* OCT 10 1911 *
BR 1038 .G4 G2 1855 v.3
Gaberel, J. 1810-1889)
Histoire de 1 ' église de
Gen eve depuis le
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in 2014
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HISTOIRE
DE
L'ÉGLISE DE GENÈVE.
TOME TROISIÈME.
IMPRIMERIE CH. GRUAZ . À GENÈVE . CITÉ .
L'ÉGLISE DE GENÈVE
DEPUIS
LE COMMENCEMENT DE LA RÉFORMATION JUSQU'A NOS JOURS,
PAR
y/
J. CABEREL,
ancien j.isteur.
TOME TROISIÈME.
GENEVE,
JOËL CHERBULIEZ, LIBRAIRE.
MÊME MAISON A PARIS, RUE DE LA MONNAIE , 10.
JULLIEN FRÈRES, LIBRAIRES,
Bourg-de-Four, 71.
1862
AVANT-PROPOS.
Après douze années de recherches et de travaux, nous
offrons au publie le dernier volume de l'histoire de l'Église
genevoise. Les documents nombreux et inédits que nous
avons entre les mains nous ont permis d'offrir à nos
lecteurs des faits nouveaux et des circonstances ignorées
de nos devanciers. Ces découvertes historiques sont le
fruit de longs voyages et de sérieux sacrifices pécuniaires :
aussi nous prions les auteurs qui se serviraient de nos
documents inédits de vouloir bien indiquer le nom de
l'auteur qui, le premier, les a mis en lumière.
Nous ne livrerons pas ce volume à la publicité sans
offrir l'hommage de notre gratitude à M. Mignet, qui a
bien voulu accorder à quelques parties de ce travail les
honneurs de la lecture devant l'Académie des sciences
morales et politiques de France.
CHAPITRE Ier.
L ÉGLISE ET LE CULTE,
Nécessité des réformes. — Caractères des liturgies. — La lecture du
Décalogue. — Prières pour les malades. — Prières pour les Jeunes.
— La formule de bénédiction. — Prières du dimanche modifiées. —
La liturgie du baptême. — La confession des péchés. — Les
Psaumes. — Les cantiques de la communion. — Version de la Bible.
— Catéchismes. — Réformes du syndic de la Rive. — Société des
catéchumènes. — Liste des fondateurs. — Réception publique à la
Sainte-Cène. — Heures des cultes. — Le Temple Neuf et la famille
Lullin. — La colonnade de Saint-Pierre. — La Sainte-Cène, modifi-
cation de sa liturgie. — Fêtes de Noël et de l'Ascension. — Solen-
nités nationales, Escalade et Jeunes.
Après avoir analysé les caractères 1 du culte public
au temps de la Réforme, nous devons indiquer les
modifications que l'Église genevoise opéra dans les
services religieux pendant le cours du dix-septième
et du dix-huitième siècles.
Si l'Église grecque et l'Église romaine ont admis
l'immobilité des formes du service divin, les pasteurs
1. Nous prévenons nos lecteurs que toutes les dates insérées dans
ce volume indiquent une référence aux registres de la Compagnie des
Pasteurs.
8
protestants ont pensé que les améliorations étaient
permises dans les cérémonies religieuses. Leur
opinion est légitime. En effet, il n'y a d'immua-
ble dans le christianisme que les paroles du Sau-
veur touchant le dogme et la morale; mais les
usages sur lesquels le Maître a gardé le silence sont
naturellement laissés à la prudence et au zèle des
conducteurs ecclésiastiques; en particulier, les formes
du culte public étant des institutions humaines, peu-
vent varier selon les exigences dn temps. D'après
ces principes fondés sur la volonté de leur divin Chef,
les pasteurs genevois perfectionnèrent les formes du
culte lorsque les changements sociaux et les amélio-
rations de la langue française exigèrent impérieuse-
ment ces modifications ecclésiastiques.
Les liturgies, composées dans le dur et naïf lan-
gage des réformateurs, revêtirent les formes littérai-
res de la grande école du dix-septième siècle.
On réduisit à des dimensions raisonnables les priè-
res primitives qui fatiguaient l'attention par une lon-
gueur démesurée.
Le culte public fut également modifié quant au
nombre et aux heures des offices religieux . Les heures
des sermons étant choisies en vue de faciliter l'accès du
temple à la majorité des fidèles, durent varier avec
les usages sociaux et les habitudes de famille. Ainsi,
lorsque le cours du soleil réglait l'emploi des jour-
9
nées, lorsque le travail commençait de grand matin,
et que le moment du repos coïncidait avec les pre-
mières ombres du soir, les cultes furent célébrés en
général avant midi. Puis, l'usage des veilles prolon-
gées s'étanl établi, on dut retarder les heures des
sermons et des prières.
Le nombre des services et des actions, comme on
les désignait autrefois, varia également sous Tin-
lluence des événements qui ehangèrent les éléments
constitutifs de la population genevoise.
La musique et le chant sacré reçurent de sérieux
perfectionnements. Les psaumes de Théodore de Bèze
et de Marot firent place, à la fin du dix-septième siè-
cle, à des traductions françaises, en accord avec les
progrès de la langue.
Enfin, les fêles religieuses, les grands anniversai-
res chrétiens, les cultes rappelant les délivrances de
l'Eglise et de la Patrie, subirent de grands change-
ments. Les fêtes de Noël et de l'Ascension, proscrites
par Calvin, furent peu à peu célébrées par ses suc-
cesseurs, et les jeûnes institués pour l'humiliation
des peuples réformés dans les grandes épreuves na-
tionales devinrent des solennités annuelles et régu-
lières.
Examinons maintenant en détail ces modifications
opérées dans le culte public genevois au dix-septième
et au dix-huitième siècles.
10
Liturgies et prières ecclésiastiques. La forme ex-
térieure du culte réformé fut évidemment fournie par
les descriptions que Pline le Jeune et Tertullien nous
ont transmises des assemblées de la primitive Eglise.
D'après ces auteurs, le service divin se composait de la
confession des péchés, du chant des louanges de Dieu,
puis d'une exhortation évangélique adressée au peuple,
et terminée par une solennelle bénédiction. Cet ordre
fut ponctuellement suivi par les réformateurs français.
Le culte public commençait au seizième siècle par
la confession des péchés que Calvin avait empruntée
en 1544 à l'Église de Strasbourg; puis, on chantait
un ou deux versets des psaumes. Le prédicateur pro-
nonçait « une prière d'exhortation à profiter du culte,
» et dont la forme est laissée à sa discrétion. » Venai
ensuite le sermon, et le service était terminé par une
invocation où l'on implorait les laveurs divines sur
toutes les classes de la société chrétienne.
Le dimanche où la Sainte-Cène était célébrée, on
ajoutait au culte ordinaire une brève prière, et on
lisait la liturgie de la communion ; celte liturgie se
trouvait parfaitement adaptée , dans sa forme et sa
substance, à l'état d'un peuple qui naguère admettait
la doctrine romaine touchant la présence réelle.
Dans le baptême on établissait l'incapacité absolue
pour l'homme de faire aucun bien, et la malédiction
prononcée sur la race humaine. » Le baptême, dit la
1 1
liturgie de Calvin, nous relire de cet état de con-
damnation, nous remel le péché originel, duquel est
coupable toute la lignée d'Adam, » et nous rend ca-
pables de combattre contre le mal, et de vivre dans
la sainte liberté des enfants de Christ.
La liturgie du mariage porte les traces de l'esprit
du temps et de la licence morale où les populations
étaient plongées au seizième siècle. Les recomman-
dations touchant la pureté et la sainteté du lien con-
jugal, composent à peu près en entier le texte de l'ex-
hortation et des prières. Les habitudes religieuses, le
support, les qualités morales nécessaires au bonheur
des époux et des enfants, y sont à peine mentionnées.
Les liturgies furent conservées à peu près intactes
jusqu'en 4 711.
Voici les modifications successives qu'elles éprou-
vèrent pour la doctrine et la forme extérieure :
Le culte commençait par la lecture de quelques
chapitres des Saintes-Ecritures. Les étudiants en théo-
logie étaient chargés de cet office. En 1659 (Reg.
Comp. 9 août), sur la proposition du Consistoire, on
décida de lire le Décalogue. « Les proposants feront
» cette lecture dès après le dernier coup de cloche ;
» elle sera précédée d'une bonne exhortation pour
» inviter le peuple à l'attention et au respect. »
Les premières observations générales, au sujet des
liturgies, furent présentées en 1688 (6 janv. Reg.
12
Comp.) par M. Dufour, pasteur. « Considérant les
changements considérables qui sont dans la langue,
il propose d'abréger les liturgies sans rien leur enle-
ver d'essentiel. » La Compagnie, tout en reconnais-
sant la justesse de ces observations, ne croit pas pou-
voir rien modifier pour le moment.
Toutefois, M. Léger insiste au sujet des prières
qu'on fait pour les malades. « A la fin du sermon,
comme c'est encore l'usage en France, dit-il, on re-
commande aux prières des fidèles les personnes gra-
vement malades; on les désigne par leurs titres. »
M. Léger demande qu'on s'abstienne de ces paroles
humaines, et que désormais on se contente d une
phrase générale concernant les personnes souffrantes
de l'Église. Adopté.
La révision générale commença en 1705; elle s'ef-
fectua sans difficulté quant à la forme des prières;
mais elle donna lieu à de sérieuses discussions lors-
qu'il s'agit de modifier la doctrine contenue dans la
confession des péchés et la formule du baptême.
Le 5 octobre 4 703, le Consistoire demanda des
prières spéciales pour les jeûnes, les préparations
pour la Sainte-Cène et les autres solennités; les pro-
fesseurs Bénédict Pictetet J.-A. Turrelin furent char-
gés de leur rédaction, et s'en acquittèrent à la salis-
faction générale des fidèles.
Les additions aux services hebdomadaires furent
13
bientôt suivies de modifications au culte du di-
manche.
1705, H août. La prière qui termine le service
du dimanche malin paraissant décidément trop lon-
gue, on chargea M. Calendrin d'en faire un abrégé.
Dix ans se passèrent en tâtonnements sur ce point ,
les uns voulant l'ancien usage, d'autres employant la
nouvelle prière. Quelques pasteurs proposèrent la
l'orme anglaise, « qui consiste à lire toutes les prières
avant le sermon , et à terminer par une fervente et
brève invocation, ce qui mettrait tin aux sorties in-
décentes qui troublent la fin du culte. » (Reg. Comp.
1 1 oct. 1709, 4 5 mars 4 711.) Enfin, le Consei
impatienté de ces longueurs, décide qu'on lira la nou-
velle prière de M. Calendrin, et cet usage s'établit le
25 août 4719.
Cinq ans plus tard (Reg. Comp. 15 oct. 1725),
M. J.-A. Turrelin demande qu'on change la for-
mule de bénédiction. Il pense que ces mots : « Le Sei-
gneur fasse luire sa face sur nous, » n'étant plus du
génie de notre langue, on rendrait plus heureusement
le sens de l'hébreu en mettant: « Le Seigneur vous
regarde d'un œil favorable et vous soit propice. » La
Compagnie adopta un terme moyen et conserva la
bénédiction en ces termes : « Le Seigneur vous bé-
nisse et vous conserve. Le Seigneur vous regarde
d'un œil favorable et vous soit propice. Le Seigneur
44
tourne son image vers vous et vous maintienne en
paix et en prospérité. » Ce fut en 1775 que cette
dernière phrase fut abolie, et que la formule fut ré-
duite aux expressions, employées aujourd'hui dans
l'Eglise de Genève.
A la môme époque, sous l'influence d'Ostervald,
des modifications à peu près analogues furent opérées
à Neuchâtel, et la liturgie actuelle de cette Église fut
adoptée en 4 745. Nous ne connaissons pas la date
exacte de l'introduction de celte forme de culte dans
l'Eglise vaudoise; mais comme les prières de celte
Eglise sont à peu près semblables à celles deNeuchâtel ,
il est probable que le changement ordonné par les Ber-
nois fut contemporain des travaux d'Ostervald.
Ces "modifications des liturgies genevoises étaient
peu importantes auprès de celles qu'on proposait d'in-
irodruire dans la confession des péchés et dans la for-
mule du baptême. Pendant onze années, de 1742 à
4 725 on discuta sur ce grave sujet. Le temps avait
marché; la majorité du clergé genevois n'admettait plus
lesassertions littérales du calvinisme. On remplaçait les
expressions humaines des formulaires par des paroles
bibliques (25 juin 4 725), et sous celte influence, les
liturgies furent changées touchant un point très-grave,
le péché originel ; on proposa d'enlever de la confes-
sion des péchés les mots : « Nous sommes pauvres pé-
cheurs conçus et nés en iniquité et corruption, en-
15
clins à mal faire, inutiles à tout bien. » 11 était ques-
tion de les remplacer par cette phrase : « Nous som-
mes de pauvres pécheurs enclins au mal dès notre
naissance. » Pendant la délibération, M. Turretin
aîné rapporta que diverses personnes u'approuvaient
pas le changement radical qu'indiquait la commission;
il demanda que pour satisfaire les diverses opinions,
Ton prît un terme moyen, et qu'on modifiât comme
suit l'ancienne rédaction : « Nous sommes nés dans
la corruption, enclins au mal. »
Adopté à l'unanimité par la Compagnie.
La discussion touchant la liturgie du baptême fut
longue et pénible. La commission anéantissait le fait
de la malédiction prononcée sur les enfants dés avant
leur naissance, et déclarait que « le baptême, qui nous
sauve, étant l'engagement d'une bonne conscience
devant Dieu, il devient nul, s'il n'est ratifié par la
conduite future du jeune chrétien. »
M. Turretin aîné indiqua encore un terme moyen
touchant le péché originel. « L'ancienne liturgie, dit-il,
«'adressant à Dieu, porte ces mots : « En te délarant
« son Dieu et son Sauveur, en lui remettant le péché
» originel, duquelestcoupabletoutelalignéed'Adam. »
Je propose ces paroles : « Comme toute la postérité
» d'Adam est dans un étal de corruption et de misère,
» qu'il te plaise de te déclarer le Dieu et le Sauveur de
» cet enfant et de le sanctifier par ton esprit. » Quant
H5
à celle phrase louchant la perversité et la malédic-
tion de notre première nature, elle doil disparaître
sans conteste. » L'orthodoxie de M. Turrelin aîné rallia
tous les suffrages. La Compagnie adopta, à l'unani-
mité, les nouvelles formules, et ainsi fut terminée
cette grande révolution ecclésiastique.
Musique el Psaumes. En 1545, l'Église de Ge-
nève adopta pour le chant sacré « le Recueil des psau-
» mes mis en rimes françaises, à savoir quarante-neuf
» par Clément Marot, et le surplus par Théodore de
» Kèze. » La musique était des plus simples, et quel-
ques-unes de ces hymnes sont des modèles d'énergie el
de heaulé religieuse1.
Les psaumes furent chantés sans modification dans
l'Église de Genève, jusqu'à la fin du dix-seplième
siècle. Mais, vers l'an 1680, un homme qui possé-
dait le génie poétique et sentait vivement les imper-
fections des lignes rimées de Clément Marot, le pro-
fesseur Bénédict Pictel, désirait vivement voir s'intro-
duire un changement ahsolu de celle partie du culte;
il se plaignait de l'état pitoyable du chant; maintes
fois il avail dû prévenir des étrangers « pour que leur
sourire n'accueillît pas cette rude harmonie. » En
1. Un usage excellent et qui, selon nous, devrait être adopté dans
les nouvelles éditions des psautiers, est le texte littéral du cantique
placé en regard de la versification. Cette double impression ne pré-
senterait aucune difficulté, car les anciens livres de chants sacrés sont
de formats encore plus exigus que les nôtres.
17
effet , à peine le pasteur avait-il terminé l'indication
du psaume, qu'une foule de personnes l'entonnaient
isolément, sans attendre le chantre, et ce mélange de
notes durait jusqu'à la fin du verset.
Bénédict Pictet se trouvait intimement lié avec
Valentin Conrarl, secrétaire du roi de France. Le pas-
teur genevois avait été maintes fois admis chez lui à ce
cercle de gens d'esprit, qui fut le berceau de l'Aca-
démie française. Conrart était protestant; mais grâce
à une extrême réserve, il évita toute persécution,
et se condamna, ditBoileau, « à un prudent silence. »
(Reg. Conseil. 12 avril 4 695.) « Quelques années
» avant les malheurs, disent nos registres, l'Eglise de
» Paris l'avait chargé de revoir les psaumes et de les
» mettre sur un pied conforme et accommodé à la
» pureté où le langage a été amené. M. Conrart tra-
» vailla à cet ouvrage avec beaucoup de succès, et
» comme Dieu avait retiré ce poëte avant qu'il eût
» terminé son ouvrage, d'autres personnes, et prin-
» cipalement M. Bénédict Pictet, furent priées de ne
•» pas laisser ce grand travail imparfait; de sorte qu'il
» a été dès-lors entièrement consommé, en telle ma-
» nière qu'il a une approbation générale. On remer-
» cie beaucoup le sieur Sauvin, avocat de Nîmes, d'a-
» voir aidé nos pasteurs par son talent de poésie, et
» le Conseil engage fortement la Vénérable Compa-
» gnie à parachever cette œuvre.»
ni 2
48
La Compagnie, d'accord avec les pasteurs réfu-
giés, approuva les travaux des auteurs français et
genevois, et voulant mener tout à bien, elle chargea
« trois de ses membres, MM. Pictet, De la Rive et Ca-
lendrin d'enlever de la nouvelle version toutes les
phrases qui rappellent trop les malédictions des Juifs
contre leurs ennemis. Ce travail fut terminé en 1 693 . »
Ces nouveaux chants religieux furent admis par
la Compagnie, à l'unanimité moins une voix, « et
» l'on aurait désiré que le Conseil confirmât de suite
» cette réforme, vu que plusieurs exemplaires manus-
crits, répandus dans le public, étaient accueillis
» avec une grande faveur, et une personne fort âgée,
» M. Caze, voulait en acheter plusieurs centaines pour
» les donner aux gens pauvres. » Malgré cette unani-
mité, le Conseil ne donna la permission d'imprimer
les psaumes que le 1er juin 4 694.
L apprentissage fut long et pénible : quatre années
suffirent à peine pour populariser les nouveaux chants;
mais enfin, le 4 octobre 1698, on put les introduire
solennellement dans tous les temples. Genève entrete-
nait d'intimes relations avec toutes les églises protestan-
tes; aussi la Compagnie désirait-elle que cette grande
modification fût adoptée dans les communautés de
langue française. M. Tronchinfut chargé d'écrire une
lettre « prudente et respectueuse » aux frères d'An-
gleterre, de Hollande et d'Allemagne. Sur trente
19
Églises consultées , vingt-sept répondirent qu'elles
recevraient avec plaisir les nouveaux psaumes de
Genève, rendant hommage à son zèle chrétien pour
l'amélioration du culte. Une seule opposition vint
troubler cette remarquable unanimité. Ce fut Jurieu,
pasteur en Hollande. Ce théologien, justement estimé
dans tout le monde protestant, accueillit le nouveau
psautier comme une déplorable hérésie ; il écrivit les
lettres les plus étranges contre la Compagnie de Ge-
nève. Il accusa nos pasteurs de rompre l'unité de l'É-
glise, d'ouvrir la voie à de funestes changements dans
le culte, et plus tard dans la doctrine1. La Compagnie
répondit avec douceur et fermeté, et si Jurieu entraîna
dans son parti le synode des Églises vallones, en re-
vanche, l'archevêque de Cantorbéry, Tenysson, les
Églises d'Écosse, d'Irlande, de Francfort, de Magde-
bourg, de Berlin, approuvèrent Genève, et Jurieu
fut condamné dans toute la chrétienté protestante.
La réforme du chant sacré n'était pas complète:
Bénédict Pictet, le professeur Calendrin et J.-A. Tur-
retin représentèrent à la Compagnie, le 5 octobre
1703, « qu'il était regrettable de n'avoir qu'un seul
» cantique tiré du Nouveau Testament. De nouvelles
» hymnes reproduisant des paroles de l'Évangile,
» offriraient une heureuse innovation. L'exemple de
» l'Église luthérienne est très-bon à suivre. »
l. Reg. Comp. 30 août, 4 et 18 oct., 13 déc. 1700. 25 mars 1701.
20
La Compagnie, appuyée par le Conseil, chargea
M. Bénédict Pictet de composer ces hymnes, et nom-
ma, pour les examiner, MM. Tronchin, J.-A. Tur-
retin, Calendrin et Léger. (30 mars 1704.)
Au bout de quelques mois, M. Pictet présenta
cinquante-trois cantiques qu'il fit imprimer; on en
choisit douze, et ce recueil obtint l'approbation gé-
nérale1. On répéta à la Compagnie qu'il est très-
édifiant et très-digne « d'une assemblée chrétienne
» de chanter des cantiques en l'honneur de Jésus-
» Christ, dans les jours de communion; qu'on désire,
» le plus tôt possible, qu'ils soient admis. » Après
six mois d'études, on fit un essai pour la Cène de
septembre 1705. A la communion suivante de Noël,
les fidèles étaient suffisamment préparés, et la tra-
duction du Te Deum, « Béni soit à jamais le grand
Dieu d'Israël, » ainsi que le cantique « Faisons écla-
ter notre joie, » furent chantés avec une ferveur et
une émotion si profonde, que la Compagnie et le
Conseil s'adressèrent mutuellement de sérieuses féli-
citations touchant cet heureux succès.
Dès lors, toutes les Églises protestantes qui mar-
chaient avec Genève, adoptèrent les cantiques de Bé-
nédict Pictet. Depuis cent cinquante ans ils édifient
les générations qui se succèdent à la table sainte. Nos
1. Reg. Comp. 16 janvier, 10 avril, 5 sept., 27 déc. 1705; Reg.
Conseil, 5 oct. 1705.
21
ancêtres les ont chantés dans les temps de trouble et
d'alarme; ils les ont emportés dans l'exil et les ont
donnés à toutes les Eglises restées debout après les
persécutions de Louis XIV. Les martyrs et les con-
fesseurs oubliés dans les bagnes les ont redits men-
talement durant les jours des fêtes religieuses; le ma-
lade éloigné du temple les répète en son cœur à l'heure
du culte public, et les paroles de ces hymnes s'unis-
sent intimement aux meilleurs souvenirs des commu-
nions de notre jeune âge. Mais combien peu de per-
sonnes aujourd'hui connaissent l'auteur de ces chefs-
d'œuvre de poésie et de simplicité chrétienne ! Sans
doute, dans son admirable modestie, Bénédict Pictet
n'avait pas voulu que son nom prît place à la tète de
ses cantiques. Mais, après sa mort, on aurait dû
combler cette lacune, et aujourd'hui, dans les nou-
velles éditions de notre Psautier, il serait juste de
rappeler le souvenir de l'auteur des hymnes chré-
tiennes de la Sainte-Cène, et de rapporter à l'un des
plus honorables chefs du clergé genevois le souvenir
et le bénéfice de son œuvre évangélique.
Cette modification dans le culte devait être com-
plétée par une révision de la version de la Bible.
La Compagnie avait toujours conservé la traduc-
tion de Calvin, comme livre officiel. En 1654, elle
s'était formellement opposée à la publication d'une
22
nouvelle traduction par Jean Diodati , qui , néan-
moins soutenu par le Conseil, l'imprima en 164-5.
En 1675, des libraires genevois réimprimèrent
les Saints Livres « en modifiant les expressions in-
» convenantes et les mots déshonnêtes tolérés dans les
» temps antérieurs; mais la Compagnie ne put ap-
» prouver officiellement ce travail, à cause des fautes
» et des passages tronqués.» (Reg. Comp. 6 avril
1703.) Le Consistoire, en 1703, formula un vœu
énergique pour obtenir une édition des Écritures en
français moderne. « 11 est à souhaiter, disaient ces pieux
» laïques, pour l'honneurde notrevilleet pour engager
» davantage les particuliers à lire la Parole de Dieu,
» qu'on ait une version de la Bible dont le français
» soit plus pur que celui de nos vieilles traductions. »
La Compagnie nomma immédiatement une com-
mission composée de MM. Tronchin-Turretin et J.-A.
Turretin, Calendrin, B. Pictet, Léger, Maurice et
Butini fils. Ces Messieurs s'adjoignirent le marquis
Du Quesne et Firmin Abausit, qui se distinguèrent par
leur zèle et leur science.
Le b septembre 1726 (Reg. Conseils) le Nouveau
Testament était imprimé. M. J.-A. Turretin le pré-
senta aux magistrats, qui en témoignèrent leur vive sa-
tisfaction, et demandèrent qu'on s'occupât activement
de l'Ancien. Vingt ans plus tard, le 23 décembre
1746, le travail était achevé, et une édition complète
25
de la Bible était livrée aux protestants. Les pasteurs
de Genève avaient retranché les expressions vieillies
et grossières admises dans les temps antérieurs. L'u-
sage de cette version fut universellement adopté, et
le culte acquit ainsi une plus grande solennité et une
véritable dignité chrétienne.
Catéchisme. Nous avons exposé, dans notre précé-
dent volume, l'organisation de l'instruction religieuse
à Genève. Le catéchisme de Calvin était appris par
tous les enfants du collège et des écoles particulières;
les régents en faisaient régulièrement réciter les sec-
tions, et chaque dimanche, les enfants rassemblés
l'après-midi dans les trois temples, assistaient à un
culte où on leur expliquait les vérités chrétiennes en
suivant l'ordre des matières du Manuel de Calvin
(2 mars 1677). Parvenus à l'âge de seize ans, les
jeunes gens étaient soigneusement examinés par les
pasteurs, et l'on recevait à la Sainte-Cène ceux qui
possédaient une instruction suffisante. Cette admis-
sion formait une fête de famille; les parents et les
amis rassemblaient leurs enfants; les pasteurs adres-
saient une exhortation chaleureuse aux nouveaux
membres de l'Église, et les autorisaient à participer
aux prochaines solennités.
Ce mode de vivre reçut bientôt des développe-
ments sérieux et d'importantes améliorations. Vers le
milieu du dix-septième siècle, on composa une révi-
24
sion du Catéchisme de Calvin, spécialement adaptée
au jeune âge. En 16681, un pasteur, Burlamaqui,
célèbre par sa science, frappé du changement sur-
venu dans la langue, publia un manuel d'instruction
religieuse pour les petits enfants. Cet ouvrage fut, au
premier abord, repoussé par la Compagnie, « l'ancien
étant suffisant; » mais on revint bientôt sur cette déter-
mination. On permit la vente des exemplaires, et les
maîtres d'école s'empressèrent d'en faire usage.
Les institutions bonnes pour un temps deviennent
bientôt insuffisantes 2 : l'Église de Genève l'éprouva
maintes fois, et laissant de côté tout amour-propre et
toute vanité d'être taxée « de tendance à la nouveau-
té, «elle voulut perfectionner ses rouages. En 1677, le
syndic De la Rive fit un mûr examen de l'étal de
l'instruction dans la ville, et présenta un remarqua-
ble rapport. Il commence par ces mots empreints de
la ferveur religieuse du temps: «Je vous propose,
» Messieurs, de penser aux moyens d'instruire mieux
» le peuple en religion; il est nécessaire de le porter
» à la piété et à une sainte vie , afin de prévenir les
«jugements de Dieu, qui sont à craindre en ces
» temps fâcheux . »
Le magistrat chrétien veut absolument anéantir un
esprit de routine qui ne s'était que trop emparé de
1. Reg. Comp. 2 mars 1677; 5 juin 1668.
2. Reg. Cons. \ février 1677; Comp. 2, 9 mars 1677.
25
l'instruction religieuse; il demande que les pasteurs
mettent plus de simplicité dans leurs leçons, et s'assu-
rent, par de fréquentes questions, du degré d'intel-
ligence des enfants.
L'ignorance religieuse n'étant que trop répandue
dans le peuple, il est nécessaire que non-seulement
les enfants, mais ceux qui sont enfants par le retard
de l'instruction, assistent au catéchisme. Le magis-
trat doit obliger les serviteurs, compagnons, appren-
tis, manœuvriers, artisans, à fréquenter ce culte.
Les interrogations avant Pâques doivent être plus
rigoureuses. Enfin, il faut que les habitants reçus
fassent preuve d'une bonne instruction en la religion
et dans la vie chrétienne. Les pasteurs et les syndics
seront très-sévères en leur témoignage à ce sujet.
Les principales dispositions de ce mémoire furent
adoptées dans leur esprit, sinon dans les mêmes ter-
mes, et six ans plus tard, la Compagnie1 voulut dé-
velopper encore mieux les idées réformatrices du syn-
dic De la Rive. Grâce aux persécutions de Louis XIV,
la population genevoise était grandement augmentée
L'instruction religieuse paraissant insuffisante, on
propose d'établir quatre catéchistes qui se partage-
ront la ville, et donneront les leçons dans les maisons
particulières. Les pasteurs doivent préliminairement
faire une revue exacte de leurs dizaines, afin d'a-
t. Reg. Comp. 19, 31 octobre 1684; Reg. Conseil. 24,95.
26
vertir les catéchistes de ceux qui auront le plus be-
soin de leur surveillance.
Chaque catéchiste fixera trois jours par semaine;
il prendra les heures les plus commodes au peuple,
et rassemblera à ses instructions autant de familles
qu'il jugera à propos. Le tour doit être fait en qua-
tre mois, et recommencer trois fois l'année.
En outre, on établira vingt-cinq maîtresses d'école
pour les vingt-cinq dizaines. Les particuliers aisés paie-
ront pour leurs enfants, et les bourses publiques ai-
deront les pauvres.
Un nouveau manuel 1 parut nécessaire ; on adopta
définitivement le catéchisme de Dumoulin, qui était
employé par quelques personnes depuis 4 680.
Règlement de 1709. Durant trente années cette
excellente organisation fonctionna et fut un témoi
gnage de l'esprit religieux et progressif de l'Église de
Genève. Mais le temps marchait, les formulaires nou-
veaux s'imprimaient; à Burlamaqui et Dumoulin se
joignirent Drelincourt et Ostervald, et si le catéchisme
de Calvin fut conservé dans les cultes, au temple, les
ministres et les vingt-cinq instituteurs des écoles de
dizaine employaient les nouveaux manuels. Quelques
personnes se plaignirent au Consistoire, trouvant cette
bigarrure fâcheuse, et proposèrent1 « de ne pas lais-
1. Reg. Comp. 23 janvier i680.
2. Reg. Consist. 27 juin 1709.
27
» ser à la liberté des maîtres et maîtresses d'école
» d'employer tels catéchismes que bon leur semble,
» mais d'en avoir un dont tous fussent obligés de se
» servir. »
Le Consistoire répondit : « Comme il y a plu-
» sieurs catéchismes approuvés, les pasteurs des di-
» zaines indiqueront aux maîtres et maîtresses d'école
» qui sont sous leur direction, ceux dont ils doivent
» faire usage. »
Cette consécration de la liberté d instruction reli-
gieuse fut suivie de nouveaux progrès1.
La Compagnie, après un mûr examen, se décida
à rendre plus solennelle l'admission des catéchumè-
nes à la participation à la Satnte-Cène, et dans ce
but elle fonda une cérémonie collective et publique
précédant la communion. Cette question fut mise à
l'étude pendant deux années, et la première réception
eut lieu le mardi 14 décembre 1724 , avant la com-
munion de Noël. En ce jour, le formulaire d'admis-
sion, composé par J. -A. Turretin, fut prononcé avant
le sermon, et le moment où, pour la première fois,
tous les catéchumènes s'inclinèrent ensemble pour
prendre l'engagement de vivre et mourir en chrétiens,
fît battre tous les cœurs d'une puissante et religieuse
émotion 1 .
1. Reg. Comp. 24 mars 1719; 14 décembre 1721.
2. Néanmoins, pour des raisons non énoncées, on se borna à cette
première cérémonie et l'affaire fut reprise en 1734.
28
Cinq ans plus lard1, l'assemblée académique de-
manda la révision du catéchisme de Calvin, « qu'on
» fait apprendre dans toutes les classes du collège, et
» qui n'est plus intelligible pour les enfants. Elle in-
» siste pour qu'on en adopte un autre. »
La Compagnie propose de revoir le style, de re-
trancher les choses inutiles, comme les grands détails
sur les sacrements, et d'ajouter des sections de mo-
rale qui n'y sont pas. Nous n'avons pas pu trouver
la trace de la réalisation de ce projet.
\ 736. Nous arrivons2 à l'une des phases les plus
intéressantes de notre Église genevoise, la fondation
de la Société des Catéchumènes. La première idée en
est énoncée avec autant de piété que de modestie par
MM. Vemet, De la Rive et P. Picot. Us prient le syndic
Bonnet de rapporter au Conseil que des personnes pieu-
ses s'apercevant que notre peuple n'est pas instruitdans
la religion, comme il serait à souhaiter, se proposent
de travailler à mettre cette instruction sur un meilleur
pied; elles considèrent surtout les catéchumènes les
moins aisés, et désirent leur procurer un cours plus
complet, plus approfondi, surtout sous le rapport de
la morale, dont les détails si importants sont négligés
par les maîtres ordinaires.
1. Reg. Comp. 12 avril 1726.
2. Reg. Comp. 10 août 1736; Reg. Conseil, 14 mai, 9 juillet, 17 août
1736; Reg. Comp. 31 août 1736.
29
La Société, pour faciliter l'instruction de la jeu-
nesse, fut composée de toutes les personnes 1 qui, pour
ce bon dessein, donneraient au moins cinq écus par
an, pendant dix ans2. Son comité se forma de douze
citoyens renouvelés au bout de trois ans. La Société
établit, dès l'abord, deux classes de catéchumènes,
elle adopta pour manuel le catéchismed'Oslervald, mo-
difié d'après le consentement de l'auteur; elle nomma
deux catéchistes0, qui donnèrent chacun six leçons
par semaine. Le succès fut grand; la classe de la ville
compta 44-6 élèves; celle de Sainl-Gervais atteignit
la centaine ; mais le nombre des élèves augmenta si
1. Liste des Fondateurs de la Société dbs Catéchumknbs :
Magistrats : P. -F. Bonnet, syndic, 1050 florins par an. — H.-B. de la
Rive, conseiller, 1050. — Leclerc, conseiller, 1050. — F. Caille, audi-
teur, 525. — Galiffe, auditeur, 630.
Ministres : J.-Alph. Turretin, professeur, 1050 florins par an. — Mau-
rice, professeur, 1050. — Vial, pasteur, 1050. — De la Rive, profes-
seur, 1050. — Sarrasin aîné, pasteur, 630. — Lullin, pasteur, 1050. —
Mallet, pasteur, 630. — Vernet, pasteur, 525. — Sarrasin jeune, pas-
teur, 630. — Claparède, pasteur, 1050. — J. Rilliet, pasteur, 525.
Particuliers : Pierre Picot, 1050 florins par an. — Julian Dombre, 1050.
— Plantamour, 1050. — Jacques Delerme, 1050. — J.-L. Sabot, 1050.
— Paul Gaussen, 525. — Louis Picot, 525. — F.-B. Pache, 525. — J.-J.
Détournes, 525. — Perreaut, 1050. — Burlamaqui, professeur, 630. —
Samuel Rilliet, 525. — Perronet Des Franches, 1050. — Geramer, pro-
fesseur, 787. — J.-L. Calandrini, professeur, 630. — Jacques Lespiault,
525. — Pierre de la Roche, 787. — Jean-Antoine Pelissari, 525. —
Pierre Boissier, 1050. — Jean-Jacques Dejean, 525. — François Tar-
dieu, 787.
La liste est close le 27 août 1736.
Le Registre porte en N. B. : « On ne nomme pas ici les personnes qui
ont voulu que leurs libéralités fussent secrètes. »
2. Reg. Comp. 14 septembre, 23 novembre 1736.
3. Reg. Comp. 19 avril, 14 juin 1734.
30
rapidement dans ce quartier, que cinq mois plus
tard l'on nomma M. Sacirère comme troisième ca-
téchiste.
Le Conseil voulut donner une solennelle approba-
tion à cette Société : il publia une adresse au peuple,
où il développa1, avec une religieuse conviction, les
bienfaits de l'instruction littéraire et chrétienne pour
toutes les classes de la société. Il encouragea la nou-
velle association à fonder des écoles primaires pour
l'enfance. Ce vœu fut entendu : la Société des Caté-
chumènes organisa des classes destinées aux enfants
qui ne suivraient pas le collège. Dès-lors l'instruction
primaire, sous les auspices de celte association aussi
modeste que dévouée, suivit à Genève une marche
normale. Les écoles furent fréquentées régulièrement
au travers même des révolutions et dans les années de
la conquête française. Cette Société, constamment re-
nouvelée, ennemie de la routine, étudiait et mettait
en pratique les nouvelles méthodes, aussitôt qu'elles
paraissaient fructueuses.
Elle a bien mérité de la patrie durant les cent dix
années de son existence2.
L'instruction religieuse étant ainsi organisée, laCom-
1. Reg. Cons. 2 mars 1739.
2. Lorsqn'en 1846, le gouvernement a jugé à propos d'enlever à ce
corps ses fonds et l'administration de l'instruction primaire pour la
concentrer aux mains de l'Etat, il eut été conforme aux plus simples
notions de l'équité et des convenances de rendre témoignage, après
34
pagnie voulut lui assigner un dernier perfectionnement
en adoptant la réception publique des catéchumènes
à la Sainte-Cène 1 . On résolut de faire cette cérémonie
à Saint-Pierre et à Saint-Gervais, quatre fois par an,
les mardis et les jeudis qui précèdent les grandes com-
munions. Ces quatre réceptions annuelles eurent lieu
jusqu'en 1185. En cette année, on abolit la cérémo-
nie de Noël et la confirmation de Pentecôte, et dès-
lors ces réceptions ont eu lieu à Pâques et en sep-
tembre2.
Le nombre des catéchumènes a peu varié depuis
l'institution actuelle. La ville comptait 16,000 âmes
avant la Révocation. Ce chiffre s'éleva à 20,000 du-
rant le dix-huitième siècle. Voici le chiffre des caté-
chumènes à diverses dates. En 1757, 300; en 1760,
335; en 1794, 514; en 1810, 335; en 1823,
439; en 1860, 360 ou 423 avec la banlieue3.
Durant la seconde moitié du dix-huitième siècle,
en 17704, on s'occupait sérieusement de la réorga-
nisation du culte : M. Vernet publia un remarquable
l'avoir supprimé, aux services rendus par cette antique association ; en
particulier les nombreux Genevois qui lui devaient leur instruction
gratuite auraient pu descendre en leur conscience et ne pas oublier
les soins qu'avaient pris de leur enfance ces citoyens aussi zélés que
désintéressés.
1. Reg. Comp. 31 mai 1737 ; Reg. Conseil 2 mars 1739.
2. Reg. de la Société, 1785, 1786.
3. Mémoire sur la révision du culte.
4. Reg. Comp. 2 fév. 1770.
32
mémoire; il proposa de remplacer le catéchisme de
Calvin par celui d'Ostervald, et voici ses motifs: « Il
» est temps d'avoir un autre catéchisme; celui de
» Calvin se ressent trop d'avoir été composé à la hâte,
» et relativement à des controverses plus agitées que
» de nos jours. Tout le monde s'accorde à le trouver
» obscur et très-défectueux. Il n'y a plus ni père, ni
» précepteur qui s'en servent; les écoliers qu'on oblige
» de l'apprendre le font pour la forme, et souvent sans
» le comprendre. On avait une raison de le garder
» dans le siècle dernier, pour conserver la conformité
» avec les Églises de France; mais ce qui reste au-
jourd'hui d'Eglises réformées en France, n'en font
» plus d'usage. On pourrait le remplacer par le ca-
» téchisme d'Ostervald, tout autrement clair et com-
» plet, approuvé depuis plus de quarante ans. On
» s'en sert communément dans nos familles, dans les
» églises de campagne, dans notre collège de la So-
» ciété des catéchumènes. Qu'attendons-nous pour le
» porter dans les temples ? »
On recula devant cette moditication, vu que le
serment des minstres portait depuis 4 706 : « Vous pro-
mettez d'enseigner la doctrine chrétienne contenue
dans les Saintes-Écritures, et dont nous avons un som-
maire dans le catéchisme» . Vernet répondait: « Quel-
que autorité qu'on ait donnée à ce livre, cela ne peut
pas aller jusqu'à l'envisager comme règle de foi. Rien
33
n'empêche de transférer cette autorité à un autre ca-
téchisme. »
La délibération n'eut pas de suite; elle fut reprise
en 1787 *•; on proposa de faire un grand et un petit
catéchisme, d'après Ostervald, en conservant toute-
fois dans les temples le Manuel de Calvin.
Cela fut adopté , et le nouveau Manuel fut imprimé
en 17882. La même année, M. Vernet publia un
catéchisme, qui fut grandement approuvé par les
Genevois. Cet ouvrage était basé sur le désir de rallier
les chrétiens autour de quelques points fondamentaux
reconnus par tous les fidèles: Dieu Créateur, Provi-
dence, Jésus fils de Dieu, Rédemption, Résurrection,
don du Saint-Esprit3.
Les Genevois ont toujours mis une grande impor-
tance à l'instruction religieuse; une seule période
offre une triste lacune: c'est l'année 1785 \ où, à la
suite des révolutions et sous l'influence d'une détes-
table littérature, plusieurs jeunes gens ne se firent pas
instruire pour la communion. Il fut question de les y
obliger, sous peine de ne pas être membres du Con-
seil général; on y renonça; mais une sévère surveil-
lance diminua le mal , et durant la fin du siècle et
pendant les temps les plus orageux de la révolution,
1. Reg. Comp. 16 mars 1787.
2. Reg. Comp. 12 juin 1788.
3. Pièces justificatives.
4. Reg. Conseil, 21 mars 1785.
m. 3
34
les classes des catéchumènes furent au grand complet.
Voire même l'année 1794 offre 514 catéchumènes,
le chiffre le plus élevé des réceptions durant cent cin-
quante ans. Le catéchisme de la Madeleine, fait par
M. Martin Rey, présentait constamment une assem-
blée compacte et aussi nombreuse que ce vaste temple
pouvait la contenir.
En 1805, M. Duby déclare que le peuple mettant
plus d'intérêt aux catéchismes qu'aux sermons, il en
faut un de plus.
Nous devons offrir maintenant à nos lecteurs gene-
vois l'exposé rapide des modifications que les heures
de notre culte ont subies depuis la Réformation jus-
qu'en 1815 \
L'évêque Vergerio disait en 1557 : « Ils sont à
Genève sept ministres, qui donnent entre eux dix
heures de prédication, et deux ou trois chaque jour
de la semaine2. »
Cette définition est exacte; car, depuis la Réfor-
mation jusqu'en 1694-, il y eut neuf prédications ou
catéchismes le dimanche, et quatorze sermons les
jours sur semaine3.
Cette multiplicité des « actions » du culte public
1. Tableau. Pièces justificatives.
2 Grand mémoire, 1770.
3. Ces prédications étaient réparties entre 8 pasteurs desservant
comme suit les trois églises : Saint-Pierre, 3, dont un catholique ; Ma-
deleine ; 2, Saint-Gervais, 3.
35
était nécessaire. Le peuple, auparavant sevré de
toute instruction religieuse et de toute explication
rationnelle de la Parole de Dieu, avait besoin qu'on
la lui expliquât journellement. Les illettrés, si
nombreux au seizième siècle, trouvaient unique-
ment dans les temples l'élément nécessaire à leur
piété, et la foule se portait chaque jour aux offices
divins.
La première modification proposée 1 fut de changer
l'heure matinale de quelques services. En 1634., on
mit le premier sermon à sept heures. Bientôt les con-
seillers se plaignirent de ce changement, « qui leur
ôtait la douceur » d'assister à ce culte, vu l'heure de
leurs séances, et ils exigèrent « que les prières et le
» discours ne tinssent pas plus d'une demi-heure en
» tout. » La Compagnie ne voulut pas céder; elle ré-
duisit l'action à trois quarts d'heure, « ce qui est tout
» ce qu'elle peut faire, vu le grand nombre de per-
» sonnes qui viennent à ces sermons depuis qu'ils sont
» à sept heures en hiver2. »
Vers la fin du siècle 3 on désirait de sérieuses modi-
fications ecclésiastiques. En 1694, le Conseil chargea
une commission d'aviser à la diminution du nombre
des sermons. Une délibération solennelle4 de la Com-
1. Reg. Comp. 2 mai 163*.
2 Reg. 12 janvier 1638.
3. Reg. Comp. 16 février 1694, 4 mai.
4, Reg. Cons. 1 décembre 1694.
36
pagnie examina la proposition et nous fournit la
peinture exacte de l'esprit du temps.
Ceux qui repoussent le changement des cultes éta-
blis disent qu'une diminution de sermons fera parler
d'une manière odieuse contre les pasteurs; on trouve
que les sermons de la semaine, fixés à une demi-
heure, sont déjà un soulagement suffisant. « En ces
temps de misères et de calamités où nous nous trouvons
encore, avec la foule de réfugiés qui sont au milieu
de nous et se montrent affamés de la Parole de Dieu,
il y aurait scandale à ce retranchement. Nous deman-
dons surtout qu'on n'enlève pas les services de la
Madeleine et de Saint-Gervais, vu qu'un grand nom-
bre de bonnes âmes et de proscrits, à cause de leur
vieillesse et de leurs souffrances, ne peuvent aller à
Saint-Pierre depuis le faubourg. »
« Enfin, lorsque des temps meilleurs seront venus,
les pasteurs qui ne peuvent vivre avec leurs gages
actuels seront mal venus à demander une augmen-
tation. »
Les partisans du retranchement des heures de culte
objectaient que l'instruction s'étant répandue dans
toutes les classes, et la religion étant bien établie, la
controverse paraissait moins nécessaire qu'au temps
de la Réforme, et que cette multitude de sermons
dans tous les temples, à la même heure, n'était plus
si nécessaire. Les pasteurs, disaient-ils, sont tellement
37
chargés, qu'ils ne peuvent méditer convenablement
leurs sermons, et quoique jeunes encore, ils se trou-
vent épuisés par de fréquentes maladies, et les pères
de famille, témoins de ces fâcheuses conséquences,
détournent leurs enfants d'entrer au ministère. Enfin,
ceux qui blâmeront les pasteurs, sont les gens qui ne
viennent pas à l'Église par indifférence ou méchante
volonté. Du reste, le nombre des services ne sera pas
diminué; les sermons de la semaine seront remplacés
par des cultes composés d'une lecture d'un chapitre
accompagné d'une prière de méditation. Cet essai de
prières improvisées après la lecture d'un chapitre de
la Bible ne réussit pas dans les cultes de la semaine.
La forme d'invocation était mal choisie pour résumer
les vérités contenues dans les pages des Saints Livres.
Bénédict Pictet et J.-A. Turretin proposèrent de faire
suivre la lecture d'une brève explication, puis déter-
miner le service par une prière écrite. La Compagnie
goûta cet avis, et ces messieurs composèrent des
prières générales pour chaque culte hebdomadaire. Le
peuple se montra satisfait de ce changement, et ces
prières, avec quelques légères modifications, sont en-
core usitées de nos jours dans l'Église genevoise.
J.-A. Turretin était pénétré de la nécessité d'expli-
quer fréqemment et avec une noble simplicité la Pa-
role sainte aux fidèles ; dans ce but, il fit remplacer
1. Pièces just., tableau 3.
38
par des paraphrases évangéliques, les sermons de
cinq heures et de sept heures du matin.
Temple Neuf. À cette époque, la population fixe
delà ville s'élant portée de 16,000 à 20,000 âmes,
par suite de rétablissement des réfugiés de l'Édit de
Nantes, les temples se trouvèrent insuffisants, et la
réouverture de Saint-Germain ne répondait pas aux
besoins de la foule toujours empressée. Un citoyen,
dont la famille avait toujours marqué par son zèle
pour l'Église, le syndic Lullin, avait, en 4 713, légué
50,000 florins pour bâtir un nouveau temple1. Les
intérêts de ce legs, en attendant que la construction
projetée pût avoir lieu, devaient servir à soulager les
étudiants en théologie, trop pauvres pour achever
leurs études. Les fondements de ce temple furent po-
sés le 16 novembre 1 7 1 3 2, et le peuple félicita les
Conseils et la Compagnie du bien que causerait à
l'Église ce nouveau lieu de culte. Les entrepreneurs,
dirigés par l'architecte, M. Venue, mirent une telle
ardeur à leurs travaux, que vingt mois plus tard, le
15 août 1715, Bénédict Pictet « rapporte que le
» temple est presque achevé, et que tout le monde
» demande quand on commencera le service divin. »
Le Conseil décide que l'inauguration aura lieu le
1. Reg. Comp. 7 sept., 13 oct. 1713; 5janv., 9 fév. 1714; 15 août,
19 décembre 1715.
2. Reg. Cou». 23 janvier 1714; 16 décembre 1715.
39
15 décembre 174 5, et il prie Bénédict Pictet de
faire cette cérémonie en prononçant le premier ser-
mon. Le vénérable prédicateur, quoique brisé par les
infirmités et les épreuves, retrouva son ancienne éner-
gie pour bénir ce temple élevé par les soins de son
meilleur ami, et cette cérémonie solennelle laissa
une profonde impression dans la mémoire de la
foule qui encombrait le sanctuaire.
Nous ne dirons pas que les républiques sont in-
grates, mais certainement elles sont oublieuses. Qui
d'entre les Genevois d'aujourd'hui songerait à asso-
cier le nom de la famille Lullin à l'édification du Tem-
ple Neuf?
Saint- Pierre. Quelques années plus tard - , la cathé-
drale de Saint-Pierre menaçait ruine: le côté du nord,
el surtout la vieille et informe façade, présentaient de
larges fissures, et lorsque les grandes cloches son-
naient à toute volée, les débris qui se détachaient des
murailles inspiraient de sérieuses inquiétudes2.
Il fallait réparer le plus promptement possible cet
état de choses3. Un plan de restauration pour la fa-
çade fut proposé par M. Calendrin; le défaut de
cette conception était de trop multiplier les colonnes.
On profita du séjour momentané que faisait à Genève
1. Reg. Cons. 1 fév. 1749. 30 oct. 1750, 13 août 1751, 28 sept. 1756.
2. Reg. Comp. 13 août 1751.
3. Mémoire de M. Ed. Mallet, Album delà Suisse Romane, tome II.
40
le marquis Àltieri, oncle du célèbre poète. Cet homme
avait le génie des proportions et des grandes choses ;
il dessina une majestueuse colonnade en granit, et
réussit à faire un monument dont l'ensemble et les
proportions frappent d'admiration même lorsqu'on a
contemplé les plus vastes édifices de l'Europe mo-
derne.
Le plan était magnifique; mais la dépense s élevait
à 120,000 livres courantes, et l'État ne voulait point
faire de dettes. Les ressources étaient problémati-
ques. Le loyer des places dans l'Auditoire et dans
Saint-Pierre devait produire 59,000 livres; pour le
reste, le Conseil espérait une manifestation sérieuse
de la libéralité chrétienne des Genevois. Si cet élé-
ment ne répondait pas à son attente, il voulait frap-
per d'un impôt le tabac et les cartes à jouer, jusqu'à
la concurrence de 80,000 livres.
L'idée d'employer à la construction d'un temple
une semblable taxe peut paraître fort peu naturelle
chez des magistrats aussi sérieux que les chefs du
gouvernement de 174-1. Il y avait là peut-être un
calcul secret pour stimuler le zèle des citoyens. Quoi
qu'il en soit, Genève montra que si elle savait donner
sans compter pour les infortunes lointaines, ses en-
fants ne négligeaient pas leurs intérêts nationaux.
Deux personnes, Mme Mallet et le syndic Rilliet, im-
primèrent une vigoureuse impulsion à la souscription
de Saint-Pierre en remettant chacun 4000 livres
courantes. Le 15 août 1751, la Compagnie adressa
aux fidèles une chaleureuse allocution du haut de la
chaire. Ses paroles furent entendues le jour du Jeûne.
5 septembre. Les pasteurs purent remercier le peu-
ple de ce que les offrandes arrivaient de toute part.
Enfin, le jour de l'Escalade, les pasteurs annoncent
avec une profonde émotion que toutes les espérances
sont dépassées, que trois mois ont suffi pour recueillir
116,000 livres!
Ce qui rend cette somme précieuse, ajoute la pro-
clamation, « c'est qu'elle est produite non-seulement
» par les souscriptions élevées des personnes riches,
» mais par une multitude d'offrandes minimes témoi-
» gnant du zèle de tous les protestants genevois. »
Six ans plus tard, l'ouvrage était terminé, et le
5 décembre 1756 le culte recommençait dans la ca-
thédrale genevoise. MM. De la Rive et Sarasin firent
les services d'inauguration: un repas réunit les con-
seillers et les pasteurs, et fut terminé par les vœux
les plus ardents pour la prospérité de l'Église et de
l'État.
La consécration de ces deux temples augmenta
beaucoup le nombre des services religieux : les qua-
torze pasteurs de Genève durent célébrer 1 800 actes
de cultes sur lesquels 154. prières liturgiques, et
1072 sermons écrits. Chaque prédicateur composait
42
75 discours et montait en chaire 150 fois par an1.
Cet ordre de choses dura jusqu'en 1786. En celte
année, les Conseils réduisirent le nombre des cultes
à 1714-, ainsi divisés: 592 sermons, 112 catéchis-
mes, 1010 prières liturgiques. L'Église de Genève
conserva ces services religieux à peu près sans mo-
dification jusqu'en 1815.
Fêtes religieuses. La célébration de la Sainte-Cène
subit de sérieuses modifications légitimées par la mar-
che des temps. Calvin avait établi cette cérémonie
en ces termes : « 1° Avant la Sainte-Cène, on la dé-
» nonce au peuple, afin que chacun se prépare à la
» recevoir dignement 1 ; 2° qu'on n'y présente point
» les enfants, à moins qu'ils ne soient bien instruits;
» 3° s'il y a des étrangers qui soient encore rudes et
» ignorants, qu'ils viennent se présenter pour qu'ils
» soient reçus en particulier. Le jour qu'on la fait,
» le ministre en touchera à la fin du sermon, ou bien
» si métier est, en fait le sermon entièrement pour
» exposer au peuple ce que noire Seigneur veut dire
» et signifier par ce mystère, el en quelle sorte il
» nous faut le retenir. »
Le dimanche où se célébrait la Cène, après les priè-
res ordinaires, on ajoutait une collecte, soit invocation
spéciale, puis le pasteur prononçait la liturgie de la
1. Reg. Comp. grand Mémoire, 1770.
2. Liturgie de Calvin.
43
Sainte-Cène. Durant la communion, le proposant li-
sait des chapitres de l'Écriture, entremêlés de ver-
sets de psaumes. La liturgie est simple; elle expli-
que en termes précis la nature de la communion,
l'assurance du salut , le pardon accordé à celui qui
participe spirituellement à la cérémonie.
« Après la célébration, on faisait une exhortation
serrée pour faire comprendre au peuple les raisons
qu'on avait eues de renoncer au sacrement romain. »
Celte liturgie des réformateurs reçut dans sa forme et
son contenu de sérieuses modifications1. Au commen-
cement du dix-huitième siècle on abolit l'exhortation
concernant le culte catholique. On traduisit presque
littéralement, dans la langue purifiée, l'exposition du
dogme, et l'on abrégea considérablement la prière de
la fin du sermon; enfin, l'on chanta les cantiques de
Bénédict Pictet, à la place des psaumes. En 1789 et
18(H, un changement essentiel fut fait à la formule
d'excommunication : l'ancienne liturgie contenait ré-
munération de tous les péchés qui peuvent éloigner
de la Sainte-Cène , et mettait sur le même pied des
fautes qui n'ont évidemment point la même impor-
tance morale. Le clergé genevois fil une réduction
sérieuse, et l'on se borna à énumérer les vices les
plus graves. Pour nous, nous allons plus loin, et
nous demanderons qu'on ne prononce, à l'avenir,
1. Reg. Comp. 25janv. 1709, 15mars 1711, 25 janv. 1715, 20oct. 1705.
que l'exclusion des impies et des pécheurs endurcis. »
A la même époque on abolit également la Doxo-
logie de Calvin, qui terminait le culte par ces mots :
« Jésus, ton fils, qui est l'unité du Saint-Esprit, vit
et règne avec toi , Dieu béni éternellement. » Elle
fut remplacée par : « Jésus-Christ auquel , comme à
toi , Père céleste et au Saint-Esprit, soient honneur
et gloire. »
Calvin, de concert avec l'Église protestante fran-
çaise, établit que la Sainte-Cène serait célébrée qua-
tre fois Tan : les jours de Pâques et de Pentecôte, le
premier dimanche de septembre et le dimanche pré-
cédant le jour de Noël.
« En 4 687 \ la population protestante ayant no-
tablement augmenté, le Conseil propose qu'on com-
munie deux dimanches de suite. Cela est adopté, à
dater de Pâques 4 688. »
Dans la délibération qui a lieu à ce sujet, M. Pictet
rapporte que les communiants gardent quelquefois le
pain consacré comme amulette portant bonheur; on
se sert surtout de ce pain dans la nuit de Noël pour
interroger l'avenir. « A visé de prendre garde et d'ins-
truire vigoureusement le peuple à la première occa-
sion. »
Une question analogue se présenta en 17032.
1 Reg. Comp. 16, 23 déc. 1687.
2. Reg. Comp. 6 avril.
45
L'usage était qu'on bénît le pain et la coupe en s'a-
dressant au pasteur avec qui l'on célébrait la Cène.
La proposition fut faite d'imposer les mains sur le
pain et la coupe en prononçant les paroles de Jésus-
Christ ou de saint Paul. « La Compagnie s'opposa
» fortement à cette modification, et décida qu'on s'a-
» dresserait au pasteur, comme auparavant, de peur
» qu'on ne croie point que nous consacrons le pain
» et le vin , ce qui est contraire à la foi de notre
» Église. »
Enfin, dans la grande révision du culte en 1786,
on ajouta un service de communion, à cinq heures
du matin, à Saint-Pierre et à Sainl-Gervais, le jour
de la grande fête. En 1810, le service de Saint-
Pierre fut transféré à la Madeleine.
Noël. Nous avons dit au commencement de ce cha-
pitre que la fête de Noël ne fut pas établie par Calvin,
et que sa célébration n'eut lieu à Genève que vers la
fin du dix-septième siècle.
Voici les diverses phases que dut subir ce culte
avant d'être définitivement adopté par l'Église gene-
voise 1 .
Jusqu'en 1658 aucun service religieux ne solen-
nisait le 25 décembre. «En celte année, le Petit
» Conseil exprima le désir que l'on fêtât cette journée;
» il délara que le peuple voulait positivement qu'à
1. Reg. Comp. 12 janvier 1638.
46
» l'avenir on fît un culte, et pour bien marquer leur
» intention, nombre de boutiques ont été fermées par
» les citoyens, sans ordre de l'autorité, et en le fai-
»sant, on se conformerait à l'exemple des Églises
» de Suisse et d'Allemagne. » La Compagnie ne fut pas
de cet avis, et voici ses raisons: « On ignore, dit-elle,
» absolument le jour précis de la nativité du Sau-
» veur : les uns l'observent en mai, les autres eu avril,
» les autres en octobre. Le jour de fête est indif-
» férent ; pourvu que nous remmentions sincèrement
» et religieusement le grand bienfait de la nativité,
» peu importe le jour; d'ailleurs, nos prédécesseurs
» ne l'ont pas jugé à propos, quoique diverses fois la
» proposition en eût été faite, et la Compagnie s'en
» tient à la pratique de nos ancêtres; elle ne veut pas
» ouvrir la bouche aux gens mal avisés qui disent que
» nous n'avons rien de fixé , et que nous chan-
» geons tous les jours. 11 ne faut pas remettre sous
» l'observation des jours et des mois. Toutefois, la
» Compagnie ne décide rien ; la question demeure
» pendante. » (Reg. 1650.)
Une nouvelle tentative eut lieu en 1 67 5 1 . Le
syndic Grenus propose qu'on célèbre la fête de Noël
ainsi qu'on le pratique dans toutes les Églises réfor-
mées, sans changer néanmoins le jour de la Sainte-
Cène. La Compagnie supplie qu'on n'en fasse rien;
1. Reg. Comp. 24 décembre 1675; Reg. Conseil, 21 décembre.
47
elle représente les arguments de 4 658, et le Conseil
se range à cet avis.
Cependant, le peuple manifestant de plus en plus
son désir de célébrer la nativité, le Conseil voulut
vaincre la résistance des pasteurs, et comme il déci-
dait en dernier ressort1 touchant les affaires du culte,
il ordonna, en 1694, qu'on prêchât le jour de Noël
dans les trois temples2.
La Compagnie, obligée de céder, protesta de nou-
veau. « Nous ne connaissons pas le temps exact de la
nativité, et nous craignons les superstitions que le
peuple attache à ce jour; il est certain qu'il croit
acquérir des avantages réels en assistant au culte3.»
Dès-lors le jour de Noël 4 fut célébré par un culte
dans les trois temples l'après-midi. En 1705, l'on
chanta, pour la première fois, le Te Deum mis en
vers par Bénédict Pictet, « et l'on rapporta aux Con-
seils que l'édification avait été grande. »
Le jour de Noël était donc consacré par un culte;
mais il fallut vingt-cinq années avant que les discus-
sions sur ce sujet fussent closes. En voici le som-
maire :
1. Reg. Comp. 23 décembre 1697.
2. Reg. (Ions. 21 décembre 1607.
3. Le 23 mars 1703, Neuchâtel écrit pour qu'on fête Noël et l'Ascen-
sion en communauté d'esprit. La Compagnie déclare qu'elle a de
bonnes raisons pour ne pas faire de cela un jour férié; qu elle ne
blâme pas ceux qui l'observent, et que Messieurs de Neuchâtel doivent
examiner ce qui leur parait le plus édifiant pour leur Église.
4. Reg. Comp. 25 décembre 1705, 25 mars 1707.
48
« En 1717, le peuple faisant fête1 et fermant les
» boutiques dès le matin, la Compagnie pria le Con-
» seil de prendre des mesures pour que rien ne fût
» changé, et que, hors des heures des sermons, on
» travaille comme à l'ordinaire2. »
» En 17193, le Conseil poursuivant son plan de
» faire de Noël un jour de fête complet, ordonna que
» les sermons se feraient le matin, qu'on sonnerait
» trois coups comme les dimanches ordinaires, mais
» que chaque citoyen, après le sermon, rouvrirait sa
» boutique et irait à ses affaires. La Compagnie dé-
» cide qu'on ne dira rien de particulier sur la fête
» dans les sermons. Le Conseil, de son côté, suit le
«mouvement populaire, ne tient point de séance,
» ferme les bureaux et vient en corps au culte
«Ce qui mécontente fort trois pasteurs, MM. Vial,
» Bordier et Després, qui prêchent contre les fêtes
» et montrent les raisons qu'il y a de ne pas les so-
•> lenniser. »
Ils sont mandés devant le Conseil et censurés; ils
avouent avoir blâmé la cérémonie, mais non le Con-
seil qui avait célébré un peu plus qu'à l'ordinaire.
La question revient au bout de deux ans sur le
tapis : on décida en outre de fêter l'Ascension 4, et la
1. Reg. 2 juillet 1717.
2. Reg. 15 décembre 1719.
3. Janvier 1720.
4. Reg. Cons. 1722. Ascension, 3 juin, Noël.
49
Compagnie, tenace jusqu'au bout, décréta ce qui
suit : « Comme notre Église ne regarde pas aux fêtes
» en dehors des dimanches, on s'en tiendra aux ser-
» nions actuels, en disant bien au peuple qu'il peut
» travailler ces jours-là. »
Enfin, la dernière protestation eut lieu en 1728 \
La Compagnie blâme les régents de n'avoir pas tenu
le classe le jour de Noël. Dès-lors un silence complet
•ègne sur ce sujet dans les registres. Mais, dès l'an-
lée 1750, la fête reçut une consécration dernière,
somme l'atteste la liturgie imprimée dans cette année.
Solennités nationales, Escalade et Jeûne12 . Le sou-
tenir de la victoire du 12 décembre 1602 fut tou-
ours fêté avec un religieux empressement : on prê-
chait des sermons historiques dans chaque temple,
;t le récit de la victoire se mêlait aux remontrances
iuggérées parles événements heureux ouïes épreuves
les jours contemporains. Une des plus remarquables
médications, touchant l'Escalade, eut lieu en 1668.
STon-seulemenl on déplorait les persécutions dirigées
'outre les frères de France , mais encore Genève
;tait en butte aux agressions répétées de la Savoie.
Voici la délibération des Conseils et de la Compa-
gnie : «On touchera, eu égard à la circonstance des
> temps où nous sommes, la merveille de la déli-
1. Reg. Comp. 31 décembre 1768.
2. 4 février 1668.
III.
50
» vrance que Dieu envoya à nos pères, et celle de
» son grand support envers nous, qui en est une con-
r> tinuation. Il faudra insister sur notre endurcisse-
» ment qui fait que nous ne profilons ni des visita-
» tions qui sont déployées ailleurs, ni des menaces
» qui nous sont faites de temps à autre. Nous devons
» puissamment exhorter un chacun à la repentance,
» se détournant de l'impiété et de la profanité qui se
» voit au mépris de la Parole de Dieu, comme aussi
» de la profanation du jour du repos, et de l'injustice
» et des souillures qui paraissent par infidélités, adul-
» tères distractions, vols et médisances envers le pro-
» chain... Par les courses et les rilleries, faudra re-
» prendre ces vices et excès, induire fortement toutes
» personnes à s'acquitter de leur devoir. Louer iMes-
» sieurs du Conseil de ce qu'ils font pour remédier
» aux brigues, les prier de tenir la main pour que
» cela soit ponctuellement exécuté, qu'ils tiennent à
« rendre bonne et brève justice, arrêtant les chica-
» nés, châtiant les téméraires plaideurs, punissant
» les crimes.
» Quant au peuple, il faudra presser à ce que
» renonçant au train passé, il s'adonne à la piété,
» prenant instruction et profitant des saintes renion-
» trances pour être constant en la profession de la
» vérité, mettre bas la sécurité, vivre en la crainte
» de Dieu, en exerçant la charité envers les pauvres,
54
» et vivant ensemble en bonne union et concorde. »
4 701. Un changement de douze jours ayant été
fait dans le calendrier, l'Escalade se trouva tomber
dans la semaine de Noël, et la Compagnie ayant
délibéré sur les inconvénients de mettre la fête si
près de la Cène, on décida de la transporter au jour
du 12 décembre nouveau1.
La fête de l'Escalade2 fut interrompue en 1785 :
le roi de Sardaigne avait offert sa médiation dans les
troubles poliliques , et son influence avait contribué
à assurer le triomphe du gouvernement. « En retour,
pour reconnaître les bons services de Sa Majesté Sarde,
les magistrats ont aboli la fête de l'Escalade et supprimé
les sermons. » La Compagnie protesta sérieusement,
mais elle ne fut pas écoutée. Le roi de Sardaigne fit
remercier le gouvernement genevois en ces termes :
« Il a été très-sensible au nouveau témoignage, en
écartant tout ce qui pouvait contribuer à entretenir
le souvenir d'anciens préjugés si contraires au bon
voisinage entre les deux Étals. »
Le 28 novembre 1793 3 est lue une adresse du
club fraternel des révolutionnaires de la Montagne.
1. La plus solennelle Escalade eut lieu en 1702. Les pasteurs re-
mercièrent l'Éternel, qui avait permis de terminer en paix ce siècle
après le grand événement qui était arrivé cent années auparavant.
Regist. 8 décembre 1702.
2. Escalade révolut. Reg. 8 décembre 1794.
3. Reg. Conseil, Reg. Comp.
52
Pour complaire aux despotes, dit cette adresse, l'a-
ristocratie supprima l'Escalade en 1785, mais le jour
auquel on célébrait celte fête étant le même que celui
où, en 1792, l'Assemblée souveraine consacra l'éga-
lité, il faut rétablir l'Escalade. Adopté que le 12 dé-
cembre prochain, en l'anniversaire de nos délivran-
ces, nos temples retentiront des actions de grâces en-
vers l'Être suprême,
Ce culte fut de nouveau supprimé sous la domina-
tion française. Cette fête n'avait plus de signification,
et dès-lors on l'a célébrée dans l'intérieur des fa-
milles, et on y apporte d'autant plus d'entrain dans
des occasions où les sentiments nationaux protestants
ont de justes motifs d'être froissés.
Nous avons décrit dans les volumes précédents la
solennité du Jeûne telle qu'elle fut instituée au temps
de la Réformation.
Pendant le dix-septième siècle, Genève, de concert
avec les villes évangéliques de la Suisse, célébra des
jeûnes chaque fois que de grandes épreuves frappè-
rent les Eglises réformées. En 1698, Berne, Zurich
et Genève, décidèrent d'instituer un jeûne annuel qui
fut fixé au premier jeudi de septembre. Le souve-
nir lointain de la Saint-Barthélemy (24 août), les
misères récentes de la Révocation (5 octobre), firent
choisir ce moment de l'année. Dès-lors cette fête fut
si intimement liée aux affections nationales, qu'à
55
peine fût-elle interrompue pour une année durant les
plus mauvais jours des révolutions de la fin du dix-
huitième siècle. On la solennisa sous la domination
française (4 798 à 184 5). Les Genevois qui espé-
raient le retour de leur indépendance nationale, se
réunissaient avec ferveur dans les temples. La fête du
Jeûne, en 4845, consacra l'entrée officielle de Ge-
nève dans la patrie suisse, et d'âge en âge les Réfor-
més helvétiques voudront renouveler en ce jour la
promesse de conserver les principes chrétiens, fon-
dements de leur sécurité et de leur bonheur.
54
CHAPITRE II.
VIE RELIGIEUSE ET MORALE DANS L'ÉGLISE
DE GENÈVE
Al' DIX-SBPTIÈMB ET AU DIX-HUITIKMB SIÈCLES.
Description de la vie sociale et religieuse au dix-septième siècle. —
Les trois classes des citoyens. — La vie intérieure et le ménage. —
La chambre de réforme. — La prospérité et le luxe au dix-huitième
siècle. — Si. Vial et le luxe. — Réaction en 1746. — Nouvelles ordon-
nances somptuaires. — Mémoire de M. Maurice sur l'immoralité. —
Voltaire à Genève. — Écrits licencieux. — Robert Covelle. — La
comédie à Genève. — Le théâtre jugé par la Compagnie. — Voltaire
et le théâtre — Ses succès et ses revers. — Vue générale sur le
caractère moral du dix-huitième siècle.
La vie sociale des Genevois était empreinte d'un
rigorisme qui rappelle les règles monastiques des cou-
vents les mieux gouvernés ; les ordonnances somptuai-
res étaient respectées par la généralité des citoyens.
L'esprit des réformateurs inspirait les hommes du
dix-septième siècle. La frugalité, l'amour du travail,
l'ordre et l'esprit d'économie, régnaient dans les fa-
milles protestantes, et les infractions à cette sévérité
républicaine étaient des exceptions dont la rareté
attestait la dignité morale d'une nation librement
soumise à l'esprit évangélique. Les occupations de la
journée commençaient en toute saison vers cinq heu-
res du matin. La plupart des citoyens se rendaient
au temple avant d'aller au travail.
55
L'intérieur des maisons n'offrait aucune trace de
bien-être; les meubles, les sièges, étaient de bois
sculpté, et une propreté minutieuse constituait tout
le luxe des Genevois. Dans un climat aussi rigoureux
que celui de la vallée du Léman, nos ancêtres pa-
raissaient insensibles au froid. L'exposition favorable
des appartements, la recherche de la lumière et du
soleil n'entraient poinl en ligne de compte dans le
choix d'une demeure. Les cheminées étaient des ob-
jets de luxe réservés pour les jours de cérémonie; on
se chauffait à des brasières, et le seul feu allumé brillait
dans la cuisine . Autour de ce foyer, la famille genevoise
prenait ses repas sévèrement réglés parles ordonnances
qui ne permettaient que deux plats au plus, viande
et légumes pour les personnes riches ou aisées. La
cuisine servait également de rendez-vous de conver-
sation. Ce mode de vivre frappait d'étonnement les
étrangers venus pour visiter quelque grand théolo-
gien genevois ou des magistrats portant un nom res-
pecté dans les cours. Quel que fût son rang, le voya-
geur prenait place auprès du foyer où cuisaient les
aliments de la journée; la dame du logis, assise près
de la fenêtre , faisait ou raccommodait les habits de
ses enfants, et le professeur ou le magistrat n'intro-
duisait le nouveau venu dans son cabinet de travail
que pour traiter des affaires concernant l'État ou
l'Église.
56
Sans doute, ces mœurs pouvaient paraître mes-
quines aux habitants des grandes villes; «mais, di-
sait un noble personnage, lorsqu'on connaît le cou-
rage persévérant de ces républicains pour garder leur
indépendance, les sacrifices qu'ils supportent dans
les temps de persécutions et de troubles religieux,
on respecte cette simplicité , et l'on comprend que
les choses devaient se passer ainsi dans l'Eglise pri-
mitive1. »
Les citoyens genevois se divisaient en trois classes
reconnues par la loi : les nobles, comprenant les fa-
milles qui comptaient des magistrats (syndics ou con-
seillers) parmi leurs membres.
Dans la seconde classe se trouvaient les profes-
seurs, les pasteurs, les avocats, les médecins et les
marchands.
Enfin, la troisième classe renfermait les artisans,
les ouvriers et les domestiques.
Un costume, exactement spécifié, distinguait les
divers ordres sociaux. Un auteur français en a laissé
la description suivante2 :
« Les habits sont fort modestes : les Genevois, qui
fabriquent de si beaux velours pour les étrangers,
n'en portent point eux-mêmes; les nobles seigneurs
qui gouvernent la République, les professeurs et les
1. Archives de Turin. Ambassade à Genève, 1670.
2. Davily, 1660, Description de l'Europe.
S7
ministres, ont des vêtements de bonne serge et des
manteaux ornés de fourrures ; le drap est permis aux
marchands de la seconde classe; les demoiselles de
la noblesse portent un chaperon de velours serré à la
tête, nommé frontal ; les femmes du tiers-état se ser-
vent de la même coiffure en taffetas, qu'elles appel-
lent scoffron; enfin, les épouses des artisans se con-
tentent d'une simple coiffe de toile, qu'elles portent
sous un chapeau. »
Cette existence des classes, fâcheux héritage de la
féodalité, suscitait fréquemment des querelles inter-
minables entre les citoyens1. Les limites ne pouvaient
pas être établies d'une manière rigoureuse; souvent
la désunion entrait dans les familles lorsque dé jeunes
gens admis dans le tiers-état , à cause de leur profession
lettrée, continuaient à vivre avec des parents revêtus
du costume de la dernière classe. Mais tel était l'en-
têtement de ces vieux républicains, que personne
n'aurait songé à demander l'abolition de ces distinc-
tions de rangs considérées comme les récompenses
naturelles du succès dans les carrières politiques, com-
merciales ou savantes. Ces carrières étaient ouvertes
aux jeunes hommes de toutes les classes, et grâce au
collège, ils pouvaient franchir les barrières sociales
élevées entre leurs devanciers.
Celte simplicité dans la vie domestique se maintint
1. Reg. Cr>mp. 20 mars 1668. Reg. Cons. 2 mars 1714, etc.
58
chez la plupart des Genevois, au travers des crises
sociales qui bouleversèrent la cité protestante pendant
le dix-huitième siècle. L'esprit et les mœurs de la ca-
pitale française trouvaient des imitateurs chez quel-
ques personnes riches; mais la plupart des familles
attachées à leur antique simplicité, conservaient avec
orgueil les coutumes nationales des temps anciens
auxquels elles devaient leur liberté sociale et leur in-
dépendance politique. Quelques livres de compte et de
ménage nous initient aux détails de la vie intime de
nos ancêtres dans la première moitié du dix-huitième
siècle. Ce n'est pas sans émotion que nous lisons dans
les pages de ces archives de famille, ces paroles appe-
lant la bénédiction divine sur les premiers jours de
l'année: « Mon Dieu, je te bénis de la continuation
» des bienfaits que tu répands sur moi et sur ceux
» qui m'appartiennent. Que ma plus grande joie soit
» de faire ta volonté et de te témoigner, par mon
» attachement à ton service, ma vive reconnaissance.
» Seigneur, fais-moi la grâce de voir approcher ma
» fin sans frayeur, et que je sois trouvé fidèle dans
«-mon administration. »
Les dépenses courantes des familles riches va-
riaient de 12 à 18,000 florins par an. La sobriété
et l'abondance régnaient dans leurs demeures. Les
pauvres tiennent une large place dans les livres de
compte. En moyenne, le douzième des revenus est
59
consacré à des charités régulières, et des pensions
sont remises en grand secret à des personnes de la
haute noblesse protestante, qui cachent dans Genève
leur qualité et leur religion.
Tel était l'aspect général de la vie morale dans la
vieille République réformée; mais ces mœurs rigides
offraient, on le conçoit, de tristes exceptions, et sou-
vent le Consistoire et les magistrats devaient s'oppo-
ser aux invasions du luxe, des récréations bruyantes,
du jeu et de la débauche. En retraçant cette lutte de
l'esprit du temps contre l'esprit moral de la Réforme,
nous reproduisons les réserves que nous avons faites
pour le seizième siècle. Le Consistoire eut fréquem-
ment le tort grave de confondre les récréations inno-
centes avec les excès fâcheux , et ce défaut d'appré-
ciation, cette ignorance absolue des circonstances atté-
nuantes, causa de nombreuses révoltes, et produisit
maintes fois des actes de soumission apparente et
d'hypocrisie aussi blâmables devant le juge suprême
que les violations ouvertes de la loi évangélique.
Le luxe dans les habits, les règlements rigoureux
interdisant les frais excessifs dans les fêtes de famille,
furent le sujet de luttes permanentes contre le Con-
sistoire. On ne pouvait se soumettre à la loi qui éta-
blissait une constante uniformité dans les vêlements,
et il devenait très-difficile de modérer les dépenses
dans les jours où les cérémonies du mariage ou du
60
baptême remplissent de joie les parents, et où Ton
aime à échanger des cadeaux et des marques de sou-
venir. Les nouveaux époux, les pères de famille trou-
vaient très-dur d'attendre (selon l'ordonnance) quinze
jours ou trois semaines avant de pouvoir acheter des
présents pour la jeune mère ou la nouvelle mariée.
Les infractions à ces défenses devinrent si nombreu-
ses, que le Consistoire sollicita rétablissement d'un
corps spécial chargé de les réprimer, et une chambre
de réforme fut constituée en 4 645 l. Les magistrats,
membres de cette espèce de tribunal, s'engagèrent
par serment à révéler toutes les contraventions aux
lois somptuaires qu'ils découvriraient chez leurs amis
et dans leurs familles. Les peines infligées étaient des
remontrances ou des amendes variant de dix à cin-
quante florins. Les châtiments pécuniaires rappor-
taient en moyenne 1500 florins par an, ce qui porte
à soixante les contraventions annuelles aux lois tou-
chant le luxe. Cet argent était distribué aux pauvres.
On ne peut retenir un sourire en lisant ces cahiers
de la chambre de réforme, où de graves magistrats
discutent touchant la richesse des ornements ou la
nature réelle des étoffes. Les dames montrent une
extraordinaire habileté en plaidant la cause de leur
1. Reg. de la chambre de réforme, hôlel-de-ville, Genève. Elle fut
composée d'un syndic, trois conseillers, un auditeur, le procureur-
général, trois membres du Deux-Cents.
61
toilette, et les plus aigres discussions concernent les
perruques, la poudre et la dimension des coiffures.
Toutefois, Finstinct de la légalité était si profond chez
les Genevois, que cette police touchant les vête-
ments obtenait le^ honneurs dus à une mission sé-
rieuse.
Ces contraventions aux ordonnances somptuaires
furent très-rares durant les funestes années de la Ré-
vocation. Les sacrifices journaliers que le peuple ge-
nevois dut s'imposer pendant quarante années, ne
permirent guère de songer au luxe de la table et des
vêtements. Mais, vers Tannée 1715, il s'introduisit
à Genève de notables améliorations locales. D'impor-
tantes opérations financières enrichirent nos ancê-
tres; des entreprises commerciales, exécutées dans
les Indes, rapportèrent des gains immenses, et les
folies de Law elles-mêmes furent une source de pros-
périté pour les spéculateurs genevois, qui réalisèrent
leurs actions longtemps avant la débâcle. Ces familles,
dont le patrimoine décimé par les sacrifices des temps
antérieurs, recevait maintenant de larges subsides,
consolidèrent ces gains inespérés, et construisirent
ces élégantes et vastes demeures qui forment le quar-
tier de la ville haute; des hôtels remplacèrent les gran-
ges et les masures étroites qui entouraient la maison
de ville . On viola l'article 5 des ordonnances de 1 7 1 8
et 1746, qui défend « tout buste et statue à Texte-
62
rieur des murailles, tout excès de sculpture et de
cariatide, » et des décorations architecturales inusi-
tées s'étalèrent aux façades des nouvelles demeures.
Un développement de prospérité matérielle ne pou-
vait manquer d'introduire une profonde modification
dans les habitudes sociales : « Nous avons des portes
» cochères, dit un pasteur; mais par ces portes co-
» chères le luxe entre à deux battants. » En effet, un
assez grand nombre de citoyens faisaient de longs
séjours à Paris, et ils en revenaient, cela se comprend
aisément, fort peu charmés de leur précédente ma-
nière de vivre. A des hommes qui venaient de briller
sous des habits de velours et de soie, de voir de près
les splendeurs de la cour et les magnificences du théâ-
tre, de jouir du charme des conversations et de l'es-
prit de ces admirables causeurs du dix-septième siècle,
il faut avouer que la puritaine Genève devait paraître
bien sombre et bien froide. Il était dur de renfermer,
de par la loi, les habits brodés, les dentelles, les
bijoux, pour revêtir la bonne serge et le drap noir,
seuls autorisés par les ordonnances. Ces privations
excitaient d'amers regrets, et les fêtes, les comédies
et les violons de la capitale retentissaient en bruyants
souvenirs dans une vie monotone, compassée et plus
sévèrement réglée que celle de bien des couvents. Sous
cette impression, on lançait des épigrammes d'abord,
puis on donnait des fêtes en dépit des amendes et des
63
peines consistoriales; on murmurait, on se révoltait
fréquemment de fait contre les ordonnances somp-
tuaires; l'antipathie qu'inspiraient ces prescriptions
surannées ne se donnait pas la peine du raisonnement,
et nul, parmi leurs adversaires, ne songeait à se de-
mander si la République pourrait subsister en adop-
tant le luxe, les usages de la France, et surtout son
élégante corruption.
Cet état de choses amena la Compagnie à manifes-
ter une sévérité inaccoutumée. M.Vial De la Rive
fut chargé de porter la parole devant les Conseils
(15 janvier 1725), et son mémoire nous montre les
changements que la fréquentation de la société de la
capitale française avait opérés dans Genève.
* Vous n'avez, dit l'orateur chétien, plus aucun
souci de la vertu et de la simplicité de vos pères. Vos
magnifiques maisons, dont on charge les faces de têtes
et de sculptures, sont condamnées par les ordonnan-
ces; ces immeubles sont d'un prix si excessif, qu'il
se trouve peu de pères qui puissent en faire le par-
tage d'un seul entre leurs enfants. Vous violez les
lois avec ces riches tapis, ces grands miroirs, ces
meubles fastueux dont vous remplissez plusieurs
chambres. Vous offensez la morale par ces étoffes
éclatantes, ces dentelles de prix que vos femmes éta-
lent chaque jour aux yeux du public, et par ces
beaux carrosses sortant à toute heure. Et que dirais-
64
je de cette multitude de festins dans la ville, à la cam-
pagne pour les plus petites occasions? Une chose plai-
dante, si elle n'était pas profondément triste, c'est
votre habileté pour éluder la prescription concernant
les repas de noces. Vous avez trouvé le secret de ré-
galer trente ou quarante personnes en paraissant obéir
à l'ordonnance qui ne permet pas d'en inviter plus
de vingt-quatre, et vous donnez à manger à cinq écus
par tète, en faisant accroire que votre repas ne coûte
que quatre livres dix sous selon les lois. Et que di-
rons-nous de la magnificence de ces repas où la vo-
lupté entre dans l'âme par tous les sens, de la pro-
fusion qui y règne, de la diversité des vins étrangers,
de l'étalage pompeux qu'on fait de la vaisselle, soit
d'argent, soit de porcelaine, que le maître du logis
prodigue par orgueil, et que les convives louent par
flatterie? — Les chefs de famille négligent leurs de-
voirs les plus essentiels, tout occupés de leur faste,
de leurs plaisirs; ils oublient leur intérieur, laissent
gâter leurs affaires, pourvoient fort mal à l'éducation
de leurs enfants. Le sommeil et la toilette emploient
toute la matinée; les visites inutiles, le jeu, la pro-
menade consument le reste de la journée. A peine la
nuit peut-elle les ramener dans leur maison qui se
trouve abandonnée quatre ou cinq jours de la semaine
à l'avidité et au pillage des domestiques.
» Le luxe amène les paysans dans la ville, où ils
65
trouvent à subsister comme domestiques, plus agréa-
blement et avec moins de peine. Le luxe empêche
les jeunes gens de se'marier, sachant qu'ils ne pour-
ront entretenir honorablement femme et enfant; il
excite ainsi au libertinage, le célibat n'étant qu'une
apparence. Ce luxe perdra la République. Les escla-
ves du luxe ne peuvent faire des sacrifices dans les
temps sérieux. Il faut être libre de son temps et de
son argent pour servir l'Etat, et c'est dans les années
où Genève était la plus pauvre, qu'elle fit les plus
grands efforts en faveur de sa liberté. »
Si les modes françaises régnaient dans une partie
notable de la société récemment enrichie, d'autre
part, les Genevois de la vieille roche résistaient au
torrent : un grand nombre de familles distinguées et
l élite de la bourgeoisie demandèrent une révision
des ordonnances somptuaires, et s'engagèrent, une
fois cette révision opérée, à les observer scrupuleu-
sement. Cette nouvelle rédaction était nécessaire, vu
que les modes et les étoffes des siècles antérieurs se
trouvaient hors d'usage; en sorte que les prescrip-
tions touchant les habits du temps de la Réforme
n'avaient plus de signification. Dans ces ordonnances
de 1747, nos ancêtres montrent une sévérité pleine
de goût; ils proscrivent les étoffes de couleur trop
voyante, et organisent une croisade contre les paniers,
les dentelles, le timballes, et généralement tout ce
m. s
66
qui tend à déformer l'apparence naturelle de> per-
sonnes. Plus tard, les limites de l'ordonnance furent
élargies; car en 1776 nous voyons le Conseil rendre
une ordonnance qui permet aux dames des coiffures
de trois pieds de hauteur.
Ces ordonnances fixèrent également les usages de
famille, et conservèrent scrupuleusement les trois clas-
ses de la société.
Ainsi, les trousseaux de mariée ne devaient point
dépasser mille livres pour les gens de distinction ;
quatre cents livres pouvaient être dépensées par les
marchands, et rétablissement des jeunes ménages,
parmi les ouvriers, coûtait 80 livres. — Les dentelles
portées par les dames de condition coûtent deux écus
l'aune au maximum. La moitié de ce prix est permise
aux femmes de seconde classe, et les épouses des
ouvriers ne doivent pas dépenser plus de trois florins
pour leur coiffure.
Les danses, qui étaient à juste titre appelées en
\ 650, « le faubourg du libertinage et l'apprentissage
de la galanterie, » avaient subi de sérieuses modifica-
tions, grâce aux progrès de la civilisation et de l'élé-
gance dans les manières et les paroles; aussi, quoique
l'ordonnance de 1 74-7 sévisse encore contre les bals,
ces divertissements sont permis dans toutes les fêtes
de famille.
Sans doute, ces prescriptions dépassaient le pou-
67
oir naturel et légal qu'un gouvernement peut s'at-
ribuer. Mais nous devons convenir que les républi-
:ains réformés qui se soumirent volontairement à cette
implicite sociale, furent des hommes dignes d'un
frand respect, et maintenant que ces ordonnances
ompluaires ont à jamais disparu , on se surprend
larfois à les regretter en voyant l'imprévoyance et le
uxe de ceux qui gagnent péniblement leur vie, et
'on applaudit encore à ces simples et chrétiennes
>aroies de 4 747 : « Que chacun vive honnêtement
st simplement selon son état et sa qualité, et que tous,
ant petits que grands, montrent bon exemple de
nodestie et vivent comme cela convient dans une
épublique où règne la loi de Dieu. »
Pendant le 48e siècle la vigilance ecclésiastique
ut sévère touchant les bonnes mœurs. Le Consis-
oire, loin de fléchir devant l'invasion des coutumes de
a régence, exerça ses pouvoirs légaux, sans acception
le personne; et voici un rapport du professeur Maurice
tu Conseil, le 20 décembre 1724, qui nous révèle
)leinement l'état moral d'une partie de la population
genevoise.
« Nous devons nous plaindre amèrement de l'aug-
nentation de l'immoralité; en voici les conséquences :
^es parents étrangers craignent d'envoyer leurs en-
ants à Genève ; les artisans quittent leur travail pour
îourir à leurs lieux de débauche ; ils ont bientôt con-
68
sumé les gains antérieurs et ne travaillent plus avec
assez d'activité; ils tombent bientôt dans une affreuse
misère. Des jeunes gens de famille se livrent aux plus
honteux désordres ; ils perdent tout goût pour l'étude ;
ils vivent dans une continuelle dissipation ; ils em-
pruntent pour être en état de fournir aux dépenses
de leurs parties de jeu ou de plaisir; ils consument
ainsi par avance une partie considérable de ce qu'ils
espèrent recevoir de la succession de leurs parents.
Parfois même des pères et des mères de famille se
laissent entraîner à cette funeste passion ; bientôt ils
voient l'indifférence, la jalousie et la haine, troubler
la paix du ménage. Les mouvements qu'ils se donnent
pour cultiver leurs intrigues criminelles leurs font
abandonner le soin de leurs affaires domestiques ; ils
négligent l'éducation de leurs enfants, et ils con-
sument, pour satisfaire leur sensualité, ce qu'ils de-
vraient épargner pour servir à l'éducation de leur
famille. »
Une enquête sévère est ordonnée par le Conseil ;
elle est exécutée par les hommes les plus sérieux,
et l'on trouve que le mal n'est pas si considérable
que le faisaient prévoir les reproches généraux du
Consistoire. Il existait à Genève vingt-huit femmes de
mauvaise vie.
La position morale de Genève fut gravement dé-
tériorée parla littérature licencieuse du dix-huitième
69
siècle. Tous les pays où l'on parlait français accep-
tèrent ces mauvais livres, et Voltaire, ravalant son
génie jusqu'aux plus immondes pamphlets, dénatura
profondément le sens moral de son époque. Il pen-
sait faire une excellente plaisanterie, en datant de
Genève ces odieux romans; il trouvait dans les
pasteurs et ceux des magistrats qui refusaient de
fréquenter Ferney, des adversaires aussi constants
qu'intrépides, et le Conseil faisait brûler par la main
du bourreau les productions immorales introduites
furtivement dans Genève.
Nous ne citerons qu'un incident de cette déplorable
lutte. En 4 756, le registre du Conseil porte les
paroles suivantes : « Messieurs ont reçu la visite de
» Spect. Lullin, modérateur de la Vénérable Com.
» pagnie, au sujet d'un écrit fort licencieux qui court
» la ville : c'est 4 4 vers extraits d'un poëme sur la
» vie de Jeanne d'Arc. Ce poëme est un des écrits les
» plus détestables contre la religion et les mœurs : on
» l'attribue au sieur de Voltaire. » Le Conseil ordonne
là-dessus « une visite des anciens et des dizainiers, qui
» ramasseront toutes les copies de ces vers qu'on
» pourra trouver dans la ville. » M. Vernes, qui était
alors en correspondance avec Voltaire, lui écrivit à ce
sujet : « On m'a communiqué un exemplaire de cette
» détestable poésie; je crains beaucoup qu'elle ne
» soit de vous ; tous ceux qui vous connaissent sont
70
» navrés que vous ayez rabaissé voire génie jusqu'à
» mettre au jour une aussi scandaleuse produc-
» lion. » — « Moi ! lui répondit l'auteur, il faut que
» je sois tombé bieu bas dans votre estime, puisque
» vous me croyez capable d'une pareille saleté! »
Et dans vingl lettres écrites à cette époque, Voltaire
désavoue cette production qui fait aujourd'hui parler
de ses œuvres officielles.
Le Consistoire, desoncôté, redoublait de rigueur,
infligeait des amendes, et condamnait à la prison les
hommes notoirement connus pour développer l'im-
moralité par leurs exemples et leurs conseils. Une
coutume adoptée par la discipline de l'Eglise primi-
tive, la génuflexion, fut l'occasion de troubles assez
graves dans la république. Les personnes citées
devant le Consistoire devaient recevoir à genoux les
reproches et la sentence prononcée sur leur conduite.
En \ 761 , un citoyen nommé Robert Covelle, homme
violent et menant une conduite fort relâchée, fut ap-
pelé devant le Consistoire pour être censuré d'une
faute grave ; après qu'il eut avoué ses torts, le pré-
sident du Consistoire lui dit de s'agenouiller, suivant
l'usage, pour entendre la réprimande qui devait lui
être adressée et demander pardon à Dieu. Covelle
déclara qu'il lui fallait une semaine de réflexion pour
décider s'il pouvait se soumettre à cette formalité.
Au bout de quinze jours il revint, refusa absolument
71
de s'humilier et présenta un mémoire dans lequel il
prouvait que nulle part, dans les ordonnances ec-
clésiastiques, la génuflexion n'était exigée. Le mé-
moire était remarquablement bien écrit, et comme il
était notoire que Covelle ne possédait nullement les
facultés intellectuelles nécessaires pour la composition
d'un semblable travail, on le pressa de questions sur
sa véritable origine; il finit par convenir qu'il avait
été conduit à Ferney, et que Voltaire l'avait fort en-
gagé à braver le Consistoire ; deux ou trois citoyens
genevois présents à cette visite l'avaient eux-mêmes
encouragé à la résistance, et avaient remis à Voltaire
les matériaux nécessaires pour la rédaction du mé-
moire qui venait d'être présenté au Consistoire.
» Maintenant, ajoutait Covelle, je suis parfaitement
» décidé ; non-seulement je ne me soumettrai pas à
» ces Messieurs, mais encore je vais faire imprimer
» ce travail contre la génuflexion. »
Le Consistoire vit bientôt que cette affaire prenait
les proportions d'une question générale. En effet, le
mémoire de Covelle- Voltaire reçut la plus grande
publicité ; on y répondit en montrant qu'un usage
qui avait deux cents ans d'existence, et auquel tant
d'hommes distingués s'étaient soumis, valait bien un
paragraphe d'ordonnance ; bref, les citoyens se divi-
sèrent en deux camps. Les adversaires de la génu-
flexion déclarèrent que « iors même que celle humi-
72
» liante formalité aurait été inscrite dans les ordonnai) -
» ces, les temps étaient changés, et qu'un Genevois ne
» devait point être soumis à cette pénible coutume.
» Le repentir, ajoutaient-ils, est une affaire entre la
» conscience humaine et le juge souverain : l'homme
» qui pense avoir violé la loi divine doit s'humilier.
» s'agenouiller devant son Dieu ; mais, d'après les
» paroles mêmes de Jésus-Christ, cet acte s'accomplit
» dans le plus profond secret, sans témoins, nul ne
» pouvant intervenir entre la créature qui se repent
» et le Créateur qui pardonne. »
La raison était certainement du côté des citoyens,
mais le Consistoire ne voulut pas céder : les brochures
se multiplièrent ; leur réunion forme trois gros vo-
lumes qui sont de la plus indigeste lecture. Voltaire,
en particulier, défendit vivement Covelle à l'aide de
cette raillerie acérée qu'il possédait si bien ; puis,
saisissant le moment où il jugea que, grâce à sa tac-
tique, le ridicule commençait à s'attacher aux pré-
tentions du Consistoire, il crut porter le dernier coup
en lâchant sur les fanatiques son poëme intitulé :
Guerre de Genève, libelle aussi scandaleux dans son
genre que la Jeanne d'Arc dans le sien. Voltaire y
critique les mœurs des Genevois avec une malice,
chose singulière, un peu lourde ; il assaille les pas-
teurs de plaisanteries, dont quelques-unes sont fort
spirituelles ; mais bientôt il abandonne la satire per-
75
mise pour s'abaisser aux plus odieuses calomnies ;
les pages les plus infâmes s'adressent à Rousseau.
Le dégoût le mieux motivé vous saisit à la lecture de
ce pamphlet, et les contemporains éprouvèrent la
même impression.
Quoi qu'il en soit, peu après l'apparition de cette
odieuse pièce, la querelle s'apaisa. Le sieur Covelle
écrivit au Consistoire la lettre suivante pour rentrer
dans l'église : « Je n'ai point osé m'approcher de la
Sainte Table à Pâques, mon âme étant pénétrée de
la faute que j'ai commise ; je sens que je scandali-
serai l'Eglise si je persiste dans cette séparation ; je
viens vous prier de m'admetlre de nouveau. »
On lui répondit que le Consistoire acceptait volon-
tiers tout repentir véritable, mais que, pour en prou-
ver la sincérité, il devait désavouer publiquement
les douze lettres écrites sous son nom par Voltaire,
et surtout renoncer à la subvention annuelle de 500
livres que lui faisait le seigneur de Ferney pour
avoir le privilège d'imprimer sous son couvert des
choses impies et scandaleuses. Covelle nia la réalité
de la subvention ; on lui fournit des preuves maté-
rielles de son indignité et l'on décida de ne plus
s'occuper de cette affaire. (Reg. Consist. et Cous, de
1764 à 1766.)
Toutefois, l'impression générale produite par ces
tristes débals engagea le Conseil à renoncer à ces
74
vieux usages; ou abolit la génuflexion, sauf pour
les cas d'apostasie, et l'excommunication n'emportant
plus depuis longtemps des effets civils, on la sup-
prima entièrement. (Reg. Comp. 17 et 24 octobre
1766.)
Voltaire ne trouva pas (pie les brochures licen-
cieuses fussent suffisantes pour démoraliser Genève;
il voulut introduire le théâtre dans cette ville et pro-
duire en public des pièces détestables dans leurs
tendances.
Théâtre. Le théâtre avait été sévèrement interdit
par les réformateurs; frappés de l'immoralité qui
régnait dans les comédies du seizième siècle, ils ne
mirent aucune exception à la règle et ne tinrent point
compte du goût naturel de l'homme pour les fictions
dramatiques. Mais les Genevois bravèrent souvent les
rigueurs du Consistoire et ne croyaient point violer
les lois divines, « en récitant avec habits et décora-
tions devant leurs amis des comédies telles que le
Cid ou les Horaces. » (Reg. Comp. 4 8 mars 1 681 .)
Le clergé fermait souvent les yeux lorsqu'il s'agissait
de pièces décentes. En d'autres circonstances la ri-
gueur fut absurde, et des familles riches ne voulurent
point accepter la censure, « pour avoir joué la scène
de l'Escalade, le soir de la fête, sans travestissements
ni violons. » (1725).
Au milieu des troubles politiques du commence-
75
ment du siècle, le Consistoire dut souvent interdire
« les comédies tant publiques que particulières. »
Enfin, le 20 avril 1758, le théâtre dut être
publiquement autorisé dans Genève. Les troubles
politiques avaient amené l'intervention étrangère. Les
diplomates, s'ennuyant fort dans notre ville, obligè-
rent le Conseil à permettre l'introduction de la comé-
die. Le comte de Lautrec et M. Escher de Zurich
firent arriver un sieur Gherardi et ses comédiens.
Le Conseil céda fort à regret, et nomma MM. Micheli
et Chouet pour surveiller rétablissement du théâtre.
On construisit des loges et une scène au Jeu de Paume
à Saint-Gervais.
Les représentations commencèrent et la foule s'y
porta avec un extrême empressement. (Reg. Consist.
et Cons. 20 avril, 17 mai, 18 juin)1, et voici un
mandement de la Compagnie et du Consistoire qui
dépeint à merveille l'esprit du temps :
« Il est triste de penser que les comédiens fînis-
» sent leur campagne en déclarant qu ils n'ont trouvé
» à vivre qu'ici et que cette ville est le Pérou. Ils
» ont raison, car, tous irais payés, l'hôpital subven-
tionné, ils emportent 15,000 francs, et malheu-
» reusement ce sont les personnes gagnant leur vie
i. La représentation avait lieu à trois heures de l'après-midi. Il fut
interdit de s'y rendre en carosse. Les premières places, 26 sous; 15
sous les secondes; 10 sous le parterre. L hôpital avait le quart de la
recette.
76
» qui ont fourni la majeure partie de cette somme.
