant  de  la  vicissitude  des  puissances  humaines  les 
mieux  affermies.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  sujets  et  les 
rois  qui  passent  et  disparaissent  :  les  royaumes  mêmes  finis- 
sent. Il  n'y  a  que  celui  que  Jésus-Christ  a  établi  par  sa  croix 
qui  subsistera  toujours. 

Dans  la  confusion  générale  qui  suivit  ce  grand  événement, 
les  nations  barbares  déjà  établies  dans  l'empire  se  jetèrent 
sur  les  provinces  qui  étaient  à  leur  convenance,  et  d'autres 
accoururent  pour  avoir  part  aux  dépouilles  de  ce  vaste  corps. 
Le  comte  Gilles  (2),  qui  avait  si  bien  défendu  la  Gaule  pour 
les  Romains,  était  mort  dès  l'an  464.  Son  fils  Syagrius  hérita 
de  sa  charge,  sans  hériter  de  son  mérite  ;  il  s'efforça  de 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  II,  c.  xx. 

(2)  Grégoire  de  Tours  dit  que  les  Francs,  ayant  chassé  Childéric,  reconnurent 
pour  leur  roi  le  comte  Gilles,  qui  les  gouverna  pendant  huit  ans,  après  quoi  Chil- 
déric fut  rappelé.  Mais  le  P.  Daniel  a  montré  que  ce  règne  d'un  général  romain 
sur  les  Francs  n'est  qu'une  fable. 


68  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [480] 

conserver  les  provinces  qui  n'obéissaient  pas  encore  aux  bar- 
bares, et  se  fit  en  effet  une  espèce  de  royaume  clans  les  pays 
situés  entre  l'Oise  et  la  Loire.  D'un  autre  côté,  les  Bretons  éta- 
blis clans  un  coin  de  l'Armorique  y  étendirent  leurs  limites. 
De  nouvelles  colonies  de  leurs  compatriotes  vinrent  se  joindre 
à  eux,  pour  fuir  la  domination  des  Anglo-Saxons  et  se  con- 
soler, en  conservant  leur  liberté,  de  la  perte  de  leurs  autres 
biens.  Le  zèle  et  l'amour  de  la  pénitence  y  conduisirent  aussi 
un  grand  nombre  de  moines  et  de  missionnaires  bretons,  qui 
y  travaillèrent  avec  succès  à  étendre  le  royaume  de  Jésus- 
Christ,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite.  Mais,  à  la  réserve 
de  ces  provinces  les  plus  éloignées,  le  reste  de  la  Gaule  devint 
en  peu  d'années  la  proie  des  Bourguignons  et  des  Yisigoths. 

Ces  peuples,  n'ayant  plus  à  redouter  la  puissance  de  l'em- 
pire, fantôme  dont  l'ombre  seule  leur  inspirait  encore  quelque 
crainte,  ne  voyaient  plus  rien  qui  pût  les  troubler  dans  la 
possession  de  leurs  nouveaux  États.  Ils  ne  savaient  pas  qu'une 
conquête  est  toujours  mal  assurée  quand  le  conquérant  ne 
règne  pas  sur  le  cœur  des  peuples  qu'il  a  vaincus.  Les  Gau- 
lois étaient  trop  attachés  à  la  foi  catholique  pour  aimer  le 
joug  des  nations  ariennes.  Quelque  douce  que  fût  d'ailleurs 
leur  servitude,  le  danger  où  ils  voyaient  leur  foi  exposée  la 
leur  faisait  trouver  fort  dure.  Cependant,  comme  la  vraie  reli- 
gion n'inspira  jamais  l'esprit  de  révolte,  ils  supportaient  le 
joug  avec  patience  et  sans  presque  aucune  espérance  d'en  être 
délivrés,  lorsque  Dieu  suscita  les  Francs  pour  les  affranchir 
et  pour  établir  dans  les  Gaules  une  nouvelle  domination,  qui 
devait  y  rendre  l'Église  aussi  florissante  que  l'État. 

Les  Francs  (1)  s'étaient  depuis  longtemps  formé  un  État  sur 
les  bords  du  Rhin,  au  delà  de  ce  fleuve,  d'où  ils  se  rendaient 
formidables  aux  Gaulois.  C'était  un  des  peuples  les  plus  bel- 
liqueux et  les  moins  barbares  de  la  Germanie.  A  travers  la 


(1)  Le  P.  Longueval  désigne  les  Francs  par  le  nom  de  Français,  qui  ne  leur  a  été 
donné  qu'au  IXe  siècle,  à  l'époque  de  la  fusion  des  deux  nations  en  une  seule. 


[486]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  Y.  69 

rudesse  de  leurs  mœurs ,  on  voyait  dès  lors  éclater  en  eux  des 
traits  de  cette  bravoure  et  de  cette  courtoisie  qui  firent  dans 
la  suite  le  caractère  particulier  de  la  nation.  Ils  avaient  souvent 
fait  des  incursions  dans  les  Gaules ,  même  sous  le  règne  des 
plus  puissants  empereurs  romains,  et  il  avait  fallu  toutes  les 
forces  de  la  république  pour  les  réprimer.  Dans  la  suite,  la 
faiblesse  et  la  décadence  de  l'empire  leur  donnèrent  lieu  de 
franchir  toutes  les  barrières  qu'on  leur  avait  opposées.  Ils  se 
répandirent  avec  de  puissantes  armées  dans  toute  la  Bel- 
gique et  dans  une  partie  même  de  la  Celtique,  sous  la  con- 
duite de  Glodion,  de  Mérovée  et  de  Ghildéric,  leurs  pre- 
miers rois  après  Pharamond.  Mais  il  paraît  qu'ils  ne  con- 
servèrent pas  ces  provinces  ou  du  moins  qu'ils  ne  s'y  établi- 
rent pas  encore  d'une  manière  stable.  Ils  cherchaient  plutôt 
à  piller  qu'à  conquérir,  et  ils  ne  jugeaient  du  succès  d'une  ex- 
pédition militaire  que  par  la  richesse  du  butin  qu'ils  rempor- 
taient. La  fondation  de  la  monarchie  française  dans  la  Gaule 
était  réservée  à  un  jeune  héros  qui  devait  faire,  par  cette 
conquête ,  la  gloire  de  sa  nation  et  le  bonheur  des  Gaulois. 

Ge  fut  l'an  486  que  Glovis,  à  l'âge  de  vingt  ans  et  dans 
la  cinquième  année  de  son  règne,  parut  sur  les  bords  du  Rhin 
à  la  tête  d'une  nombreuse  armée  de  Francs.  Il  n'avait  ni 
moins  de  bravoure  ni  moins  d'ambition  que  Ghildéric  (1), 

(1)  En  1653  on  découvrit  à  Tournay,  près  de  l'église  de  Saint-Brice,  le  tombeau 
de  Childéric.  Il  était  plein  de  richesses  et  de  joyaux,  selon  la  coutume  des  an- 
ciens Francs,  qui  mettaient  dans  le  tombeau  des  personnes  de  qualité  une  partie 
des  trésors  qu'elles  avaient  possédés.  Il  y  avait  dans  celui-ci  environ  cent  médailles 
d'or,  deux  cents  médailles  d'argent,  une  épée  dont  la  poignée  et  le  fourreau 
étaient  ornés  d'or,  le  pommeau  de  l'épée  représentait  deux  veaux  d'or  ;  de 
plus,  le  fer  d'une  hache  et  celui  d'un  javelot,  un  étui  d'or  avec  un  stylet  pour 
écrire,  une  petite  tête  de  bœuf  en  or,  qui  était  sans  doute  une  idole  ;  environ  trois 
cents  abeilles  d'or,  un  gkrbe  de  cristal;  enfin  un  anneau  d'or,  sur  lequel  était  gravée 
la  figure  de  Childéric,  tenant  de  la  main  droite  un  javelot  avec  cette  inscription  : 
CHILDERWI  REGIS.  Cette  particularité  fit  juger  que  c'était  le  tombeau  de  ce  prince. 
On  y  trouva  deux  têtes  d'hommes  et  la  tête  d'un  cheval.  On  croit  que  c'est  le 
cheval  de  Childéric  qu'on  aura  enterré  avec  lui,  et  que  les  300  abeilles  d'or  or- 
naient le  caparaçon  de  ce  cheval.  Comme  on  voit  des  croix  sur  la  plupart  des 
médailles  qui  étaient  dans  ce  tombeau ,  un  savant  auteur  a  cru  en  pouvoir  inférer 
que  Childéric  était  chrétien.  Mais  ces  médailles  sont  frappées  au  coin  des  em- 
pereurs chrétiens,  et  c'était  une  partie  du  butin  enlevé  aux  Gaulois  par  Childéric. 


70  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  CATHOLIQUE  [486] 

son  père;  mais  il  montra  plus  de  conduite  et  joignit  à  l'ardeur 
et  à  l'impétuosité  de  la  jeunesse  la  prudence  de  l'âge  mûr. 
Étant  entré  dans  les  Gaules  par  la  forêt  des  Ardennes ,  il 
marcha  droit  à  Soissons  pour  y  combattre  Syagrius,  qui 
après  la  mort  du  comte  Gilles,  son  père,  s'était  formé  dans 
ces  provinces  un  petit  État  des  débris  de  l'empire  romain. 
Clovis ,  sans  lui  donner  le  temps  de  se  reconnaître ,  lui  en- 
voya présenter  la  bataille.  Syagrius,  qui  ne  manquait  pas 
de  courage,  l'accepta  avec  assez  de  résolution  ;  mais  la  va- 
leur des  Francs  ne  laissa  pas  longtemps  balancer  la  victoire. 
Les  Romains  furent  entièrement  défaits,  et  Syagrius  se  ré- 
fugia auprès  d'Alaric,  roi  des  Visigoths,  qui  avait  succédé 
à  son  père  Évaric  l'an  484.  Il  n'y  trouva  pas  la  protection 
qu'il  espérait  :  car  Clovis  (1),  voulant  assurer  sa  conquête 
par  la  mort  de  son  adversaire ,  obligea  Alaric  à  le  lui  livrer. 
A  cela  près ,  le  vainqueur  usa  de  la  victoire  avec  une  modé- 
ration qui  fît  juger  qu'il  en  était  digne.  Gomme  lui  et  ses 
soldats  étaient  encore  idolâtres,  il  craignit  que  la- diversité 
de  religion  n'effarouchât  les  Gaulois  :  il  s'appliqua  à  les  ga- 
gner en  témoignant  du  respect  pour  les  évêques  et  pour 
tout  ce  qui  appartenait  au  culte  du  vrai  Dieu.  Il  n'empêcha 
cependant  pas  d'abord  le  pillage  des  lieux  saints,  le  butin 
étant  encore  l'unique  solde  de  ses  troupes. 

Les  Francs  passant  près  de  Reims ,  quelques  soldats  se 
détachèrent  du  corps  d'armée  pour  piller  une  église  et  enle- 
vèrent, entre  autres  richesses,  un  vase  d'argent  d'une  beauté 
et  d'une  grandeur  extraordinaires.  S.  Remi,  sensible  à  la  perte 
de  ce  vase,  députa  vers  Glovis  quelques  personnes  de  son 
clergé  pour  le  prier  de  le  faire  restituer  à  l'Église.  Le  nou- 
veau conquérant  les  reçut  avec  bonté  et  leur  ordonna  de  le 

(1)  Il  est  bon  de  remarquer  que  Clovis  et  Louis  sont  le  même  nom,  qu'on  pro- 
nonçait quelquefois  sans  aspiration  et  quelquefois  avec  une  aspiration,  laquelle  on 
exprimait  par  un  C  ou  par  un  H.  C'est  pourquoi  on  trouve  si  souvent  dans  les 
anciens  auteurs  Hludovicus.  Cassiodore,  qui  vivait  alors,  nomme  Clovis  Luduin  et 
Ludovicus.  On  dit  Clovis  ou  Louis,  comme  on  a  dit  Chilpéric  ou  Hilpéric,  Clothaire  ou 
Lothaire, 


[491]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  V.  71 

suivre  jusqu'à  Soissons,  où  devait  se  faire  le  partage  du  butin. 
Aussitôt  que  l'armée  y  fut  arrivée,  Glovis  fit  mettre  toutes 
les  dépouilles  dans  un  même  lieu  pour  en  faire  les  parts,  et  il 
demanda,  avant  de  les  tirer  au  sort  ,  qu'on  lui  cédât  le  vase 
qui  en  faisait  partie.  Tous  lui  répondirent  qu'il  pouvait  dispo- 
ser à  son  gré  non-seulement  de  ce  vase,  mais  encore  du  reste 
du  butin.  Il  n'y  eut  qu'un  soldat  qui  ne  craignit  pas  de  lui 
dire  qu'il  n'aurait ,  comme  les  autres ,  que  ce  que  le  sort  lui 
donnerait,  et  en  même  temps  l'insolent  déchargea  sur  ce  vase 
un  coup  de  sa  francisque  :  c'est  ainsi  qu'on  nommait  la  hache 
qui  était  l'arme  ordinaire  des  Francs.  Tous  les  assistants 
furent  indignés  de  cette  audace  ;  Clovis  seul  n'en  parut 
pas  ému  :  il  se  contenta  de  prendre  le  vase  et  de  le  rendre  en 
l'état  où  il  était  à  S.  Remi.  Mais  l'année  suivante,  ayant  as- 
semblé son  armée  dans  le  champ  de  mars ,  c'est-à-dire  pour 
la  revue  générale  que  les  Francs  faisaient  tous  les  ans  au 
commencement  du  mois  de  mars,  il  remarqua  ce  soldat,  et, 
prenant  prétexte  de  ce  que  ses  armes  ne  paraissaient  pas  en 
assez  bon  état,  il  visita  sa  francisque  et  la  jeta  à  terre.  Le  sol- 
dat s'étant  baissé  pour  la  ramasser,  Glovis,  d'un  seul  coup,  lui 
fendit  la  tête  en  lui  disant  :  Cest  ainsi  que  tu  as  frappé  le  vase 
de  Soissons  (1).  Cet  exemple  de  sévérité  ne  servit  pas  peu 
à  maintenir  l'autorité  de  Glovis  et  â  discipliner  son  armée. 

Ce  prince  se  rendit  en  peu  de  temps  maître  de  tout  le  pays 
entre  le  Rhin  et  la  Loire  dont  les  Bourguignons  et  les  Yisi- 
goths  ne  s'étaient  pas  emparés.  Après  une  expédition  contre 
le  roi  de  Thuringe ,  il  songea  à  affermir  son  nouveau  trône 
par  une  alliance  digne  de  sa  naissance.  Des  ambassadeurs 
qu'il  avait  envoyés  à  Gondebaud,  roi  de  Bourgogne,  lui 
avaient  fait  un  grand  éloge  du  mérite  et  de  la  beauté  de  la 
princesse  Glotilde,  fille  de  Ghilpéric,  dont  Gondebaud,  son 
frère,  avait  envahi  les  États  après  l'avoir  fait  mourir.  Clovis 
envoya  un  seigneur  gaulois  nommé  Aurélien  pour  la  deman- 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxvii. 


72  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [491] 

der  en  mariage.  La  proposition  ne  plut  pas  à  Gondebaud.  Il 
craignait  que  le  roi  des  Francs  ne  fit  un  jour  valoir  les  droits 
de  Glotilde  sur  le  royaume  de  Bourgogne  ;  mais  il  redoutait 
encore  plus  d'offenser  par  un  refus  un  jeune  conquérant 
heureux  et  entreprenant.  La  crainte  d'une  guerre  présente 
l'emporta  sur  les  vues  de  la  politique.  Gondebaud  parut  con- 
sentir au  mariage  ;  mais  il  éleva  des  difficultés  sur  la  religion 
de  Glovis,  et  témoigna  à  l'ambassadeur  que  sa  nièce,  étant 
chrétienne,  se  résoudrait  difficilement  à  épouser  un  prince 
païen.  Au  rélien  répondit  qu'il  avait  déjà  le  consentement 
de  Glotilde.  Cette  réponse,  qui  ôtait  tout  prétexte  à  Gonde- 
baud, l'aigrit  :  il  s'emporta  contre  sa  nièce,  qui  avait  osé 
écouter  de  semblables  propositions  sans  son  agrément,  et  il 
ne  conclut  rien.  Glotilde,  qui  voulait  se  tirer  des  mains  du 
meurtrier  de  son  père  et  de  sa  mère ,  fît  avertir  Aurélien  de 
presser  l'affaire,  parce  qu'on  attendait  d'un  jour  à  l'autre  à  la 
cour  de  Bourgogne  le  retour  d'Arédius ,  envoyé  par  Gonde- 
baud à  Constantinople.  Arédius  était  l'ennemi  déclaré  de  la 
maison  de  Ghilpéric,  et  ne  manquerait  pas  de  se  servir  de 
l'autorité  qu'il  avait  sur  l'esprit  de  son  maître  pour  empê- 
cher ce  mariage. 

Aurélien  fit  donc  de  nouvelles  instances,  et,  Gondebaud 
ayant  enfin  donné  son  consentement,  la  princesse  fut  épousée 
au  nom  de  Glovis  et  partit  aussitôt  de  Chalon-sur-Saône 
dans  une  basterne  :  c'était  une  espèce  de  char  couvert,  à  l'u- 
sage des  dames  (1).  La  lenteur  de  cette  voiture  fît  craindre  à 
Clotilde  que  Gondebaud  n'eût  le  temps  de  changer  de  réso- 
lution. Elle  proposa  à  Aurélien  de  prendre  des  chevaux  pour 
sortir  au  plus  tôt  des  États  de  Bourgogne  et  de  laisser  suivre 
la  basterne  à  petites  journées.  L'événement  justifia  la  sa- 
gesse de  la  précaution.  Arédius,  arrivé  sur  ces  entrefaites, 
avait  fait  changer  d'avis  à  Gondebaud ,  qui  envoya  après  Clo- 


(1)  Plusieurs  traits  de  l'histoire  de  ces  temps  nous  apprennent  que  les  chars  des 
dames  de  qualité  étaient  souvent  traînés  par  des  bœuïs. 


[491]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  73 

tilde  une  troupe  de  cavaliers  avec  ordre  de  la  ramener.  Ils 
atteignirent  la  basterne  ;  mais  ils  la  trouvèrent  vide  :  Glotilde 
était  déjà  sur  les  terres  de  Clovis.  Elle  arriva  peu  de  jours 
après  à  Soissons ,  qui  était  encore  la  capitale  du  royaume  des 
Francs;  elle  y  fut  reçue  avec  tous  les  honneurs  dus  à  son 
mérite  et  à  son  rang.  Sa  présence  augmenta  l'opinion  que 
l'on  avait  conçue  de  sa  beauté  et  de  sa  sagesse ,  et  le  danger 
qu'elle  avait  couru  la  rendit  plus  chère  au  prince  et  aux 
sujets. 

Les  Gaulois  soumis  à  la  domination  de  Clovis  étaient 
presque  tous  catholiques,  et  comme  Clotilde  faisait  profes- 
sion de  la  même  foi ,  ils  conçurent  de  ce  mariage  de  grandes 
espérances.  Cette  princesse,  quoique  élevée  à  la  cour  de  Bour- 
gogne ,  avait  été  préservée  de  la  contagion  de  l'hérésie 
arienne,  aussi  bien  que  la  princesse  Chrone,  sa  sœur,  qui  avait 
voué  à  Dieu  sa  virginité.  Nous  avons  vu  qu'il  y  avait  eu  des 
princes  bourguignons  catholiques,  et  alors  même  la  reine 
Caréténé ,  qui  pouvait  être  femme  de  Gondebaud  ou  de  quel- 
qu'un de  ses  frères ,  vivait  dans  une  grande  piété  et  montrait 
un  zèle  ardent  pour  la  religion  catholique  (1).  Clotilde,  qui 
n'était  pas  moins  sincèrement  attachée  à  la  vraie  foi,  n'estima 
le  diadème  qu'autant  qu'il  lui  donnait  les  moyens  de  la  servir. 
Elle  aimait  trop  la  religion  et  son  mari  pour  ne  pas  souhaiter 
de  procurer  à  l'Église  le  plus  puissant  protecteur,  et  à  Clovis 
un  bien  plus  précieux  que  toutes  les  couronnes  de  la  terre. 
Elle  lui  faisait  sentir  dans  des  entretiens  particuliers  la  vanité 
des  idoles  et  le  ridicule  delà  théologie  païenne.  «  Les  dieux 
que  vous  adorez,  lui  disait-elle,  ne  sont  rien,  et  ils  ne  peuvent 
rien  ni  pour  eux  ni  pour  les  autres.  Ce  n'est  que  du  bois, 
de  la  pierre  ou  dumétal.  Les  noms  qu'il  vous  a  plu  de  leur 
donner,  de  faibles  mortels  les  ont  portés  :  tel  qu'un  Saturne, 
qu'on  dit  s'être  échappé  par  la  fuite  des  mains  de  son  fils,  qui 
voulait  le  détrôner  ;  tel  qu'un  Jupiter,  ce  mari  de  sa  propre 


(1)  Epitaph.  Careten.,  apud  Duchesne,  t.  I,  p.  514. 


74  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [^91] 

sœur,  ainsi  qu'elle  ose  s'en  vanter  (1),  cet  infâme  adultère 
que  la  passion  pour  les  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe 
a  porté  aux  plus  honteux  excès.  Qu'est-ce  que  votre  Mars  et 
que  votre  Mercure?  des  magiciens  plutôt  que  des  dieux.  Les 
hommages  que  vous  leur  prodiguez  ne  sont  dus  qu'à  Celui 
qui  d'une  seule  parole  a  fait  sortir  du  néant  le  ciel,  la  terre  et 
la  mer;  qui  fait  luire  le  soleil,  briller  les  étoiles;  qui  a  créé 
tous  les  animaux  ;  qui  fait  croître  les  moissons  dans  les  cam- 
pagnes, les  fruits  sur  les  arbres  et  les  raisins  sur  les  vignes  : 
voilà,  prince,  le  Dieu  digne  de  votre  culte  (2).  » 

La  tendresse  que  Clovis  avait  pour  Clotilde  donnait  un 
nouveau  poids  à  ces  raisons  ;  mais  le  temps  que  la  Providence 
avait  marqué  pour  la  conversion  de  ce  prince  n'était  pas  ar- 
rivé. Clotilde  gagna  beaucoup  en  obtenant  le  consentement 
du  roi  pour  faire  baptiser  le  jeune  prince  qui  venait  de  naître 
de  leur  mariage.  Pour  frapper  les  yeux  de  Clovis  et  des 
seigneurs  francs,  elle  voulut  que  la  cérémonie  s'en  fit  avec 
le  plus  grand  appareil.  Elle  donna  ordre  qu'on  parât  l'église 
de  riches  tapisseries  el  de  courtines.  L'enfant  fut  nommé 
Ignomer.  Mais  Dieu,  voulant  éprouver  la  pieuse  reine,  permit 
qu'il  mourût  peu  de  jours  après  son  baptême  et  pendant 
qu'il  portait  encore  les  habits  blancs  dont  on  avait  coutume 
de  revêtir  les  nouveaux  baptisés  (3). 

Le  roi,  inconsolable  de  cette  perte,  l'attribuait  à  la  co- 
lère de  ses  dieux  et  s'en  prenait  à  la  reine,  qui  avait  fait 
baptiser  ce  jeune  prince.  Mais  la  foi  dont  Clotilde  était  animée, 
sécha  les  larmes  que  la  tendresse  maternelle  faisait  couler 
et  la  soutint  dans  son  affliction.  Elle  ne  répondait  autre  chose 
aux  reproches  du  roi  sinon  qu'elle  remerciait  Dieu  de  l'avoir 
rendue  mère  d'un  fils  qu'il  avait  appelé  à  son  royaume;  que 

(1)  Clotilde  fait  ici  allusion  à  ce  vers  de  Virgile,  où  Junou  dit  : 

Ast  ego  quœ  Divùm  incedo  Regina,  Jocixque 
Et  soror  et  conju.r  ,  etc. 

(2)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  II,  c.  xxix.  —  (3)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxix. 


.91]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  V.  75 

our  elle,  elle  ne  pouvait  le  pleurer,  parce  qu'elle  savait 
u'il  était  en  possession  d'une  couronne  immortelle.  Elle  eut 
n  autre  fils  et  elle  obtint  encore  du  roi  qu'il  fût  baptisé, 
irn  le  nomma  Clodomir;  mais  peu  de  jours  après  son  bap- 
?me  il  tomba  aussi  malade.  Le  roi  disait  :  «  Puisqu'il  a  été 
aptisé  au  nom  de  votre  Christ,  il  ne  peut  manquer  de  mou- 
ir  comme  son  frère.  »  La  reine  eut  recours  à  la  prière,  et 
'ieu,  content  d'avoir  mis  sa  foi  à  ces  épreuves,  en  récompensa 
h  mérite  en  rendant  la  santé  au  jeune  prince.  On  voit  par 
es  exemples  qu'on  n'attendait  pas  que  les  enfants  eussent 
usage  de  raison  pour  les  baptiser. 

Les  grandes  qualités  de  Clovis  et  les  espérances  que 
on  conservait  de  sa  conversion ,  lui  gagnèrent  le  cœur  de 
lusieurs  évêques  du  royaume  de  Bourgogne  et  de  celui  des 
risigoths.  S.  Apruncule,  évêque  de  Langres,  fut  soupçonné 
e  favoriser  la  nouvelle  monarchie,  et,  comme  la  défiance  tient 
ou  vent  lieu  de  preuve  à  une  injuste  politique,  Gonclebaud 
j  onna  ordre  qu'on  le  fît  mourir  secrètement.  Mais  Aprun- 
ule,  qui  était  à  Dijon,  en  ayant  été  averti,  se  fit  descendre 
iendant  la  nuit  des  murailles  de  la  ville  (1)  et  se  retira  en 
oivergne,  où  il  fut,  peu  de  temps  après,  successeur  de  S.  Si- 
Loine,  dont  nous  devons  terminer  l'histoire  (2). 

Quelque  affligé  que  fût  ce  saint  évêque  d'Auvergne  de  la 
.ervitude  de  sa  patrie ,  qui  gémissait  sous  la  domination  des 
/isigoths  ,  Dieu  lui  réservait  des  épreuves  plus  sensibles  sur 
a  fin  de  sa  vie.  Deux  prêtres  de  son  clergé  s'élevèrent  contre 
ui,  et  concertèrent  si  artificieusement  leurs  intrigues  qu'ils 
ui  firent  ôter  l'administration  des  biens  de  son  Église.  Mais 
m  de  ces  calomniateurs  étant  mort  subitement  peu  de  jours 

(1)  Grégoire  de  Tours,  dans  la  description  exacte,  qu'il  a  faite  de  Dijon,  dit  que 
bs  murailles  en  étaient  hautes  de  trente  pieds  et  larges  de  quinze.  Il  loue  la 
ituation  de  la  ville,  la  fertilité  du  terroir,  la  bonté  de  l'air  et  l'excellence  du  vin. 
1  est  surpris  qu'une  ville  si  belle  n'ait  pas  le  nom  de  cité.  On  la  nommait  seu- 
ement  caslrum:  c'est  sans  doute  par  cette  raison  qu'elle  n'était  pas  siège  épiscopal. 
plusieurs  traits  de  l'histoire  nous  apprennent  qu'elle  était  la  demeure  assez  or- 
dinaire des  évêques  de  Langres. 

(2)  Greg  Tur.,  1.  II,  c.  xxm. 


76  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [491] 

après ,  comme  Arius ,  au  milieu  de  cruelles  tortures  causées 
par  le  déchirement  de  ses  entrailles,  on  reconnut  la  main  de 
Dieu  qui  l'avait  frappé ,  et  Sidoine  fut  rétabli  dans  tous  ses 
droits.  Le  Seigneur,  content  d'avoir  éprouvé  et  purifié  par  ces 
contradictions  la  vertu  de  son  serviteur,  se  pressa  de  la  cou- 
ronner. Le  saint  évêque  tomba  malade  peu  de  temps  après , 
et,  selon  une  dévotion  assez  ordinaire  en  ce  temps-là,  il  se  fit 
porter  à  l'église  pour  y  expirer  au  pied  des  autels.  Son  peu- 
ple ,  accouru  en  foule ,  fondait  en  larmes  et  lui  disait  :  «  Bon 
pasteur,  à  qui  nous  laissez-vous  comme  des  orphelins?  (1)'»  Il 
répondit  :  «  Ne  vous  affligez  point;  mon  frère  Apruncule  vit 
encore,  il  sera  votre  évêque.  »  Sidoine  mourut  sous  l'empire 
de  Zénon ,  on  ne  sait  précisément  en  quelle  année  ;  mais  on 
croit  que  ce  fut  le  21  août,  jour  auquel  on  célèbre  sa  fête  dans 
son  Église,  quoique  le  Martyrologe  romain  ne  la  place  qu'au 
23  du  même  mois.  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Satur- 
nin; mais  dans  la  suite  ses  reliques  furent  transférées  dans 
celle  de  Saint-Genès,  où  on  les  conservait  avec  plus  de  piété 
que  de  magnificence  dans  une  châsse  de  bois.  Les  divers  traits 
que  nous  avons  rapportés  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Si- 
doine, le  peignent  assez  pour  faire  son  éloge.  On  ne  peut  mé- 
connaître qu'il  fut  en  même  temps  un  des  plus  grands  hom- 
mes, un  des  plus  beaux  esprits,  et  un  des  plus  saints  évêques 
de  son  siècle,  qualités  qu'on  trouve  rarement  réunies  dans  le 
même  homme. 

Aussitôt  qu'il  eut  expiré ,  celui  des  deux  prêtres  ses  accusa- 
teurs qui  vivait  encore  se  porta  pour  son  successeur,  et  le 
dimanche  suivant  il  donna  dans  la  maison  de  l'église  un 
grand  festin  aux  principaux  citoyens  de  la  ville  (2).  Il  y  prit 
la  première  place,  tout  entier  aux  premiers  mouvements  de 
cette  joie  intime  et  profonde  que  donne  une  ambition  satis- 

(1)  Greg.  Tur.,  lib.  II,  c.  xxm. 

(2)  Ibid.  —  On  voit  par  d'autres  exemples  que  les  évêques  nouvellement  élus 
donnaient  un  repas  aux  citoyens  dans  ]a  maison  de  l'église ,  c'est-à-dire  dans  c( 
qu'on  a  depuis  nommé  l'évêché  ou  le  palais  épiscopal. 


491]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  77 

àite.  Mais  la  punition  de  son  crime  l'attendait  au  moment  où 
1  croyait  en  goûter  le  fruit.  Ayant  demandé  à  boire  dès  le 
commencement  du  repas,  celui  qui  lui  en  versait  lui  déclara 
m'il  avait  vu  en  songe  la  nuit  précédente  S.  Sidoine  le  citer 
m  tribunal  de  Dieu ,  et  qu'il  avait  reçu  ordre  de  l'avertir  d'y 
comparaître  pour  y  répondre  au  saint  évêque.  A  ce  récit,  ce 
arêtre  ambitieux,  saisi  d'effroi  et  frappé  comme  d'un  coup  de 
budre,  laisse  tomber  la  coupe  qu'il  tenait,  tombe  lui-même 
nort  à  l'instant  et  va  paraître  devant  le  Juge  terrible  des 
calomniateurs ,  laissant  les  conviés  dans  la  plus  étrange 
consternation. 

Après  une  justification  si  éclatante  de  S.  Sidoine,  les  prin- 
cipaux du  clergé  et  du  peuple  s'accordèrent,  suivant  sa 
prédiction,  à  élever  sur  le  siège  d'Auvergne  S.  Apruncule, 
jui  venait  d'être  chassé  de  celui  de  Langres.  Il  gouverna  peu 
ie  temps  cette  nouvelle  Église ,  où  il  eut  pour  successeur 
5.  Euphraise.  On  célèbre  la  fête  de  S.  Apruncule  le  14  mai, 
3t  celle  de  S.  Urbain,  un  de  ses  prédécesseurs  sur  le  siège 
le  Langres,  le  23  janvier,  quoique  le  Martyrologe  romain 
l'en  fasse  mémoire  que  le  2  avril. 

Deux  autres  évêques  du  royaume  de  Bourgogne,  Théodore 
3t  Procule,  dont  on  ignore  les  sièges  épiscopaux,  devinrent 
aussi  suspects  à  Gondebaud ,  et  ils  furent  obligés  de  se  réfu- 
gier à  la  cour  de  Soissons  auprès  de  Glotilde.  La  qualité  de 
Bourguignons  et  de  zélés  catholiques  leur  mérita  la  protec- 
tion de  cette  pieuse  reine,  qui  leur  donna  dans  la  suite  l'admi- 
nistration de  l'Église  de  Tours.  Mais  à  cette  époque  cette  ville 
était  encore  soumise  aux  Yisigoths,  et  elle  paraissait  soupirer 
après  la  domination  des  Francs.  Le  soupçonneux  Alaric  se 
servit  de  ce  prétexte  pour  persécuter  et  bannir  plusieurs 
saints  évêques ,  qui  tinrent  ce  siège  après  la  mort  de  S .  Per- 
pétue, arrivée  l'an  491. 

Perpétue,  vulgairement  Perpet,  illustra  l'Eglise  de  Tours, 
pendant  trente  années  d'épiscopat ,  encore  plus  par  sa  piété 
et  sa  vigilance  pastorale  que  par  ses  libéralités  envers  les 


78  HISTOIRE  DE  I/EGLISE  CATHOLIQUE  [491] 

pauvres  et  la  magnificence  des  temples  qu'il  fît  élever  au 
Seigneur.  Il  craignait  si  fort  que  ses  biens  ne  passassent  à 
d'autres  qu'aux  pauvres  et  aux  églises ,  que  plus  de  quinze 
ans  avant  sa  mort  il  fit  un  testament,  que  nous  avons  encore, 
pour  les  déclarer  ses  héritiers.  Il  est  daté  du  1er  mai  après  le 
consulat  de  Léon  le  Jeune,  c'est-à-dire  l'an  475.  C'est  un  acte 
si  authentique  et  si  propre  à  édifier  la  piété  des  fidèles, 
que  nous  avons  cru  devoir  le  rapporter  ici ,  comme  un  mo- 
dèle de  l'usage  que  les  saints  évêques  doivent  faire  de  leurs 
biens  (1). 

«  Au  nom  de  Jésus-Christ,  moi,  Perpétue,  évêque  de 
l'Eglise  de  Tours,  je  n'ai  point  voulu  sortir  de  ce  monde  sans 
avoir  fait  de  testament,  de  peur  que  les  pauvres  ne  fussent 
frustrés  des  richesses  que  la  bonté  divine  m'a  données  si  li- 
béralement, et  que  les  biens  d'un  évêque ,  ce  qu'à  Dieu  ne 
plaise,  ne  passassent  à  d'autres  qu'à  l'Eglise.  Je  donne  et  je 
lègue  aux  prêtres,  aux  diacres  et  aux  autres  clercs  de  mon 
Eglise  la  paix  de  Jésus-Christ.  Amen.  Seigneur,  confirmez  ce 
que  vous  avez  opéré  en  nous;  qu'il  n'y  ait  pas  de  schismes 
parmi  eux,  qu'ils  demeurent  constamment  attachés  à  la  foi. 
Amen...  Paix  à  l'Eglise,  paix  au  peuple,  à  la  ville  et  à  la 
campagne.  Amen.  Venez,  Seigneur,  et  ne  tardez  pas.  Amen. 
Je  vous  laisse  donc  à  vous,  prêtres,  diacres  et  autres  clercs 
de  mon  Eglise,  le  soin  de  ma  sépulture.  Vous  enterrerez  ce 
cadavre  où  il  vous  plaira,  de  l'avis  du  comte  Agilon.  Je  sais 
que  7ïi07i  Rédempteur  vit,  et  que  je  verrai  mon  Sauveur  dans 
ma  chair.  Amen.  Si  cependant  vous  daignez  m'accorder  la 
grâce  que  je  vous  demande  humblement,  je  souhaiterais  que 
dans  l'attente  du  jugement  mon  corps  reposât  aux  pieds  de 
S.  Martin.  >» 

Ensuite  S.  Perpétue  affranchit  des  esclaves  achetés  de  son 
argent  ;  il  lègue  plusieurs  terres  à  son  Eglise,  à  la  charge  que 
des  revenus  d'une  de  ces  terres  on  entretienne  jour  et  nuit 


(t)  Greg.  Tur.,  1.  X,  c.  xxxi,  n.  6.  —  Testam.  Perpet.,  t.  V  Spicil.,  p.  107. 


491]  EN  FRAXCE.    LIVRE  V.  79 

les  lampes  devant  le  tombeau  de  S.  Martin;  il  donne  à  S.  Eu- 
Dhrone  d'Autun  le  reliquaire  d'argent  qu'il  avait  coutume  de 
porter  sur  lui ,  et  un  livre  des  Evangiles  écrit  de  la  main  de 
5.  Hilaire  de  Poitiers  (1).  Quant  aux  autres  livres  de  sa  biblio- 
:hèque,  il  les  laisse  à  son  Eglise.  Il  donne  à  sa  sœur  une 
:roix  d'or  où  il  y  avait  des  reliques  de  Notre-Seigneur,  plu- 
sieurs vases  sacrés  à  diverses  églises,  une  tenture  de  tapis- 
serie à  celle  de  Saint-Pierre,  une  colombe  d'argent  pour  mettre 
.'Eucharistie  à  un  prêtre  nommé  Amalaire.  Il  assigne  une 
tension  sur  ses  biens  à  deux  prêtres  qu'il  avait  déposés  et 
m'il  défend  de  rétablir.  Il  donne  à  l'évêque  qui  sera  son 
successeur  les  meubles  qu'il  voudra  choisir  de  sa  chambre 
ht  de  sa  chapelle ,  et  il  lui  recommande  d'aimer  ses  clercs ,  de 
es  traiter  en  père  et  non  en  maître.  Il  lègue  son  cheval  au 
■  ;omte  Agilon,  en  reconnaissance  des  services  qu'il  avait  ren- 
lus  à  l'Eglise. 

Après  ces  dispositions,  S.  Perpétue  conclut  ainsi  son  tes- 
ament  :  «  Mais  vous,  mes  délices,  mes  très-chers  frères,  ma 
couronne,  ma  joie,  mes  seigneurs,  pauvres  de  Jésus-Christ, 
ndigents,  mendiants,  malades,  veuves,  orphelins,  c'est  vous 
jue  je  constitue  et  déclare  mes  héritiers.  Je  veux  que  tout  ce 
[ui  reste  de  mes  biens,  et  dont  je  n'ai  point  disposé  par  ce 
estament,  vous  appartienne;  qu'on  le  vende  aussitôt  après 
na  mort  et  qu'on  en  fasse  trois  parts,  dont  deux  seront  con- 
iées  au  prêtre  Agrarius  et  au  comte  Agilon  pour  être  distri- 
buées à  leur  volonté  aux  hommes  qui  sont  dans  l'indigence  ; 
a  troisième  sera  remise  à  la  vierge  Dadolène,  pour  être  distri- 
buée, comme  il  lui  plaira,  aux  veuves  et  aux  autres  femmes 
muvres.  — 

S.  Perpétue  fit  deux  exemplaires  de  ce  testament,  dont 
'un  fut  déposé  cacheté  entre  les  mains  de  Delmace  et  l'autre 

(l;  On  croit  que  ce  legs  ne  fut  pas  exécuté,  parce  que  S.  Euplirone  mourut 
vant  S.  Perpétue.  En  effet,  on  conservait  dans  l'église  de  Tours  un  livre  des  Evan- 
;iles  qu'on  croyait  avoir  été  écrit  de  la  main  de  S.  Hilaire  de  Poitiers,  et  c'était 
ans  doute  celui  dont  il  est  ici  question. 


80  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [491] 

entre  celles  deDadolène,  pour  être  ouverts  et  lus  par  le  comte 
Agilon  en  présence  du  clergé  de  Tours.  Un  acte  si  édifiant  est 
une  preuve  authentique  de  la  piété  de  ce  saint  évêque  ;  les 
conciles  qu'il  tint,  et  dont  nous  avons  parlé,  prouvent  son 
zèle  pour  le  maintien  de  la  discipline.  Il  entrait  à  ce  sujet 
dans  le  plus  grand  détail.  Il  avait  réglé  les  jeûnes  qui  de- 
vaient s'observer  dans  son  Église.  Voici  quel  en  était  l'ordre  : 
depuis  la  Quinquagésime  jusqu'à  la  Saint- Jean  et  depuis  le 
1er  septembre  jusqu'à  la  Saint-Martin,  deux  jours  par  se- 
maine; depuis  la  Saint-Martin  jusqu'à  Noël,  trois  jours  de 
jeûne  par  semaine;  enfin,  depuis  la  Saint-Hilaire  jusqu'à  la 
mi-février,  deux  jours  par  semaine  (1).  Il  ne  parle  pas  du 
Carême,  parce  qu'il  n'y  avait  rien  de  nouveau  à  régler  là- 
dessus. 

Les  vigiles  et  les  églises  dans  lesquelles  elles  devaient  être 
célébrées  avaient  été  également  l'objet  d'un  règlement  spé- 
cial. Parmi  les  fêtes  énoncées  dans  ce  règlement,  il  est  remar- 
quable de  rencontrer  celle  de  la  Chaire  de  S.  Pierre  au 
nombre  des  plus  solennelles.  Après  cette  fête  viennent  celles 
de  S.  Symphorien,  de  S.  Hilaire,  de  S.  Lidoire  et  de  S.  Brice; 
par  une  omission  assez  singulière,  il  n'y  est  pas  parlé  de 
S.  Gatien.  On  voit  aussi  que  la  fête  de  Pâques  était  alors  dis- 
tincte de  celle  de  la  Résurrection  :  la  première  était  mobile, 
la  seconde  était  fixée  au  27  mars.  C'était  en  effet  l'opinion 
commune  que  la  mort  de  Jésus-Christ  avait  eu  lieu  le  25  mars. 
Cette  opinion  était  celle  de  Tertullien  et  de  S .  Augustin,  et  d'an- 
ciens martyrologes  donnent  cette  date.  Quelques-uns  cepen- 
dant ont  indiqué  la  mort  de  Notre-Seigneur  le  23  et  sa  résur- 
rection le  25  ;  S.  Martin  de  Dume  attribue  même  ce  dernier 
sentiment  aux  anciens  évèques  de  l'Eglise  des  Gaules  :  ce  n'é- 
tait pas  toutefois  un  sentiment  généralement  adopté,  et  nous 
voyons  qu'il  n'était  pas  partagé  par  S.  Perpétue.  L'Église  ho- 
nore la  mémoire  de  ce  saint  évêque  le  8  avril. 


(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  X.  c.  xxxi,  n.  G. 


[493]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  81 

S.  Patient,  évêque  de  Lyon,  était  allé  quelques  années  au- 
paravant recevoir  la  récompense  de  sa  généreuse  charité 
envers  les  pauvres,  et  de  ses  travaux  pour  le  salut  des  Bour- 
guignons ariens.  Il  eut  la  consolation  d'en  convertir  un  grand 
nombre.  Ce  saint  évêque  eut  pour  successeur  S.  Lupicin, 
honoré  le  3  février.  S.  Rusticius  lui  succéda.  Ce  dernier,  sous 
la  robe  d'un  magistrat,  avait  mené  la  vie  d'un  évêque,  et  il 
n'eut  pas  moins  de  générosité  que  S.  Patient  pour  le  soula- 
gement des  malheureux,  étendant  à  son  exemple  les  effets  de 
sa  charité  au  delà  des  monts". 

Les  dernières  révolutions  de  l'Italie,  durant  lesquelles 
Théodoric,  roi  des  Ostrogoths,  avait  détrôné  Odoacre,  roi  des 
Hérules,  avaient  répandu  la  plus  affreuse  désolation  dans  ces 
belles  provinces.  Pour  que  rien  ne  manquât  à  leur  ruine,  les 
Bourguignons,  profitant  de  ces  troubles,  y  avaient  fait  des 
excursions  malgré  la  foi  des  traités,  et,  non  contents  de  ra- 
vager le  pays,  ils  avaient  amené  un  grand  nombre  de  ses  habi- 
tants captifs  dans  la  Gaule.  Après  tant  de  guerres,  c'était 
presque  le  seul  butin  qu'on  y  pût  faire.  Dans  cette  calamité, 
l'Église  romaine  souffrait  moins  d'avoir  perdu  ses  biens  que 
de  ne  pouvoir  soulager  la  misère  des  autres.  Mais  plusieurs 
évêques  des  Gaules  crurent  devoir  secourir  la  mère  commune 
des  fidèles.  S.  Éone  d'Arles,  qui  avait  succédé  à  Jean,  succes- 
seur de  Léonce,  et  Rusticius  de  Lyon  envoyèrent  des  au- 
mônes considérables  au  pape  Gélase,  successeur  de  Félix  III. 
Gélase  en  remercia  Rusticius  par  une  lettre  datée  du  25  jan- 
vier sous  le  consulat  d'Astérius  et  de  Présidius  ,  c'est-à- 
dire  l'an  494.  Il  le  priait  en  même  temps  de  lui  mander  ce 
que  pensaient  les  "évêques  des  Gaules  de  l'affaire  d'Acace  de 
Gonstantinople,  laquelle  troublait  alors  l'Église  (1). 

Acace  fut  un  de  ces  prélats  qui,  en  favorisant  artificieu sè- 
ment les  novateurs,  font  plus  de  mal  à  la  religion  que  s'ils 
se  déclaraient  ouvertement  hérétiques.  Sa  vanité  et  son  ambi- 


(1)  Diptyc.  Arel,  t.  III  Analect.  —  T.  IV  Conc.  Labb.,  p.  1259. 

TOME  II.  6 


82  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [494] 

tion  l'attachèrent  au  parti  des  euty chiens,  et,  comme  il  était 
fourbe  et  hypocrite,  il  trompa  quelque  temps  les  catholi- 
ques. Mais  YHenotique,  dont  il  fut  l'auteur  et  le  promoteur, 
fît  tomber  le  masque  qui  le  voilait.  On  nomma  Hénotiqae  un 
édit  que  Zénon  publia  pour  réunir  les  hérétiques,  et  qui,  sous 
prétexte  d'ôter  la  division,  ne  servit  qu'à  l'augmenter,  parce 
qu'on  voulut  y  ménager  l'erreur  et  en  concilier  les  intérêts 
avec  ceux  de  la  vérité.  Les  souverains  pontifes,  dont  les  mal- 
heurs de  l'Italie  n'affaiblissaient  pas  le  zèle,  s'élevèrent  avec 
courage  contre  Acace.  Félix  IIÎ,  successeur  de  S.  Simplice, 
l'excommunia  et  le  déposa.  Mais  ce  patriarche,  soutenu  par 
l'empereur  et  le  peuple  de  Gonstantinople,  aima  mieux  faire 
un  schisme  que  de  reconnaître  ses  erreurs.  Sa  mort  ne  mit 
pas  fin  à  la  division.  Gélase,  avant  de  rendre  sa  communion  à 
l'Église  de  Gonstantinople,  exigeait  qu'on  ôtât  des  sacrés 
diptyques  le  nom  d' Acace  et  qu'on  flétrît  sa  mémoire.  Voilà 
où  en  était  cette  affaire  quand  ce  pape  écrivit  à  Rusticius 
pour  savoir  le  sentiment  des  évêques  de  la  Gaule.  Dans  la 
même  lettre  il  priait  ce  saint  évêque  de  Lyon  d'appuyer  de 
son  crédit  la  légation  de  S.  Epiphane  de  Pavie,  que  Théodoric, 
roi  d'Italie,  envoyait  vers  Gondebaucl. 

Théodoric  n'avait  de  barbare  que  la  naissance  et  se  mon- 
trait digne  de  commander  à  des  Romains.  Dès  qu'il  se  vit 
paisible  possesseur  de  l'Italie,  il  songea  à  remédier  aux  maux 
qu'il  avait  faits  ou  qu'il  n'avait  pu  empêcher.  Quoique  arien, 
il  protégeait  les  catholiques  et  les  estimait.  Gomme  il  sut  que 
S.  Epiphane  de  Pavie  avait  réussi  dans  une  ambassade  vers 
E varie,  il  résolut  de  le  députer  à  Gonclebaud,  et  cet  évêque 
étant  venu  lui  demander  quelque  grâce  pour  des  malheureux, 
il  lui  parla  de  la  sorte  :  «  Glorieux  pontife,  jugez  de  l'estime 
que  nous  faisons  de  votre  mérite  par  la  commission  impor- 
tante que  nous  vous  confions,  préférablement  à  tant  d'autre; 
évêques...  Vous  voyez  toute  l'Italie  déserte  et  les  plus  fer 
tiles  campagnes  incultes  faute  de  laboureurs  :  je  ne  puis  sou 
tenir  les  reproches  que  me  fait  ce  triste  spectacle.  A  la  vérité 


[494]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  83 

c'est  l'ouvrage  du  cruel  Bourguignon  ;  mais  si  nous  ne  por- 
tons pas  remède  à  ces  maux,  nous  en  devenons  les  auteurs. 
Nous  avons  de  l'or  dans  nos  trésors,  et  nous  différons  de  ré- 
parer les  ravages  de  notre  patrie  !  Qu'importe  que  nous  vain- 
quions nos  ennemis  par  le  fer  ou  par  l'or  !  Chargez-vous 

donc,  avec  l'aide  du  Seigneur,  de  cette  commission.  Le  roi 
Gondebaud  est  plein  de  vénération  pour  vous,  et  il  désire 
depuis  longtemps  vous  voir.  Croyez-moi,  votre  présence  seule 
sera  le  prix  de  la  rançon  de  l'Italie  (1).  » 

S.  Epiphane  loua  le  dessein  de  Théodoric  et  le  pria  de  lui 
adjoindre,  dans  cette  légation,  le  saint  évêque  Victor  de  Tu- 
rin. Les  sommes  destinées  pour  la  rançon  des  captifs  furent 
bientôt  prêtes.  Les  deux  évêques  partirent  sur  la  fin  de  l'hi- 
ver de  l'an  494,  et  passèrent  au  mois  de  mars  les  Alpes  encore 
couvertes  de  neige.  Les  peuples  accouraient  partout  sur  leur 
passage  et  leur  apportaient  des  provisions,  que  S.  Epiphane 
distribuait  aux  pauvres.  Rusticius  de  Lyon  alla  au-devant 
d'eux  au  delà  du  Rhône  et  les  instruisit  du  caractère  artifi- 
cieux de  Gondebaud  ;  mais  la  vertu  des  ambassadeurs  parut 
faire  oublier  au  prince  son  naturel.  Aussitôt  qu'ils  furent  ar- 
rivés à  Lyon,  il  envoya  les  saluer  et  leur  offrir  une  audience. 
S.  Epiphane  n'hésita  pas  à  l'accepter.  La  sainteté  qui  brillait 
sur  son  visage  donna  une  nouvelle  force  aux  traits  de  son 
éloquence. 

«  Grand  prince,  dit -il  à  Gondebaud  (2),  c'est  pour  l'amour 
de  vous  que  j'ai  entrepris  un  voyage  si  rude...  Je  n'ai  pas 
craint  la  mort  pour  vous  apporter  le  prix  de  la  vie  éter- 
nelle. Je  suis  venu  comme  pour  servir  de  témoin  devant 
Dieu  entre  deux  grands  rois,  si  la  bonté  vous  fait  accorder 
ce  que  la  miséricorde  fait  demander  à  celui  qui  m'envoie. 
Partagez  également  la  récompense  que  Dieu  promet,  ou 
plutôt  disputez-la  entre  vous,  princes  invincibles.  Mais  dans 
ce  combat  le  victorieux  remportera  le  prix  de  telle  sorte  que 

(1)  Ennod.  Vit.  S.  Epiphan.  —  (2)  Ibid. 


84  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [494] 

le  vaincu  ne  le  perdra  pas.  Suivez  mon  conseil,  et  vous  serez 
l'un  et  l'autre  vainqueurs.  Le  roi  Théodoric  veut  racheter  les 
captifs  :  rendez-les  sans  rançon.  Croyez-moi  :  personne  ne 
gagnera  plus  que  celui  qui  ne  recevra  rien  ,  et  l'argent  que 
vous  aurez  méprisé  enrichira  plus  votre  armée  que  si  vous 
l'aviez  reçu.  » 

S.  Epiphane,  faisant  ensuite  parler  l'Italie,  continua  ainsi  : 
«  Écoutez,  prince,  les  justes  plaintes  de  l'Italie  votre  fidèle 
alliée.  Si  elle  pouvait  parler,  elle  vous  dirait  :  Grand  roi, 
combien  de  fois,  s'il  vous  en  souvient,  n'avez-vous  pas  pris 
les  armes  pour  ma  défense  et  pour  ma  liberté  ?  C'est  vous  qui 
avez  nourri  ceux  que  vous  retenez  maintenant  dans  les  fers. 
Ne  m'avez-vous  rendu  ces  services  que  pour  me  surprendre 
plus  facilement?  Personne  de  ceux  qui  ont  été  faits  prison- 
niers ne  songeait  à  fuir  à  la  vue  de  vos  troupes.  Les  dames 
qu'on  traînait  en  captivité  se  promettaient  que  vous  seriez 
leur  vengeur,  les  vierges  ne  défendaient  leur  pudeur  qu'en 
vous  réclamant ,  les  laboureurs  disaient  à  ceux  qui  les  char- 
geaient de  chaînes  :  N'êtes-vous  donc  pas  Bourguignons? 
Combien  de  fois  ces  mains  que  vous  liez,  n'ont^elles  pas  payé 
le  tribut  à  notre  commun  maître?  Rendez,  prince,  rendez  tous 
ces  malheureux  à  leur  patrie;  rendez-les  à  votre  gloire... 
C'est  à  Dieu  que  vous  accorderez  cette  grâce  ;  mais  vous  ne  la 
ferez  pas  à  des  hommes  qui  vous  soient  étrangers.  Le  maître 
de  l'Italie  donne  sa  fille  à  votre  fils  :  que  cette  princesse  soit 
le  prix  de  la  rançon  des  prisonniers ,  que  leur  délivrance  soit 
le  présent  de  noces  que  le  mari  offre  à  son  épouse  :  ce  sera 
Jésus-Christ  qui  le  recevra  et  qui  lui  en  tiendra  compte.  » 

Un  discours  si  éloquent,  accompagné  des  larmes  des  deux 
saints  évêques,  toucha  Gondebaud.  Il  répondit  cependant 
avec  assez  de  fierté  :  «  Vous  me  parlez  de  paix,  vous  ignorez 
le  droit  de  la  guerre...  La  loi  des  combattants,  c'est  que  tout 
ce  qui  n'est  pas  permis  le  devient  alors...  Cependant  je  ne 
fais  que  repousser  l'injure  que  votre  roi  m'a  faite,  en  voulant 
me  jouer  sous  le  prétexte  d'un  traité.  Mais  s'il  veut  une  paix 


[494]  ES  FRANCE.  —  LIVRE  V.  85 

solide,  il  me  trouvera  fidèle  à  la  garder...  Pour  vous,  saints 
pontifes,  retournez  à  votre  logis  :  je  délibérerai  sur  ce  qui 
convient  au  bien  de  mon  âme  et  à  celui  de  mon  royaume,  et 
je  vous  le  ferai  savoir.  »  Il  consulta  Laconius,  son  ministre,  et 
consentit  à  n'exiger  de  rançon  que  pour  ceux  qui  avaient  été 
pris  les  armes  à  la  main  et  qui  appartenaient  aux  soldats 
qui  les  avaient  pris. 

Cette  nouvelle  sécha  les  larmes  d'un  grand  nombre  de 
malheureux  esclaves.  Il  en  sortit  quatre  cents  de  Lyon  en  un 
seul  jour  pour  retourner  en  Italie,  et  ainsi  à  proportion  des 
autres  villes,  de  sorte  qu'il  y  en  eut  plus  six  mille  qui  furent 
élargis  sans  rançon.  Tout  l'argent  que  Théodoric  avait  envoyé, 
fut  employé  à  racheter  les  autres.  Et  comme  il  ne  suffisait 
pas,  une  sainte  dame  nommée  Syagria  (1),  qui  était,  dit  En- 
nodius,  comme  le  trésor  de  l'Église,  fournit  le  reste  avec 
S.  Àvite  de  Vienne. 

S.  Epiphane  alla  de  Lyon  à  Genève,  où  Godégisile,  frère  de 
•Gondebaud,  tenait  sa  cour,  et  il  en  obtint  la  même  grâce  aux 
mêmes  conditions.  En  passant  à  Tarantaise,  il  délivra  une 
femme  possédée.  Il  retourna  ensuite  en  Italie  comme  en 
triomphe  au  milieu  des  troupes  d'esclaves  dont  il  avait  rompu 
les  fers.  S.  Ennodius,  Gaulois  d'origine,  et  depuis  évêque  de 
Pavie,  qui  a  écrit  l'histoire  de  cette  légation,  était  à  la  suite  de 
de  S.  Epiphane  et  avait  été  témoin  oculaire  de  ce  qu'il  ra- 
conte (2).  Il  nous  reste  plusieurs  ouvrages  d'Ennodius,  savoir: 
un  recueil  de  lettres,  où  l'on  voit  que  le  prédestinatianisme 
s'était  glissé  dans  l'Italie;  plusieurs  pièces  de  poésie  et  d'élo- 
quence, parmi  lesquelles  on  trouve  des  prières  pour  la  béné- 
diction du  cierge  pascal  :  ce  qui  montre  l'ancienneté  de  cet 
usage.         -  r 

S.  Avite,  qui  contribua  de  ses  biens  et  de  son  crédit  au  ra- 

(1)  Syagria  était,  à  ce  qu'on  croit,  femme  d'un  seigneur  arien  nommé  Latinus, 
qui  fut  converti  à  la  foi  par  S.  Domitien,  abbé  du  monastère  de  Bebron,  depuis 
nommé  S.  Rambert;  mais  la  vie  de  Saint-Domitien,  qui  nous  apprend  ce  fait,  est 
d'ailleurs  si  pleine  d'erreurs  qu'on  ne  peut  avoir  confiance  dans  ses  récits. 

(2)  Ennod.,  1.  IT,  Ep.  xix. 


86  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [494] 

chat  des  captifs,  avait  succédé,  vers  l'an  490  (1),  sur  le  siège 
de  Vienne  à  S.  Hésychius,  son  père  selon  la  chair  et  successeur 
de  S.  Mamert,  que  S.  Avite  nomme  son  père  parle  baptême, 
c'est-à-dire  que  S.  Mamert  l'avait  baptisé  ou  l'avait  tenu  sur 
les  fonts  sacrés.  Il  se  nommait  Àlcimus  Ecdicius  Àvitus,  et 
avait  un  frère  aîné  évêque  de  Valence,  appelé  Apollinaire. 
Ces  noms  ont  fait  croire  que  sa  famille  était  la  même  que  celle 
de  l'empereur  Avite,  dont  le  fils  se  nommait  Ecdicius,  et  le 
gendre  Apollinaire.  Il  est  du  moins  certain  que  la  famille  de 
S.  Avite  était  une  des  plus  illustres  des  Gaules,  et  qu'il  était 
parent  de  S.  Sidoine.  Mais  ce  qui  fut  plus  glorieux  à  ce  saint 
évêque,  c'est  que  l'éclat  de  ses  vertus  et  de  son  mérite  sur- 
passa celui  de  sa  naissance.  Il  se  distingua  surtout  par  un 
grand  zèle  pour  la  conversion  des  Bourguignons  ariens,  et 
même  pour  la  réunion  des  Grecs  séparés  de  l'Église  Romaine 
au  sujet  d'Acace. 

On  ne  sait  pas  ce  que  les  évêques  des  Gaules  répondirent 
alors  à  Gélase ,  qui  souhaitait,  comme  nous  avons  dit  ,  d'avoir 
leur  avis  sur  cette  affaire.  Mais  la  crainte  qu'ils  montrèrent 
dans  la  suite  qu'on  ne  fit  avec  les  schismatiques  une  fausse 
paix ,  qui  couvrît  le  feu  de  la  division  au  lieu  de  l'éteindre , 
nous  apprend  assez  leur  sentiment.  Le  pape  Gélase  soutint 
avec  fermeté  toutes  les  démarches  de  son  prédécesseur  contre 
Acace,  et,  dans  un  concile  de  soixante-dix  évêques  qu'il  tint  à 
Rome  vers  ce  temps-là ,  il  condamna  sa  mémoire  avec  celle 
de  tous  les  autres  hérétiques. 

Ce  grand  pape  ne  borna  pas  son  zèle  à  cette  affaire.  Il  savait 
qu'un  des  moyens  les  plus  propres  à  conserver  le  dépôt  de  la 
foi  est  de  faire  connaître  aux  fidèles  les  sources  pures  où  ils 
doivent  puiser,  et  les  citernes  infectées  du  venin  de  l'erreur 
dont  ils  doivent  s'éloigner.  Il  dressa  à  ce  sujet  un  décret  dans 
le  même  concile  touchant  les  livres  que  l'Église  reçoit  et 


(1)  On  célèbre  l'ordination  de  S.  Avite  le  17  juin  :  ce  qui  peut  faire  croire  qu'il 
fut  ordonné  l'an  490:  car  le  17  juin  cette  année  tombait  un  dimanche. 


[495]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  87 

ceux  qu'elle  rejette  (1).  Après  un  catalogue  des  livres  canoni- 
ques ,  il  fait  deux  listes  :  Tune  des  ouvrages  des  Pères  reçus  de 
l'Église,  et  l'autre  des  écrits  qui  sont  proscrits  comme  apo- 
cryphes. Pour  ne  parler  que  des  écrivains  de  l'Église  galli- 
cane, on  voit  dans  la  première  les  ouvrages  de  S.  Hilaire  et 
ceux  de  S.  Prosper;  et  dans  la  seconde  ceux  de  Gassien,  de 
Fauste  de  Riez ,  de  Posthumien  et  de  Gallus ,  c'est-à-dire  les 
dialogues  de  Sulpice  Sévère.  Il  s'appuie  pour  proscrire  ces 
livres  sur  les  raisons  que  nous  avons  données  en  parlant  de 
ces  ouvrages.  On  n'est  pas  d'accord  sur  le  temps  où  fut  porté 
ce  décret ,  et  quelques  manuscrits  l'attribuent  même  au  pape 
Hormisdas.  Mais  nous  croyons  devoir  nous  en  tenir  à  l'opi- 
nion la  plus  ancienne  et  la  plus  commune,  qui  l'attribue  à 
Gélase(2). 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  y  a  lieu  de  présumer  que  ce  décret 
n'était  pas  connu  dans  les  Gaules  quand  Gennade  y  publia , 
en  495,  son  Catalogue  des  écrivains  ecclésiastiques  ;  sans  quoi 
il  n'aurait  apparemment  pas  osé  donner  tant  de  louanges  à 
des  auteurs  proscrits  par  le  Saint-Siège.  Gennade  était  un  sa- 
vant prêtre  de  Marseille ,  qui  écrivit  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages ,  dont  il  nous  a  donné  lui-même  la  liste  à  la  fin  de  son 
Catalogue  des  auteurs  ecclésiastiques  :  «  J'ai  composé ,  dit-il , 
huit  livres  contre  toutes  les  hérésies ,  six  livres  contre  Nesto- 
rius ,  onze  livres  contre  Eutychès ,  trois  livres  contre  Pélage , 
des  traités  sur  les  mille  ans  et  sur  l'Apocalypse  de  S.  Jean,  ce 
présent  ouvrage  (sur  les  écrivains  ecclésiastiques) ,  et  une 
lettre  touchant  ma  foi,  que  j'ai  envoyée  au  pape  Gélase  (3).  » 
Tous  ces  écrits  de  Gennade  sont  perdus ,  excepté  son  Catalo- 
gue et  l'exposition  de  sa  foi  :  car  on  croit  que  ce  dernier 
ouvrage  est  le  traité  (4)  intitulé  des  Dogmes  ecclésiastiques. 
Nous  en  rapporterons  ici  quelques  extraits. 

(t)  T.IVConcil.  Labb.,p.  1260.— (2)  Ce  n'est  donc  pas  d'aujourd'hui  que  les  papes 
censurent  les  livres.  Ils  l'ont  fait  dans  tous  les  temps,  et  nous  en  voyons  ici  un 
exemple  du  ve  siècle.  —  (3)  Gen.  CataL,  t.  V  Oper.  S.  Hieron.,  novae  edit. 

(4)  Ce  traité  est  attribué  à  S.  Augustin  par  quelques  manuscrits  et  par  le 


88  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [495] 

L'auteur,  après  une  exposition  de  la  foi  dans  les  mystères  de 
la  Trinité,  de  l'incarnation,  de  la  résurrection  future,  de  l'éter- 
nité des  peines ,  parle  ainsi  de  la  grâce  :  «  Nous  croyons , 
dit-il,  que  personne  ne  cherche  à  faire  son  salut,  à  moins  que 
Dieu  ne  l'y  invite ,  et  qu'aucun  de  ceux  qui  ont  été  invités  ne 
peut  opérer  son  salut  sinon  avec  le  secours  de  Dieu.  »  Ce 
qu'il  dit  sur  la  communion,  sur  la  pénitence  et  sur  le  baptême, 
mérite  d'être  observé  :  «  Je  ne  loue  ni  ne  blâme,  dit-il,  ceux 
qui  reçoivent  tous  les  jours  l'Eucharistie  ;  mais  je  conseille  et 
j'exhorte  de  communier  tous  les  dimanches,  pourvu  que  l'on 
soit  sans  affection  au  péché.  Car  je  dis  que  si  l'on  reçoit  l'Eu- 
charistie avec  la  volonté  de  pécher,  loin  de  se  purifier,  on  se 
charge  d'un  nouveau  péché.  Pour  celui  qui  est  coupable  de 
péchés  capitaux,  je  l'exhorte  à  faire  une  pénitence  publique 
avant  d'approcher  de  la  communion,  sans  prétendre  cepen- 
dant qu'une  satisfaction  secrète  ne  puisse  effacer  ces  crimes. 
La  véritable  pénitence  consiste  à  ne  plus  commettre  de  péché 
et  à  pleurer  ceux  qu'on  a  commis.  La  satisfaction  de  la  péni- 
tence a  pour  objet  surtout  d'ôter  les  causes  des  péchés  et 
de  ne  plus  donner  accès  aux  tentations.  La  pénitence  efface 
les  péchés  même  à  l'article  de  la  mort,  lorsqu'on  les  confesse 
avec  une  vraie  douleur.  » 

L'auteur ,  en  parlant  de  la  nécessité  du  baptême,  qui  peut 
être  suppléé  par  le  martyre ,  fait  une  belle  comparaison  du 
baptême  avec  le  martyre  :  «  Celui  qu'on  doit  baptiser,  dit-il , 
confesse  sa  foi  devant  le  prêtre  :  le  martyr  la  confesse  devant 
le  persécuteur.  Celui-là  après  sa  confession  est  plongé  dans 
l'eau ,  ou  l'on  jette  de  l'eau  sur  lui  :  celui-ci  après  la  sienne 
est  baigné  de  son  sang,  ou  bien  il  est  jeté  dans  le  feu.  Le 
baptisé  reçoit  le  Saint-Esprit  par  l'imposition  des  mains  de 
Févêque  :  le  martyr  devient  l'organe  de  l'Esprit-Saint,  qui 

Maître  des  sentences;  à  Alcuin  par  Trithème  ;  à  Gennade  par  Alger,  par  S.  Tho- 
mas et  par  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Colbert.  Les  critiques  s' ac- 
cordent aujourd'hui  à  le  donner  à  Gennade  de  Marseille.  Ratram,  moine  de 
Corbie,  l'attribue  à  Gennade  de  Constantinople.  Mais  cet  ouvrage  ne  parait  pas 
être  une  traduction. 


[495]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  69 

parle  en  lui.  Le  baptisé  reçoit  l'Eucharistie ,  et  fait  par  là  mé- 
moire de  la  mort  de  Jésus-Christ  :  le  martyr  meurt  avec  Jésus- 
Christ.  Le  baptisé  renonce  au  monde,  et  le  martyr  à  la  vie. 
Tous  les  péchés  sont  remis  au  baptême  :  ils  sont  éteints  dans  le 
martyre.  »  On  voit,  par  ce  que  nous  venons  de  rapporter,  qu'on 
baptisait  quelquefois  dès  lors  en  versant  de  l'eau  sur  le  ca- 
téchumène, comme  l'Eglise  le  pratique  aujourd'hui.  Le  même 
auteur  dit  qu'il  faut  honorer  les  reliques  des  saints ,  et  surtout 
des  martyrs ,  comme  les  membres  de  Jésus-Christ  ;  que  le  ma- 
riage est  bon,  la  continence  meilleure,  et  l'état  de  virginité 
excellent.  Nous  trouvons  encore  dans  cet  ouvrage  le  système 
philosophique  qui  soutient  que  les  âmes  et  les  anges  sont  cor- 
porels, quoique  les  uns  et  les  autres  soient  intellectuels  et 
immortels. 

On  croit  que  Gennade  est  aussi  l'auteur  d'une  addition  faite 
au  livre  de  S.  Augustin  sur  les  hérésies.  Elle  lui  est  attribuée 
dans  un  ancien  manuscrit  (1),  et  elle  contient  les  descriptions 
des  hérésies  prédestinatienne ,  nestorienne ,  eutychienne  et 
timothéenne.  Quant  au  Catalogue  des  écrivains  ecclésiastiques, 
il  est  certainement  de  Gennade.  Il  le  commence  là  où  finit 
S.  Jérôme  et  le  continue  jusqu'à  l'an  495.  Il  y  parle  de  cent 
écrivains ,  dont  il  indique  les  ouvrages  et  trace  le  caractère  en 
peu  de  mots. 

On  reconnaît  la  partialité  de  l'auteur  aux  louanges  qu'il 
prodigue  aux  semi-pélagiens  et  à  la  critique  qu'il  fait  des 
saints  docteurs  qui  les  ont  combattus.  Un  écrivain  de  parti 
ne  loue  que  ceux  qui  appartiennent  à  son  parti.  Gennade  n'é- 
pargne pas  même  S.  Augustin,  et  il  mêle  des  traits  satiriques 
aux  éloges  qu'il  n& peut  lui  refuser  :  «  Augustin,  dit-il,  origi- 
naire d'Afrique,  évêque  d'Hippone,  fort  versé  dans  les  sciences 
divines  et  humaines,  connu  dans  tout  l'univers,  d'une  foi 

(1)  Dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Saint- Victor,  cité  par  le  P.  Sirmond, 
on  voit  ces  paroles  avant  cette  addition  :  Hœc  quœ  sequuniur  a  S.  Gennadio  Mas— 
siliensi  presbytero  sunt  posita.  XC.  Prœdestinatiani  sunt,  etc.  Hincmar  attribue  à  Gen- 
nade la  même  description  de  l'héi'ésie  prédestinatienne. 


90  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [496] 

intègre  et  d'une  vie  pure ,  a  tant  écrit  qu'on  ne  peut  trouver 
tous  ses  ouvrages.  Qui  pourrait  donc  se  vanter  de  les  avoir 
tous,  ou  qui  pourrait  lire  autant  qu'il  a  écrit?  C'est  pourquoi, 
en  composant  tant  d'ouvrages ,  il  lui  est  arrivé  ce  que  le  Saint- 
Esprit  a  dit  par  la  bouche  de  Salomon  :  En  parlant  beaucoup 
vous  n'éviterez  pas  le  péché  (1).  »  Ensuite,  après  avoir  donné 
de  grands  éloges  aux  livres  de  ce  saint  docteur,  à  celui  de  la 
Trinité  et  à  quelques  autres  ouvrages,  sans  parler  de  ses 
écrits  contre  les  pélagiens,  il  ajoute  :  «  Cependant  l'erreur  où 
il  est  tombé  en  écrivant  beaucoup ,  et  qui  a  été  relevée  par  ses 
adversaires,  ne  passe  pas  encore  pour  une  hérésie  (2).  » 

Gennade  ne  traite  guère  plus  favorablement  S.  Prosper, 
tandis  qu'il  fait  le  plus  bel  éloge  des  écrits  de  Cassien  et  de 
Fauste  de  Riez.  «  Cet  évêque,  dit-il  de  ce  dernier,  a  composé 
un  fort  bel  ouvrage  sur  la  grâce  par  laquelle  nous  sommes 
sauvés  :  il  enseigne  que  la  grâce  de  Dieu  invite  toujours,  pré- 
cède et  aide  notre  volonté ,  et  que  tout  ce  que  notre  libre 
arbitre  acquiert  de  récompense  par  son  travail,  n'est  pas 
notre  propre  mérite,  mais  un  don  de  la  grâce  (3).  »  Si  cet 
éloge  était  véritable  et  sincère ,  il  servirait  également  à  justifier 
la  foi  de  Fauste  et  celle  de  Gennade  du  soupçon  de  semi-péla- 
gianisme.  Mais  l'auteur  tomberait  dans  une  autre  erreur  s'il 
prétendait  que  la  récompense  est  un  pur  don  de  la  grâce ,  et 
que  nous  ne  la  méritons  pas  avec  le  secours  de  cette  grâce. 

Honorât  (4),  évêque  de  Marseille,  est  le  dernier  auteur 
dont  parle  Gennade.  Il  succéda  à  Sabinien,  qui  occupa  ce  siège 
après  S.  Cannât ,  honoré  le  15  octobre  ,  et  qui  fut  successeur 
de  Grec,  dont  nous  avons  parlé.  Gennade  fait  un  bel  éloge 
d'Honorat.  Après  avoir  loué  son  éloquence ,  sa  facilité  à  parler 

(1)  Prov.  x,  19. 

(2)  Le  latin  est  obscur.  Il  y  a  dans  le  manusci'it  de  Corbie,  Error...  necdum 
hœresis  quœstionem  dédit,  et  dans  l'édition  d'Yenne  de  1703,...  necdum  hœresis  quœs- 
tionem  absoivit. 

(3)  Op.  S.Hieron.,  t.  V  edit.  Benedict. 

(4)  Le  P.  Pagi  et  quelques  autres  auteurs  récents  donnent  la  qualité  de  saint  à 
Honorât  de  Marseille;  mais  on  ne  le  trouve  dans  aucun  martyrologe,  pas  même 
dans  celui  de  France. 


[4961  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  91 

sans  préparation,  sa  piété  et  sa  prudence,  il  ajoute  :  «  Sa  bouche 
est  comme  un  arsenal  des  divines  Écritures  ;  il  compose  des 
discours  fort  utiles  en  forme  d'homélies ,  pour  exposer  la  foi 
et  confondre  les  hérétiques.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  évê- 
ques  et  les  peuples  des  villes  voisines  qui  se  font  un  plaisir 
de  l'entendre  prêcher  avec  cette  liberté;  ceux  qui  sont  les 
plus  éloignés  l'obligent  d'annoncer  la  divine  parole  dans 
leurs  églises ,  lorsque  quelque  affaire  l'attire  chez  eux.  Le 
saint  pape  Gélase  a  rendu  témoignage  par  écrit  à  l'intégrité  de 
sa  foi.  Il  compose  pour  l'édification  de  la  postérité  les  Vies  des 
saints  Pères  et  surtout  celle  de  S.  Hilaire  qui  l'a  élevé.  »  C'est 
le  seul  ouvrage  qui  nous  reste  d'Honorat,  encore  ne  porte -t-il 
pas  son  nom  (1).  C'est  ainsi  que  l'étude  des  saintes  lettres 
continuait  de  fleurir  dans  la  Provence. 

Le  monastère  de  Lérins ,  qui  était  une  académie  des  sciences 
ecclésiastiques  et  un  séminaire  des  vertus  religieuses ,  avait 
alors  un  parfait  modèle  de  sainteté  dans  la  personne  de  S.  An- 
toine. Ce  fervent  solitaire  mourut  vers  la  fin  du  ve  siècle, 
après  avoir  retracé  dans  l'Occident  les  vertus  du  patriarche 
des  moines  d'Orient,  dont  il  portait  le  nom.  Il  était  né  à 
Valérie  sur  les  bords  du  Danube,  d'une  famille  noble,  et  il 
suça  la  piété  avec  le  lait  de  sa  mère.  Il  n'avait  guère  plus  de 
huit  ans  lorsqu'il  se  retira  auprès  de  S.  Séverin,  qui  était  en 
ce  temps-là  l'apôtre  de  ces  pays.  Après  la  mort  de  Séverin,  il 
se  mit  sous  la  conduite  d'un  de  ses  oncles  nommé  Constance, 
évêque  de  Lauréac  ou  Lork  dans  le  Norique .  Les  barbares  qui 
ravagèrent  la  Pannonie  l'obligèrent  à  se  réfugier  en  Italie.  Il 
y  chercha  une  solitude  où  il  pût  n'être  connu  que  de  Dieu. 
Mais  la  vertu  est  comme  la  lumière  :  il  est  difficile  de  la  ca- 
cher, et  elle  se  découvre  par  son  éclat.  Le  nouveau  solitaire 

(1)  Le  manuscrit  qui  nous  a  conservé  la  vie  de  S.  Hilaire  d'Arles  l'attribue  à 
Révérentius,  qu'on  ne  connaît  pas.  Peut-être  Honorât  aura-t-il  déguisé  son  nom 
sous  celui  de  Bevereritius,  qui  signifie  presque  la  même  chose  qu'Honoratus.  Il  serait 
difficile  de  dire  en  quelle  année  cette  vie  a  été  écrite;  mais  il  est  du  moins  certain 
qu'elle  a  été  faite  longtemps  après  la  discussion  de  S.  Hilaire  avec  le  pape 
S.  Léon. 


92  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [496] 

fut  bientôt  connu  et  révéré  comme  un  saint.  Les  respects 
qu'on  lui  rendait  l'ayant  obligé  plusieurs  fois  à  changer  de 
demeure ,  pour  trouver  un  asile  à  son  humilité ,  il  se  retira 
enfin  dans  le  monastère  de  Lérins.  Il  y  passa  deux  ans  dans 
tous  les  exercices  de  la  pénitence;  le  Seigneur  l'appela  ensuite 
à  recevoir  la  couronne  due  à  ses  vertus  (1).  S.  Ennodius  écrivit 
sa  Vie  à  la  prière  de  Léonce,  abbé  de  Lérins,  qui  avait  succédé 
à  Procaire,  successeur  de  S.  Nazaire.  Il  ne  paraît  pas  que  le 
règne  des  Visigoths,  établis  dans  ces  provinces ,  ait  empêché 
la  religion  d'y  fleurir.  On  craignait  moins  ces  barbares  de- 
puis qu'on  voyait  s'accroître  une  puissance  capable  de  leur 
résister. 

En  effet,  l'empire  des  Francs  s'étendait  et  s'affermissait 
tous  les  jours  dans  la  Gaule  Belgique  et  dans  une  partie  de  la 
Celtique.  La  douceur  de  leur  gouvernement  leur  soumettait 
plus  de  villes  que  la  force.  Les  catholiques  surtout  s'applau- 
dissaient d'être  sous  leur  domination.  Mais  ils  n'étaient  pas 
sans  inquiétude  :  il  y  avait  à  craindre  qu'une  nation  si  puis- 
sante ,  demeurant  attachée  à  l'idolâtrie ,  ne  fît  la  guerre  aux 
ennemis  de  ses  dieux  quand  elle  aurait  dompté  les  siens  pro- 
pres. Ainsi,  à  l'exemple  de  la  pieuse  reine  Glotilde ,  on  faisait 
dans  tout  le  royaume  de  Clovis  les  vœux  les  plus  ardents  pour 
sa  conversion.  Ils  furent  enfin  exaucés  par  Celui  qui  tient  en 
sa  main  le  cœur  des  rois ,  et  la  divine  Providence  voulut  que 
la  conversion  de  ce  prince ,  à  laquelle  celle  de  toute  la  natioD 
était  attachée ,  se  fît  par  le  plus  éclatant  miracle  :  comme  si 
elle  n'eût  rien  épargné  pour  gagner  à  la  religion  un  peuple 
qui  devait  lui  faire  dans  la  suite  tant  d'honneur  par  son  atta- 
chement. Voici  l'occasion  de  ce  grand  événement. 

Les  Allemands ,  nation  belliqueuse  de  la  Germanie ,  à  la- 
quelle ils  donnèrent  leur  nom  dans  la  suite,  passèrent  le  Rhii 
l'an  496,  et  se  jetèrent  d'abord  sur  le  royaume  de  Sigebert  i 
prince  franc  de  la  maison  de  Clovis  et  qui  résidait  à  Cologne  | 


(1)  Ennocl.  Vit.  S.  Ântonini  Lirinensis. 


[496]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  93 

On  prévoyait  assez  que  ces  barbares  ne  s'en  tiendraient  pas  à 
ce  premier  envahissement.  Aussi  Glovis,  pour  les  prévenir,  se 
hâta  de  marcher  contre  eux.  Après  avoir  joint  Sigebert,  il  alla 
présenter  la  bataille  à  l'ennemi,  qu'il  trouva  dans  les  fameuses 
plaines  de  Tolbiac  (1),  aujourd'hui  Zulpich,  dans  la  Prusse 
Rhénane.  Il  commença  le  combat  en  invoquant  ses  dieux  :  mais 
ils  furent  sourds  à  sa  prière.  Sigebert  ayant  été  d'abord  blessé 
au  genou ,  ses  troupes  prirent  la  fuite ,  et  celles  de  Glovis  com- 
mençaient à  plier  et  à  se  rompre.  Ce  désordre  redoubla  l'ardeur 
des  Allemands ,  qui  se  tenaient  déjà  assurés  de  la  victoire. 

Dans  cette  extrémité,  Glovis,  se  souvenant  des  leçons  de 
Glotilde,  ou,  selon  d'autres  auteurs,  averti  par  Aurélien,  sei- 
gneur gaulois  qui  combattait  à  ses  côtés,  leva  au  ciel  ses  yeux 
baignés  de  larmes  et  dit  à  haute  voix  :  «  Jésus-Christ,  vous 
que  Glotilde  assure  être  le  Fils  du  Dieu  vivant,  si,  comme  on 
le  publie ,  vous  donnez  secours  aux  malheureux  et  la  victoire 
à  ceux  qui  espèrent  en  vous,  j'implore  instamment  votre 
assistance.  Si  vous  me  faites  triompher  de  mes  ennemis, ...  je 
croirai  en  vous  et  je  me  ferai  baptiser  en  votre  nom.  Car  j'ai 
invoqué  mes  dieux  en  vain  :  il  faut  bien  qu'ils  n'aient  aucun 
pouvoir,  puisqu'ils  ne  secourent  pas  ceux  qui  les  adorent.  » 
Le  Seigneur  avait  marqué  ce  moment  pour  se  faire  connaître 
à  Clovis  par  ses  bienfaits.  A  peine  ce  prince  avait-il  achevé 
cette  prière  que  la  victoire  passa  tout  à  coup  du  côté  des 
Francs.  Les  Allemands  déjà  victorieux  prirent  la  fuite,  et 
presque  tous  ceux  qui  échappèrent  au  carnage  se  rendirënt  à 
discrétion. 

On  ne  put  douter  que  le  Dieu  des  armées  n'eût  combattu 
pour  une  victoire  si  inespérée  et  si  complète,  et  Glovis  ne 

(1)  Comme  nos  anciens  historiens  ne  nomment  pas  Tolbiac  pour  le  lieu  de  cette 
bataille,  les  savants  compilateurs  des  Acta  sanctorum  ont  cru  probable  qu'elle  s'é- 
tait donnée  dans  l'Alsace,  puisqu'on  marque  que  Clovis  revint  à  Reims  par  Toul. 
Cette  raison  ne  paraît  pas  suffisante  pour  abandonner  l'opinion  commune.  Car  Gré- 
goire de  Tours  nous  apprend  que  Clovis,  après  la  bataille ,  rangea  les  Allemands 
à  son  obéissance  :  ainsi  il  est  naturel  de  croire  qu'il  fit  une  incursion  dans  leur  pays, 
et  par  conséquent  qu'il  ne  revint  pas  du  champ  de  bataille  à  Reims  par  le  chemin 
le  plus  court. 


94  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [496] 

méconnut  pas  le  bras  tout-puissant  à  qui  il  la  devait.  La  con- 
naissance du  vrai  Dieu  fut  le  premier  et  le  plus  précieux  fruit 
qu'il  en  retira.  Il  demeura  dès  lors  convaincu  de  la  vérité  de 
la  religion  chrétienne.  Après  s'être  avancé  sur  les  terres  des 
ennemis  pour  leur  imposer  sa  loi,  il  repassa  en  diligence 
dans  les  Gaules  avec  son  armée  victorieuse  pour  accomplir 
le  vœu  solennel  qu'il  avait  fait.  Un  saint  empressement  le 
porta  à  se  faire  instruire  de  nos  mystères  même  pendant  la 
marche.  Dans  ce  dessein  il  prit  avec  lui ,  en  passant  à  Toul, 
un  saint  prêtre  nommé  Yaast,  qui  jouissait  d'une  grande 
réputation  de  vertu.  Le  saint  homme  le  confirma  encore 
mieux  dans  la  foi  par  ses  miracles  que  par  ses  leçons.  Car, 
comme  il  passait  dans  le  pays  de  Youzi,  sur  le  pont  de 
l'Aisne,  un  aveugle  s'écria  :  «  Homme  de  Dieu,  ayez  pitié  de 
moi  :  je  ne  demande  ni  or  ni  argent ,  rendez-moi  la  vue.  » 
Vaast ,  plein  de  foi  et  prévoyant  combien  un  miracle  opéré 
dans  ces  circonstances  serait  efficace  sur  l'esprit  des  Francs , 
fit  le  signe  de  la  croix  sur  l'aveugle  en  disant  :  «  Seigneur 
Jésus ,  qui  avez  ouvert  les  yeux  de  l'aveugle-né ,  ouvrez  ceux 
de  celui-ci ,  afin  que  ce  peuple  qui  est  ici  présent  connaisse 
que  vous  êtes  le  seul  Dieu.  »  L'aveugle  recouvra  la  vue  à 
l'instant,  et  pour  conserver  la  mémoire  du  miracle  on  bâtit 
une  église  en  ce  lieu  (1). 

On  peut  juger  de  la  joie  que  la  victoire  et  la  conversion  de 
Clovis  donnèrent  à  Glotilde  par  l'amour  que  cette  pieuse  prin- 
cesse portait  à  la  religion  et  au  roi  son  époux.  Elle  alla  au- 
devant  de  lui  jusqu'à  Reims,  et,  après  l'avoir  félicité  sur  les 
dispositions  où  elle  le  voyait ,  bien  plus  que  sur  la  prospérité 
de  ses  armes ,  elle  prit  des  mesures  pour  ne  pas  laisser  ra- 
lentir sa  ferveur,  fruit  de  tant  de  vœux  et  de  tant  de  larmes. 
Elle  manda  secrètement  S.  Remi,  évêque  de  cette  ville,  et  le 
pria  d'instruire  le  roi  et  de  le  presser  d'accomplir  sa  pro- 
messe. Ce  saint  évêque,  que  le  Ciel  avait  orné  de  tant  de 


(1)  Vita  Vedasti  Aab  lcuino  emendata,  apud  Bollancl.,  6  febr. 


[496]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  95 

talents  et  de  vertus  pour  en  faire  l'apôtre  des  Francs ,  s'ac- 
quitta avec  zèle  de  cette  mission.  Il  représenta  au  prince 
qu'après  avoir  connu  le  vrai  Dieu  par  ses  bienfaits,  il  y  aurait 
autant  de  folie  que  d'ingratitude  à  prodiguer  ses  adorations 
à  des  idoles  dont  il  avait  éprouvé  la  vanité  et  l'impuissance. 

Glovis  ne  délibérait  plus  sur  son  changement  ;  mais,  avant 
de  se  déclarer,  il  croyait  avoir  des  ménagements  à  garder.  Il 
craignait  d'aliéner  l'esprit  des  Francs  attachés  à  leurs  super- 
stitions. Malheureuse  politique,  qui  retient  souvent  dans  l'er- 
reur le  cœur  des  princes  longtemps  après  que  l'esprit  est 
désabusé  !  Elle  n'arrêta  pas  longtemps  Glovis  :  il  répondit  à 
S.  Remi  :  «  Saint  pontife,  je  suivrai  volontiers  vos  conseils. 
Une  chose  m'embarrasse  :  mon  peuple  ne  veut  pas  renoncer  à 
ses  dieux,  mais  je  vais  l'y  exhorter  (1).  »  Il  assembla  en  effet 
ses  soldats,  et,  les  haranguant  avec  cette  autorité  que  donnent 
à  un  prince  victorieux  l'amour  et  l'admiration  de  ses  sujets,  il 
leur  rappela  la  glorieuse  journée  de  Tolbiac  et  le  miracle 
que  le  Dieu  des  chrétiens  avait  opéré  en  leur  faveur.  Il  com- 
mençait à  leur  parler  de  renoncer  à  de  vaines  idoles  qui 
n'avaient  pu  les  tirer  du  péril ,  pour  adorer  le  Dieu  à  qui  ils 
étaient  redevables  de  la  vie  et  de  la  victoire ,  lorsqu'il  fut 
tout  à  coup  interrompu  par  les  acclamations  des  Francs,  qui 
s'écrièrent  de  toutes  parts  :  «  Nous  renonçons  aux  dieux  mor- 
tels; nous  sommes  prêts  à  adorer  le  vrai  Dieu,  le  Dieu  im- 
mortel que  prêche  Remi.  »  Ce  seul  trait  fait  bien  sentir  en 
quelle  vénération  ce  saint  évêque  était  déjà  parmi  les  Francs. 

Le  roi,  ayant  loué  le  Seigneur  d'un  succès  qui  surpassait 
son  attente,  prit  jour  avec  S.  Remi  pour  recevoir  le  baptême, 
et  ils  convinrent  que  ce  serait  la  veille  de  Noël  dans  l'église 
de  Saint-Martin,  tors  des  portes  de  la  ville  de  Reims.  Ils  la 
choisirent  préférablement  aux  autres  églises  à  cause  de  la 
vénération  singulière  qu'on  avait  dans  toutes  les  Gaules  pour 
le  grand  évêque  de  Tours.  Remi,  qui  voulait  frapper  les  yeux 


(1)  Greg.  Tm\,  1.  II,  c.  xxxi. 


96  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [496] 

des  Francs  par  ce  que  notre  religion  a  de  plus  auguste  dans 
ses  cérémonies,  n'omit  rien  pour  rendre  celle-ci  éclatante.  Il 
fît  tendre  l'église  et  le  baptistère  des  plus  riches  tapisseries , 
et  fît  allumer  un  grand  nombre  de  cierges,  où  l'on  avait 
mêlé  avec  la  cire  de  précieux  parfums,  en  sorte  que  ce  saint 
lieu  paraissait  comme  embaumé  d'une  odeur  céleste  (1).  Rien 
n'est  plus  magnifique  que  la  description  qu'Hincmar  nous  a 
faite  de  la  marche  des  nouveaux  catéchumènes.  Les  rues  et 
les  places  publiques  furent  tendues  de  tapisseries ,  et  l'on 
marcha  en  procession,  avec  les  saints  Evangiles  et  la  croix , 
depuis  le  palais  du  roi  jusqu'à  l'église,  en  chantant  des 
hymnes  et  des  litanies.  S.  Remi  tenait  le  roi  par  la  main;  la 
reine  suivait  avec  les  deux  princesses  sœurs  de  Clovis  et 
plus  de  trois  mille  hommes  de  son  armée ,  la  plupart  officiers, 
que  son  exemple  avait  gagnés  à  Jésus-Christ.  Au  milieu  de 
cette  auguste  pompe ,  Clovis  hors  de  lui-même  dit  au  saint 
évêque  :  Mon  Père,  est-ce  là  le  royaume  de  Jésus-Christ  que 
vous  m1  avez  promis?  Remi  répondit  :  Non,  mon  prince,  ce 
nest  que  le  chemin  qui  y  conduit  (2). 

Le  roi,  étant  arrivé  au  baptistère,  demanda  le  baptême  à 
S.  Remi.  Le  saint  évêque  lui  dit  :  Sicambre  (3),  baissez  la  tête 
sous  le  joug  du  Seigneur  ;  adorez  ce  que  vous  avez  brûlée  et 
brûlez  ce  que  vous  avez  adoré.  Lui  ayant  fait  ensuite  confesser 
la  foi  dans  le  mystère  de  la  Trinité ,  il  le  baptisa  et  l'oignit  du 
saint  chrême.  Les  trois  mille  officiers  ou  soldats  qui  l'accom- 
pagnaient, sans  compter  les  femmes  et  les  enfants,  furent 
baptisés  en  même  temps  par  les  évêques  et  les  autres  ministres 
qui  s'étaient  rendus  à  Reims  pour  cette  cérémonie.  Les  deux 
princesses  sœurs  de  Clovis  étaient  Alboflède  et  Lanthilde. 
Alboflède  reçut  le  baptême,  et  Lanthilde,  qui  était  déjà  chré- 
tienne, mais  qui  professait  l'arianisme,  fut  réconciliée  par 
l'onction  du  saint  chrême  (4). 

(1)  Greg.,  lib.  II,  c.  xxx. —  (2)  Hincm.  Vita  Remig.,  apud  Duchesne,  1. 1,  p.  527. 

(3)  Le  pays  des  Sicambres  était  situé  au  delà  du  Rhin  et  occupé  par  les  Francs  : 
c'est  pourquoi  on  les  appelait  quelquefois  Sicambres. 

(4)  On  voit  par  ces  exemples  que  ce  que  dit  S.  Grégoire,  que  l'Orient' recevait 


[496]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  97 

Clovis  ne  voulut  pas  que  la  joie  d'un  jour  si  beau  fût  trou- 
blée par  les  larmes  des  malheureux.  Il  fit  mettre  en  liberté 
tous  les  prisonniers  et  fît  de  grandes  libéralités  aux  églises.  Il 
porta  pendant  huit  jours  l'habit  blanc  des  néophytes  ;  et  comme 
S.  Remi,  quicontinuait.de  l'instruire  pendant  ce  temps-là,  lui 
lisait  un  jour  la  passion  de  Jésus-Christ,  il  s'écria  dans  un 
mouvement  de  zèle  qui  trahissait  l'ardeur  du  soldat  :  Que  né- 
tais- je  là  avec  mes  Francs  pour  le  venger? 

La  princesse  Alboflède,  en  renonçant  au  culte  des  idoles, 
renonça  aux  plaisirs  et  aux  grandeurs  du  siècle.  Elle  consacra 
courageusement  sa  virginité  à  Jésus-Christ,  qui  ne  différa  pas 
de  la  récompenser  :  car  elle  alla  peu  de  temps  après  se  réunir 
dans  le  ciel  au  divin  Epoux  qu'elle  avait  choisi.  Clovis,  qui 
avait  le  cœur  aussi  tendre  que  grand,  fut  sensiblement  affligé 
de  sa  mort.  S.  Remi  lui  écrivit  en  ces  termes  pour  le  conso- 
ler :  «  Je  prends  beaucoup  de  part  à  la  douleur  que  vous  res- 
sentez de  la  mort  de  la  princesse  Alboflède,  votre  sœur,  de 
glorieuse  mémoire.  Mais  sa  'sainte  vie  et  la  sainte  mort  qui 
l'a  couronnée,  doivent  faire  notre  consolation.  Jésus-Christ  lui 
a  fait  la  grâce  de  recevoir  la  bénédiction  des  vierges  :  il  ne  faut 
point  pleurer  celle  qui  a  été  consacrée  au  Seigneur  et  qui  a 
reçu  dans  le  ciel  la  couronne  de  la  virginité.  Chassez-donc, 
mon  prince,  la  tristesse  de  votre  cœur, ...  et  souvenez-vous  que 
vous  avez  un  royaume  à  gouverner  (1).  »  Clovis  avait  une 
troisième  sœur  nommée  Audoflède,  qu'il  avait  mariée  avant 
sa  conversion  à  Théodoric,  roi  d'Italie.  Elle  demeura  arienne, 
et  mourut  du  poison  que  sa  propre  fille  mit  dans  le  calice  dont 
elle  se  servait  pour  la  communion:  car  c'était  une  coutume 
parmi  les  ariens  que  les  princes  communiassent  avec  un  ca- 
lice différent  de  cehii  qui  était  destiné  pour  la  communion  du 
peuple  (2). 

La  nouvelle  de  la  conversion  de  Clovis  répandit  la  joie  dans 

les  ariens  par  l'onction,  et  l'Occident  par  l'imposition  des  mains  n'était  pas  univer- 
sellement vrai,  ou  que  la  discipline  avait  changé  du  temps  de  ce  saint  pape. 
(1)  Rem.  Epist.  ad  Clodov.',  t.  I  Concil.  G  ail.  —  (2)  Gr^g.  Tur.,  1.  III,  c.  xxxi. 

TOME  II.  7 


98  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [496) 

tout  le  monde  chrétien.  Le  pape  Anastase,  qui  venait  de  succé- 
der à  Gélase,  y  fut  d'autant  plus  sensible  qu'il  espéra  trouver 
en  ce  prince  un  puissant  protecteur  de  l'Église.  C'était  en  effet 
le  seul  souverain  qui  fût  alors  vraiment  catholique.  L'empe- 
reur Anastase  était  livré  aux  eutychiens,  qu'il  protégeait; 
Théodoric,  roi  desOstrogoths  en  Italie;  Àlaric,  roi  des  Yisigoths 
dans  l'Espagne  et  l'Aquitaine  ;  Gondebaud,  roi  des  Bourgui- 
gnons dans  la  Gaule  ;  Trasamond,  roi  des  Vandales  en  Afrique, 
faisaient  tous  profession  d'arianisme.  Qui  n'aurait  cru  qu'une* 
hérésie  si  puissante  allait  renverser  l'Église,  qui  avait  autre- 
fois si  glorieusement  triomphé  d'elle?  Mais  Dieu  suscita  Glovis 
pour  la  protéger  contre  tant  de  rois  ariens.  Ce  prince  sou- 
tint par  son  zèle  la  gloire  qu'il  eut  d'être  le  premier  roi  catho- 
lique et  comme  le  fils  aîné  de  l'Église  :  qualité  d'autant  plus 
glorieuse  pour  ses  successeurs,  qu'ils  l'ont  encore  méritée 
par  un  zèle  constant  pour  la  défense  de  l'Eglise  Romaine. 

Le  pape  écrivit  donc  à  Clovis  la  lettre  suivante,  pour  lai 
marquer  sa  joie  et  les  espérances  qu'il  concevait  de  sa  con- 
version :  «  Notre  très-glorieux  fils,  nous  nous  félicitons  de  ce 
que  votre  conversion  a  concouru  avec  le  commencement  de 
notre  pontificat  (1).  Car  la  chaire  de  S.  Pierre  pourrait-elle  ne 
pas  tressaillir  de  joie,  lorsque  le  filet  que  ce  pêcheur  d'hom- 
mes, ce  portier  du  ciel,  a  reçu  ordre  de  jeter,  se  remplit  d'une 
pêche  si  abondante?  C'est  ce  que  nous  avons  voulu  vous  faire 
savoir  par  le  prêtre  Eumérius,  afin  que,  connaissant  la  joie  du 
père  commun,  vous  croissiez  en  bonnes  œuvres,  vous  mettiez 
le  comble  à  notre  consolation,  vous  soyez  notre  couronne,  et 
que  l'Église,  votre  mère,  se  réjouisse  de  l'accroissement  d'un 
tel  fils,  qu'elle  vient  d'enfanter  à  Jésus-Christ,  son  époux. 
Glorieux  et  illustre  fils,  soyez  donc  la  consolation  de  votre 
mère;  soyez-lui,  pour  la  soutenir,  une  colonne  de  fer...  Car 
notre  barque  est  battue  d'une  furieuse  tempête.  Mais  nous  es- 


(I)  Anast.  Epist.  ad  CloJov.  t.  V  Spicileg.,  p.  582.  —  C'est  une  nouvelle  preuve 
que  la  conversion  de  Clovis  arriva  l'an  496  :  car  Anastase  avait  été  élevé  au  ponti- 
ficat au  mois  de  novembre  de  cette  môme  année. 


[496]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  99 

pérons  contre  toute  espérance,  et  nous  louons  Dieu  de  ce 
qu'il  vous  a  tiré  de  la  puissance  des  ténèbres,  pour  donner  à 
son  Église,  dans  la  personne  d'un  si  grand  roi,  un  protecteur 
capable  de  la  défendre  contre  tous  ses  ennemis.  Daigne  aussi 
le  Seigneur  continuer  à  vous  accorder  à  vous  et  à  votre 
royaume  sa  divine  protection;  qu'il  ordonne  à  ses  anges  de 
vous  garder  dans  toutes  vos  voies  et  qu'il  vous  donne  la  vic- 
toire sur  tous  vos  ennemis.  » 

S.  Àvite,  évêque  de  Vienne,  quoique  sujet  du  roi  de  Bour- 
gogne, écrivit  aussi  à  Clovis  une  fort  belle  lettre  pour  le  féli- 
citer de  sa  conversion.  Il  lui  dit  d'abord  que  le  choix  qu'il  a 
fait  de  la  religion  catholique,  préférablement  à  tant  de  sectes 
hérétiques,  est  un  préjugé  favorable  pour  elle  et  comme 
un  rayon  par  lequel  la  lumière  de  la  vérité  se  manifeste. 
«Votre  choix,  lui  dit-il  (1),  règle  le  jugement  des  autres  : 
vous  jugez  pour  eux  en  choisissant  pour  vous,  et  votre  foi 
devient  notre  victoire.  La  plupart  de  ceux  que  nous  pres- 
sons d'embrasser  la  vraie  foi,  nous  opposent  les  coutumes 
et  les  usages  de  leurs  ancêtres,  qu'ils  ont  honte  de  con- 
damner, et,  par  un  prétendu  respect  pour  leurs  pères,  ils 
demeurent  dans  leur  infidélité.  Mais,  après  le  miracle  que 
nous  venons  de  voir,  il  faut  que  cette  honte  et  ce  prétexte 
disparaissent.  Tous  n'avez  voulu  conserver  de  l'héritage  de 
vos  ancêtres  que  leur  noblesse  :  tout  le  reste  de  ce  qui  fait 
la  gloire  d'un  grand  prince  vient  de  vous-même  et  rejaillit 
de  vous  sur  vos  pères.  S'ils  ont  fait  de  grandes  choses, 
vous  en  faites  de  plus  grandes.  Vous  avez  appris  de  vos 
aïeux  à  régner  sur  la  terre  :  vous  apprenez  à  vos  descendants  à 
régner  dans  le  ciel.  Que  la  Grèce  se  félicite  d'avoir  un  prince 
de  notre  sainte  lorf^)  :  elle  n'est  plus  la  seule  qui  ait  ce  bon- 
heur. Voici  une  nouvelle  lumière  qui  s'élève  dans  la  personne 

(1)  Aviti  Ep.  xli. 

(2)  L'empereur  Anastase,  livré  au  parti  des  eutychiens,  ne  méritait  pas  le  nom 
de  catholique.  Mais  S.  Avite  n'était  pas  assez  instruit  de  ce  qui  se  passait  en 
Orient  :  nous  en  verrons  d'autres  preuves^dans  ]a  suite. 


100  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [496] 

d'un  ancien  roi  de  notre  Occident.  Et  certes  ce  n'est  pas  sans 
mystère  qu'elle  a  commencé  à  luire  le  jour  de  la  naissance 
du  Rédempteur.  Il  était  convenable  que  vous  fussiez  régé- 
néré dans  l'eau  le  même  jour  que  le  Seigneur  du  ciel  était 
né  sur  la  terre  pour  le  salut  du  monde. 

«  Que  dirai-je  de  la  solennité  de  votre  baptême?  Quoique 
je  n'y  aie  pas  assisté,  j'y  ai  été  présent  en  esprit  et  j'ai  pris 
part  à  la  joie  commune  :  car  la  Bonté  divine  avait  voulu  que 
vous  nous  fissiez  savoir  auparavant  cette  heureuse  nouvelle. 
Oh  !  que  cette  nuit  sacrée  nous  a  rempli  de  consolation  à 
votre  sujet  !  Qu'elle  a  fourni  de  matière  à  nos  réflexions  et  à 
nos  entretiens!  Quel  spectacle,  disions-nous,  de  voir  une 
troupe  de  pontifes  assemblés  servir  avec  empressement  au 
baptême  de  ce  grand  roi  ;  de  voir  cette  tête  redoutée  des  na- 
tions se  courber  devant  les  serviteurs  de  Dieu,  cette  chevelure 
nourrie  sous  le  casque  recevoir  par  l'onction  sainte  un  casque 
de  salut,  ce  guerrier  quitter  pour  un  temps  la  cuirasse  pour 
se  revêtir  d'habits  blancs!  N'en  doutez  pas,  ô  le  plus  glorieux 
des  rois,  la  mollesse  de  ces  nouveaux  habits  (1)  donnera  une 
nouvelle  force  à  vos  armes ,  et  ce  que  votre  bonheur  a  fait 
jusqu'à  présent,  la  piété  le  fera  encore  mieux. 

«  Je  voudrais  mêler  à  vos  éloges  quelques  mots  d'avis  et 
d'exhortation,  s'il  y  avait  quelque  chose  qui  vous  fût  inconnu, 
ou  que  vous  n'eussiez  pas  la  volonté  de  pratiquer.  Mais 
prêcherai-je  la  foi  à  celui  qui  a  été  confirmé  dans  cette  foi  (2), 
et  qui  l'a  connue  auparavant  sans  le  secours  des  prédicateurs? 
Prêcherai-je  l'humilité  à  celui  qui  nous  en  a  donné  tant  de 
marques,  avant  même  de  nous  les  devoir  par  la  profession  du 
christianisme?  Exhorterai-jc  à  la  clémence  celui  dont  un 

(1)  L'habit  blanc  des  nouveaux  bnptisés  était  de  lin.  Us  le  portaient  huit  jours; 
après  quoi,  ils  i*etournaient  à  l'église  pour  le  quitter.  L'Église  fournissait  aux 
pauvres  ces  habits. 

(2)  U  y  a  dans  le  texte  de  S.  Avite,  perfeclo.  On  nommait  parfaits  les  chrétiens 
qui  avaient  reçu  la  confirmation  ,  parce  que  l'effet  de  ce  sacrement  est  de  les 
rendre  parfaits  dans  la  foi  et  de  les  y  confirmer;  de, là  vient  aussi  le  mot  de  con- 
firmation. 


[496]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  101 

peuple  de  captifs  mis  en  liberté  annonce  la  miséricorde  à  Dieu 
et  aux  hommes  par  les  larmes  que  la  joie  fait  couler  ?  Il  n'y  a 
qu'une  chose,  grand  prince,  que  je  voudrais  augmenter  en 
vous  :  c'est  que  le  Seigneur  voulant  bien  se  servir  de  votre  mi- 
nistère pour  gagner  toute  votre  nation,  vous  étendissiez  aussi 
votre  zèle  aux  autres  peuples  de  la  Germanie.  N'ayez  pas  de 
honte  de  leur  envoyer  des  ambassadeurs  pour  les  intérêts 
d'un  Dieu  qui  a  eu  tant  de  soin  des  vôtres...  Tout  retentit  de 
vos  triomphes.  Vos  sujets  ne  sont  pas  les  seuls  qui  y  prennent 
part  :  ce  bonheur  nous  touche  aussi,  et  nous  vainquons  tou- 
tes les  fois  que  vous  combattez....  Mais,  au  comble  de  la 
gloire  et  de  la  souveraine  puissance,  vous  ne  faites  pas  moins 
éclater  votre  piété  que  votre  pouvoir.  C'est  en  suivant  ses 
inspirations  que  vous  vous  êtes  intéressé  à  la  délivrance  du 
fils  d'un  de  vos  serviteurs.  Je  l'ai  obtenue  de  mon  prince, 
qui,  quoique  roi  de  sa  nation,  est  votre  soldat  (1).  J'envie  à  ce 
jeune  homme  le  bonheur  qu'il  aura  de  vous  voir.  Il  lui  sera 
moins  avantageux  d'être  rendu  à  son  propre  père  que  d'être 
présenté  au  père  commun.  » 

Nous  avons  cru  devoir  rapporter  ici  presque  tout  entière  cette 
lettre  de  S.  Avite,  parce  que  c'est  le  monument  le  plus  certain 
que  nous  ayons  et  en  même  temps  le  plus  glorieux  pour  le  pre- 
mier roi  chrétien  des  Francs.  On  y  voit  que  ce  prince  fut  baptisé 
à  Noël  et  non  à  Pâques,  comme  le  dit  Hincmar,  et  comme  on 
l'a  cru  si  longtemps  sur  sa  parole.  Il  est  vrai  que,  selon  les 
règles  ordinaires,  on  n'administrait  le  baptême,  hors  le  cas  de 
nécessité,  qu'à  Pâques  et  à  la  Pentecôte;  mais  on  crut  ne  devoir 
pas  différer  dans  cette  circonstance,  et  peut-être  l'usage  de  bap- 
tiser à  Noël,  dont  nous  verrons  quelques  autres  exemples  dans 
cette  histoire,  était-il  déjà  établi  dans  l'Église  des  Gaules. 

Glovis  ne  frustra  pas  l'attente  des  catholiques.  L'ardeur  de 
son  zèle  égala  ses  autres  qualités,  et  l'Église  en  recueillit  bien- 

(1)  Cette  expression  dont  se  sert  S.  Avite,  peut  faire  croire  que  le  royaume  de 
Bourgogne  était  dès  lors  tributaire  de  celui  des  Francs. 


102  HISTOIRE  DE  LEGLISE  CATHOLIQUE  [497] 

tôt  les  plus  précieux  fruits.  Il  crut  que  le  premier  devoir  d'un 
roi  chrétien  est  de  faire  servir  le  Seigneur,  et  que  si  la  loi 
divine  oblige  les  sujets  à  obéir  au  prince,  celui-ci  ne  doit  rien 
omettre  de  son  côté  pour  porter  ses  sujets  à  obéir  à  Dieu. 
Dans  cette  vue,  peu  de  temps  après  sa  conversion,  il  publia  un 
édit  pour  inviter  tous  les  idolâtres  de  sa  nation  et  de  son 
royaume  à  embrasser  la  religion  chrétienne,  et  c'est  à  juste  titre 
que  S.  Remile  nomme  non-seulement  le  défenseur,  mais  encore 
le  prédicateur  de  la  foi.  Les  leçons  et  les  exemples  de  ce  grand 
roi  furent  si  efficaces  qu'en  peu  de  temps  il  gagna  à  Jésus- 
Christ  presque  tout  son  peuple.  Il  eut  cependant  la  douleur 
de  voir  un  prince  de  sa  maison  demeurer  opiniâtrement  atta- 
ché à  l'idolâtrie,  qui  le  flattait  dans  ses  désordres  :  c'était  Ra- 
gnacaire,  roi  de  Cambrai.  Il  se  retira  dans  cette  partie  delà 
Belgique  avec  la  plupart  de  ceux  qui  demeurèrent  idolâtres. 
Mais  Dieu  se  servit  dans  la  suite  des  armes  de  Clovis  pour  pu- 
nir ses  infâmes  débauches  (1). 

Le  christianisme  fit  un  autre  miracle  :  il  adoucit  bientôt  les 
mœurs  barbares  des  Francs  qui  l'embrassèrent  et  il  leur  ins- 
pira une  humanité  dont  Clovis  donna  plusieurs  exemples,  qui 
firent  honneur-  à  la  religion.  Un  seigneur  de  ses  États  nommé 
Euloge,  ayant  été  convaincu  d'un  crime  de  lèse-majesté,  se  ré- 
fugia auprès  de  S.  Remi,  qui  intercéda  pour  lui,  et  Clovis 
accorda  volontiers  à  ses  prières  la  grâce  du  coupable.  Euloge 
par  reconnaissance  voulut  donner  à  S.  Remi  la  terre  d'Eper- 
nay  :  il  la  refusa,  pour  montrer  que  la  charité  des  pasteurs  doit 
être  désintéressée  ;  mais  Euloge  lui  ayant  témoigné  qu'après 
la  disgrâce  qui  lui  était  arrivée,  il  était  résolu  à  renoncer  au 
monde  et  à  donner  aux  pauvres  le  prix  de  ses  biens,  le  saint 
éveque  acheta  de  lui  Epernay,  au  nom  et  avec  les  ressources  de 
l'Église  de  Reims  (2). 

Clovis  donna  une  autre  marque  plus  éclatante  de  sa  clé- 

(1)  Sigeb.  Chronie,  —  Remigii  Epist,  ad  Léon.  Senon.  —  Flod.,  h  I,  c.  sali. 

(2)  Flod.,  1.  I,  c.  xiv. 


[497)  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  103 

mence.  Les  habitants  de  Verdun  s'étant  révoltés  contre  lui,  il 
alla  mettre  le  siège  devant  cette  place.  Il  était  sur  le  point  de 
la  prendre  et  de  punir  avec  la  dernière  sévérité  ces  premières 
rébellions,  comme  la  politique  semblait  le  demander,  lorsque 
les  assiégés  intéressèrent  sa  piété  pour  le  fléchir.  Ils  lui  dépu- 
tèrent un  saint  prêtre  nommé  Euspice,  à  la  place  de  S.  Fir- 
min  (1),  leur  évêque,  mort  peu  de  jours  auparavant.  Euspice, 
que  sa  sainteté  rendait  encore  plus  respectable  que  ses  che- 
veux blancs,  conjura  Clovis  de  pardonnera  des  malheureux 
en  vue  de  la  religion  qu'il  venait  d'embrasser.  Ce  nom  seul 
désarma  la  juste  colère  du  roi  (2).  Il  sacrifia  son  ressentiment 
et  sa  politique  à  sa  foi,  et,  sans  tirer  d'autre  punition  des 
rebelles  que  celle  de  leur  faire  mieux  sentir  leur  faute  par  sa 
bonté,  il  entra  en  procession  dans  la  ville,  précédé  du  clergé 
et  aux  acclamations  du  peuple  :  genre  de  triomphe  aussi  nou- 
veau que  glorieux  pour  un  conquérant  chrétien. 

Clovis,  charmé  de  la  sagesse  et  de  la  vertu  d'Euspice,  voulut 
le  faire  ordonner  évêque  de  Verdun  ;  mais  le  saint  homme 
s'en  excusa  sur  son  grand  âge  et  fit  tomber  le  choix  du  prince 
sur  S.  Viton  ou  S.  Vannes,  un  de  ses  neveux  (3).  Il  avait  deux 
autres  neveux,  savoir  :  Loup,  qui  fut  depuis  évêque  de  Troyes, 
second  de  ce  nom,  et  Maximin,  qui  était  sa  consolation  et  le  bâ- 
ton de  sa  vieillesse.  Le  roi  souhaita  qu'Euspice  et  Maximin  le 
suivissent  jusqu'à  Orléans,  où  il  leur  donna  la  terre  de  Mici 
pour  y  bâtir  un  monastère.  Comme  c'est  la  première  fonda- 
tion qu'aient  faite  nos  rois,  nous  avons  cru  devoir  en  rapporter 
ici  l'acte,  qu'on  regarde  comme  authentique. 

«  Clovis  roi  des  Francs  (4)...  Nous  vous  donnons,  vénérable 

(1)  S.  Firmin  est  marqué  le  septième  évêque  de  Verdun.  Ses  six  prédécesseurs 
sont  :  Sanctin,  Maur,  Salvin,  Arateur,  Pulclirone  et  Possesseur,  qui  sont  tous  honorés 
comme  saints. 

(2)  Vita  S.  Maximini  Miciac,  apud  Duehesne,  t.  I. 

(3)  Hugues  de  Flavigny  dans  sa  Chronique  de  Verdun,  nomme  S.  Vannes  le  frère 
de  S.  Maximin  et  par  conséquent  neveu  de  S.  Euspice.  Les  autres  auteurs  ne 
parlent  pas  de  cette  parenté.  S.  Vannes  est  nommé  en  latin  Victo,  Vitenus  ou 
Videnus. 

(4)  Clovis  ajoute  à  la  qualité  de  roi  des  Francs  celle  d'homme  illustre  :  vàr 


104  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [497] 

vieillard  Euspice,  à  vous  et  à  Maximin  votre  neveu,  la  terre 
de  Mici  (1)  et  tout  ce  qui  appartient  à  notre  fisc  entre  les 
deux  rivières,  avec  la  chênaie,  la  saussaie  et  les  deux  mou- 
lins ;  le  tout  exempt  de  charge  et  de  péage,  tant  au-dessous 
qu'au-dessus  de  la  Loire  et  du  Loiret  ;  afin  que  vous  et  ceux 
qui  vous  succéderont,  imploriez  la  miséricorde  divine  pour 
aotre  conservation,  pour  celle  de  notre  chère  épouse  et  de  nos 
enfants.  Et  vous,  saint  évêque  Eusèbe  (c'était  l'évêque  d'Or- 
léans), ayez  soin  de  la  vieillesse  d'Euspice,  protégez  Maximin. 
Défendez-les,  eux  et  leurs  biens  de  toute  injure  dans  l'étendue 
devotre  diocèse  :  car  on  ne  doit  faire  aucun  tort  à  des  personnes 
que  le  roi  honore  de  son  affection.  Vous  tous,  évêques  delà 
religion  catholique,  agissez  delà  même  manière  à  leur  égard. 
Vous  donc  Euspice  et  vous  Maximin,  cessez  de  vous  regarder 
comme  étrangers  parmi  les  Francs.  Habitez  comme  votre  pa- 
trie les  terres  que  nous  vous  donnons  au  nom  de  la  sainte, 
indivisible,  égale  et  consubstantielle  Trinité.  Qu'il  soit  fait  ainsi 
que  moi  Clovisl'ai  voulu.  Moi  Eusèbe  l'ai  confirmé  (2).  » 

Telle  est  la  fondation  du  monastère  de  Mici,  qui  a  pris  le 
nom  de  Saint-Maximin,  dit  par  corruption  Saint-Mesmin  ;  il  a 
été  occupé  en  dernier  lieu  par  les  feuillants.  Eusèbe  d'Orléans 
comptait  parmi  ses  prédécesseurs,  depuis  S.  Prosper  dont 
nous  avons  parlé/deux  autres  saints  évêques,  savoir  :  S.  Moni- 
teur, honoré  le  10  novembre,  et  S.  Floscule,  vulgairement 
S.  Flou,  honoré  le  10  février  avec  Ste  Sicaire. 

On  assure  que  Glovis  prit  aussi  sous  sa  protection  les 
moines  de  Réomaiis  (3)  et  leur  assigna  des  revenus  pour  leur 

inluster.  Parmi  divers  titres  honorifiques  qui  distinguaient  les  rangs,  comme  vir 
inluster  ou  illustris ,  vir  clarissimus  et  vir  spectabilis,  la  qualité  d'homme  illustre 
était  la  plus  honorable.  On  la  donnait  aux  préfets  du  prétoire,  et  les  rois  ne  dé- 
daignèrent pas  de  la  prendre. 

(1)  Il  y  a  dans  le  texte,  per  sanctam  confarreationem  et  annulum  tradimus,  c'est- 
à-dire,  comme  l'expliquent  les  glossaires,  par  la  participation  aux  mêmes  choses 
saintes,  consacrorum  communione.  Pour  l'anneau,  on  sait  que  les  Francs  mettaient 
l'acheteur  ou  le  donataire  en  possession  par  un  anneau  ou  par  une  motte  de  terre, 
souvent  par  un  fétu  ou  par  quelque  chose  de  semblable. 

(2)  Spicil. ,  t.  V,  p.  303. 

(3)  Ce  lieu,  situé  en  Bourgogne,  a  pris  son  nom  d'un  petit  ruisseau  appelé  la 
Réome.  Réomaiis  n'est  plus  connu  que  sous  le  nom  de  Mouslier-Saint-Jean. 


[497)  EN  FEAN'CE.  —  LIVEE  V.  105 

entretien.  L'abbé  Jean,  célèbre  par  sa  sainteté,  gouvernait  ce 
monastère  qu'il  avait  établi.  Il  était  originaire  de  Dijon.  Son 
père  Hilaire,  un  des  sénateur  de  cette  ville,  et  sa  mère  Quiéta 
étaient  recommandables  par  leur  piété.  Il  profita  si  bien  de 
ces  exemples  domestiques  qu'à  l'âge  de  vingt  ans  il  se  retira, 
avec  deux  de  ses  serviteurs,  dans  une  des  maisons  de  cam- 
pagne de  son  père  et  s'y  bâtit  une  cellule  et  un  oratoire.  Il 
passa  ensuite  avec  ses  compagnons  dans  un  lieu  plus  désert, 
nommé  Réomaiïs,  qui  appartenait  aussi  à  son  père,  sur  le 
territoire  de  Tonnerre.  Le  nombre  de  ceux  qui  vinrent  se  ran- 
ger sous  sa  conduite  l'engagea  à  y  bâtir  un  monastère,  dans 
lequel  il  établit  la  règle  de  S.  Macaire,  accommodée  aux  usages 
des  moines  occidentaux  (1).  On  prétend  que  dès  que  ce  saint 
abbé  eut  appris  la  conversion  de  Glovis,  il  le  pria  de  prendre 
son  monastère  sous  sa  protection,  et  que  Glovis  le  fit  avec 
bonté  dans  un  acte  par  lequel  il  donna  au  monastère  de 
grands  biens,  et  déclara  qu'il  regardait  l'abbé  Jean  comme  son 
principal  patron,  par  les  mérites  duquel  il  espérait  vaincre 
tous  ses  ennemis.  Il  paraît  assez  extraordinaire  qu'on  parle 
ainsi  d'un  homme  encore  vivant  ;  mais  on  en  trouve  quelques 
exemples  dans  les  lettres  de  Rurice  de  Limoges.  Nous  ne  ga- 
rantissons cependant  pas  la  vérité  de  cet  acte  (2),  qui  nous  est 
suspect  par  d'autres  endroits.  Il  est  daté  de  Reims,  le  29  dé- 
cembre, incliction  cinquième  et  la  seizième  année  du  règne  de 
Glovis. 

Si  nous  en  croyons  d'anciennes  chroniques,  la  ville  de 
Strasbourg  reçut  des  marques  éclatantes  de  la  piété  et  de  la 
magnificence  de  Clovis.  On  assure  que  ce  prince  en  fit  bâtir  la 
cathédrale  quelques  années  après,  comme  pour  faire  connaître 

(1)  Vita  S.  Joan.  Reomensis,  auctore  Joan.,  apud  Bolland.,  28  janv. 

(2)  1°  On  fait  dire  à  Clovis  dans  cet  acte  :  primo  nostro  susceptœ  christianitalis 
atque  subjugationis  Gallorum  anno ,  comme  si  ce  prince  n'avait  soumis  la  Gaule  à  sa 
domination  que  l'année  qu'il  reçut  le.  baptême.  2°  L'indietion  cinquième  désigne 
l'an  496,  et  la  seizième  année  de  Clovis  marque  l'an  497.  On  assure  cependant  que 
l'original  de  cet  acte  a  été  conservé  dans  les  archives  de  la  chambre  des  comptes 
de  Dijon,  et  qu'il  fut  reconnu  authentique  l'an  1324.  La  critique  souscrira -t-elle 
à  ce  jugement  ? 


106  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [499] 

par  ce  monument  aux  peuples  de  la  Germanie  quelle  était  sa 
foi  et  les  inviter  à  l'embrasser.  Les  premiers  évêques  de 
Strasbourg  après  S.  Amand,  dont  nous  avons  parlé,  sont  Jus- 
tin, Maximin,  Yalentinet  Solarius,  auxquels  on  donne  le  titre 
de  saints  :  c'est  ce  que  nous  en  pouvons  dire  de  plus  certain 
et  en  même  temps  de  plus  honorable. 

Mais  de  toutes  les  Églises  celle  qui  eut  le  plus  de  part  aux 
libéralités  de  Glovis  fut  l'Église  de  Reims.  Il  suivait  en  cela 
les  mouvements  de  sa  piété  et  cle  sa  reconnaissance  envers 
S.  Remi,  qu'il  aima  et  respecta  toujours  comme  son  père.  Le 
saint  évêque  de  son  côté  fit  servir  à  la  propagation  de  la  foi  la 
protection  et  la  confiance  dont  ce  prince  l'honorait.  Il  envoya 
un  saint  solitaire  nommé  Antimond,  et  vulgairement  Au- 
mond,  travailler  à  la  conversion  des  Morins,  c'est-à-dire  du 
pays  de  Thérouanne  (J)  et  cle  Roulogne,  lequel  obéissait  alors 
à  un  prince  franc  nommé  Gararic.  Le  saint  missionnaire,  qui 
fut  le  premier  évêque  de  Thérouanne,  n'en  fut  pourtant  pas  le 
premier  apôtre.  Nous  avons  vu  que  les  SS.  Fuscien  et  Yic- 
toric  et  ensuite  S.  Yictrice y  avaient  annoncé  l'Évangile;  mais 
le  temps  et  les  ravages  des  barbares  y  avaient  presque  étouffé 
les  semences  de  la  foi. 

L'Église  d'Arras  avait  eu  le  même  sort  :  S.  Remi  lui  procura 
les  mêmes  secours.  Il  ordonna  pour  évêque  (2)  de  cette  ville 
le  saint  prêtre  Yaast,  dont  nous  avons  parlé,  et  il  l'envoya 
cultiver  des  terres  qui,  après  avoir  été  autrefois  fertiles,  ne 
produisaient  plus  alors  que  des  ronces,  faute  de  culture.  De- 
puis le  baptême  de  Glovis,  Yaast  était  demeuré  à  Reims,  d'où 
l'éclat  de  ses  vertus  s'était  répandu  dans  toute  la  Gaule.  On  ne 
pouvait  choisir  un  ouvrier  plus  habile  et  plus  laborieux. 
Aussi  n'accepta-t-il  sa  nouvelle  dignité  qu'en  vue  des  travaux 

(1)  Thérouanne  fut  détruite  par  Charles-Quint  l'an  1553,  et  de  son  diocèse  on 
fit  trois  sièges  épiscopaux,  savoir:  Ypres,  Boulogne  et  Saint-Omer;  ces  deux  der- 
niers sont  compris  aujourd'hui  dans  le  diocèse  d'An-as. 

(2)  On  compte  communément  S.  Yaast  pour  le  premier  évêque  d'Arras.  Mais  il 
y  a  des  auteurs  qui  donnent  ce  titre  à  S.  Diogène,  qu'on  croit  avoir  été  martyrisé 
par  les  Vandales  et  avoir  aussi  gouverné  l'Église  de  Cambrai. 


[499]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  V.  107 

qu'il  en  croyait  inséparables,  et  il  ne  fut  pas  trompé.  Il  ne 
trouva  à  Àrras  presque  plus  d'autres  vestiges  du  christianisme 
que  les  ruines  des  églises  qu'Attila  avait  renversées,  après 
avoir  arrosé  les  autels  du  sang  des  serviteurs  de  Dieu.  Un  si 
triste  spectacle  rendit  son  zèle  encore  plus  ardent.  Il  fit  rebâtir 
les  temples  du  Seigneur,  y  ordonna  des  ministres,  et  il  eut  la 
consolation  de  voir  ses  travaux  apostoliques  produire  les  plus 
heureux  fruits.  En  effet,  ses  exhortations  assidues,  appuyées 
par  ses  miracles,  réveillèrent  en  peu  de  temps  la  foi  des  anciens 
chrétiens  et  la  firent  naître  clans  le  cœur  des  idolâtres,  qui, 
charmés  de  ses  vertus,  allèrent  en  grand  nombre  lui  deman- 
der le  baptême  (1).  La  sainteté  du  prédicateur  est  presque  tou- 
jours la  preuve  la  plus  décisive  de  la  vérité  de  ses  discours. 

Il  n'y  avait  pas  d'évêque  à  Laon.  Cette  ville,  qui  honore 
S.  Béat  (2)  comme  un  cle  ses  premiers  apôtres,  avait  tou- 
jours appartenu  jusqu'alors  au  diocèse  de  Reims.  Mais 
S.  Remi  n'était  pas  de  ces  pasteurs  qui  cherchent  plutôt  la 
gloire  de  gouverner  un  grand  troupeau  que  celle  de  le  bien 
conduire  :  il  y  établit  un  nouvel  évêché.  Pour  cela  il  fit  don 
à  l'église  de  Sainte-Marie  de  Laon  d'une  partie  des  biens  que 
Clovis  lui  avait  donnés,  et  il  nomma  premier  évêque  de  cette 
ville  (3)  Génebaucl,  également  distingué  par  sa  noblesse  et  sa 
science  des  saintes  Écritures  et  des  auteurs  profanes.  Il  avait, 
à  ce  qu'on  croit,  épousé  la  nièce  de  S.  Remi;  mais  il  ne  man- 
qua pas  aussitôt  qu'il  eut  été  ordonné  de  se  séparer  d'elle, 
pour  vivre  dans  la  continence,  selon  les  règles  de  l'Église. 
Les  fréquentes  visites  qu'il  permit  à  sa  femme  de  lui  rendre 
le  firent  tomber,  et  il  en  eut  deux  enfants  étant  évêque  :  tant 

(1)  Vita  S.  Vedasti,  6  febr. 

(2)  L'Eglise  de  Laon  honore  S.  Béat  le  9  mai.  Ce  qui  donne  lieu  de  croire 
çpie  c'est  le  même  que  celui  qui  est  honoré  à  Vendôme  sous  le  nom  de  S.  Bié  ou 
S.  Bienheuri'. 

(3)  Hincmar  dit  que  les  villes  de  Boulogne  et  d'Arras  eurent  des  évêques  avant 
ia  ville  de  Laon.  Ce  qui  peut  faire  croire  ou  que  S.  Aumond  et  S.  Vaast  n'en 
Purent  pas  les  premiers  évêques,  ou  que  S.  Remi  n'établit  le  siège  de  Laon  que 
plusieurs  années  après.  Mais  Hincmar  écrivait  contre  un  évêque  de  Laon  avec 
lequel  il  était  en  procès. 


108  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [429 1 

il  est  vrai  que  la  vertu  qui  paraît  la  plus  ferme  est  bien  faible 
quand  elle  s'expose  au  danger  des  occasions. 

Dieu  tira  sa  gloire  de  cette  chute.  Génebaud,  oppressé  par 
le  poids  de  son  crime,  avait  fait  prier  S.  Remi  de  venir  à  Laon. 
Le  saint  évêque  s'y  rendit  sans  délai,  et,  après  avoir  été  intro- 
duit dans  un  appartement  secret  de  la  maison,  il  demanda  à 
Génebaud  pourquoi  il  l'avait  fait  venir.  Génebaud,  suffoqué 
par  les  larmes  et  les  sanglots,  se  jeta  aux  pieds  de  S.  Remi 
et  lui  remit  l'étole,  qu'il  ne  se  croyait  plus  digne  de  porter. 
S.  Remi  le  comprit,  et,  plein  de  compassion,  pleura  avec  lui. 
Après  avoir  reçu  de  Génebaud  l'aveu  de  ses  fautes,  le  saint 
évêque  de  Reims  le  consola  avec  une  bonté  paternelle,  tout  en 
sauvegardant  les  droits  de  la  justice  divine:  car,  pour  réparer 
le  scandale  dans  le  lieu  même  où  il  avait  été  donné ,  il  l'en- 
ferma à  Laon  dans  une  cellule  près  de  l'église  de  Saint-Julien. 
L'évêque  pénitent  y  demeura  reclus  sept  ans  entiers  pour 
expier  son  péché  ;  après  quoi  Dieu  lui  fit  connaître  qu'il  lui 
avait  pardonné.  La  vie  sainte  que  Génebaud  continua  de 
mener  pendant  le  reste  d'un  fort  long  épiscopat,  fit  oublier 
cette  faute  même  aux  hommes,  qui  se  souviennent  souvent 
avec  malignité  de  ces  sortes  de  faiblesses  longtemps  après 
que  Dieu  lésa  pardonnées  (1). 

S.  Remi  ne  borna  pas  son  zèle  au  salut  des  Francs  :  il 
tâcha  de  gagner  aussi  à  Jésus-Christ  les  Bourguignons,  et, 
tandis  que  Glovis  se  préparait  à  la  conquête  de  ce  royaume, 
il  engagea  les  évêques  de  la  domination  de  Gonclebaud  à  tra- 
vailler de  concert  à  la  réunion  des  ariens  (2).  Ces  prélats,  qui 
n'avaient  pas  moins  de  prudence  que  de  zèle,  jugèrent  que 
pour  mieux  faire  réussir  leur  pieux  projet  il  fallait  le  cacher 
et  s'assembler  à  Lyon  sous  un  autre  prétexte.  La  fête  de 
Saint-Just,  qui  était  proche,  en  fournit  un  fort  plausible. 

(1)  Hincm.,  VitaS.  Iiemig.,  c.  v.  —  Flod.,  1.  I,  c.  XIV. 

(2)  Fleury,t.  VII,  p.  110,,  dit  seulement  que  ce  furent  l'exemple  et  les  miracles 
de  S.  Remi  qui  excitèrent  les  évêques  bourguignons  à  s'assembler.  Mais  la  re- 
lation de  la  conférence  dit  quelque  chose  de  plus:  Domino  inspirante  pro  salute 
totius  gentis,  cor  domini  Remigii  factum  est  ut  episcopi  congreyarentur. 


[499]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  109 

S.  Etienne,  qui  avait  succédé  à  S.  Rusticius  sur  le  siège  de 
Lyon,  invita  donc  à  cette  solennité  les  évêques  les  plus  dis- 
tingués :  S.  Eonc  d'Arles,  Honorât  de  Marseille,  S.  Avite  de 
Vienne,  S.  Apollinaire  de  Valence  son  frère,  et  plusieurs 
autres.  Gomme  nous  avons  une  relation  exacte  de  la  confé- 
rence qu'ils  eurent  avec  les  ariens,  nous  avons  cru  ne  pou- 
voir rien  faire  de  mieux  que  d'en  rapporter  ici  le  texte,  per- 
suadé qu'on  y  verra  avec  plaisir  la  foi  triompher  des  chicanes 
de  l'erreur. 

«  Ces  saints  évêques,  s'étant  donc  rendus  à  Lyon,  allèrent 
tous  ensemble  avec  l'évêque  Etienne  saluer  le  roi  Gondebaud 
à  Sarbiniac  ou  Servigny,  maison  de  plaisance  auprès  de  Lyon. 
Les  chefs  des  ariens  auraient  bien  voulu  empêcher  le  prince 
de  leur  donner  audience.  Mais  Dieu,  qui  avait  ses  secrets  des- 
seins, ne  le  permit  pas.  Après  que  les  évêques  eurent  salué 
le  roi,  Avite,  à  qui  ils  avaient  déféré  l'honneur  de  porter  la 
parole,  à  cause  de  sa  naissance  et  de  son  érudition,  lui  dit  : 
Prince,  si  Votre  Excellence  (1)  veuf  assurer  la  paix  à  l'Église, 
nous  sommes  prêts  à  montrer  si  clairement  la  vérité  de 
notre  foi  par  l'autorité  de  l'Évangile  et  des  Épîtres  des  Apô- 
tres, qu'il  demeurera  hors  de  doute  que  votre  croyance 
n'est  pas  la  foi  de  Dieu  et  de  l'Église.  Vous  avez  ici  les  plus 
habiles  de  votre  parti  :  commandez-leur  de  conférer  avec 
nous.  Qu'ils  voient  s'ils  peuvent  répondre  à  nos  raisons, 
comme  nous  sommes  prêts  à  répondre  aux  leurs. 

«  Le  roi  répondit  :  Si  votre  foi  est  la  véritable,  pourquoi 
vos  évêques  n'empêchent-ils  pas  le  roi  des  Francs  de  me  dé- 
clarer la  guerre  et  de  s'unir  à  mes  ennemis  pour  me  dé- 
truire? Gar  la  vraie  foi  ne  s'accorde  pas  avec  la  convoitise 
du  bien  d'autrui  ni  avec  la  soif  du  sang  des  peuples  :  qu'il 
montre  sa  foi  par  ses  œuvres.  Avite  repartit  avec  humilité  et 

(1)  On  donnait  alors  assez  communément  aux  rois  le  titre  d'Excellence.  Théo- 
doric,  roi  d'Italie,  ]e  donne  à  Clovis.  Celui  de  Majesté  ne  fut  en  usage  que  long- 
temps après;  encore  trouve-t-on  qu'on  le  donnait  quelquefois  au  pape  et  même  à 
des  évêques. 


110  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [499] 

modestie  :  Nous  ignorons  pourquoi  le  roi  des  Francs  entre- 
prend la  guerre  dont  vous  vous  plaignez.  Mais  l'Écriture  nous 
apprend  que  les  royaumes  sont  souvent  détruits  pour  avoir 
abandonné  la  foi,  et  que  le  Seigneur  suscite  de  toutes  parts 
des  ennemis  à  ceux  qui  se  déclarent  les  siens.  Embrassez, 
vous  et  votre  peuple,  la  loi  de  Dieu,  et  il  vous  donnera  la 
paix.  Car  si  vous  avez  la  paix  avec  lui,  vous  l'aurez  avec  les 
autres,  ou  vos  ennemis  du  moins  ne  prévaudront  pas. 

«  Est-ce  donc  que  je  ne  professe  pas  la  loi  de  Dieu?  dit  le 
roi:  Quoi!  parce  que  je  ne  reconnais  pas  trois  dieux,  vous 
prétendez,  vous  autres,  que  je  ne  professe  pas  la  loi  de  Dieu? 
Je  n'ai  point  lu  dans  l'Écriture  qu'il  y  ait  trois  dieux,  mais 
un  seul.  ^Avite  répliqua  :  Dieu  nous  garde,  grand  roi,  d'a- 
dorer plusieurs  dieux  :  Ton  Dieu,  ô  Israël,  est  un.  Mais  dans 
ce  Dieu,  un  en  essence,  il  y  a  trois  personnes.  Il  expliqua  en- 
suite plus  en  détail  la  foi  du  mystère  de  la  Trinité,  et,  voyant 
que  le  prince  l'écoutait  favorablement,  il  ajouta  :  Oh!  si  vous 
vouliez  connaître  combien  notre  foi  est  bien  fondée,  quels 
avantages  ne  vous  en  reviendrait-il  pas,  à  vous  et  à  votre 
peuple  !  Commandez  à  vos  évêques  de  conférer  avec  nous 
en  votre  présence,  pour  vous  faire  connaître  que  le  Seigneur 
Jésus  est  le  Fils  éternel  du  Père,  que  le  Saint-Esprit  est  co- 
éternel  à  l'un  et  à  l'autre,  et  que  ces  trois  personnes  sont  un 
seul  Dieu  avant  tous  les  temps  et  sans  commencement 
comme  sans  fin.  Ayant  parlé  ainsi,  lui  et  les  autres  évèques 
se  jetèrent  aux  pieds  du  roi,  et,  les  tenant  étroitement  em- 
brassés, ils  versaient  des  larmes  amères.  Gondebaud  se 
sentit  ému  et  les  releva  en  leur  disant  qu'il  leur  rendrait 
réponse  sur  ce  qu'ils  avaient  demandé. 

«  Le  lendemain,  le  roi,  revenant  à  la  ville  par  la  Saône,  en-  i 
voya  chercher  Étienne  et  Avitc  et  leur  dit  :  Je  vous  accorde 
ce  que  vous  demandez  :  car  mes  évèques  sont  prêts  à  vous 
démontrer  que  personne  ne  peut  être  coétcrnel  et  consubstan- 
tiel  à  Dieu...  Mais  je  ne  veux  pas  que  la  conférence  se  fasse 
devant  tout  le  peuple,  de  peur  qu'elle  ne  soit  une  occasion 


[499]  EN  FRAXCE.  —  LIVRE  V.  111 

de  trouble  ;  elle  se  fera  seulement  en  présence  de  mes  séna- 
teurs et  d'autres  personnages  que  je  choisirai,  comme  vous 
choisirez  de  votre  côté  ceux  qu'il  vous  plaira,  mais  en  petit 
nombre,  et  ce  sera  demain  que  commencera  la  discussion. 
Les  deux  évêques  remercièrent  humblement  le  prince,  et  se 
retirèrent  pour  aller  avertir  leurs  confrères.  Ce  jour  était  la 
veille  de  Saint-Just,  c'est-à-dire  le  1er  septembre.  Les  évèques 
eussent  bien  souhaité  que  la  conférence  eût  été  remise  après 
la  fête;  mais  ils  n'osèrent  le  proposer  et  ils  allèrent  tous 
passer  la  nuit  en  prière  au  tombeau  du  saint.  A  l'office  de 
la  nuit  le  lecteur,  récitant  une  leçon  de  Moïse,  lut  ces  pa- 
roles :  J 'endurcirai  son  cœur,  je  multiplierai  mes  prodiges 
et  mes  miracles  dans  l'Egypte,  et  il  ne  vous  écoutera  pas. 
Il  en  récita  aussi  une  des  Prophètes,  une  autre  de  l'Évangile, 
et  une  quatrième  des  Epîtres,  et  l'on  trouva  dans  toutes  des 
textes  formels  sur  l'endurcissement  du  cœur.  Les  évêques, 
qui  crurent  y  voir  un  présage  de  l'opiniâtreté  de  Gondebaud, 
en  furent  sensiblement  affligés.  Ils  ne  laissèrent  pas  pour- 
tant de  se  préparer  avec  soin  à  la  défense  de  la  foi.  On  voit 
ici  la  coutume  de  réciter  aux  grandes  solennités  des  leçons 
des  principaux  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament. 

«  Les  évêques  catholiques  se  trouvèrent  le  lendemain  à 
l'heure  marquée  au  palais  de  Gondebaud,  avec  plusieurs 
prêtres  et  diacres  et  quelques  laïques,  parmi  lesquels  étaient 
Placide  et  Lucain,  deux  des  principaux  officiers  de  l'armée. 
Les  ariens  y  vinrent  avec  les  leurs.  Avite  portait  la  parole 
pour  les  catholiques,  et  Boniface  pour  les  ariens.  Avite,  na- 
turellement éloquent,  et  à  qui  le  Seigneur  donnait  une  nou- 
velle grâce,  commença  à  proposer  notre  croyance  et  à  la 
justifier  par  les  témoignages  de  l'Écriture  avec  tant  de  force 
que  les  ariens  en  parurent  consternés.  Boniface,  qui  l'avait 
écouté  assez  tranquillement,  ne  pouvant  rien  opposer  à  ses 
.  raisons,  voulut  faire  diversion  en  proposant  les  objections 
les  plus  difficiles.  S.  Avite  ne  prit  pas  le  change,  il  pressa 
son  adversaire  de  répondre  à  ses  preuves,  lui  promettant  de 


112  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [499] 

satisfaire  ensuite  à  ses  difficultés.  Boniface  ne  put  détruire 
un  seul  des  arguments  d'Avite  et  ne  répondit  que  par  des 
invectives,  en  traitant  les  catholiques  d'enchanteurs  et  d'a- 
dorateurs de  plusieurs  dieux.  Le  roi,  voyant  la  confusion  de 
son  parti,  se  leva  et  dit  que  Boniface  répondrait  le  lende- 
main. Les  évêques  se  retirèrent,  et,  comme  il  se  faisait  tard, 
ils  se  rendirent  aussitôt  avec  les  autres  catholiques  à  la  basi- 
lique de  Saint-Just,  dont  on  célébrait  la  fête  ce  jour-là,  pour  y 
remercier  le  Seigneur  de  la  victoire  qu'il  leur  avait  accordée 
sur  ses  ennemis. 

«  Le  lendemain  ils  revinrent  au  palais,  où  ils  trouvèrent  en 
entrant  Arédius,  qui  voulut  leur  persuader  de  s'en  retourner, 
en  leur  disant  que  toutes  ces  disputes  ne  servaient  qu'à  ai- 
grir les  esprits.  L'évêque  Etienne,  qui  savait  qu'Arédius, quoi- 
que catholique,  favorisait  les  ariens  pour  faire  sa  cour  au  roi, 
lui  répondit  qu'il  ne  fallait  pas  craindre  que  le  zèle  pour  le 
salut  de  ses  frères  et  la  recherche  de  la  vérité  produisissent 
la  division  ;  qu'au  contraire  il  n'y  avait  rien  de  plus  propre  à 
entretenir  l'union  d'une  sainte  amitié  que  de  connaître  de 
quel  côté  était  la  vérité,  parce  qu'elle  est  aimable  en  quelque 
lieu  qu'elle  soit  et  fait  aimer  ceux  qui  la  professent;  qu'au 
reste  ils  ne  venaient  que  par  ordre  du  roi.  Arédius,  en  bon 
courtisan,  se  rendit  à  cette  dernière  raison.  Le  roi,  voyant  ve- 
nir les  évêques  catholiques,  s'avança  au-devant  d'eux,  et, 
s'étant  assis  entre  Étienne  et  Avite,  il  leur  fît  de  nouvelles 
plaintes  contre  Glovis,  qu'il  accusait  de  pousser  son  frère 
Godégisile  à  s'armer  contre  lui.  Les  évêques  répondirent  que 
l'unité  de  la  foi  était  le  meilleur  moyen  de  procurer  la  paix , 
et  que,  s'il  l'avait  pour  agréable,  ils  lui  promettaient  leur  mé- 
diation. 

«  Chacun  ayant  pris  sa  place  comme  le  jour  précédent, 
Avite  fit  un  discours  pour  répondre  aux  objections  proposé 
par  Boniface  à  la  dernière  conférence.  Il  montra  si  clairement 
que  les  catholiques  n'adorent  pas  plusieurs  dieux,  que  ses 
adversaires  mêmes  en  demeurèrent  frappés  d'étonnemenl 


[499]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  113 

Boniface,  qui  voulut  répliquer,  ne  fit  que  répéter  les  injures 
et  les  calomnies  qu'il  avait  vomies  le  jour  précédent.  Mais  il 
le  fit  avec  tant  de  violence  et  d'emportement  qu'il  en  con- 
tracta un  enrouement  qui  l'empêcha  de  continuer  son  dis- 
cours et  qui  pensa  le  suffoquer.  Le  roi,  ayant  attendu  long- 
temps en  vain  que  la  parole  lui  fût  revenue,  se  leva  plein  d'in- 
lignation  contre  Boniface.  Mais  Avite  lui  dit,  en  montrant  les 
mtresévêques  ariens  :  Prince,  si  vous  vouliez  ordonner  à  ceux- 
ci  de  répondre  à  nos  raisons,  on  pourrait  juger  à  quelle  doc- 
trine il  faut  s'en  tenir.  Le  roi  et  les  autres  ariens  ne  répondaient 
?ien,  tant  ils  étaient  interdits  et  confus.  Avite  ajouta  :  Si  vos 
h'êques  ne  peuvent  nous  répondre,  à  quoi  tient-il  que  nous 
le  nous  réunissions  tous  dans  la  même  foi?  Cette  proposition 
îxcita  les  murmures  des  ariens.  Alors  Avite,  sûr  de  la  vérité 
le  sa  foi  et  plein  de  confiance  au  Seigneur,  dit  :  Si  nos  rai- 
sons ne  peuvent  les  convaincre,  je  ne  doute  pas  que  Dieu  ne 
asse  un  miracle  pour  confirmer  notre  croyance.  Prince,  or- 
lonnez  qu'eux  et  nous  allions  ensemble  au  tombeau  de 
5.  Just,  que  nous  l'interrogions  sur  notre  foi,  et  Boniface  sur 
a  sienne  :  le  Seigneur  décidera  par  la  bouche  de  son  servi- 
eur.  Le  roi,  surpris  de  la  proposition,  semblait  l'accepter; 
nais  les  ariens  s'écrièrent  qu'il  ne  leur  était  pas  permis, 
lour  prouver  leur  foi,  d'avoir  recours  à  des  enchantements 
Dt  à  des  sortilèges  à  l'exemple  de  Saûl,  qui  avait  été  maudit 
le  Dieu.  Le  roi,  qui  s'était  déjà  levé  de  son  siège,  prit  Etienne 
3t  Avite  par  la  main  et  les  conduisit  jusqu'à  son  apparte- 
nez, où  il  les  embrassa  tendrement  en  leur  disant  de  prier 
Dieu  pour  lui.  Yoilà  tout  le  fruit  que  ce  prince  retira  de  la 
conférence;  mais  plusieurs  qui  y  avaient  assisté,  furent  plus 
Mêles  à  la  grâce  :  ils  abjurèrent  leurs  erreurs  et  furent  bap- 
isés.  »  On  peut  en  conjecturer  qu'ils  étaient  sectateurs  de 
3hotin  ou  de  Paul  de  Samosate  (i). 


(1)  Un  canon  (can.  1C)  du  second  concile  d'Arles  marque  qu'on  doit  baptiser  les 
)hotiniens  et  les  paulianistes  qui  se  convertissent,  et  non  les  bonosiens  et  les  ariens. 

TOME  XI.  8 


114  HISTOIRE  DE  l'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [499] 

Cette  conférence,  que  vous  venons  de  rapporter  sur  la  re- 
lation d'un  auteur  contemporain,  se  tint  pendant  que  Glovis 
faisait  des  préparatifs  pour  la  guerre  de  Bourgogne  et  par 
conséquent  avant  l'an  500  (1).  On  y  voit  quelle  était  la  véné- 
ration des  peuples  pour  le  tombeau  de  S.  Just.  On  s'y  rendait 
chaque  année  de  toutes  parts  pour  la  fête,  et  S.  Sidoine,  qui 
y  avait  assisté,  nous  en  a  décrit  la  solennité  (2).  Il  rapporte 
qu'on  marchait  en  procession  avant  le  jour;  qu'il  y  avait  une 
si  grande  multitude  de  fidèles  des  deux  sexes  que,  quelque 
vaste  que  fût  l'église  avec  ses  portiques,  elle  ne  pouvait  la  con- 
tenir ;  qu'il  y  avait  un  nombre  infini  de  cierges  allumés  ;  qu'à 
l'office  des  vigiles,  c'est-à-dire  de  matines,  les  psaumes 
étaient  chantés  à  deux  chœurs  par  les  moines  et  les  clercs  ; 
qu'après  cet  office  on  se  retirait  jusqu'à  l'heure  de  tierce,  à 
laquelle  on  se  rassemblait  pour  la  messe.  Car  selon  l'ancienne 
discipline  on  devait  la  célébrer  à  la  troisième  heure  du  jour, 
c'est-à-dire  à  neuf  heures  du  matin. 

La  discussion  contre  les  ariens,  en  donnant  lieu  à  S.  A  vite 
de  faire  paraître  ses  talents,  augmenta  l'amitié  et  l'estime 
dont  Gondebaud  honorait  ce  grand  évêque.  Il  le  consultait 
sur  les  textes  les  plus  obscurs  de  l'Écriture,  sur  divers  ar- 
ticles de  la  foi  et  même  sur  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Pour 
répondre  à  ces  difficultés,  le  saint  évêque  lui  écrivit  plusieurs 
lettres,  dans  lesquelles  il  combat  toujours  avec  un  nouvel 
avantage  les  erreurs  des  ariens,  des  bonosiens  et  des  photi- 
niens.  Dans  une  de  ces  lettres  il  dit  que  le  nom  missa  est  un 
terme  commun ,  pour  congédier  le  peuple ,  aux  églises ,  aux 
palais  et  aux  prétoires  :  ce  que  nous  faisons  remarquer  poui 
faire  voir  que  ces  paroles  du  prêtre  :  lté  missa  est,  ont  donne' 
le  nom  au  sacrifice  de  la  messe  (3),  selon  S.  Avite. 

Mais  dans  la  suite  S.  Grégoire  ordonna  qu'on  baptisât  aussi  les  bonosiens,  sani 
doute  parce  qu'ils  altéraient  alors  la  forme  du  baptême. 

(1)  Collât,  episc.  in  Spicil.  t.  V. —  Le  P.  Pagi  rapporte  cette  conférence  à  l'an  501 
mais  elle  précéda  la  guerre  de  Bourgogne,  qu'il  faut  placer  en  l'an  500. 

(2)  Sidon.,  1.  V,  Ep.  xvii. 

(3)  Le  P.  Sirmond  approuve  fort  l'étymologie  latine  que  S.  Avite  donne  du  mo 


[499]  EN  FBANCE.    LIVRE  V.  115 

Gondebaud  le  chargea  d'écrire  contre  l'hérésie  d'Eutychès, 
qui  commençait  à  se  répandre  sourdement  dans  les  Gaules. 
Avite  le  fit  avec  zèle;  mais,  en  expliquant  les  dogmes  de  cette 
hérésie,  il  paraît  la  confondre  avec  celle  de  Nestorius.  «  Eu- 
tychès,  dit-il  (1),  pressé  par  le  concile  de  confesser  et  de 
souscrire  que  la  vierge  Marie  est  mère  de  Dieu ,  ôèoréxou , 
eut  recours  à  ses  artifices  ordinaires  et  confessa  seulement 
qu'elle  est  mère  de  Jésus-Christ,  Xpt<jroroxou.  »  Ce  saint  évêque 
se  trompe  en  cette  occasion.  Car,  bien  que  les  eutychiens,  en 
enseignant  que  la  chair  de  Jésus-Christ  était  descendue  du 
ciel,  détruisissent  la  maternité  divine  dans  Marie,  on  voit 
évidemment  que  S.  Avite  attribue  ici  à  Eutychès  ce  qui  ne 
convient  qu'à  Nestorius.  En  effet,  les  eutychiens,  en  suppo- 
sant que  la  chair  de  Jésus-Christ  était  descendue  du  ciel, 
sapaient  également  par  là  le  fondement  de  la  maternité  di- 
vine dans  Marie  et  celui  de  sa  maternité  du  Christ,  et,  comme 
ils  n'admettaient  qu'une  personne  et  qu'une  nature  en  Jésus- 
Christ,  ils  n'avaient  garde  de  distinguer  la  mère  du  Christ  de 
la  mère  de  Dieu  ;  au  lieu  que  cette  distinction,  inventée  par 
Nestorius,  ressortait  du  principe  même  de  son  hérésie,  qui, 
en  admettant  deux  personnes  en  Jésus-Christ,  ne  reconnais- 
sait qu'une  union  morale  entre  le  Verbe  et  l'homme.  Mais  en 
Occident  on  était  peu  versé  dans  toutes  les  chicanes  de  ces 
hérésies,  qui  n'avaient  troublé  que  l'Orient. 

Dans  le  reste  de  sa  lettre,  S.  Avite  prouve  invincible- 
ment, par  les  textes  les  plus  formels  des  saintes  Écritures, 
l'unité  de  personne  en  Jésus-Christ  et  la  distinction  des  na- 
tures. Il  combat  encore  l'hérésie  euty chienne  dans  une  autre 
lettre  (2)  à  Gondebaud  ;  il  le  met  au  fait  de  la  division  arrivée 
au  sujet  d'Acace,  mort  dans  l'hérésie  des  eutychiens,  et  de 

de  messe,  et  raille  ceux  qui  veulent  le  tirer  de  l'hébreu.  Le  P.  Hardouin,  dans  sa 
réfutation  du  P.  le  Courayer,  rend  cependant  assez  vraisemblable  ce  dernier  sen- 
timent. Il  dérive  ce  mot  d'un  verbe  hébreu  qui  signifie  facere,  sacrificare  :  suivant 
cette  étymologie  la  messs'signifie  sacrifice.  C'est  en  ce  sens  qu'on  a  appelé  le  canon 
de  la  messe  actio,  c'est-à-dire,  immolatio,  sacriftcium. 
(1)  Avit.  Ep.  il.  —  (2)  Avit.  Ep.  ni. 


116  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [499] 

celle  causée  par  le  Trisagion  (1).  C'était  une  hymne,  dans 
laquelle,  pour  mieux  insinuer  la  confusion  des  deux  natures 
en  Jésus-Christ,  on  avait  ajouté  quelques  paroles  qui  pouvaient 
faire  entendre  que  la  divinité  même  avait  souffert.  Comme 
toute  innovation  est  justement  suspecte  en  temps  d'erreur, 
surtout  quand  elle  vient  de  la  part  des  hérétiques,  les  catho- 
liques s'élevèrent  contre  celle-ci,  et  il  y  eut  à  ce  sujet  de  si 
grands  troubles  à  Constantinople  que  l'empereur  Anastase  en 
pensa  perdre  la  couronne.  Tant  il  est  dangereux  à  un  prince  de 
touchera  la  religion! 

Gondebaud  consulta  aussi  S.  Avite  sur  le  centuple  que  Jé- 
sus-Christ promet,  et  sur  deux  propositions  extraites  d'une 
lettre  de  l'évêque  Fauste  à  Paulin  de  Bordeaux  (2)  :  ce  qui 
donne  lieu  de  croire  que  la  lettre  n'est  pas  de  Fauste  le  mani- 
chéen, comme  S.  Avite  paraît  le  soupçonner,  mais  de  Fauste 
de  Riez.  Ce  dernier  pouvait  plus  aisément  avoir  connu  un 
Paulin  originaire  de  Bordeaux  dont  nous  avons  parlé,  et  qui, 
s'étant  retiré  à  Marseille  pour  y  faire  pénitence  après  la  perte 
de  ses  biens,  y  vécut  jusqu'à  une  extrême  vieillesse.  Par  la 
première  proposition,  Fauste  rejetait  comme  inutile  la  péni- 
tence faite  à  l'article  de  la  mort,  et  dans  la  seconde  il  soute- 
nait que  la  foi  seule  ne  servait  de  rien.  S.  Avite  dit  que  la 
première  proposition  est  trop  dure  et  contraire  à  la  vérité, 
parce  que  l'humilité  de  celui  qui  confesse  son  péché  n'est  pas 
sans  fruit ,  et  que  la  volonté  de  se  corriger,  si  elle  est  sin- 
cère, plaît  à  Dieu;  il  ajoute  cependant  qu'on  ne  doit  admettre 
la  pénitence  en  ces  occasions  qu'avec  crainte  et  défiance.  Il 

(1)  On  nomma  cette  hymne  Trisagion,  parce  qu'on  y  répétait  trois  fois  '  Ayio;, 
c'est-à-dire  Saint,  en  l'honneur  des  trois  personnes  de  la  Trinité.  Pierre  le  Foulon, 
patriarche  d'Antioche  y  ajouta  :  vous  qui  avez  été  crucifié  pour  nous,  ayez  pitié  d« 
nous,  voulant  par  là  insinuer  Terreur  des  théopaschites.  Les  catholiques,  qui  dé- 
couvrirent le  piège,  s'opposèrent  à  ce  qu'on  chantât  ce  verset.  C'est  sur  quoi  S.  Avite 
ne  paraît  pas  non  plus  assez  au  fait  :  car  il  impi-ouve  la  conduite  de  ceux  qui  blâ- 
maient cette  addition.  Calendion,  éveque  d'Antioche,  pour  ôter  le  mauvais  sens, 
rit  ajouter  au  commencement  du  dernier  verset,  Xpurrè  êacrtXeO,  c'est-à-dire 
Jésus-Christ  roi. 

(2)  Avit.  Epist.  in  Miscell.  Baluz.,  t.  I. 


[499]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  117 

dit  sur  la  seconde  proposition  qu'il  faut  aussi  l'adoucir,  parce 
que  la  foi  seule  ne  laisse  pas  d'avoir  de  grands  avantages,  et  que 
c'est  le  fondement  de  tous  les  biens  spirituels  (1). 

Gondebaud  paraissait  s'approcher  du  royaume  de  Dieu,  et 
l'on  concevait  de  nouvelles  espérances  de  l'arracher  à  l'erreur. 
Un  célèbre  orateur  de  ce  temps-là  nommé  Héraclius  fît  ser- 
vir son  éloquence  à  la  défense  de  la  foi  catholique,  et  confondit 
les  ariens  et  le  roi  même  dans  une  nouvelle  discussion.  S.  Avite 
félicita  cet  orateur  du  courage  qu'il  avait  eu  de  soutenir  les 
intérêts  de  la  vérité  contre  ce  prince.  «  Autrefois,  lui  dit-il, 
en  prononçant  le  panégyrique  du  roi,  vous  avez  rendu  à 
César  ce  qui  était  à  César  :  et  aujourd'hui,  rendant  à  Dieu  ce 
qui  est  à  Dieu,  vous  n'avez  pas  cru  devoir  épargner  César. 
Mais  vous  donnez  par  là  même  un  nouveau  prix  à  l'éloge  que 
vous  avez  fait  de  lui.  Car  votre  résistance  au  roi  est  une 
marque  que  vous  ne  savez  pas  flatter.  »  S.  Avite  prédit  à 
Héraclius  l'épiscopat,  dont  il  se  montrait  si  digne  par  son 
zèle  (2). 

Ce  saint  évêque  de  Vienne  continuait  lui-même  à  avoir  sou- 
vent des  entretiens  sur  la  religion  avec  Gondebaud.  Un  jour 
il  le  pressa  si  vivement  que  ce  roi  arien,  ne  pouvant  plus  ré- 
sister à  l'évidence  de  la  vérité,  le  pria  de  le  réconcilier  secrè- 
tement  à  l'Eglise  par  l'onction  du  saint  chrême.  Mais  S.  Avite 
lui  répondit  :  «  Prince,  si  vous  croyez  véritablement,  pour- 
quoi craignez-vous  de  confesser  Jésus-Christ  devant  les 
hommes,  comme  il  l'a  commandé?  La  crainte  de  quelque 
sédition  de  la  part  de  vos  sujets  vous  arrête  quand  il  s'agit 
d'obéir  au  Créateur  de  toutes  choses  ! . . .  Vous  êtes  roi,  et  vous 
craignez  vos  sujets]  Ne  savez-vous  pas  que  c'est  plutôt  à  eux 
de  vous  suivre  qu'à  vous  de  vous  conformer  à  leur  faiblesse? 
N'êtes- vous  donc  pas  le  chef  de  votre  peuple ,  ou  votre  peuple 

(1)  Avit.  Ep.  IV.  —  (2)  Avit.  Ep.  xlvii.  On  trouve  un  Héraclius  évêque  des 
Trois-Châteaux  au  second  concile  d'Orange,  au  second  concile  de  Vaison  et  au 
quatrième  d'Orléans  :  ce  pourrait  être  celui  dont  il  est  ici  question ,  et  la  prédic- 
tion de  S.  Avite  aurait  été  accomplie. 


118  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [500] 

est-il  votre  maître?  Quand  vous  allez  à  la  guerre,  vous  mar- 
chez le  premier,  et  vos  soldats  vous  suivent.  Faites  de  même 
dans  le  chemin  de  la  vérité  :  montrez-le  à  vos  sujets  en  y  en- 
trant le  premier,  plutôt  que  de  vous  égarer  à  leur  suite  dans 
les  routes  de  l'erreur  (1).  »  Rien  n'était  plus  pressant  qu'un  tel 
argument  ;  mais  la  crainte  de  perdre  un  royaume  temporel  en 
se  déclarant  catholique  l'emporta  toujours  dans  l'esprit  de 
Gondebaud  sur  l'espérance  d'acquérir  celui  de  Jésus-Christ, 
et  il  ne  connut  la  vérité  que  pour  la  sacrifier  à  sa  politique  et  à 
son  ambition,  à  laquelle  nous  le  verrons  bientôt  immoler  la 
vie  de  Godégisile,  comme  il  avait  déjà  sacrifié  celle  de  ses 
deux  autres  frères. 

Pendant  que  ce  prince  délibérait  ainsi,  Glovis  exécutait  le 
dessein  qu'il  avait  formé  contre  lui.  Ayant  joint  ses  armes  à 
celles  de  Godégisile,  il  remporta  une  grande  victoire  près  de 
Dijon,  et,  après  s'être  emparé  de  presque  tout  le  royaume  de 
Bourgogne,  il  alla  mettre  le  siège  devant  Avignon.  Gondebaud, 
qui  avait  eu  l'imprudence  de  s'enfermer  dans  cette  place, 
eut  recours  à  l'artifice  pour  se  tirer  de  l'extrémité  où  il  était 
réduit  :  jugeant  qu'il  serait  plus  aisé  de  tromper  les  Francs 
que  de  les  vaincre,  il  fit  passer  comme  transfuge  dans  le  camp 
de  Glovis  un  de  ses  confidents,  qui,  en  exagérant  les  forces  de 
la  place,  porta  facilement  ce  conquérant  à  se  contenter  du  tri- 
but qu'offrait  Gondebaud.  A  cette  condition  le  siège  fut  levé. 
Mais  aussitôt  que  les  Francs  se  furent  retirés,  Gondebaud 
marcha  contre  son  frère  Godégisile,  l'assiégea  dans  Vienne, 
et,  ayant  pris  cette  ville  par  stratagème,  il  fit  brûler  ce  mal- 
heureux prince  dans  une  église  d'ariens,  dans  laquelle  il  s'é- 
tait réfugié  (2). 

C'est  ainsi  que  Gondebaud  devint  maître  de  toute  la  Bour- 
gogne. Dès  que  son  ambition  fut  satisfaite,  il  montra  quelque 
amour  de  la  justice.  Il  s'appliqua  à  faire  pour  sa  nation  des  lois 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxiv.  —  (2)  Marius  Avent.  Chron.  —  Greg.  Tur., 
1.  II,  c.  xxxii  et  xxxm. 


[500J  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  119 

plus  favorables  aux  Gaulois  que  les  précédentes ,  afin  que 
ceux-ci,  n'étant  plus  opprimés  par  les  Bourguignons,  désiras- 
sent moins  la  domination  des  Francs.  Il  publia  dans  cette  vue 
un  nouveau  code,  l'an  501  ou  502  (1);  en  voici  quelques  dis- 
positions :  Les  filles  qui  se  sont  consacrées  à  Dieu  pour  garder 
la  chasteté  auront  leur  part  de  la  succession  paternelle. — Un 
Juif  qui  osera  porter  la  main  sur  un  chrétien  aura  le  poing 
coupé  ;  s'il  veut  racheter  sa  main,  il  payera  75  sous,  et  12  sous 
d'amende.  S'il  a  frappé  un  prêtre,  on  le  fera  mourir,  et  ses 
biens  seront  confisqués. — L'homicide  et  l'adultère  sont  punis 
de  mort. — Si  une  fille  libre  pèche  avec  un  esclave,  qu'ils  soient 
mis  à  mort  l'un  et  l'autre. — Une  femme  qui  abandonne  son 
mari  sera  étouffée  dans  la  boue. — Ceux  qui  n'ont  pas  de  bois 
pourront  librement  en  aller  couper  dans  les  forêts  des  autres. 

Dans  les  procès  civils  ou  criminels,  on  se  dérobait  le  plus 
souvent  aux  poursuites  en  jurant  qu'on  était  innocent,  et 
l'on  faisait  même  jurer  les  enfants  qui  n'avaient  pas  l'âge  de 
raison.  Si  la  partie  ne  voulait  pas  s'en  rapporter  au  serment 
de  ceux  qui  offraient  de  jurer,  on  ordonnait  un  duel,  et  si  celui 
qui  proposait  le  serment  était  tué,  tous  les  témoins  qui  avaient 
offert  de  jurer  avec  lui  payaient  chacun  300  sous  (2).  On 
croyait  que  celui  qui  était  mort  était  le  coupable,  et  on  nom- 
mait jugement  de  Dieu  cette  manière  de  décider  les  procès. 
Cette  loi  fut  nommée  la  Gondebade,  et,  toute  empreinte  de 
barbarie  qu'elle  était,  elle  ne  laissa  pas  de  subsister  dans  le 
royaume  de  Bourgogne  plusieurs  siècles  après  que  les  Francs 
en  furent  maîtres. 

La  prospérité  a  pour  effet  ordinaire  d'enfler  le  cœur  et  d'a- 
veugler l'esprit.  Celle  de  Gondebaud  ne  servit  qu'à  le  confir- 
mer dans  ses  erreurs.  Mais  son  attachement  à  sa  secte  n'em- 
pêcha pas  que  Dieu  n'eût  ses  élus  à  sa  cour.  Une  sainte  reine 

(1)  On  voit  à  l'occasion  de  cette  ancienne  loi  une  ordonnance  datée  de  la  seconde 
année  de  Gondebaud:  ce  qu'il  faut  entendre  de  son  règne  sur  toute  la  Bourgogne, 
qui  commença  sur  la  fin  de  l'an  500. 

(2)  Cod.  leg.  vet.  Lindembr.,  h  I,  c.  lxiii. 


120  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [500] 

nommée  Caréténé,  y  faisait,  comme  nous  avons  dit,  une  pro- 
fession publique  de  la  vraie  foi ,  et  elle  l'honorait  plus  encore 
par  sa  piété  que  par  son  rang.  Elle  vivait  dans  le  palais  comme 
dans  un  cloître,  portait  le  cilice  sous  la  pourpre,  s'adonnait 
aux  jeûnes,  faisait  de  grandes  aumônes  et  exhortait  souvent 
ses  enfants  et  ses  petits-fils  à  embrasser  la  foi  catholique  (1). 
Il  est  assez  vraisemblable  qu'elle  était  femme  de  Gondebaud  ; 
sa  vertu  en  fut  plus  digne  d'admiration.  Cette  princesse  mou- 
rut pleine  de  mérites,  âgée  de  plus  de  cinquante  ans,  le  16 
septembre  sous  le  consulat  de  Messala,  c'est-à-dire  l'an  506,  et 
elle  fut  enterrée  à  Lyon  dans  l'église  de  Saint-Michel,  qu'elle 
avait  fait  bâtir  :  c'est  ce  que  nous  apprend  son  épitaphe.  Gré- 
goire de  Tours  loue  la  piété  d'une  reine  de  Bourgogne  qui  fit 
restituer  à  l'église  de  Saint-Julien  de  Brioude  l'argenterie  qu'un 
parti  bourguignon  en  avait  enlevée  (2)  :  il  s'agit  sans  doute  ici 
de  Caréténé. 

Cependant  le  différend  qui  se  renouvela  sur  la  fin  du  cin- 
quième siècle  à  l'occasion  des  privilèges  des  Églises  d'Arles 
et  de  Vienne,  avait  jeté  quelques  semences  de  division  entre 
de  saints  évêques,  qui  avaient  besoin  plus  que  jamais  d'agir 
de  concert  pour  combattre  avec  succès  les  ennemis  de  l'Église. 
Le  crédit  que  la  naissance,  l'érudition  et  les  services  rendus  à 
l'Eglise  donnaient  à  S.  A  vite,  lui  avait  fait  aisément  obtenir 
du  pape  Anastase  une  juridiction  plus  étendue  pour  son  siège. 
Mais  S.  Eone  d'Arles  en  porta  ses  plaintes  à  Symmaque,  qui 
avait  succédé  à  Anastase  en  l'an  498.  Ce  pape,  voulant  exa- 
miner de  nouveau  cette  affaire,  ordonna  aux  parties  de  lui  en- 
voyer des  députés  pour  soutenir  leurs  prétentions.  Eone  en- 
voya le  prêtre  Crescence,  mais  S.  Avite  n'envoya  personne. 
Symmaque  jugea  donc  par  provision  qu'il  fallait  s'en  tenir  à  ce 
qui  avait  été  anciennement  réglé  là-dessus  par  le  Saint-Siège, 
parce  qu'il  ne  convenait  pas  que  les  décrets  d'un  pape  fussent 

(1)  Epitaph.  Careten.,  apud  Ducliesne,  t.  1,  p.  514. —  (2)  De  Glor.  martyr.,  1.  II, 
C.  VIÎÎ. 


[500]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  121 

annulés  par  ceux  qui  lui  succèdent.  «  Quel  respect,  dit-il, 
portera-t-on  aux  successeurs  de  S.  Pierre,  si  ce  qu'ils  ont. réglé 
pendant  leur  pontificat  perd  sa  force  dès  qu'ils  sont  morts?  » 
Il  ne  parle  que  des  règlements  de  discipline.  Comment  se 
serait-il  exprimé  s'il  se  fût  agi  d'une  décision  dogmatique 
émanée  du  Saint-Siège  et  reçue  par  le  corps  des  pasteurs? 
il  convient  toutefois  qu'on  peut  avoir  des  raisons  d'abroger 
des  décrets  de  pure  discipline.  La  lettre  est  datée  du  29  sep- 
tembre de  la  seconde  année  après  le  consulat  de  Paulin  (1), 
c'est-à-dire  l'an  500. 

S.  A  vite  se  plaignit  d'avoir  été  condamné  sans  être  entendu. 
Le  pape  lui  répondit  le  13  octobre  sous  le  consulat  d'Aviénus, 
c'est-à-dire  l'an  501,  qu'il  ne  devait  pas  s'offenser  de  ce  qu'il 
avait  écrit  à  Eone  ;  qu'il  ne  voulait  en  aucune  manière  porter 
préjudice  à  ses  droits,  et  qu'il  était  encore  libre  de  proposer 
sa  défense.  «  Quoique  nous  ayons  mandé,  dit-il,  que  notre 
prédécesseur  Anastase,  de  sainte  mémoire,  avait  mis  la  con- 
fusion dans  votre  province  en  modifiant  les  anciens  règle- 
ments des  autres  souverains  pontifes,  et  que  l'on  ne  devait  pas 
souffrir  cette  innovation,  cependant,  si  vous  nous  faites  con- 
naître qu'il  a  eu  de  bonnes  raisons  pour  agir  ainsi,  nous  serons 
heureux  de  trouver  qu'il  n'a  rien  fait  en  cela  contre  les  canons. 
Car,  quoiqu'il  faille  garder  exactement  les  anciens  décrets,  il 
faut  aussi  se  relâcher  de  la  rigueur  de  la  loi  en  vue  d'un  bien 
pour  lequel  la  loi  aurait  fait  une  exception,  si  elle  l'avait  prévu.  >• 
Cette  affaire  traîna  encore  en  longueur,  apparemment  parce 
que  S.  Eone  mourut  sur  ces  entrefaites,  l'an  502  :  il  est  ho- 
noré le  30  août.  Nous  ne  savons  de  lui  rien  de  remarquable, 
et  ce  qu'il  fit  assurément  cle  plus  utile  à  son  Église  fut  de 
choisir  S.  Césaire  pour  son  successeur. 

Césaire  était  né  sur  le  territoire  de  Chalon-sur-Saône,  de 
parents  également  distingués  par  leur  piété  et  par  leur  no- 

(t)  On  datait  en  Occident  de  ce  consulat  l'an  500,  parce  que  les  deux  années 
précédentes  il  n'y  avait  pas  eu  de  consul  d'Occident,  quoiqu'il  y  en  ait  eu  en 
Orient. 


122  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [502 ] 

blesse.  Le  fils  ne  démentit  point  une  telle  origine.  On  vit 
presque  en  même  temps  en  lui  le  germe  et  les  fruits  des  plus 
belles  vertus.  Il  n'avait  encore  que  sept  ans  qu'il  se  dépouil- 
lait souvent  de  ses  habits  pour  en  revêtir  les  pauvres  et  reve- 
nait à  demi  nu  à  la  maison.  Quand  on  lui  demandait  ce  qu'il  avait 
fait  de  ses  vêtements,  il  se  contentait  de  répondre  que  les  pas- 
sants l'avaient  dépouillé.  A  l'âge  d'environ  dix-huit  ans,  il  se 
sauva  de  la  maison  paternelle  et  alla  se  jeter  aux  pieds  de 
S.  Sylvestre,  évêque  de  Ghalon,  le  conjurant  de  lui  donner  la 
tonsure  cléricale  et  de  l'attacher  au  service  de  l'Église.  Le 
saint  évêque  ne  put  résister  à  des  vœux  si  pressants,  et  Gé- 
saire  demeura  deux  ou  trois  ans  auprès  de  lui.  Après  quoi  le 
désir  d'une  plus  grande  perfection  le  porta  à  se  retirer  au  mo- 
nastère de  Lérins  (1). 

Porcaire,  qui  en  était  alors  abbé,  l'y  reçut  avec  joie  et 
s'aperçut  bientôt  que  le  jeune  novice  avait  déjà  toutes  les 
vertus  des  plus  anciens  et  des  plus  fervents  religieux.  Il  lui 
donna  la  charge  de  cellérier.  La  charité  et  l'amour  de  la  pau- 
vreté furent  les  règles  que  suivit  Césaire  dans  ses  modestes 
fonctions.  Chargé  de  subvenir  aux  nécessités  de  ses  frères,  il 
prévenait  ceux  dont  il  connaissait  les  besoins,  et  qui  par  morti- 
fication ne  demandaient  rien;  mais  il  refusait  tout  à  la  sensua- 
lité, quelques  instances  qu'on  lui  fît.  Les  moines  mécontents 
murmurèrent  bientôt,  et  l'abbé  se  vit  obligé  de  lui  ôter  une 
charge  dont  il  s'acquittait  avec  trop  de  conscience. 

Césaire,  rendu  pour  ainsi  dire  à  lui-même,  s'appliqua 
avec  plus  de  soin  à  sa  perfection  ;  mais  il  porta  si  loin  ses 
austérités  et  ses  abstinences  qu'il  en  tomba  malade.  Comme 
on  désespérait  de  sa  guérison  tant  qu'il  prolongerait  son  sé- 
jour dans  le  monastère,  l'abbé,  qui  l'aimait  tendrement,  l'o- 
bligea d'aller  passer  quelque  temps  à  Arles  pour  y  rétablir 
sa  santé.  Un  homme  de  qualité  nommé  Firmin  et  une  dame 
nommée  Grégorie ,  fort  charitable  envers  les  pauvres ,  le 


(l)  Cyprian.  Vit.  Cœsarii,  1. 1,  c.  I  et  n. 


[502]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  123 

rorurent  chez  eux.  Le  rhéteur  Pomérius  fréquentait  cette  mai- 
son (1).  Firmin  l'engagea  à  donner  des  leçons  de  son  art  au 
jeune  moine,  qui  y  consentit  d'abord;  mais  un  songe  mira- 
culeux lui  fit  connaître  que  Dieu  n'approuvait  pas  son  appli- 
cation à  ces  études  profanes.  Ses  hôtes  furent  si  édifiés  de 
ses  vertus  qu'ils  en  parlèrent  à  Eone  d'Arles  en  des  termes 
qui  firent  naître  chez  lui  l'envie  de  le  connaître  par  lui-même. 
Le  saint  évêque,  l'ayant  fait  venir  quelques  jours  après  et 
s'étant  informé  de  son  nom  et  de  sa  famille ,  fut  ravi  d'ap- 
prendre qu'il  était  son  parent.  Il  le  prit  en  affection,  et,  ayant 
obtenu  avec  'peine  de  son  abbé  qu'il  le  lai  cédât ,  il  l'ordonna 
diacre  et  ensuite  prêtre.  Gésaire  observa  dans  le  clergé  toutes 
les  pratiques  de  la  vie  monastique  selon  la  règle  de  Lérins  et 
ne  se  dispensa  en  rien  de  la  psalmodie  qui  y  était  en  usage. 

L'abbé  d'un  monastère  (2)  situé  dans  une  île  voisine  d'Ar- 
les étant  mort,  Eone  mit  Gésaire  en  sa  place.  Il  s'acquitta  de 
cette  charge  avec  une  grande  édification  et  rétablit  la  régu- 
larité parmi  ces  moines,  qu'il  gouverna  trois  ans.  Pendant  ce 
temps-là,  S.  Eone,  qui  était  fort  infirme,  disait  souvent  à 
son  clergé  et  aux  principaux  citoyens  qu'on  ne  devait  pas 
lui  chercher  d'autre  successeur  que  Gésaire  ;  qu'il  était  seul 
capable  de  remettre  en  vigueur  la  discipline,  que  ses  infirmités 
ne  lui  avaient  pas  permis  de  surveiller  avec  assez  de  vigilance. 
Aussi  après  sa  mort  on  ne  délibéra  pas  sur  le  choix  du  succes- 
seur. Gésaire,  ayant  appris  son  élection,  alla  se  cacher  dans 
des  tombeaux  ;  mais  on  le  tira  du  lieu  obscur  où  son  humilité 
l'avait  enseveli,  comme  une  lumière  qui  devait  éclairer  la 
maison  du  Seigneur.  Il  fut  élevé  sur  le  siège  d'Arles  l'an  502, 
dans  la  trente-troisième  année  de  son  âge  (3). 

(1)  Ce  Pomérius  pourrait  être  l'auteur  dont  nous  avons  parlé;  cependant  la 
qualité  de  rhéteur,  qu'on  lui  donne  ici,  en  peut  faire  douter. 

(2)  Le  P.  Mabillon  dit  qu'un  saint  moine  nommé  Alvéus  y  vivait  sous  le  gou- 
vernement de  S.  Césaire.  Serait-ce  S.  Aînée  honoré  dans  le  Maine  le  11  septembre, 
dont  le  nom  latin  est  Alceus  ? 

(3)  Fleury,  t.  VÎT,  p.  143,  dit  que  S.  Césaire  fut  ordonné  évêque  d'Arles 
l'an  501,  âgé  de  trente  ans.  Mais  nous  apprenons,  par  la  lettre  du  pape  Sym- 
maque  à  S.  Avite,  que  S.  Éone  d'Arles  ,  qui  est  apparemment  mort  le  30  août, 


124  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [502] 

Gésaire  signala  les  commencements  de  son  épiscopat  par 
plusieurs  saints  établissements.  Il  ordonna  que  les  clercs 
réciteraient  tous  les  jours  dans  la  basilique  de  Saint-Étienne 
l'office  de  tierce,  de  sexte  et  de  none,  avec  les  hymnes"  appro- 
priées, afin  que  les  pénitents  et  les  autres  laïques  qui  vou- 
draient y  assister,  pussent  le  faire  commodément.  Et  pour 
ôter  aux  laïques  l'occasion  de  s'entretenir  dans  l'église ,  il 
voulut  qu'ils  chantassent  aussi  des  psaumes  comme  les  clercs, 
les  uns  en  latin  et  les  autres  en  grec  :  car  cette  langue  était 
fort  en  usage  dans  cette  province ,  dont  la  plupart  des  villes 
étaient  des  colonies  grecques.  Il  laissa  aux  diacres  tout  le  soin 
du  temporel  de  l'Église,  afin  de  s'appliquer  entièrement  au  spi- 
rituel et  particulièrement  à  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu, 
pour  laquelle  il  avait  un  rare  talent ,  quoique  son  éloquence 
n'eût  pas  été  cultivée  par  les  leçons  de  l'art  profane.  Nous  ver- 
rons par  des  exemples  frappants  quelles  ressources  inatten- 
dues le  zèle  et  la  piété  peuvent  offrir  à  un  orateur  chrétien. 

