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ILDERT SOUBIES HT Cma«i.es MALHERBE
HISTOIRE
DE
'OPÉRA-COMIQUE
LA SECONDE SALLE FAVART
— 184O-1860 —
PARIS
BRAIRIE MARPON ET FLAMMARION
E.FLAMMARION, SUCC
26, RUE RACINE, PRÈS L'OQËON
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HISTOIRE
L'OPÉRA-COMIQUE
6 40-1660
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Albert SOUBIES et Chàhles MALHERBE
HISTOIRE
DE
L'OPÉRA-COMIQUE
LA SECONDE SALLE FAVART
— 1840-1860 —
PARIS
LIBRAIRIE MARPON ET FLAMMARION
E. FLAMMARION, SUCC
16, RUE RACINE, PRÈS l'oDÉON
1892
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OUVRAGES DES MÊMES AUTEURS
L'ŒuvBE DBAHi^TiQUE DE RiCHAHD Wagnëb. Un Tolume in-12,
à la librairie Fischbacher : Épuisé.
MÉLANGES SUR RicEABD WaGiVER. Un TOlume iD-12, à la
librairie Fischbacher : 3 fr. 50.
Précis de l'Histoire de L'OpÉnA-CoiiiQui:. Un volame petit
iD-12, àlalibiairie Dupret : Épuisé.
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7/22.^3 ■
PRÉFACE
La pensée d'écrire cet ouvrage nous est ve-
nue au lendemain même de la catastrophe du
25 mai 1887. Comme la première salle Favart, la
seconde avait été réduite en cendres. C'était bien,
semblait-il, le moment de rédiger ses annales, de
dresser la liste des batailles gagnées ou perdues,
d'évoquer le souvenir des auteurs et des inter-
prètes applaudis ou dédaignés, de faire revivre en
un mot, sous les yeux du lecteur, le théâtre que
les flammes venaient d'anéantir.
Un scrupule nous retint, tout d'abord. Nous
crûmes qu'il faudrait moins de temps pour réédi-
fier ce théâtre que pour en raconter l'histoire;
ainsi devancés, nous nous exposions à parler au
passé de ce qui aurait à peine cessé d'être le pré-
sent. Est-il nécessmre de rappeler, en effet, l'émo-
tion causée par le sinistre et les résultats qu'on
devait attendre d'un tel mouvement d'opinion?
Des souscriptions s'organisaient en vue de secou-
rir les trop nombreuses victimes ; des plans nou-
veaux surgissaient de tous côtés; l'administration
elle-même donnaitl'exempledu zèle, en élaborant,
par les soins de la Direction des Biltiments civils,
un projet de reconstruction, puis en enlevant les
décombres avec un empressement qui paraissait
de bon augure. On avait l'air de comprendre que
le remède était à cdté du mal et que TOpéra-Co-
mique tenait trop de place dans les habitudes du
public pour qu'on ne s'efforçât pas de combler aus-
sitôt le vide laissé par sa disparition.
L'incendie avait éclaté, justement, à l'époque la
moins désastreuse de l'année. Les vacances d'été
allaient amener la fermeture habituelle ; on avait
donc, sans presque rien changer aux coutumes,
sans nuire aux intérêts du personnel, trois mois
pour travailler. Â peine en avait-il fallu davantage
pour édifier, au dix-huitième siècle, la salle de la
Porte- Saint-Martin, et, au dix-neuvième, l'ancien
Opéra de la rue Le Peletier.
Mais, au moment de demander aux Chambres
les crédits nécessaires, il arriva — la chose n'est
pas rare — que le ministère lut renversé. On remit
tout à l'étude; les semaines s'ajoutèrent aux semai-
nes, les années aux années ; nulle décision n'inter-
vint, et ce n'est que tout récemment qu'un projet de
loi a été déposé, avec de sérieuses chances, pa-
raît-il, d'être agréé.
Nous pouvons donc publier aujourd'hui, sans
crainte, le présent livre : il a plus que jamaisl'in-
PRÉPACB v:i
térêt de l'actualité. Il en a mâme ud autre que nous
avions moins distingué tout d'abord et qui se mon-
tre plus clairement à mesure que le temps marcha
et que les retards se prolongent. Nous assistons
peut-être, en ce moment, à la fin d'une période
d'art musical et cette heure, à coup sûr, mérite
qu'on la marque au passage.
Appelé à satisfaire les goûts d'un public dont la
naïveté diminue de jour en jour, dont les exigences
dramatiques sont plus impérieuses, l'opéra-co-
mique pourrait bien ne plus être dans l'avenir ce
qu'il a été dans le passé. Déjà, à certains indices,
on reconnaît qu'il se rapproche visiblement de
l'opéra et s'éloigne déplus en plus du type primitif,
la comédie musicale. Dans cette salle du Châtelet,
son domicile actuel, où le Théâtre-Lyrique a jeté
un si vii éclat, l'évolution se poursuit et s'achève ;
mais elle a pris naissance près du boulevard des
Italiens et ce seul fait donne à notre ouvrage un
intérêt spécial. Ce n'est plus la simple histoire
d'un monument que nous rédigeons; c'est, par
une suite de circonstances curieuses à montrer
et qui justifient notre titre, l'histoire même de
l'opéra-comique tout entier.
En effet, lors de sa fondation, en 1840, la sâlle
Favart vit s'épanouir ce qu'on pourrait appeler la
deuxième période de l'opéra-comique. Boïeldieu,
Auber, Hérold, Adam occupaient l'affiche; mais
on se trouvait encore assez près de la période an-
térieure pour tenir en estime les auteurs et les
œuvres du siècle dernier et du commencement de
celui-ci. Cette faveur pour la musique ancienne se
traduisit donc par une sorte de réaction dans les
goûts du public et cela par deux fois, peu de temps
après l'ouverture du nouveau théâtre et quelque
vingt ans plus tard. Des partitions de Pergolèse.
Duni, Monsigny, Grétry, Dalayrac, Cherubini,
furent alors exhumées avec respect ; on les remit
à l'étude, et des maîtres comme Auber, Adam,
Gevaërt, tentèrent, en refondant rorchestration,
de leur donner une parure nouvelle.
Puis, dans cette même salle Favart, une autre
forme apparut, moins simple, plus riche d'action
dramatique, plus chargée d'instrumentation, plus
conforme aux exigences de la polyphonie moderne.
Le Songe d'une nuit d'été', l'Étoile du Mord, le Par-
don de Ploêrmel, Mignon, Carmen, Manon, marquent
les étapes de cet acheminement vers le drame ly-
rique. Toutes ces œuvres ne sont-elles pas deve-
nues, au prix de quelques modifications, des opé-
ras, et n'est-ce pas sous ce nom qu'elles se
jouent à l'étranger?
Enfin, les incendies de la Commune ont, à leur
tour, exercé une action sur les destinées de cette
scène. Les pièces, dites de « demi-caractère » et
représentées avec succès au Théâtre- Lyrique, ont,
après sa disparition, reflué vers l' Opéra-Comique
et grossi peu à peu son répertoire. Dans ce nou-
veau milieu les Noces de Figaro, la Flûte enchantée,
Roméo et Juliette, Mireille, la Traviata, la Statue, se
sont fait applaudir, et ont disposé favorablement
directeurs et public à l'égard d'œuvres nouvelles
FRËFACE IX
équivalentes, sinon par le mérite, du moins par le
caractère et les tendances.
On voit donc quelle variété de points de vue
comporte notre sujet et combien il dépassQ les di-
mensions du cadre où il semble enfermé. Mais,
pour remplir ce cadre, il a fallu d'abord vérifier avec
soin les dates; suivre les ouvrages depuis l'instant
de leur naissance jusqu'à celui de leur mort et les
interprètes depuis le jour de leur débutjusqu'à celui
de leur départ ; compter le nombre des représen-
tations et le chiffre des recettes ; relire des livrets
et des partitions dont on ne connaît plus guère
que le titre ; feuilleter les journaux contemporains ;
compléter ces recherches par des souvenirs per-
sonnels ; répéter le moins possible ce que tout le
monde savait déjà ; interroger au besoin les inté-
ressés, mais avec précaution, car leur mémoire est
souvent complaisante à ce qu'ils désirent montrer
et rebelle à ce qu'ils voudraient cacher ; recueillir
en un mot tout ce qui se rapporte aux hommes et
aux choses pendant les quarante-sept années quela
seconde salle Favarl a vécues.
A ceux qui entreprendront un travail analogue
pour l'histoire de notre temps, la tâche sera relati-
vement aisée : Almanach des spectacles, Annales
du théâtre et de la musique, Soirées de l'orchestre
et autres recueils diversement nommés, abondent
et simplifient les recherches. Mais de 1840 à 1874
ces sources de renseignements font presque entiè-
rement défaut. Les documents sont épars et l'on
a peine à les rassembler pour en contrôler l'exac-
X PRÉFACE
titude, condition essentielle d'un travail comme le
nôtre, et que les plus soigneux ne peuvent ja-
mais se flatter d'avoir absolument remplie.
Une circonstance nous donne pourtant quelque
espoir. Notre travail a paru d'abord en feuilletons
dans le Ménestrel et y a même reçu de son direc-
teur une trop courtoise hospitalité pour ne pas
justifier ici l'expression de notre gratitude. Or,
au cours de cette longue publication qui aura peut-
être inspiré et singulièrement facilité des travaux
analogues, les intéressés n'auraient pas manqué
de signaler les erreurs ; quelques notes complémen-
taires nous ont été gracieusement adressées ; au-
cune ou presque aucune rectification ne nous est
parvenue.
Il ne suffit pas d'amasser des matériaux;
il s'agit de les présenter avec ordre, de dissimuler
le plus possible des énumérations fastidieuses et
pourtant nécessaires, de maintenir l'attention par
la variété des transitions et des rapprochements.
De là, par exemple, le système que nous avons
adopté pour la division des chapitres, sacrifiant
parfois l'égalité de la mesure à l'intérêt des grou-
pements, et rappelant dans les sous-titres mêmes,
non pas toutes les pièces à succès, mais l'une au
moins de celles dont les auteurs ont le plus con-
tribué à la fortune du théâtre.
Un mot nous reste à dire au sujet des principes
qui ont guidé notre critique. On n'écrit pas d'or-
dinaire une histoire détaillée pour amoindrir celui
qui en est le héros. Si donc nous paraissons un
peu indulgents pour un genre plus attaqué, pour
des artistes et des ouvrages moins estimés aujour-
d'hui qu'hier, ce n'est pas que nous professions en
art des idées rétrogrades. Nos précédents écrits
ont, croyons-nous, suffisamment prouvé le con-
traire. Au surplus, nous apprécions moins que
nous n'enregistrons et nous nous efforçons surtout
de remplir la tâche que doit s'imposer tout histo-
rien de bonne foi : rappeler les leçons de la veille
aân d'assurer les progrès du leiidemain, se souve-
nir pour mieux prévoir.
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Dglizac^ï Google
HISTOIRE
SECONDE SALLE PAVART
CHAPITRE PRELIMINAIRE
LES STATIONS DE l'OPÉRA-COUIQOB AV&MT 1S40
Avaat d'aborder l'histoire de la seconde salle Fa-
vart, il nous paraît indispensable, sous peine d'être
obligés de couper conatamment notre récit par dea
explications rétrospectives, de rappeler brièvement
ce que l'on pourrait appeler les « Stations de l'Opéra-
Comique. » Le lecteur sait, en effet, que l'Opéra-
Comique n'a pas toujours occupé l'emplacement où
il se trouvait lors de l'incendie du 25 mai 1887. Long-
temps même, et surtout au commencement du dix-
huitième siècle, il avait erré sans domicile bien fixe,
sans ressources bien assurées. C'est qu'alors, il payait
relativement peu de mine, et représentait ce qu'on
eût appelé volontiers un personnage de mince qua-
lité. Son origine était trop récente, sa naissance trop
.^Cooi^Ic
s LES STATIONS DE l'OFÉRA-COUIOUB
obscure pour lui permettre de faire figure; sa fortune
était assez médiocre, son succès assez intermittent
pour le réduire aux plus dures nécessités de la lutte
' pour l'existence. Il ne tendait pas la maiu ; mais il
implorait la faveur des grands et se débattait, à force
d'énergie ou d'adresse, entre les privilèges d'une part
, et les concurrences de l'autre, volé, persécuté, tom-
bant parfois pour se relever toujours plus vigoureux
et plus hardi.
Oe n'est pas l'histoire de l'Opéra-Comique que
nous entreprenons d'écrire ; aussi n'avons-nous point .
à rechercher dans le passé une filiation possible,
quoique incertaine. Certes, il suffit de considérer le
mélange du parlé et du c/ianfé comme la caractéris-
tique de ce genre pour trouver sans peine dans le
célèbre Jeu de Robin et de Marion un modèle fort an-
cien et, partant, fort respectable. Mais dans son cu-
rieux travail sur l'Histoire de lachanson populaire en
France, M. Julien Tiersot a remarqué justement que
cette alternance u de prose parlée et de vers chantés »
distinguait à la même époque les fabliaux comme
Aucassin etNicolette, et les romans comme le Renard
nomel, le Batteur en grange, etc. Ce qu'il y a de cer-
tain, c'est qu'au temps de la Renaissance, l'opéra-
coœique se laisse deviner dans ces moralités, dans
ces farces que jouaient les clercs de la Basoche avec
accompagnement de trompettes, hautbois, bassons et
timbales. Puis, il apparaît clairement au dix-sep-
tième siècle sous la forme de ces comédies de chan-^
- sons ou à chansons qui s'exécutaient aux deux cé-
lèbres foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent.
C'est là, en effet, sur les tréteaux d'une baraque en
plein vent, qu'il est venu au monde et qu'il a grandi
peu à peu.
,L.:e..ïCiOO'^lc
PREUiÈRE STATION. — Théâtrede la foire. {Avant 1762.)
Dans notre Précis de l'histoire de V Opéra-Comique,
nousavoDS essayé d'indiquer les grandes lignes da
cette pérode primitive et d'apporter quelque lumière
au milieu de ces ténèbres. Nous avons notamment
relevé tous les noms des direcleura qui s'y sont suc-
cédé depuis les frères Alard (1678), les plus anciens
parmi ces entrepreneurs de spectacles musicaux, qui
ont possédé un jeu : on désignait ainsi l'exploitation
théâtrale qui se faisait dans les loges de la foire, ou
emplacements concédés à bail.
Les exercices de corde, les farces de bateleurs et
les tours d'acrobates y tenaient souvent plus de place
que I4 musique. Pourtant, dès 1710, on rencontre au
répertoire une parodie i'Alceste, avec chœurs, duos,
airs et danses. Cinq ans après, c'est encore une pa-
rodie, celle de Télémaque qui, pour la première fois,
reçoit de ses auteurs la qualification d' opéra-comique:
le librettiste avait nom Le Sage (l'auteur de Gil Blas)
et le compositeur Gilliers, violoniste de la Comédie-
Française. Remarquons du reste que le mot opéra-
comique avait déjà été employé pour désigner non
point un genre d'ouvrages, mais le jeu de certaines
loges. Par exemple, en 1713, nous trouvons associés
la dame Catherine de Baune et le sieur Saint-Edme,
administrant, chacun de son côté : elle, le théâtre in-
titulé Nouvel Opéra-Comique de Baxter et Saurin, lui
le théâtre intitulé : Nouvel Opéra-Comique de Domi-
nique : ces noms étaient ceux d'acteurs célèbres de
l'époque.
Ce qu'étaient les ouvrages dont nous venons de rap-
peler quelques titres, on ne le sait point exactement ;
„■ ... .CoQi^Ic
4 LB3 STATIONS DE h'OPiRk-COMlQUt
maïs OD peut s'en faire une idée en reUsaot l'un de
ceux qui ont été conservés et que l'ou considère vo-
lontiers comme type du genre : la Chercheuse d'ea-
pri(, de Payart. M.Julien Tiersot a indiqué d'une
façon précise sur quels timbres se chantaient tous les
couplets qui s'y rencontrent, et cette œuvre date
de 1741..A.cette époque la musique demeurait donc
au second plan et vivait d'emprunts, de souvenirs,
d'adaptations, plus que d'inventions nouvelles. D'une,
manière générale, elle ressemblait fort à ce qu'elle
était naguère dans nos vawleoilleB, selon le sens ré-
cent du mot, et & ce qu'elle est encore aujourd'hui
dans ces pièces d'actualité intitulées reuues.
On a raconté maintes fois, et nous l'avons fait
nous-mêmes, le récit des luttes misérables que
rOpéra-Comique dut soutenir contre ses aines garan-
lis par des privilèges et jaloux de les faire respecter,
savoir : l'Opéra, qui voulait lui interdire le chant, la
Oomé die -Française qui prétendait lui couper la pa-
role, et la Comédie-Italienne, qui lui disputait même
la pantomime. De toute cette histoire nousnevoulons
retenir qu'un point, c'est qu'alors et jusqu'en n62,les
représentationsétaientforaiues,c'est-à-direorganisées
dans les deux principales foires de Paris : la foire
Saint-Laurent, qui se tenait boulevard du Nord, entre
le faubourg Saint-Denis et le faubourg Saint-Lau-
rent, la foire Saint-Germain, qui se tenait de l'autre
côté de la Seine, dans le faubourg Saint-Germain. La
première avait lieu, à quelques variantes près, pen-
dant les mois de février, mars et avril; la seconde
pendant les mois de juillet, août et septembre. C'était
ce que nous appellerions maintenant une saison
d'hiver et une saison d'été.
Quant à la scène elle-même, elle variait suivant le
AV4NT 1840 5
caprice de ceux qui l'admiûlstraient. Le théâtre était
entièrement de bois, et le luxe de la aalle avait pour
limites obligées les ressources généralement mo-
destes de l'exploitation. Parfois cependant la magni-
ficence d'un directeur s'y donnait carrière, comme
on le vit en 1752 avec le fameux Monnet, qui dépensa
bel et bien 45,000 livres en constructions. Mais, si'
ornées qu'elles fussent, ces constructions gardaient
un caractère provisoire ; non seulement elles offraient
plus que toute autre une proie facile à l'incendie,
mais encore elles demeuraient à la merci d'une foule
de privilèges et concessions qu'un simple caprice suE-
flsait à retirer.
DEDXi&UB 8TATI0N. — Hôtel de Bourgogne (i7iî2-i783).
' Pendant un long temps de la période précédente,
rOpéra-Comique avait dû soutenir la concurrence
d'acteursitaliensqui, chassés de France par LouiaXlV
en 1697, avaient reparu presque aussitôt après sa
mort et obtenu du Régent, en 1 7]6, l'autorisation de
jouer, d'abord au Palais-Royal où ils alternaient avec
l'Opéra, puis à l'Hôtel de Bourgogne, où ils s'étaient
constitués en société sous le titre de Comédie-Ita-
lienne, le 27 octobre 1719. Ils exploitaient un réper-
toire d'où la musique était généralement absente.
Néanmoins, le succès obtenu le 4 octobre 174G par
la ServaPadrona,de Pergolèse, les avait mis en goût,
et l'arrivée de nouveaux chanteurs italiens, en 1752,
n'avait fait qu'accentuer plus encore ce mouvement
artistique. L'Opéra-Comique et la Comédie-Italienne
méritaient l'honneur d'occuper l'attention, de pas-
sionner l'opinion et de susciter des querelles de
plume où les uns tenaient pour la musique natio-
6 LES STATIONS DE L'OPÉRA-COUIQUE
tionale, les autres pour la musique étrangère. C'est
le temps où Jean- Jacques Rousseau déraisonnait à
plaisir, prétendant démontrerqu' « iln'y ani mesure
ni mélodie dans la musique française, parce que la
langue n'en est pas susceptible, que le chant français
n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à
toute oreille non prévenue, que l'harmonie en est
brute, sans expression, que les airs français ne sont
pas des airs », et il soutenait, pour conclure, que « les
Français n'ont point de musique et n'en peuvent
avoir, ou que, s'ils en ont, ce seraianf pis pour eux, n
Il arrive souvent que les ennemis de la veille de-
viennent les alliés du lendemain, et que, par des
concessions réciproques, on se rapproche au point de
combattre ensemble sous le même drapeau. Ainsi
fut-il pour les chanteurs français et les bouffoTis ita-
liens, comme ou disait alors. En 1762, une ordon-
nance du Roi réunit les deux théâtres en un seul sous
la dénomination de Comédie-Italienne et lui assigna
pour domicile le palais modeste que cette dernière
tenait du Régent depuis 1716, l'Hôtel de Bourgogne,
situé rue Française et rue Mauconseil. C'est dans
cette salle, renommée à plus d'un titre, car elle avait
au siècle précédent servi de berceau à la Comédie-
Française, que l'Opéra- Comique grandit et prospéra
de 1762 à 1783. C'est là qu'il faut enregistrer les
grands succès des librettistes comme Sedaine, An-
seaume, Marmontel, et des compositeurs comme
Duni avec les Deux chasseurs et la laitière (1763),
Monsigny avec Rose eiCo[as(I764), le Déserteur (1769),
Philidoravec Tom Jones (1765), Grétry; enfin, avec
leIIuron{ilè8], Lucile {\im),leTableauparlant{ll&9),
les Deux Avares (1770), Zémire et Azor [ini], etc.,
tous ouvrages qui ne sont pas seulement connus des
AVANT 1840 7
bibliothécaires et des curieux, mais qui, pour la
plupart, ont été jusqu'à notre temps l'objet de nom-
breuses et brillantes reprises.
Lors de la fusion des deux troupes en 1762, l'opi-
nion publique estimait, et Bachaumont l'indique
en ses Mémoires, qu'un élément absorberait l'autre,
c'est-à-dire que legenre italien triompherait du genre
français. Le contraire se produisit ; le talent de nos
auteurs créa un irrésistible courant, et ce triomphe
fut en quelque sorte consacré par des lettres patentes
du 31 mars 1780, qui substituaient au nom de Comé-
die-It'alienne celui à' Opéra-Comique. Toutefois, l'usage
ancien prévalut pendant plusieurs années encore.
Les almanachs des spectacles, source précieuse, car
c'est à quelques égards un miroir où se reflètent les
habitudes artistiques de l'époque, nous montrent le
peu de âsité.des dénominations adoptées. C'est ainsi,
pour nous résumer en quelques mots sur ce point,
que jusqu'en 17621e théâtre prend le nom de l'en-
droit où il fonctionne. Théâtre de la foire Saînt~Ger-
main, Théâtre de la foire Saint-Laurent, et aussi
même Opéra-Comique, comme en font foi une affiche
de 1724 et un billet de spectacle de 1754, reproduits
par M. Arthur Heulhard dans son intéressante his-
toire de la ivoire Saint-Laurent et dans sa curieuse
biographie de Monnet. Lors de l'installation à l'Hôtel
de Bourgogne (1762), il devient Comédie-Italienne ou
Théâtre Italien. Après la construction de la salle
Pavart (1783) il s" appelle encore tantôt Théâtre Italien,
bien que l'élément italien diminue au point de dispa-
raître tout à fait, tantôt Théâtre de la rue Faoart,
tantôt, comme en 1794, Théâtre de VOpéra-Comique
national. Cette dernière dénomination n'est définiti-
vement acceptée par tous qu'en 1801.
LES STATIONS DB l'oPÉBA-COUIQUE
TR0I6IÈUE STATION. — Première salle Favort (i783-180î).
L'Hôtel de Bourgogne, qui avait abrité pendant
vingt et un ans la fortune de l'Opéra-Comique, fut
abandonné le 4 avril 1783. Le vieux bâtiment ne ré-
pondait plus aux besoins du répertoire et du public ;
il paraissait trop petit, mal aménagé ; de plus, le suc;
ces avait permis aux artistes qui, depuis la fusion,
l'administraieut réunis en société, de se faire cons-
truire une salle nouvelle et digne d'eux : ce fut la
première salle Favart, élevée par l'architecte Heurtier
sur les terrains de l'Hôtel de Choiseul, entre les rues
Pavartet Marivaux, à côté du boulevard qui depuis,
et en souvenir de l'ancienne Comédie-Ziaiienne, prit
justement le nom de boulevard des Italiens. Par son
aspect général, ce théâtre présentait quelque analogie
avec celui que, sur le même emplacement, le feu a
détruit en 1887, Il pouvait contenir à peu près le
même nombre de spectateurs, environ dix-huit cents.
Dé hautes colonnes ornaientlepéristyle, et la façade
regardait déjà le côté opposé au boulevard, cela pour
une raison d'amour-propre que M. Arthur Pougin a
rappelée dansson utile Dictionnaire des Théâtres. Les
acteurs du boulevard, en effet, étaient l'objet de ce
dédain spécial qui, de nos jours, se manifeste pour
les acteurs de province. Afin de mieux accuser la
différence, les sociétaires curent donc soin de tourner
le dos au boulevard, laissant ainsi entendre au public
qu'il ne fallait pas faire confusion ni se méprendre
sur leur qualité.
La salle inaugurée le 28 avril 1783 connut bientôt
le succès, gràceaux deux œuvres de Grétry: VEpreuve
villageoise et Ric/iard Cœur-àe-Lion (1784). Par la
AVANT 1840 9
suite, d'ailleurs, la fortune coutioua de se montrer
relativement favorable, en dépit dea circonstances
difficiles de la guerre au dehors et de l'émeute au de-
dans ; car l'Opéra-Comique vécut là pendant toute la
durée de la Révolution.
Un rival pourtant lui était né avec le théâtre
Feydeau, où s'exploitait un genre analogue sous la di-
rection administrative d'un ancieDCoifTeurde la reine
Marie-Antoinette, Léonard Autié, et sous la direction
artistique de deux musiciens célèbres, Cherubini
et Viotti. Mais nous n'avons pas à conter l'histoire
de ces temps singuliers oii, malgré le bruit des
émeutes, malgré le sang versé sur l'échafaud et sur
les champs de bataille, des maîtres appliquaient leur
génie à développer un art charmant dont l'éclat re-
jaillissait sur la pairie. Ces maîtres s'appelaient Da-
layrac, Berton, Kreutzer, Méhul, et l'on peut dire
qu'à celte troisième période correspond aussi une
troisième manière pour l'Opéra-Comique, dont le
cadre s'élargit, dont la forme devient plus savante,
plusiafÛDée, et qui est bien prés alors d'atteindre'
à son apogée.
QUATBiiME STATION. — Théâtre Feydeau (1801-18^9).
Oe qui était arrivé une première fois en 1762 se
produisit une seconde en 1801 : les rivaux deviurent
amis et la concurrence disparut. Par un acte du
■7 thermidor an IX, les deux troupes de Favart et
de Feydeau fusionnèrent et adoptèrent le titre offi-
ciel d'Opéra-Comique, qui depuis s'est conservé, en
dépit des changements d'installation et de direc-
teurs.
C'est à Feydeau qu'on a ouvert le 16 septembre
„■ ... 'C".t)0>^li:
10 LES STATIONS DE l'0PÉR*-C0MIQOE
1801; en 1804 on fait une halte à Favart, puis au
Théâtre-Olympique, rue de la Victoire, la salle Fa-
vart ayant été fermée pendant quelque temps pour
cause d'embellissements et de réparations, et de nou-
veau à Favart, que l'on quitte définitivement pour
Feydeau l'année suivante.
Les seuls changements dignes de remarque en
cette période sont relatifs au mode d'administration.
Jusque-là, les artistes, constitués en société, for-
maient une espèce de république. L'arrivée aux af-
faires d'un maître comme le Premier Consul ne pou-
vait manquer d'avoir son contre-coup sur les choses
de l'art et d'aboutir à des combinaisons nouvelles.
L'Opéra-Comique, jadis humble vassal et tributaire
de l'Opéra, auquel il lui fallait payer une redevance
annuelle, par exemple, de 25,000 livres en 1716, de
35,000 livres en 1718, de 40,490 en 1767, devient à
son tour un seigneur armé de privilèges. Mais en
échange, il perd une partie de sa liberté et se voit
soumis par un décret du 6 frimaire an XI à la sur-
veillance d'un surintendant. Désormais le théâtre est
classé et ses artistes deviennent tour à tour, suivant
les caprices de la politique, comédiens de l'Empereur
, ou comédiens du Roi. En 1824, le surintendant se
changea même en véritable directeur : Guilbert de
Pixérécourt et, après lui, Ducis, administrèrent k
leurs risques et périls, c'est-à-dire avec des fortunes
diverses, ce théâtre où venait de se produire une
suite de chefs-d'œnvre. A cette période, qu'on pour-
rait appeler officielle, correspondait en effet, si l'on
étudie le caractère général du répertoire, non pas un
mouvement de recul, mais un retour vers la grâce et
la simplicité. C'est le beau temps de Nicolo et de
Boieldieu. Déjà même Hérold et Auber paraissent à
AVAWT 1840 11
l'horizon et prennent possession de la scène où ils
doivent faire briller ces qualités spéciales qui de-
meurent l'apanage du génie musical français, le
charme, la finesse et l'esprit.
ciNQuiÈMB STATION. — Théâtre Ventadour(î829-ÎS32),
A la date du 12 avril 1829, le théâtre Feydeau,
construit au siècle précédent par les architectes Le-
grandet Molinos, au n" 19 de la rue Feydeau, ferma
ses portes, qui ne devaient plus se rouvrir, car il fut
démoli bientôt après. C'est ainsi que, huit jours plus
tard, rOpéra-Gomique se transporta dans la salle
Ventadour, que l'administration lui avait destinée,
puisque la salle Feydeau menaçait ruine et que la
salle Pavart avait été concédée à une troupe italienne.
De toutes les stations de l'Opéra- Comique, celle-ci
fut la plus courte, et peut-être aussi la plus désas-
treuse. De cette époque datent pourtant deux ouvrages
célèbres : Fra DitiDoio (1830) ei Zampa (1831); mais
ils ne suffirent pas à sauver une entreprise contre la-
quelle les plaintes, dès le début, avaient été presque
unanimes. On blâmait le quartier choisi, qu'on trou-
vait peu central ; on se plaignait de la disposition de
la salle, de ses dimensions peu en rapport avec le
genre exploité : les critiques se traduisaient natu-
rellement par une baisse de recettes et des pertes
d'argent.
Le directeur Ducis n'y résista pas, et disparut dès
le ISjuiu 1830. Survientla révolution de Juillet, fer-
meture ; au mois d'août, Singier, ancien directeur
des théâtres de Lyon, essaye d'administrer, mais
il laut faire à la salle de notables réparations et
modifications, nouvelle fermeture; le 8 octobre 1831,
13 LS9 STATIONS DE l'OPÉRA-COUIQUE
Lubbert le remplace et succombe à son tour, nou-
velle fermeture ; au mois de janvier 1832, Laurent
tente l'aventure, mais le choléra éclate, nouvelle fer-
meture : c'était la sixième en l'espace de moins de
quatre années.
aisiÈHE STATION. — Théâtre des Nouvea^tés{^S32-i8iO].
La salle Ventadour avait été si funeste qu'on dut
songer à la quitter sans regret. Mais où aller ? On ne
pouvait s'installer à la salle Favart, toujours consa-
crée à des représentations italiennes. Il fallut se ra-
battre sur une salle de modestes proportions, cons-
truite place de la Bourse, eu 1827, et qui venait de
fermer ses portes le 15 février 1832, après avoir ex-
ploité un peu tous les genres, môme la musique;
c'était le théâtre des Nouveautés, qui devint plus tard
le Vaudeville. Faute de mieux, sans doute, on s'y ré-
signa, et bien eu prit aux artistes, d'abord réunis en
société sous lagérancede Paul Dutreich, puis, en 1834,
administrés par un véritable directeur, Crosnier; car
les huit années passées là cogiplent parmi les plus
brillantes de l'Opéra-Comique. Il suffit de citer les
nomsd'Hérold, d'Auber, d'Halévy, d'Adam et de rap-
peler le titre de quelques ouvrages représentés pen-
dant cette courte période, savoir ; le Pré aux Clercs
(1832), le Chalet (1834), l'Éclair [1835), le Postillon de
Lonjumeau (1835), le Domino noir (1837),
Tout à coup, une circonstance imprévue ramena
rOpf'.ra-Comique sur l'emplacement occupé par lui au
siècle dernier. La salle Favart, qu'il avait quittée
en 1801 pour la salle Feydeau, était aux mains d'une
troupe italienne, lorsqu'un incendie la consuma dans
la nuit du 13 aq 14 janvier 1838, après une représen-
LVà.vT 1840 13
tation de Don Giovanni. Elle fut reconstruite au bout
de deux ans, et le directeur Grosaier ne perdit pan
cette excellente occasion d'échanger sa petite salle
de la Bourse cootre la spacieuse salle Favart.
SEPTIÈME BTATlON. — SccOTide sallB Foeart {18i0-1887).
Cette fois l'Opéra-Comique semble toucher au
port; et nous-ménies, arrivant au seuil de la période
que nous nous proposons d'étudier avec quelques dé-
tails, nous arrêtons cette revue rapide d'une histoire
longue, ardue, compliquée, mais dont le tableau sui-
vant indique fidèlement les grandes lignes. C'est, en
somme, la liste des divers emplacements occupés
depuis l'origine jusqu'à nos jours, avec les noms que
tour à tour le théâtre a portés :
Avant i7fiS. — Looes db la, Foibb, sous les titres
de : Théâtre de la Foire Saint-Germain, Théâtre de la
Foire Saint-Laurent, et même Opéra-Comique.
Du 3 février 1 762 au 4 avril 1 783. — SallS de l'Hôtel
DE BooRoooNB (rue Mauconseil), sous le titre de Comé-
die Italienne ou Théâtre Italien.
. DuSSaoril i183 au 20 juillet Î80i. — Première
SALLE Favart (jardins de l'Hôtel de Choiseul ou place
des Italiens), sous les divers titres de : Comédie Ita-
lienne, Théâtre Italien, Théâtre de la rue Favart,
Théâtre de l'Opéra-Comique national, Théâtre de
l'Opéra-Comique.
Du 16 septembre 1801 au 2S juillet 180 i. — Sallb
Fevoeau (19, rue Feydeau) , sous le titre définitif de ;
14 LES STATIONS DE l'OPÉRA-COMIQDE
Théâtre de l'Opér a-Comique, mais avec la meûtion
théâtre national, impérial ou royal, suivant la forme
du gouvernement.
Du 23 juillet ÎSOiau 2 octobre 180k. — SallePàvart
{place des Italiens, rue Pavart).
Du 3 octobre Î8ûk au 23 octobre iSOk. — Théâtre
Olyhpiuue (rue de la Victoire).
Du^k octobre 180k au i juillet 1805. — Salle Fa-
Du 2 septembre 1805 au 12 avrHl 1829. — Sallr
Feydeau (19, rue Feydeau).
Dii20 avril 1829 au 'iS mars iSSS; — Salle Ven-
TADouR (place Ventadour).
Du 22 septembre iS39 au 30 avril 18kO. — Salle des
NonvEAOTÉs (place de la Bourse).
Du 16 mai 18i0 au 20 juin 1853. — DedsiÈME SALLE
Fatabt (place Boieldieu).
Du96 juin 1853 au i juillet 1853. — Salle Venta-
DOOB.
Du 5 juillet 1853 au 15mai i881. — Deuxième salle
Favabt.
A cette liste, nous en joignons une autre qui n'a
jamais non plus été dressée et qui nous semble com-
pléter heureusement la première : c'est celle desdi-
AVANT J840 15
rectîoQS qui, pendant plus d'un siècle et demi, ont
présidé aux destinées du théâtre.
Beaucoup de ces noms sont oubliés aujourd'hui ;
quelques-uns au contraire sont demeurés fameux; les
. derniers {depuis 1840) sont ceux justement qui voul
faire plus spécialement l'objet de notre élude, et re-
viendront par conséquent le plus souvent sous notre
plume :
1713-1718. — Saint-Edme etOatheriae Vanderbeck,
femme de Baune, tantôt ensemble, tantôt séparé-
ment.
1718-21. — Suppression de VOpéra-Comîque.
1721. — Lalauze.
1721-22. — Francisque.
17^-24, — Suppression de VOpéra-Comique.
n24-26. — Honoré.
1726-28- — Honoré et Francisque.
1728-1732. — Boizard de Pontau.
1732. — Mayer, dit de Vienne, sous le nom de
Hamoche.
1733-43. —Boizard de Pontau (deuxième fois).
1743-44. — Monnet.
1744. —Berger.
1745-52. — Suppression de VOpéra-Comique.
1752-57. — Monnet (deuxième fois).
1757-62. — Corby, Moët et C".
1762-1803. — Régie parles artistes ensociété.
1804-14. — Comité administratif, composé d'ute
délégation des artistes, sous la surveillance d'un pré-
fet du palais, nommé par l'empereur.
1815-24. — Comité administratif, composé d'une
délégation des artistes, sous la surveillance d'un gen-
tilhomme de la Chambre du roi.
16 LEB STATIONS DE l'OPÉRA COHIQUB AVANT 18*0
1824-27. — Guilbert de Pixérécourt.
1828-30. —Duels.
1830-31. — Siogier.
1831.— Lubbert.
1832. — Laurent.
1832-34. — Dutreich, comme gérant des artistes
réunis en société.
1834-45. — Orosnier.
1845-48. — Basset.
1848-57. — Emile Perrin [première fois).
1857-60. — Nestor Roqueplan.
1860-62. - BeaumoEt.
1862. — Emile Perrin (deuxième fois}.
1862-70. — De Leuven et Ritt.
1870-74.— De Leuven et duLocle.
1874-76. — Du Locle.
1876.— Emile Perrin, comme directeur intéri-
maire (troisième iois).
1876-87. — Carvalho.
Pour compléter cette liste, il suffirait d'y ajouter
trois noms, depuis que, chassé par l'incendie de 1887,
l'Opéra- Comique s'est réfugié, place du Châtelei :
Jules Barbier, directeur intérimaire en 1887 ; Para-
vey, directeur de 1888 à 1890, et, depuis 1890,
M. Carvalbo qui pour la seconde fois préside auxdes-
tinées de TOpéra-Comique de même que jadis il avait,
pardeuxfois aussi, tenu dans ses mains la fortune
du Théâtre Lyrique.
D.3i.za..ï Google
CHAPITRE II
L'OUTBBTDBE du NpDVBAO THÉÂTRE
La 34T représenlatioD dU Pr^ aux Clercs.
. 1840.
La loi autorisant la reconstruction de la salle Fa-
vart avait été votée à la Chambre des députés, le
22 juillet 1839, à la majorité de 155 voix contre 80, et
à la Chambre des Pairs, le 1" aoiSt suivant, à la ma-
jorité de 64 voix contre 44. Un rapport officiel avait
estimé à 3,200,000 francs le devis de reconstruction
avec suppression de la maison faisant face au boule-
vard, pour laquelle une indemnité d'un million avait
paru suffisante. Mais on ne s'était pas arrêté & ce
projet de démolition, d'abord pour réaliser l'écono-
mie du million en question, puis parce que celte
maison, dont le rez-de-chaussée formait alors une
galerie à arcades comme celle qui entoure le Théâtre-
Français, avait été jugée, à ce titre, très suffisamment
décorative.
De toute façon, les travaux d'édification intéres-
saient assez le public pour qu'il en fût fait de fré-
18 L'OUTERTOBS DU NOUVEAU THÉATSE
guentes mentions dans les journaux de l'époque. Dès
1839, le chantier est en pleine activité. En janvier
1840, on signale qu' « une forêt de charpente » se
dresse dans la salle et sur la scène ; même on se
plaît à annoncer pour le 1" mai l'inauguration, qui
ne devait en réalité avoir lieu que quinze jours plus
tard. En mars, on constate la rapidité avec laquelle
s'élève la construction nouvelle. Déjà « le titre brille
en lettres d'or sur le fronton qui est achevés, et le
reporter anonyme ajoute naïvement que « tous les
mui'S ont été grattés et blanchis à l'extérieur. »
D'ailleurs, il promène son regard curieux de la cave
au grenier, et s'arrête là-haut pour relater que « la
scène est entièrement couverte, et que la salle ne
tardera pas à l'être également, n
Enfin, lorsque les échafaudages eurent disparu, le
public, lui aussi, put s'assurer de visu qu'au dehors
du moins, le monument nouveau ne différait pas
sensiblement de l'ancien. On y retrouvait les quatre
colonnes formant péristyle avec saillie sur la place
Boiedieu ; le style conservait une simplicité qui pou-
vait passer pour de la sobriété; il était évident que
l'architecte, M. Carpentier, n'avait pas dû se mettre
en frais d'imagination pour donner cette seconde
édition d'un monument déjà connu. Tout au plus
avait- il modifié, pour les rendre plus commodes, cer-
tains services, et obtenu ainsi quelques agrandisse-
ments.
En l'absence de merveilles architecturales, on in-
sistait, aux yeux de la foule ébahie, sur le « soin mi-
nutieux qu'on prenait à se défendre contre l'ennemi
naguère victorieux: tout le comble, une grande partie
de la charpente, les murs de refend, les escaliers et
les planchers, disait-on, sont en fer. Les procédés de
1840 19
galvanisation y ont été presque partout appliqués,
etc. » Bref, on déclarait qu'un tel monument, i par
une exception unique à Paris », serait inaccessible
au feu et par cela même à l'abri de tout danger. On
sait quel terrible démenti l'avenir réservait à cet
excès de confiance, à cet optimisme imprudent. Il
est vrai que la déclaration émanait du directeur lui-
môme, lequel l'envoya comme une sorte de commu-
niqué à toute la presse et fit un peu rire à ses dépens,
car on observa non sans raison que c'était la pre-
mière fois qu'on entendait parler de murs en ferl
D'ailleurs on avait reculé devant la solution la
plus radicale, comme aussi la plus simple ; on n'avait
point osé s'étendre jusqu'au boulevard des Italiens
et y transporter la façade. Alors, ainsi qu'aujour-
d'hui, cette partie de terrain comptait, pour l'occuper,
une foule de commerçants, parmi lesquels un édi-
teur, comme il s'en trouve un encore sous les gale-
ries du Théâtre-Français, Tout ce petit monde n'au-
rait pas déménagé sans de grosses indemnités, et le
temps était aux économies. Loin de se laisser expul-
ser, il arriva même qu'un propriétaire voisio,
M. Gandot, prétendit, ou à peu près, expulser l'O-
péra-Comique, dont l'ouverture faillit être indéfini-
ment retardée. Ce mécontent, fort aviso après tout,
estima que 1' « on ne s'était pas conformé aux règle-
ments qui prescrivaient l'isolement des théâtres » et
soutint son dire en justice avec un bon procès qu'il
perdit : la Cour en effet se déclara incompétente.
Lorsqu'enfin le théâtre put ouvrir, le 15 mai 1840,
la presse, écho du public, se montra généralement
favorable aux dispositions et à l'ornementation adop-
tées. Le souvenir de cette salle est encore trop pré-
sent à l'esprit du lecteur pour que nous en fassions
20 L'O0TBRTnRE DU NOITVBAU THÉATBB
une description détaillée. Notons seulement quelques
particularités curieuses à rappeler.
Par exemple, le ton général des peintures était
gris bleuté clair, et les fauteuils, ainsi que les loges,
étaient garnis en damas bleu. Le plafond, peint par
M. Gosse, fui déclaré terne el sombre; en revanche,
on trouva de bon goût « le rideau qui représentait
toutes sortes de riches étoffes de velours etdePerse»,
avec dorures « sur cuivre estampé, ce qui est plus
net et plus arrêté comme dessin, o L'éclairage avait
été l'objet d'essais de modification, comme il arriva
pour les théâtres de la place du Châtelet, et plus tard
pour l'Opéra. D'abord on avait voulu se passer de
lustre, et le remplacer par a des girandoles placées
tout autour sur le devant des loges et représentant
des Amours en cuivre doré, portant des gerbes de
bougiçs. » Leur éclat ayant été jugé insuffisant, on
en revint au lustre ordinaire, et l'on se contenta, en
souvenir du projet primitif sans doute, de lui ad-
joindre une série de petites girandoles à la hauteur
des cinquièmes loges. Mais c'est la disposition des
fauteuils et des loges qui paraît avoir causé le plus
■ d'étonnement. Plusieurs de ces loges étaient à salon,
(comme en Italie, faisait-on observer), et le i:<alon
était séparé de la loge par des rideaux de velours bleu,
le tout éclairé d'ailleurs par un globe en verre dépoli,
enchâssé dans le mur du corridor sur lequel il pro-
jetait son autre moitié de lumière. Cette importation
italienne préoccupait l'opinion d'étrange sorte, et
l'on est tout surpris devoir combien alors la pudeur
s'en alarmait, en lisant ces lignes empruntées à un
journal de l'époque :
« Nous espérons bien que l'idée des petits salons
sera cultivée à l'ouverture de la nouvelle salle Favart,
1840 21
et qu'on lira sur l'affiche : spectacle en cabinet parti-
culier, et pourquoi n'ajouterail-on paii : avec autori-
sation de M. le préfet de police î »
Quant aux fauteuils remplaçant, d'après une mode
également importée d'Allemagne et d'Italie, les
stalles d'autrefois, ils avaient une forme qui ne satis-
faisait pas pleinement certain critique, puisqu'il
écrivait qu' « en entrant on croirait voir des invalides
amputas d'un bras, car chaque fauteuil n'en aura
qu'un. Ce bras sera en l'air, isolé, sans appui sur le
siège. On pense que les robes des dames et les jambes
des messieurs se trouveront au mieux de cette Inno-
vation; mais alors il faudra n'être jamais fatigué que
d'un bras, puisqu'il n'y en aura pas un second pour
reposer l'autre. »
De tels reproches et autres analogues se rencon-
trent toujours quand il s'agit déjuger les construc-
tions nouvelles. Un des plus graves, toutefois, fut
peut-être celui sur lequel on s'appesantit le moins.
Il est vrai qu'il s'agissait d'un mal irrémédiable, et
que force était bien de supporter ce qu'on ne pouvait
empêcher.
Ouire l'entrée principale sur la place, une longue
galerie donnait accès au théâtre en débouchant à
l'aDgle du boulevard et de la rue de Marivaux. Re-
marquons en passant que cette galerie a subsisté, au
moins partiellement, jusqu'à l'époque assez récente
où l'on eut l'idée malencontreuse de la supprimer.
C'était une issue qui devenait précieuse en cas d'in-
cendie, et pouvait alors éviter de grands malheurs.
Ajoutons qu'au milieu, un salon avait été pratiqué,
servant de salle d'attente : a Là, nous dit un docu-
ment du temps, se trouvent des sièges, des tapis, un
loyer pour l'hiver ; et, aux deux extrémités, sont pla-
22 l'outebtore d-j nouteau théatrb
céa les domestiques, séparés des maîtres par une
barrière. » Cette disposition semblait pratique au
premier abord; malheureusement, ce corridor n'a
pu se faire, observe certain journaliste, « qu'en ré-
trécissant d'autant les corridors intérieurs, ce qui
produira un effet très fâcheux. » Si fâcheux juste-
ment, quele théâtre lui dut en partie sa ruine ; car
c'est faute de dégagements suffisants que le sinistre
de 1887 eut de si terribles conséquences. Mais, en
1840, on se croyait, comme nous l'avons dit, à l'abri
de toute chance d'incendie, et, la salle ayant été gé-
néralement trouvée i belle », on ne se montra pas
trop sévère pour l'architecte et on lui pardonna son
peu d'économie, car il avait de beaucoup dépassé les
prévisions du devis. C'est l'usage,
Si l'on recherche quelle était à cette époque la
situation de l'art musical en général et de l'Opéra-
Comique en particulier, il faut convenir qu'elle offrait
plus d'un point de ressemblance avec l'état de choses
actuel. Les difficultés étaient grandes, et les chefs-
d'œuvre rares,
Certes, l'Opéra brillait d'un assez vif éclat; mais
après une grande marche en avant devait se produire
inévitablement un temps d'arrêt, La vieille école,
celle de Gluck, de Sacchini, de Bpontini, de Lesueur,
de Méhul, de Cherubini, s'était éclipsée devant la
nouvelle, qui comptait dans ses rangs Rossini, Auher,
Meyerbeer, Halévy. Aux formes sévères, majes-
tueuses, mais un peu froides de l'opéra ancien, suc-
cédait la manière plus libre, plus passionnée, plus
brillante de l'opéra moderne. Le romantisme, alors
dans sa fleur, avait renouvelé le monde littéraire, et
étendait son action sur le monde musical. La tragé-
die cédait le pas au drame et les librettistes cessaient
1840 33
de puiser leurs inspirations scéniques aux seules
sources de l'antiquité. Ainsi étaient nés, en l'espace
de moins de dix ans, la Muette de Porlici (1828), Guil-
laume Tell (1829), Robert le Diable (1831), la Juive
(1835), les lîuguenots (1836).
Pendant ce temps, l'Opéra-Comique luttait contre
une double et rude concurrence : la Renaissance et
les Italiens. Le premier de ces deux théâtres s'effor-
çait d'attirer la foule par la variété de ses spectacles,
car on y donnait tour à tour des drames exclusive-
ment littéraires comme Ruy Blas, et des ouvrages
musicaux comme Lucie de Lammermoor. Le second
avait depuis le dix-huitiéme siècle une clientèle as-
surée, qui se recrutait, nombreuse et puissante,
parmi les partisans de la mode italienne, les adeptes
de la science vocale, les amis du chant orné, plus fait
pour les talents du virtuose que pour la vérité de
l'action.
De plus, l'Opéra-Comique traversait, non pas une
crise, mais une période de transition. Boieldieu et
Hérold étaient morts, laissant pour héritiers Adam et
Halévy ; il ne fallait rien moins que la fortune d' Auber
pourmainteniraubeauâxe le baromètre du succès. Or,
à ce moment, le genre môme de l'opéra-comique était
battu en brèche. On se croit très hardi de nos jours
en attaquant un théâtre dont on est trop disposé à
méconnaitre la gloire et les services. On ne fait en
cela que se souvenir et répéter, avec plus ou moins
d'à-propos, ce que disaient cinquante ans auparavant
des critiques grincheux ou des artistes curieux et
avides de formes nouvelles.
Dès l'année 1832, nous trouvons dans un numéro
du Figaro cette phrase typique qui pourrait encore
aujourd'hui figurer dans certains bulletins du même
24 l'odtbrtdse du noutbad théâtre
journal ; i II n'y a pas de pays où le préjugé se dé-
trône plus diCfl^ileraent qu'en France. L'opéra-comique
est un genre éminemment national ; voilà une des
idées les plus invétérées, une des plaisanteries qui
se perpétuent le plus volontiers. » Tro'is ans plus
tard, rendant compte d'un ouvrage en trois actes in-
titulé le Portefaix, paroles de Scribe, musique de
Gomis, Berlioz déplorait le sort des compositeurs
qui, « ne pouvant élever le public de l'Opéra-Oomique
jusqu'à eux, descendent jusqu'à lui et font de la mu-
sique qui ti deviendra populaire » et que « joueront
les théâtres de province ». Théophile Gautier
s'exprimait, lui, avec une franchise bien plus rude
encore : « Nous n'avons aucune tendresse à l'endroit
de l'opéra-comique, genre bâtard et mesquin, mé-
lange de deux moyens d'expression incompatibles,
où les acteurs jouent mal sous prétexte qu'ils sont
chanteurs, et chantent faux sous prétexte qu'ils sont
comédiens. >
Voilà ce qu'on écrivait à une époque où Auber et
Adam n'avaient pas fourni encore la moitié de leur
carrière, où Ambroise Thomas commençait la sieniie,
où l'avenir tenait en réserve des maîtres comme
Gounod, Félicien David, Victor Massé^ Bizet et tant
d'autres. Qui sait si les attaques du temps présent
réussiront plus que celles du temps passé ! Il suffit
du hasard d'une bataille pour faire pencher la fortune
d'un côté ou de l'autre ; car, au théâtre comme en
littérature, les défauts viennent des œuvres et non
du genre.
A ce point de vue, la récolte de 1839 avait été mé-
diocre; on avait monté dix ouvrages, et pourtant on
osait accuser la direction de paresse et d'oisiveté!
U sufâsait que dans ce tas on n'eût pas trouvé une
1840 25
perle, pour qaie les critiques décochaaaent leurs traits
& M. Crosnier, le directeur en titre, et à M. Cerfbeer,
son associé. Le premier était ûls d'un concierge, le -
second appartenait à la religion iaraélite, comme l'iû-
dique son nom. Il n'enfalkit pas davantage pour que
la presse hostile prétendit les renvoyer sans cesse,
l'un « à la loge paternelle », l'autre i au ghetto ».
L'année 1840 paraissait commencer à peine sous
de plus heureux auspices. On jouait avec de miuces
recettes un soir le Domino noir, et le lendemain Eva,
arrangement fait par Girard, le chef d'orchestre, d'un
opéra réputé alors en Italie sous le nom de Nina,
musique de Coppola. Autour de ces deux ouvrages
gravitaient quelques petites pièces en un acte, la plu-
part récemment données, comme Polichinelle, de
Montfort, les Travestissements, de Grlsar, le Panier
fleuri et la Double Echelle, d'Ambroise Thomas, la
Symphonie, de Olapisson. Cependant la date du
11 février 1840 pourrait compter parmi les grandes
dates de .l'Opéra-Comique : c'est celle d'une pièce
qm a fait siuon le tour de l'Europe, comme le dra-
peau qu'elle met en scène, du moins son tour de
France, car il est peu de villes de province où l'on
n'ait plus ou moins représenté la Fille du Régiment.
Combien savent aujourd'hui qu'à l'origine ce fut à
peine un demi-succès I
Le peu de réussite de celte œuvre charmante, dont
nous aurons Toccasion de reparler plus tard, se trouve
confirmé d'ailleurs par le peu d'intervalle qui la sé-
pare de la suivante: la Fille du Régiment date du
1 1 février ; Carline, d'Ambroise Thomas, date du 24.
C'était le quatrième ouvrage de ce composileur,
jeune alors, et destiné à tenir une grande place dans
l'histoire de la musique contemporaine. La Double
,,-^iL
36 l'odvbrturb dd nouveau th&itkb
échelle (1 acte, 1837), le Perruquier de la Régence
(3 actes, 1838), le Panier fleuri (1 acte, 1839), avaient
été accueillis favorablemeiit; Carline aussi fournit
une carrière honorable, mais nï fut point l'objet de
reprisea par la suite. Dans cette pièce débutait
M"* Henri Potier, artiste douée d'une agréable voix
et d'une intelligence scénique qu'elle pouvait tenir
de famille ; car elle était la belle-fiUe de Potier, le
comédien bien connu, la allé d'une ancienne coryphée
de l'Opéra, et enfin, nous apprend un journal séiieus,
■ la nièce de cette eicellente Minette qui a fait si
longtemps les délices du Vaudeville, n En outre,
pour s'attirer les bonnes grâces du public, elle possé-
dait la beauté, et te Figaro d'alors n'hésite pas à la
proclamer « la plus complètement jolie qui soit dans
les théâtres parisiens. « On disait d'elle : C'est Anna
ThilloD en gras et Jenny Colon en maigre 1
Deux petites pièces en un acte marquent la an du
séjour de l'Opéra- Comique à la place de la Bourse:
l'Élève de Presbourg, paroles de feu Vial et Théodore
Muret, musique de Luce Varie! (24 avril), et la
Perruche, paroles de Dupin et Dumanoir, musique
de Clapisaon (28 avril). De ces deux opuscules, le
second est le plus important si Ion considère le nom
et le talent de ses auteurs ; mais le premier est le
plus curieux, s'il est vrai, comme nous avons tenté
de le démontrer ailleurs, que Richard Wagner ait
trouvé là l'idée première, le nœud de l'intrigue au-
tour de laquelle se joue sa comédie musicale, tes
Maures Chanteurs de Nuremberg.
Quoi qu'il en soit, l'intérêt de ces divers spectacles
n'était point suffisant pour attirer la foule, et dans
les derniers temps du séjour de l'Opéra-Gomique à
la place de la Bourse, il arriva de jouer parfois
1840 S7
presque devant les banquettes. A la date du 17 mars,
nous relevons sur le livre des recettes la somme
totale de 463 fr. 75 avec Eva et la Fille du Régiment.
Cependant, les travaux de reconstruction tou-
chaient à leur fin ; on s'occupait de sécher les murs
au moyen de <i grands réchauds», nous dit-on, et les
tapissiers plantaient leurs derniers clous. Les direc-
teurs avalent hâte d'occuper un immeuble où l'attrait
du nouveau pouvait amener l'élévation des recettes.
Avec le Domino noir et la Fille du Régiment ils don-
nèrent le 30 avril leur dernière représentation dans
l'ancienne salle, et, le 16 mai, leur première repré-
sentation dans la nouvelle, après quinze jours de
relâche. Cette fois l'Opéra-Comique abandonnait
définitivement la place de la Bourse, et le théâtre où
il avait séjourné pendant huit ans allait abriter le
Vaudeville, jusqu'au jour où, frappé par l'expro-
priation, il dut tomber sous la pioche des démolis-
seurs.
C'est avec la 347* représentation du Pré aux Clercs
qu'eut lieu l'inauguration de la seconde salle Fa,yart.
On avait hésité quelque peu avant de choisir ce
spectacle. Tout d'abord, on avait compté sur l'œuvre
nouvelle de Scribe et d'Auber, Zanetta ; diverses
causes en avaient retardé l'apparition : une indispo-
sition de madame Rossi, et la crainte de ne pas voir
se renouveler l'engagement de madame Damoreau,
grave affaire qui avait presque amené les auteurs à
retirer leur pièce. Alors on avait imaginé de com-
biner un ouvrage en trois actes, dont le second au-
rait été rempli par des airs empruntés aux musiciens
les plus célèbres, projet qui se réalisa quelques mois ■
plus tard, sous le nom de l'Opéra à la Cour, Un mo-
ment on avait songé à composer un Prologue d'ouoer-
,,-^iL
28 L'onVBHTDBB DD NODTBAU THÉÂTRE
titre. Puis on avait parlé de remonter !e Pré aux
Clercs, en intercalant au second acte, dans la fête
chez la reine, une sorte de concert où les principaux
artistes du théâtre se seraient produits tour à tour.
Enfin on se décida pourie Pré aux Clercs, sans addi-
tion d'aucune sorte, et tel que l'avait écrit Hérold.
On ne pouvait mieux faire. Car, dans le répertoire
de l'Opéra- Comique, il n'est peut-être pas d'œuvre
plus complètement réussie, mieux appropriée au
cadre choisi, plus conforme surtout par le ton du
livret et le tour de la musique au caractère et au
goût français. La Dame Blanche elle-même n'a pas,
à un tel degré, cette allure élégante, cet accent, non
pas héroïque, mais chevaleresque, qui fait de Mergy
le type du Français brave, amoureux, loyal et vain-
queur. C'est, sans doute, une des causés qui ont
rendu cet opéra si populaire chez qpus, tandis qu'il
était relativement peu goûté à l'étranger. En Alle-
magne, le Pré aux Clercs, joué sous le nom de der
Zvieikampf {le duel), n'est jamais demeuré au réper-
toire. A Naples, où nous nous trouvions il y a une
quinzaine d'années, lorsqu'on l'y monta pour la pre-
mière fois, le succès fut médiocre ; et une tentative
à Londres, à une date plus rapprochée, ne lut pas
beaucoup plus heureuse.
Représenlé pour la première fois le 15 dé- .
cemhre 1832, (e Pré aux Clercs ne comptait donc au
16 mai 1840 que huit années d'existence, et déjà
toute la troupe s'était renouvelée ; car dans cette re-
prise solennelle ne figurait aucun des artistes de la
création. A titre de curiosité rétrospective, voici
quelle était cette nouvelle distribution: MM. Roger
(Mergy), Moreau-Sainti (Comminges), Mocker
(Oantarelli), Henri (Girot) ; M"" Rossi (Isabelle),
1840 29
Prévost (la reine). M" Henri Potier (Nicetle),'
Au reste, le talent des interprètes demeura le plus
sérieux attrait de cette soirée d'inauguration qui,
dans sou ensemble, fut assez peu solennelle. Ni la
ville, ni l'Etat ne s'étaient mis en frais. On n'y vit
ni souverains, ni représentants étrangers, ni lord-
maire précédé de hérauts d'armes et flanqué de trom-
pettes aux costumes d'un autre âge. Les choses se
passèrent le plus simplement du monde. On s'était
contenté de doubler pour la circonstance Je prix des
places, et d'attribuer, par un louable sentiment de
charité, le bénéfice de la représentation aux pauvres
du deuxième arrondissement. Ils n'en furent pas
d'ailleurs beaucoup plus riches, car on constata, non
sans regret, que le spectacle avait attiré moins de
monde qu'on ne s'y attendait, h Une demi-
chambrée! » dit le Courrier des Théâtres. Cette
« demi-chambrée » réalisa d'ailleurs une somme
de 5,676 francs.
Et cependant la direction avait tout mis en œuvre
pour attirer la fouîe ; elle avait été jusqu'à faire ré-
pandre, le matin de l'ouverture du théâtre, une petite
brochure servant de prospectus pour la saison et
éuumérant avec complaisance tous les avantages et
mérites de la salle nouvelle. Cette pièce curieuse et
rare nous a été communiquée avec bien d'autres, par
les soins obligeants de M. Nuitler, le spirituel et
érudit archiviste de l'Opéra, et nous la citons pour
avoir le droit d'y relever un détail typique et bien
amusant. Après les éloges donnés sans mesure au
chauffage, à la ventilation, à la sonorité, on lit:
« Un cordon de sonnette placé dans chaque salon
évitera aux personnes qui l'occuperont la peine de se
déranger pour demander des rafraîchissements qui
„■ ... .Coo'^lc
30 L'onVEHTnHB DU NOUVEAU THÉATBS
leur seront fournis par un des meilleurs cafés de
Paris, n Ce genre de raffinement ne s'est pas renou-
velé de nos jours : comme on le voit, on avait pensé
à tout I
On avait même pensé tout d'abord à ne pas élever
le prix ordinaire des places, et nous empruntons en-
core à ce prospectus officiel le tableau suivant, qui
nous donne les tarifs de l'époque :
7 fr. 50 : Loges de première galerie avec salon ;
premières loges de face avec salon ; avant-scène de
baignoires, d'entresol, de première galerie.
6 francs : Fauteuils et stalles de balcon ; loges de
première galerie sans salon ; premières loges de face
sans salon ;
5 francs : Fauteuils d'orchestre et de première
galerie; stalles de baignoire; avant-scène des pre-
mières loges ; baignoires avec ou sans salon ;
4 francs : Loges de côté ; avant-scène des loges de
deuxième galerie ;
3 francs : Deuxième galerie ;
2 fr. 50: Parterre ; loges de deuxième galerie de
face ; avant-scène des troisièmes loges ;
2 francs ; Loges de deuxième galerie de côté ; troi-
sièmes loges;
1 franc : Amphithéâtre.
Nota. — Les prix ne seront augmentés pour la lo-
cation que de un franc par place, pour les places au-
dessus de trois francs, et de cinquante centimes pour
celles au-dessous.
Ces prix se sont élevés avec le temps, mais non pas
toutefois dans la proportion que l'on pourrait sup-
poser. Les charges aussi étaient moindres, bien qu'il
fallût payer à l'État une somme de 110.000 francs
pour amortir les frais de construction de cette non-
1840 31
velle salle, qui avait coûté près de 1,600,000 fraucs.
9i aride que soit la lecture des chiffres, nous n'hé-
sitons pas à publier les suivants, trouvés dans un
document de l'époque, et qui nous ont paru intéres-
sants, ne serait-ce que par comparaison avec le temps
présent. Nous ne les donnons du reste que sous bé-
néfice d'inventaire, car quelques-uns nous paraissent
d'une élévation assez invraisemblable.
C'est d'abord, avec les appointements, le tableau
de la troupe dans les derniers temps du séjour à la
place de la Bourse :
MM. Chollet, 25,000 fr. ; Marié, 20,000; Masset,
15,000; Roger, 12.000; Mocker, 12,000; Couderc,
10,000; Moreau-Sainti, 10,000; Henri, 10,000; Gri-
gnon, 8,000; Ricquier, 6,000.
M"" Eugénie Garcia, 78,000 (!) ; Cinti-Damoreau,
60,000; Rossi, 20,000; Borgbèse, 20,000; Prévost,
15,000; Boulanger, 10,000; Berthault, 6,000; Potier,
6,000.
Si l'on y ajoute 10,000 francs pour « petits appoin-
tements », on verra que le service du chant coûtait
345,000 francs.
Voici, toujours d'après la même source, les autres
Chœurs, 40,000 francs; orchestre, 60,000; copie,
12,000 ; mise en scène, 30,000 ; loyer, 60,000, ou plus
exactement 68,000 francs, comme l'indique un rap-
port lu à la Chambre des députés dans la séance du
4 juillet 1839. Assurance, patente, frais d'adminis-
tration, 25,000; gardes, affiches, gagistes, 30,000:
total : 257,000 francs.
En additionnant 345,000 et 257,000, on arrive à la
somme de 602,000 francs qui représente le montant
des dépenses.
32 l'ouvertdre du hodtead théâtre
Les bénéfices se composaient de la recette journa-
lière et d'une subvention de 240,000 francs fournie
par l'Etat, plus 20,000 francs donnés par le Roi pour
ses loges. Total : 260,000 francs.
Quant à la société fondée pour la reconstruction et
l'exploitation de la salle Favart, voici comment elle
était constituée : deux associés directeurs, MM, Cros-
nier etCerfbeer; un bailleur do fonds, M. Leroux,
ancien agent de change. Ici même nous transcrivons
le document en sa teneur spéciale :
Leroux, bailleur de fonds, est en-
gagé pour une somme de sis cent
mille francs ci : 600.000 fr.
A laquelle il faut ajouter cent mille
écus, montant de l'assurance, et
que la loi concède aux rebâtis-
seurs ci : 300.000 fr.
Plus cinquante mille écus, formast
l'intérêt que prend M. Cerfbeer
dans la spéculation ci : 150.000 fr.