» De plus, ce qui doit faire penser que la comédie
» convient ici moins qu'ailleurs, c'est le goût extra-
» ordinaire qu'on a fait paraître pour les plaisirs et
» le spectacle : ce goût est si prononcé qu'il a eu la
» force de suspendre l'impression des malheurs pu-
» blics les plus effrayants. Quand on pense que des
» visages sur lesquels on voyait la crainte et la dou-
» leur empreintes à la suite de nos désastres politiques,
» ont paru dès le lendemain de la première comédie
» tout brillants de joie et désireux de se divertir, on
» ne peut s'empêcher de croire qu'il y a dans cette
« ville un goût prodigieux pour le plaisir, auquel il
y> est bien important de ne pas fournir de nouveaux
» aliments. »
L'année suivante la Compagnie obtint que le privi-
lège du théâtre ne se renouvellerait pas, et le profes-
seur Maurice présenta au nom de ses confrères les
observations suivantes (14 décembre 1759) :
« Nous nous opposons à l'introduction de la co-
médie, parce qu'il est difficile de trouver de bonnes
pièces: le théâtre est trop peu épuré. Ce divertisse-
ment nous sort de nous-mêmes et nous étourdit sur
le sentiment de nos fautes. La comédie, dit-on, cor-
rige le ridicule, et c'est beaucoup que d'apprendre à
le craindre. Tout bien considéré, quel est le ridicule
dont elle corrige? La belle utilité, vraiment ! Le grand
77
mal lorsqu'il y aurait dans le monde quelques fem-
mes savantes, quelques précieuses, quelques mala-
des imaginaires de plus! La société ne serait pas
démolie ! »
« Le théâtre est dangereux , parce que les vices y
sont très-rarement combattus; les choses les plus sa-
crées, l'autorité paternelle, la sagesse des parents,
sont sacrifiées aux passions de la jeunesse. »
« Le théâtre est une école de luxe. Notre ville ne
peut se soutenir que parle travail et l'économie. Nos
familles ne prospèrent que lorsque les mères et les
épouses se dévouent à leur tâche ; les hommes occu-
pés au dehors, presque toute la journée, par des em-
plois peu lucratifs, voient infailliblement leur maison
se détruire, si les femmes ne veillent pas avec atten-
tion dans Tinlérieur. Mais quel tort font à cet égard
les spectacles ! On en a assez vu pendant le peu de
temps que la comédie était parmi nous, pour nous
dispenser de nous étendre là-dessus.»
« Ces illustres dames qui, dans les temps précé-
dents, ont soutenu plusieurs des meilleures familles
de l'Etat et des frères persécutés, malgré la médiocrité
de leur fortune, ne passaient pas le matin à se parer
et trois ou quatre heures de l'après-midi à la comédie.
J'aime à entendre raconter encore aujourd'hui à des
personnes très-distinguées les obligations qu'elles ont
à la frugalité et à l'habileté de leurs mères. »
78
« Le peuple a, en général, dans celle ville, beau-
coup de penchant à la raillerie et à des quolibets qui,
lorsqu'ils attaquent les personnes qui gouvernent,
affaiblissent beaucoup le respect qu'on doit avoir
pour elles, et par-là l'autorité du gouvernement. Nous
n'avons pas besoin de nouveaux maîtres dans cet art
pernicieux de piquer et d'insulter par des plaisante-
ries. Enfin, il n'est aucune ville qui doive faire plus
d'attention à la délicatesse qu'exigent la religion et
la vertu; nos ancêtres nous ont acquis, par la grâce
de Dieu, une belle réputation; c'est par-là qu'ils ont
illustré ce petit État. Si nous perdons cette gloire,
nous perdons tout, et nous ne pouvons plus compter
sur l'estime et l'affection des étrangers. »
Le séjour de Voltaire près de Genève donna un
nouvel essor au goût du peuple pour les représenta-
tions dramatiques. Le malin poëte était enchanté de
taquiner ainsi les protestants sérieux; et voici en
quelques mots l'histoire de ses succès et de ses re-
vers à Genève :
Le 54 juillet 4755, « M. le pasteur de Roches
» a dit que le sieur Voltaire se dispose à jouer des
» tragédies chez lui, à Saint-Jean, et qu'une partie
» des acteurs qui suivent ces répétitions sont des
» particuliers de cette ville: dans ce but, il a fait
» bâtir un théâtre et préparer des décorations. .. Le
» Conseil déclare qu'il maintiendra la défense, qui
79
» est la même pour tous, et il invite Messieurs les
» pasteurs de la ville à visiter les personnes à qui
» M. de Voltaire distribue des rôles, pour les engager
» à s'abstenir. »
M. le professeur Tronchin rapporte que, dans une
visite qu'il fit quelques jours plus tard à Voltaire,
celui-ci lui témoigna « être fort fàcbé d'avoir donné
» lieu à quelques plaintes au sujet d'une tragédie
» qu'on devait représenter chez lui, mais que c'était
» moins sa faute que celle de ses visiteurs, lesquels
» ne l'avaient pas averti; qu'à présent qu'il est bien
» informé, il se donnera garde d'y contrevenir, son
>> intention ayant toujours été d'observer avec respect
» les sages lois du gouvernement. »
En effet, durant trois années, Voltaire passant les
hivers à Montrion, s'abstint d'organiser aux Délices
des représentations théâtrales « avec costumes et dé-
corations. » Mais ne pouvant se passer de ce plaisir,
et la majorité du Conseil demeurant inflexible, il fit
construire une salle à Tournay (Pregny), sur la fron-
tière genevoise. Dès-lors il avait pleine liberté, et,
pour mieux attirer les amateurs, il fit jouer plusieurs
artistes de la Comédie-Française, que le fameux Le-
kain avait conduits aux Délices, et auxquels voulurent
bien se joindre plusieurs dames genevoises pour com-
pléter la troupe de Tournay. Pour le coup, le scan-
dale parut trop grand ; on allait répétant dans les cer-
80
des : « A quoi servent les lois si. pendant qu'on nous
» défend de jouer la comédie dans nos maisons, les
» dames peuvent la jouer chez M. de Voltaire? » —
Et la Compagnie des Pasteurs reproduisit, sous une
autre forme, les remontrances précédentes. Le Con-
seil défendit la comédie; mais la venue de l'acteur
tragique Lekain entraîna tout le monde au théâtre de
Voltaire. « J'ai fait venir Lekain. écrit-il à d'Argental ;
» il déclamera des vers aux enfants de Calvin : leurs
» mœurs sont fort adoucies; ils ne brûleraient plus
» Servet. A propos de Calvin, je vais leur jouer un
» tour dont ils me sauront mauvais gré : je me suis
» procuré un vieux fauteuil qui servait de chaise ou
» de chaire à leur réformateur; je l'emploierai dans
• l'entretien d'Auguste et de Cinna; le beau bruit
» quand les prédicants le sauront ! » — Et, quel-
ques jours plus tard, il peut ajouter : « Eh bien ! j'ai
» réussi, j'ai fait pleurer tout le Conseil de Genève;
» Lekain a été sublime, et je corromps la jeunesse
» de cette pédante ville. «
Le théâtre de Châtelaine resta ouvert jusqu'en
1766; cette année-là. des troubles survenus à Ge-
nève nécessitèrent une nouvelle intervention diploma-
tique de la France, de Berne et de Zurich. L'envoyé
français. M. de Hauteville, fortement sollicité par
Voltaire, demanda que les acteurs de Châtelaine vins-
sent jouer à Genève. Le Conseil, soutenu par un
81
grand nombre de chefs de famille, refusa d'abord;
mais il n'était pas en position de faire cette fois une
résistance sérieuse; bientôt il dut céder à l'action de
ia diplomatie française, et le théâtre s'établit à Ge-
nève (avril 17G6). On put voir alors combien l'in-
fluence de Rousseau était grande sur ses concitoyens:
notre grand philosophe désapprouvait hautement l'in-
troduction de la comédie au sein d'une république
dont la vraie sauvegarde était, à son avis, « la dignité
personnelle et la sévérité des mœurs. » Les amis de
Jean-Jacques écoutèrent ses conseils, et les mêmes
hommes qui avaient été à Châtelaine, prirent sur eux
de ne pas mettre les pieds au théâtre de la place
Neuve. Tout au contraire, les commensaux de Ferney
et un certain nombre d'artisans profitèrent largement
des récréations dramatiques. Voltaire en prit occasion
pour couvrir Rousseau d'injures et proclamer un
triomphe fort contestable. « Le théâtre est dans Ge-
» nève, s'écrie-t-il . En vain Jean-Jacques a-t-il joué
» dans cette affaire le rôle d'une cervelle mal timbrée,
» les plénipotentiaires lui ont donné le fouet d'une
» manière publique. Quant aux prédicants, ils n'osent
» lever la tète : lorsqu'on donne le Tartufe, le peu-
» pie saisit avec transport les allusions qui les con-
» cernent. »
Cette joie de Voltaire dura peu. Si ses partisans
étaient assez nombreux pour garnir les loges et le
m. 6
82
parterre de la nouvelle salle de spectacle, la grande
majorité du peuple désapprouvait encore cette insti-
tution, et le seigneur de Ferney put s'en convaincre
par une désagréable expérience. Le 5 février 4768,
vers six heures du soir, une lueur épouvantable rou-
gissait le ciel du côté de la place Neuve : chacun
d'accourir, portant, selon l'usage, sa seille ou son
seillot plein d'eau. Près de l'Hôtel-de- Ville, un cer-
tain nombre de personnes stimulaient le zèle des arri-
vants. Mais lorsque, du haut de la Treille, les hom-
mes et les femmes découvraient le foyer de l'incendie,
ils versaient brusquement leurs seaux le long de la
rampe, en disant : « Ah ! c'est le théâtre qui brûle !
» Eh bien ! mes beaux messieurs, que ceux qui l'ont
» voulu Péteignent ! » Ces paroles excitèrent l'indi-
gnation de Voltaire, qui s'écria: « Ah! cette Ge-
» nève ! quand on croit la tenir, tout vous échappe !
» Perruques et tignasses, c'est tout un ! »
Voulant parer aux inconvénients qui, selon son
opinion, résultaient pour la ville de la destruction de
son théâtre, il fit rouvrir celui de Châtelaine, et, en
outre, favorisa de tout son pouvoir les représentations
à domicile chez les Genevois. Son principal coadju-
teur fut un sieur Papillon, très-souvent mis à l'amende
pour délit de comédie. Voltaire payait pour lui, et,
voulant pousser à bout le Consistoire, il imagina la
plaisanterie d'écolier que voici : un matin on trouva
83
aflîché sur les portes des temples un placard portant
ces mots : « Par permission de la Vénérable Compa-
gnie des Pasteurs, le sieur Papillon et sa compagnie à
lui joueront le Barbier de Séville. » Le sieur Papillon
fut incarcéré pendant quelques jours; puis, traduit
devant le Consistoire, il voulut lire pour sa défense une
apologie du théâtre composée par Voltaire : on lui en
refusa la permission, et il répondit avec une insolence
sans égale. Le Conseil le punit de nouveau; mais
sans parvenir à empêcher les représentations théâ-
trales, qui recommençaient presque chaque semaine.
Cet état de choses dura jusqu'en 1782. En cette
année, de lamentables troubles politiques amenèrent
l'intervention française à Genève. Le marquis de
Gaucourt demanda impérieusement la construction
d'un théâtre ; le gouvernement dut céder, et dès-lors
des représentations dramatiques ont eu lieu réguliè-
rement dans notre ville, sauf durant les années de
calamités publiques et de guerre civile.
Tels sont les principaux traits de la vie religieuse
et sociale de nos ancêtres. Après vingt années durant
lesquelles le génie du mal avait répandu les principes
corrupteurs sous la forme la plus séduisante, il était
impossible que la moyenne morale de la nation ge-
nevoise ne fût pas abaissée, et que la vieille famille
protestante n'eût pas perdu plusieurs de ses membres
effectifs. Les témoins oculaires nous ont rapporté de
84
tristes détails sur le luxe et la licence qui régnaient
à Genève vers la fin du siècle. Le mal était grand,
sans doute; mais le vieux sang réformé était loin
d'être corrompu, et les paroles de Jacob Vernel,
prononcées au Consistoire en 4 786, nous paraissent
résumer la situation.
« Nous avons la douleur de voir des gens en grand
» nombre subir l'influence de la fausse philosophie,
» et vivre sans Dieu et sans espérance dans ce monde;
» mais nous bénissons Dieu de compter dans tous les
» rangs de la société des maisons où la piété est héré-
» ditaire, où l'instruction domestique répond à l'ins-
» truction publique. Danscesdemeures, l'union règne,
» chacun se sent dans l'ordre, chacun emploie utile-
» ment la journée; on la commence en priant Dieu; le
» jour du dimanche s'emploie en partie en actes de
» dévotion et de charité , en partie en délassements
» honnêtes. Nous sommes heureux de rencontrer sou-
» vent, dans ce jour du Seigneur, la jeune mère de
» famille, accompagnée d'un enfant, qui porte le se-
» cours et la joie dans une pauvre demeure, et fait
» aimer à son fils et à sa fille les premiers devoirs du
» chrétien. Le lendemain on se remet gaiement au tra-
» vail, et Ton est plus content dans la médiocrité que
» d'autres ne le sont dans l'abondance. L'aliment spi-
» rituel qu'on prend chaque jour entretient la santé
» des âmes chrétiennes. Survient-il quelque revers,
85
» quelque maladie, on s'entr'aide, on se console, on
» se fortifie mutuellement, on prie Dieu. Les paroles
» du mourant restent gravées dans le souvenir de ceux
v qui l'entourent; on pleure un tel homme, on le
» suit dans la demeure céleste où la foi, manifestée
» par ses œuvres, lui assure la bonne place... »
La richesse, la renommée, l'esprit et le génie, sont
de grands moyens pour diriger le monde, et, ce qui
n'est pas à l'honneur de notre pauvre humanité, ja-
mais leur action n'est plus puissante que lorsqu'ils
prennent comme point d'appui quelqu'une des mau-
vaises passions dont fourmille cette terre. Mais si
l'expérience nous révèle ce triste fait, elle nous donne
aussi la preuve consolante qu'il est un autre pouvoir,
plus lent peut-être dans son action, et plus difficile à
mettre en œuvre , mais en revanche plus fécond en-
core en effets durables. C'est la foi ferme et patiente
des hommes résolus à faire prévaloir, avec l'aide de
la protection divine, les principes éternellement vrais
de la justice, de la sagesse et de la moralité.
86
CHAPITRE III.
VIE PASTORALE
Etat général de la prédication au dix-neuvième siècle. — Libertés de
la chaire. — Labadie et le tombeau de Rohan. — Influence des réfu-
giés. — Les grands orateurs Pictet et Turretin, Mestrezat, Lullin, etc.
— Vie pratique. — La tâche des pasteurs genevois. — Les visites
d'église au dix-septième siècle. — Travaux du clergé. — Bénédict
Pictet. — J.-A. Turretin. — Mort de divers pasteurs : Mestrezat,
Troncbin. Vernet, de Roches, Vernes.
Après avoir exposé les perfectionnements que l'es-
prit religieux de nos ancêtres introduisit dans le culte,
et après avoir reproduit leurs efforts pour conserver
la vie morale et religieuse au sein de la population
genevoise, nous devons offrir à nos lecteurs quelques
traits de la vie et du caractère des pasteurs qui se
dévouèrent à celte noble tâche.
Nous avons donné le tableau des heures du culte
dans l'église genevoise, et nos lecteurs ont pu remar-
quer la variété et la fréquence de ces services divins.
Ceiie assiduité dans les temples, cette ardeur pour
s'occuper des idées religieuses, était naturelle au
87
seizième siècle. Car, nous dit Bénédict Pictet en
1 694 , « à l'époque de notre bienheureuse Réforma-
tion, le peuple, jusqu'alors sevré de toute instruction
évangélique, et nullement abreuvé de la parole de
Dieu, avait besoin qu'on la lui expliquât tous les jours,
et mille gens ne sachant pas lire trouvaient unique-
ment dans les temples l'aliment de leur piété. »
Cet état de choses dura jusqu'en 1688, et pen-
dant cette période la prédication genevoise fut essen-
tiellement explicative : les pasteurs devaient fournir
des éclaircissements complets et détaillés sur chaque
parole des saints Livres. L'idée religieuse dominant
en souveraine, non-seulement les consciences, mais
aussi les destinées et les intérêts sociaux du monde
européen, chaque chrétien devait connaître à fond le
code évangélique. Les controverses individuelles se
renouvelant sans cesse entre les catholiques et les
réformés, il fallait posséder l'arsenal complet des
arguments employés par les docteurs des Églises ri-
vales, et rendre raison «de l'espérance qu'on aval j
reçue. »
Ce caractère exclusivement analytique et polémique
rend les sermons de la Réforme peu intéressants à
lire. Ou se perd dans ces répétitions perpétuelles des
divergences entre Rome et Genève.
La plupart de ces questions, amplement résolues
par le progrès des sciences, n'offrent maintenant
88
aucune actualité; en lisant ces discours, il semble
qu'on passe à côlé de ces blockhaus nécessaires a la
protection des premiers colons qui défrichent un
pays, e! qui sont abandonnés lorsque les progrès
de la civilisation ont rendu inutiles les services mi-
litaires.
En dehors de la controverse, les prédicateurs du
seizième et du dix-septième siècle possédaient des
moyens énergiques pour fixer l'attention de leurs
auditeurs. Ils parlaient de toutes les affaires contem-
poraines avec la plus grande liberté. La chaire était
le foyer des nouvelles concernant les persécutions ou
les victoires religieuses. Les grands événements euro-
péens, comme les incidents peu importants, servaient
de texte aux sermons du jour. Les pasteurs allaient
plus loin : ils remplissaient à l'égard des magistrats
le rôle des journaux contemporains qui émeuvent les
peuples; ils critiquaient les procédés, les actes des
gouvernements, pour peu qu'ils parussent s'écarter
des règles de la morale la plus rigoureuse. Les audi-
teurs, sachant qu'ils entendraient au temple des allo-
cutions sur les affaires du jour, apportaient à la pré-
dication la même fièvre qui règne parmi nous pour
la lecture des feuilles publiques.
Voici un exemple de cette liberté de la chaire
chrétienne. Le duc de Rohan, célèbre par son cou-
rage militaire et son abnégation chrétienne, avait
89
désiré être enseveli dans la cathédrale de Genève, et
reposer auprès des Genevois qu'il avait comblés de
marques d'affection. Sa statue était placée sur son
tombeau. En 1659, un prédicateur éloquent, mais
excentrique et fougueux, M. Labadie, jugea que toute
image taillée devait être interdite dans l'intérieur d'un
temple protestant. Il lança l'anathème sur le tombeau
du héros chrétien, et prononça ces paroles: « Le bon
roi Ezéchias a détruit le serpent d'airain pour cause
d'idolâtrie. Il serait donc nécessaire d'enlever les ima-
ges qui sont dans ce temple et qui serventà l'idolâtrie. »
Quelques personnes partageaient l'opinion du prédi-
cateur. On fut obligé de placer une paroi qui dérobât
le monument aux yeux des fidèles. » (25 mars
1659.)
La prédication genevoise fut profondément modifiée
vers la fin du dix-septième siècle. Les églises de France,
décimées par la persécution et le martyre, envoyaient
des flots incessants de réfugiés dans la vallée du Léman .
Genève donnait asile à plus de trois mille de ces vic-
times de Louis XIV, et l'on peut comprendre le zèle
et l'affection religieuse de ces nobles martyrs pour le
culte évangélique. Il semblerait naturel, au milieu
d'une persécution acharnée, que les pasteurs fissent
retentir la chaire d'anathèmes contre les fanatiques
auteurs de la Révocation. Il paraîtrait tout simple
qu'on offrît des éloges aux personnes qui sacrifiaient
90
tout pour conserver leur foi. Ilien de pareil ne se
trouve dans les discours des contemporains.
Les réformés genevois, sachant que le mérite d'une
œuvre revient tout entier à celui qui l'inspire, exhor-
tent leurs frères de France à la soumission, à la per-
sévérance dans leurs suprêmes sacrifices. Le pardon
des offenses étant une vertu essentielle au chrétien
dans toutes les positions de la vie, si les prédicateurs
parient en chaire de Louis XIV, c'est pour demander
au Seigneur qu'il éclaire son esprit et adoucisse ses
rigueurs, et si de temps à autre un orateur s'emporte
en invectives, il est sévèrement réprimandé par ses
collègues.
Mais en dehors de cette influence accidentelle de
la Révocation, les Pictet, les Turretin, les Mestrezat,
les Tronchin, hommes supérieurs et amis du progrès,
introduisent une grande modification dans l'art de la
chaire à Genève; ils abandonnent la méthode vieillie
des perpétuelles explications; ils s'abstiennent des
discussions de critique et d'archéologie; ils entremê-
lent le dogme et la morale, et présentent le devoir
pratique comme conséquence nécessaire de la foi.
Bénédict Pictet possède une clarté parfaite, un
style simple et naturel ; on lui reproche souvent de la
froideur; mais dès qu'un sentiment énergique l'anime,
il entraîne son auditoire et lui présente les grandes
idées sous des formes si vraies, que chacun retrouve
91
dans les paroles du prédicateur l'image de ses pro-
pres pensées.
François Turretin était un prédicateur incisif et
profond; il trouvait dans l'énergie de ses impressions
religieuses des mots qui frappaient l'imagination et
la conscience de ses auditeurs. Un jour, dans sa visite
de paroisse, il reçut diverses plaintes sur la longueur
de l'épreuve de la Révocation infligée aux Eglises, et
sur les mystères des jugements divins qui toléraient
depuis tant d'années les iniquités du despote français.
Le dimanche suivant, Fr. Turretin prêcha sur ce
texte : // est patient, parce qu'il est Étemel, et ses
auditeurs conservèrent le souvenir des paroles suivan-
tes : « La justice divine marche avec des pieds de laine,
mais lorsqu'elle atteint le coupable, elle le saisit avec
une main de fer. »
Le (ils de François Turretin, Jean-Alphonse, fut
également un réformateur pour la prédication. Une
clarté admirable, une simplicité chaleureuse, donnent
un grand attrait à ses paroles; les auditeurs lettrés
disaient de lui : « 11 semble prêcher pour les enfants,
et au sortir du temple les hommes sérieux en ont
pour longtemps avant de terminer l'analyse des idées
qui se pressent dans son discours. » La tolérance
pour les opinions, la charité dans les actes, étaient
les sujets favoris de Jean-Alphonse.
Du reste, le succès extérieur accompagnait leurs
92
efforts et le mérite personnel des prédicateurs réagis-
sait sérieusement, alors comme de nos jours, sur la
fréquentation du culte. On en peut juger par cette dé-
libération des Conseils. (Reg. Cons. 29 décembre
1699.) « Attendu que MM. Pictet, Calendrin, Turre.
tin et Viollier, attirent tellement l altention que le
peuple et surtout les réfugiés se jettent en foule dans
leurs temples, tandis que d'autres ont moins d'audi-
teurs, les magistrats avertissent le peuple à son de
trompe, que chacun aille dans sa paroisse, sous peine
d'amende, et qu'on y tiendra la main. »
Les élèves et les amis de ces éloquents orateurs
entretinrent également la ferveur chrétienne dans
l'Église de Genève au commencement du dix-huitième
siècle.
Ézéchiel Gallatin (1705 à 1753) possédait la fa-
veur populaire. Dans ses instructions, il liait si inti-
mement l'œuvre et la foi, le dogme et le devoir, que
souvent l'auditeur pensait n'avoir entendu qu'une
partie de ses sujets fondamentaux de la religion. Gal-
latin avait un grand courage. Dans une de ces émeu-
tes qui bouleversèrent à diverses reprises notre ville,
il prêcha sur le support et la charité; il adressa des
reproches si justes et si sévères aux deux partis, que
les plus animés disaient en sortant du temple : « Si ce
n'était le respect et l'amour qu'on a pour M. le pas-
teur Gallatin, il paierait cher d'avoir prononcé à l'é-
93
glise des paroles que nul n'a osé dire en Conseil
général. »
Àmédée Lullin (1724- à 4 756) est représenté
comme suit par un de ses amis, et son portrait, qui
se voit dans la salle du Consistoire, peut confirmer
ces observations :
« La physionomie de M. Lullin était si douce et si
belle, son port si majestueux, sa voix si touchante,
qu'humainement pariant, il aurait pu se passer de
facultés intellectuelles distinguées. Il lui suffisait de
paraître en chaire et d'ouvrir la bouche pour émou-
voir l'assemblée; il faisait couler les larmes en lisant
les liturgies et les prières. Une modestie profonde
accompagnait ce bel extérieur; il travaillait ses com-
positions avec un zèle soutenu; ses sermons captivent
par la beauté du style et l'intérêt des détails ; il change
de genre, suivant le sujet; nous l'avons vu s'élever
aux plus hautes considérations sur la foi, en parlant
de saint Paul sur le chemin de Damas; et dans son
homélie sur Rulh et Booz, il a concilié la dignité de
l'éloquence avec les charmes de la poésie champêtre. «
Enfin, nous citerons Laget, l'orateur énergique, le
théologien chrétien, assez puissant, assez courageux
pour établir ia nécessité de la religion dans un temps
où les philosophes anglais et français s'unissaient
pour attaquer la doctrine évangélique, et pour dé-
montrer qu'elle avait fini son œuvre, et que l'in-
94
telligence émancipée pouvait diriger par des règles
infaillibles la marche de l'humanité.
Cette lutte courageuse contre l'incrédulité, dont
nous rendrons compte en détail dans les chapitres
suivants, épuisa les forces du clergé genevois, et vers
la fin du siècle ils eurent besoin d'une nouvelle me-
sure de foi et d'énergie chrétiennes pour faire face
aux nouveaux devoirs que leur imposèrent les années
de la révolution.
Vie pratique. Les fondateurs de l'Église de Genève
ayant pour principe directeur un dévouement sans
réserve à l'œuvre chrétienne, la tâche des pasteurs
fut organisée en vue des exigences du saint ministère,
et les considérations personnelles n'exercèrent aucune
influence sur la répartition du travail dans le champ
du Seigneur. Voici le sommaire de la vie pratique
des pasteurs genevois au dix-septième et au dix-hui-
tième siècle 1 :
Chaque paroisse de la ville contenait au moins deux
mille âmes.
« Le pasteur fait chaque année avant Pâques une
visite de tous les ménages de sa paroisse, en s'arrê-
tant longuement auprès de chaque famille. Il surveille
attentivement les écoles de petits enfants et les caté-
chumènes. Il examine quatre fois par an ces derniers
1. Grand mémoire sur le culte , 1770, Reg. Comp.
95
pour savoir s'ils sont dignes d'être admis à la Sainte-
Cène.
» Il doit recevoir les personnes qui veulent se ma-
rier, rédiger et signer les annonces matrimoniales.
» Chaque pasteur prononce soixante et quinze ser-
mons par an, et monte en chaire cent cinquante fois.
» Les pasteurs n'ont aucune heure libre pour le
travail du cabinet et la méditation nécessaire à leurs
discours; ils sont constamment appelés à visiter les
malades; il faut tout quitter pour accomplir ce ser-
vice, et en hiver celte fonction ne leur laisse presque
aucun repos.
» Les pasteurs ont le soin des pauvres de leur pa-
roisse ; ils doivent assister chaque semaine aux séan-
ces des bourses de charité, donner les renseignements
les plus détaillés touchant les personnes dignes d'être
secourues.
» Enfin, les pasteurs doivent présenter au Consis-
toire des rapports mensuels sur l'étal moral des ad-
ministrés; ils apaisent les querelles, ramènent la paix
dans les ménages désunis; ils s'adressent à la con-
science des vicieux, et diminuent, autant que possi-
ble, le nombre des délits moraux sur lesquels le
Consisloire doit exercer son autorité. »
L'émigration des protestants français, leur passage
continuel, leur établissement, occupaient encore une
grande partie du temps des ecclésiastiques genevois
90
et leur imposait des charges dont le document sui-
vant présente une juste idée.
« A la Révocation, disait Jacob Vernet, notre Église
eut la consolation de voir quantité de personnes plus
respectables encore par leur piété que par leur nais-
sance, fréquenter en foule nos temples, malin et soir.
Mais cette génération étant passée, et la ferveur ayant
diminué, nos services sont trop nombreux. Quatorze
pasteurs doivent faire par an 1800 sermons, dont
154 liturgiques, et 4072 discours écrits. Cela fait
75 sermons pour chaque prédicateur. Les pasteurs
doivent monter en chaire 150 fois par an, et la fa-
tigue de prêcher deux fois le dimanche dans les tem-
ples de la ville, épuise leurs forces; aussi les jeunes
gens craignent-ils d'entrer dans le ministère. »
Ce dévouement absolu aux plus rudes fonctions
ecclésiastiques, était secondé par celte surveillance
consciencieuse que les pasteurs genevois ont toujours
exercée réciproquement entre eux.
Une censure annuelle fut établie, et des visites
solennelles eurent lieu fréquemment dans les parois-
ses. Les magistrats et les membres du Consistoire
reçoivent les observations que les chefs de famille pré-
sentent en toute liberté sur l'administration religieuse
et le culte. Voici le procès-verbal d'une de ces inspec-
tions pastorales; nous transcrivons ce document en
entier, malgré son étendue, car il nous dépeint la vie
97
intime de notre Église en 1685, c'est-à-dire dans une
période où les plus grands sacrifices politiques et re-
ligieux étaient imposés au peuple genevois.
« Les syndics ayant résolu que la visite des cam-
pagnes serait faite cette année, en voici les résultats :
« 17 septembre 1685. Eglise de Satigny. Après
le service divin, le conseiller Humberl fait un discours,
atin d'exhorter les paroissiens à dire s'ils ont quelque
sujet de se plaindre de leur pasteur et de leur maître
d'école. M. le pasteur Ohenaud s'élant retiré, les pa-
roissiens répondent unanimement qu'ils sont fort sa-
tisfaits de lui, soit par rapport à ses prêches, à ses
catéchismes, soit par rapport au soin qu'il prend d'é-
touffer les procès. M. Chenaud, interrogé à son tour
sur la conduite de ses paroissiens, dénonce trois fa-
milles qui tiennent cabaret et débauchent les paysans.
Quant au maître d'école, les paroissiens s'en plaignent
unanimement et supplient la Compagnie d'en donner
un autre, vu qu'il est très paresseux et soutient des
pratiques avec les curés du pays de Gex.
M. Tronchin et M. Gautier sont allés à Bossey (vil-
lage entouré de catholiques et très-exposé au prosé-
lytisme du clergé savoyard); on a demandé à M. Viol-
lier s'il n'avait aucun défaut à reprocher à son Église.
Il répond qu'il est assez satisfait, mais qu'il faut ex-
horter ses paroissiens à s'abstenir de l'ivrognerie et
des jurements. — Après le prêche, M. le pasteur
m. 7
98
s'étant retiré, il y eut un particulier qui fit un srand
discours en faveur de M. Viollier, et tout son troupeau
le loua de sa prédication, du soin qu'il avait des ma-
lades et des autres fonctions de son ministère. Un
autre paroissien se plaignit de ce que M. Viollier n'ex-
hortait pas assez les enfants d'aller au catéchisme, et
que ses fils allaient jouer aux cartes dans les villages
voisins, ce dont les papistes se riaient. Là-dessus tous
les pères de famille se sont levés, déclarant que le
plaignant était une méchante langue, joueur effréné,
débauché, qui avait battu sa mère, etc.. — et qu'ils
tenaient ces choses pour fausses, et M. Viollier pour
un bon pasteur, qui visitait, autant que sa sauté le
lui permettait, les villages éloignés, Neydans, Cierne,
et Landecy.
» Jussy, M. Butini est allé à Jussy avec M. Le
Fort, ancien syndic. M. Flournois s'est plaint de ce
que plusieurs fréquentent les cabarets et qu'il y a des
haines implacables entre quelques particuliers. Du
reste, il est satisfait du zèle pour le culte et de la
charité envers les pauvres.
» Les gardes d'église ont déclaré après le sermon
qu'ils étaient très-satisfaits de la prédication et des
catéchismes de M. Flournois; il assoupit les procès,
prévient les querelles, et ils n'ont aucun sujet de
plainte contre lui .
» Russin. M. Perrot, pasteur. M. le premier
99
syndic lui dit qu'on porte de grandes plaintes contre
lui. Il fait de sa maison un cabaret; il ne visite pas
son église; il est constamment dans ses champs; il
néglige les malades et n'a pas soin des pauvres. Toute
la paroisse souhaite que M. Perrol s'abstienne de prê-
cher dans ces temps fâcheux. Les excuses de M. Per-
rol n'étant pas valables, il est remplacé temporaire-
ment par M. Sartoris.
» Cartigny. Les deux pasteurs, MM. Vautier et
de Carro, sont satisfaits de leur paroisse, sauf ceux
deLaconnex, qui négligent d'envoyer leurs enfants
au catéchisme, et eux-mêmes ne viennent pas au prê-
che. Les paroissiens sont grandement satisfaits de
M. Vautier et assez contents du sieur de Carro. Un
particulier de Laconnex ayant dit que M. de Carro ne
visite pas les malades, il est interrompu par les gardes
d'église et d'autres, affirmant qu'il a de mauvais mo-
tifs personnels de dire ces choses contre le respectable
de Carro.
» Chancy. M. de Normandie a interrogé M. Ga-
lalin, pasteur; il a réponduqu'il n'y a point de cha-
rité parmi eux, qu'ils ne veulent en rien contribuer
pour un maître d'école, qu'ils sont chicaneurs et
joueurs. Les paroissiens et les gardes d'église rendent
un bon témoignage à M. Galatin pour ses prêches,
la visite des malades et l'assiduité à assoupir les
procès.
100
« Vandœuvres et Cologny. M. Dassier, pasteur,
se plaint de jurements, des cabarets et du peu d'assi-
duité au temple. Les paroissiens sont unanimement
satisfaits du pasteur; ils ne voudraient jamais avoir
d'autre ministre : ils demandent aux magistrats de
contraindre les parents à envoyer les enfants à l'école.
» Le résultai de la visite de Céligny fut des plus
touchants. M. Molans étant malade, on ne fit pas de
cérémonie officielle, et M. Lesmilière fut chargé de
témoigner au vieux pasteur la sympathie de ses col-
lègues. M. Molans répondit : « Je suis très-obligé aux
soins et à la charité de mes confrères; pour ce qui est
de ma santé, elle est altérée par de grandes infirmi-
tés et la faiblesse de mon âge. » Sur quoi le député
lui ayant doucement insinué qu'il devait donner sa
décharge, M. Molans témoigna avec larmes un ardent
désir de prêcher jusqu'à la fin, en suppliant qu'on
ne lui ôtàt pas celte consolation. M. de Lesmilière a
pris l'opinion des paroissiens. Tous ont témoigné de
l'affection pour leur pasteur et de l'édification de sa
bonne vie, mais qu'à la vérité les faiblesses de son
âge l'empêchaient, depuis quelques années, de faire
sa charge avec la même exactitude et la même édifi-
cation. Sur quoi la Compagnie ayant opiné, on trouve
un expédient pour contenter M. Molans et empêcher
que l'Eglise ne souffre de ses infirmités. On repré-
sentera au Conseil l'état de M. Molans, le grand désir
101
qu'il a de n'achever son ministère qu'avec sa vie, et
qu'on piie {Messieurs de trouver bon que la Compa-
gnie mette quelqu'un qui puisse être un aide à M. Mo-
lans. Ce ministre ira demeurer à Céligny, sans dé-
placer M. Molans, ni rien diminuer de son salaire.
Le Conseil accepte et donne volontiers ce témoignage
d'estime à un si digne pasteur. »
Ces procédés consciencieux, ces examens sévères
des fonctions pastorales, conservaient la dignité et le
zèle chrétien parmi les ministres genevois, et des mani-
festations affectueuses ies entouraient dans les crises les
plus pénibles de la vie sociale et politique. Toutefois,
il était difficile que des hommes occupés à réprimer
les délits moraux , sans acception de personne , ne
suscitassent pas des rancunes et de mauvais vouloirs.
De fâcheux incidents occasionnèrent parfois des pro-
cédés pénibles contre le clergé de Genève. Mais ces
inconvénients passagers furent largement compensés
par le respect et la sympathie que la généralité des
citoyens s'empressa toujours de témoigner à ses
conducteurs spirituels.
Si la mission des pasteurs genevois, considérée
dans ses traits généraux , offre un dévouement reli-
gieux à toute épreuve, ce caractère brille également
dans le ministère de ces pieux serviteurs du Christ,
dont nos archives ont conservé la mémoire. Nous en
citerons quelques exemples.
102
Antoine Léger. Pendant plus de trente années, il
s'est acquitté de toutes les fonctions de son. ministère
avec beaucoup de soins et à l'approbation de tout le
monde; ses sermons édifiants ont été tellement ap-
préciés par ses auditeurs qu'il se voyait écouté avec
toute l'attention qu'il pouvait désirer; mais après
un si long et si pénible travail, il a eu la douleur de
tomber dans un grand anéantissement de forces , ce
qui le mit bors d'étal de prêcber et lui rendit toute
application impossible.
Bénédict Pictet (1678 à 4 724). A sa réception
au saint-ministère, la Compagnie inscrit ce témoi-
gnage : « Lequel ayant fait paraître le profit qu'il a
fait dans ses études et les beaux dons que la Provi-
dence divine lui a départis pour l'édification future
de l'Église, il sera consacré le 29 juin 4 678. »
Ces espérances se réalisèrent durant quarante an-
nées. Nous avons essayé de caractériser Bénédict
Pictet comme prédicateur. Sous le rapport intellectuel ,
il fut un travailleur infatigable. En faisant le compte
de ses ouvrages, il semblerait que sa vie entière fut
consacrée aux méditations paisibles du cabinet. Or,
au contraire, il était le modèle du vrai pasteur prati-
que, sans cesse préoccupé de ses pénibles obligations.
Pictet sut mener de front cette double tàcbe, en
consacrant les heures matinales aux travaux théolo-
giques et le reste de la journée aux visites de paroisse.
105
Une lettre du professeur Bernouilli, de Baie, dépeint
à merveille l'existence de nos bénédictins protestants
(1085): «J'arrivai chez M. le pasteur Pictet vers
neuf heures du matin; la servante me dit qu'il visitait
ses malades, mais que si je voulais lui parler, je pour-
rais revenir le lendemain matin entre quatre et cinq
heures. Cette heure, vu la saison rigoureuse, me gênait
fort; néanmoins j'arrivai ; on m'introduisit dans une
grande pièce, qu'une seule brasière avait la prétention
de chauffer. M. Pictet travaillait à l'extrémité la plus
éloignée de cette espèce de foyer; nous causâmes un
moment, puis je lui demandai des nouvelles de mon
fds. « Monsieur, me répondit-il, votre fils est un élu-
» diant médiocre; je n'ai jamais pu obtenir de lui
» plus de treize heures de travail par jour ; son exem-
» pie est malheureusement suivi; les jeunes gens ne
» veulent pas comprendre que pour devenir des sa-
» vants utiles, il faut que leur lampe s'allume avant
» celle de l'artisan. »
Ainsi, l'intelligence dominant l'élément matériel,
les nuits réduites à leur plus courte mesure, des tra-
vaux sérieux exécutés à l'heure où le sommeil en-
chaîne encore les classes ouvrières, un mépris profond
pour les malaises et les indispositions; le théologien
et l'étudiant tenant leur corps aussi durement assu-
jetti que le laboureur, tel était le secret de ces hommes
du dix-septième siècle genevois , aussi remarquables
tO'i
par les nombreux ouvrages de théologie qu'ils ont
laissés que par leur dévouement à la tâche pratique
du ministère sacré.
Le caractère de Bénédicl Pictet fut éminent dans
ses fondions pastorales. Plein d'une évangélique dou-
ceur et d'une ardente charité, il consacra la majeure
partie de son temps et de sa peine aux pauvres et
aux affligés. Nul ne savait mieux parler selon leur
cœur aux gens en deuil; ses consolations étaient si
efficaces que sa présence seule paraissait un bienfait .
Les témoins de ses prières auprès du lit des mourants
et les malades rendus à la santé conservaient comme
un précieux trésor le souvenir des exhortations de
l'excellent pasteur.
Un incident de ce genre décida la vocation de
l'apologiste chrétien Jacob Vernet. « Tout jeune en-
core, raconle-t il, je lisais dans un jardin près de la
ville. Je vis entrer le célèbre professeur Bénédict
Pictet, qui me demanda la demeure d'une femme
âgée et mourante qui désirait sa visite. Je le con-
duisis dans ce logis, et par une curiosité d'enfant,
je demeurai dans la chambre voisine pour entemire
M. Pictet. Ses paroles et surtout sa prière boulever-
sèrent mon àme; la figure angoissée de la malade,
qui reprenait peu à peu un calme et une expression
célestes, me causa une émotion indescriptible , et je
résolus de me vouer à ce ministère, dont les béné-
405
dictions sont si visibles auprès des êtres souffrants. »
Bénédicl Pictel employa la plus grande partie de sa
fortune à secourir les indigents genevois; il connais-
sait tous les pauvres de la ville, et non-seulement il
les aidait de ses secours, mais il savait diriger leur
conduite et améliorer leur position en surveillant leurs
travaux.
Les réfugiés français, qui affluaient journellement à
Genève, trouvaient en lui le plus zélé prolecteur. Il
sacrifia également une grande partie de son avoir el
montra une héroïque obstination dans ses sollicitations
incessantes auprès de ses amis pour soulager les vic-
times de Louis XIV.
Pendant l'année 1086, où les rigueurs intolérables
de l'hiver et la disette portèrent au comble les souf-
frances des Genevois et de leurs frères de France ,
Bénédict Pictet multiplia tellement ses secours et ses
visites qu'il fut atteint d'un rhumatisme el de douleurs
aiguës qui lui interdirent pendant de longs inter-
valles tout service actif. Durant les dernières années
de sa vie, sa fortune, déjà fort diminuée grâce à ses
aumônes, fut anéantie par des revers indépendants de
son administration. On eut connaissance de sa pau-
vreté par la diminution forcée des services qu'il
aimait tant à rendre. Les magistrats, après de
longues hésitations, voulurent témoigner leur sym-
pathie à ce martyr du devoir chrétien, et pour
106
mettre à couvert l'austère délicatesse du vieux
pasteur, ils lui envoyèrent l'extrait de registre sui-
vant :
(Du 16 décembre 1719.) « Le Conseil ayant con-
naissance des grands frais dans lesquels Spectable
Bénédicl Pictel est constitué par grand nombre de
lettres qu'il reçoit tant pour les affaires des particu-
liers, que pour celles de l'Église, et dont les ports
vont à une somme très-forte par année, informé des
soins qu'il prend et de son grand travail pour l'Église,
estime que Messieurs doivent y avoir égard, surtout
après les revers qu'il a essuyés dans ses biens, épreuve
qu'il supporte avec tant de constance et de tranquil-
lité. L'avis a été de faire présent au Spectable Piclet de
cinquante écus d'or que le trésorier lui portera.»
« M. Pictel a accepté avec remerciements ce don
honorable, et il se réjouit, dit un contemporain, de
pouvoir faire encore quelques visites aux réfugiés et
aux Genevois indigents de sa paroisse. »
Quatre ans plus tard , la Compagnie des Pasteurs
inscrivait en ses archives les paroles suivantes :
(Du 10 juin 1724.) «Dieu a retiré à Lui notre
frère M. Pictet; il est mort cette nuit d'une manière
inopinée. On visitera sa veuve et sa famille, pour leur
marquer la vive douleur de l'Église de la perte irré-
parable que la patrie vient de faire. »
L'Europe protestante s'associa tout entière au deuil
107
de celle ville; les lellres les plus touchantes furent
écrites à la Compagnie. Nous citerons seulement les
paroles de l'archevêque de Cantôrbéry. «.le ne puis
vous exprimer l'extrême douleur que je ressens de la
mort de notre vénérable frère Bénédict Pictei. Quel
serviteur érudit et fidèle ! quelle gloire il a répan-
due sur notre Église ! des témoins pareils sont des
remparts contre les ennemis de cette cité. Les plus
éminentes vertus ont éclaté en lui, vous en avez joui
pendant de longues années. Mais vous aurez toujours
des sujets de consolation : Primo avulso non déficit
aller. Heureuse Église, heureuse Académie ! Conser-
vez toujours cet amour des lettres, cette culture de
la science , cette paix fondée sur l'éloignement des
vaines controverses. Continuez à laisser a tous la
liberté de parler et d'enseigner. En vous tenant atta-
chés aux vérités fondamentales, continuez à supporter
la discussion sur les vérités secondaires. Votre Église
fleurira dans une haute paix; attachée à la vérité,
ennemie de la licence, elle sera toujours au premier
rani? pour la défense de la liberté chrétienne. »
Douze ans plus tard , l'Église de Genève perdait
l'illustre compagnon d'œuvre de Bénédict Pictet ,
Alphonse Turretin, et le 1er mai 1757, les pasteurs
lui consacraient un fraternel souvenir. « Quelqu'élen-
dues que fussent les connaissances qui lui donnent
un rang et une réputation distinguée parmi les sa-
108
vants, on admirait encore plus en lui le jugement
exquis, employé dans Tordre excellent qu il savail
donner à ses pensées, la netteté et la précision avec
lesquelles il les exprimait. Il est un de ceux qui a le
plus contribué à introduire dans la théologie et la
prédication cette noble simplicité apostolique qui
est en bénédiction dans nos églises. Plein de charité
et de tolérance, il a prêché de vive voix et par écrit
la paix cl la concorde entre les enfants de la Réforme.
Il a eu la consolation de voir que Dieu bénissait ses tra-
vaux. Il a été conservé, quoique faible et infirme, jus-
qu'à l'âge de soixante-six ans. Sa fin a été celle du
véritable chrétien qui se sent appelé à l'immor-
talité. »
A côté de ces chefs, dont les noms sont demeurés
dans le souvenir des églises de la réforme, nous dési-
rons parler de quelques pasteurs genevois dont l'œuvre
fut cachée en Dieu, mais qui obtinrent un témoignage
honorable de leurs paroissiens et de leurs collègues.
M. Tronchin ^1705. 11 septembre.) « Il est rap-
porté que M. Tronchin étant extrêmement malade,
M. le modérateur fit assembler exlraordinairement la
Compagnie; on se transporta chez ce vénérable frère
pour lui témoigner le regret que ses collègues avaient
de perdre un doyen de son mérite, qui leur faisait
tant d'honneur et leur était d'une si grande utilité.
M. Tronchin, rassemblant ses forces, a répondu :
109
« Je suis fort obligé de l'honneur que vous me faites.
Si j'ai offensé quelqu'un, je vous prie de me pardon-
ne)'. Je vous exhorte tous à la concorde et à l'amitié
mutuelle, et je meurs très-humble serviteur de celte
Église. »
M. Mestrezat (7 janvier 4 690). «M. Sartoris,
modérateur, rapporte qu'ayant appris qu'il avait plu
à Dieu de visiter M. Mestrezat, le plus ancien des
pasteurs et des professeurs de cette église, d'une ma-
ladie qui le mettait hors d'espoir de guérison, et l'a-
vertissait d'un prochain délogement , il avait rassemblé
en conséquence plusieurs frères, dimanche après le
sermon du soir, et ils sont allés par ordre, marchant
deux à deux, dans la maison de M. Mestrezat : on les
a introduits dans la chambre du malade. Le modéra-
teur s'élant approché de lui. dit qu'il venait au nom
de tout le corps lui témoigner le sensible déplaisir de
voir dans cet état d'affliction et de maladie, celui de
ses membres qui tenait le premier rang par son mérite
et ses longs services, qu'il souhaitait de tout son cœur
qu'il plût à Dieu de le rétablir, mais sachant que toute
espérance du temps présent était vaine, il fallait se
soumettre à la sage volonté du Maître qu'il avait servi
fidèlement pendant de longues années. Sur quoi le
malade, autant que sa faiblesse et le bégayement de
ses lèvres purent le permettre, témoigna sa reconnais-
sance pour l'affection que ses frères lui montraient;
110
il donna des marques bien expresses de son déta-
chement et de son entière résignation à la volonté de
Dieu. M. le modérateur lui ayant demandé s'il souhai-
tait qu'on lui fit la prière, et le malade en ayant
témoigné un ardent désir, il avait imploré le secours
de Dieu par une prière à haute voix pendant laquelle
le malade, non-seulement éleva les mains et les yeux
au ciel, mais dès qu'elle fut achevée il fit effort sur
sa grande faiblesse pour en présent* >i une à Dieu;
mais n'ayant pas assez de voix et de liberté pour cela,
il écouta ce que lui dit encore M. le modérateur
pour la consolation de son âme, après quoi les pas-
teurs lui tendirent la main , lui disant au revoir,
et ce bon personnage leur souhaita la bénédiction du
ciel sur leurs personnes et leur ministère.
« M. le pasteur Marc Micheli rapporte plus tard
que, comme la maladie de M. Mestrezat dura encore
quelques jours, il s'était heureusement rencontré le
samedi matin, 2 février, chez ce pieux malade, pour
lui rendre ses devoirs, et qu'il l'avait trouvé extrême-
ment faible et si oppressé qu'il ne pouvait plus parler
intelligiblement. Toutefois, il donnait des témoignages
fréquents de l'élévation de son âme et d une entière
présence d'esprit, tendant la main et la posant sur
la tête de ses jeunes parents qui lui demandaient sa
bénédiction. Le voyant s'affaiblir, M. Micheli lui offrit
de lui faire la prière, et en ayant témoigné un ardent
111
désir, il la présenta à Dieu, pendant lequel temps le
malade ôta par deux fois son bonnet, et élevait les
yeux et les mains au ciel . Après que la prière fut finie,
il témoigna l'avoir bien entendue, et comme M. Mi-
cheli lui disait au revoir, M. Mestrezat remit paisible-
ment et sans la moindre angoisse son âme entre les
mains de Dieu. »
Tels étaient les sentiments et la foi de ces hommes
du dix-septième siècle, qui, après avoir usé leur vie
pour soutenir l'Église dans les mauvais jours de la
persécution et des luttes théologiques, s'endormaient
au Seigneur, suivis de leurs œuvres, et se confiant
sans réserve en sa miséricorde.
Pareille fut la mort de leurs fils et de leurs élèves
qui, durant cinquante années, travaillèrent à la dé-
fense de l'Évangile contre le matérialisme et l'incré-
dulité, et furent recueillis dans le repos de Dieu
après une carrière semée des plus pénibles épreuves.
M. de Roches, mort le 20 octobre 1769. Voici
le témoignage de la Compagnie :
« Son profond savoir, son âme élevée, sa noble et ai-
mable éloquence nourrie du suc des Écritures, la solide
énergie de ses écrits pour la défense du pur chris-
tianisme, l'ont rendu un des hommes les plus éminents
et les plus utiles à la religion dans cette ville; on
espère que son digne fils, qui est entré dans le minis-
tère, marchera sur ses traces. »
li-2
Vers la fin du dix-huitième siècle, une sympa-
thie profonde accompagna la démission de l'apologiste
chrétien Jacob Vernet (1786):
« On regrette la démission de M. Vernet; c'est
un des pasteurs qui a le plus illustré notre Église et
notre Académie. Il fui durant trente années professeur
en théologie, et il a rendu les plus éminents services
soit par ses leçons, soit par ses nomhreux écrits, qui
l'on fait connaître dans toute l'Europe de la manière
la plus avantageuse. Ces beaux talents ont été cou-
ronnés par une douceur, une piété, une modestie sin-
gulière. Quoique rentré dans le repos de la vie privée,
on sait que M. Vernet emploiera jusqu'à la fin sa
parole et son influence au service de notre Eglise. »
M. Vernes(%& octobre 1791 .) « La Compagnie ap-
prend avec une vive douleur que Dieu a retiré à lui
M. le pasteur Jacob Vernes. Il fut un homme de let-
tres distingué, un citoyen plein de zèle, grand pré-
dicateur, pasteur éclairé et vigilant. Il a fait beaucoup
d'honneur à son pays et à son Eglise. Correspondant
avec les savants les plus illustres de l'Europe, il s'est
fait un nom dans les lettres. Dévoué à sa patrie, il a
cherché à lui être utile en procurant la paix; il a
souffert avec une patience pleine de dignité les épreu-
ves de l'exil. Il joignait à un extérieur intéressant une
grande force de raisonnement et une noble simplicité.
Ses ouvrages pour la défense de la religion respirent
143
un zèle ardent tempéré par une douceur inaltérable;
il attaque avec énergie Teneur de ses adversaires et
respecte leurs personnes; cette franche cordialité et
cette noble franchise lui ont valu l'affection et le res-
pect universels.
C'est ainsi que, durant deux siècles, les pasteurs
genevois ont conservé leur Eglise vivante et respectée
au milieu des persécutions du fanatisme romain, des
divisions dogmatiques et des attaques du matéria-
lisme.
111.
8
144
CHAPITRE IV.
DOGMATIQUE GENEVOISE
Etat de 1 opinion après l'abolition des peines civiles contre les héré-
tique — Controverse arminienne. — Aniiraut. — Tolérance pru-
dei e de la Compagnie des Pasteurs. — Caraeron. — Morus. —
Controverse -ur la prédestination. — Formulaire de consécration
pour les ministres. — Affaire de De Rodon. — Affaire de Chouet. —
Discussion sur la grâce. — Le Conseil et le Concile. — Affaire
Mussard. — Affaire Le Clerc. — L'intolérance condamnée par l'évê-
que anglais Burnet. — Le Consensus. — Admirable conduite de
Neuchâtel. — Discussion à Genève. — Adoption du Consensus. —
Schisme dans l'Eglise à ce sujet. — Retour à la paix.
Nous avons, dans le précédent volume, conduit
l'histoire de la dogmatique genevoise jusqu'au mo-
ment où les châtiments civils et la peine de mort sont
abolis à l'égard des gens qui ne pensent pas comme
l'Église établie. Les articles du Code « hérétique »
subsistent encore, mais dès l'an 1652, les magis-
trats et les pasteurs cessent, d'un commun accord,
de faire usage de cet odieux héritage du fanatisme
romain. La discussion sur les croyances religieuses
devint dès-lors possible; elle dura cent cinquante ans.
445
Le clergé genevois se divisa en deux camps bien
tranchés : les uns, irrévocablement attachés au calvi-
nisme, ne voulurent transiger avec aucune des affîr-
malions du réformateur; ils s'efforcèrent d'empêcher
la publication des livres de leurs adversaires, de les
réduire au silence, ou d'obtenir leur exil volontaire
de Genève. Les autres, interprétant plus librement
l'Évangile, se séparèrent à la longue du réformateur
sur diverses parties de son inflexible dogmatique.
Ces deux partis entrèrent en lutte ouverte, et les
doctrines d'Arminius étant la dernière controverse
soulevée parmi les protestants, occupaient une place
importante dans les esprits, et ce fut sur elles que
roulèrent à Genève les premières discussions du dix-
septième siècle.
Nous rappelons que la différence entre Arminius
et Calvin roule sur la prédestination.
Calvin affirme que Dieu a choisi entre tous les
hommes ceux qu'il lui a plu par un décret de sa vo-
lonté, et sans trouver en eux aucune raison qui le
portât à faire cette élection. — C'est la prédestination
absolue.
Arminius dit au contraire : Dieu a résolu de sau-
ver en Jésus-Christ les hommes qui, par la vertu du
Saint-Esprit, croient en son Fils et persévèrent jus-
qu'à la fin.
Ces doctrines d'Arminius s'étaient répandues en
H6
France, malgré les rigueurs exercées en Hollande
contre leurs partisans. Cette controverse éclata en
1 055. Voici les nouvelles qu'on en reçoit à Genève :
«M. A m ira ut, professeur en théologie à Saumur, a mis
en lumière un livre, touchant la prédestination, qui
contient des opinions conformes aux Arminiens, qui
a grandement troublé l'Eglise de Paris. Les pasteurs
de l'Eglise de France ne sont point d'accord là-dessus,
et même il est à craindre que de grands scandales
arrivent. Le synode de Saintonge a député à M. Ami-
raut deux personnes, MM. Vincent et Du Ton, pour
conférer avec Amiraut. Celui-ci leur a donné tout
contentement, et néanmoins ou a sujet de craindre de
très-pernicieux effets de cette publication. » (Reg.Cp.
0 nov. \ 035.)
La Compagnie est priée par les Églises françaises
de s'interposer eu celle affaire; elle accepte le rôle de
médiateur, et conjure les deux partis de se porter à
la tolérance. Toutefois, cette tolérance n'est point
encore une affaire de principe; il ne s'agit point de
reconnaître aux deux opinions le droit de vivre et de
se manifester librement au sein des églises. Non, les
conseils de la Compagnie portent uniquement sur la
nécessité de supporter ses adversaires, « vu les grands
dangers que la Réforme pourrait courir si ses plaies
intérieures étaient connues. » Dans ce but, elle charge
M. Spanheim d'écrire à M. Amiraut :
117
« Votre livre esl jugé contraire à la saine doctrine;
il peut causer de grands maux à l'Église de France. »
A M Dumoulin : « Nous vous prions de ne pas vous
échauffer en répondant à M. Amiraut, vu que de toutes
parts on travaille à le ramener avec douceur. »
A M. Cappel : « Nous apprenons que Vous allez
écrire au long sur le différend survenu entre MM . Ami-
raut et Dumoulin. Vous envenimez terriblement l'af-
faire; il sera déplorable que la discussion se trouve
amenée devant un synode national ; il faudra s'expli-
quer devant un député du roi, découvrir les plaies de
son Église, causer de grands scandales, et donner aux
ennemis l'occasion de mal parler de nous. Nous vous
prions en conséquence de ne plus écrire les uns con-
tre les autres, et nous vous exhortons à céder mu-
tuellement par tolérance pacifique. » (50 sept. 1656.)
Les pasteurs de Genève furent écoutés : on signa
la paix; mais cette paix fut de courte durée. Les dis-
cussions recommençant durant l'hiver, la plupart des
Églises de France demandèrent à la Compagnie d'en-
voyer une Encyclique qui serait lue dans toutes les
chaires. Quelque honorable que fût cette démarche,
la Compagnie refusa et se borna à écrire de nouveau
aux adversaires pour les exhorter à la concorde1.
Les mêmes principes de tolérance, fondée sur la
prudence et l'intérêt, dirigèrent la Compagnie dans
1. Reg. Comp. 10 mars 1637; 20 nov. 1640.
118
une occasion où elle fut directement mise en cause
avec l'arminianisme. — Un théologien écossais, Ca-
meron, était soupçonné de partager les idées du théo-
logien hollandais. « M. Diodali rapporte que son livre
est imprimé aux deux tiers par Chouet; on décide
de faire suspendre l'impression. — Les professeurs de
théologie et le Petit Conseil déclarent que, bien que
des passages soient trouvés erronés, l'ouvrage n'est
pas hérétique et ne choque point les articles de notre
foi; du reste, il est approuvé par le synode national
de Castres, par plusieurs autres synodes, et enfin
par les Ecossais qui pourraient s'offenser de notre
interdiction. Avis est de permettre sans autre la publi-
cation. »
Les grandes controverses agitent longtemps sour-
dement les esprits, et puis elles éclatent au sujet d'un
individu qui concentre sur sa personne les ferments
de discorde épars dans les divers partis. Ce fut le
cas d' Alexandre Mores. Ce théologien, originaire de
Castres, fit ses études à Saumur, et vint à Genève en
164-1 1 pour être admis au saint ministère. La Véné-
rable Compagnie temporisa pendant quelques mois et
ne put se décider à consacrer le postulant. Celui-ci se
plaignit au Petit Conseil, qui demanda « que Morus
1. Reg. Cons. 26 juin, 10 juillet 1641 ; 25 avril 1646; Reg. Comp.
9 janv. 1646.
119
fût immédiatement examiné sur tous les points de la
confession de foi et sur les faits dont on l'avait chargé,
afin de juger s'il y avait quelque chose qui l'empê-
chât d'être reçu au saint ministère. » MM. Dupan et
Mollet rapportent « que les délais ne doivent point
être imputés à aucune prévention contre la personne
de Morus, mais que celui-ci est imprégné de la doc-
trine de Saumur; il penche vers les principes d'Ami-
raut sur la grâce universelle et vers ceux de Laplace
touchant le péché originel. » Un examen plus précis
ayant eu lieu, Morus déclara qu'il signerait de son
sang la confession de Genève et le catéchisme , mais
qu'il ne pouvait condamner ni rejeter la doctrine de
Saumur.
Le Petit Conseil, magistrat souverain pour régler
les affaires de doctrine, se déclare satisfait, « et or-
donne qu'on baille texte au sieur Morus, et qu on
le consacre après les délais voulus, pourvu que cela
n'aille pas trop loin. »
Morus fut consacré : le Conseil le nomma de suite
professeur de philosophie, puis, un an plus lard
(8 oct. 1642), sur l'indication des magistrats, la
majorité de la Compagnie lui confia la place de pro-
fesseur de théologie, succédant à Spanheim. Enfin,
en 1645, le 25 avril, il fut nommé recteur. La
faveur publique était donc à son comble, et Morus
la méritait sous certains rapports : c'était un prédi-
1-20
eatéur brillant, incisif, original; il avait l'art de lixer
l'attention des foules; mais des défauts sérieux com-
promettaient ces éléments de succès. Abusant de sa
facilité d'improvisation1, il montait en cbaire mal
préparé et distrait par d'autres pensées. De là, de
l'obscurité dans ses paroles. C'était même parfois pire
(jue de l'obscurité. Il arrivait à Morus d'oublier les
convenances et de commettre des erreurs de jugement
impardonnables. En voici un exemple :
« Dans le royaume des cieux, dit-il un jour, la foi
sera changée en vue, la loi sera abolie. Singulier
royaume où il n'y aura plus ni foi ni loi ! »
Vers l'an 1646, les disputes recommencèrent tou-
chant les opinions dogmatiques de Morus. On s'atta-
qua vivement en chaire, et Morus dépassait les bor-
nes, malgré la bienveillance inaltérable des magis-
trats. (Reg. Cons., 4 5 août 4 648.)
Des citoyens, membres du Conseil des Deux-Cents,
vinrent reprocher à la Compagnie « de n'avoir pas
relevé les paroles de Morus contre ses collègues qui,
selon lui, prêchent « fables et fatras; ils ont l'igno-
rance sans conscience, et l'impudence sans science. »
(Reg. Comp., 9 janv. 4 646).
En dehors des injures , la discussion portait sur
les points suivants: Morus niait publiquement l'im-
putation du péché d'Adam, et affirmait que le 5me
1. Reg. Comp. 2 juillet 1649. Discours d'adieu de Morus.
chapitre de la 2mc épître aux Corinthiens s'applique
uniquement aux Juifs. Quand saint Paul, disait-il, parle
de la loi, ce n'est pas la loi de la conscience, mais la
loi de Moïse qu'il entend décrire, et sous celte loi il
n'y avait que des promesses temporelles. Enfin, les
réformateurs déclarent que l'homme est condamné
avant sa chute, et lui Morus affirme que les enfants
d'Adam sont condamnés après leur propre chute.
Pendant trois années (4 64-6 à 1649), l'Eglise
genevoise fut bouleversée par cette controverse.
D'étranges variations se manifestèrent dans les opi-
nions des magistrats et dans celles de Morus. Le 9
janvier 164-6, ce théologien avait fait la profession de
foi (pie nous venons de rapporter, et le Petit Conseil
et la Compagnie ayant ouï les réponses et explications
de Morus, le trouvent entièrement exempt de tout
soupçon d'hétérodoxie et de nouveauté. Cette déci-
sion fut suivie de deux années de paix ; mais le 1 8
novembre 164-8, le Conseil, voyant les discussions
recommencer avec une force nouvelle, demande à la
Compagnie « de dresser les articles sur lesquels on con-
teste et que l'on signera sans nouveaux débats.»
Après six mois employés à minuter cette profession de
foi, la Compagnie présenta le formulaire ci -joint1.
1. 1er juin 1649. Articles signés par la Compagnie :
1° Pkchk origi>ki .
Le premier péché d'Adam est imputé à sa postérité par un juste ju-
422
Les thèses se terminaient par un engagement aussi
formel que sévère. Les pasteurs devaient signer les
gement de Dieu, d'où la corruption se répand sur chacun. Ainsi trois
choses rendent l'homme coupable devant Dieu :
1° Nous avons tous péché en Adam ;
2° La corruption qui est la peine de ce péché:
3° Les péchés des adultes.
2° L'imputation du péché d'Adam et celle de la justice de J.-C. se
répondent.
Le péché d'Adam est imputé à sa postérité; précède la corruption.
La justice deJ.-C. est imputée aux élus; précède la sanctification.
3° L'imputation du péché d'Adam est la cause ; notre corruption est
l'effet.
Erreur rejetée.
Que le péché d'Adam n'est pas imputé à sa postérité, ou que l'impu-
tation n'est pas antérieure à la corruption.
2° Prédbstisation.
i° L'objet de la Prédestination sont les hommes tombés, mais non
rebelles à la vocation.
2° L'élection au salut et aux moyens du salut sont quelquefois distin-
gués. J -C. a été envoyé et est mort par le décret de Dieu le Père pro-
cédant de son amour pour les élus.
3° Dieu n'a décrété de donner à son Fils et de leur donner la Foi
pour avoir la vie éternelle, qu'à ceux qu'il a élus en J.-C. par son bon
plaisir.
i° L'amour de Dieu est la seule cause de l'envoi et de la satisfaction
du Fils, aussi bien que de l'application de son mérite.
Erreurs rejetées.
i° Que Dieu a quelque bonne volonté de sauver ceux qui périssent;
et cela sous la condition de la Foi et de la Repentance.
2° Que Dieu a quelque désir ou velléité de moins véhément, on
quelque grâce universelle conditionnelle, de sauver chacun des parti-
culiers, s'ils croient en J.-C.
3° Qu'il y a un décret antérieur à l'élection, d'user de miséricorde
envers le genre humain eu général.
4° Qu'il y a deux miséricordes de Dieu, une illustre et universelle
envers chaque particulier, l'autre plus illustre et particulière envers
les élus.
3° RÉDH>ipno>.
1° La venue de J. C., sa satisfaction et le salut, ne sont destinés
123
paroles suivantes : Sic senlio sic clocebo et nil con-
trarium hisce tlocebo, vel publiée vel privatim. « Ainsi
qu'à ceux à qui Dieu a résolu de toute éternité de donner la Foi et la
Repentance, et à qui 11 la donne dans le temps. L'Ecriture et l'expé-
rience de tous les siècles combattent l'universalité de la Grâce salu-
taire.
2° J.-C. n'a été destiné qu'à un certain nombre d'hommes, qui com-
posent le corps mystique des élus.
3° Ce n'est que pour ceux-là que J.-C a voulu mourir, et ajouter
l'intention efOcace et particulière de sa volonté.
4° Les expressions générales de l'Ecriture ne doivent pas s'entendre
de tous et un chacun des hommes; mais à l'universalité du corps de
de J.-C. ou à l'économie du Nouveau Testament qui abolit la distinc-
tion des peuples.
Erreur rejelée.
Que J.-C. est mort pour tous et un chacun des particuliers, (sous la
condition qu'ils croient) et cela non-seulement à l'égard du prix de sa
mort, mais aussi à l'égard de son intention, et qu'il faut expliquer ainsi
Ezécb. XVIII, 21 ; XXXIII, 11; Jean III, 16 ; 1 Tim. II, 4; 2Pier. 111,9.
4° Disposition a la grâce.
1° Les moyens de salut étant impossibles aux réprouvés, Dieu ne
peut avoir une volonté conditionnelle de les sauver, à moins qu'il n'y
ait en Lui une volonté vaine et sans effet.
2° Le bon usage de la lumière naturelle, subjective ou objective, ne
peut conduire l'homme au salut, ni obtenir de Dieu aucun degré de
lumière nécessaire pour y avoir part.
Erreurs rejetées.
1° Qu'il y a une vocation au salut universelle pour tous les hommes,
et qu'ils peu vent tous, s'ils veulent, croire et être sauvés.
2° Que par sa volonté révélée Dieu veut sauver tous les hommes.
5° PilOMESSES ET PRIVILÈGES DES FIDELES.
1" La vie promise par la Loi n'est pas seulemeut temporelle et ter-
restre, mais céleste et éternelle.
2° Les fidèles avant J.-C. ont eu le même Sauveur et Médiateur que
nous, et le même esprit d'adoption.
Erreurs rejet ces.
1° Que les promesses et les devoirs de l'Alliance légale n'étaient que
naturels et temporels.
2° Que les Pères du Vieux-Testament n'ont pas eu l'arrhe du Saint-
Esprit.
je pense, ainsi j'enseignerai et je n'enseignerai rien
de contraire a celte doctrine chrétienne, ni en public
ni en particulier. »
Morus ayant signé ce formulaire, ses amis lui
conseillèrent de quitter Genève et d'accepter le poste
offert par l'Église de Middelbourg; il y consentit, et
la scène de ses adieux à la Compagnie fut caractéris-
tique : « Je supplie mes collègues de me pardonner si
j'ai manqué à la déférence et au respect qui sont dus
à ce corps. La différence des pays et des lieux peut
avoir contribué à la diversité qui s'est manifestée
entre nous; c'est un défaut chez moi plutôt qu'une vo-
lonté déterminée. Les difficultés de doctrine viennent
de ce que, dans mes leçons et en chaire, distrait et mal
préparé, j'ai eu souvent de l'obscurité dans mes pa-
roles. Mais je prends Dieu à témoin que je n'ai jamais
voulu donner une autre doctrine que celle contenue en
la parole de Dieu et la créance de notre Église, et bien
qu'il y ait eu des difficultés, je prie qu'à mon départ
on reste en bonne affection.» (2 juillet 1649.)
M. Butini, modérateur, lui répondit : « La Com-
pagnie est joyeuse de ce que les débats soient termi-
nés; elle vous souhaite bénédiction et prospérité en
votre voyage; puissiez- vous faire usage à la gloire
de Dieu , avec la prudence nécessaire, des beaux
dons qui vous sont départis ! Nous vous baillons la
main cordialement. »
125
Les conseillers défendirent qu'on parlât davantage
de ce qui s'était passé.
Morus et les pasteurs de Genève souffrirent égale-
ment de la fausse position créée par la lutte entre la
liberté naissante et les habitudes despotiques du calvi-
nisme. Morus, afin de conserver sa place, faisait par-
fois bon marché de sa croyance afin de désarmer ses
plus ardents adversaires; et, de leur côté, les pasteurs
genevois ne possédant plus la législation qui punit les
croyances divergentes, employaient les persécutions
personnelles pour éloigner les hommes qui rejetaient
une partie des idées de Calvin.
Formule de consécration. Environ dix années se
passèrent sans discussions extérieures. Mais le coup
était porté, et plusieurs personnes adoptaient les doc-
trines d'Amiraut reproduites par Morus.
La Compagnie voulut se préserver autant que pos-
sible de toute innovation; elle décida en 1659 (Reg.
Comp.) que tous ses membres signeraient la déclara-
tion suivante :
« V ous promettez de fuir les nouveautés de la doc-
trine sur l'universalité de la grâce et de la non im-
putation du péché d'Adam. »
« Vous n'enseignerez rien qui ne soit conforme à la
coufesson de foi des Eglises réformées de France, aux
arrêtés du synode de Dordrechl et à notre catéchisme. »
426
MM Humbert-Viollier et Vautier signèrent les pre-
miers ce formulaire.
Les deux partis énonçaient avec une admirable
clarté leurs doctrines favorites. Les partisans d'Ami-
raut disaient tous qu'il y a une vocation universelle
au salut pour tous les hommes; ils peuvent tous, s'ils
le veulent, croire et être sauvés.
Les Calvinistes affirmaient que les moyens de salut
sont impossibles aux réprouvés, et que le bon usage
de la lumière naturelle ne peut nullement sauver
l'homme.
Les divergences sur le péché originel furent expo-
sées comme suit :
Calvinistes. Le péché d'Adam est imputé à sa
postérité par un jugement de Dieu, d'où la corrup-
tion se ici and sur chacun.
Arminiens. 1er degré. L'imputation du péché d'A-
dam est postérieure aux péchés de l'individu.
2e degré. Le péché d'Adam n'est pas imputé à
sa postérité.
On imposa rigoureusement la signature de cette
formule d'abord à tous les ecclésiastiques, puis aux
membres de l'Académie, à qui la constitution ouvrait
les rangs de la Compagnie; enfin on l'exigea autant
que possible de tous les professeurs enseignant à Ge-
nève.
Le premier qui souffrit de cette réaction calviniste
127
fut le fameux philosophe logicien De Rodon 1 . Ce sa-
vant possédait une réputation universelle et il était
redouté en France à cause de l'énergie invincible de ses
syllogismes. Ayant composé un ouvrage intitulé le
Tombeau de la messe, il fut privé de tous ses grades
académiques et se réfugia à Genève. On lui confia
l'enseignement de la logique; mais bientôt après,
quelques propositions ayant paru s'écarter de la doc-
trine calviniste, on l'obligea, le 12 juillet 1663, à si-
gner non-seulement le formulaire, mais encore la con-
damnation de la grâce universelle et de la non impu-
tation du péché d'Adam.
Malgré ces précautions, le professeur demeura
toujours en haute défiance; on essayait par mille
taquineries de dégoûter les étudiants de suivre ses
cours. Cette mesquine persécution dura cinq années,
puis De Rodon tomba sérieusement malade; alors il
demande à la Compagnie de lui envoyer quelques-uns
de ses membres pour recevoir une déclaration de
principes qui enlève les sinistres idées que quelques
personnes ont de ses croyances. « Le 15 août 1664,
MM. Mestrezat, Turretin et Tronchin se rendent chez
le vieux professeur, qui depuis deux mois est détenu
de périlleuse maladie. Messieurs, dit-il, sentant que
Dieu m'appelle, je veux qu'on entende mes opinions,
sur lesquelles quelques-uns ont voulu m'accuser d hé-
1. Reg. Comp. 4 octobre 1663, 12 août 1664, mort de de Rodon.
128
térorîoxie — Je me résigne à la volonté de Dieu; je me
confie en la miséricorde de Jesus-Chrisl mon Sauveur,
et j'attends ia vie éternelle selon les promesses de
son évangile.
» Je déclare en outre : 1° que l'essence divine est
une en nombre, spirituelle, infinie, toute puissante,
de laquelle dépendent toutes choses tant actuelles que
possibles;
» 2° La Trinité est une essence unique en trois per-
sonnes distinctes réellement;
» 3° En Jésus-Clirist, la nature humaine est unie
au verbe d'une union toute autre que les saints dans
le Ciel sont unis à Dieu, celle-ci étant parastatique
et l'autre hyposlatique; néanmoins, c'est un mystère
incompréhensible à l'espèce humaine;
» i" Le Franc Arbitre. Dieu l'auteur de tout bien,
détermine l'homme efficacement à toutes les bonnes
œuvres qu'il sent et dont la gloire lui est due, loin
d'attribuer quelque force ou quelque bon mouvement
au franc arbitre pour le bien.
» Quant au mal, Dieu n'en est ni n'en peut être
l'auteur, mais il provient de l'homme seul, quoique
Dieu le permette.
» Sur le péché originel , je crois que tous les enfants
généralement en sont souillés, et qu'au regard des en-
fants des fidèles mourant en bas âge, je crois qu'étant
en l'alliance de Dieu ils sont sauvés. Les enfants des
t29
enfants des infidèles ayant un moindre péché, ils souf-
frirent moindre peine, sans admettre les limbes.
« S'il y a des choses dans mes livres contraires à
la doctrine de nos Eglises, je demande qu'on y appli-
que la présente déclaration. — Signé, Mestrezat,
François Turretin, L. Tronchln, témoins. »
Il nous est difficile de croire que tout fût libre dans
celte déclaration de De Rocîon : dix mois auparavant
il imprimait dans sa Métaphysique que les personnes
de la Trinité diffèrent quant à l'espèce ( specie ) . L'œil
inquisitorial d'un pasteur. M. Léger, découvrit cette
hérésie : elle fut biffée ; c'était naturel , car celui qui
admettrait cette diversité fondamentale dans la nature
divine ne pourrait signer sans contrainte les premiers
articles de la confession suprême du vieux logicien.
Les trois pasteurs qui furent témoins de cette mort
suivirent une carrière théologique fort différente.
François Turretin demeura calviniste rigide, et ré-
digea plus tard le fameux Consensus qui fit couler
des larmes et du sang dans les Eglises suisses. Mestre
zat et Louis Tronchin dirigèrent le mouvement armi-
nien qui aboutit à l'établissement complet de la to-
lérance et de la liberté religieuse dans l'Eglise de
Genève.
Après le professeur vint le tour de l'étudiant , et
en 4 667, un proposant, nommé Rogère, de Berge-
rac, fut accusé, par ses camarades, « d'avoir dit que
"""" il! 9
430
les Pères de l'Ancien Testament ne connaissaient pas
la Trinité; de plus, il lit les livres de l'école de Sau-
mur et approuve les opinions d'Arminius. » Rogère
avoua ces faits, et déclara en outre « qu'il croyait à
l'imputation sans en comprendre la nature, et pen-
sait que l'homme ne pourra être sauvé que par la foi
en Jésus-Christ: pour la grâce universelle, il voulait
être renvoyé à son Synode. »
La Compagnie lui accorda un témoignage « où elle
faisait mention du soupçon qu'on avait de lui et de
la déclaration précédente; elle exigea que l'étudiant
souscrivît la confession de foi des Églises de France,
la liturgie, le catéchisme et les actes de Dordrechl.
A la suite de cette affaire, de violentes discussions
s'élevèrent parmi les proposants, dont la plupart ap-
prouvaient les opinions de leur collègue. La Compa-
gnie les censura.
Affaire de la grâce. Pendant deux années les dis-
putes continuèrent entre les arminiens et les partisans
de la doctrine de Calvin, et MM. Tronchin, pasteur,
Martine et Mestrezat, professeurs en théologie, jugè-
rent qu'ils devaient proclamer hautement leurs opi-
nions personnelles (Reg. Comp. 44 juin 4669.)
Une occasion favorable se présenta pour eux lors
de la consécration au saint ministère de Charles Mau-
rice, ministre français. Le 4 4 juin 4 669, dans la
131
discussion concernant le candidat, un grave incident
fut soulevé. Lorsque le modérateur, après avoir for-
mulé, selon l'usage, les recommandations à faire au
jeune homme, en vint à ces mots: « On l'exhortera
notamment à n'enseigner aucune doctrine nouvelle,
comme l'universalité de la grâce et la non imputation
du péché d'Adam. » MM. Mestrezat et Louis Tron-
chin déclarèrent que leur conscience leur défendait
d'exiger du candidat une semblable affirmation, vu
qu'ils étaient eux-mêmes partisans de ces doctrines.
Des paroles d'une violence extrême furent échan-
gées 1 ; M. Tronchin s'écria : « Ne nous arrêtons plus
à ces pédanteries et à ces formalités, et contentons-
nous d'exiger la conformité à la Parole de Dieu , à
la confession de foi, à la liturgie et à notre catéchis-
me. » M. Mestrezat se joignit à son collègue, et après
la séance ces deux ecclésiastiques se rendirent chez
le syndic Dupan, et demandèrent au Petit Conseil la
permission de prêcher librement leurs opinions.
Le 25 juin, M. François Turrelin se plaint à la
Compagnie de celte démarche, et propose qu'on mette
ordre à cette prétention. Au moment où l'on délibère,
le sautier arrive et prie le modérateur et son collè-
gue, de se rendre au Conseil. En les faisant partir,
« la Compagnie leur ordonne de tout entendre et de
ne rien répondre sans avoir rapporté. » Ils revien-
1. Reg. Cons. et Comp. 25 juin 1669.
132
nentavec la résolution suivante : « Comme les différents
sentiments qui se font voir parmi les pasteurs, con-
cernant la doctrine delà grâce, pourraient engendrer
des discussions et animosités de grande conséquence,
le Conseil ordinaire arrête : Que l'on fait défense
aux pasteurs et professeurs de celte Eglise et Acadé-
mie, d'enseigner, ni en public, ni en l'Eglise et en
l'école, ni en particulier, la doctrine de la grâce, en
autre manière qu'elle a été enseignée ci-devant en
celte Eglise, conformément aux règlements de la Vé-
nérable Compagnie faits sur ce sujet, et approuvés
par le dit Conseil. En telle sorte néanmoins que ce
soit sans dispute, et user de réfutation des raisons
contraires, mais se contenteront d'établir la doctrine
reçue pour éviter toute dispute et contestation, afin
de maintenir la paix el union en cet état et en cette
Église, à peine d'être pourvu el procédé contre les
contrevenants. »
« Le dit arrêt a été expédié aux spectables Philippe
Meslrezat, Jean Martine, Louis Tronchin, el enjoint
aux dits de l'observer ponctuellement. »
Ainsi, par ordre du Conseil, il sera pourvu elpro-
cédé contre les contrevenants, c'est-à-dire que les or-
donnances punissant l'hérésie par l'exil., l'amende,
la prison ou la mort, pourront être remises en vigueur
et appliquées aux pasteurs soupçonnés ou entachés
d'hétérodoxie.
433
Cette menace inquisitoriale devait soulever les es-
prits dans le clergé. Pendant qu'on délibérait sur la
conduite à tenir, Baie, Berne, Zurich et Schaffhouse,
enveniment la question en écrivant « qu'ils ont entendu
parler des dissensions et de l'arrêt des magistrats tou-
chant les nouvelles doctrines; si elles existent dans
la Compagnie, on n'enverra plus les étudiants à Ge-
nève, et cela occasionnera une rupture. »
Cet incident amène de pénibles récriminations;
l'arrêté des magistrats devait être tenu secret, et les
alliés en avaient eu connaissance (R. Comp. 50 juil-
let 4 669). M.Tronchin s'élève contre cette violation
du serment, qui défend de rien révéler des délibéra-
tions du corps.
Le recteur F. Turretin, sans répondre à cette atta-
que, « déclare que ces arrêtés et règlements ayant été
sagement faits par nos prédécesseurs, qui étaient pour
le moins aussi sages que nous, nous ne devons ni ne
pouvons nous en écarter. »
M. Tronchin. « Ceci est propos de papiste et de
l'antechrist; si on l'avait toujours suivi, il n'y aurait
jamais eu de Réformation. »
M . Turretin. « Tous les membres de la Compagnie
ont signé et se sont soumis aux règlements; ils ne
peuvent revenir en arrière. »
M. Tronchin. « Je n'ai rien promis à cet égard, et
quand je l'aurais promis, serment qui n'est pas de
434
faire n'est pas de tenir. Pourrais-je tenir ma parole si
j'avais promis des choses contradictoires et incompa-
tibles, comme la promesse d'enseigner une doctrine
contraire à la Parole de Dieu, ou d'en condamner une
conforme? »
M. Mestrezat. « Il n'est plus question de se sou-
mettre à ce règlement; il suffît qu'on promette la
conformité à la Parole dt Dieu, au catéchisme et à la
confession de foi. — Le règlement du Conseil est
chose indigne ! Détendre les conversations particuliè-
res! ne pas permettre aux frères de conférer ensem-
ble sur les diverses méthodes touchant la grâce, c'est
intolérable ! Il faut que Messieurs réforment leur arrêté
pour laisser la liberté de réfuter les raisons contrai-
res, de quoi on promet d'user avec modération. »
A la suite de ces débats on envoie , le 3 août
1669, au Conseil, MM. Sartoris et Chabrey. Ces
Messieurs établissent que la défense de discuter sur
ces doctrines anéantit les travaux théologiques: ils
supplient qu'on retire cet arrêté, qu'on laisse pleine
liberté d'examen, non pas pour s'emporter, mais pour
s'éclairer en parlant avec modération, prudence et
charité; on demande également la suppression des
clauses pénales qui terminent cette ordonnance. Le
k août, le Conseil modifie l'article touchant la défense
de discuter, enlève la pénalité, et maintient le reste *.
1. Reg. Cons. 4, 25 et 28 août 1669: Reg. Comp. 13 août 1669.
135
Ce point réglé, on délibéra en Compagnie sur l'op-
portunité de reprendre les thèses de 1 649 , et comme
plusieurs ne les avaient pas signées, les calvinistes vou-
laient obtenir les signatures de tous leurs collègues,
avec le sic sentio^ sic docebo et nil conlrariumdocebo vel
publiée velprivatim . Ils espéraient que tous signeraient
pour le bien de la paix, et menaçaient les opposants de
la rigueur des lois. En effet, ils déclarèrent qu'ils pour-
voiraient contre les refusants, et, le 28 août, les par-
tisans de la liberté d'examen, MM. P. et A. Mes-
trezat, de Chabrey, Tronchin, J. Martine,, D. Cropet
et/. Gallatin, « signèrent par amour de la paix. »
L'affaire semblait apaisée; mais on ne termine
jamais une affaire de principes avec des arrêtés légaux
et des mesures despotiques; aussi, de pénibles com-
plications ne lardèrent-elles pas à se présenter. Douze
jours ne s'étaient point passés qu'une affaire de la
plus haute gravité établit clairement que les arminiens
ne devaient espérer aucuue tolérance 1 .
Le professeur de philosophie, M. de Wys, était
mort. On fit un programme pour pourvoir à le rem-
placer*; « la Compagnie désirait attirer les habiles et
les personnes de mérite; mais elle voulait prendre
ses précautions contre les gens inconnus et dange-
reux ; donc elle demandait authentiques témoignages
1. Keg. Comp. 10 et 17 septembre 1669.
2. Reg. Comp. 25 décembre 1668.
4 36
pour la pureté de la vie, preuves suffisantes d'ortho-
doxie, et repoussement des nouveautés dangereuses
en philosophie et théologie.
Robert Chouet, jeune Genevois, professeur àSau-
mur, est nommé avec acclamation. 11 arrive; il était
partisan des nouveautés philosophiques, c'est-à-dire
du système de Descaries; la Compagnie le savait;
mais elle ferma les yeux. Comme professeur de phi-
losophie, M. Chouet avait entrée dans le corps des
pasteurs (Reg. Comp. 4 3 août 4 669).
François Turrelin, recteur, demandait qu'il signât
le règlement. « Monsieur, répond Chouet, je vénère
la Compagnie, mais dispensez-moi, car je suis venu
sous des conditions qui ne contiennent rien de sem-
blable. Je m'en tiens aux termes de ma vocation, et,
pour les thèses, je désire ne pas les signer. Je suis
philosophe et n'ai pas à m'occuper de ces matières;
je ne les ai point assez étudiées pour me décider sur
l'une et l'autre opinion. Du reste, je puis protester
en conscience que je n'embrasserai point les senti-
ments de la grâce universelle et la non imputation du
péché d'Adam ; non pas que je les rejette ou que j'aie
des sentiments opposés, mais ne les ayant pas étudiés,
je ne puis adhérer à l une plutôt qu'à l'autre. Je prie
la Compagnie d'observer le traité conclu à Saumur:
il n'esl pas raisonnable de m'avoir dégagé d'une aca-
démie et fait faire un voyage de cent cinquante lieues
137
pour ne pas se tenir aux conditions qu'on m'a
écrites. »
La Compagnie décide qu'il sera dispensé de signer
les thèses en détail; mais on lui présenta l'écrit sui-
vant :
«Je soussigné déclare que je n'adhère point aux nouveaux
sentiments rejetés par la Vénérable Compagnie, notamment à
l'universalité de la grâce, à la non imputation du péché d'Adam,
et je promets que j'enseignerai, lorsque les occasions s'en pré-
senteront sur ces matières, suivant l'ancienne tradition de cette
Eglise et conformément aux règlements du i" juin 1649, et
que je n'enseignerai rien de contraire, ni en public, ni en par-
ticulier. »
Chouel . « Messieurs, je signe par amour de la paix ;
mais je proteste que je me relâche de mon droit. »
Le parti calviniste comprit le danger, et pensa
que l'universalité de la grâce et la non imputation
feraient des progrès sérieux, si ces doctrines n'étaient
pas comprimées par l'Autorité suprême de la nation.
Turrelin sollicita des magistrats de porter l'affaire
devant le Conseil des Deux-Cents. Après plusieurs
hésitations, les syndics y consentirent, et les Deux-
Cents, ignorant absolument le texte des objets en
litige, tirent imprimer les thèses en français (Reg.
Comp. 10 décembre 4 669). Le 10 décembre la dis-
cussion s'ouvrit; MM. les pasteurs de Les Milières et
Calandrrni prononcèrent un discours dans lequel ils
sollicitèrent la sanction nationale pour le règlement
de 1659. Ils insistèrent sur l'idée suivante : « Genève
t38
a dû son lustre à la conservation de la foi orlhodoxe;
en l'abandonnant, elle se sépare de toutes les Églises
de France et de Hollande ; aussi nous prions vos Sei-
gneuries par le devoir de bon chrétien, par l'amour
de la religion el de la pairie, par le zèle pour la vé-
rité et la paix, par le devoir de votre charge et ser-
ment, de vouloir ratifier par le sceau de votre auto-
rité souveraine une résolution si sainte et si nécessaire
pour être les objets de l'amour de Dieu, de la bien-
veillance et de l'estime des hommes. Ne permettez
pas que Genève perde en un jour la gloire qu'elle a
acquise jusqu'à présent d'être le sanctuaire de la vé-
rité et le patron de l'orthodoxie. »
Le Conseil, touché de ce discours, confirme l'ar-
rêté du 25 août 1659, enjoignant à tous de le signer,
et rétablissant la clause pénale, à peine d'être procédé
contre les contrevenants d'une manière extraordi-
naire (Reg. Cons. 10 décembre 1669).
Spectacle étrange, et cependant conséquence logi-
que de la Réformation! L'autorité de la Nation ayant
remplacé l'autorité de Rome en matière de doctrine,
le Conseil souverain était investi du droit déjuger et
devenait un concile! Mais l'autorité est impuissante
contre la conscience; elle peut délibérer, imprimer
à ses décisions le sceau solennel d'une volonté popu-
laire; la conscience, un instant étouflee, se relève,
proteste, et ne tarde pas à reprendre tous ses droits.
139
On s'aperçut bientôt que la transforma lion d'un Con-
seil national en un concile dogmatique est fort dange-
reuse. Les questions de personnes furent souvent pré-
férées aux questions de principes, et Genève en fit la
triste épreuve.
M. Mussard, homme d'un beau caractère et d'une
rare éloquence, était, depuis dix-huit ans, pasteur à
Lyon. En 1671, une ordonnance du roi bannit de
France tous les pasteurs étrangers. Malgré les ins-
tances que firent l'archevêque de Lyon et le marquis
de Ruvigny, gouverneur de la ville, en faveur de
M. Mussard, il dut partir et revint à Genève1.
Le Petit Conseil demande à la Compagnie qu'il
soit réintégré dans son sein; comme il est ancien pas-
teur, les magistrais le font appeler, et sans attendre
la délibération des pasteurs, ils lui font prêter le ser-
ment voulu parles ordonnances ecclésiastiques, « et
Ton avertit la Compagnie qu'elle doit le recevoir à
nouveau. »
Le 22 août, la Compagnie proteste et ne veut
accepter M. Mussard qu'après avoir examiné sa doc-
trine et lui avoir fait signer les articles de 1659.
« Le Conseil se plaint de ces discours mal assaison-
nés et peu respectueux. » Le 1er septembre il dé-
clare « qu'il ne veut plus qu'on l'importune à ce su-
1. Reg. Cous. 15 août, 5 septembre, 1 J décembre 1671 ; Keg Comp.
10 mars, 30 juin, 25 août, 8, 15, 17 septembre.
uo
jet; il a fait selon son pouvoir et son droit, et il
laisse la Compagnie libre d'examiner M. Mussard sur
la doclrine el les mœurs. »
Le 8 septembre, M. Mussard refuse de signer les
articles, et donne les raisons suivantes : « Je ne signe
pas ces articles, parce qu'ils contiennent des choses
obscures; plusieurs expressions ne sont pas confor-
mes aux termes de l'Écriture Sainte; j'ai exercé le
ministère durant dix huit ans, el je ne crois pas de-
voir faire de nouvelles promesses. Les synodes de
France ont de la tolérance pour nos idées et enten-
dent laisser la liberté, On devrait user de la même
tolérance envers moi que Ton eut envers MM. de Bèze
et De la Faye qui ne pensaient pas comme Calvin sur
quelques points. L'on sait que MM. Tronchin et Mes-
trezat ne sont pas dans les sentiments de leurs pré-
décesseurs; ils sont néanmoins de la Compagnie (Reg.
Cons. 5 septembre). Du reste, sachant bien qu'en la
doctrine dont il est question, il y a diverses métho-
des, et que la matière est délicate, je promets de gar-
der le silence. » La Compagnie décide qu'on deman-
dera que l'affaire soit portée en Deux-Cents. —
M. Mussard, craignant le scandale, préféra se retirer
et cesser ses instances pour obtenir sa réintégration
dans la Compagnie.
(Reg. Cons. 42 déc.) Après celte délibération,
M. Mussard présente une requête au Conseil, déclarant
144
quïl ne peut signer les articles Morus, mais qu'il si-
gnera la confession de foi, etc. Il supplie qu'on le
laisse demeurer en paix dans la ville, sans emploi,
et accepter la vocation qu'il plaira à la Providence.
« On lui accorde sa demande tout en lui refusant la
chaire. » Mussard demeura six ans à Genève, et fut
appelé par l'Eglise française de Londres.
Officiellement, les pasteurs et les membres du Con-
sistoire ultra-calvinistes triomphaient ; mais leur cons-
cience était troublée, et une partie des citoyens ex-
primaient un blâme formel. Ces manifestations ému-
rent les ecclésiastiques, et le lendemain de l'expulsion
de Mussard, au lieu de se réjouir de leur victoire of-
ficielle, ils prennent une solennelle résolution. « Prin-
cipalement et avant, toute chose, il est requis de tra-
vailler incessamment à la réconciliation et réunion
de tous les membres de la Compagnie, afin que toute
mésintelligence étant ôtée, au contraire la concorde
étant bien établie, les décisions faites d'un commun
accord puissent être plus fructueuses, et que nous
soyons tous un exemple de bonne conduite, et que
nos décrets aient plus de poids et soient plus effica-
ces. »
(29 déc. 4 671 . Reg. Comp.) Le Consistoire féli-
cite les pasteurs « de ce qu'ils se sont témoigné ré-
ciproquement des mouvements d'amitié, et demande
à Messieurs qu'on leur permette d'écrire aux Suisses
142
pour les informer de ees bons résultats. Messieurs
disent qu'il vaut mieux ne pas écrire; il y a trop
peu longtemps que cette union dure, et les Suisses
seront plus contents des bons effets que des belles pa-
roles. » Les conseillers avaient raison; car la paix
était établie, à condition que l'un des partis fût ré-
duit au silence.
Affaire Le Clerc. L'un des plus sérieux inconvé-
nients des temps où règne l'exelusisme, c'est de pri-
ver un pays d'hommes distingués qui, par leurs lu-
mières, pourraient lui rendre de grands services. Du-
rant les révolutions politiques et religieuses, les hom-
mes médiocres, les gens qui doivent leur position à
leurs opinions exagérées, ne peuvent supporter les
supériorités et profitent des divergences qui parais-
sent dangereuses à leur système, pour bannir des ri-
vaux dont le mérite et les succès forment une con-
damnation vivante de leur injuste élévation.
Genève fit en \ 676 une triste expérience des pas-
sions qui gouvernent sous le masque des principes.
Un homme s'élevait, et, jeune encore, promettait
de se faire un nom européen par sa capacité, sa puis-
sance de travail1. C'était J. Le Clerc; il avait beau-
coup voyagé, et, revenu à Genève pour se faire con-
1. Reg. Comp. 11 octobre 1678. « C'était Jean Le Clerc, proposant,
fils du conseiller Le Clerc, lequel voulant aller à Grenoble, on lui
donne un témoignage où l'on exprime de grandes espérances. »>
145
sacrer au saint ministère, il signa les thèses. Ce fut
sans doute un tort; mais le blâme doit retomber sur
l'école calviniste, dont les tenailles théologiques étei-
gnaient et déchiraient tous ses adversaires. Le Clerc
fit bientôt connaître ses opinions, et voici la scène
caractéristique qui eut lieu à son sujet : (Reg. Comp.
4 7 août, 7 sept. 1685.) « On rapporte aux pas-
leurs qu'il y a grands bruits dans la ville touchant le
socinianisme de M. Le Clerc, minisire. M. Butini,
son parent, dit qu'il ne faut pas trop se fier à des
bruils, mais prier M. Le Clerc de voir les pasteurs
les plus compétents sur ces sujets, et de s'enlrelenir
avec eux en se justifiant. » Hélas! la justification
produisit des thèses arminiennes. Alors M. Butini
demanda « qu'on ne parlât pas davantage de l'af-
faire de M. Le Clerc, lequel va vivre ailleurs. La Com-
pagnie suspend son jugement : en attendant elle aver-
tit les frères de ne pas lui prêter la chaire. «
Le Clerc « alla vivre ailleurs; » les églises de
France, d'Angleterre et de Hollande lui firent un ex-
cellent accueil, et profilèrent de son immense érudi-
tion. Le Clerc était frappé des inconvénients de la
concentration des sciences dans l'intérieur des univer-
sités; il désirait ardemment faire luire pour le public
des lumières qui étaient alors le privilège exclusif
des hommes d'étude. Dans ce but, il organisa des
publications mensuelles, un journal volumineux qui
144
offrait à ses lecteurs l'analyse des ouvrages les plus
récents et des mémoires abrégés traitant les ques-
tions contemporaines. Cette revue, intitulée Bibliothè-
que universelle , obtint un succès immédiat. Le Clerc
la dirigea pendant sept années, puis d'autres jour-
naux parurent sous des titres analogues; leur nom-
bre se multiplia; ils formèrent pendant le dix-hui-
tième siècle une puissance littéraire qui dirigeait le
mouvement des idées et contribuait au progrès des
sciences et combattait sérieusement la superstition et
l'erreur.
Ainsi, ce fut un théologien genevois qui donna
une impulsion régulière et décisive au journalisme
encore dans l'enfance au dix-septième siècle. Mais
l'étroitesse et le fanatisme des calvinistes privèrent
Genève des bénéfices de cette institution : les librai-
res hollandais en recueillirent les premiers la gloire
et le profit.
Un auteur contemporain, un prélat distingué d'An-
gleterre, l'évêque Burnet, déplorait éloquemment ces
aberrations théologiques4. « Il est douloureux, disait-
il, de voir les Genevois se harceler pour des ques-
tions purement spéculatoires et sans aucune liaison
avec les points fondamentaux de la religion. A Zu-
rich, à Berne, à Genève, on force tous ceux qui
veulent enseigner ou qui embrassent l'état ecclésias-
1. Buruet, Voyage en Italie cl eo Suisse, 1687, pages 118 et 119.
1/4 5
lique, à souscrire une formule qui rejetle la façon de
penser d'Amiraut et de Cappel. Ils usurpent ainsi
le droit de Dieu sur les consciences, et toutes ces
formules de foi qu'on veut introduire sont une inven-
tion fatale.
Le Consensus. Sous voici parvenus à la crise dé-
cisive occasionnée par les efforts suprêmes des par-
tisans du despotisme religieux, de ces hommes qui
croient pouvoir mettre leur autorité à la place de
l'autorité divine. Trois professeurs en théologie,
Henri Heidegger, de Zurich, Luc Gernler, de Bâle,
et François Turrelin, de Genève, effrayés des pro-
grès que les idées d'Arminius et de l'école de Sau-
mur faisaient chez les chrétiens réformés de la Suisse,
voulurent « arrêter cette infection » au moyen d'un
soulèvement général de l'autorité civile contre la li-
berté d'interpréter les Écritures1 . Sous leur influence,
les magistrats de Zurich chargèrent M. Heidegger de
réduire la confession de foi helvétique en un formu-
laire que signeraient tous les ministres, pasteurs et
professeurs, qui feraient partie des Eglises évangéli-
ques suisses.
Ce Consensus fut approuvé par Zurich, Berne,
SchafThouse et Baie, en 1675. Claris, Appenzell, les
Grisons, Bienue, Mulhouse, se joignirent à cette ad-
1. Mémoire sur les troubles «le la Suisse à l'occasion «lu Consensus .
m. 10
hésion. Neuchâlel, l'année suivante, enregistra la nou-
velle formule, la fît signer par le doyen des minis-
tres, puis l'ensevelit paisiblement dans ses archives.
Vivement pressés par Berne, les pasteurs neuchàtelois
répondirent « qu'ils désiraient conserver l'union avec
leurs frères réformés; que, dans ce but, ils s'abs-
tiendraient do discuter sur les questions décidées par
le Consensus; qu'ils garderaient le silence, et que
s'ils n'étaient pas du même sentiment, ils se suppor-
teraient les uns les autres. » Admirable conduite qui
conserva la paix dans l'Église de Neuchâlel, pendant
que les autres Églises, notamment Berne, en vinrent
aux dernières violences contre ceux qui refusaient
de signer le Consensus. En effet, on refusa aux étu-
diants la consécration; pour de simples doutes, on
exila quelques ministres; ou interdit à des pasteurs
la direction religieuse de leurs enfants; on punit de
l'amende et de la prison ceux qui voulurent ajouter
à leur signature celle évangélique restriction : « en
tant que tout est conforme à la vérité des Écritures. »
Les Bernois allèrent plus loin encore; sachant que
la majeure partie des Églises de France partageaient
les doctrines d'Amiraut, ils firent brutalement signer
le Consensus à tous les pasteurs proscrits, sans égard
pour leur exil et leur martyre.
Celle inique oppression enflamma le cœur de
('lande, et il écrivit à F. Turrctin une lettre pleine
ihl
d'une chrétienne énergie. « Quoi! dit-il, vous exi-
gez celte signature de pasteurs déjà reçus par leurs
Églises ! Leurs souffrances ne vous émeuvent point à
compassion, ils ont vieilli dans les travaux du minis-
tère, leur fidélité est publiquement reconnue, et, mal-
gré tout, s'ils ne signent pas, vous les excluez de vos
chaires! » El Ton sait si Claude était orthodoxe.
Voici l'histoire du Consensus à Genève.
Le 50 avril 1677, Messieurs de Zurich écrivent
aux pasteurs genevois pour les prier d'adhérer au for-
mulaire d'uniformité de la foi. La Compagnie laisse
passer quatre mois avant de délibérer sur ce sujet,
puis elle y consacre douze séances, dont voici le ré-
sultat :
1 " canon 1 . « Quelques-uns remarquent que les mots employés
ne sont pas convenables pour désigner le Nouveau Testament,
vu que saint Paul, 2 Tim. III, 15, se sert de ces termes pour
l'Ancien Testament, et Jésus-Christ, en parlant du iota, n'en-
tend pas cela à la lettre, et ne parle pas de nos voyelles et de
nos consonnes, comme l'enseignent quelques docteurs parmi
nous. »
Ces observations sont reconnues justes; mais la majorité
opine d'adopter néanmoins l'article premier.