Gomme  rien  n'est  plus  digne  de  compassion  que  l'indi- 
gence jointe  à  l'infirmité,  Gésaire  fut  surtout  sensible  à  la 
misère  des  pauvres  malades.  Il  établit  pour  eux  un  hôpital, 
dans  lequel  ils  étaient  servis  avec  le  plus  grand  soin ,  parce 
qu'ils  l'étaient  avec  charité.  On  y  récitait  tout  l'office  divin, 
comme  dans  l'église  cathédrale;  mais  on  le  faisait  à  voix 
basse ,  apparemment  de  peur  d'incommoder  les  malades. 
Quelques  auteurs  croient  que  S.  Gésaire  fit  terminer  par  le 
Saint-Siège,  dès  le  commencement  de  son  épiscopat,  le  diffé- 
rend qui  existait  entre  son  Église  et  celle  de  Vienne.  Mais,  sans 
développer  ici  les  raisons  tirées  de  la  chronologie  qui  nous 
empêchent  d'embrasser  ce  sentiment,  le  pape  Symmaque 
était  alors  occupé  d'une  affaire  personnelle  qui  dut  absorber 

jour  auquel  il  est  honoré,  vivait  encore  au  mois  d'octobre  501  ;  il  est  certain  que 
S.  Césaire  mourut  le  27  août  l'an  542,  lorsque  la  quarantième  année  de  son  épisco- 
pat s'écoulait, dit  l'auteur  de  sa  vie,  son  disciple.  Il  ne  fut  donc  pas  ordonné  en  50Ï, 
mais  en  502.  En  outre  il  était  dans  la  trente-troisième  année  de  son  âge  quand  il 
fut  ordonné ,  puisqu'il  mourut,  comme  dit  le  même  écrivain ,  dans  la  soixante- 
treizième  année  de  sa  vie  et  la  quarantième  de  son  épiscopat. 


[503J  EX  FRANCE.    LIVRE  V.  125 

toute  son  attention ,  et  dans  laquelle  les  évêques  des  Gaules 
firent  éclater  leur  zèle  pour  le  Saint-Siège. 

Ce  saint  pape  ayant  été  accusé  de  plusieurs  crimes  devant 
Théodoric ,  roi  d'Italie ,  par  quelques  factieux ,  qui  voulaient 
faire  un  schisme  dans  l'Église  romaine ,  ce  prince  ordonna 
aux  évêques  de  ses  États  de  s'assembler  en  concile  pour  juger 
cette  affaire.  Les  évêques  de  la  Ligurie,  de  l'Émilie  et  de  la 
Yénétie  passèrent  par  Ravenne,  où  était  le  roi,  et  lui  repré- 
sentèrent que  c'était  au  pape  à  convoquer  le  concile ,  et  qu'il 
était  sans  exemple  que  le  souverain  pontife  fût  soumis  au  ju- 
gement de  ses  inférieurs  (1).  Théodoric  répondit  que  Sym- 
maque demandait  lui-même  le  concile ,  et  fitf  mettre  entre 
leurs  mains  les  lettres  qu'il  lui  avait  écrites  à  ce  sujet.  Les  évê- 
ques étant  arrivés  à  Rome ,  le  pape  confirma  ce  que  le  roi 
leur  avait  dit  :  ils  eurent  ainsi  toute  facilité  pour  s'assembler 
en  concile.  Après  quelques  incidents  qui  sont  étrangers  à  cette 
histoire,  ils  déclarèrent  par  un  décret  le  pape  Symmaque  dé- 
chargé ,  quant  aux  hommes ,  des  accusations  intentées  contre 
lui,  laissant  le  tout  au  jugement  de  Dieu  et  exhortant  les 
fidèles  à  demeurer  dans  sa  communion  (2). 

Les  évêques  des  Gaules,  ayant  appris  qu'un  concile  d'Italie 
avait  entrepris  de  juger  le  pape ,  en  furent  alarmés  pour 
l'honneur  du  Saint-Siège,  et  comme  S.  Avite  était  celui  d'en- 
tre eux  à  qui  la  naissance  et  le  mérite  donnaient  le  plus  de 
crédit ,  ils  le  chargèrent  d'écrire  en  leur  nom  pour  faire  con- 
naître leurs  sentiments  sur  cette  affaire  et  leur  respect  in- 
violable pour  le  souverain  pontife.  Avite  le  fit  par  une  fort 
belle  lettre  adressée  à  Fauste  et  à  Symmaque,  les  deux  séna- 
teurs les  plus  illustres  (3)  et  les  plus  accrédités  de  Rome.  Il 
dit  d'abord  qu'il  serait  à  souhaiter  que  les  malheurs  du 
temps  n'empêchassent  pas  les  évêques  des  Gaules  d'aller 
librement  à  Rome  pour  les  affaires  spirituelles  et  tempo- 

\l)Concil.  Labb.,t.  IV,  p.  1323.  —  2)  Ibid.,  p.  1325. 

(3)  Ils  avaient  été  l'un  et  l'autre  consuls  :  Fauste  l'an  483  et  Symmaque 
l'an  485. 


126  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQt'E  [503] 

relies,  ou  que  la  diversité  des  royaumes  ne  fût  pas  un  obstacle 
à  la  convocation  d'un  concile  de  toute  la  nation;  que  si 
cela  eût  été  possible,  il  leur  aurait  envoyé  sur  l'affaire  pré- 
sente, qui  est  commune  à  tous,  une  relation  commune,  con- 
tenant le  sentiment  de  tous  les  évêques  des  Gaules  assem- 
blés; que  cependant  il  les  prie  de  ne  pas  regarder  sa  lettre 
comme  la  lettre  particulière  d'un  évêque ,  puisqu'il  n'écrit 
que  par  ordre  de  tous  ses  frères  les  évêques  des  Gaules,  qui 
lui  en  ont  donné  commission  par  leurs  lettres  : 

Après  cet  exorde,  S.  A  vite  entre  ainsi  en  matière. 

«  Gomme  nous  sommes  persuadés  que  notre  état  (l'épis- 
copat)  est  chancelant  (1)  quand  le  chef  est  attaqué,  nous 
étions  en  proie  à  de  grandes  alarmes  et  à  de  cruelles  inquié- 
tudes touchant  l'affaire  de  l'Église  romaine,  lorsque  nous 

avons  reçu  d'Italie  le  décret  porté  par  le  concile  de  Rome  au 
sujet  du  pape  Symmaque.  Quoiqu'un  nombreux  concile  rende 
ce  décret  respectable,  nous  croyons  cependant  que  si  le  pape 
avait  été  accusé  devant  un  tribunal  laïque,  il  devait  plutôt 
trouver  dans  les  évêques  des  défenseurs  que  des  juges, 
parce  que...  l'on  ne  conçoit  pas  aisément  comment  et  en 
vertu  de  quelle  loi  le  supérieur  est  jugé  par  les  inférieurs.  En 
effet,  l'Apôtre  nous  ayant  fait  un  précepte  de  ne  pas  recevoir 
légèrement  une  accusation  contre  un  prêtre,  de  quel  droit 
a-t-on  pu  en  recevoir  contre  celui  qui  est  à  la  tête  de  l'Église 
universelle?  C'est  à  quoi  les  Pères  de  ce  concile  paraissent 
avoir  eu  égard  en  marquant  clans  leur  décret  qu'ils  réservent 
au  jugement  de  Dieu  une  cause  (cela  soit  dit  sans  les  offen- 
ser) dont  ils  n'avaient  pu  se  charger  sans  quelque  témérité,  et 
en  affirmant  en  peu  de  mots  que  ni  eux  ni  le  roi  Théodoric 
n'avaient  trouvé  aucune  preuve  des  crimes  dont  le  pape  était 
accusé.  » 

S.  Avite  ajoute  :  «  C'est  pourquoi,  en  qualité  de  sénateur 
romain  (2)  et  d'évêque  chrétien,  je  vous  conjure...  de  n'a- 

(1)  Avit.  Ep.  li,  ap.  Labb.  t.  IV,  p.  132G.  —  (2)  Il  y  avait  un  si  grand  nombre 
de  sénateurs  romains  de  la  ville  de  Vienne  qu'on  l'appelait  Vienna  Senatoria. 


[503]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  127 

voir  pas  moins  à  cœur  la  gloire  de  l'Église  que  celle  de  la 
république ,  d'employer  pour  nous  le  pouvoir  que  Dieu  vous 
a  donné  et  de  n'aimer  pas  moins  dans  l'Église  romaine  la 
chaire  de  Pierre  que  vous  aimez  dans  Rome  la  capitale  de 
l'univers  Dans  les  autres  évêques,  si  quelque  chose  pa- 
raît contre  l'ordre ,  on  peut  le  réformer  ;  mais  si  l'on  révoque 
en  doute  l'autorité  du  pape  de  Rome ,  ce  n'est  plus  un  évê- 
que,  c'est  l'épiscopat  même  qui  paraît  chanceler.  Vous  savez 
au  milieu  de  quelles  tempêtes  soulevées  par  les  hérésies  nous 
conduisons  le  vaisseau  de  la  foi  :  si  vous  craignez  avec  nous 
ces  dangers ,  il  faut  que  vous  travailliez  avec  nous  à  défendre 
votre  pilote.  Quand  les  nautoniers  se  révoltent  contre  celui 
qui  tient  le  gouvernail ,  serait-il  prudent  de  céder  à  leur  fu- 
reur en  les  exposant  eux-mêmes  au  danger  pour  les  punir  ? 
Celui  qui  est  à  la  tête  du  troupeau  du  Seigneur,  rendra 
compte  de  la  manière  dont  il  le  conduit;  mais  ce  n'est  pas  au 
troupeau  à  demander  ce  compte  à  son  pasteur,  c'est  au  juge.  » 
Cette  lettre  de  S.  Avite  sera  un  monument  éternel  du  respect 
et  de  l'attachement  inviolable  que  montrèrent  pour  le  Saint- 
Siège  les  évêques  des  Gaules,  au  nom  desquels  elle  fut  écrite. 

L'affaire  intentée  à  Symmaque  n'eut  point  d'autres  suites  : 
ce  qu'il  dut  en  partie  à  la  sagesse  et  à  la  bonté  de  Théodoric , 
roi  des  Ostrogoths,  qui  rendit  volontiers  justice  à  son  inno- 
cence. Alaric,  roi  des  Yisigoths  dans  les  Gaules,  n'était  pas 
aussi  favorable  à  la  religion.  Quoiqu'il  parût  assez  modéré, 
comme  il  était  bien  facile  de  le  paraître  en  succédant  au  cruel 
É  varie,  la  politique  le  rendit  défiant  et  lui  fit  sacrifier  plu- 
sieurs saints  évêques  à  ses  soupçons.  S.  Yolusien  de  Tours 
fut  une  de  ces  victimes.  Il  devint  suspect  précisément  parce 
qu'il  était  évêque  d'une  place  importante  et  frontière  des 
Francs.  Alaric  le  jit  enlever  de  son  Église  et  conduire  en 
exil  la  septième  année  de  son  épiscopat,  c'est-à-dire  l'an  498. 
Ce  saint  évêque  mourut  peu  de  temps  après  à  Toulouse ,  et  il 
y  a  même  lieu  de  croire  que  les  ariens  avancèrent  sa  mort. 
Il  est  honoré  comme  martyr  à  Foix,  où  l'on  garde  ses  reli- 


128  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [506] 

ques;  mais  le  Martyrologe  romain,  qui  en  fait  mention  le 
18  janvier,  ne  lui  donne  pas  cette  qualité.  Vérus,  qui  suc- 
céda à  Yolusien  sur  le  siège  de  Tours ,  fut  bientôt  traité  de  la 
même  manière  et  pour  la  même  cause  ;  cependant  on  ne  Ta 
pas  mis  au  nombre  des  saints.  Il  envoya  de  son  exil  un  député 
au  concile  qui  se  tint  à  Agde  l'an  506. 

Les  évêques  du  royaume d'Alaric  jugèrent  que,  pour  remé- 
dier aux  abus  qui  s'étaient  glissés  clans  la  discipline  depuis 
quel'arianisme  était  sur  le  trône  dans  cette  partie  des  Gaules, 
rien  ne  serait  plus  efficace  qu'un  concile.  Ils  demandèrent  au 
roi  la  permission  de  le  tenir,  et  ce  prince,  quelque  défiant 
qu'il  fût,  voulut  bien  l'accorder,  dans  la  crainte  d'irriter  les 
catholiques  en  refusant  une  si  juste  demande  en  un  temps  où 
il  craignait  d'avoir  toutes  les  forces  de  Clovis  sur  les  bras. 
Ainsi  les  évêques ,  au  nombre  de  24  ,  avec  les  députés  de  dix 
absents,  s'assemblèrent  dans  l'église  de  Saint-André  d'Agde, 
au  commencement  de  septembre ,  la  vingt-deuxième  année 
du  règne  d'Alaric,  sous  le  consulat  de  Messala,  c'est-à-dire 
Fan  506.  Ils  commencèrent  par  prier  le  Seigneur  d'accorder 
un  long  et  heureux  règne  au  roi  qui  leur  avait  permis  de  tenir 
ce  concile,  en  le  nommant,  tout  arien  qu'il  était,  un  prince  très- 
pieux  (1).  Mais  ce  sont  là  de  ces  expressions  de  style  officiel 
qui  ne  tirent  pas  à  conséquence.  Après  la  prière  pour  le  roi, 
on  fît  la  lecture  des  anciens  canons,  et  l'on  en  dressa  qua- 
rante-sept, dont  voici  le  sommaire  (2). 

I.  Par  compassion  pour  les  bigames  qui  ont  été  ordonnés, 
on  leur  laisse  le  nom  de  prêtres  ou  de  diacres  ,  mais  on  leur 
défend  d'en  faire  les  fonctions. 

II.  Les  clercs  qui  négligent  de  se  trouver  souvent  à  l'é- 
glise seront  réduits  à  la  communion  étrangère,  c'est-à-dire 

(1)  Le  P.  Sirmond  a  mis  piissimi,  sur  la  foi  d'un  manuscrit  de  Reims  :  ce- 
pendant le  P.  Hardouin,  qui  cite  en  marge  ce  manuscrit ,  omet  cette  épithète  sans 
en  dire  la  raison.  Elle  est  aussi  dans  l'édition  des  conciles  du  Louvre  de  1G44  ; 
mais  elle  n'est  pas  dans  celle  du  P.  Labbe. 

(2)  Conc.  GalL,  p.  161.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1381. 


506]  EN  FRANCE.  .—  LIVRE  V.  129 

raités  comme  des  clercs  étrangers.  S'ils  se  corrigent,  on 
iscrira  de  nouveau  leurs  noms  dans  la  matricule  et  on  leur 
endra  leur  rang.  (On  nommait  matricule  le  catalogue  où 
taient  inscrits  les  noms  des  clercs  qui  avaient  part  aux 
étributions  de  l'Église,  et  ceux  des  pauvres  qu'elle  nour- 
issait.) 

III.  Les  évêques  qui  excommunient  sans  sujet  ou  pour 
es  fautes  légères  seront  admonestés  par  les  évêques  voi- 
ins ,  et  s'ils  continuent  de  refuser  leur  communion  à  ceux 
u'ils  auront  ainsi  excommuniés ,  les  autres  évêques ,  en  at- 
telant le  concile ,  accorderont  la  leur  à  ces  personnes. 

IV.  Les  clercs  ou  les  laïques  qui  retiennent  les  legs  pieux 
ont  excommuniés  comme  meurtriers  des  pauvres ,  ainsi  que 
a  ordonné  le  concile  (  c'est  celui  de  Vaison  en  442). 

V.  Le  clerc  qui  aura  volé  l'Église  sera  réduit  à  la  commu- 
ion  étrangère ,  c'est-à-dire ,  comme  nous  venons  de  Fexpli- 
uer,  qu'il  sera  considéré  comme  n'appartenant  plus  au  clergé 
e  cette  Église. 

VI.  Ce  que  les  particuliers  donnent  à  l'évêque  pour  le  salut 
e  leur  âme  appartiendra  à  l'Église  et  non  à  l'évêque. 

VII.  Les  évêques  ne  pourront  vendre  les  vases  de  l'Église 
i  en  aliéner  les  maisons,  les  esclaves  et  autres  biens  qui 
mt  subsister  les  pauvres.  Si  la  nécessité  ou  l'utilité  de  l'É- 
lise oblige  de  vendre  quelque  chose  ou  d'en  céder  l'usu- 
Miit,  l'affaire  sera  examinée  par  deux  ou  trois  évêques  voi- 
ins,  qui  autoriseront  de  leur  signature  l'acte  d'aliénation, 
.'évêque  pourra  néanmoins  mettre  en  liberté  les  esclaves 
ui  auront  bien  servi  l'Église;  mais  en  les  affranchissant,  il 
e  pourra  leur  donner  en  terres ,  vignes  ou  maisons ,  plus 
e  la  valeur  de  vingt  sous  d'or. 

VIII.  Le  clerc  qui  pour  éviter  la  punition  réclamera 
aide  d'un  laïque,  et  le  laïque  qui  lui  donnera  protection, 
eront  excommuniés. 

IX.  On  recommande  l'observation  des  décrets  des  papes 
nnocent  et  Sirice  contre  les  prêtres  et  les  diacres  qui  après 

TOME  II.  9 


130  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [506] 

leur  ordination  ne  vivent  pas  dans  la  continence  avec  leurs 
femmes. 

X-XI.  On  défend  à  tous  les  clercs  d'avoir  chez  eux  d'au- 
tres femmes  que  leurs  mères,  leurs  sœurs,  leurs  filles  et 
leurs  nièces ,  et  d'avoir  des  servantes  ou  des  affranchies  qui 
demeurent  dans  la  même  maison. 

XII.  Il  est  ordonné  très-expressément  à  tous  les  fidèles  de 
jeûner,  excepté  le  dimanche,  tout  le  carême,  même  les  sa- 
medis. (Il  faut  observer  que  dans  les  Églises  d'Orient  on  ne 
jeûnait  pas  les  samedis  de  carême,  et  il  paraît  que  tel  était 
aussi  l'usage  des  Goths  venus  d'Orient.) 

XIII.  On  expliquera  publiquement  le  symbole  aux  com- 
pétents, le  même  jour  dans  toutes  les  églises,  avant  la  se- 
maine qui  précède  Pâques.  (On  nommait  compétents  les  caté- 
chumènes qu'on  jugeait  être  en  état  de  recevoir  le  baptême.) 

XI Y.  On  ordonne  de  consacrer  les  autels,  non-seulement 
par  l'onction  du  chrême,  mais  encore  par  la  bénédiction 
sacerdotale  (c'est-à-dire  celle  de  l'évêque). 

XV.  Ceux  qui  demandent  la  pénitence  doivent  recevoir 
du  prêtre  l'imposition  des  mains  et  le  cilice  sur  la  tête, 
ainsi  qu'il  a  été  ordonné  partout.  On  ne  doit  pas  admettre  au 
nombre  des  pénitents  ceux  qui  ne  se  sont  pas  coupé  les  che- 
veux ou  qui  n'ont  pas  changé  d'habits,  ni  accorder  facile- 
ment la  pénitence  aux  jeunes  gens,  à  cause  de  leur  incons- 
tance. Il  faut  néanmoins  accorder  le  viatique  à  tous  ceux  qui 
sont  en  danger  de  mort.  (On  voit  ici  la  pratique  de  la  péni- 
tence publique.  On  l'imposait  communément  au  commence- 
ment du  carême  (1),  et  le  jeudi  saint  on  donnait  l'absolutior 

(1)  Itéginon,  qui  vivait  à  la  fin  du  ixe  siècle  #et  au  commencement  du  xe,  décri 
ainsi  les  cérémonies  observées  pour  l'imposition  de  la  pénitence  publique 
«  Le  premier  jour  de  carême,  tous  ceux  qui  ont  reçu  ou  qui  doivent  recevoi 
la  pénitence,  se  pi'ésentent  à  l'évêque  à  la  porte  de  l'église,  nu-pieds ,  cou 
verts  de  sacs  et  le  visage  prosterné  contre  terre.  L'évêque ,  accompagné  de 
doyens,  des  arebiprêtres  des  paroisses  et  des  témoins,  c'est-à-dire  des  prêtre 
des  pénitents,  qui  doivent  les  examiner  avec  soin,  leur  impose  une  pénitence  prc 
portionnée  à  leurs  pécbés.  Après  quoi  il  les  introduit  dans  l'église,  et,  prostern 
en  terre  avec  son  clergé,  il  récite  pour  eux  les  sept  psaumes  de  la  pénitenc( 


[506]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  131 

à  ceux  qui  en  paraissaient  clignes.  Les  cendres  qu'on  reçoit 
maintenant  le  premier  jour  du  carême  au  lieu  de  cilice,  et 
l'absoute  qu'on  fait  clans  les  églises ,  sont  des  vestiges  de  cette 
observance.) 

XYI-XVII.  On  ne  doit  pas  ordonner  diacre  celui  qui  n'a 
pas  atteint  l'âge  de  vingt-cinq  ans ,  ni  prêtre  ou  évêque  celui 
qui  n'a  pas  atteint  l'âge  de  trente ,  et  avant  d'ordonner  ceux 
qui  sont  mariés  il  faut  avoir  le  consentement  de  leurs  fem- 
mes ,  et  ne  les  ordonner  que  lorsqu'ils  n'habiteront  plus  dans 
la  même  maison,  et  qu'ils  auront  promis  la  continence,  aussi 
bien  qu'elles. 

XVIII.  Les  laïques  qui  ne  communient  pas  à  Noël,  à  Pâques 
et  à  la  Pentecôte,  ne  doivent  pas  être  réputés  catholiques. 

XIX.  On  ne  donnera  pas  le  voile  aux  religieuses  avant 
l'âge  de  quarante  ans. 

XX.  L'archidiacre  doit  tondre  malgré  eux  les  clercs  qui 
portent  les  cheveux  longs.  Ils  ne  doivent  non  plus  porter 
que  des  habits  et  des  chaussures  convenables  à  la  sainteté  de 
leur  état. 

XXI.  Si  quelqu'un  veut  avoir  un  oratoire  particulier  dans 
sa  terre ,  on  lui  permet  d'y  faire  dire  la  messe  pour  la  com- 
modité de  sa  famille.  Mais  il  faut  célébrer  Pâques,  Noël,  l'Epi- 
phanie, l'Ascension,  la  Pentecôte  et  les  autres  jours  solen- 
nels dans  les  villes  ou  dans  les  paroisses ,  et  ceux  qui  en  ces 
jours  solennels  diraient  la  messe  ou  feraient  l'office  dans 
ces  oratoires  particuliers  sans  la  permission  de  l'évêque ,  se- 
ront excommuniés. 

XXII.  On  renouvelle  les  anciens  canons  qui  défendent  aux 
clercs  d'aliéner,  en  quelque  manière  que  ce  soit,  les  biens 
de  l'Église  dont  on  leur  a  accordé  l'usufruit. 

Ensuite,  selon  les  canons,  il  leur  impose  les  mains,  leur  jette  de  l'eau  bénite,  leur 
met  des  cendres  sur  la  tête  et  la  leur  enveloppe  d'un  cilice.  Enfin  ,  il  leur  dé- 
clare que,  comme  Adam  a  été  chassé  du  paradis,  il  faut  qu'ils  soient  chassés  de 
l'église  et  donne  ordre  à  ses  ministres  de  les  mettre  dehors.  Le  clergé  les  met 
hors  de  l'église  en  chantant  ce  répons  :  Vous  mangerez  votre  pain  à  la  sueur  de 
votre  front.  »  (Regin.,  de  Discipl.  eccl.,  edit.  Baluz.  p.  135.) 


132  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  CATHOLIQUE  [506] 

Ces  biens  ecclésiastiques  dont  on  cédait  l'usufruit  à  des 
clercs,  étaient  ce  qu'on  a  depuis  nommé  bénéfices. 

XXIII.  L'évêque  ne  doit  pas  sans  raison  préférer  pour  les 
dignités  ecclésiastiques  les  jeunes  clercs  aux  anciens. 

XXIV.  On  observera  à  l'égard  des  enfants  exposés  les  rè- 
glements du  concile  (il  s'agit  de  celui  de  Vaison). 

XX Y.  Il  appartient  au  concile  de  la  province  de  juger  des 
causes  de  divorce  ,  et  ceux  qui  quittent  leurs  femmes  avant 
ce  jugement  sont  excommuniés. 

XX VI.  Les  clercs  qui  suppriment  ou  qui  livrent  les  titres 
des  biens  de  l'Eglise  sont  excommuniés  avec  ceux  qui  les  ont 
sollicités  de  les  leur  livrer. 

XXVII.  On  ne  bâtira  pas  de  nouveaux  monastères  sans  la 
permission  de  l'évêque.  Les  moines  vagabonds  ne  seront  or- 
donnés clercs  ni  pour  les  villes  ni  pour  la  campagne,  à 
moins  que  leur  abbé  n'en  rende  témoignage.  Aucun  abbé  ne 
recevra  un  moine  qui  passe  d'un  monastère  à  un  autre  sans 
la  permission  de  son  premier  abbé.  S'il  est  nécessaire  d'or- 
donner quelque  moine,  l'évêque  ne  le  fera  que  du  consen- 
tement de  l'abbé. 

XXVIII.  Les  monastères  de  filles  doivent  être  éloignés  de 
ceux  des  hommes,  pour  ne  pas  donner  lieu  aux  embûches  du 
démon  et  aux  discours  des  hommes. 

XXIX.  L'Eglise  doit  prendre,  s'il  est  nécessaire,  la  dé- 
fense de  ceux  qui  ont  été  légitimement  affranchis  par  leurs 
maîtres. 

XXX.  Gomme  il  est  à  propos  de  garder  l'uniformité  dans 
la  célébration  de  l'office  divin ,  il  est  recommandé  aux  évê- 
ques  ou  aux  prêtres  de  dire  les  collectes  après  les  antiennes, 
ainsi  qu'il  se  pratique  partout;  on  devra  chanter  chaque 
jour  les  hymnes  du  matin  et  du  soir;  à  la  fin  de  l'office  du 
matin  et  du  soir,  après  les  hymnes,  on  récitera  des  capitules 
tirés  des  psaumes;  après  la  collecte  de  l'office  du  soir  le 
peuple  sera  congédié  avec  la  bénédiction  de  l'évêque. 

On  voit  par  là  que  l'office  divin  était  composé  dès  lors 


[50(5]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  133 

d'antiennes  (1),  de  collectes  ou  d'oraisons,  d'hymnes  et  de 
capitules. 

XXXI.  Les  ennemis  qui  refusent  de  se  réconcilier  doivent 
d'abord  être  avertis  par  les  prêtres;  s'ils  ne  suivent  pas  leurs 
avis,  ils  seront  excommuniés. 

XXXII.  Un  clerc  ne  peut  citer  personne  devant  un  juge 
laïque  sans  la  permission  de  l'évêque  ;  s'il  est  cité ,  il  peut 
répondre;  mais  il  ne  doit  pas  intenter  d'accusation  en  ma- 
tière criminelle.  Le  laïque  qui  injustement  et  calomnieuse- 
ment  oblige  un  clerc  à  plaider  devant  un  juge  laïque  sera 
excommunié. 

XXXIII.  Si  un  évêque  qui  n'a  point  d'enfants  institue 
d'autres  héritiers  que  l'Eglise  dans  le  cas  où  il  aurait  dé- 
pensé quelque  bien  de  l'Eglise  pour  ses  affaires  particu- 
lières, l'aliénation  ou  la  donation  sera  nulle.  Mais  s'il  a  des 
enfants,  on  prendra  avant  toutes  choses,  sur  les  biens  qu'il 
leur  laisse,  de  quoi  indemniser  l'Eglise. 

XXXIV.  On  doit  éprouver  les  Juifs  pendant  huit  mois 
parmi  les  catéchumènes  avant  de  leur  conférer  le  baptême, 
hors  le  cas  de  nécessité. 

XXXY.  Les  évêques  qui,  étant  invités  par  le  métropoli- 
tain au  concile  ou  à  l'ordination  d'un  évêque,  refuseront  de 
s'y  trouver  sans  raison  de  maladie  ou  sans  justifier  d'un 
ordre  du  roi,  seront  jusqu'au  premier  concile  privés  de  la 
communion  de  l'Eglise. 

XXXYI.  Tous  les  clercs  qui  servent  fidèlement  doivent, 
selon  les  canons,  recevoir  des  évêques  le  salaire  de  leurs 
travaux. 

Les  cinq  canons  suivants  sont  tirés  presque  dans  les  mêmes 
termes  du  concile  de  Yannes.  On  y  excommunie  les  homi- 
cides et  les  faux'  témoins;  on  renouvelle  les  défenses  aux 
clercs  et  aux  moines  de  voyager  sans  la  permission  et  les 


(1)  On  nomma  d'abord  antiennes  ou  antiphones  les  hymnes  ou  les  psaumes  chantés 
à  deux  chœurs.  Ensuite  on  restreignit  la  signification  de  ce  terme  à  un  verset  qu'on 
chantait  avant  le  psaume  et  tiré  le  plus  souvent  du  psaume  lui-même. 


134  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [506] 

lettres  de  leurs  évêques;  aux  diacres  et  aux  sous-diacres 
de  se  trouver  aux  festins  des  noces ,  et  à  tous,  clercs  ou  laï- 
ques, de  manger  avec  les  Juifs.  On  recommande  surtout  aux 
ecclésiastiques  d'éviter  l'ivrognerie,  sous  peine  de  punition 
corporelle  ou  d'être  excommuniés  trente  jours. 

XLII.  Défense  aux  clercs  et  aux  laïques  de  s'adonner  aux 
augures  et  à  ce  qu'on  nomme  les  sorts  des  saints. 

XLIII.  Défense  d'ordonner  des  pénitents.  Les  prêtres  ou 
les  diacres  qui  ont  été  ainsi  ordonnés  par  ignorance  ne 
rempliront  pas  les  fonctions  de  leur  ministère. 

XLIY.  Il  n'est  nullement  permis  au  prêtre  de  bénir  le 
peuple  ou  un  pénitent  dans  l'église. 

Il  n'y  avait  encore  que  l'évêque  qui  donnât  la  bénédiction 
dans  l'église. 

XL  Y-XL  YI.  Il  est  permis  aux  évêques  d'aliéner  pour  de 
bonnes  raisons,  et  sans  le  consentement  des  autres  évêques, 
les  petites  terres ,  les  petits  vignobles  et  autres  biens  moins 
considérables  de  leurs  Eglises.  Ils  pourront  aussi  disposer 
des  esclaves  fugitifs. 

XLYII.  Il  est  ordonné  très-expressément  à  tous  les  laïques 
d'assister  le  dimanche  à  la  messe  (1)  entière  et  de  n'en  sortir 
.qu'après  que  l'évêque  aura  béni  le  peuple. 

On  voit  par  les  homélies  de  S.  Césaire  qu'il  avait  un  grand 
zèle  pour  empêcher  qu'on  ne  sortît  de  la  messe  avant  la  fin. 

Les  autres  canons  qu'on  trouve  dans  les  éditions  des  con- 
ciles, à  la  suite  des  quarante-sept  (2)  que  nous  venons  de  rap- 
porter, y  ont  été  ajoutés.  Ils  proviennent  de  quelques  conciles 
postérieurs  et  particulièrement  de  celui  d'Epaone.  C'est  pour- 
quoi nous  nous  dispensons  d'en  parler  ici. 

Les  actes  du  concile  d'Agde  furent  adoptés  le  onze  sep- 

(1)  Il  y  a  totas  missas  teneri  :  ce  mot  se  prend  souvent  pour  toutes  sortes  d'offices 
divins,  mais  particulièrement  pour  celui  de  la  messe.  Les  pi'êtres  ne  donnaient  pas 
encore  la  bénédiction  à  la  messe. 

(2)  Le  P.  Pagi,  à  l'an  40G,  dit  que  le  P.  Sirmond  a  trouvé  quarante -huit  canons 
dans  les  anciens  manuscrits  du  concile  d'Agde  :  le  P.  Sirmond  marque  qu'il  n'en 
a  trouvé  que  quarante-sept. 


506]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  135 

tembresous  le  consulat  de  Messala,  c'est-à-dire  l'an  506.  S.  Cé- 
saire,  qui  y  présida,  souscrivit  le  premier  ;  ensuite  les  métro- 
politains Gyprien  de  Bordeaux,  Clair  d'Eauze  et  Tétradius  de 
Bourges.  Les  plus  éminents  parmi  les  autres  évêques  qui  as- 
sistèrent en  personne  au  concile,  sont  :  Héraclius  de  Toulouse  ; 
S.  Quintien  de  Rodez,  S.  Galactoire  de  Béarn  ou  de  Lescar; 
où  il  est  révéré  comme  martyr  après  avoir  été  mis  à  mort  par 
les  ariens;  Gratus  d'Oléron,  à  qui  l'on  donne  la  qualité  de 
bienheureux  ;  Pierre,  qui  prend  le  titre  d'évêque  du  palais  (1)  ; 
S.  Glycérius  ou  Lizier  de  Gonsérans,  dont  on  fait  la  fête  le 
7  août. 

Un  fragment  de  la  Yie  de  S.  Lizier  nous  apprend  qu'il  était 
Espagnol  de  naissance  ;  qu'il  s'attacha  à  S.  Fauste,  évêque  de 
Tarbes,  qui  fut  exilé  à  Aire  par  les  Visigoths,  et  qu'après  la 
mort  de  Fauste  il  se  retira  auprès  de  S.  Quintien  de  Rodez, 
qui  le  consacra  évêque  de  Consérans.  On  voit  par  là  que 
S.  Fauste  de  Tarbes  ou  de  Bigorre  précéda  dans  l'épiscopat 
Aper,  qui  envoya  un  délégué  au  concile  d'Agde ,  et  que  s'il  y 
a  eu  un  évêque  du  nom  de  Lizier  à  Tarbes,  il  faut  le  distin- 
guer de  celui  de  Gonsérans.  S.  Yalère,  honoré  le  15  juillet, 
fut  le  premier  évêque  de  Gonsérans.  Après  sa  mort,  il  révéla 
à  l'évêque  Théodore  le  lieu  où  reposait  son  corps  ;  on  le  trouva 
entier  et  sans  corruption.  Antomarius  est  le  premier  évêque 
de  Tarbes  qu'on  connaisse  (2). 

Parmi  les  évêques  qui  envoyèrent  des  députés  au  concile 
d'Agde,  on  cite  Capraire  de  Narbonne,  qui  pouvait  être  suc- 
cesseur d'Hermès,  dont  nous  avons  parlé;  S.  Eufraise  d'Au- 

(1)  Comme  il  n'est  guère  probable  que  sous  un  roi  arien,  tel  qu'Alaric,  il  y 
ait  eu  un  évêque  catholique  pour  le  palais,  de  Valois  croit  que  Palais  est  ici  un 
nom  de  lieu  situé  près  de  Limoges.  Ainsi  il  conjecture  que  Pierre  évêque  de 
Palais,  est  l'évêque  même  de  Limoges,  qui  prend  le  nom  d'évêque  de  Palais  parce 
qu'il  y  faisait  sa  demeure  ;  comme  les  évêques  de  Séez  se  sont  nommés  quel- 
quefois évêques  d'Hiesrrres  [Oximenses)  ;  et  ceux  de  Chartres,  de  Châteaudun  (  Du- 
neyises).  Mais  outre  qu'on  ne  trouve  pas  cet  évêque  dans  les  catalogues  des  évêques 
de  Limoges,  il  nous  paraît  que  Rurice  II  occupait  alors  ce  siège.  Nous  aimons  mieux 
croire  qu'il  y  avait  un  évêque  dans  le  palais  pour  les  courtisans  catholiques,  comme 
il  y  en  avait  un  pour  les  ariens. 

(2)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  lxxxiv. 


136  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [506] 

vergne  ;  Marcel  d'Aire,  le  premier  évêque  qu'on  connaisse  de 
cette  Église  (i),  et  Yérus  de  Tours,  qui  était  alors  exilé  en 
ces  provinces  pour  les  causes  que  nous  avons  fait  connaître. 
Il  mourut  bientôt  après  et  eut  pour  successeur  Licinius. 

S.  Gésaire  devint  aussi  la  victime  d'une  semblable  calomnie, 
vers  l'époque  où  se  tint  le  concile  d'Agde.  Quoiqu'il  priât 
jour  et  nuit  pour  la  paix  et  la  tranquillité  de  l'État,  il  fut  ac- 
cusé par  son  secrétaire  de  vouloir  livrer  la  ville  d'Arles  aux 
Bourguignons,  dont  il  était  né  sujet.  Il  n'en  fallut  pas  davan- 
tage au  soupçonneux  Alaric.  On  est  toujours  coupable  au  tri- 
bunal de  la  politique  quand  on  est  accusé  en  certaines  ma- 
tières. Césaire  fut  aussitôt  relégué  à  Bordeaux;  mais  il  survint 
bientôt  une  circonstance  qui  fît  éclater  son  innocence.  Peu  de 
jours  après  son  arrivée,  le  feu  ayant  pris  à  la  ville,  les  habi- 
tants coururent  à  son  logis,  le  conjurant  d'arrêter  l'incendie. 
Aussitôt  ce  saint  évêque,  plein  d'une  foi  vive,  s'avance  au-de- 
vant des  flammes,  se  prosterne  en  prière,  et  le  feu  s'éteint 
à  l'instant.  Ce  miracle,  en  augmentant  la  vénération  que  l'on 
avait  conçue  pour  sa  vertu,  permit  à  son  zèle  de  produire  des 
fruits  plus  abondants.  Car  il  ne  demeura  pas  oisif  dans  son 
exil  :  il  prêchait  souvent,  et  clans  ses  discours  il  recomman- 
dait à  ses  auditeurs  l'obéissance  et  la  fidélité  au  prince  qui  les 
gouvernait  ;  mais  il  les  exhortait  avec  une  sainte  liberté  à  ré- 
sister à  l'hérésie  qu'il  professait. 

Alaric,  ayant  enfin  reconnu  la  calomnie,  le  rendit  à  son 
Église  et  condamna  son  délateur  à  être  lapidé.  A  cette  nou- 
velle, Gésaire  courut  aussitôt  se  jeter  aux  pieds  du  roi  et  il  en 
obtint  la  grâce  de  son  ennemi  :  cet  acte  de  charité  dut  être  une 
nouvelle  preuve  de  l'innocence  du  saint  évêque  et  de  la  vérité 
de  la  religion  qui  la  lui  inspirait  (2).  Mais  Dieu  réservait  d'au- 
tres épreuves  à  son  serviteur,  et  nous  verrons  bientôt  sa  fidé- 

(1)  Le  P.  Colombi  dit  que  S.  Marcel  de  Die  assista  à  ce  concile.  On  y  trouve  à 
la  vérité  deux  Marcel,  mais  l'un  est  désigné  comme  évêque  d'Aire  et  l'autre  de 
Senez.  D'ailleurs  Die  était  du  royaume  de  Bourgogne. 

(2)  Vit.  Cœsar. 


[506]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  V.  137 

lité  noircie  par  de  nouvelles  calomnies  à  l'occasion  de  la 
guerre  que  Glovis  déclara  aux  Yisigoths,  après  qu'il  eut  été 
guéri  miraculeusement  ainsi  que  nous  allons  le  rapporter. 

Vers  la  vingt-cinquième  année  de  son  règne ,  c'est-à-dire 
l'an  506,  ce  prince  fut  attaqué  d'une  fièvre  quarte  et  il  en  fut 
tourmenté  plus  d'un  an ,  sans  que  l'art  des  médecinsni  les  prières 
des  évêques  de  son  royaume  pussent  arrêter  un  mal  si  opi- 
niâtre. Alors  Tranquillin,  son  médecin,  lui  conseilla  d'avoir  re- 
cours à  S.  Séverin,  abbé  du  monastère  d'Agaune.  Les  Francs 
avaient  probablement  connu  le  pouvoir  de  ce  saint  homme  au- 
près de  Dieu  pendant  la  guerre  qu'ils  avaient  faite  en  Bour- 
gogne. Clovislui  députa  aussitôt  Transvaire,  son  chambellan, 
pour  le  prier  de  venir  lui  rendre  la  santé.  Le  saint  abbé,  malgré 
son  humilité,  ne  crut  pas  devoir  refuser  l'invitation  d'un  prince 
dont  le  règne  était  si  glorieux  à  l'Église.  Il  dit  adieu  à  ses 
frères,  comme  ne  devant  plus  les  revoir  en  ce  monde,  et  se 
mit  en  chemin  avec  l'envoyé  du  roi.  En  passant  par  Nevers, 
il  trouva  le  saint  évêque  Eulalius  (1)  malade  depuis  un  an 
et  ayant  perdu  l'usage  de  l'ouïe  et  de  la  parole  :  il  le  guérit  par 
ses  prières,  et  l'évêque  se  leva  le  même  jour,  célébra  la  messe 
et  bénit  le  peuple. 

En  entrant  dans  Paris,  Séverin  trouva  à  la  porte  de  la  ville 
un  lépreux,  à  qui  il  rendit  la  santé  en  l'embrassant  et  en  le 
frottant  de  sa  salive.  Il  alla  d'abord  faire  sa  prière  à  l'église; 
s'étant  ensuite  rendu  chez  le  roi,  il  se  prosterna  en  prière 
au  pied  de  son  lit,  et,  se  dépouillant  de  sa  robe  extérieure,  il 
en  couvrit  le  malade.  Le  roi,  qui  se  sentit  guéri  à  l'instant,  se 
leva  de  son  lit,  et,  se  jetant  aux  pieds  de  son  libérateur,  lui  dit  : 
«  Mon  père,  prenez,  je  vous  conjure,  pour  les  pauvres,  de 
l'argent  de  mon  trésor  autant  qu'il  vous  plaira  :  j'accorde  en 
votre  considération  la  liberté  aux  prisonniers  que  vous  en  ju- 
gerez dignes  (2) .  »  Séverin  fît  plusieurs  autres  miracles  à  la  cour 

(1)  S.  Eulalius  est  indiqué  comme  le  quatrième  évêque  de  Nevers,  et  il  est  ho- 
noré dans  son  Eglise  le  2G  août.  Mais  il  faut  convenir  que  les  catalogues  des 
évêques  de  cette  ville  ne  sont  pas  bien  certains. 

(2)  Vita  Severini,  apud  Bolland.,  11  febr. 


138  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [507] 

de  Clovis  et  dans  la  ville  de  Paris.  Après  quoi  il  se  remit  en 
chemin  et  arriva  à  Château-Landon  (1),  où  Dieu  lui  avait  fait 
connaître  qu'il  devait  finir  sa  carrière.  Il  le  déclara  à  deux 
prêtres,  Pascase  et  Ursien,  qui  desservaient  un  petit  oratoire 
sur  le  haut  de  la  montagne;  il  leur  recommanda  ses  deux 
compagnons,  le  moine  Vital  et  le  prêtre  Fauste,  qui  l'avaient 
servi  pendant  trente  ans.  Séverin  mourut  en  effet  peu  de  jours 
après  et  fut  enterré  dans  l'oratoire  du  lieu  :  il  est  honoré  le 
1 1  février.  Il  se  fit  un  grand  nombre  de  miracles  sur  son  tom- 
beau, et  dans  la  suite  Childebert,  fils  de  Clovis,  y  fit  bâtir  une 
église,  qui  fut  desservie  plus  tard  par  des  chanoines  régu- 
liers. 

Dès  que  Clovis  eut  recouvré  la  santé,  il  songea  à  porter  la 
guerre  dans  le  royaume  des  Visigoths.  Il  ne  manquait  pas  de 
prétextes  :  la  politique  et  la  jalousie  en  fournissent  assez  aux 
princes  jaloux  de  leurs  voisins;  mais  il  chercha  des  motifs 
plus  nobles.  Ayant  un  jour  assemblé  ses  officiers,  il  leur  dit  : 
«  Je  ne  puis  voir  sans  douleur  les  ariens  occuper  une  partie 
des  Gaules.  Allons  à  eux ,  avec  l'aide  du  Seigneur,  et  nous  les 
réduirons  sous  notre  puissance.  »  Cette  proposition  fut  reçue 
avec  applaudissement  ,  et  Clovis  se  prépara  à  la  guerre.  Théo- 
doric,  roi  d'Italie,  qui  était  beau-père  d'Alaric  et  beau-frère  de 
Clovis,  n'avait  rien  omis  pour  éteindre  les  premières  étin- 
celles de  division  entre  ces  deux  princes.  Il  leur  écrivit  et 
leur  envoya  des  ambassadeurs  ;  mais  toutes  ses  démarches 
furent  mutiles.  Clovis  voulait  la  guerre,  qu'il  jugeait  égale- 
ment utile  à  l'État  et  à  la  religion  :  il  la  déclara  (2). 

S.  Remi,  l'ayant  appris,  crut  devoir  lui  donner  quelques 
avis  paternels  et  lui  écrivit  en  ces  termes  :  «  Il  s'est  répandu 
jusqu'à  nous  le  bruit  que  vous  entreprenez  une  seconde  expé- 
dition militaire.  Ce  n'est  pas  chose  nouvelle  que  vous  soyez 

(1)  Ce  lieu  se  nommait  Castrum  Nantonis,  d'où  l'on  a  fait  Castrum  Landonis.  La 
lettre  iVdans  les  noms  est  souvent  changée  en  L.  Ainsi  d' Unkornis  on  a  fait  Licorne^ 
de  Bononia,  Boulogne. 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxvn. 


[507 J  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  139 

tel  que  vos  ancêtres  ont  été.  Mais  vous  devez  surtout  faire 
en  sorte  que  vous  ne  vous  écartiez  pas  de  la  loi  du  Seigneur, 
parce  que  c'est  par  la  fin  qu'on  juge  les  actions.  Choisissez 
des  conseillers  dont  la  sagesse  donne  un  nouvel  éclat  à  votre 
gloire.  Honorez  vos  évêques  et  recourez  en  tout  à  leurs  sages 
avis.  La  bonne  intelligence  entre  le  sacerdoce  et  l'empire  ren- 
dra votre  règne  plus  heureux  et  affermira  votre  trône.  Soula- 
gez vos  peuples,  consolez  les  affligés,  protégez  les  veuves  et 
nourrissez  les  orphelins.  Faites  en  sorte  que  tous  vous  crai- 
gnent et  vous  aiment.  Rendez  exactement  la  justice;  ne  rece- 
vez rien  des  pauvres  ni  des  étrangers.  Que  votre  palais  soit 
ouvert  à  tous,  et  que  personne  n'en  sorte  la  tristesse  dans  le 
cœur.  Employez  au  rachat  des  captifs  les  biens  de  votre  do- 
maine paternel.  Qu'aucun  de  ceux  qui  paraissent  en  votre 
présence  ne  s'aperçoive  qu'il  est  étranger.  En  un  mot,  si 
vous  voulez  régner  avec  gloire,  montrez-vous  affable  avec 
les  jeunes  gens;  mais  ne  traitez  d'affaires  qu'avec  les  vieil- 
lards (1).  »  C'est  là,  pour  ainsi  dire,  la  préparation  à  la  guerre 
que  S.  Rémi  proposait  au  roi,  pour  attirer  sur  ses  armes  la 
protection  du  Seigneur. 

Clovis  comprit  en  effet  que,  de  tous  les  préparatifs  qu'il 
avait  à  faire  pour  une  expédition  si  importante,  le  plus  néces- 
saire était  d'intéresser  le  Ciel  en  sa  faveur.  Il  fit  vœu,  par  le 
conseil  de  Clotilde,  que  s'il  revenait  victorieux,  il  ferait  bâ- 
tir à  Paris  une  église  en  l'honneur  des  princes  des  apôtres, 
S.  Pierre  et  S.  Paul,  et,  après  avoir  reçu  la  bénédiction  de 
S.  Remi,  qui  lui  promit  la  victoire,  il  se  mit  à  la  tête  de  son 
armée.  Mais  comme  il  avait  à  cœur  sur  toutes  choses  que  l'E- 
glise ne  souffrît  pas  d'une  guerre  qu'il  entreprenait  particu- 
lièrement pour  les  intérêts  de  la  religion,  il  fit,  avant  d'entrer 
sur  les  terres  des  Goths,  une  ordonnance  par  laquelle  il  dé- 
fendit à  tous  ses  soldats  de  piller  les  lieux  saints,  de  faire 
aucune  insulte  ni  aucun  tort  aux  vierges  consacrées  au  Sei- 


(1)  Conc.  Gall.,  t.  I,  P.  175. 


140  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [507] 

gneur,  aux  veuves  aux  clercs,  aux  enfants  des  clercs  et  des 
veuves  ou  aux  esclaves  des  Églises  (1). 

Glovis  marcha  droit  à  Poitiers,  où  Alaric  l'attendait.  En 
entrant  dans  la  Touraine,  qui  était  soumise  aux  Yisigoths,  il 
voulut  donner  pour  S.  Martin  une  marque  de  respect  qui 
lui  méritât  sa  protection  (2),  et  fit  publier  dans  son  armée 
un  ban  portant  défense,  sous  les  peines  les  plus  rigou- 
reuses, de  rien  prendre  que  de  l'eau  et  de  l'herbe  dans 
toute  l'étendue  de  cette  province.  Un  soldat,  ayant  trouvé  du 
foin,  l'enleva  de  force  à  un  pauvre  paysan,  en  disant  que  ce 
n'était  que  de  l'herbe.  Glovis  en  l'apprenant  s'écria  :  Où  sera 
r espérance  de  la  victoire  si  nous  offensons  S.  Martin?  et 
donna  ordre  sur-le-champ  qu'on  punît  de  mort  le  coupable .  En 
même  temps,  le  prince  envoya  des  députés  au  tombeau  du 
saint,  avec  de  riches  présents,  pour  tâcher  d'obtenir  par  son 
intercession  quelque  présage  de  la  victoire.  Gomme  ces  dépu- 
tés entraient  dans  l'église  de  Saint-Martin ,  ils  entendirent 
le  primicier  (3)  entonner  cette  antienne  du  psaume  xvn  : 
Seigneur,  vous  ni! avez  revêtu  de  force  pour  la  guerre,  vous 
avez  abattu  sous  mes  pieds  ceux  qui  s'élevaient  contre  moi , 
vous  avez  fait  tourner  le  dos  à  mes  ennemis  et  fait  périr 
ceux  que  leur  haine  avait  armés  contre  moi  (4).  Après  avoir 
fait  leurs  présents  et  leurs  prières  au  tombeau  du  saint 
évêque,  ils  revinrent  en  diligence  rapporter  de  si  heureux 
pronostics  au  roi,  qui  s'avança  plein  de  confiance  sur  les  bords 
de  la  Vienne. 

Cette  rivière,  qui  sépare  la  Touraine  du  Poitou,  était  considé- 
rablement enflée  par  les  pluies,  et  on  désespérait  d'y  trouver 
un  gué.  Glovis  passa  la  nuit  en  prière ,  et  le  matin  une  biche 
d'une  grandeur  extraordinaire  traversa  la  rivière  à  gué  à  la 

(1)  Clodov.  Epist.  ad  ejrisc,  t.  I  Conc.  GalL,  p.  176.  —  (2j  Greg.  Tur. ,  1.  II, 

C.  XXXVII. 

(3)  On  nommait  primicier  celui  qui  était  le  premier  d'un  corps,  primicerius  : 
comme  qui  dirait  primus  in  cera,  c'est-à-dire  dont  le  nom  est  le  premier  dans  les 
catalogues  ou  les  tablettes  enduites  de  cire 

(4)  Ps.  xvn,  v.  43,  44. 


i07]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  141 

ue  de  toute  l'armée,  qui  la  passa  ensuite  au  même  endroit, 
lovis  fit  aussi  conserver  avec  grand  soin  les  biens  de  l'Église 
e  Poitiers,  par  respect  pour  S.  Hilaire.  Il  espérait  sa  protec- 
on  contre  une  nation  arienne  avec  d'autant  plus  de  con- 
ance  que  ce  saint  évêque  avait  toujours  été  le  fléau  et  l'en- 
emi  irréconciliable  de  cette  hérésie.  L'espérance  du  roi  ne 
it  pas  confondue  :  une  lumière  éclatante,  qui  parut  sortir  de 
église  de  Saint-Hilaire,  donna  un  nouveau  présage  delavic- 
)ire.  Cependant  Alaric,  qui  attendait  du  secours,  ne  sortait  pas 
e  Poitiers.  Glovis,  pour  l'attirer  au  combat,  fit  ravager  la  cam- 
agne  ;  ce  moyen,  qui  devait  lui  réussir,  lui  donna  occasion 
'honorer  la  vertu  d'un  saint  abbé  de  ce  pays. 

Il  y  avait  aux  environs  de  Poitiers  un  monastère  gouverné 
ar  S.  Maixent,  qui  y  vivait  retiré.  Ses  moines,  voyant  venir 
ne  troupe  de  soldats  francs,  le  tirèrent  malgré  lui  de  sa 
ellule  afin  de  l'opposer  comme  un  bouclier  à  leur  fureur.  Il 
'avança  hardiment  au-devant  d'eux  et  les  pria  d'épargner 
on  monastère.  Pour  toute  réponse  un  soldat  brutal  tira  l'épée 
t  leva  le  bras  pour  frapper  le  saint  homme;  à  l'instant  un 
liracle  rendit  immobile  le  bras  du  meurtrier,  qui  se  jeta  aux 
ieds  de  Maixent.  Celui-ci  ne  se  vengea  qu'en  rendant  la  santé 
celui  qui  voulait  lui  ôter  la  vie  (1).  Glovis,  ayant  appris  ce 
ouble  miracle,  rendit  de  grands  honneurs  au  saint  abbé  et 
îi  donna  la  terre  de  Milon. 

S.  Maixent  était  originaire  d'Agde,  où  il  avait  été  disciple 
u  saint  abbé  Sévère,  dont  nous  avons  parlé.  Il  s'était  retiré 
Poitiers  sous  la  conduite  de  l'abbé  Agapite,  et,  pour  mieux 
e  cacher,  il  avait  changé  son  nom  d'Adjuteur  (2)  en  celui  de 
laixent.  Il  mourut  âgé  de  soixante-huit  ans,  le  26  juin,  jour 
uquel  l'Église  honore  sa  mémoire.  Il  a  donné  son  nom  au  mo- 
astère  et  à  la  ville  qui  s'est  formée  autour  de  ce  saint  asile  (3). 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxvii. 

(2)  S.  Maixent  est  honoré  à  Clermont  en  Auvergne  et  en  quelques  autres  lieux 
)us  le  nom  de  S.  Adjudou  ou  Adjuteur. 

(3)  Vita  S.  Maxentii. 


142  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [507] 

Alaric  sortit  enfin  de  Poitiers,  où  il  se  tenait  enfermé,  et, 
s'avançant  dans  les  plaines  cle  Touillé,  il  vint  présenter  la 
bataille  à  l'ennemi,  qui  l'attendait.  Les  Francs  firent  des 
prodiges  de  valeur,  et  les  Yisigoths  se  défendaient  avec  un 
courage  qui  balançait  la  victoire,  lorsque  Glovis,  ayant  distin- 
gué Alaric  dans  la  mêlée,  se  précipita  à  sa  rencontre  pour  le 
combattre.  Alaric,  de  son  côté,  s'avança  fièrement  contre  son 
rival.  Ce  combat  singulier,  qui  attira  l'attention  des  deux 
armées,  suspendit  subitement  l'acharnement  des  autres 
combattants,  dans  l'attente  de  l'événement  :  elle  ne  fut  pas 
de  longue  durée.  Clovis  terrassa  bientôt  Alaric  et  le  tua  de 
sa  main;  mais  en  même  temps  deux  Goths,  fondant  sur  lui, 
lui  portèrent  les  plus  rudes  coups  :  dans  un  danger  aussi 
pressant  il  ne  dut  son  salut  qu'à  la  solidité  de  son  armure  et 
à  la  vigueur  de  son  cheval  (1). 

Après  la  mort  d' Alaric,  les  Yisigoths  ne  songèrent  qu'à 
fuir,  comme  c'était  leur  coutume,  dit  Grégoire  de  Tours.  Car 
ce  peuple,  quoique  vainqueur  des  Romains,  n'avait  pas  la 
réputation  d'être  brave.  Il  n'y  eut  que  les  soldats  originaires 
de  l'Auvergne  qu'Apollinaire  (2),  fils  de  S.  Sidoine,  avait 
amenés  au  secours  cl' Alaric,  qui  firent  quelque  résistance. 
Elle  ne  servit  qu'à  rendre  la  victoire  des  Francs  plus  glorieuse. 

Ainsi  périt  Alaric  II,  qui  aurait  pu  paraître  un  des  plus 
grands  princes  de  son  temps  s'il  n'avait  eu  un  rival  tel  que 
Glovis.  Moins  cruel  que  son  père  E varie,  il  ne  fut  pas  moins 
soupçonneux,  et,  quoiqu'il  donnât  plus  de  liberté  aux  catho- 
liques, il  ne  laissa  pas  d'exiler  plusieurs  saints  évêques.  Toute- 
fois, il  parut  aimer  la  justice  plus  qu'on  ne  devait  l'attendre 
d'un  roi  barbare.  Il  publia  l'an  506,  pour  servir  de  loi  à  ses 
sujets,  une  édition  du  code  Théodosien  avec  quelques  change- 
ments et  quelques  additions,  qu'il  fit  approuver  par  les 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxvn. 

(2)  Le  P.  Daniel  dit,  dans  son  Histoire,  qu'Apollinaire  périt  sur  le  cliamp  de  ba- 
taille :  il  n'a  pas  bien  pris  le  sens  de  Grégoire  de  Tours,  qu'il  cite.  Le  même  Apol- 
linaire fut  huit  ans  après  élevé  sur  le  siège  d'Auvergne,  comme  nous  le  verrons. 


[507j  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  143 

évêques  et  les  seigneurs  de  ses  États.  C'est  peut-être  la  raison 
pour  laquelle  le  droit  romain  ou  le  droit  écrit  est  demeuré 
long-temps  en  usage  dans  ces  provinces. 

Quoique  Alaric  n'ait  pas  fait  de  martyrs,  il  y  en  eut  sous  son 
règne.  L'avarice  arma  contre  S.  Yaize  ses  proches  parents  et 
les  rendit  ses  persécuteurs  et  ses  bourreaux.  Yaize  était  un 
homme  de  qualité  du  territoire  de  Saintes,  qui  avait  de  grands 
biens  et  qui  croyait  n'en  pouvoir  faire  un  meilleur  usage  que 
de  les  distribuer  aux  pauvres.  Mais  sa  famille  ne  lui  pardonna 
pas  ses  pieuses  libéralités,  et  Procule,  son  héritier,  lui  en  fit  des 
reproches.  Il  répondit  :  «  Je  vous  laisse  la  liberté  de  disposer  de 
votre  bien  :  pourquoi  trouvez-vous  mauvais  que  j  e  fasse  du  mien 
ce  que  je  juge  à  propos  (1).  »  Une  si  sage  réponse  ne  servit  qu'à 
irriter  la  plus  injuste  des  passions.  Procule  chassa  Yaize  d'une 
terre  qui  lui  restait.  Celui-ci  eut  recours  à  Alaric ,  et  ce  prince 
donna  des  ordres  pour  la  lui  faire  restituer.  Mais  un  des 
enfants  de  Procule,  se  laissant  aller  à  toutes  les  fureurs  de 
l'avarice,  fît  souffrir  à  Yaize  une  mort  cruelle  et  lui  procura 
ainsi  un  héritage  infiniment  plus  précieux  que  celui  qu'il  lui 
enlevait.  S.  Yaize  est  honoré  comme  martyr  le  16  avril. 

Un  jeune  homme  nommé  Avite  fut  du  nombre  des  prison- 
niers que  les  Francs  firent  à  la  bataille  de  Youillé  ;  il  ne  re- 
couvra sa  liberté  que  pour  en  faire  à  Dieu  le  sacrifice  dans  un 
monastère  où  il  se  retira.  Ensuite  il  mena  la  vie  érémitique 
et  en  soutint  les  exercices  pendant  quarante  ans  avec  le  cou- 
rage d'un  véritable  soldat  de  Jésus-Christ  (2).  Tels  sont  les 
avantages  qu'il  retira  de  sa  disgrâce  et  de  la  défaite  de  son 
parti.  Il  est  honoré  le  17  juin. 

Après  la  mort  d' Alaric,  les  seigneurs  visigoths  reconnurent 
pour  leur  roi  Géselic,  son  fils  naturel,  et  firent  de  nouveaux 
efforts  pour  se  défendre.  Mais  Clovis,  qui  savait  aussi  bien 
profiter  d'une  victoire  que  la  gagner,  se  rendit  en  peu  de 
temps  maître  de  l'Aquitaine,  prit  Toulouse  et  s'empara  des 

(1)  Acta  Vasii,  apud  Boll.,  16  april.  —  (2)  Acta  S.  Aviti,  apud.  Boll.,  17  junii. 


144  HISTOIRE  DE  l' ÉGLISE  CATHOLIQUE  [508] 

trésors  d'Alaric  qui  étaient  en  cette  ville.  Mais  Théocloric,  roi 
d'Italie,  sauva  ceux  qui  étaient  à  Garcassonne,  parmi  lesquels, 
dit  Procope,  il  y  avait  plusieurs  vases  précieux  du  temple  de 
Salomon,  apportés  à  Rome  par  Titus  et  enlevés  de  Rome  par 
Alaric  Ier  (1). 

Clovis  avait  un  fils  nommé  Thierry,  qui  lui  était  né  d'une 
concubine  avant  son  mariage  avec  Glotilde.  Il  chargea  ce  jeune 
prince  d'achever  cette  guerre  et  revint  couvert  de  gloire  à 
Tours,  où  de  nouveaux  honneurs  l'attendaient.  Il  y  reçut  une' 
ambassade  de  l'empereur  Anastase,  qui  lui  envoyait  le  titre 
de  consul  honoraire,  ou  plutôt  de  patrice,  avec  une  robe  de 
pourpre  et  les  autres  marques  du  patriciat  (2).  Il  se  revêtit  de 
ces  ornements  devant  le  tombeau  de  S.  Martin,  qui  était  hors 
de  la  ville,  et,  étant  monté  à  cheval,  le  diadème  en  tête,  il  alla 
comme  en  triomphe  jusqu'à  la  cathédrale  de  Tours,  jetant 
pendant  la  marche  une  grande  quantité  de  pièces  d'argent  au 
peuple  accouru  à  ce  spectacle  (3).  Le  diadème  que  Clovis 
porta  en  cette  occasion  était  apparemment  le  cercle  d'or 
qui  était  l'ornement  des  patrices ,  et  ce  fut  sans  cloute  cette 
couronne  d'or  que  ce  prince  envoya  au  Saint-Siège,  s'il  est 
vrai  qu'il  en  ait  envoyé  une,  comme  le  dit  Anastase  le  Bi- 
bliothécaire (4). 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxvn.  —  Procop.,  de  Bello  Goth.,l.  I,  c.  xn. 

(2)  Grégoire  de  Tours  ajoute  que  depuis  ce  temps-là  Clovis  fut  nommé  consul 
et  auguste  :  ce  qui  semblerait  marquer  qu'Anastase  lui  aurait  donné  la  qualité 
d'empereur.  Mais  on  n'en  trouve  pas  ailleurs  de  vestiges.  Nous  croyons  même  que 
le  consulat  dont  il  est  ici  parlé  n'est  autre  chose  que  le  patriciat  :  on  a  confondu  assez 
souvent  dans  la  suite  ces  deux  dignités.  Le  patriciat  avait  été  institué  par  Cons- 
tantin, et  c'était  la  première  dignité  de  l'empire.  Un  ancien  manuscrit  de  la  bi- 
bliothèque du  Vatican  marque  le  cérémonial  observé  à  la  création  d'un  patrice. 
Celui  qui  devait  recevoir  cet  honneur,  étant  conduit  à  l'empereur  par  le  protospa- 
thaire,  baisait  d'abord  les  pieds  de  l'empereur,  ensuite  les  genoux,  et  enfin  le 
visage.  L'empereur  lui  disait  :  II  nous  est  trop  pénible  de  nous  acquitter  seul  du 
ministère  que  le  Seigneur  nous  a  donné:  nous  en  partageons  les  soins  avec  vous,  et  nous 
vous  élevons  à  celte  dignité,  afin  que  vous  fassiez  justice  aux  Eglises  et  aux  pauvres,  et 
que  vous  en  rendiez  compte  au  souverain  Juge.  Ensuite  l'empereur  le  revêtait  d'un 
manteau,  lui  mettait  un  anneau  au  doigt,  et  lui  donnait  un  papier  où  il  avait  écrit 
de  sa  main  :  Soyez  patrice  juste  et  miséricordieux.  Enfin  il  lui  mettait  un  cercle  d'or 
sur  la  tête. 

(3)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxvm. 

(4)  Ce  qui  rend  ce  fait  douteux,  c'est  qu'Anastase  le  Bibliothécaire  dit  que  Clovis 


508]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  145 

Tant  d'heureux  succès  ne  rirent  pas  oublier  à  Clovis  les 
puissants  protecteurs  auxquels  il  s'en  croyait  redevable.  Il  fit 
le  riches  présents  à  l'église  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers  et  à 
:elle  de  Saint-Martin  de  Tours.  Mais  il  eut  soin  qu'on  ne  pût 
pas  dire  qu'il  ne  faisait  en  cela  que  rendre  à  Dieu  d'un  côté 
:e  qu'il  lui  avait  pris  d'un  autre.  En  effet,  comme  dans  les 
guerres  les  plus  justes  il  se  commet  toujours  bien  des  injus- 
tices, ce  prince  écrivit  une  lettre  circulaire  aux  évêques  d'A- 
juitaine  pour  les  avertir  de  réclamer  tout  ce  qui  aurait  été 
enlevé  par  ses  soldats  aux  églises,  aux  clercs,  aux  vierges 
consacrées  à  Dieu  et  aux  veuves,  contre  les  ordres  qu'il 
ivait  donnés  en  commençant  la  guerre.  Il'  permet  aussi  de 
réclamer  les  esclaves  qui  n'avaient  pas  été  pris  dans  la 
guerre,  et  il  promet  que  restitution  entière  sera  faite,  pourvu 
jue  les  évêques  attestent  avec  serment  la  vérité  de  ce  qu'ils 
ivanceront  :  précaution  que  les  Francs  avaient  demandée,  de 
peur  qu'on  ne  se  servît  du  nom  de  l'Église  pour  priver  le 
soldat  d'un  légitime  butin  (1). 

Glovis,  en  retournant  à  Paris,  vit  S.  Déodatou  Dié,  ermite, 
sur  les  bords  de  la  Loire  entre  Blois  et  Orléans,  et  lui  donna 
une  somme  d'argent  et  une  terre  pour  bâtir  un  monastère  (2) . 
[lût  quelque  séjour  à  Orléans,  où  Adelfius,  évêque  de  Poi- 
tiers, et  S.  Fridolin,  abbé  de  Saint-Hilaire  de  cette  ville,  allèrent 
le  trouver,  pour  lui  demander  la  permission  de  mettre  dans 
un  lieu  plus  honorable  les  reliques  de  S.  Hilaire  et  d'élever 
une  plus  belle  église  sur  son  tombeau.  Le  roi  assigna  des 
fonds  pour  le  nouvel  édifice  et  se  rendit  ensuite  à  Paris,  où 
il  établit  le  siège  de  son  empire,  selon  la  remarque  de  Gré- 
goire de  Tours  (3) .  Ainsi ,  c'est  presque  dès  les  commence- 
ments de  la  monarchie  que  cette  ville  a  été  regardée  comme 
la  capitale  du  royaume.  On  croit  que  Glovis  y  choisit  pour  sa 

mvoya  cette  couronne  à  Hermisdas,  qui  ne  fut  pape  qu'après  la  mort  de  Clovis. 
Jet  auteur  pourrait  ne  s'être  trompé  que  dans  le  nom  du  pape. 

(1)  Clodov.  Episl.,  t,  I  Conc.  Gall.,  p.  176.—  (2)  VUa  S.  Deodati.  —  (3)  Bai- 
eras, Vila  Fridol.j  et  Petr.  Damian.  Serm.  de  Translat.  Hilar.  —  Greg.  Tur.;  1.  Il, 

i.  XXXVIII. 

TOME  II.  10 


146  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [508] 

demeure  le  palais  de  l'empereur  Julien,  qui  était  hors  de  la 
ville.  Puis,  voulant  accomplir  le  vœu  qu'il  avait  fait  en  par- 
tant, il  commença  à  faire  bâtir  assez  près  de  ce  palais  la  ba- 
silique de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  sur  le  tombeau  de 
Ste  Geneviève.  Cette  église  prit  le  nom  de  cette  sainte  ,  elle 
était  mitoyenne  avec  celle  de  Saint-Étienne  du  Mont  et  fut 
démolie  pendant  notre  révolution. 

Geneviève  était  morte  quelques  années  auparavant,  re- 
nommée dans  toute  la  Gaule  pour  la  sainteté  de  sa  vie  et  l'é- 
clat de  ses  miracles.  L'austérité  de  sa  vie  avait  été  admirable. 
Depuis  l'âge  de  quinze  ans  jusqu'à  cinquante,  elle  ne  mangea 
que  deux  fois  la  semaine,  encore  sa  nourriture  n'était-elle  que 
du  pain  d'orge  avec  des  fèves  ;  mais  dans  la  suite  elle  modéra 
cette  abstinence  par  le  conseil  des  évêques ,  et  elle  mangea 
quelquefois  du  poisson  et  du  lait.  L'eau  était  la  seule  boisson 
qu'elle  se  permît.  Geneviève  sut  allier  les  exercices  de  la  vie 
active  avec  les  douceurs  de  la  contemplation.  Sa  dévotion  fut 
tendre  et  agissante,  humble  et  courageuse.  Rien  ne  lui  coûtait 
quand  il  s'agissait  du  service  de  Dieu  et  de  celui  du  pro- 
chain. Elle  vint  à  bout,  par  le  crédit  que  lui  donnait  sa  vertu, 
de  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  S.  Denis  et  de  ses  com- 
pagnons, et  dans  un  temps  de  famine  elle  entreprit  un  long- 
voyage  pour  procurer  des  vivres  aux  Parisiens,  qui  en  man- 
quaient. On  ne  vit  jamais  mieux  que  dans  cette  sainte  fille  com- 
bien la  sainteté  est  respectable.  Les  envieux  qui  l'avaient  d'a- 
bord persécutée,  furent  contraints  de  faire  son  éloge.  Ghildérie, 
tout  païen  qu'il  était,  lui  rendit  de  grands  honneurs,  et  Glovis 
eut  pour  elle  une  vénération  singulière.  Sa  réputation  ne  fut 
pas  même  renfermée  dans  la  Gaule  (1).  Le  célèbre  Siméon 
Stylite  (2),  qui  était  alors  en  Orient  un  miracle  de  pénitence, 

(1)  Vita  S.  Genov.,  apud  Bolland.,  3  jan.,  c.  iv,  n.  13,  IG,  21,  26. 

(2)  £xu)vO;  signifie  en  grec  colonne  :  ou  nomma  styliles  de  saints  pénitents  qu 
passaient  leur  vie  sur  des  colonnes,  exposés  à  toutes  les  injures  de  l'air.  Ces  co 
Ion  ries  étaient  surmontées  d'une  espèce  de  parapet,  sur  lequel  on  pouvait  s'ap 
puyer  ;  mais  on  n'y  pouvait  ni  s'asseoir  ni  se  coucher. 


[509]      1  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  147 

demandait  de  ses  nouvelles  du  haut  de  sa  colonne  aux  mar- 
chands gaulois  qui  venaient  le  visiter ,  et  il  les  chargeait  de 
le  recommander  à  ses  prières. 

Geneviève  mourut  âgée  de  plus  de  quatre-vingts  ans,  et 
par  conséquent  après  l'an  500  :  car  il  paraît  qu'elle  n'avait 
guère  que  huit  à  neuf  ans  quand  S.  Germain  la  vit  à  son 
premier  voyage  de  Bretagne,  l'an  429.  Sa  vie  fut  écrite  dix- 
huit  ans  après  sa  mort.  On  érigea  d'abord  sur  son  tombeau 
un  petit  oratoire  construit  en  bois.  Ensuite,  comme  nous 
l'avons  dit,  Glovis,  pour  s'acquitter  de  son  vœu  et  satisfaire  sa 
dévotion  envers  cette  sainte  vierge,  choisit  cet  endroitpour  bâ- 
tir la  basilique  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  que  Clotilde 
fit  achever  avec  une  magnificence  royale.  Il  y  avait  trois  por- 
tiques à  l'entrée  de  l'église,  et  les  murailles  étaient  couvertes 
de  peintures  représentant  des  histoires  des  saints  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament.  Geneviève  avait  de  son  vivant  pré- 
servé plusieurs  fois  la  ville  de  Paris  des  malheurs  dont  elle 
était  menacée  ;  elle  continua  après  sa  mort  de  protéger  cette 
capitale  du  royaume,  qui  l'honore  comme  sa  patronne  et  qui 
conservait  avec  vénération  ses  précieuses  reliques,  que  l'im- 
piété révolutionnaire  fit  brûler  sur  la  place  de  Grève.  Ste  Cé- 
ligne,  honorée  à  Meauxle  21  octobre,  était,  à  ce  qu'on  croit, 
compagne  et  amie  de  Ste  Geneviève. 

Pendant  que  Glovis  témoignait  à  Dieu  sa  reconnaissance 
pour  la  victoire  qu'il  avait  remportée,  son  fils  Thierry  en  re- 
cueillait les  fruits  par  de  rapides  conquêtes.  Ce  jeune  prince 
soumit  en  peu  de  temps  à  l'empire  franc  et  délivra  du  joug 
des  ariens  l'Auvergne,  l'Albigeois  et  le  Rouergue.  Il  triom- 
phait, et  la  religion  triomphait  avec  lui.  Pour  affermir  ces 
nouvelles  conquêtes,  Glovis  avait  soin  de  donner  de  bons 
évêques  aux  villes  dont  il  s'était  rendu  maître.  Il  savait  que 
rien  n'est  en  effet-plus  propre  à  contenir  les  peuples  dans 
l'obéissance  que  l'autorité  de  l'exemple  d'un  saint  pasteur. 

Héraclien  de  Toulouse  étant  mort  peu  de  temps  après  que 
cette  ville  eut  été  soumise  aux  Francs,  le  roi  en  fît  élire 


148  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [509] 

évêque  S.  Germain,  qui  était  alors  à  Paris.  Il  avait  été  or- 
donné diacre  trois  ans  auparavant  par  Grégoire  de  Saintes.  Il 
fut  sacré  évêque  à  Paris  et  gouverna  l'Église  de  Toulouse 
pendant  trente-six  ans.  Ce  siège  n'était  pas  encore  métropo- 
litain ;  mais  il  avait  une  juridiction  fort  étendue ,  puisque 
d'une  partie  de  ce  diocèse  on  forma  dans  la  suite  les  évêchés 
de  Pamiers,  de  Mirepoix,  de  Lavaur,  de  Rieux,  de  Lombez 
et  de  Saint-Papoul,  c'est-à-dire  tous  ses  suffragants  à  l'excep 
tion  de  Montauban,  qui  fut  détaché  de  Cahors  (1). 

Les  disgrâces  des  Visigoths  les  rendirent  plus  furieux  en- 
core contre  les  catholiques.  Car  c'est  environ  à  cette  époque 
qu'on  doit  rapporter  le  martyre  de  S.  Galactoire  de  Béarn, 
que  ces  ariens  firent  mourir  dans  les  tourments  en  haine  de 
la  foi.  On  rapporte  que  ce  saint  évêque,  s'étant  mis  à  la  tête 
de  quelques  troupes  pour  favoriser  les  Francs,  fut  pris  par 
les  Yisigoths,  qui  lui  firent  subir  de  cruelles  tortures  pour 
lui  faire  embrasser  l'arianisme,  et  qu'il  souffrit  généreuse- 
ment une  mort  d'autant  plus  glorieuse  qu'elle  fut  accompa- 
gnée de  plus  grandes  souffrances  (2).  Mais,  sans  révoquer  en 
doute  le  martyre,  qu'il  nous  soit  permis  de  douter  des  cir- 
constances. Un  évêque  à  la  tête  d'un  corps  de  troupes  eût 
alors  paru  un  monstrueux  scandale.  Ce  ne  fut  que  longtemps 
après  qu'on  vit  des  prélats  quitter  la  mitre  et  le  bâton  pas- 
toral pour  prendre  le  casque  et  l'épée. 

Peu  s'en  fallut  que  S.  Gésaire  ne  fût  aussi  sacrifié  aux 
soupçons  des  Yisigoths.  Les  Francs  et  les  Bourguignons, 
leurs  alliés,  ayant  mis  le  siège,  l'an  508,  devant  Arles,  ville 
alors  très -fortifiée  et  soumise  aux  Yisigoths,  un  clerc  parent 
de  S.  Gésaire  sortit  secrètement  de  la  place  et  alla  se  rendre 
aux  assiégeants.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  susciter  les 
persécutions  les  plus  vives  contre  l'évêque.  On  publia  qu'il 
avait  envoyé  son  clerc  vers  les  ennemis  pour  concerter 
quelque  trahison  ;  on  souleva  contre  lui  le  peuple  toujours 


(1)  Catel.,  Hist.  de  Languedoc,  1.  V.  —  (2j  Marca,  Hist.  de  Béarn. j 


[509]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  V.  149 

crédule  (1),  et,  sans  qu'il  lui  fût  permis  de  se  justifier,  il  se 
vit  enlevé  de  la  maison  de  l'Église,  qui  fut  livrée  au  pillage. 
Le  saint  évêque  fut  mis  en  prison,  et  l'on  annonçait  l'intention 
de  le  jeter  dans  le  Rhône  la  nuit  suivante.  On  se  contenta  de 
l'enfermer  dans  le  château  d'Ugerne  (2),  jusqu'à  ce  qu'on  pût, 
après  le  siège,  déterminer  ce  qu'on  aurait  à  faire.  Les  Juifs 
qui  étaient  dans  la  ville  étaient  ceux  qui,  pour  insulter  aux 
catholiques,  criaient  le  plus  haut  à  la  trahison;  mais  Dieu  les 
couvrit  eux-mêmes  de  confusion.  Un  d'eux  jeta  aux  assié- 
geants, du  haut  des  murailles,  une  lettre  attachée  à  une  pierre 
pour  les  avertir  de  planter  la  nuit  des  échelles  à  l'endroit  où 
ils  étaient  de  garde,  promettant  de  livrer  la  ville  à  condition 
que  la  vie  et  les  biens  des  Juifs  seraient  épargnés.  Mais,  les 
assiégeants  s'étant  un  peu  éloignés  de  la  muraille,  la  lettre  fut 
trouvée  le  lendemain  par  les  assiégés,  et  la  trahison  de  ceux 
qui  accusaient  le  saint  évêque,  ayant  été  découverte,  servit  à 
le  justifier. 

Une  armée  que  Théodoric,  roi  des  Ostrogoths  d'Italie,  en- 
voya au  secours  d'Arles,  obligea  les  Francs  et  les  Bourgui- 
gnons à  lever  le  siège.  Les  Goths,  qui  les  battirent  dans  leur 
retraite,  ramenèrent  à  Arles  un  si  grand  nombre  de  prison- 
niers que  les  églises  en  furent  toutes  remplies.  Ces  captifs 
étaient  réduits  à  la  dernière  misère  par  la  dureté  des  Goths  ; 
mais  la  charité  de  S.  Césaire,  qui  avait  été  mis  en  liberté,  fut 
la  ressource  de  tant  de  malheureux.  Il  leur  fournit  d'abord 
abondamment  des  vivres  et  des  habits.  Ensuite  il  employa  à 
les  racheter  tout  l'argent  que  S.  Eone,  son  prédécesseur, 
avait  laissé  dans  le  trésor  de  l'Église.  Et  comme  cet  argent 
n'était  pas  suffisant,  il  vendit  les  encensoirs,  les  calices,  les 
patènes  et  les  ornements  d'argent  qui  décoraient  les  colonnes 
de  l'église.  Il  disait  qu'il  agissait  ainsi  pour  empêcher  qu'un 

(1)  Cyprian.  Vita  Cœsarii,  1.  I,  c.  XHI. 

(2)  Les  géographes  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  situation  d'Ugerne,  dont  par- 
lent les  anciens.  Plusieurs  croient  que  c'est  la  ville  nommée  aujourd'hui  Beau- 
caire;  il  est  plus  probable  que  c'est  une  île  du  Rhône  appelée  Gernica,  la  Vergue  : 
ce  nom  a  plus  de  rapporta  celui  (VUgerne. 


150  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [511] 

dur  esclavage  n'obligeât  des  hommes  rachetés  par  le  sang 
de  Jésus-Christ  à  se  faire  ariens  ou  juifs  :  ce  qui  montre 
que  le  plus  grand  nombre  de  ces  prisonniers  étaient  catho- 
liques. «  Je  ne  crois  pas,  ajoutait-il,  que  ce  puisse  être  une 
chose  désagréable  à  Dieu  que  d'employer  les  vases  de  ses 
autels  à  racheter  les  hommes  qu'il  a  aimés  jusqu'à  se  don- 
ner lui-même  pour  les  racheter  (1).  »  On  fait  volontiers  des 
libéralités  à  l'Église  quand  on  voit  les  pasteurs  employer  ses 
biens  à  un  si  saint  usage. 

S.  Gésaire  avait  commencé  avant  le  siège  d'Arles  à  faire  bâ- 
tir un  monastère  de  filles  pour  sa  sœur  Ste  Gésarie.  L'é- 
difice était  avancé,  et  le  saint  évêque  ne  dédaignait  pas  d'y 
travailler  de  ses  mains.  Mais  il  eut  le  chagrin  de  le  voir  rui- 
ner par  les  assiégeants,  qui  en  enlevèrent  les  matériaux  pour 
les  faire  servir  à  leurs  travaux.  Ce  contre-temps  ne  le  rebuta 
point.  Il  reprit  son  premier  dessein  aussitôt  après  la  levée  du 
siège  et  bâtit  pour  ce  monastère  une  grande  église  avec  deux 
ailes  sur  les  côtés.  Le  milieu  était  dédié  sous  l'invocation  de 
la  Ste  Vierge,  et  les  côtés  étaient  consacrés  sous  celle  de 
S.  Martin  et  de  S.  Jean,  dont  le  monastère  a  porté  le  nom.  Aus- 
sitôt que  les  bâtiments  furent  achevés,  il  rappela  sa  sœur  Gé- 
sarie de  Marseille,  où  il  l'avait  envoyée  pour  pratiquer  dans 
un  monastère  de  filles  ce  qu'elle  devait  enseigner  aux  autres 
dans  cette  ville  :  c'était  probablement  celui  que  Gassien  avait 
fondé  (2).  Gésarie  prit  possession  du  nouveau  monastère  avec 
deux  ou  trois  compagnes;  mais  en  peu  de  temps  des  vierges  vin- 
rent de  toutes  parts  en  grand  nombre  se  ranger  sous  sa  con- 
duite, pour  se  préparer  avec  elle  à  l'arrivée  de  l'Époux.  S.  Gé- 
saire composa  pour  elles  une  règle  qui  paraît  dictée  par  l'esprit 
de  piété  et  de  discrétion.  Le  saint  évêque  y  marque,  dans  la  pré- 
face, qu'entre  plusieurs  règlements  qui  sont  en  usage  dans  les 
monastères  d'hommes  et  de  filles,  il  a  choisi  ceux  qui  lui  ont 
paru  plus  convenables  à  des  vierges  chrétiennes.  En  voici 
le  précis  (3)  : 

(1)  Vit.  Cœsar.,  lib.  I,  c.  xiv.  —  (2)  Ibid.,  c.  XIII.  —  (3)  Régula  S.  Cœsarii. 


|5llJ  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  151 

La  clôture  doit  être  perpétuelle,  et  si  exacte  qu'il  ne  soit 
jamais  permis  à  aucune  religieuse  de  sortir  du  monastère 
ni  même  d'entrer  dans  la  basilique  extérieure. 

On  éprouvera  un  an  entier  les  novices  avant  de  leur  donner 
l'habit.  La  supérieure  pourra  cependant  abréger  ce  temps, 
selon  la  ferveur  qu'elle  aura  remarquée. 

Les  veuves  ou  les  femmes  mariées  qui  quittent  leurs  maris 
pour  entrer  dans  le  monastère,  n'y  seront  reçues  qu'après 
avoir  entièrement  renoncé  à  leurs  biens  ou  après  en  avoir 
disposé  :  ce  qui  doit  aussi  s'entendre  des  filles. 

Celles  qui  sont  encore  mineures  ou  qui  sont  sous  la  puis- 
sance paternelle,  seront  aussi  contraintes  de  renoncer  à  leurs 
biens  quand  elles  en  auront  l'âge.  Cet  article  peut  faire  juger 
que  le  concile  d'Agde,  portant  défense  de  donner  le  voile  aux 
vierges  avant  l'âge  de  quarante  ans,  ne  doit  s'entendre  que  de 
celles  qui  demeuraient  exposées  au  milieu  des  dangers  du 
siècle. 

Aucune  sœur,  pas  même  l'abbesse,  ne  pourra  avoir  de  ser- 
vante; mais  les  jeunes  sœurs  pourront  rendre  aux  autres  les 
services  nécessaires.  On  ne  prendra  pas  dans  le  monastère 
de  jeunes  filles,  même  de  qualité,  pour  les  nourrir  et  les  en- 
seigner, c'est-à-dire  qu'on  ne  prendra  point  de  pensionnaires. 
Mais  on  pourra  y  recevoir  des  jeunes  filles  de  six  à  sept  ans 
pour  être  religieuses. 

Chacune  des  sœurs  aura  son  travail  marqué  par  la  supé- 
rieure. 

Elles  coucheront  toutes  dans  une  chambre  commune,  mais 
dans  des  lits  séparés,  sans  qu'aucune  puisse  avoir  de  chambre 
particulière  ou  d'armoire  fermée.  Celles  qui  sont  âgées  ou  in- 
firmes coucheront  dans  une  autre  chambre,  qui  sera  com- 
mune aussi. 

Il  est  défendu  "a  toutes  de  recevoir  aucune  fille  des  fonts 
baptismaux,  c'est-à-dire  d'être  marraines. 

Celle  qui  se  rendra  tard  aux  exercices  de  la  communauté 
sera  réprimandée  par  la  supérieure,  et  si  elle  ne  se  corrige 


152  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [511] 

pas  après  avoir  été  avertie  deux  ou  trois  fois,  elle  sera  séparée 
de  la  communion  ou  de  la  table  commune  :  c'était  la  commu- 
nion de  la  prière,  comme  il  est  énoncé  plus  bas.  On  marque 
ailleurs  la  discipline,  c'est-à-dire  la  flagellation,  comme  un 
châtiment  en  usage  pour  les  grandes  fautes. 

Chaque  sœur  fera  la  cuisine  et  les  autres  offices  domesti- 
ques à  son  tour,  excepté  la  supérieure. 

Que  personne  n'ait  rien  en  propre;  que  toutes  obéissent 
après  Dieu  à  la  supérieure  ;  qu'on  garde  le  silence  pendant  le 
repas  et  qu'on  soit  attentif  à  la  lecture  ;  que  toutes  appren- 
nent à  lire. 

On  emploiera  tous  les  matins  deux  heures  à  la  lecture;  le 
reste  du  temps  sera  employé  au  travail,  qui  se  fera  en  com- 
mun et  en  silence.  Une  des  sœurs  lira  aux  autres  pendant  le 
travail  jusqu'à  l'heure  de  tierce.  On  méditera  ou  l'on  priera 
pendant  le  reste  du  travail. 

On  doit  avoir  la  charité  de  découvrir  à  la  supérieure  les 
défauts  de  celles  qui,  après  en  avoir  été  averties  secrètement, 
ne  s'en  corrigeraient  pas. 

Il  est  très-expressément  défendu  de  recevoir  ou  d'envoyer 
des  lettres  ou  des  présents  sans  la  permission  de  la  supérieure. 

On  recommande  d'avoir  un  soin  particulier  des  malades ,  et 
l'on  veut  même  que,  comme  le  vin  de  la  communauté  n'est 
pas  toujours  assez  bon,  on  en  ait  de  meilleur  pour  les  in- 
firmes; on  leur  accordera  même  la  permission  de  prendre 
des  bains  sur  l'avis  du  médecin. 

On  ne  permettra  à  personne  d'entrer  dans  le  monastère, 
excepté  aux  évêques,  au  proviseur  du  monastère  (c'était  l'in- 
tendant pour  les  affaires  du  dehors),  à  un  prêtre,  à  un 
diacre,  à  un  sous-diacre  et  à  quelques  lecteurs  avancés  en 
ûge,  pour  célébrer  quelquefois  (1)  la  messe.  Les  ouvriers 
n'entreront  dans  lè  monastère  qu'avec  le  proviseur  et  la  per- 


(lj  Cette  expression  pourrait  faire  croire  qu'on  ne  disait  pas  tous  les  jours  la 
messe  dans  le  monastère  ;  mais  on  peut  entendre  ce  qui  est  dit  ici  des  messes 
solennelles,  qu'on  ne  disait  que  rarement  dans  l'oratoire  intérieur. 


[511]  ES  FRANCE.    —  LIVRE  V.  153 

mission  de  l'abbesse ,  et  quand  le  proviseur  entrera,  il  sera 
accompagné  de  l'abbesse  ou  de  quelqu'une  des  sœurs. 

L'abbesse  n'ira  pas  au  parloir  sans  être  accompagnée  de 
deux  ou  trois  sœurs.  Les  autres  religieuses  ne  parleront  qu'à 
leurs  parents  et  en  présence  de  quelqu'une  des  anciennes. 

On  ne  donnera  point  de  repas  dans  le  monastère,  pas  même 
aux  évêques  ni  aux  femmes  séculières,  excepté  aux  mères 
des  religieuses  qui,  n'étant  pas  de  la  ville,  viendront  voir 
leurs  filles. 

Les  habits  des  religieuses  doivent  être  simples,  en  étoffe 
de  laine  de  couleur  blanche,  et  faits  clans  le  monastère;  leurs 
lits  seront  sans  ornements,  et  leur  coiffure  ne  doit  pas  excéder 
en  hauteur  la  mesure  marquée  (1)  par  une  ligne  tirée  dans  le 
livre  de  la  règle.  Les  ornements  de  l'autel  lui-même  ne  seront 
que  de  laine,  sans  broderies.  On  n'aura  d'argenterie  que  pour 
les  vases  sacrés.  Les  religieuses  ne  feront  aucun  ouvrage  de 
tapisserie  ou  de  broderie.  Il  n'y  aura  ni  peintures  ni  tableaux 
dans  l'oratoire  ;  ceux  que  l'on  aura  seront  vendus  au  profit 
du  monastère  ou  placés  dans  la  basilique  de  la  Sainte- Vierge. 
Cette  basilique  était  l'église  extérieure. 

S.  Césaire,  après  avoir  fait  une  courte  récapitulation  de  ces 
règlements,  prescrit  l'ordre  de  la  psalmodie  et  des  jeûnes.  Il 
règle  la  psalmodie  sur  celle  qui  était  en  usage  à  Lérins,  et  qui 
était  fort  longue.  On  y  voit  que  dès  lors,  les  jours  solennels 
après  matines,  on  chantait  l'hymne  Te  Deum  lauda?nns,  etc. 

Pour  les  jeûnes,  depuis  Pâques  jusqu'à  la  Pentecôte  on  ne 
doit  faire  qu'un  repas  le  vendredi;  depuis  la  Pentecôte  jus- 
qu'au premier  jour  de  septembre,  on  laisse  à  la  supérieure  le 
soin  de  régler  les  jeûnes  comme  elle  le  jugera  convenable; 

depuis  le  premier  jour  de  septembre  jusqu'au  premier  jour 

• 

(1)  Fleury  dit  que  cette-  mesure  est  d'un  pouce  et  deux  lignes  ;  il  y  a  seu- 
lement dans  les  éditions  que  nous  avons  vues  :  capita  mrnquam  altiora,  ou  altius  li- 
gent  quam  in  hune  locum  mensuram  de  incausto  fecimus.  Incaustum  est  mis  pour 
signifier  une  liqueur  rouge  :  ainsi  c'était  une  raie  marquée  dans  le  livre  de  la 
règle  de  la  hauteur  que  devait  être  la  coiffure  des  religieuses  ;  mais  on  ne  dit  pas 
quelle  est  la  longueur  de  cette  raie. 


154  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [511J 

de  novembre,  on  doit  jeûner  trois  jours  de  la  semaine  :  le 
lundi,  le  mercredi  et  le  vendredi;  et  tous  les  jours  depuis  le 
premier  novembre  jusqu'à  Noël,  excepté  les  fêtes  et  le  sa- 
medi. Avant  l'Epiphanie  (1)  sept  jours  de  jeûne.  Depuis  l'E- 
piphanie jusqu'à  la  semaine  qui  précède  le  Carême,  on  jeû- 
nera le  lundi,  le  mercredi,  et  le  vendredi. 

Les  jours  de  jeûne  on  servait  trois  plats  aux  religieuses  ;. 
les  autres  jours  on  n'en  servait  que  deux  (2)  ;  on  ajoutait 
des  mets  plus  délicats  les  jours  solennels.  On  ne  mangeait 
jamais  de  grosse  viande,  et  la  chair  des  oiseaux  n'était  per- 
mise qu'aux  infirmes. 

S.  Gésaire  veut  que  l'abbesse  ne  puisse  rien  changer  à  ces 
règles,  même  par  l'autorité  de  l'évêque.  Si  elle  le  tentait, 
il  exhorte  les  religieuses  à  lui  résister  et  à  recourir  au 
Saint-Siège.  Il  souscrivit  cette  règle  de  sa  main  le  22  juin,  on 
ne  sait  précisément  en  quelle  année  ;  mais  le  monastère  fut 
entièrement  achevé  trente  ans  avant  la  mort  du  saint  évêque, 
c'est-à-dire  l'an  512,  et  l'église  en  fut  dédiée  le  26  août. 

Le  pape  Hormisdas  approuva  dans  la  suite  cet  établisse- 
ment, et,  à  la  prière  de  S.  Gésaire,  il  enleva  auxévêques  d'Ar- 
les tout  pouvoir  pour  le  gouvernement  de  la  communauté, 
leur  permettant  seulement  d'y  faire  la  visite  de  temps  en 
temps.  Il  se  montra  plus  difficile  à  confirmer  les  ventes  et  les 
donations  de  quelques  biens  ecclésiastiques  que  S.  Césaire 
avait  faites  en  faveur  de  ce  monastère;  il  ne  les  approuva  que 
sous  la  réserve  du  consentement  des  évêques  de  la  province  : 
ceux-ci  y  consentirent  (3). 

Les  sages  règlements  de  S.  Gésaire,  soutenus  des  exemples 

(1)  Les  jeûnes  avant  l'Epiphanie  avaient  été  établis  pour  expier  les  réjouis- 
sances profanes  auxquelles  les  païens  et  les  mauvais*  chrétiens  se  livraient  au 
commencement  de  l'année. 

(2)  Fleury  a  ici  mal  traduit  :  On  leur  donnait  deux  portions  à  diner  et  trois  à  souper. 
Il  y  a  :  Ciborum  omnibus  diebus  in  jejunio  tria,  in  prandio  bina  tantummodo  prœpa' 
rentur.  Le  mot  de  prandium  est  opposé  à  celui  de  jejunium  ,  parce  que  quand  on 
dînait  on  ne  jeûnait  pas  ;  le  repas  qui  se  faisait  les  jom's  de  jeûne  se  nommait  cœnat. 
parce  qu'on  le  prenait  le  soir. 

(3)  Hormisd.  Epist.,  apud  Bolland.,  1  januar.,p.  73G. 


511]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  155 

le  l'abbesse  Ste  Gésarie,  rendirent  en  peu  de  temps  cette 
ommunauté  nombreuse  et  florissante.  Ce  fut  pour  le  saint 
vêque  une  consolation  au  milieu  des  contradictions  qu'il 
ontinua  d'essuyer  sous  la  domination  des  ariens ,  tandis  que 
'Église,  sous  celle  des  Francs,  goûtait  en  paix  les  fruits  des 
rctoires  de  Clovis. 

Ce  religieux  prince,  après  avoir  réglé  l'administration  de  ses 
lou veaux  États,  pressa  les  évêques  de  travailler  au  rétablis- 
ement  de  la  discipline,  qui  souffre  toujours  du  tumulte  des 
;uerres.  Dans  ce  but,  il  fit  assembler,  par  le  conseil  de  S.  Remi 
le  Reims  et  de  S.  Mélaine  de  Rennes,  un  concile  à  Orléans 
u  mois  de  juillet  sous  le  consulat  de  Félix,  c'est-à-dire 
'an  511 ,  et  il  marqua  aux  prélats  les  articles  sur  lesquels  il 
onvenait  de  faire  des  règlements.  On  y  fit  les  trente  et  un 
anons  suivants  (1). 

Ï-II-III.  Les  homicides,  les  adultères,  les  voleurs,  les 
avisseurs,  les  esclaves  qui  se  réfugient  dans  l'église  ou  dans 
a  maison  de  l'évêque ,  n'en  seront  tirés  qu'après  que  celui  à 
[ui  on  les  livrera  aura  juré  sur  les  saints  Evangiles  qu'il  ne 
eur  sera  fait  aucun  mal.  On  satisfera  cependant  les  parties  , 
ît  celui  qui  aura  enlevé  une  femme  malgré  elle  sera  fait 
ïsclave  ;  mais  il  pourra  se  racheter. 

IV.  On  ne  recevra  les  laïques  dans  le  clergé  que  par  ordre 
lu  roi  ou  avec  la  permission  du  juge  ;  mais  les  fils ,  les  petits- 
ils  et  les  arrière-petits-fils  des  clercs  seront  sous  la  puis- 
sance des  évêques. 

Comme  les  laïques  de  condition  libre  devaient  au  roi  le 
service  de  guerre ,  on  ne  les  engageait  pas  sans  son  agrément 
lansla  cléricature,  qui  les  exemptait  de  ces  charges. 

Y.  Les  revenus  des  terres  que  le  roi  aura  données  ou 
pourra  clans  la  suite  donner  avec  exemption ,  seront  employés 
mx  réparations  des-églises ,  à  la  subsistance  des  évêques  et 
les  pauvres  et  au  rachat  des  captifs...  Si  quelque  é vêque  en 

(t)  Conc.  Gall.,  t.  I;  ap.  Labb.,t.  IV,  p.  1403. 


156  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [5]  i] 

fait  un  autre  usage ,  il  sera  réprimandé  publiquement  par  ses 
comprovinciaux ,  et  s'il  ne  tient  pas  compte  de  la  réprimande, 
les  évêques  se  sépareront  de  sa  communion. 

VI*  Il  est  défendu  d'excommunier  ceux  qui  croient  pouvoir 
poursuivre  leurs  droits  contre  l'évêque  ou  contre  l'Église,  à 
moins  qu'ils  ne  le  fassent  d'une  manière  outrageante  et  ca- 
lomnieuse. 

VIL  II  est  défendu  sous  peine  d'excommunication  aux 
abbés,  aux  prêtres  et  aux  autres  clercs  d'aller  à  la  cour  solli- 
citer des  bénéfices  sans  le  consentement  et  la  recommanda- 
tion de  leurs  évêques. 

La  multitude  des  ecclésiastiques  et  des  abbés  qui  se  ren- 
daient à  la  cour  obligea  le  roi  à  demander  ce  règlement, 
pour  se  délivrer  de  leurs  importunités. 

VIII.  L'évêque  qui  ordonnera  prêtre  ou  diacre  un  esclave, 
le  connaissant  tel,  en  l'absence  ou  à  l'insu  de  son  maître,  dé- 
dommagera le  maître  au  double,  et  l'esclave  conservera 
l'ordre  sacré  qu'il  aura  reçu.  Si  l'évêque  ne  savait  pas  qu'il 
fût  esclave ,  ceux  qui  le  lui  ont  présenté  et  qui  en  ont  rendu 
témoignage  seront  tenus  au  même  dédommagement. 

IX.  Le  diacre  ou  le  prêtre  qui  aura  commis  un  crime  ca- 
pital sera  dégradé  et  excommunié  (1). 

X.  Les  clercs  hérétiques  qui  se  convertissent  sincèrement 
à  la  foi,  seront  reçus,  par  l'imposition  des  mains,  dans  l'office 
dont  l'évêque  les  aura  jugés  dignes,  et  les  églises  des  Goths 
seront  purifiées  par  une  nouvelle  dédicace. 

XL  Ceux  qui,  après  avoir  reçu  la  pénitence ,  l'abandonnent, 
sont  excommuniés,  aussi  bien  que  ceux  qui  mangeraient 
avec  eux. 

XII.  Les  prêtres  et  les  diacres  qui  se  retirent  de  la  com- 
munion de  l'autel  pour  faire  pénitence,  pourront  baptiser  en 
cas  de  nécessité. 


(1)  Dans  les  canons  des  apôtres  il  est  marqué  que  quand  on  dépose  un  prêtre, 
on  ne  doit  pas  le  priver  de  la  communion,  de  peur  de  paraître  punir  deux  fois 
mais  la  discipline  était  différente  en  plusieurs  Eglises. 


[511]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  157 

XIII.  La  veuve  d'un  prêtre  ou  d'un  diacre  ne  pourra  pas  se 
remarier. 

XIV- XY.  Suivant  les  anciens  canons,  l'évêque  aura  la 
moitié  des  offrandes  que  les  fidèles  feront  à  l'autel  (  dans  la 
cathédrale  )  ;  l'autre  moitié  sera  partagée  aux  clercs  selon 
leurs  degrés.  Il  n'aura  que  la  troisième  partie  des  offrandes 
qui  seront  faites  à  l'autel  dans  les  paroisses.  Mais  les  terres, 
les  vignes,  les  esclaves,  et  même  l'argent  que  les  fidèles  don- 
neront aux  paroisses,  seront  sous  la  puissance  de  l'évêque. 

On  voit  ici  que  l'évêque  est  comme  l'économe  universel  de 
tous  les  biens  ecclésiastiques  de  son  diocèse ,  excepté  des  mo- 
nastères. 

XVI.  L'évêque  doit  nourrir  et  vêtir,  autant  qu'il  le  pourra, 
tous  les  pauvres  et  les  infirmes  qui  ne  peuvent  pas  travailler. 

XVII.  Toutes  les  églises  dépendront  de  l'évêque  dans  le 
territoire  duquel  elles  sont  construites. 

XVIII.  Un  homme  ne  pourra  épouser  la  sœur  de  sa  femme 
ni  la  veuve  de  son  frère. 

XIX.  Les  abbés  demeureront  soumis  aux  évêques ,  qui  au- 
ront le  droit  de  les  punir  s'ils  font  quelque  chose  contre  la 
règle.  Ils  s'assembleront  tous  les  ans  dans  le  lieu  que  l'évêque 
leur  aura  marqué.  Les  moines  obéiront  aux  abbés  et  n'auront 
rien  en  propre.  Les  moines  vagabonds  seront  pris  avec  le  se- 
cours de  l'évêque  et  renfermés  comme  fugitifs. 

XX.  Il  n'est  pas  permis  aux  moines  de  porter  dans  le  mo- 
nastère Yorarium ,  c'est-à-dire  l'étole,  et  des  chaussures  (1) 
semblables  à  des  cothurnes. 

XX.  Un  moine  qui  se  marie  après  avoir  pris  le  manteau 
(c'était  l'habit  monastique)  ne  pourra  pas  être  promu  aux 
ordres. 

XXII.  Il  est  défendu  à  un  moine  de  se  séparer  de  la  commu- 
nauté pour  se  bâti-r-  une  cellule  particulière  sans  la  permis- 
sion de  l'évêque  et  l'agrément  de  l'abbé. 

(  1  )  Il  y  a  dans  le  latin  tzangas  :  c'est  une  sorte  de  chaussure  de  cuir  assez  sem- 
blable au  cothurne  et  peut-être  à  des  bottines. 


-158  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [511] 

XXIII.  Si  un  évêque  donne  à  des  clercs  ou  à  des  moines 
quelques  terres  ou  vignes  à  cultiver  ou  à  posséder  pour  un 
temps, cesbiens  reviendront  à  l'Église  quelque  espace  de  temps 
qu'il  se  soit  écoulé,  et  la  prescription,  qui  est  en  usage  selon 
les  lois  civiles,  n'aura  pas  lieu  pour  les  biens  ecclésiastiques. 

XXIV.  Tous  les  évêques  ont  ordonné  que  le  carême  soit  de 
quarante  jours  et  non  de  cinquante. 

XXV.  Les  habitants  des  villes  ne  pourront  célébrer  dans 
leurs  maisons  de  campagne  les  fêtes  de  Pâques,  de  Noël  et  de 
la  Quinquagésime ,  c'est-à-dire  de  la  Pentecôte ,  à  moins  que 
quelque  infirmité  ne  les  y  retienne. 

XXVI.  Le  peuple  ne  sortira  pas  avant  la  fin  de  la  messe  et 
sans  avoir  reçu  la  bénédiction  de  l'évêque  (1),  s'il  est  présent. 

XXVII.  Les  Rogations  ou  Litanies  seront  célébrées  par  toutes 
les  Églises  les  trois  jours  qui  précèdent  l'Ascension  ;  on 
jeûnera  ces  trois  jours  et  l'on  n'usera  que  de  viandes  du 
carême  ;  les  esclaves  mêmes  ne  travailleront  pas. 

XXVIII.  Les  clercs  qui  refuseront  d'assister  aux  Rogations 
recevront  la  correction  (2)  selon  la  volonté  de  l'évêque. 

XXIX.  On  renouvelle  les  canons  qui  recommandent  aux 
évêques,  aux  prêtres  et  aux  diacres  d'éviter  toute  familiarité 
avec  des  femmes  étrangères. 

XXX.  On  excommunie  ceux  qui  exercent  les  augures  ou  ce 
qu'on  nomme  à  tort  les  sorts  des  saints. 

XXXI.  L'évêque  se  trouvera  le  dimanche  à  l'église  dont  il 
est  le  plus  proche,  à  moins  qu'il  n'en  soit  empêché  pour  cause 
de  maladie. 

Les  Pères  du  concile  souscrivirent  ces  canons  le  10  juillet 
et  les  envoyèrent  au  roi  avec  la  lettre  suivante  : 

(1)  La  bénédiction  était  la  fin  de  la  messe  :  car  on  ne  disait  pas  alors  de  dernier 
évangile.  C'est  une  institution  assez  récente  :  elle  doit  son  origine  à  la  dévotion 
des  fidèles,  qui  se  faisaient  souvent  réciter  le  commencement  de  l'évangile  de 
S.  Jean  à  la  fin  de  la  messe. 

(2)  Il  y  a  dans  le  latin  :  suscipiant  disciplinam  ;  on  peut  traduire  :  qu'ils  soient  fus- 
tigés. Le  mot  disci}>lina  se  prit  d'abord  pour  toute  sorte  de  correction  ;  mais  comme 
la  flagellation  était  particulièrement  en  usage  dans  les  monastères  pour  le  main- 
tien de  la  discipline,  on  a  nommé  cette  correction  discipline. 


[511] 


EN  FRANCE. 


—  LIVRE  V. 


159 


((  A  leur  seigneur  le  très-glorieux  roi  Clovis,  fils  de  V Eglise 
catholique ,  tous  les  évêques  assemblés  au  concile  par  son 
ordre. 

«  Comme  c'est  l'ardeur  de  votre  zèle  pour  le  culte  de  la 
religion  catholique  et  de  la  foi  qui  vous  a  porté  à  faire  as- 
sembler ce  concile,  dans  lequel  nous  pussions  traiter  en- 
semble, comme  il  convient  à  des  évêques,  de  plusieurs 
points  nécessaires,  nous  vous  envoyons  les  réponses  que 
nous  avons  jugé  à  propos  de  faire  aux  articles  que  vous  nous 
avez  proposés.  Si  vous  jugez  ces  règlements  dignes  de  votre 
approbation ,  l'autorité  d'un  si  grand  roi ,  d'accord  avec  celle 
de  tant  d'évêques,  en  assurera  l'observation  (1).  » 

Trente-deux  évêques  assistèrent  à  ce  concile  et  approuvè- 
rent ses  décrets.  La  plupart  sont  mis  au  nombre  des  saints, 
ce  qui  prouve  que  l'Église  gallicane  n'avait  encore  rien 
perdu  de  sa  gloire.  Nous  parlerons  des  plus  célèbres 
d'entre  eux  que  nous  n'avons  pas  eu  l'occasion  de  faire  con- 
naître. 

Tétradius  de  Bourges  avait  succédé  sur  ce  siège  à  S.  Sim- 
plice.  11  donna  une  terre  à  l'église  de  Saint-Julien  de  Brioude , 
et  Grégoire  de  Tours  le  nomme  un  prélat  de  glorieuse  mé- 
moire :  c'est  tout  ce  qu'on  sait  de  sa  vie  (2). 

Nous  sommes  mieux  instruits  au  sujet  de  Licinius  de 
Tours.  Il  était  originaire  d'Angers.  Au  retour  d'un  pèleri- 
nage qu'il  fit  en  Palestine  pour  visiter  les  saints  lieux ,  il  se 
retira  dans  une  de  ses  terres  sur  les  confins  de  l'Anjou  et  de 
la  Touraine  et  il  y  établit  un  monastère.  Sa  réputation  le  fit 
choisir  pour  gouverner  à  Tours  celui  de  Saint-Venant  ,  bâti  près 

(1)  Par  la  sanction  de  Clovis,  les  canons  du  concile  d'Orléans  devenaient  lois 
de  l'État.  C'est  le  commencement  de  l'alliance  entre  le  sacerdoce  et  la  royauté, 
dont  nous  aurons  souvent  occasion  de  parler. 

(2)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  mart.,  1.  II,  c.  xiv. 


160  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [511] 

de  la  basilique  de  Saint-Martin.  Après  la  mort  de  Yérus,  exilé 
par  les  Goths,  Licinius  fut  tiré  de  ce  monastère  et  placé  sur  le 
siège  de  Tours.  Il  en  était  déjà  évêque,  lorsque  Glovis  revint 
de  son  expédition  contre  Alaric.  Il  occupa  le  siège  douze  ans 
et  deux  mois,  et  après  sa  mort  l'Église  de  Tours  fut  adminis- 
trée par  Théodore  et  Procule ,  ces  deux  évêques  bourguignons 
qui  s'étaient  réfugiés  auprès  de  Ste  Glotilde  (1). 

S.  Gildard  ou  Godard  de  Rouen  succéda  à  Grescence  et  fut 
recommandante  par  les  vertus  et  les  talents  qui  font  un  grand 
évêque;  mais  le  récit  de  sa  vie  a  si  peu  d'autorité  qu'on  ne 
peut  entrer  dans  aucun  détail. 

S.  Mélaine,  évêque  de  Rennes,  fut  en  ce  siècle  une  des  lu- 
mières de  l'Église  des  Gaules  (2).  Il  était  né  clans  le  terri- 
toire de  Vannes  et  il  ne  songeait  qu'à  y  pratiquer  la  péni- 
tence dans  les  exercices  de  la  vie  monastique,  qu'il  avait  em- 
brassée, lorsque  les  principaux  citoyens  de  Rennes  vinrent 
le  conjurer  d'être  leur  pasteur  après  la  mort  de  S.  Amand  (3), 
qui  l'avait  désigné  pour  son  successeur.  Il  céda  à  leurs 
prières  dans  la  crainte  de  résister  à  la  vocation  de  Dieu ,  et 
il  ne  tarda  pas  à  surpasser  les  espérances  qu'on  avait  conçues 
de  son  épiscopat  :  les  grandes  positions  font  bientôt  con- 
naître les  grands  hommes.  Glovis,  qui  savait  discerner  le  mé- 
rite et  le  récompenser,  ayant  soumis  l'Armorique  à  sa  domi- 
nation, appela  Mélaine  auprès  de  lui  et  l'honora  de  sa  con- 
fiance. Il  était  son  conseil,  particulièrement  dans  les  affaires 
de  la  religion ,  et  ce  fut  surtout  par  ses  avis  et  par  ceux  de 
S.  Remi  que  ce  prince  assembla  le  concile  d'Orléans.  Mélaine 
en  fut  l'àme  par  son  érudition  et  son  zèle  à  combattre  les 
erreurs  des  hérétiques. 

Nous  aurons  encore  occasion  de  parler  de  S.  Mélaine. 

S.  Quintien  de  Rodez  était,  à  ce  qu'on  assure,  originaire 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  X,  c.  ult.,  n.  9. 

(2)  Vit  S.  Melanii,  apud  Boll.,  G  januar. 

(3)  S.  Amand  est  honoré  le  14  novembre.  Bavait  succédé  à  Athénius,  qui  as- 
sista, comme  nous  avons  vu,  au  concile  de  Tours  en  461. 


[511J  EX  FRANCE.  —  LIVRE   Vj  161 

d'Afrique.  La  persécution  allumée  dans  cette  Église  l'obligea 
probablement  de  passer  dans  la  Gaule,  et  il  s'y  distingua  par 
sa  charité  et  par  son  amour  pour  la  chasteté.  Ses  vertus  le 
firent  élever,  tout  étranger  qu'il  était,  sur  le  siège  de  Rodez, 
ville  alors  soumise  aux  Yisigoths.  C'est  ce  qui  explique  son 
assistance  au  concile  d'Agde;  mais  Rodez  faisait  partie  du 
royaume  de  Clovis  quand  se  tint  le  concile  d'Orléans.  Quin- 
tien  fit  agrandir  l'église  de  Saint-Chamand  et  y  transféra  les 
reliques  de  ce  saint  évêque.  Mais  S.  Ghamand  n'approuva 
pas  qu'il  eût  ainsi  remué  ses  cendres  et  lui  prédit  qu'il  se- 
rait chassé  de  son  siège  :  prédiction  qui  ne  tarda  pas  à  se 
vérifier.  S.  Amant,  vulgairement  Ghamand,  est  le  premier 
évêque  qu'on  connaisse  de  Rodez  :  il  est  honoré  le  4  no- 
vembre (1). 

S.  Principe,  évêque  du  Mans, avait  succédé  à  S.  Yictur.  L'on 
prétend  que  ce  dernier  était  fils  de  S.  Vieteur,  que  l'histoire 
des  évêques  du  Mans  dit  avoir  été  ordonné  par  S.  Martin. 
S'il  en  est  ainsi,  il  faut  accorder  un  long  épiscopat  à  ces  trois 
évêques  ou  supposer  une  longue  vacance  dans  ce  siège. 
S.  Principe  est  honoré  le  16  septembre.  On  lui  attribue  la 
guérison  miraculeuse  d'un  aveugle,  et  l'on  assure  que  depuis 
son  ordination  il  ne  passa  jamais  un  jour  sans  célébrer  la 
messe  (2).  Les  auteurs  de  sa  Yie  l'ont  confondu  avec  S.  Prin- 
cipe ou  S.  Princes,  frère  de  S.  Remi  et  évêque  de  Soissons  : 
cette  méprise  peut  rendre  suspectes  les  autres  circonstances 
qu'on  en  rapporte. 

Maurusion,  qui  assista  aussi  au  concile  d'Orléans,  n'est 
compté  que  pour  le  troisième  évêque  d'Évreux.  Nous  devons 
en  conclure  qu'il  y  a  eu  une  longue  vacance  clans  ce  siège, 
ou  qu'on  ignore  le  nom  d'un  grand  nombre  de  ses  évêques.  Le 
second  évêque  d'Évreux  après  S.  Taurin  est  S.  Gaud,.  honoré 
le  31  janvier.  — 

Eusèbe  d'Orléans,  dans  l'Église  duquel  se  tint  le  concile, 


(1)  Greg.  Tur.,  de  Vit.  PP.,  c.  iv.  —  (2)  Gesta  episcop.  Cenom,.  t.  III  Analect. 

TOME  II.  11 


162  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [511] 

protégea  toujours  le  monastère  de  Mici,  que  Glovis  lui  avait  re- 
commandé. Il  en  consacra  l'église  en  l'honneur  de  S.  Etienne , 
et  il  ordonna  diacre  S.  Maximin,  neveu  de  S.  Euspice.  Quel- 
que temps  après  l'abbé  Euspice,  se  voyant  près  de  sa  fin, 
fît  prier  cet  évêque  de  donner  l'ordre  de  prêtrise  et  la  béné- 
diction d'abbé  à  Maximin  ou  Mesmin,  qui  gouverna  ce  mo- 
nastère environ  dix  ans,  avec  une  si  grande  réputation  que 
Mici  ne  fut  plus  connu  depuis  que  sous  le  nom  de  Saint-Mesmin. 
L'Église  honore  sa  mémoire  le  15  décembre,  et  celle  de 
S.  Euspice  le  20  août  (1).  C'était  surtout  par  la  protection 
des  évêques  que  les  monastères  se  multipliaient  et  deve- 
naient florissants  :  nous  en  verrons  ailleurs  des  preuves 
nombreuses. 

S.  Aventin  de  Chartres,  le  dernier  des  évêques  qui  souscri- 
virent à  ce  concile,  fut  un  des  plus  célèbres  par  sa  sainteté, 
aussi  bien  que  S.  Souleine,  son  prédécesseur,  que  quelques 
auteurs  font  aussi  son  frère.  Souleine  ayant  été  élu  évêque 
de  Chartres,  se  cacha  si  bien  dans  une  grotte  pour  éviter 
cette  dignité,  qu'après  bien  des  recherches  on  ne  put  le 
trouver  (2)  et  l'on  procéda  à  une  nouvelle  élection.  Les  voix 
se  réunirent  sur  Aventin,  qui  fut  aussitôt  sacré  évêque.  Sou- 
leine, l'ayant  appris,  crut  n'avoir  plus  rien  à  craindre  et 
sortit  de  sa  retraite.  Il  se  trompait  :  ce  qu'il  avait  fait  pour 
fuir  l'épiscopat  l'en  fit  juger  plus  digne.  Le  peuple,  en  le 
voyant,  déclara  qu'il  s'en  tenait  à  son  premier  choix  et  de- 
manda qu'il  fut  ordonné  :  ce  qui  fut  fait  aussitôt  par  les  pré- 
lats, qui  étaient  encore  assemblés.  Comme  la  charité  se 
trouve  toujours  unie  à  l'humilité,  ces  deux  saints  évêques, 
qui  avaient  été  sacrés  pour  la  même  Église,  n'eurent  aucun 
démêlé.  Aventin  se  retira  à  Chàteaudun,  où  il  exerça  les 
fonctions  épiscopalcs  sous  la  dépendance  de  S.  Souleine, 
auquel  il  succéda.  Il  fit  bâtir  plusieurs  églises  à  Chàteau- 
dun, et  il  est  honoré  le  4  février. 

(1)  Vita  S.  Maximini.  —  (2)  Vita  S,  Aventin.,  apud  Bol!.,  4  febr. 


[511]  EN  FHAXCE.  —  LIVRE  V.  163 

S.  Souleine  (1)  justifia  par  ses  vertus  l'empressement  que 
les  citoyens  de  Chartres  avaient  mis  à  l'avoir  pour  évêque  :  il 
fut  la  consolation  de  son  peuple  et  la  gloire  de  son  Église. 
Il  se  distingua  surtout  par  son  zèle  pour  la  conversion  des 
Francs,  et  Clovis  eut  pour  lui  une  estime  particulière.  On 
célèbre  sa  fête  le  24  septembre,  quoique  le  Martyrologe  ro- 
main la  place  le  25  du  même  mois.  Il  fut  enterré  à  Maillé  (2) 
en  Touraine,  où  existait  un  monastère  devenu  dans  la  suite 
une  église  collégiale  (3).  Le  Seigneur  y  fît  éclater  la  gloire 
de  son  serviteur  par  plusieurs  miracles,  que  rapporte  Gré- 
goire de  Tours,  qui  avait  visité  son  tombeau.  Tels  furent  les 
plus  célèbres  d'entre  les  évêques  qui  assistèrent  au  premier 
concile  d'Orléans.  On  peut  conclure  de  ce  quelious  en  avons 
dit  que  l'Eglise  n'était  pas  moins  florissante  que  l'Etat  sous 
la  domination  des  Francs. 

Le  concile  d'Orléans  fut  une  des  dernières  preuves  du 
zèle  de  Clovis.  Il  ne  pouvait  couronner  plus  glorieusement 
un  règne  si  éclatant.  Ce  grand  prince,  au  comble  de  la  gloire 
et  dans  toute  la  vigueur  de  l'âge,  mourut  quelques  mois  après, 
le  27  novembre  511,  dans  la  trentième  année  de  son  règne  et 
la  quarante-cinquième  de  sa  vie  (4)  :  il  avait  assez  vécu  pour 
sa  gloire,  mais  trop  peu  pour  le  bien  de  ses  sujets  et  pour 
celui  de  la  religion.  Il  fut  enterré  à  Paris  dans  la  basilique 
des  Saints-Apôtres ,  qu'il  avait  commencé  à  faire  bâtir,  et 
l'on  y  célébrait  tous  les  ans  son  anniversaire  (5).  Son  double 

(1)  S.  Souleine  est  le  quatorzième  évêque  de  Chartres.  S.  Martin,  qui  a  donné 
son  nom  à  l'église  de  Saint-Martin  en  Vallée,  est  le  quatrième,  et  S.  Aman,  le  cin- 
quième. 

(2)  La  terre  de  Maillé  fut  érigée  en  duché  par  Louis  XIII,  sous  le  nom  de 
Luynes. 

(3)  De  Glor.  conf.,  c.  xxi.  —  (4)  Greg.  Tur. ,  1.  II,  c.  xliii. 

(5)  Le  mausolée  de  Clovis  qu'on  voyait  dans  le  chœur  de  cette  église,  était  un 
ouvrage  moderne.  C'estje  cardinal  do  la  Rochefoucauld  qui  l'avait  fait  ériger  avec 
l'inscription  suivante  : 

Chîodoveo  Magno 
Re'jum  Francorum  primo  Christiano 
Hujus  Basilicœ  fundatori 
Sepuichrum...  Abbas  et  Conventus  renovarunt. 


164  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [512] 

titre  de  fondateur  de  la  plus  florissante  monarchie  et  de 
premier  roi  chrétien  de  sa  race  forme  un  éloge  complet, 
qu'on  affaiblirait  en  y  ajoutant  d'autres  traits.  A  la  vérité,  le 
sang  de  plusieurs  princes  de  sa  maison,  que  son  ambition 
lui  fit  verser  pour  agrandir  son  royaume,  ternit  sur  la  fin 
de  sa  vie  l'éclat  de  ses  vertus  chrétiennes;  mais  les  signalés 
services  qu'il  a  rendus  à  l'Église,  permettent  de  présumer 
que  le  Seigneur  lui  aura  fait  la  grâce  de  réparer  ses  fautes  : 
quelques  auteurs  lui  donnent  même  la  qualité  de  saint. 

Glovis  laissa  quatre  fils  :  Thierry,  Clodomir,  Childebert  et 
C]otaire,  qui  héritèrent  de  ses  États  et  de  sa  bravoure  sans 
hériter  de  ses  autres  belles  qualités.  Ils  partagèrent  entre 
eux  la  monarchie  franque  et  en  firent  quatre  royaumes, 
source  féconde  de  guerres  civiles,  surtout  entre  frères. 
Thierry  eut  le  royaume  qui  fut  nommé  d'Austrasie,  Clodomir 
celui  d'Orléans,  Childebert  celui  de  Paris,  et  Clotaire  celui 
de  Soissons. 

S.  Remi  pleura  plus  amèrement  que  personne  la  mort  cle 
Clovis,  et  les  contradictions  qu'il  eut  à  essuyer  aussitôt 
après  de  la  part  de  quelques  évêques,  lui  firent  mieux  sentir 
encore  la  perte  qu'il  avait  faite.  Héraclius  de  Paris,  Léon  de 
Sens  et  Théodose  d'Auxerre  lui  suscitèrent  des  embarras  au 
sujet  d'un  prêtre  nommé  Claude,  à  qui,  selon  eux,  ce  saint 
évêque  avait  conféré  la  prêtrise  contre  les  règles,  et  ils  lui 
faisaient  un  crime  d'avoir  ordonné  un  prêtre  qui  depuis  s'é- 
tait montré  indigne  de  son  ordination.  11  paraît  que  ces 
évêques  voulaient  qu'on  procédât  selon  les  canons  à  la  dé- 
position de  Claude,  et  que  S.  Remi  préférait  le  parti  de  la 
douceur.  Ils  lui  écrivirent  à  ce  sujet  une  lettre  qui  lui  sem- 
bla pleine  d'aigreur  et  peu  mesurée  dans  ses  termes.  La  vertu, 

On  trouve  dans  Aimoin  une  épitaplie  de  Clovis  attribuée  par  quelques-uns  à 
S.  Remi,  et  qui  commence  par  ces  vers: 

(Uves  opivm,  virtute  païens,  clarusque  triurnpho, 
Condidit  liane  sedem  liex  Clodocscus,  et  idem 
Patricius  magno  sublirnis  fulsit  honore. 


[512]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  165 

qui  fait  pardonner  les  injures,  n'empêche  pas  d'en  sentir  les 
atteintes. 

S.  Rcmi  répondit  avec  une  fermeté  digne  de  son  âge  et  de 
son  autorité  dans  l'épiscopat  :  «  Je  ne  nie  point,  leur  dit-il, 
que  Claude  n'ait  fait  de  grandes  fautes.  Mais  vous  me  deviez 
quelques  égards,  je  ne  dis  pas  à  cause  de  mon  mérite,  mais 
à  cause  de  mon  âge.  Par  la  grâce  du  Seigneur  il  y  a  cin- 
quante-trois ans  (1)  que  je  suis  évèque,  et  personne  ne  m'a 
jamais  traité  avec  si  peu  de  considération...  Je  ne  me  suis 
pas  laissé  corrompre  par  l'argent  pour  donner  la  prêtrise  à 
Claude  :  je  l'ai  fait  sur  le  témoignage  d'un  grand  roi,  qui 
était  non-seulement  le  prédicateur,  mais  encore  le  protecteur 
de  la  foi  catholique.  Vous  écrivez  que  ce  qu'il  a  ordonné  n'é- 
tait pas  canonique  :  êtes-vous  donc  revêtus  du  souverain 
pontificat?  Le  chef  des  provinces,  le  défenseur  de  la  patrie, 
le  triomphateur  des  nations  l'a  ordonné,  et  vous  vous  laissez 
tellement  emporter  à  votre  fiel  contre  moi  que  vous  man- 
quez même  à  la  déférence  que  vous  devriez  observer  à  l'é- 
gard de  celui  de  qui  vous  tenez  votre  dignité  !  (2)  J'ai  demandé 
que  Claude,  coupable  d'un  sacrilège,  fût  admis  à  la  péni- 
tence...; mais  je  vois  à  l'aigreur  de  votre  lettre  qu'après  sa 
chute  vous  n'avez  nulle  compassion  de  son  malheur  :  vous 
voudriez  plutôt  qu'il  ne  se  convertit  pas...  Vous  dites  aussi 
que  par  le  nombre  des  années  je  suis  jubilaire,  et  vous  le 
dites  plutôt  pour  en  faire  un  sujet  de  moquerie  que  pour 
vous  en  réjouir  selon  la  charité  :  car  c'est  en  rompre  les 
liens  que  de  me  traiter  avec  si  peu  de  ménagements  [3]  .  »  On 
ne  sait  quelle  fut  l'issue  de  ce  démêlé;  mais  on  peut  présu- 
mer que  ces  évêques  réparèrent  la  faute  qu'ils  avaient  com- 

(1)  Nous  avons  placé,  selon  l'opinion  la  plus  probable,  le  commencement  de  l'é- 
piscopat de  S.  Remi  en  459.  Suivant  cette  époque,  il  écrivit  cette  lettre  en  512, 
après  cinquante-trois~"années  d'épiscopat. 

(2)  Cette  expression  montre  que  Clovis  avait  nommé  ces  évêques  à  l'épiscopat, 
ou  que  S.  Remi  les  avait  ordonnés.  Mais  comme  ils  n'étaient  pas  de  la  province  de 
Reims,  il  est  probable  que  c'est  de  Clovis  qu'il  s'agit. 

(3)  Ap.  Labb.,  p.  1G08. 


166  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  t5*2! 

mise  à  l'égard  de  S.  Remi,  et  surtout  Théodose  d'Auxerre 
et  Léon  de  Sens,  que  l'Église  a  mis  au  nombre  de  ses  saints. 

S.  Remi  écrivit  avec  la  même  force  àFalcon  ou  Foulques, 
évêque  de  Tongres  (1),  qui,  à  peine  monté  sur  son  siège  épisco- 
pal,  usurpa  la  juridiction  sur  l'Église  de  Mouson,  dépendante 
de  celle  de  Reims.  «  D'après  ce  que  je  vois,  lui  dit-il,  vous  avez 
plus  d'empressement  à  m'outrager  qu'à  me  rendre  vos  de- 
voirs. 0  le  beau  début  de  votre  épiscopat,  de  blesser  mes 
droits  avant  que  je  vous  aie  vu  comme  évêque  !  Croyez-moi, 
c'est  prendre  trop  tôt  l'essor  :  vos  ailes  sont  encore  trop  fai- 
bles. Dès  les  premiers  pas  dans  la  carrière  épiscopale,  vous 
empiétez  sur  le  domaine  des  autres,  tandis  que  vous  ne  de- 
viez qu'en  tremblant  prendre  possession  de  celui  qui  vous 
appartient...  Gomme  je  le  crois,  vous  ne  savez  pas  encore  ce 
qui  est  à  vous,  et  déjà  vous  vous  emparez  du  bien  d'autrui  (2) .  » 
Ensuite,  après  lui  avoir  reproché  les  ordinations  illicites  qu'il 
avait  faites  dai^s  l'Église  de  Mouson,  il  ajoute  :  «  J'apprends 
que  vous  donnez  ordre  que  les  fermiers  de  cette  Église  vous 
apportent  les  revenus  des  terres.  C'est  une  preuve  que  c'est  le 
bien  de  l'Église,  et  non  l'Église  même,  que  vous  recherchez. 
Au  reste,  je  ne  veux  pas  vous  laisser  ignorer  que  les  diacres 
et  les  prêtres  que  vous  avez  ordonnés  contre  les  canons,  ont 
déjà  été  déposés.  »  Il  pouvait  y  avoir  plus  d'imprudence  que 
de  manque  de  respect  dans  l'entreprise  de  Falcon  ,  qui  est 
aussi  honoré  comme  saint,  le  20  février,  avec  son  frère  et  pré- 
décesseur S.  Eucher  (3). 

Quand  la  vertu  de  S.  Remi  ne  l'aurait  pas  soutenu  dans 
ces  contradictions,  la  vénération  que  tous  les  autres  évêques 
des  Gaules  continuèrent  de  lui  témoigner  lui  offrait  un  assez 
grand  dédommagement.  Ils  lui  donnèrent  des  marques  écla- 

(1)  Tongres  ayant  été  ruinée,  ]e  siège  épiscopal  avait  été  transféré  à  Maestricht 
par  S.  Servais  ;  mais  on  ne  laissa  pas  dans  la  suite  d'appeler  souvent  les  évêques 
de  Maestricht  évêques  de  Tongres.  On  leur  donna  même  encore  ce  nom  après  que 
ce  siège  eut  été  transféré  de  Maestricht  à  Liège. 

(2)  Remig.  Epist.  ad  Falcon.,  apud  Lahh.,  t.  IV,  p.  1 009. 

(3)  Apud  Boll.,  20  febr. 


[512]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  V.  167 

tantes  de  respectueuse  déférence  dans  un  concile  qu'ils  tin- 
rent vers  ce  temps-là,  pour  ramener  à  la  foi  de  l'Église  les 
ariens  habitant  probablement  le  pays  conquis  sur  les  Yisi- 
goths.  L'estime  que  ces  évêques  avaient  conçue  de  l'élo- 
quence et  de  l'érudition  de  Remi,  leur  fit  souhaiter  qu'il  se 
rendît  à  ce  concile  (1),  malgré  son  grand  âge,  pour  y  con- 
fondre un  évêque  arien  fort  versé  dans  la  dispute  et  dans 
les  subtilités  de  la  dialectique.  S.  Remi  s'y  rendit,  et  dès 
qu'on  le  vit  entrer  tous  les  Pères  du  concile  se  levèrent  pour 
lui  rendre  honneur.  L'évêque  arien  fut  le  seul  qui  demeura 
assis  par  mépris  ;  mais  Dieu  lui  réservait  une  confusion  égale 
à  son  orgueil.  Remi  prononça  un  discours  plein  de  force 
contre  l'erreur.  Toute  l'assemblée  était  dans  l'attente  de  ce 
que  l'évêque  arien  allait  répondre  ;  mais  il  perdit  à  l'instant 
l'usage  de  la  parole;  puis,  touché  tout  à  coup  et  sans  pouvoir 
proférer  un  seul  mot,  il  alla  se  jeter  aux  pieds  du  saint 
évêque  pour  confesser  son  péché  et  ses  erreurs  par  ses  gé- 
missements et  ses  larmes.  Alors  Remi  lui  dit  :  «  Au  nom  de 
Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  vrai  Fils  de  Dieu,  si  vous  le 
croyez  ainsi ,  parlez  et  confessez  ce  que  l'Église  catholique 
croit  de  lui.  »  Aussitôt  le  superbe  hérétique,  devenu  humble 
et  fidèle ,  recouvra  l'usage  de  la  parole  et  confessa  distincte- 
ment la  foi  dans  les  mystères  de  la  Trinité  et  de  l'incarna- 
tion. S.  Remi,  au  lieu  d'exalter  son  triomphe,  ne  fît  servir  cet 
événement  qu'à  montrer  aux  évêques  qu'on  ne  doit  jamais 
rebuter  les  plus  grands  pécheurs,  puisque  le  Seigneur  avait 
autorisé  par  un  miracle  la  pénitence  de  cet  arien  (2).  Il  est 
permis  de  croire  que  le  saint  évêque,  par  cette  réflexion,  vou- 
lut justifier  l'indulgence  qu'il  avait  eue  peu  auparavant  pour 
le  prêtre  Claude,  dont  nous  avons  parlé. 

S.  Remi  eut  plusieurs  disciples  qui  se  distinguèrent  par  la 
sainteté  de  leur  vie.  Le  saint  abbé  Thierry  fut  le  plus  célèbre. 

(1)  Hincm.  Vit.  S.  Bemig. —  Cave,  parlant  de  S.  Remi,  dit  que  ce  concile  se  tint 
à  Reims  l'an  517.  Ou  n'en  trouve  aucune  preuve  ;  il  est  bien  plus  probable, 
puisqu'on  y  invita  S.  Remi  malgré  son  grand  âge ,  qu'il  ne  se  tint  pas  dans  son 
Église.  —  (2)  Flod.,  1.1,  c.  xvi. 


168  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [512] 

Il  était  né  à  Mnaneourt,  village  du  diocèse  de  Reims,  d'un 
père  de  la  plus  basse  extraction,  et  dont  le  vol  était  la  seule 
profession;  mais  le  jeune  Thierry  fut  comme  un  lis  que  Dieu 
fit  éclore  parmi  les  épines.  Ses  parents  l'ayant  engagé  mal- 
gré lui  dans  les  liens  du  mariage,  il  s'efforça,  par  les  conseils 
de  S.  Rémi ,  de  faire  connaître  à  sa  femme  l'excellence  et  le 
mérite  de  la  virginité.  Elle  s'en  offensa  et  se  crut  méprisée. 
Thierry  eut  recours  aux  prières  de  S.  Remi  et  à  celles  de 
l'abbesse  Susanne ,  que  le  saint  évêque  avait  établie  supé- 
rieure d'une  communauté  de  religieuses.  Ayant  obtenu  par 
ce  moyen  le  consentement  de  sa  femme ,  qui  promit  aussi 
de  garder  la  continence,  il  se  retira  auprès  de  S.  Remi.  Son 
attrait  pour  la  vie  religieuse  fut  bientôt  reconnu  par  le  saint 
évêque,  qui  l'envoya  avec  l'abbesse  Susanne  chercher  près  de 
Reims  un  lieu  propre  à  bâtir  un  monastère.  Ils  choisirent 
le  mont  d'Hor,  et  Thierry  y  assembla  en  peu  de  temps  une 
fervente  communauté.  Élevé  peu  après  au  sacerdoce,  il  tra- 
vailla avec  zèle  à  la  conversion  des  âmes  et  particulièrement 
à  celle  de  son  père  Marcard,  qui  de  voleur  se  fît  moine. 

Un  jour  que  le  saint  abbé  passait  avec  S.  Remi,  en  chantant 
des  psaumes,  près  d'un  lieu  de  débauche  hors  delà  ville,  plein 
de  femmes  de  mauvaise  vie,  la  voix  lui  manqua  tout  à  coup. 
La  même  chose  lui  étant  arrivée  au  retour,  S.  Remi  lui  en 
demanda  la  cause.  Il  répondit  que  c'était  la  douleur  de  voir 
des  âmes  se  perdre  ainsi  presque  sous  lesyeux  de  leur  évêque, 
et  il  lui  conseilla  de  changer  ce  lieu  infâme  en  un  mo- 
nastère de  veuves  (1),  où  ces  malheureuses  débauchées 
pourraient  se  retirer;  S.  Remi  s'empressa  de  suivre  son  con- 
seil (2).  C'est  le  premier  exemple  qu'on  trouve  de  monastères 
érigés  pour  ces  sortes  de  personnes.  Nous  n'avons  pas  d'au- 
tres détails  intéressants  sur  la  vie  de  S.  Remi;  nous  savons 
seulement  qu'il  vécut  jusqu'à  une  extrême  vieillesse ,  pour  le 

(1)  Baillet  dit  que  ce  lieu  fut  changé  en  un  monastère  de  vierges  :  il  se  trompe , 
c'étaient  des  veuves  et  des  repenties. 
(2  Flod.,  lib.  I,  c.  xxiv. 


[512]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  169 

bien  de  l'Église  gallicane.  Il  eut  avant  sa  mort,  dont  nous 
parlerons  plus  tard,  la  consolation  de  voir  que  la  religion  con- 
tinuait de  fleurir  de  toutes  parts  dans  les  États  et  sous  la  pro- 
tection des  enfants  de  Clovis. 

Les  sujets  catholiques  des  rois  ariens  dans  la  Gaule  furent 
ceux  qui  s'aperçurent  le  plus  de  la  mort  de  ce  prince.  Elle 
releva  le  courage  des  Yisigoths  et  parut  aigrir  leur  haine 
contre  les  fidèles.  Ils  reprirent  alors  plusieurs  places  sur  les 
Francs,  et  entre  autres  Rodez,  dont  S.  Quintien  était  évêque. 
On  ne  tarda  pas  à  lui  faire  un  crime  de  son  attachement 
aux  Francs.  On  l'accusa  même  de  vouloir  leur  livrer  la 
ville,  et,  comme  les  conseils  de  la  défiance  et  d'une  injuste 
politique  sont  toujours  violents,  on  résolut  sa  mort;  mais 
le  saint  évêque,  l'ayant  appris,  se  sauva  pendant  la  nuit  et 
se  retira  en  Auvergne  auprès  de  S.  Eufraise,  qui  le  reçut 
avec  bonté,  en  lui  disant  :  «  Les  biens  de  mon  Eglise  suffisent 
pour  nous  entretenir  l'un  et  l'autre  :  conservons  seulement 
la  charité,  que  l'Apôtre  nous  recommande.  »  L'évêque  de 
Lyon,  que  Grégoire  de  Tours  ne  nomme  point,  et  qui 
pouvait  être  S.  Yiventiole,  se  montra  également  sensible 
à  la  disgrâce  de  Quintien ,  et  il  lui  céda  quelques  terres  que 
son  Église  possédait  en  Auvergne  (1). 

S.  Gésaire  d'Arles,  dont  le  sort  était  d'être  toujours  en 
butte  aux  calomnies  des  ariens  et  de  toujours  en  triompher, 
fut  vers  le  même  temps  accusé  de  trahison  pour  la  troisième 
fois,  et  l'accusation  fut  portée  à  Théodoric,  roi  d'Italie,  à  qui 
Arles  obéissait  alors.  Ce  prince,  qui  ne  négligeait  pas  ses  in- 
térêts en  soutenant  ceux  d'Amalaric,  son  petit-fils,  qu'il  avait 
fait  reconnaître  roi  des  Yisigoths  après  la  mort  de  Géselic , 
s'était  emparé  d'une  partie  de  ses  États  sous  prétexte  de  les 
mieux  défendre.  Le  saint  évêque  fut  donc  conduit  à  Ravenne 
par  ses  ordres,  pour  y  répondre  à  ses  accusateurs.  Mais  son 
air  de  sainteté ,  qui  saisissait  les  esprits  au  premier  aspect , 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xxxvi. 


170  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [512] 

fut  la  première  preuve  de  son  innocence.  Théodoric,  frappé 
de  la  majesté  qui  éclatait  sur  le  visage  de  Césaire,  se  leva  de 
son  trône  pour  le  saluer  respectueusement,  et,  sans  lui  parler 
de  l'accusation  intentée  contre  lui ,  il  se  contenta  de  lui  de- 
mander des  nouvelles  de  son  voyage  et  de  l'état  où  il  avait 
laissé  la  ville  d'Arles  et  les  Goths.  Césaire  le  satisfit  sur  ces 
articles;  après  quoi,  s'étant  retiré,  le  roi  dit  à  ses  courti- 
sans :  «  Que  le  Seigneur  ne  le  pardonne  pas  à  ceux  qui  ont 
obligé  sans  sujet  un  si  saint  homme  à  faire  un  si  long 
voyage.  J'ai  tremblé  de  tout  mon  corps  en  le  voyant  entrer, 
et  j'ai  cru  voir  un  ange  descendu  du  ciel.  » 

Théodoric  n'en  demeura  pas  là  :  il  envoya  à  Césaire  trois 
cents  sous  d'or  avec  un  grand  bassin  d'argent  pesant  environ 
soixante  livres ,  et  lui  fit  dire  :  «  Très-saint  évêque ,  recevez 
ce  présent.  Le  roi  votre  fils  vous  prie  de  réserver  ce  vase 
pour  votre  usage  et  pour  vous  souvenir  de  lui.  »  Mais  Cé- 
saire qui,  à  l'exception  des  cuillers,  ne  souffrait  pas  qu'on 
servît  à  sa  table  de  vaisselle  d'argent  ,  fît  vendre  le  vase  trois 
jours  après  et  se  servit  du  prix  de  cette  vente  pour  racheter 
un  grand  nombre  de  captifs.  On  rapporta  cette  action  à  Théo- 
doric, qui  ne  put  s'empêcher  de  la  louer.  A  l'exemple  du 
prince  ,  plusieurs  seigneurs  de  la  cour  s'empressèrent  de 
faire  des  présents  au  saint  évêque  :  c'était  les  donner  aux 
pauvres  ;  il  employa  encore  une  partie  de  ces  sommes  au  ra- 
chat des  prisonniers  que  les  Ostrogoths  avaient  amenés  de  la 
Gaule  en  Italie  ,  et  particulièrement  d'Orange ,  dont  les  ha- 
bitants avaient  presque  tous  été  faits  captifs.  Le  saint  évêque, 
non  content  d'avoir  rompu  leurs  fers,  leur  procura  des  voi- 
tures et  des  secours  pour  retourner  dans  leur  patrie  (1).  Ces 
œuvres  de  charité  augmentèrent  la  réputation  de  Césaire. 
Une  nombreuse  troupe  de  mendiants  environnait  sans  cesse 
sa  maison  et  le  suivait  partout,  en  le  comblant  de  bénédictions. 

Le  Seigneur,  pour  la  gloire  de  la  catholicité,  fit  éclatera 


(1)  Cyprian.  Vit.  Cœsarii,  c.  XVI  et  XVII. 


512]  ES  FRAXCE.   —  LIVRE  V.  171 

i  cour  du  roi  arien  le  pouvoir  de  son  serviteur,  tlne  pauvre 
euve  de  Ravenne  avait  un  fils  qui  était  au  service  du  préfet 
tqui  la  nourrissait  de  ses  gages.  Il  fut  attaqué  d'une  maladie 
[  subite  et  si  violente  qu'il  expira  en  peu  d'heures.  La  mère 
ésolée  courut  à  la  maison  de  Césaire  le  conjurer  de  rendre 
t  vie  à  son  fils.  Il  fit  d'abord  quelque  résistance;  mais  cette 
anme  désolée  arrosait  ses  pieds  de  ses  larmes  :  ses  gémis- 
.unents  l'attendrirent,  et  sa  charité  l'emporta  sur  son  Inimi- 
té. Il  se  rendit  secrètement  à  la  maison  du  mort,  et,  après 
voir  fait  sa  prière  prosterné  contre  terre,  selon  sa  coutume, 
sentit  que  le  Seigneur  l'avait  exaucé.  Il  sortit  aussitôt  et 
issa  auprès  du  corps  Messien,  son  secrétaire,  avec  ordre  de 
3iiir  l'avertir  quand  il  aurait  donné  quelque  signe  cle  vie. 
ne  heure  après  le  jeune  homme,  ayant  ouvert  les  yeux, 
éclara  à  sa  mère  qu'il  devait  la  vie  aux  prières  du  saint  évê- 
le  et  la  pressa  d'aller  l'en  remercier  (1).  Ce  prodige  dut  sur- 
vendre d'autant  plus  les  Ostrogoths  qu'on  ne  voit  pas  de 
rais  miracles  dans  les  sectes  hérétiques.  On  sait  que  les  ariens 
irent  plus  d'une  fois  recours  à  l'imposture  pour  contre- 
ire  ceux  qu'ils  voyaient  éclater  parmi  les  catholiques. 
Il  est  probable  que  ce  fut  S.  Césaire  qui  obtint  de  Théo- 
Dric ,  pendant  ce  voyage ,  des  rescrits  favorables  à  quelques 
glises  des  Gaules.  Ce  prince,  qui  se  piquait  d'une  exacte 
istice  jusque  dans  les  désordres  de  la  guerre,  commanda 
Ibas,  général  de  son  armée  ,  de  faire  restituer  à  l'Église  de 
arbonne  les  biens  qui  avaient  été  usurpés  pendant  les  dern- 
iers troubles.  «  Donnez-y  vos  soins,  lui  écrit-il,  afin  que 
ou  s ,  qui  vous  êtes  déjà  rendu  illustre  par  vos  victoires  ,  le 
)yez  encore  plus  par  votre  humanité  :  c'est  le  moyen 
'attirer  sur  vos  armes  la  protection  du  Ciel.  »  Théo- 
oric  envoya  aussi  à  un  évêque  de  Provence  nommé  Sévère 
uinze  cents  sous  d'or,  afin  qu'il  les  distribuât  à  ceux  qu'il  ju- 
3rait  avoir  été  lésés  par  le  passage  de  son  armée  ,  et  il  remit 


(l)Cyprian.  ViP.  Cœsarii,  c.  xvi,  xvn. 


172  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [512] 

les  impôts  aux  Gaulois  placés  sous  sou  obéissance  (1).  Ces 
traits  d'équité  et  de  modération  dans  un  roi  barbare  et  arien 
ne  sont  que  plus  dignes  d'admiration. 

S.  Gésaire  alla  de  Ravenne  à  Rome,  où  le  bruit  de  ses 
miracles  et  de  ses  vertus  avait  donné  à  tous  un  grand 
désir  de  le  voir.  Le  pape  Symmaque  et  les  sénateurs  ro- 
mains lui  rendirent  les  plus  grands  honneurs.  Le  pape  lui 
accorda  l'usage  du  pallium  (2)  et  voulut  que  les  diacres 
de  l'Église  d'Arles  portassent  des  dalmatiques,  comme  ceux 
de  Rome  (3).  G'est  ainsi  que  celui  qui  avait  été  conduit  en 
Italie  comme  un  criminel  d'État,  en  revint  comblé  d'hon- 
neurs et  de  présents.  Il  en  rapporta  huit  mille  sous  d'or, 
sans  compter  les  sommes  qu'il  avait  déjà  employées  au  radiai 
des  prisonniers  (4). 

Ce  fut  probablement  à  l'époque  de  ce  voyage  de  Rome  que 
S.  Gésaire  fît  enfin  terminer  la  contestation  qui  durait  depuis  si 
longtemps  entre  l'Église  d'Arles  et  celle  de  Vienne.  Le  pape 
Symmaque,  ayant  entendu  ses  raisons,  confirma  de  nouveau 
le  jugement  de  S.  Léon  par  une  lettre  adressée  à  tous  les 

(1)  Apud  Cassiod.,  1.  IV,  Ep.  xvn  ;  1.  II,  Ep.  vin  ;  1.  III,  Ep.  XL. 

(2)  Le  pallium  est  un  ornement  pontifical  fait  de  laine  blanche,  en  forme  de  ban 
des  et  marqué  de  quatre  croix  rouges.  On  n'en  sait  pas  la  première  origine.  Le 
uns  la  rapportent  à  S.  Lin,  et  d'autres  à  S.  Sylvestre  :  mais  ces  derniers  ne  son 
fondés  que  sur  la  donation  apocryphe  de  Constantin.  Ii  n'est  point  parlé  di 
pallium  avant  le  pontificat  de  Marc,,  qui  occupait  le  Saint-Siège  en  3-JG.  Au 
gustin  Patrice,  auteur  du  xve  siècle,  dans  son  livre  des  Cérémonies  de  l'Eglise  ro 
inaine,  dit  «  que  le  toin  de  faire  et  de  garder  les  palliums  appartient  aux  sous 
diacres  apostoliques,  qui  y  emploient  la  laine  blanche  de  deux  agneaux  offert 
sur  l'autel,  le  jour  de  Sainte-Agnès,  dans  l'église  du  monastère  de  cette  sainte,  à  1 
messe  solennelle  et  pendant  qu'on  chante  VAgnus  Dei.  Quand  ils  sont  faits,  le 
sous-diacres  les  portent  à  la  basilique  de  Saint-Pierre,  où  les  chanoines  de  cett 
église  les  mettent  sous  le  grand  autel  sur  les  corps  de  S.  Pierre  et  de  S.  Paul 
et,  après  avoir  dit  matines,  il  les  y  laissent  le  reste  de  la  nuit.  Après  quoi  ils  le 
rendent  aux  sous-diacres,  qui  les  gardent  dans  un  lieu  décent.  »  Ducange  dit  qu 
Christophle  Marcel  est  l'auteur  du  cérémonial  romain  que  nous  venons  de  citer  :  i 
n'en  est  que  l'éditeur.  —  L.  I,  sect.  x. 

(3)  On  voit  par  là  que  l'usage  des  dalmatiques  n'était  pas  encore  établi  dans  le 
Églises  des  Gaules.  On  regardait  comme  une  distinction  le  privilège  d'en  porter 
et  près  d'un  siècle  après,  S.  Arége  de  Gap  s'adressa  à  S.  Grégoire  le  Grand  pou 
obtenir  ce  privilège.  Ce  vêtement  fut  nommé  dalmalique  parce  que  l'usage  8: 
était  venu  à  Rome  de  la  Dalniatie. 

(i)  Vit.Cœsar.  • 


513]  E\T  FRANCE.  —  LIVEE  V.  173 

'\vqucs  des  Gaules  :  «  C'est  au  Saint-Siège,  dit-il,  à  maintenir 
a  paix  et  l'union  dans  l'Eglise  universelle ,  et  le  moyen  le 
)lus  efficace  pour  le  faire,  c'est  de  s'en  tenir  aux  anciens 
•êglements.  »  C'est  pourquoi  le  pape  déclare  qu'à  la  requête 
le  Césaire,  il  ordonne  que  le  règlement  fait  par  S.  Léon  soit 
)bservé,  c'est-à-dire  que  l'évêque  de  Vienne  n'ait  juridiction 
juc  sur  les  Églises  de  Valence,  de  Tarantaise  ,  de  Genève  et 
le  Grenoble,  et  que  les  droits  dont  l'Église  d'Arles  est  en 
possession  sur  les  autres  Églises  soient  conservés  (1).  La 
ettre  est  datée  du  13  novembre  sous  le  consulat  de  Pro- 
mus (2),  c'est-à-dire  l'an  513. 

S.  Césaire  consulta  en  même  temps  le  pape  sur  divers 
joints  de  discipline  exposés  dans  un  mémoire  qu'il  lui  pré- 
senta, et  qui  était  conçu  en  ces  termes  :  «  Comme  l'épiscopat 
i  pris  commencement  clans  la  personne  de  S.  Pierre,  il  est 
nécessaire  que  Votre  Sainteté,  par  des  règlements  convena- 
bles, fasse  connaître  à  toutes  les  Églises  ce  qu'elles  doivent 
observer.  Il  y  a  des  personnes  dans  les  Gaules  qui ,  sous 
divers  prétextes ,  aliènent  les  terres  de  l'Église  :  d'où  il  arrive 
que  des  biens  qui  n'ont  été  donnés  que  pour  les  besoins  des 
pauvres  sont  dissipés  mal  à  propos.  Nous  demandons  que 
ces  aliénations  soient  interdites ,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  de 
faire  quelque  donation  aux  monastères. 

«  Nous  demandons  aussi  que  les  laïques  qui  ont  exercé  des 
charges  de  judicature  et  qui  ont  eu  part  au  gouvernement 
des  provinces,  ne  soient  reçus  dans  le  clergé  ou  promus  à 
l'épiscopat  qu'après  de  longues  épreuves  d'une  conduite  ré- 
gulière; que  les  veuves  qui  ont  porté  longtemps  l'habit  des 
veuves ,  ou  les  religieuses  qui  demeurent  depuis  un  temps 
considérable  dans  des  monastères ,  ne  puissent  se  marier 

(1)  Symm.  Epist.  ad  epT^Galh,  t.  IV  Conc.  Labb.,  p.  1309. 

(2)  Il  y  eut  aussi  l'an  502  un  Probus  consul.  C'est  pourquoi  quelques  critiques 
ont  rapporté  à  cette  année  la  lettre  de  Symmaque.  Mais  Probus  qui  fut  consul 
en  502,  était  consul  d'Orient  :  or,  quand  on  ne  nommait  qu'un  consul  clans  les  actes 
faits  en  Occident,  c'était  le  consul  d'Occident. 


174  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [513] 

quand  même  elles  le  voudraient ,  et  que  personne  ne  puisse 
les  v  forcer. 

«  Nous  vous  supplions  encore  très-humblement  d'empêcher 
qu'on  ne  parvienne  à  l'épiscopat  par  brigue  ou  en  achetant 
à  prix  d'argent  le  suffrage  des  hommes  puissants,  et  que,  pour 
obvier  à  ces  abus ,  le  clergé  et  les  citoyens  ne  puissent  sous- 
crire le  décret  d'élection  à  l'insu  et  sans  le  consentement  du 
métropolitain.  » 

Le  pape  Symmaque  répondit  à  ce  mémoire  par  un  rescrit 
daté  du  6  novembre  513.  Il  déclare,  sur  le  premier  article, 
qu'on  peut  aliéner  les  biens  de  l'Église  en  faveur  des  monas- 
tères et  des  hôpitaux  de  pèlerins  ou  en  faveur  des  clercs  qui  ont 
bien  mérité  de  l'Église ,  à  condition  cependant  que  ces  biens 
retourneront  à  l'Église  après  la  mort  de  ceux  à  qui  on  les  aura 
cédés  ;  il  recommande  de  ne  point  accorder  ces  grâces  à  ceux 
qui  aspirent  au  sacerdoce  en  vue  des  biens  de  l'Église.  On  voit 
encore  ici  l'origine  des  bénéfices  ecclésiastiques,  aussi  bien 
que  les  qualités  et  les  services  que  doivent  avoir  ceux  à  qui  on 
les  confère. 

Sur  les  articles  suivants,  le  pape  ordonne  de  ne  pas  pro- 
mouvoir facilement  les  laïques  au  sacerdoce,  mais  de  les  faire 
passer  par  les  divers  degrés  de  la  cléricature,  où  ils  doivent 
demeurer  le  temps  prescrit.  Il  excommunie  ceux  qui  enlèvent 
des  veuves  ou  des  vierges  et  surtout  ceux  qui  se  marient  à 
des  vierges  consacrées.  Sur  quoi  il  dit  :  «  Nous  ne  souffrons 
pas  que  les  veuves  qui  ont  persévéré  plusieurs  années  dans 
la  sainte  résolution  de  garde  v  la  viduité ,  passent  à  de  se- 
condes noces,  ni  que  les  religieuses  qui  ont  demeuré  plusieurs 
années  dans  les  monastères  se  marient.  » 

Enfin,  pour  réprimer  l'ambition  et  les  brigues,  surtout  à 
l'égard  de  l'épiscopat,  le  pape  Symmaque  ordonne  que  le  dé- 
cret d'élection  ne  sera  souscrit  qu'en  présence  du  visiteur,  et 
il  veut  que  ces  règlements  soient  notifiés  à  tous  les  évêques  (1). 


(1)  Symm.  Epis  t.,  t.  IV  Conc.  Labb.,  p.  1295. 


[513]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  175 

Le  visiteur  était  un  évêque  nommé  par  le  métropolitain  pour 
visiter  l'Église  vacante  et  présider  à  l'élection. 

On  ne  manque  guère  de  trouver  des  contradictions  dans 
l'usage  des  plus  beaux  privilèges  :  c'est  ce  que  S.  Césaire 
éprouva  à  son  retour  de  Rome.  Gomme  l'évêque  d'Aix  refu- 
sait de  se  rendre  à  son  ordre  aux  ordinations  et  aux  conciles, 
il  fut  obligé  de  s'en  plaindre  à  Symmaque  dans  un  nouveau 
mémoire,  qu'il  fit  porter  par  l'abbé  Gilles  et  le  secrétaire 
Messien.  Le  pape,  par  une  lettre  adressée  au  saint  évêque 
d'Arles,  répondit  que,  sans  donner  atteinte  aux  privilèges  des 
autres  Églises,  il  lui  ordonnait  de  veiller  à  toutes  les  affaires 
de  la  religion  qui  s'élèveraient  dans  les  provinces  de  la  Gaule 
et  de  l'Espagne,  et  que  s'il  était  nécessaire  d'assembler  un 
concile,  ce  serait  à  lui  à  le  convoquer  et  à  référer  de  l'affaire 
au  Saint-Siège  si  le  concile  ne  l'avait  pas  entièrement  ter- 
minée, c'est-à-dire  que  le  pape  l'établissait  son  vicaire  pour 
la  Gaule  et  l'Espagne.  Il  veut  même  qu'aucun  ecclésiastique 
le  ces  pays  ne  puisse  aller  à  Rome  sans  des  lettres  de  Césaire. 
La  lettre  est  datée  du  il  juin  sous  le  consulat  de  Sénateur, 
c'est-à-dire  l'an  514  (1). 

Par  cet  acte,  le  métropolitain  d'Arles  avait  sur  le  midi  de 
la  France  le  même  pouvoir  qu'avaient  les  patriarches  en 
Orient.  Il  remplaçait  le  pape,  qui  ne  pouvait  pas  assez  sur- 
veiller ces  provinces  à  cause  de  la  distance  des  lieux.  Vers  la 
fin  de  la  même  année,  le  pape  Hormisdas ,  successeur  de 
Symmaque,  confia,  pour  le  nord  de  la  France,  la  même  au- 
torité à  S.  Remi,  évêque  de  Reims  :  il  le  nomma  son  vicaire 
apostolique,  en  lui  recommandant  de  convoquer  les  conciles, 
de  terminer  les  différends  et  de  veiller  à  l'observation  des 
règles  établies  et  confirmées  par  le  Saint-Siège.  Mais  il  a 
soin  d'ajouter  :  sauf  les  droits  des  métropolitains  (2).  Il  ne 
veut  pas  qu'on  y  porte  atteinte,  par  cette  juste  raison  que 
les  métropolitains  avaient  reçu  leurs  pouvoirs  de  la  même 

(1)  Symin.  Epist.,  t.  IV  Conc.  Labb.,  p.  1310.  —  (2)  Labb.,  t.  IV,  p.  1420. 


176  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [514] 

source,  et  que  le  Saint-Siège  ne  voulait  pas  être  contraire  à 
lui-même. 

On  croit  avec  assez  de  vraisemblance  que  l'abbé  Gilles, 
qui  présenta  au  pape  le  mémoire  dont  nous  venons  de  parler, 
est  le  célèbre  S.  Gilles,  honoré  le  1er  septembre.  Les  actes 
de  ce  saint  abbé  le  font  en  effet  disciple  de  S.  Gésaire;  mais  on 
y  trouve  des  anachronismes  qui  leur  ôtent  toute  autorité.  Ce 
qui  paraît  le  plus  probable,  c'est  qu'il  était  originaire  de 
Grèce;  qu'étant  passé  dans  la  Gaule,  il  s'attacha  à  S.  Gésaire 
et  qu'ensuite  il  se  retira  dans  une  grotte  de  la  vallée  Fia  vienne, 
vers  les  extrémités  du  diocèse  de  Nîmes.  On  assure  qu'il  n'y 
vécut  que  d'herbes  de  racines  et  même  du  lait  d'une  biche, 
laquelle  servit  à  le  faire  découvrir  par  le  roi,  qui  était  à  la  chasse, 
et  qui  devait  être  Amalaric,  roi  des  Yisigoths.  Quoi  qu'il  en 
soit,  le  nom  du  saint  abbé  devint  très-célèbre  dans  toute  la 
Gaule.  On  a  bâti  depuis  clans  le  lieu  de  son  ermitage  un  mo- 
nastère, qui  a  été  dans  la  suite  sécularisé ,  et  il  s'y  est  formé 
une  ville  qui  a  pris  le  nom  de  Saint-Gilles,  aussi  bien  qu'une 
partie  du  Languedoc  appelée  la  province  de  Saint-Gilles. 
Nous  croyons  que  ce  monastère  ne  fut  bâti  qu'après  que  le 
pays  eut  été  délivré  de  la  domination  des  rois  goths.  Ces 
princes  étaient  trop  attachés  à  l'arianisme  pour  souffrir  an 
pareil  établissement  dans  un  lieu  qui  était  particulièrement 
de  leur  domaine  (1). 

Il  n'en  était  pas  ainsi  du  royaume  de  Bourgogne.  La  reli- 
gion y  avait  fait  une  conquête  qui  assura  la  paix  de  l'Église 
et  étendit  considérablement  le  royaume  de  Jésus-Christ.  Le 
zèle  de  S.  A  vite  avait  été  plus  heureux  auprès  du  prince 
Sigismond  qu'auprès  de  Gondebaud,  son  père.  Le  fils  ne  se 
contenta  pas  de  connaître  la  vérité  :  il  l'embrassa,  malgré  les 
prétendus  intérêts  de  la  politique,  et  abjura  publiquement 
l'hérésie  d'Arius.  Sigeric,  son  fils  et  petit-fils  de  Gondebaud, 


(1)  Les  rois  gotlis  prenaient  le  nom  de  Flavius:  c'était  comme  le  nom  de  la  fa- 
mille royale.  C'est  cequi  nous  fait  croire  que  la  vallée  Flavienne  fut  ainsi  appelé* 
parce  qu'elle  était  du  domaine  spécial  de  ces  princes. 


[514]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  177 

suivit  bientôt  cet  exemple,  et  S.  Avite  adressa  au  peuple 
une  homélie  à  ce  sujet.  Le  titre  seul  nous  en  reste  ;  il  nous  ap- 
prend qu'une  princesse  fille  de  Sigismoncl  avait  été  réconciliée 
à  l'Église  le  jour  précédent  :  c'est  apparemment  celle  qui  fut 
mariée  à  Thierry,  roi  d'Àustrasie  (1). 

Dès  que  Sigismond  eut  abjuré  l'hérésie,  il  entreprit  le 
voyage  de  Rome  pour  révérer  les  tombeaux  des  saints 
Apôtres  et  rendre  ses  respects  au  chef  visible  de  l'Église  à 
laquelle  il  avait  eu  le  bonheur  de  se  réunir.  Le  pape  Symma- 
que  reçut  ce  prince  avec  des  honneurs  proportionnés  à  la  joie 
que  lui  causait  sa  conversion.  Il  lui  fit  présent  de  plusieurs 
reliques,  et,  lui  parlant  avec  la  bonté  et  l'autorité  d'un  père, 
il  lui  donna  de  salutaires  avis,  qui  ne  furent  pas  moins  bien 
reçus  que  les  présents.  Sigismond  à  son  retour  en  témoigna 
sa  reconnaissance  dans  une  lettre  au  pape,  qui  fut  dictée  par 
S.  Avite  et  portée  par  le  diacre  Julien  (2).  Il  y  nomme  Sym- 
maque  le  prélat  de  V Église  universelle ,  il  attribue  sa  conver- 
sion aux  prières  de  ce  saint  pontife,  le  remercie  des  avis  pater- 
nels qu'il  lui  avait  donnés  de  vive  voix  et  le  prie  de  lui 
envoyer  des  reliques  de  S.  Pierre,  parce  qu'il  n'avait  pu  refu- 
ser à  diverses  Églises  une  bonne  partie  de  celles  qu'il  avait  ap- 
portées de  Rome. 

Quoique  Gondebaud  demeurât  dans  son  hérésie ,  il  ne 
paraît  pas  avoir  désapprouvé  la  conversion  de  son  fils  ;  du 
moins  elle  ne  l'empêcha  pas  de  l'associer  à  son  royaume  de 
son  vivant.  Sigismoncl  tenait  sa  cour  à  Genève.  Il  donna  ses 
premiers  soins  à  purger  cette  ville,  qui  leur  servait  alors  d'asile, 
non-seulement  des  ariens ,  mais  encore  des  autres  hérétiques 
et  schismatiques,  ainsi  que  nous  l'apprenons  d'une  lettre  de 
S.  Avite.  S.  Maxime,  évêque  de  Genève,  anima  et  soutint  le 
zèle  de  ce  prince  ;  il  lui  conseilla  de  faire  rebâtir  sur  un  plus 
vaste  plan  le  monastère  d'Agaune  en  l'honneur  des  saints  mar- 
tyrs de  la  légion  Thébéenne .  Il  paraît  que  ce  monastère  était 


(1)  Inter  Fragmenta  Hom.  Aviti.  — (2)  Aviti  Epist.  xxvii. 

TOME  XI.  12 


17  8  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [517] 

alors  entièrement  ruiné,  apparemment  par  les  guerres  dont  ces 
provinces  avaient  été  le  théâtre  quelques  années  auparavant. 
Sigismond  donna  ordre  qu'on  le  rétablît  avec  une  magnifi- 
cence digne  de -sa  piété  et  de  son  rang  (1). 

La  mort  de  Gondebaud,  arrivée  l'an  517  (2),.  acheva  de 
rendre  la  liberté  et  la  paix  aux  Églises  de  son  royaume.  L'a- 
rianisme  sembla  y  expirer  avec  ce  prince ,  et  l'Église  eut  la 
consolation  de  voir  presque  tous  les  Bourguignons  rentrer 
dans  le  sein  de  l'unité  sur  les  pas  de  Sigismond,  leur  roi. 
S.  Hormisdas,  qui  avait  succédé  sur  la  fin  de  l'an  514  au  saint 
pape  Symmaque,  n'eut  pas  moins  de  zèle  que  son  prédéces- 
seur pour  faire  fleurir  la  foi  et  la  discipline  dans  le  royaume 
de  Bourgogne.  Il  écrivit  plusieurs  fois  aux  évêques  de  ces 
provinces  pour  les  presser  d'assembler  un  concile  ;  mais  ils 
n'osèrent  le  faire  du  vivant  de  Gondebaud. 

Dès  qu'il  fut  mort,  S.  A  vite  de  Tienne  et  S.  Yiventiole  de 
Lyon  convoquèrent  le  concile  par  des  lettres  circulaires 
adressées  à  tous  les  évêques  du  royaume  de  Bourgogne. 
S.  A  vite  leur  dit,  dans  la  sienne,  qu'il  a  essuyé  de  vifs  repro- 
ches du  pape  sur  la  rareté  des  conciles  dans  leurs  provinces, 
quoique  les  canons  ordonnassent  d'en  tenir  deux  chaque  année. 
Pour  réparer  le  passé,  il  inclique  pour  le  6  septembre  517 
un  concile  à  Epaone,  qui  est,  à  ce  qu'on  croit,  une  petite  ville 
du  Bugeix  nommée  aujourd'hui  Yenne  (3).  Il  recommande 
instamment  que  personne  ne  se  dispense  de  s'y  trouver,  et 
que  ceux  que  quelque  maladie  en  empêcherait  y  envoient 
deux  prêtres  d'une  vertu  et  d'une  capacité  reconnues,  avec 
procuration  de  leur  part  (4). 

(1)  Hist.  Àbbatum  Agaun.,  apud  Boll.,  1  mart.,  p.  83. 

(2)  Marins  d'Avenche  met  cette  mort  l'an  516,  mais  nous  avons  une  loi  de  Gon- 
debaud du  mois  de  mars  5 17. 

(3)  Ce  qui  a  déterminé  les  savants  à  croire  qu'Yenne  est  l'ancienne  Epaone,  c'est 
qu'on  y  a  trouvé  des  pierres  avec  cette  inscription:  Deœ  Eponœ.  Quelques  critiques 
croient  qvJEpona  est  la  déesse  des  chevaux,  et  qu'Ep  en  celtique  signifie  cheval.  On 
peut  dire  que  la  déesse  Épaone  est  la  ville  même  d'Épaone.  On  sait  que  les  anciens 
divinisaient  quelquefois  les  villes,  et  qu'il  y  avait  des  autels  érigés  en  l'honneur  de 
Rome. 

(4)  Avit.  Ep.  lxxx. 


|  5 1 7]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  179 

S.  Yivontiole,  par  sa  lettre  de  convocation  (1),  oblige  tous 
les  clercs  de  se  rendre  au  concile  et  permet  à  tous  les  laïques 
d'y  assister,  «  afin,  dit-il,  que  le  peuple  ait  connaissance  de 
ce  qui  doit  y  être  réglé  par  les  saints  évêques.  Et  comme  il  est 
juste  que  tous  les  catholiques  désirent  avoir  des  clercs  d'une 
vie  exemplaire,  nous  donnons  la  liberté  à  chacun  de  les  accu- 
ser de  ce  qu'il  jugera  être  répréhensible  dans  leur  conduite, 
pourvu  qu'on  le  fasse  sans  disputes  et  sans  murmures ,  et 
que  l'accusateur  puisse  prouver  ce  qu'il  dénoncera  au  con- 
cile. »  La  lettre  est  datée  du  10  juin  sous  le  consulat  d'Aga- 
pite,  c'est-à-dire  l'an  517. 

Le  concile  s'assembla  au  temps  et  au  lieu  marqués  ;  il 
s'y  trouva  vingt-quatre  évêques  avec  le  député  d'un  absent. 
S.  Avite  et  S.  Yiventiole  y  présidèrent,  et  l'on  y  dressa  qua- 
rante canons  de  discipline,  dont  voici  les  plus  remarquables. 

I.  Quand  le  métropolitain  convoquera  les  évêques  de  la 
province  au  concile  ou  à  l'ordination  d'un  évêque,  celui  qui 
manquera  de  s'y  rendre  sans  une  raison  évidente  de  maladie 
sera  excommunié  pendant  six  mois. 

II-III.  Il  est  interdit  d'élever  des  bigames  à  la  prêtrise  ou 
au  diaconat  et  d'admettre  dans  le  clergé  ceux  'qui  ont  fait  pé- 
nitence publique. 

IV.  Il  est  défendu  aux  évêques,  aux  prêtres  et  aux  diacres 
de  nourrir  des  chiens  ou  des  oiseaux  pour  la  chasse,  sous 
peine  de  trois  mois  d'excommunication  pour  l'évêque,  de 
deux  mois  pour  le  prêtre  et  d'un  mois  pour  le  diacre. 

Y.  Un  prêtre  ne  pourra  desservir  une  église  d'un  autre 
diocèse  sans  le  consentement  de  son  évêque. 

Ce  canon  est  une  preuve  de  l'ancienneté  de  la  discipline 
qui  [  oblige  les  prêtres  à  prendre  un  exeat  de  leur  évêque 
quand  ils  veulent  exercer  leur  ministère  dans  un  autre  dio- 
cèse. 


(1)  Epist.  Vivent.,  t.  II  Conc.  Harduini,  p.  1046.  —  Le  P.  Hardouin  est  le  pre- 
mier qui  ait  donné  cette  lettre  au  public,  dans  son  édition  des  conciles. 


180  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [517| 

VI.  Un  prêtre  ou  un  diacre  qui  voyage  ne  sera  pas  reçu  à 
la  communion  s'il  n'est  muni  des  lettres  de  son  évêque. 

VII.  Un  prêtre  qui  gouverne  une  église  ne  pourra  pas 
disposer  des  biens  de  cette  église.  Il  ne  pourra  même  faire 
aucune  acquisition  qu'au  nom  de  cette  église  tandis  qu'il  la 
gouverne. 

Ces  précautions  montrent  combien  on  avait  à  cœur  que  l'ar- 
gent qui  provenait  des  revenus  de  l'Église  ne  fût  employé 
que  pour  l'Église. 

VIII.  Les  abbés  ne  vendront  rien  sans  que  l' évêque  en  ait 
connaissance.  Les  esclaves  que  l'abbé  donne  aux  moines  ne 
pourront  point  être  affranchis  :  car  il  ne  paraît  pas  juste  que 
tandis  que  les  moines  travaillent  tous  les  jours  aux  ouvrages 
de  la  campagne,  leurs  esclaves  jouissent  de  la  liberté. 

On  voit  ici  que  l'agriculture  était  alors  l'occupation  des 
moines. 

IX-X.  Un  abbé  ne  pourra  gouverner  deux  monastères ,  et 
l'on  n'en  bâtira  pas  de  nouveaux  sans  l'agrément  de  l'évêque. 

XI.  Les  clercs  cités  devant  un  tribunal  laïque  ne  refuse- 
ront pas  d'y  comparaître ,  mais  ils  ne  pourront  y  citer  per- 
sonne sans  l'ordre  de  l'évêque. 

XII.  Un  évêque  ne  pourra  vendre  les  biens  de  son  Église  à 
l'insu  du  métropolitain,  mais  il  peut  les  échanger. 

XIV.  Un  clerc  qui  est  ordonné  évêque  dans  une  autre 
Église  doit  rendre  à  l'Église  qu'il  quitte  les  biens  ecclésiasti- 
ques dont  elle  l'avait  gratifié. 

Ceci  montre  que  les  bénéfices  d'une  Église  n'étaient  encore 
possédés  que  par  ceux  qui  pouvaient  y  résider  et  la  servir. 

XV.  Il  est  défendu  aux  clercs  catholiques  de  manger  avec 
des  clercs  hérétiques,  sous  peine  d'un  an  d'excommunication 
pour  les  ecclésiastiques  des  ordres  supérieurs ,  et  pour  ceux 
des  ordres  inférieurs  sous  peine  de  fouet.  Il  est  même  dé- 
fendu aux  laïques  de  manger  avec  les  Juifs  et  aux  clercs  de 
manger  même  avec  ceux  qui  auraient  mangé  avec  les  Juifs. 

XVI.  On  permet  aux  prêtres  de  réconcilier  par  le  saint 


[517]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  V.  181 

chrême  les  hérétiques  mourants  :  ceux  qui  sont  en  santé  doi- 
vent s'adresser  à  l'évéque. 

XVII.  Les  legs  qu'un  évêque  fait  par  testament  des  biens  de 
l'Église  sont  nuls,  à  moins  qu'il  ne  la  dédommage  de  ses 
biens  propres. 

XVIII.  Les  biens  de  l'Église  que  des  clercs  possèdent,  même 
par  l'autorité  du  prince,  ne  passeront  jamais  en  propriété, 
quelque  prescription  qu'il  puisse  y  avoir. 

XIX.  Si  l'abbé  trouvé  coupable  de  quelque  faute  ne  veut 
pas  recevoir  de  son  évêque  un  successeur,  il  devra  être 
renvoyé  au  jugement  du  métropolitain. 

XX.  Il  est  interdit  à  tous  les  clercs  de  rendre  des  visites 
aux  femmes  à  des  heures  indues,  c'est-à-dire,  comme  l'expli- 
que le  concile,  à  midi  (1)  ou  le  soir  ;  s'il  est  nécessaire  d'en 
visiter  quelqu'une,  ce  sera  en  présence  de  prêtres  ou  de 
diacres. 

XXI.  Il  est  défendu  de  consacrer  des  veuves  en  qualité  de 
diaconesses,  on  leur  donnera  seulement  la  bénédiction  des 
pénitents. 

XXII.  Le  prêtre  ou  le  diacre  coupable  d'un  crime  capital 
sera  déposé  et  renfermé  dans  un  monastère. 

On  met  ailleurs  le  faux  témoignage  au  rang  des  crimes 
capitaux . 

XXV.  Il  est  interdit  de  mettre  des  reliques  dans  les  ora- 
toires des  maisons  de  campagne,  à  moins  qu'il  n'y  ait  dans  le 
voisinage  des  clercs  qui  puissent  y  venir  faire  l'office ,  et  l'on 
n'ordonnera  pas  des  clercs  pour  ces  oratoires  avant  d'avoir 
pourvu  à  leur  subsistance. 

XXVI.  On  ne  consacrera  par  l'onction  du  chrême  que  des 
autels  de  pierre. 

XXVII.  Les  évêques  de  la  province  suivront  le  rit  de  la 
métropole  dans  la- célébration  de  l'office  divin. 

XXIX.  On  abrège  la  pénitence  prescrite  par  les  anciens  ca- 


(1)  Apparemment  qu'on  reposait  alors  à  midi  dans  ces  provinces. 


182  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [5i7] 

nons  pour  ceux  qui  sont  tombés  dans  l'hérésie  après  le 
baptême  :  on  la  réduit  à  deux  ans.  Mais  pendant  ce  temps-là 
les  pénitents  doivent  jeûner  de  trois  jours  l'un,  sortir  de  l'é- 
glise avec  les  catéchumènes  et  passer  par  les  autres  degrés 
de  la  pénitence  (1  ),  s'ils  n'aiment  mieux  s'en  tenir  aux  anciens 
canons. 

XXX.  On  ne  recevra  à  pénitence  ceux  qui  ont  contracté  des 
mariages  incestueux  qu'après  qu'ils  se  seront  séparés.  On 
déclare  incestueux  les  mariages  avec  la  belle-sœur,  la  belle- 
mère  ,  la  belle-fille ,  la  veuve  de  l'oncle ,  la  cousine  germaine 
ou  issue  de  germain. 

XXXI.  Les  homicides  qui  auront  évité  la  peine  des  lois 
feront  la  pénitence  réglée  par  le  concile  d'Ancyre  (elle  était 
de  sept  ans). 

XXXII.  Si  la  veuve  d'un  prêtre  ou  d'un  diacre  se  remarie, 
elle  et  son  époux  seront  excommuniés. 

XXXIII.  Les  églises  que  les  hérétiques  ont  bâties  ne  pour- 
ront pas  être  purifiées ,  mais  seulement  celles  qu'ils  ont  enle- 
vées de  force  aux  catholiques. 

Yictorius,  évêque  de  Grenoble ,  avait  consulté  S.  Àvite  sur 
ce  sujet  et  sur  les  vases  sacrés  qui  avaient  servi  aux  héréti- 
ques ;  S.  Avite  répondit  conformément  à  ce  qui  est  réglé  par 
ce  canon  (2).  Cependant  le  premier  concile  d'Orléans  avait  fait 
un  règlement  contraire  (3),  et  la  pratique  de  l'Église  est  con- 
forme à  sa  décision. 

XXXI Y.  Celui  qui  aura  tué  son  esclave  sans  l'autorité  du 
juge  est  excommunié  deux  ans. 

XXXV.  Les  citoyens  les  plus  distingués  par  leur  naissance 
iront  aux  fêtes  de  Pâques  et  de  Noël  demander  la  bénédiction 
de  leur  évêque,  en  quelque  ville  qu'ils  soient. 

(t)  Il  y  avait  dans  le  cours  de  la  pénitence  publique  diverses  classes,  savoir: 
1°  les  pleurants,  qui  priaient  à  la  porte  de  l'église;  2°  les  auditeurs,  qui  étaient 
admis  à  entendre  les  lectures  et  les  instructions  qu'on  faisait  aux  fidèles;  3°  les 
prosternés,  qui  priaient  dans  l'église  la  face  contre  terre;  4°  les  consistants,  aux- 
quels on  permettait  de  prier  debout. 

(2)  Avit.  Ep.  vi.  —  (3)  Conc.  Aurel.,  c.  x. 


[517]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  183 

XXXVI.  On  ne  doit  rejeter  personne  de  l'Église  sans  espé- 
rance de  pardon.  On  dispensera  celui  qui  est  en  danger  de 
mort  du  temps  prescrit  pour  la  pénitence  ;  mais  il  est  con- 
venable qu'il  l'accomplisse  s'il  revient  .en  santé  après  avoir 
reçu  le  viatique. 

XXXVII.  Qn  ne  permettra  l'entrée  des  monastères  de  filles 
qu'à  des  personnes  que  l'âge  et  la  probité  mettent  à  couvert 
de  tout  soupçon.  Ceux  qui  y  entrent  pour  faire  l'office  divin 
en  sortiront  aussitôt  après.  Hors  ces  occasions,  les  jeunes 
clercs  et  les  jeunes  moines  n'y  auront  aucun  accès ,  si  ce  n'est 
pour  parler  à  de  proches  parentes. 