Pareille somme formant l'intérêt
qu'y prend M. Crosnier. ... ci : 150.000 fr.
1.200.000 l
Tous comptes faits, il fallait un succès pour rem-
plir cette salie, dont la seule nouveauté n'était pas
auprès du public un attrait suffisant. Et d'abord on
crut le tenir avec l'œuvre tant attendue de Scribe et
d'Auber, Zanetta ou Jouer avec le feu, qu'on avait ré-
pétée avec ce premier sous-titre : Il ne faut pas jouer
avec le feu. La première représentation de cet opéra-
comique en trois actes eut lieu le 18 mai, c'est-à-dire
1840 33
le troisième jour après l'ouverture du théâtre, avec
la distribution suivante : MM. Mocker {le Roi), Cou-
derc (Rodolphe de Montemart), Grignon {le baron),
Emon (Ruggieri), 8ainte-Poy, début (Dionigi), Haus-
sard, début (Tchircossire) ; M"" Rossi [Nisida), Cioti-
Damoreau (Zanetta).
Bien accueilli à l'origiae, l'ouvrage ne se maintint
pas par la suite et disparut après 35 représentations.
Il ne compte en effet ni parmi les plus importants
ni parmi les plus remarquables de son auteur, et l'on
n'en connaît aujourd'hui que la fine et pimpante ou-
verture. Le sujet, assez singulier, trouva grâce de-
vant les auditeurs, et l'on ne s'étonna pas d^ voir le
noble seigneur Rodolphe de Montemart oublier au-
près d'une fille de concierge, qu'il ne courtisait d'a-
bord que pour déjouer tout soupçon, son amour pour
la princesse de Tarente. Quant à la musique, elle
était telle qu'Auber avait coutume de l'écrire, plus
ou moins réussie suivant le hasard de l'inspiration,
mais toujours vive, spirituelle, élégante, ingénieuse,
cachant sous le masque de la frivolité une science
véritable et digne de respect.
Aube» ! c'est la première fois que nous rencontrons
ce nom, et il faut bien le saluer au passage comme
celui d'un maître. II est de mode aujourd'hui de le
critiquer, de le diminuer; il semble qu'on voudrait
lui faire payer après sa mort la gloire qu'il a connue
de son vivant. Mais si nous avions à défendre sa mé-
moire contre l'ignorance ou l'envie, nous invoque-
rions pour seul témoignage, l'opinion d'un homme
qui vivait en cette année 1840 à Paris, inconnu, be-
sogneux, dont l'idéal à coup sûr était bien difTérent,
qui ne pouvait s'intéresser à cette forme d'art qu'en
nmateur, en curieux, en philosophe, et dont le juge-
34 l'odvertdbe du nouveau théâtre
ment sur ce point n'a pas varié, au début comme à la
fin de sa vie : Richard Wagner! On sait quelle admi-
ration il professait pour la Muette de Porlici, tout en
reconnaissant que l'opéra n'était pas le vrai domaine
d'Auber; mais sur le terrain de l'opéra-cotnique, il
le proclamait presque sans rival. C'est lui qui, dans
la Revue et Gazette musicale- de Paris, écrivait : « 8a
musique, tout à la fois élégante et populaire, facile
et précise, gracieuse et hardie, se laissant aller avec
un sans-façon merveilleux à son caprice, avait toutes
les qualités nécessaires pour s'emparer du goût du
, public et le dominer. Il s'empara de la chanson avec
une vivscilé spirituelle, en multiplia les rythmes à
l'infini, et sut donner aux morceaux d'ensemble un
entrain, une fraîcheur caractéristiques, à peu près
inconnus avant lui, » Cet article remonte au 27 février
1842; plus tard, malgré les divergences de système,
malgré les événements, malgré les haines peut-être,
il pensait encore ainsi. Pour s'en convaincre, il suffit
de se reporter aux SouuemVs qu'il a consacrés àAuber
dans la Musikalisches Wochenblatt, à la date du
31 octobre 1871, c'est-à-dire quelques mois seulement
après cette fameuse Capitulation qui lui aliéna tant
de sympathies françaises.
D'ailleurs, cette estime, il en donnait'la preuve
dans son langage comme dans ses écrits. M. Joseph
Wieniawski, le pianiste bien connu, nous a raconté
qu'en 1860 il s'était rencontré avec lui, un matin,
chez Auber, alors directeur du Conservatoire. « Je ne
le connaissais point, nous dit-il ; mais durant cette
visite, je fus frappé du ton de déférence, presque
d'humilité, avec lequel cet étranger lui parlaiti »
Dans Zanetta, deux artistes avaient débuté, dont on
ne pouvait guère juger le mérite, tant était mince
1840 35
l'emploi qui leur était confié ; la critique fit observer
qu'on leur avait donné de simples rôles de figurants,
et dans la partition, en effet, nous avons vérifié qu'ils
n'avaient, bien loin d'un couplet à dire, pas même
uoe noteà ctiaater! L'un de ces débutants s'appelait
Haussard, et n'a pas laissé trace de son passage.
L'autre s'appelait Sainte-Foy et appartient plus que
personne à l'bistoire de la seconde salle Favart, car,
entré à ce théâtre presqu'à l'heure où il s'ouvrait, il
ne l'a quitté qu'à l'heure de la retraite, c'est-à-dire
après une trentaine d'années de service. Grand,
svelte, doué d'une physionomie expressive et mobile,
il possédait une voix sufiisante pour son emploi.
Elève de Morin, professeur au Conservatoire; il avait
développé par l'élude les moyens que la nature lui
avait donnés, et, l'expérience aidant, il ne tarda pas
à devenir le premier comique de ia troupe: Il savait
jouer et il pouvait chanter ; à ce double point de vue,
on le comparerait volontiers à un excellent artiste
mort récemment, et qui avait appartenu, lui aussi,
quelque temps à l'Opéra-Comique : Bertbelier. Mais,
très habile et très intelligent, Bertbelier, vers la fin
de sa carrière, faisait tailler les rôles à sa mesure ;
Sainte-Foy les avait toujours pris, bons ou mauvais,
tels qu'on les lui avait livrés, et it avait en outre le
don si rare de l'émotion communicative. Que de gens
n'a-t-il pas l'ait pleurer dans les Papillotes de M. Be-
noist ? Aussi peut-on le proclamer un des meilleurs
trials qui furent jamais, très probablement égal, sinon
même supérieur au fameux acteur du dix-huitième
siècle, qui avait donné son nom à l'emploi..
Son talent fut du reste assez vite apprécié pour
qu'on comprit le débutant dans la distribution de la
première nouveauté qui suivit Zanetta : c'était le
'. ■• ^^ si^
36 L'OnvEHTnRE DU NOUVEAU TKtkTRZ
Cent-Suisse, opéra-comique eo un acte, paroles de
MM. Duport et X..., musique de M. X..., joué pour
la première fois le 17 juin 1S40, par MM. Victor {Blan-
das), Emon (Salïbach), Grignon (Bockly), Sainte-Foy
(Briolel), M"" Darcier (Louise), Berthault (duchesse
de Châleauroux). Qu'un auteur garde sur l'affiche
l'incognito, le fait n'est pas rare; mais ce qu'on
voit moins souvent, c'est deux auteurs pousser à ce
point et ensemble la modestie ou la timidité. Au
reste, ces voiles ne demeurent jamais impénétrables:
on ne tarda pas à savoir que le librettiste anonyme
avait nom Edouard Monnais, et le compositeur, prince
de la Mûsiiowa. Il y avait dans ce petit ouvrage de la
gaieté, de l'esprit, et quelques mélodies agréables,
comme les écrivait ce noble amateur, moins connu
par ses ouvrages dramatiques que par les concerts de
musique classique qu'il avait organisés chez lui et
dont plus d'un virtuose de notre temps a dû garder le
souvenir. La première représentation du Cent-Suisse
fut favorablement accueillie, et pourtant les inci-
dents n'avaient pas manqué qui risquaient d'en com-
promettre l'issue. Dans son feuilleton, la Presse les
signalait avec aigreur : « C'est d'abord un Cenl-
Suisse qui a laissé tomber son chapeau, puis des bi-
joux ; c'est enfin un major qui, après avoir essayé
vainement de placer son épée dans le fourreau, n'a
pu y parvenir et a été réduit à la déposer sur un fau-
teuil, où elle est restée jusqu'à la cbule du rideau. »
Il n'en faut pas davantage pour mettre une salle en
belle humeur et compromettre à tout jamais la partie
engagée. Voici, de plus, un trait qui peint le désin-
téressement du compositeur : lorsqu'on monta le
Cent-Suisse, il proposa aux artistes jouant dans sa
pièce de leur abandonner ses droits d'auteur. Ceux-
1840 37
ci furent assez délicats pour refuser cette offre géné-
reuse ; il y a de nos jours des directeurs qui l'auraient
acceptée pour eus.
Bien accueilli, ce lever de rideau tint souvent l'af-
fiche et accompagna, Dotamment, la première pièce
montée après lui, cet Opéra à ta Cour, composé en
vue de l'inauguration de la salle,- et retardé sans
cesse, cet ouvrage bizarre qu'on avait guali&é de
pasftccio et qui n'était autre chose qn'uu étrange
pot-pourri. Qu'on s'imagine un opéra-comique en
quatre parties, dont la musique était due à la colla-
boration bien involontaire d'auteurs dont plusieurs
n'avaient pas été consultés, puisqu'ils étaient morts.
Il suffit de les nommer, pour montrer quelle idée
singulière avaient eue les librettistes, Scribe et
de Saint-Georges, d'associer ainsi Auber, Berton,
Boieldieu, Dalayrac, Donizetti, MéhuI, Mercadante,
Mozar l , Ricci , Rossini , Weber , en laissant à
Orisar et Boieldieu fils le soin de juxtaposer ces
fragments divers, de combler les vides, de tailler,
ajuster et broder cet habit d'Arlequin.
On ne saurait demander l'unité de style à une
œuvre où se rencontraient notamment l'ouverture
du Jeune //«nj'f de Méhul, remplacée à partir de la
troisième représentation par celle des Noces de
Figaro, un duo â'Elisa e Claudio, de Meicadante, la
strette d'un quatuor de Bianca e Faliero, de Rossini,
un chœur du Freischûtz, un air de basse composé
par Ricci, jeune homme auquel on aurait volontiers
reproché son admission dans ce cénacle, et dont on
se moquait d'ailleurs dans les cercles musicaux de
Tépoque, alors qu'il comptait déjà à son actif Ci-ispmo
e la Comare (1836), un duo de Don Giovanni, un duo
de Torquato Tasao, de Donizetti, une romance de
.^ 8'^
38 l'outbrtuhb on nootbau théâtre
Charles de France, par BoîeIdJeu, et jusqu'au God
save Ihe QueenI
11 fallait toute l'habileté mathématique des agents
de la Société des auteurs pour s'y reconnaître et dis-
tribuer les dividendes au prorata des droits de cha-
cun. C'était un méli-mélo musical qui de nos jours
ferait pousser les hauts cris, mais qu'on acceptait
alors parce qu'à l'Opéra-Comique même on en avait
vu bien d'autres, depuis le Baiser etlaQuiUance{\SiiZ),
Boyard à Mézières (1814), l'Oriflamme (1814), jusqu'à
la Marquise de BrinmlUers (1831).
Représenté le 16 juillet, l'Opéra à la Cour obtint
d'autant plus de succès qu'il était joué par Télite de
la troupe, savoir : M"" Eugénie Garcia {la prin-
cesse), Henri Potier (Mina), MM. Henri (le grand-
duc), Masset (de Woldemar), Roger (prince Ernest),
ChoUet [Banberg), Ricquier (Cornélius), Victor (le
grand-écuyer) et Botellî (comte Magous), ce dernier,
un débutant qui arrivait d'Ralie, doué d'un physique
agréable et d'une bonne voix de basse chantante, très
apte en somme à remplir un emploi pour lequel la
presse depuis longtemps réclamait un titulaire sé-
rieux, A la chute du rideau, ce fut ChoUet à qui
revint rhouneur de proclamer le nom des auteurs;
vu leur nombre, cette formalité devenait une tâche.
Donc il désigna d'abord comme librettistes MM. Scribe
et Saint-Georges. « Quant aux compositeurs, ajoutâ-
t-il en souriant... il serait trop long de vous les nom-
mer tous ! »
On ne pouvait critiquer la partition plus ûnement'
Deux reprises succédèrent à cette œuvre nouvelle :
la Neige, d'Auber, le 11 août, et Joconde, de Nicolo,
le 26.
La première avait pour objet de faire briller une
1840 39
nouvelle étoile, qu'Auber, toujours en quête d'a-
gréables minois, n'avait pas manqué de découvrir à
la Renaissance, oii elle avait débuté. Elle s'appelait
Anna Tbillon, et ravageait les cœurs, dit la chro-
nique, plus encore qu'elle ne charmait les oreilles,
possédant à la fois et le talent et la beauté. Auglaîse
d'origine, elle avait conservé de son pays natal un
léger accent qui ne déplaisait pas, et l'on s'accordait
à reconnaître qu'elle représentait « le juste milieu
entre la vocalisation élégante, la méthode exquise de
M°" Cinti-Damoreau, et la grande et large manière
de M"»* Eugénie Garcia. » Dans sa curieuse P/ty-
siologie des Foyers, S. Arago nous la montre t toul
auréolée de grâce, de minauderie, de talent... et de
vanité. M"' ThilloB, dit-il, est jolie comme une jolie
vignette de Thompson, de Johannol ou de Ga-
varni} son organe est doux, douce aussi est sa physio-
nomie, et cependant on la fuit, ou l'évite. Pourquoi?
C'est que plus on a de mérite, plus il faut de modes-
tie pour se le faire pardonner ; c'est qu'il est des po-
sitions tellement équivoques... » Et le malicieux
critique ajoutait ! « Voici M. Auber qui passe ; il la
regarde en souriant... Demain M"' Thillon chantera
à ravir I »
Et la bienvenue, en eifet, lui fut payée par Auber,
sous forme d'un air qu'il composa en son honneur,
et qu'il intercala au dernier acte de celte Neige qui
datait de 1823 et que depuis 1840 on n'a plus revue.
La seconde reprise, celle de Joconde, s'expliquait,
non par la présence d'une artiste, mais par la valeur
même de l'œuvre, l'uue des plus réussies parmi celles
de l'ancien répertoire. Elle assure, en efTet, la renom-
mée du compositeur Nicole, et sauve de l'oubli la
mémoire du librettiste Etienne, cet écrivain poli-
40 l'odtbrtdbb dd nouveau thé&tre
tique et auteur dramatique qui finit dans la peau
d'un pair de France. A propos de ce dernier, il est
piquant de rappeler que ses opinions lui inspirèrent
au moins une fois dans sa vie certaine prudence
voisine de la peur. C'était en 1814, on devait donner
Joconde pour la première fois ; non seulement Etienne
se tint coi pendant les répétitions, mais il laissa
même attribuer à d'autres, à Alexandre de Ségur,
par exemple, la paternité du poème; la pièce même
représentée, il ne voulut pas être nonuné, tant il
craignait qu'une cabale ne fût organisée contre lui,
et qu'on ne se vengeât du publiciste en sifflant son
ouvrage. Il ne fallut rien moins que le succès bien
et dûment constaté pour le rassurer, et ce n'est qu'à
la septième représentation qu'il invita le régisseur à
imprimer le nom d'Etienne sur l'affiche. Au reste, ce
travail lui avait coûté quelque peine, si l'on en croit
certaine légende^ d'après laquelle il se serait arrêté
au seuil du second acte, ne sachant qu'imaginer pour
le remplir. Or, un jour, il partit pour la campagne
avec un de ses amis fidèles, M. Oauglrand; tous deux
arrivèrent à Suresnes, où l'on couronnait une ro-
sière. La curiosité les prit d'aller aux renseigne-
ments, et ils en recueillirent plusieurs où la médi-
sance avait bonne part. Ce fut un ti'ait de lumière
pour Etienne : Jeannette et le bailli étaient trouvés,
et tout l'acte avec eux. C'est ainsi, a dit un moraliste,
que les auteurs et leurs ouvrages sont soumis au
caprice du hasard. On pourrait ajouter, il est vrai,
.que la fortune favorise surtout les habiles, et que le
bénéfice de ces sortes de chances est en raison directe
du parti qu'on sait en tirer.
Quant à Nicolo, cette reprise de Joconde vint fort
à propos signaler à l'attention une omission regret-
1840 41
table commise par l'architecte. Il avait orné le foyer
de médaillons où âgurail le portrait des principaux
compositeurs qui avaient travaillé pour l' Opéra-
Comique ; il avait simplement oublié Nicolo! Le
public s'en émut, et la presse, âdële écho de l'opi-
nion, protesta non sans vivacité. « Un tel compo-
siteur, écrivait-on, mérite une place dans cette ga-
lerie, à moins que le jugement de M. le directeur
De l'emporte sur tant d'autres : celui de Midas a
sa célébrité ! > Au mois de novembre, enfin, on
s'occupa de combler cette lacune : mais, comme on
ne pouvait, vu le plan général de la décoration,
augmenter le nombre des médailloue, il fallut pro-
céder par voie de substitution, et ce fut le pauvre
Paër qui paya les frais de campagne : l'auteur du
Maître de Chapelle dut céder sa place à l'auteur de
Joconde.
Pendant l'automne de 1840 deux pièces virent le
jour, dont on connaît à peine le titre maintenant :
VAuloinale de Vaucanson et la Reine Jeanne, répétée
d'abord sous le titre de Jeanne de Naples. En relisant
le nom de leurs auteura, il est curieux de noter que
dans l'une et dans l'autre se retrouvent le même
librettiste et le même compositeur. Les deux ou-
vrages donc sortaient presque des mêmes mains, et
ils furent donnés presque à un mois d'intervalle!
C'est ce que de notre temps on appellerait presque un
abus.
L'Automate de Vaucanson, opéra-comique en un
acte, paroles de de Leuven, musique de Luigi Bor>
dèse, fut représenté pour la première fois le 2 sep-
tembre, avec Grignon (Vaucanson), Mocker (de
Lancy), Ricquier (Landry) et M"» Darcier (Marie).
Le livret n'est pas sans intérêt, car il présente
43 L'OOTERTiniE DU NOUVEAII THÉATHE
une sérieuse anologie avec le scénario de Coppétia.
l'œuvre charmaote de MM. Nuitter et Léo Delibes.
Moins original était celui de la Reine Jeanne, opéra-
comique en trois actes, paroles de de Leuven et
Brunswick, musique de Monpou et Bordèse, jouée
pour la première fois le 12 octobre {et non le 2,
comme l'indique Clément dans sou Dictionnaire
lyrique], avec Botelli (de Tarenie}, Grignon (Durazzo),
Mocker (Lillo), Emon (d'Urbino), Daudë (Pietro),
M""' Eugénie Garcia (Jeanne), Darcier (Pepa). Ce
livret, qui mettait en scène, comme la Muette de
Portici, un épisode de l'histoire napolitaine, des com-
plots et une révolution, manquait de la gaieté oéces-
saire il un opéra-comique. Ce sujet, d'ailleurs, avait
été exploité déjà, et plus justement, sur d'autres
théâtres, avec une tragédie de La Harpe et un drame
de Paul Foucher. Quant k la musique, elle était for-
cément inégale, telle en somme qu'où pouvait l'at-
tendre de ces deux associés de circonstaiice, dont les
genres de talent ne semblaient pas convenir k une
collaboration. Ce travail à deux n'était pas rare alors,
et l'on en trouverait dans le répertoire de l'Opéra-
Comique bien des exemples; il est moins fréquent
aujourd'hui, et l'on ne citerait guère qu'une œuvre
née dans de telles conditions ; c'est la Source, de
Minkous et de Léo Delibes, un ballet que l'Opéra
semble dédaigner, mais qui est resté au répertoire
des théâtres italiens et se joue encore à l'étranger
sous le titre de Naîla.
En revanche, il s'est produit de tout temps des col-
laborateurs rapprochés: l''par les liens de la famille,
comme Louis et Jean-Louis Lully, auteurs ieZéphire
et Flore (1688), Foignel père et fils, auteurs de Ray-
mond de Toulouse (1802), Méhuî et Daussoigne, les
1S40 43
frères Ricci, et de notre temps, lea frères HîHema-
cher; 2° par l'habitude et ramjtié, comme Rebel et
Francœur jadis, comme MM. Dauphia et Blanc au-
jourd'hui ; 3° par la mort, qai obligeait l'un à termi-
ner le travail de l'autre : c'est ainsi que le Ludovic
d'Hérold a été achevé par Halévy et le Noé d'Halévy
achevé par Bizet.
Cependant l'année 1840 touchait à sa fin, et les
recettes continuaient à se maintenir dans une hono-
rable moyenne. Le 12 novembre la Neige fit placé à
Lestocq, et M"" Anna Thillon fut de cette reprise
comme elle avait été de l'autre. Lestocq ne compte
point parmi les meilleurs ouvrages d'Auber; il est de
ceux « qu'on peut ranger, disait un critique, dans la
catégorie des homélies de l'archevêque de Grenade ».
A ce sujet nous avons noté dans la Reçue et Gazette
mufiicole une étrange remarque, propre à faire sou-
rire les compositeurs deoos jours : « Il nous souvient
que nous trouvant dans la loge de Boieldieu à la pre-
mière représentation de Lestocq, notre illustre et na-
tional compositeur approuvait chacun des morceaux
de la voix et du geste, sans doute par position et par
suite aussi de cette bienveillance universelle qui le
caractérisait. Cependant, un passage dans le finale
du premier acte lui arracha une grimace involon-
taire. Ce passage, qui est aussi dans l'ouverture, est
celui qui fait entendre un fa dièze en forme de neu-
vième ou d'appogiature perçante que se renvoient les
premiers violons, les voix et les violoncelles en imi-
tations. Il faut que cette licence harmonique en
petites notes soit d'un effet bien crû pour qu'elle
ait dérangé la figure approbative et douce de ce
pauvre Boieldieu. » Le temps a marché ; une telle
hardiesse ne nous épouvanterait plus : notre cœur
44 l'ouvertdrb do nouvbad théâtre
est devenu moins sensible ei noire oreille aussi.
La dernière nouveauté de l'année fut une pièce
qui ne tient point une grande place dans l'œuvre de
son auteur, la Rose de Péronne, d'Adolphe Adam, pa-
roles de de Leuven, et d'Eonery, représentée le
17 décembre.
Les indiscrétions de coulisses n'avaient pas été fa-
vorables à cet ouvrage ; voici ce qu'on disait dans une
revue sérieuse, deux mois avant la représentation:
a L'guvrage de M. Adam, qui était en répétition à
rOpéra-Comique, ne sera probablement point re-
présenté. 1! paraîtrait que ies artislesont trouvélamu-
sique de cet opéra trop faible et que la direction a prié
l'auteur de refaire sa partition. » Voilà quelles injures
on lançait h la face d'un musicien qui comptait alors
à son actif le Chalet et Je Postillon de Lonjumeau!
C'est à peine si l'on serait plus cruel aujourd'hui.
La représentation ne Bt que réaliser ces sombres
pronostics : on sîfQa. Le lendemain, la presse ne mé-
nagea point ses sévérités.
u II a manqué, disait l'un, de verve et d'originalité.
Lui qui entend, qui comprend l'opéra-comique, qui
a fait ses preuves, quiaobienu de brillants et légi-
times succès en ce genre, a été triste et lent. Rien de
vaillant dans sa partition. » ~- a Voilà, disait un autre,
les suites de la mauvaise route qu'il a prise en écri-
vant le Postillon, ouvrage qui a obtenu un succès si
fatal pour lui, comme artiste (!). C'est une leçon dont
les jeunes compositeurs devraient profiter (M). » Un
troisième enfin se montrait ironique. On se rappelle
que l'hiver de 1840 fut exceptionnellement rigou-
reux : de là cette appréciation : « Grâce aux acteurs,
laRose de Péronne pourra vivre quelque temps dans
la salle de l'Opéra-Comique, à moins que l'influence
1840 45
de la saison ne se fasse trop viveinent sentir. L'hiver,
oa le sait, n'est pas la saison des roses... «
L'un des résultats les plus clairs de cette soirée lut
d'écarter les éditeurs auxquels le musiciea présenta
vainement sa partition. Dans son Dictionnaire ly-
rique. Clément nous apprend que « l'iDstrumentatioa
porte l'empreinte de cette manière légère et de cette
ingéniosité qui tenaient lieu de style chei ce com-
positeur. » Pour qu'il s'exprimât ainsi, il fallait qu'il
eût entendu l'œuvre à la scène, car il n'en a pu juger
d'après la lecture : ni la partition d'orchestre, ni la
partition pour piano et chaut n'a paru, et c'est à
grand'peine que les principaux morceaux en furent
publiés, sous forme de morceaux détachés.
A cette pauvre Rose de Péronne, un souvenir se
rattache ; c'est le dernier ouvrage en effet créé à
l'ppéra-Comique par M°* Damoreau; la prise de
possession de ce lôle avait amené entre l'artiste et
la direction des dissentiments qui abautirent quelques
mois plus tard à une retraite déSnillve. Toutefois,
par une sorte de compensation, l'arrivée d'une débu-
tante adoucit un peu la rigueur de cette perte :. le
10 décembre parut dans la Fille du Régiment une
jeune fille dont le talent souple et varié devait rendre
de grands et longs services à la maison où il se pro-
duirait. Fille d'un danseur du Grand- Théâtre de
Lyon, M"' Révilly venait de quiller le Conser-
vatoire avec un premier prix de chant et un pre-
mier prix d'opéra. On ne fut pas longtemps à s'a-
percevoir qu'elle avait, outre une belle prestance,
des cheveux noirs magnifiques et uLe figure noble-
ment expressive, une voix pure et une intelligence
peu commune. Dès le premier jour sa place était
marquée au théâtre et l'avenir ae fit que confirmer
46 l'odtsrtdhb du nodvb&u théâtre
les promesses qu'à l'origiDe elle avait données.
Au seuil de l'anaée qui vient on dresse habituelle-
ment le bilan de l'aunée gui s'en va, et ce bilan, dans
les questions théâtrales, c'est le répertoire des pièces
jouées et le chiffre des receltes encaissées. Le tableau
suivant comprend toute la période qui s'étend du
16 mai (jour de l'ouverture) au 31 décembre 1840; il
est établi selon le mode que l'un de nous a adopté
pour son Almanaekdes Spectacles publié depuis dix-
sept ans à lalibrairie des Bibliophiles.
DaU de I& Total des
Pièces nouvelles. l'Tepr. rapr.
AaheT, Zanetta, 3 actes 18 mai 20
DelaMoskOwa, feCenC-Suisse, i — 17 jnin. 58
Griaar, Boieldieu, etc., l'Opéra
à la Cour, 3 — 16 juillet. 27
Bordèse, l'Atitomate de Vau-
canson, 1 — 2 sept. 86
Honpou et Bordèse, la Reine
Jeanne, 3—12 oct. li
Adam, la Bose de Péronne, 3—17 déc. 6
Total:
Hérold, le^é aux Clercs, 3 actes 16 mai.
Auber, la Neige, 3 — 11 août.
Hicolo, Joconde, 3—26 août,
Auber, Lestoeq 4—12 no».
Total: 13 actes.
RÉPERTOIRE
Adam, le Chalet, la., 13 représ. — La Reine <Cun
jour, 3 a., 13 repr.
1840 47
Auber, l'Ambassadrice, 3 a., 4 repr. — Le Domino
noir, 3 a., 12 repp.
ClapiasoQ, io Perruche, 1 a., 38 repr.
Dalayrac, Adoip/ie et Clara, 1 a., 7 repr.
DoEizetti, la Fille du Régiment, 2 a., 10 repr.
Grlsar, les Travestissements, 1 a.j 7 repr.
Halévy, l'Eclair, 3 a., 8 repr.
Luce, l'Elève de Presbourg, 1 a., 20 repr.
Montfort, Polichinelle, 1 a., 28 repr.
Thomas (Ambroia?), Carline, 3 a., 1 repr. — La-
Double Echelle, 1 a., 13 repr.
Total : 23 pièces, dont 6 nouvelles avec 14 actes et
4 remises à la scène avec 13 actes.
Parmi ces 23 pièces, il en est plusieurs dont nous
n'avons pas parlé parce que leur apparition se trou-
vait antérieure au 1" janvier. Ainsi :
Adolphe et Clara ou les Prisonniers (10 février 1799),
paroles de Marsollier, musique de Dalayrac, opéra-
comique en un acte, dont une des plus jolies mélo-
dies s'encadrait sibien dans une des premières scènes
de la Ciraassienne et qui d'ailleurs a fourni plusieurs
timbres de vaudevilles, désignés sous la rubrique-:
Air connu.
La douftieEc/ieiie (33 août 1837}, paroles de Planard,
musique d'Ambroise Thomas, opéra-comique en un
acte, le premier ouvrage (on peut dire le premier
échelon}, en un mot le brillant début au théâtre d'un
maître qui devait tenir une si grande place à la salle
Favart ety renjporter de si nombreux et si durables
succès.
Poiïchinelie (14 juin 1839), paroles de Scribe et
Duveyrier, musique de Montfort, opéra-comique en
un acte dans lequel avait débuté l'un des bons et fi-
dèles serviteura de l'Opéra-Comique, Ernest Mocker.
i,j,,,.,,.Cdoi^Ic
48 l'outertubg du nouveau théâtre
i La iîeined'un jour (19 septembre 1839), paroles de
Scribe et de Saint-Georges, musique d'Adolphe
Adain,opéra-comiqueen trois actes, dont la partition
est peu remarquable, quoiqu'elle ait reparu au
Tbéâtre-Jjyrique en 1854, mais dont le livret a du
moioseule mérited'inspirer un compositeur allemand
contemporain, Ignaz Brùii. Dans la Reine Mariette
comme dans la Reine d'un jour, on retrouve JL'Mstoire
de cette modiste qui, par suite de circonstances étran-
gement romanesques, se voit amenée à jouer pour
quelque temps le rôle d'une princesse. Un autre sou-
Tenir assez piquant s'attache à la Reine d'un jour :
elle servit aux débuts d'un excellent artiste, Masset,
lequel était sans doute un musicien de quelque va-
leur, puisqu'Adolphe Adam lui fit l'honneur de lui
emprunter deux morceaux pour les intercaler dans
son ouvrage. La collaboration de-l'auteur et de son
interprète n'est pas rare quand il s'agit du poème;
quand ît s'agit de la musique, on en trouverait peu
d'exemples, et celui-ci valait d'être noté en passant.
Les TraoesHssements (16 povembre 1839), paroles
de Paulin Deslandes, musique de Grisar, opéra-co-
mique en un acte, reprisau Théâtre-Lyrique en 1854
et aux Folies-Nouvelles en 1858, et plus récemment
encore à l'Opéra-Comique, moins peut-être pour l'a-
grément de la partition que pour celui du livret, car
il est tiré d'une amusante pièce de Dubois, Marton
etFronlin ou vissant de Valets [1804), dont le succès
persiste en dépit de son âge, soit à la Gomëdie-
Française, soit à l'Odéon surtout, où pendant les an-
nées 1878, 1879 et 1880 elle n'a pas été jouée' moins
de cent vingt fois,
A cette énumération il convientd'ajouter: leChalet,
l'Eclair, l'Ambassadrice et le Domino noir, que nous
1840 49
reocontreroDS maiotes fois au cours de notre travail
et dont les premières représeatations remontaient au
25 septembre 1834, au 30 décembre 1835, au 31^ dé-
cembre 1836 et au 2 décembre 1837. Enfin, si l'on
compare les années 1840 et 1887, c'est-à-dire la pre-
mière et la dernière de la seconde salle Favart, on
observera que sur ces 23 œuvres 4 seulement, le Cha-
let, le Domino noir, la Fille du Régiment, elle Pré aux
Clercs figuraieuteucore aurépertoire courant. Quant
à la moyenne des recettes, elle accuse au premier
abord une notable différence : en 1840, 2,091 fr. 33 c.,
en 1887, 4,547 frOSc, soit un écart de2,455 fr. 72c.,
autrement dit un peu plus de la moitié. Mais, d'autre
part, la moyenne des dépenses n'a-t-elle pas aug-
menté avec le temps, et peut-être plus encore que
celle des receltes? Pour ne citer qu'un exemple, on
estimait alors les frais de décors nouveaux k une
vinglaine de mille francs par an pour une dizaine
d'ouvrages. Maintenant on monte moins d'ouvrages :
mais lesdits frais ont quintuplé.
, lue. .ï Google
CHAPITRE III
LE NOUVEAU ET l'aNCIEN RÉPERTOIRE
Les Diamanls de la Couronne, le Diable à décale et la Pari du
Diable; Richard Cœur de Lion, Camille, les Deux journées,
Jeantiot et Colin et te Maître (Je Chapelle.
Presque au début de l'anaée 1841 se reacoutrent
deux ouvrages importants, tous deux signés de noms
illustres, tous deux bien accueillis à leur apparition,
mais, parla suite, ayant reucoatré des fortunes di-
verses :
Le Gwilarrero, opéra-comique en trois actes, pa-
roles de Scribe, musique d'Halévy (21 janvier).
Les Diamants de la Couronne, opéra-comîque en
trois actes, paroles de Scribe et de Saint-Georges,
musique d'Âuber [6 mara) ,
Le Guitarrero eut, au lendemain de la première
représentation, ce qu'on appellerait aujourd'hui une
bonne presse. Tout au plus se permit-on de critiquer
le titre qui prouvait, en effet, chez Scribe une con-
naissance peu approfondie de la langue espagnole.
>'tS'^
■ i841 51
« C'est UQ barbarisme^ on devrait dire le Chitarrista»,
écrivait un journaliste grincheux qui se croyait en
Italie, alors que la pièce se jouait en Espagne : a Gui-
tarrero signifie fabricant de guitares, écrivait un
autre ; joueur de guitare se traduit par guittariBto. »
Pour mettre tout le inonde d'accord, on aurait dû
simplement recourir au mot français, plus simple et
plus clair ; mais la mode était aux mots étrangers.
On montait pour la première fois à l'Opéra le Frei-
schûtz et non le Franc Archer; on allait donner à
l'Opéra-Comique la Maschera et non ie Masque; jus-
qu'à la Favorite qui, au cours des répétitions, après
avoir évité le titre de l'Ange de Nisida^ faillit rece- -
voir celui de la Querida!
Le poème n'était pas mauvais, puisque, de nos
jours, il 3 été repris par les Allemands, et que Mil-
lôcker en a tiré son Étudiant Pauvre, opéra-comique
plusieurs fois centenaire chez nos voisins, moins
favorablement accueilli chez nous, il y a deux ans.
Quant à la musique, elle réunit les suffrages des
connaisseurs, et le retentissement eu fut assez vif
pour que l'ouvrage passât la frontière et fût monté à.
Berlin. Halévy, du reste, se trouvait alors dans tout
l'éclat de sou talent et de sa renommée. La Juive et
l'EcIoir, jouées la même année, l'avaient fait passer
mattre à l'Opéra comme à l'Opéra-Comique, « La
musique du Guitarrero, dit un journal de l'époque,
restera comme une des meilleures productions de
son auteur, car la science et le chant y prêtent, avec
une égale puissance, leur concours au développe-
ment de l'action dramatique. » La fiewue ef Gazette
musicaîe ne s'exprimait pas eu termes moins cha-
leureux ; il est vrai que son directeur était en même
temps l'éditeur de la partition, ce qui rendait ses
52 LB NOUTBAU ET l'aNCIBN REPERTOIRE
éloges UD peu suspects. La source de l'enthousiasine
D'y tarissait guère ; on signalait les recettes les plus
fortes, près de 6,000 francs à la quinzième représen-
tation! Tout enfin devenait prétexte à réclames,
comme le prouve cette curieuse citation : « La foule,
qui se porte aux représentations du Guitarrero, attire
à l'Opéra- Comique un nombre si considérable de voi-
tures qu'il est dii devoir de l'administration de mettre
sous les yeux du public les principales dispositions
de l'arrêté de M. le préfet de police relativement à
l'arrivée, au stationnement et au déûlé des voitures
à la salle Favart : — Toutes les voitures indistincte-
ment, arriveront par lesrues de Qrammont, Grétry
et Neuve-Saint-Marc; les voitures bourgeoises sta-
tionneront sur le boulevard, depuis la rue de Mari-
vaux, jusqu'à la rue de Choiseul. Au moment du
défilé, les voitures bourgeoises arriventdu boule-
vard par la rue de Marivaux, où elles opèrent leur
chargement ; les voitures de place par la rue Pavarl,
où elles attendent le public. Les personnes qui ont
demandé leurs voitures se tiennent dans le salon
d'attente et dans la galerie de la rue de Marivaux;
celles qui veulent des voitures de place y montent à
couvert sous les marquises de la rue Favart. » Im-
possible de laisser entendre plus clairement qu'on
s'arrachait les places.
La vérité est que, bien interprété par Moreau-
Saiuti (Lorenzo), Grignoa (Ximena), Botelli (don
Alvar), Roger (Riccardo), Emon (Fabius), Daudé
(Ottavio), M""' Boulanger (Manuela), et M"" Capde-
ville (Zarah), une débutante qui avait, en 1840,
remporté le premier prix d'opéra au concours du
Conservatoire, ie Guitarrero fournit une carrière ho-
norable et fut joué cinquante-neuf fois pendant l'an-
184t 53
née. Une preuve du succès musical de la partition
nous est fournie par le grand nombre d'arrangements
de toute espèce et pour tous instruments auxquels
elle donna lieu. C'est môme ici que nous rencontrons
le nom d'un musicien qu'on ne s'attendait guère à
Toir en cotte affaire, Richard Wagner. On sait qu'il
TÎvaitalors misérablement à Paris, travaillant comme
il pouvait, et se résignant aus plus inSmes besognes
afin d'en tirer quelque argent. Le Guitarrero, pour un
temps, lui servit de gagne-pain, car il en arrangea,
non seulement la partition pour piano et chant, mais
l'ouverture et« deux suites d'airs » : 1' pour qualuor
(violons, alto et violoncelle) ; 2" pour deuo: violons;
S'pourflûte, violon, alto et violoncelle. Ce rensei-
gnement a son prix, car il a échappé, croyons-nous,
k tous les biographes de Wagner : Œsterlein lui-
même n'en a pas fait mention.
Les Diamants de la Couronne, un instant répétés
sous le titre des Diamants de la Reine, ne furent pas
moins appréciés tout d'abord que (e Guitarrero: leur
éclat même fut plus vif et leur succès beaucoup plus
durable. Dès la première année cet ouvrage obtenait
81 représentations, et depuis il n'a jamais complète-
ment disparu du répertoire. Il est de ceux qui, après
le Domino noir, Fra Diavolo et Haydée, supportent les
reprises, et sa dernière apparition est assez récente
pour nous épargner de longs discours à son sujet.
- Rappelons seulement que les Diamants de la Cou-
ronne causèrent le départ et amenèrent la retraite
définitive d'une cantatrice qui avait tenu une grande
place à l'Opéra, aussi bien qu'à l'Opéra-Comique,
madame Clnli-Damoreau. Elle s'appelait de son vrai
nom Laure-Cynthie MonCalant, et avait changé Cyn-
thie en Cinti , sur l'invitation équivalant à un ordre
54 LB NOOVBAD ET l'aNGIBN RÉPBRTOIHB
de M"' Oatalani, qui lui avait permis de débuter
en 1816 au Théâtre-Italien où elle régnait alors en
souveraine. Le succès qu'elle obtint tout d'abord lui
ouvrit sans trop de peine les portes de t'Opéra et
de 1826 à 1836 il n'est pas un grand ouvrage dans le-
quel elle n'ait créé quelque rôle. Douée d'une voix
remarquable, moins peut-être par la puissance
que par le charme, M^' Cynthie Montalant, devenue
madame Damoreau, se distinguait par la pureté
de style, la justesse de l'expression et l'élégance
de la vocalisation. Quand elle quitta l'Opéra pour
rOpéra-Comique, elle se maintint au premier rang,
sachant dire le dialogue et plier son jeu aux rôles
les plus divers. Les créations de l'Ambassadrice (1836)
et du Domino noir (1837) suffiraient à lui assurer
une place dans la galerie des grands artistes, et
pendant longtemps en effet, Auber, tout-puissanl
alors, ne voulait pas d'autre interprète. C'est pour
elle qu'il écrivit ies Diamants de la Couronne, mais
ce ne fut point elle qui les Joua. La séduisante Anna
Thillon avait paru, et, sacrifiant le talent à la beauté,
Auber s'était tourné du côté de l'astre naissant,
Inde irœ. M"' Damoreau, un instant, essaya de pro-
tester, de défendre la place par elle conquise, et de
résister aux envahissements de la jeune Anglaise. De
guerre lasse elle céda, emportant avec elle bien des
regrets et bien des sympathies, dont elle put mesurer
l'étendue la dernière fois qu'elle parut en public.
Cette représentation d'adieu eu lieu le 8 mai, et la
soirée fut triomphale. Le premier acte de l'Ambassa-
drice, le grand duo du deuxième acte de Guillaume
Tell et le trolsièmeucte du i>omino noir composaient
le spectacle, auquel Duprez avait pour la circons-
tance prêté son concours ; les bouquets et les fleurs,
1841 55
dont onn'abusaitpas alors comme aujourd'hui, furent
jetés à profusion en son honneur, el l'on encaissa
une recette extraordinaire de 12,103 francs,
M"' Anna Thîllon restait maîtresse du terrain, et
sur elle allaient reposer, pour un temps, les des-
tinées de l'Opéra-Comique. Ainsi l'avaient voulu
Auber et Crosnier, le directeur. Une bonne partie
du public pensait d'ailleurs comme eux; c'est à peine
si l'on pouvait signaler dans l'ombre quelques grin-
cheux qui s'insurgeaient contre la nouvelle idole, et
se vengeaient à coups de jeux de mots. <i La musique
d' Auber n'est plus que du Ta-Tbillonnage », disait
l'un. <i M"" Anna Thillon est de trop à l'Opéra-
Coraique, répondait l'autre; ce théâtre était déjà bien
assez anglaise. Bicinous trouvons: « FoindeTOpéra-
Oomique Ta-Thillonnél s et là : « L'Opéra-Comique,
si désireux d'une grande fortune, ne la fera pas avec
les chants- Thillon ! » On voit que les journalistes
cultivaient le calembour bien avant Conimerson 1
Ils ne plaisantaient pas moins la direction au sujet
de l'idée qu'elle avait eue de ressusciter « les Bals de
de la bonne compagnie u, bals masqués et parés oti
devaient se rencontrer les gens du monde, comme
nous dirions aujourd'hui. Ceux-ci d'ordinaire restent
chez eux ou reçoivent entre eux, à moins qu'il ûe
s'agisse d'une fête de charité ou autre circonstance
exceptionnelle; la clientèle devait donc nécessaire-
ment manquer. A ces bals comme il faut on préfére-
rait ceux, plus libre's et plus mêlés, de l'Opéra et de
la Renaissance, alors en pleine vogue; bref, ce beau
projet ne réussit pas plus en 1841 qu'après la guerre
de 1870, lorsque M. Camille du Locle, directeur,
essaya de le réaliser encore. Le premier de ces bals
eut lieu le 17 Janvier.
,L.:a..ï Google
56 LS NOuvBAi] BT l'ancien HÉPBRTOIRB
« Le théâtre ouvrit ses portes à dix francs par per-
sonne, nous rapporte un témoin, et l'on s'y est en-
nuyé en dominos noirs, blancs et roses, comme au-
trefois sous \b. pendule de l'Opéra, » L'entreprise dut
même coûter plus qu'elle ne rapporta, si M. Crosnier
commit effectivement la maladresse que lui prêtèrent
les journaux du temps. Il avait d'abord reculé devant
la dépense d'un plancher neuf, et avait songé à em-
prunter celui de l'Odéon. Son intermédiaire s'était
chargé de la démarche k faire auprès du directeur,
et ce dernier avait à son tour dépéché auprès de
M. Crosnier, pour entrer enDégociatiODS,M. Marliaaî,
compositeur estimable, qui compte même à son actif
un succès, (o Xacarilla. M. Marliani se présenta
à rOpéra-Comique et flt passer sa carte; envoyant
ce nom, M. Crosnier se prit h oublier le service. de-
mandé et trembla qu'on ne vint lui offrir une parti-
tion. De tous temps les directeurs ont eu cet effroi!
La porto donc resta close. Deux fois, M. Marliani
revint à l'assaut, deux fois il fut repoussé avec perte.
Dès lors il n'insista pas sur le placement du plancher
et le directeur de l'Opéra-Comique, ne recevant point
de réponse, en fit faire un au prix de 12,000 francs.
Rencontrant par suite l'intermédiaire auquel il s'était
confié, il se plaignit du peu de succès de l'am-
bassade. « Comment? lui répondit l'ami; on s'est
présenté trois fois chez vous pour vous satis-
faire; vous n'avez pas reçu. C'est 4,000 francs par
visite qu'il vous en coûte! » Qui fut penaud? On le
devine. ,
Mais la malignité pourrait bien avoir eu part daus
ce reportage, car, vu à distance, M. Crosnier ne sem-
ble point si farouche et inhospitalier. La preuve en
est fournie par la série vraiment extraordinaire de
1841 57
petits ouvrages qui succédèrent aux deux grandes
pièces d'Halévy et d'Auber. Du mois de mars au mois
d'août, on ne rencontre pas moins de six nouveautés,
soit en moyenne une par mois. Jeunes librettistes et
jeunes compositeurs avaient ainsi la possibilité
d'exercer leurs latents; un échec ne tournait pas à la
confusion de l'auteur, comme aujourd'hui ; on ne lui
gardait pas rancune ; les portes se rouvraienf quand
même et assez vite devant le malheureux à qui sa
défaite avait servi de leçon, et les travaux suivants
bénéQciaient de cette expérience qu'on acquiert à
ses dépens, la plus profitable de toutes.
Voici d'ailleurs, d'après l'ordre des dates, cettesuite
curieuse de petits actes dont le meilleur n'a pas
laissé de trace dans l'histoire de l'art.
25 mars. — Le Pendu, opéra-comique en un acte,
paroles de de Oourcy et Oarmouche, musique de
Glapisson. On avait commandé cette parlition au
compositeur à condition qu'elle fût terminée en
quinze jours. Glapisson avait une facilité qui lui per-
mettait de tenir parole. Â l'époque fixée il apporta
son oeuvre qui devait soi-disant être montée tout de
suite ; elle ne le fut qu'un an plus tard, et vécut en
somme à peu près autant de jours qu'on en avait mis
à l'écrire; elle n'eut que 13 représentations. C'était
le cas de répéter avec le poète :
Le Temps a'épargae pas ce qu'on a fait sans lui.
2 juin. — L'IngénuB, opéra-comique en un acte,
paroles de Dupin, musique d'Hippolyte Colet. Les
titres n'avaient pas manqué à cette pièce d'abord
baptisée l'Outrage, ce quisemblait bien grave comme
conséquence, et la Niaise, ce qui semblait bien fâ-
cheux comme pronostic. Il s'agissait simplement d'une
58 LE NOtrVEAD £T l'ancien RÉPEfiTOIRI
âUe luDoceiite et naïve qui se croyait déshonorée
parce que, le matin du jour où elle devait se marier,
elle avait reçu dans l'ombre un baiser anonyme : on
devine que le coupable était le futur mari lui-même.
Cette donnée dramatique mérite d'autant mieux
d'être signalée ici que récemment elle a reparu ou à
peu près, dans un autre ouvrage en un acte, et sur la
même scène de l'Opéra-Comique, le Baiser de Suzon-
La musique de l'Ingénv.e témoignait de certaines
qualités de facture, mais aussi d'une réelle inespé-
rience de la scène. Le compositeur était professeur
d'harmonie au Conservatoire, et connaissait par con-
séquent la science des accords ; mais il ignorait l'art
de traiter légèrement un sujet léger, et il ne l'apprit
pas, car Vïngénue, représentée neuf fois seulement,
demeura son seul ouvrage joué en public. VAbencer-
rage, en effet, opéra en deux actes du même auteur,
n'avait paru en 1837 que sur un théâtre privé, à
l'hôtel de Castellane.
17 juin. — La Maschera, opéra-comique en deux
actes, paroles d'ArnouId et .T. de Wailly, tiré d'une
nouvelle de Pitre-Chevalier, musique de Georges
Kastner. Ce fut le premier et dernier ouvrage repré-
senté sur une scène parisienne, de cet artiste plus
connu comme théoricien que comme compositeur.
On lui devait pourtant une série d'opéras composés
et joués à Strasbourg : la Prise de Missolonghi [1829),
Gustave Wasa (1831), la Reine des Sarmates (1832), la
Mort d'Oscar (1833], (e Sarraitn (1834). De tout ce ba-
gage musical, le temps n'a rien épargné. La Jtfascftero
elle-même (dont le titre, soit dit en passant, est le
même que celui d'un ballet de Giorza, exécuté à l'O-
péra en 1864), n'eut que 13 représentations, et de
Georges Kastner on ne cite plus aujourd'hui que ses
1841 59
traités â'îDstrumentatioQ et son livre si curieux inti-
tulé les Cris de Paris.
26 juin. — Les Deux voleurs, opéra-comique en un
acte, paroles de de Leuven et Brunswick, musique
de Girard. La pièce s'appelait d'abord le Voleur, mais
OD s'aperçut bientôt qu'il y en avait deux, s'introdui*
sant dans la chambre nuptiale d'un mari qu'ils avaient
réussi à éloigner pour lui prendre l'un son argent,
l'autre sa femme. On devine que la double tentative
86 déjouait à temps et que le mari, retrouvant ses
biens intacts, en était quitte pour la peur. Cette
agréable comédie fut jouée 57 fois en 1841 et se main-
tint au répertoire des années suivantes avec un total
de 140 représentations; mais comme le compositeur
était en même temps chef d'orchestre de ï'Opéra-
Gomique, il restera toujours permis de se demander
si le succès était dû seulement à la valeur du musi-
cien et non pas un peu aussi à sa position.
1 juillet. ~~ Frère et Mari, opéra-comique en un
acte, paroles de Th. Polak et Humbert, musique de
Clapisson. Ce dernier était un des fournisseurs atti-
trés de l'Opéra-Comique doué, nous en avons la
preuve avec le Pendu, d'une grande facilité d'impro-
visation, écrivant, comme on dit, au courant de la
plume, et mettant au service d'idées gracieuses une
certaine habileté qui lui tenait lieu de puissance. Les
librettistes, au contraire, étaient de nouveaux venus,
d'autant mieux accueillis que l'un d'eux, Humbert,
était cousin du directeur, et du premier coup ils
réussirent à faire agréer du public pour 60 représen-
tations ce petit ouvrage, dont la conclusion, morale
ou non, était que les artistes ne doivent pas se marier
trop jeunes. Qu'il noua soit permis d'y relever deux
vers curieux, non sans doute pour leur mérite poétl-
60 LB NOUTBAU ET L'aNCIBN RÉPERTOIRE
que, mais, suivant un terme à la mode, pour leur
valeur documentaire. Certaine comtesse, afin de mon-
trer le degré d'amour qu'elle a inspiré au peintre
Eugène Melcourt, s'ticrie fièrement :
Atbc d'antres femmes il danse;
Hais il De laise qu'avec moi t
La différence aujourd'hui noua paraîtrait peu sen-
sible ; mais elle prouve l'idée qu'on se formait de la
valse et l'importance qu'on y attachait à cette époque,
où, conformémeat à l'origine allemande de ce mot,
on éciivait walse avec un double u! C'était la danse
capricieuse, libre d'allure et de mouvement, rompant
avec les Iraditious du banal quadrille ou du menuet
cérémonieux. Aussi l'interdisait-OE aux jeunes filles.
On se rappelle la romance longtemps fameuse de
Bnzin :
Ah I ue valse pas, car la valse impire
Un aveu souvent au cœur incertain,
qui nous renseigne sur ce point délicat, et Victor
Hugo lui-même se faisait l'écho de son temps lors-
qu'il écrivait dans ses Feuilles d'Automne :
Si TODi n'avez jamais vn d'an œil de colëre
La valse impure, au vol lascif et circulaire
ElTeuiller en courant les femmes et les fleurs...
Plus récemment encore nous retrouvons sous la
plume du docteur Grégoire (Decourcelle), cette amu-
sante définition de la valse : «Accouplement incon-
venant, qui cesse de l'être quand il a lieu devant
témoins. »
Que les temps sont changés I l'américanisme a
renouvelé nos mœurs, et notre pudeur, hélas! ne
s'alarme plus pour si peu.
U3L.ie..ïG00'^lc
1S41 61
17 août, —-'L'Aïeule, opéra-comique en un acte,
paroles de Saint-Georges, musique d'Adrien Boiel-
dieu. La donnée en était assez piquante, puisqu'elle
rappelait les Ménéchmee, en les présentant sous une
nouvelle forme. C'est ainsi que Roger y chantait en
Toix de fausset une partie de son rôle, figurant tour
à tour un jeune homme et une jeune fille ; malgré cet
attrait d'un nouveau genre où Montaubry devait, plus
tard, dans la Circassienne, chercher à son tour un
élément de succès ; malgré quelques mélodies agréa-
bles comme avait coutume de les signer l'héritier
d'un nom difficile à porter et par conséquent plus
gênant qu'utile, l'Aïeule n'obtint que 15 représenta-
tions.
A ces six ouvrages ne se bornait pas l'activité du
directeur, Grosnier. Les reprises se mêlaient aux
nouveautés, et l'on n'en compte pas moins de huit
pour l'année 1841, savoir ;
31 janvier. — Le MaUre de Chapelle, remis à la
scène eu un acte seulement (le premier), presque au
moment où, comme nous l'avons rapporté, disparais-
sait du foyer de l'Opéra-Oomique le médaillon de son
auteur, Paër.
16 mars. — Le Panier fleuri, second ouvrage dra-
matique d'Ambroise Thomas, joué souvent alors et
fort digne de l'être.
6 avril. — Les Deux Reines, l'œuvre la meilleure
de Monpou, et dont tous les orgues de Barbarie
avaient colporté la fameuse romance : « Adieu, mon
beau navire ! « C'est à peine si le pauvre composi-
teur, qu'en souvenir de ce succès on appelait couram-
ment Monpou-mon-beau-navire, put jouir de cette
reprise ; le 3 août suivant, en effet, il mourait à
Orléans, igé seulement de trente-sept ans.
„:,,,.,, .Cob'-jlc
62 LB NOOTBAH et L'ANaSH répertoibb
10 mat. — La Dame blanche (que, par parenthèse,
Paul de Sainl-Victor ne vit jamais, parait-il, non
plus du reste que la Juive], remontée pour Masset et
M"" Rossi, devenue M"" Rossi-Caccia. Tous deux se
montrèrent excellents dans les rôles de Georges et
d'Anna, et valurent au chef-d'œuvre de Boieldieu
48 représentations en moins de huit mois.
3 août. — Camille ou ie Souterrain, de Dalayrac.
10 août. — Zanetta, d'Auber. toujours pour Anna
TbiUon.
27 septembre. — Richard Cœur de Lion, de Grélry.
8 nowembrc. — Jean de Paris, de Boieldieu, un de
ces ouvrages qu'on semble dédaigner en France, et
qui a fait fortune en Allemagne, où il n'a jamais dis-
paru du répertoire.
Entre toutes ces reprises, les deux plus intéres-
santes, ou du moins.les deux plus curieuses à noter,
demeurent celles de Camille et de Richard. Elles de-
vaient être suivies de bien d'autres analogues; mais
c'était alors comme un essai de retour vers le passé.
Depuis le comciencemenl du siècle, T Opéra-Comique
avait subi une lente, mais continuelle transformation ;
l'ariette avait disparu ; l'orchestre s'était développé ;
la partie chorale avait pris plus d'importance, et la
musique tendait à se dramatiser de plus en plus. En
somme, une école nouvelle avait surgi, dont les
maîtres s'appelaient Boieldieu, Hérold, Auber, Ha-
lévy, Adam ; elle avait rencontré la faveur du public
et laissé dans l'ombre les vrais créateurs du genre :
Duni, Monsigny, Philidor, Dalayrac, Orétry. Sans
prétendre revenir en arrière, il y avait quelque in-
térêt à faire revivre le passé, et à l'opposer au pré-
sent. Tel était l'avis de Richard Wagner, qui habitait
alors Paris, avis exprimé dans un article sur le Stabat
1841 63
Mater de Pergolèse et coddu de bien peu de per-
sonnes, car lui-même ne l'a pas recueilli dans ses
Œuvres complètes. « A une époque comme la nôtre,
écrivait-il en 1841, où les diverses branches de l'art
musical ont pris une extension si divergente, au
point de s'être souvent modiQées de la manière la
plus anormale, c'est un besoin essentiel et un noble
devoir que de remonter aux sources primitives pour
y puiser de nouveaux éléments de force et de fécon-
dité. B
Pour mettre en pratique cette théorie, l'Opéra-
Comique remit à la scène en même temps deux ou-
vrages, l'un de Dalayrac, l'autre de Grétry, le pre-
mier datant de 1791, le second de 1784. Camille ou le
Souterrain passa d'abord, et le bruit courut que l'ins-
trumentation en avait été retouchée par Halévy. En
réalité, on maintint l'intégrité du texte malgré la
situation pénible du dernier acte, qui n'avait jamais
satisfait le librettiste lui-même, Marsollier, et l'inté-
gralité de la musique, malgré la pauvreté de cer-
taines formules qui pouvaient sembler trop primi-
tives à des oreilles modernes. Mais ce respect du ■
passé n'amena pas le succès ; peut-être le public
avait-il besoin d'un certain entraînement pour re-
prendre goût à cet art, peut-être aussi les acteurs
avaient-ils perdu tout ou partie du style propre à
l'interprétation, bien que M"* Oapdeville se montrât
fort touchante dans le rôle principal. L'effet, somme
toute, fut médiocre, et l'on ne joua que vingt-quatre
fois cet ouvrage qualifié de drame lyrique. Ce titre
n'avait pas alors le sens que nous lui prêterions
aujourd'hui, Dalayrac n'était pas Wagner et ne
songeait pas à renouveler les formes musicales de
son temps ; il voulait indiquer seulement que sa pièce
64 LE NOOTBAD ET L'aNCIBN RÉPERTOIRE
était dramatique k la façon d'une pièce de l'Ambigu,
et que ce drame comportait une partie de chant.
Dalayrac, au reste, parait avoir été un homme
simple, honnête et peu disposé à tromper le monde
sur la qualité de sa marchandise. Nous n'en Toulons
point d'autre preuve que la curieuse lettre publiée
par lui, ou du moins sous sa signature, dans les jour-
naux, la veille de la première représentation de
l'œuvre qui nous occupe, c'est-à-dire le 18 mars 1791 :
•I Dans la crainte que le public ne s'attende à
retrouver' la situation du roman intéressant de
Camille ou le Souterrain dans la pièce du même nom
que l'on va représenter aux Italiens, je crois devoir
vous prévenir que le sujet m'en a été fourni par
madame de Sillery {depuis comtesse de Genlis), dans
son charmant ouvrage d'Adèle et Théodore. L'aven-
ture vraie et touchante de la duchesse de Oherifalto,
enfermée par sou mari dans uu souterrain pendant
plusieurs années, m'a paru susceptible d'être mise au
théâtre. Je désire ne m'étre paa trompé. J'ai fait, de
mon mieux ; mais je sais que le zèle et le travail ne
sont pas toujours les garants du succès. Signé : l'au-
teur du Souterrain, e Voilà pour le moins un homme
consciencieux et modeste. De notre temps on met-
tait à ses actes moins de façons. Un exemple :
lorsque Henry VIH a été représenté à l'Opéra, les
librettistes se sont bien gardés d'indiquer la source
où ils avaient puisé. Au lendemain de la première,
tout le monde cita Shakespeare ; personne ne cita
Calderon, et c'est bien par hasard que nous décou-
vrîmes plus tard l'origine du livret.
La reprise de Richard Cœur de Lion fut beaucoup
mieux accueillie. Elle eut le don non seulement d'in-
téresser le public, mais encore de passionner la
1841 65
presse musicale, qui discuta la question de savoir si
l'on devait oui ou non retoucher les an ciens ouvrages
pour les mettre au goût actuel, et leur rendre, par
quelques améliorations savantes, la fraîcheur et
l'éclat disparus , « Que signifient ces reprises ,
s'écriait l'un, si les jeunes musiciens, si les poètes,
si le public n'y trouvent pas, ceus-là un vaste sujet
d'études, et l'autre une ample variété de plaisirs î
C'est pour apprendre, pour comparer, pour juger,
pour coûuaître, pour vérifier les progrès ou constater
la décadence, que le retour de ces œuvres est excel-
lent. Si vous les dénaturez, ce n'est plus elles: tous
vos soins sont inutiles ; mieux vaut les laisser dormir
dans les langes du passé avec toules les marques de
leur caractère natif, que de les en tirer, les faire pim-
pantes, appropriées à la mode du jour, pour leur ôter
ce qu'elles ont de vénérable, l'âge. » — a Les admi-
rateurs exclusifs de l'ancienne école, répondait un
autre, sont tombés dans une exagération vicieuse en
préconisant sa facture incomplète au même degré que
le fond et la pensée de ses œuvres. Autant celle-ci
avait de grandeur et de noblesse, autant les détails
de l'exécution matérielle se ressentent de l'inexpé-
rience d'une science à son début ; et l'on ne peut ré-
voquer en doute le perfectionnement des formes,
sinon de nos jours, du moins pendant la période in-
termédiaire qui succéda à cet âge d'or de l'art mu-
sical. » Et qui parlait ainsi ? Wagner, dans cet article
déjà cité par nous, Wagner, qui peu d'années après
devait prêcher d'exemple en réoi-chestrant l'Iphigénie
en Aulide de Gluck et en proposant des modifications
à la neuvième symphonie de Beethoven. 11 ajoutait
que « les anciens chefs-d'œuvre pouvaient être em-
bellis par la vivacité et la fraîcheur du coloris sans
66 LE NOUTEAD ET l'aNCIEN RÉPERTOIRE
rien perdre, pour ainsi dire, de leur mérite intrin-
sèque ", et il citait comme un modèle l'arraiigement
du Messie de Haendel par Mozart.
11 semblait difficile de se prononcer entre les deux
opinions; et pourtant, comme dirait. un dramaturge
moderne, le mort avait parlé! Dans ses Essais,
Grétry, en effet, pressentait le sort réservé à ses
œuvres, et, commentant la sobriété de son instru-
mentation, il avouait naïvement qu'il serait aisé de
l'augmenter, a Cependant, remarquait-il, je ne sais
pourquoi, je n'en suis pas tenté... Si, après moi, mes
ouvrages restent au répertoire des théâtres lyriques,
quelque compositeur s'en chargera peut-être ; mais
je l'invite à se bien pénétrer du sentiment de ma mu-
sique ; qu'il sache bien ce qui y est pour qu'il sente
le danger de l'obscurcir par des remplissages, par
des accessoires que je regarde souvent comme l'étei-
gnoir de l'imagination. »
En ne disant ni oui ni non, ou si l'on veut tout en-
semble oui et non, Grétry se rapprochait fort de la
vérité. Il en est des choses comme des gens ; le temps
amène des changements pour elles comme pour eux,
et l'on peut admettre à la rigueur des retouches dont
le but est de rendre intelligible ou savoureux ce qui
sans elles paraîtrait obscur ou fade. C'est une ques-
tion de tact, de mesure, de prudence. Il s'agit d'un
vieillard qu'il sérail ridicule de costumer à la der-
nière mode, mais qu'il serait injuste aussi de con-
damner à ne jamais quitter ses habits d'antan.
Confiée aux mains habiles d'Adolphe Adam, la par-
tition de Richard Cœur de Lion retrouva une partie
de ses charmes, et l'addition de certain trémolo dans
l'accompagnement du dernier couplet d' « Une fièvre
brûlante » excita les transports du public. Tout au
1841 67
plus vit-on se produire les réclamationg de quelques
mécontents, qui demandaient, pour rendre la com-
paraison possible, que l'œuvre fût représentée alter-
uativement sous ses deux formes : un soir avec la
version primitive, un autre soir avec la version nou-
velle. Plus modeste en ses désirs, certain laudator
fempom acti souhaitait, pour son édification person-
nelle, qu'on la jouât au moins une fois comme elle
avait été écrite.
Bien entendu, nul ne fit droil à ces plaintes ; elles
se perdirent dans le bruit des applaudissements qui
se renouvelaient à chaque représentation ; or, il n'y
eu eût pas moins de trente-neuf en l'espace de trois
mois, et le succès se maintint les années suivantes.
On sait que Sedaiue avait tout d'abord proposé sou
poème à MoDsigny, qui le refusa, craignant de ne pas
trouver pour la romance de Blondel un chant digne
delà situation. Grétry paraît avoir eu des scrupules
analogues. « J'avoue, diuil dans ses Essais, que la
romance m'inquiétait de même que mon confrère ;
je la Ss de plusieurs manières sans trouver ce que je
cherchais, c'est-à-dire le vieux style capable de plaire
aux modernes. La recherche que je fis pour choisir,
parmi toutes mes idées, le chant qui existe, se pro-
longea depuis onze heures du soir jusqu'au lende-
main à quatre heures du matin... — Je me rappelle
qu'ayant sonné pendant la nuit pour demander du
feu : « Vous devez avoir froid, me dit mon domes-
tique, TOUS êtes toujours là à ne rien faire l n
Dans l'intéressante notice qu'il a consacrée à
Richard Cœur de Lion, pour la belle édition des
œuvres de Grétry publiée par le gouvernement belge,
M. Victor Wilder a cité fort à propos cette anecdote ;
il aurait pu y joindre un mot relatif aux appré-
68 LE NODTEÀU ET L'ANCrBN BâPEHTOIRE
heDsiooa qne causait au compositeur le retour fré-
quent {les réminiscences, comme on disait alors) de
cette mélodie ; elle reparaît neuf fois dans l'ouvrage,
ce qui lui vaudrait presque aujourd'hui la qualifica-
tion de leitmolio. « J'avais peur d'en fatiguer le pu-
blic, écrit modestement Grétry : cependant, je n'ai
pas entendu dire qu'elle ait été trop répétée, parce
qu'on a senti que cet air était le pivot sur lequel
tournait toute la pièce. » Tout cela pour neuf fois !