2e et 5e canons. « Quelques-uns estiment qu'on ne doit point
discuter sur cette matière, ni prendre de décision publique,
tant à cause de la difficulté du sujet dont chacun n'est pas ca-
pable de juger, et que plusieurs grands serviteurs de Dieu ont
suspendu leur jugement sur ce point, que parce que les con-
fessions de foi des Kglises réformées n'ont jamais rien dit à cet
1. Voir le texte du Consensus aux Pièces justificatives.
148
égard, et que Calvin, Pellican, Zwingle, Luther, admettaient
la nouveauté des points-voyelles. »
Adopté, malgré ces observations.
Quant au 'r canon, la Compagnie le trouve conforme à son
règlement.
Le 5e de même.
6'. « Quelques-uns n'ont rien dit; mais M. Tronchin est sorti
lorsqu'on l'a lu; la pluralité le déclare conforme an règle-
ment. »
1'. « Quelques-uns trouvent qu'il va plus loin que le règle-
ment: d'autres non; la majorité est pour la conformité. »
8e. « Quelques-uns le trouvent obscur et plus avant que le
règlement; la majorité pense le contraire. »
Le 9e et le 10e sont conformes.
IIe. « t'eccatum oriymule duplex. » Expression nouvelle. Tou-
tefois on liasse.
Enfin, le 22 février 1678, la Compagnie déclare
au Conseil qu'elle est prêle à signer le Consensus.
Mais le Conseil veut avoir une copie française de ce
document avant de se décider; puis, au bout d'un
an, 5 janvier 4 679, les magistrats consentent à ce
qu'on adopte ce formulaire, avec des observations
critiques sur les trois premiers canons.
Si les signataires du Consensus avaient espéré que
celle nouvelle chaîne pourrait resserrer l'union de
l'Église, ils ne durent pas conserver longtemps cet
espoir. Un an plus lard, 4 6 juillet 1 680, le remords
troubla leur conscience; les effroyables calamités qui
décimaient l'Église française firent réfléchir, et sous
le fouet de l'adversité on devint plus charitable.
Ceux qui proposèrent un rapprochement autre que
11*9
des signatures sur le papier, «reconnaissaient qu'il y
a des difficultés entre les professeurs de théologie, qui
sont au grand détriment des éludes et de l'Eglise. »
— En effet, on constate que des tendances fâcheuses
se manifestent dans l'Académie; l'auditoire de théo-
logie est partagé en deux camps, et les disputes les
plus aigres s'élèvent chaque jour. Les sermons, au
lieu d'être édifiants, roulent sur la controverse, et
voici l'état des choses. Dans les propositions publi-
ques prêchées par les étudiants en théologie, dans les
Congrégations du jeudi, MM. Meslrezat, Tronchin,
Butini, etc., se plaignent de ce qu'ils n'ont que des
chagrins lorsqu'il s'agit de parler de la grâce, et
soutiennent qu'ils ne sont pas obligés par les ordon-
nances d'y assister, ce qui peut être très-dangereux
pour l'Académie. — Après les avoir ouï, la Compa-
gnie charge M. Dufour, modérateur, de leur faire
une grave et sérieuse remontrance.
« Les professeurs rivaux touchant la doctrine doivent vivre
dans une fraternité véritable et dans l'union chrétienne, se
prévenir les uns les autres par honnêteté, se visiter avec assi-
duité, s'entretenir ensemble parmi les proposants, assister aux
sermons les uns des autres, et tous ensemble, autant que faire
se pourra, suivre les mêmes propositions pour l'honneur et le
bien de l'Académie.
» Enfin, pour ôter tout sujet de se plaindre des censures
dans les sermons des étudiants, on demande à chacun le sacri-
fice de ses opinions individuelles; MM. Tronchin et Mestrezal
refuseront eux-mêmes les premiers les propositions qui insi-
150
nueront les doctrines de la grâce individuelle, disant qu'une
telle doctrine n'est pas admise dans notre Eglise. De son côté,
M. Turretin ne permettra pas que les autres proposants affec-
tent de combattre ces sentiments, et disent rien qui puisse
choquer les frères qui les ont, mais les exhortera, en traitant
cette matière, à se contenter de l'établir selon le but de l'au-
teur sacré, duquel ils auraient tiré le texte, avec grande pru-
dence et douceur, et on agira de même dans les conversations
où quelques-uns de ces messieurs se rencontreraient. »
Malgré ces concessions, la victoire élail complète
pour le parti calviniste; toutefois la scène devait
bientôt changer. Les hommes qui avaient soutenu
ces luttes étaient fort âgés; Mestrezal, François Tur-
retin, Louis Tronchin, moururent dans les dernières
années du siècle, et furent remplacés par deux hom-
mes d'un mérite éminenl, Bénédicl Piclet et J. A.
Turretin, qui, dans des tendances opposées, mais
avec un esprit éminemment chrétien, jetèrent un
grand lustre sur l'Église et ramenèrent à un degré
de prospérité et de science digne des plus beaux temps
de la Réforme.
CHAPITRE V.
DOGMATIQUE GENEVOISE
I IBBRTÉ UK CONSCIRKiCR.
J.-A. Turretin et sa théologie. — Enseignement théologique. — Lutte
au sujet du Consensus, 1700. — Affaire Vial De la Rive. — Modifica-
tion partielle de la formule de consécration des ministres. — Efforts
pour obtenir la paix des Églises issues de la Réforme. — Circulaires
de J.-A. Turretin et Bénédict Pictet. — Lettres du roi de Prusse et
de l'archevêque de Cautorbéry. — Modification définitive de la con-
fession de foi genevoise, dans le sens de la liberté de pensée, en
1T2j. — Dogmatique genevoise au 18° siècle. — La Bible de 1803.
— Dernier changement an formulaire de consécration, en 1806 et
1810.
J.-A. Turretin, dont le nom demeurera impéris-
sable dans l'histoire des progrès de la théologie pro-
testante vers la liberté de pensée, était (ils de Fran-
çois Turretin. On s'étonnera peut-être de voir le zélé
partisan de la tolérance sortir d'une demeure où l'on
avait combattu avec tant de persévérance pour « ré-
tablissement de l'absolutisme dogmatique. » Mais un
semblable résultat est naturel. Lorsqu'un fils, homme
de cœur et de génie, a dû souffrir des exagérations
politiques ou religieuses de son père, il garde long-
temps le silence; puis, quand la mort a enseveli tou-
tes les considérations personnelles, ce nouvel ami
des principes sages met son expérience et son zèle
au service de la vérité.
Tel fut le sort de J.-A. Turretin : à l'inflexibilité
paternelle il préféra la tolérance chrétienne de son
professeur Louis Tronchin. Ses études furent brillan-
tes et rapidement achevées. Jeune encore, il voyagea
dans le nord, se concilia l'affection des chefs du pro-
testantisme en Hollande, en Allemagne, en Angle-
terre1. De retour à Genève, il fut consacré au saint
ministère, le ÔO mai 1094. Voici le procès-verbal
de celte admission3 :
« D'après les preuves que M. Turretin a données
de son grand savoir, aussi bien que de sa capacité
pour édifier l'Eglise de Dieu, la Compagnie l'a jugé
unanimement admissible au saint ministère, sous la
promesse qu'il a faite de n'enseigner rien que de con-
forme à la Parole de Dieu contenue dans l'Ancien
et le Nouveau Testament; à notre confession de foi,
au synode de Dordrechl, et de signer le règlement de
la Compagnie des Pasteurs. »
Trois ans plus tard, Turretin fut nommé profes-
seur d'histoire ecclésiastique, et et) \ 705 il remplaça
Louis Tronchin dans la chaire de dogmatique.
1. Vie de J.-A. Turretin; Bibliothèque raisonnée, tome 12.
2. Reg. Comp. 30 mni 1694.
II était aisé de prévoir que Turretin modifierait
profondément la forme et les tendances de rensei-
gnement théologique dans l'Église et dans l'Acadé-
mie de Genève. En effet, il demeura tidèle aux grands
dogmes de la Réforme; mais voulant rapprocher du
christianisme les esprits qu'effrayait l'inflexible ri-
gueur des confessions de Calvin et de Dordrecht,
J.-A. Turretin s'appliqua sans cesse à mettre en lu-
mière l'idée chrétienne, en abandonnant les formules
du seizième siècle. Il espérait, par ce moyen, réta-
blir la paix et l'union dans l'Eglise divisée, et ra-
mener à l'Evangile les hommes froissés dans leur in-
telligence parla rudesse des vieux théologiens.
Voici l'exposé de la doctrine chrétienne que pré-
sente J.-A Turretin.
Abordant en face les grandes difficultés qui agi-
taient les Eglises évangéliques, il disait :
« Nous trouvons dans le Nouveau Testament qu'il
existe un seul Dieu, qui est le père de tous, et de
qui procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, Jé-
sus-Christ, par lequel foutes choses ont été créées, et
c'est pour lui que nous sommes. — Dieu est créa-
teur du monde, première cause de tout. — Dans la
personne de Jésus Christ existe un principe divin; la
raison, la sagesse éternelle, toute la plénitude de la
divinité habite en lui. Enfin, une force, une puis-
sance céleste a inspiré les apôtres, et leur a commu-
154
nique les dons miraculeux qui opèrent encore dans
l'âme des fidèles pour les sanctifier et les consoler.
— L'Écriture met quelque distinction entre ces trois
principes; elle les appelle Père, Fils et Saint-Esprit;
mais elle n'explique point tout-à-fait comment ils se
distinguent. Elle ne multiplie point la nature divine;
elle nous avertit soigneusement que ces trois ne sont
qu'un seul Dieu. — Nous ne savons rien de plus;
nous ignorons en quoi consiste cette distinction ; il
faut suspendre son jugement là-dessus; c'est le seul
parti à prendre1. >
Après cet orthodoxe exposé de la divinité de Jé-
sus-Christ, J.-À. Turrelin aborde la controverse brû-
lante touchant la prédestination et la grâce.
« La question vitale du temps concerne les condi-
tions de l'élection de l'homme au salut éternel ou
son exclusion de la faveur divine. On peut se réunir
sur ce point; — car tous, nous convenons que tout
bien procède de Dieu. — Le mal vient de nous. —
Tous, nous savons que l'homme est libre, qu'il est
digne de blâme et de louange, de peines et de ré-
compenses. — Tous, nous avouons que l'homme
n'est pas excusable lorsqu'il pèche. — Nous admet-
tons également que le pécheur croyant à l'Evangile,
plein d'un sincère repentir, est le bienvenu auprès de
Dieu, et participe au salut que l'Etre miséricordieux
1. Théologie chrélieniic, loiue IV, p. 50 à 58, édit. 1~'«0.
155
offre à l'humanité. Nous croyons tous que ceux qui
sont exclus du salut, le sont par leur propre faute.
Leur ruine est leur ouvrage ; Dieu n'en est point l'au-
teur. — Tous, nous pensons (pie rien n'arrive dans le
temps qui n'ait été défini dans les conseils éternels
de Dieu.
» D'autre part, Dieu n'agit pas par succession de
temps, par des conseils variables, mais par un acte
simple, unique. Tout est connu, constitué par la
science et le pouvoir divin.
» Nous admettons que les éternels conseils de Dieu
ne détruisent point notre liberté individuelle, que
nous serons jugés, non sur les décrets divins, mais
sur nos actions; que devant Dieu il n'y aura point
d'acception de personnes. Si ces choses sont difficiles
à comprendre, plaçons-nous près de saint Paul , qui
déclare les jugements de Dieu incompréhensibles, et
ses voies insondables.
» Enfin, le but de notre rédemption est de nous
délivrer de la crainte de nos fautes passées, afin que
nous servions Dieu en justice et en sainteté, tous les
jours de notre vie. Christ a porté nos péchés en son
corps sur le bois, ensorle qu'étant morts au mal, nous
vivions à la justice.
» Voici les reproches qu'on adresse à cette doc-
trine : <* Est-il juste qu'un innocent souffre pour des
«coupables? Quelle nécessité d'avoir une expiation
4 56
» ou un sacrifice? Dieu ne pouvait-il pas nous par-
» donner gratuitement, et cela ne serait-il pas pl us
» digne de sa grandeur, que d'exiger une rançon? »
» La maxime de droit, qu'un innocent ne doit point
périr pour un coupable, est fort mal appliquée ici;
car il ne s'agit pas d'une personne innocente qui souf-
fre contre sa volonté, ou qui n'ait pas le droit de
disposer de son existence; il s'agit de quelqu'un qui
est le maître de sa vie. qui la perd de son plein gré,
pour le bien du genre humain, puis qui ressuscite et
en reçoit une glorieuse récompense. Cet acte géné-
reux n'est nullement injuste, dit Origène; « ce que
des rois et de bons citoyens ont fait pour leur pairie.
Jésus l'a fait pour tout le genre humain. »
» Était-il nécessaire que Dieu employât ce moyen?
N'en avait-il pas d'autre? Nous ne pouvons répondre
à celte question; Dieu est le maître en nous faisant
grâce de l'attacher à telle condition, et de nous la
faire parvenir par tel canal qu'il lui plaît. Ce n'est
pas à nous de décider ce qu'il peut faire ou ce qu'il
ne doit pas faire en celle occasion. La mort de Jésus-
Chris! est le couronnement des actes de grâce accom-
plis dans l'ancienne alliance par les hommes aimés
de Dieu. Moïse le désarme en jeûnant et en priant
pour son peuple sur la montagne . Les Israélites fu-
rent bénis à cause d'Abraham, leur père. Plus d'un
roi de Juda a été épargné pour l'amour de David,
157
tlonl il descendait. Dieu, pour donner plus de prix
à la piété, à la charité, daigne avoir égard aux vœux
que les justes l'ont pour leurs frères, et la prière, la
mort du Juste par excellence, répand sur nous son
efficace universelle. L'héritage mural d'un juste, c'est
la chose la plus précieuse dans une famille; de même,
Jésus élend son bénéfice immortel el parlait sur toutes
les générations qui le regardent comme leur frère el
leur ami. »
Cette théologie, fort orthodoxe au fond, très-libérale
dans la forme, (il de grands progrès dans l'Eglise el
dans l'Académie de Genève . En moins de douze an-
nées, elle avait suffisamment modifié les idées des pas-
teurs pour qu'il fût possible d'abolir le Consensus.
Avec celle règle de fer, et parcelle signature im-
posée à de jeunes ecclésiastiques, le despotisme cléri-
cal rivait la pensée religieuse dans un cercle dont elle
ne pouvait sortir. Tous les enseignements du pasteur
devaient être conformes à rengagement pris le jour
de la consécration. Un seul point changé dans ses sen-
timents intimes, pouvait amener la déposition, l'exil,
et briser une carrière honorée par de sérieux sacrifices.
J.-A. Turrelin voulut mettre tin à cette domination
sur la conscience. l>ès 1(>97, à son entrée dans
l'enseignement théologique, il formula sa conviction
touchant cette grave matière. En face du Consensus,
il dit à ses étudiants (Pensées théologiques, 5(> et 57) :
158 *
«User de contrainte en fait de religion, c'est
violer la religion elle-même el la renverser absolu-
ment. »
» Il n'y a rien de si libre que le christianisme; si
le cœur et l'intention n'accompagnent pas le sacri-
fice, c'est un culte annulé qui perd tout son prix. »
» Si quoiqu'un voulait prouver une vérité géomé-
trique par des menaces, des promesses el des suppli-
ces, on regarderait cette entreprise comme de la der-
nière absurdité; il n'est pas moins absurde d'employer
de semblables moyens en fait de religion. »
D'abord J.-A. Turretin professa paisiblement ses
nouveaux principes; mais, en 1698 \ un orage
ecclésiastique s'éleva contre son enseignement. Les
gens qui voient la vérité plutôt dans les formules
humaines que dans l'esprit évangélique taxèrent in-
directement le chef de l'Académie de socinianisme.
On racontait que MM. de Berne avaient défendu
à leurs proposants de venir à Genève, « à cause
des sentiments dangereux que professent quelques
personnes de cette Académie sur le socinianisme.
Dans I auditoire de théologie on a des manières qui
sentent l'arminianisme : on dédaigne les livres ortho-
doxes! »
Turretin demanda qu'on prît des informations
1. Reg. Corap. 18, 25 mars, 1er, 8 avril, 8 juillet, 23 septembre et
25 novembre 1698.
m)
précises auprès de MM. de Berne; ceux-ci répon-
dirent : « Nous ignorons ce dont on veut parler, el
rien de pareil n'est entré dans notre pensée. »
Un autre jour, l'affaire se reprit sous une autre
forme: « M. Vautier revenant d'Onex, on lui a dit
sur le chemin que la plupart des proposants sont
gâtés sur les matières de la trinité et de la divinité
de Jésus-Christ, el que le chef qu'on lui avait nommé
se vantail d'en attirer plusieurs dans ses sentiments. »
Turrelin ne répondit rien, et la Compagnie délibéra
comme suit : « Les professeurs appelleront les étu-
diants pour leur faire de graves remontrances tou-
chant la saine doctrine. Lorsqu'ils seront près d'être
reçus, on leur posera des thèses courles, précises et
non équivoques, touchant noire confession et sur les
matières du socinianisme, pélagianisme et déisme.
Tous ceux qui seront soupçonnés d'hétérodoxie ne
seront point admis au saint ministère; ils ne pourront
avoir un bon témoignage qu'après une longue épreuve
et des preuves claires et certaines de leur orthodoxie.
Chaque pasteur s'engagera en conscience à ne pas ad-
mettre au saint ministère un homme contre lequel il
aurait un soupçon légitime d'hétérodoxie. »
îl se présenta bientôt une occasion d'exécuter celle
décision. Le 8 juillet 1698, on devait recevoir trois
proposants, MM. Butini, Calandrini et Bessonnel.
Comme quelques soupçons touchant ia doctrine s'é-
100
laienl manifestés à leur égard; le modérateur pro-
pose que ces candidats fassent uue déclaration solen-
nelle, « et en gens d'honneur, de leur orthodoxie ou
de leurs sentiments nouveaux. »
MM. Bulini et Calandrini, parents îles jeunes gens,
acquiescèrent.
M. Tronchinet les autres parents formant majorité
refusèrent. Le modérateur dut retirer sa despotique
proposition.
Le 25 novembre 1698, dans le discours de ré-
ception, M. Sarasin, modérateur, appuie plus que
jamais sur la nécessité cf observer la doctrine de la
confession de foi et celle de Dordrecht. On appelle
le jugement de Dieu sur la tète des contrevenants.
La même scène se représente aux réceptions de
1699, 1702 et 1703.
J.-A. Turrelin évite soigneusement la discussion
publique; il continue avec ses élèves l exposé de ses
principes larges et tolérants, et bientôt arrive le mo-
ment de la crise suprême, l'heure où la majorité étant
gagnée à la cause de la tolérance, il faut qu'un acte
public brise entin ces barrières du vieux despotisme
calviniste.
Nous sommes en 1706. Lin fait individuel va dé-
terminer celte grande révolution. Un jeune ministre,
Vial de Beaumont, d'origine française, gendre du
pasteur De la Rive, demande l'entrée de la Compagnie,
ici
faveur qui s'accordait alors aux jeunes ecclésiastiques
distingués par leurs talents et par leurs services. (Reg.
Comp. 25 avril 1706.)
La Compagnie le recevra avec plaisir, à condition
qu'il signe les règlements. M. Vial déclare qu'il si-
gnera la confession, mais il ne veut point signer le
Consensus, avec le sic sentio, et prend seulement l'en-
gagement écrit, Non contrarium docebo pacem eccle-
siœ promovebo. « Je n'enseignerai rien de contraire
et je conserverai la paix de l'Église. »
La Compagnie délibère et décide à la pluralité des
voix de recevoir M. Vial, en signant comme il l'a
fait, et cela pour éviter les dissensions et les grands
maux qui pourraient arriver.
La minorité proteste et demande que sa protesta-
tion soit mentionnée au registre.
Telle est la première scène de cette grande révo-
lution théologique.
(Reg. Comp. 50 avril 1706.) Le professeur Ca-
lendrini, chef de la minorité, ne peut accepter cette
décision ; il rapporta le fait au premier syndic , lui
déclaranl que la Compagnie avait abrogé un arrêté
sans aucun droit.
(Reg. Cons. 1er et 5 mai.) Le Conseil témoigne
son déplaisir touchant celte discussion, déclare qu'il
regarde comme non advenu ce qui s'est passé,
demande aux pasteurs une délibération nouvelle, et
m. il
16-2
défend, sous peine de son indignation, qu'on écrive
sur cette matière en Suisse, en Allemagne, en Angle-
terre ou ailleurs. Enfin, il suspend l' introduction de
M. Vial dans la Compagnie.
M. Domaine Butini « conjure ses collègues de n'ins-
truire le Conseil ni pour ni contre. Il faut se tenir
en repos dans sa maison et ne parler à personne
des affaires présentes. »
(Reg. Comp. 7 mai.) Le 7 mai. la délibération
est reprise. M. Fatio, partisan de J.-A. Turretin, pro-
pose que, pour garder la paix et l'uniformité de doc-
trine, on conserve le Consensus, mais qu'on enlève
le sic sentio. Effectivement, on n'est pas maître de
croire ou de ne pas croire, et d'ailleurs les articles
dont il s'agit ne sont pas fondamentaux; ainsi, sous le
bon plaisir du Conseil, le règlement sera signé : Sic do-
cebo, quoties hoc argumenlum suscipiam, contra ri um
non docebo nec ore , ncc calmno, nec privatim, nec
publiée. « Ainsi j'enseignerai, et dans mes arguments
je n'enseignerai jamais le contraire, ni de bouche, ni
en écrivant, ni en public, ni en particulier. »
(Reg. Cons. \\ et 19 mai.) M. Fatio va plus loin,
et demande que désormais ceux qui sont reçus soient
tenus de promettre verbalement de se soumettre au
synode de Dordrecht et de ies traiter comme les ar-
ticles du Consensus.
Celte proposition paraissant tout concilier, on en
163
informe le Conseil, qui la transmet aux Deux-Cents,
lequel adopte cet arrêté le 19 mai 1706 :
« Vu la délibération du 10 décembre 1669, sans
approuver ou désapprouver l'avis de la Compagnie,
on tolère, quant à présent, la nouvelle signature, on
loue l'union et la bonne intelligence des pasteurs, on
les exhorte à s'entendre plus particulièrement sur
cette matière. Signé Mestrezat. »
M. Vial est reçu et l'affai ! nble terminée.
Un mois plus tard 1 (Reg. Comp. 50 avril 1706),
la Compagnie reprend la question; « elle n'a été ré-
solue que pour le cas particulier de M. Vial; il faut
qu'elle reçoive une solution prompte et générale,
vu que le public s'en occupe grandement. »
Le 25 juin a lieu une des plus solennelles séan-
ces du corps dirigeant l'Église genevoise,
La minorité, composée de 12 personnes sur 54,
s'est absentée volontairement, afin de rendre cette dé-
libération nulle, les deux tiers des membres étant re-
quis pour que les délibérations soient valables. On
passe outre, puisque l'art. 8 établit que les deux tiers
sont nécessaires seulement dans une assemblée extra-
t. Reg. Comp. 18 et -25 juin 1706. — Pasteurs acceptants, 22: J.-Alph.
Turretin ; Domaine Butini ; De la Rive, Jean ; Léger ; Sartoris ; Gaiatin;
Fnlio ; Fabri; Desprez; Calendrini ; Mussard ; Gautier; Jalabert;
Perrot ; Janvier ; Violier ; Senebier ; Rulini fils ; Beaulacre ; Bess'onnet;
Vautier; Vial. — Refusants, 12 : Calendrini, profes ; B. Piclet, profes.;
Gaudy; Turretin, Michel, profes.; Minutoli ; Pinaut ; Sarasin ; itacicr;
Maurice; Decarro ; Bordier ; Rocca.
164
ordinaire, et point pour les jours ordinaires; en sorte
que l'assemblée actuelle est régulière.
J.-A. Turretin dirige la délibération et demande
que la nouvelle signature ne soit pas conservée.
« Vous avez enlevé le m sentio. Je crois cette doc-
traire. Vous ne pouvez conserver : Je l'enseignerai;
car cela blesse et détruit toute franchise, puisque
l'on s'engage à enseigner ce qu'on ne croit pas. Ces
paroles : J'enseignerai conformément au Consensus,
chaque fois que je traiterai ces matières, sont extrê-
mement équivoques: ou elles imposent la nécessité
d'enseigner, et c'est imposer la nécessité de mentir,
ou elles n'imposent point cette nécessité, et alors
elles sont inutiles.
» L'engagement de n'enseigner ni par la parole,
ni par la plume, ni en public, ni en particulier, éta-
blit une déplorable inquisition jusque sur les conver-
sations et les pensées, et cela touchant des matières
que tout le monde regarde comme indifférentes, et
où l'on commence à se supporter de toutes parts.
o II est incongru d'exiger une signature pour le
Consensus, tandis qu'on se contente d'une parole ver-
bale à l'égard de la parole de Dieu et de nos confes-
sions.
Les matières du Consensus n'ont aucune influence
sur les mœurs, le service divin et la prédication.
» Il est dur de penser que parmi les réformateurs
468
il y a des hommes qui ne seraient pas reçus dans celte
Compagnie.
» Enfin, la plupart des Églises suisses, les princes
réformés de Saxe, les prélats d'Angleterre, ce qui
reste des Églises de France, l'Église de Neuchâtel,
demandent qu'on s'adoucisse sur ces matières. »
De la Compagnie, la délibération passa au Petit
Conseil. Les arguments précédents furent longuement
développés par MM. Sartoris et Turretin. MM. Ca-
lendrin et Bénédicl Pictel y répondirent comme suit 1 :
» Ces signatures sont indispensables pour conserver
l'unité de doctrine; il est nécessaire d'avoir des rè-
glements empêchant les pasteurs d'en venir à se ré-
futer mutuellement dans la chaire ou dans l'Audi-
toire, voire même dans les conversations privées. Si
l'on ne fait pas signer l'engagement d'être fidèle à la
Parole de Dieu, c'est qu'on sait que personne n'aurait
la hardiesse de se présenter pour le saint ministère,
s'il n'était pas dans cette idée. Nulle pensée d'inqui-
sition n'entre dans notre esprit; nous demandons
seulement qu'on signe pour éviter les contestations
publiques. Quant à l'opinion des États protestants,
elle importe peu; nous devons aller droit selon notre
conscience, vu qu'ils son! divisés, et qu'il n'est pas
possible aujourd'hui d'être avec une Église sans con-
1. Quatre discours sur te ConstiSHS. Archives, juin 1706. Nous en
avons extrait toutes les idées principales.
166
Irarier sa voisine. Ainsi, nous sommes d'accord avec
la Hollande en admettant le synode de Dordrechl, et
contre les lulhériens en le repoussant. Enfin, Mes-
sieurs, prenez garde : on vous ôte la formule ainsi je
pense, puis on enlève ainsi j'enseigne. On dit qu'il
faudra se contenter du je n'enseignerai rien de con-
traire. Sans doute à présent on ne veut plus rien
au-delà. J'appréhende pour la suite; je vois que les
exhortations seront inutiles; on attaquera le synode
de Dordrechl, les confessions de foi. Je crains l'éta-
blissement de l'arminianisme, et je redoute même
des choses plus graves; les esprits du siècle sont ex-
trêmement portés à la nouvaulé. »
La cause étant suffisamment instruite, la Compa-
gnie adopte dans cette séance du 25 juin la résolu-
tion suivante :
« Sans toucher à la doctrine contenue dans les rè-
glements de 1649 et dans le Consensus, à l'avenir,
ceux qui seront reçus au saint ministère ou dans le
corps des pasteurs, ne seront obligés à aucune signa-
ture, mais ils seront exhortés par la bouche du mo-
dérateur à ne rien enseigner ici, dans l'Église et dans
l'Académie, contre nos règlements, afin de conserver
l'uniformité dans la manière d'enseigner. »
Le Consistoire et les Conseils (R. Cons. 50 août) dé-
siraient ardemment que l'affaire fût terminée à l'amia-
ble. MM. Chouet, Mestrezat, Buisson et de Lange,
167
s'interposèrent el usèrent de leur influence auprès des
partisans du Consensus. Bénédict Pictet fut un des
premiers à se ranger au parti de la conciliation, et
le 27 août tous les pasteurs, à l'unanimité, votèrent
le formulaire suivant, lequel doit être présenté à tous
ceux qui veulent faire partie du corps ecclésiastique
genevois :
« Vous protestez et jurez de croire et de faire pro-
fession de croire tout ce qui est contenu dans les Ecri-
tures de l'Ancien et du Nouveau Testament, qui sont
la véritable et l'unique règle de notre foi.
» Vous promettez encore de n'enseigner rien qui
ne soit conforme à la confession et au catéchisme de
cette Église, comme contenant le sommaire de ce qui
nous est enseigné dans l'Écriture.
Vous êtes exhorté à n'enseigner rien dans l'Église
et dans l'Académie contre les canons du synode de
Dordrecht, contre les règlements de la Vénérable
Compagnie et contre ceux des Églises de Suisse, et
cela pour le bien de la paix et pour garder l'unifor-
mité dans la manière d'enseigner. — N'est-ce pas ce
que vous promettez? — Réponse: Je le promets. »
Le G septembre 1706 (Reg. Cons.) cette résolu-
tion est portée aux Deux-Cents. Les avis sont parta-
ges : les uns voient avec une extrême satisfaction que
les pasteurs se soient entendus sur ce sujet, et votent
pour l'adoption du formulaire. D'autres, tout en ne
108
trouvant pas ce formulaire parfait, ne laisseront pas
que de le tolérer en interdisant aux pasteurs toute
contestation sur ce sujet. Les derniers, sans approu-
ver cet accord, le tolèrent, quant à présent, pensant
qu'il vaut mieux renvoyer la délibération à une au-
tre fois, vu cette diversité d'avis.
Le 10 septembre, « les magistrats faisant réflexion
sur ce qui s'est passé dans le Conseil des Deux-Cents,
pensent que, vu la diversité des opinions, une déli-
bération postérieure est inutile, et déclarent qu'on
laissera le formulaire tel qu'il est. »
Cette grande question étant résolue, et la nouvelle
formule de consécration étant adoptée par le clergé,
les chefs de l'Église de Genève, Bénédict Pictet et
J.-A. Turretin, s'occupèrent activement d'un grand
projet qui commençait à préoccuper vivement la chré-
tienté protestante, savoir, la réunion en un seul fais-
ceau de toutes les Églises de la Réforme.
Ce n'était pas I anéantissement des différences de
la théologie, on sait que ce résuliat est impossible;
mais c'était l'acceptation de la paix, de la fraternité
véritable entre tous les chrétiens; c'était les enfants
de la Réforme oubliant les points qui les divisaient,
et trouvant dans leurs croyances assez de choses
fondamentales et identiques pour se rapprocher et
s'unir; c'étaient les enfants de la Réforme se rassem-
blant autour de la table de la Sainte-Cène, se donnant
169
sans réserve le nom de frères et adorant le même
Dieu, le même Sauveur.
Ce magnifique projet avait été conçu en 4 650 par
un lliéologien écossais nommé Dureus, qui consacra
sa vie à celte idée, sans pouvoir la faire triompher.
A cetle époque, la Compagnie avait publié une ad-
mirable lellre encyclique.
A peine la question du formulaire fut-elle décidée,
que Bénédict Piclet el J.-A. Turretin reprirent avec
une ardeur chrétienne ce projet ; ils écrivirent à toutes
les Églises, à tous les souverains réformés. Afin de
montrer la possibilité de cetle union, ils dressèrent
des espèces d'adresse universalisle, où, laissant de
coté les questions irritantes, ils présentaient aux chré-
tiens réformés l'ensemble des points fondamentaux
qui les rapprochent.
Je rapporte ici la circulaire de J.-À. Turretin et
celle de Pictet. Si le lecteur y trouve une répétition,
j'en tirerai une conséquence importante, c'est que
ces grands théologiens qui, nous l'avons vu, diffé-
raient sur plusieurs points, étaient d'accord sur !a doc-
trine; en sorte que les auteurs modernes qui ont traité
J.-A. Turretin de socinien, et décerné un brevet d'or-
thodoxie à Pictet, ont parlé sans avoir étudié les piè-
ces originales.
Voici la circulaire de B. Pictet :
170
Aux théologiens de la confession d'Augsbourg,
aux Églises de Hollande et d'Angleterre.
« Nos dissensions seront-elles éternelles? Pourquoi
sommes-nous divisés? Ne sommes-nous pas frères?
Pourquoi détruisons nous ce doux nom? Nous avons
le même Père, le Dieu de paix. Nous adorons en
esprit le même Dieu. Nous reconnaissons pour régie
unique de foi la même Sainte-Ecriture; tous, nous
admettons les mérites et la rédemption du Christ. Qui
donc peut nous séparer? Je vous en conjure, chré-
tiens de toute dénomination, tous par les entrailles de
la miséricorde divine et le précieux sang de son Fils
unique, rendons la paix au monde protestant, gué-
rissons la plaie el les blessures de l'Église évangéli-
que; alors la vérité se propagera et triomphera. Nous
enlèverons le scandale de notre sein; les hommes
pieux se réjouiront ; les gens du dehors seront con-
vertis, les noms de calvinistes et de luthériens seront
abolis; nous n'élèverons plus autel contre autel. Nous
vous offrons de vous recevoir dans notre communion,
et nous vous demandons la même grâce. Quelle jour-
née lorsque nos Eglises se donneront la main, formant
un seul corps! Dieu nous bénissant, les anges applau-
dissant, les saints se réjouissant ! »
Touchant l'eucharistie, Pictel et Turretin écrivent
les paroles suivantes :
171
« Dans la cène, le pain et le vin ne changent pas
de nature. Nous admettons que Christ lui-même est
présent dans la Sainte-Cène; que par un mode dont
nous n'avons pas connaissance, le corps de Christ est
mangé par les fidèles, non point par une inclusion
locale, localem inclusioncm, non point d'une manière
qui tombe sous les sens, mais par un mode sa-
cramentel ; nous excluons la croyance romaine ; c'est-
à-dire, le corps de Christ n'est point converti en pain,
l'hostie ne doit point être adorée, la Cène n'est pas
un sacrifice; il' ne faut pas retrancher la coupe au
peuple. La communion n'est salutaire qu'à ceux qui
l'accomplissent avec foi. Nous sommes tous d accord
sur ce point; le reste n'est que vaine curiosité. »
(Bénédict Pictet. De consens® ac dissensu inter fra-
tres augustan&s et reformatas.)
B. Pictet s'exprime ainsi touchant les grandes dis-
putes du siècle passé :
« La dissension concernant la grâce universelle ne
doit point être fondamentale entre nous et la confes-
sion d'Augsbourg. Nous convenons que la foi est né-
cessaire au chrétien pour être sauvé. La rédemption
du christianisme est d'un prix infini, et suffît pour
le salut de l'univers entier.
» Nous croyons que Christ a sauvé les hommes de
toute tribut, de tout ordre de toute espèce. Dieu aime
d'un amour général toutes ses créatures et les comble
172
de bienfails. Dieu veut que tous ses enfants croient
et se repentent pour être sauvés. Dieu ne veut pas
la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie. Dieu
ne demande pas aux hommes de pénétrer, de compren-
dre le décret de la prédestination , mais il veut les
sauver par les moyens qu'il meta leur portée. Rien
n'arrive dans le temps qui n'ait été décrété par l'É-
ternel. Les péchés de chacun sont la cause de leur
condamnation. La foi est un don de l'Esprit de Dieu. »
J.-A. Turretin énonce des principes identiques sur
ce sujet, et pour frapper un dernier coup, ces deux
théologiens font le tableau de la vie intime du chré-
tien. J.-A. Turretin, à son tour, dans son discours
De componendis prolestaiitiam dwsidies , prononce
ces immortelles paroles :
« Placez devant vos yeux un homme qui, touchant
les points contestés entre nous, les ignore ou suspend
son jugement, ou soit incapable de les comprendre.
Mais cet homme remplit les devoirs d'un disciple
pieux et intègre; il se reconnaît pauvre et misérable
pécheur devant Dieu, il déplore ses fautes et ressent
une véritable repentance ; se trouvant sans moyen
de retrouver la paix, il se réfugie sans réserve dans
la miséricorde divine, il se livre tout entier à Jésus-
Christ, il demande son pardon, il repose en lui toute
sa confiance. Aidé par la grâce divine, il ne laisse
rien en arrière en fait de réparation; il se lave de
173
ses péchés, il s'etïorce d'être juste et charitable en-
vers le prochain, d'exercer la patience, la tempé-
rance, l'humilité dans sa vie privée; par le secours
divin, il fait chaque jour de nouveaux progrès; dans
la vie morale, il surmonte la crainte, l'espérance
illégitime; il fait la guerre à ses péchés, et il atteint
l'heure de la mort en s'en remettant complètement
à la miséricorde divine. Qui osera retrancher cet
homme de l'Eglise du Christ, lui refuser la commu-
nion, l'éloigner du blanc troupeau de Jésus-Christ? »
Le roi de Prusse Frédéric Ier répondit aux Gene-
vois en 4 707 :
« Votre Église, dont le nom est si vénérable, de-
vant donner un exemple de charité, après avoir servi
autrefois de lumière pour la doctrine, nous approu-
vons vos pensées à l'égard de la réunion; elles sont
conformes à celles que nous avons suivies nous-mêmes;
mais ce qui nous agrée le plus, c'est celte piété ac-
compagnée de prudence, qui fait qu'en travaillant à
la paix, à l'union des protestants, vous avez aussi
employé, il n'y a pas longtemps, les moyens les plus
propres pour y parvenir; en étant chez vous les obsta-
cles qui pouvaient s'opposer à l'union des Églises
évangéliques, et renversé la muraille de séparation
qui était entre elles; nous suivons les mêmes prin-
cipes dans notre Université de Brandebourg, et nous
pouvons espérer qu'avec l'aide de Dieu la réunion
474
ne saura manquer d'avoir un bon et heureux succès. »
Walker, archevêque de Canlorbéry, répondil dans
le même sens, et déclare que son souverain était lu-
thérien et faisait partie de l'Église anglaise : « A son
exemple, je ne vois aucun obstacle à la réunion des
prolestânls avec l'Église anglicane, et je l'appelle de
tous mes vœux. »
Les principaux théologiens de l'Europe réformée
envoyèrent également des adresses de paix et d'union
aux deux chefs de l'Église de Genève. Toutefois, la
réunion officielle ne put être consommée; mais l'es-
prit de paix et de concorde opéra un rapprochement
réel entre les communautés issues de la Réforme.
Ce travail extérieur pour obtenir la réunion des
Eglises réagit sérieusement sur le clergé de Genève,
et lorsqu'on eut bien compris que les points fonda-
mentaux étaient au fond les mêmes pour tous les chré-
tiens séparés de Rome, on voulut mettre la constitu-
tion ecclésiastique genevoise en accord avec les sen-
timents du troupeau et des pasteurs. Après de lon-
gues conversations officieuses, les ministres genevois
résolurent d'admettre comme base unique de leur foi
LA DOCTRINE TELLE QU'ELLE EST CONTENUE DANS LES SaIN-
TEs-ÉcRiTimES, et de repousser tout engagement à des
formulaires humains. Celte décision fut prise d'un
accord presque unanime. Voici le texte de cette so-
lennelle délibération, qui plaça l'Église de Genève à
175
la tète du monde chrétien qui aspirait à la liberté de
conscience.
Le 22 mai 4725 elle 1er juin, la Compagnie est
convoquée pour revoir le formulaire dont on s'est servi
depuis 4 706, à la réception des ministres et des pro-
fesseurs.— Modérateur, Samuel Twrrelin. Membres
présents: MM. Butini, J.-A. Turreliu, Gallatin. Fatio,
Maurice, Desprez, Peuaut, Bessonnet, Bordier, Vial,
Vautier, Le Fort, Rocca, Léger, Oommelin , Den-
land, De la Rive, Beaulacre, Joli-Rilliel, Le Clerc,
Senebier, Lambercier, Calendrin, De Rochemond,
Perron, Zwalen, Mestrezat, Lullin, Flournois, Tron-
chin, Pictet, Lhuillier, De Labarre.
La Compagnie, opinant sur le formulaire de 4 706,
dont on s'est servi dès-lors à la réception des minis-
tres, après deux tours de scrutin, I'avis unanime, à
deux voix près, a été de ne plus se servir désormais
du dit formulaire, mais de s'en tenir à l'article 6,
titre îfr, chap. Ier des ordonnances, dont on lira les
termes suivants :
« Vous protestez de tenir la doctrine des saints
prophètes et apôtres, comme elle est comprise dans
les livres du Vieux et du Nouveau Testament, de la-
quelle doctrine nous avons un sommaire dans notre
catéchisme. »
En même temps, le modérateur sera chargé d'in-
timer à ceux qu'il recevra au saint ministère, de ne
176
traiter dans les chaires aucune matière curieuse et
inutile qui tende à troubler la paix.
« Ce qui a porté la Compagnie a prendre celle
résolution, c'esl :
» \ ° Que les disputes qui ont donné lieu à la protes-
tation de 1 706 ayant cessé, cette protestation devient
inutile.
» 2° La Compagnie considère qu'on ne peut conser-
ver ce formulaire, sans faire de la peine à quelques-
unes des Eglises réformées où l'on a des idées contrai-
res à celles des confessions de foi qu'on s'engageait
à respecter.
» 3° La Compagnie a remarqué qu'en gardant cette
protestation, ou fait ce que les puissances protestan-
tes ont désapprouvé dans d'autres Eglises, puisqu'on
s'engage à ne point enseigner contre le Consensus.
» 4° Nous avons égard aux luthériens que le sy-
node de Dordrecht et le Consensus éloignent extrê-
mement de se réunir avec nous. »
Enfin, ce qui a engagé la Compagnie à reprendre
l'engagement que contiennent les ordonnances en y
ajoutant des exhortations pour éviter tout ce qui pour-
rait troubler la paix, c'est que les paroles de nos
ordonnances ne renferment rien que de sage.
Qu'elles nous engagent uniquement à suivre et à
enseigner la doctrine de l'Écriture, engagement sous
lequel doi cent être tous les ministres de V Evangile.
Que si les ordonnances parlent du catéchisme, ce
n'est pas pour l'égaler à l'Écriture, ou pour nous
engager à le suivre en tout ; mais simplement pour
témoigner que nous reconnaissons qu'on y trouve le
sommaire de ia doctrine chrétienne.
Que d'ailleurs ces engagements pourvoient à tout
ce qu'on cherche par la voie des formulaires , puis-
qu'ils obligent la conscience des ministres à enseigner
d'une manière pure, et à ne rien avancer qui puisse
occasionner des disputes.
Qu'enfin, on se remet sous la règle des réforma-
teurs qu'on aurait dû suivre, et sous laquelle noire
Église a vécu plus d'un siècle.
Cette décision capitale étant adoptée par l'unani-
mité du clergé de Genève, l'Église conserva une or-
ganisation régulière et puissante, au milieu des dé-
bats politiques et des luttes contre l'incrédulité qui
occupèrent les esprits durant le cours du dix hui-
tième siècle. Peu à peu « ce qui restait des Eglises de
France, » les communautés du refuge et les Églises
vallones. adoptèrent la formule genevoise, et nous
trouvons une correspondance avec la Hollande, dé-
cembre 1720, qui établit clairement la position de
Genève au sein de l'Europe réformée. Les Églises
vallones veulent obtenir des détails très-circonstanciés
sur l'organisation religieuse de notre ville. Voici la
réponse de la Compagnie:
m. 1-2
178
« Nos ministres emploient quatre années à la théo-
logie, aux langues saintes, à l'histoire ecclésiastique.
Ils font ces éludes sous cinq professeurs. Ils doivent
composer huit propositions qu'ils récitent en présence
de leurs professeurs et du modérateur qui y est tou-
jours invité, puis une thèse qu'ils soutiennent devant
les magistrats et la Compagnie. Ils sont grabelés en
l'absence de leurs parents. On les reçoit à vingt-quatre
ans, après l'examen le plus sévère de leur conduite.
Us font deux propositions d examen, composées et
apprises en quarante-huit heures. Ils font des examens
pour les langues saintes, la philosophie, la théologie,
l'analyse d'une épître, l'histoire ecclésiastique, la
morale, sur laquelle ils font un discours composé en
trois ou quatre heures, sans autre livre que la Bible,
dans un lieu enfermé, sous l'inspection de trois pas-
teurs ; puis, la Compagnie délibère à nouveau par ba-
loltes; elle examine surtout la bonne et saine connais-
sance que le candidat peut avoir de l'Ecriture-Sainte,
et pour éviter tout danger du côté des sentiments, il fait
publiquement la protestation solennelle composée par
notre grand Calvin, dont on explique encore aujour-
d'hui régulièrement le catéchisme, deux jours par
semaine, dans chacune de nos trois paroisses. »
Les Hollandais répondent que la formule de con-
sécration de Genève est la même pour les Églises
val loues.
179
La modification de la formule de consécration, ou
de la confession de foi de l'Eglise, étant le résultat de
la doctrine admise par la généralité des fidèles, avant
d'exposer le dernier changement opéré dans renga-
gement des ministres, nous devons offrir à nos lec-
teurs un rapide exposé de la dogmatique genevoise
au dix-huitième siècle.
Nous consultons les ouvrages de Jacob Vernet,
principal directeur de l'opinion religieuse, et défen-
seur intrépide du christianisme contre l'incrédulité, et
voici le système de doctrine que nous y trouvons :
Jésus-Christ est issu de Dieu avant la création du
monde; Dieu l'a comblé de tout le pouvoir, de toute
la gloire, de toute la sagesse, de toute la sainteté, de
toute la perfection dont il peut revêtir un être créé;
c'est ainsi que Jésus Christ est devenu le premier-né
et l'image empreinte, la splendeur de la gloire divine.
Voici le sort de l'homme: tous ont péché, tous
sont condamnés pour n'avoir pas observé complète-
ment la loi.
Mais Jésus apporte l'alliance de grâce, la promesse
que Dieu pardonne tous les péchés dont nous nous
sommes repentis, et que nous voulons essayer de ré-
parer à l'avenir par une meilleure conduite. La cer-
titude de ce pardon est indispensable pour travailler
à la sanctification, à la régénération de son âme, sans
elle, l'abattement, et un invincible découragement se-
180
(•aient noire partage, puisque jamais les efforts pour
l'avenir ne pourraient absoudre la condamnation du
passe.
Jésus est le seul auteur de ce salut complètement
gratuit. Il nous adonné la loi infaillible et parfaite;
il est mort pour affirmer par sa mort la vérité de ses
paroles, pour nous donner la certitude de notre ré-
surrection en reprenant lui-même la vie. Sa mort
est le sacrifice qui abolit toutes les offrandes (pie l'hu-
manité offrait, et offre encore, pour la rançon de ses
crimes; elle est le gage, le signe du pardon que Dieu
nous donne ; elle nous engage à répondre à cet amour,
à ce martyre, par le sacrifice de nos passions. Voici
l'exemple tiré des choses qui se voient : un père qui
aurait tout fait pour sa famille, un bienfaiteur mou-
rant pour ses amis, s'il exigeait d'eux qu'ils se par-
donnassent réciproquement, qu'ils se fissent quelque
restitution, qu'ils s'abstinssent de quelque chose pour
l'amour de lui, il n'est aucun d'eux qui ne consentît
de bon cœur à lui donner une telle marque d'atta-
chement et de reconnaissance, lors même qu'il s'agi-
rait d'une chose dure et pénible. Ainsi, plaçons-nous
au pied de cette croix , contemplons Jésus-Christ mou-
rant pour nous sauver, et nous demandant la repen-
tance et la sanctification, pour l'amour de son sang
répandu pour nous : voilà la foi qui nous sauve.
L'évolution de la doctrine est facile à suivre.
181
Trois systèmes personnifiés dans trois hommes ré-
sument noire histoire dogmatique : Calvin, Turretin,
Vernet.
Chaque système présente au complet le résultat du
christianisme, savoir, le salut de l'homme obtenu par
l'œuvre miséricordieuse de Jésus-Christ tout seul. Du-
rant ces trois siècles, l'Église de Genève a proclamé
qu'il n'y a point de salut par aucun autre; qu'il n'y a
sous le ciel aucun autre nom par lequel nous puissions
être sauvés. Le fait suprême demeure; mais les inter-
prétations individuelles varient. Qui a possédé la vé-
rité dans les détails? Nous le saurons lorsque nous
connaîtrons comme nous avons été connus.
La plus entière franchise a toujours régné dans les
évolutions de la dogmatique genevoise. Les pasteurs
de cette Église ont tenu compte des nécessités du temps,
et suivant les circonstances ils ont insisté sur divers
points fondamentaux. Au dix-septième siècle, au mi-
lieu des luttes ardentes avec le catholicisme, le dogme
de la prédestination et du salut par la grâce fut la
préoccupation constante de Genève. Pendant le dix-
huitième siècle, en face du matérialisme dominateur,
le clergé genevois parla surtout de la réhabilitation
morale de l'homme, au moyen des forces divines; il
insista sur la sanctification, et laissa dans l'ombre le
pardon par grâce. Les dogmes fondamentaux de l'exis-
482
lence de Dieu et de Jésus-Christ étant constamment
niés, les Genevois s'efforcèrent, durant cinquante
années, de les défendre. Ainsi, chaque génération de
l'Eglise de Genève a combattu contre l'esprit du
temps.
Au commencement du dix-neuvième siècle, la
Compagnie des Pasteurs accomplit deux actes qui
couronnent la conduite honorable qu'elle a tenue dans
la grande question de la liberté de la pensée. Au
milieu des orages de la révolution et de l'empire, elle
a publié en 1805 une version de la Bible. Et voici
à ce sujet une délibération qui, sous le rapport de la
franchise et de l'indépendance de la pensée, peut être
offerte pour modèle à toutes les écoles de théolo-
gie. — L'ensemble du clergé n'admettait plus la for-
mule calviniste de la trinité. La discussion s'engagea
sur le passage Hom. IX, v* 5 (Reg. Comp. I juin
1802). Une voix s'éleva pour adopter la doxologie,
savoir, ce passage entendu comme une formule de
bénédiction , Christ qui est au-dessus de tous : « Que
Dieu soit béni éternellement! » L'ancienne version ge-
nevoise porte : « Le Christ qui est Dieu au-dessus de
toute chose, béni éternellement. Amen. »
Les pasteurs inscrivent les paroles suivantes en
leurs archives : « Comme ce passage sera recherché par
ceux qui, à tort ou à droit, soupçonnent les senti-
ments de l'Église de Genève, nous pensons que la
185
traduction littérale est la seule qu'on doive faire.
Nous (lisons : Christ qui est au-dessus de toute chose;
Dieu béni éternellement; amen. L'idée de la doxo-
logie ou bénédiction est insoutenable1, et ce passage
de saint Paul demeure le plus fort argument pour la
divinité de Jésus-Christ. »
Les personnes familiarisées avec l'histoire ecclésias-
tique savent que, dans les temps anciens, les partis
ont maintes fois falsifié les passages des manuscrits con-
cernant la divinité de Jésus-Christ. Mais l'Eglise de
Genève s'est toujours placée au-dessus de ces mes-
quines passions et de leur intervention dans le do-
maine de la vérité religieuse.
Le vénérable Cellérier père fut chargé de composer
la préface de cette version. C'est un travail où l'élo-
quence de la forme fait ressortir la noble simplicité
des idées. En voici quelques paroles:
« La Bible, dit-il, conserve le dépôt des archives
du genre humain ; elle expose à nos yeux les premiers
monuments de l'histoire des nations qui ont habité la
terre; elle développe les voies de la Providence divine
dans le gouvernement du monde moral; elle instruit
l'homme, sans obscurité, de son origine, de sa desti-
nation, de ses rapports avec Dieu et avec ses sem-
blables; elle lui découvre la nature du souverain bien,
1. Christ qui est au-dessus de toute chose! Que Dieu soit béni éter-
nellement! Amen.
184
les vrais fondements de la législation et de la morale,
les ressources de l'homme pécheur et malheureux;
et certes, ce sont là les grands intérêts de l'humanité,
sur la plupart desquels les anciens philosophes, quoi-
que doués d'une grande force de raison, ont reconnu
leur incertitude et leur ignorance. »
Les formulaires étant l'expression générale de la
croyance d'une Église, le clergé genevois ayant aban-
donné l'usage du catéchisme de Calvin, la formule
de consécration de 1725 ne pouvait subsister; elle
fut en conséquence modifiée comme suit (Reg. Comp.
25 janv. 1806): «Vous promettez d'enseigner la
vérité divine, telle qu'elle est contenue dans les livres
de l'Ancien et du Nouveau Testament, et dont nous
avons un abrégé dans le symbole des apôtres. »
Enfin, en 1810, l'Église ne voulut mettre aucune
parole humaine entre la conscience de ses membres
et la parole divine; elle supprima la mention du sym-
bole, et adopta de celte manière la plus entière et la
plus absolue liberté de conscience sur le champ de
l'Évangile de Jésus-Christ.
185
CHAPITRE VI.
DOGMATIQUE GENEVOISE.
DÉFENSE DU CHRISTIANISME AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.
Commencement de l'incrédulité.— Dictionnaire de Bayle. — De Roches
et la religion essentielle à l'homme. — Voltaire à Genève. — Pre-
mières attaques contre la Réformation: Calvin et Servet. — Article
sur Genève dans 1 Encyclopédie. — Pamphlets licencieui brûlés à
Genève.— Voltaire et Vernet. — Histoire de Giannone. — Calomnies
de Voltaire; ses rétractations; nouveaux pamphlets. — Description
officielle de la propagande voltairienne par Vernet. — Dernières
années et mort de Voltaire. — L'apologétique genevoise au dix-hui-
tième siècle. — Vernet, De Roches. Roustan, Claparède, Vernes.
Nous avons dit, en terminant l'exposé des discus-
sions concernant la liberté de conscience à Genève,
que les enseignements théologiques varient suivant
les nécessités du temps. Le clergé genevois en fit l'ex-
périence au milieu du dix huitième siècle* Il avait
défendu la loi évangélique contre les efforts de Rome;
maintenant c'était la religion chrétienne elle-même
dont il fallait montrer la vérité divine en face des phi-
losophes incrédules qui surgissaient de toute part :
Bayle en Hollande, Hobbes en Angleterre, l'Ecole
encyclopédique en France. Proclamer la vérité révé-
lée dans les Saintes-Écritures, au milieu de ces phi-
186
losophes qui employaient à la combattre l'esprit, la
raillerie et la science, c'élait une œuvre courageuse
et chrétienne, et nous allons voir comment l'Église
de Genève poursuivit cette noble tâche.
Les premiers symptômes de celte lutte se manifes-
tèrent dans notre ville, à l'occasion du Dictionnaire de
Bayle.
Le Dictionnaire de Bayle était publié, et le succès
en retentissait en Europe1. Un jour, la Compagnie
apprend que les MM. Fabri et Barillet impriment
une édition de ce livre, sans l'avis et l'autorisation
des seigneurs scolarques, contrairement à la loi, qui
exige cette permission pour tout livre sorti des presses
genevoises.
Le professeur Calendrini supplie Messieurs, au nom
des pasteurs, d'arrêter cette impression. « Ce livre,
dit-il, est très-dangereux; il établit le phyrronisme,
et tend à rendre douteuses les vérités les plus claires,
sape les fondements essentiels de la religion. Si l'au-
teur n'ose* pas nier ouvertement l'existence de la di-
vinité, il avance des choses qui y tendent indirecte-
ment; il fortifie les objections et affaiblit les réponses.
Il rétablit le manichéisme, la doctrine des deux prin-
cipes, l'un bon, l'autre mauvais, qui gouvernent le
monde. Ce livre, du reste, est rempli d'obscénités,
et la lecture en est d'autant plus dangereuse qu'il est
1 . Reg. Comp. 7 avril 1713 ; Reg. Cons. 4 et 14 avril 1713.
187
écrit avec beaucoup d'esprit, de dextérité, de déli-
catesse, et plein d'érudition. Très-honorés Seigneurs,
conclut M. Calendrini, serait-il dit que Genève, qui
a été de tout temps, par la bénédiction divine, une
source heureuse d'édification, et quia répandu par-
tout de bonnes instructions par les livres qui en sont
sortis, devienne une source empuantie et empoisonnée
pour répandre ailleurs le venin mortel de l'impiété?
Quel déshonneur ce serait pour cette Église! »
Les imprimeurs supplièrent les magistrats « décon-
sidérer que depuis trois mois ils travaillent à ce livre,
qui est imprimé partout avec la permission des Etats,
et qu'ils ont déjà plus de 400 feuilles d'imprimées
sur 700. »
Le Conseil 1 leur défendit de continuer; puis, dix
jours plus tard, sur le rapport d'une commission, la
majorité déclara « qu'il faut fermer les yeux, tolérer
celle impression, vu les grands frais des imprimeurs,
moyennant qu'il ne paraisse pas qu'elle ait été faite
en cette ville. »
La Compagnie, apprenant cette résolution, déclare
au Conseil « que le tout est une injure contre Dieu et
la religion, » et cinq ans plus tard, les pasteurs cons-
tataient comme suit le progrès que faisaient les doc-
trines du philosophe hollandais : « Vu que dans les
cafés de la ville on ne joue plus, mai son donne à lire
1. Reg. Comp. 12 mai 1713, 12 août 1718.
188
le Dictionnaire de Bayle, ce qui parait d'une dange-
reuse conséquence. »
La Compagnie ne s'en tint pas à celte protesta-
lion1, elle voulut combattre le mal. Un examen sé-
rieux de la prédication prouva qu'il fallait modifier
le choix des sujets. « Le temps n'est plus ou l'on
» peut se borner à l'exposé du dogme et parler aux
» fidèles de paix et d'union religieuse. Il faut main-
» tenant s'opposer à l'impiété, à la négation de l'au-
» torité divine des Écritures. Il faut prouver la vé-
» riléde la religion chrétienne, et ne pas s'attacher
» exclusivement à la morale, qui, quoique très-néces-
»saire, ne suffit pas. 11 faut parler souvent de cette
y vérité dans les conversations particulières, intéres-
» ser à cette œuvre les laïques, dont les paroles et les
» arguments auront beaucoup de poids. »
Le premier écrivain genevois qui entreprit cette
œuvre apologétique fut M. De Roches. On venait de
publier un ouvrage intitulé la Religion essentielle
à l'homme. L'auteur de ce livre établit que la seule
religion possible est la foi à l'existence de Dieu et
quelques préceptes de morale ; il traite avec un sou-
verain mépris les hommes qui reconnaissent la divi-
nité de l'Évangile révélé. M. De Roches répondit en
4 740, et réfuta le livre sur la Religion essentielle.
Dans cet ouvrage, comme dans l'esprit des libres
1. Reg. Comp. 14 déc. 1714, 2 août 1715.
189
penseurs, le fait de la rédemption était l'objet des
doutes les plus sérieux au point de vue philosophique
et moral. De Roches prouva que les grands dogmes
de l'Évangile sont d'accord avec les lumières de la
raison et avec les lois de la conscience; il voulut es-
sayer de concilier ces difficultés, et voici son argu -
mentation :
« Si Dieu approuve celle charité fervente de son
Fils pour des créatures misérables, s'il a été tou-
ché de cet abaissement profond, auquel une personne
aussi excellente se réduisait pour les sortir de celte
misère; s'il a écouté favorablement les ardentes priè-
res que Jésus humilié lui adressait pour elles ; s'il a
pu être engagé à leur accorder quelques grâces , en
considération d'un Fils qui intercédait en leur faveur;
s'il a senti tout le prix de l'obéissance de ce Fils su-
bissant les douleurs et l'ignominie; s'il lui a su gré
de s'être ainsi prêté « à l'exécution du dessein que sa
» sagesse avait formé, de sauver le genre humain de
» cette manière... Qui peut le trouver étrange? »
Les amis de l'Évangile le remercièrent de cette
bonne œuvre.
Tels étaient les préliminaires de la lutte; mais la
grande croisade genevoise contre l'incrédulité fran-
çaise ne commença que lorsque Voltaire se fut éta-
bli, en 1 756. sur le territoire de la métropole pro-
testante.
490
Voltaire. Nous devons envisager l'œuvre de Vol-
taire à Genève sous trois points de vue: ia théologie,
la morale et la liberté de conscience ; et notre appré-
ciation produira des résultats divers dans chacune de
ces catégories.
Nous voulons d'abord, en parlant des relations de
Genève avec la France, applaudir aux efforts de Vol-
taire et de son école, pour briser la puissance du fa-
natisme, doter le monde entier de la liberté de pen-
sée, et rendre impossible le retour des persécutions
religieuses. Ici notre tâche est douce et facile, et si
Voltaire se fut concentré sur cette œuvre immense,
il serait l'homme le plus vénéré et le plus admiré de
l'Europe entière. Malheureusement Voltaire s'est ap-
pliqué encore à une œuvre lamentable, indigne d'un
homme de bien ; il a travaillé à la destruction des
principes du christianisme, à l'anéantissement de la
morale évangélique; et cette œuvre de destruction,
il l'a poursuivie pendant vingt années; mais aussi,
pendant ces vingt années, les pasteurs genevois tra-
vaillèrent à maintenir vivants, dans leur antique cité,
les dogmes et la morale de Jésus-Christ.
C'#st la partie dogmatique de cette œuvre que nous
allons maintenant présentera nos lecteurs1. Voltaire,
las du séjour de Lausanne, s'adressa, le 20 janvier
1. Les tendances immorales de Voltaire sont exposées dans le cha-
pitre intitulé la Vie religieuse.
491
1 755, au Conseil de Genève, pour obtenir la permis-
sion de résider sur le territoire de la République. Sa
requête fut accordée. Les Genevois, partisans de la
licence française, de la légèreté des paroles et des
croyances puisées dans le séjour de la capitale, virent
avec plaisir l'arrivée de Voltaire. Les hommes reli-
gieux conçurent des craintes sérieuses, et le profes-
seur Vernetlui écrit en juin 1755 la lettre suivante:
« Monsieur, la seule chose qui trouble la satisfaction
générale de voir arriver parmi nous un homme aussi
célèbre que vous êtes, c'est l'idée que des ouvrages
de jeunesse ont donnée au public sur vos sentiments
par rapport à la religion ; je ne vous dissimulerai
point que les gens sages qui nous gouvernent, et la
bonne bourgeoisie, ont manifesté, dans leurs discours,
de graves inquiétudes à ce sujet; j'espère que vous
les dissiperez complètement . Si chez nous les théolo-
giens, les jurisconsultes et les philosophes sont d'ac-
cord sur la religion, c'est que les pasteurs ont la sa-
gesse de s'en tenir au pur Evangile, et les gouver-
nants savent que l'Evangile est nécessaire. Ainsi,
Monsieur, nous espérons que vous entrerez dans nos
vues, et que vous vous unirez à nous, quand l'occa-
sion s'en présentera, pour détourner notre jeunesse
de l'irréligion, qui conduit au libertinage. Soyez sûr
qu'alors vous serez honoré, chéri de tous, et craint
de personne. »
192
Le correspondant adulé, choyé par les plus bril-
lants cercles de l'Europe, dut trouver cette fran-
chise républicaine un peu dure; néanmoins il dissi-
mula, et répondit comme suit : « Mon cher Monsieur,
ce que vous me dites est fort raisonnable. Je déleste
l'intolérance et le fanatisme; je respecte vos lois re-
ligieuses; j'aime et je respecte votre République; je
suis trop vieux, trop malade et un peu trop sévère
avec les jeunes gens. Vous me ferez le plaisir de com-
muniquer ces sentiments à vos amis. »
Voltaire1 détestait le clergé protestant, peut-être
même plus que les prêtres romains, il ne croyait pas
possible qu'un homme sensé, maître de sa conscience,
pensant et parlant en toute liberté, pût admettre la
divinité révélée de l'Évangile ; or, ce phénomène étant
fort commun dans Genève, il importait de le détruire,
et de montrer au monde qu'il n'existait pas de station
possible sur le champ de la vérité, entre la soumis-
sion aveugle et sans réserve aux dogmes romains et la
religion réduite aux éléments d'une haute philosophie.
Ce que Voltaire délestait le plus, c'était le terme
moyen, savoir, les hommes croyant de tout leur cœur
à la révélation de Jésus-Christ, et en même temps
défenseurs ardents de la liberté de pensée.
Pour les réduire à l'impuissance2, Voltaire affecta
1. Reg. Comp. 2 août 1755.
2. Reg. Cous. 21 mai 1757; Reg. Comp. 14 mai, S juili., 10 oc!. 1757.
195
de confondre les doctrines chrétiennes et les effets des
passions humaines s'exercant sous le manteau de
l'Évangile. « Je trouve la religion de Jésus-Chrisl
extravagante, injurieuse à Dieu, pernicieuse aux hom-
mes, autorisant les rapines, les séductions, la révé-
lation du secret de famille, etc. Je suis dans l'obli-
gation de mépriser ceux qui la prêchent1. »
D'après ce programme, où Voltaire confond l'E-
vangile avec la politique des Borgia, tous les minis-
tres de la religion devaient disparaître de la scène du
monde.
A Genève, la position du clergé était basée sur
une croyance sincère, raisonnée, acceptée par la ma-
jorité de la nation.
Voltaire voulut compromettre les pasteurs protes-
tants auprès de leurs concitoyens et des étrangers, en
les faisant passer pour incrédules.
Pour y parvenir, il écrivit en 1757 dans le Mer-
cure français, rédigé par Marmontel : « Ce n'est pas
un petit progrès de la raison humaine qu'on ait im-
primé à Genève, dans mon Essai sur l'histoire, et
avec Y approbation publique, que Calvin avait une âme
atroce, aussi bien qu'un esprit éclairé. Le meurtre
de Servel parai l aujourd'hui abominable. »
Le prof. Vernel répondit avec autant de justesse que
de dignité à cette attaque. Condamnant sans réserve le
1. Correspondance générale, 1768, page 399.
m. iô
19U
supplice de Servet, il montra que ce fait lamentable
était le résultat du code hérétique auquel toutes les
Églises étaient soumises au seizième siècle. Nulle
Église n'avait alors le droit d'attaquer sa rivale, toute
la chrétienté, Rome, Wittemberg et Genève, accep-
tant le maléfice de cette déplorable législation. Quant
à la prétendue approbation officielle obtenue à Genève,
Voltaire fut obligé, deux ans plus lard, de se rétracter
en ces termes: «Cette lettre, écrite de Lausanne à
M. Thiriot, est presque entièrement supposée. C'est
troubler la société que d'imprimer les lettres des par-
ticuliers; il est encore plus contre les bonnes mœurs
de les falsifier1. »
Celte attaque2 fut jugée à son véritable point de
vue par la Compagnie des Pasteurs de Genève. Elle
pensa que son devoir était d'accepter franchement la
lutte. Un étonnemenl général avait saisi les Genevois
à la lecture de V Essai sur l'histoire universelle. « Dans
ce livre, » disait la Compagnie , « se trouvent des
choses injurieuses à la Réformation et capables de
nuire aux protestants qui vivent dans des États monar-
chiques. M. de Voltaire représente nos frères comme
des adversaires irréconciliables des rois; cette insinua-
tion peut aboutir à allumer de plus en plus contre eux
le feu de la persécution. »
1. Mémoire adressé à l'Académie de Lausanne, Année littéraire,
1760, t. 5, page 30S.
2. Reg. Comp. 16 sept. 1757.
m
« Les traités de Voltaire attaquant les Livres Saints,
la Compagnie verra avec plaisir que quelques per-
sonnes entreprennent la réfutation des attaques de
cet auteur, pourvu qu'on le fasse en observant toutes
les règles de la modération et de la charité chré
tienne. »
Voltaire, indigné de cette prétention, résolut de
compromettre le clergé genevois auprès des chrétiens
de l'Europe entière.
L'accusation la plus odieuse qui pût peser sur des
pasteurs était le socinianisme. Catholiques, calvinistes
et luthériens, étaient d'accord pour repousser cette
doctrine. Voltaire profita d'un séjour que d'Alembert
fil aux Délices, en juin 4 757 , pour composer avec
lui l'article Genève, destiné à paraître dans l'Ency -
clopédie. Ce travail, très-flatteur en général, touchant
la simplicité du culte protestant, contenait une indi-
gne perfidie à l'égard de la doctrine de l'Église de
Genève. La voici :
« La religion y est presque réduite à l'adoration
d'un seul Dieu, du moins chez tout ce qui n'est pas
peuple; le respect pour Jésus Christ et pour l'Écri-
ture est peut-être la seule chose qui dislingue du pur
déisme le christianisme de Genève.
» Plusieurs ministres ne croient pas à la divinité
de Jésus-Christ; ils prétendent qu'il ne faut jamais
prendre à la lettre ce qui, dans les Saints Livres, pour-
196
rail blesser l'humanité et la raison. Leur religion est
un soeinianisme partait, rejetant tout ce qu'on appelle
mystère révélé. Ils s'imaginent que le principe d'une
religion véritable est de ne rien proposer à croire qui
heurte l'intelligence. »
Le 25 décembre 1757, M. le pasteur De la Rive
parle avec une profonde douleur de cet article qui a
paru dans le tome VIIe de l'Encyclopédie. « Il est im-
possible, dit-il, de garder le silence devant une insi-
nuation aussi calomnieuse. » La Compagnie est de
cel avis; elle nomme une commission qui doit com-
poser une déclaration de principes terme, claire et
complète, en réponse à l'école philosophique fran-
çaise 1 .
La commission emploie six semaines à ce travail;
il fallut le condenser dans les plus brèves limites, et
peser mûrement chaque parole.
Dans cet intervalle, une violente discussion s'en-
gage sur les assertions de l'Encyclopédie. Rousseau,
le premier, prend la défense des pasteurs, et somme
d'Alembert de citer les témoignages positifs sur les-
quels il se fonde pouradirmerle soeinianisme du clergé
genevois. D'Alembert hésite, pi étend ne pouvoir
nommer personne, alin de ne pas compromettre les
ministres qui lui ont fait des coniidences.
1. Reg. Comp. 23 décembre 1757. Commission : MM. Sarasin, De
la Rive, Verne), Trembley, Maurice, Le Cointe, Tronchin, Eynard.
197
Mais ces tergiversations furent rendues inutiles par
la fermeté du ministre Vernet. « Monsieur, écrivit-il à
d'Alembert, feu M. Lullin, M. De la Rive et moi, nous
sommes les seuls ecclésiastiques que vous avez vus à
Genève. Rien, dans nos paroles, n'a pu vous autori-
ser à cette publication , car nous avons fait devant
vous une profession franche et complète de notre foi
à la divinité des Saintes Écritures. » D'Alembert se
récusa en disant qu'il ne se rappelait pas exactement
les discours tenus devant lui , mais que, selon Bossuet,
dès qu'on n'admet pas l'autorité et la tradition ro-
maine, on est socinien, et que lui-même n'avait
pas voulu dire autre chose 1 .
On avait ainsi convaincu de mauvaise foi Voltaire
et son collègue; mais leur but n'en était pas moins
atteint. « Ils ne pouvaient pas empêcher que ce qui
était écrit fût écrit. >> Celte naïveté jésuitique de
d'Alembert indigna les Genevois, et l'on attendait
avec grande impatience la publication de la Compa-
gnie. Cet écrit parut le 40 février 1758, et voici les
affirmations anti-sociniennes qui s'y trouvent :
« Quoique le point capital de notre religion soit
d'adorer un seul Dieu, on ne doit pas dire qu'elle
se réduise à cela chez presque tout ce qui n'est pas
peuple. Les personnes les mieux instruites sont aussi
1. Jacob Vernet. Lettres d'un voyageur anglais, volume II, pages
260 à 290.
198
celles qui savent le mieux quel est le prix de l'alliance
de grâce; or, nous protestons que notre grand prin-
cipe, notre foi constante, est de tenir la doctrine des
saints prophètes et des apôtres, contenue dans les
livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, pour
une doctrine divinement inspirée, seule règle infail-
lible de notre foi et de nos mœurs. Pour nous, la vie
éternelle est de connaître le seul vrai Dieu et celui
qu'il a envoyé, Jésus-Christ, son Fils, en qui a habité
corporellement toute la plénitude de la divinité, et qui
nous a été donné pour Sauveur, pour Médiateur et,
pour Juge, afin que tous honorent le Fils comme ils
honorent le Père. Par celle raison, le terme de respect
pour les Écritures nous paraissant trop faible ou trop
équivoque pour « exprimer la nature de nos senti-
ments à son égard, nous disons que c'est avec une
foi complète, une vénération religieuse, une soumis-
sion entière d'esprit et de cœur, qu'il faut écouter ce
divin Maître et le Saint-Esprit parlant par les Ecri-
tures. C'est ainsi qu'au lieu de nous appuyer sur la
sagesse humaine, si faible et si bornée, nous sommes
fondés et enracinés sur la Parole de Dieu, seule ca-
pable de nous rendre véritablement sages à salut par
la foi en Jésus-Christ. »
Celte déclaration fut publiée dans tous les jour-
naux de l'Europe. L'effet qu'elle produisit ne fut pas
le même partout; il varia beaucoup suivant les lieux
t99
et ies convictions des diverses Égiises. Rousseau nous
apprend que la déclaration fut reçue avec applaudis-
sement dans le public parisien. Les Eglises de France
remercièrent Genève; ies Hollandais arminiens s'en
réjouirent dans leurs publications. Les luthériens,
partisans de la fusion avec les réformés, manifestèrent
leur sympathie. Mais les anciens signataires du Con
sensus se montrèrent mécontents. Us publièrent à Lau-
sanne et en Hollande une brochure aigre et taquine1,
dans laquelle il est dit que la déclaration est impar-
faite, qu'il aurait fallu s'en tenir au texte de la con-
fession de foi helvétique, affirmant que Jésus est Dieu
consubstantiel, égal à son Père, ne faisant avec lui
qu'un seul et même Dieu; enfin que, par rapport
aux peines à venir, on aurait dù, au lieu de conser-
ver les termes de paradis et d'enfer, déclarer si ces
peines sont éternelles en ce sens qu'elles n'auront ja-
mais de fin. On répondit en deux mots à ces attaques :
« L'aulorité infaillible des Écritures et les termes dont
Jésus et les prophètes se sont servis ont pour nous
une valeur suprême et nous dispensent d'employer
les expressions humaines et variables des confessions
de foi. »
fl n'y avait ni tact ni dignité dans ces attaques, et
les ministres des États bernois, paisiblement occupés
1 Jugement des Encyclopédistes, etc. Amsterdam, 1759. Lettre de
D'Alembert avec remarques.
200
à diriger des paroisses rurales isolées de la grande
crise qui ébranlait l'Église chrétienne en Europe, au-
raient mieux fait d'applaudir au courage de ceux qui,
debout sur la broche, étaient en butte à tant d'inju-
res, de railleries et de calomnies.
Voltaire fut profondément blessé du succès général
de la déclaration, et, battu sur ce terrain, il continua
avec une infatigable énergie la guerre contre l'Église
de Genève.
C'était l'époque où le philosophe de Ferney pu-
bliait ces œuvres où il étale l'immoralité la plus éhon-
tée et le mépris de tous les sentiments respectés par
les hommes délicats. Pour suivre son détestable plan
de compromettre les Genevois aux yeux du monde
chrétien, il faisait inscrire le nom de Genève à la
première page de ces odieuses productions.
Les protestations contre ces menées furent aussi
énergiques que possibles. Un jour, le 28 septembre
1759, la Compagnie apporte au Conseil un arrêt du
Parlement de Paris, condamnant au feu un pamphlet
intitulé: Prédis de V Ecclèsiaste et du Cantique des
Cantiques, par M. de Voltaire, imprimé à Genève chez
les frères Cramer. Les Cramer, accusés de ce délit
contre la religion et les lois, affirment et prouvent
qu'ils sont innocents, et bientôt ils produisent une
attestation du président Molé, qui les justifie de toute
participation à cette publication de Voltaire.
-201
Un scandale analogue a lieu lors de l'apparition
de Candide. Ce roman, l'un des plus spirituels de
Voltaire, étale la plus complète aberration du sens
moral; c'est l'histoire de gens qui, candidement et
sans penser à mal, commettent tous les délits imagi-
nables. Débauches, vols, meurtres de divers genres,
sont le mode de vivre habituel des héros de ce livre.
Puis, lorsque les châtiments, conséquences naturelles
de leurs crimes, les atteignent, ils s'en prennent à
l'Être suprême, qui aurait dû arranger les choses de
manière à ce qu'on pût déshonorer la maison de son
bienfaiteur, vivre constamment dans la débauche, et
même tuer son prochain, sans s'attirer aucun désa-
grément dans ce monde. Il est peu de livres mieux
combinés pour anéantir les scrupules d'une conscience
mal affermie. Le Conseil et la Compagnie des Pas-
teurs, sur le rapport de M. Sarasin l'aîné, font reti-
rer et détruire tous les exemplaires qui se trouvent
chez les libraires et les loueurs de livres et déclarent
que Ton veillera plus que jamais pour préserver les
mœurs el la religion de ces déplorables atteintes.
Un ministre qui se distingua constamment par le
plus brillant courage dans celte grande lutte, Jacob
Vernet, soupçonnant avec raison que Voltaire était
l'auteur de cet odieux livre, lui adressa de sérieuses
représentations à ce sujet. Il en reçut la réponse sui-
1. 2 mars 1759.
202
vante : « J'ai lu Candide, et je vous déclare qu'il faut
avoir perdu le sens pour m'attribuer une pareille polis
sonnerie, etc. » Voltaire avait eu autrefois desrelalions
d'amitié avec Jacob Vernet. Plusieurs années aupa
ravant, Vernet, lié avec les premiers écrivains de l'Eu-
rope, avait accepté la flatteuse tâche de diriger à Ge-
nève l'impression de V Esprit des Lois de Montesquieu .
Ce travail attira l'attention du monde français sur le
professeur genevois (174-7). Une correspondance ami-
cale et suivie s'établit entre Voltaire et M. Vernet;
c'était le temps où Voltaire, occupé de travaux d'his
toire et de ses grandes compositions dramatiques,
n'avait encore publié aucune attaque contre le chris-
tianisme. Lorsque ces tendances fâcheuses commen-
cèrent à se manifester, la correspondance avec le mi-
nistre genevois dut cesser; mais au bout de neuf ans
(4 754), M. Vernet reçut de Voltaire une lettre «où
ii iui mande qu'on imprime à Genève, sous ses yeux,
une édition de l'Abrégé de l'histoire universelle très-
défecteuse. » M. Vernet répondit que « le fait de la pu-
blication était réel ; et qu'il avait averti le libraire
Philibert des fautes qui se trouvaient dans une édition
antérieure, mais qu'il n'avait aucune part directe à
l'entreprise; toutefois, si M. de Voltaire le désirait,
il pouvait veiller amicalement sur cette édition. *
L'affaire n'eut pas de suite1 ; mais deux ans plus
1. Mémoire historique sur Jacob Vernet, pages 40 à 60.
203
lard, en 4 758, Voltaire publia une nouvelle Histoire
universelle. Tout était changé dans ce travail; le
christianisme s'y trouvait ouvertement attaqué, et la
Réforme de Genève y était aussi malmenée que pos-
sible. M. Vernet, pour lors, cessa ses relations épis-
lolaires avec Voltaire, et réfuta vigoureusement ce
livre. Voltaire attendit deux ans; puis, voulant écraser
son adversaire, il publia une brochure intitulée :
Dialogues chrétiens ou 'préservatifs contre V Encyclo-
pédie 1 , par M. V"*. Ce pamphlet contenait contre
M. Vernet les accusations suivantes: « Vernet, pro-
fesseur de théologie, nous a écrit des lettres pour cap-
ter notre confiance et devenir l'éditeur de nos œu-
vres; il nous a offert d'y mettre une phrase pieuse, afin
que les dévots n'en prisseut point d'alarme. Il avait
fait un accord pour tirer à son profit un louis d'or
par feuille; mais frustré dans ses espérances et refusé
par nous comme correcteur d'imprimerie, il s'est jeté
dans la politique, et dit beaucoup de mal du livre el
de l'auteur. »
M. Vernet répondit : « Je somme M. de Voltaire de
produire mes lettres; je vais publier les siennes. J'ai
été auprès de lui homme officieux, désintéressé, ad-
mirant ses talents; mais j'ai souhaité pour sa propre
gloire et l'édification du public qu'il en fit un bon
1. Beg. Comp. 19 sept., 21 not. 1760; Reç. Conseil, 8, 12 sepl.,
80 oct., 17 noT. 1760.
204
usage. J'ai connu M. de Voltaire à Paris, et plus tard
je l'ai perdu de vue; il m'écrivit en 1758, se plai-
gnant d'une édition inexacte de l'Histoire universelle
que Philibert imprimait. Je lui offris d'en corriger
les bévues: il accepta; c'était un fragment de l'His-
toire des Croisades, quatre petits volumes où il n'y
a rien contre la religion. J'ai fait cela gratis, ainsi
(pie pour VEsprit des Lois, que j'ai imprimé ici.
» M. de Voltaire ment odieusement en me supposant
capable d'accepter le rôle dont il me charge; j'ai dé-
fendu la religion toute ma vie, et je n'ai jamais biaisé
ni devant lui ni devant personne. »
Cette imputation pouvait, à la rigueur, être consi-
dérée comme une mauvaise plaisanterie. Mais le reste
du libelle contenait une calomnie qui déshonore le
caractère de Voltaire. « M. Vernet, dit Voltaire, a reçu
d'un célèbre réfugié italien un manuscrit de la plus
haute importance pour l'histoire du christianisme; il
l'a vendu mille écus à la cour de Rome, et il a gra-
vement compromis l'auteur de ce travail. »
Voici la réponse de Ml Vernet:
« M. de Voltaire connaît en détail celte histoire.
» 11 y a vingt-trois ans que vint à Genève le célè-
bre écrivain napolitain Giannone. Il publia dans cette
ville son Histoire de Naples, où, tout en respectant
le dogme catholique, il sut dire la vérité touchant la
réforme chrétienne au seizième siècle. Ce livre sou-
205
leva les colères de la eour de Home. Instruit de ces
incidents, nous recommandâmes à Giannone la plus
grande prudence, et particulièrement de ne point
s'aventurer près des frontières genevoises. Un ami
prétendu vint le voir en son logis, chez un maître
tailleur, nommé Chenevière; il lui conseilla de l'ac-
compagner au village de Vesenaz, où il pourrait ai-
sément faire ses pàques sans être reconnu. Giannone
s'y rendit avec son fils*, et des agents du roi deSar-
daigne le saisirent . On l'enferma au château de Mio-
lens. La cour de Rome demanda son extradition;
mais le roi refusa de le livrer, et donna ordre de le
traiter avec tous les égards possibles. Lorsque nous
apprîmes cette catastrophe, nous transportâmes en
secret tous les papiers de Giannone chez M. Turrelin,
à la campagne. Le roi lit demander ces manuscrits;
mais nul ne put donner à Genève aucun renseigne-
ment à ce sujet. Quelque temps après, le fils de
Giannone fut relâché; il nous apprit la mort de son
père, et nous pria de publier le plus important de
ses ouvrages, // Ref/no lerreno cele.ste et papale. Nous
envoyâmes vingt pistoles au jeune homme, et il nous
pria de vendre le manuscrit à M. Barillet, libraire,
pour dix louis de onze livres. Getle somme lui fut
envoyée; Barillet s'engagea à l'imprimer et à ne ja-
mais laisser le cahier sortir de ses mains. Quelque
temps après, M. Vernet voulant examiner quelques
206
assertions historiques, demanda les cahiers de Gian-
none, cl lîarillet fut forcé d'avouer qu'il les avait
donnés à Benlivoglio, qui les avait envoyés au car-
dinal Alhani. Par cette odieuse trahison du libraire,
cet ouvrage fut perdu. M. de Voltaire a connu tous
ces détails, et l'on sait la couleur qu'il leur a don-
née. »
Le Conseil, après avoir examiné les pièces origi-
nales fournies par M. Vernet, fit retirer les exemplai-
res des Dialogues, déclara l'ouvrage calomnieux et
diffamatoire, le fit brûler par la main du bourreau,
et dédaigna de répondre à M. de Voltaire, qui affir-
mait n'être pas l'auteur de ce pamphlet.
La croisade de Voltaire contre l'Église de Genève
subit une interruption de 4 762 à 4 764. Pendant
ces deux années, tout occupé de la haute mission de
défendre les Calas , il oublia les pamphlets irréligieux,
et d ailleurs Genève, profondément remuée par les
affaires de Rousseau, n'aurait prêté qu'une médiocre
attention aux libelles venus de Ferney. Toutefois, ce
silence ne pouvait durer, et, versl'an 4 764, Voltaire
déploya de nouveau toute son énergie matérialiste
pour anéantir le christianisme à Genève. 11 se propo-
sait deux buts: d'abord éteindre les principes reli-
gieux en répandant l'injure et le sarcasme sur la doc-
trine el la personne de Jésus-Christ; ensuite compro-
mettre Genève aux yeux du monde européen, en da-
$07
tant faussement de cette ville les brochures les plus
licencieuses et les satires les plus viles contre le chris-
tianisme. Les pasteurs et ceux des magistrats qui de-
meuraient fidèles à la religion, déployaient la plus
stricte vigilance pour combattre ce mal; on faisait
constamment des saisies de mauvais livres. Voltaire,
pour les déjouer, employa un procédé très-connu des
contrebandiers, et consistant à dénoncer un ballot de
marchandises comme devant passer sur un point de
la frontière; puis, lorsque l'attention des préposés
est fixée sur cette saisie, on fait impunément traver-
ser la ligne douanière au reste du convoi. Voltaire fit
de même; il avait un digne acolyte dans le libraire
Chirol, qui recevait clandestinement les brochures
imprimées au dehors, se souciant fort peu des amen-
des et des confiscations , vu qu'elles étaient payées
par les subsides venus de Ferney1.
Deux libelles, portant le scandale aux dernières
limites, devaient, selon Voltaire, terminer l'existence
de l'Eglise genevoise: c'était le Dictionnaire philoso-
phique et l'Évangile de la raison. Les ballots étaient
en roule, et le grand écrivain joue une ignoble co-
médie; il se pose en défenseur des mœurs et de la
religion, et envoie les lignes suivantes aux syndics :
« Ferney, le 12 janvier 1765. — Messieurs, je
vous informe que parmi les libelles séditieux dont
i. Rcg. Conseil, lljanv. 1705.
-208
cette ville est inondée depuis quelque temps, tous im-
primés chez Rey d'Amsterdam, il arrivera le lundi
14, chez Chirol, libraire à Genève, un ballot conte-
nant des Dictionnaires philosophique*, des Evangiles
de la raison , et autres sottises qu'on a I insolence de
m'imputer. »
Le libraire, mandé devant le Conseil, avoua le fait,
et déclara qu'il avait conlremandé les ballots... Le
Conseil le censura sévèrement, et quelques jours plus
tard la ville était largement pourvue de l'un de ces
pamphlets. V Evangile de la raison. Non content de
ces ignobles plaisanteries, Voltaire employait un pro-
cédé que la plus vulgaire délicatesse aurait dû lui faire
repousser. Il mettait de faux titres à ses écrits. Sachant
que les magistrats, les pasteurs, les pères de famille
pieux interdisaient absolument la lecture de ses bro-
chures, il en affubla plusieurs de titres religieux. Ces
libelles commençaient par quelques pages du meilleur
aloi sur la tolérance ou les dogmes chrétiens; puis,
on rencontrait des insinuations infâmes sur le carac-
tère et les mœurs de Jésus-Christ \ Voltaire avait des
sectateurs fanatiques chez les Genevois qui fréquen-
taient Ferney ; il payait des colporteurs, et l'on voyait
1. Almanach philosophique; Pensées sérieuses sur Dieu; Sermon du
Rév. Jaques Rossele; Homélie du pasteur Boum; Lettres «l'on propo-
sant à Mi, de Roches, proies.: les Pasteurs de Genève à leurs collègues;
Conseils aux pères de famille; Lettres sur la Terre Sainte établissant
la réalité des inirarles de J.-C.
309
les amis el les mercenaires rivaliser d'ardeur pour
inonder les boutiques, les comptoirs, les cafés, les
promenades, les écoles et les temples de ces déplora-
bles productions.
Nous trouvons une description de ces tristes ma-
nœuvres dans un mémoire adressé par la Compagnie
des Pasteurs aux Conseils de Genève1.
« La plus grande liberté doit régner dans notre
» ville; rien ne peut gêner les esprits, ni empêcher
» qu'on ne propose une diversité de sentiments ou
» des objections contre la religion, pourvu qu'on le
» fasse avec modestie et décence. Il faut qu'on s'éclai-
f re, la vérité n'y perdra rien. Ainsi procédaient les
» grands incrédules au commencement de ce siècle.
» Mais aujourd'hui la raillerie et la licence ont envahi
» la théologie; on nie la création, la loi morale, la
» conscience, le compte à rendre, la vie à venir; on
» proclame l'indifférence touchant le bien el le mal;
» le doute et la négation ont tout envahi.
» Voici les méthodes artificieuses qu'on emploie
» pour propager ces idées.
» On garde l'anonyme : le masque fut toujours la
«couverture de la licence... On compose des bro-
» chures assorties par leur brièveté au goût d'un
» monde léger, qui ne se donne pas la peine de rien
» lire de suite. Ces livres se communiquent aux affi-
1. Keg. Cons. et Rep. Comp. i sept. 1764.
m. U
240
» dés, puis se placent sur les toilettes des dames, sur
» les cheminées des salons; ils passent jusque dans
» les mains des artisans; ils parviennent aux jeunes
» gens des deux sexes; ils courent partout à titre de
» nouveauté, comme une pièce de théâtre, comme
» une jolie chose à la mode. Ces ouvrages sont de
» fausses interprétations de quelques endroits de TE-
» criture-Sainte, des railleries, des bouffonneries, des
» invectives atroces, des obscénités contre la divine
» personne de notre Sauveur.
» Voilà les sources empoisonnées où s'abreuvent
» notre public; tels sont les moyens employés pour
» séduire notre jeunesse, et le monde frivole, qui adore
»> ces productions, recherche un dangereux amuse-
» ment, et se trouve bien moins frappé par les argu-
» ments que par les plaisanteries. »
Le Conseil, frappé de ces tristes et sévères paroles,
redoubla de vigilance, et le Dictionnaire philosophi-
que lui paraissant dépasser la mesure ordinaire des
mauvais livres, il chargea l'auditeur Revilliod d'en
rassembler tous les exemplaires existants à Genève.
Le procureur-général Tronchin prononça un ré-
quisitoire énergique sur celte affaire, et le 24 sep-
tembre 1764 le livre fut lacéré par la main du bour-
reau et brûlé devant l'Hôtel-de-Ville.
Alors la colère de Voltaire ne connut plus de bor-
nes; il avait si souvent redit à ses amis du dehors et
24J
à ses familiers de Ferney que les magistrats et les
pasteurs de Genève tremblaient devant sa plume, et
lui étaient au fond tout dévoués, que cette manifes-
tation était très-difficile à expliquer favorablement. Il
s'en vengea en multipliant les pamphlets; il renou-
vela les anciennes calomnies contre le professeur Ver-
net 1 ; mais étant sommé par le Conseil de produire
les lettres qui inculpaient M. Vernet, il désavoua le
pamphlet et garda un lâche et significatif silence 2.
Une circonslance affecta péniblement les pasteurs.
L'Encyclopédie se réimprimait à Genève chez les
frères Cramer5. La Compagnie se plaint de ce qu'on
laisse subsister en entier l'article de d'Àlemberl contre
la religion de cette ville. Les imprimeurs répondent
qu'ils ne peuvent abandonner cette entreprise sans
des perles immenses, mais qu'ils s'engagent à ne
publier l'article Genève qu'après qu'il aura été revu
par la Compagnie. Le Conseil ordonne qu'il en soit
ainsi, et qu'il soit interdit de mettre le nom de Ge-
nève dans cette édition.
La vieillesse ne calma pas l'animosité antichré-
tienne de Yollaire, et dans ses dernières années il sem-
blait prendre à tâche d'employer à parachever son
œuvre le peu de temps qui lui était laissé.
1. Reg. Comp. 27 juii .766; Reg. Cons. 1er juillet 1766.
2. Reg. Comp. 9 sept, et 13 déc. 1768.
3. Reg. Comp. 18 oct. 1770; 8 mars, 10 mai 1771. Reg. Cons. 2
13 mars 1771.
212
En 4772, il publia une histoire critique de Jésus-
Christ, pleine de mensonges et de fausses citations;
puis, la Théologie portative, le Catéchisme de l'hon-
nête homme, Dialogue entre un horloger et un homme
de bien, Questions de Zaphta, la Tragédie de Saul.
Enfui, un an avant sa mort, le 4 1 juillet 4 777 (Reg.
Conip.), il mit le comble à ses invectives dans un
pamphlet intitulé : la Sainte Bible enfin expliquée
par quelques aumôniers du roi de Prusse. Voltaire,
voulant faire un suprême effort, en remit six cents
exemplaires à des colporteurs bien payés et chargés
de les offrir à tous les étrangers en passage à Ge~
nève, et de les répandre dans tous les lieux publics.
Le gouvernement les lit saisir; l'auditeur Ciaparède
déploya un zèle infatigable dans cette tache, et l'im-
primeur Sandoz fut sévèrement puni.
L'année suivante, Voltaire, abandonnant Ferney,
allait, une dernière fois, s'enivrer de triomphes dans
la capitale de la France; le peuple de Paris, avec une
involontaire naïveté, unissait les deux termes extrê-
mes de l'œuvre vollairienne en criant : Vive la Pu-
celle d'Orléans! Vivent les Calas!
Voltaire mourut brûlé, consumé par les excitations
fébriles de ses émotions littéraires et par l'emploi exa-
géré de l'opium.
Les partisans de Voltaire, qui l'aiment au point
de ne pas vouloir qu'on reconnaisse ses fautes et ses
213
indignités, disent qu'il mourut fidèle à cette déclara-
tion suprême: « Je meurs tranquille, croyant en Dieu,
aimant mes amis, ne haïssant pas mes ennemis, et
délestant le fanatisme. »
La vérité nous paraît contenue dans ces mots de
d'Alembert à Tronchin: « Mon cher et illustre con-
frère, vous avez fait ce que la prudence et l'huma-
nité exigent; maintenant tranquillisez-le, si possible,
sur sa position; je passai hier quelque temps avec
lui; il me parut fort effrayé non-seulement de son
état, mais des suites désagréables pour lui qu'il pour-
rait entraîner 1 . »
Une lettre de Tronchin à Charles Bonnet résume
les impressions du docteur qui soignait Voltaire de-
puis trente années : « Si mes principes avaient besoin
que j'en resserrasse le nœud, l'homme que j'ai vu
dépérir, agoniser et mourir sous mes yeux, en aurait
fait un nœud gordien ; et en comparant la mort de
l'homme de bien, qui n'est que le soir d'un beau
jour, à celle de Voltaire, j'ai vu bien sensiblement la
différence qu il y a entre un beau jour et une tempête.
Ces derniers temps, exaspéré par des contrariétés
littéraires, il a pris tant de drogues et fait tant de
folies, qu'il s'est jeté dans l'état de désespoir et de
i. L'original du billet de d'Alembert existe dans la collection de
M. le colonel Tronchin, et la bibliothèque publique de Genève con-
serve avec un soin particulier la lettre du célèbre docteur à notre
grand philosophe chrétien Charles Itonnet.
-2U
démence le pius affreux. Je ne me le rappelle pas
sans horreur. Dès qu'il vit que tout ce qu'il avait
tenté pour augmenter ses forces avait produit un effet
contraire, la mort fut toujours devant ses yeux; dès
ce moment la rage s'est emparée de son âme. Rap-
pelez-vous les fureurs d'Ôreste; ainsi est mort Vol-
taire : furiis agitatus obiit. »
Les théologiens genevois réfutèrent avec un zèle
infatigable les pamphlets irréligieux de Voltaire. Ceux
qui se distinguèrent dans cette noble lutte furent de
Roches, Vernet, Laget, Claparède, Roustan et Ver-
nes. Leurs sermons, leurs catéchismes, leurs brochu-
res, leurs livres, furent exclusivement employés à
prouver la divine autorité du christianisme et à con-
server les principes de la morale évangélique.
Les bornes de ce livre nous permettent à peine de
présenter une rapide esquisse de cette grande croi-
sade; mais eu voici les principaux traits1:
La Compagnie des Pasteurs engagea ses membres
à réfuter les attaques de Voltaire contre l'Évangile et
la Réforme, en observant les règles les plus exactes
de la modération et de la vérité. « Car, » disaient ces
dignes serviteurs du Christ, « plus nos adversaires
» s'abaissent aux injures, plus nous devons nouséle-
» ver dans notre langage, afin qu'on voie en nous
i. Voir, pour plus de détails. Voltaire, Rousseau et les Genevois, par
J. Gaberel.
-24 5
» l1esprit de notre Maître. » On arrêta que, dans les
sermons proprement dits, on insisterait sur la certi-
tude d'une autre vie et sur les devoirs de la mo-
rale; que, dans les catéchismes, on ramènerait sans
cesse l'instruction sur la personne du Sauveur et sur
les sentiments qui lui sont dus, afin de combattre les
tendances railleuses qui flétrissent chez les jeunes
gens la vénération et le cuite dus à Jésus-Christ.
Les ecclésiastiques habiles à manier la plume de-
vaient, dans des ouvrages et des traités aussi brefs
que possible, défendre la divinité des Écritures et les
miracles qui en sont la preuve pour les hommes.
Voici comment un contemporain impartial décrit
cette polémique: « La majorité des citoyens flottent
encore indécis entre la foi de leurs pères et l'incrédu-
lité des philosophes. Ils ont peur de Voltaire et de ses
satellites. Honneur donc à ceux qui se mettent au-
dessus des polissonneries du vieux diable de Femey !
Notre bon pasteur Roustan est de ce nombre: il ne
craint pas de saisir le taureau par les cornes. Il vient
de publier un/ série de lettres sur le christianisme,
ouvrage rempli de traits lumineux et de réflexions
victorieuses qui font honneur à la touche mâle et har-
die de l'auteur. — Ces lettres ont fait éclore une lettre
de Voltaire où il raille M. de Roustan d'une manière
assez plate: M. Roustan, enlevons une lettre de votre
nom, vous devenez Rustan, ce qui peint votre carac-
2t6
tère. . . Voire style ressemble beaucoup, pour la grâce,
aux vieux souliers que fabriquait votre père... Vous
n'auriez pas dû sortir de son échoppe de savetier. —
Roustan a répliqué par deux nouveaux traités, inti-
tulés : Réponse aux difficultés d'un théiste, el V Im-
pie démasqué. Dans la préface de ee dernier, il s'ho-
nore de devoir le jour à un honnête homme, et prie
M. de Voltaire de laisser en paix les cendres de son
père; il l'assure qu'il ne voit rien de si plaisant dans
l'état de cordonnier; il lui aflirme qu'il n'achètera
pas le moindre petit domaine pour ajouter un nom
de terre au nom paternel, et lui demande si, par ha-
sard, il trouverait que lui, Roustan, ferait un bien
beau trait d'esprit en lui ôlant son T ; au lieu (Wirmiet,
le laissant Avoué de Voltaire. »
Ce qui vexa le plus Voltaire, ce fut celle apostro-
phe de Roustan : « Monsieur, vos paroles sont dignes
de la société qui se rassemble autour de votre table.
Quand nous aurons prouvé la vérité du christianisme,
nous savons qu'il est impossible de demander à vos jolis
messieurs el à vos élégantes dames d'inlerrompre la
lecture de vos petites œuvres et leurs petits soupers
pour s'occuper de leur Créateur, de leur àme, de
leurs fautes, et de Celui qui peut seul les pardonner.
En effet, il n'y a pas là le moindre mot pour rire, et
c'est surtout pour rire que nous sommes en ce monde.
Passe encore qu'on se désespère quand un acteur par-
m
fait, une actrice délicate, sont attaqués d'un rhume
qui les empêche dé jouer ! Mais dans ce siècle philo-
sophe, tout honnête homme doit être ravi qu'on lui
prouve qu'il est le frère aîné de la brute, et qu'il
finira sa brillante existence entre quatre planches de
sapin. Cela importe peu, pourvu qu'on puisse se plon-
ger dans toutes sortes de débauches, enle\er l'hon-
neur à son meilleur ami, ou faire des épigrammes
sur Jésus-Christ entre la poire et le fromage. C'est
ainsi que dans les cours de Charles H et du régent de
France on a su jouir de la vie, et vous, les descen-
dants de ces Messieurs, vous êtes dignes de ces Maî-
tres. »
Les brochures et les sermons apologétiques étaient
immédiatement imprimés et répandus à profusion
dans le pays, et l'on se servait envers Voltaire des
armes dont lui-même avait enseigné l'usage. Des col-
porteurs zélés et adroits répandaient ces écrits chré-
tiens dans les salons, les comptoirs, les boutiques,
les cafés et les aieliers. Une des plus remarquables
brochures fut celle-ci : Voltaire avait condensé ses
railleries contre Moïse et Jésus-Christ dans un pam-
phlet intitulé : Lettre d'un proposant à M . de Ra-
dies, professeur. M. Vernes répondit à Voltaire une
courte brochure où sont concentrés les principaux
arguments relatifs à la divinité du christianisme. Vol-
taire exaltait les Chinois et les Égyptiens, et déclarait
218
que la morale de Bouddha et de Confucius présentait
le type de la perfection dans les principes el les ré-
sultats. «Vous placez mal vos sympathies, lui écrit
M. Vernes; car les Égyptiens, pères de la science,
adoraient les serpents et les légumes. Athènes et Rome,
mères de la philosophie et des arts, adoraient tous
les vices et toutes les passions — Vos Chinois, que
vous aimez par dessus tout, immolent leurs enfants et
abrègent les jours de leurs vieillards. — A notre tour,
nous voulons vous poser quelques brèves quesiions.
vous priant d'y répondre aussi longuement qu'il vous
plaira. — Comment douze bateliers et péagers juifs
eurent-ils l'idée de changer la face du monde? — Com-
ment, s'ils étaient d'ambitieux fourbes, eurent ils la
bêtise de consigner par écrit tous leurs torts envers Jé-
sus-Christ?— Comment , sans être fous ou visionnaires,
ont-ils pu se tromper sur les miracles de leur Maître?