Tels  sont  les  principaux  canons  du  concile  d'Epaone ,  qui 
furent  souscrits  le  15  septembre  (1)  sous  le  consulat  d'Agapite, 
c'est-à-dire  l'an  517  :  ainsi  le  concile  dura  dix  jours.  On 
voit  par  le  nombre  des  signataires  quelle  était  l'étendue  du 
royaume  de  Bourgogne.  La  sainteté  des  évêques  qui  firent  ces 
règlements  doit  les  rendre  plus  respectables.  Après  les  deux 
métropolitains,  S.  Avite  de  Vienne  et  S.  Viventiole  de  Lyon , 
on  voit  les  noms  de  S.  Sylvestre  de  Chalon-sur-Saône ,  de 
S.  Apollinaire  de  Valence,  frère  de  S.  Avite;  de  S.  Claude  de 
Besançon,  de  S.  Grégoire  de  Langres,  de  S.  Pragmace  d'Au- 
tun,  de  S.  Maxime  de  Genève,  de  Constance  de  Gap,  que 
quelques-uns  croient  être  S.  Constantin,  évêque  de  cette  ville, 
dont  on  a  parlé  ailleurs;  de  S.  Florent  d'Orange,  dont  le  Mar- 
tyrologe romain  fait  mention  le  17  octobre  ;  de  Catulin  d'Em- 
brun et  de  Tauricien  de  Nevers  :  ce  qui  démontre  que  cette 
ville  était  alors  soumise  aux  Bourguignons  et  dépendait  peut- 
être  de  la  première  Lyonnaise. 

S.  Viventiole,  évêque  de  Lyon,  avait  embrassé  la  vie  reli- 
gieuse dans  les  monastères  du  mont  Jura ,  où  il  fut  élevé  à  la 
prêtrise.  Il  était  en  relations  d'amitié  avec  S.  Avite,  à  qui  il 
envoya  de  son  désert  une  sellette  de  bois  artistement  tra- 

(1)  Fleury  dit  que  ce  concile  fut  tenu  le  15  septembre  :  il  fut  terminé  ce  jour- 
là  et  il  commença  le  G  du  même  mois,  cela  résulte  de  la  lettre  de  convocation. 


184  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  |  ô  1 7 J 

vaillée.  S.  Avite,  en  l'en  remerciant ,  lui  souhaita  une  chaire 
épiscopale  et  l'exhorta  à  prendre  le  gouvernement  du  mo- 
nastère de  Saint-Eugend,  pour  se  disposer  à  l'épiscopat  (1). 
Les  souhaits  de  S.  Avite  furent  accomplis:  car  Viventiole  (2) 
fut  désigné  pour  le  siège  de  Lyon  par  S.  Avite  même,  après  la 
mort  de  S.  Etienne  ou  de  S.  Yéran,  que  quelques  auteurs  font 
successeur  de  S.  Etienne.  Yéran  avait  été  abbé,  et  l'on  prétend 
que  S.  Avite  le  fit  aussi  élire  évêque  de  Lyon.  S.  Etienne  est 
honoré  le  15  février,  et  S.  Yéran  le  11  novembre  ;  il  faut  le 
distinguer  de  S.  Yéran  de  Yence ,  qu'on  croit  être  le  fils  de 
S.  Eucher,  et  peut-être  d'un  autre  Yéran  qu'on  croit  avoir 
été  le  successeur  de  S.  Eucher  (3). 

S .  Sylvestre  de  Ghalon ,  qui  souscrit  le  premier  après  les 
métropolitains,  était  le  plus  ancien  des  évêques  de  ces  pro- 
vinces. Il  avait  formé  par  ses  leçons  et  encore  plus  par  ses 
exemples  la  jeunesse  de  S.  Césaire.  Il  succéda  au  saint 
évêque  Jean,  dont  nous  avons  parlé ,  et  il  ne  se  rendit  pas 
moins  célèbre  pendant  quarante-deux  ans  d'épiscopat  par  ses 
miracles  que  par  ses  vertus.  Il  suffisait  aux  malades  de  se 
coucher  sur  un  lit  (4)  tissu  de  cordes  qui  lui  avait  appartenu, 
pour  recevoir  leur  guérison.  Il  est  honoré  le  20  novembre  (5). 

S.  Grégoire,  évêque  de  Langres,  était  issu  d'une  famille 
de  sénateurs  et  avait  été  comte  d'Autun  pendant  quarante 
ans.  Après  la  mort  de  sa  femme  Armentaire ,  il  fut  élu  évêque 
de  Langres  et  donna  d'admirables  exemples  de  mortifica- 
tion par  son  abstinence  et  par  ses  veilles.  Il  ne  buvait  que  de 


(1)  Avit.  Ep.  xvn. 

(2)  Nous  avons  une  lettre  de  S.  Avite  au  rhéteur  Viventiole,  qui  l'avait  blâmé 
d'avoir  prononcé  longue  la  seconde  syllabe  de  potitur  dans  une  homélie  récitée 
pour  la  dédicace  de  l'église  de  Lyon.  Il  est  probable  que  ce  rhéteur  est  S.  Viventiole 
depuis  évêque  de  Lyon  :  car  il  paraît  qu'il  enseigna  dans  le  monastère  de  Saint- 
Eugend.  —  Ep.  LUI. 

(3)  Auctor  Vitœ  S.  Avili,  apud  Boll.,  5  febr. 

(4)  Il  y  a  dans  le  latin,  sub  quo:  peut-être  que  par  respect  on  se  couchait  sous  ce 
lit.  Le  P.  Ruinart,  p.  909  de  son  édition  de  Grégoire  de  Tours  ,  met  la  mort  de 
S.  Sylvestre  en  514  :  l'époque  certaine  du  concile  d'Épaone  en  517  fait  voir  qu'il 
se  trompe. 

(5)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  lxxxv. 


[517]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  185 

l'eau ,  ne  mangeait  que  du  pain  d'orge  et  se  levait  secrète- 
ment la  nuit  pour  aller  prier  à  l'église.  Il  usait  de  plusieurs 
saintes  industries  pour  cacher  ses  mortifications.  On  lui 
donnait  à  boire  dans  un  verre  qui  n'était  pas  transparent,  et, 
pour  faire  croire  qu'il  buvait  du  vin,  il  se  faisait  verser  de 
l'eau  sur  celle  qui  y  était  déjà.  Il  demeurait  à  Dijon  ,  où 
S.  Bénigne  était  enterré.  Mais  le  tombeau  de  cet  illustre 
martyr  n'y  était  connu  que  par  un  reste  de  tradition  popu- 
laire :  ce  qui  faisait  craindre  au  saint  évêque  que  ce  ne  fût  le 
tombeau  de  quelque  personnage  indigne.  Dans  cette  incerti- 
tude, il  défendit  qu'on  lui  rendît  aucun  culte.  Mais  S.  Bénigne 
lui  ayant  apparu,  il  fît  la  translation  de  ses  reliques  et  bâtit 
en  son  honneur  une  église  et  un  monastère ,  qu'il  dota  de  ses 
biens ,  et  dont  il  fit  confirmer  la  fondation  par  le  pape  Hor- 
misdas  (1).  Telle  est  l'origine  du  monastère  de  Saint -Bénigne 
de  Dijon.  Nous  verrons  S.  Grégoire  de  Langres  assister  dans 
la  suite  à  plusieurs  autres  conciles. 

Catulin  d'Embrun  était  un  saint  évêque  fort  zélé  pour  la 
conversion  des  hérétiques.  Son  zèle  lui  attira  des  persécu- 
tions :  il  fut  chassé  de  son  siège  par  quelques  seigneurs  ariens 
qui  demeurèrent  attachés  à  leur  hérésie ,  et  il  se  retira  auprès 
de  S.  Avite,  qui  lui  fit  un  accueil  plein  de  charité. 

On  a  lieu  de  croire  que  Claude,  évêque  de  Besancon,  qui 
assista  au  concile,  est  le  saint  évêque  de  ce  nom  (2)  si  re- 
nommé pour  sa  sainteté  et  ses  miracles.  On  croit  qu'il  était 
originaire  de  Salins,  où  l'on  honore  comme  patron  de  la  ville 
un  saint  nommé  Anatolius ,  sur  lequel  on  manque  de  rensei- 

|1)  Greg.  Tur.,  Vit  PP.,  c.  ni;  de  Glor.  rnart.,  1. 1;  Chron.  S.  Benig.,  t.  I  Spicîl. 

(2)  Les  savants  se  sont  partagés  en  deux  opinions  touchant  l'époque  de  S.  Claude. 
Les  uns  le  placent  au  commencement  du  vie  siècle,  et  les  autres  à  la  fin  du  VIIe: 
l'un  et  l'autre  de  ces  sentiments  sont  appuyés  de  raisons  probables.  Nous  avons  cru 
devoir  préférer  le  premier,  sur  l'autorité  des  actes  du  concile  d'Épaone  et  celle  des 
anciens  catalogues  des  éveques  de  Besançon  :  car  ces  catalogues  ne  marquant  qu'un 
Claude  évêque  de  Besançon,  on  a  lieu  de  croire  que  c'est  celui  qui  assista  au  con- 
cile d'Épaone.  La  Vie  de  S.Claude  écrite  au  plus  tôt  dans  le  xne  siècle  et  quelques 
anciennes  proses  de  son  monastère  le  font  plus  récent ,  de  sorte  que  nous  n'avons 
à  ce  sujet  rien  de  bien  assuré. 


186  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [517) 

gnements  certains.  Claude,  après  avoir  gouverné  son  Église 
pendant  environ  sept  ans,  se  retira  au  monastère  de  Condat 
ou  de  Saint-Eugend.  Ses  rares  vertus  l'y  firent  élire  abbé,  et 
il  y  mourut  plein  de  jours  et  de  mérites.  On  célèbre  sa  fête 
le  6  juin.  Son  corps  fut  trouvé  entier  et  sans  nulle  corruption 
dans  le  xne  siècle.  Ce  miracle  (1)  a  rendu  son  culte  très- 
célèbre  dans  toute  la  Gaule ,  et  le  monastère  de  Saint- 
Eugend  n'a  plus  été  connu  que  sous  le  nom  de  Saint-Claude. 
Il  est  regrettable  pour  l'histoire  que  la  Yie  de  ce  saint  évèque 
n'ait  été  écrite  que  plusieurs  siècles  après  sa  mort.  Celle  de 
S.  Eugend,  dont  nous  venons  de  parler,  a  été  composée  par 
un  témoin  de  la  plupart  des  traits  qu'il  rapporte,  et  nous 
croyons  devoir  en  présenter  un  abrégé  à  l'édification  du  lecteur. 

Eugend  ou  Oyencl  fut  reçu  à  l'âge  de  sept  ans,  par  S.  Ro- 
main, dans  le  monastère  de  Condat  (2).  Minautius,  successeur 
de  S.  Lupicin,  se  voyant  infirme,  l'associa  au  gouvernement 
de  cette  communauté.  Il  ne  tarda  pas  à  en  être  élu  abbé  malgré 
sa  jeunesse.  Les  moines  plus  anciens  en  murmurèrent,  et 
l'ambition,  qui  se  cache  quelquefois  dans  les  cloîtres  sous  les 
dehors  de  la  pénitence  et  de  l'humilité,  en  porta  quelques-uns 
à  déserter  le  monastère.  La  ferveur  des  autres  consola  Eu- 
gend de  cette  défection.  Sa  prudence  suppléa  à  l'expérience 
qui  lui  manquait,  et  l'éclat  de  sa  vertu  lui  donna  toute  l'auto- 
rité de  la  vieillesse  la  plus  respectable.  Il  fît  abattre  les  cellules 
séparées  des  moines  et  les  fit  coucher  dans  le  même  dortoir, 
mais  en  des  lits  séparés. 

Pour  mieux  conserver  l'esprit  de  pauvreté,  il  ne  souffrit 
point  qu'aucun  de  ses  religieux  eût  un  coffre  ou  une  armoire. 
D'ailleurs,  il  se  distingua  par  une  tendre  charité  envers  les 

(1)  Le  P.  Ménétrier,  qui  examina  cette  précieuse  relique  vers  la  fin  du  xvie  siècle, 
époque  où  elle  subsistait  encore,  rapporte  que  le  corps  de  S.  Claude  lui  avait  paru 
être  celui  d'un  vénérable  vieillard,  d'assez  petite  taille  ;  que  les  chairs  en  étaient 
maniables  et  vermeilles,  excepté  les  pieds  que  la  dévotion  des  pèlerins  avait  noircis 
en  les  baisant  ;  qu'il  avait  un  œil  ouvert  et  l'autre  couvert  d'un  emplâtre  noir,  et 
qu'il  n'y  avait  aucun  vestige  d'embaumement. 

(2)  Vit.  Eugend.,  apud  Boll.,  I  januar. 


517]  EN  FRA.XCE.    LIVRE  V.  187 

naïades  et  les  vieillards.  Il  exerçait  sur  lui-même  un  empire 
i  complet  qu'il  ne  parut  jamais  triste  et  qu'on  ne  le  vit  non 
>lus  jamais  rire.  Toujours  le  premier  à  l'office,  il  en  sortait  le 
iernier.  Il  ne  faisait  qu'un  repas.  Et  depuis  l'âge  de  sept  ans 
[u'il  entra  dans  le  monastère,  jusqu'à  sa  mort  qui  eut  lieu  dans 
;a  soixantième  année,  il  n'en  sortit  jamais.  Un  supérieur  qui 
lime  à  ce  point  la  solitude  la  rend  bien  plus  aisément  aimable  à 
,es  inférieurs.  Il  portait  un  cilice  que  lui  avait  donné  S.  Léonien, 
lont  nous  avons  parlé.  Il  fit  fleurir  dans  son  monastère  la 
dence  autant  que  la  vertu  ;  il  était  lui-même  fort  instruit  et 
amilier  avec  les  auteurs  grecs  et  latins;  cependant,  on  ne  put 
amais  le  résoudre  à  recevoir  l'ordre  de  prêtrise. 

Ce  saint  abbé,  étant  tombé  malade  à  l'âge  de  soixante  ans  et 
ix  mois,  manqua  pour  la  première  fois  de  sa  vie  à  se  trouver 
|  l'office  avec  ses  frères.  Dès  le  commencement  de  sa  maladie 
l  eut  un  pressentiment  de  sa  mort,  et  il  se  fît  donner  l'extrême  - 
tnction  par  un  de  ses  religieux,  à  qui  il  avait  donné  la  charge 
l'administrer  ce  sacrement  aux  malades  :  ce  qui  montre  l'u- 
age  de  ce  siècle  et  confirme  en  ce  point  la  tradition  de 
'Eglise.  Le  lendemain  matin,  ses  moines  étant  venus  savoir 
omment  il  avait  passé  la  nuit,  il  leur  dit  en  versant  des 
armes  :  «  Que  le  Seigneur  vous  le  pardonne,  mes  frères,  c'est 
rous  qui  me  retenez  dans  la  prison  de  ce  corps  mortel;  j'ai 
ru  cette  nuit  les  saints  abbés  Romain  et  Lupicien  apporter 
m  cercueil  devant  mon  lit  pour  m'emporter,  et  vous  les  en 
,vez  empêchés.  Mais  si  vous  avez  quelque  compassion  pour 
m  vieillard,  si  vous  aimez  un  père  qui  vous  aime,  ne  me  re- 
enez  pas  plus  longtemps  et  laissez-moi  aller  me  réunir  à 
nés  pères.  »  Les  religieux  ne  répondant  que  par  leurs  gémis- 
ements,  il  ajouta  :  «  Je  vous  en  conjure,  mes  chers  enfants, 
)ersévérez  avec  tant  de  constance  dans  la  pratique  des  obser- 
'ances  de  nos  pères  que  vous  remportiez  la  palme  de  la  vic- 
oire.  C'est  ce  que  je  vous  demande  pour  ma  consolation, 
)our  la  vôtre  et  pour  celle  de  tous  les  saints.  »  S.  Eugend 
;xpira  doucement  en  prononçant  ces  dernières  paroles.  Il  est 


188  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [517| 

honoré  le  1er  janvier.  L'auteur  qui  rapporte  ces  circonstances 
était  présent  à  sa  mort. 

Onze  évêques  de  ceux  qui  avaient  assisté  au  concile  d'E- 
paone  en  tinrent  un  autre  à  Lyon  la  même  année  ou  Tannée 
suivante,  a  a  sujet  d'Etienne,  préfet  du  fisc  du  roi  Sigismond. 
Ce  seigneur  avait  épousé  Palladie  sa  parente,  ou,  comme  on 
le  lit  dans  la  Yie  de  S.  Apollinaire,  la  sœur  de  sa  première 
femme.  Les  évêques,  sans  avoir  égard  à  sa  puissance,  l'avaient 
excommunié  selon  les  canons  qu'ils  venaient  de  renouveler  à 
Epaone.  Sigismond,  qui  se  crut  outragé  dans  la  personne  de 
son  ministre,  prit  hautement  la  défense  du  coupable  et  me- 
naça les  prélats  de  sa  colère.  Mais  ils  firent  bien  voir  qu'ils 
craignaient  plus  le  Seigneur  que  les  puissances  cle  la  terre. 
Ils  s'assemblèrent  donc  à  Lyon ,  et ,  après  avoir  confirmé  la 
sentence  qu'ils  avaient  portée  contre  le  mariage  incestueux 
d'Etienne  et  de  Palladie,  ils  se  firent  entre  eux  la  promesse 
que  si  l'un  d'eux  souffrait  à  ce  sujet  quelque  violence,  tous  les 
autres  y  prendraient  part  et  le  dédommageraient  de  toutes 
les  pertes  qu'il  pourrait  faire;  que  si  le  roi  se  séparait  de  la 
communion  des  évêques ,  ils  se  retireraient  dans  des  mo- 
nastères et  y  demeureraient  jusqu'à  ce  qu'il  lui  plût  de  se 
laisser  fléchir  par  les  prières  des  saints.  Après  ces  pré- 
cautions ,  ils  mitigèrent  néanmoins  un  peu,  en  considération 
du  roi,  la  sentence  portée  contre  Etienne  et  Palladie,  leur 
permettant  de  prier  dans  l'église  jusqu'à  l'oraison  du  peuple 
après  l'évangile ,  c'est-à-dire  jusqu'à  Y  Orale ,  fratres.  Ils 
firent  deux  autres  canons  dans  ce  concile  :  le  premier  défend 
aux  évêques  d'usurper  les  paroisses  d'un  autre  diocèse ,  et 
le  second  défend  de  briguer  le  siège  d'un  évèque  encore 
vivant  (1). 

S.  Apollinaire  de  Valence  fut  un  des  évêques  qui  firent 
paraître  le  plus  de  fermeté  dans  cette  affaire.  Aussi  l'o- 
rage tomba-t-il  sur  lui ,  et  Sigismond  l'exila  à  l'instigation 


(1)  Conc.  Gall.,  t.  1,  p.  203.  —  Apud  Labb.,  t.  IV,  p.  158't. 


517]  EX  FRANCE;  —  LIVRE  V.  189 

Y  Etienne.  Un  roi  fait  souvent  plus  de  fautes  par  les  passions 
le  ses  ministres  que  parles  siennes  propres.  Mais  ce  prince 
âtant  tombé  malade  peu  de  temps  après, la  reine,  qui  connais- 
sait le  pouvoir  d'Apollinaire  auprès  de  Dieu,  le  fit  solliciter  de 
revenir  à  la  cour,  espérant  que  par  ses  prières  il  rendrait  la 
santé  à  son  mari.  Le  saint  évèque  méprisa  la  cour  et  refusa 
l'y  aller;  mais,  pour  montrer  que  ce  n'était  point  par  ressenti- 
ment, il  envoya  son  capuchon  au  roi,  qui,  s'en  étant  revêtu,  se 
trouva  immédiatement  guéri  de  la  fièvre  (1). 

Il  paraît  par  d'autres  exemples  que  les  mariages  inces- 
tueux étaient  fréquents  parmi  les  Bourguignons  nouvellement 
convertis  à  la  foi  catholique.  Victorius  de  Grenoble  consulta 
S.  À  vite  sur  la  manière  dont  il  devait  agir  avec  un  nommé 
Vincomale,  qu'il  avait  excommunié  pour  avoir  épousé  sa 
belle-sœur.  S.  A  vite  fit  réponse  qu'il  jugeait  à  propos  d'user 
de  ménagements,  et  que  si  cet  homme  était  résolu  à  quitter  sa 
femme,  on  devait  seulement  l'exhorter  à  faire  pénitence  sans 
l'y  obliger  (2).  On  voit  par  là  combien  ces  nations  barbares 
avaient  de  peine  à  se  soumettre  à  la  sévérité  de  la  discipline , 
et  c'est  peut-être  la  première  cause  des  adoucissements  que 
les  évêques  se  crurent  obligés  d'y  apporter.  L'Église  aima 
mieux  modérer  la  juste  rigueur  de  ses  lois  que  de  voir  des 
enfants  rebelles  les  violer  si  communément. 

S.  Avite  ne  veillait  pas  seulement  à  la  conservation  de  la 
foi  et  de  la  discipline  dans  l'étendue  du  royaume  de  Bour- 
gogne; son  zèle  le  portait  à  s'intéresser  à  toutes  les  affaires 
de  la  religion  qui  se  passaient  dans  les  provinces  les  plus  éloi- 
gnées, et  jusque  dans  l'Église  de  Gonstantinople,  qui  était 
encore  alors  séparée  du  Saint-Siège  au  sujet  d'Acace.  Hormis- 
das  avait  écrit  aux  évêques  (3)  des  Gaules  une  lettre  circu- 
laire, où,  en  leur  faisant  part  de  la  réunion  des  évêques  de 

(t)  Vit.  Apollinar.,  apud  Suriura.,  5  octob. —  (2)  Avit.  Ep.  yi. 

(3)  Hormisd.  Epist.,  t.  IConc.  Ga/Z.,p.  188. —  L'exemplaire  que  nous  avons  de  cette 
lettre  est  adressé  à  S.  Césaire  ;  mais  on  voit  par  la  réponse  de  S.  Avite  qu'il  en 
avait  reçu  une  semblable.  C'est  ce  qui  nous  a  fait  dire  qu'elle  était  circulaire. 


190  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [517] 

Dardanie  et  d'Illyrie  au  Saint-Siège,  il  leur  parlait  du  schisme 
des  fauteurs  d'Acace  et  de  la  légation  qu'il  avait  envoyée  en 
Orient  à  ce  sujet  et  dont  il  ne  savait  pas  encore  l'issue.  Il 
ajoutait  que,  suivant  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  qui 
avaient  fait  part  aux  évêques  des  Gaules  des  affaires  de  la  re- 
ligion, il  leur  envoyait  un  mémoire  sur  ce  qui  s'était  passé 
dans  cette  affaire,  et  qu'Urbain,  défenseur  de  l'Église,  les  ins- 
truirait de  vive  voix  plus  au  long.  Les  défenseurs  de  l'Église 
romaine  étaient  des  clercs  chargés  de  veiller  à  l'administra- 
tion des  biens  de  cette  Église  et  au  soulagement  des  pauvres. 

S.  Avite  adressa  à  Hormisdas  une  réponse  digne  de  son 
zèle.  Après  avoir  loué  ce  saint  pape  de  sa  vigilance  sur  le 
troupeau  qui  lui  est  confié  dans  toute  l'étendue  de  l'Église 
universelle,  et  l'avoir  remercié  de  la  lettre  pleine  de  sollici- 
tude pastorale  qu'il  avait  reçue  de  lui  par  des  clercs  de  l'Eglise 
d'Arles,  il  témoigne  son  étonnement  de  ce  qu'il  n'a  pas  instruit 
les  évêques  des  Gaules,  comme  il  l'avait  promis,  de  l'issue  de 
la  seconde  légation  qu'il  avait  envoyée  à  Gonstantinople  :  ce 
qui  lui  fait  craindre  qu'elle  n'ait  pas  été  heureuse.  Il  ajoute  : 
«  Nous  apprenons  de  plusieurs  personnes  dignes  de  foi  que 
les  Grecs  se  vantent  d'un  accommodement  et  d'une  récon- 
ciliation avec  l'Église  romaine.  Si  cela  est  vrai,  on  doit  s'en 
réjouir  ;  mais  il  faut  craindre  que  ce  ne  soit  une  paix  simulée. 
Je  vous  supplie  donc  de  m'instruire  de  ce  que  je  dois  répondre 
à  mes  frères  les  évêques  des  Gaules,  s'ils  me  consultent  ; 
parce  que,  je  puis  le  dire  hardiment  non-seulement  de  la 
province  de  Vienne,  mais  de  toute  la  Gaule,  tous  s'en  rap- 
portent à  votre  décision  dans  ce  qui  concerne  l'état  de  la 
foi.  Priez  le  Seigneur  que,  puisque  la  vérité  connue  nous 
attache  à  l'unité  que  vous  gouvernez,  nous  ne  soyons  pas 
trompés  par  une  profession  de  foi  artificieuse  des  Grecs  (1). 
La  lettre  fut  portée  à  Rome  par  le  prêtre  Alexis  et  le  diacre 
Venant,  et  reçue  le  30  janvier  sous  le  consulat  d'Agapite, 


(t)  Avit.  Ep.  xxxvn,  apud  Labb.,  t.  IV,  p.  1445. 


[518]  EN  FRAXCE.  —   LIVRE  V.  191 

c'est-à-dire  l'an  517.  Elle  fournit  une  nouvelle  preuve  que 
les  évêques  les  plus  zélés  ont  toujours  craint  la  surprise  dans 
les  accommodements  avec  les  hérétiques. 

Hormisdas  répondît  à  S.  À  vite  et  aux  autres  évêques  de  la 
province  par  une  lettre  datée  du  15  février  de  la  même  année. 
Il  leur  dit  qu'ils  ont  bien  deviné  la  cause  de  son  silence ,  qui 
est  en  effet  le  mauvais  succès  de  la  légation  de  Constanti- 
nople;  mais  qu'ils  se  trompent  en  nommant  cette  légation  la 
seconde,  puisqu'il  n'en  avait  envoyé  qu'une.  Il  ajoute  que  les 
Grecs  ne  veulent  la  paix  que  de  bouche  et  non  de  cœur,  et 
qu'ils  font  assez  voir  par  leurs  actions  qu'ils  n'ont  pas  inten- 
tion de  garder  ce  qu'ils  promettent  (1). 

Le  schisme  fut  enfin  éteint  dans  les  Églises  d'Orient  par  le 
zèle  de  l'empereur  Justin,  successeur  d'Anastase,  et  par  celui 
du  peuple  de  Constantinople,  qui  demanda  la  réunion  avec 
des  acclamations  réitérées.  En  effet,  le  dimanche  qui  suivit  l'é- 
lection de  l'empereur,  le  patriarche  Jean  étant  entré  dans 
l'église,  tout  le  peuple  s'écria  :  «  Pourquoi  ne  communions- 
nous  pas  depuis  tant  d'années?  Montez  sur  l'ambon  et  per- 
suadez votre  peuple.  Tous  êtes  orthodoxe  :  que  craignez-vous? 
Chassez  Sévère  le  manichéen  ;  publiez  tout  à  l'heure  le  saint 
concile  de  Ghalcédoine.  Ste  Marie  est  mère  de  Dieu.  La  foi 
de  la  Trinité  est  victorieuse...  Indiquez  la  fête  du  saint 
concile  (2).  Le  patriarche,  voyant  continuer  ces  acclamations, 
fît  annoncer  pour  le  lendemain  la  fête  du  concile  de  Ghalcé- 
doine, mit  ce  concile  avec  le  nom  de  S.  Léon  et  des  pa- 
triarches catholiques  dans  les  sacrés  dyptiques ,  dont  on  ôta 
Acace,  et  la  paix  fut  rendue  à  l'Église  d'Orient.  S.  Avite,  qui 
jugea  la  soumission  des  Grecs  sincère,  eut  une  joie  sensible 
de  leur  réunion.  Sur  la  première  nouvelle  qu'il  en  reçut,  il 
écrivit  au  patriarche  de  Constantinople  pour  l'en  féliciter  et 
pour  l'exhorter  à  demeurer  toujours  inviolablement  uni  à 
l'Église  romaine  (3). 

(1)  Aviti  Ep.  ultima.,  ap.  Labb.,  t.  IV,  p.  1446.  —  (2)  Conc.  Labb.,  t.  Y,  p.  178. 
(3)  Avit.  Ep.  vu. 


192  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [518] 

Ce  saint  évêque  de  Vienne  continuait  de  recueillir  les  fruits 
de  son  zèle  pour  le  salut  des  Bourguignons,  lorsque  les  mal- 
heurs de  la  maison  de  Sigismond  lui  causèrent  une  douleur 
d'autant  plus  vive  qu'il  avait  un  tendre  attachement  pour  ce 
prince.  Sigismond  avait  épousé  en  premières  noces  la  fille  de 
Théodoric,  roi  d'Italie,  et  il  en  avait  un  fils  nommé  Sigeric. 
Après  la  mort  de  sa  première  femme,  il  en  épousa  une  au- 
tre d'un  rang  moins  illustre  et  qui  n'avait  que  de  l'aversion 
pour  le  jeune  prince;  celui-ci,  de  son  côté,  n'aimait  pas  sa 
belle-mère.  La  voyant  donc  un  jour  de  fête  parée  de  ri- 
ches habits,  il  lui  dit  avec  un  air  de  hauteur  et  de  mépris  : 
«  Il  vous  sied  mal  de  porter  ces  vêtements,  qu'on  sait  avoir 
appartenu  à  ma  mère,  votre  maîtresse.  »  Cette  parole  piqua  au 
vif  la  nouvelle  reine.  Pour  s'en  venger  en  belle-mère,  elle 
entreprit  de  persuader  à  Sigismond  que  son  fils  tramait  quel- 
que révolte  clans  le  dessein  de  se  mettre  en  possession  du 
gouvernement  (1). 

Sigismond,  trop  crédule,  donna  ordre  qu'on  étranglât  son 
fils  après  l'avoir  fait  enivrer  dans  un  repas.  A  peine  l'ordre 
barbare  était-il  exécuté  que  le  roi  se  souvint  qu'il  était  père. 
Les  sentiments  de  la  nature  et  de  la  religion,  s'étant  réveillés 
dans  son  cœur,  lui  firent  reconnaître  toute  l'énormité  de  son 
crime.  Il  se  jeta  sur  le  corps  de  son  fils  et  le  baigna  de  ses 
larmes.  Un  vieillard  de  sa  cour  lui  dit  :  «  Prince,  ce  n'est  pas 
sur  votre  fils  que  vous  devez  pleurer,  son  innocence  est 
connue  :  c'est  sur  vous-même,  qui  vous  êtes  souillé  du  plus 
barbare  parricide.  »  Sigismond,  frappé  de  cette  parole,  se 
retira  au  monastère  cl'Agaune  pour  expier  son  péché  par  les 
larmes  et  les  jeûnes  dans  cette  sainte  solitude  (2). 

Les  bâtiments  de  ce  monastère  avaient  été  récemment 
achevés  ;  il  convoqua  pour  en  faire  la  dédicace  une  assemblée 
d'évêques  et  de  seigneurs.  D'après  leur  avis,  il  y  établit  avec 
le  titre  d'abbé  S.  Hymnemond,  qu'on  fit  venir  avec  quelques 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  v.  —12)  Greg.  Tur.,  1.  HT,  c.  iv. 


[518]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  V.  193 

autres  religieux  du  monastère  de  Grane.  Plusieurs  auteurs 
croient  que  ce  monastère  est  le  même  que  celui  de  Grigny  (1). 
On  y  institua  la  psalmodie  perpétuelle  sur  la  demande  des 
évoques  :  dans  ce  but,  on  partagea  les  moines  en  neuf  chœurs, 
qui  se  succédaient  continuellement  pour  chanter  jour  et  nuit 
les  louanges  du  Seigneur.  C'est  le  premier  exemple  que  l'on 
trouve  d'un  pareil  établissement.  S.  A  vite  fît  pour  la  dédicace 
de  l'église  du  monastère  une  homélie  dont  il  ne  nous  reste 
que  le  titre  avec  un  fragment.  On  transféra  clans  cette  église 
les  corps  des  saints  martyrs  Maurice,  Exupère,  Candide  et 
Victor.  Quant  aux  reliques  des  autres  martyrs  de  la  même 
légion,  dont  on  ignorait  les  noms,  on  décida  qu'elles  seraient 
gardées  avec  soin  et  décemment  dans  un  même  lieu  séparé 
de  l'église.  Sigismond  fit  approuver  par  les  évêques  l'acte  de 
fondation  de  ce  monastère,  qui  fut  doté  pour  neuf  cents 
moines,  si  nous  nous  en  rapportons  à  une  ancienne  hymne  à 
l'usage  du  même  monastère  (2). 

Ce  prince,  qui  n'oubliait  pas  le  crime  qu'il  avait  commis, 
dit  aux  évêques  du  concile  :  «  Je  vous  ai  assemblés  afin  que 
vous  me  consoliez  dans  mon  affliction  (3).  »  Il  parlait  sans 
doute  de  la  mort  de  son  fils.  Il  ne  trouva  de  consolation  que 
dans  les  larmes  de  la  pénitence.  Prosterné  devant  les  tom- 
beaux des  saints  martyrs  de  la  légion  Thébéenne ,  il  de- 
manda instamment  à  Dieu  qu'il  ne  différât  pas  de  le  punir  de 
son  crime  après  sa  mort,  mais  qu'il  lui  en  fît  porter  la  peine 
en  cette  vie  plutôt  qu'en  l'autre.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'il 
fut  exaucé. 

La  reine  Clotilde,  après  la  mort  de  Clovis,  s'était  retirée 
à  Tours,  d'où  elle  venait  quelquefois  à  Paris.  Sa  piété  singu- 
lière ne  lui  fit  point  oublier  ses  prétentions  au  royaume  de 
Bourgogne,  ni  la  mort  cruelle  de  son  père  et  de  sa  mère. 
Elle  assembla  un-^jour  les  rois  ses  fils  et  leur  dit  (4)  :  «  Mes 
chers  enfants,  que  je  ne  me  repente  pas  de  vous  avoir  éle- 

(1)  Conc.  Labb.,  t.  IV,  p.  1557.  —  (2)  Chifflet  ;  apud  Boll.,  6  jun.  —  (3)  Conc. 
Labb.,  t.  IV,  p.  1557.  —  (4)  Greg.  Tur.,  1.  II,  c.  xliv. 

TOME  II.  13 


194  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [524] 

vés  avec  tant  de  soin.  Montrez-vous  sensibles  à  l'injure  qui 
m'a  été  faite,  et  vengez  la  mort  cruelle  de  mon  père  et  de  ma 
mère  (  1  ) .  »  Elle  ne  pouvait  faire  à  de  j  eunes  princes  belliqueux 
une  proposition  qui  flattât  plus  agréablement  leur  ambition 
et  leur  inclination.  Ils  se  mirent  aussitôt  en  campagne  et 
marchèrent  contre  Sigismond,  qui,  sans  avoir  eu  part  au 
crime  de  son  père,  profitait  néanmoins  de  ses  usurpations. 
Ce  prince,  que  la  justice  miséricordieuse  de  Dieu  poursuivait 
par  le  glaive  de  ses  ennemis  pour  ses  propres  péchés ,  fut 
entièrement  défait ,  et  dans  la  déroute  il  se  sauva  sur  une 
montagne ,  où  il  vécut  quelque  temps  caché ,  adorant  la  main 
qui  le  frappait.  Ayant  appris  que  les  Francs  étaient  maîtres  de 
la  Bourgogne  et  le  faisaient  chercher  de  toutes  parts ,  il  se 
coupa  les  cheveux  et  prit  l'habit  de  moine.  Il  voulait  se  re- 
tirer au  monastère  d'Agaune  ;  mais,  afin  que  rien  ne  manquât 
à  sa  disgrâce,  il  fut  trahi  par  quelques-uns  de  ses  sujets  et 
livré  à  Glodomir,  qui  l'emmena  prisonnier  à  Orléans  avec  sa 
femme  et  deux  jeunes  princes,  Gisclades  et  Gondebaud  (2). 

Il  était  plus  aisé  aux  Francs  de  conquérir  des  provinces 
que  de  les  conserver.  Aussitôt  après  la  retraite  des  fils  de 
Clovis ,  Godemare ,  frère  de  Sigismond ,  réunit  les  débris  de 
l'armée  bourguignonne  et  reprit  sans  peine  la  Bourgogne.  A 
cette  nouvelle ,  Clodomir  se  disposa  à  marcher  pour  la  re- 
conquérir, et,  cédant  à  la  colère  qui  le  transportait,  il  forma 
le  dessein  de  faire  mourir  Sigismond,  sa  femme  et  les  deux 
princes  ses  enfants,  avant  de  quitter  Orléans.  S.  Avite,  qui 
était  abbé  de  Mici  après  S.  Mesmin,  et  qu'il  ne  faut  pas  con- 
fondre avec  le  saint  évêque  de  ce  nom,  ayant  appris  cette 
cruelle  résolution  du  roi ,  alla  le  trouver  pour  l'en  détour- 
ner. «  Prince,  lui  dit-il,  si  la  crainte  de  Dieu  vous  inspire  des 
desseins  plus  modérés  et  vous  empêche  d'attenter  à  la  vie 
de  ces  illustres  prisonniers ,  le  Seigneur  sera  avec  vous ,  et 


(I)  Ces  sentiments  vindicatifs  ont  été  prêtés  par  certains  auteurs  à  Ste  Clotilde; 
s'ils  sont  vrais,  ils  sont  une  tache  dans  la  vie  de  cette  pieuse  reine.  —  (2)  Vrj7a  SÊ 
yism.,  apud  Boll.,  1  maii. 


[524]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  195 

vous  remporterez  la  victoire.  Mais  si  vous  les  faites  mourir, 
vous  serez  livré  à  vos  ennemis ,  et  ils  vous  traiteront ,  vous , 
votre  femme  et  vos  enfants ,  de  la  manière  dont  vous  aurez 
traité  Sigismond  et  sa  famille  (1).  »  Quand  la  politique  con- 
seille un  crime,  elle  ne  manque  pas  de  prétextes  pour  le  jus- 
tifier. Glodomir  répondit  qu'il  était  contre  la  prudence  de 
laisser  un  ennemi  chez  soi  lorsqu'on  allait  en  combattre  un 
autre ,  et  donna  ordre  qu'on  fît  mourir  le  roi  Sigismond ,  la 
reine  et  les  deux  princes.  L'exécution  se  fit  l'an  524  à  Golu- 
melle  (2),  sur  les  confins  de  l'Orléanais  et  de  la  Beauce,  et  les 
corps  furent  jetés  dans  un  puits,  qui  fut  nommé  le  puits 
Saint-Sigismond  et  par  contraction  Saint-Simond . 

La  vie  pénitente  que  mena  ce  prince  depuis  son  péché ,  la 
foi  avec  laquelle  il  osa  demander  à  Dieu  ,  la  soumission 
avec  laquelle  il  accepta,  pour  l'expier,  les  plus  humiliantes 
tribulations,  et  surtout  la  mort  injuste  qu'il  souffrit,  l'ont  fait 
honorer  dans  l'Église  comme  un  martyr,  suivant  l'usage  assez 
ordinaire  en  ce  temps-là  de  donner  cette  qualité  aux  per- 
sonnes vertueuses  mises  à  mort  injustement.  Il  y  avait  trois 
ans  que  son  corps ,  celui  de  la  reine  et  des  deux  princes 
étaient  dans  le  puits  où  ils  avaient  été  jetés,  lorsque  l'abbé 
d'Agaune  pria  un  seigneur  bourguignon ,  nommé  Ansemond  , 
de  les  demander  au  prince  Théodebert,  fils  du  roi  Thierry.  Il 
les  obtint ,  et  on  les  porta  en  chantant  des  psaumes  depuis 
Orléans  jusqu'à  Agaune,  où  ils  furent  enterrés  dans  l'église 
de  Saint-Jean  l'évangéliste.  Les  miracles  que  Dieu  opéra  sur  le 
tombeau  de  S.  Sigismond  le  rendirent  de  jour  en  jour  plus 
célèbre.  L'Église  célèbre  la  fête  de  ce  saint  roi  le  1er  mai. 

La  prédiction  que  le  saint  abbé  de  Mici  avait  faite  à  Glodo- 
mir, pour  le  détourner  de  verser  le  sang  innocent,  ne  tarda 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  vi. 

(2)  Grégoire  de  Tours  dit  que  l'exécution  se  fit  dans  un  village  de  l'Orléanais, 
qu'il  nomme  Columna  :  ce  qui  peut  désigner  Coulmiers  ou  Columeile,  qui  sont  deux 
villages  assez  voisins.  Nous  croyons  que  c'est  plutôt  Columeile,  parce  qu'il  e&t 
plus  proche  du  lieu  qu'on  nommait  Puteus  S.  Sigismundi,  où  il  s'est  formé  depuis 
un  village  qu'on  nomme  Saint-Simond,  pour  Saint-Sigismond. 


196  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQI  E  [524] 

guère  à  se  vérifier;  ce  prince  fut  tué  la  même  année  à  la 
journée  de  Véseronce  dans  les  bras  de  la  victoire  :  car  il  ga- 
gna la  bataille  et  perdit  la  vie,  en  tachant  de  reconquérir  la 
Bourgogne  sur  Godemare.  Mais  cette  prophétie  se  vérifia 
d'une  manière  plus  tragique  encore  sur  ses  enfants ,  comme 
nous  le  verrons  dans  la  suite. 

S.  Avite  de  Vienne  porta  jusqu'au  tombeau  la  vive  douleur 
qu'il  ressentit  de  la  mort  de  Sigismond,  et  il  ne  survécut  pas 
longtemps  à  un  prince  qu'il  aimait  si  tendrement  ;  mais  on  ne 
sait  pas  précisément  en  quelle  année  il  mourut  (1).  Les  fruits 
que  l'Église  recueillit  de  son  zèle  font  assez  son  panégyrique. 
Le  Martyrologe  romain  dit  que  ce  fut  par  la  foi,  par  les  tra- 
vaux et  par  l'admirable  doctrine  de  ce  saint  évèque  que  les  Gau- 
les furent  préservées  de  la  contagion  de  l'hérésie  arienne  (2)  : 
ce  qu'il  faut  entendre  des  provinces  soumises  aux  Bourgui- 
gnons. Il  fut  enterré  à  Vienne  dans  l'église  des  Saints-Apô- 
tres, où  on  lui  fit  une  épitaphe  (3)  qui  contient  un  éloge  de 
ses  vertus  d'autant  plus  beau  que  la  flatterie  n'y  a  point 
de  part.  Avite  sut  allier  l'humilité  avec  la  noblesse  et  les 
honneurs,  le  désintéressement  avec  les  richesses,  l'esprit  de 
piété  avec  le  goût  des  lettres ,  et  une  aimable  douceur  avec 
une  fermeté  qui  sait  se  faire  craindre  et  respecter. 

Il  appartient  à  la  grande  époque  littéraire  et  théologique 
du  ive  au  vie  siècle ,  où  les  hommes  de  génie  puisaient  leur 
goût  dans  les  auteurs  profanes  et  leurs  doctrines  dans  l'É- 
criture et  les  Pères.  Nous  avons  à  regretter  la  perte  d'un  assez 

fl)  Cave  et  Baillet,  qui  font  mourir  S.  Avite  l'an  523,  sont  démentis  par  Adon. 
Cet  auteur  dit  que  ce  saint  évOque  ressentit  une  extrême  douleur  de  la  mort  de 
Sigismond,  arrivée  seulement  en  524. 

(2)  Mart.,  5  febr. 

(3)  Cette  épitaphe  est  de  bon  goût  et  se  sent  peu  de  la  barbarie  de  ce  siècle  : 
en  voici  le  commencement  : 

Quisquis  mœstificum  tumuli  dum  cernis  honorer», 

Cespite  concludi  totum  dejlebis  Avitum, 

Exue  sollicitas  tristi  de  pectore  curas  : 

Nam  quem  plena  fides,  celsœ  quem  gloria  mentis, 

Quem  pietas,  quem  larga  manus,  quem  fama  perennat, 

Nil  socium  cum  morte  tenet.  etc. 


[524]  E\T  FRANCE.  —  LIVEE   V.  197 

grand  nombre  de  ses  ouvrages,  tels  que  ses  écrits  contre  les 
hérétiques ,  et  nommément  un  dialogue  excellent  contre  les 
ariens,  adressé  au  roi  Gondebaud;  deux  livres  contre  les  er- 
reurs de  Nestorius  et  d'Eutychès;  ses  homélies,  dont  il  avait 
donné  lui-même  un  recueil  au  public.  Une  perte  plus  regret- 
table encore  est  celle  d'un  livre  qu'il  avait  composé  contre  les 
erreurs  de  Fauste  (1)  sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre.  Il  nous 
reste  de  lui  un  recueil  de  lettres,  dont  nous  avons  mentionné 
les  plus  importantes;  une  homélie  sur  les  Rogations,  avec  les 
titres  et  quelques  fragments  de  huit  autres  et  quelques  pas- 
sages d'un  sermon  prononcé  à  l'ordination  d'un  évêque  sur  les 
qualités  et  les  devoirs  qu'exige  Fépiscopat  ;  puis  six  poëmes 
en  vers  hexamètres,  savoir  :  sur  la  création  du  monde,  sur  le 
péché  originel,  sur  le  jugement  de  Dieu  ou  l'expulsion  du 
paradis,  sur  le  déluge ,  sur  le  passage  de  la  mer  Rouge,  enfin 
sur  l'éloge  de  la  virginité.  Les  trois  premiers,  sur  la  création 
du  monde,  le  péché  originel  et  le  jugement  de  Dieu,  formant 
ensemble  1183  vers,  peuvent  être  considérés  comme  un  seul 
ouvrage,  qu'un  profond  littérateur  moderne  (2)  n'a  pas  craint 
d'appeler  le  Paradis  perdu.  Il  est  fort  probable  que  le  poëte 
anglais  n'ignorait  pas  l'ouvrage  de  S.  Avite;  peut-être  lui  doit- 
il  la  première  idée  de  son  poëme  et  la  sublimité  de  ses  inspi- 
rations :  car,  comme  le  fait  observer  le  même  écrivain ,  «  l'a- 
nalogie des  deux  poëmes  est  un  fait  littéraire  assez  curieux,  et 
celui  de  S.  Avite  mérite  l'honneur  d'être  comparé  de  près  à 
celui  de  Milton  ;  »  et,  après  avoir  mis  en  regard  la  description  de 
l'Eden  de  S.  Avite  et  celle  de  Milton,  il  ne  craint  pas  d'avancer 
que  celle  de  S.  Avite  est  plutôt  supérieure  qu'inférieure  à 
celle  du  poëte  anglais  :  la  description  des  beautés  de  la  na- 
ture lui  parait  à  la  fois  plus  variée  et  plus  simple  (3) . 

Le  même  écrivain  donne  aussi  de  grands  éloges  au  poëme 
sur  le  déluge  :  la  chute  des  eaux  du  ciel  et  l'agglomération 

(1)  C'est  S.  Adon  de  Vienne  qui  nous  fait  connaître  cet  ouvrage  de  S.  Avite. 

(2)  M.  Guizot.  —  (3)  Hist.  de  la  civil.,  xvme  leçon,  t.  II,  p.  GG-77. 


198  HISTOIEE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [524] 

simultanée  de  toutes  les  eaux  de  la  terre  y  sont  décrites  avec 
beaucoup  de  vigueur  et  d'éclat.  Les  deux  autres:  le  Passage 
de  la  mer  Rouge  et  l'Eloge  de  la  virginité,  sont  inférieurs  aux 
précédents,  quoiqu'on  y  trouve  encore  des  passages  remar- 
quables. Ce  dernier,  en  666  vers,  a  été  composé  pour  sa 
sœur  Fuscine  ,  qui  avait  consacré  sa  virginité  au  Seigneur. 
On  y  voit  que  son  père  Hésychius  et  sa  mère  Audentia 
eurent  quatre  enfants,  dont  Fuscine  était  la  dernière;  que, 
dès  qu'elle  eut  l'âge  de  dix  ans,  ils  la  firent  babiller  de 
blanc  (1)  comme  une  vierge  consacrée  à  Dieu,  et  que  plu- 
sieurs des  aïeux  de  Fuscine ,  aussi  bien  que  son  père  et  son 
oncle,  avaient  été  évêques,  comme  l'étaient  ses  deux  frères. 
Le  plus  illustre  est  S.  Avite,  qui  fut  tour  à  tour  grand  orateur, 
théologien  profond ,  controversiste  habile  et  poëte  remar- 
quable :  c'est  certainement  un  des  esprits  les  plus  distingués 
du  ve  siècle.  L'Église  honore  sa  mémoire  le  5  février  et  celle 
de  S.  Apollinaire  évèque  de  Valence,  son  frère,  le  5  octobre. 

S.  Avite  était  ami  d'un  autre  Apollinaire,  qui  fut  élevé 
sur  le  siège  d'Auvergne.  C'était  le  fils  de  S.  Sidoine ,  et  celui 
qui  commandait  les  habitants  de  l'Auvergne  contre  Clovis  à 
la  bataille  de  Touillé.  S.  Eufraise,  évèque  d'Auvergne,  étant 
mort  quatre  ans  après  Clovis,  c'est-à-dire  sur  la  fin  de 
l'année  51-5 ,  le  peuple  élut  S.  Quintien,  qui  avait  été  chassé 
de  Rodez  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  Mais  les  intrigues  de 
quelques  dames  firent  donner  cet  évêché  à  Apollinaire.  Al- 
cime  et  Placidine  (2) ,  l'une  sa  sœur  et  l'autre  sa  femme , 
allèrent  trouver  Quintien  et  lui  dirent  qu'il  devait  se  con- 
tenter d'avoir  déjà  la  qualité  d'évêque  et  laisser  le  siège 
d'Auvergne  à  Apollinaire,  qui  ne  ferait  rien  dans  son  épisco- 
pat  que  par  ses  ordres.  Quintien  répondit  qu'il  s'estimait  trop 
heureux  de  ce  que  l'Église  d'Auvergne  voulait  bien  le  nour- 

(1)  On  voit  par  laque  l'habit  blanc  était  celui  des  vierges.  Il  paraît  par  quel- 
ques expressions  de  S.  Jérôme  que  le  voile,  symbole  de  la  pudeur,  était  rouge. 

(2)  Ces  deux  dames  firent  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  S.  Antholin,  martyj 
d'Auvergne,,  dont  nous  avons  parlé.  —  Greg.  Tur.,  de  Glor.'mart.,  1.  I,  c.  lxv. 


[524]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  199 

rir,  et  qu'il  lui  suffisait  d'avoir  la  liberté  de  vaquer  à  la  prière. 
Les^  deux  dames  sur  cette  réponse  firent  partir  Apollinaire 
pour  la  cour  du  roi  Thierry.  Il  en  obtint  l'épiscopat  à  force  de 
présents  ;  mais  il  mourut  trois  (1)  ou  quatre  mois  après. 
Thierry,  ayant  appris  sa  mort,  donna  Févêché  à  Quintien  et 
dit  :  «  C'est  à  cause  de  son  zèle  pour  notre  service  qu'il  a  été 
chassé  de  son  siège.  »  On  voit  ici  que  les  rois  francs  se 
croyaient  avoir  le  droit  déjà  de  confirmer  le  choix  des  évê- 
ques  et  même  de  nommer  aux  évêchés.  Les  troubles  insépa- 
rables des  élections  les  autorisaient  à  en  agir  de  la  sorte  ; 
mais  souvent  en  fermant  une  porte  à  la  brigue  et  à  la  simonie 
on  en  ouvrait  une  autre  (2). 

Cependant  l'Église ,  après  la  conservation  du  dépôt  de  la 
foi ,  n'avait  rien  plus  à  cœur  que  le  digne  choix  cle  ses  minis- 
tres :  c'était  l'objet  le  plus  ordinaire  de  ses  canons.  S.  Césaire, 
persuadé  que  ce  point  de  discipline  influait  sur  tous  les  au- 
tres, tint  à  ce  sujet  un  concile  à  Arles,  à  l'occasion  de  la 
dédicace  de  l'église  de  la  Vierge  (3).  On  y  décida  de  nouveau 
qu'on  n'ordonnerait  pas  de  diacres  avant  l'âge  de  vingt- 
cinq  ans,  ni  de  prêtres  ou  d'évêques  avant  l'âge  de  trente; 
qu'aucun  laïque  ne  serait  promu  à  l'épiscopat ,  à  la  prêtrise 
'  ou  au  diaconat ,  qu'il  ne  se  fût  au  moins  écoulé  quelque  temps 
depuis  sa  conversion  ;  qu'on  n'ordonnerait  pas  les  bigames , 
ni  les  pénitents,  ni  ceux  qui  ont  épousé  des  veuves,  et  que 
ceux  qui  recevraient  des  clercs  vagabonds  ou  les  protége- 
raient contre  leurs  évêques  seraient  excommuniés.  Ces  canons 
furent  souscrits  le  6  juin  sous  le  consulat  d'Opilion,  c'est-à- 
dire  l'an  524 ,  par  treize  évêques  et  par  les  députés  de  cinq 
absents.  On  y  voit  cinq  des  prélats  qui  avaient  assisté  au 

(1)  Grégoire  de  Tours,  dans  son  Histoire,  donne  quatre  mois  d'épiscopat  à  Apol- 
linaire ;  il  ne  lui  en  doîme  que  trois  dans  la  Vie  de  S.  Quintien  :  c'est  apparem- 
ment que  les  quatre  mois  ne  furent  pas  complets.  Quelques  auteurs  honorent 
de  la  qualité  de  saint  cet  Apollinaire  :  ce  n'est  pas  l'idée  que  nous  en  donne  Gré- 
goire de  Tours. 

(2)  Greg.  Tur^  1.  III,  ch.  — (3)  Conc.  GalL,  t.  I,  p.  207.  —  Apud  Labb.,  t.  IV, 
p.  1G22. 


200  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [524] 

concile  d'Epaone.  Ils  étaient  devenus  sujets  des  Goths,  qui 
avaient  attaqué  la  Bourgogne  d'un  côté  tandis  que  les  Francs 
l'attaquaient  d'un  autre. 

L'objet  des  conciles  n'est  pas  seulement  défaire  des  lois; 
il  s'étend  aussi  à  punir  ceux  qui  transgressent  celles  qui  ont 
été  faites  :  sans  quoi  l'autorité  qui  les  a  portées  serait  bientôt 
avilie.  Agrèce  d'Antibes  n'observa  pas  les  règlements  arrêtés 
au  sujet  des  ordinations  dans  le  dernier  concile  d'Arles,  où  il 
avait  assisté  par  un  député.  S.  Césaire,  voulant  prévenir  les 
suites  de  ce  mauvais  exemple,  convoqua  un  concile  à  Carpen- 
tras  où  cet  évêque  fut  cité  pour  rendre  compte  de  sa  conduite. 
Il  refusa  de  comparaître,  mais  son  refus  n'empêcha  pas  de 
procéder  contre  lui.  Les  Pères  du  concile,  au  nombre  de  seize, 
lui  écrivirent  une  lettre  par  laquelle  ils  le  déclarent  sus- 
pendu pendant  un  an  de  la  célébration  des  saints  mystères, 
pour  avoir  transgressé  des  décrets  qu'il  avait  souscrits  par 
lui-même  ou  par  son  député  (1).  C'était  la  peine  décernée  par 
le  quatrième  concile  d'Arles  contre  les  évêques  qui  ordonne- 
raient des  pénitents  ou  des  bigames  :  on  voit  par  là  quelle 
était  la  faute  d' Agrèce. 

Les  Pères  de  ce  concile  ne  firent  qu'un  canon,  à  l'occasion 
des  plaintes  portées  contre  quelques  évêques  qui  s'attri- 
buaient toutes  les  donations  faites  aux  paroisses  par  les  fidèles, 
à  ce  point  qu'ils  n'en  laissaient  presque  rien  à  ces  églises. 
Le  concile  décide  que  si  l'église  de  la  ville  où  est  le  siège 
épiscopal  est  assez  riche ,  l'évêque  ne  prendra  rien  des  do- 
nations faites  aux  paroisses,  et  que  ces  donations  seront 
toutes  employées  aux  réparations  de  ces  églises  ou  à  l'en- 
tretien des  clercs  qui  les  desservent  ;  mais  que  si  l'évêque  a 
peu  de  biens  et  est  obligé  de  faire  de  grandes  dépenses, 
il  ne  laissera  à  ces  églises  particulières  que  ce  qui  est  néces- 
saire pour  leur  entretien  et  pour  celui  des  clercs.  On  indiqua 
le  concile  de  l'année  suivante  à  Yaison ,  pour  le  6  novembre. 

(1)  Conc.  Gall.,  t  I,  p.  213.—  Labb.,  t.  IV,  p.  ÏGG3. 


|529|  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  201 

Les  actes  du  concile  de  Carpentras  sont  datés  du  môme  jour 
sous  le  consulat  de  Mavortius,  c'est-à-dire  l'an  527. 

S.  Césaire  avait  envoyé  au  pape  les  canons  du  dernier 
concile  d'Arles.  Félix  IV,  qui  avait  succédé  en  526  au  saint 
pape  Jean  Ier ,  loua  son  zèle  et  l'exhorta  particulièrement  à 
veiller  à  l'observation  des  règlements  faits  contre  les  ordina- 
tions prématurées  des  laïques.  Sur  quoi  il  lui  rappelle  ce 
précepte  de  S.  Paul  à  Timothée  :  N'imposez  pas  aisément 
les  mains  à  personne  (1).  «  Car,  ajoute-t-il,  qu'est-ce  qu'un 
maître  qui  ne  sait  point  les  premiers  éléments,  et  qu'un  pilote 
qui  n'a  point  servi  parmi  les  nautoniers?  Celui  qui  n'a  pas 
appris  à  obéir  ne  sait  pas  commander  (2).  »  La  lettre  est 
datée  du  3  février  après  le  consulat  de  Mavortius ,  c'est-à-dire 
l'an  528. 

Le  concile  indiqué  à  Yaison  pour  l'an  528  ne  s'y  tint  que 
l'année  suivante,  le  6  novembre,  et  il  y  eut  douze  (3)  évêques 
qui  s'y  trouvèrent,  à  la  tête  desquels  était  S.  Césaire.  Ils 
relurent  les  canons  des  conciles  précédents  et  eurent  la  con- 
solation de  reconnaître  que  les  évêques  présents  les  avaient 
fait  observer.  Cependant ,  pour  ne  se  pas  séparer,  comme  ils 
le  disent,  sans  faire  quelques  règlements,  ils  firent  les  canons 
suivants. 

I.  Les  prêtres  qui  sont  dans  les  paroisses  auront  soin, 
comme  il  se  pratique  en  Italie,  d'élever  chez  eux  et  d'ins- 
truire de  jeunes  lecteurs  qui  puissent  leur  succéder  ;  on 
laissera  cependant  la  liberté  de  se  marier  à  ceux  qui  seront 
en  âge. 

IL  Pour  l'édification  des  Églises  et  l'utilité  du  peuple,  les 
prêtres  auront  le  pouvoir  de  prêcher  non-seulement  dans  les 
villes ,  mais  clans  toutes  les  paroisses ,  et  quand  le  prêtre  ne 
pourra  pas  le  faire ,  on  fera  lire  quelques  homélies  des  saints 

(1)  I  Timoth.,  v,  22.  —  (2)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  214. 

(3)  Le  P.  Sirmond  ne  met  qu  onze  évêques  ;  mais  il  avertit  dans  l'errata  qu'il 

faut  ajouter  un  évêque  nommé  Aquitanus. —  Concil.  (iaW.,  t.  I,  p.  12G.  —  Apud 
Labb.,  t.  IV,  p.  1G79. 


202  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [529] 

Pères  par  les  diacres ,  puisque  ceux  qui  sont  dignes  de  lire 
l'Évangile  de  Jésus-Christ  ne  peuvent  pas  être  indignes  de 
lire  les  expositions  qu'en  ont  faites  les  saints  Pères  (1). 

III.  Selon  l'usage  du  Saint-Siège,  de  l'Église  d'Italie  et  de 
celle  d'Orient ,  on  récitera  souvent  Kyrie  eleison  à  matines 
(c'est-à-dire  à  laudes),  à  la  messe  et  à  vêpres,  et  le  Sanctus  à 
toutes  les  messes ,  même  en  carême  et  à  celles  qu'on  dit  pour 
les  morts. 

IV.  On  fera  mention  publiquement  clans  les  Églises  du  nom 
du  pape  qui  occupe  le  Saint-Siège. 

V.  Pour  confondre  les  impostures  et  les  blasphèmes  des 
hérétiques,  qui  prétendent  qu'il  y  a  eu  un  temps  où  le  Fils 
n'existait  pas,  on  ajoutera  dans  toutes  les  Églises  au  Gloria 
Patri  ces  paroles  :  sicut  erat  in  principio,  etc.  (2),  selon  la 
coutume  reçue  non-seulement  par  le  Saint-Siège,  mais  encore 
par  l'Orient,  l'Afrique  et  l'Italie. 

Comme  la  province  d'Arles  était  soumise  aux  Goths,  il 
était  plus  nécessaire  qu'ailleurs  d'y  prémunir  les  fidèles 
contre  les  erreurs  des  ariens. 

Trois  mois  avant  le  concile  de  Yaison,  S.  Césaire  en  avait 
tenu  un  extraordinaire  à  Orange,  où  il  avait  donné  le  dernier 
coup  au  semi-pélagianisme.  Ce  saint  évêque  voyait  avec  dou- 
leur que  cette  hérésie  se  soutenait  toujours  dans  les  Gaules, 
et  que  les  livres  de  Fauste ,  quoique  flétris  parle  Saint-Siège, 
exerçaient  encore  quelque  influence  sur  les  esprits  :  il  crut 
devoir  en  donner  le  contre-poison.  Il  composa  à  ce  dessein 
sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre  un  ouvrage  où  il  recueillit  sur 
ces  matières  les  témoignages  des  saintes  Écritures  et  des 
saints  Pères.  L'auteur  des  additions  au  Catalogne  de  Gen- 
nadc  assure  que  le  pape  Félix  approuva  cet  écrit  de  S.  Césaire. 
Le  saint  évêque  le  composa  apparemment  à  l'occasion  des 

(1)  Jusque-là  les  cvêques  seuls  portaient  ordinairement  la  parole  dans  les 
églises. 

(T)  L'addition  sicut  erat  in  principio  était  fort  propre  à  ce  dessein ,  parce  qu'elle 
était  la  contradictoire  de  ce  principe  des  ariens  :  Erat  quando  non  erat. 


[529]  EN  FRANCE .           LIVRE  V.  203 

1  disputes  qui  s'élevèrent  en  Orient  sur  les  livres  de  Fauste  entre 
!  les  moines  scythes  et  Possesseur,  évêquc  d'Afrique,  qui  était 
alors  à  Constantinople. 

Césaire  ne  se  contenta  pas  d'écrire  contre  les  semi-péla- 
giens ,  il  les  combattit  plus  efficacement  en  recourant  à  l'au- 
torité du  Saint-Siège.  Le  pape  Félix  lui  envoya  plusieurs 
articles  pour  servir  de  règle  sur  les  points  en  discussion.  Cé- 
saire les  proposa  et  les  fît  souscrire  dans  le  concile  qui  se  tint 
à  Orange  au  commencement  de  juillet  529 ,  à  l'occasion 
de  la  dédicace  d'une  église  que  le  patrice  Libère,  préfet 
du  prétoire  dans  les  Gaules,  avait  fait  bâtir.  Les  évêques 
des  villes  voisines,  au  nombre  de  quatorze ,  et  les  seigneurs 
laïques  les  plus  distingués  se  rendirent  à  cette  solennité. 
S.  Césaire,  ami  particulier  de  Libère  (1),  qu'il  avait  guéri  mira- 
culeusement d'une  blessure  mortelle,  ne  manqua  pas  de  s'y 
trouver,  et  il  profita  de  cette  occasion  pour  faire  condamner 
les  erreurs  du  semi-pélagianisme.  Hincmar  (2)  assure  même 
que  ce  fut  en  qualité  de  légat  du  Saint-Siège  qu'il  présida  ce 
concile,  qui,  par  l'importance  des  matières  qui  y  furent  trai- 
tées, est  devenu  un  des  plus  célèbres  conciles  de  l'Église  gal- 
licane (3). 

Les  évêques  font  connaître,  dans  la  préface  des  actes,  que, 
s'étant  assemblés  pour  la  dédicace  de  la  basilique  que  Libère 
a  fait  bâtir  et  ayant  conféré  entre  eux  de  la  foi,  ils  ont  appris 
qu'un  certain  nombre  de  personnes ,  par  simplicité  sans 
doute ,  n'ont  pas  sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre  des  senti- 
ments conformes  à  la  règle  de  la  foi  catholique.  «  C'est  pour- 
quoi, ajoutent-ils,  de  l'avis  et  par  l'autorité  du  Saint-Siège 
apostolique,  nous  avons  jugé  à  propos  défaire  observer  et 
de  souscrire  de  notre  main  quelques  articles  que  le  Saint- 
Siège  nous  a  envoyés ,  et  qui  ont  été  recueillis  sur  ces  ma- 
tières par  les  sâmts  Pères  et  tirés  des  saintes  Écritures,  pour 

(1)  Vit.  Cœsarii.  —  (2)  Hincm.,  de  Prœdeslin.,  c.  xii.—  (3)  Concil.  Araus.  II,  t.  II 
Conc.  Gall.,  p.  215.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1GGG. 


204  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [529J 

servir  à  l'instruction  de  ceux  qui  n'ont  pas  les  sentiments 
qu'ils  doivent  avoir.  »  Suivent  vingt-cinq  articles  sur  la  grâce 
et  le  libre  arbitre ,  qui  sont  presque  tous  confirmés  par  quel- 
que autorité  de  l'Écriture  :  nous  en  rapporterons  les  princi- 
paux. 

«  I.  Si  quelqu'un  dit  que  par  la  prévarication  d'Adam 
l'homme  tout  entier,  c'est-à-dire  corps  et  âme,  n'a  pas  été 
changé  en  un  pire  état  ;  mais  qu'il  n'y  a  que  le  corps  qui  soit 
devenu  sujet  à  la  corruption,  la  liberté  de  l'âme  demeurant 
sans  aucune  atteinte ,  il  est  trompé  par  l'erreur  de  Pélage 
et  il  contredit  l'Écriture,  etc. 

«  II.  Si  quelqu'un  dit  que  la  prévarication  d'Adam  n'a  nui 
qu'à  lui  seul  et  non  à  sa  postérité ,  ou  que  la  mort  du  corps, 
qui  est  la  peine  du  péché ,  a  été  seule  transmise  par  un  seul 
à  tout  le  genre  humain ,  et  non  le  péché  même  qui  est  la  mort 
de  l'âme ,  il  fait  Dieu  injuste  et  contredit  l'Apôtre,  etc. 

«  III.  Si  quelqu'un  soutient  que  la  grâce  de  Dieu  peut  être 
donnée  à  la  prière  de  l'homme ,  et  que  ce  n'est  pas  la  grâce 
même  qui  fait  que  nous  la  demandons ,  il  contredit  ces  pa- 
roles du  prophète  Isaïe  et  cle  l'Apôtre  :  Ceux  qui  ne  me  cher- 
chaient point  m! ont  trouvé,  et  je  me  suis  montré  à  ceux  qui  ne 
me  consultaient  pas  (1). 

«  IV.  Si  quelqu'un  prétend  que  Dieu  attend  la  volonté  de 
l'homme  pour  nous  justifier  du  péché,  et  ne  reconnaît  pas  que 
c'est  l'infusion  ou  l'opération  du  Saint-Esprit  en  nous  qui  fait 
que  nous  désirons  être  justifiés,  il  contredit  le  Saint-Esprit, 
qui  dit  par  Salomon  :  La  volonté  est  préparée  par  (2)  le  Sei- 
çjneur;  et  ce  que  dit  l'Apôtre  :  C'est  Dieu  qui  nous  fait  vouloir 
et  exécuter  selon  sa  volonté  bienfaisante  (3). 

«  Y.  Si  quelqu'un  soutient  que  le  commencement  de  la  foi 

(1)  Isai.  lxv,  i;  Rom.  x,  20. 

(2)  Le  concile  cite  ce  texte  selon  la  version  des  Septante,  qui  porte  :  'E-rotu-dc^xai, 
hélr,(j\.ç  uapà  Kvpîou,  c'est-à-dire  :  Paralur  voluntas  a  Domino.  On  lit  dans  notre  Vul- 
gate  :  Hauriet  salutem  a  Domino,  et  cette  leçon  est  autorisée  par  d'anciennes  ver- 
sions grecques  et  parle  texte  hébreu. 

(3)  Prov.  vin,  36,  juxta  Septuag.;  Philipp.,  n,  13. 


[529]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  205 

aussi  bien  que  l'accroissement  (1)  de  cette  foi...  est  en  nous 
naturellement ,  et  non  par  un  don  de  la  grâce ,  il  contredit  la 
doctrine  de  S.  Paul,  etc. 

«  VI.  Si  quelqu'un  dit  que  la  miséricorde  estaccordée  à  ceux 
qui  croient,  qui  veulent,  qui  désirent,  qui  s'efforcent,  qui 
travaillent,  qui  demandent,  qui  cherchent,  qui  frappent, 
sans  la  grâce,  et  ne  reconnaît  pas  que  c'est  l'infusion  et  l'opé- 
ration du  Saint-Esprit  qui  nous  fait  croire,  vouloir  et  faire 
toutes  ces  choses  comme  il  faut. . .,  celui-là  résiste  à  l'Apôtre. 

«  VII.  Si  quelqu'un  affirme  que  par  les  forces  de  la  nature 
nous  pouvons  faire  quelque  bien  concernant  le  salut  de  la  vie 
éternelle;  penser,  choisir  comme  il  faut  et  consentir  à  la  prédi- 
cation de  l'Évangile  sans  les  lumières  et  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit,  il  est  séduit  par  l'esprit  d'hérésie. 

«  VIII.  Si  quelqu'un  dit  que  les  uns  peuvent  arriver  à  la 
grâce  du  baptême  par  la  miséricorde,  et  les  autres  par  le  libre 
arbitre ,  qui  est  vicié  clans  tous  les  descendants  du  premier 
homme,  il  montre  qu'il  est  éloigné  de  la  vraie  foi.  » 

Les  autres  articles  contiennent  diverses  sentences  sur  la 
grâce,  dont  voici  les  plus  remarquables. 

IX.  Quand  nous  faisons  le  bien,  c'est  Dieu  qui  opère  en 
nous  et  avec  nous,  afin  que  nous  le  fassions. 

X.  Les  baptisés  et  les  saints  ont  toujours  besoin  d'implo- 
rer le  secours  de  Dieu ,  pour  pouvoir  parvenir  à  une  bonne 
fin  ou  pour  persévérer  dans  la  bonne  œuvre. 

XL  Dieu  nous  aime  tels  que  nous  serons  par  ses  dons  et 
non  tels  que  nous  sommes  par  nos  mérites. 

XVIII.  La  récompense  est  due  aux  bonnes  œuvres  qui  se 
font;  mais  la  grâce,  qui  n'est  pas  due,  précède  pour  les 
faire. 

(1)  Il  n'est  pas  nécessaire  d'avertir  que  la  soixante-neuvième  proposition  du 
P.  Quesnel  :  La  foi,  l'usage,  l'accroissement  et  la  récompense  de  la  foi,  tout  est  un  don 
de  la  pure  libéralité  de  Dieu,  est  bien  différente  de  ce  canon  ,  et  qu'elle  a  été  juste- 
ment condamnée  :  en  effet,  l'auteur  en  marquant  que  tout  cela  est  un  don  de  la  pure 
libéralité  de  Dieu,  fait  assez  entendre  qu'il  exclut  le  mérite  de  la  bonne  action. 


206  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [529) 

XIX.  La  nature  humaine  ne  pouvait  se  sauver,  même  dans 
l'état  d'innocence  où  elle  avait  été  créée ,  sans  le  secours  du 
Créateur. 

XX.  Dieu  fait  en  l'homme  plusieurs  biens  que  l'homme  ne 
fait  pas  ;  mais  l'homme  ne  fait  aucun  bien  que  Dieu  ne  lui 
donne  le  pouvoir  de  le  faire. 

XXII.  Personne  n'a  de  son  fonds  que  le  mensonge,  et  si 
l'homme  a  quelques  traits  de  la  vérité  et  de  la  justice ,  ils 
viennent  de  cette  source ,  dont  nous  devons  avoir  soif  dans  ce 
désert. 

Les  Pères  du  concile  d'Orange  craignirent  que  l'hérésie  pré- 
destinatienne  ne  se  prévalût ,  quoique  sans  raison ,  des  ar- 
ticles arrêtés  contre  les  semi-pélagiens.  C'est  pourquoi,  afin 
de  frapper  en  même  temps  une  erreur  encore  plus  dange- 
reuse, ils  ajoutèrent  :  «  Nous  croyons  aussi ,  selon  la  foi 
catholique ,  qu'après  avoir  reçu  la  grâce  par  le  baptême ,  tous 
ceux  qui  ont  été  baptisés  peuvent  et  doivent  avec  le  secours 
de  Jésus-Christ,  s'ils  le  veulent,  travailler  fidèlement  à  rem- 
plir tous  les  devoirs  du  salut.  Et  non-seulement  nous  ne 
croyons  pas  qu'il  y  ait  des  hommes  qui  soient  prédestinés  au 
mal  par  la  divine  puissance  ;  mais  même ,  s'il  y  en  a  quel- 
ques-uns qui  soient  infectés  de  cette  erreur,  nous  leur  disons 
anathème.  >»  S.  Césaire  et  treize  autres  évêques  souscrivi- 
rent ces  articles  le  3  juillet ,  et  les  firent  souscrire  par  les 
seigneurs  laïques  que  la  solennité  de  la  dédicace  avait  attirés 
à  Orange. 

Ces  décisions  trouvèrent  quelques  contradictions,  et  l'on 
osa  même  attaquer  la  doctrine  de  S.  Césaire.  Les  évêques  de 
la  province  de  Vienne  tinrent  un  autre  concile  à  ce  suj  et  à 
Valence.  S.  Césaire  ne  put  s'y  rendre  à  cause  de  ses  infir- 
mités ;  mais  il  y  envoya  plusieurs  évêques ,  et  entre  autres 
Cyprien  de  Toulon ,  qui  se  distingua  par  son  érudition  dans  ce 
concile ,  et  montra  «  que  l'homme  ne  pouvait  entrer  de  lui- 
même  dans  la  voie  du  salut  s'il  n'était  prévenu  de  la  grâce , 
appuyant  tout  ce  qu'il  avançait  de  l'autorité  des  saintes  Ecri- 


[530]  EN  FBANCE.   —  LIVRE  V.  207 

tures  (1).  »  C'est  tout  ce  que  nous  savons  au  sujet  de  ce  con- 
cile de  Valence  ;  encore  paraît-il  que  c'est  Cyprien  de  Toulon 
qui  se  rend  à  lui-même  ce  témoignage.  Mais  Boniface  II,  qui 
venait  d'être  élevé  sur  le  Saint-Siège,  termina  bientôt  ces 
discussions. 

S.  Gésaire  lui  avait  écrit  par  le  prêtre  Arménius,  avant  son 
élévation  au  souverain  pontificat,  pour  le  prier  d'agir  auprès 
du  pape  Félix  et  d'en  obtenir  les  décrets  qu'il  avait  sollicités 
pour  l'affermissement  de  la  foi  catholique.  Boniface  ne  tarda 
pas  à  les  donner  lui-même ,  en  confirmant  ce  qui  avait  été 
décidé  à  Orange  au  sujet  de  la  nécessité  de  la  grâce  préve- 
nante pour  les  bonnes  œuvres  et  même  pour  le  commence- 
ment de  la  foi.  «  Tous  me  marquez,  dit-il  (2)  dans  sa  ré- 
ponse à  S.  Gésaire,  que  quelques  évêques  des  Gaules  recon- 
naissent à  la  vérité  que  tous  les  autres  biens  viennent  de  la 
grâce  ;  mais  qu'ils  attribuent  à  la  nature ,  et  non  à  la  grâce , 
la  foi  par  laquelle  nous  croyons  en  Jésus-Christ  ;  et  vous  sou- 
haitez que,  pour  ôter  tout  sujet  de  doute,  nous  confirmions 
par  l'autorité  du  Saint-Siège  la  confession  de  foi  que  vous 
leur  avez  opposée ,  et  par  laquelle  vous  définissez ,  selon  la 
foi  catholique,  que  la  vraie  foi  en  Jésus-Christ  et  le  com- 
mencement de  la  bonne  œuvre  sont  inspirés  par  la  grâce 
prévenante  de  Dieu.  Plusieurs  Pères,  et  surtout  l'évêque 
Augustin  d'heureuse  mémoire  et  nos  prédécesseurs  les  pon- 
tifes romains,  ont  démontré  suffisamment  cette  vérité.  C'est 
pourquoi  nous  n'avons  pas  cru  qu'il  fût  nécessaire  de  vous 
faire  une  réponse  plus  étendue... 

«  Nous  avons  éprouvé  une  bien  vive  joie,  continue  le  pape, 
en  apprenant  que  dans  la  conférence  que  vous  avez  eue  avec 
quelques  évêques  des  Gaules ,  on  a  suivi  la  foi  catholique  en 
définissant ,  comme  vous  le  marquez ,  d'un  commun  consen- 
tement ,  que  la  foi  par  laquelle  nous  croyons  en  Jésus-Christ 

(1)  Cyprian.  Vita  S.  Cœsarii.  —  (2)  Bonif.  Epis  t.  ad  Cœsarium ,  t.  I  Conc.  Gall., 
p.  223.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1087. 


208  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [530] 

nous  est  donnée  par  la  grâce  divine ,  qui  nous  prévient,  et  en 
ajoutant  qu'il  n'y  a  aucun  bien  selon  Dieu ,  qu'on  puisse 
vouloir  commencer,  faire  ou  achever  sans  la  grâce  de  Dieu , 
suivant  ces  paroles  du  Sauveur  :  Sans  moi  vous  ne  pouvez 
rien  (1)...  C'est  pourquoi,  recevant  votre  confession  de  foi  avec 
l'affection  convenable ,  nous  l'approuvons  comme  étant  con- 
forme aux  règles  catholiques  des  Pères.  » 

Gésaire  avait  envoyé  à  Boniface  la  lettre  d'un  évêque  qui 
combattait  ces  sentiments.  Ce  pape  croit  inutile  de  le  réfuter, 
parce  qu'il  juge  ce  qu'il  a  dit  suffisant  pour  confondre  les  autres 
extravagances  de  l'erreur  pélagienne.  La  lettre  de  Boniface  est 
datée  du  25  janvier  sous  le  consulat  de  Lampadius  et  d'Oreste, 
c'est-à-dire  l'an  530.  Mais  cette  date  est  fausse,  quant  au  mois 
de  janvier  :  car  Boniface  ne  fut  pas  élu  pape  avant  le  mois 
d'octobre  de  cette  année.  L'approbation  du  Saint-Siège  donna 
tant  d'autorité  au  deuxième  concile  d'Orange,  que  les  déci- 
sions de  quatorze  évêques  ont  été  reçues  de  toute  l'Église 
et  sont  devenues  des  règles  de  la  foi,  contre  lesquelles 
il  n'a  plus  été  permis  de  s'élever  sans  se  déclarer  héré- 
tique. 

Il  ne  paraît  pas  que  les  erreurs  du  semi-pélagianisme 
aient  pénétré  dans  les  États  des  enfants  de  Clovis.  La  paix 
dont  la  religion  y  jouissait  n'y  était  troublée  que  par  des 
scandales  domestiques,  que  leur  ambition  et  leurs  amours 
criminelles  y  donnaient  à  leurs  sujets.  La  mort  de  Clodomir 
n'avait  pas  ralenti  l'ardeur  martiale  de  ces  princes.  Thierry 
et  Clotaire  déclarèrent  la  guerre  aux  Thuringiens  pour  les 
punir  des  horribles  cruautés  qu'ils  avaient  exercées  sur  les 
Francs  contre  la  foi  des  traités.  Ils  conquirent  la  Thuringe  et 
en  ramenèrent  un  grand  nombre  de  prisonniers  de  la  pre- 
mière noblesse.  Clotaire  emmena  captive  Radegonde,  fille 
de  Berthaire  et  nièce  d'Hermenfroi,  rois  de  Thuringe.  C'était 
une  jeune  princesse  d'une  rare  beauté.  Son  vainqueur,  dés 
qu'il  la  vit,  devint  son  esclave. 

(1)  Joan.  xv,  5. 


[530]  EN  FRANCE.  —   LIVRE  V.  209 

Ce  prince  voluptueux,  qui  ne  suivait  d'autre  règle  que  sa 
passion,  avait  déjà,  par  un  double  inceste,  épousé  la  veuve 
de  son  frère  Glodomir  et  la  sœur  de  sa  propre  femme  (1).  Il 
songea  aussi  à  épouser  Radegoncle  ;  mais  comme  elle  était 
encore  trop  jeune,  il  la  fit  élever  avec  soin  à  Athies  en  Ver- 
mandois,  jusqu'à  ce  qu'elle  fût  nubile  (2).  Les  évêques  étaient 
obligés  de  gémir  en  silence  de  ces  excès  chez  des  princes 
en  qui  le  christianisme  n'avait  pas  effacé  un  reste  de  bar- 
barie ;  nous  en  verrons  des  traits  encore  plus  odieux . 

Pendant  que  Thierry  faisait  la  guerre  en  Thuringe,  le  bruit 
se  répandit  qu'il  avait  été  tué.  Arcade,  un  des  premiers  séna- 
teurs d'Auvergne  et  fils  de  l'évêque  Apollinaire,  dont  nous 
avons  parlé,  invita  Childebert,  roi  de  Paris,  à  s'emparer  de 
cette  province.  La  conquête  était  belle  et  facile  :  on  n'examina 
point  si  elle  était  juste.  Childebert,  qui  avait  une  armée  prête 
pour  une  autre  expédition,  se  mit  aussitôt  en  marche  et  se 
présenta  devant  la  ville  d'Auvergne.  Il  en  trouva  les  portes 
fermées  ;  mais  Arcade  lui  en  ayant  fait  ouvrir  une  à  la  faveur 
du  brouillard,  le  prince  se  rendit  maître  de  la  ville  et  de 
quelques  autres  places,  qui  suivirent  l'exemple  de  la  capitale. 
On  reçut  bientôt  la  nouvelle  que  Thierry  était  plein  de  vie  et 
victorieux  (3).  Childebert  ne  laissa  pas  de  mettre  garnison 
dans  la  ville  d'Auvergne  et  se  mit  en  marche  pour  une  expé- 
dition plus  juste  et  plus  glorieuse. 

Amalaric,  roi  des  Yisigoths,  qui  régnait  dans  la  Septimanie, 
avait  épousé  une  fille  de  Clovis  nommée  Clotilde  comme  sa 
mère  et  comme  elle  fort  attachée  à  la  foi  catholique.  Le  roi 
goth  n'oublia  rien  pour  engager  la  princesse  franque  dans 
l'arianisme.  Elle  résista  à  ses  caresses  et  à  ses  menaces.  Il  en 
vint  aux  mauvais  traitements  :  il  permettait  à  la  plus  vile 

(1)  Clotaire  épousa  d'abord  Ingonde,  qui  fut  mère  de  Caribert,  de  Gontran  et 
de  Sigebert.  Celle-ci  avait  une  sœur  nommée  Àregonde,  qu'elle  pria  le  roi  de  bien 
marier.  Clotaire,  l'ayant  fait  venir  et  l'ayant  trouvée  à  son  gré,  l'épousa  et  dit  à 
la  reine  :  Je  n'ai  point  trouvé  pour  votre  sœur  de  meilleur  parti  que  moi.  Ce  prince 
épousa  aussi  Gondeuoa,  veuve  de  Clodomir  son  frère,  Radegonde  et  Valdetrude, 
veuve  de  Tbibaud,  son  neveu.  Aregonde  fut  mère  de  Chilpéiïc,  (GitEG.  Tdb., 
1.  IV,  c.  in.)  —  {2)  Vit.  Radeg.  —  (3)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  ix. 

TOME  II.  14 


210  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [531] 

populace  d'insulter  la  pieuse  reine  lorsqu'elle  allait  à  l'église 
des  catholiques.  On  porta  l'insolence  jusqu'à  lui  jeter  de  la 
Loue  et  des  ordures  (1).  La  princesse  le  souffrit  avec  joie,  per- 
suadée que  ces  immondices  se  changeraient  en  autant  de 
pierres  précieuses  pour  enrichir  sa  couronne.  Sa  patience  et 
sa  constance  ne  rirent  qu'irriter  la  fureur  du  prince  hérétique  : 
l'esprit  de  secte  est  toujours  violent.  Amalaric,  oubliant  ce 
qu'il  devait  à  son  rang  et  à  son  épouse,  la  frappa  plusieurs  fois 
jusqu'à  faire  couler  le  sang  de  cette  malheureuse  princesse. 
Alors  la  reine  eut  recours  à  Childebert,  et,  pour  lui  faire  con- 
naître l'excès  des  mauvais  traitements  qu'elle  avait  à  souffrir, 
elle  lui  envoya  par  un  homme  dévoué  un  mouchoir  teint  de  son 
sang.  Childebert  en  fat  vivement  touché,  et,  ne  prenant  conseil 
que  de  sa  tendresse  et  de  sa  foi,  il  marcha  en  diligence  à  la 
délivrance  de  sa  sœur. 

En  passant  par  le  Berri,  il  visita  un  saint  ermite  nommé  Eu- 
sise  (2)  et  lui  présenta  cinquante  pièces  d'or.  Le  saint  homme 
refusa  de  les  recevoir  même  pour  les  pauvres,  et  dit  au  roi  : 
«  Prince,  je  n'en  ai  pas  besoin,  donnez  plutôt  cet  argent  à 
quelqu'un  qui  en  fasse  des  aumônes  :  il  me  suffit  de  prier  le 
Seigneur  pour  la  rémission  de  mes  péchés.  »  Puis  il  ajouta 
par  un  esprit  de  prophétie  :  «  Allez,  grand  roi,  allez  avec  con- 
fiance, vous  marchez  à  la  victoire.  »  Childebert  fit  donner  l'ar- 
gent aux  pauvres,  et  promit  que  s'il  revenait  vainqueur  il  ferait 
bâtir  en  ce  lieu  une  église  pour  la  sépulture  de  ce  saint  vieil- 
lard. La  prédiction  fut  accomplie.  Childebert  entra  victorieux 
dans  Narbonne  (3)  et  pilla  les  trésors  d'Amalaric,  qui  fut  tué 
enfuyant,  probablement  par  Theudis,  son  successeur  :  car  ce 
nouveau  roi  des  Visigoths,  ayant  été  assassiné  quelques  an- 
nées après  ,  se  rendit  justice  à  lui-même  et  recommanda 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  x. 

(2)  On  le  nomme  en  quelques  lieux  S.  Eurice  et  en  d'autres  S.  Isis. 

(3)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  conf.,  c.  lxxxii.  —  Grégoire  de  Tours  marque  que  cette 
expédition  se  fit  en  Espagne;  mais  il  donne  ailleurs  ce  nom  à  la  Gaule  Narbon- 
naise,  parce  qu'elle  obéissait  aux  Gotlis  maîtres  de  l'Espagne.  Les  autre?  auteurs, 
que  nous  suivons,  placent  la  défaite  d'Amalaric  dans  la  Gaule. 


}531|  EX  FRANCE.   —  LIVRE  V.  211 

instamment  qu'on  ne  vengeât  pas  sa  mort,  parce  qu'il  avait 
tué  le  chef  de  son  peuple  (1). 

Childebert  revint  triomphant  avec  la  reine  Clotilde,  sa 
sœur,  le  plus  précieux  fruit  de  son  expédition.  Mais  c'était  un 
fruit  mûr  pour  le  ciel  :  car  la  généreuse  princesse  mourut  en 
chemin  des  mauvais  traitements  qu'elle  avait  soufferts  pour  la 
défense  de  sa  foi.  Son  corps  fut  porté  à  Paris  et  enterré  auprès 
de  celui  de  Clovis,  son  père.  Nous  verrons  encore  d'autres 
princesses  des  Gaules  se  distinguer  au  milieu  des  nations 
ariennes  ou  idolâtres  par  un  courage  pour  la  foi  au-dessus 
de  leur  sexe ,  mais  bien  cligne  du  sang  des  rois  très-chré- 
tiens (2). 

Parmi  le  riche  butin  que  Childebert  rapporta  de  cette 
guerre,  il  se  trouva  un  grand  nombre  de  vases  sacrés,  en- 
levés apparemment  aux  églises  ariennes.  Il  y  avait  soixante 
calices,  quinze  patènes,  vingt  couvertures  de  livres  des  Évan- 
giles, le  tout  d'or  pur  et  garni  de  pierres  précieuses.  Childe- 
bert ne  voulut  pas  que  ces  vases  fussent  brisés  ou  appliqués 
à  des  usages  profanes  :  il  en  gratifia  diverses  églises  de  son 
royaume. 

A  son  retour,  il  fît  bâtir  sur  les  bords  du  Cher  un  monas- 
tère à  S.  Eusise,  qui  lui  avait  prédit  la  victoire  :  ce  monas- 
tère est  celui  de  Celles  en  Berri.  Eusise  était  originaire  de 
Périgueux.  La  pauvreté  avait  obligé  ses  parents  de  le  vendre  à 
l'abbé  de  Percy  (3).  Il  servit  quelque  temps  le  monastère; 
admis  bientôt  parmi  les  moines,  il  fut  élevé  à  la  prêtrise, 
et  obtint  la  permission  de  se  retirer  dans  quelque  lieu  soli- 
taire ;  mais  sa  vertu  et  ses  miracles  lui  attirèrent  de  nombreux 
disciples  (4).  Il  est  honoré  le  27  novembre.  S.  Léonard  fut  son 
successeur  dans  le  gouvernement  du  monastère  de  Celles. 

A  peine  la  guerre  contre  Amalaric  eut-elle  été  terminée 

(1)  Isid.  Hist.  Gothor.  —  (2)  Greg.  Tur.;  1.  III,  c.  x. 

(3)  Ce  monastère  est  nommé  en  latin  Patriciacus  ,  et  de  Valois  croit  que 
ce  monastère  est  Percy  ou  Précy,  prieuré  du  diocèse  d'Autun  dépendant  de  l'abbaye 
de  Fleury. 

(4)  Bibl.  nov.  Labb.,  t.  II,  p.  371. 


212  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [531] 

que  Ghildebert  et  Glotaire  entreprirent  de  reconquérir  la- 
Bourgogne  ,  dont  Godemare  occupait  encore  la  meilleure 
partie,  et  ils  allèrent  mettre  le  siège  devant  Autun.  Les  Francs 
du  royaume  de  Thierry  murmurèrent  hautement  de  ce  qu'on 
ne  les  menait  pas  à  une  guerre  si  glorieuse  à  la  nation. 
Thierry  (t),  pour  les  apaiser,  les  conduisit  contre  les  rebelles 
d'Auvergne,  qui  n'étaient  pas  encore  rentrés  sous  son  obéis- 
sance depuis  l'expédition  de  Ghildebert ,  et  il  mit  le  siège 
devant  la  capitale,  résolu  de  la  punir  avec  éclat,  d'en  raser 
les  murailles  et  d'exiler  l'évèque,  qui  était  S.  Quintien.  Ce  bon 
pasteur,  plus  alarmé  du  danger  de  son  troupeau  que  de  la 
disgrâce  dont  lui-même  était  menacé,  eut  recours  aux  jeûnes 
et  à  la  prière.  Il  passait  les  nuits  avec  son  clergé  à  faire  des 
processions  autour  des  remparts  en  chantant  des  psaumes. 
On  vit  bientôt  qu'il  avait  intéressé  le  Ciel  à  sa  cause. 

Le  roi  Thierry  eut  un  songe  dont  il  fut  tellement  épouvanté 
qu'il  sauta  à  bas  de  son  lit,  et  courut  tout  éperdu  le  long  du 
grand  chemin  sans  savoir  où  ses  pas  le  portaient.  Hilpingue, 
un  de  ses  officiers,  saisit  cette  occasion  pour  le  porter  à  la  clé- 
mence et  lui  dit  :  «  Prince,  les  murailles  de  cette  ville  sont  bien 
fortes  ;  elles  sont  défendues  de  toutes  parts  par  des  remparts 
imprenables,  je  veux  dire  par  les  églises  des  saints  qui  les  en- 
tourent, et  l'évèque  de  cette  ville  passe  pour  avoir  un  grand 
pouvoir  auprès  de  Dieu.  Changez  de  résolution  et  promettez  de 
ne  pas  démolir  la  place.  »  Le  roi  suivit  ce  conseil  :  il  pardonna, 
et  la  douceur,  plus  efficace  que  la  force,  soumit  la  ville  à  son 
autorité.  Il  marcha  ensuite  contre  le  château  d'Outre.  La  justice 
divine  l'y  conduisit  pour  punir  les  scandales  d'un  prêtre  qui  s'y 
était  retiré  après  avoir  à  plusieurs  reprises  gravement  insulté 
S.  Quintien,  son  évêque.  Il  se  nommait  Procule  et  fut  massacré 
par  les  soldats  francs  aux  pieds  des  autels  qu'il  avait  profanés. 

(!)  Thierry,  qui  n'était  pas  fils  de  Ste  Clotilde,  n'avait  pas  les  mêmes  préten- 
tions sur  le  royaume  de  Bourgogne.  D'ailleurs  il  avait  épousé  une  fille  de 
S.  Sigismond  :  c'est  ce  qui  l'empêcha  apparemment  de  marcher  à  la  conquête  de 
la  Bourgogne. 


|5M2]  E\T  FRANCE.    LIVRE  V.  213 

Peu  de  temps  après  cette  expédition  de  Thierry,  S.  Quintien 
mourut  dans  une  extrême  vieillesse,  que  sa  fermeté  et  sa 
vertu  rendirent  encore  plus  respectable  que  ses  années.  On 
remarque  à  son  sujet  qu'il  n'eut  jamais  de  respect  humain  à 
l'égard  des  grands  ni  de  mépris  pour  les  petits,  et  qu'il 
honorait  les  haillons  d'un  mendiant  autant  que  la  robe  d'un 
sénateur  (1).  Dès  qu'il  entendait  un  pauvre  crier  à  sa  porte,  il 
disait  à  ses  clercs  :  «  Allez  vite  lui  porter  à  manger,  c'est 
peut-être  Jésus-Christ  lui-même.  »  Comme  il  accordait  tout 
aux  pauvres,  le  Seigneur  ne  refusait  rien  à  ses  prières.  On  en 
eut  une  preuve  éclatante  dans  une  grande  sécheresse  qui 
menaçait  l'Auvergne  d'une  famine.  Le  troisième  jour  des 
Rogations  avant  l'Ascension,  comme  la  procession  était  prête 
à  rentrer  dans  la  ville,  le  clergé  et  le  peuple  pressèrent  le 
saint  évêque  de  chanter  lui-même  une  antienne  pour  obtenir 
de  la  pluie,  persuadés  que  Dieu  en  accorderait  à  sa  prière.  Il 
se  prosterna  dans  l'instant  sur  son  cilice  et  pria  longtemps 
avec  larmes  ;  puis,  s'étant  levé,  il  chanta  comme  il  put  l'an- 
tienne :  Lorsque  le  ciel  sera  fermé,  et  qiïil  ne  tombera  pas  de 
pluie  à  cause  des  péchés  de  votre  peuple,  si,  se  convertissant,  il 
a  recours  à  vous,  exaucez-le,  Seigneur,  etc.  (2).  Sa  faible  voix 
pénétra  jusqu'au  ciel,  qui  paraissait  d'airain  :  l'air  se  couvrit 
aussitôt  de  nuages ,  et  il  tomba  une  pluie  abondante  avant  que 
la  procession  eût  regagné  la  ville.  S.  Quintien  joignit  à  la  piété 
la  science  propre  à  un  évêque  :  car  il  était  fort  versé  dans  les 
saintes  lettres.  L'Église  honore  sa  mémoire  le  13  novembre. 

S.  Gai  fut  le  successeur  de  S.  Quintien,  et  il  soutint  par  son 
mérite  la  gloire  d'un  siège  qui  avait  déjà  donné  tant  de  saints 
évêques  à  l'Église  des  Gaules.  Il  était  issu  d'une  des  plus 
nobles  familles  de  l'Auvergne  et  même  de  la  Gaule,  et  il  des- 
cendait par  sa  mère  Léocadie  de  S.  Epagathe,  cet  illustre 
martyr  de  Lyon  dont  nous  avons  parlé.  Les  parents  de  Gai, 
qui  fondaient  sur  lui  l'espérance  de  leur  maison,  voulurent 

(1)  Greg.  Tur.  VU.  PP.,  c.  iv.  —  (2)  II  Parai.,  vi.  2G. 


214  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [5321 

le  marier  à  la  fille  d'un  sénateur  ;  mais  les  charmes  et  les 
avantages  du  monde  ne  purent  le  toucher.  Il  triompha  des 
caresses  d'une  mère  qu'il  aimait  tendrement,  et,  pour  assurer 
sa  victoire  par  une  fuite  glorieuse,  il  se  réfugia  dans  le  mo- 
nastère de  Cournon  près  de  la  ville  d'Auvergne,  suppliant 
l'abbé  de  le  recevoir  au  nombre  de  ses  moines.  L'abbé,  avant 
appris  son  nom  et  sa  naissance,  ne  crut  pas  devoir  l'admettre 
sans  le  consentement  de  Georges  son  père.  Ce  vertueux  séna- 
teur fut  attristé  à  la  proposition  qu'on  lui  en  fit  ;  mais  la  piété 
l'emporta  clans  son  cœur  sur  la  tendresse  paternelle,  il  ré- 
pondit :  «  C'est  mon  fils  aîné  :  c'est  pourquoi  je  voulais  le 
marier;  mais  si  Dieu  l'appelle  à  son  service,  que  sa  sainte 
volonté  soit  faite  plutôt  que  la  mienne.  »  Ainsi  l'abbé  reçut 
Gai  et  le  fit  clerc.  Cette  expression  de  Grégoire  de  Tours  fait 
croire  que  les  abbés  donnaient  alors  la  tonsure  cléricale  (1). 

Gai  se  distingua  dans  le  monastère  par  sa  régularité  et  par 
le  charme  singulier  de  sa  voix.  S.  Quintien,  l'ayant  entendu 
chanter,  l'attacha  à  son  Église,  et  comme  sa  voix  devenait  de 
jour  en  jour  plus  belle,  on  en  parla  au  roi  Thierry,  qui  le  fit 
venir  à  sa  cour  et  l'aima  comme  son  fils,  aussi  bien  que  la 
reine.  Gai  accompagna  ce  prince  dans  un  voyage  à  Cologne, 
et  il  eut  occasion  d'y  exercer  son  zèle.  Il  y  avait  encore  dans 
cette  ville  un  temple  des  idoles,  où  l'on  venait  offrir  des  vœux 
et  des  représentations  de  membres  affligés  de  quelque  mala- 
die. Gai  v  mit  le  feu  et  le  brûla.  Les  idolâtres  en  furent  irrités 
et  le  poursuivirent,  pour  le  mettre  à  mort  ;  mais  le  roi  les 
apaisa.  Gai  regretta  toujours  de  n'avoir  pas  eu  le  bonheur  de 
verser  son  sang  pour  une  si  belle  cause,  comme  il  le  disait  à 
S.  Grégoire  de  Tours,  son  neveu,  qui  rapporte  ce  fait  (2). 

Il  était  revenu  en  Auvergne  lorsque  S.  Quintien  y  mourut. 
Gai,  qui  jusqu'alors  avait  montré  tant  de  mépris  pour  les 
biens  et  pour  les  dignités,  laissa  entrevoir  quelque  désir  de 
l'épiscopat.  On  retrouve  l'homme  dans  les  plus  grands  saints, 

(1)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  vi.  —  Thomass.,  de  ÎHscipk  écoles.  ,  1.  II,  c.  xxxix, 
p.  1.  —  (2)  Greg.  Vit.  PP.,  c.  vi. 


[532]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  215 

Dieu  le  permettant  ainsi  pour  leur  humiliation  et  pour  notre 
instruction.  Voyant  clone  les  mouvements  que  l'on  se  donnait 
pour  l'élection  d'un  évêque,  il  dit  :  «  Ils  ont  beau  faire,  c'est 
moi  qui  le  serai.  »  Il  partit  aussitôt,  d'après  le  conseil  d'un 
prêtre  qui  était  son  oncle,  pour  porter  au  roi  la  nouvelle  de 
la  mort  de  S.  Quintien.  Gomme  il  arrivait  à  Trêves,  S.  Aprun- 
cule,  évêque  de  cette  ville,  venait  de  mourir.  Le  clergé,  qui 
avait  connu  Gai  pendant  son  séjour  à  la  cour,  alla  en  corps 
prier  le  roi  de  le  leur  donner  pour  évêque.  Le  prince  répondit  : 
«  Choisissez-en  un  autre:  j'ai  sur  Gai  d'autres  vues.  »  Sur  ces 
entrefaites  des  clercs  d'Auvergne  vinrent  présenter  l'acte  d'une 
élection,  qu'ils  accompagnèrent  de  grands  présents  (1).  Car, 
dit  Grégoire  de  Tours,  cette  malheureuse  coutume  s'était  déjà 
introduite  que  les  rois  vendissent  Pépiscopat,  et  que  les  clercs 
l'achetassent.  Thierry  leur  annonça  que  le  diacre  Gai  serait 
leur  évêque,  et  le  prince,  l'ayant  fait  ordonner  prêtre,  donna 
un  festin  au  peuple  en  réjouissance  de  sa  nomination.  C'est 
pourquoi  Gai  disait  souvent  en  plaisantant,  que  l'épiscopat  ne 
lui  avait  coûté  qu'un  tiers  de  sou,  qu'il  donna  au  cuisinier  qui 
avait  préparé  le  repas.  Le  roi  le  fit  accompagner  par  deux 
évêques  jusqu'à  la  ville  d'Auvergne.  Il  y  fut  reçu  au  chant 
des  psaumes  et  ordonné  évêque  vers  l'an  532  (2). 

Thierry  fit  élire  évêque  de  Trêves  S.  Nicet,  qui  fut  un  des 
plus  dignes  prélats  de  son  temps,  et  que  Dieu  sembla  avoir 
suscité  pour  l'opposer  comme  un  mur  d'airain  aux  passions 
déréglées  des  grands  de  la  terre  (3).  Il  parut  dès  sa  naissance 
que  le  Ciel  l'avait  destiné  à  la  cléricature.  Car  il  naquit,  dit 
Grégoire  de  Tours,  avec  une  couronne  de  petits  cheveux  au- 
tour de  la  tête  :  ce  qui  fait  juger  que  clans  ce  temps-là, 
c'est-à-clire  au  commencement  du  vie  siècle ,  la  tonsure  des 

(1)  C'est  l'origine  de  la  simonie,  qui  causa  tant  de  troubles  dans  l'Église. 

(2)  Fleury,  t.  VII,  p.  354,  dit  que  S.  Gai  fut  ordonné  vers  l'an  527  ;  mais  nous 
avons  \\\,  selon  Grégoire  de  Tours,  que  S.  Quintien  était  encore  évêque  d'Auver- 
gne lorsque  Thierry  fit  la  guerre  pour  soumettre  les  rebelles  de  cette  province 
<$n  532. 

(3)  Greg.  Vit.  PP.,  c.  xvn. 


216  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [532] 

clercs  était  semblable  à  celle  que  portent  aujourd'hui  la  plu- 
part des  moines.  Ses  parents  eurent  grand  soin  de  le  faire 
élever  dans  la  piété  et  dans  l'étude  des  lettres.  Ils  le  mirent 
ensuite  sous  la  conduite  d'un  abbé,  et  il  fit  de  si  grands 
progrès  qu'il  fut  jugé  digne  de  lui  succéder  dans  le  gouver- 
nement du  monastère.  Nicet  joignit  dans  l'exercice  de  cette 
charge  une  grande  fermeté  à  une  rare  prudence,  deux  talents 
dont  l'union  est  nécessaire  pour  bien  gouverner.  Gomme  il 
savait  que  les  péchés  de  paroles  sont  les  plus  fréquents  dans 
les  communautés  religieuses,  il  recommandait  surtout  à  ses 
moines  de  n'en  jamais  proférer  d'oiseuses,  mais  de  n'ouvrir 
la  bouche  que  pour  glorifier  le  Seigneur.  Il  reprenait  même 
avec  une  sainte  liberté  les  vices  du  roi  Thierry,  et  ce  prince, 
qui  avec  de  grands  défauts  avait  de  la  droiture,  ne  s'en  offen- 
sait pas.  Ce  fut  au  contraire  ce  qui  l'engagea  à  l'élever  à  l'é- 
piscopat  :  car  si  les  grands  n'aiment  pas  ceux  qui  osent  leur 
dire  la  vérité,  ils  ne  peuvent  leur  refuser  leur  estime. 

Pendant  que  Thierry  soumettait  les  rebelles  d'Auvergne 
comme  nous  l'avons  dit ,  Childebert  et  Glotaire  achevaient 
de  réduire  sous  l'obéissance  des  Francs  ce  qui  restait  à  con- 
quérir du  royaume  de  Bourgogne.  Mais  ces  deux  princes  ter- 
nirent par  un  horrible  attentat  la  gloire  d'une  si  belle  con- 
quête :  les  crimes  les  plus  odieux  semblent  ne  rien  coûter 
à  ceux  que  l'ambition  aveugle,  lorsqu'un  royaume  en  est  le 
prix. 

Clodomir  avait  laissé  en  mourant  trois  enfants  fort  jeunes 
et  presque  au  berceau,  savoir  :  Théobald  ou  Thibauld,  Gon- 
thaireet  Clodoald  ou  Cloud.  La  reine  Glotilde,  leur  aïeule,  prit 
soin  de  leur  éducation  et  revint  avec  eux  à  Paris,  pour  être 
plus  à  portée  de  soutenir  les  intérêts  de  ces  princes  orphelins 
auprès  des  rois  leurs  oncles  et  leur  faire  restituer  les  États 
de  leur  père.  Childebert,  roi  de  Paris,  ayant  pressenti  le  dessein 
de  Glotilde,  envoya  secrètement  prier  Glotaire,  roi  de  Sois- 
sons  ,  de  se  rendre  à  Paris  pour  y  traiter  ensemble  des 
moyens  de  s'opposer  aux  desseins  de  cette  princesse  relative- 


[533]  EN  FRAA'CE.   —  LIVRE  Y.  217 

ment  aux  enfants  de  Clodomir.  Clotaire  s'y  rendit  en  dili- 
gence, et  Childebcrt  fît  courir  le  bruit  qu'il  n'avait  souhaité 
cette  entrevue  que  pour  remettre  les  jeunes  princes  sur  le 
trône  de  leur  père.  Les  deux  rois,  s'étant  concertés  ensemble, 
firent  prier  Glotilde  de  leur  envoyer  les  enfants  de  Clodomir , 
afin,  disaient-ils,  de  les  faire  reconnaître  solennellement 
pour  rois.  La  pieuse  reine  ne  pouvait  recevoir  une  nouvelle 
qui  lui  fût  plus  agréable.  Elle  envoya  aussitôt  les  jeunes 
princes  en  leur  disant  :  «  J'oublierai  que  j'ai  perdu  mon  fils 
si  je  vous  vois  régner  en  sa  place.  »  Mais  sa  joie  fut  de  courte 
durée. 

A  peine  les  trois  princes  étaient-ils  entrés  dans  le  palais, 
qu'on  se  saisit  d'eux  et  qu'on  les  sépara  de  leurs  gouver- 
neurs et  cle  tous  ceux  qui  étaient  à  leur  service.  En  même 
temps  Childebert  et  Clotaire  envoyèrent  Arcade,  ce  sénateur 
d'Auvergne  dont  nous  avons  parlé,  présenter  de  leur  part  à 
Clotilde  une  paire  de  ciseaux  et  une  épée  nue ,  afin  qu'elle 
choisît  une  des  deux  pour  ses  petits-fils  et  qu'elle  déclarât 
par  ce  choix  si  elle  aimait  mieux  qu'on  les  fit  mourir  ou 
qu'on  leur  coupât  les  cheveux  :  ce  qui  aurait  été  une  marque 
qu'ils  étaient  réduits  au  rang  de  sujets  (1).  Clotilde,  saisie 
d'horreur  et  toute  hors  d'elle-même  à  une  proposition  si  peu 
attendue,  répondit  dans  le  premier  mouvement  de  son  indi- 
gnation qu'elle  aimait  mieux  les  voir  morts  que  tondus. 
Arcade  n'attendit  pas  d'autre  réponse  et  courut  dire  aux 
deux  rois  que  la  reine  consentait  qu'ils  exécutassent  leur 
dessein.  Aussitôt  Clotaire,  prenant  Théobald,  l'aîné  des  trois 
princes,  le  jeta  contre  terre  et  lui  enfonça  un  poignard  dans 
le  cœur  (2).  A  ce  spectacle  Gonthaire,  qui  n'avait  guère  que 

(1)  Greg.  Tur. —  Agatbiasclit  que  parmi  les  Francs  c'était  un  privilège  de  la  fa- 
mille royale  de  porter  les  cheveux  longs  :  ce  qu'on  ne  permettait  pas  aux  sujets, 
qui  devaient  avoir  la  chevelure  tondue  en  rond. 

(2)  Comme  Grégoire  de  Tours  raconte  le  massacre  de  ces  trois  princes  après 
avoir  parlé  de  la  guerre  de  Bourgogne,  le  P.  Daniel,  que  nous  avons  suivi,  rapporte 
ce  tragique  événement  à  l'an  533.  Mais  il  n'a  pas  fait  réllexion  qu'en  prenant  ce 
parti  il  n'a  pu  dire  que  le  second  de  ces  princes  n'avait  que  sept  ou  huit  ans, 
puisque  Clodomir,  son  père,  mourut  l'an  524,  comme  le  marque  cet  historien  sur 


218  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [533] 

neuf  ans,  courut  embrasser  les  genoux  de  Childebert  en  lui 
criant  :  «  Sauvez-moi ,  mon  cher  père ,  empêchez  qu'on  ne 
me  tue  comme  mon  frère.  »  Childebert  fut  attendri  des  maux 
mêmes  dont  il  était  le  premier  auteur,  et  dit  à  Glotaire,  lesyeux 
baignés  de  larmes  :  «  Mon  cher  frère ,  accordez-moi  la  vie  de 
cet  enfant,  et  je  vous  céderai  tout  ce  que  vous  me  demande- 
rez. »  Mais  Clotaire,-  transporté  de  fureur  et  tenant  le  poignard 
encore  dégouttant  de  sang,  lui  dit  :  «  Il  mourra,  ou  tu  mour- 
ras pour  lui.  C'est  toi  qui  m'as  engagé  dans  cette  affaire,  et  tu 
manques  sitôt  à  ta  foi  !  »  À  ces  mots  Childebert  lui  rejeta  le 
jeune  prince,  que  Clotaire  poignarda  aussitôt.  Des  hommes 
de  cœur  sauvèrent  Clodoald  ou  Cloud,  le  plus  jeune  ;  mais 
ces  deux  meurtres  ne  suffirent  pas  aux  deux  rois,  qui,  les 
mains  teintes  du  sang  de  leurs  neveux,  massacrèrent  en- 
suite les  gouverneurs  et  tous  ceux  qui  étaient  attachés 
à  ces  malheureux  princes.  Exemple  bien  tragique  des  fu- 
reurs d'une  passion  également  sourde  à  la  voix  de  la  reli- 
gion et  à  celle  de  la  nature.  C'est  ainsi  que  la  prophétie  du 
saint  abbé  de  Mici  se  vérifia  sur  les  deux  enfants  deClodomir. 

Ste  Clotilde  fut  inconsolable  d'une  action  si  barbare  com- 
mise par  ses  propres  enfants.  Pour  soulager  sa  douleur,  elle 
lit  faire  aux  deux  princes  de  magnifiques  funérailles.  Un 
nombreux  clergé  y  chanta  des  psaumes,  et  elle  accompagna  le 
convoi  jusqu'à  l'église  des  Saints-Apôtres,  qui  fut  depuis  celle 
de  Sainte-Geneviève,  où  ils  furent  enterrés  dans  le  même  sé- 
pulcre auprès  de  Clovis,  leur  aïeul.  Clotilde  retourna  ensuite  à 
Tours,  pour  y  pleurer,  auprès  du  tombeau  de  S.  Martin,  la 
mort  de  ses  petits-fils  et  encore  plus  le  crime  de  ses  enfants. 

Ce  désastre  devint  pour  Clodoald ,  échappé  au  massacre, 
la  source  du  plus  solide  bonheur.  Le  premier  usage  que  ce 

l'autorité  de  la  Chronique  de  Marius.  S.  Cloud,  le  dernier  de  ces  princes,  devait 
être  âgé  en  533  de  sept  ou  liait  ans  :  car  il  fut  ordonné  prêtre  par  Eusèbe,  évêque 
de  Paris,  à  qui  S.  Germain  succéda  l'an  555.  On  sait  que  suivant  l'usage  de  ce 
temps- là  il  fallait  avoir  trente  ans  pour  être  promu  à  la  prêtrise.  Si  l'on  veut 
s'en  tenir  à  l'âge  que  Grégoire  de  Tours  donne  à  ces  princes,  il  faut  fixer  à  ce 
massacre  une  date  antérieure. 


33]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  219 

une  prince  fit  de  sa  raison  et  de  la  grâce  qui  l'cclairait,  fut 
3  mépriser  une  couronne  qui  l'exposait  à  tant  de  périls  pour 
cher  d'en  mériter  une  immortelle,  que  l'ambition  n'envie 
Dint  et  qu'elle  ne  peut  enlever.  Il  se  coupa  lui-même  les 
îeveux  et  se  retira  auprès  d'un  saint  solitaire  nommé  Séve- 
n,  qui  vivait  retiré  dans  une  cellule  près  de  Paris.  li pratiq- 
ua quelque  temps  avec  lui  les  exercices  de  la  vie  monas- 
que.  Mais  la  crainte  qu'il  eut  que  les  rois  ses  oncles  ne  lui 
ordonnassent  pas  l'estime  et  les  respects  que  sa  naissance  et 
»s  malheurs  lui  attiraient,  l'obligea  à  chercher  un  asile  dans 
,  Provence,  hors  de  leurs  États.  Il  revint  ensuite  à  Paris, 
î  l'évêque  Eusèbe  l'ordonna  prêtre  à  la  prière  de  tout  le 
îuple.  Clodoald ,  après  avoir  servi  cette  Église  quelques 
mées,  se  bâtit  un  monastère  sur  la  Seine  à  deux  lieues  de 
iris,  dans  un  village  alors  nommé  Nogent,  où  il  mourut 
us  célèbre  encore  par  ses  miracles  et  sa  sainteté  que  par 
,  naissance  et  les  disgrâces  de  sa  famille  (1).  Son  monastère 
îvint  depuis  une  église  collégiale,  où  reposait  son  corps, 
village  de  Nogent  n'est  plus  connu  que  sous  le  nom  de 
lint-Cloud  (2).  L'Église  honore  sa  mémoire  le  7  septembre; 
est  le  premier  saint  du  sang  de  nos  rois.  Les  reliques  de 
Sé vérin,  dont  on  vient  de  parler,  furent  portées  à  Notre- 
ime  de  Paris  ;  il  est  honoré  le  24  novembre  (3- . 
Les  rois  francs  voulurent,  selon  toute  apparence,  en  proté- 
iant  la  religion  réparer  en  quelque  sorte,  le  scandale  qu'ils 
înaient  de  donner  à  leurs  sujets.  Ils  ordonnèrent  aux  évê- 
îes  de  se  rendre  à  Orléans  pour  y  faire  les  règlements  né- 
issaires  au  rétablissement  de  la  discipline.  Ceux  qui  ne  rés- 
ident aucunes  lois  ont  quelquefois  du  zèle  pour  les  faire  res- 

(t)  Vit.  Clodoaldi. 

[2)  Dans  uu  ancien  ma^rtyrologe  de  la  bibliothèque  de  la  maison  d'Ottoboni, 
Cloud  est  nommé  roi  et  confesseur  :  les  anciens  auteurs  appellent  souvent  rois 
fils  de  rois. 

13)  Le  Martyrologe  d'Usuard  p'ace  Ja  fête  de  S.  Séverin  le  23  novembre,  et  le 
•rtyrolocje  romain,  le  27  du  même  mois.  Ce  n'est  pas  à  lui  qu'est  dédiée  l'église 
roissiale  de  Saint-Séverin  de  Paris,  comme  l'a  cru  le  P.  Lecointe  :  c'est  à  S.  Se- 
rin de  Château-Landon,  qui  avait  guéri  Clo>  is. 


220  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [533 

pecter  aux  autres.  Il  se  tint  donc  un  second  concile  en  cetti 
ville,  et  l'on  y  fît  les  canons  suivants,  qui  sont  datés  di 
23  juin  de  la  vingt-deuxième  année  de  Childebert,  c'est-à-dir 
l'an  533  (1).  -  I 

I.  Aucun  évêque  appelé  par  son  métropolitain  aux  concile 
et  aux  ordinations  ne  se  dispensera  d'y  assister. 

II.  Le  métropolitain  tiendra  tous  les  ans  le  concile  de  1 
province. 

III.  L'évêque  ne  recevra  rien  pour  les  ordinations. 

IV.  On  rejettera  comme  un  réprouvé  celui  qui,  par  une  dé  I 
testable  ambition,  tâche  d'obtenir  Tépiscopat  à  prix  d'an 
gent  (2).  I 

Y-YI.  L'évêque  appelé  pour  les  funérailles  d'un  autr 
évêque  ne  refusera  pas  d'y  aller ,  et  il  ne  recevra  rien  sino: 
les  frais  de  son  voyage.  Il  assemblera  les  prêtres,  et,  aprè 
avoir  fait  avec  eux  l'inventaire  delà  maison  de  l'Eglise,  ill 
laissera  à  la  garde  de  personnes  sûres,  afin  que  ce  qui  appaij 
tient  à  l'Église  ne  se  perde  point. 

On  voit  par  ce  canon  que  les  meubles  de  l'évêque  décéd 
étaient  conservés  pour  le  successeur. 

YII.  Le  métropolitain,  suivant  les  anciens  canons,  sera  él 
par  les  évêques  de  la  même  province  avec  le  clergé  et  ]j 
peuple,  et  il  sera  ordonné  par  ses  évêques  suffragants  & 
semblés. 

VIII.  Le  diacre  qui  s'est  marié  dans  la  captivité,  s'il  est  r< 
mis  en  liberté,  sera  privé  des  fonctions  de  son  ministère. 

IX.  Défense  à  tout  prêtre  de  demeurer  avec  des  laïque: 
sous  peine  d'être  privé  des  fonctions  du  sacerdoce. 

Ce  canon  est  remarquable  et  fait  voir  que  les  prêtres  dt 
meuraient  seuls  ou  avec  d'autres  clercs  dans  une  espèce  d  t 
communauté. 

X.  Il  est  défendu  sous  peine  d'anathème  d'épouser  sa  belle 
mère. 

(1)  Conc.  GalL,  t.  I.—  Labb.,  t.  IV,  p.  1770.  —  (2)  L'Église  n'a  pas  manqué  < 
s'opposer  à  la  simonie  dès  sa  première  apparition. 


J  Î3]  EN  FRANCE.    LIVRE  V.  221 

XI.  L'infirmité,  quelle  qu'elle  soit,  qui  survient  après  le  ma- 
Iige  contracté  n'est  pas  une  raison  pour  le  dissoudre. 

XII.  Il  est  défendu  d'accomplir  des  vœux  dans  les  églises 
1  chantant,  en  buvant  ou  en  commettant  d'autres  immodes- 
!S,  plus  propres  à  irriter  Dieu  qu'à  l'apaiser. 

Ces  excès  étaient  des  restes  des  superstitions  païennes, 
l'on  eut  bien  de  la  peine  à  extirper  entièrement. 

XIII.  Il  est  interdit  aux  abbés,  à  ceux  qui  gardent  les  tom- 
aux  des  martyrs,  aux  reclus  et  aux  prêtres  de  donner  des 
ttres  de  communion. 

XIV.  Les  clercs  qui  négligent  leur  office  ou  qui  refusent  de 
trouver  à  l'église  à  leur  rang  seront  dégradés. 

XV.  On  recevra  les  offrandes  pour  les  morts  qui  ont  été 
és  dans  la  perpétration  de  quelque  crime,  pourvu  qu'ils  ne 
:  soient  pas  donné  la  mort  eux-mêmes. 

XVI.  On  n'ordonnera  pas  prêtre  ou  diacre  celui  qui  n'a 
icune  teinture  des  lettres  ou  qui  ne  sait  pas  administrer  le 
tptême. 

XVII  -XVIII.  Si  les  femmes  qui  ont  été  ordonnées  diaco- 
ssses  contre  la  défense  des  canons  se  remarient,  elles  se- 
mt  excommuniées.  Et  on  renouvelle  la  défense  d'ordonner 
3s  diaconesses,  à  cause  de  la  fragilité  de  ce  sexe. 

XIX.  Les  mariages  avec  les  Juifs  sont  défendus,  sous  peine 
'excommunication . 

XX.  Les  catholiques  qui  retournent  au  culte  des  idoles  ou 
ui  mangent  des  viandes  immolées,  sont  excommuniés,  aussi 
ien  que  ceux  qui  mangent  de  la  chair  des  animaux  mis  à 
îort  par  les  morsures  des  bêtes,  ou  morts  de  maladie,  ousuf- 
)qués  par  quelque  accident. 

On  crut  encore  longtemps  après  en  quelques  Eglises  devoir 
arder  ces  observances  de  la  loi  mosaïque. 

XXI.  On  ne  recevra  pas  à  la  communion  les  abbés  qui  se 
nontrent  rebelles  aux  ordres  des  évêques. 

Vingt-six  évêques  assistèrent  en  personne  à  ce  concile ,  et 
inq  par  députés.  Il  parait  probable  qu'Honorât  de  Bourges, 


222  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [533] 

qui  souscrivit  le  premier,  y  présida.  Les  autres  métropolitains, 
qui  sont  :  S.  Flavius  ou  Fliu  cle  Rouen,  successeur  de  S.  Gil- 
dard,  S.  Léon  de  Sens,  Injuriosus  de  Tours,  S.  Julien  de 
Vienne,  Aspais  d'Eauze,  ne  gardent  aucun  rang  dans  les  sous- 
criptions (1).  Injuriosus  de  Tours  avait  succédé  à  Francilion, 
qui,  ayant  demandé  à  boire  la  veille  de  Noël  avant  d'aller  à 
matines,  fut  empoisonné  et  mourut  sur-le-champ.  Il  aviat 
tenu  ce  siège  après  Léon,  loué  pour  son  adresse  à  travailler 
en  bois  et  en  orfèvrerie.  Léon  succéda  à  Ommatius,  et  celui-ci 
à  Dinisius,  qui  gouverna  l'Église  de  Tours  après  les  deux 
évêques  bourguignons  dont  nous  avons  parlé  (2).  Tous  ces 
prélats  tinrent  peu  de  temps  ce  siège.  S.  Julien  de  Vienne 
était  successeur  de  S.  Avite.  Il  est  honoré  le  22  avril.  Sa  pré- 
sence à  ce  concile  est  une  preuve  qu'une  bonne  partie  de  la 
Bourgogne  était  dès  lors  soumise  aux  Francs. 

Parmi  les  autres  évêques  du  second  concile  d'Orléans,  les 
plus  distingués  sont  :  S.  Lô  de  Goutances,  qui  après  la  mort  de 
Possesseur  fut  ordonné  évêque  de  cette  ville  par  S.  Gildard; 
S.  Eleutlière  d'Auxerre  (3),  Eumérius  de  Nantes,  S.  Innocent 
du  Mans,  S.  Agrippin  d'Autun,  S.  Gai  d'Auvergne,  qui  pareil 
avoir  été  presque  le  seul  évêque  des  États  de  Thierry  qui  ait 
assisté  à  ce  concile ,  et  encore  il  s'y  fît  représenter  par  un 
député,  ainsi  que  S  Léon  de  Sens,  dont  l'Église  célèbre  la 
fête  le  22  avril.  C'est  avec  ce  dernier  que  S.  Rémi  eut  le  dé- 
mêlé dont  nous  avons  parlé. 

(1)  Fleury,  t.  VIT,  p.  352,  dit  que  les  souscriptions  de  ce  concile  montrent 
qu'on  y  suivait  le  rang  de  l'ordination,  sans  égard  à  la  dignité  des  sièges.  Mai* 
elles  font  voir  au  contraire  qu'on  ne  suivait  nullement  le  rang  de  l'ordination.  Car 
Clironope  de  Périgueux,  qui  souscrit  après  Honorât  de  Bourges,  Léonce  d'Or- 
léans, Aspais  d'Eauze  et  Eleutlière  d'Auxerre,  était  certainement  plus  ancien 
dans  l'épiscopat  que  ces  évêques  ,  puisqu'il  assista  au  premier  concile  d'Orléans 
avec  leurs  prédécesseurs. 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  X,  c.  ult.  —  Dans  un  autre  endroit  de  son  histoire  il  arrange 
autrement  cette  succession  des  évêques  de  Tours  :  nous  avons  cru  devoir  suivre 
ce  qu'il  en  dit  quand  il  en  traite  e.r  pfofesso. 

(o)  Le  Martyrologe  romain  honore  la  mémoire  de  S.  Éleuthère  d'Auxerre  ie 
1G  août.  Il  est  surprenant  que  les  frères  de  Sainte-Marthe  ne  lui  donnent  pas  la  qualité 
de  saint.  S.  Eleuthère  avait  succédé  à  S.  Droetald,  et  celui-ci  à  S.  Optât,  qui  tint 
le  siège  api*ès  Grégoire  successeur  de  S.  Théodose,  dont  nous  avons  parlé. 


533]  EM  FRANCE.   —  LIVRE  V.  223 

Ce  saint  évêque  était  mort  dès  le  commencement  de  cette 
|  innée  533.  Ii  fit,  étant  encore  en  pleine  santé,  un  testament 
jtii  nous  a  été  conservé  et  qui  passe  pour  une  pièce  authen- 
tique selon  l'édition  que  Labbe  en  a  donnée  (1).  Remi  y 
nstitue  ses  héritiers  l'Église  de  Reims ,  Loup  évêque  de 
boissons  et  le  prêtre  Agricole,  tous  deux  ses  neveux.  Entre 
mtres  choses,  il  lègue  à  l'Église  de  Reims  et  à  celle  de  Laon 
lin  grand  vase  d'argent  pesant  dix-huit  livres,  pour  en  faire 
|  les  calices  et  des  patènes.  Il  ajoute  en  parlant  à  l'Église  de 
Ifteims  :  «  Je  vous  lègue  aussi  un  autre  vase  que  m'a  donné 
e  roi  Glovis  de  glorieuse  mémoire,  que  j'ai  levé  des  sacrés 
ï  font  s,  et  je  veux  qu'on  en  fasse  un  ciboire  (2)  et  un  calice 
sculpté,  ce  que  je  ferai  exécuter  par  moi-même  si  le  Seigneur 
ne  conserve  la  vie.  »  Gomme  ce  calice  devait  servir  pour  la 
hommunion  du  peuple,  il  ordonna  qu'on  y  gravât  trois  vers 
Latins  qu'il  avait  fait  mettre  sur  un  vase  de  l'Église  de  Laon. 
Ils  sont  une  trop  belle  preuve  de  la  foi  de  l'Église  sur  le  chan- 
I  Renient  du  vin  au  sang  de  Jésus-Christ  pour  les  omettre  ;  les 
iiroici  : 

Hauriat  hinc  popuhts  vitam  de  sanguine  sacro, 
Injectn  œternus  quem  fudit  vulnere  Christus. 
Remigius  reddit  Domino  sua  vota  sacerdos. 

Test-à-dire  :  «  Que  le  peuple  puise  la  vie  en  buvant  (3)  le 
sang  sacré  que  Jésus-Christ  a  versé  de  ses  plaies.  L' évêque 
Remi  accomplit  les  vœux  qu'il  a  faits  au  Seigneur.  »  Hincmar 
ajoute  que  ce  calice  s'était  conservé  jusqu'à  son  temps,  qu'il 
fut  fondu  alors  pour  payer  aux  Normands  la  rançon  des  captifs. 
S.  Remi  donne  au  prêtre  Agricole,  son  neveu,  une  vigne,  à  la 
charge  de  faire  pour  lui  une  offrande  à  l'autel  les  fêtes  et  les 

(t)  Testant .  S.  Remig.,  t.  I  Biblioth.  nov.  Labb.,  p.  806. 

(2)  Il  y  a  dans  plusieurs  exemplaires  turriculuvu  Je  crois  qu'il  faut  lire  tur- 
riculam,  une  petite  tour,  c'est— à-dire  un  ciboire  :  on  nommait  ainsi  les  ciboires  à 
^ause  de  leur  forme.  Dans  quelques  éditions  on  lit  thuribulum,  un  encensoir. 

(3)  Le  peuple,  pour  la  communion,  buvait  le  sang  de  Jésus-Christ  au  moyen  d'un 
siphon  d'or  ou  d'argent  placé  dans  le  calice. 


224  HISTOIRE  DE  l/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [533] 

dimanches,  et  de  donner  tous  les  ans  un  festin  aux  prêtres 
et  aux  diacres  de  l'Église  de  Reims.  Il  charge  un  autre  de  ses 
neveux  d'en  donner  aussi  un  tous  les  ans  aux  prêtres  et  aux 
diacres  de  l'Église  de  Laon.  Cette  dévotion  de  fonder  des  fes- 
tins à  certains  jours  pour  les  chanoines  ou  pour  les  moines 
devint  fort  en  usage  dans  les  siècles  suivants.  S.  Remi  lègue 
huit  sous  à  l'Église  de  Soissons,  six  à  celle  de  Chàlons  et 
cinq  à  celle  de  Mouson.  On  voit  par  le  nombre  des  legs  que 
'ce  saint  évêque  était  fort  riche  en  terres  et  en  esclaves. 

Peu  de  temps  après  que  S.  Remi  eut  fait  ce  testament,  il 
perdit  la  vue.  Cette  affliction  redoubla  sa  ferveur  et  acheva 
de  le  détacher  de  la  terre  ;  mais  il  eut  la  consolation  de  recou- 
vrer l'usage  des  veux  avant  sa  mort.  Il  voulut  être  enterré  dans 
l'église  dédiée  aux  SS.  Timothée  et  Apollinaire  :  c'est  pourquoi 
il  ajouta  à  son  testament  un  codicille  par  lequel  il  léguait  un 
vase  d'argent  à  cette  église,  parce  qu'il  y  avait  choisi  sa  sé- 
pulture. Il  mourut  dans  une  extrême  vieillesse,  le  13  jan- 
vier 533,  âgé  de  quatre-vingt-seize  ans  et  après  soixante-qua- 
torze ans  d'épiscopat.  Sa  fête  se  célèbre  le  1er  octobre,  jour 
de  la  translation  de  ses  reliques.  La  reconnaissance  des 
Francs,  qui  l'ont  regardé  avec  raison  comme  l'apôtre  de  la 
nation,  et  les  miracles  opérés  à  son  tombeau  ont  rendu  sa 
mémoire  très-précieuse  à  l'Église  de  France. 

A  ne  considérer  que  les  talents  naturels  de  S.  Remi,  il  pour- 
rait encore  passer  pour  un  des  plus  grands  hommes  de  son 
temps.  On  loue  particulièrement  en  lui  une  éloquence  égale- 
ment solide  et  brillante,  qui  le  rendait  maître  des  cœurs.  Il  en 
donna  des  preuves  dans  un  recueil  de  harangues,  ou,  comme 
on  disait  alors,  de  déclamations ,  qu'il  rendit  public.  Cet  ou- 
vrage est  perdu;  mais  S.  Sidoine,  bon  connaisseur,  nous  en 
donne  la  meilleure  idée  dans  une  lettre  par  laquelle  il  en 
félicita  l'auteur  en  ces  termes  (1)  : 

«  Un  de  nos  concitoyens,  qui  a  fait  un  voyage  à  Reims, 


(1)  Sid.,  1.  IX,  Epist.  vu. 


[533]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  V.  225 

a  obtenu  do  votre  libraire  ou  de  votre  copiste  un  exemplaire  de 
vos  discours.  Nous  nous  mîmes  aussitôt,  moi  et  tous  ceux 
qui  aiment  les  belles-lettres,  à  en  apprendre  par  cœur  une 
partie  et  à  transcrire  le  tout.  Nous  sommes  convenus  una- 
nimement que  peu  de  personnes  ont  aujourd'hui  le  talent 
d'écrire  delà  sorte.  Et  de  fait,  il  y  a  fort  peu  d'orateurs, 
et  peut-être  il  n'y  en  a  aucun  qui  s'empare  si  bien  de  son 
sujet,  qui  l'arrange  et  le  compose  avec  tant  d'art.  On  trouve 
en  vos  écrits  de  la  justesse  dans  les  exemples,  de  la  fidélité 
dans  les  citations ,  de  la  propriété  dans  les  épithètes ,  de  l'élé- 
gance dans  les  figures,  du  poids  dans  les  preuves,  de  la 
force  dans  les  pensées ,  de  l'abondance  dans  les  termes  : 
c'est  un  fleuve  qui  coule  ;  de  la  véhémence  dans  les  pérorai- 
sons :  c'est  une  foudre  qui  frappe.  Ajoutez  à  cela  que  tout  le 
discours  forme  un  corps  dont  toutes  les  parties,  bien  propor- 
tionnées ,  se  tiennent  et  sont  liées  par  de  belles  transitions  : 
ce  qui  rend  votre  style  poli  comme  une  glace  de  cristal. 
Enfin,  je  puis  hardiment  assurer  qu'il  n'y  a  point  d'homme 
sur  la  terre  si  éloquent  que  vous  ne  puissiez  surpasser  sans 
peine.  C'est  pourquoi,  seigneur  évêque,  je  crains  presque 
qu'un  don  si  rare  ne  vous  inspire  quelque  orgueil  (  par- 
donnez-moi ce  terme)  ;  mais  quoique  vous  ayez  la  conscience 
aussi  pure  que  la  diction,  vous  ne  devez  pas  nous  mépriser. 
Si  nous  écrivons  mal,  nous  savons  estimer  ce  qui  est  bien 
écrit.» 

Grégoire  de  Tours  rend  le  même  témoignage  que  S.  Sidoine 
à  l'érudition  et  à  l'éloquence  de  S.  Remi  (1).  Il  est  bien  glo- 
rieux pour  la  religion  que  les  plus  grands  saints  aient  sou- 
vent été  les  plus  grands  hommes  et  les  plus  beaux  esprits 
de  leur  siècle.  Quant  au  commentaire  sur  les  Épîtres  de 
S.  Paul  attribué  communément  à  S.  Remi,  il  est  certaine- 
ment d'un  auteur  beaucoup  plus  récent ,  et  probablement  de 
Remi  d'Auxerre  ou  d'Haimon  d'Halberstadt. 


(1)  Hïsf.,  1.  II,  c.  xxxi. 

TOME  II. 


io 


226  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [533] 

S.  Romain,  abbé  de  Mantenai  près  de  Troyes,  fut  succes- 
seur de  S.  Remi;  mais  il  occupa  peu  de  temps  ce  grand  siège, 
qui  avait  acquis  un  nouvel  éclat  par  l'épiscopat  de  son  pré- 
décesseur. Hincmar  assure  que  le  pape  Hormisdas  donna  à 
S.  Remi  la  qualité  de  légat  et  de  vicaire  du  Saint-Siège  dans 
le  royaume  de  Clovis  (1).  L'estime  dont  jouissait  S.  Remi  dans 
l'épiscopat ,  et  les  égards  que  les  papes  devaient  avoir  pour 
un  protecteur  de  l'Église  aussi  zélé  que  l'était  Clovis ,  rendent 
cette  assertion  probable.  Mais  il  faut  reconnaître  que  la  lettre 
d'Hormisdas  à  ce  sujet ,  rapportée  par  Hincmar,  fait  naître  une 
grande  difficulté.  On  y  parle  de  Clovis  comme  étant  encore 
vivant ,  et  cependant  ce  prince  était  mort  avant  qu'Hormisdas 
fût  élevé  sur  le  Saint-Siège.  La  difficulté  disparaît  si  l'on 
suppose  qu'Hincmar  ne  s'est  trompé  qu'en  attribuant  à  Hor- 
misdas un  privilège  accordé  par  Symmaque, 

Un  seigneur  franc  d'une  rare  piété  nommé  Àrnoult ,  qui 
s'était  séparé  de  sa  femme  pour  vivre  dans  la  continence, 
ayant  appris  la  mort  de  S.  Remi,  qui  l'avait  baptisé  et  élevé,  i 
vint  à  Reims  pour  être  témoin  des  miracles  qui  s'opéraient 
à  son  tombeau.  Mais  il  fut  assassiné  par  les  domestiques  de  sa 
femme ,  qui  voulurent  la  venger  à  son  insu  du  prétendu  mé- 
pris qu'il  faisait  d'elle.  Il  est  honoré  comme  martyr  le  18  juillet 
dans  une  petite  ville  du  diocèse  de  Versailles  appelée  de  son 
nom  Saint- Arnoult.  On  ajoute  à  ce  que  nous  venons  de  rappor- 
ter qu' Arnoult  avait  été  ordonné  évêque  de  Tours,  et  que  pen- 
dant qu'on  rapportait  son  corps  de  Reims  à  Tours ,  il  s'arrêta 
miraculeusement  à  l'endroit  auquel  on  a  depuis  donné  son 
nom.  Mais  s'il  avait  été  évêque  de  Tours,  il  est  difficile  de 
croire  que  S.  Grégoire  de  Tours  eût  ignoré  ce  fait,  ou  qu'en 
faisant  l'histoire  de  ses  prédécesseurs  il  eût  omis  de  parler 
d'un  évêque  qui  par  sa  noblesse,  sa  piété  et  son  martyre 
devait  faire  honneur  à  son  Église.  Nous  n'osons  cependant 
nous  prononcer,  parce  que  d'anciens  bréviaires  donnent  à 


(1)  Hincm.  Vit.  Remiy. 


[533]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  V.  227 

S.  Arnoult  la  qualité  d'évêque  de  Tours.  Scariberge,  sa  femme, 
est  aussi  honorée  comme  sainte. 

Un  autre  seigneur  du  diocèse  de  Reims ,  nommé  Attole , 
ami  particulier  de  S.  Remi,  mérite  bien  que  l'Église  conserve 
sa  mémoire  dans  ses  annales  (1).  Il  fonda  de  ses  biens  jusqu'à 
douze  hôpitaux,  comme  l'attestait  son  épitaphe.  Flodoard 
rapporte  que  de  son  temps  on  la  voyait  encore  sur  le  frontis- 
pice de  l'église  de  Saint- Julien.  Il  est  d'usage  de  mentionner 
sur  les  mausolées  des  grands  les  terres  dont  ils  ont  été  les 
seigneurs  :  on  les  louerait  beaucoup  mieux  si  Ton  pouvait 
narquer  celles  qu'ils  ont  données  aux  pauvres. 

S.  Thierry,  ce  fidèle  disciple  de  S.  Remi,  ne  lui  survécut 
jas  longtemps.  Il  mourut  le  1er  juillet  vers  l'an  533,  après 
I  s'être  rendu  célèbre  dans  le  royaume  d'Austrasie  par  un 
j^rand  nombre  de  miracles.  Le  roi  Thierry,  ayant  appris  sa 
nort ,  se  rendit  en  diligence  à  son  monastère  et  voulut  lui- 
[nême  porter  le  corps  jusqu'au  lieu  de  la  sépulture.  La  recon- 
naissance n'eut  pas  moins  de  part  que  la  piété  à  ces  devoirs, 
"e  prince,  qui  était  en  danger  de  perdre  un  œil ,  avait  été  guéri 
I  )ar  ce  saint  abbé  et  il  donna  par  reconnaissance  la  terre  de 
iermigny  à  son  monastère.  On  assure  aussi  que  le  même  saint 
ressuscita  la  fille  du  roi  en  lui  faisant  des  onctions  avec  le 
i haint  chrême.  Les  plus  anciens  actes  de  S.  Thierry  ne  font  pas 
;  I  nention  de  cette  résurrection  ;  mais  on  cite  des  chartes  par 
esquelles  le  roi  donne  à  ce  sujet  deux  autres  terres  au  saint 
iibbé,  savoir  celle  de  Yerdières  et  celle  de  Gueux. 

Plusieurs  autres  saints  édifièrent  la  province  de  Reims  sous 
'épiscopat  de  S.  Remi.  On  compte  parmi  eux  S.  Bertauld,  er- 
|nite,  et  les  saintes  vierges  Libérate  et  Olivérie  ou  Olive.  Mais 
ien  ne  fut  plus  éclatant  que  l'exemple  que  donnèrent  sept 
rères  ,  qui  passèrent  avec  leurs  trois  sœurs  d'Irlande  dans  la 
jaule  pour  se  consacrer  aux  exercices  de  la  piété  chrétienne, 
ls  furent  reçus  avec  charité  par  S.  Remi  et  ils  allèrent  s'établir 

(l)Flod.,  1.  I,  c.  xxin. 


228  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [533] 

en  divers  endroits  sur  la  Marne .  Ils  se  nommaient  :  Gibrien , 
Hélan,  Trésain  (1),  Germain,  Yéran,  Abran,  Pétran,  Francia, 
Promptia  et  Posemna.  S.  Gibrien,  prêtre,  qui  était  à  la  tête  de 
cette  famille ,  est  le  plus  célèbre  ;  il  est  honoré  à  Reims  le 
3 mai.  S.  Hélan  est  honoré  le  7  octobre,  S.  Trésain  le  7  février, 
Germain  et  Yéran  le  3  décembre  ;  le  culte  des  autres  n'est  pas 
aussi  certain. 

On  rapporte  qu'une  autre  sainte  famille  de  sept  vierges 
chrétiennes  édifia  cette  province  vers  le  même  temps.  Elles 
étaient  sœurs,  et  filles  de  Sygmar  et  de  Lutrude.  Elles  reçurent 
le  voile  de  S.  Albin,  évêque  de  Châlons-sur-Marne ,  et  mé- 
ritèrent toutes  d'être  honorées  comme  saintes. 

S.  Mélaine,  évêque  de  Rennes ,  mourut  quelque  temps  a  van 
S.  Remi,  après  avoir  illustré  PArmorique  par  ses  vertus  et 
par  ses  talents.  Il  joignit  constamment  les  exercices  d'une 
tendre  piété  aux  devoirs  de  la  vigilance  pastorale.  Toujours 
attentif  sur  lui-même  et  sur  son  troupeau ,  il  visitait  souvent 
son  diocèse  et  se  demandait  un  compte  exact  de  toutes  ses 
actions,  songeant  continuellement  à  la  dernière  heure.  Pour 
s'animer  en  même  temps  par  l'espérance,  il  regardait  sou- 
vent le  ciel ,  et  cette  vue  le  remplissait  d'une  si  douce  cons 
lation  qu'il  ne  pouvait  retenir  ses  larmes.  Il  fît  plusieurs 
miracles  éclatants;  mais  afin  de  s'en  dérober  la  gloire  à 
lui-même,  il  se  servait  habituellement  d'huile  ou  d'eau 
bénite. 

Gomme  il  prêchait  un  jour  à  Vannes,  on  lui  apporta  u 
enfant  qui  venait  de  mourir  (2).  Les  idolâtres,  qui  étaient  en 
core  en  grand  nombre  dans  cette  ville ,  lui  dirent  qu'ils  n 
croiraient  pas  en  Jésus-Christ  qu'il  n'eût  rendu  la  vie  à  c 
mort.  Alors  Mélaine  fît  cette  prière  :  «  Seigneur,  vrai  Fils  d 
Dieu,  qui  avez  donné  le  pouvoir  à  S.  Martin,  mon  frère,  dt 
ressusciter  trois  morts ,  daignez  m'exaucer  afin  que  ce  peupl 


(1)  Ferrarius  dans  son  Catalogue  le  nomme  Sanissimus.  lia  pris  Trésain  (Tresams) 
pour  très-sain  (sanissimus), —  (2)  Vit.  S.  Mclan.,  n.  15,  apud  Boll.,  6jan. 


rit 


[533]  EN  FRAXCE.    LIVRE  V.  229 

connaisse  votre  puissance.  »  En  même  temps  il  mit  une  croix 
sur  la  poitrine  du  mort,  qui  ressuscita  à  l'instant  au  grand 
étonnement  des  païens,  qui  se  convertirent  pour  la  plupart. 
Le  zèle  du  saint  évêque  ne  fut  pas  moins  heureux  dans  son 
diocèse ,  et  par  ses  travaux  et  ses  exemples  il  eut  la  consola- 
lion  d'en  extirper  l'idolâtrie. 

Mélaine  s'étant  trouvé  à  Angers  le  premier  jour  de  carême 
ivec  quatre  saints  évêques  :  Lô  de  Goutances,  Aubin  d'Angers, 
Marse  et  Victor  dont  on  ne  connaît  pas  les  sièges  d'une  ma- 
lière  certaine  (1),  il  y  célébra  la  messe  et  donna  des  eulogies 
i  ces  prélats.  Marse,  craignant  de  rompre  son  jeûne,  refusa 
l'en  manger;  mais  le  Seigneur  lui  fit  connaître  qu'il  n'ap- 
prouvait pas  son  scrupule.  On  ajoute  que  ces  mêmes  évêques 
issistèrent  à  la  mort  et  aux  funérailles  de  S.  Mélaine,  qui 
nourut  dans  une  terre  de  son  patrimoine  nommée  Placium  (2), 
3Ù  il  avait  bâti  un  monastère.  Dès  qu'il  crut  que  son  heure 
était  venue,  il  se  munit  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ 
Dour  le  dernier  combat,  ensuite  il  alla  avec  confiance  recevoir 
a  récompense  de  ses  travaux. 

On  reporta  par  la  Vilaine  son  corps  à  Rennes,  où  il  fut 
mterré  avec  des  honneurs  proportionnés  à  l'estime  qu'on 
ivait  conçue  de  sa  sainteté.  La  piété  des  fidèles  érigea  d'abord 
mr  son  sépulcre  un  oratoire,  qui  fut  quelque  temps  après 
.onsumé  dans  un  incendie.  On  craignait  que  le  tombeau  du 
>aint  évêque  n'eût  été  endommagé  par  le  feu;  mais  on  fut 
étrangement  surpris  de  voir  qu'un  voile  de  lin  qui  le  couvrait, 

(1)  On  croit  communément  que  Marse  était  évêque  de  Nantes,  et  Victor  évêque  du 
vlans.  Mais  l'histoire  des  évêques  du  Mans  ne  parle  pas  de  ce  Victor.  S'il  fut 
hêque  de  cette  ville,  il  faut  le  placer  après  S.  Principe.  La  Vie  de  S.  Mélaine 
ie  marque  pas  le  siège  de  Victor ,  et  il  y  a  lieu  de  présumer  qu'on  ne  l'a  fait 
îvêque  du  Mans  que  parce  qu'on  l'a  confondu  avec  S.  Victeur  ou  avec  S.  Victur. 
L,eP.  Albert  de  Morlaix  parle  d'un  S.  Marse  qui  vivait  du  temps  de  S.  Mélaine, 
ît  dont  il  dit  que  le  corps  a  été  transféré  dans  l'église  de  Sainte-Madeleine  de  Vitré; 
nais  c'était  un  solitaire. 

(2)  On  ne  s'accorde  pas  sur  la  situation  de  Placium,  Les  uns  croient  que  c'est 
Slain,  situé  à  trois  lieues  au-dessus  de  Redon  ;  d'autres  veulent  que  ce  soit 
°loémélen.  Le  P.  Albert  de  Morlaix  prétend  que  c'est  lirain.  Il  est  assez  difficile 
le  décider  cette  question. 


230  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  EN  FRANCE.  [533] 

était  demeuré  entier  et  sans  aucune  atteinte  au  milieu  des 
charbons  ardents  (1).  Cet  événement  miraculeux  augmenta 
la  dévotion  des  peuples,  et  l'on  croit  que  c'est  à  la  place 
de  cet  oratoire  que  fut  bâti  dans  la  suite  le  monastère  de 
Saint-Mélaine  de  Rennes.  Le  Martyrologe  romain  marque  la 
fête  de  S.  Mélaine  le  6  janvier;  cependant  on  ne  la  célèbre  à 
Rennes  que  le  6  novembre  :  c'est  peut-être  le  jour  de  quelque 
translation ,  dont  néanmoins  on  ne  fait  aucune  mention  dans 
l'office.  La  Vie  de  ce  saint  évêque  a  été  écrite  par  un  auteur 
contemporain.  . 

(1)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  lv. 


FIN  DU  LIVRE  CINQUIEME. 


LIVRE  SIXIÈME 


Rien  ne  montre  mieux  combien  la  religion  était  florissante 
dans  les  Gaules  vers  le  milieu  du  vie  siècle,  que  la  multi- 
tude des  saints  établissements  qu'on  y  fit  alors  et  la  piété  qui 
y  régnait.  L'état  monastique  faisait  à  cette  époque  la  gloire  de 
l'Eglise  gallicane,  bien  moins  par  les  richesses  des  monastères, 
qu'on  commença  à  doter,  que  par  les  vertus  qu'on  y  pratiquait . 
Le  nombre  de  ces  saintes  retraites  se  multipliait  de  toutes 
parts,  sans  que  la  ferveur  y  diminuât.  Il  y  avait  dans  toutes  les 
provinces  de  saints  abbés  qui  la  soutenaient  par  leurs  exem- 
ples plus  encore  que  par  leurs  leçons. 

Pour  n'être  pas  obligé  d'interrompre  si  souvent  le  fil  de  l'his- 
toire ,  nous  présenterons  ici  sous  un  même  point  de  vue  les 
actions  de  ces  saints  patriarches  de  la  vie  monastique  qui 
ont  vécu  à  peu  près  vers  le  même  temps  :  leurs  portraits 
rapprochés  les  uns  des  autres  jetteront  une  plus  vive  lu- 
mière, et  feront  mieux  connaître  l'éclat  dont  brillait  alors 
l'état  religieux  dans  les  diverses  parties  de  la  Gaule.  Com- 
mençons par  la  Neustrie ,  c'est-à-dire  par  la  province  depuis 
nommée  Normandie,  que  S.  Marcou,  S.  Paterne,  S.  Evroul 
et  S.  Yigor  peuplèrent  de  ferventes  communautés. 

S.  Marcou  était  originaire  de  Bayeux  (1),  et  il  s'adonna 
dès  sa  jeunesse  à  tous  les  exercices  de  la  piété  chrétienne. 


(1)  Vita  Marculfi,  inter  Acta  SS.,  1  maii. 


232  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

S.  Possesseur,  évêque  de  Coutances,  l'ordonna  prêtre  et  le 
chargea  d'annoncer  la  parole  de  Dieu  dans  son  diocèse.  Marcou, 
qui  confirmait  par  des  miracles  les  vérités  qu'il  prêchait,  re- 
cueillit une  abondante  moisson,  et  il  fit  avec  le  même  succès  des 
incursions  apostoliques  dans  les  provinces  voisines.  Il  avait 
cependant  plus  d'attrait  pour  la  vie  monastique.  Poussé  par 
son  amour  pour  la  solitude,  il  alla  trouver  le  roi  Ghildebert  et 
obtint  de  lui  la  terre  de  Nanteuil  dans  le  Gotentin  pour  y  bâtir 
un  monastère.  Il  en  établit  plusieurs  autres  dans  la  Gaule, 
et  même  dans  la  Grande-Bretagne,  où  son  zèle  lui  fît  entre- 
prendre un  voyage. 

A  son  retour  il  trouva  le  nombre  de  ses  religieux  fort 
augmenté,  et  il  eut  encore  recours  à  la  libéralité  de  Ghilde- 
bert, qui  était  alors  à  Compiègne  (1).  Le  roi  et  la  reine  Ultro- 
gothe  le  reçurent  avec  de  grands  honneurs ,  et  firent  voir,  en 
pourvoyant  à  la  subsistance  de  ses  monastères ,  que  la  piété 
des  princes  est  le  revenu  le  plus  assuré  des  pauvres  de  Jésus- 
Christ.  Le  saint  abbé,  après  avoir  édifié  par  ses  vertus  toute 
lâ  Gaule ,  et  nommément  la  Neustrie ,  mourut  dans  son  mo- 
nastère de  Nanteuil  à  une  date  qu'on  ne  peut  fixer.  S.  Lô , 
évêque  de  Coutances ,  ayant  appris  sa  maladie,  vint  le  visiter 
et  fit  ses  funérailles.  L'Église  célèbre  la  fête  de  S.  Marcou 
le  1er  mai.  Son  corps  a  été  transféré  de  Nanteuil  (2)  à  Cor- 
bigny  ,  au  diocèse  de  Laon,  clans  l'église  de  Saint-Pierre, 
et  Charles  le  Simple  y  fit  dans  suite  bâtir  un  monastère. 
Ce  lieu ,  qui  a  pris  le  nom  de  Saint-Marcou ,  devint  célèbre 
par  la  dévotion  des  fidèles  et  par  les  fréquents  miracles  qui 
s'y  firent,  particulièrement  pour  la  guérison  des  écrouelles. 
C'était  un  usage  des  rois  de  France  de  la  seconde  race  de  visi- 
ter les  reliques  de  S.  Marcou  immédiatement  après  leur  sacre. 

(1)  De  toutes  les  maisons  de  plaisance  de  nos  rois,  Compiègne  est  la  plus  an- 
cienne qu'on  connaisse.  Les  enfants  de  Clovis  y  tenaient  souvent  leur  cour.  Ce 
n'était  donc  pas  un  lieu  désert  du  temps  de  Charles  le  Chauve,  comme  on  l'a  dit 
dans  une  réponse  à  un  savant  évêque. 

(2)  Le  monastère  de  Nanteuil  fut  ruiné  par  les  ravages  des  Normands,  et  c'est 
apparemment  ce  qui  donna  lieu  à  la  translation  des  reliques  de  S.  Marcou. 


[534]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  233 

Cet  usage  cessa  en  même  temps  que  les  rois  cessèrent  de  se 
croire  le  don  de  guérir  les  malades  atteints  des  écrouelles \ï). 

S.  Paterne,  originaire  de  Poitiers,  professa  d'abord  la  vie 
religieuse  dans  le  monastère  d'Enncsion  :  on  croit  qu'il  était 
situé  en  Poitou  et  porta  plus  tard  le  nom  de  Saint-Juin.  En- 
suite, pour  s'éloigner  davantage  de  sa  famille  et  de  sa  patrie, 
Paterne  passa  dans  le  Gotentin  avec  un  saint  moine  nommé 
Scobilion,  ne  portant  avec  lui  qu'un  psautier,  qui  devait  faire 
toute  son  étude  et  toute  sa  consolation  (2).  L'idolâtrie,  chassée 
de  presque  toutes  les  parties  de  la  Gaule,  semblait  s'être  re- 
tirée dans  cette  partie  reculée  de  la  Neustrie  comme  dans  son 
dernier  asile.  Paterne  la  combattit  avec  le  succès  qu'un  grand 
zèle  et  une  vie  austère  ne  manquent  guère  de  donner  à  un 
ouvrier  évangélique.  Toute  sa  nourriture  était  du  pain  et  de 
l'eau  avec  quelques  légumes  assaisonnés  de  sel  ;  il  ne  se  dés- 
habillait jamais,  n'avait  pas  même  de  lit  pour  se  coucher  et 
portait  toujours  un  rude  cilice.  Léontien,  évêque  de  Goutances, 
qui  assista  au  premier  concile  d'Orléans,  touché  des  vertus 
de  Paterne ,  l'ordonna  prêtre.  Cette  dignité  augmenta  son  zèle 
sans  rien  diminuer  de  son  humilité  et  de  ses  austérités ,  et  sa 
réputation  lui  attira  un  grand  nombre  de  disciples  sans  nuire 
à  sa  solitude.  Pour  satisfaire  leur  piété  il  établit  divers  mo- 
nastères dans  l'étendue  des  diocèses  de  Goutances ,  de  Bayeux, 
du  Mans,  d'Avranches  et  de  Rennes.  L'entretien  des  moines 
était  peu  dispendieux  :  car  ils  vivaient  de  peu.  Le  roi  Childe- 
bert  désira  voir  un  homme  dont  on  racontait  tant  de  mer- 

(1)  Le  plus  ancien  auteur  qui,  à  notre  connaissance,  ait  fait  mention  du  don  de 
guérir  les  écrouelles  accordé  à  nos  rois,  est  Guibert,  abbé  de  Nogent,  qui  vivait 
sur  la  fin  du  xie  siècle  et  au  commencement  du  xiie.  Voici  dans  quels  termes  il 
en  parle  :  Que  dirai-je  du  miracle  journalier  que  nous  voyons  opérer  au  roi  Louis  notre 
maître  (Louis  le  Gros)?  J'ai  vu  ceux  qui  ont  les  écrouelles  à  la  gorge  ou  ailleurs  venir 
par  troupes  pour  se  faire_Joucher  par  lui.  Je  voulais  les  empêcher  ;  mais,  avec  sa  bonté 
naturelle,  il  leur  tendait  la  main  et  faisait  sur  eux  le  signe  de  la  croix  avec  beaucoup 
d'humilité.  Son  père  Philippe  Ier  a  fait  pendant  quelque  temps  le  même  miracle;  mais 
il  a  perdu  ce  don  par  je  né  sais  quel  accident....  Je  sais  bien  que  le  roi  d'Angleterre  n'ose 
rien  faire  de  semblable.  Guibert  citait  ces  exemples  pour  prouver  que  le  don  des  mi- 
racles n'était  pas  toujours  une  marque  de  sainteté  :  il  faut  avouer  que  l'argument  avait 
un  appui  peu  solide.  (Guibert.,  de  Pignor.  SS.,  c.  i,  p.  331.) 

(2)  Fortunati  Vit.  S.  Paterni  interjeta  SS.,  16  april. 


234  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

veilles,  et  le  fit  prier  de  venir  à  sa  cour.  Paterne  regarda  cette 
prière  comme  un  commandement  :  il  se  rendit  à  Paris,  où  il 
soutint  sa  réputation  de  sainteté  par  plusieurs  guérisons  mi- 
raculeuses qu'il  opéra.  Ce  saint  abbé ,  après  avoir  blanchi 
dans  les  exercices  de  la  vie  monastique  ,  fut  élu  évêque 
d'Avranches  vers  l'an  552,  étant  déjà  septuagénaire.  Nous 
aurons  ailleurs  occasion  de  parler  de  son  épiscopat  et  de  sa 
mort. 

S.  Évroul  fut  aussi  dans  la  même  province  le  fondateur  d'un 
grand  nombre  de  monastères  (1).  Il  avait  longtemps  vécu  à  la 
cour  du  roi  Childebert;  mais,  dégoûté  du  monde  au  centre  mê- 
me de  toutes  ses  séductions,  il  renonça  à  toutes  les  grandeurs 
de  la  terre  et  rompit  avec  éclat  des  chaînes  qui  pour  être  d'or 
n'en  sont  que  plus  pesantes.  Après  avoir  engagé  sa  femme  à 
se  faire  religieuse,  il  distribua  tous  ses  biens  aux  pauvres, 
et,  devenu  pauvre  lui-même,  il  se  retira  avec  trois  compa- 
gnons dans  la  forêt  d'Ouche ,  qui  dépendait  du  diocèse  de 
Lisieux.  Elle  n'était  habitée  que  par  des  bêtes  féroces  et  par 
des  voleurs  plus  redoutables  encore  ;  mais  que  pouvait  crain- 
dre celui  qui  avait  tout  quitté  pour  Jésus-Christ  ?  Il  convertit 
quelques-uns  de  ces  voleurs,  qui  se  firent  ses  disciples.  Le 
bruit  de  sa  retraite  lui  en  attira  de  toutes  parts  un  si  grand 
nombre  que  quinze  cents  cellules  environ  se  groupèrent  au- 
tour de  la  sienne.  Les  libéralités  des  fidèles  croissaient  avec 
le  nombre  de  ces  saints  moines.  Elles  furent  si  abondantes 
qu'Évroul  bâtit  jusqu'à  quatorze  monastères  tant  d'hommes 
que  de  filles.  Geluid'Ouche,  connu  sousle  nomde  Saint-Évroul 
dans  le  diocèse  de  Lisieux,  fut  le  plus  célèbre. 

Ce  saint  abbé  fit  surtout  éclater  sa  charité  pendant  une  peste 
qui  lui  enleva  soixante-dix-huit  de  ses  disciples.  Cette  cruelle 
maladie  fit  voir  quel  était  son  crédit  auprès  de  Dieu.  Sensible- 
ment affligé  d'apprendre  qu'un  de  ses  moines  venait  d'expirer 
sans  avoir  reçu  le  viatique ,  il  se  prosterna  et  après  une  fer- 


(I)  VU.  S.  Ebredulfi,  ab  ipsins  discip.  scripta,  apud  Surium,  29  decemb. 


[534]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  235 

vente  prière  il  lui  rendit  la  vie  jusqu'à  ce  qu'on  lui  eût  apporté 
le  saint  sacrifice,  c'est-à-clirc  le  corps  et  le  sang  (1)  de  Jésus- 
Christ.  S.  Évroul  mourut  dans  son  monastère  d'Ouche,  âgé 
de  plus  de  quatre-vingts  ans ,  le  29  décembre ,  la  douzième 
année  de  Childebert,  c'est-à-dire  l'an  587  s'il  s'agit  ici  de 
Childebert  le  Jeune  (2).  Sa  Tie  a  été  écrite  par  un  de  ses  dis- 
ciples. Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  S.  Évroul  qui 
fut,  à  ce  qu'on  croit,  abbé  de  l'Oroer  dans  le  Beauvoisis  et  de 
Saint-Lucien  de  Beauvais.  On  ne  s'accorde  pas  sur  le  temps 
où  vécut  S .  Lucien ,  qui  est  honoré  comme  un  des  patrons  de 
la  ville  de  Beauvais. 

S.  Yigor,  évêque  de  Bayeux,  est  aussi  reconnu  pour  le 
fondateur  de  plusieurs  monastères  dans  la  Neustrie.  On  croit 
qu'il  en  établit  trois  dans  le  Bessin,  deux  avant  son  épiscopat, 
et  le  troisième,  nommé  Gérisy,  après  qu'il  eut  été  élevé  à  cette 
dignité.  Ces  monastères  furent  détruits  par  les  Normands  ; 
mais  le  duc  Robert  et  son  fils  Guillaume  rétablirent  celui  de 
Gérisy.  S.  Yigor  était,  à  ce  qu'on  prétend,  disciple  de  S.  Vaast, 
et  il  soutint  par  ses  vertus  la  gloire  de  son  siège ,  qui  n'avait 
été  occupé  jusqu'alors  que  par  de  saints  évêques,  savoir  : 
S.  Exupère,  S.  Regnobert,  S.  Ruffinien,  S.  Loup,  S.  Patrice, 
S.  Manvieu  et  S.  Gontest.  L'ordre  de  la  succession  de  ces 
saints  évêques  n'est  pas  encore  bien  connu. 

S.  Maixent  et  S.  Fridolin  avaient  donné  au  Poitou  de  rares 
exemples  des  vertus  monastiques.  Nous  n'avons  rien  à  ajou- 
ter à  ce  que  nous  avons  dit  du  premier.  Fridolin ,  originaire 
d'Irlande ,  était  abbé  du  monastère  de  Saint-Hilaire  de  Poi- 
tiers (3) .  Ayant  placé ,  comme  nous  avons  dit ,  les  reliques  de 
ce  saint  évêque  dans  un  lieu  plus  honorable ,  il  en  prit  quel- 

(1)  On  trouve  assez  souvent  dans  les  anciens  auteurs  qu'on  donnait  aux  malades 
le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  Ce  n'est  pas  une  preuve  qu'on  leur  ait  donné 
le  viatique  sous  les  deux  espèces.  L'Eucharistie  sous  la  seule  espèce  du  pain  est 
nommée  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  Il  y  a  cependant  quelques  exemples 
qui  montrent  qu'on  a  donné  quelquefois  aux  malades  le  viatique  sous  les  deux 
espèces. 

(2)  Quelques  exemplaires  de  sa  Vie  marquent  la  douzième  année  de  Clotaire  II, 
oe  qui  désignerait  l'an  596.  —  (3)  Vita  Fridol.,  a  Balthero,  inter  Acla  SS.,  G  martii. 


236  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

ques  parcelles  et  passa  dans  le  royaume  d'Austrasie.  Le  roi, 
probablement  Thierry,  fils  de  Glovis,  lui  fit  don  d'un  empla- 
cement sur  une  petite  rivière  nommée  la  Roselle  (1),  où  il 
établit  un  monastère  en  l'honneur  de  S.  Hilaire.  Il  érigea 
plusieurs  autres  églises  sous  l'invocation  du  même  saint  dans 
les  Vosges ,  à  Strasbourg  et  à  Coire.  Mais  le  plus  célèbre  des 
établissements  qu'il  fonda,  fut  un  double  monastère  dans  l'île 
de  Sekin  :  l'un  pour  les  filles  et  l'autre  pour  les  hommes.  Il 
mourut  saintement  dans  ce  dernier,  vers  l'an  540,  renommé 
pour  ses  vertus  et  pour  ses  miracles.  Il  est  honoré  le  6  mars. 
Son  culte  est  très-célèbre  dans  plusieurs  provinces  d'Alle- 
magne, surtout  en  Suisse,  où  le  canton  de  Glaris  a  longtemps 
porté  dans  ses  armes  un  portrait  de  ce  saint  abbé.  C'était  une 
profession  publique  de  l'ancienne  foi  et  un  reproche  pour  le 
peuple  qui  l'avait  abandonnée. 

S.  Déodat,  vulgairement  S.  Dié  (2),  avait  bâti  un  monastère 
entre  Blois  et  Orléans  avec  le  produit  des  libéralités  de  Glovis. 
Il  était  originaire  de  Bourges,  et  on  prétend  qu'il  embrassa  la 
vie  monastique  à  Issoudun ,  sous  la  discipline  du  saint  abbé 
Phalétrus,  qui  n'est  autre  que  S.  Phalier,  honoré  dans  le  Berri 
le  23  novembre.  S.  Dié  l'est  le  24  avril. 

Les  forêts  et  les  montagnes  d'Auvergne  étaient  peuplées 
d'un  grand  nombre  de  saints  religieux,  parmi  lesquels 
S.  Pourcain  était  un  des  plus  renommés.  Il  avait  été  esclave 
d'un  Franc  qui  le  maltraitait  souvent  ^3).  Quand  il  avait  été 
victime  de  quelque  brutalité,  il  se  réfugiait  dans  un  monastère 
voisin  nommé  Mirande,  afin  que  l'abbé  le  réconciliât  avec  son 
maître.  Celui-ci  en  fit  un  jour  de  vifs  reproches  à  l'abbé,  l'ac- 
cusant de  débaucher  son  esclave  ;  mais  il  fut  dans  l'instant 

(1)  Dans  les  actes  de  S.  Fridolin  cette  rivière  est  nommée  la  Moselle  :  c'est 
une  faute  de  copiste.  Car  le  monastère  nommé  Helera  ou  Hilariacum ,  et  depuis 
Saint-Nabor,  est  éloigné  de  la  Moselle  ,  et  la  petite  rivière  qui  y  passe  est  appelée 
la  Roselle. 

(2)  Acta  S.  Deodati,  ap.  Bolland.,24  april.  —  Il  faut  distinguer  S.  Dié  de  S.  Bié 
(Beatus),  confesseur,  honoré  à  Vendôme,  où  on  l'appelle  quelquefois  S.  Blé  et 
S.  Bienhuré.  Il  vivait  dans  le  ve  siècle. 

(3)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.}  c.  vu. 


[534]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  237 

frappé  d'aveuglement.  Alors  Pourcain,  dont  Dieu  voulait 
faire  connaître  la  vertu,  lui  ayant  imposé  les  mains  par  l'ordre 
de  l'abbé,  le  guérit,  et  son  maître  par  reconnaissance  lui 
donna  sur-le-champ  la  liberté.  Il  ne  la  reçut  que  pour  en  faire 
un  sacrifice  à  Dieu  sous  la  conduite  du  même  abbé ,  dont  il 
devint  le  successeur.  L'éclat  de  ses  vertus  fit  oublier  la  bas- 
sesse de  son  extraction  ;  sa  piété  et  ses  miracles  lui  attirèrent 
le  respect  de  Sigivalde ,  duc  d'Auvergne ,  et  du  roi  Thierry , 
qui  faisait  alors  la  guerre  dans  cette  province.  Mais  la  charité 
seule  mit  en  œuvre  son  crédit  auprès  du  prince.  Peu  en  peine 
d'enrichir  son  monastère ,  il  ne  demanda  que  la  délivrance 
des  captifs.  Le  démon  lui  livra  plusieurs  assauts ,  qu'il  re- 
poussa par  la  prière  et  le  signe  de  la  croix ,  suivant  le  conseil 
d'un  saint  moine  nommé  Protais ,  qui  vivait  alors  reclus  au 
monastère  de  Combroude  dans  la  même  province.  Celui  de 
Mirande  a  depuis  pris  le  nom  de  Saint-Pourcain,  qui  en  fut 
abbé  ,  aussi  bien  que  la  ville  qui  s'est  formée  alentour.  Il  ne 
reste  du  monastère  que  l'église.  On  fait  sa  fête  le  24  novembre. 

Le  duc  Sigivalde ,  dont  nous  venons  de  parler,  avait  un 
jeune  esclave  thuringien  nommé  Brachion ,  dont  il  se  servait 
ordinairement  pour  la  chasse  du  sanglier  (1).  Un  jour  que 
Brachion  poursuivait  un  de  ces  animaux  dans  une  forêt  d'Au- 
vergne, la  bête  se  retira  à  l'entrée  de  la  cellule  d'un  ermite, 
sans  que  les  chiens  osassent  l'y  forcer.  Le  chasseur,  surpris  de 
ce  spectacle ,  s'avança  et  trouva  dans  la  cellule  un  vénérable 
vieillard  nommé  Émilien,  qui  lui  dit  :  «  Mon  fils,  je  vous  vois 
richement  paré ,  je  juge  par  là  que  vous  cherchez  plus  à  plaire 
au  monde  qu'à  Dieu.  Ne  mettez  pas  votre  gloire  à  servir  un 
maître  dont  la  puissance  est  si  faible  et  si  fragile  :  servez  plu- 
tôt Celui  qui  a  dit  :  Mon  joug  est  léger,  et  qui  donne  la  vie 
éternelle  pour  salaire  à  ses  serviteurs.  »  Ces  paroles  furent 
comme  des  traits  enflammés  qui  pénétrèrent  jusqu'au  cœur 
du  jeune  Thuringien  :  il  résolut  de  se  donner  à  Dieu.  Il  se 


[  (1)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  xn. 


238  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534j 

levait  deux  ou  trois  fois  la  nuit  pour  prier ,  et  comme  il  n'a- 
vait aucune  teinture  des  lettres,  quand  des  abbés  ou  des  clercs 
venaient  visiter  son  maître,  il  les  prenait  à  part  pour  se  faire 
instruire.  La  mort  de  Sigivalde,  que  le  roi  Thierry  fit  tuer, 
acheva  de  lui  faire  sentir  la  vanité  de  la  faveur  et  des  biens 
de  ce  monde.  Il  se  retira  l'an  534  auprès  du  saint  vieil- 
lard Émilien ,  qui  mourut  quelques  années  après ,  âgé  d'en- 
viron quatre-vingt-dix  ans ,  et  laissa  à  son  disciple  sa  cellule 
et  quelques  pauvres  meubles  qui  faisaient  toutes  ses  ri- 
chesses. 

Le  jeune  solitaire,  pénétré  de  l'esprit  de  son  maître,  s'as- 
socia quelques  compagnons  dans  cet  ermitage,  et  Ranichilde, 
fille  de  Sigivalde,  lui  donna  des  terres  pour  y  fonder  un  mo- 
nastère. Il  en  établit  deux  autres  en  Touraine;  puis  il  revint 
en  Auvergne ,  où  il  fut  choisi  pour  rétablir  la  discipline  dans 
le  monastère  de  Ménat.  Sa  manière  de  gouverner  le  rendait 
fort  propre  à  opérer  cette  réforme.  En  effet,  quoique  plein  de 
douceur  et  de  bonté  pour  ceux  qui  s'acquittaient  de  leurs  de- 
voirs ,  il  montrait  une  sévérité  inflexible  à  l'égard  des  trans- 
gresseurs  de  la  règle.  Mais  il  n'était  à  personne  plus  sévère 
qu'à  lui-même,  et  il  est  rare  qu'un  supérieur  se  montre  trop 
exigeant  quand  il  ne  demande  que  ce  qu'il  fait. 

Le  monastère  de  Ménat  en  Auvergne ,  sur  la  petite  rivière 
de  la  Sioule,  a  été  une  école  célèbre  des  vertus  religieuses, 
où  S.  Garilèfe,  S.  Avite  et  quelques  autres  se  sont  sanctifiés, 
et  sont  devenus  ensuite  les  pères  de  saintes  communautés 
dans  des  monastères  qu'ils  ont  fondés.  S.  Garilèfe  ou  Calais 
était  originaire  d'Auvergne.  Ses  parents  le  firent  élever  au 
milieu  des  pratiques  de  la  piété  dans  le  monastère  de  Ménat  (1). 
Il  y  embrassa  la  vie  monastique  et  se  lia  d'une  étroite  amitié 
avec  S.  Avite ,  qui  y  menait  la  vie  religieuse.  Le  désir  de  s'a- 
vancer dans  une  voie  plus  parfaite  leur  fît  prendre  la  résolu- 
tion de  sortir  de  Ménat,  où  la  discipline  était  peut-être  alors 


(1)  Siviard.  Vit.  Carilefi  inter  Àcla  SS.,  1  julii. 


[534]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  239 

un  peu  relâchée.  Ils  allèrent  d'abord  au  monastère  de  Mici, 
que  gouvernait  S.  Mesmin.  Ce  saint  abbé,  charmé  des  héroï- 
ques vertus  qu'il  découvrit  en  eux,  les  fît  ordonner  prêtres 
par  l'évêque  d'Orléans.  Cette  dignité  ne  servit  qu'à  leur  ins- 
pirer une  nouvelle  ardeur  pour  la  perfection.  Ils  quittèrent 
Mici  pour  chercher  quelque  solitude  dans  laquelle  ils  pussent 
fuir  jusqu'à  l'estime  du  monde.  Retirés  d'abord  dans  les  forets 
du  Perche ,  ils  formèrent  ensuite  la  résolution  de  se  sé- 
parer ;  S.  Avite  (1)  fonda  dans  le  Dunois  un  monastère  qui  a 
porté  son  nom ,  mais  qui  plus  tard  fut  occupé  par  des  reli- 
gieuses. 

S.  Calais  s'avança  dans  le  Maine  et  s'arrêta  dans  un  lieu 
abandonné  sur  la  rivière  d'Anisle  (2) ,  où  il  trouva  les  ruines 
d'une  église  dédiée  autrefois  à  S.  Pierre  par  S.  Turibe.  Là  il 
se  bâtit  un  monastère  avec  l'agrément  de  S.  Innocent,  évêque 
du  Mans,  et  s'associa  quelques  disciples.  Le  roi  Childebert, 
étant  venu  dans  le  Maine  et  chassant  dans  ces  forêts  ,  s'irrita 
de  ce  que  les  cellules  de  ces  moines  avaient  servi  de  retraite 
à  un  buffle  (3) .  Dans  la  colère  où  il  était  d'avoir  manqué  sa 
proie,  il  leur  ordonna  avec  menaces  de  se  retirer  d'un  lieu  où 
ils  s'étaient  établis  sans  sa  permission.  Mais  Celui  qui  tient 
en  sa  main  les  cœurs  des  rois  changea  bientôt  celui  de  ce 
prince.  A  peine  eut-il  repris  sa  route  que  son  cheval  s'arrêta 
tout  à  coup  sans  qu'il  lui  fût  possible  de  le  faire  avancer. 
Alors  quelqu'un  de  sa  suite  lui  dit  :  «  Seigneur,  ces  hommes 
que  vous  avez  menacés  sont  les  serviteurs  de  Dieu,  et  je 
crois  que  s'ils  avaient  dit  au  soleil  de  s'arrêter,  il  s'arrête- 
rait. »  Le  roi  ne  trouva  son  cheval  docile  que  pour  retourner 

(1)  Quelques  auteurs  confondent  S.  Avite  compagnon  de  S.  Calais  avec  S.  Avite 
abbé  de  Mici  ;  il  nous  paraît  qu'on  doit  les  distinguer. 

(2)  Le  monastère  dAnisle,  appelé  depuis  Saint-Calais,  a  pris  ce  nom  de  S.  Ca- 
rilèfe  ou  Calais,  qui  l'a  fondé,  et  c'est  par  une  erreur  inexplicable  que  les  frères  de 
Sainte-Marthe  ont  prétendu  que  ce  lieu  avait  été  ainsi  nommé  à  cause  de  S.  Chaletric, 
évêque  de  Chartres,  (in  Episc.  Cam.) 

(3)  Nous  voyons  par  plusieurs  autres  traits  de  notre  histoire  qu'il  y  avait  alors 
des  buffles  dans  la  Gaule  :  ce  qui  n'est  pas  surprenant,  vu  le  nombre  et  l'étendue 
des  forêts  qui  en  couvraient  le  sol. 


240  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

vers  le  monastère.  Il  adressa  d'humbles  excuses  au  saint 
abbé  pour  la  manière  dont  il  l'avait  traité,  et,  afin  de  l'en 
dédommager,  il  lui  assigna  des  revenus  pour  la  subsistance 
de  ses  moines.  Alors  l'humble  solitaire,  prenant  cet  air  d'au- 
torité que  la  sainteté  seule  peut  donner  sur  les  grands  de  la 
terre,  fit  entendre  à  Childebert  des  vérités  qui  parviennent 
rarement  jusqu'aux  oreilles  des  rois.  Il  l'exhorta  à  ne  jamais 
oublier  qu'il  était  homme ,  qu'il  commandait  à  des  hommes 
et  à  des  chrétiens  comme  lui,  et  que  tout  roi  qu'il  était  sur  la 
terre  il  avait  un  maître  et  un  juge  dans  le  ciel.  Courtes  mais 
excellentes  leçons,  qui  ne  peuvent  être  trop  méditées  par 
ceux  qui  exercent  le  pouvoir. 

La  reine  Ultrogothe  était  alors  dans  le  Maine  avec  son  mari. 
La  piété  et  la  curiosité  lui  rirent  naître  l'envie  d'aller  voir  le 
nouveau  monastère.  Mais  S.  Calais,  qui  le  sut ,  la  fît  prier  de 
s'épargner  cette  peine,  parce  que,  pour  mieux  tenir  ses  reli- 
gieux dans  le  recueillement ,  il  avait  ordonné  qu'aucune 
femme  n'entrât  dans  son  monastère ,  pas  même  dans  l'église. 
Ce  qui  s'observait  encore  dans  le  monastère  fondé  par  S.  Ca- 
lais plusieurs  siècles  après  sa  mort,  aussi  bien  que  dans 
quelques  autres  monastères  des  Gaules  (1). 

S.  Calais  mourut  le  1er  juillet,  mais  on  ne  sait  en  quelle 
année.  Pendant  les  ravages  des  Normands  ses  reliques  furent 
portées  à  Blois,  où  on  les  gardait  précieusement.  Nous  avons 
un  acte  (2)  attribué  à  S.  Calais,  par  lequel,  en  reconnaissance  de 
ce  que  S.  Innocent,  évêque  du  Mans,  avait  consenti  à  ce  qu'il 
demeurât  dans  les  terres  de  l'Église  du  Mans,  il  met  à  perpé- 
tuité son  monastère  d'Anisle  et  ses  biens  à  la  disposition  de 
l'évêque.  Nous  avons  encore  un  autre  acte  par  lequel  il  oblige 

(1)  Il  y  avait  à  l'entrée  de  plusieurs  anciens  monastères  une  croix  ou  un  oratoire 
extérieur,  afin  que  les  femmes  pussent  y  faire  leurs  prières.  Les  chartreux  ont  con- 
servé cet  usage. 

(2)  On  voit  par  la  Vie  de  S.  Aldric  du  Mans  que  cet  acte  de  S.  Calais  fut  pro- 
duit au  IXe  siècle  contre  les  moines  d'Anisle,  et  qu'il  fut  reconnu  pour  authentique  ; 
ce  qui  n'a  pas  empêché  que  dans  la  suite  l'Église  du  Mans  n'ait  perdu  ce  procès. 
Apparemment  qu'on  a  douté,  alors  de  l'authenticité  de  l'acte  en  question,  sur 
lequel  en  effet  la  critique  peut  élever  quelques  difficultés. 


[534]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  241 

son  monastère  à  payer  certaines  redevances  à  l'évêque  ,  à 
l'É°lise  du  Mans  et  aux  chanoines  de  cette  Église.  Le  nom  de 

—  o 

chanoines  paraît  n'avoir  été  en  usage  alors  que  pour  signifier 
les  clercs  qui  étaient  inscrits  dans  le  canon  ou  la  matricule 
de  l'Église  (1). 