De quel effroi son cœur n'aurait-il pas frémi si on lui
avait dit que moins d'un siècle après, un thème pour-
rait revenir quarante fois dans le premier acte de
Parsifal sans provoquer trop de lassitude 1
■ En résumé, il ne fallut rien moins que la réussite
de cette reprise pour assurer les recettes de 1841, car
la an de l'année pouvait être désastreuse. Les trois
nouveautés du dernier trimestre échouèrent piteuse-
ment :
D'abord, le 26 octobre, la Main de fer ou un Mariage
secret, opéra-comique en trois actes, paroles de Scribe
et de Leuven, musique d'Adolphe Adam. L'auteur
du Chalet traversait alors une période critique et ne
parvenait pas à ressaisir la fortune, à la salle Favart,
du moins. Moins heureuse encore que la Rose de
Péronne, la Main de fer, répétée d'abord sous le nom
du Secret, n'obtint que cinq représentations!
Puis, le 1" décembre, ia Jeunesse de Charles-Quint,
opéra-comique en deux actes, paroles de Mélesville
et Duveyrier, musique de Montfort. Cette pièce s'ap-
pelait primitivement le Coup d'épée. « Puisse-t-on ne
pas avoir à ajouter dans l'eau ! » écrivit un journa-
liste pendant les répétitions. On changea le titre, par
crainte peut-être, et le fâcheux pronostic ne se réa-
lisa pas. La partition était digne d'estime, si le
1841 fi9
poème était faible, et, défendue par des interprètes
comme Mocker, Couderc et M'"° Révilly, la pièce fut,
en somme, favorablement accueillie.
Enfin, le 14 décembre, Mademoiselle de Mérange (et
non de Méranges), opéra-comique en un acte, paroles
de Leuven et Brunswick, musique d'Henri Potier.
La donnée du livret se peut rappeler en deui mots.
Il s'agissait d'un seigneur de la cour, tombant dans
le piège que sa galanterie lui faisait tendre ; car,
marié, par ordre du roi, à une femme dont il avait
songé d'abord à faire sa maltresse, il finissait par
se laisser prendre à ses charmes et par l'aimer en
honnête bomme. Celte idée gracieuse et piquante
avait inspiré au compositeur quelques mélodies sim-
ples sans doute, mais agréables, et propres à faire
bien augurer de son talent, puisque c'était son œuvre
de début.
Ainsi finit l'année 1841, avec 790,124 fr, 95 c. de
recettes, ou plus exactement 773,603 fr. 95 c, àcause
de deux représentations à bénéfice ayant produit
16,521 francs. Les reprëseutatioas avaient été au
nombre de 356, produisant une moyenne de
2,219 fr. 53 c.
En somme, les résultais pécuniaires ne laissaient
pas que d'être assez avantageux pour Crosoier, qui
restait seul directeur, son associé Oerfbeer l'ayant
quitté au mois d'août. Les résultats artistiques pou-
vaient également passer pour satisfaisants, puisqu'ils
donnaient les cbiffres suivants :
Nouveautés : 11 ouvrages, dont 3 en 3 actes, 2 en
2 actes, et 6 en 1 acte. Total, 19 actes.
Reprises : 8 ouvrages, dout 4 en 3 actes, 1 en 2
actes, et 3 en 1 acte. Total, 17 actes.
RépertoïTe ; 19 ouvrages, dont 2 en 4 actes, 8 en
70 LE NOUVEAU ET l' ANCIEN BéPERTOIRE
3 actes, 1 en 2 actes, et 8 en un acte. Total, .43 actes.
38 ouvrages et 79 actes, voilà comment se résume
ce bilan théâtral. Parmi les œuvres nouvelles, une
seule devait se maintenir au répertoire; mais c'est
assez pour que l'année ne soit pas jugée mauvaise, et
qu'en l'honneur de la pièce jouée le plus souvent,
c'est-à-dire 81 fois en dix mois, on la puisse appeler
l'année des Diamants de la Couronne.
Pendant les premiers jours de l'année 1842, le
théâtre borna ses spectacles aune quinzaine de pièces
dont nous avons parlé déjà et qui composaient son
réperloire; ainsi :
Le 1" janvier. — Mademoiselle de Mérange, qui dis-
paraît définitivement après 11 représentations ; les
Deti:x; Voleurs, qui, plus heureux, sont joués 36 fois
dans cette même année, sans que leur carrière soit
encore terminée, et Richard Cœur de Lion, le plus
grand succès de l'année, puisqu'il atteint le chiffre
de 85 représentations.
Le 2. — Les Diamants de la Couronne et Jean de
Paris, avec 12 représentations pour le premier de ces
ouvrages et 23 pour le second.
Le 3. — Les Travestissements, 8 représentations, et
le Chalet, iSrepr.
Le 4. — Joconde, 26 représentations, et la Dame
Blanche, 33 repr.
Le 7. — La Panier fleuri, 21 représentations.
Le 8. — Frère et Mari, 12 représentations et le Pré
aux Clercs, 14 repr.
Le 10. — Camille, qui ne reparaît plus sur l'affiche
après cette unique soirée.
Le 11. — L'ambassadrice, 2 représentations.
Le 12. — La Perruche, 13 représentations.
Le 20. ~ La Jeunesse de Charles-Quint, 9 repr.
1842 71
Une seiile nouveauté avait vu le jour, à la date du
17 janvier. C'était un petit opéra-comique, qualifié
par les auteurs légende en un acte, et ayant pour
titre le Diable à l'école, pour librettiste Scribe, pour
compositeur un débutant, Ernest Boulanger, fils
d'une bonne chanteuse de l'Opéra-Oomique où elle
joua longtemps et où elle tenait même alors l'emploi
des duègnes. Elève du Conservatoire, où i! avait tra-
vaillé avec Lesueur etHalévy, prix de Rome en 1835,
Ernest Boulanger n'avait donc pas attendu plus de
sept ans pour voir s'ouvrir devant lui les portes d'un
théâtre : il pouvait se dire favorisé. 11 est arrivé à
des lauréats de l'Institut de faire encore de plus longs
stages; quelques-uns même n'ont fini d'attendre que
le jour où ils sOQt morts.
Le Diable à l'école obtint un vif succès, puisqu'il
fatjoué27 fois en 1842 et resta plusieurs années au
répertoire. La presse l'accueillit avec bienveillance,
et de divers côtés furent prodigués au jeune musicien
les encouragements les plus ilatteurs, a II y a de l'a-
mour, de la terreur, de la grâce et de l'énergie dans
cette musique, disait l'un ; et celui qui l'a écrite
porte en lui un avenir de compositeur, u <i Voici,
disait l'autre, un écolier qui pourrait devenir un
maître. » Le libretto, lui aussi, n'avait pas été par
trop désapprouvé, en dépit d'une certaine naïveté
qui nous ferait sourire aujourd'hui. Ainsi que l'ob-
servait un critique d'alors, c'est «. une émanation,
une suite, une imitation, une sorte de rognure enfin
de Robert le Diable. C'est encore un Faust, un
Freischûtz qui se vend corps et âme à messire Satan,
parce qu'il a tout perdu au jeu. Cette pensée drama-
tique n'est pas neuve, comme dit l'illustre Bilboquet,
car il résulte de la pièce qu'il se trouve toujours là
72 LE NOUTB&U KT L'&HCIBN RÉPERTOIRE
une femme religieuse et dévouée pour faire annuler
le satanique marché. »
On devine que ce diable venait parmi les hommes
pour faire son apprentissage, et que la terre était son
école. Il voulait à son tour donner des leçons, et une
simple jeune fille finissait par lui en remontrer. Cette
conclusion suffisait à satisfaire les bonnes âmes. « Le
diable, écrivait un humoriste, exerce depuis si long-
temps son métier de bourreau qu'on n'est pas fâché
de le voir une fois victime. » Et puis, la mode était
aux diableries. Pour n'en citer qu'un exemple, on
jouait en même temps à l'Opéra le Diable amoureux,
et l'on a justement constaté que le diable avait sou-
vent favorisé ceux qui le transportaient à la scène.
Ajoutons qu'à cette époque, les grands artistes ne
dédaignaient pas de paraître dans les petites pièces
et simples levers de rideau. C'est ainsi que nous
trouvons parmi les interprètes du Diable à l'école
Roger, le séduisant Roger, dans tout l'éclat de la jeu-
nesse et du talent.
Habile chanteur, comédien intelligent, il avait, à
la ville comme au théâtre, des manières agréables et
distinguées qui le faisaient appeler par sa femme :
un marquis en sucre / D'autre part, il avait une es-
time de lui-même qui ne facilitait point les compli-
ments à son adresse : Nous en parlons par expérience,
et voici comment. On sait que dès le début de sa
carrière dramatique, ses succès à l'Opéra-Comîque
ne lui suffisaient pas ; il rêvait ceux de l'Opéra, qu'il
devait connaître en 1849 avec le Prophète; mais dès
1842 il préparait cette campagne, et, pendant son
congé d'été, il se rendit à Rouen, où il parut dans
Eléazar de la Juive, MasanieUo de la Muette de Por-
tici et Arnold de Guillaume Tell. A l'Opôra-Comigue
1842 73
il avait été sans rival ; à l'Opéra il se montra remar-
quable, saos égaler jamais cependant ses devanciers,
Nourrit et Duprez. Tel n'était pas son avis, car, bien
longtemps api-ês qu'il se fut retiré du théâtre, nous
eûmes un jour l'occasion de le rencontrer et de lui
dire dans la conversation : « Ah ! monsieur, vous
avez laissé une place qui demeure toujours vacante!"
— <t Deux! » fil-il simplement, et il nous tourna le
dos d'un air vexé.
Ses avantages extérieurs ajoutaient peut-être à sa
suffisance ; mais il est curieux de constater qu'à cette
époque l'élégance, la beauté même, n'étaient pas
rares .dans le personnel masculin de l'Opéra-Comique.
Il suffit de rappeler Moreau-Sainii, qui avait créé
le Domino noir, et dont le physique l'emportait de
beaucoup sur la voix ; Couderc, à qui les années
mêmes n'enlevèrent pas sa réelle distinction ; Mocker,
qui causa bien des ravages dans les cœurs féminins
et dont les bonnes fortunes auraient pu être comptées
par Leporello; ChoUet, un ancien, et Audran, un
nouveau, qui ne tenaient pas la dernière place dans
tette troupe de jolis hommes; et nous oublions vo-
lontairement des artistes moins célèbres que les
précédents, comme Botelli, Grard, Flavio, Puig, assez
décoratifs pour ne pas déparer la scène où ils se
montraient. De leur côté, les femmes n'étaient pas
moins séduisantes : M"" Anna Thillon, de son vrai
nom Sophie- Anna Hunt, qui avait épousé M. Claude-
Thomas Thillon, artiste musicien et qui, par un
exploit d'huissier en date du 17 février 1842, commen^
çait alors une instance en séparation; M"° Darcier,
que le directeur Crosnier avait remarquée, comme
Auber avait remarqué Anna Thillon; M"* Capdeville,
qui avait épousé M. Horu et plaidait, elle aussi,
74 LE NOUVEAU ET l' ANCIEN RÉPHRTOIRB .
contre son mari pour obtenir une séparation, refusée
d'ailleurs par le tribunal; M"" Cinti-Damoreau, qui
devait connaître aussi les difficultés du ménage; la
Jolie M"" Potier, M"" Mélotte, M"" Révilly, M"" Rou-
vroy et tant d'autres, qui formaient, au point de vue
plastique, un ensemble dont nos théâtres de musique
actuels ne nous donneraient point l'équivalent. Il est
vrai que jadis à l'Opéra un règlement, bien oublié
depuis, obligeait les artistes à remplir certaines con-
ditions physiques. Cherubini se le rappelait sans
doute lorsque, directeur du Conservatoire, il vit un
jour venir à lui un jeune homme de pauvre mine, qu
demandait à entrer dans une classe de déclamation
K Que, que, que, lit-il avec ce bégayement qui s
mêlait à son accent florentin quand la colère le pre-
nait, toi, au théâtre? toi laidl toi,* vilain singe ! va-
l-en, va-t-en! » Les temps sont changés; aujour-
d'hui, petits et Ifiids franchissent le seuil du Conser-
vatoire et même celui de l'Opéra.
Auber n'eut point à se fâcher, comme Cherubini,
lorsqu'on monta le grand ouvrage de lui qui succéda
au Diable à l'école. Ce fut l'étoile de la troupe qui
parut dans le Duc d'Olonne, opéra-comique en trois
actes, paroles de Scribe et Saintine, joué pour la
première fois le 4 février 1842. Roger s'y montra
charmant, comme toujours; Henri, Grigoon, M™ Anna
Thillon et M"' Révilly le secondèrent brillam-
ment, et Mocker en particulier tint avec une réelle
autorité le rôle du duc, a un composé de brus-
querie, de sensibilité, de façons cavalières sous la
tente et distinguées à la cour, lisons-nous dans un
compte-rendu. Trompeur près des femmes, trompé
par elles plus tard. Brave soldat, courtisan habile
et en somme le meilleur enfant du monde. Toutes
i842 75
ces nuances ont été saisies avec bonheur par
M. Mocher. B Un lel succès ne pouvait donc man-
quer d'accroître le renom de cet artiste, que sa
famille destinait jadis à l'état ecclésiastique et qui
certes aurait fait moins bonne figure sous la robe du
prêtre que sous le pourpoint du gentilhomme. Quant
à la pièce elle-même, elle n'était pas saas présenter,
au second acte, quelques analogies avec les Visîtan-
dines de Picard et Devienne (1792) ; on y rencontre
le plaisant contraste des nonnes et des soldats qui,
n'étant pas tombé, comme depuis, dans le domaine
; de l'opérette, oiTrail encore quelque saveur au goût
du public ; bref, elle fnt écoutée avet un certain
; plaisir et fournit une carrière honorable. Rappelons
. comme curiosité que le titre n'en avait pas été
choisi sans peine. Au tableau des répétitions on
afficha successivement le Duc, le Duc d'Ossonne, le
Ducd'Ossonnes, /e Duc d'Ossoies, enfin ie Duc d'OJonne,
Le second de ces noms appartenait à une famille
existant alors et désireuse de ne point être mise en
scène : de là, cette série de variantes.
Dix jours après l'apparition de la nouvelle pièce,
qui n'obtint en définitive que 45 représentations, son
auteur fut investi des plus hautes fonctions auxquelles
un compositeur puisse prétendre. Chembini, âgé
alors de 82 ans, avait demandé sa retraite ; la place
de directeur du Conservatoire devenait vacante ;
Auber l'obtint sans dilTiculté. Un seul concurrent eût
pu lui être opposé ; Bcrton, Le 14 février, jour de
l'installation officielle, bien des yeux en effet se tour-
nèrent vers lui; mais l'auteur de jKonianoeiSWp/iame
ne voulait ni ne pouvait accepter; il avait non seu-
lement la vieillesse, mais les infirmités de la vieil-
lesse. Professeur de composition, c'est à peine s'il
76 LS KOUVCAD ET l'àKCIEN RÉPSKTllIIiE
pouvait parfois se rendre rne Bergère ; le plus
sonvent ses élèves venaient prendre leurs leçons
chez lui ; et comment les recevait-il 1 Uo témoin
oculaire nous l'a raconté depuis : en robe de cham-
bre, la tête enveloppée d'un vaste foulard et assis...
dans un bain I Un tel directeur eût manqué de pres-
tige.
Auber se trouvait encore dans toute la force de
l'âge et presque à l'apogée de sa gloire. L'Opéra-
Oomique lui devait quelques-uns de ses plus grands
succès, et sou répertoire éclipsait celui de tous ses
rivaux. En cette année 1842, par exemple, cinq de
ses pièces tinrent l'affiche, le Duc d'Olonne, avons»
nous dit, 45 fois, le Domino noir 58, le Concert à la
Cour 24, les Diamants de la Couronne 12, l'Ambassa'
drice 2; en tout 141 représentations sur 348, soit
esaciementles deui cinquièmes. Que de cris s'élève-
raient aujourd'hui si, en dépit de son talent et de sa
renommée, le directeur du Conservatoire s'imposait
ainsi et voulait accaparer un Ihéâire à son profit I On
était plus docile alors, et l'on s'inclinait respectueu-
sement.
Cette discipline, on la devait en partie àl'admlnis-
tralion sévère et ferme de Oherubini, qui ne jouit
pas longtemps d'un repos noblement gagné. Un mois
après avoir été remplacé, le 15 mars, il ^'éteignait,
ayant conservé jusqu'à la fin sa raison, sa volonté,
son activité même, car il composait encore toutes les
leçons de solfège données aux examens et aux con-
coui-s; de sa main, si tremblante qu'elle fût, il tra^
çalt les sujets de fugue destinés aux concurrents qui
entraient en loge ; enfin, dans les premiers jours de
janvier 1842, c'est-à-dire deux mois avant sa mort, il
écrivait son dernier ouvrage, un canon pour Ingres,
1842 ■ 77
l'ami qui avait immortalisé ses traits dans ud de ses
portraits les plus Tameui.
Avec Ctierubiiii disparaissait un auteur applaudi
souvent au temps où l'Opéra- Comique s'appelait
Feydeau, un théoricien devant la science duquel se
courbait même Beethoven, qui lui envoya, avant de
la publier, sa grande Messe en ré, demandant, disait-il,
son avis « au plus grand compositeur de noire épo-
que », un maître enfln auquel on ne pouvait repro-
cher que son mauvais caractère et son humeur
acariâtre. Aussi, parlant de lui, Richard Wagner
disait-il, non sans raison : «Cet homme n'a fait que
des chefs-d'œuvre, et il n'a que des ennemis 1 u Ber-
lioz ne pensait point différemment, et ildut voir sans
regret le cercueil mené en grande pompe au cime-
tière du Père-Lachaise. Plusieurs discours furent
prononcés sur la tombe ; mais, par une ironie du sort
■ digne d'être notée, une pluie torrentielle accompa-
gnée de grêle éclata tandis que les orateurs chan-
taient les louanges du défunt : il semblait que, même
après sa mort, Cherubini voulait encore être désa-
gréable à ceui qui l'approchaient.
Cependant, rOpéra-Comique poursuivait paisible-
ment le cours de ses reprises, afm d'alimenter son
répertoire en l'absence de nouveautés. C'est ainsi
-que nous rencontrons :
Le 7 février. — Adolphe et Clara, de Dalayrac, trois
représentations.
Le 2i féorier. — Le Concert à. la Cour ou la DébU'
tanle, un petit acte d'Auber, avec paroles de Scribe et
Melesvllle, qui remontait au 3 juin 1824, et dont il
n'est resté qu'un air, chanté parfois dans les con-
certs ; « Eniendez-vous au loin l'archet de la toliel )>
U parait qu'un des personnages de la pièce, le perfide
78 LE NOUVBAO BT l' ANCIEN RÉPERTOIRE
et cauteleux Asluccio, avait été desamé d'après na-
ture, et représentait... le compositeur Paër. Ce serait
une petite vengeance qu'auraient exercée lesauteura,
et à laquelle le baToué même ne pouvait trouver à
rediie, car il avait, lui aussi, la dent acérée et n'é-
pargnait point les autres. Par exemple, il assistait un
soir, en compagnie de Rossini, à la première repré-
sentation d'un ouvrage, peut-être bien d'Auber juste-
, ment. La pièce marchait assez allègrement, lorsque
tout a coup certain morceau manqué changea les
dispositions du public et fut accueilli par un silence
glacial. Une seule personne battit des mains, Paër.
« Pourquoi donc applaudissez- vous ce morceau? de-
manda Rossini : il est mauvais. — C'est que, ré-
pondit Paér, j'ai peur qu'on ne le coupe ! »
Le 25 fiiorier. — Le Domino noir, avec Madame
Rossi-Oaccia jouant pour la première fois le rôle
d'Angèle dans cette soirée, qui, donnée à son béné- ■
fice, produisit 4,670 francs de recettes.
Le 5 mars. — Une Heure de mariage, aimable petite
pièce en un acte, de Dalayrac, qui avait été repré-
sentée primitivement à Feydeau, le 20 mars 1804, et
qui devait être reprise de notre temps à la Galté,
lorsque M. Vizentini essaya d'y ressusciter le Théâtre
Lyrique. Si simple que fût le libretto d'Etienne, il
avait sans doute quelque fraîcheur, puisqu'un chan-
teur-compositeur s'avisa d'en récrire la musique, et
produisit son œuvre, en février 1865, au théâtre de
Strasbourg où il était engagé alors comme ténor: ce
chanteur s'appelait Warnots.
Le 7 avril. — Les Deux Journées, comédie lyrique
en trois actes datant du 16 janvier 1800, un des grands
succès de Feydeau, comme aussi l'un des meilleurs
ouvrages de Cherubini. Cependant, la pauvreté du
1842 79
poème de Bouilly fait depuis longtemps écarter celte
pièce de la scène française, et c'est l'Allemagne qui,
plus hospitalière, l'a recueillie et adoptée sous le
nom de der Wassertrœger (le Porteur d'eau.) Chaque
année, une ville ou l'autre la remet au répertoire et
lui maintient sa popularité. Deux faits, au beroin,
attesteraient l'importance de l'œuvre et l'estime en
laquelle nos voisins l'ont toujours tenue. 8ii ans
après son apparition en France, non seulement on la
jouait en Allemagne, mais encore on lui avait donné
une Suite sous le titre de Michéli et son fils, repré-
sentée à Hambourg avec la musique d'un certain
Clasing, Plus tard, un autre compositeur, mais ce
lèbre celui-là, Weber, l'auteur du Freischatz, ne
dédaigna pas d'en retoucher l'orchestration, c'est-à-
dire d'y ajouter à certains endroits des trombones,
comme il en fait mention lui-même dans son Journal
intime à la date du 6 janvier i820, le jour même de la
représentation à Dresde. Lorsqu'il fut question de
reprendre à Paris les Deux Journées, on proposa
d'accepter cette addition ; mais Cherubini refusa et
répondit nettement que, s'il, avait voulu mettre de
nouveaux instruments dans son ouvrage, U l'aurait
fait lui-même.
Au reste, il n'était pas de ceux à qui l'on donnait
des ordres, ni même des conseils. Il commandait, et
voulait qu'on lui obéît. Il tint, par exemple, à ce
qu'Henri prit le rôle de Mikéli, créé par Juliet ; l'ad-
ministration voulait un autre interprète, et son
obstination fut cause qu'il n'assista pas à cette re-
prise si longtemps retardée : la mort était venue trois
semaines trop tôt. Au lendemain de ce deuil, la re-
présentation eut alors un caractère de solennité,
presque d'apothéose. 8on buste fut couronné sur la
80 LB NOUVEAU ET L'aNCIEN BÉPBBTOIRS
scène ; Henri et Moreau-Saintî récitèrent deux pièces
de vers composées en son honneur, la première par
Emile Deschamps, la seconde par Bouilly, l'auteur
du poème des Deux Journées, aimable et bon vieillard
qui ne put survivre aux émotions de cette soirée et
suivit de près son collaborateur dans la tombe. Enfin,
tous les artistes se réunirent sur la scène pour chan-
ter le Tameux chœur ûeBtanche de Provence] : ■ Dors,
cher enfant, tendre Heur d'espérance 1 > A- ces regrets
publiquement manifestés l'Institut ne manqua pas
de s'associer : la section musicale décida qu'il ne
serait pourvu que six mois plus tard au remplace-
ment de Cherubini et que jusque-là le fauteuil de-
meurerait vacant, comme il l'était demeuré jadis
après la mort de Boieldieu. En fait, l'élection du suc-
cesseur n'eut lieu que le 19 novembre suivant :
Onslow fut choisi par 19 voiï contre 17 données à
Adolphe Adam.
Après les Deux Journées, une reprise est encore à
signaler, à la date du 18 mai, celle de Jeannot et
Colin, trois petits actes que nous retrouverons encore
plus d'une fois et qui servirent alors de rentrée à
deui vieux serviteurs de l'Opéra-Comique, Chollet
et M"* Prévost; pendant quinze mois ils avaient
quitté Paris, jouant en province et à Bruxelles. Re-
venus au bercail, ils y trouvèrent bon accueil, ainsi
que la pièce elle-même, pour laquelle on avait craint
cependant a des formes vieillies, une grande mono-
tonie de tonalité, et une plus grande indigence d'ins-
trumentation. » Chose curieuse, le critique qui s'ex-
primait ainsi ajoutait que « les opéras de Nicolo
ne sont en réalité que des opérettes. » Certes,
une telle assertion demeure contestable ; mais
le mot opérette valait d'être noté au passage.
1812 81
car en 18ï2, il n'appartenait guère au langage cou-
rant.
Le 9 juin. — Une première représentation vint in-
terrompre cette série dereprises qui s'étaient succédé
depuis quatre mois ; le Code noir, paroles de Scribe,
musique de Clapisson. Plus d'iiabilelé dans la faclure
que d'originalité dans les idées, voilà comment pou-
vait se résumer cet ouvrage en trois actes dont les
trente-deux représentations n'ajoutèrent rien au mé-
.rite du librettiste et du compositeur. La pièce était
de circonstance, si l'on veut, en ce sena que les ques-
tions relatives aux colonies préoccupaient alors assez
vivement l'opinion; on discutait pour et contre les
nègres, et certain livre de M, Schœlcher, relatif à la
traite et au droit de visite, faisait l'objetdes commen-
taires de la presse. On no pouvait donc transporter
plus à propos sur la scène uoe|aventure dont les
héros avaient dû se barbouiller le visage, sous pré-
texte de couleur locale. De là ce titre étrange, et, soit
dit sans jeu de mois, dépourvu de clarté : le Code noir!
Comme on le fit observer, /e Code des noirs aurait
mieux convenu à ce drame, dont la donnée provenait
d'une nouvelle de M"° Reybaud publiée dansia Revue
de Parie, et intitulée l'Epave : c'est ainsi qu'on dési-
gnait » l'esclave qui, n'étant réclamé par aucun
maître, revenait de droit au gouvernement, et pou-
vait être vendu par décision des membres du con-
seil colonial. » Scribe, au reste, n'y avait pas mis
tant de malice ; il lui avait suffi d'exciter « la terreur
et la pitié » dans une action qui, par l'absence d'élé-
jnents gais, détonnait un peu àl'Opéra-Comique et se
serait mieux accommodée d'un Théâtre-Lyrique, s'il
avait existé. Or, à cette époque précisément, on s'en
occupait, et d'une façon très sérieuse, semblait-il.
82 LE NOUTEAU BT l'aïîCIBM RÉPEBTOIHB
Une lettre signée Adolphe Adam, Berlioz, Panseron,
Ambroise Thomas, Leborne, Baiton, Boisselot, El-
warl, Bousquet, Boulanger, Paris et Halévy, le seul
de ces jeunes pétitionnaires qui appartintdéjààl'Ins-
titut, était adressée au ministre de l'intérieur, afin de
hâter ia création d'un théâtre situé boulevard Bonne-
Nouvelle : le second Opéra-Comique ou le troisième
Théâtre-Lyrique, comme on le désignait alors. On
croyait le tenir, tandis qu'il était loin encore, bien
qu'on nommât déjà le futur directeur, M. Roche.
Toute cette belle ardeur devait se ;briser, comme elle
se brisera encore, devant l'inertie ou l'indifférence
administrative. Etait-ce la crainte d'une concurrence
qui redoubla le zèle du directeur de l'Opéra-Comi-
que ? Le fait est, que pour la fin de l'année, nou-
veautés et reprises se succédèrent à intervalles assez
rapprochés.
Le 21 Juillet. — Une bonne fortune {14 repr.), opéra-
comique en un acte d'Alphonse Adam, représenté
pour la première fois le 23 janvier 1834, et composé
en huit jours, noua dit-il dans ses Mémoires. Par
malheur il a négligé de nous indiquer le nom de ses
librettistes, et les historiens n'ont que l'embarras du
choix. Dans son livre sur Adam, M. Pougin désigne
X., Féréol et Edouard ; dans son Dictionnaire lyrique.
Clément se contente de Féréol et Mennechet : X. a
disp&ru I Enân, les affiches portaient Edouai'd
et Second ! Les deux derniers se confondaient-ils
avec les deux premiers sous le masque du pseudo-
nyme?
Le 9 août. — Le Petit Chaperon rouge (1 i représen- '
tatlons), charmant ouvrage dont bien des morceaux
ont gardé longtemps leur popularité, et dont l'histoire
o'est plus à refaire après le livre intéressant de
1842 83
M. Arthur Pougin : Boieldieu et ses otuvTes. Ajoutons
seulement que cette pièce i^ervit au début de Chollet,
lequel parut pour la première foisài'Opéra-Oomique,
dans le rôle de Rodolphe, le 23 mars 1825. Rappelons
en outre que ce vieux conte de Perrault fournit le
texte d'une adaptation anglaise, jouée en cette même
année 1842, à Londres, au théâtre de Surrey, avec la
musique d'une dame, mistress 0' Becket. La gloire
de Boieldieu n'en fut point éclipsée et l'ombre du
compositeur rouennais ne s'en émut guère du haut
des Champs-Elysées, où la flatterie de ses concitoyens
. l'avait placé. On sait en effet qu'il fut de mode, à une
certaine époque, de représenter les grands hommes
dans ce paradis païen. On vit, par exemple. Napoléon
aux Champs-Elysées, BenjaminConstant aux Champs-
Elysées, etc. De même, il exista un Boieldieu aux
Champs-Elysées, tableau- vaudeville en un acte de
Sewrin, joué à Rouen au théâtre des Arts, le 13 no-
vembre 1834. L'auteur de la Dame blanche comptait
désormais parmi les heureux béatiâësl
Le 16 août. — L'Éclair (5 repr.),autreouvragebien
connu, dontla vogue ne s'était guère démentie depuis
le 30 décembre 1835, où il avait été donné pour la
première fois. Conçu à la suite d'un pari, et écrit en
quelques jours, l'Éclair dut, sans doute à cette cir-
constance, d'être privé de chœurs. Leur absence fai-
sant gagner du temps au compositeur, au directeur
et aux interprètes, Halévy se trouva prêt à temps et
gagnal'enjeu. On sait que la partie chorale manque
k bon nombre de pièces en un acte ; pour les œuvres
d'une certaine importance, le fait est plus rare. On
trouverait néanmoins à citer la Servante maîtresse,
Zémire et Azor, les Evénementsimprévue, l'Ombre, plus
tard le Rheingold, la Walkyne et Siegfried, c'est-à-dir«
ni LE NOUVEAU ET l'aNCIEN RÉPERTOIRE
les trois premières parties de la Tétralogie de Wagner.
Ce qu'on sait moinâ, c'est la diversité des titres sous
lesquels la pièce d'Halévy avait été répétée : le Mari
aveugle, le Coup de foudre, la Femme de l'Aveugle,
Leone, et enfin, /'Éclair. Ce qu'on ignore surtout, c'est
la source où les librettistes, de Saint-Georges et de
Piaoard, avaient puisé leur sujet, ou, du moins, l'idée
primitive : dans une vieille farce italienne, tout sim-
plement. Cassandre est oculiste et opère de la cata-
racte Colombine, dont il est amoureux; l'opération
réussit; mais Colombine n'a pas plutôt recouvré la
vue qu'elle se jette au cou du beau Léandre et
tourne le Uos à son sauveur. Ainsi va trop souvent la
reconnaissance !
Le 23 août. — Première représentation d'un acte
intitulé le Conseil des Dix, paroles de Leuven et
Brunswick, musique de Girard. Vu le nom de la
pièce on pouvait s'attendre à quelque mélodrame
bien sombre, où des portes secrètes livreraient pas-
sage à des hommes masqués, où le poison et l'épée
joueraient un rôle, où l'innocence ne triompherait
pas sans lutte. En réalité, il s'agissait d'une iotrigue
des plus légères, tirée d'un vaudeville récent, la
Gueule du lion, et ornée d'uce musique agréable,
mais déouéede toute personnalité. Vingt-quatre repré-
sentations en épuisèrent le succès, et, renonçant dé-
sonuaisà la composition, Girard se contenta de de-
meurer ce qu'il était alors à l'Opéra-Comique et ce
qu'il fut plus tard à l'Opéra, un excellent chef d'or-
chestre.
Le 21 septembre. — Polichinelle [5 repr.), un acte de
Montfort, qu'on reprenait de temps en temps ; mais
il ne faut pas oublier que le compositeur avait
épousé la uièce du directeur Crosnier :on ne pouvait
1842 S5
moins faire que de se rendre service en famille.
A cette même date, on lisait dans un journal de
théâtre la nouvelle suivante : *Jocelyn est en répéti-
tion à rOpéra-Comiq^ue s. Une autre fois, la même
nouvelle reparaissait, confirmée et agrémentée de
piquants détails : « Onrépète à force Jocelyn. Le bruit
se répand que, outre les divers mérites de la parti-
liou, les choeurs sont d'une facture agréable... ils
sortiront de la vieille ornière et contribueront à
l'effet des scènes par une intelligente animation. Cela
se fait depuis longtemps à l'étranger; nous ne conce-
vons pas comment nos théâtres lyriques se sont laissé
arriérer de la sorte, etc. iî./oceiyn,àrOpéra-Comique!
en ltJ42 1 Des indiscrétions de coulisses, mal inter-
prétées, avaient amené ces reportages ; l'action se
passait non pas en Savoie, mais en Normandie ; la
pièce, débaptisée au dernier moment, s'appelait... le
Roi d'Yvetot, et le «Jo3selyn> de Leuven et Bruns-
wick n'avait rien de commun qu'une assonance avec
le Jocelyn de Lamartine.
La première représentation eut lieu le 13 octobre,
un vendredi ! six ans, jour pour jour, après (e Postillon
■de Lonjumeau, donné, lui aussi, le 13 octobre : il
fallait, en vérité, ne pas être superstitieux! Ces
trois actes d'Adolphe Adam, joués 24 fois dans l'an-
née, furent accueillis avec faveur par le public,
et par la presse surtout, qui ne jeta pas de notes dis-
-cordantes dans ce concert d'éloges. On constata, il est
vrai, que les librettistes u avaient pris textuellement
l'idée, l'intrigue, les caractères et la marche d'une
.pièce jouée au théâtre du Palais-Hoyalsous le titrede
Rabelais»; mais le musicien, dont la partition, en
effet, n'était pas sans mérite, ne reçut que des com-
pliments, même de la Gazette musicale, avec laquelle
86 LE NOUVEAU BT l'aNCIEN RÉPERTOItlE
.il n'eutretenait point précisément des relations d'a-
mitié. Aujourd'hui le Boi d'Yoetot n'est plus qu'un
nom : Béranger l'a sauvé de l'oubli. L'opéra-comique
a passé ; c'est la chanson dont on se souvient.
Quinze jours après, le 2 novembre, on donnait pour
la première fols un petit acte intitulé le Kiosque, pa-
roles de Scribe et Paul Duport, musique de Mazas,
un violoniste renommé, qui se faisait entendre dans
les concerts et avait ainsi parcouru l'Europe avec des
fortunes diverses, mais dont le principal titre aujour-
d'hui demeure la composition de ses morceaux pour
violon, de ses Études, principalement, toujours et
justement appréciées. A notre époque, on appelle
volontiers des jeunes les auteurs qui n'ont pas en-
core été joués. A ce titre seul, Mazas était un jeune;
il comptait déjà soixante ans et le Kiosque était son
premier ouvrage dramatique ! La pièce elle-même
semblait à peine moins vieille que lui, car elle avait
passé par les mains de Boieldieu, inspirée par lui,
disent les uns, refusée par lui, disent les autres. De
toute façon elle était demeurée longtemps sans pro-
priétaire et maître. Le point de départ semblait ori-
ginal, puisqu'on voyait un muet, ou du moins un
amoureux se faisant passer pour muet, et traduisant
ses pensées avec le secours et le langage du violon.
11 fallait pour ce rôle des aptitudes spéciales ; elles se
rencontrèrent en la personne d'Emon, un chanteur
dont la voii était médiocre et qui maniait agréable-
ment l'archet. Son succès personnel fut assez grand,
ainsi qu'il le sera toujours, du reste, quand des
acteurs jouent en scène un instrument quelconque,
harpe, guitare ou simple mirliton, comme dans les
Petits Prodiges, de M. Emile Jonas. Malgré tout le
talent d'Emon, malgré la présence d'un quatuor de
1842 8?
femmes, M"" Boulanger, Descot, Darcier, Révilly,
particularité assez rare dans les ouvrages en uu acte,
le Kiosque, appelé d'abord et plus justement le Muet,
disparut au bout de 8 représentations. Découragé
peut-être par ce premier échec, Mazas ne chercha
plus à livrer bataille ; il rentra daos l'ombre et mourut
quelques années plus tard, en 1849.
Trois reprises nous restent à signaler :
Le 11 novembre. — Zampa (18 repr,), dont le prin-
cipal rôle avait toujours été joué par son créateur,
Ohollet, et qui dès lors passa aux mains d'un
nouvel interprète, Masset, avec Ricquier, 8ainle-Foy,
M"" Rossi-Caccia et Prévost, comme principaux par-
tenaires.
Le 18 novembre. — L'Eau merveilleuse, donnée
originairement à la Renaissance en deux actes, le
30 janvier 1839, et, pour son nouveau cadre, réduite
en un acte par les soins de Struntz, l'auteur d'un
Guillaume Tell... aquatique, représenté à la salle
Ventadour en 1835. La pièce de Thomas Sauvage et
Albert Grisar, avait, comme bien on pense, subi de
nombreuses modiâcations, au cours d'un semblable
remaniement. Dans la première version, les person-
nages se nommaient Scaramouche, Tartaglia et
Argentine ; dans la seconde, Scaramouche avait dis-
paru pour faire place à Belloni, et l'on avait imaginé
un rôle de podestat où Sainte-Foy se montra étince-
lant de verve et de gaieté. De la distribution primi-
tive, M"" Anna Thiilon demeurait seule, et c'est
évidemment pom* elle qu'on avait songé à cette re-
prise ; du côté des hommes, Hurlaux et Péréol avaient
été remplacés par Henri et Mocker. Le succès se
traduisit par 19 représentations en six semaines.
Avec la Double Échelle, remontée le 24 novembre &
88 LE KOUVEAO BT l'aNCIBN BÉPBRTOIRB
jouée trois fois, se termine cette révision chronolo-
gique de 1842, dont le bilan sommaire peut se dresser
de la façon suivante :
En 1841, 773,603 fr. 95 c. de recettes, avec 35i re-
présentations.
En 1842, 656,143 fr. 55 c. avec 348 représenta-
tions.
Soit une différence notable, au détriment de la
deuxième année.
rren(e-si;jc pièces avaient paru sur l'affiche, dont
six nouveautés, trois en trois actes, et trois en un
acte, total douze actes ; et douze reprises, cinq en
trois actes et six en un acte, total vingt-et-un actes.
Dans la première catégorie de ces ouvrages, un
seulement avait obtenu un franc succès, 2e Diable à
l'École, et deux avaient reçu un honorable accueil,
le duc d'Olonne et le Roi d'Yvetot; dans la seconde
catégorie, l'Éclair, le Domino noir, Jeannot et Collin
et Zampa méritaient seuls d'être . tirés hors de pair
avec les autres piècett du répertoire courant, Richard
Cœur de Lion, Jean de Paris, etc. Les autres reprises,
comme celle du Concert à la Cour, une Heure de ma-
riage, lee Deux Journées, une Bonne Fortune, le Petit
Cftaperonrouge, n'avaient euqu'uu succès de curiosité.
Pour terminer cette revue d'ensemble, notons trois
représentations extraordinaires : la première, le
25 février, au bénéûce de madame Rossi-Caccia, avec
le Domino noir, un intermède musical, et Michel et
C/iristine; la seconde, le 19 mars, au bénéflce de la
Caisse de secours des auteurs dramatiques, avec la
Sœur de Jocrisse et Japhet ou la Recherche d'un Père,
«t produisant une recette de 4,088 francs ; la troi-
sième, le 22 octobre, au bénéfice de M"" Dorval,-
qui joua le rôle de Phèdre. Le deuxième acte de
1843 89
Richard Cœur de Lion interprété par les artistes de
rOpéra-Comlque, le quatrième acte de la Favorite
par les artistes de l'Opéra, et Passé minuit, par les
artistes du Vaudeville, complétaieot te programme
de ce spectacle, qui rapporta 6,881 francs, la plus
ferle recette de l'aunée.
Quant au mouvemeut du personnel, il fut des plus
restreints. Une seule artiste se retira provisoirement,
M"* Henri Potier, dont le mari était accompagnateur
au théâtre et vit ses fonctions passer entre les
mains, autrement dit, sous les doigts de Garaudé et
Vauthrot. Pour compenser cette perle, on gagnait
Flavio Puig, gui débuta le 13 janvier dans Richard,
puis dans Jean de Paria, mais quitta l'Opéra-Comique
bientôt après ; M'°' Cbarles Mai'tin, de son vrai nom
M"* Charlel, qui ne flt que passer dans le rôle d'Oli-
vier de Jean de Ports; M"° Denaus, une jolie per-
sonne, qui venait du Palais-Royal, où elle avait joué
BOUS le nom de Fanny, et qui parut à son avantage
le 7 mai dans le Chalet. La plus précieuse conquête,
et de beaucoup, fut celle d'Audran, qui chantait
précédemment à Lyon, et qui, le 7 mai, sous les
traits de Georges, de la Dame blanche, débuta très
brillamment ; an chanteur, adroit comédien,' il
devait compter parmi les ûdèles serviteurs de la salle
Pavart.
L'année 1843 s'ouvre par un nouveau succès
d'Auber. La fortune se montrait constante : et, dans
son compte-rendu de (a Reoue et Gazette musicaie,
Henri Blanch'ard pouvait se livrer aux douceurs de
la métaphore en signalant cette partition du maître,
laquelle, disait-il, « ajoute une feuille de plus à la
couronne déjà si touffue qu'il s'est tressée par ses
nombreux ouvrages. « Un autre critique s'exprimait
90 LB NOUVEAU ST l'ancibn hépertoibe
ainsi: « En applaudissant à ses mérites, le public
de ce théâtre coutioiie des relations qu'il ne verrait
cesser qu'avec un extrême chagrin : c'est un hymea
spirituel, a
Ah I qu'en termes galants ces choses-là sont dites I
Le fait est que, représentée pour la première fois
le 16 janvier, la Part du Diable eut ce qu'on appelle
une excellente presse, et ses trois actes furent l'objet
des commentaires les plus flatteurs.
On goûta le poème, en particulier, d'autant mieux
qu'on le connaissait davantage. L'idée première n'en
appartenait pas k Scribe et la donnée ressemblait fort
à celle de Dominique le possédé, comédie eu trois actes
par d'Epagny , jouée au Thé&tre-Françals avant que
son auteur prit la direction de l'Odéon. En outre, la
Part du Diable, répétée d'abord sous le nom de Fari-
nelli, procédait quelque peu d'un vaudeville en deux
actes de Saint-Georges et de Leuven, intitulé pré-
cisément Farinelli et joué au Palais-Royal ; le prin-
cipal rôle, comportant môme une partie musicale,
avait eu alors pour interprète Acbard, dont le fils,
à son tour, devait paraître, en 1868, dans la Part du
Diable.
Somme toute, le livret n'est pas ennuyeux, et l'on
prendrait encore peut-être aujourd'hui quelque plaisir
aux aventures du faux diable et de sou naïf compa-
gnon, ce Rafaël à qui tout réussit et qui ose tout en-
treprendre, fort de l'idée qu'un pouvoir magique le
protège, cet ancêtre à quelques égards de Tartarin
faisant sans crainte l'ascension de la Jungfrau, parce
qu'il croit au fonctionnement d'uue société chargée
de préserver les voyageurs de tout accident. Mais
l'heure présente ne semble pas favorable à une re-
1843 91
prise de cet ouvrage qui s'est maintenu au répertoire
des opéras aliemaiiâs, soit sous son titre exactement
traduit Teufels Antheil, soit sous celui de CaWo
Broschi. La dernière remonte à vingt-quatre ans
déjà : C'était en 1868, et la Part du Diable eut pour in-
terprèles M°" Brunet-Lafleur (Carlo), Belia (Casilda),
MM. Achard déjà nommé (Rafaël), et Gailhard (Fer-
dinand VI), qui depuis lors a changé de sceptre et
gouverné un théâtre au lieu d'un royaume.
,i.za..ï Google
CHAPITRE IV
PREUIER CHANGBHENT' DE DIRBGTION
La Sirène.
Reprises du Déserteur, du Délire, d'Une folie et de
Monsieur Deschalumeaux.
(1843-1 84S).
L'ouvrage de Scribe et d'Auber n'avait guère reo-
coDtré qu'uQ détracteur en la personne de Castil-
Blaze. Mais le motif eu était assez peu honorable, s'il
est vrai que la France musicale, ofi parut sa prose, se
vengeait ainsi de M. Troupenas, éditeur des œuvres
d'Auber, lequel avait cessé de payer 200 francs par
mois audit journal pour les annonces de ses publica-
tions. Ces sortes de marchés n'étaient pas rares, et,
dans les comptes de l'Opéra pour cette époque, on
trouve à l'article dépenses une subvention accordée
à certain journal sous forme de quatre-vingts abonne-
ments ; l'abonnement coûtait 53 francs ; c'était donc
une rente annuelle de 4,160 francs servie par l'admi-
oisiratiou à seule fin d'entendre chanter ses louanges ;
le journal ne coûtait guère plus à son directeur. Bien
plus, le gouvernement iui-môme conseillait parfois
de tels procédés, et les archives de ce théâtre ont
gardé la lettre bien curieuse d'un ministre écrivant
1843 93
au directeur qui s'était plaint de l'hostilité de cer>
taine feuille. Son Excellence reconoaissait qu'il
fallait faire cesser une campagne qui menaçait de
déconsidérer un établissement subventionné par
l'Etat, et une somme de 1,500 francs était mise à sa
disposition pour être distribuée suivant les besoins.
Il faut espérer que les temps sont changés. Si les
journalistes ont plus de désintéressement, ils ont
aussi plus d'amour- propre, et le plus humble d'entre
eux s'épargnerait l'étrange aveu que le même Castil-
Blaze faisait à ses lecteurs le £2 janvier 1843 : « Je
m'honore du titre d'imbécile, et je travaille, môme
à la sourdine, à conquérir le titre d'idiot. • —
« Supprimez à la sourdine.' » répondît uo confrère,
et les adversaires n'allèrent point sur le pré pour si
peu!
La presque unanimité des jugements de la presse
se retrouva pour la pièce qui suivit la Part du Diable,
le 26 janvier, mais en sens inverse : on avait applaudi
l'œuvre nouvelle, ou blâma la reprise de Monsieur
Deschalumeaux, opéra-comique en trois actes, paroles
de Creuzé de Lesser, musique de Gaveaux, joué au
théâtre Feydeau le 17 février 1806, « Vieille pièce et
musique vieille, dirent les plus indulgents. » Solié,
Chenard, Paul, Lesage, Juliet, Baptiste, Fromageat,
M"' Pingenet et M" 8cio avaient imposé au public,
lors de la création, cette espèce de vaudeville, peu
chargé de musique, mais bourré de situations ultra-
bouffonnes qui en font le type des pièces à voyages
plus ou moins accidentés. Leurs successeurs, Mocker,
Ricquier, Mpreau-Saiuti, Grignon, Emon, Daudé,
Palianti, Mi" Prévost et M"* Félii Mélotte jouèrent
cette farce avec une absence de conviction qui ne
pouvait que la rendre fort maussade. A part Mocker,
94 PREHLEn GBANQEUBNT DE DIRECTION
écrivait un critique, tous ont l'air de porter le diable
en terre. • De pareils interprètes assombriraient le
soleil, et Monsieur Desckalumeaux n'a pas même
assez d'huile dans sa lampe pour entretenir une veil-
leuse, n
Puissent tant de plaisanteries
Passer à voire tribunal ;
On doit excuser les folies,
Quand on les fait en Carnaval t
disait le héros de la pièce dans son couplet au public.
La presse, trop sévère, de 1843 répondit que celte
œuvre, soi-disant de carnaval, était de celles aux-
quelles a on ne peut rire sans une alarmante dispo-
sition à la gaieté. » Elle obtint cependant 31 repré-
sentations; mais lorsqu'elle disparut, ce fut défini-
tivement : Monsieur Deschalumeaux, un instant
rappelé à la vie, refit comme dernier voyage celui
du cimelière, et, cette fois bien enterré, il ne revint
plus.
Le 3 février, il en fut de môme, ou à peu prés, des
Deux Bergères, opéra-comique en un acte, paroles de
Planard, musique de M, Ernest Boulanger. Vingt-
et-une représentations mesurèrent l'existence de
cette petite pièce, qui aurait pu s'appeler la Suite
d'un bal masqué, comme la comédie de M"" de Bawr,
à laquelle elle ressemblait d'ailleurs. L'histoire de
ce jeune militaire, intrigué par deux bergères dont
l'une ei^t sa fiancée, l'autre une espiègle amie, four-
nissait la matière d'un agréable quiproquo ; Planard
l'avait traitée avec esprit, M. Boulanger avec grâce
et mesure ; quant au rôle de la marquise, il avait
trouvé une interprète dont le dévouement se devine :
c'était la mère du compositeur !
Signalons, à la date du 27 mars, une reprise du
1»43 95
Postillon de Lonjumeau, ouvrage trop connu pour
arrêter longtemps l'attention du lecteur. Constatons
seulement que le rôle de Chapelou fut et resta,
comme on dit vulgairement, le cheval de bataille de
Chollet. Ce chanteur l'avait créé à l'Opéra-Comique
en 1836, et le jouait encore au Théâtre-Lyrique
en 1853, toujours avec succès, et pvéa de vingt ans
après 1 Rappelons enfin que le Postillon de Lonjumeau
a franchi le Rhin depuis longtemps, et que là-bas,
comme ici, ce joyeux personnage a connu la popu-
larité. Pendant la guerre de 1870, les Allemands
occupèrent Lonjumeau ; la célèbre enseigne, qui por-
tait le litre de la pièce d'Adam, fut décrochée avec
soin, par ordre, et placée par les vainqueurs, comme
butin, parmi les dépouilles opimes qu'ils rapportèrent
en leur pays.
Un larcin d'une autre espèce attendait l'ouvrage en
trois actes que nous rencontrons à l'Opéra-Comique
le 20 avril ; ie Puits d'amour. Scribe et de Leuven en
avaient écrit les paroles, et il ne fallait rien moins
que leur surprenante habileté pour oser présenter au
public un puits, machiné comme une armoire de
féerie, où les amoureux désespérés peuvent piquer
une tête sans se faire de mal, car ils tombent sur des
coussins et se trouvent transportés dans un palais
souterrain que le roi d'Angleterre destine à ses
orgies. Ces fantaisies relèvent aujourd'hui de l'opé-
rette ; mais le compositeur, Balfe, témoignait de
visées plus hautes. C'était un Anglais qui n'avait rien
de la froideur gourmée des gens de son pays ; il au-
rait passé plutôt pour un Méridional, bruyant, redon-
dant, parlant beaucoup, toujours en train de com-
poser, de chanter, d'accompagner, et sa musique lui
ressemblait, tenant le milieu, disait un contem-
96 PRBMIBIt CHAN6EUBNT DE DIRECTION
porain, entre celle de Donizetti et celle d'Adam,
Le Puits d'amour, répété sous le nom de Géraldine,
était soa premier essai thé&tra! en France ; on ne
connaissait guère de lui jusque-là que des romances;
aussi considérait-on volonliers son genre de talent
B comme celui d'un compositeur de salons plutôt
que d'un homme appelé aux succès dramatiques. »
Ce fâcheux pronostic ne l'empêcha pas d'écrire pour
Paris deus opéras-comiques que nous retrouverons
par la suite, et un opéra, l'Étoile de Séoille (17 dé-
cembre 18i5), plus, de nombreux ouvrages pour
l'Angleterre, dont le plus connu et le meilleur est à
coup SÛT The Bohemian Girl {\a fille de Bohême), joué
à Londres, non pas en 1844, comme l'indique le dic-
tionnaire de Clément, mais en 1843,puisàHambourg, ■
sous le Litre de la Gitana, à Vienne sous celui de die
Zigeunerin, à Paris enfin, sous celui de la Bohémienne
et seulement en 1869 au Théâtre-Lyrique. Balfe,
dont la fille, morte en janvier 1871, avait chanté
. jadis, puis épousé, après divorce, le duc de Frias,
Balfe, qu'on connut tour à tour chanteur, directeur,
accompagnateur et compositeur, finit par conquérir
en Europe une sorte de célébrité 1 En revanche, à
Paris, la déveine le poursuivit, et il ne put jouir en
paix du seul succès vraiment populaire 'd'une de ses
mélodies. C'était justement un air du Puits d'amour:
Le temps emporte sur ses ailes
Les chagrins prompts à s'enrulerl
Un plagiaire s'en empara et le répandit plus tard
sous le nom de la Rose des champs ; ce refrain eut
ainsi l'honneur de figurer dans bon nombre de vau-
devilles, et son véritable auteur eut la malchance de
n'en tirer ni gloire ni profit. Le pauvre homme, sans
1843 97
doute, u'avait pas assez pris de précautions pour faire
garantir ses droits : on ne s'avise jamais de tout I
Ainsi parlait Sedaine, ainsi chantait Moûsigny,
dans l'opéra-comique de ce nom qu'ils avaient donne
à la foire Saint-Laurent, le 14 septembre 1761,
L'élonnement fut général de voir reparaître, le
28 avril 1843, celte vieille comédie avec musique nou-
velle de M. Lefèvre, décrétait l'affiche, en réalité de
Génin. Ancien élève de l'Ecole normale, proXe-sseur
â la Faculté des Lettres de Slrasbourg, ce savant
passait pour un homme de grande valeur, mais pour
un médiocre musicien, et il avait fallu la haute in-
tervention d'un ministre, alors tout-puissant. Ville-
main, pour lui ouvrir les portes de la salle Pavart.
Mal lui en prit d'abord, car il ne fut épargné ni de la
presse ni du public. Son petit acte, c'était un recueil
de ponts-neufs, rapprochés et instrumentés tant bien
que mai, c'est-à-dire plutôt mal que bien. En quatre
représentations son sort se trouva définitivement
réglé, et le compositeur-amateur fut renvoyé pour
toujours à ses chères études ; mais il eut soin de se
venger' avaut de partir. La Revue et Gazette musicale
s'était permis d'élever des doutes au sujet de l'érudi-
tion littéraire de Génin ; elle l'avait ridiculisé tant et
si bien que, traduit devant le tribunal pour cause de
diffamation, le directeur Maurice Schlesinger se vit,
après appel devant la cour, condamner à 500 francs
d'amende et 1,000 francs de dommages etiuléiêts.
On ne s'avise jamais de tout avait ainsi rapporté tout
de même des droits d'auteur; seulement c'était un
journal, et non le théâtre, qui les avait payés.
Angélique et Médor, voilà un titre qui sembait an-
noucer des héros de l'Arioste; maïs le librettiste.
Sauvage, avait ajouté : opéra bouffon en un acte, ce
■ i rt' ^
98 PRBHIEII CHANGBUENT DE DIRECTION
qui rassurait le spectateur; il s'agissait en etfetd'une
comédie à poudre, comme on dit au théâtre, et la
scène se passait entre comédiens, dans le cabinet du
régisseur de l'Opéra. M. Ambroise Thomas avait écrit
la musique de cette petite pièce, jouée le 10 mai,
bien oubliée depuis, et tenant peu de place en somme
dans l'œuvre de son auteur. Elle obtint 2J représen-
tations, ce qui équivalait à un succès d'estime.
Une reprise vint interrompre la série des nouveau-,
tés : c'étail un hommage que l'on voulait rendre à un
compositeur dont la personne et le talent étaient éga-
lement dignes de respecr, un maître k qui le succès
plus que la fortune avait souri, Berton, alors vieux
et dans une position voisine de la gêne. Son chef-
d'œuvre, Montana et Stéphanie (15 avril 1799) , lui avait
été acheté par un marchand de papier, nommé Des-
lauriers, et payé de la façon suivante : en argent
comptant. 300 francs ; en un billet de Berton à Des-
lauriers échu depuis longtemps, 155 francs; et en
partitions de musique à prendre au choix dans le
fonds appartenant audit Deslauriers, » pour la somme
et jusqu'à concurrence de 545 francs avec la déduc-
tion du quart du prix marqué net. — Total 1,000 friincs.B
Ainsi se traitaient les affaires musicales à la fin du
siècle dernier, et l'on conçoit qu'elles n'enrichissaient
qu'une des deux parties au contrat ; mais Berton
était de ceux contre qui la malchance s'acharne. Oe
qui s'était reproduit pour un ouvrage se reproduisit
pour les autres, avec une variante, il est vrai, mais
toujours aussi défavorable ans intérêts matériels du
compositeur. C'est Adolphe Adam qui, dans ses
Derniers Souvenirs d'un Musicien, a raconté cette na-
vrante histoire.
€ Vers 1820, Berton, voyant son répertoire presque
1843 9»
délaissé et se trouvaDt pressé par un besoin d'argent,
en abandonna le produit à perpétuité aux sociétaires
de rOpéra-Comique, moyennant une rente viagère
de 3,000 francs. On vit alors ce répertoire se rajeunir
et ne plus cesser de figurer sur l'affiche. Mais Ja So-
ciété ât faillite en 18^8; la rente fut anéantie et le
répertoire du pauvre musicien avait été tellement
usé par les sociétaires qu'il n'était plus exploi-
table. >
Les années passèrent, laissant ainsi dans l'ombre
cet artiste que ses contemporains qualifiaient d'il-
lustre, et qui se débattait contre la misère. Sans
cesse on parlait de reprendre un de ses grands ou-
vrages, A Une ou Montana et Stéphanie. 1o\itea cesbelles
promesses aboutirent péniblement, le 56 mai, à une
reprise du Délire ou les Suites d'une erreur, opéra-
comique en un acte. C'était moins une pièce, au sens
ordinaire du mot, qu'une sorte de monologue entre-
coupé par des conversations. Le librettiste, Reveroni
Saint-Cyr, avait eu jadis grand'peine à la faire rece-
voir ; six fois de suite il dut subir un refus; il fallut
pour l'emporter que Gavaudan, en vue duquel le rôle
avait été écrit, se fâchât, déclarant qu'il quitterait le
théâtre pi l'on ne jouait le Délire. — « Efa bien, joue-le
donc et sois sifflé », lui répondirent ses camarades. Il
le joua enfin le 6 décembre 1799, et obtint un succès
colossal, un succès tout à fait en harmonie avec le
titre-de la pièce. Il n'en fut pas de même lors de la
reprise de 1843, bien que la répétition générale eût
valu à Berton une touchante manifestation de sym-
pathie. Malgré le talent de Duvernoy, un artiste intel-
ligent et consciencieux, qui rentrait à L'Opéra-
Comique après une assez longue absence, le Délire
fut joué non pas cinq ou six fois, comme le dit
100 PKEUIER CHjLNaEUENT DE DIRECTION
Adolphe Adam, mais tout simplement quatre. L'échec
était complet el dut cootribuer encore à hâter la fin
du pauvre Bertoo, gui mourut l'année suivante; il
n'avait pas eu la consolation suprême d'un dernier
succès.
A part cette triste reprise, l'histoire du théâtre, de-
puis mai jusqu'à septenibre, se borne à ce qu'on peut
appeler le mouvement du personnel, c'est-à-dire les
entrées et sorties des artistes. Au commencement de
l'année, rOpéra-Comique avait fait trois bonnes re-
crues : M"' Masson (élève de Duprez), qui débuta le
22 janvier dans Camille de Zampa, comédienne mé-
diocre, mais chanteuse à la voix étendue ; M. Renault,
qui débuta le i" février dans Gaveston de la Dame
Blanche, basse chantante venue de province et favo-
rablement accueillie ; enfin et surtout. M'" Lavoye,
qui débuta le 7 avril, dans Henriette de l'Ambas-
sadrice. Elève de M"' Damoreau et de Morin au
Conservatoire, où elle avait obtenu le premier prix
d'opéra-comique en 1842, M"" Lavoye manquait un
peu de force et d'éclat, mais elle rachetait ce défaut
par le goût et la pureté de sou style ; presque tout de
suite les rôles les plus difficiles lui furent confiés; à
la fin de l'année elle jouait Carlo Broschi de la Part
du Diable et Angèle du Domino noir; désormais [elle
comptait parmi les premiers et les plus zélés servi-
teurs de la maison.
Puis noua rencontrons une série de nouveaux ar-
tistes, dont la plupart ont laissé peu de trace et
parfois même n'ont joué qu'un soir, celui de leur
début :
13 mai, M, Deslandes {Florestan de Richard Cœur
de Lion), qui reparaissait sur le théâtre auquel W avait
appartenu.
1»43 101
26 mai, M. Duvernoy (Murville, du Délire), qui,
.lui aussi, revenait à l'Opéra-Comique après l'avoir
guittô pour être directeur de théâtre à Gaud et en
Italie.
10 juin, M. Dunan (Max du Cfta/ei). débutant qui
faisait ses premiers pas sur la scène et obtint, comme
basse chantante, un succès honorable.
12 juin. M"" Malivert (Jenny de la Dame Blanche),
jolie femme venue de province, où elle ne tarda pas
à retourner.
22 juillet, M. Carlo {Georges de la Dame Blanche),
qui, en sortant du Conservatoire, où il avait obtenu
en 1840 le 2' prix d'opéra-comique, avait débuté à
l'Opéra, et quitté ensuite Paris pour la province sans
succès nulle part.
7 août, M"" Petipa (Isabelle du Pré aux Clercs),
sœur du célèbre danseur de l'Opéra, agréable canta-
trice, mais comédienne inexpérimentée, qui n'avait
jusque-là chanté que dans les concerts.
18 août, M"° Recio (Charlotte de l'Ambassadrice),
transfuge de l'Opéra, où elle n'avait pas réussi,
échouée à rOpéra-Comique, où elle ne réussit pas
26 août, M'i* Sarah (Isabelle du Pi-é aux Clercs),
qu'il ne faut pas confondre avec la sœur de Rachel,
Sarah Félix, qui avait obtenu le second prix d'opéra
■au Conservatoire en 1842. Cette autre Sarah, qui
avait paru dans les rôles secondaires à l'Opéra, se
trouva mieux à sa place à i'Opéra-Comique, où elle
se montra du moins satisfaisante.
Jusqu'à la an de l'année nous ne trouvons plus que
trois débutants ; M. Corradi, qui parait le 6 novembre
dans Prontio du Nouveau Seigneur, chanteur venu
: de l'étranger et pour qui cette soirée demeura saas
6.
102 PKEUIER CHÀNaBUBNT DE DI&BCTION
lendemain; puis deux lauréats du Conservatoire : le
25 septembre. M"' Zévaco ^Jeony de la Dame Blanche),
élève de M"" Damoreau et de Morin, qui avait obtenu
un accessit de chant et un accessit d'opéra-comique
au concours de 1843 ; le 6 décembre, M. Giraud {Ho-
race du Domino noir), qui avait obtenu le second prix
d'opéra-comique au concours de 1842.
A côté de ces nouveaux qui venaient, on peut citer
une ancienne qui revenait ; M"" Casimir, gui reprit
le rôle d'Isabelle du Pré aux Clercs le 1 1 octobre,
et se fixa pour quelque temps sur cette scène, d'où le
caprice et la fantaisie l'avaient trop souvent éloignée.
Ce retour et celui de M"* Henri Potier dans Babet du
Nouveau Seigneur, le 6 novembre, faisaient une sorte
de compensation au départ de trois artistes qui
comptaient de beaux états de services, M"" Descot,
Couderc et M"* Rosai-Caccia, Les deux premiers ac-
ceptaient des engagements en province; Couderc
d'ailleurs devait bientôt rentrer au bercail; quanta
M"' Rossi Caccia, elle parut pour la dernière fois
dans Carlo Broschi de la Part du Diable, le 31 août,
et partit pour le Portugal. Plus tard, beaucoup plu»
tard, dans une petite ville de Normandie, nu de no»
amis rencontra une madame Rossi-Caccia qui tenait
une auberge I C'était bien ta cantatrice jadis brillante
et fêtée, qui avaîc gagné tant d'argent, recueilli tant
d'applaudissements et attaché son nom à quelques-
uns des grands rôles du répertoire de l'Opéra-Co-
mique. Quelles tristes aventures supposait une telle
fln? Etait-ce renoncement volontaire ou retraite
forcée ? Nous n'avons pu le savoir.
Déjàl'aonée 1843 touchait à saûn, et troisouvrages
nouveaux allaient être représentés presque à un mois
d'intervalle : Lambert Simnel, le 14 septembre ; Mina
1S43 t03
ou le Ménage à trois, le 10 octobre, et l'Esclave du
Camoëna, le 1" décembre.
Lambert Simnel, longtemps retardé pour cause
d'indispositions d'artistes comme aussi de retouches
au poème, car le troisième acte notamment fut refait
jusqu'à trois fois, avait pour librettistes Scribe et Mé-
lesville, qui se souvenaieot peut-être d'un Lambert
Simnel ou le Mannequin politique, écrit par Picard et
Mazères, et joué avec succès au Théâtre-Français le
36 mars 1827. Quant à la partition composée par feu
Monpou, elle avait été achevée par Adolphe Adam.
