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Full text of "Histoire de l'Eglise de Genève depuis le commencement de la réformation jusqu'à nos jours"

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*     OCT  10  1911  * 


BR  1038   .G4  G2  1855  v.3 
Gaberel,  J.  1810-1889) 
Histoire  de  1 '   église  de 
Gen  eve  depuis  le 


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in  2014 


https://archive.org/details/histoiredeleglis03gabe_0 


HISTOIRE 

DE 

L'ÉGLISE  DE  GENÈVE. 


TOME  TROISIÈME. 


IMPRIMERIE  CH.   GRUAZ  .   À  GENÈVE  .   CITÉ . 


L'ÉGLISE  DE  GENÈVE 


DEPUIS 


LE  COMMENCEMENT  DE  LA  RÉFORMATION  JUSQU'A  NOS  JOURS, 


PAR 

y/ 

J.  CABEREL, 

ancien  j.isteur. 


TOME  TROISIÈME. 


GENEVE, 

JOËL  CHERBULIEZ,  LIBRAIRE. 

MÊME  MAISON  A  PARIS,  RUE  DE  LA  MONNAIE ,  10. 

JULLIEN  FRÈRES,  LIBRAIRES, 

Bourg-de-Four,  71. 

1862 


AVANT-PROPOS. 


Après  douze  années  de  recherches  et  de  travaux,  nous 
offrons  au  publie  le  dernier  volume  de  l'histoire  de  l'Église 
genevoise.  Les  documents  nombreux  et  inédits  que  nous 
avons  entre  les  mains  nous  ont  permis  d'offrir  à  nos 
lecteurs  des  faits  nouveaux  et  des  circonstances  ignorées 
de  nos  devanciers.  Ces  découvertes  historiques  sont  le 
fruit  de  longs  voyages  et  de  sérieux  sacrifices  pécuniaires  : 
aussi  nous  prions  les  auteurs  qui  se  serviraient  de  nos 
documents  inédits  de  vouloir  bien  indiquer  le  nom  de 
l'auteur  qui,  le  premier,  les  a  mis  en  lumière. 

Nous  ne  livrerons  pas  ce  volume  à  la  publicité  sans 
offrir  l'hommage  de  notre  gratitude  à  M.  Mignet,  qui  a 
bien  voulu  accorder  à  quelques  parties  de  ce  travail  les 
honneurs  de  la  lecture  devant  l'Académie  des  sciences 
morales  et  politiques  de  France. 


CHAPITRE  Ier. 


L  ÉGLISE  ET  LE  CULTE, 


Nécessité  des  réformes.  —  Caractères  des  liturgies.  —  La  lecture  du 
Décalogue.  — Prières  pour  les  malades.  —  Prières  pour  les  Jeunes. 

—  La  formule  de  bénédiction.  —  Prières  du  dimanche  modifiées.  — 
La  liturgie  du  baptême.  —  La  confession  des  péchés.  —  Les 
Psaumes.  —  Les  cantiques  de  la  communion.  —  Version  de  la  Bible. 

—  Catéchismes.  —  Réformes  du  syndic  de  la  Rive.  —  Société  des 
catéchumènes.  —  Liste  des  fondateurs.  —  Réception  publique  à  la 
Sainte-Cène.  —  Heures  des  cultes.  —  Le  Temple  Neuf  et  la  famille 
Lullin.  —  La  colonnade  de  Saint-Pierre.  — La  Sainte-Cène,  modifi- 
cation de  sa  liturgie. — Fêtes  de  Noël  et  de  l'Ascension.  —  Solen- 
nités nationales,  Escalade  et  Jeunes. 


Après  avoir  analysé  les  caractères 1  du  culte  public 
au  temps  de  la  Réforme,  nous  devons  indiquer  les 
modifications  que  l'Église  genevoise  opéra  dans  les 
services  religieux  pendant  le  cours  du  dix-septième 
et  du  dix-huitième  siècles. 

Si  l'Église  grecque  et  l'Église  romaine  ont  admis 
l'immobilité  des  formes  du  service  divin,  les  pasteurs 

1.  Nous  prévenons  nos  lecteurs  que  toutes  les  dates  insérées  dans 
ce  volume  indiquent  une  référence  aux  registres  de  la  Compagnie  des 
Pasteurs. 


8 

protestants  ont  pensé  que  les  améliorations  étaient 
permises  dans  les  cérémonies  religieuses.  Leur 
opinion  est  légitime.  En  effet,  il  n'y  a  d'immua- 
ble dans  le  christianisme  que  les  paroles  du  Sau- 
veur touchant  le  dogme  et  la  morale;  mais  les 
usages  sur  lesquels  le  Maître  a  gardé  le  silence  sont 
naturellement  laissés  à  la  prudence  et  au  zèle  des 
conducteurs  ecclésiastiques;  en  particulier,  les  formes 
du  culte  public  étant  des  institutions  humaines,  peu- 
vent varier  selon  les  exigences  dn  temps.  D'après 
ces  principes  fondés  sur  la  volonté  de  leur  divin  Chef, 
les  pasteurs  genevois  perfectionnèrent  les  formes  du 
culte  lorsque  les  changements  sociaux  et  les  amélio- 
rations de  la  langue  française  exigèrent  impérieuse- 
ment ces  modifications  ecclésiastiques. 

Les  liturgies,  composées  dans  le  dur  et  naïf  lan- 
gage des  réformateurs,  revêtirent  les  formes  littérai- 
res de  la  grande  école  du  dix-septième  siècle. 

On  réduisit  à  des  dimensions  raisonnables  les  priè- 
res primitives  qui  fatiguaient  l'attention  par  une  lon- 
gueur démesurée. 

Le  culte  public  fut  également  modifié  quant  au 
nombre  et  aux  heures  des  offices  religieux .  Les  heures 
des  sermons  étant  choisies  en  vue  de  faciliter  l'accès  du 
temple  à  la  majorité  des  fidèles,  durent  varier  avec 
les  usages  sociaux  et  les  habitudes  de  famille.  Ainsi, 
lorsque  le  cours  du  soleil  réglait  l'emploi  des  jour- 


9 

nées,  lorsque  le  travail  commençait  de  grand  matin, 
et  que  le  moment  du  repos  coïncidait  avec  les  pre- 
mières ombres  du  soir,  les  cultes  furent  célébrés  en 
général  avant  midi.  Puis,  l'usage  des  veilles  prolon- 
gées s'étanl  établi,  on  dut  retarder  les  heures  des 
sermons  et  des  prières. 

Le  nombre  des  services  et  des  actions,  comme  on 
les  désignait  autrefois,  varia  également  sous  Tin- 
lluence  des  événements  qui  ehangèrent  les  éléments 
constitutifs  de  la  population  genevoise. 

La  musique  et  le  chant  sacré  reçurent  de  sérieux 
perfectionnements.  Les  psaumes  de  Théodore  de  Bèze 
et  de  Marot  firent  place,  à  la  fin  du  dix-septième  siè- 
cle, à  des  traductions  françaises,  en  accord  avec  les 
progrès  de  la  langue. 

Enfin,  les  fêles  religieuses,  les  grands  anniversai- 
res chrétiens,  les  cultes  rappelant  les  délivrances  de 
l'Eglise  et  de  la  Patrie,  subirent  de  grands  change- 
ments. Les  fêtes  de  Noël  et  de  l'Ascension,  proscrites 
par  Calvin,  furent  peu  à  peu  célébrées  par  ses  suc- 
cesseurs, et  les  jeûnes  institués  pour  l'humiliation 
des  peuples  réformés  dans  les  grandes  épreuves  na- 
tionales devinrent  des  solennités  annuelles  et  régu- 
lières. 

Examinons  maintenant  en  détail  ces  modifications 
opérées  dans  le  culte  public  genevois  au  dix-septième 
et  au  dix-huitième  siècles. 


10 

Liturgies  et  prières  ecclésiastiques.  La  forme  ex- 
térieure du  culte  réformé  fut  évidemment  fournie  par 
les  descriptions  que  Pline  le  Jeune  et  Tertullien  nous 
ont  transmises  des  assemblées  de  la  primitive  Eglise. 
D'après  ces  auteurs,  le  service  divin  se  composait  de  la 
confession  des  péchés,  du  chant  des  louanges  de  Dieu, 
puis  d'une  exhortation  évangélique  adressée  au  peuple, 
et  terminée  par  une  solennelle  bénédiction.  Cet  ordre 
fut  ponctuellement  suivi  par  les  réformateurs  français. 

Le  culte  public  commençait  au  seizième  siècle  par 
la  confession  des  péchés  que  Calvin  avait  empruntée 
en  1544  à  l'Église  de  Strasbourg;  puis,  on  chantait 
un  ou  deux  versets  des  psaumes.  Le  prédicateur  pro- 
nonçait «  une  prière  d'exhortation  à  profiter  du  culte, 
»  et  dont  la  forme  est  laissée  à  sa  discrétion.  »  Venai 
ensuite  le  sermon,  et  le  service  était  terminé  par  une 
invocation  où  l'on  implorait  les  laveurs  divines  sur 
toutes  les  classes  de  la  société  chrétienne. 

Le  dimanche  où  la  Sainte-Cène  était  célébrée,  on 
ajoutait  au  culte  ordinaire  une  brève  prière,  et  on 
lisait  la  liturgie  de  la  communion  ;  celte  liturgie  se 
trouvait  parfaitement  adaptée ,  dans  sa  forme  et  sa 
substance,  à  l'état  d'un  peuple  qui  naguère  admettait 
la  doctrine  romaine  touchant  la  présence  réelle. 

Dans  le  baptême  on  établissait  l'incapacité  absolue 
pour  l'homme  de  faire  aucun  bien,  et  la  malédiction 
prononcée  sur  la  race  humaine.  »  Le  baptême,  dit  la 


1 1 

liturgie  de  Calvin,  nous  relire  de  cet  état  de  con- 
damnation, nous  remel  le  péché  originel,  duquel  est 
coupable  toute  la  lignée  d'Adam,  »  et  nous  rend  ca- 
pables de  combattre  contre  le  mal,  et  de  vivre  dans 
la  sainte  liberté  des  enfants  de  Christ. 

La  liturgie  du  mariage  porte  les  traces  de  l'esprit 
du  temps  et  de  la  licence  morale  où  les  populations 
étaient  plongées  au  seizième  siècle.  Les  recomman- 
dations touchant  la  pureté  et  la  sainteté  du  lien  con- 
jugal, composent  à  peu  près  en  entier  le  texte  de  l'ex- 
hortation et  des  prières.  Les  habitudes  religieuses,  le 
support,  les  qualités  morales  nécessaires  au  bonheur 
des  époux  et  des  enfants,  y  sont  à  peine  mentionnées. 

Les  liturgies  furent  conservées  à  peu  près  intactes 
jusqu'en  4  711. 

Voici  les  modifications  successives  qu'elles  éprou- 
vèrent pour  la  doctrine  et  la  forme  extérieure  : 

Le  culte  commençait  par  la  lecture  de  quelques 
chapitres  des  Saintes-Ecritures.  Les  étudiants  en  théo- 
logie étaient  chargés  de  cet  office.  En  1659  (Reg. 
Comp.  9  août),  sur  la  proposition  du  Consistoire,  on 
décida  de  lire  le  Décalogue.  «  Les  proposants  feront 
»  cette  lecture  dès  après  le  dernier  coup  de  cloche  ; 
»  elle  sera  précédée  d'une  bonne  exhortation  pour 
»  inviter  le  peuple  à  l'attention  et  au  respect.  » 

Les  premières  observations  générales,  au  sujet  des 
liturgies,  furent  présentées  en  1688  (6  janv.  Reg. 


12 

Comp.)  par  M.  Dufour,  pasteur.  «  Considérant  les 
changements  considérables  qui  sont  dans  la  langue, 
il  propose  d'abréger  les  liturgies  sans  rien  leur  enle- 
ver d'essentiel.  »  La  Compagnie,  tout  en  reconnais- 
sant la  justesse  de  ces  observations,  ne  croit  pas  pou- 
voir rien  modifier  pour  le  moment. 

Toutefois,  M.  Léger  insiste  au  sujet  des  prières 
qu'on  fait  pour  les  malades.  «  A  la  fin  du  sermon, 
comme  c'est  encore  l'usage  en  France,  dit-il,  on  re- 
commande aux  prières  des  fidèles  les  personnes  gra- 
vement malades;  on  les  désigne  par  leurs  titres.  » 
M.  Léger  demande  qu'on  s'abstienne  de  ces  paroles 
humaines,  et  que  désormais  on  se  contente  d  une 
phrase  générale  concernant  les  personnes  souffrantes 
de  l'Église.  Adopté. 

La  révision  générale  commença  en  1705;  elle  s'ef- 
fectua sans  difficulté  quant  à  la  forme  des  prières; 
mais  elle  donna  lieu  à  de  sérieuses  discussions  lors- 
qu'il s'agit  de  modifier  la  doctrine  contenue  dans  la 
confession  des  péchés  et  la  formule  du  baptême. 

Le  5  octobre  4  703,  le  Consistoire  demanda  des 
prières  spéciales  pour  les  jeûnes,  les  préparations 
pour  la  Sainte-Cène  et  les  autres  solennités;  les  pro- 
fesseurs Bénédict  Pictetet  J.-A.  Turrelin  furent  char- 
gés de  leur  rédaction,  et  s'en  acquittèrent  à  la  salis- 
faction  générale  des  fidèles. 

Les  additions  aux  services  hebdomadaires  furent 


13 

bientôt  suivies  de  modifications  au  culte  du  di- 
manche. 

1705,  H  août.  La  prière  qui  termine  le  service 
du  dimanche  malin  paraissant  décidément  trop  lon- 
gue, on  chargea  M.  Calendrin  d'en  faire  un  abrégé. 
Dix  ans  se  passèrent  en  tâtonnements  sur  ce  point , 
les  uns  voulant  l'ancien  usage,  d'autres  employant  la 
nouvelle  prière.  Quelques  pasteurs  proposèrent  la 
l'orme  anglaise,  «  qui  consiste  à  lire  toutes  les  prières 
avant  le  sermon ,  et  à  terminer  par  une  fervente  et 
brève  invocation,  ce  qui  mettrait  tin  aux  sorties  in- 
décentes qui  troublent  la  fin  du  culte.  »  (Reg.  Comp. 
1 1  oct.  1709,  4  5  mars  4  711.)  Enfin,  le  Consei 
impatienté  de  ces  longueurs,  décide  qu'on  lira  la  nou- 
velle prière  de  M.  Calendrin,  et  cet  usage  s'établit  le 
25  août  4719. 

Cinq  ans  plus  tard  (Reg.  Comp.  15  oct.  1725), 
M.  J.-A.  Turrelin  demande  qu'on  change  la  for- 
mule de  bénédiction.  Il  pense  que  ces  mots  :  «  Le  Sei- 
gneur fasse  luire  sa  face  sur  nous,  »  n'étant  plus  du 
génie  de  notre  langue,  on  rendrait  plus  heureusement 
le  sens  de  l'hébreu  en  mettant:  «  Le  Seigneur  vous 
regarde  d'un  œil  favorable  et  vous  soit  propice.  »  La 
Compagnie  adopta  un  terme  moyen  et  conserva  la 
bénédiction  en  ces  termes  :  «  Le  Seigneur  vous  bé- 
nisse et  vous  conserve.  Le  Seigneur  vous  regarde 
d'un  œil  favorable  et  vous  soit  propice.  Le  Seigneur 


44 

tourne  son  image  vers  vous  et  vous  maintienne  en 
paix  et  en  prospérité.  »  Ce  fut  en  1775  que  cette 
dernière  phrase  fut  abolie,  et  que  la  formule  fut  ré- 
duite aux  expressions,  employées  aujourd'hui  dans 
l'Eglise  de  Genève. 

A  la  môme  époque,  sous  l'influence  d'Ostervald, 
des  modifications  à  peu  près  analogues  furent  opérées 
à  Neuchâtel,  et  la  liturgie  actuelle  de  cette  Église  fut 
adoptée  en  4  745.  Nous  ne  connaissons  pas  la  date 
exacte  de  l'introduction  de  celte  forme  de  culte  dans 
l'Eglise  vaudoise;  mais  comme  les  prières  de  celte 
Eglise  sont  à  peu  près  semblables  à  celles  deNeuchâtel , 
il  est  probable  que  le  changement  ordonné  par  les  Ber- 
nois fut  contemporain  des  travaux  d'Ostervald. 

Ces  "modifications  des  liturgies  genevoises  étaient 
peu  importantes  auprès  de  celles  qu'on  proposait  d'in- 
irodruire  dans  la  confession  des  péchés  et  dans  la  for- 
mule du  baptême.  Pendant  onze  années,  de  1742  à 
4  725  on  discuta  sur  ce  grave  sujet.  Le  temps  avait 
marché;  la  majorité  du  clergé  genevois  n'admettait  plus 
lesassertions  littérales  du  calvinisme.  On  remplaçait  les 
expressions  humaines  des  formulaires  par  des  paroles 
bibliques  (25  juin  4  725),  et  sous  celte  influence,  les 
liturgies  furent  changées  touchant  un  point  très-grave, 
le  péché  originel  ;  on  proposa  d'enlever  de  la  confes- 
sion des  péchés  les  mots  :  «  Nous  sommes  pauvres  pé- 
cheurs conçus  et  nés  en  iniquité  et  corruption,  en- 


15 

clins  à  mal  faire,  inutiles  à  tout  bien.  »  11  était  ques- 
tion de  les  remplacer  par  cette  phrase  :  «  Nous  som- 
mes de  pauvres  pécheurs  enclins  au  mal  dès  notre 
naissance.  »  Pendant  la  délibération,  M.  Turretin 
aîné  rapporta  que  diverses  personnes  u'approuvaient 
pas  le  changement  radical  qu'indiquait  la  commission; 
il  demanda  que  pour  satisfaire  les  diverses  opinions, 
Ton  prît  un  terme  moyen,  et  qu'on  modifiât  comme 
suit  l'ancienne  rédaction  :  «  Nous  sommes  nés  dans 
la  corruption,  enclins  au  mal.  » 

Adopté  à  l'unanimité  par  la  Compagnie. 

La  discussion  touchant  la  liturgie  du  baptême  fut 
longue  et  pénible.  La  commission  anéantissait  le  fait 
de  la  malédiction  prononcée  sur  les  enfants  dés  avant 
leur  naissance,  et  déclarait  que  «  le  baptême,  qui  nous 
sauve,  étant  l'engagement  d'une  bonne  conscience 
devant  Dieu,  il  devient  nul,  s'il  n'est  ratifié  par  la 
conduite  future  du  jeune  chrétien.  » 

M.  Turretin  aîné  indiqua  encore  un  terme  moyen 
touchant  le  péché  originel.  «  L'ancienne  liturgie,  dit-il, 
«'adressant  à  Dieu,  porte  ces  mots  :  «  En  te  délarant 
«  son  Dieu  et  son  Sauveur,  en  lui  remettant  le  péché 
»  originel,  duquelestcoupabletoutelalignéed'Adam.  » 
Je  propose  ces  paroles  :  «  Comme  toute  la  postérité 
»  d'Adam  est  dans  un  étal  de  corruption  et  de  misère, 
»  qu'il  te  plaise  de  te  déclarer  le  Dieu  et  le  Sauveur  de 
»  cet  enfant  et  de  le  sanctifier  par  ton  esprit.  »  Quant 


H5 

à  celle  phrase  louchant  la  perversité  et  la  malédic- 
tion de  notre  première  nature,  elle  doil  disparaître 
sans  conteste.  »  L'orthodoxie  de  M.  Turrelin  aîné  rallia 
tous  les  suffrages.  La  Compagnie  adopta,  à  l'unani- 
mité, les  nouvelles  formules,  et  ainsi  fut  terminée 
cette  grande  révolution  ecclésiastique. 

Musique  el  Psaumes.  En  1545,  l'Église  de  Ge- 
nève adopta  pour  le  chant  sacré  «  le  Recueil  des  psau- 
»  mes  mis  en  rimes  françaises,  à  savoir  quarante-neuf 
»  par  Clément  Marot,  et  le  surplus  par  Théodore  de 
»  Kèze.  »  La  musique  était  des  plus  simples,  et  quel- 
ques-unes de  ces  hymnes  sont  des  modèles  d'énergie  el 
de  heaulé  religieuse1. 

Les  psaumes  furent  chantés  sans  modification  dans 
l'Église  de  Genève,  jusqu'à  la  fin  du  dix-seplième 
siècle.  Mais,  vers  l'an  1680,  un  homme  qui  possé- 
dait le  génie  poétique  et  sentait  vivement  les  imper- 
fections des  lignes  rimées  de  Clément  Marot,  le  pro- 
fesseur Bénédict  Pictel,  désirait  vivement  voir  s'intro- 
duire un  changement  ahsolu  de  celle  partie  du  culte; 
il  se  plaignait  de  l'état  pitoyable  du  chant;  maintes 
fois  il  avail  dû  prévenir  des  étrangers  «  pour  que  leur 
sourire  n'accueillît  pas  cette  rude  harmonie.  »  En 

1.  Un  usage  excellent  et  qui,  selon  nous,  devrait  être  adopté  dans 
les  nouvelles  éditions  des  psautiers,  est  le  texte  littéral  du  cantique 
placé  en  regard  de  la  versification.  Cette  double  impression  ne  pré- 
senterait aucune  difficulté,  car  les  anciens  livres  de  chants  sacrés  sont 
de  formats  encore  plus  exigus  que  les  nôtres. 


17 

effet ,  à  peine  le  pasteur  avait-il  terminé  l'indication 
du  psaume,  qu'une  foule  de  personnes  l'entonnaient 
isolément,  sans  attendre  le  chantre,  et  ce  mélange  de 
notes  durait  jusqu'à  la  fin  du  verset. 

Bénédict  Pictet  se  trouvait  intimement  lié  avec 
Valentin  Conrarl,  secrétaire  du  roi  de  France.  Le  pas- 
teur genevois  avait  été  maintes  fois  admis  chez  lui  à  ce 
cercle  de  gens  d'esprit,  qui  fut  le  berceau  de  l'Aca- 
démie française.  Conrart  était  protestant;  mais  grâce 
à  une  extrême  réserve,  il  évita  toute  persécution, 
et  se  condamna,  ditBoileau,  «  à  un  prudent  silence.  » 

(Reg.  Conseil.  12  avril  4  695.)  «  Quelques  années 
»  avant  les  malheurs,  disent  nos  registres,  l'Eglise  de 
»  Paris  l'avait  chargé  de  revoir  les  psaumes  et  de  les 
»  mettre  sur  un  pied  conforme  et  accommodé  à  la 
»  pureté  où  le  langage  a  été  amené.  M.  Conrart  tra- 
»  vailla  à  cet  ouvrage  avec  beaucoup  de  succès,  et 
»  comme  Dieu  avait  retiré  ce  poëte  avant  qu'il  eût 
»  terminé  son  ouvrage,  d'autres  personnes,  et  prin- 
»  cipalement  M.  Bénédict  Pictet,  furent  priées  de  ne 
•»  pas  laisser  ce  grand  travail  imparfait;  de  sorte  qu'il 
»  a  été  dès-lors  entièrement  consommé,  en  telle  ma- 
»  nière  qu'il  a  une  approbation  générale.  On  remer- 
»  cie  beaucoup  le  sieur  Sauvin,  avocat  de  Nîmes,  d'a- 
»  voir  aidé  nos  pasteurs  par  son  talent  de  poésie,  et 
»  le  Conseil  engage  fortement  la  Vénérable  Compa- 
»  gnie  à  parachever  cette  œuvre.» 

ni  2 


48 

La  Compagnie,  d'accord  avec  les  pasteurs  réfu- 
giés, approuva  les  travaux  des  auteurs  français  et 
genevois,  et  voulant  mener  tout  à  bien,  elle  chargea 
«  trois  de  ses  membres,  MM.  Pictet,  De  la  Rive  et  Ca- 
lendrin  d'enlever  de  la  nouvelle  version  toutes  les 
phrases  qui  rappellent  trop  les  malédictions  des  Juifs 
contre  leurs  ennemis.  Ce  travail  fut  terminé  en  1 693 .  » 

Ces  nouveaux  chants  religieux  furent  admis  par 
la  Compagnie,  à  l'unanimité  moins  une  voix,  «  et 
»  l'on  aurait  désiré  que  le  Conseil  confirmât  de  suite 
»  cette  réforme,  vu  que  plusieurs  exemplaires  manus- 
crits, répandus  dans  le  public,  étaient  accueillis 
»  avec  une  grande  faveur,  et  une  personne  fort  âgée, 
»  M.  Caze,  voulait  en  acheter  plusieurs  centaines  pour 
»  les  donner  aux  gens  pauvres.  »  Malgré  cette  unani- 
mité, le  Conseil  ne  donna  la  permission  d'imprimer 
les  psaumes  que  le  1er  juin  4  694. 

L  apprentissage  fut  long  et  pénible  :  quatre  années 
suffirent  à  peine  pour  populariser  les  nouveaux  chants; 
mais  enfin,  le  4  octobre  1698,  on  put  les  introduire 
solennellement  dans  tous  les  temples.  Genève  entrete- 
nait d'intimes  relations  avec  toutes  les  églises  protestan- 
tes; aussi  la  Compagnie  désirait-elle  que  cette  grande 
modification  fût  adoptée  dans  les  communautés  de 
langue  française.  M.  Tronchinfut  chargé  d'écrire  une 
lettre  «  prudente  et  respectueuse  »  aux  frères  d'An- 
gleterre, de  Hollande  et  d'Allemagne.  Sur  trente 


19 

Églises  consultées ,  vingt-sept  répondirent  qu'elles 
recevraient  avec  plaisir  les  nouveaux  psaumes  de 
Genève,  rendant  hommage  à  son  zèle  chrétien  pour 
l'amélioration  du  culte.  Une  seule  opposition  vint 
troubler  cette  remarquable  unanimité.  Ce  fut  Jurieu, 
pasteur  en  Hollande.  Ce  théologien,  justement  estimé 
dans  tout  le  monde  protestant,  accueillit  le  nouveau 
psautier  comme  une  déplorable  hérésie  ;  il  écrivit  les 
lettres  les  plus  étranges  contre  la  Compagnie  de  Ge- 
nève. Il  accusa  nos  pasteurs  de  rompre  l'unité  de  l'É- 
glise, d'ouvrir  la  voie  à  de  funestes  changements  dans 
le  culte,  et  plus  tard  dans  la  doctrine1.  La  Compagnie 
répondit  avec  douceur  et  fermeté,  et  si  Jurieu  entraîna 
dans  son  parti  le  synode  des  Églises  vallones,  en  re- 
vanche, l'archevêque  de  Cantorbéry,  Tenysson,  les 
Églises  d'Écosse,  d'Irlande,  de  Francfort,  de  Magde- 
bourg,  de  Berlin,  approuvèrent  Genève,  et  Jurieu 
fut  condamné  dans  toute  la  chrétienté  protestante. 

La  réforme  du  chant  sacré  n'était  pas  complète: 
Bénédict  Pictet,  le  professeur  Calendrin  et  J.-A.  Tur- 
retin  représentèrent  à  la  Compagnie,  le  5  octobre 
1703,  «  qu'il  était  regrettable  de  n'avoir  qu'un  seul 
»  cantique  tiré  du  Nouveau  Testament.  De  nouvelles 
»  hymnes  reproduisant  des  paroles  de  l'Évangile, 
»  offriraient  une  heureuse  innovation.  L'exemple  de 
»  l'Église  luthérienne  est  très-bon  à  suivre.  » 

l.  Reg.  Comp.  30  août,  4  et  18  oct.,  13  déc.  1700.  25  mars  1701. 


20 

La  Compagnie,  appuyée  par  le  Conseil,  chargea 
M.  Bénédict  Pictet  de  composer  ces  hymnes,  et  nom- 
ma, pour  les  examiner,  MM.  Tronchin,  J.-A.  Tur- 
retin,  Calendrin  et  Léger.  (30  mars  1704.) 

Au  bout  de  quelques  mois,  M.  Pictet  présenta 
cinquante-trois  cantiques  qu'il  fit  imprimer;  on  en 
choisit  douze,  et  ce  recueil  obtint  l'approbation  gé- 
nérale1. On  répéta  à  la  Compagnie  qu'il  est  très- 
édifiant  et  très-digne  «  d'une  assemblée  chrétienne 
»  de  chanter  des  cantiques  en  l'honneur  de  Jésus- 
»  Christ,  dans  les  jours  de  communion;  qu'on  désire, 
»  le  plus  tôt  possible,  qu'ils  soient  admis.  »  Après 
six  mois  d'études,  on  fit  un  essai  pour  la  Cène  de 
septembre  1705.  A  la  communion  suivante  de  Noël, 
les  fidèles  étaient  suffisamment  préparés,  et  la  tra- 
duction du  Te  Deum,  «  Béni  soit  à  jamais  le  grand 
Dieu  d'Israël,  »  ainsi  que  le  cantique  «  Faisons  écla- 
ter notre  joie,  »  furent  chantés  avec  une  ferveur  et 
une  émotion  si  profonde,  que  la  Compagnie  et  le 
Conseil  s'adressèrent  mutuellement  de  sérieuses  féli- 
citations touchant  cet  heureux  succès. 

Dès  lors,  toutes  les  Églises  protestantes  qui  mar- 
chaient avec  Genève,  adoptèrent  les  cantiques  de  Bé- 
nédict Pictet.  Depuis  cent  cinquante  ans  ils  édifient 
les  générations  qui  se  succèdent  à  la  table  sainte.  Nos 

1.  Reg.  Comp.  16  janvier,  10  avril,  5  sept.,  27  déc.  1705;  Reg. 
Conseil,  5  oct.  1705. 


21 

ancêtres  les  ont  chantés  dans  les  temps  de  trouble  et 
d'alarme;  ils  les  ont  emportés  dans  l'exil  et  les  ont 
donnés  à  toutes  les  Eglises  restées  debout  après  les 
persécutions  de  Louis  XIV.  Les  martyrs  et  les  con- 
fesseurs oubliés  dans  les  bagnes  les  ont  redits  men- 
talement durant  les  jours  des  fêtes  religieuses;  le  ma- 
lade éloigné  du  temple  les  répète  en  son  cœur  à  l'heure 
du  culte  public,  et  les  paroles  de  ces  hymnes  s'unis- 
sent intimement  aux  meilleurs  souvenirs  des  commu- 
nions de  notre  jeune  âge.  Mais  combien  peu  de  per- 
sonnes aujourd'hui  connaissent  l'auteur  de  ces  chefs- 
d'œuvre  de  poésie  et  de  simplicité  chrétienne  !  Sans 
doute,  dans  son  admirable  modestie,  Bénédict  Pictet 
n'avait  pas  voulu  que  son  nom  prît  place  à  la  tète  de 
ses  cantiques.  Mais,  après  sa  mort,  on  aurait  dû 
combler  cette  lacune,  et  aujourd'hui,  dans  les  nou- 
velles éditions  de  notre  Psautier,  il  serait  juste  de 
rappeler  le  souvenir  de  l'auteur  des  hymnes  chré- 
tiennes de  la  Sainte-Cène,  et  de  rapporter  à  l'un  des 
plus  honorables  chefs  du  clergé  genevois  le  souvenir 
et  le  bénéfice  de  son  œuvre  évangélique. 

Cette  modification  dans  le  culte  devait  être  com- 
plétée par  une  révision  de  la  version  de  la  Bible. 

La  Compagnie  avait  toujours  conservé  la  traduc- 
tion de  Calvin,  comme  livre  officiel.  En  1654,  elle 
s'était  formellement  opposée  à  la  publication  d'une 


22 

nouvelle  traduction  par  Jean  Diodati ,  qui ,  néan- 
moins soutenu  par  le  Conseil,  l'imprima  en  164-5. 

En  1675,  des  libraires  genevois  réimprimèrent 
les  Saints  Livres  «  en  modifiant  les  expressions  in- 
»  convenantes  et  les  mots  déshonnêtes  tolérés  dans  les 
»  temps  antérieurs;  mais  la  Compagnie  ne  put  ap- 
»  prouver  officiellement  ce  travail,  à  cause  des  fautes 
»  et  des  passages  tronqués.»  (Reg.  Comp.  6  avril 
1703.)  Le  Consistoire,  en  1703,  formula  un  vœu 
énergique  pour  obtenir  une  édition  des  Écritures  en 
français  moderne.  «  11  est  à  souhaiter,  disaient  ces  pieux 
»  laïques,  pour  l'honneurde  notrevilleet  pour  engager 
»  davantage  les  particuliers  à  lire  la  Parole  de  Dieu, 
»  qu'on  ait  une  version  de  la  Bible  dont  le  français 
»  soit  plus  pur  que  celui  de  nos  vieilles  traductions.  » 

La  Compagnie  nomma  immédiatement  une  com- 
mission composée  de  MM.  Tronchin-Turretin  et  J.-A. 
Turretin,  Calendrin,  B.  Pictet,  Léger,  Maurice  et 
Butini  fils.  Ces  Messieurs  s'adjoignirent  le  marquis 
Du  Quesne  et  Firmin  Abausit,  qui  se  distinguèrent  par 
leur  zèle  et  leur  science. 

Le  b  septembre  1726  (Reg.  Conseils)  le  Nouveau 
Testament  était  imprimé.  M.  J.-A.  Turretin  le  pré- 
senta aux  magistrats,  qui  en  témoignèrent  leur  vive  sa- 
tisfaction, et  demandèrent  qu'on  s'occupât  activement 
de  l'Ancien.  Vingt  ans  plus  tard,  le  23  décembre 
1746,  le  travail  était  achevé,  et  une  édition  complète 


25 

de  la  Bible  était  livrée  aux  protestants.  Les  pasteurs 
de  Genève  avaient  retranché  les  expressions  vieillies 
et  grossières  admises  dans  les  temps  antérieurs.  L'u- 
sage de  cette  version  fut  universellement  adopté,  et 
le  culte  acquit  ainsi  une  plus  grande  solennité  et  une 
véritable  dignité  chrétienne. 

Catéchisme.  Nous  avons  exposé,  dans  notre  précé- 
dent volume,  l'organisation  de  l'instruction  religieuse 
à  Genève.  Le  catéchisme  de  Calvin  était  appris  par 
tous  les  enfants  du  collège  et  des  écoles  particulières; 
les  régents  en  faisaient  régulièrement  réciter  les  sec- 
tions, et  chaque  dimanche,  les  enfants  rassemblés 
l'après-midi  dans  les  trois  temples,  assistaient  à  un 
culte  où  on  leur  expliquait  les  vérités  chrétiennes  en 
suivant  l'ordre  des  matières  du  Manuel  de  Calvin 
(2  mars  1677).  Parvenus  à  l'âge  de  seize  ans,  les 
jeunes  gens  étaient  soigneusement  examinés  par  les 
pasteurs,  et  l'on  recevait  à  la  Sainte-Cène  ceux  qui 
possédaient  une  instruction  suffisante.  Cette  admis- 
sion formait  une  fête  de  famille;  les  parents  et  les 
amis  rassemblaient  leurs  enfants;  les  pasteurs  adres- 
saient une  exhortation  chaleureuse  aux  nouveaux 
membres  de  l'Église,  et  les  autorisaient  à  participer 
aux  prochaines  solennités. 

Ce  mode  de  vivre  reçut  bientôt  des  développe- 
ments sérieux  et  d'importantes  améliorations.  Vers  le 
milieu  du  dix-septième  siècle,  on  composa  une  révi- 


24 

sion  du  Catéchisme  de  Calvin,  spécialement  adaptée 
au  jeune  âge.  En  16681,  un  pasteur,  Burlamaqui, 
célèbre  par  sa  science,  frappé  du  changement  sur- 
venu dans  la  langue,  publia  un  manuel  d'instruction 
religieuse  pour  les  petits  enfants.  Cet  ouvrage  fut,  au 
premier  abord,  repoussé  par  la  Compagnie,  «  l'ancien 
étant  suffisant;  »  mais  on  revint  bientôt  sur  cette  déter- 
mination. On  permit  la  vente  des  exemplaires,  et  les 
maîtres  d'école  s'empressèrent  d'en  faire  usage. 

Les  institutions  bonnes  pour  un  temps  deviennent 
bientôt  insuffisantes 2  :  l'Église  de  Genève  l'éprouva 
maintes  fois,  et  laissant  de  côté  tout  amour-propre  et 
toute  vanité  d'être  taxée  «  de  tendance  à  la  nouveau- 
té, «elle  voulut  perfectionner  ses  rouages.  En  1677,  le 
syndic  De  la  Rive  fit  un  mûr  examen  de  l'étal  de 
l'instruction  dans  la  ville,  et  présenta  un  remarqua- 
ble rapport.  Il  commence  par  ces  mots  empreints  de 
la  ferveur  religieuse  du  temps:  «Je  vous  propose, 
»  Messieurs,  de  penser  aux  moyens  d'instruire  mieux 
»  le  peuple  en  religion;  il  est  nécessaire  de  le  porter 
»  à  la  piété  et  à  une  sainte  vie ,  afin  de  prévenir  les 
«jugements  de  Dieu,  qui  sont  à  craindre  en  ces 
»  temps  fâcheux .  » 

Le  magistrat  chrétien  veut  absolument  anéantir  un 
esprit  de  routine  qui  ne  s'était  que  trop  emparé  de 

1.  Reg.  Comp.  2  mars  1677;  5  juin  1668. 

2.  Reg.  Cons.  \  février  1677;  Comp.  2,  9  mars  1677. 


25 

l'instruction  religieuse;  il  demande  que  les  pasteurs 
mettent  plus  de  simplicité  dans  leurs  leçons,  et  s'assu- 
rent, par  de  fréquentes  questions,  du  degré  d'intel- 
ligence des  enfants. 

L'ignorance  religieuse  n'étant  que  trop  répandue 
dans  le  peuple,  il  est  nécessaire  que  non-seulement 
les  enfants,  mais  ceux  qui  sont  enfants  par  le  retard 
de  l'instruction,  assistent  au  catéchisme.  Le  magis- 
trat doit  obliger  les  serviteurs,  compagnons,  appren- 
tis, manœuvriers,  artisans,  à  fréquenter  ce  culte. 

Les  interrogations  avant  Pâques  doivent  être  plus 
rigoureuses.  Enfin,  il  faut  que  les  habitants  reçus 
fassent  preuve  d'une  bonne  instruction  en  la  religion 
et  dans  la  vie  chrétienne.  Les  pasteurs  et  les  syndics 
seront  très-sévères  en  leur  témoignage  à  ce  sujet. 

Les  principales  dispositions  de  ce  mémoire  furent 
adoptées  dans  leur  esprit,  sinon  dans  les  mêmes  ter- 
mes, et  six  ans  plus  tard,  la  Compagnie1  voulut  dé- 
velopper encore  mieux  les  idées  réformatrices  du  syn- 
dic De  la  Rive.  Grâce  aux  persécutions  de  Louis  XIV, 
la  population  genevoise  était  grandement  augmentée 
L'instruction  religieuse  paraissant  insuffisante,  on 
propose  d'établir  quatre  catéchistes  qui  se  partage- 
ront la  ville,  et  donneront  les  leçons  dans  les  maisons 
particulières.  Les  pasteurs  doivent  préliminairement 
faire  une  revue  exacte  de  leurs  dizaines,  afin  d'a- 

t.  Reg.  Comp.  19,  31  octobre  1684;  Reg.  Conseil.  24,95. 


26 

vertir  les  catéchistes  de  ceux  qui  auront  le  plus  be- 
soin de  leur  surveillance. 

Chaque  catéchiste  fixera  trois  jours  par  semaine; 
il  prendra  les  heures  les  plus  commodes  au  peuple, 
et  rassemblera  à  ses  instructions  autant  de  familles 
qu'il  jugera  à  propos.  Le  tour  doit  être  fait  en  qua- 
tre mois,  et  recommencer  trois  fois  l'année. 

En  outre,  on  établira  vingt-cinq  maîtresses  d'école 
pour  les  vingt-cinq  dizaines.  Les  particuliers  aisés  paie- 
ront pour  leurs  enfants,  et  les  bourses  publiques  ai- 
deront les  pauvres. 

Un  nouveau  manuel 1  parut  nécessaire  ;  on  adopta 
définitivement  le  catéchisme  de  Dumoulin,  qui  était 
employé  par  quelques  personnes  depuis  4  680. 

Règlement  de  1709.  Durant  trente  années  cette 
excellente  organisation  fonctionna  et  fut  un  témoi 
gnage  de  l'esprit  religieux  et  progressif  de  l'Église  de 
Genève.  Mais  le  temps  marchait,  les  formulaires  nou- 
veaux s'imprimaient;  à  Burlamaqui  et  Dumoulin  se 
joignirent  Drelincourt  et  Ostervald,  et  si  le  catéchisme 
de  Calvin  fut  conservé  dans  les  cultes,  au  temple,  les 
ministres  et  les  vingt-cinq  instituteurs  des  écoles  de 
dizaine  employaient  les  nouveaux  manuels.  Quelques 
personnes  se  plaignirent  au  Consistoire,  trouvant  cette 
bigarrure  fâcheuse,  et  proposèrent1  «  de  ne  pas  lais- 

1.  Reg.  Comp.  23  janvier  i680. 

2.  Reg.  Consist.  27  juin  1709. 


27 

»  ser  à  la  liberté  des  maîtres  et  maîtresses  d'école 
»  d'employer  tels  catéchismes  que  bon  leur  semble, 
»  mais  d'en  avoir  un  dont  tous  fussent  obligés  de  se 
»  servir.  » 

Le  Consistoire  répondit  :  «  Comme  il  y  a  plu- 
»  sieurs  catéchismes  approuvés,  les  pasteurs  des  di- 
»  zaines  indiqueront  aux  maîtres  et  maîtresses  d'école 
»  qui  sont  sous  leur  direction,  ceux  dont  ils  doivent 
»  faire  usage.  » 

Cette  consécration  de  la  liberté  d  instruction  reli- 
gieuse fut  suivie  de  nouveaux  progrès1. 

La  Compagnie,  après  un  mûr  examen,  se  décida 
à  rendre  plus  solennelle  l'admission  des  catéchumè- 
nes à  la  participation  à  la  Satnte-Cène,  et  dans  ce 
but  elle  fonda  une  cérémonie  collective  et  publique 
précédant  la  communion.  Cette  question  fut  mise  à 
l'étude  pendant  deux  années,  et  la  première  réception 
eut  lieu  le  mardi  14  décembre  1724 ,  avant  la  com- 
munion de  Noël.  En  ce  jour,  le  formulaire  d'admis- 
sion, composé  par  J. -A.  Turretin,  fut  prononcé  avant 
le  sermon,  et  le  moment  où,  pour  la  première  fois, 
tous  les  catéchumènes  s'inclinèrent  ensemble  pour 
prendre  l'engagement  de  vivre  et  mourir  en  chrétiens, 
fît  battre  tous  les  cœurs  d'une  puissante  et  religieuse 
émotion 1 . 

1.  Reg.  Comp.  24  mars  1719;  14  décembre  1721. 

2.  Néanmoins,  pour  des  raisons  non  énoncées,  on  se  borna  à  cette 
première  cérémonie  et  l'affaire  fut  reprise  en  1734. 


28 

Cinq  ans  plus  lard1,  l'assemblée  académique  de- 
manda la  révision  du  catéchisme  de  Calvin,  «  qu'on 
»  fait  apprendre  dans  toutes  les  classes  du  collège,  et 
»  qui  n'est  plus  intelligible  pour  les  enfants.  Elle  in- 
»  siste  pour  qu'on  en  adopte  un  autre.  » 

La  Compagnie  propose  de  revoir  le  style,  de  re- 
trancher les  choses  inutiles,  comme  les  grands  détails 
sur  les  sacrements,  et  d'ajouter  des  sections  de  mo- 
rale qui  n'y  sont  pas.  Nous  n'avons  pas  pu  trouver 
la  trace  de  la  réalisation  de  ce  projet. 

\  736.  Nous  arrivons2  à  l'une  des  phases  les  plus 
intéressantes  de  notre  Église  genevoise,  la  fondation 
de  la  Société  des  Catéchumènes.  La  première  idée  en 
est  énoncée  avec  autant  de  piété  que  de  modestie  par 
MM.  Vemet,  De  la  Rive  et  P.  Picot.  Us  prient  le  syndic 
Bonnet  de  rapporter  au  Conseil  que  des  personnes  pieu- 
ses s'apercevant  que  notre  peuple  n'est  pas  instruitdans 
la  religion,  comme  il  serait  à  souhaiter,  se  proposent 
de  travailler  à  mettre  cette  instruction  sur  un  meilleur 
pied;  elles  considèrent  surtout  les  catéchumènes  les 
moins  aisés,  et  désirent  leur  procurer  un  cours  plus 
complet,  plus  approfondi,  surtout  sous  le  rapport  de 
la  morale,  dont  les  détails  si  importants  sont  négligés 
par  les  maîtres  ordinaires. 

1.  Reg.  Comp.  12  avril  1726. 

2.  Reg.  Comp.  10  août  1736;  Reg.  Conseil,  14  mai,  9  juillet,  17  août 
1736;  Reg.  Comp.  31  août  1736. 


29 

La  Société,  pour  faciliter  l'instruction  de  la  jeu- 
nesse, fut  composée  de  toutes  les  personnes 1  qui,  pour 
ce  bon  dessein,  donneraient  au  moins  cinq  écus  par 
an,  pendant  dix  ans2.  Son  comité  se  forma  de  douze 
citoyens  renouvelés  au  bout  de  trois  ans.  La  Société 
établit,  dès  l'abord,  deux  classes  de  catéchumènes, 
elle  adopta  pour  manuel  le  catéchismed'Oslervald,  mo- 
difié d'après  le  consentement  de  l'auteur;  elle  nomma 
deux  catéchistes0,  qui  donnèrent  chacun  six  leçons 
par  semaine.  Le  succès  fut  grand;  la  classe  de  la  ville 
compta  44-6  élèves;  celle  de  Sainl-Gervais  atteignit 
la  centaine  ;  mais  le  nombre  des  élèves  augmenta  si 

1.  Liste  des  Fondateurs  de  la  Société  dbs  Catéchumknbs  : 
Magistrats  :  P. -F.  Bonnet,  syndic,  1050  florins  par  an.  —  H.-B.  de  la 

Rive,  conseiller,  1050.  —  Leclerc,  conseiller,  1050.  —  F.  Caille,  audi- 
teur, 525.  —  Galiffe,  auditeur,  630. 

Ministres  :  J.-Alph.  Turretin,  professeur,  1050  florins  par  an.  —  Mau- 
rice, professeur,  1050.  —  Vial,  pasteur,  1050.  —  De  la  Rive,  profes- 
seur, 1050.  —  Sarrasin  aîné,  pasteur,  630.  —  Lullin,  pasteur,  1050.  — 
Mallet,  pasteur,  630.  —  Vernet,  pasteur,  525.  —  Sarrasin  jeune,  pas- 
teur, 630.  —  Claparède,  pasteur,  1050.  —  J.  Rilliet,  pasteur,  525. 

Particuliers  :  Pierre  Picot,  1050  florins  par  an.  —  Julian  Dombre,  1050. 

—  Plantamour,  1050.  —  Jacques  Delerme,  1050.  —  J.-L.  Sabot,  1050. 

—  Paul  Gaussen,  525.  —  Louis  Picot,  525.  —  F.-B.  Pache,  525.  —  J.-J. 
Détournes,  525.  —  Perreaut,  1050.  —  Burlamaqui,  professeur,  630.  — 
Samuel  Rilliet,  525.  —  Perronet  Des  Franches,  1050.  —  Geramer,  pro- 
fesseur, 787.  —  J.-L.  Calandrini,  professeur,  630.  —  Jacques  Lespiault, 
525.  —  Pierre  de  la  Roche,  787.  —  Jean-Antoine  Pelissari,  525.  — 
Pierre  Boissier,  1050.  —  Jean-Jacques  Dejean,  525.  —  François  Tar- 
dieu,  787. 

La  liste  est  close  le  27  août  1736. 

Le  Registre  porte  en  N.  B.  :  «  On  ne  nomme  pas  ici  les  personnes  qui 
ont  voulu  que  leurs  libéralités  fussent  secrètes.  » 

2.  Reg.  Comp.  14  septembre,  23  novembre  1736. 

3.  Reg.  Comp.  19  avril,  14  juin  1734. 


30 

rapidement  dans  ce  quartier,  que  cinq  mois  plus 
tard  l'on  nomma  M.  Sacirère  comme  troisième  ca- 
téchiste. 

Le  Conseil  voulut  donner  une  solennelle  approba- 
tion à  cette  Société  :  il  publia  une  adresse  au  peuple, 
où  il  développa1,  avec  une  religieuse  conviction,  les 
bienfaits  de  l'instruction  littéraire  et  chrétienne  pour 
toutes  les  classes  de  la  société.  Il  encouragea  la  nou- 
velle association  à  fonder  des  écoles  primaires  pour 
l'enfance.  Ce  vœu  fut  entendu  :  la  Société  des  Caté- 
chumènes organisa  des  classes  destinées  aux  enfants 
qui  ne  suivraient  pas  le  collège.  Dès-lors  l'instruction 
primaire,  sous  les  auspices  de  celte  association  aussi 
modeste  que  dévouée,  suivit  à  Genève  une  marche 
normale.  Les  écoles  furent  fréquentées  régulièrement 
au  travers  même  des  révolutions  et  dans  les  années  de 
la  conquête  française.  Cette  Société,  constamment  re- 
nouvelée, ennemie  de  la  routine,  étudiait  et  mettait 
en  pratique  les  nouvelles  méthodes,  aussitôt  qu'elles 
paraissaient  fructueuses. 

Elle  a  bien  mérité  de  la  patrie  durant  les  cent  dix 
années  de  son  existence2. 

L'instruction  religieuse  étant  ainsi  organisée,  laCom- 

1.  Reg.  Cons.  2  mars  1739. 

2.  Lorsqn'en  1846,  le  gouvernement  a  jugé  à  propos  d'enlever  à  ce 
corps  ses  fonds  et  l'administration  de  l'instruction  primaire  pour  la 
concentrer  aux  mains  de  l'Etat,  il  eut  été  conforme  aux  plus  simples 
notions  de  l'équité  et  des  convenances  de  rendre  témoignage,  après 


34 

pagnie  voulut  lui  assigner  un  dernier  perfectionnement 
en  adoptant  la  réception  publique  des  catéchumènes 
à  la  Sainte-Cène 1 .  On  résolut  de  faire  cette  cérémonie 
à  Saint-Pierre  et  à  Saint-Gervais,  quatre  fois  par  an, 
les  mardis  et  les  jeudis  qui  précèdent  les  grandes  com- 
munions. Ces  quatre  réceptions  annuelles  eurent  lieu 
jusqu'en  1185.  En  cette  année,  on  abolit  la  cérémo- 
nie de  Noël  et  la  confirmation  de  Pentecôte,  et  dès- 
lors  ces  réceptions  ont  eu  lieu  à  Pâques  et  en  sep- 
tembre2. 

Le  nombre  des  catéchumènes  a  peu  varié  depuis 
l'institution  actuelle.  La  ville  comptait  16,000  âmes 
avant  la  Révocation.  Ce  chiffre  s'éleva  à  20,000  du- 
rant le  dix-huitième  siècle.  Voici  le  chiffre  des  caté- 
chumènes à  diverses  dates.  En  1757,  300; en  1760, 
335;  en  1794,  514;  en  1810,  335;  en  1823, 
439;  en  1860,  360  ou  423  avec  la  banlieue3. 

Durant  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle, 
en  17704,  on  s'occupait  sérieusement  de  la  réorga- 
nisation du  culte  :  M.  Vernet  publia  un  remarquable 

l'avoir  supprimé,  aux  services  rendus  par  cette  antique  association  ;  en 
particulier  les  nombreux  Genevois  qui  lui  devaient  leur  instruction 
gratuite  auraient  pu  descendre  en  leur  conscience  et  ne  pas  oublier 
les  soins  qu'avaient  pris  de  leur  enfance  ces  citoyens  aussi  zélés  que 
désintéressés. 

1.  Reg.  Comp.  31  mai  1737  ;  Reg.  Conseil  2  mars  1739. 

2.  Reg.  de  la  Société,  1785,  1786. 

3.  Mémoire  sur  la  révision  du  culte. 

4.  Reg.  Comp.  2  fév.  1770. 


32 

mémoire;  il  proposa  de  remplacer  le  catéchisme  de 
Calvin  par  celui  d'Ostervald,  et  voici  ses  motifs:  «  Il 
»  est  temps  d'avoir  un  autre  catéchisme;  celui  de 
»  Calvin  se  ressent  trop  d'avoir  été  composé  à  la  hâte, 
»  et  relativement  à  des  controverses  plus  agitées  que 
»  de  nos  jours.  Tout  le  monde  s'accorde  à  le  trouver 
»  obscur  et  très-défectueux.  Il  n'y  a  plus  ni  père,  ni 
»  précepteur  qui  s'en  servent;  les  écoliers  qu'on  oblige 
»  de  l'apprendre  le  font  pour  la  forme,  et  souvent  sans 
»  le  comprendre.  On  avait  une  raison  de  le  garder 
»  dans  le  siècle  dernier,  pour  conserver  la  conformité 
»  avec  les  Églises  de  France;  mais  ce  qui  reste  au- 
jourd'hui d'Eglises  réformées  en  France,  n'en  font 
»  plus  d'usage.  On  pourrait  le  remplacer  par  le  ca- 
»  téchisme  d'Ostervald,  tout  autrement  clair  et  com- 
»  plet,  approuvé  depuis  plus  de  quarante  ans.  On 
»  s'en  sert  communément  dans  nos  familles,  dans  les 
»  églises  de  campagne,  dans  notre  collège  de  la  So- 
»  ciété  des  catéchumènes.  Qu'attendons-nous  pour  le 
»  porter  dans  les  temples  ?  » 

On  recula  devant  cette  moditication,  vu  que  le 
serment  des  minstres  portait  depuis  4  706  :  «  Vous  pro- 
mettez d'enseigner  la  doctrine  chrétienne  contenue 
dans  les  Saintes-Écritures,  et  dont  nous  avons  un  som- 
maire dans  le  catéchisme» .  Vernet  répondait:  «  Quel- 
que autorité  qu'on  ait  donnée  à  ce  livre,  cela  ne  peut 
pas  aller  jusqu'à  l'envisager  comme  règle  de  foi.  Rien 


33 

n'empêche  de  transférer  cette  autorité  à  un  autre  ca- 
téchisme. » 

La  délibération  n'eut  pas  de  suite;  elle  fut  reprise 
en  1787  *•;  on  proposa  de  faire  un  grand  et  un  petit 
catéchisme,  d'après  Ostervald,  en  conservant  toute- 
fois dans  les  temples  le  Manuel  de  Calvin. 

Cela  fut  adopté ,  et  le  nouveau  Manuel  fut  imprimé 
en  17882.  La  même  année,  M.  Vernet  publia  un 
catéchisme,  qui  fut  grandement  approuvé  par  les 
Genevois.  Cet  ouvrage  était  basé  sur  le  désir  de  rallier 
les  chrétiens  autour  de  quelques  points  fondamentaux 
reconnus  par  tous  les  fidèles:  Dieu  Créateur,  Provi- 
dence, Jésus  fils  de  Dieu,  Rédemption,  Résurrection, 
don  du  Saint-Esprit3. 

Les  Genevois  ont  toujours  mis  une  grande  impor- 
tance à  l'instruction  religieuse;  une  seule  période 
offre  une  triste  lacune:  c'est  l'année  1785  \  où,  à  la 
suite  des  révolutions  et  sous  l'influence  d'une  détes- 
table littérature,  plusieurs  jeunes  gens  ne  se  firent  pas 
instruire  pour  la  communion.  Il  fut  question  de  les  y 
obliger,  sous  peine  de  ne  pas  être  membres  du  Con- 
seil général;  on  y  renonça;  mais  une  sévère  surveil- 
lance diminua  le  mal ,  et  durant  la  fin  du  siècle  et 
pendant  les  temps  les  plus  orageux  de  la  révolution, 

1.  Reg.  Comp.  16  mars  1787. 

2.  Reg.  Comp.  12  juin  1788. 

3.  Pièces  justificatives. 

4.  Reg.  Conseil,  21  mars  1785. 

m.  3 


34 

les  classes  des  catéchumènes  furent  au  grand  complet. 
Voire  même  l'année  1794  offre  514  catéchumènes, 
le  chiffre  le  plus  élevé  des  réceptions  durant  cent  cin- 
quante ans.  Le  catéchisme  de  la  Madeleine,  fait  par 
M.  Martin  Rey,  présentait  constamment  une  assem- 
blée compacte  et  aussi  nombreuse  que  ce  vaste  temple 
pouvait  la  contenir. 

En  1805,  M.  Duby  déclare  que  le  peuple  mettant 
plus  d'intérêt  aux  catéchismes  qu'aux  sermons,  il  en 
faut  un  de  plus. 

Nous  devons  offrir  maintenant  à  nos  lecteurs  gene- 
vois l'exposé  rapide  des  modifications  que  les  heures 
de  notre  culte  ont  subies  depuis  la  Réformation  jus- 
qu'en 1815  \ 

L'évêque  Vergerio  disait  en  1557  :  «  Ils  sont  à 
Genève  sept  ministres,  qui  donnent  entre  eux  dix 
heures  de  prédication,  et  deux  ou  trois  chaque  jour 
de  la  semaine2.  » 

Cette  définition  est  exacte;  car,  depuis  la  Réfor- 
mation jusqu'en  1694-,  il  y  eut  neuf  prédications  ou 
catéchismes  le  dimanche,  et  quatorze  sermons  les 
jours  sur  semaine3. 

Cette  multiplicité  des  «  actions  »  du  culte  public 

1.  Tableau.  Pièces  justificatives. 
2   Grand  mémoire,  1770. 

3.  Ces  prédications  étaient  réparties  entre  8  pasteurs  desservant 
comme  suit  les  trois  églises  :  Saint-Pierre,  3,  dont  un  catholique  ;  Ma- 
deleine ;  2,  Saint-Gervais,  3. 


35 

était  nécessaire.  Le  peuple,  auparavant  sevré  de 
toute  instruction  religieuse  et  de  toute  explication 
rationnelle  de  la  Parole  de  Dieu,  avait  besoin  qu'on 
la  lui  expliquât  journellement.  Les  illettrés,  si 
nombreux  au  seizième  siècle,  trouvaient  unique- 
ment dans  les  temples  l'élément  nécessaire  à  leur 
piété,  et  la  foule  se  portait  chaque  jour  aux  offices 
divins. 

La  première  modification  proposée 1  fut  de  changer 
l'heure  matinale  de  quelques  services.  En  1634.,  on 
mit  le  premier  sermon  à  sept  heures.  Bientôt  les  con- 
seillers se  plaignirent  de  ce  changement,  «  qui  leur 
ôtait  la  douceur  »  d'assister  à  ce  culte,  vu  l'heure  de 
leurs  séances,  et  ils  exigèrent  «  que  les  prières  et  le 
»  discours  ne  tinssent  pas  plus  d'une  demi-heure  en 
»  tout.  »  La  Compagnie  ne  voulut  pas  céder;  elle  ré- 
duisit l'action  à  trois  quarts  d'heure,  «  ce  qui  est  tout 
»  ce  qu'elle  peut  faire,  vu  le  grand  nombre  de  per- 
»  sonnes  qui  viennent  à  ces  sermons  depuis  qu'ils  sont 
»  à  sept  heures  en  hiver2.  » 

Vers  la  fin  du  siècle 3  on  désirait  de  sérieuses  modi- 
fications ecclésiastiques.  En  1694,  le  Conseil  chargea 
une  commission  d'aviser  à  la  diminution  du  nombre 
des  sermons.  Une  délibération  solennelle4  de  la  Com- 

1.  Reg.  Comp.  2  mai  163*. 
2  Reg.  12  janvier  1638. 

3.  Reg.  Comp.  16  février  1694,  4  mai. 

4,  Reg.  Cons.  1  décembre  1694. 


36 

pagnie  examina  la  proposition  et  nous  fournit  la 
peinture  exacte  de  l'esprit  du  temps. 

Ceux  qui  repoussent  le  changement  des  cultes  éta- 
blis disent  qu'une  diminution  de  sermons  fera  parler 
d'une  manière  odieuse  contre  les  pasteurs;  on  trouve 
que  les  sermons  de  la  semaine,  fixés  à  une  demi- 
heure,  sont  déjà  un  soulagement  suffisant.  «  En  ces 
temps  de  misères  et  de  calamités  où  nous  nous  trouvons 
encore,  avec  la  foule  de  réfugiés  qui  sont  au  milieu 
de  nous  et  se  montrent  affamés  de  la  Parole  de  Dieu, 
il  y  aurait  scandale  à  ce  retranchement.  Nous  deman- 
dons surtout  qu'on  n'enlève  pas  les  services  de  la 
Madeleine  et  de  Saint-Gervais,  vu  qu'un  grand  nom- 
bre de  bonnes  âmes  et  de  proscrits,  à  cause  de  leur 
vieillesse  et  de  leurs  souffrances,  ne  peuvent  aller  à 
Saint-Pierre  depuis  le  faubourg.  » 

«  Enfin,  lorsque  des  temps  meilleurs  seront  venus, 
les  pasteurs  qui  ne  peuvent  vivre  avec  leurs  gages 
actuels  seront  mal  venus  à  demander  une  augmen- 
tation. » 

Les  partisans  du  retranchement  des  heures  de  culte 
objectaient  que  l'instruction  s'étant  répandue  dans 
toutes  les  classes,  et  la  religion  étant  bien  établie,  la 
controverse  paraissait  moins  nécessaire  qu'au  temps 
de  la  Réforme,  et  que  cette  multitude  de  sermons 
dans  tous  les  temples,  à  la  même  heure,  n'était  plus 
si  nécessaire.  Les  pasteurs,  disaient-ils,  sont  tellement 


37 

chargés,  qu'ils  ne  peuvent  méditer  convenablement 
leurs  sermons,  et  quoique  jeunes  encore,  ils  se  trou- 
vent épuisés  par  de  fréquentes  maladies,  et  les  pères 
de  famille,  témoins  de  ces  fâcheuses  conséquences, 
détournent  leurs  enfants  d'entrer  au  ministère.  Enfin, 
ceux  qui  blâmeront  les  pasteurs,  sont  les  gens  qui  ne 
viennent  pas  à  l'Église  par  indifférence  ou  méchante 
volonté.  Du  reste,  le  nombre  des  services  ne  sera  pas 
diminué;  les  sermons  de  la  semaine  seront  remplacés 
par  des  cultes  composés  d'une  lecture  d'un  chapitre 
accompagné  d'une  prière  de  méditation.  Cet  essai  de 
prières  improvisées  après  la  lecture  d'un  chapitre  de 
la  Bible  ne  réussit  pas  dans  les  cultes  de  la  semaine. 
La  forme  d'invocation  était  mal  choisie  pour  résumer 
les  vérités  contenues  dans  les  pages  des  Saints  Livres. 
Bénédict  Pictet  et  J.-A.  Turretin  proposèrent  de  faire 
suivre  la  lecture  d'une  brève  explication,  puis  déter- 
miner le  service  par  une  prière  écrite.  La  Compagnie 
goûta  cet  avis,  et  ces  messieurs  composèrent  des 
prières  générales  pour  chaque  culte  hebdomadaire.  Le 
peuple  se  montra  satisfait  de  ce  changement,  et  ces 
prières,  avec  quelques  légères  modifications,  sont  en- 
core usitées  de  nos  jours  dans  l'Église  genevoise. 

J.-A.  Turretin  était  pénétré  de  la  nécessité  d'expli- 
quer fréqemment  et  avec  une  noble  simplicité  la  Pa- 
role sainte  aux  fidèles  ;  dans  ce  but,  il  fit  remplacer 

1.  Pièces  just.,  tableau  3. 


38 

par  des  paraphrases  évangéliques,  les  sermons  de 
cinq  heures  et  de  sept  heures  du  matin. 

Temple  Neuf.  À  cette  époque,  la  population  fixe 
delà  ville  s'élant  portée  de  16,000  à  20,000  âmes, 
par  suite  de  rétablissement  des  réfugiés  de  l'Édit  de 
Nantes,  les  temples  se  trouvèrent  insuffisants,  et  la 
réouverture  de  Saint-Germain  ne  répondait  pas  aux 
besoins  de  la  foule  toujours  empressée.  Un  citoyen, 
dont  la  famille  avait  toujours  marqué  par  son  zèle 
pour  l'Église,  le  syndic  Lullin,  avait,  en  4  713,  légué 
50,000  florins  pour  bâtir  un  nouveau  temple1.  Les 
intérêts  de  ce  legs,  en  attendant  que  la  construction 
projetée  pût  avoir  lieu,  devaient  servir  à  soulager  les 
étudiants  en  théologie,  trop  pauvres  pour  achever 
leurs  études.  Les  fondements  de  ce  temple  furent  po- 
sés le  16  novembre  1 7 1 3 2,  et  le  peuple  félicita  les 
Conseils  et  la  Compagnie  du  bien  que  causerait  à 
l'Église  ce  nouveau  lieu  de  culte.  Les  entrepreneurs, 
dirigés  par  l'architecte,  M.  Venue,  mirent  une  telle 
ardeur  à  leurs  travaux,  que  vingt  mois  plus  tard,  le 
15  août  1715,  Bénédict  Pictet  «  rapporte  que  le 
»  temple  est  presque  achevé,  et  que  tout  le  monde 
»  demande  quand  on  commencera  le  service  divin.  » 

Le  Conseil  décide  que  l'inauguration  aura  lieu  le 


1.  Reg.  Comp.  7  sept.,  13  oct.  1713;  5janv.,  9  fév.  1714;  15  août, 
19  décembre  1715. 

2.  Reg.  Cou».  23  janvier  1714;  16  décembre  1715. 


39 

15  décembre  174  5,  et  il  prie  Bénédict  Pictet  de 
faire  cette  cérémonie  en  prononçant  le  premier  ser- 
mon. Le  vénérable  prédicateur,  quoique  brisé  par  les 
infirmités  et  les  épreuves,  retrouva  son  ancienne  éner- 
gie pour  bénir  ce  temple  élevé  par  les  soins  de  son 
meilleur  ami,  et  cette  cérémonie  solennelle  laissa 
une  profonde  impression  dans  la  mémoire  de  la 
foule  qui  encombrait  le  sanctuaire. 

Nous  ne  dirons  pas  que  les  républiques  sont  in- 
grates, mais  certainement  elles  sont  oublieuses.  Qui 
d'entre  les  Genevois  d'aujourd'hui  songerait  à  asso- 
cier le  nom  de  la  famille  Lullin  à  l'édification  du  Tem- 
ple Neuf? 

Saint- Pierre.  Quelques  années  plus  tard  -  ,  la  cathé- 
drale de  Saint-Pierre  menaçait  ruine:  le  côté  du  nord, 
el  surtout  la  vieille  et  informe  façade,  présentaient  de 
larges  fissures,  et  lorsque  les  grandes  cloches  son- 
naient à  toute  volée,  les  débris  qui  se  détachaient  des 
murailles  inspiraient  de  sérieuses  inquiétudes2. 

Il  fallait  réparer  le  plus  promptement  possible  cet 
état  de  choses3.  Un  plan  de  restauration  pour  la  fa- 
çade fut  proposé  par  M.  Calendrin;  le  défaut  de 
cette  conception  était  de  trop  multiplier  les  colonnes. 
On  profita  du  séjour  momentané  que  faisait  à  Genève 

1.  Reg.  Cons.  1  fév.  1749.  30  oct.  1750,  13  août  1751,  28  sept.  1756. 

2.  Reg.  Comp.  13  août  1751. 

3.  Mémoire  de  M.  Ed.  Mallet,  Album  delà  Suisse  Romane,  tome  II. 


40 

le  marquis  Àltieri,  oncle  du  célèbre  poète.  Cet  homme 
avait  le  génie  des  proportions  et  des  grandes  choses  ; 
il  dessina  une  majestueuse  colonnade  en  granit,  et 
réussit  à  faire  un  monument  dont  l'ensemble  et  les 
proportions  frappent  d'admiration  même  lorsqu'on  a 
contemplé  les  plus  vastes  édifices  de  l'Europe  mo- 
derne. 

Le  plan  était  magnifique;  mais  la  dépense  s  élevait 
à  120,000  livres  courantes,  et  l'État  ne  voulait  point 
faire  de  dettes.  Les  ressources  étaient  problémati- 
ques. Le  loyer  des  places  dans  l'Auditoire  et  dans 
Saint-Pierre  devait  produire  59,000  livres;  pour  le 
reste,  le  Conseil  espérait  une  manifestation  sérieuse 
de  la  libéralité  chrétienne  des  Genevois.  Si  cet  élé- 
ment ne  répondait  pas  à  son  attente,  il  voulait  frap- 
per d'un  impôt  le  tabac  et  les  cartes  à  jouer,  jusqu'à 
la  concurrence  de  80,000  livres. 

L'idée  d'employer  à  la  construction  d'un  temple 
une  semblable  taxe  peut  paraître  fort  peu  naturelle 
chez  des  magistrats  aussi  sérieux  que  les  chefs  du 
gouvernement  de  174-1.  Il  y  avait  là  peut-être  un 
calcul  secret  pour  stimuler  le  zèle  des  citoyens.  Quoi 
qu'il  en  soit,  Genève  montra  que  si  elle  savait  donner 
sans  compter  pour  les  infortunes  lointaines,  ses  en- 
fants ne  négligeaient  pas  leurs  intérêts  nationaux. 
Deux  personnes,  Mme  Mallet  et  le  syndic  Rilliet,  im- 
primèrent une  vigoureuse  impulsion  à  la  souscription 


de  Saint-Pierre  en  remettant  chacun  4000  livres 
courantes.  Le  15  août  1751,  la  Compagnie  adressa 
aux  fidèles  une  chaleureuse  allocution  du  haut  de  la 
chaire.  Ses  paroles  furent  entendues  le  jour  du  Jeûne. 
5  septembre.  Les  pasteurs  purent  remercier  le  peu- 
ple de  ce  que  les  offrandes  arrivaient  de  toute  part. 
Enfin,  le  jour  de  l'Escalade,  les  pasteurs  annoncent 
avec  une  profonde  émotion  que  toutes  les  espérances 
sont  dépassées,  que  trois  mois  ont  suffi  pour  recueillir 
116,000  livres! 

Ce  qui  rend  cette  somme  précieuse,  ajoute  la  pro- 
clamation, «  c'est  qu'elle  est  produite  non-seulement 
»  par  les  souscriptions  élevées  des  personnes  riches, 
»  mais  par  une  multitude  d'offrandes  minimes  témoi- 
»  gnant  du  zèle  de  tous  les  protestants  genevois.  » 

Six  ans  plus  tard,  l'ouvrage  était  terminé,  et  le 
5  décembre  1756  le  culte  recommençait  dans  la  ca- 
thédrale genevoise.  MM.  De  la  Rive  et  Sarasin  firent 
les  services  d'inauguration:  un  repas  réunit  les  con- 
seillers et  les  pasteurs,  et  fut  terminé  par  les  vœux 
les  plus  ardents  pour  la  prospérité  de  l'Église  et  de 
l'État. 

La  consécration  de  ces  deux  temples  augmenta 
beaucoup  le  nombre  des  services  religieux  :  les  qua- 
torze pasteurs  de  Genève  durent  célébrer  1 800  actes 
de  cultes  sur  lesquels  154.  prières  liturgiques,  et 
1072  sermons  écrits.  Chaque  prédicateur  composait 


42 

75  discours  et  montait  en  chaire  150  fois  par  an1. 

Cet  ordre  de  choses  dura  jusqu'en  1786.  En  celte 
année,  les  Conseils  réduisirent  le  nombre  des  cultes 
à  1714-,  ainsi  divisés:  592  sermons,  112  catéchis- 
mes, 1010  prières  liturgiques.  L'Église  de  Genève 
conserva  ces  services  religieux  à  peu  près  sans  mo- 
dification jusqu'en  1815. 

Fêtes  religieuses.  La  célébration  de  la  Sainte-Cène 
subit  de  sérieuses  modifications  légitimées  par  la  mar- 
che des  temps.  Calvin  avait  établi  cette  cérémonie 
en  ces  termes  :  «  1°  Avant  la  Sainte-Cène,  on  la  dé- 
»  nonce  au  peuple,  afin  que  chacun  se  prépare  à  la 
»  recevoir  dignement 1  ;  2°  qu'on  n'y  présente  point 
»  les  enfants,  à  moins  qu'ils  ne  soient  bien  instruits; 
»  3°  s'il  y  a  des  étrangers  qui  soient  encore  rudes  et 
»  ignorants,  qu'ils  viennent  se  présenter  pour  qu'ils 
»  soient  reçus  en  particulier.  Le  jour  qu'on  la  fait, 
»  le  ministre  en  touchera  à  la  fin  du  sermon,  ou  bien 
»  si  métier  est,  en  fait  le  sermon  entièrement  pour 
»  exposer  au  peuple  ce  que  noire  Seigneur  veut  dire 
»  et  signifier  par  ce  mystère,  el  en  quelle  sorte  il 
»  nous  faut  le  retenir.  » 

Le  dimanche  où  se  célébrait  la  Cène,  après  les  priè- 
res ordinaires,  on  ajoutait  une  collecte,  soit  invocation 
spéciale,  puis  le  pasteur  prononçait  la  liturgie  de  la 

1.  Reg.  Comp.  grand  Mémoire,  1770. 

2.  Liturgie  de  Calvin. 


43 

Sainte-Cène.  Durant  la  communion,  le  proposant  li- 
sait des  chapitres  de  l'Écriture,  entremêlés  de  ver- 
sets de  psaumes.  La  liturgie  est  simple;  elle  expli- 
que en  termes  précis  la  nature  de  la  communion, 
l'assurance  du  salut  ,  le  pardon  accordé  à  celui  qui 
participe  spirituellement  à  la  cérémonie. 

«  Après  la  célébration,  on  faisait  une  exhortation 
serrée  pour  faire  comprendre  au  peuple  les  raisons 
qu'on  avait  eues  de  renoncer  au  sacrement  romain.  » 
Celte  liturgie  des  réformateurs  reçut  dans  sa  forme  et 
son  contenu  de  sérieuses  modifications1.  Au  commen- 
cement du  dix-huitième  siècle  on  abolit  l'exhortation 
concernant  le  culte  catholique.  On  traduisit  presque 
littéralement,  dans  la  langue  purifiée,  l'exposition  du 
dogme,  et  l'on  abrégea  considérablement  la  prière  de 
la  fin  du  sermon;  enfin,  l'on  chanta  les  cantiques  de 
Bénédict  Pictet,  à  la  place  des  psaumes.  En  1789  et 
18(H,  un  changement  essentiel  fut  fait  à  la  formule 
d'excommunication  :  l'ancienne  liturgie  contenait  ré- 
munération de  tous  les  péchés  qui  peuvent  éloigner 
de  la  Sainte-Cène ,  et  mettait  sur  le  même  pied  des 
fautes  qui  n'ont  évidemment  point  la  même  impor- 
tance morale.  Le  clergé  genevois  fil  une  réduction 
sérieuse,  et  l'on  se  borna  à  énumérer  les  vices  les 
plus  graves.  Pour  nous,  nous  allons  plus  loin,  et 
nous  demanderons  qu'on  ne  prononce,  à  l'avenir, 

1.  Reg.  Comp.  25janv.  1709, 15mars  1711,  25  janv.  1715,  20oct.  1705. 


que  l'exclusion  des  impies  et  des  pécheurs  endurcis.  » 

A  la  même  époque  on  abolit  également  la  Doxo- 
logie  de  Calvin,  qui  terminait  le  culte  par  ces  mots  : 
«  Jésus,  ton  fils,  qui  est  l'unité  du  Saint-Esprit,  vit 
et  règne  avec  toi ,  Dieu  béni  éternellement.  »  Elle 
fut  remplacée  par  :  «  Jésus-Christ  auquel ,  comme  à 
toi ,  Père  céleste  et  au  Saint-Esprit,  soient  honneur 
et  gloire.  » 

Calvin,  de  concert  avec  l'Église  protestante  fran- 
çaise, établit  que  la  Sainte-Cène  serait  célébrée  qua- 
tre fois  Tan  :  les  jours  de  Pâques  et  de  Pentecôte,  le 
premier  dimanche  de  septembre  et  le  dimanche  pré- 
cédant le  jour  de  Noël. 

«  En  4  687  \  la  population  protestante  ayant  no- 
tablement augmenté,  le  Conseil  propose  qu'on  com- 
munie deux  dimanches  de  suite.  Cela  est  adopté,  à 
dater  de  Pâques  4  688.  » 

Dans  la  délibération  qui  a  lieu  à  ce  sujet,  M.  Pictet 
rapporte  que  les  communiants  gardent  quelquefois  le 
pain  consacré  comme  amulette  portant  bonheur;  on 
se  sert  surtout  de  ce  pain  dans  la  nuit  de  Noël  pour 
interroger  l'avenir.  «  A  visé  de  prendre  garde  et  d'ins- 
truire vigoureusement  le  peuple  à  la  première  occa- 
sion. » 

Une  question  analogue  se  présenta  en  17032. 


1  Reg.  Comp.  16,  23  déc.  1687. 
2.  Reg.  Comp.  6  avril. 


45 

L'usage  était  qu'on  bénît  le  pain  et  la  coupe  en  s'a- 
dressant  au  pasteur  avec  qui  l'on  célébrait  la  Cène. 
La  proposition  fut  faite  d'imposer  les  mains  sur  le 
pain  et  la  coupe  en  prononçant  les  paroles  de  Jésus- 
Christ  ou  de  saint  Paul.  «  La  Compagnie  s'opposa 
»  fortement  à  cette  modification,  et  décida  qu'on  s'a- 
»  dresserait  au  pasteur,  comme  auparavant,  de  peur 
»  qu'on  ne  croie  point  que  nous  consacrons  le  pain 
»  et  le  vin ,  ce  qui  est  contraire  à  la  foi  de  notre 
»  Église.  » 

Enfin,  dans  la  grande  révision  du  culte  en  1786, 
on  ajouta  un  service  de  communion,  à  cinq  heures 
du  matin,  à  Saint-Pierre  et  à  Sainl-Gervais,  le  jour 
de  la  grande  fête.  En  1810,  le  service  de  Saint- 
Pierre  fut  transféré  à  la  Madeleine. 

Noël.  Nous  avons  dit  au  commencement  de  ce  cha- 
pitre que  la  fête  de  Noël  ne  fut  pas  établie  par  Calvin, 
et  que  sa  célébration  n'eut  lieu  à  Genève  que  vers  la 
fin  du  dix-septième  siècle. 

Voici  les  diverses  phases  que  dut  subir  ce  culte 
avant  d'être  définitivement  adopté  par  l'Église  gene- 
voise 1 . 

Jusqu'en  1658  aucun  service  religieux  ne  solen- 
nisait  le  25  décembre.  «En  celte  année,  le  Petit 
»  Conseil  exprima  le  désir  que  l'on  fêtât  cette  journée; 
»  il  délara  que  le  peuple  voulait  positivement  qu'à 

1.  Reg.  Comp.  12  janvier  1638. 


46 

»  l'avenir  on  fît  un  culte,  et  pour  bien  marquer  leur 
»  intention,  nombre  de  boutiques  ont  été  fermées  par 
»  les  citoyens,  sans  ordre  de  l'autorité,  et  en  le  fai- 
»sant,  on  se  conformerait  à  l'exemple  des  Églises 
»  de  Suisse  et  d'Allemagne.  »  La  Compagnie  ne  fut  pas 
de  cet  avis,  et  voici  ses  raisons:  «  On  ignore,  dit-elle, 
»  absolument  le  jour  précis  de  la  nativité  du  Sau- 
»  veur  :  les  uns  l'observent  en  mai,  les  autres  eu  avril, 
»  les  autres  en  octobre.  Le  jour  de  fête  est  indif- 
»  férent  ;  pourvu  que  nous  remmentions  sincèrement 
»  et  religieusement  le  grand  bienfait  de  la  nativité, 
»  peu  importe  le  jour;  d'ailleurs,  nos  prédécesseurs 
»  ne  l'ont  pas  jugé  à  propos,  quoique  diverses  fois  la 
»  proposition  en  eût  été  faite,  et  la  Compagnie  s'en 
»  tient  à  la  pratique  de  nos  ancêtres;  elle  ne  veut  pas 
»  ouvrir  la  bouche  aux  gens  mal  avisés  qui  disent  que 
»  nous  n'avons  rien  de  fixé  ,  et  que  nous  chan- 
»  geons  tous  les  jours.  11  ne  faut  pas  remettre  sous 
»  l'observation  des  jours  et  des  mois.  Toutefois,  la 
»  Compagnie  ne  décide  rien  ;  la  question  demeure 
»  pendante.  »  (Reg.  1650.) 

Une  nouvelle  tentative  eut  lieu  en  1  67  5  1 .  Le 
syndic  Grenus  propose  qu'on  célèbre  la  fête  de  Noël 
ainsi  qu'on  le  pratique  dans  toutes  les  Églises  réfor- 
mées, sans  changer  néanmoins  le  jour  de  la  Sainte- 
Cène.  La  Compagnie  supplie  qu'on  n'en  fasse  rien; 

1.  Reg.  Comp.  24  décembre  1675;  Reg.  Conseil,  21  décembre. 


47 

elle  représente  les  arguments  de  4  658,  et  le  Conseil 
se  range  à  cet  avis. 

Cependant,  le  peuple  manifestant  de  plus  en  plus 
son  désir  de  célébrer  la  nativité,  le  Conseil  voulut 
vaincre  la  résistance  des  pasteurs,  et  comme  il  déci- 
dait en  dernier  ressort1  touchant  les  affaires  du  culte, 
il  ordonna,  en  1694,  qu'on  prêchât  le  jour  de  Noël 
dans  les  trois  temples2. 

La  Compagnie,  obligée  de  céder,  protesta  de  nou- 
veau. «  Nous  ne  connaissons  pas  le  temps  exact  de  la 
nativité,  et  nous  craignons  les  superstitions  que  le 
peuple  attache  à  ce  jour;  il  est  certain  qu'il  croit 
acquérir  des  avantages  réels  en  assistant  au  culte3.» 

Dès-lors  le  jour  de  Noël 4  fut  célébré  par  un  culte 
dans  les  trois  temples  l'après-midi.  En  1705,  l'on 
chanta,  pour  la  première  fois,  le  Te  Deum  mis  en 
vers  par  Bénédict  Pictet,  «  et  l'on  rapporta  aux  Con- 
seils que  l'édification  avait  été  grande.  » 

Le  jour  de  Noël  était  donc  consacré  par  un  culte; 
mais  il  fallut  vingt-cinq  années  avant  que  les  discus- 
sions sur  ce  sujet  fussent  closes.  En  voici  le  som- 
maire : 

1.  Reg.  Comp.  23  décembre  1697. 

2.  Reg.  (Ions.  21  décembre  1607. 

3.  Le  23  mars  1703,  Neuchâtel  écrit  pour  qu'on  fête  Noël  et  l'Ascen- 
sion en  communauté  d'esprit.  La  Compagnie  déclare  qu'elle  a  de 
bonnes  raisons  pour  ne  pas  faire  de  cela  un  jour  férié;  qu  elle  ne 
blâme  pas  ceux  qui  l'observent,  et  que  Messieurs  de  Neuchâtel  doivent 
examiner  ce  qui  leur  parait  le  plus  édifiant  pour  leur  Église. 

4.  Reg.  Comp.  25  décembre  1705,  25  mars  1707. 


48 

«  En  1717,  le  peuple  faisant  fête1  et  fermant  les 
»  boutiques  dès  le  matin,  la  Compagnie  pria  le  Con- 
»  seil  de  prendre  des  mesures  pour  que  rien  ne  fût 
»  changé,  et  que,  hors  des  heures  des  sermons,  on 
»  travaille  comme  à  l'ordinaire2.  » 

»  En  17193,  le  Conseil  poursuivant  son  plan  de 
»  faire  de  Noël  un  jour  de  fête  complet,  ordonna  que 
»  les  sermons  se  feraient  le  matin,  qu'on  sonnerait 
»  trois  coups  comme  les  dimanches  ordinaires,  mais 
»  que  chaque  citoyen,  après  le  sermon,  rouvrirait  sa 
»  boutique  et  irait  à  ses  affaires.  La  Compagnie  dé- 
»  cide  qu'on  ne  dira  rien  de  particulier  sur  la  fête 
»  dans  les  sermons.  Le  Conseil,  de  son  côté,  suit  le 
«mouvement  populaire,  ne  tient  point  de  séance, 

»  ferme  les  bureaux  et  vient  en  corps  au  culte  

«Ce  qui  mécontente  fort  trois  pasteurs,  MM.  Vial, 
»  Bordier  et  Després,  qui  prêchent  contre  les  fêtes 
»  et  montrent  les  raisons  qu'il  y  a  de  ne  pas  les  so- 
•>  lenniser.  » 

Ils  sont  mandés  devant  le  Conseil  et  censurés;  ils 
avouent  avoir  blâmé  la  cérémonie,  mais  non  le  Con- 
seil qui  avait  célébré  un  peu  plus  qu'à  l'ordinaire. 

La  question  revient  au  bout  de  deux  ans  sur  le 
tapis  :  on  décida  en  outre  de  fêter  l'Ascension 4,  et  la 

1.  Reg.  2  juillet  1717. 

2.  Reg.  15  décembre  1719. 

3.  Janvier  1720. 

4.  Reg.  Cons.  1722.  Ascension,  3  juin,  Noël. 


49 

Compagnie,  tenace  jusqu'au  bout,  décréta  ce  qui 
suit  :  «  Comme  notre  Église  ne  regarde  pas  aux  fêtes 
»  en  dehors  des  dimanches,  on  s'en  tiendra  aux  ser- 
»  nions  actuels,  en  disant  bien  au  peuple  qu'il  peut 
»  travailler  ces  jours-là.  » 

Enfin,  la  dernière  protestation  eut  lieu  en  1728  \ 
La  Compagnie  blâme  les  régents  de  n'avoir  pas  tenu 
le  classe  le  jour  de  Noël.  Dès-lors  un  silence  complet 
•ègne  sur  ce  sujet  dans  les  registres.  Mais,  dès  l'an- 
lée  1750,  la  fête  reçut  une  consécration  dernière, 
somme  l'atteste  la  liturgie  imprimée  dans  cette  année. 

Solennités  nationales,  Escalade  et  Jeûne12 .  Le  sou- 
tenir de  la  victoire  du  12  décembre  1602  fut  tou- 
ours  fêté  avec  un  religieux  empressement  :  on  prê- 
chait des  sermons  historiques  dans  chaque  temple, 
;t  le  récit  de  la  victoire  se  mêlait  aux  remontrances 
iuggérées  parles  événements  heureux  ouïes  épreuves 
les  jours  contemporains.  Une  des  plus  remarquables 
médications,  touchant  l'Escalade,  eut  lieu  en  1668. 
STon-seulemenl  on  déplorait  les  persécutions  dirigées 
'outre  les  frères  de  France ,  mais  encore  Genève 
;tait  en  butte  aux  agressions  répétées  de  la  Savoie. 

Voici  la  délibération  des  Conseils  et  de  la  Compa- 
gnie :  «On  touchera,  eu  égard  à  la  circonstance  des 
>  temps  où  nous  sommes,  la  merveille  de  la  déli- 


1.  Reg.  Comp.  31  décembre  1768. 

2.  4  février  1668. 

III. 


50 

»  vrance  que  Dieu  envoya  à  nos  pères,  et  celle  de 
»  son  grand  support  envers  nous,  qui  en  est  une  con- 
r>  tinuation.  Il  faudra  insister  sur  notre  endurcisse- 
»  ment  qui  fait  que  nous  ne  profilons  ni  des  visita- 
»  tions  qui  sont  déployées  ailleurs,  ni  des  menaces 
»  qui  nous  sont  faites  de  temps  à  autre.  Nous  devons 
»  puissamment  exhorter  un  chacun  à  la  repentance, 
»  se  détournant  de  l'impiété  et  de  la  profanité  qui  se 
»  voit  au  mépris  de  la  Parole  de  Dieu,  comme  aussi 
»  de  la  profanation  du  jour  du  repos,  et  de  l'injustice 
»  et  des  souillures  qui  paraissent  par  infidélités,  adul- 
»  tères  distractions,  vols  et  médisances  envers  le  pro- 
»  chain...  Par  les  courses  et  les  rilleries,  faudra  re- 
»  prendre  ces  vices  et  excès,  induire  fortement  toutes 
»  personnes  à  s'acquitter  de  leur  devoir.  Louer  iMes- 
»  sieurs  du  Conseil  de  ce  qu'ils  font  pour  remédier 
»  aux  brigues,  les  prier  de  tenir  la  main  pour  que 
»  cela  soit  ponctuellement  exécuté,  qu'ils  tiennent  à 
«  rendre  bonne  et  brève  justice,  arrêtant  les  chica- 
»  nés,  châtiant  les  téméraires  plaideurs,  punissant 
»  les  crimes. 

»  Quant  au  peuple,  il  faudra  presser  à  ce  que 
»  renonçant  au  train  passé,  il  s'adonne  à  la  piété, 
»  prenant  instruction  et  profitant  des  saintes  renion- 
»  trances  pour  être  constant  en  la  profession  de  la 
»  vérité,  mettre  bas  la  sécurité,  vivre  en  la  crainte 
»  de  Dieu,  en  exerçant  la  charité  envers  les  pauvres, 


54 

»  et  vivant  ensemble  en  bonne  union  et  concorde.  » 

4  701.  Un  changement  de  douze  jours  ayant  été 
fait  dans  le  calendrier,  l'Escalade  se  trouva  tomber 
dans  la  semaine  de  Noël,  et  la  Compagnie  ayant 
délibéré  sur  les  inconvénients  de  mettre  la  fête  si 
près  de  la  Cène,  on  décida  de  la  transporter  au  jour 
du  12  décembre  nouveau1. 

La  fête  de  l'Escalade2  fut  interrompue  en  1785  : 
le  roi  de  Sardaigne  avait  offert  sa  médiation  dans  les 
troubles  poliliques ,  et  son  influence  avait  contribué 
à  assurer  le  triomphe  du  gouvernement.  «  En  retour, 
pour  reconnaître  les  bons  services  de  Sa  Majesté  Sarde, 
les  magistrats  ont  aboli  la  fête  de  l'Escalade  et  supprimé 
les  sermons.  »  La  Compagnie  protesta  sérieusement, 
mais  elle  ne  fut  pas  écoutée.  Le  roi  de  Sardaigne  fit 
remercier  le  gouvernement  genevois  en  ces  termes  : 
«  Il  a  été  très-sensible  au  nouveau  témoignage,  en 
écartant  tout  ce  qui  pouvait  contribuer  à  entretenir 
le  souvenir  d'anciens  préjugés  si  contraires  au  bon 
voisinage  entre  les  deux  Étals.  » 

Le  28  novembre  1793 3  est  lue  une  adresse  du 
club  fraternel  des  révolutionnaires  de  la  Montagne. 

1.  La  plus  solennelle  Escalade  eut  lieu  en  1702.  Les  pasteurs  re- 
mercièrent l'Éternel,  qui  avait  permis  de  terminer  en  paix  ce  siècle 
après  le  grand  événement  qui  était  arrivé  cent  années  auparavant. 
Regist.  8  décembre  1702. 

2.  Escalade  révolut.  Reg.  8  décembre  1794. 

3.  Reg.  Conseil,  Reg.  Comp. 


52 

Pour  complaire  aux  despotes,  dit  cette  adresse,  l'a- 
ristocratie supprima  l'Escalade  en  1785,  mais  le  jour 
auquel  on  célébrait  celte  fête  étant  le  même  que  celui 
où,  en  1792,  l'Assemblée  souveraine  consacra  l'éga- 
lité, il  faut  rétablir  l'Escalade.  Adopté  que  le  12  dé- 
cembre prochain,  en  l'anniversaire  de  nos  délivran- 
ces, nos  temples  retentiront  des  actions  de  grâces  en- 
vers l'Être  suprême, 

Ce  culte  fut  de  nouveau  supprimé  sous  la  domina- 
tion française.  Cette  fête  n'avait  plus  de  signification, 
et  dès-lors  on  l'a  célébrée  dans  l'intérieur  des  fa- 
milles, et  on  y  apporte  d'autant  plus  d'entrain  dans 
des  occasions  où  les  sentiments  nationaux  protestants 
ont  de  justes  motifs  d'être  froissés. 

Nous  avons  décrit  dans  les  volumes  précédents  la 
solennité  du  Jeûne  telle  qu'elle  fut  instituée  au  temps 
de  la  Réformation. 

Pendant  le  dix-septième  siècle,  Genève,  de  concert 
avec  les  villes  évangéliques  de  la  Suisse,  célébra  des 
jeûnes  chaque  fois  que  de  grandes  épreuves  frappè- 
rent les  Eglises  réformées.  En  1698,  Berne,  Zurich 
et  Genève,  décidèrent  d'instituer  un  jeûne  annuel  qui 
fut  fixé  au  premier  jeudi  de  septembre.  Le  souve- 
nir lointain  de  la  Saint-Barthélemy  (24  août),  les 
misères  récentes  de  la  Révocation  (5  octobre),  firent 
choisir  ce  moment  de  l'année.  Dès-lors  cette  fête  fut 
si  intimement  liée  aux  affections  nationales,  qu'à 


55 

peine  fût-elle  interrompue  pour  une  année  durant  les 
plus  mauvais  jours  des  révolutions  de  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle.  On  la  solennisa  sous  la  domination 
française  (4  798  à  184  5).  Les  Genevois  qui  espé- 
raient le  retour  de  leur  indépendance  nationale,  se 
réunissaient  avec  ferveur  dans  les  temples.  La  fête  du 
Jeûne,  en  4845,  consacra  l'entrée  officielle  de  Ge- 
nève dans  la  patrie  suisse,  et  d'âge  en  âge  les  Réfor- 
més helvétiques  voudront  renouveler  en  ce  jour  la 
promesse  de  conserver  les  principes  chrétiens,  fon- 
dements de  leur  sécurité  et  de  leur  bonheur. 


54 

CHAPITRE  II. 

VIE  RELIGIEUSE  ET  MORALE  DANS  L'ÉGLISE 
DE  GENÈVE 

Al'  DIX-SBPTIÈMB  ET  AU   DIX-HUITIKMB  SIÈCLES. 

Description  de  la  vie  sociale  et  religieuse  au  dix-septième  siècle.  — 
Les  trois  classes  des  citoyens.  —  La  vie  intérieure  et  le  ménage.  — 
La  chambre  de  réforme.  —  La  prospérité  et  le  luxe  au  dix-huitième 
siècle.  —  Si.  Vial  et  le  luxe.  —  Réaction  en  1746.  —  Nouvelles  ordon- 
nances somptuaires.  —  Mémoire  de  M.  Maurice  sur  l'immoralité.  — 
Voltaire  à  Genève.  —  Écrits  licencieux.  —  Robert  Covelle.  —  La 
comédie  à  Genève.  —  Le  théâtre  jugé  par  la  Compagnie.  —  Voltaire 
et  le  théâtre  —  Ses  succès  et  ses  revers.  —  Vue  générale  sur  le 
caractère  moral  du  dix-huitième  siècle. 

La  vie  sociale  des  Genevois  était  empreinte  d'un 
rigorisme  qui  rappelle  les  règles  monastiques  des  cou- 
vents les  mieux  gouvernés  ;  les  ordonnances  somptuai- 
res étaient  respectées  par  la  généralité  des  citoyens. 
L'esprit  des  réformateurs  inspirait  les  hommes  du 
dix-septième  siècle.  La  frugalité,  l'amour  du  travail, 
l'ordre  et  l'esprit  d'économie,  régnaient  dans  les  fa- 
milles protestantes,  et  les  infractions  à  cette  sévérité 
républicaine  étaient  des  exceptions  dont  la  rareté 
attestait  la  dignité  morale  d'une  nation  librement 
soumise  à  l'esprit  évangélique.  Les  occupations  de  la 
journée  commençaient  en  toute  saison  vers  cinq  heu- 
res du  matin.  La  plupart  des  citoyens  se  rendaient 
au  temple  avant  d'aller  au  travail. 


55 

L'intérieur  des  maisons  n'offrait  aucune  trace  de 
bien-être;  les  meubles,  les  sièges,  étaient  de  bois 
sculpté,  et  une  propreté  minutieuse  constituait  tout 
le  luxe  des  Genevois.  Dans  un  climat  aussi  rigoureux 
que  celui  de  la  vallée  du  Léman,  nos  ancêtres  pa- 
raissaient insensibles  au  froid.  L'exposition  favorable 
des  appartements,  la  recherche  de  la  lumière  et  du 
soleil  n'entraient  poinl  en  ligne  de  compte  dans  le 
choix  d'une  demeure.  Les  cheminées  étaient  des  ob- 
jets de  luxe  réservés  pour  les  jours  de  cérémonie;  on 
se  chauffait  à  des  brasières,  et  le  seul  feu  allumé  brillait 
dans  la  cuisine .  Autour  de  ce  foyer,  la  famille  genevoise 
prenait  ses  repas  sévèrement  réglés  parles  ordonnances 
qui  ne  permettaient  que  deux  plats  au  plus,  viande 
et  légumes  pour  les  personnes  riches  ou  aisées.  La 
cuisine  servait  également  de  rendez-vous  de  conver- 
sation. Ce  mode  de  vivre  frappait  d'étonnement  les 
étrangers  venus  pour  visiter  quelque  grand  théolo- 
gien genevois  ou  des  magistrats  portant  un  nom  res- 
pecté dans  les  cours.  Quel  que  fût  son  rang,  le  voya- 
geur prenait  place  auprès  du  foyer  où  cuisaient  les 
aliments  de  la  journée;  la  dame  du  logis,  assise  près 
de  la  fenêtre ,  faisait  ou  raccommodait  les  habits  de 
ses  enfants,  et  le  professeur  ou  le  magistrat  n'intro- 
duisait le  nouveau  venu  dans  son  cabinet  de  travail 
que  pour  traiter  des  affaires  concernant  l'État  ou 
l'Église. 


56 

Sans  doute,  ces  mœurs  pouvaient  paraître  mes- 
quines aux  habitants  des  grandes  villes;  «mais,  di- 
sait un  noble  personnage,  lorsqu'on  connaît  le  cou- 
rage persévérant  de  ces  républicains  pour  garder  leur 
indépendance,  les  sacrifices  qu'ils  supportent  dans 
les  temps  de  persécutions  et  de  troubles  religieux, 
on  respecte  cette  simplicité ,  et  l'on  comprend  que 
les  choses  devaient  se  passer  ainsi  dans  l'Eglise  pri- 
mitive1. » 

Les  citoyens  genevois  se  divisaient  en  trois  classes 
reconnues  par  la  loi  :  les  nobles,  comprenant  les  fa- 
milles qui  comptaient  des  magistrats  (syndics  ou  con- 
seillers) parmi  leurs  membres. 

Dans  la  seconde  classe  se  trouvaient  les  profes- 
seurs, les  pasteurs,  les  avocats,  les  médecins  et  les 
marchands. 

Enfin,  la  troisième  classe  renfermait  les  artisans, 
les  ouvriers  et  les  domestiques. 

Un  costume,  exactement  spécifié,  distinguait  les 
divers  ordres  sociaux.  Un  auteur  français  en  a  laissé 
la  description  suivante2  : 

«  Les  habits  sont  fort  modestes  :  les  Genevois,  qui 
fabriquent  de  si  beaux  velours  pour  les  étrangers, 
n'en  portent  point  eux-mêmes;  les  nobles  seigneurs 
qui  gouvernent  la  République,  les  professeurs  et  les 


1.  Archives  de  Turin.  Ambassade  à  Genève,  1670. 

2.  Davily,  1660,  Description  de  l'Europe. 


S7 

ministres,  ont  des  vêtements  de  bonne  serge  et  des 
manteaux  ornés  de  fourrures  ;  le  drap  est  permis  aux 
marchands  de  la  seconde  classe;  les  demoiselles  de 
la  noblesse  portent  un  chaperon  de  velours  serré  à  la 
tête,  nommé  frontal  ;  les  femmes  du  tiers-état  se  ser- 
vent de  la  même  coiffure  en  taffetas,  qu'elles  appel- 
lent scoffron;  enfin,  les  épouses  des  artisans  se  con- 
tentent d'une  simple  coiffe  de  toile,  qu'elles  portent 
sous  un  chapeau.  » 

Cette  existence  des  classes,  fâcheux  héritage  de  la 
féodalité,  suscitait  fréquemment  des  querelles  inter- 
minables entre  les  citoyens1.  Les  limites  ne  pouvaient 
pas  être  établies  d'une  manière  rigoureuse;  souvent 
la  désunion  entrait  dans  les  familles  lorsque  dé  jeunes 
gens  admis  dans  le  tiers-état  ,  à  cause  de  leur  profession 
lettrée,  continuaient  à  vivre  avec  des  parents  revêtus 
du  costume  de  la  dernière  classe.  Mais  tel  était  l'en- 
têtement de  ces  vieux  républicains,  que  personne 
n'aurait  songé  à  demander  l'abolition  de  ces  distinc- 
tions de  rangs  considérées  comme  les  récompenses 
naturelles  du  succès  dans  les  carrières  politiques,  com- 
merciales ou  savantes.  Ces  carrières  étaient  ouvertes 
aux  jeunes  hommes  de  toutes  les  classes,  et  grâce  au 
collège,  ils  pouvaient  franchir  les  barrières  sociales 
élevées  entre  leurs  devanciers. 

Celte  simplicité  dans  la  vie  domestique  se  maintint 

1.  Reg.  Cr>mp.  20  mars  1668.  Reg.  Cons.  2  mars  1714,  etc. 


58 

chez  la  plupart  des  Genevois,  au  travers  des  crises 
sociales  qui  bouleversèrent  la  cité  protestante  pendant 
le  dix-huitième  siècle.  L'esprit  et  les  mœurs  de  la  ca- 
pitale française  trouvaient  des  imitateurs  chez  quel- 
ques personnes  riches;  mais  la  plupart  des  familles 
attachées  à  leur  antique  simplicité,  conservaient  avec 
orgueil  les  coutumes  nationales  des  temps  anciens 
auxquels  elles  devaient  leur  liberté  sociale  et  leur  in- 
dépendance politique.  Quelques  livres  de  compte  et  de 
ménage  nous  initient  aux  détails  de  la  vie  intime  de 
nos  ancêtres  dans  la  première  moitié  du  dix-huitième 
siècle.  Ce  n'est  pas  sans  émotion  que  nous  lisons  dans 
les  pages  de  ces  archives  de  famille,  ces  paroles  appe- 
lant la  bénédiction  divine  sur  les  premiers  jours  de 
l'année:  «  Mon  Dieu,  je  te  bénis  de  la  continuation 
»  des  bienfaits  que  tu  répands  sur  moi  et  sur  ceux 
»  qui  m'appartiennent.  Que  ma  plus  grande  joie  soit 
»  de  faire  ta  volonté  et  de  te  témoigner,  par  mon 
»  attachement  à  ton  service,  ma  vive  reconnaissance. 
»  Seigneur,  fais-moi  la  grâce  de  voir  approcher  ma 
»  fin  sans  frayeur,  et  que  je  sois  trouvé  fidèle  dans 
«-mon  administration.  » 

Les  dépenses  courantes  des  familles  riches  va- 
riaient de  12  à  18,000  florins  par  an.  La  sobriété 
et  l'abondance  régnaient  dans  leurs  demeures.  Les 
pauvres  tiennent  une  large  place  dans  les  livres  de 
compte.  En  moyenne,  le  douzième  des  revenus  est 


59 

consacré  à  des  charités  régulières,  et  des  pensions 
sont  remises  en  grand  secret  à  des  personnes  de  la 
haute  noblesse  protestante,  qui  cachent  dans  Genève 
leur  qualité  et  leur  religion. 

Tel  était  l'aspect  général  de  la  vie  morale  dans  la 
vieille  République  réformée;  mais  ces  mœurs  rigides 
offraient,  on  le  conçoit,  de  tristes  exceptions,  et  sou- 
vent le  Consistoire  et  les  magistrats  devaient  s'oppo- 
ser aux  invasions  du  luxe,  des  récréations  bruyantes, 
du  jeu  et  de  la  débauche.  En  retraçant  cette  lutte  de 
l'esprit  du  temps  contre  l'esprit  moral  de  la  Réforme, 
nous  reproduisons  les  réserves  que  nous  avons  faites 
pour  le  seizième  siècle.  Le  Consistoire  eut  fréquem- 
ment le  tort  grave  de  confondre  les  récréations  inno- 
centes avec  les  excès  fâcheux ,  et  ce  défaut  d'appré- 
ciation, cette  ignorance  absolue  des  circonstances  atté- 
nuantes, causa  de  nombreuses  révoltes,  et  produisit 
maintes  fois  des  actes  de  soumission  apparente  et 
d'hypocrisie  aussi  blâmables  devant  le  juge  suprême 
que  les  violations  ouvertes  de  la  loi  évangélique. 

Le  luxe  dans  les  habits,  les  règlements  rigoureux 
interdisant  les  frais  excessifs  dans  les  fêtes  de  famille, 
furent  le  sujet  de  luttes  permanentes  contre  le  Con- 
sistoire. On  ne  pouvait  se  soumettre  à  la  loi  qui  éta- 
blissait une  constante  uniformité  dans  les  vêlements, 
et  il  devenait  très-difficile  de  modérer  les  dépenses 
dans  les  jours  où  les  cérémonies  du  mariage  ou  du 


60 

baptême  remplissent  de  joie  les  parents,  et  où  Ton 
aime  à  échanger  des  cadeaux  et  des  marques  de  sou- 
venir. Les  nouveaux  époux,  les  pères  de  famille  trou- 
vaient très-dur  d'attendre  (selon  l'ordonnance)  quinze 
jours  ou  trois  semaines  avant  de  pouvoir  acheter  des 
présents  pour  la  jeune  mère  ou  la  nouvelle  mariée. 
Les  infractions  à  ces  défenses  devinrent  si  nombreu- 
ses, que  le  Consistoire  sollicita  rétablissement  d'un 
corps  spécial  chargé  de  les  réprimer,  et  une  chambre 
de  réforme  fut  constituée  en  4  645  l.  Les  magistrats, 
membres  de  cette  espèce  de  tribunal,  s'engagèrent 
par  serment  à  révéler  toutes  les  contraventions  aux 
lois  somptuaires  qu'ils  découvriraient  chez  leurs  amis 
et  dans  leurs  familles.  Les  peines  infligées  étaient  des 
remontrances  ou  des  amendes  variant  de  dix  à  cin- 
quante florins.  Les  châtiments  pécuniaires  rappor- 
taient en  moyenne  1500  florins  par  an,  ce  qui  porte 
à  soixante  les  contraventions  annuelles  aux  lois  tou- 
chant le  luxe.  Cet  argent  était  distribué  aux  pauvres. 
On  ne  peut  retenir  un  sourire  en  lisant  ces  cahiers 
de  la  chambre  de  réforme,  où  de  graves  magistrats 
discutent  touchant  la  richesse  des  ornements  ou  la 
nature  réelle  des  étoffes.  Les  dames  montrent  une 
extraordinaire  habileté  en  plaidant  la  cause  de  leur 


1.  Reg.  de  la  chambre  de  réforme,  hôlel-de-ville,  Genève.  Elle  fut 
composée  d'un  syndic,  trois  conseillers,  un  auditeur,  le  procureur- 
général,  trois  membres  du  Deux-Cents. 


61 

toilette,  et  les  plus  aigres  discussions  concernent  les 
perruques,  la  poudre  et  la  dimension  des  coiffures. 
Toutefois,  Finstinct  de  la  légalité  était  si  profond  chez 
les  Genevois,  que  cette  police  touchant  les  vête- 
ments obtenait  le^  honneurs  dus  à  une  mission  sé- 
rieuse. 

Ces  contraventions  aux  ordonnances  somptuaires 
furent  très-rares  durant  les  funestes  années  de  la  Ré- 
vocation. Les  sacrifices  journaliers  que  le  peuple  ge- 
nevois dut  s'imposer  pendant  quarante  années,  ne 
permirent  guère  de  songer  au  luxe  de  la  table  et  des 
vêtements.  Mais,  vers  Tannée  1715,  il  s'introduisit 
à  Genève  de  notables  améliorations  locales.  D'impor- 
tantes opérations  financières  enrichirent  nos  ancê- 
tres; des  entreprises  commerciales,  exécutées  dans 
les  Indes,  rapportèrent  des  gains  immenses,  et  les 
folies  de  Law  elles-mêmes  furent  une  source  de  pros- 
périté pour  les  spéculateurs  genevois,  qui  réalisèrent 
leurs  actions  longtemps  avant  la  débâcle.  Ces  familles, 
dont  le  patrimoine  décimé  par  les  sacrifices  des  temps 
antérieurs,  recevait  maintenant  de  larges  subsides, 
consolidèrent  ces  gains  inespérés,  et  construisirent 
ces  élégantes  et  vastes  demeures  qui  forment  le  quar- 
tier de  la  ville  haute;  des  hôtels  remplacèrent  les  gran- 
ges et  les  masures  étroites  qui  entouraient  la  maison 
de  ville .  On  viola  l'article  5  des  ordonnances  de  1 7 1 8 
et  1746,  qui  défend  «  tout  buste  et  statue  à  Texte- 


62 

rieur  des  murailles,  tout  excès  de  sculpture  et  de 
cariatide,  »  et  des  décorations  architecturales  inusi- 
tées s'étalèrent  aux  façades  des  nouvelles  demeures. 

Un  développement  de  prospérité  matérielle  ne  pou- 
vait manquer  d'introduire  une  profonde  modification 
dans  les  habitudes  sociales  :  «  Nous  avons  des  portes 
»  cochères,  dit  un  pasteur;  mais  par  ces  portes  co- 
»  chères  le  luxe  entre  à  deux  battants.  »  En  effet,  un 
assez  grand  nombre  de  citoyens  faisaient  de  longs 
séjours  à  Paris,  et  ils  en  revenaient,  cela  se  comprend 
aisément,  fort  peu  charmés  de  leur  précédente  ma- 
nière de  vivre.  A  des  hommes  qui  venaient  de  briller 
sous  des  habits  de  velours  et  de  soie,  de  voir  de  près 
les  splendeurs  de  la  cour  et  les  magnificences  du  théâ- 
tre, de  jouir  du  charme  des  conversations  et  de  l'es- 
prit de  ces  admirables  causeurs  du  dix-septième  siècle, 
il  faut  avouer  que  la  puritaine  Genève  devait  paraître 
bien  sombre  et  bien  froide.  Il  était  dur  de  renfermer, 
de  par  la  loi,  les  habits  brodés,  les  dentelles,  les 
bijoux,  pour  revêtir  la  bonne  serge  et  le  drap  noir, 
seuls  autorisés  par  les  ordonnances.  Ces  privations 
excitaient  d'amers  regrets,  et  les  fêtes,  les  comédies 
et  les  violons  de  la  capitale  retentissaient  en  bruyants 
souvenirs  dans  une  vie  monotone,  compassée  et  plus 
sévèrement  réglée  que  celle  de  bien  des  couvents.  Sous 
cette  impression,  on  lançait  des  épigrammes  d'abord, 
puis  on  donnait  des  fêtes  en  dépit  des  amendes  et  des 


63 

peines  consistoriales;  on  murmurait,  on  se  révoltait 
fréquemment  de  fait  contre  les  ordonnances  somp- 
tuaires;  l'antipathie  qu'inspiraient  ces  prescriptions 
surannées  ne  se  donnait  pas  la  peine  du  raisonnement, 
et  nul,  parmi  leurs  adversaires,  ne  songeait  à  se  de- 
mander si  la  République  pourrait  subsister  en  adop- 
tant le  luxe,  les  usages  de  la  France,  et  surtout  son 
élégante  corruption. 

Cet  état  de  choses  amena  la  Compagnie  à  manifes- 
ter une  sévérité  inaccoutumée.  M.Vial  De  la  Rive 
fut  chargé  de  porter  la  parole  devant  les  Conseils 
(15  janvier  1725),  et  son  mémoire  nous  montre  les 
changements  que  la  fréquentation  de  la  société  de  la 
capitale  française  avait  opérés  dans  Genève. 

*  Vous  n'avez,  dit  l'orateur  chétien,  plus  aucun 
souci  de  la  vertu  et  de  la  simplicité  de  vos  pères.  Vos 
magnifiques  maisons,  dont  on  charge  les  faces  de  têtes 
et  de  sculptures,  sont  condamnées  par  les  ordonnan- 
ces; ces  immeubles  sont  d'un  prix  si  excessif,  qu'il 
se  trouve  peu  de  pères  qui  puissent  en  faire  le  par- 
tage d'un  seul  entre  leurs  enfants.  Vous  violez  les 
lois  avec  ces  riches  tapis,  ces  grands  miroirs,  ces 
meubles  fastueux  dont  vous  remplissez  plusieurs 
chambres.  Vous  offensez  la  morale  par  ces  étoffes 
éclatantes,  ces  dentelles  de  prix  que  vos  femmes  éta- 
lent chaque  jour  aux  yeux  du  public,  et  par  ces 
beaux  carrosses  sortant  à  toute  heure.  Et  que  dirais- 


64 

je  de  cette  multitude  de  festins  dans  la  ville,  à  la  cam- 
pagne pour  les  plus  petites  occasions?  Une  chose  plai- 
dante, si  elle  n'était  pas  profondément  triste,  c'est 
votre  habileté  pour  éluder  la  prescription  concernant 
les  repas  de  noces.  Vous  avez  trouvé  le  secret  de  ré- 
galer trente  ou  quarante  personnes  en  paraissant  obéir 
à  l'ordonnance  qui  ne  permet  pas  d'en  inviter  plus 
de  vingt-quatre,  et  vous  donnez  à  manger  à  cinq  écus 
par  tète,  en  faisant  accroire  que  votre  repas  ne  coûte 
que  quatre  livres  dix  sous  selon  les  lois.  Et  que  di- 
rons-nous de  la  magnificence  de  ces  repas  où  la  vo- 
lupté entre  dans  l'âme  par  tous  les  sens,  de  la  pro- 
fusion qui  y  règne,  de  la  diversité  des  vins  étrangers, 
de  l'étalage  pompeux  qu'on  fait  de  la  vaisselle,  soit 
d'argent,  soit  de  porcelaine,  que  le  maître  du  logis 
prodigue  par  orgueil,  et  que  les  convives  louent  par 
flatterie? —  Les  chefs  de  famille  négligent  leurs  de- 
voirs les  plus  essentiels,  tout  occupés  de  leur  faste, 
de  leurs  plaisirs;  ils  oublient  leur  intérieur,  laissent 
gâter  leurs  affaires,  pourvoient  fort  mal  à  l'éducation 
de  leurs  enfants.  Le  sommeil  et  la  toilette  emploient 
toute  la  matinée;  les  visites  inutiles,  le  jeu,  la  pro- 
menade consument  le  reste  de  la  journée.  A  peine  la 
nuit  peut-elle  les  ramener  dans  leur  maison  qui  se 
trouve  abandonnée  quatre  ou  cinq  jours  de  la  semaine 
à  l'avidité  et  au  pillage  des  domestiques. 

»  Le  luxe  amène  les  paysans  dans  la  ville,  où  ils 


65 

trouvent  à  subsister  comme  domestiques,  plus  agréa- 
blement et  avec  moins  de  peine.  Le  luxe  empêche 
les  jeunes  gens  de  se'marier,  sachant  qu'ils  ne  pour- 
ront entretenir  honorablement  femme  et  enfant;  il 
excite  ainsi  au  libertinage,  le  célibat  n'étant  qu'une 
apparence.  Ce  luxe  perdra  la  République.  Les  escla- 
ves du  luxe  ne  peuvent  faire  des  sacrifices  dans  les 
temps  sérieux.  Il  faut  être  libre  de  son  temps  et  de 
son  argent  pour  servir  l'Etat,  et  c'est  dans  les  années 
où  Genève  était  la  plus  pauvre,  qu'elle  fit  les  plus 
grands  efforts  en  faveur  de  sa  liberté.  » 

Si  les  modes  françaises  régnaient  dans  une  partie 
notable  de  la  société  récemment  enrichie,  d'autre 
part,  les  Genevois  de  la  vieille  roche  résistaient  au 
torrent  :  un  grand  nombre  de  familles  distinguées  et 
l  élite  de  la  bourgeoisie  demandèrent  une  révision 
des  ordonnances  somptuaires,  et  s'engagèrent,  une 
fois  cette  révision  opérée,  à  les  observer  scrupuleu- 
sement. Cette  nouvelle  rédaction  était  nécessaire,  vu 
que  les  modes  et  les  étoffes  des  siècles  antérieurs  se 
trouvaient  hors  d'usage;  en  sorte  que  les  prescrip- 
tions touchant  les  habits  du  temps  de  la  Réforme 
n'avaient  plus  de  signification.  Dans  ces  ordonnances 
de  1747,  nos  ancêtres  montrent  une  sévérité  pleine 
de  goût;  ils  proscrivent  les  étoffes  de  couleur  trop 
voyante,  et  organisent  une  croisade  contre  les  paniers, 

les  dentelles,  le  timballes,  et  généralement  tout  ce 

m.  s 


66 

qui  tend  à  déformer  l'apparence  naturelle  de>  per- 
sonnes. Plus  tard,  les  limites  de  l'ordonnance  furent 
élargies;  car  en  1776  nous  voyons  le  Conseil  rendre 
une  ordonnance  qui  permet  aux  dames  des  coiffures 
de  trois  pieds  de  hauteur. 

Ces  ordonnances  fixèrent  également  les  usages  de 
famille,  et  conservèrent  scrupuleusement  les  trois  clas- 
ses de  la  société. 

Ainsi,  les  trousseaux  de  mariée  ne  devaient  point 
dépasser  mille  livres  pour  les  gens  de  distinction  ; 
quatre  cents  livres  pouvaient  être  dépensées  par  les 
marchands,  et  rétablissement  des  jeunes  ménages, 
parmi  les  ouvriers,  coûtait  80  livres.  —  Les  dentelles 
portées  par  les  dames  de  condition  coûtent  deux  écus 
l'aune  au  maximum.  La  moitié  de  ce  prix  est  permise 
aux  femmes  de  seconde  classe,  et  les  épouses  des 
ouvriers  ne  doivent  pas  dépenser  plus  de  trois  florins 
pour  leur  coiffure. 

Les  danses,  qui  étaient  à  juste  titre  appelées  en 
\  650,  «  le  faubourg  du  libertinage  et  l'apprentissage 
de  la  galanterie,  »  avaient  subi  de  sérieuses  modifica- 
tions, grâce  aux  progrès  de  la  civilisation  et  de  l'élé- 
gance dans  les  manières  et  les  paroles;  aussi,  quoique 
l'ordonnance  de  1 74-7  sévisse  encore  contre  les  bals, 
ces  divertissements  sont  permis  dans  toutes  les  fêtes 
de  famille. 

Sans  doute,  ces  prescriptions  dépassaient  le  pou- 


67 

oir  naturel  et  légal  qu'un  gouvernement  peut  s'at- 
ribuer.  Mais  nous  devons  convenir  que  les  républi- 
:ains  réformés  qui  se  soumirent  volontairement  à  cette 
implicite  sociale,  furent  des  hommes  dignes  d'un 
frand  respect,  et  maintenant  que  ces  ordonnances 
ompluaires  ont  à  jamais  disparu  ,  on  se  surprend 
larfois  à  les  regretter  en  voyant  l'imprévoyance  et  le 
uxe  de  ceux  qui  gagnent  péniblement  leur  vie,  et 
'on  applaudit  encore  à  ces  simples  et  chrétiennes 
>aroies  de  4  747  :  «  Que  chacun  vive  honnêtement 
st  simplement  selon  son  état  et  sa  qualité,  et  que  tous, 
ant  petits  que  grands,  montrent  bon  exemple  de 
nodestie  et  vivent  comme  cela  convient  dans  une 
épublique  où  règne  la  loi  de  Dieu.  » 

Pendant  le  48e  siècle  la  vigilance  ecclésiastique 
ut  sévère  touchant  les  bonnes  mœurs.  Le  Consis- 
oire,  loin  de  fléchir  devant  l'invasion  des  coutumes  de 
a  régence,  exerça  ses  pouvoirs  légaux,  sans  acception 
le  personne;  et  voici  un  rapport  du  professeur  Maurice 
tu  Conseil,  le  20  décembre  1724,  qui  nous  révèle 
)leinement  l'état  moral  d'une  partie  de  la  population 
genevoise. 

«  Nous  devons  nous  plaindre  amèrement  de  l'aug- 
nentation  de  l'immoralité;  en  voici  les  conséquences  : 
^es  parents  étrangers  craignent  d'envoyer  leurs  en- 
ants  à  Genève  ;  les  artisans  quittent  leur  travail  pour 
îourir  à  leurs  lieux  de  débauche  ;  ils  ont  bientôt  con- 


68 

sumé  les  gains  antérieurs  et  ne  travaillent  plus  avec 
assez  d'activité;  ils  tombent  bientôt  dans  une  affreuse 
misère.  Des  jeunes  gens  de  famille  se  livrent  aux  plus 
honteux  désordres  ;  ils  perdent  tout  goût  pour  l'étude  ; 
ils  vivent  dans  une  continuelle  dissipation  ;  ils  em- 
pruntent pour  être  en  état  de  fournir  aux  dépenses 
de  leurs  parties  de  jeu  ou  de  plaisir;  ils  consument 
ainsi  par  avance  une  partie  considérable  de  ce  qu'ils 
espèrent  recevoir  de  la  succession  de  leurs  parents. 
Parfois  même  des  pères  et  des  mères  de  famille  se 
laissent  entraîner  à  cette  funeste  passion  ;  bientôt  ils 
voient  l'indifférence,  la  jalousie  et  la  haine,  troubler 
la  paix  du  ménage.  Les  mouvements  qu'ils  se  donnent 
pour  cultiver  leurs  intrigues  criminelles  leurs  font 
abandonner  le  soin  de  leurs  affaires  domestiques  ;  ils 
négligent  l'éducation  de  leurs  enfants,  et  ils  con- 
sument, pour  satisfaire  leur  sensualité,  ce  qu'ils  de- 
vraient épargner  pour  servir  à  l'éducation  de  leur 
famille.  » 

Une  enquête  sévère  est  ordonnée  par  le  Conseil  ; 
elle  est  exécutée  par  les  hommes  les  plus  sérieux, 
et  l'on  trouve  que  le  mal  n'est  pas  si  considérable 
que  le  faisaient  prévoir  les  reproches  généraux  du 
Consistoire.  Il  existait  à  Genève  vingt-huit  femmes  de 
mauvaise  vie. 

La  position  morale  de  Genève  fut  gravement  dé- 
tériorée parla  littérature  licencieuse  du  dix-huitième 


69 

siècle.  Tous  les  pays  où  l'on  parlait  français  accep- 
tèrent ces  mauvais  livres,  et  Voltaire,  ravalant  son 
génie  jusqu'aux  plus  immondes  pamphlets,  dénatura 
profondément  le  sens  moral  de  son  époque.  Il  pen- 
sait faire  une  excellente  plaisanterie,  en  datant  de 
Genève  ces  odieux  romans;  il  trouvait  dans  les 
pasteurs  et  ceux  des  magistrats  qui  refusaient  de 
fréquenter  Ferney,  des  adversaires  aussi  constants 
qu'intrépides,  et  le  Conseil  faisait  brûler  par  la  main 
du  bourreau  les  productions  immorales  introduites 
furtivement  dans  Genève. 

Nous  ne  citerons  qu'un  incident  de  cette  déplorable 
lutte.  En  4  756,  le  registre  du  Conseil  porte  les 
paroles  suivantes  :  «  Messieurs  ont  reçu  la  visite  de 
»  Spect.  Lullin,  modérateur  de  la  Vénérable  Com. 
»  pagnie,  au  sujet  d'un  écrit  fort  licencieux  qui  court 
»  la  ville  :  c'est  4  4  vers  extraits  d'un  poëme  sur  la 
»  vie  de  Jeanne  d'Arc.  Ce  poëme  est  un  des  écrits  les 
»  plus  détestables  contre  la  religion  et  les  mœurs  :  on 
»  l'attribue  au  sieur  de  Voltaire.  »  Le  Conseil  ordonne 
là-dessus  «  une  visite  des  anciens  et  des  dizainiers,  qui 
»  ramasseront  toutes  les  copies  de  ces  vers  qu'on 
»  pourra  trouver  dans  la  ville.  »  M.  Vernes,  qui  était 
alors  en  correspondance  avec  Voltaire,  lui  écrivit  à  ce 
sujet  :  «  On  m'a  communiqué  un  exemplaire  de  cette 
»  détestable  poésie;  je  crains  beaucoup  qu'elle  ne 
»  soit  de  vous  ;  tous  ceux  qui  vous  connaissent  sont 


70 

»  navrés  que  vous  ayez  rabaissé  voire  génie  jusqu'à 
»  mettre  au  jour  une  aussi  scandaleuse  produc- 
»  lion.  »  —  «  Moi  !  lui  répondit  l'auteur,  il  faut  que 
»  je  sois  tombé  bieu  bas  dans  votre  estime,  puisque 
»  vous  me  croyez  capable  d'une  pareille  saleté!  » 
Et  dans  vingl  lettres  écrites  à  cette  époque,  Voltaire 
désavoue  cette  production  qui  fait  aujourd'hui  parler 
de  ses  œuvres  officielles. 

Le  Consistoire,  desoncôté,  redoublait  de  rigueur, 
infligeait  des  amendes,  et  condamnait  à  la  prison  les 
hommes  notoirement  connus  pour  développer  l'im- 
moralité par  leurs  exemples  et  leurs  conseils.  Une 
coutume  adoptée  par  la  discipline  de  l'Eglise  primi- 
tive, la  génuflexion,  fut  l'occasion  de  troubles  assez 
graves  dans  la  république.  Les  personnes  citées 
devant  le  Consistoire  devaient  recevoir  à  genoux  les 
reproches  et  la  sentence  prononcée  sur  leur  conduite. 
En  \  761 ,  un  citoyen  nommé  Robert  Covelle,  homme 
violent  et  menant  une  conduite  fort  relâchée,  fut  ap- 
pelé devant  le  Consistoire  pour  être  censuré  d'une 
faute  grave  ;  après  qu'il  eut  avoué  ses  torts,  le  pré- 
sident du  Consistoire  lui  dit  de  s'agenouiller,  suivant 
l'usage,  pour  entendre  la  réprimande  qui  devait  lui 
être  adressée  et  demander  pardon  à  Dieu.  Covelle 
déclara  qu'il  lui  fallait  une  semaine  de  réflexion  pour 
décider  s'il  pouvait  se  soumettre  à  cette  formalité. 
Au  bout  de  quinze  jours  il  revint,  refusa  absolument 


71 

de  s'humilier  et  présenta  un  mémoire  dans  lequel  il 
prouvait  que  nulle  part,  dans  les  ordonnances  ec- 
clésiastiques, la  génuflexion  n'était  exigée.  Le  mé- 
moire était  remarquablement  bien  écrit,  et  comme  il 
était  notoire  que  Covelle  ne  possédait  nullement  les 
facultés  intellectuelles  nécessaires  pour  la  composition 
d'un  semblable  travail,  on  le  pressa  de  questions  sur 
sa  véritable  origine;  il  finit  par  convenir  qu'il  avait 
été  conduit  à  Ferney,  et  que  Voltaire  l'avait  fort  en- 
gagé à  braver  le  Consistoire  ;  deux  ou  trois  citoyens 
genevois  présents  à  cette  visite  l'avaient  eux-mêmes 
encouragé  à  la  résistance,  et  avaient  remis  à  Voltaire 
les  matériaux  nécessaires  pour  la  rédaction  du  mé- 
moire qui  venait  d'être  présenté  au  Consistoire. 
»  Maintenant,  ajoutait  Covelle,  je  suis  parfaitement 
»  décidé  ;  non-seulement  je  ne  me  soumettrai  pas  à 
»  ces  Messieurs,  mais  encore  je  vais  faire  imprimer 
»  ce  travail  contre  la  génuflexion.  » 

Le  Consistoire  vit  bientôt  que  cette  affaire  prenait 
les  proportions  d'une  question  générale.  En  effet,  le 
mémoire  de  Covelle- Voltaire  reçut  la  plus  grande 
publicité  ;  on  y  répondit  en  montrant  qu'un  usage 
qui  avait  deux  cents  ans  d'existence,  et  auquel  tant 
d'hommes  distingués  s'étaient  soumis,  valait  bien  un 
paragraphe  d'ordonnance  ;  bref,  les  citoyens  se  divi- 
sèrent en  deux  camps.  Les  adversaires  de  la  génu- 
flexion déclarèrent  que  «  iors  même  que  celle  humi- 


72 

»  liante  formalité  aurait  été  inscrite  dans  les  ordonnai) - 
»  ces,  les  temps  étaient  changés,  et  qu'un  Genevois  ne 
»  devait  point  être  soumis  à  cette  pénible  coutume. 
»  Le  repentir,  ajoutaient-ils,  est  une  affaire  entre  la 
»  conscience  humaine  et  le  juge  souverain  :  l'homme 
»  qui  pense  avoir  violé  la  loi  divine  doit  s'humilier. 
»  s'agenouiller  devant  son  Dieu  ;  mais,  d'après  les 
»  paroles  mêmes  de  Jésus-Christ,  cet  acte  s'accomplit 
»  dans  le  plus  profond  secret,  sans  témoins,  nul  ne 
»  pouvant  intervenir  entre  la  créature  qui  se  repent 
»  et  le  Créateur  qui  pardonne.  » 

La  raison  était  certainement  du  côté  des  citoyens, 
mais  le  Consistoire  ne  voulut  pas  céder  :  les  brochures 
se  multiplièrent  ;  leur  réunion  forme  trois  gros  vo- 
lumes qui  sont  de  la  plus  indigeste  lecture.  Voltaire, 
en  particulier,  défendit  vivement  Covelle  à  l'aide  de 
cette  raillerie  acérée  qu'il  possédait  si  bien  ;  puis, 
saisissant  le  moment  où  il  jugea  que,  grâce  à  sa  tac- 
tique, le  ridicule  commençait  à  s'attacher  aux  pré- 
tentions du  Consistoire,  il  crut  porter  le  dernier  coup 
en  lâchant  sur  les  fanatiques  son  poëme  intitulé  : 
Guerre  de  Genève,  libelle  aussi  scandaleux  dans  son 
genre  que  la  Jeanne  d'Arc  dans  le  sien.  Voltaire  y 
critique  les  mœurs  des  Genevois  avec  une  malice, 
chose  singulière,  un  peu  lourde  ;  il  assaille  les  pas- 
teurs de  plaisanteries,  dont  quelques-unes  sont  fort 
spirituelles  ;  mais  bientôt  il  abandonne  la  satire  per- 


75 

mise  pour  s'abaisser  aux  plus  odieuses  calomnies  ; 
les  pages  les  plus  infâmes  s'adressent  à  Rousseau. 
Le  dégoût  le  mieux  motivé  vous  saisit  à  la  lecture  de 
ce  pamphlet,  et  les  contemporains  éprouvèrent  la 
même  impression. 

Quoi  qu'il  en  soit,  peu  après  l'apparition  de  cette 
odieuse  pièce,  la  querelle  s'apaisa.  Le  sieur  Covelle 
écrivit  au  Consistoire  la  lettre  suivante  pour  rentrer 
dans  l'église  :  «  Je  n'ai  point  osé  m'approcher  de  la 
Sainte  Table  à  Pâques,  mon  âme  étant  pénétrée  de 
la  faute  que  j'ai  commise  ;  je  sens  que  je  scandali- 
serai l'Eglise  si  je  persiste  dans  cette  séparation  ;  je 
viens  vous  prier  de  m'admetlre  de  nouveau.  » 

On  lui  répondit  que  le  Consistoire  acceptait  volon- 
tiers tout  repentir  véritable,  mais  que,  pour  en  prou- 
ver la  sincérité,  il  devait  désavouer  publiquement 
les  douze  lettres  écrites  sous  son  nom  par  Voltaire, 
et  surtout  renoncer  à  la  subvention  annuelle  de  500 
livres  que  lui  faisait  le  seigneur  de  Ferney  pour 
avoir  le  privilège  d'imprimer  sous  son  couvert  des 
choses  impies  et  scandaleuses.  Covelle  nia  la  réalité 
de  la  subvention  ;  on  lui  fournit  des  preuves  maté- 
rielles de  son  indignité  et  l'on  décida  de  ne  plus 
s'occuper  de  cette  affaire.  (Reg.  Consist.  et  Cous,  de 
1764  à  1766.) 

Toutefois,  l'impression  générale  produite  par  ces 
tristes  débals  engagea  le  Conseil  à  renoncer  à  ces 


74 

vieux  usages;  ou  abolit  la  génuflexion,  sauf  pour 
les  cas  d'apostasie,  et  l'excommunication  n'emportant 
plus  depuis  longtemps  des  effets  civils,  on  la  sup- 
prima entièrement.  (Reg.  Comp.  17  et  24  octobre 
1766.) 

Voltaire  ne  trouva  pas  (pie  les  brochures  licen- 
cieuses fussent  suffisantes  pour  démoraliser  Genève; 
il  voulut  introduire  le  théâtre  dans  cette  ville  et  pro- 
duire en  public  des  pièces  détestables  dans  leurs 
tendances. 

Théâtre.  Le  théâtre  avait  été  sévèrement  interdit 
par  les  réformateurs;  frappés  de  l'immoralité  qui 
régnait  dans  les  comédies  du  seizième  siècle,  ils  ne 
mirent  aucune  exception  à  la  règle  et  ne  tinrent  point 
compte  du  goût  naturel  de  l'homme  pour  les  fictions 
dramatiques.  Mais  les  Genevois  bravèrent  souvent  les 
rigueurs  du  Consistoire  et  ne  croyaient  point  violer 
les  lois  divines,  «  en  récitant  avec  habits  et  décora- 
tions devant  leurs  amis  des  comédies  telles  que  le 
Cid  ou  les  Horaces.  »  (Reg.  Comp.  4  8  mars  1  681 .) 
Le  clergé  fermait  souvent  les  yeux  lorsqu'il  s'agissait 
de  pièces  décentes.  En  d'autres  circonstances  la  ri- 
gueur fut  absurde,  et  des  familles  riches  ne  voulurent 
point  accepter  la  censure,  «  pour  avoir  joué  la  scène 
de  l'Escalade,  le  soir  de  la  fête,  sans  travestissements 
ni  violons.  »  (1725). 

Au  milieu  des  troubles  politiques  du  commence- 


75 

ment  du  siècle,  le  Consistoire  dut  souvent  interdire 
«  les  comédies  tant  publiques  que  particulières.  » 

Enfin,  le  20  avril  1758,  le  théâtre  dut  être 
publiquement  autorisé  dans  Genève.  Les  troubles 
politiques  avaient  amené  l'intervention  étrangère.  Les 
diplomates,  s'ennuyant  fort  dans  notre  ville,  obligè- 
rent le  Conseil  à  permettre  l'introduction  de  la  comé- 
die. Le  comte  de  Lautrec  et  M.  Escher  de  Zurich 
firent  arriver  un  sieur  Gherardi  et  ses  comédiens. 
Le  Conseil  céda  fort  à  regret,  et  nomma  MM.  Micheli 
et  Chouet  pour  surveiller  rétablissement  du  théâtre. 
On  construisit  des  loges  et  une  scène  au  Jeu  de  Paume 
à  Saint-Gervais. 

Les  représentations  commencèrent  et  la  foule  s'y 
porta  avec  un  extrême  empressement.  (Reg.  Consist. 
et  Cons.  20  avril,  17  mai,  18  juin)1,  et  voici  un 
mandement  de  la  Compagnie  et  du  Consistoire  qui 
dépeint  à  merveille  l'esprit  du  temps  : 

«  Il  est  triste  de  penser  que  les  comédiens  fînis- 
»  sent  leur  campagne  en  déclarant  qu  ils  n'ont  trouvé 
»  à  vivre  qu'ici  et  que  cette  ville  est  le  Pérou.  Ils 
»  ont  raison,  car,  tous  irais  payés,  l'hôpital  subven- 
tionné, ils  emportent  15,000  francs,  et  malheu- 
»  reusement  ce  sont  les  personnes  gagnant  leur  vie 

i.  La  représentation  avait  lieu  à  trois  heures  de  l'après-midi.  Il  fut 
interdit  de  s'y  rendre  en  carosse.  Les  premières  places,  26  sous;  15 
sous  les  secondes;  10  sous  le  parterre.  L  hôpital  avait  le  quart  de  la 
recette. 