Plusieurs  autres  saints  solitaires  vécurent  dans  le  Maine 
sous  l'épiscopat  de  S.  Innocent,  et  donnèrent  à  cette  province 
les  plus  beaux  exemples  de  l'amour  de  la  pénitence  et  du 
mépris  des  biens  de  la  terre.  On  compte  parmi  eux  S.  Cons- 
tantin, S.  Ulface,  S.  Bommer,  S.  Aimer  et  S.  Léonard  abbé 
de  Yendèvre.  Nous  entrerions  volontiers  dans  le  détail  de 
leurs  actions  si  leur  histoire  était  aussi  certaine  qu'elle  est 
édifiante. 

Il  en  est  de  même  de  celle  de  S.  Lié.  Ce  qu'on  peut  en 
extraire  de  plus  assuré,  c'est  que  ce  fut  un  saint  religieux  qui 
se  rendit  recommandable  par  sa  simplicité,  sa  mortification 
et  sa  douceur  ;  qu'après  avoir  demeuré  seize  ans  dans  un 
monastère  du  Berri,  il  passa  dans  celui  de  Mici,  et  qu'ensuite 
il  mena  successivement  la  vie  érémitique  dans  la  Sologne  et 
dans  la  Beauce.  Il  fut  enterré  dans  un  lieu  où  s'est  formé  de- 
puis un  village  qui  porte  son  nom  ;  mais  son  corps  a  été 
transféré  àPithiviers.  Une  église  collégiale  a  été  érigée  dans 
cette  ville  en  son  honneur.  Ces  saints  solitaires,  en  changeant 
souvent  de  retraite,  ne  cherchaient  qu'à  mieux  se  cacher  ; 
mais  Dieu  avait  d'autres  vues  :  il  voulait  qu'ils  édifiassent  plu- 
sieurs provinces  par  leurs  vertus. 

C'est  ce  qui  arriva  à  S.  Trivier  :  quoique  originaire  du 
Quercy,  il  embrassa  la  vie  religieuse  dans  un  monastère  près 
de  Thérouanne.  Il  s'était  chargé  de  reconduire  dans  la  Bresse 
deux  jeunes  seigneurs  bourguignons  qui  avaient  été  faits  pri- 
sonniers dans  les  dernières  guerres.  Ceux-ci,  par  reconnais- 
sance, offrirent  une  partie  de  leur  héritage  à  leur  conducteur. 
Il  n'accepta  que  l'espace  nécessaire  pour  se  faire  une  cellule 


(1)  Mabill.  Analect.,  t.  III,  p.  84. 

TOME  If. 


16 


242  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

et  un  petit  jardin  :  encore  faisait-il  paître  les  brebis  de  ses 
bienfaiteurs.  Ce  fut  dans  cet  humble  exercice  qu'il  se  sancti- 
fia (1).  Il  est  honoré  le  16  janvier;  un  prieuré  de  son  nom  a 
longtemps  existé  dans  la  principauté  de  Dombes. 

La  Yie  de  S.  Marius,  abbé  de  Bodane  ou  Beuvoux  au  dio- 
cèse de  Sisteron,  fut  plus  éclatante.  Il  était  né  à  Orléans  d'une 
famille  peu  aisée  et  il  professa  la  vie  religieuse  dans  un  mo- 
nastère de  cette  ville.  Il  ne  put  réussir  à  cacher  les  vertus 
héroïques  qu'il  pratiquait  :  elles  le  firent  connaître  jusque 
dans  les  provinces  éloignées.  Sa  réputation  détermina  les 
moines  de  Bodane  à  le  choisir  pour  leur  abbé,  et  Jean,  évêque 
de  Sisteron  (2),  confirma  ce  digne  choix.  Dans  l'exercice  de 
cette  charge,  Marius  joignit  toujours  l'exemple  au  savoir,  le 
recueillement  à  l'action  et  l'esprit  d'oraison  aux  macérations 
dont  il  affligeait  son  corps.  Ces  vertus  rendent  probable  ce 
qu'on  raconte  du  don  des  miracles  et  de  celui  de  prophétie 
dont  il  fut  doué.  Ce  saint  abbé,  ayant  logé  dans  un  de  ses 
voyages  chez  un  homme  de  qualité  nommé  Agricola  ,  en 
baptisa  la  fille  appelée  Sisagria,  qui  était  à  l'extrémité,  et  lui 
rendit  la  santé  par  ses  prières.  Il  passait  tout  le  carême 
enfermé  dans  sa  cellule.  Lucrèce,  évêque  de  Die,  qui  avait 
été  son  disciple,  étant  venu  le  voir  pendant  ce  temps-là,  il 
le  fit  attendre  plusieurs  jours  sans  vouloir  lui  parler  ;  il  lui 
découvrit  ensuite  une  vision  qu'il  avait  eue  au  sujet  des  mal- 
heurs qui  menaçaient  l'Italie.  Il  connut  pareillement  par  révé- 
lation la  mort  d'un  saint  ermite  nommé  Donat,  qui  était  aussi 
d'Orléans  et  qui  est  honoré  le  19  août  (3).  On  ne  sait  en  quelle 
année  mourut  S.  Marius  ;  mais  il  était  abbé  au  temps  de  Gon- 
debaucl,  roi  de  Bourgogne,  c'est-à-dire  avant  l'an  517.  Lu- 
crèce de  Die  fit  ses  funérailles,  et  le  patrice  Dynamius  écrivii 
sa  Yie  vers  la  fin  du  même  siècle.  L'Église  honore  S.  Marius, 
vulgairement  S.  Mari,  le  27  janvier. 


(1)  Vit.  Trever.,  apucl  BolL,  16  januar.  — (2)  La  Vie  de  S.  Marius  est  le  seul 
monument  qui  nous  fasse  connaître  cet  évêque  de  Sisteron.  Les  frères  de  Sainte- 
Marthe  l'ont  omis.  —  (3)  Dynam.  Vit.  Marii,  apud  Boll.,  27  januar. 


[534]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  243 

S.  Ours,  originaire  de  Cahors,  fut  contemporain  de  S.  Ma- 
rins, sous  le  règne  d'Alaric  II,  roi  des  Yisigoths  (1).  Après 
avoir  établi  plusieurs  monastères  clans  le  Berri,  il  passa  dans 
la  Touraine,  où  il  en  bâtit  un  nouveau  à  Sénevière,  dont  il 
donna  le  gouvernement,  avec  la  qualité  de  prévôt,  à  Léobasse, 
vulgairement  S.  Lubais.  Pour  lui,  il  fixa  sa  demeure  à  Loches, 
où  il  fonda  encore  un  monastère,,  et  mourut  dans  une  grande 
vieillesse.  Il  est  honoré  le  28  juillet.  Pour  éviter  de  la  fatigue 
à  ses  moines,  qui  étaient  obligés  de  moudre  leur  grain  à 
force  de  bras,  il  fît  faire  un  moulin  à  eau  sur  la  rivière  d'Indre. 
On  a  cru  longtemps  à  Loches  que  ce  moulin  subsistait  encore , 
et  l'on  en  racontait  plusieurs  merveilles  sur  lesquelles  il 
semble  difficile  qu'on  ait  pu  en  imposer. 

Dans  le  Limousin  florissaient  vers  le  même  temps  S.  Ju- 
nien  et  S.  Léonard.  Le  premier  vécut  enfermé  clans  une  cel- 
lule pour  dérober  au  monde  la  connaissance  de  ses  vertus. 
Mais  le  Seigneur  les  manifesta  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort 
par  un  grand  nombre  de  miracles  ;  il  fut  enterré  dans  une 
église  que  Rurice  II,  évêque  de  Limoges,  avait  fait  bâtir  (2). 
Ce  saint  a  donné  son  nom  à  la  petite  ville  de  Saint-Junien  dans 
le  Limousin.  Il  est  honoré  le  6  novembre.  On  doit  le  distin- 
guer d'un  autre  S.  Junien  qui  professa  la  vie  monastique  en 
Poitou,  et  dont  nous  parlerons  dans  la  suite.  Quant  à  S.  Léo- 
nard, dont  le  nom  est  si  célèbre  dans  le  Limousin,  il  fonda 
l'abbaye  de  Nobillac,  qui  se  nommait,  comme  la  ville  qui  s'y 
est  formée  ,  Saint-Léonard-le-Noblet ,  aujourd'hui  Saint-Léo- 
nard (Haute-Yienne)  (3) .  Le  monastère  a  été  changé  depuis 
en  une  collégiale. 

Dans  le  Berri  S.  Marien,  après  avoir  vécu  plusieurs  années 
dans  un  monastère,  embrassa  la  vie  érémitique.  La  mort  de  ce 
saint  solitaire  n'eut  pas  plus  d'éclat  aux  yeux  des  hommes 
que  la  vie  cachée  qu'il  avait  menée.  Il  fut  trouvé  mort  sous 

(1)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  xvm.  —  (2)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  cm.  — 
(3)  GuidoBern.,  t.  II  Biblioth.  nov.,  p.  277. 


244  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

un  pommier,  et  l'on  crut  qu'il  était  tombé  de  cet  arbre  en  cueil- 
lant des  pommes  dont  il  se  nourrissait.  Mais  ce  genre  de  mort 
ne  refroidit  pas  la  confiance  des  fidèles  en  son  intercession  (1). 
Le  Martyrologe  romain  en  fait  mention  le  19  août;  cependant 
on  ne  célèbre  sa  fête  dans  le  Berri  que  le  19  septembre. 

Mais  de  tous  ceux  qui  glorifiaient  alors  l'état  monastique 
dans  les  Gaules,  S.  Jean  de  Réomaùs,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  était  le  plus  illustre  aussi  bien  que  le  plus  ancien  (2). 
Il  établit  dans  sa  communauté  les  pratiques  les  plus  édifiantes 
qu'il  remarqua  dans  les  autres.  Il  avait  visité  dans  ce  des- 
sein les  plus  célèbres  monastères  de  la  Gaule ,  et  il  emprun- 
tait de  chacun  d'eux  quelque  observance  pour  perfectionner 
sa  règle,  semblable  à  l'abeille  qui  compose  son  miel  du  suc 
des  fleurs  les  plus  odoriférantes.  La  réputation  du  monastère 
de  Lérins  l'y  attira.  Il  y  demeura  dix-huit  (3)  mois  sans  se 
faire  connaître  ;  mais  dès  qu'on  y  eut  appris  son  nom,  on  lui 
rendit  avec  usure  les  honneurs  dont  son  humilité  l'avait 
privé,  et  les  moines  lui  demandèrent  pardon  de  l'avoir  traité 
comme  un  novice.  S.  Grégoire,  évêque  de  Langres,  écrivit 
deux  lettres  à  Lérins  :  une  à  l'abbé  pour  le  prier  de  renvoyer 
Jean,  et  l'autre  à  Jean  pour  le  conjurer  de  revenir  au  plus  tôt 
prendre  soin  de  son  monastère  de  Réomaûs,  le  menaçant,  s'il 
différait,  de  l'accuser  au  tribunal  de  Dieu  du  relâchement  ou 
de  la  dispersion  de  ses  frères.  Il  obéit  et  par  sa  vigilance  il 
remédia  sans  peine  au  relâchement  qui  s'était  glissé  par- 
mi ses  moines  pendant  son  absence.  Il  chercha,  comme  à 
Lérins,  à  faire  fleurir  les  études;  les  monastères  voisins  admi- 
raient le  développement  qu'il  avait  donné  à  la  science  des 
saintes  Écritures.  Sa  mère,  qui  vivait  encore  dans  une  extrême 
vieillesse,  ayant  appris  son  retour,  fit  le  voyage  de  Réomaus 

(1)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  eonfcss.,  c.  lxxxi.— Labb.  Biblioth.  nov.,  t.  II,  p.  432. 

(2)  Vit.  S.  Joannis ,  a  Jona  in  Hist.  Reom. 

(3)  Il  y  a  peu  d'exactitude  dans  ce  que  Fleury  dit  de  S.  Jean  de  Réomaus.  1°  Il 
marque  que  ce  saint  abbé  demeura  dix-huit  ans  à  Lérins  :  il  fallait  dire  dix-huit 
mois.  2°  Il  ajoute  qu'il  vécut  cent  vingt-huit  ans;  mais  Jouas,  qui  a  écrit  sa  "Vie, 
ne  le  fait  vivre  que  cent  vingt  ans.  V.  Fleury,  t.  VII,  p.  364. 


[534]  EN  FEANCE.  —  LEVEE  VI.  245 

pour  avoir  la  consolation  de  le  voir  encore  une  fois.  Mais  la 
grâce  fit  triompher  le  saint  abbé  des  sentiments  de  la  nature  : 
il  se  refusa  à  lui-même  le  plaisir  de  parler  à  une  mère  qu'il 
aimait  tendrement.  Il  lui  accorda  cependant  celui  de  le  voir, 
et  il  passa  devant  elle  afin  qu'elle  pût  contenter  en  partie  sa 
curiosité.  Il  lui  fit  dire  ensuite  qu'elle  ne  le  verrait  plus  sur  la 
terre,  et  lui  conseilla  seulement  de  vivre  de  telle  sorte  qu'ils 
pussent  se  revoir  dans  le  ciel. 

La  règle  de  S.  Macaire  d'Egypte,  rendue  plus  conforme  aux 
usages  des  Occidentaux,  fut  comme  le  fond  des  observances 
que  l'abbé  Jean  établit  dans  son  monastère  de  Réomaiis  (1). 
Ses  moines  demeuraient  dans  des  cellules  séparées  ;  mais  ils 
avaient  un  oratoire  commun  où  ils  s'assemblaient  pour  l'office 
divin,  et  l'on  ne  permettait  à  aucun  laïque  d'y  assister.  Ils 
s'appliquaient  à  la  lecture,  qui  se  faisait  en  commun,  à  la 
prière,  à  la  méditation  et  au  travail  des  mains.  On  punissait 
les  fautes  par  des  réprimandes,  des  jeûnes,  par  l'excommuni- 
cation de  la  prière ,  et  quand  ces  remèdes  étaient  inefficaces, 
on  frappait  quelquefois  le  coupable  de  verges  en  présence  de 
tous  les  frères. 

Les  moines  qui  étaient  obligés  de  sortir  pour  les  besoins  du 
monastère  devaient  avoir  un  ou  deux  compagnons  avec  eux. 
Quand  quelqu'un  demandait  à  être  reçu  dans  le  monastère, 
on  lui  lisait  la  règle ,  et  tout  ce  qu'il  apportait  était  mis  en 
commun,  sans  qu'il  pût  rien  posséder  en  propre.  Si  dans  la 
suite  il  voulait  sortir,  ne  fût-ce  que  trois  jours  après  son  en- 
trée, on  ne  lui  permettait  pas  d'emporter  autre  chose  que  les 
habits  avec  lesquels  il  était  venu.  On  punissait  sévèrement 
ceux  qui  violaient  le  jeûne  du  mercredi  et  du  vendredi.  La 
règle  recommande  de  fuir  l'oisiveté  et  la  familiarité  avec 
les  séculiers.  «  Un  moine,  dit-elle,  doit  regarder  sa  cellule 
comme  un  paradis,  craindre  le  supérieur  du  monastère  comme 
son  maître,  l'aimer  comme  son  père.  »  Après  matines  il  y 


(t)  Heg.  S.  Macar.  in  Hist.  Reom.,  p.  24. 


246  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

avait  une  méditation  jusqu'à  la  seconde  heure.  Tel  est,  en 
l'abrégeant  ,  la  règle  de  S.  Macaire  ,  que  S.  Jean  établit  à 
Réomaiïs. 

Ce  saint  abbé  vécut,  malgré  son  austérité,  jusqu'à  l'âge 
d'environ  cent  vingt  ans,  sans  ressentir  aucune  des  incommo- 
dités d'une  si  grande  vieillesse.  Il  ne  perdit  aucune  de  ses 
dents,  et  l'âge  n'affaiblit  ni  sa  vue  ni  sa  mémoire.  Trouve-t-on 
dans  le  luxe  et  l'abondance  des  exemples  d'une  si  longue  vie 
et  d'une  santé  si  constante?  Il  mourut  le  18  janvier  de  l'an  512 
du  cycle  de  Yictorius,  c'est-à-dire  l'an  539  (1)  de  Jésus-Christ, 
et  il  fut  enterré  dans  son  monastère,  qu'on  appela  de  son 
nom  Monstier-Saint-Jean.  Les  miracles  éclatants  qu'il  fît 
pendant  sa  vie  et  après  sa  mort  justifient  le  culte  que  les 
peuples  lui  rendent  et  leur  confiance  en  son  intercession. 

S.  Seine  fut  le  plus  illustre  de  ses  diciples.  Il  se  retira  d'a- 
bord au  village  de  Yerry,  près  de  la  maison  de  son  père  et  de 
la  petite  ville  de  Maimon  sur  les  confins  de  la  Bourgogne  (2). 
Un  saint  prêtre  nommé  Eustadius  lui  donna  la  tonsure.  Cet 
exemple  et  plusieurs  autres  font  juger  que  les  prêtres  la  don- 
naient autrefois  dans  certaines  circonstances.  Seine  fit  pa- 
raître tant  de  piété  et  de  maturité  dans  la  plus  grande  jeu- 
nesse que  révêque  de  Langres  l'ordonna  diacre  à  quinze 
ans  et  prêtre  à  vingt.  Cette  ordination  était,  à  la  vérité,  op- 
posée aux  canons;  mais,  en  faveur  du  mérite  extraordinaire 
de  Seine  et  des  espérances  que  l'on  en  avait  conçues  pour  le 
bien  de  l'Église,  on  crut  pouvoir  le  dispenser  de  la  règle.  En- 
gagé dans  les  fonctions  du  clergé,  il  soupirait  toujours  après 
la  vie  monastique.  Il  alla  en  prendre  des  leçons  à  Réomaus 
sous  la  conduite  de  l'abbé  Jean.  S'étant  en  peu  de  temps  rendu 
habile  sous  un  maître  si  expérimenté,  il  fonda  un  monastère 
dans  un  endroit  de  la  forêt  de  Ségustre  qui  appartenait  à  ses 
parents,  près  des  sources  de  la  Seine.  C'est  le  monastère  qu'on 

(1)  Le  cycle  de  Victorius  commence  à  l'an  28  de  Jésus-Christ  :  ainsi,  en  ajou- 
tant les  vingt-sept  ans  à  512,  on  trouvera  539. 

(2)  Vita  S.  Sequani  in  Historia  Reom. 


|534|  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  247 

a  nommé  Saint-Seine,  et  qui  a  donné  son  nom  à  la  ville  qui 
s'y  est  formée.  S.  Seine  vécut  jusqu'à  une  extrême  vieillesse. 
Entre  plusieurs  miracles  qu'il  opéra,  il  guérit  un  paralytique 
en  faisant  sur  lui  le  signe  de  la  croix,  après  lui  avoir  donné  la 
communion  le  jour  de  Pâques.  L'Église  honore  sa  mémoire  le 
19  septembre. 

S.  Romain  gouvernait  vers  le  même  temps  le  monastère  de 
Fontrouge  au  diocèse  d'Auxerre.  On  suppose  dans  sa  Vie 
qu'il  est  le  disciple  de  S.  Benoît  nommé  Romain  qui  le  servit 
d'abord  dans  sa  grotte  ;  mais  cette  relation  n'a  pas  assez  d'au- 
torité pour  établir  ce  fait  (1).  On  a  souvent  confondu  en  une 
même  personne  plusieurs  saints  portant  le  même  nom.  On 
veut  par  là  augmenter  la  gloire  d'un  saint  particulier ,  et  on 
diminue  celle  que  l'Église  tire  du  grand  nombre  de  saints 
qu'elle  a  formés. 

De  pieuses  femmes  imitèrent  l'exemple  de  tant  de  saints 
abbés.  Une  dame  de  Chartres  nommée  Monégonde  ressentit 
si  vivement  la  perte  de  deux  filles  que  la  mort  lui  avait  en- 
levées, qu'elle  résolut  de  renoncer  entièrement  au  monde. 
Elle  vécut  d'abord  recluse  dans  sa  maison,  ne  mangeant  que 
du  pain  d'orge  qu'elle  faisait  cuire  elle-même  sous  la  cendre. 
Ensuite  sa  dévotion  envers  S.  Martin  l'attira  à  Tours,  où  elle 
assembla  quelques  saintes  filles  auprès  de  l'église  nommée 
pour  cela  Saint-Pierre-le-Puel lier  (2).  Elle  y  mourut  sainte- 
ment, après  s'être  rendue  célèbre  par  ses  vertus  ;  on  honore 
sa  mémoire  le  2  juillet.  Les  calvinistes  brûlèrent  ses  reliques 
l'an  1562,  mais  on  réussit  à  en  sauver  plusieurs  ossements. 

Les  personnes  du  sexe  ont  quelquefois  plus  de  courage  que 
les  hommes  pour  entrer  dans  les  voies  où  Dieu  les  appelle. 
Une  vierge  nomuaée  Papula,  dont  parle  Grégoire  de  Tours, 
nous  en  fournit  un  exemple.  Cette  sainte  fille,  n'ayant  pu  obte- 
nir  de  ses  parents  la  permission  de  se  faire  religieuse,  prit  un 
habit  d'homme  et  fut  reçue  en  Touraine  dans  un  monastère 

(1)  Vita  S.  Romani,  apud  BolL,  22  maii.  —  (2)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  xix. 


248  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [534] 

d'hommes.  Elle  y  passa  trente  ans  entiers  habillée  en  moine 
sans  y  être  reconnue  (1).  Mais  trois  jours  avant  sa  mort  la 
pudeur  l'obligea  de  déclarer  son  sexe,  afin  qu'on  la  fit  ense- 
velir par  des  femmes.  Les  miracles  opérés  par  son  interces- 
sion sont  une  preuve  que  c'était  l'esprit  de  Dieu  qui  l'avait 
conduite  par  une  voie  si  extraordinaire. 

On  rapporte  environ  à  ce  même  temps  les  commencements 
du  monastère  de  Sens  dit  Sai7it-Pierre-le-Vif.  On  croit  qu'il  fut 
fondé  par  Teudechilde,  fille  de  Thierry,  roi  d'Austrasie.  Si  l'on 
joint  aux  saints  établissements  dont  nous  venons  de  parler 
ceux  dont  nous  avons  rapporté  ailleurs  les  commencements, 
on  pourra  se  former  une  idée  du  nombre  de  ceux  qui  édi- 
fiaient l'Église  des  Gaules  vers  le  milieu  du  vie  siècle.  Car 
les  moines  offraient  alors  l'ensemble  de  toutes  les  vertus 
chrétiennes  portées  à  un  haut  degré  de  perfection.  Le  monde, 
tout  barbare  et  tout  corrompu  qu'il  était,  ne  pouvait  leur  re- 
fuser son  estime  et  son  admiration.  Aussi  était-ce  parmi  eux 
qu'on  choisissait  les  évêques.  On  était  sûr  de  trouver  dans  ces 
retraites  des  hommes  réunissant  toutes  les  qualités  du  cœur 
et  de  l'esprit.  En  effet,  comme  nous  l'avons  vu,  la  science  y 
était  cultivée  aussi  bien  que  la  vertu.  Les  monastères  étaient 
déjà  au  ve  et  au  vie  siècle  ce  qu'ils  ont  été  pendant  tout  le 
moyen  âge,  un  foyer  de  lumières  et  un  centre  de  civilisation. 

Thierry,  roi  d'Austrasie,  mourut  la  vingt-troisième  année 
de  son  règne,  c'est-à-dire  l'an  534.  Ce  prince  avait  plusieurs 
des  belles  qualités  qui  font  un  grand  roi  et  des  vices  qui 
font  un  méchant  homme.  Quoiqu'il  pratiquât  rarement  la 
vertu,  il  la  respecta  toujours  et  la  récompensa  souvent.  Il 
eut  surtout  à  cœur  de  faire  rendre  une  exacte  justice  à  ses  su- 
jets. Il  fit  à  ce  dessein  composer  un  corps  de  droit  ou  une 
collection  des  lois  des  Francs,  des  Allemands  et  des  Bavarois  : 
car  sa  domination  s'étendait  sur  ces  peuples  au  delà  du 


(1)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  xvi.  —  On  a  vu  de  même  des  femmes  qui  ont 
servi  comme  soldats  dans  les  armées  sans  être  reconnues. 


[534)  EN  FRANCE .   —  LIVRE  VI.  249 

Rhin  (1).  Il  ajouta  à  ces  lois  les  articles  qu'il  jugea  néces- 
saires, et  il  en  retrancha  certains  usages  qui  étaient  des  restes 
de  paganisme  ou  de  barbarie  ;  mais  il  ne  put  les  abolir  tous. 

Théodebert,  son  fils,  qui  lui  succéda,  parut  avoir  hérité  des 
vertus  et  des  vices  de  son  père.  Avec  un  cœur  enclin  aux  plus 
violentes  passions,  il  avait  de  la  grandeur  d'âme  et  de  la  no- 
blesse dans  les  sentiments.  On  espérait  tout  de  son  règne  :  il 
l'inaugura  par  une  action  qui  fît  tout  craindre  et  qui  scanda- 
lisa son  peuple  et  alarma  l'Église.  Il  avait  épousé  Yisigarde, 
fille  de  Yacon,  roi  des  Lombards  ;  mais  en  faisant  la  guerre 
contre  les  Goths  il  fut  épris  de  la  beauté  d'une  dame  nom- 
mée Deutérie,  sa  prisonnière  de  guerre ,  et  dès  qu'il  fut  sur  le 
trône,  se  croyant  tout  permis  parce  qu'il  pouvait  tout,  il 
l'épousa  quoiqu'elle  fût  mariée  aussi  bien  que  lui.  Les  Francs 
en  murmurèrent  en  vain  :  un  jeune  prince  puissant  et  pas- 
sionné n'écoute  que  la  passion  qui  le  domine ,  et  le  temps  seul 
peut  le  guérir.  Théodebert  demeura  sept  ans  engagé  dans  ce 
scandaleux  commerce,  malgré  les  réprimandes  et  les  exhor- 
tations de  S.  Nicet,  évêque  de  Trêves,  jusqu'à  ce  que  l'objet 
même  de  sa  passion  en  fournît  le  remède  (2). 

Deutérie  avait  de  son  premier  mari  une  fille  qui,  parles 
grâces  de  sa  jeunesse,  commençait  à  donner  de  l'ombrage  à 
sa  mère  :  de  quoi  n'est  pas  capable  une  femme  jalouse  et  sans 
pudeur  !  Cette  mère  dénaturée  ne  vit  plus  dans  sa  fille  qu'une 
rivale,  dont  elle  résolut  la  perte;  et  comme  cette  fille  passait 
sur  le  pont  de  Yerdun  dans  une  basterne  (3),  elle  la  fit  préci- 
piter dans  la  rivière,  sacrifiant  ainsi  la  vie  de  celle  qu'elle 
avait  mise  au  monde  aux  soupçons  de  son  amour  criminel  (4). 
Mais  un  attentat  si  odieux  acheva  de  détruire  le  charme  qui 
fascinait  Théodebert  :  il  ne  put  aimer  une  parricide  ,  et  quoi- 
qu'il en  eût  un  fils  nommé  Thibauld,  il  la  répudia  pour  re- 
prendre sa  légitime  épouse.  Malgré  ces  coupables  désordres, 

(1)  Append.  nov.  edit.  Oper.  Greg.  Tur.;  p.  1334.—  (2)  Greg.  Tur.  1.  III,  c.  xxii, 
XXiii.  —  (3)  On  appelait  ainsi  au  ive  siècle  une  litière  portée  par  des  mulets. 
('»)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  xxvi,  xxvii. 


250  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [535] 

ce  prince  faisait  paraître  de  grands  sentiments  de  religion 
et  de  bonté,  dont  les  habitants  de  Verdun  ressentirent  les  ef- 
fets. 

Désidérat,  évêque  de  cette  ville,  avait  souffert  plusieurs 
mauvais  traitements  de  la  part  du  roi  Thierry,  qui  l'avait  exilé 
et  dépouillé  de  ses  biens.  Rendu  à  son  Église  après  la  mort  de 
ce  prince,  il  fut  vivement  affligé  de  l'extrême  indigence  dans 
laquelle  il  trouva  son  peuple  à  son  retour.  Il  s'adressa  à 
Théodebert  et  lui  demanda  à  emprunter  une  somme  d'argent 
qui  pût  mettre  les  citoyens  de  Verdun  en  état  de  rétablir  leur 
commerce.  Le  roi  lui  donna  sept  mille  écus  d'or,  somme  alors 
très-considérable.  Quelques  années  après,  l'évêque  étant  allé 
la  lui  reporter,  il  refusa  de  la  recevoir  en  lui  disant  qu'il  était 
assez  satisfait  d'avoir  secouru  les  pauvres  (1).  Ces  traits  de 
bonté  et  de  compassion  pour  les  malheureux  ne  contribuent 
pas  moins  à  faire  les  grands  rois  que  les  actions  les  plus  hé- 
roïques. 

Dès  la  seconde  année  de  son  règne  Théodebert  permit  aux 
évêques  de  ses  États  de  s'assembler  dans  la  ville  d'Auvergne 
pour  traiter  des  affaires  de  la  religion.  Ils  commencèrent  le 
concile  par  prier  à  genoux  pour  la  personne  du  roi  et  la  pros- 
périté de  son  règne.  Ensuite,  après  s'être  fait  lire  les  anciens 
règlements,  ils  jugèrent  à  propos  d'en  renouveler  quelques- 
uns  et  d'en  ajouter  de  nouveaux.  Ils  firent  seize  canons,  qui 
furent  souscrits  le  8  novembre  après  le  consulat  de  Paulin  le 
Jeune,  c'est-à-dire  l'an  535.  Nous  donnons  ici  les  plus  remar- 
quables (2)  : 

I.  Dans  les  conciles  aucun  évêque  ne  proposera  d'affaires 
particulières  avant  qu'on  ait  réglé  ce  qui  concerne  la  disci- 
pline et  la  réformation  des  mœurs. 

II.  Ceux  qui  auront  brigué  la  protection  des  grands  pour 
obtenir  l'épiscopat,  qui  auront  engagé  les  uns  par  présents  et 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  xxxiv.—  (2)  Conc.  GalL,  t.  I,  p.  241.  — Labb.,  t.  IV, 
p.  1803. 


|SÔ]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  251 

>>  autres  par  menaces  à  signer  le  décret  de  l'élection,  se- 
!i  nt  privés  de  la  communion  de  l'Église  qu'ils  veulent  gouver- 
r. 

III.  Il  est  défendu  de  couvrir  les  corps  morts  des  voiles  qui 
rvent  à  l'autel  et  aux  sacrés  mystères. 
V.  On  excommunie  ceux  qui  demandent  aux  rois  les  biens 
;  l'Église  et  on  en  déclare  nulle  l'impétration. 
VI -VII.  Quand  on  porte  le  corps  d'un  prêtre  au  lieu  de  la 
pulture,  il  est  défendu  de  le  couvrir  des  voiles  qui  servent 
couvrir  le  corps  du  Seigneur.  Il  est  également  interdit  de 
-êter  les  vases  sacrés  pour  servir  aux  noces. 
XII.  On  excommunie  ceux  qui  contractent  des  mariages  in- 
;stueux  et  nommément  celui  qui  épouse  la  veuve  de  son 
ère  et  la  sœur  de  sa  femme. 

On  ne  pouvait  désigner  plus  clairement  le  roi  Glotaire. 
3S  Pères  du  concile  ne  jugèrent  pas  à  propos  de  parler  des 
ariages  adultères,  dans  la  crainte  d'aigrir  Théodebert,  leur 
mverain.  Un  zèle  prudent  dissimule  quelquefois  les  abus 
)ur  mieux  les  corriger. 

XV.  Il  est  défendu  de  célébrer  les  saints  mystères  dans  les 
Gloires  particuliers  aux  principales  fêtes  de  l'année,  c'est-à- 
re  à  Noël,  à  Pâques  et  à  la  Pentecôte.  Les  prêtres  et  les 
acres  qui  ne  sont  pas  attachés  au  service  de  la  ville  ou  des 
iroisses,  mais  qui  demeurent  dans  les  maisons  de  cam- 
igne,  se  rendront  auprès  de  l'évêque  pour  célébrer  avec 
i  ces  solennités.  Les  principaux  (1)  des  citoyens  revien- 
xmt  pour  le  même  sujet  à  la  ville,  sous  peine  d'excommu- 
cation. 

Ce  canon  est  renouvelé  des  conciles  précédents. 

XVI.  On  renouvelle  aussi  les  anciens  règlements  sur  la 
mtinence  des  prêtres  et  des  diacres,  et  on  leur  défend,  aussi 
en  qu'aux  évêques,  de  laisser  entrer  dans  leur  chambre 


'!)  H  y  a  dans  le  latin  :  natu  majores:  cette  expression,  aussi  bien  que  seniores, 
;nifie  souvent  :  les  plus  distingués,  les  seigneurs. 


252  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [53, 

ou  dans  leur  cabinet  aucune  femme  étrangère,  pas  même  de 
servantes  ou  des  vierges  consacrées  à  Dieu.  (On  était  persuad 
que  la  bonne  réputation  d'un  ecclésiastique  contribue  plu 
que  toute  autre  chose  à  rendre  son  ministère  efficace.) 

La  division  de  la  monarchie  franque  en  divers  royaume 
donna  lieu  à  plusieurs  injustices,  qu'il  n'était  pas  au  pouvoir  d 
l'Église  d'empêcher.  Les  Pères  du  concile  d'Auvergne  eurei  ■ 
recours  à  l'autorité  royale.  Ils  écrivirent  une  lettre  commune 
Théodebert  pour  le  conjurer  de  ne  pas  permettre  que  les  sujet 
d'un  roi  fussent  dépouillés  des  biens  qu'ils  possédaient  dan 
un  autre  royaume.  «  C'est,  lui  disent-ils,  ce  que  nous  atter 
dons  de  votre  piété  et  de  votre  justice.  Ce  sera  un  moyen  d'aï 
tirer  de  nouvelles  prospérités  sur  votre  règne  ,  et  votre  gou 
vernement  en  deviendra  une  image  plus  parfaite  de  celui  du 
Seigneur.  Nous  vous  demandons  très-humblement  que  vo 
sujets  et  ceux  des  rois  vos  oncles  (1),  soit  évêques,  clercs  o\i 
laïques,  puissent  jouir  librement  des  biens  qui  leur  appar 
tiennent,  en  payant  les  tributs  ordinaires  :  ce  qui  sera  mêm< 
plus  profitable  à  votre  épargne.  » 

Quinze  évêques  se  trouvèrent  à  ce  concile;  ils  souscriviren 
dans  l'ordre  suivant  (nouvelle  preuve  que  dans  les  souscrip- 
tions on  n'avait  souvent  égard  ni  à  l'ancienneté  dans  l'épis- 
copat  ni  à  la  dignité  des  sièges)  :  Honorât  de  Bourges,  qui 
présida  comme  métropolitain;  S.  Gai  d'Auvergne;  S.  Gré- 
goire de  Langres;  S.  Hilaire  des  Gabales,  c'est-à-dire  deMende; 
Rurice  de  Limoges,  second  du  nom  et  petit-fils  de  Rurice  Ier, 
(deux  prélats  distingués  par  leur  noblesse  et  par  leur  piété  : 
l'un  fit  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  S.  Pierre,  et  l'autre 
en  fit  bâtir  une  en  l'honneur  de  S.  Augustin);  Flavius  de 
Reims,  successeur  de  S.  Romain  ;  Nicet  de  Trêves;  Deutérius 
de  Lodève;  S.  Dalmace  de  Rodez,  successeur  de  S.  Quintien; 
Loup  de  Ghâlons-sui -Marne;  Domitiende  Cologne  (2);  S.  Ve- 


(1)  Il  y  a  dans  le  texte:  des  rois  vos  pères,  patrum  vestrorum,  au  lieu  de  patruorum. 
On  donne  quelquefois  le  nom  de  pères  aux  oncles. 

(2)  Le  P.  Lecoiute  et  Fleury  font  Domitien  évêque  de  Tongres  ;  nous  avons 


5]  EN  FRANCE.    LIVRE  VI.  253 

i  at  de  Viviers,  honoré  le  9  août  ;  S.  Hespérius  de  Metz;  Dé- 
jj.érat  de  Verdun  ,  successeur  de  S.  Vannes;  Gramace  de 
1  idisch,  dont  le  siège  a  été  transféré  à  Constance. 
Les  exemples  de  ces  saints  évêques  et  de  plusieurs  autres 
|i  faisaient  alors  la  gloire  de  l'épiscopat  dans  les  Gaules, 
j  ivaicnt  pas  empêché  quelques  prélats  d'oublier  la  sainteté 
leur  ministère.  Contuméliosus  de  Riez,  qui  avait  assisté 
quatrième  concile  d'Arles,  au  second  de  Vaison  et  à  celui 
Carpentras,  n'en  fut  pas  plus  religieux  observateur  des  ca- 
qs.  On  l'accusa  de' plusieurs  crimes  et  nommément  d'im- 
dicité.  Le  scandale  était  grand ,  le  remède  fut  prompt. 
Césaire  et  les  autres  évêques  de  la  province  instruisirent 
ssitôt  le  procès  du  coupable,  et,  lui  ayant  fait  confesser  ses 
mes,  ils  en  envoyèrent  la  relation  au  pape  Jean  II,  succes- 
ir  de  Boniface  II,  pour  le  consulter  sui1  la  manière  dont  ils 
vaient  agir  dans  cette  affaire.  Le  pape  écrivit  trois  lettres  à 
sujet,  dont  deux  sont  datées  du  7  avril  sous  le  consulat  de 
ulin  le  Jeune,  c'est-à-dire  l'an  534.  La  première  est  adressée 
x  évêques  des  Gaules  (1).  Il  leur  fait  connaître  qu'ayant  lu 
ir  relation,  d'après  laquelle  Contuméliosus  est  atteint  et 
nvaincu  de  plusieurs  crimes,  il  juge  qu'il  doit  être  privé  de 
s  fonctions  et  enfermé  dans  un  monastère  ;  de  plus  qu'il 
it  présenter  une  requête  aux  évêques  pour  demander  la  pé- 
tence  et  faire  par  écrit  dans  cette  requête  l'aveu  de  ses 
ates.  Il  ordonne  aussi  d'établir  à  sa  place  un  visiteur,  qui  ne 
mrra  cependant  pas  faire  d'ordinations  ni  administrer  les 
ens  de  l'Église,  c'est-à-dire  qu'il  devait  seulement  avoir 
s  pouvoirs  qu'ont  aujourd'hui  les  vicaires  généraux. 
Le  pape ,  par  sa  seconde  lettre ,  mande  au  clergé  de  Riez 
le  leur  évêque,  étant  convaincu  par  sa  propre  confession  de 
lusieurs  crimes ,  est  indigne  de  son  ministère  ;  qu'ainsi  il 

u  devoir  suivre  les  éditions  des  conciles  des  PP.  Sirmond ,  Labbe  et  Hardouin, 
u  ont  seulement  fait  remarquer  que  le  manuscrit  de  Pithou  porte  :  Domitien 
Tongres. 

(1)  Joan.  pap.  Epist.,  t.  I  Conc.  GalL,  p.  237.  —  Labb,,  t.  IV,  p.  1754. 


254  HISTOIRE  DE  LEGLISE  CATHOLIQUE  [535 

leur  ordonne  d'obéir  au  visiteur  qui  sera  nommé  par  Césaire 
évêque  d'Arles ,  et  qui  n'aura  de  pouvoir  que  pour  régler  ce 
qui  concerne  les  sacrés  mystères.  La  troisième  lettre  es 
adressée  à  S.  Césaire.  Le  pape  lui  marque  qu'il  est  affligé  d< 
la  perte  de  Contuméliosus ,  mais  qu'il  faut  observer  la  rigueu: 
des  canons.  «  C'est  pourquoi ,  dit-il,  nous  le  suspendons  pa 
notre  autorité  de  l'épiscopat...  Ordonnez-lui  de  se  retire 
dans  un  monastère  pour  y  pleurer  ses  péchés...  et  établisse, 
un  visiteur  jusqu'à  ce  que  cette  Église  ait  un  autre  évêque. 
Le  pape  joignit  à  cette  lettre  plusieurs  autorités  tirées  de 
lettres  du  pape  Sirice ,  des  canons  des  apôtres  et  de  ceu: 
d'Antioche,  concernant  la  déposition  des  évêques  et  de 
prêtres  convaincus  de  quelque  crime. 

On  trouve  joint  à  ces  pièces  un  mémoire  qui  paraît  être  d 
Césaire ,  et  qui  devajjt  servir  de  réponse  à  ceux  qui  parlaien 
de  rétablir  Contuméliosus  (1).  On  y  rappelle  d'abord  l'auto 
rité  du  concile  de  Nicée  et  de  plusieurs  autres  ;  on  y  cil 
même  l'autorité  de  Fauste  de  Riez,  comme  d'un  saint  évêque 
qui  avait  dit  dans  une  lettre  :  Celui-là  perd  la  grâce  de  Vordr 
sacré  qui  veut  encore  faire  l'office  de  mari.  «  Cela  étan 
ainsi,  ajoute  l'auteur  du  mémoire,  avec  quelle  pudeu 
pourra-t-on  prétendre  que  celui  qui  est  coupable  d'un  adul 
tère  puisse  être  rétabli?  >>  Ce  trait  nous  fait  connaître  le  crim 
dont  Contuméliosus  était  accusé.  En  terminant  son  mémoire 
l'auteur  établit  qu'on  ne  doit  pas  refuser  la  sépulture  dan 
le  cimetière  des  fidèles  à  ceux  qui  ont  été  condamnés  à  mor 
pour  leurs  crimes,  ni  rejeter  les  offrandes  qu'on  fait  pou 
eux;  mais  qu'il  faut  retrancher  de  la  communion  ceux  qn 
violent  les  tombeaux  (2). 

Le  pape  Jean  étant  mort  l'année  suivante ,  Contuméliosu 
appela  au  Saint-Siège  du  jugement  rendu  contre  lui  par  le 

(1)  Conc.  GalL,  t.  I,  p.  232.  —  Labb.,  t.  IV,  p.  1756. 

(2)  Les  richesses  qu'on  enfermait  dans  les  tombeaux  avec  les  corps  étaient  1 
cause  de  ces  attentats.  Pour  les  prévenir,  on  affranchissait  des  esclaves  à  cou 
dition  qu'ils  garderaient  les  sépulcres  de  leurs  anciens  maîtres. 


35]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  255 

rêques  en  conséquence  des  lettres  de  ce  pape.  Agapet,  qui 
?cupait  le  Saint-Siège,  reçut  favorablement  son  appel  et 
îsolut  de  nommer  des  commissaires  pour  examiner  la  pro- 
idure  de  S.  Gésaire.  Il  en  écrivit  à  ce  saint  évêque  et  lui 
larqua  que,  la  cause  de  Gontuméliosus  intéressant  l'honneur 
3  tout  l'épiscopat,  il  était  à  souhaiter  que  cet  évêque,  qui 
mit  eu  recours  à  l'appel,  pût  se  justifier  (1).«  C'est  pourquoi, 
t— il ,  nous  déléguerons ,  Dieu  aidant ,  pour  examiner  selon 
s  canons  et  la  justice  les  procédures  que  vous  avez  faites 
ms  cette  cause...  Quoique  le  défenses  Émérite  ,  que  nous 
fons  blâmé ,  ait  avec  votre  agrément  rétabli  cet  évêque  dans 
m  Eglise  jusqu'à  l'entière  décision  de  cette  affaire,  pour  la- 
îelle  nous  lui  déléguerons  des  juges,  nous  voulons  néan- 
oins  qu'en  attendant  il  demeure  suspendu  de  l'administra- 
3n  des  biens  de  l'Église  et  de  la  célébration  de  la  messe  ; 
l'on  lui  rende  seulement  ses  biens  propres...  » 
Agapet  ne  jugeait  donc  pas  que  l'appel  fût  suspensif  quant 
ces  peines.  Il  trouve  cependant  mauvais  qu'on  ait  enfermé 
Dntuméliosus  dans  un  monastère  ,  et  il  semble  ignorer  que 
,  Gésaire  n'avait  agi  en  cela  que  de  l'avis  du  pape  Jean. 
Vous  eussiez  mieux  fait,  ajoute-t-il,  de  ne  pas  permettre 
d'après  son  appel  on  fit  rien  contre  sa  personne.  Car  si  l'on 
Let  en  exécution  la  première  sentence,  de  quoi  sert-il  de 
ire  de  nouvelles  informations?  Ajoutez  à  cela  que,  quand 
lême  il  n'aurait  pas  réclamé  contre  ce  jugement,  il  lui  était 
bre  selon  les  canons  de  choisir  une  vie  privée  plutôt  que 
'embrasser  l'austérité  de  la  vie  religieuse.  »  La  lettre  est 
atée  du  18  juillet  après  le  consulat  de  Paulin  le  Jeune,  c'est- 
-dire  l'an  535.  Agapet  ajoute  qu'il  joint  à  cette  lettre  un 
îcueil  de  canons  :  on  ne  le  trouve  plus.  Il  paraît  que  ce  saint 
ape  n'avait  encore  été  instruit  de  cette  cause  que  par  Gon- 
iméliosus  lui-même. 

Par  une  autre  lettre  du  même  jour  Agapet  refuse  à  S.  Gé- 


(!)  Agapiti  Epist.,  t.  lConc.  G«U.,p.  239.  —  Labb.  Cône.,  t.  IV,  p.  1798. 


256  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [537] 

saire  la  permission  d'aliéner  les  fonds  de  l'Église,  même  en 
faveur  des  pauvres  :  «  Nous  avons  tant  d'envie,  dit-il,  de 
soulager  les  pauvres  et  de  vous  faire  plaisir  que  nous  vous 
accorderions  volontiers  ce  que  vous  nous  demandez  ;  mais 
nous  en  sommes  empêché  par  les  canons  des  Pères,  qui  dé- 
fendent, pour  quelque  motif  que  ce  soit,  d'aliéner  les  terres 
de  l'Église.  »  Il  cite  à  ce  sujet  un  décret  du  pape  Symmaque 
porté  dans  un  concile  de  Rome  (1). 

On  ne  sait  quelle  fut  l'issue  (2)  de  l'affaire  de  Contumélio- 
sus  ;  mais  on  voit  par  les  procédures  que  nous  avons  rappor- 
tées quel  était  le  zèle  des  évêques  des  Gaules  pour  réprimer 
le  scandale  jusque  dans  leurs  confrères.  Une  Eglise  bien 
disciplinée  n'est  pas  précisément  celle  où  il  ne  se  commet  pas 
de  fautes  :  c'est  celle  où  elles  ne  demeurent  pas  impunies. 
Ces  évêques  n'avaient  pas  moins  de  courage  pour  s'opposer 
aux  scandales  que  donnaient  quelques  seigneurs  francs. 

S.  Nicet  de  Trêves  ne  cessait  de  s'élever  avec  une  fer- 
meté inflexible  contre  les  désordres  du  roi  Théodebert.  Il 
savait  que  rien  n'est  plus  contagieux  que  le  mauvais  exemple 
des  grands ,  et  que  celui  du  prince  est  la  première  loi  des 
courtisans.  En  effet,  plusieurs  seigneurs  de  la  première  no- 
blesse imitèrent  Théodebert  dans  ses  débauches  et  se  por- 
tèrent à  des  excès  non  moins  scandaleux,  en  contractant  des 
mariages  incestueux.  S.  Nicet,  voyant  les  exhortations  et  les 
réprimandes  inutiles ,  prit  en  main  le  glaive  de  l'autorité  spi- 
rituelle et  retrancha  ces  seigneurs  -de  la  communion  des 
fidèles.  Ils  méprisèrent  les  censures  de  l'Église,  ce  que  font 
souvent  ceux  qui  les  méritent  le  plus,  et  prétendirent  se 
trouver  à  l'office  divin  malgré  l'évêque  ;  mais  ils  furent  con- 
fondus. 

Le  roi ,  accompagné  de  ces  courtisans  excommuniés  ,  était 
entré  dans  l'église  un  jour  de  dimanche  pour  assister  à  la 

(1)  Agapiti  Epis  t.  ad  Cœsarium,  apud  Labb.,  t.  IV,  p.  1798. 

(2)  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  ne  recouvra  pas  son  siège. 


[537]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  257 

messe;  après  qu'on  eut  récité  les  leçons  marquées  par  l'an- 
cien rituel  et  fait  l'oblation  sur  l'autel,  S.  Nicet  se  tourna  vers 
le  peuple  et  dit  à  haute  voix  :  «  Nous  ne  célébrerons  pas  ici 
la  messe  aujourd'hui,  à  moins  que  les  excommuniés  ne  sor- 
tent auparavant  de  l'église  (1).  »  Le  roi  Théodebert,  qui  re- 
gardait comme  un  affront  personnel  celui  qu'on  faisait  aux 
seigneurs  de  sa  suite,  s'opposait  à  ce  qu'on  les  fit  sortir;  mais 
il  eut  sa  part  de  la  confusion  :  car  un  jeune  homme  tour- 
menté du  démon  commença  à  publier  dans  l'église  les  vertus 
de  l'évèque  et  les  adultères  du  roi.  Le  prince,  épouvanté  et 
2t  confus,  ordonna  qu'on  chassât  cet  énergumène.  Mais  l'évè- 
que, s'adressant  au  roi,  dit  qu'il  fallait  que  les  incestueux, 
[es  homicides  et  les  adultères  sortissent  auparavant  :  on  obéit 
i  l'évèque,  et  à  l'instant  le  possédé  disparut  sans  qu'on  pût  ïe 
fe  trou  ver. 

S.  Nicet  se  rendait  redoutable  à  tous  les  pécheurs.  En 
3rêchant  son  peuple  il  faisait  quelquefois  des  portraits  si  res- 
semblants des  vices  qu'on  y  reconnaissait  les  coupables.  Cette 
iberté,  que  son  zèle  jugeait  utile  en  certaines  rencontres, 
'exposa  à  de  grandes  persécutions  ;  mais  ce  saint  évêque  ne 
feignait  que  le  Seigneur  dans  l'exercice  de  son  ministère  et 
lisait  souvent  :  Je  mourrai  volontiers  pour  la  justice.  Il 
l'avait  rien  à  craindre  de  la  part  de  Théodebert. 

La  passion  qui  captivait  le  cœur  de  ce  prince  n'avait  pas 
îteint  chez  lui  les  sentiments  de  la  religion.  Tout  engagé  qu'il 
îtait  dans  un  mariage  adultère ,  il  ne  pouvait  souffrir  les  ma- 
riages incestueux.  Il  voulut  s'instruire  sur  ce  point  des  rè- 
gles de  l'Église ,  apparemment  pour  les  faire  observer.  Les 
}lus  vicieux  ont  quelquefois  du  zèle  contre  les  vices  qu'ils  ne 
se  reprochent  pas.  JComme  Théodebert  s'était  rendu  maître  de 
a  Provence  et  d'une  partie  de  l'Italie,  il  chargea  Moderic,  son 
imbassadeur,  de  consulter  le  Saint-Siège  sur  la  pénitence  que 
levait  faire  celui  qui  avait  épousé  la  sœur  de  sa  femme.  Vi- 

(1)  Greg.  Tur.  Vit.  PP  ,  c.  xmi. 

TOME  ii.  17 


258  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [538] 

gile ,  par  les  artifices  et  l'autorité  de  l'impératrice  Théodora, 
femme  de  Justinien,  était  alors  intrus  dans  la  chaire  de 
S.  Pierre  à  la  place  de  S.  Silvère,  successeur  de  S.  Agapet. 
Il  fut  bien  aise  d'avoir  cette  occasion  d'usurper  les  fonctions 
du  souverain  pontife.  Outre  la  réponse  qu'il  fit  au  roi,  il  manda 
à  S.  Gésaire  que  c'était  aux  évêques  des  lieux  à  régler  la  pé- 
nitence et  à  l'abréger  selon  que  la  ferveur  du  pénitent  parais- 
sait le  mériter.  Il  recommande  surtout  qu'on  prenne  des  me- 
sures pour  empêcher  les  coupables  de  retomber.  C'est 
pourquoi  il  ordonne  qu'on  sépare  ceux  qui  ont  contracté  ces 
mariages  incestueux,  et  charge  S.  Gésaire  de  prier  le  roi  de 
tenir  la  main  à  ce  que  rien  de  semblable  n'arrive  dans  la  suite. 
La  lettre  est  datée  du  6  mars  (l)sous  le  consulat  de  Jean,  c'est- 
à-dire  l'an  538.  On  traita  encore  des  mariages  incestueux  au 
troisième  concile  d'Orléans,  qui  se  tint  cette  même  année. 

Théodebert,  dont  le  règne  devenait  de  jour  en  jour  plu* 
éclatant,  en  fit  rejaillir  en  partie  la  gloire  sur  l'Eglise,  en  lui 
procurant  les  moyens  de  veiller  au  maintien  de  sa  discipline 
par  la  tenue  des  conciles.  Childebert,  roi  de  Paris,  ne  montrait 
pas  moins  d'amour  pour  la  religion ,  et  il  fit  presque  oublier 
par  ses  vertus  que  l'ambition  l'avait  rendu  coupable  du 
meurtre  de  ses  neveux.  Ces  deux  princes  firent  donc  assem- 
bler les  évêques  de  leurs  États  à  Orléans  au  commencement 
de  mai  538.  Ce  concile  fit  trente-trois  canons,  dont  nous 
allons  rapporter  les  principales  dispositions  (2). 

L  Le  métropolitain  tiendra  tous  les  ans  un  concile  avec  ses 
sufTragants,  et  s'il  passe  deux  ans  en  temps  de  paix  sans  en 
convoquer,  il  sera  un  an  entier  suspendu  de  la  célébration  de 
la  messe.  Les  sufTragants  qui  sans  raison  de  maladie  se  dis- 
penseront d'assister  au  concile  (  convoqué  par  le  métropoli- 
tain )  seront  soumis  à  la  même  peine ,  sans  que  la  diversité 
des  royaumes  puisse  servir  d'excuse. 

(1)  Vigil.  Ep.  ad  Cœsar.,  t.  I  Conc.  Gall.,  p.  240.  —  Fleury,  t.  VII,  p.  394,  dit 
que  la  lettre  est  du  3  mars:  il  a  mal  supputé.  Vigile,  qui  était  intrus  quand  il 
l'écrivit,  devint  ensuite  pape  légitime.— (2)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  248. —  Labb.,  t.V. 
p. 294. 


[538]  EN  FRANCE.    LIVRE  VI.  259 

II.  Les  sous-diacres  et  les  autres  clercs  des  ordres  supé- 
rieurs garderont  la  continence,  sous  peine  d'être  réduits  à  la 
communion  laïque ,  et  si  un  évêque  leur  laisse  exercer  leurs 
fonctions,  il  fera  trois  mois  de  pénitence  (1). 

III.  Les  métropolitains  seront  ordonnés  par  des  métropo- 
litains en  présence  des  évêques  delà  province;  mais  ils  seront 
élus,  selon  les  décrets  du  Saint-Siège,  par  les  suffragants,  du 
consentement  du  clergé  et  des  citoyens. 

IY.  On  recommande  encore  aux  ecclésiastiques  d'éviter 
toute  familiarité  avec  les  femmes.  Si  quelque  évêque  ou 
quelque  clerc  refuse  d'observer  là-dessus  les  décrets,  il  sera 
excommunié  pendant  trois  ans  ;  que  si  l'on  prouve  qu'il  soit 
coupable  d'adultère,  il  sera  dégradé  selon  les  canons.  Le 
métropolitain  sera  corrigé  en  ce  point  par  ses  suffragants,  et 
l' évêque  suffragant  par  le  métropolitain  et  les  autres  évêques 
de  la  province. 

V.  Les  offrandes  qui  sont  faites  aux  églises  des  cités  seront 
sous  la  puissance  de  l'évêque,  et  il  réglera  à  son  gré  ce  qu'il 
en  faudra  assigner  pour  les  réparations  de  l'église  et  pour 
l'entretien  de  ceux  qui  la  desservent.  Quant  aux  offrandes 
faites  aux  paroisses  et  aux  églises  de  la  campagne,  on  obser- 
vera la  coutume  des  lieux. 

YI.  On  n'ordonnera  de  laïque  qu'après  un  an  de  conversion, 
c'est-à-dire  après  qu'il  aura  fait  vœu  de  continence  depuis 
un  an  ;  on  n'ordonnera  un  diacre  qu'à  vingt-cinq  ans  et  un 
prêtre  qu'à  trente.  On  n'ordonnera  pas  non  plus  les  bigames, 
ni  ceux  qui  sont  mutilés  (2),  ou  qui  ont  été  publiquement 
tourmentés  du  démon,  sous  peine  pour  ceux  qui  seraient 
ainsi  ordonnés  d'être  dégradés,  et  pour  l'évêque  qui  les  or- 
donnerait d'être  suspendu  pendant  six  mois. 

VII.  Il  est  défendu  à  tous  les  clercs  de  se  marier  après  leur 
ordination.  Ceux  qui  ont  été  ordonnés  malgré  eux  seront 


(1)  Le  célibat  continua  d'être  imposé  aux  sous-diacres. 

(2)  Il  y  a  dans  le  latin  semus  corpore,  c'est-à-dire  tronqué,  mutilé. 


260  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [538] 

déposés,  mais  ils  ne  seront  pas  excommuniés.  L'évëque  qui 
ordonnera  un  clerc  malgré  lui  fera  un  an  de  pénitence  et 
demeurera  tout  ce  temps  suspendu  de  la  célébration  de  la 
messe.  Un  clerc  des  ordres  supérieurs  qui  sera  convaincu 
d'adultère  ou  qui  avouera  ce  crime,  sera  déposé  et  renfermé 
dans  un  monastère  pour  le  reste  de  sa  vie  ;  mais  on  lui  accor- 
dera la  communion.  [C'est  la  peine  qu'on  avait  décernée 
contre  l'évëque  Contuméliosus.) 

VIII.  Le  clerc  convaincu  de  vol  ou  de  falsification  sera  dé- 
posé, mais  on  lui  accordera  la  communion.  Celui  qui  sera 
convaincu  de  faux  témoignage  en  justice  sera  excommunié 
pendant  deux  ans. 

X.  On  recommande  l'observation  des  canons  contre  les 
mariages  incestueux  ;  mais  on  déclare  qu'on  doit  user  d'in- 
dulgence envers  ceux  qui  ont  péché  en  ce  point  par  ignorance, 
surtout  envers  les  gentils  qui  se  convertissent,  et  qu'il  faut 
tolérer  ces  sortes  de  mariages  contractés  avant  leur  bap- 
tême. 

XI.  Les  clercs  qui  s'autorisent  de  la  protection  des  laïques 
pour  se  dispenser  de  leurs  devoirs  ou  pour  s'élever  contre 
leurs  évèques,  seront  retranchés  du  canon  où  sont  les  autres 
clercs  et  n'auront  plus  de  part  aux  rétributions  de  l'Église. 

Les  clercs  attachés  au  service  d'une  église  et  qui  en  rece- 
vaient des  rétributions  étaient  inscrits  dans  un  canon  ou  ca- 
talogue, et  on  les  nommait  pour  ce  sujet  canonici.  C'est  l'o- 
rigine du  nom  de  chanoine,  comme  nous  l'avons  déjà  re- 
marqué. 

XII.  Toute  aliénation  ou  engagement  des  biens  ecclésiasti- 
ques est  déclaré  nul,  et  les  biens  qui  ont  été  aliénés  ou 
engagés  au  détriment  de  l'Église  pourront  être  retirés  dans 
l'espace  de  trente  ans. 

XIII.  On  fait  quelques  règlements  en  faveur  des  esclaves 
chrétiens  qui  sont  au  service  des  Juifs,  et  on  défend  à  tous 
les  fidèles,  sous  peine  d'un  an  d'excommunication,  de  manger 
avec  les  Juifs;  on  leur  interdit  aussi  d'épouser  des  personnes 


[538]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  261 

de  cette  nation,  sous  peine  d'être  excommuniés  jusqu'à  ce 
qu'ils  s'en  soient  séparés. 

Les  Juifs  étaient  alors  en  grand  nombre  dans  les  Gaules. 

XIY.  Aux  fêtes  les  plus  solennelles  la  messe  sera  célébrée 
à  la  troisième  heure,  c'est-à-dire  à  neuf  heures  du  matin, 
afin  que  les  prêtres  puissent  plus  commodément  se  trouver  à 
l'office  des  vêpres. 

XV.  Un  évêque  ne  doit  pas  aller  dans  le  diocèse  d'un  autre 
évêque  pour  y  faire  des  ordinations  ou  consacrer  des  au- 
tels. S'il  le  fait,  les  clercs  seront  déposés,  mais  l'autel  demeu- 
rera consacré,  et  l'évêque  transgresseur  des  canons  sera 
pendant  un  an  suspendu  de  la  célébration  de  la  messe.  Pour 
les  clercs  qui,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  demeurent 
dans  un  autre  diocèse,  ils  ne  pourront  être  promus  à  aucun 
honneur  de  la  cléricature  sans  le  consentement  par  écrit  de 
leur  propre  évêque. 

On  voit  ici  que  l'usage  des  dimissoires  est  bien  établi. 

XVII.  Un  évêque  ne  pourra  ôter  aux  clercs  les  biens  de 
l'Église  qu'ils  tiennent  de  la  libéralité  de  ses  prédécesseurs; 
mais,  s'il  le  juge  à  propos,  il  peut  les  échanger  :  il  faut  cepen- 
dant que  les  clercs  qui  jouissent  de  ces  bienfaits  rendent 
service  à  l'Église  et  obéissance  aux  ôvêques.  Quant  aux  libé- 
ralités que  l'évêque  aurait  faites  lui-même,  il  peut  les~ô!er  à 
ceux  qui  s'en  rendraient  indignes  par  leur  désobéissance. 

Ce  canon  nous  apprend  qu'il  y  avait  dès  lors  des  bénéfices 
dont  l'évêque  ne  pouvait  priver  à  son  gré  les  clercs  qui  en 
étaient  pourvus. 

XVIII.  Pour  les  clercs  qui  sont  tirés  de  l'église  de  la  ville 
pour  gouverner  des  monastères,  des  basiliques  ou  des  dio- 
cèses, il  sera  au  pouvoir  de  l'évêque  de  déterminer  comme  il 
voudra  s'ils  conserveront  quelque  chose  des  biens  ecclésias- 
tiques qu'ils  avaient  auparavant  ou  s'ils  n'en  garderont  rien. 
Car  les  biens  du  monastère,  de  la  basilique  ou  du  diocèse 
dont  ces  clercs  prennent  le  gouvernement,  leur  doivent  en- 
tièrement suffire. 


262  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [538] 

XIX.  Les  clers  contumaces  seront  réduits  à  la  communion 
laïque. 

XXI.  Si  des  clercs  conspirent  ensemble  pour  se  révolter 
contre  l'autorité,  par  des  serments  qu'ils  se  font  les  uns  aux 
autres  ou  par  des  écrits  qu'ils  signent,  comme  il  est  mani- 
feste, dit  le  concile,  qu'il  est  arrivé  depuis  peu  en  plusieurs 
lieux  à  l'instigation  du  démon,  qu'on  n'excuse  nullement 
cet  attentat  ;  mais  qu'il  soit  dénoncé  au  concile,  qui  punira 
les  coupables  selon  la  qualité  et  le  rang  des  personnes. 

XXIV.  On  ne  donnera  pas  la  pénitence  aux  jeunes  gens  ni 
aux  personnes  mariées,  . sans  le  consentement  des  'parties  et 
si  elles  ne  sont  pas  dans  un  âge  mûr. 

La  pénitence  obligeait  à  la  continence. 

XXV.  Ceux  qui  quittent  la  pénitence  seront  excommuniés 
jusqu'à  la  mort,  mais  on  leur  accordera  le  viatique. 

XX YI.  On  n'ordonnera  pas  d'esclaves  ou  de  colons  (1)  à 
moins  qu'il  ne  soit  constant  qu'ils  aient  été  affranchis  dans 
les  formes. 

XXVII.  Il  est  défendu,  sous  peine  de  dégradation,  aux  dia- 
cres et  aux  autres  clercs  des  ordres  supérieurs  de  prêter  à 
usure  ou  d'exercer  quelque  négoce  pour  un  gain  sordide, 
même  sous  un  nom  emprunté  ;  on  leur  accordera  cependant 
la  communion  (2). 

XXVIII.  Il  est  permis  de  voyager  le  dimanche  avec  des 
chevaux,  des  bœufs  ou  des  chariots,  de  préparer  à  manger 
et  de  faire  ce  qui  convient  à  la  propreté  des  maisons  et  des 
personnes.  Mais  on  défend  de  vaquer  aux  travaux  de  la  cam- 
pagne, c'est-à-dire,  comme  le  concile  l'explique,  de  labourer, 
de  travaillera  la  vigne,  de  faucher,  de  moissonner,  de  battre 
le  grain,  d'essarter  ou  de  faire  des  haies.  Si  quelqu'un  est  sur- 

(1)  La  servitude  de  ceux  qu'on  nommait  colons,  coloni,  était  plus  douce  que  celle 
des  serfs,  servi  :  les  colons  étaient  obligés  de  cultiver  des  terres  dont  ils  rendaient 
aux  maîtres  une  partie  des  fruits. 

(2)  Suivant  les  canons  des  apôti'es  on  n'excommuniait  pas  les  clercs  qu'on  dé- 
posait. Nous  avons  vu  cependant  que  cette  discipline  n'était  pas  généralement  ob- 
servée, et  qu'on  joignait  assez  souvent  l'excommunication  à  la  déposition. 


[538]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  263 

pris  s'occupant  à*ces  travaux,  ce  n'est  pas  aux  laïques,  mais 
à  l'évèque  à  le  punir. 

XXIX.  Aucun  laïque  ne  doit  sortir  de  l'office  avant  qu'on 
ait  dit  l'oraison  (1)  dominicale,  et  si  l'évèque  est  présent  on 
attendra  sa  bénédiction  ;  personne  ne  devra  assister  à  la 
messe  et  à  l'office  des  vêpres  avec  des  armes. 

Ceci  regarde  particulièrement  les  Francs,  qui  marchaient 
toujours  armés.  Nous  avons  vu  aussi,  en  parlant  de  l'ordina- 
tion de  S.  Germain,  que  les  Gaulois  portaient  des  armes  dans 
l'église. 

XXX.  Il  est  interdit  aux  Juifs  de  se  trouver  avec  les  chré 
tiens  depuis  le  jour  de  la  cène  du  Seigneur  jusqu'à  la  se- 
conde férié  de  Pâques. 

On  craignait  apparemment  ou  que  les  Juifs  n'insultassent 
les  fidèles  au  sujet  de  la  passion,  ou  que  la  présence  de  ces 
meurtriers  de  Jésus-Christ  ne  portât  en  ce  saint  temps  les 
fidèles  à  venger  sa  mort. 

XXXI.  Le  juge  laïque  qui  ne  punira  pas  les  bonosiens  et 
autres  hérétiques  qui  auront  rebaptisé  quelque  catholique, 
sera  excommunié  pendant  un  an. 

Il  y  avait  donc  des  peines  contre  les  hérétiques  et  une 
obligation  pour  les  magistrats  de  les  infliger. 

XXXII.  Un  clerc  ne  pourra  poursuivre  un  laïque  devant  un 
tribunal  séculier,  ni  y  être  traduit  par  un  laïque  sans  la  per- 
mission de  l'évèque. 

Ces  canons  furent  souscrits  le  7  du  troisième  mois  (2),  c'est- 
à-dire  de  mai,  par  dix-neuf  évêques  présents  et  par  les  députés 

(1)  Il  y  a  dans  le  latin  de  missis  :  ce  mot  se  prend  souvent  pour  les  diverses 
heures  de  l'office  divin,,  qui  étaient  toutes  terminées  par  l'oraison  dominicale , 
comme  elles  le  sont  encore  aujourd'hui. 

(2)  De  ce  que  le  mois  de  mai  est  ici  nommé  le  troisième  mois.,  le  P.  Pagi  con- 
clut que  les  Francs  commençaient  alors  l'année  à  Pâques.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
d'examiner  quand  a  commencé  en  France  cet  usage  ;  nous  remarquons  seulement 
que  la  preuve  apportée  par  ce  critique  est  peu  solide.  Pâques  fut  cette  année,  538, 
le  4  avril  :  ainsi,  si  l'on  commença  l'année  à  Pâques,  mai  était  seulement  le  second 
mois.  Mais,  soit  que  l'on  commençât  l'année  à  Pâques  ou  au  mois  de  janvier,  mai 
était  toujours  nommé  le  troisième  mois,  comme  septembre  était  appelé  le  septième, 
ainsi  que  le  marque  son  nom. 


204  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [538] 

de  sept  absents.  Cinq  métropolitains  (1)  souscrivirent  les  pre- 
miers :  S.  Loup  de  Lyon,  qui  présida;  S.  Pantagathe  de 
Tienne,  S.  Léon  de  Sens,  S.  Arcade  de  Bourges,  S.  Flavius 
ou  Flieu  de  Rouen,  assisté  de  tous  ses  suffragants,  savoir  : 
Leucadius  de  Baveux,  S.  Lô  de  Coutances,  Passivus  de  Sécz, 
Théodebaud,  le  premier  évèque  que  nous  trouvons  de  Lisieux, 
quoique  ce  siège  soit  plus  ancien,  Licinius  d'Évreux  et  Per- 
pétue d'Avranches  représenté  par  un  député.  Les  plus  célè- 
bres parmi  les  autres  évèques  du  troisième  concile  d'Orléans 
sont  :  Injuriosus  de  Tours,  S.  Eleuthère  d'Auxcrre,  S.  Au- 
bin d'Angers,  S.  Gai  d'Auvergne,  S.  Agricole  de  Chalon-sur- 
Saône  et  S.  Grégoire  de  Langres. 

Ce  dernier  mourut  peu  de  temps  après  le  concile,  dans  la 
quatre-vingt-dixième  année  de  son  âge  et  la  trente-troisième 
de  son  épiscopat.  Sa  mort  eut  lieu  à  Langres,  où  il  s'é- 
tait rendu  pour  la  fête  de  l'Epiphanie  ;  mais  il  fut  enterré  à 
Dijon,  où  était  sa  demeure  habituelle.  Un  miracle  opéré  à  ses 
funérailles  augmenta  l'opinion  que  l'on  avait  conçue  de  sa 
sainteté.  Comme  on  portait  son  corps  au  lieu  de  la  sépulture, 
les  prisonniers  implorèrent  son  secours,  et  à  l'instant  la  pri- 
son devant  laquelle  passait  le  convoi  s'ouvrit  miraculeuse- 
ment (2).  Il  est  honoré  le  4  janvier.  S.  Tétric,  son  fils,  fut  son 
successeur. 

S.  Loup  de  Lyon  avait  mené  la  vie  solitaire  dans  l'ile  Barbe 
près  de  Lyon.  L'éclat  de  ses  vertus  le  fit  élever  sur  le  siège 
de  cette  grande  ville  après  la  mort  de  S.  Yiventiole,  ou,  selon 
quelques-uns,  après  un  second  Eucher,  que  nous  ne  croyons 
pas  nécessaire  d'admettre.  L'Église  honore  la  mémoire  de 
S.  Loup  le  25  septembre. 

S.  Pantagathe  de  Vienne,  non  moins  distingué  par  ses  ta- 
lents que  par  sa  noblesse,  avait  occupé  dans  le  monde  la  posi- 

(1)  Fleury,  t.  VII,  p.  397,  parlant  des  évêques  de  ce  concile  dit  :  Le  premier  était 
loi//',  archevêque  de  Lyon^  puis  trois  autres  archevêques  ;  il  fallait  dire  :  puis  quatre 
autres.  D'ailleurs  le  nom  (Tarclirvêque  pour  signifier  métropolitain  n'était  pas 
encore  en  usage  alors  dans  l'Occident. 

(2)  Greg.  Tur„  de  Vit.  PP.,  c.  vu. 


[Ô38]  E.\   FRANCK.    LIVRE  A  I.  2G5 

tion  la  plus  élevée.  Mais  le  mépris  de  ces  avantages  lui  ac- 
quit une  plus  solide  gloire  et  rendit  plus  éclatante  celle  qu'il 
procura  à  l'Église  par  son  érudition  et  sa  piété  (1).  Il  mourut  à 
Page  de  soixante-cinq  ans,  avant  l'année  541,  pendant  laquelle 
se  tint  le  quatrième  concile  d'Orléans;  il  est  honoré  le  17  avril. 

S.  Agricole  de  Ghalon  était  issu  d'une  famille  de  sénateurs  ; 
il  se  rendit  recommandante  par  son  aménité,  sa  prudence  et 
sa  vie  austère;  on  admirait  son  rare  génie  et  son  éloquence. 
Sa  taille  fort  petite  contrastait  avec  ce  qu'il  y  avait  de  grand 
et  d'élevé  dans  son  caractère  (2),  Il  fît  faire  plusieurs  beaux 
édifices  à  Chalon,  et  entre  autres  une  église  soutenue  de 
belles  colonnes  et  ornée  d'ouvrages  en  mosaïque.  Il  fut  élu 
évêque  de  cette  ville  vers  l'an  532  et  tint  le  siège  quarante- 
huit  ans,  pendant  lesquels  nous  le  verrons  encore  dans  la 
suite  assister  à  plusieurs  conciles.  Il  mourut  âgé  de  quatre- 
vingt-treize  ans,  et  il  est  honoré  le  17  mars. 

S.  Aubin,  qui  fut  une  des  lumières  du  troisième  concile 
d'Orléans,  était  originaire  du  territoire  de  Tannes.  Il  quitta 
ses  parents  dès  sa  jeunesse  et  se  retira  au  monastère  de  ïincil- 
lac,  dont  la  situation  exacte  n'est  plus  connue  :  il  paraît  cepen- 
dant probable  qu'il  était  situé  dans  l'Anjou  (3) .  Aubin  en  fut  élu 
abbé  à  l'âge  de  trente-cinq  ans,  et  pendant  vingt-cinq  années  4 
qu'il  gouverna  ce  monastère,  il  y  fît  fleurir  toutes  les  vertus  re- 
ligieuses. Mais  il  en  fut  tiré,  malgré  son  humilité ,  pour  être 
placé  sur  le  siège  d'Angers  (5).  Dans  cette  nouvelle  dignité  il 
s'appliqua  à  soulager  les  pauvres  par  ses  aumônes,  à  défendre 
ses  concitoyens,  à  visiter  les  malades  et  à  racheter  les  captifs. 
Il  ressuscita  un  mort  et  rendit  la  vue  à  trois  aveugles  en  faisant 

(t)  Epilaph.  Pantagathi,  apud  Andream  Duchesne,  1. 1  Script.  Hist.  Fr.,  p.  515. 

(2)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  VI,  c.  xlv.  —  C'est  le  sens  qu'on  doit  donner  à. 
l'expression  de  Grégoire  de  Tours  :  humanitatis  ej.iyuœ  erat,  c'est-à-dire  :  il  était 
de  petite  taille. 

(3)  Fort'unat  passa  par  Tincillac  en  allant  de  Poitiers  à  Angers.  Ainsi  il  ne  faut 
pas  chercher  ce  monastère  dans  la  Bretagne,  comme  font  quelques  auteurs. 

(4)  Fleury,  t.  VII,  p.  297,  dit  que  S.  Aubin  gouverna  ce  monastère  seulement 
cinq  ans  :  c'est  une  erreur. 

(5)  Fortun.  Vit.  Albini,  p.  4,  apud  Boll.,  I  mart. 


266  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [538] 

le  signe  de  la  croix  sur  leurs  yeux.  Fortunat  raconte  les  cir- 
constances de  ces  miracles.  Il  exalte  surtout  le  zèle  de  ce  saint 
évéque  contre  les  mariages  incestueux  et  il  nous  apprend 
qu'il  travailla  dans  plusieurs  conciles  à  corriger  cet  abus.  Les 
canons  du  troisième  concile  d'Orléans  peuvent  en  être  une 
preuve.  Sa  fermeté  sur  ce  point  de  discipline  lui  attira  quel- 
ques mortifications. 

Une  personne  puissante  qu'il  avait  excommuniée  à  ce  sujet 
s'en  plaignit  au  concile,  qui  était  apparemment  celui  de  la 
province.  Les  évêques  l'obligèrent  à  lever  l'excommunica- 
tion. Il  obéit;  mais  comme  ces  prélats  le  priaient  de  bénir  les 
eulogies  qu'ils  envoyaient  à  cette  personne  en  signe  de  com- 
munion, il  répondit  :  Je  suis  contraint  par  vos  ordres  de 
donner  ma  bénédiction;  mais  tandis  que  vous  abandonnez  la 
cause  de  Dieu,  il  saura  bien  la  défendre.  En  effet  ,  la  personne 
excommuniée  mourut  avant  l'arrivée  de  celui  qui  lui  portait 
ces  eulogies  de  la  part  du  concile. 

S.  Aubin  avait  tant  à  cœur  de  purger  l'Église  de  ces  ma- 
riages incestueux  qu'il  fit  le  voyage  d'Arles  pour  consulter 
S.  Césaire  sur  cette  question.  Il  fut  accompagné  par  S.  Lubin, 
depuis  évêque  de  Chartres  et  alors  abbé  de  Brou.  Ghildebert, 
étant  venu  à  Angers,  qui  était  de  son  royaume,  rendit  de 
grands  honneurs  à  S.  Aubin.  Ce  saint  évêque  gouverna  son 
Église  vingt  ans  et  six  mois,  et  mourut  vers  l'an  550  à  l'âge 
de  quatre-vingts  ans,  le  1er  mars,  jour  auquel  l'Église 
honore  sa  mémoire.  Sa  Vie  a  été  écrite  par  Fortunat  de  Poi- 
tiers et  adressée  à  Domitien  d'Angers,  successeur  de  S.  Aubin 
après  Eutrope  (1). 

Tels  étaient  les  plus  saints  évêques  qui  assistèrent  au  troi- 
sième concile  d'Orléans.  On  est  surpris  qu'il  n'en  soit  pas 
venu  des  États  de  Glotaire,  quoiqu'il  y  eût  aussi  dans  ce 
royaume  de  grands  et  saints  évêques.  Mais  on  doit  suppo- 
ser que  ce  prince  n'était  pas  alors  en  bonnes  relations  avec 
Ghildebert  et  Théodcbert. 

(1)  Vit,  Leobini.  —  Vit.  Albini,  n.  19. 


38]  EN  FRA.NXE.  —  LIVRE  VI.  267 

S.  Vaast,  évèque  d'Arras,  vivait  encore  et  jouissait  d'une 
•ande  estime  auprès  de  Clotaire,  qui  savait  apprécier  la 
3rtu  quoiqu'il  ne  fût  rien  moins  que  vertueux  (1).  Un  sei- 
peur  franc  invita  un  jour  le  saint  évèque  à  dîner  chez  lui 
bec  le  roi.  S.  Yaast  trouva  plusieurs  coupes  remplies  de 
ère  qui  avaient  été  offertes  au  démon  et  qui  devaient  servir 
îx  idolâtres  invités  à  ce  repas  :  car  il  y  en  avait  encore,  sur- 
mt  parmi  les  Francs  établis  du  côté  de  Cambrai.  Yaast  fît  le 
gne  de  la  croix  sur  ces  vases,  et  ils  se  brisèrent  aussitôt  en 
résence  du  roi  et  des  seigneurs,  qui  demeurèrent  saisis  d'une 
linte  frayeur.  Le  saint  évèque  en  prit  occasion  de  parler 
Dntre  la  vanité  des  superstitions  païennes  et  convertit  à  la 
)i  plusieurs  des  assistants.  Il  gouverna  son  Église  quarante 
os  et  mourut  vers  l'an  540;  il  est  honoré  le  6  février.  Il  fut 
nterré  dans  l'église  cathédrale,  d'où  son  corps  fut  transféré 
n  un  oratoire  qu'il  avait  fait  élever  sur  les  bords  du  Crinchon 
t  où  il  avait  choisi  sa  sépulture.  On  y  a  bâti  dans  la  suite  la 
Éèbre  abbaye  de  Saint- Vaast.  Il  eut  pour  successeur  S.  Domi- 
ique,  et  celui-ci  S.  Védulfe,  qui  transféra  le  siège  épiscopal  à 
ambrai. 

S.  Médard  était  aussi  alors  dans  le  royaume  de  Clotaire 
ne  des  plus  éclatantes  lumières  de  l'épiscopat.  Il  était  né  à 
alency  près  de  Noyon  d'un  seigneur  franc  nommé  Nectard 
t  d'une  dame  romaine,  c'est-à-dire  gauloise  (2),  nommée 
rotagie  (3).  Il  montra  dès  son  enfance  un  tendre  amour  pour 
h  pauvres.  S'il  en  rencontrait  en  paissant  les  troupeaux 
e  son  père  (car  cette  occupation  innocente  n'avait  alors 
ien  de  vil  ) ,  il  donnait  ce  qu'il  avait  apporté  pour  sa  nourri- 
ire  et  jeûnait  le  reste  du  jour.  Sa  mère,  comme  celle  du 
îune  Samuel,  lui  avait  fait  une  robe,  et  un  jour  qu'il  allait 

(1)  Vita  Vedasti  ab  Alcuino  emendata,  apud  Boll.,  8  febr. 

(2)  Nous  avons  déjà  remarqué  que  les  Gaulois  étaient  nommés  Romains,  parce 
a'ils  avaient  été  sujets  de  l'empire  romain. 

(3)  Vita  AJedardi,  apud  Surium,  8  junii.  —  Fortunat.  Vita  S.  Medardi ,  t.  VIII 
pfeif.,  c.  ii,  p.  391. 


268  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [538] 

à  l'écoie  dans  la  ville  do  Yermandois,  depuis  nommée  Saint- 
Quentin,  elle  la  lui  donna  pour  la  faire  racommoder  par  un 
ouvrier;  mais  le  saint  enfant  en  revêtit  un  pauvre  qu'il  ren- 
contra sur  son  chemin.  Il  avait  pour  condisciple  un  jeune 
homme  nommé  Éleuthère,  avec  qui  il  se  lia  d'une  étroite  ami- 
tié et  auquel  il  prédit  l'épiscopat.  Ce  jeune  homme  est  S.  Éleu- 
thère évêque  de  Tournay,  dont  nous  parlerons  plus  bas. 

Les  vertus  de  Médard  croissaient  avec  l'âge,  et  sa  réputation 
avec  ses  vertus.  Il  était  déjà  connu  dans  presque  toute  la 
Gaule  lorsqu'après  la  mort  d'Allomère,  successeur  de  So- 
phronius,  qui  avait  assisté  au  premier  concile  d'Orléans,  il  fut 
ordonné  évêque  de  Yermandois  par  S.  Remi,  vers  l'an  530.  Il 
transféra  son  siège  à  Noyon,  ville  plus  fortifiée  que  l'ancienne 
Auguste,  capitale  du  Yermandois,  qui  avait  été  ruinée  par 
les  courses  des  barbares  dans  le  ve  siècle.  Mais  rien  ne 
montre  mieux  l'estime  qu'on  avait  du  mérite  de  ce  saint 
évêque  que  ce  qu'on  crut  devoir  faire  en  sa  faveur  contre  les 
règles  ordinaires  de  la  discipline.  S.  Eleuthère,  évêque  de 
Tournay,  étant  mort  quelque  temps  après,  S.  Médard  fut  élu 
du  consentement  du  roi,  du  peuple  et  du  clergé  pour  gouver- 
ner cette  Église  conjointement  avec  celle  de  Noyon,  et  les 
deux  Églises  gouvernées  par  un  même  évêque  demeurèrent 
unies  pendant  plus  de  six  cents  ans. 

S.  Eleuthère  avait  succédé  à  Théodore  sur  le  siège  de 
Tournay.  C'était  un  des  plus  grands  diocèses  de  toute  la 
Gaule,  et  peul-être  celui  où  il  restait  le  plus  d'idolâtres  (1). 
Eleuthère  cultiva  ce  vaste  champ  avec  un  zèle  infatigable.  Il 
fit  beaucoup  et  souffrit  encore  plus;  mais  ses  miracles  con- 
vainquirent enfin  les  esprits  en  même  temps  que  sa  douceur 
lui  gagnait  les  cœurs.  Il  ressuscita,  lorsqu'elle  était  déjà  inhu- 
mée, la  fille  d'un  tribun,  et  il  ne  se  vengea  des  mauvais  trai- 
tements qu'il  avait  reçus  des  habitants  de  Tournay,  la  plupart 


(1)  Vit.  Eleuth.,  apud  Bolland.,  (Ofebr.  — Le  diocèse  de  Tournay  s'étendait  alors 
jusqu'à  Gand  et  Anvers. 


538j  EN  FBAKCÉ.  —  LIVEE  VI,  269 

tlolûtrcs,  qu'en  les  délivrant  par  ses  prières  d'une  maladie 
•onfagieuse.  Un  homme  si  puissant  en  œuvres  ne  pouvait 
nanquer  de  l'être  en  paroles.  Il  convertit  un  grand  nombre 
le  païens  par  ses  prédications,  et  l'on  assure  qu'il  eut  la  con- 
olation  d'en  baptiser  onze  mille  en  une  semaine.  S.  Eleu- 
hère  fit  plusieurs  fois  le  pèlerinage  de  Home  pour  puiser  et 
•enouveler  l'esprit  de  l'apostolat  au  pied  des  tombeaux  des 
)rinccs  des  apôtres.  Il  mourut  ssintement  vers  l'an  531, 
iprès  avoir  reçu  le  corps  du  Seigneur  avec  de  grands  senti- 
nents  de  piété;  il  est  honoré  le  20  février. 

S.  Médard  ne  s'était  rendu  à  Tournay  que  pour  y  faire  les 
unérailles  de  S.  Eleuthère,  son  ami  particulier.  Mais  la  Pro- 
vidence avait  sur  lui  d'autres  vues  pour  le  bien  de  cette 
iglise,  dont  il  fut  obligé  de  prendre  le  gouvernement  sans 
[uitter  la  sienne.  Alors  son  zèle  parut  s'accroître  avec  son 
roupeau,  qui  ne  se  ressentit  pas  du  partage  qu'il  fut  obligé 
le  faire  de  ses  soins.  S.  Médard  mourut  après  quinze  ans 
t'épiscopat,  et  sa  mort  ne  fut  pas  moins  éclatante  que  sa  vie, 
iar  la  pompe  de  ses  obsèques  et  les  miracles  qui  les  accom- 
lagnèrent.  Dès  que  le  roi  Clotaire  eut  appris  sa  maladie,  il 
lia  avec  un  pieux  empressement  le  visiter  et  lui  demander 
a  bénédiction.  Ce  prince  n'en  demeura  pas  là.  Pour  se  con- 
oler  de  la  mort  de  ce  saint  évêque,  qu'il  regardait  comme  un 
hissant  protecteur  auprès  de  Dieu,  il  fit  porter  son  corps  à 
>oissons,  où  il  tenait  sa  cour,  et  promit  de  faire  bâtir  une 
glise  et  un  monastère  sur  son  tombeau  dans  une  de  ses 
erres  nommée  Crouy  (1).  C'est  l'origine  du  célèbre  monastère 
ie  Saint-Médard  de  Soissons.  Les  chaînes  de  plusieurs  prison- 
niers furent  brisées  pendant  le  convoi,  et  Grégoire  de  Tours 
es  avait  vues  attachées  au  tombeau  du  saint  en  mémoire  du 
airacle  (2). 

Ste  P\adegonde  avait  encore  plus  de  vénération  pour 


fi)  Fortun.  VitaS.  Medardi,  c.  vu,  t.  VII!  Spicii:,  p.  394.  —  [T,Gvcg.  Tur.  Hist. 
IV,  c.  xix. 


270  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [539] 

S.  Médarcl  (1)  que  le  roi  Clotaire,  son  mari.  Elle  avait  été 
élevée  clans  le  diocèse  de  ce  saint  évêque,  et  il  y  a  lieu  de 
croire  que  ce  fut  lui  qui  versa  dans  le  cœur  de  cette  princesse 
les  heureuses  semences  des  vertus  chrétiennes  qu'elle  fit 
éclatera  la  cour.  Clotaire,  dont  elle  était  prisonnière,  comme 
nous  l'avons  dit,  l'avait  épousée  malgré  elle.  Mais  l'horreur 
qu'elle  avait  de  ses  concubinages  et  de  ses  mariages  inces- 
tueux la  faisait  gémir  en  secret  des  liens  qui  l'attachaient  à 
ce  prince  voluptueux.  Elle  se  levait  souvent  la  nuit  et  quittait 
la  couche  royale  pour  vaquer  à  la  prière  (2).  Ses  plus  chères 
délices  étaient  d'aller  servir  les  malades  clans  un  hôpital 
qu'elle  avait  établi  à  Athies,  où  elle  avait  été  élevée;  elle 
croyait  perdu  tout  ce  qu'elle  n'avait  pas  donné  aux  pauvres. 
Gémissant  comme  Esther  des  vaines  parures  que  son  rang 
l'obligeait  de  porter,  elle  cachait  un  rude  cilice  sous  l'éclat  et 
la  mollesse  de  ses  habits  et  trouvait  le  moyen  de  pratiquer  une 
exacte  abstinence  à  la  table  même  du  roi.  Clotaire,  qui  l'aimait 
passionnément  à  cause  de  sa  beauté,  se  plaignait  souvent 
qu'il  avait  pour  épouse  non  une  reine,  niais  une  religieuse. 

Raclegonde  fit  servir  son  autorité  à  l'extirpation  de  l'ido- 
lâtrie. Ayant  été  invitée  un  jour  par  une  dame  franque  à  dîner 
dans  une  maison  de  campagne ,  elle  vit  avec  douleur,  en  s'y 
rendant,  un  temple  où  des  Francs  exerçaient  encore  leurs  su- 
perstitions. Elle  commanda  aussitôt  qu'on  y  mît  le  feu,  et, 
malgré  la  résistance  des  idolâtres,  qui  s'efforçaient  de  dé- 
fendre leurs  dieux ,  elle  ne  quitta  pas  la  place  qu'elle  n'eût  vu 
le  temple  réduit  en  cendres  (3). 

Une  cour  aussi  licencieuse  que  celle  de  Clotaire  n'était 
pas  digne  de  posséder  longtemps  une  si  sainte  princesse.  Ra- 
degonde  avait  souvent  pressé  vainement  le  roi  de  lui  pér- 
il) S.  Médarcl  est  honoré  le  8juin;  on  le  nomme  en  quelques  provinces  S.  Mard. 
Nous  ne  voulons  pas  examiner  s'il  était  frère  de  S.  Godard  de  Rouen,  et  s'ils 
naquirent,  furent  ordonnés  et  moururent  le  même  jour,  comme  on  le  croit  com- 
munément. 

(2)  Fortun.  Vit.  Radeg.,  1.  I,  c.  II.  —  (3)  Baudon.  Vit.  Tîadeg.,  1.  II,  c.  H. 


[540]  EN  FRANCE.    LIVRE  VI.  271 

mettre  de  se  retirer  pour  se  consacrer  à  Dieu.  Ce  prince 
ayant  fait  mourir  sur  de  vains  soupçons  un  frère  qu'elle  aimait 
tendrement,  et  qui  avait  été  fait  prisonnier  avec  elle,  le 
chagrin  qu'elle  en  ressentit  lui  fit  redoubler  ses  instances,  et 
elle  obtint  enfin  le  consentement  qu'elle  désirait.  La  princesse 
se  retira  aussitôt  à  Noyon  et  pria  S.  Médard,  qui  vivait  en- 
core, de  la  consacrer  à  Dieu  en  lui  donnant  le  voile.  Des 
seigneurs  francs,  qui  étaient  présents,  s'y  opposaient  et  vou- 
laient employer  la  violence  pour  éloigner  S.  Médard  de  l'autel. 
Radegonde,  voyant  ces  oppositions ,  entra  dans  la  sacristie, 
s'y  revêtit  elle-même  de  l'habit  de  religieuse,  et,  revenant  à 
L'autel  aux  pieds  du  saint  évêque ,  lui  dit  :  Si  vous  différez 
davantage  de  me  consacrer  à  Dieu ,  vpus  ferez  voir  que  vous 
craignez  plus  les  hommes  que  vous  ne  craignez  le  Seigneur. 
S.  Médard  lui  imposa  donc  les  mains  et  l'ordonna  (1)  dia- 
conesse :  ce  qui  semble  montrer  que  les  canons  du  second 
concile  d'Orléans  n'étaient  pas  observés  dans  le  royaume 
de  Clotaire.  On  ne  voit  pas  en  effet  que  les  évêques  de  ce 
royaume  y  aient  assisté. 

Radegonde,  au  comble  de  ses  vœux,  offrit  aussitôt  sur  l'au- 
tel les  vêtements  précieux  qu'elle  venait  de  quitter.  C'étaient 
comme  les  dépouilles  de  l'Égypte,  dont  elle  voulait  orner 
l'arche  du  Seigneur.  Elle  aimait  trop  tendrement  les  pauvres 
pour  les  oublier  dans  cette  occasion  :  elle  fît  rompre  en  mor- 
ceaux un  cercle  d'or  pour  leur  être  distribués.  Cette  princesse, 
se  voyant  ainsi  dégagée  des  biens  qui  l'attachaient  au  monde, 
s'empressa  de  visiter  les  plus  célèbres  solitaires  du  pays  pour 

(1)  Vit.  Raoeg.  Fort.,  1.  I,  c.  n. —  Le  P.  Mabillon  dit  qu'il  est  difficile  d'expliquer 
comment  S.  Médard  a  p_u  canoniquement  consacrer  à  Dieu  l'épouse  d'un  roi  sans 
que  ce  prince  fût  obligé  à  garder  la  continence.  L'explication  ne  nous  semble  pas 
difficile  à  donner.  S.  Médard  a  dû  regarder  ce  mariage  comme  nul,  soit  par  dé- 
faut de  consentement  soit  à  cause  de  la  bigamie,  puisque  Clotaire  avait  plusieurs 
femmes  encore  vivantes  lorsqu'il  épousa  Radegonde.  Il  est  certain  d'ailleurs  que  la 
question  de  l'indissolubilité  du  mariage  n'était  pas  alors  dans  la  Gaule  aussi  éclaircie 
qu'elle  le  fut  dans  la  suite ,  et  nous  y  verrons  même  des  conciles  décider,  quoi- 
que mal  à  propos,  qu'un  mari  dont  la  femme  prend  le  voile  de  religieuse  peut  se 
remarier.  (Concil.  Vernense,  can.  13.) 


272  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  CATHOLIQUE 

apprendre  d'eux  les  voies  de  la  perfection.  On  compte  parmi 
eux  S.  Eumère  ou  Jumère;  S.  Dadon,  qui  était  abbé  d'un  mo- 
nastère ,  et  S.  Gondulfe ,  qu'on  prétend  avoir  été  dans  la  suite 
évêque  de  Metz  (i).  Après  s'être  édifiée  de  leurs  vertus,  elle 
leur  fit  présent  de  plusieurs  de  ses  joyaux  et  se  rendit 
ensuite  au  tombeau  de  S.  Martin,  pour  lequel  elle  avait  ré- 
servé ce  qu'elle  avait  de  plus  précieux.  Quand  elle  y  eut  sa- 
tisfait sa  dévotion ,  elle  se  retira  dans  une  terre  que  le  roi  lui 
avait  donnée  sur  les  confins  du  Poitou  et  de  la  Touraine,  et 
elle  y  passa  plusieurs  années  dans  tous  les  exercices  de  la 
charité  chrétienne  et  de  la  mortification  religieuse  avec  de 
saintes  filles  qu'elle  s'associa. 

Les  austérités  qu'elle  pratiqua  dans  cette  retraite  eussent 
paru  dignes  d'admiration  même  dans  un  ancien  solitaire  : 
combien  étaient-elles  plus  admirables  dans  une  jeune  reine, 
que  sa  naissance  et  sa  beauté  faisaient  juger  si  digne  de  la 
couronne  qu'elle  venait  de  quitter  pour  porter  la  croix  de 
Jésus-Christ!  Depuis  qu'elle  eut  été  consacrée  à  Dieu  par 
S.  Médard  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  elle  ne  mangea  ni  chair, 
ni  poisson,  ni  œufs,  ni  fruits;  elle  ne  buvait  ni  vin  ni  bière. 
Sa  nourriture  était  du  pain  bis,  des  légumes  et  de  l'eau  (2). 
Pendant  le  carême  elle  vivait  enfermée  dans  une  cellule  et  ne 
prenait  son  repas  que  tous  les  quatre  jours;  à  l'exemple  de 
S.  Germain  d'Auxerre,  elle  avait  l'habitude  de  moudre  elle- 
même  le  grain  qui  lui  était  nécessaire  pour  vivre  pendant  ce 
saint  temps. 

A  peine  Radegonde  avait-elle  commencé  à  goûter  les  dou- 
ceurs de  la  solitude ,  qu'elle  apprit  que  Glotaire  se  repentait 
d'avoir  consenti  à  sa  retraite  et  songeait  à  la  rappeler  à  sa 
cour.  Consternée  de  cette  nouvelle,  elle  redoubla  ses  austé- 

(1)  C'est  ce  que  la  Vie  de  Ste  Radegonde  marque  de  S.  Gondulfe.  Mais  comme 
on  ne  trouve  de  Gondulfe  évêque  de  Metz  que  dans  le  ixe  siècle,  c'est  ou  une 
omission  dans  les  catalogues,  ou,  ce  qui  est  plus  probable,  c'est  dans  la  Vie  de 
Ste  Radegonde  une  addition  de  quelque  copiste,  qui,  sachant  qu'il  y  avait  eu  un 
Gondulfe  évêque  de  Metz,  a  cru  que  c'était  celui  dont  il  est  ici  question. 

(2)  Fortun.  Vita  Radeg.,  1.  I,  c.  vu. 


540]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  273 

•ités  et  eut  recours  aux  prières  des  serviteurs  de  Dieu.  Il  y 
ivait  à  Chinon  un  saint  prêtre  reclus  appelé  Jean  (1).  Il  était 
ire  ton  de  nation  et  renommé  pour  sa  sainteté  et  ses  mira- 
îles.  Radegonde  le  fit  prier  de  la  recommander  à  Dieu  dans 
;ette  circonstance,  et  lui  envoya  en  aumône  un  des  orne- 
nents  royaux  qui  lui  restaient,  en  or  massif  et  garni  de  pier- 
reries du  prix  de  mille  sous  d'or.  Elle  lui  demandait  en 
Eâee  qu'il  lui  envoyât  un  cilice  en  échange  et  qu'il  lui  fit  sa- 
voir ce  que  le  Seigneur  lui  avait  révélé  concernant  l'affaire  qui 
'intéressait.  Le  saint  homme,  après  avoir  prié,  lui  fit  dire  qu'il 
lait  vrai  que  le  roi  avait  la  volonté  de  la  rappeler,  mais  que 
)ieu  ne  permettrait  pas  qu'il  l'exécutât.  Cette  réponse  rendit 
a  tranquillité  à  la  sainte  princesse ,  et  elle  ne  songea  plus 
[u'à  plaire  au  nouvel  Époux  qu'elle  avait  choisi  (2] . 

L'exemple  de  Ste  Glotilde,  qui  vivait  encore  dans  sa  retraite 
le  Tours,  pouvait  servir  à  soutenir  la  ferveur  de  Radegonde. 
Uotilde  n'avait  d'autres  sujets  de  chagrin  que  les  dissensions 
[u'elle  voyait  naître  entre  les  rois  ses  enfants.  Le  crime  n'est 
amais  le  nœud  d'une  alliance  solide  et  constante.  Glotaire 
;t  Childebert,  qui  s'étaient  réunis  pour  le  massacre  de  leurs 
îeveux ,  se  divisèrent  bientôt  pour  des  raisons  que  l'histoire 
îe  nous  a  pas  apprises  :  mais  des  princes  voisins  l'un  de  l'autre, 
ussent-ils  même  frères,  n'en  manquent  jamais. 

Glotaire  entra  dans  le  royaume  de  Childebert  et  pénétra 
lans  la  Neustrie  jusqu'à  l'embouchure  de  la  Seine.  Ghildebert 
ît  son  neveu  Théodebert,  qui  avait  fait  alliance  avec  lui,  l'y 
suivirent  et  luixoupèrent  la  retraite.  Il  se  retrancha  dans  la 
"orêt  Bretonne  (3'  ou  de  Routotprès  de  la  Seine,  vis-à-vis.  de 
Gaudebec.  Mais  ses  forces  étaient  si  inégales  que  sans  un 
axiracle  il  ne  pouvait  manquer  d'y  périr. 

(1)  S.  Jean  de  Chinon  est  honoré  le  5  mai.  Sa  cellule  était  voisine  de  l'église,  et 
1  avait  un  petit  jardin  où  il  avait  planté  des  lauriers,  au  sujet  desquels  Grégoire 
le  Tours  rapporte  quelques  faits  miraculeux. 

(2)  Baudon.  Vita  Badeg.,  1.  II,  c.  iv.  —  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  xxm. 

(3)  Cette  forêt  est  nommée  Arelaunum  par  les  anciens  auteurs  ,  et  il  y  avait  auprès 
me  maison  royale  de  ce  nom. 

TOME  II.  18 


274  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [541] 

Glotilde,  à  la  nouvelle  du  danger  que  courait  Glotaire 
assiégé  dans  ses  retranchements,  passait  les  jours  et  les  nuits 
en  prière  auprès  du  tombeau  de  S.  Martin.  Le  Seigneur  fut 
touché  de  ses  larmes  et  en  faveur  de  la  mère  il  épargna  le 
fils.  Déjà  Childebert  et  Théodebert  avaient  tout  préparé  pour 
donner  l'assaut  et  forcer  Glotaire,  lorsqu'il  survint  tout  à 
coup  un  furieux  orage  accompagné  d'éclairs,  de  tonnerre  et 
de  grêle ,  qui  jeta  la  consternation  et  le  trouble  dans  tout  le 
camp.  La  grêle  était  si  grosse  que  les  soldats  furent  obligés 
de  se  couvrir  la  tête  avec  leurs  boucliers.  On  prétend  même 
qu'il  tomba  des  pierres  mêlées  avec  la  grêle.  Ce  qui  parut 
plus  miraculeux,  c'est  que  la  tempête  ne  se  fit  nullement 
sentir  dans  le  camp  de  Clotaire  :  ainsi  personne  ne  douta 
que  le  Ciel  ne  combattît  pour  lui.  Ce  miracle  accordé  aux 
prières  de  Ste  Glotilde  en  produisit  un  second  :  il  fit  succéder 
l'amitié  à  la  haine  qui  armait  ces  frères  l'un  contre  l'autre  (1). 

Ste  Glotilde  vécut  encore  quelques  années  et  mourut  à 
Tours  vers  l'an  545,  sous  l'épiscopat  d'Injuriosus.  Princesse 
véritablement  grande  sur  le  trône ,  où  elle  ne  monta  que  pour 
faire  régner  Jésus-Christ  sur  le  cœur  de  son  mari  et  de  ses- 
sujets;  plus  grande  encore  lorsqu'elle  en  descendit,  pour 
se  sanctifier  dans  la  retraite  par  la  pratique  de  toutes  les 
bonnes  œuvres.  Son  corps  fut  porté  à  Paris  accompagné  d'un 
nombreux  clergé,  et  ses  deux  fils,  Glotaire  et  Childebert,  la 
firent  enterrer  auprès  de  son  mari  dans  l'église  des  Saints- 
Apôtres,  qu'elle  avait  fait  bâtir,  et  qui  prit  depuis  le  nom  de 
Sainte-Geneviève  (2).  Ony  conservalongtemps  ses  reliques  (3). 

Les  saints  établissements  que  fit  Clotilde  sont  des  preuves 
subsistantes  de  sa  piété  et  de  sa  libéralité.  On  la  reconnaît 
pour  fondatrice  du  célèbre  monastère  de  Saint-Germain 
d'Auxerre  bâti  sur  le  tombeau  de  ce  saint.  Elle  fonda  à  Tours 
un  monastère  de  religieuses  dédié  à  S.  Pierre,  où  Ste  Moné- 

(I)  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  xxvm.—  (2)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  i. —  (3)  Les  reliques 
ont  disparu  et  l'église  a  été  démolie  pendant  la  révolution  ;  la  rue  Clovis  a  été 
ouverte  sur  son  emplacement. 


{54 1]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  275 

gonde  se  retira  ;  elle  en  fonda  également  un  autre  pour  des 
religieuses  à  Chelles  dédié  à  S.  Georges,  et  un  troisième  aux 
Andelys  près  de  Rouen,  dédié  à  la  Mère  de  Dieu.  L'auteur  de 
sa  Vie  lui  attribue  aussi  la  fondation  du  monastère  de  Rouen 
depuis  nommé  Saint-Ouen  (1)  ;  mais  d'autres  écrivains  en 
font  honneur  à  Clotaire.  Cette  pieuse  reine  fit  Mtir  plusieurs 
autres  églises,  entre  autres  une  collégiale  à  Laon  en  l'hon- 
neur de  S.  Pierre  et  une  autre  église  à  Reims  sous  l'invoca- 
tion du  même  saint,  qui  fut  appelée  depuis  Saint-Pierre-le- 
Yieux.  On  célèbre  la  fête  de  Ste  Clotilde  le  3  juin. 

Clotaire  n'était  pas  encore  bien  réconcilié  avec  les  autres 
rois  francs  lorsque  se  tint  en  541  le  quatrième  concile  d'Or- 
léans ,  où  l'on  ne  voit  en  effet  aucun  évêque  de  son  royaume, 
si  ce  n'est  peut-être  Injuriosus  de  Tours  :  car  il  paraît  que 
cette  ville  fut  cédée  à  Clotaire.  Les  disputes  qui  s'élevèrent 
en  ce  temps-là  sur  le  jour  auquel  on  devait  célébrer  la  Pâque 
furent  la  principale  cause  de  la  convocation  de  ce  concile.  On 
y  fit  trente-huit  canons  ;  nous  transcrivons  ceux  qui  peuvent 
le  mieux  faire  connaître  la  discipline  de  ce  siècle  (2). 

I.  Tous  les  évêques  célébreront  la  Pàque  le  même  jour  selon 
le  cycle  de  Yictorius ,  et  chaque  évêque  annoncera  cette  fête 
à  son  peuple  le  jour  de  l'Epiphanie.  Si  quelque  doute  s'élève 
à  ce  sujet,  les  métropolitains  consulteront  le  Saint-Siège,  et 
l'on  s'en  tiendra  à  sa  réponse. 

Le  cycle  de  Yictorius,  qu'on  propose  ici  pour  règle,  n'était 
pas  sans  erreur ,  et  Yictor  de  Capoue  fit  voir  vers  le  même 
temps  que  l'auteur  s'était  trompé  en  marquant  la  Pâque  de 
l'année  455  le  17  avril,  tandis  qu'elle  devait  être  le  24. 

II.  Le  carême  sera  uniformément  observé  dans  toutes  les 
Églises,  sans  qu'aucun  évêque  le  fasse  commencer  à  la  Sexa- 
gésime  ou  à  la  Quinquagôsime.  Mais  aussi  personne,  sans 
raison  d'infirmité,  ne  devra  se  dispenser  de  jeûner  les  sa- 
li) Apud  Boll.,  Annal,  ad  Vit.  Clot.  —  (2)  Conr.  Gall.,  t.  I,  p.  2GI..  —  Labb., 

t.  V,  p.  380. 


276  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [541] 

médis  (1)  de  carême;  il  ne  sera  permis  de  dîner  que  le  di- 
manche. 

Le  repas  qu'on  prenait  les  jours  de  jeûne,  se  faisant  le  soir, 
se  nommait  souper.  On  ne  faisait  donc  pas  encore  alors  de 
collation  les  soirs  des  jours  de  jeûne. 

III.  Si  quelqu'un  des  principaux  citoyens  est  obligé  de 
s'absenter  de  la  ville  à  Pâques  et  aux  fêtes  solennelles,  il  ne 
le  fera  qu'avec  la  permission  de  l'évêque. 

IV.  Que  personne  n'offre  dans  le  calice  d'autre  liqueur  que 
du  vin  mêlé  d'eau,  parce  que  c'est  un  sacrilège  d'offrir  autre 
chose  que  ce  que  le  Seigneur  a  ordonné. 

Les  Francs  assaisonnaient  souvent  leur  vin  de  miel  et 
d'absinthe,  et  c'est  ce  qui  donna  lieu  à  ce  canon. 

V.  L'évêque  doit  être  sacré  dans  son  Église;  si  cela  ne  se 
peut ,  il  faut  du  moins  qu'il  le  soit  dans  sa  province  par  les 
évêques  de  sa  province ,  en  présence  ou  par  l'autorité  du  mé- 
tropolitain. 

VI.  Les  évêques  doivent  avoir  soin  que  les  clercs  des  pa- 
roisses aient  un  exemplaire  des  canons,  afin  qu'eux  et  leurs 
peuples  ne  puissent  prétexter  leur  ignorance. 

VII.  On  n'admettra  pas  de  clercs  étrangers  pour  desservir 
les  oratoires  des  maisons  de  campagne  sans  l'agrément  de 
l'évêque  diocésain. 

XI.  Il  est  défendu  aux  abbés  et  aux  prêtres  de  s'attribue! 
ce  qui  est  donné  aux  monastères  ou  aux  paroisses. 

XII.  Les  évêques  qui  ont  des  procès  entre  eux  les  termi- 
neront dans  l'espace  d'un  an ,  et  on  se  séparera  de  la  com- 
munion de  celui  qui  refusera  de  terminer  le  différend  dans  le 
terme  prescrit. 

XIII.  Tous  les  clercs  seront  exempts  des  charges  publiques, 
et  le  juge  qui  les  leur  imposera,  s'il  ne  se  désiste  après  avoir 
été  averti,  sera  excommunié.  Les  évêques,  les  prêtres  et  les 


(I)  Quand  on  commençait  le  carême  à  la  Sexagésime,  on  ne  jeûnait  pas  les  sa- 
medis ,  et  c'est  la  raison  pourquoi  le  concile,  en  défendant  de  commencer  sitôt  le 
carême,  ordonne  de  jeûner  les  samedis. 


[541]  EN  FRANCE.   —   LIVRE  VI.  27  7 

diacres  seront  pareillement  exempts  de  tutelle;  parce  qu'il 
est  juste  que  les  chrétiens  jouissent  d'un  privilège  que  les 
lois  civiles  accordaient  aux  prêtres  des  idoles. 

XV.  On  excommuniera  ceux  qui,  après  avoir  reçu  le  bap- 
tême ,  mangent  des  viandes  immolées  aux  démons ,  s'ils  ne 
s'en  corrigent  après  avoir  été  avertis  par  les  évèques. 

XVI.  On  traitera  de  la  même  manière  les  chrétiens  qui  ju- 
rent, suivant  la  coutume  des  gentils,  sur  la  tète  des  ani- 
maux sl)  en  invoquant  les  dieux  [2]  des  païens. 

Ces  canons  font  assez  voir  qu'on  faisait  encore  alors  des 
sacrifices  aux  idoles  dans  les  Gaules;  ce  qui  n'est  pas  sur- 
prenant de  la  part  des  Francs  :  car  ils  n'avaient  reçu  la  foi 
qu'après  les  Gaulois. 

XX.  Qu'aucun  laïque  n'ait  la  hardiesse  d'emprisonner, 
d'interroger  ou  de  condamner  un  clerc  sans  l'autorité  de  l'é- 
vèque  ou  du  supérieur  ecclésiastique  ;  mais  que  le  clerc , 
averti  par  le  supérieur  ecclésiastique ,  se  trouve  à  l'audience 
et  n'ait  recours  à  aucun  subterfuge  pour  décliner  le  jugement. 
Quand  il  y  a  procès  entre  un  clerc  et  un  laïque,  le  juge  laïque 
ne  doit  donner  audience  qu'en  présence  d'un  prêtre  ou  d'un  ar- 
chidiacre. Si  le  clerc  veut  poursuivre  un  procès  devant  un  tri- 
bunal laïque,  le  supérieur  ecclésiastique  devra  le  lui  permettre. 

XXI.  L'asile  des  églises  sera  sacré,  et  ceux  qui  le  viole- 
ront seront  excommuniés. 

XXII.  Il  est  défendu,  sous  peine  d'excommunication,  d'é- 
pouser une  fille  par  autorité  de  quelque  puissance  que  ce 
soit. 

XXIV.  On  ne  tolérera  pas  que  les  esclaves  se  réfugient 
dans  les  églises  pour  se  marier  ensemble  ;  ils  seront  sépares 
et  rendus  à  leurs  parents  et  à  leurs  maîtres. 

(I)  Les  Francs  adoraient  la  tête  d'un  bœuf.  On  en  trouva  une  idole  dans  le 
tombeau  de  Childéric  :  c'est  peut-être  de  cette  superstition  que  parle  le  concile  en 
disant  :  ad  caput  alicujus  ferœ  vel  pecudis. 

(2/  Il  y  a  dans  le  texte,  invo.:atis  nominibus  pajanorum  :  nous  croyons  qu'il  faut 
lire,  numinibus. 


278  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [541] 

XXYI.  Si  les  clercs  des  paroisses  établies  sur  les  terres  des 
seigneurs  négligent  leurs  devoirs  sous  prétexte  de  servir 
leurs  maîtres ,  ils  seront  admonestés  et  corrigés  par  l'archi- 
diacre de  la  ville. 

XXYII.  Les  homicides  qui  auront  obtenu  grâce  de  la  justice 
séculière,  ne  laisseront  pas  d'être  soumis  à  la  pénitence  au 
gré  de  l'évêque. 

XXIX.  On  punira  non-seulement  les  clercs  impudiques, 
mais  encore  les  femmes  avec  lesquelles  ils  auront  été  surpris 
dans  le  crime  (1);  elles  seront  châtiées  au  gré  de  l'évêque, 
et  s'il  l'ordonne,  on  les  chassera  de  la  ville. 

XXX.  Si  les  esclaves  chrétiens  qui  servent  les  Juifs  se  ré- 
fugient dans  l'église  ou  auprès  de  quelque  chrétien,  on  les 
rachètera  ajuste  prix. 

XXXI.  Il  est  défendu  aux  Juifs  de  circoncire  les  étrangers 
et  les  chrétiens  ou -d'épouser  des  esclaves  chrétiennes.  Un 
Juif  qui  pervertit  un  esclave  chrétien  perdra  tous  ses  esclaves  ;. 
et  si  quelque  esclave  chrétien  a  été  mis  en  liberté  à  condition 
de  se  faire  juif,  la  condition  est  nulle. 

XXXIII.  Si  quelqu'un  veut  avoir  une  paroisse  dans  sa  terre, 
il  devra  lui  assigner  des  revenus  suffisants  et  des  clercs  pour 
la  desservir. 

XXXI Y.  Celui  à  qui  l'évêque  a  donné  la  jouissance  d'une 
terre  de  l'Église  sa  vie  durant,  ne  pourra  rien  aliéner  des 
profits  qu'il  y  fera  ,  et  ses  parents  ne  pourront  rien  s'en  at- 
tribuer. 

On  voit  ici  que  les  fruits  perçus  des  biens  ecclésiastiques 
n'appartenaient  pas  aux  héritiers. 

Léonce  de  Bordeaux  présida  ce  concile ,  où  se  trouvèrent 
trente-huit  évèques  présents  et  les  députés  de  douze  absents. 
Les  métropolitains  Aspais  d'Eauze  (2),  Flavius  de  Rouen  et 

(1)  Il  y  £i  dans  le  texte,  in  adulterio  :  ce  terme  est  souvent  employé  par  les  au- 
teurs de  ce  siècle  et  des  suivants  pour  signifier  l'inceste  et  la  simple  fornication. 

(2)  Fleury,  t.  VII,  p.  427,  met:  Aspase  d'Eauze  oud'Auch.  Ces  sièges,  qui  ont  été 
unis  dans  la  suite,  étaient  alors  si  distingués  qu'on  voit  dans  ce  concile  même  nu 


1 5-11]  EN  FEANCE.    LIVRE  VI.  279 

Injuriosus  de  Tours  souscrivirent  les  premiers  après  Léonce. 
S.  Gallican  d'Embrun  souscrivit  au  rang  des  simples  évêques. 
Il  était  successeur  de  Catulin,  qui  assista  au  concile  d'Epaone, 
et  il  fut  prédécesseur  de  S.  Pélade,  honoré  à  Gampreclon.  Les 
plus  célèbres  des  autres  évêques  sont  :  S.  Gyprien  de  Toulon, 
Rurice  de  Limoges,  S.  Gai  d'Auvergne,  S.  Dalmace  de  Rodez, 
S.  Agricole  de  Chalon-sur-Saône,  S.  Firmin  d'Uzès,  S.  Inno- 
cent du  Mans,  S.  Eleuthère  d'Auxerre,  Eumérius  de  Nantes, 
S.  Arcade  (1)  de  Bourges,  honoré  le  1er  août,  et  S.  Lô  de 
Coutances.  Ces  deux  derniers  n'y  assistèrent  que  par  dé- 
putés. 

Il  y  avait  à  ce  concile  des  évêques  des  quatre  provinces 
Lyonnaises  (2),  des  deux  Viennoises,  des  Alpes  Grecques  et 
Maritimes,  des  deux  Narbonnaises,  des  provinces  d'Aquitaine, 
de  la  Novempopulanie  et  de  la  province  des  Séquaniens,  c'est- 
à-dire  de  toutes  les  provinces  des  Gaules  excepté  des  deux 
Germanies  et  des  deux  Belgiques. 

On  ne  sait  pas  d'une  manière  certaine  si  Léonce  de  Bordeaux, 
qui  présida  le  concile ,  fut  le  premier  ou  le  second  évêque  de 
ce  nom  qui  gouverna  cette  Église.  L'un  et  l'autre  illustrè- 
rent l'épiscopat  par  leurs  talents  et  leurs  vertus.  Le  premier 
est  honoré  comme  saint  le  21  août  ;  le  second  l'est  dans  son 

évêque  d'Audi  (Proculeianus,  episc.  civitatis  Auscensis) ,  et  un  évêque  d'Eauze 
{Aspasius,  episc.  Eccl.  Elusanœ). 

(1)  Fleury,  t.  VII,  p.  428,  dit  que  S.  Arcade  était  alors  malade  de  la  maladie 
dont  il  mourut.  Il  transcrit  le  P.  Lecointe,  qui  semble  s'autoriser  de  la  Vie  de 
S.  Désidérat  ;  mais  cette  pièce  n'est  qu'une  misérable  rapsodie,  et  l'on  peut  seu- 
lement en  conclure  qu'Arcade  mourut  Tan  5il .  Le  Patriarchium  de  Bourges  le  fait 
vivre  jusqu'en  545. 

(2)  Fleury,  t.  VII,  p.  427,  fait  beaucoup  de  fautes  en  peu  de  mots.  Il  dit  que  les 
évêques  de  ce  concile  étaient  rassemblés  de  tous  les  trois  royaumes  de  France  et  de  toutes 
les  provinces  des  Gaules,  excepté  la  première  Narbonnaise.  Mais  il  n'y  avait  pas  à  ce 
concile  d'évêques  du  royaume  de  Clotaire,  non  plus  que  des  deux  provinces  Germa- 
niques et  des  deux  BeTgiques  ;  au  contraire,  il  y  en  avait  do  la  première  Narbon- 
naise :  car  Uzès  était  de  cette  province.  Quoique  cette  ville  en  ait  été  dans  la  suite 
démembrée  à  cause  de  la  domination  des  Gotlis,  on  n'a  point  de  preuve  qu'elle  le 
fût  alors.  Ce  qui  a  trompé  Fleury,  c'est  qu'il  a  copié  sur  le  quatrième  concile  d'Or- 
léans ce  que  le  P.  Lecointe  a  dit  du  cinquième  concile  de  cette  ville.  C'est  aussi 
en  suivant  cet  auteur  qu'il  reconnaît  cinq  provinces  Lyonnaises.  Les  anciennes 
notices  n'en  indiquent  que  quatre,  et  la  province  des  Séquaniens  doit  plutôt  être 
comptée  pour  la  troisième  Germanie  que  pour  la  cinquième  Lyonnaise. 


280  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [541] 

Église  le  15  novembre,  et,  quoique  les  anciens  martyrologes 
n'en  fassent  pas  mention ,  il  fut  un  des  plus  grands  et  des  plus 
pieux  évêques  de  son  temps.  Une  illustre  naissance,  dont  il  ne 
se  glorifiait  pas,  et  de  grands  biens,  dont  il  était  libéral,  don- 
nèrent un  nouvel  éclat  au  mérite  personnel  qui  le  distin- 
guait (1).  Il  épousa  dans  sa  jeunesse  Placidine,  qui  comptait 
parmi  ses  aïeux  S.  Sidoine  et  l'empereur  Avite  (2) ,  et  il  acquit 
de  la  gloire  par  sa  bravoure  dans  les  guerres  contre  les  Yisi- 
goths  d'Espagne.  Mais  dès  lors  ce  qu'il  y  avait  de  plus  dis- 
tingué dans  le  siècle  par  la  noblesse  et  le  mérite  se  croyait 
honoré  par  les  dignités  ecclésiastiques.  Léonce  fut  élu  évèque 
de  Bordeaux,  le  treizième  de  cette  Église  (3)  et  le  second  du 
nom.  Il  ne  regarda  plus  Placidine  son  épouse  que  comme  sa 
sœur.  C'était  une  dame  d'une  grande  piété  et  qui  avait  des  sen- 
timents dignes  de  sa  naissance.  Elle  ne  se  sépara  pas  de  son 
mari  en  ce  qui  concernait  les  bonnes  œuvres,  auxquelles  elle 
voulut  participer. 

Léonce  n'était  pas  entré  dans  l'épiscopat  pour  s'enrichir 
des  biens  de  l'Église  :  il  voulait  plutôt  enrichir  l'Église  de  ses 
biens  propres.  Il  employa,  du  consentement  de  sa  femme,  ses 
grandes  richesses  à  construire  et  à  doter  un  grand  nombre 
d'églises.  Il  en  fit  bâtir  une  en  l'honneur  de  S.  Martin  dans 
une  de  ses  terres,  et  deux  autres  en  l'honneur  de  S.  Vincent 
martyr  d'Agen  ;  il  éleva  la  première  sur  les  bords  de  la  Ga- 
ronne et  il  la  fit  couvrir  de  lames  d'étain  ;  la  seconde  dans 
un  bourg  d'Aquitaine  nommé  alors  Vcrnemète,  qui  signifie  en 
ancien  gaulois  grand  temple,  d'où  l'on  peut  conjecturer  qu'il 
y  avait  eu  un  temple  fameux  en  cet  endroit.  Ce  saint  évèque 
fit  aussi  bâtir  une  église  en  l'honneur  de  S.  Nazaire,  une 

(1  )  Fort.,  1.  I,  carm.  15. 

(2)  Placidine,  femme  de  Léonce,  était  fille  d'Arcade,  petit-fils  de  S.  Sidoine  et  ar- 
rière-petit-fils de  l'empereur  Avite,  dont  Sidoine  avait  épousé  la  fille. 

(3)  Les  frères  de  Sainte-Marthe  dans  la  Gaina  chrisliana  ne  comptent  Léonce  que 
pour  le  onzième  évèque  de  Bordeaux  ;  mais  Fortunat  nous  «apprend  qu'il  était  le 
treizième. 

•Tèrïius  ailecinio  huic  urbi  autistes  haberis, 
Secl  primus  meritis  enumerandus  eris. 


[54  1]  EX  FRANCE.    LIVRE  VI.  281 

autre  sous  l'invocation  de  S.  Denis  (elle  avait  été  commencée 
par  son  prédécesseur  Amélius),  et  une  troisième  à  Bordeaux 
en  l'honneur  de  la  S  te  Vierge;  on  y  allumait  par  ses  soins 
un  si  grand  nombre  de  lampes  que  la  clarté  de  la  nuit  ne  le 
cédait  pas  à  celle  du  jour.  Il  étendit  sa  magnificence  jusqu'aux 
villes  voisines  :  il  fît  rebâtir  à  Saintes  l'église  dédiée  à  S.  Eu- 
trope,  premier  évèque  de  cette  ville  ;  il  y  fît  achever  celle  com- 
mencée par  Eusèbe,  évèque  de  Saintes,  en  l'honneur  de  S.  Vi- 
vien et  il  fit  couvrir  de  lames  d'argent  et  d'or  le  tombeau  de 
ce  saint  évèque  (1).  Nous  aurons  encore  occasion  de  parler 
de  Léonce  II  de  Bordeaux.  Fortunat  a  fait  l'éloge  et  Fépi- 
taphe  des  deux  évèques  de  ce  nom.  Il  nous  apprend  -  que  le 
premier  vécut  cinquante-sept  ans,  et  le  second  cinquante- 
quatre  2). 

S.  Firmin  d'Uzès  ^3)  n'était  pas  moins  distingué  par  sa 
piété  et  sa  noblesse.  On  le  dispensa,  en  considération  de  son 
mérite,  des  règles  ordinaires,  et  après  la  mort  de  son  oncle 
llorice,  évèque  d'Uzès,  qui  l'avait  élevé,  il  fut  placé  sur  ce 
siège,  lorsqu'il  n'était  âgé  seulement  que  de  vingt-deux  ans; 
mais  la  prudence  et  la  sainteté  suppléent  quelquefois  au 
nombre  des  années.  La  réputation  de  Firmin  ne  fut  pas  ren- 
fermée dans  la  Gaule.  La  renommée  de  ses  talents  se  répandit 
au  delà  des  Alpes,  et  le  poëte  Arator  (4),  qui  était  alors  si  cé- 
lèbre en  Italie,  en  fait  un  bel  éloge.  Il  dit  que,  parmi  un  grand 
nombre  de  bons  évèques  qui  faisaient  la  gloire  de  l'Église 
gallicane,  Firmin  se  distinguait  par  son  éloquence,  et  que 

(!)  Fort.,  1.  I,  carm.  G,  8,  9,  10,  11,  15.  —  (2)  Fort.,  1.  IV,  carm.  9,  10. 

<v3)  On  lisait  dans  le  Martyrologe  romain  le  11  octobre  :  Ucetiœ  in  Africa  S.  Fir- 
episcopi.  Urbain  VIII  a  fait  corriger  cette  faute.  Baronius  a  soupçonné  qu'il 
fallait  lh-e  :  Venciœ  (à  Vence)  et  a  mis  cette  leçon  en  marge.  Mais  Deutérius  de 
Vence  était  avec  Firmin  au  concile  d'Orléans  :  ainsi  Firmin  ne  pouvait  être 
évèque  de  Vence. 

(4)  Arator.  Ep.  ai  Parlhenium.  —  Arator,  sous-diacre  de  l'Église  romaine, 
composa  un  poë'me  en  deux  livres  sur  les  actes  des  apôtres.  11  le  présenta  au  pape 
Vigile  devant  la  confession  de  S.  Pierre  ,  et  ce  pape  le  lui  lit  réciter  publiquement 
dans  l'église  de  Saint-Pierre-aux-Liens.  On  donna  tant  d'applaudissements  au  poëte 
et  on  lui  rit  répéter  si  souvent  les  beaux  endroits  qu'il  faillit  sept  séances  pour  en 
achever  la  lecture. 


282  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [541] 

l'éclat  de  son  mérite  se  répandait  au  loin  hors  de  sa 
patrie. 

S.  Innocent  du  Mans,  successeur  de  S.  Principe,  soutint  la 
réputation  de  son  Église,  qui  depuis  son  établissement  n'avait 
eu  que  de  saints  évêques.  Il  se  montra  surtout  le  père  et  le 
protecteur  des  moines  :  la  protection  qu'il  leur  accordait  attira 
dans  les  forêts  du  Maine  un  grand  nombre  de  saints  solitaires. 
Nous  avons  déjà  parlé  de  plusieurs  d'entre  eux.  S.  Innocent 
fit  achever  sa  cathédrale  et  y  plaça  des  reliques  des  SS.  Ger- 
vais  et  Protais  :  ce  qui  fut  cause  que  dans  la  suite  cette  église, 
dédiée  sous  l'invocation  de  la  Ste  Vierge,  porta  aussi  le  nom 
de  ces  saints  martyrs  (1). 

Eumérius  de  Nantes,  qui  assista  à  ce  concile,  était  aussi  un 
prélat  distingué  par  sa  naissance,  son  éloquence  et  sa  cha- 
rité envers  les  pauvres.  Il  avait  exercé  avec  une  grande  inté- 
grité l'office  de  juge  :  dans  des  fonctions  de  cette  nature  la 
vertu  est  soumise  à  des  épreuves  décisives,  et  il  ne  se  dé- 
mentit pas  dans  i'épiscopat.  Il  commença  l'église  de  Nantes, 
qui  fut  achevée  par  son  successeur  Félix  (2).  Eumérius,  ayant 
trouvé  dans  son  diocèse  un  enfant  qui  ne  se  souvenait  pas 
d'avoir  été  baptisé,  mais  seulement  d'avoir  eu  la  tète  enve- 
loppée d'un  linge,  consulta  S.  Trojan,  évêque  de  Saintes,  qui 
lui  répondit  que  le  linge  dont  cet  enfant  se  rappelait  avoir 
eu  la  tête  enveloppée  était  un  signe  équivoque,  puisqu'on 
enveloppe  souvent  la  tête  pour  cause  de  maladie.  C'est  pour- 
quoi il  conclut  :  «  Sachez  qu'il  est  ordonné  que  quiconque 
ne  se  souvient  point  d'avoir  été  baptisé,  personne  d'ailleurs 
ne  pouvant  prouver  qu'il  l'ait  été,  doit  recevoir  au  plus  tôt  le 
baptême,  de  peur  qu'on  ne  nous  demande  compte  de  cette 
âme  si  elle  demeure  privée  de  ce  sacrement  (3).  »  Le  linge 
dont  on  enveloppait  la  tête  des  nouveaux  baptisés  est  un  fait 
digne  d'intérêt  :  on  procédait  ainsi  sans  doute  à  cause  de 

(I)  Act.  Ejiisc.  Cenoman.  —  (2)  Fort.,  1.  IV,  carm.  t.  —  (3)  Conr.  Gall.,  t.  I 
p.  259. 


[541]  EX  FRANCE.    LIVRE  VI.  283 

l'onction  du  saint  chrême,  comme  on  le  fait  encore  aujour- 
d'hui à  la  confirmation. 

S.  Trojan,  qui  écrivait  cette  lettre,  était  si  révéré  de  son 
peuple,  et  sa  sainteté  était  en  si  haute  estime  qu'il  ne  pou- 
vait porter  de  franges  à  ses  habits  qu'on  ne  les  arrachât  aus- 
sitôt pour  les  conserver  comme  des  reliques.  Il  fut  enterré 
auprès  de  S.  Vivien,  dont  le  Seigneur  avait  rendu  le  tombeau 
glorieux  par  un  grand  nombre  de  miracles  qui  s'y  opéraient. 
Bibien  ou  Vivien  fut  un  des  premiers  évèques  de  Saintes.  La 
célébrité  de  son  culte  nous  fait  connaître  l'éclat  de  ses  ver- 
tus, et  le  peu  que  nous  en  dit  Grégoire  de  Tours,  qui  avait  lu 
sa  Vie,  nous  en  donne  une  grande  idée  (1). 

S.  Léon  de  Sens,  qui  vivait  encore,  ne  se  trouva  pas  au  qua- 
trième concile  d'Orléans,  peut-être  parce  qu'il  avait  alors 
encouru  la  disgrâce  de  Childebert  au  sujet  de  l'évèché  que  ce 
prince  voulait  ériger  àMelun  (2).  Cette  ville  de  son  royaume 
était  du  diocèse  de  Sens,  et  comme  Sens  faisait  partie  du 
royaume  de  Théodebert,  Childebert  souffrait  impatiemment 
que  ses  sujets  fussent  soumis  à  un  prélat  dépendant  d'un 
autre  prince.  Il  prit  donc  la  résolution  d'ériger  un  siège  épis- 
copal  à  Melun  et  il  manda  à  Léon  de  se  trouver  comme  mé- 
tropolitain à  l'ordination  du  nouvel  évêque.  Léon  lui  répon- 
dit (3)  qu'il  avait  reçu  ses  lettres  avec  respect,  mais  qu'il 
était  surpris  qu'on  voulût  faire  une  pareille  innovation  sans 
l'agrément  du  roi  Théodebert,  son  maître;  que  pour  lui  il  ne 
pouvait  se  résoudre  à  voir  ainsi  passer  entre  les  mains  d'un 
autre  une  partie  de  son  troupeau. 

«  C'est  pourquoi,  grand  prince,  ajoute-t-il,  gardez,  je  vous 
en  conjure,  les  canons  des  Pères  et  ne  souffrez  pas  que  du 
vivant  d'un  évêque  on  en  ordonne  un  autre,  comme  vous 

(1)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  coiifess.,  c.  lix. 

(2)  La  ville  de  Melun  n'avait  que  le  titre  de  castrum.  On  la  nommait  aussi  Isia  , 
apparemment  à  cause  du  culte  d'Isis;  ce  qui  a  fait  croire  faussement  au  moine 
Abbon,  dans  le  ixe  siècle,  que  Paris  avait  été  nommé  Paris  parce  qu'il  était  égal 
à  Melun  :  Isiœ  quasi  par,  dit  ce  poëte. 

(3)  Leonis  Epist.,  t.lConc.  Gaîl.,  p.  258. 


284  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  CATHOLIQUE  [541] 

écrivez  que  les  habitants  de  Melun  le  demandent.  Car  s'ils  le 
font,  ce  qu'on  ne  peut  croire,  il  faut  les  regarder  plutôt 
comme  des  déserteurs  que  comme  des  ouailles  fidèles,  et 
un  prince  ne  doit  pas  prêter  l'oreille  à  de  pareilles  demandes, 
qui  ne  peuvent  causer  que  du  scandale  au  lieu  de  procurer 
la  paix  chérie  de  Dieu.  Que  s'ils  veulent  avoir  un  évêque  par- 
ticulier, parce  que,  les  chemins  nous  étant  fermés,  nous  ne 
pouvons  ni  les  visiter  ni  leur  envoyer  des  visiteurs,  ce  n'est  pas 
à  nous  qu'on  doit  s'en  prendre.  Assurément  si  vous  n'aviez  pas 
interdit  les  passages  depuis  si  longtemps,  ni  nos  infirmités 
ni  notre  âge  avancé  ne  nous  eussent  empêché  de  visiter,  selon 
la  discipline  de  l'Église,  un  peuple  confié  à  nos  soins,  ou  au 
moins  d'y  envoyer  un  visiteur,  comme  les  canons  l'ordon- 
nent. »  On  voit  ici  bien  établie  l'obligation  où  sont  les  évèques 
de  faire  la  visite  de  leur  diocèse  ou  d'y  députer  un  visiteur 
quand  ils  ne  le  peuvent  par  eux-mêmes. 

Léon  continue  :  «  Au  reste,  vous  devez  être  persuadé  que 
si  l'on  entreprend  d'ordonner  un  évêque  à  Melun  contre  les 
canons  et  sans  notre  consentement,  ceux  qui  l'ordonneront 
et  celui  qui  sera  ordonné  demeureront  séparés  de  notre 
communion,  jusqu'à  ce  que  le  pape  ou  le  concile  ait  pris  con- 
naissance de  cette  affaire.  »  Il  paraît  que  Childebert  se  rendit 
à  ces  raisons  et  sacrifia  les  vues  de  la  politique  à  l'observa- 
tion des  règles  de  l'Église  ;  du  moins  cette  affaire  n'eut  pas 
d'autres  suites. 

Léon  de  Sens  mourut,  fort  âgé  et  plein  de  mérites,  peu  de 
temps  après  ce  différend.  Le  Martyrologe  romain  honore  sa 
mémoire  le  22  avril,  et  elle  doit  être  précieuse  même  aux 
habitants  de  Melun  :  car  s'il  leur  refusa  un  évêque,  il  leur 
donna  un  apôtre  dans  la  personne  de  S.  Aspais  (1).  Ce  fut 
Léon  qui  envoya  ce  saint  prêtre  travailler  à  Melun  sous  ses 
ordres.  Aspais,  dont  le  zèle  était  soutenu  par  une  vie  sainte, 
y  recueillit  de  grands  fruits  de  ses  travaux  apostoliques,  et  il 


(1)  Brev.  Se  non. 


[542]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  285 

est  honoré  comme  patron  de  la  ville  le  2  janvier.  Avant  la 
tourmente  révolutionnaire,  ses  reliques  étaient  conservées  à 
Melun,  en  partie  clans  son  église  et  en  partie  dans  l'église 
dédiée  à  la  Ste  Vierge.  Quelques  auteurs  l'ont  confondu 
mal  à  propos  avec  Aspais,  évéque  d'Eauze,  dont  nous  avons 
parlé. 

L'Église  des  Gaules  perdit  vers  le  même  temps  un  de  ses 
plus  grands  évêques.  S.  Césaire  d'Arles,  qui  en  faisait  la  gloire 
depuis  si  longtemps  par  ses  vertus  et  ses  talents,  mourut 
l'an  542,  dans  la  soixante-treizième  année  de  son  âge  et  la 
quarantième  de  son  épiscopat.  Ses  travaux  et  ses  austérités 
l'avaient  encore  plus  affaibli  que  les  infirmités  de  la  vieillesse. 
Il  tomba  malade  au  mois  d'août,  et  au  milieu  de  ses  plus 
vives  douleurs  il  demanda  si  la  fête  de  S.  Augustin  était 
proche.  Comme  on  lui  eut  répondu  qu'elle  n'était  pas  éloi- 
gnée :  «  J'espère,  dit-il,  que  le  Seigneur  ne  mettra  pas  un 
long  intervalle  entre  ma  mort  et  la  fête  de  ce  saint  docteur, 
parce  que  vous  savez  l'attachement  que  j'ai  toujours  eu  à  sa 
doctrine  très-catholique  (1)  :  »  il  sentit  bientôt  que  ses  vœux 
seraient  exaucés. 

La  bonté  de  son  cœur  le  rendait  plus  sensible  à  la  douleur 
qu'il  voyait  peinte  sur  tous  les  visages  qu'à  celle  que  lui 
causait  son  mal.  Dès  qu'il  sentit  ses  forces  défaillir,  il  se  fit 
porter  clans  le  monastère  de  filles  qu'il  avait  fondé,  pour  les 
consoler  lui-même  de  sa  mort  prochaine  :  car  leur  affliction 
était  extrême,  et  souvent  les  pleurs  et  les  sanglots  interrom- 
paient la  récitation  des  offices.  Deux  cents  religieuses  vivaient 
alors  dans  ce  monastère  établi  depuis  trente  ans,  et  elles 
étaient  gouvernées  par  l'abbesse  Césarie  seconde  du  nom, 
qui  avait  succédé  à  Ste  Césarie,  sœur  de  S.  Césaire.  Le  saint, 
évêque  exhorta  l'abbesse  et  la  communauté,  dans  les  termes 
les  plus  tendres,  à  persévérer  dans  l'observance  de  la  règle 
qu'il  leur  avait  donnée.  Mais  ce  qu'il  leur  dit  pour  adoucir 

(1)  Vit.  Cœsarii,  1.  II,  c.  xxn,  ap.  Sur.,  27  aug. 


286  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

leur  douleur  ne  servit  qu'à  la  rendre  plus  vive,  en  leur 
faisant  mieux  sentir  ce  qu'elles  perdaient.  Après  les  conseils 
et  les  exhortations  les  plus  paternelles,  il  pria  pour  elles, 
leur  donna  sa  bénédiction  et  leur  dit  le  dernier  adieu,  au- 
quel elles  ne  répondirent  que  par  leurs  larmes  et  leurs  san- 
glots. Il  se  fît  rapporter  ensuite  dans  son  église,  où  il  mourut 
entouré  des  évêques,  des  prêtres  et  des  diacres,  le  27  août, 
avant  la  première  heure  du  jour,  le  lendemain  de  la  dédicace 
de  son  monastère,  la  veille  de  la  fête  de  S.  Augustin  et  le 
troisième  jour  après  celle  de  S.  Genès,  martyr  d'Arles. 

Aussitôt  qu'il  eut  rendu  le  dernier  soupir,  le  peuple  qui 
était  présent  se  jeta  avec  tant  d'empressement  sur  ses  habits, 
que  les  évêques  et  les  prêtres  ne  purent  empêcher  qu'ils  ne 
fussent  mis  en  pièces  pour  être  conservés  comme  des  reli- 
ques, et  Dieu  opéra  dans  la  suite  plusieurs  miracles  par  leur 
vertu.  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  son  monastère  dédiée 
sous  l'invocation  de  la  Ste  Vierge,  et  mis  dans  un  des  tom- 
beaux de  pierre  qu'il  avait  fait  préparer  pour  servir  à  la  sé- 
pulture des  religieuses.  Le  deuil  fut  général  à  ses  obsèques. 
Comme  le  saint  évêque  avait  fait  du  bien  à  tous,  les  bons  et 
les  méchants,  les  chrétiens  et  les  juifs  réunirent  tous  leurs 
larmes  pour  le  pleurer,  et  pendant  le  service  funèbre  ils  in- 
terrompaient souvent  le  chant  des  psaumes  en  s'écriant  : 
Hélas!  le  monde  était  pas  digne  de  posséder  un  si  puissant 
intercesseur .  Éloge  plus  éloquent  et  plus  glorieux  que  ceux 
que  la  flatterie  compose  avec  tant  d'art. 

S.  Césaire  fit  un  testament  en  forme  de  lettre  adressée  à 
l'Église  d'Arles  et  à  l'abbesse  Gésarie,  par  lequel  il  institue 
le  monastère  et  Fëvêque  qui  lui  devait  succéder  pour  ses 
héritiers.  Il  conjure  celui-ci,  dans  les  termes  les  plus  pressants, 
de  protéger  les  religieuses  et  de  ne  donner  aucune  atteinte 
aux  donations  qu'il  leur  a  faites  de  quelques  biens  de  son 
Église,  avec  le  consentement  de  ses  frères  les  évêques  et  par 
l'autorité  du  pape.  Il  nomme  dans  ce  testament  son  succes- 
seur archevêque  :  c'est  la  première  fois  qu'on  trouve  dans  un 


342]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  287 

cte  authentique  cette  qualité  donnée  à  un  métropolitain.  Il 
xhorte  pareillement  les  religieuses  à  rendre  à  son  succes- 
eur  le  respect  et  l'obéissance  dus  à  sa  dignité  (1).  Il  écrivit 
,ussi  des  lettres  avant  sa  mort  pour  recommander  ce  monas- 
ère  aux  magistrats  et  aux  principaux  citoyens  de  la  ville. 

La  Vie  de  S.  Césaire  fut  écrite  en  deux  livres  peu  de  temps 
iprès  sa  mort.  S.  Cyprien  de  Toulon  est  l'auteur  du  premier, 
[u'il  dédia  à  l'abbesse  Gésarie;  deux  évêques,  Firmin  et  Yi- 
rentius,  y  prirent  part  (2).  Ils  terminent  ce  livre  par  ces  pa- 
oles  :  Nous  vous  prions ,  vous  Messien,  prêtre,  et  vous  Etienne, 
liacre,  qui  avez  été  dès  votre  jeunesse  au  service  de  Césaire, 
V ajouter  votre  quote-part  à  cet  ouvrage.  Messien  et  Etienne 
composèrent  donc  le  second  livre.  Ces  auteurs,  témoins  ocu- 
aires  de  ce  qu'ils  ont  écrit,  nous  apprennent  plusieurs  cir- 
constances de  la  vie  de  S.  Césaire  qui  méritent  d'être  rappor- 
ées,  comme  également  propres  à  faire  connaître  de  plus  en 
)lus  les  vertus  de  ce  saint  évêque  et  divers  usages  de  la  dis- 
cipline. 

Lorsque  Césaire  bénissait  tous  les  ans  le  saint  chrême  dans 
Le  baptistère,  il  s'y  trouvait  un  grand  nombre  de  jeunes  en- 
fants de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  envoyés  par  leurs  parents 
pour  lui  présenter  des  vases  pleins  d'huile  ou  d'eau  afin  qu'il 
les  bénît  :  ce  qui  marque  qu'on  conservait  de  l'huile  et  de 
L'eau  bénites  dans  les  maisons.  Dans  ses  voyages  un  clerc  por- 
tait devant  lui  son  bâton. pastoral.  Il  se  faisait  toujours  lire 
pendant  ses  repas,  afin  de  donner  à  l'âme  une  nourriture 
plus  nécessaire  que  celle  que  prenait  le  corps.  Il  ne  souffrit 
jamais,  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût,  que  les  femmes 
entrassent  dans  la  maison  épiscopale.  Il  n'ordonnait  pas  de 
diacres  qu'ils  n'eussent  lu  quatre  fois  l'Ancien  et  le  Nouveau 
Testament,  tant  il  était  persuadé  que  la  connaissance  des 
saintes  Écritures  est  nécessaire  à  un  ecclésiastique.  Il  voulait 


(1)  Vit.  Cœsarii,  1.  II,  c.  xxn. 

(2)  Ce  qui  est  dit  dans  ce  premier  livre  de  Cyprien  de  Toulon,  que  c'est  un  grand 
et  illustre  prélat,  y  a  été  sans  doute  inséré  par  ces  deux  évêques. 


268  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

que  les  nouveaux  époux,  après  avoir  reçu  la  bénédiction 
nuptiale,  gardassent  trois  jours  la  continence.  Il  avait  surtout 
grand  soin  que  personne  ne  mourût  sans  avoir  reçu  le  remède 
de  la  pénitence.  Quand  il  ne  pouvait  prêcher,  il  faisait  ré- 
citer ses  homélies  par  quelqu'un  de  ses  prêtres  ou  de  ses 
diacres,  et  il  les  envoyait  aux  évêques  afin  qu'ils  les  fissent 
réciter  dans  leurs  églises,  s'ils  ne  pouvaient  prêcher  eux- 
mêmes  (1). 

Il  nous  reste  de  lui  cent  quarante-deux  homélies  (2),  qui  sont 
d'un  grand  prix  pour  ceux  qui  exercent  le  saint  ministère  dans 
les  campagnes.  Plusieurs  écrivains  les  ont  dédaignées,  comme 
n'étant  pas  dignes  de  figurer  parmi  des  oeuvres  d'éloquence. 
M.  l'abbé  Guillon,  dans  son  Cours  cV éloquence  sacrée,  prétend 
qu'on  n'y  trouve  pas  un  seul  traita  citer,  et  déclare  S.  Césaire 
nul  pour  V éloquence  (3),  Le  P.  Longueval  ne  diffère  guère  de 
ce  sentiment.  «  Ses  homélies,  dit-il,  nous  donnent  une  plus 
grande  idée  de  son  zèle  que  de  son  éloquence.  »  Il  avoue  ce- 
pendant qu'elles  sont  instructives,  pleines  de  sentiments  de 
piété,  mais  d'un  style  simple  et  populaire.  «  On  s'aperçoit, 
ajoute-t-il,  que  le  prédicateur  cherche  plutôt  la  conversion  de 
ses  auditeurs  que  leurs  applaudissements.  »  Mais  quel  est  donc 
le  but  de  l'orateur  de  la  chaire?  Est-ce  de  convertir  ou  de  se 
faire  applaudir?  Le  discours  qui  convertit  n'est-il  pas  plus 
utile,  plus  efficace  et  par  conséquent  plus  éloquent  que  celui 
qui  n'attire  à  son  auteur  que  de  simples  applaudissements? 

Ces  écrivains  ont  oublié  qu'à  côté  de  l'éloquence  majes- 
tueuse qni  se  produit  avec  toutes  les  irragnifieences  du  style, 
flatte  l'oreille  et  s'adresse  aux  gens  instruits,  il  y  a  une  élo- 
quence simple  qsi  parle  aux  sens  et  qui,  prenant  ses  images 
et  ses  comparaisons  dans  la  nature  et  dans  les  choses  usuelles 
de  la  vie,  rend  en  quelque  sorte  les  vérités  palpables  et  les 

(1)  Vit.  Cœsarii,  I.  II,  c.  VIII,  xn,  xvm,  xxviii. 

(2)  Environ  quarante  insérées  dans  la  Bibliothèque  des  Pères,  et  cent  deux  dans 
l'Appendice  du  Ve  volume  des  Œuvres  de  S.  Augustin. 

(3)  Bibliothèque  choisie  des  Pères,  t.  XXXIII. 


542]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  289 

çrave  plus  profondément  dans  la  mémoire  et  dans  le  cœur. 
]e  genre  d'éloquence,  selon  nous,  est  non-seulement  utile, 
nais  nécessaire  pour  les  gens  de  la  campagne,  c'est-à-dire 
Dour  le  plus  grand  nombre  des  fidèles,  et  n'exclut  pas  les 
sentiments  élevés  ni  les  émotions  vives  et  tendres.  Il  mé- 
rite d'autant  plus  d'être  étudié  qu'il  est  plus  rare  et  peut-être 
plus  difficile  :  car  il  demande  un  travail  plus  assidu,  du  moins 
an  travail  d'observation.  S.  Gésaire  nous  offre  en  ce  genre  des 
modèles  parfaits,  sur  lesquels  on  ne  saurait  assez  méditer. 
On  en  jugera  pas  les  extraits  suivants  (1).  S.  Gésaire,  voulant 
exhorter  les  fidèles  à  avoir  soin  de  leur  âme,  s'exprime  ainsi  : 
«  Le  soin  de  notre  âme,  mes  très-chers  frères,  ressemble 
fort  à  la  culture  de  la  terre  ;  de  même  que  dans  une  terre  on 
arrache  certaines  choses  afin  d'en  semer  d'autres  qui  seront 
bonnes,  de  même  en  doit-il  être  pour  notre  âme  :  que  ce  qui 
est  mauvais  soit  déraciné,  ce  qui  est  bon  planté...;  que  la  su- 
perbe soit  arrachée  et  l'humilité  mise  à  sa  place  ;  que  l'avarice 
soit  rejetée  et  la  miséricorde  cultivée...  Personne  ne  peut 
planter  de  bonnes  choses  dans  sa  terre,  s'il  ne  l'a  débarrassée 
des  mauvaises  :  ainsi  vous  ne  pourrez  planter  dans  votre  âme 
les  saints  germes  des  vertus,  si  vous  n'en  avez  d'abord  arraché 
les  épines  et  les  chardons  des  vices.  Dites-moi,  je  vous  en 
prie,  vous  qui  disiez  tout  à  l'heure  que  vous  ne  pouviez  accom- 
plir les  commandements  de  Dieu  parce  que  vous  ne  savez  pas 
lire,  dites-moi  qui  vous  a  enseigné  de  quelle  façon  tailler  vo- 
tre vigne,  à  quelle  époque  en  planter  une  nouvelle?  Qui  vous 
l'a  appris?  Ou  vous  l'avez  vu,  ou  vous  l'avez  entendu  dire,  ou 
vous  avez  interrogé  d'habiles  cultivateurs.  Puisque  vous  êtes 
si  occupé  de  votre  vigne,  pourquoi  donc  ne  l'êtes-vous  pas  de 
votre  âme.  Faites  attention,  je  vous  en  prie,  mes  frères,  il  y  a 
deux  sortes  de  champs  :  l'un  est  à  Dieu,  l'autre  à  l'homme  ; 
vous  avez  votre  domaine,  Dieu  a  le  sien  :  votre  domaine,  c'est 


(l)Nous  nous  "bornerons  à  ceux  qu'ont  produits  M.  Guizot  et  après  lui  d'autres 
écrivains. 

TOME  II.  19 


290  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [542| 

la  terre  ;  le  domaine  de  Dieu,  c'est  votre  âme.  Est-il  donc  juste 
de  cultiver  votre  domaine  et  de  négliger  celui  de  Dieu?  Lors- 
que vous  voyez  votre  terre  en  bon  état,  vous  vous  en  réjouis- 
sez :  pourquoi  donc  ne  pleurez-vous  pas  en  voyant  votre  âme 
en  friche?  Nous  n'avons  que  peu  de  jours  à  vivre  dans  le 
le  monde  sur  les  fruits  de  notre  terre  :  tournons  donc  notre 

plus  grande  application  à  notre  âme  ;  travaillons-la  de 

toutes  nos  forces,  avec  l'aide  de  Dieu,  afin  que  lorsqu'il  voudra 
venir  à  son  champ,  qui  est  notre  âme,  il  le  trouve  cultivé, 
arrangé,  en  bon  ordre;  qu'il  y  trouve  des  moissons,  non 
des  épines  ;  du  vin,  non  du  vinaigre,  et  plus  de  froment  que 
d'ivraie  (1).  » 

Ce  champ,  cette  vigne,  dont  le  saint  évêque  fait  une 'si  heu- 
reuse application,  voilà  ce  qui  frappe  les  imaginations  et  peut 
inspirer  de  sérieuses  réflexions  à  la  ville  aussi  bien  qu'à  la 
campagne. 

Mais  dans  une  ville  où  il  y  avait  encore  des  écoles  floris- 
santes, et  où  les  lettres  grecques  et  latines  étaient  cultivées  avec 
soin,  ce  genre  d'éloquence  n'était  pas  goûté  de  tout  le  monde; 
certains  assistants  sortaient  après  l'évangile  pour  ne  pas  en- 
tendre le  sermon.  Un  jour  S.  Gésaire  courut  après  eux  en 
criant  :  «  Que  faites-vous,  mes  chers  enfants?  Pourquoi  sor- 
tez-vous ainsi?  Pour  le  salut  de  vos  âmes,  restez  et  écoutez 
attentivement  ce  que  je  vais  dire.  Il  ne  vous  sera  pas  permis 
au  jour  du  jugement  de  vous  échapper  ainsi.  »  Il  fut  même 
obligé  quelquefois  de  faire  fermer  l'église  après  l'évangile. 
Ces  précautions  devinrent  bientôt  inutiles.  A  force  de  soins 
l'évêque  parvint  à  intéresser  son  auditoire  au  plus  haut  degré, 
et  l'on  accourut  à  l'église  avec  une  grande  curiosité  (2).  Le 
saint  évêque  en  éprouva  la  plus  grande  joie,  et  en  profita  pour 
exhorter  ses  auditeurs  à  bannir  de  la  prière  toute  occupation 
étrangère.  Yoici  encore  un  fragment  dans  lequel  on  trouve 
le  même  genre  d'éloquence. 


(1)  Aug.  Append.  t.  V,  Serm.  CCCHI.  —  (2J  Vita  Cœsar.,  lib.  I,  c.  xxn. 


[542]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  291 

«Quoique  en  beaucoup  de  sujets,  mes  très-chers  frères, 
nous  ayons  souvent  à  nous  réjouir  de  vos  progrès  dans  la 
voie  du  salut,  il  y  a  cependant  certaines  choses  dont  nous 
devons  vous  avertir,  et  je  vous  prie  d'accueillir  volontiers, 
selon  votre  usage,  nos  observations.  Je  me  réjouis  et  je  rends 
grâces  à  Dieu  de  ce  que  je  vous  vois  accourir  fidèlement  à 
l'église  pour  entendre  les  lectures  divines  ;  mais  si  vous  voulez 
compléter  votre  succès  et  notre  joie,  venez-y  de  meilleure 
heure  ;  vous  le  voyez,  les  tailleurs,  les  orfèvres,  les  forge- 
rons se  lèvent  dès  le  matin  afin  de  pourvoir  aux  besoins  du 
corps  :  et  nous,  nous  ne  pourrions  pas  aller  avant  le  jour  à 
l'église  pour  y  solliciter  le  pardon  de  nos  péchés?...  Yenez 
donc  de  bonne  heure,  je  vous  en  prie...,  et,  une  fois  arrivés, 
tachons  avec  l'aide  de  Dieu  qu'aucune  pensée  étrangère  ne 
se  glisse  au  milieu  de  nos  prières,  de  peur  que  nous  n'ayons 
autre  chose  sur  les  lèvres  et  autre  chose  dans  le  cœur;  tandis 
que  notre  langue  s'adresse  à  Dieu,  craignons  que  notre  esprit 
n'aille  s'égarer  sur  toute  sorte  de  sujets...  Si,  voulant  traiter 
avec  quelque  homme  puissant  une  affaire  importante,  vous 
vous  détourniez  tout-à-coup  de  lui  et  interrompiez  la  con- 
versation pour  vous  occuper  de  je  ne  sais  quelles  puéri- 
lités, quelle  injure  ne  lui  feriez-vous  pas?  Quelle  ne  serait 
pas  contre  vous  sa  colère?  Si  donc,  lorsque  nous  nous  entre- 
tenons'avec  un  homme ,  nous  mettons  tous  nos  soins  à  ne 
point  penser  à  autre  chose  de  peur  de  l'offenser,  n'avons- 
nous  pas  honte,  lorsque  nous  nous  entretenons  avec  Dieu  par- 
la prière,  lorsque  nous  avons  à  défendre  devant  sa  majesté  si 
sainte  les  misères  de  nos  péchés,  n'avons-nous  pas  honte  de 
laisser  notre  esprit  errer  çà  et  là  et  se  détourner  de  la  face 
divine?...  Tout  homme,  mes  frères,  prend  pour  son  dieu  ce 
qui  absorbe  sa  "pensée  au  moment  de  la  prière,  et  semble 
l'adorer  comme  son  seigneur...  Celui-ci,  tout  en  priant,  pense 
à  la  place  publique  :  c'est  la  place  publique  qu'il  adore  ;  celui- 
là  a  devant  les  yeux  la  maison  qu'il  construit  ou  répare  :  il 
adore  ce  qu'il  a  devant  les  yeux  ;  un  autre  pense  à  sa  vigne , 


292  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

un  autre  à  son  jardin...  Que  sera-ce  si  la  pensée  qui  nous  oc- 
cupe est  une  mauvaise  pensée,  une  pensée  illégitime?  si,  au 
milieu  de  notre  prière,  nous  laissons  notre  esprit  se  porter  sur 
la  cupidité,  la  colère,  la  haine,  la  luxure,  l'adultère  ?. . .  je  vous 
en  conjure  donc,  mes  frères  chéris,  si  nous  ne  pouvons  éviter 
complètement  ces  distractions  de  l'âme ,  travaillons  de  notre 
mieux  et  avec  l'aide  de  Dieu  pour  n'y  succomber  que  le  plus 
tard  qu'il  se  pourra  (i).  » 

Voici  par  quelles  images  sensibles  il  exhorte  à  faire  l'au- 
mône. 

«  Faites  l'aumône,  mes  frères,  exercez  la  miséricorde  :  car 
l'aumône  délivre  de  la  mort  et  ne  laisse  pas  aller  dans  les 
ténèbres  celui  qui  la  fait.  Que  chacun,  selon  ses  moyens,  ou- 
vre sa  main  au  pauvre  :  vous  avez  de  l'or,  donnez  de  l'or  ;  de 
l'argent,  donnez  de  l'argent;  vous  n'avez  que  du  pain  à  don- 
ner, donnez  du  pain  ;  vous  ne  pouvez  donner  un  pain  tout  en- 
tier, donnez-en  un  morceau,  partagez  ce  que  vous  avez.  Le 
Seigneur  n'a  pas  dit  par  la  bouche  du  prophète  :  Donnez  tout 
votre  pain  à  celui  qui  a  faim  ;  mais  il  a  dit  :  Partagez  votre 
pain  avec  celui  qui  a  faim. 

«  Votre  charité  sera  toujours  agréable  à  Dieu  si  vous  la 
faites  de  bon  cœur  :  car  écoutez  ce  que  dit  le  Seigneur  dans 
l'Évangile  en  parlant  de  cette  pauvre  veuve  qui  n'avait  offert 
que  deux  petites  pièces  d'argent  :  Cette  veuve,  dit-il,  a  donné 
plus  que  tous  les  autres.  Les  autres,  en  effet,  qui  étaient  riches, 
avaient  pris  sur  ce  qu'ils  avaient  de  trop.  Elle,  au  contraire, 
avait  donné  tout  ce  qu'elle  possédait  :  aussi  a-t-elle  mérité 
d'être  louée  par  la  bouche  même  du  Seigneur.  Que  chacun 
donne  donc  ce  qu'il  pourra,  mais  qu'il  donne  de  bon  cœur  et 
avec  joie. 

«  Pourquoi  faut-il  être  joyeux  en  faisant  l'aumône?  Parce 
que  vous  donnez  peu  et  recevez  beaucoup.  Que  donnez-vous? 
une  chétive  pièce  de  monnaie.  Que  recevez-vous  ?  un  royaume, 


(1)  Aug.  Append.,  t.  V,  Serm.  cclxxxiii. 


[542]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  293 

la  vie  éternelle.  Vous  donnez  des  choses  passagères,  tempo- 
relles, et  vous  méritez  des  choses  durables,  éternelles:  voilà 
pourquoi  nous  devons  faire  l'aumône  de  bon  cœur  et  avec 
joie. 

«  Si  quelqu'un  venait  vous  dire  franchement  et  de  bonne 
foi  :  Donnez-moi  une  pièce  d'or,  et  je  vous  donnerai  cent  pièces 
d'or  d'une  plus  grande  valeur,  ne  seriez- vous  pas  très-joyeux 
de  recevoir  ainsi  plus  de  cent  pour  un?  Combien  donc  nous 
devons-nous  réjouir  en  entendant  ces  paroles  du  Seigneur: 
Celui  qui  donne  aux  pauvres  prête  à  Dieu  avec  intérêt  (1).  Yous 
devez  prêter  à  Dieu  sur  la  terre,  pour  recevoir  les  intérêts 
dans  la  vie  éternelle  et  pour  être  en  état  de  dire  au  souverain 
Juge  quand  vous  paraîtrez  devant  son  tribunal  :  Seigneur, 
vous  êtes  mon  débiteur,  car  j'ai  fait  l'aumône  :  j'ai  fait  ce  que 
vous  m'avez  dit,  donnez-moi  maintenant  ce  que  vous  m'avez 
promis  (2).  » 

En  traitant  de  l'exercice  le  plus  pénible  de  la  charité,  du 
pardon  des  injures,  il  s'exprime  ainsi  : 

«  Ce  n'est  pas  sans  raison,  vous  le  comprenez  bien,  que  je 
vous  entretiens  si  souvent  de  la  vraie  et  parfaite  charité.  Je 
le  fais  parce  que  je  ne  connais  aucun  remède  si  salutaire  ni 
si  efficace  pour  les  blessures  des  pécheurs.  Ajoutons  que, 
quelque  puissant  que  soit  ce  remède,  il  n'y  a  personne  qui, 
avec  l'aide  de  Dieu,  ne  puisse  se  le  procurer.  Pour  les  autres 
bonnes  œuvres,  on  peut  trouver  quelque  excuse;  il  n'y  en  a 
point  pour  le  devoir  de  la  charité.  Quelqu'un  peut  me  dire  :  Je 
ne  puis  pas  jeûner;  qui  peut  me  dire  :  Je  ne  puis  pas  aimer? 
On  peut  dire  :  A  cause  de  la  faiblesse  de  mon  corps,  je  ne  puis 
pas  m' abstenir  de  viande  et  de  vin  ;  qui  peut  me  dire  :  Je  ne 
puis  pas  aimer  mes  ennemis  ni  pardonner  à  ceux  qui  m'ont 
offensé?  Que  personne  ne  se  fasse  illusion,  mes  très-chers 
frères,  car  personne  ne  trompe  Dieu...  Il  y  a  beaucoup  de 


(1)  Prov.  xix,  17. 

(2j  Append..  Serm.  lxxviii. 


294  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

choses  que  nous  ne  pouvons  tirer  de  notre  grenier  ou  de 
notre  cellier  ;  mais  il  serait  honteux  de  dire  qu'il  y  -a  quelque 
chose  que  nous  ne  pouvons  tirer  du  trésor  de  notre  cœur  :  car 
ici  nos  pieds  ne  se  lassent  point  à  courir,  nos  yeux  à  regar- 
der, nos  oreilles  à  entendre,  nos  mains  à  travailler.  Nous  ne 
pouvons  alléguer  aucune  fatigue  pour  excuse  :  on  ne  nous  dit 
point  :  Allez  à  l'orient  pour  y  chercher  la  charité,  naviguez 
vers  l'occident  et  rapportez-en  l'affection.  C'est  en  nous- 
mêmes  et  dans  nos  cœurs  qu'on  nous  ordonne  de  rentrer  ; 
c'est  laque  nous  trouverons  tout.... 

«  Mais,  dit  quelqu'un,  je  ne  puis  en  aucune  façon  aimer  mes 
ennemis.  Dieu  vous  a  dit,  dans  l'Ecriture,  que  vous  le  pou- 
vez :  vous,  vous  répondez  que  vous  ne  le  pouvez  pas.  Regar- 
dez maintenant  :  qui  faut-il  croire  Dieu,  ou  vous?. . .  Quoi  donc  ! 
tant  d'hommes,  tant  de  femmes,  tant  d'enfants,  tant  et  de  si 
délicates  jeunes  filles  ont  supporté  d'un  cœur  ferme,  pour 
l'amour  du  Christ,  les  flammes  ,1e  glaive,  les  bêtes  féroces  :  et 
nous,  nous  ne  pouvons  supporter  les  outrages  de  quelques 
insensés  !  Et ,  pour  de  légers  maux  que  nous  a  faits  la 
méchanceté  de  quelques  hommes,  nous  poursuivons  contre 
eux,  jusqu'à  leur  mort,  la  vengeance  de  nos  injures  !  En  vérité, 
je  ne  sais  de  quel  front  et  avec  quelle  conscience  nous  osons 
prétendre  à  partager  avec  les  saints  la  béatitude  éternelle, 
nous  qui  ne  savons  pas  suivre  leur  exemple,  même  dans  les 
moindres  choses  (1).  » 

«  Ceci,  dit  M.  Guizot,  n'est  pas  dépourvu  de  verve;  le  senti- 
ment en  est  vif,  le  tour  pittoresque.  »  Cette  justice  rendue  à  un 
saint  évêque  dont  l'éloquence  a  été  si  dépréciée  fait  honneur  à 
l'illustre  écrivain. 

Plus  le  mal  qu'il  attaque  est  difficile  à  guérir,  plus  il  rend 
ses  images  sensibles.  Yoici  dans  quels  termes  il  représente  le 
danger  des  rechutes. 

«  Nous  pouvons,  par  les  blessures  de  nos  corps,  nous  for- 

(1)  AppenJ.,  Serm.  cclxxiiï. 


[542]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  295 

mer  une  idée  de  celles  de  nos  âmes.  Si  quelqu'un  se  casse  le 
pied  ou  la  main,  il  se  remet  de  sa  blessure,  quoiqu'il  ait  de  la 
peine  à  faire  revenir  son  membre  à  son  premier  état  ;  mais  s'il 
se  casse  le  même  membre  deux  fois,  trois  fois  ou  plus  souvent, 
vous  pouvez  comprendre  combien  il  aura  de  peine  à  guérir. 
Il  en  est  ainsi  des  blessures  de  nos  âmes.  Si  quelqu'un  a  péché 
une  ou  deux  fois ,  il  pourra  recouvrer  sa  première  vigueur, 
pourvu  qu'il  ait  bien  vite  recours  au  remède  delà  pénitence. 
Mais  s'il  accumule  péchés  sur  péchés,  s'il  les  cache  au  fond  de  sa 
conscience  et  les  laisse  engendrer  la  pourriture  dans  son  âme, 
au  lieu  de  les  guérir  en  les  confessant  et  en  faisant  pénitence, 
je  crains  bien  qu'il  ne  voie  se  vérifier  en  lui  cette  parole  de 
l'apôtre  :  Ignorez-vous  que  la  bonté  de  Dieu  vous  invite  au  re- 
pentir?  mais  vous,  par  la  dureté  de  votre  cœur  impénitent, 
vous  amassez  un  trésor  de  colère  pour  le  jour  où  éclatera  le 
juste  jugement  de  Dieu  (1).  » 

Cependant  il  ne  veut  pas  jeter  le  pécheur  dans  le  déses- 
poir'; il  se  hâte  de  lui  dire  que  quand  même  il  aurait  commis 
cent  péchés,  mille  crimes,  il  ne  doit  jamais  désespérer  de  la 
miséricorde  de  Dieu  (2). 

S.  Césaire  corrige  souvent  à  la  fin  de  ses  discours  ce  qu'il 
peut  avoir  dit  de  trop  sévère  ou  de  trop  blessant  pour  son 
auditoire.  Ainsi,  après  avoir  tonné  contre  le  vice  opposé  à 
la  chasteté,  il  réclame,  par  une  nouvelle  image  fort  ingé- 
nieuse et  souvent  employée  après  lui ,  l'indulgence  de  ses  au- 
diteurs. 

«  Quand  je  fais  ces  réflexions,  dit-il,  je  crains  qu'il  ne  s'en 
trouve  qui  s'irritent  plutôt  contre  nous  que  contre  eux-mêmes. 
Notre  discours  est  offert  à  votre  charité  comme  un  miroir  ; 
et  ainsi  qu'une  matrone,  lorsqu'elle  regarde  son  miroir, 
corrige  sur  sa  personne  ce  qu'elle  y  voit  de  défectueux  et  ne 
brise  pas  le  miroir:  de  même,  lorsque  quelqu'un  de  vous  aura 
reconnu  sa  difformité  dans  un  discours,  il  est  juste  qu'il  se 


(1)  Append.,  Serm.  CCLVIU.  —  (2)  Ibid. 


296  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

corrige  plutôt  que  de  s'irriter  contre  le  prédicateur,  comme 
contre  un  miroir.  Ceux  qui  reçoivent  quelque  blessure  sont 
plus  disposés  à  la  soigner  qu'à  se  prendre  de  colère  contre 
les  remèdes  :  que  personne  donc  n'ait  d'irritation  contre  les 
remèdes  spirituels  ;  que  chacun  reçoive  non-seulement  avec 
patience  ,  mais  encore  de  bon  cœur  ce  qui  lui  est  dit  de  bon 
cœur  :  il  est  bien  certain  que  celui-là  s'éloigne  déjà  du  mal,  qui 
reçoit  volontiers  une  correction  salutaire  ;  celui  à  qui  ses  dé- 
fauts déplaisent  commence  à  prendre  goût  à  ce  qui  est  bon,  et 
autant  il  s'éloigne  des  vices  autant  il  s'approche  des  vertus  (1).» 

Ce  sont  là  des  traits  excellents  de  l'éloquence  simple  et 
populaire,  ou  plutôt  c'est  la  perfection  du  genre.  Citons 
encore  un  autre  passage,  dans  lequel  S.  Gésaire  veut  prouver 
qu'il  ne  suffit  pas  d'éviter  le  mal,  mais  qu'il  faut  faire  le  bien. 

«  Beaucoup  de  gens,  mes  très-chers  frères,  pensent  qu'il 
leur  suffit  pour  la  vie  éternelle  de  n'avoir  pas  fait  de  mal; 
s'il  s'en  trouve  par  hasard  qui  s'abusent  par  cette  fausse 
tranquillité,  qu'ils  sachent  positivement  qu'aucun  chrétien 
n'a  fait  assez  en  évitant  le  mal ,  s'il  n'a  aussi ,  autant  qu'il 
était  en  son  pouvoir,  accompli  les  choses  qui  sont  bonnes  :  car 
Celui  qui  dit  :  Éloigne-toi  du  mal,  nous  dit  également  :  Fais 
le  bien. 

«  Celui  qui  croit  qu'il  lui  suffit  de  n'avoir  pas  fait  de  mal, 
quoiqu'il  n'ait  pas  fait  de  bien,  qu'il  me  dise  s'il  voudrait  dans 
son  serviteur  ce  qu'il  fait  pour  son  Seigneur  :  y  a-t-il  quel- 
qu'un qui  veuille  que  son  serviteur  ne  fasse  ni  bien  ni  mal  ? 
Nous  exigeons  tous  que  nos  serviteurs  non-seulement  ne  fas- 
sent pas  le  mal  que  nous  leur  interdisons,  mais  encore  qu'ils 
s'acquittent  des  travaux  que  nous  leur  imposons.  Votre  servi- 
teur serait  plus  gravement  coupable  s'il  vous  dérobait  votre 
bétail  :  cependant  il  n'est  pas  exempt  de  faute  s'il  ne  le  garde 
qu'avec  négligence.  Il  n'est  pas  juste  que  nous  soyons  envers 
Dieu  comme  nous  ne  voulons  pas  que  nos  serviteurs  soient 


(i)  Append.,  Serm.  cclxxxviii. 


[542]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  297 

envers  nous.  Ceux  qui  croient  qu'il  leur  suffit  de  n'avoir  pas 
fait  de  mal  ont  coutume  de  dire  :  Plût  à  Dieu  que  je  méritasse 
d'être  trouvé  à  l'heure  de  la  mort  tel  que  je  suis  sorti  du  sa- 
crement du  baptême  !  Sans  doute  il  est  bon  à  chacun  d'être 
trouvé  pur  de  fautes  au  jour  du  jugement,  mais  c'est  déjà  une 
faute  grave  de  n'avoir  point  avancé  dans  le  bien.  Il  suffit 
d'être  tel  qu'il  est  sorti  du  baptême  à  celui-là  seul  qui  est  sorti 
de  ce  monde  aussitôt  après  avoir  reçu  ce  sacrement  :  il  n'a 
pas  eu  le  temps  de  s'exercer  aux  bonnes  œuvres  ;  mais  celui 
qui  a  eu  le  temps  de  vivre  et  est  devenu  d'âge  à  faire  le  bien, 
il  ne  lui  suffira  point  d'être  exempt  de  fautes,  s'il  a  voulu  être 
aussi  exempt  de  bonnes  œuvres.  Je  voudrais  que  celui  qui  dé- 
sire être  trouvé  tel  à  la  mort  qu'il  était  lorsqu'il  a  reçu  le  sa- 
crement de  baptême,  me  dît  si,  lorsqu'il  a  planté  une  nouvelle 
vigne,  il  voudrait  qu'au  bout  de  dix  ans  elle  fût  telle  que  le 
jour  où  il  l'a  plantée.  S'il  a  greffé  un  plant  d'oliviers,  lui  con- 
viendrait-il qu'il  fût  au  bout  de  plusieurs  années  tel  que  le  jour 
où  il  l'a  greffé?  S'il  lui  est  né  un  fils,  qu'il  regarde  s'il  vou- 
drait qu'après  cinq  ans  il  fût  au  même  âge  et  de  la  même  taille 
qu'au  jour  de  sa  naissance.  Puisque  donc  il  n'y  a  personne  à 
qui  cela  convient  pour  les  choses  qui  sont  à  lui  ;  de  même  qu'il 
se  plaindrait  si  sa  vigne,  son  plant  d'oliviers  et  son  fils  ne 
faisaient  aucun  progrès,  qu'il  se  plaigne  pareillement  s'il  voit 
qu'il  n'a  fait  aucun  progrès  depuis  le  moment  où  il  est  né  dans 
le  Christ  (1).  » 

Cette  simplicité  familière  à  S.  Césaire  n'exclut  pas  la  verve, 
l'énergie  et  les  mouvements  oratoires.  En  voici  un  exemple, 
c'est  le  dernier  que  nous  citons.  L'orateur  veut  détourner 
ses  auditeurs  de  la  voie  large  qui  conduit  à  la  mort,  et  les 
ramener  dans  la  voie  étroite  qui  mène  à  la  vie.  Il  traite  donc 
une  des  vérités  les  plus  terribles  de  l'Évangile.  Yoici  avec 
quelle  simplicité  ëï  quelle  vigueur  il  en  parle  : 

«  Je  sais,  mes  très-chers  frères,  que  votre  sainte  charité 


(1)  Append.,  Serin,  cclxiii. 


298  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

n'ignore  pas  qu'Adam,  notre  premier  père,  fut  placé  au  milieu 
des  délices  du  paradis  ;  mais  qu'ayant,  à  l'instigation  du  dé- 
mon, méprisé  les  ordres  de  Dieu,  il  est  tombé  dans  les  mi- 
sères de  ce  monde. 

«  Son  premier  état  était  un  paradis  ,  son  second  fut  un  en- 
fer :  car  il  y  a  deux  enfers,  celui  de  ce  monde  et  l'enfer  infé- 
rieur, où  les  pécheurs  et  les  impies  seront  ensevelis  après 
la  mort.  Notre  Dieu,  qui  est  bon  et  miséricordieux,  n'a  pas 
voulu  que  la  faute  de  notre  premier  père  nous  fit  tomber  né- 
cessairement dans  cet  enfer,  et  il  nous  a  laissé  la  possibilité  de 
remonter  vers  notre  patrie.  Considérons  donc,  mes  très-chers 
frères,  non  pas  à  la  légère,  mais  avec  crainte  et  tremblement, 
et  comprenons  bien  que  nous  avons  été  placés,  par  la  misé- 
ricorde du  Seigneur,  dans  l'enfer  supérieur  de  ce  monde 
afin  que  nous  fassions  effort  pour  remonter,  par  les  degrés  de 
nos  bonnes  œuvres,  jusqu'à  Celui  qui  nous  a  créés,  et  non 
afin  que  nous  descendions  dans  les  abîmes  de  l'enfer  inférieur 
avec  celui  qui  nous  a  trompés. 

«  Placés  entre  l'eau  et  le  feu,  entre  le  souverain  bien  et  le 
souverain  mal,  entre  l'abîme  de  l'enfer  inférieur  et  la  mon- 
tagne du  paradis,  écoutons  le  Seigneur  qui  nous  dit  :  Je  t'ai 
placé  entre  la  mort  et  la  vie  :  choisis  la  vie  afin  que  tu  vives. 
Le  Seigneur  nous  a  indiqué  les  deux  voies  que  nous  pouvions 
suivre;  dans  l'Évangile  il  nous  dit  :  Elle  est  large  et  spa- 
cieuse, la  voie  qui  conduit  à  la  mort,  et  il  en  est  beaucoup  qui 
y  marchent.  Elle  est  étroite  et  resserrée  la  voie  qui  conduit  à  la 
vie,  et  il  en  est  peu  qui  la  trouvent.  On  va  donc  en  paradis  par 
la  voie  étroite  et  en  enfer  par  la  voie  large.  Il  faut  par  consé- 
quent, tandis  que  nous  le  pouvons  encore,  nous  efforcer  de 
monter  au  paradis  par  la  voie  étroite,  et  prendre  garde  d'arri- 
ver aux  supplices  de  l'enfer  en  marchant  dans  la  voie  large 
et  spacieuse. 

«  Quelqu'un  me  dira  peut-être  :  Je  voudrais  bien  savoir 
quels  sont  ceux  qui  descendent  par  la  voie  large,  et  ceux  qui 
montent  par  la  voie  étroite. 


,42]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  299 

«  Ceux  qui  descendent  par  la  voie  large  sont  les  amis  du 
îonde,  les  orgueilleux,  les  avares,  les  envieux,  les  ivrognes, 
eux  qui  commettent  l'adultère,  qui  conservent  de  la  rancune 
u  fond  de  leur  âme,  qui  rendent  le  mal  pour  le  mal,  ceux  en- 
n  qui  aiment  les  spectacles  sanglants  ou  impurs.  Ceux  qui 
îontent  par  la  voie  étroite,  ce  sont  les  amis  de  la  chasteté,  de 
i  sobriété,  de  la  justice,  ceux  qui  exercent  la  miséricorde, 
ui  mettent  leur  bonheur  à  secourir  leur  prochain,  qui  par- 
onnent  du  fond  de  leur  cœur  les  injures  qu'on  leur  a  faites. 
,eux-là  sont  déjà  dans  les  cieux,  quoique  leur  corps  habite 
ncore  la  terre,  et  quand  le  prêtre  dit  à  la  messe  :  Sursum 
orcla  :  Élevez  vos  cœurs,  ils  peuvent  répondre  avec  vérité  : 
labemus  ad  Dominum  :  Nous  les  tenons  élevés  vers  le  Sei- 
;neur. 

«  Considérez  avec  douleur,  je  vous  en  prie,  mes  frères,  ceux 
ni  se  précipitent  dans  la  voie  large  et  spacieuse  ;  ayez  pitié 
l'eux  ;  dites-leur  qu'après  cette  courte  vie  ils  auront  à  souf- 
rir  un  supplice  éternel.  Pour  ceux  qui  marchent  dans  la  voie 
troite,  joignez-vous  à  eux,  allez  ensemble  à  la  béatitude  de 
a  vie  éternelle  ;  ne  tremblez  pas  à  la  vue  des  difficultés  que 
'ous  aurez  à  surmonter,  marchez  au  contraire  avec  joie  en 
lensant  à  la  récompense  magnifique  que  vous  trouverez  dans 
a  patrie.  Je  vous  en  prie,  mes  très-chers  frères,  pensons  à  la 
oie  éternelle  qui  couronnera  la  peine  si  légère  que  les  justes 
»nt  à  supporter  en  cette  vie,  et  craignons  le  supplice  éternel 
[ui  suivra  la  joie  si  passagère  des  pécheurs  (1).  » 

Quand  on  lit  ces  homélies,  dont  nous  n'avons  cité  que  quel- 
les fragments,  on  n'est  plus  étonné  que  les  évêques  voisins 
le  S.  Césaire  les  lui  aient  demandées  pour  les  lire  en  chaire, 
ls  ne  croyaient  pas  pouvoir  donner  à  leurs  peuples  une  ins- 
ruction  plus  solide  ni  plus  à  leur  portée. 

S.  Césaire  a  attaqué  tous  les  vices  et  tous  les  abus,  et  tou- 
ours  avec  la  même  simplicité.  Il  est  entré  dans  un  grand  dé- 


(l)  Append.  Serm.,  lyviii. 