La mort d'un auteur porte le plus souvent un coup
fatal à la pièce qu'il laisse en portefeuille. Si l'ou-
vrage est termiaé, il n'en manque pas moins aux ré-
pétitions le coup d'œil du maître et ce travail de la
dernière heure qui tant de fois a donné aux œuvres
leur véritable physionomie; s'il est complété par une
main étrangère, il en résulte un faire différent qui
nuit à l'effet de l'ensemble et déroute le spectateur.
Dans le premier cas, Œdipe à Colone et l'Africaine,
dans le second /es Contes d'Hoffmann, sont presque les
seuls ouvrages lyriques posthumes dignes d'être citéS
comme exceptions à cette règle. Au contraire, Z-am-
bert Simnel eut le sort habituel, dix-huit représenta-
tions seulement. 11 faut avouer d'ailleurs que le livret
semblait peu convenir à la musique. Ce boulanger-
pâtissier qui devient général, prend les armes, et,
servipar la victoire, se fait proclamer roi, jusqu'au
jour où de lui-même il abdique entre les mains du
vrai prétendant, fait punir les factieux qui l'avaient
poussé au pouvoir et retourne à ses galettes afin d'é-
pouser l'humble Catherine, sa fiancée, ce Lambert
Simnel en un mot, dont on retrouve les aventures
dans l'histoire d'Angleterre, est un triste héros d'o-
104 PREUIEIt CHilNaBUBNT DE DIRECTION
:péra-comique, et Monpou, doublé même d'Adam,
n'avait pas réussi à égayer la situation. Aussi les
comptes rendus furent-ils généralement sévères; la
presse, qui n'avait guère épargné Monpou lorsqu'il
vivait, ne le ménagea pas davantage après sa mort.
11 Ce n'était pas un homme de science, affirmait l'un;
il avait quelque fraîcheur dans l'imagination, un cer-
tain goût, de l'esprit dans ses compositions, mais ces
dernières étaient plus selon la convenance dessalons
que selon l'exigence de la scène. » C'est, écrivait
l'autre, «une partition dont il n'y a à dire, ni bien
ni mal, et faite pour maintenir notre jeune école
dans l'honnôte médiocrité d'où elle semble prendre
à tâche de ne pas sortir. Tout cela est convenable
et assez bien confectionné pour une postérité de six
mois. »
Seul, le bon Théophile Gautier se plut à plaider
les circonstances atténuantes, en parlant à côté de la
.question, comme il lui arrivait souvent de le faire
sur le terrain de la musique, où il avouait lui-même
ne pas marcher avec solidité. Il se souvint du défunt
et le fit revivre en quelques traita de plume : « Pen-
dant longtemps, M. Monpou, de môme que tous les
poètes dont il traduisait les vers (Hugo, Musset, etc.).
fut regardé par les bourgeois électeurs et éligibles
comme un écervelé, comme un furieux qu'on avait
ort de laisser chanter sans muselière. Quand il s'as-
seyait au piano, l'œil en feu, la moustache hérissée,
il se formait autour de lui un cercle de respectueuse
terreur; aux premiers vers de l'Andalouse, les mères
envoyaient coucher leurs filles et plongeaient dans
leurs bouquets, d'un air de modeste embarras, leur
nez nuancé des roses de la pudeur. > Ailleurs il jou-
tait : «Nous ne sommes pas de ceux qui attendent
1843 105
qu'un homme soit mort pour lui donner du géaie :
les admirations posthumes nous touchent peu... »
Nobles et justes paroles, toujours bonnes à rappeler à
tant de critiques pour lesquels, hélas! l'artiste ne
compte que le jour où il n'est plus.
Du moins la presse et le public se rencontrèrent-
ils pour louer comme il convenait Mina ou le Ménage
à. trois, opéra-comique en trois actes, paroles de
Planard, musique d'Ambroise Thomas. «Voici, écri-
vait un journaliste, sévère habituellement, voici une
pièce dans le véritable genre du théâtre où elle a été
donnée, un opéra-comique pur sang, qui, indépen-
damment de son Laruette, de son Lesage, de son
comique obligé enfla, offre aussi des personnages qui
excitent la gaieté, le rire, mais le rire des honnêtes
gens, comme dit Molière dans ses Préfaces, pour dire
le rire des gens de goût. » Tous ses confrères s'expri-
maient à peu près sur le même ton, sauf peut-être
Chartes Maurice, qui ne semblait pas compter, parmi
les amis du compositeur ; en revanche, il trouvait da
piquantet de l'originalité à ce livret, qui, sans la pru-
dence de l'auteur, aurait facilement revêtu des cou-
leurs sombres puisqu'on y voyait la trahison d'un
séducteur marié, ourdissant une intrigue afin d'avoir
une jeune fllle, Mina, qu'un homme honnête finit par
arracher au danger. 11 est certain que les spectateurs
prirent goût à la pièce, très agréablement interpré-
tée d'ailleurs; les chiffres le prouvent : elle resta
trois années au répertoire, et tut jouée 28 fois en
1843, 21 en 1844 et 7 en 1845.
La représentation de Mina avait eu lieu le 10 octo-
bre; 23 jours après, on reprenait ^e Déserteur, et tout
d'abord la critique ne manqua pas de discuter si
l'on avait eu raison ou tort de réorcbeslrer le vieil et
106 PRBtlIBR CHANGEUBNT DE DtRECTIOK
toujours charmant op6ra-coinique deMonsiguyet s'il
était iien ou mal de faire chanter par un ténor,
Roger, le rôle d'Alexis, écrit primitivement pour une
basse. En tout cas, le roi Louis-Philippe pouvait se
compter parmi les coupables, car il aimait fort ce ta-
bleau musical, et c'est sur son ordre formel qu'Adol-
phe Adam avait dû en opérer le rentoilage. 11 est
même piquant de rappeler que l'ouvrage avait été
dédié à son père par Monsigny, maître d'hôtel du duc
d'Orléans ! Aussi la primeur de cette reprise fut-elle
offerte à la Cour, dans le château de Salnt-Cloud, le
28 octobre ; pour cette fois, on était revenu aux usages
du siècle précédent, alors que très souvent la première
représentation d'un ouvrage se donnait à Versailles,
devant le roi, avant de se donner à Paris, devant le
public. Arrangé ou non, le Déserteur est demeuré, du
reste, une œuvre accomplie eu son genre, et l'on ne
saurait relire sans étonnement celte épigramme,
parue quelques jours après son apparition :
D'avoir haatê la comédie
[In péaitent, eu bon chrâtieo.
S'accusait et promettait bien
De D'y retourner de sa vie.
— Voyons, lui dit le confesseur.
C'est le plaisir qui fait l'offense :
Que donuait-on? — Le Déserteur.
— Vous le lirei par pêuitence.
Les Mémoires secrets contiennent une appréciation
presque aussi flatteuse : « Le drame eu question, ou-
vrage à prétentions et à très grandes prétentions, n'a
même pas eu les suffrages de ces spectateurs indul-
gents ou d'un goût peu difBcile, qui trouvent tout bon
1843 107
oa du moins se laissent aisément prâveoir par le nom
de l'auteur, n
Le public de 1843 se montra plus enthousiaste
que celui de 1769 ; il applaudit à celle reprise
comme il avait applaudi à celle de Richard Cœur
de Lion, et ne ménagea point les complimeats
aux interprètes, Roger et M°" Anna Tbillon en tête ;
des témoins nous ont raconté même que le duo de
Montauciel et du grand cousin, au second acte, fu!
chanté alors par Mocker et Sainte-Foy comme il ne
le aéra sans doute jamais, et comme il ne l'avait
même peut-être jamais été. Depuis, le Déserteur s'est
maintenu au répertoire, et il y figurait encore deux
années avant l'incendie de la salle Favart, plus d'un
siècle après que ses juges de la première heure
l'avaient coodamné!
Moins heureuse fut, le 20 novembre, la reprise d'un
autre ouvrage plus jeune que le Déserteur mais signé
aussi d'un nom illustre. Le talent de Chollet, d'Au-
drao, d'Henri, de Ricquier, de Sainte-Poy et de
M"* Révilly ne put faire agréer longtemps une Folie,
opéra-comique eu deux actes, paroles de Bouilly,
musique de Méhul, représenté pour la première fois
le 5 avril 1802. Mais le récent ouvrage de M. Arthur
Pougiu sur Méhul et ses œuvres nous dispense de
longs détails sur cette matière. L'auteur est de ceux
qui, lorsqu'ils s'attaquent à un sujet, ne laissent rien
à glaner après eux, et c'est presque unebonne fortune
de pouvoir signaler une petite omission dans un livre
d'ailleurs si complet. M. Arthur Pougin parait croire
que la reprise d'une Folie en 184o fut la dernière ; il
oublie celle de 1874, qui eut lieu à la Gaité avec
Montaubry (Florival), Habay (Carlin), Grivot (Jacqui-
net), Courcelles (Cerberti), J. Paul (Francisque) et
108 PRBUtEtt CBANGEUBNT DE DIHECTIOK
M" Perret (Annantine), Offenbach étant alois direc-
teur.
L'aunée 1843 se termine avec un opéra-comique en
un acte de Saint-Georges pour les paroles etdeFlotow
pour la musique, l'Esclave du Camoëns, qui, la veille
encore de la première représentation donnée le
1" décembre, se répétait sous le titre de Griselda.
C'était le début à lOpéra-Comique de l'auteur de
Martha; car par une singulière erreur, Fétis indique,
comme jouée à l'Opéra-Comique en 1840, une pièce,
le Forestier, qui ne vit le jour à Vienne que sept ans
plus tard.
Etrange coïncidence, le poète des Lueiades figurait
presque en même temps dans trois théâtres et dans
trois pièces différentes : à l'Opéia, on jouait Dom
Sébastien de Donizetti, où Camoëns était personnifié
par Barroilhet ; à l'Opéra-Comique, l'ouvrage de Plo-
tow où Oamoëns avait GrarJ pour interprète; à
rodéon, un Camoëns de Perrot et Dumesnil; il avait
suffi d'un hasard pour mettre le Portugal à la mode.
C'était dans une tragédie de Paul Poucher que de
8aint>Georges avait puisé les éléments de son opéra-
comique. On y voit Camoëns proscrit et mourant de
faim, réduitàvivre desaumôuesqu'uaejeune esclave,
ramenéede l'Inde par lui.recueille en chantant le soir
dans les rues de Lisbonne. Le roi de Portugal s'é-
prend de la belle Indienne, la suit jusque dans la po-
sada où s'était réfugié Camoëns, provoque le grand
poète, puis, dans un élan de générosité, lui rend à la
fois sa maltresse et sa liberté. Dans son compte-rendu.
Th. Gautier ajoutait que l'idée de ce livret aurait pu
aisément fournir trois actes. C'est là sans doute ce
qui décida plus tard de Saint-Georges à en tirer
quatre. La version nouvelle de i'EscIaie du Camoëns
1844 109
prit nom Aima l'incantatrice, et, sous la direction
Escudier, parut au Théâtre-Italien le 9 avril 1878,
avec M""' Albani et Sanz, MM. Nouvelll, Verger et
Ramini pour interprètes. Eu uq acte la pièce avait
réussi; en quatre, elle lombapourne plus se relever.
Les premières semaines de l'année 1844 se passé*
rent sans incidents dignes de remarque, car on ne
peut compter comme tel le tumulte produit certain
soir par un changement de spectacle : on donna les
Deux voleurs au lieu de Mina, pour cause d'indispo-
sition de M'"Darcier, et des protestations sérieuses se
ûrent entendre dans le public. En somme, les mécon-
tents avaient tort, puisque l'affiche annonçait la subs-
titution d'une pièce à l'autre. Mais àl'Opéra, quelque
temps auparavant, un fait analogue s'était produit, et
les choses allèrent plus loin, c'est-à-dire, devant le
tribunal. Un spectateur se plaignait, en efTet, que
Marié eût remplacé Duprez dans un ouvrage du réper-
toire, et il fit à l'administration un procès... que natu-
rellement il perdit. Pareil sort était réservé au dilet-
tante qui prolestait contre les coupures faites dans un
opéra et réclamait l'intégrité du texte. De tels scru-
pulesl'honoraieut sans doute, mais les jugeslui doD-
Dèrent tort et signèrent du même coup pour les direc-
teurs le droit au tripatouillage sans contrôle, sans
autre règle que leur fantaisie.
Mentionnons encore en ce mois de janvier la réus-
site des bals costumés, réorganisés l'année précé-
dente, aiin d'avoir le plaisir de citer la réclame sui-
vante, qui fit le tour de la presse et devait émaner de
l'administration : » Les bals masqués de l'Opéra-
Comique obtiennent beaucoup de succès et fournis-
sent un lendemain toujours agréable et commode,
«ouvent obligé, à certaines aventures très communes
110 PREMIER CHAHQBUENT DB DIRECTION
en cette saison. > Si obscure que semble la formule,
il est clair qu'elle n'avait rien de commun avec la
morale en action. Mais la censure ne s'en alarma pas
et réserva toutes ses pudeurs, c'est-à-diie toutes ses
sévérités, pour Caglioslro, opéra-comique en trois
actes, paroles de Scribe et de Saint-Georges, musique
d'Adolphe Adam, représenté le 10 février. An lever du
rideau, la scène représentait un salon de Versailles,
vers 1780, dans lequel les dames faisaient de la
tapisserie, en compagniedes seigneursqui dévidaient
des écheveaux de soie et... d'un abbé qui brodait. A
la seconde représentation l'abbé dut disiinraUre,
moins heureux que beaucoup de ses collègues tolérés
jusqu'alors au théâtre. La suppression du peisonnage
ne changea pas du reste le sort de la pièce, que tout
le mérite de Ghollet et de M"* Anna Thilloii ne put
imposer bien longtemps au public. Caglioslro ne
compte guère parmi les bons ouvrages d'Adam ; il
eut le succès qu'il méritait, trente-quatre représen-
tations la première année et une seule l'année sui-
vante.
L'issue de cette bataille n'empêcha pas le compo-
siteur d'être nommé quelques mois plus tard, le 33
juin, membre de l'Institut en remplacement de Ber-
ton. Il obtint, au premier tour de scrutin, 17 voix
contre 9 données à Gatton et 4 à un autre concurrent
bien jeune pour se présenter, mais à qui ses succès
déjà nombreux assuiaient en effet quelques chances,
Ambroise Thomas, âgé alors de trente-trois ans.
Trente-quatre ans plus tard, un autre jeune se pré-
sentait à l'Institut et était élu ; il n'avait que trente-
six ans : c'était Jules Massenet.
Dans ses Derniers Souvenirs, Adolphe Adam a rap-
porté un trait qui prouve en quelle estime le tenait
1844 111
celui qu'il devait remplacer. Il s'était présenté h
l'élection de 1842 pour succéder à Chérubin!, et Ber-
ton comptait à ce point sur sa réussite qu'il s'était
invité à diner le lendemain chez son protégé, afin de
célébrer la victoire. Onslow fut nommé. « Mon père,
raconte l'auteur du C/ia(e(, était venu m'annoncer ma
défaite, et j'avais piig mon parti très gaiement; mais
j'eus le cœur navré quand je vis entrer le pauvre
Berton, donnant le bras à mon père, qu'il avait ren-
contré dans l'escalier... Les deux vieillards se jetè-
rent à mon cou et me tinrent étroitement embrassé :
« Mon pauvre enfant, me dit Berton, je voulais vous
» avoir pour confrère ; je ne pourrai plus vous avoir
o que comme successeur!» Un anaprès, sa prédiction
était accomplie et, si quelque chose pouvait empoi-
sonner la joied'avoir mon père pour témoin de l'hon-
neur qui m'était conféré, c'était le chagrin de ne
l'avoir obtenu qu'aux dépens de la vie de l'homme
excellent et célèbre dont je viens d'essayer d'esquisser
quelques traits. » Il est singulier toutefois que, dan»
ce récit, Adam ait ainsi avancé de deux ans la mort
de son vieil ami, car il ajoute en toutes lettres :
■ Berton mourut au mois d'avril 1842, » Or, il mou-
rut le 22 avril 1844. Ce qui prouve qu'on peut être
comme Adam un homme d'esprit, voire même un
homme de cœur, et ignorer l'art de vérifier les
dates 1
Signalons, le 28 février, la première représentation
d'une pièce en un acte, paroles de Scribe et Dupin,
mut-ique de Thys, Oreste et Pylade. Le titre seul était
antique, car la donnée en avait été fournie par un
vaudeville de Scribe, les Inséparables, joué au Gym-
nase eii 1825. L'adaptation nouvelle ne fil pas plus
d'honneur aux librettistes qu'au musicien, prix de
112 PRBUIBR CHANQBMBNT DE DIABCTIOM
Rome en 1833, et dont on connaissait déjà un acte à
rOpéra-Comique, Aîda (1835), et un acte àla Renais-
flance, le Roi Margot (1839). Un acte, toujours un
acte! Par la suite, il écrivit d'autres ouvrages encore,
mais soit fatalité, soit volonté, il s'en tint modeste-
ment à cette humble mesure. On lui avait reproché
d' «étaler sa science» : c'est un mal passager qui
frappe les débutants, et dont le temps les guérit avec
le succès ; on lui reprocha aussi de manquer d' « in-
vention mélodique », autrement dit d'originalité dans
les idées : c'est un n<al incurable quimë ne aux échecs
d'abord, à l'indifCérence [du public, et floalement à
l'oubli.
Tel n'était pas le cas d'Auber, dont l'année 1844 vit
encore, comme l'année 1843. un grand et durable
succès. La Sirène, opéra-comique eu trois actes, pa-
roles de Scribe, fut représentée le 26 mars, et le
35 janvier 1846 elle atteignait le chiUre, toujours rare
alors, de cent représentations. Quarante-huit fois
on l'avait jouée sans lever de rideau, ce qui cons-
tituait une dérogation aui usages et témoignait d'un
grand pouvoir d'attraction sur le public. L'œuvre est
assez connue pour ne point mériter de longs dévelop-
pements, car la dernière reprise date du 2ti janvier
1887. Tout au plus voulons-nous faire remarquer
combien alors, dans les opéras-comiques, le poème
dépassait en importance la partition. On s'étonne
aiijourd'hui de cette facilité de production qui per-
mettait à des compositeurs comme Auber, Adam,
Halévy et Ambroise Thomas (c'étaient les quatre
grands fournisseurs de l'époque], de servir au théâtre
la rente annuelle d'un ouvrage; mais il faut recon-
naître aussi que la part réservée à la musique de-
meurait assez restreinte. La moindre opérette de nos
1844 113
jours contient plus de vingt morceaux; la Sirène en
contient treize, dont trnia seulement au premier acte.
Le librettiste, maître de la situation, étalait sa prose
avec complaisance, et semblait faire à son collabora-
teur l'aumône d'une petite place. Il fallait aussi se
contenter de la poésie telle qu'on vous la donnait, et
chacuD sait que sur ce point Scribe est resté sans ri-
val ; on a pu l'imiter, mais non pas l'égaler. Par lui,
grands et petits étaient traités pareillement, et Àuber
devait accepter les vers de la Sirène, où tant de per-
les se rencontrent, depuis l'exclamation naïve de
l'imprésario Bolbaya :
Espérance nouvelle I
Ce mjslère ambigu,
En nous emparaot d'elle.
Peut nous êlre connu !
jusqu'à l'appel du môme Bclbaya à
La nymphe trop craintiïe.
Qui, fitôt qu'oD arrive.
Disparaît fugitive,
A travers les buissons
moyen piquant sans aucun doute d'échapper aux re
cherches indiscrètes, La musique d' Auber effaçait ces
taches, ou du moins les dissimulait.
Aujourd'hui les poêles et les compositeurs font
mieux; ce sont eux qui le disent; mieux vaut les
croire sur parole que de s'attirer leur pitié en les
contredisant.
A la Sirène succéda toute une série de pièces la
plupart ignorées aujourd'hui et victimes, sauf une
seule, de l'indifférence du public : le Bai du Sous-
Préfet, les Quatre Fils Ai/mon, les deux GentilskommeSf
la Sainte-Cécile, le Mousquetaire,
UjL.:a..ïG00gle
114 PREUER CHilNGEMENT DE DIBECTION
Le premier de ces ouvrages, répété d'abord sous ce
titre : le Jabot, fut représenté le 8 mai 1844. Les
librettistes, Paul Duport et Saint -Hilaire, avaient
imaginé une intrigue dont la trame légère convenait
plutôt à un vaudeville qu'à cet opéra-comique en un
acte : l'action se passait en France et t de nos
jours B, comme on dit dans l'argot théâtral, fait assez
rare dans le répertoire de la salle Pavart pour cons-
tituer une sorte d'originalité ; on y voyait un vieux
rentier se rendant en province pour chercher femme,
contrefaisant le sourd aân de mieux découvrir le
caractère des demoiselles qui lui sont présentées, ce-
pendant revenant bredouille après une suite d'aven-
tures propres à le guérir de ses fantaisies matrimo-
niales. Ce fut le début et, il faut ajouter, l'œuvre
unique d'un compositeur nommé Boilly, fils d'un
peintre célèbre. Elève de Boieldieu et de Fétis, prix
de Rome en 1823, le malheureux jeane homme avait
donc attendu vingt et un ans l'honneur de soumettre
au public une partition convenablement écrite, mais
assez pauvre d'inspiration, un honnête travail d'é-
colier. L'issue de cette épreuve le fit rentrer dans
l'ombre et méditer désormais sur le néant des ré-
cQmpenses officielles.
Le Bal du Sous-Préfet céda la place aux Quatre fils
Aymon, de Balfe, qui firent triste figure aux feux de
la rampe; ces nobles chevaliers n'avaient rien de
musical, surtout si on se les représente comme Théo-
phile Gautier « en rang d'oignons, revêtus d'un cos-
tume qui tient le milieu entre le troubadour et le
sapeur-pompier, montés sur quatre chevaux qui
lèvent simultanément la jambe gauche de devant et
la jam,be droite de derrière avec une régularité de
perspective tout à fait agréable à l'œil. » Mais, pour
18U IIS
combiner leurs trois actes, de Leuven et Brunswick
ne gardèrent des héros légendaires que le nom, et
ils ioTentèreot une fable dont le point de départ n'est
point sans analogie avec une ancienne pièce, le Tri-
sar supposé, d'Hoffman et MéhuI, et une comédie,
plus récente et célèbre, le Testament de César Girodot.
It s'agit d'interpréter les volontés dernières d'un père
qui a. laissé pour toute fortune de bons conseils, etoa
devine que les choses ne s'arrangeraient point aisé-
ment ai quatre jeunes filles riches ne se rencontraient
alors pour faire cesser leur désappointement et oCTrir
aux quatre jeunes gens une agréable compensation.
Appelée d'abord le Baron de Beaumanoir, la pièce fut
représentée le ISjuillet et bien jouée par M""Darcier,
Chollet, Mocker, Sainte-Foy, plus un débutant re-
marquable, Hermann-Léon. qui, sous les traits du
vieilintendant Yvon, fit applaudir un jeu intelligent
joint à une voix agréable, juste et bien posée. Par une
coïncidence bizarre, le rôle d'un des quatre fils Ay-
moD était confié à un acteur qui s'appelait Emon.
Cette homonymie ne pouvait passer inaperçue, et,
comme l'artiste n'avait en somme qu'un médiocre la-
lent, il arriva qu'un spectateur fit rire toutle parterre
en disant, assez haut pour être entendu : • Est-ce
que ce monsieur a trois frères, montant tous en-
semble le même cheval? Dans ce cas je me sauve,
car j'en ai trop d'avoir vu cetui-lâ et je crains les
autres. >• L'opinion de ce spectateur était partagée du
reste par quelques auteurs dramatiques; car on ra-
conte que deux d'entre eux, ayant été sollicités de
donner à Emon un rôle dans leur pièce, répon-
dirent : « Nous refusons tout net
Emon qu'on nous conseille et non pas qu'on nous loue. »
116 PREUma CHANGBUBNT DS DIRECTION
En son temps, le mot fit fortune. Quant aux Quatre
Fils Aymon, ils ne rlussirent guère plus que le Puits
d'Amour, la précédente œuvre du même composi-
teur.
Les Deux Gentilshommes eurent au contraire une
heureuse destinée. C'est un petit ouvrage en un acte,
dont de Planard avait écrit le livret et dont la mince
trame pouvait convenir à ce qu'on appelait alors de la
musique « rétrospective s, autrement dit : un pastiche.
Le compositeur, Justin Cadaux, n'était pas connu à
Paris; mais il l'était à Toulouse en Toulousain, où
l'on avait joué de lui deux opéras, ^s:e2 et la Chasse
saxonne. Dans cette même ville, et précisément en
1844, l'homonyme de l'un de nous, M. P. Soubies,
plus tard représentant du peuple, donnait non sans
succès un opéra de sa composition, la Bohémienne.
Cette simple considération suffit à écarter de notre
pensée toute allusion ironique et peu respectueuse;
mais nous pouvons bien constater que de tout temps
il a fait bon venir du Midi pour réussir dans la
capitale : Justin Cadaus put le constater à son profit.
Les Deux Gentilshommes, agréablement représentés
le 17 août par Grignon, Sainte-Poy et M°" Casimir
dans les principaux rôles, se maintinrent au réper-
toire l'année suivante, et nous les retrouvons même
sur l'affiche en 1863. Ce succès honorable devait plus
lard lui rouvrir les portes de l' Opéra-Comique ; 1852
et 1853 virent naître, en effet, les deux Jaket et Co-
lette.
Moins chanceux que Cadaux, MoDtfort ne réussit
guère avec ia Sainte-Cécile, opéra-comique en trois
actes, paroles d'Ancelot et Decomberousse, repré-
senté le 19 septembre. Tous les journaux et le théâtre
lui-même avaient annoncé SaiTi(e-Céci(e, et ce fut la
18H 117
censure elle-môme qui exigea l'addition de l'article,
pour bien moutrer que la patronne des musiciens ue
figurait point en personne dans l'œuvre nouvelle.
Cette Sainte -Cécile est un tableau; la pièce, appelée
d'abord et plus justement : Carie Vanloo, n'offrait
rien de religieux en dépit de son titre et formait une
comédie d'intrigue dont la musique seule aurait pu
justifter l'intérêt. Il n'en fut rien ; une certaine habi
leté de facture ne saurait compenser la pauvreté des
idées.
Bon musicien, mais peu original, MontFort man-
quait surtout de vigueur et de hardiesse; il rêvait et
tl&uait volontiers, comme ces gens qui attendent
moins d'eux-mêmes que du hasard et des autres. Un
jour, Théodore Mozin, prix de Rome et professeur
au Conservatoire, le rencontre sur le boulevard, al-
lant de-ci de-là, regardant les boutiques en homme
désœuvré qui tue le temps. « Ehbien, cher ami, que
fais-tu? » lui demande-t-il. — « Moi, répond Mont-
fort, je cherche... l'inspiration. » Noble et vague oc-
cupation I Il y a des compositeurs qui la trouvent sans
la chercher; d'autres qui semblent dédaigner autant
de la trouver que de la chercher; il est arrivé assez
souvent à Montfort de la chercher sans la trouver.
La Sainte-Cécile n'avait pas réussi ; le Mousquetaire,
joué un mois après, le 14 octobre, tomba plus lourde-
ment encore: il n'obtint que trois représentations.
Cette comédie en un acte avait pour auteurs deux
frères, Armand et Achille Dartois, qui ne s'étaient
pas mis en frais de style et ne craignaient point d'of-
fenser la grammaire, si l'on en juge par ce fragment
de dialogue, cet a parfe confié à la verve de 9ainte-
Foy : « Comme il a l'air brave! Abordons-le de
même '. » D'abord intitulée le Mousquetaire et leCon-
7.
i,j,,,.,,.Cooi^Ii:
118 FBEMIER CHANGBMENT DB DIRECTION
«eiiler, la pièce moQtrait, en effet, ces deuï person-
nages aux prises avec une intrigue amoureuse où le
Talnquenr final n'était point celui qu'eût souhaité
le poète antique ; car ici /a robe le cédait à l'épée!
n Sur ce canevas poudré, doré, moucheté, pail-
leté et un peu collet monté, dît un critique, M. Bous-
quet a brodé une musique légère, élégante et vive,
hien en harmonie avec le poème. » C'était le début au
théâtre d'un jeune compositeur qui avait eu le prix
de Rome en 1838, un an avant M. Gouuod, et qui
s'était trouvé par conséquent avec ce dernier à la
villa Médicis, où l'on semblait croire à l'avenir de sa
carrière musicale. Non seulement Félis a parlé de
lui eu termes qui prouvent son estime; mais Fanny
Mendelssohn, la sœur du grand compositeur, bonne
musicienne elle-même, femme intelligente et d'esprit
cultivé, le juge^ très favorablement, comme le
prouve sa correspondance j-écemment publiée. Pen-
dant son séjour à Rome elle eut occasion de connaître
Bousquet et Oounod, les deux jeunes pensionnaires
de l'école française, et, chose curieuse, elle parait
faire plus de cas du premier que du second ! L'avenir
a cruellement démenti ses prévisions. L'auteur de
Faust a sa place marquée duos l'histoire de l'art dra-
matique au dix-neuvième siècle. Georges Bousquet,
après un acte donné le 26 mai 18'14au Conservatoire,
dans un exercice d'élèves, et intitulé l'Hôtesse de
Lyon, après ie Mousqueiaire, si piteusement accueilli,
fit de la critique musicale à VlUustration et ne repa-
rut plus qu'au Théâtre Lyrique, en 1853, avec un
ouvrage en deux actes, Tabann. Il n'avait pas tenu les
promesses de ses débuts : comme l'a dit justement le
fabuliste :
N'est pas qui veut un personoage 1
„: .....COOl^IC
1844 119
Le succès qu'il n'avait point trouvé du côté des
ceuvtes nouvelles, M. Crosnier, directeur de l'Opéra-
Comique, le chercha du côté des œuvres anciennes,
en faisant un certain nombre de reprises ; c'est ainsi
que reparurent tour à tour, le 10 mai, Fra Diavolo,
le 10 août, Gulistan, le 6 novembre, le Maçon, le
4 décembre, Waliace, le fi décembre, Adolphe et
Clara, le 26 décembre, le Guîtarrero.
Fra Diavolo est connu de loua, et si noua en par-
lons c'est pour avoir l'occasion de rappeler la piquante
remarque faite à son sujet par Théophile Gautier,
ignorant peut-être des choses de la musique, mais
très fin connaisseur des choses du théâtre. Il obser-
vait combien Scribe était toujours à l'affût dea élé-
ments de succès pour les pièces, et il considérait
comme une trouvaille d'avoir fait assister le public à
la toilette du soir, au déshabillé de l'héroïne. Cette
petite scène intime a trouvé depuis sa place dans
Victorine ou la nuit porte conseil, aussi bien que dans
laOrâce de Dieu; mais l'une despremières éditions eu
avait été donnée par l'auteur de Fra Diavolo, et le
mérite doit lui en revenir. C'est un effet imman-
quable, ajoutait Gautier, « pourvu que l'actrice ait
les épaules blanches et les bras ronds- » M"* Prévost,
créatrice du rôle de Zerline, répondait à ce signale-
ment; cette fois encore, M'" Darcier pouvait satis-
faire les plus difficiles; aussi la reprise lut-elle bien
accueillie.
Gulistan n'offrait pas le même genre d'attrails ; il
réussit pourtant, et la vieille pièce de Dalayrac fit
une asseï bonne figure en dépit ou peut-être à cause
des retouches d'Adolphe Adam, restaurateur attitré
des anciens tableaux à rentoiler. Gulistan fut traité
comme Richard et ie Déserteur; il s'enrichit notam-
130 PRBUIEB CHANGEMBKT DS DIRECTION
ment de deux airs, l'un tiré de Gulnare, opéra de Da-
layrac, l'autre composé spécialemeot par l'arrau^eur,
d'après Azémia. Il fallait subvenir aux roulades de la
chanteuse principale. M"' Casimir, aux dépens de
laquelle quelques spectateurs irrévérencieux s'égayè-
rent le premier soir. A certain moment, Gulistan dit
qu'il entrevoit dans l'obscurité a une taille élégante ».
Or, M°" Casimir ne pouvait donner ce genre d'illu-
sion ; elle a'épanouissait insolemment, et ne possédait
guère ce fameux u juste àpoint » dont parlait un jour
Sarah Bernhardt. Cet incident comique n'eut point
d'ailleurs d'influence sur la destinée de cette œuvre,
qui depuis n'a jamais reparu. Les curieux seuls s'en
souvinrent, il y a quelques années, lorsque fut don-
née ia Jolie Persane de M. Lecocq. On observa que
dans les deux pièces il s'agissait d'un mariage fictif,
permettant à deux amants de s'épouser après avoir
satisiait aux prescriptions de la loi. Une situation
analogue se retrouve au surplus dans Rébecca de
Scribe et dans Don César de Dazan, tant il est vrai
qu'au théâtre, comme ailleurs, créer n'est le plus sou-
vent que se souvenir.
La reprise du Maçon nefutpas moins brillante, et,
pour lui donner plus d'éclat, Auber n'avait pas craint
d'ajouter à son œuvre un supplément de trombones
et de cymbales. Certain journaliste trouvait même
cette précaution utile et il en donnaitla plaisante rai-
son que voici : « Peut-être le compositeur a-t-il pensé
qu'un collaborateur désintéressé pourrait quelque
jour rafraîchir, arranger sa partition, dans le seul
intérêt de l'art et de l'instrumentation, et il a mieux
aimé prendre l'initiative. » Par contre, l'exécution
vocale n'eut pas le don de satisfaire Th. Qautier. « Il
7 manque des chanteurs, écrivait-il ; et c'est quelque
1844 ISl
chose dans un opéra-comique. » Or, les ioterprétes
s'appelaieot Mocber , Audrau , Ricquier , Henri,
M"" Thillon, Darcier, Prévost I Pour une fois, le
poète se montrait sévère et méuw peu juste. Le roi
Louis-Philippe y mit moins de façons, et y prit plus
de plaisir. C'était sur son désir formel- qu'on avait
remonté cet ouvrage, déjà vieux de vingt ans; il ne
vint pas à Paris pour le voir, mais il Ût venir la
troupe de l'Opéra-Comique à Sainl-Gloud pour le lui
jouer; et cette représentation, donnée le 4 novembre,
précéda de deui jours celle du vrai public. Sa Ma-
jesté, nous l'avons déjà vu, goûtait fort les pièces du
vieux répertoire ; c'est ainsi que quelques jours plus
tard, le 25 novembre, Raoul de Créqui, opéra de Da-
layrac, que l'Opéra-Comique a remis en 1889 pour uii
soir à la scène, était interprété devant la Cour, sur ce
même théâtre de Saint-Cloud, par les élèves du Con-
servatoire. On peut dire que jamais les jeunes gens de
cet établissement ne s'étaient trouvés à pareille fête,
et admis à pareil honneur. Toutefois, sur ce point, le
peuple ne partageait point aveuglément les préfé-
rences de son roi ; il avait accepté avec enthousiasme
Richard et le .Déserteur; il repoussa Wallace, en dépit
du renom de son auteur et du mérite réel de l'œuvre.
Joué le 4 décembre, le « drame lyrique » de Oatel
n'eut que quatre représentations, et pourtant les
soins de la direction n'avaient pas manqué à cette
reprise. Et d'abord on avait songé à remanier le poème
afin de lui donner, s'il était possible, un peu de l'inté-
rêt qui lui manquait. C'était seconder les vuesdu com-
positeur ; car, avant de mourir, il avait demandé à son
librettiste, Fontanes, dit Saint-Marcellin, de refaire
toute la pièce, sans pour cela changer rien à la partie
chantée, et le collaborateur dévouéavaitaccomplicette
122 FREUIBR CHANOBUGNT DE DIRECTION
tâche, qui pouvait passer pour un tour de force. Cette
version s'imposait naturellement à l'attention de Du-
cis, lorsque, directeur de l'Opéra-Comique à Venta-
dour, il avait songé à remonter Wallace, sans donner
suite à ce projet. Cette fois on eut recours au talent
■de Saint- George 3, qui délit la chose et !a refit avec
son habileté accoutumée ; quant à la musique, il lui
fallut aussi subir les transformations d'usage, Déjà
un musicien nommé Rifaut s'était employé à cette
besogne, et avait écrit notamment le finale du pre-
mier acte, ainsi que des couplets au second; à son tour,
M. Ernest Boulaiigerfut invitéà contLnuer|ce travail,
et il composa dans le troisième acte des couplets
pourM'"Darcier, un air pour Hermanu-Léon, un duo
pourMockerel Mi'eDarcier, Enfin Garaudé.le répéti-
teur de chaat, et Girard, le chef d'orchestre, avaient,
eux aussi, mis la main à celte pàîe musicale; aussi, de-
vant tant de collaborateurs, plus ou moins favorisés,
■comprend-on qu'un illustre et spirituel compositeur
ait dit, au sortir de la représentation, avec son air mi-
bonhomme et mi-narquois : « Que reste-t-il donc de
Catel, dans cette affaire ? Sans doute son Traité
■d'Harmonie!... a Les journaux d'ailleurs n'étaient
pas indulgents pour les arrangeurs, et l'un d'eux
■expliqua, non sans finesse, les inconvénients du sys-
tème adopté. « Déterrez une médaille antique, écri-
vait-il, grattez-la, limez-en l'exergue, substituez des
figures à celles qu'elle représente, et puis dites à la
numismatique d'en apprécier les mérites... vous ferez
acte de fou, et la science n'en sera pas plus avan-
cée. >
Celui-là montrait ainsi qu'il aimait la musique-na-
iure, et l'on ne saurait douter que ce fût aussi l'avis
d'un malheureux vieillard dont les journaux de 1844
". t;.,osie
184* 123
s'occupèrent un iastant ; c'était un prisonnier faitpar
les troupes d'Oran, dans uneexpédition sur Oudehda,
■ et qui étonna fort les soldats quand il leur raconta
son histoire. Souffleur au théâtre Feydeau, aux
beaux jours de Garât, il avait perdu son emploi, était
allé chercher fortune à Tanger, et s'était laissé
prendre un beau jour par les Marocains nomades.
Depuis trente ans, Dominique servait comme esclave,
et son premier soin, lorsqu'on le délivra, fut de s'in-
former des anciens qu'il avait connus ; à quatre-
vingts ans et malgré sesaventures.ils'ÎDtéressait en-
core au passé I On le vit alors très surpris et fort
affligé d'apprendre que Feydeau n'existait plus, et
que Martin, EUeviou, Gavaudan avaient dispaiu, eux
aussi. Comme le fameux Rip, Dominique semblait
s'éveiller d'un long rêve : il n'avait pas compté les
années.
Le fait est que ce revenant n'aurait pas trouvé
grand mérite à ceux qui prélendaient recueillir la suc-
cession de ses artistes favoris : les débutants de l'an-
née 1844 furent médiocres. Un seul pouvait être mis
hors de pair, Hermann-Léon ; les autres n'ont point
laissé de trace et méritent tout au plus l'honneur
d'être cités : M. Lac (29 mars) dans Georges de la
Dame blanche; M. Albertini (9 avril) dans le Camoëns
de l'Esclave du Camoëns; M. Bessin (7 mai) dans Po-
poli de la Sirène; M°" Miro, née Camoin (15 août)
dans Henriette de l'Ambassadrice ; M. Chaix (24 août)
dans Tartaglia de l'Eau merveilleuse; M"" Quidant-
Lehnen [1 1 septembre) dans Betly du Chalet; M. Gar-
cin-Brunet (28 septembre) dans le Podestat de l'Eau
merveilleuse; enfin M'" Duval (21 octobre) dans Hen-
riette de l'Ambassadrice.
Tout compte fait, les résultats de l'exercice 1884
124 PREMIER CBANSEUENT DE DIRECTION
n'avaient pas été très brillants; ceux de l'exercice 1845
le furent moins encore. L'année demeura stérile el le
succès ne fit rien éclore, ni œuvre nouvelle, ni talent
nouveau. C'est eocore une vieille pièce qui l'emporta
par le nombre de représentations. Avec Audran,
Grard, Grignon, 8ainte-Foy, M"" Darcier, Casimir,
Révilly, Cendrillon fut reprise le 25 janvier et
jouée alors 62 Ma. Un tel résultat n'avait pas été
prévu par la Eeuue et Gazette musicale, qui traita
sévèrement l'œuvre et son auteur, Nicolo Isouard, ce
compositeur franco-maltais, disait-elle, qui eut, «avec
quelques mélodies agréables, une iastrumentation
commune et plate, une connaissance assez Juste de la
mesure scénique, assez d'adresse pour forcer Boiel-
dieu et plusieurs autres compositeurs de talent de
s'exiler du théâtre de l'Opéra-Comique, et d'y ré-
gner sans partage pendant vingt ans. » A cette aigre
critique on aurait pu répondre que précisément ces
sortes de suprématies oe s'établissent, et surtout ne
se maintiennent si longtemps, qu'à force de mérite :
l'intrigue y a moins de part que le talent. Nicolo est
de ceux dont les oeuvres ont survécu à la personne.
A la vérité, Rossini a refait la Cendrilion de Nicolo
comme il avait refait le Barbier de Palsiello ; les deux
versions se sont même données simultanément sur
deux de nos théâtres, et toutes deux ont eu la faveur
du public. Mais il est à remarquer que, dans cet
assaut d'un nouveau genre, la belle est restée au
maître français. C'est la Cendrillon et non la Cerenen-
tota qui ia dernière a été jouée à Paris.
En 1315, la partition avait été, suivant l'expression
d'un critique, « radoubée en cuivre » par l'arrangeur
habituel; Adolphe Adam avait en outre pro&té de la
dircoDstaace pour ajouter un air de sa façoQ, et c'est
1815 125
à M"* Casimir qu'était confié le soin d'en égrener les
vocalifies. Etienne, l'auteurdupoème, avait sans doute
donné sa permission; car il vivait encore. Mais la
reprise de Cendrillon devait être sa joie supi'éme ; il
mourut quelques semaines plus tard, le 13 mars, à
l'âge de soixante-sept ans.
La première nouveauté de l'année 1845 s'appelait
les Bergers Trumeau, et parut le 10 février. Ce titre
bizarre était celui d'une pièce qu'on jouait dans la
pièce, comme ou l'a vu de notre temps pour l'Amour
africain. Une société de grands seigneurs se propo-
sait de représenter un opéra; mais, pour éviter les
froissements d'amour-propre, on laissait au sort le
soin de fiier la distribution des rôles. Or, le sort fai-
sait des siennes en attribuant à un vieux baron le
rôle du jeune berger, à la vieille baronne celui de la
jeune bergère ; le jeune comte Ernest se changeait
en président à mortier, et Antonia, sa fiancée, en
père noble. Chacun allait s'habiller; le rideau tom-
bait et se relevait bientôt sur une ouverture, la se-
conde de la pièce ; on exécutait une sorte de pasto-
rale, et tout était dit. Tel était ou à peu près le
compte rendu fait par les journaux de cet opéra-co-
. mique en un acte. On trouva que le compositeur,
Olapisson, avait écrit un agréable pastiche, et que les
librettistes, Dupeuty et de Courcy, avaient fait preuve
d'ingéniosité. Mais nul ne s'avisa que la donnée pre-
mière procédait directement d'une comédie en un acte
représentée au Tliéàtre-Prançais le 14 octobren36:
les Acteurs déplacés ou l'Amant Comédien, Cette ren-
contre, volontaire ou fortuite, valait bien que d'un
mot au moins on la rappelât au souvenir des curieux.
La seconde nouveauté ne fut pas plus heureuse que
la première ; malgré l'excellente marque de fabrique.
126 FREUIER CHANGEMENT DE DIRECTION
Scribe et Auber, la BarcaroUe ou l'Amour de la Mu-
sique, opéra-comique en trois actes répété sous le
nom de Gina et joué le 22 avril, ae put dépasser le
chiffre de 27 représenlations : chiffre médiocre si
l'oQ considère le talent et le renom des deux collabo-
rateurs. Non sans quelque analogie avec une pièce du
Gymnase, l'Intérieur du bureau, comédie d'Ymbert,
la BarcaroUe formait un assez pauvre livret, et le pu-
blic ne pouvait prendre grand plaisir à l'histoire de
ce morceau de musique dérobé comme dans VElève'
de Presbourg et dans les Maîtres chanteurs de
Nuremberg, avec cette différence toutefois qu'ici
nul ne veut s'en déclarer l'auteur; chacun y dé-
cline à son tour une paternité compromettante,
puisqu'il la pourrait payer de sa tête. Rendant
compte de l'ouvrage, Théophile Gautier se servit
dune formule qui ressemblait fort à une arme à
deuï tranchanls: • Sans nouveauté de conception,
dit-il, sans profondeur de pensée, sans sévérité de
style, sans force comique, sans traits et sans mots,
M. Scribe parvient à faire les ouvrages les plus
agréables de tous ceux dont se compose la fourniture
des théâtres. » Ici, le miel avait un goilt de vinaigre ;
mais aussi un poète tel que lui avait dd cruellement
souffrir en voyant le premier ministre du grand-duché
de Bologne faire arrêter, par crainte d'être arrêté lui-
môme, certain comte de Piesque qu'il voulait perdre
et, ce bon tour joué, lancer à son confident Caprini
cet étonnant distique :
Richelieu
N'eût pas fait mieu (sic).
Auber ne fut pas mieu.ï traité ; sa partitioa conte-
nait quelques réminiscences, et voici sous quelle
1845 127
forme aimable elles lui furent reprochées : « M, Au-
ber ne se souvient pa3 — et il est le seul — de tous
les airs charmants qu'il a faits, et quelquefois ils lui
reviennent involontairemeDt sous la plume... » Le
plus gros grief fut la banalité du morceau principal :
toi dont l'œil rayonne
De mille attraits vainqueurs 1
Le motif n'avait pas besoin de reparaître une
douzaine de fois dans la partition pour se graver dans
la mémoire; on le connaissait avant de l'avoir en-
tendu, s'écriait un critique. Th. Gautier l'avouait lui-
même, disant: « Il est singulier que le compositeur
qui a fait tant de charm.mtes barcarolles dans des
pièces où elles n'étaient qu'accessoires, ail manqué
celle-ci qui donne le titre h l'ouvrage et qui en était en
quelque sorte la pensée musicale ». Uu malin ré-
pondit que la barcarolle- était, dans le pièce, l'œuvre
d'un grand seigneur de la cour et que, pour lui don
ner plus de couleur, Auber avait tenu à faire, en
cette circonstance, de la musique princiers.
Dans la Barcarolle avaient paru pour la première
fois deux élèves du Conservatoire, lauréats du con-
cours de 1841. M. Gassier avait obtenu le second prix
de chant, le premier prix d'opéra et le premier prix
d'opôra-tomique ; M"* Octavie Delille, de son vrai
nom M"" Morize, avait obtenu le second prix de chant
et le second prix d'opéra-comique. L'un dans le rôle
de Fiesque, l'autre dans celui de Gina, se firent agréa-
blement remarquer, et de même on applaudit
M, Chaix, qui continuait ses débuts en représentant
de Felino, « le mauvais ministre, emploi pour lequel
on ne trouve quetrop de sujets par le temps qui court*.
Ainsi parlait un feuilletoniste en 1845... Déjà I
123 MIBUIER CBANQEUENT DE DIRBCTIOH
Paut-il attribuer à la série d'insuccès par lesquels
il venait de passer, ou à l'espoir d'un marché avan-
tageux, la résolution grave prise alors par Crosnier,
directeur depuis !e mois de mai 1834? H avaitfait re-
nouveler en 1843 son privilège pour dix ans ; or, peu
de temps après cette prolongation de pouvoirs, il se
relira brusquement de l'entreprise et céda ce même
privilège à M. Basset, lequel prit la direction du
théâtre le 1"' mai 1845. Une telle cession ne pouvait
manquer d'être commentée, et maintenant encore on
trouve quelque justesse aus observations formulées
par A.-L. Malliot, dans son livre intitulé La Musique
au théâtre, « Il est donc vrai, écrit-il, qu'un privilège
donné par l'État, au nom de l'art, peut être vendu ;
qu'il est la chose du privilégié ; qu'il peut être trans-
formé en valeur réelle devenant charge pour le suc-
cesseur, charge parfois si lourde que le successeur y
succombe, et que par cela même le but protecteur et
artistique de l'État est complètement faussé? Il est
donc avéré que ces transmissions de charge ont lieu
de direction en direction, sous le couvert du privi-
lège de l'administration qui les ratifie, et qu'ainsi
des situations privilégiées, créées à l'aide de subven-
tions fournies par les deniers publics, peuvent deve-
nir une véritable propriété individuelle, dont le pro-
duit tourne parfois bien plus au profit de spécula-
teurs adroits qu'au profit de l'art ï — Hélas ! oui, il en
est souvent ainsi jusqu'à ce qu'un jour les passifs
accumulés mettent le théâtre dans l'impossibilité
d'agir et de payer, auquel cas le privilège peut être
retiré des mains du titulaire, et cela presque toujours
au préjudice des gens qui ont contracté avec lui, soit
comme bailleurs de fonds, soit comme fournisseurs...
Il importe donc aux intéressés d'être renseignés
184& 129
sur les règlements qui régissent les privilèges... » Là,
précisément est la question. Quels sont ces règle-
ments f Quel est sur ce point l'avis de la doctrine et
de la jurisprudence ? Pour débrouiller ce chaos, nous
avons eu recours à la compétence spéciale d'un de
nos amis, M. Ernest Garetle. Trois points ressorteut
de sa longue et intéressante dissertation. (11 est en-
tendu que cette consultation se rapporte à l'état de la
jurisprudence à l'époque qui nous occupe, soit
en 1845.)
!• Les privilèges de théâtre sont en principe per-
sonnels et incessibles; toutefois, ils peuvent être
l'objet d'une transaction aboutissant aune délégation
de gérance, puisque le titulaire du brevet demeure
responsable vis-à-vis des tiers et aussi de l'État,
quand même l'administration aurait agréé cette
transaction.
. i* Les théâtres maintenus à Paris par le décret de
1807 sont régis par des règles particulières, et la no-
mination de leur directeur doit avoir lieu conformé-
ment aux clauses de l'acte de société, le gouverne-
ment n'ayant qu'un droit de surveillance. En fait, et
peut-être à raison de la subvention que le théâtre
reçoit de l'Etat, le directeur est désigné plus ou
moins eiplicitemeat par l'administration, et il
semble en être de même des directeurs auxquels le
titulaire du privilège en concède l'exploitation.
3" Le ministre a le droit de révoquer le privilège
accordé à un directeur, soitpour inexécution descon-
ditions, soit surtout pour cessation ou interruption
d'exploitation ; mais, au moins d'après la doctrine, ses
décisions peuvent donner ouverture à recours en
Conseil d'État.
En 1845, nulle de ces difâcullés ne fut soulevée;
130 PRRHIER CHANGBUBNT DE DIRECTION
la transmission des pouvoirs se fit le plus naturelle-
ment, et ce qu'il pouvait y avoir d'irrégulier ou même
d'abusif dans une telle cession fut d'autant moins
remarqué que les attaches olficielles et l'influence
personnelle du nouveau titulaire dispos;iient plus
rolontiers le gouvernement à fermer les yeux. M. Bas-
set, en effet, attaché au ministère de l'intérieur, cu-
mulait les fondions de censeur dramatique et de
commissaire royal à l'Odëon. Il avait l'expétience
des choses de théâtre, et l'on pouvait croire qu'entre
ses malus on ne verrait point péricliter la scène dont
les destinées lui étaient confiées.
Quant à Crosnier, ou plutôt, de son vrai nom,
Croisme, il se retirait avec la réputation d'un homme
habile, sachant mener de front la triture des affaires
et l'amour de l'art. Qu'importe que son père eût tiré
le cordon, et même eût continué à le tirer quand il
était directeur de l'Opéra -Comique I D'abord, ce cor-
don était celui de l'Opéra, et puis, Berihier, prince
de Wagram, était, lui aussi, fils de concierge, et son
humble origine ne l'avait point empêché de gagner
des batailles et d'épouaer une IHIe de roi ! Crosnier
ne connut jamais que les princesses de théâtre, mais
il vivait largement, reçu partout et donnant dans son
appartement de la rue Laffltte des soirées musicales
auxquelles le Tout-Paris d'alors se rendait avecem-
pressement. On avait pu lui reprocher, dans sa ges-
tion, la faveur qu'il accordait aux auteurs dont il
était le parent ou l'ami; que celui qui a dirigé un
théâtre lui jette la première pierre I Les résultats ar-
tistiques obtenus par lui plaidaient hautement sa
cause. Pendant les premières années de son exploi-
tation, lorsqu'il était encore associé avec Cerfbeer,
la presse l'avait souvent traité avec injustice' Il était
,L.:e..ïG00'^lc
18i5 131
arrivé à la Revue et Gazette de se départir de sa modéra-
tion habituelle quand elle écrivait que ces messieurs
étaient u des spéculateurs et uon des hommes d'art;
méprisant la presse ainsi que les auteurs et les com-
positeurs, ils demaudent à ceux-ci des libretti et des
partitions, comme ils commandent des articles de
louanges sur tous les ouvrages' qu'ils donnent ; il en
résulte que i'Opéra-Comique, avec ses ouvrages faits
à la hâte et ses succès enlevés au pas de course et
constatés par de lâches complaisances, serait déjà
mort de sa prospérité, s'iln'avaitpas la subvention que
la Chambre des Députés lui alloue, elle ne sait guère
pourquoi, ni moi non plus. " Duo seul mot, M. Crosnier
pouvait se défendre. En onze ans, sans parler des re-
prises à succès ou des ouvrages honorablement ac-
cueillis, il avait monté le Cftaief(i834), i'^clair (1835)
le Postillon de Lonjumeau (1836), l'Ambassadrice
(1836), le Domino noir (1837), la Fille du Régiment
(1840), les Diamants de la Couronne (1841), la Part du
Diafeie (1843), la Sirène (1844). De tels résultats ne
s'obtiennent pas avec la seule complicité du hasard ;
l'expérience y compte pour quelque chose, et l'habi-
leté d'un directeur peut en revendiquer sa part.
D.3i.za..ï Google
CHAPITRE V
LA SDCCBSSION DE II. CBOSNIBR.
Les Momqiielaires de ta Reine et Haydie.
En l'absence d'archives, de livres de caisse ou
autres registres, régulièrement tenus et soigneuse-
ment conservés, il est difficile de reconstituer la si-
tuation floancière des divers directeurs qui ont tour
à tour administré l'Opéra-Comique. Chacun d'eux a
eu ses bailleurs de fonds et chacun a dû verser à son
prédécesseur une somme plus ou moins grosse. Pour
M. Basset, on sait qu'il eut deux commanditaires,
te marquis de Raigecourt, pair de France, et le comte
de Saint- Maurice, l'introducteur des ambassadeurs
à la cour de Louis-Philippe, mais on ignore le prix
auquel Crosnier lui céda ses droits ; les journaux du
moins ne l'ont pas su avec exactitude, et la France
musicale du 15 janvier 1845 est seule à donner le ren-
seignement suivant : « Le privilège de l'Opéra-Co-
mique vient d'être vendu 16 ou 1,700,000 francs. »
Comme le fait observer A.-L, Maillot, dans la Mu-
1845 133
sique au Théâtre, môme réduit de moitié, ce chiffre
« serait encore fort convenable. »
C'eût été cher, en effet, si l'on tient compte surtout
des échecs répétés qui avaient quelque peu compro-
mis la prospérité du théâtre, et des vides qu'allait
nécessairement causerie départ de certains artistes.
Trois d'entre eux, par exemple, et des meilleurs, se
retirèrent à l'arrivée du nouveau directeur : M"" Bou-
langer, Masset et M°° Anna Thilloo. La première
abandonna définitivement la scène. Masset, qui l'an-
née précédente avait profité de son congé pour se
rendre en Belgique, où il avait brillamment réussi,
rêva dès lors de succès étrangers et partit pour l'ita-
lie. Quant à celte enfant gâtée du public qui s'appe-
lait Anna Thillon, on ne comprit guère pourquoi elle
se retirait. Peut-être avait-elle eu maille à partir
avec son aimable admirateur etprotecteur ; peut-être
obéissait-elle à un simple caprice de jolie femme.
En tout cas, Auber resta fidèle à son souvenir; ilgarda
ce qui venait d'elle, et, lorsqu'il mourut, en 1871, on
trouva chez lui le portrait de la charmante Anglaise
dans le simple appareil
D'une beauté qu'oa vient d'arracher au sommeil.
Appelée par un engagement en Angleterre, Anna
Thillon parut à DruryrLane en mai 1845 et y créale
personnage principal d'un opéra nouveau de Balfe,
dont de Saint.Georges avait écrit le livret, traduit
en anglais par l'imprésario Bunn : c'était l'Enchante-
resse, ouvrage en quatre actes qui obtint grand succès
et qu'on est d'autant plus étonné de ne pas voir cité
par Fétis dans sa Biographie des Musiciens, qu'il
présentait une particularité assez curieuse : Anna
Thillon 7 jouait sept personnages différents.
,,Cooi^Ii:
134 LA SDCCESaiOH DE U. CR03NIER
Son dépari, joint à celui de Maaset et de M" Bou-
langer, ne fut qu'en partie compensé par l'arrivée de
nouveaux engagés. Après Gasaier et W" Octavie
Delille, dont uous avons parlé à propos de la Barca-
Tolle, on vit diébuter le 16 juillet, dans Betly du Chalet,
M."» Mariin-Charlet, qui venait des Variétés, après
avoir, en 1842, fait déjà sur la scène de l'Opéra-Co-
mique une courte apparition ; puis, le 13 et te 15 dé-
cembre, deux élèves du Conservatoire, M"' RouUié
dans Zerline de Fra Diavolo, et Bassine dans le Sé-
néchal de /ean de Paris; au concours de 1845, la
première, élève de Poncbard, avait obtenu le second
prix de chant; le second, élève de Garcia et de Mo- .
reau-Sainti, avait obtenu le premier prix de chant et
le premier prix d'opéra-comique ; c'est au reste,
api es Faure, un des meilleurs barytons qui se soient
produits à la salle Favart; remarquable chanteur et
comédien intelligent, il a conquis sa place au théâtre,
et une place fort distinguée. Pour être complet dans
notre énumération, mentionnons enfin, à la date du
21 déceoibre, le début d'une chanteuse qui n'avait
jamais paru sur un théâtre. Petite, peu agréable d'as-
pect, douée d'une jolie voix mais médiocre actrice,
elle s'appelait M"* Herminie Beaucé. Elle joua le rôle
de Louise dans le Déserteur; au dernier acte, elle St un
faux pas et tomba : triste présage pour une débutante.
A peine entré en fonctions, le nouveau directeur
eut à lutter contre les prétentions de la Société des
auteurs qui, d'une part, entendait le forcer à main-
tenir tous les traités relatifs aux pièces nouvelles
passés avec son prédécesseur, et, de l'autre, préten-
dait apporter une modiftcation à son privilège en lui
relirant le droit déjouer des traductions. On avait
représenté à Berlin, le 8 décembre 1844, le Camp de
1845 155
Silésie, et l'effet produit par la musique de Meyer-
beer, qui devait servir plus tardàTEioiiedu Word, avait
allumé les convoitises des directeurs parisiens; l'Opéra
et l'Opéra-Comique songeaient en même temps à
s'approprier cet ouvrage : de là sans doute la qufes-
tion soulevée auseiu de la Commission des auteurs,
question de principe plus encore que question de fait;
car, si l'on parcourt la liste des pièces représentées à
l'Opéra- Comique depuis les Troqueurs, par esejnple,
(1753), jusqu'aux Mousquetaires de la Reine [1846), on
verra que le nombre des traductions est à peu près
nul. Eu 1754 Za Servante Maîtresse, de Pergolèse; en
1755 Ninette à la Cour, de Duni; en 1776 te Duel co-
mique, de Paisiello; en 1789 le Barbier de Séville, de
Paisiello ; en 1839 Eua, d'après Coppola; c'est tout,
ou presque tout ce que l'ancien répertoire a cru de-
voir emprunter à l'étranger. De nos jours la propor-
tion n'a guère augmenté ; on citerait la Flûte enchan-
tée, les Noces de Figaro, le Barbier de Sévilte de Ros-
sini et celui de Paisiello, la Traviata, et tout récem-
ment Cavalleria rusticana; encore faut-il observer
que l'Opéra- Comique a recueilli la plupart de ces
œuvres dans l'héritage du Théâti-e-Lyrique.
Il nous semble, au surplus, que le droit de traduc-
tion exercé, dans les limites que fixent d'eux-mêmes
les intérêts des directeurs, serait plutôt digne d'en-
couragements. Sa suppression, ou mieux, son très
long abandon a plutôt desservi les intérêts de la salle
Favart: 1° esthétiquement, en supprimant d'avance
bien des comparaisons qui pouvaient stimuler la
verve des fournisseurs habituels du théâtre; 2° maté-
riellement, en créant au profit des théâtres rivaux des
sources de produits considérables, comme on le vit
plus tard à la place du Ghâtelet.
UjL.:a..ï Google
136 LA SUCCESSION DE M. CHOSNIER
Le débat soulevé en 1845, et particulière ment vif
pendant les mois de juin et Juillet, se prolongea par
une série de trêves, incessamment renouvelées; il
durait encore en mai 184G. M. Basset tenait à son
droit, et il le défendait d'aulaot plus énergiquement
qu'il lui avait été reconnu lors de la transmission de
son privilège. Nous avons eu la bonne fortune de re-
trouver le texte même, objet du litige ; c'était l'article 8
du privilège consenti à Crosnier; le voici motpourmot:
« L'entrepreneur.seratenu de représenter par an-
née théâtrale, d'avril en avril, au moins vingt actes
d'opéras nouveaus, donttroisouvrages, au moins, en
trois actes... elle complément des vingt actes en ou-
vrages d'un ou deux actes à sa volonté, mais toujours
avec une musique nouvelle... Les actes d'ouompes
traduits avec de la musique étrangère ne seront jamais
admis en déduction de cette obligation. ■
Etait-ce pour se venger des difficultésqu'onluicréait
au sujet des traductions ? mais, dès la première année
d'exploitation, Basset commença par négliger l'obli-
gation définie par cet article 8. De la fin d'avril 1845
à la fin d'avril 1846, au lieu de vingt actes il n'en
monta que quatorze, répartis en huit ouvrages, dont
trois en trois actes, et les autres en un acte.
Le premier s'appelait Une Voix. Au lendemain du
départ d'Anna Thillon ce titre devenait piquant. Une
voix, c'est Justement ce qu'on cherchait, mais ce
qu'on ne trouva pas dans ce petit opéra-comique en
un acte de Bayard et Potron pour les paroles, de
M. Eroest Boulanger pour la musique, représenté le
28 mai. La pièce fuljugée« assez amusante », lapar-
tition « assez bien faite. » Ces « assez » n'étaient
point sufUsants pour prolonger le succès au delà de
9 représentations.
,i,:.,,ï Google
18*5 137
La seconde pièce, donaée le 10 août, le Ménétrier
ou les Deux Duchesses, avait pour auteurs d'une part
Scribe, de l'autre Théodore Labarre, compositeur
autfuel l'Opéra-Comique devait déjà les Deux .Fa~
milles (1831) et l'Aspirant de marine (1834). Depuis
loQglemps annoncé, le titre de l'œuvre uouvelleavait
servi de cible aux plaisanteries de la presse. Le
moins qu'on pût faire était de l'appliquer au malheu»
peux compositeur; on se demandait avec anxiété s'il
ne raclerait pas; les répétitions ayant été prolongées
pour cause de remaniements, on allait disant que
l'artiste avait « un peu de peine à mettre de la colo-
phane à son archet. ■> L'événement justiQa ces prévi-
sions ironiques; les ti'ois actes du Ménétrier n'ob-
tinrent qu'un succès d'estime. Au lendemain de la
première, les critiques purent développer cette thèse
vraie à quelques égards, à savoir que o les instru-
mentistes sont rarement heureux en composition >> et
Théodore Labarre, écrivait-on, venait « s'ajouter à la
liste des joueurs d'instruments qui veulent faire de
lamusique malgré Minerve. » Il comptaitalors parmi
les harpistes renommés. En homme d'esprit qu'il
était, il attendit patiemment la an de l'orage, et, l'an-
née suivante, Girard ayant quitté la direction de
l'orchestre à TOpéra-Comique, ce fut Labarre qui lui
succéda.
Si, avec Ses 17 représentations, te Ménétrier ne
remplit pas la caisse du directeur, il garnit quand
même les poches dulibrettiste ; voici comment. Scribe
n'avait consenti à livrer son poème que moyennant
une somme de 5,000 francs devant être versée par
MM. Escudier frères, futurs éditeurs de la partition,
savoir : 2.500 francs le lendemain de la première re-
présentation, et 2,500 francs trois mois après, sans
8.
138 LA. SUCCESSION DE H. CROSNIBB
parler d'un dédit de 10,000 riancs en cas d'iaesécu.
tion. Vainement les éditeurs essayèrent de se sous-
traire à cette obligation, en prétestant que la pièce
représentée n'était pas la même que celle dont le
scénario leur avait été soumis ; que les modifications
apportées diminuaient les chances du succès ; que les
rôles n'avaient pas été distribués comme il était con-
venu; que la représentation avait eu lieu en août au ,
lieu d'avril, époque désignée. Ils perdirent devant
le tribunal de commerce d'abord, et ensuite devant
la cour d'appel, qui les condamna aux dépens el à
l'obligation du traité, fixant à 5,000 francs le dédit,
puisque la représentation donnée constituai_t un com-
mencement d'exécution. Ou voit par là dans quelles,
conditions le librettiste à la mode daignait collaborer
avec un auteur jeune et de mince notoriété. Lui seul
fut payé; Labarre ne fut pas édité et les frères Escu-
diér durent verser une somme assez grosse pour un
livret qui ne ressemblait en rien à ceux du Domino
noir et de la Pari dit Diable, Comme disait un journa-
liste, « la morale à tirer de ceci, c'est que, pour avoir
un bon poème de Scribe, il ne faut pas le lui ache-
ter. »
La Charbonnière, qui succéda le 13 octobre au Méné-
trier, ne valait pas mieux que lui. Scribe n'était pas
le seul coupable, cette fois ; il avait pour complice
Mélesville, et ces deux hommes d'esprit avaient dra-
matisé en trois actes un conte à dormir debout, bon
tout au plus à grossir le recueil du chanoine Schmidt.