76 

»  qui  ont  fourni  la  majeure  partie  de  cette  somme. 
»  De  plus,  ce  qui  doit  faire  penser  que  la  comédie 
»  convient  ici  moins  qu'ailleurs,  c'est  le  goût  extra- 
»  ordinaire  qu'on  a  fait  paraître  pour  les  plaisirs  et 
»  le  spectacle  :  ce  goût  est  si  prononcé  qu'il  a  eu  la 
»  force  de  suspendre  l'impression  des  malheurs  pu- 
»  blics  les  plus  effrayants.  Quand  on  pense  que  des 
»  visages  sur  lesquels  on  voyait  la  crainte  et  la  dou- 
»  leur  empreintes  à  la  suite  de  nos  désastres  politiques, 
»  ont  paru  dès  le  lendemain  de  la  première  comédie 
»  tout  brillants  de  joie  et  désireux  de  se  divertir,  on 
»  ne  peut  s'empêcher  de  croire  qu'il  y  a  dans  cette 
«  ville  un  goût  prodigieux  pour  le  plaisir,  auquel  il 
y>  est  bien  important  de  ne  pas  fournir  de  nouveaux 
»  aliments.  » 

L'année  suivante  la  Compagnie  obtint  que  le  privi- 
lège du  théâtre  ne  se  renouvellerait  pas,  et  le  profes- 
seur Maurice  présenta  au  nom  de  ses  confrères  les 
observations  suivantes  (14  décembre  1759)  : 

«  Nous  nous  opposons  à  l'introduction  de  la  co- 
médie, parce  qu'il  est  difficile  de  trouver  de  bonnes 
pièces:  le  théâtre  est  trop  peu  épuré.  Ce  divertisse- 
ment nous  sort  de  nous-mêmes  et  nous  étourdit  sur 
le  sentiment  de  nos  fautes.  La  comédie,  dit-on,  cor- 
rige le  ridicule,  et  c'est  beaucoup  que  d'apprendre  à 
le  craindre.  Tout  bien  considéré,  quel  est  le  ridicule 
dont  elle  corrige?  La  belle  utilité,  vraiment  !  Le  grand 


77 

mal  lorsqu'il  y  aurait  dans  le  monde  quelques  fem- 
mes savantes,  quelques  précieuses,  quelques  mala- 
des imaginaires  de  plus!  La  société  ne  serait  pas 
démolie  !  » 

«  Le  théâtre  est  dangereux ,  parce  que  les  vices  y 
sont  très-rarement  combattus;  les  choses  les  plus  sa- 
crées, l'autorité  paternelle,  la  sagesse  des  parents, 
sont  sacrifiées  aux  passions  de  la  jeunesse.  » 

«  Le  théâtre  est  une  école  de  luxe.  Notre  ville  ne 
peut  se  soutenir  que  parle  travail  et  l'économie.  Nos 
familles  ne  prospèrent  que  lorsque  les  mères  et  les 
épouses  se  dévouent  à  leur  tâche  ;  les  hommes  occu- 
pés au  dehors,  presque  toute  la  journée,  par  des  em- 
plois peu  lucratifs,  voient  infailliblement  leur  maison 
se  détruire,  si  les  femmes  ne  veillent  pas  avec  atten- 
tion dans  Tinlérieur.  Mais  quel  tort  font  à  cet  égard 
les  spectacles  !  On  en  a  assez  vu  pendant  le  peu  de 
temps  que  la  comédie  était  parmi  nous,  pour  nous 
dispenser  de  nous  étendre  là-dessus.» 

«  Ces  illustres  dames  qui,  dans  les  temps  précé- 
dents, ont  soutenu  plusieurs  des  meilleures  familles 
de  l'Etat  et  des  frères  persécutés,  malgré  la  médiocrité 
de  leur  fortune,  ne  passaient  pas  le  matin  à  se  parer 
et  trois  ou  quatre  heures  de  l'après-midi  à  la  comédie. 
J'aime  à  entendre  raconter  encore  aujourd'hui  à  des 
personnes  très-distinguées  les  obligations  qu'elles  ont 
à  la  frugalité  et  à  l'habileté  de  leurs  mères.  » 


78 

«  Le  peuple  a,  en  général,  dans  celle  ville,  beau- 
coup de  penchant  à  la  raillerie  et  à  des  quolibets  qui, 
lorsqu'ils  attaquent  les  personnes  qui  gouvernent, 
affaiblissent  beaucoup  le  respect  qu'on  doit  avoir 
pour  elles,  et  par-là  l'autorité  du  gouvernement.  Nous 
n'avons  pas  besoin  de  nouveaux  maîtres  dans  cet  art 
pernicieux  de  piquer  et  d'insulter  par  des  plaisante- 
ries. Enfin,  il  n'est  aucune  ville  qui  doive  faire  plus 
d'attention  à  la  délicatesse  qu'exigent  la  religion  et 
la  vertu;  nos  ancêtres  nous  ont  acquis,  par  la  grâce 
de  Dieu,  une  belle  réputation;  c'est  par-là  qu'ils  ont 
illustré  ce  petit  État.  Si  nous  perdons  cette  gloire, 
nous  perdons  tout,  et  nous  ne  pouvons  plus  compter 
sur  l'estime  et  l'affection  des  étrangers.  » 

Le  séjour  de  Voltaire  près  de  Genève  donna  un 
nouvel  essor  au  goût  du  peuple  pour  les  représenta- 
tions dramatiques.  Le  malin  poëte  était  enchanté  de 
taquiner  ainsi  les  protestants  sérieux;  et  voici  en 
quelques  mots  l'histoire  de  ses  succès  et  de  ses  re- 
vers à  Genève  : 

Le  54  juillet  4755,  «  M.  le  pasteur  de  Roches 
»  a  dit  que  le  sieur  Voltaire  se  dispose  à  jouer  des 
»  tragédies  chez  lui,  à  Saint-Jean,  et  qu'une  partie 
»  des  acteurs  qui  suivent  ces  répétitions  sont  des 
»  particuliers  de  cette  ville:  dans  ce  but,  il  a  fait 
»  bâtir  un  théâtre  et  préparer  des  décorations. ..  Le 
»  Conseil  déclare  qu'il  maintiendra  la  défense,  qui 


79 

»  est  la  même  pour  tous,  et  il  invite  Messieurs  les 
»  pasteurs  de  la  ville  à  visiter  les  personnes  à  qui 
»  M.  de  Voltaire  distribue  des  rôles,  pour  les  engager 
»  à  s'abstenir.  » 

M.  le  professeur  Tronchin  rapporte  que,  dans  une 
visite  qu'il  fit  quelques  jours  plus  tard  à  Voltaire, 
celui-ci  lui  témoigna  «  être  fort  fàcbé  d'avoir  donné 
»  lieu  à  quelques  plaintes  au  sujet  d'une  tragédie 
»  qu'on  devait  représenter  chez  lui,  mais  que  c'était 
»  moins  sa  faute  que  celle  de  ses  visiteurs,  lesquels 
»  ne  l'avaient  pas  averti;  qu'à  présent  qu'il  est  bien 
»  informé,  il  se  donnera  garde  d'y  contrevenir,  son 
>>  intention  ayant  toujours  été  d'observer  avec  respect 
»  les  sages  lois  du  gouvernement.  » 

En  effet,  durant  trois  années,  Voltaire  passant  les 
hivers  à  Montrion,  s'abstint  d'organiser  aux  Délices 
des  représentations  théâtrales  «  avec  costumes  et  dé- 
corations. »  Mais  ne  pouvant  se  passer  de  ce  plaisir, 
et  la  majorité  du  Conseil  demeurant  inflexible,  il  fit 
construire  une  salle  à  Tournay  (Pregny),  sur  la  fron- 
tière genevoise.  Dès-lors  il  avait  pleine  liberté,  et, 
pour  mieux  attirer  les  amateurs,  il  fit  jouer  plusieurs 
artistes  de  la  Comédie-Française,  que  le  fameux  Le- 
kain  avait  conduits  aux  Délices,  et  auxquels  voulurent 
bien  se  joindre  plusieurs  dames  genevoises  pour  com- 
pléter la  troupe  de  Tournay.  Pour  le  coup,  le  scan- 
dale parut  trop  grand  ;  on  allait  répétant  dans  les  cer- 


80 

des  :  «  A  quoi  servent  les  lois  si.  pendant  qu'on  nous 
»  défend  de  jouer  la  comédie  dans  nos  maisons,  les 
»  dames  peuvent  la  jouer  chez  M.  de  Voltaire?  »  — 
Et  la  Compagnie  des  Pasteurs  reproduisit,  sous  une 
autre  forme,  les  remontrances  précédentes.  Le  Con- 
seil défendit  la  comédie;  mais  la  venue  de  l'acteur 
tragique  Lekain  entraîna  tout  le  monde  au  théâtre  de 
Voltaire.  «  J'ai  fait  venir  Lekain.  écrit-il  à  d'Argental  ; 
»  il  déclamera  des  vers  aux  enfants  de  Calvin  :  leurs 
»  mœurs  sont  fort  adoucies;  ils  ne  brûleraient  plus 
»  Servet.  A  propos  de  Calvin,  je  vais  leur  jouer  un 
»  tour  dont  ils  me  sauront  mauvais  gré  :  je  me  suis 
»  procuré  un  vieux  fauteuil  qui  servait  de  chaise  ou 
»  de  chaire  à  leur  réformateur;  je  l'emploierai  dans 
•  l'entretien  d'Auguste  et  de  Cinna;  le  beau  bruit 
»  quand  les  prédicants  le  sauront  !  »  —  Et,  quel- 
ques jours  plus  tard,  il  peut  ajouter  :  «  Eh  bien  !  j'ai 
»  réussi,  j'ai  fait  pleurer  tout  le  Conseil  de  Genève; 
»  Lekain  a  été  sublime,  et  je  corromps  la  jeunesse 
»  de  cette  pédante  ville.  « 

Le  théâtre  de  Châtelaine  resta  ouvert  jusqu'en 
1766;  cette  année-là.  des  troubles  survenus  à  Ge- 
nève nécessitèrent  une  nouvelle  intervention  diploma- 
tique de  la  France,  de  Berne  et  de  Zurich.  L'envoyé 
français.  M.  de  Hauteville,  fortement  sollicité  par 
Voltaire,  demanda  que  les  acteurs  de  Châtelaine  vins- 
sent jouer  à  Genève.  Le  Conseil,  soutenu  par  un 


81 

grand  nombre  de  chefs  de  famille,  refusa  d'abord; 
mais  il  n'était  pas  en  position  de  faire  cette  fois  une 
résistance  sérieuse;  bientôt  il  dut  céder  à  l'action  de 
ia  diplomatie  française,  et  le  théâtre  s'établit  à  Ge- 
nève (avril  17G6).  On  put  voir  alors  combien  l'in- 
fluence de  Rousseau  était  grande  sur  ses  concitoyens: 
notre  grand  philosophe  désapprouvait  hautement  l'in- 
troduction de  la  comédie  au  sein  d'une  république 
dont  la  vraie  sauvegarde  était,  à  son  avis,  «  la  dignité 
personnelle  et  la  sévérité  des  mœurs.  »  Les  amis  de 
Jean-Jacques  écoutèrent  ses  conseils,  et  les  mêmes 
hommes  qui  avaient  été  à  Châtelaine,  prirent  sur  eux 
de  ne  pas  mettre  les  pieds  au  théâtre  de  la  place 
Neuve.  Tout  au  contraire,  les  commensaux  de  Ferney 
et  un  certain  nombre  d'artisans  profitèrent  largement 
des  récréations  dramatiques.  Voltaire  en  prit  occasion 
pour  couvrir  Rousseau  d'injures  et  proclamer  un 
triomphe  fort  contestable.  «  Le  théâtre  est  dans  Ge- 
»  nève,  s'écrie-t-il .  En  vain  Jean-Jacques  a-t-il  joué 
»  dans  cette  affaire  le  rôle  d'une  cervelle  mal  timbrée, 
»  les  plénipotentiaires  lui  ont  donné  le  fouet  d'une 
»  manière  publique.  Quant  aux  prédicants,  ils  n'osent 
»  lever  la  tète  :  lorsqu'on  donne  le  Tartufe,  le  peu- 
»  pie  saisit  avec  transport  les  allusions  qui  les  con- 
»  cernent.  » 

Cette  joie  de  Voltaire  dura  peu.  Si  ses  partisans 

étaient  assez  nombreux  pour  garnir  les  loges  et  le 
m.  6 


82 

parterre  de  la  nouvelle  salle  de  spectacle,  la  grande 
majorité  du  peuple  désapprouvait  encore  cette  insti- 
tution, et  le  seigneur  de  Ferney  put  s'en  convaincre 
par  une  désagréable  expérience.  Le  5  février  4768, 
vers  six  heures  du  soir,  une  lueur  épouvantable  rou- 
gissait le  ciel  du  côté  de  la  place  Neuve  :  chacun 
d'accourir,  portant,  selon  l'usage,  sa  seille  ou  son 
seillot  plein  d'eau.  Près  de  l'Hôtel-de- Ville,  un  cer- 
tain nombre  de  personnes  stimulaient  le  zèle  des  arri- 
vants. Mais  lorsque,  du  haut  de  la  Treille,  les  hom- 
mes et  les  femmes  découvraient  le  foyer  de  l'incendie, 
ils  versaient  brusquement  leurs  seaux  le  long  de  la 
rampe,  en  disant  :  «  Ah  !  c'est  le  théâtre  qui  brûle  ! 
»  Eh  bien  !  mes  beaux  messieurs,  que  ceux  qui  l'ont 
»  voulu  Péteignent  !  »  Ces  paroles  excitèrent  l'indi- 
gnation de  Voltaire,  qui  s'écria:  «  Ah!  cette  Ge- 
»  nève  !  quand  on  croit  la  tenir,  tout  vous  échappe  ! 
»  Perruques  et  tignasses,  c'est  tout  un  !  » 

Voulant  parer  aux  inconvénients  qui,  selon  son 
opinion,  résultaient  pour  la  ville  de  la  destruction  de 
son  théâtre,  il  fit  rouvrir  celui  de  Châtelaine,  et,  en 
outre,  favorisa  de  tout  son  pouvoir  les  représentations 
à  domicile  chez  les  Genevois.  Son  principal  coadju- 
teur  fut  un  sieur  Papillon,  très-souvent  mis  à  l'amende 
pour  délit  de  comédie.  Voltaire  payait  pour  lui,  et, 
voulant  pousser  à  bout  le  Consistoire,  il  imagina  la 
plaisanterie  d'écolier  que  voici  :  un  matin  on  trouva 


83 

aflîché  sur  les  portes  des  temples  un  placard  portant 
ces  mots  :  «  Par  permission  de  la  Vénérable  Compa- 
gnie des  Pasteurs,  le  sieur  Papillon  et  sa  compagnie  à 
lui  joueront  le  Barbier  de  Séville.  »  Le  sieur  Papillon 
fut  incarcéré  pendant  quelques  jours;  puis,  traduit 
devant  le  Consistoire,  il  voulut  lire  pour  sa  défense  une 
apologie  du  théâtre  composée  par  Voltaire  :  on  lui  en 
refusa  la  permission,  et  il  répondit  avec  une  insolence 
sans  égale.  Le  Conseil  le  punit  de  nouveau;  mais 
sans  parvenir  à  empêcher  les  représentations  théâ- 
trales, qui  recommençaient  presque  chaque  semaine. 
Cet  état  de  choses  dura  jusqu'en  1782.  En  cette 
année,  de  lamentables  troubles  politiques  amenèrent 
l'intervention  française  à  Genève.  Le  marquis  de 
Gaucourt  demanda  impérieusement  la  construction 
d'un  théâtre  ;  le  gouvernement  dut  céder,  et  dès-lors 
des  représentations  dramatiques  ont  eu  lieu  réguliè- 
rement dans  notre  ville,  sauf  durant  les  années  de 
calamités  publiques  et  de  guerre  civile. 

Tels  sont  les  principaux  traits  de  la  vie  religieuse 
et  sociale  de  nos  ancêtres.  Après  vingt  années  durant 
lesquelles  le  génie  du  mal  avait  répandu  les  principes 
corrupteurs  sous  la  forme  la  plus  séduisante,  il  était 
impossible  que  la  moyenne  morale  de  la  nation  ge- 
nevoise ne  fût  pas  abaissée,  et  que  la  vieille  famille 
protestante  n'eût  pas  perdu  plusieurs  de  ses  membres 
effectifs.  Les  témoins  oculaires  nous  ont  rapporté  de 


84 

tristes  détails  sur  le  luxe  et  la  licence  qui  régnaient 
à  Genève  vers  la  fin  du  siècle.  Le  mal  était  grand, 
sans  doute;  mais  le  vieux  sang  réformé  était  loin 
d'être  corrompu,  et  les  paroles  de  Jacob  Vernel, 
prononcées  au  Consistoire  en  4  786,  nous  paraissent 
résumer  la  situation. 

«  Nous  avons  la  douleur  de  voir  des  gens  en  grand 
»  nombre  subir  l'influence  de  la  fausse  philosophie, 
»  et  vivre  sans  Dieu  et  sans  espérance  dans  ce  monde; 
»  mais  nous  bénissons  Dieu  de  compter  dans  tous  les 
»  rangs  de  la  société  des  maisons  où  la  piété  est  héré- 
»  ditaire,  où  l'instruction  domestique  répond  à  l'ins- 
»  truction  publique.  Danscesdemeures,  l'union  règne, 
»  chacun  se  sent  dans  l'ordre,  chacun  emploie  utile- 
»  ment  la  journée;  on  la  commence  en  priant  Dieu;  le 
»  jour  du  dimanche  s'emploie  en  partie  en  actes  de 
»  dévotion  et  de  charité ,  en  partie  en  délassements 
»  honnêtes.  Nous  sommes  heureux  de  rencontrer  sou- 
»  vent,  dans  ce  jour  du  Seigneur,  la  jeune  mère  de 
»  famille,  accompagnée  d'un  enfant,  qui  porte  le  se- 
»  cours  et  la  joie  dans  une  pauvre  demeure,  et  fait 
»  aimer  à  son  fils  et  à  sa  fille  les  premiers  devoirs  du 
»  chrétien.  Le  lendemain  on  se  remet  gaiement  au  tra- 
»  vail,  et  Ton  est  plus  content  dans  la  médiocrité  que 
»  d'autres  ne  le  sont  dans  l'abondance.  L'aliment  spi- 
»  rituel  qu'on  prend  chaque  jour  entretient  la  santé 
»  des  âmes  chrétiennes.  Survient-il  quelque  revers, 


85 

»  quelque  maladie,  on  s'entr'aide,  on  se  console,  on 
»  se  fortifie  mutuellement,  on  prie  Dieu.  Les  paroles 
»  du  mourant  restent  gravées  dans  le  souvenir  de  ceux 
v  qui  l'entourent;  on  pleure  un  tel  homme,  on  le 
»  suit  dans  la  demeure  céleste  où  la  foi,  manifestée 
»  par  ses  œuvres,  lui  assure  la  bonne  place...  » 

La  richesse,  la  renommée,  l'esprit  et  le  génie,  sont 
de  grands  moyens  pour  diriger  le  monde,  et,  ce  qui 
n'est  pas  à  l'honneur  de  notre  pauvre  humanité,  ja- 
mais leur  action  n'est  plus  puissante  que  lorsqu'ils 
prennent  comme  point  d'appui  quelqu'une  des  mau- 
vaises passions  dont  fourmille  cette  terre.  Mais  si 
l'expérience  nous  révèle  ce  triste  fait,  elle  nous  donne 
aussi  la  preuve  consolante  qu'il  est  un  autre  pouvoir, 
plus  lent  peut-être  dans  son  action,  et  plus  difficile  à 
mettre  en  œuvre ,  mais  en  revanche  plus  fécond  en- 
core en  effets  durables.  C'est  la  foi  ferme  et  patiente 
des  hommes  résolus  à  faire  prévaloir,  avec  l'aide  de 
la  protection  divine,  les  principes  éternellement  vrais 
de  la  justice,  de  la  sagesse  et  de  la  moralité. 


86 


CHAPITRE  III. 


VIE  PASTORALE 


Etat  général  de  la  prédication  au  dix-neuvième  siècle.  —  Libertés  de 
la  chaire.  —  Labadie  et  le  tombeau  de  Rohan.  —  Influence  des  réfu- 
giés. —  Les  grands  orateurs  Pictet  et  Turretin,  Mestrezat,  Lullin,  etc. 
—  Vie  pratique.  —  La  tâche  des  pasteurs  genevois.  —  Les  visites 
d'église  au  dix-septième  siècle.  —  Travaux  du  clergé.  —  Bénédict 
Pictet.  —  J.-A.  Turretin.  —  Mort  de  divers  pasteurs  :  Mestrezat, 
Troncbin.  Vernet,  de  Roches,  Vernes. 


Après  avoir  exposé  les  perfectionnements  que  l'es- 
prit religieux  de  nos  ancêtres  introduisit  dans  le  culte, 
et  après  avoir  reproduit  leurs  efforts  pour  conserver 
la  vie  morale  et  religieuse  au  sein  de  la  population 
genevoise,  nous  devons  offrir  à  nos  lecteurs  quelques 
traits  de  la  vie  et  du  caractère  des  pasteurs  qui  se 
dévouèrent  à  celte  noble  tâche. 

Nous  avons  donné  le  tableau  des  heures  du  culte 
dans  l'église  genevoise,  et  nos  lecteurs  ont  pu  remar- 
quer la  variété  et  la  fréquence  de  ces  services  divins. 
Ceiie  assiduité  dans  les  temples,  cette  ardeur  pour 
s'occuper  des  idées  religieuses,  était  naturelle  au 


87 

seizième  siècle.  Car,  nous  dit  Bénédict  Pictet  en 
1 694 ,  «  à  l'époque  de  notre  bienheureuse  Réforma- 
tion, le  peuple,  jusqu'alors  sevré  de  toute  instruction 
évangélique,  et  nullement  abreuvé  de  la  parole  de 
Dieu,  avait  besoin  qu'on  la  lui  expliquât  tous  les  jours, 
et  mille  gens  ne  sachant  pas  lire  trouvaient  unique- 
ment dans  les  temples  l'aliment  de  leur  piété.  » 

Cet  état  de  choses  dura  jusqu'en  1688,  et  pen- 
dant cette  période  la  prédication  genevoise  fut  essen- 
tiellement explicative  :  les  pasteurs  devaient  fournir 
des  éclaircissements  complets  et  détaillés  sur  chaque 
parole  des  saints  Livres.  L'idée  religieuse  dominant 
en  souveraine,  non-seulement  les  consciences,  mais 
aussi  les  destinées  et  les  intérêts  sociaux  du  monde 
européen,  chaque  chrétien  devait  connaître  à  fond  le 
code  évangélique.  Les  controverses  individuelles  se 
renouvelant  sans  cesse  entre  les  catholiques  et  les 
réformés,  il  fallait  posséder  l'arsenal  complet  des 
arguments  employés  par  les  docteurs  des  Églises  ri- 
vales, et  rendre  raison  «de  l'espérance  qu'on  aval j 
reçue.  » 

Ce  caractère  exclusivement  analytique  et  polémique 
rend  les  sermons  de  la  Réforme  peu  intéressants  à 
lire.  Ou  se  perd  dans  ces  répétitions  perpétuelles  des 
divergences  entre  Rome  et  Genève. 

La  plupart  de  ces  questions,  amplement  résolues 
par  le  progrès  des  sciences,  n'offrent  maintenant 


88 

aucune  actualité;  en  lisant  ces  discours,  il  semble 
qu'on  passe  à  côlé  de  ces  blockhaus  nécessaires  a  la 
protection  des  premiers  colons  qui  défrichent  un 
pays,  e!  qui  sont  abandonnés  lorsque  les  progrès 
de  la  civilisation  ont  rendu  inutiles  les  services  mi- 
litaires. 

En  dehors  de  la  controverse,  les  prédicateurs  du 
seizième  et  du  dix-septième  siècle  possédaient  des 
moyens  énergiques  pour  fixer  l'attention  de  leurs 
auditeurs.  Ils  parlaient  de  toutes  les  affaires  contem- 
poraines avec  la  plus  grande  liberté.  La  chaire  était 
le  foyer  des  nouvelles  concernant  les  persécutions  ou 
les  victoires  religieuses.  Les  grands  événements  euro- 
péens, comme  les  incidents  peu  importants,  servaient 
de  texte  aux  sermons  du  jour.  Les  pasteurs  allaient 
plus  loin  :  ils  remplissaient  à  l'égard  des  magistrats 
le  rôle  des  journaux  contemporains  qui  émeuvent  les 
peuples;  ils  critiquaient  les  procédés,  les  actes  des 
gouvernements,  pour  peu  qu'ils  parussent  s'écarter 
des  règles  de  la  morale  la  plus  rigoureuse.  Les  audi- 
teurs, sachant  qu'ils  entendraient  au  temple  des  allo- 
cutions sur  les  affaires  du  jour,  apportaient  à  la  pré- 
dication la  même  fièvre  qui  règne  parmi  nous  pour 
la  lecture  des  feuilles  publiques. 

Voici  un  exemple  de  cette  liberté  de  la  chaire 
chrétienne.  Le  duc  de  Rohan,  célèbre  par  son  cou- 
rage militaire  et  son  abnégation  chrétienne,  avait 


89 

désiré  être  enseveli  dans  la  cathédrale  de  Genève,  et 
reposer  auprès  des  Genevois  qu'il  avait  comblés  de 
marques  d'affection.  Sa  statue  était  placée  sur  son 
tombeau.  En  1659,  un  prédicateur  éloquent,  mais 
excentrique  et  fougueux,  M.  Labadie,  jugea  que  toute 
image  taillée  devait  être  interdite  dans  l'intérieur  d'un 
temple  protestant.  Il  lança  l'anathème  sur  le  tombeau 
du  héros  chrétien,  et  prononça  ces  paroles:  «  Le  bon 
roi  Ezéchias  a  détruit  le  serpent  d'airain  pour  cause 
d'idolâtrie.  Il  serait  donc  nécessaire  d'enlever  les  ima- 
ges qui  sont  dans  ce  temple  et  qui  serventà  l'idolâtrie.  » 
Quelques  personnes  partageaient  l'opinion  du  prédi- 
cateur. On  fut  obligé  de  placer  une  paroi  qui  dérobât 
le  monument  aux  yeux  des  fidèles.  »  (25  mars 
1659.) 

La  prédication  genevoise  fut  profondément  modifiée 
vers  la  fin  du  dix-septième  siècle.  Les  églises  de  France, 
décimées  par  la  persécution  et  le  martyre,  envoyaient 
des  flots  incessants  de  réfugiés  dans  la  vallée  du  Léman . 
Genève  donnait  asile  à  plus  de  trois  mille  de  ces  vic- 
times de  Louis  XIV,  et  l'on  peut  comprendre  le  zèle 
et  l'affection  religieuse  de  ces  nobles  martyrs  pour  le 
culte  évangélique.  Il  semblerait  naturel,  au  milieu 
d'une  persécution  acharnée,  que  les  pasteurs  fissent 
retentir  la  chaire  d'anathèmes  contre  les  fanatiques 
auteurs  de  la  Révocation.  Il  paraîtrait  tout  simple 
qu'on  offrît  des  éloges  aux  personnes  qui  sacrifiaient 


90 

tout  pour  conserver  leur  foi.  Ilien  de  pareil  ne  se 
trouve  dans  les  discours  des  contemporains. 

Les  réformés  genevois,  sachant  que  le  mérite  d'une 
œuvre  revient  tout  entier  à  celui  qui  l'inspire,  exhor- 
tent leurs  frères  de  France  à  la  soumission,  à  la  per- 
sévérance dans  leurs  suprêmes  sacrifices.  Le  pardon 
des  offenses  étant  une  vertu  essentielle  au  chrétien 
dans  toutes  les  positions  de  la  vie,  si  les  prédicateurs 
parient  en  chaire  de  Louis  XIV,  c'est  pour  demander 
au  Seigneur  qu'il  éclaire  son  esprit  et  adoucisse  ses 
rigueurs,  et  si  de  temps  à  autre  un  orateur  s'emporte 
en  invectives,  il  est  sévèrement  réprimandé  par  ses 
collègues. 

Mais  en  dehors  de  cette  influence  accidentelle  de 
la  Révocation,  les  Pictet,  les  Turretin,  les  Mestrezat, 
les  Tronchin,  hommes  supérieurs  et  amis  du  progrès, 
introduisent  une  grande  modification  dans  l'art  de  la 
chaire  à  Genève;  ils  abandonnent  la  méthode  vieillie 
des  perpétuelles  explications;  ils  s'abstiennent  des 
discussions  de  critique  et  d'archéologie;  ils  entremê- 
lent le  dogme  et  la  morale,  et  présentent  le  devoir 
pratique  comme  conséquence  nécessaire  de  la  foi. 

Bénédict  Pictet  possède  une  clarté  parfaite,  un 
style  simple  et  naturel  ;  on  lui  reproche  souvent  de  la 
froideur;  mais  dès  qu'un  sentiment  énergique  l'anime, 
il  entraîne  son  auditoire  et  lui  présente  les  grandes 
idées  sous  des  formes  si  vraies,  que  chacun  retrouve 


91 

dans  les  paroles  du  prédicateur  l'image  de  ses  pro- 
pres pensées. 

François  Turretin  était  un  prédicateur  incisif  et 
profond;  il  trouvait  dans  l'énergie  de  ses  impressions 
religieuses  des  mots  qui  frappaient  l'imagination  et 
la  conscience  de  ses  auditeurs.  Un  jour,  dans  sa  visite 
de  paroisse,  il  reçut  diverses  plaintes  sur  la  longueur 
de  l'épreuve  de  la  Révocation  infligée  aux  Eglises,  et 
sur  les  mystères  des  jugements  divins  qui  toléraient 
depuis  tant  d'années  les  iniquités  du  despote  français. 
Le  dimanche  suivant,  Fr.  Turretin  prêcha  sur  ce 
texte  :  //  est  patient,  parce  qu'il  est  Étemel,  et  ses 
auditeurs  conservèrent  le  souvenir  des  paroles  suivan- 
tes :  «  La  justice  divine  marche  avec  des  pieds  de  laine, 
mais  lorsqu'elle  atteint  le  coupable,  elle  le  saisit  avec 
une  main  de  fer.  » 

Le  (ils  de  François  Turretin,  Jean-Alphonse,  fut 
également  un  réformateur  pour  la  prédication.  Une 
clarté  admirable,  une  simplicité  chaleureuse,  donnent 
un  grand  attrait  à  ses  paroles;  les  auditeurs  lettrés 
disaient  de  lui  :  «  11  semble  prêcher  pour  les  enfants, 
et  au  sortir  du  temple  les  hommes  sérieux  en  ont 
pour  longtemps  avant  de  terminer  l'analyse  des  idées 
qui  se  pressent  dans  son  discours.  »  La  tolérance 
pour  les  opinions,  la  charité  dans  les  actes,  étaient 
les  sujets  favoris  de  Jean-Alphonse. 

Du  reste,  le  succès  extérieur  accompagnait  leurs 


92 

efforts  et  le  mérite  personnel  des  prédicateurs  réagis- 
sait sérieusement,  alors  comme  de  nos  jours,  sur  la 
fréquentation  du  culte.  On  en  peut  juger  par  cette  dé- 
libération des  Conseils.  (Reg.  Cons.  29  décembre 
1699.)  «  Attendu  que  MM.  Pictet,  Calendrin,  Turre. 
tin  et  Viollier,  attirent  tellement  l  altention  que  le 
peuple  et  surtout  les  réfugiés  se  jettent  en  foule  dans 
leurs  temples,  tandis  que  d'autres  ont  moins  d'audi- 
teurs, les  magistrats  avertissent  le  peuple  à  son  de 
trompe,  que  chacun  aille  dans  sa  paroisse,  sous  peine 
d'amende,  et  qu'on  y  tiendra  la  main.  » 

Les  élèves  et  les  amis  de  ces  éloquents  orateurs 
entretinrent  également  la  ferveur  chrétienne  dans 
l'Église  de  Genève  au  commencement  du  dix-huitième 
siècle. 

Ézéchiel  Gallatin  (1705  à  1753)  possédait  la  fa- 
veur populaire.  Dans  ses  instructions,  il  liait  si  inti- 
mement l'œuvre  et  la  foi,  le  dogme  et  le  devoir,  que 
souvent  l'auditeur  pensait  n'avoir  entendu  qu'une 
partie  de  ses  sujets  fondamentaux  de  la  religion.  Gal- 
latin avait  un  grand  courage.  Dans  une  de  ces  émeu- 
tes qui  bouleversèrent  à  diverses  reprises  notre  ville, 
il  prêcha  sur  le  support  et  la  charité;  il  adressa  des 
reproches  si  justes  et  si  sévères  aux  deux  partis,  que 
les  plus  animés  disaient  en  sortant  du  temple  :  «  Si  ce 
n'était  le  respect  et  l'amour  qu'on  a  pour  M.  le  pas- 
teur Gallatin,  il  paierait  cher  d'avoir  prononcé  à  l'é- 


93 

glise  des  paroles  que  nul  n'a  osé  dire  en  Conseil 
général.  » 

Àmédée  Lullin  (1724-  à  4  756)  est  représenté 
comme  suit  par  un  de  ses  amis,  et  son  portrait,  qui 
se  voit  dans  la  salle  du  Consistoire,  peut  confirmer 
ces  observations  : 

«  La  physionomie  de  M.  Lullin  était  si  douce  et  si 
belle,  son  port  si  majestueux,  sa  voix  si  touchante, 
qu'humainement  pariant,  il  aurait  pu  se  passer  de 
facultés  intellectuelles  distinguées.  Il  lui  suffisait  de 
paraître  en  chaire  et  d'ouvrir  la  bouche  pour  émou- 
voir l'assemblée;  il  faisait  couler  les  larmes  en  lisant 
les  liturgies  et  les  prières.  Une  modestie  profonde 
accompagnait  ce  bel  extérieur;  il  travaillait  ses  com- 
positions avec  un  zèle  soutenu;  ses  sermons  captivent 
par  la  beauté  du  style  et  l'intérêt  des  détails  ;  il  change 
de  genre,  suivant  le  sujet;  nous  l'avons  vu  s'élever 
aux  plus  hautes  considérations  sur  la  foi,  en  parlant 
de  saint  Paul  sur  le  chemin  de  Damas;  et  dans  son 
homélie  sur  Rulh  et  Booz,  il  a  concilié  la  dignité  de 
l'éloquence  avec  les  charmes  de  la  poésie  champêtre.  « 

Enfin,  nous  citerons  Laget,  l'orateur  énergique,  le 
théologien  chrétien,  assez  puissant,  assez  courageux 
pour  établir  ia  nécessité  de  la  religion  dans  un  temps 
où  les  philosophes  anglais  et  français  s'unissaient 
pour  attaquer  la  doctrine  évangélique,  et  pour  dé- 
montrer qu'elle  avait  fini  son  œuvre,  et  que  l'in- 


94 

telligence  émancipée  pouvait  diriger  par  des  règles 
infaillibles  la  marche  de  l'humanité. 

Cette  lutte  courageuse  contre  l'incrédulité,  dont 
nous  rendrons  compte  en  détail  dans  les  chapitres 
suivants,  épuisa  les  forces  du  clergé  genevois,  et  vers 
la  fin  du  siècle  ils  eurent  besoin  d'une  nouvelle  me- 
sure de  foi  et  d'énergie  chrétiennes  pour  faire  face 
aux  nouveaux  devoirs  que  leur  imposèrent  les  années 
de  la  révolution. 

Vie  pratique.  Les  fondateurs  de  l'Église  de  Genève 
ayant  pour  principe  directeur  un  dévouement  sans 
réserve  à  l'œuvre  chrétienne,  la  tâche  des  pasteurs 
fut  organisée  en  vue  des  exigences  du  saint  ministère, 
et  les  considérations  personnelles  n'exercèrent  aucune 
influence  sur  la  répartition  du  travail  dans  le  champ 
du  Seigneur.  Voici  le  sommaire  de  la  vie  pratique 
des  pasteurs  genevois  au  dix-septième  et  au  dix-hui- 
tième siècle 1  : 

Chaque  paroisse  de  la  ville  contenait  au  moins  deux 
mille  âmes. 

«  Le  pasteur  fait  chaque  année  avant  Pâques  une 
visite  de  tous  les  ménages  de  sa  paroisse,  en  s'arrê- 
tant  longuement  auprès  de  chaque  famille.  Il  surveille 
attentivement  les  écoles  de  petits  enfants  et  les  caté- 
chumènes. Il  examine  quatre  fois  par  an  ces  derniers 


1.  Grand  mémoire  sur  le  culte  ,  1770,  Reg.  Comp. 


95 

pour  savoir  s'ils  sont  dignes  d'être  admis  à  la  Sainte- 
Cène. 

»  Il  doit  recevoir  les  personnes  qui  veulent  se  ma- 
rier, rédiger  et  signer  les  annonces  matrimoniales. 

»  Chaque  pasteur  prononce  soixante  et  quinze  ser- 
mons par  an,  et  monte  en  chaire  cent  cinquante  fois. 

»  Les  pasteurs  n'ont  aucune  heure  libre  pour  le 
travail  du  cabinet  et  la  méditation  nécessaire  à  leurs 
discours;  ils  sont  constamment  appelés  à  visiter  les 
malades;  il  faut  tout  quitter  pour  accomplir  ce  ser- 
vice, et  en  hiver  celte  fonction  ne  leur  laisse  presque 
aucun  repos. 

»  Les  pasteurs  ont  le  soin  des  pauvres  de  leur  pa- 
roisse ;  ils  doivent  assister  chaque  semaine  aux  séan- 
ces des  bourses  de  charité,  donner  les  renseignements 
les  plus  détaillés  touchant  les  personnes  dignes  d'être 
secourues. 

»  Enfin,  les  pasteurs  doivent  présenter  au  Consis- 
toire des  rapports  mensuels  sur  l'étal  moral  des  ad- 
ministrés; ils  apaisent  les  querelles,  ramènent  la  paix 
dans  les  ménages  désunis;  ils  s'adressent  à  la  con- 
science des  vicieux,  et  diminuent,  autant  que  possi- 
ble, le  nombre  des  délits  moraux  sur  lesquels  le 
Consisloire  doit  exercer  son  autorité.  » 

L'émigration  des  protestants  français,  leur  passage 
continuel,  leur  établissement,  occupaient  encore  une 
grande  partie  du  temps  des  ecclésiastiques  genevois 


90 

et  leur  imposait  des  charges  dont  le  document  sui- 
vant présente  une  juste  idée. 

«  A  la  Révocation,  disait  Jacob  Vernet,  notre  Église 
eut  la  consolation  de  voir  quantité  de  personnes  plus 
respectables  encore  par  leur  piété  que  par  leur  nais- 
sance, fréquenter  en  foule  nos  temples,  malin  et  soir. 
Mais  cette  génération  étant  passée,  et  la  ferveur  ayant 
diminué,  nos  services  sont  trop  nombreux.  Quatorze 
pasteurs  doivent  faire  par  an  1800  sermons,  dont 
154  liturgiques,  et  4072  discours  écrits.  Cela  fait 
75  sermons  pour  chaque  prédicateur.  Les  pasteurs 
doivent  monter  en  chaire  150  fois  par  an,  et  la  fa- 
tigue de  prêcher  deux  fois  le  dimanche  dans  les  tem- 
ples de  la  ville,  épuise  leurs  forces;  aussi  les  jeunes 
gens  craignent-ils  d'entrer  dans  le  ministère.  » 

Ce  dévouement  absolu  aux  plus  rudes  fonctions 
ecclésiastiques,  était  secondé  par  celte  surveillance 
consciencieuse  que  les  pasteurs  genevois  ont  toujours 
exercée  réciproquement  entre  eux. 

Une  censure  annuelle  fut  établie,  et  des  visites 
solennelles  eurent  lieu  fréquemment  dans  les  parois- 
ses. Les  magistrats  et  les  membres  du  Consistoire 
reçoivent  les  observations  que  les  chefs  de  famille  pré- 
sentent en  toute  liberté  sur  l'administration  religieuse 
et  le  culte.  Voici  le  procès-verbal  d'une  de  ces  inspec- 
tions pastorales;  nous  transcrivons  ce  document  en 
entier,  malgré  son  étendue,  car  il  nous  dépeint  la  vie 


97 

intime  de  notre  Église  en  1685,  c'est-à-dire  dans  une 
période  où  les  plus  grands  sacrifices  politiques  et  re- 
ligieux étaient  imposés  au  peuple  genevois. 

«  Les  syndics  ayant  résolu  que  la  visite  des  cam- 
pagnes serait  faite  cette  année,  en  voici  les  résultats  : 

«  17  septembre  1685.  Eglise  de  Satigny.  Après 
le  service  divin,  le  conseiller  Humberl  fait  un  discours, 
atin  d'exhorter  les  paroissiens  à  dire  s'ils  ont  quelque 
sujet  de  se  plaindre  de  leur  pasteur  et  de  leur  maître 
d'école.  M.  le  pasteur  Ohenaud  s'élant  retiré,  les  pa- 
roissiens répondent  unanimement  qu'ils  sont  fort  sa- 
tisfaits de  lui,  soit  par  rapport  à  ses  prêches,  à  ses 
catéchismes,  soit  par  rapport  au  soin  qu'il  prend  d'é- 
touffer les  procès.  M.  Chenaud,  interrogé  à  son  tour 
sur  la  conduite  de  ses  paroissiens,  dénonce  trois  fa- 
milles qui  tiennent  cabaret  et  débauchent  les  paysans. 
Quant  au  maître  d'école,  les  paroissiens  s'en  plaignent 
unanimement  et  supplient  la  Compagnie  d'en  donner 
un  autre,  vu  qu'il  est  très  paresseux  et  soutient  des 
pratiques  avec  les  curés  du  pays  de  Gex. 

M.  Tronchin  et  M.  Gautier  sont  allés  à  Bossey  (vil- 
lage entouré  de  catholiques  et  très-exposé  au  prosé- 
lytisme du  clergé  savoyard);  on  a  demandé  à  M.  Viol- 
lier  s'il  n'avait  aucun  défaut  à  reprocher  à  son  Église. 
Il  répond  qu'il  est  assez  satisfait,  mais  qu'il  faut  ex- 
horter ses  paroissiens  à  s'abstenir  de  l'ivrognerie  et 
des  jurements.  —  Après  le  prêche,  M.  le  pasteur 

m.  7 


98 

s'étant  retiré,  il  y  eut  un  particulier  qui  fit  un  srand 
discours  en  faveur  de  M.  Viollier,  et  tout  son  troupeau 
le  loua  de  sa  prédication,  du  soin  qu'il  avait  des  ma- 
lades et  des  autres  fonctions  de  son  ministère.  Un 
autre  paroissien  se  plaignit  de  ce  que  M.  Viollier  n'ex- 
hortait pas  assez  les  enfants  d'aller  au  catéchisme,  et 
que  ses  fils  allaient  jouer  aux  cartes  dans  les  villages 
voisins,  ce  dont  les  papistes  se  riaient.  Là-dessus  tous 
les  pères  de  famille  se  sont  levés,  déclarant  que  le 
plaignant  était  une  méchante  langue,  joueur  effréné, 
débauché,  qui  avait  battu  sa  mère,  etc..  —  et  qu'ils 
tenaient  ces  choses  pour  fausses,  et  M.  Viollier  pour 
un  bon  pasteur,  qui  visitait,  autant  que  sa  sauté  le 
lui  permettait,  les  villages  éloignés,  Neydans,  Cierne, 
et  Landecy. 

»  Jussy,  M.  Butini  est  allé  à  Jussy  avec  M.  Le 
Fort,  ancien  syndic.  M.  Flournois  s'est  plaint  de  ce 
que  plusieurs  fréquentent  les  cabarets  et  qu'il  y  a  des 
haines  implacables  entre  quelques  particuliers.  Du 
reste,  il  est  satisfait  du  zèle  pour  le  culte  et  de  la 
charité  envers  les  pauvres. 

»  Les  gardes  d'église  ont  déclaré  après  le  sermon 
qu'ils  étaient  très-satisfaits  de  la  prédication  et  des 
catéchismes  de  M.  Flournois;  il  assoupit  les  procès, 
prévient  les  querelles,  et  ils  n'ont  aucun  sujet  de 
plainte  contre  lui . 

»  Russin.  M.  Perrot,  pasteur.  M.  le  premier 


99 

syndic  lui  dit  qu'on  porte  de  grandes  plaintes  contre 
lui.  Il  fait  de  sa  maison  un  cabaret;  il  ne  visite  pas 
son  église;  il  est  constamment  dans  ses  champs;  il 
néglige  les  malades  et  n'a  pas  soin  des  pauvres.  Toute 
la  paroisse  souhaite  que  M.  Perrol  s'abstienne  de  prê- 
cher dans  ces  temps  fâcheux.  Les  excuses  de  M.  Per- 
rol n'étant  pas  valables,  il  est  remplacé  temporaire- 
ment par  M.  Sartoris. 

»  Cartigny.  Les  deux  pasteurs,  MM.  Vautier  et 
de  Carro,  sont  satisfaits  de  leur  paroisse,  sauf  ceux 
deLaconnex,  qui  négligent  d'envoyer  leurs  enfants 
au  catéchisme,  et  eux-mêmes  ne  viennent  pas  au  prê- 
che. Les  paroissiens  sont  grandement  satisfaits  de 
M.  Vautier  et  assez  contents  du  sieur  de  Carro.  Un 
particulier  de  Laconnex  ayant  dit  que  M.  de  Carro  ne 
visite  pas  les  malades,  il  est  interrompu  par  les  gardes 
d'église  et  d'autres,  affirmant  qu'il  a  de  mauvais  mo- 
tifs personnels  de  dire  ces  choses  contre  le  respectable 
de  Carro. 

»  Chancy.  M.  de  Normandie  a  interrogé  M.  Ga- 
lalin,  pasteur;  il  a  réponduqu'il  n'y  a  point  de  cha- 
rité parmi  eux,  qu'ils  ne  veulent  en  rien  contribuer 
pour  un  maître  d'école,  qu'ils  sont  chicaneurs  et 
joueurs.  Les  paroissiens  et  les  gardes  d'église  rendent 
un  bon  témoignage  à  M.  Galatin  pour  ses  prêches, 
la  visite  des  malades  et  l'assiduité  à  assoupir  les 
procès. 


100 

«  Vandœuvres  et  Cologny.  M.  Dassier,  pasteur, 
se  plaint  de  jurements,  des  cabarets  et  du  peu  d'assi- 
duité au  temple.  Les  paroissiens  sont  unanimement 
satisfaits  du  pasteur;  ils  ne  voudraient  jamais  avoir 
d'autre  ministre  :  ils  demandent  aux  magistrats  de 
contraindre  les  parents  à  envoyer  les  enfants  à  l'école. 

»  Le  résultai  de  la  visite  de  Céligny  fut  des  plus 
touchants.  M.  Molans  étant  malade,  on  ne  fit  pas  de 
cérémonie  officielle,  et  M.  Lesmilière  fut  chargé  de 
témoigner  au  vieux  pasteur  la  sympathie  de  ses  col- 
lègues. M.  Molans  répondit  :  «  Je  suis  très-obligé  aux 
soins  et  à  la  charité  de  mes  confrères;  pour  ce  qui  est 
de  ma  santé,  elle  est  altérée  par  de  grandes  infirmi- 
tés et  la  faiblesse  de  mon  âge.  »  Sur  quoi  le  député 
lui  ayant  doucement  insinué  qu'il  devait  donner  sa 
décharge,  M.  Molans  témoigna  avec  larmes  un  ardent 
désir  de  prêcher  jusqu'à  la  fin,  en  suppliant  qu'on 
ne  lui  ôtàt  pas  celte  consolation.  M.  de  Lesmilière  a 
pris  l'opinion  des  paroissiens.  Tous  ont  témoigné  de 
l'affection  pour  leur  pasteur  et  de  l'édification  de  sa 
bonne  vie,  mais  qu'à  la  vérité  les  faiblesses  de  son 
âge  l'empêchaient,  depuis  quelques  années,  de  faire 
sa  charge  avec  la  même  exactitude  et  la  même  édifi- 
cation. Sur  quoi  la  Compagnie  ayant  opiné,  on  trouve 
un  expédient  pour  contenter  M.  Molans  et  empêcher 
que  l'Eglise  ne  souffre  de  ses  infirmités.  On  repré- 
sentera au  Conseil  l'état  de  M.  Molans,  le  grand  désir 


101 

qu'il  a  de  n'achever  son  ministère  qu'avec  sa  vie,  et 
qu'on  piie  {Messieurs  de  trouver  bon  que  la  Compa- 
gnie mette  quelqu'un  qui  puisse  être  un  aide  à  M.  Mo- 
lans.  Ce  ministre  ira  demeurer  à  Céligny,  sans  dé- 
placer M.  Molans,  ni  rien  diminuer  de  son  salaire. 
Le  Conseil  accepte  et  donne  volontiers  ce  témoignage 
d'estime  à  un  si  digne  pasteur.  » 

Ces  procédés  consciencieux,  ces  examens  sévères 
des  fonctions  pastorales,  conservaient  la  dignité  et  le 
zèle  chrétien  parmi  les  ministres  genevois,  et  des  mani- 
festations affectueuses  ies  entouraient  dans  les  crises  les 
plus  pénibles  de  la  vie  sociale  et  politique.  Toutefois, 
il  était  difficile  que  des  hommes  occupés  à  réprimer 
les  délits  moraux ,  sans  acception  de  personne ,  ne 
suscitassent  pas  des  rancunes  et  de  mauvais  vouloirs. 
De  fâcheux  incidents  occasionnèrent  parfois  des  pro- 
cédés pénibles  contre  le  clergé  de  Genève.  Mais  ces 
inconvénients  passagers  furent  largement  compensés 
par  le  respect  et  la  sympathie  que  la  généralité  des 
citoyens  s'empressa  toujours  de  témoigner  à  ses 
conducteurs  spirituels. 

Si  la  mission  des  pasteurs  genevois,  considérée 
dans  ses  traits  généraux ,  offre  un  dévouement  reli- 
gieux à  toute  épreuve,  ce  caractère  brille  également 
dans  le  ministère  de  ces  pieux  serviteurs  du  Christ, 
dont  nos  archives  ont  conservé  la  mémoire.  Nous  en 
citerons  quelques  exemples. 


102 

Antoine  Léger.  Pendant  plus  de  trente  années,  il 
s'est  acquitté  de  toutes  les  fonctions  de  son. ministère 
avec  beaucoup  de  soins  et  à  l'approbation  de  tout  le 
monde;  ses  sermons  édifiants  ont  été  tellement  ap- 
préciés par  ses  auditeurs  qu'il  se  voyait  écouté  avec 
toute  l'attention  qu'il  pouvait  désirer;  mais  après 
un  si  long  et  si  pénible  travail,  il  a  eu  la  douleur  de 
tomber  dans  un  grand  anéantissement  de  forces ,  ce 
qui  le  mit  bors  d'étal  de  prêcber  et  lui  rendit  toute 
application  impossible. 

Bénédict  Pictet  (1678  à  4  724).  A  sa  réception 
au  saint-ministère,  la  Compagnie  inscrit  ce  témoi- 
gnage :  «  Lequel  ayant  fait  paraître  le  profit  qu'il  a 
fait  dans  ses  études  et  les  beaux  dons  que  la  Provi- 
dence divine  lui  a  départis  pour  l'édification  future 
de  l'Église,  il  sera  consacré  le  29  juin  4  678.  » 

Ces  espérances  se  réalisèrent  durant  quarante  an- 
nées. Nous  avons  essayé  de  caractériser  Bénédict 
Pictet  comme  prédicateur.  Sous  le  rapport  intellectuel , 
il  fut  un  travailleur  infatigable.  En  faisant  le  compte 
de  ses  ouvrages,  il  semblerait  que  sa  vie  entière  fut 
consacrée  aux  méditations  paisibles  du  cabinet.  Or, 
au  contraire,  il  était  le  modèle  du  vrai  pasteur  prati- 
que, sans  cesse  préoccupé  de  ses  pénibles  obligations. 
Pictet  sut  mener  de  front  cette  double  tàcbe,  en 
consacrant  les  heures  matinales  aux  travaux  théolo- 
giques et  le  reste  de  la  journée  aux  visites  de  paroisse. 


105 

Une  lettre  du  professeur  Bernouilli,  de  Baie,  dépeint 
à  merveille  l'existence  de  nos  bénédictins  protestants 
(1085):  «J'arrivai  chez  M.  le  pasteur  Pictet  vers 
neuf  heures  du  matin;  la  servante  me  dit  qu'il  visitait 
ses  malades,  mais  que  si  je  voulais  lui  parler,  je  pour- 
rais revenir  le  lendemain  matin  entre  quatre  et  cinq 
heures.  Cette  heure,  vu  la  saison  rigoureuse,  me  gênait 
fort;  néanmoins  j'arrivai  ;  on  m'introduisit  dans  une 
grande  pièce,  qu'une  seule  brasière  avait  la  prétention 
de  chauffer.  M.  Pictet  travaillait  à  l'extrémité  la  plus 
éloignée  de  cette  espèce  de  foyer;  nous  causâmes  un 
moment,  puis  je  lui  demandai  des  nouvelles  de  mon 
fds.  «  Monsieur,  me  répondit-il,  votre  fils  est  un  élu- 
»  diant  médiocre;  je  n'ai  jamais  pu  obtenir  de  lui 
»  plus  de  treize  heures  de  travail  par  jour  ;  son  exem- 
»  pie  est  malheureusement  suivi;  les  jeunes  gens  ne 
»  veulent  pas  comprendre  que  pour  devenir  des  sa- 
»  vants  utiles,  il  faut  que  leur  lampe  s'allume  avant 
»  celle  de  l'artisan.  » 

Ainsi,  l'intelligence  dominant  l'élément  matériel, 
les  nuits  réduites  à  leur  plus  courte  mesure,  des  tra- 
vaux sérieux  exécutés  à  l'heure  où  le  sommeil  en- 
chaîne encore  les  classes  ouvrières,  un  mépris  profond 
pour  les  malaises  et  les  indispositions;  le  théologien 
et  l'étudiant  tenant  leur  corps  aussi  durement  assu- 
jetti que  le  laboureur,  tel  était  le  secret  de  ces  hommes 
du  dix-septième  siècle  genevois ,  aussi  remarquables 


tO'i 

par  les  nombreux  ouvrages  de  théologie  qu'ils  ont 
laissés  que  par  leur  dévouement  à  la  tâche  pratique 
du  ministère  sacré. 

Le  caractère  de  Bénédicl  Pictet  fut  éminent  dans 
ses  fondions  pastorales.  Plein  d'une évangélique dou- 
ceur et  d'une  ardente  charité,  il  consacra  la  majeure 
partie  de  son  temps  et  de  sa  peine  aux  pauvres  et 
aux  affligés.  Nul  ne  savait  mieux  parler  selon  leur 
cœur  aux  gens  en  deuil;  ses  consolations  étaient  si 
efficaces  que  sa  présence  seule  paraissait  un  bienfait . 
Les  témoins  de  ses  prières  auprès  du  lit  des  mourants 
et  les  malades  rendus  à  la  santé  conservaient  comme 
un  précieux  trésor  le  souvenir  des  exhortations  de 
l'excellent  pasteur. 

Un  incident  de  ce  genre  décida  la  vocation  de 
l'apologiste  chrétien  Jacob  Vernet.  «  Tout  jeune  en- 
core, raconle-t  il,  je  lisais  dans  un  jardin  près  de  la 
ville.  Je  vis  entrer  le  célèbre  professeur  Bénédict 
Pictet,  qui  me  demanda  la  demeure  d'une  femme 
âgée  et  mourante  qui  désirait  sa  visite.  Je  le  con- 
duisis dans  ce  logis,  et  par  une  curiosité  d'enfant, 
je  demeurai  dans  la  chambre  voisine  pour  entemire 
M.  Pictet.  Ses  paroles  et  surtout  sa  prière  boulever- 
sèrent mon  àme;  la  figure  angoissée  de  la  malade, 
qui  reprenait  peu  à  peu  un  calme  et  une  expression 
célestes,  me  causa  une  émotion  indescriptible ,  et  je 
résolus  de  me  vouer  à  ce  ministère,  dont  les  béné- 


405 

dictions  sont  si  visibles  auprès  des  êtres  souffrants.  » 

Bénédicl  Pictel  employa  la  plus  grande  partie  de  sa 
fortune  à  secourir  les  indigents  genevois;  il  connais- 
sait tous  les  pauvres  de  la  ville,  et  non-seulement  il 
les  aidait  de  ses  secours,  mais  il  savait  diriger  leur 
conduite  et  améliorer  leur  position  en  surveillant  leurs 
travaux. 

Les  réfugiés  français,  qui  affluaient  journellement  à 
Genève,  trouvaient  en  lui  le  plus  zélé  prolecteur.  Il 
sacrifia  également  une  grande  partie  de  son  avoir  el 
montra  une  héroïque  obstination  dans  ses  sollicitations 
incessantes  auprès  de  ses  amis  pour  soulager  les  vic- 
times de  Louis  XIV. 

Pendant  l'année  1086,  où  les  rigueurs  intolérables 
de  l'hiver  et  la  disette  portèrent  au  comble  les  souf- 
frances des  Genevois  et  de  leurs  frères  de  France , 
Bénédict  Pictet  multiplia  tellement  ses  secours  et  ses 
visites  qu'il  fut  atteint  d'un  rhumatisme  el  de  douleurs 
aiguës  qui  lui  interdirent  pendant  de  longs  inter- 
valles tout  service  actif.  Durant  les  dernières  années 
de  sa  vie,  sa  fortune,  déjà  fort  diminuée  grâce  à  ses 
aumônes,  fut  anéantie  par  des  revers  indépendants  de 
son  administration.  On  eut  connaissance  de  sa  pau- 
vreté par  la  diminution  forcée  des  services  qu'il 
aimait  tant  à  rendre.  Les  magistrats,  après  de 
longues  hésitations,  voulurent  témoigner  leur  sym- 
pathie à  ce  martyr  du  devoir  chrétien,  et  pour 


106 

mettre  à  couvert  l'austère  délicatesse  du  vieux 
pasteur,  ils  lui  envoyèrent  l'extrait  de  registre  sui- 
vant : 

(Du  16  décembre  1719.)  «  Le  Conseil  ayant  con- 
naissance des  grands  frais  dans  lesquels  Spectable 
Bénédicl  Pictel  est  constitué  par  grand  nombre  de 
lettres  qu'il  reçoit  tant  pour  les  affaires  des  particu- 
liers, que  pour  celles  de  l'Église,  et  dont  les  ports 
vont  à  une  somme  très-forte  par  année,  informé  des 
soins  qu'il  prend  et  de  son  grand  travail  pour  l'Église, 
estime  que  Messieurs  doivent  y  avoir  égard,  surtout 
après  les  revers  qu'il  a  essuyés  dans  ses  biens,  épreuve 
qu'il  supporte  avec  tant  de  constance  et  de  tranquil- 
lité. L'avis  a  été  de  faire  présent  au  Spectable  Piclet  de 
cinquante  écus  d'or  que  le  trésorier  lui  portera.» 

«  M.  Pictel  a  accepté  avec  remerciements  ce  don 
honorable,  et  il  se  réjouit,  dit  un  contemporain,  de 
pouvoir  faire  encore  quelques  visites  aux  réfugiés  et 
aux  Genevois  indigents  de  sa  paroisse.  » 

Quatre  ans  plus  tard ,  la  Compagnie  des  Pasteurs 
inscrivait  en  ses  archives  les  paroles  suivantes  : 

(Du  10  juin  1724.)  «Dieu  a  retiré  à  Lui  notre 
frère  M.  Pictet;  il  est  mort  cette  nuit  d'une  manière 
inopinée.  On  visitera  sa  veuve  et  sa  famille,  pour  leur 
marquer  la  vive  douleur  de  l'Église  de  la  perte  irré- 
parable que  la  patrie  vient  de  faire.  » 

L'Europe  protestante  s'associa  tout  entière  au  deuil 


107 

de  celle  ville;  les  lellres  les  plus  touchantes  furent 
écrites  à  la  Compagnie.  Nous  citerons  seulement  les 
paroles  de  l'archevêque  de  Cantôrbéry.  «.le  ne  puis 
vous  exprimer  l'extrême  douleur  que  je  ressens  de  la 
mort  de  notre  vénérable  frère  Bénédict  Pictei.  Quel 
serviteur  érudit  et  fidèle  !  quelle  gloire  il  a  répan- 
due sur  notre  Église  !  des  témoins  pareils  sont  des 
remparts  contre  les  ennemis  de  cette  cité.  Les  plus 
éminentes  vertus  ont  éclaté  en  lui,  vous  en  avez  joui 
pendant  de  longues  années.  Mais  vous  aurez  toujours 
des  sujets  de  consolation  :  Primo  avulso  non  déficit 
aller.  Heureuse  Église,  heureuse  Académie  !  Conser- 
vez toujours  cet  amour  des  lettres,  cette  culture  de 
la  science ,  cette  paix  fondée  sur  l'éloignement  des 
vaines  controverses.  Continuez  à  laisser  a  tous  la 
liberté  de  parler  et  d'enseigner.  En  vous  tenant  atta- 
chés aux  vérités  fondamentales,  continuez  à  supporter 
la  discussion  sur  les  vérités  secondaires.  Votre  Église 
fleurira  dans  une  haute  paix;  attachée  à  la  vérité, 
ennemie  de  la  licence,  elle  sera  toujours  au  premier 
rani?  pour  la  défense  de  la  liberté  chrétienne.  » 

Douze  ans  plus  tard ,  l'Église  de  Genève  perdait 
l'illustre  compagnon  d'œuvre  de  Bénédict  Pictet , 
Alphonse  Turretin,  et  le  1er  mai  1757,  les  pasteurs 
lui  consacraient  un  fraternel  souvenir.  «  Quelqu'élen- 
dues  que  fussent  les  connaissances  qui  lui  donnent 
un  rang  et  une  réputation  distinguée  parmi  les  sa- 


108 

vants,  on  admirait  encore  plus  en  lui  le  jugement 
exquis,  employé  dans  Tordre  excellent  qu  il  savail 
donner  à  ses  pensées,  la  netteté  et  la  précision  avec 
lesquelles  il  les  exprimait.  Il  est  un  de  ceux  qui  a  le 
plus  contribué  à  introduire  dans  la  théologie  et  la 
prédication  cette  noble  simplicité  apostolique  qui 
est  en  bénédiction  dans  nos  églises.  Plein  de  charité 
et  de  tolérance,  il  a  prêché  de  vive  voix  et  par  écrit 
la  paix  cl  la  concorde  entre  les  enfants  de  la  Réforme. 
Il  a  eu  la  consolation  de  voir  que  Dieu  bénissait  ses  tra- 
vaux. Il  a  été  conservé,  quoique  faible  et  infirme,  jus- 
qu'à l'âge  de  soixante-six  ans.  Sa  fin  a  été  celle  du 
véritable  chrétien  qui  se  sent  appelé  à  l'immor- 
talité. » 

A  côté  de  ces  chefs,  dont  les  noms  sont  demeurés 
dans  le  souvenir  des  églises  de  la  réforme,  nous  dési- 
rons parler  de  quelques  pasteurs  genevois  dont  l'œuvre 
fut  cachée  en  Dieu,  mais  qui  obtinrent  un  témoignage 
honorable  de  leurs  paroissiens  et  de  leurs  collègues. 

M.  Tronchin  ^1705.  11  septembre.)  «  Il  est  rap- 
porté que  M.  Tronchin  étant  extrêmement  malade, 
M.  le  modérateur  fit  assembler  exlraordinairement  la 
Compagnie;  on  se  transporta  chez  ce  vénérable  frère 
pour  lui  témoigner  le  regret  que  ses  collègues  avaient 
de  perdre  un  doyen  de  son  mérite,  qui  leur  faisait 
tant  d'honneur  et  leur  était  d'une  si  grande  utilité. 
M.  Tronchin,  rassemblant  ses  forces,  a  répondu  : 


109 

«  Je  suis  fort  obligé  de  l'honneur  que  vous  me  faites. 
Si  j'ai  offensé  quelqu'un,  je  vous  prie  de  me  pardon- 
ne)'. Je  vous  exhorte  tous  à  la  concorde  et  à  l'amitié 
mutuelle,  et  je  meurs  très-humble  serviteur  de  celte 
Église.  » 

M.  Mestrezat  (7  janvier  4  690).  «M.  Sartoris, 
modérateur,  rapporte  qu'ayant  appris  qu'il  avait  plu 
à  Dieu  de  visiter  M.  Mestrezat,  le  plus  ancien  des 
pasteurs  et  des  professeurs  de  cette  église,  d'une  ma- 
ladie qui  le  mettait  hors  d'espoir  de  guérison,  et  l'a- 
vertissait d'un  prochain  délogement  ,  il  avait  rassemblé 
en  conséquence  plusieurs  frères,  dimanche  après  le 
sermon  du  soir,  et  ils  sont  allés  par  ordre,  marchant 
deux  à  deux,  dans  la  maison  de  M.  Mestrezat  :  on  les 
a  introduits  dans  la  chambre  du  malade.  Le  modéra- 
teur s'élant  approché  de  lui.  dit  qu'il  venait  au  nom 
de  tout  le  corps  lui  témoigner  le  sensible  déplaisir  de 
voir  dans  cet  état  d'affliction  et  de  maladie,  celui  de 
ses  membres  qui  tenait  le  premier  rang  par  son  mérite 
et  ses  longs  services,  qu'il  souhaitait  de  tout  son  cœur 
qu'il  plût  à  Dieu  de  le  rétablir,  mais  sachant  que  toute 
espérance  du  temps  présent  était  vaine,  il  fallait  se 
soumettre  à  la  sage  volonté  du  Maître  qu'il  avait  servi 
fidèlement  pendant  de  longues  années.  Sur  quoi  le 
malade,  autant  que  sa  faiblesse  et  le  bégayement  de 
ses  lèvres  purent  le  permettre,  témoigna  sa  reconnais- 
sance pour  l'affection  que  ses  frères  lui  montraient; 


110 

il  donna  des  marques  bien  expresses  de  son  déta- 
chement et  de  son  entière  résignation  à  la  volonté  de 
Dieu.  M.  le  modérateur  lui  ayant  demandé  s'il  souhai- 
tait qu'on  lui  fit  la  prière,  et  le  malade  en  ayant 
témoigné  un  ardent  désir,  il  avait  imploré  le  secours 
de  Dieu  par  une  prière  à  haute  voix  pendant  laquelle 
le  malade,  non-seulement  éleva  les  mains  et  les  yeux 
au  ciel,  mais  dès  qu'elle  fut  achevée  il  fit  effort  sur 
sa  grande  faiblesse  pour  en  présent*  >i  une  à  Dieu; 
mais  n'ayant  pas  assez  de  voix  et  de  liberté  pour  cela, 
il  écouta  ce  que  lui  dit  encore  M.  le  modérateur 
pour  la  consolation  de  son  âme,  après  quoi  les  pas- 
teurs lui  tendirent  la  main ,  lui  disant  au  revoir, 
et  ce  bon  personnage  leur  souhaita  la  bénédiction  du 
ciel  sur  leurs  personnes  et  leur  ministère. 

«  M.  le  pasteur  Marc  Micheli  rapporte  plus  tard 
que,  comme  la  maladie  de  M.  Mestrezat  dura  encore 
quelques  jours,  il  s'était  heureusement  rencontré  le 
samedi  matin,  2  février,  chez  ce  pieux  malade,  pour 
lui  rendre  ses  devoirs,  et  qu'il  l'avait  trouvé  extrême- 
ment faible  et  si  oppressé  qu'il  ne  pouvait  plus  parler 
intelligiblement.  Toutefois,  il  donnait  des  témoignages 
fréquents  de  l'élévation  de  son  âme  et  d  une  entière 
présence  d'esprit,  tendant  la  main  et  la  posant  sur 
la  tête  de  ses  jeunes  parents  qui  lui  demandaient  sa 
bénédiction.  Le  voyant  s'affaiblir,  M.  Micheli  lui  offrit 
de  lui  faire  la  prière,  et  en  ayant  témoigné  un  ardent 


111 

désir,  il  la  présenta  à  Dieu,  pendant  lequel  temps  le 
malade  ôta  par  deux  fois  son  bonnet,  et  élevait  les 
yeux  et  les  mains  au  ciel .  Après  que  la  prière  fut  finie, 
il  témoigna  l'avoir  bien  entendue,  et  comme  M.  Mi- 
cheli  lui  disait  au  revoir,  M.  Mestrezat  remit  paisible- 
ment et  sans  la  moindre  angoisse  son  âme  entre  les 
mains  de  Dieu.  » 

Tels  étaient  les  sentiments  et  la  foi  de  ces  hommes 
du  dix-septième  siècle,  qui,  après  avoir  usé  leur  vie 
pour  soutenir  l'Église  dans  les  mauvais  jours  de  la 
persécution  et  des  luttes  théologiques,  s'endormaient 
au  Seigneur,  suivis  de  leurs  œuvres,  et  se  confiant 
sans  réserve  en  sa  miséricorde. 

Pareille  fut  la  mort  de  leurs  fils  et  de  leurs  élèves 
qui,  durant  cinquante  années,  travaillèrent  à  la  dé- 
fense de  l'Évangile  contre  le  matérialisme  et  l'incré- 
dulité, et  furent  recueillis  dans  le  repos  de  Dieu 
après  une  carrière  semée  des  plus  pénibles  épreuves. 

M.  de  Roches,  mort  le  20  octobre  1769.  Voici 
le  témoignage  de  la  Compagnie  : 

«  Son  profond  savoir,  son  âme  élevée,  sa  noble  et  ai- 
mable éloquence  nourrie  du  suc  des  Écritures,  la  solide 
énergie  de  ses  écrits  pour  la  défense  du  pur  chris- 
tianisme, l'ont  rendu  un  des  hommes  les  plus  éminents 
et  les  plus  utiles  à  la  religion  dans  cette  ville;  on 
espère  que  son  digne  fils,  qui  est  entré  dans  le  minis- 
tère, marchera  sur  ses  traces.  » 


li-2 

Vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  une  sympa- 
thie profonde  accompagna  la  démission  de  l'apologiste 
chrétien  Jacob  Vernet  (1786): 

«  On  regrette  la  démission  de  M.  Vernet;  c'est 
un  des  pasteurs  qui  a  le  plus  illustré  notre  Église  et 
notre  Académie.  Il  fui  durant  trente  années  professeur 
en  théologie,  et  il  a  rendu  les  plus  éminents  services 
soit  par  ses  leçons,  soit  par  ses  nomhreux  écrits,  qui 
l'on  fait  connaître  dans  toute  l'Europe  de  la  manière 
la  plus  avantageuse.  Ces  beaux  talents  ont  été  cou- 
ronnés par  une  douceur,  une  piété,  une  modestie  sin- 
gulière. Quoique  rentré  dans  le  repos  de  la  vie  privée, 
on  sait  que  M.  Vernet  emploiera  jusqu'à  la  fin  sa 
parole  et  son  influence  au  service  de  notre  Eglise.  » 

M.  Vernes(%&  octobre  1791 .)  «  La  Compagnie  ap- 
prend avec  une  vive  douleur  que  Dieu  a  retiré  à  lui 
M.  le  pasteur  Jacob  Vernes.  Il  fut  un  homme  de  let- 
tres distingué,  un  citoyen  plein  de  zèle,  grand  pré- 
dicateur, pasteur  éclairé  et  vigilant.  Il  a  fait  beaucoup 
d'honneur  à  son  pays  et  à  son  Eglise.  Correspondant 
avec  les  savants  les  plus  illustres  de  l'Europe,  il  s'est 
fait  un  nom  dans  les  lettres.  Dévoué  à  sa  patrie,  il  a 
cherché  à  lui  être  utile  en  procurant  la  paix;  il  a 
souffert  avec  une  patience  pleine  de  dignité  les  épreu- 
ves de  l'exil.  Il  joignait  à  un  extérieur  intéressant  une 
grande  force  de  raisonnement  et  une  noble  simplicité. 
Ses  ouvrages  pour  la  défense  de  la  religion  respirent 


143 

un  zèle  ardent  tempéré  par  une  douceur  inaltérable; 
il  attaque  avec  énergie  Teneur  de  ses  adversaires  et 
respecte  leurs  personnes;  cette  franche  cordialité  et 
cette  noble  franchise  lui  ont  valu  l'affection  et  le  res- 
pect universels. 

C'est  ainsi  que,  durant  deux  siècles,  les  pasteurs 
genevois  ont  conservé  leur  Eglise  vivante  et  respectée 
au  milieu  des  persécutions  du  fanatisme  romain,  des 
divisions  dogmatiques  et  des  attaques  du  matéria- 
lisme. 


111. 


8 


144 


CHAPITRE  IV. 


DOGMATIQUE  GENEVOISE 


Etat  de  1  opinion  après  l'abolition  des  peines  civiles  contre  les  héré- 
tique —  Controverse  arminienne.  —  Aniiraut.  —  Tolérance  pru- 
dei  e  de  la  Compagnie  des  Pasteurs.  —  Caraeron.  —  Morus.  — 
Controverse  -ur  la  prédestination.  —  Formulaire  de  consécration 
pour  les  ministres.  —  Affaire  de  De  Rodon.  —  Affaire  de  Chouet.  — 
Discussion  sur  la  grâce.  —  Le  Conseil  et  le  Concile.  —  Affaire 
Mussard.  —  Affaire  Le  Clerc.  —  L'intolérance  condamnée  par  l'évê- 
que  anglais  Burnet.  —  Le  Consensus.  —  Admirable  conduite  de 
Neuchâtel.  —  Discussion  à  Genève.  —  Adoption  du  Consensus.  — 
Schisme  dans  l'Eglise  à  ce  sujet.  —  Retour  à  la  paix. 


Nous  avons,  dans  le  précédent  volume,  conduit 
l'histoire  de  la  dogmatique  genevoise  jusqu'au  mo- 
ment où  les  châtiments  civils  et  la  peine  de  mort  sont 
abolis  à  l'égard  des  gens  qui  ne  pensent  pas  comme 
l'Église  établie.  Les  articles  du  Code  «  hérétique  » 
subsistent  encore,  mais  dès  l'an  1652,  les  magis- 
trats et  les  pasteurs  cessent,  d'un  commun  accord, 
de  faire  usage  de  cet  odieux  héritage  du  fanatisme 
romain.  La  discussion  sur  les  croyances  religieuses 
devint  dès-lors  possible;  elle  dura  cent  cinquante  ans. 


445 

Le  clergé  genevois  se  divisa  en  deux  camps  bien 
tranchés  :  les  uns,  irrévocablement  attachés  au  calvi- 
nisme, ne  voulurent  transiger  avec  aucune  des  affîr- 
malions  du  réformateur;  ils  s'efforcèrent  d'empêcher 
la  publication  des  livres  de  leurs  adversaires,  de  les 
réduire  au  silence,  ou  d'obtenir  leur  exil  volontaire 
de  Genève.  Les  autres,  interprétant  plus  librement 
l'Évangile,  se  séparèrent  à  la  longue  du  réformateur 
sur  diverses  parties  de  son  inflexible  dogmatique. 

Ces  deux  partis  entrèrent  en  lutte  ouverte,  et  les 
doctrines  d'Arminius  étant  la  dernière  controverse 
soulevée  parmi  les  protestants,  occupaient  une  place 
importante  dans  les  esprits,  et  ce  fut  sur  elles  que 
roulèrent  à  Genève  les  premières  discussions  du  dix- 
septième  siècle. 

Nous  rappelons  que  la  différence  entre  Arminius 
et  Calvin  roule  sur  la  prédestination. 

Calvin  affirme  que  Dieu  a  choisi  entre  tous  les 
hommes  ceux  qu'il  lui  a  plu  par  un  décret  de  sa  vo- 
lonté, et  sans  trouver  en  eux  aucune  raison  qui  le 
portât  à  faire  cette  élection.  —  C'est  la  prédestination 
absolue. 

Arminius  dit  au  contraire  :  Dieu  a  résolu  de  sau- 
ver en  Jésus-Christ  les  hommes  qui,  par  la  vertu  du 
Saint-Esprit,  croient  en  son  Fils  et  persévèrent  jus- 
qu'à la  fin. 

Ces  doctrines  d'Arminius  s'étaient  répandues  en 


H6 

France,  malgré  les  rigueurs  exercées  en  Hollande 
contre  leurs  partisans.  Cette  controverse  éclata  en 
1  055.  Voici  les  nouvelles  qu'on  en  reçoit  à  Genève  : 
«M.  A  m  ira  ut,  professeur  en  théologie  à  Saumur,  a  mis 
en  lumière  un  livre,  touchant  la  prédestination,  qui 
contient  des  opinions  conformes  aux  Arminiens,  qui 
a  grandement  troublé  l'Eglise  de  Paris.  Les  pasteurs 
de  l'Eglise  de  France  ne  sont  point  d'accord  là-dessus, 
et  même  il  est  à  craindre  que  de  grands  scandales 
arrivent.  Le  synode  de  Saintonge  a  député  à  M.  Ami- 
raut deux  personnes,  MM.  Vincent  et  Du  Ton,  pour 
conférer  avec  Amiraut.  Celui-ci  leur  a  donné  tout 
contentement,  et  néanmoins  ou  a  sujet  de  craindre  de 
très-pernicieux  effets  de  cette  publication.  »  (Reg.Cp. 
0  nov.  \  035.) 

La  Compagnie  est  priée  par  les  Églises  françaises 
de  s'interposer  eu  celle  affaire;  elle  accepte  le  rôle  de 
médiateur,  et  conjure  les  deux  partis  de  se  porter  à 
la  tolérance.  Toutefois,  cette  tolérance  n'est  point 
encore  une  affaire  de  principe;  il  ne  s'agit  point  de 
reconnaître  aux  deux  opinions  le  droit  de  vivre  et  de 
se  manifester  librement  au  sein  des  églises.  Non,  les 
conseils  de  la  Compagnie  portent  uniquement  sur  la 
nécessité  de  supporter  ses  adversaires,  «  vu  les  grands 
dangers  que  la  Réforme  pourrait  courir  si  ses  plaies 
intérieures  étaient  connues.  »  Dans  ce  but,  elle  charge 
M.  Spanheim  d'écrire  à  M.  Amiraut  : 


117 

«  Votre  livre  esl  jugé  contraire  à  la  saine  doctrine; 
il  peut  causer  de  grands  maux  à  l'Église  de  France.  » 

A  M  Dumoulin  :  «  Nous  vous  prions  de  ne  pas  vous 
échauffer  en  répondant  à  M.  Amiraut,  vu  que  de  toutes 
parts  on  travaille  à  le  ramener  avec  douceur.  » 

A  M.  Cappel  :  «  Nous  apprenons  que  Vous  allez 
écrire  au  long  sur  le  différend  survenu  entre  MM .  Ami- 
raut et  Dumoulin.  Vous  envenimez  terriblement  l'af- 
faire; il  sera  déplorable  que  la  discussion  se  trouve 
amenée  devant  un  synode  national  ;  il  faudra  s'expli- 
quer devant  un  député  du  roi,  découvrir  les  plaies  de 
son  Église,  causer  de  grands  scandales,  et  donner  aux 
ennemis  l'occasion  de  mal  parler  de  nous.  Nous  vous 
prions  en  conséquence  de  ne  plus  écrire  les  uns  con- 
tre les  autres,  et  nous  vous  exhortons  à  céder  mu- 
tuellement par  tolérance  pacifique.  »  (50  sept.  1656.) 

Les  pasteurs  de  Genève  furent  écoutés  :  on  signa 
la  paix;  mais  cette  paix  fut  de  courte  durée.  Les  dis- 
cussions recommençant  durant  l'hiver,  la  plupart  des 
Églises  de  France  demandèrent  à  la  Compagnie  d'en- 
voyer une  Encyclique  qui  serait  lue  dans  toutes  les 
chaires.  Quelque  honorable  que  fût  cette  démarche, 
la  Compagnie  refusa  et  se  borna  à  écrire  de  nouveau 
aux  adversaires  pour  les  exhorter  à  la  concorde1. 

Les  mêmes  principes  de  tolérance,  fondée  sur  la 
prudence  et  l'intérêt,  dirigèrent  la  Compagnie  dans 

1.  Reg.  Comp.  10  mars  1637;  20  nov.  1640. 


118 

une  occasion  où  elle  fut  directement  mise  en  cause 
avec  l'arminianisme.  —  Un  théologien  écossais,  Ca- 
meron,  était  soupçonné  de  partager  les  idées  du  théo- 
logien hollandais.  «  M.  Diodali  rapporte  que  son  livre 
est  imprimé  aux  deux  tiers  par  Chouet;  on  décide 
de  faire  suspendre  l'impression.  —  Les  professeurs  de 
théologie  et  le  Petit  Conseil  déclarent  que,  bien  que 
des  passages  soient  trouvés  erronés,  l'ouvrage  n'est 
pas  hérétique  et  ne  choque  point  les  articles  de  notre 
foi;  du  reste,  il  est  approuvé  par  le  synode  national 
de  Castres,  par  plusieurs  autres  synodes,  et  enfin 
par  les  Ecossais  qui  pourraient  s'offenser  de  notre 
interdiction.  Avis  est  de  permettre  sans  autre  la  publi- 
cation. » 

Les  grandes  controverses  agitent  longtemps  sour- 
dement les  esprits,  et  puis  elles  éclatent  au  sujet  d'un 
individu  qui  concentre  sur  sa  personne  les  ferments 
de  discorde  épars  dans  les  divers  partis.  Ce  fut  le 
cas  d' Alexandre  Mores.  Ce  théologien,  originaire  de 
Castres,  fit  ses  études  à  Saumur,  et  vint  à  Genève  en 
164-1  1  pour  être  admis  au  saint  ministère.  La  Véné- 
rable Compagnie  temporisa  pendant  quelques  mois  et 
ne  put  se  décider  à  consacrer  le  postulant.  Celui-ci  se 
plaignit  au  Petit  Conseil,  qui  demanda  «  que  Morus 

1.  Reg.  Cons.  26  juin,  10  juillet  1641  ;  25  avril  1646;  Reg.  Comp. 
9  janv.  1646. 


119 

fût  immédiatement  examiné  sur  tous  les  points  de  la 
confession  de  foi  et  sur  les  faits  dont  on  l'avait  chargé, 
afin  de  juger  s'il  y  avait  quelque  chose  qui  l'empê- 
chât d'être  reçu  au  saint  ministère.  »  MM.  Dupan  et 
Mollet  rapportent  «  que  les  délais  ne  doivent  point 
être  imputés  à  aucune  prévention  contre  la  personne 
de  Morus,  mais  que  celui-ci  est  imprégné  de  la  doc- 
trine de  Saumur;  il  penche  vers  les  principes  d'Ami- 
raut  sur  la  grâce  universelle  et  vers  ceux  de  Laplace 
touchant  le  péché  originel.  »  Un  examen  plus  précis 
ayant  eu  lieu,  Morus  déclara  qu'il  signerait  de  son 
sang  la  confession  de  Genève  et  le  catéchisme ,  mais 
qu'il  ne  pouvait  condamner  ni  rejeter  la  doctrine  de 
Saumur. 

Le  Petit  Conseil,  magistrat  souverain  pour  régler 
les  affaires  de  doctrine,  se  déclare  satisfait,  «  et  or- 
donne qu'on  baille  texte  au  sieur  Morus,  et  qu  on 
le  consacre  après  les  délais  voulus,  pourvu  que  cela 
n'aille  pas  trop  loin.  » 

Morus  fut  consacré  :  le  Conseil  le  nomma  de  suite 
professeur  de  philosophie,  puis,  un  an  plus  lard 
(8  oct.  1642),  sur  l'indication  des  magistrats,  la 
majorité  de  la  Compagnie  lui  confia  la  place  de  pro- 
fesseur de  théologie,  succédant  à  Spanheim.  Enfin, 
en  1645,  le  25  avril,  il  fut  nommé  recteur.  La 
faveur  publique  était  donc  à  son  comble,  et  Morus 
la  méritait  sous  certains  rapports  :  c'était  un  prédi- 


1-20 

eatéur  brillant,  incisif,  original;  il  avait  l'art  de  lixer 
l'attention  des  foules;  mais  des  défauts  sérieux  com- 
promettaient ces  éléments  de  succès.  Abusant  de  sa 
facilité  d'improvisation1,  il  montait  en  cbaire  mal 
préparé  et  distrait  par  d'autres  pensées.  De  là,  de 
l'obscurité  dans  ses  paroles.  C'était  même  parfois  pire 
(jue  de  l'obscurité.  Il  arrivait  à  Morus  d'oublier  les 
convenances  et  de  commettre  des  erreurs  de  jugement 
impardonnables.  En  voici  un  exemple  : 

«  Dans  le  royaume  des  cieux,  dit-il  un  jour,  la  foi 
sera  changée  en  vue,  la  loi  sera  abolie.  Singulier 
royaume  où  il  n'y  aura  plus  ni  foi  ni  loi  !  » 

Vers  l'an  1646,  les  disputes  recommencèrent  tou- 
chant les  opinions  dogmatiques  de  Morus.  On  s'atta- 
qua vivement  en  chaire,  et  Morus  dépassait  les  bor- 
nes, malgré  la  bienveillance  inaltérable  des  magis- 
trats. (Reg.  Cons.,  4  5  août  4  648.) 

Des  citoyens,  membres  du  Conseil  des  Deux-Cents, 
vinrent  reprocher  à  la  Compagnie  «  de  n'avoir  pas 
relevé  les  paroles  de  Morus  contre  ses  collègues  qui, 
selon  lui,  prêchent  «  fables  et  fatras;  ils  ont  l'igno- 
rance sans  conscience,  et  l'impudence  sans  science.  » 
(Reg.  Comp.,  9  janv.  4  646). 

En  dehors  des  injures  ,  la  discussion  portait  sur 
les  points  suivants:  Morus  niait  publiquement  l'im- 
putation du  péché  d'Adam,  et  affirmait  que  le  5me 

1.  Reg.  Comp.  2  juillet  1649.  Discours  d'adieu  de  Morus. 


chapitre  de  la  2mc  épître  aux  Corinthiens  s'applique 
uniquement  aux  Juifs.  Quand  saint  Paul,  disait-il,  parle 
de  la  loi,  ce  n'est  pas  la  loi  de  la  conscience,  mais  la 
loi  de  Moïse  qu'il  entend  décrire,  et  sous  celte  loi  il 
n'y  avait  que  des  promesses  temporelles.  Enfin,  les 
réformateurs  déclarent  que  l'homme  est  condamné 
avant  sa  chute,  et  lui  Morus  affirme  que  les  enfants 
d'Adam  sont  condamnés  après  leur  propre  chute. 

Pendant  trois  années  (4  64-6  à  1649),  l'Eglise 
genevoise  fut  bouleversée  par  cette  controverse. 
D'étranges  variations  se  manifestèrent  dans  les  opi- 
nions des  magistrats  et  dans  celles  de  Morus.  Le  9 
janvier  164-6,  ce  théologien  avait  fait  la  profession  de 
foi  (pie  nous  venons  de  rapporter,  et  le  Petit  Conseil 
et  la  Compagnie  ayant  ouï  les  réponses  et  explications 
de  Morus,  le  trouvent  entièrement  exempt  de  tout 
soupçon  d'hétérodoxie  et  de  nouveauté.  Cette  déci- 
sion fut  suivie  de  deux  années  de  paix  ;  mais  le  1  8 
novembre  164-8,  le  Conseil,  voyant  les  discussions 
recommencer  avec  une  force  nouvelle,  demande  à  la 
Compagnie  «  de  dresser  les  articles  sur  lesquels  on  con- 
teste et  que  l'on  signera  sans  nouveaux  débats.» 
Après  six  mois  employés  à  minuter  cette  profession  de 
foi,  la  Compagnie  présenta  le  formulaire  ci -joint1. 

1.  1er  juin  1649.  Articles  signés  par  la  Compagnie  : 

1°  Pkchk  origi>ki  . 
Le  premier  péché  d'Adam  est  imputé  à  sa  postérité  par  un  juste  ju- 


422 

Les  thèses  se  terminaient  par  un  engagement  aussi 
formel  que  sévère.  Les  pasteurs  devaient  signer  les 

gement  de  Dieu,  d'où  la  corruption  se  répand  sur  chacun.  Ainsi  trois 
choses  rendent  l'homme  coupable  devant  Dieu  : 

1°  Nous  avons  tous  péché  en  Adam  ; 

2°  La  corruption  qui  est  la  peine  de  ce  péché: 

3°  Les  péchés  des  adultes. 
2°  L'imputation  du  péché  d'Adam  et  celle  de  la  justice  de  J.-C.  se 
répondent. 

Le  péché  d'Adam  est  imputé  à  sa  postérité;  précède  la  corruption. 
La  justice  deJ.-C.  est  imputée  aux  élus;  précède  la  sanctification. 
3°  L'imputation  du  péché  d'Adam  est  la  cause  ;  notre  corruption  est 
l'effet. 

Erreur  rejetée. 

Que  le  péché  d'Adam  n'est  pas  imputé  à  sa  postérité,  ou  que  l'impu- 
tation n'est  pas  antérieure  à  la  corruption. 

2°  Prédbstisation. 

i°  L'objet  de  la  Prédestination  sont  les  hommes  tombés,  mais  non 
rebelles  à  la  vocation. 

2°  L'élection  au  salut  et  aux  moyens  du  salut  sont  quelquefois  distin- 
gués. J  -C.  a  été  envoyé  et  est  mort  par  le  décret  de  Dieu  le  Père  pro- 
cédant de  son  amour  pour  les  élus. 

3°  Dieu  n'a  décrété  de  donner  à  son  Fils  et  de  leur  donner  la  Foi 
pour  avoir  la  vie  éternelle,  qu'à  ceux  qu'il  a  élus  en  J.-C.  par  son  bon 
plaisir. 

i°  L'amour  de  Dieu  est  la  seule  cause  de  l'envoi  et  de  la  satisfaction 
du  Fils,  aussi  bien  que  de  l'application  de  son  mérite. 

Erreurs  rejetées. 

i°  Que  Dieu  a  quelque  bonne  volonté  de  sauver  ceux  qui  périssent; 
et  cela  sous  la  condition  de  la  Foi  et  de  la  Repentance. 

2°  Que  Dieu  a  quelque  désir  ou  velléité  de  moins  véhément,  on 
quelque  grâce  universelle  conditionnelle,  de  sauver  chacun  des  parti- 
culiers, s'ils  croient  en  J.-C. 

3°  Qu'il  y  a  un  décret  antérieur  à  l'élection,  d'user  de  miséricorde 
envers  le  genre  humain  eu  général. 

4°  Qu'il  y  a  deux  miséricordes  de  Dieu,  une  illustre  et  universelle 
envers  chaque  particulier,  l'autre  plus  illustre  et  particulière  envers 
les  élus. 

3°  RÉDH>ipno>. 

1°  La  venue  de  J.  C.,  sa  satisfaction  et  le  salut,  ne  sont  destinés 


123 

paroles  suivantes  :  Sic  senlio  sic  clocebo  et  nil  con- 
trarium  hisce  tlocebo,  vel  publiée  vel  privatim.  «  Ainsi 

qu'à  ceux  à  qui  Dieu  a  résolu  de  toute  éternité  de  donner  la  Foi  et  la 
Repentance,  et  à  qui  11  la  donne  dans  le  temps.  L'Ecriture  et  l'expé- 
rience de  tous  les  siècles  combattent  l'universalité  de  la  Grâce  salu- 
taire. 

2°  J.-C.  n'a  été  destiné  qu'à  un  certain  nombre  d'hommes,  qui  com- 
posent le  corps  mystique  des  élus. 

3°  Ce  n'est  que  pour  ceux-là  que  J.-C  a  voulu  mourir,  et  ajouter 
l'intention  efOcace  et  particulière  de  sa  volonté. 

4°  Les  expressions  générales  de  l'Ecriture  ne  doivent  pas  s'entendre 
de  tous  et  un  chacun  des  hommes;  mais  à  l'universalité  du  corps  de 
de  J.-C.  ou  à  l'économie  du  Nouveau  Testament  qui  abolit  la  distinc- 
tion des  peuples. 

Erreur  rejelée. 

Que  J.-C.  est  mort  pour  tous  et  un  chacun  des  particuliers,  (sous  la 
condition  qu'ils  croient)  et  cela  non-seulement  à  l'égard  du  prix  de  sa 
mort,  mais  aussi  à  l'égard  de  son  intention,  et  qu'il  faut  expliquer  ainsi 
Ezécb.  XVIII,  21  ;  XXXIII,  11;  Jean  III,  16  ;  1  Tim.  II,  4;  2Pier.  111,9. 
4°  Disposition  a  la  grâce. 

1°  Les  moyens  de  salut  étant  impossibles  aux  réprouvés,  Dieu  ne 
peut  avoir  une  volonté  conditionnelle  de  les  sauver,  à  moins  qu'il  n'y 
ait  en  Lui  une  volonté  vaine  et  sans  effet. 

2°  Le  bon  usage  de  la  lumière  naturelle,  subjective  ou  objective,  ne 
peut  conduire  l'homme  au  salut,  ni  obtenir  de  Dieu  aucun  degré  de 
lumière  nécessaire  pour  y  avoir  part. 

Erreurs  rejetées. 

1°  Qu'il  y  a  une  vocation  au  salut  universelle  pour  tous  les  hommes, 
et  qu'ils  peu  vent  tous,  s'ils  veulent,  croire  et  être  sauvés. 
2°  Que  par  sa  volonté  révélée  Dieu  veut  sauver  tous  les  hommes. 

5°  PilOMESSES  ET  PRIVILÈGES  DES  FIDELES. 

1"  La  vie  promise  par  la  Loi  n'est  pas  seulemeut  temporelle  et  ter- 
restre, mais  céleste  et  éternelle. 

2°  Les  fidèles  avant  J.-C.  ont  eu  le  même  Sauveur  et  Médiateur  que 
nous,  et  le  même  esprit  d'adoption. 

Erreurs  rejet  ces. 

1°  Que  les  promesses  et  les  devoirs  de  l'Alliance  légale  n'étaient  que 
naturels  et  temporels. 

2°  Que  les  Pères  du  Vieux-Testament  n'ont  pas  eu  l'arrhe  du  Saint- 
Esprit. 


je  pense,  ainsi  j'enseignerai  et  je  n'enseignerai  rien 
de  contraire  a  celte  doctrine  chrétienne,  ni  en  public 
ni  en  particulier.  » 

Morus  ayant  signé  ce  formulaire,  ses  amis  lui 
conseillèrent  de  quitter  Genève  et  d'accepter  le  poste 
offert  par  l'Église  de  Middelbourg;  il  y  consentit,  et 
la  scène  de  ses  adieux  à  la  Compagnie  fut  caractéris- 
tique :  «  Je  supplie  mes  collègues  de  me  pardonner  si 
j'ai  manqué  à  la  déférence  et  au  respect  qui  sont  dus 
à  ce  corps.  La  différence  des  pays  et  des  lieux  peut 
avoir  contribué  à  la  diversité  qui  s'est  manifestée 
entre  nous;  c'est  un  défaut  chez  moi  plutôt  qu'une  vo- 
lonté déterminée.  Les  difficultés  de  doctrine  viennent 
de  ce  que,  dans  mes  leçons  et  en  chaire,  distrait  et  mal 
préparé,  j'ai  eu  souvent  de  l'obscurité  dans  mes  pa- 
roles. Mais  je  prends  Dieu  à  témoin  que  je  n'ai  jamais 
voulu  donner  une  autre  doctrine  que  celle  contenue  en 
la  parole  de  Dieu  et  la  créance  de  notre  Église,  et  bien 
qu'il  y  ait  eu  des  difficultés,  je  prie  qu'à  mon  départ 
on  reste  en  bonne  affection.»  (2  juillet  1649.) 

M.  Butini,  modérateur,  lui  répondit  :  «  La  Com- 
pagnie est  joyeuse  de  ce  que  les  débats  soient  termi- 
nés; elle  vous  souhaite  bénédiction  et  prospérité  en 
votre  voyage;  puissiez- vous  faire  usage  à  la  gloire 
de  Dieu ,  avec  la  prudence  nécessaire,  des  beaux 
dons  qui  vous  sont  départis  !  Nous  vous  baillons  la 
main  cordialement.  » 


125 

Les  conseillers  défendirent  qu'on  parlât  davantage 
de  ce  qui  s'était  passé. 

Morus  et  les  pasteurs  de  Genève  souffrirent  égale- 
ment de  la  fausse  position  créée  par  la  lutte  entre  la 
liberté  naissante  et  les  habitudes  despotiques  du  calvi- 
nisme. Morus,  afin  de  conserver  sa  place,  faisait  par- 
fois bon  marché  de  sa  croyance  afin  de  désarmer  ses 
plus  ardents  adversaires;  et,  de  leur  côté,  les  pasteurs 
genevois  ne  possédant  plus  la  législation  qui  punit  les 
croyances  divergentes,  employaient  les  persécutions 
personnelles  pour  éloigner  les  hommes  qui  rejetaient 
une  partie  des  idées  de  Calvin. 

Formule  de  consécration.  Environ  dix  années  se 
passèrent  sans  discussions  extérieures.  Mais  le  coup 
était  porté,  et  plusieurs  personnes  adoptaient  les  doc- 
trines d'Amiraut  reproduites  par  Morus. 

La  Compagnie  voulut  se  préserver  autant  que  pos- 
sible de  toute  innovation;  elle  décida  en  1659  (Reg. 
Comp.)  que  tous  ses  membres  signeraient  la  déclara- 
tion suivante  : 

«  V ous  promettez  de  fuir  les  nouveautés  de  la  doc- 
trine sur  l'universalité  de  la  grâce  et  de  la  non  im- 
putation du  péché  d'Adam.  » 

«  Vous  n'enseignerez  rien  qui  ne  soit  conforme  à  la 
coufesson  de  foi  des  Eglises  réformées  de  France,  aux 
arrêtés  du  synode  de  Dordrechl  et  à  notre  catéchisme.  » 


426 

MM  Humbert-Viollier  et  Vautier  signèrent  les  pre- 
miers ce  formulaire. 

Les  deux  partis  énonçaient  avec  une  admirable 
clarté  leurs  doctrines  favorites.  Les  partisans  d'Ami- 
raut  disaient  tous  qu'il  y  a  une  vocation  universelle 
au  salut  pour  tous  les  hommes;  ils  peuvent  tous,  s'ils 
le  veulent,  croire  et  être  sauvés. 

Les  Calvinistes  affirmaient  que  les  moyens  de  salut 
sont  impossibles  aux  réprouvés,  et  que  le  bon  usage 
de  la  lumière  naturelle  ne  peut  nullement  sauver 
l'homme. 

Les  divergences  sur  le  péché  originel  furent  expo- 
sées comme  suit  : 

Calvinistes.  Le  péché  d'Adam  est  imputé  à  sa 
postérité  par  un  jugement  de  Dieu,  d'où  la  corrup- 
tion se  ici  and  sur  chacun. 

Arminiens.  1er  degré.  L'imputation  du  péché  d'A- 
dam est  postérieure  aux  péchés  de  l'individu. 

2e  degré.  Le  péché  d'Adam  n'est  pas  imputé  à 
sa  postérité. 

On  imposa  rigoureusement  la  signature  de  cette 
formule  d'abord  à  tous  les  ecclésiastiques,  puis  aux 
membres  de  l'Académie,  à  qui  la  constitution  ouvrait 
les  rangs  de  la  Compagnie;  enfin  on  l'exigea  autant 
que  possible  de  tous  les  professeurs  enseignant  à  Ge- 
nève. 

Le  premier  qui  souffrit  de  cette  réaction  calviniste 


127 

fut  le  fameux  philosophe  logicien  De  Rodon 1 .  Ce  sa- 
vant possédait  une  réputation  universelle  et  il  était 
redouté  en  France  à  cause  de  l'énergie  invincible  de  ses 
syllogismes.  Ayant  composé  un  ouvrage  intitulé  le 
Tombeau  de  la  messe,  il  fut  privé  de  tous  ses  grades 
académiques  et  se  réfugia  à  Genève.  On  lui  confia 
l'enseignement  de  la  logique;  mais  bientôt  après, 
quelques  propositions  ayant  paru  s'écarter  de  la  doc- 
trine calviniste,  on  l'obligea,  le  12  juillet  1663,  à  si- 
gner non-seulement  le  formulaire,  mais  encore  la  con- 
damnation de  la  grâce  universelle  et  de  la  non  impu- 
tation du  péché  d'Adam. 

Malgré  ces  précautions,  le  professeur  demeura 
toujours  en  haute  défiance;  on  essayait  par  mille 
taquineries  de  dégoûter  les  étudiants  de  suivre  ses 
cours.  Cette  mesquine  persécution  dura  cinq  années, 
puis  De  Rodon  tomba  sérieusement  malade;  alors  il 
demande  à  la  Compagnie  de  lui  envoyer  quelques-uns 
de  ses  membres  pour  recevoir  une  déclaration  de 
principes  qui  enlève  les  sinistres  idées  que  quelques 
personnes  ont  de  ses  croyances.  «  Le  15  août  1664, 
MM.  Mestrezat,  Turretin  et  Tronchin  se  rendent  chez 
le  vieux  professeur,  qui  depuis  deux  mois  est  détenu 
de  périlleuse  maladie.  Messieurs,  dit-il,  sentant  que 
Dieu  m'appelle,  je  veux  qu'on  entende  mes  opinions, 
sur  lesquelles  quelques-uns  ont  voulu  m'accuser  d  hé- 

1.  Reg.  Comp.  4  octobre  1663,  12  août  1664,  mort  de  de  Rodon. 


128 

térorîoxie —  Je  me  résigne  à  la  volonté  de  Dieu;  je  me 
confie  en  la  miséricorde  de  Jesus-Chrisl  mon  Sauveur, 
et  j'attends  ia  vie  éternelle  selon  les  promesses  de 
son  évangile. 

»  Je  déclare  en  outre  :  1°  que  l'essence  divine  est 
une  en  nombre,  spirituelle,  infinie,  toute  puissante, 
de  laquelle  dépendent  toutes  choses  tant  actuelles  que 
possibles; 

»  2°  La  Trinité  est  une  essence  unique  en  trois  per- 
sonnes distinctes  réellement; 

»  3°  En  Jésus-Clirist,  la  nature  humaine  est  unie 
au  verbe  d'une  union  toute  autre  que  les  saints  dans 
le  Ciel  sont  unis  à  Dieu,  celle-ci  étant  parastatique 
et  l'autre  hyposlatique;  néanmoins,  c'est  un  mystère 
incompréhensible  à  l'espèce  humaine; 

»  i"  Le  Franc  Arbitre.  Dieu  l'auteur  de  tout  bien, 
détermine  l'homme  efficacement  à  toutes  les  bonnes 
œuvres  qu'il  sent  et  dont  la  gloire  lui  est  due,  loin 
d'attribuer  quelque  force  ou  quelque  bon  mouvement 
au  franc  arbitre  pour  le  bien. 

»  Quant  au  mal,  Dieu  n'en  est  ni  n'en  peut  être 
l'auteur,  mais  il  provient  de  l'homme  seul,  quoique 
Dieu  le  permette. 

»  Sur  le  péché  originel ,  je  crois  que  tous  les  enfants 
généralement  en  sont  souillés,  et  qu'au  regard  des  en- 
fants des  fidèles  mourant  en  bas  âge,  je  crois  qu'étant 
en  l'alliance  de  Dieu  ils  sont  sauvés.  Les  enfants  des 


t29 

enfants  des  infidèles  ayant  un  moindre  péché,  ils  souf- 
frirent moindre  peine,  sans  admettre  les  limbes. 

«  S'il  y  a  des  choses  dans  mes  livres  contraires  à 
la  doctrine  de  nos  Eglises,  je  demande  qu'on  y  appli- 
que la  présente  déclaration.  —  Signé,  Mestrezat, 
François  Turretin,  L.  Tronchln,  témoins.  » 

Il  nous  est  difficile  de  croire  que  tout  fût  libre  dans 
celte  déclaration  de  De  Rocîon  :  dix  mois  auparavant 
il  imprimait  dans  sa  Métaphysique  que  les  personnes 
de  la  Trinité  diffèrent  quant  à  l'espèce  ( specie ) .  L'œil 
inquisitorial  d'un  pasteur.  M.  Léger,  découvrit  cette 
hérésie  :  elle  fut  biffée  ;  c'était  naturel ,  car  celui  qui 
admettrait  cette  diversité  fondamentale  dans  la  nature 
divine  ne  pourrait  signer  sans  contrainte  les  premiers 
articles  de  la  confession  suprême  du  vieux  logicien. 

Les  trois  pasteurs  qui  furent  témoins  de  cette  mort 
suivirent  une  carrière  théologique  fort  différente. 
François  Turretin  demeura  calviniste  rigide,  et  ré- 
digea plus  tard  le  fameux  Consensus  qui  fit  couler 
des  larmes  et  du  sang  dans  les  Eglises  suisses.  Mestre 
zat  et  Louis  Tronchin  dirigèrent  le  mouvement  armi- 
nien qui  aboutit  à  l'établissement  complet  de  la  to- 
lérance et  de  la  liberté  religieuse  dans  l'Eglise  de 
Genève. 

Après  le  professeur  vint  le  tour  de  l'étudiant ,  et 
en  4  667,  un  proposant,  nommé  Rogère,  de  Berge- 
rac, fut  accusé,  par  ses  camarades,  «  d'avoir  dit  que 

""""        il!  9 


430 

les  Pères  de  l'Ancien  Testament  ne  connaissaient  pas 
la  Trinité;  de  plus,  il  lit  les  livres  de  l'école  de  Sau- 
mur  et  approuve  les  opinions  d'Arminius.  »  Rogère 
avoua  ces  faits,  et  déclara  en  outre  «  qu'il  croyait  à 
l'imputation  sans  en  comprendre  la  nature,  et  pen- 
sait que  l'homme  ne  pourra  être  sauvé  que  par  la  foi 
en  Jésus-Christ:  pour  la  grâce  universelle,  il  voulait 
être  renvoyé  à  son  Synode.  » 

La  Compagnie  lui  accorda  un  témoignage  «  où  elle 
faisait  mention  du  soupçon  qu'on  avait  de  lui  et  de 
la  déclaration  précédente;  elle  exigea  que  l'étudiant 
souscrivît  la  confession  de  foi  des  Églises  de  France, 
la  liturgie,  le  catéchisme  et  les  actes  de  Dordrechl. 

A  la  suite  de  cette  affaire,  de  violentes  discussions 
s'élevèrent  parmi  les  proposants,  dont  la  plupart  ap- 
prouvaient les  opinions  de  leur  collègue.  La  Compa- 
gnie les  censura. 

Affaire  de  la  grâce.  Pendant  deux  années  les  dis- 
putes continuèrent  entre  les  arminiens  et  les  partisans 
de  la  doctrine  de  Calvin,  et  MM.  Tronchin,  pasteur, 
Martine  et  Mestrezat,  professeurs  en  théologie,  jugè- 
rent qu'ils  devaient  proclamer  hautement  leurs  opi- 
nions personnelles  (Reg.  Comp.  44  juin  4669.) 

Une  occasion  favorable  se  présenta  pour  eux  lors 
de  la  consécration  au  saint  ministère  de  Charles  Mau- 
rice, ministre  français.  Le  4  4  juin  4  669,  dans  la 


131 

discussion  concernant  le  candidat,  un  grave  incident 
fut  soulevé.  Lorsque  le  modérateur,  après  avoir  for- 
mulé, selon  l'usage,  les  recommandations  à  faire  au 
jeune  homme,  en  vint  à  ces  mots:  «  On  l'exhortera 
notamment  à  n'enseigner  aucune  doctrine  nouvelle, 
comme  l'universalité  de  la  grâce  et  la  non  imputation 
du  péché  d'Adam.  »  MM.  Mestrezat  et  Louis  Tron- 
chin  déclarèrent  que  leur  conscience  leur  défendait 
d'exiger  du  candidat  une  semblable  affirmation,  vu 
qu'ils  étaient  eux-mêmes  partisans  de  ces  doctrines. 
Des  paroles  d'une  violence  extrême  furent  échan- 
gées 1  ;  M.  Tronchin  s'écria  :  «  Ne  nous  arrêtons  plus 
à  ces  pédanteries  et  à  ces  formalités,  et  contentons- 
nous  d'exiger  la  conformité  à  la  Parole  de  Dieu ,  à 
la  confession  de  foi,  à  la  liturgie  et  à  notre  catéchis- 
me. »  M.  Mestrezat  se  joignit  à  son  collègue,  et  après 
la  séance  ces  deux  ecclésiastiques  se  rendirent  chez 
le  syndic  Dupan,  et  demandèrent  au  Petit  Conseil  la 
permission  de  prêcher  librement  leurs  opinions. 

Le  25  juin,  M.  François  Turrelin  se  plaint  à  la 
Compagnie  de  celte  démarche,  et  propose  qu'on  mette 
ordre  à  cette  prétention.  Au  moment  où  l'on  délibère, 
le  sautier  arrive  et  prie  le  modérateur  et  son  collè- 
gue, de  se  rendre  au  Conseil.  En  les  faisant  partir, 
«  la  Compagnie  leur  ordonne  de  tout  entendre  et  de 
ne  rien  répondre  sans  avoir  rapporté.  »  Ils  revien- 

1.  Reg.  Cons.  et  Comp.  25  juin  1669. 


132 

nentavec  la  résolution  suivante  :  «  Comme  les  différents 
sentiments  qui  se  font  voir  parmi  les  pasteurs,  con- 
cernant la  doctrine  delà  grâce,  pourraient  engendrer 
des  discussions  et  animosités  de  grande  conséquence, 
le  Conseil  ordinaire  arrête  :  Que  l'on  fait  défense 
aux  pasteurs  et  professeurs  de  celte  Eglise  et  Acadé- 
mie, d'enseigner,  ni  en  public,  ni  en  l'Eglise  et  en 
l'école,  ni  en  particulier,  la  doctrine  de  la  grâce,  en 
autre  manière  qu'elle  a  été  enseignée  ci-devant  en 
celte  Eglise,  conformément  aux  règlements  de  la  Vé- 
nérable Compagnie  faits  sur  ce  sujet,  et  approuvés 
par  le  dit  Conseil.  En  telle  sorte  néanmoins  que  ce 
soit  sans  dispute,  et  user  de  réfutation  des  raisons 
contraires,  mais  se  contenteront  d'établir  la  doctrine 
reçue  pour  éviter  toute  dispute  et  contestation,  afin 
de  maintenir  la  paix  el  union  en  cet  état  et  en  cette 
Église,  à  peine  d'être  pourvu  el  procédé  contre  les 
contrevenants.  » 

«  Le  dit  arrêt  a  été  expédié  aux  spectables  Philippe 
Meslrezat,  Jean  Martine,  Louis  Tronchin,  el  enjoint 
aux  dits  de  l'observer  ponctuellement.  » 

Ainsi,  par  ordre  du  Conseil,  il  sera  pourvu  elpro- 
cédé  contre  les  contrevenants,  c'est-à-dire  que  les  or- 
donnances punissant  l'hérésie  par  l'exil.,  l'amende, 
la  prison  ou  la  mort,  pourront  être  remises  en  vigueur 
et  appliquées  aux  pasteurs  soupçonnés  ou  entachés 
d'hétérodoxie. 


433 

Cette  menace  inquisitoriale  devait  soulever  les  es- 
prits dans  le  clergé.  Pendant  qu'on  délibérait  sur  la 
conduite  à  tenir,  Baie,  Berne,  Zurich  et  Schaffhouse, 
enveniment  la  question  en  écrivant  «  qu'ils  ont  entendu 
parler  des  dissensions  et  de  l'arrêt  des  magistrats  tou- 
chant les  nouvelles  doctrines;  si  elles  existent  dans 
la  Compagnie,  on  n'enverra  plus  les  étudiants  à  Ge- 
nève, et  cela  occasionnera  une  rupture.  » 

Cet  incident  amène  de  pénibles  récriminations; 
l'arrêté  des  magistrats  devait  être  tenu  secret,  et  les 
alliés  en  avaient  eu  connaissance  (R.  Comp.  50  juil- 
let 4  669).  M.Tronchin  s'élève  contre  cette  violation 
du  serment,  qui  défend  de  rien  révéler  des  délibéra- 
tions du  corps. 

Le  recteur  F.  Turretin,  sans  répondre  à  cette  atta- 
que, «  déclare  que  ces  arrêtés  et  règlements  ayant  été 
sagement  faits  par  nos  prédécesseurs,  qui  étaient  pour 
le  moins  aussi  sages  que  nous,  nous  ne  devons  ni  ne 
pouvons  nous  en  écarter.  » 

M.  Tronchin.  «  Ceci  est  propos  de  papiste  et  de 
l'antechrist;  si  on  l'avait  toujours  suivi,  il  n'y  aurait 
jamais  eu  de  Réformation.  » 

M .  Turretin.  «  Tous  les  membres  de  la  Compagnie 
ont  signé  et  se  sont  soumis  aux  règlements;  ils  ne 
peuvent  revenir  en  arrière.  » 

M.  Tronchin.  «  Je  n'ai  rien  promis  à  cet  égard,  et 
quand  je  l'aurais  promis,  serment  qui  n'est  pas  de 


434 

faire  n'est  pas  de  tenir.  Pourrais-je  tenir  ma  parole  si 
j'avais  promis  des  choses  contradictoires  et  incompa- 
tibles, comme  la  promesse  d'enseigner  une  doctrine 
contraire  à  la  Parole  de  Dieu,  ou  d'en  condamner  une 
conforme?  » 

M.  Mestrezat.  «  Il  n'est  plus  question  de  se  sou- 
mettre à  ce  règlement;  il  suffît  qu'on  promette  la 
conformité  à  la  Parole  dt  Dieu,  au  catéchisme  et  à  la 
confession  de  foi.  —  Le  règlement  du  Conseil  est 
chose  indigne  !  Détendre  les  conversations  particuliè- 
res! ne  pas  permettre  aux  frères  de  conférer  ensem- 
ble sur  les  diverses  méthodes  touchant  la  grâce,  c'est 
intolérable  !  Il  faut  que  Messieurs  réforment  leur  arrêté 
pour  laisser  la  liberté  de  réfuter  les  raisons  contrai- 
res, de  quoi  on  promet  d'user  avec  modération.  » 

A  la  suite  de  ces  débats  on  envoie ,  le  3  août 
1669,  au  Conseil,  MM.  Sartoris  et  Chabrey.  Ces 
Messieurs  établissent  que  la  défense  de  discuter  sur 
ces  doctrines  anéantit  les  travaux  théologiques:  ils 
supplient  qu'on  retire  cet  arrêté,  qu'on  laisse  pleine 
liberté  d'examen,  non  pas  pour  s'emporter,  mais  pour 
s'éclairer  en  parlant  avec  modération,  prudence  et 
charité;  on  demande  également  la  suppression  des 
clauses  pénales  qui  terminent  cette  ordonnance.  Le 
k  août,  le  Conseil  modifie  l'article  touchant  la  défense 
de  discuter,  enlève  la  pénalité,  et  maintient  le  reste  *. 

1.  Reg.  Cons.  4,  25  et  28  août  1669:  Reg.  Comp.  13  août  1669. 


135 

Ce  point  réglé,  on  délibéra  en  Compagnie  sur  l'op- 
portunité de  reprendre  les  thèses  de  1 649 ,  et  comme 
plusieurs  ne  les  avaient  pas  signées,  les  calvinistes  vou- 
laient obtenir  les  signatures  de  tous  leurs  collègues, 
avec  le  sic  sentio^  sic  docebo  et  nil  conlrariumdocebo  vel 
publiée  velprivatim .  Ils  espéraient  que  tous  signeraient 
pour  le  bien  de  la  paix,  et  menaçaient  les  opposants  de 
la  rigueur  des  lois.  En  effet,  ils  déclarèrent  qu'ils  pour- 
voiraient contre  les  refusants,  et,  le  28  août,  les  par- 
tisans de  la  liberté  d'examen,  MM.  P.  et  A.  Mes- 
trezat,  de  Chabrey,  Tronchin,  J.  Martine,,  D.  Cropet 
et/.  Gallatin,  «  signèrent  par  amour  de  la  paix.  » 

L'affaire  semblait  apaisée;  mais  on  ne  termine 
jamais  une  affaire  de  principes  avec  des  arrêtés  légaux 
et  des  mesures  despotiques;  aussi,  de  pénibles  com- 
plications ne  lardèrent-elles  pas  à  se  présenter.  Douze 
jours  ne  s'étaient  point  passés  qu'une  affaire  de  la 
plus  haute  gravité  établit  clairement  que  les  arminiens 
ne  devaient  espérer  aucuue  tolérance 1 . 

Le  professeur  de  philosophie,  M.  de  Wys,  était 
mort.  On  fit  un  programme  pour  pourvoir  à  le  rem- 
placer*; «  la  Compagnie  désirait  attirer  les  habiles  et 
les  personnes  de  mérite;  mais  elle  voulait  prendre 
ses  précautions  contre  les  gens  inconnus  et  dange- 
reux ;  donc  elle  demandait  authentiques  témoignages 

1.  Keg.  Comp.  10  et  17  septembre  1669. 

2.  Reg.  Comp.  25  décembre  1668. 


4  36 

pour  la  pureté  de  la  vie,  preuves  suffisantes  d'ortho- 
doxie, et  repoussement  des  nouveautés  dangereuses 
en  philosophie  et  théologie. 

Robert  Chouet,  jeune  Genevois,  professeur  àSau- 
mur,  est  nommé  avec  acclamation.  11  arrive;  il  était 
partisan  des  nouveautés  philosophiques,  c'est-à-dire 
du  système  de  Descaries;  la  Compagnie  le  savait; 
mais  elle  ferma  les  yeux.  Comme  professeur  de  phi- 
losophie, M.  Chouet  avait  entrée  dans  le  corps  des 
pasteurs  (Reg.  Comp.  4  3  août  4  669). 

François  Turrelin,  recteur,  demandait  qu'il  signât 
le  règlement.  «  Monsieur,  répond  Chouet,  je  vénère 
la  Compagnie,  mais  dispensez-moi,  car  je  suis  venu 
sous  des  conditions  qui  ne  contiennent  rien  de  sem- 
blable. Je  m'en  tiens  aux  termes  de  ma  vocation,  et, 
pour  les  thèses,  je  désire  ne  pas  les  signer.  Je  suis 
philosophe  et  n'ai  pas  à  m'occuper  de  ces  matières; 
je  ne  les  ai  point  assez  étudiées  pour  me  décider  sur 
l'une  et  l'autre  opinion.  Du  reste,  je  puis  protester 
en  conscience  que  je  n'embrasserai  point  les  senti- 
ments de  la  grâce  universelle  et  la  non  imputation  du 
péché  d'Adam  ;  non  pas  que  je  les  rejette  ou  que  j'aie 
des  sentiments  opposés,  mais  ne  les  ayant  pas  étudiés, 
je  ne  puis  adhérer  à  l  une  plutôt  qu'à  l'autre.  Je  prie 
la  Compagnie  d'observer  le  traité  conclu  à  Saumur: 
il  n'esl  pas  raisonnable  de  m'avoir  dégagé  d'une  aca- 
démie et  fait  faire  un  voyage  de  cent  cinquante  lieues 


137 

pour  ne  pas  se  tenir  aux  conditions  qu'on  m'a 
écrites.  » 

La  Compagnie  décide  qu'il  sera  dispensé  de  signer 
les  thèses  en  détail;  mais  on  lui  présenta  l'écrit  sui- 
vant : 

«Je  soussigné  déclare  que  je  n'adhère  point  aux  nouveaux 
sentiments  rejetés  par  la  Vénérable  Compagnie,  notamment  à 
l'universalité  de  la  grâce,  à  la  non  imputation  du  péché  d'Adam, 
et  je  promets  que  j'enseignerai,  lorsque  les  occasions  s'en  pré- 
senteront sur  ces  matières,  suivant  l'ancienne  tradition  de  cette 
Eglise  et  conformément  aux  règlements  du  i"  juin  1649,  et 
que  je  n'enseignerai  rien  de  contraire,  ni  en  public,  ni  en  par- 
ticulier. » 

Chouel .  «  Messieurs,  je  signe  par  amour  de  la  paix  ; 
mais  je  proteste  que  je  me  relâche  de  mon  droit.  » 

Le  parti  calviniste  comprit  le  danger,  et  pensa 
que  l'universalité  de  la  grâce  et  la  non  imputation 
feraient  des  progrès  sérieux,  si  ces  doctrines  n'étaient 
pas  comprimées  par  l'Autorité  suprême  de  la  nation. 
Turrelin  sollicita  des  magistrats  de  porter  l'affaire 
devant  le  Conseil  des  Deux-Cents.  Après  plusieurs 
hésitations,  les  syndics  y  consentirent,  et  les  Deux- 
Cents,  ignorant  absolument  le  texte  des  objets  en 
litige,  tirent  imprimer  les  thèses  en  français  (Reg. 
Comp.  10  décembre  4  669).  Le  10  décembre  la  dis- 
cussion s'ouvrit;  MM.  les  pasteurs  de  Les  Milières  et 
Calandrrni  prononcèrent  un  discours  dans  lequel  ils 
sollicitèrent  la  sanction  nationale  pour  le  règlement 
de  1659.  Ils  insistèrent  sur  l'idée  suivante  :  «  Genève 


t38 

a  dû  son  lustre  à  la  conservation  de  la  foi  orlhodoxe; 
en  l'abandonnant,  elle  se  sépare  de  toutes  les  Églises 
de  France  et  de  Hollande  ;  aussi  nous  prions  vos  Sei- 
gneuries par  le  devoir  de  bon  chrétien,  par  l'amour 
de  la  religion  el  de  la  pairie,  par  le  zèle  pour  la  vé- 
rité et  la  paix,  par  le  devoir  de  votre  charge  et  ser- 
ment, de  vouloir  ratifier  par  le  sceau  de  votre  auto- 
rité souveraine  une  résolution  si  sainte  et  si  nécessaire 
pour  être  les  objets  de  l'amour  de  Dieu,  de  la  bien- 
veillance et  de  l'estime  des  hommes.  Ne  permettez 
pas  que  Genève  perde  en  un  jour  la  gloire  qu'elle  a 
acquise  jusqu'à  présent  d'être  le  sanctuaire  de  la  vé- 
rité et  le  patron  de  l'orthodoxie.  » 

Le  Conseil,  touché  de  ce  discours,  confirme  l'ar- 
rêté du  25  août  1659,  enjoignant  à  tous  de  le  signer, 
et  rétablissant  la  clause  pénale,  à  peine  d'être  procédé 
contre  les  contrevenants  d'une  manière  extraordi- 
naire (Reg.  Cons.  10  décembre  1669). 

Spectacle  étrange,  et  cependant  conséquence  logi- 
que de  la  Réformation!  L'autorité  de  la  Nation  ayant 
remplacé  l'autorité  de  Rome  en  matière  de  doctrine, 
le  Conseil  souverain  était  investi  du  droit  déjuger  et 
devenait  un  concile!  Mais  l'autorité  est  impuissante 
contre  la  conscience;  elle  peut  délibérer,  imprimer 
à  ses  décisions  le  sceau  solennel  d'une  volonté  popu- 
laire; la  conscience,  un  instant  étouflee,  se  relève, 
proteste,  et  ne  tarde  pas  à  reprendre  tous  ses  droits. 


139 

On  s'aperçut  bientôt  que  la  transforma  lion  d'un  Con- 
seil national  en  un  concile  dogmatique  est  fort  dange- 
reuse. Les  questions  de  personnes  furent  souvent  pré- 
férées aux  questions  de  principes,  et  Genève  en  fit  la 
triste  épreuve. 

M.  Mussard,  homme  d'un  beau  caractère  et  d'une 
rare  éloquence,  était,  depuis  dix-huit  ans,  pasteur  à 
Lyon.  En  1671,  une  ordonnance  du  roi  bannit  de 
France  tous  les  pasteurs  étrangers.  Malgré  les  ins- 
tances que  firent  l'archevêque  de  Lyon  et  le  marquis 
de  Ruvigny,  gouverneur  de  la  ville,  en  faveur  de 
M.  Mussard,  il  dut  partir  et  revint  à  Genève1. 

Le  Petit  Conseil  demande  à  la  Compagnie  qu'il 
soit  réintégré  dans  son  sein;  comme  il  est  ancien  pas- 
teur, les  magistrais  le  font  appeler,  et  sans  attendre 
la  délibération  des  pasteurs,  ils  lui  font  prêter  le  ser- 
ment voulu  parles  ordonnances  ecclésiastiques,  «  et 
Ton  avertit  la  Compagnie  qu'elle  doit  le  recevoir  à 
nouveau.  » 

Le  22  août,  la  Compagnie  proteste  et  ne  veut 
accepter  M.  Mussard  qu'après  avoir  examiné  sa  doc- 
trine et  lui  avoir  fait  signer  les  articles  de  1659. 
«  Le  Conseil  se  plaint  de  ces  discours  mal  assaison- 
nés et  peu  respectueux.  »  Le  1er  septembre  il  dé- 
clare «  qu'il  ne  veut  plus  qu'on  l'importune  à  ce  su- 


1.  Reg.  Cous.  15  août,  5  septembre,  1 J  décembre  1671  ;  Keg  Comp. 
10  mars,  30  juin,  25  août,  8,  15, 17  septembre. 


uo 

jet;  il  a  fait  selon  son  pouvoir  et  son  droit,  et  il 
laisse  la  Compagnie  libre  d'examiner  M.  Mussard  sur 
la  doclrine  el  les  mœurs.  » 

Le  8  septembre,  M.  Mussard  refuse  de  signer  les 
articles,  et  donne  les  raisons  suivantes  :  «  Je  ne  signe 
pas  ces  articles,  parce  qu'ils  contiennent  des  choses 
obscures;  plusieurs  expressions  ne  sont  pas  confor- 
mes aux  termes  de  l'Écriture  Sainte;  j'ai  exercé  le 
ministère  durant  dix  huit  ans,  el  je  ne  crois  pas  de- 
voir faire  de  nouvelles  promesses.  Les  synodes  de 
France  ont  de  la  tolérance  pour  nos  idées  et  enten- 
dent laisser  la  liberté,  On  devrait  user  de  la  même 
tolérance  envers  moi  que  Ton  eut  envers  MM.  de  Bèze 
et  De  la  Faye  qui  ne  pensaient  pas  comme  Calvin  sur 
quelques  points.  L'on  sait  que  MM.  Tronchin  et  Mes- 
trezat  ne  sont  pas  dans  les  sentiments  de  leurs  pré- 
décesseurs; ils  sont  néanmoins  de  la  Compagnie  (Reg. 
Cons.  5  septembre).  Du  reste,  sachant  bien  qu'en  la 
doctrine  dont  il  est  question,  il  y  a  diverses  métho- 
des, et  que  la  matière  est  délicate,  je  promets  de  gar- 
der le  silence.  »  La  Compagnie  décide  qu'on  deman- 
dera que  l'affaire  soit  portée  en  Deux-Cents.  — 
M.  Mussard,  craignant  le  scandale,  préféra  se  retirer 
et  cesser  ses  instances  pour  obtenir  sa  réintégration 
dans  la  Compagnie. 

(Reg.  Cons.  42  déc.)  Après  celte  délibération, 
M.  Mussard  présente  une  requête  au  Conseil,  déclarant 


144 

quïl  ne  peut  signer  les  articles  Morus,  mais  qu'il  si- 
gnera la  confession  de  foi,  etc.  Il  supplie  qu'on  le 
laisse  demeurer  en  paix  dans  la  ville,  sans  emploi, 
et  accepter  la  vocation  qu'il  plaira  à  la  Providence. 
«  On  lui  accorde  sa  demande  tout  en  lui  refusant  la 
chaire.  »  Mussard  demeura  six  ans  à  Genève,  et  fut 
appelé  par  l'Eglise  française  de  Londres. 

Officiellement,  les  pasteurs  et  les  membres  du  Con- 
sistoire ultra-calvinistes  triomphaient  ;  mais  leur  cons- 
cience était  troublée,  et  une  partie  des  citoyens  ex- 
primaient un  blâme  formel.  Ces  manifestations  ému- 
rent les  ecclésiastiques,  et  le  lendemain  de  l'expulsion 
de  Mussard,  au  lieu  de  se  réjouir  de  leur  victoire  of- 
ficielle, ils  prennent  une  solennelle  résolution.  «  Prin- 
cipalement et  avant,  toute  chose,  il  est  requis  de  tra- 
vailler incessamment  à  la  réconciliation  et  réunion 
de  tous  les  membres  de  la  Compagnie,  afin  que  toute 
mésintelligence  étant  ôtée,  au  contraire  la  concorde 
étant  bien  établie,  les  décisions  faites  d'un  commun 
accord  puissent  être  plus  fructueuses,  et  que  nous 
soyons  tous  un  exemple  de  bonne  conduite,  et  que 
nos  décrets  aient  plus  de  poids  et  soient  plus  effica- 
ces. » 

(29  déc.  4  671 .  Reg.  Comp.)  Le  Consistoire  féli- 
cite les  pasteurs  «  de  ce  qu'ils  se  sont  témoigné  ré- 
ciproquement des  mouvements  d'amitié,  et  demande 
à  Messieurs  qu'on  leur  permette  d'écrire  aux  Suisses 


142 

pour  les  informer  de  ees  bons  résultats.  Messieurs 
disent  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  écrire;  il  y  a  trop 
peu  longtemps  que  cette  union  dure,  et  les  Suisses 
seront  plus  contents  des  bons  effets  que  des  belles  pa- 
roles. »  Les  conseillers  avaient  raison;  car  la  paix 
était  établie,  à  condition  que  l'un  des  partis  fût  ré- 
duit au  silence. 

Affaire  Le  Clerc.  L'un  des  plus  sérieux  inconvé- 
nients des  temps  où  règne  l'exelusisme,  c'est  de  pri- 
ver un  pays  d'hommes  distingués  qui,  par  leurs  lu- 
mières, pourraient  lui  rendre  de  grands  services.  Du- 
rant les  révolutions  politiques  et  religieuses,  les  hom- 
mes médiocres,  les  gens  qui  doivent  leur  position  à 
leurs  opinions  exagérées,  ne  peuvent  supporter  les 
supériorités  et  profitent  des  divergences  qui  parais- 
sent dangereuses  à  leur  système,  pour  bannir  des  ri- 
vaux dont  le  mérite  et  les  succès  forment  une  con- 
damnation vivante  de  leur  injuste  élévation. 

Genève  fit  en  \  676  une  triste  expérience  des  pas- 
sions qui  gouvernent  sous  le  masque  des  principes. 
Un  homme  s'élevait,  et,  jeune  encore,  promettait 
de  se  faire  un  nom  européen  par  sa  capacité,  sa  puis- 
sance de  travail1.  C'était  J.  Le  Clerc;  il  avait  beau- 
coup voyagé,  et,  revenu  à  Genève  pour  se  faire  con- 

1.  Reg.  Comp.  11  octobre  1678.  «  C'était  Jean  Le  Clerc,  proposant, 
fils  du  conseiller  Le  Clerc,  lequel  voulant  aller  à  Grenoble,  on  lui 
donne  un  témoignage  où  l'on  exprime  de  grandes  espérances.  »> 


145 

sacrer  au  saint  ministère,  il  signa  les  thèses.  Ce  fut 
sans  doute  un  tort;  mais  le  blâme  doit  retomber  sur 
l'école  calviniste,  dont  les  tenailles  théologiques  étei- 
gnaient et  déchiraient  tous  ses  adversaires.  Le  Clerc 
fit  bientôt  connaître  ses  opinions,  et  voici  la  scène 
caractéristique  qui  eut  lieu  à  son  sujet  :  (Reg.  Comp. 
4  7  août,  7  sept.  1685.)  «  On  rapporte  aux  pas- 
leurs  qu'il  y  a  grands  bruits  dans  la  ville  touchant  le 
socinianisme  de  M.  Le  Clerc,  minisire.  M.  Butini, 
son  parent,  dit  qu'il  ne  faut  pas  trop  se  fier  à  des 
bruils,  mais  prier  M.  Le  Clerc  de  voir  les  pasteurs 
les  plus  compétents  sur  ces  sujets,  et  de  s'enlrelenir 
avec  eux  en  se  justifiant.  »  Hélas!  la  justification 
produisit  des  thèses  arminiennes.  Alors  M.  Butini 
demanda  «  qu'on  ne  parlât  pas  davantage  de  l'af- 
faire de  M.  Le  Clerc,  lequel  va  vivre  ailleurs.  La  Com- 
pagnie suspend  son  jugement  :  en  attendant  elle  aver- 
tit les  frères  de  ne  pas  lui  prêter  la  chaire.  « 

Le  Clerc  «  alla  vivre  ailleurs;  »  les  églises  de 
France,  d'Angleterre  et  de  Hollande  lui  firent  un  ex- 
cellent accueil,  et  profilèrent  de  son  immense  érudi- 
tion. Le  Clerc  était  frappé  des  inconvénients  de  la 
concentration  des  sciences  dans  l'intérieur  des  univer- 
sités; il  désirait  ardemment  faire  luire  pour  le  public 
des  lumières  qui  étaient  alors  le  privilège  exclusif 
des  hommes  d'étude.  Dans  ce  but,  il  organisa  des 
publications  mensuelles,  un  journal  volumineux  qui 


144 

offrait  à  ses  lecteurs  l'analyse  des  ouvrages  les  plus 
récents  et  des  mémoires  abrégés  traitant  les  ques- 
tions contemporaines.  Cette  revue,  intitulée  Bibliothè- 
que universelle ,  obtint  un  succès  immédiat.  Le  Clerc 
la  dirigea  pendant  sept  années,  puis  d'autres  jour- 
naux parurent  sous  des  titres  analogues;  leur  nom- 
bre se  multiplia;  ils  formèrent  pendant  le  dix-hui- 
tième siècle  une  puissance  littéraire  qui  dirigeait  le 
mouvement  des  idées  et  contribuait  au  progrès  des 
sciences  et  combattait  sérieusement  la  superstition  et 
l'erreur. 

Ainsi,  ce  fut  un  théologien  genevois  qui  donna 
une  impulsion  régulière  et  décisive  au  journalisme 
encore  dans  l'enfance  au  dix-septième  siècle.  Mais 
l'étroitesse  et  le  fanatisme  des  calvinistes  privèrent 
Genève  des  bénéfices  de  cette  institution  :  les  librai- 
res hollandais  en  recueillirent  les  premiers  la  gloire 
et  le  profit. 

Un  auteur  contemporain,  un  prélat  distingué  d'An- 
gleterre, l'évêque  Burnet,  déplorait  éloquemment  ces 
aberrations  théologiques4.  «  Il  est  douloureux,  disait- 
il,  de  voir  les  Genevois  se  harceler  pour  des  ques- 
tions purement  spéculatoires  et  sans  aucune  liaison 
avec  les  points  fondamentaux  de  la  religion.  A  Zu- 
rich, à  Berne,  à  Genève,  on  force  tous  ceux  qui 
veulent  enseigner  ou  qui  embrassent  l'état  ecclésias- 

1.  Buruet,  Voyage  en  Italie  cl  eo  Suisse,  1687,  pages  118  et  119. 


1/4  5 

lique,  à  souscrire  une  formule  qui  rejetle  la  façon  de 
penser  d'Amiraut  et  de  Cappel.  Ils  usurpent  ainsi 
le  droit  de  Dieu  sur  les  consciences,  et  toutes  ces 
formules  de  foi  qu'on  veut  introduire  sont  une  inven- 
tion fatale. 

Le  Consensus.  Sous  voici  parvenus  à  la  crise  dé- 
cisive occasionnée  par  les  efforts  suprêmes  des  par- 
tisans du  despotisme  religieux,  de  ces  hommes  qui 
croient  pouvoir  mettre  leur  autorité  à  la  place  de 
l'autorité  divine.  Trois  professeurs  en  théologie, 
Henri  Heidegger,  de  Zurich,  Luc  Gernler,  de  Bâle, 
et  François  Turrelin,  de  Genève,  effrayés  des  pro- 
grès que  les  idées  d'Arminius  et  de  l'école  de  Sau- 
mur  faisaient  chez  les  chrétiens  réformés  de  la  Suisse, 
voulurent  «  arrêter  cette  infection  »  au  moyen  d'un 
soulèvement  général  de  l'autorité  civile  contre  la  li- 
berté d'interpréter  les  Écritures1 .  Sous  leur  influence, 
les  magistrats  de  Zurich  chargèrent  M.  Heidegger  de 
réduire  la  confession  de  foi  helvétique  en  un  formu- 
laire que  signeraient  tous  les  ministres,  pasteurs  et 
professeurs,  qui  feraient  partie  des  Eglises  évangéli- 
ques  suisses. 

Ce  Consensus  fut  approuvé  par  Zurich,  Berne, 
SchafThouse  et  Baie,  en  1675.  Claris,  Appenzell,  les 
Grisons,  Bienue,  Mulhouse,  se  joignirent  à  cette  ad- 


1.  Mémoire  sur  les  troubles  «le  la  Suisse  à  l'occasion  «lu  Consensus . 

m.  10 


hésion.  Neuchâlel,  l'année  suivante,  enregistra  la  nou- 
velle formule,  la  fît  signer  par  le  doyen  des  minis- 
tres, puis  l'ensevelit  paisiblement  dans  ses  archives. 
Vivement  pressés  par  Berne,  les  pasteurs  neuchàtelois 
répondirent  «  qu'ils  désiraient  conserver  l'union  avec 
leurs  frères  réformés;  que,  dans  ce  but,  ils  s'abs- 
tiendraient do  discuter  sur  les  questions  décidées  par 
le  Consensus;  qu'ils  garderaient  le  silence,  et  que 
s'ils  n'étaient  pas  du  même  sentiment,  ils  se  suppor- 
teraient les  uns  les  autres.  »  Admirable  conduite  qui 
conserva  la  paix  dans  l'Église  de  Neuchâlel,  pendant 
que  les  autres  Églises,  notamment  Berne,  en  vinrent 
aux  dernières  violences  contre  ceux  qui  refusaient 
de  signer  le  Consensus.  En  effet,  on  refusa  aux  étu- 
diants la  consécration;  pour  de  simples  doutes,  on 
exila  quelques  ministres;  ou  interdit  à  des  pasteurs 
la  direction  religieuse  de  leurs  enfants;  on  punit  de 
l'amende  et  de  la  prison  ceux  qui  voulurent  ajouter 
à  leur  signature  celle  évangélique  restriction  :  «  en 
tant  que  tout  est  conforme  à  la  vérité  des  Écritures.  » 
Les  Bernois  allèrent  plus  loin  encore;  sachant  que 
la  majeure  partie  des  Églises  de  France  partageaient 
les  doctrines  d'Amiraut,  ils  firent  brutalement  signer 
le  Consensus  à  tous  les  pasteurs  proscrits,  sans  égard 
pour  leur  exil  et  leur  martyre. 