300  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [542] 

tail  sur  les  superstitions  auxquelles  le  peuple  s'adonnail 
encore.  On  dansait  devant  les  églises;  on  jetait  de  grands  cris 
pendant  l'éclipsé  delà  lune,  comme  pour  la  défendre  contre 
le  monstre  qui,  croyait-on,  voulait  la  dévorer;  on  acquit- 
tait des  vœux  aux  arbres  et  aux  fontaines  ;  on  chômait  k 
jeudi  en  l'honneur  de  Jupiter;  on  avait  recours  aux  devins 
dans  les  maladies,  et  l'on  portait  sur  soi  certains  caractèreî 
pour  recouvrer  la  santé.  S.  Césaire  dit  que  quand  un  chrétiei 
est  malade,  il  doit  recevoir  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ 
et  ensuite  l'onction  des  infirmes  pour  la  guérison  du  corps  e 
de  l'âme.  On  voit  ici  qu'on  donnait  alors  le  Viatique  avant  l'ex 
trême-onction  :  nous  verrons  souvent  dans  la  suite  qu'on  don 
nait  l'extrême-onction  avant  le  Viatique.  On  attribue  à  S.  Gé 
saire  un  sermon  sur  les  superstitions  auxquelles  les  païens  e 
quelques  chrétiens  se  livraient  au  commencement  de  janvier 
Le  saint  évêque  y  déplore  l'aveuglement  de  ceux  qui  en  ce 
jours  prenaient  des  figures  obscènes  et  monstrueuses,  et  cou 
raient  les  rues  déguisés  en  bêtes  ou  en  femmes,  comme  le 
idolâtres  (1).  Telle  est  l'origine  honteuse  des  mascarade 
qu'on  fait  encore  à  peu  près  dans  le  même  temps. 

S.  Césaire  a  écrit  plusieurs  homélies  sur  la  pénitence,  su 
l'ivrognerie  et  contre  ceux  qui  sortent  de  l'église  avant  1 
fin  de  la  messe.  Il  y  remarque  que  ceux  que  l'on  mettai 
en  pénitence  publique  recevaient  un  cilice,  ne  buvaient  pa 
de  vin  et  ne  mangeaient  pas  de  chair,  s'ils  n'y  étaiec 
obligés  par  maladie  (2).  En  parlant  contre  l'ivrognerie,  il  dé 
clame  avec  force  contre  l'abus  qui  s'était  introduit  de  boir 
plusieurs  coups  à  la  fin  du  repas  en  l'honneur  des  anges  € 
des  saints  (3). 

Nous  ne  devons  pas  omettre  que  dans  ces  homélies  ce  sair 
évêque  établit  clairement  la  foi  dans  le  purgatoire  :  il  d 

(1)  Les  paysans,  au  commencement  de  janvier  ou  à  la  fin  de  décembre,  célébraiei 
la  fête  de  leur  dieu  Mithras,  et  prenaient  la  forme  de  divers  animaux,  comme  poi 
représenter  les  constellations  du  zodiaque. 

(2)  Hom.  i  inter  Baluzianas.  —  (3)  Hom.  vi  inter  Baluzianas. 


42]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  301 

ue  ce  feu/ destiné"  à  expier  les  péchés  légers,  est  unepeine 
lus  sensible  que  toutes  celles  de  cette  vie  (1). 

S.  Gésaire  eut  plusieurs  disciples,  dont  les  plus  célèbres 
irent  :  l'abbé  Gilles,  que  nous  croyons  être  S.  Gilles  dont 
dus  avons  parlé;  Florien,  qui  fut  moine  de  Roman-Moustier , 
;  dont  il  nous  reste  quelques  lettres  (2),  et  S.  Theudérius, 
jlgairement  S.  Gherf,  qui  fonda  plusieurs  monastères.  Il 
ait  né  d'une  famille  noble  de  la  province  de  Vienne.  Après 
/oir  distribué  son  patrimoine  aux  pauvres,  il  vint  trouver 
.  Gésaire ,  dans  l'espérance  qu'à  sa  recommandation  il  serait 
deux  reçu  dans  le  monastère  de  Lérins.  Mais  S.  Gésaire  le 
?tint  près  de  lui  et  l'ordonna  diacre  (3). 

Theudérius,  après  s'être  perfectionné  dans  la  pratique  des 
3rtus  chrétiennes,  retourna  à  Vienne,  où  il  éleva  d'abord 
rès  de  la  ville  un  petit  oratoire  en  l'honneur  de  S.  Eusèbe 
e  Verceil.  Ensuite,  le  nombre  de  ses  disciples  croissant  tous 
s  jours  ,  il  bâtit  jusqu'à  quatre  monastères  sur  le  territoire 
3  Vienne.  C'était  la  coutume  de  cette  ville  d'avoir  toujours 
uelque  saint  moine  reclus  (4).  La  place  étant  venue  à 
aquer,  Philippe,  évêque  de  Vienne,  jeta  les  yeux  sur  S.  Theu- 
érius  et  l'enferma  dans  une  cellule  près  de  l'église  de 
aint-Laurent.  Il  vécut  encore  douze  ans  dans  ce  nouveau  genre 
e  vie.  Il  fut  enterré  dans  le  monastère  qu'il  avait  bâti  en 
honneur  de  la  Ste  Vierge,  et  qui  de  son  nom  a  été  appelé 
'aint-Cherf.  S.  Theudérius  ou  S.  Gherf  est  honoré  le  29  oc- 
Dbre. 

Auxanius  fut  le  successeur  de  S.  Gésaire  sur  le  siège 
'Arles.  Ihécrivit  au  pape  Vigile  quelque  temps  après  son  élec- 
ion  ;  le  prêtre  Jean  et  le  diacre  Térédius  étaient  porteurs  de  sa 
sttre,  par  laquelle  il  donnait  au  pape  avis  de  son  ordination  et 

(1)  Homil.  vin  in  Biblioth.  PP. 

(2)  Ces  lettres  sont  adressées  à  S.  Nicet  de  Trêves.  On  trouve  un  Florien  abbé  de 
iérins  en  ce  temps-là  :  ce  pouvait  être  le  même. 

(3)  Adon.  Vit.  Theuderii,  ap.  Mabill. — (4)  S.  Léonien  avait  été  longtemps  reclus 
•  Vienne. 


302  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [543 

lui  demandait  le  pallium.  Vigile ,  en  le  félicitant  de  soi 
élévation  sur  ce  grand  siège,  l'exhorta  à  imiter  les  vertus  di 
son  prédécesseur  et  à  demeurer  inviolablement  attaché  au: 
décrets  du  Saint-Siège  (1).  Mais  quant  au  pallium  et  aux  au 
très  distinctions  qu'Auxanius  demandait,  il  répondit  qu'il  n 
pouvait  les  accorder  sans  le  consentement  de  l'empereur  (%) 
Cet  empereur  était  Justinien,  prince  adroit  et  puissant  ,  entre 
prenant  et  heureux ,  qui  s'était  rendu  la  terreur  des  Vandale 
et  des  Goths  autant  par  sa  prudence  que  par  la  valeur  d 
ses  généraux',  qu'il  savait  bien  choisir.  Ces  généraux  lui  ga 
gnaient  des  batailles  et  faisaient  des  conquêtes,  tandis  qu' 
s'occupait  à  faire  des  lois.  Il  n'aurait  rien  manqué  à  sa  gloin 
si,  content  de  protéger  l'Église,  il  n'eût  pas  entrepris  de  ] 
gouverner,  ou  s'il  se  fût  lui-même  laissé  moins  gouverner  pa 
sa  femme  Théodora.  Vigile,  qui  avait  obtenu  le  souverai 
pontificat  par  les  intrigues  de  cette  princesse,  faute  qu'il  r< 
para  et  expia  dans  la  suite,  craignit  de  choquer  l'empereur  s' 
accordait  le  pallium  à  un  évêque  de  la  Gaule  sans  son  agi 
ment.  On  pria  Bélisaire  de  négocier  cette  affaire. 

Ce  grand  capitaine,  encore  plus  célèbre  dans  l'histoire  pî 
l'ingratitude  de  ses  maîtres  que  par  les  services  signait 
qu'il  leur  rendit,  faisait  alors  la  guerre  en  Italie  pour  Just 
nien.  Il  écrivit  à  ce  prince  en  faveur  de  l 'évêque  d'Arles 

(1)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  270.  —  Labb.,  t.  V,  p.  319. 

(2)  Il  est  difficile  d'expliquer  pourquoi  on  demandait  le  consentement  de  Ter 
pereur  pour  donner  le  pallium.  Quelques  savants  ont  cru  en  trouver  la  raison  i 
prétendant  que  le  pallium  dans  sa  première  origine  était  un  ornement  profan 
que  les  empereurs  accordaient  par  distinction  à  des  seigneurs.  Le  P.  Cantel,  jésuit 
réfute  ce  sentiment,  et  montre  qu'on  n'a  demandé  le  consentement  de  Tempère 
pour  donner  le  pallium  que  lorsque  Rome  était  soumise  aux  Grecs,  et  qu'il  s' 
gissait  d'accorder  cette  prérogative  à  des  évêques  sujets  d'un  prince  étranger.  1 
savant  P.  Garnier  est  du  même  sentiment  :  d'où  ces  auteurs  concluent  que  si  1 
papes  ont  quelquefois  voulu  avoir  l'agrément  de  .l'empereur  pour  donner  le  palliw 
ils  ne  l'ont  fait  que  par  une  déférence  politique  et  pour  ôter  à  l'empereur  tout  li< 
de  soupçonner  qu'ils  voulussent  contre  ses  intérêts  s'appuyer  de  la  protection  < 
nos  rois,  qui  demandaient  ces  grâces  pour  quelques-uns  de  leurs  évêques.  1 
P.  Daniel  donne  une  autre  raison.  Il  dit  que  les  papes  en  ont  agi  ainsi  parce  qi 
les  empereurs  prétendaient  avoir  des  droits  sur  les  anciens  royaumes  des  Visigotl 
et  des  Bourguignons.  Mais  est-il  probable  que  nos  rois  eussent  paru  autoriser  c 
chimériques  prétentions,  en  permettant  à  leurs  sujets  de  solliciter  le  consentemei 
de  l'empereur?  V.  Cant.  Eût.  metrop. 


[543]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  303 

et  dès  que  l'empereur  eut  donné  son  agrément,  Vigile  dé- 
clara Àuxanius  vicaire  du  Saint-Siège  dans  les  Gaules  (1).  En 
conséquence,  il  lui  donne  le  pouvoir  de  terminer  avec  un 
nombre  compétent  d'évèques  les  différends  qui  pourraient 
naître  dans  l'épiscopat.  «  Mais,  dit-il,  si,  ce  qu'à  Dieu  ne 
plaise,  il  s'élève  des  disputes  sur  la  foi,  ou  s'il  y  a  quelque 
cause  qui,  attendu  l'importance  de  l'affaire,  ne  puisse 
être  terminée  sur  les  lieux,  après  un  examen  exact  en- 
voyez-nous-en la  relation  et  réservez-en  le  jugement  au 
Siège  apostolique.  »  Le  pape  défend  aussi  à  tous  les  évê- 
ques  des  Gaules  d'entreprendre  quelque  long  voyage  sans 
avoir  des  lettres  formées  de  l'évêque  d'Arles  ,  selon  le 
privilège  accordé  à  Gésaire.  Nous  avons  expliqué  ailleurs 
la  teneur  et  l'usage  des  lettres  formées.  Il  ajoute  à  Auxanius 
que,  pour  honorer  la  qualité  de  vicaire  du  Saint-Siège  dans  sa 
personne,  il  lui  accorde  l'usage  du-pallium,  lui  recomman- 
dant de  prier  pour  l'empereur,  pour  l'impératrice,  pour 
Bélisaire,  et  surtout  d'employer  son  crédit  pour  entretenir 
la  paix  entre  Justinien  et  Ghildebert  (2).  La  lettre  est  datée 
du  22  mai  de  la  quatrième  année  après  le  consulat  de  Basile, 
c'est-à-dire  l'an  545. 

Le  même  jour  le  pape  écrivit  deux  autres  lettres.  La 
première  est  adressée  aux  évêques  des  Gaules  du  royaume 
de  Ghildebert,  et  à  ceux  qui,  selon  l'ancienne  coutume, 
étaient  ordonnés  par  l'évêque  d'Arles,  pour  les  avertir  qu'il 
a  établi  Auxanius  son  vicaire,  et  qu'ainsi  tous  seront  obligés 
de  se  rendre  aux  conciles  qu'il  indiquera  et  de  prendre 
de  lui  des  lettres  formées.  Dans  la  seconde  Vigile  donne 
à  Auxanius  une  commission  spéciale  pour  juger,  avec  un 
nombre  compétent  de  prélats,  la  cause  de  l'évêque  Prétex- 
tât, sur  la  conduite  duquel  il  lui  avait  porté  ses  plaintes. 

(1)  Nouvelle  preuve  évidente  que  les  vicariats  apostoliques  venaient  d'une  con- 
cession du  Saint-Siège.  Les  évêques  sont  égaux  entre  eux  par  leur  ordination  :  si 
l'un  d'eux  à  un  pouvoir  supérieur  à  celui  des  autres,  ce  pouvoir  vient  du  chef  de 
l'Eglise. 

(2)  Conc.  GalL,  t.  I,  p.  272.  —  Labb.,  t.  V,  p.320. 


304  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [543] 

Il  l'exhorte  à  faire  des  règlements  pour  empêcher  que  les 
laïques  ne  soient  promus  si  précipitamment  aux  ordres 
sacrés  (1)  :  ce  qui  fait  croire  qu'on  accusait  Prétextât  d'une 
ordination  prématurée.  C'est  apparemment  l'évêque  d'Apt 
de  ce  nom  qu'on  trouve  au  quatrième  concile  d'Orléans,  ou 
Prétextât  de  Cavaillon,  qui  envoya  un  député  au  cinquième 
concile  de  la  même  ville. 

Vigile  ne  fait  dans  ces  lettres  aucune  mention  de  Théo- 
debert,  à  qui  la  province  d'Arles  était  cependant  soumise 
en  partie.  Il  jugea  sans,  doute  que  ce  prince,  qui  n'étail 
pas  en  bonne  intelligence  avec  l'empereur  et  qui  savail 
mieux  que  personne  soutenir  les  droits  de  sa  couronne,  ne 
serait  pas  d'humeur  à  souffrir  que  ses  sujets  reconnusses 
l'autorité  d'un  vicaire  du  Saint-Siège  nommé  dans  ses  États 
à  la  recommandation  de  son  ennemi. 

Childebert,  moins  heureux  à  la  guerre  que  son  neveu, 
était  plus  pacifique.  Il  ne  demeura  cependant  pas  longtemps 
oisif.  Comme"  il  entretenait  la  paix  avec  Justinien,  il  ne 
voulut  point  profiter  des  troubles  de  l'Italie.  Mais,  ayant  joinl 
ses  forces  à  celles  de  Clotaire  (2) ,  avec  qui  il  s'était  récon- 
cilié, comme  nous  l'avons  dit,  il  porta  la  guerre  en  Espagne 
contre  les  Visigoths.  Il  entra  sans  résistance  dans  ces  pro- 
vinces et  alla  mettre  le  siège  devant  Saragosse.  Les  habi- 
tants, ne  comptant  pas  sur  leurs  forces  pour  résister  à  l'ar- 
mée franque,  s'appliquèrent,  par  le  conseil  de  leur  évêque^ 
à  obtenir  le  secours  du  Ciel.  Ils  jeûnèrent,  se  revêtirent  du 
cilice  et  firent  porter  en  procession  autour  de  leurs  mu- 
railles la  tunique  de  S.  Vincent,  célèbre  martyr  et  patron 
de  la  ville.  Les  femmes  en  habit  de  deuil  et  les  cheveux 
épars,  comme  c'était  la  coutume  aux  funérailles  de  leurs 
maris,  suivaient  la  procession  en  se  frappant  la  poitrine  :  ma- 

(1)  Labb.,  t.  V,  p.  321,  322,  —  Il  y  a  dans  le  latin,  saltu  prœcipiti  :  on  nomme 
communément  une  ordination  per  saltum  celle  par  laquelle  quelqu'un  est  promu 
aux  ordres  supérieurs  sans  avoir  reçu  les  inférieurs. 

(2)  Crreg.  Tur.,  1.  III,  c.  xxix. 


543]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  305 

aière  nouvelle,  mais  efficace  de  défendre  une  place  assiégée. 
Les  Francs,  qui  ne  distinguaient  pas  de  loin  ce  qui  se  passait 
sur  les  murailles  de  la  ville,  se  persuadèrent  d'abord  qu'on 
■aisait  des  maléfices  contre  eux;  mais,  ayant  appris  la  vérité 
i'un  prisonnier,  ils  ne  crurent  pas  devoir  combattre  contre 
.e  saint  martyr  dont  on  implorait  la  protection  avec  tant 
le  ferveur  et  d'humilité.  Childebert  manda  l'évêque  de  Sa- 
^agosse,  qui  vint  le  trouver  avec  de  riches  présents;  mais 
e  prince  lui  demanda  quelque  chose  de  plus  précieux.  Il 
e  pria  de  lui  donner  des  reliques  de  S.  Vincent,  et  l'évêque 
ui  offrit  l'étole  ou  la  tunique  (1)  de  ce  saint  martyr. 

Le  roi,  plus  glorieux  de  cette  conquête  qu'il  ne  l'eût  été 
le  la  prise  de  la  ville,  revint  dans  les  Gaules.  Cette  relique 
ùt  tout  le  fruit  de  son  expédition,  elle  le  consola  d'un  échec 
[u'il  reçut  au  passage  des  Pyrénées  et  dont  il  eut  sa  re- 
ranche  l'année  suivante.  Lorsque  cette  guerre  fut  terminée, 
l  fît  commencer,  dans  une  prairie  près  de  Paris,  une  magni- 
ique  église  en  l'honneur  de  S.  "Vincent,  afin  d'y  placer  la 
unique  du  saint  ;  il  y  fît  bâtir  également  peu  de  temps  après 
m  monastère.  C'est  l'origine  de  la  célèbre  abbaye  nommée 
epuis  Saint-Germain  des  Prés,  qui  devint,  comme  le  chef- 
ieu  de  la  congrégation  de  Saint -Maur.  C'est  vers  cette 
I  aême  époque  que  ce  saint  accomplit  sa  mission  d'Italie  en 
'rance. 

On  assure  qu'un  évêque  du  Mans,  qui  selon  toute  appa- 
rence était  S.  Innocent,  ayant  entendu  parler  avec  éloge 
e  la  règle  de  S.  Benoît  et  des  vertus  de  ceux  qui  la  p  ra- 
quaient ,  députa  à  ce  saint  patriarche ,  qui  vivait  encore, 
our  lui  témoigner  le  désir  d'avoir  une  colonie  de  ses 
isciples  dans  son  diocèse,  où  il  s'offrait  de  leur  bâtir  un 
lonastère,  et  que  &.  Benoît  y  envoya  Maur,  Fauste,  Sim- 


(1)  Gesta  Francor.,  c.  xxvi.  —  Les  anciens  auteurs  nomment  indifféremment 
îtte  relique  stoîam  ou  tunicam.  Stola  signifie  en  effet  une  robe  aussi  bien  qu'une 
:ole.  On  ne  peut  décider,  parce  qu'on  n'a  plus  cette  relique  dans  l'église  de  Saint- 
ermain,  où  elle  avait  été  placée, 

TOME  II.  20 


» 


306  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [54  S 

plice,  Antoine  et  Constantin.  On  ajoute  que  ces  saints  reli 
gieux,  ayant  appris  en  chemin  la  mort  de  S.  Benoît,  continué 
rent  néanmoins  leur  route;  mais  qu'arrivés  à  Orléans,  il 
apprirent  aussi  la  mort  de  l'évêque  du  Mans  qui  les  avai 
mandés,  et  furent  avertis  que  son  successeur  n'était  pa 
disposé  à  les  recevoir.  On  dit  enfin  qu'un  seigneur  de  1 
cour  de  Théodebert  leur  donna  la  terre  de  Glanfeuil  ei 
Anjou  et  y  bâtit  un  monastère,  dans  lequel  il  fît  entrer  soi 
fils  Bertulfe,  âgé  seulement  de  huit  ans,  et  où  lui-même  pei 
de  temps  après  embrassa  la  vie  monastique. 

Ces  faits  ne  sont  pas  à  l'abri  de  toute  critique  ;  mais  la  mis 
sion  de  S.  Maur  ne  peut  être  révoquée  en  doute.  Elle  es 
fondée  sur  d'anciens  monuments  qui  la  prouvent  ou  la  sup 
posent. 

S.  Maur  avait  été  mis  par  son  père  Eutychius,  dès  l'agi 
de  douze  ans,  sous  la  conduite  de  S.  Benoît.  Il  fit  de  si  ra 
pides  progrès  dans  la  vertu  sous  un  si  habile  maître,  que 
malgré  sa  jeunesse,  il  fut  jugé  digne  d'être  associé  au  gou 
vernement  du  monastère.  Il  ne  s'en  distingua  pas  moins  pa 
une  obéissance  prompte  et  aveugle  aux  ordres  de  son  supé 
rieur,  et  Dieu  en  fit  éclater  le  mérite  par  un  miracle.  Ui 
jour  le  jeune  Placide,  aussi  disciple  de  S.  Benoît,  étant  alL 
puiser  de  l'eau  près  du  monastère  ,  tomba  dans  un  lac 
Benoît,  qui  était  dans  sa  cellule,  ayant  connu  à  l'instant  ce 
accident  par  révélation,  commanda  à  Maur  d'aller  aussitô 
tirer  Placide  du  lac  où  il  se  noyait.  Maur  y  courut  avec  em 
pressement,  et,  porté  pour  ainsi  dire  sur  les  ailes  de  l'o 
béissance,  il  marcha  sur  l'eau  comme  sur  la  terre  ferme 
C'est  S.  Grégoire  le  Grand  qui  rapporte  ce  miracle  (1). 

On  prétend  que  S.  Maur  mourut  à  l'âge  de  soixante-douz( 
ans;  il  en  avait  passé  vingt  sous  la  conduite  de  S.  Benoî 
et  quarante  à  Glanfeuil  :  ainsi  il  faut  rapporter  sa  mort  i 
l'an  584.  Il  y  avait  quatre  églises  dans  ce  monastère.  La  prin 

(1)  Greg.  Dial.,  1.  II,  c.  vil. 


[543]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  307 

cipale ,  dans  laquelle  les  moines  faisaient  l'office  divin,  était 
celle  de  Saint-Pierre;  la  seconde  était  dédiée  à  S.  Martin;  la 
troisième,  à  S.  Séverin,  et  la  quatrième,  bâtie  en  forme  de 
tour  carrée  à  la  porte  du  monastère,  était  sous  l'invocation  de 
S.  Michel  (1).  Le  monastère  de  Glanfeuil  a  été  surtout  connu 
sous  le  nom  de  Saint-Maur  sur  Loire.  Les  reliques  de  ce 
saint  abbé,  ayant  été  transférées  au  monastère  de  Saint-Pierre 
des  Fossés,  dont  nous  rapporterons  la  fondation,  lui  donnè- 
rent son  nom  :  c'est  Saint-Maur  des  Fossés  prés  de  Paris.  Ce 
monastère  devint  plus  tard  une  collégiale  de  chanoines  ;  il 
n'existe  plus  aujourd'hui. 

Si  S.  Maur  de  Glanfeuil  est,  comme  on  l'assure,  le  disciple 
de  S.  Benoît,  il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'ait  établi  en  ce  lieu 
la  règle  de  ce  saint  patriarche ,  et  comme  cette  règle  a  été 
dans  la  suite  adoptée  par  tous  les  monastères  des  Gaules, 
on  ne  peut  se  dispenser  de  la  faire  ici  connaître,  pour  donner 
une  idée  d'un  institut  dont  nous  serons  souvent  obligés 
de  parler. 

S.  Benoît  distingue  d'abord  quatre  sortes  de  moines  :  les 
cénobites,  qui  vivaient  en  communauté  sous  la  conduite  d'un 
supérieur;  les  anachorètes,  qui,  après  s'être  longtemps 
éprouvés  dans  une  communauté,  se  retiraient  pour  vivre 
en  solitaires  (2);  les  sarabaïtes  (3),  qui  vivaient  seuls  ou 
deux  ou  trois  ensemble  sans  supérieur  et  sans  autre  règle 
que  leur  volonté  propre;  enfin,  les  vagabonds,  qui,  sans  se 
fixer  en  aucun  lieu,  couraient  de  monastère  en  monastère 
et  de  province  en  province;  esclaves  de  leurs  plaisirs  et 
enclins  à  la  gourmandise ,  ils  étaient  par  là  pires  encore  que 
les  sarabaïtes.  S.  Benoit  avertit  qu'il  n'écrit  sa  règle  que  pour 

(1)  Nous  trouvons  souvent  dans  cette  histoire  des  oratoires  dédiés  aux  saints 
anges  à  la  porte  des  villes  ou  des  monastères  :  on  voulait  par  là  faire  entendre  que 
les  anges  étaient  les  gardiens  de  ces  lieux. 

(2)  Cassian.  Coll.  XVIII. 

(3)  On  croit  que  sarabaïte  est  un  mot  égyptien.  Cependant  S.  Jérôme  dit  qu'en 
Egypte  on  nommait  ces  moines  remoboth,  ou,  selon  quelques  exemplaires,  rennuoth. 
Nous  croyons  que  la  dernière  leçon  est  la  vraie  :  car  plusieurs  auteurs  latins  les 
appellent  renuitœ. 


308  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [545] 

les  cénobites.  Il  la  commence  en  exposant  ainsi  les  devoirs 
de  l'abbé  (1).      Ml\  . Vi 

Il  doit  toujours  se  souvenir  que  le  nom  d'abbé  signifie 
père y  et  qu'il  rendra  compte  au  jugement  de  Dieu  de  la 
conduite  des  âmes  qui  lui  ont  été  confiées.  Il  est  obligé  d'ins- 
truire par  ses  discours  et  d'édifier  par  sa  conduite.  Il  ne  doit 
pas  faire  acception  des  personnes  dans  le  gouvernement  des 
affaires,  ni  préférer  les  gens  de  qualité  aux  autres.  Il  doit, 
pour  corriger  les  coupables,  joindre  les  caresses  aux  me- 
naces et  la  tendresse  du  père  à  la  sévérité  du  maître ,  et 
surtout  ne  point  préférer  le  soin  du  temporel  à  celui  du  spi- 
rituel. Il  semble  que  S.  Benoît  ait  prévu  les  grandes  richesses 
qu'auraient  un  jour  ses  enfants,  et  qu'il  ait  voulu  les  pré- 
munir contre  les  dangers  auxquels  elles  exposent. 

Dans  les  affaires  l'abbé  doit  assembler  le  chapitre  et  prendre 
le  conseil  des  frères;  mais  il  demeure  toujours  maître  de 
suivre  l'avis  qu'il  jugera  le  meilleur. 

S.  Benoît  recommande  ensuite  aux  moines  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  chrétiennes,  et  particulièrement  de  l'obéis- 
sance, du  silence  et  de  l'humilité,  dont  il  marque  douze  de- 
grés, qui  sont  en  effet  ceux  de  la  perfection.  Il  veut  que  les 
bouffonneries  et  les  plaisanteries  qui  ne  peuvent  qu'exciter 
le  rire,  soient  absolument  interdites  à  des  religieux. 

Gomme  l'office  divin  doit  être  la  plus  douce  et  la  plus 
sainte  occupation  d'un  moine,  S.  Benoît  entre  à  ce  sujet  dans 
un  grand  détail.  En  hiver,  on  chantait  matines  à  deux  heures 
du  matin.  L'office  était  composé  de  douze  psaumes  et  de  trois 
leçons  tirées  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  des  ho- 
mélies  des  saints  Pères  ;  chacune  était  suivie  d'un  répons  ana- 
logue à  la  leçon.  Pendant  l'été,  il  ne  marque  pas  l'heure  pré- 
cise du  lever  ;  il  veut  seulement  qu'on  le  règle  de  telle  sorte 
qu'il  y  ait  un  léger  intervalle  entre  les  vigiles  et  les  matines. 

Quant  à  la  discipline  monastique,  S.  Benoît  ordonne  que 

(1)  Regul.  S.  Bened.,  c.  \,  H,  iv,  v,  etc. 


[545]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  309 

dans  les  communautés  on  établisse  des  officiers  subalternes, 
qui  veillent  chacun  sur  dix  moines  :  c'est  pourquoi  il  les 
nomme  doyens,  decani  ;  que  tous  les  frères  couchent  tout 
habillés  dans  le  même  dortoir,  mais  dans  des  lits  séparés  ; 
qu'il  y  ait  de  la  lumière  pendant  toute  la  nuit  dans  le  dor- 
toir ;  qu'on  punisse  les  fautes  par  la  séparation  de  la  table 
commune,  par  l'excommunication  et  la  flagellation,  si  l'ex- 
communié ne  se  corrige  point.  Pour  les  jeunes  gens  qui  ne 
connaissent  pas  combien  l'excommunication  est  une  peine 
grave,  il  veut  qu'on  commence  par  la  flagellation;  qu'on 
chasse  du  monastère  les  incorrigibles,  et,  s'ils  demandent 
ensuite  à  y  rentrer,  qu'on  les  reçoive  jusqu'à  trois  fois. 

Un  moine  ne  doit  rien  avoir  en  propre ,  pas  même  un  livre 
ou  un  style  (1)  ;  mais  l'abbé  doit  fournir  à  tous  le  nécessaire  : 
comme  les  vêtements,  un  couteau,  un  style,  des  tablettes,  une 
aiguille  à  coudre.  Chacun  fera  la  cuisine  à  son  tour  par  se- 
maine. La  règle  recommande  sur  toutes  choses  d'avoir  un 
soin  particulier  des  malades,  des  vieillards  et  des  enfants. 

Pour  la  nourriture  des  moines ,  elle  ordonne  deux  portions 
cuites,  et  en  permet  une  troisième  de  légumes  ou  de  fruits 
croissant  sur  les  lieux.  Elle  marque  une  livre  de  pain  par 
jour  (2).  La  chair  des  animaux  à  quatre  pieds  (3)  est  dé- 
fendue à  tous,  excepté  aux  malades. 

(1)  Le  style  servait  à  écrire  sur  des  tablettes  enduites  de  cire,  selon  l'usage  de  ce 
temps -là.  Un  des  bouts  du  style  était  plat ,  et  l'on  s'en  servait  pour  effacer  ce 
qu'on  voulait  changer.  C'est  en  ce  sens  qu'Horace  a  dit  :  Sœpe  stylum  vertas,  c'est- 
à-dire,  Effacez  souvent. 

(2)  On  ne  sait  pas  de  quel  poids  était  la  livre  de  pain  que  marque  S.  Benoît. 
L'assemblée  d'Aix-la-Chapelle,  qui  voulait  établir  dans  tous  les  monastères  la  règle 
de  ce  saint  instituteur,  ordonna  que  la  livre  de  pain  qu'on  donnerait  à  un  moine 
pèserait  30  sous  avant  que  d'être  cuite  ,  c'est-à-dire  qu'elle  devait  peser  18  onces 
Car  20  sous  pesaient  12  onces  ou  une  livre.  (Plus  tard  la  livre  fut  fixée  à  16  onces* 
ou  5C0  grammes  des  mesures  aujourd'hui  en  usage,  l'once  représentant  un  peu  plus 
de  31  grammes.) 

(3)  Comme  S.  Benoît  ne  parle  que  de  la  chair  des  animaux  à  quatre  pieds,  quel- 
ques-uns ont  cru  qu'il  -permettait  à  ses  moines  la  chair  des  animaux  à  deux  pieds. 
On  voit  en  effet  par  plusieurs  exemples  que  les  personnes  de  piété  se  faisaient 
moins  de  scrupule  de  manger  de  la  chair  des  oiseaux  que  de  manger  de  la  chair 
des  animaux  à  quatre  pieds  :  peut-être  parce  qu'on  croyait  que  les  oiseaux  ayant 
été  produits  des  eaux,  comme  l'Écriture  le  marque,  leur  nature  approchait  plus 
de  celle  des  poissons.  Il  paraît  même  que  d'anciens  abbés  autorisaient  la  chair  des 


310  HISTOIRE  DE  L  ÉGLISE  CATHOLIQUE  [545] 

«  Pour  la  boisson,  dit  S.  Benoît,  quoique  nous  lisions 
que  le  vin  n'est  pas  pour  les  moines,  cependant,  comme 
il  est  difficile  de  persuader  cette  maxime  aux  moines  de  ce 
temps,  il  faut  du  moins  avoir  soin  qu'ils  en  boivent  peu  :  » 
ainsi  il  marque  une  hémine  (1)  par  jour.  C'est  une  mesure 
qu'on  ne  connaît  plus;  mais  ce  que  dit  S.  Benoit,  qu'il  faut 
boire  peu  de  vin,  fait  juger  qu'elle  n'était  pas  grande.  Il  veut 
qu'on  règle  tellement  les  heures  des  repas  que  le  souper 
puisse  se  faire  de  jour,  et  sans  qu'il  soit  besoin  de  lu- 
mière. 

Le  silence  est  recommandé  en  tout  temps,  mais  particu- 
lièrement après  complies.  On  n'accorde  aucune  récréation 
aux  moines  :  on  veut  seulement  qu'après  le  repas  ils  s'as- 
semblent en  commun  pour  lire  les  conférences  ou  les  Yies 
des  Pères  du  désert,  ou  quelque  autre  livre  édifiant. 

Tout  le  temps  de  la  journée  qui  n'est  point  employé 
au  chœur  et  à  la  lecture,  est  destiné  au  travail  des  mains. 
S.  Benoît  le  croit  si  essentiel  à  la  vie  monastique,  qu'il  veut 
même  qu'on  donne  aux  infirmes  un  travail  proportionné 
à  leur  faiblesse.  Il  ne  recommande  pas  l'hospitalité  avec 
moins  d'instances,  et,  afin  que  les  hôtes  soient  mieux  traités, 
il  ordonne  qu'ils  mangent  à  la  table  de  l'abbé. 

Quant  aux  habits  des  moines,  S.  Benoît  dit  qu'il  ne  marque 
ni  la  couleur  ni  la  qualité  des  étoffes.  Il  croit  que  dans 
les  lieux  tempérés  il  suffit  d'une  cuculle,  d'une  tunique  et 
d'un  scapulaire  pour  le  travail.  Cependant  chaque  moine 
doit  avoir  deux  de  ces  vêtements,  afin  d'en  pouvoir  changer 
pour  les  laver  et  pour  se  coucher. 

oiseaux  à  la  table  de  leurs  moines  aux  grandes  solennités.  Nous  ne  pouvons  cepen- 
dant nous  persuader  que  S.  Benoît,  en  défendant  l'usage  d'une  nourriture  grossière, 
ait  permis  des  mets  plus  propres  à  flatter  le  goût. 

(1)  Cette  mesure  a  été  interprétée  diversement  selon  le  goût  ou  les  besoins  de 
chacun.  Quelques-uns  ont  cru  qu'elle  ne  contenait  que  7  onces  et  demie  de  vin; 
plusieurs  lui  en  assignent  12  onces  ou  une  livre,  et  d'autres  lui  en  donnent  20  onces 
et  même  davantage.  Il  paraît  certain  par  d'anciens  règlements  monastiques  que 
l'hémine  ne  contenait  que  trois  verres  de  vin  ;  mais  il  est  assez  difficile  de  déter- 
miner la  capacité  de  ces  verres.  Les  trois  mesures  ci-dessus  correspondent  â  24,. 
-°>0  et  65  centilitres  environ  de  nos  mesures  modernes. 


[545]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  311 

Voici  la  manière  de  recevoir  les  postulants.  On  les  fera 
attendre  quatre  ou  cinq  jours  à  la  porte  sans  les  admettre. 
S'ils  persévèrent ,  on  leur  dira  ce  que  la  règle  a  de  plus  dur 
et  on  les  mettra  dans  la  cellule  des  novices.  Pendant  un  an 
d'épreuve  on  leur  lira  plusieurs  fois  la  règle.  Celui  qui  aura 
persévéré  sera  reçu  dans  l'église  en  présence  de  toute  la 
communauté.  Il  promettra  stabilité,  conversion  de  ses  mœurs 
et  obéissance  :  il  écrira  cette  promesse  de  sa  main  et  la 
mettra  lui-même  sur  l'autel.  Alors  on  le  dépouillera  de 
ses  habits  et  on  le  revêtira  de  ceux  de  la  communauté. 
Ainsi,  selon  la  règle  de  S.  Benoît,  on  ne  prenait  l'habit 
monastique  qu'après  le  noviciat. 

Un  père  pouvait  offrir  son  fils  en  bas  âge  pour  être  admis 
dans  le  monastère.  Il  faisait  la  promesse  pour  lui  par  écrit, 
et  il  enveloppait  cet  acte ,  avec  la  main  de  l'enfant  et  avec 
son  offrande,  de  la  nappe  de  l'autel. 

Il  y  avait  souvent  dans  les  monastères  des  prévôts  au- 
dessous  de  l'abbé  et  au-dessus  du  prieur;  mais  comme 
l'ambition  de  ces  prévôts,  qui  s'égalaient  quelquefois  aux 
abbés,  causait  du  trouble,  S.. Benoît  laisse  libre  aux  abbés 
d'en  établir  ou  non.  Il  veut  que  tous  les  moines  se  traitent 
avec  respect  et  charité;  qu'on  donne  à  l'abbé  le  titre  de 
dom  (1)  ou  de  seigneur;  que  les  anciens  nomment  frères 
les  jeunes,  et  que  les  jeunes  appellent  les  anciens  nonnes  (2), 
c'est-à-dire  pères.  Les  prêtres  devaient  être  en  petit  nombre 
dans  le  monastère ,  et  ils  étaient  soumis  comme  les  autres 
aux  observances  monastiques. 

Tel  est  le  précis  de  la  règle  de  S.  Benoît,  qu'on  assure 

(1)  Domnus,  qui  est  un  diminutif  de  dominus,  est  un  titre  d'honneur  qui  a  été 
donné  aux  saints ,  aux  princes,  aux  évêques,  aux  abbés  et  enfin  aux  simples 
moines,  à  qui  il  est  resté.  On  a  aussi  donné  le  titre  de  domna  aux  religieuses,  et 
S.Jérôme,  écrivant  à  une"vierge  consacrée  à  Dieu,  dit  qu'il  convient  de  la  nommer 
dame,  puisqu'elle  est  l'épouse  du  Seigneur.  V.  Hier.,  de  Cust.  virg. 

(2)  S.  Benoît,  pour  expliquer  ce  que  signifie  nonnus,  ajoute  :  quod  intelligitur  pa- 
terna  reverentia.  On  croit  cependant  que  ce  mot  égyptien  signifie  seulement  moine 
ou  religieux,  et  c'est  en  ce  sens  qu'on  appelle  nonnes  les  religieuses  ;  mais  ce  nom 
est  tombé  dans  le  style  familier. 


312  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQI  E  [545] 

avoir  été  établie  par  S.  Maur  au  monastère  de  Glanfeuil.  On 
voit  assez  que  la  piété  et  la  sagesse  l'ont  dictée,  et  il  n'est 
point  surprenant  qu'une  règle  si  pleine  de  l'esprit  de  Dieu  ait 
conduit  tant  de  saints  moines  à  la  perfection  religieuse. 

On  prétend  que  le  roi  Théodebert  dota  aussi  le  monastère 
de  Glanfeuil,  et  que,  par  estime  pour  le  nouvel  institut,  il 
voulut  que  son  nom  fût  inscrit  parmi  ceux  des  religieux  :  la 
piété  que  montra  ce  prince  sur  la  fin  de  son  règne  rend  le 
fait  moins  incroyable  (1).  La  renommée  de  ses  vertus  royales 
et  chrétiennes  avait  porté  la  gloire  de  son  nom  dans  toute  la 
terre.  C'est  du  moins  l'opinion  qu'en  exprime  S.  Aurélien, 
évêque  d'Arles. 

Aurélien  succéda  à  Auxanius  l'an  546,  et  envoya  aussitôt  un 
député  au  pape  Vigile  avec  des  lettres  de  recommandation  du 
roi  Childebert ,  pour  en  obtenir  le  pallium  et  la  qualité  de  vi- 
caire du  Saint-Siège  dans  les  Gaules.  Le  député  avait  ordre 
d'aller  solliciter  le  consentement  de  l'empereur;  mais  Béli- 
saire  se  chargea  encore  d'écrire  à  ce  prince,  et,  sur  sa  réponse, 
Vigile  donna  le  pallium  à  Aurélien  et  le  nomma  son  vicaire 
dans  les  Gaules  avec  les  prérogatives  accordées  à  Auxanius  ^2). 
La  lettre  de  Vigile  à  Aurélien  est  du  23  août  de  la  cinquième 
année  après  le  consulat  de  Basile,  c'est-à-dire  l'an  546.  Il  écri- 
vit une  circulaire  à  tous  les  évêques  du  royaume  de  Childebert, 
pour  les  avertir  qu'il  avait  nommé  Aurélien  son  vicaire. 

Ce  saint  évêque , quelque  temps  après  son  ordination,  écrivit 
au  roi  Théodebert  une  lettre  qui  contient  un  magnifique  éloge 
de  ce  prince.  Il  loue  particulièrement  sa  piété ,  sa  bonté 
pour  les  malheureux  et  sa  libéralité  envers  tous.  Ces  vertus, 
par  lesquelles  on  règne  sur  les  cœurs,  font  les  rois  plus  que 
le  sceptre  et  la  couronne.  Aurélien  joint  à  ces  louanges  des 


(1)  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Maur  est  le  seul  qui  rapporte  ces  faits.  Il  ne  nous 
paraît  même  pas  certain  que  Théodebert,  roid'Austrasie,  eût  un  domaine  en  Anjou. 
Le  silence  des  historiens  à  ce  sujet  balance  fort  l'autorité  d'un  écrivain  en  qui 
d'ailleurs  on  remarque  tant  d'erreurs. 

(2)  On  voit  par  là  que  le  pouvoir  des  évêques  d'Arles  n'était  pas  attaché  à  leur 
siège,  comme  celui  des  patriarches  en  Orient. 


[545]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  313 

avis  salutaires  :  il  exhorte  Théodebert  à  songer  sans  cesse  au 
jour  des  vengeances  du  Seigneur ,  à  ce  jour  où  les  rois  ren- 
dront un  compte  si  exact  de  leurs  actions,  où  il  n'y  aura  plus 
de  distinction  de  rang  et  de  naissance,  mais  seulement  de 
mérites,  et  où  les  richesses  ne  serviront  de  rien,  excepté  celles 
qu'on  aura  employées  à  faire  de  bonnes  œuvres  (1). 

Théodebert  était  en  effet  un  grand  roi  et  un  prince  fort 
religieux.  Il  gouvernait  ses  sujets  selon  la  justice,  révérait 
les  évêques,  aimait  les  pauvres  et  soulageait  leur  misère. 
Il  était  surtout  libéral  à  l'égard  des  églises.  Il  remit  à  celles 
d'Auvergne  tous  les  tributs  qu'elles  devaient  au  fisc  royal ,  et 
il  contribua  par  ses  largesses  à  en  faire  bâtir  une  sur  le  tom- 
beau de  S.  Valentin  (2). 

Yalentin  était  un  jeune  solitaire  ,  qui  triompha  généreuse- 
ment de  l'amour  du  monde  et  de  ses  plaisirs.  Apprenant  que 
ses  parents,  qui  étaient  nobles,  l'avaient  fiancé  malgré  lui  à 
l'âge  de  vingt  ans,  il  s'enfuit  de  la  maison  paternelle  etse  retira 
dans  une  caverne  près  de  Langres,  sa  patrie,  où  il  mourut  peu 
de  temps  après  dans  les  exercices  de  la  vie  érémitique.  Il  est 
honoré  le  5  juillet. 

La  piété  n'est  pas  incompatible,  surtout  dans  un  prince, 
avec  l'amour  de  la  gloire  bien  réglé.  Tandis  que  Théodebert 
réparait  par  de  bonnes  œuvres  les  scandales  de  sa  jeunesse, 
il  s'appliquait  à  soutenir  la  réputation  de  ses  armes  par  de 
nouveaux  exploits.  Il  s'était  rendu  la  terreur  des  Goths  et  des 
Grecs,  qui  se  disputaient  l'Italie.  Le  politique  Justinien  le 
craignait  jusque  dans  Gonstantinople.  Théodebert  prenait 
même  le  titre  d'auguste  (3),  en  représailles  de  ce  que  l'em- 
pereur avait  pris  celui  de  francique,  et  il  songeait  à  porter 
la  guerre  dans  l'Orient  lorsqu'un  accident  aussi  funeste 

(1)  Apud  Duchesne.  Sa-ipt.  Franc,  t.  I,  p.  857.  —  (2)  Greg.  Tur.  Hist.,  l.III, 

C.  XXV. 

(3)  On  a  gardé  longtemps  autrefois  au  collège  Louis-le-Grand  une  médaille 
d'or  de  Théodebert  fort  précieuse  par  sa  rareté.  Ce  prince  y  était  représenté  avec 
les  ornements  impériaux  et  cette  légende  :  Dominus  noster  Theudebertus  Augttatus. 
Cette  médaille  fut  enlevée  furtivement. 


314  HISTOIRE  DE  l/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [545] 

qu'imprévu  mit  un  terme  à  tous  ses  projets.  Ce  prince, 
qui  avait  tant  de  fois  affronté  la  mort  dans  les  combats,  la 
trouva  dans  ses  divertissements.  Il  fut  blessé  à  la  chasse  par  la 
chute  d'un  arbre  qu'un  buffle  renversa  sur  lui ,  et  il  mourut 
peu  de  jours  après,  dans  la  quatorzième  année  de  son  règne 
et  la  trente-septième  depuis  la  mort  de  Glovis,  c'est-à-dire 
l'an  548  (1).  Théobalde  ou  Thibauld,  son  fils,  âgé  seulement 
de  douze  ou  treize  ans,  lui  succéda. 

Le  temps  d'une  minorité  est  toujours  un  temps  critique 
pour  ceux  qui  ont  eu  part  aux  affaires  sous  le  règne  précédent. 
Parthénius  ,  ministre  de  Théodebert ,  l'éprouva.  C'était  un 
homme  violent  et  qui,  sur  de  légers  soupçons  inspirés  par  sa 
jalousie  ,  avait  fait  mourir  injustement  sa  femme  Papianille 
et  son  ami  Ausanius.  Il  s'était  rendu  fort  odieux  au  peuple, 
qui  s'en  prenait  à  lui  plutôt  qu'au  roi  des  lourds  tributs  dont 
il  était  surchargé;  mais  le  respect  pour  l'autorité  de  Théo- 
debert avait  suspendu  la  haine  contre  le  ministre.  Elle  n'en 
éclata  qu'avec  plus  de  furie  après  la  mort  du  prince.  Parthé- 
nius fut  contraint  de  s'enfuir  de  Metz,  et,  pour  mettre  sa  vie 
en  sûreté,  il  pria  deux  évêques  de  le  conduire  à  Trêves.  La 
charité  leur  en  fit  un  devoir;  mais,  en  arrivant  avec  lui  dans 
cette  ville ,  ils  trouvèrent  le  peuple  ameuté  et  proférant  des 
menaces  de  mort  contre  leur  protégé.  Voyant  qu'ils  ne  pou- 
vaient faire  entendre  raison  à  cette  populace  irritée ,  ils  se 
réfugièrent  dans  l'église  et  cachèrent  le  malheureux  Par- 
thénius dans  un  coffre  où  l'on  serrait  les  ornements  de  l'autel. 
Le  peuple  força  l'église,  et,  après  avoir  inutilement  cherché 
partout  sa  victime,  il  s'avisa  de  faire  ouvrir  le  coffre,  et  l'on  en 
tira  Parthénius,  qui,  après  plusieurs  outrages,  fut  attaché  à 
une  colonne  et  accablé  de  pierres  (2).  Triste  vicissitude  qui  fait 
de  temps  en  temps  payer  bien  cher  la  faveur  des  princes  à 
ceux  qui  en  ont  abusé,  et  quelquefois  aussi,  malheureusement, 

(1)  Agathias,  1.  I.—  Greg.  Tur.,  1.  III,  c.  xxxvn.— (2)  Greg.  Tur.  Hist.,  l.IH£ 
c.  xxxvi. 


546]  EN  FRANCE.  —   LIVRE  VI.  315 

,  ceux  mêmes  qui  en  ont  bien  usé  !  Mais  on  n'a  guère  vu  que 
j  es  périls  des  grands  emplois  aient  ralenti  l'ambition  qui  les 
ait  rechercher. 

S.  Nicet  de  Trêves  eut  aussi  des  contradictions  à  essuyer 
iprès  la  mort  de  Théodebert  ,  mais  pour  une  cause  bien 
lifférente.  Il  avait  excommunié,  comme  nous  l'avons  dit, 
[uelques  seigneurs  francs  pour  avoir  contracté  des  mariages 
ncestueux  :  abus  que  tant  de  conciles  n'avaient  encore  pu  dé- 
•aciner.  Ils  s'en  plaignirent  avec  aigreur  au  jeune  roi,  insul- 
èrent  à  ce  sujet  le  saint  évêque  et  lui  firent  même  subir  de 
nauvais  traitements.  Pour  examiner  cette  affaire  ,  Thibauld 
convoqua  un  concile  à  Toul  pour  le  1er  juin ,  on  ne  sait 
précisément  en  quelle  année. 

Mappinius  de  Reims,  ayant  reçu  une  lettre  du  roi  qui  lui 
j  ordonnait  de  se  rendre  à  ce  concile,  répondit  qu'il  ne  pouvait 
s'y  trouver  sans  en  connaître  le  sujet  et  les  matières  qu'on 
levait  y  traiter.  Le  roi  les  lui  exposa  par  une  autre  lettre  ;  mais 
Mappinius  la  reçut  trop  tard ,  et  il  écrivit  à  S.  Nicet  pour  s'ex- 
cuser de  ne  s'être  pas  trouvé  à  un  concile  où  il  s'agissait  de 
défendre  ses  intérêts  et  ceux  de  la  religion,  l'assurant  de  la 
part  qu'il  prenait  aux  peines  que  son  zèle  pour  la  discipline 
lui  avait  attirées  (1).  C'est  tout  ce  que  l'on  sait  de  cette  affaire. 

Clotaire  avait  fait  tenir  un  peu  auparavant  une  assemblée 
des  évêques  de  ses  États,  où  se  trouva  Injuriosus  de  Tours. 
Il  est  probable  que  la  Touraine  appartenait  alors,  du  moins  en 
partie,  au  roi  de  Soissons.  Clotaire  demanda  aux  évêques 
assemblés  la  troisième  (2)  partie  des  revenus  de  l'Église.  Ils  y 
consentirent  presque  tous ,  quoique  à  regret.  Mais  Injuriosus 
refusa  et  dit  hardiment  à  Clotaire  :  «  Prince,  si  vous  voulez 
enlever  ce  qui  est  à  Dieu,  Dieu  vous  enlèvera  bientôt  votre 

(1)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  292,  et  apud  Duchesne,  t.  I,  p.  898. 

(2)  C'est  la  première  fois  qu'on  trouve  l'exemple  d'un  secours  demandé  au  clergé 
pour  les  besoins  de  l'État.  Ce  n'était  pas  un  impôt,  puisqu'on  voulait  le  consente- 
ment des  évêques  :  c'était  un  don  gratuit,  que  plusieurs  cependant  faisaient  malgré 
eux. 


316  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [548] 

royaume.  N'est-ce  pas  une  chose  inique?  Vous  qui  devriez 
nourrir  les  pauvres  des  réserves  de  vos  greniers,  vous  voulez 
remplir  vos  greniers  du  bien  des  pauvres  !  »  Ayant  parlé  de  la 
sorte,  il  sortit  brusquement  de  l'assemblée  sans  prendre  congé 
du  roi.  Clotaire  fut  effrayé,  et  craignit  de  s'attirer  l' indignation 
de  S.  Martin  s'il  méprisait  les  remontrances  d'un  de  ses  succes- 
seurs. Il  se  désista  de  son  entreprise  sur  les  biens  de  l'Église, 
et  envoya  vers  Injuriosus  des  personnes  chargées  de  présents 
pour  l'engager  à  implorer  pour  lui  la  protection  de  S.  Martin 
Ainsi  ce  fut  la  fermeté  d'un  seul  évêque  qui  mit  un  frein  à  la  cu- 
pidité d'un  puissant  roi.  Ce  trait  montre  quelle  était  la  vénéra* 
tion  qu'on  avait  pour  S.  Martin. 

Injuriosus  occupa  son  siège  dix-sept  ans.  Il  fit  bâtir  àTouri 
l'église  de  la  Vierge  et  établit  l'usage  de  chanter  tierce  e 
sexte  dans  sa  cathédrale.  Il  mourut  l'an  548,  laissant  dans  li 
trésor  de  son  Église  plus  de  vingt  mille  sous  d'or  (1).  Mais  c< 
n'est  pas  pour  amasser  que  l'Église  a  des  biens  :  aussi  n'a-t-elL 
pas  mis  ce  prélat  au  nombre  des  saints.  Baudin,  référendaire  m 
du  roi  Glotaire,  lui  succéda,  et  distribua  ces  sommes  aux  pau 
vres  :  c'était  le  meilleur  usage  qu'il  pût  en  faire. 

Childebert,  bien  différent  de  Glotaire,  loin  de  vouloir  gros 
sir  son  épargne  des  biens  des  Églises,  faisait  servir  ses  trésor 
à  les  enrichir  et  son  autorité  à  les  protéger.  Il  fonda  plusieur 
hôpitaux  et  plusieurs  monastères  ;  il  dota  entre  autres  ceu: 
que  S.  Aurélien  établit  à  Arles  au  commencement  de  son  épis 
copat,  et  dont  nous  parlerons  bientôt.  Il  s'appliqua,  sur  toute: 
choses,  à  maintenir  par  ses  édits  la  pureté  des  mœurs  et  de  1< 
discipline  dans  ses  États.  Il  publia  à  ce  sujet  une  constitutioi 
pour  extirper  les  dernières  racines  de  l'idolâtrie,  et  faire  ces 
ser  les  profanations  qui  se  commettaient  clans  la  célébratioi 
des  fêtes.  Nous  avons  cru  qu'on  verrait  ici  avec  plaisir  ui 
monument  si  digne  du  zèle  d'un  roi  très-chrétien. 


(1)  Le  sou  «l'or  valait  h  peu  près  100  fr.  de  notre  monnaie. 

(2)  Greg.  Tur.  Hist.,  lib.  X,  c.  ult.,  n.  15,  1G.  —  Le  référendaire  était  un  de 
premiers  officiers  de  nos  rois,  et  c'était  lui  qui  était  le  garde  du  sceau  royal. 


149]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  317 

«  Nous  ordonnons,  dit  Ghildebert,  que  quiconque,  ayant  été 
verti  qu'il  y  a  dans  son  champ  (1)  des  idoles  consacrées  aux 
émons,  ne  les  en  aura  pas  fait  disparaître,  ou  aura  empêché 
îs  évêques  de  les  briser,  soit  obligé  de  donner  caution  et  de 
omparaître  devant  nous ,  afin  que  nous  vengions  l'injure  faite 
Dieu.  On  nous  a  aussi  porté  de  grandes  plaintes  au  sujet  des 
ébauches  auxquelles  se  livre  le  peuple,  au  mépris  de  la  loi 
Le  Dieu,  en  passant  les  nuits  à  boire,  à  chanter  et  à  faire  des 
ouffonneries.  On  ose  même  profaner  par  ces  désordres  les 
3tes  de  Pâques,  de  Noël  et  les  autres  solennités.  On  nous  a 
ncore  représenté  que  la  veille  du  dimanche ,  il  y  a  des  dan- 
euses  (2)  qui  courent  par  les  campagnes  de  maison  en  mai- 
on.  Nous  ne  pouvons  tolérer  de  pareils  désordres,  qui  offen- 
ent  le  Seigneur.  C'est  pourquoi  quiconque  y  retombera 
près  avoir  été  averti  par  les  évêques  et  après  la  publication 
le  ce  présent  édit,  nous  ordonnons  que  s'il  est  esclave,  il  soit 
mni  de  cent  coups  de  fouet  ;  et  s'il  est  libre,  qu'il  soit  mis  en 
)rison.  »  C'est  la  première  ordonnance  de  nos  rois  établissant 
les  peines  temporelles  contre  la  désobéissance  aux  avertis- 
;ements  des  évêques.  Nous  verrons  dans  la  suite  bien  d'autres 
aits  de  ce  genre. 

Mais  autant  un  prince  chrétien  doit  prêter  son  autorité  à  l'É- 
glise pour  lui  soumettre  les  réfractaires,  autant  doit-il  crain- 
Ire,  en  la  protégeant,  d'en  usurper  la  juridiction.  C'est  l'écueil 
contre  lequel  l'empereur  Justinien  se  heurtait,  et  que  Childe- 
bert  sut  toujours  éviter.  Quelques  plaintes  qu'il  eût  reçues 
contre  Marc,  évêque  d'Orléans,  il  en  laissa  le  jugement  à  un 
concile  national,  qui  fut  convoqué  dans  cette  ville  (3)  au  mois 

(1)  Après  la  destruction  des  temples,  il  restait  encore  plusieurs  idoles  dans 
la  campagne ,  parce  qu'on  honorait  les  bornes  des  champs  sous  le  nom  de  dieu 
Terme. 

(2)  Il  y  a  dans  le  latin-bansatrices  :  il  paraît  que  c'est  de  ce  mot  que  s'est  formé 
celui  de  danseuses.  Le  P.  Hardouin,  dans  son  édition  des  Conciles  a  mis  dansatrices, 
sans  avertir  que  les  manuscrits  portent  bansatrices .  Ducange  avait  eu  quelque 
soupçon  qu'il  fallait  lire  balatrices  ou  bansatrices. 

(3)  Comme  Orléans  est  presque  situé  au  centre  de  la  Gaule,  on  jugea  cette  ville 
plus  commode  pour  la  tenue  des  conciles. 


318  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [549J 

d'octobre  549.  Il  ne  s'agissait  pas  seulement  de  la  cause  per- 
sonnelle de  cet  évêque  :  on  avait  appris  en  France  les  troubles 
que  les  nestoriens  et  les  eutychiens  excitaient  de  nouveau  en 
Orient  ,  et  l'on  craignait  que  le  mal  ne  se  communiquât  dans  les 
Églises  d'Occident.  C'est  ce  qui  donna  lieu  au  premier  canon, 
qui  anathématise  les  erreurs  de  Nestorius  et  d'Eutychè.- 
avec  leurs  auteurs  et  leurs  sectateurs  (1).  On  dressa  dans  ce 
concile  vingt-trois  autres  canons,  qui  ne  concernent  que  la 
discipline. 

II.  On  défend  aux  évêques  d'excommunier  pour  des  causes 
légères  ;  on  leur  recommande  de  n'employer  les  censures  que 
dans  les  occasions  marquées  par  les  anciens  règlements. 

III.  On  croit  encore  nécessaire  de  réitérer  les  défenses  tant  de 
fois  faites  aux  évêques,  aux  prêtres  et  aux  diacres  d'avoir  chez 
eux  des  femmes  étrangères,  même  pour  les  servir,  ou  d'y  souf- 
frir leurs  parentes  à  une  heure  indue,  de  peur  que  les  suivantes 
de  ces  parentes  ne  donnent  lieu  à  de  mauvais  soupçons  :  et 
cela  sous  peine  pour  les  contrevenants  d'être  suspendus  pen- 
dant un  an  des  fonctions  de  leur  ministère. 

IV.  Si  un  clerc,  de  quelque  ordre  qu'il  soit,  a  encore  com- 
merce avec  sa  femme,  il  sera  déposé;  mais  on  lui  accordera 
la  communion.  (Le  concile  étend  ici  l'obligation  de  la  conti- 
nence à  tous  les  clercs,  comme  nous  avons  vu  qu'il  se  prati- 
quait dans  quelques  Églises,  et  nommément  dans  celle  d'Autun. 

VI.  L'évêque  qui  ordonnera  avec  connaissance  de  cause  un 
esclave  ou  un  affranchi  sans  la  permission  de  son  maître,  sera 
pendant  six  mois  suspendu  de  la  célébration  des  sacrés  mys- 
tères ;  et  le  nouveau  clerc  demeurera  sous  la  puissance  de  son 
maître,  qui  n'en  exigera  que  des  services  honnêtes.  Si  le  maître 
en  exige  des  services  qui  puissent  déshonorer  l'ordre  sacré, 
l'évêque  qui  l'a  ordonné  donnera,  selon  les  anciens  canons, 
deux  esclaves  en  sa  place. 

Les  affranchis  ne  recevaient  pas  une  entière  liberté,  et  ils 

(1)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  277. 


549]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  319 

levaient  encore  certaines  redevances  et  un  certain  service  à 
eurs  maîtres.  C'est  pourquoi  le  concile  ne  veut  pas  qu'on 
Duisse  sans  le  consentement  de  ces  maîtres  engager  les  affran- 
chis dans  le  clergé,  ce  qui  les  exemptait  de  ces  charges. 

VII.  Il  est  défendu  de  remettre  en  servitude  les  esclaves  qui 
3nt  été  affranchis  dans  l'église ,  à  moins  qu'ils  ne  se  soient 
rendus  indignes  de  ce  bienfait  par  des  fautes  prévues  par  la  loi. 

VIII.  Pendant  la  vacance  d'un  siège,  aucun  évêque  n'ordon- 
aera  de  clercs  ni  ne  consacrera  d'autels  dans  l'étendue  du 
Jiocèse. 

X.  Qu'il  ne  soit  permis  à  personnne  d'acheter  l'épiscopat  ; 
nais  que  celui  qui  a  été  élu  par  le  clergé  et  le  peuple,  suivant 
Les  anciens  canons,  soit  ordonné,  avec  l'agrément  du  roi,  par 
e  métropolitain  et  les  évêques  de  la  province.  Que  l'évêque 
jui  aura  obtenu  son  ordination  à  prix  d'argent  soit  déposé. 

XI.  On  n'ordonnera  aucun  évêque  malgré  les  clercs  et  les 
citoyens  de  la  ville  ;  défense  est  faite  également  d'employer 
pour  extorquer  leur  consentement  l'autorité  des  personnes 
puissantes ,  sous  peine  de  déposition  pour  ceux  qui  auront 
Dbtenu  l'épiscopat  par  de  tels  moyens. 

Les  évêques  s'efforçaient  par  ces  canons  de  rétablir  la  liberté 
des  élections,  qui  était  souvent  gênée  par  l'autorité  royale  ou 
par  les  recommandations  des  seigneurs.  Nous  avons  vu,  par  plu- 
sieurs exemples,  que  les  rois  avaient  dès  lors  la  plus  large 
part  d'influence  dans  la  nomination  aux  évêchés,  et  c'est  un 
fait  digne  de  remarque  que  dans  les  canons  mêmes  ayant  pour 
but  la  liberté  des  élections,  on  requiert  le  consentement  du  roi 
pour  l'ordination  du  nouvel  évêque. 

XV.  Le  roi  Ghildebert  et  la  reine  Ultrogothe  avaient  fondé 
un  hôpital  à  Lyon  pour  loger  les  étrangers  et  soigner  les 
malades.  Ils  souhaitèrent  que  les  évêques  du  concile  autori- 
sassent de  leur  souscription  cet  établissement  et  les  règle- 
ments qui  avaient  été  dressés  pour  le  maintenir.  Le  concile  le 
fit,  et  ordonna,  par  un  canon  exprès,  que  l'évêque  de  Lyon  et 
ses  successeurs  ne  pourraient  rien  attribuer  à  leur  Église  des 


320  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [549 1 

biens  qui  avaient  été  donnés  ou  qui  pourraient  être  donnés 
dans  la  suite  à  cet  hôpital,  ni  rien  changer  dans  les  règlements 
qu'on  y  avait  établis  ;  qu'ils  auraient  seulement  inspection  sur 
la  maison,  pour  qu'il  y  eût  toujours  des  supérieurs  et  des 
administrateurs  soigneux  et  craignant  Dieu.  On  excommunie 
comme  meurtriers  des  pauvres  ceux  qui  contreviendraient  à 
ce  canon  ou  qui  usurperaient  les  biens  de  cet  hôpital. 

XVII.  Si  quelqu'un  a  quelque  démêlé  avec  l'évêque  ou 
avec  les  agents  de  l'Église,  il  s'adressera  d'abord  à  l'évêque, 
afin  que  le  différend  soit  terminé  à  l'amiable.  Si  cette  démarche 
ne  réussit  pas,  on  aura  recours  au  métropolitain,  qui  en 
écrira  à  l'évêque  pour  faire  terminer  la  cause  par  arbitrage. 
Si  l'évêque  ne  veut  pas  se  prêter  à  un  accommodement,  et  que 
le  métropolitain  soit  obligé  de  lui  écrire  une  seconde  fois,  il 
demeurera  privé  de  la  communion  du  métropolitain  jusqu'à 
ce  qu'il  soit  venu  lui  rendre  compte  de  l'affaire.  Mais  s'il  est 
évident  qu'on  suscite  à  l'évêque  une  querelle  injuste,  celui  qui 
la  lui  aura  suscitée  sera  excommunié  pendant  un  an.  Si  le 
métropolitain  interpellé  deux  fois  par  un  évêque  diffère  de 
lui  rendre  justice,  l'évêque  se  pourvoira  au  concile  prochain. 

XIX.  Les  filles  qui  se  consacreront  à  Dieu  de  leur  propre 
volonté  dans  un  monastère,  y  demeureront  un  an  avant  de 
prendre  l'habit  de  religion.  Mais  celles  qui  se  consacrent  dans 
des  communautés  où  la  clôture  n'est  pas  perpétuelle,  y  garde- 
ront pendant  trois  ans  l'habit  séculier. 

C'était  le  temps  du  noviciat  :  il  était  plus  long  dans  les  com- 
munautés où  l'on  n'était  pas  obligé  à  la  clôture ,  parce  qu'on 
jugeait  que  la  vertu,  y  devant  être  plus  exposée,  devait  aussi  y 
être  plus  longtemps  éprouvée. 

XX.  L'archidiacre  ou  le  prévôt  de  l'Église  doit  visiter  les 
prisonniers  tous  les  dimanches,  afin  de  soulager  leurs  mi- 
sères. L'évêque  nommera  une  personne  fidèle  et  soigneuse 
qui  pourvoira  à  leur  nourriture  et  à  leurs  autres  besoins  aux 
dépens  de  l'Église. 

XXI.  On  recommande  aussi  particulièrement  aux  évêques 


549J  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  321 

le  soin  des  lépreux  de  leur  diocèse,  et  c'est  à  eux  qu'il  appar- 
ient de  leur  fournir  le  vivre  et  le  vêtement  selon  les  ressources 
le  leur  Église. 

On  voit  ici  que  les  biens  de  l'Église  étaient  ceux  de  tous  les 
malheureux,  et,  pour  cette  raison,  on  doit  d'autant  moins  s'é- 
tonner de  la  libéralité  des  peuples  à  l'enrichir. 

XXIII.  Le  métropolitain  tiendra  tous  les  ans  le  concile  de 
la  province. 

Ces  canons  furent  arrêtés  et  souscrits  par  cinquante  évêques 
présents  et  par  les  députés  de  vingt  et  un  absents,  le  28  oc- 
obre,  in  diction  XIII  (1)  et  la  trente-huitième  année  du  règne 
le  Ghiidebert,  c'est-à-dire  l'an  549. 

Les  Pères  du  concile  ayant  examiné  la  cause  de  Marc,  évêque 
l'Orléans,  accusé  de  plusieurs  crimes,  pour  lesquels  il  avait 
3té  envoyé  en  exil,  déclarèrent  ces  accusations  calomnieuses 
3t  le  rétablirent  sur  son  siège  (2).  Si  cet  évêque  assista  à  ce 
xmcile,  il  n'y  souscrivit  pas,  parce  qu'il  était  en  cause. 
.  Sept  métropolitains  souscrivirent  les  premiers  :  S.  Sacer- 
dos  de  Lyon,  qui  présida;  S.  Aurélien  d'Arles;  S.  Hésychius 
:1e  Vienne,  second  du  nom  (3)  ;  S.  Nicet  de  Trêves  ;  S.  Désidérat 
de  Bourges;  Aspais  d'Eauze,  etConstitut  de  Sens,  successeur 
de  S.  Léon.  On  y  remarque  aussi,  mais  hors  de  rang,  les  sous- 
criptions d'Urbique  de  Besançon,  d'Avole  d'Aix  et  de  Mappi- 
nius  de  Reims,  qui  n'assista  au  concile  que  par  un  député, 
aussi  bien  que  S.  Léonce  de  Bordeaux  et  S.  Gallican  d'Embrun. 

Les  plus  célèbres  des  autres  évêques  sont  :  S.  Firmin  d'Uzès, 


(1)  L'indiction  est  une  révolution  de  quinze  années  :  en  sorte  que  quand  on  a 
compté  indiction  XV,  on  recommence  à  marquer  indiction  I.  Cette  époque  fut 
établie  en  Orient  dès  le  règne  de  Constantin.  Mais  elle  ne  commença  à  être  en  usage 
dans  la  Gaule  que  dans  le  vie  siècle.  Le  quatrième  et  le  cinquième  concile  d'Or- 
léans sont  les  premiers  actes  bien  authentiques  où  les  Francs  s'en  soient  servis.  La 
nouvelle  indiction  commençait  alors  en  France  au  mois  de  septembre,  comme  en 
Orient.  Dans  la  suite  on  lâTcommença  au  mois  de  janvier,  selon  l'usage  de  Rome. 

(2)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  vi. 

(3)  Robert,  dans  sa  Gaule  chrétienne,  donne  la  qualité  de  saint  à  Hésychius  Ier 
et  ne  la  donne  pas  au  second.   Mais  le  supplément  du  Martyrologe  d'Adon  la 

,  donne  au  second,  successeur  de  S.  Pantagathe ,  et  non  au  premier,  qui  fut  père  cr 
prédécesseur  de  S.  A  vite. 

TOME  II.  21 


322  histoire  DE  l'Église  catholique  [549j 

S.  Agricole  de  Chalon-sur-Saône,  S.  Gai  d'Auvergne,  S.  Eleu- 
thère  d'Auxerre,  Désidérat  de  Verdun,  S.  Tétric  de  Langres, 
S.  Nectaire  d'Autun,  S.  Domitien  de  Tongres,  S.  Arége  ou 
Arey  de  Nevers,  S.  Lô  de  Goutances,  S.  Lubin  de  Chartres, 
Rurice  de  •Limoges,  S.  Aubin  d'Angers,  S.  Génebaud,  premier 
évêque  de  Laon,  qui  devait  être  alors  fort  âgé.  Latro,  son  fils, 
fut  son  successeur  et  mérita  aussi  d'être  mis  au  nombre  des 
saints.  Ces  trois  derniers  n'assistèrent  au  concile  que  par  dé- 
putés (i).  Nous  devons  faire  ici  connaître  quelques-uns  de  ces 
saints  évêques. 

S.  Désidérat  de  Bourges  avait  succédé  à  S.  Arcade.  Il  se 
rendit  surtout  recommandable  par  son  zèle  pour  la  discipline. 
On  assure  qu'il  déposa  de  l'épiscopat  Forbius  ou  Fortius, 
évêque  du  Puy,  à  cause  de  sa  vie  scandaleuse.  S.  Désidérat 
mourut  un  dimanche,  le  8  mai,  probablement  l'an  550. 

Le  nom  de  S.  Lô  est  aussi  célèbre  que  son  histoire  est  peu 
connue.  Après  la  mort  de  Possesseur  de  Coutances,  il  fut  or- 
donné évêque  de  cette  Église  par  S.  Gildard  ou  Godard  de 
Rouen.  On  ne  peut  douter  qu'il  n'ait  rempli  tous  les  devoirs 
de  l'épiscopat.  Il  assista  en  personne  ou  par  député  aux 
quatre  derniers  conciles  d'Orléans  :  c'est  une  marque  de  son 
zèle  pour  le  rétablissement  de  la  discipline.  Le  Martyrologe 
romain  en  marque  la  fête  au  22  septembre,  et  celui  de  France 
au  21.  Ce  saint  évêque  est  particulièrement  honoré  dans  la 
ville  appelée  de  son  nom  Saint-Lô. 

Nous  sommes  mieux  instruits  de  ce  qui  regarde  S.  Lubin  de 
Chartres.  Il  était  originaire  de  Poitiers.  En  gardant  les  trou- 
peaux et  en  labourant  la  terre,  il  apprit  à  lire  d'un  moine  du  mo- 
nastère de  Noaillé  :  c'est  du  moins  ce  qui  paraît  probable  (2). 

(1)  On  trouve  dans  les  souscriptions  un  député  d'Agrestius,  qui  est  marqué 
évêque  Toronnicœ  civitatis.  On  ne  sait  quelle  est  cette  ville  :  ce  n'est  certainement 
pas  Tours,  dont  Baudin  était  alors  évêque,  à  moins  qu'on  ne  suppose  qu'il  avait 
deux  noms.  Toronnica  civitas  est  peut-être  Turenne,  qui  aurait  eu  pendant  quelque 
temps  un  évêque,  de  même  que  l'Arsat,  l'Ile-Bonne  et  quelques  autres  villes. 

(2)  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Lubin  nomme  ce  monastère  Noigelense.  Quelques 


[549]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  323 

Il  fut  ensuite  reçu  dans  un  monastère,  où  il  passa  huit  ans. 
Désireux  alors  de  recevoir  les  leçons  des  personnes  les  plus 
consommées  dans  la  vertu  et  dans  les  exercices  de  la  vie 
monastique,  Lubin  alla  visiter  S.  Avite  clans  les  solitudes  du 
Perche,  S.  Hilaire  évêque  de  Mende,  et  S.  Loup  depuis  évê- 
que  de  Lyon  et  alors  abbé  de  l'île  Barbe.  Dans  ce  dernier 
monastère,  où  il  passa  cinq  ans,  il  fut  soumis  à  la  question  par 
les  Francs,  alors  en  guerre  avec  les  Bourguignons  :  on.  vou- 
lait par  ces  violences  lui  faire  déclarer  où  était  l'argent  du 
monastère.  Il  revint  ensuite  auprès  de  S.  Avite  et  reçut  de  lui 
la  charge  de  cellérier.  Après  la  mort  de  ce  saint  abbé,  il  mena 
la  vie  érémitique  dans  les  forêts  du  Perche,  en  un  lieu  nommé 
la  Charbonnière.  Euthérius,  évêque  de  Chartres,  le  promut  à 
la  prêtrise  sur  la  réputation  de  ses  vertus  et  de  ses  miracles, 
et,  l'ayant  établi  abbé  du  monastère  de  Brou,  il  lui  ordonna, 
pour  s'instruire  plus  parfaitement,  d'aller  consulter  S.  Césaire 
d'Arles,  qui  vivait  encore.  Lubin  se  proposait  autre  chose  que 
d'apprendre  à  gouverner  ses  moines;  S.  Aubin  d'Angers  l'ac- 
compagnait dans  ce  voyage.  Césaire  leur  en  ayant  demandé  le 
sujet,  S.  Aubin  lui  répondit  qu'il  ri' était  venu  de  si  loin  que 
pour  avoir  la  consolation  de  le  voir  et  prendre  ses  avis  sur 
quelques  points  de  discipline;  mais  que  Lubin  avait  résolu 
de  quitter  le  monastère  dont  il  était  abbé,  pour  se  faire  le 
dernier  de  tous  àLérins.  S.  Césaire  ayant  blâmé  ce  dessein, 
Lubin  retourna  prendre  le  gouvernement  de  son  monastère.  Sa 
seule  pensée  était  de  s'y  faire  oublier  et  de  cacher  ses  vertus 
dans  la  retraite ,  lorsque ,  Euthérius  de  Chartres  étant  mort, 
le  roi  Childebert  le  nomma  pour  occuper  ce  siège.  Le  clergé 
et  le  peuple  de  Chartres  en  apprirent  la  nouvelle  avec  joie, 
et,  malgré  la  résistance  de  Lubin  et  la  jalousie  de  quelques 
évêques  qui  le  jugeaient  indigne  de  l'épiscopat  parce  qu'il 
avait  une  partie  clu  nez  rongée  par  un  chancre,  il  fut  ordonné 


critiques  pensent  que  ce  pourrait  être  Noaillé  en  Poitou.  V.  Vit.  Leobini,  ap.  Bol- 
land.,  14  mart. 


324  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [549] 

évêque,  on  ne  sait  précisément  en  quelle  année.  Nous  aurons 
encore  dans  la  suite  occasion  de  parler  de  Lubin. 

On  croit  que  Béat  ,  évêque  d'Amiens,  qui  assista  à  ce  concile, 
eut  pour  successeur  S.  Honoré.  Mais  rien  n'est  plus  incer- 
tain (1)  que  le  temps  où  a  vécu  ce  dernier.  Tout  ce  qu'on  en 
sait ,  c'est  qu'il  était  né  dans  un  pays  du  Ponthieu  appelé  le 
Port;  qu'il  tira  de  leur  tombe  les  reliques  des  SS.  Fuscien, 
Victor  et  Gentien  et  les  transféra  dans  son  Église ,  et  qu'après 
avoir  rendu  son  épiscopat  éclatant  par  ses  miracles  et  par  ses 
vertus  apostoliques,  il  mourut  au  lieu  de  sa  naissance  (2),  où 
son  corps  demeura  jusqu'aux  ravages  des  Normands,  pendant 
lesquels  il  fut  transféré  à  Amiens  dans  l'église  de  Saint-Pierre 
et  de  Saint-Paul,  dite  de  Saint-Firmin  le  Confesseur. 

Le  premier  canon  du  cinquième  concile  d'Orléans,  portant 
condamnation  des  hérésies  de  Nestorius  et  d'Eutychès,  fut  un 
effet  des  inquiétudes  causées  dans  les  Gaules  par  les  troubles 
de  l'Orient,  dont  voici  l'occasion.  Justinien,  qui  voulait  étendre 
son  empire  jusque  sur  les  affaires  de  la  religion,  avait  entre- 
pris de  faire  condamner  ce  qu'on  nomma  les  trois  chapitres, 
c'est-à-dire  les  écrits  de  îhéodoret  contre  S.  Cyrille,  la  lettre 
d'Ibas,  évêque  d'Edesse,  à  Maris,  persan,  et  les  écrits  et  la  per- 
sonne de  Théodore  de  Mopsueste,  qui  était  la  première  source 
du  nestorianisme.  Les  euty chiens  poursuivaient  avec  chaleur 
cette  condamnation,  dont  ils  espéraient  tirer  de  grands  avan- 
tages ;  et  bien  des  catholiques  en  étaient  alarmés,  parce  qu'ils 
craignaient  qu'on  n'en  abusât  pour  donner  atteinte  à  l'autorité 
du  saint  concile  de  Chalcédoine,  où  la  lettre  d'Ibas  avait  été  lue 
sans  être  flétrie,  et  où  Théodoret  et  Ibas  avaient  été  reçus 

(1)  Ce  qui  rend  incertaine  l'époque  de  S.  Honoré,  c'est  qu'on  le  fait  vivre  sons 
le'roi  Childebert,  et  que  S.  Salve,  qu'on  lui  donne  communément  pour  successeur, 
vécut  sous  le  roi  Thierry  :  or  il  y  a  eu  trois  Childebert  et  quatre  Thierry  qui  ont 
régné  en  France  en  des  temps  bien  différents.  D'ailleurs  la  Vie  de  S.  Honoré  et 
celle  de  S.  Salve  ne  sont  pas  d'une  authenticité  suffisante. 

(2)  Comme  le  lieu  où  naquit  et  mourut  S.  Honoré  s'appelait  le  Port,  on  a  fait 
les  deux  vers  suivants,  que  nous  citons  parce  qu'ils  sont  anciens  : 

Quem  genuit  Portus,  decessit  ubi  fuit  ortus. 
ïs  suus  est  portus,  suus  est  ocrasus  et  ortus. 


[549]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  325 

au  nombre  des  évêques  catholiques.  Quant  à  Théodore  de 
Mopsueste,  quelques-uns  jugeaient  qu'il  était  contre  les  règles 
et  la  pratique  de  l'Église  d'anathématiscr  après  sa  mort  un 
évêque  qui  ne  pouvait  plus  se  défendre  et  qui  était  mort 
dans  la  communion  de  l'Église . 

Le  pape  Vigile,  qui  s'était  rendu  à  Gonstantinople  dès 
l'an  547,  avait  d'abord  rejeté  l'édit  de  l'empereur  portant  con- 
damnation des  trois  chapitres.  Gagné  ensuite  par  l'espérance 
de  la  paix,  il  les  avait  condamnés  lui-même  par  son  Judicatum , 
mais  avec  cette  réserve  :  sauf  V autorité  du  concile  de  Chalcé- 
doine.  On  n'en  craignait  pas  moins  l'abus  qu'on  pourrait  faire 
de  ce  jugement.  Deux  diacres  de  Vigile,  qui  s'étaient  élevés 
contre  lui  à  cette  occasion,  redoublèrent  les  alarmes  dans 
quelques  Églises  d'Occident,  en  écrivant  que  Vigile  avait  aban- 
donné le  saint  concile  de  Ghalcédoine. 

Aurélien,  évêque  d'Arles  et  vicaire  du  Saint-Siège,  avait 
reçu  une  de  ces  lettres;  afin  de  connaître  la  vérité,  il  envoya 
Anastase  à  Constantinople  avec  des  lettres  pour  Vigile.  Elles 
lui  parvinrent  le  14  juillet  549  (1)  ;  mais  ce  pape  qui,  dans 
l'état  où  il  était  réduit  à  Gonstantinople,  n'avait  pas  l'entière 
liberté  de  déclarer  ses  sentiments,  ne  put  y  faire  réponse  que 
l'année  suivante  ;  encore  ne  lui  permit-on  de  s'expliquer  qu'en 
termes  généraux. 

Après  avoir  dit  à  Aurélien  qu'il  lui  sait  bon  gré  de  sa  solli- 
citude dans  la  cause  de  la  foi,  il  lui  parle  ainsi  (2)  :  «  Soyez 
assuré  que  nous  n'avons  rien  fait  qui  puisse  être  contraire  (ce 
qu'à  Dieu  ne  plaise!)  aux  constitutions  de  nos  prédécesseurs, 
à  la  foi  des  quatre  conciles,  c'est-à-dire  :  celui  de  Nicée,  celui 
de  Gonstantinople ,  le  premier  d'Éphèse  et  celui  de  Ghalcé- 
doine, ou  qui  puisse  intéresser  l'honneur  des  personnes  qui 
ont  souscrit  cette  foi  ;  qu'au  contraire  nous  rejetons  tous 
ceux  qui  n'adhèrent  pas  à  la  foi  de  ces  quatre  conciles,  qui 
en  rejettent  les  canons  ou  qui  s'efforcent  de  les  rejeter  ou 


(1)  Ep.  -leric.  Ital.  —  (2)  Epist.  Vigil.  ad  Aurelian.,  t.  I  Conc.  GalL,  p.  287.  — 
Labb.,  t.  V,  p.  558. 


326  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [549] 

de  les  décrier...  Que  Votre  Fraternité,  en  qualité  de  vicaire  du 
Saint-Siège,  fasse  donc  savoir  à  tous  les  évêques  qu'ils  ne 
doivent  point  se  laisser  troubler  par  les  écrits  supposés  qu'on 
répand  ou  par  les  faux  bruits  qu'on  débite...  Quand  l'empe- 
reur nous  aura  permis  de  retourner  en  Italie,  nous  vous  en- 
verrons quelqu'un  pour  vous  instruire  plus  en  détail  de  tout- 
ce  qui  s'est  passé.  » 

Vigile  finit  sa  lettre  par  des  paroles  bien  glorieuses  pour 
Childebert.  «  Gomme  nous  connaissons,  dit-il,  la  profonde  vé- 
nération que  le  zèle  de  la  religion  inspire  à  notre  glorieux  fils 
le  roi  Childebert  pour  le  Saint-Siège,  sur  lequel  Dieu  a  voulu 
que  nous  fussions  placés,  nous  espérons  que  vous  ne  cesserez 
de  le  supplier  de  protéger  l'Église  dans  une  si  grande  néces- 
sité. On  publie  que  les  Goths  sont  entrés  dans  Rome  :  c'est 
pourquoi  je  le  conjure  d'avoir  la  bonté  d'écrire  à  leur  roi 
qu'il  ne  fasse  rien  au  préjudice  de  notre  Église,  sous  prétexte 
qu'il  est  d'une  autre  religion ,  et  de  ne  pas  souffrir  qu'on  en- 
treprenne rien  qui  puisse  troubler  la  paix  des  fidèles.  Car  il  est 
digne  d'un  prince  catholique,  tel  qu'est  votre  roi,  de  défendre 
de  tout  son  pouvoir  la  foi  et  l'Église  dans  laquelle  il  a  été 
baptisé.  Son  zèle  ne  demeurera  pas  sans  récompense  :  Je  vis, 
dit  le  Seigneur,  et  je  glorifierai  ceux  qui  me  glorifieront. 
Tâchez  donc,  mon  cher  frère,  de  faire  en  sorte  qu'en  persis- 
tant dans  la  vraie  foi  vous  entreteniez,  avec  l'aide  du  Seigneur, 
la  paix  des  Églises.  Dieu  vous  a  confié  le  soin  de  la  conserver, 
cette  paix,  en  vous  élevant  à  l'éplscopàt;  nous  vous  l'avons 
confié  nous-même  par  l'autorité  apostolique,  en  vous  délé- 
guant notre  puissance  :  montrez  par  des  œuvres  dignes  de 
Dieu  que  vous  êtes  en  effet  le  vicaire  du  Siège  apostolique.  » 
La  lettre  est  datée  du  29  avril  de  la  vingt-quatrième  année  de 
Justinien  et  la  neuvième  après  le  consulat  de  Basile,  c'est-à- 
dire  l'an  550. 

Le  roi  des  Goths  dont  parle  Vigile  était  ïotila ,  qui  avait 
repris  Rome  l'an  549.  Justinien,  qui  songeait  à  délivrer  l'Italie 
de  ce  terrible  fléau,  envoya  une  ambassade  avec  des  présents 


|549]  EX  FRAXCE.    LIVRE  VI.  327 

à  Thibauld,  roi  d'Austrasie,  pour  s'assurer  de  son  alliance 
contre  un  ennemi  si  formidable.  Thibauld,  de  son  côté, 
nomma  des  ambassadeurs  pour  la  cour  de  Justinien.  Les  clercs 
d'Italie,  l'ayant  appris,  crurent  qu'on  ne  pouvait  trouver  une 
intercession  plus  puissante  auprès  de  l'empereur  en  faveur 
du  pape,  qui  avait  souffert  d'indignes  traitements.  Ils  écrivi- 
rent donc  une  lettre  (1)  à  ces  ambassadeurs  francs,  afin  de  les 
intéresser  dans  cette  importante  affaire  de  l'Église.  Dans  ce 
dessein,  ils  font  d'abord  un  exposé  pathétique  des  violences 
qui  avaient  été  faites  à  Vigile  pour  l'engager  à  supprimer  le 
concile  de  Ghalcédoine.  Ces  violences  avaient  été  telles,  disent- 
ils  (2),  qu'il  fut  obligé  de  s'écrier  en  pleine  assemblée  :  Je 
proteste  que,  quoique  vous  me  teniez  prisonnier ,  vous  ne  pour- 
rez jamais  tenir  cap>tif  l'apôtre  S.  Pierre.  Puis  ils  exposent 
ce  qui  s'était  passé  dans  cette  affaire  :  Vigile  avait  excom- 
munié ceux  qui  obéiraient  aux  édits  de  l'empereur  portant 
condamnation  des  trois  chapitres,  et  Datius  de  Milan  avait  dé- 
claré publiquement  qu'il  se  séparerait  de  leur  communion,  lui 
et  tous  les  évêques  des  Églises  au  milieu  desquelles  la  sienne 
est  située,  c'est-à-dire  les  Églises  de  la  Gaule,  de  la  Bour- 
gogne, de  l'Espagne,  de  la  Ligurie,  de  l'Émilie  et  de  la  Vé- 
nétie  ;  après  cette  excommunication,  Vigile  ne  s'était  plus 
trouvé  en  sûreté,  même  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre,  où  il 
s'était  réfugié,  et  s'était  trouvé  exposé  aux  outrages  des  satel- 
lites que  le  préteur  avait  amenés  pour  l'en  faire  sortir  ;  là  s'é- 
tait passée  une  scène  d'une  violence  inouïe  :  on  avait  tiré  par 
les  pieds,  par  la  barbe,  par  les  cheveux,  le  pontife  qui  tenait 
embrassées  les  colonnes  de  l'autel  ;  il  avait  failli  être  écrasé 
sous  les  débris  de  l'autel,  qui  s'était  écroulé. 

Après  une  vive  peinture  de  ces  indignes  traitements,  les 
auteurs  de  cette  lettre  ajoutent  :  «  On  a  envoyé  des  émissaires 
dans  les  provinces  d'Italie  pour  rendre  odieux  le  pape  et  l'é- 
vèque  Datius,  en  répandant  sur  leur  compte  plusieurs  calom- 


(1)  Le  P.  Sirmond  rapporte  cette  lettre  à  l'an  552  ;  le  cardinal  Noria  et  le 
P.  Pagi  croient  qu'elle  fut  écrite  l'an  551.— (2)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  291. 


328  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [549] 

nies,  et  pour  tâcher  de  faire  ordonner  en  leur  place  d'autres 
évêques  qui  approuvassent  les  nouveautés.  On  a  même  eu 
recours  au  plus  indigne  artifice,  en  subornant  un  des  secré- 
taires du  pape,  qui  sait  imiter  son  écriture ,  et,  autant  que 
nous  l'avons  pu  connaître,  on  a  fait  écrire  en  son  nom 
de  fausses  lettres,  dont  ses  ennemis  ont  chargé  un  nommé 
Etienne,  qu'ils  ont  envoyé  en  Italie  avec  les  ambassadeurs  des 
Goths ,  afin  d'aigrir  par  ses  fourberies  les  esprits  contre  le 
pape. 

«  C'est  pourquoi  nous  vous  conjurons  par  le  jugement  futur 
de  notre  Dieu,  si  terrible  à  tout  homme,  de  faire  au  plus  tôt 
connaître  ces  choses  dans  vos  provinces ,  afin  qu'on  ne  s'y 
laisse  pas  surprendre  par  ces  émissaires,  et  qu'un  certain 
Anastase ,  envoyé  par  le  saint  évêque  Aurélien  d'Arles  à 
Gonstantinople  il  y  a  plus  de  deux  ans ,  ne  débite  pas  des 
mensonges  dans  les  Gaules.  Car  cet  homme ,  ne  pouvant  obte- 
nir la  permission  de  sortir  de  Constantinople,  s'est  avisé  de 
promettre  que  si  on  le  laissait  partir  il  engagerait  les  évêques 
des  Gaules  à  condamner  les  trois  chapitres.  Aussitôt  on  lui 
envoya  de  grands  présents  et  on  lui  fit  prêter  serment  qu'il 
garderait  sa  parole.  On  ne  laissa  pas  la  liberté  au  pape  de 
mander  par  cet  Anastase  aux  évêques  des  Gaules  ce  qui  se 
passait  dans  cette  cause  :  on  lui  permit  seulement  d'écrire  sur 
d'autres  affaires  et  de  déclarer  en  général  qu'il  demeurait  at- 
taché à  la  foi  catholique  et  aux  quatre  conciles  selon  la  tra- 
dition des  Pères.  » 

Les  clercs  d'Italie  terminent  leur  lettre  en  priant  les  am- 
bassadeurs francs  de  proposer  aux  évêques  des  Gaules  d'é- 
crire au  pape  Vigile  et  à  l'évêque  Datius,  pour  les  consoler 
et  les  exhorter  à  ne  consentir  à  aucune  nouveauté.  Ils  les  invi- 
tent à  faire  eux-mêmes  auprès  de  Justinien  tout  ce  qu'ils 
pourront  en  leur  faveur,  surtout  pour  obtenir  le  retour  de 
Datius  et  faire  cesser  les  cruautés  qu'on  exerçait  envers  les 
clercs  romains  ou  africains  qui  étaient  à  Constantinople. 

On  ne  sait  pas  précisément  quel  effet  produisit  cette  lettre  ; 


[550]  EN  FEAXCE.    LIVRE  VI.  329 

mais  on  peut  présumer  que  les  ambassadeurs  francs  y  eurent 
égard  et  qu'ils  employèrent  avec  succès  leur  crédit  et  celui 
de  leur  maître  en  faveur  de  Vigile.  On  voit  en  effet  que  de- 
puis ce  temps-là  Justinien  donna  plus  de  liberté  à  ce  pape,  et 
qu'il  laissa  le  jugement  des  trois  chapitres  à  un  concile  qui  les 
condamna,  sans  donner  atteinte  à  celui  de  Chalcédoine. 

S.  Aurélien  d'Arles,  qui  avait  pris  tant  de  part  à  cette  grande 
affaire,  n'en  vit  pas  la  conclusion.  Il  mourut  le  16  juin  vers 
l'an  551,  après  avoir  soutenu  par  ses  talents  et  par  ses  vertus 
la  gloire  d'un  siège  illustré  par  tant  de  grands  et  saints 
évêques.  Il  établit  à  Arles,  par  les  libéralités  du  roi  Childe- 
bert,  deux  monastères  :  l'un  pour  les  hommes,  dédié  aux 
apôtres,  et  l'autre  pour  les  femmes,  dédié  à  la  Ste  Vierge.  Le 
saint  évêque  donna  aux  moines  et  aux  religieuses  une  règle 
pleine  de  l'esprit  de  sagesse  et  de  mortification,  et  qui  est 
presque  la  même  pour  les  uns  et  pour  les  autres.  En  voici  le 
précis  ,1\ 

On  lira  la  règle  aux  postulants  à  l'entrée  du  monastère,  et 
s'ils  promettent  de  la  garder,  on  les  recevra  ;  mais  on  ne  leur 
donnera  l'habit  de  religion  qu'après  qu'ils  auront  distribué 
ou  vendu  leurs  biens.  On  mettra  sur  la  confession  (2),  comme 
pour  servir  de  témoignage,  les  cheveux  qu'on  aura  coupés  aux 
laïques.  Il  paraît  qu'on  offrait  ces  cheveux  à  quelque  saint  sur 
le  tombeau  ou  sur  l'autel  érigé  en  son  honneur. 

Les  moines  ne  parleront  jamais  à  aucune  femme,  pas  même 
à  leur  propre  mère.  Ils  ne  pourront  parler  aux  hommes  qu'en 
présence  de  l'abbé ,  du  prévôt  ou  de  quelque  autre  ancien  ; 
l'on  ne  permettra  pas  aux  séculiers,  de  quelque  qualité  qu'ils 
soient,  d'entrer  dans  l'intérieur  du  monastère  ou  même  dans 
l'église.  On  n'aura  pas  à  l'autel  de  voiles  de  soie  ou  garnis 
d'or  et  de  pierreries.  Si  les  fidèles  en  font  présent  au  monas- 
tère, on  les  vendra.  On  emploiera  tous  les  jours  deux  heures  à 


(1)  Reg.  S.  Aurel.,  c.  I,  il,  m,  iv,  xv,  xvi,  xxvii,  xxvm,  xxxii. 

(2)  On  nommait  confession  non-seulement  le  tombeau  d'un  martyr,  mais  encore 
l'autel  qui  souvent  était  érigé  sur  le  tombeau. 


330  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [551] 

la  lecture,  et  tous  doivent  apprendre  à  lire.  On  recommande 
le  travail  des  mains.  On  veut  même  que,  pour  éviter  le  sommeil 
à  l'office  de  la  nuit,  les  jours  ordinaires,  les  moines  travaillent 
au  chœur  à  quelque  ouvrage  pendant  qu'on  récite  les  leçons. 
Cet  article  est  singulier  et  peut  faire  juger  que  les  leçons 
étaient  fort  longues.  Les  moines  ne  doivent  pas  avoir  de  pro- 
cès, parce  qu'il  ne  convient  pas  qu'un  serviteur  de  Dieu  soit 
processif. 

Pour  quelque  faute  que  ce  soit  on  ne  donnera  pas  plus  de 
trente-neuf  coups  de  discipline.  C'est  ce  qu'on  nomme  ailleurs 
la  discipline  légitime. 

Personne  ne  sera  promu  à  la  prêtrise  ou  au  diaconat  sans 
le  consentement  de  l'abbé  (1).  L'abbé  ne  mangera  qu'en  com- 
munauté (la  règle  de  S.  Benoît  accorde  aux  abbés  une  table 
particulière).  On  ne  mangera  jamais  de  chair,  pas  même  de 
celle  des  oiseaux,  à  moins  qu'on  ne  soit  malade.  Cet  article 
confirme  ce  que  nous  avons  remarqué  ailleurs,  qu'on  permet- 
tait plus  aisément  aux  moines  l'usage  de  la  chair  des  oiseaux 
que  celui  de  la  chair  des  animaux  à  quatre  pieds.  On  servira 
du  poisson  à  la  communauté  les  jours  solennels  et  quand 
l'abbé  voudra  user  d'indulgence.  Tous  les  premiers  jours 
du  mois  on  lira  la  règle  (2). 

S.  Àurélien  règle  fort  en  détail  l'office  divin  et  d'une 
manière  différente  de  celle  de  S.  Benoît  et  de  S.  Césaire. 
Il  parle  des  complies,  dont  S.  Césaire  ne  fait  aucune  men- 
tion. En  déterminant  les  jeûnes  de  l'année,  il  dit  que  depuis 
l'Epiphanie  j  usqu'à  Pâques  il  faut  j  eûner  tous  les  j  ours,  excepté 
les  grandes  fêtes ,  le  samedi  et  le  dimanche  :  ce  qui  montre 
qu'il  y  avait  encore  des  personnes,  surtout  dans  la  Provence, 
qui  ne  jeûnaient  pas  les  samedis  de  carême. C'étaient,  à  ce  qu'on 

(1)  Il  y  a  dans  le  latin  :  Nullus  honorem  presbyterii  aut  diaconatus  accipiat  prœter 
abbatem:  ce  qui  a  fait  croire  à  quelques  auteurs  que  S.  Aurélien  ordonnait  qu'il 
n'y  eût  que  l'abbé  de  prêtre  ou  de  diacre.  Mais  la  suite  de  cet  article  fait  voir 
évidemment  que  prœter  abbatem  signifie  la  même  chose  que  prœter  abbatis  volm- 
tatem. 

(2)  C.  XXXIX,  LV. 


51]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  331 

'oit,  les  Goths  qui  avaient  apporté  d'Orient  cet  usage  clans  la 
aule.  Le  concile  d'Agde  et  le  quatrième  d'Orléans  l'avaient 
l'oscrit ,  mais  il  n'était  pas  aboli.  Cet  extrait  de  la  règle  de 
I.  Aurélien  fait  voir  qu'elle  était,  par  quelques  dispositions, 
Jicore  plus  austère  que  celle  de  S.  Benoit. 

Le  saint  abbé  Tétradius  ou  Téridius  donna  aussi,  vers  le 
jiême  temps,  à  divers  monastères  de  ces  provinces  une  règle 
ui  lui  avait  été  dictée  par  S.  Gésaire,  son  oncle.  Elle  est  en 
1  (Tet  presque  semblable  à  celle  que  ce  saint  évêque  donna  aux 
jiligïeuses,  mais  les  jeûnes  y  sont  plus  fréquents.  Nous  ne 
royons  donc  pas  devoir  en  parler  plus  au  long. 

S.  Aurélien  établit  abbé  de  son  monastère  d'Arles  S.  Flo- 
sntin,  qui  le  gouverna  cinq  ans  et  six  mois  ;  il  mourut,  âgé 
e  soixante-dix  ans,  le  12  avril  553.  Il  est  honoré  à  Arles  le 
1  mai.  On  voyait  son  épitaphe  dans  l'église  de  Sainte-Croix, 
•ù  l'abbé  Constantin  fît  d'abord  transporter  ses  reliques  ;  elles 
urent  ensuite  déposées  dans  celle  de  Saint-Pierre.  Cette 
pitaphe  était  en  vers  latins  acrostiches  (1)  :  c'est  le  premier 
xemple  que  nous  trouvons  dans  cette  histoire  de  cette  sorte 
le  poésie,  dont  tout  le  mérite  consiste  en  un  travail  aussi 
nzarre  qu'inutile. 

La  province  d'Arles  et  la  plupart  des  autres  provinces  de  la 
jaule  étaient  alors  fort  affligées  d'une  peste,  que  les  auteurs 
le  ce  temps-là  nomment  ingui?iaire ,  parce  que  le  mal  se  dé- 
parait dans  l'aine.  Cette  contagion  fit  presque  partout  d'é- 
xanges  ravages,  et  elle  en  aurait  fait  déplus  grands  si  la  piété 
des  peuples,  qui  se  réveille  dans  l'adversité,  n'eût  eu  recours 
i  de  puissants  intercesseurs  pour  fléchir  la  colère  de  Dieu . 
Les  habitants  de  Reims  implorèrent  avec  confiance  la  protec- 
tion de  S.  Remi.  On  courut  à  son  tombeau,  on  prit  le  voile  qui 
le  couvrait  et  on  le  porta  en  procession  par  toute  la  ville.  C'en 
fut  assez  pour  arrêter  le  mal  (2).  Le  circuit  que  fit  la  procès - 

(1)  En  assemblant  les  premières  lettres  des  vers  de  cette  épitaphe,  on  trouve  : 
Florentinus  ahbas  hic  in  pace  quiescit.  Amen. 

(2)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  lxxix. 


332  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [551 

sion  avec  cette  relique  fut  comme  une  barrière  qui  empêchi 
la  contagion  de  pénétrer  dans  la  ville,  quoiqu'elle  en  ravagea 
les  environs.  Trêves  fut  aussi  préservée  de  ce  fléau  par  le 
mérites  de  S.  Euchaire,  de  S.  Maximin  et  de  S.  Nicet,  qui  ei 
était  alors  évêque  (1). 

S.  Gai,  évêque  d'Auvergne,  ne  cessait  de  s'offrir  au  Sei 
gneur  comme  une  victime  d'expiation  pour  sauver  son  peupl 
menacé  de  cette  peste ,  et  il  décida  qu'à  la  mi-carême  oi 
irait  en  procession  à  pied  de  la  ville  d'Auvergne  à  Saint-Julie] 
de  Brioude,  qui  en  est  éloigné  de  plus  de  dix  lieues.  Gomme  i 
priait  un  jour  avec  un  redoublement  de  ferveur,  un  ange  lui  ap 
parut  et  lui  affirma  que  de  son  vivant  personne  de  son  peupL 
ne  serait  atteint  de  cette  contagion  ;  mais  que  lui-même  n'a 
vait  plus  que  quelques  années  à  vivre  (2).  La  première  parti 
de  cette  prédiction  le  consola,  et  la  seconde  ne  l'affligea  pas. 

Dès  que  ce  saint  évêque  sentit  sa  fin  approcher,  il  fit  assem 
bler  son  peuple  dans  l'Église  et  lui  donna  la  communion  d 
sa  main,  faisant  ainsi  l'office  de  pasteur  jusqu'au  dernier  mo 
ment.  Le  troisième  jour  suivant,  qui  était  le  dimanche  de  l'As 
cension,  il  demanda  dès  le  matin  ce  qu'on  chantait  à  l'Église 
et  comme  on  lui  eut  répondu  qu'on  chantait  actuellement  1 
Benedicite,  il  chanta  ce  cantique  avec  le  psaume  Miserere  £ 
le  capitule.  Ayant  ensuite  dit  adieu  à  ses  clercs,  il  rendit  so: 
esprit  à  son  Créateur  (3).  On  lava  aussitôt  son  corps,  on  1 
déposa  dans  l'église ,  où  il  demeura  trois  jours  sans  êtr 
inhumé  en  attendant  l'arrivée  des  évêques  voisins.  Ils  netai 
dèrent  pas  avenir,  et  le  quatrième  jour  il  fut  porté  avec  u; 
concours  extraordinaire  dans  l'église  de  Saint-Laurent ,  où  i 
fut  enterré.  Les  femmes  suivirent  le  convoi  en  habits  de  deuil 
comme  si  c'eussent  été  les  funérailles  de  leurs  maris ,  et  le 
hommes,  dit  Grégoire  de  Tours,  y  parurent  la  tête  couverte 
comme  s'ils  eussent  assisté  aux  obsèques  de  leurs  femmes 

(l)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  xvii.  —  (2)  Greg.  Tur.  Hisl.,  1.  IV,  c.  v.  - 
(3)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  vi. 


51]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  333 

■3  qui  nous  apprend  en  quoi  consistait  le  grand  deuil  pour  les 
ommes.  Tous  pleuraient  S.  Gai  comme  leur  père  et  disaient 
a  se  frappant  la  poitrine  :  Malheur  à  nous  !  nous  ne  mérite- 
ms  jamais  d'avoir  un  tel  évêque.  Les  Juifs  mêmes  portaient 
es  lampes  pour  honorer  ses  funérailles  :  car  les  plus  grands 
rnemis  de  la  religion  ne  peuvent  s'empêcher  de  révérer  la 
lînteté.  La  mort  ne  servit  qu'à  faire  éclater  celle  de  S.  Gai 
ar  le  grand  nombre  de  miracles  qui  s'opérèrent  sur  son 
jjmbeau.  L'Église  honore  la  mémoire  de  ce  saint  évêque  le 
rr  juillet,  qui  n'est  pas  le  jour  de  sa  mort  (1). 

Il  y  a  lieu  de  croire  que  S.  Gai  était  mort  lorsque  dix  des 
|  vêques  qui  avaient  assisté  au  dernier  concile  d'Orléans  en  tin- 
tait un  autre,  quelques  années  après,  dans  la  ville  d'Auvergne. 
(  s  n'y  statuèrent  rien  de  nouveau  et  ne  firent  que  confirmer 
3ize  canons  du  cinquième  concile  d'Orléans,  qu'ils  insérèrent 
ans  leurs  actes  (2)  :  c'est  ce  qui  nous  autorise  à  ne  pas  en 
arler  plus  au  long.  Gomme  on  ne  voit  pas  à  ce  concile  d'évè- 
ue  d'Auvergne,  c'est  une  raison  de  croire  qu'il  se  tint  pendant 
i  vacance  de  ce  siège,  et  peut-être  ces  prélats  n'étaient-ils  as- 
amblés  que  pour  les  obsèques  de  l'évêque  défunt  et  l'ordina- 
.on  qu'ils  s'attendaient  à  faire  du  successeur. 
En  effet,  aussitôt  que  S.  Gai  eut  été  enterré,  le  clergé  de  la 
ille  alla  faire  compliment  au  prêtre  Caton  sur  l'épiscopat, 
u'on  regardait  comme  ne  pouvant  lui  échapper.  Il  se  porta 
ji-même  pour  évêque,  mit  sous  sa  main  les  biens  de  l'Église, 
hassa  les  administrateurs  et  régla  tout  avec  autorité.  Les 
vêques  qui  s'étaient  assemblés  pour  les  funérailles  de  S.  Gai 
ni  dirent  (3)  :  «  Nous  voyons  que  la  plus  grande  partie  du 
peuple  vous  a  élu  :  venez,  nous  vous  ordonnerons  évêque.  Le 

(1)  Il  est  difficile  de  déterminer  en  quelle  année  mourut  S.  Gai,  parce  que  Gré- 
tire  de  Tours  paraît  se  contredire.  Il  place  le  commencement  de  son  épiscopat 
)rès  l'expédition  que  Thierry  fit  en  Auvergne  l'an  431,  et  sa  mort  avant  celle  du 
»i  Thibauld,  arrivée  l'an  555,  et  cependant  il  lui  donne  vingt-sept  ans  d'épis- 
>pat  ;  Fortunat  ne  lui  en  donne  que  vingt-cinq.  Il  faudrait  peut-être  lui  en 
)rmer  encore  moins.  V.  Fort.  Epith.  Gall.,  1.  IV,  carm.  4. 

(2)  Conc.  Gall.,  t,  I.  -  (3)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  v,  vi. 


334  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [553 

roi  est  un  enfant  :  si  l'on  vous  en  fait  un  crime,  nousprendron 
la  faute  sur  nous  et  nous  vous  soutiendrons.  »  Gatonleu 
répondit  avec  orgueil  :  «  La  renommée  ne  tous  a  pas  laiss' 
ignorer  avec  quelle  piété  j'ai  vécu  depuis  mon  enfance.  L 
jeûne,  l'aumône,  la  prière,  la  psalmodie  font  toutes  mes  dé| 
ces  et  toutes  mes  occupations.  Le  Seigneur,  que  j'ai  si  biei 
servi,  ne  permettra  pas  que  je  sois  privé  de  cet  évêché.  J'ê 
été  dix  ans  lecteur,  cinq  ans  sous-diacre,  quinze  ans  diacre 
et  il  y  a  vingt  ans  que  je  suis  prêtre.  Que  me  reste-t-il  maii 
tenant,  sinon  d'être  élevé  à  l'épiscopat,  que  j'ai  mérité  pa 
mes  services?  Retournez  dans  vos  diocèses  :  je  ne  veux  recf 
voir  cette  dignité  que  selon  les  canons.  »  Il  voulait  dire  qu' 
fallait  le  consentement  du  roi,  ainsi  que  le  dernier  concil 
d'Orléans  l'avait  ordonné.  Il  avait  en  cela  raison,  et  il  eût  m( 
rité  l'épiscopat,  s'il  eût  été  moins  persuadé  qu'il  en  était  dign< 
Mais  il  n'y  a  pas  de  vrai  mérite,  surtout  quand  il  s'agit  d( 
dignités  de  l'Eglise,  sans  une  sincère  humilité.  La  vanité  ù 
Gaton  fit  perdre  à  ses  vertus  tout  leur  prix,  et  elle  trouva  so 
châtiment  dans  la  sévérité  même  qu'elle  lui  inspira. 

Dès  que  cet  hypocrite  ambitieux  se  vit  élu  par  le  clergé, 
menaça  l'archidiacre  Gautin  de  le  déposer.  Celui-ci  eut  bea 
lui  demander  humblement  ses  bonnes  grâces  et  s'offr 
même  à  aller  solliciter  pour  lui  le  consentement  du  roi  :  Ci 
ton  tourna  ses  offres  en  dérision.  Mais  le  mépris  est  une  injui 
qu'on  ne  pardonne  guère.  L'archidiacre,  pour  s'en  venger,  al 
secrètement  trouver  le  roi  Thibauld  et  lui  apprit  la  mort  c 
S.  Gai.  Le  jeune  prince,  sans  aucun  examen,  lui  donna  l'év< 
ché  d'Auvergne  et  le  fit  aussitôt  ordonner  à  Metz  (1),  ensor 
qu'il  était  déjà  sacré  quand  les  députés  de  Gaton  arrivèren 
Ce  prêtre  superbe  fut  si  outré  de  cette  préférence  qu'il  ne  pi 
se  résoudre  à  se  soumettre  à  Gautin,  et  il  fit  un  schisme  dai 
l'Église  d'Auvergne  :  ce  qui  obligea  le  nouvel  évêque  à  ôter 


(1)  On  voit  ici  avec  quelle  légèreté  les  rois  commençaient  à  disposer  des  évêch< 
L'Eglise  devait  s'en  ressentir  tôt  ou  tard. 


5 5 ' î  î  EN  FRAN'CE.    LIVRE  VI.  335 

lui  et  à  ses  adhérents  tout  ce  qu'ils  possédaient  des  biens  de 
nÉglise.  &tiC 

Mais  Cautin  avait  beau  sévir  contre  les  réfractaires  :  sa 
onduite  scandaleuse  avilissait  son  autorité  et  fournissait  des 
rmcs  contre  lui.  En  effet,  les  vices  de  ce  prélat  parurent 
l'autant  plus  monstrueux  qu'il  succédait  à  S.  Gai  :  il  désho- 
lora  son  caractère  par  les  passions  honteuses  de  l'avarice  et  de 
'intempérance,  avec  si  peu  de  retenue  et  tant  de  scandale 
[u'on  était  souvent  obligé  de  l'emporter  de  table  dans  l'état  où 
ivresse  l'avait  mis.  Mais  les  cruautés  que  son  avarice  lui 
t  exercer  le  rendirent  encore  plus  odieux  qu'il  n'était  mépri- 
able.  En  voici  un  exemple. 

Ste  Clotilde  avait  donné  quelque  fonds  de  terre  à  un  prêtre 
ommé  Anastase.  Gautin,  qui  voulait  l'en  dépouiller,  lui  or- 
onna  de  lui  remettre  en  main  l'acte  de  la  donation ,  et  sur  le 
3fus  d' Anastase  il  le  fit  inhumainement  ensevelir  tout  vivant 
ans  un  ancien  tombeau  de  l'église  Saint-Cassy.  L'évêque  vou- 
lit  l'y  laisser  mourir  ;  mais  Anastase,  que  l'extrême  péril 
3ndit  industrieux,  ayant  trouvé  le  moyen  de  sortir  de  sa 
rison  souterraine,  alla  implorer  la  protection  de  Clotaire, 
ui,  par  la  mort  de  Thibauld,  décédé  sans  enfants  l'an  555, 
tait  devenu  maître  de  l'Auvergne  et  même  de  tout  le  royaume 
'Austrasie.  Quelque  cruel  que  fût  Clotaire,  il  détesta  dans 
n  évêque  une  action  qui  ferait  horreur  dans  un  tyran.  On  ne 
oit  cependant  pas  qu'il  l'ait  punie. 

Le  roi  Ghildebert  montra  plus  de  zèle  pour  faire  cesser  le 
candale  que  l'évêque  de  sa  capitale  donnait  à  l'Église  de 
'rance.  Saffarac  de  Paris,  qui  avait  assisté  au  cinquième  concile 
'Orléans,  était  accusé  de  plusieurs  crimes  qu'on  ne  jugea  pas 
evoir  laisser  impunis,  et,  après  les  informations  juridiques 
u'on  en  fît,  il  les  confessa  devant  les  évêques  Médovée  de 
leaux,  Lubin  de  Chartres,  Arédius  qu'on  croit  être  le  même 
u'Arége  de  Ne  vers,  l'abbé  Leubachaire,  le  prêtre  Hiculfe, 
archidiacre  Eternus  et  le  diacre  Castricius.  Il  fut  en  consé- 
[uence  renfermé  dans  un  monastère  ;  mais  pour  le  déposer 


336  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [554 1 

canoniquement  Childebert  convoqua  un  concile  à  Paris  vers 
l'an  553.  On  y  examina  toutes  les  procédures  faites  contre 
Saffarac  ,  et  les  commissaires  devant  qui  il  avait  fait  l'aveu  de 
ses  crimes  en  rendirent  compte  au  concile,  qui  les  jugea  capi- 
taux et  suffisamment  prouvés.  En  conséquence,  après  avoir 
ratifié  ce  qu'on  avait  fait  contre  cet  évêque  en  le  confinant  dans 
un  monastère,  le  concile  déclara  qu'il  avait  mérité  la  déposi- 
tion et  il  ordonna  au  métropolitain  d'y  procéder,  et  d'observer 
en  cela  ce  que  les  canons  du  concile  tenu  peu  de  temps  aupa- 
ravant à  Orléans  prescrivaient  pour  de  semblables  crimes  (1). 
On  peut  conjecturer  d'après  cette  décision  qu'il  s'agissait  ici 
de  simonie  :  car  le  dernier  concile  d'Orléans  ne  parle  de  dépo- 
sition d' évêque  qu'au  dixième  canon,  au  sujet  de  ceux  qui  au- 
raient acheté  l'épiscopat,  et  Saffarac  avait  souscrit  ces  canons. 

Yingt-sept  évêques  composèrent  le  second  concile  de  Pa- 
ris ;  à  leur  tête  étaient  six  métropolitains  :  Sapaudus  d'Arles, 
successeur  de  S.  Aurélien;  S.  Hésychius  de  Vienne;  S.  Nicet 
de  Trêves  ;  Probien  de  Bourges  ;  Constitut  de  Sens,  métro- 
politain de  Saffarac,  et  S.  Léonce  de  Bordeaux.  Parmi  les 
autres  évêques,  nous  ne  nommerons  que  ceux  que  l'Église  a 
mis  au  nombre  des  saints,  savoir  :  S.  Firmin  d'Uzès,  S.  Agri- 
cole de  Chalon,  S.  Arédius  de  Nevers,  S.  Tétric  de  Langres 
et  S.  Lubin  de  Chartres.  Les  Pères  de  ce  concile  ne  crurent 
pas  que  la  punition  d'un  de  leurs  confrères  fût  une  tache  pour 
l'épiscopat;  ils  jugèrent  au  contraire  que  son  impunité  en 
aurait  fait  la  honte  :  il  n'y  a  que  les  fautes  impunies  qui  dés- 
honorent le  corps  où  elles  sont  tolérées. 

Sapaudus,  qui  avait  présidé  le  concile  de  Paris,  en  tint  un 
autre  à  Arles  au  mois  de  juin  de  l'an  554  :  c'est  le  cinquième 
qui  ait  été  tenu  en  cette  ville.  Il  s'y  trouva  onze  évêques  avec 
les  députés  de  huit  autres ,  et  l'on  y  formula  les  sept  canons 
suivants  (2). 

I.  Les  évêques  de  la  province  n'offriront  les  pains  pour  le 

(1)  Conc.  GalL,  t.  I,  p.  301  ;  —  (2)  Conc.  Gail.,  t.  I,  p  298.  —  Labb.,  t.  V. 
p.  780. 


554]  EN  FBAiVCE.   —  LIVRE  VI.  337 

sacrifice  que  selon  la  forme  (1)  qui  est  en  usage  dans  l'Eglise 
l'Arles. 

II.  Les  monastères  seront^soumis  à  la  correction  del'évêque 
liocésain. 

III.  Il  est  défendu  aux  abbés  de  faire  de  longs  voyages  et  de 
>'absenter  longtemps  de  leurs  monastères,  sous  peine  d'être 
;>unis  parl'évèque  selon  les  canons. 

IV.  Il  est  défendu  aux  prêtres  de  déposer  un  diacre  ou  un 
sous-diacre  sans  la  participation  de  l'évêque. 

V.  Les  évêques  prendront  soin  des  monastères  de  filles  qui 
sont  dans  leurs  diocèses,  et  tiendront  la  main  à  ce  que  les 
ibbesses  ne  fassent  rien  contre  la  règle. 

VI.  Il  est  défendu  aux  clercs  qui  jouissent,  des  biens  de 
.'Église  de  négliger  le  soin  de  ces  biens,  sous  peine  delà  dis- 
cipline pour  les  clercs  des  ordres  inférieurs,  et,  pour  ceux 
les  ordres  supérieurs,  sous  peine  d'être  traités  comme  meur- 
riers  des  pauvres. 

VII.  Il  est  défendu  à  un  évêque,  sous  peine  de  trois  mois  de 
suspense,  de  promouvoir  à  quelque  ordre  un  clerc  d'un  autre 
liocèse,  sans  une  lettre  de  son  évêque. 

Ces  règlements  furent  arrêtés  et  souscrits  le  29  juin,  indic- 
ion  III  et  la  quarante-troisième  année  du  règne  de  Childe- 
3ert,  c'est-à-dire  l'an  554. 

Saffarac  de  Paris  ayant  été  déposé  par  son  métropolitain, 
comme  l'avait  décidé  le  concile  de  Paris,  Eusèbe  (2)  fut  or- 
lonné  à  sa  place.  C'est  lui  qui  promut  à  la  prêtrise  S.  Cloud, 
lont  nous  avons  parlé.  Il  occupa  le  siège  peu  de  temps,  étant 
nort  vers  l'an  555. 

(1)  Ou  donne  à  ce  canon  deux  interprétations  assez  |plausibles  :  1°  On  peut 
'expliquer  de  la  figure  des  pains  offerts  pour  le  sacrifice,  lesquels  devaient  être 
xniformes  dans  toute  la  province.  Ils  étaient  communément  ronds  et  marqués 
l'une  croix.  2°  On  peut  croire  que  le  concile  parle  de  la  manière  de  ranger  sur 
'autel  les  pains  qui  étaient  offerts  et  qui  doivent  être  consacrés.  Plusieurs  Églises 
ivaient  là-dessus  différents  usages.  Le  plus  commun  était  de  les  ranger  en  croix; 
nais  ces  croix  mêmes  formaient  diverses  figures. 

(2)  D'anciens  catalogues  .font  succéder  à  Saffarac  un  nommé  Libanius,  qu'on 
\e  connaît  pas  d'ailleurs. 

TOME  II.  2- 


338  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [555] 

S.  Lubhi  de  Chartres  mourut  quelques  années  après,  re- 
nommé à  cause  de  ses  miracles  et  de  la  vie  austère  qu'il  con- 
tinua de  mener  dans  l'épiscopat,  malgré  ses  infirmités.  La  ville 
de  Paris  éprouva  son  pouvoir  auprès  de  Dieu  dans  un  incendie 
qui  menaçait  de  la  consumer  (1).  Le  roi  Childebert  avait 
appelé  le  saint  évêque  à  Paris  avec  Médovée  de  Meaux,  pour 
y  officier  à  la  fête  de  Pâques  à  la  place  de  l'évêque  de  cette 
ville,  qui  était  mort.  Ce  devait  être  Amélius,  prédécesseur  de 
Saffarac,  ou  Eusèbe,  son  successeur.  Pendant  que  Lubin  était 
en  cette  ville,  le  feu  prit  pendant  la  nuit  à  quelques  maisons, 
et,  poussé  par  le  vent,  il  gagna  celles  qui  dès  lors  étaient  bâties 
sur  le  pont.  Les  cris  du  peuple  ayant  éveillé  le  roi,  ce  prince 
ne  vit  de  ressource  que  dans  les  prières  de  Lubin  et  l'en- 
voya prier  de  venir  au  secours  de  la  ville.  On  voulait  conduire 
le  saint  évêque  vers  les  maisons  qui  étaient  en  feu  ;  mais  il 
alla  d'abord  à  l'église,  où  les  larmes  qu'il  répandit  furent  si 
efficaces  que  les  flammes  s'éteignirent  aussitôt  qu'il  parut  sur 
le  théâtre  de  l'incendie. 

Entre  plusieurs  autres  miracles  qu'on  rapporte  de  S.  Lu- 
bin, on  assure  qu'en  faisant  la  visite  de  son  diocèse,  il  gué- 
rit un  aveugle  et  ressuscita  une  jeune  fille.  Un  saint  prêtre 
de  son  clergé,  nommé  Chaletric,  étant  tombé  dangereuse- 
ment malade,  le  saint  évêque  lui  envoya  d'abord  de  l'huile 
bénite;  puis,  étant  allé  le  voir,  il  lui  en  fit  les  onctions  en  di- 
sant :  Seigneur,  si  vous  jugez  que  votre  serviteur  soit  nécessaire 
à  votre  Église,  rendez-le-nous  en  santé.  Le  Seigneur,  qui  avait 
destiné  Chaletric  à  l'épiscopat,  le  guérit  à  l'instant.  S.  Lubin 
fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Martin  en  Vallée.  Le  nombre 
des  lieux  qui  portent  le  nom  de  ce  saint  évêque  de  Chartres 
montre  la  célébrité  de  son  culte  ;  l'Église  honore  sa  mé- 
moire le  14  mars,  et  celle  de  S.  Chaletric,  qui  lui  succéda, 
le  8  octobre. 

Le  Seigneur,  qui  ne  cessait  de  veiller  au  bien  et  à  la 


(1)  Vit.  Leob.,  n.  16,  apud  Boll.,  14  mart. 


[555]  EX  FRAXCE.  —   LIVRE  VI.  339 

gloire  de  l'Église  gallicane ,  venait  d'élever  sur  le  siège  de 
la  capitale  un  saint  évêque,  bien  capable  de  réparer  les  scan- 
lales  que  Saffarac  pouvait  y  avoir  donnés.  Après  la  mort 
l'Eusèbe,  S.  Germain  (i),  alors  abbé  de  Saint-Symphorien 
l'Autun,  fut  élu  évêque  de  Paris  pendant  qu'il  était  en  route 
pour  se  rendre  auprès  du  roi  Childebert.  Sa  grande  réputa- 
ion  et  ses  rares  vertus  lui  valurent  seules  cette  dignité,  qu'il 
craignait  autant  que  ses  talents  l'en  rendaient  digne  (2). 
■  était  issu  d'une  famille  aisée  du  territoire  d'Autun.  Son 
)ère  se  nommait  Eleuthère,  et  sa  mère,  Eusébie.  Il  parut 
nême  avant  sa  naissance  que  la  divine  providence  s'inté- 
•essait  à  sa  conservation  :  car  sa  mère,  étant  enceinte  de  lui, 
it  tous  ses  efforts  pour  lui  donner  la  mort  clans  son  sein  ; 
nais  Dieu  ne  permit  pas  qu'elle  réussît  dans  son  détestable 
projet.  Germain  fut  élevé  dans  son  enfance  à  A  vallon  chez 
me  de  ses  parentes,  qui  n'eut  pas  pour  lui  des  sentiments 
ilus  humains.  Cette  méchante  femme  conçut  le  noir  des- 
tin de  s'en  défaire  par  le  poison,  et,  en  ayant  préparé,  elle 
•rdonna  à  sa  fille  de  le  donner  à  Germain  lorsqu'il  revien- 
rait  de  l'école  avec  un  fils  qu'elle  avait,  nommé  Stratidius  ; 
dais  la  fille  se  méprit  et  donna  le  poison  à  Stratidius. 

Germain,  échappé  à  ces  périls,  se  retira  à  Lazy  chez  un 
aint  prêtre,  qui  jeta  dans  son  âme  les  premières  semences 
e  la  vertu.  Il  y  avait  demeuré  quinze  ans,  lorsque  S.  Agrip- 
in,  évêque  d'Autun  ,  l'ordonna  diacre  et  ensuite  prêtre 
X)is  ans  après.  Enfin,  S.  Nectaire,  évêque  de  la  même 
ille,  par  estime  pour  sa  sagesse  et  pour  sa  piété,  le  fit 
bbé  du  monastère  de  Saint-Symphorien.  Germain  fit  éclater 
îalgré  lui  dans  cette  charge  les  vertus  qu'il  s'était  efforcé 
isqu'alors  de  cacher  aux  hommes.  On  admira  en  lui  une 
ire  austérité  sans  ostentation,  une  grande  vigilance  sans 

(1)  Le  P.  Mabillon,  dans  ses  Annales,  fait  succéder  S.  Germain  à  Saffarac;  la  Vie 
:  S.  Droctovée  marque  que  ce  saint  évêque  fut  le  successeur  d'Eusèbe  ,  et  la  Vie 
i  S.  Germain  le  suppose,  en  disant  qu'il  fut  élu  après  la  mort  de  l'évêqne  de 
n*is.  Ce  n'était  donc  pas  après  la  déposition  de  Saffarac. 

(2)  Fortun.  Vita  S.  Germant. 


340  HISTOIRE  DE  I/EGLISE  CATHOLIQUE  [555 

inquiétude,  une  union  continuelle  avec  Dieu  au  milieu  des 
affaires  et  surtout  un  tendre  amour  pour  les  pauvres.  I 
ne  pouvait  leur  rien  refuser,  et  leurs  besoins  lui  faisaien 
quelquefois  oublier  ceux  de  sa  communauté  (1). 

Un  jour  qu'il  avait  donné  aux  pauvres  tout  ce  qu'il  1 
avait  de  pain  dans  le  monastère,  les  moines,  qui  en  man- 
quaient, commencèrent  à  murmurer  contre  lui.  Il  s'en 
ferma  dans  sa  cellule,  et,  aussi  affligé  de  leurs  murmures 
que  sensible  à  leurs  nécessités,  il  répandit  des  larmes  de  van 
le  Seigneur.  Sa  prière  n'était  pas  achevée  qu'on  vit  arri 
ver  à  la  porte  du  monastère  deux  chevaux  chargés  de  pain 
qu'une  pieuse  dame  envoyait  en  aumône. 

Le  saint  abbé  avait  le  don  de  prophétie.  Étant  allé  trou 
ver  le  roi  Childebert  à  Chalon-sur-Saône  au  sujet  de  quel 
ques  terres  de  l'Église  d'Autun,  il  avertit  ce  prince  de  si 
préparer  à  paraître  devant  le  Seigneur,  parce  qu'il  mour 
rait  bientôt  :  prédiction  que  l'événement  justifia. 

Tel  était  l'illustre  S.  Germain  de  Paris,  lorsqu'il  fu 
élevé  à  l'épiscopat,  pour  y  retracer  par  ses  vertus  celles  di 
saint  évêque  d'Auxerre  dont  il  portait  le  nom.  Il  sut,  comm 
lui,  allier  avec  sa  dignité  l'humilité  et  l'austérité  de  la  vi 
monastique  ;  se  faire  aimer  des  petits  et  respecter  des  grands 
fréquenter  la  cour  sans  y  rien  perdre  de  sa  vertu  ni  de  soi 
amour  pour  la  retraite,  parce  que  le  devoir  et  la  charité  seul 
l'y  conduisaient.  Childebert  avait  conçu  tant  d'estime  pou 
Germain  qu'il  faisait  de  lui  le  dispensateur  de  ses  aumônes 
persuadé  qu'en  passant  par  des  mains  si  pures  elles  acqué 
raient  un  nouveau  mérite  devant  Dieu. 

Un  jour  ce  prince  lui  donna  six  mille  sous  d'or  pour  le 
pauvres.  Germain  en  distribua  sur-le-champ  trois  mille 
Étant  retourné  au  palais,  le  roi  lui  demanda  s'il  avait  encor 

(l)  On  lit  dans  un  ancien  manuscrit  de  la  Vie  de  S.  Germain,  qui  était  à  l'abbav 
de  Saint-Gai,  que  l'évêque  d'Autun,  pour  punir  ce  saint  abbé  de  ses  profusions  envei 
les  pauvres,  le  fit  mettre  quelque  temps  en  prison.  On  ne  trouve  pas  ce  fait  ailleun 
V.  Mabill.  Ann.,  t.  I. 


[555]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  341 

de  quoi  donner.  Le  saint  évêque  ayant  répondu  qu'il  lui 
restait  la  moitié  de  la  somme  :  Distribuez  libéralement ,  re- 
prit le  roi,  les  fonds  pour  donner  ne  vous  manqueront  pas, 
et  aussitôt,  faisant  mettre  en  pièces  de  la  vaisselle  d'argent, 
il  la  donna  à  Germain,  qui  la  fit  bientôt  passer  entre  les 
mains  des  pauvres  :  car,  dit  l'auteur  de  sa  Vie,  il  ne  croyait 
posséder  que  ce  qu'il  leur  avait  donné. 

Ghildebert  reçut  même  dès  cette  vie  la  récompense  des 
libéralités  que  S.  Germain  lui  inspirait  de  faire  aux  pau- 
vres et  aux  Églises.  Ce  prince  étant  tombé  dangereusement 
malade,  le  saint  évêque  lui  rendit  miraculeusement  la  santé, 
et  le  roi,  par  reconnaissance,  donna  à  l'Eglise  de  Paris  la 
terre  où  il  avait  été  guéri.  Voici  dans  quels  termes  il  en 
parle  dans  l'acte  de  la  donation,  qu'on  regarde  comme  au- 
thentique (1)  :  «  Notre  père  et  seigneur  Germain,  évêque 
de  Paris,  homme  vraiment  apostolique,  nous  a  fait  con- 
naître par  ses  prédications  que  ,  tandis  que  nous  sommes 
en  ce  monde,  nous  devons  penser  à  l'autre  vie,  et  il  nous 
a  recommandé  d'augmenter  de  plus  en  plus  les  biens  des 
Églises  et  de  soulager  la  misère  des  pauvres,  comme  il 
nous  en  donne  lui-même  l'exemple.  Or,  ce  saint  évêque 
m'ayant  trouvé  dangereusement  malade  dans  ma  maison 
de  Celles,  qui  est  située  dans  le  territoire  de  Melun,  et 
voyant  que  la  médecine  avait  épuisé  en  vain  tous  les  secrets 
de  son  art ,  eut  recours  à  la  prière ,  qui  fut  plus  efficace 
que  tous  les  remèdes:  car,  ayant  passé  la  nuit  en  oraison, 
il  m'imposa  les  mains  le  lendemain  matin ,  et  aussitôt  je  re- 
couvrai la  santé,  que  les  plus  habiles  médecins  n'avaient 
pu  me  rendre.  C'est  pourquoi,  en  reconnaissance  de  ce  mi- 
racle que  Dieu  a  opéré  par  son  intermédiaire,  pour  l'affermis- 
sement de  notre  règne  et  pour  notre  salut  éternel  ,  nous 
donnons  à  notre  mère  l'Église  de  Paris,  dont  le  seigneur 
Germain  est  évêque,  notre  dite  maison  de  Celles,  située  sur 

\\)  Apud  Boll.,  6  maii,  p.  777.  ' 


342  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [556] 

le  territoire  de  Melun,  sur  le  bord  de  la  Seine,  au  con- 
fluent de  F  Yonne.  » 

Le  zèle  que  Childebcrt  montrait  pour  conserver  la  pu- 
reté de  la  foi  le  rendit  encore  plus  reconimandable  que  ses 
libéralités  envers  les  pauvres.  Il  en  donna  des  marques  écla- 
tantes à  l'occasion  des  troubles  dont  l'Église  était  agitée 
en  Orient. 

On  était  plus  alarmé  que  jamais  dans  les  Gaules  au  sujet 
de  l'affaire  des  trois  chapitres.  Ils  avaient  été  condamnés 
par  le  cinquième  concile  et  même  par  le  pape  Yigile  ;  mais 
on  croyait  que  ce  n'était  que  le  résultat  des  intrigues  el 
des  violences  de  Justinien.  L'alarme  augmenta  après  la 
mort  de  Yigile,  qui  arriva  le  10  janvier  de  l'an  555,  comme 
il  retournait  en  Italie.  Pélage,  qui  lui  succéda,  fut  soup- 
çonné d'avoir  eu  part  aux  mauvais  traitements  qu'on  avait 
fait  subir  à  ce  pape  et  même  d'avoir  avancé  sa  mort.  C'est 
pourquoi  plusieurs  laïques  et  même  quelques  évêques 
refusaient  ouvertement  de  communiquer  avec  lui.  Pélage, 
voulant  mettre  fin  à  ce  scandale,  alla  en  procession  de 
Saint-Pancrace  à  Saint-Pierre,  et  là,  tenant  l'Évangile  et  la 
croix  sur  sa  tête ,  il  monta»  dans  l'ambon  et  jura  solennel- 
lement qu'il  n'avait  nullement  trempé  dans  les  rigueurs 
exercées  contre  son  prédécesseur.  Un  serment  si  solennel 
ayant  dissipé  les  injustes  soupçons  du  peuple,  Pélage  s'ap- 
pliqua ensuite  à  se  concilier  les  évêques  et  à  détruire  les 
vains  ombrages  que  la  condamnation  des  trois  chapitres 
avait  fait  naître  contre  sa  foi. 

Ce  pape  écrivit  le  premier  à  Sapaudus  d'Arles  une  lettre 
pleine  de  bienveillance,  dans  laquelle  il  lui  faisait  cependant 
sentir  qu'il  aurait  dû  le  prévenir  et  l'envoyer  complimen- 
ter au  sujet  de  son  exaltation  sur  le  Saint-Siège  (1).  Sapau- 
dus répondit  à  ces  civilités  par  une  lettre  pleine  d'éloges  de 
la  personne  de  Pélage,  dont  il  connaissait  le  mérite  et  l'éru- 

(I)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  303.—  Ap.  Labb.,  t.  V,  p.  707. 


[556]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  343 

dition,  et  le  pape  reçut  ces  louanges  avec  une  modestie  qui 
faisait  assez  connaître  qu'il  les  méritait.  «^Ne  sentant  rien 
en  moi,  lui  dit-il,  de  ce  que  vous  y  trouvez,  je  n'ai  pu 
m'cmpècher  de  rougir  des  éloges  que  vous  me  donnez,  et 
je  me  suis  rappelé  ce  qu'a  dit  un  savant  homme,  que  la 
louange  qui  est  vraie  est  un  éloge,  mais  que  celle  qui  est 
fausse  est  une  réprimande.  »  La  lettre  est  datée  du  16  sep- 
tembre de  la  quinzième  année  après  le  consulat  de  Basile, 
c'est-à-dire  l'an  556.  Pélage  ajoute  qu'il  a  écrit  en  même 
temps  à  Childebert. 

Ce  religieux  prince,  voyant  les  préventions  où  l'on  était 
en  France  contre  la  foi  môme  du  vicaire  de  Jésus-Christ  au 
sujet  des  trois  chapitres,  prit  des  mesures  pour  éclaircir  un 
point  si  important  à  la  paix  de  l'Église.  Il  envoya  vers  le 
pape  une  ambassade  pour  le  presser  de  faire  cesser  le  scan- 
dale en  lui  envoyant  sa  profession  de  foi  sur  les  articles  en 
question.  Le  zèle  et  la  charité  firent  entrer  Pélage  dans  les 
vues  du  roi,  et  il  lui  fît  réponse  en  ces  termes  (1)  :  «  Au  très- 
fjlorieux  et  très-excellent  seigneur  notre  fils  le  roi  Childe- 
bert. Rufin,  l'ambassadeur  de  Votre  Excellence,  nous  a  re-  » 
présenté  qu'il  s'est  répandu  des  semences  de  scandale  dans 
les  provinces  des  Gaules,  par  les  discours  de  ceux  qui  pu- 
blient qu'on  a  donné  quelque  atteinte  à  la  foi  catholique... 
Quoique  depuis  la  mort  de  l'impératrice  Théodora  l'Église 
n'ait  plus  à  craindre  qu'on  agite  dans  l'Orient  des  questions 
nuisibles  à  la  foi,  et  qu'on  y  ait  seulement  traité  quelques 
articles  qui  ne  lui  portent  aucun  préjudice,  et  qu'il  serait 
trop  long  de  vous  exposer  dans  une  lettre,  nous  avons  cru, 
d'après  l'avis  dudit  seigneur  Rufin,  pour  calmer  votre  in- 
quiétude et  celle  des  évêques  des  Gaules,  devoir  vous  décla- 
rer en  peu  de  mots  que  nous  anathématisons  et  jugeons 
indigne  de  la  vie-éternelle  quiconque  s'est  écarté  ou  s'écar- 
tera dans  la  moindre  chose  de  la  foi  que  le  pape  Léon, 

(1)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  304.  -  Ap.  Labb.,  t.  V,  p.  T98. 


344  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  |Gô6| 

d'heureuse  mémoire,  a  annoncée  dans  ses  lettres,  et  que 
le  concile  de  Chalcédoine,  en  suivant  la  doctrine  de  ce  grand 
pontife,  a  reçue  par  sa  définition.  » 

Pélage  exhorte  ensuite  Ghildebert  et  ses  évêques  à  ne 
pas  se  laisser  séduire  par  les  bruits  et  les  faux  écrits  qu'on 
répand.  «  Quand  nous  étions  à  Gonstantinople ,  dit-il,  on 
envoyait  en  Italie  de  fausses  lettres  sous  notre  nom,  comme 
si  nous  avions  dit  que  l'on  avait  attenté  à  la  foi  catholique , 
et  à  présent  on  fait  courir  ici  des  lettres  anonymes  contre 
nous,  sans  qu'on  puisse  en  connaître  les  auteurs.  »  Le  pape 
s'attache  aussi  à  justifier  la  foi  de  l'empereur  Justinien  et 
fait  retomber  tout  l'odieux  sur  l'impératrice.  «  L'empereur 
votre  père,  dit-il,  n'a  donné  aucune  atteinte  à  la  décision  du 
pape  Léon  ni  à  la  foi  du  concile  de  Chalcédoine.  » 

Ghildebert  avait  chargé  ses  ambassadeurs  de  demander 
des  reliques  au  pape.  Pélage  lui  marque  qu'il  lui  en  avait 
déjà  envoyé  des  saints  apôtres  et  des  saints  martyrs  par 
des  moines  de  Lérins ,  et  qu'il  a  député  le  sous-diacre  Ho- 
mobon  pour  porter  jusqu'à  Arles  celles  que  ses  ambas- 
sadeurs lui  ont  encore  demandées.  La  lettre  est  datée  du 
3  décembre  de  la  quinzième  année  après  le  consulat  de  Ba- 
sile, c'est-à-dire  l'an  556,  et  elle  est  signée  :  Pélage,  par  la 
miséricorde  de  Dieu ,  évêque  de  V Eglise  catholique  de  la 
ville  de  Rome. 

Les  ambassadeurs  de  Ghildebert  avaient  aussi  demandé  au 
pape  le  pallium  et  le  vicariat  du  Saint-Siège  dans  les  Gaules 
pour  Sapaudus.  Le  pape  écrivit  à  cet  évêque  qu'il  était  disposé 
à  le  lui  accorder  ;  mais  qu'il  convenait  que,  suivant  la  coutume 
de  ses  prédécesseurs,  il  écrivît  lui-même  et  envoyât  quel- 
ques personnes  de  son  clergé  pour  demander  ces  grâces  en  son 
nom  (1).  Il  lui  recommandait  en  même  temps  le  sous-diacre 
Homobon,  qui  portait  les  reliques  des  saints  apôtres ,  et  il 
priait  Sapaudus  de  dire  au  patrice  Placide,  son  père,  d'envoyer 

il)  Conc.MalL,  t.  I,  p.  306.— Ap.  Labb.,  t.  V,  p.  799. 


,556]  EN  l-RANCE.  —  LIVRE  VI.  315 

i  Rome  ce  qu'il  pourrait  réunir  des  revenus  de  l'Eglise  ro- 
maine dans  les  Gaules,  parce  que  les  terres  d'Italie  étaient 
tellement  désolées  qu'on  n'en  pouvait  rien  recueillir.  Le  pape 
lemande  qu'on  emploie  l'argent  à  acheter  des  tuniques  blan- 
ches, des  cuculles,  des  saies  et  d'autres  habits  à  l'usage  des 
pauvres,  et  qu'on  les  envoie  par  le  premier  vaisseau  à  Rome, 
où.  le  pillage  de  la  ville  par  Totila  avait  réduit  les  personnes 
les  plus  aisées  à  une  extrême  indigence. 

Sapaudus  envoya  aussitôt  à  Rome  le  diacre  Flavien  et  le 
sous-diacre  Nestorius ,  avec  des  lettres  de  sa  part  et  de 
nouvelles  lettres  de  Childebert  pour  demander  le  pallium. 
Le  pape  le  lui  accorda  et  le  déclara  vicaire  du  Saint-Siège 
dans  les  Gaules  ,  avec  les  mêmes  prérogatives  que  ses 
prédécesseurs  ,  par  une  lettre  datée  du  3  février  557.  Il 
ne  paraît  pas  que  le  pape  ,  pour  accorder  cette  grâce,  ait 
demandé  le  consentement  de  Justinien.  Il  écrivit  en  même 
temps  à  Childebert  une  lettre  dans  laquelle  il  lui  recom- 
mande de  faire  respecter  dans  la  personne  de  Sapaudus  la 
qualité  de  vicaire  du  Saint-Siège  ,  qu'il  avait  accordée  à  sa 
recommandation  (1). 

Ce  prince  ne  fut  point  satisfait  de  ce  que  le  pape  ne  lui 
avait  pas  envoyé  une  profession  de  foi  aussi  détaillée  qu'il 
l'avait  demandée.  Il  avait  cet  article  plus  à  cœur  que  les 
privilèges  qu'il  sollicitait  pour  l'Eglise  d'Arles  ,  et  il  fît  faire 
sur  ce  point  de  nouvelles  instances.  Pélage,  qui  avait  intérêt 
à  le  satisfaire  ,  ne  crut  point  qu'il  fût  contraire  à  sa  dignité 
de  rendre  compte  de  sa  croyance  à  un  si  grand  roi  pour 
dissiper  les  soupçons  qu'on  s'en  était  formés.  Ceux  qui  sont 
faussement  suspectés  sur  la  foi  ne  le  sont  pas  longtemps. 
Il  envoya  donc  à  Childebert  sa  confession  de  foi  dans  une 
nouvelle  lettre,  et  il  s'exprime  ainsi  ^  Le  Sauveur  du  monde 
a  dit  à  ses  disciples  :  Ce  n'est  pas  la  volonté  de  votre  Père 

(1)  Conc.  (ialL,  1. 1,  p.  308.— Labb.,  t.  V,  p.  800.  —  (2|  Labb.,  t.  V,  p.  803.— 
Cone.  Gall,  t.  I,  p.  310. 


346  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

qu'un  seul  de  ces  petits  enfants  périsse  (1)  ,  il  menace  de 
grands  supplices  ceux  qui  les  scandalisent.  Quel  soin  ne  de- 
vons-nous donc  pas  apporter  pour  dissiper,  par  notre  con- 
fession de  foi,  les  moindres  soupçons  de  scandale  de  l'esprit 
des  rois  ,  à  qui  les  saintes  Écritures  nous  commandent  d'être 
soumis  ?  En  effet,  le  seigneur  Rafin ,  envoyé  par  Votre  Excel- 
lence ,  nous  a  demandé  sans  détour ,  comme  il  convenait , 
que  nous  eussions  à  vous  faire  savoir  si  nous  recevions  en 
toutes  choses  la  lettre  du  pape  Léon  d'heureuse  mémoire  ou 
que  nous  rédigions  nous-même  une  confession  de  notre  foi. 
Nous  avons  exécuté  aussitôt  la  première  partie  de  sa  demande, 
comme  étant  plus  facile  ,  et  nous  avons  attesté  par  une  lettre 
signée  de  notre  main  que  notre  croyance  est  parfaitement 
conforme  à  celle  de  ce  pape.  Mais  afin  qu'il  ne  demeure  aucun 
soupçon,  je  me  suis  empressé  de  satisfaire  aussi  à  l'autre  partie 
de  la  demande  que  cet  envoyé  m'avait  faite.  J'ai  clone  cru 
nécessaire  de  déclarer  d'abord  à  Votre  Excellence  que  je 
suis  entièrement  soumis  aux  définitions  cle  foi  des  quatre 
conciles  généraux.  »  Suit  la  profession  de  foi  du  pape  sous 
ce  titre  :  Foi  du  pape  Pelage.  Il  y  expose  sa  croyance  sur 
la  Trinité  ,  l'incarnation  du  Verbe  ,  l'unité  de  personne  et 
les  deux  natures  en  Jésus-Christ ,  sur  les  autres  mystères  du 
Sauveur,  sur  le  jugement  dernier  et  l'éternité  des  peines. 
Après  quoi  il  ajoute  : 

«  Voilà  ,  prince  ,  quelle  est ,  par  un  don  de  la  miséricorde 
divine,  ma  foi  et  mon  espérance,  dont  S.  Pierre  nous  a 
ordonné  d'être  toujours  prêts  à  rendre  compte  à  quiconque 
nous  le  demanderait.  Il  faut  maintenant  que  le  zèle  ardent 
que  nous  nous  réjouissons  de  voir  en  vous  pour  cette  même 
foi ,  vous  fasse  prendre  des  mesures  pour  réprimer  l'audace 
de  ceux  qui  répandent  des  semences  de  division  et  de  scan- 
dale dans  les  provinces  de  votre  royaume  ,  et  pour  empêcher 
qu'ils  ne  portent  quelques-uns  de  nos  frères  les  évèques  et 

(1)  Mattli.  xviii,  1  ». 


[557]  ENT  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  347 

les  peuples  qui  leur  sont  confiés  à  exciter  des  troubles.... 
Que  le  Seigneur,  qui  par  sa  miséricorde  vous  a  suscité  dans 
ces  temps  malheureux  pour  combattre  les  ennemis  de  la 
paix  de  l'Eglise  ,  vous  rende  si  circonspect  et  si  vigilant  , 
qu'ils  ne  paissent  jeter  dans  le  champ  de  l'Eglise  les  mali- 
gnes semences  de  leur  ivraie.  » 

Pélage,  inquiet  du  succès  de  cette  lettre ,  dans  laquelle  il 
justifiait  sa  foi,  écrivit  peu  de  temps  après  à  Sapaudus  pour 
le  prier  de  lui  faire  savoir  si  elle  avait  été  agréable  au  roi,  et 
si  lui-même  et  les  autres  évêques  en  avaient  été  satisfaits.  Il 
lui  recommande  en  même  temps,  ainsi  qu'au  patrice  Placide, 
les  Romains  que  le  malheur  des  guerres  avait  obligés  de  se 
réfugier  en  Provence,  et  il  les  prie  d'envoyer  au  plus  tôt  poul- 
ies pauvres  les  habits  qu'il  les  avait  chargés  d'acheter  de- 
revenus  de  l'Eglise  de  Rome,  «  parce  que,  dit-il,  nous  ne 
pouvons  voir  sans  être  pénétré  de  la  plus  vive  douleur  des 
personnes  nées  d'honnêtes  familles  réduites  à  la  dernière 
misère  (1).  »  C'était  en  effet  un  spectacle  bien  touchant  de  voir 
les  plus  illustres  dames  romaines  obligées  de  mendier  leur 
pain  à  la  porte  des  Goths,  qui  leur  avaient  tout  enlevé  excepté 
l'honneur,  que  Totila  leur  conserva  avec  soin  contre  la  bru- 
talité du  soldat  (2). 

La  confession  de  foi  de  Pélage  dissipa  à  la  vérité  les 
soupçons  injustes  qu'on  avait  malignement  répandus  contre  sa 
foi  ;  mais  elle  ne  guérit  pas  les  préventions  de  tous  ceux  que 
la  condamnation  des  trois  chapitres  avait  alarmés  mal  à  pro- 
pos. Nous  verrons  que  ces  trois  fameux  articles  eurent 
encore  longtemps  après  des  défenseurs  dans  les  Gaules , 
et  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner.  Quand  on  s'est  déclaré 
ouvertement  pour  un  parti ,  l'opiniâtreté  et  la  fausse  gloire 
y  retiennent  quelquefois  encore  après  même  qu'on  en  a  re- 
connu la  faiblesse  et  l'injustice. 

Sapaudus  d'Arles  ayant  eu  vers  le  même  temps  quelque 

(1)  On  voit  par  cette  lettre  l'usage  que  faisaient  les  papes  des  revenus  de 
l'Église.  —  (2)  Proc.,  de  Bello  Goth.,  1.  III,  c.  xx. 


348  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

démêlé  avec  un  évêque  de  sa  province,  Childebert  leur 
prescrivit  de  s'en  rapporter  au  jugement  de  l' évêque  d'une 
ville  voisine.  Pélage  écrivit  à  Childebert  pour  se  plaindre 
d'un  pareil  ordre,  qui  renversait  la  discipline  des  jugements 
ecclésiastiques  et  violait  les  droits  d'un  vicaire  du  Saint- 
Siège  (1).  Mais  le  souverain  pontife  assaisonna  ces  plaintes 
des  justes  louanges  que  méritait  un  prince  si  religieux. 
«  La  divine  miséricorde,  lui  dit-il,  vous  a  comblé  de  mille 
bienfaits;  mais  c'est  particulièrement  en  vue  de  l'amour 
sincère  que  vous  portez  à  l'Église  qu'elle  vous  a  rendu 
plus  glorieux  que  la  plupart  des  autres  princes.  On  sait  en 
effet  que,  parmi  les  soins  que  demande  le  gouvernement  de 
votre  royaume ,  vous  n'avez  pas  de  plus  grande  sollicitude 
que  de  conserver  la  tranquillité  dans  l'Église.  Mais  par  là 
même  nous  apprenons  avec  plus  d'étonnement  que  vous 
vous  soyez  laissé  surprendre  jusqu'à  décider,  contre  toutes 
les  lois  ecclésiastiques,  que  Sapaudus  d'Arles  devra  se 
présenter,  à  la  requête  d'un  évêque  qu'il  a  sacré,  devant 
un  autre  évêque  d'une  ville  voisine  pour  en  subir  le  juge- 
ment, lui  dont  l'Église  jouit  du  privilège  de  la  prima tie  et 
du  vicariat  du  Saint-Siège  dans  les  Gaules.  Ainsi  donc, 
ajoute-t-il,  nous  confiant  dans  votre  religion,  nous  vous 
demandons  avec  un  amour  paternel  que  si  un  tel  désordre 
a  été  commis,  vous  le  fassiez  au  plus  tôt  réparer  par  une 
satisfaction  convenable  (2).  » 

On  ne  sait  quelle  fut  l'issue  de  cette  affaire.  Mais  la 
piété  de  Childebert  ne  permet  guère  de  douter  qu'il  ne  se  soit 
rendu  aux  remontrances  du  souverain  pontife,  et  qu'il  n'ait 
fait  mieux  observer  l'ordre  des  jugements  ecclésiastiques. 

Ce  grand  prince  avait  surtout  à  cœur  de  donner  à  l'Église 
de  dignes  prélats.  Dès  ce  temps-là,  comme  nous  l'avons  déjà 
remarqué,  nos  rois  avaient  la  principale  autorité  dans  les 

(1)  Les  princes  se  mêlent  de  plus  en  plus  des  affaires  ecclésiastiques.  Leur  in- 
fluence ne  tardera  pas  à  être  funeste  à  l'Église. 

(2)  Conc.  GalL,  t.  I,  p.  308. 


[557]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  349 

élections,  et  les  plus  saints  évêques  s'adressaient  à  eux 
pour  faire  nommer  leurs  successeurs.  S.  Sacerclos,  évêque 
àe  Lyon,  étant  retenu  à  Paris  par  la  maladie  dont  il  mourut, 
le  roi  Childebert,  plein  d'estime  pour  ses  vertus,  l'honora 
d'une  visite,  et  le  saint  évêque  lui  parla  ainsi  :  «  Vous. savez, 
très-religieux  prince,  avec  quelle  fidélité  je  vous  ai  toujours 
servi.  Maintenant  que  ma  fin  approche,  consolez-moi 
et  accordez-moi  la  grâce  que  je  vous  demande.  Demandez 
ce  qu'il  vous  plaira,  répondit  le  roi  :  vous  l'obtiendrez.  Je 
vous  supplie  donc,  reprit  Sacerdos,  que  Nicet,  mon  neveu, 
soit  mon  successeur  dans  le  siège  de  Lyon  :  car  il  aime 
la  chasteté,  l'Église  et  les  pauvres,  et  l'on  voit  dans  ses 
actions  et  dans  ses  mœurs  tout  le  caractère  d'un  parfait  ser- 
viteur de  Dieu.  Le  roi  répondit  :  Que  la  volonté  de  Dieu 
soit  faite  ;  »  et  Nicet  fut  élu  d'un  commun  consentement 
par  le  clergé  et  par  le  peuple  (1).  S.  Sacerdos  ou  Serdot  est 
honoré  le  12  septembre. 

S.  Nicet  de  Lyon,  vulgairement  S.  Nizier,  était  fils  d'un 
sénateur  nommé  Florentin.  Sa  mère  Artémie  était  enceinte 
de  lui  lorsque  son  père,  qui  avait  déjà  eu  deux  enfants, 
fut  élu  évêque  de  Genève,  et  le  roi  avait  déjà  donné  son 
agrément  à  l'élection.  Mais  lorsque  Florentin  vint  annoncer 
cette  nouvelle  à  sa  femme,  elle  le  détourna  d'accepter  cette 
dignité,  lui  disant,  comme  par  un  esprit  prophétique  :  Ne 
cherchez  pas  V  épiscopat,  je  porte  dans  mon  sein  un  évêque. 
Nicet  fut  élevé  avec  grand  soin  dans  les  sciences  profanes 
et  sacrées ,  et  l'on  pouvait  tout  espérer  de  ses  talents  et  de 
sa  vertu  lorsqu'une  maladie  dangereuse  fit  craindre  pour 
sa  vie.  Sa  mère,  éplorée,  invoqua  S.  Martin  avec  confiance. 
Cependant  le  mal  paraissant  augmenter,  elle  prépara  tout 
pour  les  funérailles,  sans  cesser  néanmoins  d'espérer.  Il  y 
avait  deux  jours  que  le  malade  avait  perdu  l'usage  de  la 
parole,  lorsqu'il  s'écria  tout  à  coup  :  «  Ma  mère,  ne  craignez 


(1)  Greg.  Tur.  VU.  PP.,  c.  vni. 


350  HISTOIRE  DE  f/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

rien:  S.  Martin  m'a  guéri  en  faisant  sur  moi  le  signe  de  la 
croix  et  il  m'a  ordonné  de  me  lever.  »  Il  se  leva  en  effet 
à  l'instant  en  parfaite  santé  (1). 

S.  Grégoire  de  Tours,  qui  rapporte  ce  miracle,  l'avait  sans 
doute  .appris  de  la  bouche  même  de  S.  Nicet,  auprès  de 
qui  il  fut  élevé.  Nicet,  s'étant  engagé  dans  le  clergé,  fut 
ordonné  prêtre  à  l'âge  de  trente  ans  par  S.  Agricole  de 
Chalon.  Les  fonctions  de  son  ministère  et  ses  grands  biens 
ne  l'empêchèrent  point  de  travailler  de  ses  mains.  Il  était 
persuadé  qu'on  ne  pouvait  vaincre  les  passions  que  par 
la  fuite  de  l'oisiveté.  Il  craignait  surtout  de  blesser  deux 
vertus  bien  délicates  et  bien  précieuses,  à  savoir  :  la  charité 
et  la  chasteté.  Il  défendit  à  ses  clercs  de  lui  rapporter  jamais 
ce  qu'ils  auraient  entendu  dire  contre  lui;  et  il  portait  si 
loin  la  circonspection  pour  éviter  tout  ce  qui  pouvait  alarmer 
la  pudeur ,  que  Grégoire  de  Tours  raconte  que  ce  saint 
évêque,  l'ayant  pris  encore  enfant  dans  ses  bras,  s'enveloppa 
les  mains  de  sa  robe  de  crainte  de  le  toucher.  S.  Nicet 
fut  ordonné  êvêque  à  l'âge  de  trente-huit  ans,  et  il  mourut 
à  soixante,  la  vingt-deuxième  année  de  son  épiscopat.  Un 
prêtre  assura  avec  serment  à  Grégoire  de  Tours  qu'étant 
allé  faire  sa  prière  sur  son  tombeau,  il  y  avait  vu  trois  aveu- 
gles recouvrer  la  vue. 

S.  Firmin  d'Uzès,  qui  mourut  l'an  553,  eut  aussi  son  neveu 
S.  Ferréol  pour  successeur  [2).  Ferréol  était  fils  d'Ànsbert  el 
de  Blitide,  célèbres  par  la  part  qu'ils  prirent  aux  discussions 
entre  les  savants  sur  les  généalogies  de  nos  rois.  Il  fut 
élevé  à  Uzès  auprès  de  son  oncle  paternel,  à  qui  il  succéda. 
Dès  le  commencement  de  son  épiscopat  il  s'appliqua  à  gagner 
les  Juifs  par  la  douceur,  et  il  les  admettait  même  à  sa  table. 
Comme  plusieurs  conciles  des  Gaules  avaient  défendu  de 
manger  avec  les  Juifs,  on  interpréta  dans  un  sens  défavorable 
la  conduite  du  saint  évêque,  et,  sur  les  plaintes  qu'en  reçut 

(1)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.  c.  Vin.  —  (2)  Vita  Verreoli,  apud  Anton.  Doœinici,  in 
Append.  ad  famil.  Ansberti. 


[557]  ENT  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  351 

Childebert,  il  lui  envoya  ordre  de  se  rendre  à  Paris.  On  l'y 
retint  trois  ans  entiers  dans  une  espèce  d'exil,  après 
lesquels,  sa  vertu  et  la  pureté  de  ses  intentions  ayant  été 
reconnues,  il  lui  fut  enfin  permis  de  retourner  dans  son 
Église.  Ferréol  changea  alors  de  conduite  et  chassa  de  la 
ville  tous  les  Juifs  qui  ne  voulurent  pas  se  convertir.  Il 
fonda  un  monastère  en  l'honneur  de  S.  Ferréol  martyr,  dont 
il  portait  le  nom,  et  composa  pour  cette  communauté  une 
règle  où  l'on  trouve  plusieurs  choses  dignes  de  remarque. 
Elle  est  divisée  en  trente-neuf  chapitres  et  adressée  à 
Lucrèce,  évêque  de  Die,  au  jugement  duquel  l'auteur  la 
soumet.  En  voici  le  précis. 

Il  est  défendu  à  l'abbé  de  recevoir  un  moine  ou  un  clerc 
d'un  autre  monastère,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit, 
parce  que  c'est  un  sujet  de  querelle  entre  les  abbés  et  les 
monastères.  Tous  les  moines  doivent  apprendre  à  lire  et 
savoir  par  cœur  le  psautier,  même  ceux  qui  sont  occupés 
à  garder  les  troupeaux.  Dans  l'office  on  dira  les  psaumes 
de  suite  depuis  le  commencement  du  psautier  jusqu'à  la 
fin ,  ce  qui  ne  doit  pas  empêcher  les  moines  de  réciter  en  par- 
ticulier, par  dévotion,  autant  de  psaumes  qu'ils  le  pourront. 

Il  est  interdit  aux  moines  de  baptiser,  comme  cela  se  prati- 
quait dans  les  autres  monastères,  ou  d'être  parrains.  On  ré- 
digera un  recueil  des  actes  des  martyrs  et  des  saints,  qu'on 
récitera  dans  l'oratoire  le  jour  de  leur  mort.  C'était  une  espèce 
de  martyrologe  où  on  lisait  les  saints  du  jour  :  c'est  la  pre- 
mière fois  que  nous  trouvons  cet  usage. 

Aucun  moine  ne  passera  un  seul  jour  sans  faire  quelque 
lecture  des  saintes  Écritures.  Celui  qui  s'absentera  du  mo- 
nastère sans  permission  jeûnera  au  retour  une  fois  autant  de 
jours  que  son  absence  aura  duré,  et  pendant  ce  temps-là  il 
ne  boira  pas  de  vin.  Une  parole  contre  la  pudeur  est  punie 
par  une  excommunication  de  six  mois. 

Tous  feront  une  lecture  jusqu'à  la  troisième  heure  du  jour, 
c'est-à-dire  jusqu'à  neuf  heures  du  matin,  excepté  les  ma- 


352  HTSTOIRE  de  l'église  catholique  [557' 

lades  et  ceux  qui  dans  le  temps  de  la  moisson  travaillent  à 
couper  les  blés.  Celui  qui  aura  passé  un  jour  de  la  semaine 
sans  travailler  sera  exclus  du  réfectoire.  Ceux  qui  ne  labou- 
rent pas  la  terre  pourront  écrire,  faire  des  filets  ou  des  sou- 
liers. Quant  à  l'abbé,  il  pourra  se  dispenser  du  travail  des 
mains,  parce  qu'il  doit  étudier  pour  enseigner  les  autres. 

Il  est  interdit  aux  moines  d'avoir  des  chemises  de  toile,  d( 
porter  des  habits  remarquables  par  une  couleur  trop  blanche 
ou  trop  rousse,  et  d'avoir  des  souliers  étroits,  dont  la  forme 
accuse  quelque  tendance  mondaine.  Ils  coucheront  dans  des 
lits  séparés,  pour  avoir  plus  de  liberté  de  prier.  Il  est  cléfendi 
aux  moines  d'aller  à  la  chasse  :  ils  doivent  plutôt  faire  h 
guerre  aux  vices  de  leur  âme  qu'aux  bêtes  des  forêts. 

On  exclura  de  la  table  commune  un  moine  qui  aura  cueill 
un  fruit  ou  qui  l'aura  ramassé  par  gourmandise  pour  h 
manger.  L'abbé  fera  la  cuisine  trois  fois  Tannée  :  à  Noël,  i 
Pâques  et  à  la  fête  de  S.  Ferréol  martyr,  patron  du  monastère 

Les  grandes  fautes  doivent  être  punies  par  la  flagellation 
On  relira  la  règle  à  la  communauté  assemblée  le  premier  joui 
de  chaque  mois. 

S.  Ferréol  publia  aussi  un  recueil  de  ses  lettres,  à  l'imita- 
tion de  S.  Sidoine  (1),  et,  après  avoir  gouverné  son  Église 
vingt-huit  ans,  il  mourut  la  sixième  année  de  Childebert  II 
c'est-à-dire  l'an  581.  Il  est  honoré  le  4  janvier. 

S.  Ferréol  avait  une  sœur  nommée  Tarsicie,  qui  mérita  pai 
son  amour  pour  la  virginité  et  par  ses  autres  vertus  d'être 
mise  au  nombre  des  saintes  vierges.  Elle  est  honorée  à  Rodes 
le  15  janvier. 

L'Église  de  France  compte  au  nombre  de  ses  saints  un  autre 
Sacerdos,  qui  fut  évêque  de  Limoges  et  qui  florissait  vers  le 
même  temps  que  celui  de  Lyon.  En  effet,  quoique  son  épisco- 
pat  n'ait  pas  d'époque  bien  certaine,  on  le  rapporte  plus  pro- 
bablement au  vie  siècle.  Il  était  né  d'une  noble  famille  de 


(l)  Greg.  Tur.  ffist.,  1.  VI,  c.  vu. 


[557]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI,  353 

Bordeaux,  et  il  fut  élevé  à  Cahors  par  un  saint  évëque  nommé 
Capuan.  Il  fut  ensuite  abbé  d'un  monastère  de  ce  diocèse,  d'où 
on  le  tira  pour  l'élever  sur  le  siège  de  Limoges.  L'éclat  de  ses 
vertus  inspira  à  son  père  Laban  et  à  sa  mère  Mundane  le  dé- 
sir de  garder  la  continence  (1).  On  dit  que,  Laban  étant  mort 
sans  avoir  été  muni  du  saint  Viatique,  l 'évëque  son  fils  lui 
rendit  la  vie  afin  qu'il  le  reçût.  Sacerdos  est  honoré  le  5  mai, 
lour  de  sa  mort.  Son  corps  fut  enterré,  selon  ses  ordres,  dans 
e  monastère  du  Quercy  dont  il  avait  été  abbé  ;  mais  ce  mo- 
lastère  ayant  été  ruiné,  les  moines  de  Saint-Sauveur  de  Sarlat 
.e  transférèrent  dans  leur  église  avec  celui  de  Ste  Mundane 
>a  mère,  qui  est  honorée  le  13  mai  comme  martyre,  ayant  été 
nise  à  mort  apparemment  dans  quelque  excursion  des  Goths. 
Lie  monastère  de  Saint-Sauveur  de  Sarlat  fut  depuis  érigé  en 
m  siège  épiscopal  (2),  et  la  cathédrale  dédiée  sous  l'invocation 
le  S.  Sacerdos,  vulgairement  S.  Serdot. 

Nous  avons  différé  jusqu'ici  de  parler  en  détail  de  l'Armo- 
•ique  Bretonne,  pour  réunir  sous  les  yeux  du  lecteur  tout  ce 
mi  concerne  l'histoire  de  la  religion  dans  cette  province,  qui 
îe  le  cédait  alors  à  aucune  autre  des  Gaules  en  saints  évêques 
;t  en  fervents  religieux.  Les  Bretons  qui  s'y  étaient  réfugiés, 
:hassés  par  les  Anglo-Saxons,  y  avaient  amené  avec  eux  leurs 
)asteurs,  et  ces  hommes  apostoliques,  non  contents  de  culti- 
ver la  foi  parmi  leurs  compatriotes,  travaillèrent  avec  succès  à 
m  répandre  les  semences  dans  les  cantons  de  l'Armorique  qui 
'estaient  encore  idolâtres.  Ils  furent  secondés  dans  leurs  tra- 
vaux par  plusieurs  colonies  de  saints  moines  bretons  qui 
ivaient  quitté  leur  patrie  désolée  par  les  barbares,  pour  cher- 
cher dans  cette  partie  de  la  Gaule  un  asile  où  ils  pussent  s'a- 
lonner  en  paix  aux  exercices  de  la  pénitence  et  aux  inspi- 
rions de  leur  zèle.  Les  SS.  Samson,  Magloire,  Léonore,  Paul, 
tfalo,  Brieuc,  Guinolé,  Gildas  et  Jacut  furent  de  ce  nombre, 
it,  par  leurs  prédications  et  leurs  exemples,  ils  procurèrent 


(1)  Vita  S.  Sacerdotis,  apudBoll.,  5  maii.  —  (2)  Par  Jean  XXII,  en  1317. 

TOME  II.  23 


354  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

aux  anciens  habitants  de  l'Armorique  des  secours  infiniment 
plus  précieux  que  ceux  qu'ils  y  venaient  chercher.  Le  précis 
que  nous  allons  faire  de  leur  histoire  montrera  ce  que  les 
Bretons  doivent  au  zèle  de  ces  saints  missionnaires,  leurs 
apôtres  et  leurs  compatriotes. 

S.  Samson  était  né  dans  la  province  de  Galles,  d'une  fa- 
mille distinguée  par  sa  noblesse.  Il  fut  instruit  dans  la  piété 
et  dans  les  saintes  lettres  par  S.  Eltut,  célèbre  abbé  dans  le 
Glamorgan.  S.  Gildas,  S.  Magloire  et  S.  Paul,  c'est-à-dire  les 
plus  illustres  apôtres  de  l'Armorique,  sortirent  de  la  même 
école  :  de  pareils  disciples  font  assez  l'éloge  du  maître.  Samson, 
ayant  embrassé  la  vie  monastique  sous  la  discipline  d'Eltut,  y  fil 
de  si  grands  progrès  qu'après  avoir  été  ordonné  prêtre  pai 
S.  Dubrits,  évêque  de  Gaerleon,  il  fut  chargé  du  gouvernemenl 
d'un  monastère.  Il  eut  la  consolation  d'engager  son  père  el 
cinq  de  ses  frères  à  renoncer  au  monde.  S.  Dubrits,  voyant  les 
rares  talents  qu'il  avait  reçus  du  ciel  pour  travailler  au  salul 
du  prochain,  l'ordonna  évêque  régionnaire,  c'est-à-dire  sans  lu 
assigner  de  siège.  Alors  le  zèle  de  Samson  et  les  malheurs  d( 
son  pays  lui  firent  prendre  la  résolution  de  passer  dans  l'Arma 
rique.  Il  s'embarqua  avec  S.  Magloire,  son  cousin  germain,  e 
plusieurs  autres  moines,  et  il  aborda  auprès  de  la  ville  d'Aleth 
qui  était  située  dans  le  voisinage  du  lieu  où  est  aujourd'hu 
Saint-Malo.  Les  miracles  du  saint  missionnaire  prévinrent  lef 
esprits  en  sa  faveur,  et  les  habitants  lui  permirent  de  bâtir  ur 
monastère  dans  un  lieu  nommé  Dol.  C'est  ce  qui  a  fait  regarde] 
S.  Samson  comme  le  premier  évêque  de  Dol  (1),  quoique,  i 
proprement  parler,  ce  siège  n'ait  été  érigé  que  dans  le  ixe  siècle 

Le  zèle  de  Samson  ne  se  déploya  pas  seulement  dans  l'Ar- 
morique ;  sa  réputation  s'étendit  au  delà  des  limites  de  ce 
pays.  Le  saint  évêque  fit  quelques  voyages  à  Paris  et  il  s'en* 

(l)  Dans  le  troisième  concile  de  Landaf,  S.  Samson  est  nommé  premier  arche- 
vêque de  Dol  ;  mais  il  paraît  que  c'est  une  addition  faite  depuis  l'érection  de  Ci 
siège  en  archevêché  par  Nomenoi ,  duc  de  Bretagne.  V.  Conc.  Labb.  ,  t.  V 
p.  830. 


[557]  EN  FRAXCE.   —  LIVRE  VI.  355 

ploya  auprès  de  Ghildebert  en  faveur  de  Judual,  prince  breton, 
chassé  de  ses  États  par  Commore  ou  Gonomor.  Dans  l'un  de 
ses  voyages  il  assista  au  troisième  concile  de  Paris,  dont  nous 
parlerons  bientôt,  et  il  obtint  du  roi  la  permission  de  bâtir  un 
monastère  dans  un  lieu  nommé  Pentale,  aujourd'hui  Saint- 
Samson  en  Normandie,  entre  Brionne  et  Pcmt-Audemer.  Il  _ 
mourut  fort  âgé  vers  l'an  564,  le  28  juillet,  jour  auquel  l'É- 
glise honore  sa  mémoire.  Sa  Vie  a  été  écrite  par  des  auteurs 
qui  y  ont  inséré  des  fables  (1)  plus  propres  à  obscurcir  son 
histoire  qu'à  lui  donner  de  l'éclat.  Les  reliques  de  ce  saint 
évêque  ayant  été  portées  à  Orléans  et  déposées  dans  l'église 
de  Saint-Symphorien ,  cette  église  prit  alors  le  nom  de  Saint- 
Samson,  aussi  bien  que  la  cathédrale  de  Bol. 

S.  Samsqn  désigna  en  mourant  S.  Magloire  pour  son  suc- 
cesseur dans  le  gouvernement  du  monastère  de  Dol.  Mais  ce 
saint  abbé,  qui  avait  reçu  l'ordination  épiscopale,  mit  quelque 
temps  après  S.  Budoc  en  sa  place,  et  se  retira  d'abord  dans 
une  solitude  de  l'Armorique  et  ensuite  dans  l'île  de  Jersey,  où 
il  établit  un  nouveau  monastère.  L'austérité  de  sa  vie  rend 
croyables  les  miracles  qu'on  en  rapporte.  Il  ne  buvait  jamais 
ni  vin  ni  bière,  et  il  passait  les  mercredis  et  les  vendredis 
sans  prendre  aucune  nourriture.  Il  mourut  fort  âgé  dans  son 
monastère  de  Jersey  vers  l'an  575  ;  il  est  honoré  le  24  octobre. 
Ses  reliques,  portées  à  Paris  pendant  les  ravages  des  Normands, 
donnèrent  occasion  d'y  établir  un  monastère  en  son  honneur. 
Ce  monastère  était  dans  la  Gité  (2). 

(1)  On  peut  mettre  au  nombre  de  ces  fables  les  divers  dragons  qu'on  fait  tuer 
à  S.  Samson,  et  ce  qu'on  rapporte  de  la  reine  Ultrogothe,  qui  voulut,  dit-on,  empoi- 
sonner ce  saint  évêque  :  ce  qui  nous  paraît  une  calomnie,  attendu  la  piété  sin- 
gulière de  cette  princesse. 

(2)  Ce  fut  Hugues  Capet  qui  donna  aux  moines  de  Saint-Magloire  l'église  de 
Saint  Barthélemi  dans  la  Cité.  En  1138,  s'y  trouvant  trop  resserrés,  ils  allèrent  s'é- 
tablir près  de  la  porte~"Saint— Denis ,  auprès  d'une  chapelle  de  Saint-Georges  qui 
leur  avait  été  donnée  pour  leur  servir  de  cimetière.  Mais  en  1572,  Catherine  de 
Médicis,  ayant  pris  l'emplacement  des  filles  pénitentes  pour  bâtir  l'hôtel  de  Sols. 
sons,  donna  à  ces  filles  le  monastère  de  S  aint-Magloire  et  transféra  les  moines  à 
Saint- Jacques  du  Haut-Pas.  C'était  une  église  dédiée  en  l'honneur  de  S.  Ra- 
phaël, et  qui  appartenait  à  des  chevaliers  Toscans  dits  de  Saint-Jacques  du  Haut- 


356  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [55" 

S.  Paul,  né  dans  la  Grande-Bretagne  en  un  lieu  nommé  Peu 
hoen,  c'est-à-dire  Tête-de-bœuf,  sortit  de  l'île  pour  fuir  le 
honneurs  de  l'épiscopat,  qu'on  le  pressait  d'accepter.  S'étan 
embarqué  avec  plusieurs  compagnons,  il  aborda  à  l'île  d'Oues 
sant  à  quatre  ou  cinq  lieues  de  la  côte  de  Léon.  Il  fit  bâti 
deux  monastères  qui  ne  subsistent  plus  depuis  longtemps,  e 
il  donna,  dit-on,  le  gouvernement  de  l'un  des  deux  au  sain 
abbé  Tanguy,  qui,  croit-on,  fut  le  fondateur  de  celui  de  Saint 
Matthieu,  vulgairement  Saint-Mahé. 

S.  Paul  était  parent  du  comte  Withure,  qui  gouvernait  alor 
cette  partie  de  l'Armorique  (1).  Il  alla  lui  rendre  visite  et  1< 
trouva  occupé  à  écrire  une  explication  du  livre  des  Évangiles 
Le  comte,  qui  avait  beaucoup  de  piété,  lui  donna  l'île  de  Baaz 
et,  ayant  apprécié  ses  talents  et  sa  modestie,  il  usa  de  strata 
gème  pour  le  faire  évêque.  Il  l'envoya  porter  une  lettri 
au  roi  Childebert  (2),  dans  laquelle,  faisant  l'éloge  du  por 
teur,  il  conjurait  ce  prince  de  le  faire  ordonner  évêque.  Paul 
qui  ignorait  le  contenu  de  la  lettre,  fut  surpris  et  afflige 
quand  le  roi  lui  fît  imposer  les  mains  par  les  prélats  qui  étaien 
à  sa  cour.  Il  fut  le  premier  évêque  de  Léon;  mais,  après  avoii 
gouverné  quelque  temps  cette  Église,  il  mit  en  sa  place 
S.  Johevin  et  après  celui-ci  Ternomail,  tous  deux  ses  disciples, 
A  la  mort  de  ce  dernier,  il  reprit  pendant  quelque  temps  le 
gouvernement  de  son  Église;  après  quoi  il  établit  Cétomorir 
sur  ce  siège  et  se  retira  dans  sa  solitude  de  l'île  de  Baaz,  où  i] 
mourut  plein  de  jours  et  de  mérites,  le  12  mars  l'an  573. 
S.  Léonore  ou  Lunaire,  autre  apôtre  de  l'Armorique,  était 

Pas,  du  nom  de  leur  première  église  de  Toscane.  L'église  de  Saint-Raphaé'l  prit 
bientôt  le  nom  de  Faint-Magloire,  et  l'on  en  bâtit  une  autre  auprès  qu'on  nomma 
Saint-Jacques  du  Haut-Pas.  Enfin,  en  1G21  ,  le  cardinal  Henri  de  Gondi  établit  à 
Saint-Magloire  un  séminaire  d'ecclésiastiques,  dont  la  direction  fut  donnée  aux 
Pères  de  l'Oratoire,  et  les  biens  de  l'abbaye  de  Saint-Magloire  furent  réunis  à 
l'évêché  de  Paris.  C'est  aujourd'bui  la  maison  des  Sourds-muets. 

(1)  Vita  S.  Paul.,  apud  Boll.,  12mart. 

(2)  On  voit  par  là  que  Childebert  était  souverain  de  l'Armorique  Bretonne,  puis- 
que le  comte  "Withure  voulut  que  S.  Paul  fut  ordonné  évoque  par  ordre  de  ce 
prince.  On  voit  aussi  que  déjà  les  souverains  nommaient  aux  évêchés  sans  prendre 
l'avis  du  peuple  et  du  clergé. 


[557]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  357 

aussi  évêque,  mais  il  n'eut  pas  de  siège  fixe  et  il  s'employa  à 
prêcher  en  divers  cantons  de  cette  province,  où  il  s'était 
bâti  un  monastère.  Il  est  honoré  le  1er  juillet.  Une  partie  de 
ses  reliques  fut  transférée  à  Beaumont  en  Beauvoisis,  où  il  est 
nommé  S.  Liénuère. 

S.  Malo  ou  Machut  (1),  parent  de  S.  Magloire  et  de  S.  Sam- 
son,  ne  leur  fut  pas  inférieur  en  sainteté.  Il  fut  baptisé  et  élevé 
par  l'abbé  Brandan.  Ayant  été  ensuite  ordonné  évêque  région- 
naire,  il  passa  dans  l'Armorique  et  aborda  dans  une  petite  île 
où  l'abbé  Aaron  menait  une  vie  angélique  avec  ses  disciples. 
Cette  ile,  où  plutôt  cette  péninsule,  était  près  de  l'ancienne 
ville  d'Aleth.  Malo  travailla  avec  zèle  à  la  conversion  des 
idolâtres,  qui  étaient  encore  en  assez  grand  nombre  dans  cette 
extrémité  de  la  Gaule.  Les  habitants  d'Aleth,  charmés  de  ses 
vertus,  l'obligèrent  à  devenir  leur  évêque  (2).  Tel  est,  à  ce 
qu'on  croit,  l'origine  du  siège  d'Aleth,  aujourd'hui,  nommé 
Saint-Malo.Le  saint  prélat  essuya  dans  la  suite  des  contradic- 
tions qui  le  portèrent  à  quitter  son  Église.  Il  se  retira  en  Sain- 
tonge,  où  l'évêque  Léonce  lui  donna  toutes  les  marques  de 
l'estime  la  plus  respectueuse  et  de  la  plus  généreuse  charité. 
Cependant  les  habitants  d'Aleth,  que  la  famine  et  la  contagion 
désolaient,  attribuèrent  la  cause  de  ces  fléaux  à  l'absence  de 
leur  pasteur,  et,  pour  les  faire  cesser,  ils  le  rappelèrent.  L'a- 
bondance et  la  santé  parurent  revenir  avec  lui  dans  cette 
ville.  Mais  S.  Malo  n'y  séjourna  pas  longtemps  :  il  retourna 
en  Saintonge ,  où  il  mourut  à  Archambry  sur  la  cendre 
et  le  cilice,  le  15  novembre  (3).  On  prétend  que  S.  Gurval, 
qu'il  fit  venir  de  la  Grande-Bretagne,  fut  son  successeur.  Les 

(1)  S.  Malo  est  nommé  Maclovius,  Macliavus,  Machutus  ou  Machutes. 

(2)  Vita  S.  Machutis,  in  Dibliotheca  Floriacensi. 