Pour comble de malheur, l'un des personnages s'ap-
pelait Rîgobert, et ce personnage n'était rien moins
■qu'un souverain déchu appelé, à la ffn de la pièce, à
remonter sur le trône de ses pères dans un duché
d'Allemagne, proche sans doute de celui de Gërols-
1815 139
teîD. Ed entendant lire l'ordonnance qui fait d'une
ancienne charbonnière la marquise de Blaguembourg,
le tout signé Rigobert I", les spectateurs ne purent
tenir leur sérieux et la soirée se termina gaiement;
« tant il est vrai, s'écriait Henri Blanchard, qu'il y a
dans les noms une espèce d'euphonie poétique et
théâtrale qu'on ne peut blesser impunément. » C'est
Berlioz qui, rendant compte de la partition d'un com-
positeur peu versé dans l'art de la modulation, pré-
tendait qu'il s'élait borné « à écrire un opéra en ré. »
De Montfort, on pouvait dire qu'il avait écrit « un
opéra en valses, ou mieux une valse en trois actes. »
La moitié des morceaux, en effet, s'y trouvaient, pa-
rait-il, rythmés à trois temps.
Dans la boîte aux oublis où diaparut, après dix
représentations, la ChUTbonnière, il faut jeter aussi
les deux dernières pièces représentées en l'année
1815, le Mari au Bal et l'Amazone. Ces deux levers de
rideau, en un acte chacun, ne valaient guère'plus par
le poème que par la musique. J.e premier avait pour
auteurs Emile Deschamps et Àmédée de Beauplan;
le second. Sauvage et Thys.
Le Mari au Bal (25 octobre) était une binette « bâtie
sur cette maxime conjugale que toutmari qui s'amuse
de son côté doit s'attendre à ce que sa femme en fasse
autant du sien. >> Le compositeur, Amédée de Beau-
plan, était un auteur de romances que le maniement
de l'orchestre gênait un peu ; de là quelques défail-
lances vertement relevées par les critiques, sauf celui
de la Reoue et Gazette qui semblait se plaindre au
contraire de l'importance attachée à l'instrumenta'
tion. Deux mois plus tard, d'ailleurs, à propos de
l'Etoile de Séville, représentée, nous l'avons dit, à
l'Opéra, Théophile Gautier louait Balfe, le composi-
140 LA SUCCESSION DE U. CROSNIER
teur, de « bien écrire pour les voix, mérite très rare
ailjourd'hui où tout est sacrifié à l'orchestre. i En 1845!
cette remarque est bien faite pour nous surprendre.
■ Petits vers, fades propos et jolie musique de salons,
quelles pauvretés vous êtes sur la scène » lisait-on
dans un compte rendu. Le public fut si bien de cet
avis que le Mari au Bai eut seulement cinq repré-
sentations ; encore, à la dernière, le rideau fut-il
baissé avant la fin de la pièce.
L'Amazone (25 novembre) en eut sept : le résultat
ae différait guère. Comme Amédée de Beauplan,
d'ailleurs, Thys était un «compositeur de salons e,
suivant l'expression du temps; aujourd'hui nous
dirions «amateur», et cette appellation nous dispense
de porter sur l'œuvre, dont la Diana Veruon de Walter
Scott avait inspiré le poème, un plus long juge-
ment.
Comme on le voit, l'année finissait mal; et pour-
tant, chose curieuse, lesrecettesatteignirent un chiffre
supérieur à celui de l'année précédente. Il avait donc
suffi de la rictiesse du répertoire pour alimenter la
caisse, comme aussi du succès de deux reprises î-
le 11) juin, les Diamants de la Couronne, avec Rie
quier, Mucker, Henri, Sainte-Foy, Emon. M"" La-
voye et Darcier; et le 25 août, Marie, ce charmant
ouvrage d'Hérold qui n'a pas été joué depuis plus de
vingt ans, bien qu'il ait été question plus d'une fois
de le remettre à la scène au cours de ces dernières
années.
Peu de jours après celte reprise de Marie, du 7 au
11 septembre, le théâtre avait été fermé « pour cause
de réparations». C'étaient les premières que l'on en-
treprenait depuis l'ouverture de la nouvelle salle
Favart. La troupe profita de celle circonstance pour
1846 141
quitter Paris, et, le mardi 9, se rendit à Eu où elle
doQoa devant Leurs Majestés et la Reine d'Angleterre
une représentation curieuse et vraiment unique en
son genre : Richard Cœur-de-Lion et le Nouveau Sei-
gneur du village furent joués en plein air sur un
théâtre de verdure élevé dans le parc
En iSiC, un ouvrage domiae tous les autres ets'imj
pose, non seulement par sa réelle valeur, mais en-
core par le succès considérable qu'il obtint alors. Les
Mousquetaires de la Reine firent leurentrée au théâtre
le 3 février, et, dans les annales de l'Opéra-Comique,
il faudrait remonter jusqu'à la Dame blanche ou des-
cendre jusqu'à VEloile du Nord pour rencontrer une
réussite aussi prompte et aussi complète. Dès le pre-
mier toir, le poème de de Saint-Georges et la musi-
que d'IIalévy allèrent, comme disent les Italiens, aux
étoiles. Le sujet parut intéressant, varié, dramatique
et gai tout à la fois ; la partition spirituelle et vive,
semée de mélodies charmantes que rehaussait en-
core le mérite d'une facture solide, d'une connais-
sance profonde de la scène et de l'orchestre.
L'oeuvre était exécutée d'ailleurs par l'élite de la
troupe; il suffit de rappeler les noms de Roger, Moc-
lier, Hermann-Léon, M"" Lavoye et D'arcier. Tout
avait été réglé avec soin; le soir de la première, le
régisseur général Henri avait poussé la conscience
jusqu'à se mêler aux chœurs, pour suivre de plus
près la manœuvre, soutenaut, pressant, retenant son
personnel avec le sang-froid d'un général qui livre
bataille. Le titre de la pièce lui-môme avait été l'ob-
jet de sérieux débats entre l'auteur et le directeur '
tout d'abord, nousa raconté M. Schœnewerk, dont les
souvenirs sur cette période sont des plus précieux ; on
avait choisi un nom qu'OlTenbach devait reprendre
.^Cooi^Ic
143 LA SUCCESSION DE y. CnOSNIBR
plus tard pour son compte en le donnant à l'une de
ses premières opérettes : Une Nuit blanche. Mais déjà
on pouvait lire sur l'affiche des Variétés, le 8 décem-
bre 18i5, tandis que l'œuvre d'Malévy se trouvait en
pleines répétitions, Une Nuit blanche ou la Petite
Maison, vaudeville en deux actes de Leaven et
Btrnnswlck. C'est alors qu'on songea aux Mousque-
taires, qui, séparément ou collectivement, avaient
déjà paru sur la scène : on connaît en effet Je Mous-
quetaire, de Bousquet [1844), dont nous avons déjà
parlé; les Deux Mousquetaires, de Berton (1824),
également à l'Opéra- Comique et non mentionnés par
Clément dans son dictionnaire; enfin, /es Trois Mous-
quetaires, d'Alexandre Dumas, Ce fut mêmt-, le succès
de-cette dernière œuvre, réprésentée quelques mois
auparavant et devenue promptement populaire, qui
décida les auteurs à s'inspirer d'un titre de bon au-
gure. Ed outre ils créèrent, pour la circonstance, un
corps de troupe que le public accepta sans vérifier,
comme il acceptait les Inventions historiques de
Dumas, et le bon Th. Gautier fut seul à lancer timi-
dement sa petite protestation au nom de la vérité :
« Nous avons, disait-il, beaucoup entendu parler de
Mousquetaires gris, de Mousquetaires noirs et de
Mousquetaires à pied; mais y a-L-il jamais eu des
Mousquetaires de la Reine? Grave question, sur la-
quelle nous prions Alexandre Dumas de nous éclairer
à la première occasion. »
Ce dernier n'exauça point cette prière ironique;
, mais le public donna gain de cause aux auteurs en se
pressant au théâtre pour admirer les nouveaux ve-
nus. Le Roi lui-même, en dépit de son goût pour la
vieille musique, suivit l'engouement général, et le
25 février fit venir aux Tuileries les Mousquetaires de
1846 143
ta Reine. Librettiste, compositeur et directeur, cha-
cun àcette occasion reçut de Leurs Majestés sa part
de complimens, et la Reine daigna dire que • malgré
tout ce que lea princes, qui avaient assisté à trois
représentations, lui avaient rapporté du mérite de la
pièce, elle trouvait encore cet ouvrage supérieur aux
éloges qu'on lui en avait faits, i
La presse, eu effet, s'était montrée unanime dans
la constatation du triomphe : » Le bureau de loca-
tion ressemble à un fort assiégé en règle», écrivait
l'un, Depuis longtemps, poursuivait l'autre, on n'a
vu un succès se dessiner aussi éclatant que la fou-
dre et déjà brillant comme l'Eclair t »
Les recettes sont là pour le prouver. Les quatorze
première9représentationsproduisirent77,785rr.75c. ;
les quatorze suivantes 80,159 fr. 75 c. ; à la quarante-
deuxième on comptait 226,360 fr. 25 c. de recettes,
c'est-à-dire que la moyenne avait toujourjj dépassé
5,000 francs par soirée. Le congé des artistes fli sus-
pendre pendant deux mois les réprésentations ; elles
reprirent plus brillantes et plus suivies que jamais,
avec M"* Lemeicier succédant à M"* Darcier dans le
rôle de Berthe de Simiane. Eu moins de neuf mois
on atteignait la centième, et le 39 novembre, à la cent-
quatrième, on faieait encore une recette de 5,331 fr. ; ,
la moyenne s'était donc maintenue avec une surpre-
nante âsitë. Or, il faut bien en attribuer le mérite à
l'ouvrage lui-même, et non à ceux qu'on pouvait lai
donner comme compagnons sur l'affiche; car il fnt
joué seul 102 fois. Fait absolument exceptionaelj
alors, à rOpéra-Comique, où les levers de rideau
n'ont perdu leur importance que depuis quelques
années.
Les Mousquetaires de la Reine gagnèrent vite la
14i LA 8DCCESSI0N DE H. CR08NIEH
province, et, dès la première année, passèrent )a
frontière; on les retrouve à Bruxelles le t6 avril, à
Vienne sur deux théâtres à la fois (au théâtre An der
Wien et au théâtre de la porte de Carinthie) ; à Franc-
for t-sur-le-Mein, le 6 septembre ; on les annonce à Ber-
lin, Leipzig et Breslau. Lapièceétaitlaucée, comme on
le voit, et l'on pouvait croire qu'elle réaliserait plei-
nement la prédiction d'un jouroal qui lui assurait
alors aussi longue vie qu'à la Dame Blanche ou au
Pré aux Clercs. Elle aussi, pourtant, elle a perdu avec
l'âge une partie de ses charmes ; demeurée au réper-
toire de la province, elle n'a point gardé sa place à
Paris, et la dernière reprise, qui remonte à l'année
187S, ne fut pas très fructueuse. Il semble qu'une
sorte de fatalité ait pesé sur la destinée d'Halévy ; si
l'on excepte trois ou quatre ouvrages, ses succès, si
nombreux, si brillants qu'ils aient été, n'ont jamais
eu qu'une brève durée : pour employer une compa-
raison classique, ils ressemblent à des feux de paille
qui jettent de grandes lueurs et s'éteignent aussi vite
qu'ils se sont allumés.
Une dernière remarque au sujet du peu d'empres-
sement que mettaient alors les éditeurs à faire pa-
raître leurs ouvrages. Eu dépit de sa réussite excep-
tionnelle, la grande partition des Mousquetaires de la
Reine ne fut publiée que dans le courant de juin, près
de quatre mois après la représentation ; la petite par-
tition piano et chant fut mise en vente le l" octobre
seulement et, jusque-là, on s'était contenté de quel-
ques morceaux détachés, dont les premiers remontent
au 27 mars. A cette époque, les critiques ne se met-
taient donc pas en peine de contrôler le jugement de
leur oreille et de leurs yeux par une lecture attentive
et raisoanée de l'œuvre qui. leur était soumise: de
1846 145
là, ces appréciations vagues ou erronées qui parfois
nous font sourire aujourd'hui. Ou connaît sur cette
question i'avis de Richard Wagner : il livrait au pu-
blic et son poème et sa partition, plusieurs mois, sou-
vent plusieurs années avant l'épreuve de la scène ; il
voulait être compris et faciliter la tâche de ses audi-
teurs. Les adversaires de ce système pourront soute-
nir qu'en ce qui touche les Mousquetaires de la Reine,
par exemple, la publication tardive ne put nuire à la
fortune de l'ouvrage, sans doute parce qu'il était ai-
sément compréhensible et traité dans un style assez
familier à tous. Mais dans les œuvres de combat à
tendances rénovatrices ou simplement hardies, il
n'en va pas de même ; Faust et Carmen furent con-
damnés ou ue furent pas, du moins, appréciés à
leur valeur. Qui sait? N'auraient-ils pas été ïnieui
traités si le texte gravé avait été mis plus tôt dans
les mains de ceux qui devaient les juger !
Cette précaution n'était pas utile pour un petit
opéra-comique en un acte, comme le Trompette de
M. le Prince, répété sous le titre de la Chambre,
joué le 15 mai, et dû à la collaboration de Mélesville
et de François Bazin. Vingt-deux représentations dans
l'année, avec le maintien de la pièce au répertoire
pendant un assez long temps, marquèrent le favo-
rable accueil fait au début du jeune compositeur.
Lauréat de l'Institut, où il obtenait en 1839 le second
prix tandis que le premier était remporté par M. Ch.
Gounod, il avait mérité en 1840 la plus haute récom-
pense, avait séjourné à Rome le temps réglemen-
taire et revenait à Paria, plein d'une ambition légi-
time que l'avenir devait satisfaire largement ; car il
connut la fortune, le succès, les honneurs. Nous ne
pouvons oublier qu'il fut notre maître, et c'est avec
9 .
„■ ... ,X>oo>^le
U6 LA SDCCESaiON DB M. CHOSNIER
respect que nous parlons d'un artiste gui a pu se
tromper sur le compte de M. Massenet, alors son élève
et plus tard, par une singulière ironie du sort, sou suc-
cesseur à l'Institut, mais dont l'enseignement libéral
a rendu bien des services et formé Men des talents.
Le Trompette de M. le Prince fut suivi à. quelques
jours de distance, le 27 mai, par le Veuf du Malabar,
autre opéra-comique en un acte dont Siraudin et
Adrien Robert (lisez Charles Basset) avaient composé
les paroles et Doche la musique. Trente représenta-
tions furent la carrière fournie par cette farce, plus
bizarre qu'originale, rappelant à certains traits le
Mort Vivant, la Femme Juge et Partie et autres pièces
fantaisistes, mais n'ayant point, pour rehausser son
mérite, le secours d'un compositeur de talent. Doche
était plus propre à composer des couplets de vaude-
ville que des scènes dramatiques ; en un temps où le
publie attachait moins d'importance qu'aujourd'hui à
l'élégance et aux rafânements de l'instrumentation,
il réussissait môme à choquer ses contemporains par
la pauvreté de sa facture, et l'un d'eux pouvait écrire
en toute sécurité : « M, Doche ne s'est pas familiarisé
avec la variété des voix multiples de l'orchestre, bien
qu'il en dirige un, et son style est arriéré : sa muse
est une musarde qui semble inspirée par Apollon-
Musard. > Le titre de la pièce était fait pour amener,
sous la plume des journalistes, les souvenirs histo-
riques et littéraires ; on n'y manqua point ; on exhuma
notamment la Veuve du Malabar, cette tragédie jadis
fameuse, et l'on rappela ce vers (qui n'en est pas tiré
d'ailleurs), que son orgueilleux auteur, Lemierre,
proclamait « le plus beau de notre langue •> :
La trideot de Neptane est le aceptre du monde.
1848 H7
Presque au lendemain de l'affaire Pritchard, la cita-
tion d'ailleurs ne manquait pas d'à-propos.
Une autre pièce en un acte, Le Caquet du Couvent,
représentée le 5 août, ne fournissait point à la presse
matière k semblables digressions ; mais elle inspira
au critique Henri Blanchard une note d'autant plus
amusante, qu'il se trouvait en quelque sorte intéressé
dans l'ouvrage et lésé par sa représentation. Il avait
dû, en effet, écrire la musique lorsque la pièce s'appe-
lait la Sieste, et avait pour auteurs de Leuven, Ch. de
Livri et Ferdinand Langlé. Refusée alors par Cros-
nier, elle avait attendu quinze ans dans les cartons de
Leuven qui, un beau jour, la porta à Planard. Ce-
lui-ci modifia la pièce, changea le nom des person-
nages, et la Sieste, devenue le Caquet du Couvent, fut
confiée à un nouveau compositeur, Henri Potier, au-
quel elle valut 58 représentations réparties entre
quatre années. De nos jours, un procès serait la cou-
séquence de ce procédé ;'Blanchard était sans doute
d'humeur conciliante; il se contenta d'en rire, et
comme le livret ressemblait quelque peu à l'Ingénue
de Dupin, il désigna ironiquement, dans son compte
rendu, le libretto comme étant de « MM, de Planard,
de Leuven, de Livri, Langlé, Dupin et quelques
autres, s En réalité, sur l'affiche, les deux premiers
seuls étaient nommés. L'aimable critique poussa le
désintéressement jusqu'à trouver delà valeur àla mu-
sique de Potier et du talent aux interprètes, M""' Po-
tier, Lavoye et Félix, sans oublier l'amusant Sainte-
Foy, lequel dans ses couplets attaquait, disait-il,
« avec assez de brio un si de lête qui en fait presque
un Duprez. » La chose est très possible ; on se rap-
pelle en effet que Sainte-Foy avait fait ses études au
Conservatoire et concouru dans un air d'opéra. Il as-
t4lil LA SUCCESSION DB H. CROSNIEll
pirait à devenir téaor sérieux, et la fantaisie de son
masque l'obligea seule à renoncer à ce fol espoir. Le
succès l'en indemnisa largement.
Deuxlevers de rideau en un acte n'avaient pas épmsé
la provision d'amabilité du directeur pour les jeunes.
Après Bazin et Potier ce fut le tour de Maurice Bour-
ges, un rédacteur de la Jieoue et Gazette musicale ,
plus connu comme critique que comme musicien.
Sultana, nom donné à une espèce merveilleuse de
tulipe que cultive un vieux soldat hollandais avec
espoir d'en tirer fortune, ae rapporta que de modestes
droits d'auteur au librettiste, de Forges, et au com-
positeur qui s'en tint à ce premier essai |dramatique
en deux actes. Répétée sous le titre des Deux Pages,
cette petite pièce parut le 16 septembre et vécut l'es-
pace de trente et une soirées.
Le dernier ouvrage de la saison fut un opéra-
comique en trois actes, paroles de Brunswick et de
Leuven, musique de Clapisson, Cibby la Corne-
muse : titre bizarre, soit dit en passant, et tout juste
grammatical, auquel il eût été évidemment plus cor-
ryct de substituer celui de Gibby, le joueur de corne-
rrinse. Le sujet, une conspiration contre Jacques I",
découverte et empêchée par un berger, ne pouvait
donner matiéreà déveioppËments bien originaux; ou y
prit quelqueintérét cependant, grâce à certains détails
assez amusants, dont, à tort ou à raison, on se plut à
attribuer la paternité à Brunswick seul, ainsi qu'en
faitfoi ce quatrain satirique improvisé lors de la pre-
mière représentation, qui eut lieu le 19 novembre :
Si de Gibby la cornemuse
Attire el charme le public.
On ne le derra qu'à la muse
De Clapisson et de Brunswick.
„: .....COO'^IC
1846 ]49
Des mélodies assez heureuses contribtièreat en
outre à la réussite de cet ouvrage qui, saus être uu
grand succès, rapporta quelque argent. Le composi-
teur eu fut tout heureux, et dut eurichir de quelque
instrument nouveau la belle collection qu'il a lôguée
par testament au Conservatoire. Le souvenir de ces
joies est consigné à la première page des mémoires
de Roger, parus sous le titre de Carnet d'un Ténor :
« Jeudi, 4 mars 1847. — Dlué chez Clapisson. Quel
homme heureux I Grâce à son succès de Gibby, le
voilà arrivé à une aisance qu'il était loin de con-
□aitre. Comme il jouit de tout avec délices! Il se fait
un immense bonheur avec les mille riens dont se
compose le confort de la vie : il a enân des tapis, uu
calorifère dans sa salle à manger; il a chaud; ses
amis ont chaud et regardent avec admiration ses
curiosités et ses vieux instruments. Il a été chez le
duc de Nemoursl II laisse arrondir soa ventre saus
craindre que son ventre soit en contradiction avec sa
fortune ; c'est vraiment plaisir de voir une fois par
hasard le bonheur niché dans une famille qui sait en
jouir et qui l'a mérité, »
Après les œuvres nouvelles, il nous reste à men-
tionner les repriseà d'ouvrages anciens ; on en compte
quatre pour l'année 1846 : le Roi d'Yvetot, dont nous
avons déjà parlé (20 février) ; Emma, (24 avril) ; Zé-
mire et Azor (29 juin); Paul et Virginie (14 août).
Emma eut peu de succès, faute peut-être d'une
interprétation suffisante, car cette petite partition
contient de très agréables pages, et cet essai de faire
revivre un léger opéra-comique datant de 1821 et
occupant le numéro quatre dans l'œuvre dramatique
du maître, aboutit simplement à huit représenta-
tions.
Dgliiec^yGoO'^lc
150 LA SUCCESSION DE H. CROSKIBR
Il n'en fut pas de môme de Zêmire et Azor, dont les
rôles servaient de débuts à deux jeunes artistes de
talent, qui devaient fournir à l'Opéra- Comique une
brillante et utile carrière. M"° Lemercier et Jourdan
sortaient da Conservatoire, où ils avaient obtenu, au
concours de 1845, l'une un second accessit de chant,
l'autre, un premier prix. M"' Lemercier était pleine
de finesse et de grâce, aimable chanteuse et spiri-
tuelle comédienne. Jourdan possédait des qualités
analogues; il brûlait les planches, comme on dit vul-
gairement, et l'on ne pouvait alors lui reprocher que
cet excès de zèle, cette sève juvénile que le temps et
l'âge devaient suffire à calmer. « Il ne veut pas demeu-
rer en place, écrivait le sévère Fiorentino; il a l'in-
supportable manie de sautiller, de gambader, de s'a-
giter, de courir comme s'il était piqué par la taren-
tule. Coupez en deux la couleuvre au moment oii elle
replie ses anneaux, et les deux tronçons du serpent
qui tendent à se rapprocher vous donneront l'idée de
ce mouvement, de ce frétillement perpétuel. » Quoi-
que de petite taille, il avait en somme un physique
agréable, et qui n'est pas inutile pour le personnage
d'Azor; on était ainsi fort heureusement surpris lors-
qu'il retirait la figure de diable d'opéra qui, pour cette
reprise, avait été substituée è, la tête d'aoimal, sur-
montée d'une touffe épaisse de plumes noires, et usi-
tée jusque-là. Ponchard la portait ainsi quand il
jouait ce même rôle d'Azor; le déguisement était
laid, mais Ponchard n'était pas beau; ce qui faisait
dire à certain critique malicieux : " Quel dommage
qu'il ait ôté son masque ! »
On sait que le sujet de cette pièce avait été em-
prunté par Marmontel à un conte de M"° Leprince de
Beaumont, intitulé la Belle et la Bête; on sait égale-
1846 151
meot qu'après le succès considérable de la première
" représentatioa (Fontainebleau, 9 uoveintire 1771;
Paris, 16 décembre), Guichard, consulté par Grétry
sur le mérite de l'œuvre, aurait répondu :
De cette question je ne me romps la tfile ;
La musique est la belle et la pièce est la bâte.
Marmonlel avait toujours eu assez d'esprit pour
entrer à l'Académie française! Remarquons toutefois
que, comme jadis Quinault, il se mit à écrire des
poèmes d'opéras et d'opéras-comiques, seulement
après avoir été admis au nombre des Quarante, Si
donc il est quelque librettiste aspirant aux bonneurs
de l'immortalité, ii faut que d'avance il renonce au
plaisir d'indiquer ces deux noms comme précédents;
l'histoire lui donnerait un démenti.
La dernière reprise de Zémire et Azor remontait au
21 février 1832, et, comme il est dans la destinée des
ouvrages de Grétry de subir la continuelle fantaisie
des arrangeurs. Scribe alors l'avait réduit à deux
actes. En 1846, les quatre actes furent rétablis; mais
on fit appel à la bonne volonté d'Adam pour opérer
les retoucbes d'usage. L'opération réussit, la pièce
aussi, et Louis-Philippe, fidèle à son goût pour les
vieux opéras-comiques, ne manqua pas de réclamer
uue audition spéciale de celui-là. Le 8 juillet, en
effet, on représenta Zémire et Azor à Saint-Cloud;
mais peut-être, pour cette fois seulement, revint-on
au texte primitif, si nous en jugeons d'après une note
curieuse trouvée dans un journal de l'époque. « Quand
le roi a fait jouer à la cour Raoul de Créqui, Richard
Cœur de Lion et le Déserteur, il a demandé que ces
ouvrages fussent donnés dans leur intégrité, et sans
être arrangés ou dérangés par le premier homme du
D.3i.za..ï Google
152- LA aUCCBg&IOH DB U. CROSNIBA
monde. Nous ne garaotissons pas l'authenticité de ce
jeu de mots royal sur M. Adam, mais bien l'ordre-
précis que les partitioDS des maîtres de notre école
française soient respectées. »
Paul et Virginie n'eut pas le succès de Zémire et
Azor. C'était pour les mêmes interprètes qu'on avait
organisé la reprise de cette œuvre, née en t791 ;
Jourdan et M"* Lemercier s'y montrèrent charmants,
mais la pièce ne réussit point à émouvoir comme le
roman. Le dénouement prosaïque et bourgeois, c'esl-
à-dire le mariage des deux amants, imaginé par le
librettiste de Favières, fit sourire, et, quoiqu'on s"in-
clinât devant la partition de Kreutzer, laquelle fut
cette fois religieusement respectée, on convint assez
généralement qu'un tel sujet se pliait mal à une adap-
tation musicale. L'histoire si simple et si touchante
qui a immortalisé le nom de Bernardin de Saint-
Pierre n'est évidemment qu'un long duo qu'il n'est
pas facile de découper en actes d'opéra. Paul et Vir-
ginie s'aiment d'un amour spontané, instinctif, mais
qui s'ignore et dont l'inconscience est un charme de
plus : quoi de moins scénique ? Plus tard, aidés de
Victor Massé, MM. Michel Carré et Jules Barbier ont
triomphé de cet obstacle; leur œuvre a réussi; mais
on aura toujours quelque peine à trouver des inter-
prètes assez séduisants pour donner l'illusion de la
grâce et de la jeunesse, pour personnifier ces jeunes
héros que semble envelopper déjà le prestige mysté-
rieux de la légende.
L'année 1846 vit se produire à l'Opéra-Oomique un
nombre inusité de débutants : dix, parmi lesquels
plusieurs dignes de mémoire. Déjà nous avons cité, à
pnipos de Zémire et Azor, Jourdan et M'" Lemercier;
voici venir : le 1 1 mars. M"' Marie Lavoye (rôle de
,L.za..ïGoogle
.1846 153
Oendrilloa), 2' prix d'opéra-comîgue au concours de
1845, sœur de M"° Lavoye qui faisait déj.V partie de'
la troupe, jolie, jeune, encore inexpérimentée, mais
comédienne intelligente, bien accueillie dans Cen-
drillon d'abord, puis dans Emma. Le 26 avril, Julien
[Mergy du Pré aux Clercs), chanteur de province dont
le début ne fut même pas annoncé, ce qui prouve le
peu de cas gu'en faisait la direction. Le 18 mai, Pra-
deau (Dikâon de la Dame blanche), Pradeau, le futur
Patachon, l'acteur si justement apprécié des Bouffes
el du Gymnase, cherchant alors sa voie, et ne la
trouvant pas comme l'indique ce simple compte rendu
de son échec à l'Opéra-Comique : a M. Pradeau, le
trial rouennais... n'a pas fait la moindre sensation, a
Le 14 août, quelques jours après, M. DutiUiers (Jean
dans les Deux Voleurs), M°° de Saint-Ange (la mère
dans Paul et Virginie], deux inconnus. Le 16 sep-
tembre, M"* Berthe, gentille chanteuse, venue de Brest
et favorablement accueillie dans Nicette du Pré aux
Clercs. Le 23 septembre, Montaubry, l'un des futurs
piliers derOpéra-Gomique, et qui parut d'abord dans
Daniel du Chalet, a Ce début, lisons-nous dans un
u journal du temps, a été convenable, sans éclat, sans
B accident, ■ autrement dit le jeune chanteur passa
complètement inaperçu. Le 4 novembre. M''" Grimm
(Oarlo Broscbi de ta Part du Diable), 2' prix de chant et
2" accessit d'opéra-comique au concours de 1845, douée
d'une voix souple et charmante, mais actrice dénuée
. encore de toute expérience. Enfin, le 26 novembre,
M"* Mercier (Catarina des Diamants de la Couronne),
. 2= accessit de chant et 1»' accessit d'opéra-comique au
concours de 1845, et qui prit à la salle Favart le nom
de Levasseurpour éviter toute confusion avec M"' Le-
mercier, sa camarade de classe et de théâtre ; belle
9.
154 LA 8UCCB83I0K DE U. CR03NIBR
personne, dont la voix sonore et bien timbrée pro-
duisit grand effet.
Le bilan de l'année 1846 serait incomplet si nous
ne inentionnions pas les représentations extraordi-
naires données à la salle Favart. La première
(17 mars), au bénéfice de Roger, comprenait les deux
premiers actes de la Dame blanche, le second acte de-
là Sirène, un intermède où parurent Roger, Hermann-
Léon, Ole Bull, fameux violoniste de l'époque, et
M. et M"" Blaes Merty, « si surprenants, dit un compte
rendu, dans leurs échos de voix et de clarinette »;
les Vieux Péchés, joués par Bouffé et M"" Marquet;
un intermède de danse ; enfin, la parodie du Désert,
où. défilèrent, en costumes et armés de mirlitons, les
principaux comiques des théâtres de Paris. C'était là
un programme assez attrayant pour justifier l'em-
pressement du public ; la recette, en effet, s'éleva à
11,155 fr. 50 c.
La seconde (12 mai), au bénéfice de M°° Boulanger,
la sympathique chanteuse qui, l'année précédente,
avait pris sa retraite, comptait, comme principal élé-
ment de succès, la présence de M°" DoruB-Gras, qui
joua le second acte des Diamants de la Couronne.
La troisième (6 décembre) fut à coup sûr la plus
intéressante et la plus importante pour l'histoire de
l'art. On y entendit pour la première fois la Damna-
tion de Faust, légende en quatre parties, disait le
programme, paroles de MM. H. Berlioz, Gérard et
Gandonnière, musique de M. H. Berlioz. Les inter-
prètes s'appelaient Roger (Faust), Hermann-Léon
(Méphistophélès), Henri (Brander), M"' Hortense
Maillard (Marguerite), et les exécutants, au nombre
de deux cents, étaient dirigés par l'auteur. Annoncée
pour le 29 novembre, puis remise au dimanche 6 âë-
1846 155
cembre, à une heure et demie, cette première audi-
tion, suivie d'une seconde le 13, a donné lieu à Men
dfl3 appréciations qui ne rentrent point dans le cadre
de notre étude, et qu'on retrouvera dans tous les
ouvrages (ils commencent à devenir nombreux} con-
sacrés à la gloire de Berlioz. Il est un détail pourtant
que nous rapportons ici parce qu'il semble avoir
échappé à tous les biographes du maître : Pour conso-
ler Berlioz de sa disgrâce, ou du moins lui faire illu-
sion sur son succès, on organisa dans les premiers
jours de 1847 un banquet, présidé par le baron Taylor,
et l'on fit en son honneur frapper une médaille d'or
qui lui fut remise solennellement.
Mais ce témoignage des amis ne suffisait pas à con-
soler le pauvre compositeur de l'indifTérence du
public. La foule s'était ruée aui Mousquetaires de la
Reine; elle avait négligé la Damnation de Faust, et
ce n'est point sans quelque mélancolie qu'on se
reporte en effet à cette année 184B : l'œuvre dont le
succès a été le plus durable était justement celle à
laquelle on avait porté le moins d'attention.
« Quoi I s'écriait dans un de ses feuilletons Théo-
phile Gautier, toujours disposé, il faut le recon-
naître, à soutenir les jeunes, un théâtre royal s'est
ouvert enfin sincèrement, franchement, à un composi-
teur nouveau français et lauréat de Tlnstitut 1 On lui
■a donné trois actes tout d'un coup, des acteurs conve-
nables, des costumes riches et des décors frais, et
H. Scribe a daigné réunir dans le poème la finesse et
l'esprit de ses bons jours l Cela renverse toutes les
idées reçues I » Si étrange, en effet, que fût cette
bonne fortune, elle était très réelle ; la pièce en trois
actes de Scribe et Gustave Vaez s'appelait iVe touchez
pas à la Reine, et le compositeur Xavier Boisselot.
156 LA SUCCESSION DB H. CROSNIEH
Fils d'un facteur de pianos, le jeune Boisselot
avait, en la personne de son père, non seulement un
protecteur et un ami, mais un agent de récl^imes qui
ne perdait aucune occasion d'allécher le public et de
prédisposer ainsi les autres à aimer ce qui lui était
cher. Voilà pourquoi on lisait alors dans les jour-
naux : « C'est au numéro 9020 qu'est échu, dans la
loterie au profit de la Caisse de l'ABsociation des
Artistes musiciens, le magnifique piano à queue
donndpar M. Boisseiot, de Marseille. Cet instrument,
tant apprécié des artistes par sa brillante et belle qua-
lité de son, confirme la haute réputation de M. Boisse-
lot, qui, depuis quelques années, partage avec Erard,
Pleyel et Pape, l'honneur de marcher à la tète de la
fabrique française, i Un peu plus tard, au mois de
novembre 1846, on annonçait l'arrivée à Paris de
M. Boisselot père « le célèbre facteur de pianos
' de Marseille, si connu par la constante protection qu'il
a généreusement accordée à l'art et aux artistes. Il
vient assister à la première représentation de l'ou-
vrage de son fils, n C'était s'y prendre d'avance,
■ puisque cette première n'eut lieu que le 16 jan-
vier 1847 ; mais, l'excellept homme avait raison de se
hâter. La victoire de son fils devait être sa dernière
joie : quatre mois plus tard, il mourait subitement.
Singulière destinée d'ailleurs, que celle de ce fils
chéri. Né en 1811, gendre de Lesueur, prix de Rome
en 1836, Xavier Boisselot attend onze ans la faveur
d'être joué, donne pour son début Ne touchez pas à la
Reine, qui est un succès, attend quatre années encore
pour voir monter son second ouvrage, Mosquita la
Sorcière, au Théâtre-Lyrique, lors de l'inauguration
(27 septembre 1851), puis, délaissé par les directeurs,
revient définitivement à ses fagots ou plutôt à ses
1847 157
pianos. Vainement, dans la cave de l'Athénée, on
tente en 1871 une malheureuse reprise de Ne touchez
pas à la Rtine, le nom du compositeur disparaît alors
de l'ar&che et retombe dans l'oubli.
Elle n'était point d'ailleurs sans mérite, cette pièce
appelée Un Secret, puis Ne touchez pas à la hache,
titre lugubre et peu propre au cadre aimable de
l'opéra-comique. L'afTabulation manquait de vraisem-
blance, bien que le point de départ ne fût pas sans
quelque analogie avec celui d'un drame en cinq actes,
d'Octave Feuillet et Bocage, intitulé Echec et mat;
cependant les scènes étaient adroitement présentées,
et la partition, sans révéler une personnalité musi-
cale, dénotait une certaine entente de la scène, une
certaine habileté dans le maniement des voix et de
l'orchestre. « Ne touches pas à la Reine, écrivait un
chroniqueur, mais... venez la voir ! » Et l'on vint, en
effet, avec un tel empressement, que l'ouvrage fut
joué 67 fois la première année et atteignit en trois
ans 75 représentations. La province et l'étranger
l'accueillirent avec faveur, puis l'oublièrent à leur
tour. C'est le temps qui avait touché à la Reine, et
c'est lui qui l'avait tuée.
Le Sultan Saladin (8 lévrier) n'eut pas le même
éclat et passa plus vite. Ce qui est bon pour un vaude-
ville est suffisant pour un opéra-comique en un acte,
s'était dit sans doute le librettiste Dupin ; et, rema-
niant une pièce donnée à la rue de Chartres en 1819
avec la collaboration de Scribe, le Fou de Péronne, il
avait confié à Luigi Bordèse le soin de traiter musi-
calement cette seconde mouture. Les aventures d'un
prétendu qu'on berne à l'instar de M. de Ponrceaugnac,
de M. Danière dans le Sourd, ou de M. Deschalu-
meaus dans la pièce de ce nom, ne pouvaient guère
tas LA succBSSiON DE u. cnosM&n
fournir au musicien des situations bien compliquées.
' L'auteur applaudi de la Mantille et de l'Automate de
Vaucanson se contenta d'écrire une comédie à
ariettes, c'est-à-dire de prodiguer les couplets ; et
comme ils étaient chantés par Chollet, Sainte-Foy,
Duvernoy, M"" Prévost et Berthe, le public ne lui
tint pas rigueur, le directeur non plus, s'il est vrai
que, quelques jours après, il remit à LuigiBordèse
un poème en trois actes de Leuven. Mais le repor-
ter qui lançait celte nouvelle exagérait sans doute, et
l'on doit croire qu'il s'agissait d'un seul acte, les
Deux Bambins, représentés l'année suivante. Du
reste, on prétait alors à M. Basset bien des projets
qui n'ont point abouti, et l'on annonçait bien des
pièces qui n'ont jamais été jouées ou ne l'ont été que
longtemps après ; pour cette année 1 847, il nous suifit
de rappeler trois actes de Félinien David, la Perle du
Brésil, qui, représentée au Théâtre-Lyrique en 1851,
ne devait revenir à la salle Favart qu'en 1883 ; puis
un acte de Burgmûller, un acte d'Alkan, et, souvenir
Traiment piquant, un acte d'Offenbach, ou le princi-
pal râle était destiné à Roger. Le titre ? Nul ne l'a
publié. Peut-être était-ce l'Alcôue, opéra-comique en
un acte, comprenant neuf morceaux, et ezéculé le
24 avril 1847 dans un « concert dramatique n à l'Ecole
lyrique, avec M"* Rouillé, de l'Opéra-Comique,
MM. Grignon flis, Barbot et un amateur anonyme,
pour interprètes. Peut-être était-ce aussi quelque ou-
vrage plus important ; car, à cette époque, Offenbach
n'aspirait pas seulement à divertir ses contempo-
rains ; il écrivait de la musique a sérieuse », compo-
sait de graves mélodies, gravement intitulées, par
exemple, le Soupçon paternel, promenait son violon-
celle de concert en concert, et passait pour un « artiste
. 1847 159
d'avenir. » Od ne se trompait pas; seulement, le
talent qu'on lui prêtait n'est pas celui qu'il eut.
A tout prendre, sa musique eût aisément valu celle
de Doche, devant qui les portes de l'Opéra-Comique
s'ouvraient pour la seconde et la dernière fois ; deux
ans plus tard, il mourait du choléra, à Saint-Péters-
bourg, où il était aller diriger le Théâtre-Français.
AiiXt opéra-comique en un acte, écrit par lui sur un
livret de Nus et Follet, et représenté le 13 mars, n'eut
aucun succès. Le directeur s'y attendait sans doute,
car il omit d'inviter la presse. Est-ce pour cette rai-
son que Clément, dans sou Dictionnaire lyrique, a
omis la pièce elle-même ? Les journalistes vinrent
cependant, et c'est à l'uo d'eux que nous empruntons
ce compte rendu coiu't, mais caractéristique : « Avec
l'excessive, l'impardonnable faiblesse du poème, si
c'est là un poème ! et avec la nullité bruyante de la
musique, la pauvre A lix, n'ayant rien eu pour monter
sur les planches, a déjà tout ce qu'il faut pour en
descendre. » Elle en descendit en effet au bout de
6 représentations, et c'est à peine si l'on eut le temps
de remarquer, parmi les interprètes, le jeune Mon-
taubry, qui faisait, avec le personnage d'Elienoe, sa
première création à l'Opéra-Comique. Un seul critique
semblait le deviner, quand il écrivait : « Ce ténor ne
demande pas mieux que de bien dire et de bien chan-
ter, quand on lui en offrira l'occasion, n Cette occa-
sion ne lui fut offerte que onze ans après, et dès le
mois d'octobre on le laissait s'embarquer pour la
Nouvelle- Orléans.
Vers le même temps, d'autres vides s'étaient pro-
duits dans la troupe. M"' Prévost et ChoUet, dont te
Sultan Saladin avait été la dernière création, se reti-
. Fèrent ; l'une joua encore, le 24 avril, Paméla de Fra
160 L.L SDCCRBSIUN DS U. CBOSNIEK
Diavoto, l'autre, le 25 avril, Frontin du Noiioeau Sei-
gneur, et tousdeux partirent pour Bordeaux, où GhoUet
devenait àsoQtour directeur de théâtre. Le26 juin die-
parut également M"* HenriPotier, personnifiant, pour
la dernière fois, Argentine de l'Eau merwetlîeuse. C'est
pour lesremplaeer qu'on fltdébuter successivement, le
a2 avril, dans le Chalel (rôle de Mas), M. Beauce, venu
de Liège, après avoir traversé l'Opéra de Paris; le
l^mars, dans le Domino noir (rôle de Brigitte), M"' Mo-
rel, artiste intelligente, qui ne tarda pas à occuper une
place honorable dans les rôles de second plan; leSJuin,
dans Ne touchez pas à la Reine (rôle de la Reine),
M"' Charton, qui arrivait de Bruxelles pour chercher à
Paris une notoriété qu'elle a trouvée depuis, car elle
possédait une belle voix et devait, au Théâtre-Lyrique,
sous le nom de Charton-Demeur, remporter plus d'un
succès; le 28 septembre, dans l'Ambassadrice (rôle de
Fortunatus), M, Nathan, élève du Conservatoire, ohil
avait obtenuun accessit d'opéra-comique au concours
de 1847, et dont la juste valeur fut appréciée pai- la
Revue et Gazette, puisqu'elle écrivait ; ■ Il a tenu ce
qu'il promettait : ce sera un artiste utile » ; le 14 dé-
cembre, dans le Chalel, M"° Géraldine, qui venait du
Vaudeville et chanta seulement trois fois; le 17 dé-
cembre enân, dans Ne touchez pas à la Reine (rôle de
don Fernand), M. Charles Ponchard, qui, après une
courte apparition à l'Opéra, entrait à l'Opéra-Oomique,
dont il devait rester jusqu'à sa mort l'un des servi-
teurs les plus fidèles et les plus zélés, où môme il
finit par remplir avec autorité les fonctions de met-
teur en scène et de régisseur.
Da reste, la jeune troupe « donnait » et avec succès,
comme on le vit à la reprise de l'Éclair, qui eut lieu
le 24 mars. Seul Roger comptait parmi les anciens ;
1847 161
encore changeait-il de rôle. Il avait débuté le 16 fé-
vrier 1838 dans celui de Georges ; il prenait mainte-
nant celui de Lionel, Dana son Carnet d'un ténor lui-
même a rendu compte de cette soirée avec un mélange
de niiveté et d'aplomb qui donne quelque saveur à la
citation complète : « Mercredi. Dîner à 3 heures. Le
soir, première représentation de la reprise de
l'Éclair. J'ai mis une ceinture (!) faite par Ernest, le
costumier. Ma femme prétend que ça a nui à ma
voix. — Elle trouve que la partie vocale ne me con-
vient pas et qu'elle est trop grave pour moi. Au milieu
des compliments de tout le monde, Fanny seule est
de mauvaise humeur. Peut-être a-t-elle raison. L'air
du premier acte est trop long, je le couperai [!). Grand
effet dans la petite phrase en la du quatuor et dans !e
duo du deuxième acte, où M"' Grimm obtient un beau
. succès. Jourdan et M"" Levasseur, faibles. J'étais tout
étonné de voir Je rôle de Georges, qui faisait tant
d'effet avec Couderc et moi, tout écrasé et réduit à
rien par Jourdan (!). Jourdan, étant sans physiono-
mie, est malheureusement obligé de se conformer
servilement aux indications de Planard et de Saint-
Georges, qui, comme Scribe, ont le talent de gâter les
meilleures pensées du monde par des conseils mala-
droits. » Le tableau est complet. Il n'en épargne point,
et chacun a son tour, disait Molière.
Cependant, le théâtre poursuivait sa marche régu-
lière, entremêlant les nouveautés et les reprises,
celles-ci généralement plus brillantes que celles-
là. Le Bouquet de l'Infante, opéra-comique en trois
actes, paroles de Planard et de Leuven, musique
d'Adrien Boieldieu, reçut, avec 27 représenta-
tions, un accueil simplement honorable. Appelée
d'abord Ginetta, puis le Marquis de Silva, cette petite
163 LA. SUCCESSION DE U. CROSKIBR
pièce, signée par l'héritier d'un grand nom, eut pour
interprètes, le 27 avril, les deux sceurs Lavoye, Mocker
et Audran, lequel, indisposé le premier soir, eut des
effets de voix malheureux, qui lui valurent la sévère
application de cette plaisanterie d'Arnal : a J'ai beau-
coup connu un mouton qui chantait ainsi. > Quant à
la pièce, elle n'était ni meilleure ni pire qu'une
autre ; elle offrait même quelques morceaux agréa-
bles ; mais l'ensemble était gris et justiSait cette
appréciation d'un critique : ■ M. Boieldieu n'en est
plus à son coup d'essai et l'on alnierait à le voir frap-
per des coups de maître. Il a le faire facile, mais
quelque peu arriéré par la simplicité trop claire de
sa mélodie et la naïveté de ses modulations, b II fal-
lait que ce défaut fut bien grave pour qu'on le signa-
lât ainsi en 1847, car le goût de l'époque ne pousi:ait
point l'art vers les complications musicales.
C'est ainsi qu'on est tout surpris de voir reprocher
à Bazin « la coquetterie pointue et maniérée de
l'école actuelle » à propos de son opéra-comique
représenté le 18 mai, le Malkpur d'être jolie. Pour
expliquer l'insuccès, il suffisait de s'en prendre à
l'absurdité du livret. Le librettiste s'appelait Charles
Desnoyers, alors secrétaire de l'administration du
Théâtre-Français; ce qui fit dire à un plaisant cri-
tique : a On voudrait que cette place lui donnât plus
d'occupation ! n Un autre ajouta. : « Ce petit opéra...
ne fera pas résonner longtemps, pour M. Bazin, la
trompette de la Renommée ; celle de M. le Prince
aura pour lui plus de retentissement. » En etTet, le
Malheur d'être jolie, répété sous le nom A'IsoHer, ne
fut joué que cinq fols.
Tout au contraire, on fit boa accueil i. une ancienne
pièce d'Àuber, Actèon, reprise le 26 juin, lestement
,L.:a..ï Google
!847 163
enlevée par M"^* Lavoye, Morel, Rouliié, MM. Bas-
sine, Joardan; et l'on ne manqua pas de rappeler à ce
propos le joli mol de Rossini sur Auber : e Cet
homme fait de la petite musique en grand musi-
cien, » Oe n'est pas un des meillçurs ouvrages du
maître, ni des plus importants, et néanmoins, il est
curieux de rappeler que ce petit acte était destiné
par les auteurs à l'Opéra, Bien plus, il y fut répété
pendant six semaines par Levasseur, Nourrit et
M"* Damoreau. Ce fut précisément la retraite de
cette dernière qui entraîna la retraite dé l'œuvre.
Actéon suivit M"" Damoreau à la salle Favart et parut
dans son nouveau cadre, avec Inchindi et Révial, le
23 janvier 1836.
Les inconvénients d'un mauvais poème se firent
sentir pour M. Ernest Boulanger comme ils s'étaient
fait sentir pour Bazin. La Cachette, de Planard, repré-
sentée le 10 août, ne valait pas mieuï que le Mal-
heur d'être jolie; il n'y avait que la différence d'un
acte à trois. Il s'agissait encore d'une de ces restau-
rations, mises à la mode par Scribe, où l'un voit le
sort des têtes couronnées dépendre du caprice d'un
humble paysan; le librettiste y avait joint les accès
de la folie d'une mère et son retour à la raison, et tout
cet arsenal de sensibleries qui transformaient l'opéra-
comique en un vrai mélodrame. Le compositeur avait
fait de son mieux pour éclaircir cette sombre donnée;
mais son talent, joint à celui des interprètes, Her-
mann-Léon, Auiran, Ricquier, 8ainte-Poy, M"" Ré-
villy, GriUim et Marie Lavoye, ne put sauver l'ou-
vrage ; il tomba pour ne plus se relever après huit
représentations.
Afin de compenser cette perte, on puisa dans le
vieux fonds, et le 6 septembre on rendit à la lumière
164 ljl succbssion de u. crosnibr
uoe pièce d'Auber, la Fiancée, qui datait du 10 jan-
TÎer 1829. Le roi Louis- Philippe l'aurait peut-être
trouvée encore un peu jeuue, lui qui, le 29 juillet
précédent, avait invité les élèves du Conservatoire h
représenter au théâtre de la Cour, à Saiût-CIoud,
les Prétendus, musique de Leiiioyne(1789), et les Deux
Petits Savoyards, musique de Dalayrac (1789). Le pu-
blic se contenta de la Fiancée, dont le livret n'est pas
ennuyeux d'ailleurs et dont la partition compte plu-
sieurs morceaux devenus populaires ; il ne renouvela
plus les critiques formulées, lors de la première, au
sujet de certaine berline traînée par deu2 chevaux,
qui amenait l'héroïne à la fia du dernier acte, et lui
paraissait (ô candeur!) un spectacle digne d'un
cirque, mais non de l' Opéra-Comique, et il prodigua
des bravos aux interprètes qui étaient appelés à rem-
placer les acteurs de la création (Chollet, Tilly, Le-
monnier, M"" Pradher et Lemonnier), c'est-à-dire
Mocker, Bussine, Audran, M"" Félix et Darcier. C'est
à cette dernière en particulier que l'on fit fête. Un
caprice l'avait éloignée de rOpéra-Comiquç et pous-
sée au Vaudeville, où elle resta du 12 mai au 20 juin,
afin d'y créer le principal rôle dans une comédie de
Bayard et Dumanoir, intitulée la Vicomtesse Lo-
lolte. Revenant à la salle Favart, elle avait à chanter
dans ses couplets : a Le bonheur est là ! > Bien vite
les spectateurs soulignèrent cette piquante allusion :
il fallait bien applaudir au retour de l'enfant pro-
digue.
Cependant, la fin de l'année approchait, et l'on
n'avait point encore trouvé une œuvre vraiment belle
et digne de mémoire. Le Braconnier, que nous ren-
controns le 29 octobre, n'était qu'une œuvre esti-
mable. Ce petit opéra-comique en un acte avait pour
1847 165
auteurs, d'uoe part, Vauderburch et de Leuveu, de
l'autre, Qustare Héquet, nouveau venu dans la car-
rière musicale, car ou ne le connaissait jusqu'alors
que comme journaliste. Jourdan, Ohaix, Sainte-Foy
et M"* Lemercier présentèrent au public cet essai
qui, disait un critique, " prouve qu'on peut être un
compositeur élégant, quoique, ou même parce que
l'on est un critique consciencieui et compétent. ■
O'est encore un aimable con frère qui écrivait : < Cette
partition révèle un musicien que l'expérience fera
dramatique, pour peu que les auteurs veuillent l'y
aider par des poèmes s. Ni les auteurs, ni les direc-
teurs ne l'y aidèrent; Gustave Héquet reparut aux
BoufEes-Parisiens le 24 juin 1856, avec Marinette
et Gros René, puis à Bade le 18 juillet 1864, avec
De par le Roi; mais l'Opéra-Comique lui demeura
fermé.
Après une heureuse reprise de Fra Diavolo, le
8 décembre, avec Audran, Sainte-Poy, M"" Kévilly
et Charton, parut enfin Haydée. Il fallait cette bonne
fortune pour relever le prestige d'une année à l'actif
de laquelle on doit porter encore quelques représen-
tations extraordinaires omises au cours de ce récit,
par exemple : celle du 10 avril, au bénéfice de la
caisse des auteurs et compositeurs dramatiques, avec
le concours de la Comédie- Française pour la Famille
Poisson, du Palais-Royal pour la Fille de l'Avare, et
de M°" Donis-Gras, qui rejouait pour cette fois seule-
ment le rôle d'Isabelle du Pré aux Clercs, rôle presque
créé par elle, puisqu'elle l'avait pris,on s'en souvient,
dès la deuxième représentation; celle du 20 avril,
où fut exécuté pour la seconde fois le Christophe
Colomb de Félicien David, donné pour la première
fois au Conservatoire le 7 mars précédent; celle du
166 LA succsasiON de u. grosnibr
4 mai, au bénéfice d'une artiste, M'" Martin, avec le
concours du Palais-Royal pour Un Poisson d'avril,
et du Vaudeville pour Riche (Vamour, plus le premiei-
et le deuxième acte de la Dame blanche, et un inter-
mède musical, où certain chanteur de l'Opéra, nommé
Bettini, provoqua l'étonnement du public : il s'était
costumé en Andalou pour chanter une simple romance
espagnolel C'est à peu près comme ai uu acteur se
faisait faire un hahit neuf pour jouer dans Tartufe
le personnage de Laurent; celle enfin du i 1 décembre,
au bénéfice d'Hermann-Léon, avec une pièce du Vau-
deville, les Premières Amours, le premier acte du
Maçon, le Diable à l'École, Babylas aux Enfers, où le
principal rôle était tenu par le bénéficiaire, et une
scène nouvelle dont Glapisson avait composé la mu-
sique, jouée par Hermann-Léon et Henri, intitulée
Don Quicholte et Sancho, et qui, paralt-il, obtint un
vi'ai succès de gaieté.
Or, si brillantes que fussent ces représentations,
elles ne faisaient rien tomber dans la caisse du direc-
teur. Dans leur ensemble, les recettes avaient baissé :
J846 avait rapporté 826,615 fr. 95; 1847 rapportait
seulement 648,977 fr. 65: soit une différehce de
177,638 fr. 30. On comptait sur Haydée, qui tint en
effet ce qu'elle promettait. Mais on avait compté sans
la politique, et c'est elle qui, bouleversant tous les
projets, fit de l'année 1848 une année désastreuse.
Grands ou petits, les théâtres devaient subir le contre-
coup de la Révolution et mériter ainsi l'application
d'un vers de La Fontaine :
Ils ne mouraient pas tous ; mais tous étaient frappés*
D.3i.za..ï Google
CHAPITRE VI
CNE PÉRIODE CKITIQUB
Reprise de la Fille du Régiment,
{1848).
Par la date de sa première représentatioQ (38 dé-
ceittbre), Haydée ou le Secret appartient, en réalité,
moins à l'année 1847 qu'à l'année 1848, L'honneur,
si l'on veut, fut pour î'uue, mais le profit fui pour
l'autre, car l'ouvrage de Scribe et Auber réussit bril-
lamment et s'annonça dès le principe comme un suc-
cès d'art et d'argent. On goûta ce poème qu'on disait
tiré d'une nouvelle russe traduite par Mérimée; la
scène de somnambulisme fut jugée originale et
neuve; on y découvrit même une portée morale qui
d'ordinaire faisait défaut aux livrets de Scribe, Quant
à la musique d'Auber, elle parut charmante de grâce
et d'invention mélodique; on retrouvait enfin cette
inspiration qui, dans le Duc d'Olonne et la Barcarolle,
avait donné quelques preuves de lassitude et se mon-
trait aussi fraîche et plus jeune que jamais. Le mo-
ment n'est pas venu d'embrasser en son ensemble la
168 UNB PÉRIODE CniTIQUB
carrière du maître, car l'acUvité chez lui ne devait
disparaître qu'avec la vie, et il lui restait encore bien
des ouvrages à écrire ; mais on ne peut s'empêcher
de jeter un coup d'œil sur le chemin parcouru en son-
geant à toutes les étapes qui avaient marqué cette
course triomphale dans le domaine de l'opéra-co-
mique : Emma (1821), la Neige (1823), le Concerl à la
Cour (1824), le Maçon [1825), Fiorella [1826), la Fian-
cée (1839). Fra Diavolo (1830), Lestocq (183'.), le Che-
val de bronze (1835), Actéon (1836), l'Ambassadrice
(1836), le Domino noir (1837), les Diamants de la Cou-
ronne (1841), la Part du Diable (1843), la Sirène (1844) .
Presque chaque année se comptait par une victoire,
et il est remarquable que toutes les pièces, citées
dans cette énumération, ont figuré, depuis l'ouver-
ture de la seconde salle Favart, au répertoire du
théâtre; Joutes y ont été l'objet de reprises, sauf
le Cheoal de bronze, dont il fut question cependant
en 1848 pour les débuts de M'" Meyer, mais qui chan-
gea de cadre, et, transformé en opéra-ballet, passade
rOpéra-Comique à l'Opéra, en 1857.
Haydée marque à son tour une date dans la vie de
l'auteur; car vingt et un ans devaient s'écouler avant
qu'il retrouvât un franc succès, avec te Premier Jour
de bonheur. Elle avait failli passer au commeacemenl
de 1847; mais elle avait cédé le pas à trois actes de
Planard et de M. Ambroise Thomas, qui ne sont,
croyons-nous, jamais sortis des cartons de leurs au-
teurs ; le Bouquet de l'Infante avait alors pris la place
devenue libre, et Haydée s'était trouvée remise aux
derniers jours de l'année. Chose curieuse, on n'avait
pas hésité sur le choix du titre, mais sur l'ortho-
graphe qu'il convenait de lui attribuer; Haydée avait
été tout d'abord Aidé et Aydée ; les deux formes reje-
Id4â 160
tées avaient du 1)od I Quant au succès, il se dessina
si clairement, dès le premier soir, qu'en sortant du
tlié&tre les musiciens de l'orchestre se rendirent à la
demeure d'Auber et lui donnèrent une sérénade;
c'est un témoin oculaire qui nous a rapporté ce fait
peu connu. On se rappelle que pareille démonstra-
tion avait eu lieu en l'iioûneur de Wagner après la
première de Tannh&user, et de Rossiai, après la se-
conde du Barbier de Sàoiile. Comme ces deux ou-
vrages, Haydée devait avoir une vie longue et pros-
père, et le 30 août lâ6fi, elle atteignait sa trois centième
représentation. Parmi les interprètes de la première
heure, il faut citer M""' Lavoye et Grimm, MM. Her-
mann-Léon, Audraa, Ricquier et surtout Roger, dont
le rôle de Lorédan fut à l' Opéra-Comique la dernière
création. Il quittait ce théâtre après un service de
dix années, pendant lesquelles sa renommée n'avait
fait que grandir; lui-même a dressé, dans son Carnet
d'un ténor, la liste des dix-neuf pièces qu'il a créées;
il y faudrait joindre la longue énumération de toutes
celles qu'il a reprises. Mais, depuis longtemps, nous
l'avons dit, l'Opéra l'attii-ait ; peut-être aussi n'avait-il
plus alors cette sveltesse de taille qui convenait aux
amoureux d'opéra-comique. Enfin, Meyerbeer cher-
chait alors un ténor pour livrer l'un de ses deux grands
ouvrages, si impatiemment attendus, et la perspec-
tive de créer ie Prophète justifiait l'ambition du chan-
teur; il passa de la salle Favart à la rue Le Pele-
tier ; le succès l'y suivit.
Vers la même époque se produisait à Paris un
événement artistique trop important pour être passé
sous silence. Ce troisième théâtre de musique, qui,
pendant si longtemps, aurait pu prendre pour devise
la phrase ironique que Préault avait inscrite sur le
10
,,Cooi^Ii:
170 UNE PÉRIODE CBITIQUB
socle d'une statue du Silence -■ i Je suis celui dont on
parle tant! », ce thëâtre que l'opinion réclamait, en
■effet, par la voie de la presse, par les pétitions signées
des noms les plus illustres et renouvelées successive-
ment en 1842, 1844, 1846, il se dressait enfin. Jus-
qu'alors les ministres luttaient contre cette poussée
de l'opinion, disant que depuis 1807, date du décret
gui réduisait à deux les théâtres de musique, a toutes
les tentatives faites pour sortir d'un cadre si étroit
avaient échoué. » Mais, cette fois, les temps étaient
venus et, comme l'observe plaisamment Albert de
Lasalle, dans son Mémorial du Théâtre-Lyrique, le
ministre de l'Intérieur, M, Duchâtel, « malgré sa
flère attitude, devait succomber sous la pression du
nombre. Il se trouvait serré de près par la foule tou-
jours grossissante des pris de Rome, des lauréats du
Conservatoire, des musiciens sans livret, des libret,
tistes en quête d'un musicien, des chanteurs en
retrait d'emploi, des jeunes de tous les âges, des
impatients qui piaffent à la porte des théâtres, des
inédits enfin, que l'appétit de la célébrité taquine et
rend taquina. — Accorder le Tiiéâtre-Lyrique à ces
âmes eu peine, c'était leur ouvrir la porte du purga-
toire qui donne directement sur le paradis 1 » Adolphe
Adam, le populaire auteur du Chalet, et Achille Mire-
cour, frère d'un acteur du Théâtre-Français, acteur
lui-même et homme expert en matière théâtrale,
étaient nommés directeurs, et le Théâtre-Lyrique
était inauguré le 15 novembre 1847 dans la salle du
Cirque, au boulevard du Temple, sous le nom d'Opéra-
National.
Que devait faire en 1847 cet Opéra-National, s'or-
ganisant pour lutter contre l'Opéra-Comique ¥ Monter
des œuvres nouvelles parmi lesquelles pouvait se ren-
1848 171
contrer un succès, remettre à la scène de vieiUes
pièces, afin d'en ravir le bénéQce à l'adversaire. Ainsi
arriva-t-il : le premier ouvrage d'uu nouveau venu,
Gastibelza, paroles de MM. d'Ennery et Cormon,
musique d'Aimé Maillart, réussit brillamment ; c'était
un bénéfice perdu pour la rue Favart. Puis, des trois
reprises, Aline, Une Bonne Fortune et Félix ou l'En-
fant troitoé, la première surtout fut chaleureusement
accueillie. Le plus curieux, c'est qu'il était déjà ques-
tion de cette Aline avant U mort de son auteur ; od
laisait miroiter cette joie suprême aux yeux du pauvre
Berton ; puis Crosnier avait oublié l'affaire, et son
successeur. Basset, ne s'en souvint que le jour où
précisément Adam voulut passer du rêve à la réalité.
Alors le directeur prétendit faire retirer ce droit aux
directeurs du Théâtre-Lyrique. C'est l'êterDelle his-
toire du chien du jardinier, qui ne mange pas et ne
veut pas que les autres mangent. Pour l'honneur de
la musique, Basset perdit son procès ; mais ce résultat
n'améliora pas les relations entre les deux plaideurs,
et il en résulta un double dommage pour le composi-
teur, qui perdait un débouché à ses œuvres, et pour
le directeur, qui perdait un fournisseur de talent.
Adam fait, dans ses Notes biographiques, une allusion
à cette situation fâcheuse : « J'eus le malheur, écrit-il,
de me fâcher avec Basset pour des affaires entière-
ment étrangères au théâtre, et j'appris qu'il avait dit
que, tant qu'il serait au théâtre, on ne jouerait pas un
seul ouvrage de moi. >• Un seul ouvrage « nouveau »,
avait oublié d'ajouter l'auteur éconduit ; car nous
avons vérifié que, sous la direction Basset, le Chalet
et le Postillon de Lonjumeau n'avaient jamais disparu
do répertoire.
Forcé de subir une concurrence qu'il ne pouvait
172 UNE PÉRIODB CflITIQCB
empêcher. Basset fit de son mieux pour lutter. Haydée
avait mis une bonne carte dans sou Jeu, et les recettes
de janvier atteignirent, en effet, le chiffre assez élevé
de 92,788 fr. 15 c. Le 9 février il donna un nouvel
ouvrage, la Nuit de Noël, opéra-comique eo trois actes,
paroles de Scribe, musique d'Henri Reber. Ce der-
nier était un nouveau venu au théâtre, et devait
s'estimer tout heureui d'avoir obtenu la collaboratioa
du grand matlre ou commandeur des librettistes ; on
pouvait le nommer ainsi, puisque quelques jours
auparavant il avait reçu de l'aTancement dans l'ordre
de la Légion d'honneur, et que', suivant l'amusante
formule inventée par Gham, « sa croix lui était sautée
au cou. » Mais Scribe se trompait quelquefois ; mal-
gré son habileté à faire accepter les invraisemblances,
et à jouer avec les difficultés comme un prestidigita-
teur avec les muscades, il lui arrivait d'écrire des
livrets médiocres, et celui de la Nuit de Noël fut du
nombre. La partition, au contraire, fut appréciée,
sinon du public, au moins des connaisseurs. Souvent
les critiques émettent, à la première heure, des juge-
ments qui, plus tard, font sourire ; parfois aussi ils
devinent juste, comme le prouve un article paru
sous la signature de Henri Blanchard : « Sa mélodie
est plus grave, plus sérieuse que légère, et gracieuse
comme il le faut aux habitués du théâtre Pavart. Son
instrumentation est claire ; son style rappelle celui
des maîtres tels que Ilaendel et Mozart, et sa déclama-
tion imitative la manière vraie et bien observée des
ouvrages de Grétry. C'est peut-être aussi ce désir,
en M. Reber, de bien dire, de bien déclamer, qui Ole
à sa mélodie l'inspiration, la franchise, avec laquelle
cette partie de l'art doit se développer sur la scène.