Celle  inique  oppression  enflamma  le  cœur  de 
('lande,  et  il  écrivit  à  F.  Turrctin  une  lettre  pleine 


ihl 

d'une  chrétienne  énergie.  «  Quoi!  dit-il,  vous  exi- 
gez celte  signature  de  pasteurs  déjà  reçus  par  leurs 
Églises  !  Leurs  souffrances  ne  vous  émeuvent  point  à 
compassion,  ils  ont  vieilli  dans  les  travaux  du  minis- 
tère, leur  fidélité  est  publiquement  reconnue,  et,  mal- 
gré tout,  s'ils  ne  signent  pas,  vous  les  excluez  de  vos 
chaires!  »  El  Ton  sait  si  Claude  était  orthodoxe. 

Voici  l'histoire  du  Consensus  à  Genève. 

Le  50  avril  1677,  Messieurs  de  Zurich  écrivent 
aux  pasteurs  genevois  pour  les  prier  d'adhérer  au  for- 
mulaire d'uniformité  de  la  foi.  La  Compagnie  laisse 
passer  quatre  mois  avant  de  délibérer  sur  ce  sujet, 
puis  elle  y  consacre  douze  séances,  dont  voici  le  ré- 
sultat : 

1  "  canon 1 .  «  Quelques-uns  remarquent  que  les  mots  employés 
ne  sont  pas  convenables  pour  désigner  le  Nouveau  Testament, 
vu  que  saint  Paul,  2  Tim.  III,  15,  se  sert  de  ces  termes  pour 
l'Ancien  Testament,  et  Jésus-Christ,  en  parlant  du  iota,  n'en- 
tend pas  cela  à  la  lettre,  et  ne  parle  pas  de  nos  voyelles  et  de 
nos  consonnes,  comme  l'enseignent  quelques  docteurs  parmi 
nous.  » 

Ces  observations  sont  reconnues  justes;  mais  la  majorité 
opine  d'adopter  néanmoins  l'article  premier. 

2e  et  5e  canons.  «  Quelques-uns  estiment  qu'on  ne  doit  point 
discuter  sur  cette  matière,  ni  prendre  de  décision  publique, 
tant  à  cause  de  la  difficulté  du  sujet  dont  chacun  n'est  pas  ca- 
pable de  juger,  et  que  plusieurs  grands  serviteurs  de  Dieu  ont 
suspendu  leur  jugement  sur  ce  point,  que  parce  que  les  con- 
fessions de  foi  des  Kglises  réformées  n'ont  jamais  rien  dit  à  cet 

1.  Voir  le  texte  du  Consensus  aux  Pièces  justificatives. 


148 

égard,  et  que  Calvin,  Pellican,  Zwingle,  Luther,  admettaient 
la  nouveauté  des  points-voyelles.  » 
Adopté,  malgré  ces  observations. 

Quant  au  'r  canon,  la  Compagnie  le  trouve  conforme  à  son 
règlement. 

Le  5e  de  même. 

6'.  «  Quelques-uns  n'ont  rien  dit;  mais  M.  Tronchin  est  sorti 
lorsqu'on  l'a  lu;  la  pluralité  le  déclare  conforme  an  règle- 
ment. » 

1'.  «  Quelques-uns  trouvent  qu'il  va  plus  loin  que  le  règle- 
ment: d'autres  non;  la  majorité  est  pour  la  conformité.  » 

8e.  «  Quelques-uns  le  trouvent  obscur  et  plus  avant  que  le 
règlement;  la  majorité  pense  le  contraire.  » 

Le  9e  et  le  10e  sont  conformes. 

IIe.  «  t'eccatum  oriymule  duplex.  »  Expression  nouvelle.  Tou- 
tefois on  liasse. 

Enfin,  le  22  février  1678,  la  Compagnie  déclare 
au  Conseil  qu'elle  est  prêle  à  signer  le  Consensus. 
Mais  le  Conseil  veut  avoir  une  copie  française  de  ce 
document  avant  de  se  décider;  puis,  au  bout  d'un 
an,  5  janvier  4  679,  les  magistrats  consentent  à  ce 
qu'on  adopte  ce  formulaire,  avec  des  observations 
critiques  sur  les  trois  premiers  canons. 

Si  les  signataires  du  Consensus  avaient  espéré  que 
celle  nouvelle  chaîne  pourrait  resserrer  l'union  de 
l'Église,  ils  ne  durent  pas  conserver  longtemps  cet 
espoir.  Un  an  plus  lard,  4  6  juillet  1 680,  le  remords 
troubla  leur  conscience;  les  effroyables  calamités  qui 
décimaient  l'Église  française  firent  réfléchir,  et  sous 
le  fouet  de  l'adversité  on  devint  plus  charitable. 
Ceux  qui  proposèrent  un  rapprochement  autre  que 


11*9 

des  signatures  sur  le  papier,  «reconnaissaient  qu'il  y 
a  des  difficultés  entre  les  professeurs  de  théologie,  qui 
sont  au  grand  détriment  des  éludes  et  de  l'Eglise.  » 
—  En  effet,  on  constate  que  des  tendances  fâcheuses 
se  manifestent  dans  l'Académie;  l'auditoire  de  théo- 
logie est  partagé  en  deux  camps,  et  les  disputes  les 
plus  aigres  s'élèvent  chaque  jour.  Les  sermons,  au 
lieu  d'être  édifiants,  roulent  sur  la  controverse,  et 
voici  l'état  des  choses.  Dans  les  propositions  publi- 
ques prêchées  par  les  étudiants  en  théologie,  dans  les 
Congrégations  du  jeudi,  MM.  Meslrezat,  Tronchin, 
Butini,  etc.,  se  plaignent  de  ce  qu'ils  n'ont  que  des 
chagrins  lorsqu'il  s'agit  de  parler  de  la  grâce,  et 
soutiennent  qu'ils  ne  sont  pas  obligés  par  les  ordon- 
nances d'y  assister,  ce  qui  peut  être  très-dangereux 
pour  l'Académie.  —  Après  les  avoir  ouï,  la  Compa- 
gnie charge  M.  Dufour,  modérateur,  de  leur  faire 
une  grave  et  sérieuse  remontrance. 

«  Les  professeurs  rivaux  touchant  la  doctrine  doivent  vivre 
dans  une  fraternité  véritable  et  dans  l'union  chrétienne,  se 
prévenir  les  uns  les  autres  par  honnêteté,  se  visiter  avec  assi- 
duité, s'entretenir  ensemble  parmi  les  proposants,  assister  aux 
sermons  les  uns  des  autres,  et  tous  ensemble,  autant  que  faire 
se  pourra,  suivre  les  mêmes  propositions  pour  l'honneur  et  le 
bien  de  l'Académie. 

»  Enfin,  pour  ôter  tout  sujet  de  se  plaindre  des  censures 
dans  les  sermons  des  étudiants,  on  demande  à  chacun  le  sacri- 
fice de  ses  opinions  individuelles;  MM.  Tronchin  et  Mestrezal 
refuseront  eux-mêmes  les  premiers  les  propositions  qui  insi- 


150 

nueront  les  doctrines  de  la  grâce  individuelle,  disant  qu'une 
telle  doctrine  n'est  pas  admise  dans  notre  Eglise.  De  son  côté, 
M.  Turretin  ne  permettra  pas  que  les  autres  proposants  affec- 
tent de  combattre  ces  sentiments,  et  disent  rien  qui  puisse 
choquer  les  frères  qui  les  ont,  mais  les  exhortera,  en  traitant 
cette  matière,  à  se  contenter  de  l'établir  selon  le  but  de  l'au- 
teur sacré,  duquel  ils  auraient  tiré  le  texte,  avec  grande  pru- 
dence et  douceur,  et  on  agira  de  même  dans  les  conversations 
où  quelques-uns  de  ces  messieurs  se  rencontreraient.  » 

Malgré  ces  concessions,  la  victoire  élail  complète 
pour  le  parti  calviniste;  toutefois  la  scène  devait 
bientôt  changer.  Les  hommes  qui  avaient  soutenu 
ces  luttes  étaient  fort  âgés;  Mestrezal,  François  Tur- 
retin, Louis  Tronchin,  moururent  dans  les  dernières 
années  du  siècle,  et  furent  remplacés  par  deux  hom- 
mes d'un  mérite  éminenl,  Bénédicl  Piclet  et  J.  A. 
Turretin,  qui,  dans  des  tendances  opposées,  mais 
avec  un  esprit  éminemment  chrétien,  jetèrent  un 
grand  lustre  sur  l'Église  et  ramenèrent  à  un  degré 
de  prospérité  et  de  science  digne  des  plus  beaux  temps 
de  la  Réforme. 


CHAPITRE  V. 

DOGMATIQUE  GENEVOISE 

I  IBBRTÉ  UK  CONSCIRKiCR. 

J.-A.  Turretin  et  sa  théologie.  —  Enseignement  théologique.  —  Lutte 
au  sujet  du  Consensus,  1700.  —  Affaire  Vial  De  la  Rive.  —  Modifica- 
tion partielle  de  la  formule  de  consécration  des  ministres.  —  Efforts 
pour  obtenir  la  paix  des  Églises  issues  de  la  Réforme.  —  Circulaires 
de  J.-A.  Turretin  et  Bénédict  Pictet.  —  Lettres  du  roi  de  Prusse  et 
de  l'archevêque  de  Cautorbéry.  —  Modification  définitive  de  la  con- 
fession de  foi  genevoise,  dans  le  sens  de  la  liberté  de  pensée,  en 
1T2j.  —  Dogmatique  genevoise  au  18°  siècle.  —  La  Bible  de  1803. 
—  Dernier  changement  an  formulaire  de  consécration,  en  1806  et 
1810. 


J.-A.  Turretin,  dont  le  nom  demeurera  impéris- 
sable dans  l'histoire  des  progrès  de  la  théologie  pro- 
testante vers  la  liberté  de  pensée,  était  (ils  de  Fran- 
çois Turretin.  On  s'étonnera  peut-être  de  voir  le  zélé 
partisan  de  la  tolérance  sortir  d'une  demeure  où  l'on 
avait  combattu  avec  tant  de  persévérance  pour  «  ré- 
tablissement de  l'absolutisme  dogmatique.  »  Mais  un 
semblable  résultat  est  naturel.  Lorsqu'un  fils,  homme 
de  cœur  et  de  génie,  a  dû  souffrir  des  exagérations 
politiques  ou  religieuses  de  son  père,  il  garde  long- 


temps  le  silence;  puis,  quand  la  mort  a  enseveli  tou- 
tes les  considérations  personnelles,  ce  nouvel  ami 
des  principes  sages  met  son  expérience  et  son  zèle 
au  service  de  la  vérité. 

Tel  fut  le  sort  de  J.-A.  Turretin  :  à  l'inflexibilité 
paternelle  il  préféra  la  tolérance  chrétienne  de  son 
professeur  Louis  Tronchin.  Ses  études  furent  brillan- 
tes et  rapidement  achevées.  Jeune  encore,  il  voyagea 
dans  le  nord,  se  concilia  l'affection  des  chefs  du  pro- 
testantisme en  Hollande,  en  Allemagne,  en  Angle- 
terre1. De  retour  à  Genève,  il  fut  consacré  au  saint 
ministère,  le  ÔO  mai  1094.  Voici  le  procès-verbal 
de  celte  admission3  : 

«  D'après  les  preuves  que  M.  Turretin  a  données 
de  son  grand  savoir,  aussi  bien  que  de  sa  capacité 
pour  édifier  l'Eglise  de  Dieu,  la  Compagnie  l'a  jugé 
unanimement  admissible  au  saint  ministère,  sous  la 
promesse  qu'il  a  faite  de  n'enseigner  rien  que  de  con- 
forme à  la  Parole  de  Dieu  contenue  dans  l'Ancien 
et  le  Nouveau  Testament;  à  notre  confession  de  foi, 
au  synode  de  Dordrechl,  et  de  signer  le  règlement  de 
la  Compagnie  des  Pasteurs.  » 

Trois  ans  plus  tard,  Turretin  fut  nommé  profes- 
seur d'histoire  ecclésiastique,  et  et)  \  705  il  remplaça 
Louis  Tronchin  dans  la  chaire  de  dogmatique. 


1.  Vie  de  J.-A.  Turretin;  Bibliothèque  raisonnée,  tome  12. 

2.  Reg.  Comp.  30  mni  1694. 


II  était  aisé  de  prévoir  que  Turretin  modifierait 
profondément  la  forme  et  les  tendances  de  rensei- 
gnement théologique  dans  l'Église  et  dans  l'Acadé- 
mie de  Genève.  En  effet,  il  demeura  tidèle  aux  grands 
dogmes  de  la  Réforme;  mais  voulant  rapprocher  du 
christianisme  les  esprits  qu'effrayait  l'inflexible  ri- 
gueur des  confessions  de  Calvin  et  de  Dordrecht, 
J.-A.  Turretin  s'appliqua  sans  cesse  à  mettre  en  lu- 
mière l'idée  chrétienne,  en  abandonnant  les  formules 
du  seizième  siècle.  Il  espérait,  par  ce  moyen,  réta- 
blir la  paix  et  l'union  dans  l'Eglise  divisée,  et  ra- 
mener à  l'Evangile  les  hommes  froissés  dans  leur  in- 
telligence parla  rudesse  des  vieux  théologiens. 

Voici  l'exposé  de  la  doctrine  chrétienne  que  pré- 
sente J.-A  Turretin. 

Abordant  en  face  les  grandes  difficultés  qui  agi- 
taient les  Eglises  évangéliques,  il  disait  : 

«  Nous  trouvons  dans  le  Nouveau  Testament  qu'il 
existe  un  seul  Dieu,  qui  est  le  père  de  tous,  et  de 
qui  procèdent  toutes  choses,  et  un  seul  Seigneur,  Jé- 
sus-Christ, par  lequel  foutes  choses  ont  été  créées,  et 
c'est  pour  lui  que  nous  sommes.  —  Dieu  est  créa- 
teur du  monde,  première  cause  de  tout.  —  Dans  la 
personne  de  Jésus  Christ  existe  un  principe  divin;  la 
raison,  la  sagesse  éternelle,  toute  la  plénitude  de  la 
divinité  habite  en  lui.  Enfin,  une  force,  une  puis- 
sance céleste  a  inspiré  les  apôtres,  et  leur  a  commu- 


154 

nique  les  dons  miraculeux  qui  opèrent  encore  dans 
l'âme  des  fidèles  pour  les  sanctifier  et  les  consoler. 
—  L'Écriture  met  quelque  distinction  entre  ces  trois 
principes;  elle  les  appelle  Père,  Fils  et  Saint-Esprit; 
mais  elle  n'explique  point  tout-à-fait  comment  ils  se 
distinguent.  Elle  ne  multiplie  point  la  nature  divine; 
elle  nous  avertit  soigneusement  que  ces  trois  ne  sont 
qu'un  seul  Dieu.  —  Nous  ne  savons  rien  de  plus; 
nous  ignorons  en  quoi  consiste  cette  distinction  ;  il 
faut  suspendre  son  jugement  là-dessus;  c'est  le  seul 
parti  à  prendre1.  > 

Après  cet  orthodoxe  exposé  de  la  divinité  de  Jé- 
sus-Christ,  J.-À.  Turrelin  aborde  la  controverse  brû- 
lante touchant  la  prédestination  et  la  grâce. 

«  La  question  vitale  du  temps  concerne  les  condi- 
tions de  l'élection  de  l'homme  au  salut  éternel  ou 
son  exclusion  de  la  faveur  divine.  On  peut  se  réunir 
sur  ce  point;  — car  tous,  nous  convenons  que  tout 
bien  procède  de  Dieu.  —  Le  mal  vient  de  nous.  — 
Tous,  nous  savons  que  l'homme  est  libre,  qu'il  est 
digne  de  blâme  et  de  louange,  de  peines  et  de  ré- 
compenses. —  Tous,  nous  avouons  que  l'homme 
n'est  pas  excusable  lorsqu'il  pèche.  —  Nous  admet- 
tons également  que  le  pécheur  croyant  à  l'Evangile, 
plein  d'un  sincère  repentir,  est  le  bienvenu  auprès  de 
Dieu,  et  participe  au  salut  que  l'Etre  miséricordieux 

1.  Théologie  chrélieniic,  loiue  IV,  p.  50  à  58,  édit.  1~'«0. 


155 

offre  à  l'humanité.  Nous  croyons  tous  que  ceux  qui 
sont  exclus  du  salut,  le  sont  par  leur  propre  faute. 
Leur  ruine  est  leur  ouvrage  ;  Dieu  n'en  est  point  l'au- 
teur. —  Tous,  nous  pensons  (pie  rien  n'arrive  dans  le 
temps  qui  n'ait  été  défini  dans  les  conseils  éternels 
de  Dieu. 

»  D'autre  part,  Dieu  n'agit  pas  par  succession  de 
temps,  par  des  conseils  variables,  mais  par  un  acte 
simple,  unique.  Tout  est  connu,  constitué  par  la 
science  et  le  pouvoir  divin. 

»  Nous  admettons  que  les  éternels  conseils  de  Dieu 
ne  détruisent  point  notre  liberté  individuelle,  que 
nous  serons  jugés,  non  sur  les  décrets  divins,  mais 
sur  nos  actions;  que  devant  Dieu  il  n'y  aura  point 
d'acception  de  personnes.  Si  ces  choses  sont  difficiles 
à  comprendre,  plaçons-nous  près  de  saint  Paul ,  qui 
déclare  les  jugements  de  Dieu  incompréhensibles,  et 
ses  voies  insondables. 

»  Enfin,  le  but  de  notre  rédemption  est  de  nous 
délivrer  de  la  crainte  de  nos  fautes  passées,  afin  que 
nous  servions  Dieu  en  justice  et  en  sainteté,  tous  les 
jours  de  notre  vie.  Christ  a  porté  nos  péchés  en  son 
corps  sur  le  bois,  ensorle  qu'étant  morts  au  mal,  nous 
vivions  à  la  justice. 

»  Voici  les  reproches  qu'on  adresse  à  cette  doc- 
trine :  <*  Est-il  juste  qu'un  innocent  souffre  pour  des 
«coupables?  Quelle  nécessité  d'avoir  une  expiation 


4  56 

»  ou  un  sacrifice?  Dieu  ne  pouvait-il  pas  nous  par- 
»  donner  gratuitement,  et  cela  ne  serait-il  pas  pl us 
»  digne  de  sa  grandeur,  que  d'exiger  une  rançon?  » 

»  La  maxime  de  droit,  qu'un  innocent  ne  doit  point 
périr  pour  un  coupable,  est  fort  mal  appliquée  ici; 
car  il  ne  s'agit  pas  d'une  personne  innocente  qui  souf- 
fre contre  sa  volonté,  ou  qui  n'ait  pas  le  droit  de 
disposer  de  son  existence;  il  s'agit  de  quelqu'un  qui 
est  le  maître  de  sa  vie.  qui  la  perd  de  son  plein  gré, 
pour  le  bien  du  genre  humain,  puis  qui  ressuscite  et 
en  reçoit  une  glorieuse  récompense.  Cet  acte  géné- 
reux n'est  nullement  injuste,  dit  Origène;  «  ce  que 
des  rois  et  de  bons  citoyens  ont  fait  pour  leur  pairie. 
Jésus  l'a  fait  pour  tout  le  genre  humain.  » 

»  Était-il  nécessaire  que  Dieu  employât  ce  moyen? 
N'en  avait-il  pas  d'autre?  Nous  ne  pouvons  répondre 
à  celte  question;  Dieu  est  le  maître  en  nous  faisant 
grâce  de  l'attacher  à  telle  condition,  et  de  nous  la 
faire  parvenir  par  tel  canal  qu'il  lui  plaît.  Ce  n'est 
pas  à  nous  de  décider  ce  qu'il  peut  faire  ou  ce  qu'il 
ne  doit  pas  faire  en  celle  occasion.  La  mort  de  Jésus- 
Chris!  est  le  couronnement  des  actes  de  grâce  accom- 
plis dans  l'ancienne  alliance  par  les  hommes  aimés 
de  Dieu.  Moïse  le  désarme  en  jeûnant  et  en  priant 
pour  son  peuple  sur  la  montagne .  Les  Israélites  fu- 
rent bénis  à  cause  d'Abraham,  leur  père.  Plus  d'un 
roi  de  Juda  a  été  épargné  pour  l'amour  de  David, 


157 

tlonl  il  descendait.  Dieu,  pour  donner  plus  de  prix 
à  la  piété,  à  la  charité,  daigne  avoir  égard  aux  vœux 
que  les  justes  l'ont  pour  leurs  frères,  et  la  prière,  la 
mort  du  Juste  par  excellence,  répand  sur  nous  son 
efficace  universelle.  L'héritage  mural  d'un  juste,  c'est 
la  chose  la  plus  précieuse  dans  une  famille;  de  même, 
Jésus  élend  son  bénéfice  immortel  el  parlait  sur  toutes 
les  générations  qui  le  regardent  comme  leur  frère  el 
leur  ami.  » 

Cette  théologie,  fort  orthodoxe  au  fond,  très-libérale 
dans  la  forme,  (il  de  grands  progrès  dans  l'Eglise  el 
dans  l'Académie  de  Genève .  En  moins  de  douze  an- 
nées, elle  avait  suffisamment  modifié  les  idées  des  pas- 
teurs pour  qu'il  fût  possible  d'abolir  le  Consensus. 

Avec  celle  règle  de  fer,  et  parcelle  signature  im- 
posée à  de  jeunes  ecclésiastiques,  le  despotisme  cléri- 
cal rivait  la  pensée  religieuse  dans  un  cercle  dont  elle 
ne  pouvait  sortir.  Tous  les  enseignements  du  pasteur 
devaient  être  conformes  à  rengagement  pris  le  jour 
de  la  consécration.  Un  seul  point  changé  dans  ses  sen- 
timents intimes,  pouvait  amener  la  déposition,  l'exil, 
et  briser  une  carrière  honorée  par  de  sérieux  sacrifices. 
J.-A.  Turrelin  voulut  mettre  tin  à  cette  domination 
sur  la  conscience.  l>ès  1(>97,  à  son  entrée  dans 
l'enseignement  théologique,  il  formula  sa  conviction 
touchant  cette  grave  matière.  En  face  du  Consensus, 
il  dit  à  ses  étudiants  (Pensées  théologiques,  5(>  et  57)  : 


158  * 

«User  de  contrainte  en  fait  de  religion,  c'est 
violer  la  religion  elle-même  el  la  renverser  absolu- 
ment. » 

»  Il  n'y  a  rien  de  si  libre  que  le  christianisme;  si 
le  cœur  et  l'intention  n'accompagnent  pas  le  sacri- 
fice, c'est  un  culte  annulé  qui  perd  tout  son  prix.  » 

»  Si  quoiqu'un  voulait  prouver  une  vérité  géomé- 
trique  par  des  menaces,  des  promesses  el  des  suppli- 
ces, on  regarderait  cette  entreprise  comme  de  la  der- 
nière absurdité;  il  n'est  pas  moins  absurde  d'employer 
de  semblables  moyens  en  fait  de  religion.  » 

D'abord  J.-A.  Turretin  professa  paisiblement  ses 
nouveaux  principes;  mais,  en  1698  \  un  orage 
ecclésiastique  s'éleva  contre  son  enseignement.  Les 
gens  qui  voient  la  vérité  plutôt  dans  les  formules 
humaines  que  dans  l'esprit  évangélique  taxèrent  in- 
directement le  chef  de  l'Académie  de  socinianisme. 
On  racontait  que  MM.  de  Berne  avaient  défendu 
à  leurs  proposants  de  venir  à  Genève,  «  à  cause 
des  sentiments  dangereux  que  professent  quelques 
personnes  de  cette  Académie  sur  le  socinianisme. 
Dans  I  auditoire  de  théologie  on  a  des  manières  qui 
sentent  l'arminianisme  :  on  dédaigne  les  livres  ortho- 
doxes! » 

Turretin  demanda  qu'on  prît  des  informations 

1.  Reg.  Corap.  18,  25  mars,  1er,  8  avril,  8  juillet,  23  septembre  et 
25   novembre  1698. 


m) 

précises  auprès  de  MM.  de  Berne;  ceux-ci  répon- 
dirent :  «  Nous  ignorons  ce  dont  on  veut  parler,  el 
rien  de  pareil  n'est  entré  dans  notre  pensée.  » 

Un  autre  jour,  l'affaire  se  reprit  sous  une  autre 
forme:  «  M.  Vautier  revenant  d'Onex,  on  lui  a  dit 
sur  le  chemin  que  la  plupart  des  proposants  sont 
gâtés  sur  les  matières  de  la  trinité  et  de  la  divinité 
de  Jésus-Christ,  el  que  le  chef  qu'on  lui  avait  nommé 
se  vantail  d'en  attirer  plusieurs  dans  ses  sentiments.  » 
Turrelin  ne  répondit  rien,  et  la  Compagnie  délibéra 
comme  suit  :  «  Les  professeurs  appelleront  les  étu- 
diants pour  leur  faire  de  graves  remontrances  tou- 
chant la  saine  doctrine.  Lorsqu'ils  seront  près  d'être 
reçus,  on  leur  posera  des  thèses  courles,  précises  et 
non  équivoques,  touchant  noire  confession  et  sur  les 
matières  du  socinianisme,  pélagianisme  et  déisme. 
Tous  ceux  qui  seront  soupçonnés  d'hétérodoxie  ne 
seront  point  admis  au  saint  ministère;  ils  ne  pourront 
avoir  un  bon  témoignage  qu'après  une  longue  épreuve 
et  des  preuves  claires  et  certaines  de  leur  orthodoxie. 
Chaque  pasteur  s'engagera  en  conscience  à  ne  pas  ad- 
mettre au  saint  ministère  un  homme  contre  lequel  il 
aurait  un  soupçon  légitime  d'hétérodoxie.  » 

îl  se  présenta  bientôt  une  occasion  d'exécuter  celle 
décision.  Le  8  juillet  1698,  on  devait  recevoir  trois 
proposants,  MM.  Butini,  Calandrini  et  Bessonnel. 
Comme  quelques  soupçons  touchant  ia  doctrine  s'é- 


100 

laienl  manifestés  à  leur  égard;  le  modérateur  pro- 
pose que  ces  candidats  fassent  uue  déclaration  solen- 
nelle, «  et  en  gens  d'honneur,  de  leur  orthodoxie  ou 
de  leurs  sentiments  nouveaux.  » 

MM.  Bulini  et  Calandrini,  parents  îles  jeunes  gens, 
acquiescèrent. 

M.  Tronchinet  les  autres  parents  formant  majorité 
refusèrent.  Le  modérateur  dut  retirer  sa  despotique 
proposition. 

Le  25  novembre  1698,  dans  le  discours  de  ré- 
ception, M.  Sarasin,  modérateur,  appuie  plus  que 
jamais  sur  la  nécessité  cf observer  la  doctrine  de  la 
confession  de  foi  et  celle  de  Dordrecht.  On  appelle 
le  jugement  de  Dieu  sur  la  tète  des  contrevenants. 

La  même  scène  se  représente  aux  réceptions  de 
1699,  1702  et  1703. 

J.-A.  Turrelin  évite  soigneusement  la  discussion 
publique;  il  continue  avec  ses  élèves  l  exposé  de  ses 
principes  larges  et  tolérants,  et  bientôt  arrive  le  mo- 
ment de  la  crise  suprême,  l'heure  où  la  majorité  étant 
gagnée  à  la  cause  de  la  tolérance,  il  faut  qu'un  acte 
public  brise  entin  ces  barrières  du  vieux  despotisme 
calviniste. 

Nous  sommes  en  1706.  Lin  fait  individuel  va  dé- 
terminer celte  grande  révolution.  Un  jeune  ministre, 
Vial  de  Beaumont,  d'origine  française,  gendre  du 
pasteur  De  la  Rive,  demande  l'entrée  de  la  Compagnie, 


ici 

faveur  qui  s'accordait  alors  aux  jeunes  ecclésiastiques 
distingués  par  leurs  talents  et  par  leurs  services.  (Reg. 
Comp.  25  avril  1706.) 

La  Compagnie  le  recevra  avec  plaisir,  à  condition 
qu'il  signe  les  règlements.  M.  Vial  déclare  qu'il  si- 
gnera la  confession,  mais  il  ne  veut  point  signer  le 
Consensus,  avec  le  sic  sentio,  et  prend  seulement  l'en- 
gagement écrit,  Non  contrarium  docebo  pacem  eccle- 
siœ  promovebo.  «  Je  n'enseignerai  rien  de  contraire 
et  je  conserverai  la  paix  de  l'Église.  » 

La  Compagnie  délibère  et  décide  à  la  pluralité  des 
voix  de  recevoir  M.  Vial,  en  signant  comme  il  l'a 
fait,  et  cela  pour  éviter  les  dissensions  et  les  grands 
maux  qui  pourraient  arriver. 

La  minorité  proteste  et  demande  que  sa  protesta- 
tion soit  mentionnée  au  registre. 

Telle  est  la  première  scène  de  cette  grande  révo- 
lution théologique. 

(Reg.  Comp.  50  avril  1706.)  Le  professeur  Ca- 
lendrini,  chef  de  la  minorité,  ne  peut  accepter  cette 
décision  ;  il  rapporta  le  fait  au  premier  syndic ,  lui 
déclaranl  que  la  Compagnie  avait  abrogé  un  arrêté 
sans  aucun  droit. 

(Reg.  Cons.  1er  et  5  mai.)  Le  Conseil  témoigne 

son  déplaisir  touchant  celte  discussion,  déclare  qu'il 

regarde  comme  non  advenu  ce  qui  s'est  passé, 

demande  aux  pasteurs  une  délibération  nouvelle,  et 
m.  il 


16-2 

défend,  sous  peine  de  son  indignation,  qu'on  écrive 
sur  cette  matière  en  Suisse,  en  Allemagne,  en  Angle- 
terre ou  ailleurs.  Enfin,  il  suspend  l' introduction  de 
M.  Vial  dans  la  Compagnie. 

M.  Domaine  Butini  «  conjure  ses  collègues  de  n'ins- 
truire le  Conseil  ni  pour  ni  contre.  Il  faut  se  tenir 
en  repos  dans  sa  maison  et  ne  parler  à  personne 
des  affaires  présentes.  » 

(Reg.  Comp.  7  mai.)  Le  7  mai.  la  délibération 
est  reprise.  M.  Fatio,  partisan  de  J.-A.  Turretin,  pro- 
pose que,  pour  garder  la  paix  et  l'uniformité  de  doc- 
trine, on  conserve  le  Consensus,  mais  qu'on  enlève 
le  sic  sentio.  Effectivement,  on  n'est  pas  maître  de 
croire  ou  de  ne  pas  croire,  et  d'ailleurs  les  articles 
dont  il  s'agit  ne  sont  pas  fondamentaux;  ainsi,  sous  le 
bon  plaisir  du  Conseil,  le  règlement  sera  signé  :  Sic  do- 
cebo,  quoties  hoc  argumenlum  suscipiam,  contra  ri um 
non  docebo  nec  ore ,  ncc  calmno,  nec  privatim,  nec 
publiée.  «  Ainsi  j'enseignerai,  et  dans  mes  arguments 
je  n'enseignerai  jamais  le  contraire,  ni  de  bouche,  ni 
en  écrivant,  ni  en  public,  ni  en  particulier.  » 

(Reg.  Cons.  \\  et  19  mai.)  M.  Fatio  va  plus  loin, 
et  demande  que  désormais  ceux  qui  sont  reçus  soient 
tenus  de  promettre  verbalement  de  se  soumettre  au 
synode  de  Dordrecht  et  de  ies  traiter  comme  les  ar- 
ticles du  Consensus. 

Celte  proposition  paraissant  tout  concilier,  on  en 


163 

informe  le  Conseil,  qui  la  transmet  aux  Deux-Cents, 
lequel  adopte  cet  arrêté  le  19  mai  1706  : 

«  Vu  la  délibération  du  10  décembre  1669,  sans 
approuver  ou  désapprouver  l'avis  de  la  Compagnie, 
on  tolère,  quant  à  présent,  la  nouvelle  signature,  on 
loue  l'union  et  la  bonne  intelligence  des  pasteurs,  on 
les  exhorte  à  s'entendre  plus  particulièrement  sur 
cette  matière.  Signé  Mestrezat.  » 

M.  Vial  est  reçu  et  l'affai  !     nble  terminée. 

Un  mois  plus  tard  1  (Reg.  Comp.  50  avril  1706), 
la  Compagnie  reprend  la  question;  «  elle  n'a  été  ré- 
solue que  pour  le  cas  particulier  de  M.  Vial;  il  faut 
qu'elle  reçoive  une  solution  prompte  et  générale, 
vu  que  le  public  s'en  occupe  grandement.  » 

Le  25  juin  a  lieu  une  des  plus  solennelles  séan- 
ces du  corps  dirigeant  l'Église  genevoise, 

La  minorité,  composée  de  12  personnes  sur  54, 
s'est  absentée  volontairement,  afin  de  rendre  cette  dé- 
libération nulle,  les  deux  tiers  des  membres  étant  re- 
quis pour  que  les  délibérations  soient  valables.  On 
passe  outre,  puisque  l'art.  8  établit  que  les  deux  tiers 
sont  nécessaires  seulement  dans  une  assemblée  extra- 

t.  Reg.  Comp.  18  et  -25  juin  1706. —  Pasteurs  acceptants,  22:  J.-Alph. 
Turretin  ;  Domaine  Butini  ;  De  la  Rive,  Jean  ;  Léger  ;  Sartoris  ;  Gaiatin; 
Fnlio  ;  Fabri;  Desprez;  Calendrini  ;  Mussard  ;  Gautier;  Jalabert; 
Perrot  ;  Janvier  ;  Violier  ;  Senebier  ;  Rulini  fils  ;  Beaulacre  ;  Bess'onnet; 
Vautier;  Vial.  —  Refusants,  12  :  Calendrini,  profes  ;  B.  Piclet,  profes.; 
Gaudy;  Turretin,  Michel,  profes.;  Minutoli  ;  Pinaut ;  Sarasin  ;  itacicr; 
Maurice;  Decarro  ;  Bordier  ;  Rocca. 


164 

ordinaire,  et  point  pour  les  jours  ordinaires;  en  sorte 
que  l'assemblée  actuelle  est  régulière. 

J.-A.  Turretin  dirige  la  délibération  et  demande 
que  la  nouvelle  signature  ne  soit  pas  conservée. 

«  Vous  avez  enlevé  le  m  sentio.  Je  crois  cette  doc- 
traire.  Vous  ne  pouvez  conserver  :  Je  l'enseignerai; 
car  cela  blesse  et  détruit  toute  franchise,  puisque 
l'on  s'engage  à  enseigner  ce  qu'on  ne  croit  pas.  Ces 
paroles  :  J'enseignerai  conformément  au  Consensus, 
chaque  fois  que  je  traiterai  ces  matières,  sont  extrê- 
mement équivoques:  ou  elles  imposent  la  nécessité 
d'enseigner,  et  c'est  imposer  la  nécessité  de  mentir, 
ou  elles  n'imposent  point  cette  nécessité,  et  alors 
elles  sont  inutiles. 

»  L'engagement  de  n'enseigner  ni  par  la  parole, 
ni  par  la  plume,  ni  en  public,  ni  en  particulier,  éta- 
blit une  déplorable  inquisition  jusque  sur  les  conver- 
sations et  les  pensées,  et  cela  touchant  des  matières 
que  tout  le  monde  regarde  comme  indifférentes,  et 
où  l'on  commence  à  se  supporter  de  toutes  parts. 

o  II  est  incongru  d'exiger  une  signature  pour  le 
Consensus,  tandis  qu'on  se  contente  d'une  parole  ver- 
bale à  l'égard  de  la  parole  de  Dieu  et  de  nos  confes- 
sions. 

Les  matières  du  Consensus  n'ont  aucune  influence 
sur  les  mœurs,  le  service  divin  et  la  prédication. 
»  Il  est  dur  de  penser  que  parmi  les  réformateurs 


468 

il  y  a  des  hommes  qui  ne  seraient  pas  reçus  dans  celte 
Compagnie. 

»  Enfin,  la  plupart  des  Églises  suisses,  les  princes 
réformés  de  Saxe,  les  prélats  d'Angleterre,  ce  qui 
reste  des  Églises  de  France,  l'Église  de  Neuchâtel, 
demandent  qu'on  s'adoucisse  sur  ces  matières.  » 

De  la  Compagnie,  la  délibération  passa  au  Petit 
Conseil.  Les  arguments  précédents  furent  longuement 
développés  par  MM.  Sartoris  et  Turretin.  MM.  Ca- 
lendrin  et  Bénédicl  Pictel  y  répondirent  comme  suit 1  : 

»  Ces  signatures  sont  indispensables  pour  conserver 
l'unité  de  doctrine;  il  est  nécessaire  d'avoir  des  rè- 
glements empêchant  les  pasteurs  d'en  venir  à  se  ré- 
futer mutuellement  dans  la  chaire  ou  dans  l'Audi- 
toire, voire  même  dans  les  conversations  privées.  Si 
l'on  ne  fait  pas  signer  l'engagement  d'être  fidèle  à  la 
Parole  de  Dieu,  c'est  qu'on  sait  que  personne  n'aurait 
la  hardiesse  de  se  présenter  pour  le  saint  ministère, 
s'il  n'était  pas  dans  cette  idée.  Nulle  pensée  d'inqui- 
sition n'entre  dans  notre  esprit;  nous  demandons 
seulement  qu'on  signe  pour  éviter  les  contestations 
publiques.  Quant  à  l'opinion  des  États  protestants, 
elle  importe  peu;  nous  devons  aller  droit  selon  notre 
conscience,  vu  qu'ils  son!  divisés,  et  qu'il  n'est  pas 
possible  aujourd'hui  d'être  avec  une  Église  sans  con- 


1.  Quatre  discours  sur  te  ConstiSHS.  Archives,  juin  1706.  Nous  en 
avons  extrait  toutes  les  idées  principales. 


166 

Irarier  sa  voisine.  Ainsi,  nous  sommes  d'accord  avec 
la  Hollande  en  admettant  le  synode  de  Dordrechl,  et 
contre  les  lulhériens  en  le  repoussant.  Enfin,  Mes- 
sieurs, prenez  garde  :  on  vous  ôte  la  formule  ainsi  je 
pense,  puis  on  enlève  ainsi  j'enseigne.  On  dit  qu'il 
faudra  se  contenter  du  je  n'enseignerai  rien  de  con- 
traire. Sans  doute  à  présent  on  ne  veut  plus  rien 
au-delà.  J'appréhende  pour  la  suite;  je  vois  que  les 
exhortations  seront  inutiles;  on  attaquera  le  synode 
de  Dordrechl,  les  confessions  de  foi.  Je  crains  l'éta- 
blissement de  l'arminianisme,  et  je  redoute  même 
des  choses  plus  graves;  les  esprits  du  siècle  sont  ex- 
trêmement portés  à  la  nouvaulé.  » 

La  cause  étant  suffisamment  instruite,  la  Compa- 
gnie adopte  dans  cette  séance  du  25  juin  la  résolu- 
tion suivante  : 

«  Sans  toucher  à  la  doctrine  contenue  dans  les  rè- 
glements de  1649  et  dans  le  Consensus,  à  l'avenir, 
ceux  qui  seront  reçus  au  saint  ministère  ou  dans  le 
corps  des  pasteurs,  ne  seront  obligés  à  aucune  signa- 
ture, mais  ils  seront  exhortés  par  la  bouche  du  mo- 
dérateur à  ne  rien  enseigner  ici,  dans  l'Église  et  dans 
l'Académie,  contre  nos  règlements,  afin  de  conserver 
l'uniformité  dans  la  manière  d'enseigner.  » 

Le  Consistoire  et  les  Conseils  (R.  Cons.  50  août)  dé- 
siraient ardemment  que  l'affaire  fût  terminée  à  l'amia- 
ble. MM.  Chouet,  Mestrezat,  Buisson  et  de  Lange, 


167 

s'interposèrent  el  usèrent  de  leur  influence  auprès  des 
partisans  du  Consensus.  Bénédict  Pictet  fut  un  des 
premiers  à  se  ranger  au  parti  de  la  conciliation,  et 
le  27  août  tous  les  pasteurs,  à  l'unanimité,  votèrent 
le  formulaire  suivant,  lequel  doit  être  présenté  à  tous 
ceux  qui  veulent  faire  partie  du  corps  ecclésiastique 
genevois  : 

«  Vous  protestez  et  jurez  de  croire  et  de  faire  pro- 
fession de  croire  tout  ce  qui  est  contenu  dans  les  Ecri- 
tures de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  qui  sont 
la  véritable  et  l'unique  règle  de  notre  foi. 

»  Vous  promettez  encore  de  n'enseigner  rien  qui 
ne  soit  conforme  à  la  confession  et  au  catéchisme  de 
cette  Église,  comme  contenant  le  sommaire  de  ce  qui 
nous  est  enseigné  dans  l'Écriture. 

Vous  êtes  exhorté  à  n'enseigner  rien  dans  l'Église 
et  dans  l'Académie  contre  les  canons  du  synode  de 
Dordrecht,  contre  les  règlements  de  la  Vénérable 
Compagnie  et  contre  ceux  des  Églises  de  Suisse,  et 
cela  pour  le  bien  de  la  paix  et  pour  garder  l'unifor- 
mité dans  la  manière  d'enseigner.  —  N'est-ce  pas  ce 
que  vous  promettez?  —  Réponse:  Je  le  promets.  » 

Le  G  septembre  1706  (Reg.  Cons.)  cette  résolu- 
tion est  portée  aux  Deux-Cents.  Les  avis  sont  parta- 
ges :  les  uns  voient  avec  une  extrême  satisfaction  que 
les  pasteurs  se  soient  entendus  sur  ce  sujet,  et  votent 
pour  l'adoption  du  formulaire.  D'autres,  tout  en  ne 


108 

trouvant  pas  ce  formulaire  parfait,  ne  laisseront  pas 
que  de  le  tolérer  en  interdisant  aux  pasteurs  toute 
contestation  sur  ce  sujet.  Les  derniers,  sans  approu- 
ver cet  accord,  le  tolèrent,  quant  à  présent,  pensant 
qu'il  vaut  mieux  renvoyer  la  délibération  à  une  au- 
tre fois,  vu  cette  diversité  d'avis. 

Le  10  septembre,  «  les  magistrats  faisant  réflexion 
sur  ce  qui  s'est  passé  dans  le  Conseil  des  Deux-Cents, 
pensent  que,  vu  la  diversité  des  opinions,  une  déli- 
bération postérieure  est  inutile,  et  déclarent  qu'on 
laissera  le  formulaire  tel  qu'il  est.  » 

Cette  grande  question  étant  résolue,  et  la  nouvelle 
formule  de  consécration  étant  adoptée  par  le  clergé, 
les  chefs  de  l'Église  de  Genève,  Bénédict  Pictet  et 
J.-A.  Turretin,  s'occupèrent  activement  d'un  grand 
projet  qui  commençait  à  préoccuper  vivement  la  chré- 
tienté protestante,  savoir,  la  réunion  en  un  seul  fais- 
ceau de  toutes  les  Églises  de  la  Réforme. 

Ce  n'était  pas  I  anéantissement  des  différences  de 
la  théologie,  on  sait  que  ce  résuliat  est  impossible; 
mais  c'était  l'acceptation  de  la  paix,  de  la  fraternité 
véritable  entre  tous  les  chrétiens;  c'était  les  enfants 
de  la  Réforme  oubliant  les  points  qui  les  divisaient, 
et  trouvant  dans  leurs  croyances  assez  de  choses 
fondamentales  et  identiques  pour  se  rapprocher  et 
s'unir;  c'étaient  les  enfants  de  la  Réforme  se  rassem- 
blant autour  de  la  table  de  la  Sainte-Cène,  se  donnant 


169 

sans  réserve  le  nom  de  frères  et  adorant  le  même 
Dieu,  le  même  Sauveur. 

Ce  magnifique  projet  avait  été  conçu  en  4  650  par 
un  lliéologien  écossais  nommé  Dureus,  qui  consacra 
sa  vie  à  celte  idée,  sans  pouvoir  la  faire  triompher. 
A  cetle  époque,  la  Compagnie  avait  publié  une  ad- 
mirable lellre  encyclique. 

A  peine  la  question  du  formulaire  fut-elle  décidée, 
que  Bénédict  Piclet  el  J.-A.  Turretin  reprirent  avec 
une  ardeur  chrétienne  ce  projet  ;  ils  écrivirent  à  toutes 
les  Églises,  à  tous  les  souverains  réformés.  Afin  de 
montrer  la  possibilité  de  cetle  union,  ils  dressèrent 
des  espèces  d'adresse  universalisle,  où,  laissant  de 
coté  les  questions  irritantes,  ils  présentaient  aux  chré- 
tiens réformés  l'ensemble  des  points  fondamentaux 
qui  les  rapprochent. 

Je  rapporte  ici  la  circulaire  de  J.-À.  Turretin  et 
celle  de  Pictet.  Si  le  lecteur  y  trouve  une  répétition, 
j'en  tirerai  une  conséquence  importante,  c'est  que 
ces  grands  théologiens  qui,  nous  l'avons  vu,  diffé- 
raient sur  plusieurs  points,  étaient  d'accord  sur  !a  doc- 
trine; en  sorte  que  les  auteurs  modernes  qui  ont  traité 
J.-A.  Turretin  de  socinien,  et  décerné  un  brevet  d'or- 
thodoxie à  Pictet,  ont  parlé  sans  avoir  étudié  les  piè- 
ces originales. 

Voici  la  circulaire  de  B.  Pictet  : 


170 


Aux  théologiens  de  la  confession  d'Augsbourg, 
aux  Églises  de  Hollande  et  d'Angleterre. 

«  Nos  dissensions  seront-elles  éternelles?  Pourquoi 
sommes-nous  divisés?  Ne  sommes-nous  pas  frères? 
Pourquoi  détruisons  nous  ce  doux  nom?  Nous  avons 
le  même  Père,  le  Dieu  de  paix.  Nous  adorons  en 
esprit  le  même  Dieu.  Nous  reconnaissons  pour  régie 
unique  de  foi  la  même  Sainte-Ecriture;  tous,  nous 
admettons  les  mérites  et  la  rédemption  du  Christ.  Qui 
donc  peut  nous  séparer?  Je  vous  en  conjure,  chré- 
tiens de  toute  dénomination,  tous  par  les  entrailles  de 
la  miséricorde  divine  et  le  précieux  sang  de  son  Fils 
unique,  rendons  la  paix  au  monde  protestant,  gué- 
rissons la  plaie  el  les  blessures  de  l'Église  évangéli- 
que;  alors  la  vérité  se  propagera  et  triomphera.  Nous 
enlèverons  le  scandale  de  notre  sein;  les  hommes 
pieux  se  réjouiront  ;  les  gens  du  dehors  seront  con- 
vertis, les  noms  de  calvinistes  et  de  luthériens  seront 
abolis;  nous  n'élèverons  plus  autel  contre  autel.  Nous 
vous  offrons  de  vous  recevoir  dans  notre  communion, 
et  nous  vous  demandons  la  même  grâce.  Quelle  jour- 
née lorsque  nos  Eglises  se  donneront  la  main,  formant 
un  seul  corps!  Dieu  nous  bénissant,  les  anges  applau- 
dissant, les  saints  se  réjouissant  !  » 

Touchant  l'eucharistie,  Pictel  et  Turretin  écrivent 
les  paroles  suivantes  : 


171 

«  Dans  la  cène,  le  pain  et  le  vin  ne  changent  pas 
de  nature.  Nous  admettons  que  Christ  lui-même  est 
présent  dans  la  Sainte-Cène;  que  par  un  mode  dont 
nous  n'avons  pas  connaissance,  le  corps  de  Christ  est 
mangé  par  les  fidèles,  non  point  par  une  inclusion 
locale,  localem  inclusioncm,  non  point  d'une  manière 
qui  tombe  sous  les  sens,  mais  par  un  mode  sa- 
cramentel ;  nous  excluons  la  croyance  romaine  ;  c'est- 
à-dire,  le  corps  de  Christ  n'est  point  converti  en  pain, 
l'hostie  ne  doit  point  être  adorée,  la  Cène  n'est  pas 
un  sacrifice;  il'  ne  faut  pas  retrancher  la  coupe  au 
peuple.  La  communion  n'est  salutaire  qu'à  ceux  qui 
l'accomplissent  avec  foi.  Nous  sommes  tous  d  accord 
sur  ce  point;  le  reste  n'est  que  vaine  curiosité.  » 
(Bénédict  Pictet.  De  consens®  ac  dissensu  inter  fra- 
tres  augustan&s  et  reformatas.) 

B.  Pictet  s'exprime  ainsi  touchant  les  grandes  dis- 
putes du  siècle  passé  : 

«  La  dissension  concernant  la  grâce  universelle  ne 
doit  point  être  fondamentale  entre  nous  et  la  confes- 
sion d'Augsbourg.  Nous  convenons  que  la  foi  est  né- 
cessaire au  chrétien  pour  être  sauvé.  La  rédemption 
du  christianisme  est  d'un  prix  infini,  et  suffît  pour 
le  salut  de  l'univers  entier. 

»  Nous  croyons  que  Christ  a  sauvé  les  hommes  de 
toute  tribut,  de  tout  ordre  de  toute  espèce.  Dieu  aime 
d'un  amour  général  toutes  ses  créatures  et  les  comble 


172 

de  bienfails.  Dieu  veut  que  tous  ses  enfants  croient 
et  se  repentent  pour  être  sauvés.  Dieu  ne  veut  pas 
la  mort  du  pécheur,  mais  sa  conversion  et  sa  vie.  Dieu 
ne  demande  pas  aux  hommes  de  pénétrer,  de  compren- 
dre le  décret  de  la  prédestination ,  mais  il  veut  les 
sauver  par  les  moyens  qu'il  meta  leur  portée.  Rien 
n'arrive  dans  le  temps  qui  n'ait  été  décrété  par  l'É- 
ternel. Les  péchés  de  chacun  sont  la  cause  de  leur 
condamnation.  La  foi  est  un  don  de  l'Esprit  de  Dieu.  » 

J.-A.  Turretin  énonce  des  principes  identiques  sur 
ce  sujet,  et  pour  frapper  un  dernier  coup,  ces  deux 
théologiens  font  le  tableau  de  la  vie  intime  du  chré- 
tien. J.-A.  Turretin,  à  son  tour,  dans  son  discours 
De  componendis  prolestaiitiam  dwsidies ,  prononce 
ces  immortelles  paroles  : 

«  Placez  devant  vos  yeux  un  homme  qui,  touchant 
les  points  contestés  entre  nous,  les  ignore  ou  suspend 
son  jugement,  ou  soit  incapable  de  les  comprendre. 
Mais  cet  homme  remplit  les  devoirs  d'un  disciple 
pieux  et  intègre;  il  se  reconnaît  pauvre  et  misérable 
pécheur  devant  Dieu,  il  déplore  ses  fautes  et  ressent 
une  véritable  repentance  ;  se  trouvant  sans  moyen 
de  retrouver  la  paix,  il  se  réfugie  sans  réserve  dans 
la  miséricorde  divine,  il  se  livre  tout  entier  à  Jésus- 
Christ,  il  demande  son  pardon,  il  repose  en  lui  toute 
sa  confiance.  Aidé  par  la  grâce  divine,  il  ne  laisse 
rien  en  arrière  en  fait  de  réparation;  il  se  lave  de 


173 

ses  péchés,  il  s'etïorce  d'être  juste  et  charitable  en- 
vers le  prochain,  d'exercer  la  patience,  la  tempé- 
rance, l'humilité  dans  sa  vie  privée;  par  le  secours 
divin,  il  fait  chaque  jour  de  nouveaux  progrès;  dans 
la  vie  morale,  il  surmonte  la  crainte,  l'espérance 
illégitime;  il  fait  la  guerre  à  ses  péchés,  et  il  atteint 
l'heure  de  la  mort  en  s'en  remettant  complètement 
à  la  miséricorde  divine.  Qui  osera  retrancher  cet 
homme  de  l'Eglise  du  Christ,  lui  refuser  la  commu- 
nion, l'éloigner  du  blanc  troupeau  de  Jésus-Christ?  » 

Le  roi  de  Prusse  Frédéric  Ier  répondit  aux  Gene- 
vois en  4  707  : 

«  Votre  Église,  dont  le  nom  est  si  vénérable,  de- 
vant donner  un  exemple  de  charité,  après  avoir  servi 
autrefois  de  lumière  pour  la  doctrine,  nous  approu- 
vons vos  pensées  à  l'égard  de  la  réunion;  elles  sont 
conformes  à  celles  que  nous  avons  suivies  nous-mêmes; 
mais  ce  qui  nous  agrée  le  plus,  c'est  celte  piété  ac- 
compagnée de  prudence,  qui  fait  qu'en  travaillant  à 
la  paix,  à  l'union  des  protestants,  vous  avez  aussi 
employé,  il  n'y  a  pas  longtemps,  les  moyens  les  plus 
propres  pour  y  parvenir;  en  étant  chez  vous  les  obsta- 
cles qui  pouvaient  s'opposer  à  l'union  des  Églises 
évangéliques,  et  renversé  la  muraille  de  séparation 
qui  était  entre  elles;  nous  suivons  les  mêmes  prin- 
cipes dans  notre  Université  de  Brandebourg,  et  nous 
pouvons  espérer  qu'avec  l'aide  de  Dieu  la  réunion 


474 

ne  saura  manquer  d'avoir  un  bon  et  heureux  succès.  » 

Walker,  archevêque  de  Canlorbéry,  répondil  dans 
le  même  sens,  et  déclare  que  son  souverain  était  lu- 
thérien et  faisait  partie  de  l'Église  anglaise  :  «  A  son 
exemple,  je  ne  vois  aucun  obstacle  à  la  réunion  des 
prolestânls  avec  l'Église  anglicane,  et  je  l'appelle  de 
tous  mes  vœux.  » 

Les  principaux  théologiens  de  l'Europe  réformée 
envoyèrent  également  des  adresses  de  paix  et  d'union 
aux  deux  chefs  de  l'Église  de  Genève.  Toutefois,  la 
réunion  officielle  ne  put  être  consommée;  mais  l'es- 
prit de  paix  et  de  concorde  opéra  un  rapprochement 
réel  entre  les  communautés  issues  de  la  Réforme. 

Ce  travail  extérieur  pour  obtenir  la  réunion  des 
Eglises  réagit  sérieusement  sur  le  clergé  de  Genève, 
et  lorsqu'on  eut  bien  compris  que  les  points  fonda- 
mentaux étaient  au  fond  les  mêmes  pour  tous  les  chré- 
tiens séparés  de  Rome,  on  voulut  mettre  la  constitu- 
tion ecclésiastique  genevoise  en  accord  avec  les  sen- 
timents du  troupeau  et  des  pasteurs.  Après  de  lon- 
gues conversations  officieuses,  les  ministres  genevois 
résolurent  d'admettre  comme  base  unique  de  leur  foi 

LA  DOCTRINE  TELLE  QU'ELLE  EST  CONTENUE  DANS  LES  SaIN- 

TEs-ÉcRiTimES,  et  de  repousser  tout  engagement  à  des 
formulaires  humains.  Celte  décision  fut  prise  d'un 
accord  presque  unanime.  Voici  le  texte  de  cette  so- 
lennelle délibération,  qui  plaça  l'Église  de  Genève  à 


175 

la  tète  du  monde  chrétien  qui  aspirait  à  la  liberté  de 
conscience. 

Le  22  mai  4725  elle  1er  juin,  la  Compagnie  est 
convoquée  pour  revoir  le  formulaire  dont  on  s'est  servi 
depuis  4  706,  à  la  réception  des  ministres  et  des  pro- 
fesseurs.—  Modérateur,  Samuel  Twrrelin.  Membres 
présents:  MM.  Butini,  J.-A.  Turreliu,  Gallatin.  Fatio, 
Maurice,  Desprez,  Peuaut,  Bessonnet,  Bordier,  Vial, 
Vautier,  Le  Fort,  Rocca,  Léger,  Oommelin ,  Den- 
land,  De  la  Rive,  Beaulacre,  Joli-Rilliel,  Le  Clerc, 
Senebier,  Lambercier,  Calendrin,  De  Rochemond, 
Perron,  Zwalen,  Mestrezat,  Lullin,  Flournois,  Tron- 
chin,  Pictet,  Lhuillier,  De  Labarre. 

La  Compagnie,  opinant  sur  le  formulaire  de  4  706, 
dont  on  s'est  servi  dès-lors  à  la  réception  des  minis- 
tres, après  deux  tours  de  scrutin,  I'avis  unanime,  à 
deux  voix  près,  a  été  de  ne  plus  se  servir  désormais 
du  dit  formulaire,  mais  de  s'en  tenir  à  l'article  6, 
titre  îfr,  chap.  Ier  des  ordonnances,  dont  on  lira  les 
termes  suivants  : 

«  Vous  protestez  de  tenir  la  doctrine  des  saints 
prophètes  et  apôtres,  comme  elle  est  comprise  dans 
les  livres  du  Vieux  et  du  Nouveau  Testament,  de  la- 
quelle doctrine  nous  avons  un  sommaire  dans  notre 
catéchisme.  » 

En  même  temps,  le  modérateur  sera  chargé  d'in- 
timer à  ceux  qu'il  recevra  au  saint  ministère,  de  ne 


176 

traiter  dans  les  chaires  aucune  matière  curieuse  et 
inutile  qui  tende  à  troubler  la  paix. 

«  Ce  qui  a  porté  la  Compagnie  a  prendre  celle 
résolution,  c'esl  : 

»  \  °  Que  les  disputes  qui  ont  donné  lieu  à  la  protes- 
tation de  1 706  ayant  cessé,  cette  protestation  devient 
inutile. 

»  2°  La  Compagnie  considère  qu'on  ne  peut  conser- 
ver ce  formulaire,  sans  faire  de  la  peine  à  quelques- 
unes  des  Eglises  réformées  où  l'on  a  des  idées  contrai- 
res à  celles  des  confessions  de  foi  qu'on  s'engageait 
à  respecter. 

»  3°  La  Compagnie  a  remarqué  qu'en  gardant  cette 
protestation,  ou  fait  ce  que  les  puissances  protestan- 
tes ont  désapprouvé  dans  d'autres  Eglises,  puisqu'on 
s'engage  à  ne  point  enseigner  contre  le  Consensus. 

»  4°  Nous  avons  égard  aux  luthériens  que  le  sy- 
node de  Dordrecht  et  le  Consensus  éloignent  extrê- 
mement de  se  réunir  avec  nous.  » 

Enfin,  ce  qui  a  engagé  la  Compagnie  à  reprendre 
l'engagement  que  contiennent  les  ordonnances  en  y 
ajoutant  des  exhortations  pour  éviter  tout  ce  qui  pour- 
rait troubler  la  paix,  c'est  que  les  paroles  de  nos 
ordonnances  ne  renferment  rien  que  de  sage. 

Qu'elles  nous  engagent  uniquement  à  suivre  et  à 
enseigner  la  doctrine  de  l'Écriture,  engagement  sous 
lequel  doi cent  être  tous  les  ministres  de  V Evangile. 


Que  si  les  ordonnances  parlent  du  catéchisme,  ce 
n'est  pas  pour  l'égaler  à  l'Écriture,  ou  pour  nous 
engager  à  le  suivre  en  tout  ;  mais  simplement  pour 
témoigner  que  nous  reconnaissons  qu'on  y  trouve  le 
sommaire  de  ia  doctrine  chrétienne. 

Que  d'ailleurs  ces  engagements  pourvoient  à  tout 
ce  qu'on  cherche  par  la  voie  des  formulaires ,  puis- 
qu'ils obligent  la  conscience  des  ministres  à  enseigner 
d'une  manière  pure,  et  à  ne  rien  avancer  qui  puisse 
occasionner  des  disputes. 

Qu'enfin,  on  se  remet  sous  la  règle  des  réforma- 
teurs qu'on  aurait  dû  suivre,  et  sous  laquelle  noire 
Église  a  vécu  plus  d'un  siècle. 

Cette  décision  capitale  étant  adoptée  par  l'unani- 
mité du  clergé  de  Genève,  l'Église  conserva  une  or- 
ganisation régulière  et  puissante,  au  milieu  des  dé- 
bats politiques  et  des  luttes  contre  l'incrédulité  qui 
occupèrent  les  esprits  durant  le  cours  du  dix  hui- 
tième siècle.  Peu  à  peu  «  ce  qui  restait  des  Eglises  de 
France,  »  les  communautés  du  refuge  et  les  Églises 
vallones.  adoptèrent  la  formule  genevoise,  et  nous 
trouvons  une  correspondance  avec  la  Hollande,  dé- 
cembre 1720,  qui  établit  clairement  la  position  de 
Genève  au  sein  de  l'Europe  réformée.  Les  Églises 
vallones  veulent  obtenir  des  détails  très-circonstanciés 
sur  l'organisation  religieuse  de  notre  ville.  Voici  la 
réponse  de  la  Compagnie: 

m.  1-2 


178 

«  Nos  ministres  emploient  quatre  années  à  la  théo- 
logie, aux  langues  saintes,  à  l'histoire  ecclésiastique. 
Ils  font  ces  éludes  sous  cinq  professeurs.  Ils  doivent 
composer  huit  propositions  qu'ils  récitent  en  présence 
de  leurs  professeurs  et  du  modérateur  qui  y  est  tou- 
jours invité,  puis  une  thèse  qu'ils  soutiennent  devant 
les  magistrats  et  la  Compagnie.  Ils  sont  grabelés  en 
l'absence  de  leurs  parents.  On  les  reçoit  à  vingt-quatre 
ans,  après  l'examen  le  plus  sévère  de  leur  conduite. 
Us  font  deux  propositions  d  examen,  composées  et 
apprises  en  quarante-huit  heures.  Ils  font  des  examens 
pour  les  langues  saintes,  la  philosophie,  la  théologie, 
l'analyse  d'une  épître,  l'histoire  ecclésiastique,  la 
morale,  sur  laquelle  ils  font  un  discours  composé  en 
trois  ou  quatre  heures,  sans  autre  livre  que  la  Bible, 
dans  un  lieu  enfermé,  sous  l'inspection  de  trois  pas- 
teurs ;  puis,  la  Compagnie  délibère  à  nouveau  par  ba- 
loltes;  elle  examine  surtout  la  bonne  et  saine  connais- 
sance que  le  candidat  peut  avoir  de  l'Ecriture-Sainte, 
et  pour  éviter  tout  danger  du  côté  des  sentiments,  il  fait 
publiquement  la  protestation  solennelle  composée  par 
notre  grand  Calvin,  dont  on  explique  encore  aujour- 
d'hui régulièrement  le  catéchisme,  deux  jours  par 
semaine,  dans  chacune  de  nos  trois  paroisses.  » 

Les  Hollandais  répondent  que  la  formule  de  con- 
sécration de  Genève  est  la  même  pour  les  Églises 
val  loues. 


179 

La  modification  de  la  formule  de  consécration,  ou 
de  la  confession  de  foi  de  l'Eglise,  étant  le  résultat  de 
la  doctrine  admise  par  la  généralité  des  fidèles,  avant 
d'exposer  le  dernier  changement  opéré  dans  renga- 
gement des  ministres,  nous  devons  offrir  à  nos  lec- 
teurs un  rapide  exposé  de  la  dogmatique  genevoise 
au  dix-huitième  siècle. 

Nous  consultons  les  ouvrages  de  Jacob  Vernet, 
principal  directeur  de  l'opinion  religieuse,  et  défen- 
seur intrépide  du  christianisme  contre  l'incrédulité,  et 
voici  le  système  de  doctrine  que  nous  y  trouvons  : 

Jésus-Christ  est  issu  de  Dieu  avant  la  création  du 
monde;  Dieu  l'a  comblé  de  tout  le  pouvoir,  de  toute 
la  gloire,  de  toute  la  sagesse,  de  toute  la  sainteté,  de 
toute  la  perfection  dont  il  peut  revêtir  un  être  créé; 
c'est  ainsi  que  Jésus  Christ  est  devenu  le  premier-né 
et  l'image  empreinte,  la  splendeur  de  la  gloire  divine. 

Voici  le  sort  de  l'homme:  tous  ont  péché,  tous 
sont  condamnés  pour  n'avoir  pas  observé  complète- 
ment la  loi. 

Mais  Jésus  apporte  l'alliance  de  grâce,  la  promesse 
que  Dieu  pardonne  tous  les  péchés  dont  nous  nous 
sommes  repentis,  et  que  nous  voulons  essayer  de  ré- 
parer à  l'avenir  par  une  meilleure  conduite.  La  cer- 
titude de  ce  pardon  est  indispensable  pour  travailler 
à  la  sanctification,  à  la  régénération  de  son  âme,  sans 
elle,  l'abattement,  et  un  invincible  découragement  se- 


180 

(•aient  noire  partage,  puisque  jamais  les  efforts  pour 
l'avenir  ne  pourraient  absoudre  la  condamnation  du 
passe. 

Jésus  est  le  seul  auteur  de  ce  salut  complètement 
gratuit.  Il  nous  adonné  la  loi  infaillible  et  parfaite; 
il  est  mort  pour  affirmer  par  sa  mort  la  vérité  de  ses 
paroles,  pour  nous  donner  la  certitude  de  notre  ré- 
surrection en  reprenant  lui-même  la  vie.  Sa  mort 
est  le  sacrifice  qui  abolit  toutes  les  offrandes  (pie  l'hu- 
manité offrait,  et  offre  encore,  pour  la  rançon  de  ses 
crimes;  elle  est  le  gage,  le  signe  du  pardon  que  Dieu 
nous  donne  ;  elle  nous  engage  à  répondre  à  cet  amour, 
à  ce  martyre,  par  le  sacrifice  de  nos  passions.  Voici 
l'exemple  tiré  des  choses  qui  se  voient  :  un  père  qui 
aurait  tout  fait  pour  sa  famille,  un  bienfaiteur  mou- 
rant pour  ses  amis,  s'il  exigeait  d'eux  qu'ils  se  par- 
donnassent réciproquement,  qu'ils  se  fissent  quelque 
restitution,  qu'ils  s'abstinssent  de  quelque  chose  pour 
l'amour  de  lui,  il  n'est  aucun  d'eux  qui  ne  consentît 
de  bon  cœur  à  lui  donner  une  telle  marque  d'atta- 
chement et  de  reconnaissance,  lors  même  qu'il  s'agi- 
rait d'une  chose  dure  et  pénible.  Ainsi,  plaçons-nous 
au  pied  de  cette  croix  ,  contemplons  Jésus-Christ  mou- 
rant pour  nous  sauver,  et  nous  demandant  la  repen- 
tance  et  la  sanctification,  pour  l'amour  de  son  sang 
répandu  pour  nous  :  voilà  la  foi  qui  nous  sauve. 

L'évolution  de  la  doctrine  est  facile  à  suivre. 


181 

Trois  systèmes  personnifiés  dans  trois  hommes  ré- 
sument noire  histoire  dogmatique  :  Calvin,  Turretin, 
Vernet. 

Chaque  système  présente  au  complet  le  résultat  du 
christianisme,  savoir,  le  salut  de  l'homme  obtenu  par 
l'œuvre  miséricordieuse  de  Jésus-Christ  tout  seul.  Du- 
rant ces  trois  siècles,  l'Église  de  Genève  a  proclamé 
qu'il  n'y  a  point  de  salut  par  aucun  autre;  qu'il  n'y  a 
sous  le  ciel  aucun  autre  nom  par  lequel  nous  puissions 
être  sauvés.  Le  fait  suprême  demeure;  mais  les  inter- 
prétations individuelles  varient.  Qui  a  possédé  la  vé- 
rité dans  les  détails?  Nous  le  saurons  lorsque  nous 
connaîtrons  comme  nous  avons  été  connus. 

La  plus  entière  franchise  a  toujours  régné  dans  les 
évolutions  de  la  dogmatique  genevoise.  Les  pasteurs 
de  cette  Église  ont  tenu  compte  des  nécessités  du  temps, 
et  suivant  les  circonstances  ils  ont  insisté  sur  divers 
points  fondamentaux.  Au  dix-septième  siècle,  au  mi- 
lieu des  luttes  ardentes  avec  le  catholicisme,  le  dogme 
de  la  prédestination  et  du  salut  par  la  grâce  fut  la 
préoccupation  constante  de  Genève.  Pendant  le  dix- 
huitième  siècle,  en  face  du  matérialisme  dominateur, 
le  clergé  genevois  parla  surtout  de  la  réhabilitation 
morale  de  l'homme,  au  moyen  des  forces  divines;  il 
insista  sur  la  sanctification,  et  laissa  dans  l'ombre  le 
pardon  par  grâce.  Les  dogmes  fondamentaux  de  l'exis- 


482 

lence  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ  étant  constamment 
niés,  les  Genevois  s'efforcèrent,  durant  cinquante 
années,  de  les  défendre.  Ainsi,  chaque  génération  de 
l'Eglise  de  Genève  a  combattu  contre  l'esprit  du 
temps. 

Au  commencement  du  dix-neuvième  siècle,  la 
Compagnie  des  Pasteurs  accomplit  deux  actes  qui 
couronnent  la  conduite  honorable  qu'elle  a  tenue  dans 
la  grande  question  de  la  liberté  de  la  pensée.  Au 
milieu  des  orages  de  la  révolution  et  de  l'empire,  elle 
a  publié  en  1805  une  version  de  la  Bible.  Et  voici 
à  ce  sujet  une  délibération  qui,  sous  le  rapport  de  la 
franchise  et  de  l'indépendance  de  la  pensée,  peut  être 
offerte  pour  modèle  à  toutes  les  écoles  de  théolo- 
gie. —  L'ensemble  du  clergé  n'admettait  plus  la  for- 
mule calviniste  de  la  trinité.  La  discussion  s'engagea 
sur  le  passage  Hom.  IX,  v*  5  (Reg.  Comp.  I  juin 
1802).  Une  voix  s'éleva  pour  adopter  la  doxologie, 
savoir,  ce  passage  entendu  comme  une  formule  de 
bénédiction ,  Christ  qui  est  au-dessus  de  tous  :  «  Que 
Dieu  soit  béni  éternellement!  »  L'ancienne  version  ge- 
nevoise porte  :  «  Le  Christ  qui  est  Dieu  au-dessus  de 
toute  chose,  béni  éternellement.  Amen.  » 

Les  pasteurs  inscrivent  les  paroles  suivantes  en 
leurs  archives  :  «  Comme  ce  passage  sera  recherché  par 
ceux  qui,  à  tort  ou  à  droit,  soupçonnent  les  senti- 
ments de  l'Église  de  Genève,  nous  pensons  que  la 


185 

traduction  littérale  est  la  seule  qu'on  doive  faire. 
Nous  (lisons  :  Christ  qui  est  au-dessus  de  toute  chose; 
Dieu  béni  éternellement;  amen.  L'idée  de  la  doxo- 
logie  ou  bénédiction  est  insoutenable1,  et  ce  passage 
de  saint  Paul  demeure  le  plus  fort  argument  pour  la 
divinité  de  Jésus-Christ.  » 

Les  personnes  familiarisées  avec  l'histoire  ecclésias- 
tique savent  que,  dans  les  temps  anciens,  les  partis 
ont  maintes  fois  falsifié  les  passages  des  manuscrits  con- 
cernant la  divinité  de  Jésus-Christ.  Mais  l'Eglise  de 
Genève  s'est  toujours  placée  au-dessus  de  ces  mes- 
quines passions  et  de  leur  intervention  dans  le  do- 
maine de  la  vérité  religieuse. 

Le  vénérable  Cellérier  père  fut  chargé  de  composer 
la  préface  de  cette  version.  C'est  un  travail  où  l'élo- 
quence de  la  forme  fait  ressortir  la  noble  simplicité 
des  idées.  En  voici  quelques  paroles: 

«  La  Bible,  dit-il,  conserve  le  dépôt  des  archives 
du  genre  humain  ;  elle  expose  à  nos  yeux  les  premiers 
monuments  de  l'histoire  des  nations  qui  ont  habité  la 
terre;  elle  développe  les  voies  de  la  Providence  divine 
dans  le  gouvernement  du  monde  moral;  elle  instruit 
l'homme,  sans  obscurité,  de  son  origine,  de  sa  desti- 
nation, de  ses  rapports  avec  Dieu  et  avec  ses  sem- 
blables; elle  lui  découvre  la  nature  du  souverain  bien, 


1.  Christ  qui  est  au-dessus  de  toute  chose!  Que  Dieu  soit  béni  éter- 
nellement! Amen. 


184 

les  vrais  fondements  de  la  législation  et  de  la  morale, 
les  ressources  de  l'homme  pécheur  et  malheureux; 
et  certes,  ce  sont  là  les  grands  intérêts  de  l'humanité, 
sur  la  plupart  desquels  les  anciens  philosophes,  quoi- 
que doués  d'une  grande  force  de  raison,  ont  reconnu 
leur  incertitude  et  leur  ignorance.  » 

Les  formulaires  étant  l'expression  générale  de  la 
croyance  d'une  Église,  le  clergé  genevois  ayant  aban- 
donné l'usage  du  catéchisme  de  Calvin,  la  formule 
de  consécration  de  1725  ne  pouvait  subsister;  elle 
fut  en  conséquence  modifiée  comme  suit  (Reg.  Comp. 
25  janv.  1806):  «Vous  promettez  d'enseigner  la 
vérité  divine,  telle  qu'elle  est  contenue  dans  les  livres 
de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  dont  nous 
avons  un  abrégé  dans  le  symbole  des  apôtres.  » 

Enfin,  en  1810,  l'Église  ne  voulut  mettre  aucune 
parole  humaine  entre  la  conscience  de  ses  membres 
et  la  parole  divine;  elle  supprima  la  mention  du  sym- 
bole, et  adopta  de  celte  manière  la  plus  entière  et  la 
plus  absolue  liberté  de  conscience  sur  le  champ  de 
l'Évangile  de  Jésus-Christ. 


185 

CHAPITRE  VI. 

DOGMATIQUE  GENEVOISE. 

DÉFENSE  DU  CHRISTIANISME  AU   DIX-HUITIÈME  SIÈCLE. 

Commencement  de  l'incrédulité.—  Dictionnaire  de  Bayle. —  De  Roches 
et  la  religion  essentielle  à  l'homme.  —  Voltaire  à  Genève.  —  Pre- 
mières attaques  contre  la  Réformation:  Calvin  et  Servet.  —  Article 
sur  Genève  dans  1  Encyclopédie.  —  Pamphlets  licencieui  brûlés  à 
Genève.—  Voltaire  et  Vernet.  —  Histoire  de  Giannone.  —  Calomnies 
de  Voltaire;  ses  rétractations;  nouveaux  pamphlets.  —  Description 
officielle  de  la  propagande  voltairienne  par  Vernet.  —  Dernières 
années  et  mort  de  Voltaire.  —  L'apologétique  genevoise  au  dix-hui- 
tième siècle.  —  Vernet,  De  Roches.  Roustan,  Claparède,  Vernes. 

Nous  avons  dit,  en  terminant  l'exposé  des  discus- 
sions concernant  la  liberté  de  conscience  à  Genève, 
que  les  enseignements  théologiques  varient  suivant 
les  nécessités  du  temps.  Le  clergé  genevois  en  fit  l'ex- 
périence au  milieu  du  dix  huitième  siècle*  Il  avait 
défendu  la  loi  évangélique  contre  les  efforts  de  Rome; 
maintenant  c'était  la  religion  chrétienne  elle-même 
dont  il  fallait  montrer  la  vérité  divine  en  face  des  phi- 
losophes incrédules  qui  surgissaient  de  toute  part  : 
Bayle  en  Hollande,  Hobbes  en  Angleterre,  l'Ecole 
encyclopédique  en  France.  Proclamer  la  vérité  révé- 
lée dans  les  Saintes-Écritures,  au  milieu  de  ces  phi- 


186 

losophes  qui  employaient  à  la  combattre  l'esprit,  la 
raillerie  et  la  science,  c'élait  une  œuvre  courageuse 
et  chrétienne,  et  nous  allons  voir  comment  l'Église 
de  Genève  poursuivit  cette  noble  tâche. 

Les  premiers  symptômes  de  celte  lutte  se  manifes- 
tèrent dans  notre  ville,  à  l'occasion  du  Dictionnaire  de 
Bayle. 

Le  Dictionnaire  de  Bayle  était  publié,  et  le  succès 
en  retentissait  en  Europe1.  Un  jour,  la  Compagnie 
apprend  que  les  MM.  Fabri  et  Barillet  impriment 
une  édition  de  ce  livre,  sans  l'avis  et  l'autorisation 
des  seigneurs  scolarques,  contrairement  à  la  loi,  qui 
exige  cette  permission  pour  tout  livre  sorti  des  presses 
genevoises. 

Le  professeur  Calendrini  supplie  Messieurs,  au  nom 
des  pasteurs,  d'arrêter  cette  impression.  «  Ce  livre, 
dit-il,  est  très-dangereux;  il  établit  le  phyrronisme, 
et  tend  à  rendre  douteuses  les  vérités  les  plus  claires, 
sape  les  fondements  essentiels  de  la  religion.  Si  l'au- 
teur n'ose*  pas  nier  ouvertement  l'existence  de  la  di- 
vinité, il  avance  des  choses  qui  y  tendent  indirecte- 
ment; il  fortifie  les  objections  et  affaiblit  les  réponses. 
Il  rétablit  le  manichéisme,  la  doctrine  des  deux  prin- 
cipes, l'un  bon,  l'autre  mauvais,  qui  gouvernent  le 
monde.  Ce  livre,  du  reste,  est  rempli  d'obscénités, 
et  la  lecture  en  est  d'autant  plus  dangereuse  qu'il  est 

1 .  Reg.  Comp.  7  avril  1713  ;  Reg.  Cons.  4  et  14  avril  1713. 


187 

écrit  avec  beaucoup  d'esprit,  de  dextérité,  de  déli- 
catesse, et  plein  d'érudition.  Très-honorés  Seigneurs, 
conclut  M.  Calendrini,  serait-il  dit  que  Genève,  qui 
a  été  de  tout  temps,  par  la  bénédiction  divine,  une 
source  heureuse  d'édification,  et  quia  répandu  par- 
tout de  bonnes  instructions  par  les  livres  qui  en  sont 
sortis,  devienne  une  source  empuantie  et  empoisonnée 
pour  répandre  ailleurs  le  venin  mortel  de  l'impiété? 
Quel  déshonneur  ce  serait  pour  cette  Église!  » 

Les  imprimeurs  supplièrent  les  magistrats  «  décon- 
sidérer que  depuis  trois  mois  ils  travaillent  à  ce  livre, 
qui  est  imprimé  partout  avec  la  permission  des  Etats, 
et  qu'ils  ont  déjà  plus  de  400  feuilles  d'imprimées 
sur  700.  » 

Le  Conseil 1  leur  défendit  de  continuer;  puis,  dix 
jours  plus  tard,  sur  le  rapport  d'une  commission,  la 
majorité  déclara  «  qu'il  faut  fermer  les  yeux,  tolérer 
celle  impression,  vu  les  grands  frais  des  imprimeurs, 
moyennant  qu'il  ne  paraisse  pas  qu'elle  ait  été  faite 
en  cette  ville.  » 

La  Compagnie,  apprenant  cette  résolution,  déclare 
au  Conseil  «  que  le  tout  est  une  injure  contre  Dieu  et 
la  religion,  »  et  cinq  ans  plus  tard,  les  pasteurs  cons- 
tataient comme  suit  le  progrès  que  faisaient  les  doc- 
trines du  philosophe  hollandais  :  «  Vu  que  dans  les 
cafés  de  la  ville  on  ne  joue  plus,  mai  son  donne  à  lire 

1.  Reg.  Comp.  12  mai  1713,  12  août  1718. 


188 

le  Dictionnaire  de  Bayle,  ce  qui  parait  d'une  dange- 
reuse conséquence.  » 

La  Compagnie  ne  s'en  tint  pas  à  celte  protesta- 
lion1,  elle  voulut  combattre  le  mal.  Un  examen  sé- 
rieux de  la  prédication  prouva  qu'il  fallait  modifier 
le  choix  des  sujets.  «  Le  temps  n'est  plus  ou  l'on 
»  peut  se  borner  à  l'exposé  du  dogme  et  parler  aux 
»  fidèles  de  paix  et  d'union  religieuse.  Il  faut  main- 
»  tenant  s'opposer  à  l'impiété,  à  la  négation  de  l'au- 
»  torité  divine  des  Écritures.  Il  faut  prouver  la  vé- 
»  riléde  la  religion  chrétienne,  et  ne  pas  s'attacher 
»  exclusivement  à  la  morale,  qui,  quoique  très-néces- 
»saire,  ne  suffit  pas.  11  faut  parler  souvent  de  cette 
y  vérité  dans  les  conversations  particulières,  intéres- 
»  ser  à  cette  œuvre  les  laïques,  dont  les  paroles  et  les 
»  arguments  auront  beaucoup  de  poids.  » 

Le  premier  écrivain  genevois  qui  entreprit  cette 
œuvre  apologétique  fut  M.  De  Roches.  On  venait  de 
publier  un  ouvrage  intitulé  la  Religion  essentielle 
à  l'homme.  L'auteur  de  ce  livre  établit  que  la  seule 
religion  possible  est  la  foi  à  l'existence  de  Dieu  et 
quelques  préceptes  de  morale  ;  il  traite  avec  un  sou- 
verain mépris  les  hommes  qui  reconnaissent  la  divi- 
nité de  l'Évangile  révélé.  M.  De  Roches  répondit  en 
4  740,  et  réfuta  le  livre  sur  la  Religion  essentielle. 
Dans  cet  ouvrage,  comme  dans  l'esprit  des  libres 

1.  Reg.  Comp.  14  déc.  1714,  2  août  1715. 


189 

penseurs,  le  fait  de  la  rédemption  était  l'objet  des 
doutes  les  plus  sérieux  au  point  de  vue  philosophique 
et  moral.  De  Roches  prouva  que  les  grands  dogmes 
de  l'Évangile  sont  d'accord  avec  les  lumières  de  la 
raison  et  avec  les  lois  de  la  conscience;  il  voulut  es- 
sayer de  concilier  ces  difficultés,  et  voici  son  argu  - 
mentation : 

«  Si  Dieu  approuve  celle  charité  fervente  de  son 
Fils  pour  des  créatures  misérables,  s'il  a  été  tou- 
ché de  cet  abaissement  profond,  auquel  une  personne 
aussi  excellente  se  réduisait  pour  les  sortir  de  celte 
misère;  s'il  a  écouté  favorablement  les  ardentes  priè- 
res que  Jésus  humilié  lui  adressait  pour  elles  ;  s'il  a 
pu  être  engagé  à  leur  accorder  quelques  grâces ,  en 
considération  d'un  Fils  qui  intercédait  en  leur  faveur; 
s'il  a  senti  tout  le  prix  de  l'obéissance  de  ce  Fils  su- 
bissant les  douleurs  et  l'ignominie;  s'il  lui  a  su  gré 
de  s'être  ainsi  prêté  «  à  l'exécution  du  dessein  que  sa 
»  sagesse  avait  formé,  de  sauver  le  genre  humain  de 
»  cette  manière...  Qui  peut  le  trouver  étrange?  » 

Les  amis  de  l'Évangile  le  remercièrent  de  cette 
bonne  œuvre. 

Tels  étaient  les  préliminaires  de  la  lutte;  mais  la 
grande  croisade  genevoise  contre  l'incrédulité  fran- 
çaise ne  commença  que  lorsque  Voltaire  se  fut  éta- 
bli, en  1  756.  sur  le  territoire  de  la  métropole  pro- 
testante. 


490 

Voltaire.  Nous  devons  envisager  l'œuvre  de  Vol- 
taire à  Genève  sous  trois  points  de  vue:  ia  théologie, 
la  morale  et  la  liberté  de  conscience  ;  et  notre  appré- 
ciation produira  des  résultats  divers  dans  chacune  de 
ces  catégories. 

Nous  voulons  d'abord,  en  parlant  des  relations  de 
Genève  avec  la  France,  applaudir  aux  efforts  de  Vol- 
taire et  de  son  école,  pour  briser  la  puissance  du  fa- 
natisme, doter  le  monde  entier  de  la  liberté  de  pen- 
sée, et  rendre  impossible  le  retour  des  persécutions 
religieuses.  Ici  notre  tâche  est  douce  et  facile,  et  si 
Voltaire  se  fut  concentré  sur  cette  œuvre  immense, 
il  serait  l'homme  le  plus  vénéré  et  le  plus  admiré  de 
l'Europe  entière.  Malheureusement  Voltaire  s'est  ap- 
pliqué encore  à  une  œuvre  lamentable,  indigne  d'un 
homme  de  bien  ;  il  a  travaillé  à  la  destruction  des 
principes  du  christianisme,  à  l'anéantissement  de  la 
morale  évangélique;  et  cette  œuvre  de  destruction, 
il  l'a  poursuivie  pendant  vingt  années;  mais  aussi, 
pendant  ces  vingt  années,  les  pasteurs  genevois  tra- 
vaillèrent à  maintenir  vivants,  dans  leur  antique  cité, 
les  dogmes  et  la  morale  de  Jésus-Christ. 

C'#st  la  partie  dogmatique  de  cette  œuvre  que  nous 
allons  maintenant  présentera  nos  lecteurs1.  Voltaire, 
las  du  séjour  de  Lausanne,  s'adressa,  le  20  janvier 


1.  Les  tendances  immorales  de  Voltaire  sont  exposées  dans  le  cha- 
pitre intitulé  la  Vie  religieuse. 


491 

1 755,  au  Conseil  de  Genève,  pour  obtenir  la  permis- 
sion de  résider  sur  le  territoire  de  la  République.  Sa 
requête  fut  accordée.  Les  Genevois,  partisans  de  la 
licence  française,  de  la  légèreté  des  paroles  et  des 
croyances  puisées  dans  le  séjour  de  la  capitale,  virent 
avec  plaisir  l'arrivée  de  Voltaire.  Les  hommes  reli- 
gieux conçurent  des  craintes  sérieuses,  et  le  profes- 
seur Vernetlui  écrit  en  juin  1755  la  lettre  suivante: 
«  Monsieur,  la  seule  chose  qui  trouble  la  satisfaction 
générale  de  voir  arriver  parmi  nous  un  homme  aussi 
célèbre  que  vous  êtes,  c'est  l'idée  que  des  ouvrages 
de  jeunesse  ont  donnée  au  public  sur  vos  sentiments 
par  rapport  à  la  religion  ;  je  ne  vous  dissimulerai 
point  que  les  gens  sages  qui  nous  gouvernent,  et  la 
bonne  bourgeoisie,  ont  manifesté,  dans  leurs  discours, 
de  graves  inquiétudes  à  ce  sujet;  j'espère  que  vous 
les  dissiperez  complètement  .  Si  chez  nous  les  théolo- 
giens, les  jurisconsultes  et  les  philosophes  sont  d'ac- 
cord sur  la  religion,  c'est  que  les  pasteurs  ont  la  sa- 
gesse de  s'en  tenir  au  pur  Evangile,  et  les  gouver- 
nants savent  que  l'Evangile  est  nécessaire.  Ainsi, 
Monsieur,  nous  espérons  que  vous  entrerez  dans  nos 
vues,  et  que  vous  vous  unirez  à  nous,  quand  l'occa- 
sion s'en  présentera,  pour  détourner  notre  jeunesse 
de  l'irréligion,  qui  conduit  au  libertinage.  Soyez  sûr 
qu'alors  vous  serez  honoré,  chéri  de  tous,  et  craint 
de  personne.  » 


192 

Le  correspondant  adulé,  choyé  par  les  plus  bril- 
lants cercles  de  l'Europe,  dut  trouver  cette  fran- 
chise républicaine  un  peu  dure;  néanmoins  il  dissi- 
mula, et  répondit  comme  suit  :  «  Mon  cher  Monsieur, 
ce  que  vous  me  dites  est  fort  raisonnable.  Je  déleste 
l'intolérance  et  le  fanatisme;  je  respecte  vos  lois  re- 
ligieuses; j'aime  et  je  respecte  votre  République;  je 
suis  trop  vieux,  trop  malade  et  un  peu  trop  sévère 
avec  les  jeunes  gens.  Vous  me  ferez  le  plaisir  de  com- 
muniquer ces  sentiments  à  vos  amis.  » 

Voltaire1  détestait  le  clergé  protestant,  peut-être 
même  plus  que  les  prêtres  romains,  il  ne  croyait  pas 
possible  qu'un  homme  sensé,  maître  de  sa  conscience, 
pensant  et  parlant  en  toute  liberté,  pût  admettre  la 
divinité  révélée  de  l'Évangile  ;  or,  ce  phénomène  étant 
fort  commun  dans  Genève,  il  importait  de  le  détruire, 
et  de  montrer  au  monde  qu'il  n'existait  pas  de  station 
possible  sur  le  champ  de  la  vérité,  entre  la  soumis- 
sion aveugle  et  sans  réserve  aux  dogmes  romains  et  la 
religion  réduite  aux  éléments  d'une  haute  philosophie. 

Ce  que  Voltaire  délestait  le  plus,  c'était  le  terme 
moyen,  savoir,  les  hommes  croyant  de  tout  leur  cœur 
à  la  révélation  de  Jésus-Christ,  et  en  même  temps 
défenseurs  ardents  de  la  liberté  de  pensée. 

Pour  les  réduire  à  l'impuissance2,  Voltaire  affecta 

1.  Reg.  Comp.  2  août  1755. 

2.  Reg.  Cous.  21  mai  1757;  Reg.  Comp.  14  mai,  S  juili.,  10  oc!.  1757. 


195 

de  confondre  les  doctrines  chrétiennes  et  les  effets  des 
passions  humaines  s'exercant  sous  le  manteau  de 
l'Évangile.  «  Je  trouve  la  religion  de  Jésus-Chrisl 
extravagante,  injurieuse  à  Dieu,  pernicieuse  aux  hom- 
mes, autorisant  les  rapines,  les  séductions,  la  révé- 
lation du  secret  de  famille,  etc.  Je  suis  dans  l'obli- 
gation de  mépriser  ceux  qui  la  prêchent1.  » 

D'après  ce  programme,  où  Voltaire  confond  l'E- 
vangile avec  la  politique  des  Borgia,  tous  les  minis- 
tres de  la  religion  devaient  disparaître  de  la  scène  du 
monde. 

A  Genève,  la  position  du  clergé  était  basée  sur 
une  croyance  sincère,  raisonnée,  acceptée  par  la  ma- 
jorité de  la  nation. 

Voltaire  voulut  compromettre  les  pasteurs  protes- 
tants auprès  de  leurs  concitoyens  et  des  étrangers,  en 
les  faisant  passer  pour  incrédules. 

Pour  y  parvenir,  il  écrivit  en  1757  dans  le  Mer- 
cure français,  rédigé  par  Marmontel  :  «  Ce  n'est  pas 
un  petit  progrès  de  la  raison  humaine  qu'on  ait  im- 
primé à  Genève,  dans  mon  Essai  sur  l'histoire,  et 
avec  Y  approbation  publique,  que  Calvin  avait  une  âme 
atroce,  aussi  bien  qu'un  esprit  éclairé.  Le  meurtre 
de  Servel  parai l  aujourd'hui  abominable.  » 

Le  prof.  Vernel  répondit  avec  autant  de  justesse  que 
de  dignité  à  cette  attaque.  Condamnant  sans  réserve  le 

1.  Correspondance  générale,  1768,  page  399. 

m.  iô 


19U 

supplice  de  Servet,  il  montra  que  ce  fait  lamentable 
était  le  résultat  du  code  hérétique  auquel  toutes  les 
Églises  étaient  soumises  au  seizième  siècle.  Nulle 
Église  n'avait  alors  le  droit  d'attaquer  sa  rivale,  toute 
la  chrétienté,  Rome,  Wittemberg  et  Genève,  accep- 
tant le  maléfice  de  cette  déplorable  législation.  Quant 
à  la  prétendue  approbation  officielle  obtenue  à  Genève, 
Voltaire  fut  obligé,  deux  ans  plus  lard,  de  se  rétracter 
en  ces  termes:  «Cette  lettre,  écrite  de  Lausanne  à 
M.  Thiriot,  est  presque  entièrement  supposée.  C'est 
troubler  la  société  que  d'imprimer  les  lettres  des  par- 
ticuliers;  il  est  encore  plus  contre  les  bonnes  mœurs 
de  les  falsifier1.  » 

Celte  attaque2  fut  jugée  à  son  véritable  point  de 
vue  par  la  Compagnie  des  Pasteurs  de  Genève.  Elle 
pensa  que  son  devoir  était  d'accepter  franchement  la 
lutte.  Un  étonnemenl  général  avait  saisi  les  Genevois 
à  la  lecture  de  V Essai  sur  l'histoire  universelle.  «  Dans 
ce  livre,  »  disait  la  Compagnie ,  «  se  trouvent  des 
choses  injurieuses  à  la  Réformation  et  capables  de 
nuire  aux  protestants  qui  vivent  dans  des  États  monar- 
chiques. M.  de  Voltaire  représente  nos  frères  comme 
des  adversaires  irréconciliables  des  rois;  cette  insinua- 
tion peut  aboutir  à  allumer  de  plus  en  plus  contre  eux 
le  feu  de  la  persécution.  » 

1.  Mémoire  adressé  à  l'Académie  de  Lausanne,  Année  littéraire, 
1760,  t.  5,  page  30S. 

2.  Reg.  Comp.  16  sept.  1757. 


m 

«  Les  traités  de  Voltaire  attaquant  les  Livres  Saints, 
la  Compagnie  verra  avec  plaisir  que  quelques  per- 
sonnes entreprennent  la  réfutation  des  attaques  de 
cet  auteur,  pourvu  qu'on  le  fasse  en  observant  toutes 
les  règles  de  la  modération  et  de  la  charité  chré 
tienne.  » 

Voltaire,  indigné  de  cette  prétention,  résolut  de 
compromettre  le  clergé  genevois  auprès  des  chrétiens 
de  l'Europe  entière. 

L'accusation  la  plus  odieuse  qui  pût  peser  sur  des 
pasteurs  était  le  socinianisme.  Catholiques,  calvinistes 
et  luthériens,  étaient  d'accord  pour  repousser  cette 
doctrine.  Voltaire  profita  d'un  séjour  que  d'Alembert 
fil  aux  Délices,  en  juin  4  757  ,  pour  composer  avec 
lui  l'article  Genève,  destiné  à  paraître  dans  l'Ency  - 
clopédie. Ce  travail,  très-flatteur  en  général,  touchant 
la  simplicité  du  culte  protestant,  contenait  une  indi- 
gne perfidie  à  l'égard  de  la  doctrine  de  l'Église  de 
Genève.  La  voici  : 

«  La  religion  y  est  presque  réduite  à  l'adoration 
d'un  seul  Dieu,  du  moins  chez  tout  ce  qui  n'est  pas 
peuple;  le  respect  pour  Jésus  Christ  et  pour  l'Écri- 
ture est  peut-être  la  seule  chose  qui  dislingue  du  pur 
déisme  le  christianisme  de  Genève. 

»  Plusieurs  ministres  ne  croient  pas  à  la  divinité 
de  Jésus-Christ;  ils  prétendent  qu'il  ne  faut  jamais 
prendre  à  la  lettre  ce  qui,  dans  les  Saints  Livres,  pour- 


196 

rail  blesser  l'humanité  et  la  raison.  Leur  religion  est 
un  soeinianisme  partait,  rejetant  tout  ce  qu'on  appelle 
mystère  révélé.  Ils  s'imaginent  que  le  principe  d'une 
religion  véritable  est  de  ne  rien  proposer  à  croire  qui 
heurte  l'intelligence.  » 

Le  25  décembre  1757,  M.  le  pasteur  De  la  Rive 
parle  avec  une  profonde  douleur  de  cet  article  qui  a 
paru  dans  le  tome  VIIe  de  l'Encyclopédie.  «  Il  est  im- 
possible, dit-il,  de  garder  le  silence  devant  une  insi- 
nuation aussi  calomnieuse.  »  La  Compagnie  est  de 
cel  avis;  elle  nomme  une  commission  qui  doit  com- 
poser une  déclaration  de  principes  terme,  claire  et 
complète,  en  réponse  à  l'école  philosophique  fran- 
çaise 1 . 

La  commission  emploie  six  semaines  à  ce  travail; 
il  fallut  le  condenser  dans  les  plus  brèves  limites,  et 
peser  mûrement  chaque  parole. 

Dans  cet  intervalle,  une  violente  discussion  s'en- 
gage sur  les  assertions  de  l'Encyclopédie.  Rousseau, 
le  premier,  prend  la  défense  des  pasteurs,  et  somme 
d'Alembert  de  citer  les  témoignages  positifs  sur  les- 
quels il  se  fonde  pouradirmerle  soeinianisme  du  clergé 
genevois.  D'Alembert  hésite,  pi  étend  ne  pouvoir 
nommer  personne,  alin  de  ne  pas  compromettre  les 
ministres  qui  lui  ont  fait  des  coniidences. 


1.  Reg.  Comp.  23  décembre  1757.  Commission  :  MM.  Sarasin,  De 
la  Rive,  Verne),  Trembley,  Maurice,  Le  Cointe,  Tronchin,  Eynard. 


197 

Mais  ces  tergiversations  furent  rendues  inutiles  par 
la  fermeté  du  ministre  Vernet.  «  Monsieur,  écrivit-il  à 
d'Alembert,  feu  M.  Lullin,  M.  De  la  Rive  et  moi,  nous 
sommes  les  seuls  ecclésiastiques  que  vous  avez  vus  à 
Genève.  Rien,  dans  nos  paroles,  n'a  pu  vous  autori- 
ser à  cette  publication ,  car  nous  avons  fait  devant 
vous  une  profession  franche  et  complète  de  notre  foi 
à  la  divinité  des  Saintes  Écritures.  »  D'Alembert  se 
récusa  en  disant  qu'il  ne  se  rappelait  pas  exactement 
les  discours  tenus  devant  lui ,  mais  que,  selon  Bossuet, 
dès  qu'on  n'admet  pas  l'autorité  et  la  tradition  ro- 
maine, on  est  socinien,  et  que  lui-même  n'avait 
pas  voulu  dire  autre  chose 1 . 

On  avait  ainsi  convaincu  de  mauvaise  foi  Voltaire 
et  son  collègue;  mais  leur  but  n'en  était  pas  moins 
atteint.  «  Ils  ne  pouvaient  pas  empêcher  que  ce  qui 
était  écrit  fût  écrit.  >>  Celte  naïveté  jésuitique  de 
d'Alembert  indigna  les  Genevois,  et  l'on  attendait 
avec  grande  impatience  la  publication  de  la  Compa- 
gnie. Cet  écrit  parut  le  40  février  1758,  et  voici  les 
affirmations  anti-sociniennes  qui  s'y  trouvent  : 

«  Quoique  le  point  capital  de  notre  religion  soit 
d'adorer  un  seul  Dieu,  on  ne  doit  pas  dire  qu'elle 
se  réduise  à  cela  chez  presque  tout  ce  qui  n'est  pas 
peuple.  Les  personnes  les  mieux  instruites  sont  aussi 

1.  Jacob  Vernet.  Lettres  d'un  voyageur  anglais,  volume  II,  pages 
260  à  290. 


198 

celles  qui  savent  le  mieux  quel  est  le  prix  de  l'alliance 
de  grâce;  or,  nous  protestons  que  notre  grand  prin- 
cipe, notre  foi  constante,  est  de  tenir  la  doctrine  des 
saints  prophètes  et  des  apôtres,  contenue  dans  les 
livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  pour 
une  doctrine  divinement  inspirée,  seule  règle  infail- 
lible de  notre  foi  et  de  nos  mœurs.  Pour  nous,  la  vie 
éternelle  est  de  connaître  le  seul  vrai  Dieu  et  celui 
qu'il  a  envoyé,  Jésus-Christ,  son  Fils,  en  qui  a  habité 
corporellement  toute  la  plénitude  de  la  divinité,  et  qui 
nous  a  été  donné  pour  Sauveur,  pour  Médiateur  et, 
pour  Juge,  afin  que  tous  honorent  le  Fils  comme  ils 
honorent  le  Père.  Par  celle  raison,  le  terme  de  respect 
pour  les  Écritures  nous  paraissant  trop  faible  ou  trop 
équivoque  pour  «  exprimer  la  nature  de  nos  senti- 
ments à  son  égard,  nous  disons  que  c'est  avec  une 
foi  complète,  une  vénération  religieuse,  une  soumis- 
sion entière  d'esprit  et  de  cœur,  qu'il  faut  écouter  ce 
divin  Maître  et  le  Saint-Esprit  parlant  par  les  Ecri- 
tures. C'est  ainsi  qu'au  lieu  de  nous  appuyer  sur  la 
sagesse  humaine,  si  faible  et  si  bornée,  nous  sommes 
fondés  et  enracinés  sur  la  Parole  de  Dieu,  seule  ca- 
pable de  nous  rendre  véritablement  sages  à  salut  par 
la  foi  en  Jésus-Christ.  » 

Celte  déclaration  fut  publiée  dans  tous  les  jour- 
naux de  l'Europe.  L'effet  qu'elle  produisit  ne  fut  pas 
le  même  partout;  il  varia  beaucoup  suivant  les  lieux 


t99 

et  ies  convictions  des  diverses  Égiises.  Rousseau  nous 
apprend  que  la  déclaration  fut  reçue  avec  applaudis- 
sement dans  le  public  parisien.  Les  Eglises  de  France 
remercièrent  Genève;  ies  Hollandais  arminiens  s'en 
réjouirent  dans  leurs  publications.  Les  luthériens, 
partisans  de  la  fusion  avec  les  réformés,  manifestèrent 
leur  sympathie.  Mais  les  anciens  signataires  du  Con 
sensus  se  montrèrent  mécontents.  Us  publièrent  à  Lau- 
sanne et  en  Hollande  une  brochure  aigre  et  taquine1, 
dans  laquelle  il  est  dit  que  la  déclaration  est  impar- 
faite, qu'il  aurait  fallu  s'en  tenir  au  texte  de  la  con- 
fession de  foi  helvétique,  affirmant  que  Jésus  est  Dieu 
consubstantiel,  égal  à  son  Père,  ne  faisant  avec  lui 
qu'un  seul  et  même  Dieu;  enfin  que,  par  rapport 
aux  peines  à  venir,  on  aurait  dù,  au  lieu  de  conser- 
ver les  termes  de  paradis  et  d'enfer,  déclarer  si  ces 
peines  sont  éternelles  en  ce  sens  qu'elles  n'auront  ja- 
mais de  fin.  On  répondit  en  deux  mots  à  ces  attaques  : 
«  L'aulorité  infaillible  des  Écritures  et  les  termes  dont 
Jésus  et  les  prophètes  se  sont  servis  ont  pour  nous 
une  valeur  suprême  et  nous  dispensent  d'employer 
les  expressions  humaines  et  variables  des  confessions 
de  foi.  » 

fl  n'y  avait  ni  tact  ni  dignité  dans  ces  attaques,  et 
les  ministres  des  États  bernois,  paisiblement  occupés 


1  Jugement  des  Encyclopédistes,  etc.  Amsterdam,  1759.  Lettre  de 
D'Alembert  avec  remarques. 


200 

à  diriger  des  paroisses  rurales  isolées  de  la  grande 
crise  qui  ébranlait  l'Église  chrétienne  en  Europe,  au- 
raient mieux  fait  d'applaudir  au  courage  de  ceux  qui, 
debout  sur  la  broche,  étaient  en  butte  à  tant  d'inju- 
res, de  railleries  et  de  calomnies. 

Voltaire  fut  profondément  blessé  du  succès  général 
de  la  déclaration,  et,  battu  sur  ce  terrain,  il  continua 
avec  une  infatigable  énergie  la  guerre  contre  l'Église 
de  Genève. 

C'était  l'époque  où  le  philosophe  de  Ferney  pu- 
bliait ces  œuvres  où  il  étale  l'immoralité  la  plus  éhon- 
tée  et  le  mépris  de  tous  les  sentiments  respectés  par 
les  hommes  délicats.  Pour  suivre  son  détestable  plan 
de  compromettre  les  Genevois  aux  yeux  du  monde 
chrétien,  il  faisait  inscrire  le  nom  de  Genève  à  la 
première  page  de  ces  odieuses  productions. 

Les  protestations  contre  ces  menées  furent  aussi 
énergiques  que  possibles.  Un  jour,  le  28  septembre 
1759,  la  Compagnie  apporte  au  Conseil  un  arrêt  du 
Parlement  de  Paris,  condamnant  au  feu  un  pamphlet 
intitulé:  Prédis  de  V Ecclèsiaste  et  du  Cantique  des 
Cantiques,  par  M.  de  Voltaire,  imprimé  à  Genève  chez 
les  frères  Cramer.  Les  Cramer,  accusés  de  ce  délit 
contre  la  religion  et  les  lois,  affirment  et  prouvent 
qu'ils  sont  innocents,  et  bientôt  ils  produisent  une 
attestation  du  président  Molé,  qui  les  justifie  de  toute 
participation  à  cette  publication  de  Voltaire. 


-201 

Un  scandale  analogue  a  lieu  lors  de  l'apparition 
de  Candide.  Ce  roman,  l'un  des  plus  spirituels  de 
Voltaire,  étale  la  plus  complète  aberration  du  sens 
moral;  c'est  l'histoire  de  gens  qui,  candidement  et 
sans  penser  à  mal,  commettent  tous  les  délits  imagi- 
nables. Débauches,  vols,  meurtres  de  divers  genres, 
sont  le  mode  de  vivre  habituel  des  héros  de  ce  livre. 
Puis,  lorsque  les  châtiments,  conséquences  naturelles 
de  leurs  crimes,  les  atteignent,  ils  s'en  prennent  à 
l'Être  suprême,  qui  aurait  dû  arranger  les  choses  de 
manière  à  ce  qu'on  pût  déshonorer  la  maison  de  son 
bienfaiteur,  vivre  constamment  dans  la  débauche,  et 
même  tuer  son  prochain,  sans  s'attirer  aucun  désa- 
grément dans  ce  monde.  Il  est  peu  de  livres  mieux 
combinés  pour  anéantir  les  scrupules  d'une  conscience 
mal  affermie.  Le  Conseil  et  la  Compagnie  des  Pas- 
teurs, sur  le  rapport  de  M.  Sarasin  l'aîné,  font  reti- 
rer et  détruire  tous  les  exemplaires  qui  se  trouvent 
chez  les  libraires  et  les  loueurs  de  livres    et  déclarent 
que  Ton  veillera  plus  que  jamais  pour  préserver  les 
mœurs  el  la  religion  de  ces  déplorables  atteintes. 

Un  ministre  qui  se  distingua  constamment  par  le 
plus  brillant  courage  dans  celte  grande  lutte,  Jacob 
Vernet,  soupçonnant  avec  raison  que  Voltaire  était 
l'auteur  de  cet  odieux  livre,  lui  adressa  de  sérieuses 
représentations  à  ce  sujet.  Il  en  reçut  la  réponse  sui- 

1.  2  mars  1759. 


202 

vante  :  «  J'ai  lu  Candide,  et  je  vous  déclare  qu'il  faut 
avoir  perdu  le  sens  pour  m'attribuer  une  pareille  polis 
sonnerie,  etc.  »  Voltaire  avait  eu  autrefois  desrelalions 
d'amitié  avec  Jacob  Vernet.  Plusieurs  années  aupa 
ravant,  Vernet,  lié  avec  les  premiers  écrivains  de  l'Eu- 
rope, avait  accepté  la  flatteuse  tâche  de  diriger  à  Ge- 
nève l'impression  de  V Esprit  des  Lois  de  Montesquieu . 
Ce  travail  attira  l'attention  du  monde  français  sur  le 
professeur  genevois  (174-7).  Une  correspondance  ami- 
cale et  suivie  s'établit  entre  Voltaire  et  M.  Vernet; 
c'était  le  temps  où  Voltaire,  occupé  de  travaux  d'his 
toire  et  de  ses  grandes  compositions  dramatiques, 
n'avait  encore  publié  aucune  attaque  contre  le  chris- 
tianisme. Lorsque  ces  tendances  fâcheuses  commen- 
cèrent à  se  manifester,  la  correspondance  avec  le  mi- 
nistre genevois  dut  cesser;  mais  au  bout  de  neuf  ans 
(4  754),  M.  Vernet  reçut  de  Voltaire  une  lettre  «où 
ii  iui  mande  qu'on  imprime  à  Genève,  sous  ses  yeux, 
une  édition  de  l'Abrégé  de  l'histoire  universelle  très- 
défecteuse.  »  M.  Vernet  répondit  que  «  le  fait  de  la  pu- 
blication était  réel  ;  et  qu'il  avait  averti  le  libraire 
Philibert  des  fautes  qui  se  trouvaient  dans  une  édition 
antérieure,  mais  qu'il  n'avait  aucune  part  directe  à 
l'entreprise;  toutefois,  si  M.  de  Voltaire  le  désirait, 
il  pouvait  veiller  amicalement  sur  cette  édition.  * 
L'affaire  n'eut  pas  de  suite1  ;  mais  deux  ans  plus 

1.  Mémoire  historique  sur  Jacob  Vernet,  pages  40  à  60. 


203 

lard,  en  4  758,  Voltaire  publia  une  nouvelle  Histoire 
universelle.  Tout  était  changé  dans  ce  travail;  le 
christianisme  s'y  trouvait  ouvertement  attaqué,  et  la 
Réforme  de  Genève  y  était  aussi  malmenée  que  pos- 
sible. M.  Vernet,  pour  lors,  cessa  ses  relations  épis- 
lolaires  avec  Voltaire,  et  réfuta  vigoureusement  ce 
livre.  Voltaire  attendit  deux  ans;  puis,  voulant  écraser 
son  adversaire,  il  publia  une  brochure  intitulée  : 
Dialogues  chrétiens  ou  'préservatifs  contre  V Encyclo- 
pédie 1 ,  par  M.  V"*.  Ce  pamphlet  contenait  contre 
M.  Vernet  les  accusations  suivantes:  «  Vernet,  pro- 
fesseur de  théologie,  nous  a  écrit  des  lettres  pour  cap- 
ter notre  confiance  et  devenir  l'éditeur  de  nos  œu- 
vres; il  nous  a  offert  d'y  mettre  une  phrase  pieuse,  afin 
que  les  dévots  n'en  prisseut  point  d'alarme.  Il  avait 
fait  un  accord  pour  tirer  à  son  profit  un  louis  d'or 
par  feuille;  mais  frustré  dans  ses  espérances  et  refusé 
par  nous  comme  correcteur  d'imprimerie,  il  s'est  jeté 
dans  la  politique,  et  dit  beaucoup  de  mal  du  livre  el 
de  l'auteur.  » 

M.  Vernet  répondit  :  «  Je  somme  M.  de  Voltaire  de 
produire  mes  lettres;  je  vais  publier  les  siennes.  J'ai 
été  auprès  de  lui  homme  officieux,  désintéressé,  ad- 
mirant ses  talents;  mais  j'ai  souhaité  pour  sa  propre 
gloire  et  l'édification  du  public  qu'il  en  fit  un  bon 

1.  Beg.  Comp.  19  sept.,  21  not.  1760;  Reç.  Conseil,  8,  12  sepl., 
80  oct.,  17  noT.  1760. 


204 

usage.  J'ai  connu  M.  de  Voltaire  à  Paris,  et  plus  tard 
je  l'ai  perdu  de  vue;  il  m'écrivit  en  1758,  se  plai- 
gnant d'une  édition  inexacte  de  l'Histoire  universelle 
que  Philibert  imprimait.  Je  lui  offris  d'en  corriger 
les  bévues:  il  accepta;  c'était  un  fragment  de  l'His- 
toire des  Croisades,  quatre  petits  volumes  où  il  n'y 
a  rien  contre  la  religion.  J'ai  fait  cela  gratis,  ainsi 
(pie  pour  VEsprit  des  Lois,  que  j'ai  imprimé  ici. 

»  M.  de  Voltaire  ment  odieusement  en  me  supposant 
capable  d'accepter  le  rôle  dont  il  me  charge;  j'ai  dé- 
fendu la  religion  toute  ma  vie,  et  je  n'ai  jamais  biaisé 
ni  devant  lui  ni  devant  personne.  » 

Cette  imputation  pouvait,  à  la  rigueur,  être  consi- 
dérée comme  une  mauvaise  plaisanterie.  Mais  le  reste 
du  libelle  contenait  une  calomnie  qui  déshonore  le 
caractère  de  Voltaire.  «  M.  Vernet,  dit  Voltaire,  a  reçu 
d'un  célèbre  réfugié  italien  un  manuscrit  de  la  plus 
haute  importance  pour  l'histoire  du  christianisme;  il 
l'a  vendu  mille  écus  à  la  cour  de  Rome,  et  il  a  gra- 
vement compromis  l'auteur  de  ce  travail.  » 

Voici  la  réponse  de  Ml  Vernet: 

«  M.  de  Voltaire  connaît  en  détail  celte  histoire. 

»  11  y  a  vingt-trois  ans  que  vint  à  Genève  le  célè- 
bre écrivain  napolitain  Giannone.  Il  publia  dans  cette 
ville  son  Histoire  de  Naples,  où,  tout  en  respectant 
le  dogme  catholique,  il  sut  dire  la  vérité  touchant  la 
réforme  chrétienne  au  seizième  siècle.  Ce  livre  sou- 


205 

leva  les  colères  de  la  eour  de  Home.  Instruit  de  ces 
incidents,  nous  recommandâmes  à  Giannone  la  plus 
grande  prudence,  et  particulièrement  de  ne  point 
s'aventurer  près  des  frontières  genevoises.  Un  ami 
prétendu  vint  le  voir  en  son  logis,  chez  un  maître 
tailleur,  nommé  Chenevière;  il  lui  conseilla  de  l'ac- 
compagner au  village  de  Vesenaz,  où  il  pourrait  ai- 
sément faire  ses  pàques  sans  être  reconnu.  Giannone 
s'y  rendit  avec  son  fils*,  et  des  agents  du  roi  deSar- 
daigne  le  saisirent  .  On  l'enferma  au  château  de  Mio- 
lens.  La  cour  de  Rome  demanda  son  extradition; 
mais  le  roi  refusa  de  le  livrer,  et  donna  ordre  de  le 
traiter  avec  tous  les  égards  possibles.  Lorsque  nous 
apprîmes  cette  catastrophe,  nous  transportâmes  en 
secret  tous  les  papiers  de  Giannone  chez  M.  Turrelin, 
à  la  campagne.  Le  roi  lit  demander  ces  manuscrits; 
mais  nul  ne  put  donner  à  Genève  aucun  renseigne- 
ment à  ce  sujet.  Quelque  temps  après,  le  fils  de 
Giannone  fut  relâché;  il  nous  apprit  la  mort  de  son 
père,  et  nous  pria  de  publier  le  plus  important  de 
ses  ouvrages,  //  Ref/no  lerreno  cele.ste  et  papale.  Nous 
envoyâmes  vingt  pistoles  au  jeune  homme,  et  il  nous 
pria  de  vendre  le  manuscrit  à  M.  Barillet,  libraire, 
pour  dix  louis  de  onze  livres.  Getle  somme  lui  fut 
envoyée;  Barillet  s'engagea  à  l'imprimer  et  à  ne  ja- 
mais laisser  le  cahier  sortir  de  ses  mains.  Quelque 
temps  après,  M.  Vernet  voulant  examiner  quelques 


206 

assertions  historiques,  demanda  les  cahiers  de  Gian- 
none,  cl  lîarillet  fut  forcé  d'avouer  qu'il  les  avait 
donnés  à  Benlivoglio,  qui  les  avait  envoyés  au  car- 
dinal Alhani.  Par  cette  odieuse  trahison  du  libraire, 
cet  ouvrage  fut  perdu.  M.  de  Voltaire  a  connu  tous 
ces  détails,  et  l'on  sait  la  couleur  qu'il  leur  a  don- 
née. » 

Le  Conseil,  après  avoir  examiné  les  pièces  origi- 
nales fournies  par  M.  Vernet,  fit  retirer  les  exemplai- 
res des  Dialogues,  déclara  l'ouvrage  calomnieux  et 
diffamatoire,  le  fit  brûler  par  la  main  du  bourreau, 
et  dédaigna  de  répondre  à  M.  de  Voltaire,  qui  affir- 
mait n'être  pas  l'auteur  de  ce  pamphlet. 

La  croisade  de  Voltaire  contre  l'Église  de  Genève 
subit  une  interruption  de  4  762  à  4  764.  Pendant 
ces  deux  années,  tout  occupé  de  la  haute  mission  de 
défendre  les  Calas  ,  il  oublia  les  pamphlets  irréligieux, 
et  d  ailleurs  Genève,  profondément  remuée  par  les 
affaires  de  Rousseau,  n'aurait  prêté  qu'une  médiocre 
attention  aux  libelles  venus  de  Ferney.  Toutefois,  ce 
silence  ne  pouvait  durer,  et,  versl'an  4  764,  Voltaire 
déploya  de  nouveau  toute  son  énergie  matérialiste 
pour  anéantir  le  christianisme  à  Genève.  11  se  propo- 
sait deux  buts:  d'abord  éteindre  les  principes  reli- 
gieux en  répandant  l'injure  et  le  sarcasme  sur  la  doc- 
trine el  la  personne  de  Jésus-Christ;  ensuite  compro- 
mettre Genève  aux  yeux  du  monde  européen,  en  da- 


$07 

tant  faussement  de  cette  ville  les  brochures  les  plus 
licencieuses  et  les  satires  les  plus  viles  contre  le  chris- 
tianisme. Les  pasteurs  et  ceux  des  magistrats  qui  de- 
meuraient fidèles  à  la  religion,  déployaient  la  plus 
stricte  vigilance  pour  combattre  ce  mal;  on  faisait 
constamment  des  saisies  de  mauvais  livres.  Voltaire, 
pour  les  déjouer,  employa  un  procédé  très-connu  des 
contrebandiers,  et  consistant  à  dénoncer  un  ballot  de 
marchandises  comme  devant  passer  sur  un  point  de 
la  frontière;  puis,  lorsque  l'attention  des  préposés 
est  fixée  sur  cette  saisie,  on  fait  impunément  traver- 
ser la  ligne  douanière  au  reste  du  convoi.  Voltaire  fit 
de  même;  il  avait  un  digne  acolyte  dans  le  libraire 
Chirol,  qui  recevait  clandestinement  les  brochures 
imprimées  au  dehors,  se  souciant  fort  peu  des  amen- 
des et  des  confiscations ,  vu  qu'elles  étaient  payées 
par  les  subsides  venus  de  Ferney1. 

Deux  libelles,  portant  le  scandale  aux  dernières 
limites,  devaient,  selon  Voltaire,  terminer  l'existence 
de  l'Eglise  genevoise:  c'était  le  Dictionnaire  philoso- 
phique et  l'Évangile  de  la  raison.  Les  ballots  étaient 
en  roule,  et  le  grand  écrivain  joue  une  ignoble  co- 
médie; il  se  pose  en  défenseur  des  mœurs  et  de  la 
religion,  et  envoie  les  lignes  suivantes  aux  syndics  : 

«  Ferney,  le  12  janvier  1765.  —  Messieurs,  je 
vous  informe  que  parmi  les  libelles  séditieux  dont 

i.  Rcg.  Conseil,  lljanv.  1705. 


-208 

cette  ville  est  inondée  depuis  quelque  temps,  tous  im- 
primés chez  Rey  d'Amsterdam,  il  arrivera  le  lundi 
14,  chez  Chirol,  libraire  à  Genève,  un  ballot  conte- 
nant des  Dictionnaires  philosophique*,  des  Evangiles 
de  la  raison ,  et  autres  sottises  qu'on  a  I  insolence  de 
m'imputer.  » 

Le  libraire,  mandé  devant  le  Conseil,  avoua  le  fait, 
et  déclara  qu'il  avait  conlremandé  les  ballots...  Le 
Conseil  le  censura  sévèrement,  et  quelques  jours  plus 
tard  la  ville  était  largement  pourvue  de  l'un  de  ces 
pamphlets.  V Evangile  de  la  raison.  Non  content  de 
ces  ignobles  plaisanteries,  Voltaire  employait  un  pro- 
cédé que  la  plus  vulgaire  délicatesse  aurait  dû  lui  faire 
repousser.  Il  mettait  de  faux  titres  à  ses  écrits.  Sachant 
que  les  magistrats,  les  pasteurs,  les  pères  de  famille 
pieux  interdisaient  absolument  la  lecture  de  ses  bro- 
chures, il  en  affubla  plusieurs  de  titres  religieux.  Ces 
libelles  commençaient  par  quelques  pages  du  meilleur 
aloi  sur  la  tolérance  ou  les  dogmes  chrétiens;  puis, 
on  rencontrait  des  insinuations  infâmes  sur  le  carac- 
tère et  les  mœurs  de  Jésus-Christ  \  Voltaire  avait  des 
sectateurs  fanatiques  chez  les  Genevois  qui  fréquen- 
taient Ferney  ;  il  payait  des  colporteurs,  et  l'on  voyait 

1.  Almanach  philosophique;  Pensées  sérieuses  sur  Dieu;  Sermon  du 
Rév.  Jaques  Rossele;  Homélie  du  pasteur  Boum;  Lettres  «l'on  propo- 
sant à  Mi,  de  Roches,  proies.:  les  Pasteurs  de  Genève  à  leurs  collègues; 
Conseils  aux  pères  de  famille;  Lettres  sur  la  Terre  Sainte  établissant 
la  réalité  des  inirarles  de  J.-C. 


309 

les  amis  el  les  mercenaires  rivaliser  d'ardeur  pour 
inonder  les  boutiques,  les  comptoirs,  les  cafés,  les 
promenades,  les  écoles  et  les  temples  de  ces  déplora- 
bles productions. 

Nous  trouvons  une  description  de  ces  tristes  ma- 
nœuvres dans  un  mémoire  adressé  par  la  Compagnie 
des  Pasteurs  aux  Conseils  de  Genève1. 

«  La  plus  grande  liberté  doit  régner  dans  notre 
»  ville;  rien  ne  peut  gêner  les  esprits,  ni  empêcher 
»  qu'on  ne  propose  une  diversité  de  sentiments  ou 
»  des  objections  contre  la  religion,  pourvu  qu'on  le 
»  fasse  avec  modestie  et  décence.  Il  faut  qu'on  s'éclai- 
f  re,  la  vérité  n'y  perdra  rien.  Ainsi  procédaient  les 
»  grands  incrédules  au  commencement  de  ce  siècle. 
»  Mais  aujourd'hui  la  raillerie  et  la  licence  ont  envahi 
»  la  théologie;  on  nie  la  création,  la  loi  morale,  la 
»  conscience,  le  compte  à  rendre,  la  vie  à  venir;  on 
»  proclame  l'indifférence  touchant  le  bien  el  le  mal; 
»  le  doute  et  la  négation  ont  tout  envahi. 

»  Voici  les  méthodes  artificieuses  qu'on  emploie 
»  pour  propager  ces  idées. 

»  On  garde  l'anonyme  :  le  masque  fut  toujours  la 
«couverture  de  la  licence...  On  compose  des  bro- 
»  chures  assorties  par  leur  brièveté  au  goût  d'un 
»  monde  léger,  qui  ne  se  donne  pas  la  peine  de  rien 
»  lire  de  suite.  Ces  livres  se  communiquent  aux  affi- 

1.  Keg.  Cons.  et  Rep.  Comp.  i  sept.  1764. 

m.  U 


240 

»  dés,  puis  se  placent  sur  les  toilettes  des  dames,  sur 
»  les  cheminées  des  salons;  ils  passent  jusque  dans 
»  les  mains  des  artisans;  ils  parviennent  aux  jeunes 
»  gens  des  deux  sexes;  ils  courent  partout  à  titre  de 
»  nouveauté,  comme  une  pièce  de  théâtre,  comme 
»  une  jolie  chose  à  la  mode.  Ces  ouvrages  sont  de 
»  fausses  interprétations  de  quelques  endroits  de  TE- 
»  criture-Sainte,  des  railleries,  des  bouffonneries,  des 
»  invectives  atroces,  des  obscénités  contre  la  divine 
»  personne  de  notre  Sauveur. 

»  Voilà  les  sources  empoisonnées  où  s'abreuvent 
»  notre  public;  tels  sont  les  moyens  employés  pour 
»  séduire  notre  jeunesse,  et  le  monde  frivole,  qui  adore 
»>  ces  productions,  recherche  un  dangereux  amuse- 
»  ment,  et  se  trouve  bien  moins  frappé  par  les  argu- 
»  ments  que  par  les  plaisanteries.  » 

Le  Conseil,  frappé  de  ces  tristes  et  sévères  paroles, 
redoubla  de  vigilance,  et  le  Dictionnaire  philosophi- 
que lui  paraissant  dépasser  la  mesure  ordinaire  des 
mauvais  livres,  il  chargea  l'auditeur  Revilliod  d'en 
rassembler  tous  les  exemplaires  existants  à  Genève. 

Le  procureur-général  Tronchin  prononça  un  ré- 
quisitoire énergique  sur  celte  affaire,  et  le  24  sep- 
tembre 1764  le  livre  fut  lacéré  par  la  main  du  bour- 
reau et  brûlé  devant  l'Hôtel-de-Ville. 

Alors  la  colère  de  Voltaire  ne  connut  plus  de  bor- 
nes; il  avait  si  souvent  redit  à  ses  amis  du  dehors  et 


24J 

à  ses  familiers  de  Ferney  que  les  magistrats  et  les 
pasteurs  de  Genève  tremblaient  devant  sa  plume,  et 
lui  étaient  au  fond  tout  dévoués,  que  cette  manifes- 
tation était  très-difficile  à  expliquer  favorablement.  Il 
s'en  vengea  en  multipliant  les  pamphlets;  il  renou- 
vela les  anciennes  calomnies  contre  le  professeur  Ver- 
net  1  ;  mais  étant  sommé  par  le  Conseil  de  produire 
les  lettres  qui  inculpaient  M.  Vernet,  il  désavoua  le 
pamphlet  et  garda  un  lâche  et  significatif  silence  2. 
Une  circonslance  affecta  péniblement  les  pasteurs. 
L'Encyclopédie  se  réimprimait  à  Genève  chez  les 
frères  Cramer5.  La  Compagnie  se  plaint  de  ce  qu'on 
laisse  subsister  en  entier  l'article  de  d'Àlemberl  contre 
la  religion  de  cette  ville.  Les  imprimeurs  répondent 
qu'ils  ne  peuvent  abandonner  cette  entreprise  sans 
des  perles  immenses,  mais  qu'ils  s'engagent  à  ne 
publier  l'article  Genève  qu'après  qu'il  aura  été  revu 
par  la  Compagnie.  Le  Conseil  ordonne  qu'il  en  soit 
ainsi,  et  qu'il  soit  interdit  de  mettre  le  nom  de  Ge- 
nève dans  cette  édition. 

La  vieillesse  ne  calma  pas  l'animosité  antichré- 
tienne de  Yollaire,  et  dans  ses  dernières  années  il  sem- 
blait prendre  à  tâche  d'employer  à  parachever  son 
œuvre  le  peu  de  temps  qui  lui  était  laissé. 

1.  Reg.  Comp.  27  juii  .766;  Reg.  Cons.  1er  juillet  1766. 

2.  Reg.  Comp.  9  sept,  et  13  déc.  1768. 

3.  Reg.  Comp.  18  oct.  1770;  8  mars,  10  mai  1771.  Reg.  Cons.  2 
13  mars  1771. 


212 

En  4772,  il  publia  une  histoire  critique  de  Jésus- 
Christ,  pleine  de  mensonges  et  de  fausses  citations; 
puis,  la  Théologie  portative,  le  Catéchisme  de  l'hon- 
nête homme,  Dialogue  entre  un  horloger  et  un  homme 
de  bien,  Questions  de  Zaphta,  la  Tragédie  de  Saul. 
Enfui,  un  an  avant  sa  mort,  le  4  1  juillet  4  777  (Reg. 
Conip.),  il  mit  le  comble  à  ses  invectives  dans  un 
pamphlet  intitulé  :  la  Sainte  Bible  enfin  expliquée 
par  quelques  aumôniers  du  roi  de  Prusse.  Voltaire, 
voulant  faire  un  suprême  effort,  en  remit  six  cents 
exemplaires  à  des  colporteurs  bien  payés  et  chargés 
de  les  offrir  à  tous  les  étrangers  en  passage  à  Ge~ 
nève,  et  de  les  répandre  dans  tous  les  lieux  publics. 
Le  gouvernement  les  lit  saisir;  l'auditeur  Ciaparède 
déploya  un  zèle  infatigable  dans  cette  tache,  et  l'im- 
primeur Sandoz  fut  sévèrement  puni. 

L'année  suivante,  Voltaire,  abandonnant  Ferney, 
allait,  une  dernière  fois,  s'enivrer  de  triomphes  dans 
la  capitale  de  la  France;  le  peuple  de  Paris,  avec  une 
involontaire  naïveté,  unissait  les  deux  termes  extrê- 
mes de  l'œuvre  vollairienne  en  criant  :  Vive  la  Pu- 
celle  d'Orléans!  Vivent  les  Calas! 

Voltaire  mourut  brûlé,  consumé  par  les  excitations 
fébriles  de  ses  émotions  littéraires  et  par  l'emploi  exa- 
géré de  l'opium. 

Les  partisans  de  Voltaire,  qui  l'aiment  au  point 
de  ne  pas  vouloir  qu'on  reconnaisse  ses  fautes  et  ses 


213 

indignités,  disent  qu'il  mourut  fidèle  à  cette  déclara- 
tion suprême:  «  Je  meurs  tranquille,  croyant  en  Dieu, 
aimant  mes  amis,  ne  haïssant  pas  mes  ennemis,  et 
délestant  le  fanatisme.  » 

La  vérité  nous  paraît  contenue  dans  ces  mots  de 
d'Alembert  à  Tronchin:  «  Mon  cher  et  illustre  con- 
frère, vous  avez  fait  ce  que  la  prudence  et  l'huma- 
nité exigent;  maintenant  tranquillisez-le,  si  possible, 
sur  sa  position;  je  passai  hier  quelque  temps  avec 
lui;  il  me  parut  fort  effrayé  non-seulement  de  son 
état,  mais  des  suites  désagréables  pour  lui  qu'il  pour- 
rait entraîner 1 .  » 

Une  lettre  de  Tronchin  à  Charles  Bonnet  résume 
les  impressions  du  docteur  qui  soignait  Voltaire  de- 
puis trente  années  :  «  Si  mes  principes  avaient  besoin 
que  j'en  resserrasse  le  nœud,  l'homme  que  j'ai  vu 
dépérir,  agoniser  et  mourir  sous  mes  yeux,  en  aurait 
fait  un  nœud  gordien  ;  et  en  comparant  la  mort  de 
l'homme  de  bien,  qui  n'est  que  le  soir  d'un  beau 
jour,  à  celle  de  Voltaire,  j'ai  vu  bien  sensiblement  la 
différence  qu  il  y  a  entre  un  beau  jour  et  une  tempête. 
Ces  derniers  temps,  exaspéré  par  des  contrariétés 
littéraires,  il  a  pris  tant  de  drogues  et  fait  tant  de 
folies,  qu'il  s'est  jeté  dans  l'état  de  désespoir  et  de 

i.  L'original  du  billet  de  d'Alembert  existe  dans  la  collection  de 
M.  le  colonel  Tronchin,  et  la  bibliothèque  publique  de  Genève  con- 
serve avec  un  soin  particulier  la  lettre  du  célèbre  docteur  à  notre 
grand  philosophe  chrétien  Charles  Itonnet. 


-2U 

démence  le  pius  affreux.  Je  ne  me  le  rappelle  pas 
sans  horreur.  Dès  qu'il  vit  que  tout  ce  qu'il  avait 
tenté  pour  augmenter  ses  forces  avait  produit  un  effet 
contraire,  la  mort  fut  toujours  devant  ses  yeux;  dès 
ce  moment  la  rage  s'est  emparée  de  son  âme.  Rap- 
pelez-vous les  fureurs  d'Ôreste;  ainsi  est  mort  Vol- 
taire :  furiis  agitatus  obiit.  » 

Les  théologiens  genevois  réfutèrent  avec  un  zèle 
infatigable  les  pamphlets  irréligieux  de  Voltaire.  Ceux 
qui  se  distinguèrent  dans  cette  noble  lutte  furent  de 
Roches,  Vernet,  Laget,  Claparède,  Roustan  et  Ver- 
nes.  Leurs  sermons,  leurs  catéchismes,  leurs  brochu- 
res, leurs  livres,  furent  exclusivement  employés  à 
prouver  la  divine  autorité  du  christianisme  et  à  con- 
server les  principes  de  la  morale  évangélique. 

Les  bornes  de  ce  livre  nous  permettent  à  peine  de 
présenter  une  rapide  esquisse  de  cette  grande  croi- 
sade; mais  eu  voici  les  principaux  traits1: 

La  Compagnie  des  Pasteurs  engagea  ses  membres 
à  réfuter  les  attaques  de  Voltaire  contre  l'Évangile  et 
la  Réforme,  en  observant  les  règles  les  plus  exactes 
de  la  modération  et  de  la  vérité.  «  Car,  »  disaient  ces 
dignes  serviteurs  du  Christ,  «  plus  nos  adversaires 
»  s'abaissent  aux  injures,  plus  nous  devons  nouséle- 
»  ver  dans  notre  langage,  afin  qu'on  voie  en  nous 


i.  Voir,  pour  plus  de  détails.  Voltaire,  Rousseau  et  les  Genevois,  par 
J.  Gaberel. 


-24  5 

»  l1esprit  de  notre  Maître.  »  On  arrêta  que,  dans  les 
sermons  proprement  dits,  on  insisterait  sur  la  certi- 
tude d'une  autre  vie  et  sur  les  devoirs  de  la  mo- 
rale; que,  dans  les  catéchismes,  on  ramènerait  sans 
cesse  l'instruction  sur  la  personne  du  Sauveur  et  sur 
les  sentiments  qui  lui  sont  dus,  afin  de  combattre  les 
tendances  railleuses  qui  flétrissent  chez  les  jeunes 
gens  la  vénération  et  le  cuite  dus  à  Jésus-Christ. 
Les  ecclésiastiques  habiles  à  manier  la  plume  de- 
vaient, dans  des  ouvrages  et  des  traités  aussi  brefs 
que  possible,  défendre  la  divinité  des  Écritures  et  les 
miracles  qui  en  sont  la  preuve  pour  les  hommes. 