— Comment des insensés et des visionnaires inventè-
rent-ils la doctrine et la morale qu'ils enseignèrent à
l'univers? — Comment des ouvriers et des idiots exé-
cutèrent-ils ce que les Socrate et les Platon n'ont pas
su faire, savoir, le renversement de l'idolâtrie et la
destruction des faux dieux? — C'est une grande affaire,
Monsieur, que la conversion de l'univers. Voyons,
Monsieur de Voltaire, vous qui n'êtes pas comme les
apôtres, batelier ou visiteur d'octroi, mais le plus
grand esprit et le plus vaste génie de ce siècle, en-
2t9
treprenez une mission, prêchez par tout ie inonde le
culte de ce qui est pur, de tout ce qui est honnête et
digne de louange, sans offrir aux hommes d'autre
motif que l'amour du beau et du bon, et dans trente
ans, venez nous raconter vos conquêtes, les Eglises
que vous aurez fondées et les nations que vous aurez
converties! »
Celte petite brochure, qui contenait à peine une
page d'impression, mit Voltaire en fureur. Voici com-
ment elle lui parvint : un domestique de sou château
fut gagné par les étudiants en théologie, et un jour
que Voltaire avait quarante-cinq personnes à dîner,
chaque convive trouva la Réponse de M. de Roches
dans sa serviette . On la lut; mais la figure du maîire
exprimant une rage concentrée, et ses yeux lançant
des éclairs, ses hôtes gardèrent un prudent silence.
Nous pourrions prolonger nos citations; mais les
faits précédents suffisent pour donner une idée du
caractère de cette lutte où la foi et le bon sens avaient
pour adversaire le plus redoutable esprit du siècle.
Seulement , pour être justes, nous devons ajouter que
quelquefois Voltaire témoigna moins d'hostilité et
d'emportement vis-à-vis des pasteurs genevois. Ainsi,
un grand-vicaire de l'archevêque de Lyon, qu'il avait
à demeure à Ferney, étant curieux d'assister à un ser-
mon hérétique, se rendit un dimanche au Temple
Neuf, et entendit M. Picot prêcher sur ces paroles de
220
saint Jean: « Travaillons pendant qu'il fait jour. » De
retour à Ferney , enchanté de l'éloquence et de la force
des paroles de l'orateur, le grand-vicaire le loua sans
réserve devant Voltaire; M. Rieu, de Satigny, pa-
roissien de M. Picot, était présent. « Mon cher Rieu,
dit le philosophe, veuillez faire mes compliments à
Y abbé Picot, et lui dire qu'il a, à peu près, converti
M. le grand- vicaire.» — « Ces éloges me touchent peu,
répondit M. Picot, le lendemain, quand M. Rieu s'ac-
quitta de sa commission; mais dites à votre ami, si
vous l'osez, que c'est sa conversion à lui que je vou-
drai essayer. »
Telle fut la conduite des pasteurs genevois vis-à-vis
de l'incrédulité voltairienne. Depuis 184 6, dans les
luttes intérieures de l'Église de Genève, les calvinistes
rigides ont souvent accusé leurs prédécesseurs d'avoir
faibli devant les matérialistes du dix-huitième siècle,
et trahi la cause de l'Évangile. Nous avons rapporté
les pièces officielles de ce grand procès. .\ous laissons
à la conscience des lecteurs impartiaux le soin de
prononcer un jugement équitable sur ces courageux
et modestes serviteurs du Christ.
221
CHAPITRE VU.
DOGMATIQUE GENEVOISE.
ROUSSEAU ET L EGLISE DE (;iï.>KVE.
Vue générale. — Apprentissage, démoralisation et fuite de Rousseau.
— La lettre de M. de Poulverre et la réception de M'"c de Warens.
— Certificat d'abjuration à Turin. — Instruction religieuse par un
abbé déiste. — Rousseau veut redevenir Genevois protestant. —
Démarches auprès du Consistoire de Genève. — Sa profession de
foi et sa réintégration dans l'Église de Genève. — Affection de Rous-
seau pour les mœurs protestantes. — Son opposition aux tendauces
immorales de Voltaire. — Publication de l'Emile. — Tendances reli-
gieuses et morales de ce livre. — Courage de Rousseau en le
publiant. — Colère et critique de Voltaire. — Approbation des phi-
losophes éclairés. — Conduite des pasteurs genevois vis-à-vis de
l'Emile; leur espérance de ramener Rousseau an christianisme révélé.
Lettres de J. Vernet et de Vernes, pasteurs. — Rousseau et l'Emile.
— Recrudescence des luttes religieuses occasionnées par les Lettres
de la Montagne. — Fâcheuse influence de la politique en cette
occasion. — Sévérité des amis de Rousseau au sujet de cet écrit. —
Joie et approbation de Voltaire. — Apaisement de la I ut te. — In-
fluence inorale de Rousseau à Genève en 1770. — Le souper de
M. de Honstetteu. — Progrès de Rousseau vers le christianisme
révélé. — Les derniers écrits religieux de Rousseau et leur tendance
spiritualiste.
Quelques auteurs protestants ayant maintes lois
affecté de confondre l'œuvre de Voltaire à Genève
avec les sentiments religieux de Rousseau, nous re-
produisons ici, dans tous ses détails, l'évolution re-
222
ligieuse de notre iliustre compatriote et l'analyse de
ses croyances philosophiques touchant le christia-
nisme, dans les diverses phases de sa vie.
Agé de quatorze ans, Rousseau, délaissé par son
père, traité avec indifférence par le reste de sa famille,
fut placé chez un maître graveur. Cet homme qui,
dans l'acte d'apprentissage, « s'engageait à élever cet
enfant dans la crainte de Dieu, et devait le soigner
en bon père de famille, » ne tint aucunement sa pa-
role. Rousseau, mal nourri, mal surveillé, contracta
les habitudes les plus fâcheuses; on toléra les fautes
graves, tout en lui infligeant les plus rudes châtiments
pour de légers délits. Ces odieux procédés lui inspi-
rèrent une résolution désespérée. Un dimanche du
printemps, Jean-Jacques avait poussé trop loin sa
promenade; le soir, au retour, les portes de la ville
se trouvèrent fermées; il dut passer la nuit en plein
air. Le maître le roua de coups; mais la passion d'er-
rer à l'aventure fit bientôt retomber l'apprenti dans
la même faute. Les meurtrissures de la correction
précédente étant encore douloureuses, le pauvre mar-
tyr s'enfuit, erra deux jours dans les environs, puis
se réfugia chez M. de Pontverre, curé de Confi-
gnon, village situé à une lieue de Genève. M. de
Pontverre était un zélé controversisle : ii reçut avec
une extrême bienveillance cet enfant exaspéré, il le
combla de bontés, lui fournit les moyens de pour-
223
suivre son voyage jusqu'à Annecy, et lui donna une
recommandation pour Mme de Warens. Cette jeune
dame, poussée par des fautes et des chagrins, avait
changé de religion, et recevait une de ces pensions que
les rois de Sardaigne accordaient alors aux transfu-
ges du protestantisme.
Voici la lettre de M. de Pontverre, telle que les
auteurs ecclésiastiques de la Savoie l'ont conservée1 :
« Madame,
« Je vous envoie Jean- Jacques Rousseau, jeune
homme qui a déserté son pays; il me paraît d'un
heureux caractère ; il a passé un jour chez moi , et
c'est encore Dieu qui l'appelle à Annecy.
» Tâchez de l'encourager à embrasser le catholi-
cisme. C'est un triomphe quand on peut faire des
conversions. Vous concevez aussi bien que moi que,
pour ce grand œuvre auquel je le crois assez disposé,
il faut lâcher de le fixer à Annecy, dans la crainte
qu'il ne reçoive ailleurs quelques mauvaises ins-
tructions. Ayez soin d'intercepter toutes les lettres
qu'on pourrait lui écrire de son pays, parce que, se
croyant abandonné, il abjurera plus tôt. Je remets
tout entre les mains du Tout-Puissant et les vôtres
que je baise.
» Votre T. -H. S. de Pomtvekhe. »
1. Mémoires de Mme de Warens, page 254, publiés par le clergé
d'Anuecy.
nu
D'Annecy, Rousseau fut conduit à Turin pour faire
son abjuration. Voici l'acte qui constate ce fait et qui,
je crois, est imprimé pour la première fois* :
« Jean-Jacques Rousseau, de Genève (calviniste),
entré à l'hospice à l'âge île seize ans, le 12 avril
I 728. Abjura les erreurs de la secte le 24 ; et le 25
du même mois lui fut administré le saint baptême,
ayant pour parrain le sieur André Ferrero, et pour
marraine Françoise-Christine Kora {ou Rovea). »
Cet événement lit une pénible impression dans
Genève. On lit au registre de la Compagnie, n° 19:
« Le sieur Pontverre, curé deConlignon, attire plu-
sieurs jeunes gens de cette ville, dont un a changé
de religion. On doit avertir le public. Les pasteurs
des quartiers en parleront aux parents.»
Rousseau, dans ses Confcssiom, raconte qu'il passa
deux mois au Spirito Santo. Cette erreur de mémoire
est fort excusable chez un homme qui écrit sans no-
tes après un intervalle de quarante années; mais il
est également impossible que les faits accumulés dans
son récit, s'encadrent dans l'espace de onze jours : il
\ a une confusion manifeste dans les souvenirs du
philosophe.
Après son abjuration, Rousseau demeura quelque
1. Cel extrait texluel des registres du couvent du Spirilo Santo, à
Turin, a été remis avec une grande bienveillance par le directeur de
,<>l établissement à mon ami M. Xmédéo Bert, pasteur à Turin.
225
temps à Turin, gagnant péniblement sa vie, et essayant
divers métiers. 11 fit connaissance d'un abbé nommé
M. Gaime. Cet ecclésiastique se prit d'une vive affec-
tion pour Jean-Jacques, lui donna d'excellents con-
seils, et releva sa moralité, considérablement altérée
par son séjour chez Àbel Ducommun. Rousseau (il de
rapides progrès dans la voie du bien. Mais malheu-
reusement M. Gaime était déiste et n'admettait pas
le caractère surnaturel de la révélation ; il ne croyait
point aux miracles de Jésus-Christ; le Sauveur n'é-
tait pour lui que le plus sublime des sages. Il en-
seigna cette théologie à son disciple. Les résultats
sont faciles à concevoir. Un catéchumène, à qui son
instructeur religieux essaie de démontrer que l'élé-
ment miraculeux n'existe pas dans l'Evangile, ne
pourra peut-être jamais arriver à la foi chrétienne.
Aussi ne devons-nous point nous étonner de la ten-
dance religieuse de Rousseau. Il revint chez M",e de
Warens déiste au fond du cœur, et catholique prati-
quant et sincère au dehors : mélange de termes oppo-
sés qui se voit très- fréquemment en Italie et ailleurs. . .
.Nous ne suivrons pas Rousseau dans ses voyages
et ses malheurs. Nous le retrouvons âgé de quarante-
deux ans (4 751) : ses travaux politiques et littéraires,
ses triomphes au théâtre et ses œuvres philosophiques
attirent sur lui les regards et les applaudissements
des cours et des académies. Au milieu de ses succès,
m. 15
226
Rousseau pense avec amour à son pays ; il désire le
revoir et faire hommage de sa gloire à sa ville nalale.
Nous avons raconté ailleurs1 les impressions et les
regrets qui l'engagèrent à reconquérir les droits de
citoyen de Genève ; or, les lois de la République
n'admettant à la bourgeoisie que les protestants seuls,
Rousseau dut abjurer le catholicisme et redevenir
membre de l'Eglise genevoise.
Celle démarche, toujours si sérieuse, si délicate,
élait encore aggravée par la haute position du philo-
sophe. Voici comment Rousseau explique l'étal de sa
conscience: « La morale de l'Évangile est la même
» pour tous les chrétiens. Les dogmes ne peuvent être
» expliqués. La fréquentation des incrédules a ranimé
» ma foi au lieu de l'éteindre. La lecture de rÉvan-
» gile m'a montré Dieu et le sort véritable de l'homme,
»je possède l'essentiel de la religion, la forme est
» une affaire qui concerne les lois et les usages hu-
» mains. »
Fort de ces pensées, Rousseau s'adresse au pasteur
de sa paroisse, et comme il demeurait à Grange-
Canal, il se met en rapport avec M. Maystre, ministre
deCologny, homme âgé, doué d'une grande douceur
de caractère. Après quelques conférences, M. Maystre
fait au Consistoire le rapport suivant :
Du 25 juillet 1754. « Le sieur Jean-Jacques Rous-
1. Rousseau et les Genevois, par J. Gaberel.
227
» seau, citoyen, ayant été conduit en Piémont en bas
>» âge, y avait été élevé dans la religion catholique
» romaine et Pavait professée pendant plusieurs an-
» nées. Dès qu'il a été éclairé, et qu'il en a reconnu
» les erreurs, il n'en a plus continué les actes; au
» contraire, il a dès lors fréquenté assidûment les
» assemblées de dévotion à l'hôtel de l'ambassade de
» Hollande à Paris, et s'est déclaré hautement de la
» religion protestante. Pour confirmer ces sentiments,
» il a pris la résolution de venir dans sa patrie pour
» y faire son abjuration et rentrer dans le sein de
» notre Église, il supplie en conséquence ce vénéra-
ble Consistoire de l'exempter de comparaître, et
» qu'il lui plaise de le renvoyer devant une commis-
» sion particulière. »
Le Consistoire délibère; on représente que le sieur
Rousseau est atteint d'une maladie très-dangereuse,
que l'on peut user avec lui d'indulgence; qu'il est
d'ailleurs d'un caractère timide, et reconnu, même
par les personnes les plus jalouses de son mérite, pour
avoir des mœurs pures et sans reproches. On le ren-
voie en conséquence devant une commission composée
de MM. de Waldkirk, Sarasin et Maystre, pasteurs;
Grenus, Pictet et Jallabert, professeurs; et il sera réin-
tégré dans la communion de l'Église de Genève, s'il
satisfait aux diverses questions que les commissaires
sont chargés de lui adresser.
228
Voici comment Rousseau raconte celle scène :
« M. Perdriau, homme aimable et doux, avec qui
» j'étais fort lié, s'avisa de me dire qu'on se réjouis-
» sait fort de m'enlendre dans cette petite assemblée.
» Cette attente m'effraya si fort, qu'ayant étudié jour
y et nuit un petit discours que j'avais préparé, je me
» troublai lorsqu'il fallut le réciter, au point de ne
» pouvoir pas dire un seul mot, et je lis, dans celte
■» conférence, le rôle du plus sot écolier. Je répondis
» bêtement oui et non aux commissaires, ei je fus
» admis à la communion. »
Le registre du Consistoire s'exprime en ces termes :
Du 1er août 1754. « Le sieur Jean-Jacques Rous-
» seau ayant satisfait sur tous les points par rapport
» à la doctrine, on l'admet à la Sainte-Cène. »
Le formulaire de réintégration dans l'Eglise de
Genève est aussi simple que complet . On demande à
l'aspirant s'il admet l'Ancien et le Nouveau Testa-
ment comme vérité révélée et divine: et l'on ajoute
quelques propositions contenant les grands devoirs
de la morale évangélique.
Rousseau répond affirmativement aux articles de
cette profession de foi. Il rentre dans ses droits de
citoyen, et se trouve entouré des marques les plus
douces d'affection et de confiance de la part des pas-
leurs et des principaux bourgeois admirateurs de son
talent.
229
Les Genevois désiraient vivement que le philo-
sophe pût se fixer dans sa patrie, et Rousseau adopta
celle idée. Malheureusement les encyclopédistes con-
trecarrèrent ce projet : l'influence de la cité protes-
tante devenait trop sensible chez Jean-Jacques ; il fal-
lait l'éloigner, le conserver à Paris. Un agréable
asile lui fut offert à l'Ermitage, et l'établissement à
Genève se trouva indéfiniment ajourné. Toutefois,
son esprit et son cœur étaient sans cesse préoccupés
des intérêts intellectuels et religieux de sa ville natale,
et durant quatre années il entretint une correspondance
suivie avec les pasteurs genevois. Voltaire en fît les
frais. Le vieux philosophe, comme nous l'avons vu,
voulait démoraliser Genève et détruire le christianisme
professé par la majorité des habitants de celte ville.
Dans ce but, il favorisait le goût du plaisir, le luxe,
l'habitude du théâtre, et voulant à tout prix exercer
sa passion pour l'autorité, et jouer le rôle de sei-
gneur suzerain, il intriguait de mille manières afin
de « régenter les vingt-cinq perruques dont le gou-
vernement genevois était composé. »
Rousseau écrivit pour lors à Jacob Vernet : « Ainsi
donc la satire, le noir mensonge et les libelles sont
devenus les armes de M. de Voltaire. C'est ainsi
qu'il paie l'hospitalité dont par une funeste indul-
gence Genève use envers lui ; ce fanfaron d'impiété,
ce beau génie et celte âme basse, cet homme si grand
230
par ses talents, si vil par leur usage, laissera de
longs et cruels souvenirs parmi nous. Le ridicule,
ce poison du bon sens et de l'honnêteté, la satire
ennemie de la paix publique, la mollesse, le faste
arrogant, nous forment dans l'avenir un peuple de
petits plaisants, de baladins, de beaux esprits de
comptoirs, qui de la considération qu'avaient ci-de-
vant nos gens cte lettres, élèveront Genève au niveau
de la gloire des académies de Marseille et d'Angers. »
Cette lettre fut immédiatement transcrite et distri-
buée dans la ville à un très-grand nombre d'exem-
plaires. « Elle frappe fort sur les consciences, dit
Roustan, et bien des gens, après l'avoir lue, gardent
ce silence significatif dont le remords est le père. »
Voltaire ne put digérer cet affront, et dès lors il
saisit toutes les occasions d insulter Rousseau. Toute-
fois les dures paroles de celte lettre étaient son moin-
dre grief ; comme il voulait diriger l'esprit des hom-
mes sérieux, il souffrait cruellement en voyant la
meilleure place prise par son antagoniste. Cette place
était bonne; on peut en juger par la lettre suivante :
M. Sarasin aîné, pasteur, à Rousseau, septembre
1758. « Je n'ai pas de termes assez expressifs pour
vous marquer la satisfaction que j'ai ressentie en reli-
sant le digne ouvrage qui vient de sortir de votre
plume (Lettre sur 1rs spectacles et que M. Vernes
m'a remis de voire part. Vous venez de rendre un
service signalé à noire commune pairie, en vous
élevant aussi librement et aussi fortement que vous
l'avez fait contre la fureur des spectacles, et en mon-
trant tout le ridicule et le danger du projet qu'ont
formé certaines personnes d'établir un théâtre dans
noire ville. Je partage avec tous nos bons compa-
triotes la reconnaissance que tout notre public vous
cloil pour le bien que votre livre ne manquera pas
de faire auprès de tous ceux qui savenl penser saine-
ment et qui ne sont pas livrés à l'amour de ia frivo-
lité et du plaisir.
« Que j'ai de regrets, Monsieur, de n'être pas à
portée de jouir de vos entretiens et de contempler de
près cette vertu qui vous rend si respectable et qui
vous attire l'eslime et les vœux de tous ceux qui en
connaissent le prix ! »
De leur côté, les pasteurs n'épargnaient pas les dé-
marches pour rappeler Jean- Jacques dans sa patrie. Ils
étaient sûrs que sa présence rendrait de signalés ser-
vices à la religion nationale, et voici la tournure qu'a-
vait prise leur correspondance :
Vernes, 1758. «Notre maître en plaisanteries
fait sans doute quelques prosélytes ; ce sont des jeunes
gens qui sont de Genève, mais ils n'ont pas l'âme
genevoise. Ainsi nous n'avons rien perdu. Si le ton,
les manières, les maximes de Voltaire en ont perdu
quelques autres dans la bourgeoisie, ils sont en très-
232
petit nombre, et osent à peine se montrer. Je lisais
votre lettre (la précédente) à mon bon ami M. de
Rochemont — Eh, mon cher! s'écria-Ui, dites à
cet illustre liomiète homme que nous sommes presque
tous bons et bètes... il y a dans le gros de la bour-
geoisie un instinct moral, un fond de vertus qui n'a
point encore reçu d'atteinte. — Il a raison, ces gens-
là vous aiment, vous estiment, vous révèrent ; ce se-
rait le moment de venir travailler avec nous, d'aug-
menter le bataillon sacré qui résiste à Voltaire, afin
que Genève reste toujours Genève. »
Rousseau, misérablement enlacé dans sa fausse
position d'intérieur, ne pouvait s'éloigner pour long-
temps de Paris ; il y revint, et trouva bientôt l'occa-
sion de faire connaître les croyances religieuses qu'il
avait retrempées el fortifiées dans l'atmosphère ge-
nevoise.
Lorsqu'on étudie les manifestations religieuses de
Rousseau, dans un moment où le matérialisme triom-
phait de toute part, on regrette amèrement les que-
relles politiques et les rancunes du clergé français qui
aigrirent le philosophe et le poussèrent dans une voie
qu'il neùl jamais choisie. La condamnation cl la
destruction légale de V Emile furent une des fautes les
plus graves au point de vue philosophique el reli-
gieux.
VEmile, dont nous devons maintenant examiner
233
les tendances religieuses, fut accueilli avec un engoue-
ment passionné, et, sous le rapport philosophique, ce
livre méritait l'enthousiasme qu'il excita. En effet,
pour apprécier l'importance de l'œuvre de Rousseau,
pour comprendre la grandeur du service qu'il rend
à la cause de la vérité, il faut rappeler l'étal des
croyances en 17 62.
L'école de philosophie, qui régissait la pensée
française, admet la matérialité de l'âme.
En morale, cette secte affirme que le devoir n'existe
pas, et que la distinction du juste et de linjuste n'est
qu'une illusion.
En religion, la plupart des philosophes nient l'exis-
tence de Dieu et couvrent des plus indignes railleries
la personne du Christ.
D'Holbach, Helvétius, Diderot, d'Àlembert, Con-
dillac, sont les directeurs absolus des intelligences et
de la littérature. Près d'eux s'élève Kousseau, dont
l'éloquence irrésistible entraîne l'opinion, et que les
journaux, les académies, les souverains reconnais-
sent pour un écrivain du premier ordre. Uousseau,
n'a point encore fait d'opposition décisive aux ten-
dances matérialistes du jour, la lutte est circonscrite
sur le territoire genevois... Tout à coup Rousseau
lance dans te monde un manifeste — et ce mani-
feste renferme la plus décisive protestation contre la
philosophie incrédule des encyclopédistes... lions-
seau remplit ce devoir, sachant qu'il déchaînera con-
tre lui les plus terribles colères de Paris et de Berlin.
Peu importe.
A Helvétius, qui rabaisse l'humanité au niveau de
la brute, et qui affirme que la seule chose qui sépare
l'homme du singe, c'est qu'il a le pouce opposable
aux doigts... Rousseau dit: « Quoi ! je puis sentir
ce que c'est qu'ordre, beauté, vertu ! je puis contem-
pler l'univers, m'élever à la main qui le gouverne,
et je me comparerais aux bêtes ! Ame abjecte, c'est
ta triste philosophie qui le rend semblable à elles —
Ou plutôt tu veux en vain t'avilir : ton génie dépose
contre tes principes, ton cœur bienfaisant dément
ta doctrine, et Tabus même de les facultés prouve
leur excellence en dépit de toi. »
A ceux qui déclarent qu'il n'y a point de distinc-
tion entre le juste et l'injuste, et qui nient la réalité
du devoir moral, Rousseau répond : « Conscience!
conscience ! instinct divin ! immortelle et céleste voix !
guide assuré d'un être intelligent et libre ! juge infail-
lible du bien et du mal, qui rends l'homme sem-
blable à Dieu... Sans toi je ne sens rien en moi qui
m'élève au-dessus, des bêtes que le triste privilège de
m 'égarer d'erreurs en erreurs, à l'aide d'un entende-
ment sans règle et d'une raison sans principe. »
A ceux qui nient Dieu, Rousseau parle en ces ter-
mes : « Pius je m'efforce de contempler son essence
255
infinie, moins je la conçois; mais elle est, cela nie
sulïit ; moins je la conçois, plus je l'adore. Je in'hu-
niilie, je lui dis : Être des êtres! je suis parce
que tu es. Le plus digne usage de ma raison est de
s'anéantir devant toi : c'est mon ravissement d'es-
prit, c'est le charme de ma faiblesse de me sentir
accablé de ta grandeur. »
A Voltaire, qui vient d'écrire que les actions de
Jésus et de ses apôtres sont dignes d'un échappé de
Bedlam, Rousseau répond :
« La sainteté des Évangiles parle à mon cœur...
Se peut-il qu'un livre aussi simple et aussi sublime
soit l'ouvrage d'un homme?*... Si la vie et la mort
de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus
sont d'un Dieu. »
V Emile étant lu avec enthousiasme dans le public,
les encyclopédistes éprouvèrent une colère violente
contre le philosophe genevois. Voltaire résuma cette
impression dans une lettre à jamais mémorable.
« Avez- vous lu la prose du sieur Jean-Jacques?
son Vicaire savoyard est digne de Ions les châtiments
possibles Le Judas nous abandonne, et quel mo-
ment choisit-il pour nous abandonner? l'heure où
notre philosophie allait triompher sur toute la ligne. »
Les esprits élevés, les amis du vrai et du bien,
se séparèrent de l'Encyclopédie et félicitèrent Rous-
seau de sa loyale franchise, el un des hommes qui
256
avait entre tous le droit de parler de courage moral,
le président de Montclar, rendit solennellement jus-
lice au philosophe genevois. M. de Montclar avait,
comme on le sait, travaillé durant nombre d'années
à expulser les jésuites de France ; il avait méprisé
les périls que courent les adversaires de cette puis-
sante société, et il disait de Jean-Jacques :
« Je suis enthousiasmé de tout ce qu'il écrit pour
prouver qu'il y a un Dieu, et je connais assez mon
siècle pour savoir le meilleur gré à M. Rousseau
de la profession ouverte de cette croyance et de sa
persévérance à enseigner qu'il y a un bien et un
mal moral. Hélas! s'il avait voulu être athée, il
aurait beaucoup plus de partisans i . ><
Si Y Emile n'eût renfermé qu'un système de phi-
losophie morale et spiritualiste, sans aucun doute le
clergé et le Parlement auraient joint leurs suffrages
aux applaudissements du public lettré. Mais, en poli-
tique, Rousseau proclamait l'égalité et la responsa-
bilité de tous les hommes devant la loi, l'égalité de
toutes les charges sociales pour toutes les classes de
la société. Ces idées, aujourd'hui reconnues comme
des vérités incontestables, furent irrévocablement con-
damnées il y a cent ans.
Pour le clergé et les hommes croyant à la révéla-
lion chrétienne, V Emile offrait une grave lacune.
1. Montclar, Lettre à Moultou, son parent.
257
Rousseau établit la religion naturelle, la croyance en
Dieu, l'immortalité de l'âme, l'existence et l'autorité
suprême de la morale de Jésus-Christ ; mais il ne
peut aller plus loin, et s'il pense que l'Evangile est
un livre divin à cause de sa sublimité, il ne peut
admettre le fait surnaturel de la révélation, l'exis-
tence du miracle. En conséquence, V Emile fut con-
damné pour des motifs fort divers. L'avocat du roi
le condamna, « parce que des hommes élevés par
Rousseau seraient enclins au doute et préoccupés de
la tolérance. » L'archevêque de Paris le condamna
dans un mandement où il dit. : « Vous préconisez l'ex-
cellence de l'Évangile dont vous détruisez les dogmes ;
vous peignez la beauté des vertus que vous éteignez
dans l'âme de vos lecteurs. »
A la suite de ces réquisitoires, le Parlement dé-
créta l'emprisonnement de Jean-Jacques, et le J 1
juin 1762 son livre fut brûlé par la main du bour-
reau.
Que devait-on faire à Genève? La république était
dans les tenailles de la France. En 4 762 Voltaire
était tout-puissant à Versailles. On condamna donc
l' Emile pour plaire à M. de Choiseul et l'on sévit
contre les amis de Rousseau.
Si cette mesure se conçoit au point de vue politi-
que, il faut avouer qu'au point de vue religieux la
flétrissure de l' Emile était absurde de la part des ma-
238
gistrals genevois. Sans doute, d'après le texte des
édils, la sentence revêtait une stricte légalité : « Tout
homme qui dogmatise contrairement à la foi reçue,
doit être admonesté avec douceur et puni s'il ne se
range... » Et, contrairement à la foi reçue, Rousseau
niait les miracles de l'Evangile. Mais depuis cinquante
années celte loi était tombée en désuétude à Genève ;
la liberté de conscience, d'écrits et de paroles, avait
succédé au régime de la foi légalement imposée. Les
livres discutant les vérités religieuses avec le respect
et la convenance nécessaires en pareil cas, étaient im-
primés sous les yeux du gouvernement, ou se ven-
daient publiquement chez les libraires. En particulier
Lesage et Mlle Huber avaient traité le même sujet
que Rousseau sans encourir les rigueurs de la loi...
On comprenait bien la fausse position des magistrats,
on savait que l'affaire était plus politique que reli-
gieuse, car les amis de Rousseau lui écrivaient :
« Au fait, on a battu le Contrat social sur le dos de
Y Emile. »
La position du clergé genevois était très-délicate.
Déjà, lors de la publication de la Nouvelle Héloïse,
les pasteurs avaient témoigné un étonnement doulou-
reux en voyant Rousseau oublier qu'il avait répondu
affirmativement au Consisloire, touchant le fait du
caractère miraculeux de l'Evangile ; leurs craintes
s'étaient réalisées, ils savaient que Rousseau, toujours
-259
à la merci des impressions du moment, ne pourrait
échapper à l'influence de la coterie incrédule de Paris.
L1 Emile vint encore compliquer la situation, et,
avant d'exposer la conduite du clergé genevois, nous
devons dire que ces pasteurs ont été singulièrement
jugés par deux partis extrêmes dans leurs apprécia-
tions. Les amis de Rousseau reprochent amèrement
aux pasteurs de Genève d'avoir attaqué l' Emile dans
leurs écrits et leurs sermons, d'avoir applaudi à la
condamnation d'un livre qui écrasait le matérialisme
et proclamait la tolérance, tandis qu'ils auraient dû
plutôt remercier publiquement Rousseau du service
qu'il rendait à la religion, au milieu du siècle le plus
incrédule des temps modernes.
Nous entendons encore de nos jours celte récrimi-
nation formulée dans des termes identiques.
D'autre part, les écrivains protestants français et
anglais, qui depuis 4 816 attaquent l'Eglise de Ge-
nève, déclarent que les pasteurs de 1 762 pactisèrent
avec Rousseau, abandonnèrent la défense de la révé-
lation et se bornèrent à une commode religion natu-
relle, qui n'engage ni la raison ni la conscience.
La vérité se trouve nécessairement entre ces deux
extrêmes, et voici la ligne de conduite observée par
les pasteurs de Genève à l'égard de Rousseau ; leurs
correspondances nous la dévoilent sans réserve.
Rousseau, disent-ils, a une influence universelle
sur le monde pensant; il rend un grand service dans
ces temps, où l'on déverse la raillerie sur les idées
religieuses, en proclamant sa vénération pour la mo-
rale évangélique et pour le caractère divin de notre
Sauveur; si nous pouvions l'attirer plus loin, lui l'aire
accepter une adhésion complète à la révélation chré-
tienne, nous rendrions un immense service à notre
cause. Rousseau chrétien ramènerait peut-être au-
tant d'âmes incrédules à l'Évangile que jadis Calvin
en fit sortir de l'Eglise romaine
Pénétrés de celte vérité, les pasteurs gardèrent un
silence oHiciel touchant la condamnation de l' Emile ;
ils ne firent aucune démarche pour ou contre ce juge-
ment . En chaire, ils réfutèrent les tendances blâmables
du livre. Les ecclésiastiques particulièrement liés avec
Rousseau, écrivirent des brochures où l'amour de la
vérité chrétienne se mêlait au regret de combattre un
ami ; ils espéraient toujours le ramener au christia-
nisme évangélique, et voici, parmi la volumineuse
correspondance du temps, trois lettres qui résument
complètement la position.
« Cher Monsieur, nos sentiments sur tout ce qui
vous regarde sont assez connus. J'ai toujours rendu
justice à vos talents, et j'ai admiré bien des choses
dans vos ouvrages, surtout celles qui tendent forte-
ment aux bonnes mœurs. On a eu raison de dire qu'en
lisant votre beau tableau de la religion naturelle, je
m'écriai avec Terluliien : () testimonium animée na-
turaliter christianœ! Mais on ne vous a pas non plus
caché que je sentais, comme tous mes collègues, sui-
tes endroits qui ont été justement repris dans Y Emile
et le Contrai social, quoique j'aie tempéré ce blâme
par la plus grande modération relativement à voire
personne. Mon frère en a jugé de même, et autant
nous avons été d'accord pour désapprouver les côtés
répréhensibles de vos derniers livres, autant le som-
mes-nous pour compatir aux chagrins qu'ils vous onl
attirés et très-disposés à vous rendre tous les services
personnels.
«Voilà, Monsieur, comment nous sommes vos
ennemis.
» La Gazette de Bruxelles, voulant nous faire
passer pour déistes, dit que le magistral vous con-
damne et le clergé vous approuve. Il n'est pas diflî-
cile de connaître L'auteur de cette fausseté. L'exposé
de mes sentiments peut vous faire juger de l'esprit
que je porte dans l'engagement que j'ai pris de vous
réfuter. L'honneur de notre Eglise au dehors, son
édification au dedans, exigent quelque chose. Nos
prédicateurs ont fait leur devoir, mais on demande
quelque écrit . Ma place et la nature de mes travaux
m'ont imposé cette tâche, .le suis bien aise d'appren-
dre que vous la verrez sans peine. Croyez qu'en con-
tredisant l'écrit, je ménagerai autant qu'il est pos
m. IG
- Vl*
sible Tailleur, et que je n'aurai garde de le confondre
avec le contempteur de toutes les religions.
» Votre tout dévoué, Jacob Vernet,
» Professeur en théologie. 1762. »
Moultou avait pour Rousseau une affection inalté-
rable : mais le devoir passe avant l'amitié chez les
ministres fidèles à leur mandat. Moultou lui écrit
(4 762) :
« Je ne vous l'ai point dissimulé, mon cher ami,
ce que vous avez dit de la religion afflige ceux mê-
mes de vos compatriotes qui vous aiment le plus,
parce qu'ils aimentencore plus la religion. Cependant
ils cherchent à vous excuser et à vous défendre
tandis que les ennemis de la religion et de la patrie
triomphent de ce que vous leur avez fourni des armes
pour leurs attaques. »
Vernes prend la plume à son tour, en septembre
4762:
« A présent, mon cher Rousseau, que je vous crois
moins accablé de lettres, je viens épancher mon cœur
près de vous. Moultou vous aura dit combien j'ai
souffert des persécutions que vous avez endurées.
Mais pourquoi n'avoir pas eu assez de confiance en
moi pour me prévenir de ce que vous vouliez donner
au public? Je crois que les représentations de l'amitié
vous auraient détourné de ce projet.
» Quand tout ce que vous avez dit sur le christia-
243
nisme serait fondé, quel bien feriez-vous à la société
en lui enlevant ses plus fermes appuis Quelles an-
goisses vous avez mises dans de bonnes âmes en
voyant des doutes proposés avec tant de force par un
homme dont on adore les talents et le génie î . . . Oui,
mon cher Rousseau, j'en ai vu de ces âmes alarmées
par la lecture de votre Emile, et auxquelles j'ai eu
bien de la peine à rendre cette tranquillité d'âme que
donne une foi vive et dont nous avons tant besoin
dans celte vallée de larmes et de misères. Je sais que
votre système de religion naturelle est admirable; je
l'ai lu et relu avec transport; je ne connais rien qui
approche de cel excellent morceau... Mais pourquoi
ne pas vous en tenir là ?. . . Et quel service vous auriez
rendu, en retranchant de cette religion ce que les
hommes y ont ajouté, et en montrant que la doctrine
de Jésus et des apôtres s'accorde avec la religion na-
turelle, la perfectionne, la complète en lui donnant
une suprême et infaillible autorité?...
» Mais par vos difficultés sur le christianisme, vous
avez troublé des âmes mal affermies dans la foi et fait
triompher des libertins qui s'appuient de l'autorité
d'un homme tel que vous, d'un amateur de la vérité.
Si du moins les hommes étaient tels que vous les
demandez dans la religion naturelle ; mais, mon cher
Rousseau, qu'ils sont loin d'adorer Dieu avec cette
simplicité, cette pureté de cœur que vous exigez de
vos disciples ! J'abrège, mon cher Rousseau, il
m'a été impossible de ne pas vous montrer le fond de
mon cœur. Vous aimez trop la franchise pour blâmer
celle avec laquelle je vous parle ; il manque à mon
bonheur de ne pas vous voir dans une patrie dont
vous auriez fait les délices par votre commerce,
comme vous en faites la gloire par votre génie. »
Cette ligne de conduite si franche et si charitable
déplut souverainement à Voltaire : il vit que le rap-
prochement des pasteurs genevois et de Rousseau
tournerait à l'avantage de la religion et déterminerait
peut-être chez l'impressionnable écrivain quelque évo-
lution vers le christianisme révélé, Il fallait à (ont
prix éviter de la part de Rousseau une nouvelle tra-
hison pire que la première. Dans le but de brouiller
Jean-Jacques avec ses amis et de compromettre le
clergé de Genève , il fit insérer dans la Gazelle
d'Utrecht :
« Grand et éditiant spectacle offert par la Vénérable
Compagnie des Pasteurs de Genève! Tandis que le
gouvernement brûle les livres de Rousseau, le clergé
les approuve et se trouve très-heureux d'en être ré-
duit à une religion naturelle qui ne prouve rien et ne
demande pas grand 'chose. »
Rousseau, prévenu par M. Vernel, méprisa cette
jonglerie, et les pasteurs genevois gardèrent ce si-
lence plein de dignité, qu'ils ont toujours su observer
contre les attaques adressées à leurs personnes, mais
indifférentes à la religion.
Si la discussion demeurant sur le terrain des idées
eût continué avec ce mélange de franchise et de cha-
rité chrétienne, Rousseau était pegl-être conduit jus
qu'au christianisme révélé. Il se trouvait alors (4762
à 4 764) à Motiers-Travers; la douceur et le tact du
pasteur de Montmollin agissaient puissamment sur
son esprit; son admission à la Sainte-Cène lui avait
causé un bonheur intime qui le rendit insensible aux
traits railleurs que ses anciens amis de France lui dé-
cochèrent sans pitié. Malheureusement la politique et
les querelles amères, soulevées à Genève autour de
V Emile, entre le gouvernement et la bourgeoisie,
détruisirent l'œuvre des pasteurs; Rousseau ne put
obtenir la réparation qu'il sollicitait touchant la flé-
trissure de son livre. Les lettres insultantes que des
anonymes lui écrivaient exaspérèrent son esprit; la
haine l'aveugla.
En 4 764, nous l avons dit, il commit la faute la
plus grave qu'un homme public puisse commettre ;
il mil ses passions à la place de ses principes, et pour
venger des injures personnelles, il attaqua la Patrie
et l'Eglise qu'il avait auparavant exallées dans les
plus brillantes productions de son génie.
Par rancune politique, le citoyen dévoué se fit
pamphlétaire pour un jour, et le philosophe qui vé-
«
246
nérail la religion, traîna sa plume à la remorque de
Vol la ire.
Dans ses Lettres de la montagne, il écrivit contre
les miracles trois ou quatre pages indignes de son ca-
ractère, et voici sa plus saillante tirade:
« Les miracles où sont-ils? Jadis les prophètes fai-
saient descendre à leur voix le feu du ciel ; aujour-
d'hui les enfants en font tout autant avec un petit
morceau de verre. Josué fit arrêter le soleil; un fai-
seur d'almanachs va le faire éclipser. Les foires four-
millent de miracles: j'ai vu un paysan hollandais
rallumer sa pipe avec son couteau; en Syrie il eût
été prophète. J'ai vu quelque chose de plus fort: des
académiciens et des savants qui couraient aux con-
vulsions de l'abbé Paris et revenaient convaincus. On
n'est point parvenu aux limites de l'art de guérir; qui
sait? on arrivera peut-être à remettre un mort sur ses
jambes. On a trouvé le secret de ressusciter des noyés ;
on parviendra à rendre la vie à des corps qu on en
avait privés. »
Rousseau, par ces misérables attaques, lit beau-
coup d'impression sur des hommes charmés de trouver
un esprit supérieur fournissant un aliment à leurs idées
favorites, à leurs principes faciles; mais s'il compta
sur la sympathie des gens sérieux . il l'ut rudement
détrompé. Ses meilleurs amis politiques gardèrent le
silence le plus glacial au sujet de ces pages écrites
247
dans un moment d'égarement, et il dut comprendre
la portée de ce silence en relisant les lettres chaleu -
reuses écrites dix-huit mois auparavant, lors de la
condamnation de Y Emile et du Contrat social.
Les pasteurs remplirent leur devoir : la Compagnie,
qui s'était tenue dans une réserve officielle au sujet
de Y Emile, publia contre les Lettres de la montagne
un mandement dont nous transcrivons le principal
paragraphe :
« Nous avons vu avec la plus vive douleur notre
sainte Réformation représentée sous les couleurs les
plus fausses et la religion attaquée dans ses fonde-
ments avec une audace dont on a peu d'exemples.
Nous ne répondrons que par un redoublement de zèle
et de charité aux paroles d'un auteur pour qui rien
n'est sacré, dès qu'on le blesse dans ses convictions
ou qu'on discute ses principes. »
Les ministres spécialement attachés à Rousseau
s'unirent à leurs collègues. Vernes écrit le premier :
« Vous nous avez déchiré le cœur : vous si bon , si
respectueux envers le christianisme, avoir publié des
pages qui réjouiront Vollaire Je crains fort que
vous n'ayez détruit vous-même tout le bien que vous
aviez commencé. »
Moultou, en envoyant à Rousseau le mandement
des pasteurs, ajoute : « Oui, mon ami, je leur aurais
prêté ma plume quand j'aurais dû la tremper dans
248
mon sang. Il s'agissait de remplir un trop grand de-
voir pour qu'aucune considération humaine pût m'ar-
rêter un seul instant !
Chapuis, l'un des hommes les plus attachés à Rous-
seau, lui écrit: « Je lis, page 77, Lettres de la mon-
tagne, que les réformés de nos jours, du moins les mi-
nistres, n'aiment plus leur religion. J'aurais bien sou-
haité, Monsieur, pour votre gloire, que vous eussiez
supprimé ces deux ou trois pages, ou que du moins
vous en eussiez sérieusement adouci les termes. »
Les brochures se multiplièrent; mais toutes celles
que j'ai pu recueillir sont dictées par un esprit élevé
et charitable qui ne se dément pas un seul instant.
On veut essayer de convaincre Rousseau , mais on ne
songe jamais à l'humilier. Il offrait pourtant de sé-
rieux avantages à ses adversaires chrétiens.
Dix ans auparavant, il avait affirmé au Consistoire
qu'il admettait la révélation contenue dans les Saintes
Écritures, et dans les Lettres de la montagne il se
borne, dit-il, à un doute respectueux sur ce sujet.
Voici la seule allusion qui soit faite à ce grave inci-
dent :
« Si vous vous étiez borné, écrit le professeur
Claparède, au doute respectueux touchant l'existence
de la révélation, pensez-vous qu'en 1754- vous eus-
siez satisfait la commission du Consistoire chargée de
vous réintégrer dans le sein de notre Eglise? »
249
La Compagnie des Pasteurs de Neuchàtel s'unit à
celle de Genève, et M. de Monlmollin, qui avait admis
Rousseau à la Sainte-Cène, dut cesser toutes relations
avec lui. Cette conduite, dictée par les principes et les
circonstances, exaspéra Rousseau; il accabla d'inju-
res les pasteurs protestants, leur reprocha de tendre la
main aux catholiques de France, d'être les ennemis
de la liberté de pensée.
Rousseau, dans celte déplorable période, avait dé-
cidément perdu toute espèce de sens moral. Il ne pa-
raissait pas se douter du mal qu'il causait par son
dernier écrit, et, plus tard, ses apologistes fervents
jusqu'à l'aveuglement ont épousé sa cause sans con-
sulter les pièces du procès; ils ont accusé de haine
et de vengeance cléricale les pasteurs suisses, sans
avoir lu leurs correspondances et leurs brochures, et
nul d'entre eux ne semble comprendre qu'un abîme
sépare l'Emile des Lettres de la montagne1.
Néanmoins, cet état violent ne pouvait durer : les
rancunes soulevées dans les moments de crise per-
dent à la longue leur intensité; la raison et le cœur
reprennent leur empire. Rousseau subit cette heu-
reuse modification, et sa correspondance, momentané-
ment suspendue, reprit une nouvelle activité avec
ses amis de Genève. 11 avait renoncé à la pensée de
revenir dans son pays; mais son àrne vivait avec les
1. Voir une brochure intitulée : Rousseau justifié envers ta pairie.
250
souvenirs de la terre natale, et il s'intéressait vive-
ment à tous les détails des affaires genevoises. On était
en 4 770, et la lutte contre le matérialisme de Vol-
taire avait pris les allures d'un combat acharné. Les
pasteurs, une partie des magistrats, la bourgeoisie,
s'opposaient de tout leur pouvoir à la diffusion du venin
de Ferney. Quelques correspondances du temps feront
connaître les deux faces de la société genevoise. Voici
un souvenir de M. de Bonstetten :
« J'avais dix huit ans lorsque je vins pour la pre-
mière fois à Genève; tout récemment j'avais terminé
mon instruction religieuse à Yverdon, et je n'avais
entendu parler que très-confusément des procédés de
Voltaire à l'égard des Genevois. Un soir je fus invité
à souper chez une famille amie de mes parents
Quelle conversation, bon Dieu! l'athéisme le plus
effronté s'étalant sans pudeur! et les plus sanglantes
plaisanteries adressées aux personnes qui croient que
le devoir moral existe !
«Pourtant, je dois le dire, l'existence de Dieu
trouva un défenseur. Un de nos convives, qui repous-
sait avec beaucoup d'adresse et de vivacité les mau-
vais mots prononcés contre le christianisme, s'écria :
Eh bien ! Messieurs, si jusqu'à ce jour je n'avais pas
encore été témoin d'une démonstration visible et po-
pulaire de l'existence de Dieu et de la stupidité inté-
ressée des gens qui prétendent que le monde est formé
-251
par hasard, cette après-midi, en traversant Saint-
Gervais, j'ai vu, de mes yeux vu , cette vérité prouvée .
» Ah ! comment cela ?
» Voici le fait. Des entants jouaient aux dés : l'un
d eux amenait toujours le chiffre 9 ; le dé est pré-
paré, medis-je; et, l'examinant, je découvris un grain
de plomb au centre d'un des trous... Il était pipé...
Or, Messieurs, ce monde qui accomplit ses tours et
ses révolutions avec une régularité parfaite, me semble
avoir été également préparé ou pipé par un grand
ouvrier qui avait son but en cela.
» On rit , on se moqua, la discussion devint plus
ardente, et lorsque je rentrai chez moi, continue
M. de Bonstetten, je tombai à genoux, je demandai
à Dieu d'anéantir la funeste impression que je venais
de recevoir, et je me promis bien de conserver in-
tacte la foi telle que je l'avais apprise. »
Voici maintenant une lettre de M. Mouchon, qui
présente une autre face du tableau :
« 4 771. La grande majorité des Genevois flottent
encore indécis entre la foi de leurs pères et l'incré-
dulité des philosophes; ils ont peur de Voltaire et de
ses satellites. Ils conservent une secrète sympathie
pour Rousseau. L'un d'eux exprimait l'autre jour
avec franchise celle impression : « Je ne sais pourquoi
» mon cœur s'épanouit lorsqu'on dit du bien de Jean-
•» Jacques, et s'indigne lorsque je vois des gens le
252
» railler pour complaire à Voltaire; mais comme
» l'idée de l'un de ces personnages est toujours liée
» dans mon esprit à celle de la vertu, et l'idée de
» l'autre à celle de la méchanceté et du vice, je crois
» (]ue de tels sentiments sont justes et convenables.»
>• .rajoute, continue M. Mouchon, qu'en voyant
notre société si ravagée par l'incertitude el l'incré-
dulité en matière de religion, je lais une part bien
différente aux deux génies de notre siècle. Si Voltaire
ôte la foi à ceux qui doutent encore... Rousseau ra-
mène jusqu'au doute ceux qui, depuis longtemps, ne
croient plus à rien. L'enthousiasme et l'amour avec
lesquels il parle de la Providence et du devoir donnent
à ses souvenirs un charme inexprimable, un caractère
de vertu qui ne s'efface jamais... On a beau sacrifier
Jean-Jacques dans les salons de Voltaire. Rousseau
plane toujours chez nous sur les plus hautes régions
de la pensée; on s'honore d'être son compatriote. »
Les pasteurs genevois pensaient en général comme
M. Mouchon. « Il existe un abîme, disait Rouslan,
entre l'ami de Voltaire qui sourit el raille en répétant
que la conduite de Jésus-Christ est digne d'un échappé
de Bedlam, et le disciple de Rousseau, qui, sans ad-
mettre les miracles, incline son front et vénère celui
qui vécut et mourut comme un Dieu. »
Ces principes dirigeaient les prédicateurs : ils éta-
blissaient la religion naturelle avec les principes et
souvent avec les paroles de Rousseau; puis, ils re-
construisaient sur cette base les dogmes et les faits du
christianisme, qui complètent la religion naturelle,
et lui donnent la certitude, l'autorité infaillible né-
cessaire aux vérités qui régissent le sort de l'homme
sur la terre et dans le ciel.
Ces procédés, aussi religieux que prudents, ra-
menèrent un assez grand nombre de personnes dans
le sein de l'Église réformée, et la Compagnie des
Pasteurs put constater que le nombre des hommes
qui célébraient la Sainte-Cène s'augmentait sensible-
ment ; et comme dans les églises où règne une entière
liberté de conscience, la présence des hommes à la
communion est le symptôme extérieur le plus certain
de l'état des croyances intimes, le clergé genevois
put se féliciter du résultat de ses pénibles et charita-
bles travaux.
Cette modification dans les idées des Genevois, au
sujet de Rousseau, marchait parallèlement à une trans-
formation significative dans les croyances religieuses
du philosophe. Ses amis, désireux de changer ses idées
touchant le christianisme, continuèrent leur amicale
correspondance.
Ces lettres sont malheureusement très-incomplètes.
La collection suivie, remise à M. Du Peyrou et con-
servée à Neuchàtel, s'arrête au départ de Motiers-
Travers en 1767. « Gardez-moi ces papiers, dit Rous-
u254
seau à son ami , je les reprendrai à mon retour. » Il
ne revint pas, et sa correspondance intime fut dissé-
minée et perdue au travers de ses incessants pèleri-
nages en Angleterre et en France.
Toutefois il en reste assez pour établir un fait vo-
lontairement dissimulé, ou réellement ignoré parles
commentateurs de Rousseau... Nous voulons parler
du retour aux idées chrétiennes qui s'opéra chez le
grand philosophe durant les neuf dernières années de
sa vie. Voici les traits qui sont parvenus à notre con-
naissance :
Peu de temps avant sa mort (1767), Abauzit s'oc-
cupait de Rousseau; il avait suivi les débats précé-
dents avec un douloureux intérêt; il chargea Moultou
de lui envoyer ses derniers adieux : « Cher philoso-
* phe, je vous ai beaucoup aimé, j'ai souffert sérieu-
» sèment de tous vos malheurs. Si vous voulez re-
» trouver le calme à l'avenir, croyez-en ma vieille
>, expérience, employez à reconstruire votre foi les
» facultés que vous avez mises au service du doute ;
» après avoir longtemps cherché , nous bénissons nos
» travaux lorsqu'ils nous amènent à croire! »
Si Ton se rappelle le brevet d'immortalité que
Rousseau décerne à Abauzit en lui adressant cet hom-
mage: « Non, le siècle de la philosophie ne passera
pas sans avoir produit un vrai philosophe ! » il est
impossible de croire que ces simples paroles du chré-
255
tien mourant n'aient pas sérieusement frappé le phi-
losophe tourmenté de ses doutes.
Deux ans plus tard, en 1769, nous voyons Rous-
seau se dessiner plus franchement. Un jour, devant
Moullou, on discutait les convictions religieuses de
son malheureux ami.
« Rousseau, disait-on, n'a que des doutes dans le
cœur; il est heureux de ces doutes, il jouit lorsqu'il
peut, par ses sophismes, arracher la foi des âmes
dans lesquelles elle règne encore.
» Et moi j'affirme, répondit Moullou, que vous êtes
dans l'erreur. Mon malheureux ami, s'il a des doutes
respectueux sur la base miraculeuse des Evangiles,
croit à la nécessité, à la vérité des dogmes chrétiens,
aux effets de la mission de Jésus-Christ touchant la
vie à venir, la compensation des douleurs de ce monde
dans l'existence céleste et la rétribution des justes et
des injustes; je me fais fort de le lui faire écrire.
» Nous serions fort curieux de lire cette profession
de foi, s'écrièrent les assistants. »
Moullou ajoule : c Vous savez que Jean-Jacques est
l'homme des contrastes, des impressions soudaines;
il faut un choc violent, inattendu, pour faire jaillir
la pensée qui dort au fond de son âme. Gardez-moi
le secret sur mon procédé; je vais feindre d'être
ébranlé dans mes convictions chrétiennes... >
Il écrit dans ce sens à Rousseau, et bientôt il peut
256
montrer cette admirable lettre 1 où Rousseau déve-
loppe la plus belle démonstration de l'existence de
Dieu et de la vie à venir que fournissent les monu-
ments de la langue française. La nécessité d'un fait
surnaturel, pour changer en certitude les probabilités
de l'immortalité de l'âme se trouve impliquée dans
ces paroles :
« Eh quoi, mon Dieu! le juste infortuné en proie
à tous les maux de celte vie, sans même en excepter
l'opprobre et le déshonneur, n'aurait nul dédomma-
gement à attendre après elle, et mourrait en bête,
après avoir vécu en Dieu. Non, non, Moultou, ce
Jésus, que ce siècle a méconnu, parce qu'il est indi-
gne de le connaître, Jésus, qui mourut pour avoir
voulu faire un peuple illustre et vertueux de ses com-
patriotes, Jésus ne mourut point tout entier sur la
croix, et moi, qui ne suis qu'un chétif homme plein
de faiblesse, c'en est assez pour qu'en sentant appro-
cher la dissolution de mon corps, je sente en même
temps la certitude de vivre. »
Une fois dans cette voie, Rousseau lit des progrès
marquants vers le christianisme révélé, et les huit
dernières années de sa vie offrent d'étonnantes trans-
formations. La réalité de la révélation chrétienne a
frappé son intelligence. Dans les manuscrits légués
par Rousseau à Moultou, et soigneusement conservés
1. Correspondance, 14 février I7fw.
-257
par les descendante de ce dernier, se trouve un tra-
vail allégorique sur l'origine de la vérité religieuse,
travail que, selon l'opinion arrêtée de Moultouetde
• son fils , Rousseau destinait à remplacer la discussion
sur les miracles dans une future édition de Y Emile.
La date précise de ce traité n'est pas connue: il a été
composé de 1770 à 1777.
Rousseau, dans ce travail (que viennent de publier
les héritiers de Moultou), examine avec une vive an-
goisse morale les efforts des philosophes pour décou-
vrir les secrets de la nature et de l'àme. Frappé de
l 'impuissance de tous les sages anciens dans leurs re-
cherches sur Dieu, la morale et l'immortalité, il se
demande où donc est la vérité? Une vision céleste
lui apparaît: « Une voix se fait entendre dans les airs,
prononçant distinctement ces mots : « C'est ici le fils
de l'homme! que les cieux se taisent, et que la terre
écoute sa voix. » Alors, levant les yeux, il aperçut
sur l'autel, dans le temple de l'humanité, un être
dont l'aspect imposant et doux le frappa d'élonne-
ment et de respect. Son vêtement était semblable à
celui d'un artisan, mais son regard était céleste; il
y avait chez lui je ne sais quoi de sublime où la sim-
plicité s'alliait avec la grandeur, et l'on ne pouvait
l'envisager sans se sentir pénétré d'une émotion vive
et délicieuse qui n'avait sa source dans aucun senti-
ment connu des hommes... « 0 mes enfants, dit-il,
m. 17
258
je viens expier et guérir vos erreurs; aimez Celui qui
vous aime et connaissez Telui qui est. » A l'instant,
saisissant les statues des fausses divinités, il les ren-
versa sans etïorls. Puis il prêcha sa morale divine; les •
vendeurs du temple furent irrités jusqu'à la fureur.
Mais l'homme populaire et ferme entraînait tout; tout
annonçait une révolution. Il n'avait qu'un mot à dire,
et ses ennemis n'étaient plus. Mais celui qui venait
détruire la sanguinaire intolérance n'avait garde de
l'imiter, et le peuple, dont toutes les passions sont
des fureurs, négligea de le défendre en voyant qu'il
ne voulait point attaquer.
» Après le témoignage de force et d'intrépidité qu'il
venait de donner, il reprit ses discours avec la même
douceur qu'auparavant; il peignit l'amour des hom-
mes et toutes les vertus avec des traits si touchants et
des couleurs si aimables, que hors les officiers du tem-
ple, ennemis par état de toute humanité, nul ne l'é-
coutait sans être attendri et sans en mieux aimer ses
devoirs et le bonheur d'autrui. Son parler était simple
et doux, et pourtant profond et sublime ; sans étonner
l'oreille, il nourrissait l'âme ; c'était du lait pour les
enfants et du pain pour les hommes. Lui ployait le fort
et consolait le faible, et les génies les moins propor-
tionnés entre eux le trouvaient tous également à leur
portée; il ne haranguait point d'un ton pompeux,
mais ses discours familiers brillaient de la plus ra-
2S9
vissante éloquence et ses instructions étaient des apo-
logues, des entretiens pleins de justesse et de profon-
deur. Rien ne l'embarrassait : les questions les plus cap-
tieuses avaient à l'instant des solutions dictées par la
sagesse; il ne fallait que l'entendre une fois pour être
persuadé. On sentait que le langage de la vérité ne lui
coulait rien, parce qu'il en avait la source en lui-
même. »
Les pages précédentes renferment les idées concer-
nant le christianisme, qui prenaient place dans l'esprit
du philosophe genevois. Voici maintenant les senti-
ments qui préoccupaient son cœur et sa conscience:
les fragments que nous citons font partie de manus-
crits inachevés, trouvés par M. Moultou dans la table
de travail après la mort de Rousseau. Ce sont des
lettres sur la vertu et le bonheur.
« Un avantage infiniment supérieur à tous les biens
physiques et que nous tenons incontestablement de
l'harmonie du genre humain, est celui de parvenir
par la communication des idées et le progrès de la
raison jusqu'aux régions intellectuelles, d'acquérir
les notions sublimes de l'ordre, de la sagesse et de la
bonté morale. . . de nous élever par la grandeur de
l'âme au-dessus des faiblesses de la nature, et de pou-
voir, à force de combattre et de vaincre nos passions,
dominer l'homme naturel, et imiter la Divinité même.
Ce commerce continuel d'échanges, de soins, de se-
260
cours et d'instructions, nous soutient quand nous ne
pouvons plus nous soutenir nous-mêmes, nous éclaire,
et met en notre possession des biens d'un prix inesti-
mable, qui nous font mépriser ceux que nous n'avons
plus.
» A mesure que j'avance vers le terme de ma car-
rière, je sens affaiblir tous les mouvements qui m'ont si
longtemps soumis à l'empire des passions. Après avoir
épuisé tout ce que peut éprouver de bien et de mal
un être sensible. . . mon existence n'est plus que dans
ma mémoire, je ne vis plus que de ma vie passée.,
mes erreurs se corrigent, le bien et le mal se font sen-
liràmoisans mélange et sans préjugé. Tous les faux
jugements que les passions m'ont fait faire, s'évanouis-
sent avec elles. Je vois les objets qui m'ont affecté,
non tels qu'ils m'ont paru dans mon délire, mais tels
qu'ils sont réellement; le souvenir de mes actions
bonnes ou mauvaises me fait un bien-être ou un mal-
être durable et plus réel que celui qui en fut l'objet.
Ainsi les plaisirs d'un moment m'ont souvent préparé
de longs repentirs; ainsi les sacrifices faits à l'hon-
nêteté et à la justice me dédommagent tous les jours
de ce qu'ils m'ont une fois coûté, et pour de courtes
privations me donnent d'éternelles jouissances. »
Telle est la dernière phase des croyances religieu-
ses et morales de Rousseau; tels sont les principes
qui dirigeaient son âme lorsque ses hallucinations et ses
261
idées fixes luilaissaient quelques journées paisibles. Ces
pages sont un phénomène remarquable dans l'histoire
de l'esprit humain. En général, le chant du cygne
est une fiction, et les productions de la vieillesse d'un
écrivain de génie devraient être reléguées dans les
papiers secrets de sa famille. Toutefois, de nobles
exceptions se rencontrent, et l'on voit des vieillards
soutenus par d'énergiques convictions formuler des
pensées pleines de fraîcheur avec une main qui peut
à peine tracer des caractères lisibles. Rousseau nous
offre un étonnant exemple de ce rajeunissement in-
tellectuel , car les dernières pages tombées de sa plume
sont égales ou supérieures aux écrits de son âge mûr.
A quoi devons-nous attribuer celte régénération de
la pensée chez l'écrivain usé, miné par des souffrances
morales imaginaires et des douleurs physiques inces-
santes?... Et si nous ne comparons plus Rousseau à
lui-même; si, franchissant un espace de vingt siècles,
nous analysons les dernières paroles de Socrate ou de
Platon, et les dernières expressions de Rousseau, l'a-
vantage ne demeure-t-il pas au philosophe de Ge-
nève?...
Est-ce à dire que nous regardions le génie de Rous-
seau comme plus éminent que celui de Socrate? Loin
de nous l'idée d'une comparaison semblable! Mais
une similitude empruntée aux choses qui se voient
fera comprendre la cause de la supériorité de l'homme
262
du dix-huitième siècle. Lorsque, par un beau clair de
lune nous examinons les Alpes, nous en apercevons
les contours confusément et comme au travers d'un
verre obscur; puis le lendemain, dans l'après-midi,
les masses imposantes, les lignes gracieuses, les cimes
élancées apparaissent dans leur poétique réalité
Entre le soir et le lendemain qu'est-il advenu? Le
soleil s'est levé. . . De même entre le philosophe d'A-
thènes et le philosophe de Genève, il s'est levé le
soleil de justice portant la vérité dans ses rayons...
Telle est la source lumineuse qui produisit au soir de
la carrière de Rousseau cet admirable développement
que nous sommes heureux de faire connaître aux
amis de la vérité.
205
CHAPITRE VIII.
L'ÉGLISE ET L'ÉTAT
Opposition des pasteurs aux brigues politiques et électorales. — Sévé-
rité des magistrats à l'égard du clergé. — Paroles violentes en
chaire. — Bénédict Calandrin et la comédie. — François Turretiu
et le Conseil. — Fin du siècle. — Remontrances de 1705. — Troubles
de 1707. — De la Chana et Fatio. — Troubles de 1738. — Média-
tion des pasteurs. — Troubles à l'occasion de VÊmile. — Conduite
du clergé.
Dans les précédents volumes, nous avons présenté
le tableau des rapports établis entre le clergé et les
magistrats genevois; nous avons retracé 1 influence
des pasteurs dans les affaires politiques et la vigilance
souvent exagérée qu'ils déployaient au sujet des abus
dont ils avaient connaissance. Les mêmes soins les
occupèrent pendant le dix-septième et le dix-huitième
siècle, et voici les principaux incidents qui ame-
nèrent les ecclésiastiques à jouer un rôle dans l'his-
toire civile et politique de Genève.
Brigues. Les élections gouvernementales turent,
-2C-I
comme par le passé, l'objet d'une étroite surveillance
de la part des pasteurs; constamment en rapport avec
les citoyens de toutes les classes, ils recevaient des
plaintes et des confidences concernant la conduite des
magistrats, et faisaient connaître ces griefs. Nous
avons vu que ces récriminations n'étaient pas toujours
faites avec le tact et la mesure nécessaires. Ces cen-
sures, souvent exagérées, se renouvelèrent plusieurs
fois dans le dix-septième et le dix-huitième siècle, et
l'on doit rendre également justice à la persistance des
pasteurs pour le redressement des abus, et à la bonne
volonté des magistrats, pour convenir de leurs torts
lorsque ceux-ci étaient suffisamment prouvés.
Les brigues politiques paraissaient constituer un
danger véritable pour la prospérité de la République;
aussi les pasteurs, et surtout ceux qui appartenaient
aux familles aristocratiques, ne laissaient inaperçues
aucune de ces intrigues. Nous allons réunir en un
seul groupe les incidents électoraux les plus remar-
quables pendant le cours du dix-septième siècle.
C'est en 1645 (29 déc. Reg. Comp.) que nous
rencontrons les premières réclamations contre les bri-
gues. « M. Jean Diodati fait une puissante exhorta-
tion au Deux-Cents; il demande qu'on parvienne à
assurer la sincérité des suffrages pour l'élection du
procureur-général et des syndics, à cause des fâcheu-
ses circonstances qui arrivent. Il faut nommer aux
265
charges seulement des personnes bien vivantes, d'une
piété éprouvée, sans avoir ég;ml aux brigues, mau-
vaises pratiques et recommandations indignes que
font plusieurs. »
Les élections au Conseil des Deux-Cents furent
également surveillées par les pasteurs (4 er dée. \ 648).
« M. Sarasin rapporte qu'il y a de singuliers abus
dans la ville; on envoie des dames de maison en mai-
son pour recommander tels ou tels; le scandale est
trop grand pour être toléré; aussi on en parlera en
chaire. » Les discours ne firent pas beaucoup d'im-
pression; car le 29 janvier 1649 la Compagnie dé-
clare « qu'il est entré tellement de jeunes hommes
dans le Deux-Cents, que plusieurs anciens donnent
leur démission en disant que le Conseil n'existe
plus. »
Les magistrats conviennent de la vérité de ces re-
montrances.
Quelques années plus tard, les reproches devien-
nent plus graves (51 déc. 1658). Dans un sermon,
M. Chabrey accuse les magistrats « d'influer sur les
élections par des distributions d'or, d'argent et des
prodigalités de festins. » Les conseillers veulent qu'on
spécifie les faits et qu'on indique les personnes incri-
minées. « En tout cas, disent-ils, il faut nous avertir
avant de crier en chaire. »
La Compagnie s'engage à suivre cette injonction
260
« en réservant certains cas où les choses sont si gra-
ves, qu'on ne peut les taire. »
En d'autres circonstances, la louange remplace les
censures (1665, 29 décembre). La Compagnie re-
mercie les magistrats du zèle qu'ils déploient contre
les brigues, et les supplie d'y tenir la main à l'avenir,
choisissant des citoyens qui inspirent la confiance.
Les remontrances étaient réciproques, et plus d'une
fois les magistrats infligèrent aux pasteurs un blâme
mérité touchant des défauts de caractère et des fautes
d'administration. Voici la plus énergique de ces cen-
sures (Reg. Cons. 7 février 164-4). « A l'occasion du
Jeûne, le Conseil fera appeler les pasteurs en corps
pour leur dire qu'il est grandement déplaisant d'en-
tendre qu'il y a parmi eux beaucoup de défauts, des
partialités et de fortes mésintelligences; ils vont se
décriant les uns les autres, et produisent leurs mésin-
telligences en chaire, au lieu de reprendre leurs frères
en secret avec toute charité. »
Les pasteurs, après avoir entendu ces reproches,
répondent qu'il y a sujet de louer Dieu des bonnes
et saintes intentions des magistrats; qu'ils doivent
faire élat de leurs recommandations, et les prendre
à gré, puisque chacun est défaillant; on fera en sorte
de calmer ces haines et dissensions qui portent préju-
dice à l'Église. Après quoi tout le monde s'étant levé,
l'assemblée a prié Dieu avec ferveur, et l'on s'est
207
séparé en se donnant la main et se réjouissant de ce
rapprochement fraternel. »
Les infractions aux lois morales et disciplinaires
donnaient également lieu à de fréquentes altercations
entre les corps politiques et les chefs de l'Eglise
(7 mars 1645). « La Compagnie reconnaissant que,
malgré les sérieuses remontrances faites naguère en
les jours de Jeûne, il n'y a point d'amélioration parmi
les citoyens, supplie Messieurs d'avoir égard à tous
ces maux. 11 y a en ville de grands excès, et notam-
ment brelans et jeux de cartes, où des personnes qua-
lifiées, voire même des magistrats, se rendent publi-
quement au grand scandale du peuple. Les tavernes
sont indignement fréquentées, et il s'y commet di-
verses insolences. On met une grande lâcheté à punir
les actes de mauvaises mœurs, et depuis qu'on a
remplacé les peines corporelles par des amendes, les
riches ne redoutent plus les châtiments. Tout cela
déshonore Genève aux yeux des étrangers qui nous
regardent encore comme une ville chrétienne. »
Les magistrats, tout en repoussant certains allé-
gués de cette remontrance, promettent d'y avoir
égard.
Un pasteur, M. Bénédict Calandrin, était spéciale-
ment noté pour l'énergie ou la violence de ses apos-
trophes. Il avait entendu soutenir par des dames de
sa famille que la danse n'est point un péché, mais
-268
seulement une école de beau maintien fort utile à la
jeunesse. Sachant qu'un bal devait avoir lieu, il fit.
tous ses efforts pour l'interdire; mais ayant échoué,
il attaqua ces mondanités du haut de la chaire, le
dimanche suivant (4 4- fév. 4 679). « Vous avez dé-
pité Dieu en face et commis la rébellion des démons.
Les anges adorent le Seigneur; mais vous, au mépris
de la Parole sainte, et pour vous moquer de l'obéis-
sance qu'on lui doit, vous avez affiché le culte des
démons et continué en des assemblées qui sont contre
la bienséance chrétienne. »
Le Conseil blâma fort ces expressions; mais les
pasteurs soutinrent «qu'il n'y avait rien à reprendre
en ce discours. »
M. Michel Turretin partageait les sentiments de
son collègue, et deux ans plus tard (49 mars 4684)
une violente altercation fut provoquée par une repré-
sentation théâtrale.
« M. Turretin rapporte qu'il y a eu hier au soir une
assemblée de plus de 500 personnes chez M. Per-
driau, et qu'on y a joué la comédie du Cid, avec
une belle décoration de théâtre et changements d'ha-
bits faits exprès. Cette pièce a fini comme les autres,
par une farce. De tels excès sont déplorables et trop
scandaleux, vu l'état où nous sommes, les misères
des autres Églises et la solennité de Pâques à laquelle
nous devons assister dans quinze jouis. »
269
L'affaire portée devant le Conseil, celui-ci déclare
« qu'il condamne ia comédie, qu'il saura bien l'em-
pêcher, mais qu'il demande qu'on n'en parle pas en
chaire. » Le Consistoire prend une résolution loul
opposée, et le 27 mars, MM. Dufour, Sarasin et
Turrelin sont vertement tancés pour avoir désobéi au
Conseil. La Compagnie les soutient devant les magis-
trats. « Ces Messieurs ont agi d'après ses ordres; ils
» ont parlé en général des comédies et des bals; ils
» ont fait le dénombrement des vices qui se répandent
» au milieu de nous, et cela en vue de la Sainte-Cène,
» qui est proche, et de l'instruction du peuple au
» sujet du théâtre, qu'il est trop porté à regarder
» comme innocent. Le Conseil est supplié de prendre
» le tout en bonne part, comme venant de ministres
» qui veulent user de la chrétienne liberté queleSei-
» gneur leur confie. » Les magistrats acceptèrent ces
explications, et demandèrent le silence sur toute l'af-
faire. On croyait la discussion apaisée, lorsque le
dimanche suivant, 17 avril, M. Michel Turretin ne
pouvant admettre que M. Perdriau ne fût pas puni,
s'emporta à ce sujet dans son sermon. Le passage
suivant fut spécialement incriminé. « Les pasteurs sont
des Moïses; ils ont la bouche de Dieu pour parler au
peuple, et la bouche du peuple pour parler à Dieu.
Il ne faut point avoir de complaisance pour les puis-
sances supérieures. Quoi! dans les scandales que
270
nous voyons, David pechera-l-il, et Nathan aura l-il
la bouche fermée? »
« Ces paroles étant bravade et rébellion , le Con-
seil interdit pour trois mois M. Turretin, ministre. »
La Compagnie pria alors M. Tronchin de pacifier,
si possible, ce triste différend. M. Tronchin s'exprima
avec tact et douceur. « Les ministres doivent recon-
naître l'autorité de Vos Seigneuries; il n'y a dans la
nation aucune puissance collatérale ou supérieure à
la vôtre; mais tous les corps et les particuliers sont
obligés d'obéir à vos ordres; les pasteurs doivent cett<j
soumission non par crainte du châtiment, mais par
la conscience. Cette maxime est surtout inviolable
pour nous réformés, qui condamnons la pratique de
l'Eglise romaine. Quant au fait de M. Turretin, il
confesse avoir blâmé les magistrats de leur complai-
sance, au sujet de M. Perdriau. Toutefois, il a parlé
de Moïse, non comme gouverneur des Juifs, mais
comme prophète, ce qui est bien différent. Enfin,
nous prions le Conseil de lui pardonner et de le rétablir
en ses charges. »
Les magistrats , « en considération de la démarche
de la Compagnie et du discours qu'on vient d'enten-
dre, consentent à pardonner à M. Turretin; » mais il
peut bien remercier M. Tronchin du service qu'il lui
a rendu.
Vers la fin du siècle et au milieu des angoisses re-
%7i
ligieuses el des éprouves politiques suscitées par la
Révocation de l'Édit de Nantes, les rapports des Con-
seils el des pasteurs changèrent de nature, et ces pe-
tites discussions firent place à une cordiale entente
pour conjurer les périls extérieurs.
Les Genevois de ce temps se montrèrent les di-
gnes héritiers des hommes de 4 602, el surent main-
tenir intacte leur nationalité au milieu des embûches
de la Savoie et des rancunes de Louis XIV. La gravité
des circonstances se reflète dans le discours prononcé
par M. Tronchin, au renouvellement du siècle.
« Messieurs les Conseillers , le personnel de votre
corps est la preuve de l'incertitude de cette vie :
vous avez été renouvelés plusieurs fois dans le cours
de ce siècle. Mais la Providence conserve cet État et
veille particulièrement sur lui. Nous avons passé au
travers de terribles dangers dont Dieu nous a mira-
culeusement tirés. Entre les moyens que la Providence
emploie pour nous faire subsister, l'un des principaux
est la prudence, la vigilance et la bonne conduite de
Vos Seigneuries dans les temps difficiles et les occur-
rences dangereuses où cette République s'est trouvée.
Il importe donc de la conserver telle quelle, et vous
sentez combien l'Église el l'Académie sont nécessaires
à la conservation de la prospérité du pays. Continuez
donc votre bienveillance à ces institutions, et veuillez
accepter nos vœux et nos prières pour Vos Seigneu-
t
272
ries el l'Etal. » — Après ce discours, on lui une lettre
collective que Genève envoyait aux quatre villes évan-
géliques, Berne, Bâle, Zurich et Schaffhouse :
« Chers amis, l'affection que nous avons pour vos
personnes et pour vos Églises a porté nos pensées vers
vous au commencement de ce siècle. Quelles actions
de grâces nous avons à rendre à Dieu de ce qu'au
milieu du massacre des Eglises et des malheurs inouïs
des fidèles, vous et vos Églises avez été conservés
intacts durant le siècle passé! Mais les temps sont
graves, les périls imminents pour les Églises évan-
géliques. Tant de passions mauvaises agitent les prin-
ces, les complots des ennemis de la vérité sont si dan-
gereux pour opprimer les réformés et affermir la
superstition des pontifes, que nous devons adresser
les plus ardentes prières à Dieu pour le salut de vos
Églises el leur avancement dans la paix et la prospé-
rité. Continuons à nous tenir dans cette union et cette
affection chrétiennes qui nous ont déjà aidés à sur-
monter tant de misères dans les temps passés.
* Louis Tronchin, mod. ; Jacob Sarasin, secr. »
Révolutions politiques du dix-huitième siècle. Les
années de concorde et de paix intérieure devaient
bientôt faire place aux dissentiments politiques les
plus sérieux. Dès le commencement du siècle, un
esprit de domination s'empara généralement des ma-
275
gistrats, et des symptômes de résistance se manifes-
tèrent dans le peuple. Les familles anciennes s'é-
taient accoutumées à regarder le pouvoir comme un
héritage naturel, et la bourgeoisie réclamait l'égalité
des droits pour tous les citoyens. Dans de semblables
crises politiques, le rôle des pasteurs était clair et
naturel; c'était la médiation. Il fallait que leur crédit,
l'influence attachée à leur caractère, servissent à
l'apaisement des rancunes, et prévinssent, autant
que possible, les actes de violence. Mais, de quel-
les difficultés n'était pas hérissé l'accomplissement
de ce devoir! Si dans les grands États, où les fonc-
tionnaires publics ont à agir sur des localités qui
leur sont étrangères, cette mission est déjà fort déli-
cate; elle est souvent presque impraticable au milieu
des entraves qu'elle rencontre dans nos petites répu-
bliques. En effet, chez nous, les pasteurs étant ci-
toyens, avaient le droit de formuler leurs opinions;
mais s'ils usaient en public de ce droit, et parlaient
de politique avec modération et réserve, les partis
extrêmes les couvraient d'injures et profitaient de ces
temps de troubles pour leur enlever leurs charges ou
les envoyer en exil.
Pendant les troubles du dix-huitième siècle, les
pasteurs genevois furent plusieurs fois victimes de
pareils procédés.
En 1704 et 1705, la bourgeoisie élevait de
m. îs
274
plaintes, dont la plupart liaient fondées. On trouvait
que le pouvoir se concentrait dans les mêmes famil-
les; on demandai! que les Conseils généraux fussent
appelés à sanctionner les lois, que les élections eus-
sent lieu au scrutin secret, et qu'on abolit le vieil
usage par lequel les électeurs devaient dire les noms
des hommes de leur choix à l'oreille du secrétaire
d'État. Enfin, on désirait que le Conseil des Deux-
Cents se recrutât lui-même, au lieu d'être élu par le
Petit Conseil, qui le tenait ainsi sous son influence
immédiate. Ces réformes étant franchement discutées
dans les cercles, les pasteurs essayèrent d'intervenir
auprès des Conseils ; mais ils eurent peu de succès dans
leurs représentations; car, le 50 janvier 4 705, les
syndics répondent que « les temps ont changé, et que
ces remontrances officielles ne sont plus nécessaires. »
Les ministres déclarent « qu'ils s'appuient sur le droit
des édils, et qu'ils n'y renonceront pas. » Un ma-
gistrat, M. Meslrezal, voulant anéantir les privilèges
politiques du clergé, et détruire l'usage des critiques
annuelles, la Compagnie présenta, le 50 avril 4 705,
le rapport suivant :« Il est nécessaire, Messieurs,
d'entendre des conseils sévères sur vos devoirs. Il est
vrai que si Vos Seigneuries étaient immortelles, peut-
être que noire Compagnie n'insisterait pas si forte-
ment là-dessus; car nous pouvons dire, sans flatterie,
que celte ville n'a jamais eu un Conseil composé de
275
plus de personnes pieuses et affectionnées à l'Etal et
à la religion; mais ies temps sont sujets aux change-
ments, et quand on pourrait aujourd'hui se passer de
remontrances, la postérité pourrait en avoir grand
besoin, et si Vos Seigneuries s'en passent, elles seront
abolies pour toujours, ce qui sera un grand mal-
heur. »
La Compagnie, toujours plus inquiète sur les dis-
positions populaires au sujet des élections, supplia,
le 6 novembre 4 705, les Conseils d'apporter la plus
grande vigilance pour prévenir l'apparence des abus.
Le temps marcha. En 4 707, les bourgeois récla-
mèrent hautement des réformes dans un Conseil gé-
néral . Ces demandes, parfaitement justes et conformes
aux principes d'un gouvernement libre, furent mal-
heureusement soutenues par des hommes exaltés, dont
les passions heurtèrent la fierté des magistrats, il fut
impossible de s'entendre, et il y eut des troubles sé-
rieux; la violence de la bourgeoisie et l'inflexible
ténacité des patriciens empêchaient toute solution
pacifique.
Les pasteurs firent de nombreuses démarches pour
apaiser les esprits. Le Conseil les pria « de ne pas
parler en chaire des événements du jour, et de
ne point aller exprès dans les dizaines pour s'en en-
tretenir avec le peuple; mais, s'ils se rencontrent
avec les bourgeois, MM. les Pasteurs doivent tacher
276
de les porter à la paix. » Les efforts du clergé lurent
entravés par le chef des novateurs. De la Chana, dont
la violence et les procédés injurieux approchaient
de la frénésie. Les ministres lui étaient spécialement
odieux; il blâmait à tout propos leur vanité, et lors-
que le Conseil voulut avoir une explication sur ce
point, De la Chana déclara que porter des perruques
poudrées était le comble de l'orgueil. — Mais, dit un
magistrat, cet usage existe depuis près d'un siècle.
« C'est être fou, répondit l'agitateur entêté, que d'ar-
racher une haie vive pour en planter une morte. »
Malgré ces entraves, les pasteurs ne cessèrent point
d'exhorter le peuple à la paix et à la confiance, et
ils remplirent courageusement leur devoir en blâmant
en chaire les actes de violence qui troublaient la ville 1 .
Plus tard, la paix fut rétablie par l'intervention des
Suisses, et il y eut un compromis où les adversaires se
faisaient des concessions réciproques ; mais les pasteurs
durent remplir la douloureuse mission d'accompagner
à la mort deux des chefs du parti bourgeois, Lemaitre
et Pierre Fatio. Pierre Fatio mourut en martyr. Ses
dernières paroles furent empreintes des meilleurs sen-
timents chrétiens. « Je ne fonde mon salut que sur la
miséricorde de Dieu et sur les mérites de Jésus-Christ;
j'espère avoir obtenu ie pardon de mes péchés, parce
que, l'ayant demandé à Dieu, je sens mon âme tran-
i. Reg. Comp. 22 avril, tf, 13 et -20 mai 1707.
277
quille, et je pardonne de tout mon cœur à ceux qui
me font mourir (9 sept. 1707). Ainsi commença
dans la libre Genève cette série de violences meur-
trières qui devaient tour à tour déshonorer les patri-
ciens et les bourgeois, et amener, quatre-vingt-dix
-ans plus tard, la honte et la ruine momentanée de
la République 1 .
Les sourdes haines que divers citoyens conser-
vaient envers des pasteurs, à cause de leur pacifique
médiation, firent bientôt explosion dans le Conseil
des Deux-Cents. Le 18 septembre, un citoyen, dont
le nom n'est pas conservé, déclara « que tous les pas-
teurs étaient des fainéants, qui faisaient beaucoup
trop souvent prêcher des ministres réfugiés. ■ Ce sont ,
criait cet énergumène, des larrons à gages, qui s'oc-
cupent d eux et pas de leur emploi. »
La Compagnie répondit avec une dignité chré-
tienne, et. montra que les jeunes ministres s'occu-
paient sans relâche de leurs paroisses, et que les pas-
teurs et les professeurs plus âgés étaient accablés
1 Les exécutions et les exils avaient laissé de profondes rancunes
dans le cœur des citoyens genevois. En voici un remarquable indice.
M. Desprez, le pasteur qui avait assisté Fatio dans ses derniers mo-
ments, pria dans la liturgie après le sermon pour la famille de Nor-
mandie qui est en voyage. Le Conseil, irrité de ce qu'il s'agit de
M. de Normandie qui est exilé après avoir voulu exciter des troubles,
suspend pour six mois M. Desprez, et lui ordonne de demander pardon
à Dieu et à la Seigneurie. La Compagnie intercède et obtient le retrait
de l'interdiction des fondions pastorales. Reg. Comp. 17 et :u ooflt
1708.
278
d'infirmités prématurées, résultat de leurs nombreux
travaux et de leurs fatigues. — Le Conseil des Deux-
Cents répondit, le 25 septembre (Reg. du C): « Tous
les pasteurs de celte ville prècbent avec édification
et s'acquittent de leurs fonctions pastorales, autant
(jue leur santé le permet, en gens d'honneur; ils mè-
nent une vie réglée et sans reproche . Le Conseil té-
moigne à la Vénérable Compagnie qu'il est satisfait
de sa conduite, et que ce qui a été dit contre elle ne
peut faire impression. En tout temps il lui donnera
des marques de son estime. »
Nous devons rapporter maintenant une intéres-
sante délibération qui jette un grand jour sur l'esprit
du temps.
Plusieurs Genevois demandaient l'abolition de
l'article 116 des Ordonnances qui défendait le ma-
riage entre cousins-germains. Le Conseil pria la Com-
pagnie de présenter un mémoire sur la partie reli-
gieuse de la question. Quelques pasteurs se pronon-
cèrent contre le projet . Ces mariages, disaient-ils,
sont défendus depuis longtemps par les lois de Théo-
dose-le-Crand, et par les conciles d'Épone et d'Arles.
Ils sont interdits non-seulement dans tous les pa\s
romains, mais encore chez la plus grande partie des
réformés, et surtout chez les Suisses avec lesquels
nous sommes si fort liés. — Les pasteurs qui adop-
taient 1 a\is contraire i)e manquaient pas d'arguments
279
à opposer à leurs adversaires. Ces mariages ne sont
pas contraires à .l'Ecriture (Lévitique. chap. XV11I).
Les premiers chrétiens n'y virent aucun mal. Théo-
dose-le-Grand les interdit sur un faux rapport de saint
Ambroise, dans lequel il était dit que ces unions en-
tre cousins ne produisaient pas d'enfants. Il est vrai
qu'un concile de Latran les prohibe; mais ce n'est
qu'en plaisantant que nous rapportons, devant les pas-
teurs de Genève, les motifs indiqués par ce concile.
« 11 y a, disent les prélats de Latran, quatre élé-
ments dans le monde, quatre humeurs dans l'homme,
par conséquent, il faut défendre le mariage jusqu'au
quatrième degré; mais comme on partage la vie de
l'homme en six âges, il faut étendre la défense du
mariage jusqu'au sixième degré. » Cela eut lieu, et
l'on tira grand profit des dispenses.
L'ordonnance de Genève est temporaire : on pro-
hibe ces unions « pour éviter le scandale en ce qui,
dès longtemps, n'a pas été accoutumé, afin que par
aucune occasion de notre part la Parole de Dieu ne
soit blasphémée. » Maintenant ces scandales ne sont
plus à craindre, et plusieurs personnes désirent qu'on
leur accorde la liberté que laisse la Parole de Dieu.
L'avis de la Compagnie fut de faire voter sur celte
question le Conseil Génénal, puisque c'était ce corps
qui avait établi l'ordonnance lors de la Réformation.
Le Conseil « trouvant trop dangereux de convoquer
280
un Conseil, qui, une fois sur pied, permettrai! à cha-
cun d'y proposer ce qui lui passerait par la tète, »
ne donna pas suite à cette affaire (R. Comp. 4 sept.
4714).
Les événements de 1 707 furent suivis de troubles
plus sérieux, qui bouleversèrent Genève, de 4 754
à 1758. Les haines des citoyens s'envenimèrent; le
sang coula , puis les querelles se terminèrent comme
auparavant , par des concessions acceptées de mau-
vaise grâce et par le bannissement des principaux
chefs de parti. Cette crise politique fut amenée par
la question des impôts que les bourgeois ne voulurent
pas payer, parce qu'ils n'avaient pas été auparavant
votés par le Conseil Général. A ce motif extérieur de
discorde se joignait une sourde défiance entre les deux
partis : chacun voulait centraliser en ses mains la
force militaire et dominer ainsi son rival. La mission
des pasteurs était très-périlleuse : ils s en acquittèrent
en courageux serviteurs du Christ 4 . Ils ne dissimulè-
rent point aux magistrats leurs torts el le mal qu'ils
causaient à la nation par leur opiniâtre raideur.
J.-À. Turretin les supplia de présenter pour syndics
des hommes fermes, doux et prudents. Les pasteurs se
mêlèrent aux assemblées populaires pour faire enten-
dre des paroles de conciliation. Cette tâche fut rendue
t. Voir le beau travail de M. Cellérier, I. XII, Mémoire* de la
Société d'hisloire et d archéologie i» ftenéTe.
28t
encore plus difficile par la conduite de quelques minis-
tres qui oublièrent leur caractère et prirent les arme*
pour le gouvernement. Mais lorsque les deux partis
s'attaquèrent et que le sang eut coulé, on vit le pro-
fesseur Jacob Verne! s'exposer au feu, se porter comme
médiateur, et l'aire les plus grands efforts pour apaiser
le tumulte.
Ces troubles se terminèrent comme les précédents ,
par l'intervention étrangère, et les pasteurs ne négli-
gèrent rien pour adoucir les rancunes et les mauvais
souvenirs, conséquences inévitables des émeutes et
des prises d'armes.
Aux agitations causées par des questions d'intérêt
matériel succédèrent les troubles occasionnés par des
questions d'un tout autre ordre. Notre illustre philo-
sophe Rousseau avait vu son livre de V Emile brûlé
par l'ordre du Conseil de Genève, qui, dans celte
occasion, consultant les passions plutôt que les princi-
pes, commit une faute dont la République eut long-
temps à souffrir.
Rousseau, justement irrité, renonça à son titre de
citoyen de Genève, et bientôt une partie de la bour-
geoisie saisit celte occasion pour renouveler ses de-
mandes aux Conseils. Os citoyens voulaient des tri-
bunaux où les magistrats n'eussent qu'une influence
limitée; ils demandaient des garanties contre les em-
prisonnements préventifs, et sollicitaient le retrait de
la condamnation de VEmiie. De son coté, le Petit
Conseil prétendait avoir le droit de répondre négati-
vement aux requêtes des citoyens, sans en référer au
Conseil Général. On se disputa pendant quatre années
sur ces questions, et Rousseau attisa le feu en publiant
ses Lettres de la Montagne. Dans ce triste écrit , il
renia ses sentiments d'autrefois envers l'Église de
Genève.
I! n'avait pu pardonner aux pasteurs leur silence
et leur abstention au sujet de VÉmiie. Il ne prenait
pas son parti de voir ses anciens amis, Vernes et
Perdriau, refuser le nom de christianisme à sou sys-
tème de religion naturelle, et par une contradiction
très-fréquente chez certains philosophes, il fut cour-
roucé à la lecture des réfutations calmes et dignes
que Claparède et Vernes publièrent au sujet de la pro-
fession du Vicaire Savoyard. Rousseau perdit toute
impartialité , et dans les Lettres de la Montagne, il
publia, contre la divinité du christianisme, des pages
indignes de son génie. Le clergé genevois, qui s'était
tenu dans une charitable réserve à l'égard du mal-
heureux philosophe, fit paraître, le 9 février 17(>5,
un sévère manifeste sur les Lettres de la Monta-
gne : « Nous désirons voir l'harmonie se rétablir;
mais nous sommes obligés de témoigner notre dou-
leur sur les calomnies qu'on a répandues sur notre
Église et la doctrine de notre Sauveur. Nous gémis-
283
sons de voir la sainte Réformation représentée sous
les plus fausses couleurs, la religion attaquée dans
ses fondements avec une audace inouïe, et les minis-
tres attaqués sans ménagements dans un ouvrage qui
semble composé pour rompre tous les nœuds qui
unissent cet État et celte Église. »
Cette déclaration indisposa les partisans de Rous-
seau, qui ne souffraient pas la discussion sur les écrits
de leur chef, et les pasteurs eurent à subir bien des
tracasseries à cause de leur franchise.
Néanmoins, cette impression ne tarda pas à s'effa-
cer, et l'année suivante (10 décembre 4 766), un
tumulte ayant éclaté, les pasteurs n'épargnèrent pas
les visites auprès des pères de famille de leurs pa-
roisses, les suppliant de revêtir un esprit de conci-
liation et de paix. Les chefs de la bourgeoisie paru-
rent touchés de ces démarches, et vinrent, au nombre
de vingt-cinq , remercier la Compagnie de ces paroles
de paix qu'ils désiraient prendre en considération.
L'année suivante, les partis s'étaient réconciliés, et
les pasteurs supplièrent, du haut de la chaire, les
magistrats et les citoyens d'oublier le passé et de con-
clure une paix véritable.
Ces bons rapports entre les hommes politiques et
le clergé se maintinrent jusqu'à la fin du dix-huitième
siècle. Nous exposerons, dans un des chapitres sui-
vants, les épreuves que dut subir l'Eglise de Genève
284
durant les sombres années où les excès de la terreur
étouffèrent trop souvent les grands principes qui ont
honoré les premières phases de la Révolution fran-
çaise.
28S
CHAPITRE IX.
«EHÈVE ET LE CATHOLICISME SAVOYARD
Entreprises de la Savoie. — Protection de Louis XIII. — Canonisation
de François de Sales. — Les envoyés du duc de Savoie à Genève.
— Le colonel Bons. — Députatiou à Turin. — Le traité de Saint -
Julien non reconnu. — Les mémoires des Jésuites contre Genève.
— M. de Blouay à Genève. — Le grand bullaire et le jésuite Mo-
naud. — Les traités et les hérétiques. — Protection et amitié des
Suisses. — Prosélytisme romain. — La sainte maison des Convertis
à Thonon.— Tentatives des prêtres contre les campagnes genevoises.
— Relations entre les Genevois et les catholiques savoisiens. —
Griefs contre Genève. — Les pasteurs Bordier et La Fontaine. — La
pape Inuoceut X et le pasteur Jean Diodati. — L'évèque Rossillou
de Bernex, Pontverre et Minutoli. — Traité de Saint-Julien, 1754
— Cessions et changements de territoire. — Paix religieuse définitiv»
entre le Piémont et Genève.
Nous avons vu, dans le volume précédent, que
Charles-Emmanuel n'avait nullement pris au sérieux
le traité de Saint-Julien, et que, jusqu'à sa mort, au
mépris de la foi jurée, il ne cessa de harceler Genève
par ses enl reprises et ses conspirations.
Le sort de la métropole protestante ne fut guère
plus tranquille sous les successeurs de Charles-Emma-
nuel. Les Jésuites, directeurs religieux des princes de
Savoie, travaillèrent sans relâche « à leur faire recou-
28fi
vrer » Genève. — L'œuvre se divisa en deux séries
que nous allons exposer successivement. Les souve-
rains sardes voulurent, de 4 652 à 1754. s'emparer
de Genève en soulevant contre elle les puissances ca-
tholiques, et le clergé de Savoie fit des efforts de
tout genre pour regagner en détail les populations de
la vallée du Léman, qui avaient échappé aux missions
de François de Sales.
Essayons de présenter le tableau historique de ces
tentatives du catholicisme pour reconquérir Genève.
Sous le règne du successeur immédiat de Charles-
Emmanuel, Viclor-Amédée, Genève ne fut pas in-
quiétée d'une manière grave. Louis Xïli couvrait
cette ville de sa protection, et les intrigues des cours
catholiques se brisèrent contre la volonté ferme et
nettement prononcée du souverain français.
La principale tentative diplomatique de la Savoie
à ce sujet eut lieu en Tan 4 637, lors du couronne-
ment de l'empereur Ferdinand III. La cour de Turin
chargea son ambassadeur de remettre, à celte occa-
sion, au nouvel élu, un mémoire dont elle envoya
copie à tous les États catholiques de l'Europe1.
Ce mémoire débute par la répétition des griefs de
saint. François de Sales contre Genève. « Il importe à
tonte la chrétienté que cette ville soit réduite à l'obéis-
1. Turin, Archives de cour, douzième t.'.tcgoric, paquet 6 et buït. —
Genève. Grief».
287
sauce de son maître, et soumise à l'autorité de la vé-
ritable Église, d'autant que c'est la Babei du calvi-
nisme, le séminaire de l'hérésie, la boutique où sont
forgées toutes les révoltes de France et d'Allemagne,
l'école d'où sortent tous les ministres de France, du
Palalinat, des villes impériales, de Hollande, d'An-
gleterre. C'est une ville d'abominations, qui infecte
de son venin toute l'Europe, canal de communication
des protestants d'Allemagne avec les Églises de Fran-
ce. Impossible d'exterminer l'hérésie, comme Sa
Majesté impériale en a le dessein, si cette chambre
des cabales hérétiques n'est pas anéantie. » Le mé-
moire ne se borne pas à parler de Genève; il montre
que rien ne sera plus facile à l'empereur que de re-
prendre les anciens fiefs des Habsbourg, traîtreuse-
ment retenus par Berne et Zurich. Pour compléter
1 œuvre, le prince de Savoie devra rentrer dans la
souveraineté du pays de Vaud.
L'affaire resta enfouie dans les Conseils diploma-
tiques du temps.
Le successeur de Victor-Emmanuel, Charles-Emma-
nuel II, au commencement de son règne, ne s'occupa
pas de Genève. De 1658 à 4 660, la petite Répu-
blique ne fut inquiétée que par les efforts de Madame
Royale'. Mais, dès 4 660 la scène changea, et la
1. Madame Royale. Christine de France, fille de Henri IV, fut
régente jusqu'en 1648, et dès-lor» exerça «ur le gouvernement une
grande influence.
288
Suisse protestante ne jouit plus d'un seul instant de
repos .
La canonisation de saint François de Sales se pour-
suivait à Rome, et cet événement devait être sanctifié
par l'accomplissement de l'œuvre chérie du Bien-
heureux. Ce serait une magnifique conquête pour
Home, si elle pouvait proclamer le retour de la vallée
du Léman au catholicisme, le jour de la fête solen-
nelle du convertisseur du Chablais (R. Comp. 4660).
Les circonstances paraissaient des plus favorables :
une guerre funeste au protestantisme avait éclaté en-
tre l'Angleterre et les Pays-Bas. Ces puissances, amies
de la Suisse , ne pouvaient rien en faveur de leurs
amis évangéliques, et c'était le moment de décider
le souverain sarde à prendre les armes.
Durant cinq années, on inquiéta sans cesse la Suisse
romande par des menaces et par des rassemblements
de troupes sur les frontières1. L'évêque Jean d'Aren-
thon harcelait la cour de France pour que la conquête
de Genève devint une couronne au Iront de saint Fran-
çois de Sales, à son entrée solennelle dans les rangs
des bienheureux 2. Les archevêques français agissaient
dans le même sens : François de Sales étant mort à
Lyon, était un saint français, vu que la mort d'un
saint est le jour de sa naissance. « Ce serait chose utile
1. Archives de Turin, Lettres romaines, 16GO à 16ti7.
2. La canonisation eut lieu le 8 mai 1605.
289
et glorieuse pour l'Eglise du royaume si nous ache-
vions la conquête de celte ville, qui n'a pas de plus
forte passion que de combattre l'autorité et de dé-
truire le pouvoir des monarques. » Louis XIV, tout
occupé de la guerre avec les Flandres, fit peu d'atten-
tion à ces projets contre la Suisse. Ne comptant plus
sur leurs alliés naturels du Nord, les cantons évan-
géliques prirent toutes les précautions imaginables
pour pouvoir rassembler leurs troupes à un moment
donné, sur le point du territoire menacé. Des signaux
formés de piles de bois rassemblées sur des lieux éle-
vés, et auxquels on mettait le feu en cas d'alarme,
avertissaient en peu d'heures les cités et les villages,
des bords du Léman jusqu'aux plus lointaines parois-
ses de Zurich. Chaque soldat avait ses armes prêtes,
et, selon la coutume de ces pieuses populations, on
voulut solenniser ces préparatifs par un jeûne d'hu-
miliation et de prières4. « Nous déplorons, dirent les
» Suisses évangéliques dans leurs circulaires , nous
» déplorons les misères et les calamités que la guerre
» funeste amène maintenant sur l'Église. Nous implo-
» ions la protection du ciel pour bénir leselïorls que
» nous faisons pour garder la sainte liberté des en-
fanls de Christ, dont nous avons le dépôt depuis no-
» Ire sainte Réformation2. »
1. Keg. Couip. 1» ocl. el Ie' tiov. lbM.
2. Reg. Cous, il «epl etlfinov. (606.
III.
290
Ce jeûne était à peine célébré que l'on eul veut
que la conspiration allait éclater. L évoque d'An-
necy parcourt les paroisses de son diocèse, exhortant
le peuple à combattre vaillamment contre Genève,
et affirmant que, si Ton ne peut avoir la ville, on
reprendra au moins les débris du mandement de Jussj ,
afin d'y rebâtir sa demeure sur la place de l'ancien
château du Crest.
On signale également des ingénieurs déguisés qui
travaillent furtivement à prendre les plans des forti-
fications, et l'on renvoie de nombreuses processions
de moines et de pénitents qui. portant sur des gon-
fanons l'image de saint François de Sales, veulent
traverser la ville1. Les ouvriers savoyards et français
se multiplient d'une manière inusitée. Le Conseil or-
donne, sous main , aux maîtres, de les congédier,
sous prétexte qu'il n'y a pas d'ouvrage. Cette mesure
est nécessaire. Maintes foison a reçu l'avis du péril que
court la ville en laissant s'accumuler des hommes qui
peuvent former un corps d'ennemis à l'intérieur*. —
Les travaux pour mettre les fortifications en état se
continuent avec le plus grand zèle 3. Les étudiants de
l'Académie, enrégimentés sous les ordres de M. Mi-
chel Trembley, y consacrent tout leur lemps. La
1. Reg. Cons. 15 sepl. 1666.
2. Reg Cons. 1"' dée. 1666.
3. Reg. Cod». 7 mars 1667.
291
Compagnie des Pasteurs enlrelienl vingt-huil charret-
les el cinquante pionniers. On reçoit les lettres les
plus affectueuses de Berne el de Zurich, renouvelant
la promesse que les secours sont prêts à marcher au
premier signal allumé.