Cerlainement M. Reber plaira plus aux hommes
1818 173
sérieux et de goiit qu'aux masses qui, en muBîque,
Teulenl être remuées par la puissauce du rythme,
quelque uDiforme qu'il soit. » Toutes ces remarques
sont Tort justes, car Reber, dont le talent était, si l'on
peut dire, trop intime pour le théâtre, et qui a sur-
tout donné sa mesure dans la musique de chambre,
ne connut janaais les succès bruyants. Admirateur
passionné des maîtres classiques, il cherchait à re-
produire la pureté de leurs lignes, et s'efforçait de
cacher sa science sous les dehors de la simplicité.
C'était un délicat qui travaillait pour les délicats, un
modeste qui avait conscience de sa valeur, mais ne
prétendait point l'imposer par les manœuvres de la
réclame. Théophile Gautier le connaissait bien, lui
qui a tracé de ce maître ce joli croquis ; « Nous nous
le figurons volontiers sous l'apparence d'un de ces
maîtres de chapelle, vêtus d'un grand habit marron
à boutons d'acier, en veste de taffetas gris, en bas de
soie de môme couleur, bien tendus sur une jambe
fine et nerveuse, et en larges souliers à boucles d'ar-
gent, qui, dans une chambre boisée de blanc ou garnie
d'une tapisserie de Flandre, exécutent, devant un
pupitre de bois de merisier, une partie de contre-
basse, ou, les doigts enfoncés dans les touches du
clavecin, jouent un morceau de Oouperin. A côlé
d'eux sont posés le tricorne bien brossé, la tabatière
et le mouchoir à carreaux des Indes ; un léger nuage
de poudre s'exhale de la petite perruque à trois rou-
leaux agitée par le battement de la mesure. Chardin
Ou Meiasonier ont fait cent fois ce portrait. »
Pour nous, qui n'avons connu Reber qu'à la fin de
sa vie, nous le retrouvons tout entier dans ces quel-
ques lignes. Nous le voyons encore à l'Institut, cer-
tain jour oîi l'on exécutait les cantates pour le prix de
10.
.^- S'"^
174 DNB PÉBIODB CRITIQUE
Rome. Avec sa redingote marron foncé, son visage
rasé et ses cheveux blancs, que l'&ge seul avait pou-
drés, il réalisait le type crayonné par Gautier : il
semblait un artiste de l'autre siècle égaré dans le
nôtre, un homme des jours passés.-
Tout autre était le compositeur dont l'ouvrage vit
le jour après la Nuit de Noël, tout autre aussi sa mu-
sique. Gilles ravisseur, représenté le 21 février, appar-
tient à la famille du Tableau parlant, de l'Irato, de
l'Eau meroeilleuee. Le librettiste Sauvage l'avait qua-
lifié de « parade eu un acte et en vers » et Albert
Orisar avait brodé sur ce canevas bouffon qui nous
montre Oolombine, Gassandre.Oilleset Léandre, une
musique légère, fine, spirituelle, presque digne d'ua
Cimarosa ou d'un Paisiello. L'œuvre a survécu, du
reste, et, si elle n'4 pas retrouvé des interprètes aussi
remarquables que ceux da début, Mocker, Hermann-
Léon, Sainte-Foy, M"* Lemercier, du moins elle a
été plusieurs fois reprise, et nous l'avons encore
entendue en lti69, aus Fantaisies-Parisiennes, avec
MM. G. Bonnet, Soto, Barnolt, Davoust, M""" Persini
et Chevalier.
Détail assez piquant, le musicien n'avait assisté ni
aux répétitions ni à la représentation de son ouvrage.
Il se trouvait alors en Italie, et c'est de là qu'il avait
envoyé sa partition. Il n'eut point ainsi la surprise
que réservait aux Parisiens le lendemain de cette
brillante soirée. La révolution éclatait brusquement ;
la guerre civile était déchaînée ; les citoyens cou-
raient aux armes et l'Opéra-Gomique en particulier
devait, pour huit jours, fermer ses portes.
, Quand il les rouvrit, ce fut pour traverser une
crise pécuniaire qui aboutit à la retraite du directeur.
Le 20 février on avait réalisé 2,244 fr. 50 de recettes-
1848 175
avec Fra Diavolo et le Domino noir; le 28, jour de la
réouverture, on faisait 974 fraoca avec Haydée, la
pièce nouvelle, le succès du moment, qui avait pro-
duit 3,599 francs la dernière fois qu'on l'avait jouée I
Plus maltraité encore, l'Opéra-National devait tom-
ber peu après, entraînant le malheureux Adam dans
sa débâcle. Quant aux artistes, ils étaient invités à
endosser l'uniforme ; ils montaient la faction au lieu
de suivre les répétitions, et dans les journaux on
Usait des avis aussi étrangement rédigés que celui-ci :
a ClesL la garde nationale habillée ou non habillée (!)
qui fait le service de tous les théâtres de la capi-
tale. »
Au milieu de telles occupations et préoccupations,
on conçoit que la curiosité publique ne pouvait guère
être excitée par l'éclosion d'un petit acte intitulé le
Rêveur éveillé (et non le Dormeur éveillé comme l'in-
diquent à tort les dictionnaires). Connaissait-on
seulement les auteurs, M"' Duval pour les paroles et
M. Leprévost pour la musique ? En 1736, une pre-
mière M"* Duval avait fait représenter à l'Opéra un
ballet, les Génies, dont le succès avait été médiocre,
bien qu'elle-même n'eût pas craint de se montrer en
public et de tenir le clavecin d'accompagnement. à
l'orchestre, aventure unique dans les fastes de
l'époque. La seconde M"* Duval n'eut pas besoin de
s'exhiber en personne, car nul ne la réclama ; sa
bluette dramatique n'était point pour provoquer les
rappelsd'une salle en délire. Reposant sur la maxime
qu'un bienfait n'est jamais perdu, elle a dû, disait un
critique, « faire pleurer l'auteur Bouilly dans son
tombeau, lui qui consacra toutes ses facultés litté-
raires à développer en contes, en opéras, en chansons
cette maxime cousolaule, mais qui n'est pas neuve- ».
176 DNB PÉRIODE CRITIQUE
Quant au compositeur, c'était, s'il faut s'en rapporter
à M. Th. Nisard, bou juge en cette matière, a un mu-
sicien d'une réelle valeur, mais que son tempéra-
ment disposait mieux à écrire de la musique d'église
quedes opéras. » La vérité est qu'il n'aborda plus la
scène et s'en tint à cet unique essai. Le premier soir,
21 mars, l'assistance avait secoué sa torpeur pour
applaudir un couplet patriotique tendant à démontrer
que les peuples opprimés en appellent à la liberté.
En dépit de cette allusion toute d'actualité, le Rêoeur
^ueiiié s'endormit pour toujours au bout de 7 repré-
sentationSj et les recettes continuèrent à poursuivre
leur marche descendante.
En janvier, la moyenne avait été de 3,092 fr. 93 ;
en mars, elle était tombée à 1 ,03 i fr, 45 ; en avril, elle
atteignit le chiffre dérisoire de 677 fr. 30. La situation
devenait critique, f Menacé, dit Maillot dans la Mu-
sique au Théâtre, de ne pouvoir remplir ses engage-
ments, M. Basset allait se trouver sous le coup d'une
révocation si ses commanditaires ne lui venaient en
aide ; mais ces derniers, dont la confiance était
ébranlée, songèrent à son remplacement. C'est dans
ce but qu'un M. Doux, chef du contentieux chez
M. Basset, s'entremit auprès du ministre de Tinté-
rieur, qui était alors Ledru-Rollin, pour obtenir
la cession jugée nécessaire et qui devait protéger
M. Basset, tout en sauvegardant les intérêts des com-
manditaires. Ledru-Rollin, qui, en présence de la
situation fâcheuse de l'Opera-Comique.eùt pu adopter
une mesure radicale et nommer un directeur en lui
faisant la place nette, préféra prendre en considéra-
tion la situation de tous les intéressés, et notamment
celle de tiers engagés pour 400,000 francs dans l'ex-
ploitation. Il esigea le consentement de MM. de
1848 177
Raigecourt et- de Saint-Maurice à la transmission du
privilège de M. Basset à une autre personne. Ce con-
sentement lui ayant été apporté, il conféra le privi-
lège à M. Emile Perrin, homme dont l'habileté
encore inconnue ne tarda pas à se révéler. M. Perrin
entra à la direction avec un crédit de 400,000 francs ;
ses livres en font foi. »
La gestion de Basset avait donc duré trois ans ;
gestion malheureuse si l'on considère le résultat
final, honorable si l'on tient compte des efforts et du
travail de cet homme qui devait sa fortune au hasard,
au simple caprice d'une grande dame- Il faisait,
ainsi que son frère, ses études au collège de Mar-
seille, lorsqu'un jour M°" Adélaïde, sœur du roi, et,
raconte Adolphe Adam, la seule personne de la
famille d'Orléans qui eût un goût réel pour la musique,
visitait cet établissement. Un des jeunes Basset chanta
devant elle une mélodie de circonstance, et, charmée
de aa jolie voix, la princesse promit à l'élève qu'elle
ne l'oublierait pas. En effet, quelques années plus
tard, elle le plaça dans les bureaux de la maison du
roi, et attacha son frère au ministère de l'intérieur,
où l'on vint le chercher pour lui confier le poste de
directeur de l'Opéra-Comique, Il tomba, renversé,
lui aussi, par le même coup qui frappait ses protec-
teurs, mais non sans avoir donné des preuves d'intel-
ligence et d'activité. En trois ans, il avait monté
vingt-deux ouvrages, dont neuf en trois actes, sans
parier des reprises, dont quelques- unes assez impor-
tantes. Ces ouvrages représentaient vingt composi-
teurs différents, et il pouvait se glorifier d'avoir faci-
lité l'accès de la scène à six d'entre eux, qui s'étaient
essayés sous ses auspices : Bazin, Boisselot, Bourges,
Doche, Héquet et Leprévost. Enfin, s'il n'avait
178 UNE PÉRIODE CRITIQUE
point découvert dea étoiles de première grandeur, il
avait su néaûmoins faire débuter d'excellé ntslartistes,
comme M"" Charton, Grimm, Lemercier, Levasseur,
MM. Bussiue, Montaubry, Chaix, Jourdan, Nathan et
Eugène Ponchard. Il avait pleinement bénéficié des
Mousquetaires de la Reine; mais il lui arriva ce qui de-
vait arriver plus tard à M. Pellegrin, laissant à M. Car-
valho ta Fanchonnette, puis à M. du Locle montant
Carmenpour leplus grand profit du môme M. Carvalho,
qui devait un jour y retrouver une fortune ; le malheu-
reui Basset avait entre les mains un joyau de prix
qui s'appelait Haydée; c'est son successeur qui eut la
chance d'en retirer les bénéfices. Sic vos non vobis l
Cela dit sans vouloir diminuer le mérite de ce
successeur, l'un des hommes qui ont le mieux connu
le théâtre et ses besoins, le public et ses goûts, les
auteurs et leur talent, les artistes et leurs caprices.
Emile Perrin demeure en quelque sorte le directeur-
type, celui qui a pu administrer tour à tour les trois
plus grandes scènes de Paris sans faiblir à la tâche,
toujours luttant et toujours heureux. On a parlé de
sa chance ; elle était moindre que son habileté. Intel-
ligent, plus fin que brillant, toujours correct, il avait
cette tenue qui assure au personnage une place dans
le foyer d'un théâtre aussi bien que dans le salon
d'un miuistre. La froideur apparente sous laquelle il
cachait sa timidité naturelle lui donnait une sorte de
gravite qui convenait à ses fonctions; sachant parler,
mais surtout sachant écouter, il imposait ses volontés
par la douceur et la persuasion, aidant tout le monde
et ne décourageant personne, merveilleux diplomate
sur ce terrain spécial où il faut ménager ensemble
tant d'intérêts et d'amours- propres opposés. Les
études de peinture qu'il avait faites au début de sa
1846 179
carrière avaient développé son goût pour les arts,
son culte pour le beau, et il est banal aujourd'hui de
rappeler à quel degré d'élégance et de soin il avait
poussé le luie de la mise en scène. De plus, il ne
montrait pas cet entêtement stérile et fâcheux des
impuissants qui finissent par décourager autour d'eux
les meilleures volontés ; il daignait prendre en consi-
dération les raisons qu'on lui présentait, et ne se déci-
dait qu'en connaissance de cause, après enquête mi-
nutieuse et mure réflexion. Enfin il possédait, pour
un directeur, deux qualités précieuses entre toutes:
il savait susciter les œuvres, les faire germer et éclore
dans le cerveau de leurs auteurs; il savait, en outre,
discerner les artistes à succès et les attirer à lui, ce
qui favorisait son entreprise aux dépens des entre-
prises rivales, et décider les auteurs à lui donner
leurs oeuvres nouvelles, ce qui permettait de remettre
en scène l'ancien répertoire^et de gagner presque au-
tant avec une vieille pièce qu'avec une nouvelle. Par
l'ensemble de ces mérites il triomphait des difficultés
et excellait à tourner les obstacles qu'il ne pouvait
briser; c'est ainsi qu'entre ses mains le mauvais pou-
vait devenir bon, et le bon lui-même devenir meil-
leur. On le vit à l'Opéra-Comique, uù la situation
n'était rien moins que prospère lorsqu'il s'y présenta.
Succédant à Basset pour les cinq ans qui lui restaient
à courir, il acceptait la plus grande partie de ses obli-
gations et charges locatives, et, à peine installé, il
allait se heurter à la catastrophe des journées de
juin. Un autre aurait succombé; Emile Perrin se mit
courageusement à l'œuvre et réussit. Depuis le
30 avril, le théâtre étaitfermé; il rouvrit ses portes le
17 mai, et pour tâcher de compenser la perte de ces
seize jours de relâche, trois reprises importantes
180 ItNB péBIODE CKITIQUB
furent coup sur coup offertes au public : les Rendez-
vous bourgeois, \e%0m3.i; Fiorella, le 9 \\iia, et la Fille
du Régiment, le 22 juin.
Depuis longtemps, l'incomparable bouffonnerie de
Nicolo semblait oubliée; elle avait disparu du râper-
toire, OD ue sait pourquoi; cette reprise eut pour effet
de lui rendre la vie, et les Rendez-vous bourgeois se
sont donnés depuis avec un succès qui ue s'est plus
jamais démenti.
Fiorella, créée le 28 novembre 1826 par Laleuil-
lade, Lemonnier, Valère, Féréol, M"'* Pradher et
Boulanger, avait cette fois pour interprètes Âudran,
Bussine, Emon, 8ainte-Foy, M°"* Darcier et Lemer-
cier. C'était l'une des premières partitions d'Auber,
remplie de morceaux agréables et faciles, dont quel-
ques-uns ont joui d'une vogue populaire. Mais, en
Ï84S, la pièce n'eut qu'un succès d'estime et disparut
définitivement du répertoire.
La Filla du Régiment faisait au contraire, avec sa
nouvelle recrue Battaille, une rentrée triomphale.
Nous avons dit qu'elle avait reçu à l'origine un ac-
cueil assez froid. Répété sous le nom de Marie, l'ou-
vrage de Donlzetti avait paru n'avoir tout d'abord
d'autre mérite que celui de servir aux débuts d'une
jeune cantatrice, M"° Dorghése, sur qui l'on fondait
de grandes espérances et qui les tint en partie seu-
lement. A côté d'elle le rôle de Tonio avait été créé
par Marié, lequel avait chanté constamment faux ce
soir-là. Est-ce à cette ciroonstance que le composi-
teur dut s'en prendre? Ce qui est certain, c'est que sa
musique ne produisît alors aucun effet et qu'on ne
trouva à bisser que le trio du second acte ; encore
jugea-t-on qu'il était u un calque du trio du Pré aux
Clercs ». Les chœurs furent déclarés « d'une corn-
1848 18t
plète nullité V, l'ouverture « médiocre > et le finale
< n'offrant rien de saillant ». Un journal, rédigé avec
soin et très modéré d'allure, écrivait : < Dans ces deux
actes chargés de musique, noua ne saurions guère
citer que deux ou trois morceaux, tous les autres
sont bruyants. Le tambour, le trombone , la trom-
pette, les timbales y dominent de la manière la plus
affligeante pour les oreilles. Une valse sert d'intro-
duction au deuxième acte, mais elle aurait pu être
mieux placée. Elle semble avoir été tirée d'un porte-
feuille où elle attendait l'occasion de se produire. »
Et puis c'est tout; à peine trois lignes sont-elles ajou-
tées à la fin de l'article en manière de coaclusion :
« 11 n'y a pas lieu de se féliciter de l'apparition de
ta Fille du Régiment. Il faut espérer qu'il siguor Do-
nizetti sera plus heureux dans le second ouvrage qu'il
va donner à l'Opéra-Oomique.»
Plusbeureuxilnele fut pas, car ce second ouvrage,
entré alors en répétition sous le titre de Joséphine,
fut bientôt retiré par suite du non réengagement de
M"" Eugénie Gai'cia et ne vît le jour que quatorze
années plus tard au Théâtre-Lyrique (le 31 dé-
cembre 1853) sous le titre dé&ailil d'Elisabeth. Mais
s'il avait eu la satisfaction d'assister au succès crois-
sant, d'année en année, de la Fille du Bégiment en
France et à l'étranger, il ne devait pas malheureu-
sement être témoin de son triomphe définitif à
Paris. C'est après sa mort seulement qu'on se dé-
cida à remonter la Fille du Régiment à l'Opéra-Oo-
mique où, profitant de sympathies posthumes, elle
planta définitivement son drapeau.
Le lendemain de cette reprise, le 23 juin, une jeune
chanteuse, nommée M"" Ugalde-Beaucé, devait débu-
ter dans le rôle d'Angèle du Domino noir; la poli-
11
183 UNE PtiSlODE CRITIQDB
tique ea avait décidé autrement. Le spectacle se
donna non pas dans un théâtre, mais dans la rue :
une fornùdalile insurrection était déchaînée et le
sang coulait comme il avait coulé trois mois aupara-
vant. M. Ch. Réty nous a rapporté à ce sujet un joli
mot du débutant de la veille, Battaille. Tous deux fai'
salent partie de la section de la garde nationale de la
rue Bergère, qui fut des premières à lutter et très
vaillamment contre les insurgés. La journée fut
chaude et plusieurs hommes furent mis hors de com-
bat. « Conviens que tu as eu un peu peur, dit le soir
en rentrant M. Gb. Réty à Battaille. — Ouï, répondit
celui-ci, mais pas tant qu'hier ! »
Les portes fermées ne se rouvrirent plus que le
21 juillet, c'est-à-dire après vingt-huit jours de re-
lâche. Cette foie, du moins, la barque entrait au
port; l'orage était calmé, et la fortune de la salle Fa-
vart, un instant compromise, allait être rétablie et
assurée par l'activité de son directeur.
Tout d'abord une foule de débutants se produisirent,
entre lesquels il faut tirer hors de pair M"* Ugalde^
quij à cette époque, ajoutait encore à son nom celui
de Beaucé. Élève de M"" Cinti-Damoreau, elle ne
a'étaitfait entendre jusqu'alors que dans des concerts;
elle ignorait la scène ; mais elle avait l'intelligence,
qui tient lieu d'expérience; elle acquit bien vite le
talent de comédienne qui lui manquait tout d'abord,
et comme elle possédait une voix charmante, souple
et légère, elle se plaça presque aussitôt au premier
rang. On lui prédit un bel avenir; au cours de cette
histoire, nous aurons plus d'une fois à constater
qu'elle a tenu, et au delà, tout ce qu'elle promettait,
car M*" Ugalde compta parmi les meilleurs artistes
dont puisse s'enorgueillir la seconde salle Favart.
1S48 183
Déjà nous avons mentionné Battaille; il faut citer
Lemaire et M™* Thibault, qui parurent à ses côtés le
même soir que lui, dans la Fille du Régiment, jouant,
l'un le rôle de l'intendant, l'autre celui de la mar-
quise ; puis, M. Anthiome, qui débuta le 3 août dans
la Dame Blanche, et retrouva à Paris les succès qu'il
avait, comme téoor, remportés en province; M, Boulo,
qui, lui aussi, venait de province après avoir passé
par l'Opéra, et M"' Decroix, jolie femme et médiocre
chanteuse, tous deux chargés des rôles de Lorédan
et de Kaphaëla dans Saydée, le 14 septembre. Si
même nous anticipons sur la fin de l'année, il con-
vient d'ajouter à ces noms celui de M. Bellecour, nn
ancien acteur, qui ht apprécier son habitude des
planches, le 4 décembre, dans Fortunatus de V Am-
bassadrice, et M"' Maria Meyer, qui. se produisit le
22 novembre dans Fiamma du Diable à VÉcole, après
avoir quitté le Conservatoire, où le concours de 1848
lui avait valu le second prix de chant et le premier
prix d'opéra-comique.
Disposant d'une bonne troupe comme celle qu'il
possédait alors, M. Emile Perrin pouvait livrer ba-
taille; LL commença la campagne le 24 août avec un
ouvrage en trois actes, il Signer Pascariello, paroles
de Leuven et Brunswick, musique d'Henri Potier.
Le livret n'offrait pas un intérêt palpitant et semblait
même un peu long pour initier les spectateurs
aux aventures de Pascariello, maître à chanter
dans un couvent de religieuses, reconnaissant cer-
taine novice nommée Paula pour sa flUe, bien qu'il
□'en soit pas le père, et allant jusqu'à épouser Bar-
bara, sa vieille bonne, ahn de donner une mère à la
pauvre enfant qui sans cela ne pourrait se marier
avec son amoureux GaËtano, et serait obligée de
,i.za..ï Google
184 DNB PÉRIODE CRITIQUE
8e faire religieuse par ordre de soq propre père.
< Désaogiers, rapporte un critique, fit dans le
temps, pour l'acteur Potier, une pièce intitulée le Pe-
tit Enfant prodigue, dans laquelle l'auteur se joue
ainsi d'une façon comique et cynique des sentiments
de la paternité. Le héros, après avoir été forcé de
subir les caresses dérisoires de deux farceurs qui
sont venus lui déclarer tour à tour qu'il est leur fils,
finit par jeter à la porte son véritable père, qu'il ne
veut pas reconnaître, fatigué qu'il est d'être embrassé-
par tous ces gens qui prétendent à tour de rôle être
les auteurs de ses jours. »
Les deux pièces avaient donc une certaine analo-
gie, et le hasard voulut que la musique de la seconde
fût composée par le fils de celui pour qui la première
avait été écrite. Comme dans ses ouvrages précé-
dents, Henri Potier avait fait preuve d'une certaine
gr&ce mélodique, jointe & un sentiment assez juste de
la scène et des situations comiques. Il Signor PoBca-
riello fut joué vingt-six fois, grice au talent surtout
qu'y déployèrent les interprètes, M"' Lavoye et Thi-
bault, MM. Jourdan et Mocker, ce dernier surtout,
plein de verve et de sensibilité, faisant rire et pleu-
rer tout ensemble, et justifiant, au dire d'un journal,
cette bizarre et caractéristique définition donnée par
un amateur fort épris des choses du théâtre : « C'est
un paquet de ficelles trempé de larmes t »
La pièce nouvelle fut suivie le 38 août d'une pièce
ancienne qui n'a pas, il faut le croire, perdu toute sa
paveur, car eUe a reparu aux Fantaisies-Parisiennes
en 1668. C'est le Muletier, qu'Adolphe Adam, bon con-
naisseur en la matière, jugeait « un des meilleurs
actes de musique qu'il y ait au théâtre. >> Joué pour
la première fois la 12 mai 1823, l'ouVrage n'avait pas
1848 tes
reocoatré tout d'abord la faveur du public ; la morale
était alors presque de rigueur au théâtre, et la pudeur
s'alarmait aisément. Or, le Muletier abondait eu situa-
tions risquées , la- donnée semblait leste et le dia-
logue, signé Paul de Kock, assez épicé pour le temps.
Il avait donc fallu tout le charme de la partilion pour
sauver la gaillardise du livret. Herold, cependant,
ne trouva pas à la vendre et fut obligé de la faire
graver à ses frnîs. De telles misères sont encore
bonnes à rappeler; elles servent à consoler les jeunes
et les aident à supporter les dif&cultés de l'heure pré-
sente, eu leur montrant qu'avant eux les plus illustres
ont connu de même les blessures d'amour-propre et
les sacriûces d'argent !
La Sournoise suivit de près le Muletier; mais ai
Thomas Sauvage et de Lurîeu, les librettistes, pou-
vaient rivaliser avec Paul de Kock, Thys, le compo-
siteur, n'avait rien de commun avec Herold. L'his-
toire de cette petite sournoise qui trompe tout le
monde, parents et amis, pour arriver à se faire épou-
ser par celui qu'elle aime, avait comme un vague
parfum d'ancienne comédie, dont la musique devait
tirer parti; il trouva, en effet, quelques mélodies
agréables, une valse et un quintette dignes de re-
marque, mais l'ensemble parut plus cherché que
trouvé. Nathan, 9ainte-Poy, sa femme et M"* Lemer-
cier menèrent la pièce avec entrain le 13 septembre
et s'y firent applaudir; le succès fut pourtant assez
éphémère, et depuis, tout souvenir de l'œuvre a dis-
paru sans retour.
Cependant, peu à peu le théâtre renaissait à la vie,
et les recettes se relevaient avec une régularité dont
le tableau suivant montre la progression :
..Coo^^le
UNE FâRIODE CRITIQDK
Administration Perrin.
Hai (14 représ e a tatio as seulement) Fr. 11,167 2Se.
Juin 16,916 50
Juillet 15,399 »
Août 22,571 95
Septembre 38,343 03
Octobre 34,6«l 20
Novembre 69,293 05
Décembre 76,343 61
Le temps des épreuves était passé; on retrouvait la
fortune après la détresse, post nubila lucem! C'est
comme une période nouvelle qui commençait, pé-
riode d'un incomparable éclat, où les succès , par un
caprice du sort, allaient surgir retentissants, nom-
breux et durables. Les quelques années qui suiveot
comptent, en effet, parmi les plus belles de l'Opéra-
Comique, et l'on peut dire que la seconde salle Favart
attint alors son apogée.
D.3i.za..ï Google
CHAPITRE VII
LA DIRBCTION DR U. PERHIN
Le Tal d'Andorre, te -Cald, le Toréador, la Fée a«x roses, les
Porcherons, le Songe d'une Nuit d'été, Qiralda, la Chanteuse
voilée.
Cette suite de titres, tous cobdus et quelques-uns
célèbres, aufflt à résumer l'histoire de la salle Favart
pendant deux années. Du 1 1 novembre 1848 au 26 no-
TCmbre 1850, une période en effet s'étend qu'on peut
considérer comme iocomparable, comme unique
mémo dans les annales du théâtre en général et de
l'Opéra-Comique en particulier. L'habileté du direo-
tèur, l'inspiration des auteurs, la valeur des inteiv
prêtes, tout semble concourir à la prospérité de l'entre-
prise. Le cadre s'élargit peu à peu, le niveau musical
«t dramatique s'élève d'un degré, et chaque pas en
avant est marqué alors par une victoire nouvelle.
Halévy triomphe avec deux ouvrages dont l'un compte
parmi ses meilleurs, et dont l'autre n'a jamais quitté
le répertoire de la province ; Ambroise Thomas
obtient les deux succès les plus retentissants qu'il ait
188 I^ DIRECTION DK U. PSRIIIN
connus avant Mignon ; Adolphe Adam fait représenter
deux de ses pièces les plus charmantes ; Albert âri^
sar écrit la plus réussie de ses partitions eu trois
actes ; Victor Massé débute au théâtre par un coup
d'éclat. Donc, excepté Meyerbeer, qui ne songeait
pas encore à l'Opéra-Gomigue, et Auber, qui déjà
préparait sa rentrée à l'Opéra, tous les maîtres d'alors
semblent rivaliser entre eux et jeter un défi k la for-
tune ; tous livrent bataille et tous sont TÛnqueurs.
Retardé au dernier moment par une îadisposltion
d'Audran, et joué enfin le 11 novembre 1848, le Val
d'Andorre offrait un contraste absolu avec le précé-
dent ouvrage des mêmes auteurs, de Saint-Georges
pour les paroles et Halévy pour la musique. Dans les
Mousquetaires de la Reine, des aventures galantes de
grands seigneurs, des palais, des pourpoints de soie ;
dans Je Val d'Andorre, des amours de paysans,' des
chaumières et des costumes de laine; en revanche, là
comme ici, même abondance mélodique, même con-
naissance de la scène, même souci de la facture et de
^instrumentation. Aussi, dès le premier soir, le suc-
cès fut-il complet ; plusieurs morceaux eurent les
honneurs du bis, comme la Basquaise chantée par
Oeorgette et la chanson militaire du troisième acte.
-Appelé sur la scène par des acclamations sans an,
'Halévy, contrairement à l'usage, consentit à se mon-
trer dans un coin des coulisses, puis disparut bien
vite, cédant la place aux remarquables interprètes
qui avaient combattu vaillamment pour lui. Le reten-
tissement à l'étranger fut tel qu'une semaine plus
tard deux des éditeurs les plus connus arrivèrent à
Paris pour acquérir la partition, M. Beale, de Londres,
et M. Bock, de Berlin. Il ne saurait être question ici
d'énumërer toutes les villes qui s'empressèrent de
1848 189
monter l'œuvre nouvelle ; mais on peut, avec des
chiffres, mesurer sa carrière à Paris. De 1848 à 1851,
elle s'est doonée 128 fois; la ceatième eut lieu le
23 décembre 1849, c'est-à-dire un peu plus de treize
mois après la première, et fut célébrée par un ban-
quet que les auteurs offrirent aux artistes, au direc-
teur et aux éditeurs. Le Val d'Andorre reparut ensuite
au Théâtre-Lyrique, une première fois le 15 oc-
tobre 1860, une seconde fois le 34 octobre 1868,- il
revint enfin à son lieu d'origine le 15 octobre 1875, et
fournit une série de 32 représentations ; il a donc été
joué en tout 160 fois à la salle Favart.
Voici, au surplus, les différents chanteurs qui s'y
sont succédé :
1848
i860
1868
1875
Opéra-
Tirilrt-
Théâtre-
Opért-
Comiq^.
Lyrigu..
lyrique.
Comiju»,
jn!qoe^
UM.
BaltalUe.
Baltaills.
Obin.
Staphan,
M^tj.ui.
Mocker.
MeiUct.
Maillât.
Barr*.
sl^lorD,'"'
Jourdaii.
Promsat.
■VatâMtt;
Nioot.
Ko.e do Mai,
u—
DaroUr.
Mûllot.
Fid»i-Deïri»i.
Chapoj.
asorgatta,
LfcïoyB.
Hoilta.
Daram.
ChsTidier.
Théra»,
Réïilly.
ZéTBOO.
RiVMj
{Pr«Ms par
Vidal.
l-Opén-Comiqne].
Un dernier souvenir mérite d'être rappelé ici; il
prouve à quel degré d'indifférence ou de misère sont
tombés les conservateurs de nos grandes biblio-
thèques. Le 6 février 1883 le manuscrit original du
Val d'Andorre a passé sur la table des commissaires-
priseurs à l'hôtel Drouot ; l'État n'avait aucun repré-
sentant à cette vente, et c'est un amateur parisien,
M. de Cisternes, qui s'est vu adjuger ce précieux
autographe, pour la somme de 150 francs 1 Gravée,
cette môme partition d'orchestre était marquée au
prix de 400 francs 1
11.
190 LA DIRECTION DB H. PBRRIN
On aurait donné beaucoup moins de l'ouvrage qui
suivît le Val d'Andorre, s'il avait jamais été mis aux
enchères. Ce petit acte, intitulé les Deux Bambins et
joué le 6 décembre 1848, avait pour auteurs d'une
part de Leuven et Brunswick, de l'autre Luigi Bor-
dèse ; c'était une sorte de pochade dans le goût des
farces italiennes du théâtre de la Poire au xviii" siècle,
un lever de rideau sans importance, qui disparut de
l'af&che au bout de quatre représentatioDS.
En revanche, l'année 1849 fut inaugurée par un
succès dont l'éclat ne devait pas être simplement
éphémère. Le Caïd compte en effet parmi ces quel-
que dix ou douze œuvres qui forment pour ainsi dire
le patrimoine du théâtre, et voient presque chaque
année grossir le nombre de leurs représentations. De
1849 à 1866, iln'a quitté l'aEflche qu'en 1859 ; après
une éclipse de huit ans, il a reparu en 1875, 1876,
1879 et 1880; bref, on l'ajoué trois cent une fois dans
la seconde salle Favart. Le Caïd, écrit d'abord le Kaîd,
portait primitivement un titre aussi bizarre que peu
harmonieux : les Boudjous ; c'est ainsi que les auteurs,
peu experts en connaissances orientales, désignent
une monnaie arabe ou bédouine dont l'appoint était
nécessaire au développement de leur intrigue. A ce
seul mot, on devine qu'il s'agit d'une bouffonnerie,
et, pour mieux marquer l'intention de pasticher le
sujet italien, l'affiche portait cette désignation :
« Opéra bouffe en deux actes et en vers libres, libretto
■de M. Sauvage. » Libretto remplaçait ici poème,
terme ordinairement employé. Il est bon de constater
que la première représentation du Caïd coïncida avec
une brillante représentation de VHaliana in Aigeri,
interprétée par Morelli, Ronconi et l'Alboni. Cette
rencontre imprévue du modèle et de la copie fut
1849 1111
presque an attrait de plus pour l'ouvrage du maître
français, représenté le 3 janvier et joué soixante et
une fois dès la première année. On put constater
ainsi que la satire n'avait rien de mordant, et que la
parodie était écrite par un compositeur qui a su
demeurer toujours et partout respectueux de son art.
< Sa muse, écrivait-on à ce sujet, est une demoiselle
bien élevée qui a voulu essayer de se faire cocotte et
d'aller en partie âue ; elle s'y est montrée avec une
décence piquante, une folie scientifique, un déver-
gondage de bon goût. » Et cette définition caractérise^^
asseï justement la première manière d'Ambroise^;
Thomas, dont le Caïd marque le point suprême ; avec
le Songe d'une Nuit d'été, en effet, une évolution
devait commencer à se produire, et les résultats en
sont connus de tous : ils s'appellent Mignon et Hamtet. _i
Cependant, la faveur pour les ouvrages de l'ancien
répertoire n'avait pas disparu avec le roi Louis-Phi-
lippe. On put le constater dès le début de l'année
1849, avec deux reprises: Maison à vendre, le 17 jan-
*vier, et la Fête du village voisin, le 28 janvier. II avait
même été question un instant de Jtfa fanfe Aurore;
mais le projet fut abandonné, et ce n'est que quelques
années plus tard, en 1851, au Théâtre-Lyrique, que
les admirateurs de Boieldieu purent applaudir cet
opéra-comique où Alphonse Karr a puisé, par la
suite, le sujet de son amusante c Histoire învraisem-
J)lable. »
De ces deux vieilles pièces, lapremière, d'Alexandre
Du val pour les paroles et de Dalayrac pour la musique,
était née le 23 octobre 1800 dans la première salle
Fâvart ; elle n'avait pas encore paru dans la seconde,
où Ponchard fils, Bussine et M"* Meyer la présentèrent
.avantageusement au public. EUeyresta jusqu'en 1853,
.192 LA. DIHBCTION DB U. FERRIN
OÙ elle atteignit sa quarante-troisième et dernière
représentation. Depuis lors, on ne l'a plus revue
qu'au Théâtre -Lyrique, sous la direction Offenbach.
La deuxième pièce, de Sewrin pour les paroles et
de Boieldieu pour la musique, eut une destinée assez
analogue. Jouée, pour la premièie fois, le 5 mars 1816,
elle se maintint depuis 1849 quatre années consécu-
tives au répertoire, reparut en 1857, fournissant
alors 47 représentations, émigra ensuite aux Fantai-
sies-Parisiennes, mais, plus heureuse, revint au ber-
cail' en 1877, où elle retrouva encore 18 soirées, avec
MM. Duwast, Boyer (début), Bernard, Thierry,
M"" Vergin, Eigensehenk (début), Decroii, Lévy,
dans les rôles tenus en 1849 par Bussine, Emon, Eîc-
quier, M°"*Meyer, Lemercier, Décrois, Thibault. Re-
marque curieuse l si la musique de cet ouvrage a
toujours été jugée favorablement, le livret, en re-
vanche, a passé pour insipide et médiocre ; or, ce
dernier n'est pas sans quelque analogie avec celui de
Martha, qui n'a jamais encouru les mêmes reproches.
Une troisième reprise occupe ce premier trimestre :
la Marquise, un petit acte d'Adolphe Adam, est remise
, & la scène le 9 mars, mais n'y demeure que douze
soirs, disparaissant alors, et pour toujours, selon
toute vraisemblance. Aujourd'hui, qui se souvient
que le principal rôle de cette pièce avait été créé, le
28 février 1835, par une actrice k laquelle étaient
réservés bien des succès sur d'autres scènes? En
effet, la charmante jeune fille qui débutait alors et se
croyait appelée à devenir une chanteuse, tandis
qu'elle représentait aux yeux du sévère Jules Janin
c un buisson de roses d'où s'échappe un âlet de
vinaigre », c'était M"" Anaïs Fargueil !
. A ces trois reprises presque simultanées succéda.
1849 193
le 31 mars, uoe noaveauté de quelque importance,
les Monténégrine, trois actes d'Alboize et Oérard de
Nerval, mis eu musique par un compositeur belge,
M. Limnauder. L'Opéra- Comique avait recueilli, en
même temps que les Deux Bambins cités plus haut,
cette épave dans le naufrage du Théâtre-Lyrique, dit
Opéra-National : c'est ainsi que l'ouvrage, répété sur
une scène, parut quelques mois plus tard sur une
autre. Adolphe Adam avait semé ce qu'Emile Perrin
recueillait ; car, en dépit d'une certaine inexpérience,
fort excusable chez un débutant comme M. Limnan-
der, les Monténégrins obtinrent un succès honorable.
Parmi tant de poèmes dépourvus d'intérêt, absurdes
ou simplement oiseux, dont les compositeurs n'hési-
taient pas alors à se Contenter, celui-ci du moins se
distingue par une originalité de couleur, et même
une certaine hardiesse qui nous séduiraient aujour-
d'hui. L'action, en elFet, est des plus modernes ; la
politique y tient autant de place que l'amour, et c'est
contre Les soldats de Napoléon l" que ces tiers mon-
tagnards luttent pour l'indépendance de leur patrie.
La musique répondait aux exigences de ce programme
mouvementé et révélait un compositeur de réel
mérite, qui par la suite, deux fois encore, aborda
rOpéra-Comique, en 1851 avec le Château de la Barbe-
Bleue, et en 1859 avec Yvonne, puis garda le silence
et se laissa gagner par l'oubli. M. Llmnander vit
encore, et les théâtres de Paris, de la province et de
l'étranger oe le connaissent plus. <> On pourrait,
disait-il naguère d'une voix douce et résignée, on
pourrait me jouer en Belgique ; malbeureusement je
suis... Belge. » Que d'amertume et d'ironie dans cette
«impie réflexion l
Adolphe Adam n'aurait pu se plaindre ainsi de
t94 L* DIRECTION DB U. FERRIN
rindifféreoce des directeurs, car il ne restait jamais
longtemps sans se rappeler à leur souTenir. Le
9 mars, avons-nous vu, on avait repris ia Marquise;
le 18 mai on représentait pour la première fois le Tt>«
TéadoT, et la 10 juin on représentait Régine ou les
Deux Nuits. Il semblait qu'on voulût indemniser le
compositeur de l'espèce d'ostracisme dont l'avait
frappé naguère la direction Basset. Devant lui les
portes se rouvraient toutes grandes désormais.
On avait quelque peu hésité sur le choix de l'ortho-
graphe du titre de la pièce nouvelle dont Th. Sau-
vage avait tracé le libretto. Tout d'abord la mot fran-
çais avait reçu une désinence espagnole et s'écrivait
Tauréador. Puis, ce nom s'était changé en celui
A'Ah! vous dirai-j'e, maman l à cause du trio du pre-
mier acte, bAti sur ce thème populaire qu'agrémen-
tait une série de variations oubliées, sans doute, par
Mozart et retrouvées par Adam. Enâu l'on s'était
-décidé pour le Toréador, auquel étaient joints ces
mots, ou l'accord parfait, justi&és par le dénouement
d'une pièce où l'on voyait le mari, l'amant et la
femme s'entendre à merveille pour faire ménage à
trois. Ce sous-titre, de moralité fort douteuse en l'es-
pèce, disparut dès la seconde représentation; depuis
lors également, l'ouvrage fut divisé en deux actes;
c'est sous cette forme qu'il s'est maintenu au réper-
toire presque sans interruption jusqu'en 1869, et
qu'on l'a revu eu 1881 avec MM. Tasltin, Bertin et
M"* Merguillier tenant les rôles créés si brillamment
par Battaille, Mocker et M"" Ugalde.
Plusieurs particularités curieures se rattachent au
souvenir de cette première représentation. D'abord,
elle fut donnée au bénéfice d'un des interprètes,
Mocker, qui venait d'être nommé régisseur, en rem-
uj.z... Cookie
1849 195
placemeot de Henri, forcé de quitter le Ihé&tre et ses
fonctions à cause da mauvais état de sa santé. Puis,
un nouveau titulaire occupait, pour la première fois,
le fauteuil du chef d'orchestre : Tilmant, venu des
Bouffes, succédait à Laharre, artiste d'humeur voya-
geuse que la fortune allait bientôt favoriser; âlleul
de la reine Hortense, il obtint, à l'avènement de Na-
poléon III, la place de maître de la chapelle impé-
riale, et l'on conçoit que la protection dont il était
honoré ne dut pas nuire à la représentation de ses
ouvrages. EnQn, la composition du spectacle était
assez curieuse : Rachel jouait le Moineau de Lesbie;
Henri Monnier paraissait dans la Famille improvisée,
et pour la première fois, croyons-nous, les Rendez-
vous bourgeois subissaient la singulière épreuve du
travestissement : M'" Lemercier prenait le rôle de
César, M"" Levasseur celui de Charles, M"* Révilly
celui de Dugravier, Sainte-Foy celui de Julie et Pon-
. chard celui de Louise, Un grand .succès de gaieté
accueillait cette tentative gui devait se renouveler
asseï souvent par la suite.
Régine eut un sort moins heureux que le Toréador.
Représenté d'origine le 17 janvier 1839, après le Bras-
seur de Preston et avant la Reine d'un Jour, cet opéra-
comique en deux actes de Scribe et d'Adam, joué par
Roger, Henri, M""" Boulanger et Rossi, avait laissé
âe bons souvenirs. Repris le 10 juin 1849 avec Pon-
chard et Lemaire, M"" Révilly et Thibault, comme
interprètes, il ne retrouva plus la faveur du public et
disparut de l'afflcbe après 6 représentations.
La Nuit de la Saint-Sylvestre alla jusqu'à 12 repré-
sentations, ce qui équivalait à une chute non moins
définitive. Pour écrire cet ouvrage, Mélesville et
Michel Masson, les librettistes, s'étaient inspirés
196 LA DIRBCTION DE H. PBRBIN
â'uDS nouvelle de Zschocke, romancier suisse; ils eu
avaient tiré d'abord un vaudeville, le Garde de Nuit,
joné aux Variétés avec Vernet dana le principal rôle,
puis un opéra-comique en trois actes qu'ils avalent
confié à François Bazin. La partition, exécutée le
7 juillet, fut jugée médiocre, et la presse commença
dès lors à adresser au jeune compositeur le terrible
reproche que par la suite elle lui a de moins en moins
épargné : l'absence d'originalité 1 Partie du Vaude-
deville, cette pièce devait y retourner sous forme de
timbre. Avec son rythme sautillant et guilleret, cer-
tain chceur : > Amis , de son Altesse célébrons les
bienfaits », a accompagné et accompagne peut-être
encore au Palais-Royal ou sur d'autres scènes ana-
logues la sortie des principaux acteurs ; qui sait même
si le chef d'orchestre connaît à quelle source ce re-
frain a été puisé ï Le plus curieux est que cette par-
titîon» éditée chez Bonoldi, son auteur lui-même ne
la possédait point. 81 soigneux de ses affaires, si éco-
nome, si ordonné qu'après sa mort on retrouva une
collection de bulletins des voitures qu'il avait prises .
durant sa vie, Bazin pourtant n'avait pas conservé -
la Nuit de la Saint-Syloestre ; aussi sa joie fut-elle
■grande quand, peu de temps avant sa fin, il nous fut
donné de combler cette lacune de sa bibliothèque.
A la date du i*' octobre se place un succès, celui
d'un ouvrage en trois actes dont M. Ludovic Halévy,
neveu du compositeur, a donné récemment le manus-
crit original à la bibliothèque du Conservatoire :
la Fée aux Roses, qui s'appelait d'abord la Reine des
Fleurs. Scribe et de Saint-Qeorges avaient uni leur
expérience et leur habileté pour écrire une sorte de
féerie comme Zémire et Azor, Gulnare, le Calife de
Bagdad, GuUstan, la Fée Urgelle, et ce livret, empreint
18*9 197
dem6rTeilieux,réusait àcharmerle public. M"pgalde
était une fée à la voix délicieuse, hardie en ses voca-
lises, expressive et fine en sonjeu; Battaille était un
magicien hors ligne, ayant tout pour lui, l'organe, le
physique et la tenue; M"" Lemercier et Meyer,
Sainte-Foy et Audran ( remplacé aux troisième, qua-
trième et cinquième représentations par Boulo, pour
cause d'enrouement persistant], formaient un en-
semble assez rare. Enfin, la musique d'Halévy conte-
nait plus d'une jolie page; aussi la réussite fut-elle
complète, et l'empressement du public tel qu'on pu
croire un iustaut que la Fée aux Roses atteindrait,
comme les Mousquetaires de la Reine, sa centième en
dix mois. Cependant le mouvement se ralentit peu
à peu, et au bout de quatre années, lorsqu'elle dispa-
rut de l'affiche en 1853, l'œuvre d'Halévy avait été
jouée 110 fois. C'était presque le chiffre atteint dans
le même temps par le Val d'Andorre, dont la valeur
musicale est pourtant bien supérieure; mais peut-on
préjuger de l'avenir d'une pièce par la première im-
pression qu'elle produit? Les plus experts en la
matière commettent sur ce point de graves erreurs,
et, voyant cette Fée aux Roses si brillante, si fêtée à
l'origine, nul n'aurait supposé qu'elle quitterait ta
salle Favart sans y revenir jamais (car il fut en vain
question de la reprendre en 1861 pour la rentrée de
Battaille) et qu'elle prendrait sa retraite en province,
où elle mène aujourd'hui encore une existence hono-
rable et paisible.
A côté du vif succès de la Fée aux Roses, il faut se
rappeler le succès honorable qu'obtint le 9 novembre
le Moulin des Tilleuls. Comme on le voit, la mode
était au titres fleuris ; on se souvenait des roses et des
tilleuls au lendemain de la guerre civile, en cette
j98 LA DIRECTION DB H. PEHRtN
année. 1849 qu'avait encore secouée le bruit des
'émeutes, daas cette vitle où renaît de fondre un âéau
terrible, le choléra. Mais c'est presque une loi. que
le temps a consacrée : aux époques de troubles et de,
révolutions correspondent les œuvres aimables et
douces, marquées au coin de la bouffonnerie ou sim-
plement touchantes ; 1793 a vu Jouer les Plaisirs de
l'hospitalité, l'Erreur <ïun bon Père, la Piété filiale;
de même 1848-49 devaient produire des pasquinades
comme Gilles ravisseur, le ' Catd et le Toréador, des
sentimentalités comme le Vai d'Andorre, ou des berge-
ries comme le Moulin des Tilleuls. Ce petit acte, qui
obtint en trois années 47 représentations, avait pour
auteur, d'une part, Maillan et Cormon, de l'autre
Maillarl. Ces derniers débutaient à la salle Favart,
tous deux ayant fait jouer Gastibelza à l'Opéra na-
tional, tous deux destinés & tenir une place impor-
tante à l'Opéra-Comique. Eugène Cormon, qui. jus-
que-là, avait dirigé un moment l'Ambigu et, comme
auteur, avait écrit seul ou en collaboration des
drames et des vaudevilles à succès, abordait un genre
nouveau où il est passé maître, puisqu'il a signé»
entre autres livrets, deux pièces célèbres, lesDragons
ée Villars et le Premier Jour de Bonheur, Maillart, lui
aussi, devait asseoir sa réputation avec ces mêmes
Dragons de Villars, et peut-être même se serait-il
élevé plus haut sans l'incroyable mollesse qui l'éloi-
gnait du travail et le faisait hésiter à traduire ses
pensées sur le papier à musique. L'un de ses colla-
borateurs nous a raconté qu'il lui était arrivé de
l'inviter par surprise à la campagne, et de le mettre
sous clef, pour ainsi dire, de se refuser à le laisser
partir avant qu'il n'eût achevé telle ou telle besogne
désignée. Maillart, alors confus et résigné, se laissait
1849 199
enfermer et, comme il était doué d'une grande faci-
lité d'écriture et d'improYisation, il avait vite fait de
noircir les pages pour reconquérir sa liberté.
Le tableau de l'année 1849 serait incomplet, si
noua n'y joignions pas la liste des entrées et des sor-
ties qui constituent le mouvement du personnel.
Deux artistes se retiraient : Henri, dont nous avons
parlé, et M"^ Lavoye qui, malgré ses succès à Paris,
préférait aller chercher fortune en province et à
l'étranger Trois autres rentraient : en mai, dans
teï Diamants de la Couronne, M"* DeliUe -partie de-
puis 1845; en juin, dans le Domino Noir, M"* Aline
Duval qui, à la même époque, s'était embarquée
pour le Brésil; en octobre, dans les Monténégrins,
M"' Grimm, qui avait séjourné pendant un an à
l'Opéra. Parmi les nouveaux venus, plusieurs possé-
daient un réel talent, et ne sont pas restés ignorés :
M. Bauche, qui débuta honorablement le 3i mars
dans Sergy des Monténégrins ; M"" Wolf, de son vrai
nom M"' Vosse, qui débuta le 3 avril dans Rose de Mai
du Val d'Andorre; M°" Marie Cabel, qui débuta le
12 mai dans Georgette du même Val d'Andorre; elle
avait chanté déjà, en 1848, au Ghâteau des Fleurs, et
créé même, sur celte petite scène, un opérette inti-
tulée le Club des femmes ; après une seconde apparition
dans Athénaïs des Mousquetaires, elle quitta le théâtre
où elle devait tenir plus tard une si brUlante place.
Nommons encore par ordre de dates : M"" Caroline
Prévost, une fille de Chollet (12 mai), Catarina des
Diamants de la Couronne; M"" Bourdet (27 mai),
Henriette du Maçon; jeune et jolie personne qui s'é-
tait fait entendre pour la première fois à l'Opéra-
National en 1847, à sa sortie du Conservatoire de
Paris ; M. Oarvalho, un des bons élèves de ce même
200 LA DIRECTION DB «. PERHIN
Oonservatoire (3 juin), Scapia de Gilles raviseeur,
commençant ainsi par jouer sur les planches de cette
salle Favart, qui vingt-huit ans plus tard devait dis-
paraître sous sa direction ; M"' Emma Chevalier
(19 juin), Zerline de i^ra Diavolo, actrice déjà expé-
rimentée, qui revenait de Belgique et de Hollande,
après avoir fait, elle aussi, ses études au Conserva-
toire de Paris; M. Joannis (i»' juillet), Biju du Pos-
tillon de Lonjumeau, quiquittaitla Comédie-Française
pour rOpéra-Comique ; euflu M"' Lefèbvre, élève de
Banderali, lauréate du Concours de 1849, où elle
obtint le premier prix de chant et le premier prix
d'opèra-comique;son début, le 12 octobre, dans Carlo
de la Part du Diable, la mit tout de suite au premier
plan ; bientôt elle chanta la Sirène, puis succéda à
M"* Ugalde dans la Fée aux Roses, Spirituelle et
charmante artiste, aussi agréable cantatrice que fine
comédienne, celle qui devait un jour épouser le cé-
lèbre baryton Faure amarqué au cachet de son talent
bien des râles anciens et bien des créations, car elle
est restée longtemps au thé&tre, soit à la salle Favart, .
soit au Théâtre-Lyrique où elle chantait encore à la
fin du second Empire.
fiette longue mais nécessaire ënumération prouve
avec quel soin, d'autres diraient quelle chance,
Emile Perrin recrutait sou personnel; il s'appliquait
non seulement à rendre brillantes les œuvres nou-
velles qu'il montait, mais intéressantes encore les
anciennes qu'il reprenait. C'est ainsi que, le 28 no-
vembre, on remit en scène l'Éclair avec des inter-
prètes de choix, M"" Grimm et Meyer, M. Boulo, qui
succédait à Roger et à Chollet, et M. Jourdan, qui
venait d'épouser sa camarade de théâtre, M"* Levas-
seur. Cette excellente distribution donna un regain
1850 301
d'éclat à l'ouvrage, et la critique put dire,saDS exa-
gâration, qu'une pareille reprise valait un succès
nouveau. Mais l'année 1850 réservait au public
d'autres aurpriaes en œuvres et en artistes ; c'est l'an-
née des Porcherons, du Songe tVune nuit d'Été, de
Giralda, de la Chanteuse voilée; c'est aussi l'année qui
a vu les débuts d'une incomparable chanteuse, l'hon-
neur de notre école française, M"' Miolan-Oarvalho,
alors M"* Félix Miolan.
On connaît la chanson de Vadé :
Voir P&rts sans voir la Goartille
Où le peuple joyeux fourmille,
Sans visiter les Porcherons,
Ce rendez- vous des bons luroas,
C'est voir Etome sans voir le Pape.
Le pape est toujours à Rome, et les curieux ne
manquent pas d'aller fléchir les genoux devant lui.
Les Porcherons ont disparu, le cabaret aussi bien
que l'opéra-comique de ce nom, et c'est en 1866 qu'on
a pu entendre pour la dernière fois la pièce amu-
sante de Th. Sauvage et la jolie partition d'Albert
Grisar.
Ce fut un grand succès lors de la première repré-
sentation, le 12 janvier 1850, succès dont l'interpré-
tation eut d'ailleurs sa part, car il y avait là une réu-
nion d'artistes remarquables : Mocker, comédien
intelligent et chanteur agréable, qu'on applaudit fort
en dépit d'un rhume qui paralysait ses moyens le
premier soir, car il avait payé tribut à la température
sibérienne dont Paris se trouvait alors gratifié ; Her-
mann-Léon, excellent dans un rôle de Lovelace in-
dien où l'on risquait de n'échapper au ridicule que
pour tomber dans l'odieux; Bussine, plein de verve
302 LA DIRECTION DB H. PSKRIN
SOUS les traits du sergent GiraumoDt et disant à ravir
la chaQson du 3^ acte; 8ainte-Foy, toujours personuel,
amusant et fin, ayant, comme l'écrivait Fiorentino,
tt de ces petits cris gutturaux , de ces intonations na-
sales, de ces faussets étranges qu'on ne peut décrire
ni noter; il vous obtient des succès de fou rire avec
un bout de manchette ou un point de tapisserie » ;
M"" Péliï et M"" Decroix, une jolie vicomtesse et
une gentille soubrette ; enfin M"" Darcier, l'étoile de
cette troupe, charmante, disait-on, comme un portrait
de Boucher ou de Van Loo, et atteignant la perfec-
tion, à l'instant même où elle allait quitter ce théâtre,
témoin de ses succès depuis 184i. M"' de Bryane fut
eu effet sa dernière création à l'Opéra-Comique,
qu'elle quitta quelques mois après, échangeant les
triomphes bruyants de la scène pour les plaisirs dis-
crets du ménage.
La musique, malgré ses qualités de grâce et d'en-
train, provoqua dans la presse quelques critiques,
tout simplement peut-être parce que son auteur était
belge et que l'arrivée de Grisai, succédant a. M. Lim-
nander, mettait en cause l'amour-propre national,
menacé par cette invasion d'artistes ^étrangers. C'est
ainsi qu'on blâma au dernier acte certain trio « dans
lequel les machines, les trappes et en quelque sorte,
le magnétisme jouent un rôle plus important que
l'harmonie », et le morceau déplaisant fit place, pour
la seconde représentation, à des couplets chantés par
Hermann-Léon et fort applaudis.
Le Songe d'une nuit d'été, opéra-eomique en trois
actes, paroles de Rosier et de Leuven, musique
d'Ambroise Thomas, représenté trois mois après le
20 avril, s'imposa tout d'abord par l'heureuse inspi-
ration des mélodies, jointe à un souci de la facture,
■o^l..
ISSO $03
à une élégance de rinstrutnentation qui ne pouvaient
manquer de frapper les moins clairvoyants. Le ton
de la comédie musicale s'était visiblement haussé ; il
ne s'agissait plus d'une bouffonnerie spirituelle et
d'un amusant pastiche comme le Caïd, mais d'une
fantaisie dramatique plus touchante et plus noble.
Par eodroils, même, un souffle lyrique traversait ce
rêve ; le compositeur avait évidemment fait un grand
pas en avant.
Tout d'abord le livret n'avait pas été sans causer
quelques déceptions ; l'amour de la reine Elisabeth
pour le poète Shakespeare semblait bizarre, presque
inadmissible : on observait qu'à l'époque de l'action,
cette noble et puiss ante dame avait atteint la soixan-
taine, âge respectable auquel il semble que la pas-
sion ne devrait plus faire de victimes. Mais on oubliait
que l'histoire absolvait presque les librettistes, car
ElUsabeLh avait soixaute-neuf ans bien comptés,
quand elle se vengea d'Essex. Il est vrai qu'àropéra-
Oomique le rôle n'était pas tenu par une duègne ; c'é-
tait là tout le tort des acteurs. M"* Lefebvre person-
nifiait la reine, remplaçant ainsi, au dernier moment,
celle eu vue de qui la partie brillante de la partition
avait été écrite, M""» Ugalde. Chose curieuse, cette
cantatrice d'apparence robuste, et qui devait fournie
au théâtre une longue et glorieuse carrière, se voyait,
au début, sans cesse entravée par quelque malaise ou
indisposition. It lui fallut mftme, en cette année, in-
terrompre son service et partir pour le Midi; c'est
alors qu'elle fit aux Eaux-Bonnes ce voyage accidenté
dont elle a dû garder le souvenir, puisque, revenant
vers Pau, elle fut surprise an milieu de la nuit par
l'inondation du Gave, et dut, non sans danger, modi-
fier son itinéraire, afin de se réfugier à Oléion, d'où
..Cooi^Ic
204 LA DIRSCTIOK DE U. PERRIK
elle gagna Saint-Sébastien. Elle reparut seulement
au mois de septembre dans ce rôle d'Elisabeth, à
côté des autres créateurs de la pièce : M"* Grimm,
Boulo, ténor dramatique et gracieux tout à la fois,
Couderc, qui rentrait à l'Opéra-Odaiique après une
longue absence, et sous les traits de Shakespeare lais-
sait percer quelque émotion, Battaille enfin, qui abor-
dait, avec le personnage de Falstaff, les rôles bouffes
et ajoutait une création remarquable à toutes celles
qu'il avait déjà faites en l'espace de dix-buit mois,
A la fin de son compte rendu, Fiorentino, très
favorablement impressionné, disait que le Songe
d'une nuit d'été anrait « ses cent représentations. >
Il en a eu davantage, soit 227, si nos calculs sont
exacts; la pièce a été jouée, ea effet, à quatre re-
prises différentes : 117 fois de 1850 à 1856; 68 fois de
1859 à 1864; 13 fois de 1866 à 1867; 29 fois en 1886.
Est-il besoin d'ajouter qu'en province le total des
représentations atteindrait un chiffre bien autrement
élevé? Car il n'est pas une grande ville de nos dépar-
tements où l'ouvrage d'Ambroise Thomas n'ait paru
et ne paraisse encore, presque chaque année. Cer-
tains morceaux ont joui même d'une véritable popu-
larité, et pour n'en citer qu'un exemple, on trouve-
rait peu de sociétés chorales au répertoire desquelles
ne figure pas le cbœur des Garde-chasse, qui d'ail-
leurs avait été bissé le soir de la première.
En cette ailnée 1850 la salle Favart perd ou gagne
quelques serviteurs dont il faut rappeler au moins
les noms. M<°' Wolf passe en mars au Gymnase;
M"' Cabel accepte en avril un engagement, mais mo-
mentané, pour la Belgique; Henri, de son vrai nom
Deshayes, se retire définitivement le 4 mai après
«ne représentation en son honneur, dont le pro-
1850 20b
gramme comprenait deux actes de Virginie avec Ra-
chel, le deuxième acte du Diable à quatre par Heori
et M"" Casimir, le premier acte de l'Ambassadrice, où
le béoéâciaire jouait le rdledeFortauatus, uu inter-
mède musical, et les Rendez-vouB bourgeois travestis ;
Emon et Bauche quittaient la France, le premier par-
tant pour Valparalso à la tête d'une troupe drama-
tique et lyrique, le second se laissant engager à l'île
Bourbon; enfin, M'* Darcier abandonne la scène,
nous l'avons vu, mais non sans avoir concouru le
17 juin à une reprise de Jeannot et Colin, qu'on n'a-
vait pas donné depuis trois ans, et où elle joua le rôle
de Colette, à côté de Bussine (Jeannot), Mocker (Co-
lin), 8ainte-Foy (Biaise), M"» Lefebvre (Thérèse), et
M"" Révilly (la comtesse).
En revanche, les débutants ne sont qu'au nombre
de deus, et, par une coïncidence bizarre, ils devaient
se retrouver ensemble sur une autre scène, neuf an-
nées plus tard, pour créer les principaux rôles d'un
opéra célèbre, i^aust. L'un s'appelait Barbot et parut
dans le rôle de Lionel de l'Éclair, le 19 août; c'est le
même qui, en 1859, eut l'honneur de chanter le pre-
mier : Salut, demeure chaste et pure! L'autre s'appe-
lait M'" Félix Miolan et parut au mois de mai dans
l'ambassadrice, avec un succès, il faut le dire, plus
estimable que décisif. On trouva que l'élève de Du-
' prez, la future Marguerite, avait, comme actrice,
beaucoup à acquérir; on lui contesta même la puretéde
l'organe, et l'on prétendit qu'elle chantait générale-
ment au-dessus du ton. a M"' Miolan, écrivait un cri-
tique , fort connaisseur et généralement impartial,
possède une voix plus jolie que belle, plus instable
que posée, plus élégante que passionnée, et, par con-
séquent, moins expansive qu'expressive. Elle a ce-
12
206 LA DIRECTION BS M. P&RRIX
pendant l'àme musicale et même dramatique; mais
l'iDStnimeot qui met en œuvre ce jeu dangereux
semble avoir été fatigué par l'étude de ce qu'on ap-
pelle la grande manière et que nous nommons, nous,
le mélodrame lyrique ou vocal. Quand la jeune can-
tatrice met toutes voiles dehors, la justesse de son
intonation s'altère. Il faut qu'elle prenne son parti de
ne plaire qu'aux intelligences , aux oreilles exercées
dans l'art du chant, aux esprits fins qui ne font pas
majorité dans le gros et ordinaire public, » Le por-
trait n'est pas flatté, et l'on sait si l'avenir est venu
donner à ces juges sévères un cruel démenti.
Il est des ouvrages sans importance auxquels on ne
peut accorder guère plus que l'honneur de les citer.
Tel un petit acte de Varin et Ad. Choquart. musique
de Josse, répété sous le nom de la Pipe du soldat, et
joué sous celui du Talisman le 1" juillet. Ce Josse
n'était point orfèvre; il était à l'Opéra-Comique pre-
mier alto, et y remplissait les fonctions, plus honori-
fiques que réelles, de troisième chef d'orchestre. C'est
même probablement pour le remercier de ses discrets
services qu'on lui donna un livret anodin qu'il revêtit
de mélodies également anodines, servies gracieuse-
ment au public par Ponchard, Carvalho, M"" Lemer-
cier et Décrois. C'était le premier essai du composi-
teur au théâtre; on ne lui fournit pas l'occasion de le
renouveler.
Donner une nouveauté plus tard que le mois de
juin paraît déjà bien étrange, mais le 20 juillet, voilà
qui dépasse les bornes, surtout lorsqu'il s'agit, non
pas d'un simple acte d^ débutant, comme 2e Talis-
man, mais bien de trois actes d'un maître connu, ap-
plaudi et cher au public. Ce fut pourtant le cas de
Giralda ou La Nouvelle Psyché; pour comble d'infor-
1850 207
tone, l'été était aussi brûlant que l'hiver avait été
rigoureux; les recettes des théâtres baissaient, le
thermomètre seul montait; mais l'ouvrage portait en
lui-môme sa fortune, et Giralda réussit. Retardée par
le succès des Porcherons et du Songe d'une nuit d'été,
elle avait attendu loagtemps qu'où la représentât;
plus longtemps encore elle avait attendu qu'on la mit
eu musique, car le poème de Scribe, remontant à
1839, devait être confié alors à Auber et joué à la
Renaissance. Au cours de ses vicissitudes, oa com-
prend que la pièce ait subi quelques changements de
titre; elle fut d'abord la Gifano, puis Géraldine (comme
avait dû l'être le Puits d'amour, de Balfe), un moment
Géralda, et en&n Giralda.