Voici  comment  un  contemporain  impartial  décrit 
cette  polémique:  «  La  majorité  des  citoyens  flottent 
encore  indécis  entre  la  foi  de  leurs  pères  et  l'incrédu- 
lité des  philosophes.  Ils  ont  peur  de  Voltaire  et  de  ses 
satellites.  Honneur  donc  à  ceux  qui  se  mettent  au- 
dessus  des  polissonneries  du  vieux  diable  de  Femey  ! 
Notre  bon  pasteur  Roustan  est  de  ce  nombre:  il  ne 
craint  pas  de  saisir  le  taureau  par  les  cornes.  Il  vient 
de  publier  un/  série  de  lettres  sur  le  christianisme, 
ouvrage  rempli  de  traits  lumineux  et  de  réflexions 
victorieuses  qui  font  honneur  à  la  touche  mâle  et  har- 
die de  l'auteur.  —  Ces  lettres  ont  fait  éclore  une  lettre 
de  Voltaire  où  il  raille  M.  de  Roustan  d'une  manière 
assez  plate:  M.  Roustan,  enlevons  une  lettre  de  votre 
nom,  vous  devenez  Rustan,  ce  qui  peint  votre  carac- 


2t6 

tère. . .  Voire  style  ressemble  beaucoup,  pour  la  grâce, 
aux  vieux  souliers  que  fabriquait  votre  père...  Vous 
n'auriez  pas  dû  sortir  de  son  échoppe  de  savetier. — 
Roustan  a  répliqué  par  deux  nouveaux  traités,  inti- 
tulés :  Réponse  aux  difficultés  d'un  théiste,  el  V Im- 
pie démasqué.  Dans  la  préface  de  ee  dernier,  il  s'ho- 
nore de  devoir  le  jour  à  un  honnête  homme,  et  prie 
M.  de  Voltaire  de  laisser  en  paix  les  cendres  de  son 
père;  il  l'assure  qu'il  ne  voit  rien  de  si  plaisant  dans 
l'état  de  cordonnier;  il  lui  aflirme  qu'il  n'achètera 
pas  le  moindre  petit  domaine  pour  ajouter  un  nom 
de  terre  au  nom  paternel,  et  lui  demande  si,  par  ha- 
sard, il  trouverait  que  lui,  Roustan,  ferait  un  bien 
beau  trait  d'esprit  en  lui  ôlant  son  T ;  au  lieu  (Wirmiet, 
le  laissant  Avoué  de  Voltaire.  » 

Ce  qui  vexa  le  plus  Voltaire,  ce  fut  celle  apostro- 
phe de  Roustan  :  «  Monsieur,  vos  paroles  sont  dignes 
de  la  société  qui  se  rassemble  autour  de  votre  table. 
Quand  nous  aurons  prouvé  la  vérité  du  christianisme, 
nous  savons  qu'il  est  impossible  de  demander  à  vos  jolis 
messieurs  el  à  vos  élégantes  dames  d'inlerrompre  la 
lecture  de  vos  petites  œuvres  et  leurs  petits  soupers 
pour  s'occuper  de  leur  Créateur,  de  leur  àme,  de 
leurs  fautes,  et  de  Celui  qui  peut  seul  les  pardonner. 
En  effet,  il  n'y  a  pas  là  le  moindre  mot  pour  rire,  et 
c'est  surtout  pour  rire  que  nous  sommes  en  ce  monde. 
Passe  encore  qu'on  se  désespère  quand  un  acteur  par- 


m 

fait,  une  actrice  délicate,  sont  attaqués  d'un  rhume 
qui  les  empêche  dé  jouer  !  Mais  dans  ce  siècle  philo- 
sophe, tout  honnête  homme  doit  être  ravi  qu'on  lui 
prouve  qu'il  est  le  frère  aîné  de  la  brute,  et  qu'il 
finira  sa  brillante  existence  entre  quatre  planches  de 
sapin.  Cela  importe  peu,  pourvu  qu'on  puisse  se  plon- 
ger dans  toutes  sortes  de  débauches,  enle\er  l'hon- 
neur à  son  meilleur  ami,  ou  faire  des  épigrammes 
sur  Jésus-Christ  entre  la  poire  et  le  fromage.  C'est 
ainsi  que  dans  les  cours  de  Charles  H  et  du  régent  de 
France  on  a  su  jouir  de  la  vie,  et  vous,  les  descen- 
dants de  ces  Messieurs,  vous  êtes  dignes  de  ces  Maî- 
tres. » 

Les  brochures  et  les  sermons  apologétiques  étaient 
immédiatement  imprimés  et  répandus  à  profusion 
dans  le  pays,  et  l'on  se  servait  envers  Voltaire  des 
armes  dont  lui-même  avait  enseigné  l'usage.  Des  col- 
porteurs zélés  et  adroits  répandaient  ces  écrits  chré- 
tiens dans  les  salons,  les  comptoirs,  les  boutiques, 
les  cafés  et  les  aieliers.  Une  des  plus  remarquables 
brochures  fut  celle-ci  :  Voltaire  avait  condensé  ses 
railleries  contre  Moïse  et  Jésus-Christ  dans  un  pam- 
phlet intitulé  :  Lettre  d'un  proposant  à  M .  de  Ra- 
dies, professeur.  M.  Vernes  répondit  à  Voltaire  une 
courte  brochure  où  sont  concentrés  les  principaux 
arguments  relatifs  à  la  divinité  du  christianisme.  Vol- 
taire exaltait  les  Chinois  et  les  Égyptiens,  et  déclarait 


218 

que  la  morale  de  Bouddha  et  de  Confucius  présentait 
le  type  de  la  perfection  dans  les  principes  el  les  ré- 
sultats. «Vous  placez  mal  vos  sympathies,  lui  écrit 
M.  Vernes;  car  les  Égyptiens,  pères  de  la  science, 
adoraient  les  serpents  et les  légumes.  Athènes  et  Rome, 
mères  de  la  philosophie  et  des  arts,  adoraient  tous 
les  vices  et  toutes  les  passions  — Vos  Chinois,  que 
vous  aimez  par  dessus  tout,  immolent  leurs  enfants  et 
abrègent  les  jours  de  leurs  vieillards.  — A  notre  tour, 
nous  voulons  vous  poser  quelques  brèves  quesiions. 
vous  priant  d'y  répondre  aussi  longuement  qu'il  vous 
plaira.  —  Comment  douze  bateliers  et  péagers  juifs 
eurent-ils  l'idée  de  changer  la  face  du  monde?  —  Com- 
ment, s'ils  étaient  d'ambitieux  fourbes,  eurent  ils  la 
bêtise  de  consigner  par  écrit  tous  leurs  torts  envers  Jé- 
sus-Christ?—  Comment ,  sans  être  fous  ou  visionnaires, 
ont-ils  pu  se  tromper  sur  les  miracles  de  leur  Maître? 
—  Comment  des  insensés  et  des  visionnaires  inventè- 
rent-ils la  doctrine  et  la  morale  qu'ils  enseignèrent  à 
l'univers?  —  Comment  des  ouvriers  et  des  idiots  exé- 
cutèrent-ils ce  que  les  Socrate  et  les  Platon  n'ont  pas 
su  faire,  savoir,  le  renversement  de  l'idolâtrie  et  la 
destruction  des  faux  dieux? — C'est  une  grande  affaire, 
Monsieur,  que  la  conversion  de  l'univers.  Voyons, 
Monsieur  de  Voltaire,  vous  qui  n'êtes  pas  comme  les 
apôtres,  batelier  ou  visiteur  d'octroi,  mais  le  plus 
grand  esprit  et  le  plus  vaste  génie  de  ce  siècle,  en- 


2t9 

treprenez  une  mission,  prêchez  par  tout  ie  inonde  le 
culte  de  ce  qui  est  pur,  de  tout  ce  qui  est  honnête  et 
digne  de  louange,  sans  offrir  aux  hommes  d'autre 
motif  que  l'amour  du  beau  et  du  bon,  et  dans  trente 
ans,  venez  nous  raconter  vos  conquêtes,  les  Eglises 
que  vous  aurez  fondées  et  les  nations  que  vous  aurez 
converties!  » 

Celte  petite  brochure,  qui  contenait  à  peine  une 
page  d'impression,  mit  Voltaire  en  fureur.  Voici  com- 
ment elle  lui  parvint  :  un  domestique  de  sou  château 
fut  gagné  par  les  étudiants  en  théologie,  et  un  jour 
que  Voltaire  avait  quarante-cinq  personnes  à  dîner, 
chaque  convive  trouva  la  Réponse  de  M.  de  Roches 
dans  sa  serviette .  On  la  lut;  mais  la  figure  du  maîire 
exprimant  une  rage  concentrée,  et  ses  yeux  lançant 
des  éclairs,  ses  hôtes  gardèrent  un  prudent  silence. 

Nous  pourrions  prolonger  nos  citations;  mais  les 
faits  précédents  suffisent  pour  donner  une  idée  du 
caractère  de  cette  lutte  où  la  foi  et  le  bon  sens  avaient 
pour  adversaire  le  plus  redoutable  esprit  du  siècle. 
Seulement  ,  pour  être  justes,  nous  devons  ajouter  que 
quelquefois  Voltaire  témoigna  moins  d'hostilité  et 
d'emportement  vis-à-vis  des  pasteurs  genevois.  Ainsi, 
un  grand-vicaire  de  l'archevêque  de  Lyon,  qu'il  avait 
à  demeure  à  Ferney,  étant  curieux  d'assister  à  un  ser- 
mon hérétique,  se  rendit  un  dimanche  au  Temple 
Neuf,  et  entendit  M.  Picot  prêcher  sur  ces  paroles  de 


220 

saint  Jean:  «  Travaillons  pendant  qu'il  fait  jour.  »  De 
retour  à  Ferney ,  enchanté  de  l'éloquence  et  de  la  force 
des  paroles  de  l'orateur,  le  grand-vicaire  le  loua  sans 
réserve  devant  Voltaire;  M.  Rieu,  de  Satigny,  pa- 
roissien de  M.  Picot,  était  présent.  «  Mon  cher  Rieu, 
dit  le  philosophe,  veuillez  faire  mes  compliments  à 
Y  abbé  Picot,  et  lui  dire  qu'il  a,  à  peu  près,  converti 
M.  le  grand- vicaire.»  —  «  Ces  éloges  me  touchent  peu, 
répondit  M.  Picot,  le  lendemain,  quand  M.  Rieu  s'ac- 
quitta de  sa  commission;  mais  dites  à  votre  ami,  si 
vous  l'osez,  que  c'est  sa  conversion  à  lui  que  je  vou- 
drai essayer.  » 

Telle  fut  la  conduite  des  pasteurs  genevois  vis-à-vis 
de  l'incrédulité  voltairienne.  Depuis  184  6,  dans  les 
luttes  intérieures  de  l'Église  de  Genève,  les  calvinistes 
rigides  ont  souvent  accusé  leurs  prédécesseurs  d'avoir 
faibli  devant  les  matérialistes  du  dix-huitième  siècle, 
et  trahi  la  cause  de  l'Évangile.  Nous  avons  rapporté 
les  pièces  officielles  de  ce  grand  procès.  .\ous  laissons 
à  la  conscience  des  lecteurs  impartiaux  le  soin  de 
prononcer  un  jugement  équitable  sur  ces  courageux 
et  modestes  serviteurs  du  Christ. 


221 


CHAPITRE  VU. 

DOGMATIQUE  GENEVOISE. 

ROUSSEAU  ET  L  EGLISE  DE  (;iï.>KVE. 

Vue  générale.  —  Apprentissage,  démoralisation  et  fuite  de  Rousseau. 

—  La  lettre  de  M.  de  Poulverre  et  la  réception  de  M'"c  de  Warens. 

—  Certificat  d'abjuration  à  Turin.  —  Instruction  religieuse  par  un 
abbé  déiste.  —  Rousseau  veut  redevenir  Genevois  protestant.  — 
Démarches  auprès  du  Consistoire  de  Genève.  —  Sa  profession  de 
foi  et  sa  réintégration  dans  l'Église  de  Genève.  —  Affection  de  Rous- 
seau pour  les  mœurs  protestantes.  —  Son  opposition  aux  tendauces 
immorales  de  Voltaire.  —  Publication  de  l'Emile.  —  Tendances  reli- 
gieuses et  morales  de  ce  livre.  —  Courage  de  Rousseau  en  le 
publiant.  —  Colère  et  critique  de  Voltaire.  —  Approbation  des  phi- 
losophes éclairés.  —  Conduite  des  pasteurs  genevois  vis-à-vis  de 
l'Emile;  leur  espérance  de  ramener  Rousseau  an  christianisme  révélé. 
Lettres  de  J.  Vernet  et  de  Vernes,  pasteurs.  —  Rousseau  et  l'Emile. 

—  Recrudescence  des  luttes  religieuses  occasionnées  par  les  Lettres 
de  la  Montagne.  —  Fâcheuse  influence  de  la  politique  en  cette 
occasion.  —  Sévérité  des  amis  de  Rousseau  au  sujet  de  cet  écrit.  — 
Joie  et  approbation  de  Voltaire.  —  Apaisement  de  la  I  ut  te.  — In- 
fluence inorale  de  Rousseau  à  Genève  en  1770.  —  Le  souper  de 
M.  de  Honstetteu.  —  Progrès  de  Rousseau  vers  le  christianisme 
révélé.  —  Les  derniers  écrits  religieux  de  Rousseau  et  leur  tendance 
spiritualiste. 

Quelques  auteurs  protestants  ayant  maintes  lois 
affecté  de  confondre  l'œuvre  de  Voltaire  à  Genève 
avec  les  sentiments  religieux  de  Rousseau,  nous  re- 
produisons ici,  dans  tous  ses  détails,  l'évolution  re- 


222 

ligieuse  de  notre  iliustre  compatriote  et  l'analyse  de 
ses  croyances  philosophiques  touchant  le  christia- 
nisme, dans  les  diverses  phases  de  sa  vie. 

Agé  de  quatorze  ans,  Rousseau,  délaissé  par  son 
père,  traité  avec  indifférence  par  le  reste  de  sa  famille, 
fut  placé  chez  un  maître  graveur.  Cet  homme  qui, 
dans  l'acte  d'apprentissage,  «  s'engageait  à  élever  cet 
enfant  dans  la  crainte  de  Dieu,  et  devait  le  soigner 
en  bon  père  de  famille,  »  ne  tint  aucunement  sa  pa- 
role. Rousseau,  mal  nourri,  mal  surveillé,  contracta 
les  habitudes  les  plus  fâcheuses;  on  toléra  les  fautes 
graves,  tout  en  lui  infligeant  les  plus  rudes  châtiments 
pour  de  légers  délits.  Ces  odieux  procédés  lui  inspi- 
rèrent une  résolution  désespérée.  Un  dimanche  du 
printemps,  Jean-Jacques  avait  poussé  trop  loin  sa 
promenade;  le  soir,  au  retour,  les  portes  de  la  ville 
se  trouvèrent  fermées;  il  dut  passer  la  nuit  en  plein 
air.  Le  maître  le  roua  de  coups;  mais  la  passion  d'er- 
rer à  l'aventure  fit  bientôt  retomber  l'apprenti  dans 
la  même  faute.  Les  meurtrissures  de  la  correction 
précédente  étant  encore  douloureuses,  le  pauvre  mar- 
tyr s'enfuit,  erra  deux  jours  dans  les  environs,  puis 
se  réfugia  chez  M.  de  Pontverre,  curé  de  Confi- 
gnon,  village  situé  à  une  lieue  de  Genève.  M.  de 
Pontverre  était  un  zélé  controversisle  :  ii  reçut  avec 
une  extrême  bienveillance  cet  enfant  exaspéré,  il  le 
combla  de  bontés,  lui  fournit  les  moyens  de  pour- 


223 

suivre  son  voyage  jusqu'à  Annecy,  et  lui  donna  une 
recommandation  pour  Mme  de  Warens.  Cette  jeune 
dame,  poussée  par  des  fautes  et  des  chagrins,  avait 
changé  de  religion,  et  recevait  une  de  ces  pensions  que 
les  rois  de  Sardaigne  accordaient  alors  aux  transfu- 
ges du  protestantisme. 

Voici  la  lettre  de  M.  de  Pontverre,  telle  que  les 
auteurs  ecclésiastiques  de  la  Savoie  l'ont  conservée1  : 

«  Madame, 

«  Je  vous  envoie  Jean- Jacques  Rousseau,  jeune 
homme  qui  a  déserté  son  pays;  il  me  paraît  d'un 
heureux  caractère  ;  il  a  passé  un  jour  chez  moi ,  et 
c'est  encore  Dieu  qui  l'appelle  à  Annecy. 

»  Tâchez  de  l'encourager  à  embrasser  le  catholi- 
cisme. C'est  un  triomphe  quand  on  peut  faire  des 
conversions.  Vous  concevez  aussi  bien  que  moi  que, 
pour  ce  grand  œuvre  auquel  je  le  crois  assez  disposé, 
il  faut  lâcher  de  le  fixer  à  Annecy,  dans  la  crainte 
qu'il  ne  reçoive  ailleurs  quelques  mauvaises  ins- 
tructions. Ayez  soin  d'intercepter  toutes  les  lettres 
qu'on  pourrait  lui  écrire  de  son  pays,  parce  que,  se 
croyant  abandonné,  il  abjurera  plus  tôt.  Je  remets 
tout  entre  les  mains  du  Tout-Puissant  et  les  vôtres 
que  je  baise. 

»  Votre  T. -H.  S.  de  Pomtvekhe.  » 

1.  Mémoires  de  Mme  de  Warens,  page  254,  publiés  par  le  clergé 
d'Anuecy. 


nu 

D'Annecy,  Rousseau  fut  conduit  à  Turin  pour  faire 
son  abjuration. Voici  l'acte  qui  constate  ce  fait  et  qui, 
je  crois,  est  imprimé  pour  la  première  fois*  : 

«  Jean-Jacques  Rousseau,  de  Genève  (calviniste), 
entré  à  l'hospice  à  l'âge  île  seize  ans,  le  12  avril 
I  728.  Abjura  les  erreurs  de  la  secte  le  24  ;  et  le  25 
du  même  mois  lui  fut  administré  le  saint  baptême, 
ayant  pour  parrain  le  sieur  André  Ferrero,  et  pour 
marraine  Françoise-Christine  Kora  {ou  Rovea).  » 

Cet  événement  lit  une  pénible  impression  dans 
Genève.  On  lit  au  registre  de  la  Compagnie,  n°  19: 
«  Le  sieur  Pontverre,  curé  deConlignon,  attire  plu- 
sieurs jeunes  gens  de  cette  ville,  dont  un  a  changé 
de  religion.  On  doit  avertir  le  public.  Les  pasteurs 
des  quartiers  en  parleront  aux  parents.» 

Rousseau,  dans  ses  Confcssiom,  raconte  qu'il  passa 
deux  mois  au  Spirito  Santo.  Cette  erreur  de  mémoire 
est  fort  excusable  chez  un  homme  qui  écrit  sans  no- 
tes après  un  intervalle  de  quarante  années;  mais  il 
est  également  impossible  que  les  faits  accumulés  dans 
son  récit,  s'encadrent  dans  l'espace  de  onze  jours  :  il 
\  a  une  confusion  manifeste  dans  les  souvenirs  du 
philosophe. 

Après  son  abjuration,  Rousseau  demeura  quelque 

1.  Cel  extrait  texluel  des  registres  du  couvent  du  Spirilo  Santo,  à 
Turin,  a  été  remis  avec  une  grande  bienveillance  par  le  directeur  de 
,<>l  établissement  à  mon  ami  M.  Xmédéo  Bert,  pasteur  à  Turin. 


225 

temps  à  Turin,  gagnant  péniblement  sa  vie,  et  essayant 
divers  métiers.  11  fit  connaissance  d'un  abbé  nommé 
M.  Gaime.  Cet  ecclésiastique  se  prit  d'une  vive  affec- 
tion pour  Jean-Jacques,  lui  donna  d'excellents  con- 
seils, et  releva  sa  moralité,  considérablement  altérée 
par  son  séjour  chez  Àbel  Ducommun.  Rousseau  (il  de 
rapides  progrès  dans  la  voie  du  bien.  Mais  malheu- 
reusement M.  Gaime  était  déiste  et  n'admettait  pas 
le  caractère  surnaturel  de  la  révélation  ;  il  ne  croyait 
point  aux  miracles  de  Jésus-Christ;  le  Sauveur  n'é- 
tait pour  lui  que  le  plus  sublime  des  sages.  Il  en- 
seigna cette  théologie  à  son  disciple.  Les  résultats 
sont  faciles  à  concevoir.  Un  catéchumène,  à  qui  son 
instructeur  religieux  essaie  de  démontrer  que  l'élé- 
ment miraculeux  n'existe  pas  dans  l'Evangile,  ne 
pourra  peut-être  jamais  arriver  à  la  foi  chrétienne. 
Aussi  ne  devons-nous  point  nous  étonner  de  la  ten- 
dance religieuse  de  Rousseau.  Il  revint  chez  M",e  de 
Warens  déiste  au  fond  du  cœur,  et  catholique  prati- 
quant et  sincère  au  dehors  :  mélange  de  termes  oppo- 
sés qui  se  voit  très- fréquemment  en  Italie  et  ailleurs. . . 

.Nous  ne  suivrons  pas  Rousseau  dans  ses  voyages 
et  ses  malheurs.  Nous  le  retrouvons  âgé  de  quarante- 
deux  ans  (4  751)  :  ses  travaux  politiques  et  littéraires, 
ses  triomphes  au  théâtre  et  ses  œuvres  philosophiques 
attirent  sur  lui  les  regards  et  les  applaudissements 

des  cours  et  des  académies.  Au  milieu  de  ses  succès, 
m.  15 


226 

Rousseau  pense  avec  amour  à  son  pays  ;  il  désire  le 
revoir  et  faire  hommage  de  sa  gloire  à  sa  ville  nalale. 
Nous  avons  raconté  ailleurs1  les  impressions  et  les 
regrets  qui  l'engagèrent  à  reconquérir  les  droits  de 
citoyen  de  Genève  ;  or,  les  lois  de  la  République 
n'admettant  à  la  bourgeoisie  que  les  protestants  seuls, 
Rousseau  dut  abjurer  le  catholicisme  et  redevenir 
membre  de  l'Eglise  genevoise. 

Celle  démarche,  toujours  si  sérieuse,  si  délicate, 
élait  encore  aggravée  par  la  haute  position  du  philo- 
sophe. Voici  comment  Rousseau  explique  l'étal  de  sa 
conscience:  «  La  morale  de  l'Évangile  est  la  même 
»  pour  tous  les  chrétiens.  Les  dogmes  ne  peuvent  être 
»  expliqués.  La  fréquentation  des  incrédules  a  ranimé 
»  ma  foi  au  lieu  de  l'éteindre.  La  lecture  de  rÉvan- 
»  gile  m'a  montré  Dieu  et  le  sort  véritable  de  l'homme, 
»je  possède  l'essentiel  de  la  religion,  la  forme  est 
»  une  affaire  qui  concerne  les  lois  et  les  usages  hu- 
»  mains.  » 

Fort  de  ces  pensées,  Rousseau  s'adresse  au  pasteur 
de  sa  paroisse,  et  comme  il  demeurait  à  Grange- 
Canal,  il  se  met  en  rapport  avec  M.  Maystre,  ministre 
deCologny,  homme  âgé,  doué  d'une  grande  douceur 
de  caractère.  Après  quelques  conférences,  M.  Maystre 
fait  au  Consistoire  le  rapport  suivant  : 

Du  25  juillet  1754.  «  Le  sieur  Jean-Jacques  Rous- 

1.  Rousseau  et  les  Genevois,  par  J.  Gaberel. 


227 

»  seau,  citoyen,  ayant  été  conduit  en  Piémont  en  bas 
>»  âge,  y  avait  été  élevé  dans  la  religion  catholique 
»  romaine  et  Pavait  professée  pendant  plusieurs  an- 
»  nées.  Dès  qu'il  a  été  éclairé,  et  qu'il  en  a  reconnu 
»  les  erreurs,  il  n'en  a  plus  continué  les  actes;  au 
»  contraire,  il  a  dès  lors  fréquenté  assidûment  les 
»  assemblées  de  dévotion  à  l'hôtel  de  l'ambassade  de 
»  Hollande  à  Paris,  et  s'est  déclaré  hautement  de  la 
»  religion  protestante.  Pour  confirmer  ces  sentiments, 
»  il  a  pris  la  résolution  de  venir  dans  sa  patrie  pour 
»  y  faire  son  abjuration  et  rentrer  dans  le  sein  de 
»  notre  Église,  il  supplie  en  conséquence  ce  vénéra- 
ble Consistoire  de  l'exempter  de  comparaître,  et 
»  qu'il  lui  plaise  de  le  renvoyer  devant  une  commis- 
»  sion  particulière.  » 

Le  Consistoire  délibère;  on  représente  que  le  sieur 
Rousseau  est  atteint  d'une  maladie  très-dangereuse, 
que  l'on  peut  user  avec  lui  d'indulgence;  qu'il  est 
d'ailleurs  d'un  caractère  timide,  et  reconnu,  même 
par  les  personnes  les  plus  jalouses  de  son  mérite,  pour 
avoir  des  mœurs  pures  et  sans  reproches.  On  le  ren- 
voie en  conséquence  devant  une  commission  composée 
de  MM.  de  Waldkirk,  Sarasin  et  Maystre,  pasteurs; 
Grenus,  Pictet  et  Jallabert,  professeurs;  et  il  sera  réin- 
tégré dans  la  communion  de  l'Église  de  Genève,  s'il 
satisfait  aux  diverses  questions  que  les  commissaires 
sont  chargés  de  lui  adresser. 


228 

Voici  comment  Rousseau  raconte  celle  scène  : 
«  M.  Perdriau,  homme  aimable  et  doux,  avec  qui 
»  j'étais  fort  lié,  s'avisa  de  me  dire  qu'on  se  réjouis- 
»  sait  fort  de  m'enlendre  dans  cette  petite  assemblée. 
»  Cette  attente  m'effraya  si  fort,  qu'ayant  étudié  jour 
y  et  nuit  un  petit  discours  que  j'avais  préparé,  je  me 
»  troublai  lorsqu'il  fallut  le  réciter,  au  point  de  ne 
»  pouvoir  pas  dire  un  seul  mot,  et  je  lis,  dans  celte 
■»  conférence,  le  rôle  du  plus  sot  écolier.  Je  répondis 
»  bêtement  oui  et  non  aux  commissaires,  ei  je  fus 
»  admis  à  la  communion.  » 

Le  registre  du  Consistoire  s'exprime  en  ces  termes  : 

Du  1er  août  1754.  «  Le  sieur  Jean-Jacques  Rous- 
»  seau  ayant  satisfait  sur  tous  les  points  par  rapport 
»  à  la  doctrine,  on  l'admet  à  la  Sainte-Cène.  » 

Le  formulaire  de  réintégration  dans  l'Eglise  de 
Genève  est  aussi  simple  que  complet .  On  demande  à 
l'aspirant  s'il  admet  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testa- 
ment comme  vérité  révélée  et  divine:  et  l'on  ajoute 
quelques  propositions  contenant  les  grands  devoirs 
de  la  morale  évangélique. 

Rousseau  répond  affirmativement  aux  articles  de 
cette  profession  de  foi.  Il  rentre  dans  ses  droits  de 
citoyen,  et  se  trouve  entouré  des  marques  les  plus 
douces  d'affection  et  de  confiance  de  la  part  des  pas- 
leurs  et  des  principaux  bourgeois  admirateurs  de  son 
talent. 


229 

Les  Genevois  désiraient  vivement  que  le  philo- 
sophe pût  se  fixer  dans  sa  patrie,  et  Rousseau  adopta 
celle  idée.  Malheureusement  les  encyclopédistes  con- 
trecarrèrent ce  projet  :  l'influence  de  la  cité  protes- 
tante devenait  trop  sensible  chez  Jean-Jacques  ;  il  fal- 
lait l'éloigner,  le  conserver  à  Paris.  Un  agréable 
asile  lui  fut  offert  à  l'Ermitage,  et  l'établissement  à 
Genève  se  trouva  indéfiniment  ajourné.  Toutefois, 
son  esprit  et  son  cœur  étaient  sans  cesse  préoccupés 
des  intérêts  intellectuels  et  religieux  de  sa  ville  natale, 
et  durant  quatre  années  il  entretint  une  correspondance 
suivie  avec  les  pasteurs  genevois.  Voltaire  en  fît  les 
frais.  Le  vieux  philosophe,  comme  nous  l'avons  vu, 
voulait  démoraliser  Genève  et  détruire  le  christianisme 
professé  par  la  majorité  des  habitants  de  celte  ville. 
Dans  ce  but,  il  favorisait  le  goût  du  plaisir,  le  luxe, 
l'habitude  du  théâtre,  et  voulant  à  tout  prix  exercer 
sa  passion  pour  l'autorité,  et  jouer  le  rôle  de  sei- 
gneur suzerain,  il  intriguait  de  mille  manières  afin 
de  «  régenter  les  vingt-cinq  perruques  dont  le  gou- 
vernement genevois  était  composé.  » 

Rousseau  écrivit  pour  lors  à  Jacob  Vernet  :  «  Ainsi 
donc  la  satire,  le  noir  mensonge  et  les  libelles  sont 
devenus  les  armes  de  M.  de  Voltaire.  C'est  ainsi 
qu'il  paie  l'hospitalité  dont  par  une  funeste  indul- 
gence Genève  use  envers  lui  ;  ce  fanfaron  d'impiété, 
ce  beau  génie  et  celte  âme  basse,  cet  homme  si  grand 


230 

par  ses  talents,  si  vil  par  leur  usage,  laissera  de 
longs  et  cruels  souvenirs  parmi  nous.  Le  ridicule, 
ce  poison  du  bon  sens  et  de  l'honnêteté,  la  satire 
ennemie  de  la  paix  publique,  la  mollesse,  le  faste 
arrogant,  nous  forment  dans  l'avenir  un  peuple  de 
petits  plaisants,  de  baladins,  de  beaux  esprits  de 
comptoirs,  qui  de  la  considération  qu'avaient  ci-de- 
vant nos  gens  cte  lettres,  élèveront  Genève  au  niveau 
de  la  gloire  des  académies  de  Marseille  et  d'Angers.  » 

Cette  lettre  fut  immédiatement  transcrite  et  distri- 
buée dans  la  ville  à  un  très-grand  nombre  d'exem- 
plaires. «  Elle  frappe  fort  sur  les  consciences,  dit 
Roustan,  et  bien  des  gens,  après  l'avoir  lue,  gardent 
ce  silence  significatif  dont  le  remords  est  le  père.  » 

Voltaire  ne  put  digérer  cet  affront,  et  dès  lors  il 
saisit  toutes  les  occasions  d  insulter  Rousseau.  Toute- 
fois les  dures  paroles  de  celte  lettre  étaient  son  moin- 
dre grief  ;  comme  il  voulait  diriger  l'esprit  des  hom- 
mes sérieux,  il  souffrait  cruellement  en  voyant  la 
meilleure  place  prise  par  son  antagoniste.  Cette  place 
était  bonne;  on  peut  en  juger  par  la  lettre  suivante  : 

M.  Sarasin  aîné,  pasteur,  à  Rousseau,  septembre 
1758.  «  Je  n'ai  pas  de  termes  assez  expressifs  pour 
vous  marquer  la  satisfaction  que  j'ai  ressentie  en  reli- 
sant le  digne  ouvrage  qui  vient  de  sortir  de  votre 
plume  (Lettre  sur  1rs  spectacles  et  que  M.  Vernes 
m'a  remis  de  voire  part.  Vous  venez  de  rendre  un 


service  signalé  à  noire  commune  pairie,  en  vous 
élevant  aussi  librement  et  aussi  fortement  que  vous 
l'avez  fait  contre  la  fureur  des  spectacles,  et  en  mon- 
trant tout  le  ridicule  et  le  danger  du  projet  qu'ont 
formé  certaines  personnes  d'établir  un  théâtre  dans 
noire  ville.  Je  partage  avec  tous  nos  bons  compa- 
triotes la  reconnaissance  que  tout  notre  public  vous 
cloil  pour  le  bien  que  votre  livre  ne  manquera  pas 
de  faire  auprès  de  tous  ceux  qui  savenl  penser  saine- 
ment et  qui  ne  sont  pas  livrés  à  l'amour  de  ia  frivo- 
lité et  du  plaisir. 

«  Que  j'ai  de  regrets,  Monsieur,  de  n'être  pas  à 
portée  de  jouir  de  vos  entretiens  et  de  contempler  de 
près  cette  vertu  qui  vous  rend  si  respectable  et  qui 
vous  attire  l'eslime  et  les  vœux  de  tous  ceux  qui  en 
connaissent  le  prix  !  » 

De  leur  côté,  les  pasteurs  n'épargnaient  pas  les  dé- 
marches pour  rappeler  Jean- Jacques  dans  sa  patrie.  Ils 
étaient  sûrs  que  sa  présence  rendrait  de  signalés  ser- 
vices à  la  religion  nationale,  et  voici  la  tournure  qu'a- 
vait prise  leur  correspondance  : 

Vernes,  1758.  «Notre  maître  en  plaisanteries 
fait  sans  doute  quelques  prosélytes  ;  ce  sont  des  jeunes 
gens  qui  sont  de  Genève,  mais  ils  n'ont  pas  l'âme 
genevoise.  Ainsi  nous  n'avons  rien  perdu.  Si  le  ton, 
les  manières,  les  maximes  de  Voltaire  en  ont  perdu 
quelques  autres  dans  la  bourgeoisie,  ils  sont  en  très- 


232 

petit  nombre,  et  osent  à  peine  se  montrer.  Je  lisais 
votre  lettre  (la  précédente)  à  mon  bon  ami  M.  de 
Rochemont —  Eh,  mon  cher!  s'écria-Ui,  dites  à 
cet  illustre  liomiète  homme  que  nous  sommes  presque 
tous  bons  et  bètes...  il  y  a  dans  le  gros  de  la  bour- 
geoisie un  instinct  moral,  un  fond  de  vertus  qui  n'a 
point  encore  reçu  d'atteinte.  —  Il  a  raison,  ces  gens- 
là  vous  aiment,  vous  estiment,  vous  révèrent  ;  ce  se- 
rait le  moment  de  venir  travailler  avec  nous,  d'aug- 
menter le  bataillon  sacré  qui  résiste  à  Voltaire,  afin 
que  Genève  reste  toujours  Genève.  » 

Rousseau,  misérablement  enlacé  dans  sa  fausse 
position  d'intérieur,  ne  pouvait  s'éloigner  pour  long- 
temps de  Paris  ;  il  y  revint,  et  trouva  bientôt  l'occa- 
sion de  faire  connaître  les  croyances  religieuses  qu'il 
avait  retrempées  el  fortifiées  dans  l'atmosphère  ge- 
nevoise. 

Lorsqu'on  étudie  les  manifestations  religieuses  de 
Rousseau,  dans  un  moment  où  le  matérialisme  triom- 
phait de  toute  part,  on  regrette  amèrement  les  que- 
relles politiques  et  les  rancunes  du  clergé  français  qui 
aigrirent  le  philosophe  et  le  poussèrent  dans  une  voie 
qu'il  neùl  jamais  choisie.  La  condamnation  cl  la 
destruction  légale  de  V Emile  furent  une  des  fautes  les 
plus  graves  au  point  de  vue  philosophique  el  reli- 
gieux. 

VEmile,  dont  nous  devons  maintenant  examiner 


233 

les  tendances  religieuses,  fut  accueilli  avec  un  engoue- 
ment passionné,  et,  sous  le  rapport  philosophique,  ce 
livre  méritait  l'enthousiasme  qu'il  excita.  En  effet, 
pour  apprécier  l'importance  de  l'œuvre  de  Rousseau, 
pour  comprendre  la  grandeur  du  service  qu'il  rend 
à  la  cause  de  la  vérité,  il  faut  rappeler  l'étal  des 
croyances  en  17  62. 

L'école  de  philosophie,  qui  régissait  la  pensée 
française,  admet  la  matérialité  de  l'âme. 

En  morale,  cette  secte  affirme  que  le  devoir  n'existe 
pas,  et  que  la  distinction  du  juste  et  de  linjuste  n'est 
qu'une  illusion. 

En  religion,  la  plupart  des  philosophes  nient  l'exis- 
tence de  Dieu  et  couvrent  des  plus  indignes  railleries 
la  personne  du  Christ. 

D'Holbach,  Helvétius,  Diderot,  d'Àlembert,  Con- 
dillac,  sont  les  directeurs  absolus  des  intelligences  et 
de  la  littérature.  Près  d'eux  s'élève  Kousseau,  dont 
l'éloquence  irrésistible  entraîne  l'opinion,  et  que  les 
journaux,  les  académies,  les  souverains  reconnais- 
sent pour  un  écrivain  du  premier  ordre.  Uousseau, 
n'a  point  encore  fait  d'opposition  décisive  aux  ten- 
dances matérialistes  du  jour,  la  lutte  est  circonscrite 
sur  le  territoire  genevois...  Tout  à  coup  Rousseau 
lance  dans  te  monde  un  manifeste —  et  ce  mani- 
feste renferme  la  plus  décisive  protestation  contre  la 
philosophie  incrédule  des  encyclopédistes...  lions- 


seau  remplit  ce  devoir,  sachant  qu'il  déchaînera  con- 
tre lui  les  plus  terribles  colères  de  Paris  et  de  Berlin. 
Peu  importe. 

A  Helvétius,  qui  rabaisse  l'humanité  au  niveau  de 
la  brute,  et  qui  affirme  que  la  seule  chose  qui  sépare 
l'homme  du  singe,  c'est  qu'il  a  le  pouce  opposable 
aux  doigts...  Rousseau  dit:  «  Quoi  !  je  puis  sentir 
ce  que  c'est  qu'ordre,  beauté,  vertu  !  je  puis  contem- 
pler l'univers,  m'élever  à  la  main  qui  le  gouverne, 
et  je  me  comparerais  aux  bêtes  !  Ame  abjecte,  c'est 
ta  triste  philosophie  qui  le  rend  semblable  à  elles  — 
Ou  plutôt  tu  veux  en  vain  t'avilir  :  ton  génie  dépose 
contre  tes  principes,  ton  cœur  bienfaisant  dément 
ta  doctrine,  et  Tabus  même  de  les  facultés  prouve 
leur  excellence  en  dépit  de  toi.  » 

A  ceux  qui  déclarent  qu'il  n'y  a  point  de  distinc- 
tion entre  le  juste  et  l'injuste,  et  qui  nient  la  réalité 
du  devoir  moral,  Rousseau  répond  :  «  Conscience! 
conscience  !  instinct  divin  !  immortelle  et  céleste  voix  ! 
guide  assuré  d'un  être  intelligent  et  libre  !  juge  infail- 
lible du  bien  et  du  mal,  qui  rends  l'homme  sem- 
blable à  Dieu...  Sans  toi  je  ne  sens  rien  en  moi  qui 
m'élève  au-dessus,  des  bêtes  que  le  triste  privilège  de 
m 'égarer  d'erreurs  en  erreurs,  à  l'aide  d'un  entende- 
ment sans  règle  et  d'une  raison  sans  principe.  » 

A  ceux  qui  nient  Dieu,  Rousseau  parle  en  ces  ter- 
mes :  «  Pius  je  m'efforce  de  contempler  son  essence 


255 

infinie,  moins  je  la  conçois;  mais  elle  est,  cela  nie 
sulïit  ;  moins  je  la  conçois,  plus  je  l'adore.  Je  in'hu- 
niilie,  je  lui  dis  :  Être  des  êtres!  je  suis  parce 
que  tu  es.  Le  plus  digne  usage  de  ma  raison  est  de 
s'anéantir  devant  toi  :  c'est  mon  ravissement  d'es- 
prit, c'est  le  charme  de  ma  faiblesse  de  me  sentir 
accablé  de  ta  grandeur.  » 

A  Voltaire,  qui  vient  d'écrire  que  les  actions  de 
Jésus  et  de  ses  apôtres  sont  dignes  d'un  échappé  de 
Bedlam,  Rousseau  répond  : 

«  La  sainteté  des  Évangiles  parle  à  mon  cœur... 
Se  peut-il  qu'un  livre  aussi  simple  et  aussi  sublime 
soit  l'ouvrage  d'un  homme?*...  Si  la  vie  et  la  mort 
de  Socrate  sont  d'un  sage,  la  vie  et  la  mort  de  Jésus 
sont  d'un  Dieu.  » 

V Emile  étant  lu  avec  enthousiasme  dans  le  public, 
les  encyclopédistes  éprouvèrent  une  colère  violente 
contre  le  philosophe  genevois.  Voltaire  résuma  cette 
impression  dans  une  lettre  à  jamais  mémorable. 

«  Avez- vous  lu  la  prose  du  sieur  Jean-Jacques? 
son  Vicaire  savoyard  est  digne  de  Ions  les  châtiments 
possibles  Le  Judas  nous  abandonne,  et  quel  mo- 
ment choisit-il  pour  nous  abandonner?  l'heure  où 
notre  philosophie  allait  triompher  sur  toute  la  ligne.  » 

Les  esprits  élevés,  les  amis  du  vrai  et  du  bien, 
se  séparèrent  de  l'Encyclopédie  et  félicitèrent  Rous- 
seau de  sa  loyale  franchise,  el  un  des  hommes  qui 


256 

avait  entre  tous  le  droit  de  parler  de  courage  moral, 
le  président  de  Montclar,  rendit  solennellement  jus- 
lice  au  philosophe  genevois.  M.  de  Montclar  avait, 
comme  on  le  sait,  travaillé  durant  nombre  d'années 
à  expulser  les  jésuites  de  France  ;  il  avait  méprisé 
les  périls  que  courent  les  adversaires  de  cette  puis- 
sante société,  et  il  disait  de  Jean-Jacques  : 

«  Je  suis  enthousiasmé  de  tout  ce  qu'il  écrit  pour 
prouver  qu'il  y  a  un  Dieu,  et  je  connais  assez  mon 
siècle  pour  savoir  le  meilleur  gré  à  M.  Rousseau 
de  la  profession  ouverte  de  cette  croyance  et  de  sa 
persévérance  à  enseigner  qu'il  y  a  un  bien  et  un 
mal  moral.  Hélas!  s'il  avait  voulu  être  athée,  il 
aurait  beaucoup  plus  de  partisans  i .  >< 

Si  Y  Emile  n'eût  renfermé  qu'un  système  de  phi- 
losophie morale  et  spiritualiste,  sans  aucun  doute  le 
clergé  et  le  Parlement  auraient  joint  leurs  suffrages 
aux  applaudissements  du  public  lettré.  Mais,  en  poli- 
tique, Rousseau  proclamait  l'égalité  et  la  responsa- 
bilité de  tous  les  hommes  devant  la  loi,  l'égalité  de 
toutes  les  charges  sociales  pour  toutes  les  classes  de 
la  société.  Ces  idées,  aujourd'hui  reconnues  comme 
des  vérités  incontestables,  furent  irrévocablement  con- 
damnées il  y  a  cent  ans. 

Pour  le  clergé  et  les  hommes  croyant  à  la  révéla- 
lion  chrétienne,  V Emile  offrait  une  grave  lacune. 

1.  Montclar,  Lettre  à  Moultou,  son  parent. 


257 

Rousseau  établit  la  religion  naturelle,  la  croyance  en 
Dieu,  l'immortalité  de  l'âme,  l'existence  et  l'autorité 
suprême  de  la  morale  de  Jésus-Christ  ;  mais  il  ne 
peut  aller  plus  loin,  et  s'il  pense  que  l'Evangile  est 
un  livre  divin  à  cause  de  sa  sublimité,  il  ne  peut 
admettre  le  fait  surnaturel  de  la  révélation,  l'exis- 
tence du  miracle.  En  conséquence,  V Emile  fut  con- 
damné pour  des  motifs  fort  divers.  L'avocat  du  roi 
le  condamna,  «  parce  que  des  hommes  élevés  par 
Rousseau  seraient  enclins  au  doute  et  préoccupés  de 
la  tolérance.  »  L'archevêque  de  Paris  le  condamna 
dans  un  mandement  où  il  dit.  :  «  Vous  préconisez  l'ex- 
cellence  de  l'Évangile  dont  vous  détruisez  les  dogmes  ; 
vous  peignez  la  beauté  des  vertus  que  vous  éteignez 
dans  l'âme  de  vos  lecteurs.  » 

A  la  suite  de  ces  réquisitoires,  le  Parlement  dé- 
créta l'emprisonnement  de  Jean-Jacques,  et  le  J 1 
juin  1762  son  livre  fut  brûlé  par  la  main  du  bour- 
reau. 

Que  devait-on  faire  à  Genève?  La  république  était 
dans  les  tenailles  de  la  France.  En  4  762  Voltaire 
était  tout-puissant  à  Versailles.  On  condamna  donc 
l' Emile  pour  plaire  à  M.  de  Choiseul  et  l'on  sévit 
contre  les  amis  de  Rousseau. 

Si  cette  mesure  se  conçoit  au  point  de  vue  politi- 
que, il  faut  avouer  qu'au  point  de  vue  religieux  la 
flétrissure  de  l' Emile  était  absurde  de  la  part  des  ma- 


238 

gistrals  genevois.  Sans  doute,  d'après  le  texte  des 
édils,  la  sentence  revêtait  une  stricte  légalité  :  «  Tout 
homme  qui  dogmatise  contrairement  à  la  foi  reçue, 
doit  être  admonesté  avec  douceur  et  puni  s'il  ne  se 
range...  »  Et,  contrairement  à  la  foi  reçue,  Rousseau 
niait  les  miracles  de  l'Evangile.  Mais  depuis  cinquante 
années  celte  loi  était  tombée  en  désuétude  à  Genève  ; 
la  liberté  de  conscience,  d'écrits  et  de  paroles,  avait 
succédé  au  régime  de  la  foi  légalement  imposée.  Les 
livres  discutant  les  vérités  religieuses  avec  le  respect 
et  la  convenance  nécessaires  en  pareil  cas,  étaient  im- 
primés sous  les  yeux  du  gouvernement,  ou  se  ven- 
daient publiquement  chez  les  libraires.  En  particulier 
Lesage  et  Mlle  Huber  avaient  traité  le  même  sujet 
que  Rousseau  sans  encourir  les  rigueurs  de  la  loi... 
On  comprenait  bien  la  fausse  position  des  magistrats, 
on  savait  que  l'affaire  était  plus  politique  que  reli- 
gieuse, car  les  amis  de  Rousseau  lui  écrivaient  : 
«  Au  fait,  on  a  battu  le  Contrat  social  sur  le  dos  de 
Y  Emile.  » 

La  position  du  clergé  genevois  était  très-délicate. 
Déjà,  lors  de  la  publication  de  la  Nouvelle  Héloïse, 
les  pasteurs  avaient  témoigné  un  étonnement  doulou- 
reux en  voyant  Rousseau  oublier  qu'il  avait  répondu 
affirmativement  au  Consisloire,  touchant  le  fait  du 
caractère  miraculeux  de  l'Evangile  ;  leurs  craintes 
s'étaient  réalisées,  ils  savaient  que  Rousseau,  toujours 


-259 

à  la  merci  des  impressions  du  moment,  ne  pourrait 
échapper  à  l'influence  de  la  coterie  incrédule  de  Paris. 
L1  Emile  vint  encore  compliquer  la  situation,  et, 
avant  d'exposer  la  conduite  du  clergé  genevois,  nous 
devons  dire  que  ces  pasteurs  ont  été  singulièrement 
jugés  par  deux  partis  extrêmes  dans  leurs  apprécia- 
tions. Les  amis  de  Rousseau  reprochent  amèrement 
aux  pasteurs  de  Genève  d'avoir  attaqué  l' Emile  dans 
leurs  écrits  et  leurs  sermons,  d'avoir  applaudi  à  la 
condamnation  d'un  livre  qui  écrasait  le  matérialisme 
et  proclamait  la  tolérance,  tandis  qu'ils  auraient  dû 
plutôt  remercier  publiquement  Rousseau  du  service 
qu'il  rendait  à  la  religion,  au  milieu  du  siècle  le  plus 
incrédule  des  temps  modernes. 

Nous  entendons  encore  de  nos  jours  celte  récrimi- 
nation formulée  dans  des  termes  identiques. 

D'autre  part,  les  écrivains  protestants  français  et 
anglais,  qui  depuis  4  816  attaquent  l'Eglise  de  Ge- 
nève, déclarent  que  les  pasteurs  de  1  762  pactisèrent 
avec  Rousseau,  abandonnèrent  la  défense  de  la  révé- 
lation et  se  bornèrent  à  une  commode  religion  natu- 
relle, qui  n'engage  ni  la  raison  ni  la  conscience. 

La  vérité  se  trouve  nécessairement  entre  ces  deux 
extrêmes,  et  voici  la  ligne  de  conduite  observée  par 
les  pasteurs  de  Genève  à  l'égard  de  Rousseau  ;  leurs 
correspondances  nous  la  dévoilent  sans  réserve. 

Rousseau,  disent-ils,  a  une  influence  universelle 


sur  le  monde  pensant;  il  rend  un  grand  service  dans 
ces  temps,  où  l'on  déverse  la  raillerie  sur  les  idées 
religieuses,  en  proclamant  sa  vénération  pour  la  mo- 
rale évangélique  et  pour  le  caractère  divin  de  notre 
Sauveur;  si  nous  pouvions  l'attirer  plus  loin,  lui  l'aire 
accepter  une  adhésion  complète  à  la  révélation  chré- 
tienne, nous  rendrions  un  immense  service  à  notre 
cause.  Rousseau  chrétien  ramènerait  peut-être  au- 
tant d'âmes  incrédules  à  l'Évangile  que  jadis  Calvin 

en  fit  sortir  de  l'Eglise  romaine  

Pénétrés  de  celte  vérité,  les  pasteurs  gardèrent  un 
silence  oHiciel  touchant  la  condamnation  de  l' Emile  ; 
ils  ne  firent  aucune  démarche  pour  ou  contre  ce  juge- 
ment .  En  chaire,  ils  réfutèrent  les  tendances  blâmables 
du  livre.  Les  ecclésiastiques  particulièrement  liés  avec 
Rousseau,  écrivirent  des  brochures  où  l'amour  de  la 
vérité  chrétienne  se  mêlait  au  regret  de  combattre  un 
ami  ;  ils  espéraient  toujours  le  ramener  au  christia- 
nisme évangélique,  et  voici,  parmi  la  volumineuse 
correspondance  du  temps,  trois  lettres  qui  résument 
complètement  la  position. 

«  Cher  Monsieur,  nos  sentiments  sur  tout  ce  qui 
vous  regarde  sont  assez  connus.  J'ai  toujours  rendu 
justice  à  vos  talents,  et  j'ai  admiré  bien  des  choses 
dans  vos  ouvrages,  surtout  celles  qui  tendent  forte- 
ment aux  bonnes  mœurs.  On  a  eu  raison  de  dire  qu'en 
lisant  votre  beau  tableau  de  la  religion  naturelle,  je 


m'écriai  avec  Terluliien  :  ()  testimonium  animée  na- 
turaliter  christianœ!  Mais  on  ne  vous  a  pas  non  plus 
caché  que  je  sentais,  comme  tous  mes  collègues,  sui- 
tes endroits  qui  ont  été  justement  repris  dans  Y  Emile 
et  le  Contrai  social,  quoique  j'aie  tempéré  ce  blâme 
par  la  plus  grande  modération  relativement  à  voire 
personne.  Mon  frère  en  a  jugé  de  même,  et  autant 
nous  avons  été  d'accord  pour  désapprouver  les  côtés 
répréhensibles  de  vos  derniers  livres,  autant  le  som- 
mes-nous pour  compatir  aux  chagrins  qu'ils  vous  onl 
attirés  et  très-disposés  à  vous  rendre  tous  les  services 
personnels. 

«Voilà,  Monsieur,  comment  nous  sommes  vos 
ennemis. 

»  La  Gazette  de  Bruxelles,  voulant  nous  faire 
passer  pour  déistes,  dit  que  le  magistral  vous  con- 
damne et  le  clergé  vous  approuve.  Il  n'est  pas  diflî- 
cile  de  connaître  L'auteur  de  cette  fausseté.  L'exposé 
de  mes  sentiments  peut  vous  faire  juger  de  l'esprit 
que  je  porte  dans  l'engagement  que  j'ai  pris  de  vous 
réfuter.  L'honneur  de  notre  Eglise  au  dehors,  son 
édification  au  dedans,  exigent  quelque  chose.  Nos 
prédicateurs  ont  fait  leur  devoir,  mais  on  demande 
quelque  écrit  .  Ma  place  et  la  nature  de  mes  travaux 
m'ont  imposé  cette  tâche,  .le  suis  bien  aise  d'appren- 
dre que  vous  la  verrez  sans  peine.  Croyez  qu'en  con- 
tredisant l'écrit,  je  ménagerai  autant  qu'il  est  pos 

m.  IG 


-  Vl* 

sible  Tailleur,  et  que  je  n'aurai  garde  de  le  confondre 
avec  le  contempteur  de  toutes  les  religions. 

»  Votre  tout  dévoué,  Jacob  Vernet, 

»  Professeur  en  théologie.  1762.  » 

Moultou  avait  pour  Rousseau  une  affection  inalté- 
rable :  mais  le  devoir  passe  avant  l'amitié  chez  les 
ministres  fidèles  à  leur  mandat.  Moultou  lui  écrit 

(4  762)  : 

«  Je  ne  vous  l'ai  point  dissimulé,  mon  cher  ami, 
ce  que  vous  avez  dit  de  la  religion  afflige  ceux  mê- 
mes de  vos  compatriotes  qui  vous  aiment  le  plus, 
parce  qu'ils  aimentencore  plus  la  religion.  Cependant 

ils  cherchent  à  vous  excuser  et  à  vous  défendre  

tandis  que  les  ennemis  de  la  religion  et  de  la  patrie 
triomphent  de  ce  que  vous  leur  avez  fourni  des  armes 
pour  leurs  attaques.  » 

Vernes  prend  la  plume  à  son  tour,  en  septembre 
4762: 

«  A  présent,  mon  cher  Rousseau,  que  je  vous  crois 
moins  accablé  de  lettres,  je  viens  épancher  mon  cœur 
près  de  vous.  Moultou  vous  aura  dit  combien  j'ai 
souffert  des  persécutions  que  vous  avez  endurées. 
Mais  pourquoi  n'avoir  pas  eu  assez  de  confiance  en 
moi  pour  me  prévenir  de  ce  que  vous  vouliez  donner 
au  public?  Je  crois  que  les  représentations  de  l'amitié 
vous  auraient  détourné  de  ce  projet. 

»  Quand  tout  ce  que  vous  avez  dit  sur  le  christia- 


243 

nisme  serait  fondé,  quel  bien  feriez-vous  à  la  société 
en  lui  enlevant  ses  plus  fermes  appuis  Quelles  an- 
goisses vous  avez  mises  dans  de  bonnes  âmes  en 
voyant  des  doutes  proposés  avec  tant  de  force  par  un 
homme  dont  on  adore  les  talents  et  le  génie  î . . .  Oui, 
mon  cher  Rousseau,  j'en  ai  vu  de  ces  âmes  alarmées 
par  la  lecture  de  votre  Emile,  et  auxquelles  j'ai  eu 
bien  de  la  peine  à  rendre  cette  tranquillité  d'âme  que 
donne  une  foi  vive  et  dont  nous  avons  tant  besoin 
dans  celte  vallée  de  larmes  et  de  misères.  Je  sais  que 
votre  système  de  religion  naturelle  est  admirable;  je 
l'ai  lu  et  relu  avec  transport;  je  ne  connais  rien  qui 
approche  de  cel  excellent  morceau...  Mais  pourquoi 
ne  pas  vous  en  tenir  là  ?. . .  Et  quel  service  vous  auriez 
rendu,  en  retranchant  de  cette  religion  ce  que  les 
hommes  y  ont  ajouté,  et  en  montrant  que  la  doctrine 
de  Jésus  et  des  apôtres  s'accorde  avec  la  religion  na- 
turelle, la  perfectionne,  la  complète  en  lui  donnant 
une  suprême  et  infaillible  autorité?... 

»  Mais  par  vos  difficultés  sur  le  christianisme,  vous 
avez  troublé  des  âmes  mal  affermies  dans  la  foi  et  fait 
triompher  des  libertins  qui  s'appuient  de  l'autorité 
d'un  homme  tel  que  vous,  d'un  amateur  de  la  vérité. 
Si  du  moins  les  hommes  étaient  tels  que  vous  les 
demandez  dans  la  religion  naturelle  ;  mais,  mon  cher 
Rousseau,  qu'ils  sont  loin  d'adorer  Dieu  avec  cette 
simplicité,  cette  pureté  de  cœur  que  vous  exigez  de 


vos  disciples  !        J'abrège,  mon  cher  Rousseau,  il 

m'a  été  impossible  de  ne  pas  vous  montrer  le  fond  de 
mon  cœur.  Vous  aimez  trop  la  franchise  pour  blâmer 
celle  avec  laquelle  je  vous  parle  ;  il  manque  à  mon 
bonheur  de  ne  pas  vous  voir  dans  une  patrie  dont 
vous  auriez  fait  les  délices  par  votre  commerce, 
comme  vous  en  faites  la  gloire  par  votre  génie.  » 

Cette  ligne  de  conduite  si  franche  et  si  charitable 
déplut  souverainement  à  Voltaire  :  il  vit  que  le  rap- 
prochement des  pasteurs  genevois  et  de  Rousseau 
tournerait  à  l'avantage  de  la  religion  et  déterminerait 
peut-être  chez  l'impressionnable  écrivain  quelque  évo- 
lution vers  le  christianisme  révélé,  Il  fallait  à  (ont 
prix  éviter  de  la  part  de  Rousseau  une  nouvelle  tra- 
hison pire  que  la  première.  Dans  le  but  de  brouiller 
Jean-Jacques  avec  ses  amis  et  de  compromettre  le 
clergé  de  Genève ,  il  fit  insérer  dans  la  Gazelle 
d'Utrecht  : 

«  Grand  et  éditiant  spectacle  offert  par  la  Vénérable 
Compagnie  des  Pasteurs  de  Genève!  Tandis  que  le 
gouvernement  brûle  les  livres  de  Rousseau,  le  clergé 
les  approuve  et  se  trouve  très-heureux  d'en  être  ré- 
duit à  une  religion  naturelle  qui  ne  prouve  rien  et  ne 
demande  pas  grand 'chose.  » 

Rousseau,  prévenu  par  M.  Vernel,  méprisa  cette 
jonglerie,  et  les  pasteurs  genevois  gardèrent  ce  si- 
lence plein  de  dignité,  qu'ils  ont  toujours  su  observer 


contre  les  attaques  adressées  à  leurs  personnes,  mais 
indifférentes  à  la  religion. 

Si  la  discussion  demeurant  sur  le  terrain  des  idées 
eût  continué  avec  ce  mélange  de  franchise  et  de  cha- 
rité chrétienne,  Rousseau  était  pegl-être  conduit  jus 
qu'au  christianisme  révélé.  Il  se  trouvait  alors  (4762 
à  4  764)  à  Motiers-Travers;  la  douceur  et  le  tact  du 
pasteur  de  Montmollin  agissaient  puissamment  sur 
son  esprit;  son  admission  à  la  Sainte-Cène  lui  avait 
causé  un  bonheur  intime  qui  le  rendit  insensible  aux 
traits  railleurs  que  ses  anciens  amis  de  France  lui  dé- 
cochèrent sans  pitié.  Malheureusement  la  politique  et 
les  querelles  amères,  soulevées  à  Genève  autour  de 
V Emile,  entre  le  gouvernement  et  la  bourgeoisie, 
détruisirent  l'œuvre  des  pasteurs;  Rousseau  ne  put 
obtenir  la  réparation  qu'il  sollicitait  touchant  la  flé- 
trissure de  son  livre.  Les  lettres  insultantes  que  des 
anonymes  lui  écrivaient  exaspérèrent  son  esprit;  la 
haine  l'aveugla. 

En  4  764,  nous  l  avons  dit,  il  commit  la  faute  la 
plus  grave  qu'un  homme  public  puisse  commettre  ; 
il  mil  ses  passions  à  la  place  de  ses  principes,  et  pour 
venger  des  injures  personnelles,  il  attaqua  la  Patrie 
et  l'Eglise  qu'il  avait  auparavant  exallées  dans  les 
plus  brillantes  productions  de  son  génie. 

Par  rancune  politique,  le  citoyen  dévoué  se  fit 
pamphlétaire  pour  un  jour,  et  le  philosophe  qui  vé- 


« 


246 

nérail  la  religion,  traîna  sa  plume  à  la  remorque  de 
Vol  la  ire. 

Dans  ses  Lettres  de  la  montagne,  il  écrivit  contre 
les  miracles  trois  ou  quatre  pages  indignes  de  son  ca- 
ractère, et  voici  sa  plus  saillante  tirade: 

«  Les  miracles  où  sont-ils?  Jadis  les  prophètes  fai- 
saient descendre  à  leur  voix  le  feu  du  ciel  ;  aujour- 
d'hui les  enfants  en  font  tout  autant  avec  un  petit 
morceau  de  verre.  Josué  fit  arrêter  le  soleil;  un  fai- 
seur d'almanachs  va  le  faire  éclipser.  Les  foires  four- 
millent de  miracles:  j'ai  vu  un  paysan  hollandais 
rallumer  sa  pipe  avec  son  couteau;  en  Syrie  il  eût 
été  prophète.  J'ai  vu  quelque  chose  de  plus  fort:  des 
académiciens  et  des  savants  qui  couraient  aux  con- 
vulsions de  l'abbé  Paris  et  revenaient  convaincus.  On 
n'est  point  parvenu  aux  limites  de  l'art  de  guérir;  qui 
sait?  on  arrivera  peut-être  à  remettre  un  mort  sur  ses 
jambes.  On  a  trouvé  le  secret  de  ressusciter  des  noyés  ; 
on  parviendra  à  rendre  la  vie  à  des  corps  qu  on  en 
avait  privés.  » 

Rousseau,  par  ces  misérables  attaques,  lit  beau- 
coup d'impression  sur  des  hommes  charmés  de  trouver 
un  esprit  supérieur  fournissant  un  aliment  à  leurs  idées 
favorites,  à  leurs  principes  faciles;  mais  s'il  compta 
sur  la  sympathie  des  gens  sérieux .  il  l'ut  rudement 
détrompé.  Ses  meilleurs  amis  politiques  gardèrent  le 
silence  le  plus  glacial  au  sujet  de  ces  pages  écrites 


247 

dans  un  moment  d'égarement,  et  il  dut  comprendre 
la  portée  de  ce  silence  en  relisant  les  lettres  chaleu  - 
reuses écrites  dix-huit  mois  auparavant,  lors  de  la 
condamnation  de  Y  Emile  et  du  Contrat  social. 

Les  pasteurs  remplirent  leur  devoir  :  la  Compagnie, 
qui  s'était  tenue  dans  une  réserve  officielle  au  sujet 
de  Y Emile,  publia  contre  les  Lettres  de  la  montagne 
un  mandement  dont  nous  transcrivons  le  principal 
paragraphe  : 

«  Nous  avons  vu  avec  la  plus  vive  douleur  notre 
sainte  Réformation  représentée  sous  les  couleurs  les 
plus  fausses  et  la  religion  attaquée  dans  ses  fonde- 
ments avec  une  audace  dont  on  a  peu  d'exemples. 
Nous  ne  répondrons  que  par  un  redoublement  de  zèle 
et  de  charité  aux  paroles  d'un  auteur  pour  qui  rien 
n'est  sacré,  dès  qu'on  le  blesse  dans  ses  convictions 
ou  qu'on  discute  ses  principes.  » 

Les  ministres  spécialement  attachés  à  Rousseau 
s'unirent  à  leurs  collègues.  Vernes  écrit  le  premier  : 
«  Vous  nous  avez  déchiré  le  cœur  :  vous  si  bon ,  si 
respectueux  envers  le  christianisme,  avoir  publié  des 

pages  qui  réjouiront  Vollaire  Je  crains  fort  que 

vous  n'ayez  détruit  vous-même  tout  le  bien  que  vous 
aviez  commencé.  » 

Moultou,  en  envoyant  à  Rousseau  le  mandement 
des  pasteurs,  ajoute  :  «  Oui,  mon  ami,  je  leur  aurais 
prêté  ma  plume  quand  j'aurais  dû  la  tremper  dans 


248 

mon  sang.  Il  s'agissait  de  remplir  un  trop  grand  de- 
voir pour  qu'aucune  considération  humaine  pût  m'ar- 
rêter  un  seul  instant  ! 

Chapuis,  l'un  des  hommes  les  plus  attachés  à  Rous- 
seau, lui  écrit:  «  Je  lis,  page  77,  Lettres  de  la  mon- 
tagne, que  les  réformés  de  nos  jours,  du  moins  les  mi- 
nistres, n'aiment  plus  leur  religion.  J'aurais  bien  sou- 
haité, Monsieur,  pour  votre  gloire,  que  vous  eussiez 
supprimé  ces  deux  ou  trois  pages,  ou  que  du  moins 
vous  en  eussiez  sérieusement  adouci  les  termes.  » 

Les  brochures  se  multiplièrent;  mais  toutes  celles 
que  j'ai  pu  recueillir  sont  dictées  par  un  esprit  élevé 
et  charitable  qui  ne  se  dément  pas  un  seul  instant. 
On  veut  essayer  de  convaincre  Rousseau ,  mais  on  ne 
songe  jamais  à  l'humilier.  Il  offrait  pourtant  de  sé- 
rieux avantages  à  ses  adversaires  chrétiens. 

Dix  ans  auparavant,  il  avait  affirmé  au  Consistoire 
qu'il  admettait  la  révélation  contenue  dans  les  Saintes 
Écritures,  et  dans  les  Lettres  de  la  montagne  il  se 
borne,  dit-il,  à  un  doute  respectueux  sur  ce  sujet. 
Voici  la  seule  allusion  qui  soit  faite  à  ce  grave  inci- 
dent : 

«  Si  vous  vous  étiez  borné,  écrit  le  professeur 
Claparède,  au  doute  respectueux  touchant  l'existence 
de  la  révélation,  pensez-vous  qu'en  1754-  vous  eus- 
siez satisfait  la  commission  du  Consistoire  chargée  de 
vous  réintégrer  dans  le  sein  de  notre  Eglise?  » 


249 

La  Compagnie  des  Pasteurs  de  Neuchàtel  s'unit  à 
celle  de  Genève,  et  M.  de  Monlmollin,  qui  avait  admis 
Rousseau  à  la  Sainte-Cène,  dut  cesser  toutes  relations 
avec  lui.  Cette  conduite,  dictée  par  les  principes  et  les 
circonstances,  exaspéra  Rousseau;  il  accabla  d'inju- 
res les  pasteurs  protestants,  leur  reprocha  de  tendre  la 
main  aux  catholiques  de  France,  d'être  les  ennemis 
de  la  liberté  de  pensée. 

Rousseau,  dans  celte  déplorable  période,  avait  dé- 
cidément perdu  toute  espèce  de  sens  moral.  Il  ne  pa- 
raissait pas  se  douter  du  mal  qu'il  causait  par  son 
dernier  écrit,  et,  plus  tard,  ses  apologistes  fervents 
jusqu'à  l'aveuglement  ont  épousé  sa  cause  sans  con- 
sulter les  pièces  du  procès;  ils  ont  accusé  de  haine 
et  de  vengeance  cléricale  les  pasteurs  suisses,  sans 
avoir  lu  leurs  correspondances  et  leurs  brochures,  et 
nul  d'entre  eux  ne  semble  comprendre  qu'un  abîme 
sépare  l'Emile  des  Lettres  de  la  montagne1. 

Néanmoins,  cet  état  violent  ne  pouvait  durer  :  les 
rancunes  soulevées  dans  les  moments  de  crise  per- 
dent à  la  longue  leur  intensité;  la  raison  et  le  cœur 
reprennent  leur  empire.  Rousseau  subit  cette  heu- 
reuse modification,  et  sa  correspondance,  momentané- 
ment suspendue,  reprit  une  nouvelle  activité  avec 
ses  amis  de  Genève.  11  avait  renoncé  à  la  pensée  de 
revenir  dans  son  pays;  mais  son  àrne  vivait  avec  les 

1.  Voir  une  brochure  intitulée  :  Rousseau  justifié  envers  ta  pairie. 


250 

souvenirs  de  la  terre  natale,  et  il  s'intéressait  vive- 
ment à  tous  les  détails  des  affaires  genevoises.  On  était 
en  4  770,  et  la  lutte  contre  le  matérialisme  de  Vol- 
taire avait  pris  les  allures  d'un  combat  acharné.  Les 
pasteurs,  une  partie  des  magistrats,  la  bourgeoisie, 
s'opposaient  de  tout  leur  pouvoir  à  la  diffusion  du  venin 
de  Ferney.  Quelques  correspondances  du  temps  feront 
connaître  les  deux  faces  de  la  société  genevoise.  Voici 
un  souvenir  de  M.  de  Bonstetten  : 

«  J'avais  dix  huit  ans  lorsque  je  vins  pour  la  pre- 
mière fois  à  Genève;  tout  récemment  j'avais  terminé 
mon  instruction  religieuse  à  Yverdon,  et  je  n'avais 
entendu  parler  que  très-confusément  des  procédés  de 
Voltaire  à  l'égard  des  Genevois.  Un  soir  je  fus  invité 

à  souper  chez  une  famille  amie  de  mes  parents  

Quelle  conversation,  bon  Dieu!  l'athéisme  le  plus 
effronté  s'étalant  sans  pudeur!  et  les  plus  sanglantes 
plaisanteries  adressées  aux  personnes  qui  croient  que 
le  devoir  moral  existe  ! 

«Pourtant,  je  dois  le  dire,  l'existence  de  Dieu 
trouva  un  défenseur.  Un  de  nos  convives,  qui  repous- 
sait avec  beaucoup  d'adresse  et  de  vivacité  les  mau- 
vais mots  prononcés  contre  le  christianisme,  s'écria  : 
Eh  bien  !  Messieurs,  si  jusqu'à  ce  jour  je  n'avais  pas 
encore  été  témoin  d'une  démonstration  visible  et  po- 
pulaire de  l'existence  de  Dieu  et  de  la  stupidité  inté- 
ressée des  gens  qui  prétendent  que  le  monde  est  formé 


-251 

par  hasard,  cette  après-midi,  en  traversant  Saint- 
Gervais,  j'ai  vu,  de  mes  yeux  vu ,  cette  vérité  prouvée . 
»  Ah  !  comment  cela  ? 

»  Voici  le  fait.  Des  entants  jouaient  aux  dés  :  l'un 
d  eux  amenait  toujours  le  chiffre  9  ;  le  dé  est  pré- 
paré, medis-je;  et,  l'examinant,  je  découvris  un  grain 
de  plomb  au  centre  d'un  des  trous...  Il  était  pipé... 
Or,  Messieurs,  ce  monde  qui  accomplit  ses  tours  et 
ses  révolutions  avec  une  régularité  parfaite,  me  semble 
avoir  été  également  préparé  ou  pipé  par  un  grand 
ouvrier  qui  avait  son  but  en  cela. 

»  On  rit ,  on  se  moqua,  la  discussion  devint  plus 
ardente,  et  lorsque  je  rentrai  chez  moi,  continue 
M.  de  Bonstetten,  je  tombai  à  genoux,  je  demandai 
à  Dieu  d'anéantir  la  funeste  impression  que  je  venais 
de  recevoir,  et  je  me  promis  bien  de  conserver  in- 
tacte la  foi  telle  que  je  l'avais  apprise.  » 

Voici  maintenant  une  lettre  de  M.  Mouchon,  qui 
présente  une  autre  face  du  tableau  : 

«  4  771.  La  grande  majorité  des  Genevois  flottent 
encore  indécis  entre  la  foi  de  leurs  pères  et  l'incré- 
dulité des  philosophes;  ils  ont  peur  de  Voltaire  et  de 
ses  satellites.  Ils  conservent  une  secrète  sympathie 
pour  Rousseau.  L'un  d'eux  exprimait  l'autre  jour 
avec  franchise  celle  impression  :  «  Je  ne  sais  pourquoi 
»  mon  cœur  s'épanouit  lorsqu'on  dit  du  bien  de  Jean- 
•»  Jacques,  et  s'indigne  lorsque  je  vois  des  gens  le 


252 

»  railler  pour  complaire  à  Voltaire;  mais  comme 
»  l'idée  de  l'un  de  ces  personnages  est  toujours  liée 
»  dans  mon  esprit  à  celle  de  la  vertu,  et  l'idée  de 
»  l'autre  à  celle  de  la  méchanceté  et  du  vice,  je  crois 
»  (]ue  de  tels  sentiments  sont  justes  et  convenables.» 

>•  .rajoute,  continue  M.  Mouchon,  qu'en  voyant 
notre  société  si  ravagée  par  l'incertitude  el  l'incré- 
dulité en  matière  de  religion,  je  lais  une  part  bien 
différente  aux  deux  génies  de  notre  siècle.  Si  Voltaire 
ôte  la  foi  à  ceux  qui  doutent  encore...  Rousseau  ra- 
mène jusqu'au  doute  ceux  qui,  depuis  longtemps,  ne 
croient  plus  à  rien.  L'enthousiasme  et  l'amour  avec 
lesquels  il  parle  de  la  Providence  et  du  devoir  donnent 
à  ses  souvenirs  un  charme  inexprimable,  un  caractère 
de  vertu  qui  ne  s'efface  jamais...  On  a  beau  sacrifier 
Jean-Jacques  dans  les  salons  de  Voltaire.  Rousseau 
plane  toujours  chez  nous  sur  les  plus  hautes  régions 
de  la  pensée;  on  s'honore  d'être  son  compatriote.  » 

Les  pasteurs  genevois  pensaient  en  général  comme 
M.  Mouchon.  «  Il  existe  un  abîme,  disait  Rouslan, 
entre  l'ami  de  Voltaire  qui  sourit  el  raille  en  répétant 
que  la  conduite  de  Jésus-Christ  est  digne  d'un  échappé 
de  Bedlam,  et  le  disciple  de  Rousseau,  qui,  sans  ad- 
mettre les  miracles,  incline  son  front  et  vénère  celui 
qui  vécut  et  mourut  comme  un  Dieu.  » 

Ces  principes  dirigeaient  les  prédicateurs  :  ils  éta- 
blissaient la  religion  naturelle  avec  les  principes  et 


souvent  avec  les  paroles  de  Rousseau;  puis,  ils  re- 
construisaient sur  cette  base  les  dogmes  et  les  faits  du 
christianisme,  qui  complètent  la  religion  naturelle, 
et  lui  donnent  la  certitude,  l'autorité  infaillible  né- 
cessaire aux  vérités  qui  régissent  le  sort  de  l'homme 
sur  la  terre  et  dans  le  ciel. 

Ces  procédés,  aussi  religieux  que  prudents,  ra- 
menèrent un  assez  grand  nombre  de  personnes  dans 
le  sein  de  l'Église  réformée,  et  la  Compagnie  des 
Pasteurs  put  constater  que  le  nombre  des  hommes 
qui  célébraient  la  Sainte-Cène  s'augmentait  sensible- 
ment ;  et  comme  dans  les  églises  où  règne  une  entière 
liberté  de  conscience,  la  présence  des  hommes  à  la 
communion  est  le  symptôme  extérieur  le  plus  certain 
de  l'état  des  croyances  intimes,  le  clergé  genevois 
put  se  féliciter  du  résultat  de  ses  pénibles  et  charita- 
bles travaux. 

Cette  modification  dans  les  idées  des  Genevois,  au 
sujet  de  Rousseau,  marchait  parallèlement  à  une  trans- 
formation significative  dans  les  croyances  religieuses 
du  philosophe.  Ses  amis,  désireux  de  changer  ses  idées 
touchant  le  christianisme,  continuèrent  leur  amicale 
correspondance. 

Ces  lettres  sont  malheureusement  très-incomplètes. 
La  collection  suivie,  remise  à  M.  Du  Peyrou  et  con- 
servée à  Neuchàtel,  s'arrête  au  départ  de  Motiers- 
Travers  en  1767.  «  Gardez-moi  ces  papiers,  dit  Rous- 


u254 

seau  à  son  ami ,  je  les  reprendrai  à  mon  retour.  »  Il 
ne  revint  pas,  et  sa  correspondance  intime  fut  dissé- 
minée et  perdue  au  travers  de  ses  incessants  pèleri- 
nages en  Angleterre  et  en  France. 

Toutefois  il  en  reste  assez  pour  établir  un  fait  vo- 
lontairement dissimulé,  ou  réellement  ignoré  parles 
commentateurs  de  Rousseau...  Nous  voulons  parler 
du  retour  aux  idées  chrétiennes  qui  s'opéra  chez  le 
grand  philosophe  durant  les  neuf  dernières  années  de 
sa  vie.  Voici  les  traits  qui  sont  parvenus  à  notre  con- 
naissance : 

Peu  de  temps  avant  sa  mort  (1767),  Abauzit  s'oc- 
cupait de  Rousseau;  il  avait  suivi  les  débats  précé- 
dents avec  un  douloureux  intérêt;  il  chargea Moultou 
de  lui  envoyer  ses  derniers  adieux  :  «  Cher  philoso- 
*  phe,  je  vous  ai  beaucoup  aimé,  j'ai  souffert  sérieu- 
»  sèment  de  tous  vos  malheurs.  Si  vous  voulez  re- 
»  trouver  le  calme  à  l'avenir,  croyez-en  ma  vieille 
>,  expérience,  employez  à  reconstruire  votre  foi  les 
»  facultés  que  vous  avez  mises  au  service  du  doute  ; 
»  après  avoir  longtemps  cherché ,  nous  bénissons  nos 
»  travaux  lorsqu'ils  nous  amènent  à  croire!  » 

Si  Ton  se  rappelle  le  brevet  d'immortalité  que 
Rousseau  décerne  à  Abauzit  en  lui  adressant  cet  hom- 
mage: «  Non,  le  siècle  de  la  philosophie  ne  passera 
pas  sans  avoir  produit  un  vrai  philosophe  !  »  il  est 
impossible  de  croire  que  ces  simples  paroles  du  chré- 


255 

tien  mourant  n'aient  pas  sérieusement  frappé  le  phi- 
losophe tourmenté  de  ses  doutes. 

Deux  ans  plus  tard,  en  1769,  nous  voyons  Rous- 
seau se  dessiner  plus  franchement.  Un  jour,  devant 
Moullou,  on  discutait  les  convictions  religieuses  de 
son  malheureux  ami. 

«  Rousseau,  disait-on,  n'a  que  des  doutes  dans  le 
cœur;  il  est  heureux  de  ces  doutes,  il  jouit  lorsqu'il 
peut,  par  ses  sophismes,  arracher  la  foi  des  âmes 
dans  lesquelles  elle  règne  encore. 

»  Et  moi  j'affirme,  répondit  Moullou,  que  vous  êtes 
dans  l'erreur.  Mon  malheureux  ami,  s'il  a  des  doutes 
respectueux  sur  la  base  miraculeuse  des  Evangiles, 
croit  à  la  nécessité,  à  la  vérité  des  dogmes  chrétiens, 
aux  effets  de  la  mission  de  Jésus-Christ  touchant  la 
vie  à  venir,  la  compensation  des  douleurs  de  ce  monde 
dans  l'existence  céleste  et  la  rétribution  des  justes  et 
des  injustes;  je  me  fais  fort  de  le  lui  faire  écrire. 

»  Nous  serions  fort  curieux  de  lire  cette  profession 
de  foi,  s'écrièrent  les  assistants.  » 

Moullou  ajoule  :  c  Vous  savez  que  Jean-Jacques  est 
l'homme  des  contrastes,  des  impressions  soudaines; 
il  faut  un  choc  violent,  inattendu,  pour  faire  jaillir 
la  pensée  qui  dort  au  fond  de  son  âme.  Gardez-moi 
le  secret  sur  mon  procédé;  je  vais  feindre  d'être 
ébranlé  dans  mes  convictions  chrétiennes...  > 

Il  écrit  dans  ce  sens  à  Rousseau,  et  bientôt  il  peut 


256 

montrer  cette  admirable  lettre 1  où  Rousseau  déve- 
loppe la  plus  belle  démonstration  de  l'existence  de 
Dieu  et  de  la  vie  à  venir  que  fournissent  les  monu- 
ments de  la  langue  française.  La  nécessité  d'un  fait 
surnaturel,  pour  changer  en  certitude  les  probabilités 
de  l'immortalité  de  l'âme  se  trouve  impliquée  dans 
ces  paroles  : 

«  Eh  quoi,  mon  Dieu!  le  juste  infortuné  en  proie 
à  tous  les  maux  de  celte  vie,  sans  même  en  excepter 
l'opprobre  et  le  déshonneur,  n'aurait  nul  dédomma- 
gement à  attendre  après  elle,  et  mourrait  en  bête, 
après  avoir  vécu  en  Dieu.  Non,  non,  Moultou,  ce 
Jésus,  que  ce  siècle  a  méconnu,  parce  qu'il  est  indi- 
gne de  le  connaître,  Jésus,  qui  mourut  pour  avoir 
voulu  faire  un  peuple  illustre  et  vertueux  de  ses  com- 
patriotes, Jésus  ne  mourut  point  tout  entier  sur  la 
croix,  et  moi,  qui  ne  suis  qu'un  chétif  homme  plein 
de  faiblesse,  c'en  est  assez  pour  qu'en  sentant  appro- 
cher la  dissolution  de  mon  corps,  je  sente  en  même 
temps  la  certitude  de  vivre.  » 

Une  fois  dans  cette  voie,  Rousseau  lit  des  progrès 
marquants  vers  le  christianisme  révélé,  et  les  huit 
dernières  années  de  sa  vie  offrent  d'étonnantes  trans- 
formations. La  réalité  de  la  révélation  chrétienne  a 
frappé  son  intelligence.  Dans  les  manuscrits  légués 
par  Rousseau  à  Moultou,  et  soigneusement  conservés 

1.  Correspondance,  14  février  I7fw. 


-257 

par  les  descendante  de  ce  dernier,  se  trouve  un  tra- 
vail allégorique  sur  l'origine  de  la  vérité  religieuse, 
travail  que,  selon  l'opinion  arrêtée  de  Moultouetde 
•  son  fils  ,  Rousseau  destinait  à  remplacer  la  discussion 
sur  les  miracles  dans  une  future  édition  de  Y  Emile. 
La  date  précise  de  ce  traité  n'est  pas  connue:  il  a  été 
composé  de  1770  à  1777. 

Rousseau,  dans  ce  travail  (que  viennent  de  publier 
les  héritiers  de  Moultou),  examine  avec  une  vive  an- 
goisse morale  les  efforts  des  philosophes  pour  décou- 
vrir les  secrets  de  la  nature  et  de  l'àme.  Frappé  de 
l  'impuissance  de  tous  les  sages  anciens  dans  leurs  re- 
cherches sur  Dieu,  la  morale  et  l'immortalité,  il  se 
demande  où  donc  est  la  vérité?  Une  vision  céleste 
lui  apparaît:  «  Une  voix  se  fait  entendre  dans  les  airs, 
prononçant  distinctement  ces  mots  :  «  C'est  ici  le  fils 
de  l'homme!  que  les  cieux  se  taisent,  et  que  la  terre 
écoute  sa  voix.  »  Alors,  levant  les  yeux,  il  aperçut 
sur  l'autel,  dans  le  temple  de  l'humanité,  un  être 
dont  l'aspect  imposant  et  doux  le  frappa  d'élonne- 
ment  et  de  respect.  Son  vêtement  était  semblable  à 
celui  d'un  artisan,  mais  son  regard  était  céleste;  il 
y  avait  chez  lui  je  ne  sais  quoi  de  sublime  où  la  sim- 
plicité s'alliait  avec  la  grandeur,  et  l'on  ne  pouvait 
l'envisager  sans  se  sentir  pénétré  d'une  émotion  vive 
et  délicieuse  qui  n'avait  sa  source  dans  aucun  senti- 
ment connu  des  hommes...  «  0  mes  enfants,  dit-il, 

m.  17 


258 

je  viens  expier  et  guérir  vos  erreurs;  aimez  Celui  qui 
vous  aime  et  connaissez  Telui  qui  est.  »  A  l'instant, 
saisissant  les  statues  des  fausses  divinités,  il  les  ren- 
versa sans  etïorls.  Puis  il  prêcha  sa  morale  divine;  les  • 
vendeurs  du  temple  furent  irrités  jusqu'à  la  fureur. 
Mais  l'homme  populaire  et  ferme  entraînait  tout;  tout 
annonçait  une  révolution.  Il  n'avait  qu'un  mot  à  dire, 
et  ses  ennemis  n'étaient  plus.  Mais  celui  qui  venait 
détruire  la  sanguinaire  intolérance  n'avait  garde  de 
l'imiter,  et  le  peuple,  dont  toutes  les  passions  sont 
des  fureurs,  négligea  de  le  défendre  en  voyant  qu'il 
ne  voulait  point  attaquer. 

»  Après  le  témoignage  de  force  et  d'intrépidité  qu'il 
venait  de  donner,  il  reprit  ses  discours  avec  la  même 
douceur  qu'auparavant;  il  peignit  l'amour  des  hom- 
mes et  toutes  les  vertus  avec  des  traits  si  touchants  et 
des  couleurs  si  aimables,  que  hors  les  officiers  du  tem- 
ple, ennemis  par  état  de  toute  humanité,  nul  ne  l'é- 
coutait  sans  être  attendri  et  sans  en  mieux  aimer  ses 
devoirs  et  le  bonheur  d'autrui.  Son  parler  était  simple 
et  doux,  et  pourtant  profond  et  sublime  ;  sans  étonner 
l'oreille,  il  nourrissait  l'âme  ;  c'était  du  lait  pour  les 
enfants  et  du  pain  pour  les  hommes.  Lui  ployait  le  fort 
et  consolait  le  faible,  et  les  génies  les  moins  propor- 
tionnés entre  eux  le  trouvaient  tous  également  à  leur 
portée;  il  ne  haranguait  point  d'un  ton  pompeux, 
mais  ses  discours  familiers  brillaient  de  la  plus  ra- 


2S9 

vissante  éloquence  et  ses  instructions  étaient  des  apo- 
logues, des  entretiens  pleins  de  justesse  et  de  profon- 
deur. Rien  ne  l'embarrassait  :  les  questions  les  plus  cap- 
tieuses avaient  à  l'instant  des  solutions  dictées  par  la 
sagesse;  il  ne  fallait  que  l'entendre  une  fois  pour  être 
persuadé.  On  sentait  que  le  langage  de  la  vérité  ne  lui 
coulait  rien,  parce  qu'il  en  avait  la  source  en  lui- 
même.  » 

Les  pages  précédentes  renferment  les  idées  concer- 
nant le  christianisme,  qui  prenaient  place  dans  l'esprit 
du  philosophe  genevois.  Voici  maintenant  les  senti- 
ments qui  préoccupaient  son  cœur  et  sa  conscience: 
les  fragments  que  nous  citons  font  partie  de  manus- 
crits inachevés,  trouvés  par  M.  Moultou  dans  la  table 
de  travail  après  la  mort  de  Rousseau.  Ce  sont  des 
lettres  sur  la  vertu  et  le  bonheur. 

«  Un  avantage  infiniment  supérieur  à  tous  les  biens 
physiques  et  que  nous  tenons  incontestablement  de 
l'harmonie  du  genre  humain,  est  celui  de  parvenir 
par  la  communication  des  idées  et  le  progrès  de  la 
raison  jusqu'aux  régions  intellectuelles,  d'acquérir 
les  notions  sublimes  de  l'ordre,  de  la  sagesse  et  de  la 
bonté  morale. . .  de  nous  élever  par  la  grandeur  de 
l'âme  au-dessus  des  faiblesses  de  la  nature,  et  de  pou- 
voir, à  force  de  combattre  et  de  vaincre  nos  passions, 
dominer  l'homme  naturel,  et  imiter  la  Divinité  même. 
Ce  commerce  continuel  d'échanges,  de  soins,  de  se- 


260 

cours  et  d'instructions,  nous  soutient  quand  nous  ne 
pouvons  plus  nous  soutenir  nous-mêmes,  nous  éclaire, 
et  met  en  notre  possession  des  biens  d'un  prix  inesti- 
mable, qui  nous  font  mépriser  ceux  que  nous  n'avons 
plus. 

»  A  mesure  que  j'avance  vers  le  terme  de  ma  car- 
rière, je  sens  affaiblir  tous  les  mouvements  qui  m'ont  si 
longtemps  soumis  à  l'empire  des  passions.  Après  avoir 
épuisé  tout  ce  que  peut  éprouver  de  bien  et  de  mal 
un  être  sensible. . .  mon  existence  n'est  plus  que  dans 
ma  mémoire,  je  ne  vis  plus  que  de  ma  vie  passée., 
mes  erreurs  se  corrigent,  le  bien  et  le  mal  se  font  sen- 
liràmoisans  mélange  et  sans  préjugé.  Tous  les  faux 
jugements  que  les  passions  m'ont  fait  faire,  s'évanouis- 
sent avec  elles.  Je  vois  les  objets  qui  m'ont  affecté, 
non  tels  qu'ils  m'ont  paru  dans  mon  délire,  mais  tels 
qu'ils  sont  réellement;  le  souvenir  de  mes  actions 
bonnes  ou  mauvaises  me  fait  un  bien-être  ou  un  mal- 
être durable  et  plus  réel  que  celui  qui  en  fut  l'objet. 
Ainsi  les  plaisirs  d'un  moment  m'ont  souvent  préparé 
de  longs  repentirs;  ainsi  les  sacrifices  faits  à  l'hon- 
nêteté et  à  la  justice  me  dédommagent  tous  les  jours 
de  ce  qu'ils  m'ont  une  fois  coûté,  et  pour  de  courtes 
privations  me  donnent  d'éternelles  jouissances.  » 

Telle  est  la  dernière  phase  des  croyances  religieu- 
ses et  morales  de  Rousseau;  tels  sont  les  principes 
qui  dirigeaient  son  âme  lorsque  ses  hallucinations  et  ses 


261 

idées  fixes  luilaissaient  quelques  journées  paisibles.  Ces 
pages  sont  un  phénomène  remarquable  dans  l'histoire 
de  l'esprit  humain.  En  général,  le  chant  du  cygne 
est  une  fiction,  et  les  productions  de  la  vieillesse  d'un 
écrivain  de  génie  devraient  être  reléguées  dans  les 
papiers  secrets  de  sa  famille.  Toutefois,  de  nobles 
exceptions  se  rencontrent,  et  l'on  voit  des  vieillards 
soutenus  par  d'énergiques  convictions  formuler  des 
pensées  pleines  de  fraîcheur  avec  une  main  qui  peut 
à  peine  tracer  des  caractères  lisibles.  Rousseau  nous 
offre  un  étonnant  exemple  de  ce  rajeunissement  in- 
tellectuel ,  car  les  dernières  pages  tombées  de  sa  plume 
sont  égales  ou  supérieures  aux  écrits  de  son  âge  mûr. 

A  quoi  devons-nous  attribuer  celte  régénération  de 
la  pensée  chez  l'écrivain  usé,  miné  par  des  souffrances 
morales  imaginaires  et  des  douleurs  physiques  inces- 
santes?...  Et  si  nous  ne  comparons  plus  Rousseau  à 
lui-même;  si,  franchissant  un  espace  de  vingt  siècles, 
nous  analysons  les  dernières  paroles  de  Socrate  ou  de 
Platon,  et  les  dernières  expressions  de  Rousseau,  l'a- 
vantage ne  demeure-t-il  pas  au  philosophe  de  Ge- 
nève?... 

Est-ce  à  dire  que  nous  regardions  le  génie  de  Rous- 
seau comme  plus  éminent  que  celui  de  Socrate?  Loin 
de  nous  l'idée  d'une  comparaison  semblable!  Mais 
une  similitude  empruntée  aux  choses  qui  se  voient 
fera  comprendre  la  cause  de  la  supériorité  de  l'homme 


262 

du  dix-huitième  siècle.  Lorsque,  par  un  beau  clair  de 
lune  nous  examinons  les  Alpes,  nous  en  apercevons 
les  contours  confusément  et  comme  au  travers  d'un 
verre  obscur;  puis  le  lendemain,  dans  l'après-midi, 
les  masses  imposantes,  les  lignes  gracieuses,  les  cimes 

élancées  apparaissent  dans  leur  poétique  réalité  

Entre  le  soir  et  le  lendemain  qu'est-il  advenu?  Le 
soleil  s'est  levé. . .  De  même  entre  le  philosophe  d'A- 
thènes et  le  philosophe  de  Genève,  il  s'est  levé  le 
soleil  de  justice  portant  la  vérité  dans  ses  rayons... 
Telle  est  la  source  lumineuse  qui  produisit  au  soir  de 
la  carrière  de  Rousseau  cet  admirable  développement 
que  nous  sommes  heureux  de  faire  connaître  aux 
amis  de  la  vérité. 


205 


CHAPITRE  VIII. 


L'ÉGLISE    ET  L'ÉTAT 


Opposition  des  pasteurs  aux  brigues  politiques  et  électorales.  —  Sévé- 
rité des  magistrats  à  l'égard  du  clergé.  —  Paroles  violentes  en 
chaire.  —  Bénédict  Calandrin  et  la  comédie.  —  François  Turretiu 
et  le  Conseil.  —  Fin  du  siècle.  —  Remontrances  de  1705.  —  Troubles 
de  1707.  —  De  la  Chana  et  Fatio.  —  Troubles  de  1738.  —  Média- 
tion des  pasteurs.  —  Troubles  à  l'occasion  de  VÊmile.  —  Conduite 
du  clergé. 


Dans  les  précédents  volumes,  nous  avons  présenté 
le  tableau  des  rapports  établis  entre  le  clergé  et  les 
magistrats  genevois;  nous  avons  retracé  1  influence 
des  pasteurs  dans  les  affaires  politiques  et  la  vigilance 
souvent  exagérée  qu'ils  déployaient  au  sujet  des  abus 
dont  ils  avaient  connaissance.  Les  mêmes  soins  les 
occupèrent  pendant  le  dix-septième  et  le  dix-huitième 
siècle,  et  voici  les  principaux  incidents  qui  ame- 
nèrent les  ecclésiastiques  à  jouer  un  rôle  dans  l'his- 
toire civile  et  politique  de  Genève. 

Brigues.  Les  élections  gouvernementales  turent, 


-2C-I 

comme  par  le  passé,  l'objet  d'une  étroite  surveillance 
de  la  part  des  pasteurs;  constamment  en  rapport  avec 
les  citoyens  de  toutes  les  classes,  ils  recevaient  des 
plaintes  et  des  confidences  concernant  la  conduite  des 
magistrats,  et  faisaient  connaître  ces  griefs.  Nous 
avons  vu  que  ces  récriminations  n'étaient  pas  toujours 
faites  avec  le  tact  et  la  mesure  nécessaires.  Ces  cen- 
sures, souvent  exagérées,  se  renouvelèrent  plusieurs 
fois  dans  le  dix-septième  et  le  dix-huitième  siècle,  et 
l'on  doit  rendre  également  justice  à  la  persistance  des 
pasteurs  pour  le  redressement  des  abus,  et  à  la  bonne 
volonté  des  magistrats,  pour  convenir  de  leurs  torts 
lorsque  ceux-ci  étaient  suffisamment  prouvés. 

Les  brigues  politiques  paraissaient  constituer  un 
danger  véritable  pour  la  prospérité  de  la  République; 
aussi  les  pasteurs,  et  surtout  ceux  qui  appartenaient 
aux  familles  aristocratiques,  ne  laissaient  inaperçues 
aucune  de  ces  intrigues.  Nous  allons  réunir  en  un 
seul  groupe  les  incidents  électoraux  les  plus  remar- 
quables pendant  le  cours  du  dix-septième  siècle. 

C'est  en  1645  (29  déc.  Reg.  Comp.)  que  nous 
rencontrons  les  premières  réclamations  contre  les  bri- 
gues. «  M.  Jean  Diodati  fait  une  puissante  exhorta- 
tion au  Deux-Cents;  il  demande  qu'on  parvienne  à 
assurer  la  sincérité  des  suffrages  pour  l'élection  du 
procureur-général  et  des  syndics,  à  cause  des  fâcheu- 
ses circonstances  qui  arrivent.  Il  faut  nommer  aux 


265 

charges  seulement  des  personnes  bien  vivantes,  d'une 
piété  éprouvée,  sans  avoir  ég;ml  aux  brigues,  mau- 
vaises pratiques  et  recommandations  indignes  que 
font  plusieurs.  » 

Les  élections  au  Conseil  des  Deux-Cents  furent 
également  surveillées  par  les  pasteurs  (4 er  dée.  \  648). 
«  M.  Sarasin  rapporte  qu'il  y  a  de  singuliers  abus 
dans  la  ville;  on  envoie  des  dames  de  maison  en  mai- 
son pour  recommander  tels  ou  tels;  le  scandale  est 
trop  grand  pour  être  toléré;  aussi  on  en  parlera  en 
chaire.  »  Les  discours  ne  firent  pas  beaucoup  d'im- 
pression; car  le  29  janvier  1649  la  Compagnie  dé- 
clare «  qu'il  est  entré  tellement  de  jeunes  hommes 
dans  le  Deux-Cents,  que  plusieurs  anciens  donnent 
leur  démission  en  disant  que  le  Conseil  n'existe 
plus.  » 

Les  magistrats  conviennent  de  la  vérité  de  ces  re- 
montrances. 

Quelques  années  plus  tard,  les  reproches  devien- 
nent plus  graves  (51  déc.  1658).  Dans  un  sermon, 
M.  Chabrey  accuse  les  magistrats  «  d'influer  sur  les 
élections  par  des  distributions  d'or,  d'argent  et  des 
prodigalités  de  festins.  »  Les  conseillers  veulent  qu'on 
spécifie  les  faits  et  qu'on  indique  les  personnes  incri- 
minées. «  En  tout  cas,  disent-ils,  il  faut  nous  avertir 
avant  de  crier  en  chaire.  » 

La  Compagnie  s'engage  à  suivre  cette  injonction 


260 

«  en  réservant  certains  cas  où  les  choses  sont  si  gra- 
ves, qu'on  ne  peut  les  taire.  » 

En  d'autres  circonstances,  la  louange  remplace  les 
censures  (1665,  29  décembre).  La  Compagnie  re- 
mercie les  magistrats  du  zèle  qu'ils  déploient  contre 
les  brigues,  et  les  supplie  d'y  tenir  la  main  à  l'avenir, 
choisissant  des  citoyens  qui  inspirent  la  confiance. 

Les  remontrances  étaient  réciproques,  et  plus  d'une 
fois  les  magistrats  infligèrent  aux  pasteurs  un  blâme 
mérité  touchant  des  défauts  de  caractère  et  des  fautes 
d'administration.  Voici  la  plus  énergique  de  ces  cen- 
sures (Reg.  Cons.  7  février  164-4).  «  A  l'occasion  du 
Jeûne,  le  Conseil  fera  appeler  les  pasteurs  en  corps 
pour  leur  dire  qu'il  est  grandement  déplaisant  d'en- 
tendre qu'il  y  a  parmi  eux  beaucoup  de  défauts,  des 
partialités  et  de  fortes  mésintelligences;  ils  vont  se 
décriant  les  uns  les  autres,  et  produisent  leurs  mésin- 
telligences en  chaire,  au  lieu  de  reprendre  leurs  frères 
en  secret  avec  toute  charité.  » 

Les  pasteurs,  après  avoir  entendu  ces  reproches, 
répondent  qu'il  y  a  sujet  de  louer  Dieu  des  bonnes 
et  saintes  intentions  des  magistrats;  qu'ils  doivent 
faire  élat  de  leurs  recommandations,  et  les  prendre 
à  gré,  puisque  chacun  est  défaillant;  on  fera  en  sorte 
de  calmer  ces  haines  et  dissensions  qui  portent  préju- 
dice à  l'Église.  Après  quoi  tout  le  monde  s'étant  levé, 
l'assemblée  a  prié  Dieu  avec  ferveur,  et  l'on  s'est 


207 

séparé  en  se  donnant  la  main  et  se  réjouissant  de  ce 
rapprochement  fraternel.  » 

Les  infractions  aux  lois  morales  et  disciplinaires 
donnaient  également  lieu  à  de  fréquentes  altercations 
entre  les  corps  politiques  et  les  chefs  de  l'Eglise 
(7  mars  1645).  «  La  Compagnie  reconnaissant  que, 
malgré  les  sérieuses  remontrances  faites  naguère  en 
les  jours  de  Jeûne,  il  n'y  a  point  d'amélioration  parmi 
les  citoyens,  supplie  Messieurs  d'avoir  égard  à  tous 
ces  maux.  11  y  a  en  ville  de  grands  excès,  et  notam- 
ment brelans  et  jeux  de  cartes,  où  des  personnes  qua- 
lifiées, voire  même  des  magistrats,  se  rendent  publi- 
quement au  grand  scandale  du  peuple.  Les  tavernes 
sont  indignement  fréquentées,  et  il  s'y  commet  di- 
verses insolences.  On  met  une  grande  lâcheté  à  punir 
les  actes  de  mauvaises  mœurs,  et  depuis  qu'on  a 
remplacé  les  peines  corporelles  par  des  amendes,  les 
riches  ne  redoutent  plus  les  châtiments.  Tout  cela 
déshonore  Genève  aux  yeux  des  étrangers  qui  nous 
regardent  encore  comme  une  ville  chrétienne.  » 

Les  magistrats,  tout  en  repoussant  certains  allé- 
gués de  cette  remontrance,  promettent  d'y  avoir 
égard. 

Un  pasteur,  M.  Bénédict  Calandrin,  était  spéciale- 
ment noté  pour  l'énergie  ou  la  violence  de  ses  apos- 
trophes. Il  avait  entendu  soutenir  par  des  dames  de 
sa  famille  que  la  danse  n'est  point  un  péché,  mais 


-268 

seulement  une  école  de  beau  maintien  fort  utile  à  la 
jeunesse.  Sachant  qu'un  bal  devait  avoir  lieu,  il  fit. 
tous  ses  efforts  pour  l'interdire;  mais  ayant  échoué, 
il  attaqua  ces  mondanités  du  haut  de  la  chaire,  le 
dimanche  suivant  (4  4-  fév.  4  679).  «  Vous  avez  dé- 
pité Dieu  en  face  et  commis  la  rébellion  des  démons. 
Les  anges  adorent  le  Seigneur;  mais  vous,  au  mépris 
de  la  Parole  sainte,  et  pour  vous  moquer  de  l'obéis- 
sance qu'on  lui  doit,  vous  avez  affiché  le  culte  des 
démons  et  continué  en  des  assemblées  qui  sont  contre 
la  bienséance  chrétienne.  » 

Le  Conseil  blâma  fort  ces  expressions;  mais  les 
pasteurs  soutinrent  «qu'il  n'y  avait  rien  à  reprendre 
en  ce  discours.  » 

M.  Michel  Turretin  partageait  les  sentiments  de 
son  collègue,  et  deux  ans  plus  tard  (49  mars  4684) 
une  violente  altercation  fut  provoquée  par  une  repré- 
sentation théâtrale. 

«  M.  Turretin  rapporte  qu'il  y  a  eu  hier  au  soir  une 
assemblée  de  plus  de  500  personnes  chez  M.  Per- 
driau,  et  qu'on  y  a  joué  la  comédie  du  Cid,  avec 
une  belle  décoration  de  théâtre  et  changements  d'ha- 
bits faits  exprès.  Cette  pièce  a  fini  comme  les  autres, 
par  une  farce.  De  tels  excès  sont  déplorables  et  trop 
scandaleux,  vu  l'état  où  nous  sommes,  les  misères 
des  autres  Églises  et  la  solennité  de  Pâques  à  laquelle 
nous  devons  assister  dans  quinze  jouis.  » 


269 

L'affaire  portée  devant  le  Conseil,  celui-ci  déclare 
«  qu'il  condamne  ia  comédie,  qu'il  saura  bien  l'em- 
pêcher, mais  qu'il  demande  qu'on  n'en  parle  pas  en 
chaire.  »  Le  Consistoire  prend  une  résolution  loul 
opposée,  et  le  27  mars,  MM.  Dufour,  Sarasin  et 
Turrelin  sont  vertement  tancés  pour  avoir  désobéi  au 
Conseil.  La  Compagnie  les  soutient  devant  les  magis- 
trats. «  Ces  Messieurs  ont  agi  d'après  ses  ordres;  ils 
»  ont  parlé  en  général  des  comédies  et  des  bals;  ils 
»  ont  fait  le  dénombrement  des  vices  qui  se  répandent 
»  au  milieu  de  nous,  et  cela  en  vue  de  la  Sainte-Cène, 
»  qui  est  proche,  et  de  l'instruction  du  peuple  au 
»  sujet  du  théâtre,  qu'il  est  trop  porté  à  regarder 
»  comme  innocent.  Le  Conseil  est  supplié  de  prendre 
»  le  tout  en  bonne  part,  comme  venant  de  ministres 
»  qui  veulent  user  de  la  chrétienne  liberté  queleSei- 
»  gneur  leur  confie.  »  Les  magistrats  acceptèrent  ces 
explications,  et  demandèrent  le  silence  sur  toute  l'af- 
faire. On  croyait  la  discussion  apaisée,  lorsque  le 
dimanche  suivant,  17  avril,  M.  Michel  Turretin  ne 
pouvant  admettre  que  M.  Perdriau  ne  fût  pas  puni, 
s'emporta  à  ce  sujet  dans  son  sermon.  Le  passage 
suivant  fut  spécialement  incriminé.  «  Les  pasteurs  sont 
des  Moïses;  ils  ont  la  bouche  de  Dieu  pour  parler  au 
peuple,  et  la  bouche  du  peuple  pour  parler  à  Dieu. 
Il  ne  faut  point  avoir  de  complaisance  pour  les  puis- 
sances supérieures.  Quoi!  dans  les  scandales  que 


270 

nous  voyons,  David  pechera-l-il,  et  Nathan  aura  l-il 
la  bouche  fermée?  » 

«  Ces  paroles  étant  bravade  et  rébellion ,  le  Con- 
seil interdit  pour  trois  mois  M.  Turretin,  ministre.  » 

La  Compagnie  pria  alors  M.  Tronchin  de  pacifier, 
si  possible,  ce  triste  différend.  M.  Tronchin  s'exprima 
avec  tact  et  douceur.  «  Les  ministres  doivent  recon- 
naître l'autorité  de  Vos  Seigneuries;  il  n'y  a  dans  la 
nation  aucune  puissance  collatérale  ou  supérieure  à 
la  vôtre;  mais  tous  les  corps  et  les  particuliers  sont 
obligés  d'obéir  à  vos  ordres;  les  pasteurs  doivent  cett<j 
soumission  non  par  crainte  du  châtiment,  mais  par 
la  conscience.  Cette  maxime  est  surtout  inviolable 
pour  nous  réformés,  qui  condamnons  la  pratique  de 
l'Eglise  romaine.  Quant  au  fait  de  M.  Turretin,  il 
confesse  avoir  blâmé  les  magistrats  de  leur  complai- 
sance, au  sujet  de  M.  Perdriau.  Toutefois,  il  a  parlé 
de  Moïse,  non  comme  gouverneur  des  Juifs,  mais 
comme  prophète,  ce  qui  est  bien  différent.  Enfin, 
nous  prions  le  Conseil  de  lui  pardonner  et  de  le  rétablir 
en  ses  charges.  » 

Les  magistrats ,  «  en  considération  de  la  démarche 
de  la  Compagnie  et  du  discours  qu'on  vient  d'enten- 
dre, consentent  à  pardonner  à  M.  Turretin;  »  mais  il 
peut  bien  remercier  M.  Tronchin  du  service  qu'il  lui 
a  rendu. 

Vers  la  fin  du  siècle  et  au  milieu  des  angoisses  re- 


%7i 

ligieuses  el  des  éprouves  politiques  suscitées  par  la 
Révocation  de  l'Édit  de  Nantes,  les  rapports  des  Con- 
seils el  des  pasteurs  changèrent  de  nature,  et  ces  pe- 
tites discussions  firent  place  à  une  cordiale  entente 
pour  conjurer  les  périls  extérieurs. 

Les  Genevois  de  ce  temps  se  montrèrent  les  di- 
gnes héritiers  des  hommes  de  4  602,  el  surent  main- 
tenir intacte  leur  nationalité  au  milieu  des  embûches 
de  la  Savoie  et  des  rancunes  de  Louis  XIV.  La  gravité 
des  circonstances  se  reflète  dans  le  discours  prononcé 
par  M.  Tronchin,  au  renouvellement  du  siècle. 

«  Messieurs  les  Conseillers ,  le  personnel  de  votre 
corps  est  la  preuve  de  l'incertitude  de  cette  vie  : 
vous  avez  été  renouvelés  plusieurs  fois  dans  le  cours 
de  ce  siècle.  Mais  la  Providence  conserve  cet  État  et 
veille  particulièrement  sur  lui.  Nous  avons  passé  au 
travers  de  terribles  dangers  dont  Dieu  nous  a  mira- 
culeusement tirés.  Entre  les  moyens  que  la  Providence 
emploie  pour  nous  faire  subsister,  l'un  des  principaux 
est  la  prudence,  la  vigilance  et  la  bonne  conduite  de 
Vos  Seigneuries  dans  les  temps  difficiles  et  les  occur- 
rences dangereuses  où  cette  République  s'est  trouvée. 
Il  importe  donc  de  la  conserver  telle  quelle,  et  vous 
sentez  combien  l'Église  el  l'Académie  sont  nécessaires 
à  la  conservation  de  la  prospérité  du  pays.  Continuez 
donc  votre  bienveillance  à  ces  institutions,  et  veuillez 
accepter  nos  vœux  et  nos  prières  pour  Vos  Seigneu- 


t 


272 

ries  el  l'Etal.  »  —  Après  ce  discours,  on  lui  une  lettre 
collective  que  Genève  envoyait  aux  quatre  villes  évan- 
géliques,  Berne,  Bâle,  Zurich  et  Schaffhouse  : 

«  Chers  amis,  l'affection  que  nous  avons  pour  vos 
personnes  et  pour  vos  Églises  a  porté  nos  pensées  vers 
vous  au  commencement  de  ce  siècle.  Quelles  actions 
de  grâces  nous  avons  à  rendre  à  Dieu  de  ce  qu'au 
milieu  du  massacre  des  Eglises  et  des  malheurs  inouïs 
des  fidèles,  vous  et  vos  Églises  avez  été  conservés 
intacts  durant  le  siècle  passé!  Mais  les  temps  sont 
graves,  les  périls  imminents  pour  les  Églises  évan- 
géliques.  Tant  de  passions  mauvaises  agitent  les  prin- 
ces, les  complots  des  ennemis  de  la  vérité  sont  si  dan- 
gereux pour  opprimer  les  réformés  et  affermir  la 
superstition  des  pontifes,  que  nous  devons  adresser 
les  plus  ardentes  prières  à  Dieu  pour  le  salut  de  vos 
Églises  el  leur  avancement  dans  la  paix  et  la  prospé- 
rité. Continuons  à  nous  tenir  dans  cette  union  et  cette 
affection  chrétiennes  qui  nous  ont  déjà  aidés  à  sur- 
monter tant  de  misères  dans  les  temps  passés. 

*  Louis  Tronchin,  mod.  ;  Jacob  Sarasin,  secr.  » 

Révolutions  politiques  du  dix-huitième  siècle.  Les 
années  de  concorde  et  de  paix  intérieure  devaient 
bientôt  faire  place  aux  dissentiments  politiques  les 
plus  sérieux.  Dès  le  commencement  du  siècle,  un 
esprit  de  domination  s'empara  généralement  des  ma- 


275 

gistrats,  et  des  symptômes  de  résistance  se  manifes- 
tèrent dans  le  peuple.  Les  familles  anciennes  s'é- 
taient accoutumées  à  regarder  le  pouvoir  comme  un 
héritage  naturel,  et  la  bourgeoisie  réclamait  l'égalité 
des  droits  pour  tous  les  citoyens.  Dans  de  semblables 
crises  politiques,  le  rôle  des  pasteurs  était  clair  et 
naturel;  c'était  la  médiation.  Il  fallait  que  leur  crédit, 
l'influence  attachée  à  leur  caractère,  servissent  à 
l'apaisement  des  rancunes,  et  prévinssent,  autant 
que  possible,  les  actes  de  violence.  Mais,  de  quel- 
les difficultés  n'était  pas  hérissé  l'accomplissement 
de  ce  devoir!  Si  dans  les  grands  États,  où  les  fonc- 
tionnaires publics  ont  à  agir  sur  des  localités  qui 
leur  sont  étrangères,  cette  mission  est  déjà  fort  déli- 
cate; elle  est  souvent  presque  impraticable  au  milieu 
des  entraves  qu'elle  rencontre  dans  nos  petites  répu- 
bliques. En  effet,  chez  nous,  les  pasteurs  étant  ci- 
toyens, avaient  le  droit  de  formuler  leurs  opinions; 
mais  s'ils  usaient  en  public  de  ce  droit,  et  parlaient 
de  politique  avec  modération  et  réserve,  les  partis 
extrêmes  les  couvraient  d'injures  et  profitaient  de  ces 
temps  de  troubles  pour  leur  enlever  leurs  charges  ou 
les  envoyer  en  exil. 

Pendant  les  troubles  du  dix-huitième  siècle,  les 
pasteurs  genevois  furent  plusieurs  fois  victimes  de 
pareils  procédés. 

En  1704  et  1705,  la  bourgeoisie  élevait  de 
m.  îs 


274 

plaintes,  dont  la  plupart  liaient  fondées.  On  trouvait 
que  le  pouvoir  se  concentrait  dans  les  mêmes  famil- 
les; on  demandai!  que  les  Conseils  généraux  fussent 
appelés  à  sanctionner  les  lois,  que  les  élections  eus- 
sent lieu  au  scrutin  secret,  et  qu'on  abolit  le  vieil 
usage  par  lequel  les  électeurs  devaient  dire  les  noms 
des  hommes  de  leur  choix  à  l'oreille  du  secrétaire 
d'État.  Enfin,  on  désirait  que  le  Conseil  des  Deux- 
Cents  se  recrutât  lui-même,  au  lieu  d'être  élu  par  le 
Petit  Conseil,  qui  le  tenait  ainsi  sous  son  influence 
immédiate.  Ces  réformes  étant  franchement  discutées 
dans  les  cercles,  les  pasteurs  essayèrent  d'intervenir 
auprès  des  Conseils  ;  mais  ils  eurent  peu  de  succès  dans 
leurs  représentations;  car,  le  50  janvier  4  705,  les 
syndics  répondent  que  «  les  temps  ont  changé,  et  que 
ces  remontrances  officielles  ne  sont  plus  nécessaires.  » 
Les  ministres  déclarent  «  qu'ils  s'appuient  sur  le  droit 
des  édils,  et  qu'ils  n'y  renonceront  pas.  »  Un  ma- 
gistrat, M.  Meslrezal,  voulant  anéantir  les  privilèges 
politiques  du  clergé,  et  détruire  l'usage  des  critiques 
annuelles,  la  Compagnie  présenta,  le  50  avril  4  705, 
le  rapport  suivant  :«  Il  est  nécessaire,  Messieurs, 
d'entendre  des  conseils  sévères  sur  vos  devoirs.  Il  est 
vrai  que  si  Vos  Seigneuries  étaient  immortelles,  peut- 
être  que  noire  Compagnie  n'insisterait  pas  si  forte- 
ment là-dessus;  car  nous  pouvons  dire,  sans  flatterie, 
que  celte  ville  n'a  jamais  eu  un  Conseil  composé  de 


275 

plus  de  personnes  pieuses  et  affectionnées  à  l'Etal  et 
à  la  religion;  mais  ies  temps  sont  sujets  aux  change- 
ments, et  quand  on  pourrait  aujourd'hui  se  passer  de 
remontrances,  la  postérité  pourrait  en  avoir  grand 
besoin,  et  si  Vos  Seigneuries  s'en  passent,  elles  seront 
abolies  pour  toujours,  ce  qui  sera  un  grand  mal- 
heur. » 

La  Compagnie,  toujours  plus  inquiète  sur  les  dis- 
positions populaires  au  sujet  des  élections,  supplia, 
le  6  novembre  4  705,  les  Conseils  d'apporter  la  plus 
grande  vigilance  pour  prévenir  l'apparence  des  abus. 

Le  temps  marcha.  En  4  707,  les  bourgeois  récla- 
mèrent hautement  des  réformes  dans  un  Conseil  gé- 
néral .  Ces  demandes,  parfaitement  justes  et  conformes 
aux  principes  d'un  gouvernement  libre,  furent  mal- 
heureusement soutenues  par  des  hommes  exaltés,  dont 
les  passions  heurtèrent  la  fierté  des  magistrats,  il  fut 
impossible  de  s'entendre,  et  il  y  eut  des  troubles  sé- 
rieux; la  violence  de  la  bourgeoisie  et  l'inflexible 
ténacité  des  patriciens  empêchaient  toute  solution 
pacifique. 

Les  pasteurs  firent  de  nombreuses  démarches  pour 
apaiser  les  esprits.  Le  Conseil  les  pria  «  de  ne  pas 
parler  en  chaire  des  événements  du  jour,  et  de 
ne  point  aller  exprès  dans  les  dizaines  pour  s'en  en- 
tretenir avec  le  peuple;  mais,  s'ils  se  rencontrent 
avec  les  bourgeois,  MM.  les  Pasteurs  doivent  tacher 


276 

de  les  porter  à  la  paix.  »  Les  efforts  du  clergé  lurent 
entravés  par  le  chef  des  novateurs.  De  la  Chana,  dont 
la  violence  et  les  procédés  injurieux  approchaient 
de  la  frénésie.  Les  ministres  lui  étaient  spécialement 
odieux;  il  blâmait  à  tout  propos  leur  vanité,  et  lors- 
que le  Conseil  voulut  avoir  une  explication  sur  ce 
point,  De  la  Chana  déclara  que  porter  des  perruques 
poudrées  était  le  comble  de  l'orgueil.  —  Mais,  dit  un 
magistrat,  cet  usage  existe  depuis  près  d'un  siècle. 
«  C'est  être  fou,  répondit  l'agitateur  entêté,  que  d'ar- 
racher une  haie  vive  pour  en  planter  une  morte.  » 

Malgré  ces  entraves,  les  pasteurs  ne  cessèrent  point 
d'exhorter  le  peuple  à  la  paix  et  à  la  confiance,  et 
ils  remplirent  courageusement  leur  devoir  en  blâmant 
en  chaire  les  actes  de  violence  qui  troublaient  la  ville 1 . 
Plus  tard,  la  paix  fut  rétablie  par  l'intervention  des 
Suisses,  et  il  y  eut  un  compromis  où  les  adversaires  se 
faisaient  des  concessions  réciproques  ;  mais  les  pasteurs 
durent  remplir  la  douloureuse  mission  d'accompagner 
à  la  mort  deux  des  chefs  du  parti  bourgeois,  Lemaitre 
et  Pierre  Fatio.  Pierre  Fatio  mourut  en  martyr.  Ses 
dernières  paroles  furent  empreintes  des  meilleurs  sen- 
timents chrétiens.  «  Je  ne  fonde  mon  salut  que  sur  la 
miséricorde  de  Dieu  et  sur  les  mérites  de  Jésus-Christ; 
j'espère  avoir  obtenu  ie  pardon  de  mes  péchés,  parce 
que,  l'ayant  demandé  à  Dieu,  je  sens  mon  âme  tran- 

i.  Reg.  Comp.  22  avril,  tf,  13  et  -20  mai  1707. 


277 

quille,  et  je  pardonne  de  tout  mon  cœur  à  ceux  qui 
me  font  mourir  (9  sept.  1707).  Ainsi  commença 
dans  la  libre  Genève  cette  série  de  violences  meur- 
trières qui  devaient  tour  à  tour  déshonorer  les  patri- 
ciens et  les  bourgeois,  et  amener,  quatre-vingt-dix 
-ans  plus  tard,  la  honte  et  la  ruine  momentanée  de 
la  République  1 . 

Les  sourdes  haines  que  divers  citoyens  conser- 
vaient envers  des  pasteurs,  à  cause  de  leur  pacifique 
médiation,  firent  bientôt  explosion  dans  le  Conseil 
des  Deux-Cents.  Le  18  septembre,  un  citoyen,  dont 
le  nom  n'est  pas  conservé,  déclara  «  que  tous  les  pas- 
teurs étaient  des  fainéants,  qui  faisaient  beaucoup 
trop  souvent  prêcher  des  ministres  réfugiés.  ■  Ce  sont  , 
criait  cet  énergumène,  des  larrons  à  gages,  qui  s'oc- 
cupent d  eux  et  pas  de  leur  emploi.  » 

La  Compagnie  répondit  avec  une  dignité  chré- 
tienne, et.  montra  que  les  jeunes  ministres  s'occu- 
paient sans  relâche  de  leurs  paroisses,  et  que  les  pas- 
teurs et  les  professeurs  plus  âgés  étaient  accablés 

1  Les  exécutions  et  les  exils  avaient  laissé  de  profondes  rancunes 
dans  le  cœur  des  citoyens  genevois.  En  voici  un  remarquable  indice. 
M.  Desprez,  le  pasteur  qui  avait  assisté  Fatio  dans  ses  derniers  mo- 
ments, pria  dans  la  liturgie  après  le  sermon  pour  la  famille  de  Nor- 
mandie qui  est  en  voyage.  Le  Conseil,  irrité  de  ce  qu'il  s'agit  de 
M.  de  Normandie  qui  est  exilé  après  avoir  voulu  exciter  des  troubles, 
suspend  pour  six  mois  M.  Desprez,  et  lui  ordonne  de  demander  pardon 
à  Dieu  et  à  la  Seigneurie.  La  Compagnie  intercède  et  obtient  le  retrait 
de  l'interdiction  des  fondions  pastorales.  Reg.  Comp.  17  et  :u  ooflt 
1708. 


278 

d'infirmités  prématurées,  résultat  de  leurs  nombreux 
travaux  et  de  leurs  fatigues.  —  Le  Conseil  des  Deux- 
Cents  répondit,  le  25  septembre  (Reg.  du  C):  «  Tous 
les  pasteurs  de  celte  ville  prècbent  avec  édification 
et  s'acquittent  de  leurs  fonctions  pastorales,  autant 
(jue  leur  santé  le  permet,  en  gens  d'honneur;  ils  mè- 
nent une  vie  réglée  et  sans  reproche .  Le  Conseil  té- 
moigne à  la  Vénérable  Compagnie  qu'il  est  satisfait 
de  sa  conduite,  et  que  ce  qui  a  été  dit  contre  elle  ne 
peut  faire  impression.  En  tout  temps  il  lui  donnera 
des  marques  de  son  estime.  » 

Nous  devons  rapporter  maintenant  une  intéres- 
sante délibération  qui  jette  un  grand  jour  sur  l'esprit 
du  temps. 

Plusieurs  Genevois  demandaient  l'abolition  de 
l'article  116  des  Ordonnances  qui  défendait  le  ma- 
riage entre  cousins-germains.  Le  Conseil  pria  la  Com- 
pagnie de  présenter  un  mémoire  sur  la  partie  reli- 
gieuse de  la  question.  Quelques  pasteurs  se  pronon- 
cèrent contre  le  projet .  Ces  mariages,  disaient-ils, 
sont  défendus  depuis  longtemps  par  les  lois  de  Théo- 
dose-le-Crand,  et  par  les  conciles  d'Épone  et  d'Arles. 
Ils  sont  interdits  non-seulement  dans  tous  les  pa\s 
romains,  mais  encore  chez  la  plus  grande  partie  des 
réformés,  et  surtout  chez  les  Suisses  avec  lesquels 
nous  sommes  si  fort  liés.  —  Les  pasteurs  qui  adop- 
taient 1  a\is  contraire  i)e  manquaient  pas  d'arguments 


279 

à  opposer  à  leurs  adversaires.  Ces  mariages  ne  sont 
pas  contraires  à  .l'Ecriture  (Lévitique.  chap.  XV11I). 
Les  premiers  chrétiens  n'y  virent  aucun  mal.  Théo- 
dose-le-Grand  les  interdit  sur  un  faux  rapport  de  saint 
Ambroise,  dans  lequel  il  était  dit  que  ces  unions  en- 
tre cousins  ne  produisaient  pas  d'enfants.  Il  est  vrai 
qu'un  concile  de  Latran  les  prohibe;  mais  ce  n'est 
qu'en  plaisantant  que  nous  rapportons,  devant  les  pas- 
teurs de  Genève,  les  motifs  indiqués  par  ce  concile. 

«  11  y  a,  disent  les  prélats  de  Latran,  quatre  élé- 
ments dans  le  monde,  quatre  humeurs  dans  l'homme, 
par  conséquent,  il  faut  défendre  le  mariage  jusqu'au 
quatrième  degré;  mais  comme  on  partage  la  vie  de 
l'homme  en  six  âges,  il  faut  étendre  la  défense  du 
mariage  jusqu'au  sixième  degré.  »  Cela  eut  lieu,  et 
l'on  tira  grand  profit  des  dispenses. 

L'ordonnance  de  Genève  est  temporaire  :  on  pro- 
hibe ces  unions  «  pour  éviter  le  scandale  en  ce  qui, 
dès  longtemps,  n'a  pas  été  accoutumé,  afin  que  par 
aucune  occasion  de  notre  part  la  Parole  de  Dieu  ne 
soit  blasphémée.  »  Maintenant  ces  scandales  ne  sont 
plus  à  craindre,  et  plusieurs  personnes  désirent  qu'on 
leur  accorde  la  liberté  que  laisse  la  Parole  de  Dieu. 

L'avis  de  la  Compagnie  fut  de  faire  voter  sur  celte 
question  le  Conseil  Génénal,  puisque  c'était  ce  corps 
qui  avait  établi  l'ordonnance  lors  de  la  Réformation. 
Le  Conseil  «  trouvant  trop  dangereux  de  convoquer 


280 

un  Conseil,  qui,  une  fois  sur  pied,  permettrai!  à  cha- 
cun d'y  proposer  ce  qui  lui  passerait  par  la  tète,  » 
ne  donna  pas  suite  à  cette  affaire  (R.  Comp.  4  sept. 
4714). 

Les  événements  de  1 707  furent  suivis  de  troubles 
plus  sérieux,  qui  bouleversèrent  Genève,  de  4  754 
à  1758.  Les  haines  des  citoyens  s'envenimèrent;  le 
sang  coula ,  puis  les  querelles  se  terminèrent  comme 
auparavant  ,  par  des  concessions  acceptées  de  mau- 
vaise grâce  et  par  le  bannissement  des  principaux 
chefs  de  parti.  Cette  crise  politique  fut  amenée  par 
la  question  des  impôts  que  les  bourgeois  ne  voulurent 
pas  payer,  parce  qu'ils  n'avaient  pas  été  auparavant 
votés  par  le  Conseil  Général.  A  ce  motif  extérieur  de 
discorde  se  joignait  une  sourde  défiance  entre  les  deux 
partis  :  chacun  voulait  centraliser  en  ses  mains  la 
force  militaire  et  dominer  ainsi  son  rival.  La  mission 
des  pasteurs  était  très-périlleuse  :  ils  s  en  acquittèrent 
en  courageux  serviteurs  du  Christ 4 .  Ils  ne  dissimulè- 
rent point  aux  magistrats  leurs  torts  el  le  mal  qu'ils 
causaient  à  la  nation  par  leur  opiniâtre  raideur. 
J.-À.  Turretin  les  supplia  de  présenter  pour  syndics 
des  hommes  fermes,  doux  et  prudents.  Les  pasteurs  se 
mêlèrent  aux  assemblées  populaires  pour  faire  enten- 
dre des  paroles  de  conciliation.  Cette  tâche  fut  rendue 


t.  Voir  le  beau  travail  de  M.  Cellérier,  I.  XII,  Mémoire*  de  la 
Société  d'hisloire  et  d  archéologie  i»  ftenéTe. 


28t 

encore  plus  difficile  par  la  conduite  de  quelques  minis- 
tres qui  oublièrent  leur  caractère  et  prirent  les  arme* 
pour  le  gouvernement.  Mais  lorsque  les  deux  partis 
s'attaquèrent  et  que  le  sang  eut  coulé,  on  vit  le  pro- 
fesseur Jacob  Verne!  s'exposer  au  feu,  se  porter  comme 
médiateur,  et  l'aire  les  plus  grands  efforts  pour  apaiser 
le  tumulte. 

Ces  troubles  se  terminèrent  comme  les  précédents  , 
par  l'intervention  étrangère,  et  les  pasteurs  ne  négli- 
gèrent rien  pour  adoucir  les  rancunes  et  les  mauvais 
souvenirs,  conséquences  inévitables  des  émeutes  et 
des  prises  d'armes. 

Aux  agitations  causées  par  des  questions  d'intérêt 
matériel  succédèrent  les  troubles  occasionnés  par  des 
questions  d'un  tout  autre  ordre.  Notre  illustre  philo- 
sophe Rousseau  avait  vu  son  livre  de  V Emile  brûlé 
par  l'ordre  du  Conseil  de  Genève,  qui,  dans  celte 
occasion,  consultant  les  passions  plutôt  que  les  princi- 
pes, commit  une  faute  dont  la  République  eut  long- 
temps à  souffrir. 

Rousseau,  justement  irrité,  renonça  à  son  titre  de 
citoyen  de  Genève,  et  bientôt  une  partie  de  la  bour- 
geoisie saisit  celte  occasion  pour  renouveler  ses  de- 
mandes aux  Conseils.  Os  citoyens  voulaient  des  tri- 
bunaux où  les  magistrats  n'eussent  qu'une  influence 
limitée;  ils  demandaient  des  garanties  contre  les  em- 
prisonnements préventifs,  et  sollicitaient  le  retrait  de 


la  condamnation  de  VEmiie.  De  son  coté,  le  Petit 
Conseil  prétendait  avoir  le  droit  de  répondre  négati- 
vement aux  requêtes  des  citoyens,  sans  en  référer  au 
Conseil  Général.  On  se  disputa  pendant  quatre  années 
sur  ces  questions,  et  Rousseau  attisa  le  feu  en  publiant 
ses  Lettres  de  la  Montagne.  Dans  ce  triste  écrit ,  il 
renia  ses  sentiments  d'autrefois  envers  l'Église  de 
Genève. 

I!  n'avait  pu  pardonner  aux  pasteurs  leur  silence 
et  leur  abstention  au  sujet  de  VÉmiie.  Il  ne  prenait 
pas  son  parti  de  voir  ses  anciens  amis,  Vernes  et 
Perdriau,  refuser  le  nom  de  christianisme  à  sou  sys- 
tème de  religion  naturelle,  et  par  une  contradiction 
très-fréquente  chez  certains  philosophes,  il  fut  cour- 
roucé à  la  lecture  des  réfutations  calmes  et  dignes 
que  Claparède  et  Vernes  publièrent  au  sujet  de  la  pro- 
fession du  Vicaire  Savoyard.  Rousseau  perdit  toute 
impartialité ,  et  dans  les  Lettres  de  la  Montagne,  il 
publia,  contre  la  divinité  du  christianisme,  des  pages 
indignes  de  son  génie.  Le  clergé  genevois,  qui  s'était 
tenu  dans  une  charitable  réserve  à  l'égard  du  mal- 
heureux philosophe,  fit  paraître,  le  9  février  17(>5, 
un  sévère  manifeste  sur  les  Lettres  de  la  Monta- 
gne :  «  Nous  désirons  voir  l'harmonie  se  rétablir; 
mais  nous  sommes  obligés  de  témoigner  notre  dou- 
leur sur  les  calomnies  qu'on  a  répandues  sur  notre 
Église  et  la  doctrine  de  notre  Sauveur.  Nous  gémis- 


283 

sons  de  voir  la  sainte  Réformation  représentée  sous 
les  plus  fausses  couleurs,  la  religion  attaquée  dans 
ses  fondements  avec  une  audace  inouïe,  et  les  minis- 
tres attaqués  sans  ménagements  dans  un  ouvrage  qui 
semble  composé  pour  rompre  tous  les  nœuds  qui 
unissent  cet  État  et  celte  Église.  » 

Cette  déclaration  indisposa  les  partisans  de  Rous- 
seau, qui  ne  souffraient  pas  la  discussion  sur  les  écrits 
de  leur  chef,  et  les  pasteurs  eurent  à  subir  bien  des 
tracasseries  à  cause  de  leur  franchise. 

Néanmoins,  cette  impression  ne  tarda  pas  à  s'effa- 
cer, et  l'année  suivante  (10  décembre  4  766),  un 
tumulte  ayant  éclaté,  les  pasteurs  n'épargnèrent  pas 
les  visites  auprès  des  pères  de  famille  de  leurs  pa- 
roisses, les  suppliant  de  revêtir  un  esprit  de  conci- 
liation et  de  paix.  Les  chefs  de  la  bourgeoisie  paru- 
rent touchés  de  ces  démarches,  et  vinrent,  au  nombre 
de  vingt-cinq  ,  remercier  la  Compagnie  de  ces  paroles 
de  paix  qu'ils  désiraient  prendre  en  considération. 
L'année  suivante,  les  partis  s'étaient  réconciliés,  et 
les  pasteurs  supplièrent,  du  haut  de  la  chaire,  les 
magistrats  et  les  citoyens  d'oublier  le  passé  et  de  con- 
clure une  paix  véritable. 

Ces  bons  rapports  entre  les  hommes  politiques  et 
le  clergé  se  maintinrent  jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième 
siècle.  Nous  exposerons,  dans  un  des  chapitres  sui- 
vants, les  épreuves  que  dut  subir  l'Eglise  de  Genève 


284 

durant  les  sombres  années  où  les  excès  de  la  terreur 
étouffèrent  trop  souvent  les  grands  principes  qui  ont 
honoré  les  premières  phases  de  la  Révolution  fran- 
çaise. 


28S 


CHAPITRE  IX. 

«EHÈVE  ET  LE  CATHOLICISME  SAVOYARD 

Entreprises  de  la  Savoie.  —  Protection  de  Louis  XIII.  —  Canonisation 
de  François  de  Sales.  — Les  envoyés  du  duc  de  Savoie  à  Genève. 

—  Le  colonel  Bons.  —  Députatiou  à  Turin.  —  Le  traité  de  Saint  - 
Julien  non  reconnu.  —  Les  mémoires  des  Jésuites  contre  Genève. 

—  M.  de  Blouay  à  Genève.  —  Le  grand  bullaire  et  le  jésuite  Mo- 
naud.  —  Les  traités  et  les  hérétiques.  —  Protection  et  amitié  des 
Suisses.  —  Prosélytisme  romain.  —  La  sainte  maison  des  Convertis 
à  Thonon.— Tentatives  des  prêtres  contre  les  campagnes  genevoises. 

—  Relations  entre  les  Genevois  et  les  catholiques  savoisiens.  — 
Griefs  contre  Genève.  —  Les  pasteurs  Bordier  et  La  Fontaine.  —  La 
pape  Inuoceut  X  et  le  pasteur  Jean  Diodati.  —  L'évèque  Rossillou 
de  Bernex,  Pontverre  et  Minutoli.  —  Traité  de  Saint-Julien,  1754 

—  Cessions  et  changements  de  territoire.  —  Paix  religieuse  définitiv» 
entre  le  Piémont  et  Genève. 


Nous  avons  vu,  dans  le  volume  précédent,  que 
Charles-Emmanuel  n'avait  nullement  pris  au  sérieux 
le  traité  de  Saint-Julien,  et  que,  jusqu'à  sa  mort,  au 
mépris  de  la  foi  jurée,  il  ne  cessa  de  harceler  Genève 
par  ses  enl reprises  et  ses  conspirations. 

Le  sort  de  la  métropole  protestante  ne  fut  guère 
plus  tranquille  sous  les  successeurs  de  Charles-Emma- 
nuel. Les  Jésuites,  directeurs  religieux  des  princes  de 
Savoie,  travaillèrent  sans  relâche  «  à  leur  faire  recou- 


28fi 

vrer  »  Genève.  —  L'œuvre  se  divisa  en  deux  séries 
que  nous  allons  exposer  successivement.  Les  souve- 
rains sardes  voulurent,  de  4  652  à  1754.  s'emparer 
de  Genève  en  soulevant  contre  elle  les  puissances  ca- 
tholiques, et  le  clergé  de  Savoie  fit  des  efforts  de 
tout  genre  pour  regagner  en  détail  les  populations  de 
la  vallée  du  Léman,  qui  avaient  échappé  aux  missions 
de  François  de  Sales. 

Essayons  de  présenter  le  tableau  historique  de  ces 
tentatives  du  catholicisme  pour  reconquérir  Genève. 

Sous  le  règne  du  successeur  immédiat  de  Charles- 
Emmanuel,  Viclor-Amédée,  Genève  ne  fut  pas  in- 
quiétée d'une  manière  grave.  Louis  Xïli  couvrait 
cette  ville  de  sa  protection,  et  les  intrigues  des  cours 
catholiques  se  brisèrent  contre  la  volonté  ferme  et 
nettement  prononcée  du  souverain  français. 

La  principale  tentative  diplomatique  de  la  Savoie 
à  ce  sujet  eut  lieu  en  Tan  4  637,  lors  du  couronne- 
ment de  l'empereur  Ferdinand  III.  La  cour  de  Turin 
chargea  son  ambassadeur  de  remettre,  à  celte  occa- 
sion, au  nouvel  élu,  un  mémoire  dont  elle  envoya 
copie  à  tous  les  États  catholiques  de  l'Europe1. 

Ce  mémoire  débute  par  la  répétition  des  griefs  de 
saint.  François  de  Sales  contre  Genève.  «  Il  importe  à 
tonte  la  chrétienté  que  cette  ville  soit  réduite  à  l'obéis- 


1.  Turin,  Archives  de  cour,  douzième  t.'.tcgoric,  paquet  6  et  buït.  — 
Genève.  Grief». 


287 

sauce  de  son  maître,  et  soumise  à  l'autorité  de  la  vé- 
ritable Église,  d'autant  que  c'est  la  Babei  du  calvi- 
nisme, le  séminaire  de  l'hérésie,  la  boutique  où  sont 
forgées  toutes  les  révoltes  de  France  et  d'Allemagne, 
l'école  d'où  sortent  tous  les  ministres  de  France,  du 
Palalinat,  des  villes  impériales,  de  Hollande,  d'An- 
gleterre. C'est  une  ville  d'abominations,  qui  infecte 
de  son  venin  toute  l'Europe,  canal  de  communication 
des  protestants  d'Allemagne  avec  les  Églises  de  Fran- 
ce. Impossible  d'exterminer  l'hérésie,  comme  Sa 
Majesté  impériale  en  a  le  dessein,  si  cette  chambre 
des  cabales  hérétiques  n'est  pas  anéantie.  »  Le  mé- 
moire ne  se  borne  pas  à  parler  de  Genève;  il  montre 
que  rien  ne  sera  plus  facile  à  l'empereur  que  de  re- 
prendre les  anciens  fiefs  des  Habsbourg,  traîtreuse- 
ment retenus  par  Berne  et  Zurich.  Pour  compléter 
1  œuvre,  le  prince  de  Savoie  devra  rentrer  dans  la 
souveraineté  du  pays  de  Vaud. 

L'affaire  resta  enfouie  dans  les  Conseils  diploma- 
tiques du  temps. 

Le  successeur  de  Victor-Emmanuel,  Charles-Emma- 
nuel II,  au  commencement  de  son  règne,  ne  s'occupa 
pas  de  Genève.  De  1658  à  4  660,  la  petite  Répu- 
blique ne  fut  inquiétée  que  par  les  efforts  de  Madame 
Royale'.  Mais,  dès  4  660  la  scène  changea,  et  la 

1.  Madame  Royale.  Christine  de  France,  fille  de  Henri  IV,  fut 
régente  jusqu'en  1648,  et  dès-lor»  exerça  «ur  le  gouvernement  une 
grande  influence. 


288 

Suisse  protestante  ne  jouit  plus  d'un  seul  instant  de 
repos . 

La  canonisation  de  saint  François  de  Sales  se  pour- 
suivait à  Rome,  et  cet  événement  devait  être  sanctifié 
par  l'accomplissement  de  l'œuvre  chérie  du  Bien- 
heureux. Ce  serait  une  magnifique  conquête  pour 
Home,  si  elle  pouvait  proclamer  le  retour  de  la  vallée 
du  Léman  au  catholicisme,  le  jour  de  la  fête  solen- 
nelle du  convertisseur  du  Chablais  (R.  Comp.  4660). 
Les  circonstances  paraissaient  des  plus  favorables  : 
une  guerre  funeste  au  protestantisme  avait  éclaté  en- 
tre l'Angleterre  et  les  Pays-Bas.  Ces  puissances,  amies 
de  la  Suisse ,  ne  pouvaient  rien  en  faveur  de  leurs 
amis  évangéliques,  et  c'était  le  moment  de  décider 
le  souverain  sarde  à  prendre  les  armes. 