(3)  On  ne  s'accorde  pas  sur  le  temps  de  la  mort  de  S.  Malo.  Quelques-uns  la 
placent  vers  l'an  626 ,  parce  qu'on  trouve  un  Léonce  de  Saintes  au  concile  de  Reims 
l'an  625  ;  d'autres  croient  que  l'évêque  Léonce  dont  il  est  fait  mention  dans  la 
Vie  de  S.  Malo,  est  S  Léonce  de  Bordeaux ,  qui  vivait  encore  l'an  562  :  on  n'a 
rien  là-dessus  de  bien  certain.  Au  reste,  rien  n'oblige  de  croire  que  S.  Malo  ait  été 
le  premier  évêque  d'Aleth.  Quelques  expressions  de  l'auteur  de  sa  Vie  peuvent 
faire  juger  que  ce  siège  est  plus  ancien. 


358  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

reliques  de  S.  Malo  furent  quelque  temps  après  rapportées  à 
Aleth,  et  on  en  mit  une  partie  dans  l'église  de  Saint-Pierre  de 
cette  ville,  et  l'autre  dans  celle  de  Saint- Yincent  du  monas- 
tère d'Aaron.  Elles  furent  dans  la  suite  portées  à  Paris,  où 
l'on  en  a  conservé  longtemps  une  partie. 

S.  Tugdual  ou  Tugal  (1)  avait  préparé  les  voies  aux  saints 
missionnaires  dont  nous  venons  de  parler.  Il  était  fils  de 
Ste  Pompaie,  qui,  à  ce  qu'on  assure,  était  elle-même  sœur  de 
llival,  un  des  chefs  de  la  transmigration  des  Bretons.  On  dit 
qu'il  passa  dans  l'Armoriqueavec  sa  mère,  sa  sœur  et  soixante- 
douze  moines.  Il  parcourut  toute  la  province  pour  annoncer 
la  parole  de  Dieu  avec  un  zèle  infatigable  et  y  bâtit  divers 
monastères.  Le  plus  considérable  fut  celui  de  Trécor  ou  Tré- 
guier.  Ghilclebert  fit  ordonner  évêque  ce  saint  abbé  :  telle  est 
l'origine  du  siège  épiscopal  de  Tréguier  ;  car  nous  ne  saurions 
ajouter  foi  au  récit  qu'on  a  fait  d'une  ancienne  ville  nommée 
Lexobie  (2),  dont  le  siège  fut,  dit-on,  transféré  à  Tréguier, 
et  à  laquelle  on  donne  une  longue  suite  d'évêques  avant 
S.  Tugal.  Ce  saint  fit  un  voyage  à  Rome,  au  retour  duquel  il 
mourut  saintement  dans  son  Église ,  un  dimanche  dernier 
jour  de  novembre  :  ce  qui  peut  désigner  l'an  553,  ou  l'an  559. 
S.  Ruélin  fut  son  successeur. 

S.  Brieuc  fut  une  autre  lumière  de  l'Armorique  Bretonne. 
Mais  on  connaît  peu  les  particularités  de  sa  vie.  Les  uns  le 

(1)  Le  nom  de  S.  Tugdual  se  prononce  et  s'écrit  de  plusieurs  manières.  A  Laval, 
où  il  y  a  eu  une  église  collégiale  de  son  nom,  on  l'appelle  S.  Tugal,  et  à  Tréguier 
on  le  nomme  S.  Pabu  ou  Papu.  De  papu  Tugdualus,  c'est-à-dire  père  Tugdual  ou  Tugal, 
on  n'a  conservé  que  les  dernières  syllabes  au  Maine  et  que  les  premières  en  Bre- 
tagne. Ce  qu'il  y  a  de  surprenant,  c'est  que  sur  ce  nom  papu  on  s'est  imaginé 
que  S.  Tugal  avait  été  pape,  et  que  le  F,  qui  remplaçait  autrefois  la  lettre  U  dans 
l'écriture,  signifiait  qu'il  était  cinquième  du  nom  :  ainsi  on  l'a  fait  Léon  V.  Il  est 
regrettable  que  des  bévues  si  grossières  aient  été  pendant  un  temps  insérées  dans 
l'office  du  saint  ? 

(2)  De  Valois,  dans  sa  Notice  des  Gaules,  croit  que  cette  prétendue  Lexobie  de 
l'Armorique,  est  une  ville  fabuleuse  qui  n'a  jamais  existé.  On  assure  cependant 
qu'elle  était  située  au  lieu  nommé  Cosque-Audet ,  c'est-à-dire  vieille  cité.  Il  ne  serait 
pas  impossible  que  cette  ville  eût  été  détruite  au  ixc  siècle  par  les  Normands  : 
c'est  la  tradition  du  pays,  qui  sur  un  point  de  cette  nature  est  bien  d'un  aussi 
grand  poids  que  la  décision  d'un  savant.  Mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  cette  ville  ait 
eu  avant  S.  Tugal  les  quarante-deux  évêques  que  des  catalogues  fabuleux  lui  assi- 
gnent contre  toute  vraisemblance. 


557]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  359 

t'ont  disciple  de  S.  Germain  d'Auxcrrc  et  les  autres  de  S.  Ger- 
main de  Paris.  Ce  qu'il  y  a  de  constant,  c'est  qu'il  fut  célèbre 
par  ses  vertus  et  ses  miracles  et  qu'il  bâtit  un  monastère  dans 
le  lieu  où  s'est  formée  la  ville  qui  porte  son  nom.  Ce  monas- 
tère a  été  depuis  érigé  en  un  siège  épiscopal  ;  S .  Brieuc  est 
honoré  le  1er  mai.  Une  inscription  trouvée  dans  sa  châsse, 
l'an  1210,  lui  donne  la  qualité  d'évêque  :  il  est  probable 
qu'il  ne  fut  qu'évêque  régionnaire. 

Il  y  avait  dans  l'Armorique ,  au  vie  siècle ,  plusieurs 
autres  saints  abbés  venus  aussi  de  Bretagne ,  qui  firent  fleu- 
rir l'état  monastique  dans  les  terres  incultes  de  cette  pro- 
vince. S.  Gildas,  surnommé  le  Sage,  vint  éclairer  cette  partie 
des  Gaules  après  avoir  été  une  des  plus  éclatantes  lumières 
de  la  Bretagne.  Il  avait  été  disciple  du  saint  abbé  Eltut ,  et  il 
se  distingua  dans  sa  patrie  par  son  zèle  et  par  ses  rares  talents 
pour  la  prédication.  Mais  il  vint  les  cacher  dans  l'Armorique, 
pour  y  vivre  inconnu  dans  les  exercices  de  la  vie  monastique. 
Il  bâtit  auprès  de  Vannes  le  monastère  de  Rhuis,  qui  a  porté 
son  nom.  Ce  fut  dans  cette  retraite  qu'il  composa  deux  écrits 
sur  la  désolation  de  sa  patrie  par  les  Anglo-Saxons  :  la  dou- 
leur et  le  zèle  paraissent  les  avoir  dictés.  Il  attribue  la  cause 
de  ces  malheurs  à  la  dépravation  des  mœurs,  et  reprend  avec 
une  grande  liberté  les  vices  des  princes  et  du  clergé  de  la  Bre- 
tagne (1).  On  le  croit  aussi  auteur  de  quelques  règlements  de 
discipline  qui  portent  son  nom.  S.  Gildas,  après  avoir  bâti 
plusieurs  monastères,  mourut  saintement  dans  celui  de  Rhuis. 

S.  Guinolé  ou  Guingualé  était  né  d'une  famille  qui  brilla 
plus  encore  par  la  sainteté  que  par  la  noblesse.  Il  eut  pour 
père  S .  Fracan,  sa  mère  se  nommait  Guen  ou  Blanche .  Ses  frères 
Jacut  et  Guétenok  et  sa  sœur  Greirvie  ont  mérité  d'être  mis 
au  nombre  des  saints.  S.  Guinolé  fut  fondateur  et  premier 
abbé  du  monastère  de  Landevenec,  où  il  établit  une  discipline 
exacte  et  austère.  On  n'y  mangeait  que  du  pain  d'orge  et  l'on 


(1)  Vita  S.  Gild.,  apudBoll..  29  januar. 


360  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

n'y  buvait  ni  vin  ni  bière.  S.  Guesnael  ou  Guesnau,  son  dis- 
ciple, fut  son  successeur  :  il  est  honoré  le  3  novembre,  et 
S.  Guinolé,  le  3  mars.  S.  Jacut  établit  dans  la  même  province 
un  monastère  qui  a  porté  son  nom. 

S.  Hervé,  qui  naquit  et  vécut  aveugle,  à  ce  qu'on  assure, 
ne  laissa  pas  d'évangéliser  avec  succès  l'Armorique  et  d'y 
établir  des  monastères.  Mais  son  histoire  est  aussi  obscure 
que  son  culte  est  célèbre  dans  cette  province.  Il  est  honoré 
le  17  juin  à  Nantes,  où  reposaient  ses  reliques.  Nous  parlerions 
plus  en  détail  de  tous  ces  saints  bretons  et  d'un  grand  nombre 
d'autres  qui  illustrèrent  cette  contrée  par  leurs  vertus  au 
vic  siècle,  tels  que  les  SS.  Renan,  Idiunet,  Gunthiern,  Briac, 
Goneri,  Efïlam,  Conogan,  Tenenan,  Saliau,  Trifine,  Trecmor 
et  quelques  autres ,  si  les  histoires  que  nous  en  avons 
avaient  plus  d'autorité.  Mais  ceux  qui  les  ont  écrites,  entraînés 
par  le  goût  du  merveilleux,  en  ont  fait  un  tissu  de  fables.  Il 
est  difficile  de  reconnaître  dans  le  caractère  de  ces  auteurs  la 
sincérité,  dont  la  nation  bretonne  se  fait  honneur. 

La  piété  de  Childebert,  souverain  de  l'Armorique ,  secon- 
dait le  zèle  des  saints  missionnaires  dont  nous  venons  de  par- 
ler et  contribuait  à  y  faire  fleurir  la  religion.  Il  n'en  était  pas 
ainsi  du  royaume  de  Glotaire.  Les  scandaleux  exemples  de 
ce  prince  et  les  troubles  des  guerres  civiles  qui  en  furent  la 
punition,  y  donnèrent  lieu  à  bien  des  désordres.  Clotaire, 
qui  s'était  emparé  du  royaume  de  son  neveu  Thibauld,  sans 
vouloir  en  partager  la  succession  avec  Childebert,  voulut  aussi 
avoir  sa  veuve  Yaldetrude ,  et  il  l'épousa  quoiqu'il  eût  déjà 
d'autres  femmes.  Mais  les  évèques  s'élevèrent  enfin  avec  tant 
de  force  contre  ce  scandale  qu'il  fut  obligé  de  la  quitter. 
S.  Nicet  de  Trêves  osa  même  excommunier  ce  prince  adultère, 
qui  l'envoya  aussitôt  en  exil;  mais  la  justice  ou  la  bonté  di- 
vine préparait  à  Glotaire  de  grands  malheurs,  pour  punir 
ou  pour  expier  d'aussi  grands  crimes  (1). 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  IV,  c.  ix. 


[557]  EN  FEANCE.   —  LIVRE  VI.  361 

Il  avait  donné  le  gouvernement  d'Auvergne  à  Chramne, 
l'aîné  de  ses  fils.  Ce  jeune  prince  y  abusa  de  l'autorité  qui  lui 
avait  été  confiée,  et  il  s'attira  les  malédictions  du  peuple.  Son 
conseil  et  sa  cour  n'étaient  composés  que  déjeunes  hommes 
débauchés  et  de  basse  condition ,  et  il  faisait  enlever  les  filles 
des  sénateurs  pour  les  faire  épouser  à  ses  compagnons  de  li- 
bertinage. Il  maltraita  et  voulut  envoyer  en  exil  le  comte  Fir- 
min  et  sa  belle-mère  Césarie  ;  mais  ils  se  réfugièrent  dans  l'é- 
glise. C'était  pendant  le  temps  du  carême,  et  l'évêque  Cautin 
était  allé  en  procession  avec  son  clergé  de  la  ville  d'Auvergne 
à  l'église  de  Saint-Julien  de  Brioude,  suivant  l'institution  faite 
par  S.  Gai,  son  prédécesseur.  Chramne  profita  de  l'absence  de 
l'évêque  pour  faire  enlever  Firmin  et  Césarie  de  leur  asile  et 
pour  les  conduire  sous  bonne  garde  au  lieu  de  leur  exil.  Mais 
ils  s'échappèrent  en  chemin  et  se  sauvèrent  vers  l'église  de 
Saint- Julien  de  Brioude.  Cautin,  comme  nous  venons  de 
le  dire,  y  allait  avec  son  peuple  en  procession,  chantant  des 
psaumes  selon  la  coutume.  Quand  il  vit  venir  derrière  lui 
quelques  cavaliers,  il  ne  douta  point  que  ce  ne  fût  Chramne 
qui  l'envoyait  arrêter,  et,  montant  aussitôt  avec  ses  habits 
pontificaux  sur  un  cheval  qui  le  suivait  tout  sellé ,  il  quitta 
la  procession  et  courut  à  toute  bride  jusqu'à  ce  qu'il  fût  ar- 
rivé à  Saint-Julien  (1). 

Ce  n'était  pas  une  terreur  panique  :  car  souvent  Chramne 
avait  menacé  l'évêque  Cautin  et  il  soutenait  contre  lui  le 
prêtre  Caton  dans  sa  rébellion.  Il  avait  même  promis  à  ce  der- 
nier que,  dès  que  Clotaire  aurait  les  yeux  fermés,  il  le  met- 
trait sur  le  siège  d'Auvergne.  Cautin,  pour  écarter  ce  rival,  en- 
gagea Clotaire  à  le  nommer  à  l'évêché  de  Tours  après  la  mort 
de  Gonthaire.  Le  clergé  de  Tours,  l'ayant  élu  selon  les  ordres 
du  roi  (2),  lui  envoya  des  députés  en  Auvergne  pour  le  prier 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  IV,  c.  xi,  xm. 

(2)  Souvent  les  souverains,  pour  donner  une  apparence  de  régularité  au  choix 
des  évêques,  faisaient  élire  ceux  qu'ils  voulaient  au  lieu  de  les  nommer  di- 
rectement. 


362  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557] 

de  consentir  à  son  élection.  Caton  les  retint  quelques  jours 
sans  leur  rendre  de  réponse  précise.  Lorsque  ces  députés  re- 
vinrent savoir  sa  dernière  résolution ,  ils  trouvèrent  rassem- 
blés devant  sa  porte  une  troupe  de  pauvres,  qui  s'écrièrent, 
suivant  l'ordre  secret  qu'ils  en  avaient  reçus  :  Père  charitable, 
pourquoi  abandonnez-vous  vos  enfants  ?  Si  vous  nous  quittez, 
qui  nous  nourrira,  comme  vous  avez  fait  jusqu'à  présent? 
Alors,  se  tournant  vers  les  députés ,  il  leur  dit  :  Vous  voyez , 
mes  chers  frères ,  combien  je  suis  aimé  de  ces  pauvres  :  je  ne 
puis  me  résoudre  à  les  abandonner.  Tel  était  l'orgueil  artifi- 
cieux de  ce  prêtre ,  dont  nous  avons  déjà  cité  d'autres  traits. 
Le  clergé  et  le  peuple  de  Tours  ,  voyant  son  refus ,  élurent 
Euphrone,  issu  d'une  famille  de  sénateurs,  et  députèrent  à 
Clotaire  pour  avoir  son  agrément.  Le  roi  répondit  :  J'avais 
commandé  qu'on  ordonnât  le  prêtre  Caton  :  pourquoi  a-t-on 
méprisé  mes  ordres?  Les  députés  répondirent  qu'il  avait  re- 
fusé ce  siège ,  et  ils  étaient  encore  avec  le  roi  lorsque  Gaton 
arriva  lui-même  pour  le  prier  de  le  mettre  plutôt  en  la  place 
de  Gautin.  Clotaire  rejeta  sa  demande  avec  mépris.  Alors 
Gaton  dit  qu'il  acceptait  le  siège  de  Tours;  mais  le  roi  lui  ré- 
pondit que,  puisqu'il  avait  méprisé  cette  Eglise,  il  n'aurait 
jamais  l'honneur  de  la  gouverner.  Le  prince  demanda  en- 
suite quel  était  Euphrone,  qu'on  avait  élu  au  refus  de  Gaton, 
et,  ayant  appris  qu'il  était  neveu  de  S.  Grégoire  de  Langres, 
il  dit  :  Cest  une  grande  et  illustre  famille  :  que  la  volonté  de 
Dieu  et  de  S.  Martin  soit  faite ,  et  il  donna  ses  ordres  pour 
l'ordination  (1). 

Gonthaire ,  à  qui  succédait  Euphrone ,  occupa  à  peine  trois 
ans  le  siège  de  Tours.  Il  avait  été  abbé  de  Saint-Venant 
et  s'était  acquis  une  estime  universelle  dans  cette  charge  ;  il 
eût  paru  mériter  l'épiscopat,  s'il  n'avait  jamais  été  évêque. 
Mais,  aussitôt  qu'il  le  fut  devenu,  les  vertus  et  les  talents  qu'il 
avait  montrés  disparurent,  et,  comme  s'il  eût  voulu  se  dé- 


fi) Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xv. 


[557 J  EN  FRANCE .  —  LIVRE  VI.  363 

dommager  de  l'abstinence  qu'il  avait  gardée  étant  moine ,  il 
se  livra,  dès  qu'il  fut  évèque,  à  des  excès  de  vin  qui,  en  le 
déshonorant,  le  privèrent  presque  de  l'usage  de  sa  raison  (1). 
Les  grandes  places  sont  la  pierre  de  touche  des  vertus ,  et  les 
dignités  éminentes  font  souvent  paraître  bien  petits  ceux 
qu'on  avait  regardés  auparavant  comme  de  grands  hommes. 

Cependant  les  plaintes  que  Clotaire  avait  reçues  de  toutes 
parts  de  la  conduite  de  Chramne,  l'avaient  obligé  aie  rappeler 
auprès  de  lui.  Chramne  refusa  d'obéir  et  se  mit  en  état  de 
soutenir  par  les  armes  sa  désobéissance  contre  le  roi  son  père. 
Clotaire  ,  occupé  ailleurs  ,  envoya  contre  lui  deux  de  ses 
enfants ,  Caribert  et  Gontran ,  et  l'on  était  sur  le  point  d'en 
venir  aux  mains,  lorsqu'un  orage  s'éleva  tout-à-coup  et  obli- 
gea les  deux  armées  à  se  retirer  dans  leurs  camps.  Pendant 
ce  délai  Chramne  supposa  un  courrier,  qui  apporta  à  Cari- 
bert et  à  Gontran  la  nouvelle  que  Clotaire  avait  été  tué  en 
faisant  la  guerre  contre  les  Saxons,  et  sur  cette  fausse  nou- 
velle ils  se  retirèrent  en  Bourgogne.  Chramne  les  suivit  et 
alla  se  présenter  devant  Dijon,  qui  lui  ferma  ses- portes.  C'é- 
tait un-dimanche ,  et  le  clergé  consulta  les  sorts  des  saints  sur 
la  fortune  de  ce  prince.  On  mit  sur  l'autel  trois  livres  ,  les  Pro- 
phètes, les  Épîtres  de  S.  Paul  et  des  autres  apôtres ,  et  les 
saints  Evangiles  :  car  on  lisait  alors  à  la  messe,  selon  la  litur- 
gie gallicane,  une  leçon  (2)  tirée  de  chacun  de  ces  livres.  On 
les  ouvrit  tous  trois ,  et  à  l'ouverture  on  trouva  des  pronostics 
de  la  perte  de  ce  fils  rebelle.  S.  Tétric ,  évêque  de  Langres, 
qui  était  à  Dijon,  ne  laissa  pas  de  le  recevoir  avec  honneur 
dans  une  église  hors  de  la  ville  (3) . 

Childebert  de  son  côté ,  mécontent  de  Clotaire  qui  s'était 
emparé  de  toute  la  succession  de  Thibauld,  fomentait  la  guerre 
civile  et  s'efforçait  d'en  profiter.  Sur  le  faux  bruit  de  la  mort 

(î)  Greg.  Tur.,  1.  X,  c.  ult. 

(2)  On  nomma  dans  la  suite  cette  leçon  ipllre,  parce  qu'elle  fut  plus  communé- 
ment prise  des  Epîtres  des  apôtres. 

(3)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xvi. 


364  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [557) 

de  Clotaire  il  entra  dans  ses  États  ei  s'avança  jusqu'à  Reims, 
dévastant  tout  le  pays.  Après  quelques  événements  qui  n'ap- 
partiennent pas  à  cette  histoire,  Chramne  fit  sa  paix  avec  Clo- 
taire; mais  Dieu,  qui  voulait  punir  l'un  par  l'autre,  permit 
qu'elle  ne  fût  pas  de  longue  durée. 

L'Église  souffre  toujours  des  troubles  de  l'État;  ces  agita- 
ions  n'ébranlent  pas  seulement  l'ordre  spirituel,  souvent 
aussi  le  temporel  en  ressent  les  atteintes.  En  effet  les  biens 
ecclésiastiques  deviennent  communément  la  première  proie 
de  l'avarice  et  de  la  violence,  surtout  dans  les  guerres  civiles. 
Plusieurs  Églises  en  portèrent  leurs  plaintes  à  Childebert ,  et 
ce  prince,  profitant  du  calme  rendu  aux  deux  royaumes,  con- 
voqua à  Paris  un  concile  pour  remédier  aux  maux  qu'on  lui 
signalait.  On  y  fit  dix  canons. 

I-II-III.  On  excommunie  dans  les  trois  premiers  ceux  qui 
retiennent  les  legs  pieux ,  ceux  qui  usurpent  les  biens  de 
l'Église  ou  les  biens  appartenant  aux  évêques,  ceux  qui  obtien- 
nent des  princes  les  biens  des  Églises  ou  qui  les  envahissent 
sous  prétexte  de  les  défendre.  Le  concile  exige  que  les  biens 
qui  ont  été  aliénés  du  temps  de  Glovis  soient  restitués,  quand 
même  ils  auraient  passé  aux  héritiers  de  ceux  qui  les  avaient 
obtenus.  Si  l'usurpateur  est  d'un  autre  diocèse,  l'évêque  de 
l'Église  dont  les  biens  ont  été  usurpés  en  écrira  à  son  con- 
frère ,  qui  admonestera  l'usurpateur ,  et  s'il  ne  se  corrige  pas, 
on  emploiera  contre  lui  les  censures.  «  Il  n'est  pas  juste,  di- 
sent les  évêques  ,  que  nous  soyons  les  gardiens  des  chartes 
de  l'Église  et  que  nous  ne  soyons  pas,  comme  nous  le 
devons,  les  défenseurs  des  biens  qui  sont  donnés  par  ces 
chartes.  » 

IV.  On  renouvelle  les  canons  contre  les  mariages  inces- 
tueux, et  l'on  déclare  tels  les  mariages  contractés  avec  la 
veuve  de  son  frère  ou  de  son  oncle,  avec  la  sœur  de  sa  femme, 
avec  une  belle-mère ,  une  bru ,  une  tante ,  une  belle-fille 
et  avec  la  fille  de  la  belle-fille. 

V.  Il  est  défendu,  sous  peine  d'excommunication,  d'enlever 


[557]  EN  FRAXCE.    LIVRE  VI.  365 

des  vierges  consacrées  à  Dieu  ou  de  se  marier  avec  elles, 
aussi  bien  qu'avec  les  veuves  ou  les  filles  qui  ont  fait,  par  le 
changement  d'habit,  une  profession  publique  de  religion,  de 
pénitence  ou  de  virginité. 

VI.  Il  est  défendu,  sous  la  même  peine,  de  demander  au  roi 
le  bien  d'autrui  ou  d'implorer  l'autorité  du  prince  pour  épou- 
ser une  veuve  ou  une  fille  sans  le  consentement  de  ses  parents. 

VII.  Celui  qui  a  été  excommunié  par  un  évêque  ne  pourra 
être  absous  par  un  autre  évêque ,  sous  peine  d'excommunica- 
tion pour  l'évêque  qui  l'absoudrait  ainsi. 

On  a  pu  remarquer  par  plusieurs  exemples  la  part  que  les 
rois  avaient  dès  lors  à  la  nomination  des  évêchés;  mais  comme 
l'ambition  et  l'hypocrisie  abusaient  quelquefois  de  leur  auto- 
rité pour  parvenir  à  l'épiscopat  par  la  faveur  et  l'intrigue,  les 
Pères  du  concile  tâchèrent  de  rétablir  l'ancienne  discipline. 
C'est  le  sujet  du  huitième  canon,  qui  est  le  plus  remarquable; 
il  est  conçu  en  ces  termes  : 

VIII.  «  Puisqu'en  certains  points  on  néglige  de  se  confor- 
mer aux  anciens  usages,  et  que  même  on  viole  les  canons, 
nous  avons  jugé  à  propos  d'ordonner  que  ces  canons  soient 
observés  selon  l'ancienne  coutume.  Ainsi,  que  personne  ne 
soit  ordonné  évêque  d'une  Eglise  malgré  les  citoyens  et  sans 
avoir  été  élu  par  les  suffrages  libres  du  clergé  et  du  peuple. 
Que  personne  n'entre  dans  l'épiscopat,  par  l'autorité  du  prince 
ou  par  quelque  autre  moyen  que  ce  soit,  contre  la  volonté  du 
métropolitain  et  des  autres  évêques  de  la  province.  Si  quel- 
qu'un ose  usurper  cette  dignité  en  vertu  d'un  ordre  du  roi, 
qu'il  ne  soit  pas  reçu  des  évêques  de  la  province  qui  connais- 
sent l'irrégularité  de  son  ordination.  Celui  qui,  malgré  cettedé- 
fense,  oserait  le  recevoir,  demeurera  séparé  de  la  communion 
des  autres.  Pour  les  ordinations  qui  ont  déjà  été  faites,  il  est  à 
propos  que  le  métropolitain  assemble  les  évêques  de  sa  pro- 
vince et  tels  autres  évêques  qu'il  voudra ,  pour  juger  ces  or- 
dinations selon  les  anciens  canons.  » 

Le  concile  permet  d'appeler  d'autres  évêques  que  ceux  de 


366  HISTOIRE  DE  L'EGLISE  CATHOLIQUE  1 557] 

la  province  afin  de  réunir  le  nombre  suffisant  pour  juger  un 
évêque. 

IX.  A  l'occasion  des  esclaves  qui  sont  chargés  de  garder 
les  tombeaux  des  morts,  le  concile  ordonne  qu'on  observera 
les  conditions  auxquelles  ils  ont  été  affranchis  par  leurs 
maîtres. 

X.  Enfin  on  déclare  que  tous  les  évêques  absents  à  qui  on 
présentera  ces  canons,  doivent  y  souscrire  (I). 

Il  se  trouva  quinze  évêques  à  ce  concile.  Les  plus  connus 
sont  :  Probien  de  Bourges,  qui  présida;  S.  Prétextât  de  Rouen, 
S.  Léonce  de  Bordeaux,  S.  Germain  de  Paris,  Euphrone  de 
Neversou  de  Tours,  Félix  d'Orléans,  S.  Paterne  d'Àvranches, 
S.  Chaletric  de  Chartres,  et  un  évêque  nommé  Samson,  qu'on 
croit  être  S.  Samson,  évêque  breton  dont  nous  avons  parlé. 

S.  Paterne,  après  avoir  blanchi  dans  les  travaux  de  la  vie 
monastique  et  de  l'apostolat,  succéda  à  Gilles,  évêque  d'A- 
vranches, qui  avait  assisté  au  quatrième  concile  d'Orléans  (2). 
On  reconnut  dans  le  nouvel  évêque  le  solitaire  mortifié  et 
l'apôtre  laborieux.  Tout  le  changement  que  fit  en  lui  sa  di- 
gnité, c'est  qu'elle  lui  fit  augmenter  ses  travaux  sans  lui 
servir  de  prétexte  pour  diminuer  quelque  chose  de  ses  austé- 
rités; sa  vieillesse  même,  qui  donnait  plus  d'autorité  à  son 
zèle,  semblait  aussi  lui  donner  plus  de  vivacité.  Il  fit  bâtir  de 
nouvelles  églises  et  réparer  les  anciennes,  et  il  se  montra 
surtout  le  père  des  pauvres  par  sa  généreuse  charité.  Après 
avoir  ainsi  gouverné  son  Église  pendant  treize  ans,  il  tomba 
malade  la  seconde  fête  de  Pâques,  vers  l'an  565  (3),  et  mourut 
âgé  de  quatre-vingt-cinq  ans,  le  16  avril,  jour  auquel  on  cé- 
lèbre sa  fête.  S.  Lô,  qui  ne  savait  rien  de  sa  maladie,  étant 
venu  pour  lui  rendre  visite,  fit  ses  funérailles.  On  a  remarqué, 
comme  une  circonstance  plus  singulière,  la  mort  de  S.  Scobi- 
lion,  qui  arriva  le  même  jour;  il  avait  toujours  été  le  fidèle 

(1)  Ap.  Labb.,  t.  V,  p.  814.— (2)  Vita  Patern.,  apudBoll.,  16  april.— (3)  Pâques 
était  cette  année  le  5  avril. 


[558]  EN  FRANCE.  —  LIVKE  VI.  367 

compagnon  de  S.  Paterne,  et  Dieu  voulut  réunir  dans  la  gloire 
en  un  même  jour  ceux  que  les  mêmes  pratiques  d'humilité 
et  de  mortification  avaient  si  longtemps  unis  sur  la  terre. 
L'évêque  Lascivus  [1),  dont  on  ne  connaît  pas  le  siège  épis- 
copal,  fît  les  obsèques  de  S.  Scobilion,  qui  fut  enterré  dans 
la  même  église  que  S.  Paterne. 

Peu  de  temps  après  le  concile  de  Paris,  S.  Germain  se  pré- 
para à  faire  la  dédicace  de  l'église  que  Ghildebert  avait  fait 
bâtir  près  de  cette  ville  en  l'honneur  de  la  Ste  Groix  et  de 
S.  Vincent,  pour  y  placer  la  tunique  de  ce  saint  martyr  et 
une  belle  croix  d'or  ornée  de  pierreries  qu'il  avait  enlevée 
aux  Goths  dans  son  expédition  contre  Àmalaric  (2).  L'église, 
bâtie  en  forme  de  croix,  était  alors  un  des  plus  superbes  édi- 
fices des  Gaules.  Les  colonnes  étaient  de  marbre,  et  le  pavé 
de  pièces  de  rapport  dont  les  couleurs  habilement  nuancées 
formaient  diverses  figures.  La  voûte  était  ornée  de  lambris 
dorés,  et  les  murailles  de  peintures  à  fond  d'or.  Le  toit  était 
couvert  de  lames  de  cuivre  doré  :  ce  qui  fit  nommer  dans  la 
suite  cette  église  Saint-Germain-le-Doré  (3).  Fortunat  en  loue 
particulièrement  les  vitraux  (4). 

Gomme  cette  église  était  bâtie  en  forme  de  croix,  il  y  avait 
quatre  autels.  Le  principal,  qui  était  à  l'orient,  fut  consacré  en 
l'honneur  de  la  Ste  Groix  et  de  S.  Vincent;  celui  du  côté  du 
septentrion  fut  dédié  aux  SS.  Ferréol  et  Ferrution;  celui  du 
midi,  à  S.  Julien  de  Brioude,  et  celui  d'occident, aux  SS.  Ger- 
vais  et  Protais,  à  S.Celseetà  S.  Georges.  A  l'entrée  de  l'église, 
au  midi,  on  avait  bâti  un  oratoire  sous  l'invocation  de  S.  Sym- 
phorien,  et  de  l'autre  côté,  au  septentrion,  un  autre  sous  celle 
de  S.  Pierre.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'on  mit  à  tous  ces  autels  des 

(1)  On  trouve  au  troisième  concile  de  Paris  un  évêque  nommé  Lascivus,  dont  le 
siège  n'est  pas  indicé.  Peut-être  faut-il  lire  Passivus,  qui  était  évêque  de  Séez. 

(2)  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Droctovée,  qui  est  suivi  par  Fleury,  dit  que  Chil- 
debert  apporta  cette  croix  de  Tolède  quand  il  alla  délivrer  sa  sœur  des  ma;::i 
d' Amalaric.  Mais  nous  avons  vu  que  ce  fut  à  Narbonne  et  non  à  Tolède  que  se  fit 
cette  expédition. 

(3)  VitaS.  Droctovei,  apud  Boll.,  10  mart.  —  (4)  Fort.,  1.  II,  c.  xi. 


368  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [558] 

reliques  des  saints  martyrs  en  l'honneur  desquels  ils  furent 
dédiés,  et  il  paraît  que  ce  fut  à  ce  dessein  que  Childebert  en 
envoya  demander  au  pape,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut. 

Ce  prince  fit  don  à  cette  église  d'un  grand  nombre  de  riches 
terres  et  de  précieux  ornements,  et  il  chargea  S.  Germain  d'y 
établir  une  communauté  de  moines.  Le  saint  évêque  le  fît  et 
lui  donna  pour  premier  abbé  Authaire  (1),  distingué  par  sa 
noblesse,  ou,  selon  quelques  auteurs,  S.  Droctovée,  qui  avait 
été  son  disciple  à  Autun  dans  le  monastère  de  Saint-Sympho- 
rien  (2).  Comme  on  pratiquait  à  Autun  la  règle  de  S.  Antoine 
et  de  S.  Basile,  il  est  probable  que  S.  Germain  et  S.  Droctovée 
l'auront  établie  dans  cette  nouvelle  communauté. 

Tout  était  prêt  pour  la  dédicace  de  l'église  lorsque  Childe- 
bert tomba  dangereusement  malade.  C'était  vers  la  fête  de 
Noël,  et  plusieurs  évêques  s'étaient  déjà  rendus  à  Paris  pour 
la  célébrer  avec  le  roi.  Mais  ce  prince  mourut  le  23  décembre, 
la  quarante-huitième  année  de  son  règne,  c'est-à-dire  l'an  558. 
Comme  S.  Germain  voulait  inhumer  Childebert  clans  la 
nouvelle  église,  et  qu'une  grande  affluence  de  personnes  de 
toutes  conditions  s'était  rendue  à  Paris  tant  pour  la  fête  que 
pour  les  funérailles  du  roi,  il  crut  devoir  profiter  de  cette 
occasion  pour  faire  la  dédicace,  assisté  de  S.  Nicet  de  Lyon 
et  de  cinq  autres  évêques  (3).  Le  même  jour  il  y  fit  les  ob- 

(1)  Tous  les  anciens  catalogues,  aussi  bien  qu'Aimoin,  signalent  Authaire  comme 
le  premier  abbé  de  Saint-Germain.  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Droctovée  ne  parle  pas 
d'Authaire  et  place  S.  Droctovée  le  premier.  Il  est  difficile  de  déterminer  qui  l'on 
doit  croire.  Mais  la  Vie  de  S.  Droctovée,  que  suit  pourtant  le  P.  Mabillon,  con- 
tient beaucoup  d'erreurs. 

(2)  Aim.,  1.  II,  c.  xx. 

(3)  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Droctovée  se  trompe  dans  l'assignation  des  sièges 
de  quelques-uns  de  ces  évêques  ,  et  c'est  ce  qui  nous  a  empêché  de  les  nommer. 
Il  marque  par  exemple  Prétextât  de  Chalon-sur-Saône  ,  Victeur  du  Mans  et 
Domitien  de  Chartres.  Mais  S.  Agricole  était  alors  évêque  de  Chalon,  S.  Chaletric 
de  Chartres,  et  Scienfroi  occupait  le  siège  du  Mans,  qu'il  avait  usurpé  après  la  mort 
de  S.  Innocent;  Victeur  était  évêque  de  Rennes,  et  Domitien  d'Angers;  Prétextât 
pouvait  l'être  de  Rouen  ou  de  Cavaillon.  Ainsi  il  faudrait  peut-être  lire  Cavillocensi, 
pour  Cabillonensi.  Il  y  avait  en  ce  temps-là  un  Prétextât  évêque  de  Cavaillon. 
Cet  auteur  ne  s'est  point  trompé  en  désignant  Félix  à  Orléans  et  Euphrone  à 
Ne  vers. 


[558]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  369 

sèques  de  Childebert  avec  un  appareil  digne  de  la  grandeur 
et  de  la  magnificence  de  ce  prince.  Childebert  fut  enterré  dans 
le  chœur  de  cette  église,  qu'il  sembla  n'avoir  bâtie  que  pour 
lui  servir  de  tombeau.  On  lui  attribue  aussi  la  fondation  de 
l'église  de  Saint-Germain  ditl'Auxerrois,  qui  est  aujourd'hui, 
comme  celle  de  Saint-Germain  des  Prés,  une  église  parois- 
siale. C'est  par  les  monuments  de  leur  piété  que  la  mémoire 
des  princes  vit  le  plus  longtemps  dans  l'esprit  des  peuples. 

Les  divers  traits  que  nous  avons  vus  de  la'bonté  et  du  zèle 
de  Childebert,  effacèrent  le  souvenir  des  attentats  que  son 
ambition  lui  avait  fait  commettre  contre  ses  neveux.  Tous  ses 
sujets  le  regrettèrent  comme  leur  père.  Il  l'était  particulière- 
ment des  pauvres,  en  faveur  desquels  il  ne  craignait  pas  d'é- 
puiser ses  trésors.  L'Église  de  France  le  pleura  comme  son 
plus  zélé  protecteur.  Aucun  de  nos  rois  n'a  peut-être  érigé 
plus  de  monastères,  n'a  fait  tenir  plus  de  conciles,  et  n'a  vu 
fleurir  de  son  temps  dans  ses  États  un  plus  grand  nombre  de 
saints  évêques  et  de  saints  abbés,  qu'il  honorait  de  sa  con- 
fiance et  de  ses  dons.  La  piété  des  sujets  fait  l'éloge  du 
prince. 

La  reine  Ultrogothe,  femme  de  Childebert,  secondait  parfai- 
tement ses  pieux  desseins.  Un  ancien  auteur  nous  apprend 
qu'elle  était  la  mère  des  orphelins,  la  consolation  des  affligés 
et  la  protectrice  (1)  des  serviteurs  de  Dieu,  surtout  des 
moines.  La  renommée  des  miracles  de  S.  Martin  la  porta  à 
visiter  son  tombeau  et  lui  fit  souhaiter  de  voir  ses  reliques  à 
découvert.  Elle  s'y  prépara  par  les  jeûnes,  les  veilles  et  les 
aumônes.  Cependant,  étant  entrée  dans  l'église,  une  sainte 
frayeur  la  saisit  et  l'empêchait  d'approcher  du  sacré  monu- 
ment. Elle  passa  la  nuit  en  prière  et,  le  lendemain,  ayant  fait 
célébrer  la  messe  en  l'honneur  de  S.  Martin,  elle  eut  la  con- 
solation de  voir  pendant  cette  messe  trois  aveugles,  qui  de- 

(1)  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Samson  fait  un  portrait  odieux  de  la  reine  Ultro- 
gothe. Nous  croyons  le  témoignage  de  Grégoire  de  Tours  et  celui  de  l'auteur  de 
la  Vie  de  Ste  Bathilde  préférable  au  témoignage  de  cet  écrivain. 

TOME  II.  24 


370  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [559] 

puis  longtemps  se  tenaient  au  pied  de  son  tombeau,  recouvrer 
subitement  la  vue  (1).  Il  ne  manquait  à  la  vertu  de  cette  prin- 
cesse que  d'être  purifiée  par  les  souffrances  :  cette  grâce  ne 
tarda  pas  à  lui  être  accordée. 

Ghildebert  étant  mort  sans  enfant  mâle,  Glotaire  devint 
maître  de  tout  l'empire  franc  et  commença  ce  nouveau  règne 
par  exiler  la  reine  Ultrogothe  et  ses  deux  filles,  Grodesende 
et  Crotberge.  Peut-être  les  soupçonna-t-il  d'avoir  eu  part  à  la 
nouvelle  révolte  de  Chramne,  son  fils  aîné.  Mais  après  quelque 
temps  d'épreuve,  la  reine  et  les  deux  princesses  furent  rap- 
pelées de  leur  exil  et  remises  en  possession  des  beaux  jar- 
dins de  Ghildebert  ^w2),  où  ce  prince  prenait  plaisir  à  cultiver 
des  arbres  fruitiers  qu'il  avait  plantés  de  sa  main.  Ultrogothe 
fut  enterrée  auprès  de  son  mari  dans  l'église  de  Saint-Vin- 
cent, aujourd'hui  Saint-Germain  des  Prés. 

Dès  que  Glotaire  se  vit  en  possession  de  toute  la  monar- 
chie, il  voulut  rassurer  les  évêques,  qui  paraissaient  craindre 
le  règne  d'un  prince  si  débauché  qu'il  s'était  fait  excommu- 
nier par  S.  Nicet  de  Trêves.  C'est  pourquoi  il  publia  une 
constitution  très-favorable  à  la  religion,  et  qui  confirme  la 
plupart  des  canons  du  dernier  concile  de  Paris,  sans  parlei 
néanmoins  de  ce  qu'on  y  avait  décrété  sur  les  élections  de* 
évêques.  Glotaire  règle  d'abord  quelques  articles  de  la  lo: 
civile.  «  Pour  les  successions,  dit-il  (3),  on  suivra  la  disposi- 
tion des  lois,  et  toutes  les  grâces  obtenues  à  leur  préjudice 
seront  réputées  nulles  par  les  juges.  Si  quelqu'un  est  accuse 
d'un  crime,  qu'il  ne  soit  pas  condamné  sans  être  entendu  : 
mais  s'il  est  convaincu,  qu'il  soit  puni  selon  la  nature  du 
crime. 

«  Les  causes  des  Romains  (c'est-à-dire  des  Gaulois!  seront 
terminées  suivant  les  lois  romaines.  Une  grâce  obtenue  de 

(1)  Auct.  Vit.  S.  Bathildis,  1.  I.  —  Greg.  Tur.,  de  Mirac.  S.  Mort.,  e.  xn. 

(2)  On  voit  par  la  description  que  Fortunat  fait  de  ces  jardins  qu'ils  n'étaient 
pas  éloignés  du  monastère  de  Saint-Germain  des  Prés. 

(3)  Conc.  Gall.,  1. 1,  p.  318. 


[559]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  371 

nous  par  subreption  sera  nulle.  Si  quelque  juge  condamne 
quelqu'un  injustement  et  contre  la  loi,  il  sera  corrigé  en  notre 
absence  par  les  évêques  (1)  et  obligé  de  réformer  ce  qu'il  a 
mal  jugé.  Personne  ne  se  servira  de  notre  autorité  pour 
épouser  une  veuve  ou  une  fille  malgré  elle  ou  pour  l'en- 
lever. Que  personne  n'ait  la  hardiesse  d'épouser  une  reli- 
gieuse... Les  oblations  des  morts  faites  aux  églises  ne  pour- 
ront être  enlevées  à  celles-ci.  » 

Il  faut  entendre  ici  les  biens  donnés  à  l'Église  par  testa- 
ment ou  les  legs  destinés  à  faire  prier  pour  les  morts. 

Glotaire  continue  :  «  Nous  remettons  à  l'Église  par  dévo- 
tion les  tributs  imposés  sur  les  terres  et  les  pâturages  et  les 
dîmes  des  porcs  »  (c'était  un  tribut  en  usage  parmi  les 
Francs).  Il  paraît  même  que  d'autres  tributs  se  levaient  en 
espèces  sur  les  fruits  des  terres  :  c'est  pourquoi  le  roi  défend 
à  ceux  qui  levaient  les  dîmes  d'aller  sur  les  terres  de  l'Église. 
Il  déclare  exempts  de  toutes  charges  publiques  les  clercs 
et  les  Églises  à  qui  Clovis  (2)  et  Childebert  en  ont  accordé 
l'immunité,  et  il  confirme  toutes  les  donations  faites  aux 
Églises  par  ces  princes  et  par  quelque  autre  personne  que  ce 
soit.  Enfin  il  ordonne  qu'on  ne  soit  point  reçu  à  revendiquer 
des  biens  que  les  Eglises,  les  clercs  et  ses  autres  sujets  pos- 
sèdent depuis  trente  ans,  pourvu  cependant  que  le  commen- 
cement de  la  possession  ait  été  juste.  Ces  dernières  paroles 
paraissent  avoir  été  ajoutées  en  faveur  du  canon  du  dernier 
concile  de  Paris,  qui  ordonne  de  répéter  les  biens  ecclésias- 
tiques usurpés  même  sous  Clovis.  Cette  constitution  est  sans 
date  ;  mais  on  la  rapporte  avec  raison  au  commencement  de 
la  monarchie  de  Clotaire  dans  les  Gaules. 

(1)  On  voit  ici  que  les-évêques  pouvaient  réformer  en  l'absence  du  roi  les  juge- 
ments des  magistrats  laïques.  Les  lois  des  Visigoths  donnaient  la  même  autorité 
aux  évêques. 

(2)  Il  y  a  dans  l'imprimé:  qui  a/oi,  genitoris ,  et  germant  immunitatem  meruerunt. 
Mais  le  P.  Sirmond  a  vu  un  exemplaire  où  le  mot  avi  ne  se  trouve  pas.  Il  est  en 
effet  difficile  de  croire  que  Childéric,  qui  n'était  pas  chrétien  et  qui  n'eut  pas 
d'État  fixe  dans  la  Gaule,  ait  accordé  ces  grâces  aux  Églises. 


372  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [559] 

Ce  roi  ne  goûta  pas  longtemps  le  plaisir  de  se  voir  maître 
absolu  de  tant  de  royaumes,  et  Chramne  lui  donna  bientôt  de 
nouveaux  chagrins,  qui  lui  firent  sentir  qu'un  prince  en  de- 
venant plus  puissant  n'en  devient  point  plus  heureux.  Ce 
fils  ingrat  se  révolta  une  seconde  fois;  mais,  n'ayant  plus  la 
protection  de  Childebert,  il  fut  contraint  de  se  réfugier,  avec 
sa  femme  et  ses  filles,  auprès  de  Gonobre  ou  Conobert,  comte 
de  Bretagne  (1). 

Villiachaire,  beau-père  de  Chramne,  se  réfugia  à  Tours 
dans  l'église  de  Saint-Martin,  et  comme  il  s'y  vit  cerné,  il  y  mit 
le  feu  pour  s'échapper  à  la  faveur  de  l'incendie,  qui  consuma 
cette  belle  église,  bâtie  par  S.  Perpétue.  Glotaire  la  fit  aus- 
sitôt restaurer  et  couvrir  d'étain,  et  marcha  à  la  tête  de  son 
armée  contre  son  fils  rebelle,  que  le  comte  de  Bretagne  se 
mettait  en  état  de  soutenir  de  toutes  ses  forces.  En  passant 
par  le  Maine,  il  vit  à  Javron  le  saint  abbé  Gonstantien,  qui  lui 
prédit  la  victoire  (2).  Chramne,  de  son  côté,  n'eut  pas  horreur 
de  marcher  contre  son  père,  et,  les  deux  armées  s'étant  trou- 
vées en  présence  sur  le  soir,  on  remit  le  combat  au  lende- 
main. 

Le  comte  de  Bretagne,  profitant  de  ce  délai ,  dit  à 
Chramne  (3)  :  «  Prince,  je  ne  crois  pas  qu'il  convienne  que 
vous  combattiez  contre  votre  père  :  laissez-moi  tomber  sur 
lui  cette  nuit,  et  je  me  tiens  assuré  de  la  victoire.  »  Chramne, 
que  la  justice  divine  poursuivait,  ne  se  rendit  pas  à  cette  pro- 
position et  se  prépara  au  combat  pour  le  lendemain.  Clo- 
taire,  qui  ne  ressemblait  guère  à  David  que  par  ses  adul- 
tères et  par  la  nécessité  où  il  se  trouvait  de  combattre  contre 
un  fils  rebelle,  se  compara  à  ce  prince  dans  la  prière  qu'il 
adressa  à  Dieu  avant  de  donner  la  bataille  :  «  Seigneur, 
lui  dit-il,  voyez  du  haut  du  ciel  les  outrages  que  me  fait  mon 
fils,  et  jugez  ma  cause  comme  vous  avez  jugé  autrefois  entre 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xx.  —  (2)  Vit.  Constant.,  apud  Ducheene,  t.  I,  p.  544.— 
,3)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xx. 


[560 J  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VI.  373 

Absalon  et  David  son  père.  »  Ayant  parlé  ainsi,  il  donna  le 
signal  du  combat,  qui  fut  terrible:  car  il  règne  toujours  plus  de 
fureur  dans  les  guerres  civiles  que  dans  les  autres,  parce 
qu'il  y  entre  plus  de  haine  et  d'acharnement.  La  victoire  ne 
tarda  cependant  pas  à  se  déclarer  pour  le  parti  de  la  justice. 

Le  comte  de  Bretagne  fut  tué  en  combattant  contre  son 
souverain,  et  Ghramne  prit  la  fuite  vers  les  vaisseaux  qu'il 
avait  fait  tenir  prêts.  Mais,  père  aussi  tendre  que  fils 
dénaturé,  il  se  souvint  que  ses  filles  et  sa  femme  étaient 
exposées  au  péril  et  revint  sur  ses  pas  pour  les  en  tirer.  Dans 
ce  retour  il  fut  enveloppé  avec  les  princesses  par  l'armée  de 
Glotaire  et  enfermé  dans  la  chaumière  d'un  paysan.  Clo- 
taire,  l'ayant  appris,  ordonna  dans  le  premier  mouvement 
de  sa  colère  qu'on  y  mît  le  feu  et  qu'on  brûlât  tout  vif 
le  prince  avec  sa  femme  et  ses  filles,  quelque  innocentes 
qu'elles  fussent  de  sa  révolte.  L'ordre  barbare  fut  exécuté 
à  la  lettre;  toutefois  Ghramne,  qui  était  le  seul  coupable,  fut 
étranglé  avant  d'être  brûlé.  Telle  fut  la  fin  tragique  de  ce 
nouvel  Absalon.  Il  en  avait  la  beauté,  l'ambition  et  la  perfi- 
die :  il  en  eut  le  sort,  et  sa  rébellion  a  rendu  son  nom  si 
odieux  aux  Francs  qu'aucun  prince  de  la  famille  royale 
ne  l'a  porté  dans  la  suite. 

Après  cette  tragique  expédition,  Glotaire,  les  mains  en- 
core teintes,  pour  ainsi  dire,  du  sang  de  son  fils,  alla  à 
Tours  offrir  de  riches  présents  au  tombeau  de  S.  Martin, 
dans  l'église  qu'il  venait  de  faire  restaurer.  La  sainteté  du 
lieu  lui  inspira  des  sentiments  de  pénitence.  Il  y  repassa 
dans  l'amertume  de  son  cœur  les  désordres  de  sa  vie  passée, 
et  pria  S.  Martin  avec  larmes  de  lui  obtenir  de  la  divine 
miséricorde  le  pardon  de  tant  de  crimes  dont  il  se  recon- 
naissait coupable  (1).  Il  séjourna  quelque  temps  à  Tours 
avec  S.  Germain  de  Paris  et  quelques  autres  saints  évêques, 
qui  tâchèrent  de  profiter  pour  son  salut  des  heureuses  dis- 


(1)  Greg.  Tur.,1.  IV,  c.  xxi. 


374  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [561] 

positions  de  son  cœur.  Les  exemples  de  Ste  Radegonde, 
qui  avait  été  sa  femme  et  qui  remplissait  alors  tout  ce  pays 
de  l'odeur  de  ses  vertus,  auraient  dû  faire  encore  plus  d'im- 
pression sur  l'esprit  de  Glotaire  que  les  exhortations  des 
prélats.  Mais  le  seul  souvenir  d'une  princesse  qu'il  avait  si 
tendrement  aimée,  pensa  faire  évanouir  toutes  ses  bonnes 
résolutions. 

Radegonde,  après  avoir  passé  plusieurs  années  à  Sais,  sui 
les  confins  du  Poitou  et  de  la  Touraine,  dans  une  sainte  soli- 
tude, avait  obtenu  de  Clotaire  la  permission  de  bâtir  ur 
monastère  à  Poitiers.  La  construction  en  fut  faite  rapide- 
ment, grâce  au  zèle  de  Pientius,  alors  évêque  de  cette  ville 
et  aux  soins  du  duc  Austrapius.  La  naissance  et  les  vertu* 
de  la  pieuse  reine  y  attirèrent  bientôt  un  grand  nombre  de 
filles  de  qualité,  qui  vinrent  pour  s'y  consacrer  à  Dieu  souî 
sa  conduite  (1).  Mais  Radegonde  n'avait  pas  renoncé  au? 
grandeurs  du  monde  pour  se  faire  une  domination  dan* 
le  cloître.  Elle  préféra  le  mérite  de  l'obéissance  à  la  satisfactior 
de  gouverner  une  noble  et  nombreuse  communauté ,  qu'elle 
avait  formée,  et  fit  élire  abbesse  une  de  ses  disciples  nom- 
mée Agnès,  à  qui  elle  fut  en  tout  soumise  comme  la  der- 
nière des  religieuses. 

Il  arriva  à  Ste  Radegonde  le  contraire  de  ce  qui  arrive 
communément  aux  personnes  qui  quittent  le  monde  :  elle 
l'oublia  facilement  et  ne  put  s'en  faire  oublier.  Glotaire 
l'aimait  toujours,  et  les  courtisans,  qui  s'en  aperçurent 
ne  manquèrent  pas  de  flatter  une  passion  que  l'âge  n'avai 
pu  guérir.  On  lui  conseilla  de  rappeler  Radegonde  à  sa  coui 
et  d'aller  de  Tours,  où  il  était  alors,  à  Poitiers  pour  h 
tirer  de  son  monastère.  Il  n'en  fallait  pas  tant  pour  rallu- 
mer un  feu  mal  éteint.  Glotaire,  oubliant  ses  projets  de 
conversion,  parut  déterminé  à  suivre  un  conseil  si  con- 
forme à  ses  inclinations.  Au  premier  bruit  qui  s'en  répandit 


(1)  Baudon.  Vita  S.  Badeg.,  1.  II,  c.  iv. 


|5611  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  375 

la  sainte  princesse  alarmée  écrivit  secrètement  à  S.  Germain, 
qui  accompagnait  le  roi  dans  ce  voyage,  et  lui  envoya  la 
lettre  avec  quelques  présents  par  Procule,  son  homme  d'af- 
faires. Elle  conjurait  instamment  ce  saint  évêque,  dont  elle 
connaissait  la  piété  et  le  crédit,  de  détourner  le  coup  dont 
elle  était  menacée.  Germain,  pour  mieux  toucher  le  roi,  se 
jeta  à  ses  pieds  devant  le  tombeau  de  S.  Martin  et  le  sup- 
plia avec  larmes  de  ne  pas  aller  à  Poitiers.  Clotaire  ne 
douta  pas  que  ce  ne  fût  Radegonde  qui  lui  faisait  faire  cette 
prière.  Il  se  sentit  attendri,  imputa  la  résolution  qu'il  avait 
prise  aux  mauvais  conseils,  et,  se  jetant  lui-même  aux 
pieds  de  Germain ,  le  conjura  de  prier  la  sainte  reine  de 
lui  pardonner.  Il  l'envoya  même  à  ce  sujet  à  Poitiers,  et  ce 
fut  sans  doute  en  cette  occasion  que  ce  saint  évêque  bénit 
l'abbesse  Agnès  (1). 

Il  sembla  que  Dieu,  en  inspirant  ces  sentiments  de  piété 
à  Clotaire,  voulait  le  disposer  à  la  mort  et  le  porter  à 
faire  pénitence  de  ses  fautes.  S'il  profita  du  peu  de  temps 
qui  lui  restait,  sa  conversion  est  un  nouvel  exemple  des 
miséricordes  de  Dieu  envers  les  plus  grands  pécheurs.  A 
peine  ce  prince  fut-il  de  retour  de  ce  voyage,  qu'il  fut  pris 
de  la  fièvre  pendant  qu'il  chassait  dans  la  forêt  de  Guise  (2), 
auprès  de  Gompiègne,  l'une  des  plus  anciennes  maisons  de 
plaisance  de  nos  rois.  Il  s'y  retira  pour  y  rétablir  sa  santé  ; 
mais  le  mal,  plus  fort  que  les  remèdes,  augmentant  tous  les 
Jours,  il  sentit  bientôt  que  sa  fin  était  proche.  Alors,  sur  le 
point  d'être  dépouillé  de  sa  grandeur,  il  n'en  connut  plus 
de  véritable  que  celle  de  Dieu  (3).  Il  disait  aux  courtisans 
qui  entouraient  son  lit  :  Hélas  !  combien  pensez-vous  que 
doit  être  grand  le  Roi  du  ciel,  qui  fait  ainsi  mourir  de  si 
grands  rois!  Réflexion  salutaire ,  mais  bien  tardive.  Il  mou- 

(1)  Radeg.  Epist.  ad  episc. 

(2)  La  forêt  de  Compiègne  est  nommée  par  les  anciens  auteurs  Cotia  sylva  ou 
Causia. 

(3)  Greg.  Tur.,  I  IV,  c.  xii. 


376  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [56 1J 

rut  ainsi  à  Gompiègne  l'an  561,  après  un  règne  de  cinquante 
ans,  dont  il  avait  terni  la  gloire  par  sa  cruauté  et  ses  dé- 
bauches. Heureux  si  les  sentiments  de  pénitence  qu'il  fit 
paraître  sur  la  fin  de  sa  vie  furent  sincères  et  efficaces!  C'est 
ce  qu'il  ne  nous  appartient  pas  de  pénétrer.  Il  nous  suffit 
de  savoir  que  la  miséricorde  et  la  justice  de  Dieu  sont  éga- 
lement infinies.  Cette  vérité  fait  un  devoir  aux  plus  justes  de 
craindre  encore,  elle  permet  aux  plus  grands  pécheurs  de  ne 
pas  désespérer. 

Les  quatre  fils  de  Clotaire  firent  porter  son  corps  de 
Gompiègne  à  Soissons,  où  il  fut  enterré  avec  un  magnifique 
appareil  dans  l'église  qu'il  avait  commencé  à  faire  bâtir  sur 
le  tombeau  de  S.  Médard.  Ensuite  ils  firent  entre  eux  le 
partage  de  la  monarchie  :  nouvelle  source  de  divisions  et 
de  guerres  civiles.  Caribert  eut  le  royaume  de  Paris,  Con- 
tran celui  de  Bourgogne,  Ghilpéric  celui  de  Soissons,  et 
Sigebert  celui  d'Austrasie.  Nous  verrons  bientôt  les  carac- 
tères différents  de  ces  princes,  et  le  bien  ou  le  mal  qu'ils 
firent  à  la  religion  par  leur  conduite  édifiante  ou  scanda- 
leuse :  car  l'exemple  d'un  roi  est  souvent  une  loi,  et  tou- 
jours un  puissant  attrait  pour  les  sujets.  C'est  une  maxime 
dont  nous  verrons  l'application  dans  la  conversion  d'une 
nation  entière,  dont  nous  devons  parler,  puisqu'elle  fut 
particulièrement  due  à  l'intercession  et  aux  mérites  d'un 
saint  évêque  de  l'Eglise  de  France. 

Les  Suèves,  établis  depuis  environ  cent  cinquante  ans  dans 
la  Galice,  province  d'Espagne,  avaient  eu  le  malheur,  comme 
presque  toutes  ces  nations  barbares,  d'embrasser  l'aria- 
nisme.  On  voyait  peu  d'espérance  de  pouvoir  les  désa- 
buser, lorsque  Dieu  se  servit  de  l'éclat  que  répandait  dans 
le  monde  entier  la  gloire  de  S.  Martin  pour  leur  ouvrir  les 
yeux.  Leur  roi,  que  Grégoire  de  Tours  nomme  Ghararic  (1), 
et  les  autres  historiens  Théodemire  ou  même  Ariamire» 


(1)  Greg.  Tur.,  de  Mirac.  S.  Mart.,  1.  I,  c.  XI. 


[561]  EX  FRANCE.    —  LIVRE  VI.  377 

voyant  son  fils  encore  enfant  dangereusement  malade,  dit 
à  ses  courtisans  :  «  Ce  Martin  qu'on  dit  faire  tant  de  mira- 
cles dans  les  Gaules,  dites-moi,  quelle  religion  professait-il?  »> 
Ils  lui  répondirent  qu'il  professait  la  religion  catholique, 
qu'il  avait  cru  et  prêché  la  consubstantialité  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit,  et  qu'il  ne  cessait  de  combler  de 
bienfaits  ceux  qui  imploraient  son  assistance.  «  Si  cela  est 
ainsi,  reprit  le  roi,  que  quelques-uns  de  mes  officiers  aillent 
jusqu'à  son  église  lui  offrir  des  présents  pour  la  guérison 
de  mon  fils.  »  Il  voulut  que  les  présents  fussent  magnifiques 
et  proportionnés  à  l'amour  qu'il  portait  à  son  fils.  Il  fit  peser 
une  somme  d'or  et  d'argent  du  poids  du  jeune  prince  et 
l'envoya  au  tombeau  de  S.  Martin,  ne  doutant  pas  que 
des  vœux  accompagnés  d'un  si  riche  présent  ne  fussent 
exaucés.  Mais  c'est  surtout  le  cœur  qui  fait  le  prix  des  dons 
que  nous  offrons  à  Dieu,  et  l'on  ne  peut  lui  plaire  sans  une 
foi  pure. 

Gomme  le  roi  des  Suèves  était  encore  attaché  à  l'hérésie ,  il 
n'obtint  pas  la  guérison  de  son  fils  ;  mais  cependant  un  mieux 
sensible  se  déclara.  Les  envoyés,  étant  de  retour,  rapportè- 
rent au  roi  qu'ils  avaient  été  eux-mêmes  témoins  de  plusieurs 
miracles  opérés  au  tombeau  de  S.  Martin,  ajoutant  qu'ils 
étaient  surpris  que  le  jeune  prince  n'eût  pas  reçu,  comme  tant 
d'autres,  la  grâce  entière. 

Le  roi  comprit  qu'il  ne  mériterait  d'être  exaucé  que  quand 
il  professerait  la  foi  de  S.  Martin.  Il  forma  la  résolution  de 
l'embrasser,  fît  bâtir  une  belle  église  en  .l'honneur  du  saint 
évêque,  et  dit  :  Si  je  suis  assez  heureux  pour  obtenir  de  ses 
reliques,  je  croirai  tout  ce  que  les  prélais  (catholiques]  me  prê- 
cheront. Il  renvoya  ses  députés  à  Tours  avec  des  présents 
plus  grands  encore  que  la  première  fois,  pour  demander  des 
reliques.  On  offrit  de  leur  donner,  selon  la  coutume,  des 
linges  ou  des  pièces  d'étoffe  qui  avaient  été  quelque  temps 
sur  le  tombeau  de  S.  Martin.  Ils  demandèrent  qu'il  leur  fût 
permis  de  mettre  eux-mêmes  sur  le  tombeau  ce  qu'ils  vou- 


378  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [56 1  ] 

laient  emporter,  et  y  placèrent  une  partie  d'une  étoffe  (1)  de 
soie  qu'ils  pesèrent  auparavant,  en  disant  :  «  Elle  sera  demain 
plus  pesante  si  nous  avons  trouvé  grâce  devant  celui  dont 
nous  recherchons  la  protection.  »  Ils  passèrent  la  nuit  en  prière 
au  pied  du  tombeau,  et  le  lendemain  l'étoffe,  ayant  été  mise 
une  seconde  fois  dans  la  balance,  enleva  entièrement  le 
poids  avec  lequel  elle  était  auparavant  en  équilibre.  Les  dépu- 
tés de  Galice,  pénétrés  de  joie  à  la  vue  de  ce  miracle,  empor- 
tèrent ces  reliques  comme  en  triomphe  et  partirent  en  chan- 
tant des  psaumes  dans  les  rues  de  Tours.  En  traversant  ainsi 
la  ville,  ils  passèrent  devant  la  prison,  et  leurs  chants  parvin- 
rent aux  oreilles  des  prisonniers,  qui  en  apprirent  le  sujet. 
Ces  malheureux  se  mirent  aussitôt  à  invoquer  S.  Martin  avec 
confiance.  A  l'instant  leurs  chaînes  se  brisèrent,  et  la  prison 
s'ouvrit.  Ils  coururent  en  présence  de  tout  le  peuple  se  pros- 
terner devant  les  reliques  et  les  arroser  des  larmes  que  la  joie 
et  la  reconnaissance  leur  faisaient  verser.  L'évêque  de  Tours, 
qui  pouvait  être  S.  Euphrone,  fit  ratifier  par  le  juge  la  grâce 
que  S.  Martin  venait  de  faire  à  ces  criminels  (2). 

Ce  miracle  inspira  une  nouvelle  confiance  aux  députés  du 
roi  des  Suèves.  Ils  arrivèrent  en  Galice  après  une  heureuse 
navigation.  Le  jeune  prince,  qui  se  nommait  Miron,  recouvra 
une  santé  parfaite;  et  la  lèpre,  maladie  jusqu'alors  fort  com- 
mune parmi  les  Suèves,  disparut  à  l'arrivée  des  reliques  de 
S.  Martin.  Mais  ce  peuple  fut  délivré  d'une  contagion  infini- 
ment plus  dangereuse.  Le  roi,  que  l'évidence  du  miracle  avait 
convaincu,  abjura  solennellement  l'arianisme  avec  toute  sa 
famille,  et  son  exemple  fut  bientôt  suivi  de  toute  la  nation, 
qui  vit  dans  ce  don  des  miracles,  subsistant  dans  l'Église  ca- 
tholique depuis  l'établissement  du  christianisme,  une  dé- 
monstration de  la  vérité  que  toutes  les  ruses  de  l'erreur  ne 
peuvent  ni  affaiblir  ni  éluder.  C'est  ainsi  que  le  grand  S.  Mar- 


(1)  Ces  linges  ou  ces  étoffes  qu'on  faisait  toucher  aux  tombeaux  des  saints  et 
qu'on  gardait  comme  des  reliques,  sont  ce  qu'on  nommait  brandea. 

(2)  Greg.  Tur.,  de  Mirac.  S.  Mart.,  1. 1,  o.  Xt 


[561]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI.  379 

tin  combattait  encore  après  sa  mort,  par  ses  miracles,  une 
hérésie  qu'il  avait  combattue  de  son  vivant  par  ses  prédica- 
tions. 

11  ne  manquait  aux  Suèves  qu'un  ouvrier  évangélique  pour 
recueillir  cette  riche  moisson.  Mais  Dieu  avait  suscité  un 
autre  S.  Martin,  originaire  comme  lui  de  Pannonie,  qui,  par 
une  disposition  particulière  de  la  Providence,  arriva  en  Galice 
avec  les  députés  du  roi.  On  ne  peut  donc  pas  méconnaître  que 
le  Ciel  l'avait  destinéà devenir  l'apôtre  de  lanation.Cet  envoyé 
de  Dieu  était  S.  Martin  d'abord  abbé  et  évêque  de  Dume,  et 
ensuite  évêque  de  Brague.  Il  parut  avoir  hérité  du  zèle  et  des 
vertus  aussi  bien  que  du  nom  du  grand  S.  Martin.  Il  fît  plu- 
sieurs ouvrages  de  piété  et  composa  une  inscription  en  vers  qui 
fut  placée  sur  la  porte  méridionale  de  l'église  de  Saint-Martin 
de  Tours.  Ste  Radegonde  avait  tant  d'estime  pour  sa  vertu 
qu'elle  lui  fit  écrire  en  Galice  pour  se  recommander  à  ses 
prières  (1).  C'est  ainsi  que  l'humilité  fait  chercher  des  inter- 
cesseurs auprès  de  Dieu  à  ceux-là  mêmes  qui  pourraient  en 
servir  aux  autres. 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  V,  c.  xxxvni.  —  Fort.,  1.  V,  carm.  1. 


FIN  DU  LIVRE  SIXIEME. 


LIVRE  SEPTIÈME 


Le  caractère  des  nouveaux  rois  francs  se  ressentait  de  l'é- 
ducation et  des  exemples  qu'ils  avaient  reçus.  On  pouvaii 
reconnaître  aux  vices  de  Garibert  et  de  Chilpéric  (1)  les  en- 
fants deClotaire,  et  aux  vertus  de  Gontran  et  de  Sigebert  les 
petits-fils  du  grand  Glovis.  Sigebert  commença  son  règne  pai 
rappeler  S.  Nicet  de  Trêves,  envoyé  en  exil  par  Glotain 
pour  avoir  eu  le  courage  de  l'excommunier,  comme  nous  l'a- 
vons raconté  plus  haut.  Ge  saint  évêque  avait  eu  la  douleur  d( 
se  voir  abandonné  dans  sa  disgrâce  par  la  plus  grande  partie 
de  son  clergé  et  même  par  plusieurs  de  ses  frères  dans  l'é 
piscopat  :  car  le  plus  grand  malheur  des  mauvais  princes 
c'est  qu'ils  ne  manquent  guère  de  trouver,  même  parmi  les 
ministres  du  Seigneur,  des  hommes  qui  les  flattent  dans  leur; 
désordres.  S.  Nicet  demanda  un  jour  à  un  diacre  qui  l'aval 
suivi,  s'il  voulait  aussi  l'abandonner.  Le  diacre  l'ayant  as 
suré  qu'il  lui  serait  toujours  fidèle,  le  saint  évêque  lui  dit 
«  Parce  que  vous  êtes  animé  de  ces  sentiments,  je  vous  dira 
que  demain  à  cette  heure  je  serai  rétabli  dans  mon  Église  (2).  > 

En  effet,  le  lendemain  dès  le  matin  il  reçut  un  courrier  por 
teur  des  lettres  de  Sigebert  qui  le  rappelaient  à  Trêves.  G( 

(1)  Fortunat  nous  apprend  que  Chilpéric  en  langue  barbare,  c'est-à-dire  tu 
desque,  signifie  puissant  secours,  adjutor  fortis.  En  effet,  rie  signifie  puissant  :  tell< 
est  l'étymologie  du  mot  riche. 

(2)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  xvn. 


563]  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  EN  FRANCE.  381" 

prince,  en  lui  apprenant  la  mort  deClotaire,  lui  marquait  qu'il 
ne  voulait  pas  prendre  possession  de  son  royaume  sans  avoir 
pour  ami  un  saint  évêque  qui,  par  ses  prières  et  ses  conseils,  l'ai- 
derait à  porter  le  poids  de  sa  couronne.  S.  Nicet,  à  son  retour, 
ne  fit  aucun  reproche  à  ceux  de  son  clergé  qui  l'avaient  si  lâ- 
chement abandonné.  Il  leur  fit  sentir  au  contraire  par  ses  bon- 
tés qu'il  avait  oublié  leurs  fautes.  Du  reste,  ce  saint  évèque 
montra  plus  de  fermeté  et  plus  de  courage  que  jamais  pour 
s'opposer  aux  passions  des  hommes  et  surtout  à  celles  des 
grands.  Il  ne  laissa  échapper  aucune  occasion  de  leur  annoncer 
la  loi  de  Dieu.  La  conversion  des  princes  barbares  et  héréti- 
ques devint  même  l'objet  de  son  zèle,  et  s'il  n'eut  pas  la  con- 
solation de  réussir,  il  eut  du  moins  le  mérite  d'y  avoir  tra- 
vaillé. 

Alboin,  roi  des  Lombards  (1),  qui  passa  quelques  années 
après  en  Italie,  commençait  à  remplir  l'Occident  de  la  gloire 
et  de  la  terreur  de  son  nom.  Ce  prince  professait  l'arianisme , 
et  on  craignait  de  retrouver  en  lui  un  autre  Alaric  ou  un  second 
Totila.  Il  avait  en  effet  leur  férocité  et  leur  amour  de  la  guerre. 
Mais  comme  il  avait  épousé  Glodosinde,  fille  de  Clotaire,  on 
se  flatta  qu'une  princesse  franque  et  catholique  lui  inspirerait 
de  la  modération  et  pourrait  même  le  gagner  à  la  vraie  foi. 
Cette  reine  ayant  envoyé  une  ambassade  aux  rois  francs  ses 
frères,  S.  Nicetse  servit  de  cette  occasion  pour  lui  écrire  etpour 
l'exhorter  à  travailler,  autant  qu'elle  le  pourrait,  à  la  conver- 
sion du  roi  son  mari.  Après  avoir  loué  Glodosinde  de  sa  piété, 
de  son  amour  pour  la  religion,  de  sa  tendresse  pour  les  pau- 
vres, il  fait  les  vœux  les  plus  ardents  pour  la  conversion  du  roi 
des  Lombards,  auquel  il  la  conjure  d'expliquer  cette  lettre. 

(1)  Les  Lombards  étaient  originaires  de  Scandinavie.  Après  s'être  fixés  quelque 
temps  en  Pannonie,  ils  passèrent  en  Italie  l'an  568,  conduits  par  Alboin,  leur  roi, 
et  ils  y  fondèrent  un  royaume  qui  subsista  jusqu'au  règne  de  Charlemagne.  Paul 
Diacre  dit  qu'ils  furent  nommés  Lombards  parce  qu'ils  portaient  la  barbe  longue. 
Vossius  prétend  que  ce  fut  parce  qu'ils  avaient  de  longues  bacbes  qu'on  appelait 
baerd,  et  que  c'est  de  là  que  nous  vient  le  mot  de  hallebarde,  qui  signifie  un« 
hache  luisante. 


362  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [563] 

Il  y  rapporte  plusieurs  textes  de  l'Ecriture  propres  à  établir  le 
dogme  de  la  Trinité  et  à  répondre  aux  objections  des  ariens. 

Le  saint  évêque  tire  ensuite  des  miracles  qui  se  font 
tous  les  jours  dans  l'Église  catholique,  et  qui  n'ont  jamais 
lieu  dans  l'Église  arienne,  un  argument  qui  était  plus  à  la 
portée  d'un  prince  peu  versé  dans  la  théologie.  «  Que  le  roi 
Alboin,  dit-il  (1),  envoie  des  gens  à  S.  Martin  de  Tours  le 
jour  de  sa  fête ,  qui  est  le  1 1  novembre ,  et  là,  sans  parler  des 
lépreux  et  de  tant  d'autres  malades  qui  y  sont  guéris,  ils  ver- 
ront les  aveugles  ouvrir  les  yeux  à  la  lumière,  les  sourds  en- 
tendre et  les  muets  parler        Que  dirai-je  maintenant  des 

saints  évêques  Germain  d'Auxerre,  Hilaire  de  Poitiers  et 
Loup  de  Troyes,  qui  opèrent  tant  de  merveilles  dans  leurs 
églises?  je  n'ai  pas  de  termes  assez  éloquents  pour  les  expri- 
mer. Les  démons  sont  contraints  de  reconnaître  le  pouvoir 
de  ces  serviteurs  de  Dieu.  Je  vous  le  demande,  voit-on  des 
choses  semblables  dans  les  églises  des  ariens?  Non,  ces  ma- 
lins esprits  sentent  que  Dieu  et  les  saints  n'y  habitent  pas  :  le 
démon  n'exorcise  pas  le  démon.  Que  dirai-je  encore  deS.  Remi 
et  de  S.  Médard,  que  vous  avez  connus,  je  crois,  et  comment 
rapporter  tous  les  miracles  que  nous  voyons  s'opérer  par  leurs 
mérites? 

«  Vous  avez  entendu  raconter  à  votre  aïeule  Glotilde  com- 
ment elle  vint  en  France  et  comment  elle  convertit  le  roi 
Glovis  à  la  foi  catholique.  Gomme  c'était  un  prince  fort  pru- 
dent, il  ne  voulut  pas  se  rendre  avant  de  connaître  la  vérité; 
mais  dès  qu'elle  fut  devenue  manifeste  à  ses  yeux,  il  se  pros- 
terna humblement  àlaporte  de  l'église  de  Saint-Martin,  où  il  se 
fit  baptiser  sans  délai.  Or,  vous  savez  quelles  victoires  ce 
grand  prince  remporta  depuis  son  baptême  contre  les  rois  hé- 
rétiques Alaric  et  Gondebaud ,  et  quels  biens  ses  enfants  pos- 
sédèrent sur  la  terre.  La  renommée  et  les  qualités  du  roi 
Alboin  nous  font  désirer  ardemment  qu'il  ouvre  les  yeux  à  la 

(t)  Niceti  Epist.  ad  Clodosindam  in  Conc.  UalL,  t.  I,  p.  31?. 


[564]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  383 

vérité.  Dieu  de  bonté,  qui  êtes  la  gloire  des  saints  et  le  salut 
de  tous,  communiquez-vous  à  lui  !  Et  vous,  grande  reine,  ré- 
jouissez l'Église  par  une  si  belle  conquête  ;  ne  vous  lassez  pas 
de  prier  et  de  presser.  Vous  savez  ce  que  dit  l'Écriture  :  Le 
mari  infidèle  sera  sauvé  "par  la  femme  fidèle  (1).  Consacrez  à 
cela  vos  soins  .et  vos  veilles  :  car  c'est  par  là  que  vous  ferez 
triompher  la  nation  lombarde  de  tous  ses  ennemis,  et  que 
vous  nous  remplirez  de  la  plus  grande  consolation.  C'est  à 
votre  propre  salut  que  vous  travaillerez  en  travaillant  à  celui 
de  votre  mari.  » 

Alboiii  ne  se  rendit  pas  aux  remontrances  de  S.  Nicet  et  de 
la  reine  Clodosinde,  et,  après  avoir  fondé  par  sa  valeur  un 
nouvel  État  en  Italie  sur  les  débris  de  celui  des  Goths  et  des 
Grecs,  il  périt  misérablement  par  les  embûches  de  Rosemonde, 
sa  seconde  femme  (2).  Il  avait  obligé  cette  princesse,  dans  un 
festin  solennel,  à  boire  dans  le  crâne  de  son  propre  père,  qu'il 
avait  tué  autrefois  :  elle  eut  tant  d'horreur  de  cette  barbarie 
qu'elle  sacrifia  à  son  ressentiment  et  aux  mânes  de  son  père 
la  vie  de  son  mari. 

Le  zèle  de  S.  Nicet  le  rendait  comme  l'apôtre  de  toutes  les 
têtes  couronnées:  il  annonçait  les  jugements  de  Dieu  à  tous 
les  princes  de  la  terre  qui  s'écartaient  de  la  route  du  salut.  Un 
prêtre  nommé  Lactance,  étant  venu  de  la  Grèce  dans  la  Gaule 
pour  visiter  les  lieux  rendus  célèbres  par  la  dévotion  des 
fidèles,  apprit  au  saint  évêque  de  Trêves  que  l'empereur  Jus- 
tinien  était  tombé  dans  l'hérésie  des  incorruptibles .  Cette  nou- 
velle secte,  rejeton  de  celle  d'Eutychès,  enseignait  que  le 
corps  de  Jésus-Christ  avait  été  formé  incorruptible ,  de  sorte 
qu'il  n'était  pas  susceptible  d'altération  ni  même  des  senti- 
ments que  peuvent  exciter  les  besoins  les  plus  naturels,  tels 
que  la  faim  et  la  soif.  Nicet  prit  de  cette  circonstance  l'occasion 
d'écrire  à  cet  empereur;  ce  qu'il  fit  avec  la  force  et  l'autorité 
que  le  zèle  et  la  sainteté  peuvent  donner  à  un  ancien  évêque, 

(1)  I  Cor.  vu,  14.  —  (2)  Paul.  Diac,  1.  II. 


384  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE   CATHOLIQUE  [564J 

accoutumé  depuis  longtemps  à  ne  craindre  que  le  Seigneur 
dans  l'exercice  de  son  ministère. 

«  Vous  resplendissiez  dans  le  monde  comme  un  soleil,  dit-il  à 
Justinien,  et  l'éclat  de  votre  gloire  faisait  notre  joie;  mais  au- 
jourd'hui votre  chute  fait  notre  tristesse  et  notre  humiliation. 
Quel  est  le  séducteur  qui  vous  a  trompé,  en  vgus  engageant  à 
détruire  des  mystères  pour  lesquels  les  apôtres  et  Jésus-Christ 
ont  souffert  la  mort?  C'est  l'ennemi  artificieux  qui  a  séduit 
Adam  pour  lui  faire  manger  du  fruit  défendu,  et  qui  a  préci- 
pité Judas  dans  le  feu  éternel  en  lui  faisant  regarder  Jésus- 
Christ  comme  un  homme  ordinaire.  Grand  prince,  souvenez- 
vous  de  ce  que  vous  avez  promis  à  votre  baptême  et  de  la  foi 
que  vous  y  avez  professée.  Vous  avez  juré  de  croire  un  seul 
Fils  en  deux  natures  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit  :  qu'avez- 
vous  fait,  que  vous  êtes-vous  préparé  en  vous  écartant  de 
cette  foi  ! ... .  Mais  il  est  encore  temps,  si  vous  voulez  revenir. . . . 
Nous  vous  en  conjurons  par  cette  lettre  au  nom  de  Jésus- 
Christ,  notre  rédempteur....  Pressez-vous,  et  ne  différez  pas 
un  seul  moment  :  car  si  la  mort  vous  surprend  dans  cet  état, 
l'enfer  sera  votre  partage.  Réjouissez  par  votre  retour  l'Église 
affligée  de  votre  égarement....  Car  sachez  que  l'Italie,  l'A- 
frique, PEspagne  et  la  Gaule  pleurent  votre  perte  et  anathé- 
matisent  votre  nom.  Si  donc  vous  ne  détruisez  pas  ce  que 
vous  avez  fait  et  si  vous  ne  criez  pas  à  haute  voix  :  Je  me  suis 
égaré,  j'ai  été  dans  l  erreur ,  f  "ai  péché  ;  anathème  à  Nestorius, 
anathème  à  Eutychès,  vous  serez  précipité  avec  eux  dans  les 
supplices  éternels  (1).  » 

On  ne  sait  si  Justinien  reçut  cette  lettre  :  car  il  mourut 
peu  de  temps  après  qu'elle  eut  été  écrite,  et  lorsqu'il  était  sur 
le  point  de  faire  publier  par  tout  l'empire  un  édit  en  faveur  de 
l'hérésie  des  incorruptibles.  On  a  dit  beaucoup  de  bien  et  beau- 
coup de  mal  de  ce  prince ,  sans  cependant  s'écarter  de  la  vé- 
rité. On  loue  la  sagesse  de  ses  lois  et  la  magnificence  qu'il  dé- 


(1)  Conc.  Gall.,  t.  II,  p.  321. 


|564j  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  385 

ployait  dans  la  construction  des  églises  (1)  et  des  hôpitaux  ; 
mais  on  blâme  son  avarice  et  la  manie  qu'il  eut  toujours  de 
juger  des  matières  de  la  religion  :  sans  ces  défauts,  il  aurait 
mérité,  par  l'éclat  de  son  règne,  d'être  comparé  aux  Constan- 
tin et  aux  Théodose. 

Cette  lettre  de  S.  Nicet  fut  un  des  derniers  monuments  de 
son  zèle.  Il  alla  bientôt  après  en  recevoir  la  récompense  :  car  il 
mourut  vers  l'an  565.  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Maxi- 
min,  où  son  tombeau  ne  tarda  pas  à  devenir  célèbre  par  le 
grand  nombre  de  miracles  qui  s'y  opérèrent.  L'Église  honore 
sa  mémoire  le  5  décembre. 

Fortunat  de  Poitiers  avait  chanté  sa  gloire  dans  des  vers  qui 
méritent  de  trouver  place  dans  l'histoire  ecclésiastique. 

«  Nicet ,  glorieux  défenseur  de  la  foi ,  vous  que  l'univers 
entier  aime  et  révère,  et  que  les  évêques  regardent  comme 
leur  chef!  vous  qui,  déjà  illustre  par  le  troupeau  dont  la  garde 
vous  a  été  confiée ,  unissez  à  cet  éclat  celui  de  vos  mérites  ! 
tout  entier  à  l'œuvre  divine  ,  vous  méprisez  les  choses  de  la 
terre  ;  mais  si  pour  vous  le  monde  est  mort ,  vous-même  ne 
mourrez  jamais.  Puisque  les  bons  ne  périssent  pas,  vous  serez 
certainement  immortel.  Économe  pour  vous-même,  vous  êtes 
prodigue  pour  les  pauvres.  Que  de  captifs  ont  revu,  grâce  à 
wus ,  leur  foyer  et  leur  patrie  !  Que  d'exilés  vous  avez  secou- 
rus !  Celui  qui  vient  à  vous  mourant  de  faim  s'en  retourne 
rassasié  ;  vous  séchez  les  larmes  de  ceux  qui  pleurent ,  vous 
•endez  la  joie  et  le  bonheur  aux  affligés  et  vous  faites  renaître 
'espérance  darïs  les  âmes  abattues  par  la  tristesse.  Pasteur  vi- 
olant, vos  brebis  et  vos  agneaux  paissent  tranquilles  et  n'ont 
joint  à  redouter  les  ravages  des  loups.  Les  temples  du  Soi- 

(l)  L'église  de  Sainte-Sophie  de  Constantinople,  c'est  à-dire  de  la  Sagesse 
ternelle,  e*t  le  plus  illustre  monument  de  la  magnificence  de  Justinien.  Ce  su- 
erbe  édifice,  qui  sert  aujourd'hui  de  mosquée  aux  infidèles ,  a  passé  pour  une  des 
aerveilles  du  monde.  L'autel  fut  fait  d'or  et  d'argent  fondu  ,  avec  une  quantité 
rodigieuse  de  différentes  pierres  précieuses.  Justinien,  contemplant  cette  ma- 
nifique  église  le  jour  de  la  dédicace,  s'écria  :  Gloire  à  Dieu  :  je  -cous  ai  vaincu, 
nlomon. 

TOME  H*  23 


386  HISTOIRE  DE  i/ÉCLISE  CATHOLIQUE  [564 

gneur  tombant  de  vétusté  se  relèvent  par  vos  soins;  vous 
savez  donner  à  la  maison  de  Dieu  une  splendeur  nouvelle 
Puissiez-vous  y  prier  encore  longtemps  pour  vos  brebis  !  » 

On  sait  que  ce  saint  évêque  est  auteur  de  deux  opuscules 
l'un  a  pour  titre  :  des  Veilles  des  serviteurs  de  Dieu,  et  l'autre 
de  V  Utilité  de  la  psalmodie.  Il  dit  dans  le  premier  que  les  per 
sonnes  infirmes  et  délicates  ne  doivent  pas  regarder  commi 
une  chose  trop  pénible  de  donner  à  Dieu,  pour  assister  à  l'office 
une  partie  des  deux  nuits  du  samedi  et  du  dimanche  :  ce  qu 
montre  que  les  fidèles  s'assemblaient  encore  le  samedi  au  soi: 
pour  l'office  de  la  nuit.  Dans  le  second ,  après  avoir  établ 
qu'on  trouve  dans  les  psaumes  des  exemples  et  des  modèle 
de  toutes  les  vertus ,  ainsi  que  des  leçons  pour  tous  les  états 
il  ajoute  (1)  :  «  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  excellent,  c'est  qu'ei 
chantant  ces  divins  cantiques  nous  chantons  les  mystère; 
mêmes  de  Jésus-Christ.  Sa  génération  y  est  exprimée ,  sa  pas 
sion  y  est  dépein'e  comme  dans  un  tableau ,  la  gloire  de  sa  ré 
surrection  s'y  manifeste  ;  on  nous  y  montre  la  place  qu'il  oc 
cupe  à  la  droite  du  Père,  on  y  décrit  l'appareil  de  son  seconc 
avènement  et  du  jugement  qu'il  doit  faire  des  vivants  et  dei 
morts,  etc.  »  Et  en  effet,  les  fidèles  trouvent  une  grande  con- 
solation et  une  abondance  de  lumières  dans  la  lecture  et  dan; 
le  chant  des  psaumes.  Quelques  écrivains  ont  aussi  attribué  < 
S.  Nicet  l'hymne  Te  Deum;  mais,  comme  il  en  est  fait  mentioi 
dans  la  règle  de  S.  Benoît,  son  auteur  doit  être  plus  ancien. 

S.  Magneric,  qui  fut  successeur  de  S.  Nicet  sur  le  siège  dt 
Trêves,  avait  été  son  disciple,  aussi  bien  que  S.  Iriez,  abbé  d'A- 
tane  ,  dont  nous  aurons  occasion  de  parler  ailleurs.  C'est  et 
dernier  qui  raconta  à  Grégoire  de  Tours  les  particularités  dt 
la  vie  de  S.  Nicet  que  nous  avons  rapportées.  «  Et  il  ne  faul 
pas  soupçonner  (2),  ajoute  ce  saint  évêque,  que  cet  abbé  ail 
voulu  m'en  imposer,  puisque,  quand  il  me  racontait  ces  mer- 
veilles, il  opérait  lui-même  des  miracles,  rendant  la  vue  aux 

(1)  Spicil.,  t.  III,  p.  9.  -  (2)  Greg.  Tnr.  Vit.  PP.,  o.  xvn. 


[564]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  Vit.  387 

aveugles,  guérissant  les  paralytiques  et  chassant  les  démons 
du  corps  des  possédés.  »  Quand  on  rapporte  des  miracles  sur 
l'autorité  de  pareils  témoins ,  doit-on  craindre  de  ne  pas 
convaincre  ceux  en  qui  un  esprit  d'incrédulité  n'a  pas  éteint 
les  lumières  de  la  raison? 

Caribert,  roi  de  Paris  ,  montra  au  commencement  de  son 
règne  des  qualités  qui  servirent  quelque  temps  de  voile  à  ses 
vices ,  et  ses  sujets  purent  croire  qu'il  avait  hérité  des  vertus 
de  Ghildebert  aussi  bien  que  de  son  royaume.  Il  était  doux, 
affable ,  pacifique ,  amateur  des  belles-lettres ,  pour  lesquelles 
il  avait  du  goût ,  entendant  le  latin  et  le  parlant  comme  sa 
langue  naturelle  (1).  Dès  qu'il  fut  sur  le  trône,  il  confirma  la 
constitution  faite  par  Clotaire  que  nous  avons  fait  connaître  (2). 
Il  montra  surtout  une  grande  vénération  pour  S.  Martin. 
Clotaire  avait  exempté  d'impôts  les  habitants  de  Tours  par 
respect  pour  ce  saint  ,  et  Caribert,  en  recevant  leur  serment 
de  fidélité,  ratifia  volontiers  ces  privilèges.  Cependant  le 
comte  Gaison,  ayant  trouvé  un  ancien  état  des  impôts,  voulut 
les  lever  dans  la  ville  de  Tours  ;  le  saint  évêque  Euphrone  s'y 
opposa  avec  fermeté,  et,  sur  son  opposition,  Gaison  envoya  au 
roi  le  rôle  des  taxes  dont  il  s'autorisait.  Mais  le  roi,  l'ayant  lu, 
le  jeta  aussitôt  au  feu,  dans  la  crainte  de  s'attirer  l'indignation 
de  S.  Martin  ;  il  renvoya  même  à  l'Église  de  Tours  tout  l'argent 
qui  avait  déjà  été  levé  (3). 

Tels  furent  les  heureux  commencements  de  Caribert. 
Mais  un  honteux  concubinage  ternit  bientôt  l'éclat  de  ces  pre- 
mières vertus  et  engagea  ce  jeune  prince  dans  tous  les  vices 
que  l'impudicité  traîne  après  elle.  La  reine  Ingoberge,  sa 
femme,  avaità  son  service  deux  sœurs,  Marcovèfe  et  Méroflède, 
filles  d'un  ouvrier  en  laine.  Le  roi  conçut  pour  elles  une  vio- 
lente passion ,  malgré  la  bassesse  de  leur  naissance  et  quoi- 
que Marcovèfe  fût  consacrée  à  Dieu.  La  reine,  croyant  le  déta- 
il Fort.,  1.  VI,  carm.  i.  —  (2)  Conc.  Tur.  //,  c.  20.  —  (3)  Greg.  Tur.,  1.  IX, 

C.  XXX. 


388  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [564] 

cher  de  ces  indignes  amours,  lui  fit  remarquer  un  jour  le  père 
de  ses  maîtresses  occupé  aux  travaux  de  son  métier.  Mais  le 
roi  n'en  fut  que  plus  irrité  contre  la  reine  :  il  la  répudia  et 
épousa  Méroflède.  Quand  on  a  une  fois  franchi  les  bornes  de 
la  pudeur  on  ne  s'arrête  pas  aisément.  Quelque  temps  après, 
Garibert  épousa  encore  la  fille  d'un  berger,  nommée  Théode- 
childe,  et,  pour  mettre  enfinle  comble  au  scandale,  il  mit  aussi 
au  nombre  de  ses  femmes  MarCovèfe ,  quoiqu'elle  fût  sœur  de 
Méroflède,  qu'il  avait  déjà  épousée,  et  qu'elle  portât  encore 
l'habit  de  religieuse  (1). 

Une  passion  si  aveugle  et  si  criminelle  éteignit  dans  le  cœur 
de  Garibert  les  sentiments  de  bonté  et  de  modération  qu'il 
avait  montrés  jusqu'alors,  et  de  débauché  qu'il  était  il  devint 
violent  et  emporté,  comme  il  le  fît  voir  bientôt.  C'est  l'effet 
naturel  de  cette  passion  :  ceux  qui  s'y  livrent  deviennent  inhu- 
mains, vindicatifs  et  cruels  :  l'histoire  nous  en  fournira  bien 
des  exemples.  S.  Léonce  de  Bordeaux  ,  ayant  assemblé  à 
Saintes  le  concile  de  sa  province,  y  déposa  Émérius  de  Saintes, 
par  le  motif  que  son  ordination  n'était  pas  légitime ,  parce 
qu'elle  n'avait  été  faite  qu'en  vertu  d'un  décret  de  Glotaire  et 
sans  la  participation  du  métropolitain  :  ce  qui  était  manifeste- 
ment contraire  aux  canons  du  dernier  concile  de  Paris,  où 
Léonce  s'était  trouvé.  On  élut  à  sa  place  Héraclius,  prêtre  de 
Bordeaux,  et  l'on  envoya  le  prêtre  Nuncupat  porter  l'acte  d'é- 
lection à  Garibert  pour  obtenir  son  consentement  (2) .  En  pas- 
sant par  Tours,  l'envoyé  présenta  ce  décret  à  signer  à  S.  Eu- 
phrone;  mais  ce  saint  évêque,  qui  connaissait  Garibert,  et  que 
d'ailleurs  cette  affaire  ne  regardait  pas,  ne  jugea  pas  à  propos 
d'y  souscrire.  Nuncupat,  s'étant  présenté  devant  le  roi,  lui 
dit  :  «  Prince,  le  siège  apostolique  vous  salue.  Caribert  répon- 
dit :  Ëtes-vous  allé  à  Rome  (3),  pour  m  apporter  des  compli- 

(I)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xxvi.  —  (2)  Ibid. 

(3)  Dans  les  anciennes  éditions  de  Grégoire  de  Tours  et  dans  celles  des  conciles 
des  PP.  S>mond,  Labbe  et  Hardouin,  où  ce  texte  de  Grégoire  est  rapporté,  on 
lit  Turonicam  urbem  au  lieu  de  Romanam  que  demande  le  sens,  et  que  le  P.  Rui- 
nart  amis  dans  son  édition,  sur  la  foi  de  quelques  manuscrits.  Nous  croyons  que 


[565]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  389 

ments  du  papet  C'est  votre  père  Léonce,  reprit  Nuncupat,  et 
les  évêques  de  sa  province  qui  m'envoient  pour  vous  faire  sa- 
voir qu'Émérius  a  été  déposé  du  siège  de  Saintes,  qu'il  avait 
obtenu  contre  les  canons ,  et  voici  le  décret  d'une  autre  élec- 
tion qu'ils  vous  prient  de  confirmer.  A  ces  paroles,  le  roi  fré- 
missant de  colère  contre  cet  envoyé  :  Quoi!  penses-tu  donc, 
lui  dit-il,  qu'il  ne  reste  plus  d'enfants  de  Clotaire  pour  soute- 
nir ce  qu'il  a  fait?  »  Et  aussitôt,  le  chassant  de  sa  présence, 
il  le  fît  mettre  sur  un  chariot  plein  d'épines ,  ce  qui  était  une 
marque  d'opprobre,  et  le  fit  ainsi  conduire  en  exil.  Il  envoya 
en  même  temps  à  Saintes  pour  faire  rétablir  Émérius,  et  con- 
damna Léonce,  qui  l'avait  déposé,  à  une  amende  de  mille  sous 
d'or,  et  les  autres  évêques  à  des  amendes  proportionnées  à  la 
part  qu'ils  avaient  prise  à  l'affaire. 

Ce  respect  apparent  de  Caribert  pour  ce  qu'avait  ordonné 
Clotaire  n'était  qu'un  voile  spécieux  dont  il  voulait  pallier 
ses  violences.  Il  ne  suivit  même  pas  toujours,  en  nommant 
aux  évêchés,  les  dispositions  faites  par  son  père  :  en  voici  un 
exemple.  Clotaire  avait  témoigné  une  tendre  affection  et  une 
vive  reconnaissance  pour  le  duc  Austrapius,  qui  avait  beau- 
coup souffert  pour  son  service  dans  la  dernière  guerre  civile. 
En  effet ,  ce  duc  ayant  été  obligé  de  se  réfugier  dans  l'église 
de  Saint-Martin  de  Tours,  Chramne,  qui  n'osa  le  forcer  clans  un 
si  saint  asile  ,  défendit  sous  de  graves  peines  de  lui  porter  au- 
cune nourriture.  Les  magistrats  se  mirent  en  devoir  de  faire 
exécuter  ces  ordres,  que  le  peuple  méprisait  par  respect  pour 
S.  Martin;  le  juge  de  la  ville ,  ayant  même  aperçu  quelqu'un 
qui  portait  de  l'eau  au  duc ,  lui  arracha  le  vase  des  mains. 
Mais  S.  Martin  ne  tarda  pas  à  venger  l'outrage  qu'on  lui  faisait , 

le  sens  demande  qu'on  lise  Romanam  urbem,  parce  que,  quoiqu'on  donnât  encore  le 
nom  de  papa  ou  d'apostolicus  aux  évêques,  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  quand 
on  nommait  simplement  le  pape  ou  le  Sirge  apostolique,  on  entendait  communément 
l'évêqne  ou  le  siège  de  Rome.  Les  canons  des  conciles  d'Orléans,  où  l'Église  ro- 
maine est  souvent  nommée  simplement  aposlolica  Seûes,  et  la  lettre  de  S.  Léon  de 
Sens,  où  le  souverain  pontife  n'est  désigné  que  par  le  nom  de  pape,  en  sont  des 
preuves. 


390  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [566] 

et  ce  magistrat  étant  mort  subitement  la  nuit  suivante,  chacun 
s'empressa  de  porter  des  rafraîchissements  au  réfugié  (1). 

On  se  sent  porté  au  détachement  du  monde  quand  on  en 
éprouve  la  perfidie.  Austrapius,  délivré  d'un  si  grand  péril, 
renonça  au  siècle  et  se  consacra  à  Dieu  dans  le  clergé.  Clo- 
taire,  qui  n'avait  pas  alors  d'évêché  vacant  à  lui  donner,  en  créa 
un  nouveau  pour  lui  et  le  fit  ordonner  évêque  de  Selles  dans 
le  diocèse  de  Poitiers ,  en  lui  promettant  l'évêché  de  Poitiers 
dès  qu'il  deviendrait  vacant  par  la  mort  de  Pientius.  Mais  le 
nouveau  roi,  oubliant  les  services  d' Austrapius  et  les  pro- 
messes de  son  père,  nomma  à  ce  siège  Pascentius,  alors  abbé  du 
monastère  de  Saint-Hilaire.  Austrapius  eut  beau  faire  de  vives 
représentations ,  Garibert  ne  l'écouta  pas.  De  tels  princes  ne 
se  croient  pas  obligés  à  garder  les  paroles  données  par  leurs 
prédécesseurs  ;  on  doit  s'estimer  heureux  quand  ils  veulent 
bien  garder  celles  qu'ils  donnent  eux-mêmes.  Pour  comble  de 
malheur,  Austrapius  fut  tué  peu  de  temps  après  par  les  Thei- 
faliens  (2),  nation  barbare  dont  une  colonie  s'était  établie  dans 
un  lieu  du  Poitou  appelé  encore  aujourd'hui  de  leur  nom 
Tiff  auges.  Le  nouvel  évèché  de  Selles  cessa  d'exister  après  sa 
mort ,  et  ce  qui  avait  été  démembré  du  diocèse  de  Poitiers  y 
fut  réuni.  Pientius  de  Poitiers  était  un  saint  évêque  ,  et  il  est 
honoré  le  13  mars  sous  le  nom  de  S.  Pien. 

Cependant  S.  Germain  de  Paris  et  les  plus  saints  évêques 
du  royaume  de  Garibert  voyaient  avec  douleur  les  désor- 
dres de  ce  prince.  Pour  apporter  quelque  remède  au  mal  T 
ils  tinrent  au  mois  de  novembre  de  l'an  567  un  concile  dans 
l'église  de  Saint-Martin  de  Tours  ,  où  ils  s'étaient  proba- 
blement rendus  pour  la  fête  de  ce  saint.  Il  ne  s'y  trouva  que 
neuf  évêques;  mais  leur  mérite  suppléa  au  nombre.  S.  Eu- 
phrone  de  Tours  présida  ;  S.  Prétextât  de  Rouen,  S.  Germain 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xvin. 

(2)  Ces  Theifaliens  pouvaient  être  venus  en  Gaule  avec  les  Goths  ou  avec  les- 
Alains  ;  mais  petit-être  étaient-ils  plus  anciens  :  car  la  Notice  de  l'empire  met  une 
garnison  de  soldats  theifaliens  à  Poitiers. 


[567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VIL  391 

de  Paris ,  S.  Félix  de  Nantes,  S.  Chaletric  de  Chartres,  Domi- 
tien  d'Angers,  Yicture  de  Rennes,  S.  Domnole  du  Mans  et 
Leudebaude  de  Séez  s'élevèrent  avec  courage  contre  plusieurs 
abus  et  surtout  contre  les  mariages  incestueux  ;  ils  firent 
vingt-sept  canons  fort  étendus,  datés  du  17  novembre  et  de 
la  sixième  année  de  Caribert,  c'est-à-dire  l'an  567.  En  voici 
les  principales  dispositions  (1). 

I.  Le  concile  provincial  se  tiendra  deux  fois  chaque  année, 
ou  au  moins  une  fois ,  et  l'évêque  qui  ne  s'y  rendra  pas,  même 
sous  prétexte  d'une  défense  du  roi ,  demeurera  excommunié. 

II.  Les  évêques  qui  ont  des  différends  entre  eux  doivent 
choisir  des  prêtres  pour  arbitres,  et  se  soumettre  à  leur  dé- 
cision, sous  peine  d'être  soumis  à  la  pénitence  par  le  concile 
suivant. 

III.  Le  corps  du  Seigneur  ne  doit  point  être  placé  sur  l'au- 
tel dans  un  arrangement  arbitraire ,  mais  il  devra  être  mis  en 
forme  de  croix . 

Ce  canon  est  obscur  :  il  nous  a  paru  qu'on  devait  l'entendre 
de  la  manière  de  ranger  sur  l'autel  les  hosties,  de  telle  sorte 
que  par  leur  arrangement  elles  formassent  une  croix. 

IV.  Il  est  défendu  aux  laïques  de  se  tenir  avec  les  clercs  près 
de  l'autel  pendant  la  messe  et  pendant  les  vigiles,  c'est-à-dire 
pendant  les  matines.  La  partie  supérieure  de  l'église  séparée 
par  une  balustrade  ne  doit  être  ouverte  qu'aux  chœurs  des 
clercs  qui  psalmodient.  (C'est  de  là  que  cette  partie  de  l'église 
a  été  nommée  le  chœur.)  Cependant,  ajoute  le  concile,  le 
sanctuaire  (2)  sera  ouvert  aux  laïques  et  même  aux  femmes 
pour  prier  et  pour  recevoir  la  communion  ,3). 

(1)  Conc.  Gall,  t.  I,  p.  329.  —  Labb.,  t.  V,  p.  851. 

(2)  Le  concile  nomme  le  sanctuah-e,  sancta  sanclorum.  Ce  terme  nous  vient  de 
l'ancienne  loi  :  car  le  tabernacle  de  Moïse  était  divisé  en  deux  parties ,  dont  la  pre- 
mière se  nommait  sancta,  et  la  seconde,  qui  était  séparée  delà  première  par  le  voile, 
était  appelée  sancta  sanctorum,  c'est-à-dire  sanctissima. 

(3)  Ce  canon  nous  fait  voir  qu'il  était  d'usage  dans  l'Église  des  Gaules  que  les 
hommes  et  les  femmes  allassent  recevoir  la  communion  dans  le  sanctuaire.  La  dis- 
cipline de  l'Église  romaine  était  différente  :  il  est  marqué  dans  VOrdre  romain  que 
les  évêques  qui  avaient  assisté  le  pnpe  à  la  messe  parcouraient  l'église,  com- 
muniant hommes  et  femmes  chacun  à  sa  place. 


392  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

V.  Chaque  ville  doit  nourrir  ses  pauvres;  les  prêtres  de  la 
campagne  et  les  habitants  nourriront  aussi  les  leurs,  afin 
d'empêcher  les  mendiants  vagabonds  de  courir  les  villes  et  les 
provinces. 

VI.  Il  ne  sera  permis  qu'aux  évêques  de  donner  des  lettres 
de  communion. 

VII.  Il  est  défendu  aux  évêques  de  déposer  un  archiprêtre 
ou  un  abbé  sans  le  consentement  des  prêtres  de  leur  clergé, 
ou  des  abbés  du  diocèse. 

La  facilité  avec  laquelle  les  évêques  déposaient  les  abbés 
pouvait  causer  de  grands  troubles,  et  c'est  peut-être  ce  qui 
occasionna  le  scandale  arrivé  quelques  années  auparavant  dans 
le  monastère  d'Agaune ,  dont  les  moines  allèrent  armés  pen- 
dant la  nuit  pour  tuer  Agricole  d'Octodure,  leur  évêque  (1). 

VIII.  Il  est  défendu  à  un  évêque,  sous  peine  d'excommuni- 
cation, de  communiquer  avec  celui  qu'il  saura  avoir  été  ex- 
communié par  un  autre  évêque. 

IX.  Il  est  défendu  d'ordonner  dans  l'Armorique  un  évêque 
breton  ou  romain ,  c'est-à-dire  gaulois ,  sans  le  consentement 
du  métropolitain  ou  des  comprovinciaux. 

Ce  canon  fait  juger  que  les  Bretons,  qui  composaient  une 
nation  particulière  dans  l'Armorique  ,  tâchaient  dès  cette 
époque  de  se  soustraire  à  la  juridiction  de  l'évêque  de  Tours, 
leur  métropolitain.  Nous  ne  voyons  pas  en  effet  que  l'autorité 
de  l'évêque  de  Tours  soit  intervenue  dans  l'ordination  des 
nouveaux  évêques  bretons  dont  nous  avons  parlé. 

X-XI.  Il  est  défendu,  sous  peine  d'excommunication,  aux 
évêques,  aux  prêtres,  aux  diacres,  aux  sous-diacres  d'avoir 
chez  eux ,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit ,  même  pour  con- 
duire leurs  maisons,  des  femmes  étrangères,  des  veuves  ou  des 
vierges  consacrées  à  Dieu.  Il  n'y  a  que  la  mère,  la  sœur  et  la 
fille  qui  soient  exceptées.  On  ordonne  aux  évêques  de  tenir  la 
main  à  ce  règlement  et  de  se  soutenir  les  uns  les  autres. 


(1)  Mar.  A  vent.  Chron. 


{567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  393 

«<  Puisqu'il  nous  est  ordonné ,  dit  le  concile ,  de  travailler  de 
nos  mains  pour  nous  nourrir  et  nous  vêtir,  pourquoi  enfermer 
dans  notre  maison  un  serpent,  sous  prétexte  que  nous  en 
avons  besoin  pour  travailler  à  nos  vêtements?  » 

XII-XIII.  L'évêque  qui  est  marié  doit  vivre  avec  sa  femme 
comme  avec  une  sœur ,  et  quoique  ses  clercs,  pour  être  té- 
moins de  sa  chasteté,  doivent  toujours  l'accompagner  tant 
dans  sa  chambre  qu'ailleurs,  cependant,  afin  d'éviter  tout 
soupçon,  il  sera  séparé  d'habitation  d'avec  sa  femme.  Si  l'é- 
vêque n'est  pas  marié  (1),  il  sera  permis  à  ses  clercs  d'éloigner 
de  sa  maison  les  femmes  étrangères  qui  la  fréquentent. 

XIY.  Gomme  les  laïques,  dit  le  concile,  sont  toujours  enclins 
à  soupçonner  chez  les  autres  le  mal  qu'ils  font  eux-mêmes, 
les  prêtres  et  les  moines  coucheront  toujours  seuls,  et  les 
moines  coucheront  dans  un  dortoir  commun  sous  l'inspection 
de  l'abbé  ou  du  prévôt. 

XV.  On  veillera  à  ce  que  les  moines  ne  courent  pas  hors  du 
monastère  et  n'aient  pas  de  familiarité  avec  les  femmes.  Si 
un  moine  ose  se  marier,  il  sera  excommunié,  et  l'on  emploiera 
pour  le  séparer  de  sa  femme  l'autorité  du  juge  laïque,  qui 
sera  obligé  de  prêter  main-forte ,  sous  peine  d'excommunica- 
tion. 

XVI.  Qu'on  ne  permette  à  aucune  femme  d'entrer  dans  l'en- 
ceinte des  monastères.  L'abbé  et  le  prévôt  qui  seraient  négli- 
gents sur  ce  point,  seront  excommuniés. 

XVII.  On  règle  lesjeûnesdes  moines  de  la  manière  suivante. 
Depuis  Pâques  jusqu'à  la  Quinquagésime,  c'est-à-dire  la  Pente- 
côte, ils  ne  jeûneront  que  les  jours  des  Rogations.  Mais  ils 
jeûneront  la  semaine  entière  qui  suit  la  Pentecôte,  et  ensuite 
trois  jours  la  semaine  :  le  jeudi,  le  mercredi  et  le  vendredi, 
jusqu'au  mois  d'août.  On  ne  jeûnera  pas  pendant  le  mois 
d'août,  parce  qu'on  y  célèbre  tous  les  jours  quelque  fête  de 
saint.  En  septembre,  octobre  et  novembre,  on  jeûnera  trois 


(1)  La  femme  d'un  évêque  est  nommée  dans  ce  canon  episcopa. 


394  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

jours  de  la  semaine,  et  depuis  le  premier  décembre  jusqu'à 
Noël,  tous  les  jours.  «  Depuis  Noël  jusqu'à  l'Epiphanie,  on  jeû- 
nera, dit  le  concile,  pendant  les  trois  jours  durant  lesquels  nos 
pères,  pour  abolir  les  superstitions  païennes  du  commence- 
ment de  janvier,  ont  ordonne  qu'on  récitât  en  particulier  des 
litanies,  qu'on  psalmodiât  dans  les  églises,  et  que  le  jour  de 
la  Circoncision  on  célébrât  la  messe  à  la  huitième  heure,  c'est- 
à-dire  à  deux  heures  après  midi.  »  Depuis  l'Epiphanie  jus- 
qu'au carême  on  jeûnera  trois  fois  la  semaine  (1). 

XVIII.  Par  respect  pour  S.  Martin  et  pour  l'honneur  de  son 
culte,  voici,  disent  les  Pères  du  concile,  l'ordre  de  la  psalmodie 
qui  sera  observé  tant  dans  la  basilique  de  ce  saint  que  dans 
nos  églises.  Tous  les  jours  de  fête  on  clira  à  matines  six  an- 
tiennes avec  deux  psaumes  à  chaque  antienne.  Comme  il  y  a 
des  fêtes  et  des  messes  de  saints  dans  tout  le  mois  d'août,  on 
fera  l'office  plus  matin  (apparemment  afin  que  le  peuple  pût 
ensuite  vaquer  aux  travaux  de  la  moisson).  Dans  le  mois 
d'octobre  on  dira  huit  antiennes  avec  trois  psaumes  à  chaque 
antienne  ;  au  mois  de  novembre  neuf  antiennes  avec  trois 
psaumes  à  chaque  antienne  ;  au  mois  de  décembre  (2)  dix  an- 
tiennes et  trois  psaumes  à  chaque  antienne.  On  fera  la  même 
chose  les  mois  de  janvier  et  de  février  et  jusqu'à  Pâques.  On 
fera  en  sorte  de  ne  dire  jamais  moins  de  douze  psaumes  à  ma- 
tines. «  Car  les  Pères,  dit  le  concile,  ont  ordonné  qu'on  récitât 
six  psaumes  à  sexte  et  douze  à  la  douzième  heure,  c'est-à- 
dire  à  vêpres,  ce  qu'ils  ont  appris  par  la  révélation  d'un 
ange  (3).  Pourquoi  donc  ne  dirait-on  pas  aussi  pour  le  moins 
douze  psaumes  à  matines?  Celui  qui  aura  manqué  de  le  faire 

(1)  Ces  règlements  pour  les  jeûnes  des  moines  sont  entièrement  différents  de  ce 
qui  est  ordonné  par  la  règle  de  S.  Benoît.  C'est  une  preuve  que  cette  règle  n'était 
pas  encore  reçue  dans  les  monastères  des  provinces  de  ces  évêques. 

(2)  On  voit  par  là  qu'on  réglait  la  longueur  de  l'office  sur  celle  de  la  nuit ,  afin 
qu'on  remployât  tout  entière  à  louer  le  Seigneur. 

(3)  Le  concile  fait  ici  allusion  à  ce  que  rapporte  Cassien,  L.  II,  c.  iv  des  Insti- 
tutions monastiques,  savoir,  que  les  solitaires  de  l'Egypte  et  de  la  Thébaïde  ré- 
citaient douze  psaumes  à  vêpres  et  douze  à  l'office  de  la  nuit,  comme  un  ange  les 
avait  avertis  de  faire. 


[567]  Ei\  FRANCE.  —  LIVRE  VU.  395 

jeûnera  ce  jour-là  au  pain  et  à  l'eau ,  et  s'il  a  omis  ce  jeûne,  il 
jeûnera  une  semaine  entière  au  pain  et  à  l'eau.  » 

Aimoin  nous  apprend  que  l'ordre  de  la  psalmodie  observé  à 
Suint-Martin  de  Tours  avait  été  établi  par  S.  Avitc  au  mo- 
nastère de  Saint-Maurice  et  par  S.  Germain  dans  celui  de 
Saint-Vincent;  que  le  roi  Gontran  l'introduisit  ensuite  dans  le 
monastère  de  Saint-Marcel,  et  le  roi  Dagoberl  dans  celui  de 
Saint-Denis  (1). 

XIX.  Les  archiprêtres  de  la  campagne  feront  toujours  cou- 
cher un  clerc  dans  leur  chambre  ;  ce  clerc  les  accompagnera 
partout  pour  être  témoin  de  leur  chasteté.  Quant  aux  prêtres, 
aux  diacres  et  aux  sous-diacres  qui  sont  mariés,  il  suffira 
qu'ils  ne  couchent  pas  dans  la  même  chambre  que  leurs 
femmes,  et  que  celles-ci  soient  toujours  accompagnées  de 
leurs  esclaves.  Les  archiprêtres  qui  ne  veilleront  pas  sur 
la  chasteté  des  jeunes  clercs  qui  leur  sont  soumis,  seront 
renfermés  par  l'évèquc  pour  jeûner  un  mois  au  pain  et  à 
l'eau. 

On  voit  par  toutes  ces  précautions  combien  l'Église  avait  à 
cœur  que  la  réputation  de  ses  ministres  ne  fût  pas  exposée 
aux  soupçons  de  la  médisance. 

XX-XXI.  On  renouvelle  les  anciens  canons  contre  les  ma- 
riages incestueux  et  contre  ceux  des  religieuses  et  des  veuves 
qui,  par  le  changement  d'habit  (2),  ont  fait  profession  de  garder 
la  viduité.  Les  Pères  du  concile  citent  avec  tant  de  soin  sur 
ces  articles  les  autorités  des  souverains  pontifes  et  des  con- 
ciles précédents,  qu'il  y  a  lieu  de  croire  qu'ils  voulaient  faire 
sentir  au  roi  Caribert  la  grièveté  de  son  crime,  et  justifier  la 
sévérité  avec  laquelle  on  serait  obligé  d'en  user  à  son  égard , 
s'il  ne  faisait  cesser  le  scandale  qu'il  avait  donné  en  épousant, 
les  deux  sœurs,  dont  l'une  était  religieuse. 

XXII.  Il  y  avait  des  chrétiens  qui,  par  un  reste  de  supersti- 

(1)  Aimoin.,  1.  III,  c.  lxxxi. 

(2)  Les  veuves  qui  faisaient  profession  de  garder  la  viduité  avaient  un  habit 
particulier.  Vincent  de  Lérins  nous  apprend  qu'il  était  noir. 


396  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567 J 

tion,  faisaient  des  réjouissances  le  1er  janvier  en  l'honneur 
du  dieu  Janus.  D'autres  offraient  des  viandes  aux  mânes  des 
morts  le  jour  de  la  Chaire  de  S.  Pierre ,  et,  rentrés  chez  eux 
après  avoir  entendu  la  messe  et  reçu  le  corps  du  Seigneur, 
mangeaient  ces  viandes  immolées  au  démon  sous  le  nom  de 
mânes.  Le  concile  ordonne  qu'on  chasse  de  l'église  ceux  qui 
se  sont  rendus  coupables  de  ces  folles  superstitions,  aussi 
bien  que  ceux  qui  honorent  certaines  pierres,  des  arbres  ou 
des  fontaines. 

Les  païens  célébraient  en  effet  le  22  février,  jour  de  la 
Chaire  de  S.  Pierre,  une  fête  en  l'honneur  des  morts  (1)  et  ils 
portaient  des  viandes  sur  les  tombeaux,  persuadés  que  les 
mânes  venaient  s'en  nourrir.  Ils  faisaient  aussi  dans  le  même 
mois  et  vers  le  même  temps  la  fête  du  dieu  Terme ,  et  c'est 
apparemment  de  cette  superstition  que  parle  encore  le  con- 
cile, en  disant  qu'il  y  en  a  qui  honorent  on  ne  sait  quelles 
pierres  (2).  La  fête  de  la  Chaire  de  S.  Pierre  fut  instituée  pour 
détourner  les  fidèles  des  superstitions  (3)  qui  se  pratiquaient 
ces  jours-là,  et  nous  avons  vu  que  dès  le  temps  de  S.  Perpétue, 
c'est-à-dire  plus  d'un  siècle  avant  ce  concile  de  Tours,  elle 
était  déjà  fort  célèbre. 

XXIII.  Indépendamment  des  hymnes  de  S.  Ambroise  qui 
étaient  reçues  dans  l'office,  le  concile  permet  d'en  admettre 
quelques  autres  qui  paraissent  dignes  d'être  chantées,  pourvu 
toutefois  que  le  nom  de  l'auteur  soit  marqué  au  commence- 
ment. 

Ce  canon  semble  avoir  été  fait  en  faveur  des  hymnes  de 

(1)  Cette  fête  des  païens  se  nommait  carisliat  ou  cara  coqnatio.  Elle  était  pré- 
cédée d'une  autre  fête  aussi  en  l'honneur  des  morts,  qu'on  nommait  feralia,  et  qui 
durait  plusieurs  jours. 

(2)  Les  pierres  qui  servaient  de  bornes  aux  champs  étaient  honorées  sous  le  nom 
de  dieu  Terme. 

(3)  Il  paraît  que  pour  détourner  plus  aisément  les  fidèles  des  festins  superstitieux 
qu'on  faisait  aux  morts  le  22  février,  on  leur  permit  de  faire  ce  jour-là  des 
agapes  en  l'honneur  de  S.  Pierre.  C'est  pourquoi  cette  fête  fut  appelée  festum 
Epularum  S.  Pétri,  le  Banquet  de  S.  Pierre.  La  fête  de  S.  Pierre  ès  Liens  fut  aussi 
placée  le  1er  août  pour  détourner  les  chrétiens  des  superstitions  païennes  qui  se 
faisaient  au  commencement  de  ce  mois. 


[567]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  397 

Forlunat,  qui  était  alors  à  Poitiers  auprès  de  S  te  Radegonde. 
C'était  l'ami  particulier  de  S.  Germain  et  de  S.  Euphrone,  et 
nous  aurons  bientôt  occasion  de  le  faire  connaître. 

XXIV-XXV.  On  continuait,  à  la  faveur  des  guerres  civiles, 
d'envahir  ou  de  faire  confisquer  les  biens  des  Églises  et  des 
évéques  situés  dans  un  autre  royaume.  Le  concile  s'élève 
avec  force  contre  un  abus  si  souvent  proscrit  et  contre  ceux 
qui  retiennent  les  legs  pieux.  Il  veut  qu'un  prêtre  aille  d'a- 
bord avertir  l'usurpateur  de  restituer  ;  qu'ensuite  tous  les 
frères,  c'est-à-dire  les  évêques,  lui  écrivent  une  lettre  com- 
mune pour  l'y  engager.  «  Mais  s'il  persiste  dans  son  usurpa- 
tion, dit  le  concile,  comme  nous  n'avons  pas  d'autres  armes, 
tous,  d'un  commun  consentement  avec  les  abbés,  les  prêtres 
et  le  reste  du  clergé,  réciteront  contre  ce  meurtrier  des  pau- 
vres le  psaume  cvm,  afin  qu'il  soit  frappé  de  la  malédiction 
qui  est  tombée  sur  Judas  pour  avoir  soustrait  la  nourriture 
des  pauvres;  et  que  celui  qui,  au  mépris  de  Dieu,  de  l'Église 
et  des  évêques,  fait  ces  usurpations,  soit  frappé  du  glaive  du 
Seigneur  et  meure  non-seulement  excommunié,  mais  encore 
anathématisé.  » 

L'anathème  ajoutait  à  la  simple  excommunication  des  ma- 
lédictions portant  menace  de  peines  temporelles ,  et  c'est  la 
raison  pour  laquelle  on  récitait  le  psaume  cvin,  qui  est  plein 
des  plus  terribles  imprécations. 

Les  deux  derniers  canons  ont  été  dressés  contre  les  juges  ei 
les  seigneurs  qui  oppriment  les  pauvres,  et  contre  les  évêques 
qui  vendent  les  ordinations  :  on  cite  à  ce  sujet  le.  Traité  des 
Dogmes  ecclésiastiques  pour  montrer  que  la  simonie  est  une 
hérésie. 

Le  canon  du  second  concile  de  Tours  contre  les  usurpateurs 
des  biens  de  l'Église  regardait  encore  Caribert.  Ce  prince,  qui 
s'était  bientôt  démenti  du  respect  qu'il  avait  d'abord  montré 
pour  S.  Martin,  s'était  emparé  de  la  terre  de  Nazelles,  appar- 
tenant à  l'église  de  ce  saint,  et  quoique  ceux  qu'il  envoya  s'en 
saisir  eussent  été  frappés  de  la  main  de  Dieu,  il  protesta  qu'il 


398  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

ne  la  restituerait  point,  que  la  possession  fût  juste  ou  non  (1). 
Mais  la  vengeance  divine  ne  tarda  pas  à  éclater  contre  lui- 
même,  comme  nous  le  verrons,  aussi  Lien  que  contre  plu- 
sieurs seigneurs  coupables  de  semblables  usurpations  deve- 
nues fréquentes  dans  les  autres  royaumes  des  Gaules.  En 
voici  des  exemples  bien  propres  à  réprimer  la  convoitise  des 
biens  ecclésiastiques. 

Un  seigneur  nommé  Ghildéric,  favori  du  roi  Sigebert,  ayanl 
trouvé  à  sa  convenance  la  maison  de  campagne  de  Francon, 
évèque  d'Aix,  lui  intenta  un  procès,  prétendant  qu'elle  appar- 
tenait au  fisc.  L'évêque  fut  obligé  devenir  plaider  sa  cause 
à  la  cour  de  Sigebert,  et  conjura  le  roi  de  prendre  bien 
garde  à  la  décision  de  cette  affaire,  de  peur  qu'il  ne  s'attirât  la 
vengeance  du  Ciel.  «  Je  connais,  dit-il,  le  pouvoir  de  S.  Mé- 
trias  :  il  ne  tardera  pas  à  se  venger  de  l'usurpateur  de  son 
bien.  »  C'est  un  saint  confesseur  honoré  à  Aixle  13  novembre, 
et  qui  dans  la  condition  d'esclave  parvint  à  une  sainteté  écla- 
tante (2).  Le  roi  renvoya  le  jugement  de  cette  cause  à  son 
conseil  ;  mais  le  crédit  de  Ghildéric  l'emporta  sur  la  justice. 
Francon  fut  dépouillé  de  sa  maison  de  campagne  et  condamné 
à  une  amende  de  trois  cents  sous  d'or.  Aussitôt  qu'il  fut  de 
retour  à  Aix  après  ce  jugement  inique,  il  alla  se  prosterner 
au  tombeau  de  S.  Métrias,  et,  après  une  fervente  prière,  il  lui 
dit  avec  une  pieuse  simplicité  :  «  Grand  saint,  on  n'allumera 
plus  ici  de  cierges  ni  de  lampes,  on  n'y  chantera  plus  de 
psaumes  ,  jusqu'à  ce  que  vous  ayez  fait  justice  de  vos 
ennemis  et  que  vous  ayez  rendu  à  l'Église  les  biens  qu'on 
lui  a  violemment  enlevés.  »  Après  quoi  il  jeta  des  ronces  et 
des  épines  sur  le  tombeau  du  saint  ,  et ,  sortant  aussitôt,  il 
ferma  la  porte  de  l'église  et  plaça  aussi  des  épines  à  l'entrée  : 
c'était  une  marque  d'interdit.  L'usurpateur  fut  aussitôt  frappé 
d'une  maladie  longue  et  violente.  Ses  cheveux  et  sa  barbe 


(1)  Greg.  Tur.,  de  Mirac.  S.  Mart.,  1.  1,  c.  ïxix. 

(2)  On  le  nomme  vulgairement  S.  Mitre. 


[567)  EN  FRANCE.    LIVRE  MI.  399 

tombèrent  :  il  paraissait  comme  un  cadavre  sorti  du  tombeau. 
Dans  ce  funeste  état,  il  reconnut  la  main  d'où  partaient  ces 
coups.  «  J'ai  péché  contre  le  saint  évêque ,  dit-il  à  ses  gens  : 
allez,  rendez-lui  sa  maison  de  campagne  et  mettez  six  cents 
sous  d'or  sur  le  tombeau  du  saint  ;  j'ai  espérance  qu'il  me 
rendra  la  santé,  puisque  je  rends  le  bien  usurpé.  »  Son  espoir 
fut  trompé,  car  il  expira  peu  de  temps  après  (1). 

Léon,  évêque  cl'Agde,  sous  la  domination  des  Goths,  eut 
recours  aux  mêmes  armes  pour  défendre  les  biens  de  son 
Église.  Le  comte  Gomachaire,  arien,  ayant  envahi  une  terre 
qui  en  dépendait,  l'évêque  alla  le  trouver  et  lui  dit  :  Mon  fils, 
laissez-là  le  bien  des  pauvres,  de  peur  que  leurs  larmes  ne 
vous  fassent  mourir.  Le  comte  arien  se  moqua  de  ses  remon- 
trances; mais  il  ne  s'en  moqua  pas  impunément  :  car  il  fut  aus- 
sitôt saisi  d'une  fièvre  ardente.  Alors  le  péril  et  la  douleur 
parurent  lui  inspirer  des  sentiments  d'humilité  et  de  componc- 
tion. Il  envoya  se  recommander  aux  prières  de  l'évêque,  pro- 
mettant de  rendre  la  terre  en  question ,  et  l'évêque  lui  obtint 
sa  guérison  (2). 

Dès  que  le  danger  fut  passé,  le  comte  oublia  ses  promesses, 
et,  ajoutant  l'insulte  à  l'ingratitude  qui  lui  faisait  méconnaître 
la  grâce  qu'il  avait  reçue,  il  disait  :  «  Que  veulent  dire  ces  Ro- 
mains? que  j'ai  été  saisi  de  la  fièvre  parce  que  j'ai  usurpé  leur 
champ?  Ils  ne  l'auront  pas  de  mon  vivant.  »  Ce  fut  en  vainque 
l'évêque  Léon  alla  lui  faire  de  nouvelles  instances  ;  il  lui 
répondit:  Tais-toi,  vieillard  décrépit  ;  je  te  ferai  lier  sur  un 
âne  et  promener  ainsi  par  la  ville,  pour  t' exposer  à  la  risée  du 
peuple.  L'évêque,  n'espérant  plus  le  fléchir,  alla  se  prosterner 
devant  les  reliques  de  S.  André  qui  étaient  dans  son  église  , 
et,  après  y  avoir  passé  la  nuit  en  prière  et  en  gémissements, 
il  cassa  avec  soa  bâton  toutes  les  lampes  qui  pendaient  de  la 
voûte,  en  disant  :  «  Il  n'y  aura  plus  ici  de  luminaire  que  Dieu 
ne  se  soit  vengé  et  qu'il  n'ait  fait  rendre  à  l'Église  ce  qui  lui 

(1)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  lxxi. —  (2)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  mart.,  1.  I, 
c.  LXXIX. 


400  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

appartient.  »  Aussitôt  Gornaehaire  retomba  malade,  et,  rede- 
venu humble  dans  le  péril,  il  envoya  supplier  l'évêque  de 
prier  de  nouveau  pour  lui.  L'évêque  répondit  :  «  J'ai  déjà  prié, 
et  le  Seigneur  m'a  exaucé.  »  Le  comte,  ne  pouvant  tirer  de 
lui  d'autre  réponse  après  plusieurs  messages,  se  fit  porter 
dans  sa  maison  et  l'obligea  d'aller  à  l'église  prier  pour  lui  ; 
mais  ce  malheureux  expira  au  moment  où  l'évêque  y  entrait. 
Une  vengeance  de  Dieu  si  marquée  intimida  les  héritiers  du 
comte  et  les  porta  à  rendre  à  l'Église  la  terre  qu'il  avait  usur- 
pée. Ce  furent  ces  usurpations  fréquentes  des  biens  ecclé- 
siastiques qui  donnèrent  lieu  aux  canons  du  second  concile 
de  Tours,  que  nous  avons  rapportés. 

Les  règlements  presque  minutieux  que  les  Pères  de  ce  con- 
cile crurent  devoir  faire  contre  les  mariages  contractés  avec 
des  parentes  ou  avec  des  personnes  consacrées  à  Dieu,  n'ayant 
pu  engager  Garibert  à  se  séparer  de  Marcovèfe ,  S.  Ger- 
main jugea  à  propos  de  ne  plus  dissimuler  un  désordre  si 
criant,  et  il  les  excommunia  l'un  et  l'autre.  Ce  dernier  remède 
fut  aussi  inutile  pour  leur  amendement  que  le  premier  ;  mais 
il  parut  avoir  un  effet  bien  terrible  pour  la  punition  de  leur 
crime  :  car  Marcovèfe  mourut  bientôt  après,  et  Garibert  ne 
lui  survécut  que  fort  peu  de  temps  (1). 

Il  mourut  sans  enfant  mâle,  après  six  ans  de  règne,  sur  la 
fin  de  la  même  année  567  ou  au  commencement  de  l'année  sui- 
vante. Ge  prince  aurait  eu  toutes  les  qualités  d'un  grand  et 
bon  roi,  si  l'amour  déréglé  des  femmes  n'eût  pas  fait  la 
honte  et  le  malheur  de  son  règne.  Ses  trois  frères  partagèrent 
entre  eux  ses  États,  excepté  Paris,  sur  la  possession  duquel  ils 
ne  purent  s'accorder,  chacun  prétendant  avoir  cette  ville  dans 
son  partage.  Aussi  prirent-ils  le  parti  de  la  regarder  comme 
une  ville  commune,  qui  leur  appartiendrait  à  tous  les  trois, 
et  où  aucun  d'eux  ne  pourrait  entrer  sans  la  permission  des 
deux  autres  :  ce  qu'ils  se  promirent  mutuellement  par  les  ser- 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  JV,  c.  xxix. 


[567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VU.  401 

ments  les  plus  solennels,  en  invoquant  S.  Polyeucte,  S.  Hilaire 
et  S.  Martin  comme  vengeurs  du  parjure. 

Des  prélats  qui  s'élevaient  avec  tant  de  force  contre  les 
désordres  des  princes  mêmes,  n'eurent  garde  de  fermer  les 
yeux  sur  ceux  de  leurs  confrères.  Au  milieu  des  saints  évê- 
ques  et  des  saints  abbés  qui  en  si  grand  nombre  édifiaient 
alors  l'Armorique,  Macliau,  évêque  de  Vannes,  donnait  à 
l'Église  un  grand  scandale,  pour  lequel  il  fut  enfin  excom- 
munié, comme  nous  allons  le  voir,  après  avoir  rapporté  les 
tragiques  aventures  qui  le  conduisirent  à  l'épiscopat. 

L'ambition  n'était  pas  moins  vive  parmi  les  comtes  bre- 
tons que  parmi  les  princes  francs,  et  elle  était  plus  cruelle. 
Ganaon  ouGonan,  comte  de  Bretagne,  ayant  fait  mourir  trois 
de  ses  frères,  voulait  traiter  avec  la  même  inhumanité  Macliau, 
le  quatrième.  S.  Félix,  évêque  de  Nantes,  employa  si  heureu- 
sement son  crédit  et  son  éloquence  qu'il  obtint  grâce  pour 
lui.  Macliau,  qui  ne  pouvait  se  fier  au  meurtrier  de  ses  frères, 
se  réfugia  auprès  de  Gommore,  autre  comte  breton.  Conan  se 
repentit  en  effet  de  n'avoir  pas  consommé  son  crime ,  et  il 
envoya  à  la  cour  de  Gommore  des  satellites  pour  mettre  à 
mort  son  frère,  quelque  part  qu'ils  le  trouvassent.  Gommore, 
pressé  à  la  fois  par  la  crainte  de  s'attirer  une  guerre,  s'il  s'op- 
posait à  cette  violence,  et  par  le  désir  de  sauver  son  hôte,  s'a- 
visa d'un  étrange  stratagème  (1  ).  Il  le  fit  enterrer  tout  vivant 
en  lui  ménageant  une  ouverture  pour  la  respiration,  et  quand 
les  envovés  de  Gonan  vinrent  lui  demander  Macliau,  il  leur  ré- 
pondit  avec  un  air  de  compassion  qui  paraissait  naturel  :  Hélas  ! 
Macliau  rfest plus:  voici  rendrait  où  nous  venons  de  V enter- 
rer. Ils  burent  et  mangèrent  sur  sa  tombe  en  réjouissance  de 
sa  mort,  et  allèrent  en  rapporter  la  nouvelle  à  leur  maître. 
Celui-ci  la  reçut  avec  une  vive  satisfaction,  bien  moins  à  cause 
du  crime  que  cette  mort  lui  épargnait  que  parce  qu'elle  assu- 
rait ses  prétentions. 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  iv. 
TOME  n. 


26 


402  HISTOIRE  DE  l/EGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

Macliau,  au  sortir  de  son  tombeau,  parut  vouloir  mourir  au 
monde  et  renoncer,  en  entrant  dans  le  clergé,  à  toutes  les  es- 
pérances d'une  grandeur  qui  l'exposait  à  tant  de  périls.  Il  fut 
bientôt  élu  évêque  de  Vannes,  sans  autre  mérite  que  sa  nais- 
sance. Tant  qu'il  craignit  son  frère,  il  sembla  craindre  le  Sei- 
gneur ;  mais  après  la  mort  de  Conan  il  démasqua  son  ambition 
et  ses  autres  vices,  auxquels  l'habit  ecclésiastique  avait  servi 
de  voile.  Macliau  laissa  croître  ses  cheveux  et  reprit  avec  sa 
femme,  dont  il  s'était  séparé,  la  qualité  de  comte,  sans  quitter 
celle  d'évêque,  quoique  ne  remplissant  plus  d'autres  fonctions 
que  celle  de  percevoir  les  revenus  de  son  évêché.  Un  si  mons- 
trueux scandale  excita  le  zèle  des  évêques  de  la  province.  Ils 
excommunièrent  solennellement  cet  indigne  prélat,  et  il  y  a 
lieu  de  croire  que  l'excommunication  fut  lancée  au  concile 
de  Tours  dont  nous  venons  de  parler.  Macliau  méprisa  les 
foudres  de  l'Église,  mais  il  n'évita  pas  le  châtiment  du  Ciel  : 
il  fut  tué  misérablement  par  le  fils  d'un  comte  breton  dont 
il  avait  usurpé  le  domaine.  Triste  exemple,  qui  fait  bien  voir 
que  si  l'Église  peut  tout  espérer  des  personnes  de  la  plus  il- 
lustre naissance  quand  le  Seigneur  les  appelle  aux  dignités 
ecclésiastiques,  elle  a  tout  à  en  redouter  quand  elles  n'ont  eu 
d'autre  vocation  que  l'ambition  et  l'intérêt. 

Avant  que  les  évêques  du  second  concile  de  Tours  se  sé- 
parassent, Ste  Radegonde  leur  écrivit  pour  les  prier  d'autoriser 
les  règlements  qu'elle  voulait  établir  dans  son  monastère, 
particulièrement  au  sujet  de  la  clôture  (1).  Les  évêques,  dans  la 
réponse  qu'ils  lui  firent,  la  félicitent  sur  son  zèle  à  veiller  au 
salut  du  prochain.  Ils  lui  disent  qu'étant  venue  presque  du 
même  pays  que  S.  Martin,  il  n'est  pas  surprenant  qu'elle 
marche  sur  ses  traces,  et  que  tant  de  jeunes  filles  la  préfèrent 

(1)  Nous  n'avons  plus  cette  lettre  de  Ste  Radegonde.  Celle  qu'on  voit  d'elle  dans 
les  éditions  des  conciles  fut  écrite  longtemps  après ,  et  elle  est  adressée  à  tous  les 
évêques ,  au  lieu  que  celle  dont  nous  parlons  l'était  seulement  aux  évêques 
du  concile  de  Tours.  Le  P.  Sirmond  et  plusieurs  habiles  critiques  ont  cependant 
confondu  ces  deux  lettres. 


1567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VI£.  403 

à  leurs  mères,  qu'elles  abandonnent  pour  vivre  sous  sa  con- 
duite (1). 

«  C'est  pourquoi,  ajoutent-ils  ,  comme  nous  avons  appris 
qu'il  y  a  de  nos  diocésaines  qui  se  sont  retirées  dans  votre 
monastère,  ayant  égard  à  ce  que  vous  nous  demandez  dans 
votre  lettre...,  nous  décidons  que  celles  qui  auront  mérité  d'y 
être  reçues  ne  pourront  plus  en  sortir,  selon  la  règle  du 
seigneur  Césaire,  évêque  d'Arles,  d'heureuse  mémoire;  et  si 
quelqu'une  (ce  qu'à  Dieu  ne  plaise!  ),  séduite  par  les  artifices 
de  l'ennemi,  comme  Ève  qui  fut  chassée  du  paradis,  vient  à 
sortir  de  l'enceinte  du  monastère  pour  se  souiller  dans  la 
fange  des  rues,  qu'elle  soit  séparée  de  notre  communion  et 
frappée  d'anathème;  si  elle  se  marie,  que  l'époux  ou  plutôt 
l'adultère  et  le  sacrilège  qui  l'aura  épousée  et  ceux  qui  lui 
auront  donné  ce  conseil  soient  sujets  avec  elle  à  la  même 
malédiction,  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  fait  une  pénitence  conve- 
nable et  mérité  d'être  reçue  dans  le  monastère  dont  elle  était 
sortie...  S'il  arrivait,  ce  que  nous  ne  croyons  pas,  que  les 
évêques  nos  successeurs  voulussent  atténuer  les  peines  que 
nous  avons  édictées,  nous  déclarons  que  nous  nous  élèverons 
contre  eux  au  tribunal  de  Dieu.  »  La  suite  fera  voir  combien 
toutes  ces  précautions  étaient  nécessaires. 

Quelque  temps  après  ce  même  concile,  quatre  évêques  de 
la  province  de  Tours  écrivirent  une  lettre  commune  aux 
peuples  de  leurs  diocèses  pour  les  exhorter  à  faire  pénitence, 
afin  de  détourner  les  fléaux  de  la  justice  divine  dont  ils 
étaient  menacés.  On  voit  par  la  lettre  qu'il  s'agissait  d'une 
maladie  contagieuse  qui  sur  dix  personnes  n'en  épargnait 
souvent  qu'une.  Il  y  avait  plusieurs  années  que  la  peste  qu'on 
nomma  inguinaire  avait  désolé  quelques  provinces  de  la 
Gaule.  Cette  cruelle  maladie,  qu'on  croyait  éteinte,  reparut 
tout  à  coup  portant  partout  la  terreur  avec  la  menace  d'une 
mort  presque  certaine. 

(1)  Epist.  episc.  ad  Radeg.,  ap.  Greg.  Tur.,  1.  IX.  c.  xxxix.  —  Labb.,  t.  V, 
p.  872. 


404  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

La  ville  d'Auvergne,  qui  avait  été  préservée  de  ce  fléau  du 
vivant  de  S.  Gai,  en  fut  alors  tellement  affligée  qu'on  y  compta 
en  un  seul  jour  trois  cents  morts,  qui  avaient  été  portés  dans 
l'église  de  Saint-Pierre.  Le  prêtre  Caton,  dont  nous  avons 
parlé,  mourut  en  assistant  avec  courage  les  pestiférés  :  heu- 
reux d'avoir  eu  l'occasion  d'expier  par  ce  martyre  de  la 
charité  les  fautes  que  son  orgueil  lui  avait  fait  commettre. 
Pour  l'évêque  Gautin,  son  rival,  il  ne  se  piqua  pas  de  l'imiter; 
au  contraire,  ce  pasteur  mercenaire  abandonna  lâchement  son 
troupeau  et  se  retira  successivement  en  divers  lieux  pour 
fuir  la  contagion,  qu'il  ne  put  éviter.  Obligé  de  revenir  à  la 
ville  pour  célébrer  la  fête  de  Pâques,  il  en  fut  atteint  et  mou- 
rut le  vendredi  saint  (1).  Sa  mort  délivra  l'Eglise  d'Auvergne 
d'un  indigne  prélat;  S.  Avite  fut  son  successeur. 

Dans  les  calamités  publiques  Dieu  frappe  souvent  les  saints 
comme  les  pécheurs,  pour  corriger  et  punir  ceux-ci,  pour 
éprouver  jet  récompenser  ceux-là.  Un  saint  moine  de  Randau 
nommé  Julien,  renommé  dans  toute  la  province  pour  ses 
miracles,  fut  enlevé  par  cette  maladie  contagieuse,  aussi 
bien  que  son  abbé,  qui  eut  pour  successeur  un  saint  religieux 
nommé  Siniulfe,  célèbre  par  ses  révélations  (2). 

La  contagion  pénétra  dans  le  Berri,  et,  par  les  ravages 
qu'elle  y  fît,  jeta  l'alarme  dans  les  provinces  voisines.  Ge 
fut  dans  ces  tristes  conjonctures  que  quatre  évêques  de  la 
troisième  Lyonnaise,  c'est-à-dire  de  la  province  ecclésiastique 
de  Tours,  écrivirent  la  lettre  pastorale  dont  nous  venons  de 
parler,  pour  exhorter  leurs  peuples  à  désarmer  la  colère  de 
Dieu. 

«  Gomme  le  devoir  des  évêques,  disent-ils  (3),  consiste  à  veil- 
ler sans  cesse  au  salut  des  âmes,  à  reprendre  et  à  exhorter  les 
pécheurs,  nous  avons  cru  devoir  vous  avertir  que  dans  la  ca- 
lamité présente  l'observation  des  préceptes  et  les  œuvres  de 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  IV,  c.  xxxi.  —  (2)  IbiJ.,?.  33.  —  (3)  Epist.  episd 
prov.  Tur.,  t.  I  Conc.  GaW  ,p.  343.—  Labb.,  t.  V,  p.  8(>7. 


[567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  405 

pénitence  sont  la  seule  ressource  en  laquelle  nous  puissions 
avoir  confiance.  C'est  pourquoi  nous  exhortons  ceux  d'entre 
vous  qui  sont  fiancés  à  différer  leur  mariage...  Nous  recom- 
mandons à  tous  de  donner  à  Dieu  la  dîme  de  tous  leurs  biens 
pour  conserver  le  reste.  Il  nous  a  dit  que  Y  aumône  éteint  le 
péché ',  comme  Veau  éteint  le  feu  (1).  Pourquoi  ne  lui  offririons- 
nous  pas  une  partie  de  ces  biens?  Ce  n'est  pas  les  perdre  que 
de  les  lui  donner.  Nous  exhortons  tous  les  ennemis  à  se  par- 
donner mutuellement  et  à  se  réconcilier  avec  une  charité 
sincère  ;  nous  souhaitons  même  que  chacun  de  vous  donne  le 
dixième  de  ses  esclaves.  Car  puisqu'on  dit  que  cette  maladie 
enlève  neuf  personnes  sur  dix,  n'est-il  pas  convenable  d'en 
donner  une  à  Dieu  pour  en  conserver  neuf?  Ceux  qui  n'ont 
pas  d'esclaves  pourront  donner  à  l'évêque  le  tiers  d'un  sou 
pour  chacun  de  leurs  enfants.  Toutes  ces  aumônes  seront  fidè- 
lement employées  au  rachat  des  captifs.  Enfin,  s'il  y  en  a 
parmi  vous  qui  aient  contracté  des  mariages  incestueux,  nous 
les  exhortons  et  nous  les  prions  même  pour  leur  salut  de  se 
séparer  jusqu'au  grand  concile,  de  peur  qu'ils  n'attirent  sur 
eux  la  vengeance  du  ciel.  »  Cette  lettre  pastorale  fut  signée  de 
S.  Euphrone  de  Tours,  de  S.  Félix  de  Nantes,  de  Domitien 
d'Angers  et  de  S.  Domnole  du  Mans. 

S.  Félix  de  Nantes  était  issu  d'une  des  plus  nobles  familles 
d'Aquitaine,  et  il  possédait  tous  les  dons  que  le  monde  admire 
et  respecte  :  une  illustre  naissance ,  de  grandes  richesses  et 
une  vive  éloquence.  L'usage  qu'une  piété  sincère  lui  fit  faire 
de  ces  avantages  rendit  sonépiscopat  aussi  glorieux  qu'utile  à 
son  Eglise.  Une  colonie  de  Saxons,  restes  d'une  de  ces  armées 
de  barbares  qui  avaient  tant  de  fois  inondé  la  Gaule,  s'était  éta- 
blie dans  le  territoire  de  Nantes  et  y  vivait  encore  dans  l'ido- 
lâtrie. Félix  travailla  avec  tant  de  succès  à  leur  conversion 
que  ces  hommes,  qui  paraissaient  comme  autant  de  bêtes  fé- 
roces, devinrent  des  ouailles  de  Jésus-Christ,  et  le  saint  évêque 


(1)  Eccl.  m,  33. 


406  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

eut  la  consolation  de  les  baptiser  à  la  fête  de  Pâques.  Les 
grands  biens  de  Félix  devinrent  ceux  des  pauvres ,  et  ses  libé- 
ralités n'eurent  d'autre  règle  que  leurs  besoins.  Son  éloquence 
fît  plus  d'une  fois  ce  que  des  armées  n'avaient  pu  faire  :  il 
arrêta  les  ravages  des  Bretons  et  adoucit  l'esprit  de  leurs 
comtes.  Mais  ce  qui  rendit  son  nom  plus  célèbre,  ce  furent  les 
grands  ouvrages  qu'il  entreprit  et  acheva  pour  le  bien  public. 
Il  détourna  la  rivière  avec  des  travaux  et  des  dépenses  im- 
menses, et  l'on  croit  communément  à  Nantes  que  le  canal  de  la 
Loire,  qui  forme  le  beau  port  de  la  Fosse,  a  été  son  ouvrage  (1). 

Ce  saint  évêque  fit  achever  avec  une  grande  magnificence 
l'église  de  Nantes  commencée  par  son  prédécesseur  Eumé- 
rius.  On  voit  par  la  description  que  Fortunat  nous  en  a  laissée, 
qu'il  y  avait  deux  grandes  ailes  aux  côtés  de  la  nef;  que  le  toit 
était  couvert  d'étain,  et  le  lambris  orné  de  peintures;  que  du 
milieu  de  l'édifice  s'élevait  à  une  grande  hauteur  une  tour 
carrée  terminée  par  une  espèce  de  dôme.  Le  principal  autel 
était  sous  l'invocation  de  S.  Pierre,  celui  de  l'aile  droite  sous 
celle  de  S.  Hilaire  et  de  S.  Martin,  et  celui  de  l'aile  gauche 
était  dédié  à  S.  Ferréol  (2). 

Les  évêques  voisins  furent  invités  à  la  dédicace  ;  S.  Eu- 
phrone,  évêque  de  Tours,  Yicture  de  Rennes,  Domitien  d'An- 
gers, Domnole  du  Mans,  et  Marachaire,  qui  de  comte  d'An- 
goulême  en  était  devenu  évêque,  assistèrent  à  cette  cérémo- 
nie (3).  Un  différend  personnel  que  Grégoire  de  Tours  eut 
avec  Félix  de  Nantes  l'empêcha  de  lui  rendre  toute  la  justice 
qu'il  méritait  ,  comme  nous  le  verrons  (4).  Les  saints  mêmes 
ne  sont  pas  toujours  exempts  de  préventions  :  mais  c'est  à 

(1)  Fortun.,  1.  III,  carm.  6,  7,  8. —  D'habiles  critiques  croient  que  Félix 
détourna  seulement  le  lit  de  la  petite  rivière  de  Ceil,  qui  va  tomber  dans  la  Loire. 
Une  expression  de  Fortunat  autorise  cette  opinion.  En  effet ,  il  nomme  la  [rivière 
qui  fut  détournée,  (luvius  celer,  ce  qui  peut  marquer  la  rivière  de  Ceil.  Mais  outre 
que  celer  peut  ici  n'être  qu'une  épithète  de  la  Loire,  Fortunat  parle  d'une  rivière 
considérable  qui  fournissait  des  vivres  à  la  ville  :  Ad  victum  plebis  nunc  famulantur 
aquœ.  Il  ajoute  :  et  quo  prora  prius,  nunc  modo  plaustra  gemunt  :  ce  qui  convient 
mieux  à  la  Loire. 

(2)  Fortun.,  1.  III,  carm.  5.— (3)  Fort.,  1.  III,  carm.  4.— (4)  Greg.  Tur.,  1.  IV, 
c.  xxxvii  ;  1.  V,  c.  v. 


[567]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  407 

l'humanité,  et  non  à  la  sainteté  qu'il  faut  attribuer  ces  défauts. 

On  trouve  aussi  dans  le  même  historien  (1)  quelques  traits 
qui  donnent  à  penser  que  S.  Domnole  du  Mans  n'eut  pas  tou- 
jours ces  sentiments  de  haute  piété  qui  l'ont  rendu  un  des 
plus  saints  évêques  de  son  temps.  Il  était  abbé  du  monastère 
de  Saint-Laurent  (2)  près  des  murs  de  Paris,  et,  quoique  sujet 
de  Ghildebert,  il  s'était  attaché  à  Glotaire  et  recevait  chez 
lui  les  espions  que  ce  prince  envoyait  à  Paris.  Après  la  mort 
de  Ghildebert,  Clotaire,  étant  allé  par  dévotion  visiter  la  basi- 
lique de  Saint-Martin  (3),  nomma  Domnole  pour  remplir  le  siège 
d'Avignon.  Mais  cet  abbé,  après  avoir  passé  la  nuit  en  prière 
dans  la  basilique ,  fit  représenter  au  roi  qu'un  évêché  si  éloi- 
gné de  la  cour  serait  pour  lui  une  espèce  d'exil  ;  que  d'ailleurs 
il  était  peu  propre  à  vivre  avec  des  sénateurs  sophistes  et  des 
juges  philosophes  :  expressions  qui  montrent  que  l'étude  de 
la  philosophie  était  florissante  à  Avignon.  Glotaire,  qui  ne 
cherchait  qu'à  faire  plaisir  à  Domnole ,  lui  donna  l'évêché  du 
Mans ,  dont  le  siège,  après  la  mort  de  S.  Innocent ,  avait  été 
usurpé  par  un  nommé  Scienfroi  (4).  Le  nouvel  évêque  y  fut 
reçu  avec  de  grandes  démonstrations  de  joie.  Il  s'appliqua  à 
sanctifier  son  peuple  et  se  sanctifia  lui-même  par  toutes  les 
vertus  propres  à  un  saint  évêque.  On  rapporte  qu'il  guérit  un 
boiteux  nommé  Rainier  et  qu'il  rendit  la  vue  à  un  aveugle 
appelé  Syagrius.  Il  n'oublia  pas  clans  l'épiscopat  la  vie  monas- 
tique, dont  il  avait  fait  profession  (5).  Il  fonda  au  Mans  un  mo- 

(1)  Le  P.  Lecointe  croit  que  le  chapitae  où  il  est  question  de  S.  Domnole  dans 
VHistoire  de  Grégoire  de  Tours,  est  une  addition  faite  à  cet  historien  par  quelque 
écrivain  postérieur.  Les  raisons  qu'il  apporte  et  qu'il  serait  trop  long  de  discuter, 
n'ont  pas  convaincu  les  plus  habiles  critiques. 

(2)  L'église  du  monastère  de  Saint-Laurent  fut  depuis  changée  en  une  église  pa- 
roissiale du  nom  de  ce  saint  martyr.  Elle  est  près  du  chemin  de  fer  de  l'Est. 

(3)  Baillet  dit  que _Téglise  de  Saint-Martin  dont  il  est  ici  parlé  est  Saint-Martin 
des  Champs  de  Paris.  Mais  1°  quand  Grégoire  de  Tours  nomme  simplement  l'église 
de  Saint-Martin,  il  entend  celle  de  Tours,  où  nous  savons  en  effet  que  Clotaire 
fit  un  voyage.  2°  Le  monastère  de  Saint-Martin  des  Champs  ne  fut  fondé  que  dans 
le  XIe  siècle.  Il  est  vrai  qu'il  y  avait  auparavant  au  même  endroit  un  monastère, 
qui  avait  été  détruit  par  les  barbares  ;  mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  n'existait 
pas  du  temps  de  Clotaire. 

(4)  Greg.  Turv  c.  ix.  —  (5)  Vit,  S.  Domnoli. 


408  HISTOIRE  DE  l' EGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

nastère  en  l'honneur  de  S.  Vincent  et  de  S.  Laurent,  et  il  y 
mit  des  reliques  de  ces  deux  saints  martyrs ,  et  nommément 
une  partie  du  gril  sur  lequel  S.  Laurent  avait  souffert. 

L'exemple  de  tant  de  saints  évêques  qui  faisaient  alors  la 
gloire  de  l'Église  de  France ,  n'empêcha  pas  qu'il  n'y  eût  des 
scandales  dans  l'épiscopat.  Ils  parurent  d'autant  plus  mons- 
trueux qu'ils  étaient  plus  rares,  et  on  déploya  un  grand  zèle 
pour  les  réprimer.  En  effet,  la  même  année  que  se  tint  le  con- 
cile de  Tours,  les  évêques  du  royaume  de  Gontran  en  tinrent 
un  autre  à  Lyon  par  ordre  de  ce  prince  pour  juger  les  accu- 
sations intentées  contre  Salonius  d'Embrun  et  Sagittaire  de 
Gap.  Ces  deux  évêques  étaient  frères  et  ils  avaient  été  élevés 
ensemble  auprès  de  S.  Nicet  de  Lyon,  qui  les  avait  ordonnés 
diacres,  trompé  par  un  masque  de  vertu  dont  l'hypocrisie  ne 
se  pare  que  trop  souvent  pour  parvenir  aux  honneurs  de 
l'Église  (1).  1 

Ce  masque  tomba  dès  qu'ils  eurent  été  promus  à  l'épiscopat. 
Leur  ambition  satisfaite  laissant  alors  agir  leurs  autres  pas- 
sions,qu'elle  avait  contenues,  ils  s'y  livrèrent  sans  même  garder 
les  bienséances  que  l'honneur  fait  souvent  observer  aux  plus 
vicieux,  et  l'on  vit  dans  ces  deux  frères,  trop  semblables  l'un  à 
l'autre ,  l'alliance  monstrueuse  du  brigandage ,  du  meurtre  et 
de  l'adultère  avec  le  ministère  le  plus  saint.  Un  jour  entre  au- 
tres que  Victor,  évêque  de  Saint-Paul-Trois-Châteaux,  célé- 
brait avec  ses  amis  l'anniversaire  de  sa  naissance ,  ces  deux 
évêques  envoyèrent  une  troupe  de  gens  armés  d'épées  et  de 
flèches  qui  se  jetèrent  sur  lui,  déchirèrent  ses  habits,  frap- 
pèrent ses  serviteurs  et  emportèrent  la  vaisselle  avec  ce  qui 
était  préparé  pour  le  festin  (2) . 

L'évêque  de  Trois-Châteaux  se  plaignit  au  roi  Gontran  d'une 
pareille  violence,  et  ce  prince,  qui  aimait  l'ordre,  fit  assembler 
à  ce  sujet  un  concile  à  Lyon.  Les  Pères,  ayant  examiné  cette 
affaire,  jugèrent  Salonius  et  Sagittaire  dûment  atteints  et 

(1)  Labb.,  t.  V,  p.  850.  —  (2)  Ibid. 


[567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  409 

convaincus  de  ce  crime  et  de  plusieurs  autres,  et  ils  les  dépo- 
sèrent comme  indignes  de  l'épiscopat.  La  procédure  fut  courte  : 
nous  verrons  comment  le  jugement  fut  exécuté.  Le  concile, 
avant  de  se  séparer,  fit  les  six  canons  suivants. 

I.  Les  différends  entre  les  évêques  seront  terminés  par  le 
métropolitain ,  si  les  contendants  sont  de  même  province  ;  ou 
par  les  deux  métropolitains  assemblés,  s'ils  sont  de  diverses 
provinces. 

II.  On  avait  souvent  recours  à  diverses  chicanes  pour  pri- 
ver l'Église  de  legs  pieux  qui  lui  étaient  faits  par  testament. 
Le  concile,  pour  remédier  à  ce  désordre,  ordonne,  sous  peine 
d'excommunication ,  que,  quand  il  manquerait  à  la  donation 
ou  au  testament  de  qui  que  ce  soit  quelqu'une  des  formalités 
requises  par  les  lois,  on  ne  laisse  pas  d'exécuter  la  volonté  du 
testateur,  qui  les  aurait  omises  par  nécessité  ou  par  simplicité. 

III.  Ceux  qui  retiennent  injustement  dans  l'esclavage  des 
personnes  libres,  sont  excommuniés. 

IV.  Aucun  évêque  ne  doit  accorder  sa  communion  à  quicon- 
que aura  été  excommunié  par  un  autre  évëque. 

V.  Un  évêque  ne  pourra  ôter  aux  clercs  ce  que  les  évêques 
ses  prédécesseurs  leur  auront  donné  de  leurs  biens  en  pro- 
priété, ou  des  biens  de  l'Église  en  usufruit,  et  si  ces  clercs  font 
des  fautes ,  il  faudra  les  punir  autrement  qu'en  leur  ôtant  ces 
biens. 

Ainsi  voilà  les  bénéfices  qui  ne  sont  plus  amovibles  à  la  vo- 
lonté de  Kévêque ,  excepté  ceux  qu'il  aurait  donnés  lui-même, 
comme  il  avait  déjà  été  réglé  par  le  troisième  concile  d'Or- 
léans (1). 

YI.  Les  jours  qui  précèdent  le  premier  dimanche  de  no- 

r 

vembre,  on  fera  dans  toutes  les  Eglises  et  dans  toutes  les  pa- 
roisses des  prières  et  des  processions  comme  avant  l'Ascen- 
sion. (C'est-à-dire  que  le  concile  établit  ici  des  secondes  Roga- 
tions au  mois  de  novembre.) 


(1)  Conc.Aur.  ///,  can.  17, 


410  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

Il  n'y  eut  que  huit  évêques  présents  à  ce  concile  avec  les 
députés  de  huit  autres.  S.  Philippe  de  Vienne,  qui  présida, 
S.  Nicet  de  Lyon,  S.  Agricole  de  Chalon-sur-Saône  et 
S.  Syagrius  d'Autun  sont  les  plus  remarquables.  S.  Tétric  de 
Langres,  ne  pouvant  s'y  rendre  à  cause  de  ses  infirmités ,  y 
députa  le  prêtre  Piolus. 

Ce  saint  évêque  avait  eu  une  attaque  d'apoplexie  qui  l'a- 
vait mis  hors  d'état  de  vaquer  aux  fonctions  de  son  ministère. 
Le  clergé  de  Langres,  n'espérant  plus  qu'il  recouvrât  la  santé, 
demanda  un  évêque  au  roi  Gontran.  Ce  prince  fit  ordonne  1 
pour  ce  siège  Monderic,  frère  de  S.  Ferréol  d'Uzès,  à  condi- 
tion néanmoins  que  du  vivant  de  S.  Tétric  il  demeurerait  à 
Tonnerre  et  qu'il  gouvernerait  cette  Église  en  qualité  d'ar- 
chiprètre.  Mais  quelque  temps  après,  Monderic,  ayant  encouru 
la  disgrâce  de  Gontran,  fut  exilé.  S.  Nicet  fit  changer  le  lieu 
de  son  bannissement  et  le  retint  à  Lyon ,  où  il  n'omit  rien 
pour  lui  rendre  son  exil  agréable.  Monderic,  voyant  qu'il  ne 
pouvait  pas  obtenir  de  retourner  à  Tonnerre ,  se  réfugia  à  la 
cour  du  roi  Sigebert ,  où  sa  noblesse  fut  pour  lui  une  puis- 
sante recommandation.  Sigebert  n'avait  pas  d'évêché  à  lui 
donner,  mais  il  l'établit  évêque  dans  l'Arsat,  canton  du  Rouer- 
gue  où  il  y  avait  environ  quinze  paroisses  qui  avaient  été 
sous  la  domination  des  Goths ,  et  que  S.  Dalmace,  évêquc- 
de  Rodez,  prétendait  appartenir  à  son  diocèse  (1).  Monderic 
se  contenta  de  ce  petit  évêché,  qui  subsista  encore  quel- 
que temps  après  sa  mort.  On  assure  qu'elle  fut  précieuse 
devant  Dieu,  et  quelques  auteurs  le  mettent  au  rang  des 
saints  (2). 

Salonius  et  Sagittaire,  que  nous  venons  de  voir  condamnés 
au  concile  de  Lyon,  allèrent  se  jeter  aux  pieds  du  roi  Gontran, 
se  plaignant  qu'ils  avaient  été  injustement  déposés  et  deman- 
dant avec  instance  qu'il  leur  fût  permis  de  recourir  au  pape. 
Le  roi  consentit  à  une  proposition  si  conforme  à  l'équité  et  à 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  v. — (2)  Thom.  Aquiu.  Carmelita  in  Afoa's  ad  Carmen  <1t 
origine  Francor. 


[567]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  411 

la  bonté  qui  faisaient  son  caractère ,  et  il  leur  donna  même 
des  lettres  de  recommandation.  Le  pape  Jean  III,  qui  avait  suc- 
cédé à  Pelage  Ier ,  occupait  alors  le  Saint-Siège.  Il  reçut 
favorablement  les  deux  évèques,  qu'il  ne  connaissait  pas  assez, 
et,  sur  l'exposé  qu'ils  lui  firent,  il  écrivit  au  roi  en  leur  faveur 
et  ordonna  qu'ils  fussent  rétablis  dans  leurs  sièges  (1).  Le  roi 
fît  exécuter  cette  décision  après  néanmoins  leur  avoir  fait 
une  vive  réprimande. 

Ces  deux  prélats  demandèrent  les  bonnes  grâces  de  Victor 
de  Trois-Châteaux  et  lui  livrèrent  ceux  de  leurs  domestiques 
qui  l'avaient  insulté  ;  mais  il  les  leur  renvoya  sans  en  vouloir 
tirer  aucune  vengeance.  Sa  facilité  à  se  réconcilier  fut  un  nou- 
veau sujet  de  trouble.  Les  autres  évèques  qui  avaient  dépose 
Salonius  et  Sagittaire,  furent  choqués  de  voir  que  Victor  eût 
sans  leur  participation  fait  sa  paix  avec  ceux  dont  il  s'était 
rendu  accusateur  auprès  d'eux,  et  ils  se  séparèrent  de  sa  com- 
munion. Gontran  parvint  encore  à  calmer  les  esprits  et  s'ap- 
plaudit pendant  quelque  temps  d'avoir  rétabli  la  paix  dans 
l'épiscopat.  Mais  il  s'aperçut  bientôt  qu'on  ne  peut  en  pro- 
curer une  solide  que  par  le  châtiment  des  hommes  qui  la 
troublent. 

En  effet,  l'impunité  sembla  inspirer  une  nouvelle  audace  à 
Salonius  et  à  Sagittaire.  Ils  portaient  publiquement  des  armes 
comme  des  laïques ,  et  on  eût  dit  qu'ils  rougissaient  de  l'épis- 
copat, qui  rougissait  d'eux.  Gontran,  ayant  reçu  de  nouvelles 
plaintes  de  leur  conduite,  leur  envoya  ordre  de  se  rendre  à  la 
cour.  Sagittaire  se  présenta  à  l'audience;  mais  le  prince,  qui 
voulait  le  mortifier,  refusa  de  lui  parler;  ce  refus  provoqua 
chez  cet  évêque  une  telle  fureur  qu'oubliant  ce  qu'il  devait  à 
son  caractère  et  à  la  dignité  royale,  il  se  répandit  en  injures 
contre  le  roi,  osan4-même  dire  que  les  enfants  que  ce  prince 
avait  eus  d'une  femme  de  basse  naissance  étaient  incapables 


(1)  Greg.  Tur.,  lib.  V,  c.  xxi. — Ap.  Labb.  ubi  supra. —  Le  pape  jugea  peut-être 
que  la  déposition  de  ces  évèques  n'était  pas  canonique,  parce  qu'elle  n'avait  été 
faite  que  par  huit  évèques  présents. 


412  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567 

de  lui  succéder.  Gontran,  outré  de  cette  insulte,  fit  enferme] 
ces  deux  évêques  dans  des  monastères  séparés,  avec  défens< 
de  les  laisser  communiquer  avec  qui  que  ce  fût.  Ils  y  firen 
pendant  quelque  temps  une  pénitence  forcée,  que  la  bontt 
du  roi  abrégea  encore  :  car  le  fils  aîné  de  ce  prince  étan 
tombé  malade,  on  suggéra  à  celui-ci  que  ce  pouvait  êtr< 
une  punition  du  traitement  qu'il  faisait  subir  à  ces  prélats 
peut-être  innocents.  Il  n'en  fallut  pas  davantage.  Gontran 
qui  aimait  son  fils  et  qui  craignait  Dieu ,  dit  aussitôt 
Mettez-les  en  liberté,  et  recommandez-leur  de  prier  pour  noi 
enfants  (1). 

Salonius  et  Sagittaire  parurent  d'autres  hommes  en  sortan 
de  prison  :  on  les  vit  pendant  quelque  temps  joindre  le  jeûn< 
à  la  prière  et  se  rendre  assidus  au  chœur.  Ils  avaient  tous  lei 
dehors  de  la  vertu,  mais  ces  dehors  trompeurs  se  démenti 
rent  bientôt,  parce  qu'ils  n'étaient  pas  sincères.  Ces  deux  évê 
ques  trouvèrent  qu'il  en  coûte  trop  pour  faire  l'homme  d< 
bien  quand  on  ne  l'est  pas ,  et  ils  se  replongèrent  dans  leurs 
premiers  désordres  avec  plus  de  scandale  qu'auparavant 
Tandis  qu'ils  se  reposaient  sur  leur  clergé  du  soin  de  fair< 
l'office  divin,  ils  passaient  une  partie  de  la  nuit  à  boire  ave< 
des  femmes  débauchées.  Ils  se  livraient  ensuite  au  sommei 
jusqu'à  la  troisième  heure  du  jour,  c'est-à-dire  jusqu'à  neu 
heures  du  matin ,  et  à  peine  étaient-ils  levés  qu'ils  se  remet- 
taient à  table  jusqu'au  soir.  Une  vie  si  licencieuse  ne  justifiail 
que  trop  la  sévérité  du  concile  de  Lyon  ;  elle  fit  connaître  à 
Gontran  que  sa  bonté  avait  mis  en  défaut  son  zèle  et  sa 
justice. 

Il  fit  donc  assembler,  l'an  579,  un  nouveau  concile  à  Chalon- 
sur-Saône,  où  ces  deux  évêques  furent  de  nouveau  déposés. 
Outre  les  crimes  d'homicide  et  d'adultère  dont  ils  étaient 
convaincus,  on  les  y  accusa  de  trahison  et  de  lèse-majesté ,  el 
ils  furent  renfermés  dans  la  basilique  de  Saint-Marcel,  d'où 


(l)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  xxi. 


567]  EN  FRANCE.    LIVRE  VII.  413 

fis  trouvèrent  encore  moyen  de  s'échapper  (1).  Mais  ils  ne 
lurent  recouvrer  leurs  sièges,  qui  avaient  été  donnés  à  d'au- 
Ires  évèques,  et  Sagittaire  fut  tué  les  armes  à  la  main  contre 
Ion  prince  (2).  Nous  avons  cru  devoir  rapporter  sans  inter- 
uption  des  événements  arrivés  en  divers  temps,  pour  réunir 
ous  un  même  point  de  vue  l'histoire  de  ces  deux  évêques  et 
fin  que  le  récit  de  leur  punition  soit  comme  une  réparation  du 
-candale  qu'ils  ont  causé. 

Gontran  ne  les  protégea  qu'aussi  longtemps  qu'ils  surent  le 
romper.  C'était  effectivement  un  prince  qui  aimait  la  religion 
;t  qui  lui  fit  honneur  par  ses  vertus,  qui  l'ont  fait  mettre 
Lu  nombre  des  saints.  S'il  n'eut  pas  les  qualités  d'un  héros  et 
l'un  grand  roi,  il  eut  du  moins  celles  d'un  bon  roi,  père  de 
•on  peuple  et  protecteur  de  l'Église.  Les  passions  de  la  jeu- 
îesse  le  firent  cependant  donner  dans  quelques  écueils,  et  il 
îut  quelque  temps  une  concubine  nommé  Yénérande.  Mais  il 
le  tarda  pas  à  rompre  ces  liens  criminels  pour  s'engager  dans 
:eux  d'un  légitime  mariage,  en  épousant  Marcatrude,  fille 
l'un  de  ses  sujets  :  car  ce  prince  consultait  plus  pour  ses  ma- 
riages les  inclinations  de  son  cœur  que  les  bienséances  de  son 
?ang,  et  il  choisit  deux  fois  assez  mal.  Marcatrude  fit  empoi- 
sonner un  fils  qu'il  avait  eu  de  Yénérande  ;  mais  elle  perdit 
bientôt  le  sien,  juste  punition  de  son  crime,  et  mourut  elle- 
nême  peu  après  (3). 

Gontran  épousa  en  secondes  noces  Austrechilde,  malgré 
toutes  les  intrigues  de  Théodechilde  (4),  veuve  de  Garibert, 

(1)  Labb.,  t.  V,  p.  963. — Le  monastère  de  Saint-Marcel  de  Cbalon  ne  fut  fondé 
par  le  roi  Gontran  que  quelques  années  après,  comme  nous  le  verrons.  Mais  avant 
cette  fondation  il  y  avait  en  cet  endroit  une  église  de  ce  saint  martyr. 

'(2)  Greg.  Tur.,-1.  V,  c.  xxvm. 

(3)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  IV,  c.  xxv. 

(4)  Fortunat  loue  la  piété,  la  noblesse  et  les  aumônes  d'une  reine  nommée  Théo— 
deebilde,  ou  Theudechilde, 

Cui  f rater,  genitor,  conjux,  avus,  atque  priores, 
Ordine  succiduo  regius  ordo  fuit. 
On  sent  assez  que  ces  éloges  ne  peuvent  convenir  à  la  veuve  de  Caribert.  For- 
tunat parle  de  Théodechilde  fille  du  roi  Thierry,  laquelle  fut  mariée  au  roi  de 
Varnes.  On  croit  que  ce  fut  cette  princesse  qui  fonda  le  monastère  de  Saint-Pierre— 
le-Vifj  dont  nous  avons  parlé.  Elle  est  honorée  comme  sainte  le  28  juin. 


414  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [567] 

qui  prétendait  à  cet  honneur.  Cette  femme  ambitieuse,  qui  du 
plus  bas  étage  était  montée  sur  le  trône,  n'était  pas  satisfaite 
d'avoir  été  l'épouse  d'un  roi  :  elle  voulut  devenir  la  femme  de 
Gontran,  et  tenta  de  l'éblouir  par  l'offre  de  grands  trésors, 
qu'elle  promettait  de  lui  apporter.  Elle  se  nattait  apparem- 
ment que  ses  richesses  suppléeraient,  comme  il  arrive  sou- 
vent dans  les  alliances,  à  la  noblesse  qui  lui  manquait;  mais 
Gontran  avait  trop  d'honneur  et  de  piété  pour  épouser  la  fille 
d'un  berger  et  la  veuve  de  son  frère.  Il  laissa  cependant  venir 
Théodechilde  à  sa  cour,  et,  après  l'avoir  dépouillée  d'une  par- 
tie de  ses  trésors  mal  acquis,  il  la  relégua  à  Arles  dans  le  mo- 
nastère de  Saint-Césaire ,  où  elle  fit  une  pénitence  d'autant 
plus  rude  qu'elle  fut  moins  volontaire  (1).  Ainsi,  malgré  quel- 
ques dérèglements  qu'on  peut  reprocher  à  Gontran,  ce  prince 
respecta  toujours  les  engagements  sacrés  qu'impose  le  sa- 

r 

c  rement,  et  ne  scandalisa  point  l'Eglise  par  des  mariages 
illicites. 

Il  n'en  était  pas  ainsi  de  Ghilpéric,  roi  de  Soissons.  L'amour 
d'une  femme  qui  se  rendit  maîtresse  de  son  cœur  et  de  son 
royaume ,  autant  par  ses  artifices  que  par  ses  charmes ,  lui  fît 
violer  les  lois  les  plus  saintes  et  fut  pour  toutes  les  Gaules  et 
pour  lui-même  la  source  des  plus  grands  malheurs.  Tant  il 
est  vrai  qu'une  passion  criminelle  porte  souvent  en  elle-même 
sa  punition.  On  ne  peut  refuser  à  Frédégonde  (c'est  de  cette 
femme  que  nous  parlons)  la  gloire  d'avoir  eu  un  courage  et 
un  esprit  au-dessus  de  son  sexe  et  de  sa  condition  ;  mais  elle 
avait  encore  plus  de  méchanceté  que  d'esprit  et  de  beauté. 
L'artifice  dont  elle  se  servit  pour  faire  répudier  Audovère, 
épouse  légitime  de  Ghilpéric,  en  est  une  preuve  ajoutée  à  bien 
d'autres. 

Cette  princesse ,  étant  accouchée  d'une  fille  pendant  que  le 
roi  faisait  la  guerre  aux  Saxons ,  différa  de  la  faire  baptiser. 
L'artificieuse  Frédégonde  ,   informée  du  prochain  retour 


II)  Greg.  Tur.;  1.  IV,  c.  xxvi. 


[567]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VU.  415 

de  Ghilpéric,  dit  à  la  reine  :  «  Gomment  le  roi  pourra-t-il 
voir  sa  fille  avec  plaisir  si  elle  n'est  pas  baptisée  ?  »  La  reine 
fit  aussitôt  préparer  le  baptistère  et  manda  un  évêque  pour 
faire  la  cérémonie  du  baptême  ;  mais  comme  il  ne  se  trouva 
pas  de  personne  d'assez  haute  naissance  pour  être  la  marraine, 
Frédégonde  conseilla  à  la  reine  d'en  tenir  lieu  :  ce  qu'elle  fit  . 
Aussitôt  Frédégonde  allaau-devant  du  roi  et  lui  dit  qu'il  n'avait 
plus  d'épouse ,  parce  que  la  reine  avait  tenu  sa  fille  sur  les 
fonts  sacrés  :  elle  faisait  ainsi  allusion  à  l'affinité  spirituelle 
que  les  parrains  et  les  marraines  contractent  avec  les  parents 
des  enfants  baptisés.  Les  charmes  de  Frédégonde  firent  réus- 
sir ses  artifices.  Ghilpéric  l'épousa,  après  avoir  obligé  la  reine 
Àudovère  à  se  consacrer  à  Dieu  dans  un  monastère  avec  sa 
fille  ;  en  même  temps  il  punit  de  l'exil  l'évêque  qui  avait  bap- 
tisé  l'enfant  (1). 

Sigebert,  roi  d'Austrasie,  avait  des  sentiments  plus  élevés. 
Il  chercha  une  alliance  digne  de  sa  naissance  et  demanda 
en  mariage  Brunechilde  ou  Brunehaut,  fille  d'Athanagilde , 
I  roi  des  Visigoths  en  Espagne.  Cependant  une  difficulté  exis- 
tait :  Brunehaut  était  engagée  dans  l'arianisme ,  et  Sigebert 
ne  voulait  pas  qu'une  reine  de  France  fût  hérétique.  L'obstacle 
fut  bientôt  levé  par  les  bonnes  dispositions  de  la  princesse, 
qui  ne  témoignait  d'aucun  attachement  à  l'hérésie  que  détes- 
tait Sigebert.  Dès  que  Brunehaut  fut  en  France,  elle  se  fît  ins- 
truire par  les  évêques,  et,  ayant  sans  peine  reconnu  l'erreur 
où  sa  naissance  et  son  éducation  l'avaient  engagée,  elle  fut 
solennellement  réconciliée  à  l'Église  par  l'onction  du  saiût 
chrême  (2).  Cette  princesse  avait  toutes  les  qualités  d'une 
grande  reine;  mais  son  ambition,  qui  lui  fit  tout  sacrifier,  et 
dont  à  la  fin  elle  fut  la  victime ,  rendit  ces  qualités  perni- 
cieuses au  repos  de  toute  la  France ,  comme  nous  le  verrons 
i  dans  la  suite. 

L'exemple  de  Sigebert  excita  l'émulation  de  Ghilpéric.  Il 


(1)  Gesta  Reg.  Franc,  c.  xxxi.  —  (2)  Greg.,  1.  IV,  c.  xxyii. 


416  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [566] 

envoya  demander  en  mariage  la  princesse  Galswinthe ,  sœur 
aînée  de  Brunehaut,  promettant  de  répudier  ses  autres 
femmes.  On  la  lui  accorda  à  cette  condition.  La  princesse  vint 
en  France  avec  un  équipage  magnifique  (1).  Elle  vit  en  passant 
par  Poitiers  Ste  Radegonde,  qui  pouvait  mieux  que  personne 
lui  donner  des  leçons,  lui  enseigner  la  manière  dont  elle  devait 
se  comporter  avec  un  prince  livré  à  la  débauche.  Il  parut 
qu'elle  en  profita  :  car,  après  avoir  été,  comme  sa  sœur,  récon- 
ciliée à  l'Église  par  le  saint  chrême ,  elle  montra  de  grands 
exemples  de  vertu  chrétienne  dans  une  cour  si  licencieuse  {%). 
Sa  patience  ne  fut  pas  cependant  à  l'épreuve  des  insultes  que 
lui  faisait  Frédégonde,  toujours  maîtresse  du  cœur  du  roi.  Ces 
sortes  de  croix  sont  bien  pesantes  pour  une  reine ,  et  la  piété 
n'empêche  pas  d'en  sentir  le  poids. 

Galswinthe,  ne  pouvant  plus  souffrir  une  rivale  si  impérieuse, 
demanda  la  permission  de  se  retirer  en  Espagne,  et  offrit 
même  pour  l'obtenir  de  laisser  les  trésors  qu'elle  avait  appor- 
tés en  France  pour  sa  dot.  Chilpéric,  après  avoir  cherché  à 
l'apaiser  par  des  paroles  trompeuses,  se  porta  contre  elle  au 
plus  noir  attentat  en  la  faisant  étrangler  dans  son  lit  (3\ 
Nouvelle  preuve  que  la  volupté  est  la  plus  cruelle  et  la 
plus  injuste  des  passions.  Toute  la  France  pleura  la  funeste 
mort  d'une  si  bonne  princesse.  Chilpéric  fit  semblant  de  la 
pleurer  lui-même  pour  cacher  son  crime,  sans  cependant 
pouvoir  en  imposer  à  personne.  Le  bruit  de  quelques  mira- 
cles opérés  au  tombeau  de  cette  pieuse  reine  augmenta  les 
regrets  du  peuple  et  son  indignation  contre  Frédégonde,  que 
Chilpéric  avait  reprise  (4).  Mais  une  femme  artificieuse  est 
capable  de  jouer  tous  les  rôles.  Frédégonde  ,  pour  calmer  la 
haine  publique,  dont  elle  se  voyait  chargée ,  prit  alors  un 
masque  de  piété  et  montra  des  semblants  de  vertu  qui  lui 

(1)  Fortunat,  qui  était  à  Poitiers  lorsque  Galswinthe  y  passa,  dit  qu'elle  était 
portée  sur  un  char  d'argent  fait  en  forme  de  tour.  V.  Fort.,  1.  VT,  earm.  7. 

(2)  Greg.,  c.  xxvm. —  Fort.,  1.  VI,  carra.  G. —  (3)  Greg.  Turv  1.  IV,  c.  xxvm. 
(4)  Fort.,  1.  VI,  carra.  7. 