Genève , en se préparant à résistsr énergique-
menl pour le maintien de la vraie liberté, connaissait
très-bien la gravité de sa situation1. En effet, les
généraux sardes se montraient infatigables dans leurs
entreprises contre la ville2; ils reconnaissaient toutes
les difficultés de la conquête.
« Sire, écrivent-ils à Charles-Emmanuel II, l'en-
treprise est pleine de périls : par crainte des surpri-
ses, Genève a deux gardes, l'une de jour, composée
de dix personnes; l'autre de nuit, de vingt citoyens,
commandés par un des Deux-Cents. Ils sont 2160
citoyens capables de porter les armes; la garnison est
de 400 soldats mercenaires; la cavalerie de 200;
total 2772; le port est fermé par six chaînes el un
gros arbre garni de pointes de fer; toutes les portes
sont gardées par plusieurs sentinelles, et un fanal de
fascines correspond à un autre près de Nyon. En un
instant , les Bernois sont prévenus. La surprise est bien
difficile3. »
1. Reg. Coiup. 19oct. 1666
2. Archives de Turin, Affaires de Genève, 12m» catég., doss. 6 et 7.
3. Arch. de cour, décembre 1667.
292
Charles-Emmanuel changea alors de batterie4. Les
chanoines d'Annecy entretenaient des agents dans la
ville. M. de Paulet y passa quatre jours en habit bour-
geois, et revint avec des promesses faites par plu-
sieurs individus, et qui remplirent le chapitre d'es-
pérance. Un nommé Baudichon, Genevois converti
au catholicisme, refusa de porter les armes contre
son pays; mais il céda aux sollicitations de J. d.'Aren-
thon, et promit de rendre compte de ce qui se pas-
serait. Il parait que son rapport fut favorable; car
Charles-Emmanuel envoya, le 15 octobre 1668, un
M. de Bons, colonel, avec les instructions suivantes:
« Vous traiterez avec les principaux habitants de
» Genève que vous saurez bien intentionnés pour le
» bien de leur ville et le nôtre.
>> Vous promettrez à ceux qui donneront une preuve
» extraordinaire de leur bonne volonté, les libertés,
» franchises, gratifications, avantages, tant en argent
» qu'en autre moyen. Bien entendu que, si nous de-
• vons agir par la voie des armes, il est évident que
» ce sera une assistance de force que nous donnerons
> à une partie considérable de la v ille qui se jette
» volontairement sous notre protection. Nous voulons
» donner secours à des amis, et non attaquer d'em-
» blée par surprise, trahison ou intelligence avec
» quelques particuliers. »
1. Arcli. de cour, 15 nov. 1868.
295
La mission du colonel de Bons eut peu de succès:
« Sire, on abuse voire majesté ; je. n'ai Irouvé qu'un
• seul Genevois disposé pour voire service; c'est
y Roussiilon du Château-Blanc, qui trahirait bien,
* niais il a peur d'être pendu, ce qui attend le pre-
» mier qui sera soupçonné de donner des nouvelles
» de Genève. »
Ces entreprises, dont Genève avait connaissance,
diminuaient beaucoup la joie qu'avait causée la paix
signée entre l'Angleterre et la Hollande. La cessation
de cette lutte fratricide entre les puissances réformées
fut célébrée par un jeûne solennel , le 5 septembre
4 667 1 . Les prédicateurs félicitèrent l'Eglise de cet
heureux événement, tout en excitant le peuple à la
plus sérieuse vigilance, vu les dangers qui mena-
çaient la République.
Il fallait mettre un terme à ces perpétuelles an-
goisses. Ou résolut d'envoyer une ambassade à Turin,
afin d'obtenir l'observation de la paix jurée en \ 605*.
Berne et Zurich appuy èrent les démarches de Genève ;
les \illes évangéliques exprimèrent leur vif désir de
voir Genève faire partie de la Confédération. Cela ne
pouvait avoir lieu sans réviser les traités européens.
Le Piémont etl'Kspagne s'opposèrent de la manière la
plus violente à celle annexion, et voici le résultat de
1. Keg. Comp. 2 août Uil>7.
1. Keg. Comp. 10 avril 1668.
294
l'ambassade genevoise qui fut envoyée au printemps
de 16681. Les envoyés devaient faire tous leurs
efforts pour obtenir la paix et la reconnaissance effec-
tive du traité de Saint-Julien ; de plus, il fallait régici-
des contestations de territoire, des délimitations de
frontières. MM. Pictet, Dupan et Gautier, avaient or-
dre de demander la cession des terres de Corsinge et
du château du Crest, que le Duc de Savoie -revendi-
quait. Après de longs débats, on partagea le diffé-
rend : Corsinge demeura aux Savoyards; le Crest aux
Genevois. Il paraîtrait que les députés républicains
ne mirent pas beaucoup déliant dans leurs procédés.
S'appuyant sur la protection de l'ambassadeur fran-
çais, ils voulaient insérer une phrase qui paraissait
établir que leurs prétentions étaient fondées en droit2.
Refus des ministres sardes, et M. de Servienl dit à
M. Pictet : « Je suis fâché que vous insistiez sur des
bagatelles; j'aimerais mieux être condamné à pren-
dre trois médecines qu'à reprendre de nouveau con-
naissance de vos affaires avec S. A. R »
L'affaire de Corsinge et du Cresl étant réglée, nos
députés insistèrent sur les réparations au traité de
Saint-Julien. Ils virent bientôt qu'ils étaient sur un
terrain brûlant. Le Duc ne voulait point entendre
1. Copie Auquier; Reg. Cons. année 1668; Arch. Turin, Dépulalion
genevoise, 1668.
2. -x Par bonne considération, on nous accorde » etc.
295
parler des titres de souverains seigneurs <|ue se don-
naient les Genevois, vu que lui seul était seigneur
légitime de celte v ille, et qu'il n'avait point renoncé
à ses droits, et il donnait l'ordre de surveiller exac-
tement toute parole expresse ou tacite <|ui pourrait
être alléguée contre lui.
Après de longs pourparlers, les députés, convain-
cus de l' inutilité de leur mission, demandèrent une
audience de congé, et remarquèrent « que, lorsque,
dans leurs discours, ils firent mention du traita de
Saint-Julien, cela déplut à ce prince, qui prit alors
un air tâché en se tournant vers ses ministres. »
L'année suivante, MM. J. Dupan et ,!. Lullin tu-
rent envoyés à Chambéry pour conférer avec les offi-
ciers de Savoie, et ceux-ci déclarèrent que S. A. R.
prétendait n'être pas liée par le traité de Saint- Julien 1 .
Les faits vinrent confirmer les appréhensions (Voir
Pièces justificatives). Lorsque les cantons évangéliques
furent informés de ces nouvelles tentatives contre
Genève, ils réitérèrent leurs protestations d'amitié, et
mirent leurs troupes en état de marcher au premier
signal, « tout en évitant, d'après la recommandation
expresse de Genève, toute démonstration extérieure
qui put donner un prétexte au duc de Savoie. »
Une fois que la volonté du souverain fut manifes-
tée à l'égard des Genevois, on ne négligea rien pour
i. Onnlier, Hist. de Genève, pape 195, xvu» siècle.
'2 OC
rassurer la conscience rte Charles-Emmanuel, Lrop
souvent troublée par i'idée rte violer un traité aussi
explicite (pie celui rte Saint-Julien. Les Jésuites et le
Saint-Père se chargèrent île prouver la nullité rte cet
acte.
Un capucin, nommé Konualrt , fut délégué par
Clément X pour prouver au Duc rte Savoie qu'il avait
le droit de faire la guerre à Genève, sans la déclarer
d'avance 1 . « Je me fonde sur le code contre les Mani-
chéens. Il n'est pas nécessaire de déclarer la guerre
aux hérétiques, car le crime d'hérésie les prive de
toutes les dignités canoniques, de tous leurs droits,
des biens de famille, de la vie et de la sépulture. —
Vous devez faire la guerre aux Genevois, à cause
des biens qu'ils vous ont enlevés et qu'ils retiennent
frauduleusement: ils savent que pour un vol il n'y a
pas prescription de cent années. »
Le 4 décembre 1074 Clément X joignit à ce mé-
moire une bulle" dans laquelle il déclara mils tous
les articles d'un traité conclu avec des hérétiques,
lorsque ces articles violent les droits rte la foi catholi-
que relatifs aux biens et aux immunités ecclésiasti-
ques. Or, la plus grande partie du territoire et des
possessions des Genevois étant la propriété de l'évo-
que et des couvents dépouillés à la RéformaUou, il
1. Archives de Turin, Affaires «le Génère, 12e cal., dossier ."».
2. Grand Bullaire, L XI. Déclaration de nullité du traité de Sl-Julien.
était juste de les reconquérir. — Une congrégation
est formée à Ruine, le 4 7 juin 1674, « pour s'occu-
per spécialement de Genève1. Celte association doit
être composée de très-peu de personnes, confidents
immédiats du Saint-Père et du cardinal Altieri. Les
affaires qu'elle a à traiter sont de la plus haute im-
portance, et doivent être tenues le plus secrètement
possible; car les Genevois sont protégés par les Ber-
nois, et la France leur veut grand bien. » — « Si
Louis XIV vient à savoir nos projets contre cette ville,
il défendra au Saint-Père de rien tenter contre elle;
il faut donc cacher à Sa Sainteté les instances du roi
de France en faveur des Genevois, et agir prompte-
ment, comme si nous étions libres. »
Ces missives de Rome firent concevoir de vives
espérances à Charles Emmanuel ; mais la loyauté de
son caractère lui fit repousser les moyens proposés.
« Je veux bien m'emparer de Genève, mais à condi-
tion (pie les Genevois se donnent à moi volontiers, et
(pie le parti le plus nombreux dans leur ville m'ac-
cueille comme ami et comme souverain. »
Un colonel, M. de Blonay, fui envoyé pour s'as-
surer du véritable état des choses, et sa mission eut
le même résultat qu'avait eu, six ans auparavant, celle
de M. de Bons.
« Sire, écrit-il, les Genevois aidés des gens du Pays
i. Archives de Turin, Affaires de Genève, 1*2" cal., dossier 5.
298
de Vaud, ont 4000 hommes sous les armes. Il n'y
a point de factions opposées: impossible de faire un
parti avec les descendants des Italiens; ils sont plus
calvinistes que les Genevois eux-mêmes. On m'avait
désigné les frères de Vérace et un nommé Grenus,
comme favorables à Votre Altesse : je n'ai pu les dé-
couvrir; les bourgeois, qui sont bien les plus ombra-
geux compagnons du monde, flairent mon déguise-
ment. Les syndics sont venus me parler sur leur plus
haut ton, et, sans vouloir croire à ma parole, m'ont
ordonne de partir dans les vingt-quatre heures. »
Charles-Emmanuel renonça dès lors à toute tenta-
tive contre Genève, il mourut peu de temps après.
A peine sur le trône, son successeur Victor-Amédée II
fut engagé par la cour de Home à briser le traité de
Saint-Julien. Un célèbre Jésuite, le Père Monaud,
fut chargé de vaincre les répugnances de Louis XIV.
« Afin que Sa Majesté Très-Chrétienne ne prenne
pas d'ombrage de ce que la Savoie prend cette ville,
qui est la clef du passage en Suisse et en Italie, on
en démolira les fortifications, et le duc de Savoie
aura le bonheur de voir son règne favorisé par une
entreprise généralement louée de la chrétienté, et (te
causer le plus grand bonheur que l'Eglise puisse avoir
en ce siècle. »
Mais Louis XIV refusa d'une manière péremptoire,
déclarant qu'il regardait celte guerre contre Genève
-200
comme une violation des lois divines et humaines.
Celte fâcheuse issue ne déconcerta pas la congré-
gation romaine; elle travailla avec un nouveau zèle
à soumettre la métropole protestante1. En 1676, un
bruit se répandit, qui jeta une vive alarme chez les
ultramontains : des négociations actives étaient enta-
mées pour faire entrer Genève dans la Confédération
suisse. Les villes évangéliques le désiraient; Fribourg
im répugnait pas; on espérait obtenir le consente-
ment de Lucerne. Il fallait à toute force anéantir ce
projet. Une ambassade vint à Paris, et représenta que
les papes s'étaient toujours opposés à cette union qui
ruinerait les espérances de la maison de Savoie sur le
rétablissement de l'évoque de Genève et le retour de
cette ville à la foi catholique. Les motifs religieux
ébranlèrent Louis X!V, qui se déclara ouvertement
contre le projet.
Les cantons catholiques cédèrent aux frayeurs que
Home leur inspira. « Les protestants seront tropalïer-
» mis par l'union de Genève au corps helvétique.
> Vous, catholiques, serez obligés de l'assister sans en
» retirer aucun profit; carie roi d'Espagne ne voudra
« jamais défendre des cantons alliés avec Genève.»
Le projet fut abandonné au grand regret des Suisses
protestants et de Fribourg, qui se montra, comme
toujours, fidèle alliée de ses frères romands, et refusa
i. Archives de Turin, Affaires de Gené\e, Griefs, 12" cal., iloss. <;.
500
de prêter i«is mains à tous les complots organisés con-
tre eux par la cour de Home.
Ces escarmouches diplomatiques et militaires con-
tinuèrent durant le dix-huitième siècle, et Genève ne
jouit (l'une paix assurée que pendant les périodes où les
ducs de Savoie, eu lutte avec l'Espagne ou la France,
ne pouvaient s'occuper activement d'elle. Comme il
serait fastidieux d'entrer dans de plus longs détails
sur ce sujet, nous passons à l'exposé des menées
ecclésiastiques employées par le clergé de Savoie pour
opérer « la recouverte de Genève. »
L'Église romaine ne pouvait accepter comme lé-
gitimes les résultats de la Réforme genevoise de 1 535
et les stipulations du traité de Saint Julien de 1602.
Ces grands événements avaient morcelé l'évêché de
Genève et enlevé au culte romain 3500 aines qu'il
fallait reconquérir. Dans ce but, François de Sales,
après le rétablissement du catholicisme en Chablais,
avait obtenu du pape Clément , le 15 septembre
1598, une bulle pour fonder la Sainte Maison de
Thonon. Celle Maison était destinée à recevoir les
Genevois et les Vaudois qui auraient le désir de ren-
trer dans la religion romaine. Des bulles successives
de \ 600, du 4 2 avril 4 002, du 8 août \ 008 do-
1. Mémoires manuscrit* louchant la Sainte Maison de Thonon, dé-
posés par M. Gaberel dans les archives de la Vénérable Compagnie
<les Pasteurs de Genève.
501
tèrent ce collège de fonds et de domaines, dont le
revenu varia de 5080 à 7258, pour atteindre 8065
livres. Les prêtres de celte Maison devaient être
choisis avec le pins grand soin. « On les prenait les
» meilleurs possible, de bonne et sainte vie; ils por-
» laient la croix de Saint-Maurice et Lazare, afin que
» le peuple les honorât davantage. »
Voici l'ordonnance concernant les prosélytes : « Les
gens qui demanderont à se convertir seront reçus dans
la Maison des Arts. On les occupera aux ouvrages
dont ils seront reconnus capables; en même temps
on s'appliquera à les instruire dans la religion. Ou
les tirera de la fainéantise qui devient souvent la
source de leur dérangement, et fait échouer leur pro-
jet de conversion. On facilitera, par cette séquestra-
tion, le retour à la vraie foi des gens animés d'un désir
sincère de conversion, et qui ont besoin d'être éloi-
gnés des occasions dangereuses auxquelles ils ne sont
que trop exposés, lorsqu'ils restent dans des maisons
particulières, abandonnés à eux-mêmes. Enfin, celte
séquestration écartera les personnes du sexe qui, sans
désir véritable de se convertir, cherchent, à la faveur
de leur hypocrisie, à vivre dans l'oisiveté et la fai-
néantise. »
Les ecclésiastiques et les intendants des provinces
qui environnent Genève, apportèrent le plus grand
zèle à cette œuvre.
Ô02
Les extraits suivants fie la eorrespondance des di-
reeteurs avec leurs souverains font connaître à mer-
veille l'état des choses1.
2 septembre 1671 . « Je supplie V. A. de relever
l'hôpital, afin qu'on puisse, comme auparavant, ame-
ner les nouveaux convertis. »
20 mars 4 675. «.J'ai besoin d'un plus grand
nombre d'ecclésiastiques et de nouveaux secours; il
faut que notre Église ait un éclat, une pompe inusi-
tée, vu qu'elle est sur la lisière de l'hérésie. »
8 avril 1 675 . •< M . le Président du Sénat de Cham-
béry ne fait pas cheminer les affaires de notre Maison.
V. A. a promis une Université pour le Ghablais; il
faut qu'elle soit établie sans délai. Notre Maison de
refuge doit être agrandie, sans quoi le démon pren-
dra toujours plus les âmes qui ont besoin de secours
constants. »
1 G mai 1 675 . « Si V. A. ne continue pas les cha-
rités pour les nouveaux convertis, si elle n'accorde
pas à noire congrégation les personnes les plus instrui-
tes et les plus éloquentes, notre Maison, qui est le
boulevard de la religion, sera profanée.
La .Maison de Thonon étant insuffisante pour les
exigences du prosélytisme sa voisien, les évéques de Ge-
nève voulurent y ajouter un établissement de refuge.
1. Turin, Archives de cour. Mémoires et lettres de la maison Ros-
sillon de liernei.
503
Dès Pan 1676 le Duc de Savoie fut assailli des
plus pressantes sollicitations à ce sujet. « Comme les
nouveaux convertis n'attendent rien moins qu'une
Maison de refuge pour détruire l'empire du démon
dans vos Etats, il faut donner les mains à cette insti-
tution, qui appuiera la nacelle de saint Pierre dans
ces endroits, et donnera le plus grand poids à nos
exhortations quand il s'agira ^arrêter quelques hé-
rétiques. »
Ce refuge fut établi deux ans plus lard, en mars
4 678. Le Duc de Savoie lui donna 2000 écus d'or \
Voici les remerciements: « Dieu, dans ses admirables
conseils, vous réservait la conclusion de cet ouvrage
pour signaler votre piété. Cette maison coupe par la
racine les progrès du démon. Il y a assez de place
pour que les hommes et les femmes vivent séparé-
ment. La petite troupe des convertis bénit Votre
Altesse et lui voue une éternelle reconnaissance...
Leur foi n'est pas encore ce que nous désirerions;
car la relique d'Amédée V, envoyée à Thonon, aug-
mente la ferveur des catholiques, mais ne peut rien
sur les ex-protestants. »
1690. « Les affaires vont mal : les conseillers de
Thonon veulent prendre l'argent de V. A. pour re-
lever les murailles de la ville; il nous faudra renvoyer
les vingt-quatre pauvres convertis, vu que nos paysans
1. Lottres de l'intendant Rossillou de Bernei, mars 1678 et 1689.
304
sont trop misérables pour les héberger, el les bour-
geois ue se soucient pas du lout de ces conversions.
Les secours de Votre Altesse sont indispensables.
Depuis six ans nous avons dépensé 1000 pistoles
pour ces personnes, el il ne nous reste plus rien. »
La Maison de refuge continua ses opérations avec
grand1 peine jusqu'en 4 717. Pour lors, sous l'in-
fluence de MgrRossillon deBernex, évêque d'Annecy,
le roi de Sardaigne établit à Annecy une fondation pour
secourir les nouveaux convertis, le 4- juillet 4 7171.
Mgr de Kossillon déclina la responsabilité de l'em-
ploi de ces fonds, el demanda l'établissement d'un
comité directeur. Le secrétaire du roi, M. de Mella-
rède, répondit : « L'on n'est pas assez injuste pour
critiquer les actions d'un prélat si pieux et si chari-
table; cependant, puisque vous l'avez voulu, Sa Ma-
jesté vous a donné des administrateurs, et non pas des
associés pour la distribution des aumônes des nou-
veaux convertis.
Les procès-verbaux de ce comité, qui se réunissait
mensuellement, nous révèlent la véritable portée de
ces conversions, donl le bruit retentissait dans toute
l'Europe. Le nombre des assistés variait de dix à dix-
huit, recevant chacun de i 5 à 24 livres de pension
par mois, ce qui portail la dépense moyenne à 200
1. Collection Gaberel, procès-
<!<■ I» fo ii'l.i I khi ii \ ii nei y.
verbaux des distributions de secours.
305
livres par mois, soit 2400 livres tournois par an.
La grande majorité des prosélytes était fournie par
les villages du Chablais et du Faucigny, où de nom-
breux protestants étaient demeurés en secret après
les missions de François de Sales et de Jean d'Aren-
thon. A peine avons-nous pu découvrir, dans leur
nombre, trois ou quatre ouvriers de Genève; et à
propos d'une prosélyte de notre ville, l'évêque Ros-
sillon montra un beau caractère, dont les Gene-
vois contemporains furent de sincères admirateurs.
MUe Falquel était retenue dans un couvent de Gex.
M. J.-E. Trembley, conseiller d'État, qui avait de
bonnes relations avec l'évêque d'Annecy, le pria de
renvoyer cette jeune fille à Genève. Le prélat lui re-
mit, pour le doyen de Gex, une lettre ouverte où il
ordonnait que MUe Falquet fût interrogée sur ses sen-
timents, en présence de ses parents, avec injonction
de la laisser partir tout de suite avec eux, si elle le
demandait; car, disait-il, « il n'y a point d'honneur
pour notre religion d'y retenir les gens par force. »
MIlc Falquet fut réintégrée dans l'Église de Genève,
après une rude censure du Consistoire (Reg. Consist.
5 janvier 4 709).
Les relations entre les catholiques savoisiens et les
Genevois offraient des contrastes qui s'expliquent ai-
sément. Les deux nations avaient l'une pour l'autre
une cordiale affection naturelle, et ne cessaient jamais
m. 20
506
de la manifester; mais des influences étrangères ont
quelquefois altéré ces bons sentiments et amené des
frottements pénibles.
D'abord après l'Escalade, les Genevois et les Sa-
voyards vécurent individuellement en parfaite har-
monie, se rendant, toutes sortes de services de bon
voisinage. « Les religieux des environs, les sœurs de
Thononetd'Évian, les moines des Voirons, affirment,
à maintes reprises1, qu'ils ne reçoivent nulle part de
plus larges aumônes qu'à Genève, et qu'ils y sont
parfaitement traités. Chaque année le Conseil offre
une somme considérable aux pères du Saint-Bernard,
et ceux-ci déclarent que, vu le bon accueil qu'ils trou-
vent chez les particuliers, ils demeurent à Genève
beaucoup plus longtemps que partout ailleurs. Du
reste, ajoute le môme voyageur, on ne fait aucun dé-
plaisir aux catholiques à Genève, pourvu qu'ils ne
dogmatisent pas; au contraire, ils reçoivent toute
sorte de courtoisie; les religieux peuvent y passer
librement, voire même y séjourner; mais pour em-
pêcher (jue la nouveauté de leur habillement ne fasse
courir les enfants après eux, on .leur donne un soldat
pour les accompagner en la ville. » Toutefois, la dite
précaution n'avait pas la signification bienveillante
que suppose l'auteur français; car celte largeur de
procédés était fréquemment compromise par « les in-
1. Davily, Description de l'Europe, 1660.
307
discrétions » des religieux qui venaient à Genève 1 .
On rapporte un jour « que les capucins fréquentent
souvent la ville, entrent dans les maisons et les bou-
tiques, et prennent la hardiesse de dogmatiser. Na-
guère, chez M. Détournes (libraire), un moine entre-
prit une dispute avec un jeune écolier qui était là,
achetant un livre et le payant en monnaie de Genève.
Le religieux dit : « Voilà de la méchante et maudite
monnaie. » C'est ainsi qu'ils se rendent indignes de
la permission qu'on leur donne d'aller librement en
ville; aussi on y mettra un soldat pour les accom-
pagner. »
Voici un autre l'ait qui peint naïvement i'espritdu
temps '. « Les marguilliers de Saint-Pierre rapportent
que souvent des étrangers visitent la cathédrale de
Saint-Pierre et se prosternent en contemplant les ima-
ges des voûtes et les peintures des vitraux; ils disent
que ces peintures sont miraculeuses, puisqu'elles n'ont
jamais pu être effacées. Comme on répare et blanchit
le temple, on mettra du plâtre sur les dites peintures,
et cela se fera tout d'un train. Quant aux vitraux, il
n'y sera pas touché. »
Les discussions, les violences, les tentatives de pro-
sélytisme, troublèrent pendant cent cinquante années
la tranquillité publique sur le territoire genevois.
î. Reg. Comp. 9juin 1643.
2. Reg. Comp. 18 août 1643.
508
Nous avons dit que le traité de Saint-Julien avait
reconnu à la République la possession des terres de
l'Évêché et de Saint-Victor; mais, on le comprend,
T Église n'avait jamais accepté cette cession; les pré-
lats d'Annecy voulaient conserver leur juridiction sur
leurs anciennes paroisses. Ils entravaient les pasteurs
dans l'exercice de leurs fonctions, soit auprès des
protestants dont les maisons étaient au milieu des vil-
lages catholiques, soit chez les catholiques établis sur
les terres genevoises. On se refusait mutuellement le
passage pour la visite des malades et l'instruction des
enfants. Il existe aux archives de Turin des volumes
contenant « les griefs contre Genève, » où les ecclé-
siastiques savoisiens accumulent les accusations de
prosélytisme contre les pasteurs genevois. « Ils vont
dans les champs tourmenter les ouvriers; ils catéchi-
sent à force les domestiques catholiques; les maîtres
d'écoîe attirent les enfants et leur donnent des livres
pour gâter la foi des parents ; ils profitent des mala-
dies pour faire, pendant leurs cultes, des discours
contre notre sainte foi, et parlent de î inutilité de
l'extrême-onction aux parents qui viennent, par cha-
rité, engager le mourant à accepter les saints sacre-
ments »
Les registres de nos Conseils sont également émail-
lés de plaintes portées par les pasteurs des champs
l . Turin, Archives de cour, Griefs conlre Genève, 13° catégorie.
309
contre les procédés et les attaques de leurs voisins.
Voici quelques faits qui caractérisent bien cet état de
choses, et qui font voir à quels traitements étaient
exposés les ministres. Un d'entre eux, M. Bordier,
pasteur à Cartigny (Reg. Comp. 17 juillet 1640),
informe ia Compagnie que son iils et son neveu vien-
nent d'être enlevés et sont prisonniers à Milan. Le
Conseil fait toutes les démarches nécessaires auprès
de l'ambassadeur 'd'Espagne à Lucerne. L enlèvement
de ces deux jeunes gens était une punition du zèle
extrême que M. Bordier apportait dans les conversions
des paysans du voisinage.
4 9 mars 1647 (Beg. Comp.). M, de Lafontaine,
pasteur à Bossey, est emprisonné à Chambéry. Il a
fait réparer le temple de Bossey au moyen de contri-
butions levées sur des protestants savoisiens, et il a
fait rétablir une girouette aux armes de Genève, sur
le clocher de ce village qui appartient à S. A. Gomme
Bossey était sur les terres de Saint-Victor, M. de La-
fontaine est soutenu par le Conseil et les Suisses. Au
bout, de huit mois il est délivré et raconte ainsi son
emprisonnement :
« J'ai passé par de grandes souffrances en mon
corps et de grandes incommodités de froidure. J'ai
également pâti d'étranges assauts et tentations de la
part des moines jésuites et autres religieux ; ils ont
voulu me détourner de la foi ; mais Dieu , dans sa
51 0
grâce, m'a puissamment soutenu, et je bénis Mes-
sieurs du Conseil et nos chers alliés de ma délivrance.»
Les tracasseries devenaient toujours plus fréquentes
sur les limites indécises des territoires.
25 août 1672. « De pauvres gens de Choulex
étant tourmentés pour changer de religion, et de l'ar-
gent leur étant offert, on leur conseille de se retirer
à Jussy, d'où ils pourront soigner leurs biens, et on
les instruira pour qu'ils puissent répondre. »
14 mars 4 701. Le curé de Choulex écrit à M. Das-
sier, pasteur de Vandœuvres : « Il m'est revenu que
vous affectez, depuis quelque temps, de dogmatiser
dans ma paroisse, surtout chez un nommé Santoux;
il est de mon devoir de veiller à ce que rien de pareil
n'arrive. » M. Dassier répond : « Les pasteurs de Van-
dœuvres ont toujours eu le droit de visiter les protes-
tants de votre paroisse; vous n'avez aucun compte à
me demander pour la consolation de ces malades, et
vous savez que je suis tellement circonspect en mes
démarches, que rien ne devrait interrompre la bonne
correspondance entre nous. »
8 décembre 1695. « M. Lamon, pasteur à Jussy,
reçoit du juge-mage de Thonon l'avis que le curé
savoisien de Veigy a ordre de veiller sur la conduite
des protestants de Gy. M. Lamon répond que si ledit
curé s'ingère en ses affaires de paroisse, il procédera
énergiquement contre lui. Les gens de Sionnet rap-
341
portent que le curé de Meinier leur défend de tra-
vailler les jours de fêtes. M. Lamon les exhorte à tra-
vailler comme de coutume. Les paysans de Sionnet
saisissent le valet de M. le curé, qui vient leur faire
menace de la part de son maître, et ils lui baille ont
sur les oreilles s'il y revient, ce qui sera pour son
compte. »
Les mômes discussions se présentent sur les bords
du Rhône. 1er novembre 4 700. « Le curé de Russin
va voir des malades protestants et les menace de les
faire traîner sur la claie, après leur mort, s'ils ne
reçoivent pas les sacrements. »
4- avril 1684-. « Comme on distribuait la Sainte-
Cène au Petit-Sacconnex, il y eut grand tumulte,
parce qu'un prêtre du Grand-Sacconnex et des paysans
de Pregny épiaient les gens du Pays de Gex, venus
pour communier; mais on les a entourés dans le tem-
ple, de sorte qu'ils n'ont pu être vus. »
14 mars 1701. « Le curé de Rernex oblige les
protestants à se mettre à genoux devant l'hostie, et
effraie tellement les femmes qu'elles s'enfuient à Ira
vers champs. »
10 avril 1705. « Comme les papistes deviennent
toujours plus nombreux sur les terres de Saint-Victor,
et que les prêtres s'efforcent d'en introduire encore
davantage, on catéchisera les domestiques savoisiens;
Ton préviendra, en les achetant, les papistes qui veu-
312
lent acquérir les terres des réformés et les en bannir. »
(25 mai 1708).
Ces griefs mutuels se traduisaient en longs mémoi-
res, où la cour de Turin manifestait l'intention de
reconquérir Genève, tandis que les magistrats pro-
testants, soutenus par leurs amis de Berne et de Zu-
rich, répondaient qu'ils étaient prêts à se défendre.
Une guerre de plume se déchaînait en même temps
entre les lettrés des deux pays, et quoique moins
acerbe en ses formes, elle contribuait beaucoup à
entretenir l'aigreur et les frottements pénibles.
La cour de Rome voyait avec peine la propagande
que les imprimeries de Genève entretenaient au loin,
et toutes les plaintes de saint François de Sales n'a-
vaient pu diminuer l'abondance des traités protes-
tants. Un secrétaire du pape Innocent X, revenant de
Paris, voulut examiner personnellement l'état des
choses à Genève, et vint dans cette ville en l'an 1650.
Àson retour, le pape l'interrogea louchant son voyage.
— Vous avez passé à Genève incognito. Que dit-on
de nous dans celle ville rebelle? — Très-Sainl-Père,
on ne peut rien attendre de bon de ses ennemis. —
Parlez, je veux tout savoir. — Je ne m'arrêtai qu'un
seul jour en celte ville, où je remarquai aux person-
nes une plus grande civilité que je n'attendais. Mais,
plus je fus consolé en mon extérieur, plus je fus mor-
tifié au dedans. Je me lis accompagner dans l'Eglise
315
par mon hôte. Le prédicateur s'appelait M. J. Diodati,
de Lacques. Il prêcha sur ce texte : Je ne permets
pas aux femmes d enseigner ni de dominer sur leurs
maris; sur quoi il déclama fort à la grande honte de
notre Eglise romaine, qui se laisse gouverner par une
femme.» — «Cet avis, déclare le cardinal Astalli,
frappa si vivement le cœur du pape, qu'il prit la ré-
solution de bannir de la cour Mme Olympe, sa sœur,
qui exerçait un pouvoir despotique, et scandalisait
tout le monde par sa conduite désordonnée. »
Il serait fastidieux d'énumérer tous les livres qui en-
tretinrent, durant le dix-septième siècle, la controverse
entre Genève et la Savoie. Les petits traités abon-
daient, et, chose remarquable, ces écrits conservaient
généralement un ton et une forme évangéliques; les
dogmes y étaient exposés, et les difficultés résolues
sans présenter l'aigreur qui se manifestait dans les
contestations journalières de la vie pratique. Nous
trouvons en 1715 un exemple frappant de cet esprit
large et tolérant. Mgr Kossillon de Bernex, évèque
d'Annecy, dont nous avons déjà montré la douce
impartialité, reçut un jour un traité de controverse
de Bénédict Pictet, où notre célèbre théologien avait
écrit ces paroles : « J'honore les prélats de la com-
munion romaine, et il y en a un dans notre voisinage
poui- lequel j'ai un grand respect et dont je considère
infiniment le rare mérite et les vertus. » M. de Bernex,
3U
touché de cet hommage, se procura les livres de
B. Pictet, et soutint avec lui une correspondance ami-
cale, où il établit que les catholiques ne méritent point
le nom d'idolâtres, vu qu'ils vénèrent et n'adorent
pas les images. M. Pictet, de son côté, montra l'ex-
trême danger de ces pratiques pour les gens simples,
et la pente insensible par laquelle on donne à l'image
elle-même la puissance et les volontés miraculeuses
qui n'appartiennent qu'à la Divinité1. Cette contro-
verse n'eut aucun résultat: les deux adversaires con-
servèrent, l'un pour l'autre, jusqu'à la mort, une
mutuelle et affectueuse estime; seulement leurs rela-
tions personnelles durent cesser, le bruit s'étant ré-
pandu que Bénédict Pictet, entraîné par Mgr de Ber-
nex, abjurerait le protestantisme si le Consistoire ne
le faisait garder à vue. « Je suis fort honoré, disait en
souriant le vieux professeur, qu'on renouvelle pour
moi, après cent vingt années, la légende concernant
les précautions dont on entoura Théodore de Bèze,
pour le soustraire aux sollicitations de François de
Sales. »
Une aventure où la malice, la grossièreté et le men-
songe, avaient déshonoré le caractère ecclésiastique,
fournit à Mgr Rossillon de Bernex l'occasion de mon-
trer son noble et chrétien caractère.
1. Vie de M. Rossillon de Bernex; Lettres de B. Pictet; Reg. Cons
et Reg. Comp., nov. 171'».
515
La famille Minutoli, originaire de Lucques, dis-
tinguée au temps de la Réforme par ses vertus et les
talents de ses chefs, était fort déchue vers la fin du
dix-septième siècle. Vincent Minutoli, très-médiocre
professeur de grec, quitta l'Académie pour exercer
le saint ministère aux Pays-Bas. « Ayant fait scandale,
il fut suspendu de la Cène et déposé de ses fonctions
en 1668 par le synode de Flessingue1. » Quelques
années plus tard, il écrivit à la Compagnie une lettre
« vraiment pénitente, » et, après les délais de rigueur,
il fut rétabli en sa qualité de ministre. Son fils Joa-
chim Minutoli devint étudiant en théologie. Un scan-
dale de mœurs le fit chasser de l'auditoire au bout
de quelques mois2. « Se trouvant sans biens et sans
conduite, disent les journaux du temps, il négocia son
changement de religion, se réfugia à Lucques, et à la
faveur de quelques lettres de recommandation, il
obtint une pension dont il jouit encore. De retour en
Savoie en 171-4, il fit connaissance du curé Pont-
verre, qui l'engagea à publier un libelle contre les
pasteurs de Genève. » Ce prêtre, devenu célèbre par
ses relations avec Jean-Jacques Rousseau, fit paraître
un volume de \ 80 pages, où Minutoli prit à partie
les pasteurs de Genève, et les tourna en ridicule avec
une méchanceté souvent très-spirituelle; la calomnie
1. Reg. Comp. 24 sept. 1675 et 22 nov. 1678.
2. Bibliothèque germanique, t. XVIII.
516
est habilement entremêlée de faits réels. Ainsi, Bé-
nédicl Pictet ayant été ruiné par la faillite d'un ban-
quier, « il a ce qu'il mérite, vu qu'il faisait l'usure
de compte à demi avec ce négociant. » Quelques
beaux tableaux que possédaient Domaine Butini et
J.-A. Turrelin sont transformés en peintures scan-
daleuses. Les imperfections de quelques prédica-
teurs sont le sujet des plaisanteries suivantes :
« M. Fatio a un talent particulier en chaire; il fait
suer ses auditeurs par les plus grands froids; c'est
pour cela qu'on l'a relégué en un village qui recèle
les ordures de la ville. Il fera transpirer les humeurs
peccantes de ses paroissiens. Mais si M. Fatio fait suer
ses auditeurs, M. Calandrin a le secret d'endormir les
siens, etc. » Ce libelle, l'un des plus tristes échantil-
lons de l'emploi de l'ironie dans la presse religieuse,
fut imprimé soi-disant à Modène en 17 H, el publi-
quement, avec approbation, à Fribourg, en 4 720.
Voici la délibération de nos Conseils à ce sujet (Beg.
Consist. 16 avril 171 4-). « Le curé Pontverre ayant
cherché à faire relier plusieurs exemplaires d'un livre
intitulé : Motifs de la conversion de Minutoli, avec les
portraits des quarante ministres de Genève, les libel-
les ne peuvent être attribués qu'à ce curé, lequel a
fait encore un autre livre de cette espèce, et imprimé
des lettres injurieuses à speclable Bénédict Pictet.
Arrêté de faire saisir le plus d'exemplaires qu'il se
317
pourra, et d'interdire l'entrée de la ville au dit
curé. »
Du 16 mai. « Plusieurs curés voisins ont été appe-
lés à Annecy par Pévêque Mgr Rossillon; il leur a
témoigné son indignation contre le curé Pontverre,
sur son libelle contre les quarante ministres de
Genève; il les a chargés de rechercher et, de suppri-
mer tous les exemplaires qu'il leur sera possible de
trouver et recommandé de vivre en bons voisins avec
nous. »
Malheureusement les successeurs de Mgr Rossillon
n'imitèrent pas son exemple; les taquineries, les pro-
cès et les menaces reprirent leur cours contre Genève.
Les souverains sardes se montrèrent toujours plus
disposés à saisir les occasions favorables pour s'em-
parer de la ville. H fallait en finir. En 1754-, le roi
Emmanuel III, à la requête pressante de Berne et de
Zurich, consentit à entrer en tractation avec la Ré-
publique. Le rapport du syndic Galiffe à la Compagnie
établit clairement la position. « Dans le traité de Saint-
Julien (1605), le Duc ne se départ pas des préten-
tions qu'il croit avoir sur Genève. Les difficultés ont
été grandes durant le dix-septième siècle, surtout de-
puis 1669, lorsque le Duc de Savoie déclara ne plus
reconnaître le traité. Les difficultés ont augmenté
naguère à cause des réfugiés français et vaudois qui
cultivent les terres de la République en si grand
318
nombre; on voudrait les bannir. Les puissances ne
peuvent rien comprendre à nos questions obscures
de souveraineté; il n'y a qu'un moyen de s'enten-
dre : c'est de partager les terres en litige , et que le
roi de Sardaigne reconnaisse pour toujours nos
droits et nous laisse paisibles possesseurs de notre
territoire. »
M. Mussard, syndic, chargé de négocier le traité,
reçut l'expression des regrets amers delà Compagnie
touchant la dure nécessité de céder des villages pro-
testants; il s'associa à ces sentiments, tout en mon-
trant que cet abandon du territoire contesté était le
seul moyen d'obtenir la paix et la sécurité pour la
République.
La Compagnie demanda que du moins toutes les
précautions fussent prises pour proléger le culte pro-
testant dans les villages cédés.
Le roi de Sardaigne ne fit que d'insignifiantes con-
cessions.
Il accorda pour vingt-cinq ans l'exercice du culte
dans le temple de Bossey, pour les villages de Troi-
nex, Bossey et Carouge. — Celle faveur fut limitée
à quatre ans pour Chêne. Dans les temples de Va-
leiry et de Neydans, le culte devait cesser immédia-
tement; mais le roi s'engageait à laisser aux habitants
de ces villages une entière liberté de conscience du-
rant vingt-cinq années. Passé ce terme, les paysans
319
devaient vendre leurs lerres et éniigrer, ou passer au
catholicisme. A ce prix, le monarque piémonlais
respectait pour toujours la liberté religieuse et l'in-
dépendance de la République de Genève.
Ces conditions, si dures au premier abord, ne
préoccupèrent toutefois que médiocrement les Gene-
vois. On connaissait l'esprit religieux qui régnait dans
les campagnes cédées; les paysans étaient inviolable-
ment attachés à la Réforme, et témoignaient le désir
de faire, le plus promptement que possible, des
acquisitions de terrains sur le territoire genevois. Les
notaires savoisiens, lesjuges, les officiers civils, reçu-
rent du roi l'ordre de favoriser, autant que possible,
ces ventes, et d'acheter les terrains à des prix élevés.
Grâce à ces sacrifices pécuniaires, les émigrations
protestantes furent rapides; les villages genevois vi-
rent le nombre de leurs habitants s'augmenter dans
une notable proportion, et vingt-cinq ans plus tard,
lorsqu'on abandonna le temple de Rossey, Genève fît
une souscription pour indemniser les émigrants paut
vres. Les citoyens riches, MM. Colladon, Ruisson et
Perdriau à leur tête, déclarèrent qu'ils fourniraien-
la somme nécessaire pour que pas un seul dépossédé
ne perdît un sou de la valeur de ses terres; mais
telle était l'aisance des agriculteurs genevois, que
l'indemnité ne 'lépassa pas le chiffre de 6916 livres,
1. Reg. Comp. de juin à août 1754.
520
soit à peu près 20,000 francs de notre monnaie
actuelle. Les gens de Bossey et de Neydans s'établi-
rent à Jussy et à Chêne. L'école de Jussy fut augmen-
tée de soixante et dix enfants. Chêne vit doubler sa
population ; on y dut bientôt bâtir un temple et un pres-
bytère. Les petits hameaux qui environnent le village
de Cartighy devinrent des localités assez importantes
pour fonder des écoles. L'émigration protestante se
termina sans autre dommage que la perte des églises
et le chagrin des agriculteurs qui abandonnaient
l'héritage de leurs pères pour défricher des terres
nouvelles. Toutefois cette émigration ne fut pas com-
plète; plusieurs familles prolestantes demeurèrent
dans les territoires cédés. Le roi, pour montrer
son bon vouloir, donna l'ordre au Sénat de Cham-
béry de proclamer l'édit suivant, daté du 17 mars
1780 : « Nous donnons l'autorisation aux sujets pro-
» lestants des terres de Sa Majesté de remplir leurs
«devoirs religieux dans les villages voisins; nous
«permettons à MM. les pasteurs de venir remplir
>. leur ministère auprès de nos dits sujets, les sa-
» chant animés d'un zèle chrétien vraiment sincère
» et modéré. »
Ainsi, les luttes confessionnelles de Genève et de
la Savoie se terminèrent sous l'empire de celte tolé-
rance dont les souverains sardes ont si souvent donné
un noble exemple, et dès-lors la plus loyale observa-
521
lion de ce iraité a consolidé la paix religieuse entre
les deux pays1.
i. Les terres échangées contenaient 123,111 poses de 400 toises. Le
Roi en eut 6974; la République, 5337.
Les villages cédés par le roi de Sardaigne furent Cartigny, la Petite
Grave, Epeisses , Passeiri, Grange-Canal, Vandœuvres, Miolans ,
Pressi, Chougni, Ruth, la Belotte, Gy, Sionnel.
Les Genevois cédèrent Carouge, Sierne, Veirv, Bossey, Crevin,
Landecy, Onex, Lancy, Pinchat, Valeiry, Avusy, Sézegnin, Alhenaz,
Laconnex, Villette, Thonex, Le Carre, Choulex, Bonvard, Presinge,
Corsinge.
Ces villages sont redevenus presque tous terre genevoise en 1815,
mais les populations sont catholiques.
III.
21
322
CHAPITRE X.
GENÈVE ET LE CATHOLICISME FRANÇAIS.
Introduction du catholicisme à Genève par Louis XIV. — La messe du
Résident et les résistances des Genevois. — La prise de Strasbourg.
— Bataille de Wilruergen. — Conjuration catholique contre Genève
en 1715. — Controverse écrite avec les Français. — Les prosélytes.
— La Chambre des Prosélytes. — Le bon curé de Mérindol. — Pro-
tection accordée par Genève aux catholiques à la fin du siècle. —
Les prêtres français réfugiés à Genève durant la révolution de 1792.
— M. de Talleyraud sauvé par les pasteurs genevois. — Catholicisme
sous l'Empire. — M. Vuarin et ses intrigues.
Nous avons vu dans noire précédent volume que
Louis XIII, sollicité par le pape de permettre l'inva-
sion de Genève et sa réunion à la maison de Savoie,
répondit en 1624 à l'ambassadeur du Saint-Père:
« J'entends continuer aux Genevois la protection de
mon père Henri IV, et je ferai respecter les traités
de Vervins et de Saint-Julien, qui assurent leur exis-
tence. »
Cette loyale protection contribua puissamment à la
sécurité de Genève, et lui fut conservée par Louis XIV
pendant la plus grande partie de son règne. Mais ce
monarque, devenu vieux, crut effacer, devant Dieu
323
et devant les hommes, le souvenir de ses fautes pas-
sées en persécutant les Églises prolestantes. « La re-
couverte de Genève » parut une œuvre méritoire au
Père Lachaise. On pouvait l'opérer par la force. Vingt,
mille hommes auraient réduit en quelques semaines
la cité hérétique. Mais l'Angleterre, les Pays-Bas, les
Electeurs de Brandebourg, les Cantons Suisses, proté-
geaient ouvertement la métropole du protestantisme;
l'emploi de la force paraissait dangereux; il fallait
essayer de convertir cette ville, dont il n'était pas
prudent de s'emparer à main armée.
Pour convertir une ville, il est nécessaire d'y in-
troduire des missionnaires en grand nombre; or, les
Genevois, sans cesse menacés par les agents savoi-
siens, avaient absolument interdit la célébration du
culte catholique, et, avec une défiance trop souvent
légitime, ils regardaient les prêtres romains comme
d'irréconciliables ennemis de leurs libertés.
Louis XIV voulut vaincre ces résistances: il dé-
clara, en 4 679, que désormais il établirait un rési-
dent français dans Genève. Les citoyens apprirent
cette nouvelle avec une véritable consternation. L'in-
troduction de la messe à Genève était une conséquence
inévitable du séjour de l'ambassadeur français, et l'on
se préoccupait péniblement du propos d'un sieur
Faure de Châteauvieux, « lequel témoigna do la joie à
un conseiller, à cause de l'envoi du sieur de Chau-
324
vigni, comme résident en cette ville. Il lui est recom-
mandé par le Père Lachaise, confesseur du roi ; il se
sent obligé de lui offrir son logis, et il ne croit pas
qu il soit aisé de lui empêcher de faire dire la messe
en sa maison. » (Reg. Consist. 5 juillet 4 679.)
Deux citoyens, MM. Galalin et de Chapeaurouge,
espérant entraver la réalisation de ce projet, envoient
aux minisires de Louis XIV une forte somme poul-
ies rendre favorables aux vœux de Genève. On prend
l'argent, et l'on répond que le souverain est inflexible
en ses résolutions.
La Compagnie, consultée par les magistrats1, es-
tima qu'il fallait députer les personnes les plus habiles
auprès de nos alliés, et les prier d'obtenir, par leur
intercession, que le roi nous traitât comme l'An-
gleterre et Strasbourg, c'est-à-dire qu'il envoyât à
Genève un ambassadeur de notre religion. « Espérons,
ajoutent-ils, que cette démarche réussira; car si on
exerce publiquement le catholicisme chez nous, nous
verrons beaucoup d'étrangers, d'ennemis de notre
liberté et de notre État, prendre occasion de nous
troubler, d'irriter, d'émouvoir notre peuple. »
Cette nouvelle démarche fut inutile. M. de Chau-
vigni vint s'établir à Genève en octobre 1679 (Reg.
Cons. octobre et novembre). Comme on s'y attendait,
il déclara que son chapelain dirait la messe en son
l. Reg. Comp. 8 et 12 août 1679.
325
logis. MM. de Chapeaurouge el Lullin lui représen-
tèrent la tristesse <|ue l'établissement de la messe cau-
sait aux citoyens. « Monsieur, lui dirent-ils, il est un
moyen de tout arranger : désignez-nous, dans le voi-
sinage, l'Église catholique dans laquelle vous désirez
entendre la messe; nous la ferons orner le mieux pos-
sible; nous réparerons la route, nous vous donnerons
2000 écus par an pour entretenir un carosse pour
vous et des voitures pour vos domestiques. » M. de
Chauvigni les remercia avec une politesse affectée et
leur déclara qu'il voulait avoir sa chapelle chez lui,
puisque cet établissement était un des buts essentiels
de sa mission. Le Conseil lui lit dire qu'on ne s'y
opposait pas, pourvu qu'il se contentât de faire faire
le service par son aumônier, à notes basses, sans éclat,
pour lui et ses domestiques seulement. Le résident
répondit: « Je prétends établir dans mon logement
une chapelle ayant tous les ornements nécessaires;
mais je me tiendrai dans de justes bornes. Ma porte
sera fermée pendant le service, excepté pour mes
amis, les personnes de considération, et surtout l'évè-
que d'Annecy, qui viendra avec plaisir bénir celle
chapelle et y célébrer la messe. »
Les citoyens, apprenant les intentions de M. de
Chauvigni, demandèrent aux syndics de lui adresser
la représentation suivante: « M. le Résident, nous ne
pouvons croire que le roi, jusqu'à ce jour bienveil-
326
lant pour celle République, veuille absolument la
réduire au désordre; ce sera le comble de la désola-
tion pour le peuple, que de voir un prélat qui se dit
évêquede Genève, venir y célébrer la messe. » M. de
Chauvigni hésita, tergiversa pendant huit jours, en-
voya les ornements à Annecy pour les faire bénir.
Puis il écrivit au Conseil que le prélat viendrait lui-
même consacrer la chapelle, et que lel était l'ordre
de son maître. « Monsieur, lui fut-il répondu, l'évêque
d'Annecy ne mettra pas les pieds dans Genève, à
moins qu'il ne soit invisible ou tellement déguisé,
que personne ne puisse le reconnaître. »
M. de Chauvigni répéta fièrement que le prélat
viendrait, et qu'il avait reçu l'ordre d'ouvrir sa cha-
pelle à tous les Français, à tous les étrangers catholi-
ques, ainsi qu'à tous les prêtres, à tous les religieux qui
voudraient y olïicier ou simplement assister au culte.
Toutefois, l'évêque d'Annecy, informé des dispo-
sitions des citoyens, ne jugea pas à propos de faire
le voyage.
La inesse fut célébrée, pour|la première fois, le
30 novembre 1679. Le Résident invita un grand
nombre d'étrangers pour assister à ce culte, et le.
lendemain il y attira plusieurs personnes des environs.
La Savoie étant pour lors sous la domination fran-
çaise, M. de Chauvigni envoyait des émissaires dans le
Chablais, le Faucigny et le Pays de Gex. La foule
327
des assistants augmentait chaque dimanche, et le jour
de Noël 1679, on compta plus de mille personnes
agenouillées dans les corridors, dans la cour, et jus-
que dans la rue. Les citoyens, profondément blessés
des procédés insultants des agents de Louis XIV, per-
dirent patience et se révoltèrent contre la loi du plus
fort. Un dimanche malin, une bande de quatre-vingts
Savovards montaient la rue de la Terlasse. Ils furent
arrêtés au haut de la Cité par une foule compacte et
immobile. Ils demandèrent le passage. — Où allez-
vous? — À la messe, chez M. le Résident. —
Qui vous envoie? — Nos curés. — M. le Résident ne
doit recevoir à la messe que ses amis particuliers et
ses domestiques; vous n'êtes ni des uns, ni des au-
tres; retournez entendre la messe dans vos paroisses.
Les bonnes gens se retirèrent sans mot dire. — M. de
Chauvigni se plaignit de ces procédés au Conseil, et
les magistrats répondirent qu'ils n'avaient point de
loi qui empêchât les citoyens de stationner où bon
leur semblait dans les rues.
Ainsi se termina cette triste année 1679. Im-
pressionnés par ces circonstances, les magistrats in-
sérèrent aux registres ces graves et prophétiques
paroles (4 janvier 1680): « Genève est si ancienne»
qu'aucun historien n'en a décrit l'origine jusqu'à
Jules-César. Elle a été païenne, elle a été catholique
errante, et dès 1555 elle est, par la grâce de Dieu,
028
chrétienne-réformée. Et durant ces trois âges de la
République, qu'elle a été gouvernée par quatre syndics
qui s'élisaient annuellement par le peuple, Genève a
été soutenue par un miracle continuel de la puissance
de Dieu. Mais comme nous avons dégénéré de la
vertu et modestie de nos pères, Notre Seigneur a levé
la verge pour nous réveiller de notre assoupissement
en permettant que le Roi Très-Chrétien ait envoyé un
résident en cette ville, au mois d'octobre passé, qui
a introduit en son hôtel l'exercice de la religion ca-
tholique romaine, au grand déplaisir des magistrats,
des pasteurs et de la bourgeoisie. Cependant, si nous
profilons de celte épreuve, il faut espérer de la misé-
ricorde de Dieu, qu'il rendra à cette cité sa première
tranquillité, et affermira, plus que jamais, cette pré-
cieuse liberté temporelle et spirituelle dont il la fa-
vorise dès si longtemps.
Les embarras du gouvernement augmentèrent en-
core pendant l'année 1680. Le peuple et le résident
faisaient échange de mauvais procédés. Les laquais de
M. de Chauvigni parcouraient les auberges le diman-
che matin pour prévenir les étrangers de l'heure de
la messe, et se plaignaient d'avoir élé insultés. Le fait
était vrai : on avait couvert de boue leurs livrées;
mais les jeunes coupables affirmaient que les laquais
s'étaient raillés en passant de ceux qui se rendaient
au prêche.
529
Plus lard, M. de Chauvigni prétend il qu'il avait
failli êlre victime d'un attentat. Un coup de feu, tiré
par mégarde sur son passage, fut transformé en une
violation de la personne d'un ambassadeur. L'af-
faire fut étouffée à grand'peine. Une autre fois,
le Résident se plaignit de ce qu'on jetait de l'eau
et des pierres sur ceux qui allaient à la messe; que
l'on salissail la porte et la cour de l'hôtel; que l'on
coupait les fils de ses sonnettes; qu'on poussait, qu'on
sifflait, qu'on maltraitait les gens qui sortaient de
chez lui. Le Conseil fit droit à ces plaintes, et punit
du fouet et de la prison un jeune homme coupable
d'avoir maltraité une femme calholique.
Une scène fort étrange mit le comble à l'indigna-
tion de M. de Chauvigni. Il avait été convenu que la
messe serait chantée à notes basses. Loin de se con-
former à celle promesse, l'aumônier faisait retentir
les cours voisines des éclats de sa voix. Un dimanche
du mois de janvier 4680 (Reg. Cons., page 37),
pendant l'office, toutes les fenêtres et les lucarnes
qui ont vue sur l'hôtel, se garnirent de gens qui
chantaient sur l'air d'un psaume des strophes de
controverse, composées par Bénédict Piclet :
■
A Rome, l'on croit qu'une hostie
Est le corps de INotre Seigneur,
Et qu'un prêtre la sacrifie:
Cest le langage de l'erreur, etc.
330
Le Résident ne put obtenir une réparation pour ce
prétendu désordre, et comme il persistait à faire venir
chez lui, pour la messe, les Savoyards des environs,
les syndics ordonnèrent de fermer les portes de la
ville le dimanche matin, et ils placèrent des gardes
autour de la chapelle, soit pour prévenir le bruit, «oit
pour empêcher les étrangers d'entrer, au mépris de
la convention, qui permettait seulement aux amis du
Résident d'assister à son culte.
M. de Chauvigni et son aumônier rendaient avec
usure aux Genevois les vexations qu'ils en recevaient.
Ils assistaient souvent au culte protestant, traversaient
le temple à grands pas, et demeuraient assis et cou-
verts pendant les prières; puis, ils prenaient des no-
tes et faisaient des rapports sur les sermons. Un jour,
le Résident se plaignit d'injures qu'un pasteur avait
prononcées contre Louis XIV; il citait cette phrase:
« Le devoir des chrétiens, lorsqu'ils possèdent la ri-
chesse et la puissance, est de protéger les faibles;
l'oppression est odieuse à la Divinité, quel que soit le
rang de l'oppresseur... »
Le Conseil ne trouva rien de blâmable en ces pa-
roles, et profita de l'occasion pour reprocher au Ré-
sident d'exciter le peuple à des actes de violence, en
affirmant publiquement « que dans un au l'on chan-
terait partout la messe à Genève, le pape ayant pro-
mis vingt années d indulgence à ceux qui se ren-
r>3i
draientàsa chapelle. » M. de Chauvigni voulut nier; on
produisit des témoins, et M. le pasteur Dufour lui fit
voir des listes de souscription destinées à recueillir
de l'argent « aux fins d'entretenir largement des pro-
sélytes et des catholiques dans la ville. » (Reg. Cous,
et Comp. 4 5 mars 1680.) Les griefs s'accumulèrent
si bien , que le gouvernement, en envoyant, àl'occasion
de la naissance du Dauphin, le syndic Michel Trem-
bley à Paris, le chargea de solliciter le rappel de M. de
Chauvigni. Michel Trembley, excellent protestant,
réussit dans sa mission. Chauvigni quitta Genève sans
payer ses dettes, et son remplaçant, M. Dupré, quoi-
que fort généreux dans tout ce qui concernait l'admi-
nistration matérielle, fut aussi intraitable que possible
dans les affaires du culte; « il avait des ordres précis
et directs du souverain, et devait les exécuter. »
(Reg. Comp. 4 5 juin 4 680.)
Le peuple, instruit de cette réponse qui indiquait
chez Louis XIV un projet arrêté de convertir Genève,
redoubla de violence et couvrit d'injures les gens qui
venaient à la messe. Le Conseil et les pasteurs s'uni-
rent pour tâcher de faire cesser ces manifestations. Les
ministres parcoururent les quartiers de la Grand'Rue,
de la Pélisserie et de la Tour-de-Boël, et tirent com-
prendre au peuple que celte manière d'agir pouvait
compromettre le salut de l'État, et, grâce à la puis-
sance de Louis XIV, faire établir la messe d'une ma-
532
nière bien plus éclatante qu'elle ne l'était maintenant.
Ils parvinrent ainsi à calmer les plus violents et les
plus opiniâtres.
La position devenait toujours plus difficile. Le ré-
sident prêtait ouvertement les mains à des actes de
prosélytisme (Reg. Cous, septembre i 684 , Comp.
juin idem) et faisait répandre des livres attaquant la
religion réformée. Un grand nombre d'ecclésiastiques
parcouraient la ville, faisant de fréquentes visites; des
marchands étalaient les objets du culte catholique, et
deux jeunes filles genevoises abjurèrent la foi réfor-
mée en l'église du Grand-Sacconnex . Aux représen-
tations du Conseil, M. Dupré opposait les paroles me-
naçantes de son souverain. Enfin, un funeste événe-
ment vint jeter la consternation dans Genève.
Le 50 septembre 4 681 (Reg. Comp. et Consisl.)
on reçut la nouvelle de la prise de Strasbourg. En
pleine paix, sans autre raison que la loi du plus fort,
au moyen de la plus basse trahison, par l'achat des
consciences. Louis XIV s'était emparé de cette cité,
et avait fait main-basse sur ses libertés et sa natio-
nalité.
A Genève, la consternation fut générale. Les pas-
teurs tirent la visite de leurs paroisses, exhortant cha-
que membre de l'Église à la fermeté et au courage,
pour soutenir vigoureusement les libertés temporelles
et spirituelles, si étrangement menacées; d'autre part,
355
on observa avec inquiétude des rassemblements ex-
traordinaires qui avaient lieu dans le pays de Gex,
et comme les étrangers affluaient en nombre extraor-
dinaire à la messe du Résident, on ferma rigoureu-
sement les portes de la ville, et on surveilla les hôtelle-
ries. M. Dupré essaya de se plaindre aux magistrats;
mais sa démarche n'eut aucun succès; il est probable
que, dans cette séance secrète, on lui fournit les
preuves d'un complot contre Genève1.
Les Suisses partagèrent celte impression, et l'armée
des cantons évangéliques se tint prête à marcher au
premier signal d'alarme venu de Genève.
Ces frottements continuèrent pendant plusieurs
années, et la question des réfugiés, que nous traite-
rons à part, contribuait beaucoup au mécontentement
des agents de Louis XIV. Les magistrats, tout en
observant la plus louable prudence, ne faisaient au-
cune concession dans les affaires du culte catholique.
Cette sévérité donna lieu à un incident que nous dé.
sirons sauver de l'oubli (Mémoires Guainier, tom. II).
En 1694, le temple de Saint-Germain servait de
hangar: le Résident, M. d'Iberville, pensa que Ge-
nève pourrait le céder pour le culte catholique. Dans
ce but, il fit une visite au premier syndic Michel
Trembley, et lui exposa son désir. — M. le Résident,
répondit le magistral en souriant, l'affaire ne dépend
1. Mém. manuscrit du syndic Guainier. (fiibl. pub. de Genève.;
334
pas de moi, il faudrait consulter là-dessus mes en-
fants. M. le Résident sortit de l'Hôtel-de-Ville et se
rendit auprès des jeunes TremWey, qui lui répondi-
rent: « Monsieur, vous aurez sans doute très-mal com-
pris notre père ; nous ne nous mêlons pas des affaires
de l'État. » M. d'Iberviltë, Irès-irrité, retourna vers
M. Trembley, et lui adressa de vifs reproches. —
« Mais vous m'avez mal compris, M. le Résident; les
enfants dont il s'agit ne sont pas les fils de MmeTrem-
biey; ce sont tous les bourgeois de Genève. Faites-les
rassembler; proposez-leur de vous céder le temple,
el je suis à leurs ordres. »
L'année suivante, toujours à l'occasion de cette
chapelle, Genève eut de sérieux désagréments. Les
registres du Conseil d'août 1695 à mai 4 696, s'en
occupent d'une manière toute spéciale.
M. Pick't, syndic (6 août), rapporta que M. d'iber-
ville voulait faire agrandir la chapelle « pour se
garantir de la souffrance qu'il éprouve lorsqu'elle est
remplie de monde, à cause de la chaleur et de la
puanteur que les paysans et manouvriers y appor-
tent. « Le Conseil déclara au Résident qu'un sembla-
ble projet irriterait le peuple, et refusa absolument
d'y donner les mains. Après plusieurs pourparlers,
M. d'iberville abandonna son projet d'agrandissement
de la chapelle siluée au jardin, et les magistrats firent
conslruireun second étage à la maison, en sorte que
335
le Résident pût consacrer au culle la grande salle du
rez-de-chaussée. Cet incident aurait été terminé le
14 août, si des ecclésiastiques savoyards n'avaient
pas semé des bruits étranges au sujet de celte négo-
ciation. Ces indiscrétions amenèrent une foule consi-
dérable d'étrangers à Genève, et, le 18 août, M. d'I-
berville se plaignit « des gardes qui empêchaient les
paysans et les petites gens d aller à la messe en son
hôtel, et qu'en particulier le baron Costa, de Cham-
béry, et des ecclésiastiques n'avaient pu passer; ces
précautions insultantes devaient cesser, ou son rap-
port partirait pour Versailles ! » Le Conseil tint ferme
et ordonna aux hôteliers « des grands logis » de ne
laisser sortir personne durant les prêches du matin,
sauf ceux qui voudraient faire leurs dévotions hors la
ville. La mesure eut plein succès, et l'auditoire fut
réduit à de minimes proportions. Le Résident déclara
au Conseil qu'il avait écrit au roi, et que Louis XIV
manifestait la plus violente colère contre Genève. Les
citoyens, instruits de ces circonstances, montrèrent
une irritation si violente, que les députes de Berne
et de Zurich prièrent les bourgeois d'être plus mo-
dérés en leurs discours, vis-à-vis de la couronne de
France, et de ne pas « s'évaporer » à l'occasion de
ces affaires. Les pasteurs parlèrent dans le même sens
au peuple, et visitèrent les dizaines pour combattre
« la mauvaise volonté à l'égard de la puissance voi-
550
sine. » Une dépulalion, composée de Michel Trem-
bley et Ami Le Fort, partit pour Paris. On laissa
ignorer aux citoyens que le roi exigeait des excuses,
voulant bien, à ce prix, oublier la conduite des Ge-
nevois. Les députés se proposèrent de pacifier le dif-
férend sans subir cette humiliation qui eût amené une
révolution dans leur patrie. Ils surent si bien se con-
cilier la bonne volonté des ministres, que le roi se
contenta d'un discours où Ton exprimait le regret et
le chagrin des événements récents. Louis XIV reçut
à merveille la députation, et M. de Croissy lui accorda
toutes ses demandes, y compris celle de continuer à
placer des gardes auprès de la chapelle.
Genève fut dans la joie , et dès-lors les résidents aban-
donnèrent leurs projets de propagande; la foule des
assistants diminua graduellement, et vers la fin du
siècle, c'est à peine si quarante ou soixante personnes
fréquentaient la chapelle française.
Ainsi, l'opiniâtreté des protestants genevois dé-
joua les plans ultramontains de Louis XIV, et il fallut
renoncer à faire la recouverte de Genève au moyen
du prosélytisme. Mais la paix ne devait pas être de
longue durée. Les intrigues ayant échoué, les puis-
sances catholiques recoururent à la violence, et vou-
lurent détruire la Réformalion suisse par les ar-
mes des cantons catholiques. L'abbé de Saint-Gall
commença cette croisade fratricide ; il persécuta
537
cruellement le» réformés du Toggeubourg. Ouverle-
rnenl protégés par le nonce du pape, largement sub-
ventionnés par la cour de France, les cantons catho-
liques attaquèrent les cités évangéliques. Berne et Zu-
rich prirent les armes; Vaud et Genève envoyèrent
des bataillons. On se battit pendant deux jours près
de Vilmergen en Argovie. La victoire demeura aux
réformés. Les chefs bernois déclarèrent loyalement
qu'une bonne partie de l'honneur de la journée re-
venait aux soldats romands, dirigés par le général de
Sacconex. Une paix fut conclue, et la Suisse retrouva
la tranquillité et l'union. Des guerres fratricides n'en-
sanglantent nos vallées que sous une impulsion et des
intrigues étrangères. On célébra, par une fête solen-
nelle, cette pacification de la Suisse. Voici la procla-
mation du 25 avril 1712 (Reg. Gomp.) : « Comme
il a plu à Dieu de bénir a tel point les moyens doux
et forts employés pour le rétablissement de la tran-
quillité dans notre chère patrie, les louables cantons
ont résolu de fixer un jeûne de prières et. d'ac-
tions de grâces, le 25 août prochain... » — A ces
paroles des confédérés, les magistrats genevois ajou-
tèrent: « On parlera dans les sermons, d'une manière
modérée, des batailles, sans faire trophée des victoi-
res, et l'on remerciera Dieu de la paix qui s'en est
suivie. »
Ferveur dans les temples, silence dan^ les rues,
m. 22
338
tel fui 1 esprit de la fêle célébrée pour cette victoire
qui donna cent quarante années de paix religieuse à
la Suisse.
Toutefois, si la Suisse élait pacifiée à l'intérieur,
l'orage grondait toujours au dehors. On avait trouvé
dans les archives du couvenl de Saint-Gall un plan
d'alliance perpétuelle entre les cantons catholiques et
les puissances étrangères, des bulles de papes pres-
crivant à tout prix d'exterminer en Suisse la religion
réformée (Reg* Cous. 20 septembre 4 742), et Ton
pensait avec raison que les souverains alliés de Rome
n'abandonneraient pas facilement ce projet. 11 fut effec-
tivement repris en 4 74 5 (Mémoires Guainier).
Un conciliabule secret se tint à Soleure au printemps
de 4 715. Les délégués des princes ultramontains,
unis aux mandataires des cantons catholiques, arrê-
tèrent un plan qui paraissait infaillible. Les troupes
de Bavière devaient traverser le Rhin ; le roi de Sar-
daigne investirait Genève , Louis XIV occuperait le
pays de Vaud ; les Valaisans et les cantons allemands
se jetteraient sur Berne et Zurich ; le pape et F Espagne
enverraient des troupes par les Grisons. Ainsi étaient
occupés les loisirs donnés par la paix d'Utrecht. La
ruine de Sa religion réformée en Suisse paraissait
assurée lorsque se manifesta cette intervention pro-
videntielle qui, si souvent, a préservé notre patrie
d'une ruine imminente... Louis XIV mourut; les
339
préoccupations de la régence firent oublier les projets
de la conférence de Soleure, el la Suisse évangélique
put jouir en paix de ses institutions religieuses.
Non-seulement Genève défendait au prix des plus
douloureux sacrifices sa liberté religieuse, mais elle
entretenait une active controverse avec l'Église ro-
maine. Les traités, les brochures, les gros volumes
employés à discuter les dogmes contestés formeraient
une bibliothèque considérable. Les presses genevoises
fournirent abondamment l'Europe française « des ar-
mes spirituelles » destinées à la défense de la foi chré-
tienne réformée.
Si les passions théologiques, l'ironie, les paroles
amères, défigurent trop souvent les ouvrages des deux
partis, nous voyons plusieurs écrivains s'élever au-
dessus de l'esprit du temps el honorer leur cause par
une inaltérable dignité. LesPiclel, les Tronchin el les
Turretin, tiennent le rang le plus honorable parmi
ces controversistes chrétiens du dix-septième siècle.
Le mouvement religieux qui poussait les esprits
vers la réforme au seizième siècle s'était considéra-
blement ralenti dans l'âge suivant. Les conversions
s'opéraient dès-lors, non plus par te soulèvement des
masses, mais par la détermination des individus; aussi
vo) ait-on fréquemment arriver à Genève des per-
sonnes entraînées par les raisonnements ou l'exem-
340
pie de leurs amis, et même des prêtres, des moines,
ébranlés par la lecture des traités de controverse.
Ces transfuges du camp romain s'adressaient aux
pasteurs, aux membres du Consistoire, et se mon-
traient fort surpris de la rigueur extrême qu'on met-
tait à rechercher leur conduite passée, et à con-
naître les motifs de leur changement de religion. Un
grand nombre s'éloignaient après une première en-
trevue, et ceux qui persistaient n'étaient admis à l'ab-
juration qu'après des épreuves sévères et prolongées.
Pendant le dix-septième siècle, plusieurs centaines de
prosélytes furent reçus par le Consistoire de Genève.
Un fait qui honore l'humanité, c'est que les années
où les demandes d'abjuration se trouvèrent les plus
nombreuses, turent précisément celles où le fanatisme
français et italien sévissait avec le plus de violence
contre les protestants. Durant ces tristes périodes, les
prêtres et les moines affluèrent à Genève pour s'ins-
truire dans la religion protestante. De 1660 à 1680
on reçut quatre-vingt trois religieux dans notre Église.
Ce mouvement se ralentit lors de la conflagration gé-
nérale allumée par la révocation de l'édil de Nantes.
Il reprit avec une nouvelle intensité vers la fin du
siècle. Les années 1697 et 1698 offrent vingt-six
noms de religieux admis dans la communion réfor-
mée. Et cependant, les pasteurs genevois ne pou-
vaient être accusés de faiblesse ou d'incurie à l'égard
des prosélytes étrangers. Nos registres sont parsemés
de ces rudes interrogatoires qui se terminent pas le
renvoi du candidat avec un léger secours pécuniaire,
pour hâter son éloignemenl. En voici quelques exem-
ples pris au hasard.
4 8 septemhre 4 668. « Est comparu devant la com-
mission des prosélytes Charles de Cosantin, augustin
d'Orléans. Ayant pris congé avec trois autres frères,
dont deux prédicateurs, pour aller au devant du gé-
néral, il est venu à tous la pensée de changer de re-
ligion, reconnaissant que rÉglise romaine est pleine
d'abus. Jacques le Riche, Louis Binet, Joseph Clairon,
confirment ce récit ; ils ont eu tel dessein, quoiqu ils
n'aient pas lu les Saintes Écritures, ni les livres de
nos docteurs. Ils se plaignent de la confession auri-
culaire, dont le secret n'est pas tenu, et des confes-
seurs sujets à être corrompus. Advisé, vu leur igno-
rance, de les renvover avec une forte exhortation à
s'instruire et à continuer en une telle résolution, si
véritablement ils l'ont eue, et leur donner un caté-
chisme de Dumoulin. »
4 e' février 4 670. Le sieur François de Coligni,
fils de d'Andelot, et Antoine Vidué, chevalier de
Bois-Kedon. tous deux capucins, arrivent recomman-
dés par les frères des Cévennes. Après bonne inter-
rogation, étant reconnus sincères dans la foi, vu les
sacrifices qu'ils ont faits pour icelle, on les héberge
3*1
et on leur donne quatre écus blancs pour continuer
leur voyage à Berne; il est trop dangereux pour eux
qu'ils restent si près de la frontière.
Dans d'autres circonstances, des scènes d'une co-
mique naïveté révélaient le matérialisme des préten-
dus amis de la vérité évangélique. Un Italien se pré-
senie chez M. Mnssard « per barraltar. » — Mais quel
motif vous engage à changer de religion ? — Monsieur,
c'est l'amour. — Est-ce l'amour divin ou l'amour hu-
main? — Oh ! Monsieur, c'est un peu de l'un, un peu
de l'autre.
Les tentatives de conversion prirent une allure plus
prononcée durant la lutte avec les résidents de France.
Depuis vingt années environ, les citoyens genevois,
préoccupés de soulager leurs frères persécutés par
Louis XIV, mettaient peu d'intérêt aux discussions
religieuses; les pasteurs seuls dirigeaient l'instruction
des prosélytes. Mais en 1680, lorsque l'établissement
de la messe eut excité les esprits, et que de nombreux
ecclésiastiques vêtus en laïques vinrent provoquer
des entretiens sur la religion dans les boutiques et au
sein des familles, les pasteurs revinrent aux anciens
usages. On prit les précautions les plus minutieuses
contre les tentatives catholiques, et voici le réseau
d'instructions dont on enveloppa le peuple genevois
(Reg. Comp. 9 avril 1680, 9 janvier 1685):
« Les pasteurs, chacun dans leurs dizaines, réuniront
345
» tantôt les pères de famille, tantôt les mères, pour
» les instruire selon leur portée. Ils interrogeront les
«enfants, mettant à part les plus faibles, afin de
» soigner leurs connaissances touchant l'Eglise Ro-
» maine.
« Chaque semaine, comme c elait pratiqué autre-
» fois, un professeur de théologie fera une action de
» controverse au temple, le tout sans invective, avec
» toute la prudence requise.
» On enseignera l'abrégé des controverses de Dre-
» lincourt dans le collège et par la ville; le calé-
» chisine de Dumoulin sera employé pour les plus
» avancés.
» Le jeudi et le dimanche malin on prêchera fa-
» milièrement au peuple, comme cela se faisait au-
» trefois pour l'instruire de la grande incompatibilité
» qu'il y a entre Rome et l'Évangile. »
Enfin, chaque jeudi on faisait un sermon de contro-
verse, d'après une table raisonnée. Mous la transcrivons
aux Pièces justificatives comme modèle d'un travail bi-
blique sérieux et complet sur ces difficiles matières.
Ce mouvement, provoqué par les tentatives de
Louis XIV pour rétablir la religion romaine à Genève,
se soutint pendant le dix-huitième siècle. On répondit
aux attaques des résidents et de leur clergé par la
création d'un corps spécial, qui, jusqu'en 1708, fut
chargé de s'occuper activement du prosélytisme. Une
344
commission du Consistoire instruisait les transfuges de
Rome. En 1708, M. Guillaume Franconis, le citoyen
aussi vénéré pour sa bienfaisance que pour son zèle
religieux, le chrétien qui mérita celle oraison funèbre
des pauvres: « Il donnait à lui seul autant que lous
les autres, » M. Franconis proposa de créer une cham-
bre des prosélytes, qui s'occuperait activement de l'ins-
truction, de la surveillance et des travaux à fournir aux
transfuges de Rome. Cette fondation fut autorisée par
le Conseil, le 9 janvier 1708. M. Franconis donna
A 0,000 écus; iM. de Gy 4 000. Cet exemple fut suivi,
et bientôt le fonds capital de celte société s'éleva à
200,000 florins. Le but de la Chambre des prosé-
lytes se trouve indiqué dans ses règlements constitu-
tifs de la manière suivante : « On paiera des minis-
tres pour instruire régulièrement les prosélytes, les
pasteurs étant déjà trop occupés pour accepter cet
office. On donnera le nécessaire à ceux des nouveaux
convertis qui voudront continuer leur voyage. Les
gens qui préféreront demeurer en ville seront aidés
avec discernement dans leurs travaux ; mais on se
montrera impitoyable envers les fainéants. On exa-
minera soigneusement les motifs des postulants, et
l'on renverra, au plus vile, les gens entachés de vices,
de crasse ignorance, ou seulement soupçonnés de
motifs intéressés. »
Celte Société travailla avec une prudence ciné-
3*5
tienne, mêlée de zèle, durant le dix-huitième siècle;
el lors de la réunion de Genève à la France, sa mission
ne pouvant plus s'exercer, elle consacra ses fonds
(200,000 florins) à aider à l'entretien du culte pro-
testant. En étudiant ses registres, on est frappé de
la variété des motifs qui déterminaient les prosélytes
au dix-huitième siècle. Un assez grand nombre de
religieux quittaient leurs couvents, poussés par l'a-
mour de la liberté individuelle. Ces* moines volages»
sont en général priés de continuer leur route. Quel-
ques prêtres employés sur les galères ou auprès des
prolestants captifs furent entraînés par l'exemple de
ces confesseurs de la foi évangélique. Enfin, les né-
gociants intimement liés avec des industriels genevois,
se sentaient attirés par ce mélange de principes reli-
gieux et d'indépendance de conscience qui étaient
la base du caractère de nos compatriotes, et que
ceux-ci manifestaient dans les carrières actives où
ils faisaient honorer le nom de leur patrie à l'étranger.
En général, durant le dix-huitième siècle, le pro-
sélytisme revêtit des formes polies et chrétiennes, et
les deux communions usaient entre elles de bons pro-
cédés. Dans les mauvais jours, les collectes à la suite
d'incendies et d'inondations étaient très-fructueuses à
Genève; les religieux, dont les couvents avaient été
détruits par le feu. savaient qu'ils recevraient une
large subvention, et lorsque des traits de fraternité
346
chrétienne se manifestaient chez des catholiques, le
gouvernement en conservait soigneusement le souve-
nir. Nous sommes heureux de tirer de V oubli l'évan-
gélique procédé d'un curé de Cabrières. Le révérend
Samel écrit , le 24 mars 4 755 : « Messieurs, mou
église est composée de quatre à cinq cents paroissiens,
dont il n") a que dix-neuf catholiques originaires; le
revenu est très-modique ; les protestants jouissent d'une
paix profonde ; la récolte ayant manqué, tous sont très-
misérables; je suis obligé de procurer, par semaine,
trois ou quatre livres de pain à deux cents pe; sonnes.
J'ai autant de tendresse pour les protestants de la
paroisse que pour les enfants de la maison, et autant
de sollicitude à procurer du secours aux uns et aux
autres. Je prie le Conseil genevois de m'envoyer quel-
que secours par la voie de M. Zollicol'fre, de Marseille,
et de garder le secret, à cause des conséquences.
M. Maurice ayant reconnu que tout était vrai dans la
lettre de M. Sarnet, recueillit iOOO livres courantes
(jui furent expédiées à Cabrières.
Vers la fin du siècle, ces actes de charité envers
les catholiques devinrent des assistances régulières.
Lorsque les protestants de France purent rentrer dans
leur patrie, la mission de la Bourse française se
trouva considérablement réduite; les administrateurs
reportèrent leur charité sur les catholiques pauvres
qui se trouvaient à Genève. Dans l'espace de douze
547
années, de 1765 à 1777, on dépensa 17,800 flo-
rins pour secourir 505 catholiques (Reg. Comp.
4 5 août, 26 décembre 1777), et l'on décida de pren-
dre soin régulièrement de tous ceux qui tomberaient
malades et se trouveraient sans appui sur le territoire
de la République.'
Celte charité genevoise s'exerça d'une manière
sérieusement évangélique durant les mauvais jours
de la Révolution. Cent ans après les violences despo-
tiques de Louis XIV et les déporlements fanatiques de
son clergé à l'égard des protestants inoflensifs, les
passions sanguinaires qui animaient l'épiscopal et la
royauté passèrent dans les comités terroristes; les prê-
tres français furent balayés par la persécution révolu-
tionnaire. Genève, fidèle à celle hospitalité chrétienne
qui accueille les proscrits sans s'informer de la couleur
de leur drapeau, Genève ouvrit ses bras aux prêtres
décimés par les anarchistes de la Convention. Le
24 septembre 1792 (Reg. Cons. ), plusieurs citoyens
et quelques-uns des speclables pasteurs prièrent le
Conseil de prendre des mesures pour secourir le grand
nombre de prêtres étrangers qui abordaient la ville.
« Ou conciliera les devoirs de la charité avec la sû-
reté de l'État. » Plus de cinquante de ces infortunés
sans ressources furent nourris, logés en secret par les
soins des pasteurs. MM. Picot et Chenevière se dis-
tinguèrent dans cette bonne œuvre. La charité des
Genevois (jui fournissaient les fonds nécessaires, les
subventions de la Bourse française et de la Bourse i ta -
lienne, étaient d'autant plus méritoires que la ruine et
la misère planaient sur Genève. A la suite de la dé
cision des Conseils qui autorisait le séjour et l'entre-
tien des prêtres exilés, nous voyons s'organiser une
collecte « pour subvenir aux nécessités d'une foule de
Genevois qui sont sans ouvrage. » De grands person-
nages français participèrent à la bienveillance de nos
pères. Un vicaire-général vécut trois ans, soutenu par
les sacrifices des pasteurs. M. de Talleyrand dut la
vie à la courageuse hospitalité des Genevois; il de-
meura longtemps dans une petite chambre de la som-
bre rue Traversière. Grâce à la généreuse fermeté
des autorités, il échappa aux actives recherches des
agents français. MM. Picot et Chencvière adoucirent,
autant que possible, sa situation; mais la modicité
forcée du gite affaiblit probablement les sentiments
de gratitude du futur diplomate. Au congrès de
Vienne, il se montra d'une ténacité révoltante pour
faire échouer les efforts des Genevois qui travaillaient
à reconquérir leur indépendance nationale.
Les intrigues des résidents français pour établir
le catholicisme à Genève avaient échoué un siècle au-
paravant.
Le culte romain demeura célébré, à intervalles
irréguliers, dans des locaux particuliers, pendant le
549
cours du dix-huitième siècle. En 1778, un recense-
ment de la population genevoise montra que sur
24,000 protestants il existait 353 ouvriers ou do-
mestiques catholiques, parmi lesquels se trouvaient
quarante-quatre ménages.
Lorsque Genève fut réunie à la France et que le
concordat eut rétabli, sur toute la surface de l'em-
pire, les églises catholiques et les temples réformés,
le préfet de notre ville demanda l'usage d'une église
pour le culte romain. La Société Economique opposa
mille objections à cette requête; puis, forcée dans ses
derniers retranchements, elle proposa l'Auditoire. La
proximité de la cathédrale protestante fit repousser
ce projet. Le curé, M. Lacoste, elle préfet, demandè-
rent Saint-Germain, qui fut cédé le 26 décembre
4 803, pour trois années, comme paroisse catholique
de Saint-Germain, à Genève (acte de Richard , no-
taire). Il ne faut pas voir dans ces résistances des
Genevois un acte d'intolérance; ils venaient de prou-
ver l'étendue de leurs sympathies à l'égard des prê-
tres victimes de la persécution. Mais ils voyaient dans
la conduite du clergé catholique l'origine d'une série
d'intrigues ourdies pour la ruine du protestantisme à
Genève. Le premier acte officiel de M. Lacoste en fut
la preuve. Le gouvernement lui demanda d'indiquer
le nombre des catholiques résidant à Genève. Ils
étaient 600; le curé en déclara 14 00, présentant
350
comme gens établis les paysans envoyés des paroisses
du voisinage pour rendre trop étroit, en l'encom-
brant, le local affecté au culte.
L'évêque de Chambéry ne tenait pas particuliè-
rement à conserver le temple de Saint-Germain; car,
dans une lettre de juillet 18041, il s'engageait for-
mellement, pour lui et ses successeurs, à rendre ce
temple au maire de Genève, lorsque le gouverne-
ment français aurait fait construire à Genève une
église catholique.
Le culte romain fut célébré, pour la première fois,
dans le nouveau temple, le 3 octobre 1803. Le
clergé déploya beaucoup de pompe pour l'inaugura-
tion de la messe, et les mots provocateurs ne furent
pas épargnés dans les sermons prononcés à cette
occasion .
Le curé Lacoste ne lit pas un long séjour à Genève :
il fut remplacé, le 2 mars 4 806, par M. Vuarin.
Le fanatisme persévérant et les froides violences de
ce prêtre laisseront un long et pénible souvenir dans
l'histoire du dix-neuvième siècle de Genève. Il re-
doutait par-dessus tout un esprit de fusion qui se
manifestait peu à peu entre les citoyens des deux
cultes, et les excellents procédés du maire, M. Mau-
rice, du préfet, M. de Baranle, lui étaient spéciale-
1. L'évêque d'Anoecv à M. Pictet-Diodati, membre du Corps légis-
latif
35t
ment, odieux. Enfin, il regardait comme une véritable
infidélité dogmatique la fraternité qui régnait entre
les pasteurs et les curés des campagnes du Léman.
En effet, ces vénérables serviteurs du Christ, froissés
par les tempêtes révolutionnaires, entretenaient entre
eux îles relations pleines d'une franche amitié. Les
difficultés confessionnelles étaient aplanies sans efforts,
et les populations catholiques et protestantes témoi-
gnaient un égal respect aux minisires des deux cultes.
Dans la ville de Genève, cet esprit largement chré-
tien se manifestait par l'abondance des aumônes
distribuées aux catholiques; Une prudence pleine de
tolérance inspirait le clergé prolestant. Les pasteurs
prirent rengagement mutuel de s'abstenir de toute
controverse, dans les chaires, et de faire des efforts
unanimes pour entretenir la bonne harmonie entre
les deux cultes (Reg. Consisl. 2 janvier 4 802). Un
peu plus lard, le 22 juillet 4 808, la Compagnie
donna une preuve bien remarquable de ses sentiments
chrétiens vis-à-vis de ses concitoyens catholiques. On
jouait au théâtre une pièce où le culte romain était
indignement travesti ; les pasteurs firent des démar-
ches auprès des autorités, et obtinrent la cessation de
ce scandale.
Cet esprit de tolérance s'alliait chez les pasteurs à
Une vigilance sévère touchant les empiétements du
clergé. Les prêtres déployaient un luxe inusité dans
35*
l'église de Saint -Germain : décorations, musique,
chanteurs, tout était prodigué pour captiver la foule.
Ces cérémonies, nouvelles pour le pays, attiraient un
grand nombre de Genevois. M. Ami Martin lit insérer
un blâme énergique sur cette légèreté d'esprit, dans
la proclamation du Jeûne de 1804 : « Que la pompe
d'un culte étranger n'excite point chez vous une cu-
riosité indiscrète; dites-vous au contraire que c'est le
cas plus que jamais de vous montrer attachés au culte
(jue nous ont transmis nos pères et que nous profes-
sons par la grâce de Dieu. Remplissez les parvis de
nos temples, et que, par cette conduite digne de vous,
l'œuvre du Seigneur s'avance dans notre ville. »
A peine M. Vuarin fut-il installé à Saint-Germain,
qu'il voulut obtenir du gouvernement français les
institutions que le catholicisme possède dans les \illes
où il règne sans partage. Il sollicita l'autorisation de
faire des processions dans les rues; il voulut établir
les écoles des Ignoranlins; il porta même ses vues
sur l'Académie, et demanda la création de chaires
catholiques; mais Genève avait le bonheur de possé-
der à Paris, dans les hauts emplois, des citoyens aussi
distingués par leur mérite que par leur désintéresse-
ment: c'étaient MM. Pictel Diodaii , Marc -Auguste
Pictet, Le Fort, membres du tribunal et du corps
législatif, et M. Meslrezat, pasteur de l'Église de Paris.
Ces excellents Genevois ne demandaient aucune fa-
353
veur pour eux-mêmes ou pour leur famille, et dans
ces années où le népotisme atteignait les dernières
limites de l'indiscrétion à la cour impériale, ces dignes
citoyens employèrent tout leur crédit à conserver ce
qui restait des institutions républicaines de leur patrie.
M. Vuarin voulait conduire de pompeuses processions
au travers des rues de Genève; il rêvait des reposoirs
et des chapelles à Bel-Air, au Molard et sur la Treille.
M. Portalis, ministre des cultes, ne voyait aucun in-
convénient à la chose ; mais MM. Pictet employèrent si
bien leur crédit, que le 29 juillet 1806 M. Vuarin
reçut l'avis formel que le Conseil d'État impérial ne
permettait les cérémonies religieuses publiques que
dans les villes où elles avaient toujours été en usage 1 .
Un maître d'école catholique instruisait les enfants
de cette communion; M. Vuarin voulut avoir les Frè-
res de la Doctrine chrétienne. Voici sa lettre à M. de
Portalis : « Le paisible exercice du culte catholique
» dans celte cité, le calme de la raison, les rapports
» de bonne intelligence qui unissent les pasteurs et
» les fidèles des deux cultes doivent suffire pour éloi-
» gner jusqu'à l'ombre d'un soupçon ou de motifs
r> d'inquiétude que quelques esprits pourraient avoir
» d'un établissement de ce genre. »
M. Fontanes, grand-maître de l'Université, com-
1. Voir, pour cette période, les pièces des Archives de Genève, de
1802 à 1814.
tH. 23
354
muniqua celle demande à M. Peschier-Fontanes, son
parent, pasteur de Cologny. Le maire, M. Maurice,
et le préfet, renseignés par M. Peschier et par M. Bois-
sier, recteur de l' Académie, firent une réponse peu
en accord avec la fausse mansuétude de répitre de
M. Vuarin. « 11 existe à Genève un instituteur ca-
tholique, payé 1200 francs, et tout-à-fait suffi-
» sant pour les besoins de la communaulé romai-
» ne. Nous voyons avec peine qu'on ait importuné
» Voire Excellence pour une mesure qui ne pourrait
» pas être exécutée sans de graves inconvénients ,
» parce qu'elle éprouverait une invincible opposition
» de la part du peuple et des autorités locales. M. le
» Curé a montré autant de précipitation que d'impru-
» dence en faisant ces démarches sans me consulter.
» Je suis loin d'accuser l'intenlion de cet ecclésiastique
» que j'ai souvent soutenu contre les préventions el
> même l'animosité des Genevois; mais il se laisse
» souvent diriger par un zèle ardent, irréfléchi, qui
» deviendrait bientôt une pomme de discorde, si jt
» n'y portais remède. »
Les Ignorantins furent refusés.
Cinq ans plus lard, M. Vuarin portait ses vues sui
l'Académie genevoise, et ourdissait avec une ardent*
catholique, Mme de L¥¥\ une Irame qui rappelle le
plus tristes procédés du fanatisme.
Au mois de septembre 1814, M. Marc-August<
555
Pictet1 écritàM. Piclet-Diodati, alors à Genève, pour
lui mander une grave nouvelle. Le grand-maître de l'U-
niversité lui a confié que l'Empereur est furieux contre
l'Académie de Genève. Une dame catholique a dé-
noncé un imprudent professeur qui n'a pas assisté au
Te Deum universitaire pour la naissance du roi de
Rome. On ajoute, dans cette dénonciation, que
l'Académie genevoise est animée de sentiments répu-
blicains, et les intrigues ullramontaines ont si bien
réussi, que l'Empereur ordonne que le professeur en
question soit cassé. En outre, les fonds de l'Académie
seront versés dans la caisse universitaire de France,
et désormais la moitié des professeurs appartiendront
à la religion catholique. MM. Pictet « parèrent ce
coup » en obtenant de M. Fontanes l'ajournement de
l'application de cette mesure. Des semaines se pas-
sèrent, et l'Empereur, préoccupé de ses plans gigan-
tesques, perdit bientôt de vue les intrigues catholi-
ques de Genève.
En 184 4-, M. Vuarin profila du retour des Bour-
bons pour compromettre de nouveau les protestants
genevois vis-à-vis de la France. Le Journal des Débais
du 25 juin 4 81 i contient de lui une lettre calom-
nieuse où il représente le nouveau gouvernement de
Genève comme étant prêt à enlever le temple de Saint-
1. Correspondance de M. Piclel Diodali, communiquée par M. Pictet
de Sergy, son (ils.
356
Germain au culte catholique, malgré la volonté de
4-000 citoyens.
« Jamais, écrit à ce sujet M. le pasteur et professeur
Picot à M. Piclet-Diodali, aucun de nous n'a pensé
à la suppression impolitique, et surtout intolérante du
culte catholique. Au contraire, les nécessités de la
guerre ayant occasionné quelques dégâts au cimetière
romain, la ville s'est empressée de les réparer. Croyez
que si notre population est accrue par une addition
de territoire, nous vivrons en frères avec les curés de
la partie de la Savoie qui nous sera annexée; nous
augmenterons leurs chélifs salaires; nous leur ferons
bon accueil; nous fraterniserons avec eux ; aussi plu-
sieurs d'entre eux désirent ardemment de nous être
réunis. C'est bien de mauvais procédés, de haines,
qu'il s'agit dans ce siècle éclairé, et dans le moment
où nous sommes! Que l'Eglise de Rome ait seulement
les mêmes sentiments de charité que nous , et tout
ira bien. Pour vous, bon représentant de notre pa-
trie, employez le temps qui vous reste à la défendre
contre la calomnie, et à intéresser en sa faveur le nou-
veau souverain français.
Les vœux des Genevois tolérants ne furent pas
accomplis. Lorsque les vieux curés, qui regardaient
les pasteurs comme des amis et des frères, eurent,
l'un après l'autre, disparu de ce monde, ils furent
remplacés par déjeunes prêtres froidement fanatiques,
357
et depuis irenle-cinq ans, sur la terre genevoise, on
enseigne aux enfants catholiques, dans les écoles, à
regarder les jeunes protestants comme des étrangers
et des adversaires. Lorsque l'incendie et des fléaux
naturels ont désolé des villages catholiques, on a re-
présenté les secours des réformés comme un subside
qu'ils sont trop heureux de payer aux élus, pour évi-
ter, si possible, les feux de l'enfer. Le dogme de la
damnation des protestants a été constamment prêché
dans nos villages. Notre histoire s'est trouvée misé-
rablement travestie dans les chaires catholiques. Sous
cette influence ultramontaine permanente, les deux
fractions de la population genevoise ont vécu dans
l'isolement, et parfois même dans un antagonisme
latent. C'est ainsi que le mauvais vouloir de quelques
prêtres a trompé l'espoir des hommes de 1815, qui
pensaient pouvoir, sous le règne de la plus entière
liberté, faire fleurir l'union et la paix entre les deux
cultes.
358
CHAPITRE XI.
LA CITÉ OU KEFUGE
La Bourse française. — Tableau de la Révocation par un historien
catholique.— Fuite et arrivée des réfugiés. — Hospitalité genevoise.
— Les galériens protestants. — Dangers courus par Genève. — Ser-
vices rendus par les pasteurs genevois aux prolestants du désert. —
Mission de Voltaire. — Influence des Genevois sur le défenseur des
Calas. — Moultou et Voltaire. — Jacob Vernes et M alestaerbes. —
Les protestants français sous l'Empire. - Rôle des pasteurs genevois
au sacre de Napoléon. — L'Académie genevoise et les Eglises fran-
çaises.
On peut connaître exactement les époques où les
persécutions s'exercèrent avec le plus de violence
contre les protestants français, en consultant les vieux
registres des associations genevoises, chargées de se-
courir les réfugiés évangéïiques. Les sommes consi-
dérables correspondent régulièrement au temps où le
fanatisme ultramonlain se déchaînait sur la terre de
France. C'est que les victimes trouvaient à Genève
un asile et des secours.
Au seizième siècle, sous François 1er et Henri II,
539
Genève donna asile à 10.653 réfugiés, dont 1500
environ se fixèrent dans se? murs. A la saint Barthé-
lémy, 2560 familles arrivèrent en notre ville; 4 638
s'y établirent définitivement. Ces émigrations succes-
sives nécessitèrent la création d'une administration
spécialement chargée de secourir les proscrits fran-
çais.
Voici l'origine de cette fondation, nommée Bourse
française 1 . « Les persécutions qu'on faisait en France,
dans le siècle de la bienheureuse Réformation, ont
obligé un grand nombre de fidèles de se réfugier en
cette ville, qui était peu en état de les soutenir. En
4 54.5, David de Busanlon donna une somme consi-
dérable pour soutenir ses malheureux compatriotes.
i\l . de Bèze, qui faisait des voyages fréquents en France,
tantôt appelé par les princes du sang, tantôt pour la
consolation de nos frères, reçut de diverses personnes
des subsides pour secourir les Français pauvres qui
étaient ici ou ceux qui y viendraient. Plusieurs aussi
qui avaient apporté du bien dans celte ville, grossi-
rent celle somme par leurs charités. On envoyait en-
core, de temps en temps, de l'argent de France.
M. de Bèze en fut lui seul administrateur pendant
quelque temps; mais ses longues occupations, ses voya-
ges fréquents et son grand âge, l'obligèrent à prier
1. Reg. Comp. 2(5 janvier 1722. Mémoire de Bénédict Piolet sur
l'origine et les développements de la Bourse française.
360
la Compagnie des Pasteurs de lui substituer quelqu'un
de leur corps pour présider celle administration, avec
quelques diacres de la nation française. La Compa-
gnie fit ce que souhaitait M. de Béze, et lui donna
des successeurs qui se relayaient de six mois en six
mois. »
En 1640 le fonds capital de cette bourse montait
à 60,172 florins, et ses dépenses annuelles atteignaient
environ 8000 florins; les souscriptions particulières
des Genevois subvenaient à l'insuffisance de ces res-
sources. Cette situation financière subit peu de varia-
tions jusqu'aux années des grandes misères de la Ré-
vocation, où les sacrifices des Genevois dépassèrent
toutes les prévisions humaines.
La description des épreuves de nos ancêtres sur la
terre de France, après l'abolition de l'édit de Henri IV ,
n'entre point dans le plan de cet ouvrage; mais les
auteurs réformés étant accusés d'exagération dans le
récit des violences des ministres de Louis XIV, nous
emprunterons la citation suivante à un auteur catho-
lique, le prince Albert de Broglie, dont les nobles
sentiments et l'autorité scientifique sont universelle-
ment reconnus.
« Tout d'un coup, en pleine paix, on vit une opé-
ration d'un genre inouï, qui n'avait pour excuse ni
l'appareil de la justice, ni les emportements de la
guerre : ce fut une sorte de chasse humaine, une par-
361
tie de plaisir exécutée par les soldats et les intendants
contre les populations réformées de la France. La
population elle-même se mit à la poursuite des famil-
les sans défense; on fil un tarif des consciences d'hom-
mes comme des têtes d'animaux.
» On vit, dans un pays qui se vantait de mœurs po-
lies et brillantes , on vit des maisons tout d'un coup mi-
ses au pillage; des femmes errantes dans les champs,
saisies au fond des bois des douleurs de l'enfantement;
des bandes de prisonniers traînés, la corde au cou,
d'un bout du royaume à l'autre; de vieux mili-
taires accouplés à des assassins sur les galères. — On
obtint un grand nombre de conversions par l'envoi
des dragons dans les familles protestantes. Il y en eut
beaucoup qui fléchirent devant les tourments; mais
qui les en blâmerait? — N'a-l-on pas infligé aux pro-
testants une torture qui fait tressaillir l'impassible
fermeté du sauvage. . . On leur a enlevé leurs enfants. . .
Oui, on a arraché du sein de la mère ces objets
faibles et précieux qui tiennent à tout notre être par
les liens précieux de l'amour et du devoir. — On a
renfermé les enfants dans les couvents, on leur a en-
seigné à maudire leurs pères. — Ah ! quand je lis
dans l'histoire que nos adversaires protestants ont
failli devant cet effroyable déchirement de toutes les
fibres du cœur dans la pleine liberté dont nous
jouissons, je prie Dieu d'épargner ces redoutables
3(i2
épreuves à la faible mesure de foi qu'il a daigné nous
accorder. »
Qui s'étonnerait de voir un grand nombre de fa-
milles vacillant dans leur foi ou contraintes par les
dragonnades, se convertir au catholicisme? D'autres
évitèrent la persécution en changeant de séjour et en
s'abslenant de toutes manifestations religieuses; mais
un grand nombre de réformés français sortirent du
royaume, et Ton vil, durant quarante années, des
individus et des familles déserter les villes et les cam-
pagnes, abandonner les fermes, les châteaux, les fa-
briques et les comptoirs, délaisser la pratique du droit,
le cabinet du médecin, le presbytère, la salle d'école
et les chaires académiques, pour aller sur la terre
étrangère adorer Dieu selon leur conscience.
Dès 4 085, cette émigration prit des proportions
si considérables que le souverain alarmé voulut la
faire cesser. Il défendit aux réformés la sortie de
France, sous peine de la prison et des galères.