Durant  cinq  années,  on  inquiéta  sans  cesse  la  Suisse 
romande  par  des  menaces  et  par  des  rassemblements 
de  troupes  sur  les  frontières1.  L'évêque  Jean  d'Aren- 
thon  harcelait  la  cour  de  France  pour  que  la  conquête 
de  Genève  devint  une  couronne  au  Iront  de  saint  Fran- 
çois de  Sales,  à  son  entrée  solennelle  dans  les  rangs 
des  bienheureux 2.  Les  archevêques  français  agissaient 
dans  le  même  sens  :  François  de  Sales  étant  mort  à 
Lyon,  était  un  saint  français,  vu  que  la  mort  d'un 
saint  est  le  jour  de  sa  naissance.  «  Ce  serait  chose  utile 


1.  Archives  de  Turin,  Lettres  romaines,  16GO  à  16ti7. 

2.  La  canonisation  eut  lieu  le  8  mai  1605. 


289 

et  glorieuse  pour  l'Eglise  du  royaume  si  nous  ache- 
vions la  conquête  de  celte  ville,  qui  n'a  pas  de  plus 
forte  passion  que  de  combattre  l'autorité  et  de  dé- 
truire le  pouvoir  des  monarques.  »  Louis  XIV,  tout 
occupé  de  la  guerre  avec  les  Flandres,  fit  peu  d'atten- 
tion à  ces  projets  contre  la  Suisse.  Ne  comptant  plus 
sur  leurs  alliés  naturels  du  Nord,  les  cantons  évan- 
géliques  prirent  toutes  les  précautions  imaginables 
pour  pouvoir  rassembler  leurs  troupes  à  un  moment 
donné,  sur  le  point  du  territoire  menacé.  Des  signaux 
formés  de  piles  de  bois  rassemblées  sur  des  lieux  éle- 
vés, et  auxquels  on  mettait  le  feu  en  cas  d'alarme, 
avertissaient  en  peu  d'heures  les  cités  et  les  villages, 
des  bords  du  Léman  jusqu'aux  plus  lointaines  parois- 
ses de  Zurich.  Chaque  soldat  avait  ses  armes  prêtes, 
et,  selon  la  coutume  de  ces  pieuses  populations,  on 
voulut  solenniser  ces  préparatifs  par  un  jeûne  d'hu- 
miliation et  de  prières4.  «  Nous  déplorons,  dirent  les 
»  Suisses  évangéliques  dans  leurs  circulaires ,  nous 
»  déplorons  les  misères  et  les  calamités  que  la  guerre 
»  funeste  amène  maintenant  sur  l'Église.  Nous  implo- 
»  ions  la  protection  du  ciel  pour  bénir  leselïorls  que 
»  nous  faisons  pour  garder  la  sainte  liberté  des  en- 
fanls  de  Christ,  dont  nous  avons  le  dépôt  depuis  no- 
»  Ire  sainte  Réformation2.  » 


1.  Keg.  Couip.  1»  ocl.  el  Ie'  tiov.  lbM. 

2.  Reg.  Cous,  il  «epl  etlfinov.  (606. 

III. 


290 

Ce  jeûne  était  à  peine  célébré  que  l'on  eul  veut 
que  la  conspiration  allait  éclater.  L  évoque  d'An- 
necy parcourt  les  paroisses  de  son  diocèse,  exhortant 
le  peuple  à  combattre  vaillamment  contre  Genève, 
et  affirmant  que,  si  Ton  ne  peut  avoir  la  ville,  on 
reprendra  au  moins  les  débris  du  mandement  de  Jussj  , 
afin  d'y  rebâtir  sa  demeure  sur  la  place  de  l'ancien 
château  du  Crest. 

On  signale  également  des  ingénieurs  déguisés  qui 
travaillent  furtivement  à  prendre  les  plans  des  forti- 
fications, et  l'on  renvoie  de  nombreuses  processions 
de  moines  et  de  pénitents  qui.  portant  sur  des  gon- 
fanons  l'image  de  saint  François  de  Sales,  veulent 
traverser  la  ville1.  Les  ouvriers  savoyards  et  français 
se  multiplient  d'une  manière  inusitée.  Le  Conseil  or- 
donne, sous  main ,  aux  maîtres,  de  les  congédier, 
sous  prétexte  qu'il  n'y  a  pas  d'ouvrage.  Cette  mesure 
est  nécessaire.  Maintes  foison  a  reçu  l'avis  du  péril  que 
court  la  ville  en  laissant  s'accumuler  des  hommes  qui 
peuvent  former  un  corps  d'ennemis  à  l'intérieur*.  — 
Les  travaux  pour  mettre  les  fortifications  en  état  se 
continuent  avec  le  plus  grand  zèle  3.  Les  étudiants  de 
l'Académie,  enrégimentés  sous  les  ordres  de  M.  Mi- 
chel Trembley,  y  consacrent  tout  leur  lemps.  La 


1.  Reg.  Cons.  15  sepl.  1666. 

2.  Reg  Cons.  1"'  dée.  1666. 

3.  Reg.  Cod».  7  mars  1667. 


291 

Compagnie  des  Pasteurs  enlrelienl  vingt-huil  charret- 
les  el  cinquante  pionniers.  On  reçoit  les  lettres  les 
plus  affectueuses  de  Berne  el  de  Zurich,  renouvelant 
la  promesse  que  les  secours  sont  prêts  à  marcher  au 
premier  signal  allumé. 

Genève  ,  en  se  préparant  à  résistsr  énergique- 
menl  pour  le  maintien  de  la  vraie  liberté,  connaissait 
très-bien  la  gravité  de  sa  situation1.  En  effet,  les 
généraux  sardes  se  montraient  infatigables  dans  leurs 
entreprises  contre  la  ville2;  ils  reconnaissaient  toutes 
les  difficultés  de  la  conquête. 

«  Sire,  écrivent-ils  à  Charles-Emmanuel  II,  l'en- 
treprise est  pleine  de  périls  :  par  crainte  des  surpri- 
ses, Genève  a  deux  gardes,  l'une  de  jour,  composée 
de  dix  personnes;  l'autre  de  nuit,  de  vingt  citoyens, 
commandés  par  un  des  Deux-Cents.  Ils  sont  2160 
citoyens  capables  de  porter  les  armes;  la  garnison  est 
de  400  soldats  mercenaires;  la  cavalerie  de  200; 
total  2772;  le  port  est  fermé  par  six  chaînes  el  un 
gros  arbre  garni  de  pointes  de  fer;  toutes  les  portes 
sont  gardées  par  plusieurs  sentinelles,  et  un  fanal  de 
fascines  correspond  à  un  autre  près  de  Nyon.  En  un 
instant ,  les  Bernois  sont  prévenus.  La  surprise  est  bien 
difficile3.  » 

1.  Reg.  Coiup.  19oct.  1666 

2.  Archives  de  Turin,  Affaires  de  Genève,  12m»  catég.,  doss.  6  et  7. 

3.  Arch.  de  cour,  décembre  1667. 


292 

Charles-Emmanuel  changea  alors  de  batterie4.  Les 
chanoines  d'Annecy  entretenaient  des  agents  dans  la 
ville.  M.  de  Paulet  y  passa  quatre  jours  en  habit  bour- 
geois, et  revint  avec  des  promesses  faites  par  plu- 
sieurs individus,  et  qui  remplirent  le  chapitre  d'es- 
pérance. Un  nommé  Baudichon,  Genevois  converti 
au  catholicisme,  refusa  de  porter  les  armes  contre 
son  pays;  mais  il  céda  aux  sollicitations  de  J.  d.'Aren- 
thon,  et  promit  de  rendre  compte  de  ce  qui  se  pas- 
serait. Il  parait  que  son  rapport  fut  favorable;  car 
Charles-Emmanuel  envoya,  le  15  octobre  1668,  un 
M.  de  Bons,  colonel,  avec  les  instructions  suivantes: 
«  Vous  traiterez  avec  les  principaux  habitants  de 
»  Genève  que  vous  saurez  bien  intentionnés  pour  le 
»  bien  de  leur  ville  et  le  nôtre. 

>>  Vous  promettrez  à  ceux  qui  donneront  une  preuve 
»  extraordinaire  de  leur  bonne  volonté,  les  libertés, 
»  franchises,  gratifications,  avantages,  tant  en  argent 
»  qu'en  autre  moyen.  Bien  entendu  que,  si  nous  de- 
•  vons  agir  par  la  voie  des  armes,  il  est  évident  que 
»  ce  sera  une  assistance  de  force  que  nous  donnerons 
>  à  une  partie  considérable  de  la  v  ille  qui  se  jette 
»  volontairement  sous  notre  protection.  Nous  voulons 
»  donner  secours  à  des  amis,  et  non  attaquer  d'em- 
»  blée  par  surprise,  trahison  ou  intelligence  avec 
»  quelques  particuliers.  » 

1.  Arcli.  de  cour,  15  nov.  1868. 


295 

La  mission  du  colonel  de  Bons  eut  peu  de  succès: 
«  Sire,  on  abuse  voire  majesté  ;  je. n'ai  Irouvé  qu'un 

•  seul  Genevois  disposé  pour  voire  service;  c'est 
y  Roussiilon  du  Château-Blanc,  qui  trahirait  bien, 

*  niais  il  a  peur  d'être  pendu,  ce  qui  attend  le  pre- 
»  mier  qui  sera  soupçonné  de  donner  des  nouvelles 
»  de  Genève.  » 

Ces  entreprises,  dont  Genève  avait  connaissance, 
diminuaient  beaucoup  la  joie  qu'avait  causée  la  paix 
signée  entre  l'Angleterre  et  la  Hollande.  La  cessation 
de  cette  lutte  fratricide  entre  les  puissances  réformées 
fut  célébrée  par  un  jeûne  solennel ,  le  5  septembre 
4  667  1 .  Les  prédicateurs  félicitèrent  l'Eglise  de  cet 
heureux  événement,  tout  en  excitant  le  peuple  à  la 
plus  sérieuse  vigilance,  vu  les  dangers  qui  mena- 
çaient la  République. 

Il  fallait  mettre  un  terme  à  ces  perpétuelles  an- 
goisses. Ou  résolut  d'envoyer  une  ambassade  à  Turin, 
afin  d'obtenir  l'observation  de  la  paix  jurée  en  \  605*. 
Berne  et  Zurich  appuy  èrent  les  démarches  de  Genève  ; 
les  \illes  évangéliques  exprimèrent  leur  vif  désir  de 
voir  Genève  faire  partie  de  la  Confédération.  Cela  ne 
pouvait  avoir  lieu  sans  réviser  les  traités  européens. 
Le  Piémont  etl'Kspagne  s'opposèrent  de  la  manière  la 
plus  violente  à  celle  annexion,  et  voici  le  résultat  de 

1.  Keg.  Comp.  2  août  Uil>7. 
1.  Keg.  Comp.  10  avril  1668. 


294 

l'ambassade  genevoise  qui  fut  envoyée  au  printemps 
de  16681.  Les  envoyés  devaient  faire  tous  leurs 
efforts  pour  obtenir  la  paix  et  la  reconnaissance  effec- 
tive du  traité  de  Saint-Julien  ;  de  plus,  il  fallait  régici- 
des contestations  de  territoire,  des  délimitations  de 
frontières.  MM.  Pictet,  Dupan  et  Gautier,  avaient  or- 
dre de  demander  la  cession  des  terres  de  Corsinge  et 
du  château  du  Crest,  que  le  Duc  de  Savoie -revendi- 
quait. Après  de  longs  débats,  on  partagea  le  diffé- 
rend :  Corsinge  demeura  aux  Savoyards;  le  Crest  aux 
Genevois.  Il  paraîtrait  que  les  députés  républicains 
ne  mirent  pas  beaucoup  déliant  dans  leurs  procédés. 
S'appuyant  sur  la  protection  de  l'ambassadeur  fran- 
çais, ils  voulaient  insérer  une  phrase  qui  paraissait 
établir  que  leurs  prétentions  étaient  fondées  en  droit2. 

Refus  des  ministres  sardes,  et  M.  de  Servienl  dit  à 
M.  Pictet  :  «  Je  suis  fâché  que  vous  insistiez  sur  des 
bagatelles;  j'aimerais  mieux  être  condamné  à  pren- 
dre trois  médecines  qu'à  reprendre  de  nouveau  con- 
naissance de  vos  affaires  avec  S.  A.  R  » 

L'affaire  de  Corsinge  et  du  Cresl  étant  réglée,  nos 
députés  insistèrent  sur  les  réparations  au  traité  de 
Saint-Julien.  Ils  virent  bientôt  qu'ils  étaient  sur  un 
terrain  brûlant.  Le  Duc  ne  voulait  point  entendre 


1.  Copie  Auquier;  Reg.  Cons.  année  1668;  Arch.  Turin,  Dépulalion 
genevoise,  1668. 

2.  -x  Par  bonne  considération,  on  nous  accorde  »  etc. 


295 

parler  des  titres  de  souverains  seigneurs  <|ue  se  don- 
naient les  Genevois,  vu  que  lui  seul  était  seigneur 
légitime  de  celte  v  ille,  et  qu'il  n'avait  point  renoncé 
à  ses  droits,  et  il  donnait  l'ordre  de  surveiller  exac- 
tement toute  parole  expresse  ou  tacite  <|ui  pourrait 
être  alléguée  contre  lui. 

Après  de  longs  pourparlers,  les  députés,  convain- 
cus de  l' inutilité  de  leur  mission,  demandèrent  une 
audience  de  congé,  et  remarquèrent  «  que,  lorsque, 
dans  leurs  discours,  ils  firent  mention  du  traita  de 
Saint-Julien,  cela  déplut  à  ce  prince,  qui  prit  alors 
un  air  tâché  en  se  tournant  vers  ses  ministres.  » 

L'année  suivante,  MM.  J.  Dupan  et  ,!.  Lullin  tu- 
rent envoyés  à  Chambéry  pour  conférer  avec  les  offi- 
ciers de  Savoie,  et  ceux-ci  déclarèrent  que  S.  A.  R. 
prétendait  n'être  pas  liée  par  le  traité  de  Saint- Julien  1 . 

Les  faits  vinrent  confirmer  les  appréhensions  (Voir 
Pièces  justificatives).  Lorsque  les  cantons  évangéliques 
furent  informés  de  ces  nouvelles  tentatives  contre 
Genève,  ils  réitérèrent  leurs  protestations  d'amitié,  et 
mirent  leurs  troupes  en  état  de  marcher  au  premier 
signal,  «  tout  en  évitant,  d'après  la  recommandation 
expresse  de  Genève,  toute  démonstration  extérieure 
qui  put  donner  un  prétexte  au  duc  de  Savoie.  » 

Une  fois  que  la  volonté  du  souverain  fut  manifes- 
tée à  l'égard  des  Genevois,  on  ne  négligea  rien  pour 

i.  Onnlier,  Hist.  de  Genève,  pape  195,  xvu»  siècle. 


'2  OC 

rassurer  la  conscience  rte  Charles-Emmanuel,  Lrop 
souvent  troublée  par  i'idée  rte  violer  un  traité  aussi 
explicite  (pie  celui  rte  Saint-Julien.  Les  Jésuites  et  le 
Saint-Père  se  chargèrent  île  prouver  la  nullité  rte  cet 
acte. 

Un  capucin,  nommé  Konualrt ,  fut  délégué  par 
Clément  X  pour  prouver  au  Duc  rte  Savoie  qu'il  avait 
le  droit  de  faire  la  guerre  à  Genève,  sans  la  déclarer 
d'avance 1 .  «  Je  me  fonde  sur  le  code  contre  les  Mani- 
chéens. Il  n'est  pas  nécessaire  de  déclarer  la  guerre 
aux  hérétiques,  car  le  crime  d'hérésie  les  prive  de 
toutes  les  dignités  canoniques,  de  tous  leurs  droits, 
des  biens  de  famille,  de  la  vie  et  de  la  sépulture.  — 
Vous  devez  faire  la  guerre  aux  Genevois,  à  cause 
des  biens  qu'ils  vous  ont  enlevés  et  qu'ils  retiennent 
frauduleusement:  ils  savent  que  pour  un  vol  il  n'y  a 
pas  prescription  de  cent  années.  » 

Le  4  décembre  1074  Clément  X  joignit  à  ce  mé- 
moire une  bulle"  dans  laquelle  il  déclara  mils  tous 
les  articles  d'un  traité  conclu  avec  des  hérétiques, 
lorsque  ces  articles  violent  les  droits  rte  la  foi  catholi- 
que relatifs  aux  biens  et  aux  immunités  ecclésiasti- 
ques. Or,  la  plus  grande  partie  du  territoire  et  des 
possessions  des  Genevois  étant  la  propriété  de  l'évo- 
que et  des  couvents  dépouillés  à  la  RéformaUou,  il 

1.  Archives  de  Turin,  Affaires  «le  Génère,  12e  cal.,  dossier  ."». 

2.  Grand  Bullaire,  L  XI.  Déclaration  de  nullité  du  traité  de  Sl-Julien. 


était  juste  de  les  reconquérir.  —  Une  congrégation 
est  formée  à  Ruine,  le  4  7  juin  1674,  «  pour  s'occu- 
per spécialement  de  Genève1.  Celte  association  doit 
être  composée  de  très-peu  de  personnes,  confidents 
immédiats  du  Saint-Père  et  du  cardinal  Altieri.  Les 
affaires  qu'elle  a  à  traiter  sont  de  la  plus  haute  im- 
portance, et  doivent  être  tenues  le  plus  secrètement 
possible;  car  les  Genevois  sont  protégés  par  les  Ber- 
nois, et  la  France  leur  veut  grand  bien.  »  —  «  Si 
Louis  XIV  vient  à  savoir  nos  projets  contre  cette  ville, 
il  défendra  au  Saint-Père  de  rien  tenter  contre  elle; 
il  faut  donc  cacher  à  Sa  Sainteté  les  instances  du  roi 
de  France  en  faveur  des  Genevois,  et  agir  prompte- 
ment,  comme  si  nous  étions  libres.  » 

Ces  missives  de  Rome  firent  concevoir  de  vives 
espérances  à  Charles  Emmanuel  ;  mais  la  loyauté  de 
son  caractère  lui  fit  repousser  les  moyens  proposés. 
«  Je  veux  bien  m'emparer  de  Genève,  mais  à  condi- 
tion (pie  les  Genevois  se  donnent  à  moi  volontiers,  et 
(pie  le  parti  le  plus  nombreux  dans  leur  ville  m'ac- 
cueille comme  ami  et  comme  souverain.  » 

Un  colonel,  M.  de  Blonay,  fui  envoyé  pour  s'as- 
surer du  véritable  état  des  choses,  et  sa  mission  eut 
le  même  résultat  qu'avait  eu,  six  ans  auparavant,  celle 
de  M.  de  Bons. 

«  Sire,  écrit-il,  les  Genevois  aidés  des  gens  du  Pays 

i.  Archives  de  Turin,  Affaires  de  Genève,  1*2"  cal.,  dossier  5. 


298 

de  Vaud,  ont  4000  hommes  sous  les  armes.  Il  n'y 
a  point  de  factions  opposées:  impossible  de  faire  un 
parti  avec  les  descendants  des  Italiens;  ils  sont  plus 
calvinistes  que  les  Genevois  eux-mêmes.  On  m'avait 
désigné  les  frères  de  Vérace  et  un  nommé  Grenus, 
comme  favorables  à  Votre  Altesse  :  je  n'ai  pu  les  dé- 
couvrir; les  bourgeois,  qui  sont  bien  les  plus  ombra- 
geux compagnons  du  monde,  flairent  mon  déguise- 
ment. Les  syndics  sont  venus  me  parler  sur  leur  plus 
haut  ton,  et,  sans  vouloir  croire  à  ma  parole,  m'ont 
ordonne  de  partir  dans  les  vingt-quatre  heures.  » 

Charles-Emmanuel  renonça  dès  lors  à  toute  tenta- 
tive contre  Genève,  il  mourut  peu  de  temps  après. 
A  peine  sur  le  trône,  son  successeur  Victor-Amédée II 
fut  engagé  par  la  cour  de  Home  à  briser  le  traité  de 
Saint-Julien.  Un  célèbre  Jésuite,  le  Père  Monaud, 
fut  chargé  de  vaincre  les  répugnances  de  Louis  XIV. 
«  Afin  que  Sa  Majesté  Très-Chrétienne  ne  prenne 
pas  d'ombrage  de  ce  que  la  Savoie  prend  cette  ville, 
qui  est  la  clef  du  passage  en  Suisse  et  en  Italie,  on 
en  démolira  les  fortifications,  et  le  duc  de  Savoie 
aura  le  bonheur  de  voir  son  règne  favorisé  par  une 
entreprise  généralement  louée  de  la  chrétienté,  et  (te 
causer  le  plus  grand  bonheur  que  l'Eglise  puisse  avoir 
en  ce  siècle.  » 

Mais  Louis  XIV  refusa  d'une  manière  péremptoire, 
déclarant  qu'il  regardait  celte  guerre  contre  Genève 


-200 

comme  une  violation  des  lois  divines  et  humaines. 

Celte  fâcheuse  issue  ne  déconcerta  pas  la  congré- 
gation romaine;  elle  travailla  avec  un  nouveau  zèle 
à  soumettre  la  métropole  protestante1.  En  1676,  un 
bruit  se  répandit,  qui  jeta  une  vive  alarme  chez  les 
ultramontains  :  des  négociations  actives  étaient  enta- 
mées pour  faire  entrer  Genève  dans  la  Confédération 
suisse.  Les  villes  évangéliques le  désiraient;  Fribourg 
im  répugnait  pas;  on  espérait  obtenir  le  consente- 
ment de  Lucerne.  Il  fallait  à  toute  force  anéantir  ce 
projet.  Une  ambassade  vint  à  Paris,  et  représenta  que 
les  papes  s'étaient  toujours  opposés  à  cette  union  qui 
ruinerait  les  espérances  de  la  maison  de  Savoie  sur  le 
rétablissement  de  l'évoque  de  Genève  et  le  retour  de 
cette  ville  à  la  foi  catholique.  Les  motifs  religieux 
ébranlèrent  Louis  X!V,  qui  se  déclara  ouvertement 
contre  le  projet. 

Les  cantons  catholiques  cédèrent  aux  frayeurs  que 
Home  leur  inspira.  «  Les  protestants  seront  tropalïer- 
»  mis  par  l'union  de  Genève  au  corps  helvétique. 
>  Vous,  catholiques,  serez  obligés  de  l'assister  sans  en 
»  retirer  aucun  profit;  carie  roi  d'Espagne  ne  voudra 
«  jamais  défendre  des  cantons  alliés  avec  Genève.» 

Le  projet  fut  abandonné  au  grand  regret  des  Suisses 
protestants  et  de  Fribourg,  qui  se  montra,  comme 
toujours,  fidèle  alliée  de  ses  frères  romands,  et  refusa 

i.  Archives  de  Turin,  Affaires  de  Gené\e,  Griefs,  12"  cal.,  iloss.  <;. 


500 

de  prêter  i«is  mains  à  tous  les  complots  organisés  con- 
tre eux  par  la  cour  de  Home. 

Ces  escarmouches  diplomatiques  et  militaires  con- 
tinuèrent durant  le  dix-huitième  siècle,  et  Genève  ne 
jouit  (l'une  paix  assurée  que  pendant  les  périodes  où  les 
ducs  de  Savoie,  eu  lutte  avec  l'Espagne  ou  la  France, 
ne  pouvaient  s'occuper  activement  d'elle.  Comme  il 
serait  fastidieux  d'entrer  dans  de  plus  longs  détails 
sur  ce  sujet,  nous  passons  à  l'exposé  des  menées 
ecclésiastiques  employées  par  le  clergé  de  Savoie  pour 
opérer  «  la  recouverte  de  Genève.  » 

L'Église  romaine  ne  pouvait  accepter  comme  lé- 
gitimes les  résultats  de  la  Réforme  genevoise  de  1 535 
et  les  stipulations  du  traité  de  Saint  Julien  de  1602. 
Ces  grands  événements  avaient  morcelé  l'évêché  de 
Genève  et  enlevé  au  culte  romain  3500  aines  qu'il 
fallait  reconquérir.  Dans  ce  but,  François  de  Sales, 
après  le  rétablissement  du  catholicisme  en  Chablais, 
avait  obtenu  du  pape  Clément  ,  le  15  septembre 
1598,  une  bulle  pour  fonder  la  Sainte  Maison  de 
Thonon.  Celle  Maison  était  destinée  à  recevoir  les 
Genevois  et  les  Vaudois  qui  auraient  le  désir  de  ren- 
trer dans  la  religion  romaine.  Des  bulles  successives 
de  \  600,  du  4  2  avril  4  002,  du  8  août  \  008  do- 

1.  Mémoires  manuscrit*  louchant  la  Sainte  Maison  de  Thonon,  dé- 
posés par  M.  Gaberel  dans  les  archives  de  la  Vénérable  Compagnie 
<les  Pasteurs  de  Genève. 


501 

tèrent  ce  collège  de  fonds  et  de  domaines,  dont  le 
revenu  varia  de  5080  à  7258,  pour  atteindre  8065 
livres.  Les  prêtres  de  celte  Maison  devaient  être 
choisis  avec  le  pins  grand  soin.  «  On  les  prenait  les 
»  meilleurs  possible,  de  bonne  et  sainte  vie;  ils  por- 
»  laient  la  croix  de  Saint-Maurice  et  Lazare,  afin  que 
»  le  peuple  les  honorât  davantage.  » 

Voici  l'ordonnance  concernant  les  prosélytes  :  «  Les 
gens  qui  demanderont  à  se  convertir  seront  reçus  dans 
la  Maison  des  Arts.  On  les  occupera  aux  ouvrages 
dont  ils  seront  reconnus  capables;  en  même  temps 
on  s'appliquera  à  les  instruire  dans  la  religion.  Ou 
les  tirera  de  la  fainéantise  qui  devient  souvent  la 
source  de  leur  dérangement,  et  fait  échouer  leur  pro- 
jet de  conversion.  On  facilitera,  par  cette  séquestra- 
tion, le  retour  à  la  vraie  foi  des  gens  animés  d'un  désir 
sincère  de  conversion,  et  qui  ont  besoin  d'être  éloi- 
gnés des  occasions  dangereuses  auxquelles  ils  ne  sont 
que  trop  exposés,  lorsqu'ils  restent  dans  des  maisons 
particulières,  abandonnés  à  eux-mêmes.  Enfin,  celte 
séquestration  écartera  les  personnes  du  sexe  qui,  sans 
désir  véritable  de  se  convertir,  cherchent,  à  la  faveur 
de  leur  hypocrisie,  à  vivre  dans  l'oisiveté  et  la  fai- 
néantise. » 

Les  ecclésiastiques  et  les  intendants  des  provinces 
qui  environnent  Genève,  apportèrent  le  plus  grand 
zèle  à  cette  œuvre. 


Ô02 

Les  extraits  suivants  fie  la  eorrespondance  des  di- 
reeteurs  avec  leurs  souverains  font  connaître  à  mer- 
veille l'état  des  choses1. 

2  septembre  1671 .  «  Je  supplie  V.  A.  de  relever 
l'hôpital,  afin  qu'on  puisse,  comme  auparavant,  ame- 
ner les  nouveaux  convertis.  » 

20  mars  4  675.  «.J'ai  besoin  d'un  plus  grand 
nombre  d'ecclésiastiques  et  de  nouveaux  secours;  il 
faut  que  notre  Église  ait  un  éclat,  une  pompe  inusi- 
tée, vu  qu'elle  est  sur  la  lisière  de  l'hérésie.  » 

8  avril  1  675 .  •<  M .  le  Président  du  Sénat  de  Cham- 
béry  ne  fait  pas  cheminer  les  affaires  de  notre  Maison. 
V.  A.  a  promis  une  Université  pour  le  Ghablais;  il 
faut  qu'elle  soit  établie  sans  délai.  Notre  Maison  de 
refuge  doit  être  agrandie,  sans  quoi  le  démon  pren- 
dra toujours  plus  les  âmes  qui  ont  besoin  de  secours 
constants.  » 

1  G  mai  1  675 .  «  Si  V.  A.  ne  continue  pas  les  cha- 
rités pour  les  nouveaux  convertis,  si  elle  n'accorde 
pas  à  noire  congrégation  les  personnes  les  plus  instrui- 
tes et  les  plus  éloquentes,  notre  Maison,  qui  est  le 
boulevard  de  la  religion,  sera  profanée. 

La  .Maison  de  Thonon  étant  insuffisante  pour  les 
exigences  du  prosélytisme  sa  voisien,  les  évéques  de  Ge- 
nève voulurent  y  ajouter  un  établissement  de  refuge. 


1.  Turin,  Archives  de  cour.  Mémoires  et  lettres  de  la  maison  Ros- 
sillon  de  liernei. 


503 

Dès  Pan  1676  le  Duc  de  Savoie  fut  assailli  des 
plus  pressantes  sollicitations  à  ce  sujet.  «  Comme  les 
nouveaux  convertis  n'attendent  rien  moins  qu'une 
Maison  de  refuge  pour  détruire  l'empire  du  démon 
dans  vos  Etats,  il  faut  donner  les  mains  à  cette  insti- 
tution, qui  appuiera  la  nacelle  de  saint  Pierre  dans 
ces  endroits,  et  donnera  le  plus  grand  poids  à  nos 
exhortations  quand  il  s'agira  ^arrêter  quelques  hé- 
rétiques. » 

Ce  refuge  fut  établi  deux  ans  plus  lard,  en  mars 
4  678.  Le  Duc  de  Savoie  lui  donna  2000  écus  d'or  \ 
Voici  les  remerciements:  «  Dieu,  dans  ses  admirables 
conseils,  vous  réservait  la  conclusion  de  cet  ouvrage 
pour  signaler  votre  piété.  Cette  maison  coupe  par  la 
racine  les  progrès  du  démon.  Il  y  a  assez  de  place 
pour  que  les  hommes  et  les  femmes  vivent  séparé- 
ment. La  petite  troupe  des  convertis  bénit  Votre 
Altesse  et  lui  voue  une  éternelle  reconnaissance... 
Leur  foi  n'est  pas  encore  ce  que  nous  désirerions; 
car  la  relique  d'Amédée  V,  envoyée  à  Thonon,  aug- 
mente la  ferveur  des  catholiques,  mais  ne  peut  rien 
sur  les  ex-protestants.  » 

1690.  «  Les  affaires  vont  mal  :  les  conseillers  de 
Thonon  veulent  prendre  l'argent  de  V.  A.  pour  re- 
lever les  murailles  de  la  ville;  il  nous  faudra  renvoyer 
les  vingt-quatre  pauvres  convertis,  vu  que  nos  paysans 

1.  Lottres  de  l'intendant  Rossillou  de  Bernei,  mars  1678  et  1689. 


304 

sont  trop  misérables  pour  les  héberger,  el  les  bour- 
geois ue  se  soucient  pas  du  lout  de  ces  conversions. 

Les  secours  de  Votre  Altesse  sont  indispensables. 
Depuis  six  ans  nous  avons  dépensé  1000  pistoles 
pour  ces  personnes,  el  il  ne  nous  reste  plus  rien.  » 

La  Maison  de  refuge  continua  ses  opérations  avec 
grand1  peine  jusqu'en  4  717.  Pour  lors,  sous  l'in- 
fluence de  MgrRossillon  deBernex,  évêque d'Annecy, 
le  roi  de  Sardaigne  établit  à  Annecy  une  fondation  pour 
secourir  les  nouveaux  convertis,  le  4-  juillet  4  7171. 

Mgr  de  Kossillon  déclina  la  responsabilité  de  l'em- 
ploi de  ces  fonds,  el  demanda  l'établissement  d'un 
comité  directeur.  Le  secrétaire  du  roi,  M.  de  Mella- 
rède,  répondit  :  «  L'on  n'est  pas  assez  injuste  pour 
critiquer  les  actions  d'un  prélat  si  pieux  et  si  chari- 
table; cependant,  puisque  vous  l'avez  voulu,  Sa  Ma- 
jesté vous  a  donné  des  administrateurs,  et  non  pas  des 
associés  pour  la  distribution  des  aumônes  des  nou- 
veaux convertis. 

Les  procès-verbaux  de  ce  comité,  qui  se  réunissait 
mensuellement,  nous  révèlent  la  véritable  portée  de 
ces  conversions,  donl  le  bruit  retentissait  dans  toute 
l'Europe.  Le  nombre  des  assistés  variait  de  dix  à  dix- 
huit,  recevant  chacun  de  i  5  à  24  livres  de  pension 
par  mois,  ce  qui  portail  la  dépense  moyenne  à  200 


1.  Collection  Gaberel,  procès- 
<!<■  I»  fo  ii'l.i  I  khi  ii  \  ii  nei  y. 


verbaux  des  distributions  de  secours. 


305 

livres  par  mois,  soit  2400  livres  tournois  par  an. 

La  grande  majorité  des  prosélytes  était  fournie  par 
les  villages  du  Chablais  et  du  Faucigny,  où  de  nom- 
breux protestants  étaient  demeurés  en  secret  après 
les  missions  de  François  de  Sales  et  de  Jean  d'Aren- 
thon.  A  peine  avons-nous  pu  découvrir,  dans  leur 
nombre,  trois  ou  quatre  ouvriers  de  Genève;  et  à 
propos  d'une  prosélyte  de  notre  ville,  l'évêque  Ros- 
sillon  montra  un  beau  caractère,  dont  les  Gene- 
vois contemporains  furent  de  sincères  admirateurs. 
MUe  Falquel  était  retenue  dans  un  couvent  de  Gex. 
M.  J.-E.  Trembley,  conseiller  d'État,  qui  avait  de 
bonnes  relations  avec  l'évêque  d'Annecy,  le  pria  de 
renvoyer  cette  jeune  fille  à  Genève.  Le  prélat  lui  re- 
mit, pour  le  doyen  de  Gex,  une  lettre  ouverte  où  il 
ordonnait  que  MUe  Falquet  fût  interrogée  sur  ses  sen- 
timents, en  présence  de  ses  parents,  avec  injonction 
de  la  laisser  partir  tout  de  suite  avec  eux,  si  elle  le 
demandait;  car,  disait-il,  «  il  n'y  a  point  d'honneur 
pour  notre  religion  d'y  retenir  les  gens  par  force.  » 
MIlc  Falquet  fut  réintégrée  dans  l'Église  de  Genève, 
après  une  rude  censure  du  Consistoire  (Reg.  Consist. 
5  janvier  4  709). 

Les  relations  entre  les  catholiques  savoisiens  et  les 
Genevois  offraient  des  contrastes  qui  s'expliquent  ai- 
sément. Les  deux  nations  avaient  l'une  pour  l'autre 
une  cordiale  affection  naturelle,  et  ne  cessaient  jamais 

m.  20 


506 

de  la  manifester;  mais  des  influences  étrangères  ont 
quelquefois  altéré  ces  bons  sentiments  et  amené  des 
frottements  pénibles. 

D'abord  après  l'Escalade,  les  Genevois  et  les  Sa- 
voyards vécurent  individuellement  en  parfaite  har- 
monie, se  rendant,  toutes  sortes  de  services  de  bon 
voisinage.  «  Les  religieux  des  environs,  les  sœurs  de 
Thononetd'Évian,  les  moines  des  Voirons,  affirment, 
à  maintes  reprises1,  qu'ils  ne  reçoivent  nulle  part  de 
plus  larges  aumônes  qu'à  Genève,  et  qu'ils  y  sont 
parfaitement  traités.  Chaque  année  le  Conseil  offre 
une  somme  considérable  aux  pères  du  Saint-Bernard, 
et  ceux-ci  déclarent  que,  vu  le  bon  accueil  qu'ils  trou- 
vent chez  les  particuliers,  ils  demeurent  à  Genève 
beaucoup  plus  longtemps  que  partout  ailleurs.  Du 
reste,  ajoute  le  môme  voyageur,  on  ne  fait  aucun  dé- 
plaisir aux  catholiques  à  Genève,  pourvu  qu'ils  ne 
dogmatisent  pas;  au  contraire,  ils  reçoivent  toute 
sorte  de  courtoisie;  les  religieux  peuvent  y  passer 
librement,  voire  même  y  séjourner;  mais  pour  em- 
pêcher (jue  la  nouveauté  de  leur  habillement  ne  fasse 
courir  les  enfants  après  eux,  on  .leur  donne  un  soldat 
pour  les  accompagner  en  la  ville.  »  Toutefois,  la  dite 
précaution  n'avait  pas  la  signification  bienveillante 
que  suppose  l'auteur  français;  car  celte  largeur  de 
procédés  était  fréquemment  compromise  par  «  les  in- 

1.  Davily,  Description  de  l'Europe,  1660. 


307 

discrétions  »  des  religieux  qui  venaient  à  Genève 1 . 
On  rapporte  un  jour  «  que  les  capucins  fréquentent 
souvent  la  ville,  entrent  dans  les  maisons  et  les  bou- 
tiques, et  prennent  la  hardiesse  de  dogmatiser.  Na- 
guère, chez  M.  Détournes  (libraire),  un  moine  entre- 
prit une  dispute  avec  un  jeune  écolier  qui  était  là, 
achetant  un  livre  et  le  payant  en  monnaie  de  Genève. 
Le  religieux  dit  :  «  Voilà  de  la  méchante  et  maudite 
monnaie.  »  C'est  ainsi  qu'ils  se  rendent  indignes  de 
la  permission  qu'on  leur  donne  d'aller  librement  en 
ville;  aussi  on  y  mettra  un  soldat  pour  les  accom- 
pagner. » 

Voici  un  autre  l'ait  qui  peint  naïvement  i'espritdu 
temps  '.  «  Les  marguilliers  de  Saint-Pierre  rapportent 
que  souvent  des  étrangers  visitent  la  cathédrale  de 
Saint-Pierre  et  se  prosternent  en  contemplant  les  ima- 
ges des  voûtes  et  les  peintures  des  vitraux;  ils  disent 
que  ces  peintures  sont  miraculeuses,  puisqu'elles  n'ont 
jamais  pu  être  effacées.  Comme  on  répare  et  blanchit 
le  temple,  on  mettra  du  plâtre  sur  les  dites  peintures, 
et  cela  se  fera  tout  d'un  train.  Quant  aux  vitraux,  il 
n'y  sera  pas  touché.  » 

Les  discussions,  les  violences,  les  tentatives  de  pro- 
sélytisme, troublèrent  pendant  cent  cinquante  années 
la  tranquillité  publique  sur  le  territoire  genevois. 

î.  Reg.  Comp.  9juin  1643. 
2.  Reg.  Comp.  18  août  1643. 


508 

Nous  avons  dit  que  le  traité  de  Saint-Julien  avait 
reconnu  à  la  République  la  possession  des  terres  de 
l'Évêché  et  de  Saint-Victor;  mais,  on  le  comprend, 
T Église  n'avait  jamais  accepté  cette  cession;  les  pré- 
lats d'Annecy  voulaient  conserver  leur  juridiction  sur 
leurs  anciennes  paroisses.  Ils  entravaient  les  pasteurs 
dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  soit  auprès  des 
protestants  dont  les  maisons  étaient  au  milieu  des  vil- 
lages catholiques,  soit  chez  les  catholiques  établis  sur 
les  terres  genevoises.  On  se  refusait  mutuellement  le 
passage  pour  la  visite  des  malades  et  l'instruction  des 
enfants.  Il  existe  aux  archives  de  Turin  des  volumes 
contenant  «  les  griefs  contre  Genève,  »  où  les  ecclé- 
siastiques savoisiens  accumulent  les  accusations  de 
prosélytisme  contre  les  pasteurs  genevois.  «  Ils  vont 
dans  les  champs  tourmenter  les  ouvriers;  ils  catéchi- 
sent à  force  les  domestiques  catholiques;  les  maîtres 
d'écoîe  attirent  les  enfants  et  leur  donnent  des  livres 
pour  gâter  la  foi  des  parents  ;  ils  profitent  des  mala- 
dies pour  faire,  pendant  leurs  cultes,  des  discours 
contre  notre  sainte  foi,  et  parlent  de  î  inutilité  de 
l'extrême-onction  aux  parents  qui  viennent,  par  cha- 
rité, engager  le  mourant  à  accepter  les  saints  sacre- 
ments » 

Les  registres  de  nos  Conseils  sont  également  émail- 
lés  de  plaintes  portées  par  les  pasteurs  des  champs 

l .  Turin,  Archives  de  cour,  Griefs  conlre  Genève,  13°  catégorie. 


309 

contre  les  procédés  et  les  attaques  de  leurs  voisins. 
Voici  quelques  faits  qui  caractérisent  bien  cet  état  de 
choses,  et  qui  font  voir  à  quels  traitements  étaient 
exposés  les  ministres.  Un  d'entre  eux,  M.  Bordier, 
pasteur  à  Cartigny  (Reg.  Comp.  17  juillet  1640), 
informe  ia  Compagnie  que  son  iils  et  son  neveu  vien- 
nent d'être  enlevés  et  sont  prisonniers  à  Milan.  Le 
Conseil  fait  toutes  les  démarches  nécessaires  auprès 
de  l'ambassadeur 'd'Espagne à  Lucerne.  L  enlèvement 
de  ces  deux  jeunes  gens  était  une  punition  du  zèle 
extrême  que  M.  Bordier  apportait  dans  les  conversions 
des  paysans  du  voisinage. 

4  9  mars  1647  (Beg.  Comp.).  M,  de  Lafontaine, 
pasteur  à  Bossey,  est  emprisonné  à  Chambéry.  Il  a 
fait  réparer  le  temple  de  Bossey  au  moyen  de  contri- 
butions levées  sur  des  protestants  savoisiens,  et  il  a 
fait  rétablir  une  girouette  aux  armes  de  Genève,  sur 
le  clocher  de  ce  village  qui  appartient  à  S.  A.  Gomme 
Bossey  était  sur  les  terres  de  Saint-Victor,  M.  de  La- 
fontaine est  soutenu  par  le  Conseil  et  les  Suisses.  Au 
bout,  de  huit  mois  il  est  délivré  et  raconte  ainsi  son 
emprisonnement  : 

«  J'ai  passé  par  de  grandes  souffrances  en  mon 
corps  et  de  grandes  incommodités  de  froidure.  J'ai 
également  pâti  d'étranges  assauts  et  tentations  de  la 
part  des  moines  jésuites  et  autres  religieux  ;  ils  ont 
voulu  me  détourner  de  la  foi  ;  mais  Dieu ,  dans  sa 


51 0 

grâce,  m'a  puissamment  soutenu,  et  je  bénis  Mes- 
sieurs du  Conseil  et  nos  chers  alliés  de  ma  délivrance.» 

Les  tracasseries  devenaient  toujours  plus  fréquentes 
sur  les  limites  indécises  des  territoires. 

25  août  1672.  «  De  pauvres  gens  de  Choulex 
étant  tourmentés  pour  changer  de  religion,  et  de  l'ar- 
gent leur  étant  offert,  on  leur  conseille  de  se  retirer 
à  Jussy,  d'où  ils  pourront  soigner  leurs  biens,  et  on 
les  instruira  pour  qu'ils  puissent  répondre.  » 

14  mars  4  701.  Le  curé  de  Choulex  écrit  à  M.  Das- 
sier,  pasteur  de  Vandœuvres  :  «  Il  m'est  revenu  que 
vous  affectez,  depuis  quelque  temps,  de  dogmatiser 
dans  ma  paroisse,  surtout  chez  un  nommé  Santoux; 
il  est  de  mon  devoir  de  veiller  à  ce  que  rien  de  pareil 
n'arrive.  »  M.  Dassier  répond  :  «  Les  pasteurs  de  Van- 
dœuvres ont  toujours  eu  le  droit  de  visiter  les  protes- 
tants de  votre  paroisse;  vous  n'avez  aucun  compte  à 
me  demander  pour  la  consolation  de  ces  malades,  et 
vous  savez  que  je  suis  tellement  circonspect  en  mes 
démarches,  que  rien  ne  devrait  interrompre  la  bonne 
correspondance  entre  nous.  » 

8  décembre  1695.  «  M.  Lamon,  pasteur  à  Jussy, 
reçoit  du  juge-mage  de  Thonon  l'avis  que  le  curé 
savoisien  de  Veigy  a  ordre  de  veiller  sur  la  conduite 
des  protestants  de  Gy.  M.  Lamon  répond  que  si  ledit 
curé  s'ingère  en  ses  affaires  de  paroisse,  il  procédera 
énergiquement  contre  lui.  Les  gens  de  Sionnet  rap- 


341 

portent  que  le  curé  de  Meinier  leur  défend  de  tra- 
vailler les  jours  de  fêtes.  M.  Lamon  les  exhorte  à  tra- 
vailler comme  de  coutume.  Les  paysans  de  Sionnet 
saisissent  le  valet  de  M.  le  curé,  qui  vient  leur  faire 
menace  de  la  part  de  son  maître,  et  ils  lui  baille  ont 
sur  les  oreilles  s'il  y  revient,  ce  qui  sera  pour  son 
compte.  » 

Les  mômes  discussions  se  présentent  sur  les  bords 
du  Rhône.  1er  novembre  4  700.  «  Le  curé  de  Russin 
va  voir  des  malades  protestants  et  les  menace  de  les 
faire  traîner  sur  la  claie,  après  leur  mort,  s'ils  ne 
reçoivent  pas  les  sacrements.  » 

4-  avril  1684-.  «  Comme  on  distribuait  la  Sainte- 
Cène  au  Petit-Sacconnex,  il  y  eut  grand  tumulte, 
parce  qu'un  prêtre  du  Grand-Sacconnex  et  des  paysans 
de  Pregny  épiaient  les  gens  du  Pays  de  Gex,  venus 
pour  communier;  mais  on  les  a  entourés  dans  le  tem- 
ple, de  sorte  qu'ils  n'ont  pu  être  vus.  » 

14  mars  1701.  «  Le  curé  de  Rernex  oblige  les 
protestants  à  se  mettre  à  genoux  devant  l'hostie,  et 
effraie  tellement  les  femmes  qu'elles  s'enfuient  à  Ira 
vers  champs.  » 

10  avril  1705.  «  Comme  les  papistes  deviennent 
toujours  plus  nombreux  sur  les  terres  de  Saint-Victor, 
et  que  les  prêtres  s'efforcent  d'en  introduire  encore 
davantage,  on  catéchisera  les  domestiques  savoisiens; 
Ton  préviendra,  en  les  achetant,  les  papistes  qui  veu- 


312 

lent  acquérir  les  terres  des  réformés  et  les  en  bannir.  » 
(25  mai  1708). 

Ces  griefs  mutuels  se  traduisaient  en  longs  mémoi- 
res, où  la  cour  de  Turin  manifestait  l'intention  de 
reconquérir  Genève,  tandis  que  les  magistrats  pro- 
testants, soutenus  par  leurs  amis  de  Berne  et  de  Zu- 
rich, répondaient  qu'ils  étaient  prêts  à  se  défendre. 

Une  guerre  de  plume  se  déchaînait  en  même  temps 
entre  les  lettrés  des  deux  pays,  et  quoique  moins 
acerbe  en  ses  formes,  elle  contribuait  beaucoup  à 
entretenir  l'aigreur  et  les  frottements  pénibles. 

La  cour  de  Rome  voyait  avec  peine  la  propagande 
que  les  imprimeries  de  Genève  entretenaient  au  loin, 
et  toutes  les  plaintes  de  saint  François  de  Sales  n'a- 
vaient pu  diminuer  l'abondance  des  traités  protes- 
tants. Un  secrétaire  du  pape  Innocent  X,  revenant  de 
Paris,  voulut  examiner  personnellement  l'état  des 
choses  à  Genève,  et  vint  dans  cette  ville  en  l'an  1650. 
Àson  retour,  le  pape  l'interrogea  louchant  son  voyage. 
—  Vous  avez  passé  à  Genève  incognito.  Que  dit-on 
de  nous  dans  celle  ville  rebelle?  —  Très-Sainl-Père, 
on  ne  peut  rien  attendre  de  bon  de  ses  ennemis.  — 
Parlez,  je  veux  tout  savoir.  —  Je  ne  m'arrêtai  qu'un 
seul  jour  en  celte  ville,  où  je  remarquai  aux  person- 
nes une  plus  grande  civilité  que  je  n'attendais.  Mais, 
plus  je  fus  consolé  en  mon  extérieur,  plus  je  fus  mor- 
tifié au  dedans.  Je  me  lis  accompagner  dans  l'Eglise 


315 

par  mon  hôte.  Le  prédicateur  s'appelait  M.  J.  Diodati, 
de  Lacques.  Il  prêcha  sur  ce  texte  :  Je  ne  permets 
pas  aux  femmes  d  enseigner  ni  de  dominer  sur  leurs 
maris;  sur  quoi  il  déclama  fort  à  la  grande  honte  de 
notre  Eglise  romaine,  qui  se  laisse  gouverner  par  une 
femme.»  —  «Cet  avis,  déclare  le  cardinal  Astalli, 
frappa  si  vivement  le  cœur  du  pape,  qu'il  prit  la  ré- 
solution de  bannir  de  la  cour  Mme  Olympe,  sa  sœur, 
qui  exerçait  un  pouvoir  despotique,  et  scandalisait 
tout  le  monde  par  sa  conduite  désordonnée.  » 

Il  serait  fastidieux  d'énumérer  tous  les  livres  qui  en- 
tretinrent, durant  le  dix-septième  siècle,  la  controverse 
entre  Genève  et  la  Savoie.  Les  petits  traités  abon- 
daient, et,  chose  remarquable,  ces  écrits  conservaient 
généralement  un  ton  et  une  forme  évangéliques;  les 
dogmes  y  étaient  exposés,  et  les  difficultés  résolues 
sans  présenter  l'aigreur  qui  se  manifestait  dans  les 
contestations  journalières  de  la  vie  pratique.  Nous 
trouvons  en  1715  un  exemple  frappant  de  cet  esprit 
large  et  tolérant.  Mgr  Kossillon  de  Bernex,  évèque 
d'Annecy,  dont  nous  avons  déjà  montré  la  douce 
impartialité,  reçut  un  jour  un  traité  de  controverse 
de  Bénédict  Pictet,  où  notre  célèbre  théologien  avait 
écrit  ces  paroles  :  «  J'honore  les  prélats  de  la  com- 
munion romaine,  et  il  y  en  a  un  dans  notre  voisinage 
poui-  lequel  j'ai  un  grand  respect  et  dont  je  considère 
infiniment  le  rare  mérite  et  les  vertus.  »  M.  de  Bernex, 


3U 

touché  de  cet  hommage,  se  procura  les  livres  de 
B.  Pictet,  et  soutint  avec  lui  une  correspondance  ami- 
cale, où  il  établit  que  les  catholiques  ne  méritent  point 
le  nom  d'idolâtres,  vu  qu'ils  vénèrent  et  n'adorent 
pas  les  images.  M.  Pictet,  de  son  côté,  montra  l'ex- 
trême danger  de  ces  pratiques  pour  les  gens  simples, 
et  la  pente  insensible  par  laquelle  on  donne  à  l'image 
elle-même  la  puissance  et  les  volontés  miraculeuses 
qui  n'appartiennent  qu'à  la  Divinité1.  Cette  contro- 
verse n'eut  aucun  résultat:  les  deux  adversaires  con- 
servèrent, l'un  pour  l'autre,  jusqu'à  la  mort,  une 
mutuelle  et  affectueuse  estime;  seulement  leurs  rela- 
tions personnelles  durent  cesser,  le  bruit  s'étant  ré- 
pandu que  Bénédict  Pictet,  entraîné  par  Mgr  de  Ber- 
nex,  abjurerait  le  protestantisme  si  le  Consistoire  ne 
le  faisait  garder  à  vue.  «  Je  suis  fort  honoré,  disait  en 
souriant  le  vieux  professeur,  qu'on  renouvelle  pour 
moi,  après  cent  vingt  années,  la  légende  concernant 
les  précautions  dont  on  entoura  Théodore  de  Bèze, 
pour  le  soustraire  aux  sollicitations  de  François  de 
Sales.  » 

Une  aventure  où  la  malice,  la  grossièreté  et  le  men- 
songe, avaient  déshonoré  le  caractère  ecclésiastique, 
fournit  à  Mgr  Rossillon  de  Bernex  l'occasion  de  mon- 
trer son  noble  et  chrétien  caractère. 

1.  Vie  de  M.  Rossillon  de  Bernex;  Lettres  de  B.  Pictet;  Reg.  Cons 
et  Reg.  Comp.,  nov.  171'». 


515 

La  famille  Minutoli,  originaire  de  Lucques,  dis- 
tinguée au  temps  de  la  Réforme  par  ses  vertus  et  les 
talents  de  ses  chefs,  était  fort  déchue  vers  la  fin  du 
dix-septième  siècle.  Vincent  Minutoli,  très-médiocre 
professeur  de  grec,  quitta  l'Académie  pour  exercer 
le  saint  ministère  aux  Pays-Bas.  «  Ayant  fait  scandale, 
il  fut  suspendu  de  la  Cène  et  déposé  de  ses  fonctions 
en  1668  par  le  synode  de  Flessingue1.  »  Quelques 
années  plus  tard,  il  écrivit  à  la  Compagnie  une  lettre 
«  vraiment  pénitente,  »  et,  après  les  délais  de  rigueur, 
il  fut  rétabli  en  sa  qualité  de  ministre.  Son  fils  Joa- 
chim  Minutoli  devint  étudiant  en  théologie.  Un  scan- 
dale de  mœurs  le  fit  chasser  de  l'auditoire  au  bout 
de  quelques  mois2.  «  Se  trouvant  sans  biens  et  sans 
conduite,  disent  les  journaux  du  temps,  il  négocia  son 
changement  de  religion,  se  réfugia  à  Lucques,  et  à  la 
faveur  de  quelques  lettres  de  recommandation,  il 
obtint  une  pension  dont  il  jouit  encore.  De  retour  en 
Savoie  en  171-4,  il  fit  connaissance  du  curé  Pont- 
verre,  qui  l'engagea  à  publier  un  libelle  contre  les 
pasteurs  de  Genève.  »  Ce  prêtre,  devenu  célèbre  par 
ses  relations  avec  Jean-Jacques  Rousseau,  fit  paraître 
un  volume  de  \  80  pages,  où  Minutoli  prit  à  partie 
les  pasteurs  de  Genève,  et  les  tourna  en  ridicule  avec 
une  méchanceté  souvent  très-spirituelle;  la  calomnie 


1.  Reg.  Comp.  24  sept.  1675  et  22  nov.  1678. 

2.  Bibliothèque  germanique,  t.  XVIII. 


516 

est  habilement  entremêlée  de  faits  réels.  Ainsi,  Bé- 
nédicl  Pictet  ayant  été  ruiné  par  la  faillite  d'un  ban- 
quier, «  il  a  ce  qu'il  mérite,  vu  qu'il  faisait  l'usure 
de  compte  à  demi  avec  ce  négociant.  »  Quelques 
beaux  tableaux  que  possédaient  Domaine  Butini  et 
J.-A.  Turrelin  sont  transformés  en  peintures  scan- 
daleuses. Les  imperfections  de  quelques  prédica- 
teurs sont  le  sujet  des  plaisanteries  suivantes  : 
«  M.  Fatio  a  un  talent  particulier  en  chaire;  il  fait 
suer  ses  auditeurs  par  les  plus  grands  froids;  c'est 
pour  cela  qu'on  l'a  relégué  en  un  village  qui  recèle 
les  ordures  de  la  ville.  Il  fera  transpirer  les  humeurs 
peccantes  de  ses  paroissiens.  Mais  si  M.  Fatio  fait  suer 
ses  auditeurs,  M.  Calandrin  a  le  secret  d'endormir  les 
siens,  etc.  »  Ce  libelle,  l'un  des  plus  tristes  échantil- 
lons de  l'emploi  de  l'ironie  dans  la  presse  religieuse, 
fut  imprimé  soi-disant  à  Modène  en  17 H,  el  publi- 
quement, avec  approbation,  à  Fribourg,  en  4  720. 
Voici  la  délibération  de  nos  Conseils  à  ce  sujet  (Beg. 
Consist.  16  avril  171 4-).  «  Le  curé  Pontverre  ayant 
cherché  à  faire  relier  plusieurs  exemplaires  d'un  livre 
intitulé  :  Motifs  de  la  conversion  de  Minutoli,  avec  les 
portraits  des  quarante  ministres  de  Genève,  les  libel- 
les ne  peuvent  être  attribués  qu'à  ce  curé,  lequel  a 
fait  encore  un  autre  livre  de  cette  espèce,  et  imprimé 
des  lettres  injurieuses  à  speclable  Bénédict  Pictet. 
Arrêté  de  faire  saisir  le  plus  d'exemplaires  qu'il  se 


317 

pourra,  et  d'interdire  l'entrée  de  la  ville  au  dit 
curé.  » 

Du  16  mai.  «  Plusieurs  curés  voisins  ont  été  appe- 
lés à  Annecy  par  Pévêque  Mgr  Rossillon;  il  leur  a 
témoigné  son  indignation  contre  le  curé  Pontverre, 
sur  son  libelle  contre  les  quarante  ministres  de 
Genève;  il  les  a  chargés  de  rechercher  et,  de  suppri- 
mer tous  les  exemplaires  qu'il  leur  sera  possible  de 
trouver  et  recommandé  de  vivre  en  bons  voisins  avec 
nous.  » 

Malheureusement  les  successeurs  de  Mgr  Rossillon 
n'imitèrent  pas  son  exemple;  les  taquineries,  les  pro- 
cès et  les  menaces  reprirent  leur  cours  contre  Genève. 
Les  souverains  sardes  se  montrèrent  toujours  plus 
disposés  à  saisir  les  occasions  favorables  pour  s'em- 
parer de  la  ville.  H  fallait  en  finir.  En  1754-,  le  roi 
Emmanuel  III,  à  la  requête  pressante  de  Berne  et  de 
Zurich,  consentit  à  entrer  en  tractation  avec  la  Ré- 
publique. Le  rapport  du  syndic  Galiffe  à  la  Compagnie 
établit  clairement  la  position.  «  Dans  le  traité  de  Saint- 
Julien  (1605),  le  Duc  ne  se  départ  pas  des  préten- 
tions qu'il  croit  avoir  sur  Genève.  Les  difficultés  ont 
été  grandes  durant  le  dix-septième  siècle,  surtout  de- 
puis 1669,  lorsque  le  Duc  de  Savoie  déclara  ne  plus 
reconnaître  le  traité.  Les  difficultés  ont  augmenté 
naguère  à  cause  des  réfugiés  français  et  vaudois  qui 
cultivent  les  terres  de  la  République  en  si  grand 


318 

nombre;  on  voudrait  les  bannir.  Les  puissances  ne 
peuvent  rien  comprendre  à  nos  questions  obscures 
de  souveraineté;  il  n'y  a  qu'un  moyen  de  s'enten- 
dre :  c'est  de  partager  les  terres  en  litige ,  et  que  le 
roi  de  Sardaigne  reconnaisse  pour  toujours  nos 
droits  et  nous  laisse  paisibles  possesseurs  de  notre 
territoire.  » 

M.  Mussard,  syndic,  chargé  de  négocier  le  traité, 
reçut  l'expression  des  regrets  amers  delà  Compagnie 
touchant  la  dure  nécessité  de  céder  des  villages  pro- 
testants; il  s'associa  à  ces  sentiments,  tout  en  mon- 
trant que  cet  abandon  du  territoire  contesté  était  le 
seul  moyen  d'obtenir  la  paix  et  la  sécurité  pour  la 
République. 

La  Compagnie  demanda  que  du  moins  toutes  les 
précautions  fussent  prises  pour  proléger  le  culte  pro- 
testant dans  les  villages  cédés. 

Le  roi  de  Sardaigne  ne  fit  que  d'insignifiantes  con- 
cessions. 

Il  accorda  pour  vingt-cinq  ans  l'exercice  du  culte 
dans  le  temple  de  Bossey,  pour  les  villages  de  Troi- 
nex,  Bossey  et  Carouge.  — Celle  faveur  fut  limitée 
à  quatre  ans  pour  Chêne.  Dans  les  temples  de  Va- 
leiry  et  de  Neydans,  le  culte  devait  cesser  immédia- 
tement; mais  le  roi  s'engageait  à  laisser  aux  habitants 
de  ces  villages  une  entière  liberté  de  conscience  du- 
rant vingt-cinq  années.  Passé  ce  terme,  les  paysans 


319 

devaient  vendre  leurs  lerres  et  éniigrer,  ou  passer  au 
catholicisme.  A  ce  prix,  le  monarque  piémonlais 
respectait  pour  toujours  la  liberté  religieuse  et  l'in- 
dépendance de  la  République  de  Genève. 

Ces  conditions,  si  dures  au  premier  abord,  ne 
préoccupèrent  toutefois  que  médiocrement  les  Gene- 
vois. On  connaissait  l'esprit  religieux  qui  régnait  dans 
les  campagnes  cédées;  les  paysans  étaient  inviolable- 
ment  attachés  à  la  Réforme,  et  témoignaient  le  désir 
de  faire,  le  plus  promptement  que  possible,  des 
acquisitions  de  terrains  sur  le  territoire  genevois.  Les 
notaires  savoisiens,  lesjuges,  les  officiers  civils,  reçu- 
rent du  roi  l'ordre  de  favoriser,  autant  que  possible, 
ces  ventes,  et  d'acheter  les  terrains  à  des  prix  élevés. 
Grâce  à  ces  sacrifices  pécuniaires,  les  émigrations 
protestantes  furent  rapides;  les  villages  genevois  vi- 
rent le  nombre  de  leurs  habitants  s'augmenter  dans 
une  notable  proportion,  et  vingt-cinq  ans  plus  tard, 
lorsqu'on  abandonna  le  temple  de  Rossey,  Genève  fît 
une  souscription  pour  indemniser  les  émigrants  paut 
vres.  Les  citoyens  riches,  MM.  Colladon,  Ruisson  et 
Perdriau  à  leur  tête,  déclarèrent  qu'ils  fourniraien- 
la  somme  nécessaire  pour  que  pas  un  seul  dépossédé 
ne  perdît  un  sou  de  la  valeur  de  ses  terres;  mais 
telle  était  l'aisance  des  agriculteurs  genevois,  que 
l'indemnité  ne  'lépassa  pas  le  chiffre  de  6916  livres, 

1.  Reg.  Comp.  de  juin  à  août  1754. 


520 

soit  à  peu  près  20,000  francs  de  notre  monnaie 
actuelle.  Les  gens  de  Bossey  et  de  Neydans  s'établi- 
rent à  Jussy  et  à  Chêne.  L'école  de  Jussy  fut  augmen- 
tée de  soixante  et  dix  enfants.  Chêne  vit  doubler  sa 
population  ;  on  y  dut  bientôt  bâtir  un  temple  et  un  pres- 
bytère. Les  petits  hameaux  qui  environnent  le  village 
de  Cartighy  devinrent  des  localités  assez  importantes 
pour  fonder  des  écoles.  L'émigration  protestante  se 
termina  sans  autre  dommage  que  la  perte  des  églises 
et  le  chagrin  des  agriculteurs  qui  abandonnaient 
l'héritage  de  leurs  pères  pour  défricher  des  terres 
nouvelles.  Toutefois  cette  émigration  ne  fut  pas  com- 
plète; plusieurs  familles  prolestantes  demeurèrent 
dans  les  territoires  cédés.  Le  roi,  pour  montrer 
son  bon  vouloir,  donna  l'ordre  au  Sénat  de  Cham- 
béry  de  proclamer  l'édit  suivant,  daté  du  17  mars 
1780  :  «  Nous  donnons  l'autorisation  aux  sujets  pro- 
»  lestants  des  terres  de  Sa  Majesté  de  remplir  leurs 
«devoirs  religieux  dans  les  villages  voisins;  nous 
«permettons  à  MM.  les  pasteurs  de  venir  remplir 
>.  leur  ministère  auprès  de  nos  dits  sujets,  les  sa- 
»  chant  animés  d'un  zèle  chrétien  vraiment  sincère 
»  et  modéré.  » 

Ainsi,  les  luttes  confessionnelles  de  Genève  et  de 
la  Savoie  se  terminèrent  sous  l'empire  de  celte  tolé- 
rance dont  les  souverains  sardes  ont  si  souvent  donné 
un  noble  exemple,  et  dès-lors  la  plus  loyale  observa- 


521 

lion  de  ce  iraité  a  consolidé  la  paix  religieuse  entre 
les  deux  pays1. 

i.  Les  terres  échangées  contenaient  123,111  poses  de  400  toises.  Le 
Roi  en  eut  6974;  la  République,  5337. 

Les  villages  cédés  par  le  roi  de  Sardaigne  furent  Cartigny,  la  Petite 
Grave,  Epeisses ,  Passeiri,  Grange-Canal,  Vandœuvres,  Miolans , 
Pressi,  Chougni,  Ruth,  la  Belotte,  Gy,  Sionnel. 

Les  Genevois  cédèrent  Carouge,  Sierne,  Veirv,  Bossey,  Crevin, 
Landecy,  Onex,  Lancy,  Pinchat,  Valeiry,  Avusy,  Sézegnin,  Alhenaz, 
Laconnex,  Villette,  Thonex,  Le  Carre,  Choulex,  Bonvard,  Presinge, 
Corsinge. 

Ces  villages  sont  redevenus  presque  tous  terre  genevoise  en  1815, 
mais  les  populations  sont  catholiques. 


III. 


21 


322 

CHAPITRE  X. 

GENÈVE  ET  LE  CATHOLICISME  FRANÇAIS. 

Introduction  du  catholicisme  à  Genève  par  Louis  XIV.  —  La  messe  du 
Résident  et  les  résistances  des  Genevois.  —  La  prise  de  Strasbourg. 

—  Bataille  de  Wilruergen.  —  Conjuration  catholique  contre  Genève 
en  1715.  —  Controverse  écrite  avec  les  Français.  —  Les  prosélytes. 

—  La  Chambre  des  Prosélytes.  —  Le  bon  curé  de  Mérindol.  —  Pro- 
tection accordée  par  Genève  aux  catholiques  à  la  fin  du  siècle.  — 
Les  prêtres  français  réfugiés  à  Genève  durant  la  révolution  de  1792. 

—  M.  de  Talleyraud  sauvé  par  les  pasteurs  genevois.  — Catholicisme 
sous  l'Empire.  —  M.  Vuarin  et  ses  intrigues. 


Nous  avons  vu  dans  noire  précédent  volume  que 
Louis  XIII,  sollicité  par  le  pape  de  permettre  l'inva- 
sion de  Genève  et  sa  réunion  à  la  maison  de  Savoie, 
répondit  en  1624  à  l'ambassadeur  du  Saint-Père: 
«  J'entends  continuer  aux  Genevois  la  protection  de 
mon  père  Henri  IV,  et  je  ferai  respecter  les  traités 
de  Vervins  et  de  Saint-Julien,  qui  assurent  leur  exis- 
tence. » 

Cette  loyale  protection  contribua  puissamment  à  la 
sécurité  de  Genève,  et  lui  fut  conservée  par  Louis  XIV 
pendant  la  plus  grande  partie  de  son  règne.  Mais  ce 
monarque,  devenu  vieux,  crut  effacer,  devant  Dieu 


323 

et  devant  les  hommes,  le  souvenir  de  ses  fautes  pas- 
sées en  persécutant  les  Églises  prolestantes.  «  La  re- 
couverte de  Genève  »  parut  une  œuvre  méritoire  au 
Père  Lachaise.  On  pouvait  l'opérer  par  la  force.  Vingt, 
mille  hommes  auraient  réduit  en  quelques  semaines 
la  cité  hérétique.  Mais  l'Angleterre,  les  Pays-Bas,  les 
Electeurs  de  Brandebourg,  les  Cantons  Suisses,  proté- 
geaient ouvertement  la  métropole  du  protestantisme; 
l'emploi  de  la  force  paraissait  dangereux;  il  fallait 
essayer  de  convertir  cette  ville,  dont  il  n'était  pas 
prudent  de  s'emparer  à  main  armée. 

Pour  convertir  une  ville,  il  est  nécessaire  d'y  in- 
troduire des  missionnaires  en  grand  nombre;  or,  les 
Genevois,  sans  cesse  menacés  par  les  agents  savoi- 
siens,  avaient  absolument  interdit  la  célébration  du 
culte  catholique,  et,  avec  une  défiance  trop  souvent 
légitime,  ils  regardaient  les  prêtres  romains  comme 
d'irréconciliables  ennemis  de  leurs  libertés. 

Louis  XIV  voulut  vaincre  ces  résistances:  il  dé- 
clara, en  4  679,  que  désormais  il  établirait  un  rési- 
dent français  dans  Genève.  Les  citoyens  apprirent 
cette  nouvelle  avec  une  véritable  consternation.  L'in- 
troduction de  la  messe  à  Genève  était  une  conséquence 
inévitable  du  séjour  de  l'ambassadeur  français,  et  l'on 
se  préoccupait  péniblement  du  propos  d'un  sieur 
Faure  de  Châteauvieux,  «  lequel  témoigna  do  la  joie  à 
un  conseiller,  à  cause  de  l'envoi  du  sieur  de  Chau- 


324 

vigni,  comme  résident  en  cette  ville.  Il  lui  est  recom- 
mandé par  le  Père  Lachaise,  confesseur  du  roi  ;  il  se 
sent  obligé  de  lui  offrir  son  logis,  et  il  ne  croit  pas 
qu  il  soit  aisé  de  lui  empêcher  de  faire  dire  la  messe 
en  sa  maison.  »  (Reg.  Consist.  5  juillet  4  679.) 

Deux  citoyens,  MM.  Galalin  et  de  Chapeaurouge, 
espérant  entraver  la  réalisation  de  ce  projet,  envoient 
aux  minisires  de  Louis  XIV  une  forte  somme  poul- 
ies rendre  favorables  aux  vœux  de  Genève.  On  prend 
l'argent,  et  l'on  répond  que  le  souverain  est  inflexible 
en  ses  résolutions. 

La  Compagnie,  consultée  par  les  magistrats1,  es- 
tima qu'il  fallait  députer  les  personnes  les  plus  habiles 
auprès  de  nos  alliés,  et  les  prier  d'obtenir,  par  leur 
intercession,  que  le  roi  nous  traitât  comme  l'An- 
gleterre et  Strasbourg,  c'est-à-dire  qu'il  envoyât  à 
Genève  un  ambassadeur  de  notre  religion.  «  Espérons, 
ajoutent-ils,  que  cette  démarche  réussira;  car  si  on 
exerce  publiquement  le  catholicisme  chez  nous,  nous 
verrons  beaucoup  d'étrangers,  d'ennemis  de  notre 
liberté  et  de  notre  État,  prendre  occasion  de  nous 
troubler,  d'irriter,  d'émouvoir  notre  peuple.  » 

Cette  nouvelle  démarche  fut  inutile.  M.  de  Chau- 
vigni  vint  s'établir  à  Genève  en  octobre  1679  (Reg. 
Cons.  octobre  et  novembre).  Comme  on  s'y  attendait, 
il  déclara  que  son  chapelain  dirait  la  messe  en  son 

l.  Reg.  Comp.  8  et  12  août  1679. 


325 

logis.  MM.  de  Chapeaurouge  el  Lullin  lui  représen- 
tèrent la  tristesse  <|ue  l'établissement  de  la  messe  cau- 
sait aux  citoyens.  «  Monsieur,  lui  dirent-ils,  il  est  un 
moyen  de  tout  arranger  :  désignez-nous,  dans  le  voi- 
sinage, l'Église  catholique  dans  laquelle  vous  désirez 
entendre  la  messe;  nous  la  ferons  orner  le  mieux  pos- 
sible; nous  réparerons  la  route,  nous  vous  donnerons 
2000  écus  par  an  pour  entretenir  un  carosse  pour 
vous  et  des  voitures  pour  vos  domestiques.  »  M.  de 
Chauvigni  les  remercia  avec  une  politesse  affectée  et 
leur  déclara  qu'il  voulait  avoir  sa  chapelle  chez  lui, 
puisque  cet  établissement  était  un  des  buts  essentiels 
de  sa  mission.  Le  Conseil  lui  lit  dire  qu'on  ne  s'y 
opposait  pas,  pourvu  qu'il  se  contentât  de  faire  faire 
le  service  par  son  aumônier,  à  notes  basses,  sans  éclat, 
pour  lui  et  ses  domestiques  seulement.  Le  résident 
répondit:  «  Je  prétends  établir  dans  mon  logement 
une  chapelle  ayant  tous  les  ornements  nécessaires; 
mais  je  me  tiendrai  dans  de  justes  bornes.  Ma  porte 
sera  fermée  pendant  le  service,  excepté  pour  mes 
amis,  les  personnes  de  considération,  et  surtout  l'évè- 
que  d'Annecy,  qui  viendra  avec  plaisir  bénir  celle 
chapelle  et  y  célébrer  la  messe.  » 

Les  citoyens,  apprenant  les  intentions  de  M.  de 
Chauvigni,  demandèrent  aux  syndics  de  lui  adresser 
la  représentation  suivante:  «  M.  le  Résident,  nous  ne 
pouvons  croire  que  le  roi,  jusqu'à  ce  jour  bienveil- 


326 

lant  pour  celle  République,  veuille  absolument  la 
réduire  au  désordre;  ce  sera  le  comble  de  la  désola- 
tion pour  le  peuple,  que  de  voir  un  prélat  qui  se  dit 
évêquede  Genève,  venir  y  célébrer  la  messe.  »  M.  de 
Chauvigni  hésita,  tergiversa  pendant  huit  jours,  en- 
voya les  ornements  à  Annecy  pour  les  faire  bénir. 
Puis  il  écrivit  au  Conseil  que  le  prélat  viendrait  lui- 
même  consacrer  la  chapelle,  et  que  lel  était  l'ordre 
de  son  maître.  «  Monsieur,  lui  fut-il  répondu,  l'évêque 
d'Annecy  ne  mettra  pas  les  pieds  dans  Genève,  à 
moins  qu'il  ne  soit  invisible  ou  tellement  déguisé, 
que  personne  ne  puisse  le  reconnaître.  » 

M.  de  Chauvigni  répéta  fièrement  que  le  prélat 
viendrait,  et  qu'il  avait  reçu  l'ordre  d'ouvrir  sa  cha- 
pelle à  tous  les  Français,  à  tous  les  étrangers  catholi- 
ques, ainsi  qu'à  tous  les  prêtres,  à  tous  les  religieux  qui 
voudraient  y  olïicier  ou  simplement  assister  au  culte. 

Toutefois,  l'évêque  d'Annecy,  informé  des  dispo- 
sitions des  citoyens,  ne  jugea  pas  à  propos  de  faire 
le  voyage. 

La  inesse  fut  célébrée,  pour|la  première  fois,  le 
30  novembre  1679.  Le  Résident  invita  un  grand 
nombre  d'étrangers  pour  assister  à  ce  culte,  et  le. 
lendemain  il  y  attira  plusieurs  personnes  des  environs. 
La  Savoie  étant  pour  lors  sous  la  domination  fran- 
çaise, M.  de  Chauvigni  envoyait  des  émissaires  dans  le 
Chablais,  le  Faucigny  et  le  Pays  de  Gex.  La  foule 


327 

des  assistants  augmentait  chaque  dimanche,  et  le  jour 
de  Noël  1679,  on  compta  plus  de  mille  personnes 
agenouillées  dans  les  corridors,  dans  la  cour,  et  jus- 
que dans  la  rue.  Les  citoyens,  profondément  blessés 
des  procédés  insultants  des  agents  de  Louis  XIV,  per- 
dirent patience  et  se  révoltèrent  contre  la  loi  du  plus 
fort.  Un  dimanche  malin,  une  bande  de  quatre-vingts 
Savovards  montaient  la  rue  de  la  Terlasse.  Ils  furent 
arrêtés  au  haut  de  la  Cité  par  une  foule  compacte  et 
immobile.  Ils  demandèrent  le  passage.  —  Où  allez- 
vous?  —  À  la  messe,  chez  M.  le  Résident.  — 
Qui  vous  envoie?  —  Nos  curés.  —  M.  le  Résident  ne 
doit  recevoir  à  la  messe  que  ses  amis  particuliers  et 
ses  domestiques;  vous  n'êtes  ni  des  uns,  ni  des  au- 
tres; retournez  entendre  la  messe  dans  vos  paroisses. 
Les  bonnes  gens  se  retirèrent  sans  mot  dire.  — M.  de 
Chauvigni  se  plaignit  de  ces  procédés  au  Conseil,  et 
les  magistrats  répondirent  qu'ils  n'avaient  point  de 
loi  qui  empêchât  les  citoyens  de  stationner  où  bon 
leur  semblait  dans  les  rues. 

Ainsi  se  termina  cette  triste  année  1679.  Im- 
pressionnés par  ces  circonstances,  les  magistrats  in- 
sérèrent aux  registres  ces  graves  et  prophétiques 
paroles  (4  janvier  1680):  «  Genève  est  si  ancienne» 
qu'aucun  historien  n'en  a  décrit  l'origine  jusqu'à 
Jules-César.  Elle  a  été  païenne,  elle  a  été  catholique 
errante,  et  dès  1555  elle  est,  par  la  grâce  de  Dieu, 


028 

chrétienne-réformée.  Et  durant  ces  trois  âges  de  la 
République,  qu'elle  a  été  gouvernée  par  quatre  syndics 
qui  s'élisaient  annuellement  par  le  peuple,  Genève  a 
été  soutenue  par  un  miracle  continuel  de  la  puissance 
de  Dieu.  Mais  comme  nous  avons  dégénéré  de  la 
vertu  et  modestie  de  nos  pères,  Notre  Seigneur  a  levé 
la  verge  pour  nous  réveiller  de  notre  assoupissement 
en  permettant  que  le  Roi  Très-Chrétien  ait  envoyé  un 
résident  en  cette  ville,  au  mois  d'octobre  passé,  qui 
a  introduit  en  son  hôtel  l'exercice  de  la  religion  ca- 
tholique romaine,  au  grand  déplaisir  des  magistrats, 
des  pasteurs  et  de  la  bourgeoisie.  Cependant,  si  nous 
profilons  de  celte  épreuve,  il  faut  espérer  de  la  misé- 
ricorde de  Dieu,  qu'il  rendra  à  cette  cité  sa  première 
tranquillité,  et  affermira,  plus  que  jamais,  cette  pré- 
cieuse liberté  temporelle  et  spirituelle  dont  il  la  fa- 
vorise dès  si  longtemps. 

Les  embarras  du  gouvernement  augmentèrent  en- 
core pendant  l'année  1680.  Le  peuple  et  le  résident 
faisaient  échange  de  mauvais  procédés.  Les  laquais  de 
M.  de  Chauvigni  parcouraient  les  auberges  le  diman- 
che matin  pour  prévenir  les  étrangers  de  l'heure  de 
la  messe,  et  se  plaignaient  d'avoir  élé  insultés.  Le  fait 
était  vrai  :  on  avait  couvert  de  boue  leurs  livrées; 
mais  les  jeunes  coupables  affirmaient  que  les  laquais 
s'étaient  raillés  en  passant  de  ceux  qui  se  rendaient 
au  prêche. 


529 

Plus  lard,  M.  de  Chauvigni  prétend  il  qu'il  avait 
failli  êlre  victime  d'un  attentat.  Un  coup  de  feu,  tiré 
par  mégarde  sur  son  passage,  fut  transformé  en  une 
violation  de  la  personne  d'un  ambassadeur.  L'af- 
faire fut  étouffée  à  grand'peine.  Une  autre  fois, 
le  Résident  se  plaignit  de  ce  qu'on  jetait  de  l'eau 
et  des  pierres  sur  ceux  qui  allaient  à  la  messe;  que 
l'on  salissail  la  porte  et  la  cour  de  l'hôtel;  que  l'on 
coupait  les  fils  de  ses  sonnettes;  qu'on  poussait,  qu'on 
sifflait,  qu'on  maltraitait  les  gens  qui  sortaient  de 
chez  lui.  Le  Conseil  fit  droit  à  ces  plaintes,  et  punit 
du  fouet  et  de  la  prison  un  jeune  homme  coupable 
d'avoir  maltraité  une  femme  calholique. 

Une  scène  fort  étrange  mit  le  comble  à  l'indigna- 
tion de  M.  de  Chauvigni.  Il  avait  été  convenu  que  la 
messe  serait  chantée  à  notes  basses.  Loin  de  se  con- 
former à  celle  promesse,  l'aumônier  faisait  retentir 
les  cours  voisines  des  éclats  de  sa  voix.  Un  dimanche 
du  mois  de  janvier  4680  (Reg.  Cons.,  page  37), 
pendant  l'office,  toutes  les  fenêtres  et  les  lucarnes 
qui  ont  vue  sur  l'hôtel,  se  garnirent  de  gens  qui 
chantaient  sur  l'air  d'un  psaume  des  strophes  de 
controverse,  composées  par  Bénédict  Piclet  : 

■ 

A  Rome,  l'on  croit  qu'une  hostie 
Est  le  corps  de  INotre  Seigneur, 
Et  qu'un  prêtre  la  sacrifie: 
Cest  le  langage  de  l'erreur,  etc. 


330 

Le  Résident  ne  put  obtenir  une  réparation  pour  ce 
prétendu  désordre,  et  comme  il  persistait  à  faire  venir 
chez  lui,  pour  la  messe,  les  Savoyards  des  environs, 
les  syndics  ordonnèrent  de  fermer  les  portes  de  la 
ville  le  dimanche  matin,  et  ils  placèrent  des  gardes 
autour  de  la  chapelle,  soit  pour  prévenir  le  bruit,  «oit 
pour  empêcher  les  étrangers  d'entrer,  au  mépris  de 
la  convention,  qui  permettait  seulement  aux  amis  du 
Résident  d'assister  à  son  culte. 

M.  de  Chauvigni  et  son  aumônier  rendaient  avec 
usure  aux  Genevois  les  vexations  qu'ils  en  recevaient. 
Ils  assistaient  souvent  au  culte  protestant,  traversaient 
le  temple  à  grands  pas,  et  demeuraient  assis  et  cou- 
verts pendant  les  prières;  puis,  ils  prenaient  des  no- 
tes et  faisaient  des  rapports  sur  les  sermons.  Un  jour, 
le  Résident  se  plaignit  d'injures  qu'un  pasteur  avait 
prononcées  contre  Louis  XIV;  il  citait  cette  phrase: 
«  Le  devoir  des  chrétiens,  lorsqu'ils  possèdent  la  ri- 
chesse et  la  puissance,  est  de  protéger  les  faibles; 
l'oppression  est  odieuse  à  la  Divinité,  quel  que  soit  le 
rang  de  l'oppresseur...  » 

Le  Conseil  ne  trouva  rien  de  blâmable  en  ces  pa- 
roles, et  profita  de  l'occasion  pour  reprocher  au  Ré- 
sident d'exciter  le  peuple  à  des  actes  de  violence,  en 
affirmant  publiquement  «  que  dans  un  au  l'on  chan- 
terait partout  la  messe  à  Genève,  le  pape  ayant  pro- 
mis vingt  années  d  indulgence  à  ceux  qui  se  ren- 


r>3i 

draientàsa  chapelle. »  M.  de  Chauvigni  voulut  nier;  on 
produisit  des  témoins,  et  M.  le  pasteur  Dufour  lui  fit 
voir  des  listes  de  souscription  destinées  à  recueillir 
de  l'argent  «  aux  fins  d'entretenir  largement  des  pro- 
sélytes et  des  catholiques  dans  la  ville.  »  (Reg.  Cous, 
et  Comp.  4  5  mars  1680.)  Les  griefs  s'accumulèrent 
si  bien ,  que  le  gouvernement,  en  envoyant,  àl'occasion 
de  la  naissance  du  Dauphin,  le  syndic  Michel  Trem- 
bley  à  Paris,  le  chargea  de  solliciter  le  rappel  de  M.  de 
Chauvigni.  Michel  Trembley,  excellent  protestant, 
réussit  dans  sa  mission.  Chauvigni  quitta  Genève  sans 
payer  ses  dettes,  et  son  remplaçant,  M.  Dupré,  quoi- 
que fort  généreux  dans  tout  ce  qui  concernait  l'admi- 
nistration matérielle,  fut  aussi  intraitable  que  possible 
dans  les  affaires  du  culte;  «  il  avait  des  ordres  précis 
et  directs  du  souverain,  et  devait  les  exécuter.  » 
(Reg.  Comp.  4  5  juin  4  680.) 

Le  peuple,  instruit  de  cette  réponse  qui  indiquait 
chez  Louis  XIV  un  projet  arrêté  de  convertir  Genève, 
redoubla  de  violence  et  couvrit  d'injures  les  gens  qui 
venaient  à  la  messe.  Le  Conseil  et  les  pasteurs  s'uni- 
rent pour  tâcher  de  faire  cesser  ces  manifestations.  Les 
ministres  parcoururent  les  quartiers  de  la  Grand'Rue, 
de  la  Pélisserie  et  de  la  Tour-de-Boël,  et  tirent  com- 
prendre au  peuple  que  celte  manière  d'agir  pouvait 
compromettre  le  salut  de  l'État,  et,  grâce  à  la  puis- 
sance de  Louis  XIV,  faire  établir  la  messe  d'une  ma- 


532 

nière  bien  plus  éclatante  qu'elle  ne  l'était  maintenant. 
Ils  parvinrent  ainsi  à  calmer  les  plus  violents  et  les 
plus  opiniâtres. 

La  position  devenait  toujours  plus  difficile.  Le  ré- 
sident prêtait  ouvertement  les  mains  à  des  actes  de 
prosélytisme  (Reg.  Cous,  septembre  i  684 ,  Comp. 
juin  idem)  et  faisait  répandre  des  livres  attaquant  la 
religion  réformée.  Un  grand  nombre  d'ecclésiastiques 
parcouraient  la  ville,  faisant  de  fréquentes  visites;  des 
marchands  étalaient  les  objets  du  culte  catholique,  et 
deux  jeunes  filles  genevoises  abjurèrent  la  foi  réfor- 
mée en  l'église  du  Grand-Sacconnex .  Aux  représen- 
tations du  Conseil,  M.  Dupré  opposait  les  paroles  me- 
naçantes de  son  souverain.  Enfin,  un  funeste  événe- 
ment vint  jeter  la  consternation  dans  Genève. 

Le  50  septembre  4  681  (Reg.  Comp.  et  Consisl.) 
on  reçut  la  nouvelle  de  la  prise  de  Strasbourg.  En 
pleine  paix,  sans  autre  raison  que  la  loi  du  plus  fort, 
au  moyen  de  la  plus  basse  trahison,  par  l'achat  des 
consciences.  Louis  XIV  s'était  emparé  de  cette  cité, 
et  avait  fait  main-basse  sur  ses  libertés  et  sa  natio- 
nalité. 

A  Genève,  la  consternation  fut  générale.  Les  pas- 
teurs tirent  la  visite  de  leurs  paroisses,  exhortant  cha- 
que membre  de  l'Église  à  la  fermeté  et  au  courage, 
pour  soutenir  vigoureusement  les  libertés  temporelles 
et  spirituelles,  si  étrangement  menacées;  d'autre  part, 


355 

on  observa  avec  inquiétude  des  rassemblements  ex- 
traordinaires qui  avaient  lieu  dans  le  pays  de  Gex, 
et  comme  les  étrangers  affluaient  en  nombre  extraor- 
dinaire à  la  messe  du  Résident,  on  ferma  rigoureu- 
sement les  portes  de  la  ville,  et  on  surveilla  les  hôtelle- 
ries. M.  Dupré  essaya  de  se  plaindre  aux  magistrats; 
mais  sa  démarche  n'eut  aucun  succès;  il  est  probable 
que,  dans  cette  séance  secrète,  on  lui  fournit  les 
preuves  d'un  complot  contre  Genève1. 

Les  Suisses  partagèrent  celte  impression,  et  l'armée 
des  cantons  évangéliques  se  tint  prête  à  marcher  au 
premier  signal  d'alarme  venu  de  Genève. 

Ces  frottements  continuèrent  pendant  plusieurs 
années,  et  la  question  des  réfugiés,  que  nous  traite- 
rons à  part,  contribuait  beaucoup  au  mécontentement 
des  agents  de  Louis  XIV.  Les  magistrats,  tout  en 
observant  la  plus  louable  prudence,  ne  faisaient  au- 
cune concession  dans  les  affaires  du  culte  catholique. 
Cette  sévérité  donna  lieu  à  un  incident  que  nous  dé. 
sirons  sauver  de  l'oubli  (Mémoires  Guainier,  tom.  II). 
En  1694,  le  temple  de  Saint-Germain  servait  de 
hangar:  le  Résident,  M.  d'Iberville,  pensa  que  Ge- 
nève pourrait  le  céder  pour  le  culte  catholique.  Dans 
ce  but,  il  fit  une  visite  au  premier  syndic  Michel 
Trembley,  et  lui  exposa  son  désir.  —  M.  le  Résident, 
répondit  le  magistral  en  souriant,  l'affaire  ne  dépend 

1.  Mém.  manuscrit  du  syndic  Guainier.  (fiibl.  pub.  de  Genève.; 


334 

pas  de  moi,  il  faudrait  consulter  là-dessus  mes  en- 
fants. M.  le  Résident  sortit  de  l'Hôtel-de-Ville  et  se 
rendit  auprès  des  jeunes  TremWey,  qui  lui  répondi- 
rent: «  Monsieur,  vous  aurez  sans  doute  très-mal  com- 
pris notre  père  ;  nous  ne  nous  mêlons  pas  des  affaires 
de  l'État.  »  M.  d'Iberviltë,  Irès-irrité,  retourna  vers 
M.  Trembley,  et  lui  adressa  de  vifs  reproches.  — 
«  Mais  vous  m'avez  mal  compris,  M.  le  Résident;  les 
enfants  dont  il  s'agit  ne  sont  pas  les  fils  de  MmeTrem- 
biey;  ce  sont  tous  les  bourgeois  de  Genève.  Faites-les 
rassembler;  proposez-leur  de  vous  céder  le  temple, 
el  je  suis  à  leurs  ordres.  » 

L'année  suivante,  toujours  à  l'occasion  de  cette 
chapelle,  Genève  eut  de  sérieux  désagréments.  Les 
registres  du  Conseil  d'août  1695  à  mai  4  696,  s'en 
occupent  d'une  manière  toute  spéciale. 

M.  Pick't,  syndic  (6  août),  rapporta  que  M.  d'iber- 
ville  voulait  faire  agrandir  la  chapelle  «  pour  se 
garantir  de  la  souffrance  qu'il  éprouve  lorsqu'elle  est 
remplie  de  monde,  à  cause  de  la  chaleur  et  de  la 
puanteur  que  les  paysans  et  manouvriers  y  appor- 
tent. «  Le  Conseil  déclara  au  Résident  qu'un  sembla- 
ble projet  irriterait  le  peuple,  et  refusa  absolument 
d'y  donner  les  mains.  Après  plusieurs  pourparlers, 
M.  d'iberville  abandonna  son  projet  d'agrandissement 
de  la  chapelle  siluée  au  jardin,  et  les  magistrats  firent 
conslruireun  second  étage  à  la  maison,  en  sorte  que 


335 

le  Résident  pût  consacrer  au  culle  la  grande  salle  du 
rez-de-chaussée.  Cet  incident  aurait  été  terminé  le 
14  août,  si  des  ecclésiastiques  savoyards  n'avaient 
pas  semé  des  bruits  étranges  au  sujet  de  celte  négo- 
ciation. Ces  indiscrétions  amenèrent  une  foule  consi- 
dérable d'étrangers  à  Genève,  et,  le  18  août,  M.  d'I- 
berville  se  plaignit  «  des  gardes  qui  empêchaient  les 
paysans  et  les  petites  gens  d  aller  à  la  messe  en  son 
hôtel,  et  qu'en  particulier  le  baron  Costa,  de  Cham- 
béry,  et  des  ecclésiastiques  n'avaient  pu  passer;  ces 
précautions  insultantes  devaient  cesser,  ou  son  rap- 
port partirait  pour  Versailles  !  »  Le  Conseil  tint  ferme 
et  ordonna  aux  hôteliers  «  des  grands  logis  »  de  ne 
laisser  sortir  personne  durant  les  prêches  du  matin, 
sauf  ceux  qui  voudraient  faire  leurs  dévotions  hors  la 
ville.  La  mesure  eut  plein  succès,  et  l'auditoire  fut 
réduit  à  de  minimes  proportions.  Le  Résident  déclara 
au  Conseil  qu'il  avait  écrit  au  roi,  et  que  Louis  XIV 
manifestait  la  plus  violente  colère  contre  Genève.  Les 
citoyens,  instruits  de  ces  circonstances,  montrèrent 
une  irritation  si  violente,  que  les  députes  de  Berne 
et  de  Zurich  prièrent  les  bourgeois  d'être  plus  mo- 
dérés en  leurs  discours,  vis-à-vis  de  la  couronne  de 
France,  et  de  ne  pas  «  s'évaporer  »  à  l'occasion  de 
ces  affaires.  Les  pasteurs  parlèrent  dans  le  même  sens 
au  peuple,  et  visitèrent  les  dizaines  pour  combattre 
«  la  mauvaise  volonté  à  l'égard  de  la  puissance  voi- 


550 

sine.  »  Une  dépulalion,  composée  de  Michel  Trem- 
bley  et  Ami  Le  Fort,  partit  pour  Paris.  On  laissa 
ignorer  aux  citoyens  que  le  roi  exigeait  des  excuses, 
voulant  bien,  à  ce  prix,  oublier  la  conduite  des  Ge- 
nevois. Les  députés  se  proposèrent  de  pacifier  le  dif- 
férend sans  subir  cette  humiliation  qui  eût  amené  une 
révolution  dans  leur  patrie.  Ils  surent  si  bien  se  con- 
cilier la  bonne  volonté  des  ministres,  que  le  roi  se 
contenta  d'un  discours  où  Ton  exprimait  le  regret  et 
le  chagrin  des  événements  récents.  Louis  XIV  reçut 
à  merveille  la  députation,  et  M.  de  Croissy  lui  accorda 
toutes  ses  demandes,  y  compris  celle  de  continuer  à 
placer  des  gardes  auprès  de  la  chapelle. 

Genève  fut  dans  la  joie ,  et  dès-lors  les  résidents  aban- 
donnèrent leurs  projets  de  propagande;  la  foule  des 
assistants  diminua  graduellement,  et  vers  la  fin  du 
siècle,  c'est  à  peine  si  quarante  ou  soixante  personnes 
fréquentaient  la  chapelle  française. 

Ainsi,  l'opiniâtreté  des  protestants  genevois  dé- 
joua les  plans  ultramontains  de  Louis  XIV,  et  il  fallut 
renoncer  à  faire  la  recouverte  de  Genève  au  moyen 
du  prosélytisme.  Mais  la  paix  ne  devait  pas  être  de 
longue  durée.  Les  intrigues  ayant  échoué,  les  puis- 
sances catholiques  recoururent  à  la  violence,  et  vou- 
lurent détruire  la  Réformalion  suisse  par  les  ar- 
mes des  cantons  catholiques.  L'abbé  de  Saint-Gall 
commença  cette  croisade  fratricide  ;  il  persécuta 


537 

cruellement  le»  réformés  du  Toggeubourg.  Ouverle- 
rnenl  protégés  par  le  nonce  du  pape,  largement  sub- 
ventionnés par  la  cour  de  France,  les  cantons  catho- 
liques attaquèrent  les  cités  évangéliques.  Berne  et  Zu- 
rich prirent  les  armes;  Vaud  et  Genève  envoyèrent 
des  bataillons.  On  se  battit  pendant  deux  jours  près 
de  Vilmergen  en  Argovie.  La  victoire  demeura  aux 
réformés.  Les  chefs  bernois  déclarèrent  loyalement 
qu'une  bonne  partie  de  l'honneur  de  la  journée  re- 
venait aux  soldats  romands,  dirigés  par  le  général  de 
Sacconex.  Une  paix  fut  conclue,  et  la  Suisse  retrouva 
la  tranquillité  et  l'union.  Des  guerres  fratricides  n'en- 
sanglantent nos  vallées  que  sous  une  impulsion  et  des 
intrigues  étrangères.  On  célébra,  par  une  fête  solen- 
nelle, cette  pacification  de  la  Suisse.  Voici  la  procla- 
mation du  25  avril  1712  (Reg.  Gomp.)  :  «  Comme 
il  a  plu  à  Dieu  de  bénir  a  tel  point  les  moyens  doux 
et  forts  employés  pour  le  rétablissement  de  la  tran- 
quillité dans  notre  chère  patrie,  les  louables  cantons 
ont  résolu  de  fixer  un  jeûne  de  prières  et.  d'ac- 
tions de  grâces,  le  25  août  prochain...  »  — A  ces 
paroles  des  confédérés,  les  magistrats  genevois  ajou- 
tèrent: «  On  parlera  dans  les  sermons,  d'une  manière 
modérée,  des  batailles,  sans  faire  trophée  des  victoi- 
res, et  l'on  remerciera  Dieu  de  la  paix  qui  s'en  est 
suivie.  » 

Ferveur  dans  les  temples,  silence  dan^  les  rues, 

m.  22 


338 

tel  fui  1  esprit  de  la  fêle  célébrée  pour  cette  victoire 
qui  donna  cent  quarante  années  de  paix  religieuse  à 
la  Suisse. 

Toutefois,  si  la  Suisse  élait  pacifiée  à  l'intérieur, 
l'orage  grondait  toujours  au  dehors.  On  avait  trouvé 
dans  les  archives  du  couvenl  de  Saint-Gall  un  plan 
d'alliance  perpétuelle  entre  les  cantons  catholiques  et 
les  puissances  étrangères,  des  bulles  de  papes  pres- 
crivant à  tout  prix  d'exterminer  en  Suisse  la  religion 
réformée  (Reg*  Cous.  20  septembre  4  742),  et  Ton 
pensait  avec  raison  que  les  souverains  alliés  de  Rome 
n'abandonneraient  pas  facilement  ce  projet.  11  fut  effec- 
tivement repris  en  4  74  5  (Mémoires  Guainier). 

Un  conciliabule  secret  se  tint  à  Soleure  au  printemps 
de  4  715.  Les  délégués  des  princes  ultramontains, 
unis  aux  mandataires  des  cantons  catholiques,  arrê- 
tèrent un  plan  qui  paraissait  infaillible.  Les  troupes 
de  Bavière  devaient  traverser  le  Rhin  ;  le  roi  de  Sar- 
daigne  investirait  Genève ,  Louis  XIV  occuperait  le 
pays  de  Vaud  ;  les  Valaisans  et  les  cantons  allemands 
se  jetteraient  sur  Berne  et  Zurich  ;  le  pape  et  F  Espagne 
enverraient  des  troupes  par  les  Grisons.  Ainsi  étaient 
occupés  les  loisirs  donnés  par  la  paix  d'Utrecht.  La 
ruine  de  Sa  religion  réformée  en  Suisse  paraissait 
assurée  lorsque  se  manifesta  cette  intervention  pro- 
videntielle qui,  si  souvent,  a  préservé  notre  patrie 
d'une  ruine  imminente...  Louis  XIV  mourut;  les 


339 

préoccupations  de  la  régence  firent  oublier  les  projets 
de  la  conférence  de  Soleure,  el  la  Suisse  évangélique 
put  jouir  en  paix  de  ses  institutions  religieuses. 

Non-seulement  Genève  défendait  au  prix  des  plus 
douloureux  sacrifices  sa  liberté  religieuse,  mais  elle 
entretenait  une  active  controverse  avec  l'Église  ro- 
maine. Les  traités,  les  brochures,  les  gros  volumes 
employés  à  discuter  les  dogmes  contestés  formeraient 
une  bibliothèque  considérable.  Les  presses  genevoises 
fournirent  abondamment  l'Europe  française  «  des  ar- 
mes spirituelles  »  destinées  à  la  défense  de  la  foi  chré- 
tienne réformée. 

Si  les  passions  théologiques,  l'ironie,  les  paroles 
amères,  défigurent  trop  souvent  les  ouvrages  des  deux 
partis,  nous  voyons  plusieurs  écrivains  s'élever  au- 
dessus  de  l'esprit  du  temps  el  honorer  leur  cause  par 
une  inaltérable  dignité.  LesPiclel,  les  Tronchin  el  les 
Turretin,  tiennent  le  rang  le  plus  honorable  parmi 
ces  controversistes  chrétiens  du  dix-septième  siècle. 

Le  mouvement  religieux  qui  poussait  les  esprits 
vers  la  réforme  au  seizième  siècle  s'était  considéra- 
blement ralenti  dans  l'âge  suivant.  Les  conversions 
s'opéraient  dès-lors,  non  plus  par  te  soulèvement  des 
masses,  mais  par  la  détermination  des  individus;  aussi 
vo) ait-on  fréquemment  arriver  à  Genève  des  per- 
sonnes entraînées  par  les  raisonnements  ou  l'exem- 


340 

pie  de  leurs  amis,  et  même  des  prêtres,  des  moines, 
ébranlés  par  la  lecture  des  traités  de  controverse. 
Ces  transfuges  du  camp  romain  s'adressaient  aux 
pasteurs,  aux  membres  du  Consistoire,  et  se  mon- 
traient fort  surpris  de  la  rigueur  extrême  qu'on  met- 
tait à  rechercher  leur  conduite  passée,  et  à  con- 
naître les  motifs  de  leur  changement  de  religion.  Un 
grand  nombre  s'éloignaient  après  une  première  en- 
trevue, et  ceux  qui  persistaient  n'étaient  admis  à  l'ab- 
juration qu'après  des  épreuves  sévères  et  prolongées. 
Pendant  le  dix-septième  siècle,  plusieurs  centaines  de 
prosélytes  furent  reçus  par  le  Consistoire  de  Genève. 
Un  fait  qui  honore  l'humanité,  c'est  que  les  années 
où  les  demandes  d'abjuration  se  trouvèrent  les  plus 
nombreuses,  turent  précisément  celles  où  le  fanatisme 
français  et  italien  sévissait  avec  le  plus  de  violence 
contre  les  protestants.  Durant  ces  tristes  périodes,  les 
prêtres  et  les  moines  affluèrent  à  Genève  pour  s'ins- 
truire dans  la  religion  protestante.  De  1660  à  1680 
on  reçut  quatre-vingt  trois  religieux  dans  notre  Église. 
Ce  mouvement  se  ralentit  lors  de  la  conflagration  gé- 
nérale allumée  par  la  révocation  de  l'édil  de  Nantes. 
Il  reprit  avec  une  nouvelle  intensité  vers  la  fin  du 
siècle.  Les  années  1697  et  1698  offrent  vingt-six 
noms  de  religieux  admis  dans  la  communion  réfor- 
mée. Et  cependant,  les  pasteurs  genevois  ne  pou- 
vaient être  accusés  de  faiblesse  ou  d'incurie  à  l'égard 


des  prosélytes  étrangers.  Nos  registres  sont  parsemés 
de  ces  rudes  interrogatoires  qui  se  terminent  pas  le 
renvoi  du  candidat  avec  un  léger  secours  pécuniaire, 
pour  hâter  son  éloignemenl.  En  voici  quelques  exem- 
ples pris  au  hasard. 

4  8  septemhre  4  668.  «  Est  comparu  devant  la  com- 
mission des  prosélytes  Charles  de  Cosantin,  augustin 
d'Orléans.  Ayant  pris  congé  avec  trois  autres  frères, 
dont  deux  prédicateurs,  pour  aller  au  devant  du  gé- 
néral, il  est  venu  à  tous  la  pensée  de  changer  de  re- 
ligion, reconnaissant  que  rÉglise  romaine  est  pleine 
d'abus.  Jacques  le  Riche,  Louis Binet,  Joseph  Clairon, 
confirment  ce  récit  ;  ils  ont  eu  tel  dessein,  quoiqu  ils 
n'aient  pas  lu  les  Saintes  Écritures,  ni  les  livres  de 
nos  docteurs.  Ils  se  plaignent  de  la  confession  auri- 
culaire, dont  le  secret  n'est  pas  tenu,  et  des  confes- 
seurs sujets  à  être  corrompus.  Advisé,  vu  leur  igno- 
rance, de  les  renvover  avec  une  forte  exhortation  à 
s'instruire  et  à  continuer  en  une  telle  résolution,  si 
véritablement  ils  l'ont  eue,  et  leur  donner  un  caté- 
chisme de  Dumoulin.  » 

4  e'  février  4  670.  Le  sieur  François  de  Coligni, 
fils  de  d'Andelot,  et  Antoine  Vidué,  chevalier  de 
Bois-Kedon.  tous  deux  capucins,  arrivent  recomman- 
dés par  les  frères  des  Cévennes.  Après  bonne  inter- 
rogation, étant  reconnus  sincères  dans  la  foi,  vu  les 
sacrifices  qu'ils  ont  faits  pour  icelle,  on  les  héberge 


3*1 

et  on  leur  donne  quatre  écus  blancs  pour  continuer 
leur  voyage  à  Berne;  il  est  trop  dangereux  pour  eux 
qu'ils  restent  si  près  de  la  frontière. 

Dans  d'autres  circonstances,  des  scènes  d'une  co- 
mique naïveté  révélaient  le  matérialisme  des  préten- 
dus amis  de  la  vérité  évangélique.  Un  Italien  se  pré- 
senie  chez  M.  Mnssard  «  per  barraltar.  »  —  Mais  quel 
motif  vous  engage  à  changer  de  religion  ?  —  Monsieur, 
c'est  l'amour.  —  Est-ce  l'amour  divin  ou  l'amour  hu- 
main? —  Oh  !  Monsieur,  c'est  un  peu  de  l'un,  un  peu 
de  l'autre. 

Les  tentatives  de  conversion  prirent  une  allure  plus 
prononcée  durant  la  lutte  avec  les  résidents  de  France. 
Depuis  vingt  années  environ,  les  citoyens  genevois, 
préoccupés  de  soulager  leurs  frères  persécutés  par 
Louis  XIV,  mettaient  peu  d'intérêt  aux  discussions 
religieuses;  les  pasteurs  seuls  dirigeaient  l'instruction 
des  prosélytes.  Mais  en  1680,  lorsque  l'établissement 
de  la  messe  eut  excité  les  esprits,  et  que  de  nombreux 
ecclésiastiques  vêtus  en  laïques  vinrent  provoquer 
des  entretiens  sur  la  religion  dans  les  boutiques  et  au 
sein  des  familles,  les  pasteurs  revinrent  aux  anciens 
usages.  On  prit  les  précautions  les  plus  minutieuses 
contre  les  tentatives  catholiques,  et  voici  le  réseau 
d'instructions  dont  on  enveloppa  le  peuple  genevois 
(Reg.  Comp.  9  avril  1680,  9  janvier  1685): 

«  Les  pasteurs,  chacun  dans  leurs  dizaines,  réuniront 


345 

»  tantôt  les  pères  de  famille,  tantôt  les  mères,  pour 
»  les  instruire  selon  leur  portée.  Ils  interrogeront  les 
«enfants,  mettant  à  part  les  plus  faibles,  afin  de 
»  soigner  leurs  connaissances  touchant  l'Eglise  Ro- 
»  maine. 

«  Chaque  semaine,  comme  c  elait  pratiqué  autre- 
»  fois,  un  professeur  de  théologie  fera  une  action  de 
»  controverse  au  temple,  le  tout  sans  invective,  avec 
»  toute  la  prudence  requise. 

»  On  enseignera  l'abrégé  des  controverses  de  Dre- 
»  lincourt  dans  le  collège  et  par  la  ville;  le  calé- 
»  chisine  de  Dumoulin  sera  employé  pour  les  plus 
»  avancés. 

»  Le  jeudi  et  le  dimanche  malin  on  prêchera  fa- 
»  milièrement  au  peuple,  comme  cela  se  faisait  au- 
»  trefois  pour  l'instruire  de  la  grande  incompatibilité 
»  qu'il  y  a  entre  Rome  et  l'Évangile.  » 

Enfin,  chaque  jeudi  on  faisait  un  sermon  de  contro- 
verse, d'après  une  table  raisonnée.  Mous  la  transcrivons 
aux  Pièces  justificatives  comme  modèle  d'un  travail  bi- 
blique sérieux  et  complet  sur  ces  difficiles  matières. 

Ce  mouvement,  provoqué  par  les  tentatives  de 
Louis  XIV  pour  rétablir  la  religion  romaine  à  Genève, 
se  soutint  pendant  le  dix-huitième  siècle.  On  répondit 
aux  attaques  des  résidents  et  de  leur  clergé  par  la 
création  d'un  corps  spécial,  qui,  jusqu'en  1708,  fut 
chargé  de  s'occuper  activement  du  prosélytisme.  Une 


344 

commission  du  Consistoire  instruisait  les  transfuges  de 
Rome.  En  1708,  M.  Guillaume  Franconis,  le  citoyen 
aussi  vénéré  pour  sa  bienfaisance  que  pour  son  zèle 
religieux,  le  chrétien  qui  mérita  celle  oraison  funèbre 
des  pauvres:  «  Il  donnait  à  lui  seul  autant  que  lous 
les  autres,  »  M.  Franconis  proposa  de  créer  une  cham- 
bre des  prosélytes,  qui  s'occuperait  activement  de  l'ins- 
truction, de  la  surveillance  et  des  travaux  à  fournir  aux 
transfuges  de  Rome.  Cette  fondation  fut  autorisée  par 
le  Conseil,  le  9  janvier  1708.  M.  Franconis  donna 
A  0,000  écus;  iM.  de Gy  4  000.  Cet  exemple  fut  suivi, 
et  bientôt  le  fonds  capital  de  celte  société  s'éleva  à 
200,000  florins.  Le  but  de  la  Chambre  des  prosé- 
lytes se  trouve  indiqué  dans  ses  règlements  constitu- 
tifs de  la  manière  suivante  :  «  On  paiera  des  minis- 
tres pour  instruire  régulièrement  les  prosélytes,  les 
pasteurs  étant  déjà  trop  occupés  pour  accepter  cet 
office.  On  donnera  le  nécessaire  à  ceux  des  nouveaux 
convertis  qui  voudront  continuer  leur  voyage.  Les 
gens  qui  préféreront  demeurer  en  ville  seront  aidés 
avec  discernement  dans  leurs  travaux  ;  mais  on  se 
montrera  impitoyable  envers  les  fainéants.  On  exa- 
minera soigneusement  les  motifs  des  postulants,  et 
l'on  renverra,  au  plus  vile,  les  gens  entachés  de  vices, 
de  crasse  ignorance,  ou  seulement  soupçonnés  de 
motifs  intéressés.  » 

Celte  Société  travailla  avec  une  prudence  ciné- 


3*5 

tienne,  mêlée  de  zèle,  durant  le  dix-huitième  siècle; 
el  lors  de  la  réunion  de  Genève  à  la  France,  sa  mission 
ne  pouvant  plus  s'exercer,  elle  consacra  ses  fonds 
(200,000  florins)  à  aider  à  l'entretien  du  culte  pro- 
testant. En  étudiant  ses  registres,  on  est  frappé  de 
la  variété  des  motifs  qui  déterminaient  les  prosélytes 
au  dix-huitième  siècle.  Un  assez  grand  nombre  de 
religieux  quittaient  leurs  couvents,  poussés  par  l'a- 
mour de  la  liberté  individuelle.  Ces*  moines  volages» 
sont  en  général  priés  de  continuer  leur  route.  Quel- 
ques  prêtres  employés  sur  les  galères  ou  auprès  des 
prolestants  captifs  furent  entraînés  par  l'exemple  de 
ces  confesseurs  de  la  foi  évangélique.  Enfin,  les  né- 
gociants intimement  liés  avec  des  industriels  genevois, 
se  sentaient  attirés  par  ce  mélange  de  principes  reli- 
gieux et  d'indépendance  de  conscience  qui  étaient 
la  base  du  caractère  de  nos  compatriotes,  et  que 
ceux-ci  manifestaient  dans  les  carrières  actives  où 
ils  faisaient  honorer  le  nom  de  leur  patrie  à  l'étranger. 

En  général,  durant  le  dix-huitième  siècle,  le  pro- 
sélytisme revêtit  des  formes  polies  et  chrétiennes,  et 
les  deux  communions  usaient  entre  elles  de  bons  pro- 
cédés. Dans  les  mauvais  jours,  les  collectes  à  la  suite 
d'incendies  et  d'inondations  étaient  très-fructueuses  à 
Genève;  les  religieux,  dont  les  couvents  avaient  été 
détruits  par  le  feu.  savaient  qu'ils  recevraient  une 
large  subvention,  et  lorsque  des  traits  de  fraternité 


346 

chrétienne  se  manifestaient  chez  des  catholiques,  le 
gouvernement  en  conservait  soigneusement  le  souve- 
nir. Nous  sommes  heureux  de  tirer  de  V oubli  l'évan- 
gélique  procédé  d'un  curé  de  Cabrières.  Le  révérend 
Samel  écrit  ,  le  24  mars  4  755  :  «  Messieurs,  mou 
église  est  composée  de  quatre  à  cinq  cents  paroissiens, 
dont  il  n")  a  que  dix-neuf  catholiques  originaires;  le 
revenu  est  très-modique  ;  les  protestants  jouissent  d'une 
paix  profonde  ;  la  récolte  ayant  manqué,  tous  sont  très- 
misérables;  je  suis  obligé  de  procurer,  par  semaine, 
trois  ou  quatre  livres  de  pain  à  deux  cents  pe;  sonnes. 
J'ai  autant  de  tendresse  pour  les  protestants  de  la 
paroisse  que  pour  les  enfants  de  la  maison,  et  autant 
de  sollicitude  à  procurer  du  secours  aux  uns  et  aux 
autres.  Je  prie  le  Conseil  genevois  de  m'envoyer  quel- 
que secours  par  la  voie  de  M.  Zollicol'fre,  de  Marseille, 
et  de  garder  le  secret,  à  cause  des  conséquences. 
M.  Maurice  ayant  reconnu  que  tout  était  vrai  dans  la 
lettre  de  M.  Sarnet,  recueillit  iOOO  livres  courantes 
(jui  furent  expédiées  à  Cabrières. 

Vers  la  fin  du  siècle,  ces  actes  de  charité  envers 
les  catholiques  devinrent  des  assistances  régulières. 
Lorsque  les  protestants  de  France  purent  rentrer  dans 
leur  patrie,  la  mission  de  la  Bourse  française  se 
trouva  considérablement  réduite;  les  administrateurs 
reportèrent  leur  charité  sur  les  catholiques  pauvres 
qui  se  trouvaient  à  Genève.  Dans  l'espace  de  douze 


547 

années,  de  1765  à  1777,  on  dépensa  17,800  flo- 
rins pour  secourir  505  catholiques  (Reg.  Comp. 
4  5  août,  26  décembre  1777),  et  l'on  décida  de  pren- 
dre soin  régulièrement  de  tous  ceux  qui  tomberaient 
malades  et  se  trouveraient  sans  appui  sur  le  territoire 
de  la  République.' 

Celte  charité  genevoise  s'exerça  d'une  manière 
sérieusement  évangélique  durant  les  mauvais  jours 
de  la  Révolution.  Cent  ans  après  les  violences  despo- 
tiques de  Louis  XIV  et  les  déporlements  fanatiques  de 
son  clergé  à  l'égard  des  protestants  inoflensifs,  les 
passions  sanguinaires  qui  animaient  l'épiscopal  et  la 
royauté  passèrent  dans  les  comités  terroristes;  les  prê- 
tres français  furent  balayés  par  la  persécution  révolu- 
tionnaire. Genève,  fidèle  à  celle  hospitalité  chrétienne 
qui  accueille  les  proscrits  sans  s'informer  de  la  couleur 
de  leur  drapeau,  Genève  ouvrit  ses  bras  aux  prêtres 
décimés  par  les  anarchistes  de  la  Convention.  Le 
24  septembre  1792  (Reg.  Cons.  ),  plusieurs  citoyens 
et  quelques-uns  des  speclables  pasteurs  prièrent  le 
Conseil  de  prendre  des  mesures  pour  secourir  le  grand 
nombre  de  prêtres  étrangers  qui  abordaient  la  ville. 
«  Ou  conciliera  les  devoirs  de  la  charité  avec  la  sû- 
reté de  l'État.  »  Plus  de  cinquante  de  ces  infortunés 
sans  ressources  furent  nourris,  logés  en  secret  par  les 
soins  des  pasteurs.  MM.  Picot  et  Chenevière  se  dis- 
tinguèrent dans  cette  bonne  œuvre.  La  charité  des 


Genevois  (jui  fournissaient  les  fonds  nécessaires,  les 
subventions  de  la  Bourse  française  et  de  la  Bourse  i  ta  - 
lienne,  étaient  d'autant  plus  méritoires  que  la  ruine  et 
la  misère  planaient  sur  Genève.  A  la  suite  de  la  dé 
cision  des  Conseils  qui  autorisait  le  séjour  et  l'entre- 
tien des  prêtres  exilés,  nous  voyons  s'organiser  une 
collecte  «  pour  subvenir  aux  nécessités  d'une  foule  de 
Genevois  qui  sont  sans  ouvrage.  »  De  grands  person- 
nages français  participèrent  à  la  bienveillance  de  nos 
pères.  Un  vicaire-général  vécut  trois  ans,  soutenu  par 
les  sacrifices  des  pasteurs.  M.  de  Talleyrand  dut  la 
vie  à  la  courageuse  hospitalité  des  Genevois;  il  de- 
meura longtemps  dans  une  petite  chambre  de  la  som- 
bre rue  Traversière.  Grâce  à  la  généreuse  fermeté 
des  autorités,  il  échappa  aux  actives  recherches  des 
agents  français.  MM.  Picot  et  Chencvière  adoucirent, 
autant  que  possible,  sa  situation;  mais  la  modicité 
forcée  du  gite  affaiblit  probablement  les  sentiments 
de  gratitude  du  futur  diplomate.  Au  congrès  de 
Vienne,  il  se  montra  d'une  ténacité  révoltante  pour 
faire  échouer  les  efforts  des  Genevois  qui  travaillaient 
à  reconquérir  leur  indépendance  nationale. 

Les  intrigues  des  résidents  français  pour  établir 
le  catholicisme  à  Genève  avaient  échoué  un  siècle  au- 
paravant. 

Le  culte  romain  demeura  célébré,  à  intervalles 
irréguliers,  dans  des  locaux  particuliers,  pendant  le 


549 

cours  du  dix-huitième  siècle.  En  1778,  un  recense- 
ment de  la  population  genevoise  montra  que  sur 
24,000  protestants  il  existait  353  ouvriers  ou  do- 
mestiques catholiques,  parmi  lesquels  se  trouvaient 
quarante-quatre  ménages. 

Lorsque  Genève  fut  réunie  à  la  France  et  que  le 
concordat  eut  rétabli,  sur  toute  la  surface  de  l'em- 
pire, les  églises  catholiques  et  les  temples  réformés, 
le  préfet  de  notre  ville  demanda  l'usage  d'une  église 
pour  le  culte  romain.  La  Société  Economique  opposa 
mille  objections  à  cette  requête;  puis,  forcée  dans  ses 
derniers  retranchements,  elle  proposa  l'Auditoire.  La 
proximité  de  la  cathédrale  protestante  fit  repousser 
ce  projet.  Le  curé,  M.  Lacoste,  elle  préfet,  demandè- 
rent Saint-Germain,  qui  fut  cédé  le  26  décembre 
4  803,  pour  trois  années,  comme  paroisse  catholique 
de  Saint-Germain,  à  Genève  (acte  de  Richard  ,  no- 
taire). Il  ne  faut  pas  voir  dans  ces  résistances  des 
Genevois  un  acte  d'intolérance;  ils  venaient  de  prou- 
ver l'étendue  de  leurs  sympathies  à  l'égard  des  prê- 
tres victimes  de  la  persécution.  Mais  ils  voyaient  dans 
la  conduite  du  clergé  catholique  l'origine  d'une  série 
d'intrigues  ourdies  pour  la  ruine  du  protestantisme  à 
Genève.  Le  premier  acte  officiel  de  M.  Lacoste  en  fut 
la  preuve.  Le  gouvernement  lui  demanda  d'indiquer 
le  nombre  des  catholiques  résidant  à  Genève.  Ils 
étaient  600;  le  curé  en  déclara  14  00,  présentant 


350 

comme  gens  établis  les  paysans  envoyés  des  paroisses 
du  voisinage  pour  rendre  trop  étroit,  en  l'encom- 
brant, le  local  affecté  au  culte. 

L'évêque  de  Chambéry  ne  tenait  pas  particuliè- 
rement à  conserver  le  temple  de  Saint-Germain;  car, 
dans  une  lettre  de  juillet  18041,  il  s'engageait  for- 
mellement, pour  lui  et  ses  successeurs,  à  rendre  ce 
temple  au  maire  de  Genève,  lorsque  le  gouverne- 
ment français  aurait  fait  construire  à  Genève  une 
église  catholique. 

Le  culte  romain  fut  célébré,  pour  la  première  fois, 
dans  le  nouveau  temple,  le  3  octobre  1803.  Le 
clergé  déploya  beaucoup  de  pompe  pour  l'inaugura- 
tion de  la  messe,  et  les  mots  provocateurs  ne  furent 
pas  épargnés  dans  les  sermons  prononcés  à  cette 
occasion . 

Le  curé  Lacoste  ne  lit  pas  un  long  séjour  à  Genève  : 
il  fut  remplacé,  le  2  mars  4  806,  par  M.  Vuarin. 
Le  fanatisme  persévérant  et  les  froides  violences  de 
ce  prêtre  laisseront  un  long  et  pénible  souvenir  dans 
l'histoire  du  dix-neuvième  siècle  de  Genève.  Il  re- 
doutait par-dessus  tout  un  esprit  de  fusion  qui  se 
manifestait  peu  à  peu  entre  les  citoyens  des  deux 
cultes,  et  les  excellents  procédés  du  maire,  M.  Mau- 
rice, du  préfet,  M.  de  Baranle,  lui  étaient  spéciale- 

1.  L'évêque  d'Anoecv  à  M.  Pictet-Diodati,  membre  du  Corps  légis- 
latif 


35t 

ment,  odieux.  Enfin,  il  regardait  comme  une  véritable 
infidélité  dogmatique  la  fraternité  qui  régnait  entre 
les  pasteurs  et  les  curés  des  campagnes  du  Léman. 
En  effet,  ces  vénérables  serviteurs  du  Christ,  froissés 
par  les  tempêtes  révolutionnaires,  entretenaient  entre 
eux  îles  relations  pleines  d'une  franche  amitié.  Les 
difficultés  confessionnelles  étaient  aplanies  sans  efforts, 
et  les  populations  catholiques  et  protestantes  témoi- 
gnaient un  égal  respect  aux  minisires  des  deux  cultes. 

Dans  la  ville  de  Genève,  cet  esprit  largement  chré- 
tien se  manifestait  par  l'abondance  des  aumônes 
distribuées  aux  catholiques;  Une  prudence  pleine  de 
tolérance  inspirait  le  clergé  prolestant.  Les  pasteurs 
prirent  rengagement  mutuel  de  s'abstenir  de  toute 
controverse,  dans  les  chaires,  et  de  faire  des  efforts 
unanimes  pour  entretenir  la  bonne  harmonie  entre 
les  deux  cultes  (Reg.  Consisl.  2  janvier  4  802).  Un 
peu  plus  lard,  le  22  juillet  4  808,  la  Compagnie 
donna  une  preuve  bien  remarquable  de  ses  sentiments 
chrétiens  vis-à-vis  de  ses  concitoyens  catholiques.  On 
jouait  au  théâtre  une  pièce  où  le  culte  romain  était 
indignement  travesti  ;  les  pasteurs  firent  des  démar- 
ches auprès  des  autorités,  et  obtinrent  la  cessation  de 
ce  scandale. 

Cet  esprit  de  tolérance  s'alliait  chez  les  pasteurs  à 
Une  vigilance  sévère  touchant  les  empiétements  du 
clergé.  Les  prêtres  déployaient  un  luxe  inusité  dans 


35* 

l'église  de  Saint -Germain  :  décorations,  musique, 
chanteurs,  tout  était  prodigué  pour  captiver  la  foule. 
Ces  cérémonies,  nouvelles  pour  le  pays,  attiraient  un 
grand  nombre  de  Genevois.  M.  Ami  Martin  lit  insérer 
un  blâme  énergique  sur  cette  légèreté  d'esprit,  dans 
la  proclamation  du  Jeûne  de  1804  :  «  Que  la  pompe 
d'un  culte  étranger  n'excite  point  chez  vous  une  cu- 
riosité indiscrète;  dites-vous  au  contraire  que  c'est  le 
cas  plus  que  jamais  de  vous  montrer  attachés  au  culte 
(jue  nous  ont  transmis  nos  pères  et  que  nous  profes- 
sons par  la  grâce  de  Dieu.  Remplissez  les  parvis  de 
nos  temples,  et  que,  par  cette  conduite  digne  de  vous, 
l'œuvre  du  Seigneur  s'avance  dans  notre  ville.  » 

A  peine  M.  Vuarin  fut-il  installé  à  Saint-Germain, 
qu'il  voulut  obtenir  du  gouvernement  français  les 
institutions  que  le  catholicisme  possède  dans  les  \illes 
où  il  règne  sans  partage.  Il  sollicita  l'autorisation  de 
faire  des  processions  dans  les  rues;  il  voulut  établir 
les  écoles  des  Ignoranlins;  il  porta  même  ses  vues 
sur  l'Académie,  et  demanda  la  création  de  chaires 
catholiques;  mais  Genève  avait  le  bonheur  de  possé- 
der à  Paris,  dans  les  hauts  emplois,  des  citoyens  aussi 
distingués  par  leur  mérite  que  par  leur  désintéresse- 
ment: c'étaient  MM.  Pictel  Diodaii ,  Marc -Auguste 
Pictet,  Le  Fort,  membres  du  tribunal  et  du  corps 
législatif,  et  M.  Meslrezat,  pasteur  de  l'Église  de  Paris. 
Ces  excellents  Genevois  ne  demandaient  aucune  fa- 


353 

veur  pour  eux-mêmes  ou  pour  leur  famille,  et  dans 
ces  années  où  le  népotisme  atteignait  les  dernières 
limites  de  l'indiscrétion  à  la  cour  impériale,  ces  dignes 
citoyens  employèrent  tout  leur  crédit  à  conserver  ce 
qui  restait  des  institutions  républicaines  de  leur  patrie. 
M.  Vuarin  voulait  conduire  de  pompeuses  processions 
au  travers  des  rues  de  Genève;  il  rêvait  des  reposoirs 
et  des  chapelles  à  Bel-Air,  au  Molard  et  sur  la  Treille. 
M.  Portalis,  ministre  des  cultes,  ne  voyait  aucun  in- 
convénient à  la  chose  ;  mais  MM.  Pictet  employèrent  si 
bien  leur  crédit,  que  le  29  juillet  1806  M.  Vuarin 
reçut  l'avis  formel  que  le  Conseil  d'État  impérial  ne 
permettait  les  cérémonies  religieuses  publiques  que 
dans  les  villes  où  elles  avaient  toujours  été  en  usage 1 . 

Un  maître  d'école  catholique  instruisait  les  enfants 
de  cette  communion;  M.  Vuarin  voulut  avoir  les  Frè- 
res de  la  Doctrine  chrétienne.  Voici  sa  lettre  à  M.  de 
Portalis  :  «  Le  paisible  exercice  du  culte  catholique 
»  dans  celte  cité,  le  calme  de  la  raison,  les  rapports 
»  de  bonne  intelligence  qui  unissent  les  pasteurs  et 
»  les  fidèles  des  deux  cultes  doivent  suffire  pour  éloi- 
»  gner  jusqu'à  l'ombre  d'un  soupçon  ou  de  motifs 
r>  d'inquiétude  que  quelques  esprits  pourraient  avoir 
»  d'un  établissement  de  ce  genre.  » 

M.  Fontanes,  grand-maître  de  l'Université,  com- 


1.  Voir,  pour  cette  période,  les  pièces  des  Archives  de  Genève,  de 
1802  à  1814. 

tH.  23 


354 

muniqua  celle  demande  à  M.  Peschier-Fontanes,  son 
parent,  pasteur  de  Cologny.  Le  maire,  M.  Maurice, 
et  le  préfet,  renseignés  par  M.  Peschier  et  par  M.  Bois- 
sier,  recteur  de  l' Académie,  firent  une  réponse  peu 
en  accord  avec  la  fausse  mansuétude  de  répitre  de 
M.  Vuarin.  «  11  existe  à  Genève  un  instituteur  ca- 
tholique, payé  1200  francs,  et  tout-à-fait  suffi- 
»  sant  pour  les  besoins  de  la  communaulé  romai- 
»  ne.  Nous  voyons  avec  peine  qu'on  ait  importuné 
»  Voire  Excellence  pour  une  mesure  qui  ne  pourrait 
»  pas  être  exécutée  sans  de  graves  inconvénients , 
»  parce  qu'elle  éprouverait  une  invincible  opposition 
»  de  la  part  du  peuple  et  des  autorités  locales.  M.  le 
»  Curé  a  montré  autant  de  précipitation  que  d'impru- 
»  dence  en  faisant  ces  démarches  sans  me  consulter. 
»  Je  suis  loin  d'accuser  l'intenlion  de  cet  ecclésiastique 
»  que  j'ai  souvent  soutenu  contre  les  préventions  el 
>  même  l'animosité  des  Genevois;  mais  il  se  laisse 
»  souvent  diriger  par  un  zèle  ardent,  irréfléchi,  qui 
»  deviendrait  bientôt  une  pomme  de  discorde,  si  jt 
»  n'y  portais  remède.  » 

Les  Ignorantins  furent  refusés. 

Cinq  ans  plus  lard,  M.  Vuarin  portait  ses  vues  sui 
l'Académie  genevoise,  et  ourdissait  avec  une  ardent* 
catholique,  Mme  de  L¥¥\  une  Irame  qui  rappelle  le 
plus  tristes  procédés  du  fanatisme. 

Au  mois  de  septembre  1814,  M.  Marc-August< 


555 

Pictet1  écritàM.  Piclet-Diodati,  alors  à  Genève,  pour 
lui  mander  une  grave  nouvelle.  Le  grand-maître  de  l'U- 
niversité lui  a  confié  que  l'Empereur  est  furieux  contre 
l'Académie  de  Genève.  Une  dame  catholique  a  dé- 
noncé un  imprudent  professeur  qui  n'a  pas  assisté  au 
Te  Deum  universitaire  pour  la  naissance  du  roi  de 
Rome.  On  ajoute,  dans  cette  dénonciation,  que 
l'Académie  genevoise  est  animée  de  sentiments  répu- 
blicains, et  les  intrigues  ullramontaines  ont  si  bien 
réussi,  que  l'Empereur  ordonne  que  le  professeur  en 
question  soit  cassé.  En  outre,  les  fonds  de  l'Académie 
seront  versés  dans  la  caisse  universitaire  de  France, 
et  désormais  la  moitié  des  professeurs  appartiendront 
à  la  religion  catholique.  MM.  Pictet  «  parèrent  ce 
coup  »  en  obtenant  de  M.  Fontanes  l'ajournement  de 
l'application  de  cette  mesure.  Des  semaines  se  pas- 
sèrent, et  l'Empereur,  préoccupé  de  ses  plans  gigan- 
tesques, perdit  bientôt  de  vue  les  intrigues  catholi- 
ques de  Genève. 

En  184  4-,  M.  Vuarin  profila  du  retour  des  Bour- 
bons pour  compromettre  de  nouveau  les  protestants 
genevois  vis-à-vis  de  la  France.  Le  Journal  des  Débais 
du  25  juin  4  81  i  contient  de  lui  une  lettre  calom- 
nieuse où  il  représente  le  nouveau  gouvernement  de 
Genève  comme  étant  prêt  à  enlever  le  temple  de  Saint- 


1.  Correspondance  de  M.  Piclel  Diodali,  communiquée  par  M.  Pictet 
de  Sergy,  son  (ils. 


356 

Germain  au  culte  catholique,  malgré  la  volonté  de 
4-000  citoyens. 

«  Jamais,  écrit  à  ce  sujet  M.  le  pasteur  et  professeur 
Picot  à  M.  Piclet-Diodali,  aucun  de  nous  n'a  pensé 
à  la  suppression  impolitique,  et  surtout  intolérante  du 
culte  catholique.  Au  contraire,  les  nécessités  de  la 
guerre  ayant  occasionné  quelques  dégâts  au  cimetière 
romain,  la  ville  s'est  empressée  de  les  réparer.  Croyez 
que  si  notre  population  est  accrue  par  une  addition 
de  territoire,  nous  vivrons  en  frères  avec  les  curés  de 
la  partie  de  la  Savoie  qui  nous  sera  annexée;  nous 
augmenterons  leurs  chélifs  salaires;  nous  leur  ferons 
bon  accueil;  nous  fraterniserons  avec  eux  ;  aussi  plu- 
sieurs d'entre  eux  désirent  ardemment  de  nous  être 
réunis.  C'est  bien  de  mauvais  procédés,  de  haines, 
qu'il  s'agit  dans  ce  siècle  éclairé,  et  dans  le  moment 
où  nous  sommes!  Que  l'Eglise  de  Rome  ait  seulement 
les  mêmes  sentiments  de  charité  que  nous ,  et  tout 
ira  bien.  Pour  vous,  bon  représentant  de  notre  pa- 
trie, employez  le  temps  qui  vous  reste  à  la  défendre 
contre  la  calomnie,  et  à  intéresser  en  sa  faveur  le  nou- 
veau souverain  français. 

Les  vœux  des  Genevois  tolérants  ne  furent  pas 
accomplis.  Lorsque  les  vieux  curés,  qui  regardaient 
les  pasteurs  comme  des  amis  et  des  frères,  eurent, 
l'un  après  l'autre,  disparu  de  ce  monde,  ils  furent 
remplacés  par  déjeunes  prêtres  froidement  fanatiques, 


357 

et  depuis  irenle-cinq  ans,  sur  la  terre  genevoise,  on 
enseigne  aux  enfants  catholiques,  dans  les  écoles,  à 
regarder  les  jeunes  protestants  comme  des  étrangers 
et  des  adversaires.  Lorsque  l'incendie  et  des  fléaux 
naturels  ont  désolé  des  villages  catholiques,  on  a  re- 
présenté les  secours  des  réformés  comme  un  subside 
qu'ils  sont  trop  heureux  de  payer  aux  élus,  pour  évi- 
ter, si  possible,  les  feux  de  l'enfer.  Le  dogme  de  la 
damnation  des  protestants  a  été  constamment  prêché 
dans  nos  villages.  Notre  histoire  s'est  trouvée  misé- 
rablement travestie  dans  les  chaires  catholiques.  Sous 
cette  influence  ultramontaine  permanente,  les  deux 
fractions  de  la  population  genevoise  ont  vécu  dans 
l'isolement,  et  parfois  même  dans  un  antagonisme 
latent.  C'est  ainsi  que  le  mauvais  vouloir  de  quelques 
prêtres  a  trompé  l'espoir  des  hommes  de  1815,  qui 
pensaient  pouvoir,  sous  le  règne  de  la  plus  entière 
liberté,  faire  fleurir  l'union  et  la  paix  entre  les  deux 
cultes. 


358 


CHAPITRE  XI. 


LA   CITÉ   OU  KEFUGE 


La  Bourse  française.  —  Tableau  de  la  Révocation  par  un  historien 
catholique.—  Fuite  et  arrivée  des  réfugiés.  —  Hospitalité  genevoise. 
—  Les  galériens  protestants.  —  Dangers  courus  par  Genève.  —  Ser- 
vices rendus  par  les  pasteurs  genevois  aux  prolestants  du  désert.  — 
Mission  de  Voltaire.  —  Influence  des  Genevois  sur  le  défenseur  des 
Calas.  —  Moultou  et  Voltaire.  —  Jacob  Vernes  et  M alestaerbes.  — 
Les  protestants  français  sous  l'Empire.  -  Rôle  des  pasteurs  genevois 
au  sacre  de  Napoléon.  —  L'Académie  genevoise  et  les  Eglises  fran- 
çaises. 


On  peut  connaître  exactement  les  époques  où  les 
persécutions  s'exercèrent  avec  le  plus  de  violence 
contre  les  protestants  français,  en  consultant  les  vieux 
registres  des  associations  genevoises,  chargées  de  se- 
courir les  réfugiés  évangéïiques.  Les  sommes  consi- 
dérables correspondent  régulièrement  au  temps  où  le 
fanatisme  ultramonlain  se  déchaînait  sur  la  terre  de 
France.  C'est  que  les  victimes  trouvaient  à  Genève 
un  asile  et  des  secours. 

Au  seizième  siècle,  sous  François  1er  et  Henri  II, 


539 

Genève  donna  asile  à  10.653  réfugiés,  dont  1500 
environ  se  fixèrent  dans  se?  murs.  A  la  saint  Barthé- 
lémy, 2560  familles  arrivèrent  en  notre  ville;  4  638 
s'y  établirent  définitivement.  Ces  émigrations  succes- 
sives nécessitèrent  la  création  d'une  administration 
spécialement  chargée  de  secourir  les  proscrits  fran- 
çais. 

Voici  l'origine  de  cette  fondation,  nommée  Bourse 
française  1 .  «  Les  persécutions  qu'on  faisait  en  France, 
dans  le  siècle  de  la  bienheureuse  Réformation,  ont 
obligé  un  grand  nombre  de  fidèles  de  se  réfugier  en 
cette  ville,  qui  était  peu  en  état  de  les  soutenir.  En 
4  54.5,  David  de  Busanlon  donna  une  somme  consi- 
dérable pour  soutenir  ses  malheureux  compatriotes. 
i\l .  de  Bèze,  qui  faisait  des  voyages  fréquents  en  France, 
tantôt  appelé  par  les  princes  du  sang,  tantôt  pour  la 
consolation  de  nos  frères,  reçut  de  diverses  personnes 
des  subsides  pour  secourir  les  Français  pauvres  qui 
étaient  ici  ou  ceux  qui  y  viendraient.  Plusieurs  aussi 
qui  avaient  apporté  du  bien  dans  celte  ville,  grossi- 
rent celle  somme  par  leurs  charités.  On  envoyait  en- 
core, de  temps  en  temps,  de  l'argent  de  France. 
M.  de  Bèze  en  fut  lui  seul  administrateur  pendant 
quelque  temps;  mais  ses  longues  occupations,  ses  voya- 
ges fréquents  et  son  grand  âge,  l'obligèrent  à  prier 

1.  Reg.  Comp.  2(5  janvier  1722.  Mémoire  de  Bénédict  Piolet  sur 
l'origine  et  les  développements  de  la  Bourse  française. 