[569]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  417 

attirèrent  bientôt  de  grands  éloges  de  la  part  même  de  Fortu- 
nat(l).  C'était  le  poëte  le  plus  célèbre  de  son  siècle,  et  qui 
avait  su  allier  à  la  réputation  de  bel  esprit  celle  d'un  saint 
homme.  Les  gens  de  bien  sont  souvent  les  plus  faciles  à  trom- 
per par  les  apparences  de  la  vertu ,  et  d'un  autre  côté  les 
louanges  coûtent  peu  aux  poètes,  bien  que  souvent  ils  les  ven- 
draient volontiers  fort  cher. 

Fortunat  était  depuis  quelques  années  à  Poitiers  auprès  de 
Ste  Radegonde,  dont  il  gérait  les  affaires.  Il  était  né  en  Italie 
près  de  Trévise  et  il  avait  fait  ses  études  à  Ravenne.  Les  mal- 
heurs de  sa  patrie  et  sa  reconnaissance  envers  S.  Martin  lui 
firent  quitter  l'Italie  pour  passer  dans  les  Gaules.  Il  raconte 
lui-même  qu'étant  à  Ravenne  attaqué  d'un  mal  d'yeux  qui  le 
mettait  en  danger  de  perdre  la  vue,  il  alla  faire  sa  prière  dans 
l'église  dédiée  aux  saints  martyrs  Jean  et  Paul ,  devant  une 
image  de  S.  Martin  peinte  sur  la  muraille ,  devant  laquelle 
brûlait  une  lampe  ,  et  que  s'étant  frotté  les  yeux  avec  l'huile 
de  cette  lampe,  il  fut  entièrement  guéri.  A  son  arrivée  dans 
les  Gaules,  Sigebert,  qui  aimait  les  gens  de  lettres,  le  reçut 
avec  bonté  ;  mais  Fortunat  cherchait  pour  sa  vertu  un  asile 
plus  sûr  que  la  cour.  Après  avoir  satisfait  sa  dévotion  à  Tours, 
il  se  retira  à  Poitiers  auprès  de  Ste  Radegonde,  qui  l'employa 
aux  affaires  dont  le  rang  qu'elle  avait  tenu  dans  le  monde 
l'obligeait  encore  de  s'occuper.  Son  mérite  engagea l'évêque  de 
Poitiers  à  l'attacher  à  son  Église  en  l'ordonnant  prêtre  (2). 

Fortunat,  non  content  d'imiter  les  actions  des  saints ,  s'ap- 
pliqua aussi  à  en  tracer  le  récit  :  cette  sorte  d'ouvrages  est  une 
source  d'édification  et  pour  l'auteur  et  pour  les  lecteurs.  Ce 
fut  dans  ce  dessein  qu'il  composa  la  Yie  de  plusieurs  des  plus 
célèbres  saints  de  l'Église  gallicane  (3).  A  ses  heures  de  loisir 

(1)  Fort.,  1.  IX,  carm.  1.  —  (2)  Fort.,  de  Vita  Mart.,  1.  IV,  sub  finem. 

(3)  Fortunat  a  composé  les  Vies  de  S.  Hilaire  de  Poitiers,  de  S.  Martin  de  Tours, 
de  S.  Aubin  d'Angers,  de  S.  Paterne  d'Avrancbes,  de  S.  Germain  de  Paris  et  de 
Ste  Radegonde.  On  lui  attribue  encore  celles  de  S.  Marcel  de  Paris,  de  S.  Remi 
de  Reims,  de  S.  Médard  de  Soissons  et  de  quelques  autres. 

TOME  II.  27 


418  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [569] 

il  cultivait  le  talent  qu'il  avait  pour  la  poésie  latine  :  talent,  il 
est  vrai,  qui  ne  saurait  l'élever  à  la  hauteur  des  poètes  de  la 
bonne  époque ,  mais  talent  rare  dans  un  siècle  où  la  barbarie 
des  nations  dominantes  avait  envahi  même  la  république 
des  lettres.  Il  choisissait  presque  toujours  des  sujets  con- 
formes à  sa  piété  et  à  celle  de  Radegonde ,  pour  laquelle  il 
écrivait  souvent.  Il  fut  élevé  sur  le  siège  de  Poitiers  après  la 
mort  de  Platon ,  successeur  de  Mérovée ,  et  il  est  invoqué 
comme  saint  dans  d'anciennes  litanies.  Il  nous  reste  de  lui  un 
poème  divisé  en  quatre  livres  sur  la  vie  de  S.  Martinet  un 
recueil  de  ses  poésies  divisé  en  onze  livres,  où  l'on  trouve  à  la 
fois  de  la  piété  et  de  l'esprit  mêlé  d'un  peu  de  cette  affectation 
particulière  aux  écrivains  de  cette  époque.  Il  a  cependant  plu- 
sieurs vers  fort  heureux ,  et  dans  les  caractères  qu'il  trace 
il  sait  dire  beaucoup  de  choses  en  peu  de  mots.  Nous  avons 
aussi  de  lui  une  explication  du  Pater  et  du  Credo,  et  quelques 
lettres  en  prose  beaucoup  plus  obscures  que  ses  vers.  Fortu- 
nat  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Hilaire ,  près  des  murs  de 
la  ville  de  Poitiers,  et  Paul  Warnefride,  étant  venu  longtemps 
après  prier  sur  son  tombeau ,  composa  son  épitaphe  en  vers 
pour  lui  rendre  un  devoir  qu'il  avait  rendu  à  tant  d'autres. 
Plusieurs  ne  le  méritaient  pas  assurément  autant  que  lui  (1). 

Ste  Radegonde  n'avait  pour  mieux  goûter  les  douceurs  de 
son  état  qu'à  jeter  les  yeux  sur  ce  qui  se  passait  alors  à  la  cour 
parmi  tant  de  reines  rivales.  Aurait-elle  pu  apprendre  les 
tristes  scènes  qu'y  donnaient  la  jalousie  et  l'ambition  sans 
sentir  redoubler  son  attrait  pour  la  solitude?  C'était  un  port 
d'où  elle  voyait  les  tempêtes  et  les  naufrages  des  autres  avec 
compassion,  à  la  vérité,  mais  avec  une  joie  secrète  d'en  être 
délivrée.  Dans  ces  sentiments,  elle  ne  négligeait  aucune  des 
pratiques  de  piété  propres  à  témoigner  son  amour  et  sa  recon- 
naissance au  céleste  Époux  qu'elle  avait  choisi.  Elle  avait 
surtout  une  dévotion  particulière  pour  les  reliques  des  saints  : 


(1)  Paulus,  de  G^tis  Longob.,  1.  II,  c.  xiii. 


[570]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  VU.  419 

c'étaient  ses  plus  précieux  trésors.  Elle  envoya  le  prêtre 
Recule  jusqu'à  Jérusalem  pour  demander  au  patriarche  des 
reliques  de  S.  Mammès,  et  elle  obtint  un  doigt  de  ce  saint 
martyr,  qu'elle  reçut  avec  grande  solennité.  L'amour  qu'elle 
avait  pour  la  croix  du  Sauveur  lui  fit  souhaiter  avec  ardeur 
d'avoir  quelque  parcelle  de  cet  instrument  de  notre  salut  (1). 
Elle  prit  la  résolution  d'envoyer  pour  l'obtenir  des  députés  à 
l'empereur  Justin,  successeur  de  Justinien.  Mais  elle  ne  crut 
point  devoir  faire  cette  démarche  sans  l'agrément  de  Sigebert, 
qui  avait  eu  la  Touraine  et  le  Poitou  dans  son  partage  après  la 
mort  de  Garibert.  Elle  lui  écrivit  donc  pour  avoir  la  permis- 
sion d'envoyer  demander  à  l'empereur  une  si  précieuse  re- 
lique, qui  serait  le  soutien  de  son  royaume  et  la  consolation 
de  ses  peuples.  Sigebert  y  consentit  avec  plaisir.  Radegonde 
députa  des  clercs  à  Constantinople.  Sa  pauvreté  l'empêcha  de 
leur  donner  des  présents  pour  l'empereur  ;  mais  la  pieuse 
princesse  ne  cessa  de  recommander  à  Dieu 'cette  affaire  dans 
ses  prières.  Elles  furent  exaucées  :  l'empereur  lui  envoya  un 
morceau  de  la  vraie  croix  orné  de  pierreries,  et  plusieurs 
reliques  des  saints  les  plus  illustres  de  l'Orient  (2). 

Ste  Radegonde  pria  l'évêque  Mérovée,  qui  avait  succédé  à 
Pascentius  (3)  sur  le  siège  de  Poitiers,  de  recevoir  dans  la  ville 
la  croix  et  les  autres  reliques  avec  un  appareil  convenable  et 
de  les  placer  dans  son  monastère.  Mais  cet  évêque,  qui  paraît 
avoir  été  un  peu  prévenu  contre  Ste  Radegonde  et  contre  sa 
communauté,  au  lieu  d'écouter  favorablement  une  si  juste 
demande ,  monta  à  cheval  sur  l'heure  et  se  retira  à  sa  maison 
de  campagne.  La  sainte  princesse  s'en  plaignit  à  Sigebert  et 
le  pria  de  charger  quelque  autre  prélat  de  recevoir  les  reli- 
ques avec  son  clergé,  pour  les  déposer  dans  son  monastère; 
et,  en  attendant,  elle  les  envoya  à  Tours  dans  un  monastère 

(1)  Baudon.  Vita  S.  Radeg.,  1.  II,  c.  XI. 

(2)  Vita  Radeg.,  c.  xxxv. 

(3)  Fleury,  t.  VII, p.  564,  dit  que  Mérovée  était  le  successeur  de  Pientius;  mais 
nous  avons  vu  que  ce  fut  Pascentius  qui  succéda  à  Pientius. 


420  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [57 Oj 

qu'elle  y  avait  fondé  pour  les  hommes,  et  qu'on  ne  nomme 
point.  Mais  elles  n'y  furent  pas  reçues  avec  plus  d'honneur, 
apparemment  parce  qu'on  craignait  de  blesser  l'évêque 
Mérovée. 

Le  roi  Sigebert  dépêcha  un  seigneur  nommé  Justin  à  S.  Eu- 
phrone,  évêque  de  Tours,  pour  lui  ordonner  de  faire  la  céré- 
monie. Euphrone  obéit  avec  joie.  Il  se  rendit  à  Poitiers  avec 
son  clergé  et  fit  porter  en  triomphe,  au  chant  des  psaumes  et 
avec  un  grand  nombre  de  cierges  allumés,  la  croix  et  les 
autres  reliques  jusqu'au  monastère  de  Ste  Radegonde,  qui  fut 
depuis  nommé  le  monastère  de  Sainte-Croix.  Ce  fut  pour  cette 
cérémonie  que  Fortunat  composa  la  belle  hymne  Vexilla 
Régis,  etc.,  que  l'Église  chante  encore  en  l'honneur  de  la 
croix  (1).  Il  y  cite  comme  de  David  ces  paroles  : 

Dicite  in  nationibus  : 
Regnavit  a  ligno  Deus. 

Ce  qui  fait  juger  que  les  mots  a  ligno,  que  nous  ne  lisons 
plus  dans  la  Yulgate  du  psaume  xcv,  où  l'on  lit  seulement  : 
Dicite  in  gentibus,  quia  Dominus  regnavit,  se  trouvaient  alors 
dans  le  psautier  à  l'usage  des  Églises  de  France  (2). 

Fortunat  écrivit  aussi  une  lettre  en  vers  à  l'empereur  Justin 
et  à  l'impératrice  Sophie,  pour  les  remercier  du  précieux  pré- 

(1)  On  a  retranché  de  cette  hymne  quelques  strophes  de  Fortunat,  et  l'on  a 
substitué  la  strophe,  0  crux,  ave,  etc.,  à  la  place  de  celle-ci,  qui  méritait  peut-être 
autant  d'être  conservée  : 

Salve  ara,  salve  victima, 
De  passionis  gloria, 
Qua  vita  mortem  pertulit, 
Et  mortem  vitam  protulit. 

On  a  aussi  attribué  à  Fortunat  l'hymne  de  laPassion,  Pange,  lingua,  gloriosi  lau— 
rcam  certaminis.  Mais  elle  a  pour  auteur  Claudien  Mamert. 

(2)  S.  Justin,  dans  son  Dialogue  avec  Tryphon,  reproche  aux  Juifs  d'avoir  falsifié 
cet  endroit  du  psaume  xcv,  et  d'en  avoir  effacé  ces  mots  a  ligno,  en  haine  du  chris- 
tianisme. En  effet,  Tertullien,  S.  Léon,  S.  Grégoire  le  Grand  et  plusieurs  autres 
ont  lu  :  a  ligno.  Cependant  comme  ces  deux  mots  ne  se  trouvent  plus  ni  dans  l'hé- 
breu, ni  dans  les  Septante,  ni  dans  notre  Vulgate,  nous  n'osons  assurer  qu'ils  soient 
véritablement  du  texte  de  l'Écriture. 


[572j  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  421 

sent  qu'ils  avaient  fait  à  Ste  Radegonde.  Il  dit  à  Justin  qu'il 
mérite  de  commander  à  l'empire  romain,  puisqu'il  est  uni 
par  la  croyance  avec  la  chaire  de  S.  Pierre  (1).  Justin,  en  se 
déclarant  pour  la  foi  du  concile  de  Chalcédoine,  venait  d'étouffer 
les  semences  du  schisme  qui  se  formait  entre  les  Églises 
d'Orient  et  celle  de  Rome. 

Ste  Radegonde,  s'étant  efforcée  en  vain  de  recouvrer  les 
bonnes  grâces  de  Mérovée,  son  évêque,  mit  son  monastère 
sous  la  protection  du  roi  Sigebert,  et  fît  avec  l'abbesse  Agnès 
le  voyage  d'Arles  pour  y  étudier  de  près  les  observances  de 
la  règle  de  S.  Gésaire,  qu'elle  avait  établie  dans  sa  commu- 
nauté (2).  Le  monastère  de  Saint-Césaire  était  probablement 
alors  gouverné  par  l'abbesse  Liliola,  qui  en  soutint  la  réputation 
par  sa  vigilance  et  par  sa  piété.  Les  exemples  de  vertu  que 
Radegonde  y  admira,  donnèrent  une  nouvelle  vivacité  à  sa 
ferveur  ;  mais  il  serait  difficile  de  décider  si  elle  fut  plus  édi- 
fiée par  ces  saintes  filles  qu'elle  ne  les  édifia  elle-même.  A 
son  retour  à  Poitiers,  elle  s'appliqua  à  faire  observer  dans 
son  monastère  toutes  les  pratiques  qui  étaient  en  usage  dans 
celui  de  Saint-Césaire,  et  comme  elle  et  l'abbesse  Agnès  s'y 
conformèrent  les  premières,  elles  n'eurent  pas  de  peine  à  y  ga- 
gner les  autres  (3)  :  en  effet,  dans  les  communautés  religieuses 
l'exemple  des  supérieurs  est  toujours  la  leçon  la  plus  persua- 
sive. Cette  sainte  princesse,  qui  depuis  longtemps  avait  oublié 
le  monde,  ne  songeait  qu'à  s'en  faire  oublier  de  plus  en  plus, 
lorsque  la  charité  l'obligea  à  interrompre  le  silence  de  sa  re- 
traite pour  tâcher  d'inspirer  des  pensées  de  paix  aux  rois 
francs. 

L'ambition  et  la  jalousie  des  fils  de  Clotaire,  ou  plutôt  la 
haine  que  deux  femmes  impérieuses,  Brunehaut  et  Frédé- 
gonde,  avaient  conçue  l'une  contre  l'autre,  et  qu'elles  sa- 
vaient inspirer  à  leurs  maris,  remplissait  toute  la  Gaule  de 
troubles  et  de  carnage.  Radegonde  fut  touchée  de  ce  triste 

(1)  Fort.,  lib.  Singulari. 

(2)  Greg.,  1.  IX,  c.  XL.  —  (3)  Fort.,  1.  VIII,  carm.  4. 


422  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [573] 

spectacle,  qu'elle  avait  devant  les  yeux  :  car  la  Touraine  et  le 
Poitou  étaient  presque  toujours  le  premier  théâtre  de  ces 
scènes  sanglantes.  Elle  écrivit  aux  rois  et  aux  seigneurs  de 
leurs  cours  des  lettres  fort  pressantes  pour  les  porter  à  la 
paix.  Mais,  n'attendant  cette  paix  que  de  Dieu,  elle  indiqua  des 
prières  à  ce  sujet  dans  sa  communauté  et  redoubla  les  macé- 
rations dont  elle  affligeait  son  corps.  Ses  vœux  furent  exaucés, 
et  ses  larmes  éteignirent  pour  un  temps  le  feu  de  la  guerre 
allumée  entre  Chilpéric  et  Sigebert;  mais  on  ne  goûta  pas 
longtemps  les  fruits  de  cette  paix.  L'intérêt  avait  facilement  fait 
conclure  à  ces  princes  des  traités  qu'ils  ne  voulaient  pas  gar- 
der, et  l'ambition  et  la  haine  les  leur  faisaient  rompre  encore 
plus  aisément.  Un  différend  survenu  entre  des  évêques  de 
leurs  royaumes  réveilla  toute  leur  animosité. 

Gilles,  évêque  de  Reims,  successeur  de  Mappinius,  a  va  il 
ordonné  le  prêtre  Promotus  évêque  de  Ghâteaudun,  ville  du 
royaume  de  Sigebert,  au  préjudice  de  l'Église  de  Chartres, 
qui  faisait  partie  du  royaume  de  Chilpéric,  et  dans  le  dio- 
cèse de  laquelle  Chàteaudun  est  situé.  Pappole,  évêque  de 
Chartres,  se  plaignit  d'une  ordination  si  irrégulière,  et  comme 
Chilpéric  et  Sigebert  voulaient  soutenir  les  évêques  leurs  su- 
jets, Gontran,  qui  ne  prenait  part  à  toutes  ces  guerres  civiles 
que  pour  les  faire  cesser,  voulut  être  le  médiateur  de  ce  dif- 
férend. Mais,  parce  qu'il  s'agissait  d'unpoint  de  discipline  ecclé- 
siastique, il  n'entreprit  pas  de  le  juger  et  en  laissa  la  décision 
aux  évêques.  Il  fit  donc  assembler,  du  consentement  de  Chil- 
péric et  de  Sigebert,  un  concile  à  Paris,  ville  qui,  comme  nous 
l'avons  dit,  n'appartenait  à  aucun  des  rois  francs  en  parti- 
culier, mais  à  tous  les  trois  en  commun.  La  contestation  sur 
l'évêché  de  Chàteaudun  n'était  pas  l'unique  sujet  du  concile  : 
on  y  devait  aussi  chercher  les  moyens  de  concilier  les  autres 
différends  qui  armaient  si  souvent  les  deux  frères  Chilpéric 
et  Sigebert  l'un  contre  l'autre.  Il  aurait  fallu,  chose  im- 
possible, commencer  par  réconcilier  les  deux  reines  leurs 
épouses. 


[573]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VU.  423 

Le  concile  se  tint  au  mois  de  novembre  573  (1)  dans  la 
basilique  de  Saint-Pierre,  qu'on  nomma  depuis  l'église  de 
Sainte-Geneviève.  Pappole,  évêque  de  Chartres,  commença  par 
y  présenter  la  requête  suivante  :  «  Les  canons  nous  avertissent 
de  porter  aux  tribunauxdes  conciles  les  différends  qui  s'élèvenl 
dans  l'Église.  C'est  pourquoi,  très-pieux  évèques,  j'ai  cru  de- 
voir vous  déférer,  par  ce  présent  mémoire,  ce  qui  a  été  fait  à 
notre  préjudice.  Quoique  j'aie  été  élu  évêque  de  Chartres  par 
les  suffrages  du  clergé  et  des  citoyens,  et  du  consentement 
de  mon  métropolitain,  un  prêtre  de  mon  diocèse,  nommé 
Promotus  ,  qui  avait  quitté  sa  cellule  sans  lettres  de  mon 
prédécesseur,  a  usurpé  une  de  mes  églises  appelée  Dun, 
en  vertu  d'un  prétendu  titre  d'évêché.  Il  a  même  osé,  je  ne 
sais  par  quelle  autorité,  envahir  les  modestes  biens  de  mon 
Église  qui  sont  situés  dans  le  Dunois.  Je  supplie  Votre  Sain- 
teté et  je  la  conjure  par  le  Saint-Esprit  qui  habite  en  vous, 
messeigneurs,  et  par  le  jugement  dernier  et  la  rémission  des 
péchés,  de  corriger  ce  désordre  et  de  ne  pas  souffrir  qu'on 
me  fasse  ce  que  vous  ne  voudriez  pas  qu'on  vous  fit  à  vous- 
mêmes.  Ce  sera  le  moyen  de  prévenir  pour  la  suite  de  pareils 
désordres  et  de  rétablir  la  paix  dans  l'Église.  » 

Après  que  la  lecture  de  cette  requête  eut  été  faite  au  concile, 
Germain  de  Paris  fut  chargé,  à  la  réquisition  de  Constitut  de 
Sens,  métropolitain  de  Chartres,  de  sommer  Promotus  de  ve- 
nir au  concile  pour  y  rendre  compte  de  sa  conduite.  Promotus 
chercha,  comme  font  tous  les  coupables,  à  décliner  un  tribu- 
nal que  sa  conscience  lui  faisait  craindre,  et  il  déclara  qu'il  ne 
comparaîtrait  point.  Germain  et  Constitut  en  ayant  fait  leur 
rapport  au  concile,  on  ne  laissa  pas  de  passer  outre  et  de  pro- 
céder au  jugement.  Les  Pères  du  concile  rendirent  un  décret, 
qu'ils  adressèrent  à  Gilles  de  Reims;  dans  ce  décret,  après 
s'être  plaints  de  l'atteinte  qu'il  avait  donnée  aux  saints  canons, 
en  ordonnant  contre  toutes  les  règles  un  évêque  dans  un  dio- 

(1)  Conc.  Gall.,  t.  I,  p.  350.  —  Labb.,  t.  V,  p.  918. 


424  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [573j 

cèse  qui  n'était  pas  le  sien  et  ne  dépendait  même  pas  de  sa 
province,  ils  déclarent  que  celui  qui  a  été  ainsi  ordonné  mé- 
rite d'être  déposé,  et  que  celui  qui  l'a  ordonné  doit  être  puni. 

«  Cependant,  ajoutent-ils,  voulant  conserver  la  charité..., 
nous  vous  enjoignons  d'appeler  et  de  retenir  auprès  de  vous 
le  prêtre  Promotus,  afin  qu'il  ne  puisse  plus  faire  outrage  à 
l'Église  et  à  son  évêque ,  et  parce  qu'il  a  refusé  de  venir  au 
concile,  comme  il  en  avait  été  sommé  par  notre  frère  Germain, 
selon  la  réquisition  de  son  métropolitain  Constitut...,  que 
Yotre  Sainteté  sache  que  tout  le  concile  a  ordonné  que  si  ce 
prêtre,  soutenu  par  quelque  puissance  ou  par  la  seule  contu- 
mace, sous  le  prétexte  d'une  dignité  qu'il  n'a  obtenue  que  par 
subreption,  a  l'audace  de  demeurer  davantage  dans  l'Église  de 
Châteaudun,  d'en  retenir  les  biens,  de  bénir  des  autels,  de 
confirmer  des  enfants,  de  faire  des  ordinations  dans  quelque 
paroisse  que  ce  soit  ou  de  résister  à  son  évêque,  il  sera  frappé 
d'un  anathème  éternel  et  séparé  de  la  communion  des  évê- 
ques....  De  plus,  nous  avons  ordonné  que  quiconque,  après  la 
publication  de  ce  décret,  demandera  ou  recevra  la  bénédiction 
de  ce  prêtre,  soit  excommunié  (1).  » 

Ce  décret  fut  souscrit  par  trente-deux  évêques  et  par  un  dé- 
puté de  Ricomer  d'Orléans,  le  11  septembre  ,  indiction  VI  (2) 
et  la  douzième  année  du  règne  des  rois  francs,  c'est-à-dire 
l'an  573.  Les  métropolitains  S.  Philippe  de  Vienne,  Sapau- 
dus  d'Arles,  S.  Prisque  de  Lyon ,  Constitut  de  Sens,  Laban 
d'Eauze  et  S.  Félix  de  Bourges  souscrivirent  les  premiers. 
Les  plus  connus  des  autres  évêques  sont  :  S.  Germain  de 
Paris  ,  Lucrèce  de  Die  ,  S.  Syagrius  d'Autun,  S.  Félix  de 
Nantes,  S.  Aunachaire  ou  Aunaire  d'Auxerre,  S.  Quinidius 
ou  Quiniz  de  Yaison  et  S.  Pallade  (3)  de  Saintes.  On  vit  aussi, 

(1)  Conc.  GalL,  p.  351.  —  Labb.,  t.  V,  p.  919. 

(2)  Pour  accorder  la  date  de  l'indiction  VI  avec  le  11  septembre  et  la  dou- 
zième année  des  rois  francs,  il  faut  reconnaître  que  l'indiction  ne  commençait 
alors  en  France  qu'au  24  septembre.  On  la  commença  ensuite  le  1er  septembre,  et 
enfin  le  1er  janvier. 

(3)  On  donne  communément  la  qualité  de  saint  à  ce  Pallade,  et  il  y  a  en  effet 


[573]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  Ml.  425 

parmi  tant  de  saints  évoques,  Salonius  d'Embrun  et  Sagittaire 
de  Gap,  qui  avaient  été  alors  rétablis  sur  leurs  sièges,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut.  La  plupart  de  ces  évêques  appar- 
tenaient au  royaume  de  Gontran. 

Les  Pères  de  ce  concile  jugèrent  bien  que  leur  décret  ne 
serait  pas  exécuté  si  le  roi  Sigebert  continuait  à  protéger 
Promotus.  Ils  écrivirent  donc  à  ce  prince  (1)  pour  le  conjurer 
de  ne  point  s'obstiner  à  soutenir  contre  les  canons  une  si 
mauvaise  cause.  La  lettre  est  datée  du  même  jour  que  le  dé- 
cret ;  mais  le  même  rang  n'est  pas  observé  dans  les  souscrip- 
tions (2)  :  ce  qui  indique  qu'on  n'était  pas  alors  si  délicat  sui- 
tes préséances.  Sigebert  ne  déféra  ni  au  jugement  ni  aux  re- 
montrances des  évêques,  et  maintint  Promotus  dans  le  pré- 
tendu siège  de  Châteaudun.  Le  concile  ne  réussit  pas  mieux 
à  terminer  les  autres  différends  entre  Chilpéric  et  Sigebert. 

Pappole  de  Chartres,  qui  était  partie  dans  cette  cause  pour 
soutenir  les  droits  de  son  Église,  ne  souscrivit  pas  aux  actes 
du  concile,  auquel  il  n'avait  pas  assisté  en  qualité  de  juge.  On 
place  deux  évêques  sur  ce  siège  entre  lui  et  S.  Chaletric  :  car 
l'épiscopat  de  ce  dernier  ne  fut  pas  long,  puisqu'il  mourut  à 
l'âge  de  trente-huit  ans.  Fortunat,  qui  a  composé  l'épitaphe  de 
cet  évêque,  loue  sa  piété,  sa  libéralité  envers  les  pauvres,  la 
douceur  de  son  éloquence,  son  zèle  pour  corriger  les  pécheur.-, 
son  habileté  à  jouer  des  instruments,  la  beauté  de  sa  voix  et 
celle  de  son  visage  (3)  :  car  il  n'y  a  pas  jusqu'aux  talents  et 
aux  dons  naturels  qui  ne  deviennent  matière  à  l'éloge  des 
saints  par  le  pieux  usage  qu'ils  en  ont  fait. 

On  croit  que  ce  fut  l'évêque  Pappole  qui  fonda,  près  de 

un  saint  évêque  de  ce  jiom  honoré  à  Saintes.  Cependant  quelques-uns  croient  que 
ce  n'est  pas  celui  dont  il  s'agit  ici ,  mais  un  autre  plus  ancien  et  qui  n'est  pus 
marqué  dans  les  catalogues.  Quelques  fautes  qu'on  a  reprochées  au  Pallade  qui 
était  à  ce  concile  ont  apparemment  fait  naître  cette  opinion  ;  mais  nous  avons  vu 
plus  d'une  fois  dans  cette  histoire  que  les  saints  n'ont  pas  été  impeccables. 

(1)  Labb.,  t.  V,  p.  921. 

(2)  La  plupart  de  ces  évêques  expriment  dans  leurs  souscriptions  leur  respect 
pour  le  roi  Sigebert  par  ces  paroles  :  humilis  rester. 

(3)  Fort.,  1.  IV.  carm.  7. 


426  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [573J 

Chartres,  l'église  et  le  monastère  de  Saint-Chéron,  possédés 
depuis  par  des  chanoines  réguliers.  Il  y  avait  dès  lors  auprès 
de  cette  ville  deux  autres  célèbres  monastères  :  celui  de  Saint- 
Pierre  dans  la  ville,  et  celui  de  Saint-Martin  hors  des  murs. 
Mais  on  ne  sait  rien  de  certain  sur  les  commencements  de  ces 
abbayes,  sinon  qu'elles  étaient  fort  anciennes. 

Cette  même  année  573,  la  douzième  du  règne  de  Sigebert, 
s'éleva  au  sein  de  l'épiscopat  une  nouvelle  lumière  qui  de- 
vait  jeter  un  vif  éclat  sur  l'Eglise  gallicane  :  nous  voulons  par- 
ler de  S.  Grégoire  de  Tours.  Il  se  nommait  Georges  Florent 
Grégoire  et  était  issu  d'une  des  plus  saintes  et  des  plus  an- 
ciennes familles  de  l'Auvergne.  Le  sang  du  célèbre  martyr 
S.  Épagathe  coulait  dans  ses  veines.  Son  père  Florent  était 
frère  de  S.  Gai,  évêque  d'Auvergne,  et  sa  mère  Armentaire 
était  nièce  de  S.  Nicet  de  Lyon  et  petite-fille  de  S.  Grégoire 
de  Langres.  La  plupart  de  ses  prédécesseurs  sur  le  siège  de 
Tours  étaient  ses  parents  ou  ses  alliés.  Dès  sa  plus  tendre  jeu- 
nesse il  se  montra  digne  d'une  famille  encore  plus  illustre  par 
sa  piété  que  par  sa  noblesse.  S.  Nicet  et  S.  Gai  répandirent 
dans  son  âme  les  premières  semences  de  la  vertu;  S.  Avite, 
évêque  d'Auvergne,  les  cultiva  et  lui  donna  le  goût  des  saintes 
lettres.  Pour  l'étude  de  la  grammaire  et  la  lecture  des  auteurs 
profanes,  Grégoire  les  méprisa.  Il  le  dit  lui-même,  et  nous 
devons  reconnaître  que  son  style  en  fournit  la  preuve. 

Ayant  été  miraculeusement  guéri  dans  sa  jeunesse  au  tom- 
beau de  S.  Allyre,  il  fit  vœu  d'embrasser  l'état  ecclésiastique, 
et  fut  promu  au  diaconat  dès  que  son  âge  le  permit.  Tombé 
de  nouveau  dangereusement  malade  la  seconde  année  du 
règne  de  Sigebert,  il  invoqua  S.  Martin,  pour  qui  il  avait  une 
dévotion  particulière,  et  il  sentit  à  l'instant  son  mal  diminuer. 
Aussitôt,  tout  faible  qu'il  était  encore,  il  se  mit  en  chemin, 
malgré  les  remontrances  de  ses  amis,  pour  aller  visiter  le 
tombeau  de  son  libérateur  et  il  y  recouvra  une  parfaite  santé, 
aussi  bien  qu'un  clerc  qui  l'accompagnait.  En  s'en  retournant, 
il  emporta  trois  cierges  qui  avaient  brûlé  sur  le  tombeau  du 


[573]  EN  FRANCE.    LIVRE  VII.  427 

saint  et  s'en  servit  pour  opérer  plusieurs  miracles  (1)  :  ce  qui 
montre  l'antiquité  et  l'efficacité  de  certaines  pratiques  que  de 
prétendus  esprits  forts  traitent  quelquefois  de  dévotions  po- 
pulaires et  superstitieuses. 

S.  Euphrone,  évèque  de  Tours,  honoré  le  4  août,  étant  mort 
l'an  573,  âgé  de  soixante-dix  ans,  après  dix-sept  ans  d'épisco- 
pat,  le  peuple,  la  noblesse  et  le  clergé  de  Tours,  qui  connais- 
saient les  vertus  et  les  talents  de  Grégoire,  l'élurent  évêque 
d'un  commun  consentement  et  envoyèrent  le  décret  d'élection 
à  Sigebert,  qui  témoigna  toute  sa  satisfaction  d'un  tel  choix. 
Grégoire  seul  en  fut  affligé.  Il  ne  pouvait  se  résoudre  à  accep- 
ter l'épiscopat  ;  mais  comme,  heureusement  pour.  l'Église,  il 
se  trouvait  alors  à  la  cour  de  Sigebert,  ce  prince  et  la  reine 
Brunehaut  l'y  obligèrent  et  le  firent  ordonner  à  Reims  par 
l' évêque  Gilles,  le  vingtième  jour  après  la  mort  d'Euphrone  : 
en  sorte  que  le  siège  de  Tours  ne  fut  vacant  que  dix-neuf 
jours.  Grégoire  était  alors  âgé  d'environ  trente-quatre  ans. 
Le  second  mois  après  son  ordination,  peu  de  temps  après  avoir 
pris  possession  de  son  diocèse,  il  tomba  malade  d'une  dyssen- 
terie  accompagnée  d'une  fièvre  qui  le  réduisit  en  peu  de  jours 
à  l'extrémité.  x\lors  il  appela  Àrmentaire,  son  médecin,  et  lui 
dit  :  «  Vous  avez  épuisé  tous  les  secrets  de  votre  art,  et  tout 
est  inutile.  Mais  j'ai  une  excellente  thériaque,  dont  je  veux 
vous  donner  la  recette  :  si  elle  ne  me  guérit  pas,  il  n'y  a  plus 
d'espérance.  Allez  prendre  de  la  poussière  du  tombeau  de 
monseigneur  S.  Martin,  et  faites-m'en  une  potion.  »  On  le 
fit  et  on  délaya  cette  poussière  dans  un  bouillon  qu'il  prit  à 
neuf  heures  du  matin.  Il  se  sentit  quelques  moments  après  si 
parfaitement  guéri  qu'il  se  leva  à  midi  pour  prendre  son  re- 
pas à  l'ordinaire.  C'est  lui-même  qui  rapporte  ce  miracle  opéré 
en  sa  personne  (2). 

Ce  saint  évèque,  en  arrivant  à  Tours,  avait  trouvé  la  ville 
désolée  par  un  grand  incendie  arrivé  sous  son  prédécesseur  et 

(1)  Vit.  PP.,  c.  il.  —  De  Miras.  S.  Mart.,  1.  I,  c.  xxxn,  xxxm. 

(2)  Greg.,  1.  X,  c.  ult.  —  De  Mime.  S.  Mart.,  1.  II,  c.  i. 


428  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [573] 

par  les  ravages  des  guerres  civiles  dont  nous  avons  parlé.  Il 
s'appliqua  aussitôt  à  réparer  les  églises  ruinées ,  et  nommé- 
ment la  cathédrale  dédiée  sous  l'invocation  des  martyrs 
d'Agaune,  S.  Maurice  et  ses  compagnons.  Mais  il  donna  surtout 
ses  soins  à  corriger  les  abus  que  la  licence  des  armes  ne  manque 
jamais  d'introduire. 

Le  feu  de  la  guerre  civile,  soufflé  par  les  deux  reines  Fré- 
dégonde  et  Brunehaut,  se  ralluma  bientôt  avec  plus  de  vio- 
lence que  jamais.  Glovis,  fils  de  Ghilpéric,  pénétra  dans  la  Tou- 
raine  et  s'avança  jusqu'à  Bordeaux  ;  mais  il  en  fut  honteusement 
chassé.  Pour  le  venger,  Théodebert,  son  frère  aîné,  malgré  le 
serment  qu'il  avait  fait  de  ne  point  porter  les  armes  contre  Si- 
gebert,  se  jeta  sur  la  Touraine,  le  Poitou,  le  Quercy  et  le  Li- 
mousin, et  y  retraça  par  ses  cruautés  une  image  trop  fidèle  de 
la  persécution  des  premiers  tyrans.  Il  brûla  les  églises,  enleva 
les  vases  des  autels,  massacra  les  prêtres,  déshonora  les  vierges 
consacrées  à  Dieu  et  détruisit  les  monastères  (1).  Telle  est 
la  fureur  des  guerres  civiles  :  une  armée  de  barbares  idolâtres 
aurait  fait  moins  de  ravages.  Mais  tant  de  maux  demandaient 
vengeance  contre  celui  qui  en  était  l'auteur.  Elle  fut  prompte, 
et  la  justice  divine  éclata  bientôt  contre  Théodebert.  Ce  jeune 
prince,  parjure  et  sacrilège,  qui  semblait  faire  la  guerre  plus 
à  Dieu  qu'aux  hommes,  fut  tué  au  milieu  de  ses  conquêtes 
dans  un  combat  que  les  généraux  de  Sigebert  lui  livrèrent. 

Sigebert,  de  son  côté,  se  préparait  à  user  de  représailles  et  à 
mettre  tout  à  feu  et  à  sang  dans  le  royaume  de  Ghilpéric. 
Cette  nouvelle  jeta  la  consternation  dans  les  provinces  voi- 
sines de  Paris.  S.  Germain,  comme  un  bon  pasteur,  n'omit 
rien  afin  de  garantir  son  troupeau  de  ce  péril,  et,  pour  aller 
à  la  source  du  mal,  il  s'efforça  de  toucher  et  d'apaiser  la 
reine  Brunehaut,  qui  était  comme  le  flambeau  de  ces  guerres 
civiles.  Il  lui  écrivit  une  lettre  digne  de  son  zèle  et  de  sa  fer- 
meté, pour  la  conjurer  d'inspirer  des  pensées  de  paix  au  roi 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xlii,  xlv. 


[573]  EX  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  429 

son  époux.  L'inscription  de  la  lettre  est  celle-ci  :  A  la  très- 
débonnaire,  très-excellente  et  très-pieuse  dame  la  reine  Bru- 
nehaut,  fille  de  V Église  catholique,  Germain  pécheur . 

«  La  charité,  lui  dit-il  (1),  qui  se  réjouit  de  la  vérité  et  qui 
souffre  tout,  nous  fait  prendre  la  hardiesse  de  vous  exposer 
la  douleur  dont  notre  cœur  est  pénétré.  Les  premiers  fidèles 
disaient  avec  les  apôtres  :  Voici  le  temps  favorable,  voici  les 
jours  de  salut  (2);  mais  nous,  au  contraire,  à  la  vue  de  ces 
temps  malheureux,  nous  disons  les  larmes  aux  yeux  :  Voici 
les  jours  de  notre  tribulation  et  de  notre  perte  :  malheur  à 
nous,  parce  que  nous  avons  péché!  (3)  Si  l'amertume  où  nous 
a  plongé  le  triste  spectacle  de  tant  de  maux  ne  nous  avait  pas 
ôté  la  santé  du  corps,  nous  n'eussions  pas  manqué  de  nous 
présenter  devant  vous,  parce  que,  s'il  nous  est  permis  de  le 
dire,  nous  vous  portons  particulièrement  dans  notre  cœur... 
Or,  celui  qui  aime  quelqu'un  sincèrement  ne  doit  lui  rien  ca- 
cher de  ce  qui  concerne  ses  vrais  intérêts  pour  le  temps  et 
pour  l'éternité,  et  quand  il  ne  peut  les  lui  découvrir  de  vive 
voix,  il  doit  le  faire  par  écrit.  Cette  considération  m'engage  à 
ne  pas  vous  dissimuler  les  discours  du  peuple.  Si  l'on  en  croit 
les  bruits  publics,  c'est  par  votre  conseil  et  à  votre  instigation 
que  le  très-glorieux  seigneur  le  roi  Sigebert  a  résolu  de  porter 
la  désolation  et  le  ravage  dans  cette  province.  Ce  n'est  pas  que 
nous  ajoutions  foi  à  ces  bruits;  mais  nous  vous  supplions  de 
n'y  donner  aucune  occasion. 

«  Je  sais,  continue  S.  Germain,  que  nous  avons  mérité  d'être 
punis  pour  nos  péchés  ;  mais  nous  nous  flattions  que  notre 
perte  était  différée  et  comme  suspendue  dans  l'attente  de 
notre  amendement...  Je  ne  cesse  de  crier  à  tous  d'examiner 
avec  soin  leur  conscience  pour  éviter  la  condamnation. 
Dieu  le  sait,  eTfcela  me  suffit  :  j'ai  souhaité  ou  de  mourir 
pour  leur  procurer  la  vie,  ou  du  moins  d'être  enlevé  de  ce 

(1)  Conc.  liait.,  t. 1,  p.  355.—  Labb.,  t.  V,  p.  923.  -  (2)  Cor.  vï,  12.— (3)  Thren. 
v,  16. 


430  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [574] 

monde  avant  de  voir  la  désolation  de  ce  pays  ;  mais  per- 
sonne ne  m'écoute  Je  vous  écris  ceci  les  larmes  aux  yeux, 

parce  que  je  vois  comment  les  rois  et  les  peuples  courent  à 

leur  perte,  en  courant  dans  les  voies  de  l'iniquité  Le  Juge 

éternel,  qui  ne  se  laisse  point  corrompre  par  argent  et  qui 
rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres,  exerce  déjà  son  jugement. 
N'est-ce  pas  en  effet  une  victoire  bien  honteuse  que  de  vaincre 
un  frère,  que  de  ruiner  sa  propre  famille  et  de  détruire  l'héri- 
tage de  ses  pères?  »  S.  Germain  rappelle  ensuite  à  Brunehaut 
les  châtiments  dont  Dieu  a  puni  avec  éclat  dans  l'Écriture 
ceux  qui  se  sont  élevés  contre  leurs  propres  frères ,  et  il  la 
conjure  de  faire,  dans  les  circonstances  présentes,  l'office  de 
la  pieuse  Esther,  qui  sauva  son  peuple  condamné  à  périr. 

Les  larmes  et  les  remontrances  d'un  si  saint  évêque  ne 
touchèrent  point  Brunehaut  et  ne  désarmèrent  pas  Sigebert  : 
la  haine  la  plus  violente  est  celle  qui  succède  à  l'amour  fra- 
ternel. Ce  prince  n'écouta  que  sa  passion ,  et  pour  la  satis- 
faire il  fît  de  cruels  ravages  aux  environs  de  Paris  sur  les 
terres  de  son  frère.  Ghilpéric,  qui  craignait  les  chances  d'une 
bataille,  conclut  la  paix  et  la  rompit  presque  aussitôt.  Mais, 
voyant  que  Gontran  s'était  déclaré  pour  Sigebert,  il  alla  s'en- 
fermer dans  Tournay,  abandonnant  le  reste  de  ses  États  au 
ressentiment  du  vainqueur  (1).  Sigebert,  qui  s'était  rendu  à 
Paris,  envoya  des  troupes  assiéger  Ghilpéric  et  se  prépara  à 
les  suivre.  S.  Germain  lui  dit  alors  :  «  Prince,  si  vous  faites 
cette  expédition  sans  avoir  le  dessein  d'attenter  à  la  vie  de 
votre  frère,  vous  en  reviendrez  victorieux;  mais  si  vous  vou- 
lez le  faire  mourir,  vous  mourrez  vous-même  ;  car  le  Seigneur 
l'a  dit  par  Salomon  :  Yous  tomberez  dans  le  précipice  que 
vous  aurez  creusé  pour  votre  frère.  » 

Le  moment  de  la  victoire  est  rarement  celui  de  la  modéra- 
tion. Sigebert  méprisa  encore  ces  sages  avis,  et  courut  à  sa  perte 
en  pensant  précipiter  celle  de  son  frère,  qui  paraissait  inévi- 

(1)  Greg.,  1.  IV,  c.  xlvi. 


|575j  EN  FRANCE.           LIVRE  VII.  43 J 

table.  En  effet,  Chilpêrie,  abandonné  de  ses  sujets  et  assiégé 
dans  Tournay,  était  sans  espérance  et  sans  ressources  ;  mais 
Frédégonde  en  trouva  dans  sa  méchanceté.  Elle  suborna  deux 
scélérats,  tels  qu'elle  en  avait  toujours  auprès  d'elle,  et  les 
arma  de  poignards  empoisonnés,  dont  ils  frappèrent  Sigebert 
à  Vitry,  entre  Douai  et  Arras  (1).  Ainsi  périt  malheureusement, 
au  comble  de  la  prospérité,  dans  la  quarantième  année  de  son 
âge  et  la  quatorzième  de  son  règne,  un  prince  qui  par  sa  va- 
leur, parla  noblesse  de  ses  sentiments  et  par  ses  autres  belles 
qualités  était  digne  d'un  meilleur  sort.  Son  sang  parut 
avoir  éteint  la  haine  de  Ghilpéric,  qui  lui  fit  rendre  les  hon- 
neurs funèbres  dus  à  sa  naissance.  Il  est  aisé  d'être  généreux 
envers  un  ennemi  qu'on  ne  craint  plus;  mais  il  est  bien  tard 
de  ^vouloir  le  paraître  quand  on  s'est  vengé  avec  tant  de  lâ- 
cheté. Sigebert  fut  d'abord  enterré  dans  un  lieu  nommé  Lam- 
bines, d'où  quelque  temps  après  son  corps  fut  porté  à  Soissons 
et  inhumé  auprès  de  celui  de  son  père  dans  l'église  de  Saint- 
Médard.  qu'il  avait  fait  achever  après  la  mort  de  Glotaire. 

Une  révolution  si  subite  et  si  inopinée  ne  calma  pas  les 
anciens  troubles  et  en  excita  de  nouveaux.  Dès  que  Gon- 
debauld,  général  de  Sigebert,  eut  appris  sa  mort,  il  enleva  de 
Paris  Childebert,  fils  de  ce  prince,  qui  était  à  peine  âgé  de 
cinq  ans  et  le  fît  proclamer  roi  d'Austrasie.  Pour  Brunehaut, 
elle  tomba  entre  les  mains  de  Ghilpéric,  qui,  voulant  montrer 
quelque  modération,  se  contenta  de  l'envoyer  en  exil  à  Rouen 
et  de  faire  enfermer  à  Meaux  les  princesses  ses  filles. 

Cette  reine  ne  s'abandonna  pas  au  découragement  dans  des 
revers  si  imprévus.  L'esprit  et  la  beauté  sont  pour  une  femme 
malheureuse  deux  grandes  ressources  :  Brunehaut  sut  les 
mettre  en  œuvre.  Ghilpéric,  pour  profiter  de  ses  premiers 
avantages,  avaifénvoyé  son  fils  Mérovée  à  la  tête  d'une  armée 
se  saisir  du  Poitou  ;  mais  ce  jeune  prince,  peu  soigneux  d'exé- 
cuter les  ordres  du  roi  son  père,  alla  passer  les  fêtes  de  Pâques 


(I)  Greg.  Tur.,  1.  IV,  c.  xlvi. 


432  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [576] 

à  Tours,  où  son  armée  causa  de  grands  désordres;  de  là,  fai- 
sant semblant  d'aller  voir  la  reine  Audovère  sa  mère,  qui  était 
retirée  dans  un  monastère  du  Maine,  il  se  rendit  à  Rouen  au- 
près de  Brunehaut.  Les  malheurs  de  cette  reine  avaient  donné 
un  nouvel  éclat  à  ses  charmes  et  ajouté  de  nouvelles  séduc- 
tions aux  grâces  de  son  esprit.  Mérovée  ne  put  s'empêcher  de 
la  plaindre  ;  il  l'aima  bientôt  et  l'épousa  solennellement, 
quoique  veuve  de  son  oncle  Sigebert  (1). 

Chilpéric,  plus  irrité  de  ce  mariage  parce  qu'il  déconcertait 
les  vues  de  sa  politique  que  parce  qu'il  blessait  les  lois  de 
l'Eglise,  accourut  aussitôt  à  Rouen  pour  le  faire  rompre.  Les 
nouveaux  époux  se  réfugièrent  dans  l'église  de  Saint-Martin, 
qui  était  bâtie  sur  les  murs  de  la  ville ,  et  ils  n'en  sortirent 
qu'après  que  le  roi  leur  eut  juré  que  si  c'était  la  volonté  de 
Dieu,  il  ne  les  séparerait  pas.  Chilpéric  n'eut  pas  de  peine  à  se 
soustraire  à  l'obligation  de  son  serment  :  il  emmena  avec  lui  son 
fils  à  Soissons  et  laissa  retourner  Brunehaut  en  Austrasie,  afin 
que  l'éloignement  pût  guérir  la  passion  de  Mérovée.  Mais  quel- 
que temps  après  ayant  soupçonné  ce  jeune  prince  de  tramer 
quelque  révolte,  il  le  fit  tonsurer  et  ordonner  prêtre  et  le 
confina  dans  le  monastère  d'Anisle,  c'est-à-dire  de  Saint-Calais, 
sous  prétexte  de  l'y  faire  instruire  des  devoirs  de  l'état  ecclé- 
siastique (2).  Ignorait-il  qu'une  vocation  forcée,  en  faisant  le 
malheur  de  celui  qu'on  y  engage  malgré  lui,  cause  souvent 
aussi  la  perte  de  ceux  qui  l'y  engagent? 

Les  chagrins  que  donnait  à  Chilpéric  un  fils  désobéissant  e^ 
rebelle,  semblèrent  lui  rendre  plus  chère  la  mémoire  de 
Théodebert,  son  autre  fils,  qui  avait  été  tué  dans  la  dernière 
guerre.  Il  s'en  prenait  de  cette  mort  au  duc  Gontran  Boson 
et  il  le  faisait  poursuivre  partout  pour  en  tirer  vengeance. 
Boson  se  réfugia  à  Tours  dans  l'église  de  Saint-Martin.  C'était 
l'asile  le  plus  sacré  de  toute  la  France,  et  l'on  n'avait  pas  en- 
core osé  le  violer.  Mais  Chilpéric,  ne  prenant  conseil  que  de  son 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  n.  —  (2)  Greg.,  1.  V,  c.  xiv. 


[576]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  433 

ressentiment,  envoya  un  de  ses  généraux  nommé  Roccolin 
avec  un  détachement  de  troupes  pour  tirer  le  duc  de  ce  lieu 
protecteur.  Roccolin,  étant  arrivé  à  Tours  de  l'autre  côté  de  la 
Loire,  fit  dire  à  l'évêque  S.  Grégoire  qu'il  eût  à  lui  livrer 
Roson,  sans  quoi  il  ferait  mettre  le  feu  aux  faubourgs  et  à  la 
ville.  L'évêque,  affligé  d'unetelle  demande,  alla  prier  et  pleurer 
devant  le  tombeau  de  S.  Martin,  et  pendant  sa  prière  une 
femme  paralytique  depuis  douze  ans  fut  guérie.  Encouragé 
par  ce  miracle,  il  envoya  dire  le  lendemain  à  Roccolin  «  qu'il 
demandait  une  chose  qui  ne  s'était  jamais  faite;  qu'on  ne 
pouvait  nullement  permettre  de  violer  ainsi  l'église  de  Saint- 
Martin  ;  que  s'il  le  faisait  de  force,  ni  lui  ni  le  roi  dont  il  exé- 
cuterait les  ordres,  ne  s'en  trouveraient  bien;  qu'il  devait 
plutôt  craindre  la  vertu  du  saint  évêque,  qui  encore  le  jour 
précédent  avait  guéri  une  femme  paralytique  (1).  >> 

Roccolin,  peu  touché  de  ces  remontrances,  commença  par 
faire  détruire  une  maison  de  l'église  dans  laquelle  il  logeait 
au  delà  de  la  rivière.  Mais  il  fut  aussitôt  frappé  d'une  jau- 
nisse (2).  C'était  un  avertissement  du  Ciel  :  Roccolin  ne  l'en- 
tendit point  et  persista  à  vouloir  suivre  son  dessein.  Pour 
l'exécuter,  il  monta  à  cheval  le  jour  de  l'Epiphanie,  et,  ayant 
trouvé  dans  les  rues  de  Tours  le  clergé  qui  allait  en  proces- 
sion de  la  cathédrale  à  l'église  de  Saint-Martin,  il  suivit  la 
procession  à  cheval  immédiatement  après  la  croix,  qui  était 
précédée  des  bannières,  comme  on  le  pratique  encore  au- 
jourd'hui. En  entrant  dans  l'église  de  Saint-Martin  il  sentit 
sa  fureur  se  calmer;  mais  son  mal  s'aggrava,  et  il  en  mourut 
sur  la  fin  du  mois  suivant.  Le  carême  était  commencé,  et 
Grégoire  de  Tours  remarque  que  Roccolin  avait  souvent 
mangé  de  la  viande,  ce  qu'il  trouve  étrange  et  dans  un  géné- 
ral d'armée  et  même  dans  un  homme  gravement  malade  (3)  : 
tant  l'abstinence  de  la  chair  en  carême  était  alors  exactement 


(1)  De  Mir.  S.  Martini,  1.  II,  c.  xxvii.  —  (2)  Greg.,  1.  V,  c.  xiv.  —  (3)  Greg., 
1,  V,  c.  xiv. 

TOME  H.  28 


434  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [576] 

observée.  Les  mœurs  ont  changé  ;  on  a  pu  dispenser  d'une 
partie  de  la  loi,  mais  elle  subsiste  toujours. 

La  mort  funeste  de  Roccolin  intimida  Ghilpéric,  sans  lui 
faire  cependant  abandonner  le  dessein  qu'il  avait  formé  de  ti- 
rer Gontran  Boson  de  son  asile.  L'ardeur  de  la  vengeance  était 
combattue  dans  le  cœur  de  ce  prince  par  un  reste  de  religion  : 
il  prit  un  singulier  parti,  celui  d'écrire  une  lettre  à  S.  Martin, 
dans  laquelle  il  priait  le  saint  de  lui  mander  s'il  lui  était  per- 
mis de  faire  enlever  Boson  de  son  église,  et  il  dépêcha  à  Tours 
le  diacre  Baudin  pour  y  porter  cette  lettre.  Le  diacre  la  mit 
respectueusement  sur  le  tombeau  de  S.  Martin  avec  du  papier 
blanc  pour  servir  à  la  réponse.  Mais  après  avoir  attendu  trois 
jours  il  ne  s'en  trouva  aucune.  Ghilpéric  envoya  d'autres  dé- 
putés qui  rirent  prêter  serment  de  sa  part  à  Boson  qu'il  ne 
sortirait  pas  de  l'église  dé  Saint-Martin  à  son  insu  :  ce  qu'il 
jura  touchant  de  la  main  la  nappe  qui  couvrait  l'autel  (1).  Mais 
il  n'était  pas  homme  à  craindre  beaucoup  de  se  parjurer. 

Cependant  Boson,  ayant  reconnu  par  expérience  combien 
l'église  de  Saint-Martin  était  un  asile  assuré,  envoya  le  sous- 
diacre  Riculfe  à  Mérovée  pour  l'inviter  à  s'y  réfugier,  afin  de 
concerter  ensemble  ce  qu'ils  auraient  à  faire.  Mérovée  s'é- 
chappa sans  peine  de  son  monastère  d'Anisle ,  se  rendit  à 
Tours,  et  entra  la  tête  couverte,  revêtu  d'un  habit  de  laïque, 
dans  l'église  de  Saint-Martin,  pendant  que  l'évêque  Grégoire 
y  célébrait  les  saints  mystères.  A  la  fin  de  la  messe,  il  se  pré- 
senta pour  recevoir  les  eulogies  (c'était,  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut,  le  reste  des  pains  offerts  et  non  consacrés 
qu'on  distribuait  à  ceux  qui  n'avaient  pas  communié).  Grégoire 
refusa  d'abord  de  lui  en  donner.  Mais  le  prince  lui  ayant  dit 
d'un  ton  menaçant  qu'il  ne  devait  pas  le  suspendre  ainsi  de 
la  communion  sans  le  consentement  des  autres  évêques, 
Grégoire  prit  l'avis  de  Ragnemode,  évêque  de  Paris,  qui  était 
dans  l'église,  et  lui  donna  des. eulogies  dans  la  crainte  que  ce 


(Il  Greg.,  1.  V,  c.  xiv. 


[576]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  435 

prince  ne  se  portât  à  quelque  violence.  Il  députa  aussitôt  son 
diacre  avec  son  neveu  Nicet,  pour  rendre  compte  au  roi  de 
ce  qui  s'était  passé  ;  mais  Frédégonde  dit  que  ces  envoyés 
étaient  des  espions  de  Mérovée  et  les  fît  exiler. 

Ragnemode,  qui  se  trouvait  alors  à  Tours,  venait  de  succé- 
der à  S.  Germain,  évêque  de  Paris,  mort  à  l'âge  de  près  de 
quatre-vingts  ans,  cette  même  année  576,  le  28  mai,  ainsi 
qu'il  en  avait  eu  révélation.  En  effet,  quelques  jours  avant  sa 
mort  il  appela  son  secrétaire  et  lui  commanda  d'écrire  sur 
son  lit  ces  mots  :  le  cinquième  des  calendes  de  juin ,  c'est-à- 
dire  le  28  mai.  On  n'en  comprit  le  sens  qu'après  sa  mort.  Ce 
saint  évêque  fut  enterré  dans  l'oratoire  de  Saint-Symphorien, 
qui  était  à  l'extrémité  de  l'église  de  Saint-Vincent  du  côté  du 
midi.  C'est  aujourd'hui  une  chapelle  de  catéchisme. 

La  pompe  funèbre  fut  changée  comme  en  un  triomphe  par 
le  nombre  et  l'éclat  des  miracles  qui  s'opérèrent  à  ses  funé- 
railles. Les  prisonniers  l'ayant  invoqué  pendant  que  le  convoi 
passait  devant  la  prison ,  leurs  chaînes  furent  aussitôt  brisées 
et  les  portes  ouvertes ,  et  ils  accompagnèrent  le  corps  de  leur 
libérateur  jusqu'au  lieu  de  la  sépulture.  Un  paralytique  qui  se 
tenait  assis  à  la  porte  de  l'église  de  Saint- Vincent ,  y  recouvra 
la  santé  par  l'intercession  de  S.  Germain.  Ghilpéric,  qui  était 
arrivé  à  Paris  le  jour  précédent,  fut  confirmé  par  ce  miracle 
dans  la  vénération  qu'il  avait  pour  ce  saint  évêque.  On  pré- 
tend même  qu'il  composa  en  son  honneur  une  épitaphe  (1)  en 
vers  latins ,  où  il  dit  qu'il  a  été  le  miroir  de  l'Église ,  la  force 
de  sa  patrie,  l'asile  des  coupables,  le  père  et  le  médecin  de  son 

(1)  Cette  épitaphe,  quel  qu'en  soit  l'auteur,  est  bien  glorieuse  pour  S.  Germain, 
comme  on  peut  en  juger  par  ce  commencement  : 

Ecclesiœ  spéculum,  patriœ  vigor,  ara  reorum, 
Et  pater,  et  medicus,  pastor  amorque  gregis; 

Germanus  virtute,  fide,  corde,  ore  beatus. 
Carne  tenet  tumulum,  mentis  honore  polum. 

Vir  cui  dura  nihil  nocuerunt  fata  sepulchri  ; 
Vivit  enim  ;  nam  mors  quem  tulit,  ipsa  timet. 

—Fort.  Vit,  Germ.,  apucl  Boll.,  28  maii.—  Greg.,  de  Glor.  confess.,  c.  lx. —  Aimoin., 

h  ni,  c.  xvi. 


436  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [576j 

troupeau ,  et  que  la  mort  craint  encore  celui  qu'elle  a  en- 
levé. Chilpéric  était  poëte;  mais  on  trouve  les  vers  de 
l'épitaphe  trop  beaux  pour  avoir  été  composés  par  lui  :  il  est 
probable  qu'on  les  aura  retouchés. 

S.  Germain  avait  en  effet  toutes  les  qualités  dont  la  réunion 
fait  les  grands  prélats  et  les  grands  saints,  c'est-à-dire  un  zèle 
ardent  et  sage  pour  le  maintien  de  la  discipline,  une  élo- 
quence vive  qui  le  rendait  maître  des  cœurs ,  une  piété  tendra 
qui  lui  faisait  trouver  ses  plus  chères  délices  à  chanter  les 
louanges  de  Dieu ,  et  une  charité  si  compatissante  qu'il  souf- 
frait tous  les  maux  qu'il  voyait  souffrir  aux  autres ,  surtout 
lorsqu'il  ne  pouvait  les  soulager.  Le  saint  évêque  délivra  plu- 
sieurs fois  miraculeusement  les  prisonniers  ;  il  donnait  aux 
pauvres  jusqu'à  ses  propres  vêtements.  Il  n'épargnait  rien 
surtout  quand  il  s'agissait  de  racheter  des  esclaves.  Si  l'argent 
lui  manquait  alors,  la  tristesse  de  son  cœur  se  peignait  sur  son 
visage,  et  s'il  était  invité  à  quelque  festin,  il  engageait  les 
conviés  à  se  taxer  pour  fournir  la  somme  nécessaire.  Il  se 
faisait  lire  la  sainte  Écriture  pendant  ses  repas  :  c'était  pour 
lui  une  manne  délicieuse  dont  il  assaisonnait,  pour  ainsi  dire, 
les  mets  insipides  qu'on  lui  servait.  Pour  l'office  divin,  il  le 
récitait  toujours  tête  nue,  même  dans  ses  voyages  et  quoi- 
qu'il tombât  de  la  pluie  ou  de  la  neige  (1). 

Le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  était  l'unique  motif  de  ces 
voyages.  Une  se  fit  en  effet  en  ce  temps-là  presque  aucune  céré- 
monie éclatante  de  piété  à  laquelle  Germain  ne  fût  invité.  On 
eût  cru  qu'il  aurait  manqué  quelque  chose  à  la  fête  s'il  ne 
l'eût  pas  honorée  de  sa  présence.  Il  se  trouva  à  Angers  pour  la 
translation  des  reliques  de  S.  Aubin  (2)  ;  au  Mans  pour  la  dé- 
dicace de  l'église  et  du  monastère  de  Saint- Vincent,  bâti  par 
S.  Domnole  ;  à  Poitiers  pour  la  bénédiction  de  l'abbesse  Agnès  ; 

(1)  Fort.  Vita  S.  Germ. 

(2)  On  croit  que  ce  fut  à  l'occasion  de  la  translation  des  reliques  de  S.  Aubin 
que  fut  établi  à  Angers,  par  les  libéralités  de  Childebeit,  le  monastère  de  Saint- 
Aubin. 


[576]  EN  FRANCE.    LIVRE  VII.  437 

à  Autun  pour  l'ordination  de  S.  Syagrius,  un  des  plus  grands 
évêques  de  son  siècle;  à  Bourges  pour  celle  de  S.  Félix  et 
pour  la  translation  des  reliques  de  S.  Ursin.  Le  don  des  mi- 
racles, que  Germain  avait  reçu  duCiel,  l'accompagna  dans  tous 
ces  lieux  et  lui  attira  partout  les  plus  grands  témoignages  de 
vénération.  Mais  le  pouvoir  du  saint  évêque  auprès  de  Dieu 
parut  d'une  manière  encore  plus  éclatante  après  sa  mort.  Les 
merveilles  opérées  sur  son  tombeau  le  rendirent  si  glorieux 
et  si  célèbre ,  que  l'église  et  le  monastère  de  Saint-Vincent  ne 
lurent  plus  guère  connus  dans  la  suite  que  sous  le  nom  de 
Saint-Germain. 

La  réputation  de  Germain  s'était  répandue  de  son  vivant 
jusqu'au  delà  des  Alpes.  Un  saint  évêque  d'Italie  nommé 
Fortunat,  qu'il  faut  distinguer  de  Fortunat  de  Poitiers,  vint  en 
France  pour  s'édifier  de  ses  vertus.  Mais  il  apprit  en  chemin 
la  maladie  de  celui  qu'il  était  venu  chercher  de  si  loin,  et  il 
mourut  lui-même  à  Celles,  au  diocèse  de  Sens,  sans  avoir  eu 
la  consolation  de  le  voir.  Il  est  honoré  le  18  juin  (1). 

S.  Félix  de  Bourges,  dont  nous  venons  de  parler,  mourut 
aussi,  à  ce  que  l'on  croit,  la  même  année  576.  Sa  vertu ,  qui 
avait  été  obscure  pendant  sa  vie,  se  révéla  avec  éclat  après  sa 
mort.  Un  aveugle  recouvra  la  vue  auprès  de  son  tombeau,  et* 
son  corps  fut  trouvé  entier  douze  ans  après  qu'il  eut  été  in- 
humé. Remi,  qui  lui  succéda,  est  aussi  honoré  comme 
saint  (2).  Fortunat  de  Poitiers  parle  d'un  vase  précieux  que 
Félix  avait  fait  faire  pour  conserver  le  corps  de  Jésus-Christ ,  et 
il  nomme  ce  vase  une  tour,  parce  que  les  vases  où  l'on  conser- 
vait l'Eucharistie  étaient  communément  faits  en  forme  de 
tour.  Nous  faisons  cette  remarque  pour  faire  voir  que  l'on  gar- 
dait dès  lors  le  corps  du  Sauveur  dans  les  églises  hors  le 
temps  du  sacrifice  (3) . 

Dès  que  Chilpéric  eut  appris  que  le  prince  Mérovée,  son  fils, 

(1)  Boll.,  18  junii.  —  (2)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  cil.  —  (3)  Fort.,  1.  III, 
carm.  23. 


438  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [576] 

s'était  réfugié  dans  la  basilique  de  Saint-Martin,  il  envoya  dire 
à  l'évêque  de  Tours  :  Chassez  de  l'église  cet  apostat,  sinon  je 
mettrai  toute  la  province  en  feu.  L'évêque  lui  répondit  qu'on 
demandait  une  chose  impossible ,  et  qu'il  n'était  pas  croyable 
que  sous  des  princes  catholiques  on  entreprît  ce  qu'on  n'a- 
vait jamais  osé  faire  sous  le  règne  des  hérétiques  (A).  (Il  par- 
lait des  Yisigoths ,  qui  avaient  été  quelque  temps  maîtres  de 
Tours.)  Une  réponse  si  ferme  n'arrêta  pas  Chilpéric,  qui,  n'é- 
coutant que  sa  colère  et  les  conseils  de  Frédégonde ,  fit  aussi- 
tôt marcher  son  armée  vers  la  Touraine.  Mérovée,  en  ayant 
reçu  la  nouvelle ,  dit  :  A  Dieu  ne  plaise  que  pour  moi  l'église 
et  les  terres  de  Saint-Martin  souffrent  quelque  dommage.  Il 
prit  donc  la  résolution  de  se  retirer  avec  Gontran  Boson  au- 
près de  la  reine  Brunehaut ,  qui  était  en  Austrasie  à  la  cour 
du  jeune  roi  son  fils. 

Boson  envoya  consulter  une  femme  qui  prédisait  l'avenir,  et 
qu'il  croyait  lui  avoir  annoncé  le  jour  et  l'heure  de  la  mort  de 
Garibert.  Elle  lui  répondit  que  Chilpéric  mourrait  dans  l'an- 
née ,  que  Mérovée  régnerait  à  l'exclusion  de  ses  frères ,  et  que 
lui  Boson,  après  avoir  été  quatre  ans  duc  de  tout  le  royaume, 
serait  évêque  d'une  ville  sur  la  Loire.  C'est  ainsi  que  l'esprit 
de  mensonge  aime  à  tromper  ceux  qu'une  criminelle  curiosité 
porte  à  le  consulter  ;  c'est  d'ailleurs  vouloir  être  trompé  et 
mériter  de  l'être  que  de  chercher  la  connaissance  de  l'avenir 
par  ces  voies  réprouvées.  Cependant  Boson,  qui  s'imaginait 
déjà  être  évêque  de  Tours,  envoya  dire  ces  nouvelles  au  saint 
évêque  Grégoire,  qui  s'en  moqua. 

Quant  à  Mérovée,  il  n'ajouta  pas  foi  à  ces  prestiges.  Mais 
l'envie  de  connaître  sa  destinée,  tentation  à  laquelle  ne  résis- 
tent guère  les  malheureux,  lui  fit  avoir  recours  aux  sorts  des 
saints,  si  souvent  défendus  par  les  conciles.  Il  mit  sur  le  tom- 
beau de  S.  Martin  le  livre  des  Psaumes,  celui  des  Rois  et  celui 
desÉvangiles,  et,  après  avoir  passé  trois  jours  dans  le  jeûneet  la 

(1)  Greg.,  1.  V,  c.  xiv. 


[576]  EN  FRANCE.           LIVRE  VII.  439 

prière,  il  ouvrit  le  livre  des  Rois.  Les  premières  paroles  qu'il 
y  lut,  furent  celles-ci  :  Parce  que  vous  avez  abandonné  le  Sei- 
gneur votre  Dieu,  il  vous  a  livré  entre  les  mains  de  vos  enne- 
mis (1).  N'ayant  pas  trouvé  de  pronostics  plus  favorables  dans 
les  deux  autres  livres ,  il  pleura  longtemps  devant  le  tombeau 
de  S.  Martin  et  sortit  enfin  de  cet  asile  avec  le  duc  Boson, 
après  y  être  demeuré  près  de  deux  mois. 

Mérovée  fut  pris  dans  le  voisinage  d'Àuxerre  par  un  géné- 
ral du  roi  Gontran  son  oncle  ;  mais,  ayant  trouvé  le  moyen  de 
s'échapper,  il  se  réfugia  dans  l'église  de  Saint-Germain 
d'Auxerre,  et  de  là  il  se  rendit  auprès  de  la  reine  Brunehaut. 
Il  n'en  fut  pas  reçu  comme  il  avait  lieu  de  l'attendre  d'une  per- 
sonne à  l'amour  de  laquelle  il  avait  tout  sacrifié.  Les  senti- 
ments de  cette  reine  étaient  changés  avec  sa  fortune ,  et  les 
seigneurs  austrasiens  ne  jugeaient  pas  à  propos  de  donner  re- 
traite à  ce  prince ,  de  peur  de  s'attirer  la  guerre.  Gomme  Mé- 
rovée était  incertain  du  parti  qu'il  devait  prendre,  le  bruit  se 
répandit  qu'il  voulait  retourner  à  Tours.  Mais  Chilpéric  fit 
mettre  des  gardes  à  toutes  les  portes  de  l'église  de  Saint- 
Martin,  de  peur  qu'il  ne  s'y  réfugiât.  Ce  malheureux  prince, 
après  avoir  erré  quelque  temps,  fut  enfin  pris  et  tué  près  de 
Thérouanne  par  une  trahison  à  laquelle  Gilles,  évêque  de 
Reims,  et  Gontran  Boson  lui-même  furent  accusés  d'avoir 
pris  part  (2).  Ce  dernier  était  celui  qui  avait  engagé  Mérovée 
dans  sa  rébellion  :  mais  ceux  qui  ont  trahi  leur  roi  sont  bien 
capables  de  se  trahir  les  uns  les  autres  (3). 

Pendant  ce  temps-là  Chilpéric  faisait  faire  le  procès  à  ceux 
qu'on  accusait  d'avoir  trempé  dans  la  révolte  de  Mérovée. 
S.  Prétextât  de  Rouen  fut  à  cette  occasion  sacrifié  aux  soup- 
çons d'une  injuste  politique.  Le  roi  avait  appris  que  cet  évêque 
distribuait  des  présents  au  peuple  :  il  le  manda  à  sa  cour,  et, 
ayant  découvert  que  la  reine  Brunehaut  lui  avait  laissé  en 

(1)  III  Reg.  ix,  9.  —  (2)  Greg.  Ibid. 

(3)  Gontran  Boson  était  sujet  du  roi  d'Austrasie,  qu'il  trahit  plusieurs  fois. 


440  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

dépôt  ses  trésors,  il  les  lui  enleva  et  le  fît  garder  en  exil, 
jusqu'à  ce  qu'il  eût  fait  terminer  cette  affaire  par  un  jugement 
canonique  (1).  Il  convoqua  donc  à  ce  sujet  à  Paris  un  concile 
de  quarante-cinq  évêques  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre, 
en  577  (2). 

Le  roi  parut  lui-même  au  milieu  de  l'assemblée,  et,  adres- 
sant la  parole  à  Prétextât,  qui  avait  eu  ordre  de  se  rendre  au 
concile ,  il  lui  dit  (3)  :  «  A  quoi  avez-vous  pensé ,  évêque  ,  de 
marier  Mérovée,  qui  aurait  dû  être  mon  fils  et  qui  est  mon  en- 
nemi, avec  sa  tante ,  c'est-à-dire  avec  la  femme  de  son  oncle? 
Ignorez-vous  les  dispositions  des  saints  canons  à  ce  sujet? 
Mais  vous  n'en  êtes  pas  demeuré  là  :  vous  avez  conspiré  avec 
lui  et  donné  des  présents  pour  me  faire  assassiner  ;  vous  m'a- 
vez fait  un  ennemi  de  mon  fils,  vous  avez  séduit  mon  peuple 
par  argent  afin  que  personne  ne  me  gardât  la  fidélité  pro- 
mise, et  vous  avez  voulu  m'enlever  ma  couronne.  »  Les  Francs 
qui  étaient  présents  en  grand  nombre  frémirent  à  ce  discours, 
et  voulaient  ouvrir  les  portes  de  l'église  pour  en  tirer  Prétextât 
et  le  lapider;  mais  le  roi  les  en  empêcha. 

Ce  saint  évêque  nia  avec  fermeté  tous  les  faits  avancés 
contre  lui,  malgré  les  dépositions  de  faux  témoins,  qui  mon- 
trèrent divers  présents  qu'il  leur  avait  faits  pour  les  engager 
à  être  fidèles  à  Mérovée.  Il  répondit  :  «  Vous  dites  vrai  :  je  vous 
ai  fait  divers  présents ,  mais  ce  n'a  pas  été  en  vue  de  tenter 
votre  fidélité  au  roi.  Vous  m'aviez  donné  des  chevaux  de  prix 
et  plusieurs  autres  choses  :  que  pouvais-je  faire  de  mieux  que 
de  témoigner  ma  reconnaissance  par  des  présents  mutuels?  » 
On  parut  se  contenter  de  cette  réponse,  et  le  roi ,  ayant  ainsi 
terminé  la  première  séance ,  se  retira  dans  son  palais  pour  y 
mieux  concerter  ses  accusations. 

Après  le  départ  de  Chilpéric ,  les  évêques  demeurèrent  dans 
la  sacristie  (4),  et,  comme  ils  conféraient  ensemble,  Aétius, 

(1)  Greg.,  1.  V,  c.  xix.— (2)  C'est  l'église  Sainte-Geneviève  qui  n'existe  plus. — 
(3)  Greg.  Ibid.  —  Ap.  Labb.,  t.  V,  p.  925.  —  (4)  Il  y  a  dans  le  texte:  in  secretario. 
Nous  avons  marqué  ailleurs  les  diverses  significations  de  ce  terme. 


[577]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  441 

archidiacre  de  l'Église  de  Paris,  les  y  vint  trouver  et  leur  dit  : 
«  Évêques  du  Seigneur  qui  êtes  assemblés,  écoutez-moi.  C'est 
maintenant  que  vous  allez  rendre  votre  nom  .illustre  ou  vous 
déshonorer  à  jamais.  Personne  ne  vous  regardera  plus  comme 
des  évêques  si  vous  manquez  de  fermeté  et  si  vous  laissez  périr 
votre  frère.  »  La  crainte  de  Frédégonde  avait  fermé  la  bouche 
aux  évêques  :  ils  demeurèrent  dans  le  silence  et  se  mirent  le 
doigt  sur  les  lèvres ,  comme  pour  faire  entendre  qu'ils  ne  vou- 
laient point  parler. 

Alors  Grégoire ,  évêque  de  Tours ,  prenant  la  parole  ,  dit  : 
»  Très-saints  évêques,  et  vous  surtout  qui  avez  le  plus  de  part 
à  la  confiance  du  roi,  écoutez-moi.  Donnez  à  ce  prince  un  con- 
seil salutaire  et  digne  des  évêques ,  de  peur  qu'il  ne  perde 
son  royaume  et  ne  flétrisse  sa  gloire  en  suivant  les  mouve- 
ments de  sa  colère  contre  un  ministre  du  Seigneur.  »  Les 
évêques  gardèrent  encore  le  silence;  Grégoire  continua  en 
citant  l'exemple  de  la  punition  de  Glodomir  et  de  celle  de 
l'empereur  Maxime ,  dont  l'un  avait  méprisé  les  avis  de 
S.  Avite  d'Orléans ,  et  l'autre  ceux  de  S.  Martin.  Les  évêques 
demeurèrent  interdits  et  étonnés  de  ce  discours ,  et  personne 
n'osa  répondre;  mais  deux  d'entre  eux,  en  véritables  courti- 
sans, allèrent  dire  au  roi  qu'il  n'avait  pas  de  plus  grand  ennemi 
que  Grégoire.  C'est  ainsi  que  dans  les  plus  saintes  assemblées 
il  y  a  souvent  de  faux  frères,  prêts  à  trahir  les  intérêts  de  la 
justice  pour  ceux  de  leur  fortune. 

Chilpéric  irrité  manda  sur-le-champ  Grégoire.  Ce  saint 
évêque,  s'étant  rendu  au  palais,  trouva  le  roi  dans  son  jardin 
auprès  d'un  cabinet  de  verdure  fait  de  branches  d'arbres.  Il 
avait  à  sa  droite  Bertram ,  évêque  de  Bordeaux ,  et  à  sa  gauche 
Ragnemode,  évêque  de  Paris.  Devant  eux  était  un  banc  sur 
lequel  il  y  avaiT  du  pain  et  divers  mets.  Le  roi,  ayant  aperçu 
Grégoire ,  lui  dit  :  «  Évêque,  vous  devez  la  justice  à  tous  ,  et 
vous  me  la  refusez  !  Je  vois  bien  que  vous  êtes  complice  de 
l'iniquité  et  vous  vérifiez  le  proverbe  que  jamais  corbeau 
n'arrache  l'œil  du  corbeau.  »>  Grégoire  répondit  :  «  Prince ,  si 


442  HISTOIRE  DE  L*  ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

quelqu'un  de  nous  s'écarte  des  voies  de  la  justice ,  vous  pou- 
vez le  corriger  ;  mais  si  vous  vous  en  écartez  vous-même,  qui 
vous  corrigera?  Nous  vous  parlons,  il  est  vrai;  mais  vous 
nous  écoutez  si  vous  le  voulez  :  si  vous  ne  le  voulez  pas,  qui 
vous  condamnera,  si  ce  n'est  Celui  qui  a  dit  qu'il  était  la  jus- 
tice même  ?  » 

Le  roi,  que  les  flatteurs  avaient  aigri  contre  Grégoire,  reprit 
avec  chaleur  :  «  Tous  me  rendent  justice,  il  n'y  a  que  vous  de 
qui  je  ne  puis  l'obtenir;  mais  je  sais  ce  que  je  ferai  pour  vous 
démasquer  et  faire  connaître  vos  injustices.  J'assemblerai  le 
peuple  de  Tours  et  je  lui  dirai  de  s'élever  contre  vous.  J'ap- 
puierai ses  clameurs,  en  disant  :  Tout  roi  que  je  suis,  je  ne 
puis  trouver  justice  auprès  de  cet  évêque  :  comment  vous  au- 
tres la  trouveriez-vous?  »  Grégoire  repartit  :  «  Si  je  suis  injuste, 
vous  n'en  savez  rien  :  il  n'y  a  que  Celui  qui  pénètre  le  secret 
des  cœurs  qui  le  sache.  Pour  les  clameurs  du  peuple,  que 
vous  me  menacez  d'exciter  contre  moi,  elles  vous  feraient 
plus  de  tort  qu'à  moi ,  parce  qu'on  n'ignorerait  pas  que  vous 
en  auriez  été  l'instigateur.  Mais  à  quoi  bon  tant  de  discours? 
Yous  avez  la  loi  et  les  canons  :  étudiez-les  bien  et  sachez  que 
si  vous  n'observez  pas  ce  qu'ils  ordonnent,  la  vengeance  de 
Dieu  ne  tardera  pas  à  éclater  contre  vous.  » 

Cette  fermeté  de  Grégoire  parut  calmer  la  passion  de  Chil- 
péric.  En  effet,  ce  prince,  prenant  un  ton  radouci,  le  pressa  de 
manger  d'un  mets  qu'on  lui  avait  servi.  «  C'est  pour  vous,  lui 
dit-il,  que  je  l'ai  fait  préparer  :  il  n'est  composé  que  de  chair 
d'oiseaux  et  d'un  peu  de  pois  chiches.  »  Ce  qui  montre  que  les 
saints  évêques,  aussi  bien  que  les  moines,  se  faisaient  moins  de 
scrupule  de  manger  de  la  chair  des  oiseaux  que  de  la  grosse 
viande.  Grégoire  répondit  :  «  Notre  nourriture  doit  être  de  faire 
en  toutes  choses  la  volonté  de  Dieu,  sans  chercher  à  flatter  notre 
goût  par  toutes  ces  délices.  Mais  vous,  prince,  qui  taxez  les 
autres  d'injustice,  promettez  de  ne  rien  faire  contre  la  loi  et  les 
canons,  et  alors  nous  croirons  que  vous  ne  cherchez  que  la 
justice.  »  Le  roi  étendit  la  main  et  jura  par  le  Dieu  tout-puis- 


|577]  EN  FRANCE.   —  LIVHE  VII.  443 

sant  qu'il  s'en  tiendrait  à  ce  que  les  canons  ordonnent.  Alors 
Grégoire  prit  du  pain  et  du  vin  et  se  retira.  D'autres  exemples 
font  voir  que  nos  premiers  rois  ne  laissaient  pas  sortir  de  leur 
palais  les  personnes  de  quelque  considération  sans  leur  offrir 
quelque  chose  en  signe  d'hospitalité. 

La  nuit  suivante,  après  qu'on  eut  chanté  l'office  de  matines, 
Grégoire  entendit  frapper  rudement  à  sa  porte.  C'était  des  gens 
de  Frédégonde,  qui  venaient  le  saluer  de  la  part  de  la  reine. 
Ils  le  prièrent  de  ne  pas  s'opposer  à  ses  desseins,  lui  promet- 
tant deux  cents  livres  d'argent  s'il  voulait  se  déclarer  contre 
Prétextât.  Ils  ajoutèrent  qu'ils  avaient  la  parole  de  tous  les 
autres  évêques,  et  le  conjurèrent  de  n'être  pas  du  moins  le 
seul  opposant.  Grégoire  répondit  :  «  Quand  vous  me  don- 
neriez mille  livres  d'or  et  d'argent,  que  pourrais-je  faire  autre 
chose  que  ce  que  le  Seigneur  me  commande  ?  Tout  ce  que  je 
puis  vous  promettre ,  c'est  que  je  me  conformerai  à  ce  que 
les  autres  feront  selon  les  canons.  »  Les  gens  de  Frédégonde 
ne  comprirent  pas  sa  pensée  et  se  retirèrent  en  le  remerciant. 
Dès  que  le  jour  parut,  quelques  évêques  vinrent  lui  faire  les 
mêmes  propositions,  et  ils  en  reçurent  la  même  réponse. 

Le  concile  s'étant  assemblé  pour  la  seconde  séance,  le  roi 
y  vint  dès  le  matin  et  dit  :  «  Les  canons  ordonnent  de  déposer 
un  évêque  convaincu  de  larcin.  »  Les  prélats  demandèrent 
quel  était  l'évêque  accusé  de  ce  crime.  Le  roi  répondit  :  «Vous 
avez  vu  ce  qu'il  nous  a  volé.  »  Il  avait  montré  en  effet  trois 
jours  auparavant  deux  coffres  pleins  de  meubles  et  de  bijoux 
précieux,  estimés  plus  de  trois  mille  sous  d'or,  et  un  sac  qui 
en  contenait  environ  deux  mille  en  espèces,  prétendant  que 
Prétextât  les  lui  avait  dérobés. 

Prétextât  répondit  :  «  Je  crois,  prince,  que  vous  vous  souve- 
nez qu'après  que  la:  reine  Brunehaut  eut  quitté  Rouen,  j'allai 
vous  trouver  et  que  je  vous  dis  qu'elle  m'avait  laissé  en  dépôt 
cinq  coffres  et  qu'elle  m'envoyait  souvent  de  ses  gens  me  les 
redemander;  mais  que  je  ne  voulais  pas  m'en  dessaisir  sans 
votre  agrément.  Vous  me  dites  :  Défaites-vous  de  cela,  rendez  à 


444  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

cette  femme  ce  qui  lui  appartient,  de  peur  que  ce  ne  soit  une 
semence  d'inimitié  entre  mon  neveu  Childebert  et  moi.  Ainsi, 
étant  retourné  à  Rouen,  je  délivrai  aux  gens  de  Brunehaut 
un  coffre  :  car  ils  ne  purent  en  emporter  davantage.  Étant  re- 
venus, ils  demandèrent  les  autres.  Je  voulus  encore  avoir 
votre  consentement,  et  vous  me  répondites  :  Défaites-vous  de 
tout  cela,  ô  évêque,  de  peur  que  ce  ne  soit  un  sujet  de  scan- 
dale. Je  leur  donnai  encore  deux  coffres  :  ainsi,  deux  sont  de- 
meurés chez  moi.  Pourquoi  donc  me  calomniez-vous  et  nom- 
mez-vous larcin  ce  qui  est  un  dépôt  ?  » 

Le  roi  répliqua  :  «  Si  c'était  un  dépôt,  pourquoi  avez-vous 
ouvert  un  de  ces  coffres  et  partagé  un  drap  d'or  à  des  gens 
que  vous  vouliez  engager  à  me  chasser  de  mon  royaume?  »  L'é- 
vêque  reprit  :  «  Je  vous  ai  déjà  dit  que  j'avais  reçu  des  présents 
de  ces  personnes,  et  que,  n'ayant  rien  alors  à  leur  donner,  je 
pris  quelque  chose  de  ce  dépôt  :  je  regardais  comme  à  moi  j 
tout  ce  qui  appartenait  à  mon  fils  Mérovée,  que  j'ai  tenu  sur  | 
les  fonts  du  baptême.  »  Le  roi  demeura  confus,  et  la  simple  ; 
vérité  triompha  cette  fois  de  tous  les  artifices  de  la  calomnie.  \ 

Chilpéric,  étant  sorti  du  concile,  dit  à  quelques  prélats  qui 
étaient  ses  flatteurs  :  «  J'avoue  que  les  réponses  de  l'évéque  s 
m'ont  confondu  et  je  sais  dans  ma  conscience  qu'il  dit  vrai.  | 
Que  ferai-je  donc  maintenant  pour  contenter  la  reine  à  son  su- 1 
jet  ?»  Après  y  avoir  pensé  un  moment,  il  ajouta  :  «  Allez  et  dites- 1 
lui  comme  de  vous-mêmes  et  par  manière  de  conseil  :  Vous  sa-  ; 
vez  que  le  roi  Chilpéric  est  plein  de  bonté  et  se  laisse  aisé-  : 
ment  fléchir  :  humiliez-vous  devant  lui  et  dites  que  vous  avez 
fait  ce  dont  il  vous  accuse.  Alors  nous  nous  jetterons  tous  à  - ■ 
ses  pieds  pour  lui  demander  votre  grâce  (1).  »  Prétextât,  que 
son  innocence  ne  rassurait  pas  contre  les  intrigues  de  ses  en- 
nemis, donna  dans  le  piège  qui  lui  était  tendu. 

Le  lendemain  matin,  le  roi,  s'étant  rendu  à  la  troisième 
séance  du  concile,  dità  Prétextât  :  «  Si  vous  ne  faisiez  des  pré- 


(1)  Greg.  Tur.  Ibid.  —  Labb.  Ibid. 


577]  EN'  FRANCE.   —  LIVRE  VU.  445 

sents  à  ces  personnes  que  parce  que  vous  en  aviez  reçu  ,  pour- 
juoi  les  engagiez-vous  à  prêter  serment  d'être  fidèles  à  Méro- 
vée?  »  L'évêque  répondit  :  «  J'ai  demandé,  je  l'avoue,  leur  ami- 
ié  pour  lui  :  j'aurais  appelé  à  son  secours  non-seulement  les 
tiomines,  mais  les  anges  du  ciel  si  je  l'avais  pu,  parce  qu'il 
3tait  mon  fils  spirituel  par  le  baptême,  ainsi  que  je  l'ai  dit.  •> 
domine  sur  cette  réponse  la  contestation  s'échauffait,  Pré- 
extat,  suivant  le  conseil  perfide  qu'on  lui  avait  donné,  se 
orosterna  tout-à-coup,  en  disant  :  «  J'ai  péché  contre  le  Ciel  et 
:ontre  vous,  6  prince  très-miséricordieux  :  je  suis  un  infâme 
aomicide,  j'ai  voulu  attenter  à  votre  vie  et  mettre  votre  fils 
sur  votre  trône.  » 

Le  roi,  ravi  de  voir  que  son  artifice  avait  réussi,  se  jeta  de 
son  côté  aux  pieds  des  prélats,  et  leur  dit  :  «  Très-pieux  évê- 
jues,  écoutez  un  criminel  qui  confesse  un  attentat  exécrable.  » 
Les  évêques,  lesyeux  baignés  de  larmes,  relevèrent  le  roi,  qui 
s'en  retourna  au  palais  après  avoir  donné  ordre  qu'on  fît  sor- 
:ir  Prétextât  de  l'église.  Ghilpéric  envoya  au  concile  une  collec- 
:ion  de  canons,  à  laquelle  on  avait  ajouté  un  nouveau  recueil 
l'autres  canons  qu'on  disait  être  des  apôtres  (1).  On  en  lut  cet 
article  :  Que  l'évêque  convaincu  d'homicide,  a" adultère  et  de 
parjure  soit  déposé.  Prétextât,  qui  reconnut  alors  trop  tard 
}u'on  l'avaitjoué,  demeurait  interdit.  Bertram,  évêque  de  Bor- 
deaux, lui  dit  en  bon  courtisan  :  «  Mon  frère,  puisque  vous 
êtes  dans  la  disgrâce  du  roi,  vous  n'aurez  pas  notre  communion 
avant  qu'il  ne  vous  ait  rendu  sa  bienveillance.  >» 

Ghilpéricne  voulaitpasenrester  là  :il  demanda  qu'on  déchi- 
rât la  robe  de  Prétextât,  ce  qui  était  une  marque  ignominieuse 
de  déposition;  ou  bien  qu'on  récitât  sur  sa  tête  le  psaume  cvin, 
contenant  les  malédictions  lancées  contre  Judas  ;  ou  du  moins 

(1)  Quoique  les  canons  qu'on  nomme  des  apôtres  ne  soient  pas  des  apôtres 
mêmes,  ils  sont  fort  anciens.  Les  Grecs  en  comptent  quatre-vingt-cinq,  et  les  Latins 
n'en  reçoivent  que  cinquante.  Le  décret  attribué  au  pape  Gélase  met  les  Canom 
des  apôires  au  nombre  des  livres  apocryphes,  apparemment  à  cause  des  additions  des 
Grecs  et  parce  qu'en  effet  ils  ne  sont  pas  des  apôtres. 


446  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [677] 

qu'on  prononçât  contre  cet  évêque  une  excommunication  per- 
pétuelle. Grégoire  de  Tours  s'opposa  avec  courage  à  ces  propo- 
sitions et  somma  le  roi  de  tenir  la  parole  qu'il  avait  donnée  de 
ne  rien  faire  contre  les  canons.  Mais  Prétextât  fut  enlevé  du 
concile  et  jeté  dans  une  prison,  d'où  il  tenta  de  "s'évader  pen- 
dant la  nuit.  On  lui  fit  subir  à  cette  occasion  les  plus  rudes 
traitements,  puis  il  fut  relégué  dans  une  île  près  de  Coutances, 
apparemment  dans  l'île  de  Jersey.  Mélantius,  créature  de  Fré- 
dégonde,  fut  mis  sur  le  siège  de  Rouen. 

Telle  fut  l'issue  du  cinquième  concile  de  Paris,  où  l'inno- 
cence fut  enfin  opprimée  par  la  puissance  du  roi,  par  la  lâcheté 
de  quelques  évéques  et  par  la  simplicité  même  de  Prétextât, 
qui  ne  fut  coupable  que  de  s'être  accusé  d'un  crime  dont  il  était 
innocent.  S.  Grégoire  de  Tours,  dont  nous  n'avons  fait  que  tra- 
duire les  paroles  dans  tout  ce  récit,  montra  en  cette  occasion 
une  vigueur  vraiment  épiscopale.  Ce  qu'il  dit  de  la  collection 
des  canons  envoyée  par  le  roi  au  concile,  à  laquelle  on  avait 
ajouté  un  nouveau  recueil  de  ceux  qu'on  disait  être  des  apô- 
tres, fait  juger  que  c'était  la  collection  de  Denys  le  Petit  (1) , 
et  que  ce  qu'on  nomme  les  Canons  des  apôtres  était  alors  peu 
connu  dans  les  Gaules.  Le  canon  dont  on  fît  lecture  dans  le 
concile  est  le  vingt  et  unième  de  ceux  des  apôtres  ;  mais  il  fut 
falsifié  par  les  adversaires  de  Prétextât,  qui  substituèrent  le 
mot  &  homicide  à  la  place  de  celui  de  larcin. 

S.  Prétextât  de  Rouen  ne  fut  pas  le  seul  qui  éprouva  la  vio- 
lence de  Ghilpéric.  Ce  prince  était  irrité  contre  tout  le  clergé. 
Les  pauvres  nourris  aux  dépens  de  l'Église  et  les  clercs  des 
ordres  inférieurs  étaient  exempts  des  charges  publiques.  Il  ne 
laissa  pas  de  les  condamner  à  une  amende  pour  n'avoir  pas 
prêté  le  service  militaire  dans  une  expédition  qu'il  fit  contre 

(1)  Cassiodore  fait  un  bel  éloge  du  moine  Denys  le  Petit.  Il  dit  qu'il  était 
scythe  de  nation  et  romain  de  mœurs  ;  qu'il  avait  allié  la  simplicité  avec  la  sagesse, 
l'humilité  avec  l'érudition  ,  et  qu'il  parlait  peu  quoiqu'il  parlât  bien.  Cassiodore 
ajoute  que  Denys,  étant  fort  habile  dans  la  langue  grecque  et  dans  la  langue  latine, 
fit  une  collection  de  canons  qui  a  été  reçue  de  l'Église  romaine.  C'est  Denys  le  Petit 
qui  est  l'auteur  de  l'ère  de  Jésus-Christ  dont  nous  nous  servons.  V.  Cassiod.  d& 
Divin.  Lect.,  xxm. 


[577]  EX  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  447 

les  Bretons.  La  haine  qu'il  témoignait  en  toute  occasion 
aux  ecclésiastiques ,  ne  le  rendit  pas  plus  favorable  aux  laï- 
ques. Il  fît  mourir  plusieurs  seigneurs  et  entre  autres  un 
nommé  Daccon,  qui,  se  voyant  condamné  à  mort,  reçut  se- 
crètement la  pénitence  d'un  prêtre  à  l'insu  du  roi  (1). 

Pour  le  peuple,  Chilpéric  le  surchargea  d'un  si  grand 
nombre  de  nouveaux  impôts,  qu'il  y  eut  en  plusieurs  provinces 
des  révoltes  contre  ses  officiers.  On  en  fit  un  nouveau  crime 
au  clergé ,  et  on  appliqua  à  de  cruelles  tortures  des  prêtres  et 
des  abbés  accusés  calomnieusement  d'avoir  soufflé  le  feu  de 
la  sédition.  Il  ne  fallait  s'en  prendre  qu'aux  vexations  du 
prince  :  c'est  un  mauvais  moyen  de  rendre  les  peuples  fidèles 
que  de  les  rendre  malheureux. 

Telles  étaient  les  tumultueuses  scènes  qui  se  passaient  à  la 
cour  de  Chilpéric,  au  préjudice  de  la  religion  et  du  bien  des 
peuples.  Mais  détournons  les  yeux  de  ces  tristes  tableaux 
pour  nous  édifier  des  vertus  paisibles  d'un  grand  nombre  de 
saints  solitaires,  qui,  au  milieu  de  ces  désordres,  florissaient 
comme  des  lis  parmi  les  épines  et  répandaient  dans  toute  la 
Gaule  l'odeur  de  leur  sainteté.  L'histoire  de  l'Église  n'a  rien 
de  plus  édifiant  ni  de  plus  digne  de  ses  récits. 

L'esprit  de  S.  Martin  vivait  encore  dans  la  Touraine  et  y 
excitait  plusieurs  saints  moines  à  imiter  les  vertus  de  sa  vie 
solitaire.  Un  saint  reclus  nommé  Senoch  fut  un  des  plus  célè- 
bres. Il  était  né  dans  le  Poitou  et  Theifalien  d'origine,  nation 
barbare  dont  nous  avons  parlé.  Admis  dans  le  clergé  après  sa 
conversion,  il  passa  dans  le  diocèse  de  Tours  pour  chercher 
une  retraite.  Il  y  trouva  de  vieilles  masures  dans  un  endroit 
où  avait  existé,  disait-on,  un  oratoire  à  l'usage  de  S.  Martin  : 
cette  circonstance  l'engagea  à  s'y  établir.  Il  le  fit  reconstruire 
et  pria  S.  Euphrone  d'en  venir  bénir  l'autel.  Euphrone  y  con- 
sentit et  ordonna~Senoch  diacre,  et  ensuite  prêtre.  Ce  fut  en  ce 
lieu  que  ce  saint  renouvela  les  austérités  des  anciens  soli- 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  V.  c.  xxvi,  xxyii,  xxix. 


448  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

taires  en  compagnie  de  trois  moines  qu'il  s'associa  (1).  Il  mar- 
chait nu-pieds ,  même  dans  les  plus  grands  froids  de  l'hiver , 
et  portait  toujours  une  chaîne  de  fer  aux  pieds,  aux  mains  et 
au  cou.  Son  jeûne  était  continuel;  mais  il  redoublait  ses  mor- 
tifications et  son  abstinence  en  carême,  ne  mangeant  chaque 
jour  pendant  ce  saint  temps  qu'une  livre  de  pain  d'orge  et  ne 
buvant  qu'une  petite  mesure  d'eau.  Il  se  sépara  ensuite  de  ses 
compagnons  pour  vivre  reclus  dans  une  cellule.  Les  fidèles 
venaient  en  foule  l'y  visiter  et  lui  apportaient  des  aumônes, 
qu'il  employait  au  soulagement  des  pauvres.  On  compta  plus 
de  deux  cents  personnes  dont  il  avait  payé  les  dettes  ou  la 
rançon,  pour  les -délivrer  de  l'esclavage. 

Cependant  la  vertu  de  Senoch  n'était  pas  aussi  affermie  qu'il 
le  croyait,  et  un  léger  souffle  de  vanité  pensa  la  renverser  : 
c'est  unécueil  qu'on  a  toujours  à  craindre  dans  le  chemin  de 
la  perfection,  même  après  avoir  évité  tous  les  autres.  Ce  saint 
reclus  eut  envie  d'aller  visiter  sa  famille  dans  le  Poitou ,  et  il 
succomba  à  une  tentation  qui  se  déguisait  sous  les  apparences 
de  la  charité  et  du  zèle.  Mais  il  éprouva  bientôt  que  le  com- 
merce du  monde  n'est  à  personne  plus  contagieux  qu'à  ceux  qui 
s'y  engagent  de  nouveau  après  l'avoir  quitté.  Il  rentra  dans  sa 
cellule  avec  des  sentiments  d'orgueil,  inspirés  par  les  témoi- 
gnages de  respect  que  sa  réputation  de  sainteté  lui  avait  attirés. 
Étrange  faiblesse  de  l'homme,  lors  même  qu'il  semble  être  ar- 
rivé à  la  plus  haute  vertu!  Gomme  la  vanité  ne  peut  jamais  bien 
se  cacher,  S.  Grégoire,  évêque  de  Tours,  s'aperçut  bientôt  de. 
celle  du  solitaire  et  lui  en  fit  une  réprimande  paternelle.  Senoch 
la  reçut  avec  humilité,  il  eut  honte  de  son  égarement,  et,  pour 
s'en  punir  et  s'ôter  l'occasion  d'y  retomber,  il  forma  la  réso- 
lution non-seulement  de  ne  plus  sortir  de  sa  cellule,  mais 
encorè  de  ne  se  laisser  voir  à  personne.  Son  évêque  lui  con- 
seilla de  ne  garder  cette  exacte  réclusion  que  depuis  la  Saint- 
Martin  jusqu'à  Noël  et  pendant  le  carême,  et  de  se  montrer 


(t)  Greg.  Vit.  PP.,  c.  xix. 


[577]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  449 

au  peuple  dans  les  autres  temps  pour  la  consolation  des  ma- 
lades. Il  suivit  ce  conseil  et  il  devint  célèbre  dans  toute  la 
province  par  l'éclat  de  ses  miracles.  Il  rendit  la  vue  à  trois 
aveugles  et  guérit  plusieurs  paralytiques. 

Dieu  se  pressa  de  couronner  ses  vertus  et  l'appela  à  lui  à  la 
fleur  de  l'âge  :  car  il  mourut  en  576,  ûgé  seulement  d'environ 
quarante  ans.  Dès  que  Grégoire  de  Tours  eut  appris  sa  mala- 
die, il  se  rendit  à  sa  cellule;  mais  il  avait  déjà  perdu  l'usage 
de  la  parole.  Les  malades  que  Senoch  avait  guéris,  les  es- 
claves dont  il  avait  rompu  les  fers  et  les  pauvres  qu'il  avait 
nourris ,  accoururent  de  toutes  parts  à  ses  obsèqu  es  et  firent 
par  leurs  regrets  et  leurs  larmes  un  éloge  funèbre  bien  glo- 
rieux pour  ce  saint  solitaire.  Il  est  honoré  le  24  octobre.  Il  y  a 
auprès  de  Loches  un  village  appelé  de  son  nom  Saint-Senou. 

S.  Léobard  vivait  en  ce  même  temps  reclus  dans  une  cellule 
de  Marmoutier  (i).  Il  était  natif  d'Auvergne,  et  ses  parents 
l'avaient  obligé  dans  sa  jeunesse  à  se  fiancer  avec  une  fille 
qu'ils  lui  destinaient  pour  épouse  :  ce  qu'il  avait  fait  en  lui 
donnant  le  baiser,  en  lui  mettant  l'anneau  au  doigt  et  le  sou- 
lier au  pied.  Telles  étaient  les  cérémonies  civiles  des  fian- 
çailles usitées  en  ce  temps-là.  Mais  Léobard,  devenu  libre  par 
la  mort  de  ses  parents  ,  se  sentit  porté  comme  par  inspira- 
tion à  se  retirer  au  tombeau  de  S.  Martin.  Ayant  trouvé  vide 
une  des  cellules  de  Marmoutier,  il  s'y  renferma,  et  il  employait 
tout  le  temps  qu'il  ne  donnait  pas  à  la  prière  à  tailler  des 
pierres  dans  le  roc ,  à  faire  du  parchemin  ou  à  transcrire  des 
livres.  Ce  dernier  travail  était,  au  témoignage  de  Sulpice 
Sévère,  l'occupation  ordinaire  des  moines  de  Saint-Martin  : 
occupation  fort  utile  dans  un  temps  où  l'imprimerie  n'exis- 
tait pas. 

Le  nouveau  solitaire  eut  de  rudes  tentations  à  combattre. 
Les  imperfections  mêmes  de  ceux  qui  avaient  vieilli  avant  lui 
dans  la  pratique  de  la  vie  monastique,  furent  le  premier  écueil 


(1)  Greg.  Vit.  PP.,  c.  xx. 

TOME  II. 


29 


450  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577 J 

contre  lequel  faillit  se  briser  sa  vocation.  Léobard  ne  trouva 
pas  que  le  monastère  de  Saint-Martin,  qui  était  l'asile  de  la  pé- 
nitence, fût  celui  de  la  charité.  Il  fut  même  si  scandalisé  d'un 
différend  survenu  entre  quelques  moines  qu'il  prit  la  résolu- 
tion de  quitter  cette  retraite.  Il  s'en  ouvrit  à  Grégoire,  son 
évêque,  qui  lui  fit  connaître  que  c'était  une  tentation;  il  lui 
remontra  qu'il  faut  s'attendre  à  trouver  des  imperfections  et 
même  des  passions  dans  les  plus  saintes  communautés,  parce 
qu'on  y  trouve  des  hommes  ;  que  Dieu  le  permet  ainsi  afin  que 
les  fautes  des  uns  servent  d'exercice  à  la  vertu  des  autres  ; 
qu'au  reste  il  y  aurait  de  l'injustice  à  attribuer  à  la  vie  religieuse 
des  défauts  qu'elle  s'efforce  de  corriger.  Pour  le  mieux  con- 
vaincre de  ces  vérités,  il  lui  envoya  les  Vies  des  Pères  du  désert 
et  les  Institutions  monastiques  de  Gassien. 

Léobard  profita  si  bien  de  ces  leçons  qu'il  fit  servir  à  son 
avancement  ces  imperfections  mêmes  qui  l'avaient  scandalisé. 
Sa  douceur  était  inaltérable,  et  sa  charité  s'étendait  à  tout.  Du 
fond  de  sa  cellule  il  s'intéressait  au  bien  des  peuples  et  à 
celui  des  princes  qui  les  gouvernaient.  Il  priait  particulière- 
,ment  pour  le  clergé.  Sa  piété  était  sans  ostentation.  Il  n'affec- 
tait pas,  comme  font  quelques-uns,  dit  Grégoire  de  Tours, 
d'avoir  une  longue  chevelure  et  une  longue  barbe  ;  mais  il  se 
faisait  couper  l'une  et  l'autre  de  temps  en  temps  :  ce  qui  montre 
qu'il  y  avait  de  ces  solitaires  qui  mettaient  une  sorte  de  vanité 
à  porter  les  cheveux  longs  et  la  barbe  inculte. 

Parmi  plusieurs  miracles  qu'on  rapporte  de  S.  Léobard,  le 
plus  éclatant  fut  la  guérison  d'un  aveugle ,  à  qui  il  rendit  la 
vue  en  lui  faisant  le  signe  de  la  croix  sur  les  yeux.  Le  saint 
solitaire,  ayant  passé  vingt-deux  ans  dans  sa  cellule,  tomba  ma- 
lade le  dixième  mois ,  c'est-à-dire  en  décembre ,  et  envoya 
prier  Grégoire,  son  évêque,  de  venir  le  visiter  et  de  lui  donner 
les  eulogies  (i)  :  ce  qu'on  doit  ici  entendre  de  l'Eucharistie. 

(1)  Eulogie  signifie  quelquefois  dans  les  anciens  auteurs  YEucharistie.  Én  effet, 
S.  Paul  nomma  le  sang  de  Jésus-Christ:  to  icot^ptov  Tr,ç  sCXo^ia;  :  calix  benedi- 
ctionis.  Nous  avons  marqué  ailleurs  d'autres  significations  du  mot  eulogie. 


[577]  Ei\T  FRAN'CE.   —  LIVRE  VII.  451 

Après  les  avoir  rerues  et  pris  un  peu  de  vin,  probablement 
par  forme  d'ablution,  il  dit  :  «  Ma  mort  est  différée  pour 
quelque  temps;  mais  je  serai  appelé  avant  le  saint  jour  do 
Pâques  (1).  »  Il  mourut  en  effet  un  dimanche  du  douzième 
mois,  c'est-à-dire  du  mois  de  février,  on  ne  sait  quelle  année. 
Il  est  honoré  le  18  janvier  et  nommé  vulgairement  S.  Liberd. 

Le  Maine  était  devenu  pour  la  Gaule  une  nouvelle  Thébaïde 
par  le  grand  nombre  de  saints  solitaires  qui  venaient  de  toutes 
parts  s'y  établir,  et  s'y  livraient  aux  exercices  de  l'apostolat 
et  à  ceux  de  la  vie  érémitique.  Les  mœurs  des  habitants  four- 
nissaient matière  à  leur  zèle  ,  tandis  que  les  bois  dont  le  pays 
était  couvert  les  invitaient  à  la  solitude.  Nous  avons  déjà  fait 
connaître  plusieurs  de  ces  saints  :  en  voici  quelques  autres. 

S.  Fraimbauld  et  S.  Constantien,  l'un  et  l'autre  originaires 
d'Auvergne,  vinrent  éclairer  le  Maine  par  leurs  vertus  et  par 
leurs  prédications.  Ils  ne  sortaient  de  leur  solitude  que  pour 
aller  travailler  de  temps  en  temps  au  salut  du  prochain  ,  et  cet 
amour  de  la  retraite  donnait  plus  d'efficacité  à  leur  zèle  :  car 
lorsqu'on  veut  convertir  le  monde  il  ne  faut  pas  aimer  à  s'y 
faire  voir.  Fraimbauld  se  bâtit  un  oratoire  en  un  endroit 
nommé  aujourd'hui  Saint-Fraimbauld  de  Prière,  et  il  mou- 
rut saintement  le  15  août  dans  un  autre  lieu  qu'on  a  depuis 
appelé  Saint-Fraimbauld-siir-Pisse.  On  ne  célèbre  sa  fête  que 
le  16  du  même  mois.  Ses  reliques  furent  transférées  à  Senlis, 
où  la  reine  Adélaïs,  femme  de  Hugues  Capet  ,  fît  bâtir  une 
église  collégiale  en  son  honneur. 

S.  Constantien  se  fixa  à  l'autre  extrémité  de  la  forêt  de  Nuz, 
et  se  bâtit  un  monastère  sur  le  territoire  de  Javron  vers  cette 
époque.  Les  reliques  de  ce  saint  abbé  y  demeurèrent  jusqu'aux 
ravages  des  Normands  ;  elles  furent  d'abord  portées  au  Mans , 
ensuite  à  Breteuil  en  Beauvoisis,  où  elles  étaient  en  grande 
vénération. 

Les  SS.  Ernée  et  Aînée,  Gault  et  Front  édifiaient  vers  ce 


(1)  Greg.  Vit.  PP..  c.  xx. 


452  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

même  temps  divers  cantons  du  Maine.  S.  Ernée  fut  enterré  à 
Ceaucé.  Il  est  honoré  le  11  septembre,  et  S.  Aînée  le  9  août. 
Ils  étaient  venus  l'un  et  l'autre  d'Aquitaine.  S.  Gai  ou  Gault 
s'établit  sur  le  territoire  de  Laval;  S.  Front  se  bâtit  une  cellule 
vers  le  lieu  où  s'est  depuis  formée  la  ville  de  Domfront,  à  la- 
quelle quelques-uns  croient  qu'il  a  donné  son  nom  (1).  La 
crainte  de  reproduire  des  faits  fabuleux  ou  incertains  nous 
empêche  d'entrer  dans  de  plus  grands  détails  sur  la  vie  de  ces 
saints  solitaires. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  de  la  ferveur  d'un  grand  nombre 
de  saints  moines  établis  dans  l'Armorique  Bretonne.  Le  pays 
nantais,  qui  n'était  pas  occupé  par  les  Bretons ,  ne  fournissait 
pas  des  exemples  moins  édifiants.  S.  Friard ,  natif,  à  ce  qu'on 
croit ,  de  la  paroisse  de  Besné  dans  le  duché  de  Goislin ,  se  re- 
tira près  de  Nantes  dans  une  petite  île  de  la  Loire  nommée 
Yindunet ,  pour  y  mener  la  vie  solitaire  avec  l'abbé  Sapaudus 
et  le  diacre  Secondel.  Mais  l'abbé,  qui  devait  donner  l'exemple 
aux  autres,  eut  moins  de  courage  que  ses  compagnons.  Il  se 
dégoûta  bientôt  d'une  si  grande  solitude ,  et  rentra  dans  le 
monde  ;  ce  dernier  parti  lui  fut  bien  funeste  :  car  il  fut  tué  peu 
de  temps  après  (2).  C'est  apparemment  cet  abbé  Sapaudus  que 
S.  Aubin  d'Angers  avait  député  en  549  au  cinquième  concile 
d'Orléans. 

Secondel  abandonna  aussi  la  solitude,  trompé  par  une  illu- 
sion du  démon ,  qui  lui  fît  accroire  qu'il  était  assez  saint  pour 
aller  édifier  le  monde  par  ses  vertus  et  s'en  faire  admirer  par 
ses  miracles.  Mais  il  revint  dans  l'île  quelque  temps  après 
et  répara  cette  faute  par  un  redoublement  de  ferveur. 
Friard  était  bien  éloigné  de  donner  dans  un  pareil  piège. 

(1)  Courvaisier  et  Bondonnet,  dans  V Histoire  des  évêques  du  Mans,  prétendent 
que  le  nom  de  Domfront  a  été  formé  de  domus  Frontonis,  ou,  ce  qui  est  plus  pro- 
bable, de  domus  Fronto.  Domus  se  mettait  souvent  pour  sanctus,  et  nos  ancêtres 
exprimaient  en  français  domus  par  dam;  comme  Dam  Dieu,  Dominus  Deus  ;  c'est 
pourquoi  on  a  dit  aussi  Dam  front.  D'autres  ont  cru  que  cette  ville,  étant  située  sur 
les  confins  du  Maine  et  de  la  Normandie,  avait  été  nommée  à  cause  des  Normands- 
Danois,  Danifrons. 

(2)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.,  c.  x. 


[577]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  453 

On  rapporte  un  trait  de  sa  modestie  plus  digne  d'admira- 
tion que  le  prodige  qui  en  fut  l'occasion.  Cet  humble  soli- 
taire, voyant  qu'un  bâton  sec  qu'il  avait  enfoncé  dans  la  terre 
avait  reverdi,  et  qu'on  venait  de  toutes  parts  admirer  cet 
arbre  qu'on  jugeait  miraculeux,  le  coupa  pour  s'oter  tout  sujet 
de  vaine  gloire. 

La  mort  de  Friard  acheva  de  faire  connaître  sa  vertu.  Ce 
saint  ermite,  étant  tombé  malade,  envoya  prier  S.  Félix, 
évêque  de  Nantes ,  de  venir  le  visiter  avant  son  décès ,  qui 
arriverait  un  dimanche.  Félix,  qui  avait  quelques  affaires ,  lui 
fît  dire  qu'il  ne  pouvait  aller  le  voir  sitôt  (1).  Alors  Friard  se 
leva  sans  fièvre,  en  disant  :  «  Il  est  juste  d'attendre  son 
évêque.  »  Félix  étant  arrivé  quelque  temps  après,  Friard  lui 
dit  :  «  Saint  évêque,  vous  retardez  bien  le  voyage  que  j'ai  à 
faire.  »  Aussitôt  la  fièvre  le  reprit,  et,  après  avoir  passé  la  nuit 
du  samedi  en  prière  avec  l'évêque ,  il  mourut  saintement  le 
dimanche  matin,  et,  à  ce  qu'on  croit,  le  premier  jour  du  mois 
d'août  :  ce  qui  fixerait  l'époque  de  sa  mort  à  l'an  577.  S.  Félix, 
ayant  lavé  (2)  et  revêtu  son  corps,  l'enterra  dans  un  lieu  où 
s'est  élevée  depuis  une  église  paroissiale  dédiée  sous  l'invoca- 
tion de  S.  Friard  et  de  S.  Secondel.  On  ne  fait  la  fête  de  S.  Friard 
dans  l'Église  de  Nantes  que  le  2  août. 

Dans  le  même  diocèse,  S.  Martin  de  Yertou  s'adonna  d'abord 
aux  fonctions  de  l'apostolat  et  ensuite  aux  exercices  de  la  vie 
solitaire  et  cénobitique.  Il  était  né  à  Nantes  d'une  famille  dis- 
tinguée. L'évêque  Félix,  l'ayant  ordonné  diacre,  l'envoya  prê- 
cher la  foi  et  la  pénitence  à  Herbadille,  ville  bâtie  par  les  habi- 
tants fugitifs  de  Nantes,  à  deux  lieues  de  la  Loire,  vers  les  li- 
mites du  Poitou.  On  prétend  que  ce  peuple  endurci  se  moqua 
des  discours  de  ce  saint  missionnaire,  et  que  la  ville  fut  peu  de 
temps  après  engloutie  dans  le  sein  de  la  terre  ou  submergée 

(1)  Ibid. 

(2)  On  voit  par  un  grand  nombre  d'exemples  que  la  ooutume  était  de  laver  les 
corps  morts  et  de  les  revêtir  d'habits,  avec  lesquels  on  le»  enterrait. 


45  4  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

parles  eaux  (1) ,  vers  l'an  580  (2).  Mais  nous  ne  trouvons  pas 
ce  fait  assez  bien  appuyé  pour  oser  le  garantir. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  S.  Martin  fît  ensuite  divers  pèlerinages 
dans  les  pays  étrangers  et  visita  les  plus  célèbres  monastères 
pour  s'instruire  et  s'édifier;  puis  il  revint  dans  le  pays 
nantais,  résolu  d'y  mener  la  vie  solitaire.  Mais  les  talents 
dont  il  était  doué  ne  lui  avaient  pas  été  donnés  pour  ne  tra- 
vailler qu'à  son  salut.  Sa  réputation  lui  ayant  attiré  un  grand 
nombre  de  disciples  dans  sa  retraite,  il  bâtit  un  monastère  en 
l'honneur  de  S.  Jean-Baptiste  à  deux  lieues  de  Nantes, 
dans  un  lieu  nommé  Vertou ,  et  y  établit  une  règle  qu'il  avait 
apportée  d'au  delà  des  Alpes,  probablement  celle  de  S.  Benoît. 
Il  bâtit  dans  la  suite  deux  autres  monastères  en  un  lieu  nommé 
Durin  (3) ,  l'un  pour  les  hommes  et  l'autre  pour  les  filles,  et 
gouverna  jusqu'à  trois  cents  moines.  Il  mourut  fort  âgé  sur  la 
fin  de  ce  siècle ,  et  Dieu  attesta  après  sa  mort  sa  sainteté  par 
plusieurs  miracles.  L'Église  honore  sa  mémoire  le  24  octobre. 
Baronius  l'a  confondu  avec  S.  Martin  abbé  de  Saintes  et  dis- 
ciple du  grand  S.  Martin  (4). 

S.  Junien  acquit  dans  le  Poitou  une  grande  célébrité.  Il 
était  né  d'une  famille  noble  du  pays  ;  mais,  pour  éviter  les 
pièges  du  monde ,  il  renonça  généreusement  à  tous  les  avan- 
tages qu'il  lui  promettait  et  se  retira  dans  un  endroit  solitaire 
nommé  Ghaulnai  (5).  Ste  Radegonde,  qui  entendit  parler  de  ses 
vertus,  se  lia  d'une  sainte  amitié  avec  lui.  Ils  s'envoyaient  des 
présents  conformes  à  leurs  pieuses  inclinations ,  c'est-à-dire 
des  instruments  de  pénitence.  Ste  Radegonde  donna  à  Junien 
un  cilice  qu'elle  avait  fait  de  ses  mains ,  et  Junien  lui  envoya 
une  chaîne  de  fer  dont  elle  se  ceignit  .  Les  liaisons  que  la  vertu 

(1)  Il  y  a  auprès  de  l'ancien  emplacement  d'Herbadille  un  grand  lac  qu'on  pré- 
tend s'être  formé  des  eaux  qui  submergèrent  la  ville.  Il  est  plus  probable  que  c'est 
ce  lac  qui  a  fait  naître  l'opinion  que  la  ville  avait  été  submergée. 

(2)  Vita  Martini,  apud  Mabill. 

(3)  Ce  lieu  est  nommé  en  latin  Durivum  ,  à  cause  du  confluent  de  deux  ruis- 
seaux. 

(t)  Soi.  ad  Mart.,  2i  oct.  —  (5)  Yulsinus  Brenus,  FIT*.  S.Juniani. 


[577]  EN  FRANCE.    LIVRE  VII.  455 

forme  entre  les  saints  sont  les  plus  douces  et  les  plus  cons- 
tantes. La  mort  môme  ne  fit  qu'unir  plus  étroitement  Junien 
et  Radegonde  :  car  Dieu  les  appela  à  lui  le  même  jour  et  à  la 
même  heure ,  comme  nous  le  dirons  dans  la  suite. 

Junien,  voyant  le  nombre  de  ses  disciples  s'accroître,  bâtit 
un  monastère  dans  la  terre  de  Mairé,  que  Glotaire  lui  donna. 
Mais,  pour  mieux  vaquer  à  la  prière,  il  se  retirait  de  temps  en 
temps  dans  son  ermitage  de  Chaulnai.  Il  y  mourut  dans  une 
grande  vieillesse  le  13  août  587,  après  avoir  désigné  pour  son 
successeur  dans  le  gouvernement  de  sa  communauté  Aure- 
moncl,  son  disciple  et  son  filleul.  Le  monastère  de  Mairé  n'est 
plus  aujourd'hui  qu'une  paroisse  qu'on  nomme  Mairé-l'Eves- 
caut.  Les  reliques  de  S.  Junien  ont  été  dans  la  suite  transférées 
au  monastère  de  Noaillé,  où  la  crainte  des  calvinistes  les  a  si 
bien  fait  cacher  qu'on  ne  les  a  plus  retrouvées. 

En  Auvergne,  S.  Galuppan  était  religieux  dans  le  monastère 
de  Melet,  dont  il  ne  reste  depuis  longtemps  aucun  vestige. 
Gomme  ses  austérités  l'avaient  rendu  si  faible  qu'il  ne  pou- 
vait travailler,  le  prévôt  du  monastère  lui  en  faisait  de  fré- 
quents reproches,  disant  qu'un  moine  qui  ne  travaille  pas, 
ne  doit  pas  manger.  Pour  les  éviter,  Caluppan  se  retira  dans 
le  creux  d'un  rocher  voisin,  où  il  mena  une  vie  angélique.  Il 
eut  beaucoup  à  souffrir  dans  ce  lieu,  et  il  racontait  à  Grégoire 
de  Tours,  qui  alla  le  visiter  avec  S.  Avite  évêque  d'Auvergne, 
que  souvent  les  serpents  lui  tombaient  sur  la  tète  et  s'entor- 
tillaient autour  de  son  cou,  lorsqu'il  était  en  prière.  Mais 
rien  ne  put  l'engager  à  sortir  de  son  ermitage,  qu'il  regarda 
en  y  entrant  comme  son  tombeau.  Il  y  vivait  du  pain  qu'on 
lui  envoyait  du  monastère  et  de  l'eau  qui  dégouttait  de  la 
voûte  de  sa  grotte.  Les  malades  accouraient  à  lui  de  toutes 
parts  ;  mais  il  Tle  se  montrait  pas  et  il  passait  seulement 
la  main  par  une  petite  fenêtre  pour  faire  sur  eux  le  signe  de 
la  croix  (1).  Il  mourut  renommé  par  ses  miracles  cà  l'âge  de 

(t)  Greg.  Tur.  Vit.  PP.:  c.  xi  ;  Hist.j  1.  V,  c.  ix. 


456  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

cinquante  ans,  en  576;  plusieurs  martyrologes  en  font  men- 
tion le  3  mars. 

La  même  année  mourut  S.  Patrocle,  illustre  solitaire  qui 
fut  une  des  lumières  du  Berri,  sa  patrie.  Il  était  né  dans  une 
modeste  condition,  et  il  garda  quelque  temps  les  troupeaux 
de  son  père.  Une  raillerie  de  son  frère,  qui  étudiait,  le  porta  à 
aller  aussi  à  l'école,  où  il  fît  en  peu  de  temps  de  grands  pro- 
grès (i).  On  le  mit  ensuite  auprès  d'un  courtisan  de  Childe- 
bert,  roi  de  Paris,  pour  achever  de  le  former.  Patrocle  se  fit 
estimer  à  la  cour  par  ses  talents  et  encore  plus  par  sa  sagesse. 
Ayant  été  obligé  de  revenir  dans  le  Berri,  après  la  mort  de  son 
père,  sa  mère,  qui  le  regardait  comme  devant  être  la  consola- 
tion de  sa  vieillesse,  voulut  le  marier.  Il  répondit  qu'il  avait 
un  autre  dessein,  et,  sans  s'expliquer  davantage,  il  alla  se 
jeter  aux  pieds  de  S.  Arcade,  alors  évêque  de  Bourges,  lui 
demandant  avec  instance  la  tonsure  cléricale.  Le  saint  évêque 
la  lui  donna  aussitôt,  et  quelque  temps  après  il  l'ordonna 
diacre. 

Patrocle  paraissait  irréprochable  dans  l'exercice  de  son  mi- 
nistère :  on  lui  lit  un  crime  de  ses  vertus  mêmes.  Comme 
l'amour  de  l'abstinence  et  de  la  prière  l'empêchait  de  se  trouver 
à  la  table  commune  des  clercs,  l'archidiacre  l'en  reprit  avec 
aigreur,  et  lui  dit  de  vivre  comme  les  autres  ou  de  se  retirer 
ailleurs  :  ce  qui  montre  que  les  clercs  vivaient  en  commu- 
nauté. Patrocle,  qui  songeait  à  mener  une  vie  plus  parfaite,  se 
retira  dans  le  bourg  de  Néris  (2),  où  il  bâtit  un  oratoire  en 
l'honneur  de  S.  Martin.  Sa  principale  occupation  était  d'en- 
seigner les  lettres  aux  jeunes  enfants.  Sa  vertu  ne  tarda  pas  à 
éclater  dans  cet  emploi ,  aussi  pénible  qu'obscur ,  et  on  lui 
amenait  de  toutes  parts  des  possédés  qu'il  délivrait.  Mais, 
comme  il  vit  que  sa  réputation  nuisait  à  son  amour  de  la  soli- 
tude, il  résolut  de  quitter  ce  lieu.  Il  établit  une  communauté 

(1)  Greg.  Hist.,  1.  V,  c.  x  ;  VU.  PP.,  c.  ix. 

(2)  La  table  de  Peutinger  fait  mention  d'un  lieu  nommé  Aquœ  Neri.  De  Valois 
croit  que  c'est  Néris  en  Bourbonnais,  et  que  ce  fut  là  que  S.  Patrocle  se  retira. 


[577]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  vu.  457 

de  religieuses  auprès  de  son  oratoire  ,  et  sortit  de  Néris  sans 
rien  emporter  qu'un  râteau  et  une  hache,  avec  laquelle  il  se 
fit  une  petite  cellule  dans  le  fond  d'une  forêt. 

Il  bâtit  dans  la  suite  le  monastère  de  Colombières ,  à  cinq 
quarts  de  lieue  environ  de  sa  nouvelle  cellule;  mais  il  y  établit 
un  abbé  pour  n'être  pas  obligé  d'interrompre  sa  retraite.  Ce- 
pendant ses  vertus  le  firent  élèvera  la  prêtrise  :  ce  fut  pour  lui 
une  nouvelle  raison  de  redoubler  ses  austérités.  Il  portait 
continuellement  le  cilice  et  ne  buvait  jamais  de  vin.  Toute  sa 
nourriture  était  du  pain  trempé  dans  l'eau  avec  un  peu  de  sel, 
et  sa  boisson  de  l'eau  tempérée  par  un  peu  de  miel  (1).  Quand 
on  traite  sa  chair  de  la  sorte,  elle  est  bientôt  soumise  à  l'esprit, 
et  l'esprit  soumis  à  Dieu.  Une  oraison  presque  continuelle  était 
en  effet  toute  l'occupation  et  toutes  les  délices  de  Patrocle  :  il 
ne  l'interrompait  de  temps  en  temps  que  pour  lire  ou  écrire, 
persuadé  que  la  prière  et  le  travail  sont  l'unique  moyen  de 
sanctifier  la  solitude  et  d'en  prévenir  l'ennui.  Il  passa  ainsi 
dix-huit  ans.  Il  fut  enterré  à  Colombières,  où  trois  aveugles 
recouvrèrent  la  vue  à  son  tombeau.  Quelques-uns  le  nomment 
vulgairement  S.  Parre. 

S.  Lomer,  originaire  du  pays  chartrain,  se  retira  d'abord 
dans  les  forêts  du  Perche  pour  y  mener  la  vie  érémitique. 
Des  voleurs,  s'imaginant  qu'il  avait  de  l'argent,  formèrent  le 
dessein  de  le  lui  enlever;  mais  ils  errèrent  longtemps  dans 
les  bois,  et,  en  paraissant  devant  le  saint  homme,  ils  furent 
tellement  frappés  de  l'air  de  sainteté  qui  éclatait  sur  son  vi- 
sage, qu'ils  se  jetèrent  à  ses  pieds,  lui  confessant  leur  mauvais 
dessein  et  lui  en  demandant  pardon.  Il  leur  dit  (2)  :  «  Vous 
vous  étiez  trompés  :  Jésus-Christ  est  tout  mon  trésor;  je  vous 
pardonne,  que  le  Seigneur  ait  pitié  de  vous.  »  Il  retint  trois 
jours  ces  voleurs,  qui  ne  se  séparèrent  de  lui  qu'à  regret  et 
pour  aller  publier  ses  vertus.  Cette  aventure  fit  connaître 
Lomer.  Plusieurs  disciples  s'étant  joints  à  lui,  il  bâtit  dans  ces 


(1)  Greg.  Tur  ,  1.  V,  c.  x.  —  (2)  Vita  Launomari,  apud  Boll.,  19  jaimar. 


458  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

forêts  un  monastère,  qui  fut  appelé  de  son  nom  Bellomer. 
Plus  tard  un  seigneur  du  pays  nommé  Ragnosinthe  lui  donna 
la  terre  de  Corbion  au  territoire  de  Dreux,  où  il  bâtit  un  autre 
monastère  la  seconde  année  de  Chilpéric. 

Le  saint  abbé  gouvernait  depuis  longtemps  ce  monastère  en 
paix  et  il  était  parvenu  à  une  grande  vieillesse,  lorsque,  l'évê- 
que  (1)  de  Chartres  l'ayant  appelé  auprès  de  lui,  il  tomba  ma- 
lade. Le  prélat  lui  en  témoignant  sa  douleur  par  ses  larmes, 
Lomer  lui  dit  :  «  Saint  évêque,  ne  vous  affligez  point.  La  mort- 
est  une  loi  que  nous  devons  tous  subir  ;  mais  je  l'envisage  avec 
joie,  parce  que  j'ai  confiance  en  la  miséricorde  infinie  de  mon 
Dieu.  Quand  on  me  donnerait  le  choix  de  demeurer  sur  la 
terre,  je  ne  l'accepterais  point,  pour  ne  pas  voir  la  désolation  de 
cette  province  et  le  sac  de  cette  ville.  Mais  rassurez-vous  : 
vous  n'aurez  pas  non  plus  la  douleur  d'être  le  spectateur  de 
ces  maux  et  vous  mourrez  avant  le  siéçede  Chartres.  »  Nous 
verrons  comment  cette  prophétie  se  réalisa.  S.  Lomer  mourut 
le  19  janvier  et  fut  enterré  dans  l'église  du  monastère  de 
Saint-Martin  en  Yallée.  Mais  Regnobert,  son  successeur  dans 
le  gouvernement  du  monastère  de  Corbion,  ayant  inutilement 
redemandé  son  corps,  le  fit  enlever  furtivement  par  deux  de 
ses  religieux,  qui,  pour  mieux  exécuter  leur  dessein,  se  firent 
moines  à  Saint-Martin  en  Yallée. 

Dans  l'Angoumois,  S.  Eparchius,  vulgairement  appelé  S.  Ci- 
bar,  ne  faisait  pas  moins  honneur  à  la  vie  cénobitique  et  à  la 
vie  solitaire,  qu'il  mena  successivement.  Il  était  issu  d'une  des 
premières  familles  du  Périgord  ;  mais,  prévenu  par  la  grâce  dès 
sa  jeunesse,  il  préféra  l'amour  de  la  croix  et  de  la  pauvreté  à 
tous  les  avantages  de  la  fortune  ;  et  il  n'attendit  pas  pour  s'ar- 
racher aux  plaisirs  du  monde,  qu'il  en  eût  éprouvé  la  vanité 
et  le  danger.  A  l'âge  de  quinze  ans  il  alla  se  jeter  aux  pieds  de 

(1)  La  Vie  de  S.  Lomer  nomme  cet  évêque  de  Chartres  Malard  ou  Maillard.  Ou 
croit  que  c'est  une  faute,  et  qu'il  faut  lire  Pappole.  Car  S.  Malard  n'a  vécu  qu'après 
la  prise  de  Chartres.  Ce  serait  peut-être  une  raison  de  reconnaître  deux  Malard 
évêques  de  Chartres. 


1577]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  459 

Martin,  abbé  de  Sédaciac,  le  conjurant  de  lui  donner  l'habil 
monastique.  On  le  reçut  avec  joie  dans  ce  monastère,  et  il  y 
passa  quelques  années  dans  une  grande  ferveur  (1). 

Aphtone,  évêquc  d'Angoulême,  ayant  connu  Eparchius  lors 
d'un  voyage  que  celui-ci  avait  été  obligé  de  faire,  fut  si  édi- 
fié de  ses  vertus  qu'il  le  pria  de  fixer  sa  demeure  dans  son 
diocèse.  Le  saint  moine  voulut  avoir  le  consentement  de  son 
abbé  et  de  son  évèque,  qui  était  Sabaudes  de  Périgueux  (2). 
Après  l'avoir  obtenu  non  sans  peine,  il  s'associa  quelques 
disciples  et  s'enferma  dans  une  cellule  où  il  demeura  jus- 
qu'à sa  mort,  c'est-à-dire  pendant  trente-neuf  ans  (3).  Il  s'y 
ensevelit  tout  vivant  comme  dans  un  tombeau  pour  mourir 
plus  parfaitement  au  monde.  L'office  divin  y  était  toute  son 
occupation  et  toute  sa  consolation.  Il  passait  les  jours  et  les 
nuits  à  le  réciter,  et  son  attrait  pour  la  prière  était  si  grand, 
qu'il  ne  voulait  pas  que  ses  disciples  travaillassent  des  mains  : 
il  leur  recommandait  plutôt  de  s'adonner  entièrement  à  l'orai- 
son. Le  saint  solitaire  se  distingua  par  une  compassion  tendre 
pour  tous  les  malheureux  :  ceux  qui  sont  les  plus  durs  envers 
eux-mêmes  sont  communément  les  plus  sensibles  aux  souf- 
frances des  autres.  Il  rachetait  par  le  ministère  de  ses  disciples 
un  grand  nombre  d'esclaves  avec  les  aumônes  qu'on  lui  fai- 
sait ,  et  il  se  servait  auprès  des  juges  du  crédit  que  lui  donnait 
sa  vertu  pour  délivrer  les  criminels  condamnés  à  mort  :  cha- 
rité que  Dieu  a  quelquefois  autorisée  en  lui  par  d'éclatants 
miracles.  Il  mourut  en  581,  le  1er  juillet,  jour  auquel  on 
célèbre  sa  fête  (4).  On  a  bâti  après  sa  mort  un  monastère  ap- 
pelé de  son  nom  Saint-Cibar  :  car  c'est  ainsi  que  l'usage  et  le 
peuple  ont  défiguré  le  nom  &  Eparchius. 

(I)  17/.  Eparchii.  —  (2)  Le  P.  Mabillon  hésite  à  décider  si  Sabaudes  était  évêque 
de  Périgueux  ou  de  Saintes,  et  il  dit  qu'il  faudrait  le  mettre  dans  le  catalogue  des 
éveques  de  l'un  de  ces  sièges.  11  n'avait  pas  fait  attention  que  les  frères  de  Sainte- 
Marthe  l'ont  inséré  parmi  les  évêques  de  Périgueux. 

(3)  L'auteur  de  la  Vie  de  S.  Cibar  ne  lui  donne  que  trente-neuf  ans  de  réclusion  ; 
Crégoire  de  Tours  en  marque  quarante -quatre.  Ce  dernier  compte  peut-être  les 
années  que  Cibar  passa  dans  son  premier  monastère. 

(4)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  VI,  c.  viii. 


460  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

S.  Arédius  ou  Yrieix  faisait  en  ce  même  temps  fleurir  la  dis- 
cipline monastique  dans  le  Limousin.  Il  naquit  à  Limoges, 
d'une  riche  famille,  et  fut  élevé  à  la  cour  de  Théodebert,  roi 
d'Àustrasie.  S.  Nicet  de  Trêves,  qui  le  connut  alors,  eut  quel- 
que pressentiment  des  desseins  que  Dieu  avait  sur  lui,  et  s'ap- 
pliqua à  le  désabuser  des  vanités  du  siècle.  Yrieix  fut  docile  à 
ses  leçons  et  quitta  la  cour  pour  s'engager  dans  le  clergé  de 
Trêves  (1).  Il  s'y  forma  pendant  quelques  années  à  la  vertu. 
La  mort  de  son  père  et  de  son  frère  l'ayant  obligé  de  retourner 
à  Limoges  pour  consoler  Pélagie ,  sa  mère ,  il  lui  abandonna 
l'administration  de  tous  ses  biens,  se  réservant  le  soin  de  faire 
bâtir  des  églises  en  l'honneur  des  saints.  Il  fonda  un  monas- 
tère près  de.  Limoges ,  dans  un  lieu  nommé  alors  Atane ,  au- 
jourd'hui Saint- Yrieix,  où  la  plupart  de  ses  serviteurs,  à  qui  il 
avait  inspiré  des  sentiments  de  piété,  embrassèrent  la  vie  reli- 
gieuse. Les  domestiques  sont  portés  naturellement  au  bien 
sous  un  maître  vertueux.  Yrieix  établit  à  Atane  une  règle 
composée  de  celles  de  Cassien,  de  S.  Basile  et  des  plus  cé- 
lèbres instituteurs  de  la  vie  monastique. 

La  vertu  du  saint  abbé  et  le  don  des  miracles,  qu'il  avait 
reçu  du  Ciel,  le  firent  respecter  des  princes  de  la  terre.  Sa  cha- 
rité le  rendait  auprès  d'eux  l'avocat  et  le  défenseur  des  peuples 
opprimés ,  et  il  se  rendit  deux  fois  à  la  cour  de  Chilpéric  pour 
demander  quelque  diminution  des  impôts  :  ce  que  ce  prince 
ne  put  lui  refuser.  Yrieix  avait  une  dévotion  particulière  pour 
S.Martin,  et  pour  la  satisfaire  il  visitait  souvent  son  tom- 
beau. Sentant  sa  fin  approcher,  il  voulut  encore  faire  ce  pèle- 
rinage et  se  trouver  à  la  fête  du  saint  évêque.  C'était  celle  du 
mois  de  juillet.  Peu  de  tempsaprès  son  retour  à  sonmonastère, 
il  tomba  malade  au  mois  d'août  d'une  dyssenterie.  Il  appela 
aussitôt  un  serviteur  et  lui  dit  :  Allez  dire  à  Astidius  qu'il  se 
presse  de  venir  :  car  il  doit  gouverner  ce  monastère  après  moi. 
Il  fit  en  môme  temps  assembler  ses  moines,  leur  recommanda 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  X,  c.  xxix. 


[57  7]  EX  FRANCE.    LIVRE  VII.  461 

de  se  souvenir  des  avis  qu'il  leur  avait  donnés,  et  surtout  de 
penser  souvent  aux  jugements  de  Dieu.  Après  quoi,  les  ayant 
embrassés  tendrement  pour  leur  faire  ses  adieux  (1),  il  leva 
les  yeux  au  ciel  et  dit  avec  larmes  :  «  Seigneur,  rédempteur 
du  monde,  souvenez-vous  de  moi,  vous  qui  seul  êtes  sans 
péché,  et  délivrez-moi  de  ce  corps  de  mort.  Vous  êtes  mon 
protecteur  et  mon  Dieu;  je  remets  mon  âme  entre  vos  mains, 
recevez-la  selon  votre  grande  miséricorde.  »  Il  expira  en  di- 
sant ces  paroles,  âgé  de  plus  de  quatre-vingts  ans,  le  25  août 
591.  Astidius,  qui  étaitson  neveu,  le  trouva  mort  quand  il 
arriva . 

S.  Ferréol,  évéque  de  Limoges,  se  rendit  en  diligence  au 
monastère  d'Atane,  pour  y  faire  les  funérailles  de  S.  Yrieix.  Il 
avait  une  telle  vénération  pour  ce  saint  abbé,  qu'aussitôt  qu'il 
se  sentait  malade  il  avait  recours  à  ses  prières  comme  au  re- 
mède le  plus  efficace,  quoiqu'il  opérât  lui-même  des  miracles. 
Il  avait  succédé  sur  le  siège  de  Limoges  à  Esotius,  qui  gou- 
verna cette  Église  quinze  ans  et  qui  se  rendit  recommandable 
par  sa  chasteté,  par  sa  patience  et  par  son  zèle  pour  la  décoration 
des  églises  (2).  Nous  aurons  encore  occasion  ailleurs  de  parler 
de  S.  Ferréol. 

S.  Yrieix  avait  fait,  du  vivant  et  avec  l'agrément  de  sa  mère 
Pélagie,  un  testament  daté  du  31  octobre  de  la  onzième  année 
de  Sigebert,  c'est-à-dire  de  l'an  572  (3),  par  lequel  il  institue 
ses  héritiers  S.  Martin  de  Tours  et  son  monastère  d'Atane,  qu'il 
soumet  à  l'église  de  Saint-Martin  (4).  Ce  que  nous  y  remar- 
quons déplus  particulier,  c'est  que  ce  saint  abbé  conjure  le 
prévôt  de  Saint-Martin  et  les  moines  d'Atane,  par  le  corps  et 
le  sang  de  Jésus-Christ  et  par  les  mérites  de  tous  les  saints,  de 
faire  dire  tous  les  jeudis  une  messe  en  l'honneur  de  S.  Hilaire 

(1)  Vita  Aredii.,  t.  IV  Anal.  —  (2)  Fort.,  1.  IV,  carm.  6. 

(3)  Le  P.  Lecointe  rejette  le  testament  de  S.  Yrieix  comme  une  pièce  supposée 
et  qui  fait  mal  au  cœur,  selon  son  expression.  Le  P.  Mabillon  l'a  donné  comme 
un  acte  authentique,  et  nous  n'y  voyons  rien  qui  ne  s'accorde  avec  les  mœurs 
de  ce  temps-là. 

(4)  Anal,,  t.  II. 


462  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [577] 

et  de  S.  Martin  dans  l'oratoire  dédié  à  S.  Hilaire.  On  voit  par  le 
nombre  des  legs  quels  grands  biens  il  possédait  en  terres  et  en 
esclaves.  Ce  n'est  pas  le  seul  exemple  que  nous  puissions 
citer  de  saints  abbés  qui  aient  disposé  de  leurs  biens  par 
testament  ;  cette  faculté  leur  fut  interdite  dans  la  suite. 

Pélagie,  mère  de  S.  Yrieix,  est  aussi  honorée  comme  sainte 
le  second  jour  du  mois  d'août.  Elle  pria  son  fils  de  ne  la  faire 
enterrer  que  le  quatrième  jour  après  sa  mort,  afin  que  tous 
ceux  qui  avaient  été  à  son  service,  et  à  qui  elle  avait  fait  du 
bien,  eussent  le  temps  de  se  rendre  à  ses  obsèques.  Il  s'y  fil 
plusieurs  miracles  (1), 

Avant  S.  Yrieix,  S.  Yalleri  avait  illustré  le  Limousin  par  l'é- 
clat de  ses  vertus.  Il  était  originaire  de  la  Basse-Germanie.  Sa 
dévotion  envers  S.  Martial  l'ayant  attiré  à  Limoges,  il  s'y  fixa 
et  vit  bientôt  plusieurs  moines  venir  se  ranger  sous  sa  direc- 
tion. Il  est  honoré  le  10  janvier.  Il  faut  le  distinguer  de  S.  Ya- 
lery  du  Ponthieu,  dont  nous  parlerons  dans  la  suite. 

S.  Yrieix  eut  un  disciple  qui  renouvela  dans  les  Gaules  les 
vertus  et  les  merveilles  des  stylites  de  l'Orient.  Il  se  nommait 
Yulfilaïc,  vulgairement  S.  Oui  f  roi  ou  Val f  roi.  Il  était  Lombard 
de  naissance,  et  dès  sa  jeunesse  il  se  sentit  une  tendre  dévo- 
tion pour  S.  Martin.  Il  veillait  souvent  en  son  honneur  dans 
l'église,  et  donnait  aux  pauvres  ce  qu'il  pouvait  amasser  d'ar- 
gent. Comme  le  monastère  d'Atane  était  alors  fort  renommé, 
il  y  entra  pour  se  mettre  sous  la  conduite  de  S.  Yrieix.  Ce  saint 
abbé  conduisit  un  jour  son  nouveau  disciple  à  Tours  au  tom- 
beau de  S.  Martin,  et  y  prit  un  peu  de  terre  qu'il  serra  dans 
une  boite  ;  mais  à  leur  retour  au  monastère  il  trouvèrent  cette 
terre  tellement  multipliée,  que  toute  la  boite  en  était  pleine. 
Ce  miracle  inspira  à  Yulfilaïc  une  nouvelle  confiance  en 
S.  Martin.  Il  quitta  Âtane  quelque  temps  après,  et  se  retira  au 
diocèse  de  Trêves  pour  y  mener  une  vie  encore  plus  parfaite 
et  plus  solitaire  (2).  Il  trouva  environ  à  une  lieue  cl'Yvois, 

(1)  Greg.  Tur.,  de  Glor.  confess.,  c.  civ.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  VIII,  c.  xv. 


[577]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  463 

aujourd'hui  nommé  Garignan,  une  montagne  consacrée  à 
Diane,  et  où  il  y  avait  une  statue  colossale  de  cette  déesse  (1). 
Pour  purifier  ce  lieu  souillé  par  ce  culte  sacrilège  et  réparer 
par  un  culte  saint  l'outrage  fait  à  la  majesté  de  Dieu,  il  y  bâtit 
une  église  et  un  monastère  en  l'honneur  de  S.  Martin,  où  il 
plaça  quelques-unes  de  ses  reliques. 

Mais  les  austérités  de  la  vie  monastique  ne  pouvant  encore 
satisfaire  assez  la  ferveur  de  Vulfilaïc,  il  crut  pouvoir  retracer 
la  merveilleuse  pénitence  des  stylites  orientaux.  Il  érigea  donc 
au  plus  haut  de  la  montagne  une  colonne,  sur  laquelle  il  se 
tint  debout  nu-pieds,  exposé  à  toutes  les  rigueurs  de  l'hiver, 
qui  est  fort  rude  en  ce  pays-là  :  en  sorte  que  le  froid  lui  fit 
tomber  plusieurs  fois  les  ongles  des  pieds.  Sa  nourriture  ne 
consistait  qu'en  un  peu  de  pain  et  d'eau  avec  quelques  herbes. 
La  nouveauté  d'une  pénitence  si  extraordinaire  frappa  les  ha- 
bitants des  environs.  Ils  accouraient  en  foule  au  pied  de  la 
colonne  de  Vulfilaïc ,  et  il  leur  prêchait  de  cette  chaire  la  va- 
nité des  idoles  et  l'indécence  des  chansons  qu'ils  chantaient 
dans  leurs  festins.  Il  leur  représentait  surtout  que  la  Diane 
qu'ils  adoraient  n'était  qu'une  faible  idole,  sourde  à  leurs 
vœux  et  insensible  au  culte  qu'ils  lui  rendaient  (2).  Des  dis- 
cours soutenus  par  une  vie  si  austère  furent  persuasifs  :  ils 
détrompèrent  ces  pauvres  idolâtres. 

Dès  que  le  nouveau  stylite  s'en  aperçut,  il  descendit  de  sa 
colonne  pour  renverser  la  statue,  qui  était  d'une  grandeur 
prodigieuse  :  il  ne  put  d'abord  en  venir  à  bout,  même  avec 
l'aide  de  plusieurs  personnes.  Mais  après  qu'il  eut  fait  sa  prière 
dans  l'église,  la  statue  céda  aux  premiers  efforts,  et  il  la  réduisit 
en  poussière.  À  l'instant  son  corps  parut  tout  couvert  de  pe- 
tits ulcères,  comme  si  le  démon  eût  voulu  se  venger  sur  lui 

il)  On  voit  par  d'anciennes  inscriptions  que  Diane  était  honorée  particulièrement 
dans  la  forêt  d'Ardenne,  sous  le  nom  à'Ârdoine  :  ce  qui  nous  fait  croire  que  cette 
déesse  a  pris  son  nom  de  la  forêt,  ou  qu'elle  lui  a  donné  le  sien.  Or,  la  forêt  d'Ar- 
denne comprenait  une  partie  du  diocèse  de  Trêves,  et  elle  s'étendait  autrefois 
oeaucoup  plus  loin. 

(2)Greg.  Tur.  Hist.,  L  VIII,  c.  xv. 


464  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [57 7 J 

de  l'injure  qu'il  venait  de  recevoir  ;  mais  le  saint  se  remit  en 
oraison  au  pied  de  l'autel,  puis  il  se  frotta  avec  de  l'huile  qu'il 
avait  apportée  de  l'église  de  Saint-Martin  et  s'endormit.  S'é- 
tant  réveillé  vers  minuit  pour  chanter  l'office,  il  se  trouva 
entièrement  guéri,  et  il  remonta  sur  sa  colonne. 

Cependant  on  parlait  diversement  de  son  genre  de  vie,  et 
quelques-uns  craignaient  qu'il  n'y  eût  quelque  exagération 
répréhensihle  dans  une  pénitence  qui  paraissait  si  fort  au- 
dessus  des  forces  humaines.  Les  évêques  voisins  vinrent  donc 
le  trouver  et  lui  dirent  :  «  La  voie  que  vous  suivez  n'est  pas 
sûre  :  vous  n'êtes  pas  en  état  d'imiter  le  célèbre  Siméon  d'An- 
tioche,  et  le  climat  où  nous  sommes  ne  le  permet  pas  :  des- 
cendez plutôt  et  demeurez  avec  les  frères  que  vous  avez  ras- 
semblés. »  Il  montra  par  son  obéissance  et  son  humilité  que 
le  même  esprit  qui  avait  conduit  le  grand  Siméon  son  modèle, 
était  celui  qui  l'animait.  Il  descendit  aussitôt  et  mangea  avec 
les  évêques.  Quelque  temps  après,  celui  de  Trêves  l'envoya 
quérir  sous  quelque  prétexte,  et  pendant  son  absence  il  com- 
manda des  ouvriers  pour  aller  abattre  la  colonne.  Vulfilaïc, 
qui  n'en  vit  que  les  débris  à  son  retour,  ne  put  retenir  ses 
larmes.  Mais  il  n'osa  la  rétablir  par  respect  pour  son  évêque. 
Il  demeura  depuis  ce  temps-là  avec  ses  frères  dans  son  monas- 
tère, où  il  raconta  lui-même  à  S.  Grégoire  de  Tours  tout  ce 
que  nous  venons  de  rapporter  :  il  lui  fit  aussi  le  récit  d'un 
grand  nombre  de  miracles  opérés  dans  l'église  de  son  monas- 
tère par  la  vertu  de  S.  Martin,  et  principalement  pour  la  puni- 
tion des  criminels  qui  avaient  osé  y  faire  de  faux  serments  en 
prenant  S.  Martin  à  témoin  de  leur  innocence  (1). 

C'était  en  effet  l'usage  à  cette  époque,  que  ceux  qui  étaient 
accusés  de  quelque  crime  vinssent  aux  tombeaux  des  saints  les 
plus  renommés  par  leurs  miracles  se  purger  par  serment  (2) 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  VIII,  c.  xv. 

(2)  Nous  avons  un  modèle  de  ces  serments  dans  d'anciennes  formules  qu'on 
nomme  angevines,  parce  qu'elles  ont  été  tirées  des  actes  publics  de  la  ville  d'An- 
gers faits  sous  le  règne  de  Childebert  Ier.  En  voici  la  teneur  :  Juratus  dixit  :  Per 
hune  loco  sancto  et  divina  omnia  sanctorum  patrocinia  qui  hic  requiescunt ,  unde  mihi 


[577]  EX  FRANCE.    LIVRE  VII.  465 

des  crimes  pour  lesquels  ils  étaient  poursuivis  en  justice.  Sou- 
vent môme  la  personne  accusée  en  faisait  jurer  une  autre  pour 
elle.  Ces  sortes  de  serments  étaient  quelquefois  l'occasion  de 
rixes  scandaleuses  et  de  luttes  à  main  armée,  qui  faisaient  cou- 
ler le  sang  jusque  dans  le  lieu  saint.  Une  dame  de  Paris  ayant  été 
accusée  d'adultère  par  son  mari,  le  père  de  cette  femme  alla 
jurer  sur  le  tombeau  de  S.  Denis  qu'elle  était  innocente.  Mais 
à  l'instant  on  s'écria  parmi  les  témoins  qu'il  se  parjurait,  et, 
les  parties  ayant  mis  l'épée  à  la  main  dans  l'église  ,  quelques- 
uns  des  combattants  furent  tués  sur  la  place.  On  mit  l'église 
en  interdit,  et  l'affaire  fut  portée  au  roi,  qui  en  reriYoya  la 
connaissance  à  Ragnemode,  évèque  de  Paris  (1).  La  femme, 
qui  apparemment  était  coupable,  voyant  qu'on  instruisait  son 
procès,  se  pendit. 

On  ne  sait  en  quelle  année  mourut  Vulfilaïc.  Il  est  honoré 
le  21  octobre.  C'est  par  suite  d'une  grave  erreur  que  quelques 
auteurs,  divisant  en  deux  le  nom  de  Vulfilaïcy  l'ont  nommé 
S.  Vulphe,  convers,  quoiqu'il  fût  diacre. 

Dans  une  autre  extrémité  de  la  Gaule,  près  de  Nice  en  Pro- 
vence, vivait  un  saint  solitaire  nommé  Hospice,  qui  était  aussi 
un  parfait  modèle  de  la  vie  solitaire  et  pénitente.  Il  était  tou- 
jours couvert  d'un  rude  cilice  et  ceint  de  grosses  chaînes  de 
fer,  il  ne  mangeait  que  du  pain  avec  quelques  dattes- (2).  En 
carême,  il  ne  vivait  que  de  racines  d'herbes  d'Egypte,  que  les 
marchands  lui  apportaient  :  ce  qui  peut  faire  penser  qu'il  était 
Égyptien.  Il  fut  doué  du  don  de  prophétie  et  dit  un  jour  à 
plusieurs  personnes  qui  entouraient  sa  cellule  :  «  Les  Lombards 


aliquid  homenis  illi  et  germanus  suos  illi  reputaverunt  quod  parente  eorum  illo 
quondam  interfecisse  aut  interficere  rogasse  :  ipsum  non  occisi,  nec  occidere  rogavi, 
nec  consciens,  nec  consentaneus  ad  morte  sua  nunquam  fui,  nec  illud  de  hac  causa 
non  redebio  nisi  illo  edonio  sacramento  quem  judicatum  habui,  legibus  transivi,  etc. 
On  voit  par  cet  extrait  le  latin  barbare  qui  était  alors  en  usage  dans  les  actes  du 
barreau. 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  Y,  c.  xxxm. 

(2)  Les  dattes  sont  le  fruit  du  palmier  ;  Hospice  s'en  faisait  apparemment  ap- 
porter d'Égjpte,  pour  imiter  les  anciens  solitaires,  qui  en  faisaient  leur  nour- 
riture. 

TOME  II.  30 


466  HISTOIRE  DE  l'église  catholique  [577] 

viendront  dans  les  Gaules  et  y  ravageront  sept  villes,  parce 
que  les  péchés  des  Gaulois  se  sont  multipliés  devant  Dieu,  et 
que  personne  ne  songe  à  apaiser  sa  colère.  Tout  le  peuple 
est  infidèle,  adonné  aux  parjures  et  aux  homicides...  On  ne 
paye  point  les  dîmes,  on  ne  nourrit  point  les  pauvres,  on 
n'exerce  point  l'hospitalité  :  toutes  ces  prévarications  attire- 
ront sur  vous  ce  fléau.  Aussi,  je  vous  avertis  de  mettre  vos 
biens  en  sûreté  dans  l'enceinte  des  places  fortes  et  de  vous  y 
retirer  vous-mêmes.  »  Puis,  adressant  la  parole  aux  moines 
ses  disciples  :  «  Prenez  aussi  la  fuite,  vous  autres,  leur  dit-il  : 
car  voici  cette  nation  barbare  qui  approche.  »  Et  comme  ils  ne 
pouvaient  se  résoudre  à  le  quitter,  il  ajouta  :  «  Ne  craignez 
pas  pour  moi  :  ils  m'outrageront,  mais  ils  ne  me  feront  pas 
mourir  (1).  » 

A  peine  les  moines  s'étaient-ils  retirés,  que  les  Lombards  se 
présentèrent  à  la  cellule  d'Hospice,  cherchant  partout  du  bu  tin. 
Ils  s'adressaient  bien  mal.  Le  saint  homme  se  montra  à  eux 
par  la  fenêtre  de  la  tour  où  il  était  enfermé.  Et  comme  ils  ne 
trouvèrent  pas  de  porte  pour  y  entrer,  deux  d'entre  eux 
grimpèrent  sur  le  toit  et  le  découvrirent.  Alors,  surpris  et 
effrayés  de  voir  un  homme  chargé  de  chaînes  et  couvert  d'un 
cilice  affreux,  ils  jugèrent  que  c'était  quelque  malfaiteur  qu'on 
avait  enfermé  dans  cette  espèce  de  cachot  .  Ils  lui  demandèrent 
donc  par  leur  interprète  quels  crimes  il  avait  commis  pour 
être  traité  de  la  sorte.  Il  répondit  avec  humilité  qu'il  était  en 
effet  coupable  de  toutes  sortes  de  forfaits.  Ils  le  crurent  ,  et 
un  de  ces  barbares  leva  le  bras  pour  lui  fendre  la  tête  d'un 
coup  de  sabre  ;  mais  le  bras  levé  demeura  immobile.  A  la  vue 
de  ce  miracle,  les  compagnons  du  Lombard  jetèrent  un  grand 
cri,  implorant  le  secours  du  saint  solitaire.  Hospice  fit  le  signe 
de  la  croix  sur  le  bras  perclus  et  le  guérit  à  l'instant,  rendant 
ainsi  la  santé  à  celui  qui  avait  voulu  lui  ôter  la  vie.  Ce  miracle 
en  opéra  un  autre  plus  grand.  Le  soldat  lombard  se  convertit. 


(I)  Greg.  Tur  ,  1.  VI,  c.  vin. 


[577J  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  467 

et  par  reconnaissance  se  fit  moine  et  disciple  de  son  bienfai- 
teur. 

Les  Lombards  firent  une  première  irruption  dans  les  Gaules 
en  568,  l'année  même  de  leur  établissement  en  Italie.  Ils  en 
firent  une  seconde  l'an  573,  et  ils  demeurèrent  plusieurs  jours 
dans  le  monastère  d'Agaune  ;  mais  leur  armée  fut  battue  et 
presque  entièrement  détruite  par  les  généraux  du  roi  Gon- 
tran  (1).  C'est  à  l'une  de  ces  deux  excursions  qu'il  faut  rap- 
porter le  miracle  dont  nous  venons  de  parler. 

Quelque  temps  après,  un  diacre  du  diocèse  d'Angers  allant 
à  Rome  pour  en  rapporter  des  reliques  des  saints  apôtres  et 
des  autres  saints  martyrs  les  plus  célèbres,  un  citoyen  d'An- 
gers, qui  était  devenu  sourd  et  muet,  eut  la  dévotion  de  faire 
ce  pèlerinage  avec  lui  (2).  En  passant  par  Nice,  ils  visitèrent 
S.  Hospice,  et  le  diacre  lui  découvrit  le  sujet  de  son  voyage 
et  l'infirmité  de  son  compagnon.  Le  saint  fit  approcher  le  ma- 
lade, et,  parla  fenêtre  de  sa  tour,  le  frotta  à  la  bouche  et  à  la 
tête  d'huile  bénite,  en  disant  :  «  Au  nom  du  Seigneur  Jésus- 
Christ,  que  vos  oreilles  soient  ouvertes,  et  que  la  vertu  qui 
a  chassé  un  démon  d'un  homme  sourd  et  muet  vous  délie  la 
langue.  »  Hospice,  ayant  fait  cette  prière,  demandaà  l'Angevin 
quel  était  son  nom,  et  cet  homme  muet  auparavant  le  pro- 
nonça aussitôt  d'une  voix  claire  et  distincte  (3).  Alors  le 
diacre  s'écria  :  «  Je  cherchais  Pierre,  je  cherchais  Paul,  Lau- 
rent et  les  autres  saints  qui  ont  illustré  Rome  de  leur  sang, 
je  les  ai  trouvés  tous  ici.  »  Hospice  lui  dit  :  «  Mon  cher  frère, 
ne  parlez  pas  de  la  sorte  :  ce  n'est  pas  moi  qui  agis  en  tout 
ceci,  c'est  Celui  qui  d'une  parole  a  créé  le  monde  de  rien.»  Il 
guérit  de  la  même  manière  un  aveugle-né  nommé  Dominique. 

Quand  Hospice  sentit  sa  fin  approcher,  il  fit  appeler  le  pré- 
vôt de  son  monastère  et  lui  dit  :  «  Apportez  un  pic  pour  en- 

(1)  Marius  Avent.  in  Chron.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.  VI. 

(3)  Fleury,  t.  VII,  p.  582,  dit  que  cet  homme  se  nommait  Pir.  Il  y  a  en  effet 
dans  quelques  éditions  de  Grégoire  de  Tours  :  Pir  dicor  ;  mais  dans  le  plus  grand 
nombre  des  manuscrits  et  dans  la  dernière  édition  on  lit  :  Sic  dicor. 


468  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

foncer  la  muraille,  et  mandez  à  l'évêque  de  la  ville  qu'il  vienne 
m'ensevelir,  parce  que  dans  trois  jours  j'irai  jouir  du  repos 
que  le  Seigneur  m'a  préparé.  »  Le  prévôt  s'empressa  de  faire 
transmettre  à  l'évêque  de  Nice  les  paroles  du  saint.  Un  té- 
moin de  cet  entretien  nommé  Crescens,  s'étant  alors  approché 
de  la  fenêtre  et  voyant  Hospice  chargé  de  chaînes  et  couvert 
de  plaies  où  les  vers  pullulaient,  s'écria-:  «  0  mon  seigneur, 
comment  pouvez-vous  supporter  avec  tant  de  courage  d'aussi 
horribles  tourments?  Celui  pour  la  gloire  de  qui  je  souffre 
ces  choses,  répondit  Hospice,  m'en  donne  la  force;  mais  je  le 
dis,  bientôt  mes  chaînes  seront  brisées,  et  je  m'en  vais  au 
repos.  »  Quand  son  heure  fut  venue,  il  quitta  les  chaînes  dont 
il  était  chargé ,  pria  longtemps  la  face  contre  terre  ;  puis  il  se 
coucha  sur  un  banc,  où  il  expira.  Austadius,  évêque  de  Nice  et 
de  Gémèle  (1),  vint  accomplir  la  cérémonie  de  son  inhuma- 
tion. «  J'ai  appris  toutes  ces  choses,  dit  S.  Grégoire  de  Tours , 
de  la  bouche  même  du  sourd  et  muet  qui  avait  été  guéri  par 
le  saint  solitaire.  »  On  croit  que  S.  Hospice  a  vécu  dans  le  lieu 
nommé  aujourd'hui  par  corruption  San-Sospir,  à  trois  quarts 
de  lieue  de  Nice.  L'Église  honore  sa  mémoire  le  21  mai;  il 
mourut  vers  l'an  580. 

S.  Lifard,  abbé  de  Meun,  était  mort  plusieurs  années  aupa- 
ravant. Il  naquit  à  Orléans ,  et  s'y  distingua  dans  le  barreau 
par  une  rare  connaissance  des  lois  civiles.  Mais  à  l'âge  de  qua- 
rante ans  il  s'engagea  dans  le  clergé  et  résolut  de  ne  plus 
étudier  que  la  loi  de  Dieu.  Pour  la  pratiquer  plus  parfaitement, 
il  se  retira  avec  un  compagnon  nommé  Urbice  à  Meun,  qui 
était  un  lieu  inhabité  depuis  les  ravages  des  Vandales.  Il  y 
bâtit  un  monastère  que  sa  réputation  rendit  célèbre ,  et  que 
S.  Urbice  gouverna  après  lui.  Ce  fut  pendant  plus  de  six  cents 
ans  une  église  collégiale,  qui  porta  le  nom  de  Saint-Lifard. 
Il  est  honoré  le  2  juin,  et  S.  Urbice  le  30  mai.  On  croit 

(l)  Austadius  ne  se  trouve  pas  dans  le  catalogue  des  évêques  de  Nice  et  de 
Cénièle  :  c'est  une  faute. 


[580]  E.V  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  469 

que  ces  saints,  avant  de  se  retirer  à  Meun,  avaient  pris  des 
leçons  de  la  vie  religieuse  dans  le  monastère  de  Mici,  qui  con- 
tinua d'être  très-florissant  sous  la  discipline  des  saints  abbés 
Théodemir  et  Mcsmin,  deuxième  du  nom. 

S.  Théodulfe  et  S.  Basolc ,  vulgairement  appelés  S.  Thiou 
et  S.  Basle,  illustrèrent  par  leurs  vertus  l'état  monastique  dans 
cette  partie  de  la  Belgique  qu'on  commençait  alors  à  nommer 
la  Champagne.  S.  Thiou  fut  le  troisième  abbé  de  Saint-Thierry 
de  Reims ,  et  il  gouverna  ce  monastère  pendant  environ  cin- 
quante ans.  On  rapporte  sa  mort  à  l'an  590.  S.  Basle  était  né 
dans  le  Limousin  d'une  famille  distinguée  par  sa  noblesse. 
Le  désir  de  cacher  le  sacrifice  qu'il  faisait  à  Dieu  en  quittant 
tout ,  le  fit  passer  dans  le  diocèse  de  Reims  sous  le  pontificat 
de  l'évêque  Gilles,  qui  le  reçut  avec  bonté.  Il  se  retira  dans 
le  monastère  de  Verzy,  où  il  n'y  avait  que  douze  moines.  Il  y 
apprit  les  lettres  et  les  exercices  de  la  vie  religieuse.  Après 
quoi,  pour  mener  une  vie  plus  solitaire,  il  se  bâtit  une  cellule 
sur  la  montagne  voisine ,  où  l'on  prétend  qu'il  vécut  enfermé 
pendant  quarante  ans  (1).  La  sainteté  de  sa  vie  fut  signalée 
par  plusieurs  miracles;  il  est  honoré  le  26  novembre.  Le  mo- 
nastère de  Yerzy  fut  transféré  sur  la  montagne  et  porta  depuis 
le  nom  de  Saint-Basle. 

Il  paraît  assez  vraisemblable  que  ce  fut  vers  le  même 
temps  qu'un  saint  prêtre  nommé  Victor  (2)  mena  la  vie 
érémitique  près  d'Archies,  dans  le  diocèse  de  Troyes,  sa 
patrie.  Les  miracles  qu'on  lui  attribue,  sont  des  preuves  de 
ses  vertus  ;  mais  nous  n'en  connaissons  pas  assez  le  détail.  Ses 
reliques  ayant  été  dans  la  suite  transférées  à  Monstier-Ramey, 
Guy,  qui  en  était  alors  abbé,  pria  S.  Bernard  de  composer  un 
office  propre  de  ce  saint,  dont  il  lui  envoya  la  Vie  :  cette  rela- 
tion est  venuejusqu'à  nous,  elle  ne  nous  fait  guère  connaître 

(1)  Flod.,  1.  II,  c.  m. 

(2)  On  n'a  aucune  certitude  sur  le  temps  où  a  vécu  S.  Yictor.  Il  est  parlé  dans 
sa  Vie  d'un  roi  de  France  qui  le  visita  dans  sa  cellule  ;  mais  on  ne  nomme  pas  ce 
roi.  Camuzat  dit  seulement  qu'il  a  vu  d'anciens  manuscrits  qui  font  vivre  S.  Victor 
sous  Chilpéric. 


470  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

que  des  miracles.  Le  saint  abbé  de  Clairvaux  fit  en  l'honneur 
de  S.  Victor  deux  sermons  pour  servir  de  leçons,  une  hymne, 
dans  laquelle  il  dit  qu'il  a  négligé  la  mesure  des  vers  pour 
mieux  conserver  la  force  des  pensées,  et  des  répons  avec  des 
antiennes  propres  (1).  Nous  avons  encore  tout  cet  office,  et  l'on 
y  reconnaît  l'onction  et  la  piété  qui  coulaient  du  cœur  de 
S.  Bernard  et  inspiraient  sa  plume.  C'est  une  nouvelle  gloire 
pour  S.  Victor  d'avoir  eu  ce  grand  saint  pour  panégyriste  ;  on 
célèbre  la  fête  de  S.  Victor  le  26  février. 

Tandis  que  Dieu  faisait  goûter  les  douceurs  de  son  service 
à  tous  ces  saints  solitaires  au  milieu  des  afflictions  du  monde 
et  des  austérités  de  la  pénitence  ,  Ghilpéric  et  Frédégonde,  au 
sein  des  délices  de  la  cour,  éprouvaient  que  le  crime  ne  pro- 
cure ni  la  paix  ni  la  félicité.  Comme  Frédégonde  était  surtout 
l'objet  de  la  haine  publique  ,  on  répandait  sans  cesse  sur  son 
compte  les  bruits  les  plus  odieux,  on  alla  même  jusqu'à  l'ac- 
cuser d'adultère  avec  un  évêque.  Ces  discours,  qui  arrivaient 
jusqu'aux  oreilles  du  roi,  vengeaient  en  quelque  sorte  les  lois 
que  ce  prince  avait  violées  pour  épouser  cette  femme ,  et  ils 
auraient  pu  lui  faire  ouvrir  les  yeux  si  sa  passion  eût  été 
moins  aveugle.  Mais  Frédégonde,  en  perdant  sa  réputation, 
ne  perdit  rien  de  son  crédit;  et  Chilpéric,  sans  s'en  prendre 
à  celle  qui  donnait  lieu  par  sa  conduite  à  de  pareils  bruits,  ne 
songea  qu'à  faire  le  procès  à  ceux  qui  les  répandaient. 

Leudaste,  qui  avait  été  comte  de  Tours  (2),  crut  avoir  trouvé 
une  occasion  favorable  de  perdre  le  saint  évêque  de  cette  ville, 
à  qui  il  s'en  prenait  d'avoir  été  révoqué.  C'était  un  homme  de 
fortune,  qui  de  l'esclavage,  où  il  était  né,  s'était  avancé  par  ses 
artifices  jusqu'à  devenir  comte  de  Tours.  Ses  malversations  et 
ses  violences  lui  ayant  fait  perdre  cette  charge,  il  était  retourné 
à  la  cour  nouer  de  nouvelles  intrigues ,  plus  ambitieux  encore 
et  plus  méchant  homme  dans  la  disgrâce  que  dans  la  prospé- 


(1)  Apud.  Boll.,  26  febr.  — Bernardi  Ep.  cccxcvm,  nov.  edit. 

(2)  Le  comte  était  le  premier  magistrat  d'une  ville;  c'était  lui  qui  jugeait  les 
procès  et  qui  veillait  à  la  levée  des  impôts. 


[580]  EN  FRAXCE.  —  LIVRE  VII.  471 

rité.  Leudaste ,  ayant  donc  concerté  ses  calomnies  avec  un 
prêtre  de  Tours  nommé  Riculfe  et  un  sous-diacre  du  même 
nom ,  alla  trouver  Chilpéric  et  lui  dit  que  l'évêque  Grégoire 
voulait  livrer  la  ville  de  Tours  au  fils  de  Sigebert.  Le  roi  ré- 
pondit :  Je  n'en  crois  rien  :  vous  inventez  cette  calomnie  parce 
que  vous  avez  été  révoqué.  Leudaste  reprit  :  Cet  évêque  publie 
quelque  chose  de  plus  atroce  contre  vous  :  il  dit  que  la  reine 
votre  épouse  est  en  commerce  d'adultère  avec  V évêque  Ber- 
tram  (1). 

Le  roi ,  ne  pouvant  retenir  son  indignation,  frappa  Leudaste 
des  pieds  et  des  poings  et  le  fît  mettre  en  prison.  Celui-ci,  qui 
ne  s'attendait  pas  à  recevoir  une  pareille  récompense  de  sa  dé- 
lation, ne  se  déconcerta  cependant  point.  Il  dit  qu'il  avait  le 
sous-diacre  Piiculfe  pour  garant  de  ce  qu'il  avançait  ;  on  le  re- 
lâcha, et  Riculfe,  ayant  été  emprisonné,  désigna  les  deux  ar- 
chidiacres de  Tours  Gallien  et  Platon ,  en  présence  desquels 
il  disait  avoir  entendu  l'évêque  Grégoire  tenir  ces  discours 
calomnieux.  Leudaste  vint  à  Tours  le  samedi  saint,  arrêta  les 
deux  prétendus  témoins  et  les  conduisit  en  présence  de  la 
reine  chargés  de  chaînes.  En  même  temps,  sous  prétexte  qu'on 
craignait  une  entreprise  du  roi  Gontran ,  on  donna  ordre  de 
mettre  des  gardes  à  toutes  les  portes  de  Tours  ;  mais  c'était  en 
effet  pour  empêcEer  que  l'évêque  ne  s'échappât.  Il  n'y  avait 
rien  à  craindre  de  ce  côté  :  l'innocence  de  Grégoire  et  sa  con- 
fiance en  Dieu  le  rassuraient  contre  des  ennemis  aussi  puis- 
sants qu'artificieux.  Chilpéric  respecta  sa  vertu  et  son  carac- 
tère et  n'entreprit  rien  contre  sa  personne.  Mais,  pour  tirer  à 
clair  cette  affaire,  il  fit  assembler  à  ce  sujet  un  concile  à 
Braisne  (2),  maison  royale  sur  la  Vesle,  à  trois  lieues  de  Sois- 
sons  ,  où  Grégoire  de  Tours  fut  cité  pour  répondre  aux  accu- 
sations intentées  contre  lui.  Il  s'y  rendit  sans  hésiter;  et, 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  xlviii. 

(2)  Braisne-sur-Vesle  appartint  longtemps  dans  la  suite  à  l'Église  de  Rouen, 
et  c'est  apparemment  ce  qui  donna  occasion  d'y  transférer  les  reliques  de  S.  Évode, 
vulgairement  Yved,  évêque  de  Rouen,,  en  l'honneur  duquel  il  y  a  eu  à  Braisne  une 
célèbre  abbaye  de  prémontrés. 


472  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

comme  il  priait  pendant  la  nuit  dans  l'église  de  Saint-Médard, 
un  pauvre  artisan,  qui  avait  été  emprisonné  pour  avoir  fait  des 
reproches  au  sous-diacre  Riculfe  de  ce  qu'il  calomniait  son 
évèque,  vint  s'y  réfugier,  assurant  qu'il  avait  été  délivré  mi- 
raculeusement par  la  vertu  de  S.  Martin  et  de  S.  Médard,  qu'il 
avait  invoqués  (1). 

Le  concile  étant  assemblé ,  le  roi  vint  y  prendre  place ,  et , 
après  avoir  salué  les  évêques  et  reçu  leur  bénédiction ,  il  ou- 
vrit la  séance.  Alors  Bertram ,  évêque  de  Bordeaux,  qui  était 
accusé  d'adultère  avec  la  reine ,  exposa  l'affaire  et  interpella 
Grégoire  comme  auteur  de  la  calomnie.  Grégoire  répondit 
qu'il  n'avait  jamais  dit  ce  qu'on  lui  imputait,  mais  qu'il  l'a- 
vait entendu  dire  aux  autres;  qu'il  n'était. pas  l'auteur  de  ce 
bruit.  Le  roi  dit  :  «  Le  crime  de  ma  femme  est  mon  déshon- 
neur :  si  vous  croyez  donc  qu'on  doive  ouïr  des  témoins  contre 
un  évêque,  les  voici.  Si  vous  jugez  qu'il  faille  plutôt  s'en 
rapporter  à  l'évêque,  je  suivrai  volontiers  ce  que  vous  ordon- 
nerez. »  Tout  le  monde  admira  la  prudence  et  la  modération 
du  roi ,  et  l'on  s'écria  unanimement  qu'on  ne  devait  pas  ad- 
mettre contre  un  évêque  le  témoignage  d'une  personne  infé- 
rieure, c'est-à-dire  d'un  sous-diacre,  tel  que  Riculfe.  Ainsi 
l'on  convint  que  Grégoire,  après  avoir  dit  la  messe  sur  trois 
autels,  se  purgerait  par  serment  de  l'accusation  intentée  contre 
lui.  Cet  usage  était  opposé  aux  canons;  mais  le  concile  crut 
devoir  passer  par-dessus  les  règles  ordinaires  pour  donner 
quelque  satisfaction  au  roi. 

Cependant  le  peuple  murmurait  hautement  contre  ce  prince 
de  ce  qu'il  poursuivait  cette  affaire  pour  perdre  un  saint 
évêque ,  et  la  princesse  Rigonthe ,  fille  de  Ghilpéric  et  de  Fré- 
dégonde,  en  était  si  affligée  qu'elle  garda  un  jeûne  exact,  elle 
et  toute  sa  maison,  jusqu'à  ce  que  Grégoire  eût  été  justifié. 

Alors  les  Pères  du  concile  allèrent  en  corps  trouver  le  roi , 
et  lui  dirent  :  «  Prince ,  l'évêque  de  Tours  a  accompli  tout  ce 

(1)  Greg  Tur.  Hist.,  1.  V,  c.  xliv.  —  Labb.,  t.  V,  p.  965. 


[580]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  473 

qui  a  été  ordonné  :  que  reste-t-il  maintenant  à  faire ,  sinon  de 
séparer  de  la  communion  vous  et  Bertram ,  l'accusateur  de 
son  frère  ?  »  (En  effet,  selon  les  canons,  ceux  qui  intentaient  de 
fausses  accusations,  surtout  contre  leurs  frères,  étaient  ex- 
communiés.) «  Gela  n'est  pas  juste,  répondit  le  roi  :  je  n'ai 
fait  que  rapporter  ce  que  j'ai  entendu  dire ,  »  et  il  nomma  Leu- 
daste,  qui  avait  déjà  pris  la  fuite.  Le  concile  déclara  excom- 
munié ce  dernier,  auteur  de  tout  le  scandale,  et  écrivit  à  cette 
occasion  une  lettre  circulaire  à  tous  les  évêques  absents  (1). 

Le  sous-diacre  Riculfe  fut  condamné  à  mort  comme  calom- 
niateur. Grégoire  lui  obtint  la  grâce  de  la  vie,  mais  il  ne  put 
obtenir  qu'il  ne  fût  pas  appliqué  à  de  cruelles  tortures.  Quant 
à  Leudaste,  après  s'être  réfugié  successivement  en  diverses 
églises,  il  fit  sa  paix  avec  le  roi  et  avec  la  plupart  des  évê- 
ques. Mais  Frédégonde  ne  put  lui  pardonner  l'éclat  qu'il  avait 
fait  à  son  occasion ,  et  elle  ne  crut  sa  honte  bien  lavée  que  dans 
le  sang  de  ce  malheureux,  qu'elle  fit  enfin  mourir.  C'est  ainsi 
que  les  délateurs  se  rendent  souvent  odieux  à  ceux  mêmes  à 
qui  ils  cherchent  à  faire  leur  cour  (2). 

Les  désordres  de  Chilpéric  l'engagèrent  dans  l'infidélité  : 
rien  ne  fait  plus  aisément  perdre  la  foi  que  le  libertinage  du 
cœur.  Ce  prince  était  tombé  depuis  quelque  temps  dans  l'hé- 
résie de  Sabellius ,  et  il  avait  composé  un  traité  pour  faire  voir 
qu'il  ne  faut  pas  admettre  la  pluralité  des  personnes  en  Dieu, 
et  que  le  Père  n'est  nullement  distingué  du  Fils  ni  du  Saint- 
Esprit.  Il  profita  de  l'occasion  du  concile  pour  tenter  de  faire 
goûter  ses  erreurs  aux  évêques  dans  des  entretiens  particu- 
liers, et  surtout  à  Grégoire  de  Tours.  Il  savait  que  ce  saint 
évêque  était  fort  versé  dans  ces  matières,  et  qu'il  avait  con- 
fondu peu  de  temps  auparavant  Agilane ,  ambassadeur  de 
Leuvigilde ,  roi  des  Visigoths ,  clans  une  discussion  sur  la 
divinité  de  Jésus-Christ.  Quoique  cet  arien  voulût  se  roidir 

(1)  Greg.  Tur.  Hitt.,  1.  V,  c.  xux.  —  Labb.,  t.  V;  p.  86.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  VI, 

C.  XXXII. 


474  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

contre  la  vérité,  il  fut  contraint  de  se  rendre,  et  à  son  retour 
en  Espagne,  étant  tombé  dangereusement  malade,  il  abjura 
ses  erreurs  (1).  On  n'a  jamais  vu  de  catholique  abandonner  la 
vraie  foi  au  lit  de  la  mort  pour  embrasser  l'hérésie  ;  mais  à 
ce  moment  fatal,  combien  voit-on  de  sectaires  détester  un 
parti  qui  les  avait  séduits?  Quand  tous  les  intérêts  humains 
s'évanouissent,  l'erreur  n'a  plus  de  quoi  faire  illusion. 