Celte déplorable mesure, si elle peupla de protes-
tants les bagnes et les vaisseaux du roi, ne diminua
nullement les départs pour l'étranger; les cités in-
dustrieuses et les campagnes fertiles furent miséra-
blement abandonnées par beaucoup de réformés. On
a souvent redit, pour atténuer la gravité de ce désas-
tre, que le Refuge se composa surtout d'hommes
appartenant aux classes ouvrières qui, n'ayant rien à
perdre, transportaient avec eux leur modeste indus-
trie et quittaient sans regrets la France dont ils fran-
chissaient facilement les frontières. Les gens qui vivent
au jour le jour des fruits de leur travail, étant plus
nombreux que les personnes aisées, fournirent sans
doute un large contingent aux émigrations du dix-
septième siècle. Mais il ne faut pas exagérer leur
importance en grossissant leur nombre. La noblesse
secondaire, les grands industriels, les agriculteurs,
les hommes de professions libérales remplissent les
listes des réfugiés, conservées en Allemagne, en Hol-
lande et en Suisse. Plus de la moitié de ceux qui
traversèrent la vallée du Léman étaient pourvus de
moyens pécuniaires; les colonies agricoles et les villes
que les émigrés fondèrent à l'étranger, trouvèrent
immédiatement en elles-mêmes les éléments de leur
prospérité. Chose impossible, si ces réfugiés avaient
été composés en majorité de gens dépourvus de res-
sources financières.
Un des caractères les plus frappants des proscrits
de la Révocation, fut leur soumission résignée. Du-
rant plus de vingt années ils s'abstiennent de toute
récrimination contre le souverain qui les frappait. Les
ministres, dans leurs sermons, les familles dans leur
culte intérieur, demandent à Dieu de le ramener à
des sentiments plus équitables; les gouvernements
qui leur donnent asile imitent celle modération. Dans
364
les lettres intimes du prince d'Orange et du roi de
Prusse, nous trouvons d'admirables paroles de com-
passion pour les misères des exilés; nulle part l'iro-
nie ou la colère contre Louis XIV. Les cantons hel-
vétiques suivent ce noble exemple. Si l'on étudie les
délibérations des conseils nationaux et des corps ec-
clésiastiques, partout se retrouve une touchante sym-
pathie pour eux, accompagnée d'une grande retenue
envers leur puissant persécuteur, et si parfois un
orateur s'emporte en ses discours, il est sévèrement
réprimandé et doit s'engager, pour l'avenir, à ne
prononcer que des paroles chrétiennes .
On pourrait croire que le principe de cette résigna-
tion fut un manque de force morale et de courage
personnel ; mais ils étaient doués de beaucoup d'éner-
gie ceux qui sacrifiaient ainsi leur position, leurs biens,
par attachement à leurs croyances religieuses, et il
leur fallait un grand courage pour affronter les souf-
frances de l'expatriation et les dangers du bagne,
lorsqu'une parole d'adhésion apparente au catholi-
cisme les aurait préservés de toute violence.
Il est vrai que celte résignation ne fut pas univer-
selle. Après vingt années de misères et de tortures,
les camisards se soulevèrent dans les Cévennes, et,
lorsqu'on réfléchit au déploiement de forces qui fut
nécessaire pour anéantir cette imperceptible minorité,
on peut calculer les périls auxquels Louis XIV aurait
565
exposé l'Etat, si, en 1685, cent cinquante mille pro-
testants en état de porter les armes se fussent révoltés
de La Rochelle à Lyon, et d'Orléans à Montpellier.
Les chefs n'auraient pas fait défaut; car si la haute
noblesse protestante était ralliée à la cour, les offi-
ciers chassés de leurs régiments pour cause de reli-
gion, se trouvaient assez nombreux pour organiser des
corps redoutables par leur force et leur désespoir.
Ce courage et cette résignation se manifestent sur-
tout durant les périls de la fuite vers les frontières.
Tous les passages sont soigneusement gardés, et sur
les routes s'échelonnent des patrouilles qui inspectent
rigoureusement les voyageurs. Dans les ouvrages sur
l'édit de Nantes et sa révocation, on a décrit admi-
rablement les souffrances des gens distingués qui fran-
chissaient une centaine de lieues déguisés en colpor-
teurs , les daines nobles portant le panier ou la bêche
des paysans, et les enfants dressés au rôle de men-
diants et de bohémiens.
On peut donner quelques détails nouveaux sur ces
misères volontairement subies en retraçant l'histoire
d'une famille qui semble résumer les souffrances de
toutes les autres. Cette famille part du centre de la
France ; après quelques étapes, les parents et les en-
fants sont saisis par une escouade de soldats et recon-
nus pour réformés. On les dirige vers la cité voisine,
atin d'attendre le passage d'une chaîne de galériens;
300
le soir, ils arrivent dans un village; on les lie à un
poteau sur la place et on les laisse exposés à une pluie
glaciale. La grâce et la réintégration dans leurs biens
leur sont offertes s'ils veulent abjurer. Un silence
obstiné accueille ces propositions. Bientôt les villa-
geois les chargent d'injures et couvrent de boue les
tristes captifs. La nuit s'approchait. Le père de fa-
mille s'adresse à sa compagne et lui dit : « Voici
l'heure du culte du soir; prions Dieu! Ils s'agenouil-
lent et redisent la courte prière des réfugiés : « Bon
Dieu ! qui vois les injures auxquelles nous sommes ex-
posés à toute heure, donne-nous de les supporter cha-
ritablement; affermis nos cœurs dans la profession
constante de la vérité, et conduis-nous dans les sen-
tiers du monde par les lumières de ton esprit. »
Puis ils chantent les premiers mots du psaume i 1 6,
dans le naïf langage de Clément Marot :
J'aime mon Dieu; car lorsque j'ai crié,
Je sais qu'il a ma clameur entendue;
Et, puisqu'il m'a son oreille tendue,
En mon dur temps par moi sera prié !
Les villageois écoutent immobiles cette prière et
cette douce plainte. Ils sont émus. Ils se rendent au-
près du chef des soldats, le supplient de leur permet-
tre d'offrir un abri à ces pauvres prisonniers On y
consent. Ils sont recueillis dans une maison; et le
lendemain les cordes et les liens se trouvaient brisés;
3G7
les protestants avaient disparu. Un paysan les con-
duisit au loin; ils purent gagner la frontière sans
autre accident
Si les proscrits rencontraient de grands périls du-
rant leurs voyages, Berne, Neuchâtel, Genève et les
cités riveraines des lacs romands, prenaient les plus
sérieuses mesures pour faciliter leur arrivée sur le
sol helvétique.
Dans les forêts du Jura français, au col de Sainl-
Cergues, au lac de Joux, les municipalités de Nyon,
de Rolle, de Morges et d'Yverdun, entretenaient des
bûcherons et des pâtres qui, « sous ombre des tra-
vaux de leur état, » surveillaient les sentiers et gui-
daient les voyageurs. Leurs excursions s'étendaient à
plusieurs lieues sur le territoire du royaume, et de
nos jours les plus hardis contrebandiers du Jura n'ont
jamais égalé les ruses et le courage des guides vau-
dois au temps du refuge.
Vers le midi delà vallée, près du fort de l'Écluse,
les paysans genevois accomplissaient une lâche ana-
logue. Les habitants des villages voisins du Rhône,
Chancy, Avully et Carligny, se distinguaient par leur
charitable intrépidité.
Aux pieds de leurs abruptes moraines se trouvaient
deux bacs solidement amarrés. Les guides condui-
1. Ce récil a été retrouvé dans des papiers appartenant à la famille
Hutier.
368
saut les réfugiés attendaient la nuit pour franchir les
derniers ravins du paysdeGex. A l'approche du grand
fleuve, des signaux prévenaient les Genevois; des
flambeaux, un instant allumés sur la rive suisse,
annonçaient le départ des embarcations. Bientôt le
courant impétueux était franchi , et les fugitifs, dé-
sormais en sûreté, entonnaient l'hymne d'action de
grâces sur la terre de la liberté de conscience.
Hélas ! tous les proscrits n'avaient pas des chances
aussi favorables. Plusieurs s'égaraient dans les forêts
de la Savoie ou dans les gorges du Jura, et ces fa-
milles arrivaient à Genève cruellement décimées.
Les registres de la Bourse française sont parsemés
de récits pareils énoncés avec une éloquente brièveté.
Ce sont des enfants trouvés à demi-morts de faim
dans les bois, une femme qui a vu son époux blessé,
tomber dans les sentiers de la montagne; des familles
tellement dénuées de vêtements, qu'elles attendent
l'obscurité pour frapper aux portes de Genève.
La grande émigration française du dix-septième
siècle commença en 1682; elle dura, sans interrup-
tion, pendant trente-huit années, et ce fut seulement
en 4 720 que les exilés volontaires se réduisirent à
d'insignifiantes proportions.
Durant cette période, les cités du Léman donnè-
rent asile et secours:
369
1" A 22,000 familles ou individus, dont les noms
sont conservés à Genève et à Berne;
2° On reçut 12,000 personnes survenant à diver-
ses reprises en colonnes trop nombreuses pour pou -
voir être inscrites en délail , vu la rapidité de leur
voyage vers le nord ;
3° 27,000 réfugiés, en dehors des précédents,
arrivèrent inunis de ressources pécuniaires et n'eu-
rent pas recours à la bienfaisance publique.
Ces chiffres réunis nous donnent un total de plus
de 60,000 proscrits qui traversèrent le pays romand
de 1682 à 1720, ou s'y établirent.
La ville de Genève, dont la population s'élevait,
en 1685, à 16,411 habitants, recueillit à demeure
fixe, durant ces quarante années, de 3000 à 3600
réfugiés français.
Le dévouement à secourir les personnes indigentes
fut inépuisable; chaque famille hébergeait plusieurs
hôtes, et voici les témoignages qu'en rendent les pros
crits eux mômes écrivant à leurs amis :
« il semblerait que les murailles de leurs apparte-
ments se reculent à volonté, tant ils sont habiles à
loger les nouveaux venus, lorsqu'ils arrivent à flots
pressés; il est vrai que Ton en met jusqu'à vingt dans
la même chambre. La maladie et les souffrances de
la route font de terribles ravages parmi nous, et les
salles de l'hôpital genevois ne peuvent abriter tous
m. 24
r>70
nos frères, dont la plupart ne se relèveront pas. »
Nous ne connaîtrons jamais l'étendue des actes de
charité accomplis dans l'intérieur des familles; mais
voici les chiffres certains et constatés des sacrifices
pécuniaires accomplis par les Bourses de Berne et de
Genève. Ces fondations, destinées au soulagement des
réfugiés, étaient alimentées par les souscriptions des
citoyens suisses.
Nous avons dit que la Bourse française de Genève
employait annuellement, dans les temps paisibles du
dix-septième siècle, de 7000 à 15,000 florins en
faveur des proscrits réformés du royaume.
Dès que Tédit de Nantes fut révoqué, les revenus
et les dépenses de cet établissement décuplèrent.
Les dons pour Tannée 1085 s'élèvent à 88.161
florins, et durant trente-cinq années, de 1685 à
1720, les subventions oscillent entre 90,000 et
150,000 florins.
Les deux années qui présentent un maximum sont
1718, où I on dépense 229,595 florins, et 1709,
où celte somme s'élève à 234,672 florins.
En résumé, Genève a fourni en subventions offi-
cielles, durant quarante années, pour les réfugiés de
l'édit de Nantes, 5,143,266 florins.
Les sommes dépensées par Berne etVaud, durant
la même période, s'élèvent à plus de 4,000,000 de
florins.
374
Neuchâtel se mettait, par ses générosités, au ni-
veau des villes du voisinage. La maison régnante étant
française, la duchesse de Nemours désirait que tous
les réfugiés fussent assimilés aux nationaux, et les
bourgeoisies s'empressaient d'accéder aux volontés du
souverain. Non-seulement on fournissait aux pros-
crits sans ressources tous les moyens exigés pour un
établissement immédiat, mais des collectes si nom-
*
breuses étaient faites en leur faveur, que plus d'une
fois les communes déclarèrent au gouvernement que
le pays était épuisé, et qu'à l'avenir les contributions
générales seraient impossibles.
Si nous connaissons assez exactement les chiffres
inscrits sur les registres publics des sociétés de bien-
faisance, nous ne saurons jamais l'étendue des sacri-
fices individuels, accomplis par les citoyens des villes
du Léman, en faveur de leurs frères de France. Mais
quoique les archives du temps soient toujours brèves
et modestes en leur langage, elles décrivent parfois
les misères qui pesaient sur les cités du refuge. Ainsi
à Genève, en 4(i86, après avoir secouru plus de
3000 personnes en deux mois, les gérants de la
Bourse française sont dans la consternation , leur
cuisse est vide! les capitaux disponibles sont em-
ployés aussi bien que les revenus, et l'on signale
l'arrivée prochaine de nouveaux convois de réfu-
giés! Quel rapport adresser au gouvernement, sur-
572
chargé ksi-même des soins matériels de l'hospitalité !
Le professeur Bénédict Pictet, l'ami et le collabo-
rateur de Conrard, résume en quelques mois la si-
tuation financière, et conclut en ces termes: « Nos
ressources sont totalement anéanties, et cependant
plus que jamais nous devons aimer nos prochains
comme nous mêmes. »
De leur côté, les magistrats genevois ne perdent
pas courage: ils font de nouveaux appels à la charité
privée. Afin de simplifier le travail des collecteurs,
lis engagent leurs concitoyens à verser leurs offrandes
dans les troncs des temples, à certains jours fixes.
Alors se manifestèrent ces sacrifices accomplis par la
main droite et que la main gauche ignore; on recueillait
souvent des paquets contenant quinze ou vingt pièces
d'or. Ces monnaies, frappées au commencement du
siècle, étaient soigneusement conservées comme res-
sources éventuelles, dans ces temps où la guerre et
la persécution bannissaient toute sécurité individuelle
et publique.
En 1688, la ville se trouvant hors d'état de con-
tinuer son œuvre de charité fraternelle, les magistrats
et les pasteurs font un appel aux paroisses des cam-
pagnes qui possèdent des fondations pieuses pour leurs
propres indigents: « Hélas! répondent les agricul-
» leurs, nos villages sont depuis longtemps pleins de
» réfugiés. Mais nous prendrons toujours assez soin
373
» de nos pauvres. Disposez de noire argent, e! si tout
» se dépense, celui qui envoie l'épreuve y pourvoira. »
M. Dupan rapporte à la Compagnie que les cam-
pagnes ont donné 4.700 florins (Reg. Comp. 24 juin
1688, et 8 mars 1089).
Cet héroïsme de la charité chrétienne fut porté à
son comble en l'année 1 (595. Le Conseil écrit à Berne
et à Zurich : « Nous avons à notre charge 3400 ré-
fugiés. Le malheur des temps et la cherté toujours
croissante du blé nous enlèvent nos ressources; nous
sommes hors d'état, pour le moment, de rien faire
de plus; nos hôpitaux sont tellement accablés, que
plusieurs de nos citoyens et bourgeois ne pouvant
recevoir aucun secours, se voient contraints d'aban-
donner leur patrie et de se retirer ailleurs. »
La ville ne reprit, un état normal que vers l'année
4710.
En l'année 1715 il se passa à Genève une scène
profondément émouvante1. Le pasteur B. Calandrin
informe les magistrats que 156 confesseurs mis aux
galères pour cause de religion, ont été mis en liberté
par un ordre du roi, donné à Marly, le 17 mai der-
nier. Ces courageux martyrs sont transportés de Mar-
seille à Nice; ils traversent maintenant le Piémont et
la Savoie, et s'avancent vers Genève. Ce premier
convoi sera suivi d'un autre, qui s'élève à 150 per-
1. Reg. Cons. et Comp. du 13 juin au 9 août 1715.
57'i
sonnes, « cl c'est une occasion de montrer notre cha-
rité d'une manière extraordinaire, quoique cette année
la Bourse française ail déjà dépensé 108,405 florins
en son premier semestre. » Le Conseil décide qu'on
fera ce qu'il est possible; il ordonne des collectes,
fait préparer de bonnes salles à l'hôpital pour « Ses
petites gens, » et invile les particuliers à recevoir en
leurs logis les personnes de condition qui se trouvent
parmi les confesseurs; enfin, les magistrats choisis-
sent « les plus qualiiiés d'entre eux pour aller au de-
vant des proscrits, et, si possible, porter la consolation
dans leur àme. » Lorsqu'ils arrivent, tous les citoyens
se pressent autour d'eux; mais ils font place aux ré-
fugiés, qui étudient avidement les traits de ces mar-
tyrs, dans l'espoir de retrouver parmi eux quelques
parents disparus depuis quinze ou vingt années. L'é-
motion des assistants ne peu! se décrire lorsqu'un
père, des enfants, des époux, se reconnaissent et bé-
nissent le Dieu des délivrances; d'autres s'empressent
de consulter les listes de secours de la Bourse fran-
çaise, et entonnent l'hymne d'actions de grâces en
lisant les noms de leurs femmes et de leurs enfants
paisiblement établis à Genève, à Berlin ou à Francfort.
Ces heureux proscrits ne prennent aucun repos, et, la
bourse bien garnie, ils continuent leur voyage. La
collecte pour ces martyrs s'éleva à 26,500 livres
courantes; près de cent cinquante d'entre eux se fixé-
375
rent à Genève; les autres lurent comblés de bienfaits
parles villes réformées de Suisse; en sorte que leur
voyage fut, selon leur expression, « un rafraîchisse-
ment perpétuel pour leurs âmes, et ils ne pourront ja-
mais assez bénir le Seigneur en se souvenant de leurs
frères de Suisse et d'Allemagne. »
Le nombre des galériens qui furent recueillis à
Genève dans les deux années de 4 74 5 et 1744 s'é-
lève à 565 personnes. A la même époque, Genève,
qui avait secouru les Vaudpisdu Piémont de la même
manière que les Français, reçut la lettre suivante des
pasteurs des Vallées (Reg. Comp. 5 février 1754) :
« Les grandes obligations que nos populations vous
ont depuis longtemps à cause de votre charitable assi-
duité à nous protéger et à nous donner toutes les mar-
ques d'une affection fraternelle, même à prévenir tous
nos besoins, nous touchent de la manière la plus vive.
Qui que ce soit de nos membres affligés qui ose s'ap-
procher de vous, est d'abord essuyé de ses larmes,
lavé de ses plaies et consolé à tous égards, et ce qui
est le plus édifiant, ce n'est pas dans les hôtelleries,
c'est dans vos maisons, qu'ils sont traités non comme
des étrangers, mais comme des frères, un père, des
enfants. On ne saurait assez admirer voire zèle et la
pieté qui vous anime. — Les pasteurs des Vallées,
Appia, Jahjeh, Léger, Renaudin.»
Les galériens étaient l'objet des préoccupations les
r»7G
plus sérieuses des puissances protestantes, et nous
terminerons ce qui les concerne pur une anecdote assez
caractéristique. L'Angleterre les avait maintes fois
fait réclamer. Un jour que l'ambassadeur de Guil-
laume III insistait auprès de Louis XIV pour obtenir
le relâchement des galériens, le roi lui dit: Mais,
Monsieur, si je demandais à Sa Majesté Britannique
la liberté de tous les prisonniers de Newgate, me
Faccorderail-il? — Sans aucun doute, Sire, si Votre
Majesté les réclamait comme ses frères.
Les humiliations politiques et les périls nationaux
aggravèrent encore la position de Genève. Louis XIV
voyait de très-mauvais œil les facilités et les secours
accordés à l'émigration réformée; il était irrité con-
tre ce petit peuple qui favorisait ainsi rétablissement
des réfugiés dans les pays du Nord.
Les résidents français de Genève et de Soleure,
d'iberville et Tambonneau, faisaient des rapports
circonstanciés à Louvois, et bientôt de Versailles
arrive à l'adresse des Genevois une dépêche ainsi
conçue : « Vous déclarerez aux gens qui gouvernent
» Genève, qu'ils doivent faire sortir de leur ville tous
» mes sujets de la religion prétendue réformée. Ne
» manquez pas de me faire savoir la résolution que
«ces magistrats ont prise, afin que je règle ma
» conduite sur la leur. »
Ces menaces étaient trop formelles pour permettre
377
l'hésitation; aussi les magistrats ordonnèrent-ils le
départ immédiat de 2000 réfugiés. Le résident écrivit
une lettre favorable à Paris; mais le lendemain la
scène change, il se présente furieux devant les auto-
rités genevoises: « Messieurs, quelle conduite esl la
» vôtre! Dans l'après-midi vous faites sortir publique-
» ment les réfugiés, et durant la nuit vous rouvrez
» les portes de la ville, et vous les recevez de nou-
» veau dans vos demeures! Je vais incontinent riian-
» der ces détails au roi mon souverain. »
La réponse ne se fil pas attendre; elle se terminait
par ces mots : « Dites à ces Messieurs de Genève qu'ils
» se repentiront bientôt de m'avoir déplu . Je vais pren-
» dre les plus justes mesures pour leur faire connaî-
» tre mon ressentiment. »
Les menaces ne tardèrent pas à se réaliser. M. de
Passy, intendant du pays de Gex, interdit le com-
merce des grains; il s'empara des dîmes et de la ju-
ridiction d'un village genevois enclavé dans le terri-
toire français. Aux réclamations des magistrats il
répondit (20 mars 1685): «Si vous me faites la
» moindre opposition, sachez que le roi a 9000
» hommes sur la Saône, qui seront dans un moment
» ici! Avis à vous, Messieurs de Genève! »
Les magistrats consternés décidèrent que désor-
mais on ne recevrait plus de nouveaux proscrits. On
mil à sec les bateaux du Rhône qui servaient à leur
578
passage; on sévil contre les délits d'hospitalité dénon-
cés par le résident. Mais pour concilier la nécessité
politique et les sentiments religieux des citoyens, les
autorités genevoises fermèrent les yeux sur les con-
traventions journalières commises en recevant de nou-
veaux proscrits. Ils arrivèrent aussi nombreux qu'au-
paravant; seulement leur séjour fut entouré de sérieu-
ses précautions pour sauver les apparences aux yeux
de l'ombrageux fonctionnaire.
il fallait d'autre part songer à la défense.
Au mois de janvier 4 686, MM. de la Rive et
Piclel sont envoyés à la Diète des quatre cantons
évangéliques (Berne, Zurich, Bàle et SchalThouse).
Les Suisses, lidèles à leur vieille devise : « Qui loucha
Vun, louche l'autre, » déclarent qu'ils sont prêts à
soutenir leurs alliés de Genève dans l'exercice de
l'hospitalité chrétienne.
Les députés genevois pensent qu'un corps de 4000
hommes est suffisant . pour défendre leur ville contre
une puissante armée, . . . Genève ayant déjà dans ses
murs un nombre égal de gens en état de porter les
armes. « Mais, ajoutent-ils, pour le présent, tout se-
» cours serait importun et même dangereux ! La pro-
» messe des confédérés nous sutïît. » Bientôt la situa-
tion s'aggrave: des renseignements officieux, venus
de Paris, annoncent que la violation du territoire
genevois est le prélude des plus graves dilïicultés.
579
Louis XIV songe à rompre les huit conventions ou
traités qui, de 1536 à 4 658, ont uni la France et
les cantons helvétiques.
Des députai ions, dont les principaux chefs sont
Ami Le Fort, de* Genève, et H. Escher, de Zurich,
se rendent à Paris pour remédier à ces lamentables
incidents. Les envoyés helvétiques et genevois sont
fort mal reçus. Pendant plusieurs mois ils sollicitent
en vaisi une audience du roi. Leur âme est navrée,
lorsqu'ils apprennent que le Parlement de Dijon, in-
fluencé par les chanoines voisins, doit prononcer sur
la validité de ces actes internationaux; ils sentent que
tout espoir est perdu, et ils se retirent en échan-
geant les plus aigres paroles avec les ministres du
roi. A M. de Ooissy, qui annonce que les chanoines
de Dijon proposent de biffer le traité de 1561,
Le Fort répond : « Monseigneur , les rois, comme les
derniers gueux, doivent un jour rendre compte des
traités et des contrats qu'ils ont faits. » El dans l'au-
dience de congé, Louvois doit entendre ces fières
observations: « Nous sommes bien sincèrement marris
(dit 0. Escher, de Zurich) des dispositions du roi à
notre égard, surtout eu voyant qu'eu matière de trai-
tés, on fait plus de cas de l'avis de vingt-cinq cha-
noines, que de la parole d'un corps de plusieurs
milliers d'alliés les pluslidèles de celle couronne. Sa
Majesté devrait se rappeler le sang versé par les
380
Suisses pour le service de ses Élats. Ils continueront"
à observer fidèlement leur parole, lanl qu'on n'en
viendra pas à une rupture ouverte; niais ils couvri-
ront leurs alliés de Genève de la protection de leurs
armes, s'en remettant à la divine Providence pour
l'issue de la guerre. ><
Louis XIV parut frappé de celte conduite. Le cou-
rage de ce petit peuple qui s'exposait à la ruine pour
maintenir le droit d'asile, fit impression sur son
esprit. Ses dociles agents laissèrent en repos les Ge-
nevois; plus tard, ce monarque reçut très-favorable-
ment les ambassadeurs de notre République, et dès-
lors la vallée du Léman a pu recevoir paisiblement
les victimes des diverses révolutions politiques ou
religieuses qui ont agité le continent européen.
La grande émigration de l'édit de Nantes l'ut à peu
près terminée vers 4 7ôO. Genève avait acquis 4000
nouveaux citoyens, dont plusieurs se distinguèrent
dans les carrières lettrées. Mais le plus grand nombre
des réfugiés conservèrent leurs anciennes professions,
et donnèrent un large développement à l'industrie et
au commerce de leur nouvelle patrie.
Sous le règne de Louis XV et de Louis XVI, les
Genevois s'intéressèrent constamment au sort de leurs
frères de France, et leurs efforts ne furent pas sans
influence pour radoucissement des décrets qui les
proscrivaient. Deux ecclésiastiques, MM. Vernel et
38 1
Moullou, se sont surtout distingués dans cette noble
mission. Moultou se trouvait en rapport avec la fa-
mille de Montclar, dont le chef, procureur du roi en
1764-, avait déterminé l'expulsion des jésuites. D'au-
tre part, une dame de haute naissance el de grands
talents, ia duchesse de la Rochefoucault d'Anville,
honorait ces deux pasteurs de son amitié. Ils résolu-
rent de plaider activement la cause de leurs coreli-
gionnaires. La lâche était rude, voire même péril-
leuse. En effet, vers 1760, si l'on ne bannissait plus
les protestants, leur sort n'en était pas moins lamen-
table.
Les hommes qui rejetaient l'autorité du pape étaient
encore emprisonnés et confondus sur les galères du
roi avec les voleurs et les assassins; leurs femmes
étaient ensevelies dans des cachots infects, el leurs
enfants, élevés par des moines, apprenaient, de par
le roi, à maudire sur la croix de Jésus le souvenir et
la religion de leur père et de leur mère. Les montagnes
de France recélaient encore dans leurs déserts des po-
pulations désireuses de servir Dieu en esprit et en vé-
rité, el les troupes royales faisaient feu sur ces rebelles
comme sur les plus dangereux brigands de grands
chemins; puis les hauts dignitaires de l'Église romaine
louaient et bénissaient Dieu lorsqu'ils recevaient ces
lugubres et sanglants rapports !
Si les réformés souffraient durement des abus du
r>82
fanatisme, ils n'étaient cependant pas seuls à en gé-
mir : sur divers points de la France, les chanoines
et les prieurs traitaient leurs ressortissants comme
vassaux et serfs taillables el corvéables à merci; les
emprisonnements cl les confiscations s'opéraient sans
enquête judiciaire, à la demande des seigneurs ecclé-
siastiques, et la voix des catholiques opprimés était
aussi soigneusement étouffée que les plaintes des pro-
testants eux-mêmes.
En vain, quelques personnes aussi hardies que gé-
néreuses, s'efforçaient de parvenir jusqu'aux oreilles
du roi : nulle réclamation n'abordait le trône qu'après
avoir passé par le confessionnal. Des mémoires re-
traçant ces iniquités étaient imprimés, mais ils de-
meuraient sans résultats, leurs auteurs n'ayant pas le
talent qui fixe l'attention des foules, ou l'influence
sociale qui force l'opinion publique à se prononcer.
Dans les hautes sphères de l'intelligence on frappait
de rudes coups sur la superstition et sur l'autorité
romaine ; mais le but était la démolition des croyan-
ces religieuses: la liberté de conscience, le droit de
conserver sa foi et de la publier, restaient inconnus sur
la terre de France, et, il faut le dire, la plus dédai-
gneuse indifférence accueillait les faits qui transpi-
raient dans le public et les bruits lointains des per-
sécutions religieuses; le genre même de leur crime
rendait les victimes odieuses au grand nombre, et
583
ridicules aux yeux de ceux-là seuls que leurs opinions
avancées eussent pu appeler à les défendre.
Toul d'un coup, en face de ce dédain matérialiste
des philosophes, de ces juges qui punissent le délit
de culte par l'exil, les galères et la potence, de ces
parlements qui laissent passer la justice de Rome, de
ces ministres d'État qui s inclinent devant elle, el de
ce royal libertin qui échange des billets de galère con-
tre des billets de confession, se lève un homme à la
fois historien, philosophe, poète el satirique, qui pos-
sède la réputation la plus étendue, le crédit littéraire
le plus incontesté, qui correspond avec tous les sou-
verains de l'Europe, que les papes tolèrent, lors même
qu'il foule aux pieds leur dogme el leur puissance;
un homme dont tous les journaux, tous les salons,
toutes les académies, tous les théâtres, tous les peu-
ples se disputent les écrits; et à cet homme il monte
au cœur de descendre dans la lice et de prendre en
main la cause de la liberté religieuse. Celte résolution
adoptée, il met au service de son œuvre toute son
immense influence, une persistance qui n'est égalée
(pie par son infatigable activité, et il ne s'arrêtera
que lorsqu'il aura fait réprimer les excès du fanatisme
par les mêmes lois el par les mêmes tribunaux qui
naguère les sanctionnaient.
L'influence des Genevois fut manifeste dansées ré-
solutions de Voltaire. Un homme, si grand que soit
384
son génie, peul-il échapper à l'influence exercée par
le milieu dans lequel il passe ses jours? Voltaire,
dans la société matérialiste de Paris ou de Berlin,
eût sans doute continué ses pamphlets moqueurs con-
tre le fanatisme de Rome; mais aurait-il joint l'action
à la parole?... Aurait-il pris la défense des Calas, des
Sirven, des galériens protestants? Àu milieu des fêles
scandaleuses de ces cours, la nouvelle des supplices
infligés aux réformés français serait-elle seulement
parvenue à ses oreilles? Aurait-il rencontré ces Gene-
vois, fils de réfugiés ou réfugiés eux-mêmes qui su-
rent faire vibrer les cordes les plus sympathiques de
son àme? Voltaire, si impressionnable, ne fut-il pas
ému d'entendre répéter les détails des misères éprou-
vées par les fugitifs de la Révocation? Les papiers de
famille contenant ces horreurs que les enfants des mar-
tyrs lui communiquaient, n'enflammèrent-ils pas son
courage et sa persévérance? El quoi de plus naturel
que le projet de délivrer l'Europe du fléau des per-
sécutions religieuses fût conçu sur le seuil même de
la grande hôtellerie où se réfugiaient, depuis un siè-
cle, les victimes de toutes les persécutions?
Ces considérations générales sont appuyées sur des
faits positifs. M. Moullou communiquait au philoso-
phe les mémoires en faveur des protestants que lui
envoyait M. de Montclar, et la duchesse d'Anville les
remettait à M. de Choiseul.
585
Les dénonciations contre les réformés suivaient la
même filière, et des pamphlets, où toutes les passions
de 4 685 se reproduisent en 1760, sont, remis par
Voltaire à M. Moullou, avec ces mots caractéristi-
ques : « J'envoie à mon cher philosophe le persifflage
qu'on a répondu au persifflage du clergé. » Ce tra-
vail diplomatique, en faveur des réformés de France,
durait depuis deux années, lorsque le procès des Ca-
las, dont Voltaire fut informé par MM. Moultou et de
Végobre, fil éclater la passion de la liberté de cons
cience chez le grand écrivain, et fut pour lui l'occasion
d'une gloire immortelle. Voici comment Voltaire fut
instruit de cette horrible affaire. M. de Végobre, des-
cendant des premiers réfugiés de la Révocation, fai-
sait une visite à Ferney: « Eh bien! mon cher hu-
guenot, vous avez une figure de circonstance; qu'y
a-t il de nouveau?» — « Du nouveau? Il arrive la
plus horrible histoire que les fastes judiciaires puissent
enregistrer! » — Quoi donc? Racontez vite! » — « Il
existe à Toulouse une famille de réformés, digne de
considération, et possédant une position honorable. Ils
se nomment Calas. Un des fils s'est fait catholique,
et le père, quoique sincèrement affligé de son chan-
gement de religion , lui a continué sa pension ali-
1. M. de Végobre fils, de qui nous tenons ces détails, a été durant
toute sa vie le protecteur zélé de ses coreligionnaires français, et l'un
des membres les plus respectables et des plus actifs de l'Eglise de
Genève.
III. 25
380
mentaire. Le frère aîné mène une vie désordonnée :
il hanle les salles (Pannes et les billards, et se tient
dans un état d'ivresse à peu près continuel . et comme
il est criblé de dettes, son père refuse d'apaiser ses
créanciers et de lui donner les moyens de continuer
ses désordres. Dès-lors une exaltation furieuse s'est
emparée de ce jeune homme: il a lu des ouvrages
qui font l'apologie du suicide, et un jour on a trouvé
ce malheureux pendu à la traverse d'une porte. Aussi-
tôt le bruit s'est répandu que son père l'avait pendu
lui-même, parce qu'il avait manifesté le désir de se
faire catholique : son père, pauvre vieillard de soixan-
te-neuf ans! faible, infirme, fort incapable de soulever
seulement le corps géant de son fils, dont la taille
dépassait six pieds! Pour corroborer cette accusation,
la confrérie des pénitents blancs a fait célébrer des
messes pour le repos du défunt; on a exposé une
peinture qui le représente tenant d'une main la palme
du martyre, et de l'autre la plume qui devait signer
son abjuration; on a fait courir le bruit que les ré-
formés assassinent fréquemment en secret ceux de
leurs enfants qui veulent passer au catholicisme. Bref,
on a si bien fanatisé la population de Toulouse, qu elle
a demandé à grands cris la mort du \ieux Calas; c'est
un magistral, nommé David, qui a conduit le procès,
et malgré toutes les invraisemblances, les absurdités
accumulées dans cette affaire, le malheureux a été dé-
587
claré coupable, condamné au supplice de la roue et
exécuté le 9 mars dernier! Il est mort comme un
martyr, protestant de son innocence et pardonnant à
ses juges qui, sans doute, disait-il, avaient été égarés
par de faux témoins... Sa femme et ses filles étaient
également accusées de ce meurtre: on a pourtant re-
culé devant l'idée de les mettre à mort; on leur a
rendu la liberté. »
La tache qu'il venait de prendre était lourde et
dangereuse : il fallait combattre et réduire au silence
une magistrature puissante, un clergé fanatisé, des
préjugés les mieux enracinés peut-être entre tous.
Mais les obstacles ne firent qu'exciter l'ardeur du phi-
losophe. Il intéressa à cette cause le duc de Choiseul,
ministre du roi ; il écrivit à tous les grands person-
nages sur lesquels il pouvait avoir quelque influence;
la duchesse d'Ànville étant venue à Genève consulter
Tronchin, celui-ci, d'accord avec Voltaire, dirigé par
Moultou, la gagna entièrement à la cause des Calas.
Enfin, la révision du procès commença : Voltaire se
fil remettre les longs et diffus mémoires des avocats
qu'il transformait en pages brèves, concluantes, étin-
celantes d'esprit el d'éloquence. Il remplit les jour-
naux des détails de cette aflaire, multiplia les brochu-
res, tint en haleine l'opinion publique, écrivit à tous
les souverains. Enfin, au printemps de 176G, après
quatre années d'efforts et de travaux dont Ferney fut
588
le centre, et Voltaire le directeur, l'arrêt qui condam-
nait Calas fut cassé, et son innocence reconnue; l'ac-
cusateur David, accablé sous le poids delà réproba-
tion universelle, perdit la raison; le roi, cédant à
l'entraînement général, accorda 56,000 livres à la
veuve du martyr, et les Français reçurent de Voltaire
une des plus hautes leçons qui aient jamais frappé le
cœur d'une nation.
M. Moultou avait été pour Voltaire un collaborateur
infatigable; aussi Voltaire voulut qu'il eût les prémi-
ces du succès, et lorsque le Conseil du roi, en 1 763,
se montra favorable à la révision du procès, le grand
athlète de la liberté de conscience écrivit à Moultou
la lettre suivante :
« Samedi, 4â mars 1765. C'était un bien vilain
jour pour moi, Monsieur, que celui où j'étais à Fer-
ney quand vous me faisiez l'honneur de venir aux
Délices; mais c'est un bien beau jour, malgré la bise
ou la neige, que celui où nous apprenons l'arrêt du
conseil et la manière dont le roi a daigné se déclarer
contre les décrets fanatiques qui voulaient qu'on
abandonnât les Calas. Nous devons beaucoup à M. le
duc de Choiseul et à M. le duc de Praslin. Le règne
de l'humanité s'annonce : ce qui augmente ma joie
et mes espérances, c'est l'attendrissement universel
dans la galerie de Versailles; voilà bien une occasion
où la voix du peuple est la voix de Dieu ! Je parie
389
que vous avez pleuré de joie eu apprenant cet heu-
reux succès. »
En même temps que Voltaire travaillait à la réha-
bilitation des victimes individuelles du fanatisme, il
s'occupait le plus activement que possible de la réin-
tégration de tous les protestants de France; il faisait
agir tous les ressorts d une spirituelle diplomatie. On
lui remettait des mémoires très-instructifs sur ce su-
jet; il répondait : « Ces ouvrages feront du bien dans
quinze ou vingt ans, mais aujourd'hui il s'agit d'ob-
tenir la protection de Mme de Pompadour; le grand
point est d'intéresser son amour-propre à faire autant
de bien à l'État que Mme de Mainlenon a fait de mal.
Je répondrais bien de sa bonne volonté et de celle de
MM. de Choiseul et Praslin; mais, avec tout cela,
cette tolérance ne serait pas encore accordée, tant il
est difficile de changer ce qui est une fois établi. C'est
assurément une très-belle entreprise, et je mourrais
tranquille si j'avais mis une pierre à cet édifice. —
Nous raisonnerons de tout cela avec M. Moultou,
l'homme que j'estime le plus, et en qui j'ai la plus
grande confiance. »
Deux ans plus lard, Voltaire écrit à Moultou dans
un accès de découragement. « 4 766. Mes yeux lisent
en pleurant cet amas d'horreurs rapportées dans le
livre que vous m'envoyez. En vérité, cela rend hon-
teux d'être catholique; je voudrais que de tels ou-
390
vraies fussent entre les mains de tout le monde, mais
l'opéra-comique l'emporte, et presque tout le monde
ignure que les galères sont pleines de malheureux
condamnés pour avoir chanté de mauvais psaumes.
Hélas ! d me paraît difficile d'avertir que les fruits
d'un arbre sont mortels sans faire sentir aux esprits
exercés que l'arbre est d'une bien mauvaise nature. »
L'année suivante, Voltaire charmé de l'expulsion
des jésuites hors de toutes les terres de la domina-
tion espagnole, voudrait que ce grand travail fût
couronné par la rentrée en France des protestants,
laquelle semblait avoir quelques chances de succès
(24 avril 4767). « Voilà deux grandes nouvelles,
moucher Monsieur; voilà une espèce de persécuteurs
bannie de la moitié de l'Europe, et une espèce de
persécutés qui peut enfin espérer de jouir des droits
du genre humain que le Père Lachaise et Michel Le-
tellier leur ont ravis. Il faudrait piquer d'honneur
M. Maupeou; je réponds bien de MM. de Choiseul et
Praslin ; mais , dans une affaire de législation , le
chancelier a toujours une voix prépondérante. Mn,e la
duchesse d'Anville est à la Roche-Guyon; mais écri-
vez-lui ; flattez la grande passion qu'elle a de faire du
bien, qui vous est commune avec elle; elleestcapa-
ble d'aller exprès à Versailles. Le succès d'une pareille
entreprise rendrait le roi Louis XV chéri de toute
l'Europe. Est-il possible que les Turcs permettent aux
391
chiens de chrétiens déporter leur Dieu dans les rues,
de chanter ô filii, ù filiw à tue-tête, tandis que les
Welches ne permettent pas à d'autres Welches de se
marier? La conduite welche est si folle et si odieuse
qu elle ne peut pas durer. — Je vous embrasse ten-
drement. »
Si les démarches des deux amis , le philosophe
incrédule et le philosophe chrétien , ne purent ame-
ner encore un triomphe complet de la liberté reli-
gieuse en France, du moins bien des injustices isolées
furent réparées grâce à leur zèle. Ainsi, le 4 3 décem-
bre 4 769, Voltaire écrivait à Moultou : « Je vous
fais compliment de vos deux galériens mis en liberté;
si c'est par Mme d'Ànville que vous êtes parvenu à
celte bonne œuvre, cela prouve qu'elle a du crédit
auprès de M. de Saint-Florentin; si c'est par vous-
même, vous ferez casser la révocation de l'édit de
Nantes. »
Enfin, six ans plus tard, la cause de la tolérance
avait fait de sérieux progrès, puisque (9 août \ 775)
Voltaire pouvait écrire : « L'archevêque de Toulouse
a parlé il y a quelque temps des mariages protes-
tants, et il a montré dans ses propos autant de tolé-
rance que de politique. M. Turgol est en train de
rendre les plus grands services à la nation et à la
raison; sa sagesse et sa bienfaisance s'étendent jusque
sur nous, pauvres habitants isolés du mont Jura.
392
Attendez-vous, vous autres Genevois, aux chose> les
plus agréables, c'est tout ce que je puis vous dire.
Ceux qui vous mandent que le clergé français n'a
jamais eu plus d'activité et de crédit se trompent de
moitié; ils n'ont raison que sur l'activité. — Je vous
embrasse avec tendresse et joie, quoique fort ma-
lade. »
Dès ce moment, en effet, on put prévoir en France
que l'heure allait sonner où la liberté de conscience
devait rentrer sur ce sol qu'elle avait quitté depuis si
longtemps : le principe en était décidément inoculé
à la nation ; il ne restait plus qu'à en développer les
progrès et la pratique, en se résignant aux lenteurs
inséparables d une semblable révolution. Toutefois,
ces relards empêchèrent les ardents promoteurs de
la tolérance de contempler le résultat de leurs efforts :
avant-garde dans la lutte, ils succombèrent avant de
voir leur drapeau fixé dans la place conquise, mais
en emportant l'assurance qu'ils seraient victorieux.
— Heureusement les ministres d Etat ne songeaient
point à revenir en arrière; Rulhières et Malesherbes
mirent à cette cause le plus sérieux intérêt. Dans le
but de s'entourer de toutes les lumières possibles ils
s'adressèrent à Genève, et le professeur Jacob Vernet
fut chargé de répondre à cette question venue de
Versailles : « Que doit-on, que peut-on faire actuelle-
ment en faveur du protestantisme français ? » Le nié-
393
moire que Vernet rédigea à cette occasion fut très-
goûlé parles hommes placés alors à la tète des affaires
en France, et eu 1788, Louis XVI, écoutant les ins-
pirations de son cœur généreux, termina l'ère des
persécutions anti-chrétiennes sur le soi français, en
signant l'acte qui rendait la liberté religieuse et la
sécurité personnelle aux réformés de son royaume.
Pendant la révolution, les rapports entre les réfor-
més de' France et Genève furent forcément interrom-
pus, mais ils se renouèrent d'une manière intime
lorsque Genève fit partie de l'empire napoléonien.
Le concordat avait rendu la paix aux Eglises fran-
çaises; Napoléon était nommé empereur; on pré-
parait les cérémonies du sacre. Les présidents des
consistoires de France furent invités à ces cérémo-
nies. L'Eglise de Genève choisit pour député son vé-
nérable doyen, M. Ami Martin. Il se rendit à Paris
en décembre 1804, et les pasteurs français choisi-
rent à F unanimité M. Martin pour présider la dépu-
tation. Il voulut refuser par modestie; on lui répon-
dit : « C'est un juste hommage que nous sommes
heureux de rendre à la ville qui se trouve à la tète
du protestantisme de France. » Les pasteurs assistè-
rent au sacre dans leur costume ecclésiastique. Ils
avaient discuté un point fort délicat. — Que feraient-
ils si on les forçait à s'agenouiller à certains moments
des cérémonies romaines? Ils résolurent de s'y relu-
594
seret de sortir du temple, quelles que lussent les con-
séquences de cet acte.
Le grand maître, informé de cette affaire, trancha
la difficulté en déclarant qu'on se bornerait à se tenir
assis ou debout.
Dans la cérémonie du sacre, le 2 décembre, l'en-
thousiasme fut au comble, lorsqu'on face du pape Na-
poléon jura de respecter la liberté des cultes.
Cinq jours plus lard , l'empereur devait recevoir,
dans la grande salle du trône, les députations des
ordres de l'État et des puissances alliées. M. Martin
avait un ardent désir de parler à Napoléon, de le re-
mercier de ses engagements envers l'Eglise. Dans
ce but, il composa un bref discours dont chaque
phrase était une pensée; il le communiqua à ses amis
genevois, très-haut placés dans l'administration, à
MM. Pictet, Mestrezat et Le Fort, qui approuvèrent
son projet, tout en lui déclarant que c'était un tra-
vail inutile, vu que nul discours ne serait prononcé,
l'empereur devant adresser seulement quelques brè-
ves paroles aux plus hauts dignitaires.
La cérémonie eut lieu le 7 décembre; Napoléon
était sur son trône, dans la grande galerie du Louvre;
à droite et à gauche s'étendait un vaste demi-cercle
formé par les illustrations civiles, politiques et mili-
taires du temps.
M. Martin prie ses collègues d'attendre que la
59o
foule soit un peu écoulée; il s'aperçoit qu'en effet on
ne prononce aucun discours; mais peu lui importe,
il a pris devant Dieu sa résolution. Arrivé près de
l'empereur il s'arrête, s'incline, et bravant toutes les
lois de l'étiquette : Sire! dit-il à haute voix. A ce
mol, Napoléon rejette la tête en arrière et fait un
geste énergique pour lui imposer silence; un mur-
mure désapprobateur s'élève dans l'assemblée, mais
M. Martin, calme et digne, attache son regard sur
l'empereur. Celui-ci, frappé de celte vénérable fi-
gure, de ce sévère costume qui tranche avec la splen-
deur de son cortège, fait un signe d'assentiment, et,
à la stupéfaction des hauts fonctionnaires, le vieux
pasteur lui adresse ces paroles :
« Sa Majesté vient de remplir le vœu que for-
maient depuis longtemps les Eglises réformées de
France, celui de pouvoir porter aux pieds du trône
leurs hommages et l'expression de leurs sentiments.
» C'est avec une vive satisfaction que nous venons
exprimer à S. M., pour nous et pour nos Eglises,
notre respectueuse reconnaissance de la protection
qu'elle nous a accordée jusqu à présent, et la pleine
confiance que nous fondons pour l'avenir sur le ser-
ment que S. M. vient de prêter avec tant de solen-
nité, dont elle a voulu que nous fussions les témoins,
et par lequel, en s 'engageant à maintenir la liberté
des cultes, elle donne le calme aux consciences et
3%
assure la paix de l'Église. Nous souhaitons que les
Français de toutes les communions, que nous regar-
dons tous comme nos frères, sentent comme nous le
prix de ce bienfait; nous le mériterons par notre
gratitude, notre fidélité, notre soumission aux lois,
dont nous avons constamment donné l'exemple. Puis-
sent nos prières ferventes attirer sur S. M., sur l'im-
pératrice, sur les princes de la famille impériale,
toutes les bénédictions du Monarque du monde ! Puisse
S. M., qui a déjà tant fait pour sa gloire, y ajouter
bientôt le titre de pacificateur de I Europe entière, et
n'avoir plus qu'à déployer ces vertus qui, en faisant
le bonheur des peuples, font la véritable gloire des
souverains et font chérir leur puissance! »
Napoléon, assez mal disposé, comme nous l'avons
dit, éprouve bientôt un sympathique intérêt qui se
peint sur son visage. A peine M. Martin a-t-il cessé
de parler, que, sans nulle préparation, l'empereur
prononce cette allocution, qui demeurera un monu-
ment immortel dans l'histoire de la religion réfor-
mée :
« Je vois avec plaisir réunis ici les pasteurs des
Églises réformées de France; j'ai lieu, d'après ce
qui m'a été rapporté, de reconnaître la fidélité et la
bonne conduite des pasteurs et citoyens de différentes
communions protestantes. Je veux bien qu'on sache
que mon intention et ma ferme volonté est de main-
597
tenir la liberté des cultes, que j'ai jurée; l'empire
de la loi finit où coynmence Vempire indéfini de la
conscience; la loi ni le prince ne peuvent rien contre
cette liberté; tels sont mes principes et ceux de ma
maison; et si quelqu'un des princes de ma race, ap-
pelé à me succéder, oubliait le serment que j'ai prêté,
et, entraîné par l'inspiration d'une fausse conscience,
venait à le violer, je le voue ici à l'animadversion
publique, et je vous autorise à lui donner le surnom
de Néron. »
En exprimant ces nobles pensées, Napoléon était
visiblement ému; sa voix vibrante retentissait jus-
qu'aux derniers rangs de l'assemblée; les assistants
manifestaient leur sympathie, et le pasteur genevois
recevait en se retirant les félicitations empressées de
ses collègues.
« C'est de Genève, disaient-ils, que nous sont ve-
nus les messagers de l'Evangile au temps de la Ré-
forme, et c'est encore à un frère de Genève que nous
devons aujourd'hui celte solennelle consécration de
notre liberté religieuse. »
Tel fut le cordial remerciement des pasteurs fran-
çais.
Maintenant, laissons les incidents extérieurs de
cette scène; examinons les paroles du député gene-
vois. N'a-t-il pas revêtu la véritable dignité du mi-
nistre protestant? Devant le nonce du pape et les
398
prélats catholiques, il dit : « Nous souhaitons que les
Français de toutes les communions, que nous regar-
dons tous comme des frères, sentent comme nous les
bienfaits de la paix religieuse!... » A .Napoléon, dont
la guerre est. le but suprême, la passion dominante,
il présente ce vœu : « Puisse Votre Majesté, qui a déjà
tant fait pour sa gloire, y ajouter bientôt le titre de
pacificateur de l'Europe entière! »
Du reste, pas un mot de flatterie: la soumission
aux lois, la vérité religieuse , voilà le discours du
pasteur de Genève.
Les rapports entre la vieille métropole protestante
et l'Église française étaient destinés à prendre un grand
développement pendant la période impériale.
Napoléon voulait faire de l'Académie genevoise le
séminaire où viendraient étudier et où seraient reçus
les jeunes Français voués au ministère évangélique.
Le temps lui manqua pour l'accomplissement de
ce projet. Pour montrer l'impression que produisit
sur le clergé genevois celte espérance , nous allons
citer une lettre de M. Picot à M. Piclet-Diodati, mem-
bre du Corps législatif.
29 germinal an X. « Notre Genève est distinguée
d'une manière flatteuse, d'autant plus, comme vous
le dites, qu'on n'a pas sollicité, mais qu'on a laissé
agir seulement la force des choses. Certainement, si
l'on eût dit, au commencement du siècle dernier, à
590
l'excellent M. Bénédict Pietet, qu'un jour viendrait
où le culte protestant serait mis sur le pied de l'éga-
lité avec le culte catholique, et où personne n'exer-
cerait dans l'Eglise réformée de la France, agrandie
du cinquième de sa surface, des fonctions pastorales
qu'il n'eût étudié à Genève, qu'il n'y eût été consa-
cré, et qu'il n'en emportât des certificats satisfaisants,
il aurait regardé l'accomplissement de cette prédiction
comme impossible, ou s'il avait eu cette espérance,
c'est en répétant le cantique d'actions de grâce du
vieillard Siméon qu'il serait descendu au tombeau. «
400
CHAPITRE Xll.
GENÈVE ET LES ÉGLISES ÉTRANGÈRES.
Genève et l'Angleterre. — Les partisans de Cromwel et la Compagnie
des Pasteurs. — La mort de Charles I" et le sermon de M. Diodati.
— Mort de la Reine, femme de Guillaume III. — Sentiments des
archevêques anglais à l'égard de Genève. — J.-A. Turretin et la reine
Caroline. — Confiance et sympathie des Anglais envers Genève
duraul la période voltairienne.
Allemagne. — Les suites de la guerre de 30 ans. — La duchesse de
Meckleubourg. — Eglises allemandes secourues par Genève. —
Les ministres hongrois aux galères. — L'amiral Ruytcr. - Marie-
Thérèse et la Vénérable Compagnie. — Les Transylvains. — Eglises
de Pologne.— Sympathie de l'Europe pour Genève lors de l'incendie
du pont du Rhône. — Union des Eglises allemandes avec Genève.
Eglises de Constantinople, de Livourne et de Saint-Pétersbourg.
Nous avons dû iracer à part le tableau des travaux
et des sacrifices de Genève au milieu des souffrances
et des périls de l'Église française. Nous allons main-
tenant consacrer quelques pages au récit des relations
que notre Eglise soutint avec la chrétienté réformée
de l'Europe pendant le dix-septième et le dix-huitième
siècle .
ANGLETERRE.
Dès les premiers temps de Sa déformation jusqu'à
la tin du dix-huitième siècle, l'Eglise de la Grande-
Bretagne et l'Eglise de Genève soutinrent entre
elles les relations les plus fraternelles. Celte liaison,
cette communauté d'intérêts religieux, commença
en- 1553, lorsque les persécutions de la reine Marie
promenèrent le deuil sur l'Angleterre, et jetèrent
sur le continent une foule de proscrits évangéliques.
212 personnes, dont les noms sont conservés dans
nos archives, se réfugièrent à Genève, et y trouvè-
rent une cordiale hospitalité, de 1555 à 1559.
La reine Elizabelh montra une constante aménité poul-
ies Genevois et les soutint de son influence et de ses
secours pécuniaires pendant leurs guerres contre les
ducs de Savoie au seizième siècle.
Les relations amicales furent fréquentes et de divers
genres, durant le dix-septième et le dix-huitième
siècle. En voici les priucipaux incidents:
(Reg. Comp. 26 février 1643.) M. Spanheim
écrit qu'il se irouve à Leyde soixante familles anglai-
ses, personnes de qualité, qui désirent se retirer à
Genève, à cause des troubles de l'Angleterre. On leur
en accorde volontiers la permission, pourvu qu'ils se
conforment aux lois de l'Eglise et de l'Étal, et s'il
m. 2f>
40î
existe parmi eux des brunisles (sic) dont les idées sont
extravagantes, on y veillera de près.
Ces lignes sont la première mention officielle que
nous trouvions dans les registres de l'Église de Genève
de la grande lutte entre Cromwell et Charles Ier.
L'année suivante (Reg. Comp. 8 mai 4 644), le
s\node d'Angleterre, assemblé à Westminster, confie
ses embarras et ses angoisses à la Vénérable Compa-
gnie. — « >Tos affaires prennent une triste tournure;
on nous blâme fortement de nous opposer, dans le
Parlement, à l'autorité du roi; nous y sommes con-
duits par les désolations et les méchantes pratiques
de Rome. La nécessité extrême de travailler à la
gloire de Dieu, le bien de l'État et de l'Église, la
conservation de la pureté de l'Évangile, nous ont obli-
gés de procéder ainsi ; comme nous savons qu'on émet
contre nous divers jugements mal à propos, nous
avons voulu vous avertir de ne point juger sinistre-
ment notre procédure, et nous nous recommandons
à vos prières. » La Compagnie répondit : — « Nous
compatissons sur les misères et les désolations de ce
pays. Nous ne sommes point si téméraires que déju-
ger contre la charité, et nous voudrions être capables
de vous donner quelques bons secours ou conseils
utiles. Nous vous recommandons à Dieu dans nos
prières. »
Devait-on prier dans les temples pour le Parlement
403
protestant d'Angleterre? Cette question fut agitée.
Les cantons évangéliques le faisant, la majorité des
pasteurs demanda cette autorisation au Conseil (1 0 mai
1644, 25 juillet, 41 août 1645. Reg. Comp.) Le
Conseil répondit: « Parmi les pasteurs, quelques-uns
prient pour le roi, d'autres pour Cromwell, et comme
le Parlement soutient la bonne cause, nous ordonnons
pour faire cesser toute dispute à ce sujet, qu'on prie
pour le salut de P Angleterre en général , sans autre
dénomination. »
Le synode de Westminster continua à demander
des avis sur la discipline. La Compagnie se prononça
volontiers sur les queslions de principe, et se tint sur
la réserve concernant des actes qu'elle ne pouvait
apprécier avec connaissance de cause. C'est ainsi
qu'elle refusa de condamner la déposition de quelques
évêques par le Parlement; mais M. Buchanam ayant
demandé l'opinion de l'Eglise de Genève, au sujet des
individus qui ne veulent en l'Eglise ni synode, ni
colloque, les pasteurs répondirent: • L'Église étant
une maison de paix chrétienne, l'ordre qui l'entre-
tient doit êlre conservé; partant, ces gens qui sem-
blent refuser tout ordre, ne sont nullement fondés
en leurs opinions, ni sur la pratique de la loi judaï-
que, ni sur la parole de Dieu, ni sur les Églises ré-
formées. »
Lorsqu'au mois de mars 1649 on apprit la con-
404
damnation et la mort de Charles Ier, la ville fui bou-
leversée. Depuis seize ans on avait renoncé à cet
odieux code sur l'hérésie, qui punissait de mort les
opinions erronées, el l'on déplora amèrement la honte
sanglante dont les protestants anglais couvraient leur
cause. Toutefois, par prudence, le gouvernement
genevois défendit aux pasteurs de parler en chaire
de cette catastrophe. Mais Jean Diodali ne put con-
tenir son indignation et s'écria : « Cromwell est un
diable ; il dirige ces esprits infernaux, ces fanatiques
anabaptistes, celte vermoulure! Ce roi juste el bon
est mort au lit d'honneur, non des rois, mais de
Dieu! Ce roi est mort martyr! On dit qu'il faut se
taire; je ne le puis; nous devrions faire des mani-
festes pour montrer que nous condamnons cette ac-
tion, d'autant plus qu'on a voulu dire que des étin-
celles de ceci viennent de Genève ! »
Le Conseil censura sévèrement M. Diodati, el lui
ordonna le silence, à peine de suppression de sa
charge.
Quarante-six ans plus lard, l'Église de Genève dé-
plorait la perte de la reine Marie, femme de Guil-
laume III, morte à trente-trois ans. Celle princesse
poussait la passion religieuse jusqu'au fanatisme, et
les torts de son père Jacques II, envers l'Église pro-
testante, lui avaient fait oublier les devoirs de la piété
filiale. La lettre écrite par la Compagnie àGuillaume III
405
était peu digne de la sévérité républicaine de Genève :
« Les vertus extraordinaires de cette princesse l'ont
rendue l'admiration de tous les peuples et les délices
de l'Église; aussi nous sommes persuadés qu'elle n'a
fait que changer une couronne de la terre pour une
couronne du ciel, et qu'elle jouit de cette gloire qu'elle
a toujours regardée comme son véritable et souverain
bonheur. »
Néanmoins, les pasteurs sentirent eux-mêmes qu'on
pouvait les accuser de flatterie; car ils écrivirent à
lord Gallovay : « Nous avons les plus sérieux mol ifs
de louer et de regretter cette admirable princesse;
elle a sauvé une infinité de gens de bien, et nous
n'oublierons jamais la constante et ferme protection
dont elle a entouré Genève. Nous lui devons certai-
nement notre salut au milieu des grandes épreuves
que nous avons récemment souffertes. »
Les mêmes sentiments sont exprimés en d702 à
la mort de Guillaume III. Les pasteurs regrettent eu
lui un des plus grands protecteurs de l'Église gene-
voise. •
La sympathie que les souverains de la Grande-
Bretagne témoignaient à Genève, se retrouvait dans
toute l'Église anglaise, et celle-ci réclamait le con-
cours de la Compagnie des Pasteurs dans ses résolu-
tions importantes. Ainsi, en 4 705 (9 mars, Reg.
Comp. et Consist.), une société s'établil à Londres
pour la propagation de l'Evangile. Son président,
M. Huinphry Stanley envoya le titre de membres
honoraires aux deux professeurs Turretin, et pria le
clergé genevois de concourir, par ses avis et ses soins,
au dessein religieux que l'association se proposait. Le
Conseil et les pasteurs se félicitèrent de cette lettre
« qui fait honneur à l'Église de cette ville; on en par-
lera dans les chaires, exhortant le peuple à répondre
par la correction des mu;urs à la bonne opinion qu'on
a de nous au dehors. »
La Compagnie, en répondant à M. Stanley, lui
envoya pour premier don 1500 livres courantes, que
M. Mouche lui avait léguées pour envoyer des mi-
nistres prêcher aux infidèles.
Un peu plus tard, 4 juin 1706, les épiscopaux et
les non conformistes anglais tentaient de se réunir.
La Compagnie chargea J.-A. Turretin de répondre
qu'elle appuyait ce projet de tous ses vœux. La lettre
et la démarche furent tellement appréciées, que l'évè-
que de Londres et l'Université d'Oxford écrivirent
pour déclarer leur union de sentiments avec Genève,
la tenant pour une vraie et fidèle Église (Reg. Comp.
16 avril 1707).
Ces alïèelueuses relations, dans une période que
quelques-uns des contemporains afl'ectent, par igno-
rance volontaire, de regarder comme entachée d'in-
différence ou d'incrédulité, ne sont nulle part mieux
407
caractérisées que dans une lettre de Wake, archevê-
que de Cantorbéry, le 4 5 janvier 4 724-. « Genève,
écrit ce prélat au conseiller Bonnet, est le lieu de
l'Europe que j'estime le plus, et que je choisirais
pour finir mes jours, si j'étais obligé de quitter mon
propre pays. Les Anglais qui en viennent ne taris-
sent pas sur le bon ordre et la discipline qui s'obser-
vent en cette ville. Le savoir, la modération, les
autres excellentes qualités de ses pasteurs et de ses
professeurs, m'en donnent une grande et noble idée,
et font presque que je suis dans la confusion quand
je pense combien nous avons dégénéré du vrai chris-
tianisme qui fleurit ; et puisse-t-il toujours fleurir en
cet endroit ! »
Nous prions nos lecteurs de remarquer que cette
lettre a été écrite au moment où Genève renonçait à
la confession de foi calviniste, et proclamait à la
face du monde réformé la liberté de conscience et
l'adoption sans mélange de formules humaines, de
la vérité religieuse contenue dans la parole évangé-
lique.
Cette sympathie et cette haute confiance des An-
glais se manifestaient, non-seulement dans les ques-
tions ecclésiastiques, mais encore dans les œuvres
chréliennes. En 1754, Genève se trouvait accablée
par le grand nombre de réfugiés qui épuisaient les
ressources de la charité publique. Aux Français s'a-
408
joutaient des colonies de Vaudois des vallées piémon-
laises, qui demeurèrent plusieurs mois entassés dans
la banlieue. J.-A. Turretin écrivit à Wake et lui dé-
peignit celte lamentable situation. La reine Caroline,
informée par le digne prélat de la fâcheuse situation
des proscrits du Léman, lui écrivit une lettre que
nous transcrivons avec sa naïve orthographe.
« St-.James, le 41 Janvier 1751. Milord! Jai été
si sensiblement touché de la lettre que vous mavée
écrite et de celle que vous m avée envoyé de M. Tur-
tin, que je vous pri d'anvoyer ce peu de secours
pour les peauvres Vaudois qui souffre pour la vérité.
Je vous conjure de ne parler de cet argent à personne
au monde; le seul honest homme M. T. qui vous a
écrit en peut être informé pour le distribuer aux plus
nécessiteux. Vous lui en confieré le segueret, mais
que cela ne soit su de personne. Caroline. »
Wake écrivait en même temps à J.-A. Turretin :
• Cher Monsieur et T. H. F., la reine vous nomme
son aumônier, et vous prie de distribuer ces mille
livres sterling (25,000 fr.) aux victimes du fanatisme
piémonlais. »
De semblables relations d'une affection chrétienne
se soutinrent pendant tout le dix-huitième siècle,
entre les Anglais et Genève. Au plus fort de la lutte
contre Voltaire, des ecclésiastiques anglais se char-
gèrent de faire connaître en détail, au monde proies-
tant, les services rendus à la toi chrétienne par les
Églises genevoises1. Pendant les plus mauvais jours
de la période matérialiste, les grands seigneurs an-
glais envoyaient leurs fils étudier à Genève, témoi-
gnant ainsi de leur haute confiance en celte ville,
qui savait résister à l'incrédulité et à la corruption
morale. Genève, de son côté, n'oublia jamais cette
noble fraternité. Les rapports officiels furent néces-
sairement rompus avec la Grande-Bretagne durant la
période impériale, mais les Genevois surent prouver
(pie leur vieille affection pour ce pays était sérieuse
et vivante. Les Anglais étant faits prisonniers sur
tout le continent en i 81 i par Napoléon9, plusieurs
d'entre eux choisirent Genève pour résidence, mais
on leur relira le privilège de cette résidence, parce
que les évasions se trouvaient trop favorisées par la
complicité des Genevois.
En 4 805, dans une circonstance douloureuse,
Genève montra la même sympathie. Les pasleurs re-
çurent une lettre du ministre des cultes, qui exigeait
des prières publiques en faveur des succès dans la
guerre entreprise contre l'Angleterre et ses alliés.
L'alternative était navrante, le cœur des Gene-
vois était en communion d'affection et d'espérance
avec l'Angleterre et ses amis d'Allemagne, et si l'on
1. Mémoires manuscrits de M. le professeur Jean Picot,
2. Robert lirown, ministre à Utrecht.
410
s'opposait à la volonté de Napoléon, l'Église de Ge-
nève pouvait être anéantie. Malgré le péril, les pas-
teurs genevois refusèrent leur concours direct et se-
bornèrent à ajouter cette phrase dans leur liturgie :
« Nous appelons les bénédictions du ciel sur les^
justes entreprises du gouvernement. »
Ces bons rapporls et ces loyaux procédés ne fu-
rent pas oubliés au congrès de Vienne par les pléni-
potentiaires anglais; ils appuyèrent de toute leur
influence les efforts de Genève pour reconquérir sa
nationalité.
ALLEMAGNE ET ÉGLISES DU NORD.
Les relations de l'Église de Genève avec les Alle-
mands évangéliques furent également intimes pen-
dant les bons et les mauvais jours. Nous avons fait
connaître les nobles sentiments que les souverains de
Prusse manifestèrent au commencement du dix-hui-
tième siècle, envers Genève, à l'occasion de la paix,
des Églises. Voici maintenant les témoignages de
sympathie et de confiance qui furent échangés entre
la cité de Calvin et les disciples de Luther.
Les Genevois avaient été profondément touchés
des souffrances de l'Allemagne pendant la guerre de
trente ans ; les sermons de jeûnes et de solennités
sont pleins d'émouvants passages sur les épreuves
sans cesse renaissantes qu'entraînait cette lutte. La
Mi
guerre terminée, plusieurs Églises el paroisses d'Alle-
magne se trouvaient ruinées, et la sympathie des
Genevois se montra par des faits, el non pas seule-
ment par des paroles. L'État et l'Église s'unirent pour
répondre libéralement aux demandes de secours
adressées par les réformés allemands.
Le 51 juillet 4 646 \ Mme la duchesse de Mecklen-
bourg expose aux pasteurs genevois que depuis huit
ans ses enfants lui ont été enlevés, el tous ses biens
confisqués ; elle demande à Genève « un prêt hono-
rable. » Voici son reçu (4 0 septembre 4 647).
« Nous, Eléonore-Marie, duchesse de Mecklenbourg, prin-
cesse d'Anhalt, de Winden, etc., comtesse de Rastadt et Stutt-
gart, contre tout droit nous avons été dessaisie de la tutelle à
nous donnée par testament, de notre fils, le duc Frédéric-
Adolphe, afin que nous le fissions élever en la vraie religion
réformée. A cause de cela, nous avons souffert beaucoup de
persécutions, dù soutenir de grandes dépenses, el finalement
sommes réduite à ce point que le pays assigné pour notre
douaire a été ravagé par les gens de guerre et tellement dé-
vasté que nous ne pouvons rien prétendre pour notre entretien
et rétablissement. Ayant eu une singulière confiance en la
louable république de Genève, nous lui avons exposé notre
détresse, et elle nous a envoyé une somme de 2600 livres
courantes. Nous reconnaissons celte dette en remerciant de
cœur Messieurs de Genève.
A Strélitz, 25 juin 1647.
Le 26 juin 4 646 la Compagnie reçoit une lettre
1. Nous prévenons nos lecteurs que les dates de ce chapitre corres-
pondent aux citations des registres du Conseil et de la Compagnie.
U2
de Hanau. signée de soixante personnes, qui expo-
sent « la détresse où se trouvent plusieurs maîtres
d'école, leurs veuves, leurs orphelins, et supplient
de les secourir comme Ton a fait autrefois, x Peu
«le temps après les réformés de Frankenlhal (Bavière)
demandent qu'on les assiste, vu qu'ils n'ont pas assez
pour l'entretien d'un pasteur et d'un maître d'école.
La Compagnie cl le Conseil décident une collecte « non
pas générale, mais faite chez les plus aisés, par les
pasteurs, chacun dans sa dizaine. Le souscription
s'élève à 6000 llorins, que l'on partage entre ces
deux Églises.
Le 7 novemhre i 651 , deux députés de Magdehourg
arrivent collectant pour leur Église et leur Académie;
on leur donne cent écus, et on les défraie de leur
voyage.
23 avril 1673. Les députés de Lulzen en Prusse
demandent qu'on les aide pour reconstruire leur tem-
ple détruit pendant les guerres. On leur donne dix
écus blancs.
Les Hongrois étaient également l'objet de la sollici-
tude de l Église de Genève < Le 20 août 1674, M. La-
combe, commerçant, rapporte que, se trouvant à Vien-
ne, il a vu des envoyés hongrois, et a appris par eux
qu'une grande calamité pèse sur les réformés de leur
pays. Les affaires de leur Église ont été confiées à une
chambre où dominent les jésuites, et quatre-vingts pas-
413
leurs viennent d'être envoyés sur les galères de Na-
pies.
La Compagnie ordonne immédiatement une sous-
cription pour les Eglises hongroises. M. Bénédict
Turrelin se charge de l'aire parvenir à Vienne , par
l'entremise de l'ambassade hollandaise, l'argent qu'on
recueillera. Mais les secours pécuniaires étaient peu
de chose : il fallait vaincre le fanatisme de l'empereur
Ferdinand 111, et secourir ses victimes reléguées dans
les bagnes napolitains. Bénédict Turrelin, qui, depuis
ses missions diplomatiques, avait conservé les meil-
leures relations avec les Pays-Bas, fil connaître ces
lamentables violences à. Guillaume 111, qui donna
immédiatement l'ordre à l'amiral Ruy ter d'agir « avec
la dernière énergie » auprès du vice-roi de Naples.
La négociation ne fut pas longue. Le 25 février 1676,
Ru> 1er recevait ses instructions, et le 5 mars suivant
les martyrs hongrois étaient libérés sans rançon. Des
marchands réformés de Le) de et de Zurich les accueil-
lirent sur la plage et leur fournirent les moyens de
se rendre dans les Pays-Bas et en Angleterre, où on
leur offrait un asile. Genève et Zurich, trouvant que
les sacrifices de leurs coreligionnaires étaient trop
considérables, remboursèrent la majeure partie de ces
frais, en remerciant ces dignes chrétiens de la manière
dont ils représentaient leur Eglise dans ces contrées
lointaines.
hkk
A diverses époques, les Hongrois protestants re-
coururent à la charité de Genève, au milieu des per-
sécutions qui leurjétaient suscitées par le fanatisme
impérial. Le 20 juillet 1708 notre ville reçoit dans
ses murs un pasteur nommé Trekzy, envoyé par
l'Église de Puckow, qui avait été complètement rava-
gée parles troupes autrichiennes; on paie à l'exilé ses
frais de voyage, et il peut encore emporter 200 écus.
En 4 749, les persécutions recommençant avec
une nouvelle violence, Zurich et Genève écrivent à
l'impératrice Marie-Thérèse une lettre où ils lui té-
moignent leur indignation de ce qu'après avoir élé
soutenue dans ses épreuves par des puissances pro-
lestantes et protégée par les Hongrois, lorsqu'elle se
trouvait abandonnée de tous, elle laisse maintenant
son clergé persécuter ses plus fidèles sujets. Cette let-
tre fut envoyée à l'ambassadeur hollandais à Vienne,
qui s'empressa de la remellre à son adresse.
Les Églises suisses ne se bornèrent pas à des re-
montrances : elles firent parvenir de fortes sommes
aux communautés danubiennes, et Genève (7 décem-
bre 4 753) établit un fonds destiné à entretenir régu-
lièrement un proposant hongrois dans son Académie.
Il y eut jusqu'à la révolution de 4 789 déjeunes Hon-
grois faisant dans notre ville des études régulières pour
le saint ministère.
La province de Transylvanie n'était pas traitée
iH5
plus favorablement que la Hongrie. En 4 750, le sur-
intendant des Églises réformées de ce vaste pays en-
voie à Genève des députés qui excitent un sympathi-
que élonnement en rendant compte de la situation
religieuse de leur pays. Ils possèdent 433 églises
divisées en seize diocèses; ils ont 438 pasteurs, trois
académies qui reçoivent chacune 1 50 étudiants. Mais,
depuis qu'ils sont sous la domination impériale, leur
situation est des plus fâcheuses, et les mauvais trai-
tements, les confiscations, entravent tout exercice
régulier du culte. Berne et Genève envoient de fortes
sommes. La Compagnie s'engagea subvenir aux frais
d'instruction des étudiants de ce pays qui viendront
se préparer au saint ministère à Genève. La propo-
sition fut acceptée, et jusqu'à la révolution de 1 794
de jeunes ministres transylvains furent formés par les
soins des pasteurs genevois.
Le 20 avril 1708, les prolestants polonais s'adres-
sèrent également à Genève pour obtenir quelques se-
cours. Le pasteur Arnold de Lissa annonce que le
séminaire réformé de cette ville où étudiaient tous les
pasteurs des Eglises évangéliques de Pologne, vient
d'être ruiné par les Moscovites Les églises de Pologne
étaient au nombre de 108, savoir: 8 dans la grande
Pologne, 40 dans la petite, et 60 en Lithuanie.
Les Genevois envoient 520 écus pour aider au réta-
blissement du séminaire de Lissa.
III
Si Genève montrait une sympathie active pour les
infortunes étrangères, les Églises réformées de l'Eu-
rope lai témoignaient eu retour une sérieuse affection.
Une manifestation des plus honorables eut lieu en
1670. Les ponts du Rhône lurent brûlés; les mai-
sons qu'ils portaient devinrent la proie de l'incendie;
122 personnes périrent dans les flammes, et la perle
matérielle s'éleva à 1,700,000 francs. Sans même
attendre les lettres de Genève, des collectes s'organi-
sèrent de toutes parts. L'Église française de Francfort
donna 400 rixdalers; Schaffhouse et Saint Gaïl en-
voyèrent 400 ducats. Une princesse de Hesse offrit
4 400 rixdalers; Danlzig et Amsterdam ensemble
1672 florins; Middlebourg et Cologne chacune 50
éeus\ Les Églises de France sont obligées d'obser-
ver le plus grand secret pour faire parvenir leur
argent à Genève. Berne, Bâte, Zurich et les autres
cités protestantes, 8000 écus.
Ces manifestations unherselles relevèrent le cou-
rage des Genevois, et les pertes des incendiés furent
largement compensées par les sacrifices de leurs amis,
Vers la fin du dix septième siècle, les relations entre
les Églises germaniques et Genève changèrent de na-
ture. Les calamités qui avaient accompagné la guerre
1. Principaui dons : Lyon (M. Tronchin), IÔO florins; Francfort,
t i.i5o livres courantes; Bal*» Faiio). (09 écufl; Grenoble i>atil>i{rnc\,
;)3i livres; Paris Girardot 334. livre*; .Meus, 50 francs; Uesse-Land-
j:rav (.. 1400 livres.
h 17
de trente ans étaient effacées; la prospérité reparais-
sait, grâce à l'énergique activité des populations pro-
testantes. Ces nobles entants de la Réforme, à peine
délivrés de leurs longues épreuves, devaient mainte-
nant trouver de nouvelles ressources pour accueillir
les victimes de Louis XIV. Ces sacrifices furent né-
cessaires pendant près d'un demi siècle, et les villes
évangéliques d'Allemagne tirent preuve d'un héroïsme
chrétien dans leur zèle pour le soulagement tic tant
de misères. Leur correspondance avec Genève ne
roule que sur les moyens de recevoir le plus grand
nombre possible de réfugiés, et des souscriptions
collectives des Suisses et des Allemands lurent em-
ployées à construire des temples pour les nouvelles
colonies françaises. Nassau, Bade et Berlin, en \ 702,
reçurent dans ce but de fortes subventions, et ces
œuvres, accomplies dans le même esprit, abaissèrent
les barrières qui séparaient les Eglises, et disposèrent
les deux grandes fractions de la Réforme à s'unir de
cœur en dehors des formes d'église et des détails de
croyance. Cette fusion lit de si grands progrès, qu'en
1709 (i janvier) des théologiens de Koenigsberg pro-
posèrent aux Genevois de communier à la même ta-
ble, les luthériens distribuant l'hostie, et les réformés
rompant le pain, et la cérémonie fut célébrée de ia
sorte dans ces deux villes.
Les souverains suivirent le mouvemenl des Égli-
iii. 27
418
ses. Le roi de Prusse félicita Genève de s' élre affran-
chie des entraves qui retenaient captive la pensée
religieuse, et la princesse de Holslein-Norbourg té-
moigna son estime à la Compagnie des Pasteurs, en
la prenant pour arbitre dans une question très-déli-
cate.
(2 mai 4 708.) « Mon fils, » écrit-elle, « doit héri-
ter d'une succession très-considérable dans les terres
du roi de Dannemark, mais à condition qu'il se fasse
luthérien; puis-je, devant Dieu, en conscience, le
l'aire élever dans celle Église? »
La Compagnie répond : « Les luthériens n'ont point
de croyances fondamentales qui doivent nous empê-
cher de communier les uns avec les autres. Cepen-
dant, comme nous estimons que les réformés ont,. sur
certains points, des idées plus justes que les luthé-
riens, nous ne .pensons pas qu'on doive élever le
jeune prince de manière à l'obliger à recevoir les
croyances luthériennes. Sa mère peut s'engager seu-
lement à lui faire connaître les sentiments de l'une
et de l'autre Église, afin que lorsque le prince sera
en âge de raison, il puisse choisir par lui-même, el
décider la voie qu'il doil suivre. »
Ces excellentes relations continuèrent pendant tout
le dix-huitième siècle, et Genève reçut plusieurs preu-
ves de la cordiale considération que les réformés
allemands lui accordaient. Le plus remarquable de
449
ces témoignages fui une proposition de l'Eglise de
Cassel, demandant, en 4 744 (4 0 févr.), que le clergé
genevois fût chargé de nommer tous les ministres des
communautés françaises établies en Allemagne. Toutes
les grandes paroisses se montrèrent favorables à cette
motion, mais Genève refusa sans balancer celte mis-
sion qui lui paraissait impossible à remplir conve-
nablement, vu la dislance et le nombre des Eglises
du refuge.
En dehors de ces relations fraternelles avec les
grandes Églises réformées de l'Europe, Genève par-
ticipa activement à la création et au maintien de quel-
ques communautés évangéliques disséminées en Italie,
en Russie et en Turquie.
Le 40 avril 1699, les protestants établis à Cons-
tantinople demandèrent à Genève de leur envoyer un
pasteur. Des renseignements circonstanciés accompa-
gnaient cette requête, el montraient qu'un grand
nombre de protestants se trouvaient dans une position
prospère. La colonie pouvait aisément entretenir un
ministre, et, grâce à la protection de l'Angleterre et
de la Hollande, ou jouissait d'une entière sécurité
dans la capitale de la Turquie . Après de longs délais
on envoya un maîlre d'école français réfugié, el, dix
ans plus lard, les réformés pouvaient écrire: « Notre
communauté prospère; on l'appelle Eglise des Gène-
420
vois, et cela es! naturel, vu qu'il y a vingt-quatre
familles de notre pays, et cinquante-trois enfants. Sous
la protection de l'ambassadeur des Pays-Bas nous fai-
sons des exercices de culte dans la maison de ce sei-
gneur, à deux lieues de Conslanlinople (9 février
4 709, 29 avril 1752).
La Compagnie accorde à celte Eglise 200 livres
par an.
La fondation de l'Église réformée de Livourne pré-
sente quelques détails intéressants (1er avril 1655).
En 4 649, M. le pasteur Léger étant passé dans cette
ville, y rencontra des réformés flamands, allemands
et français, qui ne célébraient aucun culte public, et il
les exhorta à se procurer un ministre, et dans le but
d'établir une église régulière, un négociant fort aisé,
M. Marchand, envoya son tîls étudier la théologie à
Genève. Ce jeune homme fut très-favorablement ac-
cueilli, et on pritsoin de lui faire prononcer dessermons
en italien. Le i novembre 4 655 il écrivait de Li-
vourne que « les frères se trouvent bienheureux d'a-
voir un culte, et que la Sainte Cène avait été célébrée,
pour la première fois, avec une grande solennité. »
Genève participa également à la fondation de l'E-
glise française de Saint-Pétersbourg. On écrivit en
1720 à M. Le Fort, syndic de Genève, pour sollici-
ter une subvention qui fut accordée de concert avec
les Eglises suisses.
421
C'est ainsi que, pendant tout le cours du dix-hui-
tième siècle, nos registres présentent de fréquentes
demandes de conseils et de secours de la part de di-
verses communautés prolestantes, et ces bons rap-
ports ne furent interrompus qu'en 1792. «Vu la
misère des temps, dit le registre, on est obligé, pour
la première fois, de ne pas répondre aux frères pro-
testants qui sollicitent nos secours. » Ce triste étal
d'isolement dut subsister pendant les vingt-cinq an-
nées de révolution et de guerre qui ruinèrent la Ré-
publique genevoise. Dès-lors Genève a repris son rang
parmi les Eglises réformées, et c'est à nos frères des
communautés disséminées de dire si la mission de
charité chrétienne, inaugurée par nos ancêtres, est
acceptée par leurs enfants du dix-neuvième siècle.
422
CHAPITRE XIII.
L ÉGLISE PENDANT LA RÉVOLUTION ET L'EMPIRE
Les pasteurs à la révolution de 1782. — Vernes banni et réintégré. —
Médiation de Claparcde. — Courage des pasteurs en 1789. — Le
pasteur Peschier et le capitaine de Combes. — Révolution de 1792.
— Conduite ferme et conciliante des pasteurs. — Mort de Charles
Bormet. — Anspach et Mouchon. — Accusation de MM. Duby et
Vauchcr, 1794. — Persécution des pasteurs. — Les clubs. — Ba-
nissement et démissions à la ville et à la campagne. — Mouclion à
l'Assemblée nationale. — Genève réunie à la France. — Organisation
de l'Eglise. — Société Economique. — Le décadi. — Les cloches. —
Le Concordat. — Mort de M. Martin-Rey. — Dévouement des Gene-
vois à leur Eglise. — Les proposants et le service militaire. — L'im-
pôt du sang. — Genève redevient Suisse.
$ I. 1777 a 1790.
Vers la fin du dix-huitième siècle le clergé gene-
vois se trouvait dans une position aussi délicate que
pénible. La lutte avec le matérialisme qui durait de-
puis cinquante années, avait épuisé les forces des
pasleurs, et le relâchement général des croyances reli-
gieuses dans l'Europe centrale se faisait sentir dans
h-2o
toules les fiasses de la société genevoise. Les jeunes
gens subissaient l'influence de l'esprit du temps, et
préféraient la carrière militaire à l'étranger et les
occupations mondaines, aux études sérieuses en hon-
neur chez leurs ancêtres.
A Genève, en 1777, le corps des pasteurs était
composé d'hommes âgés, usés par les travaux et les
épreuves d'un long ministère, et l'on voyait avec
tristesse le nombre des étudiants en théologie diminuer
chaque année. Les citoyens attachés à l'Évangile exa-
minèrent sérieusement les causes de cette lâcheuse
situation; ils reconnurent que les tendances frivoles
de la société n'étaient pas la seule cause du mal, mais
que des obstacles inhérents à l'organisation ecclésias-
tique éloignaient forcément les jeunes hommes de
celle carrière. En effet, l'étendue et la multiplicité
des fonctions pastorales dépassaient la mesure des fa-
cultés humaines, et les honoraires conservés tels qu'ils
étaient fixés depuis un siècle, se trouvaient absolu-
ment, insuffisants pour entretenir le pasteur et sa fa-
mille.
De nombreuses requêtes furent adressées par les
citoyens au gouvernement, « afin qu'il fournît à la
jeunesse les encouragements nécessaires pour suivre
la plus belle et la plus utile des vocations. »
Ces sollicitations étaient appuyées sur l'autorité du
célèbre docteur Tissot, qui, dans un mémoire médi-
cal, démunirait que « les hommes les plus robustes,
soumis à la fatigue hebdomadaire imposée aux pas-
teurs genevois, devaient avoir la santé irrévocable-
ment compromise avant cinquante ans. »
Les magistrats se rendirent à ces sollicitations, et
comme ils ne pouvaient créer de nouvelles paroisses,
ils diminuèrent le nombre des prédications, et por-
tèrent le salaire des pasteurs à une somme suffisante
pour subvenir au strict nécessaire du genre de vie le
plus simple i .
Les pasteurs de la ville reçurent 2460 francs, et
ceux de la campagne 1600 francs. Lorsque ces pro-
positions, adoptées par le Conseil des Deux-Cents,
furent portées au Conseil Général, ce corps vota
l'augmentation des honoraires ecclésiastiques, mais
ne consentit point à la réduction des services reli-
gieux.
Quoique celle décision ne répondît pas entièrement
aux vœux des amis de l'Église, cette manifestation
d'une sympathie active chez les citoyens les plus éclai-
rés ranima le zèle chrétien des jeunes gens, el huit
années plus lard, en 1784, on constatait que jamais
l'auditoire de théologie n'avait été plus nombreux et
mieux composé.
Telle était la position du clergé genevois lorsque
commencèrent les révolutions qui, dans l'espace de
t. Keg. Gons. 17 juillet 1778.
42S
seize années, amenèrent la ruine el la chute de notre
ancienne République.
En 1782, l'État de Genève se composait des ci-
toyens el des bourgeois qui seuls possédaient les droits
politiques, la jouissance des biens nationaux et le
libre établissement du commerce et de l'industrie.
A côté de celte classe privilégiée se trouvaient les
habitants el les natifs issus des réfugiés de la Révo-
cation, et qui ne participaient aux privilèges des ci-
toyens qu'après avoir soldé les 12 ou 1500 francs,
prix de la bourgeoisie. Ces hommes, dont les familles
vivaient à Genève depuis près d'un siècle, réclamaient
l'entrée effective dans la famille républicaine, et l'éga-
lité des droits politiques et sociaux. Plusieurs bour-
geois appuyaient leurs demandes; mais le plus grand
nombre les repoussaient. Hes troubles incessants agi-
tant la ville, le gouvernement suivit les exemples du
passé, sollicita l'intervention armée de la France, du
Piémont et des cantons suisses; la révolution fut com-
primée, et on fabriqua une constitution dont le libé-
ralisme laissait beaucoup à désirer; car la liberté des
citoyens recul de graves atteintes, et les natifs et leurs
amis furent exilés du territoire genevois.
Voici maintenant quelle fut la conduite des pasteurs
durant celte triste année.
Ces courageux ecclésiastiques acceptèrent sans ba-
lancer leurs fonctions médiatrices. Dès l'abord, ils se
126
réunirent à une société de conciliation, qui n'épargna
aucune démarche pour apaiser les esprits. A la tète
de ces généreux pacificateurs se trouvaient MM. Ver-
nes et Claparède, qui profilaient habilement de leurs
relations de famille pour calmer les personnes les plus
irritées dans le parti des magistrats. Ce zèle déplut
aux plénipotentiaires étrangers chargés d éteindre les
discordes et qui avaient déjà dressé des listes de ban-
nissement. A leur sollicitation, M. Claparède fut mandé
je 20 juin 1782 devant les syndics; mais ce pasteur,
au lieu de s'excuser, parla ainsi :
« Messieurs , je vous supplie de choisir les voies les
plus douces; la vraie gloire consisterait maintenant à
céder et à ne pas prendre à la rigueur la déclaration qui
ordonne à quelques personnes de sortir de la ville. »
La Compagnie appuya les démarches de M. Clapa-
rède ; mais ce fut en vain ; les exilés prirent le chemin
de la terre étrangère, et le deuil politique attrista tous
les cœurs bien disposés.
Les pasteurs eurent un sujet spécial de chagrin ;
M. Verues, dont les sympathies s'étaient ouvertement
prononcées en laveur des natifs, fut impitoyablement
cassé de ses fonctions et banni pour dix ans. Le sou-
venir des services signalés rendus à la cause religieuse
par M. Vernes, son dévouement et ses succès dans
la lutte contre Voltaire, ne purent le protéger. En vain
les pasteurs supplièrent-ils les plénipotentiaires de
'i27
l'épargner; en vain la Compagnie entière déclara-l-elie
« qu'elle rendait le plus éclatant hommage aux in-
tentions de M. Vernes et à ses efforts réitérés pour
terminer les discordes par une heureuse concilia-
tion. » Cette intervention fut inutile, il dut partir pour
l'exil, et la Compagnie inscrivit en ses archives une
protestation en date du 21 novembre 1782, portant
bue la Compagnie est vivement affligée de ce que M. Ver-
nes a encouru l'animadversion des plénipotentiaires,
et ne peut (pie rendre pleine justice à son talent et à
la manière dont il a exercé ses fonctions pastorales.
De sérieuses discussions eurent lieu touchant la
position du clergé pendant les années qui suivirent
la révolution de 1 782.
En 1785, le Conseil proposa de nouveau la dimi-
nution des services religieux; mais en même temps
le retranchement d'un professeur de théologie et de
deux places de pasteurs, qui étaient remplies par qua-
tre titulaires.
Le nombre des pasteurs se trouvait ainsi réduit à
huit ecclésiastiques pour la ville. — La Compagnie
déclara qu'elle accueillait avec douleur ce projet ;
elle aflîrma que le culte serait gravement compromis,
et qu'il était impossible à huit ministres de remplir
convenablement les fonctions pastorales dans une
ville «le 29,000 âmes1, et au milieu de la dégra-
i. 25,000, ville; 4000, banlieue.
428
dation des mœurs el des souffrances de la religion.
Le Conseil témoigna sa surprise de ce que « la
Compagnie eût délibéré sur ce sujet sans y avoir été
invitée par les magistrats; elle n'a rien à y voir. »
Les pasteurs répondent que « bien que l'Etat soit
souverain, l'esprit des édils leur accorde le privilège
des représentations, el que la conduite du Conseil
n'est convenable ni pour le fond ni pour la forme. »
Lorsque des débals sont empreints d'une pareille
aigreur, il est heureux que des hommes influents em-
ploient leur autorité morale à calmer les esprits.
MM. Claparede, professeur, etTrembley, ancien syn-
dic, se chargèrent de cette mission auprès des per-
sonnes les plus compromises dans la discussion. Leurs
efforts lurent couronnés de succès. Les Conseils admi-
rent le projet des amis de l'Église, rejeté en 1777.
On conserva le même nombre de pasteurs el l'on ré-
duisit à peu près des deux cinquièmes le chiffre des
services religieux.
Voici la distribution des cultes pour une année,
dans la ville de Genève : treize pasteurs, 174 4 actes
de culte, se décomposant comme suit : 592 sermons,
442 catéchismes, 1010 services liturgiques.
L'issue favorable de ces pénibles débats exerça
une bonne influence sur la discipline intérieure de
l'Église. De graves abus s'étaient introduits pendant
les derniers troubles politiques; des habitudes irréli-
429
gieuses avaient pris la place de l'ancienne austérité.
On peut juger de la gravité du mal en étudiant un
mémoire de MM. Thouron et Claparède sui' la despec-
tueuse observation du dimanche. « A l'heure des ser-
mons, disaient-ils, les rues et les places sont pleines
de monde, les boutiques sont ouvertes, surtout à
Kive et à Saint-Gervais; les ateliers retentissent du
bruit des instruments de travail, comme pendant
la semaine, et les catholiques se distinguent dans ces
excès par une insolente affectation. »
Les magistrats reprirent leur ancienne sévérité, et
défendirent, sous peine d'amende, l'ouverture des
boutiques, des auberges et des calés durant le service
divin.
On atteignit ainsi l'année 4 789 ; la paix sociale qui
régnait à Genève couvrait de sombres rancunes. La
constitution de 1 782 irritait les esprits; les principes
de la révolution française exaltaient les jeunes gens,
et tout faisait présager une crise prochaine, (les pres-
sentiments n'étaient pas trompeurs, Durant l'hiver
de 1789, à l'occasion de la cherté du pain, la ville
fut bouleversée par des émeutes successives. A diver-
ses reprises les citoyens prirent les armes, le sang
coula, et les Conseils délibérèrent à nouveau pour
fabriquer une constitution plus libérale.
Les pasteurs essayèrent de calmer les esprits irri-
tés; mais en général le succès fut loin de répondre à
450
leur dévouement. Ainsi, le 27 janvier 1789, ils
rapportent au Conseil : « Nous avons désiré être utiles
pour ramener la paix ; mais notre intervention n'a pas
réussi auprès des personnes ameutées. Plusieurs ci-
toyens ont hué et insulté les plus aimés et les plus
respectés d'entre nous. »
Toutefois, l'un de ces dignes ministres, M. Pes-
chier, pasteur à Saint Gervais, put remplir son devoir
au péril de sa vie.
Un rassemblement de forcenés s'était emparé de la
porte, de Cornaviu, et se disposait à fusiller M. de
Combes, capitaine du poste. M. Peschier accourt, et,
se plaçant devant l'officier, il s'écrie : « Vous tuerez
votre pasteur en même temps que votre capitaine. »
Comme M. Peschier était de très-petite taille, on ajus-
tait les fusils par-dessus sa tète; aussitôt le courageux
ministre monte sur une chaise, et, embrassant la poi-
trine de M. de Combes, il s'écrie : «Tirez maintenant,
et faites deux victimes î » Les armes s'abaissèrent, et
l'officier eut la vie sauvée.
La constitution issue de ces troubles satisfit un grand
nombre de citoyens; cet acte donnait la bourgeoisie
gratuite aux natifs de la quatrième génération; on
cassa les procès politiques de 4 782, et la plupart
des exilés rentrèrent dans leur patrie.
Le retour de M. Vernes (1 4 décembre 1789) fut
une véritable fêle populaire : ses anciens paroissiens
451
lui serraient les mains, baisaient ses vêlements, et
une brave femme, qui vendait des fleurs, mille com-
ble à l'enthousiasme en s' écriant: « Puisque notre bon
pasteur nous est rendu, je donne aujourd'hui mes
bouquets pour rien ! »
M. Vernes reprit sa place officielle parmi les pas-
leurs; mais l'épreuve avait brisé ses forces et sérieu-
sement altéré sa santé; il ne put recommencer ses
fondions actives, et mourut deux ans plus tard, le
24 octobre 1791 .
La révolution de 4 789 étant terminée, et la paix
paraissant rendue pour longtemps à la République
genevoise, la Compagnie des Pasteurs envoya l'adresse
suivante aux Conseils :
« Nous espérons que les suites de la dernière crise
seront heureuses. Nous ferons sentir à ce peuple le
bonheur d'avoir à sa tête des magistrats qui ne con-
naissent point de litres comparables à celui de pères
de la pairie. Nous nous trouvons heureux d'avoir vu
se déployer, parmi ce même peuple auquel nous
avons consacré notre ministère, un caractère de bonté,
de sensibilité, de patriotisme, dont nous avons cons-
taté de nombreuses marques durant ces mauvais jours .
Nous prenons avec joie, entre les mains de ce Conseil,
l'engagement de travailler de toutes nos forces à en-
tretenir ces sentiments dans nos paroisses pour la con-
servation de la prospérité de la pairie. »
432
% M. 17 '.M M k DÉCEMBRE 1792.
Cette conciliation entre les partis extrêmes ne fut
pas de longue durée. Les brochures politiques se mul-
tiplièrent, et si le ton de leurs auteurs était souvent
déplorable, les principes qu'ils émettaient respiraient
la justice et l'équité; en effet, ils demandaient le droit
de bourgeoisie pour tous les protestants nés sur le
territoire genevois; ils réclamaient l'abolition des
distinctions civiles entre les citoyens. Ces prétentions,
qui seraient injustes et dangereuses au sein d'une
population mélangée d'étrangers nombreux et sans
demeure fixe, étaient naturelles à Genève, où tous
les habitants professaient le même culte et comptaient
des aïeux parmi les victimes des persécutions reli-
gieuses.
Après une nouvelle prise d'armes dirigée contre
les natifs et les paysans qui voulaient s'emparer de
la ville, un nouveau code fut élaboré et voté, par le
Conseil général le 14 novembre 1794 . Cette consti-
tution donnait la liberté et l'égalité complète à tous
les Genevois; les vœux des natifs et de leurs adhé-
rents étaient satisfaits, et la république aurait re-
trouvé la paix, sans la désastreuse influence des émis-
saires français qui surexcitaient les passions populai-
res. Après une année d'intrigue, les révolutionnaires
455
s'emparèrent du gouvernement, et le i décembre
1792 remplacèrent les Conseils et les magistrats par
des comités de sûreté et d'administration. Cette troi-
sième révolution s'exécuta toutefois sans effusion de
sang.
Voici quels furent le rôle et la position de l'Église
durant ces deux années :
En février 1794, la Compagnie enjoignit à cha-
cun de ses membres d'éviter absolument de se mê-
ler de politique. Elle décida que les pasteurs porte-
raient toujours en public leur costume, savoir le man-
teau et le rabat, afin de pouvoir être reconnus immé-
diatement et d'exercer ainsi plus aisément leurs
fonctions médiatrices.
Le lendemain du jour où ces mesures étaient votées
(45 février 4 794), les pasteurs se jetaient au travers
d'une émeute, et avec un zèle et un patriotisme chré-
tiens ils parcouraient la ville, se présentant sur tous les
points où le tumulte avait lieu; ils adressaient des
paroles de paix et de concorde aux hommes les plus
irrités, et leur influence prévint de tristes violences.
Quelques jours plus tard on apprit que, dans les
campagnes, les ministres avaient subi de grossiers
traitements de la part de leurs paroissiens. — M. Ju-
venlin, pasteur de Chêne, l'un des ecclésiastiques les
plus distingués par l'énergie de son caractère, ses
talents et sa profonde piété, fut envoyé dans les pa-
in. SX
43/»
roisses rurales; il portait , de la part de la Compa-
gnie, des paroles de consolation et de sympathie à
ses collègues. Son rapport diminua la gravité des ap-
préhensions. «On a, dit-il, beaucoup exagéré les
» choses; les pasteurs n'ont point éprouvé de désa-
» gréments personnels; ils ont même réussi à retenir
» plusieurs paysans entraînés contre la ville par de
» mauvais conseils. Le peuple de la campagne serait
» tranquille si on le laissait à lui-même; mais on
» souffle sans cesse le feu, et l'on détruit le bien que
» font ceux qui veulent le calmer. »
Pendant qu'on reconstituait à grand'peine l'édifice
politique de Genève, l'Église jouissait d'une vérita-
ble faveur, et les pasteurs purent mettre au jour des
idées utiles pour le pays. Une commission travaillait
à réorganiser le collège; la Compagnie demanda la
création d'une série de classes destinées aux jeunes
gens qui ne voulaient pas suivre la carrière du droit
ou du ministère évangélique (10 avril 4791). Mal-
heureusement cette idée ne trouva pas faveur auprès
des comités organisateurs. Elle fut repoussée après
mur examen. Un peu plus lard, lorsque le nouveau
projet touchant le collège fut publié, les pasteurs,
trouvant de graves lacunes dans l'instruction reli-
gieuse, obtinrent que les leçons seraient confiées
comme par le passé à la Société des catéchumènes,
qui depuis soixante ans avait si bien mérité de la pa-
435
trie. L'esprit public ne fut pas moins favorable au
clergé dans les modifications apportées à la constitu-
tion ecclésiastique. Le 4 5 mars 1 792; l'administra-
tion créa deux nouvelles places de pasteurs, en sorte
que la ville de Genève fut desservie par quinze offi-
ciants. Voici leurs noms en 4 792 : à Saint-Pierre,
MM. Sarasin et Martin aîné; à Saint-Gervais, Chene-
vière et Peschier ; à la Madeleine, Cardini et Francil- 1
Ion ; au Temple-Neuf, Pasteur et Mouchon ; à Saint-
Germain, Gascet Thouron; Catéchistes, Martin, Rey
et Mange. Le clergé témoigna une vive reconnaissance
de cette heureuse innovation, et, se sentant appuyé
sur la majorité des citoyens bien pensants, il reprit un
nouveau courage pour faire son devoir.