360 

la  Compagnie  des  Pasteurs  de  lui  substituer  quelqu'un 
de  leur  corps  pour  présider  celle  administration,  avec 
quelques  diacres  de  la  nation  française.  La  Compa- 
gnie fit  ce  que  souhaitait  M.  de  Béze,  et  lui  donna 
des  successeurs  qui  se  relayaient  de  six  mois  en  six 
mois.  » 

En  1640  le  fonds  capital  de  cette  bourse  montait 
à  60,172  florins,  et  ses  dépenses  annuelles  atteignaient 
environ  8000  florins;  les  souscriptions  particulières 
des  Genevois  subvenaient  à  l'insuffisance  de  ces  res- 
sources. Cette  situation  financière  subit  peu  de  varia- 
tions jusqu'aux  années  des  grandes  misères  de  la  Ré- 
vocation, où  les  sacrifices  des  Genevois  dépassèrent 
toutes  les  prévisions  humaines. 

La  description  des  épreuves  de  nos  ancêtres  sur  la 
terre  de  France,  après  l'abolition  de  l'édit  de  Henri  IV , 
n'entre  point  dans  le  plan  de  cet  ouvrage;  mais  les 
auteurs  réformés  étant  accusés  d'exagération  dans  le 
récit  des  violences  des  ministres  de  Louis  XIV,  nous 
emprunterons  la  citation  suivante  à  un  auteur  catho- 
lique, le  prince  Albert  de  Broglie,  dont  les  nobles 
sentiments  et  l'autorité  scientifique  sont  universelle- 
ment reconnus. 

«  Tout  d'un  coup,  en  pleine  paix,  on  vit  une  opé- 
ration d'un  genre  inouï,  qui  n'avait  pour  excuse  ni 
l'appareil  de  la  justice,  ni  les  emportements  de  la 
guerre  :  ce  fut  une  sorte  de  chasse  humaine,  une  par- 


361 

tie  de  plaisir  exécutée  par  les  soldats  et  les  intendants 
contre  les  populations  réformées  de  la  France.  La 
population  elle-même  se  mit  à  la  poursuite  des  famil- 
les sans  défense;  on  fil  un  tarif  des  consciences  d'hom- 
mes comme  des  têtes  d'animaux. 

»  On  vit,  dans  un  pays  qui  se  vantait  de  mœurs  po- 
lies et  brillantes ,  on  vit  des  maisons  tout  d'un  coup  mi- 
ses au  pillage;  des  femmes  errantes  dans  les  champs, 
saisies  au  fond  des  bois  des  douleurs  de  l'enfantement; 
des  bandes  de  prisonniers  traînés,  la  corde  au  cou, 
d'un  bout  du  royaume  à  l'autre;  de  vieux  mili- 
taires accouplés  à  des  assassins  sur  les  galères.  — On 
obtint  un  grand  nombre  de  conversions  par  l'envoi 
des  dragons  dans  les  familles  protestantes.  Il  y  en  eut 
beaucoup  qui  fléchirent  devant  les  tourments;  mais 
qui  les  en  blâmerait?  —  N'a-l-on  pas  infligé  aux  pro- 
testants une  torture  qui  fait  tressaillir  l'impassible 
fermeté  du  sauvage. . .  On  leur  a  enlevé  leurs  enfants. . . 
Oui,  on  a  arraché  du  sein  de  la  mère  ces  objets 
faibles  et  précieux  qui  tiennent  à  tout  notre  être  par 
les  liens  précieux  de  l'amour  et  du  devoir.  —  On  a 
renfermé  les  enfants  dans  les  couvents,  on  leur  a  en- 
seigné à  maudire  leurs  pères.  —  Ah  !  quand  je  lis 
dans  l'histoire  que  nos  adversaires  protestants  ont 
failli  devant  cet  effroyable  déchirement  de  toutes  les 

fibres  du  cœur  dans  la  pleine  liberté  dont  nous 

jouissons,  je  prie  Dieu  d'épargner  ces  redoutables 


3(i2 

épreuves  à  la  faible  mesure  de  foi  qu'il  a  daigné  nous 
accorder.  » 

Qui  s'étonnerait  de  voir  un  grand  nombre  de  fa- 
milles vacillant  dans  leur  foi  ou  contraintes  par  les 
dragonnades,  se  convertir  au  catholicisme?  D'autres 
évitèrent  la  persécution  en  changeant  de  séjour  et  en 
s'abslenant  de  toutes  manifestations  religieuses;  mais 
un  grand  nombre  de  réformés  français  sortirent  du 
royaume,  et  Ton  vil,  durant  quarante  années,  des 
individus  et  des  familles  déserter  les  villes  et  les  cam- 
pagnes, abandonner  les  fermes,  les  châteaux,  les  fa- 
briques et  les  comptoirs,  délaisser  la  pratique  du  droit, 
le  cabinet  du  médecin,  le  presbytère,  la  salle  d'école 
et  les  chaires  académiques,  pour  aller  sur  la  terre 
étrangère  adorer  Dieu  selon  leur  conscience. 

Dès  4  085,  cette  émigration  prit  des  proportions 
si  considérables  que  le  souverain  alarmé  voulut  la 
faire  cesser.  Il  défendit  aux  réformés  la  sortie  de 
France,  sous  peine  de  la  prison  et  des  galères. 

Celte  déplorable  mesure,  si  elle  peupla  de  protes- 
tants les  bagnes  et  les  vaisseaux  du  roi,  ne  diminua 
nullement  les  départs  pour  l'étranger;  les  cités  in- 
dustrieuses et  les  campagnes  fertiles  furent  miséra- 
blement abandonnées  par  beaucoup  de  réformés.  On 
a  souvent  redit,  pour  atténuer  la  gravité  de  ce  désas- 
tre, que  le  Refuge  se  composa  surtout  d'hommes 
appartenant  aux  classes  ouvrières  qui,  n'ayant  rien  à 


perdre,  transportaient  avec  eux  leur  modeste  indus- 
trie et  quittaient  sans  regrets  la  France  dont  ils  fran- 
chissaient facilement  les  frontières.  Les  gens  qui  vivent 
au  jour  le  jour  des  fruits  de  leur  travail,  étant  plus 
nombreux  que  les  personnes  aisées,  fournirent  sans 
doute  un  large  contingent  aux  émigrations  du  dix- 
septième  siècle.  Mais  il  ne  faut  pas  exagérer  leur 
importance  en  grossissant  leur  nombre.  La  noblesse 
secondaire,  les  grands  industriels,  les  agriculteurs, 
les  hommes  de  professions  libérales  remplissent  les 
listes  des  réfugiés,  conservées  en  Allemagne,  en  Hol- 
lande et  en  Suisse.  Plus  de  la  moitié  de  ceux  qui 
traversèrent  la  vallée  du  Léman  étaient  pourvus  de 
moyens  pécuniaires;  les  colonies  agricoles  et  les  villes 
que  les  émigrés  fondèrent  à  l'étranger,  trouvèrent 
immédiatement  en  elles-mêmes  les  éléments  de  leur 
prospérité.  Chose  impossible,  si  ces  réfugiés  avaient 
été  composés  en  majorité  de  gens  dépourvus  de  res- 
sources financières. 

Un  des  caractères  les  plus  frappants  des  proscrits 
de  la  Révocation,  fut  leur  soumission  résignée.  Du- 
rant plus  de  vingt  années  ils  s'abstiennent  de  toute 
récrimination  contre  le  souverain  qui  les  frappait.  Les 
ministres,  dans  leurs  sermons,  les  familles  dans  leur 
culte  intérieur,  demandent  à  Dieu  de  le  ramener  à 
des  sentiments  plus  équitables;  les  gouvernements 
qui  leur  donnent  asile  imitent  celle  modération.  Dans 


364 

les  lettres  intimes  du  prince  d'Orange  et  du  roi  de 
Prusse,  nous  trouvons  d'admirables  paroles  de  com- 
passion pour  les  misères  des  exilés;  nulle  part  l'iro- 
nie ou  la  colère  contre  Louis  XIV.  Les  cantons  hel- 
vétiques suivent  ce  noble  exemple.  Si  l'on  étudie  les 
délibérations  des  conseils  nationaux  et  des  corps  ec- 
clésiastiques, partout  se  retrouve  une  touchante  sym- 
pathie pour  eux,  accompagnée  d'une  grande  retenue 
envers  leur  puissant  persécuteur,  et  si  parfois  un 
orateur  s'emporte  en  ses  discours,  il  est  sévèrement 
réprimandé  et  doit  s'engager,  pour  l'avenir,  à  ne 
prononcer  que  des  paroles  chrétiennes . 

On  pourrait  croire  que  le  principe  de  cette  résigna- 
tion fut  un  manque  de  force  morale  et  de  courage 
personnel  ;  mais  ils  étaient  doués  de  beaucoup  d'éner- 
gie ceux  qui  sacrifiaient  ainsi  leur  position,  leurs  biens, 
par  attachement  à  leurs  croyances  religieuses,  et  il 
leur  fallait  un  grand  courage  pour  affronter  les  souf- 
frances de  l'expatriation  et  les  dangers  du  bagne, 
lorsqu'une  parole  d'adhésion  apparente  au  catholi- 
cisme les  aurait  préservés  de  toute  violence. 

Il  est  vrai  que  celte  résignation  ne  fut  pas  univer- 
selle. Après  vingt  années  de  misères  et  de  tortures, 
les  camisards  se  soulevèrent  dans  les  Cévennes,  et, 
lorsqu'on  réfléchit  au  déploiement  de  forces  qui  fut 
nécessaire  pour  anéantir  cette  imperceptible  minorité, 
on  peut  calculer  les  périls  auxquels  Louis  XIV  aurait 


565 

exposé  l'Etat,  si,  en  1685,  cent  cinquante  mille  pro- 
testants en  état  de  porter  les  armes  se  fussent  révoltés 
de  La  Rochelle  à  Lyon,  et  d'Orléans  à  Montpellier. 
Les  chefs  n'auraient  pas  fait  défaut;  car  si  la  haute 
noblesse  protestante  était  ralliée  à  la  cour,  les  offi- 
ciers chassés  de  leurs  régiments  pour  cause  de  reli- 
gion, se  trouvaient  assez  nombreux  pour  organiser  des 
corps  redoutables  par  leur  force  et  leur  désespoir. 

Ce  courage  et  cette  résignation  se  manifestent  sur- 
tout durant  les  périls  de  la  fuite  vers  les  frontières. 
Tous  les  passages  sont  soigneusement  gardés,  et  sur 
les  routes  s'échelonnent  des  patrouilles  qui  inspectent 
rigoureusement  les  voyageurs.  Dans  les  ouvrages  sur 
l'édit  de  Nantes  et  sa  révocation,  on  a  décrit  admi- 
rablement les  souffrances  des  gens  distingués  qui  fran- 
chissaient une  centaine  de  lieues  déguisés  en  colpor- 
teurs ,  les  daines  nobles  portant  le  panier  ou  la  bêche 
des  paysans,  et  les  enfants  dressés  au  rôle  de  men- 
diants et  de  bohémiens. 

On  peut  donner  quelques  détails  nouveaux  sur  ces 
misères  volontairement  subies  en  retraçant  l'histoire 
d'une  famille  qui  semble  résumer  les  souffrances  de 
toutes  les  autres.  Cette  famille  part  du  centre  de  la 
France  ;  après  quelques  étapes,  les  parents  et  les  en- 
fants sont  saisis  par  une  escouade  de  soldats  et  recon- 
nus pour  réformés.  On  les  dirige  vers  la  cité  voisine, 
atin  d'attendre  le  passage  d'une  chaîne  de  galériens; 


300 

le  soir,  ils  arrivent  dans  un  village;  on  les  lie  à  un 
poteau  sur  la  place  et  on  les  laisse  exposés  à  une  pluie 
glaciale.  La  grâce  et  la  réintégration  dans  leurs  biens 
leur  sont  offertes  s'ils  veulent  abjurer.  Un  silence 
obstiné  accueille  ces  propositions.  Bientôt  les  villa- 
geois les  chargent  d'injures  et  couvrent  de  boue  les 
tristes  captifs.  La  nuit  s'approchait.  Le  père  de  fa- 
mille s'adresse  à  sa  compagne  et  lui  dit  :  «  Voici 
l'heure  du  culte  du  soir;  prions  Dieu!  Ils  s'agenouil- 
lent et  redisent  la  courte  prière  des  réfugiés  :  «  Bon 
Dieu  !  qui  vois  les  injures  auxquelles  nous  sommes  ex- 
posés à  toute  heure,  donne-nous  de  les  supporter  cha- 
ritablement; affermis  nos  cœurs  dans  la  profession 
constante  de  la  vérité,  et  conduis-nous  dans  les  sen- 
tiers du  monde  par  les  lumières  de  ton  esprit.  » 

Puis  ils  chantent  les  premiers  mots  du  psaume  i  1 6, 
dans  le  naïf  langage  de  Clément  Marot  : 

J'aime  mon  Dieu;  car  lorsque  j'ai  crié, 
Je  sais  qu'il  a  ma  clameur  entendue; 
Et,  puisqu'il  m'a  son  oreille  tendue, 
En  mon  dur  temps  par  moi  sera  prié  ! 

Les  villageois  écoutent  immobiles  cette  prière  et 
cette  douce  plainte.  Ils  sont  émus.  Ils  se  rendent  au- 
près du  chef  des  soldats,  le  supplient  de  leur  permet- 
tre d'offrir  un  abri  à  ces  pauvres  prisonniers  On  y 
consent.  Ils  sont  recueillis  dans  une  maison;  et  le 
lendemain  les  cordes  et  les  liens  se  trouvaient  brisés; 


3G7 

les  protestants  avaient  disparu.  Un  paysan  les  con- 
duisit au  loin;  ils  purent  gagner  la  frontière  sans 
autre  accident 

Si  les  proscrits  rencontraient  de  grands  périls  du- 
rant leurs  voyages,  Berne,  Neuchâtel,  Genève  et  les 
cités  riveraines  des  lacs  romands,  prenaient  les  plus 
sérieuses  mesures  pour  faciliter  leur  arrivée  sur  le 
sol  helvétique. 

Dans  les  forêts  du  Jura  français,  au  col  de  Sainl- 
Cergues,  au  lac  de  Joux,  les  municipalités  de  Nyon, 
de  Rolle,  de  Morges  et  d'Yverdun,  entretenaient  des 
bûcherons  et  des  pâtres  qui,  «  sous  ombre  des  tra- 
vaux de  leur  état,  »  surveillaient  les  sentiers  et  gui- 
daient les  voyageurs.  Leurs  excursions  s'étendaient  à 
plusieurs  lieues  sur  le  territoire  du  royaume,  et  de 
nos  jours  les  plus  hardis  contrebandiers  du  Jura  n'ont 
jamais  égalé  les  ruses  et  le  courage  des  guides  vau- 
dois  au  temps  du  refuge. 

Vers  le  midi  delà  vallée,  près  du  fort  de  l'Écluse, 
les  paysans  genevois  accomplissaient  une  lâche  ana- 
logue. Les  habitants  des  villages  voisins  du  Rhône, 
Chancy,  Avully  et  Carligny,  se  distinguaient  par  leur 
charitable  intrépidité. 

Aux  pieds  de  leurs  abruptes  moraines  se  trouvaient 
deux  bacs  solidement  amarrés.  Les  guides  condui- 


1.  Ce  récil  a  été  retrouvé  dans  des  papiers  appartenant  à  la  famille 
Hutier. 


368 

saut  les  réfugiés  attendaient  la  nuit  pour  franchir  les 
derniers  ravins  du  paysdeGex.  A  l'approche  du  grand 
fleuve,  des  signaux  prévenaient  les  Genevois;  des 
flambeaux,  un  instant  allumés  sur  la  rive  suisse, 
annonçaient  le  départ  des  embarcations.  Bientôt  le 
courant  impétueux  était  franchi ,  et  les  fugitifs,  dé- 
sormais en  sûreté,  entonnaient  l'hymne  d'action  de 
grâces  sur  la  terre  de  la  liberté  de  conscience. 

Hélas  !  tous  les  proscrits  n'avaient  pas  des  chances 
aussi  favorables.  Plusieurs  s'égaraient  dans  les  forêts 
de  la  Savoie  ou  dans  les  gorges  du  Jura,  et  ces  fa- 
milles arrivaient  à  Genève  cruellement  décimées. 

Les  registres  de  la  Bourse  française  sont  parsemés 
de  récits  pareils  énoncés  avec  une  éloquente  brièveté. 
Ce  sont  des  enfants  trouvés  à  demi-morts  de  faim 
dans  les  bois,  une  femme  qui  a  vu  son  époux  blessé, 
tomber  dans  les  sentiers  de  la  montagne;  des  familles 
tellement  dénuées  de  vêtements,  qu'elles  attendent 
l'obscurité  pour  frapper  aux  portes  de  Genève. 

La  grande  émigration  française  du  dix-septième 
siècle  commença  en  1682;  elle  dura,  sans  interrup- 
tion, pendant  trente-huit  années,  et  ce  fut  seulement 
en  4  720  que  les  exilés  volontaires  se  réduisirent  à 
d'insignifiantes  proportions. 

Durant  cette  période,  les  cités  du  Léman  donnè- 
rent asile  et  secours: 


369 

1"  A  22,000  familles  ou  individus,  dont  les  noms 
sont  conservés  à  Genève  et  à  Berne; 

2°  On  reçut  12,000  personnes  survenant  à  diver- 
ses reprises  en  colonnes  trop  nombreuses  pour  pou  - 
voir être  inscrites  en  délail ,  vu  la  rapidité  de  leur 
voyage  vers  le  nord  ; 

3°  27,000  réfugiés,  en  dehors  des  précédents, 
arrivèrent  inunis  de  ressources  pécuniaires  et  n'eu- 
rent pas  recours  à  la  bienfaisance  publique. 

Ces  chiffres  réunis  nous  donnent  un  total  de  plus 
de  60,000  proscrits  qui  traversèrent  le  pays  romand 
de  1682  à  1720,  ou  s'y  établirent. 

La  ville  de  Genève,  dont  la  population  s'élevait, 
en  1685,  à  16,411  habitants,  recueillit  à  demeure 
fixe,  durant  ces  quarante  années,  de  3000  à  3600 
réfugiés  français. 

Le  dévouement  à  secourir  les  personnes  indigentes 
fut  inépuisable;  chaque  famille  hébergeait  plusieurs 
hôtes,  et  voici  les  témoignages  qu'en  rendent  les  pros 
crits  eux  mômes  écrivant  à  leurs  amis  : 

«  il  semblerait  que  les  murailles  de  leurs  apparte- 
ments se  reculent  à  volonté,  tant  ils  sont  habiles  à 
loger  les  nouveaux  venus,  lorsqu'ils  arrivent  à  flots 
pressés;  il  est  vrai  que  Ton  en  met  jusqu'à  vingt  dans 
la  même  chambre.  La  maladie  et  les  souffrances  de 
la  route  font  de  terribles  ravages  parmi  nous,  et  les 
salles  de  l'hôpital  genevois  ne  peuvent  abriter  tous 

m.  24 


r>70 

nos  frères,  dont  la  plupart  ne  se  relèveront  pas.  » 

Nous  ne  connaîtrons  jamais  l'étendue  des  actes  de 
charité  accomplis  dans  l'intérieur  des  familles;  mais 
voici  les  chiffres  certains  et  constatés  des  sacrifices 
pécuniaires  accomplis  par  les  Bourses  de  Berne  et  de 
Genève.  Ces  fondations,  destinées  au  soulagement  des 
réfugiés,  étaient  alimentées  par  les  souscriptions  des 
citoyens  suisses. 

Nous  avons  dit  que  la  Bourse  française  de  Genève 
employait  annuellement,  dans  les  temps  paisibles  du 
dix-septième  siècle,  de  7000  à  15,000  florins  en 
faveur  des  proscrits  réformés  du  royaume. 

Dès  que  Tédit  de  Nantes  fut  révoqué,  les  revenus 
et  les  dépenses  de  cet  établissement  décuplèrent. 

Les  dons  pour  Tannée  1085  s'élèvent  à  88.161 
florins,  et  durant  trente-cinq  années,  de  1685  à 
1720,  les  subventions  oscillent  entre  90,000  et 
150,000  florins. 

Les  deux  années  qui  présentent  un  maximum  sont 
1718,  où  I  on  dépense  229,595  florins,  et  1709, 
où  celte  somme  s'élève  à  234,672  florins. 

En  résumé,  Genève  a  fourni  en  subventions  offi- 
cielles, durant  quarante  années,  pour  les  réfugiés  de 
l'édit  de  Nantes,  5,143,266  florins. 

Les  sommes  dépensées  par  Berne  etVaud,  durant 
la  même  période,  s'élèvent  à  plus  de  4,000,000  de 
florins. 


374 

Neuchâtel  se  mettait,  par  ses  générosités,  au  ni- 
veau des  villes  du  voisinage.  La  maison  régnante  étant 
française,  la  duchesse  de  Nemours  désirait  que  tous 
les  réfugiés  fussent  assimilés  aux  nationaux,  et  les 
bourgeoisies  s'empressaient  d'accéder  aux  volontés  du 
souverain.  Non-seulement  on  fournissait  aux  pros- 
crits sans  ressources  tous  les  moyens  exigés  pour  un 
établissement  immédiat,  mais  des  collectes  si  nom- 

* 

breuses  étaient  faites  en  leur  faveur,  que  plus  d'une 
fois  les  communes  déclarèrent  au  gouvernement  que 
le  pays  était  épuisé,  et  qu'à  l'avenir  les  contributions 
générales  seraient  impossibles. 

Si  nous  connaissons  assez  exactement  les  chiffres 
inscrits  sur  les  registres  publics  des  sociétés  de  bien- 
faisance, nous  ne  saurons  jamais  l'étendue  des  sacri- 
fices individuels,  accomplis  par  les  citoyens  des  villes 
du  Léman,  en  faveur  de  leurs  frères  de  France.  Mais 
quoique  les  archives  du  temps  soient  toujours  brèves 
et  modestes  en  leur  langage,  elles  décrivent  parfois 
les  misères  qui  pesaient  sur  les  cités  du  refuge.  Ainsi 
à  Genève,  en  4(i86,  après  avoir  secouru  plus  de 
3000  personnes  en  deux  mois,  les  gérants  de  la 
Bourse  française  sont  dans  la  consternation ,  leur 
cuisse  est  vide!  les  capitaux  disponibles  sont  em- 
ployés aussi  bien  que  les  revenus,  et  l'on  signale 
l'arrivée  prochaine  de  nouveaux  convois  de  réfu- 
giés! Quel  rapport  adresser  au  gouvernement,  sur- 


572 

chargé  ksi-même  des  soins  matériels  de  l'hospitalité  ! 

Le  professeur  Bénédict  Pictet,  l'ami  et  le  collabo- 
rateur de  Conrard,  résume  en  quelques  mois  la  si- 
tuation financière,  et  conclut  en  ces  termes:  «  Nos 
ressources  sont  totalement  anéanties,  et  cependant 
plus  que  jamais  nous  devons  aimer  nos  prochains 
comme  nous  mêmes.  » 

De  leur  côté,  les  magistrats  genevois  ne  perdent 
pas  courage:  ils  font  de  nouveaux  appels  à  la  charité 
privée.  Afin  de  simplifier  le  travail  des  collecteurs, 
lis  engagent  leurs  concitoyens  à  verser  leurs  offrandes 
dans  les  troncs  des  temples,  à  certains  jours  fixes. 
Alors  se  manifestèrent  ces  sacrifices  accomplis  par  la 
main  droite  et  que  la  main  gauche  ignore;  on  recueillait 
souvent  des  paquets  contenant  quinze  ou  vingt  pièces 
d'or.  Ces  monnaies,  frappées  au  commencement  du 
siècle,  étaient  soigneusement  conservées  comme  res- 
sources éventuelles,  dans  ces  temps  où  la  guerre  et 
la  persécution  bannissaient  toute  sécurité  individuelle 
et  publique. 

En  1688,  la  ville  se  trouvant  hors  d'état  de  con- 
tinuer son  œuvre  de  charité  fraternelle,  les  magistrats 
et  les  pasteurs  font  un  appel  aux  paroisses  des  cam- 
pagnes qui  possèdent  des  fondations  pieuses  pour  leurs 
propres  indigents:  «  Hélas!  répondent  les  agricul- 
»  leurs,  nos  villages  sont  depuis  longtemps  pleins  de 
»  réfugiés.  Mais  nous  prendrons  toujours  assez  soin 


373 

»  de  nos  pauvres.  Disposez  de  noire  argent,  e!  si  tout 
»  se  dépense,  celui  qui  envoie  l'épreuve  y  pourvoira.  » 

M.  Dupan  rapporte  à  la  Compagnie  que  les  cam- 
pagnes ont  donné  4.700  florins  (Reg.  Comp.  24  juin 
1688,  et  8  mars  1089). 

Cet  héroïsme  de  la  charité  chrétienne  fut  porté  à 
son  comble  en  l'année  1  (595.  Le  Conseil  écrit  à  Berne 
et  à  Zurich  :  «  Nous  avons  à  notre  charge  3400  ré- 
fugiés. Le  malheur  des  temps  et  la  cherté  toujours 
croissante  du  blé  nous  enlèvent  nos  ressources;  nous 
sommes  hors  d'état,  pour  le  moment,  de  rien  faire 
de  plus;  nos  hôpitaux  sont  tellement  accablés,  que 
plusieurs  de  nos  citoyens  et  bourgeois  ne  pouvant 
recevoir  aucun  secours,  se  voient  contraints  d'aban- 
donner leur  patrie  et  de  se  retirer  ailleurs.  » 

La  ville  ne  reprit,  un  état  normal  que  vers  l'année 
4710. 

En  l'année  1715  il  se  passa  à  Genève  une  scène 
profondément  émouvante1.  Le  pasteur  B.  Calandrin 
informe  les  magistrats  que  156  confesseurs  mis  aux 
galères  pour  cause  de  religion,  ont  été  mis  en  liberté 
par  un  ordre  du  roi,  donné  à  Marly,  le  17  mai  der- 
nier. Ces  courageux  martyrs  sont  transportés  de  Mar- 
seille à  Nice;  ils  traversent  maintenant  le  Piémont  et 
la  Savoie,  et  s'avancent  vers  Genève.  Ce  premier 
convoi  sera  suivi  d'un  autre,  qui  s'élève  à  150  per- 

1.  Reg.  Cons.  et  Comp.  du  13  juin  au  9  août  1715. 


57'i 

sonnes,  «  cl  c'est  une  occasion  de  montrer  notre  cha- 
rité d'une  manière  extraordinaire,  quoique  cette  année 
la  Bourse  française  ail  déjà  dépensé  108,405  florins 
en  son  premier  semestre.  »  Le  Conseil  décide  qu'on 
fera  ce  qu'il  est  possible;  il  ordonne  des  collectes, 
fait  préparer  de  bonnes  salles  à  l'hôpital  pour  «  Ses 
petites  gens,  »  et  invile  les  particuliers  à  recevoir  en 
leurs  logis  les  personnes  de  condition  qui  se  trouvent 
parmi  les  confesseurs;  enfin,  les  magistrats  choisis- 
sent «  les  plus  qualiiiés  d'entre  eux  pour  aller  au  de- 
vant des  proscrits,  et,  si  possible,  porter  la  consolation 
dans  leur  àme.  »  Lorsqu'ils  arrivent,  tous  les  citoyens 
se  pressent  autour  d'eux;  mais  ils  font  place  aux  ré- 
fugiés, qui  étudient  avidement  les  traits  de  ces  mar- 
tyrs, dans  l'espoir  de  retrouver  parmi  eux  quelques 
parents  disparus  depuis  quinze  ou  vingt  années.  L'é- 
motion des  assistants  ne  peu!  se  décrire  lorsqu'un 
père,  des  enfants,  des  époux,  se  reconnaissent  et  bé- 
nissent le  Dieu  des  délivrances;  d'autres  s'empressent 
de  consulter  les  listes  de  secours  de  la  Bourse  fran- 
çaise, et  entonnent  l'hymne  d'actions  de  grâces  en 
lisant  les  noms  de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants 
paisiblement  établis  à  Genève,  à  Berlin  ou  à  Francfort. 
Ces  heureux  proscrits  ne  prennent  aucun  repos,  et,  la 
bourse  bien  garnie,  ils  continuent  leur  voyage.  La 
collecte  pour  ces  martyrs  s'éleva  à  26,500  livres 
courantes;  près  de  cent  cinquante  d'entre  eux  se  fixé- 


375 

rent  à  Genève;  les  autres  lurent  comblés  de  bienfaits 
parles  villes  réformées  de  Suisse;  en  sorte  que  leur 
voyage  fut,  selon  leur  expression,  «  un  rafraîchisse- 
ment perpétuel  pour  leurs  âmes,  et  ils  ne  pourront  ja- 
mais assez  bénir  le  Seigneur  en  se  souvenant  de  leurs 
frères  de  Suisse  et  d'Allemagne.  » 

Le  nombre  des  galériens  qui  furent  recueillis  à 
Genève  dans  les  deux  années  de  4  74  5  et  1744  s'é- 
lève à  565  personnes.  A  la  même  époque,  Genève, 
qui  avait  secouru  les  Vaudpisdu  Piémont  de  la  même 
manière  que  les  Français,  reçut  la  lettre  suivante  des 
pasteurs  des  Vallées  (Reg.  Comp.  5  février  1754)  : 

«  Les  grandes  obligations  que  nos  populations  vous 
ont  depuis  longtemps  à  cause  de  votre  charitable  assi- 
duité à  nous  protéger  et  à  nous  donner  toutes  les  mar- 
ques d'une  affection  fraternelle,  même  à  prévenir  tous 
nos  besoins,  nous  touchent  de  la  manière  la  plus  vive. 
Qui  que  ce  soit  de  nos  membres  affligés  qui  ose  s'ap- 
procher de  vous,  est  d'abord  essuyé  de  ses  larmes, 
lavé  de  ses  plaies  et  consolé  à  tous  égards,  et  ce  qui 
est  le  plus  édifiant,  ce  n'est  pas  dans  les  hôtelleries, 
c'est  dans  vos  maisons,  qu'ils  sont  traités  non  comme 
des  étrangers,  mais  comme  des  frères,  un  père,  des 
enfants.  On  ne  saurait  assez  admirer  voire  zèle  et  la 
pieté  qui  vous  anime.  —  Les  pasteurs  des  Vallées, 
Appia,  Jahjeh,  Léger,  Renaudin.» 

Les  galériens  étaient  l'objet  des  préoccupations  les 


r»7G 

plus  sérieuses  des  puissances  protestantes,  et  nous 
terminerons  ce  qui  les  concerne  pur  une  anecdote  assez 
caractéristique.  L'Angleterre  les  avait  maintes  fois 
fait  réclamer.  Un  jour  que  l'ambassadeur  de  Guil- 
laume III  insistait  auprès  de  Louis  XIV  pour  obtenir 
le  relâchement  des  galériens,  le  roi  lui  dit:  Mais, 
Monsieur,  si  je  demandais  à  Sa  Majesté  Britannique 
la  liberté  de  tous  les  prisonniers  de  Newgate,  me 
Faccorderail-il?  —  Sans  aucun  doute,  Sire,  si  Votre 
Majesté  les  réclamait  comme  ses  frères. 

Les  humiliations  politiques  et  les  périls  nationaux 
aggravèrent  encore  la  position  de  Genève.  Louis XIV 
voyait  de  très-mauvais  œil  les  facilités  et  les  secours 
accordés  à  l'émigration  réformée;  il  était  irrité  con- 
tre ce  petit  peuple  qui  favorisait  ainsi  rétablissement 
des  réfugiés  dans  les  pays  du  Nord. 

Les  résidents  français  de  Genève  et  de  Soleure, 
d'iberville  et  Tambonneau,  faisaient  des  rapports 
circonstanciés  à  Louvois,  et  bientôt  de  Versailles 
arrive  à  l'adresse  des  Genevois  une  dépêche  ainsi 
conçue  :  «  Vous  déclarerez  aux  gens  qui  gouvernent 
»  Genève,  qu'ils  doivent  faire  sortir  de  leur  ville  tous 
»  mes  sujets  de  la  religion  prétendue  réformée.  Ne 
»  manquez  pas  de  me  faire  savoir  la  résolution  que 
«ces  magistrats  ont  prise,  afin  que  je  règle  ma 
»  conduite  sur  la  leur.  » 

Ces  menaces  étaient  trop  formelles  pour  permettre 


377 

l'hésitation;  aussi  les  magistrats  ordonnèrent-ils  le 
départ  immédiat  de  2000  réfugiés.  Le  résident  écrivit 
une  lettre  favorable  à  Paris;  mais  le  lendemain  la 
scène  change,  il  se  présente  furieux  devant  les  auto- 
rités genevoises:  «  Messieurs,  quelle  conduite  esl  la 
»  vôtre!  Dans  l'après-midi  vous  faites  sortir  publique- 
»  ment  les  réfugiés,  et  durant  la  nuit  vous  rouvrez 
»  les  portes  de  la  ville,  et  vous  les  recevez  de  nou- 
»  veau  dans  vos  demeures!  Je  vais  incontinent  riian- 
»  der  ces  détails  au  roi  mon  souverain.  » 

La  réponse  ne  se  fil  pas  attendre;  elle  se  terminait 
par  ces  mots  :  «  Dites  à  ces  Messieurs  de  Genève  qu'ils 
»  se  repentiront  bientôt  de  m'avoir  déplu .  Je  vais  pren- 
»  dre  les  plus  justes  mesures  pour  leur  faire  connaî- 
»  tre  mon  ressentiment.  » 

Les  menaces  ne  tardèrent  pas  à  se  réaliser.  M.  de 
Passy,  intendant  du  pays  de  Gex,  interdit  le  com- 
merce des  grains;  il  s'empara  des  dîmes  et  de  la  ju- 
ridiction d'un  village  genevois  enclavé  dans  le  terri- 
toire français.  Aux  réclamations  des  magistrats  il 
répondit  (20  mars  1685):  «Si  vous  me  faites  la 
»  moindre  opposition,  sachez  que  le  roi  a  9000 
»  hommes  sur  la  Saône,  qui  seront  dans  un  moment 
»  ici!  Avis  à  vous,  Messieurs  de  Genève!  » 

Les  magistrats  consternés  décidèrent  que  désor- 
mais on  ne  recevrait  plus  de  nouveaux  proscrits.  On 
mil  à  sec  les  bateaux  du  Rhône  qui  servaient  à  leur 


578 

passage;  on  sévil  contre  les  délits  d'hospitalité  dénon- 
cés par  le  résident.  Mais  pour  concilier  la  nécessité 
politique  et  les  sentiments  religieux  des  citoyens,  les 
autorités  genevoises  fermèrent  les  yeux  sur  les  con- 
traventions journalières  commises  en  recevant  de  nou- 
veaux proscrits.  Ils  arrivèrent  aussi  nombreux  qu'au- 
paravant; seulement  leur  séjour  fut  entouré  de  sérieu- 
ses précautions  pour  sauver  les  apparences  aux  yeux 
de  l'ombrageux  fonctionnaire. 

il  fallait  d'autre  part  songer  à  la  défense. 

Au  mois  de  janvier  4  686,  MM.  de  la  Rive  et 
Piclel  sont  envoyés  à  la  Diète  des  quatre  cantons 
évangéliques  (Berne,  Zurich,  Bàle  et  SchalThouse). 
Les  Suisses,  lidèles  à  leur  vieille  devise  :  «  Qui  loucha 
Vun,  louche  l'autre,  »  déclarent  qu'ils  sont  prêts  à 
soutenir  leurs  alliés  de  Genève  dans  l'exercice  de 
l'hospitalité  chrétienne. 

Les  députés  genevois  pensent  qu'un  corps  de  4000 
hommes  est  suffisant  . pour  défendre  leur  ville  contre 
une  puissante  armée, . . .  Genève  ayant  déjà  dans  ses 
murs  un  nombre  égal  de  gens  en  état  de  porter  les 
armes.  «  Mais,  ajoutent-ils,  pour  le  présent,  tout  se- 
»  cours  serait  importun  et  même  dangereux  !  La  pro- 
»  messe  des  confédérés  nous  sutïît.  »  Bientôt  la  situa- 
tion s'aggrave:  des  renseignements  officieux,  venus 
de  Paris,  annoncent  que  la  violation  du  territoire 
genevois  est  le  prélude  des  plus  graves  dilïicultés. 


579 

Louis  XIV  songe  à  rompre  les  huit  conventions  ou 
traités  qui,  de  1536  à  4  658,  ont  uni  la  France  et 
les  cantons  helvétiques. 

Des  députai  ions,  dont  les  principaux  chefs  sont 
Ami  Le  Fort,  de*  Genève,  et  H.  Escher,  de  Zurich, 
se  rendent  à  Paris  pour  remédier  à  ces  lamentables 
incidents.  Les  envoyés  helvétiques  et  genevois  sont 
fort  mal  reçus.  Pendant  plusieurs  mois  ils  sollicitent 
en  vaisi  une  audience  du  roi.  Leur  âme  est  navrée, 
lorsqu'ils  apprennent  que  le  Parlement  de  Dijon,  in- 
fluencé par  les  chanoines  voisins,  doit  prononcer  sur 
la  validité  de  ces  actes  internationaux;  ils  sentent  que 
tout  espoir  est  perdu,  et  ils  se  retirent  en  échan- 
geant les  plus  aigres  paroles  avec  les  ministres  du 
roi.  A  M.  de  Ooissy,  qui  annonce  que  les  chanoines 
de  Dijon  proposent  de  biffer  le  traité  de  1561, 
Le  Fort  répond  :  «  Monseigneur ,  les  rois,  comme  les 
derniers  gueux,  doivent  un  jour  rendre  compte  des 
traités  et  des  contrats  qu'ils  ont  faits.  »  El  dans  l'au- 
dience de  congé,  Louvois  doit  entendre  ces  fières 
observations:  «  Nous  sommes  bien  sincèrement  marris 
(dit  0.  Escher,  de  Zurich)  des  dispositions  du  roi  à 
notre  égard,  surtout  eu  voyant  qu'eu  matière  de  trai- 
tés, on  fait  plus  de  cas  de  l'avis  de  vingt-cinq  cha- 
noines, que  de  la  parole  d'un  corps  de  plusieurs 
milliers  d'alliés  les  pluslidèles  de  celle  couronne.  Sa 
Majesté  devrait  se  rappeler  le  sang  versé  par  les 


380 

Suisses  pour  le  service  de  ses  Élats.  Ils  continueront" 
à  observer  fidèlement  leur  parole,  lanl  qu'on  n'en 
viendra  pas  à  une  rupture  ouverte;  niais  ils  couvri- 
ront leurs  alliés  de  Genève  de  la  protection  de  leurs 
armes,  s'en  remettant  à  la  divine  Providence  pour 
l'issue  de  la  guerre.  >< 

Louis  XIV  parut  frappé  de  celte  conduite.  Le  cou- 
rage de  ce  petit  peuple  qui  s'exposait  à  la  ruine  pour 
maintenir  le  droit  d'asile,  fit  impression  sur  son 
esprit.  Ses  dociles  agents  laissèrent  en  repos  les  Ge- 
nevois; plus  tard,  ce  monarque  reçut  très-favorable- 
ment les  ambassadeurs  de  notre  République,  et  dès- 
lors  la  vallée  du  Léman  a  pu  recevoir  paisiblement 
les  victimes  des  diverses  révolutions  politiques  ou 
religieuses  qui  ont  agité  le  continent  européen. 

La  grande  émigration  de  l'édit  de  Nantes  l'ut  à  peu 
près  terminée  vers  4  7ôO.  Genève  avait  acquis  4000 
nouveaux  citoyens,  dont  plusieurs  se  distinguèrent 
dans  les  carrières  lettrées.  Mais  le  plus  grand  nombre 
des  réfugiés  conservèrent  leurs  anciennes  professions, 
et  donnèrent  un  large  développement  à  l'industrie  et 
au  commerce  de  leur  nouvelle  patrie. 

Sous  le  règne  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI,  les 
Genevois  s'intéressèrent  constamment  au  sort  de  leurs 
frères  de  France,  et  leurs  efforts  ne  furent  pas  sans 
influence  pour  radoucissement  des  décrets  qui  les 
proscrivaient.  Deux  ecclésiastiques,  MM.  Vernel  et 


38 1 

Moullou,  se  sont  surtout  distingués  dans  cette  noble 
mission.  Moultou  se  trouvait  en  rapport  avec  la  fa- 
mille de  Montclar,  dont  le  chef,  procureur  du  roi  en 
1764-,  avait  déterminé  l'expulsion  des  jésuites.  D'au- 
tre part,  une  dame  de  haute  naissance  el  de  grands 
talents,  ia  duchesse  de  la  Rochefoucault  d'Anville, 
honorait  ces  deux  pasteurs  de  son  amitié.  Ils  résolu- 
rent de  plaider  activement  la  cause  de  leurs  coreli- 
gionnaires. La  lâche  était  rude,  voire  même  péril- 
leuse. En  effet,  vers  1760,  si  l'on  ne  bannissait  plus 
les  protestants,  leur  sort  n'en  était  pas  moins  lamen- 
table. 

Les  hommes  qui  rejetaient  l'autorité  du  pape  étaient 
encore  emprisonnés  et  confondus  sur  les  galères  du 
roi  avec  les  voleurs  et  les  assassins;  leurs  femmes 
étaient  ensevelies  dans  des  cachots  infects,  el  leurs 
enfants,  élevés  par  des  moines,  apprenaient,  de  par 
le  roi,  à  maudire  sur  la  croix  de  Jésus  le  souvenir  et 
la  religion  de  leur  père  et  de  leur  mère.  Les  montagnes 
de  France  recélaient  encore  dans  leurs  déserts  des  po- 
pulations désireuses  de  servir  Dieu  en  esprit  et  en  vé- 
rité, el  les  troupes  royales  faisaient  feu  sur  ces  rebelles 
comme  sur  les  plus  dangereux  brigands  de  grands 
chemins;  puis  les  hauts  dignitaires  de  l'Église  romaine 
louaient  et  bénissaient  Dieu  lorsqu'ils  recevaient  ces 
lugubres  et  sanglants  rapports  ! 

Si  les  réformés  souffraient  durement  des  abus  du 


r>82 

fanatisme,  ils  n'étaient  cependant  pas  seuls  à  en  gé- 
mir :  sur  divers  points  de  la  France,  les  chanoines 
et  les  prieurs  traitaient  leurs  ressortissants  comme 
vassaux  et  serfs  taillables  el  corvéables  à  merci;  les 
emprisonnements  cl  les  confiscations  s'opéraient  sans 
enquête  judiciaire,  à  la  demande  des  seigneurs  ecclé- 
siastiques, et  la  voix  des  catholiques  opprimés  était 
aussi  soigneusement  étouffée  que  les  plaintes  des  pro- 
testants eux-mêmes. 

En  vain,  quelques  personnes  aussi  hardies  que  gé- 
néreuses, s'efforçaient  de  parvenir  jusqu'aux  oreilles 
du  roi  :  nulle  réclamation  n'abordait  le  trône  qu'après 
avoir  passé  par  le  confessionnal.  Des  mémoires  re- 
traçant ces  iniquités  étaient  imprimés,  mais  ils  de- 
meuraient sans  résultats,  leurs  auteurs  n'ayant  pas  le 
talent  qui  fixe  l'attention  des  foules,  ou  l'influence 
sociale  qui  force  l'opinion  publique  à  se  prononcer. 
Dans  les  hautes  sphères  de  l'intelligence  on  frappait 
de  rudes  coups  sur  la  superstition  et  sur  l'autorité 
romaine  ;  mais  le  but  était  la  démolition  des  croyan- 
ces religieuses:  la  liberté  de  conscience,  le  droit  de 
conserver  sa  foi  et  de  la  publier,  restaient  inconnus  sur 
la  terre  de  France,  et,  il  faut  le  dire,  la  plus  dédai- 
gneuse indifférence  accueillait  les  faits  qui  transpi- 
raient dans  le  public  et  les  bruits  lointains  des  per- 
sécutions religieuses;  le  genre  même  de  leur  crime 
rendait  les  victimes  odieuses  au  grand  nombre,  et 


583 

ridicules  aux  yeux  de  ceux-là  seuls  que  leurs  opinions 
avancées  eussent  pu  appeler  à  les  défendre. 

Toul  d'un  coup,  en  face  de  ce  dédain  matérialiste 
des  philosophes,  de  ces  juges  qui  punissent  le  délit 
de  culte  par  l'exil,  les  galères  et  la  potence,  de  ces 
parlements  qui  laissent  passer  la  justice  de  Rome,  de 
ces  ministres  d'État  qui  s  inclinent  devant  elle,  el  de 
ce  royal  libertin  qui  échange  des  billets  de  galère  con- 
tre des  billets  de  confession,  se  lève  un  homme  à  la 
fois  historien,  philosophe,  poète  el  satirique,  qui  pos- 
sède la  réputation  la  plus  étendue,  le  crédit  littéraire 
le  plus  incontesté,  qui  correspond  avec  tous  les  sou- 
verains de  l'Europe,  que  les  papes  tolèrent,  lors  même 
qu'il  foule  aux  pieds  leur  dogme  el  leur  puissance; 
un  homme  dont  tous  les  journaux,  tous  les  salons, 
toutes  les  académies,  tous  les  théâtres,  tous  les  peu- 
ples se  disputent  les  écrits;  et  à  cet  homme  il  monte 
au  cœur  de  descendre  dans  la  lice  et  de  prendre  en 
main  la  cause  de  la  liberté  religieuse.  Celte  résolution 
adoptée,  il  met  au  service  de  son  œuvre  toute  son 
immense  influence,  une  persistance  qui  n'est  égalée 
(pie  par  son  infatigable  activité,  et  il  ne  s'arrêtera 
que  lorsqu'il  aura  fait  réprimer  les  excès  du  fanatisme 
par  les  mêmes  lois  el  par  les  mêmes  tribunaux  qui 
naguère  les  sanctionnaient. 

L'influence  des  Genevois  fut  manifeste  dansées  ré- 
solutions de  Voltaire.  Un  homme,  si  grand  que  soit 


384 

son  génie,  peul-il  échapper  à  l'influence  exercée  par 
le  milieu  dans  lequel  il  passe  ses  jours?  Voltaire, 
dans  la  société  matérialiste  de  Paris  ou  de  Berlin, 
eût  sans  doute  continué  ses  pamphlets  moqueurs  con- 
tre le  fanatisme  de  Rome;  mais  aurait-il  joint  l'action 
à  la  parole?...  Aurait-il  pris  la  défense  des  Calas,  des 
Sirven,  des  galériens  protestants?  Àu  milieu  des  fêles 
scandaleuses  de  ces  cours,  la  nouvelle  des  supplices 
infligés  aux  réformés  français  serait-elle  seulement 
parvenue  à  ses  oreilles?  Aurait-il  rencontré  ces  Gene- 
vois, fils  de  réfugiés  ou  réfugiés  eux-mêmes  qui  su- 
rent faire  vibrer  les  cordes  les  plus  sympathiques  de 
son  àme?  Voltaire,  si  impressionnable,  ne  fut-il  pas 
ému  d'entendre  répéter  les  détails  des  misères  éprou- 
vées par  les  fugitifs  de  la  Révocation?  Les  papiers  de 
famille  contenant  ces  horreurs  que  les  enfants  des  mar- 
tyrs lui  communiquaient,  n'enflammèrent-ils  pas  son 
courage  et  sa  persévérance?  El  quoi  de  plus  naturel 
que  le  projet  de  délivrer  l'Europe  du  fléau  des  per- 
sécutions religieuses  fût  conçu  sur  le  seuil  même  de 
la  grande  hôtellerie  où  se  réfugiaient,  depuis  un  siè- 
cle, les  victimes  de  toutes  les  persécutions? 

Ces  considérations  générales  sont  appuyées  sur  des 
faits  positifs.  M.  Moullou  communiquait  au  philoso- 
phe les  mémoires  en  faveur  des  protestants  que  lui 
envoyait  M.  de  Montclar,  et  la  duchesse  d'Anville  les 
remettait  à  M.  de  Choiseul. 


585 

Les  dénonciations  contre  les  réformés  suivaient  la 
même  filière,  et  des  pamphlets,  où  toutes  les  passions 
de  4  685  se  reproduisent  en  1760,  sont,  remis  par 
Voltaire  à  M.  Moullou,  avec  ces  mots  caractéristi- 
ques :  «  J'envoie  à  mon  cher  philosophe  le  persifflage 
qu'on  a  répondu  au  persifflage  du  clergé.  »  Ce  tra- 
vail diplomatique,  en  faveur  des  réformés  de  France, 
durait  depuis  deux  années,  lorsque  le  procès  des  Ca- 
las, dont  Voltaire  fut  informé  par  MM.  Moultou  et  de 
Végobre,  fil  éclater  la  passion  de  la  liberté  de  cons 
cience  chez  le  grand  écrivain,  et  fut  pour  lui  l'occasion 
d'une  gloire  immortelle.  Voici  comment  Voltaire  fut 
instruit  de  cette  horrible  affaire.  M.  de  Végobre,  des- 
cendant des  premiers  réfugiés  de  la  Révocation,  fai- 
sait une  visite  à  Ferney:  «  Eh  bien!  mon  cher  hu- 
guenot, vous  avez  une  figure  de  circonstance;  qu'y 
a-t  il  de  nouveau?»  —  «  Du  nouveau?  Il  arrive  la 
plus  horrible  histoire  que  les  fastes  judiciaires  puissent 
enregistrer!  »  —  Quoi  donc? Racontez  vite!  »  —  «  Il 
existe  à  Toulouse  une  famille  de  réformés,  digne  de 
considération,  et  possédant  une  position  honorable.  Ils 
se  nomment  Calas.  Un  des  fils  s'est  fait  catholique, 
et  le  père,  quoique  sincèrement  affligé  de  son  chan- 
gement de  religion ,  lui  a  continué  sa  pension  ali- 

1.  M.  de  Végobre  fils,  de  qui  nous  tenons  ces  détails,  a  été  durant 
toute  sa  vie  le  protecteur  zélé  de  ses  coreligionnaires  français,  et  l'un 
des  membres  les  plus  respectables  et  des  plus  actifs  de  l'Eglise  de 
Genève. 

III.  25 


380 

mentaire.  Le  frère  aîné  mène  une  vie  désordonnée  : 
il  hanle  les  salles  (Pannes  et  les  billards,  et  se  tient 
dans  un  état  d'ivresse  à  peu  près  continuel .  et  comme 
il  est  criblé  de  dettes,  son  père  refuse  d'apaiser  ses 
créanciers  et  de  lui  donner  les  moyens  de  continuer 
ses  désordres.  Dès-lors  une  exaltation  furieuse  s'est 
emparée  de  ce  jeune  homme:  il  a  lu  des  ouvrages 
qui  font  l'apologie  du  suicide,  et  un  jour  on  a  trouvé 
ce  malheureux  pendu  à  la  traverse  d'une  porte.  Aussi- 
tôt le  bruit  s'est  répandu  que  son  père  l'avait  pendu 
lui-même,  parce  qu'il  avait  manifesté  le  désir  de  se 
faire  catholique  :  son  père,  pauvre  vieillard  de  soixan- 
te-neuf ans!  faible,  infirme,  fort  incapable  de  soulever 
seulement  le  corps  géant  de  son  fils,  dont  la  taille 
dépassait  six  pieds!  Pour  corroborer  cette  accusation, 
la  confrérie  des  pénitents  blancs  a  fait  célébrer  des 
messes  pour  le  repos  du  défunt;  on  a  exposé  une 
peinture  qui  le  représente  tenant  d'une  main  la  palme 
du  martyre,  et  de  l'autre  la  plume  qui  devait  signer 
son  abjuration;  on  a  fait  courir  le  bruit  que  les  ré- 
formés assassinent  fréquemment  en  secret  ceux  de 
leurs  enfants  qui  veulent  passer  au  catholicisme.  Bref, 
on  a  si  bien  fanatisé  la  population  de  Toulouse,  qu  elle 
a  demandé  à  grands  cris  la  mort  du  \ieux  Calas;  c'est 
un  magistral,  nommé  David,  qui  a  conduit  le  procès, 
et  malgré  toutes  les  invraisemblances,  les  absurdités 
accumulées  dans  cette  affaire,  le  malheureux  a  été  dé- 


587 

claré  coupable,  condamné  au  supplice  de  la  roue  et 
exécuté  le  9  mars  dernier!  Il  est  mort  comme  un 
martyr,  protestant  de  son  innocence  et  pardonnant  à 
ses  juges  qui,  sans  doute,  disait-il,  avaient  été  égarés 
par  de  faux  témoins...  Sa  femme  et  ses  filles  étaient 
également  accusées  de  ce  meurtre:  on  a  pourtant  re- 
culé devant  l'idée  de  les  mettre  à  mort;  on  leur  a 
rendu  la  liberté.  » 

La  tache  qu'il  venait  de  prendre  était  lourde  et 
dangereuse  :  il  fallait  combattre  et  réduire  au  silence 
une  magistrature  puissante,  un  clergé  fanatisé,  des 
préjugés  les  mieux  enracinés  peut-être  entre  tous. 
Mais  les  obstacles  ne  firent  qu'exciter  l'ardeur  du  phi- 
losophe. Il  intéressa  à  cette  cause  le  duc  de  Choiseul, 
ministre  du  roi  ;  il  écrivit  à  tous  les  grands  person- 
nages sur  lesquels  il  pouvait  avoir  quelque  influence; 
la  duchesse  d'Ànville  étant  venue  à  Genève  consulter 
Tronchin,  celui-ci,  d'accord  avec  Voltaire,  dirigé  par 
Moultou,  la  gagna  entièrement  à  la  cause  des  Calas. 
Enfin,  la  révision  du  procès  commença  :  Voltaire  se 
fil  remettre  les  longs  et  diffus  mémoires  des  avocats 
qu'il  transformait  en  pages  brèves,  concluantes,  étin- 
celantes  d'esprit  el  d'éloquence.  Il  remplit  les  jour- 
naux des  détails  de  cette  aflaire,  multiplia  les  brochu- 
res, tint  en  haleine  l'opinion  publique,  écrivit  à  tous 
les  souverains.  Enfin,  au  printemps  de  176G,  après 
quatre  années  d'efforts  et  de  travaux  dont  Ferney  fut 


588 

le  centre,  et  Voltaire  le  directeur,  l'arrêt  qui  condam- 
nait Calas  fut  cassé,  et  son  innocence  reconnue;  l'ac- 
cusateur David,  accablé  sous  le  poids  delà  réproba- 
tion universelle,  perdit  la  raison;  le  roi,  cédant  à 
l'entraînement  général,  accorda  56,000  livres  à  la 
veuve  du  martyr,  et  les  Français  reçurent  de  Voltaire 
une  des  plus  hautes  leçons  qui  aient  jamais  frappé  le 
cœur  d'une  nation. 

M.  Moultou  avait  été  pour  Voltaire  un  collaborateur 
infatigable;  aussi  Voltaire  voulut  qu'il  eût  les  prémi- 
ces du  succès,  et  lorsque  le  Conseil  du  roi,  en  1 763, 
se  montra  favorable  à  la  révision  du  procès,  le  grand 
athlète  de  la  liberté  de  conscience  écrivit  à  Moultou 
la  lettre  suivante  : 

«  Samedi,  4â  mars  1765.  C'était  un  bien  vilain 
jour  pour  moi,  Monsieur,  que  celui  où  j'étais  à  Fer- 
ney  quand  vous  me  faisiez  l'honneur  de  venir  aux 
Délices;  mais  c'est  un  bien  beau  jour,  malgré  la  bise 
ou  la  neige,  que  celui  où  nous  apprenons  l'arrêt  du 
conseil  et  la  manière  dont  le  roi  a  daigné  se  déclarer 
contre  les  décrets  fanatiques  qui  voulaient  qu'on 
abandonnât  les  Calas.  Nous  devons  beaucoup  à  M.  le 
duc  de  Choiseul  et  à  M.  le  duc  de  Praslin.  Le  règne 
de  l'humanité  s'annonce  :  ce  qui  augmente  ma  joie 
et  mes  espérances,  c'est  l'attendrissement  universel 
dans  la  galerie  de  Versailles;  voilà  bien  une  occasion 
où  la  voix  du  peuple  est  la  voix  de  Dieu  !  Je  parie 


389 

que  vous  avez  pleuré  de  joie  eu  apprenant  cet  heu- 
reux succès.  » 

En  même  temps  que  Voltaire  travaillait  à  la  réha- 
bilitation des  victimes  individuelles  du  fanatisme,  il 
s'occupait  le  plus  activement  que  possible  de  la  réin- 
tégration de  tous  les  protestants  de  France;  il  faisait 
agir  tous  les  ressorts  d  une  spirituelle  diplomatie.  On 
lui  remettait  des  mémoires  très-instructifs  sur  ce  su- 
jet; il  répondait  :  «  Ces  ouvrages  feront  du  bien  dans 
quinze  ou  vingt  ans,  mais  aujourd'hui  il  s'agit  d'ob- 
tenir la  protection  de  Mme  de  Pompadour;  le  grand 
point  est  d'intéresser  son  amour-propre  à  faire  autant 
de  bien  à  l'État  que  Mme  de  Mainlenon  a  fait  de  mal. 
Je  répondrais  bien  de  sa  bonne  volonté  et  de  celle  de 
MM.  de  Choiseul  et  Praslin;  mais,  avec  tout  cela, 
cette  tolérance  ne  serait  pas  encore  accordée,  tant  il 
est  difficile  de  changer  ce  qui  est  une  fois  établi.  C'est 
assurément  une  très-belle  entreprise,  et  je  mourrais 
tranquille  si  j'avais  mis  une  pierre  à  cet  édifice.  — 
Nous  raisonnerons  de  tout  cela  avec  M.  Moultou, 
l'homme  que  j'estime  le  plus,  et  en  qui  j'ai  la  plus 
grande  confiance.  » 

Deux  ans  plus  lard,  Voltaire  écrit  à  Moultou  dans 
un  accès  de  découragement.  «  4  766.  Mes  yeux  lisent 
en  pleurant  cet  amas  d'horreurs  rapportées  dans  le 
livre  que  vous  m'envoyez.  En  vérité,  cela  rend  hon- 
teux d'être  catholique;  je  voudrais  que  de  tels  ou- 


390 

vraies  fussent  entre  les  mains  de  tout  le  monde,  mais 
l'opéra-comique  l'emporte,  et  presque  tout  le  monde 
ignure  que  les  galères  sont  pleines  de  malheureux 
condamnés  pour  avoir  chanté  de  mauvais  psaumes. 
Hélas  !  d  me  paraît  difficile  d'avertir  que  les  fruits 
d'un  arbre  sont  mortels  sans  faire  sentir  aux  esprits 
exercés  que  l'arbre  est  d'une  bien  mauvaise  nature.  » 

L'année  suivante,  Voltaire  charmé  de  l'expulsion 
des  jésuites  hors  de  toutes  les  terres  de  la  domina- 
tion espagnole,  voudrait  que  ce  grand  travail  fût 
couronné  par  la  rentrée  en  France  des  protestants, 
laquelle  semblait  avoir  quelques  chances  de  succès 
(24  avril  4767).  «  Voilà  deux  grandes  nouvelles, 
moucher  Monsieur;  voilà  une  espèce  de  persécuteurs 
bannie  de  la  moitié  de  l'Europe,  et  une  espèce  de 
persécutés  qui  peut  enfin  espérer  de  jouir  des  droits 
du  genre  humain  que  le  Père  Lachaise  et  Michel  Le- 
tellier  leur  ont  ravis.  Il  faudrait  piquer  d'honneur 
M.  Maupeou;  je  réponds  bien  de  MM.  de  Choiseul  et 
Praslin  ;  mais ,  dans  une  affaire  de  législation ,  le 
chancelier  a  toujours  une  voix  prépondérante.  Mn,e  la 
duchesse  d'Anville  est  à  la  Roche-Guyon;  mais  écri- 
vez-lui ;  flattez  la  grande  passion  qu'elle  a  de  faire  du 
bien,  qui  vous  est  commune  avec  elle;  elleestcapa- 
ble  d'aller  exprès  à  Versailles.  Le  succès  d'une  pareille 
entreprise  rendrait  le  roi  Louis  XV  chéri  de  toute 
l'Europe.  Est-il  possible  que  les  Turcs  permettent  aux 


391 

chiens  de  chrétiens  déporter  leur  Dieu  dans  les  rues, 
de  chanter  ô  filii,  ù  filiw  à  tue-tête,  tandis  que  les 
Welches  ne  permettent  pas  à  d'autres  Welches  de  se 
marier?  La  conduite  welche  est  si  folle  et  si  odieuse 
qu  elle  ne  peut  pas  durer.  —  Je  vous  embrasse  ten- 
drement. » 

Si  les  démarches  des  deux  amis ,  le  philosophe 
incrédule  et  le  philosophe  chrétien ,  ne  purent  ame- 
ner encore  un  triomphe  complet  de  la  liberté  reli- 
gieuse en  France,  du  moins  bien  des  injustices  isolées 
furent  réparées  grâce  à  leur  zèle.  Ainsi,  le  4  3  décem- 
bre 4  769,  Voltaire  écrivait  à  Moultou  :  «  Je  vous 
fais  compliment  de  vos  deux  galériens  mis  en  liberté; 
si  c'est  par  Mme  d'Ànville  que  vous  êtes  parvenu  à 
celte  bonne  œuvre,  cela  prouve  qu'elle  a  du  crédit 
auprès  de  M.  de  Saint-Florentin;  si  c'est  par  vous- 
même,  vous  ferez  casser  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes.  » 

Enfin,  six  ans  plus  tard,  la  cause  de  la  tolérance 
avait  fait  de  sérieux  progrès,  puisque  (9  août  \  775) 
Voltaire  pouvait  écrire  :  «  L'archevêque  de  Toulouse 
a  parlé  il  y  a  quelque  temps  des  mariages  protes- 
tants, et  il  a  montré  dans  ses  propos  autant  de  tolé- 
rance que  de  politique.  M.  Turgol  est  en  train  de 
rendre  les  plus  grands  services  à  la  nation  et  à  la 
raison;  sa  sagesse  et  sa  bienfaisance  s'étendent  jusque 
sur  nous,  pauvres  habitants  isolés  du  mont  Jura. 


392 

Attendez-vous,  vous  autres  Genevois,  aux  chose>  les 
plus  agréables,  c'est  tout  ce  que  je  puis  vous  dire. 
Ceux  qui  vous  mandent  que  le  clergé  français  n'a 
jamais  eu  plus  d'activité  et  de  crédit  se  trompent  de 
moitié;  ils  n'ont  raison  que  sur  l'activité.  —  Je  vous 
embrasse  avec  tendresse  et  joie,  quoique  fort  ma- 
lade. » 

Dès  ce  moment,  en  effet,  on  put  prévoir  en  France 
que  l'heure  allait  sonner  où  la  liberté  de  conscience 
devait  rentrer  sur  ce  sol  qu'elle  avait  quitté  depuis  si 
longtemps  :  le  principe  en  était  décidément  inoculé 
à  la  nation  ;  il  ne  restait  plus  qu'à  en  développer  les 
progrès  et  la  pratique,  en  se  résignant  aux  lenteurs 
inséparables  d  une  semblable  révolution.  Toutefois, 
ces  relards  empêchèrent  les  ardents  promoteurs  de 
la  tolérance  de  contempler  le  résultat  de  leurs  efforts  : 
avant-garde  dans  la  lutte,  ils  succombèrent  avant  de 
voir  leur  drapeau  fixé  dans  la  place  conquise,  mais 
en  emportant  l'assurance  qu'ils  seraient  victorieux. 
—  Heureusement  les  ministres  d  Etat  ne  songeaient 
point  à  revenir  en  arrière;  Rulhières  et  Malesherbes 
mirent  à  cette  cause  le  plus  sérieux  intérêt.  Dans  le 
but  de  s'entourer  de  toutes  les  lumières  possibles  ils 
s'adressèrent  à  Genève,  et  le  professeur  Jacob  Vernet 
fut  chargé  de  répondre  à  cette  question  venue  de 
Versailles  :  «  Que  doit-on,  que  peut-on  faire  actuelle- 
ment en  faveur  du  protestantisme  français  ?  »  Le  nié- 


393 

moire  que  Vernet  rédigea  à  cette  occasion  fut  très- 
goûlé  parles  hommes  placés  alors  à  la  tète  des  affaires 
en  France,  et  eu  1788,  Louis  XVI,  écoutant  les  ins- 
pirations de  son  cœur  généreux,  termina  l'ère  des 
persécutions  anti-chrétiennes  sur  le  soi  français,  en 
signant  l'acte  qui  rendait  la  liberté  religieuse  et  la 
sécurité  personnelle  aux  réformés  de  son  royaume. 

Pendant  la  révolution,  les  rapports  entre  les  réfor- 
més de' France  et  Genève  furent  forcément  interrom- 
pus, mais  ils  se  renouèrent  d'une  manière  intime 
lorsque  Genève  fit  partie  de  l'empire  napoléonien. 
Le  concordat  avait  rendu  la  paix  aux  Eglises  fran- 
çaises; Napoléon  était  nommé  empereur;  on  pré- 
parait les  cérémonies  du  sacre.  Les  présidents  des 
consistoires  de  France  furent  invités  à  ces  cérémo- 
nies. L'Eglise  de  Genève  choisit  pour  député  son  vé- 
nérable doyen,  M.  Ami  Martin.  Il  se  rendit  à  Paris 
en  décembre  1804,  et  les  pasteurs  français  choisi- 
rent à  F  unanimité  M.  Martin  pour  présider  la  dépu- 
tation.  Il  voulut  refuser  par  modestie;  on  lui  répon- 
dit :  «  C'est  un  juste  hommage  que  nous  sommes 
heureux  de  rendre  à  la  ville  qui  se  trouve  à  la  tète 
du  protestantisme  de  France.  »  Les  pasteurs  assistè- 
rent au  sacre  dans  leur  costume  ecclésiastique.  Ils 
avaient  discuté  un  point  fort  délicat.  —  Que  feraient- 
ils  si  on  les  forçait  à  s'agenouiller  à  certains  moments 
des  cérémonies  romaines?  Ils  résolurent  de  s'y  relu- 


594 

seret  de  sortir  du  temple,  quelles  que  lussent  les  con- 
séquences de  cet  acte. 

Le  grand  maître,  informé  de  cette  affaire,  trancha 
la  difficulté  en  déclarant  qu'on  se  bornerait  à  se  tenir 
assis  ou  debout. 

Dans  la  cérémonie  du  sacre,  le  2  décembre,  l'en- 
thousiasme fut  au  comble,  lorsqu'on  face  du  pape  Na- 
poléon jura  de  respecter  la  liberté  des  cultes. 

Cinq  jours  plus  lard ,  l'empereur  devait  recevoir, 
dans  la  grande  salle  du  trône,  les  députations  des 
ordres  de  l'État  et  des  puissances  alliées.  M.  Martin 
avait  un  ardent  désir  de  parler  à  Napoléon,  de  le  re- 
mercier de  ses  engagements  envers  l'Eglise.  Dans 
ce  but,  il  composa  un  bref  discours  dont  chaque 
phrase  était  une  pensée;  il  le  communiqua  à  ses  amis 
genevois,  très-haut  placés  dans  l'administration,  à 
MM.  Pictet,  Mestrezat  et  Le  Fort,  qui  approuvèrent 
son  projet,  tout  en  lui  déclarant  que  c'était  un  tra- 
vail inutile,  vu  que  nul  discours  ne  serait  prononcé, 
l'empereur  devant  adresser  seulement  quelques  brè- 
ves paroles  aux  plus  hauts  dignitaires. 

La  cérémonie  eut  lieu  le  7  décembre;  Napoléon 
était  sur  son  trône,  dans  la  grande  galerie  du  Louvre; 
à  droite  et  à  gauche  s'étendait  un  vaste  demi-cercle 
formé  par  les  illustrations  civiles,  politiques  et  mili- 
taires du  temps. 

M.  Martin  prie  ses  collègues  d'attendre  que  la 


59o 

foule  soit  un  peu  écoulée;  il  s'aperçoit  qu'en  effet  on 
ne  prononce  aucun  discours;  mais  peu  lui  importe, 
il  a  pris  devant  Dieu  sa  résolution.  Arrivé  près  de 
l'empereur  il  s'arrête,  s'incline,  et  bravant  toutes  les 
lois  de  l'étiquette  :  Sire!  dit-il  à  haute  voix.  A  ce 
mol,  Napoléon  rejette  la  tête  en  arrière  et  fait  un 
geste  énergique  pour  lui  imposer  silence;  un  mur- 
mure désapprobateur  s'élève  dans  l'assemblée,  mais 
M.  Martin,  calme  et  digne,  attache  son  regard  sur 
l'empereur.  Celui-ci,  frappé  de  celte  vénérable  fi- 
gure, de  ce  sévère  costume  qui  tranche  avec  la  splen- 
deur de  son  cortège,  fait  un  signe  d'assentiment,  et, 
à  la  stupéfaction  des  hauts  fonctionnaires,  le  vieux 
pasteur  lui  adresse  ces  paroles  : 

«  Sa  Majesté  vient  de  remplir  le  vœu  que  for- 
maient depuis  longtemps  les  Eglises  réformées  de 
France,  celui  de  pouvoir  porter  aux  pieds  du  trône 
leurs  hommages  et  l'expression  de  leurs  sentiments. 

»  C'est  avec  une  vive  satisfaction  que  nous  venons 
exprimer  à  S.  M.,  pour  nous  et  pour  nos  Eglises, 
notre  respectueuse  reconnaissance  de  la  protection 
qu'elle  nous  a  accordée  jusqu  à  présent,  et  la  pleine 
confiance  que  nous  fondons  pour  l'avenir  sur  le  ser- 
ment que  S.  M.  vient  de  prêter  avec  tant  de  solen- 
nité, dont  elle  a  voulu  que  nous  fussions  les  témoins, 
et  par  lequel,  en  s 'engageant  à  maintenir  la  liberté 
des  cultes,  elle  donne  le  calme  aux  consciences  et 


3% 

assure  la  paix  de  l'Église.  Nous  souhaitons  que  les 
Français  de  toutes  les  communions,  que  nous  regar- 
dons tous  comme  nos  frères,  sentent  comme  nous  le 
prix  de  ce  bienfait;  nous  le  mériterons  par  notre 
gratitude,  notre  fidélité,  notre  soumission  aux  lois, 
dont  nous  avons  constamment  donné  l'exemple.  Puis- 
sent nos  prières  ferventes  attirer  sur  S.  M.,  sur  l'im- 
pératrice, sur  les  princes  de  la  famille  impériale, 
toutes  les  bénédictions  du  Monarque  du  monde  !  Puisse 
S.  M.,  qui  a  déjà  tant  fait  pour  sa  gloire,  y  ajouter 
bientôt  le  titre  de  pacificateur  de  I  Europe  entière,  et 
n'avoir  plus  qu'à  déployer  ces  vertus  qui,  en  faisant 
le  bonheur  des  peuples,  font  la  véritable  gloire  des 
souverains  et  font  chérir  leur  puissance!  » 

Napoléon,  assez  mal  disposé,  comme  nous  l'avons 
dit,  éprouve  bientôt  un  sympathique  intérêt  qui  se 
peint  sur  son  visage.  A  peine  M.  Martin  a-t-il  cessé 
de  parler,  que,  sans  nulle  préparation,  l'empereur 
prononce  cette  allocution,  qui  demeurera  un  monu- 
ment immortel  dans  l'histoire  de  la  religion  réfor- 
mée : 

«  Je  vois  avec  plaisir  réunis  ici  les  pasteurs  des 
Églises  réformées  de  France;  j'ai  lieu,  d'après  ce 
qui  m'a  été  rapporté,  de  reconnaître  la  fidélité  et  la 
bonne  conduite  des  pasteurs  et  citoyens  de  différentes 
communions  protestantes.  Je  veux  bien  qu'on  sache 
que  mon  intention  et  ma  ferme  volonté  est  de  main- 


597 

tenir  la  liberté  des  cultes,  que  j'ai  jurée;  l'empire 
de  la  loi  finit  où  coynmence  Vempire  indéfini  de  la 
conscience;  la  loi  ni  le  prince  ne  peuvent  rien  contre 
cette  liberté;  tels  sont  mes  principes  et  ceux  de  ma 
maison;  et  si  quelqu'un  des  princes  de  ma  race,  ap- 
pelé à  me  succéder,  oubliait  le  serment  que  j'ai  prêté, 
et,  entraîné  par  l'inspiration  d'une  fausse  conscience, 
venait  à  le  violer,  je  le  voue  ici  à  l'animadversion 
publique,  et  je  vous  autorise  à  lui  donner  le  surnom 
de  Néron.  » 

En  exprimant  ces  nobles  pensées,  Napoléon  était 
visiblement  ému;  sa  voix  vibrante  retentissait  jus- 
qu'aux derniers  rangs  de  l'assemblée;  les  assistants 
manifestaient  leur  sympathie,  et  le  pasteur  genevois 
recevait  en  se  retirant  les  félicitations  empressées  de 
ses  collègues. 

«  C'est  de  Genève,  disaient-ils,  que  nous  sont  ve- 
nus les  messagers  de  l'Evangile  au  temps  de  la  Ré- 
forme, et  c'est  encore  à  un  frère  de  Genève  que  nous 
devons  aujourd'hui  celte  solennelle  consécration  de 
notre  liberté  religieuse.  » 

Tel  fut  le  cordial  remerciement  des  pasteurs  fran- 
çais. 

Maintenant,  laissons  les  incidents  extérieurs  de 
cette  scène;  examinons  les  paroles  du  député  gene- 
vois. N'a-t-il  pas  revêtu  la  véritable  dignité  du  mi- 
nistre protestant?  Devant  le  nonce  du  pape  et  les 


398 

prélats  catholiques,  il  dit  :  «  Nous  souhaitons  que  les 
Français  de  toutes  les  communions,  que  nous  regar- 
dons tous  comme  des  frères,  sentent  comme  nous  les 
bienfaits  de  la  paix  religieuse!...  »  A  .Napoléon,  dont 
la  guerre  est.  le  but  suprême,  la  passion  dominante, 
il  présente  ce  vœu  :  «  Puisse  Votre  Majesté,  qui  a  déjà 
tant  fait  pour  sa  gloire,  y  ajouter  bientôt  le  titre  de 
pacificateur  de  l'Europe  entière!  » 

Du  reste,  pas  un  mot  de  flatterie:  la  soumission 
aux  lois,  la  vérité  religieuse ,  voilà  le  discours  du 
pasteur  de  Genève. 

Les  rapports  entre  la  vieille  métropole  protestante 
et  l'Église  française  étaient  destinés  à  prendre  un  grand 
développement  pendant  la  période  impériale. 

Napoléon  voulait  faire  de  l'Académie  genevoise  le 
séminaire  où  viendraient  étudier  et  où  seraient  reçus 
les  jeunes  Français  voués  au  ministère  évangélique. 
Le  temps  lui  manqua  pour  l'accomplissement  de 
ce  projet.  Pour  montrer  l'impression  que  produisit 
sur  le  clergé  genevois  celte  espérance ,  nous  allons 
citer  une  lettre  de  M.  Picot  à  M.  Piclet-Diodati,  mem- 
bre du  Corps  législatif. 

29  germinal  an  X.  «  Notre  Genève  est  distinguée 
d'une  manière  flatteuse,  d'autant  plus,  comme  vous 
le  dites,  qu'on  n'a  pas  sollicité,  mais  qu'on  a  laissé 
agir  seulement  la  force  des  choses.  Certainement,  si 
l'on  eût  dit,  au  commencement  du  siècle  dernier,  à 


590 

l'excellent  M.  Bénédict  Pietet,  qu'un  jour  viendrait 
où  le  culte  protestant  serait  mis  sur  le  pied  de  l'éga- 
lité avec  le  culte  catholique,  et  où  personne  n'exer- 
cerait dans  l'Eglise  réformée  de  la  France,  agrandie 
du  cinquième  de  sa  surface,  des  fonctions  pastorales 
qu'il  n'eût  étudié  à  Genève,  qu'il  n'y  eût  été  consa- 
cré, et  qu'il  n'en  emportât  des  certificats  satisfaisants, 
il  aurait  regardé  l'accomplissement  de  cette  prédiction 
comme  impossible,  ou  s'il  avait  eu  cette  espérance, 
c'est  en  répétant  le  cantique  d'actions  de  grâce  du 
vieillard  Siméon  qu'il  serait  descendu  au  tombeau.  « 


400 


CHAPITRE  Xll. 


GENÈVE  ET  LES  ÉGLISES  ÉTRANGÈRES. 


Genève  et  l'Angleterre.  —  Les  partisans  de  Cromwel  et  la  Compagnie 
des  Pasteurs.  —  La  mort  de  Charles  I"  et  le  sermon  de  M.  Diodati. 
—  Mort  de  la  Reine,  femme  de  Guillaume  III.  —  Sentiments  des 
archevêques  anglais  à  l'égard  de  Genève.  —  J.-A.  Turretin  et  la  reine 
Caroline.  —  Confiance  et  sympathie  des  Anglais  envers  Genève 
duraul  la  période  voltairienne. 

Allemagne.  —  Les  suites  de  la  guerre  de  30  ans.  —  La  duchesse  de 
Meckleubourg.  —  Eglises  allemandes  secourues  par  Genève.  — 
Les  ministres  hongrois  aux  galères.  —  L'amiral  Ruytcr.  -  Marie- 
Thérèse  et  la  Vénérable  Compagnie.  —  Les  Transylvains.  —  Eglises 
de  Pologne.— Sympathie  de  l'Europe  pour  Genève  lors  de  l'incendie 
du  pont  du  Rhône.  —  Union  des  Eglises  allemandes  avec  Genève. 
Eglises  de  Constantinople,  de  Livourne  et  de  Saint-Pétersbourg. 


Nous  avons  dû  iracer  à  part  le  tableau  des  travaux 
et  des  sacrifices  de  Genève  au  milieu  des  souffrances 
et  des  périls  de  l'Église  française.  Nous  allons  main- 
tenant consacrer  quelques  pages  au  récit  des  relations 
que  notre  Eglise  soutint  avec  la  chrétienté  réformée 
de  l'Europe  pendant  le  dix-septième  et  le  dix-huitième 
siècle . 


ANGLETERRE. 

Dès  les  premiers  temps  de  Sa  déformation  jusqu'à 
la  tin  du  dix-huitième  siècle,  l'Eglise  de  la  Grande- 
Bretagne  et  l'Eglise  de  Genève  soutinrent  entre 
elles  les  relations  les  plus  fraternelles.  Celte  liaison, 
cette  communauté  d'intérêts  religieux,  commença 
en- 1553,  lorsque  les  persécutions  de  la  reine  Marie 
promenèrent  le  deuil  sur  l'Angleterre,  et  jetèrent 
sur  le  continent  une  foule  de  proscrits  évangéliques. 
212  personnes,  dont  les  noms  sont  conservés  dans 
nos  archives,  se  réfugièrent  à  Genève,  et  y  trouvè- 
rent une  cordiale  hospitalité,  de  1555  à  1559. 
La  reine  Elizabelh  montra  une  constante  aménité  poul- 
ies Genevois  et  les  soutint  de  son  influence  et  de  ses 
secours  pécuniaires  pendant  leurs  guerres  contre  les 
ducs  de  Savoie  au  seizième  siècle. 

Les  relations  amicales  furent  fréquentes  et  de  divers 
genres,  durant  le  dix-septième  et  le  dix-huitième 
siècle.  En  voici  les  priucipaux  incidents: 

(Reg.  Comp.  26  février  1643.)  M.  Spanheim 
écrit  qu'il  se  irouve  à  Leyde  soixante  familles  anglai- 
ses, personnes  de  qualité,  qui  désirent  se  retirer  à 
Genève,  à  cause  des  troubles  de  l'Angleterre.  On  leur 
en  accorde  volontiers  la  permission,  pourvu  qu'ils  se 

conforment  aux  lois  de  l'Eglise  et  de  l'Étal,  et  s'il 
m.  2f> 


40î 

existe  parmi  eux  des  brunisles  (sic)  dont  les  idées  sont 
extravagantes,  on  y  veillera  de  près. 

Ces  lignes  sont  la  première  mention  officielle  que 
nous  trouvions  dans  les  registres  de  l'Église  de  Genève 
de  la  grande  lutte  entre  Cromwell  et  Charles  Ier. 

L'année  suivante  (Reg.  Comp.  8  mai  4  644),  le 
s\node  d'Angleterre,  assemblé  à  Westminster,  confie 
ses  embarras  et  ses  angoisses  à  la  Vénérable  Compa- 
gnie. —  «  >Tos  affaires  prennent  une  triste  tournure; 
on  nous  blâme  fortement  de  nous  opposer,  dans  le 
Parlement,  à  l'autorité  du  roi;  nous  y  sommes  con- 
duits par  les  désolations  et  les  méchantes  pratiques 
de  Rome.  La  nécessité  extrême  de  travailler  à  la 
gloire  de  Dieu,  le  bien  de  l'État  et  de  l'Église,  la 
conservation  de  la  pureté  de  l'Évangile,  nous  ont  obli- 
gés de  procéder  ainsi  ;  comme  nous  savons  qu'on  émet 
contre  nous  divers  jugements  mal  à  propos,  nous 
avons  voulu  vous  avertir  de  ne  point  juger  sinistre- 
ment  notre  procédure,  et  nous  nous  recommandons 
à  vos  prières.  »  La  Compagnie  répondit  :  —  «  Nous 
compatissons  sur  les  misères  et  les  désolations  de  ce 
pays.  Nous  ne  sommes  point  si  téméraires  que  déju- 
ger contre  la  charité,  et  nous  voudrions  être  capables 
de  vous  donner  quelques  bons  secours  ou  conseils 
utiles.  Nous  vous  recommandons  à  Dieu  dans  nos 
prières.  » 

Devait-on  prier  dans  les  temples  pour  le  Parlement 


403 

protestant  d'Angleterre?  Cette  question  fut  agitée. 
Les  cantons  évangéliques  le  faisant,  la  majorité  des 
pasteurs  demanda  cette  autorisation  au  Conseil  (1 0  mai 
1644,  25  juillet,  41  août  1645.  Reg.  Comp.)  Le 
Conseil  répondit:  «  Parmi  les  pasteurs,  quelques-uns 
prient  pour  le  roi,  d'autres  pour  Cromwell,  et  comme 
le  Parlement  soutient  la  bonne  cause,  nous  ordonnons 
pour  faire  cesser  toute  dispute  à  ce  sujet,  qu'on  prie 
pour  le  salut  de  P Angleterre  en  général ,  sans  autre 
dénomination.  » 

Le  synode  de  Westminster  continua  à  demander 
des  avis  sur  la  discipline.  La  Compagnie  se  prononça 
volontiers  sur  les  queslions  de  principe,  et  se  tint  sur 
la  réserve  concernant  des  actes  qu'elle  ne  pouvait 
apprécier  avec  connaissance  de  cause.  C'est  ainsi 
qu'elle  refusa  de  condamner  la  déposition  de  quelques 
évêques  par  le  Parlement;  mais  M.  Buchanam  ayant 
demandé  l'opinion  de  l'Eglise  de  Genève,  au  sujet  des 
individus  qui  ne  veulent  en  l'Eglise  ni  synode,  ni 
colloque,  les  pasteurs  répondirent:  •  L'Église  étant 
une  maison  de  paix  chrétienne,  l'ordre  qui  l'entre- 
tient doit  êlre  conservé;  partant,  ces  gens  qui  sem- 
blent refuser  tout  ordre,  ne  sont  nullement  fondés 
en  leurs  opinions,  ni  sur  la  pratique  de  la  loi  judaï- 
que, ni  sur  la  parole  de  Dieu,  ni  sur  les  Églises  ré- 
formées. » 

Lorsqu'au  mois  de  mars  1649  on  apprit  la  con- 


404 

damnation  et  la  mort  de  Charles  Ier,  la  ville  fui  bou- 
leversée. Depuis  seize  ans  on  avait  renoncé  à  cet 
odieux  code  sur  l'hérésie,  qui  punissait  de  mort  les 
opinions  erronées,  el  l'on  déplora  amèrement  la  honte 
sanglante  dont  les  protestants  anglais  couvraient  leur 
cause.  Toutefois,  par  prudence,  le  gouvernement 
genevois  défendit  aux  pasteurs  de  parler  en  chaire 
de  cette  catastrophe.  Mais  Jean  Diodali  ne  put  con- 
tenir son  indignation  et  s'écria  :  «  Cromwell  est  un 
diable  ;  il  dirige  ces  esprits  infernaux,  ces  fanatiques 
anabaptistes,  celte  vermoulure!  Ce  roi  juste  el  bon 
est  mort  au  lit  d'honneur,  non  des  rois,  mais  de 
Dieu!  Ce  roi  est  mort  martyr!  On  dit  qu'il  faut  se 
taire;  je  ne  le  puis;  nous  devrions  faire  des  mani- 
festes pour  montrer  que  nous  condamnons  cette  ac- 
tion, d'autant  plus  qu'on  a  voulu  dire  que  des  étin- 
celles de  ceci  viennent  de  Genève  !  » 

Le  Conseil  censura  sévèrement  M.  Diodati,  el  lui 
ordonna  le  silence,  à  peine  de  suppression  de  sa 
charge. 

Quarante-six  ans  plus  lard,  l'Église  de  Genève  dé- 
plorait la  perte  de  la  reine  Marie,  femme  de  Guil- 
laume III,  morte  à  trente-trois  ans.  Celle  princesse 
poussait  la  passion  religieuse  jusqu'au  fanatisme,  et 
les  torts  de  son  père  Jacques  II,  envers  l'Église  pro- 
testante, lui  avaient  fait  oublier  les  devoirs  de  la  piété 
filiale.  La  lettre  écrite  par  la  Compagnie  àGuillaume  III 


405 

était  peu  digne  de  la  sévérité  républicaine  de  Genève  : 
«  Les  vertus  extraordinaires  de  cette  princesse  l'ont 
rendue  l'admiration  de  tous  les  peuples  et  les  délices 
de  l'Église;  aussi  nous  sommes  persuadés  qu'elle  n'a 
fait  que  changer  une  couronne  de  la  terre  pour  une 
couronne  du  ciel,  et  qu'elle  jouit  de  cette  gloire  qu'elle 
a  toujours  regardée  comme  son  véritable  et  souverain 
bonheur.  » 

Néanmoins,  les  pasteurs  sentirent  eux-mêmes  qu'on 
pouvait  les  accuser  de  flatterie;  car  ils  écrivirent  à 
lord  Gallovay  :  «  Nous  avons  les  plus  sérieux  mol  ifs 
de  louer  et  de  regretter  cette  admirable  princesse; 
elle  a  sauvé  une  infinité  de  gens  de  bien,  et  nous 
n'oublierons  jamais  la  constante  et  ferme  protection 
dont  elle  a  entouré  Genève.  Nous  lui  devons  certai- 
nement notre  salut  au  milieu  des  grandes  épreuves 
que  nous  avons  récemment  souffertes.  » 

Les  mêmes  sentiments  sont  exprimés  en  d702  à 
la  mort  de  Guillaume  III.  Les  pasteurs  regrettent  eu 
lui  un  des  plus  grands  protecteurs  de  l'Église  gene- 
voise. • 

La  sympathie  que  les  souverains  de  la  Grande- 
Bretagne  témoignaient  à  Genève,  se  retrouvait  dans 
toute  l'Église  anglaise,  et  celle-ci  réclamait  le  con- 
cours de  la  Compagnie  des  Pasteurs  dans  ses  résolu- 
tions importantes.  Ainsi,  en  4  705  (9  mars,  Reg. 
Comp.  et  Consist.),  une  société  s'établil  à  Londres 


pour  la  propagation  de  l'Evangile.  Son  président, 
M.  Huinphry  Stanley  envoya  le  titre  de  membres 
honoraires  aux  deux  professeurs  Turretin,  et  pria  le 
clergé  genevois  de  concourir,  par  ses  avis  et  ses  soins, 
au  dessein  religieux  que  l'association  se  proposait.  Le 
Conseil  et  les  pasteurs  se  félicitèrent  de  cette  lettre 
«  qui  fait  honneur  à  l'Église  de  cette  ville;  on  en  par- 
lera dans  les  chaires,  exhortant  le  peuple  à  répondre 
par  la  correction  des  mu;urs  à  la  bonne  opinion  qu'on 
a  de  nous  au  dehors.  » 

La  Compagnie,  en  répondant  à  M.  Stanley,  lui 
envoya  pour  premier  don  1500  livres  courantes,  que 
M.  Mouche  lui  avait  léguées  pour  envoyer  des  mi- 
nistres prêcher  aux  infidèles. 

Un  peu  plus  tard,  4  juin  1706,  les  épiscopaux  et 
les  non  conformistes  anglais  tentaient  de  se  réunir. 
La  Compagnie  chargea  J.-A.  Turretin  de  répondre 
qu'elle  appuyait  ce  projet  de  tous  ses  vœux.  La  lettre 
et  la  démarche  furent  tellement  appréciées,  que  l'évè- 
que  de  Londres  et  l'Université  d'Oxford  écrivirent 
pour  déclarer  leur  union  de  sentiments  avec  Genève, 
la  tenant  pour  une  vraie  et  fidèle  Église  (Reg.  Comp. 
16  avril  1707). 

Ces  alïèelueuses  relations,  dans  une  période  que 
quelques-uns  des  contemporains  afl'ectent,  par  igno- 
rance volontaire,  de  regarder  comme  entachée  d'in- 
différence ou  d'incrédulité,  ne  sont  nulle  part  mieux 


407 

caractérisées  que  dans  une  lettre  de  Wake,  archevê- 
que de  Cantorbéry,  le  4  5  janvier  4  724-.  «  Genève, 
écrit  ce  prélat  au  conseiller  Bonnet,  est  le  lieu  de 
l'Europe  que  j'estime  le  plus,  et  que  je  choisirais 
pour  finir  mes  jours,  si  j'étais  obligé  de  quitter  mon 
propre  pays.  Les  Anglais  qui  en  viennent  ne  taris- 
sent pas  sur  le  bon  ordre  et  la  discipline  qui  s'obser- 
vent en  cette  ville.  Le  savoir,  la  modération,  les 
autres  excellentes  qualités  de  ses  pasteurs  et  de  ses 
professeurs,  m'en  donnent  une  grande  et  noble  idée, 
et  font  presque  que  je  suis  dans  la  confusion  quand 
je  pense  combien  nous  avons  dégénéré  du  vrai  chris- 
tianisme qui  fleurit  ;  et  puisse-t-il  toujours  fleurir  en 
cet  endroit  !  » 

Nous  prions  nos  lecteurs  de  remarquer  que  cette 
lettre  a  été  écrite  au  moment  où  Genève  renonçait  à 
la  confession  de  foi  calviniste,  et  proclamait  à  la 
face  du  monde  réformé  la  liberté  de  conscience  et 
l'adoption  sans  mélange  de  formules  humaines,  de 
la  vérité  religieuse  contenue  dans  la  parole  évangé- 
lique. 

Cette  sympathie  et  cette  haute  confiance  des  An- 
glais se  manifestaient,  non-seulement  dans  les  ques- 
tions ecclésiastiques,  mais  encore  dans  les  œuvres 
chréliennes.  En  1754,  Genève  se  trouvait  accablée 
par  le  grand  nombre  de  réfugiés  qui  épuisaient  les 
ressources  de  la  charité  publique.  Aux  Français  s'a- 


408 

joutaient  des  colonies  de  Vaudois  des  vallées  piémon- 
laises,  qui  demeurèrent  plusieurs  mois  entassés  dans 
la  banlieue.  J.-A.  Turretin  écrivit  à  Wake  et  lui  dé- 
peignit celte  lamentable  situation.  La  reine  Caroline, 
informée  par  le  digne  prélat  de  la  fâcheuse  situation 
des  proscrits  du  Léman,  lui  écrivit  une  lettre  que 
nous  transcrivons  avec  sa  naïve  orthographe. 

«  St-.James,  le  41  Janvier  1751.  Milord!  Jai  été 
si  sensiblement  touché  de  la  lettre  que  vous  mavée 
écrite  et  de  celle  que  vous  m  avée  envoyé  de  M.  Tur- 
tin,  que  je  vous  pri  d'anvoyer  ce  peu  de  secours 
pour  les  peauvres  Vaudois  qui  souffre  pour  la  vérité. 
Je  vous  conjure  de  ne  parler  de  cet  argent  à  personne 
au  monde;  le  seul  honest  homme  M.  T.  qui  vous  a 
écrit  en  peut  être  informé  pour  le  distribuer  aux  plus 
nécessiteux.  Vous  lui  en  confieré  le  segueret,  mais 
que  cela  ne  soit  su  de  personne.  Caroline.  » 

Wake  écrivait  en  même  temps  à  J.-A.  Turretin  : 

•  Cher  Monsieur  et  T.  H.  F.,  la  reine  vous  nomme 
son  aumônier,  et  vous  prie  de  distribuer  ces  mille 
livres  sterling  (25,000  fr.)  aux  victimes  du  fanatisme 
piémonlais.  » 

De  semblables  relations  d'une  affection  chrétienne 
se  soutinrent  pendant  tout  le  dix-huitième  siècle, 
entre  les  Anglais  et  Genève.  Au  plus  fort  de  la  lutte 
contre  Voltaire,  des  ecclésiastiques  anglais  se  char- 
gèrent de  faire  connaître  en  détail,  au  monde  proies- 


tant,  les  services  rendus  à  la  toi  chrétienne  par  les 
Églises  genevoises1.  Pendant  les  plus  mauvais  jours 
de  la  période  matérialiste,  les  grands  seigneurs  an- 
glais envoyaient  leurs  fils  étudier  à  Genève,  témoi- 
gnant ainsi  de  leur  haute  confiance  en  celte  ville, 
qui  savait  résister  à  l'incrédulité  et  à  la  corruption 
morale.  Genève,  de  son  côté,  n'oublia  jamais  cette 
noble  fraternité.  Les  rapports  officiels  furent  néces- 
sairement rompus  avec  la  Grande-Bretagne  durant  la 
période  impériale,  mais  les  Genevois  surent  prouver 
(pie  leur  vieille  affection  pour  ce  pays  était  sérieuse 
et  vivante.  Les  Anglais  étant  faits  prisonniers  sur 
tout  le  continent  en  i  81  i  par  Napoléon9,  plusieurs 
d'entre  eux  choisirent  Genève  pour  résidence,  mais 
on  leur  relira  le  privilège  de  cette  résidence,  parce 
que  les  évasions  se  trouvaient  trop  favorisées  par  la 
complicité  des  Genevois. 

En  4  805,  dans  une  circonstance  douloureuse, 
Genève  montra  la  même  sympathie.  Les  pasleurs  re- 
çurent une  lettre  du  ministre  des  cultes,  qui  exigeait 
des  prières  publiques  en  faveur  des  succès  dans  la 
guerre  entreprise  contre  l'Angleterre  et  ses  alliés. 

L'alternative  était  navrante,  le  cœur  des  Gene- 
vois était  en  communion  d'affection  et  d'espérance 
avec  l'Angleterre  et  ses  amis  d'Allemagne,  et  si  l'on 


1.  Mémoires  manuscrits  de  M.  le  professeur  Jean  Picot, 

2.  Robert  lirown,  ministre  à  Utrecht. 


410 

s'opposait  à  la  volonté  de  Napoléon,  l'Église  de  Ge- 
nève pouvait  être  anéantie.  Malgré  le  péril,  les  pas- 
teurs genevois  refusèrent  leur  concours  direct  et  se- 
bornèrent  à  ajouter  cette  phrase  dans  leur  liturgie  : 
«  Nous  appelons  les  bénédictions  du  ciel  sur  les^ 
justes  entreprises  du  gouvernement.  » 

Ces  bons  rapporls  et  ces  loyaux  procédés  ne  fu- 
rent pas  oubliés  au  congrès  de  Vienne  par  les  pléni- 
potentiaires anglais;  ils  appuyèrent  de  toute  leur 
influence  les  efforts  de  Genève  pour  reconquérir  sa 
nationalité. 

ALLEMAGNE   ET  ÉGLISES   DU  NORD. 

Les  relations  de  l'Église  de  Genève  avec  les  Alle- 
mands évangéliques  furent  également  intimes  pen- 
dant les  bons  et  les  mauvais  jours.  Nous  avons  fait 
connaître  les  nobles  sentiments  que  les  souverains  de 
Prusse  manifestèrent  au  commencement  du  dix-hui- 
tième siècle,  envers  Genève,  à  l'occasion  de  la  paix, 
des  Églises.  Voici  maintenant  les  témoignages  de 
sympathie  et  de  confiance  qui  furent  échangés  entre 
la  cité  de  Calvin  et  les  disciples  de  Luther. 

Les  Genevois  avaient  été  profondément  touchés 
des  souffrances  de  l'Allemagne  pendant  la  guerre  de 
trente  ans  ;  les  sermons  de  jeûnes  et  de  solennités 
sont  pleins  d'émouvants  passages  sur  les  épreuves 
sans  cesse  renaissantes  qu'entraînait  cette  lutte.  La 


Mi 

guerre  terminée,  plusieurs  Églises  el  paroisses  d'Alle- 
magne se  trouvaient  ruinées,  et  la  sympathie  des 
Genevois  se  montra  par  des  faits,  el  non  pas  seule- 
ment par  des  paroles.  L'État  et  l'Église  s'unirent  pour 
répondre  libéralement  aux  demandes  de  secours 
adressées  par  les  réformés  allemands. 

Le  51  juillet  4  646  \  Mme  la  duchesse  de  Mecklen- 
bourg  expose  aux  pasteurs  genevois  que  depuis  huit 
ans  ses  enfants  lui  ont  été  enlevés,  el  tous  ses  biens 
confisqués  ;  elle  demande  à  Genève  «  un  prêt  hono- 
rable. »  Voici  son  reçu  (4  0  septembre  4  647). 

«  Nous,  Eléonore-Marie,  duchesse  de  Mecklenbourg,  prin- 
cesse d'Anhalt,  de  Winden,  etc.,  comtesse  de  Rastadt  et  Stutt- 
gart, contre  tout  droit  nous  avons  été  dessaisie  de  la  tutelle  à 
nous  donnée  par  testament,  de  notre  fils,  le  duc  Frédéric- 
Adolphe,  afin  que  nous  le  fissions  élever  en  la  vraie  religion 
réformée.  A  cause  de  cela,  nous  avons  souffert  beaucoup  de 
persécutions,  dù  soutenir  de  grandes  dépenses,  el  finalement 
sommes  réduite  à  ce  point  que  le  pays  assigné  pour  notre 
douaire  a  été  ravagé  par  les  gens  de  guerre  et  tellement  dé- 
vasté que  nous  ne  pouvons  rien  prétendre  pour  notre  entretien 
et  rétablissement.  Ayant  eu  une  singulière  confiance  en  la 
louable  république  de  Genève,  nous  lui  avons  exposé  notre 
détresse,  et  elle  nous  a  envoyé  une  somme  de  2600  livres 
courantes.  Nous  reconnaissons  celte  dette  en  remerciant  de 
cœur  Messieurs  de  Genève. 
A  Strélitz,  25  juin  1647. 

Le  26  juin  4  646  la  Compagnie  reçoit  une  lettre 


1.  Nous  prévenons  nos  lecteurs  que  les  dates  de  ce  chapitre  corres- 
pondent aux  citations  des  registres  du  Conseil  et  de  la  Compagnie. 


U2 

de  Hanau.  signée  de  soixante  personnes,  qui  expo- 
sent «  la  détresse  où  se  trouvent  plusieurs  maîtres 
d'école,  leurs  veuves,  leurs  orphelins,  et  supplient 
de  les  secourir  comme  Ton  a  fait  autrefois,  x  Peu 
«le  temps  après  les  réformés  de  Frankenlhal  (Bavière) 
demandent  qu'on  les  assiste,  vu  qu'ils  n'ont  pas  assez 
pour  l'entretien  d'un  pasteur  et  d'un  maître  d'école. 
La  Compagnie  cl  le  Conseil  décident  une  collecte  «  non 
pas  générale,  mais  faite  chez  les  plus  aisés,  par  les 
pasteurs,  chacun  dans  sa  dizaine.  Le  souscription 
s'élève  à  6000  llorins,  que  l'on  partage  entre  ces 
deux  Églises. 

Le  7  novemhre  i  651 ,  deux  députés  de  Magdehourg 
arrivent  collectant  pour  leur  Église  et  leur  Académie; 
on  leur  donne  cent  écus,  et  on  les  défraie  de  leur 
voyage. 

23  avril  1673.  Les  députés  de  Lulzen  en  Prusse 
demandent  qu'on  les  aide  pour  reconstruire  leur  tem- 
ple détruit  pendant  les  guerres.  On  leur  donne  dix 
écus  blancs. 

Les  Hongrois  étaient  également  l'objet  de  la  sollici- 
tude de  l  Église  de  Genève <  Le  20  août  1674,  M.  La- 
combe,  commerçant,  rapporte  que,  se  trouvant  à  Vien- 
ne, il  a  vu  des  envoyés  hongrois,  et  a  appris  par  eux 
qu'une  grande  calamité  pèse  sur  les  réformés  de  leur 
pays.  Les  affaires  de  leur  Église  ont  été  confiées  à  une 
chambre  où  dominent  les  jésuites,  et  quatre-vingts  pas- 


413 

leurs  viennent  d'être  envoyés  sur  les  galères  de  Na- 
pies. 

La  Compagnie  ordonne  immédiatement  une  sous- 
cription pour  les  Eglises  hongroises.  M.  Bénédict 
Turrelin  se  charge  de  l'aire  parvenir  à  Vienne ,  par 
l'entremise  de  l'ambassade  hollandaise,  l'argent  qu'on 
recueillera.  Mais  les  secours  pécuniaires  étaient  peu 
de  chose  :  il  fallait  vaincre  le  fanatisme  de  l'empereur 
Ferdinand  111,  et  secourir  ses  victimes  reléguées  dans 
les  bagnes  napolitains.  Bénédict  Turrelin,  qui,  depuis 
ses  missions  diplomatiques,  avait  conservé  les  meil- 
leures relations  avec  les  Pays-Bas,  fil  connaître  ces 
lamentables  violences  à.  Guillaume  111,  qui  donna 
immédiatement  l'ordre  à  l'amiral  Ruy  ter  d'agir  «  avec 
la  dernière  énergie  »  auprès  du  vice-roi  de  Naples. 
La  négociation  ne  fut  pas  longue.  Le  25  février  1676, 
Ru>  1er  recevait  ses  instructions,  et  le  5  mars  suivant 
les  martyrs  hongrois  étaient  libérés  sans  rançon.  Des 
marchands  réformés  de  Le)  de  et  de  Zurich  les  accueil- 
lirent sur  la  plage  et  leur  fournirent  les  moyens  de 
se  rendre  dans  les  Pays-Bas  et  en  Angleterre,  où  on 
leur  offrait  un  asile.  Genève  et  Zurich,  trouvant  que 
les  sacrifices  de  leurs  coreligionnaires  étaient  trop 
considérables,  remboursèrent  la  majeure  partie  de  ces 
frais,  en  remerciant  ces  dignes  chrétiens  de  la  manière 
dont  ils  représentaient  leur  Eglise  dans  ces  contrées 
lointaines. 


hkk 

A  diverses  époques,  les  Hongrois  protestants  re- 
coururent à  la  charité  de  Genève,  au  milieu  des  per- 
sécutions qui  leurjétaient  suscitées  par  le  fanatisme 
impérial.  Le  20  juillet  1708  notre  ville  reçoit  dans 
ses  murs  un  pasteur  nommé  Trekzy,  envoyé  par 
l'Église  de  Puckow,  qui  avait  été  complètement  rava- 
gée parles  troupes  autrichiennes;  on  paie  à  l'exilé  ses 
frais  de  voyage,  et  il  peut  encore  emporter  200  écus. 

En  4  749,  les  persécutions  recommençant  avec 
une  nouvelle  violence,  Zurich  et  Genève  écrivent  à 
l'impératrice  Marie-Thérèse  une  lettre  où  ils  lui  té- 
moignent leur  indignation  de  ce  qu'après  avoir  élé 
soutenue  dans  ses  épreuves  par  des  puissances  pro- 
lestantes et  protégée  par  les  Hongrois,  lorsqu'elle  se 
trouvait  abandonnée  de  tous,  elle  laisse  maintenant 
son  clergé  persécuter  ses  plus  fidèles  sujets.  Cette  let- 
tre fut  envoyée  à  l'ambassadeur  hollandais  à  Vienne, 
qui  s'empressa  de  la  remellre  à  son  adresse. 

Les  Églises  suisses  ne  se  bornèrent  pas  à  des  re- 
montrances :  elles  firent  parvenir  de  fortes  sommes 
aux  communautés  danubiennes,  et  Genève  (7  décem- 
bre 4  753)  établit  un  fonds  destiné  à  entretenir  régu- 
lièrement un  proposant  hongrois  dans  son  Académie. 
Il  y  eut  jusqu'à  la  révolution  de  4  789  déjeunes  Hon- 
grois faisant  dans  notre  ville  des  études  régulières  pour 
le  saint  ministère. 

La  province  de  Transylvanie  n'était  pas  traitée 


iH5 

plus  favorablement  que  la  Hongrie.  En  4  750,  le  sur- 
intendant des  Églises  réformées  de  ce  vaste  pays  en- 
voie à  Genève  des  députés  qui  excitent  un  sympathi- 
que élonnement  en  rendant  compte  de  la  situation 
religieuse  de  leur  pays.  Ils  possèdent  433  églises 
divisées  en  seize  diocèses;  ils  ont  438  pasteurs,  trois 
académies  qui  reçoivent  chacune  1  50  étudiants.  Mais, 
depuis  qu'ils  sont  sous  la  domination  impériale,  leur 
situation  est  des  plus  fâcheuses,  et  les  mauvais  trai- 
tements, les  confiscations,  entravent  tout  exercice 
régulier  du  culte.  Berne  et  Genève  envoient  de  fortes 
sommes.  La  Compagnie  s'engagea  subvenir  aux  frais 
d'instruction  des  étudiants  de  ce  pays  qui  viendront 
se  préparer  au  saint  ministère  à  Genève.  La  propo- 
sition fut  acceptée,  et  jusqu'à  la  révolution  de  1  794 
de  jeunes  ministres  transylvains  furent  formés  par  les 
soins  des  pasteurs  genevois. 

Le  20  avril  1708,  les  prolestants  polonais  s'adres- 
sèrent également  à  Genève  pour  obtenir  quelques  se- 
cours. Le  pasteur  Arnold  de  Lissa  annonce  que  le 
séminaire  réformé  de  cette  ville  où  étudiaient  tous  les 
pasteurs  des  Eglises  évangéliques  de  Pologne,  vient 
d'être  ruiné  par  les  Moscovites  Les  églises  de  Pologne 
étaient  au  nombre  de  108,  savoir:  8  dans  la  grande 
Pologne,  40  dans  la  petite,  et  60  en  Lithuanie. 
Les  Genevois  envoient  520  écus  pour  aider  au  réta- 
blissement du  séminaire  de  Lissa. 


III 

Si  Genève  montrait  une  sympathie  active  pour  les 
infortunes  étrangères,  les  Églises  réformées  de  l'Eu- 
rope lai  témoignaient  eu  retour  une  sérieuse  affection. 
Une  manifestation  des  plus  honorables  eut  lieu  en 
1670.  Les  ponts  du  Rhône  lurent  brûlés;  les  mai- 
sons qu'ils  portaient  devinrent  la  proie  de  l'incendie; 
122  personnes  périrent  dans  les  flammes,  et  la  perle 
matérielle  s'éleva  à  1,700,000  francs.  Sans  même 
attendre  les  lettres  de  Genève,  des  collectes  s'organi- 
sèrent de  toutes  parts.  L'Église  française  de  Francfort 
donna  400  rixdalers;  Schaffhouse  et  Saint  Gaïl  en- 
voyèrent 400  ducats.  Une  princesse  de  Hesse  offrit 
4  400  rixdalers;  Danlzig  et  Amsterdam  ensemble 
1672  florins;  Middlebourg  et  Cologne  chacune  50 
éeus\  Les  Églises  de  France  sont  obligées  d'obser- 
ver le  plus  grand  secret  pour  faire  parvenir  leur 
argent  à  Genève.  Berne,  Bâte,  Zurich  et  les  autres 
cités  protestantes,  8000  écus. 

Ces  manifestations  unherselles  relevèrent  le  cou- 
rage des  Genevois,  et  les  pertes  des  incendiés  furent 
largement  compensées  par  les  sacrifices  de  leurs  amis, 
Vers  la  fin  du  dix  septième  siècle,  les  relations  entre 
les  Églises  germaniques  et  Genève  changèrent  de  na- 
ture. Les  calamités  qui  avaient  accompagné  la  guerre 

1.  Principaui  dons  :  Lyon  (M.  Tronchin),  IÔO  florins;  Francfort, 
t i.i5o  livres  courantes;  Bal*»  Faiio).  (09  écufl;  Grenoble  i>atil>i{rnc\, 
;)3i  livres;  Paris  Girardot  334.  livre*;  .Meus,  50  francs;  Uesse-Land- 
j:rav  (..  1400  livres. 


h  17 

de  trente  ans  étaient  effacées;  la  prospérité  reparais- 
sait, grâce  à  l'énergique  activité  des  populations  pro- 
testantes. Ces  nobles  entants  de  la  Réforme,  à  peine 
délivrés  de  leurs  longues  épreuves,  devaient  mainte- 
nant trouver  de  nouvelles  ressources  pour  accueillir 
les  victimes  de  Louis  XIV.  Ces  sacrifices  furent  né- 
cessaires pendant  près  d'un  demi  siècle,  et  les  villes 
évangéliques d'Allemagne  tirent  preuve  d'un  héroïsme 
chrétien  dans  leur  zèle  pour  le  soulagement  tic  tant 
de  misères.  Leur  correspondance  avec  Genève  ne 
roule  que  sur  les  moyens  de  recevoir  le  plus  grand 
nombre  possible  de  réfugiés,  et  des  souscriptions 
collectives  des  Suisses  et  des  Allemands  lurent  em- 
ployées à  construire  des  temples  pour  les  nouvelles 
colonies  françaises.  Nassau,  Bade  et  Berlin,  en  \  702, 
reçurent  dans  ce  but  de  fortes  subventions,  et  ces 
œuvres,  accomplies  dans  le  même  esprit,  abaissèrent 
les  barrières  qui  séparaient  les  Eglises,  et  disposèrent 
les  deux  grandes  fractions  de  la  Réforme  à  s'unir  de 
cœur  en  dehors  des  formes  d'église  et  des  détails  de 
croyance.  Cette  fusion  lit  de  si  grands  progrès,  qu'en 
1709  (i  janvier)  des  théologiens  de  Koenigsberg  pro- 
posèrent aux  Genevois  de  communier  à  la  même  ta- 
ble, les  luthériens  distribuant  l'hostie,  et  les  réformés 
rompant  le  pain,  et  la  cérémonie  fut  célébrée  de  ia 
sorte  dans  ces  deux  villes. 

Les  souverains  suivirent  le  mouvemenl  des  Égli- 

iii.  27 


418 

ses.  Le  roi  de  Prusse  félicita  Genève  de  s' élre affran- 
chie des  entraves  qui  retenaient  captive  la  pensée 
religieuse,  et  la  princesse  de  Holslein-Norbourg  té- 
moigna son  estime  à  la  Compagnie  des  Pasteurs,  en 
la  prenant  pour  arbitre  dans  une  question  très-déli- 
cate. 

(2  mai  4  708.)  «  Mon  fils,  »  écrit-elle,  «  doit  héri- 
ter d'une  succession  très-considérable  dans  les  terres 
du  roi  de  Dannemark,  mais  à  condition  qu'il  se  fasse 
luthérien;  puis-je,  devant  Dieu,  en  conscience,  le 
l'aire  élever  dans  celle  Église?  » 

La  Compagnie  répond  :  «  Les  luthériens  n'ont  point 
de  croyances  fondamentales  qui  doivent  nous  empê- 
cher de  communier  les  uns  avec  les  autres.  Cepen- 
dant, comme  nous  estimons  que  les  réformés  ont,. sur 
certains  points,  des  idées  plus  justes  que  les  luthé- 
riens, nous  ne  .pensons  pas  qu'on  doive  élever  le 
jeune  prince  de  manière  à  l'obliger  à  recevoir  les 
croyances  luthériennes.  Sa  mère  peut  s'engager  seu- 
lement à  lui  faire  connaître  les  sentiments  de  l'une 
et  de  l'autre  Église,  afin  que  lorsque  le  prince  sera 
en  âge  de  raison,  il  puisse  choisir  par  lui-même,  el 
décider  la  voie  qu'il  doil  suivre.  » 

Ces  excellentes  relations  continuèrent  pendant  tout 
le  dix-huitième  siècle,  et  Genève  reçut  plusieurs  preu- 
ves de  la  cordiale  considération  que  les  réformés 
allemands  lui  accordaient.  Le  plus  remarquable  de 


449 

ces  témoignages  fui  une  proposition  de  l'Eglise  de 
Cassel,  demandant,  en  4  744  (4  0  févr.),  que  le  clergé 
genevois  fût  chargé  de  nommer  tous  les  ministres  des 
communautés  françaises  établies  en  Allemagne.  Toutes 
les  grandes  paroisses  se  montrèrent  favorables  à  cette 
motion,  mais  Genève  refusa  sans  balancer  celte  mis- 
sion qui  lui  paraissait  impossible  à  remplir  conve- 
nablement, vu  la  dislance  et  le  nombre  des  Eglises 
du  refuge. 

En  dehors  de  ces  relations  fraternelles  avec  les 
grandes  Églises  réformées  de  l'Europe,  Genève  par- 
ticipa activement  à  la  création  et  au  maintien  de  quel- 
ques communautés  évangéliques  disséminées  en  Italie, 
en  Russie  et  en  Turquie. 

Le  40  avril  1699,  les  protestants  établis  à  Cons- 
tantinople  demandèrent  à  Genève  de  leur  envoyer  un 
pasteur.  Des  renseignements  circonstanciés  accompa- 
gnaient cette  requête,  el  montraient  qu'un  grand 
nombre  de  protestants  se  trouvaient  dans  une  position 
prospère.  La  colonie  pouvait  aisément  entretenir  un 
ministre,  et,  grâce  à  la  protection  de  l'Angleterre  et 
de  la  Hollande,  ou  jouissait  d'une  entière  sécurité 
dans  la  capitale  de  la  Turquie .  Après  de  longs  délais 
on  envoya  un  maîlre  d'école  français  réfugié,  el,  dix 
ans  plus  lard,  les  réformés  pouvaient  écrire:  «  Notre 
communauté  prospère;  on  l'appelle  Eglise  des  Gène- 


420 

vois,  et  cela  es!  naturel,  vu  qu'il  y  a  vingt-quatre 
familles  de  notre  pays,  et  cinquante-trois  enfants.  Sous 
la  protection  de  l'ambassadeur  des  Pays-Bas  nous  fai- 
sons des  exercices  de  culte  dans  la  maison  de  ce  sei- 
gneur, à  deux  lieues  de  Conslanlinople  (9  février 
4  709,  29  avril  1752). 

La  Compagnie  accorde  à  celte  Eglise  200  livres 
par  an. 

La  fondation  de  l'Église  réformée  de  Livourne  pré- 
sente quelques  détails  intéressants  (1er  avril  1655). 
En  4  649,  M.  le  pasteur  Léger  étant  passé  dans  cette 
ville,  y  rencontra  des  réformés  flamands,  allemands 
et  français,  qui  ne  célébraient  aucun  culte  public,  et  il 
les  exhorta  à  se  procurer  un  ministre,  et  dans  le  but 
d'établir  une  église  régulière,  un  négociant  fort  aisé, 
M.  Marchand,  envoya  son  tîls  étudier  la  théologie  à 
Genève.  Ce  jeune  homme  fut  très-favorablement  ac- 
cueilli, et  on  pritsoin  de  lui  faire  prononcer  dessermons 
en  italien.  Le  i  novembre  4  655  il  écrivait  de  Li- 
vourne que  «  les  frères  se  trouvent  bienheureux  d'a- 
voir un  culte,  et  que  la  Sainte  Cène  avait  été  célébrée, 
pour  la  première  fois,  avec  une  grande  solennité.  » 

Genève  participa  également  à  la  fondation  de  l'E- 
glise française  de  Saint-Pétersbourg.  On  écrivit  en 
1720  à  M.  Le  Fort,  syndic  de  Genève,  pour  sollici- 
ter une  subvention  qui  fut  accordée  de  concert  avec 
les  Eglises  suisses. 


421 

C'est  ainsi  que,  pendant  tout  le  cours  du  dix-hui- 
tième siècle,  nos  registres  présentent  de  fréquentes 
demandes  de  conseils  et  de  secours  de  la  part  de  di- 
verses communautés  prolestantes,  et  ces  bons  rap- 
ports ne  furent  interrompus  qu'en  1792.  «Vu  la 
misère  des  temps,  dit  le  registre,  on  est  obligé,  pour 
la  première  fois,  de  ne  pas  répondre  aux  frères  pro- 
testants qui  sollicitent  nos  secours.  »  Ce  triste  étal 
d'isolement  dut  subsister  pendant  les  vingt-cinq  an- 
nées de  révolution  et  de  guerre  qui  ruinèrent  la  Ré- 
publique genevoise.  Dès-lors  Genève  a  repris  son  rang 
parmi  les  Eglises  réformées,  et  c'est  à  nos  frères  des 
communautés  disséminées  de  dire  si  la  mission  de 
charité  chrétienne,  inaugurée  par  nos  ancêtres,  est 
acceptée  par  leurs  enfants  du  dix-neuvième  siècle. 


422 


CHAPITRE  XIII. 

L  ÉGLISE  PENDANT  LA  RÉVOLUTION  ET  L'EMPIRE 


Les  pasteurs  à  la  révolution  de  1782.  —  Vernes  banni  et  réintégré.  — 
Médiation  de  Claparcde.  —  Courage  des  pasteurs  en  1789.  —  Le 
pasteur  Peschier  et  le  capitaine  de  Combes.  —  Révolution  de  1792. 
—  Conduite  ferme  et  conciliante  des  pasteurs.  — Mort  de  Charles 
Bormet.  —  Anspach  et  Mouchon.  —  Accusation  de  MM.  Duby  et 
Vauchcr,  1794.  —  Persécution  des  pasteurs.  —  Les  clubs.  —  Ba- 
nissement  et  démissions  à  la  ville  et  à  la  campagne.  — Mouclion  à 
l'Assemblée  nationale. —  Genève  réunie  à  la  France. — Organisation 
de  l'Eglise.  —  Société  Economique.  —  Le  décadi.  —  Les  cloches.  — 
Le  Concordat.  —  Mort  de  M.  Martin-Rey. — Dévouement  des  Gene- 
vois à  leur  Eglise.  —  Les  proposants  et  le  service  militaire.  —  L'im- 
pôt du  sang.  —  Genève  redevient  Suisse. 


$  I.  1777  a  1790. 

Vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle  le  clergé  gene- 
vois se  trouvait  dans  une  position  aussi  délicate  que 
pénible.  La  lutte  avec  le  matérialisme  qui  durait  de- 
puis cinquante  années,  avait  épuisé  les  forces  des 
pasleurs,  et  le  relâchement  général  des  croyances  reli- 
gieuses dans  l'Europe  centrale  se  faisait  sentir  dans 


h-2o 

toules  les  fiasses  de  la  société  genevoise.  Les  jeunes 
gens  subissaient  l'influence  de  l'esprit  du  temps,  et 
préféraient  la  carrière  militaire  à  l'étranger  et  les 
occupations  mondaines,  aux  études  sérieuses  en  hon- 
neur chez  leurs  ancêtres. 

A  Genève,  en  1777,  le  corps  des  pasteurs  était 
composé  d'hommes  âgés,  usés  par  les  travaux  et  les 
épreuves  d'un  long  ministère,  et  l'on  voyait  avec 
tristesse  le  nombre  des  étudiants  en  théologie  diminuer 
chaque  année.  Les  citoyens  attachés  à  l'Évangile  exa- 
minèrent sérieusement  les  causes  de  cette  lâcheuse 
situation;  ils  reconnurent  que  les  tendances  frivoles 
de  la  société  n'étaient  pas  la  seule  cause  du  mal,  mais 
que  des  obstacles  inhérents  à  l'organisation  ecclésias- 
tique éloignaient  forcément  les  jeunes  hommes  de 
celle  carrière.  En  effet,  l'étendue  et  la  multiplicité 
des  fonctions  pastorales  dépassaient  la  mesure  des  fa- 
cultés humaines,  et  les  honoraires  conservés  tels  qu'ils 
étaient  fixés  depuis  un  siècle,  se  trouvaient  absolu- 
ment, insuffisants  pour  entretenir  le  pasteur  et  sa  fa- 
mille. 

De  nombreuses  requêtes  furent  adressées  par  les 
citoyens  au  gouvernement,  «  afin  qu'il  fournît  à  la 
jeunesse  les  encouragements  nécessaires  pour  suivre 
la  plus  belle  et  la  plus  utile  des  vocations.  » 

Ces  sollicitations  étaient  appuyées  sur  l'autorité  du 
célèbre  docteur  Tissot,  qui,  dans  un  mémoire  médi- 


cal,  démunirait  que  «  les  hommes  les  plus  robustes, 
soumis  à  la  fatigue  hebdomadaire  imposée  aux  pas- 
teurs genevois,  devaient  avoir  la  santé  irrévocable- 
ment compromise  avant  cinquante  ans.  » 

Les  magistrats  se  rendirent  à  ces  sollicitations,  et 
comme  ils  ne  pouvaient  créer  de  nouvelles  paroisses, 
ils  diminuèrent  le  nombre  des  prédications,  et  por- 
tèrent le  salaire  des  pasteurs  à  une  somme  suffisante 
pour  subvenir  au  strict  nécessaire  du  genre  de  vie  le 
plus  simple  i . 

Les  pasteurs  de  la  ville  reçurent  2460  francs,  et 
ceux  de  la  campagne  1600  francs.  Lorsque  ces  pro- 
positions, adoptées  par  le  Conseil  des  Deux-Cents, 
furent  portées  au  Conseil  Général,  ce  corps  vota 
l'augmentation  des  honoraires  ecclésiastiques,  mais 
ne  consentit  point  à  la  réduction  des  services  reli- 
gieux. 

Quoique  celle  décision  ne  répondît  pas  entièrement 
aux  vœux  des  amis  de  l'Église,  cette  manifestation 
d'une  sympathie  active  chez  les  citoyens  les  plus  éclai- 
rés ranima  le  zèle  chrétien  des  jeunes  gens,  el  huit 
années  plus  lard,  en  1784,  on  constatait  que  jamais 
l'auditoire  de  théologie  n'avait  été  plus  nombreux  et 
mieux  composé. 

Telle  était  la  position  du  clergé  genevois  lorsque 
commencèrent  les  révolutions  qui,  dans  l'espace  de 

t.  Keg.  Gons.  17  juillet  1778. 


42S 

seize  années,  amenèrent  la  ruine  el  la  chute  de  notre 
ancienne  République. 

En  1782,  l'État  de  Genève  se  composait  des  ci- 
toyens el  des  bourgeois  qui  seuls  possédaient  les  droits 
politiques,  la  jouissance  des  biens  nationaux  et  le 
libre  établissement  du  commerce  et  de  l'industrie. 
A  côté  de  celte  classe  privilégiée  se  trouvaient  les 
habitants  el  les  natifs  issus  des  réfugiés  de  la  Révo- 
cation, et  qui  ne  participaient  aux  privilèges  des  ci- 
toyens qu'après  avoir  soldé  les  12  ou  1500  francs, 
prix  de  la  bourgeoisie.  Ces  hommes,  dont  les  familles 
vivaient  à  Genève  depuis  près  d'un  siècle,  réclamaient 
l'entrée  effective  dans  la  famille  républicaine,  et  l'éga- 
lité des  droits  politiques  et  sociaux.  Plusieurs  bour- 
geois appuyaient  leurs  demandes;  mais  le  plus  grand 
nombre  les  repoussaient.  Hes  troubles  incessants  agi- 
tant la  ville,  le  gouvernement  suivit  les  exemples  du 
passé,  sollicita  l'intervention  armée  de  la  France,  du 
Piémont  et  des  cantons  suisses;  la  révolution  fut  com- 
primée, et  on  fabriqua  une  constitution  dont  le  libé- 
ralisme laissait  beaucoup  à  désirer;  car  la  liberté  des 
citoyens  recul  de  graves  atteintes,  et  les  natifs  et  leurs 
amis  furent  exilés  du  territoire  genevois. 

Voici  maintenant  quelle  fut  la  conduite  des  pasteurs 
durant  celte  triste  année. 

Ces  courageux  ecclésiastiques  acceptèrent  sans  ba- 
lancer leurs  fonctions  médiatrices.  Dès  l'abord,  ils  se 


126 

réunirent  à  une  société  de  conciliation,  qui  n'épargna 
aucune  démarche  pour  apaiser  les  esprits.  A  la  tète 
de  ces  généreux  pacificateurs  se  trouvaient  MM.  Ver- 
nes  et  Claparède,  qui  profilaient  habilement  de  leurs 
relations  de  famille  pour  calmer  les  personnes  les  plus 
irritées  dans  le  parti  des  magistrats.  Ce  zèle  déplut 
aux  plénipotentiaires  étrangers  chargés  d  éteindre  les 
discordes  et  qui  avaient  déjà  dressé  des  listes  de  ban- 
nissement. A  leur  sollicitation,  M.  Claparède  fut  mandé 
je  20  juin  1782  devant  les  syndics;  mais  ce  pasteur, 
au  lieu  de  s'excuser,  parla  ainsi  : 

«  Messieurs ,  je  vous  supplie  de  choisir  les  voies  les 
plus  douces;  la  vraie  gloire  consisterait  maintenant  à 
céder  et  à  ne  pas  prendre  à  la  rigueur  la  déclaration  qui 
ordonne  à  quelques  personnes  de  sortir  de  la  ville.  » 

La  Compagnie  appuya  les  démarches  de  M.  Clapa- 
rède ;  mais  ce  fut  en  vain  ;  les  exilés  prirent  le  chemin 
de  la  terre  étrangère,  et  le  deuil  politique  attrista  tous 
les  cœurs  bien  disposés. 

Les  pasteurs  eurent  un  sujet  spécial  de  chagrin  ; 
M.  Verues,  dont  les  sympathies  s'étaient  ouvertement 
prononcées  en  laveur  des  natifs,  fut  impitoyablement 
cassé  de  ses  fonctions  et  banni  pour  dix  ans.  Le  sou- 
venir des  services  signalés  rendus  à  la  cause  religieuse 
par  M.  Vernes,  son  dévouement  et  ses  succès  dans 
la  lutte  contre  Voltaire,  ne  purent  le  protéger.  En  vain 
les  pasteurs  supplièrent-ils  les  plénipotentiaires  de 


'i27 

l'épargner;  en  vain  la  Compagnie  entière  déclara-l-elie 
«  qu'elle  rendait  le  plus  éclatant  hommage  aux  in- 
tentions de  M.  Vernes  et  à  ses  efforts  réitérés  pour 
terminer  les  discordes  par  une  heureuse  concilia- 
tion. »  Cette  intervention  fut  inutile,  il  dut  partir  pour 
l'exil,  et  la  Compagnie  inscrivit  en  ses  archives  une 
protestation  en  date  du  21  novembre  1782,  portant 
bue  la  Compagnie  est  vivement  affligée  de  ce  que  M.  Ver- 
nes a  encouru  l'animadversion  des  plénipotentiaires, 
et  ne  peut  (pie  rendre  pleine  justice  à  son  talent  et  à 
la  manière  dont  il  a  exercé  ses  fonctions  pastorales. 

De  sérieuses  discussions  eurent  lieu  touchant  la 
position  du  clergé  pendant  les  années  qui  suivirent 
la  révolution  de  1 782. 

En  1785,  le  Conseil  proposa  de  nouveau  la  dimi- 
nution des  services  religieux;  mais  en  même  temps 
le  retranchement  d'un  professeur  de  théologie  et  de 
deux  places  de  pasteurs,  qui  étaient  remplies  par  qua- 
tre titulaires. 

Le  nombre  des  pasteurs  se  trouvait  ainsi  réduit  à 
huit  ecclésiastiques  pour  la  ville.  — La  Compagnie 
déclara  qu'elle  accueillait  avec  douleur  ce  projet  ; 
elle  aflîrma  que  le  culte  serait  gravement  compromis, 
et  qu'il  était  impossible  à  huit  ministres  de  remplir 
convenablement  les  fonctions  pastorales  dans  une 
ville  «le  29,000  âmes1,  et  au  milieu  de  la  dégra- 

i.  25,000,  ville;  4000,  banlieue. 


428 

dation  des  mœurs  el  des  souffrances  de  la  religion. 

Le  Conseil  témoigna  sa  surprise  de  ce  que  «  la 
Compagnie  eût  délibéré  sur  ce  sujet  sans  y  avoir  été 
invitée  par  les  magistrats;  elle  n'a  rien  à  y  voir.  » 

Les  pasteurs  répondent  que  «  bien  que  l'Etat  soit 
souverain,  l'esprit  des  édils  leur  accorde  le  privilège 
des  représentations,  el  que  la  conduite  du  Conseil 
n'est  convenable  ni  pour  le  fond  ni  pour  la  forme.  » 

Lorsque  des  débals  sont  empreints  d'une  pareille 
aigreur,  il  est  heureux  que  des  hommes  influents  em- 
ploient leur  autorité  morale  à  calmer  les  esprits. 
MM.  Claparede,  professeur,  etTrembley,  ancien  syn- 
dic, se  chargèrent  de  cette  mission  auprès  des  per- 
sonnes les  plus  compromises  dans  la  discussion.  Leurs 
efforts  lurent  couronnés  de  succès.  Les  Conseils  admi- 
rent le  projet  des  amis  de  l'Église,  rejeté  en  1777. 
On  conserva  le  même  nombre  de  pasteurs  el  l'on  ré- 
duisit à  peu  près  des  deux  cinquièmes  le  chiffre  des 
services  religieux. 

Voici  la  distribution  des  cultes  pour  une  année, 
dans  la  ville  de  Genève  :  treize  pasteurs,  174  4  actes 
de  culte,  se  décomposant  comme  suit  :  592  sermons, 
442  catéchismes,  1010  services  liturgiques. 

L'issue  favorable  de  ces  pénibles  débats  exerça 
une  bonne  influence  sur  la  discipline  intérieure  de 
l'Église.  De  graves  abus  s'étaient  introduits  pendant 
les  derniers  troubles  politiques;  des  habitudes  irréli- 


429 

gieuses  avaient  pris  la  place  de  l'ancienne  austérité. 
On  peut  juger  de  la  gravité  du  mal  en  étudiant  un 
mémoire  de  MM.  Thouron  et  Claparède  sui'  la  despec- 
tueuse  observation  du  dimanche.  «  A  l'heure  des  ser- 
mons, disaient-ils,  les  rues  et  les  places  sont  pleines 
de  monde,  les  boutiques  sont  ouvertes,  surtout  à 
Kive  et  à  Saint-Gervais;  les  ateliers  retentissent  du 
bruit  des  instruments  de  travail,  comme  pendant 
la  semaine,  et  les  catholiques  se  distinguent  dans  ces 
excès  par  une  insolente  affectation.  » 

Les  magistrats  reprirent  leur  ancienne  sévérité,  et 
défendirent,  sous  peine  d'amende,  l'ouverture  des 
boutiques,  des  auberges  et  des  calés  durant  le  service 
divin. 

On  atteignit  ainsi  l'année  4  789  ;  la  paix  sociale  qui 
régnait  à  Genève  couvrait  de  sombres  rancunes.  La 
constitution  de  1  782  irritait  les  esprits;  les  principes 
de  la  révolution  française  exaltaient  les  jeunes  gens, 
et  tout  faisait  présager  une  crise  prochaine,  (les  pres- 
sentiments n'étaient  pas  trompeurs,  Durant  l'hiver 
de  1789,  à  l'occasion  de  la  cherté  du  pain,  la  ville 
fut  bouleversée  par  des  émeutes  successives.  A  diver- 
ses reprises  les  citoyens  prirent  les  armes,  le  sang 
coula,  et  les  Conseils  délibérèrent  à  nouveau  pour 
fabriquer  une  constitution  plus  libérale. 

Les  pasteurs  essayèrent  de  calmer  les  esprits  irri- 
tés; mais  en  général  le  succès  fut  loin  de  répondre  à 


450 

leur  dévouement.  Ainsi,  le  27  janvier  1789,  ils 
rapportent  au  Conseil  :  «  Nous  avons  désiré  être  utiles 
pour  ramener  la  paix  ;  mais  notre  intervention  n'a  pas 
réussi  auprès  des  personnes  ameutées.  Plusieurs  ci- 
toyens ont  hué  et  insulté  les  plus  aimés  et  les  plus 
respectés  d'entre  nous.  » 

Toutefois,  l'un  de  ces  dignes  ministres,  M.  Pes- 
chier,  pasteur  à  Saint  Gervais,  put  remplir  son  devoir 
au  péril  de  sa  vie. 

Un  rassemblement  de  forcenés  s'était  emparé  de  la 
porte,  de  Cornaviu,  et  se  disposait  à  fusiller  M.  de 
Combes,  capitaine  du  poste.  M.  Peschier  accourt,  et, 
se  plaçant  devant  l'officier,  il  s'écrie  :  «  Vous  tuerez 
votre  pasteur  en  même  temps  que  votre  capitaine.  » 
Comme  M.  Peschier  était  de  très-petite  taille,  on  ajus- 
tait les  fusils  par-dessus  sa  tète;  aussitôt  le  courageux 
ministre  monte  sur  une  chaise,  et,  embrassant  la  poi- 
trine de  M.  de  Combes,  il  s'écrie  :  «Tirez  maintenant, 
et  faites  deux  victimes  î  »  Les  armes  s'abaissèrent,  et 
l'officier  eut  la  vie  sauvée. 

La  constitution  issue  de  ces  troubles  satisfit  un  grand 
nombre  de  citoyens;  cet  acte  donnait  la  bourgeoisie 
gratuite  aux  natifs  de  la  quatrième  génération;  on 
cassa  les  procès  politiques  de  4  782,  et  la  plupart 
des  exilés  rentrèrent  dans  leur  patrie. 

Le  retour  de  M.  Vernes  (1  4  décembre  1789)  fut 
une  véritable  fêle  populaire  :  ses  anciens  paroissiens 


451 

lui  serraient  les  mains,  baisaient  ses  vêlements,  et 
une  brave  femme,  qui  vendait  des  fleurs,  mille  com- 
ble à  l'enthousiasme  en  s' écriant:  «  Puisque  notre  bon 
pasteur  nous  est  rendu,  je  donne  aujourd'hui  mes 
bouquets  pour  rien  !  » 

M.  Vernes  reprit  sa  place  officielle  parmi  les  pas- 
leurs;  mais  l'épreuve  avait  brisé  ses  forces  et  sérieu- 
sement altéré  sa  santé;  il  ne  put  recommencer  ses 
fondions  actives,  et  mourut  deux  ans  plus  tard,  le 
24  octobre  1791 . 

La  révolution  de  4  789  étant  terminée,  et  la  paix 
paraissant  rendue  pour  longtemps  à  la  République 
genevoise,  la  Compagnie  des  Pasteurs  envoya  l'adresse 
suivante  aux  Conseils  : 

«  Nous  espérons  que  les  suites  de  la  dernière  crise 
seront  heureuses.  Nous  ferons  sentir  à  ce  peuple  le 
bonheur  d'avoir  à  sa  tête  des  magistrats  qui  ne  con- 
naissent point  de  litres  comparables  à  celui  de  pères 
de  la  pairie.  Nous  nous  trouvons  heureux  d'avoir  vu 
se  déployer,  parmi  ce  même  peuple  auquel  nous 
avons  consacré  notre  ministère,  un  caractère  de  bonté, 
de  sensibilité,  de  patriotisme,  dont  nous  avons  cons- 
taté de  nombreuses  marques  durant  ces  mauvais  jours . 
Nous  prenons  avec  joie,  entre  les  mains  de  ce  Conseil, 
l'engagement  de  travailler  de  toutes  nos  forces  à  en- 
tretenir ces  sentiments  dans  nos  paroisses  pour  la  con- 
servation de  la  prospérité  de  la  pairie.  » 


432 


%  M.    17 '.M    M    k  DÉCEMBRE  1792. 

Cette  conciliation  entre  les  partis  extrêmes  ne  fut 
pas  de  longue  durée.  Les  brochures  politiques  se  mul- 
tiplièrent, et  si  le  ton  de  leurs  auteurs  était  souvent 
déplorable,  les  principes  qu'ils  émettaient  respiraient 
la  justice  et  l'équité;  en  effet,  ils  demandaient  le  droit 
de  bourgeoisie  pour  tous  les  protestants  nés  sur  le 
territoire  genevois;  ils  réclamaient  l'abolition  des 
distinctions  civiles  entre  les  citoyens.  Ces  prétentions, 
qui  seraient  injustes  et  dangereuses  au  sein  d'une 
population  mélangée  d'étrangers  nombreux  et  sans 
demeure  fixe,  étaient  naturelles  à  Genève,  où  tous 
les  habitants  professaient  le  même  culte  et  comptaient 
des  aïeux  parmi  les  victimes  des  persécutions  reli- 
gieuses. 

Après  une  nouvelle  prise  d'armes  dirigée  contre 
les  natifs  et  les  paysans  qui  voulaient  s'emparer  de 
la  ville,  un  nouveau  code  fut  élaboré  et  voté,  par  le 
Conseil  général  le  14  novembre  1794 .  Cette  consti- 
tution donnait  la  liberté  et  l'égalité  complète  à  tous 
les  Genevois;  les  vœux  des  natifs  et  de  leurs  adhé- 
rents étaient  satisfaits,  et  la  république  aurait  re- 
trouvé la  paix,  sans  la  désastreuse  influence  des  émis- 
saires français  qui  surexcitaient  les  passions  populai- 
res. Après  une  année  d'intrigue,  les  révolutionnaires 


455 

s'emparèrent  du  gouvernement,  et  le  i  décembre 
1792  remplacèrent  les  Conseils  et  les  magistrats  par 
des  comités  de  sûreté  et  d'administration.  Cette  troi- 
sième révolution  s'exécuta  toutefois  sans  effusion  de 
sang. 