Chilpéric  s'efforça  donc  de  gagner  Grégoire,  et  il  fit  lire  son 
écrit  en  sa  présence,  en  lui  disant  :  «  Je  veux  que  cette  doc- 
trine soit  acceptée  par  vous  et  les  autres  qui  enseignent  dans 
l'Église.  Grégoire  lui  répondit  :  Grand  roi,  abandonnez 
plutôt  ce  sentiment,  et  conformez  votre  foi  à  celle  que  les  apô- 
tres et  les  saints  docteurs  nous  ont  transmise,  qu'Hilaire  de 
Poitiers  et  Eusèbe  de  Yerceil  nous  ont  enseignée,  et  que  vous 
avez  confessée  au  baptême.  Je  sais,  repartit  le  roi  tout  en  co- 
lère, qu'Hilaire  et  Eusèbe  sont  en  ce  point  mes  adversaires.  Il 
vous  serait  plus  avantageux,  reprit  F évêque,  de  n'avoir  ni  Dieu 
ni  ses  saints  pour  adversaires.  »  Il  commençait  à  réfuter  avec 
force  le  sabellianisme  contenu  dans  l'écrit  qu'on  avait  lu, 
lorsque  le  roi,  l'interrompant,  lui  dit  avec  cet  air  de  mépris 
que  les  novateurs  témoignent  toujours  avoir  pour  ceux  qui  ne 
sont  pas  de  leur  avis  :  «  Eh  bien,  j'exposerai  ces  sentiments  à 
de  plus  habiles  gens  que  vous.  Ceux  qui  les  goûteront,  repar- 
tit Grégoire,  ne  seront  ni  habiles  ni  sensés  (2).  » 

Quelques  jours  aprgs,  Chilpéric  fit  lire  le  même  écrit  devant 
S.  Salvi,  évêque  d'Albi,  et  il  le  pria  de  l'approuver.  Mais  ce 
saint  évêque  en  eut  tant  d'horreur,  que  s'il  eût  pu  arracher  le 
papier  des  mains  de  celui  qui  le  lisait,  ill'aurait  mis  en  pièces. 
Chilpéric,  voyant  ces  contradictions,  abandonna  son  senti- 
ment et  reconnut  qu'une  opinion  en  matière  de  foi  qui  est 
combattue  et  rejetée  par  le  corps  des  évêques,  ne  peut  être 
qu'une  erreur  pernicieuse. 

Grégoire,  ayant  pris  congé  de  ce  prince  pour  retourner  à 

(1)  Greg.  Tur.;  1.  V,  c.  xliv.  -  (2)  Greg.Tur.,  1.  V,  c.  xlv. 


[550J  EN  FRANCE.   —  LIVRE  Vif.  475 

Tours,  ne  voulut  point  partir  de  Braisne  sans  avoir  embrasse 
S.  Salvi.  Il  le  trouva  clans  la  cour  du  palais.  Après  avoir  con- 
féré quelque  temps  ensemble  à  l'écart,  Salvi  lui  dit,  en  mon- 
trant le  palais  du  roi  :  «  Voyez-vous  sur  le  toit  cle  cette  maison 
ce  que  j'y  remarque?  J'y  vois,  répondit  Grégoire,  les  nou- 
veaux ornements  que  le  roi  y  a  fait  placer  depuis  peu.  »  Salvi 
lui  demanda  s'il  ne  voyait  rien  autre  chose.  «  Non,  reprit  Gré- 
goire, qui  croyait  que  le  saint  évêque  voulait  railler.  Et  moi, 
dit  Salvi,  en  jetant  un  profond  soupir,  je  vois  le  glaive  de 
la  justice  divine  tiré  du  fourreau  et  suspendu  sur  cette  mai- 
son (1).  »  Nous  verrons  bientôt  comment  l'événement  justifia 
la  vérité  de  cette  vision. 

Grégoire,  à  son  retour,  trouva  son  Église  dans  un  grand 
trouble  par  la  faction  du  prêtre  Riculfe,  complice  des  calomnies 
et  des  desseins  de  Leudaste.  Ce  prêtre  ambitieux,  ne  doutant 
pas  du  succès  de  ses  intrigues  pour  faire  déposer  Grégoire,  se 
portait  déjà  pour  évêque  cle  Tours.  Il  fit  de  grands  présents 
aux  principaux  du  clergé,  promit  l'archidiaconat  au  sous- 
diacre  Riculfe,  et  maltraita  à  coups  de  bâton  les  clercs  des 
ordres  inférieurs,  en  leur  disant  :  Reconnaissez  votre  maître, 
et  celui  qui  a  délivré  V Église  de  Tours  des  Auvergiwts .  Il  ne 
savait  pas,  le  malheureux ,  dit  Grégoire,  qu'à  P  exception  de  cinq 
de  mes  prédécesseurs,  tous  les  autres  étaient  de  ma  famille.  Le 
retour  du  saint  évêque  déconcerta  les  projets  de  Riculfe,  sans 
abattre  son  orgueil,  et  Grégoire  se  vit  contraint,  après  avoir 
pris  l'avis  des  évêques  de  sa  province,  de  le  faire  enfermer 
dans  un  monastère.  Mais  Félix  de  Nantes  (2),  qui  le  protégeait, 
lui  ménagea  les  moyens  d'en  sortir  et  lui  donna  refuge  clans 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  l. 

(2)  Comme  Grégoire  de  Tours  ne  nomme  pas  le  siège  de  l'évêque  Félix  qui  se 
déclara  protecteur  de  Riculfe,  de  savants  auteurs  conjecturent  qu'on  pourrait  dire 
que  c'est  Félix  de  Bourges.  Mais  1°  ce  serait  excuser  un  saint  pour  en  accuser  un 
autre.  2°  Félix  de  Bourges  était  mort,  selon  l'auteur  du  Patriarddum,  dès. l'an  576. 
•3°  Grégoire  de  Tours,  après  avoir  dit  que  Riculfe  se  retira  auprès  de  l'évêque  Félix, 
ajoute:  Leudastes  vero  pergens  in  Bituricum ;  ils  ne  se  retirèrent  donc  pas  dans  la 
même  ville.  4°  Le  voisinage  de  Nantes  et  la  mésintelligence  que  nous  savons 
d'ailleurs  avoir  existé  quelque  temps  entre  Grégoire  de  Tours  et  Félix  de  Nantes, 


476  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

sa  ville.  Nous  avons  dit  qu'un  différend  survenu  quelques 
années  auparavant  entre  Grégoire  et  Félix  avait  altéré  la  bonne 
intelligence  entre  ces  deux  prélats,  saints  évêques d'ailleurs. 
Félix  désirait  posséder  une  terre  de  l'Église  de  Tours,  qui 
était  à  sa  convenance,  et,  sur  le  refus  que  fit  Grégoire  de  la 
lui  céder ,  ils  s'écrivirent  des  lettres  que  la  charité  ne  dicta 
pas.  Les  saints  ne  sont  pas  toujours  saints  pour  n'avoir  pas 
fait  de  fautes,  mais  pour  les  avoir  réparées.  Il  faut  se  sou- 
venir qu'ils  sont  hommes,  et  s'instruire  par  leurs  faiblesses 
en  même  temps  qu'on  s'édifie  par  leurs  vertus  (1), 

L'année  même  du  concile  de  Braisne,  c'est-à-dire  l'an  580, 
l'Eglise  gallicane  perdit  plusieurs  saints  évêques  :  S.  Agricole 
de  Chalon-sur-Saône,  S.  Dalmace  de  Rodez,  S.  Maurile  de 
Cahors  et  S.  Elaphe  de  Châlons-sur-Marne.  S.  Agricole  mou- 
rut âgé  de  quatre-vingt-trois  ans ,  après  quarante-huit  ans 
d'un  épiscopat  qu'il  honora  par  ses  vertus  et  ses  talents  :  nous 
avons  parlé  ailleurs  de  ce  saint  évêque.  L'Église  révère  sa 
mémoire  le  17  mars  (2). 

S.  Dalmace  eut  tout  le  temps  de  réparer,  pendant  un  épisco- 
pat encore  plus  long,  tous  les  dommages  que  l'Église  de  Rodez 
avait  soufferts  sous  la  domination  des  Yisigoths  ariens.  Il 
était  natif  de  Rodez,  et  il  en  fut  élu  évêque  assez  jeune;  mais 
la  maturité  du  caractère  avait  devancé  chez  lui  celle  de  l'âge. 
Amalaric,  tout  arien  qu'il  était,  respecta  sa  vertu;  Théo- 
debert  l'aima  et  l'honora.  Dalmace  était  si  maître  de  ses  pas- 
sions qu'elles  paraissaient  éteintes.  Il  se  distingua  par  une 
rare  abstinence,  par  un  tendre  amour  pour  les  pauvres  et  par 
un  grand  zèle  pour  la  décoration  des  Eglises.  Il  avait  entrepris 
de  rebâtir  sa  cathédrale  ;  mais  le  désir  de  la  rendre  plus  belle 
lui  fit  recommencer  l'ouvrage  tant  de  fois  qu'il  la  laissa  im- 
parfaite en  mourant  (3).  Gomme  il  n'avait  rien  plus  à  cœur 

ne  laissent  aucun  lieu  de  douter  qu'il  ne  s'agisse  de  ce  dernier.  Au  reste ,  Gré- 
goire de  Tours  rend  ailleurs  justice  à  la  vertu  de  Félix.  V.  Acta  SS.,  7  jul.,  de 
S.  Felice;  Vit.  PP.,  c.  x.  —  (1)  Greg.,  1.  V,  c.  v.  —  (2)  Greg.,  1.  V,  c.  xlvi.  — 
(3)  17/.  Daim.,  t.  II  Bibl.  nov.  in  Append. 


[580]  Etf  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  477 

que  de  laisser  son  troupeau  dans  les  mains  d'un  bon  pasteur, 
il  fît  un  testament  dans  lequel  il  conjura Childebert,  roid'Aus- 
trasie,  par  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré,  de  ne  point  lui  nommer 
pour  successeur  dans  le  siège  de  Rodez  un  étranger,  un 
avare  ou  un  homme  engagé  dans  le  mariage  (1). 

Malgré  cette  précaution,  dès  qu'il  eut  les  yeux  fermés,  plu- 
sieurs briguèrent  ouvertement  l'épiscopat,  et  un  nommé 
Transobauld  fut  un  des  plus  ardents.  Mais,  dans  un  repas  qu'il 
donna  au  clergé  pour  s'assurer  des  suffrages,  un  prêtre,  s'étant 
laissé  emporter  jusqu'il  déchirer  la  mémoire  de  S.  Dalmace, 
expira  à  l'instant  et  fut  porté  de  la  table  au  tombeau.  Childe- 
bert, lorsqu'il  apprit  cet  événement,  se  fit  relire  le  testament 
du  saint  évêque  en  présence  des  seigneurs  de  la  cour  ;  et  il 
consentit  à  ce  que  Théodose,  archidiacre  de  Rodez,  fut  or- 
donné évêque.  S.  Dalmace  tint  le  siège  cinquante-six  ans.  Il 
est  honoré  le  2  novembre  (2). 

S.  Maurile  ou  Maurilion  de  Gahors  alla  la  même  année  rece- 
voir la  récompense  de  ses  vertus.  Ce  fut  un  saint  évêque  qui 
fît  beaucoup  et  qui  souffrit  encore  plus  pour  lagloire  de  Dieu. 
Toujours  intrépide  pour  s'opposer  aux  vexations  des  magis- 
trats et  des  seigneurs  qui  opprimaient  son  peuple,  il  fut, 
comme  Job,  l'œil  des  aveugles,  le  pied  des  boiteux  et  le  sou- 
tien des  faibles.  Il  puisait  sa  force  et  sa  consolation  dans  les 
saintes  Écritures,  il  y  était  si  versé  qu'il  savait  par  cœur  toutes 
les  généalogies  de  l'Ancien  Testament.  L'amour  des  souf- 
frances lui  faisait  supporter  avec  joie  les  douleurs  aiguës  de 
la  goutte,  à  laquelle  il  était  sujet,  et  sa  vertu  savait  trouver 
ainsi  dans  un  mal  inévitable  le  moyen  d'enrichir  sa  cou- 
ronne en  augmentant  ses  mérites.  Maurile,  voyant  que  sa 
mort  prochaine  donnait  occasion  à  plusieurs  de  briguer  son 
évêché,  crut  devoir  choisir  lui-même  son  successeur  (3). 
Il  jeta  les  yeux  sur  Ursicin,  ancien  référendaire  de  la  reine 

(()  Greg.,  1.  V,  c.  xlvii. 

(2)  Le  P.  Labbe  a  donné  au  public  une  ancienne  Vie  de  S.  Dalmace,  où  se 
trouve  relatée  la  durée  de  son  épiscopat.  —  (3)  Greg.  Tur.,  I.  V,  c.  xliii. 


478  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

Ultrogothe  (1) ,  et  pria  qu'on  l'ordonnât  de  son  vivant.  Il  mou- 
rut ensuite  saintement,  l'an  580.  Quelques  auteurs,  que  nous 
avons  suivis,  lui  donnent  la  qualité  de  saint;  mais  on  ne 
trouve  pas  son  nom  dans  les  martyrologes. 

S.  Elaphe,  évèque  de  Ghâlons-sur-Marne,  mourut  la  même 
année  en  Espagne,  où  la  reine  Brunehaut  l'avait  envoyé  en 
ambassade.  Son  corps  fut  rapporté  à  Châlons;  mais  les  habi- 
tants de  l'Espagne  gardèrent  celui  [de  Ste  Eulalie  de  Mérida, 
qu'il  avait  obtenu,  dit-on,  pour  enrichir  son  Église. 

Ce  saint  évêque,  qui  est  honoré  le  14  août,  avait  un 
frère  nommé  Ludmire  ou  Ludmier,  qui  fut  son  successeur  et 
qui  est  honoré  comme  saint.  Ils  donnèrent  plusieurs  terres 
à  l'Église  de  Saint-Étienne  de  Châlons,  par  un  acte  daté  du 
9  juin  de  la  quatrième  année  de  Sigebert,  c'est-à-dire  de 
l'an  565  (2). 

Il  semble  que  Dieu  se  soit  pressé  d'appeler  à  lui  ces  saints 
évêques  pour  leur  épargner  la  douleur  de  voir  les  maux  dont 
il  voulait  affliger  la  Gaule.  Divers  prodiges  apparurent  à  la  fois 
dans  plusieurs  villes,  comme  des  présages  de  la  colère  divine 
prête  à  éclater.  Ils  étaient  les  éclairs  qui  annonçaient  la 
foudre,  et  furent  suivis  d'une  dyssenterie  contagieuse,  qui 
commença  au  mois  d'août.  Cette  maladie  ne  tarda  pas  à  vérifier 
la  prophétie  de  S.  i?alvi  contre  la  maison  de  Chilpéric  (3).  Ce 
prince  en  fut  atteint,  et  réduit  bientôt  à  l'extrémité  peu  de 
jours  après  le  concile  de  Braisnc;  et  ce  fut  pendant  sa  maladie 
que  S.  Yrieix  arriva  à  sa  cour,  pour  lui  demander  au  nom  des 
peuples  la  diminution  des  impôts,  comme  nous  l'avons  dit.  A 
peine  le  roi  était-il  hors  de  danger,  que  le  plus  jeune  de  ses 
fils,  qui  n'avait  pas  encore  reçu  le  baptême,  fut  pris  du  même 
mal  et  baptisé  à  cause  du  péril  où  il  se  trouvait.  Il  paraissait 
se  porter  un  peu  mieux,  lorsque  Clodobert,  l'aîné  des  enfants 

(I)  Les  reines  de  France  avaient  dès  lors  leurs  officiers  distincts  de  ceux  des  rois 
leurs  maris.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  xli.  —  Ruinart.  in  Notis  ad  1.  F,  c.  xli. 

(3)  Greg.;  1.  V,  c.  xxxiv,  xxxv.  —  Cette  dyssenterie  contagieuse,  appelée  peste 
par  certains  auteurs,  était  probablement  le  choléra,  dont  les  terribles  effets  se  sont 
de  nos  jours  fait  sentir  dans  toutes  les  parties  de  l'Europe  et  de  l'Asie. 


[580]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  MI.  479 

de  Chilpérie  et  de  Frédégonde,  fut  frappé  à  son  tour  de  la 
contagion. 

Alors  Frédégonde ,  voyant  ses  deux  fils  dangereusement 
malades  et  son  maria  peine  convalescent,  sembla  reconnaître 
l'horreur  de  ses  crimes  et  la  justice  de  Dieu  qui  les  punis- 
sait. Dans  les  sentiments  de  repentir  que  la  crainte  du  péril 
.  lui  inspirait ,  elle  dit  au  roi  :  «  Il  y  a  trop  longtemps  que  la 
bonté  divine  souffre  nos  désordres.  Elle  nous  a  souvent  châ- 
tiés par  des  maladies  et  par  d'autres  fléaux ,  sans  que  nous 
nous  soyions  corrigés.  Voilà  que  nous  perdons  nos  enfants  : 
ce  sont  les  larmes  des  pauvres ,  les  gémissements  des  veuves 
et  des  orphelins  qui  les  tuent.  Insensés  que  nous  sommes  ! 
nous  thésaurisons ,  et  nous  ne  savons  pas  ce  que  nous  amas- 
sons !  Est-ce  que  nous  n'avons  pas  assez  d'or  et  d'argent,  assez 
de  pierreries  dans  nos  trésors  ?  Hélas  !  nous  perdons  ce  que 
nous  avons  de  plus  cher  et  de  plus  précieux.  Croyez-moi, 
brûlons  tous  les  édits  injustes  que  nous  avons  faits  pour 
lever  des  taxes,  et  contentons-nous  des  revenus  qui  ont  suffi 
au  roi  Glotaire  votre  père.  »  En  même  temps ,  se  frappant 
la  poitrine,  elle  se  fît  apporter  les  registres  des  nouvelles 
taxes  qu'elle  avait  imposées  aux  villes  de  son  apanage  (1),  et 
les  jeta  au  feu  en  disant  au  roi  :  «  Qu'attendez-vous?  Faites 
ce  que  vous  me  voyez  faire ,  afin  que  si  nous  perdons  nos  en- 
fants ,  nous  sauvions  au  moins  nos  âmes  et  évitions  les  peines 
éternelles  (2).  » 

L'adversité  est  une  "grâce  bien  puissante  et  qui  ébranle  les 
cœurs  les  plus  endurcis,  si  elle  ne  les  convertit  pas.  Chilpérie, 
pénétré  de  douleur,  se  fit  aussitôt  apporter  les  édits  et  les  rôles 
des  nouveaux  impôts  et  les  brûla  également  .  Mais  le  bras  de 
Dieu  était  levé ,  et  ces  marques  équivoques  de  pénitence  n'en 
arrêtèrent  pas  les  coups.  Dagobert,  le  plus  jeune  des  deux 

(1)  Les  reines  avaient  un  apanage,  c'était  un  présent  que  les  rois  leur  faisaient 
le  lendemain  des  noces  au  matin  :  c'est  pourquoi  la  loi  salique  le  nomme  mor- 
qageniba,  c'est-à-dire  présent  du  matin. 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  Y,  c.  xxxiv,  xxxv. 


480  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

princes,  mourut  le  premier,  et  on  le  fit  porterde  Braisne  à  Paris 
pour  être  enterré  dans  l'église  de  Saint-Denis.  Ghilpéric  et  Fré- 
dégonde,  voyant  qu'il  n'y  avait  plus  d'espérance  dans  les 
hommes  pour  sauver  Glodobert  qui  était  l'aîné,  le  firent 
mettre  tout  mourant  sur  un  brancard  et  transporter  à  Soissons 
au  tombeau  de  S.  Médard,  où  ils  firent  pour  lui  les  vœux  les 
plus  ardents;  mais  il  expira  la  nuit  même,  âgé  de  quinze  ans, 
et  fut  enterré  dans  l'église  dédiée  aux  saints  martyrs  Grépin  et 
Crépinien. 

Ces  deux  princes  moururent  vingt  jours  après  la  prophétie 
de  S.  Salvi.  On  ne  saurait  guère  douter  que  ce  coup  de  la  jus- 
tice de  Dieu  envers  Ghilpéric  et  Frédégonde  ne  fût  un  trait  de 
sa  miséricorde  envers  ces  innocentes  victimes ,  qu'il  parut  ne 
sacrifier  à  sa  colère  que  pour  punir  les  pères  coupables  par 
la  mort  des  enfants.  Les  Francs,  à  qui  l'amour  de  leurs  princes 
est  si  naturel ,  pleurèrent  amèrement  ces  deux  enfants ,  et  les 
femmes  suivirent  le  convoi  en  habits  de  deuil,  comme  si  elles 
eussent  assisté  aux  funérailles  de  leurs  maris.  Fortunat,  non 
content  d'en  avoir  fait  les  épitaphes  en  vers ,  adressa  une  élé- 
gie au  roi  et  à  la  reine  pour  les  consoler  de  ces  pertes  par  les 
motifs  que  suggère  le  christianisme  (1). 

Ghilpéric  parut  avoir  compris  les  enseignements  cachés  sous 
ces  afflictions  :  il  se  montra  dans  la  suite  plus  humain  envers 
ses  sujets,  et  fit  même  de  grandes  aumônes  aux  pauvres  et 
aux  Églises  (2).  Mais  quant  à  Frédégonde,  elle  sembla  s'en- 
durcir sous  les  coups  de  la  main  de  Dieu  qui  la  frappait ,  et  la 
perte  de  ses  enfants  la  rendit  semblable  à  une  lionne  à  qui  on 
a  enlevé  ses  lionceaux  (3).  Sa  fureur  se  manifesta  par  de  nou- 
veaux crimes.  Il  restait  à  Ghilpéric  un  fils  de  la  reine  Audo- 

(1)  Greg.  Tur.,  Ibid.  —  Fortun.,  1.  IX,  carm.  4,  5  et  8.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  V, 
c.  xxxix.  —  (3)  Nous  savons  par  Grégoire  de  Tours  que  Frédégonde  se  retira  dans 
son  palais  pour  y  pleurer  ses  enfants.  Or,  on  vient  de  découvrir  au  milieu  de  la  forêt 
de  Compiègne,  près  de  Saint-Jean  au  Bois,  les  ruines  d'une  vaste  construction 
franque  que  l'on  croit  être  le  palais  de  Frédégonde.  Les  fouilles  qu'on  y  exécute 
ont  fait  découvrir  des  médailles,  des  monnaies,  des  poteries  d'un  haut  intérêt 
archéologique. 


[580]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  481 

vère,  nommé  Clovis  :  Frédégondc  entreprit  de  le  perdre ,  et 
son  esprit  méchant  et  artificieux  ne  servit  que  trop  bien  sa 
haine  de  marâtre.  Elle  rendit  suspecte  la  fidélité  de  ce  jeune 
prince;  et,  ayant  obtenu  du  roi  qu'on  l'arrêtât,  elle  le  fît  assas- 
siner dans  la  prison  puis  répandit  le  bruit  qu'il  s'était  tué 
lui-même  :  elle  ne  trompa  que  le  crédule  Chilpéric  [2).  A 
quels  excès  ne  se  porte  pas  la  haine  d'une  femme  dont  le 
pouvoir  égale  la  méchanceté  ?  Un  crime  était  toujours  pour 
Frédégonde  un  acheminement  vers  un  autre  crime. 

La  reine  Audovère,  qu'elle  avait  fait  répudier  par  ses  arti- 
fices, s'était  retirée,  comme  nous  l'avons  dit,  dans  un  monas- 
tère du  Maine.  Sa  retraite  et  son  humiliation  ne  la  mirent  pas 
à  couvert  des  coups  de  sa  cruelle  rivale.  Cette  reine  avait  beau 
pardonner  à  Frédégonde  le  mal  qu'elle  en  avait  reçu  ;  Frédé- 
gonde ne  lui  pardonna  pas  celui  qu'elle-même  lui  avait  fait, 
et  trouva  moyen  de  la  faire  mourir  dans  son  monastère.  Au- 
dovère avait  eu  de  Chilpéric  une  fille  nommée  Basine.  Fré- 
dégonde épargna  la  vie  de  cette  jeune  princesse;  mais  elle 
la  contraignit  de  se  faire  religieuse  clans  le  monastère  de 
Ste  Radegonde.  La  haine  de  Frédégonde  lui  aurait  procuré  le 
plus  solide  bonheur,  si  en  prenant  le  voile  elle  eût  pris  les 
sentiments  d'une  vierge  consacrée  à  Dieu,  et  ne  se  fût  pas  mon- 
trée plus  glorieuse  d'être  la  fille  d'un  roi  de  la  terre  que  d'être 
l'épouse  de  Jésus-Christ. 

Les  exemples  et  les  leçons  de  Radegonde  la  soutinrent  ce- 
pendant quelque  temps,  et  parurent  lui  faire  assez  aimer  son 
état  pour  le  préférer  à  une  couronne.  Car  Chilpéric  ayant 
voulu  quelques  années  après  la  tirer  de  son  cloître  pour  la 
marier  à  Récarède,  fils  de  Leuvigilde  roi  des  Yisigoths  en 
Espagne,  Ste  Radegonde  s'y  opposa,  et  représenta  au  roi  et  à 
la  jeune  princesse  combien  ce  serait  une  chose  indigne  que 


(1)  Le  jeune  Clovis  fut  assassiné  à  Noisy-le-Grand,  et  son  corps  fut  jeté  dans 
la  Marne.  Un  pêcheur,  l'ayant  trouvé,  l'enterra  dans  un  champ.  Mais  dans  la  suite 
Gontran  le  fit  transférer  dans  l'église  de  Saint-Vincent,  c'est-à-dire  de  Saint- 
Germain  des  Prés,  aussi  hien  que  celui  de  Mérovée.  —  (2)  Greg.,  I.  V,  c  xl. 

tome  n.  31 


482  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580J 

de  contracter  un  mariage  avec  un  prince  de  la  terre,  après 
avoir  choisi  le  Roi  du  ciel  pour  époux.  Basine  parut  le  com- 
prendre et  demeura  dans  son  cloître  (1).  Nous  verrons  dans 
la  suite  que  si  elle  prit  l'esprit  de  son  état,  elle  ne  sut  pas  le 
conserver. 

Les  outrages  qu'une  autre  princesse  des  Francs  recevait 
alors  à  la  cour  d'Espagne,  contribuèrent  peut-être  à  faire 
goûter  à  Basine  les  raisons  de  Ste  Radegonde.  Ingonde,  fille  de 
Sigebert,  roid'Austrasie,  et  de  la  reine  Brunehaut,  était  mariée 
à  Herménigilde,  fils  aîné  du  roi  des  Yisigoths.  On  lui  fit  dans 
cette  cour  arienne  l'accueil  le  plus  gracieux;  mais  elle  apprit 
bientôt  que  ce  n'étaient  que  de  perfides  caresses  pour  lui 
enlever  sa  foi  :  on  ne  tarda  pas  à  lui  faire  subir  les  plus  in- 
dignes traitements. 

Galswinthe,  aïeule  d'Ingonde,  mère  de  Brunehaut  et  ma- 
riée en  secondes  noces  au  roi  Leuvigilde,  était  une  de  ces 
femmes  que  l'hérésie  pousse  à  tout  sacrifier  aux  intérêts  de 
la  secte,  pour  se  donner  la  gloire  d'en  être  les  appuis.  Elle 
vit  avec  douleur  une  princesse  de  son  sang  faire  à  sa  cour 
une  profession  publique  de  catholicisme,  et  commença  par 
mettre  en  œuvre  toutes  les  marques  d'une  artificieuse  ten- 
dresse pour  la  porter  à  se  faire  rebaptiser  dans  l'Église  des 
ariens.  Tout  fut  inutile;  Ingonde,  à  qui  sa  foi  inspirait  un 
courage  au-dessus  de  son  sexe,  lui  répondit  (2)  :  «  lime  suffit 
d'avoir  été  une  fois  purifiée  de  la  tache  originelle  par  le  bap- 
tême. J'y  ai  confessé  l'égalité  des  personnes  de  la  Trinité  : 
c'est  ma  foi.  Je  la  confesse  encore  de  tout  mon  cœur,  et  je  la 
confesserai  jusqu'au  dernier  soupir.  » 

Le  démon  de  l'hérésie  porte  quelquefois  aux  dernières 
violences  une  femme  qui  en  est  possédée.  La  vieille  Gal- 
swinthe, qui  était  borgne  et  qui  ne  ressemblait  pas  moins  à 
une  furie  par  la  difformité  de  son  visage  que  par  ses  empor- 
tements, entra  dans  une  telle  fureur  sur  la  réponse  de  la 

(1)  Greg.,  1.  VJ,  c.  xxxiv.—  (2)  Greg..  1.  V,  c.  xxxix. 


[580]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  483 

princesse  qu'elle  la  prit  par  les  cheveux,  la  jeta  par  terre,  la 
frappa  des  pieds,  et,  après  l'avoir  mise  toute  en  sang,  la  fit 
dépouiller  et  plonger  dans  une  piscine,  comme  pour  la  re- 
baptiser malgré  elle.  Ces  violences,  qui  sont  un  des  caractères 
les  plus  marqués  de  l'erreur,  ne  servirent  qu'à  confirmer  In- 
gonde  dans  la  foi,  et  qu'à  lui  inspirer  du  zèle  pour  la  ré- 
pandre. Elle  entreprit  la  conversion  du  prince  son  époux.  La 
résistance  fut  longue  ;  mais  une  personne  qu'on  aime,  est  bien 
éloquente  pour  persuader  la  vérité.  Herménigilde  se  rendit 
enfin  aux  prières  et  aux  raisons  d'Ingonde.  Il  fut  réconcilié  à 
l'Église  par  l'onction  du  chrême  et  nommé  Jean,  quoiqu'il 
ne  soit  connu  que  sous  son  premier  nom  d'Herménigilde. 

Les  malheurs  de  ce  prince  n'appartiennent  pas  à  cette  his- 
toire. Il  suffit  de  remarquer  qu'ils  n'ébranlèrent  pas  sa  foi,  et 
que  sa  généreuse  constance  lui  mérita  la  palme  du  martyre. 
La  fureur  de  l'hérésie  arma  contre  lui  le  bras  de  son  père,  qui 
n'eut  pas  horreur  de  devenir  son  bourreau.  Mais  le  sang 
d'Herménigilde  fut  pour  la  terre  qu'il  arrosa  un  précieux 
germe  de  la  foi,  qu'on  vit  bientôt  éclore  et  fructifier  au  cen- 
tuple. L'exemple  du  saint  martyr  gagna  Récarède  son  frère, 
et  par  celui-ci  toute  la  nation.  Ainsi  on  peut  dire  qu'après  la 
grâce,  ce  fut  au  zèle  d'une  princesse  franque  que  la  nation  des 
Yisigoths  dut  sa  conversion  à  la  foi  catholique,  pour  laquelle 
encore  aujourd'hui  l'Espagne  professe  un  si  sincère  attache- 
ment. Ingonde  eut  part  aux  souffrances  et  à  la  couronne  de  son 
mari,  et  elle  mourut  quelque  temps  après  en  Afrique,  lorsque 
les  Grecs  l'emmenaient  prisonnière  à  Gonstantinople.  C'est  la 
seconde  princesse'du  sang  de  nos  rois  dont  l'attachement  à  la 
foi  catholique  a  hâté  la  mort  et  l'a  rendue  précieuse  devant  Dieu . 

Ghilpéric,  que  l'adversité  semblait  avoir  rendu  meilleur, 
montrait  de  somcôté  un  zèle  ardent  pour  la  conversion  des 
Juifs,  qui  étaient  alors  dans  les  Gaules  presque  les  seuls  en- 
nemis de  Jésus-Christ.  S.  Grégoire  de  Tours  en  fut  le  témoin. 
Quelques  affaires  l'ayant  obligé,  un  an  après  le  concile  de 
Braisne,  à  retourner  à  la  cour  de  ce  prince,  qui  était  à  Nogent- 


484  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [580] 

sur-Marne  ^  1  ; ,  il  en  fut  fort  bien  reçu  ;  et  comme  il  allait  prendre 
congé  de  lui  avant  son  départ,  il  le  trouva  avec  un  marchand 
juif  nommé  Prisque.  Le  roi,  voyant  venir  Grégoire,  prit  en 
riant  le  Juif  par  la  chevelure  et  dit  à  l'évêque  :  «  Venez,  pon- 
tife du  Seigneur,  imposez-lui  les  mains.  »  Le  Juif  faisant  de 
la  résistance,  le  roi  s'écria  :  «  0  cœur  endurci,  ô  race  toujours 
incrédule,  qui  s'opiniàtre  à  ne  pas  reconnaître  le  Fils  de  Dieu, 
promis  par  les  prophètes,  et  à  ne  pas  croire  les  mystères  de 
notre  foi,  figurés  par  les  sacrifices  !  » 

Le  Juif  répondit  :  «  Le  mariage  ne  convient  pas  à  Dieu,  et 
il  n'a  point  d'enfants  ;  il  ne  souffre  personne  qui  partage  avec 
lui  son  royaume,  lui  qui  a  dit  par  Moïse  :  Voyez  que  je  suis  le 
Seigneur,  et  il  n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  moi  (2).  Dieu,  ré- 
pliqua le  roi,  a  engendré  de  son  sein  spirituel  son  Fils  éternel, 
aussi  ancien  et  aussi  puissant  que  lui  :  Je  vous  ai  engendré, 
lui  a-t-il  dit,  avant  l  étoile  du  matin.  Mais  ce  Fils,  né  avant  les 
siècles,  il  l'a  envoyé  dans  le  monde  en  ces  derniers  temps, 
pour  remédier  à  nos  maux,  comme  dit  votre  prophète  :  Il  a 
envoyé  son  Verbe,  et  il  les  a  guéris...  Est-ce  que  Dieu,  dit  le 
Juif,  a  pu  se  faire  homme,  naître  d'une  femme,  souffrir  la  fus- 
tigation et  être  condamné  à  la  mort?  » 

Le  roi  se  taisant,  Grégoire  prit  la  parole  et  parla  ainsi  : 
«  Ce  sont  nos  besoins,  et  non  les  siens,  qui  ont  engagé  Dieu  à 
se  faire  homme  :  car  s'il  n'avait  pas  pris  la  nature  humaine,  il 
n'aurait  pu  racheter  l'homme  de  la  servitude  du  démon.  Je 
n'emploierai  pas  ici  l'autorité  de  l'Évangile  et  de  l'Apôtre  : 
vous  n'y  croyez  pas  ;  je  ne  vous  citerai  que  des  témoignages 
de  vos  livres,  pour  vous  percer  de  votre  propre  épée,  comme 
David  perça  Goliath.  »  Il  rapporta  ensuite  les  plus  belles  pro- 

(1)  Il  n'y  a  presque  point  de  province  en  France  où  il  n'y  ait  quelque  lieu 
nomme  Nogent.  Il  y  en  avait  deux  dans  le  seul  territoire  de  Paris,  savoir:  Nogent- 
sur-Seine,  qui  est  aujourd'hui  Saint-Cloud,  et  Nogent-sur-Marne,  qui  était  une  maison 
royale  :  ce  qui  nous  fait  croire  que  ce  fut  dans  ce  dernier  que  Grégoire  de  Tours 
trouva  Chilpéric. 

(2)  Nous  ne  savons  selon  quel  texte  le  Juif  cite  ici  l'Écriture.  Il  y  a  dans  notre 
Vul°ate:  Videte  quod  ego  sim  solus,  et  dans  l'hébreu:  Videte  quod  ego  ejo  ipse. 


[580]  EN  FRAXCE.   —  LIVRE  Vit.  485 

phétîes  de  l'Ancien  Testament,  qui  marquent  que  Dieu  devait 
se  faire  homme  et  souffrir  la  mort.  D'abord  celle  de  Baruch  : 
Cest  là  notre  Dieu,  on  ne  reconnaîtra  pas  d'antre  Dieu  que  lui. 
Cest  lai  qui  a  trouvé  toutes  les  voies  de  la  science,  qui  la  donnée 
à  Jacob  son  fils  et  à  Israël  son  bien-aimé.  Ensuite,  il  a  été  vu 
sur  la  terre  et  il  a  conversé  avec  les  hommes  ;  puis  celle-ci 
d'Isaïe  :  Voilà  qunne  vierge  concevra  dans  son  sein  et  enfantera 
un  fils,  et  il  sera  nommé  Emmanuel,  c  est-à-dire  Dieu  avec 
nous;  celle  du  psaume  xxi,  sur  la  passion  du  Sauveur:  Ils  ont 
percé  mes  pieds  et  mes  mains,  et  ont  partagé  mes  vêtements. 
Grégoire  cita  aussi  dans  cette  discussion  ce  texte  connu  du 
psaume  xcv  :  Le  Seigneur  a  régné  par  le  bois  :  Dominus 
regnavit  a  ligno,  pour  montrer  que  Jésus-Christ  devait  être 
attaché  à  la  croix  :  ce  qui  est  une  nouvelle  preuve  qu'on 
lisait  ainsi  dans  la  version  qui  était  alors  à  l'usage  de  l'Église 
de  France  (1). 

Gomme  le  Juif  paraissait  scandalisé  des  souffrances  d'un 
Dieu,  Grégoire,  pour  lui  en  faire  sentir  les  causes  et  les  fruits, 
lui  cita  le  bel  endroit  d'Isaïe  où  ce  prophète,  dévoilant  l'ave- 
nir, décrit  si  exactement  toutes  les  circonstances  de  la  pas- 
sion du  Sauveur,  qu'il  semble  plutôt  avoir  fait  le  récit  d'un 
fait  passé  que  la  prédiction  d'un  événement  futur.  Il  rap- 
porta aussi  la  célèbre  prophétie  de  Jacob  sur  l'avènement  du 
Messie  ;  et  il  n'eût  pas  manqué  de  parler  ensuite  des  semaines 
de  Daniel,  si  le  roi  n'eût  mis  fin  à  cette  discussion.  Car  ce 
prince,  voyant  que  tous  ces  témoignages  confondaient  le  Juif 
incrédule  sans  cependant  le  convaincre,  parce  que  l'opiniâ- 
treté tient  lieu  de  raisons  à  ceux  qui  en  manquent,  termina 
cette  controverse,  et,  se  tournant  vers  le  saint  évêque,  il  lui 
dit  :  «  Je  vous  dirai  ce  que  Jacob  disait  à  l'ange  :  Je  7ie  vous 
laisserai  pas  atter  que  vous  ne  ni  ayez  donné  votre  bénédic- 
tion. »  Aussitôt  il  fit  donner  à  laver,  et,  après  la  prière  qui 
précède  le  repas,  Grégoire  prit  du  pain,  le  bénit,  en  donna  au 


(1)  Greg.,  1.  VI,  c.  v.  —  Outre  les  saints  Pères  que  nous  avons  cités  ci-dessus. 


486  HISTOIRE  DE  L 'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [581] 

roi  et  en  mangea  lui-même,  but  un  verre  de  vin  et  prit  en- 
suite congé  de  ce  prince. 

On  voit,  par  ce  récit,  que  ce  saint  évêque  était  fort  versé 
dans  la  science  des  saintes  Écritures,  et  qu'il  savait  manier 
avec  force  et  adresse  les  armes  invincibles  que  les  pro- 
phéties fournissent  aux  docteurs  catholiques  contre  le  Juif  et 
le  gentil.  Ce  serait  s'aveugler  à  la  lumière  même  de  la  vérité, 
que  de  prétendre  éluder  par  de  vaines  subtilités  ces  divins 
oracles,  dont  l'accomplissement  a  tant  contribué  à  la  conver- 
sion de  l'univers.  L'opiniâtreté  même  des  Juifs,  loin  de  porter 
atteinte  aux  prophéties,  ne  sert  qu'à  les  justifier ,  puisqu'elle 
y  est  clairement  prédite. 

L'obstination  de  Prisque  ne  ralentit  pas  le  zèle  de  Chilpéric 
pour  la  conversion  des  Juifs.  Il  se  flatta  d'en  avoir  converti 
plusieurs ,  qu'il  fît  baptiser  à  Paris  l'année  suivante  avec  un 
grand  appareil,  voulant  lui-même  en  être  le  parrain.  Ce  ne 
fut  néanmoins  de  la  part  de  quelques-uns  qu'une  conversion 
simulée.  Ce  prince,  ayant  fait  inutilement  de  nouveaux  efforts 
pour  gagner  Prisque  au  christianisme,  le  fît  emprisonner. 
Prisque,  pour  obtenir  sa  liberté,  renonça  ou  fit  semblant  de 
renoncer  au  judaïsme;  mais  un  autre  Juif  converti,  l'ayant 
trouvé  à  Paris  observant  encore  le  sabbat,  le  tua  et  se  réfugia 
dans  l'église  de  Saint-Julien  (1).  Cette  église  est  celle  qui  est 
dédiée  à  S.  Julien  dit  le  Vieux  ou  le  Pauvre.  Elle  sert  actuel- 
lement de  chapelle  aux  malades  de  l'Hôtel-Dieu.  Car  celle  de 
Saint-Julien  des  Ménétriers,  avec  laquelle  elle  a  été  quelque- 
fois confondue,  ne  fut  fondée  qu'en  l'année  1330. 

Quelques  années  auparavant,  le  zèle  de  S.  Avite,  évêque 
d'Auvergne,  avait  été  plus  heureux  pour  gagner  les  Juifs  à  la 
foi.  Ce  saint  évêque  ne  cessait  de  prier  pour  eux  et  de  les 
exhorter  à  soulever  le  voile  de  la  loi ,  pour  ouvrir  les  yeux  à 

et  qui  ont  lu  dans  ce  psaume  a  ligno,  on  trouve  ces  mômes  paroles  dans  un  ancien 
psautier  qu'on  prétend  avoir  été  à  l'usage  de  S.  Germain  de  Paris,  et  qui  a  été 
conservé  longtemps  dans  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés. 
(1)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.  xvn. 


[581]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  4SI 

la  lumière  et  reconnaître  Jésus-Christ  dans  les  oracles  des 
prophètes.  Un  Juif,  touché  de  ses  discours,  lui  demanda  le  bap- 
tême et  le  reçut  à  Pâques.  Mais  comme  ce  néophyte  marchait 
en  procession  vêtu  de  blanc  avec  les  autres  nouveaux  baptisés, 
un  autre  Juif,  par  dérision  du  baptême,  lui  jeta  de  l'huile 
puante  sur  la  tête  (1).  Le  peuple  fidèle  indigné  de  cette  insulte 
poursuivit  le  coupable  à  coups  de  pierres,  et  l'aurait  assommé 
si  l'évêque  n'eût  interposé  son  autorité.  Il  resta  cependant 
dans  les  esprits  contre  cette  nation  un  levain  d'aigreur,  dont 
Dieu  sut  tirer  sa  gloire. 

Le  jour  de  l'Ascension,  comme  S.  Àvite  allait  en  procession 
de  l'église  à  la  basilique  (2) ,  c'est-à-dire  de  la  cathédrale  à 
une  autre  église  qui  n'est  pas  nommée,  le  peuple  qui  suivait 
le  clergé  se  jeta  sur  la  synagogue  des  Juifs  et  la  démolit  de 
fond  en  comble.  Le  lendemain  le  saint  évèque  envoya  dire  aux 
Juifs  :  «  Je  ne  vous  contrains  pas  de  confesser  le  Fils  de  Dieu, 
mais  je  vous  le  prêche....  Je  suis  un  pasteur  préposé  au  trou- 
peau du  Seigneur.  Le  Pasteur  par  excellence,  qui  est  moi-! 
pour  nous,  a  dit  de  vous  :  Jrài  d'autres  brebis,  qui  ne  sont  pas 
de  cette  bergerie  :  il  faut  que  je  les  y  amène,  afin  qu'il  n'y  ait 
qu'une  bergerie  et  qu'un  pasteur.  Si  vous  voulez  donc  embras- 
ser la  foi  que  je  vous  annonce,  joignez- vous  au  troupeau  qui 
est  sous  ma  conduite  ;  sinon  retirez-vous  ailleurs.  » 

Les  Juifs  délibérèrent  deux  jours ,  et  le  troisième  ils  firent 
dire  à  S.  Avite  qu'ils  croyaient  en  Jésus-Christ  et  demandaient 
le  baptême.  Le  saint  évêque,  versant  des  larmes  de  joie,  les 
baptisa  la  veille  de  la  Pentecôte  au  nombre  de  plus  de  cinq 
cents,  avec  un  appareil  qui  répondit  à  la  grandeur  de  cette  vic- 
toire de  la  foi  (3).  Car  si  la  conversion  de  ces  Juifs  fut  sincère, 
comme  il  parut  qu'elle  l'était ,  on  peut  la  regarder  comme  un 

(1)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  xi. 

(2)  La  cathédrale  est  communément  nommée  dans  les  anciens  auteurs  simple- 
ment l'église,  ecclesia,  et  quelquefois  senior  ecclesia.  On  donnait  le  nom  de  basiliques 
aux  autres  églises  qui  étaient  célèbres  d'ailleurs  ;  les  petites  églises  étaient  nommées 
oratoires. 

(3)  Fort,,  I.  V,  carm.  5.  —  Greg.  Tur.,  l.V,  c.  xi. 


488  HISTOIRE  DE  l' EGLISE  CATHOLIQUE  [581] 

des  plus  signalés  miracles  de  la  grâce,  et  tel  qu'on  n'en  avait 
peut-être  pas  vu  depuis  le  temps  des  apôtres.  Aussi  un  événe- 
ment si  glorieux  à  la  religion  fît-il  un  grand  éclat  dans  toute 
la  Gaule,  et  Fortunat,  à  la  prière  de  Grégoire  de  Tours,  le  cé- 
lébra dans  ses  vers.  Les  autres  Juifs  d'Auvergne  qui  demeu- 
rèrent obstinés  dans  leur  croyance,  se  retirèrent  à  Marseille 
dans  le  royaume  cle  Gontran,  où  cette  nation  n'était  guère  mieux 
traitée ,  comme  on  le  voit  par  les  règlements  et  les  canons 
des  conciles. 

Gontran,  vers  cette  époque,  provoqua  la  réunion  d'un  con- 
cile à  Mâcon  (1)  ;  on  y  dressa  dix-neuf  canons,  dont  plusieurs 
sont  rédigés  contre  les  Juifs.  Ils  sont  datés  du  1er  novembre 
de  l'indiction  XY  et  de  la  vingt  et  unième  année  du  règne  de 
Gontran,  c'est-à-dire  de  l'an  581  ou  582.  On  ignore  quelle  fut 
l'occasion  de  ce  concile.  Les  évêques  disent  dans  le  préam- 
bule qu'étant  assemblés  pour  des  affaires  publiques  et  pour  les 
intérêts  des  pauvres,  ils  ont  plutôt  songé  à  renouveler  les  an- 
ciens canons  qu'à  en  faire  de  nouveaux.  Voici  l'abrégé  de  ceux 
qu'ils  publièrent. 

I.  Les  évêques,  les  prêtres  et  les  diacres  pourront  demeu- 
rer en  cas  de  nécessité  avec  leur  aïeule,  leur  mère,  leurs  sœurs 
et  leurs  nièces;  mais  jamais  avec  des  femmes  étrangères. 

II.  Aucun  évêque,  ni  aucun  prêtre  ou  diacre ,  non  plus  que 
tout  autre  clerc  ou  laïque  ne  demeurera  dans  un  monastère 
de  filles  et  ne  leur  parlera  en  particulier,  s'il  n'est  d'une  vertu 
ou  d'un  âge  qui  le  mette  à  l'abri  des  mauvais  soupçons.  Il  ne 
sera  permis  à  personne  d'entrer  ailleurs  que  dans  le  parloir 
ou  l'oratoire ,  excepté  les  ouvriers  nécessaires  pour  les  répa- 
rations. Mais,  sous  quelque  prétexte  que  ce  soit  ,  on  ne  per- 
mettra jamais  aux  Juifs  de  parler  en  particulier  à  une  religieuse. 

Quoique  la  plupart  des  religieuses  gardassent  dès  lors  la 
clôture ,  leurs  parloirs  n'étaient  pas  grillés ,  et  c'est  la  raison 
pour  laquelle  on  prenait  tant  de  précautions  pour  empêcher 
les  visites  suspectes. 

(1)  Cane  Gall.,  1. 1,  p.  379.  —  Labb.,  t.  V,  p.  9GG. 


[581]-  EN  FRANCE.    LEVEE  VII.  489 

III.  Il  est  défendu  aux  évêques  de  laisser  entrer  dans  leurs 
chambres  aucune  femme,  si  ce  n'est  en  présence  de  deux  prê- 
tres ou  de  deux  diacres. 

Y.  Il  est  défendu  aux  clercs  de  porter  des  saies,  des  habits, 
ou  des  chaussures  comme  les  laïques,  sous  peine  d'être  en- 
fermés trente  jours,  pendant  lesquels  ils  jeûneront  au  pain  et 
à  l'eau. 

VI.  Il  est  interdit  à  l'archevêque  de  célébrer  l'office  divin 
sans  le  pallium. 

On  restreignit  dans  la  suite  l'usage  du  pallium  aux  jours 
les  plus  solennels.  C'est  la  première  fois  qu'on  trouve  le  nom 
<X archevêque  dans  les  actes  publics  pour  signifier  un  métro- 
politain. Il  est  vrai  que  nous  l'avons  déjà  remarqué  dans  le 
testament  de  S.  Gésaire;  mais,  outre  que  c'est  un  acte  particu- 
lier, il  pouvait  y  avoir  des  raisons  spéciales  de  donner  cette  qua- 
lité aux  évêques  d'Arles,  à  cause  du  vicariat  du  Saint-Siège . 

VII.  Il  est  défendu,  sous  peine  d'excommunication,  aux 
juges  laïques  de  faire  emprisonner  des  clercs,  si  ce  n'est  pour 
des  causes  criminelles ,  telles  que  l'homicide ,  le  larcin  et  le 
maléfice. 

On  voit  ici  l'exception  de  ce  qu'on  nomme  les  cas  privilégiés. 

VIII.  Défense  aux  clercs  d'accuser  un  autre  clerc  à  un  tribu- 
nal laïque ,  sous  peine  de  trente-neuf  coups  de  fouet  pour  les 
clercs  des  ordres  inférieurs ,  et  d'un  mois  de  prison  pour  ceux 
qui  sont  dans  les  ordres  supérieurs. 

IX.  Depuis  la  Saint-Martin  jusqu'à  Noël,  on  jeûnera  le  lundi, 
le  mercredi  et  le  vendredi;  on  célébrera  ces  jours-là  les 
messes  selon  l'ordre  qui  s'observe  en  carême,  et  l'on  fera  lire 
alors  les  canons,  afin  que  personne  ne  puisse  arguer  de  son 
ignorance. 

XI.  On  dégradera  pour  toujours  ceux  qui,  étant  dans  les 
ordres  sacrés,  seront  convaincus  d'avoir  eu  commerce  avec 
leurs  femmes. 

XII.  Les  filles  qui  se  marient  après  s'être  consacrées  à 
Dieu,  et  ceux  qui  les  épousent,  sont  excommuniés.  S'ils  se 


490  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [581] 

séparent  pour  faire  pénitence,  l'évêque  du  lieu  les  tiendra 
suspendus  de  la  communion  autant  de  temps  qu'il  le  jugera 
à  propos  ;  cependant  en  cas-de  maladie  ou  de  danger  on  ne  leur 
refusera  pas  le  Viatique. 

XIII-XIV.  Il  est  défendu  aux  Juifs  d'exercer  aucune  charge 
de  juge  parmi  les  chrétiens,  d'être  receveurs  des  impôts  (1), 
ou  de  sortir  de  leurs  maisons  depuis  le  jour  de  la  cène  jus- 
qu'à la  première  Pàque,  suivant  l'ordonnance  du  roi  Ghildebert 
d'heureuse  mémoire.  (Le  troisième  concile  d'Orléans  avait  fait 
la  même  défense,  et  Ghildebert  Ier  avait  appuyé  de  son  autorité 
ce  règlement.)  On  ordonne  pareillement  aux  Juifs  de  porter 
respect  au  clergé,  avec  défense  de  s'asseoir  en  présence  des 
évèques  sans  en  avoir  reçu  l'ordre. 

XY-XVI.  On  défend  aux  chrétiens  de  manger  avec  les 
Juifs,  et  aux  Juifs  d'avoir  des  esclaves  chrétiens;  on  permet 
de  racheter  l'esclave  chrétien  d'un  Juif  pour  douze  sous. 

XYII-XVIII.  On  excommunie  ceux  qui  se  parjurent  ou  qui 
subornent  de  faux  témoins,  et  ceux  qui  intentent  des  accusa- 
tions calomnieuses  contre  des  personnes  innocentes. 

XIX.  Le  dernier  canon  concerne  une  religieuse  nommée 
Agnès,  qui,  cherchant  à  s'enfuir  une  seconde  fois  de  son  mo- 
nastère, voulait  disposer  des  biens  qui  lui  avaient  appartenu, 
pour  se  ménager  des  protecteurs  dans  le  siècle.  Le  concile 
l'excommunie  aussi  bien  que  ceux  qui  recevraient  d'elle  ou 
de  toute  autre  religieuse  quelque  donation  pour  les  protéger 
contre  la  règle. 

Vingt-un  évèques  assistèrent  à  ce  concile,  parmi  lesquels 
on  trouve  S.  Prisque  de  Lyon  (2),  S.  Evance  de  Vienne, 

(1)  Il  y  a  dans  le  texte  du  concile  :  telonarii.  Ce  mot  signifie  ceux  qui  sont  char- 
gés de  lever  les  droits  sur  les  denrées ,  surtout  dans  les  ports  de  mer.  Telonarius  se 
prend  aussi  quelquefois  pour  celui  à  qui  ces  droits  appartiennent.  Il  est  employé 
en  ce  sens  dans  un  ancien  cartulaire  français  de  l'abbaye  de  Corbie,  cité  par  Du- 
cange.  En  voici  les  termes  :  Tous  les  tonlius  des  denrées  c'on  vent  et  acale  à  Corbie,  est 
siens  (à  l'abbé),  car  il  est  tonloyers  de  ladite  ville. 

(2)  Quoique  les  martyrologes  ne  fassent  pas  mention  de  Prisque  de  Lyon,  d'an- 
ciens monuments  cités  par  le  P.  Lecointe  lont  voir  qu'il  était  honoré  comme  saint 
au  mois  de  juin. 


[581]  EN   FRANCE.    LIVRE  VII.  4(Jl 

S.  Àrtème  de  Sens,  S.  Rémédius  ou  Remi  de  Bourges,  S.  Sya- 
grius  d'Autun,  S.  Àunaire  d'Auxerre,  S.  Agricole  ou  S.  Arigle 
de  Ne  vers,  S.  Flavius  de  Chalon-sur-Saône,  Mummole  de 
Langres,  et  Hiconius  de  Mauricnne,  qui  parait  avoir  été  le 
premier  évéque  de  ce  siège,  érigé  sous  le  règne  de  Goutran. 
Voici  à  quelle  occasion  ce  siège  fut  fondé. 

Une  femme  venue  du  Levant  ayant  apporté  à  Mauriennc  un 
doigt  de  S.  Jean-Baptiste,  cette  ville  peu  connue  auparavant 
devint  fort  célèbre  par  la  dévotion  des  peuples,  et  on  la 
nommai  ville  de  Saint-Jean.  Cette  circonstance  donna  lieu 
au  roi  Gontran  d'y  ériger  un  évèché,  pour  honorer  l'église  du 
saint  précurseur.  La  politique  eut  aussi  quelque  part  à  cet  éta- 
blissement ;  Gontran  ne  voulait  pas  que  ses  suj  ets  du  territoire 
de  Maurienne  fussent  soumis  à  la  juridiction  de  l'évêque  de 
Turin,  qui  était  sous  la  domination  des  Lombards. 

Mummole  de  Langres,  surnommé  le  Bon  à  cause  de  ses 
vertus,  avait  été  le  troisième  abbé  àeRéo)?iaùs;  il  avait  succédé 
à  S.  Sylvestre,  successeur  du  saint  abbé  Jean,  le  fondateur  de 
ce  monastère. 

L'Église  de  Langres  avait  besoin  d'un  saint  évèque  pour 
réparer  les  scandales  que  la  jalousie  et  l'ambition  de  quelques 
clercs  y  avaient  causés.  Après  la  mort  de  S.  Tétric,  Sylvestre 
fut  élu  pour  remplir  ce  siège  ;  mais  il  mourut  d'épilepsie  en 
allant  à  Lyon  pour  se  faire  ordonner.  Le  diacre  Pierre,  frère 
de  S.  Grégoire  de  Tours,  fut  accusé  d'avoir  été  l'auteur  de  sa 
mort,  et,  quoiqu'il  se  fût  juridiquement  purgé  de  ce  crime  par 
serment,  ilfut  cruellement  assassiné.  Pappole,  qui  fut  élu  à  la 
place  de  Sylvestre,  augmenta  le  trouble  par  sa  conduite  et 
mourut  misérablement  la  huitième  année  de  son  épiscopat. 
Ce  fut  pour  succéder  à  Pappole  que  l'abbé  Mummole  fut  tiré 
de  sa  solitude  (1). 

Les  Pères  du  concile  de  Màcon  ne  marquent  pas  pour 
quelles  affaires  publiques  ils  furent  convoqués  ;  mais  il  y  a 


(1)  Greg.  Turv  1.  V,  c.  v. 


492  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQIE  [581] 

lieu  de  croire  que  c'était  pour  chercher  les  moyens  de  con- 
cilier les  intérêts  des  rois  francs,  toujours  divisés.  Il  est  du 
moins  certain  que  la  même  année  581  il  se  tint  à  Lyon  un 
concile,  dont  les  évêques  allèrent  conférer  avec  le  roi  Gon- 
tran  sur  la  révolte  du  duc  Mummole  et  sur  les  autres  trou- 
bles du  royaume  (1).  Ce  religieux  prince,  qui  ne  voulait  rien 
faire  contre  la  loi  de  Dieu,  croyait  ne  pouvoir  trouver  de 
meilleurs  conseillers  que  ceux  qui  en  sont  les  interprètes. 
Il  consultait  les  évêques  pour  s'assurer  de  la  justice  des 
guerres  qu'il  entreprenait  ;  et  les  conciles  étaient  ses  conseils 
d'État.  Nous  n'avons  pas  les  actes  de  ce  concile  de  Lyon. 

S.  Aunaire,  évêque  d'Auxerre,  convoqua  vers  le  même 
temps,  sans  qu'on  sache  précisément  en  quelle  année,  un 
synode  des  prêtres  et  des  abbés  de  son  diocèse  ;  on  voit  par  là 
que  dès  ce  temps  les  évêques  tenaient  ces  sortes  d'assemblées, 
pour  y  publier  les  statuts  nécessaires  au  maintien  du  bon 
ordre  dans  leurs  Églises.  On  dressa  dans  ce  synode  quarante- 
cinq  canons,  que  nous  rapporterons  la  plupart,  comme  étant 
propres,  par  le  détail  où  l'on  y  entre,  à  donner  des  mœurs  et 
de  la  discipline  de  ce  siècle  une  connaissance  qui  est  un  des 
principaux  objets  de  l'histoire  ecclésiastique. 

I.  Il  est  défendu  de  se  déguiser  le  1er  janvier  en  vache 
ou  en  cerf  (2),  ou  de  donner  des  étrennes  diaboliques  (3)  ; 
mais  on  peut  ce  jour-là  se  rendre  service  les  uns  aux  autres, 
comme  dans  tout  autre  jour  de  l'année. 

Pour  entendre  ceci,  il  faut  savoir  que,  par  une  superstition 

(1)  Grog.  Tur.,  1.  VI,  c.  i. 

(2)  Il  y  a  dans  le  texte  cervolo  vel  vetula  far.ere.  On  sait  que  vetula  est  souvent 
écrit  dans  les  anciens  livres  pour  vitula,  et  que  vitula  signifie  une  génisse  ou  même 
une  vache.  Mais  le  sens  de  ces  termes  n'en  serait  pas  moins  obscur,  si  nous  ne  sa- 
vions d'ailleurs  que  les  mascarades  auxquelles  les  païens  et  quelques  mauvais  chré- 
tiens prenaient  plaisir  le  1er  janvier,  consistaient  à  prendre  la  figure  de  divers  ani- 
maux et  nommément  du  cerf  et  de  la  vache.  Un  ancien  pénitentiel,  tiré  d'un  manus- 
crit d'Angers,  marque  trois  ans  de  pénitence  pour  ces  ridicules  mascarades  :  Si  quis 
calendis  januariis  in  vitula  vel  cervolo  vadet,  tribus  annis  pœniteat.  C'est  à  cause  de  ces 
superstitions  que  dans  un  ancien  Ordre  romain  on  trouve  au  lPr  janvier  une  messe 
pour  demander  à  Dieu  l'extirpation  de  l'idolâtrie,  ad  prohibendum  ab  idolis. 

(3)  Conc.  Gall.,  p.  3G2. —  Bonifacii  Mogunt.  Ep.  cxxn  ad  Zachar. —  Labb.,  t.  V, 
p.  956. 


[581]  EN  FRANCE.  —  livre  ml  493 

païenne  dont  on  voit  encore  les  traces  dans  le  vme  siècle, 
on  n'osait  rien  prêter  à  son  voisin  le  premier  jour  de 
l'an,  non  pas  même  lui  donner  du  feu.  Mais  chacun  mettait  à 
sa  porte  ce  jour-là  des  tables  chargées  de  viandes  pour  les 
passants  :  c'est  apparemment  ce  qu'on  nomme  ici  des 
étrennes  diaboliques. 

II.  Tous  les  prêtres  enverront  avant  l'Epiphanie  demander 
quel  jour  commence  le  carême,  et  ils  l'annonceront  au 
peuple  le  jour  de  l'Epiphanie. 

III.  Il  n'est  pas  permis  de  s'assembler  dans  des  maisons 
particulières  (1)  pour  célébrer  les  veilles  des  fêtes,  ni  d'ac- 
quitter des  vœux  à  des  buissons,  à  des  arbres  ou  à  des  fon- 
taines, ou  de  faire  des  figures  de  pieds  et  d'hommes  avec  du 
linge  (2).  Il  faut  donner  ce  qui  a  fait  l'objet  d'un  vœu  aux  pau- 
vres ou  à  la  matricule  (qui  les  nourrit). 

IV.  Il  est  défendu  de  consulter  les  sorciers,  les  augures, 
les  devins,  les  sorts  des  saints  ou  les  divinations  qu'on 
exerçait  avec  du  bois  ou  du  pain. 

V.  Il  faut  absolument  empêcher  les  veilles  en  l'honneur  de 
S.  Martin. 

Il  est  probable  que  les  réjouissances  qu'on  y  faisait  dés 
lors,  avaient  déjà  dégénéré  en  abus. 

VI.  Les  prêtres  iront  chercher  le  saint  chrême  après  la 
mi-carême,  et  ceux  qui  ne  pourront  y  aller  eux-mêmes  y 
enverront  leur  archidiacre  ou  leur  archisousdiacre.  Ils  le  por- 
teront respectueusement,  comme  on  porte  les  reliques  des 

(1)  Il  est  diflScile  de  déterminer  ce  que  signifie  dans  ce  troisième  canon  :  non  licet 
compensas  facere.  Quelques-uns  entendent  par  ce  terme  les  assemblées  que  faisaient 
les  femmes  le  soir  pour  filer  ensemble.  Pensum  est  en  eifet  la  tâche  de  laine  qu'on 
donnait  aux  femmes  pour  filer.  Ainsi  compensum  ou  compensos  facere  pourrait  si- 
gnifier: faire  ensemble  saJâche,  filer  ensemble.  D'autres  croient  que  compensum  est  une 
offrande,  ainsi  nommée  parce  que  plusieurs  y  contribuaient.  Le  P.  Lc-cointe  a 
tranché  la  difficulté  en  mettant  dans  le  texte  :  conventus,  sans  avertir  qu'on  lit  : 
compensos. 

(2)  On  lit  dans  le  texte:  pede  et  homine  lineo.  Flem-y  a  lu  ligneo,  puisqu'il  traduit: 
des  pieds  de  bois;  cependant  toutes  les  éditions  portent  :  lineo.  On  voit  par  un  sermon 
de  S.  Éloi  qu'on  plaçait  ces  figures  de  pieds  sur  les  grands  chemins  ;  mais  le  synode 
d'Auxerre  ne  le  marque  pas,  comme  ditFleury. 


494  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [58 1J 

saints,  dans  un  vase  destiné  à  cet  usage  et  enveloppé  d'un  linge. 

C'est  la  première  fois  qu'on  trouve  la  qualité  d'archisous- 
diacre.  Ce  canon  semble  marquer  que  le  saint  chrême  se 
faisait  alors  à  la  mi-carême  dans  l'Église  d'Auxerre  (1). 

VII.  Vers  le  milieu  du  mois  de  mai  tous  les  prêtres  vien- 
dront dans  la  ville  au  synode ,  et  tous  les  abbés  le  premier 
jour  de  novembre. 

VIII.  Il  est  défendu  d'offrir  à  l'autel  du  vin  assaisonné  de 
miel,  ou  quelque  autre  boisson  que  du  vin  mêlé  d'eau,  parce 
que  ce  serait  un  grand  péché  que  d'offrir  autre  chose  pour  la 
consécration  du  sang  du  Seigneur. 

IX.  Il  faut  empêcher  les  laïques  de  danser  dans  l'église,  d'y 
faire  chanter  des  chansons  à  des  filles  ou  d'y  donner  des 
festins. 

On  voit  ici  à  quel  point  on  portait  la  profanation  des  lieux 
saints. 

X.  Il  est  défendu  de  dire  en  un  jour  deux  messes  sur  le 
même  autel  ;  surtout  un  prêtre  ne  doit  pas  dire  la  messe  sur 
un  autel  le  même  jour  que  l'évêque  l'y  aura  dite. 

Les  messes  n'étaient  donc  pas  encore  bien  fréquentes. 

XI.  Il  est  défendu  de  boire  et  de  manger  la  veille  de  Pâques 
après  minuit  ;  il  faut  la  célébrer,  aussi  bien  que  la  veille  de 
Noël  et  des  autres  solennités,  jusqu'à  la  deuxième  heure, 
c'est-à-dire  jusqu'à  environ  sept  heures  du  matin. 

XII-XIII.  Il  est  défendu  de  donner  l'Eucharistie  (2)  ou  le 
baiser  aux  morts,  d'envelopper  leurs  corps  des  voiles  qui 
servent  à  l'autel.  Il  n'est  pas  même  permis  au  diacre  de  s'en- 
velopper les  épaules  de  ces  voiles. 

(1)  Le  premier  concile  de  Tolède  déclare  qu'il  est  permis  à  l'évêque  de  faire  le  saint 
chrême  en  quelque  jour  que  ce  soit.  Il  y  a  cependant  fort  longtemps  que  l'Église 
paraît  avoir  choisi  le  jeudi  saint  pour  cette  cérémonie,,  et  l'évêque  disait  ce  jour-là 
trois  messes,  qui  sont  rapportées  dans  d'anciens  sacramentaires  :  la  première,  pour 
la  réconciliation  des  pénitents  ;  la  seconde,  pour  la  bénédiction  du  chrême,  et  la 
troisième  du  jour,  laquelle  se  disait  le  soir  en  mémoire  de  la  cène. 

(2)  On  donnait  quelquefois  l'Eucharistie  aux  morts ,  ou  du  moins  on  la  mettait 
avec  eux  dans  le  tombeau  :  ce  qui  fut  défendu  par  le  troisième  concile  de  Car- 
thage  et  par  celui  de  Trulle. 


[581]  EN  FRANCE.  —  LIVEE  MI.  495 

XIY-XV-XVI.  Il  est  interdit  d'enterrer  dans  le  baptistère, 
de  mettre  un  mort  sur  un  mort  (1),  c'est-à-dire  d'enterrer 
deux  corps  l'un  sur  l'autre  dans  le  même  tombeau,  d'atteler 
les  bœufs  le  dimanche  ou  de  faire  d'autres  travaux  que  ceux 
qui  sont  marqués  par  les  canons. 

XVII.  On  ne  recevra  pas  d'offrande  pour  ceux  qui  se  sont 
donné  volontairement  la  mort. 

XVIII.  On  ne  baptisera  qu'à  Pâques,  même  les  enfants, 
excepté  dans  le  danger  de  mort. 

XIX.  Il  n'est  pas  permis  aux  prêtres,  aux  diacres  et  aux 
sous-diacres  d'officier  à  la  messe,  ni  même  d'y  assister,  s'ils 
ne  sont  à  jeun. 

Tous  les  ministres  de  l'autel  communiaient  alors  avec  le 
célébrant. 

XX.  Si  l'archiprêtre  n'avertit  pas  l'évêque  ou  l'archidiacre 
des  fautes  qu'il  saura  avoir  été  commises  contre  la  continence 
par  les  prêtres,  les  diacres  et  les  sous-diacres,  il  demeurera 
excommunié  pendant  un  an,  et  les  coupables  seront  déposés. 

XXII.  Il  n'est  point  permis  à  la  veuve  d'un  prêtre,  d'un 
diacre,  ou  d'un  sous-diacre  de  se  remarier. 

XXIII.  Si  un  moine  commet  un  adultère  (2)  ou  un  larcin, 
ou  possède  quelque  chose  en  propriété,  l'abbé  qui  ne  le  châ- 
tiera pas  ou  qui  ne  le  déférera  pas  à  l'évêque  ou  à  l'archi- 
diacre, sera  enfermé  pendant  un  an  dans  un  autre  monastère 
pour  y  faire  pénitence. 

XXIV-XXV.  Il  est  défendu  aux  abbés  et  aux  moines  d'aller 
aux  noces  et  d'être  parrains. 

XXVI.  L'abbé  qui  permettra  à  une  femme  d'entrer  dans 

(1)  Quand  on  enterrait  deux  corps  dans  le  même  tombeau,  on  avait  grand  soin 
de  ne  pas  les  mettre  l'un  sur  l'autre,  mais  à  côté  l'un  de  l'autre.  Gruter  rapporte 
une  assez  plaisante  épitaphe  d'un  ancien  chrétien,  qui  ordonna  qu'on  l'enterrât 
seul,  afin  qu'au  jour  du  jugement  il  lui  fût  plus  aisé  de  sortir  de  son  tombeau. 

Solus  cur  sim  quœris  ? 
Ut  in  censorio  die  sine  impedimento  facilius  resurgam. 

(2)  Il  faut  se  souvenir  de  ce  que  nous  avons  remarqué  ailleurs,  que  le  terme 
à'adultèrc  se  prend  souvent  pour  la  simple  fornication  ou  pour  l'inceste. 


496  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [581] 

son  monastère,  sera  enfermé  trois  mois  dans  un  autre  monas- 
tère, pour  y  jeûner  au  pain  et  à  l'eau. 

XXYII-XXVIII-XXIX-XXX-XXXI-XXXII.  Il  n'est  pas  per- 
mis à  qui  que  ce  soit  d'épouser  sa  belle-mère,  ni  sa  belle- 
fille,  ni  la  veuve  de  son  frère  ou  de  son  oncle,  ni  la  sœur  de  sa 
femme  défunte,  non  plus  qu'une  cousine  germaine  ou  issue 
de  germain. 

XXXIII-XXXIV.  Il  est  défendu  aux  prêtres  et  aux  diacres 
d'assister  à  un  jugement  portant  la  peine  de  mort,  ou  d'être 
présents  lorsqu'on  donne  la  torture  aux  criminels. 

XXXYI-XXXVII.  Il  n'est  pas  permis  à  une  femme  de  rece- 
voir l'Eucharistie  dans  la  main  nue(l),  ou  de  toucher  la  palle 
du  Seigneur,  c'est-à-dire  le  corporal. 

On  recevait  encore  ^à  cette  époque  l'Eucharistie  dans  la 
main,  que  les  hommes  avaient  nue ,  et  les  femmes  couverte 
d'un  linge. 

XL.  Il  n'est  pas  permis  aux  prêtres  et  aux  diacres  de  chan- 
ter ou  de  danser  dans  un  festin. 

XLII.  Les  femmes,  quand  elles  communient,  doivent  avoir 
leur  dominical  (2),  c'est-à-dire  un  voile  sur  la  tête,  ainsi 
nommé  parce  qu'on  le  portait  les  dimanches.  Celle  qui  ne  l'aura 
pas,  attendra  jusqu'au  dimanche  suivant  pour  communier. 

XLIII.  Un  juge  ou  quelque  laïque  que  ce  soit,  qui  fera 
quelque  chose  au  préjudice  d'un  clerc  sans  l'aveu  de  l'évêque, 
ou  de  l'archidiacre,  ou  de  rarchiprètre,  sera  excommunié 
pendant  une- année. 

(1)  On  voit  cet  usage  bien  marqué  dans  un  sermon  attribué  à  S.  Augustin,  et 
qu'on  croit  être  de  S.  Césaire  :  Tous  les  hommes,  dit  cet  auteur,  quand  ils  doivent 
approcher  de  l'autel,  lavent  leurs  mains,  et  les  femmes  présentent  des  linges  blancs,  pour 
y  recevoir  le  corps  de  Jésus-Christ.  (Serm.  xxix  Appendicis  t.  V,  ult.  edit.) 

(2)  Le  terme  dominical  signifie  un  voile  sur  la  tête  ,  et  non  un  linge  dans  la 
main,  comme  a  traduit  Fleury.  Cela  est  rendu  évident  par  ce  canon  dans  un  ancien 
livre  pénitentiel  :  Si  mulier  communicans  dominicale  suum  super  caput  non  habuerit, 
usque  ad  aliurn  diem  d>minicum  non  communicet.  Les  femmes  pouvaient  tenir  un  bout 
de  ce  voile  dans  la  main  pour  y  recevoir  l'Eucharistie  ;  mais  ce  n'est  pas  ce  que  ce 
synode  ordonne  ici.  Il  avait  déjà  marqué  dans  un  autre  canon  que  les  femmes  ne 
doivent  pas  recevoir  l'Eucharistie  dans  la  main  nue  :  il  veut  dans  celui-ci  que, 
pour  approcher  de  la  sainte  table  avec  plus  de  modestie  et  de  respect ,  elles  aient 
un  voile  sur  la  tête. 


[581]  EN  FRANCE.   —  LIVRE  VII.  497 

XLIV.  Les  laïques  qui  par  contumace  refuseront  d'écouter 
les  avertissements  de  leur  arehiprêtre,  seront  excommuniés, 
et  de  plus  payeront  l'amende  que  le  roi  a  ordonnée. 

On  voit  par  là  qu'il  y  avait  déjà  des  peines  temporelles  atta- 
chées à  l'excommunication. 

XLY.  Quiconque  ne  gardera  pas  ces  statuts  ou  négligera 
d'avertir  l'évêque  de  leur  infraction,  sera  excommunié  pen- 
dant un  an. 

Tels  sont  les  principaux  règlements  du  synode  d'Auxerre, 
qui  fut  souscrit  par  l'évêque,  par  trente-quatre  prêtres, 
par  trois  diacres,  dont  l'un  souscrivit  pour  un  prêtre  absent,  et 
par  sept  abbés  :  il  y  avait  donc  dès  cette  époque  au  moins 
sept  abbayes  dliommes  dans  le  diocèse  d'Auxerre. 

S.  Aunachaire  ou  Aunaire,  qui  tint  ce  synode,  était  né  à 
Orléans  d'une  famille  illustre  par  sa  noblesse.  Il  se  distinguait 
lui-même  par  son  mérite  à  la  cour  du  roi  Gontran,  lorsqu'il 
fut  pressé  intérieurement  d'aller  visiter  le  tombeau  de 
S.  Martin.  C'était  la  grâce  qui  l'y  conduisait,  pour  l'y  appeler 
plus  particulièrement  au  service  de  Dieu.  Aunaire,  au  pied 
de  ce  saint  monument,  forma  la  résolution  de  renoncer  au 
monde  et  se  coupa  les  cheveux;  il  se  retira  ensuite  auprès 
de  Syagrius,  évêque  d'Autun.  A  cette  école  ses  progrès  dans 
la  vertu  et  dans  les  sciences  divines  furent  si  grands,  qu'ayant 
été  élu  évêque  d'Auxerre,  il  se  montra  par  son  zèle  et  son 
érudition  un  des  plus  grands  prélats  qu'eût  alors  l'Église  gal- 
licane (J).  Il  avait  succédé  à  S.  Éthérius,  dont  le  Martyrologe 
romain  fait  mention  le  27  juillet  [2] . 

S.  Aunaire  était  en  commerce  de  lettres  avec  Pelage  II.  Il 
écrivit  à  ce  pape  de  la  part  du  roi  Gontran,  pour  lui  demander 
des  reliques  et  l'assurer  que  sans  les  troubles  dont  l'Italie 

(1)  Hist.  episc.  Âutiss. 

(2)  L'ancienne  Histoire  des  e'véques  d'Auxerre  ne  nous  apprend  rien  de  S,  Ethé- 
rius, sinon  qu'il  tint  le  siège  neuf  ans,  et  qu'il  succéda  à  S.  Romain,  à  qui  elle  donne 
la  qualité  de  martyr,  en  se  bornant  à  dire  qu'il  eut  la  tête  tranchée.  Le  Martyrologe 
gallican  ne  fait  mention  au  6  octobre  de  S.  Romain  d'Auxerre  que  comme  d'un 
confesseur. 

TOME  II.  32 


498  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [581  j 

était  alors  agitée  par  la  nouvelle  domination  des  Lombards,  il 
serait  allé  lui-même  rendre  se» respects  à  Sa  Sainteté.  Pélage 
saisit  cette  occasion  pour  le  prier  d'intéresser  les  rois  francs 
aux  maux  dont  les  Lombards  affligeaient  l'Italie. 

«  Si  vous  jugez,  lui  dit-il  dans  sa  réponse,  que  cette  ville 
soit  vénérable  à  toute  la  terre...,  pourquoi  la  compassion  de  la 
charité  ne  vous  fait-elle  pas  gémir  sur  nos  tribulations..., 
pendant  que  tant  de  sang  innocent  est  répandu  presque  sous 
vos  yeux,  que  les  autels  sont  violés,  et  que  les  idolâtres  insul- 
tent à  la  foi  catholique  ?  Yous  auriez  bien  dû,  vous  qui  êtes  les 
membres  de  l'Église  catholique,  unis  à  un  même  corps  par  le 
gouvernement  du  même  chef,  unir  toutes  vos  forces  pour 
nous  procurer  la  tranquillité.  Car  ce  n'est  pas  en  vain  et  sans 
un  dessein  particulier  de  la  divine  providence  que  vos  rois 
font  profession,  comme  l'empire  romain,  de  la  foi  catholique. 
Dieu  a  voulu  par  là  nous  procurer  des  voisins  capables  de  se- 
courir l'Italie,  et  surtout  la  ville  de  Rome,  d'où  la  foi  leur  est 
venue.  »  Il  exhorte  ensuite  Aunaire  à  se  servir  de  la  confiance 
que  les  rois  francs  ont  en  ses  conseils,  pour  les  engager  à 
donner  du  secours  à  l'Italie  et  pour  les  détourner  de  faire 
aucune  alliance  avec  les  Lombards.  La  lettre  est  datée  du  5  oc- 
tobre de  la  septième  année  de  Tibère,  c'est-à-dire  de  l'an  584, 
si  Pélage  compte  les  années  de  Tibère  depuis  qu'il  fut  associé 
à  l'empire  avec  le  titre  d'empereur;  ou  bien  de  l'an  580,  s'il 
les  compte  depuis  qu'il  fut  déclaré  césar. 

Aunaire  avait  reçu  quelques  années  auparavant  une  autre 
lettre  de  Pélage,  dans  laquelle  ce  pape  le  félicite  de  son  em- 
pressement à  montrer  sa  soumission  et  son  respect  pour  le 
Saint-Siège,  et  il  lui  marque  la  joie  qu'il  a  d'apprendre  par  ses 
lettres  qu'on  bâtit  dans  toutes  les  Gaules  un  grand  nombre  de 
nouvelles  églises  (1). 

En  effet,  sans  parler  des  évêques,  plusieurs  seigneurs,  à 
l'exemple  du  pieux  roi  Gontran,  croyaient  ne  pouvoir  faire  un 


(1)  Labb.,  t.  V,  p.  954. 


[581]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  499 

meilleur  usage  de  leurs  biens  que  d'ériger  des  temples  à 
Dieu  et  de  doter  des  monastères.  Le  nombre  de  ces  saintes 
retraites  croissait  tous  les  jours.  S.  Lauteinen  établit  plusieurs 
au  vie  siècle  dans  le  royaume  de  Bourgogne.  Après  avoir  em- 
brassé la  vie  religieuse  dans  un  monastère  d'Autun,  son  zèle 
et  l'esprit  de  pénitence  dont  il  était  pénétré  le  portèrent  à  en 
sortir  pour  en  fonder  plusieurs  autres.  Nous  citerons  le  mo- 
nastère de  Moisnay,  et  celui  qui  fut  appelé  de  son  nom  la  Celle- 
Lautein,  au  diocèse  de  Besançon.  Un  ancien  bréviaire  cleCluny 
marque  la  fête  de  ce  saint  abbé  au  25  septembre. 

S.  Aunaire  donna  à  son  Église  son  patrimoine,  consistant 
en  plusieurs  belles  terres.  Mais  il  eut  encore  plus  de  soin  de 
la  bien  gouverner  que  de  l'enrichir.  Outre  les  statuts  du  synode 
d'Auxerre,  dont  nous  avons  parlé,  il  fît  plusieurs  autres  rè- 
glements pour  maintenir  une  exacte  discipline  dans  son 
clergé.  Il  ordonna  que  depuis  Pâques  jusqu'au  1er  octobre 
les  vigiles  se  célébreraient,  dans  l'église,  depuis  le  commence- 
ment de  la  nuit  jusqu'à  la  pointe  du  jour  ;  mais  que  depuis  le 
1er  octobre  jusqu'à  Noël  elles  commenceraient  seulement  au 
chant  du  coq;  et  depuis  Noël  jusqu'à  Pâques,  à  minuit  (1).  On 
voit  par  ce  règlement  que  l' office  de  la  nuit  n'était  pas  plus  long 
dans  l'Église  d'Auxerre  en  hiver  qu'en  été,  puisqu'on  le  com- 
mençait plus  tard  quand  les  nuits  étaient  plus  longues.  Ce 
n'était  pas  un  usage  général  ;  suivant  l'usage  de  la  province 
de  Tours  et  de  plusieurs  monastères,  la  longueur  de  l'office 
augmentait  à  proportion  de  celle  des  nuits. 

Ce  saint  évêque  d'Auxerre  régla  aussi  des  stations  et  des  pro- 
cessions pour  tous  les  jours  du  mois  dans  les  diverses  églises 
de  son  diocèse,  en  sorte  que  chaque  jour  il  y  avait  une  pro- 
cession du  clergé  ou  des  moines  de  ces  églises.  Ces  processions 
étaient  plus  renommées  les  premiers  jours  de  chaque  mois  (2). 
Les  calamités  publiques  donnèrent  lieu  sans  doute  à  cette 
institution.  Car  la  maladie  contagieuse  dont  nous  avons  parlé, 

(I)  Hist.  episc.  Autiss.,  t.  I,  c.  xix  Bibl.  nov.  Labb.  —  (2)  Ibid. 


500  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [581] 

avait  pénétré  dans  le  royaume  de  Bourgogne  et  y  faisait  de 
grands  ravages,  aussi  bien  que  dans  les  autres  provinces  des 
Gaules. 

La  reine  Austrechilde,  femme  du  roi  Gontran,  en  fut  atta- 
quée, et,  malgré  les  secours  de  l'art,  le  mal  parut  bientôt  sans 
remède.  Dès  qu'elle  ne  vit  plus  d'espérance,  elle  s'en  prit  à 
ses  médecins  et  songea  à  se  venger  sur  eux  de  la  nécessité  où 
elle  se  voyait  de  mourir  à  la  fleur  de  son  âge.  «  J'aurais  espéré 
de  guérir,  dit-elle  au- roi,  si  je  n'étais  tombée  entre  les  mains 
de  médecins  infidèles  :  ce  sont  les  potions  qu'ils  m'ont  données 
qui  m'ôtent  la  vie.  C'est  pourquoi  je  vous  conjure  de  me  pro- 
mettre avec  serment  de  venger  ma  mort  par  la  leur,  afin  qu'ils 
ne  puissent  se  glorifier  de  m'a  voir  fait  mourir.  »  De  pareils 
sentiments  ne  montrent  pas  que  cette  princesse  méritât  beau- 
coup de  vivre,  ni  qu'on  dût  fort  la  regretter.  Cependant  Gon- 
tran, prince  d'ailleurs  plein  d'humanité  et  de  religion,  eut  la 
complaisance  doublement  criminelle  de  lui  jurer  ce  qu'elle 
souhaitait  et  de  tenir  son  serment  :  dès  qu'il  eut  rendu  les 
derniers  devoirs  à  la  reine,  il  fit  en  effet  mourir  Nicolas -et 
Donat,  qui  l'avaient  traitée  dans  sa  maladie  (1).  Les  rois  au- 
raient trouvé  peu  cle  médecins  à  de  telles  conditions  ;  dans 
la  pratique  de  l'art  médical,  les  fautes,  quelque  graves  qu'en 
soient  les  conséquences,  demeurent  presque  toujours  impu- 
nies, parce  qu'on  suppose  avec  raison  qu'elles  ne  sont  pas 
criminelles.  Cest  le  médecin  qui  traite,  mais  c'est  le  Seigneur 
qui  rend  la  santé. 

Austrechilde  est  louée  dans  une  ancienne  épitaphe  (2)  pour 
sa  piété  et  pour  ses  aumônes  ;  mais  on  ne  doit  guère  plus 
chercher  la  vérité  dans  les  épitaphes  des  grands  que  dans 
leurs  oraisons  funèbres.  Gontran,  qui  n'avait  pas  été  heureux 
dans  le  choix  de  ses  femmes,  ne  voulut  plus  se  remarier. 

(1)  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  V,  c.  xxxvi.  —  Marins  Advent.  in  Chron. 

(2)  Selon  Grégoire  de  Tours,  Austrechilde  mourut  l'an  580,  et  selon  Marius 
d'Avenche,  l'an  581.  L'épi taphe  de  Cette  reine  marque  qu'elle  mourut  âgée  de 
trente-deux  ans.  V.  Epitaph.  vetera,  apud  Duchesne,  Script.  Fr.,  t.  I,  p.  557. 


1 581]  EN  FRANCK.  —  LIVRE  VII.  501 

Nantin,  comte  d'Angoulême,  mourut  de  la  même  contagion  ; 
mais  les  circonstances  de  sa  mort  lui  firent  sentir  que  c'était  la 
main  de  Dieu  qui  le  frappait,  pour  punir  les  vexations  qu'il 
avait  faites  au  clergé.  Ce  comte  était  neveu  de  Marachaire, 
évêque  d'Angoulême,  qui  était  mort  empoisonné  par  ses 
propres  clercs,  la  septième  année  de  son  épiscopat.  Fronto- 
nius,  qui  lui  succéda  et  qui  était  complice  du  crime,  ayant  été 
enlevé  après  un  an  d'épiscopat  ,  Héraclius,  prêtre  de  Bor- 
deaux (1),  fut  élu  en  sa  place.  Nantin,  qui  voulait  venger  la 
mort  de  son  oncle,  brigua  et  obtint  la  charge  de  comte  d'An- 
goulême, afin  d'être  plus  à  portée  d'en  punir  les  auteurs. 
Son  ressentiment  pouvait  paraître  juste;  mais  il  y  mit  une 
telle  passion  qu'il  confondit  les  innocents  avec  les  coupables, 
et  il  ne  se  défia  pas  assez  de  lui-même  en  poursuivant  une 
cause  dans  laquelle  il  était  intéressé.  Ce  comte,  à  cette  occa- 
sion, outragea  l'évêque  Héraclius  à  plusieurs  reprises,  l'accu- 
sant de  retenir  auprès  de  lui  et  de  recevoir  à  sa  table  des 
personnes  coupables  de  la  mort  de  son  prédécesseur.  Il  fit 
mourir  plusieurs  laïques,  et  même  un  prêtre  qui  dans  les  tour- 
ments protesta  constamment  de  son  innocence.  Sa  vengeance 
parut  enfin  satisfaite  :  sa  cupidité  et  son  avarice  ne  l'étaient 
pas.  Il  s'empara  des  terres  que  son  oncle  avait  données  par 
testament  à  son  Église,  sous  prétexte  que  le  crime  des  clercs 
rendait  l'Église  incapable  de  recueillir  les  biens  que  l'évêque 
lui  avait  laissés  (2). 

Pour  réprimer  ces  violences,  Héraclius  se  crut  obligé 
d'excommunier  le  comte.  Celui-ci  eut  recours  à  un  concile, 
qui  se  tint  à  Saintes,  et  il  pria  les  Pères  de  faire  sa  paix  avec 
son  évêque,  promettant  de  restituer  les  biens  usurpés.  Le 
prélat,  à  la  prière  de  ses  confrères,  le  reçut  à  sa  communion, 
en  laissant  néanmoins  à  la  justice  divine  le  soin  de  venger  la 
mort  du  prêtre.  Le  comte  n'exécuta  pas  de  bonne  foi  ses 

(1)  C'est  celui  qui  avait  été  élu  évêque  de  Saintes  à  la  place  d'Émérius,  que  le 
roi  Caribert  maintint  dans  ce  siège.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  xxxvii. 


502  HISTOIRE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [582] 

promesses.  Avant  de  restituer  les  terres  de  l'Église,  il  les  dé- 
vasta et  abattit  les  maisons  qui  en  dépendaient  :  ce  qui  obli- 
gea l'évêque  Héraclius  à  l'excommunier  une  seconde  fois. 
Mais  Héraclius  étant  mort  sur  ces  entrefaites,  Nantin  gagna, 
par  argent  et  par  flatterie,  quelques  évéques,  qui  le  reçurent 
à  leur  communion. 

Il  n'eut  pas  longtemps  lieu  de  s'en  applaudir.  En  effet, 
quelques  mois  après,  étant  attaqué  de  la  maladie  contagieuse, 
il  s'écriait  dans  les  ardeurs  de  la  fièvre  :  «  Hélas  !  je  suis  brûlé 
par  l'évêque  Héraclius  :  c'est  lui  qui  me  tourmente  et  qui 
m'appelle  au  jugement  de  Dieu...  Je  reconnais  mon  crime,  et 
je  demande  la  mort  plutôt  que  de  souffrir  ce  tourment.  »  Il 
expira  en  répétant  ces  paroles.  Terrible  exemple  de  la  sévérité 
avec  laquelle  Dieu  punit  l'abus  de  l'autorité  dans  ceux  qui, 
n'étant  armés  du  glaive  de  la  justice  que  pour  frapper  le  crime 
et  défendre  l'innocence,  s'en  servent  pour  persécuter  ses  ser- 
viteurs et  surtout  les  ministres  de  ses  autels.  C'est  la  réflexion 
que  fait  ici  Grégoire  de  Tours  (1). 

Mais  la  contagion,  qui  dura  encore  quelques  années,  enleva 
des  victimes  plus  précieuses,  que  Dieu  sembla  ne  sacrifier  à  sa 
colère  que  pour  les  couronner  plus  tôt  dans  le  ciel  :  car  il  pa- 
raissait tellement  irrité  contre  les  péchés  des  hommes  qu'il  se 
pressa,  pour  ainsi  dire,  d'appeler  à  lui  les  saints  qui  eussent 
pu  le  désarmer.  S.  Salvi  d'Albi,  un  des  plus  pieux  évêques  de 
ce  siècle,  fut  de  ce  nombre,  comme  nous  le  verrons  bientôt. 
S.  Félix  de  Nantes  mourut  l'an  582.  Dès  qu'il  sentit  les  pre- 
mières atteintes  du  mal,  il  appela  les  évêques  voisins,  et  les 
pria  de  consentir  à  ce  que  son  neveu  Burgundion,  qui  n'avait 
que  vingt-cinq  ans,  lui  succédât.  Ils  en  dressèrent  un  acte 
qu'ils  envoyèrent  à  Grégoire  de  Tours,  métropolitain.  Bur- 
gundion alla  lui-même  le  prier  de  lui  donner  la  tonsure,  et 
de  venir  l'ordonner  à  Nantes  du  vivant  de  son  oncle.  Mais 
Grégoire  refusa  constamment  de  faire  une  ordination  si  con- 

(1)  Greg.  Tur.,1.  V,  c.  xxxvn. 


[582]  EN  FRAiXCE.  —  LIVRE  VII.  503 

traire  aux  canons.  Si  le  choix  que  fit  S.  Félix  paraît  entaché 
de  népotisme,  on  peut  dire,  pour  l'excuser,  que  le  mérite  de  son 
neveu  et  les  espérances  qu'il  en  avait  conçues,  surprirent  son 
zélé.  Ce  saint  évêque  mourut  dans  la  soixante-dixième  année 
de  son  âge  et  la  trente-troisième  de  son  épiscopat.  On  croit 
qu'il  mourut  le  8  janvier  ;  cependant  on  ne  célèbre  sa  fête 
dans  son  Église  que  le  7  juillet.  Nonnichius,  son  cousin,  fut 
nommé  par  le  roi  son  successeur  sur  le  siège  de  Nantes.  Nous 
avons  fait  ailleurs  un  portrait  fidèle  des  vertus  et  du  mérite 
de  Félix. 

Dieu  a  ses  saints  dans  tous  les  états,  et  la  plus  haute  vertu 
n'est  pas  incompatible  avec  la  grandeur  et  les  richesses.  Si 
elles  la  rendent  plus  difficile,  elles  la  rendent  aussi  plus  écla- 
tante. La  piété  singulière  du  duc  Ghrodin,  qui  mourut  la 
même  année  et  au  même  âge  que  S.  Félix,  en  peut  servir  de 
preuve.  C'était  un  de  ces  riches  que  Dieu  suscite  pour  le  sou- 
lagement et  la  consolation  des  malheureux.  Né  dans  l'éclat  et 
dans  l'opulence,  il  ne  fut  sensible  qu'aux  souffrances  qu'en- 
gendre la  misère,  et  avec  de  grandes  richesses  il  eut  encore 
un  cœur  plus  grand,  pour  les  distribuer  avec  une  sainte  pro- 
fusion. Il  regardait  comme  le  plus  glorieux  de  ses  titres  la 
qualité  de  père  des  pauvres  et  de  bienfaiteur  des  Églises.  Il 
épargnait  à  ceux  dont  il  connaissait  les  besoins  la  honte  de 
demander;  et  la  grâce  avec  laquelle  il  savait  donner  ajoutait 
à  ses  dons  un  nouveau  prix.  Ce  duc  prenait  souvent  plaisir  à 
acheter- de  nouvelles  terres,  à  y  bâtir  des  maisons  et  à  y  plan- 
ter des  vignes.  Quand  tout  était  en  état,  il  y  invitait  quelqu'un 
des  évêques  qu'il  connaissait  les  plus  pauvres,  et,  après  l'y 
avoir  traité  pendant  quelques  jours,  il  lui  faisait  présent  de 
cette  terre  avec^  toutes  ses  dépendances,  en  disant  :  Je  la 
donne  à  l'Église,  afin  que  les  pauvres  qui  en  seront  nourris, 
m'obtiennent  miséricorde  (1). 

Dieu  ne  se  laisse  pas  vaincre  en  libéralité  :  il  récompensa 


(\)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.xx. 


504  HISTOIRE  DE  L  EGLISE  CATHOLIQUE  [582] 

celle  de  Chrodin.  Un  jour  qu'il  faisait  creuser  une  fosse 
par  un  motif  de  charité,  pour  y  enterrer  un  pauvre,  il  y 
trouva  un  riche  trésor;  mais  il  le  rendit  bientôt  à  Dieu  dans 
la  personne  des  pauvres.  Grégoire  de  Tours  et  Fortunat  don- 
nent les  plus  beaux  éloges  à  la  piété  et  à  la  charité  de  ce  duc, 
dont  le  nom  mérite  d'être  conservé  dans  l'histoire  de  l'Église, 
comme  celui  d'un  de  ses  plus  illustres  bienfaiteurs  (1). 

La  peste  qui  désolait  la  France,  n'empêcha  pas  Leuvigilde, 
roi  des  Yisigoths  en  Espagne ,  de  négocier  le  mariage  de  son 
fils  Récarède  avec  la  princesse  Rigonthe,  fille  de  Chilpéric. 
A  cette  occasion  il  avait  envoyé  en  ambassade  à  la  cour  de 
Chilpéric,  l'an  582,  deux  seigneurs  espagnols,  Florent  el 
Exupère.  Ces  envoyés  passèrent  par  Tours,  et,  comme  ils 
faisaient  profession  de  la  foi  catholique,  l'évêque  les  reçut  à 
sa  table.  On  vint  à  parier  de  S.  Martin  et  des  merveilles 
qu'il  opérait,  et  ils  prièrent  Grégoire  de  les  leur  raconter.  Ce- 
lui-ci, surpris  de  cette  question,  leur  demanda  si  ce  saint 
était  connu  dans  leur  pays.  «  J'ai,  dit  Florent,  une  dévotion 
particulière  envers  lui,  parce  qu'il  a  témoigné  son  pouvoir  par 
un  insigne  miracle  opéré  en  ma  faveur  (2).  » 

Il  raconta  ensuite  que  son  aïeul  avait  fait  bâtir  en  l'honneur 
de  S.  Martin  une  belle  église,  où  il  allait  tous  les  jours  avec 
sa  femme  pour  invoquer  la  protection  de  ce  saint  évêque  ;  que 
lui,  Florent,  né  longtemps  après  la  fondation  de  cette  église, 
était  mort  de  langueur  dans  son  enfance  ;  qu'alors  son  aïeule 
et  sa  mère  le  portèrent  dans  l'église  du  saint,  et  qu'ayant 
placé  son  corps  devant  l'autel,  son  aïeule  adressa  une  fer- 
vente prière  à  S.  Martin  pour  qu'il  rendît  la  vie  à  son  enfant. 
Il  ajouta  qu'après  cette  prière  son  aïeule  et  sa  mère  se  retirè- 
rent, laissant  le  corps  de  l'enfant  dans  l'église  ;  mais  que  le 
lendemain  matin,  étant  revenues,  elles  furent  merveilleu- 
sement surprises  de  le  trouver  plein  de  vie  et  tourné  vers 
l'autel  (3).  .  .  / -- Vf. .- ,•  - 

(1)  Fredeg.  Ep. ,  c.  lxxxviii. —  Fort.,  1.  IX,  carm.  1G. —  (2)  Greg.  Turv  1.  VI, 
c.  xvm  ;  De  Mirac.  S.  Mart.,  L  III,  c.  vill.—  (3)  Ibid. 


[583]  E?i  FRANCE.   —  LIVRE  MI.  505 

Grégoire  de  Tours,  qui  avait  appris  ce  miracle  de  la  bouche 
même  de  Florent,  nous  apprend  aussi  que  pendant  le  cours 
de  la  dyssenterie  contagieuse  dont  nous  avons  parlé,  plusieurs 
malades  furent  guéris  par  la  poussière  du  tombeau  de  S.  Mar- 
tin ou  en  buvant  de  l'eau  dont  on  l'avait  lavé  avant  Pâques  (Jr). 
On  voit  par  là  que  c'était  l'usage  de  laver  les  tombeaux  des 
saints  avant  Pâques,  et  sans  doute  le  jeudi  saint,  en  même 
temps  qu'on  lavait  les  autels  avec  de  l'eau  et  du  vin,  comme 
on  le  pratique  encore  dans  la  plupart  des  Églises  de  France. 

Pour  mettre  le  comble  à  tant  de  misères,  le  fléau  de  la 
guerre  civile  se  joignit  bientôt  à  celui  de  la  peste.  Chilpéric 
et  Childebert ,  qui  s'étaient  ligués  contre  Gontran  par  l'entre- 
mise de  Gilles,  évèquc  cle  Reims,  envoyèrent  l'an  583  des 
troupes  nombreuses  ravager  les  États  de  ce  prince.  Mais  le 
saint  roi  Gontran,  qui  ne  mettait  sa  confiance  qu'en  Dieu, 
défit  l'armée  de  Chilpéric,  et  après  des  flots  de  sang  répandu  on 
fit  la  paix,  à  la  condition  que  chacun  s'en  rapporterait  sur  ses 
prétentions  au  jugement  des  évêques  et  des  seigneurs  (2).  Ce- 
pendant le  peuple,  qui  s'en  prenait  à  Gilles  de  Reims  des 
malheurs  de  cette  guerre,  se  souleva  contre  cet  évêque;  on  lui 
jeta  des  pierres,  et  on  l'eût  mis  en  pièces  s'il  n'eût  heureu- 
sement trouvé  un  vigoureux  cheval,  sur  lequel  il  put  prendre 
la  fuite  à  la  hâte.  Dieu  lui  réservait  une  autre  punition  de  ses 
intrigues.  Quant  aux  évêques  du  royaume  de  Gontran,  ils  ne 
prirent  aucune  part  à  ces  troubles;  ils  cherchèrent  plutôt  à 
les  apaiser  et  à  désarmer  la  colère  de  Dieu,  en  remédiant  aux 
abus  dans  les  conciles  qu'ils  continuèrent  à  tenir,  malgré  les 
désordres  de  la  guerre  et  la  crainte  de  la  contagion.  Ils  s'as- 
semblèrent à  Lyon  au  mois  de  mai  de  l'an  583,  et  ils  firent  les 
six  canons  suivants  (3) . 

I.  Il  est  défendu  aux  clercs  des  divers  ordres,  depuis  l'évê- 
que  jusqu'au  sous-diacre,  d'avoir  d'autres  femmes  chez  eux 

(1)  Gregv  de  Mirac.  S.  Mort.,  1.  II,  c.  li,  et  1.  III,  c.  xxxiv.  —  (2)  Greg.  Tiu\, 
1.  VI,  c.  xxxi.  —  (3)  Con:.  GaW.,,t.  I,  p.  377.  —  Labb.,  t.  V,  p.  973. 


506  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [583] 

que  leur  mère,  leurs  tantes  et  leurs  sœurs .  (  Il  était  donc  défendu 
à  ces  clercs  de  demeurer  avec  leurs  nièces  :  ce  que  d'autres 
conciles  avaient  permis.  )  Les  prêtres  et  les  diacres  qui  seront 
mariés,  seront  séparés  de  demeure  d'avec  leurs  femmes ,  et 
ceux  qui  ne  garderont  pas  une  exacte  continence,  seront  dé- 
gradés. 

II.  Le  concile  ordonne  aux  évêques  de  prendre  des  mesures 
pour  empêcher  la  supposition  ou  la  falsification  des  lettres 
de  recommandation,  qu'ils  donnent  aux  captifs  et  aux  autres 
personnes. 

III.  Les  religieuses  fugitives  seront  excommuniées  jusqu'à 
ce  qu'elles  rentrent  dans  leur  monastère  ;  cependant,  par 
compassion,  on  leur  accordera  le  Viatique. 

IV.  On  renouvelle  les  règlements  contre  les  mariages  in- 
cestueux. 

V.  Aucun  évêque  ne  célébrera  les  fêtes  de  Noël  et  de  Pâ- 
ques hors  de  son  Église ,  à  moins  qu'il  ne  soit  retenu  ailleurs 
par  quelque  maladie  ou  par  un  ordre  du  roi. 

VI.  Chaque  évêque  aura  soin  de  nourrir  et  de  vêtir  tous  les 
lépreux  de  son  diocèse ,  afin  que  la  nécessité  ne  les  rende  pas 
vagabonds. 

On  voit  par  ce  règlement  que  la  lèpre  était  dès  lors  une 
maladie  assez  commune  dans  la  Gaule  ;  elle  le  devint  beau- 
coup plus  encore  dans  la  suite ,  et  c'est  ce  qui  donna  occasion 
de  bâtir  tant  d'hôpitaux  qui  furent  appelés  ladreries,  parce 
qu'ils  étaient  dédiés  sous  l'invocation  de  S.  Lazare,  vulgaire- 
ment appelé  S.  Ladre. 

Prisque  de  Lyon  présida  à  ce  concile,  auquel  assistèrent 
neuf  évêques,  avec  les  députés  de  douze  autres. 

Le  zèle  de  Gontran  soutenait  et  animait  celui  des  prélats 
de  son  royaume.  Ce  pieux  roi,  quelque  affligé  qu'il  fût  par  la 
mort  prématurée  des  princes  ses  enfants  et  ses  héritiers  (1), 


(1)  Les  deux  fils  de  Gontra^  se  nommaient  Clotaire  et  Clodomère.  Le  premier 
mourut  à  l'âge  de  dix  ans,  et  le  second  à  l'âge  de  quatre. 


1583]  EX  FRANCE.    LIVRE  VII.  507 

ne  voulut  pas  se  remarier,  par  amour  pour  la  continence  et  afin 
de  pouvoir  se  livrer  plus  librement  à  la  pratique  des  bonnes 
œuvres  propres  à  son  rang.  Il  s'appliqua  alors  plus  que  jamais 
à  gouverner  son  peuple  avec  bonté  et  selon  la  justice,  et  à 
faire  fleurir  la  piété  dans  son  royaume.  Il  paraissait,  dit  un 
historien,  comme  un  évèque  avec  les  évèques,  tant  il  avait 
de  zèle  pour  les  intérêts  de  l'Église.  Les  exemples  d'un  si  bon 
roi  sanctifièrent  sa  famille.  Les  deux  princesses  ses  filles,  Clo- 
deberge  et  Glodehilde,  renoncèrent  aux  grandeurs  et  aux 
plaisirs  du  monde  pour  consacrer  à  Dieu  leur  virginité,  et 
Glodeberge  ne  tarda  pas  à  en  recevoir  la  récompense  dans  le 
ciel  (1). 

Gontran  se  distingua  surtout  par  sa  magnificence  à  fonder 
et  à  doter  des  églises.  Il  donna  plusieurs  belles  terres  au  mo- 
nastère de  Saint-Symphorien  d'Autun  et  à  celui  de  Saint-Bé- 
nigne de  Dijon;  et  il  établit  dans  ce  dernier  la  psalmodie  per- 
pétuelle, selon  l'usage  du  monastère  d'Agaune,  où  les  moines, 
divisés  en  plusieurs  troupes,  se  relevaient  les  uns  les  autres 
pour  chanter  jour  et  nuit  sans  interruption  les  louanges  de 
Dieu.  Ce  prince  fît  bâtir  une  magnifique  église  et  un  monastère 
dans  le  faubourg  de  Chalon-sur-Saône,  en  l'honneur  de 
S.  Marcel  martyr,  dont  nous  avons  parlé  en  son  lieu;  il  y 
institua  aussi  un  chœur  perpétuel,  voulant  que  l'ordre  de  la 
psalmodie  fût  le  même  que  celui  qui  était  observé  dans 
l'Église  de  Tours.  Les  règlements  qu'il  y  établit  furent  ap- 
prouvés à  sa  demande  par  quarante  évêques.  Rien  n'est  plus 
édifiant  que  la  manière  dont  ce  prince  s'exprime  dans  l'acte 
de  fondation  de  ce  monastère  :  il  commence  ainsi  (2)  : 

«  Gontran,  par  la  disposition  de  la  divine  providence,  roi 
sous  le  règne  de-Dieu,  serviteur  des  serviteurs  du  Seigneur,  à 
tous  les  enfants  de  notre  mère  la  sainte  Église,  salut.  Je  vois 
avec  douleur  qu'en  punition  de  nos  péchés,  des  églises  fon- 
dées pour  le  service  de  Dieu  dépérissent  par  l'ambition  déme- 


(l)  Fredeg..  in  Chron.:  c.  i.  —  (2)  ApudBoll.,  23  mart. 


508  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [584] 

surée  des  princes  et  parla  trop  grande  négligence  des  prélats, 
et  je  suis  pénétré  de  douleur  de  ne  pouvoir  suffire  à  tout  . 
Cependant, pour  ne  pas  paraître  les  mains  vides  devant  l'arche 
du  Seigneur,  nous  avons  résolu  de  doter  des  plus  belles  terres 
la  basilique  que  nous  avons  fait  ériger  en  l'honneur  du  glo- 
rieux martyrS.  Marcel  de  Ghalon.  »  Gontran  indique  ensuite 
les  diverses  localités  dont  les  habitants  devront  bâtir  les  édi- 
fices nécessaires  au  monastère.  Mais  comme  ce  prince  crai- 
gnait que  dans  la  suite  quelqu'un  des  rois  ses  successeurs,  ou 
même  quelque  évêque,  ne  s'emparât  des  terres  qu'il  avait 
données  aux  Églises,  il  souhaita  que  ces  donations  fussent 
confirmées  par  l'autorité  ecclésiastique  ,  afin  que  la  crainte  des 
censures  retînt  les  usurpateurs.  Il  fit  donc  assembler  un 
concile  à  Valence  le  23  mai,  indiction  II  et  la  vingt-troisième 
année  de  son  règne,  c'est-à-dire  l'an  584.  Il  ne  nous  en  reste 
que  le  décret  suivant  (1)  : 

«  Nous  étant  assemblés,  disent  les  Pères,  par  ordre  du  très- 
glorieux  roi  Gontran,  dans  la  ville  cle  Valence,  pour  apporter 
remède  à  diverses  plaintes  des  pauvres,  nous  avons  cru  d'abord 
devoir  ordonner  ce  qui  nous  a  paru  le  plus  avantageux  pour 
la  conservation  du  roi,  pour  le  salut  de  son  âme  et  pour  le 
bien  de  la  religion.  Car  ce  prince  a  fait  écrire  au  saint  concile 
par  Asclépiodote,  son  référendaire,  pour  nous  enjoindre  de 
confirmer  par  l'autorité  apostolique  et  par  nos  souscriptions 
toutes  les  donations  que  lui,  la  reine  Austrechilde  d'heureuse 
mémoire,  les  princesses  leurs  filles  consacrées  à  Dieu, 
Clodeberge  d'heureuse  mémoire  et  Clodehilde,  ont  faites  aux 
Églises  ou  pourront  faire  dans  la  suite.  C'est  pourquoi, 
comme  nous  sommes  persuadés  que  les  évêques  doivent  au- 
toriser une  si  louable  dévotion,  qui  ne  peut  manquer  d'être 
agréable  à  Dieu,  le  saint  concile,  Dieu  présidant  au  milieu  de 
lui,  a  ordonné  d'un  commun  consentement, par  cette  présente 
constitution,  que  rien  de  tout  ce  que  ledit  seigneur  roi,  la  reine 

(l)  Labb.,  t.  V,  p.  976.—  Conc.  GalL,  t.  I.  p.  379. 


[584]  EN  FRANCE.    LIVRE  VII.  500 

son  épouse  et  les  prineesses  leurs  filles  ont  donné  ou  pour- 
ront donner  dans  la  suite  à  la  basilique  de  Saint-Marcel  et  de 
Saint-Symphorien,  ou  autres  lieux,  ou  aux  serviteurs  de  Dieu, 
en  quelque  forme  et  de  quelque  espèce  que  soient  les  dona- 
tions, ne  puisse  être  usurpé  par  les  évèques  des  lieux  ou  par  les 
rois  futurs,  même  du  consentement  des  évêques.  Si  quelqu'un 
a  la  témérité  de  donner  atteinte  à  aucune  de  ces  donations, 
que  par  le  jugement  de  Dieu  il  soit  frappé  d'anathème,  comme 
meurtrier  des  pauvres  et  comme  sacrilège,  qu'il  soit  con- 
damné pour  son  crime  aux  supplices  éternels.  » 

Ce  décret  fut  souscrit  par  dix-sept  évèques,  dont  les  plus 
connus  sont  Sapauclus  d'Arles, S.  Prisque  de  Lyon,  S.  Evance 
de  Vienne,  Martien  de  Tarantaise,  S.  Flavius  de  Chalon-sur- 
Saône,  qui  succéda  à  S.  Agricole,  après  avoir  été  référendaire 
du  roi  Gontran;  Urbique  de  Riez,  qui  engagea  le  patrice 
Dynamius  à  ajouter  à  la  vie  de  S.  Maxime,  évèque  de  cette 
ville,  plusieurs  traits  édifiants  attestés  par  d'anciens  mé- 
moires, et  S.  Arige  de  Gap, qui  fut  un  des  plus  saints  évêques 
de  son  temps.  Sapaudus,qui  présida  ce  concile,  occupait  le 
siège  d'Arles  depuis  plus  de  trente  ans.  Il  mourut  quelques 
années  après,  et  eut  pour  successeur  Licérius,dont  l'épiscopat 
fut  de  courte  durée. 

Tandis  que  Gontran  se  ménageait  la  protection  du  Ciel  par 
ces  œuvres  de  piété,  Chilpéric  attirait  sur  lui  sa  vengeance  par 
de  nouveaux  crimes.  Nous  avons  vu  que  les  trois  rois  francs, 
en  partageant  le  royaume  de  Caribert, avaient  juré  solennelle- 
ment qu'aucun  d'eux  n'entrerait  dans  Paris  sans  le  consente- 
ment des  deux  autres  ;  et  que  si  quelqu'un  osait  violer  ce 
serment,  S.  Polyeucte  (1),  S.  Hilaire  et  S.  Martin  seraient  les 
vengeurs  du  parjure.  Chilpéric  avait  transgressé  plusieurs  fois 
un  serment  si  solennel,  et,  quoique  sa  conscience  fût  endurcie 
au  crime,  il  n'était  pas  sans  remords.  C'est  pourquoi,  comme 


(  1;  S.  Polyeucte  est  un  célèbre  martyr  de  Mélitène  en  Arménie,  qui  était  renommé 
pour  son  pouvoir  à  punir  le  parjure. 


510  HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  [584] 

il  voulait  venir  encore  passer  à  Paris  la  fête  de  Pâques  de 
l'an  583,  il  s'avisa  d'un  stratagème  pour  les  calmer.  Il  fît 
porter  plusieurs  reliques  des  saints  en  procession  devant  lui, 
et  il  entra  ainsi  à  leur  suite  dans  Paris  le  samedi  saint,  se  per- 
suadant que  ces  reliques  détourneraient  la  malédiction  qu'il 
aurait  pu  s'attirer  par  son  parjure  (1).  La  passion  est  un  casuiste 
commode  :  elle  sait  toujours  éluder  ou  interpréter  comme  il 
lui  plaît  les  lois  les  plus  saintes  et  les  plus  claires. 

Chilpéric  passa  les  fêtes  de  Pâques  dans  de  grandes  réjouis- 
sances; il  sentit  bientôt  que  la  joie  de  l'impie  est  courte.  Un 
fils  lui  était  né,  qui  le  consolait  de  la  mort  des  autres  ;  il  le 
fit  baptiser  à  Paris.  L'évêque  Ragnemode  en  fut  le  parrain,  et 
le  nomma  Thierry  (2). Mais  le  jeune  prince  mourut  quelques 
mois  après  de  la  dyssenterie, comme  ses  frères,  et  sa  mort  re- 
plongea Frédégonde  dans  toutes  ses  fureurs.  Elle  l'attribua  à 
des  maléfices,  et,  sous  ce  prétexte,  elle  fit  mourir  dans  les  sup- 
plices plusieurs  femmes  de  Paris,  dont  les  unes  furent  brûlées 
et  les  autres  rouées  (3).  Le  préfet  Mummole  fut  appliqué  à  de 
cruelles  tortures  pour  s'être  vanté  d'avoir  un  remède  spéci- 
fique pour  la  dyssenterie.  On  lui  fit  un  crime  de  ne  l'avoir  pas 
donné,  et  c'était  particulièrement  à  lui  que  Frédégonde  s'en 
prenait.  Elle  n'aurait  dû  s'en  prendre  qu'à  elle-même  et  qu'à 
ses  crimes,  que  Dieu  punissait  par  la  mort  de  ses  enfants. 

Le  deuil  de  la  cour  fit  différer  le  mariage  de  la  princesse 
Rigonthe,  fiancée  au  prince  Récarède.   Chilpéric  fit  dire 

(1)  Greg.,  1.  VI,  c.  xxvn. 

(2)  On  voit  que  l'usage  était  déjà  établi  d'attendre  le  baptême  pour  donner  un 
nom  aux  enfants,  et  que  c'était  le  parrain  qui  le  nommait.  Cependant  cet  usage  ne 
s'observait  pas  quand  le  baptême  était  différé  longtemps.  Il  faut  aussi  remarquer 
que  les  évêques  étaient  assez  communément  les  parrains  des  fils  de  nos  rois.  Outre 
Ragnemode  de  Paris,  qui  le  fut  du  prince  Thierry,  fils  de  Chilpéric,  S.  Prétextât 
de  Rouen  le  fut  de  Mérovée,  S.  Agéric  de  Verdun,  de  Childebert  II,  et  S.  Véran 
de  Cavaillon,  de  Thierry,  fils  de  Childebert  II. 

(3)  Plusieurs  auteurs  ont  avancé  que  le  supplice  de  la  roue  était  inconnu  en 
France  avant  François  Ier,  qui  l'a  établi  par  un  édit.  Mais  ce  que  Grégoire  de  Tours 
dit  de  ces  femmes,  qu'elles  furent  attachées  à  la  roue  après  avoir  eu  les  os  rom- 
pus, montre  que  les  anciens  Francs  employaient  ce  supplice  pour  la  punition  des 
grands  crimes. 


[584]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  511 

aux  ambassadeurs  qui  étaient  venus  presser  son  départ:  «Vous 
voyez  ma  maison  dans  le  deuil  :  comment  célébrerais-jc  les 
noces  de  ma  fille?  »  Le  roi  des  Goths  recherchait  avec  empres- 
sement cette  alliance,  afin  de  s'assurer  du  secours  de  Chilpéric 
dans  la  guerre  que  Childebert  menaçait  de  lui  faire  dans  l'in- 
térêt de  la  princesse  Ingonde,  sa  sœur,  femme  du  prince 
Herménigilde.  11  renvoya  à  Chilpéric  un  nouvel  ambassadeur 
nommé  Oppila,  avec  de  riches  présents, pour  l'engager  à s'allier 
avec  lui  contre  le  roi  d'Austrasie  et  pour  presser  le  départ  de 
Rigonthe  (1). 

Oppila  arriva  à  Tours  le  jour  de  Pâques.  L'évêque  S.Grégoire 
lui  demanda  s'il  faisait  profession  de  la  foi  catholique.  Il 
répondit  qu'il  croyait  tout  ce  que  croient  les  catholiques.  Il 
assista  même  au  sacrifice  de  la  messe;  mais  il  ne  reçut  pas  la 
paix  et  ne  communia  pas  :  ce  qui  fit  juger  qu'il  n'était  pas 
catholique,  comme  il  le  disait.  L'évêque,  pour  mieux  s'en 
assurer,  l'invita  à  dîner  et  lui  demanda  quelle  était  sa  foi  sur 
la  Trinité  (2).  Il  répondit  :  «  Je  crois  que  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit  ont  une  même  vertu.  Si  vous  le  croyez,  comme 
vous  le  dites,  reprit  Grégoire,  pourquoi  n'avez-vous  pas  com- 
munié du  sacrifice  que  nous  avons  offert?  C'est,  dit-il,  parce 
que  vous  ne  dites  pas  comme  il  convient  l'hymne  de  la  gloire, 
c'est-à-dire  le  Gloria  Patri.  Car  nous  disons  avec  S.  Paul: 
Gloire  à  Dieu  le  Père  par  le  Fils  ;  et  vous  autres  vous  dites  : 
Gloire  au  Père,  et  au  Fils,  et  au  Saint-Esprit.»  Il  fut  plus  aisé 
à  un  évêque  aussi  habile  que  Grégoire  de  confondre  les  faux 
raisonnements  de  l'arien  que  de  vaincre  son  opiniâtreté.  On 
peut  ici  remarquer  en  passant  que  c'était  encore  alors  la  cou- 
tume que  tous  les  fidèles  communiassent  à  la  messe  les  jours 
solennels,  puisqu'on  jugea  que  cet  ambassadeur  n'était  pas 
catholique  dès  qu'on  ne  le  vit  pas  communier  le  jour  de  Pâques 
avec  les  fidèles.  L'ancien  usage  était  même  de  communier 
toutes  les  fois  qu'on  assistait  à  la  messe  ;  et  Yalafrid  Strabon 

(I)  Greg.,  1.  IX,  c.  xxxiv.  —  (2)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.  xl. 


512  histoire  de  l'église  catholique  [584] 

nous  apprend  que  de  son  temps,  c'est-à-dire  au  ixe  siècle,  il  y 
avait  encore  des  personnes  qui  ne  manquaient  pas  de  commu- 
nier plusieurs  fois  en  un  jour, quand  elles  assistaien l  à  plusieurs 
messes  (1). 

La  princesse  Rigonthe  partit  enfin  pour  l'Espagne  avec  un 
équipage  si  magnifique  et  de  si  riches  trésors,  que  les  Francs 
en  murmurèrent.  Mais  dès  la  première  nuit  qu'on  campa, 
on  lui  déroba  cent  des  meilleurs  chevaux  de  sa  suite,  qui 
avaient  chacun  un  frein  d'or.  Cette  princesse  n'alla  que 
jusqu'à  Toulouse,  et  la  mort  de  son  père  rompit  un  mariage 
qu'elle  paraissait  redouter  (2). 

Chilpéric  était  encore,  malgré  son  serment,  entré  dans 
Paris  au  mois  de  septembre  584.  De  là  il  se  rendit  à  Chelles, 
maison  royale,  où  il  fut  assassiné  un  soir,  comme  il  des- 
cendait de  cheval  à  son  retour  de  la  chasse  (3).  On  prétendit 
qu'un  si  exécrable  attentat  avait  été  commis  par  l'ordre  même 
de  Frédégonde,  qui  craignait  que  le  roi  ne  punît  ses  amours 
criminelles  avec  un  seigneur  franc  nommé  Landri.  Si  ce  fait 
est  véritable,  Chilpéric  fut  lui-même  la  malheureuse  victime 
d'une  femme  impudique,  à  laquelle  il  avait  sacrifié  si  long- 
temps sa  conscience,  le  repos  de  ses  sujets  et  la  vie  de  tant 
d'innocents.  Mais  le  silence  de  Grégoire  de  Tours  nous  porte 
à  croire  qu'on  ne  doit  pas  attribuer  à  Frédégonde  tous  les 
crimes  dont  elle  était  capable  (4). 

Cet  historien  fait  en  deux  traits  un  portrait  de  Chilpéric 
d'autant  plus  affreux  qu'il  n'est  que  trop  ressemblant  :  il 
le  nomme  le  Néron  et  Piler  ode  de  son  siècle.  Ce  prince  eut  en 
effet  les  vices  les  plus  odieux  de  ces  deux  monstres.  Éga- 
lement cruel  et  débauché,  il  fut  le  tyran  de  son  peuple,  le 
bourreau  d'une  reine  son  épouse  et  l'esclave  d'une  femme 
à  qui  le  crime  ne  coûtait  rien!  Barbare  jusqu'à  faire  arracher 
les  yeux  à  ceux  qui  contrevenaient  à  ses  ordres,  il  semblait 

(i)  Strab.,  c.  xxn. —  (2)  Greg.,  1.  VI,  c.  xlv.—  (3)  Gest.  Reg.  Franc,  c.  xxxv.— 
(4;  Greg.  Tur.  Hist.,  1.  VI,  c.  xlyi. 


[584]  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  513 

prendre  plaisir  à  voir  couler  les  larmes  des  malheureux  et  le 
sang  des  innocents.  Avare  au  milieu  de  ses  trésors,  il  faisait 
mourir  pour  des  crimes  supposés  ceux  dont  la  dépouille 
pouvait  enrichir  son  épargne  :  c'était  être  coupable  à  son  tri- 
bunal que  d'être  riche.  Il  ne  pouvait  surtout  pardonner 
ce  crime  aux  évèques.  Il  disait  souvent  :  «  Notre  fisc  est 
pauvre,  nos  richesses  sont  passées  aux  Églises  :  ce  sont  main- 
tenant les  évêques  qui  régnent.  »  Aussi  cassait-il  presque 
toujours  les  testaments  faits  en  faveur  des  Églises.  Il  prenait 
même  plaisir  dans  ses  entretiens  à  tourner  les  prélats  en 
ridicule  (1),  et  comme  il  en  nomma  peu  de  bons,  la  conduite 
de  plusieurs  fournissait  assez  de  sujets  à  ses  railleries. 

Mais  pour  rendre  justice  à  un  prince  qui  se  mit  peu  en 
peine  de  la  rendre  aux  autres,  il  faut  ajouter  quelques  traits  à 
ce  portrait.  Ghilpéric  avait  de  la  bravoure,  de  l'esprit  et  même 
de  l'érudition  dans  les  sciences  profanes  et  sacrées.  Il  savait  sa 
religion  mieux  qu'il  ne  la  pratiquait.  Il  publia  deux  livres  de 
poésies  à  l'imitation  de  Sédulius  (2)  ;  mais  il  y  observait  mal 
la  mesure  des  vers.  Il  fît  même  des  ouvrages  de  piété,  et  com- 
posa pour  diverses  fêtes  de  l'année  des  hymnes  et  des  messes 
qui  ne  furent  pas  admises  dans  la  liturgie.  Il  ne  fut  pas  plus 
heureux  dans  ce  qu'il  fît  pour  étendre  son  empire  sur  l'ortho- 
graphe. Jugeant  l'alphabet  défectueux,  il  publia  une  ordon- 
nance pour  y  faire  ajouter  quatre  lettres  de  son  invention  (3), 
et  défendit  d'écrire  dans  la  suite  autrement  que  d'après  cette 
nouvelle  méthode,  ordonnant  même  d'effacer  des  anciens  livres 
les  mots  où  ces  lettres  devaient  entrer,  pour  les  écrire  autre- 
ment (4).  Mais  tous  ces  ordres  restèrent  inexécutés  et  démon- 

(1)  Greg.  Tur.  HisL,  1.  VI,  c.  xlvi. 

(2)  Sédulius  est  un  poëte  chrétien  du  Ve  siècle ,  qui  a  composé  un  poëme  en 
quatre  livres  sur  la  vie  de  Jésus-Christ.  Son  style  est  nohle  et  coulant. 

(3)  Grégoire  de  Tours  marque  ainsi  les  caractères  des  nouvelles  lettres  que 
Chilpéric  voulut  introduire  :  ii,  W,  Z,  II;  et  il  y  dit  que  par  là  ce  prince  voulait 
exprimer  l'oméga  des  Grecs,  et  les  sons  que  forment  dans  la  composition  des  mots 
les  lettres  ou  les  diphtongues  suivantes  :  œ,  the,  vitui.  Les  caractères  de  ces  lettres 
varient  dans  les  manuscrits  et  dans  les  éditions.  Le  P.  Ruinart  exprime  le  dernier 
par  un  A.  Suétone  dit  que  l'empereur  Claude  inventa  aussi  quelques  lettres,  qu'il 
ordonna  d'ajouter  àl'alphahet.  —  (4)  Greg.,  1.  V,  c.  xlv. 

TOME  II.  33 


514  HISTOIKE  DE  i/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [â84j 

trèrent  seulement  que  l'usage  est  le  maître  et  l'arbitre  de 
l'orthographe  aussi  bien  que  du  langage,  et  que  les  princes, 
comme  les  autres  hommes,  sont  sujets  à  ses  lois. 

Il  faut  aussi  convenir  que  Ghilpéric  ne  laissa  pas  de  faire 
quelques  libéralités  aux  Églises.  Celle  de  Tournay  et  le  mo- 
nastère de  Saint-Lucien  de  Beauvais  ont  eu  en  lui  un  de  leurs 
plus  insignes  bienfaiteurs.  On  assure  même  qu'il  rebâtit  ce 
monastère  à  la  prière  de  Dodon,  évêque  de  Beauvais,  et  du 
saint  abbé  Evroul.  Mais  le  diplôme  qu'on  produit  pour  prou- 
ver ce  fait,  est  une  pièce  sans  autorité,  et  dont  les  dates  se 
contredisent.  Il  n'est  pas  même  constant  que  S.  Evroul  de 
Beauvais  ait  été  abbé  de  Saint-Lucien ,  et  encore  moins  de 
Saint-Fuscien  près  d'Amiens  :  l'établissement  de  ces  monas- 
tères paraît  plus  récent. 

Un  roi  du  caractère  de  Ghilpéric  n'aimait  sincèrement  per- 
sonne, et  l'on  vit  à  sa  mort  que  personne  ne  l'aimait.  Dès 
qu'il  eut  expiré,  tous  ses  courtisans  disparurent  et  l'aban- 
donnèrent. Grand  sujet  d'humiliation  pour  les  princes  de  la 
terre  !  ce  n'est  le  plus  souvent  que  la  fortune  qu'on  sert  en 
paraissant  les  servir.  De  tous  les  personnages  qui  se  trou- 
vaient alors  à  la  cour,  il  n'y  eut  que  S.  Mallulfe,  évêque  de 
Senlis,  qui  resta  pour  prendre  soin  de  la  sépulture  de  Ghil- 
péric. Ge  saint  évêque  était  depuis  trois  jours  à  Ghelles,  pour 
solliciter  une  audience  du  roi,  et  n'avait  pu  encore  l'obtenir. 
Cependant,  dès  qu'il  eut  appris  sa  mort,  il  alla  avec  em- 
pressement lui  rendre  les  derniers  devoirs.  Il  lava  son  corps, 
le  revêtit  d'habits  précieux;  et,  après  avoir  passé  la  nuit  en 
prière  auprès  de  lui,  il  le  fît  transporter  à  Paris  par  la  rivière, 
et  le  fit  inhumer  dans  l'église  de  Saint-Yincent,  depuis  Saint- 
Germain  des  Prés  (1). 

(1)  Greg.,  1.  VI,  c.  xlvi.  —  On  découvrit  l'an  1643  dans  le  cloître  de  Saint- 
Germain  des  Prés  deux  tombeaux  de  pierre,  sur  l'un  desquels  on  lisait,  en  caractères 
assez  barbares,  cette  inscription  : 

Precor  ego  Ilpericus  non  auferantur  hinc  ossa  mea. 
Tempore  nullo  hinc  tollantur  ossa  Hilperici. 

Quelques  savants,  et  entre  autres  Adrien  de  Valois,  jugèrent  que  c'était  le  tombeau 


[5»4j  EJN  FflANCE.  —  LIVitE  VU.  515 

S.  Mallulfe  est  honoré  à  Senlis  le  4  mai.  On  le  désigne 
eomme  ayant  succédé  à  Sanctin,  successeur  de  Gonotigerne, 
qui  assista  à  plusieurs  conciles.  Il  est  plus  probable  que  Mal- 
lulfe fut  élu  à  la  place  de  S.  Léthar  après  son  départ  pour 
l'Angleterre,  où  une  princesse  franque,  mariée  à  un  roi  païen, 
Femmena  avec  elle,  comme  nous  le  dirons  dans  la  suite. 

Le  cruel  assassinat  commis  sur  la  personne  du  roi  Chilpéric 
rend  moins  surprenants  les  excès  auxquels  on  se  porta,  vers 
ce  temps-là,  contre  un  évèque  et  contre  des  abbés  vénérés  par 
leur  sainteté.  Ethérius  de  Lisieux  éprouva  de  la  part  de  quel- 
ques-uns de  ses  clercs  ce  que  la  perfidie  a  de  plus  noir,  et  la 
violence  de  plus  furieux  :  l'histoire  doit  en  être  rapportée. 
Un  clerc  du  Mans,  ayant  enlevé  une  femme  avec  laquelle  il 
était  en  mauvais  commerce,  fut  pris  avec  elle  par  les  parents 
de  cette  femme;  ceux-ci  la  firent  aussitôt  brûler  selon  l'u- 
sage de  ce  temps-là,  qui  permettait  aux  parents  de  se  faire 
justice  pour  venger  l'honneur  de  la  famille.  Quant  au  clerc, 
ils  se  contentèrent  de  le  retenir  en  prison,  en  attendant 
que  quelqu'un  lui  rachetât  la  vie  moyennant  une  somme 
considérable  (1)  :  car  l'amour  de  l'argent  avait  plus  d'empire 
encore  sur  eux  que  l'ardeur  de  la  vengeance. 

Ethérius,  évêque  de  Lisieux,  ayant  appris  cet  événement, 
eut  pitié  de  ce  clerc  et  paya  vingt  sous  d'or  pour  lui  sauver 
la  vie.  Il  fit  plus  :  lui  ayant  trouvé  du  talent  et  le  croyant 
converti ,  il  l'attacha  à  son  Eglise  et  le  chargea  d'enseigner 
les  lettres  aux  jeunes  enfants.  Mais  c'était  un  serpent  qu'il 
recevait  dans  son  sein.  Ce  malheureux  ne  se  corrigea  pas 
de  ses  désordres,  et  le  saint  évêque,  par  un  excès  de  bonté, 
le  tira  une  seconde  fois  de  prison,  où  l'avaient  enfermé  les 

du  roi  Chilpéric.  Car  Ilperic  est  le  même  nom  que  Chilpéric ,  dont  on  a  retranché 
l'aspiration  Cht  ainsi  qu'on  a  fait  au  nom  de  Chlovis  et  à  celui  de  Chlotaire  pour 
faire  Louis  et  Lothaire.  Cependant  comme  la  qualité  de  roi  n'est  pas  marquée  sur  ce 
tombeau,  on  peut  révoquer  en  doute  que  ce  soit  celui  du  roi  Chilpéric.  On  montrait 
en  effet  dans  l'église  même  de  Saint-Germain  le  tombeau  de  ce  prince ,  mais  il 
paraît  que  ce  monument  était  plus  récent.  V.  Adrien  de  Valois,  Notitia  Gal- 
liarum,  1675;  Gesta  Franco rum. 
(1)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.  xxxvi. 


516  HISTOIKE  DE  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  L584] 

parents  d'une  autre  femme,  qui  découvrit  à  son  mari  ses 
infâmes  poursuites.  Tant  de  bienfaits  auraient  gagné  un  cœur 
moins  perfide  et  moins  endurci.  Mais  quand  au  mépris  de  la 
sainteté  de  son  état  on  se  livre  sans  retour  au  libertinage, 
on  est  capable  des  plus  noirs  attentats.  Manseau,  c'était  le 
nom  de  ce  clerc,  résolut  de  donner  la  mort  à  celui  qui  lui 
avait  sauvé  la  vie.  Ayant  donc  concerté  son  dessein  avec 
l'archidiacre  de  Lisieux,  ils  subornèrent  un  clerc  pour  assas- 
siner Ethérius.  Mais  l'assassin,  sur  le  point  de  consommer 
son  crime,  en  eut  tant  d'horreur  qu'il  se  jeta  aux  pieds 
de  l'évêque  pour  le  lui  confesser. 

L'archidiacre  et  le  clerc  Manseau,  voyant  leur  projet  man- 
qué, tentèrent  une  autre  voie.  Ils  entrèrent  pendant  la  nuit, 
avec  quelques  personnes  gagnées  par  eux,  dans  la  maison  du 
saint  évêque  et  se  mirent  à  crier  qu'ils  avaient  vu  une  femme 
sortir  de  sa  chambre.  Rien  n'était  plus  mal  concerté  que 
cette  calomnie.  Car  Ethérius  était  presque  septuagénaire 
et  il  faisait  en  outre  toujours  coucher  plusieurs  de  ses  clercs 
dans  sa  chambre,  pour  avoir  des  témoins  de  sa  conduite. 
Mais  la  fureur  de  ses  ennemis  s'embarrassait  peu  des  vrai- 
semblances. Ils  se  jetèrent  sur  ce  vénérable  vieillard,  le 
chargèrent  de  chaînes  et  le  mirent  en  prison.  Parvenu  à 
s'en  échapper  comme  par  miracle,  le  saint  évêque  se  réfugia 
dans  le  royaume  de  Gontran,  auprès  de  qui  il  espérait  trouver 
plus  de  justice.  Les  conjurés  allèrent  aussitôt  demander 
cet  évêque  à  Chilpéric,  qui  vivait  encore.  Ce  prince  leur 
ordonna  de  retourner  à  Lisieux  jusqu'à  ce  qu'il  fût  mieux 
instruit  de  cette  affaire.  Mais,  à  leur  arrivée  dans  cette  ville, 
les  habitants  se  jetèrent  sur  eux,  et,  après  leur  avoir  fait  su- 
bir le  supplice  qu'ils  méritaient,  ils  envoyèrent  au  roi  des 
députés  pour  redemander  leur  évêque.  Chilpéric  en  écrivit  à 
Gontran,  qui  engagea  aussitôt  Ethérius  à  retourner  dans  son 
Église.  A  son  départ,  il  combla  le  saint  évêque  de  présents, 
et  le  munit  de  lettres  de  recommandation  pour  les  évêque  s 
<lf>s  villes  de  ses  États  par  lesquelles  il  devait  passer. 


[584]  E.\T  FRANCE.   —  LIVRE  MI.  517 

Lupentius,  abbé  de  Saint-Privat  des  Gabales  (1),  eut  un  sort 
plus  heureux  aux  yeux  de  Dieu  :  il  ne  triompha  d'une  artifi- 
cieuse calomnie  que  pour  succomber  à  une  injuste  violence. 
Ayant  été  accusé  par  Innocent,  comte  des  Gabales,  d'avoir  tenu 
des  discours  injurieux  sur  la  reine  Brunehaut,  il  fut  obligé 
d'aller  à  la  cour  d'Austrasie  pour  y  répondre  à  ses  accu- 
sateurs. Il  les  confondit  sans  peine  et  leur  pardonna  vo- 
lontiers. Mais  eux  ne  lui  pardonnèrent  pas  de  s'être  justifié  à 
leur  confusion.  Le  comte  Innocent  l'attendit  en  chemin  à 
son  retour  et  le  mena  à  Pontion  dans  le  Perthois,  où  il  lui 
fit  souffrir  de  cruelles  tortures.  L'ayant  ensuite  relâché,  il 
le  fit  suivre  par  des  satellites,  qui  le  mirent  à  mort  sur 
les  bords  de  l'Aisne  et  jetèrent  son  corps  dans  la  rivière. 
Des  bergers  l'y  découvrirent  miraculeusement,  et  Dieu  at- 
testa par  plusieurs  prodiges  la  sainteté  de  cet  abbé,  qui  est 
honoré  comme  martyr  à  Châlons-sur-Marne  le  22  octobre  (2): 
il  est  connu  sous  le  nom  de  S.  Louvent.  Ce  qu'il  y  eut  de 
plus  scandaleux  dans  cet  attentat,  c'est  que  le  comte  Innocent, 
loin  d'être  puni,  fut  élevé  à  l'épiscopat,  par  la  faveur  de 
Brunehaut,  après  la  mort  de  Théodose  de  Rodez.  Opposons 
à  ces  scandales  les  héroïques  vertus  et  la  sainte  mort  de 
S.  Salvi,  évêque  d'Albi,  arrivée  la  même  année  584.  • 

La  peste  dont  nous  avons  parlé  ayant  envahi  la  ville  d'Albi, 
ce  bon  pasteur  n'eut  garde  d'abandonner  son  troupeau  dans 
une  si  grande 'désolation.  Il  eut  la  douleur  d'en  voir  mourir 
la  plus  grande  partie,  sans  que  son  zèle  se  ralentît  pour  se- 
courir ceux  qui  restaient.  Il  profitait  avec  soin  des  dispositions 
où  le  spectacle  affreux  des  morts  et  des  mourants  mettait  les 
esprits,  et  il  les  exhortait  continuellement  à  se  préparer  par  la 
prière  et  les  bonnes  œuvres  à  comparaître  devant  le  tribunal 
de  Dieu.  La  récompense  qu'il  reçut  de  sa  charité  fut  d'en 

(1)  Gabales,  aujourd'hui  Javols  (Lozère),  fut  le  siège  d'un  évêché  transféré 
depuis  à  Mende. 

(2)  Greg.  Tur.,  1.  VI,  c.  xxxvn.  —  Les  reliques  de  S.  Louvent  ont  été  brûlées 
dans  l'incendie  de  la  cathédrale  de  Châlons,  causé  parla  foudre  le  19  janvier  1667, 
On  n'en  sauva  que  quelques  ossements  à  demi  brûlés. 


518  HISTOIRE  DT.  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE  1 584J 

être  la  victime  et  le  martyr.  Dès  qu'il  se  sentit  atteint  du  mal 
contagieux,  il  lava  lui-même  son  corps,  le  revêtit  comme  s'il 
eût  été  mort  et  se  mit  dans  le  cercueil  qu'il  s'était  préparé  (1). 
Il  mourut  ainsi,  après  s'être  rendu  lui-même  les  derniers 
devoirs,  dans  la  crainte  que  la  contagion  n'empêchât  les 
autres  de  les  lui  rendre. 

Une  mort  si  précieuse  devant  Dieu  couronna  une  vie  toute 
sainte  et  toute  miraculeuse,  comme  nous  allons  le  voir.  Car  il 
y  a  dans  l'histoire  de  ce  saint  évêque  des  traits  si  singuliers,  et 
cependant  si  certains,  que  nous  ne  pouvons  nous  dispenser 
d'en  faire  connaître  quelques-uns  pour  l'édification  des  fidèles. 

Après  avoir  suivi  quelque  temps  le  barreau  dans  sa  jeunesse, 
évitant  par  sa  sagesse  prématurée  les  périls  de  l'âge  sans  don- 
ner contre  les  écueils  de  la  profession,  Salvi  se  retira  dans  un 
monastère,  où  il  ne  se  distingua  que  par  son  humilité  et  sa 
mortification.  La  grande  abstinence  et  les  autres  austérités 
qu'il  pratiquait,  altérèrent  tellement  sa  santé  qu'il  disait  lui- 
même  avoir  changé  neuf  fois  de  peau  pour  se  dépouiller  plus 
parfaitement  du  vieil  homme.  L'abbé  du  monastère  étant 
mort,  il  fut  élu  à  sa  place  ;  mais  il  aimait  trop  la  solitude 
pour  s'accommoder  d'une  charge  qui  l'exposait  à  tant  de  dis- 
tractions (2).  Après  avoir  gouverné  les  moines  quelque  temps, 
il  leur  dit  adieu  et  s'enferma  dans  une  cellule,  résolu  de  n'en 
jamais  sortir.  C'était  comme  un  tombeau,  où  il  s'ensevelissait 
tout  vivant,  pour  mourir  au  monde  et  s'en  faire  oublier.  Mais 
le  monde,  qui  se  rend  en  quelque  sorte  justice,  recherche  et 
estime  ceux  qui  le  méprisent.  On  accourait  de  toutes  parts  à 
la  cellule  du  nouveau  reclus,  et  l'on  s'en  retournait  toujours 
édifié  de  ses  discours  et  soulagé  par  ses  prières  :  car  il  don- 
nait aux  malades  des  eulogies  qui  leur  rendaient  la  santé. 

Cependant  Salvi,  qui  guérissait  les  autres,  fut  atteint  lui- 
même  dans  la  cellule  où  il  s'était  renfermé  d'une  maladie  qui 
le  réduisit  en  peu  de  temps  à  l'extrémité.  On  le  crut  mort,  et 


(1)  Greg.  Tur.,  1.  V,  c.  i.  —  (2)  Ibid. 


[584J  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  519 

peut-être  l'était-il  en  effet.  On  commença  donc  à  lui  rendre  les 
derniers  devoirs;  on  lava  son  corps,  on  le  revêtit  et  on  le  mit 
dans  un  cercueil  ouvert,  selon  la  coutume.  Les  moines  et  sa 
mère,  qui  vivait  encore,  passèrent  la  nuit  à  chanter  des  psaumes 
auprès  du  corps.  Le  lendemain  matin,  tout  étant  prêt  pour  les 
funérailles,  on  allait  procéder  à  l'inhumation  quand  on  s'a- 
perçut qu'il  donnait  quelques  signes  de  vie.  On  fut  bien  plus 
surpris,  lorsque,  paraissant  s'éveiller  comme  d'un  profond 
sommeil,  il  s'écria  :  Seigneur  Dieu  de  miséricorde,  pourquoi 
me  renvoyez-vous  dans  ce  lieu  de  ténèbres  ? 

Il  se  leva  aussitôt  de  son  cercueil,  sans  conserver  aucune 
trace  de  la  maladie  qui  l'avait  réduit  en  cet  état,  et  il  passa  en- 
suite trois  jours  sans  boire  et  sans  manger.  Le  troisième  jour, 
en  présence  de  sa  mère,  il  fit  assembler  ses  moines  et  leur  dit  : 
«  Écoutez,  mes  frères,  et  comprenez,  par  ce  que  je  vais  racon- 
ter, que  tous  les  biens  de  ce  monde  ne  sont  que  vanité,  comme 
Salomon  Fa  dit.  Heureux  l'homme  qui  vit  tellement  sur  la 
terre  qu'il  mérite  de  voir  la  gloire  du  ciel  !  »  Après  ces  pa- 
roles, il  s'arrêta,  délibérant  s'il  en  dirait  davantage;  mais  ses 
frères  le  pressèrent  avec  tant  d'instances,  qu'il  leur  fit  le  récit 
des  merveilles  qu'il  avait  vues.  Il  leur  raconta  qu'ayant  été 
conduit  au  ciel  par  deux  anges,  il  entendit  une  voix  qui  disait  : 
Qu'il  retourne  dans  le  siècle,  parce  qu'il  est  nécessaire  à  nos 
Églises.  «  Alors,  dit-il,  je  m'écriai,  les  yeux  baignés  de  lar- 
mes :  Hélas ,  Seigneur  !  pourquoi  m'avez-vous  montré  ces 
merveilles,  si  vous  vouliez  m'en  priver?  On  me  répondit  : 
Allez  en  paix;  je  serai  votre  gardien  jusqu'à  ce  que  je  vous 
ramène  en  ce  lieu.  » 

«  Je  crains,  dit  Grégoire  de  Tours,  qui  rapporte  ce  prodige, 
que  ce  que  j'écris  ici  ne  paraisse  incroyable  à  quelqu'un  ;  mais 
je  prends  le  Dieu  tout-puissant  à  témoin  que  je  ne  dis  rien  que 
ce  que  j'ai  appris  de  la  bouche  de  Salvi  lui-même.  »  Tout  ceci 
pouvait  s'être  passé  dans  une  extase  ;  cependant  cet  historien 
dit  en  termes  formels  que  Salvi  avait  rendu  l'esprit. 

Après  un  événement  aussi  miraculeux,  il  vécut  encore 


520  HISTOIRE  DE  j/ÉGLISE  CATHOLIQUE  [584] 

longtemps  enfermé  dans  sa  cellule,  dans  un  redoublement 
de  ferveur.  Il  en  fut  tiré  vers  l'an  574,  et  élevé  malgré  lui 
sur  le  siège  d'Albi.  Il  parut  bien  par  sa  conduite  dans  l'épis- 
copat  qu'un  seul  rayon  de  la  gloire  céleste,  tel  qu'il  l'avait  vu, 
suffit  pour  détacher  le  cœur  des  biens  de  la  terre,  et  pour  en 
faire  connaître  à  l'esprit  toute  la  vanité.  Rien  n'égalait  le  dé- 
sintéressement et  la  charité  de  Salvi.  Il  n'avait  rien  à  lui,  et 
l'argent  qu'on  le  forçait  quelquefois  de  recevoir,  il  le  distri- 
buait aussitôt  aux  pauvres.  Le  patrice  Mummole  ayant  em- 
mené d'Albi  un  grand  nombre  de  captifs,  le  saint  évêque  sui- 
vit ce  général  et  ne  le  quitta  pas  qu'il  ne  les  eût  tous  rache- 
tés. Enfin,  après  environ  dix  ans  d'épiscopat,  Salvi  mourut, 
peut-être  pour  la  seconde  fois,  en  assistant  courageusement 
les  pestiférés  de  la  manière  que  nous  l'avons  dit  (1).  Désidé- 
rat,  son  successeur,  ne  fut  élu  que  l'année  suivante  (2)  :  il  est 
probable  que  le  siège  fut  vacant  quelque  temps  à  cause  de 
la  contagion. 

S.  Salvi  avait  une  nièce  nommée  Disciole,  qui  était  reli- 
gieuse dans  le  monastère  de  Ste  Radegonde.  Elle  profita  si 
bien  des  exemples  de  vertu  qu'elle  avait  connus  dans  la  per- 
sonne de  son  oncle,  qu'elle  devint  elle-même  l'exemple  de 
ses  sœurs.  Elle  mourut  saintement  l'an  583,  après  avoir  eu 
une  vision  céleste  qui  répandit  sur  son  visage  mourant  l'é- 
clat d'une  sainte  joie  (3).  Elle  est  honorée  le  13  mai,  et  S.  Salvi 
le  10  septembre.  Quelques  légendaires  ont  attribué  à  S.  Salve 
d'Amiens  une  partie  des  merveilles  que  Grégoire  de  Tours 
rapporte  de  S.  Salvi  d'Albi. 

Nous  n'avons  rien  de  bien  certain  sur  le  temps  où  vécut 
S.  Salve,  évêque  d'Amiens  :  les  uns  le  placent  à  la  fin  du 
ve  siècle,  et  les  autres  à  la  fin  du  vie,  sans  qu'il  soit  possible 
de  s'éclairer  sur  ce  point,  faute  de  monuments.  Cette  incer- 

(1)  Greg  Tur.,  1.  VÏÏI,  c.  xxn. 

(2)  Quelques  auteurs  font  succéder  à  S.  Salvi  un  nommé  Théofroi.  Il  nous  semble 
qu'on  doit  plutôt  s'en  rapporter  au  témoignage  de  Grégoire  de  Tours, 

(3)  Greg.  Tur.,  1.  VI.  c.  xxj*. 


[534)  EN  FRANCE.  —  LIVRE  VII.  521 

titude  ne  saurait  nous  contraindre  à  laisser  dans  l'oubli  pe 
saint  évêque.  Voici,  en  quelques  mots,  ce  que  nous  croyons 
la  vérité,  au  milieu  des  fables  dont  on  a  voulu  embellir  son 
histoire. 

Salve  était  originaire  du  territoire  d'Amiens;  après  avoir 
vécu  quelque  temps  dans  le  monde ,  il  se  consacra  à  Dieu  dans 
un  monastère  qu'il  avait  fait  bâtir  en  l'honneur  de  la  S  te  Viergi  • 
et  de  S.  Pierre  (1).  On  croit  que  c'est  celui  qui  a  donné  son  nom 
à  la  ville  de  Montreuil  (2),  où  les  reliques  de  S.  Salve  ont  été 
transférées  dans  la  suite.  Il  fut  élevé  à  l'épiscopat  après  la 
mort  de  S.  Honoré,  et  il  en  imita  les  vertus,  joignant  dans 
l'exercice  de  son  ministère  une  prudence  consommée  à  la  plus 
exquise  simplicité.  De  l'église  de  la  Vierge,  connue  sous  le 
nom  de  Saint-Acheul,  il  transféra  dans  la  ville  le  corps  de 
S.  Firmin  le  Martyr,  ainsi  que  ceux  des  saints  martyrs  Achée 
et  Acheul,  et  celui  de  S.  Firmin  le  Confesseur.  On  ajoute  qu'il 
fit  bâtir  à  Amiens  une  église  sous  l'invocation  de  S.  Pierre 
et  de  S.  Paul,  devenue  depuis  Saint-Firmin-le-Gonfesseur. 
S.  Salve  mourut  le  28  octobre  :  mais  le  Martyrologe  romain 
place  sa  fête  au  11  janvier. 

S.  Félix,  S.  Salvi,  S.  Salve  continuent  la  longue  série  des 
pontifes  qui,  durant  les  premiers  siècles,  se  signalèrent  dans 
les  Gaules  par  la  plus  héroïque  sainteté.  Ce  sont  ces  pontifes 
qui  firent  germer  et  s'épanouir  dans  le  cœur  des  peuples  cette 
foi  vivante  qui  enfante  les  œuvres,  dont  chaque  page  de  cette 
histoire  porte  le  témoignage.  Ce  sont  leurs  prédications  et  leurs 
exemples  qui  produisirent  tant  d'admirables  vertus,  que  nous 
avons  vu  brillera  la  fois  dans  le  monde,  dans  l'Église,  dans  les 
monastères.  V 

Pour  faire  tomber  les  idoles  et  détruire  les  superstitions, 
pour  changer  les  croyances  et  les  mœurs  de  la  nation  gallo- 
franque,  ce  n'était  peut-être  pas  assez  de  posséder  le  zèle  et 

(t)  Vit.  Salvii,  apud  Boll.,  11  jan. 

(2)  Montreuil- sur-Mer  (Pas-de-Calais),  Monasteriolum,  est  ainsi  nommé  à  cause  (Jy 
monastère  qui  a  été  l'origine  de  cette  ville, 


522  HISTOIRE  DE  l/ÉGLISE  CATHOLIQUE  EX  FRANCE.  [584] 

la  sainteté  des  apôtres,  la  générosité  des  martyrs  :  Dieu  voulut 
encore  accorder  à  ses  envoyés  le  don  des  miracles  pour  fléchir 
les  volontés  les  plus  rebelles  et  adoucir  les  cœurs  les  plus  en- 
durcis. D'illustres  pontifes,  d'humbles  solitaires  donnèrent 
partout  des  preuves  nombreuses  et  éclatantes  de  la  puissance 
divine,  dont  ils  étaient  les  dépositaires.  Ces  miracles  furentfaits 
au  grand  jour  ;  ils  frappèrent  tous  les  yeux  ;  nous  en  tenons  le 
récit  d'écrivains  contemporains  ;  ils  sont  attestés  par  des  té- 
moins oculaires,  souvent  par  ceux-là  mêmes  qui  en  ont  ressenti 
les  heureux  effets  ;  des  populations  entières  les  ont  proclamés 
en  donnant  aux  villes  et  aux  villages  les  noms  des  saints  qui 
les  avaient  opérés.  Ne  semble-t-il  pas  que  la  Providence  ait 
voulu  dès  l'origine  prendre  sous  sa  protection  spéciale  cette 
nation,  qui  devait  devenir  une  des  plus  illustres  de  l'univers  et 
l'un  des  plus  fermes  appuis  de  la  foi  catholique? 


FIN  DU  TOME  DEUXIÈME. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


XOTICE  ABRÉGÉE  DE  L*  ANCIENNE  GÉOGRAPHIE  DE  LA  GALLE.  V 
DISCOURS  DU  P.  LOXGUEYAL    SUR  LA   RELIGION  ET   SUR  LES 

MŒURS  DES  ANCIENS  FRANCS.  XXIII 


LIVRE  CINQUIEME, 


L'archidiacre  Hilaire  succède  au  pape 

S.  Léon.  1 
Sa  lettre  à  Léonce  d'Arles.  1 
L'affaire  d'Hermès,  qui  s'empare  du  siège 

de  Narbonne.  2 
Sentence  du  pape  contre  lui.  3 
Miracles  de  S.  Maxime  de  Riez.  5 
Commencements  de  Fauste  de  Riez.  6 
Différend  entre  S.  Mamert  de  Vienne  et 

Léonce  d'Arles.  7 
Décision  du  pape.  8 
S.  Marcel  de  Die.  8 
Commentaire  d'Arnobe  le  Jeune  sur  les 

Psaumes.  10 
Concile  de  Vannes  et  ses  canons.  12 
Mort  de  Théodoric.  14 
Evaric  monte  sur  le  trône.  14 
Présages  sinistres.  1 4 

Institution  des  Rogations  par  S.  Ma- 
mert. 15 
Commencements  de  S.  Sidoine.  17 
Mort  de  S.  Éparque  d'Auvergne.  18 
Description  de  deux    églises  de  cette 

ville.  18 
Église  magnifique  bâtie  à  Tours  sur  le 

tombeau  de  S.  Martin.  19 
Correspondance  entre  S.  Loup  de  Troyes 

et  S.  Sidoine.  —  21 

Vertus  épiscopales  de  S.  Sidoine.  24 
Charité  inépuisable  de  S.  Patient  de 

Lyon.  25 
Ambition ,  tyrannie  et  persécution  d'Ë- 

varic,  roi  des  Visigoths.  26 
Curieux  discours  de  S.  Sidoine,  appelé 

à  Bourges  pour  l'élection  d'un  évêque 

de  cette  ville.  29 
Intrigues  à  l'occasion  du  choix  d'un 

évêque  à  Chalon-sur-Saône.  32 


I  Description  d'une  magnifique  église 
bâtie  à  Lyon  par  S.  Patient.  33 
j  Publication  des  lettres  de  S.  Sidoine 
Apollinaire.  34 

Question  de  la  spiritualité  de  l'âme;  Clau- 
dien  Mamert.  37 

L'âme  incorporelle  d'après  les  Constitu- 
tions apostoliques.  37 

Sentiments  de  Tertullien  et  d'Origène 
sur  ce  sujet.  38 

Systèmes  philosophiques  qui  donnent  un 
corps  subtil  à  l'âme,  sans  nuire  à  la 
spiritualité.  39 

Ouvrage  de  Claudien  Mamert  sur  la  spi- 
ritualité de  l'âme.  4t 

Julien  Pomère  écrit  sur  le  même  sujet. 

44 

Rurice,  premier  de  ce  nom ,  évêque  de 
Limoges.  47 
Exil  de  Fauste  de  Riez  pour  la  foi.  47 
Négociations  pour  la  paix  entre  l'empire 
et  les  Visigoths.  48 
Ambassade  de  S.  Épiphane  à  Pavie,vers 
Evaric.  50 
Concile  d'Arles  au  sujet  de  Lucide,  prê- 
tre prédestinatien.  52 
Lettre  que  lui  écrit  Fauste  de  Riez.  52 
Rétractation  de  Lucide.  54 
Ouvrage  de  Fauste  sur  la  grâce,,  ses  er- 
reurs. 58 
Voyage  de  S.  Sidoine  à  Toulouse.  61 
Exil  de  S.  Sidoine.  63 
S.  Abraham,  abbé  en  Auvergne.  64 
Autres  saints  en  Auvergne.  66 
Odoacre  éteint  l'empire  d'Occident.  67 
Invasion  des  Francs.  68 
Clovis  passe  le  Rhin   avec  une  nom- 
breuse nrmée.  69 


524 


TABLE  DES  MATIERES. 


Sa  victoire  sur  Syagrius.  7  0 

Politique  de  Clovis.  70 

Il  fait  restituer  à  S.  Remi  un  vase  en- 
levé à  l'Église  de  Reims.  7 1 

Mariage  de  Clovis  avec  Clotilde.  72 

Zèle  de  Clotilde  pour  la  conversion  de 
son  mari.  73 

Un  prince  premier-né  est  baptisé  et 
meurt.  74 

Mort  de  S.  Sidoine.  76 

Punition  éclatante  des  deux  prêtres  ca- 
lomniateurs. 76 

Testament  de  S.  Perpétue,  évêque  de 
Tours.  78 

Ses  règlements.  80 

Mort  de  S.  Patient  de  Lyon.  81 

Les  évêques  des  Gaules  envoient  des  au- 
mônes au  pape  Gélase.  81 

Le  pape  les  en  remercie  et  les  consulte 
sur  le  schisme  d'Acace.  81 

Théodoric,  roi  d'Italie,  envoie  S.  Épi- 
phane  en  ambassade  vers  Gondebaud, 
roi  des  Bourguignons.  82 

S.  Avite,  évêque  de  Vienne.  86 

Décret  du  pape  Gélase  sur  les  livres 
sacrés.  87 

Ouvrages  de  Gennade.  87 

Éloge  de  S.  Honoi*at ,  évêque  de  Mar- 
seille. 90 

Victoire  de  Clovis  dans  les  plaines  de 
Tolbiac.  93 

Sa  conversion,  instruction  donnée  par 
S.  Vaast,  joie  de  Clotilde.  94 

Baptême  solennel  de  Clovis.  96 

Lettre  de  S.  Remi  à  Clovis  sur  la  mort 
de  sa  sœur.  97 

Lettre  de  félicitation  du  pape  Anastase  à 
Clovis.  98 

Lettre  d' Avite  de  Vienne  sur  le  même 
sujet.  99 

Humanité  de  Clovis  à  l'égard  d'Euloge 
et  des  habitants  de  Verdun.  102 

Clovis  fonde  le  monastère  de  Mici,  près 
d'Orléans.  103 

Il  dote  le  monastère  de  Réomaiis.  104 

Il  fit  bâtir  une  église  cathédrale  à  Stras- 
bourg. 105 

S.  Remi  établit  différents  évêchés,  et 
nomme  S.  Aumond  à  Thérouanne, 
S.  Vaast  à  Arras  et  S.  Génebaud  à 
Laon.  106 

Célèbre  conférence  entre  les  évêques  ca- 
tholiques du  royaume  de  Bourgogne 
et  les  évêques  ariens.  109 

Diverses  lettres  dogmatiques  de  S.  Avite 
de  Vienne.  \  15 


Expédition  de  Clovis  contre  la  Bour- 
gogne. 118 
Jugement  provisionnel  du  pape  Sym- 
maque  au  sujet  du    différend  entre 
l'Église  d'Arles  et  celle  de  Vienne.  120 
S.  Avite  se  plaint  du  jugement.  121 
Commencements  de  S.  Césaire  d'Arles,  sa 
vie  monastique  et  son  épiscopat.  121 
Lettre  de  S.  Avite,  au  nom  des  évêques 
de  la  Gaule ,  pour  la  défense  du  pape 
Symmaque  et  du  Saint-Siège.  125 
Concile  d'Agde,  ses  canons.  128 
S.  Césaire  est  exilé  par  Alaric.  136 
Miracles  de  S.  Séverin,  abbé  du  monas- 
tère d'Agaune.  137 
Guérison  miraculeuse  de  Clovis.  137 
Clovis  déclare  la  guerre  à  Alaric.  138 
Respect  de  Clovis  pour  S.  Martin.  140 
Miracles  de  S.  Maixent,  abbé.  141 
Bataille  de  Vouillé,  mort  d'Alaric.  142 
Clovis  reçoit  le  titre  et  les  honneurs  du 
patriciat.  144 
Justice  et  générosité  de  Clovis  envers 
les  Églises.  145 
Mort  de  Ste  Geneviève.  146 
Conquêtes    des  Francs  sur  les  Visi- 
goths.  147 
S.  Césaire  calomnié  et  emprisonné.  148 
Sa  charité  s'exerce  envers  les  prisonniers 
francs.  149 
Monastère  de  religieuses  bâti  par  S.  Cé- 
saire, règle  qu'il  leur  donne.  150 
Clovis  fait  convoquer  un  concile  à  Or- 
léans; canons  de  ce  concile.  155 
Les  plus  célèbres  des  évêques  qui  y  as- 
sistèrent. 159 
S.  Quintien  de  Rodez.  160 
S.  Principe  du  Mans.  161 
Maurusion  d'Évreux.  161 
Eusèbe  d'Orléans.  161 
S.  Aventin  de  Chartres.  162 
Mort  de  Clovis.  163 
Démêlé  de  S.  Remi  avec  quelques  évê- 
ques. 164 
Autre  démêlé  avec  Falcon  ,  évêque  de 
Tongres.  166 
Concile  des  Gaules  où  S.  Remi  confond 
un  arien.  167 
S.  Thierry  de  Reims.  167 
S.  Quintien  chassé  de  Rodez.  169 
S.  Césaire  à  la  cour  de  Théodoric.  169 
Honneurs  et  présents  qu'il  y  reçoit.  170 
Il  î-essuscite  un  mort.  171 
Étant  allé  à  Rome,  il  fit  terminer  par  le 
pape  Symmaque    le  différend  entre 
l'Église  d'Arles  et  celle  de  Vienne.  1 72 


TABLE  DES  MATIERES. 


525 


Mémoire  de  S .  Césaire  présenté  au  pape 
Symmaque.  173 
Réponse  du  pape.  174 
L'abbé  S.  Gilles.  170 
Conversion  du  prince  Sigismond.  170 
Il  est  associé  au  royaume  par  Gondebaud, 
son  père.  177 
Roi  de  Bourgogne  après  la  mort  de  Gon- 
debaud.  178 
Concile  d'Epaone,  ses  canons.  178 
S.  Viventiole  de  Lyon.  183 
S.  Sylvestre  de  Chalon.  184 
S.  Grégoire  de  Langres.  184 
Catulin  d'Embrun.  185 
S.  Claude  de  Besançon.  185 
S".  Eugend,  abbé  de  Condat.  180 
Concile  de  Lyon.  188 
Fermeté  de  S.  Apollinaire  ,  évêque  de 
Valence.  188 
Intérêt  que  porte  S.  Avite  aux  affaires 
de  l'Église  d'Orient.  189 
Sigismond  fait  étrangler  son  fils  et  va 
pleurer  son  péché  au  monastère  d'A- 
gaune.  192 
Concile  pour  la   dédicace  de  l'église 
d'Agaune.  193 
Sigismond  fait  prisonnier  et  mis  à  mort 
avec  la  reine ,  et  deux  princes  ses  en- 
fants. 19't 
Mort  de  Ciodomir,  son  assassin.  190 
Mort  de  S.  Avite,  ses  ouvrages.  190 


Quatrième  concile  d Arles.  190 
Concile  de  Carpentras.  20O 
Second  concile  de  Yaison,  canons  de  ce 
concile.  201 
Second  concile  d'Orange,  décisions  de  ce 
concile.  203 
Lettre  de  Boniface  II  en  confirmation 
du  second  concile  d'Orange.  207 
Cbildebert  s'empare  de  l'Auvergne.  209 
Il  délivre  sa  sœur  Clotilde,  persécutée 
pour  la  foi  par  Amalaric  roi  des  Visi- 
goths.  210 
S.  Eusise.  211 
Guerre  de  Thierry  en  Auvei'gne.  212 
Mort  de  S.  Quintien  d'Auvergne.  213 
S.  Gai  devient  son  successeur.  213 
S.  Nicet,  évêque  de  Trêves.  215 
Massacre  de  deux  fils  de  Ciodomir  par 
leurs  oncles,  les  rois  Clotaire  et  Cbil- 
debert. 217 
S.  Cloud  y  échappe.  218 
Douleur  de  Ste  Clotilde,  funérailles  des 
princes.  218 
Second  concile  d'Orléans.  220 
Testament  et  mort  de  S.  Remi.  223 
Lettre  de  S.  Sidoine  sur  l'éloquence  de 
S.  Remi.  224 
Mort  de  S.  Thierry,  fidèle  disciple  de 
S.  Remi.  227 
Vertus  et  mort  de  S.  Mélaine,  évêque  de 
Rennes.  228 


LIVRE  SIXIEME 


Fondation  d'un  grand  nombre  de  mo- 
nastères dans  la  Gaule.  231 
Monastères  de  la  Neustrie  ;  S.  Marcou, 
fondateur  de  plusieurs  monastères.  231 
S.  Paterne.  233 
S.  Evroul.  234 
S.  Vigor,  évêque  de  Bayeux.  235 
Monastères  du  Poitou,  S.  Fridolin.  235 
S.  Dié,  fondateur  d'un  monastère  entre 
Blois  et  Orléans.  230 
Religieux    d'Auvergne ,   S.  Pourcain, 
abbé  du  monastère  de  Mirande.  230 
L'abbé  Brachion.     1—  237 
Monastère  de  Ménat.  238 
Monastère  établi  par  S.  Calais  dans  le 
Maine.  239 
S.  Lié.  241 
S.  Trivier.  241 
S.  Marius.  242 
S.  Ours.  243 


S.  Junien  et  S.  Léonard,  religieux  du 
Limousin.  243 
S.  Marien  dans  le  Berri.  243 
S.  Jean  de  Réomaus.  244 
S.  Seine.  240 
S.  Romain.  247 
Ste  Monégonde.  247 
Ste  Papula  passant  sa  vie  dans  un  mo- 
nastère d'hommes.  247 
Mort  du  roi  Thierry.  248 
Mariage  adultère  du  roi  Théodebert.  249 
Concile  de  Clermont,  ses  canons.  250 
Contuméliosus  de  Riez,  déposé.  253 
Son  appel  au  Saint-Siège.  254 
Lettre  du  pape  Agapet  à  ce  sujet.  255 
Zèle  et  fermeté  de  S.  Nicet.  256 
Théodebert  consulte  le  Saint-Siège  sur 
les  mariages  incestueux.  256 
Réponse  du  pape  Vigile  à  la  lettre  de 
ce  roi.  258 


TABLE  DES  MATIERES. 


Troisième  concile  d'Orléans,  canons  de 
ce  concile.  258 
Mort  de  S.  Grégoire  de  Langres.  204 
S.  Loup,  évêque  de  Lyon;  S.  Pantagathe, 
évêque  de  Vienne.  2G4 
S.  Aubin  d'Angers.  265 
S.  Vaast,  évêque  d'Arras;  S.  Médard, 
évêque  de  Noyon.  207 
S.  Eleuthère  de  Tournay.  2(58 
Vertus  de  Ste  Radegonde.  270 
Elle  se  retire  de  la  cour,  ses  aumônes  et 
ses  austérités.  271 
Clotaire  délivré  d'un  grand  péril  par  les 
prières  de  Clotilde.  274 
Mort  de  Ste  Clotilde.  274 
Quatrième  concile  d'Orléans,  canons  de 
ce  concile.  275 
SS.  Léonce  de  Bordeaux.  279 
S.  Firmin  d'Uzès.  281 
S.  Innocent  du  Mans.  282 
Eumérius  de  Nantes.  282 
S.  Léon  de  Sens.  283 
Lettre  de  cet  évêque  à  Childebert ,  au 
sujet  de  l'évêché  que  ce  prince  vou- 
lait établir  à  Melun.  283 
Mort  de  S.  Césaire  d'Arles.  285 
Homélies  de  S.  Césaire,  son  genre  d'élo- 
quence. 288 
Divers  extraits  tirés  des   homélies  de 
S.  Césaire.  289 
Disciples  de  S.  Césaire,  S.  Cherf.  301 
Theudérius.  301 
Auxanius  remplace  S.  Césaire.  301 
Déclaré  vicaire  du  Saint-Siège  dans  les 
Gaules.  303 
Expédition  de  Childebert  en  Espagne, 
siège  de  Saragosse.  304 
Mission  de  S.  Maur  dans  la  Gaule.  306 
Règle  de  S.  Benoît.  307 
Aurélien,  évêque  d'Arles  et  vicaire  du 
Saint-Siège.  312 
Mort  de  Théodebert.  314 
Tbibauld,  son  fils,  lui  succède.  314 
Il  assemble  un  concile  à  Toul  au  sujet 
de  S.  Nicet.  315 
Lettre  de  Mappinius  de  Reims  à  S.  Ni- 
cet. 315 
Résistance  d'Injuriosus,  évêque  de  Tours, 
à  Clotaire  au   sujet  des    biens  de 
l'Église.  315 
Ordonnance  de  Childebert  en  faveur  de 
la  religion.  317 
Cinquième  concile  d'Orléans,  canons  de 
ce  concile.  317 
S.  Désidérat  de  Bourges,  S.  Lô.  322 
S.  Lubin  de  Castres.  322 


S.  Honoré  d'Amiens.  3:24 
Troubles  en  Orient  au  sujet  des  trois 
chapitres.  324 
Lettre  de  Vigile  à  S.  Aurélien,  évêque 
d'Arles.  325 
Lettre  des  clercs  d'Italie  aux  ambassa- 
deurs   francs  envoyés    à  Constanti- 
nople  au  sujet  de  l'affaire  des  trois 
chapitres.  327 
Mort  de  S.  Aurélien  d'Arles.  329 
Sa  règle.  329 
Peste  dans  les  Gaules.  331 
Mort  de  S.  Gai  d'Auvergne.  333 
Orgueil  du  prêtre  Caton.  333 
Inconduite  de   Cautin  ,  successeur  de 
S.  Gai.  335 
Second  concile  de  Paris,   où  Saffarac, 
évêque   de  cette  ville,  est  juridique- 
ment déposé.  336 
Cinquième  concile  d'Arles,  canons  de 
ce  concile.  336 
Mort  de  S.  Lubin  de  Chartres.  338 
S.  Germain  de  Paris.  339 
Ses  vertus  dans  l'épiscopat.  340 
Childebert  guéri  par  lui.  341 
Alarmes  dans  les  Gaules  au  sujet  des 
trois  chapitres.  342 
Lettre  du  pape  Pélage  à  Sapaudus  d'Ar- 
les à  ce  sujet.  342 
Autre   lettre  du  même   pape  au  roi 
Childebert.  343 
Confession  de  foi  du  pape  envoyée  à 
Childebert.  345 
Nouvelle  lettre  du  pape  Pélage  au  roi 
Childebert.  348 
S.  Sacerdos  de  Lyon;  S.  Nicet  ou  Ni- 
zier,  son  neveu  et  son  successeur  sur 
le  siège  de  Lyon.  349 
S.  Ferréol  d'Uzès.  350 
Sa  règle.  351 
S.  Sacerdos  de  Limoges.  352 
État  florissant  de  la  religion  dans  l'Ai'— 
morique  ou  Bretagne.  353 
S.  Samson.  354 
S.  Magloire.  355 
S.  Paul  de  Léon.  356 
S.  Léonore.  356 
S.  Malo.  357 
S.  Tugal.  358 
S.  Brieuc.  358 
S.  Gildas  et  S.  Guinolé.  359 
S.  Hervé.  360 
Violences  du  prince  Chramne,  fils  de 
Clotaire.  361 
S.  Euphrone,  son  élection  à  l'évêché  de 
Tours.  362 


TABLE  DES 

Révolte  de  Chramne.  303 
Troisième  concile  de  Paris,  canons  de 

ce  concile.  304 
S.  Paterne,  évêque  d'Avranches.  306 
Magnifique  église  de  Saint-Germain  des 

Prés  bâtie  par  Childebert.  307 
Mort  de  Childebert.  308 
Constitution  de  Clotaire.  370 


MATIÈRES.  527 

Nouvelle  révolte  du  prince  Cliramne.  372 
Il  est  brûlé  tout  vif  avec  sa  femme  et  ses 
filles.  373 
Visite  de  Clotaire  au  tombeau  de  S.  Mar- 
tin. 373 
Mort  de  ce  prince.  370 
Conversion  des  Suèves  à  l'occasion  d'un 
miracle  de  S.  Martin.  377 


LIVRE  SEPTIÈME, 


S.  Xicet  de  Trêves  est  rappelé  de  son 
exil  par  Sigebert ,  à  son  avènement 
au  royaume  d'Àustrasie.  380 

Lettre  de  ce  saint  évêque  à  Clodosinde, 
reine  des  Lombards.  381 

Lettre  du  même  à  l'empereur  Justinien. 

383 

Mort  de  Justinien.  384 

Mort  de  S.  Nicet.  385 

Éloge  de  ce  saint  évêque  par  Fortunat 
de  Poitiers.  385 

Caractère  de  Caribert,  roi  de  Paris  ;  son 
respect  pour  S.  Martin  ;  ses  amours 
criminelles.  387 

Emérius  de  Saintes  déposé  par  Léonce 
de  Bordeaux.  388 

Rétabli  par  Caribert.  389 

Clotaire  établit  de  sa  propre  autorité 
un  évêché  à  Selles,  et  y  nomme  Aus- 
trapius.  390 

Deuxième  concile  de  Tours,  canons  de 
ce  concile.  390 

Usurpation  de  biens  ecclésiastiques  pu- 
nie de  Dieu.  398 

Caribert  excommunié  par  S.  Germain , 
mort  de  ce  prince.  400 

Histoire  et  déposition  de  Macliau,  évê- 
que de  Vannes.  401 

Réponse  des  évêques  du  deuxième  con- 
cile de  Tours  à  la  lettre  de  Ste  Ra- 
degonde.  402 

Lettre  pastorale  de  quatre  évêques  de  la 
province  de  Tours  au  sujet  de  la  peste 
qui  désolait  ce  pays.  403 

S.  Félix  de  Nantesr"  405 

S.  Domnole  du  Mans.  407 

Concile  de  Lyon  contre  Salonius  d'Em- 
brun et  Sagittaire  de  Gap,  canons  de 
ce  concile.  408 

S.  Tétric,  évêque  de  Langres  ;  évêché 
d'Arsat.  410 

Suite  de  l'histoire  de  Salonius  et  de  Sa- 
gittaire. 410 


Mariages  de  Contran,  de  Chilpéric  et  de 
Sigebert.  413 
Mort   cruelle  de    Galswinlhe ,  femme 
de  Chilpéric.  410 
Ouvrages  de  Fortunat.  417 
Ste  Radegonde  obtient  du  bois  de  la 
vraie  croix.  419 
Règle  de  S.  Césaire  établie  dans  son  mo- 
nastère. 421 
Quatrième  concile  de  Paris  au  sujet  de 
l'évêché  de  Châteaudun.  423 
Commencements  du  célèbre  S.  Grégoire 
de  Tours.  420 
Guerres  civiles  parmi  les  Francs.  428 
Lettre  de  S.  Germain  à  Brunehaut  au 
sujet  de  ces  guerres.  429 
Assassinat  de  Sigebert,  commandé  par 
Frédégonde.  431 
Brunehaut  exilée  à  Rouen.  431 
Mariage  de  Mérovée,  fils  de  Chilpéric, 
avec  Brunehaut.  432 
Mérovée  en  est  séparé  et  ordonné  prêtre 
malgré  lui.  432 
Contran  Boson  réfugié  à  Saint-Martin  de 
Tours.  432 
Mérovée%se  réfugie  au  même  asile.  434 
Mort  de  S.  Germain  de  Paris  ,  ses  mi- 
racles. 435 
Mort  de  S.  Félix  de  Bourges.  437 
Chilpéric  cherche  à  faire  sortir  son  fils 
de  l'église  de  Tours,  résistance  de 
S.  Grégoire.  438 
Concile  de  Paris  contre  Prétextât  de 
Rouen.  440 
Sa  défense  énergique  par  Grégoire  de 
Tours.  441 
Suite  du  procès  de  Prétextât.  443 
Piège  qu'on  lui  tend.  444 
Violences  de  Chilpéric.  446 
Plusieurs  saints  solitaires,  S.  Senoch.  447 
S.  Léobard,  reclus.  449 
Saints  solitaires  dans  le  Maine.  451 
Solitaires  dans  l'Armorique.  452 


5*26 


TABLE  DES  MATIERES. 


S.  Junien  dans  le  Poitou. 
S.  Caluppan  dans  l'Auvergne. 
S.  Patrocle  dans  le  Berri. 
S.  Lomer. 


454 
455 
45G 
457 


S.  Éparchius  dans  l'Angoumois.  458 
S.  Yrieix  dans  le  Limousin.  460 
S.  Vulfilaïc,  stylite,  près  de  Trêves.  4G2 
S.  Hospice,  près  de  Nice.  465 
S.  Lifard,  abbé  de  Meun.  468 
Solitaires  en  Champagne.  469 
Concile  de  Braisne,  au  sujet  des  accusa- 
tions contre  S.  Grégoire  de  Tours.  471 
Chilpéric  tombe  dans  l'hérésie  de  Sabel- 
lius,  et  en  est  désabusé  par  S.  Grégoire 
de  Tours  et  S.  Salvi  d'Albi.  473 
Troubles  dans  l'Église  de  Tours.  475 
Mort  de  plusieurs  saints  évêques  :  de 
S.  Agricole  de  Chalon-sur-Saône,  de 
S.  Dalmace  de  Rodez,  de  S.  Maurile 
de  Cahoi*s,  de  S.  Élaphe  de  Châlons- 
sur-Marne.  476 
Sentiments  de  pénitence  de  la  reine  Fré- 
dégonde.  479 
Mort  de  deux  princes  fils  de  Chilpéric.480 
Nouveaux  crimes  de  Frédégonde.  481 
Basine,  fille  de  Chilpéric,  contrainte  de 
se  faire  religieuse.  481 
Courage  d'Ingonde  pour  la  défense  de  la 
foi.  482 
Zèle  de  Chilpéric  pour  la  conversion  des 
Juifs.  484 
Discussion  de  ce  prince  et  de  Grégoire  de 
Tours  avec  un  Juif.  484 
S.  Avite,  évêque  d'Auvergne,  baptise  en 
un  jour  cinq  cents  Juifs.  487 
Premier  concile  de  Mâcon,  canons  de  ce 
concile.  488 


Concile  de  Lyon.  492 
Synode  de  S.  Aunaire,  évêque  d'Auxerre; 

ses  règlements.  492 
Lettre  de  S.  Aunaire  d'Auxerre  au  pape 
Pelage  II.  497 
Le  pape  exhorte  S.  Aunaire  à  intéresser 
les  rois  francs  à  la  défense  de  Rome 
et  de  l'Italie  contre  les  Lombards.  498 
Auti-es  règlements  de  S.  Aunaire.  499 
Mort  de  la  reine  Austrechilde,  femme  de 
Gontran  ;  ses  injustes  ressentiments 
contre  ses  médecins.  500 
Mort  du  comte  Nantin.  501 
Mort  de  S.  Félix  de  Nantes.  502 
Mort  du  duc  Chrodin,  bienfaiteur  des 
Églises.  503 
Miracle  de  S.  Martin  en  Espagne.  504 
Guerre  civile  entre  les  rois  francs.  505 
Troisième  concile  de  Lyon,  canons  de  ce 
concile.  505 
Piété  du  roi  Gontran.  507 
Premier  concile  de  Valence.  508 
Discussion  de  S.  Grégoire  de  Tours  avec 
un  arien.  511 
Assassinat  de  Chilpéric,  attribué  à  Fré- 
dégonde. 512 
Caractère  de  ce  prince.  512 
Ses  prétentions  littéraires.  513 
Ses  libéralités  aux  Églises.  514 
Sépulture  de  ce  roi.  514 
S.  Mallulfe.  515 
Éthérius,  évêque  de  Lisieux.  515 
S.  Louvents,  abbé  de  Saint-Privat  des 
Gabales.  517 
Récit  de  la  vie  et  de  la  mort  de  S. 

Salvi,  évêque  d'Albi.  517 
S.  Salve,  évêque  d'Amiens.  520 


FIN  DE  LA  TABLE  DU  DEUXIEME  VOLUME. 


BX1528  J24  v.2 

Histoire  de  l'Eglise  catholique  en 

Princeton  Theological  Seminary-Speer  Library 


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