La bonne volonté du gouvernement réagissait sur
la jeunesse, et celte année un assez grand nombre
d'étudiants vinrent s'inscrire pour entrer en théolo-
gie. Toutefois, comme l'avenir offrait peu de sécurité,
lespasleurs crurent devoir insister sur les difficultés
nouvelles du ministère, et les professeurs, MM. Picot,
Claparède et de Roche, adressèrent aux proposants
ces solennelles paroles (25 mai 1792) : « Ne déses-
y> pérez pas du maintien d une religion que son au-
» leur saura bien défendre; mais il ne faut pas se dis-
» simuler que la tâche devient tous les jours plusdif-
» ficile; aussi, avant d'aller plus loin, examinez bien
» votre vocation. Faites les plus grands efforts pour
436
» vous perfectionner; surtout sachez qu il est essen-
» tiel de ne pas regarder en arrière; quels que soient
» les périls qui vous attendent, il faut persévérer
«jusqu'à la fin — » Les appréhensions des profes-
seurs étaient fondées; trois ans plus tard, la tour-
mente révolutionnaire avait balayé la plupart de ces
jeunes hommes si bien disposés.
Vers la fin de l'année, des circonstances désastreu-
ses donnèrent aux pasteurs l'occasion de montrer leur
patriotisme. — L'invasion de la Savoie par l'armée
française avait paralysé le commerce et réduit à la
misère un grand nombre d'industriels. Une collecte
générale fut annoncée (le 15 octobre 1792), et mal-
gré la gêne universelle, cette souscription produisit
14,000 écus. Les pasteurs donnèrent 112 louis
d'or, et comme leur position respective de fortune
variait beaucoup, afin que la plus fraternelle égalité
régnât dans cette offrande, il fut décidé que chacun
dirait à l'oreille du caissier de la Compagnie le mon-
tant de sa cotisation, et que la somme totale serait
remise à l'Etat sans que personne pût connaître le
chiffre des souscriptions individuelles.
Cette seconde période de la révolution genevoise
fut terminée le 4- décembre 1792. Un gouverne-
ment insurrectionnel abolit l'ancienne forme politi-
que de l'État, et remplaça les magistrats et les con-
seils par des comités de sûreté et d'administration.
437
g III. 4793.
Les pasteurs eurent le cœur brisé en voyant dis-
paraître les magistrats avec lesquels ils avaient tra-
vaillé depuis tant d'années. Mais le devoir parlait
plus haut que les anciennes sympathies; il fallait son-
gerai! salut de l'Église. Du reste, les rapports entre
l'administration et le clergé ne subirent pas, dès l'a-
bord, de graves altérations. La Compagnie prit l'ini-
tiative et décida de faire une adresse au gouverne-
ment provisoire, pour lui parler du maintien de la
religion, du culte public, et protester du dévouement
des pasteurs à la patrie et de leur zèle pour son bon-
heur.
Voici l'adresse que M. Roustan présenta le 3 jan-
vier 1793 :
« Nous avons le désir d'entretenir avec le corps
administratif les mêmes relations que, dès l'origine
de la république, le législateur établit si sagement
entre les fonctionnaires civils et religieux. Les pas-
teurs de celte Église ne seront point les derniers à
adopter les principes d'une égalité convenablement
établie et qui ne préjudiciera nullement au maintien
de l'autorité légitime, de la subordination, de l'ordre
public et des mœurs. — Nous verrons avec joie le
moment où une législation, mieux perfectionnée d'à-
438
près le vœu universel des citoyens, fixera pour tou-
jours dans notre patrie l'union, la confiance et la
paix. Le plus sûr moyen d'atteindre ce but est in-
contestablement que les sentiments religieux repren-
nent chez tous les citoyens une nouvelle activité, et
(pie les administrateurs auxquels les intérêts de l'État
viennent d'être confiés ne négligent rien pour assurer
à la religion toute son influence, pour réprimer les
scandales, pour maintenir l'autorité paternelle, l'hon-
nêteté des mœurs et l'observation exacte des devoirs
du culte. »
Le président répond : « A la conduite patriotique
des pasteurs, nous reconnaissons les fidèles ministres
d'une religion faite pour procurer à l'homme toute
la liberté qui peut lui convenir et dont il est suscep-
tible. Le comité vous soutiendra de tout son pouvoir
dans vos offices, et s'empressera en toute occasion
de vous donner des marques du cas très-distingué
qu'il fait de votre Compagnie et de chacun de vous
en particulier. »
Une assemblée nationale tut nommée pour rédiger
une quatrième constitution. Plusieurs pasteurs en
furent élus membres. Ce choix tomba sur MM. Picot,
Anspach, Chenevière, Gasc, Peschier, Rouslan et
Mouchon .
Durant les sessions de cette constituante, une nou-
velle souscription patriotique fut proclamée; le 4 3
459
mars 1795, la Compagnie donna vingt louis d'or sur
ses fonds, et chaque pasteur sacrifia le tiers du tri-
mestre courant de ses honoraires. Quelques jours plus
tard (5 mai 1715), le gouvernement fonda un comp-
toir patriotique pour venir en aide aux industriels;
la Compagnie prit dix actions.
Au mois de juin, les clubs proposèrent et l'admi-
nistration adopta un serment civique qui serait exigé
de tous les citoyens et mettrait lin aux désordres et
aux prétextes de violence. Les partisans de l'ancien
ordre de choses refusèrent ce serment, « ne voulant
point reconnaître les gouvernants actuels. » Toute-
fois cet acte était conçu en termes modérés. — 11
portait simplement : « Je jure d'être fidèle à la na-
tion, de défendre la liberté, l'égalité, l'indépendance
de l'Etal, de concourir de toutes mes forces à main-
tenir l'ordre et la liberté individuelle, de respecter
les autorités constituées, de leur obéir, de vivre en
paix et fraternellement avec tous les Genevois. » (10
juin 1795.)
La Compagnie déclara qu'elle consentait à pro-
noncer ce serment, à condition toutefois que les pas-
teurs le prêteraient devant les administrateurs et ne
seraient pas obligés de se rendre sur une place d'ar-
mes, comme cela était requis pour les autres citoyens.
La formule étant lue, M. Mouchon, modérateur,
adressa ces paroles aux membres du gouvernement :
440
« Nous allons plus que jamais faire tous nos eflorts
» pour observer un ministère de réconciliation; nous
» nous adressons au Dieu protecleur des Genevois,
» le priant de répandre son esprit de douceur et de
» sagesse, et d'incliner tous les cœurs et toutes les
» pensées de nos concitoyens au plus grand bien de
» notre chère patrie. »
Nous devons maintenant exposer quelques fails
qui démunirent l'énergie et la vitalité des institutions
religieuses à Genève. Certes, pendant ces mauvais
jours les idées d'obéissance aux lois et de subordina-
tion à une autorité quelconque, obtenaient peu de
faveur auprès des citoyens. Aussi l'on aura peine à
croire que les privilèges et la discipline du Consis-
toire fussent respectés, et que ce corps pût, comme
auparavant, réprimer des délits moraux. Néanmoins
les registres consisloriaux de 1795 à 4797 rappor-
tent un grand nombre de remontrances et de puni-
tions infligées à des personnes citées devant les an-
ciens, et les troubles politiques n'entravent point l'ac-
tion de celte législation morale.
De son côté, le gouvernement accueille favorable-
ment les réclamations des pasteurs, touchant le bon or-
dre extérieur de la ville. — Des mendiants étrangers
se sont établis sur les places et dans les rues, des jeu-
nes gens chantent à toute heure du jour d'indignes
chansons, les agents de police négligent de faire
Ilki
observer le silence autour des temples à l'heure du
culte. La Compagnie adresse de sévères remontran-
ces sur ces abus, et les administrateurs répondent en
prenant des mesures efficaces pour les réprimer et
les faire disparaître (6 janvier, 28 février 4 795). ^
La protection damnée aux lois morales par le gouver-
nement de 95 s'étend plus loin encore : le 14 jan-
vier les pasteurs signalent l'existence de plusieurs
maisons où Ton joue des jeux de hasard à très-haut
prix, et où les pertes et les scandales sont considéra-
bles. Une proclamation conçue dans les meilleurs
termes interdit ces réunions, et des actes de vigi-
lance effective les dispersent.
Durant celte année, une liberté véritable fut lais-
sée aux pasteurs pour la discussion publique de leurs
sentiments, et une controverse qui s'éleva entre MM.
Mouchon et Anspach, au sujet de Charles Bonnet,
montre jusqu'où s'étendait le respect pour la pensée
et pour ses manifestations extérieures.
Charles Bonnet mourut le 54 mai 4 795. « Sa mé-
moire nous sera chère, inscrit la Compagnie en ses
registres, à cause du bel usage qu'il fil de ses lumiè-
res en faveur du christianisme. » — Le 8 août de
la même année, on posa sur la maison du Molard
l'inscription en l'honneur de l'illustre philosophe ge-
nevois. M. Anspach, pasteur, très-engagé dans le
mouvement révolutionnaire, lit le discours d'inaugu-
I
4*2
ration et parla de toutes les œuvres de Bonnet, ex-
cepté de ses admirables démonstrations en faveur de
la divinité de l'Évangile. Celle triste condescendance
envers l'esprit du temps fut sévèrement relevée par
M. Mouchon dans le Journal de Genève. «Pourquoi,
* dit-il, en rendant compte des ouvrages de Bonnet,
» a-t-on absolument passé sous silence un de ceux
» qui lui font le plus grand honneur? Pourquoi dis-
» simuler celui de ses écrits qui a le plus servi au
» bonheur des hommes, en présentant avec tout l'ap-
» pareil de ses preuves une religion qui portera lou-
» jours son empreinte céleste aux yeux de tout bon
» esprit qui daignera l'étudier! »
Aucune réponse ne fut faite à ces justes observa-
lions.
Sur un autre terrain, dans les séances de l'assem-
blée nationale, MM. Mouchon et Anspach soutinrent
une très-vive polémique louchant l'Église genevoise.
Anspach demandait qu'il ne fût pas nécessaire, pour
exercer les droits de citoyen, de professer à Genève
la religion dominante, et que la nation s'engageât à
salarier les ministres des cultes, sans en particulari-
ser aucun. (Journal de Genève, 16 janvier 1794.)
Mouchon, soit dans la chaire, soit à la tribune natio-
nale, plaida avec une chaleureuse éloquence la cause
de l'Église réformée. Il prouva qu'elle était la mère
de toutes les libertés vraiment dignes de ce nom, et
que Genève lui avait dû son existence durant 250
années. Mouchon obtint un avantage décidé sur son
collègue, et à la majorité de 2808 suffrages contre
382, rassemblée nationale « maintint le culte de la
religion chrétienne réformée el toutes les institutions
qui se rattachent à son observation dans la répu-
blique »
La Compagnie (4 8 octobre 1793) avait été sol-
licitée de donner un préavis sur cette question. Elle
répondit : « Nous n'émettrons aucune opinion à cet
égard, ayant pleine confiance dans le zèle et la piété
des membres de l'assemblée nationale pour le main-
tien de la religion chrétienne et de la vraie liberté
à Genève. »
L'événement prouva que les ministres avaient bien
jugé leurs concitoyens; mais si les corps légalement
constitués se comportaient avec une pleine loyauté
vis-à-vis de l'Église, les clubs révolutionnaires orga-
nisèrent une persécution aussi lâche qu'injuste contre
les pasteurs. Les envoyés de Robespierre excitaient
les plus mauvaises passions; le représentant des ter-
roristes français, l'infâme Soulavie, prêtre apostat,
rampant devant le pouvoir, insolent avec les faibles,
provoquait sans cesse l'injure et la violence. Son in-
fluence fut irrésistible sur les cercles des Montagnards
et des Marseillais, qui voulurent bientôt imiter les
horreurs commises à Paris.
444
Vers la fin de Tan 1793, la liberté de discussion
fut absolument entravée, et les plus odieuses violen-
ces accueillirent les publications opposées aux utopies
révolutionnaires.
Si les pasteurs avaient montré une large et sé-
rieuse impartialité dans leur conduite politique, ils
n'avaient nullement abdiqué le droit de censure pour
les tendances et les actes contraires aux principes
chrétiens ; ils faisaient fréquemment revenir dans leurs
discours les recommandations à la tolérance et à la
charité. MM. Mouchon, Duby, Chenevière, Sarasin
et Meslrezat, étaient spécialement signalés à la mal-
veillance publique pour ces délits de culte.
Le premier symptôme de ce despotisme touchant
la liberté de la chaire se manifesta le 4 9 septembre
4 795. Le club fraternel des révolutionnaires gene-
vois se plaint de quelques prédicateurs qui propa-
gent, par leurs discours, des maximes contraires
aux principes de la révolution. Le comité provisoire
engage les spectables pasteurs à réfléchir à l'extrême
réserve que prescrivent les circonstances actuelles,
et à écarter de leurs sermons tout trait direct ou
indirect à la politique. Mais comme aucun fait po-
sitif n'était articulé, la Compagnie ne crut pas devoir
répondre.
Bientôt une accusation plus grave pesa sur quel-
ques ministres (4 5 janvier 4 794). Une brochure
445
anonyme fut publiée sous le litre : Déclaration des
citoyens anti-anarchistes. Les fauteurs du désordre
étaient rudement censurés dans cet opuscule , et comme
les extrêmes se touchent et que le despotisme engen-
dré par la licence politique est identique à la tyran-
nie de l'inquisition, on voulut connaître et punir
l'auteur de ces injures à la majesté des clubs. Déva-
lues indices accusèrent les pasteurs d'une connivence
avec le coupable pamphlétaire, et le sieur Guérin,
instigateur de tous ces mauvais procédés, fut chargé
d'interroger à ce sujet les ecclésiastiques suspects.
Pour simplifier la procédure, on leur demanda d'af-
firmer par serment qu'ils n'avaient aucune connais-
sance de l'affaire.
M. de la Saussaie, jeune ministre, témoigna quel-
que répugnance à engager ainsi sa parole, puis il
s'exécuta après beaucoup d'hésitations. Vinrent en-
suite deux amis spécialement incriminés, MM. Duby
et Vaucher. Aux questions de Guérin, ils répondent :
« Citoyen ! ce que vous nous demandez est impos-
sible à dire; nous ne sommes responsables qu'en-
vers notre conscience; nous ne parlerons pas et
nous ne prêterons point le serment exigé !» — « Il
est donc notoire, dit Guérin, que l'auteur et les dis-
tributeurs du libelle vous sont connus ?» — Les mi-
nistres gardent le silence. — « Votre obstination à
ne pas répondre dépose contre vous; j'ordonne qu'on
h 46
vous conduise en prison jusqu'à ce que voire procès
soil instruit. »
Un quatrième ministre fut interrogé. Hélas! le
courage lui manqua, et il indiqua le citoyen Duval-
Lasserre comme ayant eu entre les mains le manus-
crit qu'il tenait du citoyen Duroveray; le malheureux
crut pallier sa lâcheté en ajoutant que « cet ouvrage
avait été communiqué aux régents Duvillard et Cou-
ronne, ainsi qu'aux ministres Vaucher et Duby, afin
de recevoir leurs observations. Les critiques furent
très-sévères, en sorte que si le libelle a été publié,
c'est contrairement à leur avis. »
Celle déposition signée fut communiquée aux mi-
nistres captifs, qui dès lors, voyant que le silence ne
pouvait aucunement servir leurs amis, confirmèrent
la vérité des faits révélés par leur collègue. On les
censura vivement, et après quelques jours de prison
ils furent relâchés. MM. Duval-Lasserre et Durove-
ray furent décrétés de prise de corps, et en leur ab-
sence on fit contre eux la grande procédure (sic)??
(16 avril 1794.) La nouvelle constitution com-
mençait à fonctionner. Les administrateurs mon-
traient une fermeté impartiale, et les bons citoyens
reprenaient l'espoir de retrouver des temps meilleurs.
La Compagnie accepta ces favorables prévisions et
envoya une dépulation aux nouvelles autorités.
« Magistrats constitutionnels, leur dit le modéra-
447
» leur, puissent vos succès justifier pleinement la cou-
» fiance que la nation a mise en vous ! Puisse le calme
» revenir par vos soins, et Genève ne former bientôt
» qu'un peuple de frères! Ce bonheur, citoyens, elle
» le dut jadis à ses mœurs pures et simples, à la re-
» ligion dépourvue de toute erreur! Nous en recom-
» mandons le dépôt à votre vigilance. Cette liberté,
» que serait-elle sans l'ordre public et la vertu? et la
» vertu sans la religion n'est-elle pas une chimère?
» Nous sommes convaincus que les moyens qui
» avaient élevé Genève au rang des cités florissantes
» sont les seuls capables de l'y replacer; la nation
» pense de même! son vote vient de le prouver.
» Nous ne fûmes pas inutiles à l'instruction publique
» tant qu'elle fut soumise à notre inspection. — Et
» maintenant que la loi en a ordonné autrement1, il
» nous reste assez d'influence morale pour consoler
» efficacement les malheureux et nous opposer aux
» progrès du vice! Nous ne regretterons pas nos pri-
» viléges. »
Le citoyen Janot, président du Conseil adminis-
tratif, répondit :
« Je suis très-sensible à ces paroles, et persuadé
1. La loi sur l'éducation nationale, votée le 25 février 1794, enlevait
à la Compagnie des Pasteurs la direction de 1'instructiou publique tout
en lui laissant sa part légitime d'action dans l'enseignement théologique
et religieux. Un département de l'éducation nationale, composé de
vingt-trois membres, réglait l'instruction publique.
de l'importance des mœurs el de la religion, je ferai
tous mes efforts pour en assurer le règne. »
Hélas ! ces vœux el ces efforts devinrent bientôt
inutiles! Les terroristes genevois, toujours plus exci-
tés par les agents français, bouleversèrent la consti-
tution qui comptait à peine trois mois d'existence, et,
le 4 9 juillet 4 794- commença dans Genève le règne
de la plus sanglante anarchie qu'une révolution puisse
produire.
| IV. 1794-1795.
Le 4 9 juillet 4 794 un tribunal révolutionnaire
fut institué; il permit et légalisa tous les crimes con-
tre la fortune, la liberté el la vie des citoyens. Des
contributions forcées anéantirent les propriétés parti-
culières; 449 sentences de réclusion, d'exil et de
mort furent prononcées. Treize des plus honorables
citoyens furent fusillés, et ce règne de la Terreur
dura une année dans Genève.
Au milieu de ces affreuses circonstances, les pas-
teurs résolurent de tenir tête à l'orage el de rester
fermes à leur poste. Dès la fin de juillet, le culte pu-
blic fut à peu près détruit par les autorités révolu-
tionnaires : on supprima les prières de la semaine,
on abolit tous les services du dimanche, à l'exception
de deux sermons à 7 heures du matin. La sonnerie
des cloches fut interdite. Les rares personnes qui
449
osaient encore aller au lemple se voyaient grossière-
ment insultées, et les prédicateurs traversant les rues,
revêtus, selon l'usage, de leurs robes, entendaient
sur leur passage des ricanements et ces mots chantés
sur tous les tons : « Les voilà, ces ministres! sinis-
tres î >
Cette dislocation du culte cessa le 1 0 octobre 1794..
M. Ami Martin, secondé par M. Anspach, ancien pas-
teur, et pour lors procureur-général, obtint le réta-
blissement des sermons à dix heures dans les quatre
temples, et des catéchismes de l'après-midi à Saint-
Gervais et à Saint-Germain. On rouvrit également les
églises trois fois la semaine pour des prières liturgi-
ques, afin de faciliter la célébration des baptêmes et
le culte des personnes âgées. M. Anspach ne laissa
pas son œuvre inachevée : il employa son autorité
judiciaire à faire cesser les rumeurs que les agents
français excitaient autour des temples. Le 26 décem-
bre 1794- il publia cette proclamation :
« J'ai fait le tour de la ville à l'heure du service
» divin; j'ai vu les portes ouvertes, les chariots, les
-voitures, les piétons dans les rues, des enfants
» criards et des boutiques ouvertes à Saint-Gervais.
» Je demande que le calme et le silence soient obser-
» vés durant le culte et que le dimanche soit respecté,
» la profession de la religion chrétienne étant au
» nombre des droits et des devoirs du citoyen. »
29
&S0
M. Anspach ne se borna j>as à des recommanda-
tions verbales, il sévit régulièrement contre les per-
turbateurs, et par sa vigilance Genève reprit un as-
pect décent pendant le jour du repos.
Les clubs, non contents d'avoir momentanément
bouleversé le culte public, organisèrent une persé-
cution en régie contre les pasteurs. Le 4 8 août 4794,
ils présentèrent un tableau des ecclésiastiques et des
régents opposés à la révolution, et demandèrent leur
destitution immédiate. Le gouvernement ne voulut
point adhérera cette odieuse mesure. Mais les clubs
dominaient la situation et résolurent de saisir le pre-
mier prétexte pour maltraiter les suspects. Les pas-
teurs incriminés étaient, dans îa\ille, MM. Peschier,
Lecointe, Picot, de Roches, Sarasin, Vaucher, Mar-
tin aîné, Claparède et Duby. — A la campagne, MM.
Juven.tïn, Eymar, Bouverot, Bourdillou, Mestfezat
et Choisy.
Les clubs espéraient surprendre quelques murmu-
res chez les pasteurs à l'occasion d'une grande spo-
liation pécuniaire. Tous les citoyens possédant encore
quelque fortune étaient soumis à des taxes qui leur
enlevaient le plus clair de leurs biens. Le 4 3 août
4 794, le comité révolutionnaire s'empara des fonds
de la Compagnie, qui s'élevaient à 49,000 francs,
et les pasteurs trompèrent l espérance des terroristes
eu ne faisant entendre aucune réclamation.
451
Mais le noble silence que le clergé genevois obser-
vait touchant la ruine de ses intérêts matériels était
rompu lorsqu'il s'agissait des privilèges de la chaire
chrétienne. Tout en évitant les sujets politiques, ils
entendaient conserver le droit de dire la vérité « sans
acception de personne. » Aussi, pendant l'année de
la Terreur, leurs sermons furent-ils étroitement sur-
veillés, et la commission administrative se plaignit
fréquemment « des traits plus ou moins directs que
» les ministres lancent sur les circonstances politi-
« ques, aigrissant ainsi toujours davantage les es-
» prils.» — La Compagnie répond : « Toujours em-
» pressés au bien, nous écartons de la chaire chré-
» tienne les sujets qui ne se rapportent pas à la re-
» ligionel à la morale ; si une accusation formelle est
» portée contre nous par plusieurs citoyens, nous la
«discuterons; mais, forts de notre patriotisme, nous
» repoussons les accusations de quelques auditeurs
» malintentionnés ou incapables de juger un sermon.
» Nous userons de notre droit et nous traiterons le
» terrible sujet des malheurs de la patrie en em-
>< ployant le tact et la mesure nécessaires. Nous n'é-
» pargnerons rien de ce qui corrompt le caractère
» national et compromet le bonheur des sociétés.
» Nous en parlerons, non par allusions indirectes,
x niais avec une prudence et un courage éclairés. »
Ce courage devenait de jour en jour plus néces-
452
saire. Des dénonciations rigoureuses étaient enregis-
trées. Ainsi Ton accusait M. Duby d'avoir dit en
chaire : «Temps malheureux, où la charité et la
bienveillance ont disparu, où nous avons oublié
». le nom de frères pour le remplacer par celui de
» parti ! »
Le tribunal, considérant que M. Duby abuse de
son ministère pour insulter le peuple, ordonne son
arrestation. M. Duby prêchait à la Madeleine et de-
vait être saisi en sortant du temple. De braves ou-
vriers qu'il avait secourus dans leur détresse le pré-
vinrent au pied de la chaire, et le firent sortir par
une porte latérale, tandis que les agents l'attendaient
au milieu de La place pour l'arrêter, lorsqu'il passe-
rait revêtu de son costume ecclésiastique. M. Duby
put gagner la frontière, et se réfugia à New- York.
M. Chenevière était accusé d'un délit analogue.
On vint le chercher dans sa demeure. L'escouade
commençait à enfoncer la porte, lorsque survint un
sergent commandant une patrouille ; ce brave mili-
taire était secrètement dévoué à son pasteur; il en-
tama une série de propos moqueurs sur sa personne,
et finit par persuader aux accolytes des terroristes de
laisser en paix « un homme trop bon enfant pour
» dire une parole de traversa quelqu'un, » et M. Che-
nevière échappa aux griffes du terrible tribunal.
M. Mestrezat, pasteur à Genthod, était particuliè-
4S3
renient odieux aux clubs des Montagnards; il fut dé-
crété de prise de corps; mais ses paroissiens l avant
prévenu à temps, il s'échappa et se retira en France.
Plus tard nous le retrouverons pasteur à Paris, et
servant son ancienne patrie avec le zèle et le dévoue-
ment d'un bon citoyen.
Il existe dans les papiers des familles des pasteurs
dont nous faisons l'histoire un grand nombre de ser-
mons portant, les dates 4 794 et 4 795. Ces discours
sont la preuve irrécusable du courage chrétien et de
la présence d'esprit déployés par les ecclésiastiques
genevois durant ces mauvais jours. La composition
de ces sermons est soignée comme en temps de paix;
chaque phrase est minutieusement pesée, et les tex-
tes les plus fréquemment traités sont ces passages :
Aimez-vous les uns les autres, et confiez-vous en l'É-
ternel sans craindre ce que l'homme mortel peut faire.
Si les pasteurs de la ville se voyaient ainsi per-
sécutés par les agents révolutionnaires, la position
de leurs collègues de la campagne n'était pas moins
fâcheuse. Les terroristes français agissaient sans con-
tre-poids sur l'esprit de quelques paysans, et les dé-
nonciations arrivaient en foule au tribunal révolu-
tionnaire. Un nommé Perret composa et répandit
une brochure où se trouvent ces paroles (4 8 juillet
4 794): « Et vous, bons habitants des campagnes,
» les prêtres vous fanatisent contre la révolution? ils
» nous onl trompés et vous duperont encore ; ne les
» écoulez point. »
La Compagnie voyant plusieurs pasteurs des pa-
roisses rurales fortement inculpés et sous le coup de
vagues imputations, les convoqua pour le 4 9 juillet,
afin qu'ils pussent répondre à leurs accusateurs. Mais
ce jour même éclatait la grande émeule terroriste,
et la violence et la mort planaient sur Genève.
On destitua, sans autre forme de procès, MM. Ju-
venlin , pasteur de Chêne, Bouverot de Càrtigny,
Choisy de Jussy, Bourdillon de Dardagny et Mes-
trezat de Genthod.
Céligny, entouré des terres bernoises, était à l'a-
bri de toute atteinte, et la vénération dont on entou-
rait M. Cellérier à Satigny éloignait de sa personne
les soupçons et les outrages.
A Saconnex, le culte se trouvait forcément inter-
rompu, le club révolutionnaire tenant ses séances
dans le temple.
Les pasteurs tolérés dans la ville soccupaient au-
tant que possible des paroisses rurales; ils s'assurè-
rent que, sauf quelques têtes exaltées, les campa-
gnards regrettaient tous leurs pasteurs exilés.
5 septembre 1794. — M. Peschier rapporte qu'il
a prêché à Chancy, et que les habitants sont dans la
consternation ; il les a consolés en disant qu'on fera
ie possible pour rétablir le culte.
'»55
17 septembre. — A Genthod, tes mêmes senti-
ments se manifestent; on fera un service chaque di-
manche.
10 octobre. — Les citoyens de Dardagny et de
Russin. réunis en club, demandent qu'il soit re-
pourvu au culte.
31 janvier 1795. — M. Chenevière rapporte que
M. Eymar a couru personnellement de grands dan-
gers, mais que le calme est revenu dans sa paroisse.
M. Eymar est mort, à la suite des épreuves de la
révolution, le 5 février 1796. Après un rapport ho-
norable pour le caractère de cet ecclésiastique, voici
le souvenir que lui consacrent ses collègues en leurs
archives :
« Notre frère, M. Eymar, a terminé sa carrière à
» 53 ans. Sa maiadie doit être attribuée aux secousses
» violentes qu'il a dû supporter durant ces deux der-
» nières années. Il s'est conduit avec courage et pru-
» dence au milieu des scènes affreuses que les terro-
» risles ont soulevées dans sa paroisse, mais ces épreu-
» ves l'ont brisé. »
Les agents français, dirigés et payés par Soulavie,
étaient, nous l'avons dit, les principaux instigateurs
des brutalités commises sur le territoire genevois.
Heureusement, quelques membres de l'administration
sollicitèrent le renvoi de cet infâme représentant.
M. Reybas, ancien pasteur, député de la République
^56
à Paris, déploya son adresse et sou courage habituels
et obtint du Comité de salut public le rappel de Sou-
lavie; sa bande le suivit, et Ton put bientôt mesurer
l'étendue du service rendu par le pasteur Beybas,
car, laissés à eux-mêmes, les Genevois se calmèrent,
les clubs abdiquèrent le pouvoir, les jugements ré-
volutionnaires furent cassés, et le 25 mars 4 795
es exilés purent rentrer dans leur patrie.
Les pasteurs destitués reprirent sans opposition
leurs postes dans leurs anciennes paroisses. MM Picot
et Sarasin à la ville; M. Choisy à Jussy; M. Bou-
verol à Cartigny. Il n'y eut d'exception que pour
MM. Juvenlin et Bourdillon. La Compagnie dut re-
courir à l'action du pouvoir civil pour forcer le jeune
Ébraï à cédei' la place de Chêne à son vénérable pré-
décesseur, et M. Moulinié se prétendant appelé par
une mission céleste à demeurer à Dardagny, résista
à toutes les représentations de ses collègues, el refusa
de remettre la paroisse entre les mains de son de-
vancier. M. Bourdillon fut obligé de s expatrier, et
mourut en Amérique d'une fièvre pestilentielle. Un
au plus tard, la Compagnie appela M. Moulinié à la
ville, el lui donna pour successeur à Dardagn) M. de
Joux, homme fort excentrique.
Toutefois, les souvenirs de l'année précédente
étaient loin d'être effacés; les rancunes révolution-
naires se faisaient jour en maintes occasions, et l'on
457
ne pardonnait pas à certains ecclésiastiques ia fermeté
déployée dans les plus mauvais moments. M. Duby
en fut un exemple. Il revint de New-York en octo-
bre 1790, et le 5 mars suivant la Compagnie le
nomma pasteur à Saconnex. Le Conseil refusa de con-
firmer son élection « à cause de sa conduite politique
passée. »
La Compagnie protesta, « reconnaissant à M. Duby
les plus honorables qualités. » On céda momentané-
ment, et deux mois plus lard M. Duby fut élu à la
ville sans aucune opposition.
Les services réguliers de ce nouveau serviteur
étaient d'autant plus nécessaires à l'Eglise qu'elle
venait de perdre en M. Mouchon l'un de ses plus
ardents défenseurs (avril 1797). Voici le témoignage
que la Compagnie rendit à sa mémoire : « Il s'est mon-
» tré le boulevard de la religion. L'esprit de nou-
» veaulé ayant mis en problème si la révolution ne
» devait pas s'étendre jusqu'à la religion, et s'il de-
» vait y avoir une religion nationale à Genève, M. Mou-
» ebon combattit cette doctrine relâchée, et triompha
» dans l'assemblée nalionale, le 29 janvier 1794 .
» Il fut un des plus fermes champions contre l'imrno-
» ralité, et de son grand travail sur l'Encyclopédie
» il ressort l'accord indestructible des lumières d'une
» saine raison avec les vérités évangéliques. »
Nous avons dit qu'en 1791 le nombre des élu-
458
dianls en ihéologie était considérable, et qu'un esprit
de courage chrétien animait ces jeunes gens. Les an-
nées de révolution interrompirent forcément les tra-
vaux préparatoires du saint ministère. L'avenir du
pays paraissant compromis pour de longues années,
la plupart des proposants se retirèrent, et en 4797
il ne restait plus que cinq étudiants en théologie, trois
Genevois et deux étrangers.
Si la jeunesse avait cédé aux circonstances exté-
rieures et à l'esprit du temps, les anciens pasteurs
demeurèrent (idèles à leur poste, et se préparèrent à
soutenir l'Église dans les nouvelles épreuves qui lui
étaient réservées.
Le règne de la Terreur avait cessé, les clubs ne
répandaient plus le sang des citoyens, et les Comités
ne dilapidaient plus des fortunes particulières. L'or-
dre et la tranquillité auraient pu reparaître dans Ge-
nève, si le découragement et la défiance n'eussent pas
paralysé les hommes capables de diriger les affaires
publiques. Aucune solution ne paraissait possible pour
sortir de ces misères sociales. Le Directoire, qui, de
Paris, surveillait attentivement Genève, jugea le mo-
ment favorable pour annexer à la France la vieille cité
et son territoire.
Le 20 avril 1798, au milieu de la stupeur et de
l'affliction générale, les troupes françaises prirent pos-
session de Genève.
459
Celte usurpation fut accomplie contre la foi des
traités, en dépit des solennelles assurances qu'on avait
prodiguées pour endormir la vigilance des Genevois,
et leur inspirer une confiance aveugle en la loyauté
du gouvernement français. L'usurpation étant con-
sommée, il fallut se soumettre, et le résident Despor-
tes, témoin du deuil et des regrets amers de tous les
citoyens, écrivit à ses chefs avec la bonne foi usitée
en pareil cas: « Citoyens directeurs! Genève est dans
l'allégresse, et de toutes parts arrivent les plus fer-
vents témoignages de l'attachement de cette ville à
la grande nation. *
| V. 1798 v 1805.
La nation genevoise étant unie à la République
française, de graves difficultés pouvaient surgir dans
l'organisation de l'Eglise et de l'instruction pu-
blique.
Un patriotisme éclairé, une fermeté intelligente,
dirigea les hommes chargés de traiter avec les agents
français; ils réunirent tous les biens appartenant à la
République, et les fonds des sociétés religieuses en un
seul capital, qui fut déclaré (a propriété commune et
indivisible des citoyens actuels de Genève et de leurs
descendants. '
Une commission, nommée Société Économique,, fut
'iliO
chargée, le 2 mai 4 798, d'administrer ces biens1;
leur revenu fut employé au maintien du culte et de
l'instruction académique, et les directeurs de ces
fonds, aussi adroits que courageux, réussirent à les
préserver de ces réquisitions républicaines et impé-
riales qui liront main basse sur des trésors beaucoup
plus considérables dans les pays annexés à la France.
Ces fonds se montaient à environ 1 ,500,000 francs,
dont 194,355 francs provenant de la Société des
prosélytes2.
Une commission pareille, nommée Société de Bien-
faisance, fut chargée de l'administration des fonds de
l'hôpital.
La Compagnie des Pasteurs et le Consistoire firent
tous leurs eli'orts pour conserver l'ancien état de
choses.
Dès le !20 avril 4 798, on présenta au résident
français l'adresse suivante: « La Compagnie des Pas-
» teurs, considérant que, sous quelque gouvernement
» que ce soit, le vrai moyen d'affermir l'autorité et
» d'assurer le bonheur d'un peuple, c'est de faire ré-
1. En voici les membres : Odier-Chevrier ; Lasserre, Jacques ; Pictet,
professeur; Deona, Henri; Butin, Gabriel; Martin, Etienne; Micheli-
Labat; Achard Trembley; Claparède, René; Roux-Dassier ; Lombard,
Gédéon ; P. Prévost; Flournois; Butini, J. -François ; Rocca.
2. Celte Société avait été établie au commencement du siècle pour
donner une impulsion régulière et vigoureuse aux travaux nécessaires
à la défense de la république genevoise contre les efforts des puis-
sances catholiques qui désiraient s'emparer à tout prix de cette ville.
'461
» gner les lois par les mœurs, et de fonder l'empire
» des mœurs sur celui de la religion; considérant que
» la religion réformée contribue le mieux à ce double
» but. appuyée dans cette adresse par le peuple ge-
» nevois, qui a manifesté fermement l'intention de
» garder son culte, demande la conservation de ce
» qui existe, à savoir F Eglise reconnue, protégée et.
» salariée par l'Etal. »
Le résident répondit par quelques paroles favora-
bles, mais déclara qu'en fait la République genevoise
ayant cessé d'exister, les corps organisés par elle
étaient par cela même abolis. Cette déclaration, fon-
dée sur la terrible logique du vœ victis, mettait l'É-
glise de Genève dans un état aussi précaire que les
Églises de France.
Le Consistoire de Genève se trouvant de fait anéanti ,
et la Compagnie des Pasteurs n'ayant plus aucune
existence légale, il fallait subvenir à celte triste po-
sition. Dans ce but, les pasteurs et les anciens nom-
mèrent une commission chargée de présenter un essai
de réorganisation ecclésiastique. MM. Rouslan etChe-
nevière, pasteurs, Sautter, ancien, reçurent cette
mission délicate. Voici le plan qui fut adopté. « Les
liens de l'Église et de l'État étant rompus, l'Église
subsiste comme association particulière, composée de
tous ceux qui sont admis à la communion dans une
église réformée. La Compagnie des Pasleurs demeure
462
avec ses anciennes attributions pour diriger les affai-
res religieuses. Le culte est entretenu par les fonds de
la Société économique. Le Consistoire est composé
de trois membres de la Société Economique et de la
Société de Bienfaisance, de tous les pasteurs de la ville
et d'un nombre égal de laïques; il se recrute lui-
même, il est annoncé à l'Eglise, qui approuve ta-
citement ces nominations. La discipline se réduit
à de simples exhortations particulières, sans obi i
ger les délinquants à se présenter devant rassem-
blée. »
Ce mode de vivre dura jusqu'en 4 802. Mais ce
provisoire inquiétait beaucoup le clergé genevois;
aussi l'on profila du retour de Tordre sous le Consulat
pour obtenir une consolidation des institutions ecclé-
siastiques. Les hommes qui rendirent les services les
plus signalés en cette occasion, furent MM. Ami Mar-
tin, pasteur, Mestrezal, pasteur à Paris, Le Fort et
Marc-Auguste Pictet, membres du tribunal. Grâce à
leur influence auprès de M. de Portalis, ministre des
cultes, on obtint que l'Église genevoise serait main-
tenue dans sa forme actuelle et reconnue par l'Etat,
pourvu qu'elle ne réclamai aucune subvention pécu-
niaire du gouvernement français.
Si la position officielle de l'Église fut tolérable, les
Genevois amis de la religion eurent beaucoup à souf-
frir jusqu'à l'avènement de Napoléon au pouvoir. Les
agents du Directoire se conduisirent avec une brutale
grossièreté.
Le 45 juin 1798, les autorités françaises étaient
installées. Le 17 juin, les commissaires de police in-
terdirent la sonnerie des cloches pour le service di-
vin, et une circulaire, signée par le sieur Monachon
(de Carouge), interdit aux pasteurs de se montrer en
public revêtus du costume ecclésiastique. Le résident
Desportes, apprenant qu'on faisait sonner deux fois
les horloges pour indiquer l'heure des sermons, dé-
fendit sévèrement cette légère infraction à ses ordres.
Le 10 août, le commissaire français tit appeler le
modérateur de la Compagnie , et lui adressa ces pa-
roles: « Le vœu du gouvernement est de propager,
» dans toute la France, le culte protestant de Genève;
» j'estime que le meilleur moyen d'y parvenir serait
» d'aller spontanément au-devant du désir que mani-
» feste le gouvernement français d'avoir un culte re-
» ligieux le décadi. Nous savons que le clergé de
» Genève est éclairé, également éloigné du fanatisme
» et de la superstition; il est donc à désirer que, sans
» attendre les décrets qu'on prépare pour la célébra-
» tion religieuse du décadi, Genève donne l'exemple;
«aussi, je vous prie d'en conférer avec vos collè-
» gues. »
La Compagnie déclare qu'elle est inviolablement
attachée à l'institution divine du dimanche, mais que
464
si la cessation du travail est ordonnée pour le décadi,
il sera convenable d'y placer, ce jour-là, des sermons.
« Le Consistoire s'unit à cette pensée, et déclare
» que le décadi étant sur le point d'être ordonné par
» la loi, il n'y a pas de meilleur moyen de remédier
» au danger qui en résulte pour la religion et les
» mœurs, que d'employer une partie de ce jour du
» repos aux exercices religieux , tout en maintenant
» le culte établi et garanti par les dernières conven-
» tiotis. »
En conséquence, après une proclamation ferme et
prudente, où les pasteurs ne cèdent rien relativement
au dimanche, on établit deux services à Saint-Pierre
et à Saint-Gervais, et MM. Martin furent chargés
d'inaugurer ces nouvelles prédications.
Le culte, dirigé par des pasteurs respectés par le
peuple, adoucissait l'amertume des scandales aux-
quels l'autorité française donna les mains pendant les
années 1798 et 1799.
En effet, les agents du Directoire, voulant solenni-
ser à leur manière le décadi, établirent que les ma-
riages seraient célébrés ce jour-là dans le temple de
Saint-Pierre. Cette décision constituait une espèce de
cérémonie civile fort convenable. Mais les commis-
saires français avaient une autre pensée; ils dési-
raient accabler de ridicule les actes les plus sacrés de
la vie de famille; aussi changèrent-ils le mariage légal
465
en une vile parodie; ils installèrent les musiciens du
théâtre dans le temple, et lorsque des observations
malicieuses pouvaient être faites touchant l'âge, l'ex-
térieur ou la position des époux, on faisait entendre,
aux ricanements de la foule, des airs burlesques et
moqueurs. Les Genevois honnêtes gens s'abstenaient
d'être témoins de cettre profanation ; les Français nou-
veaux venus et quelques Carougeois formaient l'as-
semblée, et les époux prolestants s'empressaient d'ou-
blier ces hideuses scènes dans un autre temple, au
pied de la chaire évangélique , où les attendait le
ministre réformé.
Le travail extérieur cessait le jour du décadi. Mais
si les boutiques étaient closes, les ateliers fonction-
naient sans scrupule dans l'intérieur des maisons. Le
dimanche présentait un bizarre aspect : des Genevois,
attachés à la vieille République, fermaient leurs ma-
gasins; ils faisaient à leurs tenaces habitudes religieu-
ses le sacrifice d'un jour de vente, et les temples se
remplissaient d'une foule inusitée depuis les crises
révolutionnaires.
Le \ h août 1800, le décadi fut aboli aux grands
applaudissements des Genevois, et la Société Écono-
mique s'empressa de faire les réparations nécessaires
au temple de Saint-Pierre, largement détérioré par
les observateurs du culte de la Raison sous le Direc-
toire.
m. 50
466
Durant cette pénible période, de 4 798 à 1800,
le clergé genevois sut unir le zèle à la fermeté. Il
imposa les règles suivantes aux prédicateurs : « Ob-
» servez la plus grande prudence dans vos composi-
tions, soit dans les conversations particulières;
» gardez-vous de pactiser avec la philosophie mo-
»derne, mais restez invariablement attachés aux
» dogmes el à la morale évangélique. Combattez les
» incrédules par des arguments directs ; plaignez ceux
» qui s'égarent ; parlez avec douceur dans vos prédi-
» cations touchant les erreurs actuelles; enfin, dans
» les services de communion, ayez soin de traiter au
» complet les grands dogmes de la rédemption et de
» la résurrection de Jésus-Christ. »
Le préfet manifestait en général beaucoup de sym-
pathie pour les prédicateurs; plusieurs fonctionnaires
français fréquentaient les temples; mais des paroles
mal sonnantes troublaient parfois le bon accord, et
l'esprit de soupçons rencontrait ou inventait des griefs
contre les ecclésiastiques.
M. Duby eut l'honneur d'encourir le blâme le plus
formel à ce sujet.
Quelques jours après le Jeûne de 1800, le préfet
témoigna le plus grand mécontentement de l'exorde
du sermon de ce courageux pasteur, et proféra des
menaces sérieuses à son égard. Voici les paroles in-
criminées, et nos lecteurs remercieront avec nous
467
M. le pasteur des Eaux- Vives de nous avoir remis le
sermon de son vénérable père.
« Il y a quelques années, tout souriait à nos vœux; le nom
que nous portions était pour nous un titre d'honneur; notre
commerce était florissant, nos ateliers de toute espèce respi-
raient le mouvement et la vie, les profits de notre industrie
succédaient au delà même de nos désirs, l'aisance était dans
nos maisons, l'allégresse dans nos cœurs, et la reconnaissance
nous conduisait aux pieds du Protecteur de la patrie. A présent,
de toute cette prospérité, il ne nous reste plus rien, plus rien
que de pénibles souvenirs ; à ce nom dont nous étions si fiers
se sont jointes de douloureuses pensées; nos richesses ont
disparu, les canaux qui nous les apportaient se sont fermés,
une oisiveté forcée enchaîne tous les bras, et, flétris par la tris-
tesse, absorbés par les soucis, livrés au découragement, nous
pouvons à peine offrir à notre Dieu d'autre tribut que celui
de nos larmes. Alors les devoirs auxquels vos pasteurs étaient
appelés dans ce jour solennel étaient doux à remplir; heureux
témoins des bienfaits que Dieu versait sur la patrie, ils lui
portaient au nom de tous l'hommage de la reconnaissance
générale, ils se plaisaient à faire le tableau des biens dont ils
étaient entourés, les paroles les plus rassurantes de l'Ecriture
servaient de texte à leurs exhortations, ou si, à la vue des
progrès de l'immoralité, ils annonçaient les maux qui en se-
raient la suite, du moins c'étaient des maux à venir, incer-
tains, qu'un retour à l'obéissance pouvait éloigner encore.
» Pour nous, qui sommes appelés à vous porter la parole
sainte, nous, tristes spectateurs des pertes que notre pays a
faites, nous ne pouvons plus vous parler de votre prospérité,
nous ne pouvons plus vous envisager comme les objets parti-
culiers de la Bonté céleste; nous sommes forcés de prendre un
ton plus austère et plus assorti à la tristesse de nos cœurs;
nous venons dans ce jour d'humiliation vous entretenir de vos
malheurs, interpréter à l'aide de la raison et de l'Ecriturs
468
Sainte les desseins de Dieu en vous les exposant, et vous exhor-
ter à entrer dans ses vues. Nous venons vous dire avec le pro-
phète, non plus « que votre âme bénisse l'Eternel et n'oublie
aucun de ses bienfaits, » mais : « Ecoutez la verge et celui
qui l'a assignée. »
On le voit, les extrêmes se touchent; les despotes
républicains et les despotes couronnés ne peuvent sup-
porter la moindre critique, et le jugement de leur
conduite, d'après les lois morales, constitue souvent
une mortelle injure. M. Duby put reconnaître qu'il
avait frappé juste, puisque bientôt après le préfet de-
manda la création d'une commission permanente qui
s'occuperait des plaintes et des observations portées
contre les pasteurs. Cette commission fut organisée
le 25 octobre 1801; elle était composée de bons
Genevois; aussi demeura-t-elle dans une paisible oi-
siveté.
L'esprit religieux de Genève se manifesta maintes
fois d'une manière fort intéressante sous le régime du
Directoire. Durant la révolution, la fréquentation du
culte public avait notablement diminué, et il ne pou-
vait en être autrement. Mais un de nos services divins,
bien loin d'être abandonné, avait toujours attiré une
foule compacte et régulière. C'était le catéchisme du
temple de la Madeleine. M. Martin-Rey, chargé de
ce culte, avait, depuis plusieurs années, rassemblé
les parents et les enfants avides de ses explications
pleines de chaleur, de simplicité, de clarté et de vie
469
chrétienne. Nous avons entendu des vieillards parler
avec émotion et reconnaissance des catéchismes de
M. Martin-Rey, après un intervalle de soixante années.
Durant les mauvais jours de la révolution, les
instructions de M. Martin furent suivies sans interrup-
tion; il fallait se rendre au temple une demi-heure à
l'avance pour trouver des places. M. Martin aimait
son pays d1 une affection passionnée ; son cœur fut brisé
lorsque la toute-puissante déloyauté du Directoire
détruisit l'ancienne République genevoise.
Le dimanche qui suivit le 20 avril 1798, Genève
étant déclarée française, il fallait changer les paroles
de la liturgie : « Nous te prions pour les magistrats et
les Conseils de cette République. » Arrivés à ces mots,
M. Martin fond en larmes, et dit : « Nous ne deman-
derons donc plus à Dieu qu'il lui plaise de bénir nos
magistrats genevois. Des étrangers prendront place
dans nos prières. » L'assemblée fut saisie d'une dou-
loureuse émotion, et le culte ne put être achevé. Deux
ans plus tard, le 50 juin 4800, M. Martin mourait
dans cette chaire où il avait édifié le peuple genevois
pendant vingt années.
Voici le récit officiel de celte lugubre et solennelle
scène (Reg. Comp. 50 juin).
« Hier, au temple de la Madeleine, entre deux et
trois heures de l'après-midi, M. le pasteur Martin-
Rey est mort d'une apoplexie foudroyante. C'est dans
470
son dernier discours de catéchisme, au moment où
il parlait de la récompense accordée au religieux
Enoch et du bonheur réservé aux âmes des justes
que Dieu le retira d'une manière à peu près sem-
blable. »
Son ami intime, M. Picot, ajoute ces détails. « A
peine avait il prononcé ces paroles : « Enoch marcha
avec Dieu , puis il ne parut plus, parce que Dieu le
prit, » qu'une sueur froide le saisit; il s'assied, se
relève pour donner une bénédiction dernière et s'af-
faisse sur lui même. On accourt , on lui fait respirer
des sels, mais il avait perdu connaissance. On l'em-
porta dans une maison voisine, au milieu des larmes
de loule l'assemblée; les médecins et les chirurgiens
arrivent; la saignée est inutile; il a, pendant une
demi-heure, des convulsions, puis il expire sans pro-
noncer une parole. La foule était telle autour de cette
maison, qu'il fallut y placer des factionnaires. La
sensation de cet événement est immense, et la douleur
universelle. Une foule énorme accompagne son cor-
tège, et rien n'est plus émouvant que les sanglots et
les lamentations des enfants. »
Durant l'année 4 804, les Genevois, amis de leur
Eglise, furent péniblement affectés en voyant que la
part assignée au culte sur les revenus de la Société
Économique se trouvait très insuffisante, et que trois
places de pasteurs au moins devraient être retran-
chées. Une réunion de citoyens religieux, MM. Galla-
tin, Naville, Saladin-de Budé, Roux-Dassier et Ami
Martin, voulurent remédier à ce pénible état de
choses.
Le 1 4 janvier 1 802, ils fondèrent une société pour
l'encouragement du culte. Les collectes pour recevoir
des fonds devaient se faire en grand secret; le gou-
vernement ne les aurait pas tolérées. Pour atteindre
ce résultat, M. Ami Martin rédigea l'adresse suivante,
dont un grand nombre de copies manuscrites furent
répandues dans les familles attachées à leur culte.
« Quelques personnes animées d'un zèle religieux
pour la conservation du pur christianisme parmi nous,
désirant le soutenir au milieu des graves circonstances
et des périls où se irouve l'Église, voulant aider dans
leurs études les jeunes gens qui se destinent au saint
ministère, désirant soulager les ministres âgés et con-
server le même nombre de pasteurs dans l'Église de
Genève, invitent leurs concitoyens à faire parvenir
des dons ou des contributions annuelles à un comité
chargé de cette œuvre. Dans les testaments, on est
prié de se servir des expressions suivantes : Je lègue
à MM. Naville et Saladin-de Budé, ou aux personnes
qu'ils se seront substituées à cet effet, la somme de
pour être employée à l'objet que je leur ai dé-
signé. »
Cet appel à huis clos reçut un favorable accueil,
472
et dans sa correspondance, M. Ami Martin écrit:
« Malgré la détresse générale de ce temps de guerre,
malgré l'anéantissement du commerce, la conserva-
tion de l'Eglise est assurée, et le zèle à souscrire ces
contributions religienses est aussi grand que s'il s'a-
gissait d'une belle opération financière. »
La révolution avait laissé de nombreuses misères
sur son passage. Dans les familles pauvres, la dé-
tresse conduisait au vice; on voyait un grand nom-
bre d'enfanls délaissés, sans ressources. Plusieurs
dames genevoises essayèrent de remédier au mal, en
établissant la chambre des orphelines.
« Nous voulons essayer, avec l'aide de Dieu, dirent
ces bienfaitrices chrétiennes, non-seulement de fournir
un soulagement momentané à ces malheureux enfants,
mais encore de créer un sort honorable à de jeunes
filles abandonnées de leurs parents ou nées de parents
qui sont dans l'impossibilité de les élever. »
Celte fondation, largement rétribuée, arracha, dès
l'abord, plus de cinquante enfants aux tentations du
vice.
Les persécutions et les afflictions de l'Eglise ces-
sèrent dès que Napoléon se fut emparé du pouvoir
suprême; il publia le concordai qui rendait la liberté
et la paix officielle à l'Église catholique et aux com-
munautés protestantes. Il fit cesser les lâches procé-
dés en usage parmi les despotes révolutionnaires. Un
473
décret, dont Genève fut reconnaissante, rendit au
culte public l'usage des cloches. Nous avons vu qu'elles
étaient muettes depuis le 4 7 juin 4 798. Un village
seul, Jussy, refusait de se soumettre à cette interdic-
tion, et M. Baslard, pasteur, déclara maintes fois
qu'il lui était impossible d'empêcher la sonnerie pour
le sermon du dimanche.
Le 4 6 avril 4 802, une lettre du préfet à la Vé-
nérable Compagnie autorise les marguilliers à se servir
des cloches selon l'ancien usage. Cette nouvelle se
répand avec la rapidité de l'éclair. Le dimanche sui-
vant était le jour de Pâques; ie premier culte avait
lieu à cinq heures du malin; dès avant quatre heu-
res, tout le monde était aux fenêtres ou dans la rue,
et lorsque la Clémence fit entendre sa puissante voix,
ce furent des hourras, des cris de joie, des félicita-
tions dont l'énergie prouva à I administration fran-
çaise la vérité et la puissance des traditions religieuses
de Genève.
Le 23 avril 4 802, un Genevois célèbre à l'étran-
ger par ses travaux de physique, vénéré dans l'Église
par son zèle et son courage religieux durant les mau-
vais jours, M. Marc-Auguste Pictet, parlait pour Paris;
il était nommé membre du tribunat. « Je contribue-
rai, écrit-il à la Vénérable Compagnie, autant que
possible, au maintien de noire religion, je me ferai
toujours gloire d'en ôlre membre. » La Compagnie le
474
chargea de remercier M. Portalis, ministre des cultes,
de la protection accordée à l'Église de Genève. Elle
lui remit en outre une adresse pour Napoléon, dont
voici les principaux passages (Moniteur, 13 mars
1802).
« Les pasteurs protestants demandent la permis-
sion d'exprimer au premier consul leur gratitude
pour la liberté des cultes.
» Une ville comme Genève, qui doit à la profession
du christianisme sa célébrité, ses mœurs, la direction
de ses lumières vers un but utile, une cité dans la-
quelle la religion fait un des principaux éléments du
patriotisme, ne saurait voir avec indifférence la re-
naissance de la religion dans l'empire dont elle fait
partie. Les décrets relatifs à l'Église protestante sont
si différents de ce qui existait jadis en France, que
c'est pour nous un sujet tout particulier de gratitude.
Le rang honorable que le gouvernement assigne à
Genève parmi les Églises réformées, en y plaçant le
séminaire qui doit instruire tous les ministres protes-
tants de France, est une distinction à laquelle notre
Église ne saurait être insensible.
» Nous rendons grâce à la Providence qui a inspiré
au premier consul le noble dessein de rendre la paix
à l'Église catholique, si longtemps affligée. Le senti-
ment de fraternité et de charité qui nous a fait éprou-
ver une vive douleur pour les calamités de celte Église,
475
ce sentiment nous a engagés à soulager, autant que
nous l'avons pu, ceux des ministres catholiques qui
ont cherché un asile dans nos murs. Notre vœu le
plus ardent, c'est que cette communauté de senti-
ments, cette union cimentée dans les mauvais jours,
dure pendant la prospérité, et , pour l'entretenir, nous
parlerons à notre troupeau des principes communs à
toutes les Églises, bien plus que des différences qui
les séparent. »
Le 20 mai 1802. M. Portalis remercie la Compa-
gnie de sa lettre. « Napoléon, dit-il, est le soutien et
le réparateur delà liberté chrétienne; il vous invite
à participer à son œuvre. »
Cette bonne volonté du premier consul se mani-
festa de la manière la plus favorable envers la reli-
gion réformée en notre ville.
Le 16 septembre 1805, il confirmait officielle-
ment l'existence de l'Église genevoise, conservait les
pasteurs antérieurement établis; les formes de l'élec-
tion demeuraient les mêmes; la Compagnie demandait
l'autorisation de remplir les vacances des paroisses,
choisissait les ministres, et le gouvernement confir-
mait le titulaire nommé.
Ainsi dirigée et protégée, l'Église genevoise con-
servait son caractère et son existence au milieu de la
ruine des institutions politiques et civiles de l'ancienne
République. Toutefois, sous le rapport moral, la pé-
476
riode française ofl're de graves lacunes el mérite de
sérieux reproches. Une espèce de vertige et de torpeur
avait endormi les consciences; l'incertitude des évé-
nements, les catastrophes imminentes, au lieu de
porter les co'urs à des pensées sérieuses, jetaient tou-
tes les classes de la société dans l'abus des plaisirs
bruyants. Genève cédait à l'influence française, et
les discours des pasteurs sont émaillés des plus rudes
reproches touchant les excès du luxe et l'oubli des
épreuves récentes.
D'autre part, la majorité des Genevois conser-
vait le culte du passé, protestait contre ces tristes
importations du dehors, et montrait un attachement
sérieux à son ancienne Eglise.
Le culte était suivi avec une espèce de jalousie
nationale. Les foules nombreuses formant la seule
pompe extérieure des temples protestants, le peuple
écoutait avec un zèle sympathique ses prédicateurs
privilégiés, iMM. Cellérier, Picot. Vaucher et Duby.
Leurs voix éloquentes électrisaient les grandes assem-
blées, remuaient les consciences, rattachaient le passé
aux temps actuels, et faisaient espérer le retour de
l'ancienne nationalité. C'était un louchant spectacle
que ce culte public dans une ville à laquelle les bruits
de guerre ne laissaient aucun instant de repos. Les
proclamations des bulletins des grandes armées, les
coups de canon pour les victoires, les réjouissances
477
officielles, étaient des choses extérieures, étrangères
aux Genevois. La patrie existait encore dans l'inté-
rieur du temple; en franchissant les portes de Saint-
Pierre, on se retrouvait pendant une heure ou deux
au sein de la vieille Genève protestante. On se pres-
sait pour recueillir les suaves paroles, les consolations
chrétiennes, les évangéliques instructions de M. Cel-
lérier. On se pressait pour avoir la conscience remuée
par les austères conseils, les ferventes prières, les
énergiques encouragements au devoir de M. Vaucher.
On se pressait pour raviver sa foi aux solennell. s ex-
positions du dogme chrétien, qui, dans la bouche de
M. Picot, revêtaient l'autorité d'un apologiste vieilli
par quarante années de luttes contre l'incrédulité et
le matérialisme. On se pressait pour élever son âme
aux contemplations de la sagesse divine et des es-
pérances de l'immortalité évangélique offertes par
M. Duby, avec autant de clarté dans l'expression,
que de profondeur dans la pensée. Dans les sermons
de Jeûne et de solennité, chaque allusion au passé
causait un frissonnement électrique; la conscience
frappée des fautes qui avaient précipité la chute de
Genève, acceptait volontiers les reproches. On atten-
dait un meilleur avenir.
En dehors du culte, les pasteurs s'appliquaient à
combattre les tendances immorales. Une odieuse lit-
térature, reste impur des plus mauvais jours du dix-
478
huitième siècle, était clandestinement dévorée dans
les salons et les ateliers de Genève. Les pasteurs or-
ganisèrent une sérieuse manifestation contre cet abus.
M. Cellérier rassembla les ressources de son éloquence
et de sa foi, et prononça sur ce sujet un discours qui
bouleversa les consciences. Les personnes âgées affir-
maient que jamais elles n'avaient été témoins d'une
émotion aussi profonde dans les temples genevois.
A la suite de cette prédication, une association se
forma pour la destruction des mauvais livres. MM. Ba-
let et Clioisy en furent les directeurs; ils achetaient
ces tristes productions du génie du mal. L'argent était
abondamment fourni par les amis de la religion. Ces
dignes agents avançaient dans leur délicate mission,
lorsqu'un brocanteur genevois eut l'odieuse pensée
de spéculer sur cette pieuse association ; il fit venir
de Lyon des ballots considérables des ouvrages pros-
crits, et les vendit aux pasteurs comme le résultat
de ses investigations dans Genève. La ruse fut bientôt
découverte; un juste mépris châtia l'ignoble brocan-
teur, et, malgré cet échec, les mauvais livres dimi-
nuèrent dans une proportion notable, et la moralité
publique fut sérieusement sauvegardée par les efforts
de l'Église.
Nous avons rapporté l'impression que produisit à
Paris M. Martin lorsqu'il prononça son discours à la
réception du sacre. Ce digne pasteur profila de sa
479
position pour servir son pays. Il recul le plus cha-
leureux accueil du ministre des cultes; il demanda
un sérieux appui dans l'exercice de la discipline du
Consistoire, la protection et le respect des droits de
la Société Economique, et l'exemption du service
militaire en faveur des étudiants en théologie. Du
reste, pas un mot de flatterie : la soumission aux
lois, la vérité religieuse, voilà le discours du pas-
teur de Genève.
La rigueur impériale était extrême louchant la
conscription; on lui promit de fermer les yeux et de
multiplier les cas d'indulgence; mais il n'était pas
possible de transformer cette exception en une loi
positive. • Du reste, disait M. Pelet de la Lozère à
M. Martin, vos aspirants au saint ministère ne sont
pas maltraités par vos préfets. » M. Martin sourit et
jugea prudent de ne pas répondre. En effet, M. de
Barante, et le maire, M. Maurice, fermaient les yeux
sur les étranges certificats du docteur Odier, qui at-
testaient des infirmités précoces et un état de santé
délabré chez des étudiants qui, après un long et ho-
norable ministère, ont passé une vieillesse honorée
parmi leurs nombreux amis.
La mission de M. Martin eut une heureuse in-
fluence pour Genève et consolida la position de la
Société Économique et de l'hôpital; ces fondations
furent respectées, et certes on n'oblint pas ce résultat
480
sans beaucoup de peines et de démarches. Les capi-
taux collectifs sont une tentation puissante en temps
de guerre, et la fortune des anciens Genevois courut
de grands dangers. Un mauvais payeur, à qui la
Société Économique n'avait pas voulu prêter quelque
argent, publia un mémoire touchant cette fortune
nationale dont il demandait, disait-il, le partage au
nom de 6000 citoyens. Ce mémoire excita un vif
intérêt au ministère des finances, et les fonds gene-
vois auraient promptement suivi la rouie du trésor
de Berne, sans les efforts persévérants de MM. Ami
Martin, Micheli-Labat, Yernet-Pictet, Le Fort et
Pictet-Diodali. C'est à la haute influence, au dévoue-
ment de ces bons citoyens, que Genève doit la con-
servation et la jouissance actuelle de son patrimoine.
En résumé, dans les relations officielles, la posi-
tion de Genève, sous le régime impérial, eût été fa-
vorable sans les souvenirs de la liberté passée et les
exigences de l'impôt du sang qui décimait la popu-
lation.
Les fêtes militaires, l'enivrement des victoires,
exaltaient l'amour- propre de la nation française; la
grandeur des triomphes voilait le prix du sang auquel
on acquérait cette gloire. Les Français., on comprend
que leur sentiment national fût exalté, et qu'en voyant
les frontières de l'empire s'étendre des plages sablon-
neuses du Nord aux rives enchantées du Midi, ils ou-
m
bliassent les victimes sacrifices clans chaque combat.
Mais les peuples agglomérés par force à l'empire,
mais les républicains conservant l'amour du passé,
mais les Genevois ayant vécu 250 ans libres, ne ver-
sant le sang que pour la défense de leurs murailles!
quelle ditïérence et quelle misère !
Il fallait remplir les vides des régiments , il fallait
que les jeunes hommes valides devinssent de la chair
à canon, il fallait voir partir les enfants! les écoliers
de seize ans tiraient à la conscription ! toutes les joies
de la famille étaient détruites. Les plus purs senti-
ments du père et de la mère étaient froissés et brisés.
L'ordre de la nature était renversé. Celte joyeuse
bénédiction que nous adressons chaque malin au ciel
pour la santé et les forces d'un enfant se remplaçait
par des vœux secrets appelant une maladie, un acci-
dent qui laisserait au moins végéter un fils dans la
maison paternelle.
On se souvient de celte chaîne militaire de vingt à
trente jeunes hommes liés deux à deux, un pain de
munition sous le bras, et marchant à la gloire les yeux
baignés de larmes, accompagnés par leurs parents se
tordant les bras de désespoir. On se souvient de ces
enfants de dix-huit ans, fusillés sur nos remparts pour
s'être dérobés pendant quelques jours au service.
Puis, qu'on se représente l'état des familles après le
tirage au sort et le départ des enfants! Tout repos est
IIS. ôt
US-2
anéanti! Comment se livrer au sommeil quand un fils
soutire au loin des intempéries de la saison; comment
conserver un moment de paix . lorsque les batailles ont
lieu chaque semaine, et que !a liste des morts peut
arriver le lendemain?
Au sacrifice des jeunes gens se joignait le dévoue-
ment des pères âgés de quarante ou cinquante années,
qui, ne pouvant suffire à l'entretien de leur ménage,
se vendaient au service militaire pour faire vivre leur
famille du prix de leur conscription. Ailleurs, on
voyait «les maisons riches peu à peu ruinées par les
sommes énormes payées pour les remplaçants; plu-
sieurs ont racheté leur fils jusqu'à cinq fois. On voyait
les pauvres hypothéquer leur dernier morceau de
terre pour épargner leurs enfants.
Alors, sur notre territoire, se développa ce que
j'appellerai le commerce de la chair humaine. De
vieux spéculateurs, des avares, des usuriers, ayant
conservé, au travers de la révolution, des dépôl>
d*or considérables, parcouraient les campagnes, le
lendemain du tirage au sort; ils entraient chez les
familles frappées par la conscription; ils demandaient
une pièce de terrain de cinq à six fois la valeur de
l'argent avancé. Le sacrifice se faisait avec une espèce
de joie. Souvent le nouveau soldat refusait de consom-
mer la ruine de ses parents et de ses sœurs; il re-
poussait l'usurier et partait pour Tannée! Souvent
483
aussi le premier sacrifice était inutile; une nouvelle
campagne exigeait de nouveaux conscrits; les pre-
miers remplaçants ne comptaient plus; on devait
partir ou en trouver d'autres. L'usurier reparaissait,
et la ruine du cultivateur était consommée.
Les noms de ces hommes, je les tairai; la Provi-
dence leur a infligé le plus rude châtiment qu'ils aient
pu souffrir dans la vie préseule, savoir, la perte de
ces fortunes tachées du sang de leurs frères. Si j'ai
parlé de ces misères de la conscription, c'est pour
rappeler le rôle de l'Église protestante et de ses amis
dans ces jours de deuil. Tous les remplaçants dans
les familles pauvres n'ont pas été payés avec l'ar-
gent des usuriers : les pasteurs s'adressaient à leurs
paroissiens riches, et souvent ceux qui venaient de
faire de coûteux sacrifices pour eux-mêmes, inscri-
vaient une forte somme sur la liste destinée à ra-
cheter l'enfant d'un père dénué de fortune. D'au-
tres, à la sollicitation de leur pasteur, payaient
l'usurier ou levaient l'hypothèque du sang pour
prévenir la ruine du paysan. Les pasteurs s'atta-
quaient aux usuriers eux-mêmes, et plus d'une fois
leurs supplications, mêlées d'accents sévères, ont
fait vibrer ces consciences hronzées, et remplacé le
culte de Mammon par celui du Dieu vivant. Presque
toujours, à la sollicitation des pasteurs, les héritiers
des vieux usuriers ont fait la remise de la dette,
ou du moins réduit la somme à ce qu'autorisait le
ta uxlégal.
On a vu des personnes tellement désireuses de
cacher en Dieu leur œuvre, et de ne pas blesser la
délicatesse de leurs concitoyens, qu'elles apportaient
au pasteur de la paroisse des sommes considérables
pour le rachat des enfants, et le pasteur lui-même ne
connaissait pas le donateur. Les noms, je pourrais
les citer; mais les fils dont les pères ont diminué
l'héritage en conservant des citoyens à la patrie ge-
nevoise ne voudraient pas voir l'œuvre de leurs pa-
rents publiée. Ces vrais chrétiens, cachés en Dieu, ne
seront pas plus connus que ne le sont les personnes
qui, cent ans auparavant, donnaient jusqu'à leur der-
nier sou pour les fugitifs de Pédit de Nantes.
Telle fut l'œuvre de l'Église genevoise de 1790
à 4 815. Lorsque sonna l'heure de la délivrance,
lorsqu'au congrès de Vienne, Genève, protégée par
son passé, soutenue par ses amis, reprit sa place parmi
les nations libres, la Compagnie des Pasteurs et le
Consistoire vinrent féliciter le gouvernement du retour
de l'indépendance.
Le premier syndic leur dit : « Messieurs, vous avez
continué la République au travers de la conquête, et
pendant que la patrie genevoise était au tombeau,
l'Église a veillé près d'elle. »
PIÈGES JUSTIFICATIVES.
.'s 87
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
i
EiNTREPK LSES CONTRE GENÈVE.
Archives <|p Cour, 12* catégorie, paquet 7, f<>f>9.
Un seigneur de Simiane employa successivement des entre-
preneurs de surprises, Granavel, Baudichon et Roussillon du
Château-Blanc; leurs efforts échouèrent contre la vigilance des
Genevois, et les attaques à main armée offrant peu de chan-
ces, le clergé voulut soulever de nouveau l'opinion du monde
catholique.
De Simiane à Charles-Emmanuel, '21 juin 1669.
Un nommé Granavello, de Genève, passe au service de Vo-
tre Altesse moyennant une pension de 1000 livres. L'avocat
Villa, qui sera dimanche aux pieds de V. À., lui dira qu'il
est possihle de conduire et de maintenir un corps de 10,000
fantassins et do 1000 chevaux sans beaucoup de temps et de
bruit qui renverseraient nos projets, il serait diflicile que ce
corps put prendre pied dans la place en ne l'attaquant que du
côté de Cornavin. N'ayant pas d'autre part de barques sur le
lac, toutes les tentatives sont inutiles, si on ne l'ait pas l'en-
ceinte continue, et certes, au bruit de la venue de cette ar-
mée les fusils seronlsur notre dos en un instant, et les Gene-
vois se tiendront sur leurs gardes et résisteront jusqu'à la
mort .
&88
Le marquis de Lucinge, janvier 4670.
Ou se rendra maître de la ville avec 2000 hommes et 300
chevaux. 11 en faut 1000 et 300 chevaux introduits secrète-
ment à Annecy et à Thonon: il faut les faire partir un diman-
che soir et attaquer à ['improviste le lundi matin. Chaque
homme portera un fusil léger et 15 coups de munition. On
arrêtera tout le inonde dans les villages pour empêcher qu'on
donne l'alarme. 11 faut attaquer par Rive, vu qu'à Neuve le
corps-de-garde est trop éloigné ; il faudrait le forcer, et cela
donnerait l'alarme. Il faut des bombardes et des grenades pour
donner le feu à quelques maisons. Il faut des haches pour en-
foncer la porte de la tour où sont les munitions. En entrant
il faudra que 40 maîtres aillent à bride abattue des Bouche-
ries par la rue de damier le Rhône.
489
11
TABLEAUX
]>ES DIFFÉRENTES HEURES DU SERVICE DIVIN
DANS L'ÉGLISE DE GENÈVE.
DE 1538 A 1803.
1er TABLKAl.
DE LA RÉFORMATION, 1538 A 4654.
SAINT PIERRE. SAINTGERVAIS. MADELEINE.
Dimanche.
5 h. malin, sermon,
i 9 h. malin, sermon,
j 2 h ap. midi, sermon.
Dimanche.
5 li. malin, sermon .
Midi, catéchisme.
2 h. sermon.
Dimanche.
9 h. sermon.
Midi, calécliisme.
2 h. sermon.
Mardi.
C h. malin, sermon.
Mardi.
<> h. malin, sermon.
Mardi,
fi h. malin, sermon.
Mercredi.
6 h. matin, sermon.
Mercredi.
6 h. malin, sermon.
Jeudi.
5 h matin, sermon.
Jeudi.
■> h. matin, sermon.
Jeudi.
Vendredi.
2 h. sermon.
9 h. cotiffrég. Audit.
Vendredi.
6 h. matin, sermon.
Vendredi.
6 h. malin, sermon.
Samedi.
6 h. sermon.
Samedi.
6 h. sermon.
Samedi.
PRÉPARATION A LA SAINTK CKEtB.
Mardi.
3 heures, la semaine
de la communion.
Mardi.
:t heures, la semaine
de la communion.
La Sainte Cène est célébrée une seule fois aux quatre grandes •
fêtes. — On ne célèbre pas Noël ni l'Ascension.
494
T TABLEAl .
DE i li.Vi A 1694.
SAINT-PIERRE.
SAINT-GERVAIS. MADELEINE.
Dimanche.
5 h. matin, sermon.
9 h. malin, sermon.
■1 h. ap. midi, sermon.
Dimanche .
5 li. malin, sermon.
Midi, catéchisme.
2 h. sermon.
Dimanche.
'.) h. sermon.
Midi, catéchisme.
2 h. sermon.
Mardi.
7 h. matin, sermon.
Mardi. Mardi.
7 h. malin, sermon, j 7 h. malin, sermon.
Mercredi.
7 h. malin, sermon.
Mercredi.
7 h. matin, sermon.
Mercredi.
Jeudi.
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Jeudi.
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Vendredi.
î> h. congrég. Audit,
j 2 h. sermon.
Vendredi.
7 h. malin, sermon.
Vendredi.
7 h. matin, sermon. ;
492
3e TABLEAU.
DE 1704 A 1715.
SAINT-PIERRE.
MADELEINE.
SAINT GERVAIS.
SAINT-GERMAIN.
Dimanche.
Hiver,
i" oct. à Pâques.
9 h. sermon.
2 h. sermon.
Eté.
5 h. sermon.
2 h. sermon.
Dimanche.
9 h. sermon.
Midi, eatéch.
2 h. sermon.
Dimanche.
Hiver.
9 h sermon.
Midi, catécu.
2 h. sermon.
Eté.
5 h. sermon,
midi, catéch.
2 h. sermon.
Dimanche.
9 h. sermon.
2 h. sermon.
Mardi.
9 h. Prière lit.
lecl. d'un chap.
courte explicat.
2 h. prière.
Mardi.
9 h. gr. prière.
Mardi.
9 h. comme à
Saint-Pierre.
2 h. gr. prière.
Mardi.
.Mercredi.
Il h. prière lilur.
Mercredi.
Mercredi.
2 h. prière lit.
.Mercredi.
Jeudi.
Hiver, rien.
De Pâques au
i" octobre.
5 h. prière.
Jeudi.
Jeudi.
Hiver, rien.
De Pâques au
1" octobre.
5 h. prière.
Jeudi.
Hiver, rien.
De Pâques au
1er octobre.
5 h. prière.
Vendredi.
9 h. prière.
Vendredi.
2 h. prière.
Vendredi.
2 h. prière.
Vendredi.
Samedi.
1 9 h. prière lit.
Samedi.
Samedi.
9 h. prière.
Samedi.
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49C
III
FORMULE DU CONSENSUS.
Canon I.
Dieu, dont la bonté et la grandeur sont intunes, a non seule-
ment fait rédiger par écrit par Moïse, par les prophètes et
par les apôtres, la Parole qui est la puissance à tout croyant,
mais il a encore, jusqu'à cette heure, veillé continuellement
avec une affection paternelle sur ce Livre pour empêcher qu'il
ne lut corrompu par les ruses de Satan, ou par quelque arti-
fice des hommes. L'Église reconnoît donc avec beaucoup de
raison que c'est à une grâce et une faveur de Dieu toute parti-
culière, qu'elle est redevable de ce qu'elle a et de ce qu'elle
aura jusqu'à la fin du monde. La parole des prophètes renferme
les saintes Lettres, dont un seul point et un seul iota ne pas-
sera point, non pas même quand 1rs rieur et la terre passeront.
Canon 1 1 .
Les livres hébreux du V. T. en particulier, que nous avons
reçus de l'Église judaïque, à qui les oracles de Dieu furent au-
trefois confiés; ces livres que nous conservons encore aujour-
d'hui sont authentiques, tant par rapport à leurs consonnes
que par rapport à leurs voyelles. Par ces voyelles il faut en-
tendre les points eux-mêmes, ou du moins leur valeur : ils
sont aussi divinement inspirés, tant pour les choses mêmes
que pour leurs expressions, de sorte qu'ils doivent être avec
les écrits du Nouveau Testament la seule règle invariable de
notre foi et de nos mœurs. C'est avec cette règle qu'il faut
examiner, comme avec une pierre de touche, toutes les ver-
sions, orientales ou occidentales, et si elles s'en écartent en
quelque chose, il faut les y rendre conformes.
Canon III.
Nous ne pouvons donc point approuver le sentiment de
ceux qui posent en fait que la manière dont on lit le texte
hébreu n'a été établie que par la volonté des hommes. Dans
&97
les endroits où ils -ne trouvent pas à leur gré cette manière
de lire, ils ne se font aucune peine de la rejeter et de la cor-
riger par les versions grecques des LXX et des autres inter-
prètes, par le texte samaritain, par les paraphrases chaldaïques
ou par d'autres versions encore. Ils vont même quelquefois
jusqu'à suivre les corrections que la seule raison leur dicte.
Ainsi, ils ne connoissent pour authentique aucune autre
leçon que celle qu'on peut déterminer en comparant les unes
avec les autres les différentes éditions, sans en excepter même
celle du texte hébreu, qu'ils prétendent avoir été altéré en
plusieurs manières. Ils veulent que chacun se serve de son
propre discernement dans l'examen des diverses leçons. En-
fin, ils soutiennent que les exemplaires hébreux que nous
avons aujourd'hui ne sont pas les seuls qu'il y ait jamais eu,
puisque les versions des anciens interprètes diffèrent de notre
texte hébreu, ce qui est. encore aujourd'hui, une preuve que
les livres hébreux n'étoient pas entièrement uniformes. De
cette manière, ils ébranlent le fondement de notre foi et por-
tent atteinte à son autorité, toute digne qu'elle est de notre
respect le plus profond.
CanoiN iV.
Dieu fit, avant la création du monde, le Décret des Siècles
en J. C. N. S.; il forma ce décret par le pur bon plaisir de sa
volonté, sans aucune prévision du mérite des œuvres ou de
la foi. Il choisit, à la louange de sa grâce magnifique, un nom-
bre fixe et déterminé d'hommes qui auroient le malheur de
naître avec tout le reste du genre humain d'un sang corrompu
et d'être formés d'une substance impure, et qui, par là même,
seroient souillés et esclaves du péché. Il résolut de les con-
duire dans ce temps au salut par le seul médiateur, Jésus-
Christ; il détermina en lui-même de les appeler d'une ma-
nière efficace, de les régénérer, et de leur donner la foi et
la repentance en considération du mérite de ce même Jésus-
Christ, et par la vertu toute puissante du St-Esprit, auteur
de la régénération Ainsi Dieu forma de cette sorte le décret
de faire briller sa gloire. 11 résolut: \° de créer l'homme in-
nocent: 2" de permettre sa chute; 3° enfin, d'avoir compas-
sion de quelques-uns d'entre les hommes pécheurs, par cela
même de les élire, mais de laisser les autres dans leur cor-
ruption, et de les dévouer finalement à un malheur éternel.
m.
32
498
Canon V.
Jésus-Christ lui-même se trouve compris dans ce miséricor-
dieux décret de l'élection divine. Ce n'est pas qu'il en soit la
cause méritoire ou le fondement antérieur, mais c'est qu'il est
lui-même l'élu qui a été préconnu avant la fondation du monde,
et, par cela même, qu'il est le premier et le principal moyen
que Dieu a trouvé bon d'employer pour l'exécution de son des-
sein charitable. Il a été élu pour être notre précieux médiateur
et notre frère aîné. C'est de son mérite précieux que Dieu
a voulu se servir pour nous communiquer le salut sans blesser
sa justice. L'É riture ne témoigne pas seulement que l'élection
a été faite par le pur bon plaisir du conseil et de la volonté
de Dieu, mais elle attribue aussi la destination ou le don et
l'envoi de Jésus-Christ, notre médiateur, à l'amour infini de
Dieu le Père pour le monde des élus.
Canon VI.
C'est pourquoi nous ne convenons point avec ceux qui ensei-
gnent que Dieu a été touché d'un grand amour pour le genre
humain dont il prévoyoit la chute ; nous ne croyons point avec
eux qu'il ait eu en vue de sauver tous les hommes, en général,
et chacun d'eux, en particulier, sous la condition de la foi ; nous
ne saurions nous persuader avec eux que Dieu ait fait un
tel décret par un dessein général antérieur à l'élection, par
une volonté conditionnelle, par un simple souhait, par un
premier mouvement de miséricorde (c'est une de leurs expres-
sions), par un désir destitué d'efficace. Nous ne pensons point
avec eux que Dieu ait donné Jésus-Christ pour être le média-
teur de tous les hommes, en général, et de chacun d'eux, en
particulier. Enfin, nous n'admettons point le système par le-
quel ils établissent que Dieu considéra quelques hommes non-
seulement comme pécheurs dans la personne du premier Adam,
mais comme rachetés dans la personne du second Adam, et
qu'il les élut en cette dernière qualité, c'est-à-dire qu'il résolut
de leur accorder dans le temps, par un effet de sa grâce, le don
salutaire de la foi. C'est dans ce seul acte qu'ils font consister
l'élection proprement ainsi nommée. Ces dogmes et les autres
qui leur sont semblables s'éloignent entièrement de la saine
doctrine touchant l'élection, car l'Écriture n'étend pas à tous
les hommes, en général, et à chacun, en particulier, le dessein
que Dieu a formé d'exercer sa miséricorde, mais elle le res-
499
treint et le limite aux seuls élus. Elle rejette expressément
et personnellement les réprouvés comme Esau, à qui Dieu a
porté une haine éternelle ; la même Ecriture témoigne encore
que le conseil et la volonté de Dieu ne changent point, qu'ils
sont immuables, et que Dieu fait dans le ciel tout ce qu'il lui
plaît. En effet, Dieu est infiniment éloigné de toutes les im-
perfections auxquelles les hommes sont sujets. Il n'y a en lui
ni passions, ni désirs stériles; il n'est ni téméraire dans ses
desseins, ni susceptible de repentance, de changement, d'ir-
résolution. La destination que Dieu a faite de Jésus-Christ
pour médiateur et le salut de ceux qui lui ont été donnés comme
son bien propre, son héritage assuré, viennent d'une seule
et même élection, et n'en sont point le fondement antérieur.
Canon VII.
Comme Dieu avoit de toute éternité connu toutes ses œu-
vres, il créa aussi dans le temps selon sa puissance, sa sa-
gesse et sa bonté infinies, l'homme qui est le plus beau de ses
ouvrages et le chef d'oeuvre de ses mains. 11 le ût à son image,
et par cela même innocent, sage et juste. Après l'avoir formé,
il le fit entrer dans l'alliance des œuvres; dans cette alliance il
lui promit, par un effet de sa bonté, la vie, sa faveur et sa
communion, pourvu qu'il obéît à ses ordres.
Canon VIII.
Cette promesse qui accompagnoit l'alliance des œuvres,
n'emportoit pas seulement la continuation d'une vie et d'une
félicité de la nature de celle dont notre premier père jouissoit
sur la terre, mais elle emportoit principalement la possession
d'une vie, d'une félicité éternelle et céleste. En effet, l'homme
auroit été enlevé dans le ciel et il auroit éprouvé en corps et
en âme des ravissements ineffables dans la communion de
Dieu, s'il eût achevé la carrière d'une obéissance parfaite;
c'est ce dont l'arbre de vie étoit déjà une figure pour Adam.
C'est aussi ce que nous fait entendre la puissance de la loi
que Jésus-Christ a accomplie à notre place. La vie que cette
loi nous procure, maintenant que Jésus-Christ a satisfait a tous
ses droits, n'est autre chose qu'une vie céleste, et la mort,
dont elle menace, au contraire, les transgresseurs, n'est pas
seulement une mort temporelle, mais une mort éternelle.
500
Canon IX.
C'esl pourquoi nous n'entrons point dans le sentiment de
ceux qui disent que la félicité céleste n'étoit point proposée à
Adam comme le prix et la récompense de l'obéissance qu'il
devoit rendre à Dieu. Ils ne reconnoissent point d'autre pro-
messe de l'alliance des oeuvres que celle d'une vie sans bornes
dans le paradis terrestre, vie, disent-ils, qui auroit été com-
blée de tous les biens dont le corps etl'àmc peuvent jouir dans
l'état d'innocence. Cette pensée est contraire au vrai sens de
la parole de Dieu.
Canon X.
De même que l'alliance des œuvres que Dieu contracta avec
Adam ne regardoit pas seulement Adam lui-même, mais aussi
tout le genre humain qui étoit en lui comme dans son chef et
dans sa tige, et qui, par une suite de la bénédiction que Dieu
avoit donnée à la nature, seroit sorti de lui pour hériter de son
innocence, s'il avoit su la conserver; pareillement il a péché
par une chute, funeste, non-seulement, pour lui-même, mais
aussi pour tout le genre humain, qui devoit tirer son origine
du sang et de la volonté de la chair. Il a perdu, pour ses des-
cendants ainsi que pour lui-même, les biens qui étaient pro-
mis dans l'alliance des œuvres. Nous croyons donc que le pé-
ché d'Adam est imputé à toute sa postérité par un juste et secret
jugement de Dieu. L'apôtre Saint Paul témoigne que tous ont
péché en Adam, que par la désobéissance d'un seul homme,
plusieurs sont rendus pécheurs et que tous meurent en lui.
Et certainement on ne voit point de raison pour laquelle une
corruption héréditaire semblable à une mort spirituelle, auroit,
par un juste jugement de Dieu, enveloppé tout le genre hu-
main, s'il n'eût commis auparavant quelque péché qui le ren-
dît digne de cette mort : Dieu, qui est un juge très-juste de
toute la terre, ne punit que les coupables.
Canon XI.
L'homme est donc, depuis le péché, soumis de sa nature
en deux manières à la colère de Dieu et à sa malédiction, et
cela dès le premier moment de sa naissance et avant qu'il ait
commis aucun péché actuel. Il est soumis à celte colère et à
cette malédiction 1° pour la faute qu'il a commise et la déso-
béissance où il est tombé, lorsqu'il n'étoit encore que dans les
501
reins d'Adam; et en V,ui lieu, à cause de la corruption que
celte désobéissance a entraînée après soi. Il hérite de cette
corruption dans le temps même de la conception, et elle le
rend entièrement dépravé et mort d'une mort spirituelle. De
sorte que c'est avec raison qu'on distingue deux sortes de pé-
ché originel, savoir le péché imputé et le péché inhérent et
héréditaire.
Canon XII.
Nous ne saurions donc, sans trahir la vérité céleste, ad-
mettre le sentiment de ceux qui nient qu'Adam ait, par un
établissement de Dieu, représenté tous ses descendants, et, par
conséquent, que son péché leur soit immédiatement imputé.
En se servant du terme d'imputation médiate et conséquente,
non-seulement ils anéantissent l'imputation du premier péché,
mais encore ils rendent extrêmement problématique la thèse
de la corruption héréditaire. ,
Canon XIII.
Comme Jésus-Christ a été élu de toute éternité pour être
le chef, le prince et l'héritier, c'est-à-dire le Seigneur de tous
ceux qui sont sauvés, dans le temps, par sa grâce, il a aussi
été fait, dans le temps, médiateur de la nouvelle Alliance, uni-
quement en faveur de ceux qui lui ont été donnés par l'élec-
tion éternelle pour être son peuple propre et particulier, sa
postérité et son héritage. Car, c'est pour les élus seuls qu'il a,
suivant le décret de Dieu le Père et de sa propre volonté,
souffert une mort cruelle. Il n'a ramené qu'eux seuls dans le
sein de la grâce, il n'a réconcilié qu'eux seuls avec Dieu le
Père, justement irrité, et n'a délivré aucune autre personne
de la malédiction de la loi. Notre Sauveur Jésus-Christ sauve
son peuple en le délivrant de ses péchés; il a donné son âme
pour la rédemption de plusieurs, pour ses brebis qui prêtent
l'oreille à sa voix. Ce n'est que pour elles qu'il veut bien prier
comme sacrificateur appelé de Dieu ; il ne prie point pour le
monde. Par conséquent, Jésus-Christ étant mort, les élus seuls,
qui deviennent dans le temps de nouvelles créatures, ces élus,
pour lesquels il s'étoit offert comme une victime d'expiation,
sont censés morts avec lui et justifiés de tout péché. Ainsi, la
volonté de Jésus-Christ mourant conspire parfaitement avec
le décret du Père et avec l'opération du Saint-Esprit. Le Père
ne donne au Fils que les seuls élus à racheter, et le Saint-Es-
502
prit ne sanctifie que les seuls élus. 11 n'en sanctifie point d'au-
tre et ne donne qu'à eux seuls une vive espérance de la vie
éternelle. Telle est la parfaite harmonie du Père, qui forme
les décrets, du Fils, qui opère la rédemption, et du Saint-Es-
prit, qui nous sanctifie.
Canon XIV.
Cela se confirme encore parce que, comme Jésus-Christ a
mérité et qu'il donne actuellement le salut à ceux pour qui
il est mort, il leur a mérité aussi, et leur donne actuellement
les moyens qui servent à les amener à ce salut, et en parti-
culier l'esprit de régénération, et, en particulier, le don céleste
de la foi. Car l'Ecriture témoigne que le Seigneur est venu
pour sauver les brebis perdues de la maison d'Israël, qu'il
envoie le Saint-Esprit comme la principale source de notre
régénération, et qu'une des plus excellentes promesses de la
nouvelle alliance, dont il a été fait le médiateur, c'est qu'il
écrira sa loi, c'est-à-dire la loi de la foi, dans le cœur de ses
disciples. Elle déclare encore que tout ce que le Père a donné
à Jésus-Christ vient à lui ; enfin, que par la foi nous avons été
élus en Jésus-Christ pour être saints, exempts de toute ta-
che, et, par conséquent,, pour être enfants de Dieu par sa
grâce. Or, nous ne pouvons être enfants de Dieu que par la
foi et par la vertu de l'Esprit qui nous régénère.
Canon XV.
Jésus-Christ a pleinement satisfait à Dieu son Père par l'o-
béissance qu'il lui a rendue dans la mort à la place des élus;
mais il faut concevoir cela d'une telle manière, qu'on mette
dans le rang delà justice et de l'obéissance qu'il a pratiquée à
la place de ses élus, tout ce qu'il a fait et souffert pendant tout
le cours de sa vie pour accomplir la loi, étant par excellence
le serviteur juste de Dieu. Car, toute la vie de Jésus-Christ
n'a été, suivant la déclaration de Saint-Paul, qu'un anéantis-
sement continuel, un abaissement et une humiliation qui s'est
augmentée par degrés jusqu'à son dernier terme, lequel a été
la mort de la croix.
L'Esprit de Dieu annonce aussi clairement que Jésus-Cluist
a, par la sainteté de sa vie, satisfait pour nous à la loi et à
la justice de Dieu. Il fait consister le prix par lequel nous
avons été rachetés, non-seulement dans les souffrances du Fils
de Dieu, mais dans l'exactitude avec laquelle il a conformé
503
toute sa vie à ia loi. S'il attribue notre rédemption à la mort
et à la passion de Jésus-Christ, en particulier, ce n'est pas pour
une autre raison que parce qu'il a été consommé par les
souffrances. Ainsi le Saint-Esprit nous fait porter les yeux
sur ce dernier période sans lequel nous ne pouvons être sau-
vés, et qui nous présente un riche tableau où nous voyons
briller avec éclat toutes les vertus. Il désigne l'obéissance de
notre Sauveur par le plus illustre de tous ses actes, sans
avoir pour cela dessein de séparer de la mort la vie qu'il
avoit menée auparavant.
Canon XVI.
Ces choses étant ainsi, nous ne saurions approuver la doc-
trine de ceux qui enseignent le contraire. Ils disent que Jé-
sus-Christ a, de son propre mouvement, et suivant la volonté
du Père qui l'a envoyé, souiïert la mort pour tous les hom-
mes, en général, et pour chacun d'eux, en particulier, à condi-
tion qu'ils croient à l'Évangile, ce qui est une condition im-
possible. Ils soutiennent que ce Sauveur a obtenu pour tous
les hommes un salut dont ils ne sont pourtant pas tous rendus
participants. Ils ajoutent qu'il n'a mérité proprement et ac-
tuellement le salut et la foi pour personne, en particulier, mais
qu'il a seulement levé l'obstacle que formait contre nous la
justice divine, et qu'il a, par son sacrifice, donné lieu au Père
de traiter avec tous les hommes une nouvelle alliance. Enfin,
ils distinguent entre la justice active et la justice passive de
Jésus-Christ, et ils assurent qu'il réserve pour lui-même la
justice active, et qu'il ne donne et n'impute a ses élus que la
justice passive. Toutes ces explications, et autres semblables,
sont manifestement opposées à l'Ecriture et à la gloire de Jésus-
Christ, qui est le chef et le consommateur de notre foi et de
notre salut; elles affoiblissent la vertu de sa mort, et, sous
prétexte de relever son mérite, elles le diminuent en effet.
Canon XVII.
La vocation au salut est proportionnée aux temps. Elle est,
suivant que Dieu le juge à propos, tantôt plus et tantôt moins
générale, mais elle n'a jamais été absolument universelle.
Car, sous le Vieux Testament, Dieu a annoncé sa parole a Ja-
cob et ses ordonnances à Israël ; il n'a pas fait ainsi aux autres
nations. Sous le Nouveau Testament, Jésus-Christ fait , à la vé-
rité, la paix par son sans.', il a rompu la muraille de sépara-
oO'i
lion, et Dieu a jusqu'à présent étendu l'enceinte de l'Église,
faisant prêcher l'Évangile en plusieurs lieux et adressant à un
grand nombre d'hommes la vocation extérieure : // n'y a plus
de distinction entre les Juifs et les Gentils. Mais Dieu est main-
tenant le Seigneur de tous, et il déploie ses richesses sur tous
ceux qui l'invoquent. Cependant la vocation au salut n'est pas
pour cela absolument générale, car Jésus-Christ déclare qu'il
y en a beaucoup d'appelés, il ne dit pas que tous les hommes
le soient, et quand Saint Paul et Timothée formèrent le des-
sein de passer en Bythinie, l'Esprit de Jésus ne le leur permit
pas. Il y a eu autrefois, et il y a encore aujourd'hui, comme
cela se prouve par l'expérience, des milliers innombrables
d'hommes qui n'ont pas même ouï prononcer le nom de Jésus.
Canon XVIII.
Cependant Dieu ne s'est point laissé sans témoignage à l'é-
gard de ceux qu'il n'a pas daigné appeler au salut par sa
parole. Il leur a donné le ravissant spectacle des cieux et des
astres. Et, pour leur manifester sa longue tolérance, il leur a
révélé ce que l'on peut connoîlre de Dieu par les ouvrages de
la nature et de la Providence. Mais il ne faut pas, pour cela,
s'imaginer que ces œuvres de la nature et de la Providence
divine aient été des témoins suffisants pour suppléer à la vo-
cation intérieure et pour apprendre aux hommes le mystère
du bon plaisir de Dieu, el de la miséricorde qu'il nous té-
moigne en Jésus-Christ; car l'apôtre ajoute immédiatement
que les choses invisibles de Dieu, savoir sa puissance éternelle
et sa divinité, se voient depuis la création du monde quand
on les considère dans ses ouvrages. Il ne dit pas qu'on y dé-
couvre le secret du bon plaisir de Dieu, qui nous a été ré-
vélé par Jésus-Christ. S'il renvoie les hommes à la contem-
plation de l'univers, ce n'est pas pour y apprendre le mystère
du salut que Jésus-Christ nous a acquis; mais c'est pour les
convaincre qu'ils sont inexcusables, puisqu'ils n'ont pas même
fait un bon usage de la connaissance que Dieu leur avoit lais-
sée, et qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme
Dieu et ne lui ont point rendu grâces; c'est aussi dans le
même esprit que Jésus-Christ bénit Dieu son Père de ce qu'il
a caché ces choses aux sages et aux intelligents, el de ce qu'il
lésa révélées aux petits enfants. L'apôtre Saint Paul nous en-
seigne encore que Dieu nous a fait connoîlre par son pur bon
505
plaisir le secret de sa volonté, suivant ce qu'il avoit résolu
en Jésus- Christ.
Canon XIX.
Lorsque Dieu appelle extérieurement les hommes par la
prédication de l'Évangile, il le fait d'une manière très-réelle,
nullement feinte; il ne nous découvre pas, à la vérité, ses
vues secrètes par rapport au salut ou à la damnation de cha-
cun de nous, mais il nous fait connoître très-sérieusement et
très-sincèrement quelle est la nature de notre devoir, et ce
que nous avons à espérer si nous le pratiquons, et à craindre
si nous ne le pratiquons pas. La volonté de Dieu, lorsqu'il ap-
pelle les hommes, est que ceux qu'il appelle viennent à lui,
qu'ils ne négligent pas un si grand salut. Aussi promet-t-il,
sans la moindre ombre de dissimulation, le salut éternel à tous
ceux qui viennent à lui par la foi. C'est une vérité constante,
comme s'exprime un apôtre, que si nous mourons avec
lui, nous vivrons aussi avec lui; si nous souffrons avec lui,
nous régnerons aussi avec lui; si nous le renonçons, il nous
renoncera aussi; si nous sommes infidèles pour lui, il demeure
fidèle: il ne peut se démentir lui-même. Cette volonté n'est
point inefficace, même par rapport à ceux qui n'obéissent pas
à la vocation divine, parce que Dieu parvient toujours aux fins
qu'il s'est proposées. Il fait connoître aux hommes leur devoir
et conduit au salut les élus qui ne manquent pas de s'y appli-
quer, et il rend inexcusables les autres qui négligent de faire
ce qu'il leur commande. Certainement, un homme spirituel
accordera sans peine le décret de Dieu, tel que l'analogie de la
foi nous le représente, avec la vocation extérieure faite de
vive voix ou par écrit. Comme Dieu approuve toutes les vérités
qui, comme autant de conséquences justes, résultent de ses
desseins, on a raison d'affirmer qu'il veut que quiconque voit
le Fils et croit en lui ait la vie éternelle. Car, quoiqu'il n'y ait
que les élus qui soient de ce nombre, quoique Dieu n'ait formé
aucun décret universel, sans déterminer ce qu'il fera de chaque
personne, et, par conséquent, quoique Jésus-Christ ne soit pas
mort pour tous les particuliers d'entre tous les hommes, mais
uniquement pour les élus que Dieu lui a donnés; quoique tout
cela soit ainsi, dis-je, cependant Dieu veut que cette propo-
sition : Quiconque croit en Jéaus-Chrùt a la vie éternelle, soit
universellement vraie, parce que c'est une conséquence de son
décret particulier et de sa volonté déterminée. Mais, quant à ce
506
qui arrive, que les seuls élus croient et que les réprouvés s'en-
durcissent lorsqu'on leur met à tous devant les yeux la volonté
de Dieu, et qu'on les appelle extérieurement en son nom, c'est
un effet de la seule grâce de Dieu ; elle produit toute cette diffé-
rence. Les élus, déterminés par cette grâce, croient d'une ma-
nière salutaire; mais les réprouvés demeurent dans le péché
par une suite nécessaire de cette méchanceté, qu'ils ont ap-
portée en venant au monde. Ils s'amassent, par leur impéni-
tence et par l'endurcissement de leur cœur, un trésor de colère
pour le jour de la colère et de la manifestation du juste juge-
ment de Dieu.
Canon XX.
Nous ne doutons donc point qu'on ne se trompe, quand on
croit que Dieu appelle au salut, non-seulement ceux à qui il
fait prêcher l'Evangile, mais aussi ceux à qui il ne le fait
point annoncer et à qui il ne se révèle que par les ouvrages
de la nature et de la Providence. Les personnes qui sont dans
cette erreur ajoutent que la vocation au salut est tellement
universelle^ qu'il n'y a aucun mortel à qui elle ne soit suffi-
samment adressée. Les uns, disent-ils, sont appelés médiate-
ment en ce que Dieu leur accordera la lumière de sa grâce,
s'ils font un hon usage de leurs lumières naturelles; les autres
le sont immédiatement parce que Dieu leur fait annoncer Jésus-
Christ et le salut qu'il nous a acquis. Ils soutiennent, enfin,
qu'à moins qu'on établisse une grâce absolument universelle,
on ne peut pas dire que la vocation extérieure soit véri-
table et non feinte, ni prouver que Dieu offre très-sérieuse-
ment et très-sincèrement le salut à tous ceux qu'il appelle.
Ce sont là des dogmes contraires à l'Écriture et à l'expé-
rience de tous les temps. On y confond manifestement la na-
ture avec la grâce, ce qu'on peut connoître de Dieu avec sa
sagesse secrète., et les lumières de la raison avec celles de la
révélation divine.
Canon XXI.
Ceux que Dieu appelle au salut par la prédication de l'E-
vangile ne sauroient ni croire en Jésus-Christ, ni répondre à
celte vocation, à moins que le Seigneur ne les ressuscite et
ne les arrache à la mort spirituelle par un acte de cette même
puissance par laquelle il a commandé que la lumière éclatât
du sein des ténèbres. Il faut que Dieu répande sa clarté dans
507
leurs cœurs, par la grâce irrésistible de son esprit, afin qu'ils
soient éclairés de la splendeur de la connoissance de sa gloire,
qui se découvre en la personne de Jésus- Christ. Car l'homme
animal ne reçoit point les choses qui partent de l'Esprit
de Dieu, elles sont pour lui une folie, et il ne peut même les
connoître, parce qu'il faut être spirituel pour en bien juger.
L'Écriture démontre en plusieurs endroits cette impuissance
totale : elle le fait même par tant de déclarations et tant d'em-
blèmes, qu'à peine trouvera-t-on un sujet sur lequel elle four-
nisse des preuves plus convaincantes et en plus grand nombre.