Voici  quels  furent  le  rôle  et  la  position  de  l'Église 
durant  ces  deux  années  : 

En  février  1794,  la  Compagnie  enjoignit  à  cha- 
cun de  ses  membres  d'éviter  absolument  de  se  mê- 
ler de  politique.  Elle  décida  que  les  pasteurs  porte- 
raient toujours  en  public  leur  costume,  savoir  le  man- 
teau et  le  rabat,  afin  de  pouvoir  être  reconnus  immé- 
diatement et  d'exercer  ainsi  plus  aisément  leurs 
fonctions  médiatrices. 

Le  lendemain  du  jour  où  ces  mesures  étaient  votées 
(45  février  4  794),  les  pasteurs  se  jetaient  au  travers 
d'une  émeute,  et  avec  un  zèle  et  un  patriotisme  chré- 
tiens ils  parcouraient  la  ville,  se  présentant  sur  tous  les 
points  où  le  tumulte  avait  lieu;  ils  adressaient  des 
paroles  de  paix  et  de  concorde  aux  hommes  les  plus 
irrités,  et  leur  influence  prévint  de  tristes  violences. 

Quelques  jours  plus  tard  on  apprit  que,  dans  les 
campagnes,  les  ministres  avaient  subi  de  grossiers 
traitements  de  la  part  de  leurs  paroissiens.  —  M.  Ju- 
venlin,  pasteur  de  Chêne,  l'un  des  ecclésiastiques  les 
plus  distingués  par  l'énergie  de  son  caractère,  ses 
talents  et  sa  profonde  piété,  fut  envoyé  dans  les  pa- 
in. SX 


43/» 

roisses  rurales;  il  portait ,  de  la  part  de  la  Compa- 
gnie, des  paroles  de  consolation  et  de  sympathie  à 
ses  collègues.  Son  rapport  diminua  la  gravité  des  ap- 
préhensions. «On  a,  dit-il,  beaucoup  exagéré  les 
»  choses;  les  pasteurs  n'ont  point  éprouvé  de  désa- 
»  gréments  personnels;  ils  ont  même  réussi  à  retenir 
»  plusieurs  paysans  entraînés  contre  la  ville  par  de 
»  mauvais  conseils.  Le  peuple  de  la  campagne  serait 
»  tranquille  si  on  le  laissait  à  lui-même;  mais  on 
»  souffle  sans  cesse  le  feu,  et  l'on  détruit  le  bien  que 
»  font  ceux  qui  veulent  le  calmer.  » 

Pendant  qu'on  reconstituait  à  grand'peine  l'édifice 
politique  de  Genève,  l'Église  jouissait  d'une  vérita- 
ble faveur,  et  les  pasteurs  purent  mettre  au  jour  des 
idées  utiles  pour  le  pays.  Une  commission  travaillait 
à  réorganiser  le  collège;  la  Compagnie  demanda  la 
création  d'une  série  de  classes  destinées  aux  jeunes 
gens  qui  ne  voulaient  pas  suivre  la  carrière  du  droit 
ou  du  ministère  évangélique  (10  avril  4791).  Mal- 
heureusement cette  idée  ne  trouva  pas  faveur  auprès 
des  comités  organisateurs.  Elle  fut  repoussée  après 
mur  examen.  Un  peu  plus  lard,  lorsque  le  nouveau 
projet  touchant  le  collège  fut  publié,  les  pasteurs, 
trouvant  de  graves  lacunes  dans  l'instruction  reli- 
gieuse, obtinrent  que  les  leçons  seraient  confiées 
comme  par  le  passé  à  la  Société  des  catéchumènes, 
qui  depuis  soixante  ans  avait  si  bien  mérité  de  la  pa- 


435 

trie.  L'esprit  public  ne  fut  pas  moins  favorable  au 
clergé  dans  les  modifications  apportées  à  la  constitu- 
tion ecclésiastique.  Le  4  5  mars  1 792;  l'administra- 
tion créa  deux  nouvelles  places  de  pasteurs,  en  sorte 
que  la  ville  de  Genève  fut  desservie  par  quinze  offi- 
ciants. Voici  leurs  noms  en  4  792  :  à  Saint-Pierre, 
MM.  Sarasin  et  Martin  aîné;  à  Saint-Gervais,  Chene- 
vière  et  Peschier  ;  à  la  Madeleine,  Cardini  et  Francil-  1 
Ion  ;  au  Temple-Neuf,  Pasteur  et  Mouchon  ;  à  Saint- 
Germain,  Gascet  Thouron;  Catéchistes,  Martin,  Rey 
et  Mange.  Le  clergé  témoigna  une  vive  reconnaissance 
de  cette  heureuse  innovation,  et,  se  sentant  appuyé 
sur  la  majorité  des  citoyens  bien  pensants,  il  reprit  un 
nouveau  courage  pour  faire  son  devoir. 

La  bonne  volonté  du  gouvernement  réagissait  sur 
la  jeunesse,  et  celte  année  un  assez  grand  nombre 
d'étudiants  vinrent  s'inscrire  pour  entrer  en  théolo- 
gie. Toutefois,  comme  l'avenir  offrait  peu  de  sécurité, 
lespasleurs  crurent  devoir  insister  sur  les  difficultés 
nouvelles  du  ministère,  et  les  professeurs,  MM.  Picot, 
Claparède  et  de  Roche,  adressèrent  aux  proposants 
ces  solennelles  paroles  (25  mai  1792)  :  «  Ne  déses- 
y>  pérez  pas  du  maintien  d  une  religion  que  son  au- 
»  leur  saura  bien  défendre;  mais  il  ne  faut  pas  se  dis- 
»  simuler  que  la  tâche  devient  tous  les  jours  plusdif- 
»  ficile;  aussi,  avant  d'aller  plus  loin,  examinez  bien 
»  votre  vocation.  Faites  les  plus  grands  efforts  pour 


436 

»  vous  perfectionner;  surtout  sachez  qu  il  est  essen- 
»  tiel  de  ne  pas  regarder  en  arrière;  quels  que  soient 
»  les  périls  qui  vous  attendent,  il  faut  persévérer 
«jusqu'à  la  fin — »  Les  appréhensions  des  profes- 
seurs étaient  fondées;  trois  ans  plus  tard,  la  tour- 
mente révolutionnaire  avait  balayé  la  plupart  de  ces 
jeunes  hommes  si  bien  disposés. 

Vers  la  fin  de  l'année,  des  circonstances  désastreu- 
ses donnèrent  aux  pasteurs  l'occasion  de  montrer  leur 
patriotisme.  —  L'invasion  de  la  Savoie  par  l'armée 
française  avait  paralysé  le  commerce  et  réduit  à  la 
misère  un  grand  nombre  d'industriels.  Une  collecte 
générale  fut  annoncée  (le  15  octobre  1792),  et  mal- 
gré la  gêne  universelle,  cette  souscription  produisit 
14,000  écus.  Les  pasteurs  donnèrent  112  louis 
d'or,  et  comme  leur  position  respective  de  fortune 
variait  beaucoup,  afin  que  la  plus  fraternelle  égalité 
régnât  dans  cette  offrande,  il  fut  décidé  que  chacun 
dirait  à  l'oreille  du  caissier  de  la  Compagnie  le  mon- 
tant de  sa  cotisation,  et  que  la  somme  totale  serait 
remise  à  l'Etat  sans  que  personne  pût  connaître  le 
chiffre  des  souscriptions  individuelles. 

Cette  seconde  période  de  la  révolution  genevoise 
fut  terminée  le  4-  décembre  1792.  Un  gouverne- 
ment insurrectionnel  abolit  l'ancienne  forme  politi- 
que de  l'État,  et  remplaça  les  magistrats  et  les  con- 
seils par  des  comités  de  sûreté  et  d'administration. 


437 


g  III.  4793. 

Les  pasteurs  eurent  le  cœur  brisé  en  voyant  dis- 
paraître les  magistrats  avec  lesquels  ils  avaient  tra- 
vaillé depuis  tant  d'années.  Mais  le  devoir  parlait 
plus  haut  que  les  anciennes  sympathies;  il  fallait  son- 
gerai! salut  de  l'Église.  Du  reste,  les  rapports  entre 
l'administration  et  le  clergé  ne  subirent  pas,  dès  l'a- 
bord, de  graves  altérations.  La  Compagnie  prit  l'ini- 
tiative et  décida  de  faire  une  adresse  au  gouverne- 
ment provisoire,  pour  lui  parler  du  maintien  de  la 
religion,  du  culte  public,  et  protester  du  dévouement 
des  pasteurs  à  la  patrie  et  de  leur  zèle  pour  son  bon- 
heur. 

Voici  l'adresse  que  M.  Roustan  présenta  le  3  jan- 
vier 1793  : 

«  Nous  avons  le  désir  d'entretenir  avec  le  corps 
administratif  les  mêmes  relations  que,  dès  l'origine 
de  la  république,  le  législateur  établit  si  sagement 
entre  les  fonctionnaires  civils  et  religieux.  Les  pas- 
teurs de  celte  Église  ne  seront  point  les  derniers  à 
adopter  les  principes  d'une  égalité  convenablement 
établie  et  qui  ne  préjudiciera  nullement  au  maintien 
de  l'autorité  légitime,  de  la  subordination,  de  l'ordre 
public  et  des  mœurs.  —  Nous  verrons  avec  joie  le 
moment  où  une  législation,  mieux  perfectionnée  d'à- 


438 

près  le  vœu  universel  des  citoyens,  fixera  pour  tou- 
jours dans  notre  patrie  l'union,  la  confiance  et  la 
paix.  Le  plus  sûr  moyen  d'atteindre  ce  but  est  in- 
contestablement que  les  sentiments  religieux  repren- 
nent chez  tous  les  citoyens  une  nouvelle  activité,  et 
(pie  les  administrateurs  auxquels  les  intérêts  de  l'État 
viennent  d'être  confiés  ne  négligent  rien  pour  assurer 
à  la  religion  toute  son  influence,  pour  réprimer  les 
scandales,  pour  maintenir  l'autorité  paternelle,  l'hon- 
nêteté des  mœurs  et  l'observation  exacte  des  devoirs 
du  culte.  » 

Le  président  répond  :  «  A  la  conduite  patriotique 
des  pasteurs,  nous  reconnaissons  les  fidèles  ministres 
d'une  religion  faite  pour  procurer  à  l'homme  toute 
la  liberté  qui  peut  lui  convenir  et  dont  il  est  suscep- 
tible. Le  comité  vous  soutiendra  de  tout  son  pouvoir 
dans  vos  offices,  et  s'empressera  en  toute  occasion 
de  vous  donner  des  marques  du  cas  très-distingué 
qu'il  fait  de  votre  Compagnie  et  de  chacun  de  vous 
en  particulier.  » 

Une  assemblée  nationale  tut  nommée  pour  rédiger 
une  quatrième  constitution.  Plusieurs  pasteurs  en 
furent  élus  membres.  Ce  choix  tomba  sur  MM.  Picot, 
Anspach,  Chenevière,  Gasc,  Peschier,  Rouslan  et 
Mouchon . 

Durant  les  sessions  de  cette  constituante,  une  nou- 
velle souscription  patriotique  fut  proclamée;  le  4  3 


459 

mars  1795,  la  Compagnie  donna  vingt  louis  d'or  sur 
ses  fonds,  et  chaque  pasteur  sacrifia  le  tiers  du  tri- 
mestre courant  de  ses  honoraires.  Quelques  jours  plus 
tard  (5  mai  1715),  le  gouvernement  fonda  un  comp- 
toir patriotique  pour  venir  en  aide  aux  industriels; 
la  Compagnie  prit  dix  actions. 

Au  mois  de  juin,  les  clubs  proposèrent  et  l'admi- 
nistration adopta  un  serment  civique  qui  serait  exigé 
de  tous  les  citoyens  et  mettrait  lin  aux  désordres  et 
aux  prétextes  de  violence.  Les  partisans  de  l'ancien 
ordre  de  choses  refusèrent  ce  serment,  «  ne  voulant 
point  reconnaître  les  gouvernants  actuels.  »  Toute- 
fois cet  acte  était  conçu  en  termes  modérés.  —  11 
portait  simplement  :  «  Je  jure  d'être  fidèle  à  la  na- 
tion, de  défendre  la  liberté,  l'égalité,  l'indépendance 
de  l'Etal,  de  concourir  de  toutes  mes  forces  à  main- 
tenir l'ordre  et  la  liberté  individuelle,  de  respecter 
les  autorités  constituées,  de  leur  obéir,  de  vivre  en 
paix  et  fraternellement  avec  tous  les  Genevois.  »  (10 
juin  1795.) 

La  Compagnie  déclara  qu'elle  consentait  à  pro- 
noncer ce  serment,  à  condition  toutefois  que  les  pas- 
teurs le  prêteraient  devant  les  administrateurs  et  ne 
seraient  pas  obligés  de  se  rendre  sur  une  place  d'ar- 
mes, comme  cela  était  requis  pour  les  autres  citoyens. 
La  formule  étant  lue,  M.  Mouchon,  modérateur, 
adressa  ces  paroles  aux  membres  du  gouvernement  : 


440 

«  Nous  allons  plus  que  jamais  faire  tous  nos  eflorts 
»  pour  observer  un  ministère  de  réconciliation;  nous 
»  nous  adressons  au  Dieu  protecleur  des  Genevois, 
»  le  priant  de  répandre  son  esprit  de  douceur  et  de 
»  sagesse,  et  d'incliner  tous  les  cœurs  et  toutes  les 
»  pensées  de  nos  concitoyens  au  plus  grand  bien  de 
»  notre  chère  patrie.  » 

Nous  devons  maintenant  exposer  quelques  fails 
qui  démunirent  l'énergie  et  la  vitalité  des  institutions 
religieuses  à  Genève.  Certes,  pendant  ces  mauvais 
jours  les  idées  d'obéissance  aux  lois  et  de  subordina- 
tion à  une  autorité  quelconque,  obtenaient  peu  de 
faveur  auprès  des  citoyens.  Aussi  l'on  aura  peine  à 
croire  que  les  privilèges  et  la  discipline  du  Consis- 
toire fussent  respectés,  et  que  ce  corps  pût,  comme 
auparavant,  réprimer  des  délits  moraux.  Néanmoins 
les  registres  consisloriaux  de  1795  à  4797  rappor- 
tent un  grand  nombre  de  remontrances  et  de  puni- 
tions infligées  à  des  personnes  citées  devant  les  an- 
ciens, et  les  troubles  politiques  n'entravent  point  l'ac- 
tion de  celte  législation  morale. 

De  son  côté,  le  gouvernement  accueille  favorable- 
ment les  réclamations  des  pasteurs,  touchant  le  bon  or- 
dre extérieur  de  la  ville.  —  Des  mendiants  étrangers 
se  sont  établis  sur  les  places  et  dans  les  rues,  des  jeu- 
nes gens  chantent  à  toute  heure  du  jour  d'indignes 
chansons,  les  agents  de  police  négligent  de  faire 


Ilki 

observer  le  silence  autour  des  temples  à  l'heure  du 
culte.  La  Compagnie  adresse  de  sévères  remontran- 
ces sur  ces  abus,  et  les  administrateurs  répondent  en 
prenant  des  mesures  efficaces  pour  les  réprimer  et 
les  faire  disparaître  (6  janvier,  28  février  4  795).  ^ 
La  protection  damnée  aux  lois  morales  par  le  gouver- 
nement de  95  s'étend  plus  loin  encore  :  le  14  jan- 
vier les  pasteurs  signalent  l'existence  de  plusieurs 
maisons  où  Ton  joue  des  jeux  de  hasard  à  très-haut 
prix,  et  où  les  pertes  et  les  scandales  sont  considéra- 
bles. Une  proclamation  conçue  dans  les  meilleurs 
termes  interdit  ces  réunions,  et  des  actes  de  vigi- 
lance effective  les  dispersent. 

Durant  celte  année,  une  liberté  véritable  fut  lais- 
sée aux  pasteurs  pour  la  discussion  publique  de  leurs 
sentiments,  et  une  controverse  qui  s'éleva  entre  MM. 
Mouchon  et  Anspach,  au  sujet  de  Charles  Bonnet, 
montre  jusqu'où  s'étendait  le  respect  pour  la  pensée 
et  pour  ses  manifestations  extérieures. 

Charles  Bonnet  mourut  le  54  mai  4  795.  «  Sa  mé- 
moire nous  sera  chère,  inscrit  la  Compagnie  en  ses 
registres,  à  cause  du  bel  usage  qu'il  fil  de  ses  lumiè- 
res en  faveur  du  christianisme.  »  —  Le  8  août  de 
la  même  année,  on  posa  sur  la  maison  du  Molard 
l'inscription  en  l'honneur  de  l'illustre  philosophe  ge- 
nevois. M.  Anspach,  pasteur,  très-engagé  dans  le 
mouvement  révolutionnaire,  lit  le  discours  d'inaugu- 


I 


4*2 

ration  et  parla  de  toutes  les  œuvres  de  Bonnet,  ex- 
cepté de  ses  admirables  démonstrations  en  faveur  de 
la  divinité  de  l'Évangile.  Celle  triste  condescendance 
envers  l'esprit  du  temps  fut  sévèrement  relevée  par 
M.  Mouchon  dans  le  Journal  de  Genève.  «Pourquoi, 
*  dit-il,  en  rendant  compte  des  ouvrages  de  Bonnet, 
»  a-t-on  absolument  passé  sous  silence  un  de  ceux 
»  qui  lui  font  le  plus  grand  honneur?  Pourquoi  dis- 
»  simuler  celui  de  ses  écrits  qui  a  le  plus  servi  au 
»  bonheur  des  hommes,  en  présentant  avec  tout  l'ap- 
»  pareil  de  ses  preuves  une  religion  qui  portera  lou- 
»  jours  son  empreinte  céleste  aux  yeux  de  tout  bon 
»  esprit  qui  daignera  l'étudier!  » 

Aucune  réponse  ne  fut  faite  à  ces  justes  observa- 
lions. 

Sur  un  autre  terrain,  dans  les  séances  de  l'assem- 
blée nationale,  MM.  Mouchon  et  Anspach  soutinrent 
une  très-vive  polémique  louchant  l'Église  genevoise. 
Anspach  demandait  qu'il  ne  fût  pas  nécessaire,  pour 
exercer  les  droits  de  citoyen,  de  professer  à  Genève 
la  religion  dominante,  et  que  la  nation  s'engageât  à 
salarier  les  ministres  des  cultes,  sans  en  particulari- 
ser aucun.  (Journal  de  Genève,  16  janvier  1794.) 
Mouchon,  soit  dans  la  chaire,  soit  à  la  tribune  natio- 
nale, plaida  avec  une  chaleureuse  éloquence  la  cause 
de  l'Église  réformée.  Il  prouva  qu'elle  était  la  mère 
de  toutes  les  libertés  vraiment  dignes  de  ce  nom,  et 


que  Genève  lui  avait  dû  son  existence  durant  250 
années.  Mouchon  obtint  un  avantage  décidé  sur  son 
collègue,  et  à  la  majorité  de  2808  suffrages  contre 
382,  rassemblée  nationale  «  maintint  le  culte  de  la 
religion  chrétienne  réformée  el  toutes  les  institutions 
qui  se  rattachent  à  son  observation  dans  la  répu- 
blique » 

La  Compagnie  (4  8  octobre  1793)  avait  été  sol- 
licitée de  donner  un  préavis  sur  cette  question.  Elle 
répondit  :  «  Nous  n'émettrons  aucune  opinion  à  cet 
égard,  ayant  pleine  confiance  dans  le  zèle  et  la  piété 
des  membres  de  l'assemblée  nationale  pour  le  main- 
tien de  la  religion  chrétienne  et  de  la  vraie  liberté 
à  Genève.  » 

L'événement  prouva  que  les  ministres  avaient  bien 
jugé  leurs  concitoyens;  mais  si  les  corps  légalement 
constitués  se  comportaient  avec  une  pleine  loyauté 
vis-à-vis  de  l'Église,  les  clubs  révolutionnaires  orga- 
nisèrent une  persécution  aussi  lâche  qu'injuste  contre 
les  pasteurs.  Les  envoyés  de  Robespierre  excitaient 
les  plus  mauvaises  passions;  le  représentant  des  ter- 
roristes français,  l'infâme  Soulavie,  prêtre  apostat, 
rampant  devant  le  pouvoir,  insolent  avec  les  faibles, 
provoquait  sans  cesse  l'injure  et  la  violence.  Son  in- 
fluence fut  irrésistible  sur  les  cercles  des  Montagnards 
et  des  Marseillais,  qui  voulurent  bientôt  imiter  les 
horreurs  commises  à  Paris. 


444 

Vers  la  fin  de  Tan  1793,  la  liberté  de  discussion 
fut  absolument  entravée,  et  les  plus  odieuses  violen- 
ces accueillirent  les  publications  opposées  aux  utopies 
révolutionnaires. 

Si  les  pasteurs  avaient  montré  une  large  et  sé- 
rieuse impartialité  dans  leur  conduite  politique,  ils 
n'avaient  nullement  abdiqué  le  droit  de  censure  pour 
les  tendances  et  les  actes  contraires  aux  principes 
chrétiens  ;  ils  faisaient  fréquemment  revenir  dans  leurs 
discours  les  recommandations  à  la  tolérance  et  à  la 
charité.  MM.  Mouchon,  Duby,  Chenevière,  Sarasin 
et  Meslrezat,  étaient  spécialement  signalés  à  la  mal- 
veillance publique  pour  ces  délits  de  culte. 

Le  premier  symptôme  de  ce  despotisme  touchant 
la  liberté  de  la  chaire  se  manifesta  le  4  9  septembre 
4  795.  Le  club  fraternel  des  révolutionnaires  gene- 
vois se  plaint  de  quelques  prédicateurs  qui  propa- 
gent, par  leurs  discours,  des  maximes  contraires 
aux  principes  de  la  révolution.  Le  comité  provisoire 
engage  les  spectables  pasteurs  à  réfléchir  à  l'extrême 
réserve  que  prescrivent  les  circonstances  actuelles, 
et  à  écarter  de  leurs  sermons  tout  trait  direct  ou 
indirect  à  la  politique.  Mais  comme  aucun  fait  po- 
sitif n'était  articulé,  la  Compagnie  ne  crut  pas  devoir 
répondre. 

Bientôt  une  accusation  plus  grave  pesa  sur  quel- 
ques ministres  (4  5  janvier  4  794).  Une  brochure 


445 

anonyme  fut  publiée  sous  le  litre  :  Déclaration  des 
citoyens  anti-anarchistes.  Les  fauteurs  du  désordre 
étaient  rudement  censurés  dans  cet  opuscule ,  et  comme 
les  extrêmes  se  touchent  et  que  le  despotisme  engen- 
dré par  la  licence  politique  est  identique  à  la  tyran- 
nie de  l'inquisition,  on  voulut  connaître  et  punir 
l'auteur  de  ces  injures  à  la  majesté  des  clubs.  Déva- 
lues indices  accusèrent  les  pasteurs  d'une  connivence 
avec  le  coupable  pamphlétaire,  et  le  sieur  Guérin, 
instigateur  de  tous  ces  mauvais  procédés,  fut  chargé 
d'interroger  à  ce  sujet  les  ecclésiastiques  suspects. 
Pour  simplifier  la  procédure,  on  leur  demanda  d'af- 
firmer par  serment  qu'ils  n'avaient  aucune  connais- 
sance de  l'affaire. 

M.  de  la  Saussaie,  jeune  ministre,  témoigna  quel- 
que répugnance  à  engager  ainsi  sa  parole,  puis  il 
s'exécuta  après  beaucoup  d'hésitations.  Vinrent  en- 
suite deux  amis  spécialement  incriminés,  MM.  Duby 
et  Vaucher.  Aux  questions  de  Guérin,  ils  répondent  : 
«  Citoyen  !  ce  que  vous  nous  demandez  est  impos- 
sible à  dire;  nous  ne  sommes  responsables  qu'en- 
vers notre  conscience;  nous  ne  parlerons  pas  et 
nous  ne  prêterons  point  le  serment  exigé  !»  —  «  Il 
est  donc  notoire,  dit  Guérin,  que  l'auteur  et  les  dis- 
tributeurs du  libelle  vous  sont  connus  ?»  —  Les  mi- 
nistres gardent  le  silence.  —  «  Votre  obstination  à 
ne  pas  répondre  dépose  contre  vous;  j'ordonne  qu'on 


h  46 

vous  conduise  en  prison  jusqu'à  ce  que  voire  procès 
soil  instruit.  » 

Un  quatrième  ministre  fut  interrogé.  Hélas!  le 
courage  lui  manqua,  et  il  indiqua  le  citoyen  Duval- 
Lasserre  comme  ayant  eu  entre  les  mains  le  manus- 
crit qu'il  tenait  du  citoyen  Duroveray;  le  malheureux 
crut  pallier  sa  lâcheté  en  ajoutant  que  «  cet  ouvrage 
avait  été  communiqué  aux  régents  Duvillard  et  Cou- 
ronne, ainsi  qu'aux  ministres  Vaucher  et  Duby,  afin 
de  recevoir  leurs  observations.  Les  critiques  furent 
très-sévères,  en  sorte  que  si  le  libelle  a  été  publié, 
c'est  contrairement  à  leur  avis.  » 

Celle  déposition  signée  fut  communiquée  aux  mi- 
nistres captifs,  qui  dès  lors,  voyant  que  le  silence  ne 
pouvait  aucunement  servir  leurs  amis,  confirmèrent 
la  vérité  des  faits  révélés  par  leur  collègue.  On  les 
censura  vivement,  et  après  quelques  jours  de  prison 
ils  furent  relâchés.  MM.  Duval-Lasserre  et  Durove- 
ray furent  décrétés  de  prise  de  corps,  et  en  leur  ab- 
sence on  fit  contre  eux  la  grande  procédure  (sic)?? 

(16  avril  1794.)  La  nouvelle  constitution  com- 
mençait à  fonctionner.  Les  administrateurs  mon- 
traient une  fermeté  impartiale,  et  les  bons  citoyens 
reprenaient  l'espoir  de  retrouver  des  temps  meilleurs. 
La  Compagnie  accepta  ces  favorables  prévisions  et 
envoya  une  dépulation  aux  nouvelles  autorités. 
«  Magistrats  constitutionnels,  leur  dit  le  modéra- 


447 

»  leur,  puissent  vos  succès  justifier  pleinement  la  cou- 
»  fiance  que  la  nation  a  mise  en  vous  !  Puisse  le  calme 
»  revenir  par  vos  soins,  et  Genève  ne  former  bientôt 
»  qu'un  peuple  de  frères!  Ce  bonheur,  citoyens,  elle 
»  le  dut  jadis  à  ses  mœurs  pures  et  simples,  à  la  re- 
»  ligion  dépourvue  de  toute  erreur!  Nous  en  recom- 
»  mandons  le  dépôt  à  votre  vigilance.  Cette  liberté, 
»  que  serait-elle  sans  l'ordre  public  et  la  vertu?  et  la 
»  vertu  sans  la  religion  n'est-elle  pas  une  chimère? 

»  Nous  sommes  convaincus  que  les  moyens  qui 
»  avaient  élevé  Genève  au  rang  des  cités  florissantes 
»  sont  les  seuls  capables  de  l'y  replacer;  la  nation 
»  pense  de  même!  son  vote  vient  de  le  prouver. 
»  Nous  ne  fûmes  pas  inutiles  à  l'instruction  publique 
»  tant  qu'elle  fut  soumise  à  notre  inspection.  —  Et 
»  maintenant  que  la  loi  en  a  ordonné  autrement1,  il 
»  nous  reste  assez  d'influence  morale  pour  consoler 
»  efficacement  les  malheureux  et  nous  opposer  aux 
»  progrès  du  vice!  Nous  ne  regretterons  pas  nos  pri- 
»  viléges.  » 

Le  citoyen  Janot,  président  du  Conseil  adminis- 
tratif, répondit  : 

«  Je  suis  très-sensible  à  ces  paroles,  et  persuadé 

1.  La  loi  sur  l'éducation  nationale,  votée  le  25  février  1794,  enlevait 
à  la  Compagnie  des  Pasteurs  la  direction  de  1'instructiou  publique  tout 
en  lui  laissant  sa  part  légitime  d'action  dans  l'enseignement  théologique 
et  religieux.  Un  département  de  l'éducation  nationale,  composé  de 
vingt-trois  membres,  réglait  l'instruction  publique. 


de  l'importance  des  mœurs  el  de  la  religion,  je  ferai 
tous  mes  efforts  pour  en  assurer  le  règne.  » 

Hélas  !  ces  vœux  el  ces  efforts  devinrent  bientôt 
inutiles!  Les  terroristes  genevois,  toujours  plus  exci- 
tés par  les  agents  français,  bouleversèrent  la  consti- 
tution qui  comptait  à  peine  trois  mois  d'existence,  et, 
le  4  9  juillet  4  794-  commença  dans  Genève  le  règne 
de  la  plus  sanglante  anarchie  qu'une  révolution  puisse 
produire. 

|  IV.  1794-1795. 

Le  4  9  juillet  4  794  un  tribunal  révolutionnaire 
fut  institué;  il  permit  et  légalisa  tous  les  crimes  con- 
tre la  fortune,  la  liberté  el  la  vie  des  citoyens.  Des 
contributions  forcées  anéantirent  les  propriétés  parti- 
culières; 449  sentences  de  réclusion,  d'exil  et  de 
mort  furent  prononcées.  Treize  des  plus  honorables 
citoyens  furent  fusillés,  et  ce  règne  de  la  Terreur 
dura  une  année  dans  Genève. 

Au  milieu  de  ces  affreuses  circonstances,  les  pas- 
teurs résolurent  de  tenir  tête  à  l'orage  el  de  rester 
fermes  à  leur  poste.  Dès  la  fin  de  juillet,  le  culte  pu- 
blic fut  à  peu  près  détruit  par  les  autorités  révolu- 
tionnaires :  on  supprima  les  prières  de  la  semaine, 
on  abolit  tous  les  services  du  dimanche,  à  l'exception 
de  deux  sermons  à  7  heures  du  matin.  La  sonnerie 
des  cloches  fut  interdite.  Les  rares  personnes  qui 


449 

osaient  encore  aller  au  lemple  se  voyaient  grossière- 
ment insultées,  et  les  prédicateurs  traversant  les  rues, 
revêtus,  selon  l'usage,  de  leurs  robes,  entendaient 
sur  leur  passage  des  ricanements  et  ces  mots  chantés 
sur  tous  les  tons  :  «  Les  voilà,  ces  ministres!  sinis- 
tres î  > 

Cette  dislocation  du  culte  cessa  le  1 0  octobre  1794.. 
M.  Ami  Martin,  secondé  par  M.  Anspach,  ancien  pas- 
teur, et  pour  lors  procureur-général,  obtint  le  réta- 
blissement des  sermons  à  dix  heures  dans  les  quatre 
temples,  et  des  catéchismes  de  l'après-midi  à  Saint- 
Gervais  et  à  Saint-Germain.  On  rouvrit  également  les 
églises  trois  fois  la  semaine  pour  des  prières  liturgi- 
ques, afin  de  faciliter  la  célébration  des  baptêmes  et 
le  culte  des  personnes  âgées.  M.  Anspach  ne  laissa 
pas  son  œuvre  inachevée  :  il  employa  son  autorité 
judiciaire  à  faire  cesser  les  rumeurs  que  les  agents 
français  excitaient  autour  des  temples.  Le  26  décem- 
bre 1794-  il  publia  cette  proclamation  : 

«  J'ai  fait  le  tour  de  la  ville  à  l'heure  du  service 
»  divin;  j'ai  vu  les  portes  ouvertes,  les  chariots,  les 
-voitures,  les  piétons  dans  les  rues,  des  enfants 
»  criards  et  des  boutiques  ouvertes  à  Saint-Gervais. 
»  Je  demande  que  le  calme  et  le  silence  soient  obser- 
»  vés  durant  le  culte  et  que  le  dimanche  soit  respecté, 
»  la  profession  de  la  religion  chrétienne  étant  au 
»  nombre  des  droits  et  des  devoirs  du  citoyen.  » 

29 


&S0 

M.  Anspach  ne  se  borna  j>as  à  des  recommanda- 
tions verbales,  il  sévit  régulièrement  contre  les  per- 
turbateurs, et  par  sa  vigilance  Genève  reprit  un  as- 
pect décent  pendant  le  jour  du  repos. 

Les  clubs,  non  contents  d'avoir  momentanément 
bouleversé  le  culte  public,  organisèrent  une  persé- 
cution en  régie  contre  les  pasteurs.  Le  4  8  août  4794, 
ils  présentèrent  un  tableau  des  ecclésiastiques  et  des 
régents  opposés  à  la  révolution,  et  demandèrent  leur 
destitution  immédiate.  Le  gouvernement  ne  voulut 
point  adhérera  cette  odieuse  mesure.  Mais  les  clubs 
dominaient  la  situation  et  résolurent  de  saisir  le  pre- 
mier prétexte  pour  maltraiter  les  suspects.  Les  pas- 
teurs incriminés  étaient,  dans  îa\ille,  MM.  Peschier, 
Lecointe,  Picot,  de  Roches,  Sarasin,  Vaucher,  Mar- 
tin aîné,  Claparède  et  Duby.  —  A  la  campagne,  MM. 
Juven.tïn,  Eymar,  Bouverot,  Bourdillou,  Mestfezat 
et  Choisy. 

Les  clubs  espéraient  surprendre  quelques  murmu- 
res chez  les  pasteurs  à  l'occasion  d'une  grande  spo- 
liation pécuniaire.  Tous  les  citoyens  possédant  encore 
quelque  fortune  étaient  soumis  à  des  taxes  qui  leur 
enlevaient  le  plus  clair  de  leurs  biens.  Le  4  3  août 
4  794,  le  comité  révolutionnaire  s'empara  des  fonds 
de  la  Compagnie,  qui  s'élevaient  à  49,000  francs, 
et  les  pasteurs  trompèrent  l  espérance  des  terroristes 
eu  ne  faisant  entendre  aucune  réclamation. 


451 

Mais  le  noble  silence  que  le  clergé  genevois  obser- 
vait touchant  la  ruine  de  ses  intérêts  matériels  était 
rompu  lorsqu'il  s'agissait  des  privilèges  de  la  chaire 
chrétienne.  Tout  en  évitant  les  sujets  politiques,  ils 
entendaient  conserver  le  droit  de  dire  la  vérité  «  sans 
acception  de  personne.  »  Aussi,  pendant  l'année  de 
la  Terreur,  leurs  sermons  furent-ils  étroitement  sur- 
veillés, et  la  commission  administrative  se  plaignit 
fréquemment  «  des  traits  plus  ou  moins  directs  que 
»  les  ministres  lancent  sur  les  circonstances  politi- 
«  ques,  aigrissant  ainsi  toujours  davantage  les  es- 
»  prils.»  —  La  Compagnie  répond  :  «  Toujours  em- 
»  pressés  au  bien,  nous  écartons  de  la  chaire  chré- 
»  tienne  les  sujets  qui  ne  se  rapportent  pas  à  la  re- 
»  ligionel  à  la  morale  ;  si  une  accusation  formelle  est 
»  portée  contre  nous  par  plusieurs  citoyens,  nous  la 
«discuterons;  mais,  forts  de  notre  patriotisme,  nous 
»  repoussons  les  accusations  de  quelques  auditeurs 
»  malintentionnés  ou  incapables  de  juger  un  sermon. 
»  Nous  userons  de  notre  droit  et  nous  traiterons  le 
»  terrible  sujet  des  malheurs  de  la  patrie  en  em- 
><  ployant  le  tact  et  la  mesure  nécessaires.  Nous  n'é- 
»  pargnerons  rien  de  ce  qui  corrompt  le  caractère 
»  national  et  compromet  le  bonheur  des  sociétés. 
»  Nous  en  parlerons,  non  par  allusions  indirectes, 
x  niais  avec  une  prudence  et  un  courage  éclairés.  » 

Ce  courage  devenait  de  jour  en  jour  plus  néces- 


452 

saire.  Des  dénonciations  rigoureuses  étaient  enregis- 
trées. Ainsi  Ton  accusait  M.  Duby  d'avoir  dit  en 
chaire  :  «Temps  malheureux,  où  la  charité  et  la 
bienveillance  ont  disparu,  où  nous  avons  oublié 
».  le  nom  de  frères  pour  le  remplacer  par  celui  de 
»  parti  !  » 

Le  tribunal,  considérant  que  M.  Duby  abuse  de 
son  ministère  pour  insulter  le  peuple,  ordonne  son 
arrestation.  M.  Duby  prêchait  à  la  Madeleine  et  de- 
vait  être  saisi  en  sortant  du  temple.  De  braves  ou- 
vriers qu'il  avait  secourus  dans  leur  détresse  le  pré- 
vinrent au  pied  de  la  chaire,  et  le  firent  sortir  par 
une  porte  latérale,  tandis  que  les  agents  l'attendaient 
au  milieu  de  La  place  pour  l'arrêter,  lorsqu'il  passe- 
rait revêtu  de  son  costume  ecclésiastique.  M.  Duby 
put  gagner  la  frontière,  et  se  réfugia  à  New- York. 

M.  Chenevière  était  accusé  d'un  délit  analogue. 
On  vint  le  chercher  dans  sa  demeure.  L'escouade 
commençait  à  enfoncer  la  porte,  lorsque  survint  un 
sergent  commandant  une  patrouille  ;  ce  brave  mili- 
taire était  secrètement  dévoué  à  son  pasteur;  il  en- 
tama une  série  de  propos  moqueurs  sur  sa  personne, 
et  finit  par  persuader  aux  accolytes  des  terroristes  de 
laisser  en  paix  «  un  homme  trop  bon  enfant  pour 
»  dire  une  parole  de  traversa  quelqu'un,  »  et  M.  Che- 
nevière échappa  aux  griffes  du  terrible  tribunal. 
M.  Mestrezat,  pasteur  à  Genthod,  était  particuliè- 


4S3 

renient  odieux  aux  clubs  des  Montagnards;  il  fut  dé- 
crété de  prise  de  corps;  mais  ses  paroissiens  l  avant 
prévenu  à  temps,  il  s'échappa  et  se  retira  en  France. 
Plus  tard  nous  le  retrouverons  pasteur  à  Paris,  et 
servant  son  ancienne  patrie  avec  le  zèle  et  le  dévoue- 
ment d'un  bon  citoyen. 

Il  existe  dans  les  papiers  des  familles  des  pasteurs 
dont  nous  faisons  l'histoire  un  grand  nombre  de  ser- 
mons portant,  les  dates  4  794  et  4  795.  Ces  discours 
sont  la  preuve  irrécusable  du  courage  chrétien  et  de 
la  présence  d'esprit  déployés  par  les  ecclésiastiques 
genevois  durant  ces  mauvais  jours.  La  composition 
de  ces  sermons  est  soignée  comme  en  temps  de  paix; 
chaque  phrase  est  minutieusement  pesée,  et  les  tex- 
tes les  plus  fréquemment  traités  sont  ces  passages  : 
Aimez-vous  les  uns  les  autres,  et  confiez-vous  en  l'É- 
ternel sans  craindre  ce  que  l'homme  mortel  peut  faire. 

Si  les  pasteurs  de  la  ville  se  voyaient  ainsi  per- 
sécutés par  les  agents  révolutionnaires,  la  position 
de  leurs  collègues  de  la  campagne  n'était  pas  moins 
fâcheuse.  Les  terroristes  français  agissaient  sans  con- 
tre-poids sur  l'esprit  de  quelques  paysans,  et  les  dé- 
nonciations arrivaient  en  foule  au  tribunal  révolu- 
tionnaire. Un  nommé  Perret  composa  et  répandit 
une  brochure  où  se  trouvent  ces  paroles  (4  8  juillet 
4  794):  «  Et  vous,  bons  habitants  des  campagnes, 
»  les  prêtres  vous  fanatisent  contre  la  révolution?  ils 


»  nous  onl  trompés  et  vous  duperont  encore  ;  ne  les 
»  écoulez  point.  » 

La  Compagnie  voyant  plusieurs  pasteurs  des  pa- 
roisses rurales  fortement  inculpés  et  sous  le  coup  de 
vagues  imputations,  les  convoqua  pour  le  4  9  juillet, 
afin  qu'ils  pussent  répondre  à  leurs  accusateurs.  Mais 
ce  jour  même  éclatait  la  grande  émeule  terroriste, 
et  la  violence  et  la  mort  planaient  sur  Genève. 

On  destitua,  sans  autre  forme  de  procès,  MM.  Ju- 
venlin  ,  pasteur  de  Chêne,  Bouverot  de  Càrtigny, 
Choisy  de  Jussy,  Bourdillon  de  Dardagny  et  Mes- 
trezat  de  Genthod. 

Céligny,  entouré  des  terres  bernoises,  était  à  l'a- 
bri de  toute  atteinte,  et  la  vénération  dont  on  entou- 
rait M.  Cellérier  à  Satigny  éloignait  de  sa  personne 
les  soupçons  et  les  outrages. 

A  Saconnex,  le  culte  se  trouvait  forcément  inter- 
rompu, le  club  révolutionnaire  tenant  ses  séances 
dans  le  temple. 

Les  pasteurs  tolérés  dans  la  ville  soccupaient  au- 
tant que  possible  des  paroisses  rurales;  ils  s'assurè- 
rent que,  sauf  quelques  têtes  exaltées,  les  campa- 
gnards regrettaient  tous  leurs  pasteurs  exilés. 

5  septembre  1794.  —  M.  Peschier  rapporte  qu'il 
a  prêché  à  Chancy,  et  que  les  habitants  sont  dans  la 
consternation  ;  il  les  a  consolés  en  disant  qu'on  fera 
ie  possible  pour  rétablir  le  culte. 


'»55 

17  septembre.  —  A  Genthod,  tes  mêmes  senti- 
ments se  manifestent;  on  fera  un  service  chaque  di- 
manche. 

10  octobre.  —  Les  citoyens  de  Dardagny  et  de 
Russin.  réunis  en  club,  demandent  qu'il  soit  re- 
pourvu au  culte. 

31  janvier  1795.  — M.  Chenevière  rapporte  que 
M.  Eymar  a  couru  personnellement  de  grands  dan- 
gers, mais  que  le  calme  est  revenu  dans  sa  paroisse. 

M.  Eymar  est  mort,  à  la  suite  des  épreuves  de  la 
révolution,  le  5  février  1796.  Après  un  rapport  ho- 
norable pour  le  caractère  de  cet  ecclésiastique,  voici 
le  souvenir  que  lui  consacrent  ses  collègues  en  leurs 
archives  : 

«  Notre  frère,  M.  Eymar,  a  terminé  sa  carrière  à 
»  53  ans.  Sa  maiadie  doit  être  attribuée  aux  secousses 
»  violentes  qu'il  a  dû  supporter  durant  ces  deux  der- 
»  nières  années.  Il  s'est  conduit  avec  courage  et  pru- 
»  dence  au  milieu  des  scènes  affreuses  que  les  terro- 
»  risles  ont  soulevées  dans  sa  paroisse,  mais  ces  épreu- 
»  ves  l'ont  brisé.  » 

Les  agents  français,  dirigés  et  payés  par  Soulavie, 
étaient,  nous  l'avons  dit,  les  principaux  instigateurs 
des  brutalités  commises  sur  le  territoire  genevois. 
Heureusement,  quelques  membres  de  l'administration 
sollicitèrent  le  renvoi  de  cet  infâme  représentant. 
M.  Reybas,  ancien  pasteur,  député  de  la  République 


^56 

à  Paris,  déploya  son  adresse  et  sou  courage  habituels 
et  obtint  du  Comité  de  salut  public  le  rappel  de  Sou- 
lavie;  sa  bande  le  suivit,  et  Ton  put  bientôt  mesurer 
l'étendue  du  service  rendu  par  le  pasteur  Beybas, 
car,  laissés  à  eux-mêmes,  les  Genevois  se  calmèrent, 
les  clubs  abdiquèrent  le  pouvoir,  les  jugements  ré- 
volutionnaires furent  cassés,  et  le  25  mars  4  795 

es  exilés  purent  rentrer  dans  leur  patrie. 

Les  pasteurs  destitués  reprirent  sans  opposition 
leurs  postes  dans  leurs  anciennes  paroisses.  MM  Picot 
et  Sarasin  à  la  ville;  M.  Choisy  à  Jussy;  M.  Bou- 
verol  à  Cartigny.  Il  n'y  eut  d'exception  que  pour 
MM.  Juvenlin  et  Bourdillon.  La  Compagnie  dut  re- 
courir à  l'action  du  pouvoir  civil  pour  forcer  le  jeune 
Ébraï  à  cédei'  la  place  de  Chêne  à  son  vénérable  pré- 
décesseur, et  M.  Moulinié  se  prétendant  appelé  par 
une  mission  céleste  à  demeurer  à  Dardagny,  résista 
à  toutes  les  représentations  de  ses  collègues,  el  refusa 
de  remettre  la  paroisse  entre  les  mains  de  son  de- 
vancier. M.  Bourdillon  fut  obligé  de  s  expatrier,  et 
mourut  en  Amérique  d'une  fièvre  pestilentielle.  Un 
au  plus  tard,  la  Compagnie  appela  M.  Moulinié  à  la 
ville,  el  lui  donna  pour  successeur  à  Dardagn)  M.  de 
Joux,  homme  fort  excentrique. 

Toutefois,  les  souvenirs  de  l'année  précédente 
étaient  loin  d'être  effacés;  les  rancunes  révolution- 
naires se  faisaient  jour  en  maintes  occasions,  et  l'on 


457 

ne  pardonnait  pas  à  certains  ecclésiastiques  ia  fermeté 
déployée  dans  les  plus  mauvais  moments.  M.  Duby 
en  fut  un  exemple.  Il  revint  de  New-York  en  octo- 
bre 1790,  et  le  5  mars  suivant  la  Compagnie  le 
nomma  pasteur  à  Saconnex.  Le  Conseil  refusa  de  con- 
firmer son  élection  «  à  cause  de  sa  conduite  politique 
passée. » 

La  Compagnie  protesta,  «  reconnaissant  à  M.  Duby 
les  plus  honorables  qualités.  »  On  céda  momentané- 
ment, et  deux  mois  plus  lard  M.  Duby  fut  élu  à  la 
ville  sans  aucune  opposition. 

Les  services  réguliers  de  ce  nouveau  serviteur 
étaient  d'autant  plus  nécessaires  à  l'Eglise  qu'elle 
venait  de  perdre  en  M.  Mouchon  l'un  de  ses  plus 
ardents  défenseurs  (avril  1797).  Voici  le  témoignage 
que  la  Compagnie  rendit  à  sa  mémoire  :  «  Il  s'est  mon- 
»  tré  le  boulevard  de  la  religion.  L'esprit  de  nou- 
»  veaulé  ayant  mis  en  problème  si  la  révolution  ne 
»  devait  pas  s'étendre  jusqu'à  la  religion,  et  s'il  de- 
»  vait  y  avoir  une  religion  nationale  à  Genève,  M.  Mou- 
»  ebon  combattit  cette  doctrine  relâchée,  et  triompha 
»  dans  l'assemblée  nalionale,  le  29  janvier  1794  . 
»  Il  fut  un  des  plus  fermes  champions  contre  l'imrno- 
»  ralité,  et  de  son  grand  travail  sur  l'Encyclopédie 
»  il  ressort  l'accord  indestructible  des  lumières  d'une 
»  saine  raison  avec  les  vérités  évangéliques.  » 
Nous  avons  dit  qu'en  1791  le  nombre  des  élu- 


458 

dianls  en  ihéologie  était  considérable,  et  qu'un  esprit 
de  courage  chrétien  animait  ces  jeunes  gens.  Les  an- 
nées de  révolution  interrompirent  forcément  les  tra- 
vaux préparatoires  du  saint  ministère.  L'avenir  du 
pays  paraissant  compromis  pour  de  longues  années, 
la  plupart  des  proposants  se  retirèrent,  et  en  4797 
il  ne  restait  plus  que  cinq  étudiants  en  théologie,  trois 
Genevois  et  deux  étrangers. 

Si  la  jeunesse  avait  cédé  aux  circonstances  exté- 
rieures et  à  l'esprit  du  temps,  les  anciens  pasteurs 
demeurèrent  (idèles  à  leur  poste,  et  se  préparèrent  à 
soutenir  l'Église  dans  les  nouvelles  épreuves  qui  lui 
étaient  réservées. 

Le  règne  de  la  Terreur  avait  cessé,  les  clubs  ne 
répandaient  plus  le  sang  des  citoyens,  et  les  Comités 
ne  dilapidaient  plus  des  fortunes  particulières.  L'or- 
dre et  la  tranquillité  auraient  pu  reparaître  dans  Ge- 
nève, si  le  découragement  et  la  défiance  n'eussent  pas 
paralysé  les  hommes  capables  de  diriger  les  affaires 
publiques.  Aucune  solution  ne  paraissait  possible  pour 
sortir  de  ces  misères  sociales.  Le  Directoire,  qui,  de 
Paris,  surveillait  attentivement  Genève,  jugea  le  mo- 
ment favorable  pour  annexer  à  la  France  la  vieille  cité 
et  son  territoire. 

Le  20  avril  1798,  au  milieu  de  la  stupeur  et  de 
l'affliction  générale,  les  troupes  françaises  prirent  pos- 
session de  Genève. 


459 

Celte  usurpation  fut  accomplie  contre  la  foi  des 
traités,  en  dépit  des  solennelles  assurances  qu'on  avait 
prodiguées  pour  endormir  la  vigilance  des  Genevois, 
et  leur  inspirer  une  confiance  aveugle  en  la  loyauté 
du  gouvernement  français.  L'usurpation  étant  con- 
sommée, il  fallut  se  soumettre,  et  le  résident  Despor- 
tes, témoin  du  deuil  et  des  regrets  amers  de  tous  les 
citoyens,  écrivit  à  ses  chefs  avec  la  bonne  foi  usitée 
en  pareil  cas:  «  Citoyens  directeurs!  Genève  est  dans 
l'allégresse,  et  de  toutes  parts  arrivent  les  plus  fer- 
vents témoignages  de  l'attachement  de  cette  ville  à 
la  grande  nation.  * 

|  V.  1798  v  1805. 

La  nation  genevoise  étant  unie  à  la  République 
française,  de  graves  difficultés  pouvaient  surgir  dans 
l'organisation  de  l'Eglise  et  de  l'instruction  pu- 
blique. 

Un  patriotisme  éclairé,  une  fermeté  intelligente, 
dirigea  les  hommes  chargés  de  traiter  avec  les  agents 
français;  ils  réunirent  tous  les  biens  appartenant  à  la 
République,  et  les  fonds  des  sociétés  religieuses  en  un 
seul  capital,  qui  fut  déclaré  (a  propriété  commune  et 
indivisible  des  citoyens  actuels  de  Genève  et  de  leurs 
descendants.  ' 

Une  commission,  nommée  Société  Économique,,  fut 


'iliO 

chargée,  le  2  mai  4  798,  d'administrer  ces  biens1; 
leur  revenu  fut  employé  au  maintien  du  culte  et  de 
l'instruction  académique,  et  les  directeurs  de  ces 
fonds,  aussi  adroits  que  courageux,  réussirent  à  les 
préserver  de  ces  réquisitions  républicaines  et  impé- 
riales qui  liront  main  basse  sur  des  trésors  beaucoup 
plus  considérables  dans  les  pays  annexés  à  la  France. 
Ces  fonds  se  montaient  à  environ  1 ,500,000  francs, 
dont  194,355  francs  provenant  de  la  Société  des 
prosélytes2. 

Une  commission  pareille,  nommée  Société  de  Bien- 
faisance, fut  chargée  de  l'administration  des  fonds  de 
l'hôpital. 

La  Compagnie  des  Pasteurs  et  le  Consistoire  firent 
tous  leurs  eli'orts  pour  conserver  l'ancien  état  de 
choses. 

Dès  le  !20  avril  4  798,  on  présenta  au  résident 
français  l'adresse  suivante:  «  La  Compagnie  des  Pas- 
»  teurs,  considérant  que,  sous  quelque  gouvernement 
»  que  ce  soit,  le  vrai  moyen  d'affermir  l'autorité  et 
»  d'assurer  le  bonheur  d'un  peuple,  c'est  de  faire  ré- 

1.  En  voici  les  membres  :  Odier-Chevrier  ;  Lasserre,  Jacques  ;  Pictet, 
professeur;  Deona,  Henri;  Butin,  Gabriel;  Martin,  Etienne;  Micheli- 
Labat;  Achard  Trembley;  Claparède,  René;  Roux-Dassier  ;  Lombard, 
Gédéon  ;  P.  Prévost;  Flournois;  Butini,  J. -François  ;  Rocca. 

2.  Celte  Société  avait  été  établie  au  commencement  du  siècle  pour 
donner  une  impulsion  régulière  et  vigoureuse  aux  travaux  nécessaires 
à  la  défense  de  la  république  genevoise  contre  les  efforts  des  puis- 
sances catholiques  qui  désiraient  s'emparer  à  tout  prix  de  cette  ville. 


'461 

»  gner  les  lois  par  les  mœurs,  et  de  fonder  l'empire 
»  des  mœurs  sur  celui  de  la  religion;  considérant  que 
»  la  religion  réformée  contribue  le  mieux  à  ce  double 
»  but.  appuyée  dans  cette  adresse  par  le  peuple  ge- 
»  nevois,  qui  a  manifesté  fermement  l'intention  de 
»  garder  son  culte,  demande  la  conservation  de  ce 
»  qui  existe,  à  savoir  F  Eglise  reconnue,  protégée  et. 
»  salariée  par  l'Etal.  » 

Le  résident  répondit  par  quelques  paroles  favora- 
bles, mais  déclara  qu'en  fait  la  République  genevoise 
ayant  cessé  d'exister,  les  corps  organisés  par  elle 
étaient  par  cela  même  abolis.  Cette  déclaration,  fon- 
dée sur  la  terrible  logique  du  vœ  victis,  mettait  l'É- 
glise de  Genève  dans  un  état  aussi  précaire  que  les 
Églises  de  France. 

Le  Consistoire  de  Genève  se  trouvant  de  fait  anéanti , 
et  la  Compagnie  des  Pasteurs  n'ayant  plus  aucune 
existence  légale,  il  fallait  subvenir  à  celte  triste  po- 
sition. Dans  ce  but,  les  pasteurs  et  les  anciens  nom- 
mèrent une  commission  chargée  de  présenter  un  essai 
de  réorganisation  ecclésiastique.  MM.  Rouslan  etChe- 
nevière,  pasteurs,  Sautter,  ancien,  reçurent  cette 
mission  délicate.  Voici  le  plan  qui  fut  adopté.  «  Les 
liens  de  l'Église  et  de  l'État  étant  rompus,  l'Église 
subsiste  comme  association  particulière,  composée  de 
tous  ceux  qui  sont  admis  à  la  communion  dans  une 
église  réformée.  La  Compagnie  des  Pasleurs  demeure 


462 

avec  ses  anciennes  attributions  pour  diriger  les  affai- 
res religieuses.  Le  culte  est  entretenu  par  les  fonds  de 
la  Société  économique.  Le  Consistoire  est  composé 
de  trois  membres  de  la  Société  Economique  et  de  la 
Société  de  Bienfaisance,  de  tous  les  pasteurs  de  la  ville 
et  d'un  nombre  égal  de  laïques;  il  se  recrute  lui- 
même,  il  est  annoncé  à  l'Eglise,  qui  approuve  ta- 
citement ces  nominations.  La  discipline  se  réduit 
à  de  simples  exhortations  particulières,  sans  obi i 
ger  les  délinquants  à  se  présenter  devant  rassem- 
blée. » 

Ce  mode  de  vivre  dura  jusqu'en  4  802.  Mais  ce 
provisoire  inquiétait  beaucoup  le  clergé  genevois; 
aussi  l'on  profila  du  retour  de  Tordre  sous  le  Consulat 
pour  obtenir  une  consolidation  des  institutions  ecclé- 
siastiques. Les  hommes  qui  rendirent  les  services  les 
plus  signalés  en  cette  occasion,  furent  MM.  Ami  Mar- 
tin, pasteur,  Mestrezal,  pasteur  à  Paris,  Le  Fort  et 
Marc-Auguste  Pictet,  membres  du  tribunal.  Grâce  à 
leur  influence  auprès  de  M.  de  Portalis,  ministre  des 
cultes,  on  obtint  que  l'Église  genevoise  serait  main- 
tenue dans  sa  forme  actuelle  et  reconnue  par  l'Etat, 
pourvu  qu'elle  ne  réclamai  aucune  subvention  pécu- 
niaire du  gouvernement  français. 

Si  la  position  officielle  de  l'Église  fut  tolérable,  les 
Genevois  amis  de  la  religion  eurent  beaucoup  à  souf- 
frir jusqu'à  l'avènement  de  Napoléon  au  pouvoir.  Les 


agents  du  Directoire  se  conduisirent  avec  une  brutale 
grossièreté. 

Le  45  juin  1798,  les  autorités  françaises  étaient 
installées.  Le  17  juin,  les  commissaires  de  police  in- 
terdirent la  sonnerie  des  cloches  pour  le  service  di- 
vin, et  une  circulaire,  signée  par  le  sieur  Monachon 
(de  Carouge),  interdit  aux  pasteurs  de  se  montrer  en 
public  revêtus  du  costume  ecclésiastique.  Le  résident 
Desportes,  apprenant  qu'on  faisait  sonner  deux  fois 
les  horloges  pour  indiquer  l'heure  des  sermons,  dé- 
fendit sévèrement  cette  légère  infraction  à  ses  ordres. 

Le  10  août,  le  commissaire  français  tit  appeler  le 
modérateur  de  la  Compagnie ,  et  lui  adressa  ces  pa- 
roles: «  Le  vœu  du  gouvernement  est  de  propager, 
»  dans  toute  la  France,  le  culte  protestant  de  Genève; 
»  j'estime  que  le  meilleur  moyen  d'y  parvenir  serait 
»  d'aller  spontanément  au-devant  du  désir  que  mani- 
»  feste  le  gouvernement  français  d'avoir  un  culte  re- 
»  ligieux  le  décadi.  Nous  savons  que  le  clergé  de 
»  Genève  est  éclairé,  également  éloigné  du  fanatisme 
»  et  de  la  superstition;  il  est  donc  à  désirer  que,  sans 
»  attendre  les  décrets  qu'on  prépare  pour  la  célébra- 
»  tion  religieuse  du  décadi,  Genève  donne  l'exemple; 
«aussi,  je  vous  prie  d'en  conférer  avec  vos  collè- 
»  gues.  » 

La  Compagnie  déclare  qu'elle  est  inviolablement 
attachée  à  l'institution  divine  du  dimanche,  mais  que 


464 

si  la  cessation  du  travail  est  ordonnée  pour  le  décadi, 
il  sera  convenable  d'y  placer,  ce  jour-là,  des  sermons. 

«  Le  Consistoire  s'unit  à  cette  pensée,  et  déclare 
»  que  le  décadi  étant  sur  le  point  d'être  ordonné  par 
»  la  loi,  il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  remédier 
»  au  danger  qui  en  résulte  pour  la  religion  et  les 
»  mœurs,  que  d'employer  une  partie  de  ce  jour  du 
»  repos  aux  exercices  religieux ,  tout  en  maintenant 
»  le  culte  établi  et  garanti  par  les  dernières  conven- 
»  tiotis.  » 

En  conséquence,  après  une  proclamation  ferme  et 
prudente,  où  les  pasteurs  ne  cèdent  rien  relativement 
au  dimanche,  on  établit  deux  services  à  Saint-Pierre 
et  à  Saint-Gervais,  et  MM.  Martin  furent  chargés 
d'inaugurer  ces  nouvelles  prédications. 

Le  culte,  dirigé  par  des  pasteurs  respectés  par  le 
peuple,  adoucissait  l'amertume  des  scandales  aux- 
quels l'autorité  française  donna  les  mains  pendant  les 
années  1798  et  1799. 

En  effet,  les  agents  du  Directoire,  voulant  solenni- 
ser  à  leur  manière  le  décadi,  établirent  que  les  ma- 
riages seraient  célébrés  ce  jour-là  dans  le  temple  de 
Saint-Pierre.  Cette  décision  constituait  une  espèce  de 
cérémonie  civile  fort  convenable.  Mais  les  commis- 
saires français  avaient  une  autre  pensée;  ils  dési- 
raient accabler  de  ridicule  les  actes  les  plus  sacrés  de 
la  vie  de  famille;  aussi  changèrent-ils  le  mariage  légal 


465 

en  une  vile  parodie;  ils  installèrent  les  musiciens  du 
théâtre  dans  le  temple,  et  lorsque  des  observations 
malicieuses  pouvaient  être  faites  touchant  l'âge,  l'ex- 
térieur ou  la  position  des  époux,  on  faisait  entendre, 
aux  ricanements  de  la  foule,  des  airs  burlesques  et 
moqueurs.  Les  Genevois  honnêtes  gens  s'abstenaient 
d'être  témoins  de  cettre  profanation  ;  les  Français  nou- 
veaux venus  et  quelques  Carougeois  formaient  l'as- 
semblée, et  les  époux  prolestants  s'empressaient  d'ou- 
blier  ces  hideuses  scènes  dans  un  autre  temple,  au 
pied  de  la  chaire  évangélique ,  où  les  attendait  le 
ministre  réformé. 

Le  travail  extérieur  cessait  le  jour  du  décadi.  Mais 
si  les  boutiques  étaient  closes,  les  ateliers  fonction- 
naient sans  scrupule  dans  l'intérieur  des  maisons.  Le 
dimanche  présentait  un  bizarre  aspect  :  des  Genevois, 
attachés  à  la  vieille  République,  fermaient  leurs  ma- 
gasins; ils  faisaient  à  leurs  tenaces  habitudes  religieu- 
ses le  sacrifice  d'un  jour  de  vente,  et  les  temples  se 
remplissaient  d'une  foule  inusitée  depuis  les  crises 
révolutionnaires. 

Le  \  h  août  1800,  le  décadi  fut  aboli  aux  grands 
applaudissements  des  Genevois,  et  la  Société  Écono- 
mique s'empressa  de  faire  les  réparations  nécessaires 
au  temple  de  Saint-Pierre,  largement  détérioré  par 
les  observateurs  du  culte  de  la  Raison  sous  le  Direc- 
toire. 

m.  50 


466 

Durant  cette  pénible  période,  de  4  798  à  1800, 
le  clergé  genevois  sut  unir  le  zèle  à  la  fermeté.  Il 
imposa  les  règles  suivantes  aux  prédicateurs  :  «  Ob- 
»  servez  la  plus  grande  prudence  dans  vos  composi- 
tions, soit  dans  les  conversations  particulières; 
»  gardez-vous  de  pactiser  avec  la  philosophie  mo- 
»derne,  mais  restez  invariablement  attachés  aux 
»  dogmes  el  à  la  morale  évangélique.  Combattez  les 
»  incrédules  par  des  arguments  directs  ;  plaignez  ceux 
»  qui  s'égarent  ;  parlez  avec  douceur  dans  vos  prédi- 
»  cations  touchant  les  erreurs  actuelles;  enfin,  dans 
»  les  services  de  communion,  ayez  soin  de  traiter  au 
»  complet  les  grands  dogmes  de  la  rédemption  et  de 
»  la  résurrection  de  Jésus-Christ.  » 

Le  préfet  manifestait  en  général  beaucoup  de  sym- 
pathie pour  les  prédicateurs;  plusieurs  fonctionnaires 
français  fréquentaient  les  temples;  mais  des  paroles 
mal  sonnantes  troublaient  parfois  le  bon  accord,  et 
l'esprit  de  soupçons  rencontrait  ou  inventait  des  griefs 
contre  les  ecclésiastiques. 

M.  Duby  eut  l'honneur  d'encourir  le  blâme  le  plus 
formel  à  ce  sujet. 

Quelques  jours  après  le  Jeûne  de  1800,  le  préfet 
témoigna  le  plus  grand  mécontentement  de  l'exorde 
du  sermon  de  ce  courageux  pasteur,  et  proféra  des 
menaces  sérieuses  à  son  égard.  Voici  les  paroles  in- 
criminées, et  nos  lecteurs  remercieront  avec  nous 


467 

M.  le  pasteur  des  Eaux- Vives  de  nous  avoir  remis  le 
sermon  de  son  vénérable  père. 

«  Il  y  a  quelques  années,  tout  souriait  à  nos  vœux;  le  nom 
que  nous  portions  était  pour  nous  un  titre  d'honneur;  notre 
commerce  était  florissant,  nos  ateliers  de  toute  espèce  respi- 
raient le  mouvement  et  la  vie,  les  profits  de  notre  industrie 
succédaient  au  delà  même  de  nos  désirs,  l'aisance  était  dans 
nos  maisons,  l'allégresse  dans  nos  cœurs,  et  la  reconnaissance 
nous  conduisait  aux  pieds  du  Protecteur  de  la  patrie.  A  présent, 
de  toute  cette  prospérité,  il  ne  nous  reste  plus  rien,  plus  rien 
que  de  pénibles  souvenirs  ;  à  ce  nom  dont  nous  étions  si  fiers 
se  sont  jointes  de  douloureuses  pensées;  nos  richesses  ont 
disparu,  les  canaux  qui  nous  les  apportaient  se  sont  fermés, 
une  oisiveté  forcée  enchaîne  tous  les  bras,  et,  flétris  par  la  tris- 
tesse, absorbés  par  les  soucis,  livrés  au  découragement,  nous 
pouvons  à  peine  offrir  à  notre  Dieu  d'autre  tribut  que  celui 
de  nos  larmes.  Alors  les  devoirs  auxquels  vos  pasteurs  étaient 
appelés  dans  ce  jour  solennel  étaient  doux  à  remplir;  heureux 
témoins  des  bienfaits  que  Dieu  versait  sur  la  patrie,  ils  lui 
portaient  au  nom  de  tous  l'hommage  de  la  reconnaissance 
générale,  ils  se  plaisaient  à  faire  le  tableau  des  biens  dont  ils 
étaient  entourés,  les  paroles  les  plus  rassurantes  de  l'Ecriture 
servaient  de  texte  à  leurs  exhortations,  ou  si,  à  la  vue  des 
progrès  de  l'immoralité,  ils  annonçaient  les  maux  qui  en  se- 
raient la  suite,  du  moins  c'étaient  des  maux  à  venir,  incer- 
tains, qu'un  retour  à  l'obéissance  pouvait  éloigner  encore. 

»  Pour  nous,  qui  sommes  appelés  à  vous  porter  la  parole 
sainte,  nous,  tristes  spectateurs  des  pertes  que  notre  pays  a 
faites,  nous  ne  pouvons  plus  vous  parler  de  votre  prospérité, 
nous  ne  pouvons  plus  vous  envisager  comme  les  objets  parti- 
culiers de  la  Bonté  céleste;  nous  sommes  forcés  de  prendre  un 
ton  plus  austère  et  plus  assorti  à  la  tristesse  de  nos  cœurs; 
nous  venons  dans  ce  jour  d'humiliation  vous  entretenir  de  vos 
malheurs,  interpréter  à  l'aide  de  la  raison  et  de  l'Ecriturs 


468 

Sainte  les  desseins  de  Dieu  en  vous  les  exposant,  et  vous  exhor- 
ter à  entrer  dans  ses  vues.  Nous  venons  vous  dire  avec  le  pro- 
phète, non  plus  «  que  votre  âme  bénisse  l'Eternel  et  n'oublie 
aucun  de  ses  bienfaits,  »  mais  :  «  Ecoutez  la  verge  et  celui 
qui  l'a  assignée.  » 

On  le  voit,  les  extrêmes  se  touchent;  les  despotes 
républicains  et  les  despotes  couronnés  ne  peuvent  sup- 
porter la  moindre  critique,  et  le  jugement  de  leur 
conduite,  d'après  les  lois  morales,  constitue  souvent 
une  mortelle  injure.  M.  Duby  put  reconnaître  qu'il 
avait  frappé  juste,  puisque  bientôt  après  le  préfet  de- 
manda la  création  d'une  commission  permanente  qui 
s'occuperait  des  plaintes  et  des  observations  portées 
contre  les  pasteurs.  Cette  commission  fut  organisée 
le  25  octobre  1801;  elle  était  composée  de  bons 
Genevois;  aussi  demeura-t-elle  dans  une  paisible  oi- 
siveté. 

L'esprit  religieux  de  Genève  se  manifesta  maintes 
fois  d'une  manière  fort  intéressante  sous  le  régime  du 
Directoire.  Durant  la  révolution,  la  fréquentation  du 
culte  public  avait  notablement  diminué,  et  il  ne  pou- 
vait en  être  autrement.  Mais  un  de  nos  services  divins, 
bien  loin  d'être  abandonné,  avait  toujours  attiré  une 
foule  compacte  et  régulière.  C'était  le  catéchisme  du 
temple  de  la  Madeleine.  M.  Martin-Rey,  chargé  de 
ce  culte,  avait,  depuis  plusieurs  années,  rassemblé 
les  parents  et  les  enfants  avides  de  ses  explications 
pleines  de  chaleur,  de  simplicité,  de  clarté  et  de  vie 


469 

chrétienne.  Nous  avons  entendu  des  vieillards  parler 
avec  émotion  et  reconnaissance  des  catéchismes  de 
M.  Martin-Rey,  après  un  intervalle  de  soixante  années. 

Durant  les  mauvais  jours  de  la  révolution,  les 
instructions  de  M.  Martin  furent  suivies  sans  interrup- 
tion; il  fallait  se  rendre  au  temple  une  demi-heure  à 
l'avance  pour  trouver  des  places.  M.  Martin  aimait 
son  pays  d1  une  affection  passionnée  ;  son  cœur  fut  brisé 
lorsque  la  toute-puissante  déloyauté  du  Directoire 
détruisit  l'ancienne  République  genevoise. 

Le  dimanche  qui  suivit  le  20  avril  1798,  Genève 
étant  déclarée  française,  il  fallait  changer  les  paroles 
de  la  liturgie  :  «  Nous  te  prions  pour  les  magistrats  et 
les  Conseils  de  cette  République.  »  Arrivés  à  ces  mots, 
M.  Martin  fond  en  larmes,  et  dit  :  «  Nous  ne  deman- 
derons donc  plus  à  Dieu  qu'il  lui  plaise  de  bénir  nos 
magistrats  genevois.  Des  étrangers  prendront  place 
dans  nos  prières.  »  L'assemblée  fut  saisie  d'une  dou- 
loureuse émotion,  et  le  culte  ne  put  être  achevé.  Deux 
ans  plus  tard,  le  50  juin  4800,  M.  Martin  mourait 
dans  cette  chaire  où  il  avait  édifié  le  peuple  genevois 
pendant  vingt  années. 

Voici  le  récit  officiel  de  celte  lugubre  et  solennelle 
scène  (Reg.  Comp.  50  juin). 

«  Hier,  au  temple  de  la  Madeleine,  entre  deux  et 
trois  heures  de  l'après-midi,  M.  le  pasteur  Martin- 
Rey  est  mort  d'une  apoplexie  foudroyante.  C'est  dans 


470 

son  dernier  discours  de  catéchisme,  au  moment  où 
il  parlait  de  la  récompense  accordée  au  religieux 
Enoch  et  du  bonheur  réservé  aux  âmes  des  justes 
que  Dieu  le  retira  d'une  manière  à  peu  près  sem- 
blable. » 

Son  ami  intime,  M.  Picot,  ajoute  ces  détails.  «  A 
peine  avait  il  prononcé  ces  paroles  :  «  Enoch  marcha 
avec  Dieu ,  puis  il  ne  parut  plus,  parce  que  Dieu  le 
prit,  »  qu'une  sueur  froide  le  saisit;  il  s'assied,  se 
relève  pour  donner  une  bénédiction  dernière  et  s'af- 
faisse sur  lui  même.  On  accourt  ,  on  lui  fait  respirer 
des  sels,  mais  il  avait  perdu  connaissance.  On  l'em- 
porta dans  une  maison  voisine,  au  milieu  des  larmes 
de  loule  l'assemblée;  les  médecins  et  les  chirurgiens 
arrivent;  la  saignée  est  inutile;  il  a,  pendant  une 
demi-heure,  des  convulsions,  puis  il  expire  sans  pro- 
noncer une  parole.  La  foule  était  telle  autour  de  cette 
maison,  qu'il  fallut  y  placer  des  factionnaires.  La 
sensation  de  cet  événement  est  immense,  et  la  douleur 
universelle.  Une  foule  énorme  accompagne  son  cor- 
tège, et  rien  n'est  plus  émouvant  que  les  sanglots  et 
les  lamentations  des  enfants.  » 

Durant  l'année  4  804,  les  Genevois,  amis  de  leur 
Eglise,  furent  péniblement  affectés  en  voyant  que  la 
part  assignée  au  culte  sur  les  revenus  de  la  Société 
Économique  se  trouvait  très  insuffisante,  et  que  trois 
places  de  pasteurs  au  moins  devraient  être  retran- 


chées.  Une  réunion  de  citoyens  religieux,  MM.  Galla- 
tin,  Naville,  Saladin-de  Budé,  Roux-Dassier  et  Ami 
Martin,  voulurent  remédier  à  ce  pénible  état  de 
choses. 

Le  1 4  janvier  1 802,  ils  fondèrent  une  société  pour 
l'encouragement  du  culte.  Les  collectes  pour  recevoir 
des  fonds  devaient  se  faire  en  grand  secret;  le  gou- 
vernement ne  les  aurait  pas  tolérées.  Pour  atteindre 
ce  résultat,  M.  Ami  Martin  rédigea  l'adresse  suivante, 
dont  un  grand  nombre  de  copies  manuscrites  furent 
répandues  dans  les  familles  attachées  à  leur  culte. 
«  Quelques  personnes  animées  d'un  zèle  religieux 
pour  la  conservation  du  pur  christianisme  parmi  nous, 
désirant  le  soutenir  au  milieu  des  graves  circonstances 
et  des  périls  où  se  irouve  l'Église,  voulant  aider  dans 
leurs  études  les  jeunes  gens  qui  se  destinent  au  saint 
ministère,  désirant  soulager  les  ministres  âgés  et  con- 
server le  même  nombre  de  pasteurs  dans  l'Église  de 
Genève,  invitent  leurs  concitoyens  à  faire  parvenir 
des  dons  ou  des  contributions  annuelles  à  un  comité 
chargé  de  cette  œuvre.  Dans  les  testaments,  on  est 
prié  de  se  servir  des  expressions  suivantes  :  Je  lègue 
à  MM.  Naville  et  Saladin-de  Budé,  ou  aux  personnes 
qu'ils  se  seront  substituées  à  cet  effet,  la  somme  de 
  pour  être  employée  à  l'objet  que  je  leur  ai  dé- 
signé. » 

Cet  appel  à  huis  clos  reçut  un  favorable  accueil, 


472 

et  dans  sa  correspondance,  M.  Ami  Martin  écrit: 
«  Malgré  la  détresse  générale  de  ce  temps  de  guerre, 
malgré  l'anéantissement  du  commerce,  la  conserva- 
tion de  l'Eglise  est  assurée,  et  le  zèle  à  souscrire  ces 
contributions  religienses  est  aussi  grand  que  s'il  s'a- 
gissait d'une  belle  opération  financière.  » 

La  révolution  avait  laissé  de  nombreuses  misères 
sur  son  passage.  Dans  les  familles  pauvres,  la  dé- 
tresse conduisait  au  vice;  on  voyait  un  grand  nom- 
bre d'enfanls  délaissés,  sans  ressources.  Plusieurs 
dames  genevoises  essayèrent  de  remédier  au  mal,  en 
établissant  la  chambre  des  orphelines. 

«  Nous  voulons  essayer,  avec  l'aide  de  Dieu,  dirent 
ces  bienfaitrices  chrétiennes,  non-seulement  de  fournir 
un  soulagement  momentané  à  ces  malheureux  enfants, 
mais  encore  de  créer  un  sort  honorable  à  de  jeunes 
filles  abandonnées  de  leurs  parents  ou  nées  de  parents 
qui  sont  dans  l'impossibilité  de  les  élever.  » 

Celte  fondation,  largement  rétribuée,  arracha,  dès 
l'abord,  plus  de  cinquante  enfants  aux  tentations  du 
vice. 

Les  persécutions  et  les  afflictions  de  l'Eglise  ces- 
sèrent dès  que  Napoléon  se  fut  emparé  du  pouvoir 
suprême;  il  publia  le  concordai  qui  rendait  la  liberté 
et  la  paix  officielle  à  l'Église  catholique  et  aux  com- 
munautés protestantes.  Il  fit  cesser  les  lâches  procé- 
dés en  usage  parmi  les  despotes  révolutionnaires.  Un 


473 

décret,  dont  Genève  fut  reconnaissante,  rendit  au 
culte  public  l'usage  des  cloches.  Nous  avons  vu  qu'elles 
étaient  muettes  depuis  le  4  7  juin  4  798.  Un  village 
seul,  Jussy,  refusait  de  se  soumettre  à  cette  interdic- 
tion, et  M.  Baslard,  pasteur,  déclara  maintes  fois 
qu'il  lui  était  impossible  d'empêcher  la  sonnerie  pour 
le  sermon  du  dimanche. 

Le  4  6  avril  4  802,  une  lettre  du  préfet  à  la  Vé- 
nérable Compagnie  autorise  les  marguilliers  à  se  servir 
des  cloches  selon  l'ancien  usage.  Cette  nouvelle  se 
répand  avec  la  rapidité  de  l'éclair.  Le  dimanche  sui- 
vant était  le  jour  de  Pâques;  ie  premier  culte  avait 
lieu  à  cinq  heures  du  malin;  dès  avant  quatre  heu- 
res, tout  le  monde  était  aux  fenêtres  ou  dans  la  rue, 
et  lorsque  la  Clémence  fit  entendre  sa  puissante  voix, 
ce  furent  des  hourras,  des  cris  de  joie,  des  félicita- 
tions dont  l'énergie  prouva  à  I  administration  fran- 
çaise la  vérité  et  la  puissance  des  traditions  religieuses 
de  Genève. 

Le  23  avril  4  802,  un  Genevois  célèbre  à  l'étran- 
ger par  ses  travaux  de  physique,  vénéré  dans  l'Église 
par  son  zèle  et  son  courage  religieux  durant  les  mau- 
vais jours,  M.  Marc-Auguste  Pictet,  parlait  pour  Paris; 
il  était  nommé  membre  du  tribunat.  «  Je  contribue- 
rai, écrit-il  à  la  Vénérable  Compagnie,  autant  que 
possible,  au  maintien  de  noire  religion,  je  me  ferai 
toujours  gloire  d'en  ôlre  membre.  »  La  Compagnie  le 


474 

chargea  de  remercier  M.  Portalis,  ministre  des  cultes, 
de  la  protection  accordée  à  l'Église  de  Genève.  Elle 
lui  remit  en  outre  une  adresse  pour  Napoléon,  dont 
voici  les  principaux  passages  (Moniteur,  13  mars 
1802). 

«  Les  pasteurs  protestants  demandent  la  permis- 
sion d'exprimer  au  premier  consul  leur  gratitude 
pour  la  liberté  des  cultes. 

»  Une  ville  comme  Genève,  qui  doit  à  la  profession 
du  christianisme  sa  célébrité,  ses  mœurs,  la  direction 
de  ses  lumières  vers  un  but  utile,  une  cité  dans  la- 
quelle la  religion  fait  un  des  principaux  éléments  du 
patriotisme,  ne  saurait  voir  avec  indifférence  la  re- 
naissance de  la  religion  dans  l'empire  dont  elle  fait 
partie.  Les  décrets  relatifs  à  l'Église  protestante  sont 
si  différents  de  ce  qui  existait  jadis  en  France,  que 
c'est  pour  nous  un  sujet  tout  particulier  de  gratitude. 
Le  rang  honorable  que  le  gouvernement  assigne  à 
Genève  parmi  les  Églises  réformées,  en  y  plaçant  le 
séminaire  qui  doit  instruire  tous  les  ministres  protes- 
tants de  France,  est  une  distinction  à  laquelle  notre 
Église  ne  saurait  être  insensible. 

»  Nous  rendons  grâce  à  la  Providence  qui  a  inspiré 
au  premier  consul  le  noble  dessein  de  rendre  la  paix 
à  l'Église  catholique,  si  longtemps  affligée.  Le  senti- 
ment de  fraternité  et  de  charité  qui  nous  a  fait  éprou- 
ver une  vive  douleur  pour  les  calamités  de  celte  Église, 


475 

ce  sentiment  nous  a  engagés  à  soulager,  autant  que 
nous  l'avons  pu,  ceux  des  ministres  catholiques  qui 
ont  cherché  un  asile  dans  nos  murs.  Notre  vœu  le 
plus  ardent,  c'est  que  cette  communauté  de  senti- 
ments, cette  union  cimentée  dans  les  mauvais  jours, 
dure  pendant  la  prospérité,  et  ,  pour  l'entretenir,  nous 
parlerons  à  notre  troupeau  des  principes  communs  à 
toutes  les  Églises,  bien  plus  que  des  différences  qui 
les  séparent.  » 

Le  20  mai  1802.  M.  Portalis  remercie  la  Compa- 
gnie de  sa  lettre.  «  Napoléon,  dit-il,  est  le  soutien  et 
le  réparateur  delà  liberté  chrétienne;  il  vous  invite 
à  participer  à  son  œuvre.  » 

Cette  bonne  volonté  du  premier  consul  se  mani- 
festa de  la  manière  la  plus  favorable  envers  la  reli- 
gion réformée  en  notre  ville. 

Le  16  septembre  1805,  il  confirmait  officielle- 
ment l'existence  de  l'Église  genevoise,  conservait  les 
pasteurs  antérieurement  établis;  les  formes  de  l'élec- 
tion demeuraient  les  mêmes;  la  Compagnie  demandait 
l'autorisation  de  remplir  les  vacances  des  paroisses, 
choisissait  les  ministres,  et  le  gouvernement  confir- 
mait le  titulaire  nommé. 

Ainsi  dirigée  et  protégée,  l'Église  genevoise  con- 
servait son  caractère  et  son  existence  au  milieu  de  la 
ruine  des  institutions  politiques  et  civiles  de  l'ancienne 
République.  Toutefois,  sous  le  rapport  moral,  la  pé- 


476 

riode  française  ofl're  de  graves  lacunes  el  mérite  de 
sérieux  reproches.  Une  espèce  de  vertige  et  de  torpeur 
avait  endormi  les  consciences;  l'incertitude  des  évé- 
nements, les  catastrophes  imminentes,  au  lieu  de 
porter  les  co'urs  à  des  pensées  sérieuses,  jetaient  tou- 
tes les  classes  de  la  société  dans  l'abus  des  plaisirs 
bruyants.  Genève  cédait  à  l'influence  française,  et 
les  discours  des  pasteurs  sont  émaillés  des  plus  rudes 
reproches  touchant  les  excès  du  luxe  et  l'oubli  des 
épreuves  récentes. 

D'autre  part,  la  majorité  des  Genevois  conser- 
vait le  culte  du  passé,  protestait  contre  ces  tristes 
importations  du  dehors,  et  montrait  un  attachement 
sérieux  à  son  ancienne  Eglise. 

Le  culte  était  suivi  avec  une  espèce  de  jalousie 
nationale.  Les  foules  nombreuses  formant  la  seule 
pompe  extérieure  des  temples  protestants,  le  peuple 
écoutait  avec  un  zèle  sympathique  ses  prédicateurs 
privilégiés,  iMM.  Cellérier,  Picot.  Vaucher  et  Duby. 
Leurs  voix  éloquentes  électrisaient  les  grandes  assem- 
blées, remuaient  les  consciences,  rattachaient  le  passé 
aux  temps  actuels,  et  faisaient  espérer  le  retour  de 
l'ancienne  nationalité.  C'était  un  louchant  spectacle 
que  ce  culte  public  dans  une  ville  à  laquelle  les  bruits 
de  guerre  ne  laissaient  aucun  instant  de  repos.  Les 
proclamations  des  bulletins  des  grandes  armées,  les 
coups  de  canon  pour  les  victoires,  les  réjouissances 


477 

officielles,  étaient  des  choses  extérieures,  étrangères 
aux  Genevois.  La  patrie  existait  encore  dans  l'inté- 
rieur du  temple;  en  franchissant  les  portes  de  Saint- 
Pierre,  on  se  retrouvait  pendant  une  heure  ou  deux 
au  sein  de  la  vieille  Genève  protestante.  On  se  pres- 
sait pour  recueillir  les  suaves  paroles,  les  consolations 
chrétiennes,  les  évangéliques  instructions  de  M.  Cel- 
lérier.  On  se  pressait  pour  avoir  la  conscience  remuée 
par  les  austères  conseils,  les  ferventes  prières,  les 
énergiques  encouragements  au  devoir  de  M.  Vaucher. 
On  se  pressait  pour  raviver  sa  foi  aux  solennell.  s  ex- 
positions du  dogme  chrétien,  qui,  dans  la  bouche  de 
M.  Picot,  revêtaient  l'autorité  d'un  apologiste  vieilli 
par  quarante  années  de  luttes  contre  l'incrédulité  et 
le  matérialisme.  On  se  pressait  pour  élever  son  âme 
aux  contemplations  de  la  sagesse  divine  et  des  es- 
pérances de  l'immortalité  évangélique  offertes  par 
M.  Duby,  avec  autant  de  clarté  dans  l'expression, 
que  de  profondeur  dans  la  pensée.  Dans  les  sermons 
de  Jeûne  et  de  solennité,  chaque  allusion  au  passé 
causait  un  frissonnement  électrique;  la  conscience 
frappée  des  fautes  qui  avaient  précipité  la  chute  de 
Genève,  acceptait  volontiers  les  reproches.  On  atten- 
dait un  meilleur  avenir. 

En  dehors  du  culte,  les  pasteurs  s'appliquaient  à 
combattre  les  tendances  immorales.  Une  odieuse  lit- 
térature, reste  impur  des  plus  mauvais  jours  du  dix- 


478 

huitième  siècle,  était  clandestinement  dévorée  dans 
les  salons  et  les  ateliers  de  Genève.  Les  pasteurs  or- 
ganisèrent une  sérieuse  manifestation  contre  cet  abus. 
M.  Cellérier  rassembla  les  ressources  de  son  éloquence 
et  de  sa  foi,  et  prononça  sur  ce  sujet  un  discours  qui 
bouleversa  les  consciences.  Les  personnes  âgées  affir- 
maient que  jamais  elles  n'avaient  été  témoins  d'une 
émotion  aussi  profonde  dans  les  temples  genevois. 

A  la  suite  de  cette  prédication,  une  association  se 
forma  pour  la  destruction  des  mauvais  livres.  MM.  Ba- 
let  et  Clioisy  en  furent  les  directeurs;  ils  achetaient 
ces  tristes  productions  du  génie  du  mal.  L'argent  était 
abondamment  fourni  par  les  amis  de  la  religion.  Ces 
dignes  agents  avançaient  dans  leur  délicate  mission, 
lorsqu'un  brocanteur  genevois  eut  l'odieuse  pensée 
de  spéculer  sur  cette  pieuse  association  ;  il  fit  venir 
de  Lyon  des  ballots  considérables  des  ouvrages  pros- 
crits, et  les  vendit  aux  pasteurs  comme  le  résultat 
de  ses  investigations  dans  Genève.  La  ruse  fut  bientôt 
découverte;  un  juste  mépris  châtia  l'ignoble  brocan- 
teur, et,  malgré  cet  échec,  les  mauvais  livres  dimi- 
nuèrent dans  une  proportion  notable,  et  la  moralité 
publique  fut  sérieusement  sauvegardée  par  les  efforts 
de  l'Église. 

Nous  avons  rapporté  l'impression  que  produisit  à 
Paris  M.  Martin  lorsqu'il  prononça  son  discours  à  la 
réception  du  sacre.  Ce  digne  pasteur  profila  de  sa 


479 

position  pour  servir  son  pays.  Il  recul  le  plus  cha- 
leureux accueil  du  ministre  des  cultes;  il  demanda 
un  sérieux  appui  dans  l'exercice  de  la  discipline  du 
Consistoire,  la  protection  et  le  respect  des  droits  de 
la  Société  Economique,  et  l'exemption  du  service 
militaire  en  faveur  des  étudiants  en  théologie.  Du 
reste,  pas  un  mot  de  flatterie  :  la  soumission  aux 
lois,  la  vérité  religieuse,  voilà  le  discours  du  pas- 
teur de  Genève. 

La  rigueur  impériale  était  extrême  louchant  la 
conscription;  on  lui  promit  de  fermer  les  yeux  et  de 
multiplier  les  cas  d'indulgence;  mais  il  n'était  pas 
possible  de  transformer  cette  exception  en  une  loi 
positive.  •  Du  reste,  disait  M.  Pelet  de  la  Lozère  à 
M.  Martin,  vos  aspirants  au  saint  ministère  ne  sont 
pas  maltraités  par  vos  préfets.  »  M.  Martin  sourit  et 
jugea  prudent  de  ne  pas  répondre.  En  effet,  M.  de 
Barante,  et  le  maire,  M.  Maurice,  fermaient  les  yeux 
sur  les  étranges  certificats  du  docteur  Odier,  qui  at- 
testaient des  infirmités  précoces  et  un  état  de  santé 
délabré  chez  des  étudiants  qui,  après  un  long  et  ho- 
norable ministère,  ont  passé  une  vieillesse  honorée 
parmi  leurs  nombreux  amis. 

La  mission  de  M.  Martin  eut  une  heureuse  in- 
fluence pour  Genève  et  consolida  la  position  de  la 
Société  Économique  et  de  l'hôpital;  ces  fondations 
furent  respectées,  et  certes  on  n'oblint  pas  ce  résultat 


480 

sans  beaucoup  de  peines  et  de  démarches.  Les  capi- 
taux collectifs  sont  une  tentation  puissante  en  temps 
de  guerre,  et  la  fortune  des  anciens  Genevois  courut 
de  grands  dangers.  Un  mauvais  payeur,  à  qui  la 
Société  Économique  n'avait  pas  voulu  prêter  quelque 
argent,  publia  un  mémoire  touchant  cette  fortune 
nationale  dont  il  demandait,  disait-il,  le  partage  au 
nom  de  6000  citoyens.  Ce  mémoire  excita  un  vif 
intérêt  au  ministère  des  finances,  et  les  fonds  gene- 
vois auraient  promptement  suivi  la  rouie  du  trésor 
de  Berne,  sans  les  efforts  persévérants  de  MM.  Ami 
Martin,  Micheli-Labat,  Yernet-Pictet,  Le  Fort  et 
Pictet-Diodali.  C'est  à  la  haute  influence,  au  dévoue- 
ment de  ces  bons  citoyens,  que  Genève  doit  la  con- 
servation et  la  jouissance  actuelle  de  son  patrimoine. 

En  résumé,  dans  les  relations  officielles,  la  posi- 
tion de  Genève,  sous  le  régime  impérial,  eût  été  fa- 
vorable sans  les  souvenirs  de  la  liberté  passée  et  les 
exigences  de  l'impôt  du  sang  qui  décimait  la  popu- 
lation. 

Les  fêtes  militaires,  l'enivrement  des  victoires, 
exaltaient  l'amour- propre  de  la  nation  française;  la 
grandeur  des  triomphes  voilait  le  prix  du  sang  auquel 
on  acquérait  cette  gloire.  Les  Français.,  on  comprend 
que  leur  sentiment  national  fût  exalté,  et  qu'en  voyant 
les  frontières  de  l'empire  s'étendre  des  plages  sablon- 
neuses du  Nord  aux  rives  enchantées  du  Midi,  ils  ou- 


m 

bliassent  les  victimes  sacrifices  clans  chaque  combat. 
Mais  les  peuples  agglomérés  par  force  à  l'empire, 
mais  les  républicains  conservant  l'amour  du  passé, 
mais  les  Genevois  ayant  vécu  250  ans  libres,  ne  ver- 
sant le  sang  que  pour  la  défense  de  leurs  murailles! 
quelle  ditïérence  et  quelle  misère  ! 

Il  fallait  remplir  les  vides  des  régiments ,  il  fallait 
que  les  jeunes  hommes  valides  devinssent  de  la  chair 
à  canon,  il  fallait  voir  partir  les  enfants!  les  écoliers 
de  seize  ans  tiraient  à  la  conscription  !  toutes  les  joies 
de  la  famille  étaient  détruites.  Les  plus  purs  senti- 
ments du  père  et  de  la  mère  étaient  froissés  et  brisés. 
L'ordre  de  la  nature  était  renversé.  Celte  joyeuse 
bénédiction  que  nous  adressons  chaque  malin  au  ciel 
pour  la  santé  et  les  forces  d'un  enfant  se  remplaçait 
par  des  vœux  secrets  appelant  une  maladie,  un  acci- 
dent qui  laisserait  au  moins  végéter  un  fils  dans  la 
maison  paternelle. 

On  se  souvient  de  celte  chaîne  militaire  de  vingt  à 
trente  jeunes  hommes  liés  deux  à  deux,  un  pain  de 
munition  sous  le  bras,  et  marchant  à  la  gloire  les  yeux 
baignés  de  larmes,  accompagnés  par  leurs  parents  se 
tordant  les  bras  de  désespoir.  On  se  souvient  de  ces 
enfants  de  dix-huit  ans,  fusillés  sur  nos  remparts  pour 
s'être  dérobés  pendant  quelques  jours  au  service. 
Puis,  qu'on  se  représente  l'état  des  familles  après  le 
tirage  au  sort  et  le  départ  des  enfants!  Tout  repos  est 

IIS.  ôt 


US-2 

anéanti!  Comment  se  livrer  au  sommeil  quand  un  fils 
soutire  au  loin  des  intempéries  de  la  saison;  comment 
conserver  un  moment  de  paix .  lorsque  les  batailles  ont 
lieu  chaque  semaine,  et  que  !a  liste  des  morts  peut 
arriver  le  lendemain? 

Au  sacrifice  des  jeunes  gens  se  joignait  le  dévoue- 
ment des  pères  âgés  de  quarante  ou  cinquante  années, 
qui,  ne  pouvant  suffire  à  l'entretien  de  leur  ménage, 
se  vendaient  au  service  militaire  pour  faire  vivre  leur 
famille  du  prix  de  leur  conscription.  Ailleurs,  on 
voyait  «les  maisons  riches  peu  à  peu  ruinées  par  les 
sommes  énormes  payées  pour  les  remplaçants;  plu- 
sieurs ont  racheté  leur  fils  jusqu'à  cinq  fois.  On  voyait 
les  pauvres  hypothéquer  leur  dernier  morceau  de 
terre  pour  épargner  leurs  enfants. 

Alors,  sur  notre  territoire,  se  développa  ce  que 
j'appellerai  le  commerce  de  la  chair  humaine.  De 
vieux  spéculateurs,  des  avares,  des  usuriers,  ayant 
conservé,  au  travers  de  la  révolution,  des  dépôl> 
d*or  considérables,  parcouraient  les  campagnes,  le 
lendemain  du  tirage  au  sort;  ils  entraient  chez  les 
familles  frappées  par  la  conscription;  ils  demandaient 
une  pièce  de  terrain  de  cinq  à  six  fois  la  valeur  de 
l'argent  avancé.  Le  sacrifice  se  faisait  avec  une  espèce 
de  joie.  Souvent  le  nouveau  soldat  refusait  de  consom- 
mer la  ruine  de  ses  parents  et  de  ses  sœurs;  il  re- 
poussait l'usurier  et  partait  pour  Tannée!  Souvent 


483 

aussi  le  premier  sacrifice  était  inutile;  une  nouvelle 
campagne  exigeait  de  nouveaux  conscrits;  les  pre- 
miers remplaçants  ne  comptaient  plus;  on  devait 
partir  ou  en  trouver  d'autres.  L'usurier  reparaissait, 
et  la  ruine  du  cultivateur  était  consommée. 

Les  noms  de  ces  hommes,  je  les  tairai;  la  Provi- 
dence leur  a  infligé  le  plus  rude  châtiment  qu'ils  aient 
pu  souffrir  dans  la  vie  préseule,  savoir,  la  perte  de 
ces  fortunes  tachées  du  sang  de  leurs  frères.  Si  j'ai 
parlé  de  ces  misères  de  la  conscription,  c'est  pour 
rappeler  le  rôle  de  l'Église  protestante  et  de  ses  amis 
dans  ces  jours  de  deuil.  Tous  les  remplaçants  dans 
les  familles  pauvres  n'ont  pas  été  payés  avec  l'ar- 
gent des  usuriers  :  les  pasteurs  s'adressaient  à  leurs 
paroissiens  riches,  et  souvent  ceux  qui  venaient  de 
faire  de  coûteux  sacrifices  pour  eux-mêmes,  inscri- 
vaient une  forte  somme  sur  la  liste  destinée  à  ra- 
cheter l'enfant  d'un  père  dénué  de  fortune.  D'au- 
tres, à  la  sollicitation  de  leur  pasteur,  payaient 
l'usurier  ou  levaient  l'hypothèque  du  sang  pour 
prévenir  la  ruine  du  paysan.  Les  pasteurs  s'atta- 
quaient aux  usuriers  eux-mêmes,  et  plus  d'une  fois 
leurs  supplications,  mêlées  d'accents  sévères,  ont 
fait  vibrer  ces  consciences  hronzées,  et  remplacé  le 
culte  de  Mammon  par  celui  du  Dieu  vivant.  Presque 
toujours,  à  la  sollicitation  des  pasteurs,  les  héritiers 
des  vieux  usuriers  ont  fait  la  remise  de  la  dette, 


ou  du  moins  réduit  la  somme  à  ce  qu'autorisait  le 
ta  uxlégal. 

On  a  vu  des  personnes  tellement  désireuses  de 
cacher  en  Dieu  leur  œuvre,  et  de  ne  pas  blesser  la 
délicatesse  de  leurs  concitoyens,  qu'elles  apportaient 
au  pasteur  de  la  paroisse  des  sommes  considérables 
pour  le  rachat  des  enfants,  et  le  pasteur  lui-même  ne 
connaissait  pas  le  donateur.  Les  noms,  je  pourrais 
les  citer;  mais  les  fils  dont  les  pères  ont  diminué 
l'héritage  en  conservant  des  citoyens  à  la  patrie  ge- 
nevoise ne  voudraient  pas  voir  l'œuvre  de  leurs  pa- 
rents publiée.  Ces  vrais  chrétiens,  cachés  en  Dieu,  ne 
seront  pas  plus  connus  que  ne  le  sont  les  personnes 
qui,  cent  ans  auparavant,  donnaient  jusqu'à  leur  der- 
nier sou  pour  les  fugitifs  de  Pédit  de  Nantes. 

Telle  fut  l'œuvre  de  l'Église  genevoise  de  1790 
à  4  815.  Lorsque  sonna  l'heure  de  la  délivrance, 
lorsqu'au  congrès  de  Vienne,  Genève,  protégée  par 
son  passé,  soutenue  par  ses  amis,  reprit  sa  place  parmi 
les  nations  libres,  la  Compagnie  des  Pasteurs  et  le 
Consistoire  vinrent  féliciter  le  gouvernement  du  retour 
de  l'indépendance. 

Le  premier  syndic  leur  dit  :  «  Messieurs,  vous  avez 
continué  la  République  au  travers  de  la  conquête,  et 
pendant  que  la  patrie  genevoise  était  au  tombeau, 
l'Église  a  veillé  près  d'elle.  » 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES. 


.'s  87 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


i 


EiNTREPK LSES  CONTRE  GENÈVE. 


Archives  <|p  Cour,  12*  catégorie,  paquet  7,  f<>f>9. 

Un  seigneur  de  Simiane  employa  successivement  des  entre- 
preneurs de  surprises,  Granavel,  Baudichon  et  Roussillon  du 
Château-Blanc;  leurs  efforts  échouèrent  contre  la  vigilance  des 
Genevois,  et  les  attaques  à  main  armée  offrant  peu  de  chan- 
ces, le  clergé  voulut  soulever  de  nouveau  l'opinion  du  monde 
catholique. 

De  Simiane  à  Charles-Emmanuel,  '21  juin  1669. 

Un  nommé  Granavello,  de  Genève,  passe  au  service  de  Vo- 
tre Altesse  moyennant  une  pension  de  1000  livres.  L'avocat 
Villa,  qui  sera  dimanche  aux  pieds  de  V.  À.,  lui  dira  qu'il 
est  possihle  de  conduire  et  de  maintenir  un  corps  de  10,000 
fantassins  et  do  1000  chevaux  sans  beaucoup  de  temps  et  de 
bruit  qui  renverseraient  nos  projets,  il  serait  diflicile  que  ce 
corps  put  prendre  pied  dans  la  place  en  ne  l'attaquant  que  du 
côté  de  Cornavin.  N'ayant  pas  d'autre  part  de  barques  sur  le 
lac,  toutes  les  tentatives  sont  inutiles,  si  on  ne  l'ait  pas  l'en- 
ceinte continue,  et  certes,  au  bruit  de  la  venue  de  cette  ar- 
mée les  fusils  seronlsur  notre  dos  en  un  instant,  et  les  Gene- 
vois se  tiendront  sur  leurs  gardes  et  résisteront  jusqu'à  la 
mort . 


&88 

Le  marquis  de  Lucinge,  janvier  4670. 

Ou  se  rendra  maître  de  la  ville  avec  2000  hommes  et  300 
chevaux.  11  en  faut  1000  et  300  chevaux  introduits  secrète- 
ment à  Annecy  et  à  Thonon:  il  faut  les  faire  partir  un  diman- 
che soir  et  attaquer  à  ['improviste  le  lundi  matin.  Chaque 
homme  portera  un  fusil  léger  et  15  coups  de  munition.  On 
arrêtera  tout  le  inonde  dans  les  villages  pour  empêcher  qu'on 
donne  l'alarme.  11  faut  attaquer  par  Rive,  vu  qu'à  Neuve  le 
corps-de-garde  est  trop  éloigné  ;  il  faudrait  le  forcer,  et  cela 
donnerait  l'alarme.  Il  faut  des  bombardes  et  des  grenades  pour 
donner  le  feu  à  quelques  maisons.  Il  faut  des  haches  pour  en- 
foncer la  porte  de  la  tour  où  sont  les  munitions.  En  entrant 
il  faudra  que  40  maîtres  aillent  à  bride  abattue  des  Bouche- 
ries par  la  rue  de  damier  le  Rhône. 


489 


11 


TABLEAUX 

]>ES  DIFFÉRENTES  HEURES  DU  SERVICE  DIVIN 
DANS  L'ÉGLISE  DE  GENÈVE. 
DE  1538  A  1803. 


1er  TABLKAl. 


DE  LA  RÉFORMATION,  1538  A  4654. 


SAINT  PIERRE.                 SAINTGERVAIS.  MADELEINE. 

Dimanche. 
5  h.  malin,  sermon, 
i  9  h.  malin,  sermon, 
j  2  h  ap.  midi,  sermon. 

Dimanche. 
5  li.  malin,  sermon . 
Midi,  catéchisme. 
2  h.  sermon. 

Dimanche. 
9  h.  sermon. 
Midi,  calécliisme. 
2  h.  sermon. 

Mardi. 
C  h.  malin,  sermon. 

Mardi. 
<>  h.  malin,  sermon. 

Mardi, 
fi  h.  malin,  sermon. 

Mercredi. 
6  h.  matin,  sermon. 

Mercredi. 
6  h.  malin,  sermon. 

Jeudi. 
5  h  matin,  sermon. 

Jeudi. 
■>  h.  matin,  sermon. 

Jeudi. 

Vendredi. 
2  h.  sermon. 
9  h.  cotiffrég.  Audit. 

Vendredi. 
6  h.  matin,  sermon. 

Vendredi. 
6  h.  malin,  sermon. 

Samedi. 
6  h.  sermon. 

Samedi. 
6  h.  sermon. 

Samedi. 

PRÉPARATION  A   LA  SAINTK  CKEtB. 

Mardi. 
3  heures,  la  semaine 
de  la  communion. 

Mardi. 
:t  heures,  la  semaine 
de  la  communion. 

La  Sainte  Cène  est  célébrée  une  seule  fois  aux  quatre  grandes  • 
fêtes.  —  On  ne  célèbre  pas  Noël  ni  l'Ascension. 

494 

T  TABLEAl . 


DE  i  li.Vi  A  1694. 


SAINT-PIERRE. 

SAINT-GERVAIS.  MADELEINE. 

Dimanche. 
5  h.  matin,  sermon. 
9  h.  malin,  sermon. 
■1  h.  ap.  midi,  sermon. 

Dimanche . 
5  li.  malin,  sermon. 
Midi,  catéchisme. 
2  h.  sermon. 

Dimanche. 
'.)  h.  sermon. 
Midi,  catéchisme. 
2  h.  sermon. 

Mardi. 
7  h.  matin,  sermon. 

Mardi.  Mardi. 
7  h.  malin,  sermon,  j  7  h.  malin,  sermon. 

Mercredi. 
7  h.  malin,  sermon. 

Mercredi. 
7  h.  matin,  sermon. 

Mercredi. 

Jeudi. 
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Jeudi. 
.">  h.  matin,  sermon. 

Vendredi. 
î>  h.  congrég.  Audit, 
j  2  h.  sermon. 

Vendredi. 
7  h.  malin,  sermon. 

Vendredi. 
7  h.  matin,  sermon.  ; 

492 

3e  TABLEAU. 


DE  1704  A  1715. 


SAINT-PIERRE. 

MADELEINE. 

SAINT  GERVAIS. 

SAINT-GERMAIN. 

Dimanche. 
Hiver, 
i"  oct.  à  Pâques. 
9  h.  sermon. 
2  h.  sermon. 

Eté. 
5  h.  sermon. 
2  h.  sermon. 

Dimanche. 

9  h.  sermon. 
Midi,  eatéch. 
2  h.  sermon. 

Dimanche. 
Hiver. 

9  h  sermon. 
Midi,  catécu. 
2  h.  sermon. 

Eté. 
5  h.  sermon, 
midi,  catéch. 
2  h.  sermon. 

Dimanche. 

9  h.  sermon. 
2  h.  sermon. 

Mardi. 
9  h.  Prière  lit. 
lecl.  d'un  chap. 
courte  explicat. 
2  h.  prière. 

Mardi. 
9  h.  gr.  prière. 

Mardi. 
9  h.  comme  à 
Saint-Pierre. 
2  h.  gr.  prière. 

Mardi. 

.Mercredi. 
Il  h.  prière  lilur. 

Mercredi. 

Mercredi. 
2  h.  prière  lit. 

.Mercredi. 

Jeudi. 
Hiver,  rien. 
De  Pâques  au 
i"  octobre. 
5  h.  prière. 

Jeudi. 

Jeudi. 
Hiver,  rien. 
De  Pâques  au 
1"  octobre. 
5  h.  prière. 

Jeudi. 
Hiver,  rien. 
De  Pâques  au 
1er  octobre. 
5  h.  prière. 

Vendredi. 
9  h.  prière. 

Vendredi. 
2  h.  prière. 

Vendredi. 
2  h.  prière. 

Vendredi. 

Samedi. 
1  9  h.  prière  lit. 

Samedi. 

Samedi. 
9  h.  prière. 

Samedi. 

495 


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49C 


III 


FORMULE  DU  CONSENSUS. 

Canon  I. 

Dieu,  dont  la  bonté  et  la  grandeur  sont  intunes,  a  non  seule- 
ment fait  rédiger  par  écrit  par  Moïse,  par  les  prophètes  et 
par  les  apôtres,  la  Parole  qui  est  la  puissance  à  tout  croyant, 
mais  il  a  encore,  jusqu'à  cette  heure,  veillé  continuellement 
avec  une  affection  paternelle  sur  ce  Livre  pour  empêcher  qu'il 
ne  lut  corrompu  par  les  ruses  de  Satan,  ou  par  quelque  arti- 
fice des  hommes.  L'Église  reconnoît  donc  avec  beaucoup  de 
raison  que  c'est  à  une  grâce  et  une  faveur  de  Dieu  toute  parti- 
culière, qu'elle  est  redevable  de  ce  qu'elle  a  et  de  ce  qu'elle 
aura  jusqu'à  la  fin  du  monde.  La  parole  des  prophètes  renferme 
les  saintes  Lettres,  dont  un  seul  point  et  un  seul  iota  ne  pas- 
sera point,  non  pas  même  quand  1rs  rieur  et  la  terre  passeront. 

Canon  1 1 . 

Les  livres  hébreux  du  V.  T.  en  particulier,  que  nous  avons 
reçus  de  l'Église  judaïque,  à  qui  les  oracles  de  Dieu  furent  au- 
trefois confiés;  ces  livres  que  nous  conservons  encore  aujour- 
d'hui sont  authentiques,  tant  par  rapport  à  leurs  consonnes 
que  par  rapport  à  leurs  voyelles.  Par  ces  voyelles  il  faut  en- 
tendre les  points  eux-mêmes,  ou  du  moins  leur  valeur  :  ils 
sont  aussi  divinement  inspirés,  tant  pour  les  choses  mêmes 
que  pour  leurs  expressions,  de  sorte  qu'ils  doivent  être  avec 
les  écrits  du  Nouveau  Testament  la  seule  règle  invariable  de 
notre  foi  et  de  nos  mœurs.  C'est  avec  cette  règle  qu'il  faut 
examiner,  comme  avec  une  pierre  de  touche,  toutes  les  ver- 
sions, orientales  ou  occidentales,  et  si  elles  s'en  écartent  en 
quelque  chose,  il  faut  les  y  rendre  conformes. 

Canon  III. 

Nous  ne  pouvons  donc  point  approuver  le  sentiment  de 
ceux  qui  posent  en  fait  que  la  manière  dont  on  lit  le  texte 
hébreu  n'a  été  établie  que  par  la  volonté  des  hommes.  Dans 


&97 

les  endroits  où  ils -ne  trouvent  pas  à  leur  gré  cette  manière 
de  lire,  ils  ne  se  font  aucune  peine  de  la  rejeter  et  de  la  cor- 
riger par  les  versions  grecques  des  LXX  et  des  autres  inter- 
prètes, par  le  texte  samaritain,  par  les  paraphrases  chaldaïques 
ou  par  d'autres  versions  encore.  Ils  vont  même  quelquefois 
jusqu'à  suivre  les  corrections  que  la  seule  raison  leur  dicte. 

Ainsi,  ils  ne  connoissent  pour  authentique  aucune  autre 
leçon  que  celle  qu'on  peut  déterminer  en  comparant  les  unes 
avec  les  autres  les  différentes  éditions,  sans  en  excepter  même 
celle  du  texte  hébreu,  qu'ils  prétendent  avoir  été  altéré  en 
plusieurs  manières.  Ils  veulent  que  chacun  se  serve  de  son 
propre  discernement  dans  l'examen  des  diverses  leçons.  En- 
fin, ils  soutiennent  que  les  exemplaires  hébreux  que  nous 
avons  aujourd'hui  ne  sont  pas  les  seuls  qu'il  y  ait  jamais  eu, 
puisque  les  versions  des  anciens  interprètes  diffèrent  de  notre 
texte  hébreu,  ce  qui  est.  encore  aujourd'hui,  une  preuve  que 
les  livres  hébreux  n'étoient  pas  entièrement  uniformes.  De 
cette  manière,  ils  ébranlent  le  fondement  de  notre  foi  et  por- 
tent atteinte  à  son  autorité,  toute  digne  qu'elle  est  de  notre 
respect  le  plus  profond. 

CanoiN  iV. 

Dieu  fit,  avant  la  création  du  monde,  le  Décret  des  Siècles 
en  J.  C.  N.  S.;  il  forma  ce  décret  par  le  pur  bon  plaisir  de  sa 
volonté,  sans  aucune  prévision  du  mérite  des  œuvres  ou  de 
la  foi.  Il  choisit,  à  la  louange  de  sa  grâce  magnifique,  un  nom- 
bre fixe  et  déterminé  d'hommes  qui  auroient  le  malheur  de 
naître  avec  tout  le  reste  du  genre  humain  d'un  sang  corrompu 
et  d'être  formés  d'une  substance  impure,  et  qui,  par  là  même, 
seroient  souillés  et  esclaves  du  péché.  Il  résolut  de  les  con- 
duire dans  ce  temps  au  salut  par  le  seul  médiateur,  Jésus- 
Christ;  il  détermina  en  lui-même  de  les  appeler  d'une  ma- 
nière efficace,  de  les  régénérer,  et  de  leur  donner  la  foi  et 
la  repentance  en  considération  du  mérite  de  ce  même  Jésus- 
Christ,  et  par  la  vertu  toute  puissante  du  St-Esprit,  auteur 
de  la  régénération  Ainsi  Dieu  forma  de  cette  sorte  le  décret 
de  faire  briller  sa  gloire.  11  résolut:  \°  de  créer  l'homme  in- 
nocent: 2"  de  permettre  sa  chute;  3°  enfin,  d'avoir  compas- 
sion de  quelques-uns  d'entre  les  hommes  pécheurs,  par  cela 
même  de  les  élire,  mais  de  laisser  les  autres  dans  leur  cor- 
ruption, et  de  les  dévouer  finalement  à  un  malheur  éternel. 


m. 


32 


498 


Canon  V. 

Jésus-Christ  lui-même  se  trouve  compris  dans  ce  miséricor- 
dieux décret  de  l'élection  divine.  Ce  n'est  pas  qu'il  en  soit  la 
cause  méritoire  ou  le  fondement  antérieur,  mais  c'est  qu'il  est 
lui-même  l'élu  qui  a  été  préconnu  avant  la  fondation  du  monde, 
et,  par  cela  même,  qu'il  est  le  premier  et  le  principal  moyen 
que  Dieu  a  trouvé  bon  d'employer  pour  l'exécution  de  son  des- 
sein charitable.  Il  a  été  élu  pour  être  notre  précieux  médiateur 
et  notre  frère  aîné.  C'est  de  son  mérite  précieux  que  Dieu 
a  voulu  se  servir  pour  nous  communiquer  le  salut  sans  blesser 
sa  justice.  L'É  riture  ne  témoigne  pas  seulement  que  l'élection 
a  été  faite  par  le  pur  bon  plaisir  du  conseil  et  de  la  volonté 
de  Dieu,  mais  elle  attribue  aussi  la  destination  ou  le  don  et 
l'envoi  de  Jésus-Christ,  notre  médiateur,  à  l'amour  infini  de 
Dieu  le  Père  pour  le  monde  des  élus. 

Canon  VI. 

C'est  pourquoi  nous  ne  convenons  point  avec  ceux  qui  ensei- 
gnent que  Dieu  a  été  touché  d'un  grand  amour  pour  le  genre 
humain  dont  il  prévoyoit  la  chute  ;  nous  ne  croyons  point  avec 
eux  qu'il  ait  eu  en  vue  de  sauver  tous  les  hommes,  en  général, 
et  chacun  d'eux,  en  particulier,  sous  la  condition  de  la  foi  ;  nous 
ne  saurions  nous  persuader  avec  eux  que  Dieu  ait  fait  un 
tel  décret  par  un  dessein  général  antérieur  à  l'élection,  par 
une  volonté  conditionnelle,  par  un  simple  souhait,  par  un 
premier  mouvement  de  miséricorde  (c'est  une  de  leurs  expres- 
sions), par  un  désir  destitué  d'efficace.  Nous  ne  pensons  point 
avec  eux  que  Dieu  ait  donné  Jésus-Christ  pour  être  le  média- 
teur de  tous  les  hommes,  en  général,  et  de  chacun  d'eux,  en 
particulier.  Enfin,  nous  n'admettons  point  le  système  par  le- 
quel ils  établissent  que  Dieu  considéra  quelques  hommes  non- 
seulement  comme  pécheurs  dans  la  personne  du  premier  Adam, 
mais  comme  rachetés  dans  la  personne  du  second  Adam,  et 
qu'il  les  élut  en  cette  dernière  qualité,  c'est-à-dire  qu'il  résolut 
de  leur  accorder  dans  le  temps,  par  un  effet  de  sa  grâce,  le  don 
salutaire  de  la  foi.  C'est  dans  ce  seul  acte  qu'ils  font  consister 
l'élection  proprement  ainsi  nommée.  Ces  dogmes  et  les  autres 
qui  leur  sont  semblables  s'éloignent  entièrement  de  la  saine 
doctrine  touchant  l'élection,  car  l'Écriture  n'étend  pas  à  tous 
les  hommes,  en  général,  et  à  chacun,  en  particulier,  le  dessein 
que  Dieu  a  formé  d'exercer  sa  miséricorde,  mais  elle  le  res- 


499 


treint  et  le  limite  aux  seuls  élus.  Elle  rejette  expressément 
et  personnellement  les  réprouvés  comme  Esau,  à  qui  Dieu  a 
porté  une  haine  éternelle  ;  la  même  Ecriture  témoigne  encore 
que  le  conseil  et  la  volonté  de  Dieu  ne  changent  point,  qu'ils 
sont  immuables,  et  que  Dieu  fait  dans  le  ciel  tout  ce  qu'il  lui 
plaît.  En  effet,  Dieu  est  infiniment  éloigné  de  toutes  les  im- 
perfections auxquelles  les  hommes  sont  sujets.  Il  n'y  a  en  lui 
ni  passions,  ni  désirs  stériles;  il  n'est  ni  téméraire  dans  ses 
desseins,  ni  susceptible  de  repentance,  de  changement,  d'ir- 
résolution. La  destination  que  Dieu  a  faite  de  Jésus-Christ 
pour  médiateur  et  le  salut  de  ceux  qui  lui  ont  été  donnés  comme 
son  bien  propre,  son  héritage  assuré,  viennent  d'une  seule 
et  même  élection,  et  n'en  sont  point  le  fondement  antérieur. 

Canon  VII. 

Comme  Dieu  avoit  de  toute  éternité  connu  toutes  ses  œu- 
vres, il  créa  aussi  dans  le  temps  selon  sa  puissance,  sa  sa- 
gesse et  sa  bonté  infinies,  l'homme  qui  est  le  plus  beau  de  ses 
ouvrages  et  le  chef  d'oeuvre  de  ses  mains.  11  le  ût  à  son  image, 
et  par  cela  même  innocent,  sage  et  juste.  Après  l'avoir  formé, 
il  le  fit  entrer  dans  l'alliance  des  œuvres;  dans  cette  alliance  il 
lui  promit,  par  un  effet  de  sa  bonté,  la  vie,  sa  faveur  et  sa 
communion,  pourvu  qu'il  obéît  à  ses  ordres. 

Canon  VIII. 

Cette  promesse  qui  accompagnoit  l'alliance  des  œuvres, 
n'emportoit  pas  seulement  la  continuation  d'une  vie  et  d'une 
félicité  de  la  nature  de  celle  dont  notre  premier  père  jouissoit 
sur  la  terre,  mais  elle  emportoit  principalement  la  possession 
d'une  vie,  d'une  félicité  éternelle  et  céleste.  En  effet,  l'homme 
auroit  été  enlevé  dans  le  ciel  et  il  auroit  éprouvé  en  corps  et 
en  âme  des  ravissements  ineffables  dans  la  communion  de 
Dieu,  s'il  eût  achevé  la  carrière  d'une  obéissance  parfaite; 
c'est  ce  dont  l'arbre  de  vie  étoit  déjà  une  figure  pour  Adam. 
C'est  aussi  ce  que  nous  fait  entendre  la  puissance  de  la  loi 
que  Jésus-Christ  a  accomplie  à  notre  place.  La  vie  que  cette 
loi  nous  procure,  maintenant  que  Jésus-Christ  a  satisfait  a  tous 
ses  droits,  n'est  autre  chose  qu'une  vie  céleste,  et  la  mort, 
dont  elle  menace,  au  contraire,  les  transgresseurs,  n'est  pas 
seulement  une  mort  temporelle,  mais  une  mort  éternelle. 


500 

Canon  IX. 

C'esl  pourquoi  nous  n'entrons  point  dans  le  sentiment  de 
ceux  qui  disent  que  la  félicité  céleste  n'étoit  point  proposée  à 
Adam  comme  le  prix  et  la  récompense  de  l'obéissance  qu'il 
devoit  rendre  à  Dieu.  Ils  ne  reconnoissent  point  d'autre  pro- 
messe de  l'alliance  des  oeuvres  que  celle  d'une  vie  sans  bornes 
dans  le  paradis  terrestre,  vie,  disent-ils,  qui  auroit  été  com- 
blée de  tous  les  biens  dont  le  corps  etl'àmc  peuvent  jouir  dans 
l'état  d'innocence.  Cette  pensée  est  contraire  au  vrai  sens  de 
la  parole  de  Dieu. 

Canon  X. 

De  même  que  l'alliance  des  œuvres  que  Dieu  contracta  avec 
Adam  ne  regardoit  pas  seulement  Adam  lui-même,  mais  aussi 
tout  le  genre  humain  qui  étoit  en  lui  comme  dans  son  chef  et 
dans  sa  tige,  et  qui,  par  une  suite  de  la  bénédiction  que  Dieu 
avoit  donnée  à  la  nature,  seroit  sorti  de  lui  pour  hériter  de  son 
innocence,  s'il  avoit  su  la  conserver;  pareillement  il  a  péché 
par  une  chute,  funeste,  non-seulement,  pour  lui-même,  mais 
aussi  pour  tout  le  genre  humain,  qui  devoit  tirer  son  origine 
du  sang  et  de  la  volonté  de  la  chair.  Il  a  perdu,  pour  ses  des- 
cendants ainsi  que  pour  lui-même,  les  biens  qui  étaient  pro- 
mis dans  l'alliance  des  œuvres.  Nous  croyons  donc  que  le  pé- 
ché d'Adam  est  imputé  à  toute  sa  postérité  par  un  juste  et  secret 
jugement  de  Dieu.  L'apôtre  Saint  Paul  témoigne  que  tous  ont 
péché  en  Adam,  que  par  la  désobéissance  d'un  seul  homme, 
plusieurs  sont  rendus  pécheurs  et  que  tous  meurent  en  lui. 
Et  certainement  on  ne  voit  point  de  raison  pour  laquelle  une 
corruption  héréditaire  semblable  à  une  mort  spirituelle,  auroit, 
par  un  juste  jugement  de  Dieu,  enveloppé  tout  le  genre  hu- 
main, s'il  n'eût  commis  auparavant  quelque  péché  qui  le  ren- 
dît digne  de  cette  mort  :  Dieu,  qui  est  un  juge  très-juste  de 
toute  la  terre,  ne  punit  que  les  coupables. 

Canon  XI. 

L'homme  est  donc,  depuis  le  péché,  soumis  de  sa  nature 
en  deux  manières  à  la  colère  de  Dieu  et  à  sa  malédiction,  et 
cela  dès  le  premier  moment  de  sa  naissance  et  avant  qu'il  ait 
commis  aucun  péché  actuel.  Il  est  soumis  à  celte  colère  et  à 
cette  malédiction  1°  pour  la  faute  qu'il  a  commise  et  la  déso- 
béissance où  il  est  tombé,  lorsqu'il  n'étoit  encore  que  dans  les 


501 


reins  d'Adam;  et  en  V,ui  lieu,  à  cause  de  la  corruption  que 
celte  désobéissance  a  entraînée  après  soi.  Il  hérite  de  cette 
corruption  dans  le  temps  même  de  la  conception,  et  elle  le 
rend  entièrement  dépravé  et  mort  d'une  mort  spirituelle.  De 
sorte  que  c'est  avec  raison  qu'on  distingue  deux  sortes  de  pé- 
ché originel,  savoir  le  péché  imputé  et  le  péché  inhérent  et 
héréditaire. 

Canon  XII. 

Nous  ne  saurions  donc,  sans  trahir  la  vérité  céleste,  ad- 
mettre le  sentiment  de  ceux  qui  nient  qu'Adam  ait,  par  un 
établissement  de  Dieu,  représenté  tous  ses  descendants,  et,  par 
conséquent,  que  son  péché  leur  soit  immédiatement  imputé. 
En  se  servant  du  terme  d'imputation  médiate  et  conséquente, 
non-seulement  ils  anéantissent  l'imputation  du  premier  péché, 
mais  encore  ils  rendent  extrêmement  problématique  la  thèse 
de  la  corruption  héréditaire.  , 

Canon  XIII. 

Comme  Jésus-Christ  a  été  élu  de  toute  éternité  pour  être 
le  chef,  le  prince  et  l'héritier,  c'est-à-dire  le  Seigneur  de  tous 
ceux  qui  sont  sauvés,  dans  le  temps,  par  sa  grâce,  il  a  aussi 
été  fait,  dans  le  temps,  médiateur  de  la  nouvelle  Alliance,  uni- 
quement en  faveur  de  ceux  qui  lui  ont  été  donnés  par  l'élec- 
tion éternelle  pour  être  son  peuple  propre  et  particulier,  sa 
postérité  et  son  héritage.  Car,  c'est  pour  les  élus  seuls  qu'il  a, 
suivant  le  décret  de  Dieu  le  Père  et  de  sa  propre  volonté, 
souffert  une  mort  cruelle.  Il  n'a  ramené  qu'eux  seuls  dans  le 
sein  de  la  grâce,  il  n'a  réconcilié  qu'eux  seuls  avec  Dieu  le 
Père,  justement  irrité,  et  n'a  délivré  aucune  autre  personne 
de  la  malédiction  de  la  loi.  Notre  Sauveur  Jésus-Christ  sauve 
son  peuple  en  le  délivrant  de  ses  péchés;  il  a  donné  son  âme 
pour  la  rédemption  de  plusieurs,  pour  ses  brebis  qui  prêtent 
l'oreille  à  sa  voix.  Ce  n'est  que  pour  elles  qu'il  veut  bien  prier 
comme  sacrificateur  appelé  de  Dieu  ;  il  ne  prie  point  pour  le 
monde.  Par  conséquent,  Jésus-Christ  étant  mort,  les  élus  seuls, 
qui  deviennent  dans  le  temps  de  nouvelles  créatures,  ces  élus, 
pour  lesquels  il  s'étoit  offert  comme  une  victime  d'expiation, 
sont  censés  morts  avec  lui  et  justifiés  de  tout  péché.  Ainsi,  la 
volonté  de  Jésus-Christ  mourant  conspire  parfaitement  avec 
le  décret  du  Père  et  avec  l'opération  du  Saint-Esprit.  Le  Père 
ne  donne  au  Fils  que  les  seuls  élus  à  racheter,  et  le  Saint-Es- 


502 

prit  ne  sanctifie  que  les  seuls  élus.  11  n'en  sanctifie  point  d'au- 
tre et  ne  donne  qu'à  eux  seuls  une  vive  espérance  de  la  vie 
éternelle.  Telle  est  la  parfaite  harmonie  du  Père,  qui  forme 
les  décrets,  du  Fils,  qui  opère  la  rédemption,  et  du  Saint-Es- 
prit, qui  nous  sanctifie. 

Canon  XIV. 

Cela  se  confirme  encore  parce  que,  comme  Jésus-Christ  a 
mérité  et  qu'il  donne  actuellement  le  salut  à  ceux  pour  qui 
il  est  mort,  il  leur  a  mérité  aussi,  et  leur  donne  actuellement 
les  moyens  qui  servent  à  les  amener  à  ce  salut,  et  en  parti- 
culier l'esprit  de  régénération,  et,  en  particulier,  le  don  céleste 
de  la  foi.  Car  l'Ecriture  témoigne  que  le  Seigneur  est  venu 
pour  sauver  les  brebis  perdues  de  la  maison  d'Israël,  qu'il 
envoie  le  Saint-Esprit  comme  la  principale  source  de  notre 
régénération,  et  qu'une  des  plus  excellentes  promesses  de  la 
nouvelle  alliance,  dont  il  a  été  fait  le  médiateur,  c'est  qu'il 
écrira  sa  loi,  c'est-à-dire  la  loi  de  la  foi,  dans  le  cœur  de  ses 
disciples.  Elle  déclare  encore  que  tout  ce  que  le  Père  a  donné 
à  Jésus-Christ  vient  à  lui  ;  enfin,  que  par  la  foi  nous  avons  été 
élus  en  Jésus-Christ  pour  être  saints,  exempts  de  toute  ta- 
che, et,  par  conséquent,,  pour  être  enfants  de  Dieu  par  sa 
grâce.  Or,  nous  ne  pouvons  être  enfants  de  Dieu  que  par  la 
foi  et  par  la  vertu  de  l'Esprit  qui  nous  régénère. 

Canon  XV. 

Jésus-Christ  a  pleinement  satisfait  à  Dieu  son  Père  par  l'o- 
béissance qu'il  lui  a  rendue  dans  la  mort  à  la  place  des  élus; 
mais  il  faut  concevoir  cela  d'une  telle  manière,  qu'on  mette 
dans  le  rang  delà  justice  et  de  l'obéissance  qu'il  a  pratiquée  à 
la  place  de  ses  élus,  tout  ce  qu'il  a  fait  et  souffert  pendant  tout 
le  cours  de  sa  vie  pour  accomplir  la  loi,  étant  par  excellence 
le  serviteur  juste  de  Dieu.  Car,  toute  la  vie  de  Jésus-Christ 
n'a  été,  suivant  la  déclaration  de  Saint-Paul,  qu'un  anéantis- 
sement continuel,  un  abaissement  et  une  humiliation  qui  s'est 
augmentée  par  degrés  jusqu'à  son  dernier  terme,  lequel  a  été 
la  mort  de  la  croix. 

L'Esprit  de  Dieu  annonce  aussi  clairement  que  Jésus-Cluist 
a,  par  la  sainteté  de  sa  vie,  satisfait  pour  nous  à  la  loi  et  à 
la  justice  de  Dieu.  Il  fait  consister  le  prix  par  lequel  nous 
avons  été  rachetés,  non-seulement  dans  les  souffrances  du  Fils 
de  Dieu,  mais  dans  l'exactitude  avec  laquelle  il  a  conformé 


503 


toute  sa  vie  à  ia  loi.  S'il  attribue  notre  rédemption  à  la  mort 
et  à  la  passion  de  Jésus-Christ,  en  particulier,  ce  n'est  pas  pour 
une  autre  raison  que  parce  qu'il  a  été  consommé  par  les 
souffrances.  Ainsi  le  Saint-Esprit  nous  fait  porter  les  yeux 
sur  ce  dernier  période  sans  lequel  nous  ne  pouvons  être  sau- 
vés, et  qui  nous  présente  un  riche  tableau  où  nous  voyons 
briller  avec  éclat  toutes  les  vertus.  Il  désigne  l'obéissance  de 
notre  Sauveur  par  le  plus  illustre  de  tous  ses  actes,  sans 
avoir  pour  cela  dessein  de  séparer  de  la  mort  la  vie  qu'il 
avoit  menée  auparavant. 

Canon  XVI. 

Ces  choses  étant  ainsi,  nous  ne  saurions  approuver  la  doc- 
trine de  ceux  qui  enseignent  le  contraire.  Ils  disent  que  Jé- 
sus-Christ a,  de  son  propre  mouvement,  et  suivant  la  volonté 
du  Père  qui  l'a  envoyé,  souiïert  la  mort  pour  tous  les  hom- 
mes, en  général,  et  pour  chacun  d'eux,  en  particulier,  à  condi- 
tion qu'ils  croient  à  l'Évangile,  ce  qui  est  une  condition  im- 
possible. Ils  soutiennent  que  ce  Sauveur  a  obtenu  pour  tous 
les  hommes  un  salut  dont  ils  ne  sont  pourtant  pas  tous  rendus 
participants.  Ils  ajoutent  qu'il  n'a  mérité  proprement  et  ac- 
tuellement le  salut  et  la  foi  pour  personne,  en  particulier,  mais 
qu'il  a  seulement  levé  l'obstacle  que  formait  contre  nous  la 
justice  divine,  et  qu'il  a,  par  son  sacrifice,  donné  lieu  au  Père 
de  traiter  avec  tous  les  hommes  une  nouvelle  alliance.  Enfin, 
ils  distinguent  entre  la  justice  active  et  la  justice  passive  de 
Jésus-Christ,  et  ils  assurent  qu'il  réserve  pour  lui-même  la 
justice  active,  et  qu'il  ne  donne  et  n'impute  a  ses  élus  que  la 
justice  passive.  Toutes  ces  explications,  et  autres  semblables, 
sont  manifestement  opposées  à  l'Ecriture  et  à  la  gloire  de  Jésus- 
Christ,  qui  est  le  chef  et  le  consommateur  de  notre  foi  et  de 
notre  salut;  elles  affoiblissent  la  vertu  de  sa  mort,  et,  sous 
prétexte  de  relever  son  mérite,  elles  le  diminuent  en  effet. 

Canon  XVII. 

La  vocation  au  salut  est  proportionnée  aux  temps.  Elle  est, 
suivant  que  Dieu  le  juge  à  propos,  tantôt  plus  et  tantôt  moins 
générale,  mais  elle  n'a  jamais  été  absolument  universelle. 
Car,  sous  le  Vieux  Testament,  Dieu  a  annoncé  sa  parole  a  Ja- 
cob et  ses  ordonnances  à  Israël  ;  il  n'a  pas  fait  ainsi  aux  autres 
nations.  Sous  le  Nouveau  Testament,  Jésus-Christ  fait  ,  à  la  vé- 
rité, la  paix  par  son  sans.',  il  a  rompu  la  muraille  de  sépara- 


oO'i 

lion,  et  Dieu  a  jusqu'à  présent  étendu  l'enceinte  de  l'Église, 
faisant  prêcher  l'Évangile  en  plusieurs  lieux  et  adressant  à  un 
grand  nombre  d'hommes  la  vocation  extérieure  :  //  n'y  a  plus 
de  distinction  entre  les  Juifs  et  les  Gentils.  Mais  Dieu  est  main- 
tenant le  Seigneur  de  tous,  et  il  déploie  ses  richesses  sur  tous 
ceux  qui  l'invoquent.  Cependant  la  vocation  au  salut  n'est  pas 
pour  cela  absolument  générale,  car  Jésus-Christ  déclare  qu'il 
y  en  a  beaucoup  d'appelés,  il  ne  dit  pas  que  tous  les  hommes 
le  soient,  et  quand  Saint  Paul  et  Timothée  formèrent  le  des- 
sein de  passer  en  Bythinie,  l'Esprit  de  Jésus  ne  le  leur  permit 
pas.  Il  y  a  eu  autrefois,  et  il  y  a  encore  aujourd'hui,  comme 
cela  se  prouve  par  l'expérience,  des  milliers  innombrables 
d'hommes  qui  n'ont  pas  même  ouï  prononcer  le  nom  de  Jésus. 

Canon  XVIII. 

Cependant  Dieu  ne  s'est  point  laissé  sans  témoignage  à  l'é- 
gard de  ceux  qu'il  n'a  pas  daigné  appeler  au  salut  par  sa 
parole.  Il  leur  a  donné  le  ravissant  spectacle  des  cieux  et  des 
astres.  Et,  pour  leur  manifester  sa  longue  tolérance,  il  leur  a 
révélé  ce  que  l'on  peut  connoîlre  de  Dieu  par  les  ouvrages  de 
la  nature  et  de  la  Providence.  Mais  il  ne  faut  pas,  pour  cela, 
s'imaginer  que  ces  œuvres  de  la  nature  et  de  la  Providence 
divine  aient  été  des  témoins  suffisants  pour  suppléer  à  la  vo- 
cation intérieure  et  pour  apprendre  aux  hommes  le  mystère 
du  bon  plaisir  de  Dieu,  el  de  la  miséricorde  qu'il  nous  té- 
moigne en  Jésus-Christ;  car  l'apôtre  ajoute  immédiatement 
que  les  choses  invisibles  de  Dieu,  savoir  sa  puissance  éternelle 
et  sa  divinité,  se  voient  depuis  la  création  du  monde  quand 
on  les  considère  dans  ses  ouvrages.  Il  ne  dit  pas  qu'on  y  dé- 
couvre le  secret  du  bon  plaisir  de  Dieu,  qui  nous  a  été  ré- 
vélé par  Jésus-Christ.  S'il  renvoie  les  hommes  à  la  contem- 
plation de  l'univers,  ce  n'est  pas  pour  y  apprendre  le  mystère 
du  salut  que  Jésus-Christ  nous  a  acquis;  mais  c'est  pour  les 
convaincre  qu'ils  sont  inexcusables,  puisqu'ils  n'ont  pas  même 
fait  un  bon  usage  de  la  connaissance  que  Dieu  leur  avoit  lais- 
sée, et  qu'ayant  connu  Dieu,  ils  ne  l'ont  pas  glorifié  comme 
Dieu  et  ne  lui  ont  point  rendu  grâces;  c'est  aussi  dans  le 
même  esprit  que  Jésus-Christ  bénit  Dieu  son  Père  de  ce  qu'il 
a  caché  ces  choses  aux  sages  et  aux  intelligents,  el  de  ce  qu'il 
lésa  révélées  aux  petits  enfants.  L'apôtre  Saint  Paul  nous  en- 
seigne encore  que  Dieu  nous  a  fait  connoîlre  par  son  pur  bon 


505 


plaisir  le  secret  de  sa  volonté,  suivant  ce  qu'il  avoit  résolu 
en  Jésus- Christ. 

Canon  XIX. 