Les interprètes également avaient varié comme les
titres ; par exemple, le rôle principal était destiné à
M"' Caroline Prévost, qui à cette époque avait, déjà
quitté la salle Favart et venait d'épouser Montaubry.
Heureusement, M"" Miolan se trouva là fort à propos
pour suppléer sa devancière, et le succès de cette
première création mit tout de suite en lumière le
grand talent de la jeune artiste. La presse se montra
d'ailleurs très favorable non seulement pour elle et
ses camarades, Bussine, Audran, Sainte-Foy, Ricquier
et M'" Meyer, tous excellents, mais pour l'œuvre
même, dont le sujet assez scabreux était traité d'une
main fine et légère , dont la partition renfermait des
mélodies charmantes, présentées avec une grâce ai-
mable et comme égayées d'un frais sourire.
■ Parmi ceux qui, dès le début, se prononcèrent hau-
tement en faveur de Giralda, il faut citer un rival
qui, pour cette fois, remplaçait Adam au feuilleton
du Constitutionnel. « C'est un vrai succès, concluait
Halévy, un grand succès que les chaleurs de juillet
308 LK DIRECTION DB H. FBRRIN
ODt TU éclore, que les glaces de janvier rajeuniront,
car la pièce a tous les éléments d'un ouvrage qui doit
vivre et rester au répertoire «. Quant à la Revue et
Gazette musicale, rien n'est plus amusant que de voir
le tour apologétique auquel elle a recours pour parler
de celui dont elle disait tant de mal autrefois. Mais il
faut ajouter que Brandus et Adolphe Adam avaient
fait la paix, et que maintenant l'un éditait l'autre.
De là, ces entrefilets élogieux qu'on semait habile-
ment dans les numéros du journal : a Giralda conti-
nue d'attirer la foule à l'Opéra-Comique; c'est un
des succès les plus complets et les plus productifs
que ce thé&tre ait jamais obtenus. » Ou bien encore :
* Toujours même affluence à Giralda; le public s'y
presse, comme dans les meilleurs jours de l'hiver, et
il sort en répétant presque tous les motifs de la parti-
tion. » C'est ainsi qu'on avait traité les Mousquetaires
•de la Reine, le Val d'Andorre et la Fée aux Roses; on
ne voulait point qu'Adam fût jaloux d'Halëvy, et on
les associait au bénéfice de la réclame.
On n'eut pas les mêmes égards pour M. Oh. Poi-
BOt, qui, sur un livret d'Alboize, avait composé la
musique d'un petit acte intitulé le Paysan et repré-
senté peu après, le 16 octobre. Dans ses Essais, Grétry
a décrit, non sans amertume, les déboires, les mé-
comptes, les mauvais procédés même qui attendent
les pauvres aspirants à la gloire musicale. M. Poisot
dut en faire la triste expérience, lui qui, s'étant avisé
d'introduire dans son instrumentation une harpe et
un cor anglais, se vit tout d'abord refuser ces instru-
ments, sous prétexte que la coutume n'était point
d'en user dans les levers de rideau. Le cor anglais
finit par lui être concédé... pour la première repré-
sentation, à condition qu'il disparaîtrait aux sui-
1850 309
'Tantes. Puis la presse décocha à l'artiste des traits
comme ceux-ci : a M. Charles Poisot, gui débutait
par cette petite partition à l'Opëra-Oomique, a été
reçu comme un jeune soldat qui arrive dans un régi-
meut et dont il est de tradition de se moquer un peu .
S'il ne s'est pas révélé tout d'un coup par une instru-
mentation foudroyante et obligée par le temps qui
court, si môme il s'est fait aider un peu, dit-on, dans
cette partie de l'art, qui n'est pas tout l'art, il est
juste de dire qu'il nous a fait entendre de la mélodie
naturelle et déclamée avec vérité. » Somme toute, la
partition était agréable et commentait assez finement
cette vieille histoire transportée en Allemagne et
rajeunie pour la circonstance, de Michau, le meunier
de Lieusaint, anobli par Henri IV pour prix de l'hos-
pitalité reçue, anecdote dont CoUé avait tiré une
pièce à succès. Mais il faut croire que les tribula-
tions du compositeur avaient été grandes, car désor-
mais il ne reparut plus à l'Opéra-Comique. Il se con-
sacra à l'enseignement, publia de nombreux ouvrages
et devint directeur du Conservatoire de Dijon. Quant
aux théâtres, il ne connut plus que ceux des ama-
teurs ; le Coin du feu, les Terreurs de M. Peters (1850),
les Deux Billets (1858), Rosa la rose (1864), furent
joués dans les salons ; le compositeur y eut moins de
peine, il faut dire aussi moins de gloire.
Un autre débutant fut mieux accueilli, le 26 no-
vembre : c'était le futur auteur des Noces de Jean-
nette, prix de Rome en 1844, Victor Massé. Il avait
reçu , et la faveur était grande pour un inconnu , un
petit acte de Scribe et de Leuven intitulé d'abord
Lazarilla, puis la Chanteuse voilée; dix années aupa-
ravant, un autre prix de Rome, Montfort, avait obtenu
le même honneur avec Polichinelle, et, coïncidence
12.
210 LA. DIRECTION DE U. PEBRIK
bizarre, les deux pièces se ressemblaient au foad.
Sans faire absolument prévoir la carrière {glorieuse
que devait parcourir son auteur, (a Chanteuse voilée
fut jugée farorableiiient ; le mauque d'expérieuce
était largement compensé par le charme des idées
mélodiques, l'élégaoce de la forme, et la bonne tenue
de l'orchestre. C'était un succès, qui se maintint du
reste, et l'ouvrage figurait encore au répertoire en
1863; depuis il s'est retiré... au Conservatoire, où les
concours de rhaat ramènent assez fréquemment un
air demeuré fameux par les vocalises dont il est
émaillé : de cette charmante partition voilà mainte-
nant tout ce qu'il reste.
Le succès de la Dame de Pique, représentée le
28 décembre, devait laisser infiniment moins de
traces encore. Scribe avait tiré d'une nouvelle de
Pouschkine cette pièce en trois actes qui devait faire
naître chez le spectateur « les émotions les plus vives
de crainte et d'espoir, de terreur et de plaisir. « Or,
pour Halévy qui venait, en l'espace de quatre ans, de
donner sur la même scène troÎB pièces devenues cen-
tenaires, la Dame de Pique fut justement la mauvaise
carte qui gâta son j eu et interrompit la série gagnante.
Sans doute, le premier soir, on avait traîné le compo-
siteur sur la scène et chaleureusement applaudi des
interprètes excellents comme Couderc, Battaille,
Boulo, Ricquîer, M°* Ugalde et M'" Meyer; mais
bientôt la Revue et Gazelle musicale demeura seule à
prodiguer ses louanges intéressées. Elle le fit d'ail-
leurs avec une conscience qui, jusqu'à la dernière
heure, ne se démentit point. Il semblait à ses yeux
que tout fût bonheur quand il s'agissait d'Halévy.
Une indisposition de M"' Ugalde interrompt-elle les
représentations « toujours si brillantes « Ae la Dame
1850 211
de Pique, TÎte, le Val d'Andorre ■ remplace la pièce
eo vogue et le public accourt avec autant d'empres-
sement que si elle eût figuré sur l'afûche. > Ici, « la
salle de l'Opéra-Comique se trouve littéralement, et
sans figure, beaucoup trop petite pour l'affluence du
public qui s'en dispute l'entrée ». Là, « les recettes
se soutiennent à un taux fabuleux. » Il est même en-
core question de « son influence prestigieuse s à la
date du 30 mars, c'est-à-dire alors que la pauvre
Dame de Pique n'avait plus à vivre que douze soirées,
fort espacées, et allait déûnitivemeot s'éteiadre après
47 représentations.
En cette année ltJ50, le nombre des nouveautés
avait été assez grand pour qu'on s'occupât assez peu
des reprises d'ouvrages anciens. Deux seulement
doivent être mentionnées, celle de Jeannot et Colin,
dont nous avons parlé, et celle de l'Amant jaloux, à
la date du 18 septembre. La vieille pièce de Grétry
avait été exhumée par Batton, qui dirigeait une classe
d'ensemble au Conservatoire, et voulait donner à ses
élèves un sujet d'études. A cet effet, il avait pris la
peine de revoir la musique, et d'en renforcer l'or-
chestration; il n'en fallait pas davantage pour re-
mettre en campagne les adversaires et les partisans
de ces sortes de « rafraîchissements b. Avec son nom,
favorable aux jeux de mots, le malheureux Batton
semblait une cible toute trouvée; on le prit à partie
en prose et même en vers, comme le prouve certain
couplet de chanson qui se terminait par ce jugement
peu flatteur :
C'est de la sottise en bâton 1
Malgré les envieux et les mauvais plaisants, Batton
eut le plaisir de voir le succès lui donner raison, dans
212 I^ DIBBCTION DE U. PBKKIH
une certaine mesure ; l'Amant jaloux, cette année et
la Buirante, obtint en effet 24 représentations. Toute-
fois cette reprise fut la dernière, et l'on peut terminer
ici cette première période de l'administratioii Perrin,
où, sauf de rares exceptions, les œuvres remarquables
s'étaient succédé arec une continuité qui pouvait
passer pour merveilleuse et qui ae devait se renouve-
ler qu'en partie pendant les années suivantes. ,
D.3i.za..ï Google
CHAPITRE VIII
LA. GONCUHRBNCB DU THÂAIRB -LYRIQUE
Bonsoir M. Pantalon, le Farfadet, GalcUhêe, le Sourd, les Noces
de Jeannette et les Papillotes de M. Benoist. Reprises da
TiAleau parlant, du Calife de Bagdad et de Joseph,
C'est à ce point de notre récit qu'il faut ouvrir une
parenthèse, et dire au moins quelques mots du
Ihé&tre qui pendant dix-huit ans devait être pour
rOpéra-Oomique un rival redoutable et souvent heu-
reux. Longtemps, nous l'avons dit, l'idée d'une troi-
sième scène musicale avait flotté dans l'air. Alors,
comme aujourd'hui, l'État n'y prétait qu'une atten-
tion médiocre ; mais les dévouements particuliers
avaient compensé les inditTérences officielles : des
amis de l'art s'étaient rencontrés pour donner un
corps à ces projets artistiques, et nous avons montré
comment un beau jour de l'année 1847 surgit le
Théâtre-National, que la révolution de février englou-
iît au bout de quelques mois. Toutefois les désordres
de la politique n'ont qu'un temps ; aussi, le calme
314 LA CONCDHRBNCB DU THÉATRE-LTRIQUE
rétabli, vit-OD les essais de centralisation lyrique se
produire un peu dans tous les coins de Paris : d'a-
bord au théâtre Beaumarchais, où l'on donna entre
autres pièces une œuvre dont le titre semblait se rap-
porter au but même de l'entreprise : le Vieux Prix de
Rome! Puis à la Gaîlé, voire même aux Variétés,
avec un petit opéra-comique de Vamey, la Quit-
tance de Minuit, dont Commerson et Raymond Des-
landes avaient écrit les paroles. Enfin, toutes ces ten-
tatives aboutirent à la création d'une entreprise
sérieuse et cette fois défjoitive : le Théâtre Historique,
fondé par et pour Alexandre Dumas, sur le boulevard
du Temple, végétait misérablement; le drame fit
place à la musique, et le Théâtre-Lyrique, dirigé par
Ed. Seveste, ouvrit ses portes le 27 septembre 1851,
avec Mosquita la Sorcière, opéra-comique en trois
actes, paroles de Scribe et G. Vaëz, musique de Xa-
Tier Boisselot.
Une telle concurrence n'était pas sans danger pour
la salle Favart, puisque le nouveau venu avait le
droit, refusé ou à peu près à l'Opéra-Comique, de
monter des ouvrages joués d'abord à l'étranger et dé-
signés sous le nom de traductions ; puisqu'il pouvait
presque à volonté puiser dans le répertoire de
l'Opéra-Comique, ce qui doublait aes ressources ;
puisqu'enfin les succès qu'il obtenait avec les pièces
nouvelles diminuaient d'autant ceux que l'Opéra-
Comique n'aurait pas manqué d'obtenir avec les
mêmes ouvrages. Il est certain que jamais la fortune
n'a réparti ses faveurs également entre les deux
théâtres, utiles cependant, indispensables presque
tous deux : les recettes baissaient chez l'un quand
elles montaient chez l'autre, et l'on pourrait consta-
ter année par année cette marche régulière.
„■ ... .Coo'jIc
1851 215
Comme nous n'écrivons point l'histoire du Théâtre-
Lyrique, el que cependant plus d'une foîsparja suite
il nous faudra y faire quelque allusion, nous avons
songé à dresser un tableau qui en résume les
grandes hgnes. Il comprend : l' les pièces originales,
noa point toutes, il est vrai [cette énumération tien-
drait trop de place, et lasserait, par sa sécheresse
même, la patience du lecteur}, mais celles qui ont
survécu au temps qui les a vues naître, celles qui ont
été accueillies par la province ou l'étranger, celles,
en un mot, qui ont assez réussi pour donner en quel-
que «orte à l'année sa physionomie ; 2" tous les em-
prunts faits au répertoire musical français, c'est-à-
dire au répertoire de l'Opéra-Comique, à trois
exceptions près. Orphie, Iphigénie en Tauride et
Charles VI, qui appartiennent à l'Opéra ; 3" tous les
emprunts faits au répertoire musical étranger, autre-
ment dit les traductions.
Pour compléter ce tableau et lui donner l'intérêt
qu'il doit avoir au point de vue spécial qui nous
occupe, nous avons marqué d'un astérisque les ou-
vrages qui, avant ou après cette époque, ont été
représentés dans la seconde salle Favart.
THÉÂTRE- LYRIQUE.
i847-i870.
Une bonne fortunt. *
Félix.
£eflriM»eur de Prêt-
,L.:a..ï Google
21S U. COKCURRBNCB DD TRÉATRE-LYRIQUB
Plècai
oTiginalai.
Traiottiom
1851.
io Pîrle du Bréiil.'
Le Maitre de Cha-
Le Barbier de
pelU.'
vilU.' .
Le* rtndex-vout
bourgeoi*. '
Ma tante Aurore.
MaUon à vendre.'
Le, Traveetitte-
menti. •
J8SÏ,
La Poupée de A'u-
Le* Vieitandine:
La PU voUute,
Si fitaU Roi l
Le Poumon de Lon-
jumeau. •
Let Deux VoUuri.'
1853.
Lti Amour* du
LeRoid-Yvelot.'
Élii^lh.
Diable.'
Le Diable à quatre.
Le Bijou perdu.
1854.
Maître Wolfram.'
Le Panier fleuri.'
UBitUldeMaraue-
LaSeined-unjoar.'
rite.
LeTableauparlant.'
185S.
£m Cfcjimwuri. "
La Sirène. »
Bobin dee Boie
Jaguarita.*
Marie.'
Le Secret de Voiule
Lé Solitaire.
Fineent.
FaUtaff.
Le Sourd.'
Siehard Cœur de
Lion.'
Lts Bragont de fil-
tari. '
La Seine Topaze.
,i,:.,,ï Google
P.6C8I.
ËmpranH
originalaa.
Traductioaa.
1SÔ7.
LtilVuiti d'Espagne.
Obérott.
Maître Griffard.
Euryanthe.
1858.
It Médecin malgré
Preciosa.
lui.'
Lei Noces de Figaro.'
Fauit.
Orfhée.
Mams'tUe Pénélope.'
L Enlèvement aa Sé-
rail.
Ma Ta«.te dorl. '
Lu Roiièrei.
Fidélio.
PhilémonetBaucii.'
Le Val d'Andorre. •
Gil Blat.
1881.
iei Deux Cailii.
LaStalue.'
Att travers du mi^r.'
Le Café du Roi. •
IBSa.
La Chatte nwrwetl-
Jottph. '
le-jte.
188Ï.
Let Pêtheurt de
L'Épreuve uilta-
Peinet d'amour.
PerUs.
geoise, '
Let Troyem.
Sigohtto.
1804.
Mireille. •
Norma.
Don Païquale.
Violelta {la Tra-
viata).*
1895.
La Fiancée d'Aby-
La flûle mchanUe,*
do,.
Macbeclh.
Liibeth.
Mariha.
ts
Uj,.za. .y Google
L CONCURRENCE DU THÉÂTRE- LYRIQUE
> KiDpnuits
isaa.
Von Juan.
U, joj/mtti £o»-
KéraieWindtor.
1897.
Xoméo cl JulietU. •
La Jolie FilU de
PeriA.
isaa.
L'irato.-»
Iphigénie en
Tau-
ride.
1869.
RUnzi.
Lt Bal na»quL
1870,
Charte» VI.
Dès l'année 1851, la partie s'engageait entre TOpé-
ra-Comique et le Théâtre-Lyrique, partie sérieuse et
intéressante où l'avantage devait rester tout d'ahord
à ce dernier. En l'espace de trois ans, on «aregistrR
comme victoires : d'un .côté la Perle du Brèsil,la Pou-
pée de Nuremberg, Si j'étais Roi, les Amours du
Diable, Bonsoir, Voisin et leBijou perdu, c'est-à-dire
de grands ouvragea, suif deux, ayant au moias trois
actes et formant spectacle; 'At l'autre, seulement
Bonsoir, Monsieur Pantalon, le Farfadet, Gaiathée, te
Sourd, qui devait d'ailleurs émigrer presque aussitôt
aprèsson apparition au Théâtre-Lyrique, les Noces de
Jeannette, les Pvpillotesde M. Benoist, c'est-à-dire de
petites piè-ccsne pouvant se suffire à elles-mêmes. La
salle Favart voyait en outre ses fournisseurs favoris
l'abandoaner, ou perdre une partie de leur chance*
Auber, attiré par l'Opéra, venait d'y donner l'Enfant
prodigue; Ambroise Thomas allait se heurter à une
série de livrets médiocres qui pouvaient compro-
18» 1 219
mettre le succès de ses partUioae; Adolphe Adam
tenait trop au théâtre qu'il avait fondé pour n'y pas
rentrer aussitôt qu'on le rouvrirait; pour Halévy
enân, l'heure du décllD semblait approcher, et le seul
succès durable qui lui fût encore réservé à Paris
devait être précédemment obtenu avec une pièce
représentée tout d'abord wi Théâtre-Lyrique, Jaguar-
rita l'Indienne.
Bonsoir, Monsieur Pantalon, le premier ouvrage
nouveau monté en 1851 à l'Opéra-Comique, inaugura
du reste heureusement l'anniée et devait compter
parmi ceux qui se sont maintenus longtemps au ré-
■ pertoire de ce théâtre. Nous avons relevé à cet égard
les chiffres suivante : 204 représentations "ie 1851 à
-1861, 131 de 1869 4 1874; en tout 335 i-epréaentations.
En outre, ce petit acte a Tait rapidement le tour d« la
■province et de l'étranger; on l'a repris il y a quelques
années au Chàteau-d'Eau et, à l'heure actuelle, l'Al-
lemagne s'amuse encore de cette bouffonnerie, d'ail-
leurs spirituellement traitée par Lockroy et Morvan.
La musique d'Albert Grisar n'est pas jugée indigo*
des grandes scèues de la Prusse et de la Bavière; on
applaudit donc Gute nacht, Herr Pantalon, car le
titre a été littéralement traduit; et, bien qu'elle ne
soit plus toujours interprétée comme elle le fut à
l'origine par Ricquier, Ponchard, Bellecour, M""' Re-
villy, Decroii et Lemercier, sans oublier les deux
-porteurs du fameux panier, Palianti et Nathan, cette
pièce déjà vieille a vraiment gardé de la fraîcheur.
Il faut attendre plus de trois mois avant de rencon-
trer une nouveauté, et cet intervalle est rempli par
une double reprise à la date du 27 avril : le Calife de
■ Bagd<id et le Tabieav parlant. C'est dans une repré-
sentation extraordinaire organisée par M" Scribe au
220 Là concurrence du théâtre-lyrique
profit de l'œuvre des secours à domicile, que repa-
rurent ces deux ouvrages, dont le premier remontait
au 16 septembre 1800 et le second au 20 septembre
J769. Celui de Boieldieu ne compta pas moins de 122
représentations en cinq ans, puis quitta le répertoire
pour y revenir huit fois seulement, en 1875. Celui
de Grétry ne disparut définitivement qu'en 1865, mais
on l'a revu de notre temps, lorsque M. Offenbach
tenta de faire revivre le Théâtre - Lyrique à la
Gaîté. Comme dernier détail concernant la résurrec-
tion de ces deux pièces, ajoutons qu'elles étaient
jouées l'une et l'autre par M"" Ugalde, et que le prei
mier soir la recette de cette représentation extraor-
dinaire atteignit le chiffre notable de 1 1 ,686 fr, 50 c.
De belles recettes ne furent jamais celles de Roy-
mond oit le Secret de la Reine, opéra-comique en trois
actes, représentéle 5juin. Ambroise Thomas ne pou-
vait réussir à donner grande valeur au poème à la
fois invraisemblable et banal que lui avaient confec-
tionné i^e Leuven et Rosier. C'est l'histoire du Masque
de fer que ces librettistes avaient prétendu faire
mettre en musique. Suivant eux, le. paysan Ray-
mond, qui veut épouser la jeune Stella, fille d'une
Espagnole nommée Juana, serait le propre frère de
Louis XIV et, pour cette cause, verrait sa liberté me-
nacée et ses amours contrariées. Quant au prison-
nier célèbre, ce serait tout simplement le chevalier
de Rosargues, séducteur de Juana et pète de Stella,
un diable incarné qui se ferait ermite au dénoue-
ment, en se substituant à Raymond et en prenant
son masque de fer pour expier ses péchés de jeu-
nesse. Voilà une version nouvelle et pour le moins
inattendue à ce fameux problème historique. Le pu-
blic y prit un médiocre intérêt, car au bout de trente-
1851 221
quatre représentations, il renonça au plaisir de goû-
ter une partition qui valait mieux alors qu'un simple
auccèa d'estime. Nous n'en voulons retenir ici que
dei^x analogies curieuses, deux points de ressem-
blance avec une autre pièce du môme auteur : Le
premier acte de Raymond se termine par un incen-
die, comme le deuxième acte de Mignon; l'entr'acte
du deuxième acte est pour l'un un menuet et pour
l'autre une gavotte.
Au surplus, le compositeur pouvait se consoler
d'un demi-succès au théâtre, en songeant au triomphe
qu'il avait obtenu quelques mois auparavant, le
22 mars, à l'Institut. Pour occuper le fauteuil de Spon-
tini, décédé le 24 janvier 1851, onze candidats se pré-
sentaient, savoir : Batton, Benoist, Berlioz, Clapis-
son. Collet, Elwart, Martin d'Angers, Niedermeyer,
Panseron, A. Thomas, Zimmermann, qui eut la mo-
destie et le bon goût de se désister au dernier moment.
Malgré ce nombre exceptionnel de concurrents, il n'y
eut qu'un tour de scrutin : Amhroise Thomas obtint
30 voix contre 5 données à Niedermeyer et 3 à Bat-
ton I On remarquera que Berlioz n'en eut pas une
seule !
Vers le même temps, il semble qu'on ait voulu ac-
corder une sorte de réparation à un autre composi-
teur, dont la chance n'était pas toujours à la hauteur
du talent, Adolphe Adam. Il avait donné le 11 juin
1838, c'est-à-dire immédiatement après son Postillon
de Lonjumeau, si bien accueilli, si fêté, un opéra-
comique en trois actes intitulé le Fidèle Berger, contre
lequel se déchaîna une jalouse cabale. Malgré le nom
des librettistes, Scribe et de Saint-Georges, malgré
la valeur du musicien, la pièce fut silflée. Or, par un
phénomène qui n'est pas sans précédents, le Fidèle
SS2 LA CONCURRENCB DU THÉATRE-LVIlIQUE
Berger, qui était mort à Paris, avait retrouvé la vie
en province et même à l'étraûger, eo Belgique, en
Allemagne. Suivant la formule d'un journaliste, a il
n'avait été frappé que d'ua trépas en quelque sorte
local, et c'est une maladie dont on revient. » Il en
revint, en effet, le 14 juillet 1851 ; les interprètes de
la création, ChoUet^ Tilly , Grignon, M*" Jenny Co-
lou, Rossi et Boulanger avaient pour successeur»
Couderc, Carvalho, Lemaire, M"" Meyer, RéviUy,
Mélotte ; le poème et la musique parurent pleins de
gaieté ; le succès de la reprise se chiffra par 3 1 repré-
sentations.
Après le maître, l'élève. C'est, en effet, sous la
direction d'Adolphe Adam que s'était initié aux diffi-
cultés de la composition l'auteur de la Séraphina ou
VOceasion fait le larron, opéra-comique en un acte,
représenté le 16 août 1851. Doué d'une voix char-
mante, et fort épris de musique, M. Clemenceau de
Saint-Julien comptait quelques succès , même en
dehors des salons ; il avait donné eu 1849, à l'Opéra,
un ballet, la Filleule des Fées, qu'Adolphe Adam avait
signé avec lui; et, depuis, les deux collaborateur»
avaient composé une messe qui fut exécutée avec
éclat, pour la première fois, le 15 septembre 1850, à
Écouen, lors de l'inauguration solennelle d'un orgue
en l'église de cette ville. A l'Opéra-Comique, il atten-
dait son tour depuis longtemps; car, dès 1849, on an-
nonçait à ce théâtre les répétitions de ta Séraphina,
he précieux co:icours de ses librettistes, de SaÎQl-
Georges et Dupin, Soit par avoir raison du directeur,
et la Séraphina, chanteuse égarée dans une caverne
de faux brigands, comme on l'avait déjà vu dans
Picaros et Diego, put égrener, durant 2t représenta-
tions, tout le chapelet de ses vocalises.
„■ .....Coo'^lc
1351 22a
■ Parmi les ouvrages de l'uacien répertoire, il en est
peu qui aient réuni et réunissent encore plus que
Josephles suffrages des artistes et des critiques; que
l'on tienne pour la musique du passé ou pour celle de:
l'avenir, on s'incline avec respect devant le ctief-
d'œuvre de Méhul, et on oublie, en l'écoutant,, le
grand âge auquel il est parvenu. Malgré ses beaulé^
l'Opéra- Comique l'avait cependant fort négligé; de-
puis l'ouverture de la seconde. salle Favan il n'avait
plus reparu, et ce fut presque une surprise lorsiju'en
r850 on le revit au Conservatoire avec les élèves pour
interprètes. Le succès de cette tentative décida M. Per-
rin à lui rouvrir les portes de son théâtre. Les rôles
furent confi^ïs à des artistes pleins de zèle : le jeune
Delaunay-Ricquier, récemment engagé (Joseph)-, Bus-
sine (Jacob), Couderc, puis Duvernoy (Siméon), et
M"° Lefebvre (Benjamin). De brillants décors furent
brossés. Enfin la partition ne reçut aucune des re-
touches qu'on avait imposées à. Richard Cœur de Lion
etàCami7/e; on respectajusqu'audialogue d'Alexandre
Duval, et Siméon put continuer à dire sérieusement
des phrases comme eelles-ci : «Je me promenais dans
une vaste çïa.iae dont l'étendue se perd dans V horizons,
ou bien encore : a Mon âme est noyée comme une merlu
Mais la richesse des mélodies faisait oublier la bizar-
rerie de la prose, et l'on vint avec empressement pour
assister à cette reprise du tl septembre 1851.
Malgré sa haute valeur, Joseph ne s'est jajnais
maintenu longtemps de suite au répertoire; il ne
compte que (13 représeulatioas dans la seconde salle
Favarl, et elles se décomposent ainsi : En 1851, 37;
en 1852-, 16; en 1866, i« ; en 1867,. 1; en 3882, 19; en.
1883, 5; en 1886, 5; en 1887, 4. H est juste d'ajouter
qu'entre 1852 et 1866, ce fut te Théâtre-Lyrique qui
224 LA CONCURRENCE DU THÉATRB-LYRIQtJE
s'en empara. Quoi qu'il eu soit, l'œuvre s'impose en-
core, et il suffira toujours, pour la classer à son juste
rang, de rappeler le témoignage fameux rendu par
Richard Wagner en sa faveur ; « Je me sentis pen-
dant un certain temps ravi dans un monde supérieur
en faisant étudier à une petite compagnie d'opéra ce
magnifique opéra de 'Joseph. » Soua la plume d'un
juge sévère comme le maître, allemand, ce simple
aveu a son importance.
Il se fût exprimé d'autre sorte pour la Vieille, pièce
en un acte, vieille déjà de vingt-cing ans, reprise
le il octobre, et gratifiée de treize représentations.
Sur les paroles de Scribe et Germain Delavigne, Fétis
avait écrit une partition dont les petites proportions
contrastaient avec l'importance de ses grands travaux
de musicologie : Fequies ea certa laborum I Lemon-
DÎer, Huet, Firmin et M"" Pradher, créateurs de la
pièce le 14 mars 1826, avaient pour successeurs
Ch. Ponchard, Carvalho, Lemaire et M"' Meyer, une
des meilleures artistes de la troupe, déjà Saucée au
baryton Meillet, qu'elle allait épouser le 4 décembre
suivant et avec qui elle avait partagé les prix d'opéra
et d'opéra- comique aux concours du Conservatoire
de 1848.
Chose curieuse, un compositeur comme Fétis ne
semblait point, par la nature même de son talent,
destiné aux succès populaires, et pourtant quelques
roôlodies de la Vieille se sont bien vite envolées de
rOpéra-Comique vers les théâtres de vaudeville. On
a chanté un peu partout les couplets : France/ et
ceux sur les Arts et l'Amitié. C'était le sort, et presque
l'honneur alors de petites pièces comme la Vieille ou,
par exemple, le Concert à la Cour, qu'on redonna le
17 octobre de cette même année pour le début de
1851 225
M"* TalmoQ, une jeune élève de M" Damoreau, sor-
tie récemment du Conservatoire où elle avait rem-
porté, S0U3 le nom de Tillemont, un premier prix de
chant.
Au contraire, il ne paraît pas que rien soit resté du
dernier ouvrage représenté en l'année 1851, le Château
de la Barbe-Bleue, opéra-comique en trois actes, pa-
roles de de Saint-Georges, musique de M.Limnander.
La partition était compacte, et pouvait s'imposer par
la masse, puisque le deuxième acte renfermait à lui .
seul douze morceaux, juste le chiffre dont se conten-
tait Auber pour des pièces comme le Duc d'Olonne,
Aussi avait-elle coûté au théâtre trois soirées de re-
lâche, c'est-à-dire de répétitions générales, les 20, 27 et
29 novembre. L'inspiration était rare, la gaieté un peu
lourde, et déjà l'on y signalait l'ahus des « calculs
harmoniques et les bruyants effets d'une foudroyante
instrumentation », reproche qui nous fait sourire au-
jourd'hui, car, depuis, nos oreilles en ont subi bien
d'autres. Le titre seul du nouvel ouvrage promettait
quelque chose... qu'on ne vit point. Il s'agissait d'une
nièce de Jacques II, roi d'Angleterre détrôné, habi-
tant près de Madras un château mystérieux; on lui
faisait la triste réputation de traiter ses époux comme
Marguerite de Bourgogne ses amoureux; mais elle
laissait dire pour mieux préparer dans l'omhre son
débarquement en Europe et la restauration de son
oncle ! Car depuis longtemps, constatait un critique,
« M. Scribe aidant, l'Opéra-Comique vit surtout de
restaurations. »
On aurait pu dire pareille chose de la France elle-
même, puisque le Château de la Barbe-Bleue fut donné
le 1" décembre 1851 , la veille du jour où le coup d'État
allait ramener sur le troue une dynastie.
13.
226 L4 CONCURRENCE DH THÉÂTRE-LYRIQUE
- G«tte coïncidence a'était pas pour favoriser le sau-
cés de la nouvelle œuvre qui disparut au bout de
2S rcprésentatioDS interrompues le 3 et le 4 décemlwe
par deui jours de relâche. Ou était plus occupé de
politique que de musique.
Gr&ce à Tbabileté du directeur, l'année 1831 ne
s'en soldait pas moins par une recette totale de
924,613 fr. 90 c. Les nouveautés pourtant n'avaient
été ni QOmbreuses, ni heureuses : deux pièces en
trois actes, Raymond et le Château de la Barbe-Bleue;
deux pièces en un acte, la Séraphina et Bonsoir, Mon-
sieur Parttalon; cette dernière pouvait seule pré-
tendre à la palme du succès. Les reprises l'empM-
talent par la qualité et par la quantité : te Calife de
Bagdad, le Tableau parlant, le Fidèle Berger, la Vieilla,
le Concert à la Cour, et surtout Joseph. En revanche,
deux ouvrages anciens avaient disparu déânitivement
de l'af&che : l'Amant jaioxtx et Une Heure de mariage.
Quant au personnel, il n'avait pas subi encore de très
importantes modiâcatioos ; il s'était accru toutefois
de six artistes : M"* Anna Lemaire, qui veuait du
Conservatoire, où elle avait obtenu en 1849 les pre-
nùei-s prix de chant et d'opéra-comique, en 1850 le
premier prix d'opéra, et qui débuta le 7 janvier dans
le rôle d'Angèle du Domino noir; M"' Pelit-Brière,
qui avait quitté l'Opéra, et débuta le 8 juin dans le
rôle d'Anna de la Dame-bloTiche ; Delaunay-Ricquier,
ténor qui sortait du Conaervatoire, où il avait obtenu-
eu 1850 le premier prix d'opéra-comlque , et qui dé-
buta dans le rôle d'Isaoun du Calife de Bagdad; Cou-
lou, basse-taille, qui arrivait de Strasbourg, après
avoir appartenu au Conservatoire et commencé la car-
rière de province, et qui débuta dans le rôle d'Atal-
muck de la Fée aux Rotes; U."* Talmon, dont bous
185Ï 237
avoDS parlé à propos du Concert à la Cour; Dufresne,
ténor, qui, en sortant du Conservatoire, était entré à
l'Opéra, puia avait chaulé à Lyon, et qui débuta le
t" décembre dans le rôle de Giastoo du Château delœ
Barbe-Bteue. Celte aimée, comme la précédente,
M"' Ugalde restait la grande étoile de la troupe :
pièces anciennes on modernes, tout coareuait à sou
talent souple et varié. Tandis que M°" Cruvelli s'es-
sayait au Théâtre-Italien dans la Fille du Régrimant,
elle aussi abordait ce même rôle de Marie, et s'y
montrait particulièrement touchante. Un témoin ra-
conte que « dans les passages de sentiment, la char-
mante cantatrice ne pouvait retenir ses larmes», et
tous les spectateurs alors devaient suivre son exemple.
Quelqae trente ans plus tard, une autre Ugalde
paraissait dans l'ouvrage de Dooizetti pour y faire
9es débuts. Qui sait alors si dans quelque coin dei
loge la diva n'a pas pleuré en voyant le public ap-
plaudir la diuetiei' Une vision légère a dû passer de-
vant ses yeux : te souvenir de sa jeunesse et de son
talent !
La prospérité finaneière de l'Opéra- Camique ne
pouvait manquer de valoir une ré«ompens« spéciale
à celui qui, par son intelligence et son goût,, «u a^ait
fait un des théâtres les plus artistiques da Paris. Le
21 janvier 1852, en effet, M. Emile Perrin fut nommé
chevalier de la Légion d'honneur; un souper avait
réuni sur la scène, après le spectacle, lu personnel,
gui s'était cotisé pour offrir une croix au héros de la
fête ; MockeF, en qualité de régisseur, porta un toast ;
Lemairs lut des vers de circonstance ; le directeur
remercia en termes émus, comme il convient en ces
sortes de circomstances, et tout finit, suivant l'usage,
par un bal soi-disant improvisé. Quelque temps
238 LA. CONCURBBKCB DU TBâ&TRB-LYBIQUB
avant de recevoir celle dîstinctiOQ, M. Emile Perrin
avait obtenu un avantage qui lui assurait, outre l'hon-
neur, le profit. Son privilège d'eiploitation devait
expirer le )" mai 1853 ; un décret du ministre de l'in-
térieur, rendu le 24 avril 1851, sur l'avis unanime de
la commission des théâtres, l'avait prolongé pour dix
années, à compter du l"" mai 1851.
Assuré d'avoir ainsi du temps devant lui. il conti-
nua de pratiquer, avec la même constance, le sys-
tème qui lui avait réusai jusqu'alors : varier le réper-
toire en assurant le succès des reprises par le choix
des artistes, et renouveler la troupe en y ajoutant
l'utile appoint de recrues brillantes.
C'est avec une reprise et un début que s'inaugure
justement l'année 1852; Nina ou îa Folle par amour,
de Dalayrac, fut donnée le 5 janvier, avec M"° Andréa
Favel dans le principal rôle, une nouvelle venue qui
se ât bientôt une place distinguée dans la troupe de
la aalle Pavart et devait un jour porter le nom d'un
artiste de talent, le compositeur Louis Lacombe. On
sait que le libretto de MarsoUier des Vivetières sédui-
sit Paisiello, qui en refit la musique ; de sorte qu'à un
an de distance, le compositeur français et le compo-
siteur italien purent se mesurer (mai 1786 — mai 1787).
Jadis on se prononçait en faveur de l'un ou de
l'autre, suivant qu'on tenait pour l'une ou l'autre
école; aujourd'hui les deux partitions sont également
oubliées. Malgré le succès personnel de la débutante
qui avait remporté le second prix d'opéra-comique au
concours de 1851, Nina disparut après 18 représenta-
tions. Respectueux du passé, le directeur avait joué
la pièce telle qu'elle était écrite, et le dialogue avait
paru quelque peu suranné. D'autre part, on avait cri-
tiqué les rentoilages auxquels précédemment on
1852 229
s'était livré : ce qui prouve une fois de plus qu'en
pareil cas, il est dîfQcile de contenter tout le monde.
Le temps était venu d'ailleurs où le charme des mé-
lodies naïves de Dalayrac allait cesser d'agir sur le
public parisien. Trois mois plus tard, on remettait à
la scène Adolphe et Clara, qu'on négligeait depuis
trois ans. Avec un total de 22 représentations, la pièce
disparut au bout de deux années, ainsi, d'ailleurs,
qu'un autre ouvrage dumôme auteur, Maisonàvendre,
et celte fois sans retour. Le nom de Dalayrac n'a plus
brillé depuis sur l'affiche de la salle Favart qu'en 1861,
avec Deux Mots ou Unn Nuit dans la Forêt, ouvrage
en un acte où se rencontrele prototype du personnage
de Pénella.
La première nouveauté de L'année fut un opéra-co-
mique en trois actes, ie Carillonneur de Bruges,
paroles de Saint-Georges musique de Grisar, repré-
senté le 20 février. Est-ce là que les auteurs de
Patrie ont puisé pour créer leur ligure sympathique
du sonneur de cloches ? Le fait est qu'on y rencontre
sous les iraits de Matheus (c'était le titre provisoire
de l'ouvrage), un patriote fiamand, ■ sorte de Quasi-
modo» qui déteste le joug de l'Espagnol vainqueur, et
chante gaiement ses « Cloches gentilles », que sa sur-
dité ne lui permet plus d'entendre. Battaille jouait ce
.rôle avec originalité, et ses partenaires, Boulo,
Sainte-Foy, Ricquier, M"" Rôvilly, Miolan et Wer-
theimber, lui donnaient vaillamment la réplique.
Celte dernière débutait et s'imposait à l'avance par
l'importance de ses succès au Conservatoire : lors des
concours de 1851, elle avait obtenu, en effet, les trois
premiers prix de chant, d'opéra et d'opéra-comique.
A la suite d'une légère indisposition, elle dut se faire
remplacer, et l'on ne vit pas sans quelque étonne-
230 LA CONCURRENCE DU THÉATRE-LYHIQUE
meot celle qui se préseotaiL pour recueillir eette suc-
cession ; c'était Mademoiselle Darcier, qui, mariée,
nous l'avons dit, et retirée du théâtre-, avait sans
âûutc (a nostalgie des planches et revenait sous le
nom de Madame Darcier. Ce mâme rdle de Béatris
devait encore, dans la Toême année, trouver une troi-
sièiBe interprèle en lapersonne de M"* MeiUet-Ueycr.
Malgré la valeur des artistes, malgré l'attrait de la
mise en scène, le Carillonneur de Bruges ne se mainticit
pas au delà de sept mois, fournissant un total de 40
lepré^en talions, que nulle reprise depuis n'est venue
grossir. Bien à l'aise dans les ouvrages franchement
gais, lestes et pimpants, Albert Grisar semblait gêné
quand il s'agissait d'aborder le style dramatique;, en
essayant d'élever le ton, il perdait une partie de son
originaJité, et l'imitation des procédés d'autrui éga-
rait son inspiration plus qu'elle ne la soutenait.
Lu 19 mars suivant on représentait le Farfadet^
d'Adam, répété d'abord sous le titre du Lv.tin. Là, du
moins, le librettiste Planard avait taillé son poème en
tenant compte de la nature et des qualités du compo-
siteur. Ce petit acte était une aimable fautaisie oii sa
verve pouvait se donner carrière. Le quiproquo da
personnage qui se fait passer ou veut se faire passer
pour UQ. fantâme aân de réussir en ses équipées
amoureuses n'avait pas le mérite de la nouveauté ;
mais Adam y avait ajouté celui de son. esprit, et l'on
an pourrait citer comme exemple la scène où le farfa-
det, enfermé dans un sac à farine, apparat toat à
ctKLp comme la statue du Commandeur, tandis que
l'orchestre, proâtant de la ressemblance, s''emp&re de
cette phrase de Don Juan., en bouleverse le rytkmft^
la revêt ironiquement d'haimonies étranges. Biea
joué à l'origine par Jourdan, Bassine, Lemair^
1852 231
M"*» Lemereieret Talmon, le Farfadet obtînt 43 re-
présentatioas ea trois ans ; mais la fortune ne devait
pas le confiner entre les murs de la salle Favart. On
r» revu plus tard au théâtre des Fantaisies-Pari-
sieDDes, puis au théâtre de la Gaîté, sooa la directioB
Martinet et Husson, au théâtre du Ghâteau-â'Eau en
1882, enfin, tout récemmeDC, au concert de Is Cigale.
Après le Farfadet, Madelon; après Madelon, Gala»
thée : c'est-à-dire une suite d'œuvres de petites di-
mensions, qui, réunies, composaient un spectacle et,
séparées, roaroissaieut à la pièce priocipale un Lever
de rideau. On admettait alors la a>ultip!icité des noms
sur l'affiche, et il fallait que l'ouvrage fût bien- im-
portant, très couru et encore dans sa nouveauté,
pour qu'un autre ne lui fût pas associé. C'est un
usage qui remonte au dix-huitième siècle, et dans ua
almaaach paru en 1751 sous le titre de Calendriar
historique des théâtres de l'Opéra et des Comédies fran-
çaise; italienne, et des foires, nous trouvons à ce sujet
un renseignement curieux. Ilparaît quejusqu'en 1122
l'usage était de donner seules les pièces nouvelles;
c'est seulement au bout de huit ou dii représenta-
tions, suivant le succès, qu'on recourait à une adjonc-
tion, regardée d'ailleurs comme un signe de la baisse
des recettes. Pour éviter ce fâcheux effet, La Motte,
l'auteur d'Jnès de Castro, « eut le courage de faire
donner uae petite pièce le iour même où sa tragédie
deRomuIus était représentée pour la première fois.
Tous ses confrères suivirent son exemple, qu'ils troio-
vèreut boiD, et, pendant de longues années, il n'y fut
pas dérogé. Idais depuis quelque temps, ajoute le
rédacteur du Calendrier, l'usage primitif a repris so&
empire, et trop souvent la lougueur démesurée des
ouvrages le perpétue au delà âe tonte Eaison. » De nos
232 LA CONCORREN'CE DU THÉATRE-LYBIQUB
jours, il serait aisé de démontrer le tort que fait aux
auteurs et au publicla suppression de ce qu'on appelait
les « spectacles coupés ». Le public y a perdu un élé-
ment de variété qui devait ajouter à son plaisir; les
auteurs y ont perdu non seulement quelques chances
de plus d'être joués, mais encore ce goût si éminem-
ment français de la concision au théâtre, cet art de
proportionner le nombre des actes à l'importance du
sujet, et de ne point délayer en cinq ce qui tiendrait
en deu2.
Th. Sauvage avait eu raison de ne pas dépasser ce
dernier chiffre en écrivant le livret de Madelon, qui
s'appelait d'abord (es Barreaux Verts, et qui mis en
musique par Bazin fut représenté le 26 mars; ce
tableau de genre n'en comportait pas davantage, et
encore fallut-il, après la première, resserrer le dia-
logue musical. Grâce à ces quelques coupures, Made-
lon, que personniûait d'abord avec beaucoup de
charme et d'entrain M"" Lefebvre, remplacée peu
après, pour cause de maladie, par M'" Talmon, fut
trouvée une cabaretiére accorte, ayant le sourire aux
lèvres et chantant de joyeux refrains; on lui fit bon
accueil et la pièce qu'on avait jouée 48 fois la pre-
mière année se maintint jusqu'en 1858, où elle attei-
gnit sa 76° et dernière représentation.
Galathêe réussit beaucoup plus encore que Madelon.
Ce n'est pas que le libretto de Jules Barbier et Michel
Carré fût jugé de qualité supérieure ; on lui repro-
chait, et ces critiques ont trouvé récemment, en la
personne de M. Camille Beîlaigue, un fin lettré pour
les formulera nouveau, d'être en désaccord avec la
tradition et d'avoir ainsi perdu tout ou partie de
sa poésie. Comme le PygmalioQ de l'antiquité, celui
de Jean-Jacques Rousseau s'était écrié : v Que
1852 233
r&me faite pour animer ua tel corps doit être
belle! i Et les librettistes teodaient à démontrer
que cette enveloppe charmante recouvrait tous
les vices et qu'ainsi la beauté n'était que mensonge.
Mais la musique avait assez de grâce par elle-même
pour triompher de ces oppositions faites au nom de
la philosophie. Victor Massé a sa place en effet dans
l'histoire de l'opéra-comique français; c'était un
tempérament musical où se fondaient, en un en-
semble heureux, la senaibilité vraie, l'émotion com-
municative, la pensée sobre et juste, la gaité
simple et franche. C'était une iiature, comme on dit
volontiers aujourd'hui; beaucoup d'effets lui appar-
tiennent qu'on a depuis attribués à tel ou tel maître,
à Ch. Gounod, pour ne citer qu'un nomi On s'en
aperçut clairement à l'époque où il donna Paul et
Virginie; il semblait emprunter, alors qu'il reprenait
simplement son bien !
Par un singulier hasard, il arriva que sur les
quatre rôles de la pièce trois faillirent changer ou
changèrent de titulaires presque au lendemain de la
première. D'abord, M"" Ûgalde dut interrompre ses
représentations pour raisou de santé; puis, Mocker
quittant le théâtre, laissa son rôle de Ganymëde à
Delaunay-Ricquieret les fonctions de régisseur géné-
ral de l'Opéra-Comique à son camarade Duvernoy
(15 mai); enfin M"* Werlbeimber, qui avait créé le
personnage de Pygmalion, primitivement destiné à
Batlaille, se vit remplacée à son tour par un débutant
dont le nom sulfit à rappeler la fortune, Faure; seul,
le banquier Midas, représenté par 8ainte-Poy, était
resté, comme toujours, fidèle à son poste, et pendant
bien des années il a continué de venir acheter au
sculpteur amoureux sa belle statue, car Galathée n'a
234 I^ CONCURHENCE DU THÉATHE-LVRIQUB
presque jamais quitté le l'épertolre ; ou l'a revue eu-
cdre à la place du Ctkâtclet, et uous avons constaté
qu'à la salle Pavart le chiQxe de 250 représecttatloQS
avait été dépassé.
Malgré sa valeur et sou succès, l'œuvre eut dès
l'origiue ses détracteurs, et, vu la signature de ses
auteurs, il est piquant de rappeler aujourd'hui cer-
taine appréciation extraite des a Mystères des théâtres
en i852 », ouvrage devenu fort rare et publia pan les
frères de Goncourt et Cornélius WoLff. Voiei le pas-
sage, dans toute sa oâïveté : « Notre collaborateur
Cornélius WolEf estmâlade en soirtant de la première
représeetatioB de Gaiaihés, La couttactioa musculaire
qu'il s'était iiDposéepourn)epasbâi!ler lui a doELnéuue
névralgie qoi le fait beaucoup' souffrir.» Et c'est tant I
Après la série des nouveautés, voici Tenir toute
une suite de reprises : le 23, avril, lai Perruche.; 1«
7 mai, les Voiiures versées; le 28 mai, CIrata; le
30 juio, Aclèan; le 5 juillet, la Sirène.
La Perruche, où Couderc succédait à GlioUet, de-
vait être jouéti 19 fois, et ne plus revenir qu'en 1860
poui' disparaiti'e l'aDaëe suivante, et déQaitivemeat. .
Les Voilures versées, qui dataient de 1820, ne s'étaLeat
pas montrées encore à la salie Favart et divertirent
le public presque autant qu'à l'origiuef puisqu'elles
se mainlinreab quatre années de suite aa répertoire,
sans parler de la dernière reprise, qui eut lieu en 1868.
Ces deux petits actes comptent d'aiUeurs parmi les
plus jolis qu'ait écrits Boieldieu, et le librett© mâme
de Dupaty ne manque pas d'originalité avec son hé-
ros faisant disposer les abords de sa propriété, située
sur la grande route, de façon que la diligence lui
verse les convives dont sou liumâur a besoin. Les
deux rôles d'hommes y étaient teiuis par Bnssine et
185i 23&
Sainte-Foy, les deux rôles de femme par M"" Farel
et Miolan.
h'Irato, lui aussi, obtint un succès honorable, soit
29 représentations ea deux ans, et servit au début
d'un baryton, Meillet, ancien élève du Conservatoire
qui depuis s'était produit, non sans éclat, au Théâtre-
Lyrique, alors Opéra-National. L'histoire de r.et
ouvrage est trop connue pour qu'il soit nécessaire de
la rappeler. Disons seulement qu'il occupe en somme,
dans l'ancien répertoire, une place musicale analogue
à celle du Cald dans le nouveau. Méhul et Ambroise
Thomas, musiciens sérieux, ont eu leur jour de
bonne humeur ; ils ont voulu plaisanter L'école ita-
lienne, et ils ont fait une œuvre qui tient tout à la
fois de l'imitation et de la parodie. Ajoutons que
l'Irato n'a plus été revu à Paris qu'une fois, en' 1868,
au Théâtre-Lyrique ; mais il y fit triste figure. Albert
de Lasalle nous apprend que les acteurs le jouèrent
« trop lugubrement, n Quoi qu'il en soit, la chute fut
lourde, et la pièce ne s'en releva plus.
La reprise d'Actéon fot la dernière qui se produisit
à la salle Favart ; après 29 représentations en deux
ans, ce petit acte, né ea 1836 de l'heureuse collabo-
ration de Scribe et Auber, disparut définitivement :
il avait servi du moins à assurer le succès personnel
de Jourdan, Coulon, M"" Révilly, Décrois et surtout
deM"° Miolan, qui tendait de plus en plus à occuper
alors la première place parmi les cantatrices du
théâtre. La reprise de la Sirène, quelques jours plus
tard, ne fit qu'ajouter à la notoriété de la jeune can-
tatrice; à côté de Boulo(Seopetto), Ricquier (Popoli),
Jourdan (Scipion) Nalban [Bolbaya), M"" Miolan sut
faire preuve d'une virtuosité qui ne le cédait en rien
à celle de la créatrice du rôle, W* Lavoye, et l'on ne-
236 LA CONCUBRBNCB DU THÉATnE-LÏHIQUE
comprit pas pour quelle cause elle ne parut qu'une
fois dans cette pièce, dont le succès alors était loin
d'être épuisé, puisque nous la retrouverons encore à
' la salle Favart.
La série des reprises était close pour l'anuée ; celle
des, nouveautés comprenait encore cinq ouvrages,
dont trois devaient fournir une carrière pour le moins
hoDOrable. Parmi ces trois privilégiés ne figure, point
là Croix de Marie, opéra -comique en trois actes, pa-
roles de MM. Lockroy et Dennery, musique d'Aimé
Maillart, représenté le 19 juillet. On ne savait trop
comment baptiser l'œuvre, puisqu'on l'appela tour à
tour aux répétitions le Baiser de la Vierge et la Vierge
de Kerno; on ne sut jamais mieux eu définir le carac-
tère littéraire et musical ; le poème semblait empreint
d'un mysticisme assez sombre, qui seyait mal au
cadre de l'Opéra-Comique ; la musique reflétait des
iullueDces diverses qui en compromettaient l'ordon-
nance générale et en faisaient paraître le style « tour-
menté », nous apprend un contemporain. Dans ce
doute, le public s'abstint, et son iDdifférencene permit
pas aux teprésentatioDS de dépasser le chiffre de 28.
Les Deux Jaket, d'abord appelés Lucj/, furent plus
heureux; venus au monde le 12 août, ils ne se main-
tinrent pas moins de trois années au répertoire;
c'était plus qu'on n'en pouvait attendre de cet acte
sans prétention, dont Planard avait écrit les paroles
et Justin Cadaux la musique. Huit années auparavant
ces deux auteurs avaient donné les Deux Gentils-
hommes ; ils àoaaai&at aujourd'hui îesDeux Jahel; on
voit qu'ils avaient l'habitude de procéder par paire.
Quant à ce dernier titre, un peu énigmatique, disons,
pour satisfaire une curiosité légitime, qu'il s'agit
d'un nom propre, que Jaket ne désigne pas plus un
1852 237
jeu qu'un habit, et qu'en somme les Deux Jaket se ré-
duisaient à uu seul, matelot de son état, hounâte
homme et Ûancé timide, revenant en Hollande où,
victime d'un quiproquo, il est pris pour un homo-
nyine, marin aussi, mais autrefois amateur de beau
sexe et mort depuis daus un naufrage.
Tout finissait d'ailleurs le plus moralement du
monde, comme dans l'opéra-comique en trois actes,
de Sauvage pour les paroles, de Reber pour la mu-
sique, intitulé le Père Gaillard et représenté le 7 sep-
temble. C'est un petit drame intime où Francine,
l'honnête femme, doit se justifier des soupçons que
fait naître en son mari un héritage brusquement
tombé dans la maison; le désappointement des pa-
rents qui convoitaient la somme et se prétendent
frustrés, forme un puissant contraste avec l'émotion
de Gaillard, cabaretier-poète, menant de front le
commerce et les vers, ami fidèle et protecteur des
amoureux, comme un autre Hans Sachs. Cet heureux
mélange de situations touchantes et honnêtement
gaies donnait à l'œuvre l'allure d'un véritable opéra-
teur, tel qu'on l'eût compris au temps de Dalayrac et
de Grétry. La partition de Reber pouvait entretenir
encore celte illusion; supérieure au précédent ou-
vrage des mêmes auteurs, la Nuit de Noël, elle conte-
nait plus d'une page expressive et bien venue; le
charme de la mélodie, le souci de la facture, la dé-
licatesse des harmonies, la sobriété des effets, la
simplicité des moyens employés, voilà quelques-unes
des qualités dont le compositeur ne manquait jamais
de faire preuve dans sa musique de chambre ou de
théâtre. Et cependant le Père Gaillard n'a jamais été
repris I Bien chantée par Battaille, auquel succéda
Bussine, et par M"' Andréa Favel remplaçant bâti-
238 LA CONCURRBMCB DU THÉATRE-LYfilQDE
vement aa dernier moment M"' Darcier, qui voulut
renoncer alors non seulemeat au rôle mais au théâtre
de rOpéra-Gomique, où sa réapparition n'avùl pas
duré une année, la pièce eut contre elle cette mau-
Taise chance de venir après Si j'étais roi, un des plus
grands succès du Théâtre-Lyrique, et disparut des aM-
ches après y avoir âguré 75' fois en trois années.
Une carrière, relativement aussi longue, ne devait
pas être fournie par les Mystères d'Udolphe, trois
actes de Scrilie, Germain Delà vigne et Clapisson, qui
furent donnés pour la première fois le 4 novembre.
Le poème, assez obscur en son intrigue, avait une
couleui- sombre gui s'alliait mal aux procédés clairs
et limpides du musicien ; bref, les Mystères d'Udol
phe sombrèrent à la sixième soirée.
Jtforoo Spada eut, ie 21 décembre, un sort plus bril-
lant ; c'était la rentrée à l'Opéra-Comiqued'un maître
qui depuis quelques aimées semblait se laisser attirer
par l'Opéra, et 78 représentations payèrent sa bien-
venue. Il appartenait à ceux qui jadis avaient montré,
sous les traits de Fra Diavolo, le brigand .italien
amoureux et galant, de le présenter avec Marco Spada
comme un bon père de famille ; Scribe et Auber
firent de leur héros le modèle des vertus domes-
tiques ; et l'on jugera de fa délicatesse de ses senti-
ments à ce seul fait que, frappé mortellement par la
balle d'un carabinier, il tombe en reniant sa fille qu'il
adore, pour ne pas lui laisser un nom trop compro-
mis I La partition ne compte pas parmi les meilleures
d'Auber, et cependant il faut constater que nulle ne
reçut un plus favorable accueil entre Haydée et ie
Premier Jour de bonheur, -soit en l'espace de vijQ^
années. Ce qu'il y eut peut-être de plus intéressant
dans cette première représentation, ce fut le début
18J2 23S
d'uoe jeune cantatrice, portant un nom déjà célèbre
au théâtre, pleine de talent elle-même, et devam
marquer son passage à la salle Favart par quelques
créatiGna importantes, M"° Ciaroline Duprez,
Cette acquisition, jointe à celle de W Bélia, ■qui
débuta le 31 décembre d^na le rôle de Madelon de la
pièce dece nom, compensait dansune certaine mesure,
outre la perte de M"" Dircîer, partie, cette fois pour
toujours, noasravoiisditgCeJJfede M^'A^ana Lemaii^,
engagée à Bruxelles, •et de M"» Pelit-Brière, retour-
nant au Théâtre-Lyrique, où elle avait fait ses pi*-
œières armes sous la direction d'Adolphe Adam. De
même, du >côté des ,bommes, le regret que deTait
causer le départ d'Audran, engagé à Marseille, d'Her-
munn-Léon et de Al^cJoir, argajiisant des toarnées
en provinoe et à rétranger, létait atténué par l'arrivée
d'ua jeune Liryton, élève de. Ponchard, qui, aux
dernieirs concoairs du Conservatoire, avait remporté,
à l'ouanimilé, le premier ^rix de chant et le premier
prix d'opéra-cooiiique. F«Tji>e débuta le 2Q octobre,
nous l'avons dît, dans le irôle de Pygmaliou, de Gala-
thée, .puis dans celui du tantbour-major du Caïd; et,
du premier coup, il fut aisé de comprendre qu'an se
trouvait en préseace d'un artiste de premier ordre.
Dans un journal du temps, nous avoue retrouvé -ce
JugemeoDt porté sur le nouveau v«bu : « Il possède
uoe belle et haniK voix qu'il conduit avec art, avec
' goût; il est eJEcellent musicLen, blem fait de sa per-
soB'Ue, comédien autant qu'an peut l'être à isou 4ge
et à son début 11 a donc réussi autant que possible ;
il a été apjdaudi, rappelé. Ses amis u'om plus qu'une
chose à lui souhaiter, c'est de rester ce qu'il est, c'est-
^dire modeste, et de ne pas se croire un grand
jKunme parce qu'il a bien joué et bien chanté un rôle
340 1^ CONCURRENCE DD THÉATRB-LYRIQUE
d'opéra. » Celui dont on parlait ainsi devait, comme
Roger, appartenir à nos deux grands théâtres de
musique et y occuper la première place.
Tandis que la troupe se modi&ait ainsi, la salle
Pavart subissait quelques changements dignes d'être
rappelés, La place sur laquelle elle était bâtie s'était
de tout temps appelée, en souvenir de ses premiers
occupants, place des Italiens. Par décret du 13 avril,
le nom de place Boieldieu fut substitué à l'ancieD ;
on avait un instant pensé à Nicolo; mais quelques
protestations surgirent dans la presse, et l'auteur de
Joconde dut céder le pas, c'était justice, à l'auteur de
la Dame blanche. Puis, le 2 décembre, les théâtres
reprirent la dénomination qu'ils avaient sous le pre-
mier Empire, et l'on vit de nouveau briller en lettres
d'or sur le monument : Théâtre Impérial de l'Opéra-
Comique. EnQn, par une attention délicate du minis-
tère des Beaux-Arts, quatorze bustes en marbre
furent commandés à divers artistes aûn d'orner le
foyer; savoir : huit pour les musiciens: Monsigny,
Grétry, Dalayrac, Méhul, Berton, Boieldieu, Nicolo,
Herold ; six pour les auteurs dramatiques : Pavart,
Sedaine, Marmontel, Marsollier, Saint-Just, Etienne.
Entre temps, à la date du 16 novembre, une repré-
sentation extraordinaire avait eu lieu pour célébrer
solennellementla réunion du Louvre et des Tuileries,
et le Prince-Président y assista. Le Domino noir fut
donné avec Ponchard, Duvernoy, Nathan, M"" Blan-
chard, Félix, Décrois, Révilly, dans les rôles secon-
daires, Couderc, dans le rôle d'Horace qu'il avait
créé, et M""" Ugalde dans celui qui avait servi à ses
débuts. Au second acte, un pas de ballet fut dansé
par M"" Priora, Malhilde et Louise Marquei, venues
de l'Opéra. Endn, entre le deuxième et le troisième
1852 241
acte, une sorte de cantate fut exécutée, dont Méry
avait écrit lea paroles et Adolphe Adam la musique.
Dans cette scène, intitulée la FSte des Arts, chants de
l'Avenir, figuraient quatre personnages: la Musique,
représentée par M"' Ugalde ; la Poésie, par M^"' Le-
febvre; la Sculpture, par M"' Wertheimber, et, sous
les traits de Battaille, un Africain, venu d'Algérie
pour chanter ce couple t. bizarre :
Entre les cités la première,
Paris aux rayons êclatauts.
Nous veaoDS chercher ta lumière,
Eteinte cbei nous par le temps.
Sur DOS moDts, comme l'aigle antique.
Ton aigle trouve un libre accès ;
La vapeur, sur la mer d'Afrique,
Est an pont sur le lac français!
11 faut avoir la mélodie facile pour se sentir inspiré
par une telle poésie. Plus loin, d'ailleurs, l'aimable
compositeur avait fait appel à ses souvenirs, et par
une flatteuse attention pour l'élu du peuple, il avait
eu soin de placer l'air de la reine Hortense sous ces
autres vers nou moins dignes de remarque :
De sa mère cliérie
11 se souvient toujours,
France, ù toi. Pairie
Des beaux-arts, des amours!
Son cceur reconnaissant :
La lyre d'une mère
Le berçait en naissant!
Après ce couplet, reçu avec transports, dit un jour-
nal de l'époque, a la toile du fond s'est relevée, sou-
tenue par deux génies, et le Louvre réuni aux Tui-
leries s'est présenté aux regards, en môme temps que
14
,X">()0>^lc
•242 LA CONCURRENCE DU THÉATRE-LTRIQUE
l'OB voyait descendre deux autres géniee portant «De
ootirsnne impériale et que tous les artistes, qui rem-
plissaient le devant de la «cène, dans les oostunses
les plus T-ariés, agitaient des palmes veEB la logt du
prince et entonDaleo't le chœur ânai. » Quelques
jours plus tard, les gasettes enregistraient la liste
curieuse des cadeaux distribués à cette occasion ;
MM. Emile Perrin, Méry, Ad. Adam, BaUaUle re*»-
vaient chacun une tabatière enrichie de diamants,
M"" Ugalde une broche montée en diamants et en
pierres précieuses. M"* Wertheimber un bracelet en
diamants, M"' Lefebvre un bracelet en émeraudes.
La cantate d'Adolphe Adam était venue s'ajouter
aux neuf ouvrages nouveaux donnés pendant l'année
1852, dont cinq eu trois actes, deux en deux, et deux
en un, soit en tout vingt-un actes, tandis qoe l'année
précédente n'avait vu naître que quatre pièces nou-
velles comprenant huit actes. Il y avait donc supério-
rité au point de vue de la production, mais il y eut
infériorité au point de vue des recettes. 1851 avait
donné 924,613 fr. 90 c. 1852 donna 894,^99 fr. 47 c.
C'est que le gros succès de l'année musicale, Si j'é-
tais Roil ne s'était pas produit à l'Opéra-Comique ; à
cette différence de 30,000 francs on mesurait donc le
tort matériel que pouvait faire à la salle Favart cette
rude concurrence du Théâtre-Lyrique.