On pourroit, il est vrai, l'appeler une impuissance morale, à
cause que son sujet est moral, de même que son objet; mais
elle est aussi naturelle, et doit être appelée de ce nom, parce
que l'homme est naturellement et par une suite des lois de
la naissance, enfant de colère, dès le premier moment de
sa vie. Comme cette impuissance naît avec lui, il ne peut s'en
délivrer que par la grâce victorieuse et triomphante du Saint-
Esprit.
Canon XXII.
Nous jugeons donc qu'on parle d'une manière peu circons-
pecte et même dangereuse lorsque l'on appelle cette impuis-
sance de croire où l'homme se trouve, une impuissance mo-
rale, et qu'on fait difficulté de l'appeler naturelle. Ceux qui
tombent dans cette faute ajoutent que, dans quelque état que
l'homme soit placé, il peut croire, s'il veut, et que la foi est,
en dernier lieu, du nombre des choses qui sont en notre pou-
voir, quoique l'apôtre l'appelle, en termes exprès, un don de
Dieu.
Canon XXIII.
Il y a deux manières par lesquelles Dieu, qui est un juste
juge, a promis de justifier l'homme : l'une dans la loi, l'autre
dans l'Évangile. Dans la loi, il promet de déclarer l'homme
juste en conséquence de ses oeuvres ou de ses propres actions.
Dans l'Évangile, il s'engage à le traiter comme tel en considé-
ration de l'obéissance ou de la justice d'un autre, savoir
Jésus-Christ, notre répondant, dont l'obéissanoe est imputée
par grâce à celui qui croit. Le premier de ces moyens sert à
justifier l'homme innocent, le second, à justifier l'homme pé-
cheur el corrompu. Conformément à ces deux moyens de
508
justification , l'Ecriture établit deux Alliances, l'une des oeu-
vres, et l'autre de la grâce. Celle des oeuvres a été traitée avec
le premier Adam, et, en lui, avec chacun de ses descendants.
Le péché ayant rendu cette première alliance vaine et inutile,
Dieu en a traité avec les seuls élus, dans le second Adam, une
seconde, qui est éternelle et qui ne sera point sujette à l'abro-
gation comme la première.
Canon XXIV.
Au reste, cette dernière Alliance a eu, suivant la diversité
des temps, des économies dilïérentes. Car, quand l'apôtre
Saint Paul désigne la dernière économie par ces mots : La
dispensai ion de la plénitude des temps, il nous fait assez clai-
rement entendre qu'il y a eu une autre économie et une autre
dispensation dans les siècles qui ont précédé le temps que
Dieu avait marqué pour la prédication de l'Evangile. Mais
dans toutes ces deux économies de l'Alliance de grâce, les
élus n'ont été sauvés que par l'Ange de la face, par cet agneau
immolé dès la fondation du monde, par Jésus-Christ, par la
connaissance de ce serviteur juste et par la foi en lui, aussi
bien qu'en son Père et en son Esprit. Car Jésus-Christ est tou-
jours le même, hier, aujourd'hui et dans tous les siècles, et
nous croyons que c'est par la grâce du Seigneur Jésus-Christ
que nous serons sauvés de même qu'eux, savoir les Pères. Les
mômes fondements demeurent inébranlables dans tous les deux
Testaments. Heureux sont ceux qui se confient en lui, c'est-à-
dire dans le Fils! Celui qui croit en lui n'est point condamné,
mais celui qui ne croit point est déjà condamné; vous croyez
en Dieu, il veut dire le Père, croyez aussi en moi. Or, si les
Pères ont cru en Jésus-Christ, en leur Rédempteur, il s'en suit
qu'ils ont aussi cru au Saint-Esprit, puisque personne ne peut,
sans le Saint-Esprit, dire que Jésus-Christ est le Seigneur. Et,
en vérité, on voit dans le Vieux et le Nouveau Testament
tant de preuves qui montrent que les Pères ont eu cette foi
et qu'elle est nécessaire pour le salut, qu'il n'y a que ceux
qui ferment volontairement les yeux qui puissent ne pas les
apercevoir. Il fallait, il est vrai, suivant la nature de l'écono-
mie de ces siècles-là, tirer la connaissance salutaire de Jésus-
Christ et de la très-sainte Trinité, non-seulement des promesses
de Dieu, mais aussi des ombres, des types et des figures de la
loi. Quoique cela rendît la chose plus difficile qu'elle ne l'est à
présent, sous le Nouveau Testament, les connaissances des élus
509
étoient pourtant réelles et proportionnées au degré de révéla-
tion dont ils jouissoient. Elles étoient suffisantes, avec la grâce
de Dieu, pour leur procurer le salut et pour consoler leurs
âmes.
Canon XXV,
Nous condamnons donc la doctrine de ceux, qui croient nous
étaler trois alliances entièrement distinctes les unes des au-
tres, l'alliance naturelle, l'alliance légale et l'alliance du l'E-
vangile. Ils s'embarrassent si fort en pensant les expliquer, et
en voulant déterminer la différence qu'il y a entre elles, qu'ils
répandent une grande obscurité sur ce qu'il y a de plus impor-
tant dans les vérités de la religion. Ils ne se font aucun scru-
pule de parler avec trop de relâchement de la nécessité qu'il
y avoit, sous le Vieux Testament, de connoître Jésus Christ ,
de croire en lui, de se reposer sur sa satisfaction et de mettre
de la confiance en la très-sainte Trinité. La manière dont ils
traitent la théologie nous paroît fort dangereuse.
Canon XXVI.
Enfin, pour prévenir les lâcheuses divisions qui causent de
toutes parts de si grands ravages dans l'Eglise de Dieu, nous
à qui le Seigneur a maintenant confié la dispensât ion de
l'Evangile dans l'Eglise qui est la maison de Dieu, nous vou-
lons très-sérieusement nous soumettre à cette loi avec tous nos
candidats au saint ministère et tous ceux qui seront un jour
appelés par la volonté et la providence de Dieu à nous succéder
dans nos travaux, nous nous engageons, dans ce temps où le
monde tend à sa destruction, à garder fidèlement, suivant
l'exhortation de l'apôtre des Gentils, le dépôt qui nous a été
confié, évitant les discussions vaines et profanes. Nous nous
engageons à conserver religieusement la sincérité et la sim-
plicité de la connaissance qui est conforme à la piété, et à per-
sévérer constamment dans la charité et dans une foi non feinte,
qui sont les deux plus excellentes de toutes les vertus. Par
conséquent, que personne ne s'avise de professer, soit en public,
soit en particulier, aucun dogme de foi douteux, ou nouveau
et inouï jusqu'à présent dans nos Églises; aucun dogme con-
traire à la Parole de Dieu, à notre confession helvétique, à
nos livres symboliques et aux canons du synode de Dordrecht ;
aucun dogme, enfin, qui n'ait été prouvé et établi par l'Ecri-
ture dans l'assemblée publique de nos frères. Sur toutes
510
choses, que non-seulement nous enseignions fidèlement, par la
Parole de Dieu, la nécessité de sanctifier le jour du Dimanche,
mais que nous en recommandions aussi et en pressions de
toutes nos forces l'observation. Enfin, que toutes les fois que
l'occasion s'en présentera, nous maintenions, nous enseignions
et nous prouvions unanimement et fidèlement, tant dans
l'Eglise que dans les écoles, la vérité des canons qui sont ici
rédigés par écrit, et que nous avons tirés de la Parole infaillible
de Dieu.
ENTRE DEDICATOIRE.
A tous les trais orthodoxes, les défenseurs du Consensus.
Messieurs,
J'ose me flatter que, depuis que les traducteurss e sont avi-
sés de dédier les productions d'autrui, personne n'a encore
fait paraître plus de jugement que moi dans le choix des pa-
trons dont il s'est chargé de faire l'éloge. Dans ce temps-ci, les
hérétiques s'attribuent le beau nom d'orthodoxes ; c'est une
justice qui vous est due de reconnoître publiquement que ce
nom n'appartient qu'à vous. Tandis que les autres hommes
s'abandonnent à leur propre raison et s'écartent en plusieurs
choses des sentiments de leurs pères, vous êtes en garde con-
tre les illusions du bon sens et vous conservez un sage res-
pect pour ce que vos maîtres vous ont enseigné. La paresse,
sanctifiée par la modestie, vous engage à recevoir aveuglé-
ment toutes leurs décisions. Une humble défiance de vos lu-
mières tient lieu d'infaillibilité à vos docteurs. S'ils ont assez
examiné, pour eux-mêmes ou pour vous, les matières de la
religion, vous signalez de votre côté votre reconnoissance en-
vers eux en soutenant indifféremment tout ce qu'il leur a plu
de vous dicter. Il n'est rien de plus louable que les emporte-
ments zélés que vous faites paraître pour la défense de toutes
leurs opinions. Rien de plus charitable que les moyens où
vous avez recours pour guérir les hommes d'une curiosité
dangereuse. Quelles seroient les suites de la liberté de penser,
si elle venoit à s'introduire parmi nous? Des maîtres qui sont
51 1
depuis longtemps en possession de l'estime du publie, per-
droient une partie très-considérable de cette estime dès aussi-
tôt qu'on croiroit reconnoître qu'il y a dans leurs sentences, de
certaines choses qui ne sont pas appuyées sur des fondements
assez solides. Le respect que l'on a pour la religion finirait en
même temps que la vénération pour les ministres; autant
d'hommes, autant de sentiments différents ; rien ne seroit ca-
pable de les réunir. Chacun veut être infaillible. La vérité n'a
point de caractère sûr. Notre esprit aime l'erreur, et plus l'er-
reur est dangereuse, plus elle a de charmes pour lui. Après
cela, comment oseroit-on permettre aux hommes de suivre
leur propre idée ? Cependant on ne néglige rien aujourd'hui
pour rompre le sacré lien de l'orthodoxie. Mille machines
dressées contre le Consensus doivent nous faire craindre pour
ce bouclier de la foi. Comme chacun doit employer ses forces
pour repousser les assauts des hérésies, quoique le plus chétif
des orthodoxes, j'ai cru qu'il étoit de mon devoir de faire
quelque chose pour soutenir vos bons desseins. J'ai compris
que, si j'exposois à la vue du public V Etendard de la vérité, je
déconcerterais tous les combattants qui lui font la guerre. Je
n'ai point douté que sa brillante lumière ne dissipât entière-
ment les nuages épais des préjugés et de l'erreur, et qu'ainsi
nous ne vissions bientôt nos églises être à l'abri de l'orage
qui les menace. Et parce que les esprits de notre siècle parois-
sent plus pesants que ceux du siècle passé, j'ai lâché d'éclairer
par quelques remarques les endroits qui m'ont paru en avoir
besoin; si mon travail n'est pas inutile, tout l'honneur vous
en sera dû. C'est le désir d'unir mes efforts aux vôtres qui
m'a mis la plume à la main. Daignez jeter un œil favorable
sur ma traduction; je me croirai suffisamment dédommagé
de mes peines.
IV.
TABLE
DES PRINCIPALES CONTROVERSES Qtl'lL FAUDRA TKAITKIt KN CHAIRE
AVEC LES TEXTES Q(;'o.\ EXPLIQUERA.
1. De la divinité et île l'authorité de l'Ecriture. 2 Tim.
ni 46.
2. De sa perfection contre les traditions. Gai. I, 8.
3. De sa clarté et de la nécessité de sa lecture. Jean V, 39.
h. Du juge des controverses, haïe VIII, 20.
5. De la nature de la vraye Eglise, et de ses marques.
Jean X, 27.
6. De son infaillibilité. Malth. XXIIJ, 10.
7. De sa splendeur et de son éminence. Rom XI, 4.
8. Du chef de l'Eglise. Eph. I, 20.
9. Du culte religieux, s'il peut être rendu à des créatures
et de l'invocation des saints. Malth. IV, 10.
10. Des images et de leur culte. Exod. XX.
11. Des péchez véniels et mortels. Rom. VI, 23.
12. De la médiation de Jésus-Christ et de l'intercession des
saints. 4 Tim. II, 5.
13. De la perfection de la satisfaction de Jésus-Christ et des
satisfactions humaines. Héb. X, ik.
14. Du purgatoire. 1 Jean I, 7.
1b. De la justification par la foy. Rom. III, 28.
16. Du mérite et de la nécessité des bonnes œuvres. Eph.
II, 8-10.
17. De la nécessité de la grâce pour la conversion, contre le
franc arbitre. Philip. II, 13.
18. De la persévérance et de la certitude du salut. 2 Tim.
I, 12.
19. Des vœux monastiques. Gai. V, 1 .
20. Des jusnes. Col. II, 21, 22.
513
-2!. Des listes. Gai. IV, 40, 44.
De la confession auriculaire. / /mu l, 9.
23. De la nécessité et de l'efficace du bateme. 4 Pierre
III, 24.
24 . De la Sainte Cène el du sens de ces paroles : Ceci est mon
corps, contre la transubstantiation. Matth. XXVI. 26.
25. De la présence réelle et de la manducalion du corps de
Christ. Jean VI. 63.
20. Du sacrifice de la messe. Héb. IX, 26.
27. De l'adoration de l'hostie. 4lCor. X, 4h.
28. De la communion sous une espèce. Matth. XXVI, 27 .
29. Du service en langage inconnu. 4 Cor. XIV.
30. De la nécessité de notre séparation de l'Eglise romaine.
2 Cor. VI. 47. IS.
(Extrait des lie g. de la Comjj. Séance du 9 janvier (685.)
FIN DC TOMÉ TROISIÈME,
III.
53
TABLE ALPHABÉTIQUE
DKS MATIÈRES
<o»TE*i.'fr:« i.v.n trois wor i me».
'Le t'IiifTte romain indique le volume, et le chilTre arabe, la page.,
%
Abauzit, Firmin, loué par Rous- j
seau, III, 254 : lui adresse avant
rie mourir une exhortation ,
ibidem.
Abus du \ ieux régime, III, 274.
Académie genevoise. Sa fonda-
tion, I, 506, 510: ses membres
appelés a signer un formulaire
de foi, III, 126; étudiants au !
seizième siècle, II, 121; étu- I
diants en théologie, II, 122-127; j
ils inclinent vers l'arminianis- |
me, III, 130; se divisent en deux j
camps, 148; leur nombre h la
fin du dix-huitième siècle, 424,
435, 458 ; conseils de leurs pro- j
fesseurs, ibid.; démarches et ;
indulgence pour les exempter
de la conscription, 479; in-
fluence de la guerre sur l'Aca-
démie, II, 136; son état depuis
l'édit de Nantes, II, 142-147.
ylrfm/sss'ondescatéchumènes.Voy.
Réception à la Sainte-Cène.
AlciaL libre penseur, condamné
par Calvin, II, 227 et 234.
Alfieri, marquis, fait le plan de la
façade de Saint-Pierre, III, 40.
AUardet, évèque savoyard, veut
prendre Genève, II, 391, 394.
Allemagne. Rapports de Genève
avec ce pays, III, 410; son hos-
pitalité envers les réfugiés fran-
çais, 417.
Ambassade de Genève à Turin,
III, 293.
Ameaux, dispute contre Calvig,
I, 374-376.
Aniiraut ou Amyraut, sur la pré-
destination, III, 116, 126: ses
doclrines se propagent, 125.
145.
Anabaptistes, I, 280-283.
Anglais aidés par les Genevois à
échapper au blocus continen-
tal, III, 409: Angleterre, de-
mande qu'on s'adoucisse, quant
au Consensus, III, 165, 171; en
lutte avec les Pays-Bas, 288;
fait la paix, 293; protège Ge-
nève, 323, et les galériens pro-
testants, 376: relations de Ge-
nève avec ce pays, 401-410.
Annecy, son évèque veut mainte-
nir sous sa juridiction ses an-
ciennes paroisses, III, 308; ne
vient pas consacrer à Genève
la chapelle du résident, 326.
Anspach, pasteur, membre de la
Constituante en 1793, III, 438;
comment il loue Charles Bon-
net, 441; censuré pour cela par
Mouchon, 442; procureur-gé-
néral, contribue au rétablisse-
5 1 6
ment et au respect du culte,
449 et suiv.
Antoine, hérétique brûlé à Ge-
nève, II, 291-301.
Appenzell approuve le Consensus,
m, 145.
Ardutius, évèque chrétien, 1, 39,
40.
Aventhon fd'J, Jean, évèque, sol-
licite de la France la conquête
de Genève, III, 288.
Arminius, étudie a Genève, 1582,
II, 278; approuvé par Th. de
Béze, 279; pasteur à Amster-
dam, 280; anti-prédestination:
ibid.; en quoi diffère de Cal-
vin, III, 115, 126: sa doctrine
se répand, 129 et suiv.. 144:
sa mort, II, 281.
Armoiries chrétiennes, I, 350.
Arnold, pasteur, obtient de Ge-
nève une somme destinée au
rétablissement du séminaire ré-
formé de Lissa, III, 415.
Articulait*, leur trahison natio-
nale, I, 315-316.
Ascension, fète célébrée, III, 9,
48.
Auberges, régularisées, II, 80, 86.
Auberius, libre penseur, condam-
né, II, 274,
Augustin», moines indignes. 1. 53,
I, 215-216.
Bâtard, syndic, catholique impar-
tial, 1, 82; ne veut pas aban-
donner son culte, 269.
Hâle prête 30,000 écus à Genew
en 1583, II. 409; approuve le
Consensus, III, 145.
Baptiste, vénitien, antitrinitaire,
II, 274-275.
Baptême, célébré à Genève pour
la première fois, I, 169 et suiv.
Bavante (M. de), préfet du Lé-
man, son bon esprit, III, 350.
Barillet, libraire, achète un ma-
nuscrit de Giannone, III, 205:
le v end à Bentivoglio, 206.
Battievelt, arminien, II, 283: mis
à mort pour ses opinions. 286.
Barthclemi (la Saint-), II. 311-
313; Rome l'approuve, 318-
320; conduite de Genève, 321;
jeûne de l'église de Genève,
325; réfugiés a Genève, II, 327:
Charité des Genevois, ibid. ;
dangers de Genève, 331 ; inter-
vention des Suisses, 333; ren-
trée des réfugiés sous Hen-
ri III, 336, 337.
Bannie (Pierre de la), dernier
évèque de Genève; son carac-
tère, 1, 85: s'éloigne de Genève,
87 ; revient et veut exercer une
justice illégale, 141-143; prend
peur cl s'enfuit, 143; défend
de lire la Bible, 147; veut re-
prendre Genève, 183: trans-
porte son siège àGex, 184-185:
ordonne la guerre des Peney-
sans , ibid. ; est mis en accusa-
tion par les Genevois, 192; les
excommunie, 194: essaie vai-
nement de reprendre Genève,
307-312.
liai/le, son Dictionnaire publié h
Genève, IIL 186.
Beaune, ville protestante, II, 347.
Berlin, église du refuge dans cette
ville, III, 417.
Bernard, Jacques, moine converti,
ouvre la dispute avec l'Eglise,
I, 207.
Berne prend le pays de Vaud, I,
102; protège la réforme a Ge-
nève, 140; veut la liberté du
culte, 167 : ses troupes arrê-
tent les Xeuchàtelois après la
bataille de Gingins, 227; elle
hésite à secourir Genève, 228:
envoie ses représentants à son
secours, 235-242; disputes sur
la Sainte-Cène a Genève, 289:
fait alliance avec Genève, II,
414: fait le traité de Nyon,
560; les campagnes bernoises,
en 1589, défendent la cause
protestante, 565-568; Berne in-
ri 17
tervient à Genève, III, 80; ap-
prouve le Consensus, 145; l'im-
pose par la violence , ibid. ;
promet de secourir Genève
contre les dangers du dehors,
291 ; ses dépenses pour les ré-
fugiés, 370.
Bernex : son curé veut que les
protestants s'agenouillent de-
vant l'hostie, III, 311.
Bernolière conspire contre Ge-
nève, II, 478-480.
Berthelier, martyr genevois, I, 84:
sa veuve épouse un de ses an-
ciens ennemis, 199 ; Berthelier
fils, excommunié, 415; insulte
les pasteurs, 424
Bertrandis, évèque réformateur
en 1388, I, 43.
Bessonnet, professeur, vole pour
le Consensus élargi, III, 1(33.
Bèze (Théodore de) au colloque
de Poissy, I, 459; son carac-
tère et sa conversion, II. 5: pré-
sident de la Compagnie des pas-
leurs, 9; censure les magistrats,
53, 54: découvre une trahison
contre Genève, 400-403; dé-
montre la justice de la guerre
contre la Savoie, II, 40b; dé-
couvre une seconde trahison,
412; sa traduction des Psau-
mes, III, 9, 16; modifiée, ibid.;
il reçoit en France des secours
pour les réfugiés, 359; en dirige
l'administration, puis se fait
suppléer, ibid. : son caractère,
II, 641,642; relations avec Fr.
de Sales, 643, 669: mort de
Théodore de Bèze, 666-667.
Bible en langue vulgaire : son ac-
tion, I, 79; répandue dans la
vallée du Léman, 82, 83; pé-
nètre en Savoie, 85; amateurs
delasainteBibleen 1532,p.90:
imprimée en Genève en 1543
et 1545, p. 354; version révisée
en 1675 et 1703,111, 21 etsuiv.:
en 1805, p. 182: citation de la
préface, 183.
Bienne, approuve le Consensus.
III, 145.
Biron, veut livrer Genève au pape,
II, 471.
Blanchet, pasteur, martyr de la
peste. II, 156.
Blandrate , antitrinitaire italien
persécuté. II, 236.
Blonay (de), colonel, fait une en-
treprise infructueuse contre Ge-
nève, II, 481, et III, 298.
Blondel, d'accord avec Charles-
Emmanuel, II, 477.
Boisée condamné sur la prédesti-
nation, II, 207-222.
Boniuard : souper de Berthelier,
1, 83; tance les premiers pro-
testants, I, 99.
Bonmont, l'abbé, s'oppose à Fa-
rel et à Saunier, I, 113.
Bons (de), colonel, envoyé à Ge-
nève pour y créer un parti sa-
voyard, III, 293.
Bonstetten (Charles-Victor de) :
souvenirs de sa jeunesse, III,
250.
Bordeaux demande à Genève le
pasteur Courtant, II, 319.
Bovdier,. Jacques, pasteur : ses lils
emprisonnés à Milan. 111, 309.
Bordier, Jacob, prêche contre les
fêtes, III, 48.
Borromée (S* Charles-) veut pren-
dre Genève, I, 527.
Bossey : visite consistorùde dans
celle paroisse, III, 97 ; son par-
leur emprisonné, 309 : ne peut
plus, dès 1754, garder le culte
réformé que vingt-cinq ans, 318.
Bourdillon, Pierre-Daniel, pas-
teur de Dardagny, suspect, III,
450; destitué, 454; sur le refus
de M. Moulinié de lui rendre
sa place, s'expatrie et meurt en
Amérique, 456.
Bourgogne (églises protestantes
de), II, 345, 369, 371, 377.
Bourse française, III, 346: son
origine, 359; ses libéralités
pour les réfugiés, 370, 371.
318
Bouverot,Adam, pasteur de Chan- I
cy, suspect aux révolutionnai-
res, III, 450: destitué. 454.
Brigues électorales, II. 59; con-
damnées par les pasteurs, III,
26.'! el suiv.
Bruccioli, cardinal, traduit la Bi-
ble en italien, I, 472.
Bulle de Pie IV, dite sanglante,
I, 483; de Clément VIII. pour
la sainte maison de Tlionon .
III, 300; de Clément X, contre
les hérétiques, 296.
Burgondes chrétiens, I, 32.
Burlamaccjii, Fabrice (?), publie
un catéchisme, III, 24, 26.
Bumet, prélat anglican, blâme
les confessions de foi, III, 144.
Busanton (David de) : sa géné-
rosité pour qu'on soutienne â
Genève les Français -malheu-
reux, III. 359.
Bu fini, Gabriel : sa réponse a. Mo- !
rus, III, 124; protège Le Clerc |
contre les exclusifs, 143.
Butini, Domaine, demande que la i
Compagnie n'instruise pas le
Conseil des débats théologi- |
ques, III, 162; vote un Consen-
sus plus large, 163.
Butini, Pierre, soumis à un enga-
gement, quant à la doctrine, III, ]
159; vote un Consensus plus I
large, 163.
Cabrières : massacre des protes- '
tants en 1545, I, 439: le curé
de l'endroit, en 1733, vient en
aide â des protestants, III, 346. !
Calandrini, Julien, protestant ita- i
lien, I, 479.
Calandrini, Bénedict, veut main-
tenir le Consensus, III, 161; I
165: s'élève avec énergie cou- !
tre la danse, 268 ; et annonce
l'arrivée à Genève de 286 con-
fesseurs, 373 et suiv.
Calandrini Jean-Louis, abrège la
prière finale du dimanche ma- i
tin, III, 13; révise les psaumes,
18: invoque l'autorité des Con-
seils en faveur de la grâce, 137:
signale le Dictionnaire de Bay le,
186; est loué pour sa prédica-
tion, 92.
Calandrini , Louis, propose un
plan de restauration pour la fa-
çade de Saint-Pierre, III, 39.
Calas (Procès des), III, 385; leur
réhabilitation, par qui provo-
quée, 387.
Calendrier changé. III, 51.
Calvin arrive à Genève, I, 266;
persécuté â Aoste, 267: arrêté
par Farel, 268; donne des le-
çons de théologie à Genève,
269: condamne les mauvaises
mœurs, 288, 289; banni de Ge-
nève en 1538, p. 297, 298; con-
sole ses amis de Genève, 304:
rappelé â Genève en 1541, 320-
325 : établit le Consistoire, 327-
335: fait voter an peuple l'éta-
blissement de la discipline, 345:
établit les liturgies, 351; Calvin
pendant la peste, II, 158; s'op-
pose aux libertins spirituels, I,
373; dispute avec Ameaux, li-
bertin spirituel, 374: dispute
avec F. Favre et Amied-Perrin,
382-388: fait condamner a mort
Gruet, 389; condamne Sébas-
tien Chàtillon sur la libre inter-
prétation de la Bible, II, 198-
206; Bolsec, sur la prédestina-
tion. 207-224; se brouille â
ce sujet avec son meilleur ami,
- 221; condamne les libres-pen-
seurs italiens concernant la Tri-
nité, II, 224-239 : dirige le pro-
cès de Servet, 239-265; est
menacé par les Libertins, 1, 393:
apaise un tumulte politique
dans le Conseil, 395; insulté
dans la rue, 408 : reproche leur
relâchement aux ministres, 409:
insulté par les Libertins, 414;
préserve la sainte Cène de la
profanation, 415: encourage les
S 19
Français à soutenir la Réfor-
mation, 449, 451; brave Cathe-
rine de Médecis et répond cou-
rageusement à Charles IX, 40)},
465; n'encourage pas les réfu-
giés à venir h Genève, 488;
travaille aux ordonnances po-
litiques de Genève, 520; Cal-
vin règle les affaires de police,
523 : maladies de Calvin, 530 :
mort de sa femme, 531 ; pau-
vreté et désintéressement de
Calvin, 533, 634; sa dernière
maladie et sa mort, 537-542:
jugement du pape sur Calvin.
534.
Calvinistes, mécontents de la ré-
ponse de la Compagnie h l'En-
cyclopédie, III, 199.
Cameron, soupçonné d'arminia-
nisme, III, 118.
Campagnes qenevoises amenées à
la Réformation, I, 257-259; dé-
fauts de cette Information, 358,
359.
Canal, syndic, tué à l'Escalade,
II, 517; son fils, traître à la
patrie, est décapité, 521.
Cantiques de Bénédict Pictet, III,
19 et suiv.
Cantons. Voy. Suisses.
Cappel : son intervention entre
Amvraut et Dumoulin blâmée,
III, 117.
Caroly, moine, dispute avec Fa-
rd," I, 212.
Caron, anabaptiste, II, 271 et
suiv. . •
Carraccioli (de), marquis italien,
réformé, I, 481.
Cartigny, visite consistoriale, III,
99.
Castes. III, 56.
Castalion. Voy. Chdtillon.
Catéchisme (culte des enfants) au
seizième siècle. Il, 21 et suiv. ;
au dix-huitième siècle, TU, 34.
Catéchisme (livre) de^ Calvin, III,
23; de Dumoulin, 26; de Bur-
lamaqui, 24, 20; dp Drelineourt,
ibid. ; d'Osterwald, ibid. et 32:
de Vernet, 33; celui de Calvin
révisé, 28; proposé de le révi-
ser, 32 ; sa valeur normative
appréciée, 177.
Catéchistes spéciaux nommés, III,
25, 29.
Catéchumènes : leur nombre, III,
30, 33, 34: quand examinés.
95.
Catholiques, après la Réforme, I,
271; leur nombre à Genève au
commencement du dix-neuviè-
me siècle, III, 349.
Cavalier de Savon; II, 514, 515.
Caze veut distribuer des psau-
mes, III, 18.
Céligntj : visite consistoriale, III,
100.
Gellérier,Jean-Isaac-Samiuel,p&$-
teur à Satigny : sa préface à la
nouvelle version de la Bible,
III, 183.
Cène (Sainte-) : première célé-
bration a Genève, I, 131; or-
ganisation de cette cérémonie
au seizième siècle, II, 34, 30 :
manière de la célébrer, III, 42:
quand célébrée, 44.
Chablais, converti au protestan-
tisme en 1536, II, 541, 552;
violence des Bernois en Cha-
blais , 552 ; organisation de
la réforme en Chablais, 558:
pasteurs du Chablais courageux
et désintéressés, 562, 504; chas-
sés en 1589, p. 584.
Chabrey, Daniel, condamne la
corruption électorale, III, 265.
Chambery : son évèque promet
de rendre Saint-Germain aux
protestants de Genève après la
ci instruction d'une autre église,
III, 350.
Chambre des orphelines, III, 472.
Champion. Antoine, évèque ré-
formateur, I, 56-65.
Chancy : visite consistoriale, III,
99: intrépidité de ses habitants
pour sauver les réfugiés pro-
.120
V
testants, 307: regrette son culte, I
454.
Chant sacré : établissement pri- ;
mitif, I, .'S.-;:!
Charles-Quint défend aux Gene- !
vois d'accepter la Réforme, I,
101.
Charles IX bienveillant envers les j
réformés, II, 307 ; médite la 1
Saint-Bar thêlemi, 309; renie la
responsabilité du massacré .
314.
Char les- Emmanuel ï/feinl de l'a-
mitié pour Genève, II, 405; v ut
l'attaquer par surprise, 407:
refuse de la comprendre au
traité de Vervins, 467 : manque
à sa parole envers Henri IV,
469; veut s'emparer de Genève
au moyen d'une machine infer-
nale. 484: veut reprendre cette
ville après le traité de Saint-
Julien, 511, 512 : ses entrepri-
ses déjouées par Sully et Les-
diguières, 524; nouvelle tenta-
tive contre Genève, 534: ins-
truit des préparatifs de celte
ville pour se défendre, III, 29 i:
renonce à la prendre, 298 : sa
mort, ibid.
Charles-Emmanuel III, traite avec
la république de Genève, III,
317.
Hit a ries I", roi d'Angleterre, con-
damné à mort, III, 404.
Châtelaine : Voltaire y établit un
théâtre, III, 78, 80, 82.
Châtillon, Sébastien, condamné
pour crime d'hérésie, II, 198-
206.
Chauvet, Raymond, traite dure-
ment les citoyens dans un ser-
mon, I, 376; Antoine Chauvet
blâme les usuriers, II, 53.
Chauvigny, résident français à
Genève, III, 324-331.
Chenaud, Abraham, pasteur de
Satigny , loué pour son dévoue-
ment, III, 97.
Chenevière, Nicolas, pasteur : son i
hospitalité envers les prêtres
proscrits, III, 347; échappe au
tribunal révolutionnaire, 452:
membre d'une commission pour
la réorganisation ecclésiasti-
que, 461.
Chérubin, missionnaire avec Fran-
■ •ois de Sales. II, 569, 572; pro-
pose une conférence aux pas-
teurs de Genève, 575: menace
cette ville, 577; a querelle à
Tbonon avec les réformés au
sujet des cloches, 607-608:
prêche avec succès à Thonon,
610; propose une dispute aux
théologiens de Genève, 617; le
Conseil la désapprouve, 620:
veut égaler la tradition à la Bi-
ble, 621; dispute refusée par
les pasteurs, 622.
Choiseul (duc de), s'intéresse à la
réhabilitation des Calas, III,
387 et suiv.
Choisi/, Georges-Louis, combat
l'invasion des mauvais livres,
III, 478.
Chouet, Robert, élu professeur de
philosophie, III, 136; signe à
contre-cœur le formulaire, ibid.;
doit surveiller l'établissement
du théâtre, 75.
Choulex : ses habitants pressés
de se faire catholiques, III, 310.
Citadin de Genève, II, 515.
Claparède, David, professeur, blâ-
me Rousseau, III, 248: rem-
plit, en 1782, le rôle de paci-'
ticateur, 426.
Claude Savoie, svndic protestant,
I. 261.
Clehergue, bienfaiteur de Genève.
I, 367.
Clément Mil autorise, par une
bulle, la sainte maison de Tho-
non, III, 300.
Clément X veut convaincre Char-
les-Emmanuel II de son droit
de faire la guerre à Genève, III,
286; sa bulle contre les héré-
tiques, ibid.
Coliyny (amiral de), chef des ré-
formés, II, 308; sa mort, 310.
Coligny (François de), religieux
converti, III, 341.
Collège de Versonnex, I, 494: de
Calvin, 304, 499-308: des-
cription du collège en 1573,
II, 109, 112, 119.
Comédie religieuse en 1523, I.
88 et suiv.; blâmée, 378, 379.
Compagnie des pasteurs, élablie
par Calvin, I, 334 ; adopte la
présidence hebdomadaire après
la mort du réformateur, II, 7-
15: impose un formulaire de
foi, III, 121, 125 ; en subit les
conséquences, 146 et suiv.: le
rend moins gênant pour les
consciences, 163; y renonce,
pour en revenir à l'Écriture,
175; sa réponse aux Églises
wallonnes, 177 et suiv. Répond
à Y Encyclopédie, 196 et suiv.;
à une brochure calviniste, 199:
intervient contre le renouvel-
lement du théâtre, 76, 80;
adresse un mémoire au Con-
seil sur les mauvais lieux, 209:
son mandement contre les Let-
tres de la Montagne, 247, 282.
Parfois censurée par le Con-
seil, 266; parfois réprimande
les magistrats, 274 etsuiv., 441;
position qu'elle prend au mi-
lieu des révolutions, 273, 280
et suiv., 425 et suiv., 429, 431,
433, 437, 439 et suiv., 446,
451. Elle demande à Louis XIV
l'envoi d'un résident protes-
tant, 324; consultée par le sy-
node de Westminster, 402-403:
elle refuse de condamner la dé-
position par le Parlement de
quelques évêques, ibid.; mais
condamne les individus qui ne
veulent ni synode ni colloque,
ibid.; sa lettre de condoléance
â Guillaume III sur la mort de
la reine, 404 et suiv.; et à son
successeur sur sa mort à lui—
m.
même, 405. Souscription de ce
corps à l'association pour la pro-
pagation de l'Evangile, 406;
reçoit des lettres de commu-
nion fraternelle de l'évèque de
Londres et de l'université d'Ox-
ford, ibid. : ainsi que de l'ar-
chevêque de Cantorbéry, 407.
Sa conduite au milieu de la tour-
mente révolutionnaire, 451 et
suiv. : après la réunion de Ge-
nève â la France, 460 et suiv.:
appelée â prier pour l'empire
français contre l'Angleterre.
409; comment elle s'en tire,
410: fait remercier M. Portalis
de sa protection pour l'Eglise
de Genève, 474; remercie Na-
poléon de ce qu'il a fait pour
la liberté des cultes, ibid.; fé-
licite le gouvernement genevois
du retour de l'indépendance,
484; reçoit les remerciments
du premier syndic, ibid.
Concordat : ses effets pour Ge-
nève, III, 472.
Confession de foi primitive, éta-
blie par Farel et Calvin, I, 276:
imprimée après diverses oppo-
sitions, 283 et suiv. ; refusée en
1540, p. 318.
Confession des péchés, III, 10.
Conrart, Valentin, académicien,
révise la langue des Psaumes,
III, 17.
Conscience. Voy. Liberté de.
Conscription militaire : ses résul-
tats à Genève, III, 481, 484.
Conseil général : sa création, I,
41.
Conseil d'Etat, ou petit : sa créa-
tion, I, 41 ; son intervention
dans les exercices du culte, III.
35; dans les discussions sur la
grâce, 121, 131; dans le Con-
sensus, 148; accepte le chan-
gement du dit, 168; fait détruire
les exemplaires de Candide,
201; des Dialogues de Voltaire,
206; du Dictionnaire philoso-
34
522
phique, 210; fait amender, dans
une nouvelle édition de l'En-
cyclopédie, l'article Genève,
211; arrête la distribution de
mauvais livres, 212; ordonne
de ne prier ni pour le roi ni
pour Cromwell, mais pour l'An-
gleterre, 403.
Consensus, inspiré par François
Turrettini, III, 129; sa rédac-
tion, 144; il est imposé aux
pasteurs réfugiés, 146; com-
ment adopté pour Genève, 147
et suiv.; attaqué par J.-A. Tur-
rettini, 157; provoque des dif-
férends, 160; amendé en 1706.
p. 163; aboli en 1725, p. 175.
Consistoire : punit les magistrats,
I, 361 ; son action, III, 59; son
autorité méconnue, 63; se ré-
jouit de l'apaisement des dé-
bats, 141; conserve son auto-
rité durant la révolution, 440;
anéanti de fait, 461; réorganisé,
462.
Constantinople demande un pas-
teur à l'Eglise de Genève, III,
419; don de la Compagnie à
cette communauté, 420.
Constitution politique de Genève,
en 1782, III, 425: en 1791, p.
432.
Controverse populaire en 1534,
I, 171, 172; publications déli-
vres de controverse, III, 339 :
enseignement dans les familles
et en chaire, 342 et suiv.
Conversions de protestants au ca-
tholicisme, III, 304.
Corault, pasteur aveugle, banni
avec Calvin, I, 291, 304.
Cordeliers démoralisés, I, 55-65.
Corona : sa mission diplomatique
contre Genève, II, 530.
Corsinge : village inutilement ré-
clamé pour Genève, III, 294.
Coutans, Jean, pasteur martyr, à
Bordeaux, II, 379.
Coutelier, prédicateur catholique,
II, 175.
Covelle , refuse de s'agenouiller
devant le Consistoire, III, 70;
nie avoir rien reçu de Voltaire,
73.
Cramer frères, disculpés d'avoir
imprimé un écrit de Voltaire,
III, 200.
Crest (château du), définitivement
adjugé à Genève, III, 294.
Cromwell, anathématisé par Jean
Diodati, III, 404.
Culte domestique, II, 18-20, 24.
Culte public dans les églises, I,
176 et suiv.; heures du culte,
III, 8; nombre des exercices
du culte, 34 et suiv.; presque
anéanti sous la terreur, 448 :
rétabli, 460 et 465.
Curés. Voy. les mots Bernex, Bos-
sey, Choulex, Russin, Sionnex.
Lacoste, Vuarin.
Cartel, châtelain de Chaumont,
martyr protestant, I, 309.
Curtet, Jean-Ami, syndic, chargé
de diriger une manufacture, I,
524.
D'Alembert compose avec Vol-
taire son article sur Genève, I,
195.
Danses immorales, I, 380, 381 :
II, 90, 91; III, 66.
Dardagny demande le rétablisse-
ment du culte, III, 465.
Dassier, François, loué par ses
paroissiens, III, 100; sa ré-
ponse au curé de Choulex, 310.
David, accusateur des Calas, III,
386; voit réviser leur procès
et en devient fou, 388.
Décadi : sa célébration anticipée,
III. 463; il est réservé pour la
célébration du mariage, 464 ;
abolition de cette fête révolu-
tionnaire, 465.
De Chapeaurouge, Ami, syndic,
veut empêcher l'établissement
de la messe chez le Résident,
III, 324 et suiv.
523
De Combes, capitaine, sauvé par
le pasteur Peschier, III, 430.
De Joux, Pierre, pasteur à Dar-
dagny, III, 456.
De la Chana, chef des novateurs,
III, 376.
De la Faye, pasteur, condamne le
Conseil pour un cas moral, II,
64, 66; est insulté par Fran-
çois de Sales, 597: meurt de la
peste, 178.
De la Fontaine, pasteur à Bossey,
emprisonné à Chambéry, III,
309.
De la Rive, missionnaire en Rouer-
gue et à Paris, I, 453, 458.
De la Rive, Jean, pasteur, révise
les psaumes, III, 18; vote l'élar-
gissement du Consensus, 163.
De la Rive, Jean-Jacques, syn-
dic, demande qu'on perfec-
tionne l'enseignement religieux,
III, 24; va demander l'appui
des Suisses en faveur de Ge-
nève, 378.
De la Rive, Ami, l'un des fonda-
teurs de la Société des caté-
chumènes, III, 28; prêche à la
réouverture de Saint-Pierre,
41 ; signale l'article de V Ency-
clopédie sur Genève, 196.
De la Sauzais, ministre, prête ser-
ment, III, 445.
De Lesmilières, pasteur, invoque
l'autorité des Conseils en fa-
veur du formulaire, III, 137.
Denis (saint), I, 29.
De Roches, François, annonce
l'intention de Voltaire de cons-
truire chez lui un théâtre, III,
78 ; répond au livre de la Reli-
gion essentielle à l'homme, 1 88;
son éloge funèbre, 111.
De Rodon, David, doit signer le
formulaire, III, 126 et suiv.;
sa confession de foi au lit de
mort, 128; hérésie antérieure,
129.
Desportes, Félix, résident : son
rapport sur la réunion de Ge-
nève à la France, III, 459; ses
petites vexations, 463.
Després, Jean-Jacques, prêche
contre les fêtes, III, 48; près
d'être puni pour avoir prié en
faveur d'une famille exilée,
277.
D'Iberville, résident français, fa-
vorise l'établissement à Genève
des catholiques, III, 333 et s.
Dimanche (le) à Genève, sous la
république française, III, 465.
Diodati, député à Dordre'ht, II,
287; pasteur à Genève, 19; dé-
crit à Dordrecht l'instruction
religieuse de Genève, 21, 22 :
son discours contre les brigues
électorales, III, 264; anathé-
matise Cromwell, 404; censuré
pour cela, ibid.
Discussions dogmatiques,ïïl, 1 15.
Dordrecht (Synode de), II, 284-
288.
Dominicains de Plainpalais démo-
ralisés, I, 67-70.
Doxologie de Calvin modifiée,
III, 44.
Dragonnades sous Louis XIV, III,
361 et suiv.
Duby, Jean-Louis, pasteur, sus-
pect aux révolutionnaires par
ses exhortations à la charité,
III, 444; son courage le fait em-
prisonner, 445; ordre de far
rêter de nouveau après une pré-
dication, non exécuté, 452; i '
se rend à New- York, ibid.; son
retour et sa réélection, 457;
son sermon de jeûne en 1800,
466; nature de sa prédication,
476.
Duf'our, Charles,paslevir, propose
d'abréger les liturgies, III, 12;
convainc le résident français de
l'existence d'une souscription
destinée à peupler Genève de
catholiques, 331.
Dumoulin, Pierre : la Compagnie
l'exhorte à la douceur envers
Amiraut, III, 1 1 6.
Dupré, résident français, III, 331.
Du Quesne, Henri (marquis), ad-
joint à une commission rie la
Compagnie pour la révision de
la Bible, III, 22.
Ihirœus, J. : son projet de réu-
nion des Églises protestantes,
III, 168.
Duroveray, incriminé et empri-
sonné pour une brochure, III,
446.
Duval-Lassnre, l'est également,
ibid.
E
Ebraï, Jean ■ Henri, pasteur à Chê-
nes pendant la Révolution : ne
rend sa place à M. Juventin
que sur l'intervention du pou-
voir civil, III, 456.
Ecoles établies dans chaque di-
zaine, III, 26; écoles primaires
établies par la Société des ca-
téchumènes, 30.
Ecriture-Sainte, seule régie de
foi, III, 170, 175, 198.
Edit de Nantes : sa proclamation.
II, 343.
Eglise féodale à Genève, 1, 35, 36:
corruption de l'Eglise romaine.
80, 81.
Eglise organisée par Calvin , 1 ,
'273, 275, 328, 335; votée par
le peuple, 345.
Eglises de France : Bourgogne, II,
346, 369, 371: églises du Midi,
347; Bordeaux demande un
pasteur, 350; Nimes demande
des secours, 351; Sainte-Foi
demande un pasteur, 351:
Orange demande M. Goulard,
353; Milhau et Tonneins de-
mandent des pasteurs, 344; La
Rochelle, de même, 355; Blois,
357; Joyeuse, Die, Lyon, 360;
Saint-Etienne, Grenoble, 361,
362; Issoudun, 363 : Paris de-
mande M. Prévost, 366; Metz
consulte Genève à l'occasion
d'une procession, 368. Les égli-
ses de France remercient la
Compagnie de saréponsp à l'En-
cyclopédie, III, 199.
Eglises wallonnes, III, 177.
Elisabeth, reine d'Angleterre, en-
voie aux Genevois 5,000 livres
sterling, II, 410, 411; écrit aux
confédérés en faveur de Ge-
nève, ibid., et protège cette ville
autant que possible, III, 401.
Emmanuel- Philibert veut repren-
dre Genève par voie diploma-
tique, II, 389; conclut avec les
Genevoisun traité de vingt-trois
ans, 399: signe le traité de
Nyon, 560-561 ; proclame la li-
berté de conscience, 486; meurt
regretté des Genevois, 403.
Entreprises contre Genève par
les Espagnols, II, 515-516 ; par
Charles-Emmanuel, après la
mort de Henri IV, 522-523.
Escalade. II, 486-496. Rendez-
vous des troupes ducales à
Etrembières, II, 487. Arrivée
sous Genève; ascension des mu-
railles, 488; fausse nouvelle de
la prise de la ville, 489. Défense
désespérée des citoyens. 491.
Défaite des troupes ducales,
494: prisonniers mis à mort,
498; Henri IV et Genève, 499:
sympathie des Eglises étrangè-
res, 500. Opinion de l'Europe
sur l'Escalade, 502. Traité de
Saint-Julien, 503, 504; com-
ment célébrée, III, 49; fête in-
terrompue, 51, et rétablie, 52.
Escher, de Zurich, fait venir des
comédiens à Genève, III, 75:
protège à Paris les intérêts du
protestantisme genevois, 379.
Espagne, empêche que Genève
fasse partie de la Confédéra-
tion, III, 293.
Etudiants enrégimentés, III, 290.
Evangéliques, nom primitif des
réformés, I, 90, 91; leurs mis-
sions en Savoie, 93 ; leurs sup-
plices ,1 Chambéry, 95. Etu-
525
dient la Bible en secret à Ge-
nève, 97, 98.
Evêch é pri m iti f de G ene v e, en 3 40,
I, 32.
Evêque de Londres : sa lettre à
la Compagnie, III, 406.
Exclusivisme, blâmé par Burnet,
III, 144.
Excommunication, refusée par
l'Etat, I, 286, 287 ; excommu-
nication des Libertins, 416.
Eymar, Laurent, pasteur à Jus-
sy : sa mort, III, 455. '
Fabri, Adhémar, évêque gene-
vois, I, 42, 43.
Fabri, Christophe, premier mis-
sionnaire protestant à Tlionon,
n, 543-547.
Fabri et Rarilliet impriment le
Dictionnaire de Bayle.III. 186.
Famille, organisée par Calvin. II,
75-78.
Farel arrive n Genève en 1532.
I, 111; comparaît devant les
chanoines. 112-116: part, et
revient à Genève pour prêcher,
147; prêche en public pour la
première fois, 177-178; abolit
la messe. 213-217: reproche
aux Genevois leurs pillages,
246-248; refuse de donner la
Sainte-Cene, 293-295; est ac-
cusé par les Libertins, 421 :
visite Calvin à son lit de mort,
537; convertit Thonon,H, 544.
Farges. Voy. Gribaldo.
Fatio, Jean-Antoine , fait dimi-
nuer la rigueur du Consensus,
III, 162 et suiv.
Fatio, Pierre : sa mort, III, 277.
Faure de Châteauvieux reçoit en
sa maison le Résident français,
III, 326.
Faubourgs de Genève démolis
pendant la guerre de 1534, I,
188, 190.
Ferdinand III : son couronnement
sert d'occasion à un mémoire
de Turin contre Genève, III ,
286.
Flonrnois, Jacques, loué pour sa
prédication et sa charité, III, 98.
Fonctions pastorales, III, 428.
Fontanes (M. de), grand-maître
de l'Université, refuse à Genève
les Frères de la Doctrine chré-
tienne, III, 354.
Formulaire sur la grâce adopté
par la Compagnie, III, 121,
125; remplacé par le Consen-
sus, 146; qu'on amende en
1706, p. 163; et qu'on abolit
en 1725, p. 175; dernière mo-
dification, 184.
Fortifications : on y travaille ac-
tivement, III, 290.
France (la) intervient à Genève,
III, 80; favorable aux doctrines
d'Amiraut, 146.
François Ier veut secourir Genève
au prix de la liberté de la ville.
I, 235-239.
François II persécute les Gene-
vois, II, 395.
François (Saint) de Sales (Voy. ce
dernier mot) : sa canonisation
poursuivie, III, 288.
Franconis, Guillaume, crée une
chambre des prosélvtes, III.
344.
Frankenthal : les réformés de cet
endroit obtiennent un secours
de Genève, III, 412.
Frédéric Ier, roi de Prusse : sa
réponse aux Genevois, III, 173:
sa compassion pour les réfu-
giés, 364.
Frères de la Doctrine chrétienne,
demandés à Genève par le curé
Vuarin, et refusés, III, 354.
Fribourgeois, se plaignent de la
réforme genevoise, I, 108, 109:
apaisent l'émeute suscitée par
les chanoines, 131; rompent
l'alliance avec les Genevois à
cause de la Réforme, 177 : of-
frent des secours a Genève, H,
334.
526
Froment, Antoine, évangélise à
Genève comme maître d'école,
I, 117-126; prêche en public
au Molard, 122; réfute Furbity
à Saint-Pierre, 151.
Furbity : sa prédication, I, 149,
161; sa condamnation, 164,
165.
es
Gaime (l'abbé), déiste, influe sur
Rousseau, III. 225.
Galériens protestants recueillis à j
Genève, III, 375.
Galiffe, syndic en 1754, repré- i
sente à la Compagnie les diffi- !
cultés de la position de Genève i
vis-à-vis du Piémont, III, 318.
Gallatin, Jean-Pierre : éloge de
son zèle, III, 98.
Gallatin. Ezéchiel, prédicateur
estimé, III, 92.
Gallatin, Abraham ('?), veut em-
pêcher la célébration de la
messe chez le Résident, III, 324. I
Gazzini, évèque savoisien, fait
brûler les protestants, I, 96 et !
suiv.
Genève se met en garde contre les
enlreprises de la Savoie, III,
291: son hospitalité envers les
prêtres proscrits par la Révo- i
lution française, 347 : ses libé- j
ralités envers les réfugiés pro-
testants, 372 et suiv.; invoque ■
pour eux l'assistance de Berne j
et de Zurich, 373; menacée et
vexée par Louis XIV à leur su-
jet, 376 et suiv.; ses relations j
avec l'Angleterre, 401-410; sa |
libéralité pour les protestants j
d'Allemagne, 411 et suiv.; de j
Hongrie, 412-414: de Transyl-
vanie, 415: de Pologne, ibid.;
secourue par l'étranger lors de
l'incendie des ponts du Rhône,
416; considérations que témoi-
gnent à son clergé les Eglises
du Refuge, 419 ; situation poli-
tique de cette ville en 1782,
p. 425; en 1789, p. 429, son
annexion à laFrance, 458; son
aspect sous l'empire, 476 et s.
Gcntilis, antitrinitaire italien, con-
damné, fait amende honorable
à Genève, mis à mort par les
Bernois, Q, 227-233.
Génuflexion ordonnée devant le
Consistoire, III, 70; abolie, 74.
Gex (pays de) : protestants venus
de là au Petit-Saconnex inquié-
tés, III, 311.
Giannone publie à Genève son
Histoire de Naples; conséquen-
ces qui en résument pour lui,
III, 205.
Gingins (Bataille de), gagnée par
les Neuchàtelois, I, 225-227.
Claris approuve le Consensus,
III, 145.
Gomar combat les opinions d'Ar-
minius. II, 282: sa confession
de foi, 284 et suiv.
Gondebaud, roi bourguignon,
donne un code chrétien à Ge-
nève, I. 32-34.
Goulard, Simon : remontrance
aux magistrats, II. 62.
Goulaz, Jean, fait la première
proclamation évangélique de la
Réforme, I, 107; blesse le cha-
noine Wernly, ibid.
Grâce universelle, sujet de dis-
cussion, III, 116 et suiv.; trai-
tée de question secondaire .
171.
Grenet, pasteur, fait une remon-
trance aux magistrats, II, 64.
Grenus, syndic, propose la célé-
bration de la fête de Noël, III,
46.
Gribaldo. seigneur de Farges, Ita-
lien persécuté, II, 223, 224.
Grisons, approuvent le Consen-
sus, III. 145.
Gruet, mis à morl pour blasphè-
me et trahison, I, 388-392.
Guérin, juge d'instruction révolu-
tionnaire, III, 445.
Guerres de Genève contre la Sa-
827
voie, II, 426-463; Monthoux
brûlé, 429; soldats pendus a
Ternier, 430, 431 ; bataille du
Plan-les-Ouates, 432; bataille
de Pinchat, 434; le fort d'Arve.
436-37 ; seconde bataille de
Pinchat, 440; prise de Bonne,
441, 43; ravages des troupes
savoyardes, 447-48; victimes
secourues par les Genevois,
451 ; les pasteurs s'opposent
au pillage, 453; le bon géné-
ral Lurbigny, 457 ; défaite à
Châtelaine, 458; les vendanges
de la Menoge, 460.
Guerre de religion en Suisse, III,
337; projet d'alliance entre les
cantons catholiques et les puis-
sances étrangères, 338.
Guillaume III, prince d'Orange,
intervient en faveur des pro-
testants hongrois, III, 413.
Gy (M. de) : sa générosité pour la
Chambre des prosélytes, III,
344.
»
Hanau obtient des secours de Ge-
nève en faveur de ses maîtres
d'école, ni, 412.
Hauteville (de), envoyé français,
demande un théâtre à Genève,
m, 80.
Heidegger, Henri, rédige le Con-
sensus, III, 145.
Henri II massacre les protestants,
tué par Montmorency, I, 441.
Henri TV blâmé par Simon Gou-
lart, II, 58; lutte avec Sixte-
Quint, 343; envoie des ingé-
nieurs pour fortifier Genève ,
409; reprend le fort de Sainte-
Catherine, 464; fait compren-
dre verbalement Genève au
traité de Vervins, 465; sa joie
pour la victoire de l'Escalade,
499; sa mort, deuil de Genève,
521.
Hérétiques : code qui les con-
damne, II, 188-190: conservé
I par Calvin, 194, 195; rejeté par
Zwingli, 196; appliqué à Sé-
bastien Châtillon, 199-202.
Prière contre les hérétiques
abolie, 27.
! Hollande, donne de fortes sommes
d'argent pour l'Académie de
Genève, II, 136; secourt Ge-
nève contre les Savoyards, 432;
donne des subventions annuel-
les, 535; correspond avec Ge-
nève, III, 477; en lutte avec
l'Angleterre, 288 : fait la paix,
| 293.
| Holstein (prince de), peut revendi-
quer en Danemark un héritage,
à quelles conditions, III, 418.
Hongrois protestants , secourus
par l'Eglise de Genève, III, 412-
414.
| Hôpital : sa fondation, 1, 250, 253.
Huber, condamné sur la prédes-
tination, II, 275-76.
Hugues, Besançon, libérateur de
Genève, I, 90.
Humbert, Jean-Jacques, pasteur,
signe le formulaire de foi. III.
126.
■
Ignorance religieuse, II, 28, 29.
Images, détruites dans les tem-
ples, I, 202.
Imprimerie : à qui elle est sou-
mise, III, 186; instrument de
propagande, 312.
Innocent X, instruit de ce qu'on
prêche à Genève, prend la ré-
solution de bannir sa sœur de
la cour, III, 313.
Instruction publique enlevée à la
surveillance de la Compagnie,
III, 447.
Isle (château de 1'), I, 40.
Is-sur-Tille , église de Bourgo-
gne, II, 346.
Italiens, ministres missionnaires,
I, 475. Italiens réfugiés à Ge-
nève, leur voyage et leurs dan-
gers, 485-488.
I
Italienne (église) à Genève, I,
490.
j
Janot, président du Conseil admi-
nistratif, promet son nppui à la
Compagnie, III, 447 et suiv.
Jaucourt (marquis de), demande
la construction d'un théâtre,
m, 83.
Jeûne (établissement du). II, 38,
39; célébré pour la guerre, 423.
427 ; fête d'abord irrégulière,
puis fixe, III, 52; sérieuses
remontrances dont elle était
souvent l'occasion . 266 et
suiv. — Jeûne de 1666, p. 289:
jeûne pour célébrer la paix
entre l'Angleterre et la Hollan-
de, 293.
Jésuites : brochures conlre Séne-
vé, II, 534; ils poussent les ducs
de Savoie à reprendre Genève,
III, 285: chassés d'Espagne,
290.
Jubilé catholique en 1532. 1. 107:
à Thonon, II, 475.
Julien (traité de Saint-), en 1602,
II, 503; des capucins enlèvent
les enfants genevois en 1603;
p. 507-510; traité de 1754,
III, 317 et suiv.
Jurieu s'oppose à l'adoption du
psautier genevois en Hollande.
m, 19.
Jussy : visite consistoriale, III.
98; désobéit à la défense de
sonner les cloches, 473.
Juventin, pasteur de Chêne, en-
voyé dans les campagnes pour
les calmer, III, 433 et suiv.;
rétabli par le pouvoir civil,
456.
K
hcenigsberg : ses théologiens pro-
posent aux Genevois de com-
munier à la même table. III,
417.
i.
Labadie, censure l'érection de la
statue du duc de Rohan, III.
89.
Lacoste, premier curé de Genève
après la Réfonnation, III, 349.
Laget, prédicateur puissant. III,
93.
Lambert, martyr genevois, I, 309.
La/mon, de Jussy. répond énergi-
(|ueinent au juge-mage de Tho-
non, III, 310.
Lu Roche fuucault-d' Anville ( la
duchesse de), en relation avec
les pasteurs Vernes et Moul-
ton, souttent la cause protes-
tante, III, 381, 384, et celle des
Calas, 227, 390 et suiv.
Lausanne : dispute de 1536, II,
548, 549; on y publie une bro-
chure contre la Compagnie. III.
199.
Lautrec (comte de), fait venir des
comédiens à Genève, III, 75.
Law : influence de son système
sur la prospérité genevoise.
III, 61.
Leclerç, Jean, inquiété pour son
arminianisme, III, 142 et suiv.;
quitte Genève, 143.
Lecture des mauvais livres com-
battue en chaire, III, 478, et
par des moyens pratiques, ibid.
Le Fort, Ami, délégué à Paris
pour apaiser Louis XIV, rela-
tivement aux affaires religieu-
ses de Genève, III, 336; sa ré-
ponse à M. de Croissy, 379.
Le Fort, Jacques, protège à Paris
les intérêts du protestantisme
genevois, III, 462, 480.
Léger, Antoine (le père), décou-
vre une hérésie dans de Rodon.
III, 129.
Léger, Antoine (le fils), fait sup-
primer les noms des malades
dans les prières en leur faveur,
III, 12; éloge de son minis-
tère, 102; engage les réformés
529
de Livourne à se procurer un
pasteur, &20i
Lekain joue aux Délices, III, 79
et suiv.
Lesdiguières, protecteur de Ge-
nève, II, 462 ; avertit les Gene-
vois d'une trahison, 472; des
préparatifs de l'Escalade à Tu-
rin, 482 : protège Genève, 526-
528: dépeint les projets de S'
François de Sales contre Ge-
nève, 658.
Lettres de l'Eglise de Genève à
celles de Berne, Râle, Zurich
et Schaffhouse, HT. 272.
Libellé de conscience proclamée
pour la première fois, I, 134.
Liberté de la chaire menacée, III,
444, 451, 466.
Liberté de la presse, reçoil une
atteinte, !TJ, 445.
Libertins spirituels, I, 370: Liber-
tins genevois repoussant les ré-
fugiés français, 401: leur carac-
tère, leurs noms et leur nom-
lire, 404, 405; Libertins paro-
diant les psaumes, 415; exer-
cent des violences contre les
réfugiés français, soulèvent une
sédition, sont battus, 425-435 :
se lient avec le dur de Savoie
pour vendre Genève, II, 396-
398.
Ligue française, II, 341 : pousse
le duc de Savoie conire Genève.
421. 424: est rétablie pour
combattre Genève, 470.
Liturgies primitives. 1542, 1, 351;
perfectionnées, III, 8, 10 et s.;
s Neuchate! et au pays de Vaud,
14 ; modifiées, quant à la doc-
trine, ibidem.
Littérature licencieuse, II, 91-94.
Livourne : fondation de l'Eglise
de cette ville, III, 420.
Lois sompluaires, III, 56 : révi-
sées, 65 et suiv. Voy. aussi Or-
donnances samptuaires.
Lornan, évèque chrétien en 138K,
I, 43.
m.
Louis XIII protège Genève, III,
286, 322.
Louis XIV, peu favorable aux
• desseins de la Savoie contre
Genève, III, 289, 297 et suiv.,
322; établit à Genève un rési-
dent, 323; prend fait et cause
pour M. d'Iberville, et exigé
dos excuses, 336; heureuses
i'i inséquences de sa mort pour
les cantons protestants. 338;
persécutions contre les protes-
tants sous son règne, 360 et s.;
réponse qu'il reçoit d'un am-
bassadeur anglais, au sujet des
galériens prolestants, 376; ses
menaces et ses mesures vexa-
toires contre Genève, au sujet
des réfugiés, 377; veut rompre
les traités de la France avec la
Suisse, 379.
Louis XVI publie l'édit de tolé-
rance, III. 393.
Lullin. Amédeé : éloges donnés a
sa prédication, III, 93.
Luthériens : leurs bons procédés
envers Genève, III, 417.
f.utzen : ses députés obtiennent
de Genève un secours pour la
reconstruction de leur temple,
TH. 412.
Lu.ce introduit, III, 62.
Macar, Jean, pasteur a Paris et à
Genève, 1555, martyr*, I, 455-
458.
Madame Royale inquiète Genève,
IÏT, 2S7.
Maijilebuurd : ses députés obtien-
nent de Genève une souscrip-
tion pour leur Eglise, III, 412.
MdisoH-Neuve (de la), Bauâi-
chou, premier réformé à Ge-
nève, demande la protection
des Bernois, I, 127; les catho-
liques attaquent sa demeure,
130: culle évangélique établi
dans sa maison, 168, 169.
Malesherbes (VI. de), favorable à
55
550
la cause de la tolérance, III,
392.
Mallet (Mme) donne 1,000 livres
pour la façade de Saint-Pierre,
III, 40.
Mallet (M.) combat l'invasion des
mauvais livres, III, 478.
Marchand, négociant de Livour-
ne, envoie son fils étudier la
théologie à Genève, III, 420.
Marcosscy. évêqiie, protecteur de
Genève, I, 42.
Marcourt, ministre, insulté par le
peuple, I, 31".
Mariage : célébi ilion de l'acte ci-
vil fixée au décadi, III, 464;
bénédiction religieuse toujours
donnée dans le temple, 465;
entre cousins-germains, défen-
du par les ordonnances, 278;
sur le point d'être permis, 279.
Marie, fille de Henri VIII, reine
d'Angleterre, persécute les pro-
testants, III, 401.
Marie, fille de Jacques II et femme
de Guillaume III, regrettée par
l'Eglise de Genève, III, 404.
Marot, Clément (psaumes de), III,
9, 16; modifiés, ibid.
Martellus, archevêque de Cham-
béry, combat la Réforme, I,
110.
Martin Y, pape, craint la liberté
des Genevois (1418), I, 46.
Martin. Ami, met les protestants
en garde contre la curiosité à
l'égard du culte catholique. III,
352; son courageux discours
lors du sacre de Napoléon, 393-
396; sa circulaire pour une col-
lecte en faveur du culte, 471;
ses démarches à Paris en fa-
veur de l'Eglise, et pour dis-
penser de la conscription les
étudiants en théologie, 479; en
faveur de la Société économi-
que, ibid. et suiv.
Martin, Jean-François, pasteur
catéchiste : son zele pour le
rétablissement du culte après la
ten eur, III. 419, 462; désolé de
ne pouvoir plus prier pour les
magistrats. 469: sa mort, ibid.
Martine, pasteur arminien, III,
130.
Martyr, Pierre. Voy. Yermigli.
Maurice, Antoine, professeur : ses
représentations contre le théâ-
tre, III, 76; fait une collecte
pour Cabrieres, 346.
Maurice, maire de Genève : ses
égards pour les catholiques, III,
350.
Mecklembourg-Strelitz (duchesse
de), assistée par la république
de Genève, III, 411.
Médicis, Marie, veuve de Henri
IV. protège Genève, II. 522,
524.
Mérindol détruit, I, 439: second
massacre, II, 372, 374.
| Messe, abolie a Genève, I, 213-
221 : quand célébrée depuis
1525, III, 326.
Mestrezat, Ami, dirige le mouve-
ment arminien, III, 129, 131,
134: sa mort, 109, 150.
Mestrezat. Frédéric, pasteur à
Genthod, suspecté par les ré-
volutionnaires, 111,450; décrété
de prise de corps, s'enfuit en
France, 453; pasteur à Paris,
défend les intérêts du protes-
tantisme genevois, 352, 462.
Michel»., famille réformée de Luc-
ques, I, 480.
j Micheli, Marc, raconte la mort .de
j Mestrezat, III, 110.
Micheli, Jacques (?), doit surveil-
ler l'établissement du théâtre,
III, 75.
Michcli-Labat, intervient en fa-
veur de la Société économique,
III, 480.
Middelbourg (Eglise de), appelle
Morus, III, 124.
Minutoli, Vincent, suspendu de la
Cène par le synode de Flessin-
gue, III, 315.
Minutoli. Joachim. chassé pour
s
ses mœurs de l'auditoire de
théologie, change de religion,
III, 1515; son libelle contre les
pasteurs, ibid.
Moines convertis au protestantis-
me, III, 340, 345.
Molans reste, malgré l'âge, fidèle
à son poste, III, 100, 245.
Monachon, de Carouge, employé
français, III, 463.
Monnet, décapité pour crime de
mœurs, I, 411.
Montclar (de) rend un juste hom-
mage à Rousseau, III, 236.
Montmollin (de) : sa bonne in-
fluence sur Rousseau, III, 245;
l'abandonne quand paraissent
les Lettres de la Montagne, 249.
Morand, prédicateur ridicule, I,
318.
Morus, Alexandre, consacré tar-
divement, III, 119; nommé pro-
fesseur de philosophie et de
théologie, ibid.; discussions à
son sujet, 120; signe le formu-
laire de la Compagnie, 124.
Mouche (M.) : son legs pour en-
voyer des missionnaires aux in-
fidèles, III, 406.
Mouchon, Pierre, ses sentiments
sur Voltaire et sur Rousseau,
III, 251 et suiv, se prononce
contre Anspach à l'occasion de
Charles Ronnet, 442; à l'occa-
sion de l'Eglise nationale, ibid,;
sa mort et son éloge, 457.
Moulinié. Charles-Etienne-Fran-
çois, pasteur à Dardagny pen-
dant la Révolution, ne veut pas
rendre sa place à M. Rourdil-
lon, III, 456; nommé â la ville,
ibid.
Moultou écrit à Rousseau pour le
ramener à des sentiments plus
chrétiens, III, 242; blâme éner-
giquement les Lettres de la
Montagne, 247; atteste le chris-
tianisme de Rousseau, 255; ses
relations avec la famille de
Montclar, 381, 384; avec la du-
chesse de la Rochefoucault-
d'Anville, favorable aux pro-
testants, ibid.; ses rapports avec
Voltaire au sujet des Calas, 385,
387 et suiv.
Mulhouse approuve le Consensus,
III, 145.
Mussard, Pierre, revient de Lyon
a Genève, III, 139; refuse de
signer le formulaire et part
pour Londres, 141.
Mussard, Pierre, syndic, traite en
1754 la paix avec le Piémont,
TÏÎ, 318.
Myconius, libre penseur censuré,
[I, 271.
*
Napoléon Ier excité par une in-
digne intrigue contre un pro-
fesseur et contre l'Académie de
Genève, III, 355; ses belles pa-
roles en faveur de la liberté
des cultes, 474; remercié par
la Compagnie de ce qu'il a fait
pour la liberté des cultes, ibid.
confirme l'existence de l'Eglise
de Genève, 475.
Neuchâtel rejette le Consensus,
III, 145; demande qu'on s'a-
doucisse à cet égard, 165; s'u-
nit à Genève pour blâmer les
Lettres de la Montagne, 249;
sa générosité envers les réfu-
giés, 371.
Neydan, en 1754, redevenu ca-
tholique, III, 318.
Noël, fête célébrée, III, 9; depuis
quand, 45-49.
Ochino, Bernardino, réformateur
italien, I, 475.
Olivetan, Robert, enseigne la Ri-
ble à Genève, I, 109; fait prê-
cher Farel, en 1532, p. 100.
Opposition à la confession de foi,
I, 275, 276.
Ordonnances ecclésiastiques : re-
532
tour au principe qu'elles po-
sent, quant à la doctrine, III,
175.
Ordonnances morales primitives,
I, 278, 279.
Ordonnances somptuaires, 1, 339-
342; votées par le peuple, 345.
Voy. aussi Lois somptuaires.
Oxford (Université d') : sa lettre
k la Compagnie, III, 406.
p
Pain de la communion, gardé
comme amulette, III, 44.
Paleario, missionnaire italien, I,
480.
Panthéistes, I, 371.
Papillon, aide Voltaire a intro-
duire un théâtre, III, 82.
Paroisses : leur étendue, III, 94.
Passy (M. de), intendant du pays
de Gex, menace Genève, III,
377.
Pasteurs indignes (1543), I, 360;
— réfugiés, forcés de signer le
Consensus, III, 146; — gene-
vois, mal jugés dans l'affaire de
Y Emile, III, 239; accusés à tort
de fainéantise, 277 et suiv. ;
bienveillants envers les catho-
liques, 347, 351; diminution
dans leur nombre, 427 et suiv.;
leurs noms, 435; leur patrio-
tisme en 1792, p. 436; en 1793,
p. 439.
P autel (M. de), émissaire savoyard
à Genève, III, 292.
Peneysans : leurs guerres contre
Genève, I, 185; leurs cruautés,
197.
Pennet, auteur d'une émeute ca-
tholique, I, 161-164.
Perdriau fait donner chez lui une
représentation théâtrale qui fait
grand bruit, III, 269.
Perrin, Ami, s'oppose au bannis-
sement de Calvin, I, 301; va
rechercher Calvin à Strasbourg,
319-321; se joint aux Liber-
tins, 382-388; se compromet
par un traité avec la France,
393; se réconcilie avec Calvin,
396; attaque les Français réfu-
giés, 430; soulève une sédition
dans Genève, 432 et suiv.; est
vaincu et banni de Genève,
435.
Perrnt, Charles, fait remontran-
ces aux magistrats, II, 45-48;
persécuté pour ses vues libéra-
les en religion, 276, 277.
Perrot, Samuel, retiré de la pa-
roisse de Russin, III, 99.
Peschier, Joseph : son dévoue-
ment, III, 430.
Peste : conduite des évêques, II,
148; conduite des chanoines,
150: supplices injustes, 151;
ministres martyrs, 156; con-
duite de Calvin, 158; Genes-
ten, Marty, 160; Boute-peste
suppliciés, 162; le remède d'un
curé de Savoie, 164; les mi-
nistres Legaigneux, 169; Ger-
vais, 179 ; Colladon, 168, 171;
Chausse, martyr, 172; la Faye
et Gautier, martyrs, 184; les
Genevois et les Savoyards en
temps de peste, p. 181.
Philippe, Jean, complote avec les
catholiques, I, 308: sa mort,
316.
Philosophes incrédules, III, 185,
233.
Picot, Louis-Daniel, l'un des fon-
dateurs de la Société des caté-
chumènes, III, 28.
Picot, Pierre, plaisamment loué
par Voltahv, lui répond avec
esprit, 220; sa générosité en-
vers les prêtres proscrits, 347
et suiv.; rassure M. Pictet-Dio-
dati contre toute crainte qu'on
supprime le culte catholique,
356; ses lettres au même sur la
situation faite par l'empereur
au protestantisme, 398; son ré-
cit de la mort du pasteur Jean-
François Martin, 470 ; sa pré-
dication, 476.
533
Pictet, Bênédict, chargé de rédi-
ger des prières, III, 12: révise,
après Conrart, la langue des
psaumes, 17; compose des can-
tiques, 20; inaugure le Temple-
Neuf, 39 ; son Te Deum chanté
à Noël, 47; sa prédication, 90;
son éloge, 102-107: ne veut
pas de changement au Consen-
sus, 163, 165; s'occupe de la
réunion des protestants, 168
et suiv.; ses éloges* à l'évèque
d'Annecv et sa controverse avec
lui, 314.'
Pictet, Isaac (?), va demander l'ap-
pui des Suisses contre Louis
XIV, m, 278.
Pictet-Diodati, protège à Paris les
intérêts du protestantisme fran-
çais, III, 352. 480.
Pictet, Marc- Auguste, protège les
mêmes intérêts, ibid.; sa lettre
au précédent, III, 356; son in-
fluence à Paris, 462; son dé-
vouement à la religion, 475.
Pie II, élit Jean-Louis de Savoie
évêque à douze ans, I, 48.
Pierre-Cise, évèque patriote, I,
44.
Pierre Martyr. Voy. Vermigli.
Pinault, ministre, attaque les ma-
gistrats, II, 61.
Plainpalais : les moines accusés,
L 50, 51.
Poissy (Colloque de), I, 459.
Pompadour (Mme de), regardée
comme nécessaire à la cause de
la liberté religieuse, III, 389.
Poutverre (M. de), curé de Conli-
gnon; ses relations avec Rous-
seau, III, 322 ; provoque un li-
belle de Minuloli contre les
pasteurs de Genève. 315.
Porral, Ami, syndic protestant,
I, 109; obtient le secours des
Bernois, 229, 230, 241 ; sa mort
chrétienne, 367.
Portalis (M. de), ministre des cul-
tes, prêt a céder aux demandes
du curé Vuarin, III, 353; re-
mercié par la Compagnie de sa
protection en faveur de l'Eglise
de Genève, 474; la remercie de
sa lettre à Napoléon, 475.
Praslin (duc de), favorable à la
réhabilitation des Calas, III,
387, 390.
Prédestination : divergences sur
cette doctrine, III, 115; com-
ment envisagée par J.-A. Tur-
rettini, 154 et suiv.
Prédication genevoise, III, 89 et
suiv.; pendant la Révolution,
453: sous la République fran-
çaise, 466; sous l'Empire, 476.
Présence du Christ dans la Cène,
III, 171.
Prêtres indignes. I, 56-63: de la
Madeleine, démoralisés, 70, 72;
condamnés aux travaux pu-
blics, 73 ; ne peuvent défendre
la messe, 253, 255; renient
leur foi, 310, 311.
Prévost, Pierre : remontrance aux
magistrats, II, 60; excommunie
un coupable, 102.
Prières Y>our les malades, sans dé-
signation, III, 12; — spéciales,
ibid.; — de la semaine, 37.
Prince d'Orange : sa modération
envers Louis XIV, t. III, 364.
Profanation du culte, II, 29, 32 ;
— de la Sainte-Cène, 37.
Proposants : ils inclinent à l'ar-
minianisme, III, 130; se divi-
sent en deux camps, 148; con-
seils de leurs professeurs, 435.
Prosélytes gagnés par le catholi-
cisme, reçus dans la sainte Mai-
son de Thonon, III, 30; gagnés
par le protestantisme, 339 et
suiv.; (Chambre des), 344.
Prosélytisme des deux cultes, III,
308, 309, 345.
Psaumes de Clément Marot, III,
9, 16: modifiés, ibid.; intro-
duits dans d'autres Eglises, 18.
Rapports mutuels des pasteurs et
■m
des curés au commencement du
dix-huitième siècle, III, 356 et
suiv.
Réception à la Sainte-Cène, III,
27 ; ayant lieu deux fois par
an, 3i.
Rédemption : comment comprise
par J.-A. Turrettini, III, 155.
lir formation, établie à Genève, I,
261; dans les campagnes, 257,
259:-des mœurs, 271-72.
Réfugiés : 1400 familles sous Henri
II, 1. 1, 442; de la Saint-Barthé-
lemi, II, 320, 339 ; leur nombre
à Genève au seizième siècle,
III, 359; détails sur leur fuite,
leur modération à l'égard du
souverain qui les persécute,
363; leur nombre de 1682 à
1 720, p. 369; à Genève, en par-
ticulier, ibid.; hospitalité qu'ils
y trouvent, ibid.
Religieux du Saint-Bernard et des
environs de Genève, bien trai-
tés dans cette ville, III, 303.
Religion catholique : quand célé-
brée à Genève depuis 1535,111,
326.
Relique d'Amédée V, impuissante
sur les ex-protestants, III, 303.
Rémond de la Croix : procès de
mœurs, II, 95-106.
Remontrances des pasteurs aux
magistrats, de Perrot sur l'hô-
pital, H, 45-46; de De Bèze,
sur le blé, 47, 48; de Chau-
vet, sur l'usure, 53; touchant
la justice, 56; touchant les ti-
tres d'honneur, 57; touchant
les élections, 70.
Résidents français, établis ;ï Ge-
nève parLoui s XIV, t. III, 323 ;
Chauvigny, 324-331; Dupré,
331-333; d'Iberville, 333; Tam-
bonneau, 376; favorables au
prosélytisme catholique, 331
et suiv.; Soulavie, aux tendan-
ces révolutionnaires, 455 ; Fé-
lix Desportes, ibid., 459.
Révocation de l'Edit de Nantes,
III, 362 et suiv.; ses contre-
coups sur la Bourse française,
270.
Révolutions politiques de Genève,
III, 273.
Reybaz, député de Genève à Pa-
ris, obtient le rappel de Soula-
vie, III, 455 et suiv.
Rilliet, syndic, donne 1,000 livres
pour la façade de Saint-Pierre,
III, 40.
Rochette, président de Chambéry,
trompe l'es Genevois à l'Esca-
lade, II, 485.
Rotjère, proposant, soupçonne
d'hétérodoxie, III, 129.
Rohan (duc de) : son tombeau et
sa statue, III, 89.
Rome (siège de), en 1527, I, 92.
RûSSillon (Mgr), évèque d'Annecy,
obtient la fondation dans cette
ville d'une institution de se-
cours pour les convertis, III,
304; fait renvoyer à Genève
MUeFalquet,indueiuent retenue
au couvent de Gex, 305; loué
dans un traité de controverse
de Bénédict Pictet, 313; entre-
tient avec lui une correspon-
dance amicale, 314; poursuit
le libelle du curé Pontverre
contre les pasteurs de Genève,
317.
Rousseau : son apprentissage, sa
démoralisation et sa faite, III,
222: le curé de Confignon l'en-
voie à Mme de Warens, 223;
son abjuration à Turin, 224;
revient nu protestantisme, 226
et suiv.; appelé à Paris, 229;
sa lettre à Jacob Vernes sur
Voltaire, ibid.; irritation de ce
dernier, 230; félicitations de
M. Sarasin l'ainé; ibid.; Bous-
seau est rappelé à Genève, 231;
retourne à Paris, 232: publie
Y Emile, 234; colère de Voltai-
re, 235; Bousseau rejetait le
surnaturel, 237; l'Emile con-
damné à Paris et à Genève,
535
ibid. ; séjour de Rousseau à Mo-
tiers-Travers, 245: des lettres
anonymes l'exaspèrent, ibid. ;
il renonce au titre de citoyen
genevois, 281; maltraité par j
Voltaire, 73; combat l'intro-
duction d'un théâtre; ibid.; ses
Lettres de la Montagne, 246,
282: sentiments des Genevois
plus favorables pour lui que
pour Voltaire, 251 ; revient à
des sentiments chrétiens, 253,
256 et suiv.
Roussillon du Château- Blanc tra-
hirait bien Genève, s'il ne crai-
gnait la pendaison, III, 293,
487.
Houstan répond à Voltaire, III,
215 et suiv.; ses sentiments
sur Voltaire et sur Rousseau,
252: membre de la commission
chargée de proposer, sous l'em-
pire, une organisation ecclé-
siastique, 461.
Rulhière. favorable à la cause de
la tolérance, III, 392.
Russin : visite consistoriale, III,
98; le curé veut contraindre les
protestants malades à recevoir
les sacrements, 311.
Rugter. l'amiral, intervient auprès
du vice-roi de Naples en fa-
veur des protestants hongrois,
III, 412.
Sacconex (de), général, III, 337.
Saeirère, catéchiste, III, 30.
Sacrifices de Genève pour la guer-
re, 1587, II, 415, 424.
Sadolet, cardinal, écrit aux Gene-
vois pour les ramener au ca-
tholicisme, I, 307, 312.
Saint-Gall (l'abbé de) veut dé-
truir.' par les armes la réfor-
mation suisse. III, 336: persé-
. cute les réformés du Toggen-
bourg, ibid.
Saint-Germain (temple de), de-
mandé, en 1694, pour le culte
catholique par le Résident fran-
çais, III, 333 ; accordé en 1803,
p. 349 ; les pompes de ce culte
y attirent des protestants, 352.
Saint-Gervais (le quartier de)
reçoit la comédie, III, 75.
Saint-Pétersbourg : Genève par-
ticipe à la fondation d'une
Eglise réformée dans cette Tffle,
III, 420.
Saint-Pierre, cathédrale : sa fa-
çade reconstruite, III, 39 et s. ;
ses vitraux, occasion d'hom-
mage religieux pour les étran-
gers, 307: réparé en 1800,
465.
Saint-Pierre (chapitre de), élit
Jean-Louis de Savoie évèque
à douze ans, I, 48; fait un man-
dement réformateur, 49; tolère
M. de Divonne, chanoine démo-
ralisé, 51; tolère un attentat,
54; enlèvement de jeunes fil-
les, 71: protège l'Eglise de Ge-
nève, 94 : le chapitre refuse la
contribution nationale , 104 ;
reçoit des reproches sur la su-
perstition, 109: suscite une
émeute le Vendredi-Saint, en
1533, 129.
Salaire des pasteurs augmenté,
III, 424.
Sales (François de), accuse d'im-
moralité les prêtres savo>ards,
I, 75; attire et entretient a ses
frais les Genevois convertis au
catholicisme, II, 527 : s'offre
pour convertir le Chablais,
587 ; premières prédications
sans succès, 590; dureté des
campagnards à son égard, 591;
la messe dite en secret, 594;
conversion de l'avocat Poucet
et du baron d'Avully, 595 et
suiv.: discussion injurieuse avec
le pasteur de la Faye, 597: résul-
tats de la première mission de
François de Sales, 600: action
pécuniaire et militaire pour
536
convertir le Chablais, 600, 601 ;
première messe forcée à Tho-
non, 603, 604; le régiment de
Martinengue, 606 ; conversion
immorale du ministre Petit,
612, 613; prétendus miracles
à Thonon, 614; François de
Sales engage le duc de Savoie
à faire usage de la force, 623;
violence du duc contre les pro-
testants de Thonon, 623-627;
conversions forcées et payées,
628-634 ; le Chablais incom-
plètement converti , 635.636;
de Bèze et François de Sales,
642-669 ; François de Sales in-
sulte Calvin en chaire, 643;
reçoit du pape l'ordre de con-
vertir de Beze, 644; première
visite au réformateur, 645 ; plai-
santerie contre Calvin, 646;
discussion avec de Beze, 647-
649 : seconde mission, 650.651; i
bruit de la conversion de Bèze,
652, 653; troisième mission,
proposition d'une pension an-
nuelle, 653, 654 : bruits en Ita- '
lie de la conversion de de Bèze,
655; conférence avec les pas-
teurs genevois refusée, pour-
quoi? 657 :'François de Sales
espèce reprendre le siège de
Genpve après l'Escalade, 495; j
miracles prétendus de saint
François, 660, 661; sa mort, j
665, 666 : union en esprit avec i
Théodore de Beze, 669: cano-
nisation de François de Sales,
m, 288.
Salomon, premier directeur de
l'hôpital, son sacrifice et sa
mort, I, 250, 253.
Scmdoz, imprimeur genevois, pu-
ni. III, 212.
Sarasin, Jean, prêche à la réou-
verture de Saint-Pierre. III, 41 :
veut maintenir la confession de !
foi et le synode de Dordrecht.
160 : sa lettre à Rousseau, 230!
Sarnet, curé de Cabrieres, très- :
tolérant, III, 346.
Sartoris plaide pour la libre dis-
cussion des matières théolo-
giques, III. 134 J élargit le Con-
sensus, 163, 165.
Satii/ny. visite consistoriale, III,
97.
Saumu.r (école de), progrès de
ses idées. III, 144.
Saunier. Antoine, maltraité par
les chanoines de Genève, 1, 1 1 1;
installe le collège de Genève,
305; banni par les magistrats
durant l'exil de Calvin. 305,
306.
Saurin, aide à réviser les psau-
mes, III. 17.
Sautter, ancien, membre d'une
commission importante, III,
461.
Saooù : Amé VIII veut s'emparer
de la souveraineté de Genève,
I, 44: Amédée de Savoie deve-
nu pape sous le nom de Fé-
lix V, 46: Pierre de Savoie,
évèque à dix ans. ibid.; Jean-
Louis de Savoie, évèque à douze
ans, 47-49 : sa mort honteuse,
52: François de Savoie, évèque
immoral, 52-55: Jean de Sa-
voie, 83 : guerre contre Genève
en 1536, p. 224, 248: assaut à
Genève, 239: le duc de Savoie
apprend au pape la Réforma-
tion de Genève, 221 : la Savoie
envahie par l'armée française,
Ui, 436.
Saxe (la) demande qu'on s'adou-
cisse sur le Consensus. III, 145.
Schaffhonse. approuve le Consen-
sus, III, 163.
Senebier élargit le Consensus, III,
163.
Sermons, longueur, importance
dans le culte, II, 25, 27.
Servet, sa doctrine panthéiste, II,
240. 245: premiers rapports
avec Calvin. 246 : dénoncé à
Vienne par Calvin et de Trie,
247. 248 : arrive à Gene\ •>. 849;
57)7
dénoncé par Lafontaino, 250;
interrogatoire, 255 ; dureté du
Conseil à son égard, 259; con-
damné par les Eglises suisses,
260, 261; visité par Farel et
Calvin clans sa prison, 263 ; sa
sentence et son supplice, 264,
265 : son supplice condamné
par Vernet, III, 193.
Servient (Mr de) : sa réponse à
M. Pictet, III, 294.
Simplicité des mœurs,W\, 54, 55.
Sionnex (les paysans de) saisis-
sent le valet du curé de Mei-
nier, III, 311.
Société de bienfaisance : sa fon-
dation, III, 459.
Société des catéchumènes, III, 28
et suiv.
Société économique :sa fondation,
III, 459; noms de ses premiers
membres, 460; elle est conso-
lidée, 479, 480.
Société pour l'encouragement du
culte, III, 471.
Société anglaise pour la propaga-
tion de l'Evangile, réclame et
obtient l'appui de Genève, III,
405 et suiv.
Soleure : conciliabule dans cette
ville entre les puissances et les
cantons catholiques, III, 338.
Sonnerie des cloches interdite, III,
448 ; rétablie, 473.
Soulavie, prêtre apostat, suppôt
de Robespierre à Genève, III,
443.
Souscription pour les habitants
des terres cédées, III, 319.
Spanheim, Frédéric, chargé d'é-
crire à Amyraut, III, 116; sa
lettre datée de Leyde h la Com-
pagnie, sur le désir de soixante
familles anglaises de se rendre
à Genève, 401.
Stanley, Humphry, président de
l'Association pour la propaga-
tion de l'Evangile, III, 406.
Statues et bustes défendus en de-
hors des maisons, III, 61.
Strasbourg : impression produite
par la prise de cette ville, III,
332.
Suisses (Cantons) évangéliques
prêts à secourir Genève III, 289,
291,295, 333, 378 ; proposent
que Genève soit adjointe à la
Confédération, 293, 299; op-
position à ce projet, ibid.
Sully, protège Genève, II, 524.
Superstition attachée aux noms
de baptême, I, 412.
Sur (de), Thomas, mauvais con-
seiller de la maison de Savoie,
I, 83.
Syndics : leur établissement en
1291, t. I, 41.
Synodes de France sous Riche-
lieu, II, 376; national de Cha-
renton, 381-86.
Talleyrand (M. de) trouve un asile
à Genève, et l'oublie au con-
grès de Vienne, III, 348.
Jambonneau, résident français,
III, 376.
Tavernes, réformées, I, 365; II,
80, 86.
Temple-Neuf : sa construction,
III, 38.
Terres cédées, suivant le traité de
1754, III, 321.
Terres de. Saint-Victor, reconnues
k la République, III, 308 : Bos-
sey en fait partie, 309 ; tenta-
tives catholiques. 311.
Terreur (la) à Genève, III, 448-
456.
Théâtre, introduit à Genève par
Voltaire, III. 74 et suiv.: in-
cendié, 82; reconstruit, 83.
Thèses sur la grâce, III, 121.
Thon on .-fondation et administra-
tion de la Sainte-Maison, III,
300-305.
Thouron : son mémoire sur la
Respectueuse observation du di-
manche, III. 429.
538
Tolérance genevoise envers les
luthériens au dix-huitieme siè-
cle, III, 418.
Tournay : Voltaire y construit
une salle de spectacle, III, 79.
Tradé de Saint-Julien : ses sti-
pulations rappelées, III, 295;
Charles-Emmanuel II prétend
n'y être pas soumis, ibid.; traité
de' 1754, p. 317.
Transylvanie : ses églises réfor-
mées secourues par Genève,
III, 415.
Trembley, J.-E., demande à l'é-
vèque d'Annecy que Mlle Fal-
quet soit renvovée du couvent
de Gex, m, 305.
Trembley, Michel, syndic, obtient
que la cour de France rappelle |
M. de Chauvigny, III, 331.
Trente (concile de) : difficultés j
pour la réforme morale de l'E- i
glise, I, 76. j
Troillet. 1545, insulte Calvin, I, !
406.
Tranchai, Louis (I), chef du mou-
vement arminien, III, 129, 131;
son débat avec Turrettini, 133;
peu favorable au Consensus,
147 ; intervient dans un débat
entre pasteurs et magistrats,
270: son discours à la fin du
dix-septième siècle, 271; sa
mort. 150: par qui remplacé,
152.
Tronchin, Louis (II), recommande
à d'autres Eglises l'adoption de
nos psaumes. III, 18 : reçoit les
excuses de Voltaire pour avoir
laissé donner des représenta- i
tions, 79 : son éloge, 108.
Turyot, loué par Voll;iire, Ht,
391,
Turin (la cour de) veut recon-
quérir Genève, III, 312.
Turrettini, Bénédict, député à Dor-
drecht. II, 288, 289: sert d'in-
termédiaire entre Genève et
les Hongrois persécutés, III,
413.
Turrettini, François : sa prédica-
tion, III, 91; auteur du Con-
sensus, 129; combat l'arminia-
nisme, 131; son débat avec
Tronchin, 133.
Turrettint, J.-A., chargé de rédi-
ger des prières, III, 12; fait
changer la formule de bénédic-
tion, 13; une phrase de la con-
fession des péchés, 15 ; une de
la liturgie du baptême, ibid. :
révise la version de la Bible,
22; compose le formulaire de
réception à la Sainte-Cene, 27;
ses vues sur le culte, 37; sa
prédication, 91; son éloge, 107;
ses tendances théologiques, 151
et suiv. ; attaque le Consensus,
157, 163. 165: s'occupe de la
réunion des protestants, 168 et
suiv., 172; de celle des épis-
copaux anglais et des non-con-
formistes, 406 : sa lettre à l'ar-
chevêque Wake. 408 ; ses bons
conseils en politique, 280.
Tu ri ettuii, Michel, parle contre le
théâtre, sans reconnaître aucun
frein, III, 268-270.
v
Universalité de la Grâce, III, 126.
Usure défendue, I, 363; H, 53;
sous l'empire, à propos de la
conscription, combattue par les
pasteurs, III, 483.
Valeiry : belle réponse des pay-
sans aux persécuteurs catholi-
ques, II, 579: en 1754, rede-
venu catholique, III, 318.
Vandœuvres et Cologny : visite
consistoriale, III, 100.
Vaucher, Jean-Pierre-Etienne, re-
fuse de prêter serment dans un
cas de conscience, et il est em-
prisonné, III, 445; son éloquen-
ce, 477.
Yaud (pays de) : son intrépidité
559
et ses dons pour les réfugiés,
ITI. 367. 370
Vaudnis du Piémont persécutés,
écrivent à Genève, II, 374; III,
375; réfugiés à Genève, 408;
secourus par la reine d'Angle-
terre, ibid.
Vautier, Théodore : son ministère
apprécié, III, 99; signe le for-
mulaire de foi, 126; entend
accuser Turrettin, 159.
Végobre (M. de) instruit Voltaire
de l'affaire des Galas, III, 385.
Velours fabriqués â Genève, I,
443.
Vergerio, évèque italien, décrit
Genève, I, 511-520.
Vermigli, Pierre, Martyr, prédica-
teur italien, I, 477-479.
Vemets, Jacob, écrit à Voltaire,
III, 69: répond à un de ses écrits
impies, 217; écrit à Rousseau,
pour le ramener à des senti-
ments plus chrétiens, 244;
blâme les Lettres de la Monta-
gne, 247; excite ainsi la colère
de Rousseau, 282; destitué et
banni, 426; revient à Genève,
430; son éloge funèbre, 112.
Vernet, Jacob : ce qui décide sa
vocation, III, 104: l'un des fon-
dateurs de la Société des caté-
chumènes, 28; montre la per-
sistance des principes moraux,
84; demande qu'on diminue
les offices du culte, 96; sa dé-
mission et son éloge, 112; son
système dogmatique, 179 et s.;
écrit à Voltaire au sujet de son
arrivée à Genève, 191; à D'A-
lembert, 197; reproche au pre-
mier son Candide, 201; dirige
l'impression de l' Esprit des
Lois, 202 ; a correspondu ami-
calement avec Voltaire, 202;
calomnié par ce dernier, 203
et suiv. ; lui répond, ibid.; nou-
velles calomnies, 211; écrit à
Rousseau pour le ramener à
des pensées plus chrétiennes,
241; son courage civil, 281;
ses rapports avec la duchesse
de la Rochefoucault-d'Anville,
utiles à la liberté religieuse,
381.
Vernet-Pictet , intervient en fa-
veur de la Société économique,
III, 480.
Vernly, chanoine, blessé en 1532,
I, 108; suscite une nouvelle
émeute à Genève, 131; sa mort
dans une troisième émeute, 137-
139.
Version de la Bible de 1805, III,
182.
Vial de Beaumont, prêche contre
les fètes^ III, 48; proteste con-
tre le relâchement des mœurs,
63; demande d'être admis à la
Compagnie. 160; signe le Con-
sensus avec restriction, 161;
est reçu de la Compagnie, 163.
Victor-Amédée I, laisse Genève
en paix, III, 286.
Victor-Amédée II, engagé à bri-
ser le traité de Saint- Julien, III,
298.
Vie pastorale , III , 86 et suiv. ,
94, 96.
Vienne (Congrès de), III, 484.
Villages protestants des environs
de Genève, ramenés par la vio-
lence au catholicisme, II, 580,
581.
Vilmergen (Bataille de), III, 337.
Viollier, Samuel, prédicateur re-
nommé, III, 92; loué pour son
zèle pastoral, 98; signe le for-
mulaire de foi, 126.
Viret, réformateur, prêche à Ge-
nève, I, 190; est empoisonné,
203; député â Genève après le
bannissement de Calvin, 301.
Voltaire, date de Genève ses ro-
mans, III, 69, 200, 207 ; nie
d'être l'auteur de Jeanne d'Arc,
69 ; écrit sa Guerre de Genève,
ibid., 72; veut introduire un
théâtre, 74, 78 et suiv., 82;
plaide pour la liberté de cons-
o40
ciencc, 190; obtient de s'éta-
blir à Genève, 191 ; répond à
Vernet, 192; ses insinuations
dans le Mercure français, 193; '
dans Y Essai sur l'histoire uni- \
verselle, 194; ses calomnies 1
dans l' Encyclopédie; 195; dans i
son Histoire universelle, 203 ; !
défend les Calas, 206 : ses ruses
pour introduire ses livres a Ge-
nève, 207, 208; calomnie Ver-
net, 203, 211; multiplie ses
mauvaises publications, 212;
ses plaisanteries sur Roustan,
215; sa lettre à M. De Rocbes,
217; cherche à brouiller Rous-
seau avec les pasteurs, 244;
sous l'influence genevoise, plai-
de pourtant pour la liberté re-
ligieuse, 283 et suiv. ; pour la
réhabilitation des Calas, 387 :
écrit à Moultou après ce triom-
phe, 388-390; éloges qu'il
donne à Turgot, 391.
Vuarin, curé de Genève : ses hos-
tilités contre les protestants,
III, 350; ses exigences, 352 et
suiv.; écrit dans les Débats une
lettre calomnieuse, 355.
w
Wakc, archevêque de Cantorbé-
ry : sa réponse à Genève, III,
174.
t.
Zoltiko/fre, de Marseille, intermé-
diaire de secours entre Genève
et Cabrières, m, 346.
Zurich fait alliance avec Genève
II, 414.
TABLE DES MATIÈRES
111 TROISIÈME VOLUME.
Pages.
Avant-Propos S
Chapitre I. L'Eglise et le culte 7
» II. Vie religieuse et morale dans l'Eglise de
Genève. . . . 34
» III. Vie pastorale 86
» IV. Dogmatique genevoise 114
» V. Dogmatique genevoise. Liberté de conscience. 151
» VI. Dogmatique genevoise. Défense du christia-
nisme au dix-huitième siècle 185
» VII. Dogmatique genevoise. Rousseau et l'Eglise
de Genève 221
»> VIII. L'Église et l'État 265
» IX. Genève et le catholicisme savoyard . . . 285
» X. Genève et le catholicisme français. . . . 522
» XI. La Cité du refuge 558
» XII. Genève et les Eglises étrangères .... 400
» XIII. L'Église pendant la Révolution et l'Empire. 422
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
' I. Kntreprises contre Genève 487
II. Tableaux des différentes heures du service divin dans
l'Église de Genève 489
1" tableau. De 1558 à 1654 490
242
2n" tableau De 1654 à 1694 491
3rae ». De 1704 à 1715 492
•» De 1745 à 1786 • . .493
3m' »» De 1786 à 1815, hiver. . . , . . 494
Suite. » » été 495
III. Formule du Consensus 496
» Épitre dédicatoire du traducteur 510
IV. Table des principales controverses qu'il faudra
traiter en chaire avec les textes qu'on expliquera. 512
Table alphabétique des matières contenues dans les trois
volumes de cet ouvrage 515
Kl.N DE LA TABLK DU TOMK TUOISIBMK.
ERRATA.
Page 10, ligne 8, terminée, lisez el terminée.
» 13 etaillenrs, Calendrin, lisez Galandrin.
» 15, ligne 21, et page 45, dernière ligne, délarant, lisez déclarant.
» 17, » 24, Sauvin, lisez Saurin.
» 22, » 20, Abausit, lisez Abanzit.
» 29, note, Geramer, lisez Cramer.
» 31, ligne 7, 1185, lisez 1785.
» 33, » 8, Vernet, lisez Vernes.
» 34, note 3, catholique, lisez catéchiste.
» 35, ligne 6, élément, lises aliment.
» 44, » 4, qui est l'unité, lisez qui, en l'unité.
» 50, » 13, Par les courses et les rilleries, faudra. Usez par
les courses et les ribleries. Faudra.
» 62, » l(i, dix-septième, lisez dix-huitième.
» 65, » dern. le (imballes, lises les timballes.
» 70, » 7, aujourd'hui parler, lisez aujourd'hui partie.
» 83, » 15, Gaucourt, lisez Jaucourt.
» 108, » 4, un de ceux qui a, lisez un de ceux qui ont.
» 112, » 5, un des pasteurs qui a, lisez un des pasteurs qui ont.
» 128, » 16, Le Franc Arbitre, lisez Sur le franc arbitre.
» 164, » 6, doctraire, lisez doctrine.
» 171, » 26, toute tribut, de tout ordre de toute, lisez toute (ribu,
de tout ordre, de toute.
» 172, » 14, protestantiam dissidies, lisez protesiantium dissidiis.
» 174, » 2, Walker, lisez Wake.
» 175, » 8, Penaut, lisez Pinaull.
» 197, » 2, Vernet, lisez Vernes.
» 227, » 23, Waldkirk, lisez Waldkirch.
« 287, » 21, Victor-Emmanuel, lisez Victor-Amédée.
» 288, » 18. Dérenthon, lisez d'Arenthon.
» 300, » 16, 3500, lisez 35,000.
» 405, » tl, Gallovay, lisez Galloway.
» 415, » 1, plus, lisez moins.
» 435, » 5, quinze, lisez treize.
» 435, » 8, Cardini, lisez Cardoini.
» 445, » 15, de la Saussaie, lisez De la Sauzais.
» 496, » 3, puissance à tout croyant, lisez puissance de salut
pour.
•> 496. » 5, affection paternelle, lisez attention paternelle.
Date Due
L8
!E