Lorsque  Dieu  appelle  extérieurement  les  hommes  par  la 
prédication  de  l'Évangile,  il  le  fait  d'une  manière  très-réelle, 
nullement  feinte;  il  ne  nous  découvre  pas,  à  la  vérité,  ses 
vues  secrètes  par  rapport  au  salut  ou  à  la  damnation  de  cha- 
cun de  nous,  mais  il  nous  fait  connoître  très-sérieusement  et 
très-sincèrement  quelle  est  la  nature  de  notre  devoir,  et  ce 
que  nous  avons  à  espérer  si  nous  le  pratiquons,  et  à  craindre 
si  nous  ne  le  pratiquons  pas.  La  volonté  de  Dieu,  lorsqu'il  ap- 
pelle les  hommes,  est  que  ceux  qu'il  appelle  viennent  à  lui, 
qu'ils  ne  négligent  pas  un  si  grand  salut.  Aussi  promet-t-il, 
sans  la  moindre  ombre  de  dissimulation,  le  salut  éternel  à  tous 
ceux  qui  viennent  à  lui  par  la  foi.  C'est  une  vérité  constante, 
comme  s'exprime  un  apôtre,  que  si  nous  mourons  avec 
lui,  nous  vivrons  aussi  avec  lui;  si  nous  souffrons  avec  lui, 
nous  régnerons  aussi  avec  lui;  si  nous  le  renonçons,  il  nous 
renoncera  aussi;  si  nous  sommes  infidèles  pour  lui,  il  demeure 
fidèle:  il  ne  peut  se  démentir  lui-même.  Cette  volonté  n'est 
point  inefficace,  même  par  rapport  à  ceux  qui  n'obéissent  pas 
à  la  vocation  divine,  parce  que  Dieu  parvient  toujours  aux  fins 
qu'il  s'est  proposées.  Il  fait  connoître  aux  hommes  leur  devoir 
et  conduit  au  salut  les  élus  qui  ne  manquent  pas  de  s'y  appli- 
quer, et  il  rend  inexcusables  les  autres  qui  négligent  de  faire 
ce  qu'il  leur  commande.  Certainement,  un  homme  spirituel 
accordera  sans  peine  le  décret  de  Dieu,  tel  que  l'analogie  de  la 
foi  nous  le  représente,  avec  la  vocation  extérieure  faite  de 
vive  voix  ou  par  écrit.  Comme  Dieu  approuve  toutes  les  vérités 
qui,  comme  autant  de  conséquences  justes,  résultent  de  ses 
desseins,  on  a  raison  d'affirmer  qu'il  veut  que  quiconque  voit 
le  Fils  et  croit  en  lui  ait  la  vie  éternelle.  Car,  quoiqu'il  n'y  ait 
que  les  élus  qui  soient  de  ce  nombre,  quoique  Dieu  n'ait  formé 
aucun  décret  universel,  sans  déterminer  ce  qu'il  fera  de  chaque 
personne,  et,  par  conséquent,  quoique  Jésus-Christ  ne  soit  pas 
mort  pour  tous  les  particuliers  d'entre  tous  les  hommes,  mais 
uniquement  pour  les  élus  que  Dieu  lui  a  donnés;  quoique  tout 
cela  soit  ainsi,  dis-je,  cependant  Dieu  veut  que  cette  propo- 
sition :  Quiconque  croit  en  Jéaus-Chrùt  a  la  vie  éternelle,  soit 
universellement  vraie,  parce  que  c'est  une  conséquence  de  son 
décret  particulier  et  de  sa  volonté  déterminée.  Mais,  quant  à  ce 


506 


qui  arrive,  que  les  seuls  élus  croient  et  que  les  réprouvés  s'en- 
durcissent lorsqu'on  leur  met  à  tous  devant  les  yeux  la  volonté 
de  Dieu,  et  qu'on  les  appelle  extérieurement  en  son  nom,  c'est 
un  effet  de  la  seule  grâce  de  Dieu  ;  elle  produit  toute  cette  diffé- 
rence. Les  élus,  déterminés  par  cette  grâce,  croient  d'une  ma- 
nière salutaire;  mais  les  réprouvés  demeurent  dans  le  péché 
par  une  suite  nécessaire  de  cette  méchanceté,  qu'ils  ont  ap- 
portée en  venant  au  monde.  Ils  s'amassent,  par  leur  impéni- 
tence et  par  l'endurcissement  de  leur  cœur,  un  trésor  de  colère 
pour  le  jour  de  la  colère  et  de  la  manifestation  du  juste  juge- 
ment de  Dieu. 

Canon  XX. 

Nous  ne  doutons  donc  point  qu'on  ne  se  trompe,  quand  on 
croit  que  Dieu  appelle  au  salut,  non-seulement  ceux  à  qui  il 
fait  prêcher  l'Evangile,  mais  aussi  ceux  à  qui  il  ne  le  fait 
point  annoncer  et  à  qui  il  ne  se  révèle  que  par  les  ouvrages 
de  la  nature  et  de  la  Providence.  Les  personnes  qui  sont  dans 
cette  erreur  ajoutent  que  la  vocation  au  salut  est  tellement 
universelle^  qu'il  n'y  a  aucun  mortel  à  qui  elle  ne  soit  suffi- 
samment adressée.  Les  uns,  disent-ils,  sont  appelés  médiate- 
ment  en  ce  que  Dieu  leur  accordera  la  lumière  de  sa  grâce, 
s'ils  font  un  hon  usage  de  leurs  lumières  naturelles;  les  autres 
le  sont  immédiatement  parce  que  Dieu  leur  fait  annoncer  Jésus- 
Christ  et  le  salut  qu'il  nous  a  acquis.  Ils  soutiennent,  enfin, 
qu'à  moins  qu'on  établisse  une  grâce  absolument  universelle, 
on  ne  peut  pas  dire  que  la  vocation  extérieure  soit  véri- 
table et  non  feinte,  ni  prouver  que  Dieu  offre  très-sérieuse- 
ment et  très-sincèrement  le  salut  à  tous  ceux  qu'il  appelle. 
Ce  sont  là  des  dogmes  contraires  à  l'Écriture  et  à  l'expé- 
rience de  tous  les  temps.  On  y  confond  manifestement  la  na- 
ture avec  la  grâce,  ce  qu'on  peut  connoître  de  Dieu  avec  sa 
sagesse  secrète.,  et  les  lumières  de  la  raison  avec  celles  de  la 
révélation  divine. 

Canon  XXI. 

Ceux  que  Dieu  appelle  au  salut  par  la  prédication  de  l'E- 
vangile ne  sauroient  ni  croire  en  Jésus-Christ,  ni  répondre  à 
celte  vocation,  à  moins  que  le  Seigneur  ne  les  ressuscite  et 
ne  les  arrache  à  la  mort  spirituelle  par  un  acte  de  cette  même 
puissance  par  laquelle  il  a  commandé  que  la  lumière  éclatât 
du  sein  des  ténèbres.  Il  faut  que  Dieu  répande  sa  clarté  dans 


507 


leurs  cœurs,  par  la  grâce  irrésistible  de  son  esprit,  afin  qu'ils 
soient  éclairés  de  la  splendeur  de  la  connoissance  de  sa  gloire, 
qui  se  découvre  en  la  personne  de  Jésus- Christ.  Car  l'homme 
animal  ne  reçoit  point  les  choses  qui  partent  de  l'Esprit 
de  Dieu,  elles  sont  pour  lui  une  folie,  et  il  ne  peut  même  les 
connoître,  parce  qu'il  faut  être  spirituel  pour  en  bien  juger. 
L'Écriture  démontre  en  plusieurs  endroits  cette  impuissance 
totale  :  elle  le  fait  même  par  tant  de  déclarations  et  tant  d'em- 
blèmes, qu'à  peine  trouvera-t-on  un  sujet  sur  lequel  elle  four- 
nisse des  preuves  plus  convaincantes  et  en  plus  grand  nombre. 
On  pourroit,  il  est  vrai,  l'appeler  une  impuissance  morale,  à 
cause  que  son  sujet  est  moral,  de  même  que  son  objet;  mais 
elle  est  aussi  naturelle,  et  doit  être  appelée  de  ce  nom,  parce 
que  l'homme  est  naturellement  et  par  une  suite  des  lois  de 
la  naissance,  enfant  de  colère,  dès  le  premier  moment  de 
sa  vie.  Comme  cette  impuissance  naît  avec  lui,  il  ne  peut  s'en 
délivrer  que  par  la  grâce  victorieuse  et  triomphante  du  Saint- 
Esprit. 

Canon  XXII. 

Nous  jugeons  donc  qu'on  parle  d'une  manière  peu  circons- 
pecte et  même  dangereuse  lorsque  l'on  appelle  cette  impuis- 
sance de  croire  où  l'homme  se  trouve,  une  impuissance  mo- 
rale, et  qu'on  fait  difficulté  de  l'appeler  naturelle.  Ceux  qui 
tombent  dans  cette  faute  ajoutent  que,  dans  quelque  état  que 
l'homme  soit  placé,  il  peut  croire,  s'il  veut,  et  que  la  foi  est, 
en  dernier  lieu,  du  nombre  des  choses  qui  sont  en  notre  pou- 
voir, quoique  l'apôtre  l'appelle,  en  termes  exprès,  un  don  de 
Dieu. 

Canon  XXIII. 

Il  y  a  deux  manières  par  lesquelles  Dieu,  qui  est  un  juste 
juge,  a  promis  de  justifier  l'homme  :  l'une  dans  la  loi,  l'autre 
dans  l'Évangile.  Dans  la  loi,  il  promet  de  déclarer  l'homme 
juste  en  conséquence  de  ses  oeuvres  ou  de  ses  propres  actions. 
Dans  l'Évangile,  il  s'engage  à  le  traiter  comme  tel  en  considé- 
ration de  l'obéissance  ou  de  la  justice  d'un  autre,  savoir 
Jésus-Christ,  notre  répondant,  dont  l'obéissanoe  est  imputée 
par  grâce  à  celui  qui  croit.  Le  premier  de  ces  moyens  sert  à 
justifier  l'homme  innocent,  le  second,  à  justifier  l'homme  pé- 
cheur el  corrompu.  Conformément  à  ces  deux  moyens  de 


508 

justification ,  l'Ecriture  établit  deux  Alliances,  l'une  des  oeu- 
vres, et  l'autre  de  la  grâce.  Celle  des  oeuvres  a  été  traitée  avec 
le  premier  Adam,  et,  en  lui,  avec  chacun  de  ses  descendants. 
Le  péché  ayant  rendu  cette  première  alliance  vaine  et  inutile, 
Dieu  en  a  traité  avec  les  seuls  élus,  dans  le  second  Adam,  une 
seconde,  qui  est  éternelle  et  qui  ne  sera  point  sujette  à  l'abro- 
gation comme  la  première. 

Canon  XXIV. 

Au  reste,  cette  dernière  Alliance  a  eu,  suivant  la  diversité 
des  temps,  des  économies  dilïérentes.  Car,  quand  l'apôtre 
Saint  Paul  désigne  la  dernière  économie  par  ces  mots  :  La 
dispensai  ion  de  la  plénitude  des  temps,  il  nous  fait  assez  clai- 
rement entendre  qu'il  y  a  eu  une  autre  économie  et  une  autre 
dispensation  dans  les  siècles  qui  ont  précédé  le  temps  que 
Dieu  avait  marqué  pour  la  prédication  de  l'Evangile.  Mais 
dans  toutes  ces  deux  économies  de  l'Alliance  de  grâce,  les 
élus  n'ont  été  sauvés  que  par  l'Ange  de  la  face,  par  cet  agneau 
immolé  dès  la  fondation  du  monde,  par  Jésus-Christ,  par  la 
connaissance  de  ce  serviteur  juste  et  par  la  foi  en  lui,  aussi 
bien  qu'en  son  Père  et  en  son  Esprit.  Car  Jésus-Christ  est  tou- 
jours le  même,  hier,  aujourd'hui  et  dans  tous  les  siècles,  et 
nous  croyons  que  c'est  par  la  grâce  du  Seigneur  Jésus-Christ 
que  nous  serons  sauvés  de  même  qu'eux,  savoir  les  Pères.  Les 
mômes  fondements  demeurent  inébranlables  dans  tous  les  deux 
Testaments.  Heureux  sont  ceux  qui  se  confient  en  lui,  c'est-à- 
dire  dans  le  Fils!  Celui  qui  croit  en  lui  n'est  point  condamné, 
mais  celui  qui  ne  croit  point  est  déjà  condamné;  vous  croyez 
en  Dieu,  il  veut  dire  le  Père,  croyez  aussi  en  moi.  Or,  si  les 
Pères  ont  cru  en  Jésus-Christ,  en  leur  Rédempteur,  il  s'en  suit 
qu'ils  ont  aussi  cru  au  Saint-Esprit,  puisque  personne  ne  peut, 
sans  le  Saint-Esprit,  dire  que  Jésus-Christ  est  le  Seigneur.  Et, 
en  vérité,  on  voit  dans  le  Vieux  et  le  Nouveau  Testament 
tant  de  preuves  qui  montrent  que  les  Pères  ont  eu  cette  foi 
et  qu'elle  est  nécessaire  pour  le  salut,  qu'il  n'y  a  que  ceux 
qui  ferment  volontairement  les  yeux  qui  puissent  ne  pas  les 
apercevoir.  Il  fallait,  il  est  vrai,  suivant  la  nature  de  l'écono- 
mie de  ces  siècles-là,  tirer  la  connaissance  salutaire  de  Jésus- 
Christ  et  de  la  très-sainte  Trinité,  non-seulement  des  promesses 
de  Dieu,  mais  aussi  des  ombres,  des  types  et  des  figures  de  la 
loi.  Quoique  cela  rendît  la  chose  plus  difficile  qu'elle  ne  l'est  à 
présent,  sous  le  Nouveau  Testament,  les  connaissances  des  élus 


509 


étoient  pourtant  réelles  et  proportionnées  au  degré  de  révéla- 
tion dont  ils  jouissoient.  Elles  étoient  suffisantes,  avec  la  grâce 
de  Dieu,  pour  leur  procurer  le  salut  et  pour  consoler  leurs 
âmes. 

Canon  XXV, 

Nous  condamnons  donc  la  doctrine  de  ceux,  qui  croient  nous 
étaler  trois  alliances  entièrement  distinctes  les  unes  des  au- 
tres, l'alliance  naturelle,  l'alliance  légale  et  l'alliance  du  l'E- 
vangile. Ils  s'embarrassent  si  fort  en  pensant  les  expliquer,  et 
en  voulant  déterminer  la  différence  qu'il  y  a  entre  elles,  qu'ils 
répandent  une  grande  obscurité  sur  ce  qu'il  y  a  de  plus  impor- 
tant dans  les  vérités  de  la  religion.  Ils  ne  se  font  aucun  scru- 
pule de  parler  avec  trop  de  relâchement  de  la  nécessité  qu'il 
y  avoit,  sous  le  Vieux  Testament,  de  connoître  Jésus  Christ , 
de  croire  en  lui,  de  se  reposer  sur  sa  satisfaction  et  de  mettre 
de  la  confiance  en  la  très-sainte  Trinité.  La  manière  dont  ils 
traitent  la  théologie  nous  paroît  fort  dangereuse. 

Canon  XXVI. 

Enfin,  pour  prévenir  les  lâcheuses  divisions  qui  causent  de 
toutes  parts  de  si  grands  ravages  dans  l'Eglise  de  Dieu,  nous 
à  qui  le  Seigneur  a  maintenant  confié  la  dispensât  ion  de 
l'Evangile  dans  l'Eglise  qui  est  la  maison  de  Dieu,  nous  vou- 
lons très-sérieusement  nous  soumettre  à  cette  loi  avec  tous  nos 
candidats  au  saint  ministère  et  tous  ceux  qui  seront  un  jour 
appelés  par  la  volonté  et  la  providence  de  Dieu  à  nous  succéder 
dans  nos  travaux,  nous  nous  engageons,  dans  ce  temps  où  le 
monde  tend  à  sa  destruction,  à  garder  fidèlement,  suivant 
l'exhortation  de  l'apôtre  des  Gentils,  le  dépôt  qui  nous  a  été 
confié,  évitant  les  discussions  vaines  et  profanes.  Nous  nous 
engageons  à  conserver  religieusement  la  sincérité  et  la  sim- 
plicité de  la  connaissance  qui  est  conforme  à  la  piété,  et  à  per- 
sévérer constamment  dans  la  charité  et  dans  une  foi  non  feinte, 
qui  sont  les  deux  plus  excellentes  de  toutes  les  vertus.  Par 
conséquent,  que  personne  ne  s'avise  de  professer,  soit  en  public, 
soit  en  particulier,  aucun  dogme  de  foi  douteux,  ou  nouveau 
et  inouï  jusqu'à  présent  dans  nos  Églises;  aucun  dogme  con- 
traire à  la  Parole  de  Dieu,  à  notre  confession  helvétique,  à 
nos  livres  symboliques  et  aux  canons  du  synode  de  Dordrecht  ; 
aucun  dogme,  enfin,  qui  n'ait  été  prouvé  et  établi  par  l'Ecri- 
ture dans  l'assemblée  publique  de  nos  frères.  Sur  toutes 


510 

choses,  que  non-seulement  nous  enseignions  fidèlement,  par  la 
Parole  de  Dieu,  la  nécessité  de  sanctifier  le  jour  du  Dimanche, 
mais  que  nous  en  recommandions  aussi  et  en  pressions  de 
toutes  nos  forces  l'observation.  Enfin,  que  toutes  les  fois  que 
l'occasion  s'en  présentera,  nous  maintenions,  nous  enseignions 
et  nous  prouvions  unanimement  et  fidèlement,  tant  dans 
l'Eglise  que  dans  les  écoles,  la  vérité  des  canons  qui  sont  ici 
rédigés  par  écrit,  et  que  nous  avons  tirés  de  la  Parole  infaillible 
de  Dieu. 


ENTRE  DEDICATOIRE. 

A  tous  les  trais  orthodoxes,  les  défenseurs  du  Consensus. 
Messieurs, 

J'ose  me  flatter  que,  depuis  que  les  traducteurss  e  sont  avi- 
sés de  dédier  les  productions  d'autrui,  personne  n'a  encore 
fait  paraître  plus  de  jugement  que  moi  dans  le  choix  des  pa- 
trons dont  il  s'est  chargé  de  faire  l'éloge.  Dans  ce  temps-ci,  les 
hérétiques  s'attribuent  le  beau  nom  d'orthodoxes  ;  c'est  une 
justice  qui  vous  est  due  de  reconnoître  publiquement  que  ce 
nom  n'appartient  qu'à  vous.  Tandis  que  les  autres  hommes 
s'abandonnent  à  leur  propre  raison  et  s'écartent  en  plusieurs 
choses  des  sentiments  de  leurs  pères,  vous  êtes  en  garde  con- 
tre les  illusions  du  bon  sens  et  vous  conservez  un  sage  res- 
pect pour  ce  que  vos  maîtres  vous  ont  enseigné.  La  paresse, 
sanctifiée  par  la  modestie,  vous  engage  à  recevoir  aveuglé- 
ment toutes  leurs  décisions.  Une  humble  défiance  de  vos  lu- 
mières tient  lieu  d'infaillibilité  à  vos  docteurs.  S'ils  ont  assez 
examiné,  pour  eux-mêmes  ou  pour  vous,  les  matières  de  la 
religion,  vous  signalez  de  votre  côté  votre  reconnoissance  en- 
vers eux  en  soutenant  indifféremment  tout  ce  qu'il  leur  a  plu 
de  vous  dicter.  Il  n'est  rien  de  plus  louable  que  les  emporte- 
ments zélés  que  vous  faites  paraître  pour  la  défense  de  toutes 
leurs  opinions.  Rien  de  plus  charitable  que  les  moyens  où 
vous  avez  recours  pour  guérir  les  hommes  d'une  curiosité 
dangereuse.  Quelles  seroient  les  suites  de  la  liberté  de  penser, 
si  elle  venoit  à  s'introduire  parmi  nous?  Des  maîtres  qui  sont 


51 1 


depuis  longtemps  en  possession  de  l'estime  du  publie,  per- 
droient  une  partie  très-considérable  de  cette  estime  dès  aussi- 
tôt qu'on  croiroit  reconnoître  qu'il  y  a  dans  leurs  sentences,  de 
certaines  choses  qui  ne  sont  pas  appuyées  sur  des  fondements 
assez  solides.  Le  respect  que  l'on  a  pour  la  religion  finirait  en 
même  temps  que  la  vénération  pour  les  ministres;  autant 
d'hommes,  autant  de  sentiments  différents  ;  rien  ne  seroit  ca- 
pable de  les  réunir.  Chacun  veut  être  infaillible.  La  vérité  n'a 
point  de  caractère  sûr.  Notre  esprit  aime  l'erreur,  et  plus  l'er- 
reur est  dangereuse,  plus  elle  a  de  charmes  pour  lui.  Après 
cela,  comment  oseroit-on  permettre  aux  hommes  de  suivre 
leur  propre  idée  ?  Cependant  on  ne  néglige  rien  aujourd'hui 
pour  rompre  le  sacré  lien  de  l'orthodoxie.  Mille  machines 
dressées  contre  le  Consensus  doivent  nous  faire  craindre  pour 
ce  bouclier  de  la  foi.  Comme  chacun  doit  employer  ses  forces 
pour  repousser  les  assauts  des  hérésies,  quoique  le  plus  chétif 
des  orthodoxes,  j'ai  cru  qu'il  étoit  de  mon  devoir  de  faire 
quelque  chose  pour  soutenir  vos  bons  desseins.  J'ai  compris 
que,  si  j'exposois  à  la  vue  du  public  V Etendard  de  la  vérité,  je 
déconcerterais  tous  les  combattants  qui  lui  font  la  guerre.  Je 
n'ai  point  douté  que  sa  brillante  lumière  ne  dissipât  entière- 
ment les  nuages  épais  des  préjugés  et  de  l'erreur,  et  qu'ainsi 
nous  ne  vissions  bientôt  nos  églises  être  à  l'abri  de  l'orage 
qui  les  menace.  Et  parce  que  les  esprits  de  notre  siècle  parois- 
sent  plus  pesants  que  ceux  du  siècle  passé,  j'ai  lâché  d'éclairer 
par  quelques  remarques  les  endroits  qui  m'ont  paru  en  avoir 
besoin;  si  mon  travail  n'est  pas  inutile,  tout  l'honneur  vous 
en  sera  dû.  C'est  le  désir  d'unir  mes  efforts  aux  vôtres  qui 
m'a  mis  la  plume  à  la  main.  Daignez  jeter  un  œil  favorable 
sur  ma  traduction;  je  me  croirai  suffisamment  dédommagé 
de  mes  peines. 


IV. 


TABLE 

DES  PRINCIPALES  CONTROVERSES  Qtl'lL  FAUDRA  TKAITKIt  KN  CHAIRE 

AVEC  LES  TEXTES   Q(;'o.\  EXPLIQUERA. 

1.  De  la  divinité  et  île  l'authorité  de  l'Ecriture.  2  Tim. 

ni  46. 

2.  De  sa  perfection  contre  les  traditions.  Gai.  I,  8. 

3.  De  sa  clarté  et  de  la  nécessité  de  sa  lecture.  Jean  V,  39. 
h.  Du  juge  des  controverses,  haïe  VIII,  20. 

5.  De  la  nature  de  la  vraye  Eglise,  et  de  ses  marques. 

Jean  X,  27. 

6.  De  son  infaillibilité.  Malth.  XXIIJ,  10. 

7.  De  sa  splendeur  et  de  son  éminence.  Rom  XI,  4. 

8.  Du  chef  de  l'Eglise.  Eph.  I,  20. 

9.  Du  culte  religieux,  s'il  peut  être  rendu  à  des  créatures 

et  de  l'invocation  des  saints.  Malth.  IV,  10. 

10.  Des  images  et  de  leur  culte.  Exod.  XX. 

11.  Des  péchez  véniels  et  mortels.  Rom.  VI,  23. 

12.  De  la  médiation  de  Jésus-Christ  et  de  l'intercession  des 

saints.  4  Tim.  II,  5. 

13.  De  la  perfection  de  la  satisfaction  de  Jésus-Christ  et  des 

satisfactions  humaines.  Héb.  X,  ik. 

14.  Du  purgatoire.  1  Jean  I,  7. 

1b.  De  la  justification  par  la  foy.  Rom.  III,  28. 

16.  Du  mérite  et  de  la  nécessité  des  bonnes  œuvres.  Eph. 

II,  8-10. 

17.  De  la  nécessité  de  la  grâce  pour  la  conversion,  contre  le 

franc  arbitre.  Philip.  II,  13. 

18.  De  la  persévérance  et  de  la  certitude  du  salut.  2  Tim. 

I,  12. 

19.  Des  vœux  monastiques.  Gai.  V,  1 . 

20.  Des  jusnes.  Col.  II,  21,  22. 


513 

-2!.  Des  listes.  Gai.  IV,  40,  44. 

De  la  confession  auriculaire.  /  /mu  l,  9. 

23.  De  la  nécessité  et  de  l'efficace  du  bateme.  4  Pierre 

III,  24. 

24 .  De  la  Sainte  Cène  el  du  sens  de  ces  paroles  :  Ceci  est  mon 

corps,  contre  la  transubstantiation.  Matth.  XXVI.  26. 

25.  De  la  présence  réelle  et  de  la  manducalion  du  corps  de 

Christ.  Jean  VI.  63. 
20.  Du  sacrifice  de  la  messe.  Héb.  IX,  26. 

27.  De  l'adoration  de  l'hostie.  4lCor.  X,  4h. 

28.  De  la  communion  sous  une  espèce.  Matth.  XXVI,  27 . 

29.  Du  service  en  langage  inconnu.  4  Cor.  XIV. 

30.  De  la  nécessité  de  notre  séparation  de  l'Eglise  romaine. 

2  Cor.  VI.  47.  IS. 

(Extrait  des  lie  g.  de  la  Comjj.  Séance  du  9  janvier  (685.) 


FIN  DC  TOMÉ  TROISIÈME, 


III. 


53 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


DKS  MATIÈRES 


<o»TE*i.'fr:«  i.v.n  trois  wor  i  me». 


'Le  t'IiifTte  romain  indique  le  volume,  et  le  chilTre  arabe,  la  page., 


% 

Abauzit,  Firmin,  loué  par  Rous-  j 
seau,  III,  254  :  lui  adresse  avant 
rie  mourir  une  exhortation , 

ibidem. 

Abus  du  \  ieux  régime,  III,  274. 

Académie  genevoise.  Sa  fonda- 
tion, I,  506,  510:  ses  membres 
appelés  a  signer  un  formulaire 
de  foi,  III,  126;  étudiants  au  ! 
seizième  siècle,  II,  121;  étu-  I 
diants  en  théologie,  II,  122-127;  j 
ils  inclinent  vers  l'arminianis-  | 
me,  III,  130;  se  divisent  en  deux  j 
camps,  148;  leur  nombre  h  la 
fin  du  dix-huitième  siècle,  424, 
435, 458  ;  conseils  de  leurs  pro-  j 
fesseurs,  ibid.;  démarches  et  ; 
indulgence  pour  les  exempter 
de  la  conscription,  479;  in- 
fluence de  la  guerre  sur  l'Aca- 
démie, II,  136;  son  état  depuis 
l'édit  de  Nantes,  II,  142-147. 

ylrfm/sss'ondescatéchumènes.Voy. 
Réception  à  la  Sainte-Cène. 

AlciaL  libre  penseur,  condamné 
par  Calvin,  II,  227  et  234. 

Alfieri,  marquis,  fait  le  plan  de  la 
façade  de  Saint-Pierre,  III,  40. 

AUardet,  évèque  savoyard,  veut 
prendre  Genève,  II,  391,  394. 

Allemagne.  Rapports  de  Genève 


avec  ce  pays,  III,  410;  son  hos- 
pitalité envers  les  réfugiés  fran- 
çais, 417. 
Ambassade  de  Genève  à  Turin, 
III,  293. 

Ameaux,  dispute  contre  Calvig, 
I,  374-376. 

Aniiraut  ou  Amyraut,  sur  la  pré- 
destination, III,  116,  126:  ses 
doclrines  se  propagent,  125. 
145. 

Anabaptistes,  I,  280-283. 

Anglais  aidés  par  les  Genevois  à 
échapper  au  blocus  continen- 
tal, III,  409:  Angleterre,  de- 
mande qu'on  s'adoucisse,  quant 
au  Consensus,  III,  165,  171;  en 
lutte  avec  les  Pays-Bas,  288; 
fait  la  paix,  293;  protège  Ge- 
nève, 323,  et  les  galériens  pro- 
testants, 376:  relations  de  Ge- 
nève avec  ce  pays,  401-410. 

Annecy,  son  évèque  veut  mainte- 
nir sous  sa  juridiction  ses  an- 
ciennes paroisses,  III,  308;  ne 
vient  pas  consacrer  à  Genève 
la  chapelle  du  résident,  326. 

Anspach,  pasteur,  membre  de  la 
Constituante  en  1793,  III,  438; 
comment  il  loue  Charles  Bon- 
net, 441; censuré  pour  cela  par 
Mouchon,  442;  procureur-gé- 
néral, contribue  au  rétablisse- 


5 1 6 


ment  et  au  respect  du  culte, 
449  et  suiv. 

Antoine,  hérétique  brûlé  à  Ge- 
nève, II,  291-301. 

Appenzell  approuve  le  Consensus, 

m,  145. 

Ardutius,  évèque  chrétien,  1,  39, 
40. 

Aventhon  fd'J,  Jean,  évèque,  sol- 
licite de  la  France  la  conquête 
de  Genève,  III,  288. 

Arminius,  étudie  a  Genève,  1582, 
II,  278;  approuvé  par  Th.  de 
Béze,  279;  pasteur  à  Amster- 
dam, 280;  anti-prédestination: 
ibid.;  en  quoi  diffère  de  Cal- 
vin, III,  115,  126:  sa  doctrine 
se  répand,  129  et  suiv..  144: 
sa  mort,  II,  281. 

Armoiries  chrétiennes,  I,  350. 

Arnold,  pasteur,  obtient  de  Ge- 
nève une  somme  destinée  au 
rétablissement  du  séminaire  ré- 
formé de  Lissa,  III,  415. 

Articulait*,  leur  trahison  natio- 
nale, I,  315-316. 

Ascension,  fète  célébrée,  III,  9, 
48. 

Auberges,  régularisées,  II,  80,  86. 

Auberius,  libre  penseur,  condam- 
né, II,  274, 

Augustin»,  moines  indignes.  1.  53, 
I,  215-216. 


Bâtard,  syndic,  catholique  impar- 
tial, 1,  82;  ne  veut  pas  aban- 
donner son  culte,  269. 

Hâle  prête  30,000  écus  à  Genew 
en  1583,  II.  409;  approuve  le 
Consensus,  III,  145. 

Baptiste,  vénitien,  antitrinitaire, 
II,  274-275. 

Baptême,  célébré  à  Genève  pour 
la  première  fois,  I,  169  et  suiv. 

Bavante  (M.  de),  préfet  du  Lé- 
man, son  bon  esprit,  III,  350. 

Barillet,  libraire,  achète  un  ma- 
nuscrit de  Giannone,  III,  205: 
le  v  end  à  Bentivoglio,  206. 


Battievelt,  arminien,  II,  283:  mis 
à  mort  pour  ses  opinions.  286. 

Barthclemi  (la  Saint-),  II.  311- 
313;  Rome  l'approuve,  318- 
320;  conduite  de  Genève,  321; 
jeûne  de  l'église  de  Genève, 
325;  réfugiés  a  Genève, II,  327: 
Charité  des  Genevois,  ibid.  ; 
dangers  de  Genève,  331  ;  inter- 
vention des  Suisses,  333;  ren- 
trée des  réfugiés  sous  Hen- 
ri III,  336,  337. 

Bannie  (Pierre  de  la),  dernier 
évèque  de  Genève;  son  carac- 
tère, 1, 85:  s'éloigne  de  Genève, 
87  ;  revient  et  veut  exercer  une 
justice  illégale,  141-143;  prend 
peur  cl  s'enfuit,  143;  défend 
de  lire  la  Bible,  147;  veut  re- 
prendre Genève,  183:  trans- 
porte son  siège  àGex,  184-185: 
ordonne  la  guerre  des  Peney- 
sans ,  ibid.  ;  est  mis  en  accusa- 
tion par  les  Genevois,  192;  les 
excommunie,  194:  essaie  vai- 
nement de  reprendre  Genève, 
307-312. 

liai/le,  son  Dictionnaire  publié  h 
Genève,  IIL  186. 

Beaune,  ville  protestante,  II,  347. 

Berlin,  église  du  refuge  dans  cette 
ville,  III,  417. 

Bernard,  Jacques,  moine  converti, 
ouvre  la  dispute  avec  l'Eglise, 
I,  207. 

Berne  prend  le  pays  de  Vaud,  I, 
102;  protège  la  réforme  a  Ge- 
nève, 140;  veut  la  liberté  du 
culte,  167  :  ses  troupes  arrê- 
tent les  Xeuchàtelois  après  la 
bataille  de  Gingins,  227;  elle 
hésite  à  secourir  Genève,  228: 
envoie  ses  représentants  à  son 
secours,  235-242;  disputes  sur 
la  Sainte-Cène  a  Genève,  289: 
fait  alliance  avec  Genève,  II, 
414:  fait  le  traité  de  Nyon, 
560;  les  campagnes  bernoises, 
en  1589,  défendent  la  cause 
protestante,  565-568;  Berne  in- 


ri  17 


tervient  à  Genève,  III,  80;  ap- 
prouve le  Consensus,  145;  l'im- 
pose par  la  violence ,  ibid.  ; 
promet  de  secourir  Genève 
contre  les  dangers  du  dehors, 
291  ;  ses  dépenses  pour  les  ré- 
fugiés, 370. 

Bernex  :  son  curé  veut  que  les 
protestants  s'agenouillent  de- 
vant  l'hostie,  III,  311. 

Bernolière  conspire  contre  Ge- 
nève, II,  478-480. 

Berthelier,  martyr  genevois,  I,  84: 
sa  veuve  épouse  un  de  ses  an- 
ciens ennemis,  199  ;  Berthelier 
fils,  excommunié,  415;  insulte 
les  pasteurs,  424 

Bertrandis,  évèque  réformateur 
en  1388,  I,  43. 

Bessonnet,  professeur,  vole  pour 
le  Consensus  élargi,  III,  1(33. 

Bèze  (Théodore  de)  au  colloque 
de  Poissy,  I,  459;  son  carac- 
tère et  sa  conversion,  II.  5:  pré- 
sident de  la  Compagnie  des  pas- 
leurs,  9;  censure  les  magistrats, 
53,  54:  découvre  une  trahison 
contre  Genève,  400-403;  dé- 
montre la  justice  de  la  guerre 
contre  la  Savoie,  II,  40b;  dé- 
couvre une  seconde  trahison, 
412;  sa  traduction  des  Psau- 
mes, III,  9,  16;  modifiée,  ibid.; 
il  reçoit  en  France  des  secours 
pour  les  réfugiés,  359;  en  dirige 
l'administration,  puis  se  fait 
suppléer,  ibid.  :  son  caractère, 
II,  641,642;  relations  avec  Fr. 
de  Sales,  643,  669:  mort  de 
Théodore  de  Bèze,  666-667. 

Bible  en  langue  vulgaire  :  son  ac- 
tion, I,  79;  répandue  dans  la 
vallée  du  Léman,  82,  83;  pé- 
nètre en  Savoie,  85;  amateurs 
delasainteBibleen  1532,p.90: 
imprimée  en  Genève  en  1543 
et  1545,  p.  354;  version  révisée 
en  1675  et  1703,111,  21  etsuiv.: 
en  1805,  p.  182:  citation  de  la 
préface,  183. 


Bienne,  approuve  le  Consensus. 
III,  145. 

Biron,  veut  livrer  Genève  au  pape, 
II,  471. 

Blanchet,  pasteur,  martyr  de  la 
peste.  II,  156. 

Blandrate ,  antitrinitaire  italien 
persécuté.  II,  236. 

Blonay  (de),  colonel,  fait  une  en- 
treprise infructueuse  contre  Ge- 
nève, II,  481,  et  III,  298. 

Blondel,  d'accord  avec  Charles- 
Emmanuel,  II,  477. 

Boisée  condamné  sur  la  prédesti- 
nation, II,  207-222. 

Boniuard  :  souper  de  Berthelier, 
1,  83;  tance  les  premiers  pro- 
testants, I,  99. 

Bonmont,  l'abbé,  s'oppose  à  Fa- 
rel  et  à  Saunier,  I,  113. 

Bons  (de),  colonel,  envoyé  à  Ge- 
nève pour  y  créer  un  parti  sa- 
voyard, III,  293. 

Bonstetten  (Charles-Victor  de)  : 
souvenirs  de  sa  jeunesse,  III, 
250. 

Bordeaux  demande  à  Genève  le 
pasteur  Courtant,  II,  319. 

Bovdier,. Jacques,  pasteur  :  ses  lils 
emprisonnés  à  Milan.  111,  309. 

Bordier,  Jacob,  prêche  contre  les 
fêtes,  III,  48. 

Borromée  (S*  Charles-)  veut  pren- 
dre Genève,  I,  527. 

Bossey  :  visite  consistorùde  dans 
celle  paroisse,  III,  97  ;  son  par- 
leur emprisonné,  309  :  ne  peut 
plus,  dès  1754,  garder  le  culte 
réformé  que  vingt-cinq  ans,  318. 

Bourdillon,  Pierre-Daniel,  pas- 
teur de  Dardagny,  suspect,  III, 
450;  destitué,  454;  sur  le  refus 
de  M.  Moulinié  de  lui  rendre 
sa  place,  s'expatrie  et  meurt  en 
Amérique,  456. 

Bourgogne  (églises  protestantes 
de),  II,  345,  369,  371,  377. 

Bourse  française,  III,  346:  son 
origine,  359;  ses  libéralités 
pour  les  réfugiés,  370,  371. 


318 


Bouverot,Adam,  pasteur  de  Chan-  I 
cy,  suspect  aux  révolutionnai- 
res, III,  450:  destitué.  454. 

Brigues  électorales,  II.  59;  con- 
damnées par  les  pasteurs,  III, 
26.'!  el  suiv. 

Bruccioli,  cardinal,  traduit  la  Bi- 
ble en  italien,  I,  472. 

Bulle  de  Pie  IV,  dite  sanglante, 
I,  483;  de  Clément  VIII.  pour 
la  sainte  maison  de  Tlionon . 
III,  300;  de  Clément  X,  contre 
les  hérétiques,  296. 

Burgondes  chrétiens,  I,  32. 

Burlamaccjii,  Fabrice  (?),  publie 
un  catéchisme,  III,  24,  26. 

Bumet,  prélat  anglican,  blâme 
les  confessions  de  foi,  III,  144. 

Busanton  (David  de)  :  sa  géné- 
rosité pour  qu'on  soutienne  â 
Genève  les  Français  -malheu- 
reux, III.  359. 

Bu  fini,  Gabriel  :  sa  réponse  a.  Mo-  ! 
rus,  III,  124;  protège  Le  Clerc  | 
contre  les  exclusifs,  143. 

Butini,  Domaine,  demande  que  la  i 
Compagnie  n'instruise  pas  le 
Conseil  des  débats  théologi-  | 
ques,  III,  162;  vote  un  Consen- 
sus plus  large,  163. 

Butini,  Pierre,  soumis  à  un  enga- 
gement, quant  à  la  doctrine,  III,  ] 
159;  vote  un  Consensus  plus  I 
large,  163. 


Cabrières  :  massacre  des  protes-  ' 
tants  en  1545,  I,  439:  le  curé 
de  l'endroit,  en  1733,  vient  en 
aide  â  des  protestants,  III,  346.  ! 

Calandrini,  Julien,  protestant  ita-  i 
lien,  I,  479. 

Calandrini,  Bénedict,  veut  main- 
tenir le  Consensus,  III,  161;  I 
165:  s'élève  avec  énergie  cou-  ! 
tre  la  danse,  268  ;  et  annonce 
l'arrivée  à  Genève  de  286  con- 
fesseurs, 373  et  suiv. 

Calandrini  Jean-Louis,  abrège  la 
prière  finale  du  dimanche  ma-  i 


tin,  III,  13;  révise  les  psaumes, 
18:  invoque  l'autorité  des  Con- 
seils en  faveur  de  la  grâce,  137: 
signale  le  Dictionnaire  de  Bay  le, 
186;  est  loué  pour  sa  prédica- 
tion, 92. 

Calandrini ,  Louis,  propose  un 
plan  de  restauration  pour  la  fa- 
çade de  Saint-Pierre,  III,  39. 

Calas  (Procès  des),  III,  385;  leur 
réhabilitation,  par  qui  provo- 
quée, 387. 

Calendrier  changé.  III,  51. 

Calvin  arrive  à  Genève,  I,  266; 
persécuté  â  Aoste,  267:  arrêté 
par  Farel,  268;  donne  des  le- 
çons de  théologie  à  Genève, 
269:  condamne  les  mauvaises 
mœurs,  288, 289;  banni  de  Ge- 
nève en  1538,  p.  297,  298;  con- 
sole ses  amis  de  Genève,  304: 
rappelé  â  Genève  en  1541,  320- 
325  :  établit  le  Consistoire,  327- 
335:  fait  voter  an  peuple  l'éta- 
blissement de  la  discipline,  345: 
établit  les  liturgies,  351;  Calvin 
pendant  la  peste,  II,  158;  s'op- 
pose aux  libertins  spirituels,  I, 
373;  dispute  avec  Ameaux,  li- 
bertin spirituel,  374:  dispute 
avec  F.  Favre  et  Amied-Perrin, 
382-388:  fait  condamner  a  mort 
Gruet,  389;  condamne  Sébas- 
tien Chàtillon  sur  la  libre  inter- 
prétation de  la  Bible,  II,  198- 
206;  Bolsec,  sur  la  prédestina- 
tion. 207-224;  se  brouille  â 
ce  sujet  avec  son  meilleur  ami, 

-  221;  condamne  les  libres-pen- 
seurs italiens  concernant  la  Tri- 
nité, II,  224-239  :  dirige  le  pro- 
cès de  Servet,  239-265;  est 
menacé  par  les  Libertins,  1, 393: 
apaise  un  tumulte  politique 
dans  le  Conseil,  395;  insulté 
dans  la  rue,  408  :  reproche  leur 
relâchement  aux  ministres,  409: 
insulté  par  les  Libertins,  414; 
préserve  la  sainte  Cène  de  la 
profanation,  415:  encourage  les 


S 19 


Français  à  soutenir  la  Réfor- 
mation,  449,  451;  brave  Cathe- 
rine de  Médecis  et  répond  cou- 
rageusement à  Charles  IX,  40)}, 
465;  n'encourage  pas  les  réfu- 
giés à  venir  h  Genève,  488; 
travaille  aux  ordonnances  po- 
litiques de  Genève,  520;  Cal- 
vin règle  les  affaires  de  police, 
523  :  maladies  de  Calvin,  530  : 
mort  de  sa  femme,  531  ;  pau- 
vreté et  désintéressement  de 
Calvin,  533,  634;  sa  dernière 
maladie  et  sa  mort,  537-542: 
jugement  du  pape  sur  Calvin. 
534. 

Calvinistes,  mécontents  de  la  ré- 
ponse de  la  Compagnie  h  l'En- 
cyclopédie, III,  199. 

Cameron,  soupçonné  d'arminia- 
nisme,  III,  118. 

Campagnes  qenevoises  amenées  à 
la  Réformation,  I,  257-259;  dé- 
fauts de  cette  Information,  358, 
359. 

Canal,  syndic,  tué  à  l'Escalade, 

II,  517;  son  fils,  traître  à  la 
patrie,  est  décapité,  521. 

Cantiques  de  Bénédict  Pictet,  III, 

19  et  suiv. 
Cantons.  Voy.  Suisses. 
Cappel  :  son  intervention  entre 

Amvraut  et  Dumoulin  blâmée, 

III,  117. 

Caroly,  moine,  dispute  avec  Fa- 
rd," I,  212. 

Caron,  anabaptiste,  II,  271  et 
suiv.   .  • 

Carraccioli  (de),  marquis  italien, 
réformé,  I,  481. 

Cartigny,  visite  consistoriale,  III, 
99. 

Castes.  III,  56. 
Castalion.  Voy.  Chdtillon. 
Catéchisme  (culte  des  enfants)  au 

seizième  siècle.  Il,  21  et  suiv.  ; 

au  dix-huitième  siècle,  TU,  34. 
Catéchisme  (livre)  de^ Calvin,  III, 

23;  de  Dumoulin,  26;  de  Bur- 

lamaqui,  24, 20;  dp  Drelineourt, 


ibid.  ;  d'Osterwald,  ibid.  et  32: 
de  Vernet,  33;  celui  de  Calvin 
révisé,  28;  proposé  de  le  révi- 
ser, 32  ;  sa  valeur  normative 
appréciée,  177. 
Catéchistes  spéciaux  nommés,  III, 
25,  29. 

Catéchumènes  :  leur  nombre,  III, 
30,  33,  34:  quand  examinés. 
95. 

Catholiques,  après  la  Réforme,  I, 
271;  leur  nombre  à  Genève  au 
commencement  du  dix-neuviè- 
me siècle,  III,  349. 

Cavalier  de  Savon;  II,  514,  515. 

Caze  veut  distribuer  des  psau- 
mes, III,  18. 

Céligntj  :  visite  consistoriale,  III, 
100. 

Gellérier,Jean-Isaac-Samiuel,p&$- 
teur  à  Satigny  :  sa  préface  à  la 
nouvelle  version  de  la  Bible, 
III,  183. 

Cène  (Sainte-)  :  première  célé- 
bration a  Genève,  I,  131;  or- 
ganisation de  cette  cérémonie 
au  seizième  siècle,  II,  34,  30  : 
manière  de  la  célébrer,  III,  42: 
quand  célébrée,  44. 

Chablais,  converti  au  protestan- 
tisme en  1536,  II,  541,  552; 
violence  des  Bernois  en  Cha- 
blais ,  552  ;  organisation  de 
la  réforme  en  Chablais,  558: 
pasteurs  du  Chablais  courageux 
et  désintéressés,  562, 504;  chas- 
sés en  1589,  p.  584. 

Chabrey,  Daniel,  condamne  la 
corruption  électorale,  III,  265. 

Chambery  :  son  évèque  promet 
de  rendre  Saint-Germain  aux 
protestants  de  Genève  après  la 
ci  instruction  d'une  autre  église, 
III,  350. 

Chambre  des  orphelines,  III,  472. 

Champion.  Antoine,  évèque  ré- 
formateur, I,  56-65. 

Chancy  :  visite  consistoriale,  III, 
99:  intrépidité  de  ses  habitants 
pour  sauver  les  réfugiés  pro- 


.120 

V 

testants,  307:  regrette  son  culte,  I 
454. 

Chant  sacré  :  établissement  pri-  ; 

mitif,  I,  .'S.-;:! 
Charles-Quint  défend  aux  Gene-  ! 

vois  d'accepter  la  Réforme,  I, 

101. 

Charles  IX  bienveillant  envers  les  j 
réformés,  II,  307 ;  médite  la  1 
Saint-Bar thêlemi,  309;  renie  la 
responsabilité   du   massacré . 
314. 

Char  les- Emmanuel  ï/feinl  de  l'a- 
mitié pour  Genève,  II,  405;  v  ut 
l'attaquer  par  surprise,  407: 
refuse  de  la  comprendre  au 
traité  de  Vervins,  467  :  manque 
à  sa  parole  envers  Henri  IV, 
469;  veut  s'emparer  de  Genève 
au  moyen  d'une  machine  infer- 
nale. 484:  veut  reprendre  cette 
ville  après  le  traité  de  Saint- 
Julien,  511,  512  :  ses  entrepri- 
ses déjouées  par  Sully  et  Les- 
diguières,  524;  nouvelle  tenta- 
tive contre  Genève,  534:  ins- 
truit des  préparatifs  de  celte 
ville  pour  se  défendre,  III,  29  i: 
renonce  à  la  prendre,  298  :  sa 
mort,  ibid. 

Charles-Emmanuel III,  traite  avec 
la  république  de  Genève,  III, 
317. 

Hit  a  ries  I",  roi  d'Angleterre,  con- 
damné à  mort,  III,  404. 

Châtelaine  :  Voltaire  y  établit  un 
théâtre,  III,  78,  80,  82. 

Châtillon,  Sébastien,  condamné 
pour  crime  d'hérésie,  II,  198- 
206. 

Chauvet,  Raymond,  traite  dure- 
ment les  citoyens  dans  un  ser- 
mon, I,  376;  Antoine  Chauvet 
blâme  les  usuriers,  II,  53. 

Chauvigny,  résident  français  à 
Genève,  III,  324-331. 

Chenaud,  Abraham,  pasteur  de 
Satigny ,  loué  pour  son  dévoue- 
ment, III,  97. 

Chenevière,  Nicolas,  pasteur  :  son  i 


hospitalité  envers  les  prêtres 
proscrits,  III,  347;  échappe  au 
tribunal  révolutionnaire,  452: 
membre  d'une  commission  pour 
la  réorganisation  ecclésiasti- 
que, 461. 
Chérubin,  missionnaire  avec  Fran- 
■  •ois  de  Sales.  II,  569,  572;  pro- 
pose une  conférence  aux  pas- 
teurs de  Genève,  575:  menace 
cette  ville,  577;  a  querelle  à 
Tbonon  avec  les  réformés  au 
sujet  des  cloches,  607-608: 
prêche  avec  succès  à  Thonon, 
610;  propose  une  dispute  aux 
théologiens  de  Genève,  617;  le 
Conseil  la  désapprouve,  620: 
veut  égaler  la  tradition  à  la  Bi- 
ble, 621;  dispute  refusée  par 
les  pasteurs,  622. 
Choiseul  (duc  de),  s'intéresse  à  la 
réhabilitation  des  Calas,  III, 
387  et  suiv. 
Choisi/,  Georges-Louis,  combat 
l'invasion  des  mauvais  livres, 
III,  478. 

Chouet,  Robert,  élu  professeur  de 
philosophie,  III,  136;  signe  à 
contre-cœur  le  formulaire,  ibid.; 
doit  surveiller  l'établissement 
du  théâtre,  75. 
Choulex  :  ses  habitants  pressés 
de  se  faire  catholiques,  III,  310. 
Citadin  de  Genève,  II,  515. 
Claparède,  David,  professeur,  blâ- 
me Rousseau,  III,  248:  rem- 
plit, en  1782,  le  rôle  de  paci-' 
ticateur,  426. 
Claude  Savoie,  svndic  protestant, 
I.  261. 

Clehergue,  bienfaiteur  de  Genève. 
I,  367. 

Clément  Mil  autorise,  par  une 
bulle,  la  sainte  maison  de  Tho- 
non, III,  300. 
Clément  X  veut  convaincre  Char- 
les-Emmanuel II  de  son  droit 
de  faire  la  guerre  à  Genève,  III, 
286;  sa  bulle  contre  les  héré- 
tiques, ibid. 


Coliyny  (amiral  de),  chef  des  ré- 
formés, II,  308;  sa  mort,  310. 

Coligny  (François  de),  religieux 
converti,  III,  341. 

Collège  de  Versonnex,  I,  494:  de 
Calvin,  304,  499-308:  des- 
cription du  collège  en  1573, 
II,  109,  112,  119. 

Comédie  religieuse  en  1523,  I. 
88  et  suiv.;  blâmée,  378,  379. 

Compagnie  des  pasteurs,  élablie 
par  Calvin,  I,  334  ;  adopte  la 
présidence  hebdomadaire  après 
la  mort  du  réformateur,  II,  7- 
15:  impose  un  formulaire  de 
foi,  III,  121,  125  ;  en  subit  les 
conséquences,  146  et  suiv.:  le 
rend  moins  gênant  pour  les 
consciences,  163;  y  renonce, 
pour  en  revenir  à  l'Écriture, 
175;  sa  réponse  aux  Églises 
wallonnes,  177  et  suiv.  Répond 
à  Y  Encyclopédie,  196  et  suiv.; 
à  une  brochure  calviniste,  199: 
intervient  contre  le  renouvel- 
lement du  théâtre,  76,  80; 
adresse  un  mémoire  au  Con- 
seil sur  les  mauvais  lieux,  209: 
son  mandement  contre  les  Let- 
tres de  la  Montagne,  247,  282. 
Parfois  censurée  par  le  Con- 
seil, 266;  parfois  réprimande 
les  magistrats,  274  etsuiv.,  441; 
position  qu'elle  prend  au  mi- 
lieu des  révolutions,  273,  280 
et  suiv.,  425  et  suiv.,  429,  431, 
433,  437,  439  et  suiv.,  446, 
451.  Elle  demande  à  Louis  XIV 
l'envoi  d'un  résident  protes- 
tant, 324;  consultée  par  le  sy- 
node de  Westminster,  402-403: 
elle  refuse  de  condamner  la  dé- 
position par  le  Parlement  de 
quelques  évêques,  ibid.;  mais 
condamne  les  individus  qui  ne 
veulent  ni  synode  ni  colloque, 
ibid.;  sa  lettre  de  condoléance 
â  Guillaume  III  sur  la  mort  de 
la  reine,  404  et  suiv.;  et  à  son 
successeur  sur  sa  mort  à  lui— 

m. 


même,  405.  Souscription  de  ce 
corps  à  l'association  pour  la  pro- 
pagation de  l'Evangile,  406; 
reçoit  des  lettres  de  commu- 
nion fraternelle  de  l'évèque  de 
Londres  et  de  l'université  d'Ox- 
ford, ibid.  :  ainsi  que  de  l'ar- 
chevêque de  Cantorbéry,  407. 
Sa  conduite  au  milieu  de  la  tour- 
mente révolutionnaire,  451  et 
suiv.  :  après  la  réunion  de  Ge- 
nève â  la  France,  460  et  suiv.: 
appelée  â  prier  pour  l'empire 
français  contre  l'Angleterre. 
409;  comment  elle  s'en  tire, 
410:  fait  remercier  M.  Portalis 
de  sa  protection  pour  l'Eglise 
de  Genève,  474;  remercie  Na- 
poléon de  ce  qu'il  a  fait  pour 
la  liberté  des  cultes,  ibid.;  fé- 
licite le  gouvernement  genevois 
du  retour  de  l'indépendance, 
484;  reçoit  les  remerciments 
du  premier  syndic,  ibid. 

Concordat  :  ses  effets  pour  Ge- 
nève, III,  472. 

Confession  de  foi  primitive,  éta- 
blie par  Farel  et  Calvin,  I,  276: 
imprimée  après  diverses  oppo- 
sitions, 283  et  suiv.  ;  refusée  en 
1540,  p.  318. 

Confession  des  péchés,  III,  10. 

Conrart,  Valentin,  académicien, 
révise  la  langue  des  Psaumes, 
III,  17. 

Conscience.  Voy.  Liberté  de. 

Conscription  militaire  :  ses  résul- 
tats à  Genève,  III,  481,  484. 

Conseil  général  :  sa  création,  I, 
41. 

Conseil  d'Etat,  ou  petit  :  sa  créa- 
tion, I,  41  ;  son  intervention 
dans  les  exercices  du  culte,  III. 
35;  dans  les  discussions  sur  la 
grâce,  121,  131;  dans  le  Con- 
sensus, 148;  accepte  le  chan- 
gement du  dit,  168;  fait  détruire 
les  exemplaires  de  Candide, 
201;  des  Dialogues  de  Voltaire, 
206;  du  Dictionnaire  philoso- 

34 


522 


phique,  210;  fait  amender,  dans 
une  nouvelle  édition  de  l'En- 
cyclopédie, l'article  Genève, 
211;  arrête  la  distribution  de 
mauvais  livres,  212;  ordonne 
de  ne  prier  ni  pour  le  roi  ni 
pour  Cromwell,  mais  pour  l'An- 
gleterre, 403. 

Consensus,  inspiré  par  François 
Turrettini,  III,  129;  sa  rédac- 
tion, 144;  il  est  imposé  aux 
pasteurs  réfugiés,  146;  com- 
ment adopté  pour  Genève,  147 
et  suiv.;  attaqué  par  J.-A.  Tur- 
rettini, 157;  provoque  des  dif- 
férends, 160;  amendé  en  1706. 
p.  163;  aboli  en  1725,  p.  175. 

Consistoire  :  punit  les  magistrats, 
I,  361  ;  son  action,  III,  59;  son 
autorité  méconnue,  63;  se  ré- 
jouit de  l'apaisement  des  dé- 
bats, 141;  conserve  son  auto- 
rité durant  la  révolution,  440; 
anéanti  de  fait,  461;  réorganisé, 
462. 

Constantinople  demande  un  pas- 
teur à  l'Eglise  de  Genève,  III, 
419;  don  de  la  Compagnie  à 
cette  communauté,  420. 

Constitution  politique  de  Genève, 
en  1782,  III,  425:  en  1791,  p. 
432. 

Controverse  populaire  en  1534, 

I,  171,  172;  publications  déli- 
vres de  controverse,  III,  339  : 
enseignement  dans  les  familles 
et  en  chaire,  342  et  suiv. 

Conversions  de  protestants  au  ca- 
tholicisme, III,  304. 

Corault,  pasteur  aveugle,  banni 
avec  Calvin,  I,  291,  304. 

Cordeliers  démoralisés,  I,  55-65. 

Corona  :  sa  mission  diplomatique 
contre  Genève,  II,  530. 

Corsinge  :  village  inutilement  ré- 
clamé pour  Genève,  III,  294. 

Coutans,  Jean,  pasteur  martyr,  à 
Bordeaux,  II,  379. 

Coutelier,  prédicateur  catholique, 

II,  175. 


Covelle ,  refuse  de  s'agenouiller 
devant  le  Consistoire,  III,  70; 
nie  avoir  rien  reçu  de  Voltaire, 
73. 

Cramer  frères,  disculpés  d'avoir 
imprimé  un  écrit  de  Voltaire, 
III,  200. 

Crest  (château  du),  définitivement 
adjugé  à  Genève,  III,  294. 

Cromwell,  anathématisé  par  Jean 
Diodati,  III,  404. 

Culte  domestique,  II,  18-20,  24. 

Culte  public  dans  les  églises,  I, 
176  et  suiv.;  heures  du  culte, 
III,  8;  nombre  des  exercices 
du  culte,  34  et  suiv.;  presque 
anéanti  sous  la  terreur,  448  : 
rétabli,  460  et  465. 

Curés.  Voy.  les  mots  Bernex,  Bos- 
sey,  Choulex,  Russin,  Sionnex. 
Lacoste,  Vuarin. 

Cartel,  châtelain  de  Chaumont, 
martyr  protestant,  I,  309. 

Curtet,  Jean-Ami,  syndic,  chargé 
de  diriger  une  manufacture,  I, 
524. 


D'Alembert  compose  avec  Vol- 
taire son  article  sur  Genève,  I, 
195. 

Danses  immorales,  I,  380,  381  : 

II,  90,  91;  III,  66. 
Dardagny  demande  le  rétablisse- 
ment du  culte,  III,  465. 

Dassier,  François,  loué  par  ses 
paroissiens,  III,  100;  sa  ré- 
ponse au  curé  de  Choulex,  310. 

David,  accusateur  des  Calas,  III, 
386;  voit  réviser  leur  procès 
et  en  devient  fou,  388. 

Décadi  :  sa  célébration  anticipée, 

III.  463;  il  est  réservé  pour  la 
célébration  du  mariage,  464  ; 
abolition  de  cette  fête  révolu- 
tionnaire, 465. 

De  Chapeaurouge,  Ami,  syndic, 
veut  empêcher  l'établissement 
de  la  messe  chez  le  Résident, 
III,  324  et  suiv. 


523 


De  Combes,  capitaine,  sauvé  par 
le  pasteur  Peschier,  III,  430. 

De  Joux,  Pierre,  pasteur  à  Dar- 
dagny,  III,  456. 

De  la  Chana,  chef  des  novateurs, 
III,  376. 

De  la  Faye,  pasteur,  condamne  le 
Conseil  pour  un  cas  moral,  II, 
64,  66;  est  insulté  par  Fran- 
çois de  Sales,  597:  meurt  de  la 
peste,  178. 

De  la  Fontaine,  pasteur  à  Bossey, 
emprisonné  à  Chambéry,  III, 
309. 

De  la  Rive,  missionnaire  en  Rouer- 
gue  et  à  Paris,  I,  453,  458. 

De  la  Rive,  Jean,  pasteur,  révise 
les  psaumes,  III,  18;  vote  l'élar- 
gissement du  Consensus,  163. 

De  la  Rive,  Jean-Jacques,  syn- 
dic, demande  qu'on  perfec- 
tionne l'enseignement  religieux, 
III,  24;  va  demander  l'appui 
des  Suisses  en  faveur  de  Ge- 
nève, 378. 

De  la  Rive,  Ami,  l'un  des  fonda- 
teurs de  la  Société  des  caté- 
chumènes, III,  28;  prêche  à  la 
réouverture  de  Saint-Pierre, 
41  ;  signale  l'article  de  V Ency- 
clopédie sur  Genève,  196. 

De  la  Sauzais,  ministre,  prête  ser- 
ment, III,  445. 

De  Lesmilières,  pasteur,  invoque 
l'autorité  des  Conseils  en  fa- 
veur du  formulaire,  III,  137. 

Denis  (saint),  I,  29. 

De  Roches,  François,  annonce 
l'intention  de  Voltaire  de  cons- 
truire chez  lui  un  théâtre,  III, 
78  ;  répond  au  livre  de  la  Reli- 
gion essentielle  à  l'homme,  1 88; 
son  éloge  funèbre,  111. 

De  Rodon,  David,  doit  signer  le 
formulaire,  III,  126  et  suiv.; 
sa  confession  de  foi  au  lit  de 
mort,  128;  hérésie  antérieure, 
129. 

Desportes,  Félix,  résident  :  son 
rapport  sur  la  réunion  de  Ge- 


nève à  la  France,  III,  459;  ses 
petites  vexations,  463. 
Després,  Jean-Jacques,  prêche 
contre  les  fêtes,  III,  48;  près 
d'être  puni  pour  avoir  prié  en 
faveur  d'une  famille  exilée, 
277. 

D'Iberville,  résident  français,  fa- 
vorise l'établissement  à  Genève 
des  catholiques,  III,  333  et  s. 

Dimanche  (le)  à  Genève,  sous  la 
république  française,  III,  465. 

Diodati,  député  à  Dordre'ht,  II, 
287;  pasteur  à  Genève,  19;  dé- 
crit à  Dordrecht  l'instruction 
religieuse  de  Genève,  21,  22  : 
son  discours  contre  les  brigues 
électorales,  III,  264;  anathé- 
matise  Cromwell,  404;  censuré 
pour  cela,  ibid. 

Discussions  dogmatiques,ïïl,  1 15. 

Dordrecht  (Synode  de),  II,  284- 
288. 

Dominicains  de  Plainpalais  démo- 
ralisés, I,  67-70. 

Doxologie  de  Calvin  modifiée, 
III,  44. 

Dragonnades  sous  Louis  XIV,  III, 
361  et  suiv. 

Duby,  Jean-Louis,  pasteur,  sus- 
pect aux  révolutionnaires  par 
ses  exhortations  à  la  charité, 
III,  444;  son  courage  le  fait  em- 
prisonner, 445;  ordre  de  far 
rêter  de  nouveau  après  une  pré- 
dication, non  exécuté,  452;  i ' 
se  rend  à  New- York,  ibid.;  son 
retour  et  sa  réélection,  457; 
son  sermon  de  jeûne  en  1800, 
466;  nature  de  sa  prédication, 
476. 

Duf'our,  Charles,paslevir, propose 
d'abréger  les  liturgies,  III,  12; 
convainc  le  résident  français  de 
l'existence  d'une  souscription 
destinée  à  peupler  Genève  de 
catholiques,  331. 

Dumoulin,  Pierre  :  la  Compagnie 
l'exhorte  à  la  douceur  envers 
Amiraut,  III,  1 1 6. 


Dupré,  résident  français,  III,  331. 

Du  Quesne,  Henri  (marquis),  ad- 
joint à  une  commission  rie  la 
Compagnie  pour  la  révision  de 
la  Bible,  III,  22. 

Ihirœus,  J.  :  son  projet  de  réu- 
nion des  Églises  protestantes, 
III,  168. 

Duroveray,  incriminé  et  empri- 
sonné pour  une  brochure,  III, 
446. 

Duval-Lassnre,  l'est  également, 
ibid. 

E 

Ebraï,  Jean ■  Henri, pasteur  à  Chê- 
nes pendant  la  Révolution  :  ne 
rend  sa  place  à  M.  Juventin 
que  sur  l'intervention  du  pou- 
voir civil,  III,  456. 

Ecoles  établies  dans  chaque  di- 
zaine, III,  26;  écoles  primaires 
établies  par  la  Société  des  ca- 
téchumènes, 30. 

Ecriture-Sainte,  seule  régie  de 
foi,  III,  170,  175,  198. 

Edit  de  Nantes  :  sa  proclamation. 
II,  343. 

Eglise  féodale  à  Genève,  1, 35,  36: 
corruption  de  l'Eglise  romaine. 
80,  81. 

Eglise  organisée  par  Calvin ,  1 , 
'273,  275,  328,  335;  votée  par 
le  peuple,  345. 

Eglises  de  France  :  Bourgogne,  II, 
346,  369,  371:  églises  du  Midi, 
347;  Bordeaux  demande  un 
pasteur,  350;  Nimes  demande 
des  secours,  351;  Sainte-Foi 
demande  un  pasteur,  351: 
Orange  demande  M.  Goulard, 
353;  Milhau  et  Tonneins  de- 
mandent des  pasteurs,  344;  La 
Rochelle,  de  même,  355;  Blois, 
357;  Joyeuse,  Die,  Lyon,  360; 
Saint-Etienne,  Grenoble,  361, 
362;  Issoudun,  363  :  Paris  de- 
mande M.  Prévost,  366;  Metz 
consulte  Genève  à  l'occasion 
d'une  procession,  368.  Les  égli- 


ses de  France  remercient  la 
Compagnie  de  saréponsp  à  l'En- 
cyclopédie, III,  199. 

Eglises  wallonnes,  III,  177. 

Elisabeth,  reine  d'Angleterre,  en- 
voie aux  Genevois  5,000  livres 
sterling,  II,  410,  411;  écrit  aux 
confédérés  en  faveur  de  Ge- 
nève, ibid., et  protège  cette  ville 
autant  que  possible,  III,  401. 

Emmanuel- Philibert  veut  repren- 
dre Genève  par  voie  diploma- 
tique, II,  389;  conclut  avec  les 
Genevoisun  traité  de  vingt-trois 
ans,  399:  signe  le  traité  de 
Nyon,  560-561  ;  proclame  la  li- 
berté de  conscience, 486;  meurt 
regretté  des  Genevois,  403. 

Entreprises  contre  Genève  par 
les  Espagnols,  II,  515-516  ;  par 
Charles-Emmanuel,  après  la 
mort  de  Henri  IV,  522-523. 

Escalade.  II,  486-496.  Rendez- 
vous  des  troupes  ducales  à 
Etrembières,  II,  487.  Arrivée 
sous  Genève;  ascension  des  mu- 
railles, 488;  fausse  nouvelle  de 
la  prise  de  la  ville,  489.  Défense 
désespérée  des  citoyens.  491. 
Défaite  des  troupes  ducales, 
494:  prisonniers  mis  à  mort, 
498;  Henri  IV  et  Genève,  499: 
sympathie  des  Eglises  étrangè- 
res, 500.  Opinion  de  l'Europe 
sur  l'Escalade,  502.  Traité  de 
Saint-Julien,  503,  504;  com- 
ment célébrée,  III,  49;  fête  in- 
terrompue, 51,  et  rétablie,  52. 
Escher,  de  Zurich,  fait  venir  des 
comédiens  à  Genève,  III,  75: 
protège  à  Paris  les  intérêts  du 
protestantisme  genevois,  379. 
Espagne,  empêche  que  Genève 
fasse  partie  de  la  Confédéra- 
tion, III,  293. 
Etudiants  enrégimentés,  III,  290. 
Evangéliques,  nom  primitif  des 
réformés,  I,  90,  91;  leurs  mis- 
sions en  Savoie,  93  ;  leurs  sup- 
plices ,1  Chambéry,  95.  Etu- 


525 


dient  la  Bible  en  secret  à  Ge- 
nève, 97,  98. 
Evêch é  pri m iti f  de  G ene v  e,  en  3 40, 
I,  32. 

Evêque  de  Londres  :  sa  lettre  à 
la  Compagnie,  III,  406. 

Exclusivisme,  blâmé  par  Burnet, 
III,  144. 

Excommunication,  refusée  par 
l'Etat,  I,  286,  287  ;  excommu- 
nication des  Libertins,  416. 

Eymar,  Laurent,  pasteur  à  Jus- 
sy  :  sa  mort,  III,  455.  ' 


Fabri,  Adhémar,  évêque  gene- 
vois, I,  42,  43. 

Fabri,  Christophe,  premier  mis- 
sionnaire protestant  à  Tlionon, 
n,  543-547. 

Fabri  et  Rarilliet  impriment  le 
Dictionnaire  de  Bayle.III.  186. 

Famille,  organisée  par  Calvin.  II, 
75-78. 

Farel  arrive  n  Genève  en  1532. 
I,  111;  comparaît  devant  les 
chanoines.  112-116:  part,  et 
revient  à  Genève  pour  prêcher, 
147;  prêche  en  public  pour  la 
première  fois,  177-178;  abolit 
la  messe.  213-217:  reproche 
aux  Genevois  leurs  pillages, 
246-248;  refuse  de  donner  la 
Sainte-Cene,  293-295;  est  ac- 
cusé par  les  Libertins,  421  : 
visite  Calvin  à  son  lit  de  mort, 
537;  convertit  Thonon,H,  544. 

Farges.  Voy.  Gribaldo. 

Fatio,  Jean-Antoine ,  fait  dimi- 
nuer la  rigueur  du  Consensus, 
III,  162  et  suiv. 

Fatio,  Pierre  :  sa  mort,  III,  277. 

Faure  de  Châteauvieux  reçoit  en 
sa  maison  le  Résident  français, 
III,  326. 

Faubourgs  de  Genève  démolis 
pendant  la  guerre  de  1534,  I, 
188,  190. 

Ferdinand  III  :  son  couronnement 
sert  d'occasion  à  un  mémoire 


de  Turin  contre  Genève,  III , 
286. 

Flonrnois,  Jacques,  loué  pour  sa 
prédication  et  sa  charité,  III,  98. 

Fonctions  pastorales,  III,  428. 

Fontanes  (M.  de),  grand-maître 
de  l'Université,  refuse  à  Genève 
les  Frères  de  la  Doctrine  chré- 
tienne, III,  354. 

Formulaire  sur  la  grâce  adopté 
par  la  Compagnie,  III,  121, 
125;  remplacé  par  le  Consen- 
sus, 146;  qu'on  amende  en 
1706,  p.  163;  et  qu'on  abolit 
en  1725,  p.  175;  dernière  mo- 
dification, 184. 

Fortifications  :  on  y  travaille  ac- 
tivement, III,  290. 

France  (la)  intervient  à  Genève, 
III,  80;  favorable  aux  doctrines 
d'Amiraut,  146. 

François  Ier  veut  secourir  Genève 
au  prix  de  la  liberté  de  la  ville. 
I,  235-239. 

François  II  persécute  les  Gene- 
vois, II,  395. 

François  (Saint)  de  Sales  (Voy.  ce 
dernier  mot)  :  sa  canonisation 
poursuivie,  III,  288. 

Franconis,  Guillaume,  crée  une 
chambre  des  prosélvtes,  III. 
344. 

Frankenthal  :  les  réformés  de  cet 
endroit  obtiennent  un  secours 
de  Genève,  III,  412. 

Frédéric  Ier,  roi  de  Prusse  :  sa 
réponse  aux  Genevois,  III,  173: 
sa  compassion  pour  les  réfu- 
giés, 364. 

Frères  de  la  Doctrine  chrétienne, 
demandés  à  Genève  par  le  curé 
Vuarin,  et  refusés,  III,  354. 

Fribourgeois,  se  plaignent  de  la 
réforme  genevoise,  I,  108,  109: 
apaisent  l'émeute  suscitée  par 
les  chanoines,  131;  rompent 
l'alliance  avec  les  Genevois  à 
cause  de  la  Réforme,  177  :  of- 
frent des  secours  a  Genève,  H, 
334. 


526 


Froment,  Antoine,  évangélise  à 
Genève  comme  maître  d'école, 
I,  117-126;  prêche  en  public 
au  Molard,  122;  réfute  Furbity 
à  Saint-Pierre,  151. 

Furbity  :  sa  prédication,  I,  149, 
161;  sa  condamnation,  164, 
165. 

es 

Gaime  (l'abbé),  déiste,  influe  sur 
Rousseau,  III.  225. 

Galériens  protestants  recueillis  à  j 
Genève,  III,  375. 

Galiffe,  syndic  en  1754,  repré-  i 
sente  à  la  Compagnie  les  diffi-  ! 
cultés  de  la  position  de  Genève  i 
vis-à-vis  du  Piémont,  III,  318. 

Gallatin,  Jean-Pierre  :  éloge  de 
son  zèle,  III,  98. 

Gallatin.  Ezéchiel,  prédicateur 
estimé,  III,  92. 

Gallatin,  Abraham  ('?),  veut  em- 
pêcher la  célébration  de  la 
messe  chez  le  Résident, III,  324.  I 

Gazzini,  évèque  savoisien,  fait 
brûler  les  protestants,  I,  96  et  ! 
suiv. 

Genève  se  met  en  garde  contre  les 
enlreprises  de  la  Savoie,  III, 
291:  son  hospitalité  envers  les 
prêtres  proscrits  par  la  Révo-  i 
lution  française,  347  :  ses  libé-  j 
ralités  envers  les  réfugiés  pro- 
testants,  372  et  suiv.;  invoque  ■ 
pour  eux  l'assistance  de  Berne  j 
et  de  Zurich,  373;  menacée  et 
vexée  par  Louis  XIV  à  leur  su- 
jet, 376  et  suiv.;  ses  relations  j 
avec  l'Angleterre,  401-410;  sa  | 
libéralité  pour  les  protestants  j 
d'Allemagne,  411  et  suiv.;  de  j 
Hongrie,  412-414:  de  Transyl- 
vanie, 415:  de  Pologne,  ibid.; 
secourue  par  l'étranger  lors  de 
l'incendie  des  ponts  du  Rhône, 
416;  considérations  que  témoi- 
gnent à  son  clergé  les  Eglises 
du  Refuge,  419  ;  situation  poli- 
tique de  cette  ville  en  1782, 


p.  425;  en  1789,  p.  429,  son 

annexion  à  laFrance,  458;  son 
aspect  sous  l'empire,  476  et  s. 

Gcntilis,  antitrinitaire  italien,  con- 
damné, fait  amende  honorable 
à  Genève,  mis  à  mort  par  les 
Bernois,  Q,  227-233. 

Génuflexion  ordonnée  devant  le 
Consistoire,  III,  70;  abolie,  74. 

Gex  (pays  de)  :  protestants  venus 
de  là  au  Petit-Saconnex  inquié- 
tés, III,  311. 

Giannone  publie  à  Genève  son 
Histoire  de  Naples;  conséquen- 
ces qui  en  résument  pour  lui, 
III,  205. 

Gingins  (Bataille  de),  gagnée  par 
les  Neuchàtelois,  I,  225-227. 

Claris  approuve  le  Consensus, 
III,  145. 

Gomar  combat  les  opinions  d'Ar- 
minius.  II,  282:  sa  confession 
de  foi,  284  et  suiv. 

Gondebaud,  roi  bourguignon, 
donne  un  code  chrétien  à  Ge- 
nève, I.  32-34. 

Goulard,  Simon  :  remontrance 
aux  magistrats,  II.  62. 

Goulaz,  Jean,  fait  la  première 
proclamation  évangélique  de  la 
Réforme,  I,  107;  blesse  le  cha- 
noine Wernly,  ibid. 

Grâce  universelle,  sujet  de  dis- 
cussion, III,  116  et  suiv.;  trai- 
tée de  question  secondaire . 
171. 

Grenet,  pasteur,  fait  une  remon- 
trance aux  magistrats,  II,  64. 

Grenus,  syndic,  propose  la  célé- 
bration de  la  fête  de  Noël,  III, 
46. 

Gribaldo.  seigneur  de  Farges,  Ita- 
lien persécuté,  II,  223,  224. 

Grisons,  approuvent  le  Consen- 
sus, III.  145. 

Gruet,  mis  à  morl  pour  blasphè- 
me et  trahison,  I,  388-392. 

Guérin,  juge  d'instruction  révolu- 
tionnaire, III,  445. 

Guerres  de  Genève  contre  la  Sa- 


827 


voie,  II,  426-463;  Monthoux 
brûlé,  429;  soldats  pendus  a 
Ternier,  430,  431  ;  bataille  du 
Plan-les-Ouates,  432;  bataille 
de  Pinchat,  434;  le  fort  d'Arve. 
436-37  ;  seconde  bataille  de 
Pinchat,  440;  prise  de  Bonne, 
441,  43;  ravages  des  troupes 
savoyardes,  447-48;  victimes 
secourues  par  les  Genevois, 
451  ;  les  pasteurs  s'opposent 
au  pillage,  453;  le  bon  géné- 
ral Lurbigny,  457  ;  défaite  à 
Châtelaine,  458;  les  vendanges 
de  la  Menoge,  460. 

Guerre  de  religion  en  Suisse,  III, 
337;  projet  d'alliance  entre  les 
cantons  catholiques  et  les  puis- 
sances étrangères,  338. 

Guillaume  III,  prince  d'Orange, 
intervient  en  faveur  des  pro- 
testants hongrois,  III,  413. 

Gy  (M.  de)  :  sa  générosité  pour  la 
Chambre  des  prosélytes,  III, 
344. 

» 

Hanau  obtient  des  secours  de  Ge- 
nève en  faveur  de  ses  maîtres 
d'école,  ni,  412. 

Hauteville  (de),  envoyé  français, 
demande  un  théâtre  à  Genève, 

m,  80. 

Heidegger,  Henri,  rédige  le  Con- 
sensus, III,  145. 

Henri  II  massacre  les  protestants, 
tué  par  Montmorency,  I,  441. 

Henri  TV  blâmé  par  Simon  Gou- 
lart,  II,  58;  lutte  avec  Sixte- 
Quint,  343;  envoie  des  ingé- 
nieurs pour  fortifier  Genève , 
409;  reprend  le  fort  de  Sainte- 
Catherine,  464;  fait  compren- 
dre verbalement  Genève  au 
traité  de  Vervins,  465;  sa  joie 
pour  la  victoire  de  l'Escalade, 
499;  sa  mort,  deuil  de  Genève, 
521. 

Hérétiques  :  code  qui  les  con- 
damne, II,  188-190:  conservé 


I  par  Calvin,  194, 195;  rejeté  par 
Zwingli,  196;  appliqué  à  Sé- 
bastien Châtillon,  199-202. 
Prière  contre  les  hérétiques 
abolie,  27. 

!  Hollande,  donne  de  fortes  sommes 
d'argent  pour  l'Académie  de 
Genève,  II,  136;  secourt  Ge- 
nève contre  les  Savoyards,  432; 
donne  des  subventions  annuel- 
les, 535;  correspond  avec  Ge- 
nève, III,  477;  en  lutte  avec 
l'Angleterre,  288  :  fait  la  paix, 

|  293. 

|  Holstein  (prince  de),  peut  revendi- 
quer en  Danemark  un  héritage, 
à  quelles  conditions,  III,  418. 
Hongrois  protestants  ,  secourus 
par  l'Eglise  de  Genève,  III,  412- 
414. 

|  Hôpital  :  sa  fondation,  1, 250, 253. 

Huber,  condamné  sur  la  prédes- 
tination, II,  275-76. 

Hugues,  Besançon,  libérateur  de 
Genève,  I,  90. 

Humbert,  Jean-Jacques,  pasteur, 
signe  le  formulaire  de  foi.  III. 
126. 

■ 

Ignorance  religieuse,  II,  28,  29. 

Images,  détruites  dans  les  tem- 
ples, I,  202. 

Imprimerie  :  à  qui  elle  est  sou- 
mise, III,  186;  instrument  de 
propagande,  312. 

Innocent  X,  instruit  de  ce  qu'on 
prêche  à  Genève,  prend  la  ré- 
solution de  bannir  sa  sœur  de 
la  cour,  III,  313. 

Instruction  publique  enlevée  à  la 
surveillance  de  la  Compagnie, 
III,  447. 

Isle  (château  de  1'),  I,  40. 

Is-sur-Tille ,  église  de  Bourgo- 
gne, II,  346. 

Italiens,  ministres  missionnaires, 
I,  475.  Italiens  réfugiés  à  Ge- 
nève, leur  voyage  et  leurs  dan- 
gers, 485-488. 


I 


Italienne  (église)  à  Genève,  I, 
490. 

j 

Janot,  président  du  Conseil  admi- 
nistratif, promet  son  nppui  à  la 
Compagnie,  III,  447  et  suiv. 

Jaucourt  (marquis  de),  demande 
la  construction  d'un  théâtre, 

m,  83. 

Jeûne  (établissement  du).  II,  38, 
39;  célébré  pour  la  guerre,  423. 
427  ;  fête  d'abord  irrégulière, 
puis  fixe,  III,  52;  sérieuses 
remontrances  dont  elle  était 
souvent  l'occasion .  266  et 
suiv.  —  Jeûne  de  1666,  p.  289: 
jeûne  pour  célébrer  la  paix 
entre  l'Angleterre  et  la  Hollan- 
de, 293. 

Jésuites  :  brochures  conlre  Séne- 
vé, II,  534;  ils  poussent  les  ducs 
de  Savoie  à  reprendre  Genève, 
III,  285:  chassés  d'Espagne, 
290. 

Jubilé  catholique  en  1532. 1.  107: 

à  Thonon,  II,  475. 
Julien  (traité  de  Saint-),  en  1602, 

II,  503;  des  capucins  enlèvent 
les  enfants  genevois  en  1603; 
p.  507-510;  traité  de  1754, 

III,  317  et  suiv. 

Jurieu  s'oppose  à  l'adoption  du 
psautier  genevois  en  Hollande. 

m,  19. 

Jussy  :  visite  consistoriale,  III. 
98;  désobéit  à  la  défense  de 
sonner  les  cloches,  473. 

Juventin,  pasteur  de  Chêne,  en- 
voyé dans  les  campagnes  pour 
les  calmer,  III,  433  et  suiv.; 
rétabli  par  le  pouvoir  civil, 
456. 

K 

hcenigsberg  :  ses  théologiens  pro- 
posent aux  Genevois  de  com- 
munier à  la  même  table.  III, 
417. 


i. 

Labadie,  censure  l'érection  de  la 
statue  du  duc  de  Rohan,  III. 
89. 

Lacoste,  premier  curé  de  Genève 
après  la  Réfonnation,  III,  349. 

Laget,  prédicateur  puissant.  III, 
93. 

Lambert,  martyr  genevois,  I,  309. 

La/mon,  de  Jussy.  répond  énergi- 
(|ueinent  au  juge-mage  de  Tho- 
non, III,  310. 

Lu  Roche fuucault-d' Anville  (  la 
duchesse  de),  en  relation  avec 
les  pasteurs  Vernes  et  Moul- 
ton,  souttent  la  cause  protes- 
tante, III,  381,  384,  et  celle  des 
Calas,  227,  390  et  suiv. 

Lausanne  :  dispute  de  1536,  II, 
548,  549;  on  y  publie  une  bro- 
chure contre  la  Compagnie.  III. 
199. 

Lautrec  (comte  de),  fait  venir  des 
comédiens  à  Genève,  III,  75. 

Law  :  influence  de  son  système 
sur  la  prospérité  genevoise. 
III,  61. 

Leclerç,  Jean,  inquiété  pour  son 
arminianisme,  III,  142  et  suiv.; 
quitte  Genève,  143. 

Lecture  des  mauvais  livres  com- 
battue en  chaire,  III,  478,  et 
par  des  moyens  pratiques,  ibid. 

Le  Fort,  Ami,  délégué  à  Paris 
pour  apaiser  Louis  XIV,  rela- 
tivement aux  affaires  religieu- 
ses de  Genève,  III,  336;  sa  ré- 
ponse à  M.  de  Croissy,  379. 

Le  Fort,  Jacques,  protège  à  Paris 
les  intérêts  du  protestantisme 
genevois,  III,  462,  480. 

Léger,  Antoine  (le  père),  décou- 
vre une  hérésie  dans  de  Rodon. 
III,  129. 

Léger,  Antoine  (le  fils),  fait  sup- 
primer les  noms  des  malades 
dans  les  prières  en  leur  faveur, 
III,  12;  éloge  de  son  minis- 
tère, 102;  engage  les  réformés 


529 


de  Livourne  à  se  procurer  un 
pasteur,  &20i 
Lekain  joue  aux  Délices,  III,  79 
et  suiv. 

Lesdiguières,  protecteur  de  Ge- 
nève, II,  462  ;  avertit  les  Gene- 
vois d'une  trahison,  472;  des 
préparatifs  de  l'Escalade  à  Tu- 
rin, 482  :  protège  Genève,  526- 
528:  dépeint  les  projets  de  S' 
François  de  Sales  contre  Ge- 
nève, 658. 

Lettres  de  l'Eglise  de  Genève  à 
celles  de  Berne,  Râle,  Zurich 
et  Schaffhouse,  HT.  272. 

Libellé  de  conscience  proclamée 
pour  la  première  fois,  I,  134. 

Liberté  de  la  chaire  menacée,  III, 
444,  451,  466. 

Liberté  de  la  presse,  reçoil  une 
atteinte,  !TJ,  445. 

Libertins  spirituels,  I,  370:  Liber- 
tins genevois  repoussant  les  ré- 
fugiés français,  401:  leur  carac- 
tère, leurs  noms  et  leur  nom- 
lire,  404,  405;  Libertins  paro- 
diant les  psaumes,  415;  exer- 
cent des  violences  contre  les 
réfugiés  français,  soulèvent  une 
sédition,  sont  battus,  425-435  : 
se  lient  avec  le  dur  de  Savoie 
pour  vendre  Genève,  II,  396- 
398. 

Ligue  française,  II,  341  :  pousse 
le  duc  de  Savoie  conire  Genève. 
421.  424:  est  rétablie  pour 
combattre  Genève,  470. 

Liturgies  primitives.  1542, 1,  351; 
perfectionnées,  III,  8,  10  et  s.; 
s  Neuchate!  et  au  pays  de  Vaud, 
14  ;  modifiées,  quant  à  la  doc- 
trine, ibidem. 

Littérature  licencieuse,  II,  91-94. 

Livourne  :  fondation  de  l'Eglise 
de  cette  ville,  III,  420. 

Lois  sompluaires,  III,  56  :  révi- 
sées, 65  et  suiv.  Voy.  aussi  Or- 
donnances samptuaires. 

Lornan,  évèque  chrétien  en  138K, 
I,  43. 

m. 


Louis  XIII  protège  Genève,  III, 
286,  322. 

Louis  XIV,  peu  favorable  aux 

•  desseins  de  la  Savoie  contre 
Genève,  III,  289,  297  et  suiv., 
322;  établit  à  Genève  un  rési- 
dent, 323;  prend  fait  et  cause 
pour  M.  d'Iberville,  et  exigé 
dos  excuses,  336;  heureuses 
i'i inséquences  de  sa  mort  pour 
les  cantons  protestants.  338; 
persécutions  contre  les  protes- 
tants sous  son  règne,  360  et  s.; 
réponse  qu'il  reçoit  d'un  am- 
bassadeur anglais,  au  sujet  des 
galériens  prolestants,  376;  ses 
menaces  et  ses  mesures  vexa- 
toires  contre  Genève,  au  sujet 
des  réfugiés,  377;  veut  rompre 
les  traités  de  la  France  avec  la 
Suisse,  379. 

Louis  XVI  publie  l'édit  de  tolé- 
rance, III.  393. 

Lullin.  Amédeé  :  éloges  donnés  a 
sa  prédication,  III,  93. 

Luthériens  :  leurs  bons  procédés 
envers  Genève,  III,  417. 

f.utzen  :  ses  députés  obtiennent 
de  Genève  un  secours  pour  la 
reconstruction  de  leur  temple, 
TH.  412. 

Lu.ce  introduit,  III,  62. 


Macar,  Jean,  pasteur  a  Paris  et  à 
Genève,  1555,  martyr*,  I,  455- 
458. 

Madame  Royale  inquiète  Genève, 
IÏT,  2S7. 

Maijilebuurd  :  ses  députés  obtien- 
nent de  Genève  une  souscrip- 
tion pour  leur  Eglise,  III,  412. 

MdisoH-Neuve  (de  la),  Bauâi- 
chou,  premier  réformé  à  Ge- 
nève, demande  la  protection 
des  Bernois,  I,  127;  les  catho- 
liques attaquent  sa  demeure, 
130:  culle  évangélique  établi 
dans  sa  maison,  168,  169. 

Malesherbes  (VI.  de),  favorable  à 

55 


550 


la  cause  de  la  tolérance,  III, 
392. 

Mallet  (Mme)  donne  1,000  livres 
pour  la  façade  de  Saint-Pierre, 
III,  40. 

Mallet  (M.)  combat  l'invasion  des 
mauvais  livres,  III,  478. 

Marchand,  négociant  de  Livour- 
ne,  envoie  son  fils  étudier  la 
théologie  à  Genève,  III,  420. 

Marcosscy.  évêqiie,  protecteur  de 
Genève,  I,  42. 

Marcourt,  ministre,  insulté  par  le 
peuple,  I,  31". 

Mariage  :  célébi  ilion  de  l'acte  ci- 
vil fixée  au  décadi,  III,  464; 
bénédiction  religieuse  toujours 
donnée  dans  le  temple,  465; 
entre  cousins-germains,  défen- 
du par  les  ordonnances,  278; 
sur  le  point  d'être  permis,  279. 

Marie,  fille  de  Henri  VIII,  reine 
d'Angleterre,  persécute  les  pro- 
testants, III,  401. 

Marie,  fille  de  Jacques  II  et  femme 
de  Guillaume  III,  regrettée  par 
l'Eglise  de  Genève,  III,  404. 

Marot,  Clément  (psaumes  de),  III, 
9,  16;  modifiés,  ibid. 

Martellus,  archevêque  de  Cham- 
béry,  combat  la  Réforme,  I, 
110. 

Martin  Y,  pape,  craint  la  liberté 
des  Genevois  (1418),  I,  46. 

Martin.  Ami,  met  les  protestants 
en  garde  contre  la  curiosité  à 
l'égard  du  culte  catholique.  III, 
352;  son  courageux  discours 
lors  du  sacre  de  Napoléon,  393- 
396;  sa  circulaire  pour  une  col- 
lecte en  faveur  du  culte,  471; 
ses  démarches  à  Paris  en  fa- 
veur de  l'Eglise,  et  pour  dis- 
penser de  la  conscription  les 
étudiants  en  théologie,  479;  en 
faveur  de  la  Société  économi- 
que, ibid.  et  suiv. 

Martin,  Jean-François,  pasteur 
catéchiste  :  son  zele  pour  le 
rétablissement  du  culte  après  la 


ten  eur,  III.  419,  462;  désolé  de 
ne  pouvoir  plus  prier  pour  les 
magistrats.  469:  sa  mort,  ibid. 
Martine,  pasteur  arminien,  III, 
130. 

Martyr,  Pierre.  Voy.  Yermigli. 

Maurice,  Antoine,  professeur  :  ses 
représentations  contre  le  théâ- 
tre, III,  76;  fait  une  collecte 
pour  Cabrieres,  346. 

Maurice,  maire  de  Genève  :  ses 
égards  pour  les  catholiques,  III, 
350. 

Mecklembourg-Strelitz  (duchesse 

de),  assistée  par  la  république 

de  Genève,  III,  411. 
Médicis,  Marie,  veuve  de  Henri 

IV.  protège  Genève,  II.  522, 

524. 

Mérindol  détruit,  I,  439:  second 
massacre,  II,  372,  374. 
|  Messe,  abolie  a  Genève,  I,  213- 
221  :  quand  célébrée  depuis 
1525,  III,  326. 
Mestrezat,  Ami,  dirige  le  mouve- 
ment arminien,  III,  129,  131, 
134:  sa  mort,  109,  150. 
Mestrezat.  Frédéric,  pasteur  à 
Genthod,  suspecté  par  les  ré- 
volutionnaires, 111,450;  décrété 
de  prise  de  corps,  s'enfuit  en 
France,  453;  pasteur  à  Paris, 
défend  les  intérêts  du  protes- 
tantisme genevois,  352,  462. 
Michel».,  famille  réformée  de  Luc- 
ques,  I,  480. 
j  Micheli,  Marc,  raconte  la  mort  .de 
j      Mestrezat,  III,  110. 
Micheli,  Jacques  (?),  doit  surveil- 
ler l'établissement  du  théâtre, 
III,  75. 

Michcli-Labat,  intervient  en  fa- 
veur de  la  Société  économique, 
III,  480. 

Middelbourg  (Eglise  de),  appelle 

Morus,  III,  124. 
Minutoli,  Vincent,  suspendu  de  la 

Cène  par  le  synode  de  Flessin- 

gue,  III,  315. 
Minutoli.  Joachim.  chassé  pour 


s 


ses  mœurs  de  l'auditoire  de 
théologie,  change  de  religion, 
III,  1515;  son  libelle  contre  les 
pasteurs,  ibid. 

Moines  convertis  au  protestantis- 
me, III,  340,  345. 

Molans  reste,  malgré  l'âge,  fidèle 
à  son  poste,  III,  100,  245. 

Monachon,  de  Carouge,  employé 
français,  III,  463. 

Monnet,  décapité  pour  crime  de 
mœurs,  I,  411. 

Montclar  (de)  rend  un  juste  hom- 
mage à  Rousseau,  III,  236. 

Montmollin  (de)  :  sa  bonne  in- 
fluence sur  Rousseau,  III,  245; 
l'abandonne  quand  paraissent 
les  Lettres  de  la  Montagne,  249. 

Morand,  prédicateur  ridicule,  I, 
318. 

Morus,  Alexandre,  consacré  tar- 
divement, III,  119;  nommé  pro- 
fesseur de  philosophie  et  de 
théologie,  ibid.;  discussions  à 
son  sujet,  120;  signe  le  formu- 
laire de  la  Compagnie,  124. 

Mouche  (M.)  :  son  legs  pour  en- 
voyer des  missionnaires  aux  in- 
fidèles, III,  406. 

Mouchon,  Pierre,  ses  sentiments 
sur  Voltaire  et  sur  Rousseau, 
III,  251  et  suiv,  se  prononce 
contre  Anspach  à  l'occasion  de 
Charles  Ronnet,  442;  à  l'occa- 
sion de  l'Eglise  nationale,  ibid,; 
sa  mort  et  son  éloge,  457. 

Moulinié.  Charles-Etienne-Fran- 
çois, pasteur  à  Dardagny  pen- 
dant la  Révolution,  ne  veut  pas 
rendre  sa  place  à  M.  Rourdil- 
lon,  III,  456;  nommé  â  la  ville, 
ibid. 

Moultou  écrit  à  Rousseau  pour  le 
ramener  à  des  sentiments  plus 
chrétiens,  III,  242;  blâme  éner- 
giquement  les  Lettres  de  la 
Montagne,  247;  atteste  le  chris- 
tianisme de  Rousseau,  255;  ses 
relations  avec  la  famille  de 
Montclar,  381,  384;  avec  la  du- 


chesse de  la  Rochefoucault- 
d'Anville,  favorable  aux  pro- 
testants, ibid.;  ses  rapports  avec 
Voltaire  au  sujet  des  Calas,  385, 
387  et  suiv. 
Mulhouse  approuve  le  Consensus, 
III,  145. 

Mussard,  Pierre,  revient  de  Lyon 
a  Genève,  III,  139;  refuse  de 
signer  le  formulaire  et  part 
pour  Londres,  141. 

Mussard,  Pierre,  syndic,  traite  en 
1754  la  paix  avec  le  Piémont, 
TÏÎ,  318. 

Myconius,  libre  penseur  censuré, 
[I,  271. 

* 

Napoléon  Ier  excité  par  une  in- 
digne intrigue  contre  un  pro- 
fesseur et  contre  l'Académie  de 
Genève,  III,  355;  ses  belles  pa- 
roles en  faveur  de  la  liberté 
des  cultes,  474;  remercié  par 
la  Compagnie  de  ce  qu'il  a  fait 
pour  la  liberté  des  cultes,  ibid. 
confirme  l'existence  de  l'Eglise 
de  Genève,  475. 

Neuchâtel  rejette  le  Consensus, 
III,  145;  demande  qu'on  s'a- 
doucisse à  cet  égard,  165;  s'u- 
nit à  Genève  pour  blâmer  les 
Lettres  de  la  Montagne,  249; 
sa  générosité  envers  les  réfu- 
giés, 371. 

Neydan,  en  1754,  redevenu  ca- 
tholique, III,  318. 

Noël,  fête  célébrée,  III,  9;  depuis 
quand,  45-49. 

Ochino,  Bernardino,  réformateur 
italien,  I,  475. 

Olivetan,  Robert,  enseigne  la  Ri- 
ble  à  Genève,  I,  109;  fait  prê- 
cher Farel,  en  1532,  p.  100. 

Opposition  à  la  confession  de  foi, 
I,  275,  276. 

Ordonnances  ecclésiastiques  :  re- 


532 


tour  au  principe  qu'elles  po- 
sent, quant  à  la  doctrine,  III, 
175. 

Ordonnances  morales  primitives, 

I,  278,  279. 
Ordonnances  somptuaires,  1, 339- 

342;  votées  par  le  peuple,  345. 

Voy.  aussi  Lois  somptuaires. 
Oxford  (Université  d')  :  sa  lettre 

k  la  Compagnie,  III,  406. 

p 

Pain  de  la  communion,  gardé 
comme  amulette,  III,  44. 

Paleario,  missionnaire  italien,  I, 
480. 

Panthéistes,  I,  371. 

Papillon,  aide  Voltaire  a  intro- 
duire un  théâtre,  III,  82. 

Paroisses  :  leur  étendue,  III,  94. 

Passy  (M.  de),  intendant  du  pays 
de  Gex,  menace  Genève,  III, 
377. 

Pasteurs  indignes  (1543),  I,  360; 
—  réfugiés,  forcés  de  signer  le 
Consensus,  III,  146;  —  gene- 
vois, mal  jugés  dans  l'affaire  de 
Y  Emile,  III,  239;  accusés  à  tort 
de  fainéantise,  277  et  suiv.  ; 
bienveillants  envers  les  catho- 
liques, 347,  351;  diminution 
dans  leur  nombre,  427  et  suiv.; 
leurs  noms,  435;  leur  patrio- 
tisme en  1792,  p.  436;  en  1793, 
p.  439. 

P autel  (M.  de),  émissaire  savoyard 

à  Genève,  III,  292. 
Peneysans  :  leurs  guerres  contre 

Genève,  I,  185;  leurs  cruautés, 

197. 

Pennet,  auteur  d'une  émeute  ca- 
tholique, I,  161-164. 

Perdriau  fait  donner  chez  lui  une 
représentation  théâtrale  qui  fait 
grand  bruit,  III,  269. 

Perrin,  Ami,  s'oppose  au  bannis- 
sement de  Calvin,  I,  301;  va 
rechercher  Calvin  à  Strasbourg, 
319-321;  se  joint  aux  Liber- 
tins, 382-388;  se  compromet 


par  un  traité  avec  la  France, 
393;  se  réconcilie  avec  Calvin, 
396;  attaque  les  Français  réfu- 
giés, 430;  soulève  une  sédition 
dans  Genève,  432  et  suiv.;  est 
vaincu  et  banni  de  Genève, 
435. 

Perrnt,  Charles,  fait  remontran- 
ces aux  magistrats,  II,  45-48; 
persécuté  pour  ses  vues  libéra- 
les en  religion,  276,  277. 

Perrot,  Samuel,  retiré  de  la  pa- 
roisse de  Russin,  III,  99. 

Peschier,  Joseph  :  son  dévoue- 
ment, III,  430. 

Peste  :  conduite  des  évêques,  II, 
148;  conduite  des  chanoines, 
150:  supplices  injustes,  151; 
ministres  martyrs,  156;  con- 
duite de  Calvin,  158;  Genes- 
ten,  Marty,  160;  Boute-peste 
suppliciés,  162;  le  remède  d'un 
curé  de  Savoie,  164;  les  mi- 
nistres Legaigneux,  169;  Ger- 
vais,  179  ;  Colladon,  168, 171; 
Chausse,  martyr,  172;  la  Faye 
et  Gautier,  martyrs,  184;  les 
Genevois  et  les  Savoyards  en 
temps  de  peste,  p.  181. 

Philippe,  Jean,  complote  avec  les 
catholiques,  I,  308:  sa  mort, 
316. 

Philosophes  incrédules,  III,  185, 
233. 

Picot,  Louis-Daniel,  l'un  des  fon- 
dateurs de  la  Société  des  caté- 
chumènes, III,  28. 

Picot,  Pierre,  plaisamment  loué 
par  Voltahv,  lui  répond  avec 
esprit,  220;  sa  générosité  en- 
vers les  prêtres  proscrits,  347 
et  suiv.;  rassure  M.  Pictet-Dio- 
dati  contre  toute  crainte  qu'on 
supprime  le  culte  catholique, 
356;  ses  lettres  au  même  sur  la 
situation  faite  par  l'empereur 
au  protestantisme,  398;  son  ré- 
cit de  la  mort  du  pasteur  Jean- 
François  Martin,  470  ;  sa  pré- 
dication, 476. 


533 


Pictet,  Bênédict,  chargé  de  rédi- 
ger des  prières,  III,  12:  révise, 
après  Conrart,  la  langue  des 
psaumes,  17;  compose  des  can- 
tiques, 20;  inaugure  le  Temple- 
Neuf,  39  ;  son  Te  Deum  chanté 
à  Noël,  47;  sa  prédication,  90; 
son  éloge,  102-107:  ne  veut 
pas  de  changement  au  Consen- 
sus, 163,  165;  s'occupe  de  la 
réunion  des  protestants,  168 
et  suiv.;  ses  éloges* à  l'évèque 
d'Annecv  et  sa  controverse  avec 
lui,  314.' 

Pictet,  Isaac  (?), va  demander  l'ap- 
pui des  Suisses  contre  Louis 
XIV,  m,  278. 

Pictet-Diodati,  protège  à  Paris  les 
intérêts  du  protestantisme  fran- 
çais, III,  352.  480. 

Pictet,  Marc- Auguste,  protège  les 
mêmes  intérêts,  ibid.;  sa  lettre 
au  précédent,  III,  356;  son  in- 
fluence à  Paris,  462;  son  dé- 
vouement à  la  religion,  475. 

Pie  II,  élit  Jean-Louis  de  Savoie 
évêque  à  douze  ans,  I,  48. 

Pierre-Cise,  évèque  patriote,  I, 
44. 

Pierre  Martyr.  Voy.  Vermigli. 

Pinault,  ministre,  attaque  les  ma- 
gistrats, II,  61. 

Plainpalais  :  les  moines  accusés, 
L  50,  51. 

Poissy  (Colloque  de),  I,  459. 

Pompadour  (Mme  de),  regardée 
comme  nécessaire  à  la  cause  de 
la  liberté  religieuse,  III,  389. 

Poutverre  (M.  de),  curé  de  Conli- 
gnon;  ses  relations  avec  Rous- 
seau, III,  322  ;  provoque  un  li- 
belle de  Minuloli  contre  les 
pasteurs  de  Genève.  315. 

Porral,  Ami,  syndic  protestant, 
I,  109;  obtient  le  secours  des 
Bernois,  229, 230, 241  ;  sa  mort 
chrétienne,  367. 

Portalis  (M.  de),  ministre  des  cul- 
tes, prêt  a  céder  aux  demandes 
du  curé  Vuarin,  III,  353;  re- 


mercié par  la  Compagnie  de  sa 
protection  en  faveur  de  l'Eglise 
de  Genève,  474;  la  remercie  de 
sa  lettre  à  Napoléon,  475. 

Praslin  (duc  de),  favorable  à  la 
réhabilitation  des  Calas,  III, 
387,  390. 

Prédestination  :  divergences  sur 
cette  doctrine,  III,  115;  com- 
ment envisagée  par  J.-A.  Tur- 
rettini,  154  et  suiv. 

Prédication  genevoise,  III,  89  et 
suiv.;  pendant  la  Révolution, 
453:  sous  la  République  fran- 
çaise, 466;  sous  l'Empire,  476. 

Présence  du  Christ  dans  la  Cène, 
III,  171. 

Prêtres  indignes.  I,  56-63:  de  la 
Madeleine,  démoralisés,  70,  72; 
condamnés  aux  travaux  pu- 
blics, 73  ;  ne  peuvent  défendre 
la  messe,  253,  255;  renient 
leur  foi,  310,  311. 

Prévost,  Pierre  :  remontrance  aux 
magistrats,  II,  60;  excommunie 
un  coupable,  102. 

Prières  Y>our  les  malades,  sans  dé- 
signation, III,  12;  —  spéciales, 
ibid.;  —  de  la  semaine,  37. 

Prince  d'Orange  :  sa  modération 
envers  Louis  XIV,  t.  III,  364. 

Profanation  du  culte,  II,  29,  32  ; 
—  de  la  Sainte-Cène,  37. 

Proposants  :  ils  inclinent  à  l'ar- 
minianisme,  III,  130;  se  divi- 
sent en  deux  camps,  148;  con- 
seils de  leurs  professeurs,  435. 

Prosélytes  gagnés  par  le  catholi- 
cisme, reçus  dans  la  sainte  Mai- 
son de  Thonon,  III,  30;  gagnés 
par  le  protestantisme,  339  et 
suiv.;  (Chambre  des),  344. 

Prosélytisme  des  deux  cultes,  III, 
308,  309,  345. 

Psaumes  de  Clément  Marot,  III, 
9,  16:  modifiés,  ibid.;  intro- 
duits dans  d'autres  Eglises,  18. 


Rapports  mutuels  des  pasteurs  et 


■m 


des  curés  au  commencement  du 
dix-huitième  siècle,  III,  356  et 
suiv. 

Réception  à  la  Sainte-Cène,  III, 
27  ;  ayant  lieu  deux  fois  par 
an,  3i. 

Rédemption  :  comment  comprise 
par  J.-A.  Turrettini,  III,  155. 

lir formation,  établie  à  Genève,  I, 
261;  dans  les  campagnes,  257, 
259:-des  mœurs,  271-72. 

Réfugiés  :  1400  familles  sous  Henri 

II,  1. 1,  442;  de  la  Saint-Barthé- 
lemi,  II,  320,  339  ;  leur  nombre 
à  Genève  au  seizième  siècle, 

III,  359;  détails  sur  leur  fuite, 
leur  modération  à  l'égard  du 
souverain  qui  les  persécute, 
363;  leur  nombre  de  1682  à 
1 720,  p.  369;  à  Genève,  en  par- 
ticulier, ibid.;  hospitalité  qu'ils 
y  trouvent,  ibid. 

Religieux  du  Saint-Bernard  et  des 
environs  de  Genève,  bien  trai- 
tés dans  cette  ville,  III,  303. 

Religion  catholique  :  quand  célé- 
brée à  Genève  depuis  1535,111, 
326. 

Relique  d'Amédée  V,  impuissante 
sur  les  ex-protestants,  III,  303. 

Rémond  de  la  Croix  :  procès  de 
mœurs,  II,  95-106. 

Remontrances  des  pasteurs  aux 
magistrats,  de  Perrot  sur  l'hô- 
pital, H,  45-46;  de  De  Bèze, 
sur  le  blé,  47,  48;  de  Chau- 
vet,  sur  l'usure,  53;  touchant 
la  justice,  56;  touchant  les  ti- 
tres d'honneur,  57;  touchant 
les  élections,  70. 

Résidents  français,  établis  ;ï  Ge- 
nève parLoui  s  XIV,  t.  III,  323  ; 
Chauvigny,  324-331;  Dupré, 
331-333;  d'Iberville,  333;  Tam- 
bonneau,  376;  favorables  au 
prosélytisme  catholique,  331 
et  suiv.;  Soulavie,  aux  tendan- 
ces révolutionnaires,  455  ;  Fé- 
lix Desportes,  ibid.,  459. 

Révocation  de  l'Edit  de  Nantes, 


III,  362  et  suiv.;  ses  contre- 
coups sur  la  Bourse  française, 
270. 

Révolutions  politiques  de  Genève, 
III,  273. 

Reybaz,  député  de  Genève  à  Pa- 
ris, obtient  le  rappel  de  Soula- 
vie, III,  455  et  suiv. 

Rilliet,  syndic,  donne  1,000  livres 
pour  la  façade  de  Saint-Pierre, 
III,  40. 

Rochette,  président  de  Chambéry, 
trompe  l'es  Genevois  à  l'Esca- 
lade, II,  485. 

Rotjère,  proposant,  soupçonne 
d'hétérodoxie,  III,  129. 

Rohan  (duc  de)  :  son  tombeau  et 
sa  statue,  III,  89. 

Rome  (siège  de),  en  1527,  I,  92. 

RûSSillon  (Mgr),  évèque  d'Annecy, 
obtient  la  fondation  dans  cette 
ville  d'une  institution  de  se- 
cours pour  les  convertis,  III, 
304;  fait  renvoyer  à  Genève 
MUeFalquet,indueiuent  retenue 
au  couvent  de  Gex,  305;  loué 
dans  un  traité  de  controverse 
de  Bénédict  Pictet,  313;  entre- 
tient avec  lui  une  correspon- 
dance amicale,  314;  poursuit 
le  libelle  du  curé  Pontverre 
contre  les  pasteurs  de  Genève, 
317. 

Rousseau  :  son  apprentissage,  sa 
démoralisation  et  sa  faite,  III, 
222:  le  curé  de  Confignon  l'en- 
voie à  Mme  de  Warens,  223; 
son  abjuration  à  Turin,  224; 
revient  nu  protestantisme,  226 
et  suiv.;  appelé  à  Paris,  229; 
sa  lettre  à  Jacob  Vernes  sur 
Voltaire,  ibid.;  irritation  de  ce 
dernier,  230;  félicitations  de 
M.  Sarasin  l'ainé;  ibid.;  Bous- 
seau  est  rappelé  à  Genève,  231; 
retourne  à  Paris,  232:  publie 
Y  Emile,  234;  colère  de  Voltai- 
re, 235;  Bousseau  rejetait  le 
surnaturel,  237;  l'Emile  con- 
damné à  Paris  et  à  Genève, 


535 


ibid.  ;  séjour  de  Rousseau  à  Mo- 
tiers-Travers,  245:  des  lettres 
anonymes  l'exaspèrent,  ibid. ; 
il  renonce  au  titre  de  citoyen 
genevois,  281;  maltraité  par  j 
Voltaire,  73;  combat  l'intro- 
duction d'un  théâtre;  ibid.;  ses 
Lettres  de  la  Montagne,  246, 
282:  sentiments  des  Genevois 
plus  favorables  pour  lui  que 
pour  Voltaire,  251  ;  revient  à 
des  sentiments  chrétiens,  253, 
256  et  suiv. 
Roussillon  du  Château- Blanc  tra- 
hirait bien  Genève,  s'il  ne  crai- 
gnait la  pendaison,  III,  293, 
487. 

Houstan  répond  à  Voltaire,  III, 
215  et  suiv.;  ses  sentiments 
sur  Voltaire  et  sur  Rousseau, 
252:  membre  de  la  commission 
chargée  de  proposer,  sous  l'em- 
pire, une  organisation  ecclé- 
siastique, 461. 

Rulhière.  favorable  à  la  cause  de 
la  tolérance,  III,  392. 

Russin  :  visite  consistoriale,  III, 
98;  le  curé  veut  contraindre  les 
protestants  malades  à  recevoir 
les  sacrements,  311. 

Rugter.  l'amiral,  intervient  auprès 
du  vice-roi  de  Naples  en  fa- 
veur des  protestants  hongrois, 
III,  412. 


Sacconex  (de),  général,  III,  337. 

Saeirère,  catéchiste,  III,  30. 

Sacrifices  de  Genève  pour  la  guer- 
re, 1587,  II,  415,  424. 

Sadolet,  cardinal,  écrit  aux  Gene- 
vois pour  les  ramener  au  ca- 
tholicisme, I,  307,  312. 

Saint-Gall  (l'abbé  de)  veut  dé- 
truir.'  par  les  armes  la  réfor- 
mation suisse.  III,  336:  persé- 
.  cute  les  réformés  du  Toggen- 
bourg,  ibid. 

Saint-Germain  (temple  de),  de- 


mandé, en  1694,  pour  le  culte 
catholique  par  le  Résident  fran- 
çais, III,  333  ;  accordé  en  1803, 
p.  349  ;  les  pompes  de  ce  culte 
y  attirent  des  protestants,  352. 

Saint-Gervais  (le  quartier  de) 
reçoit  la  comédie,  III,  75. 

Saint-Pétersbourg  :  Genève  par- 
ticipe à  la  fondation  d'une 
Eglise  réformée  dans  cette  Tffle, 
III,  420. 

Saint-Pierre,  cathédrale  :  sa  fa- 
çade reconstruite,  III,  39  et  s.  ; 
ses  vitraux,  occasion  d'hom- 
mage religieux  pour  les  étran- 
gers, 307:  réparé  en  1800, 
465. 

Saint-Pierre  (chapitre  de),  élit 
Jean-Louis  de  Savoie  évèque 
à  douze  ans,  I,  48;  fait  un  man- 
dement réformateur,  49;  tolère 
M.  de  Divonne,  chanoine  démo- 
ralisé, 51;  tolère  un  attentat, 
54;  enlèvement  de  jeunes  fil- 
les, 71:  protège  l'Eglise  de  Ge- 
nève, 94  :  le  chapitre  refuse  la 
contribution  nationale ,  104  ; 
reçoit  des  reproches  sur  la  su- 
perstition, 109:  suscite  une 
émeute  le  Vendredi-Saint,  en 
1533,  129. 

Salaire  des  pasteurs  augmenté, 
III,  424. 

Sales  (François  de),  accuse  d'im- 
moralité les  prêtres  savo>ards, 
I,  75;  attire  et  entretient  a  ses 
frais  les  Genevois  convertis  au 
catholicisme,  II,  527  :  s'offre 
pour  convertir  le  Chablais, 
587  ;  premières  prédications 
sans  succès,  590;  dureté  des 
campagnards  à  son  égard,  591; 
la  messe  dite  en  secret,  594; 
conversion  de  l'avocat  Poucet 
et  du  baron  d'Avully,  595  et 
suiv.:  discussion  injurieuse  avec 
le  pasteur  de  la  Faye,  597:  résul- 
tats de  la  première  mission  de 
François  de  Sales,  600:  action 
pécuniaire  et   militaire  pour 


536 


convertir  le  Chablais,  600, 601  ; 
première  messe  forcée  à  Tho- 
non,  603,  604;  le  régiment  de 
Martinengue,  606  ;  conversion 
immorale  du  ministre  Petit, 
612,  613;  prétendus  miracles 
à  Thonon,  614;  François  de 
Sales  engage  le  duc  de  Savoie 
à  faire  usage  de  la  force,  623; 
violence  du  duc  contre  les  pro- 
testants de  Thonon,  623-627; 
conversions  forcées  et  payées, 
628-634  ;  le  Chablais  incom- 
plètement converti ,  635.636; 
de  Bèze  et  François  de  Sales, 
642-669  ;  François  de  Sales  in- 
sulte Calvin  en  chaire,  643; 
reçoit  du  pape  l'ordre  de  con- 
vertir de  Beze,  644;  première 
visite  au  réformateur,  645  ;  plai- 
santerie contre  Calvin,  646; 
discussion  avec  de  Beze,  647- 
649  :  seconde  mission,  650.651;  i 
bruit  de  la  conversion  de  Bèze, 
652,  653;  troisième  mission, 
proposition  d'une  pension  an- 
nuelle, 653,  654  :  bruits  en  Ita-  ' 
lie  de  la  conversion  de  de  Bèze, 
655;  conférence  avec  les  pas- 
teurs genevois  refusée,  pour- 
quoi? 657  :'François  de  Sales 
espèce  reprendre  le  siège  de 
Genpve  après  l'Escalade,  495;  j 
miracles  prétendus  de  saint 
François,  660,  661;  sa  mort,  j 
665,  666  :  union  en  esprit  avec  i 
Théodore  de  Beze,  669:  cano- 
nisation de  François  de  Sales, 
m,  288. 

Salomon,  premier  directeur  de 
l'hôpital,  son  sacrifice  et  sa 
mort,  I,  250,  253. 

Scmdoz,  imprimeur  genevois,  pu- 
ni. III,  212. 

Sarasin,  Jean,  prêche  à  la  réou- 
verture de  Saint-Pierre.  III,  41  : 
veut  maintenir  la  confession  de  ! 
foi  et  le  synode  de  Dordrecht. 
160  :  sa  lettre  à  Rousseau,  230! 

Sarnet,  curé  de  Cabrieres,  très-  : 


tolérant,  III,  346. 

Sartoris  plaide  pour  la  libre  dis- 
cussion des  matières  théolo- 
giques, III.  134 J  élargit  le  Con- 
sensus, 163,  165. 

Satii/ny.  visite  consistoriale,  III, 
97. 

Saumu.r  (école  de),  progrès  de 
ses  idées.  III,  144. 

Saunier.  Antoine,  maltraité  par 
les  chanoines  de  Genève,  1, 1 1 1; 
installe  le  collège  de  Genève, 
305;  banni  par  les  magistrats 
durant  l'exil  de  Calvin.  305, 
306. 

Saurin,  aide  à  réviser  les  psau- 
mes, III.  17. 

Sautter,  ancien,  membre  d'une 
commission  importante,  III, 
461. 

Saooù  :  Amé  VIII  veut  s'emparer 
de  la  souveraineté  de  Genève, 
I,  44:  Amédée  de  Savoie  deve- 
nu pape  sous  le  nom  de  Fé- 
lix V,  46:  Pierre  de  Savoie, 
évèque  à  dix  ans.  ibid.;  Jean- 
Louis  de  Savoie,  évèque  à  douze 
ans,  47-49  :  sa  mort  honteuse, 
52:  François  de  Savoie,  évèque 
immoral,  52-55:  Jean  de  Sa- 
voie, 83  :  guerre  contre  Genève 
en  1536,  p.  224,  248:  assaut  à 
Genève,  239:  le  duc  de  Savoie 
apprend  au  pape  la  Réforma- 
tion de  Genève,  221  :  la  Savoie 
envahie  par  l'armée  française, 
Ui,  436. 

Saxe  (la)  demande  qu'on  s'adou- 
cisse sur  le  Consensus.  III,  145. 

Schaffhonse.  approuve  le  Consen- 
sus, III,  163. 

Senebier  élargit  le  Consensus,  III, 
163. 

Sermons,  longueur,  importance 
dans  le  culte,  II,  25,  27. 

Servet,  sa  doctrine  panthéiste,  II, 
240.  245:  premiers  rapports 
avec  Calvin.  246  :  dénoncé  à 
Vienne  par  Calvin  et  de  Trie, 
247. 248  :  arrive  à  Gene\  •>.  849; 


57)7 


dénoncé  par  Lafontaino,  250; 
interrogatoire,  255  ;  dureté  du 
Conseil  à  son  égard,  259;  con- 
damné par  les  Eglises  suisses, 
260,  261;  visité  par  Farel  et 
Calvin  clans  sa  prison,  263  ;  sa 
sentence  et  son  supplice,  264, 
265  :  son  supplice  condamné 
par  Vernet,  III,  193. 

Servient  (Mr  de)  :  sa  réponse  à 
M.  Pictet,  III,  294. 

Simplicité  des  mœurs,W\,  54,  55. 

Sionnex  (les  paysans  de)  saisis- 
sent le  valet  du  curé  de  Mei- 
nier,  III,  311. 

Société  de  bienfaisance  :  sa  fon- 
dation, III,  459. 

Société  des  catéchumènes,  III,  28 
et  suiv. 

Société  économique  :sa  fondation, 
III,  459;  noms  de  ses  premiers 
membres,  460;  elle  est  conso- 
lidée, 479,  480. 

Société  pour  l'encouragement  du 
culte,  III,  471. 

Société  anglaise  pour  la  propaga- 
tion de  l'Evangile,  réclame  et 
obtient  l'appui  de  Genève,  III, 
405  et  suiv. 

Soleure  :  conciliabule  dans  cette 
ville  entre  les  puissances  et  les 
cantons  catholiques,  III,  338. 

Sonnerie  des  cloches  interdite,  III, 
448  ;  rétablie,  473. 

Soulavie,  prêtre  apostat,  suppôt 
de  Robespierre  à  Genève,  III, 
443. 

Souscription  pour  les  habitants 
des  terres  cédées,  III,  319. 

Spanheim,  Frédéric,  chargé  d'é- 
crire à  Amyraut,  III,  116;  sa 
lettre  datée  de  Leyde  h  la  Com- 
pagnie, sur  le  désir  de  soixante 
familles  anglaises  de  se  rendre 
à  Genève,  401. 

Stanley,  Humphry,  président  de 
l'Association  pour  la  propaga- 
tion de  l'Evangile,  III,  406. 

Statues  et  bustes  défendus  en  de- 
hors des  maisons,  III,  61. 


Strasbourg  :  impression  produite 
par  la  prise  de  cette  ville,  III, 
332. 

Suisses  (Cantons)  évangéliques 
prêts  à  secourir  Genève  III,  289, 
291,295,  333,  378  ;  proposent 
que  Genève  soit  adjointe  à  la 
Confédération,  293,  299;  op- 
position à  ce  projet,  ibid. 

Sully,  protège  Genève,  II,  524. 

Superstition  attachée  aux  noms 
de  baptême,  I,  412. 

Sur  (de),  Thomas,  mauvais  con- 
seiller de  la  maison  de  Savoie, 
I,  83. 

Syndics  :  leur  établissement  en 
1291,  t.  I,  41. 

Synodes  de  France  sous  Riche- 
lieu, II,  376;  national  de  Cha- 
renton,  381-86. 


Talleyrand  (M.  de)  trouve  un  asile 
à  Genève,  et  l'oublie  au  con- 
grès de  Vienne,  III,  348. 

Jambonneau,  résident  français, 
III,  376. 

Tavernes,  réformées,  I,  365;  II, 
80,  86. 

Temple-Neuf  :  sa  construction, 
III,  38. 

Terres  cédées,  suivant  le  traité  de 
1754,  III,  321. 

Terres  de.  Saint-Victor, reconnues 
k  la  République,  III,  308  :  Bos- 
sey  en  fait  partie,  309  ;  tenta- 
tives catholiques.  311. 

Terreur  (la)  à  Genève,  III,  448- 
456. 

Théâtre,  introduit  à  Genève  par 
Voltaire,  III.  74  et  suiv.:  in- 
cendié, 82;  reconstruit,  83. 

Thèses  sur  la  grâce,  III,  121. 

Thon  on  .-fondation  et  administra- 
tion de  la  Sainte-Maison,  III, 
300-305. 

Thouron  :  son  mémoire  sur  la 
Respectueuse  observation  du  di- 
manche, III.  429. 


538 


Tolérance  genevoise  envers  les 
luthériens  au  dix-huitieme  siè- 
cle, III,  418. 

Tournay  :  Voltaire  y  construit 
une  salle  de  spectacle,  III,  79. 

Tradé  de  Saint-Julien  :  ses  sti- 
pulations rappelées,  III,  295; 
Charles-Emmanuel  II  prétend 
n'y  être  pas  soumis,  ibid.;  traité 
de'  1754,  p.  317. 

Transylvanie  :  ses  églises  réfor- 
mées secourues  par  Genève, 
III,  415. 

Trembley,  J.-E.,  demande  à  l'é- 
vèque  d'Annecy  que  Mlle  Fal- 
quet  soit  renvovée  du  couvent 
de  Gex,  m,  305. 

Trembley,  Michel,  syndic,  obtient 
que  la  cour  de  France  rappelle  | 
M.  de  Chauvigny,  III,  331. 

Trente  (concile  de)  :  difficultés  j 
pour  la  réforme  morale  de  l'E-  i 
glise,  I,  76.  j 

Troillet.  1545,  insulte  Calvin,  I,  ! 
406. 

Tranchai,  Louis  (I),  chef  du  mou- 
vement arminien,  III,  129,  131; 
son  débat  avec  Turrettini,  133; 
peu  favorable  au  Consensus, 
147  ;  intervient  dans  un  débat 
entre  pasteurs  et  magistrats, 
270:  son  discours  à  la  fin  du 
dix-septième  siècle,  271;  sa 
mort.  150:  par  qui  remplacé, 
152. 

Tronchin,  Louis  (II),  recommande 
à  d'autres  Eglises  l'adoption  de 
nos  psaumes.  III,  18  :  reçoit  les 
excuses  de  Voltaire  pour  avoir 
laissé  donner  des  représenta-  i 
tions,  79  :  son  éloge,  108. 

Turyot,  loué  par  Voll;iire,  Ht, 
391, 

Turin  (la  cour  de)  veut  recon- 
quérir Genève,  III,  312. 

Turrettini,  Bénédict,  député  à  Dor- 
drecht.  II,  288,  289:  sert  d'in- 
termédiaire entre  Genève  et 
les  Hongrois  persécutés,  III, 
413. 


Turrettini,  François  :  sa  prédica- 
tion, III,  91;  auteur  du  Con- 
sensus, 129;  combat  l'arminia- 
nisme,  131;  son  débat  avec 
Tronchin,  133. 

Turrettint,  J.-A.,  chargé  de  rédi- 
ger des  prières,  III,  12;  fait 
changer  la  formule  de  bénédic- 
tion, 13;  une  phrase  de  la  con- 
fession des  péchés,  15  ;  une  de 
la  liturgie  du  baptême,  ibid.  : 
révise  la  version  de  la  Bible, 
22;  compose  le  formulaire  de 
réception  à  la  Sainte-Cene,  27; 
ses  vues  sur  le  culte,  37;  sa 
prédication,  91;  son  éloge,  107; 
ses  tendances  théologiques,  151 
et  suiv.  ;  attaque  le  Consensus, 
157,  163.  165:  s'occupe  de  la 
réunion  des  protestants,  168  et 
suiv.,  172;  de  celle  des  épis- 
copaux  anglais  et  des  non-con- 
formistes, 406  :  sa  lettre  à  l'ar- 
chevêque Wake.  408  ;  ses  bons 
conseils  en  politique,  280. 

Tu  ri  ettuii,  Michel,  parle  contre  le 
théâtre,  sans  reconnaître  aucun 
frein,  III,  268-270. 

v 

Universalité  de  la  Grâce,  III,  126. 

Usure  défendue,  I,  363;  H,  53; 
sous  l'empire,  à  propos  de  la 
conscription,  combattue  par  les 
pasteurs,  III,  483. 


Valeiry  :  belle  réponse  des  pay- 
sans aux  persécuteurs  catholi- 
ques, II,  579:  en  1754,  rede- 
venu catholique,  III,  318. 

Vandœuvres  et  Cologny  :  visite 
consistoriale,  III,  100. 

Vaucher,  Jean-Pierre-Etienne,  re- 
fuse de  prêter  serment  dans  un 
cas  de  conscience,  et  il  est  em- 
prisonné, III,  445;  son  éloquen- 
ce, 477. 

Yaud  (pays  de)  :  son  intrépidité 


559 


et  ses  dons  pour  les  réfugiés, 
ITI.  367.  370 

Vaudnis  du  Piémont  persécutés, 
écrivent  à  Genève,  II,  374;  III, 
375;  réfugiés  à  Genève,  408; 
secourus  par  la  reine  d'Angle- 
terre, ibid. 

Vautier,  Théodore  :  son  ministère 
apprécié,  III,  99;  signe  le  for- 
mulaire de  foi,  126;  entend 
accuser  Turrettin,  159. 

Végobre  (M.  de)  instruit  Voltaire 
de  l'affaire  des  Galas,  III,  385. 

Velours  fabriqués  â  Genève,  I, 
443. 

Vergerio,  évèque  italien,  décrit 
Genève,  I,  511-520. 

Vermigli,  Pierre,  Martyr,  prédica- 
teur italien,  I,  477-479. 

Vemets,  Jacob,  écrit  à  Voltaire, 
III,  69:  répond  à  un  de  ses  écrits 
impies,  217;  écrit  à  Rousseau, 
pour  le  ramener  à  des  senti- 
ments plus  chrétiens,  244; 
blâme  les  Lettres  de  la  Monta- 
gne, 247;  excite  ainsi  la  colère 
de  Rousseau,  282;  destitué  et 
banni,  426;  revient  à  Genève, 
430;  son  éloge  funèbre,  112. 

Vernet,  Jacob  :  ce  qui  décide  sa 
vocation,  III,  104:  l'un  des  fon- 
dateurs de  la  Société  des  caté- 
chumènes, 28;  montre  la  per- 
sistance des  principes  moraux, 
84;  demande  qu'on  diminue 
les  offices  du  culte,  96;  sa  dé- 
mission et  son  éloge,  112;  son 
système  dogmatique,  179  et  s.; 
écrit  à  Voltaire  au  sujet  de  son 
arrivée  à  Genève,  191;  à  D'A- 
lembert,  197;  reproche  au  pre- 
mier son  Candide,  201;  dirige 
l'impression  de  l' Esprit  des 
Lois,  202  ;  a  correspondu  ami- 
calement avec  Voltaire,  202; 
calomnié  par  ce  dernier,  203 
et  suiv.  ;  lui  répond, ibid.;  nou- 
velles calomnies,  211;  écrit  à 
Rousseau  pour  le  ramener  à 
des  pensées  plus  chrétiennes, 


241;  son  courage  civil,  281; 
ses  rapports  avec  la  duchesse 
de  la  Rochefoucault-d'Anville, 
utiles  à  la  liberté  religieuse, 
381. 

Vernet-Pictet ,  intervient  en  fa- 
veur de  la  Société  économique, 
III,  480. 

Vernly,  chanoine,  blessé  en  1532, 
I,  108;  suscite  une  nouvelle 
émeute  à  Genève,  131;  sa  mort 
dans  une  troisième  émeute, 137- 
139. 

Version  de  la  Bible  de  1805,  III, 
182. 

Vial  de  Beaumont,  prêche  contre 
les  fètes^  III,  48;  proteste  con- 
tre le  relâchement  des  mœurs, 
63;  demande  d'être  admis  à  la 
Compagnie.  160;  signe  le  Con- 
sensus avec  restriction,  161; 
est  reçu  de  la  Compagnie,  163. 

Victor-Amédée  I,  laisse  Genève 
en  paix,  III,  286. 

Victor-Amédée  II,  engagé  à  bri- 
ser le  traité  de  Saint- Julien,  III, 
298. 

Vie  pastorale ,  III ,  86  et  suiv. , 
94,  96. 

Vienne  (Congrès  de),  III,  484. 

Villages  protestants  des  environs 
de  Genève,  ramenés  par  la  vio- 
lence au  catholicisme,  II,  580, 
581. 

Vilmergen  (Bataille  de),  III,  337. 

Viollier,  Samuel,  prédicateur  re- 
nommé, III,  92;  loué  pour  son 
zèle  pastoral,  98;  signe  le  for- 
mulaire de  foi,  126. 

Viret,  réformateur,  prêche  à  Ge- 
nève, I,  190;  est  empoisonné, 
203;  député  â  Genève  après  le 
bannissement  de  Calvin,  301. 

Voltaire,  date  de  Genève  ses  ro- 
mans, III,  69,  200,  207  ;  nie 
d'être  l'auteur  de  Jeanne  d'Arc, 
69  ;  écrit  sa  Guerre  de  Genève, 
ibid.,  72;  veut  introduire  un 
théâtre,  74,  78  et  suiv.,  82; 
plaide  pour  la  liberté  de  cons- 


o40 


ciencc,  190;  obtient  de  s'éta- 
blir à  Genève,  191  ;  répond  à 
Vernet,  192;  ses  insinuations 
dans  le  Mercure  français,  193;  ' 
dans  Y  Essai  sur  l'histoire  uni-  \ 
verselle,  194;  ses  calomnies  1 
dans  l' Encyclopédie;  195;  dans  i 
son  Histoire  universelle,  203  ;  ! 
défend  les  Calas,  206  :  ses  ruses 
pour  introduire  ses  livres  a  Ge- 
nève, 207,  208;  calomnie  Ver- 
net,  203,  211;  multiplie  ses 
mauvaises  publications,  212; 
ses  plaisanteries  sur  Roustan, 
215;  sa  lettre  à  M.  De  Rocbes, 
217;  cherche  à  brouiller  Rous- 
seau avec  les  pasteurs,  244; 
sous  l'influence  genevoise,  plai- 
de pourtant  pour  la  liberté  re- 
ligieuse, 283  et  suiv.  ;  pour  la 
réhabilitation  des  Calas,  387  : 


écrit  à  Moultou  après  ce  triom- 
phe, 388-390;  éloges  qu'il 
donne  à  Turgot,  391. 
Vuarin,  curé  de  Genève  :  ses  hos- 
tilités contre  les  protestants, 
III,  350;  ses  exigences,  352  et 
suiv.;  écrit  dans  les  Débats  une 
lettre  calomnieuse,  355. 

w 

Wakc,  archevêque  de  Cantorbé- 
ry  :  sa  réponse  à  Genève,  III, 
174. 

t. 

Zoltiko/fre,  de  Marseille,  intermé- 
diaire de  secours  entre  Genève 
et  Cabrières,  m,  346. 

Zurich  fait  alliance  avec  Genève 
II,  414. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


111     TROISIÈME  VOLUME. 


Pages. 

Avant-Propos  S 

Chapitre  I.  L'Eglise  et  le  culte  7 

»      II.  Vie  religieuse  et  morale  dans  l'Eglise  de 

Genève.    .    .    .   34 

»     III.  Vie  pastorale  86 

»     IV.  Dogmatique  genevoise  114 

»      V.  Dogmatique  genevoise.  Liberté  de  conscience.  151 
»     VI.  Dogmatique  genevoise.  Défense  du  christia- 
nisme au  dix-huitième  siècle  185 

»    VII.  Dogmatique  genevoise.  Rousseau  et  l'Eglise 

de  Genève  221 

»>  VIII.  L'Église  et  l'État  265 

»  IX.  Genève  et  le  catholicisme  savoyard  .  .  .  285 
»      X.  Genève  et  le  catholicisme  français.     .    .    .  522 

»     XI.  La  Cité  du  refuge  558 

»  XII.  Genève  et  les  Eglises  étrangères  ....  400 
»  XIII.  L'Église  pendant  la  Révolution  et  l'Empire.  422 

PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

'  I.  Kntreprises  contre  Genève  487 

II.  Tableaux  des  différentes  heures  du  service  divin  dans 

l'Église  de  Genève  489 

1"  tableau.  De  1558  à  1654  490 


242 

2n"  tableau  De  1654  à  1694  491 

3rae     ».      De  1704  à  1715  492 

•»      De  1745  à  1786  •    .  .493 

3m'  »»  De  1786  à  1815,  hiver.  .  .  ,  .  .  494 
Suite.  »  »     été  495 

III.  Formule  du  Consensus  496 

»    Épitre  dédicatoire  du  traducteur  510 

IV.  Table  des  principales   controverses  qu'il  faudra 

traiter  en  chaire  avec  les  textes  qu'on  expliquera.  512 
Table  alphabétique  des  matières  contenues  dans  les  trois 
volumes  de  cet  ouvrage  515 


Kl.N   DE   LA   TABLK   DU   TOMK  TUOISIBMK. 


ERRATA. 


Page  10,  ligne  8,  terminée,  lisez  el  terminée. 
»    13 etaillenrs,  Calendrin,  lisez  Galandrin. 

»    15,  ligne  21,  et  page  45,  dernière  ligne,  délarant,  lisez  déclarant. 

»    17,      »    24,  Sauvin,  lisez  Saurin. 

»    22,      »    20,  Abausit,  lisez  Abanzit. 

»    29,  note,       Geramer,  lisez  Cramer. 

»    31,  ligne    7,  1185,  lisez  1785. 

»    33,     »     8,  Vernet,  lisez  Vernes. 

»    34,  note    3,  catholique,  lisez  catéchiste. 

»    35,  ligne  6,  élément,  lises  aliment. 

»    44,     »     4,  qui  est  l'unité,  lisez  qui,  en  l'unité. 

»    50,      »    13,  Par  les  courses  et  les  rilleries,  faudra.  Usez  par 

les  courses  et  les  ribleries.  Faudra. 
»    62,      »    l(i,  dix-septième,  lisez  dix-huitième. 
»    65,      »  dern.  le  (imballes,  lises  les  timballes. 
»    70,      »     7,  aujourd'hui  parler,  lisez  aujourd'hui  partie. 
»    83,      »    15,  Gaucourt,  lisez  Jaucourt. 
»  108,      »      4,  un  de  ceux  qui  a,  lisez  un  de  ceux  qui  ont. 
»  112,      »      5,  un  des  pasteurs  qui  a,  lisez  un  des  pasteurs  qui  ont. 
»  128,      »    16,  Le  Franc  Arbitre,  lisez  Sur  le  franc  arbitre. 
»  164,     »     6,  doctraire,  lisez  doctrine. 

»  171,      »    26,  toute  tribut,  de  tout  ordre  de  toute,  lisez  toute  (ribu, 

de  tout  ordre,  de  toute. 
»  172,     »    14,  protestantiam  dissidies,  lisez  protesiantium  dissidiis. 
»  174,     »     2,  Walker,  lisez  Wake. 
»  175,      »      8,  Penaut,  lisez  Pinaull. 
»  197,     »     2,  Vernet,  lisez  Vernes. 
»  227,      »    23,  Waldkirk,  lisez  Waldkirch. 
«  287,      »    21,  Victor-Emmanuel,  lisez  Victor-Amédée. 
»  288,     »    18.  Dérenthon,  lisez  d'Arenthon. 
»  300,      »    16,  3500,  lisez  35,000. 
»  405,      »    tl,  Gallovay,  lisez  Galloway. 
»  415,      »      1,  plus,  lisez  moins. 
»  435,     »     5,  quinze,  lisez  treize. 
»  435,      »     8,  Cardini,  lisez  Cardoini. 
»  445,     »    15,  de  la  Saussaie,  lisez  De  la  Sauzais. 
»  496,      »      3,  puissance  à  tout  croyant,  lisez  puissance  de  salut 

pour. 

•>  496.      »     5,  affection  paternelle,  lisez  attention  paternelle. 


Date  Due 

L8 

!E