A la différence de nombreux directeurs, dont les
noms importent peu, M. Perrin aimait les jeunes;.
il ne craignait pas d'accueillir les débutants, et il le
prouva, par exemple, en montant le Miroir (19 janvier
1853), Ce petit acte de Bayard et d'Avrigny ofFraiit au
musicien, M. Gastinèl, pi-ix de Rome e>ii 1S46, une
suite de scènes plus favorables aux 'Ooupldts qu'aiii
«cènes dramatiques ; c'était de la magie, si l'on veut,
1853 24Ï
mais de la magie à l'eau de rose, où les sorciers n'ont
rien d'effrayant, où le miroir n'est ponr ainsi dire
qu'un piège à alouettes, destiné à prendre les amou-
reux. Parmi les morceaux, plusieurs étaient agréa-
blement tournés, quoiqu'un critique du temps y eût
relevé « un orchestre trop bruyant et une facture un
peu préleDtieose. i Mais quel débutant n'a jamais
encouru de tels reproches! Certes M. Gastinel eût dû
y être exposé moins qu'un autre I Personne, en tout
cas, ne se trouva pour adresser cette critique à Adam
quand il donna quinze jours plus tard sa spirituelle
bouffonnerie du Sourd ou Vauberge pleine. Peu de
pièces ont subi depuis leur origine plus de change-
ments et même plus de déméDagements. Avec ou
sans musique, le Sourd a été entendu un peu partout ;
partout il s'est fait bien accueillir, parce que le point
de départ en était amusant, et que sur cetle donnée
carnavalesque chacun, arrangeur ou interprète, pou-
vait laisser libre cours à sa fantaisie. Tout d'abord
en trois actes, la comédie de Deaforgea est représentée
au thé&tre Montausier en 1790; le Gymnase se l'ap-
proprie en 1824 et la réduit en un acte ; le Palais-
Hoyai lui rend un second acte et la joue en V8&2. Ar-
rivent les librettisles de Leuven et Lenglé, qui
reconstituent les trois actes primitifs, et la musique
d'Adam, fort appropriée aii sujet, est applaudie à
rOpéra-Comique le 2 février 1851. Une nouvelle odys-
sée^eommence, et l'on retrouve le^SouTd au Théâtre-
Lyrique en 1856, aux Fantaisies-Parisiennes du
boulevard des Italiens en 1869, à la Gaité, sous la
direction Vizentini en 1876, jusqu'à ce qu'il revienne
à son point de départ, l'Opéra-Comique, en 1885.
Deux jours après la prentière représentation da
Sourd avait lieu celle desNoces de Jeimnette, MM. Mï-
„■ ... ,X">()0>^Ic
244 LA CONCUÎIBBKCE DU THÉaTRB-LYRIQDK
chel Carré et Julea Barbier avaient retrouvé la tra-
dition de JeaD-Jacques Rousseau, de Bedaiue, et
transporté à la scène, comme on l'écrivait, « une de
ces idées qui sont dans la tête et le cœur de tous et
qui, par conséquent, plaisent à tous. » Victor Massé
avait su joindre en un heureux mélange la gaieté et
la sensibilité. Eafin, Couderc et M'" Miolan avaient,
comme interprètes, atteint la perfection, et l'on s'ex-
plique que le soir de la première on ait dérogé pour
eux à certain vieil usage. D'ordinaire en effet, c'est
l'artiste (homme) qui a joué le principal rôle d'une
pièce, auquel revient après le spectacle l'honneur
d'annoncer au public le nom des auteurs. Cette fois,
Jean et Jeannette se présentèrent ensemble, et en-
semble ils furent acclamés, a Ils vont se marier tous
les soirs une cinquantaine de fois au moins 1 u écrivait
Henri Blanchard, qui se croyait généreux sans doute
en sa prophétie. C'est par centaines de fois qu'ils se
sont mariés et qu'ils semarient encore, à Paris comme
en province, au théâtre comme dans les salons, et
dans leurs mains se conserve peut-être la meilleure
part de la renommée de Victor Massé,
La Tonelli, représentée le 30 mars 1853, n'eut pas
et ne pouvait avoir semblable fortune ; non point que
le compositeur, Àmbroise Thomas, n'y eût apporté
quelques-unes de ses qualités ; il s'était souvenu du
Caïd, voire même de la Double Échelle, et la souplesse
de sa principale interprète. M"* Ugalde, lui avait
permis de broder ses plus unes vocalises pour une
série de morceaux dont l'un même a survécu, sau*
vant ainsi de l'oubli sinon l'œuvre, du moins son
nom. Mais le libretto que Sauvage signa seul, bien
qu'il eût un collaborateur, de Forges probablement,
offrait un intérêt des plus médiocres. On y voyait
1853 245
une prima-donna que sa ressemblance avec une
paysanne napolitaine exposait aux plus fâcheuses
méprises, et la distribution des deux rôles à la même
chanteuse n'était pas pour rendre vraisemblable
cette histoire de ménechmes dii genre féminin. C'est
ainsi qu'à treize ans de distance, Ambroise Thomas
se trouva mettre à la scène l'histoire de deui artistes
dont le nom est inscrit dans les fastes de la Comédie-
Italienne, Carline et la Tonelli I Cette dernière eut
même au zvni' siècle son heure de grande célébrité.
Anna Tonelli était en effet l'héroïne du parti italien
dans cette querelle musicale qui agita la cour et la
ville, en mettant aux prises le coin du roi et le coin
de ia reine; c'est elle qui interprétait /a SeruaPfldrona,
lorsque la troupe des Bouffons vint à Paris en 1752, et
par son succès même poussa dans une voie nouvelle
l'opéra-comique encore à ses débuts. Voilà pourquoi,
au lendemain de la représentation, le critique de la
France musicale pouvait dire : « La gloriflcatioD de la
Tonelli à la salle Favart est donc avant tout une
œuvre de reconnaissance. » Le malheur voulut que
cette reconnaissance fût de courte durée, comme la
pièce elle-même.
Un mois plus tard, le 28 avril, l'Opéra-Comique
donnait une représentation extraordinaire au béni&ce
de l'œuvre des secours à domicile, et profitait de la
circonstance pour lancer deux nouveautés : fa Lettre
au bon Dieu, deux actes de Scribe et de Courcy, mu-
sique de M. Duprez, et VOmbre d'Argentine, un acte
de Bayard et de Biéville, musique de Moutfort. L'é-
preuve resta douteuse pour un ouvrage et trop cer-
taine pour l'autre. Non que la partition du chanteur-
compositeur fût mauvaise, au sens absolu du mot;
elle se ressentait de l'influence italienne, et les voca-
le
34S L«. CONCURHENCB DC THÉATRE-LTBIQDG
lÎBCs dont l'excelleot Duprez avait émaiUé le rôle<
[niocipal, confié à sa ôlle, ne pouvaient dépJatre en
un temps où l'école roasinienae était encoie dans
toute sa vogue. MaiS'le pubUc n'était plus assez naïf
pour écouter de saug-ftoid l'histoire d'uue paysanne
qui, menacée de coiffer sainte Catherine, écrit au
boa Dieu afin de lui demander ua mari, dépose la
lettre dans le tronc des pauvres et finit par épouser
le seigneur du pays, entre les mains duquel est
tombée cette singulière missive. On prit la chose
gaiement; ot Duprez ne l'entendait pas ainsi, lui
qui avait eu l'honneur de faire jouer son premier
opéra à Bruxelles en 1851 sous le titre de l'Abîme de
la Maladetta, et au Orand-Opéra de Paris, en 1852,
sous celui de Joanita. MécoBtent de voir que sa Lettre
au Bon Dieu n'allait pas même à l'adresse du public,
il envoya une note aux journaux après la quatrième
représentation, pour prévenir qu'il retirait sa pièce i
et l'on fit aussitôt comme il le désirait.
L'Ombre d'Argentine ent un sort moins désastreux.
Cette bouffonnerie, appartenant au genre de ilrato
ou de l'Eau merveillevee, ressemblait fort à une con-
trefaçon de la célèbre comédie de Montfleury, la
Femme juge et -partie. On y voyait un marquis de
Pierrot, plaisamment représenté par SaintQ-Foy,
retrouvant sa femme qu'il croyait morte, et agréable-
ment berné par elle. Pour exciter ses remords et le
mieux torturer, la malicieuse Argentine lui appa-
raissait en effet sous cinq figures et costumes diffé-
rents, revêtant tour à tour, « la défroque d'une vieille,
l'habit noir d'un clerc de tabellion, la jupe écourtée
d'une soubrette, te voile blanc d'une ombre échappée
au tombeau, et enfin la robe d'une mariée. » La
variéLé de ces travestisaemeats, gaiement pturtés pac-
1853 247
M*° Lemercier, et l'entrain d'une musique aimable,
avaient produit d'abord une impression favorable. La
presse crut à an long succès: tout se borna poortaat
à 27 représentations.
Jusqu'alors, depuis le eommencement de l'année,
chaque mois avait apporté ses primeurs: janvier, ie
Miroir-; février, le Sourd et ies Noces de Jeannette;
niars, la Tonelli ; avril, la Lettre au bon Dieu et l'Ombre
d'Argentine; la série des reprises pouvait s'ouvrir et
l'on vit se suivre en effet, le 26 mai, l'Épreuve villa-
geoise, le 4 Juin, les Mousquetaires de la Reine, le
5 juillet, Haydée, et le 23 juillet, le Déserteur. De ces
ouvrages, un seul, celui de Grétry, présente ici quel-
que intérêt historique. II n'avait pas été donné depuis
1828, et, pourla circonstance, Auber avait revu e(
corrigé l'édition ancienne. Il affectionnait particu-
lièrement l'Épreuve villageoise, et, un jour quil assis-
tait à une répétition, il avait constaté lui-même la
pauvreté de certains accompagnements et proposé
au directeur un « reotoilage; » nul ne pouvait l'exé-
cuter avec plus de finesse et d'esprit ; aussi M. Perrio
a'empressa-t-il d'accepter l'aubaine. Grâce à cette
version nouvelle, comme aussi à la qualité des inter-
prètes, Bussine et Ch. Ponchard, M"= Lefebvre et
M"' Revilly, qui pour la première fois abordait un
rôle de mère, l'Épreuve soutint avec succès « celle »
du public, et fut vite acclimatée dans cette salle
Favart où jamais encore elle n'avait paru.
Les autres reprises n'offraient qu'un intérêt de
distribution, car ces ouvrages ne quittaient jamais
longtemps le répertoire. Les Mousquetaires de la Reine
et Haydé« servirent aux débuts d'un nouveau ténor,
Puget, qui arrivait précédé d'une certaine réputation
conquise en proTince, et qu'on espérait voir recueillir
248 LA CONGUnilENCE DU THÉ^TSE-LTRIOOK
la succession de Roger, toujours vacante. A côté de
lui nous trouvons dans l'ouvrage d'Halévy, Mocker,
l'Olivier de la première heure, M'i' Caroline Duprez,
qui chantait pour la première fois la partie d'Athénaïa,
et M'" Lemercier, celle de Berthe, remplaçant ainsi
l'une Ml" Lavoye, l'autre M"" Darcier. Quant au
personnage de Roland, il avait été confié à M. Car-
valho au lieu et place d'Hermann-Léon, qui, peu
après d'ailleurs, reprit le rôle et y retrouva son suc-
cès d'autrefois, four l'œuvre d'Auber, l'excellent
Ricquier restait seul à son poste sous les traits de
Domenico; tous les autres interprètes étaient nou-
veaux : M""Lefebvre et Bélia, M. Jourdan et M. Paure,
qui ne pouvait manquer de réaliser un remarquable
Malipieri. Quant au Déserteur, il suffit de rappeler
que !e rôle principal était tenu par Delaunay-Ricquer,
et qu'au bout de quelques représentations le rôle de
Louise, donné d'abord à M'" Révilly, tut confié à
. M"* Favel, qui brillait pour le moins autant par son
opulence capillaire que par le charme de sa voix,
puisque la grave Reoue et Gazette musicale elle-
même constatait qu'au déDouement, elle avait « dé-
ployé dans toute sa richesse une admirable chevelure,
dont la propriété ne saurait lui être contestée. »
Entre toutes ces reprises, un fait important pour
l'histoire du théâtre s'était produit ; l'Opéra-Comique
avait émigré pour quelque temps, et la salle Pavart
fermé ses portes le 20 juin, pour cause de réparations,
modifications et décoration nouvelle : interrègne
musical assez court d'ailleurs, mais que faillit pro-
longer un accident, une explosion de gaz survenue
au cours des travaux de réfection, le 30 juin. Après
cinq jours de clôture, pendant lesquels on répétait
sur la petite scène du Conservatoire, on joua du
1853 249
26 juin au 4 juillet à la salle Ventadour, et le 5 juillet
on reprenait, avec Haydée, possession de la salle
Favart remise à neuf et embellie.
On sait que M. Perrin se plaisait à ces questions'
d'aménagement, et il est curieux de rappeler que
sous son administration ont été restaurées les salles
des trois théâtres qu'il a successivement dirigés,
l'Opéra- Comique, l'Opéra et la Comédie-Française.
C'était la première métamorphose que subissait la
salle Favart depuis treize ans qu'elle avait été inau-
gurée. L'aspect général différait un peu : au lieu de
la teinte bleutée qui dominait, on avait maintenant,
pour les peintures, un mélange de blanc mat, rehaussé
d'ornements dorés sur fond vert tendre, et pour les
tentures, des rideaux de velours rouge se détachant
sur le papier des loges d'un vert un peu plus foncé.
Les fresques du plafond avait été nettoyées, et le
rideau repeint se trouvait bordé d'un immense cadre
doré, entraînant la suppression des avant-scènes du
dernier étage, et donnant à la scène l'apparence d'un
tableau de colossale dimension ; au sommet, un écus-
son aux armes impériales, supporté par deux Re-
nommées ; à terre, une toile cirée garnissant le par-
quet de l'orchestre; pour les sièges, la couleur rouge
exclusivement adoptée ; enûn un peu partout rappelés
les insignes du nouveau souverain, qui vint d'ailleurs
avec l'impératrice consacrer solennellement, par sa
présence, la nouvelle inauguration et féliciter le
directeur, l'architecte, M. Charpentier, et le tapissier,
M. Winter, celui-là même qui avait déjà procédé aux
arrangements de 1840.
Dans cette salle remise à neuf, les deux premiers
ouvrages montés n'eurent pas un heureux sort :
le Nabab (1" septembre 1853), trois actes de Scribe
25ft LA CONCURRENCE DD THÉATRE-LYIlIQnB
et de Saint-Georges', musique d'Halévy, et Colette
(20 octobre), trois actes de Planard, musique de Ca-
daux. Si morale qu'elle fût, l'histoire de ce prince
indien [le Nabab], laissant son palais de OaJcuttapour
feïenir ourrier en Angleterre, se goêrissant par le
travail des soucis de la fortune et troquant l'arentu-
rière à laquelle il est dûment allié contre la jeuoe
fille quïl épouse en justes noc«8, toute cette série
d'aventures laissa le public indifférent ; il y retrouva,
mais sans plaisir, un écho de ces pièces à béros bri-
tanniques, fort en honneur à la fin du siècle dernier
et au commencement d* celui-ci : VATtglais de Pa-
trat, les Deux Anglaia de Merrille, et tant d'antres
dont la fortune a été moins brillante. Un incident
puéril contribua à détourner son attention de l'in-
trigue imaginée par les librettistes. Au milieu d'un©
des scènes les plus importantes, le chapeau de Cou-
àere, malencontreusement tombé d'un guéridon, dé-
crivit sur la scène une série de zig-zags capricieux
ctont s'amusèrent fort les spectateurs (il n'en faut pas
plus quand on s'ennuie) jusqu'au moment où il dis-
parut ou faillit disparaître dans le trou du souffleur.
Bref, si honorable que fût la musique, si remarquable
que fût l'interprétation, confiée à des artistes comme
Conderc,Mocker,Ponchard et Bussiae,M"'Favel, enfin
M"*Pélix Miolan, qui depuis quelques semaines s'é-
tait mariée et s'appelait désormais M"" Miolan-Car-
valho, le Nabab courait à sa perte. Vainement la
presse intéressée publiait des entrefilets où Ton ap-
' prenait que la ■ foule continuait à être attirée et
charmée, i et que « la salle Favart était devenue trop
étroite pour le monde qui s'y pressait » : au bout de
38 représentations, le Nabab tomba pour ne plus se
reterer.
1853 2S1
Il en fut de même, et pis encore, poar Colette, gijî
n'^iait point fille d'auteurs si réputés, et dut, en con-
séqaaence, se contenter de 13 représentatioua. Cadaux
n'avait point retrouvé la veine des Deux Gentils-
homrojee et des Deux Jaket, de Planard, celle de Marie
ôtduPré aux Ciercî. En cherchant bien, on pourrwt
d^i-cber l'idée première du livret dans l'ouvrage
bien «onnu 4' Alfred de Vigny, Servitude et Grandeur
KiilitaireR. Il y a là, en «âet, certain épisode intituié
Histoire de l'adjudant, où l'on reconnaît Colette sous
le nom de Pierrette, Pierrot sous celui de Mattiurin,
la reine Marie-ÂnioineUe à la place de la mairquise,
et ce même Michel Sedaine, ie tailleur de pierres
« qai taill« en même temps des pièces, du papier et
des plumes », héros d'opéra-comique ressuscité ré-
.cemment àlaGaîté d^ns. le Dragon de la Reine. «L'au-
teur et le compositeur, écrivait un critique, sem-
blaient s'être dit : Payons un large tribut aux idées
connues, et nous réussirtuLs. i lie échouèrent, fit le
librettiste , qui n'avait pu assister aux répétitions, sur-
vécut peu à cet échec : de planard mourut, en effet,
le 13 novembre, moins d'un mois après la première.
Cependant l'année musicale 18Ei3 finit avec un suc-
cès, iùnon très grand, du moîas plus qu'honorable,
les Papillotes de M. Benoist (28 décembre). Sous oe
titre bizarre, MM. Jules Barbier et Michel Carré
. avaient mis en scène les suites romanesques d'ime
déclaration d'amour adressée par écrit à une ingrate
-qui s'en était fait prosaïquement des papillotes. Oe
petit acte servait de cadre à une action dramatique
jpeu compliquée, mais iournissant au compositeur
iQuelques situations où la sensibilité, 1a tendresse, la
grâce se mélangeaient heureusement ; on y relrou-
. wa.it comme un souvenir de Rodolphe et du Bonhomme
,,Cooi^[i:
252 LA CONCDRRBNCE DU THÉ4TRE-LYRIQDE
Jadis. De même, la partition gardait une saveur ar-
chaïque, marque distinctive de Reber, ce composi-
teur fin, délicat, savant sous l'apparence voulue de
la simplicité, ennemi du bruit dans la musique,
comme il le lut de toute réclame dans sa carrière.
Ourieuï rapprochement : le même sujet, ou du moins
un sujet très analogue devait être traité l'hiver sui-
vant par un musicien d'un tout autre tempérament,
M. Ernest Reyer. Ici, comme là, on voyait l'amour
jeune triompher de l'amour plus âgé. Or, Maître
Wolfram est revenu quelque vingt ans plus tard à la
salle Favart. Pourquoi n'en est-il pas de môme des
Papillotes de M. Benoist, qui ont obtenu en somme
60 représenl allons réparties en quatre années? Peut-
être parce qu'on n'a pas trouvé de vrais successeurs
à M"" Carvalho, à Couderc et à Saînte-Foy surtout,
comédien à qui tous les genres sont accessibles,
écrivait un critique, car dans ce rôle « il se tient sur
la limite du sentiment et du ridicule avec infiniment
de tact ; aussi s'y fait-il aimer, autant qu'il s'y fait
applaudir. »
La troupe de l'Opôra-Comique était d'ailleurs, à
cette époque, admirablement composée. Sans doute
elle avait subi en 1853 quelques pertes; Meillet et sa
femme, M'" Meyer, engagés au Théâtre-Lyrique;
Boule, engagé à l'Opéra ; de môme Ooulon, qui avait
été prêté quelque temps par M. Perrin à M. Seveste,
et faisait ainsi double service à l'Opéra-National et
à la salle Favart; M°" Ugalde, qui, par un caprice
inexplicable, quitta le 19 juin la salle Favart, pour
aller jouer les Trois Sultanes aux Variétés, mais qui
revint d'ailleurs l'année suivante au bercail, et fit
dans Galathée, le 23 décembre 1854, une rentrée
triomphale; M"* Wertheimber enfin qui, par la na-
1853 253
ture de son talent, semblait plus propre à interpréter
en. musique le drame que la comédie.
Eq revanche on avait conquis, nous l'avons dit, un
ténor, Puget, et une dugazon, M"° Zoé Belliat (dont
le nom s'orthographia peu après Bélia). De plus, on
pourrait signaler l'utile rentrée de serviteurs fort
appréciés, M"" Lemercier, le 2 février, dans Pétro-
nille du Sourd, et Mocker dans la Tonelli, Battaille
et M"' Caroline Duprez, le 18 août, dans Marco Spada,
Hermann-Léon, le 16 octobre, dans Roland des Mous-
quetaires de la Reine; sans parler de M"" Oharton-
Demeur, qui, de passage à Paris, vint donner quel-
ques représentations, reparut dans le râle d'Angèle
du Domino noir le 1°' août, puis dans celui de Vir-
ginie du Caïd, et ue tarda pas à reprendre sa course
à travers le monde, car, en dépit de sou nom,
M"' Oharton-Demeur ne demeurait jamais nulle
part.
En somme, la troupe était au grand complet, belle
et nombreuse, le jour où Meyerbeer livra sa première
bataille à l'Opéra-Comique, le 16 février 1854, date
célèbre dans les fastes de la salle Favart,
,L.:a..ï Google
CHAPITRE IX
irBTSBBBBIt A L'OPÂRA-COUIQUB
L'Etoile du Nord.
1854-183«.
Ce n'est pas sans raisoQ que nous groupODS sous ce
litre, Meyerbeer à l'Opéra-Comique, les trois années
dont nous relatous l'histoire. Une œuvre capitale
s'impose en effet et demeure le point lumineux de
cette époque : VEtoile du Nord, représentée le
i6. février. Remarquons en outre qu'une mênae phy-
sionomie parait commune à ces trois années, comme
aux trois précédentes, d'ailleurs, et permettrait
presque d'ajouter en sous-titre : ou ta réussite des
petits ouvrages. Il suMt, pour s'en convaincre, de
jeter les yeux sur le tableau suivant :
Ouvcsgas nouveaui 1854 1S55 1856 Total;
1 acte. ... 3 5 3 II
2 actes. ... 2 1 3
3 actes. ... 2 2 2 6
~ T T
..Coo^^le
1854 25b
Or, de ces orne pièces en uq acte, quatre se sont
mainteDues assez ioagtemps aa répertoire, savoir :
les Trovalelles, les SaboU de la Marquise, le Chien du
jardinier et Maître Pathelin. Les pièces ea deux aclea
ont, au contraire, échoué toutes les trois. Pour les sue
pièces en trois actes, une seule a réussi, celle de
Meyerbeer.
En réalité tout est éclipsé par elle, et rimportance
de ce fait caractéristique justi&e l'étude que nous lui
consacrons au début du présent chapitre : car ce n'est
plus une simple victoire, c'est uq pas décisif dans la
voie nouvelle où s'engage le vieux genre de l'opéra-
comique. Quant aux reprises , elles deviennent
moins fréquentes; pendaat la période qui nous oc-
cupe ou ne remettra guère à la scène que des ou-
vrages en quelque sorte appartenant au répertoire
couraot, le Pré aux Clercs, ies Diamants de la Cou-
ronne, les Mousquetaires de la Reine ; deux seulement
n'avaient pas été joués depuis dix aûs, Jean de Paris
et Zampa; tous avaient déjà figuré sur l'affiche de
la seconde salle Favart.
Si l'on voulait écrire une monographie complète da
l'Etoile du Nord, il faudrait remonter au 7 décembre
1844, Ce jour-là on inaugurait à Berlin le nouveau
Théâtre Royal, construit pour remplacer l'ancien
qu'un incendie avait détruit, comme celui même
dont nous racontons ici l'histoire. A cette occasion,
Meyerbeer avait composé un opéra en trois actes in-
titulé le Camp de Silésie; puisse une œuvre sem-
blable venir au monde à l'heure, hélas I indéflai-
ment retardée, où la troisième salle Favart renaîtra
de ses cendres I Le succès fut tel qu'on joua bientôt
l'ouvrage à Vienne sous le titre de Vielka, et qu'il fut
question de le monter à Paris. Nous avons raconté
,L.:e..ïG00'^lc
356 WETERBEBS A L'orÉRA-COUIQDE
comment, en 1845, la commission des auteurs avait
protesté, déniant à i'Opéra-Oomique le droit de re-
présenter les traductions. Scribe et Meyerbeer n'é-
taient pas gens à s'embarrasser pour si peu ; ils de-
vaient trouver le moyen de tourner la difficulté.
Scribe écrivit sur la musique, ou à peu près, un
poème nouveau, et Meyerbeer refit un nombre de
morceaux assez grand pour donner à l'ensemble le
caractère de la nouveauté : ainsi les apparences
étaient sauvées.
Mais ce tour de passe-passe agitait encore l'opinion
en 1853 comme en 1845, et c'est sans doute pour ré-
pondre à ces controverses de presse que la Revue et
Gazette musicale publiait les lignes suivantes :
L'ouvrage dont il est question n'est nullement le
CampdeSilésie: c'est une œuvre complètement neuve,
poème et musique. Seulement, dans le premier ta-
bleau du second acte, on a intercalé quelques mor-
ceaux inédits du Camp de Silésie. Mais le premier et
le troisième actes, ainsi que le deuxième tableau du
second acte, ne contiennent que de la musique entiè-
rement nouvelle, » Et c'est le journal de Brandug,
éditeur de Meyerbeer, qui avait parlé ainsi ! Certes,
le livret n'avait de vieux que son intrigue, s'il est
vrai que Scribe l'ait empruntée à une certaine Hen-
riette de M"°Raucourt, jouée à la Comédie-Française,
le 1" mars 1782; n'avait-il pas déjà pris le sujet de
la Favorite dans le Comte de Comminges, dont l'au-
teur était contemporain de M'" Raucourt ! mais pour
Meyerbeer, point de doute possible. L'Etoile du
Nord renfermait un certain nombre de morceaux du
Camp de Silésie, par exemple, au premier acte, la
ronde bohémienne « Il sonne et résonne » ; au se-
cond acte, l'introduction et la plus grande partie du
1854 257
célèbre finale ; au troisième acte, enfin, le trio de la
voix et des flûtes. A déraut de ces indications précises
un fait suffirait seul à démontrer la situation délicate
dans laquelle se trouvait l'éditenr et l'inanité de ses
appréciations : c'est que le jour où se leva l'Etoile du
Nord, on n'entendit plus parler du Camp de Silêsîe,
la partition complète n'en fat même jamais gravée, et
en dehors du théâtre de la Cour qui possède le ma-
nuscrit ayant servi aux représentations, on n'en
connaît qu'une seule et unique copie appartenant à
M. Spoelherg de Lovenjoul, l'érudit bibliographe
belge .
Quant à l'Etoile du Nord, qui, détail amusant, avait .
failli s'appeler l'Etoile polaire et avait môme été an-
noncée un instant sous ce titre plus froid que bril-
lant, elle obtint un succès immédiat, complet et re-
tentissant. Tous les interprètes étaient de premier
ordre, et les plus petits rôles avaient trouvé en de
grands artistes des interprètes remarquables et dé-
voués ; il suffit de rappeler Battaille, Mockér, Jour-
dan, Hermann-Léon, M"" Caroline Duprez, Lefeb-
vre, Lemercier et Decroix ; l'orchestre et les chœurs
avaient remarquablement fonctionné sous la direc-
tion énergique de Tilmant; enfin, la mise en scène
etla décoration faisaient vraiment honneur à l'intel-
ligence artistique du directeur. Aussi, l'empresse-
ment du public fut-il extraordinaire. Une indisposi-
tion de M"" Duprez mit huit jours d'intervalle entre
la deuxième et la troisième représentation ; mais de-
puis ce moment jusqu'au 28 juillet, où la pièce attei-
gnit sa soixante-quatrième représentation, l'Etoile du
Nord fut jouée régulièrement trois fois par semaine,
et même quatre par exception. Le 16 octobre, après
une interruption causée pat le congé annuel de Bat-
„■ .....Cooi^lc
258 MEVEABEGR A L'OPÉRA- COMIQUE
taille, une seconde série recommença, non moins
brillante que l'autre, de sorte que la centième fut
atteinte le 14 février 1855, un an moins deux jours
après la première. Les vingt-cinq premières repré-
Bentations avaient produit 155,000 francs, soit une
moyenne de 6,200francs par soirée ; sur celte somme,
les auteurs avaient perçu 21,700 francs et les pauvres
14,090 fr. 90 c. Dans la première année et hiHuivante,
c'est à peine si les interprètes de la création se firent
remplacer ; ils tenaient à leurs rôles, et, si quelque
indisposition les forçait i y renoncer quelques jours,
Us se hâtaient de les reprendre. Ainsi entrevit-on,
dans le rôle de Catherine, après M"" C. Duprez,
M"' Ugalde ; dans celui de Prascovia, après M"* Le-
febvre, M"" Rey et Boulard ; dans celui d'une des
deux vivandières, après M'" Lemercier, M"' Revilly;
dans celui de Pierre le Grand, après Battaille, Faure,
qui s'y montra de tous points remarquable ; dans ce-
lui de Danilowitz, après Mocker, Ponchard ; dans
celui de Oritzenko, après Hermann-Léon, Nathan et
Oarvalho.
De Paris, l'ouvrage ne tarda pas à prendre son
essor en Europe. Les premières villes qui le montè-
rent forent, à l'étranger : Stuttgart (28 novembre)
avec M"" Marlow dans le principal rôle; Copenhague
et Bruxelles, avec Barrielle et M"° Anna Lemaire; en
province, Toulouse avec Balanqué et M"* Héberl-
Massy; Lyon, avec Belval et M" Barbol; Marseille,
avec Melchissédec et M" Laborde- Dès la première
année théâtrale, 1854-55, on signalait i'fî(oi(e dw JVord
un peu partout: à Lyon, Strasbourg, Lille, Nantes,
Metz, Rennes, Grenoble, Marseille, Bordeaux, Nîmes,
Nancy, Valenciennes, Limoges, AvigUMi, Amstear-
dam, Utrecht, Gand, Londres, Dresde, Bruxelles,
1854 259
La Nouvelle-Orléans, Cologne, Darmstadt, Munich,
Hambourg, Cassel, Leipzig, Brunswick, Hanovre,
Brème, Wiesbaden, Erfurt, Mayence, Vienne, plus
de trente-cinq villes, et partout le public s'y portait
enfouie et témoignait d'un indéniable engouement.
De bonne heure aussi la popularité s'en était emparée.
Moins d'un mois après la première représentation
on signalait déjà l'Etoile du Nord comme enseigne à
un hôtel meublé situé sur l'un des quais de Paria, et
à un grand magasin de nouveautés du Faubourg-
Montmartre. II lui Tallait aussi la conséci^ation d'une
parodie, et elle l'eut, en effet, le 31 mars, aux Délaa-
gements-Comiques, avec une plaisante bouffonnerie
ainsi dénommée :îes Toiles du Nord, par MM. Guénée,
A. Monnieret A. Flan, musique de Meyerbeer, Auber,
Donizetti, etc., mise en désordre [sic) ,par M. Krie-
sel. La pièce, où le noble czar était devenu un vul-
, gaire industriel débitant les produits de sa manufac-
ture, était précédée d'un prologue bon à rappeler,
car il témoigne du respect des auteurs et combien ils
s'inclinaient devant le génie du musicien, s'eico*
saut :
Pauvres pygmées
De menacer le trône da géaat.
O Meyerbeer, ajoutaient-ils,
Ed contemplant loa étoile argentée,
Pour composer ce chef-d'œuvre immortel,
Toat Paris croit que, nouveau Prométhée,
Ta main osa ravir le feu du ciel.
Somme toute, ils n'en voulaient qu'au poème :
... Est-ce donc un grand crime
D'en rire un peut car tel est notre but.
C'est le serpent qui veut mordre la lime,
Cest l'écolier corrigeant l'Institut.
..Coo^^le
ZoO HEYERBEER A l'OPEHA-COMIODE
Et finement ils terminaient ainsi :
Enfin, messieurs, malgré toute manœuvre,
Bap pelez -vous, qu'en aiguisant ses traits,
La parodie est fille du fihef-d'œuvre :
Faites-en donc la llile du succès I
Ils avaient raisoD, ces spirituels auteurs, de pro-
noncer le mot de chef-d'œuvre et de s'incliner devant
le génie. Certes, il est de mode aujourd'hui de dé-
crier dans certains cercles musicaus, un peu en
France et beaucoup en Allemagne, celui dont le nom
était synoyme de succès, l'auteur de tant d'ouvrages
restés debout malgré les caprices de la mode, l'inno-
Tfttion des théories et le dédain du passé. Déjàméme
autrefois cette opposition trouvait des avocats, et l'on
ne saurait oublier l'étrange oraison funèbre prononcée
par Beulè en 1865, sous la coupole de l'Institut : « Il
n'a eu ni la majesté antique de Gluck, ni la grâce
divine de Mozart, ni l'éclat éminent de Rossini, ni
même le parfum étrange de Weber. ■ A défaut de
tant de mérites, si tant est qu'il n'eut aucun de ceux-
là, Meyerbeer possédait du moins cette étincelle sa-
crée qui tire la vie du néant, il se peut que sa force
fût faite de volonté ; mais par le sens raisonné de sa
critique, jointe à l'excellence de ses dons naturels,
par ce mélange incomparable d'inspiration spontanée
et de lente réflexion, ilariivait à l'intensité de l'effet,
et savait créer, lorsque tant d'autres imitent. Que de
formules ou lui reproche maintenant, dont la faute
retombe sur ses plagiaires ! Que de merveilles en son
œuvre qui nous paraissent toutes simples, parce
qu'elles sont tombées depuis dans le domaine uni-
versel! Sévère et dur pour lui-même, indulgent pour
les autres, il songeait encore à s'instruire, lui qui
1854 261
savait tout ce que l'on peut apprendre. Par exemple,
il assistait à la première représeatation des Porche-
rons, et comme Grisàr venait le remercier de l'hon-
neur qu'il lui faisait en daignant écouter son œuvre :
« Monsieur, répondit Meyerheer, je viens prendre
des leçons d'opéra-comique! » Le mot est piquant;
l'auteur de l'Etoile du Nord, à laquelle il travaillait
alors, était assez fin diplomate pour le dire sans
y croire ; il était aussi assez bon connaisseur pour y
croire en le disant. De fait, il avait profité de l'ensei-
gnement et réduit, pour ce cadre nouveau, la dimen-
sion ordinaire de ses toiles. Mais si humble qu'il eût
tâché de se faire, il était demeuré grand. Aussi ne
pouvons-nous, sans quelque émotion, feuilleter les
premières épreuves de cette partition d'orchestre que
le hasard a fait tomber en notre possession. Toutes
ces pages sont là, revues et corrigées par cette main
qui trahit en son écriture la vivacité de la pensée et
l'énergie de la décision. En traçant ces lignes, Meyer-
heer ne se doutait pas qu'il allait, plus que personne,
modlQer le caractère de ce théâtre où il donnait sa
pièce ; il apportait la force et la puissance sur une
scène oti l'on s'était presque toujours contenté jus-
que-là de grâce et d'esprit; il élargissait ce cadre un
peu étroit; il poussait l'opéra-comique dans la voie
de l'opéra : le temps lui a donné raison.
Après l^Etoile du NoTd, il était à craindre que le
premier ouvrage en trois actes, coulé dans le vieux
moule, ne parût bien petit. Victor Massé risqua la
partie et en 20 représentations la perdit. La Fiancée
du Diable, jouée le 5 juin, avait pour auteurs Scribe
et Romand, qui s'étaient inspirés pour leur livret
d'une légende ayant cours au pays d'Avignon et déjà
nùse en vers par Jasmin sous le titre de Francounetla.
IS.
262 MEYBBBESR A l' OPÉRA-COMIQUE
Ce diable n'était autre qu'un marquis, joyeux far-
ceur auquel l'amour suggérait la peusée assez...
infernale de pénétrer, déguisé comme un démon,
dans la chambre nuptiale de deux jeunes époux;
mais il avait compté sans une amie qui découvrait la
fraude, et l'arrêtait au milieu de sa folle équipée par
la menace d'un coup de pistolet. Pour expier son
badiuage, il épousait finalement celle qui avait failli
le faire passer de vie à trépas et qui se trouvait ainsi
mystifier son mystificateur. L'histoire supposait chez
les personnages une forte dose de naïveté ; le public
se montrait trop sceptique pour l'accepter sans dis-
cussion et Victor Massé, dont c'étaitle premier grand
ouvrage, n'avait pas rencontré la veine mélodique de
ses charmants levers de rideau.
Une revanche fut prise le ?8 juin avec un acte de
Michel Carré et feu Lorrin, les Trovatelles. 3ous ce
ce nom, l'on désigne à Naples les orphelines ou
enfants trouvées qui sont éîevées dans un couvent
jusqu'au moment de leur mariage. A certain jour
fixé, les pauvres recluses sortent de leur retraite et
les garçons des environs accourent pour choisir
parmi elles celles dont ils feront leurs femmes ; c'est
un peu ce que l'on retrouve dans Martha, et dans
une pièce du siècle dernier appelée le Marché attx
filles. Remarquons d'ailleurs que dans l'antiquité,
les mariages ne se faisaient pas autrement chez, les
Assyriens. Les Trooatelles, qui d'abord avaient pour
litre l'Anier, puis t'Anier amoureux, parce quetrile
était la condition de celui qui s'éprenait de la trOTa-
telle, servirent de début à un jeune compositeur
élève de Leborne et lauréat de l'Institut, M, Duprato.
Début heureuï, il faut le dire, puisque, jouée pen-
dant huit années, la pièce obtint 107 représentation».
1854 263
II nous faut glisser rapidement sur VOpira au
Camp (18 août), primitivement intitulé COpéra à
Fontenoy, un acte de Paul Foucher, qui mettait en
scène le maréchal de Saxe et M" Favart, une troupe
de soldats et une troupe de comédiens. Le maréchal
de Saxe s'appelait Duvernoy, et M"" Favart, M"' An-,
dréa Favel, Leur talent ne suffit pas à plaider ^vec
succès la cause du compositeur, Varney, qui vivait
toujours sur la réputation de son Chant des Girow
dins, et la treizième représentation fut la der-
nière.
Un mois plus tard, le 16 septembre 1854, avait lien
une des reprises les plus importantes de cette pé-
riode, importante et par la valeur de l'œuvre et par la
qualité des interprètes. Croirait-on que le Pré aux
Clercs, cette pièce classique, n'avait pas reparu sur
l'affiche depuis 1849? Il faut ajouter qu'une telle
interruption rentrait assez dans le système de M. Pep-
rin : produire de l'effet et par conséquent amener la
recelte, môme avec un vieil ouvrage. Volontiers il le
laissait, pour ainsi dire, reposer quelque temps,
semblait l'oublier, puis tout à coup le rappelait à la
vie et au succès par une distribution brillante et une
mise en scène soignée. Ainsi fit-il pour (e Pré aux
Clercs, où furent applaudis M"" Miolan-Carvalho (Isa-
belle), M"' Colson, venue du Théâtre-Lyrique et
débutant à la salle Favart dans le rôle de la Reine,
M"* Lefetovre (Nicette), MM. Puget(Mergy), Couderc,
(Oomminges), Salnte-Foy, (Oantarelli) , Bussine
(Giïot). L'événement répondit aux calculs du direc-
teur ; cette reprise fonrnit -46 représentations en
1854, et 44 l'année suivante. C'est, par parenthèse, à
la suite dô la représentation gratuite donnée, en cette
année 1855, à l'occasion de la prise de Sébastopol,
264 UEyERBEBIt A l'opéra* COMIQUE
gne fut modifié certain détail de mise en scène
relatif à l'œuvre d'Herold, Jusqu'alors, les acteurs
chargea du rôle de Mergy tiraient de leur poche le
message qu'ils apportaient à Marguerite de Valois de
la part de son mari le roi de Navarre. Ce soir-là, un
soldat placé à l'orchestre ât à haute voix une réflexion
assez juste: « Oh I ce gaillard-là prend dans sa
culotte la lettre à la Reine! ■ Le mot franchit la
rampe, et depuis lors Mergy dut placer le message
dans sa ceinture. Fermons notre parenthèse pour
constater que depuis la reprise de 1854, le Pré aux
Clercs s'est maintenu fermement au répertoire et,
sur un espace de plus de trente ans, on ne signale à
son passif qu'une éclipse de deux années, en 1863
et en 1864.
Une telle reprise laissait dans l'ombre toutes les
autres, et c'est pour mémoire seulement que nous
citons en cette même année : le ^4 avril, le Songe
d'une Nuit d'été avec M"" Letebvre (Elisabeth), Bélia,
MM. Couderc, Jourdan et Faure, excellent sous les
traits de Palstaff; le 17 juillet, Gilles- ravisseur, avec
M"' Lemercier (Isabelle), M""' Blanchard, MM. Her-
mann-Léon (Crispin), Poncbard (Léandre), Sainte-
Foy (Valentin), Duvemoy et Lemaire ; le 11 août,
les Poreherons, avec M'" Lefebvre (M"" de Bryane)
M". Félix, M"" Decroii, MM. Mocker (Danceny),
Hermann-Léon, 8ainte-Foy, Bussine, Lemaire ; le
25 août, les Mousquetaires de la Reine avec une dis-
tribution toute nouvelle puisque Hermann-Léon res-
tait seul de la création, soit avec MM. Puget
(Olivier), Delaupay-Ricquier, M"* Boulard (Alhénals),
M"° Larcéna (Berthe) ; enfin, le 26 août, Marco Spada
avec M"* Dupiez (Angola), M'" Favel, MM. Jourdan,
Couderc, Bussine, Carvalho et Faure; ce dernier
1854 365
remplissait, pour la première fois, le rôle du baron
de Torrida, créé par BattaiUe.
A .toutes ces reprises devait succéder, avant que
l'année musicale eût pris Bn, une nouveauté, et
cette nouveauté fut un succès. Une fois de plus,
Michel Carré et Jules Barbier avaient été bien ins-
pires en traçant ce petit tableau du dix-huitième siècle,
où certaine marquise jouait la paysanne pour mieux
ensorceler son amoureux ; avec les Sabots de la Mar-
quise ils avaient retrouvé l'heureux filon des Noces
de Jeannette, et le compositeur, Ernest Boulanger,
donnait un pendant à son premier succès, le Diable à
l'école. Cet acte fut joué le 29 septembre 1854, se
maintint au répertoire pendant dix années consécu-
tives, et fut repris en 1867. Il n'obtint pas en tout
moins de 1 10 représentations, et do nos jours, il est
plus d'une ville en province où résonne encore l'ai-
mable rondeau que disait si finement M"' Lemer-
cier:
Aimons qui dous aime I
C'est le boD système
A suivre ici-bas ;
Si Nicolas m'aime.
Va pour Nicolas !
Dans cette petite pièce, le rôle de la marquise
était tenu par M"" Boulard, qui avait obtenu en 185B
les premiers prix de chant et d'opéra-comique au
Conservatoire. Elle avait dû d'abord débuter dans
une reprise projetée et abandonnée de Mina et avait
paru finalement le 6 janvier à l'Opéra-Comique dans
les Noces de Jeannette. D'autres débutants justifient
une simple mention : le 26 mars, dans Jenny de la
Dame Blanche, M"* Larcéna, qui avait passé sans
A.KyL
266 MBYERBEBR A L'OPÉRi.-COUI0UE
éclat par le Théâlre-Lyrique et les Variétés ; le
19 avril, dans Anna de la Dame Blanche, M"" Amélie
Rey, qui venait du Conservatoire ; le 22 août, dans
Malipieri â'Haydée, ua baryton nommé Marchot qui
suppléa Paure à l'improviste; enfin le 16 septembre
M"" Colson, citée plus haut à propos de la reprise du
Pré aux Clercs. D'autres artistes se retiraient; tels
MM. Carralho et Hermann-Léon. Quant à M"" Wer-
theimber dont nous avons déjà annoncé le départ,
elle passait de l'Opéra-Comique à l'Opéra dans des
conditions assez singulières. Engagée pour trois ans
par M. Perrin, à raison de 25,000 francs pour les deux
premières années et de 30,000 pour la troisième, elle
avait rendu des services inférieurs à ses appointe-
ments, et constituait par conséquent une charge pour
le théâtre. Or, en la prenant, l'Opéra ne lui donnait
que 12,000 francs, et M. Perrin dut payer la diffé-
rence entre ces deux traitements, jusqu'à l'époque où
expirait le contrat, c'est-à-dire en mai 1855. Voilà ce
qu'il en coûtait au directeur pour se débarrasser
d'une cantatrice, et rompre un marché trop onéreux.
Cependant à la salle Favart un événement s'était
produit, qui pouvait influer sur ses destinées et
changer en bien ou en mal le cours de sa fortune. Le
directeur du Théâtre-Lyrique, M. Jules Seveste, était
mort aubitecnent, et la nécessité de ne pas laisser
péricliter son entreprise à l'heure où elle commen-
çait à prospérer, avait fait naître l'idée de recourir
aux talents de M. Emile Perrin. Par décision du
16 juillet, il arriTa donc que les privilèges des deoi
théâtres, quoique demeurant distincts, furent réunit
entre les mêmes mains. C'était la réalisation d'un
rêve assurément cher au directeur privilégié, puisque
plus tard, lorsqu'il administra l'Opéra, puis la
1854 267
Comédie -Française, il eut l'idée d'adjoindre à l'Opéra
l'Opéra- Comique, à la Comédie l'OdéoD, se plaisant
ainsi à la concentration des pouvoirs et à l'anité de
la direction, Mais en i854, l'opinion s'ômul de cette
combinaison, et la presse en général la désapprouva.
On voyait dans le Théâtre- Lyrique une sorte d' « épe-
ron mis au flanc de l'Opéra- Comique, » autrement
dit une cause d'émulation. On craignait que cette
rivalité, profitable à l'art, ne disparût, et d'aucuns
soupçonnaient déjà M. Perrin de ne vouloir diriger
cette entreprise que pour n'avoir pas à souffrir de
dommage s'il la laissait diriger par un autre. On
disait même que « cette double administration ris-
^ait d'armer, d'une dangereuse omnipotence, les
prédilections et les sympathies de celui à qui elle
était confiée, et que la disgrâce encourue fermerait
ainsi toutes les portes à la fois. » Devant cette oppo-
sition, jointe aux exigences très exagérées de la
Société des Auteurs, M. Perrin donna sa démission;
puÎF, snir des instances venues de haut, il la reprit et
consacra dès lors autant de zèle et d'activité au
jsecond théâtre qu'au premier. Il avait constitué une
troupe solide, en tête de laquelle marchait une nou-
velle recrue, qui devait un jour servir sous ses ordres
à la salle Favart, M"* Marie Cabel ; il avait choisi un
certain nombre d'ouvrages, et trouvé ceux qui de-
vaient produire de fortes recettes: parmi les nou-
veaux, Jaguarita l'Indienne, parmi les anciens la
Sirène, la seule pièce d'Auber qui ait jamais été
jouée au Théâtre-Lyrique ; en un mot, du jour de
l'ouverture (30 septembre 1854}, à celui de la clôture
(30 juin 1855), — car, en dépit de l'Exposition univer-
selle, on s'avisa de fermer l'été, — son ardeur ne se
Talentit pas ; malheureusement, si intéressante qne
268 UBYBRBGBR A L'OPÉRA-COUIOUE
fût sa tentative, il renonça bientôt à la poursuivre. A
la rentrée, le sceptre directorial était passé, par uq
décret en date du 29 septembre 1855, aux mains de
M. Pellegrin, prédécesseur immédiat de M. Carvalho ;
l'expérience n'avait donc pas assez duré pour être
concluante.
Se consacrant désormais à l'unique salle Favart,
M. Perrin n'eut guère à recueillir, en 1855, que
la récolte semée par lui en 1854. C'était l'année de la
première Esposilion universelle ; les étrangers vinrent
en nombre, et ses deux grands succès de Tannée précé-
denle, l'Etoile du Nord et la reprise du Pré aux Clercs,
fournissaient aux spectacles un élément assuré. Au-
tour de ces deux chefs-d'œuvre devaient rayonner un
certain nombre de pièces, dont la première surtout
avait une réelle valeur et méritait son franc succès,
le Cftt'en du Jardinier, paroles de MM. Lockroy et
Cormon, musique de Grisar, représenté le 16 janvier
1855. C'est d'Espagne que vient, dit-on, cette vieille
légende du chien qui ne mange pas sa pâtée, mais
ne veut pas que les autres j touchent. En somme, la
morale de cette histoire convient à tous pays, et trans-
portée dans le domaine des sentiments, appliquée à
la coquetterie féminine, elle pouvait fournir les élé-
ments d'une action piquante, alerte et vraie. C'est
ainsi que l'entendirent les auteurs de ce petit acte
lorsqu'ils tracèrent le portrait de leur jolie paysanne
qui hésite à choisir un prétendu et qui le veut quand
une rivale l'a choisi. Le dialogue était amusant, la
musique spirituelle et l'interprétation remarquable
avec M"" Lefebvre et Lemercier, MM. Paure et
Ponchard ; aussi l'œuvre fut-elle accueillie chaleu-
reusement. Elle se maintint sur l'affiche jusqu'en
1869, époque où elle atteignit sa 98° représentation.
1855 269
Depuis on ne l'a plus revue, si ce n'est au Château-
d'Eau; autant dire qu'elle n'a pas été reprise. Elle
mériterait cependant de l'étie.
Le 13 février on donnait un acte encore, mais
'moins bien accueilli que le précédent, puisqu'il ne
compta que 38 représentations. Il avait pour auteurs
d'une part Jules Barbier et Michel Carré, de l'autre
Victor Massé ; seulement, Mtss Fauvette ne valait pas
les Noces de Jeannette. On y voyait un Anglais, inimi-
table d'ailleurs en la personne de Sainte-Foy, cher-
chant à faire taire une jeune voisine gui gazouillait
tout le jour comme un oiseau, et usant de mille sub-
terfuges, violence, douceur, argent, pour éteindre
l'ardeur de son gosier : ce qui peut passer pour une
version dramatique de la fable bien connue, le Save-
tier et le Financier. A cette pièce se rattache un
simple détail, prouvant que M"° Lefebvre était alors
le véritable terre-neuve de la salle Favart. Princesse
ou paysanne, elle abordaittous les rôles avec une ab-
négation que pouvaient seuls égaler son intelligence
et son talent. En 1851, le Songe d'une Nuit d'été avait
été écrit pour M"*Ugalde; au dernier moment une
indisposition survint; M"' Lefebvre prit le rôle
d'Elisabeth et le garda. De môme, en 1855, Miss Fau-
vette avait été écrite pour M°° Miolan-Carvalho ; sur
ces entrefaites, il fut question de son départ de
rOpéra-Comique et de son engagement à l'Opéra,
lequel n'eut pas lieu d'ailleurs ; M"' Lefebvre se dé-
voua et fut payée de sa peine par des bravos una-
nimes.
Par une série de malchances, le reste de l'année
1855 ne devait plus amener que des chutes, tout au
plus des demi-succès; qu'on en Juge par le chiilVe
des représentations: 12 pour Yvonne; 19 pour laCour
270 MEYERBEBR A l'OPÉBA-COUIQUB
de Ciiimène ; 39 pour Jenny Bell (malgré la sigoatare
d'Auber); 2 pojir Jacqueline ; 4 pour l'Anneau d'Ar-
gent; 17 pour Deucalion et Pyrrha; 16 pour/e Jîou-
zard de Berchiny; 38 eofin pour les Saisons.
Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu'avec
un nom comnie Yvonne, l'actioQ se passait en Bre-
tagne. Quatre ans plus tard, dans cette salle Favart,
le même litre reparaissait au service d'un « drame
lyrique », ce qui tendrait à prouver que la pénurie
des Doms est grande sur cette terre armoricaine. Ou
y trouvait un personnage appelé Janic, tout comme
dans la pièce de M. Richepin, te FiibustteT, homme
dans la première, femme dans la seconde, ce qui té-
moigne par conséquent d'un certain désordre dans les
habitudes onomoplastiques des auteurs. Enfin et sur-
tout on y voyait deux paysans naïfs dont l'amour
était exploité par un vieux berger qui se faisait passer
pour sorcier : cette invention n'avait pas dû couler
beaucoup d'efforts aux- librettistes, de Leuven et
Deforges. Une musique princière ne sauva pas la
pièce, représentée le 16 mars. M. le prince de la Mos-
kowa, nous l'avons vu, avait réussi avec son premier
ouvrage, te Cent-Suisse; avec le second, Yvonne, il
échoua.
La Cour de Célimène, donnée le 1 1 avril, se heurta
de même, non pas à la résistance, mais à l'indiffé-
rence du public. Lelibrettiste Rosier avait pris texte
de la coquetterie de Célimène pour grouper autour
d'elle toute une armée de soupirants et les mettre aux
prises pour les yeux de la belle. On y comptait quatre
vieillards, quatre jeunes gens et quatre adolescents
(sic) représentés par des femmes. M"" Révilly, De-
croix, TalmoD, Bélia. Aussi la pièce s'appelait-elle
primitivement les Douze. Elle aurait dû, en ce cas,
1855 271
s'appeler plutôt tes Quatorze, car on avait oublié dans
ce nombre te commandeur (fiattalUe) et le chevalier
(Joiirdan), les deux seuls amoureux sérieux, juste-
ment. Par une disposition originale, ces douze voix,
réparties en trois groupes, tenaient lieu de chœurs et
donnaient plus de légèreté à cette comédie, que l'on
s'était efforcé de maintenir dans le ton du dix-hui-
tième siècle. Le compositeur, Ambroise Thomas, avait
écrit son principal rôle pour M""- Miolan-Carvalho,
dont ce fut ta dernière création à la salle Favart. Le
mari avait déjà résilié, préparant en sous-main son
entrée dans la carrière directoriale : la femme allait
le suivre et remporter bientôt ces triomphes qui l'ont
associée au succès de tant de compositeurs.
Malgré l'excellence de cette marque de fabrique :
Scribe et Auber, Jenny Bell, le 2 juin, ne dépassa
guère le niveau d'un succès d'estime. On aurait
pn trouver quelque intérêt dans l'histoire de cette
■ enfant abandonnée, protégée mystérieusement par
un noble lord anglais, devenue cantatrice et finissant
par épouser le fils de ce bienfaiteur, qui pourl'appro-
- cher et se faire aimer d'elle avait pris l'apparence et
le nom d'un jeune musicien. C'était, comme un le
voit, une nouvelle édition de l'Ambassadrice; peut-
être s'y joignait-il aussi quelques souvenirs d'un Sul-
livan de Mélesville et d'un Tiridate de Maiime Four-
DÎer. Jenny Bell, en tout cas, n'avait rien de commun
avec Jenny Lind, comme on se plaisait à le dire
avant la représentation. L'amour d'une actrice et
d'un grand seigneur aurait plutôt éveillé le souvenir
d'Adrienne Lecouvreur et du chevalier d'Argental.
En somme cette question d'origine laissa le public
indifférent et les trois actes d'Auber furent bientât
oubliés.
D.3i.za..ï Google
2'Î2 HEYERBEBR A l'OPÉRA-COUIQUE
Il n'y a pas de profits sans quelques chargea, et
l'honneur d'être un théâtre impérial obligeait parfois
l'Opéra- Comique à subir les caprices qui venaient de
haut. Ainsi vit-on représenter par ordre, le 8 juin,
Jacqueline, pièce en un acte, paroles de Léon Battu,
musique de MM. d'Osmont et Costé, jouée déjà une
première et unique fois à la salle Ventadour le 15 mai
précédent, au bénéfice de l'œuvre des secours à do-
micile. Cette bluette, plus ou moins dérivée de deux
pièces connues alors, le Capitaine Roland et le Méri-
dien, ressemblait fort à une comédie de salou. Par
ordre signifiait que l'auteur était bien en cour. L'Em-
pereur en effet vint à la première ; mais le public ne
vint pas à la seconde, de sorte que la troisième n'eut
jamais lieu.
Ce fâcheux début fut suivi d'un autre à peine plus
heureux, l'Anneau d^Argent, « bergerie » en un acte,
paroles de Jules Barbier et Léon Battu, musique
de M. Deffès (5 juillet). Le livret, que ses auteurs
avaient d'abord baptisé la Ferme, suivant les uns, la
Ferme et la Fabrique, suivant les autres, ne brillait
pas par son intérêt. Prix de Rome en 1847, le com-
positeur devait s'estimer heureux qu'on eût enfin
songé à lui ; mais le futur directeur du Conservatoire
de Toulouse ne put en ce premier essai donner sa
mesure ; il avait une revanche à prendre, et, quelques
années plus tard, il la prit en eifet avec les Bourgui~
gnonnes et le Café du Roi,
Il était écrit qu'en J855 nulle autre nouveauté que
le Chien du Jardinier ne se maintiendrait debout ; la
malchance soufllait sur les compositeurs et renversait
leurs ouvrages tour à tour ; tous étaient frappés,
même les habitués du succès, Victor Massé, Ambroise
Thomas, Auber, et maintenant Montfort avec Deuca-
1855 273
lion et Pyrrha, et Adolphe Adam, avec le Houzard de
Berchiny. De ces deux pièces, la première, jouée le
8 octobre, u'avait d'antique que l'étiquette ; c'est
Arlequin dout Michel Carré et Jules Barhier avaient
fait leur héros dans ce petit acte, et ils lui avaient
prêté une certaine dose de naïveté, puisqu'à la suite
d'une inondation, il croyait déjà au déluge universel,
et, rencontrant la jeune Caroline, commentait avec
elle la légende mytliologique racontée par Ovide en
ses Métamorphoses et songeait aux moyens de repeu-
pler le monde. Un mariage était le moyen tout indi-
qué, et Arlequin se mariait en effet. Ce fut la dernière
partition de Montfort, qui avait commencé par un
succès. Polichinelle, et qui finit ainsi par une- chute.
Adolphe Adam échoua de même, le 17 octobre,
avec la berquinade en deux actes que lui avait fournie
son collaborateur Rosier, Ce sergent mystifiant deux
vieux avares au point de les faire, par un escamotage
de signatures, s'enrôler l'un comme soldat, l'autre
comme vivandière, et les amenant à se racheter d'un
tel engagement au prix d'une somme d'argent qui
devient la dot de Martin et Rosette, deux amoureux
pauvres, ce personnage d'opérette, même interprété
par Battaille, ne causa ui gaieté ni émotion. La mu-
sique ne put sauver la pièce, et pourtant Adolphe
Adam écrivait, en parlant de cette partition, qu'il
croyait n'avoir jamais mieux réussil L'auteur est
souvent le pire juge de son œuvre !
Victor Massé avait, lui aussi, un faible pour les
Saisons, dont la première représentation fut donnée
le 22 décembre 18&5 avec M'" Duprez et Battaille
(bientôt remplacées par M'" Rey et Nathan), M"° Ré-
villy et Delaunay Ricquier. Il rêvait toujours d'une
reprise possible, et c'est avec cet espoir qu'il avait
.^Cooi^Ic
274 IIBÏBRBEBR A l'OPÉHA-COHIQOB
remaDié plus tard les trois actes de Michel Carré et
Jules Barbier, répétés d'abord sous le nota de Simone.
CepeadaDtlepremieraccueilD'aTait pas été favorable;
pourquoi ? c'est ce qu'à distance on ne saurait dé-
mêler; car le livret, qui noas moatre une sorte de
Mireille avant la lettre, ue semble pas dénué d'iatérét,
et la musique, à coup 8ûr, coDtieut des pages <^Ukr-
mautes. Il 7 a peut-âtre là, qui sait ! ud procès perdu
eu ÎDStauce et qui sera quelque jour gagaé en appeU
A côté de ces pièces nouvelles et oubliées, il en. est
d'autres anciennes qui dans ie même temps avaient
subi le même sort. Au commeocement de ce cbapitre,
nous établissioQs, pour les trois Minées qu'il em-
brasse, l'actif de ropéra-Comique ; il est juste d'éta-
blir ici son passif, c'est-à-dire ce qui a définitivement
dispara, soit: un seul parmi les ouvrages donnés de-
puis l'ouverture de la seconde salle Favart, Gilles
ravisseur; quatre parmi les œuvres antérieures à
cette date, Adolphe et Clara, l'irato, qu'on projeta un
instant de repreudre, ea 1863, avec M"* Heotel-Oolas,
Maison à vendre et Actéon.
L'année 1855 vit, en outre, le départ de quelques
artistes justement réputés, M°" Miolan-Oarvalbo,
M"" Colson. De tels vides devaient être difacilement
comblés; les nouveaux pensionnaires de l'Opéra-
Comique étaient: M"' Mira, petite-lllle du célèbre
acteur Brunet, qui débuta le 1" juillet dans Diane des
Diamants de la Couronne; Beckers, qui débuta ie
9 septembre dans Gritzenko de l'Etoile du Nord et
M"* Henrion-Berthier [2 prix d'opéra, 1" accessit de
chant et d'opéra-comique au concours de 1855), qui
débuta le 24 novembre dans Angèle du Domino noir.
Enfin, on ne saurait quitter alors la salle Favart
sans mentioQner quelques-unes des soirées qui
1856 , 275
doivent compter dans soa histoire: le cODcert spiri-
tuel du 7 avril, où fut exécuté, sous la direction de
Berlioz, Bon oratorio l'Enfance du Christ, précédem-
ment entendu trois fois de suite à la salle Herz; la
représentation extraordinaire organisée le 19 juillet,
au béoéËce d'une troupe anglaise, avec le concours
de la Comédie-Française et de l'Opéra, Caîn avec
Beauvallet et M"' Rachel, une Tempête dans un Verre
d'Eau avec M"° Fiz, la valse de Giselle et le pas de la
folie danséâ par Mérante et Petipa; la représeotaiion
de gala donnée le 24 août en l'honneur de la reine
d'Angleterre, où Haydée vil pour la circonstance les
cbœui'sde l'Opéra-Oomique doublés par l'adjonction
de ceux du Théâtre-Lyrique ; surtout La représenta-
tion gratuite du 13 septembre, où, pour fêter la prise
de Sebastopol, retentit la célèbre cantate d'Adolphe
Adam, Vicioire/ C'était une véritable improvisation.
La veille, à trois heures, il n'y avait rien de prêt;
vite on s'adresse à Michel Carré, qui écrit des vers
sui-lechamp ; on les porte à Adolphe Adam qui se
met au travail sans plus tarder : avant dix heures du
soir la musique était faite et l'on copiait les parties.
Pendant ce temps on brossait un décor ; on arrangeait
des costumes; Paure, Jourdan, Deiaunay-Ricquier,
Bussiue répétaient, et, le soir, la cantate était si cha-
leureusement accueillie, que, pendant treize jours,
elle accompagna le spectacle.
La première pièce nouvelle représentée en 1856
(23 février) fut Manon Lescaut, qui obtint 58 repré-
sentations la première année et 5 la seconde.
Ce n'était pas la première fois, et ce ne devait pas
être la dernière qu'on transportait à la scène le ro-
man célèbre de l'abbé Prévost. Scribe, à l'exemple
de ses prédécesseurs, ne se gêna pas pour modifier à
.^Cooi^Ic
276 uEVBRBBEa A l'opéha-couiqub
sa guiee la donnée primitive, sauf à changer, par
exemple, pour les besoins de sa cause, le crime en
bienfait et le vice en vertu. Ainsi, par l'espèce de pu-
rification qu'il lui faisait subir, sa Manon perdait, en
intérêt dramatique et en sympathie, ce qu'elle gagnait
en prétendue innocence. Comme l'écrivait un cri-
tique : « Ce n'est plus une Dame aux Camélias, mais .
ce n'est pas non plus une Lucrèce, et ce caractère,
tracé d'une main Indécise, est inférieur à celui de la
Manon de Prévost. » Scribe avait tenu toutefois à
garder le dénouement classique, et ce tableau de la
Louisiane avait justement fourni à Auber l'occasion
d'écrire une scène des plus émouvantes et des plus
passionnées. On en put juger il y a quelques années,
le 30 janvier 1882, dans une représentation extraor-
dinaire donnée à la salle Favart à l'occasion du cen-
tenaire d'Auber. Cette fin du troisième acte fut chan-
tée par M, Furst et M'" Isaae dont le talent contribua
à faire valoir une page curieuse en somme, car elle
montre la passion vraie chez un compositeur auquel
on ne prêtait guère que le badinage élégant de l'a-
mour; par endroits même on y sent passer le soufQe
dramatique et cbaud d'un Verdi, A l'origine, les deux
héros se nommaient Puget, dont ce fut à ce théâtre
la dernière création, puisque le 25 juillet suivant il
débutait brillamment à l'Opéra dans Lucie de Lammer-
moor, et M"" Cabel qui débutait, ou, pour mieux dire,
redébutait, car elle avait, nous l'avons dit, en 1849-50,
fait un stage, d'une année environ, à l'Opéra-
Comique. Désormais, elle allait briller au premier
rang, et soutenir en partie le poids du répertoire.
Manon Lescaut ne fut qu'un demi-succès pour un
maître comme Auber; le C/iei-cAeu)- d'Esprit fut presque
un succès pour un compositeur débutant comme Be-
..Coo'^Ic
I85f> 277
sanzoQï. Oe petit acte, joué pour la première fois
le 26 mars, avait pour librettiste Edouard Foun-
sier, le futur collaborateur d'Emile Augier pour
les Lionnes Pauvres; il mettait en scène une célèbre
nouvelle de Boccace, les Oies du père Philippe, qni
plus d'une fois déjà avait servi au théâtre, depuis
la Coupe enchantée de La Fontaine jusqu'à certain
opéra-comique en un acte de Duport pour les paroles
et de Dourlen pour la musique, le Frère Philippe,
représenté à Feydeau le 20 janvier 1818. Fétis a né-
gligé de mentionner le Chercheur d'esprit dans l'ar-
ticle de son dictionnaire relatif à Besanzoni. 11 ne cite
qu'un Ruy Blas, représenté en 1843; M. A. Pougin,
dans son supplément, a justement comblé cette la-
cune. Ajoutons que le Chercheur d'esprit se maintint
cinq années au répertoire et fut joué 58 fois.
L'œuvre en trois actes d'Halévy, venue au monde
juste un mois plus tard, le 26 avril, fut moins heu-
reuse, puisqu'elle n'obtint que vingt-trois représen-
tations. Les librettistes, Jules Barbier et Michel
Carré, avaient imaginé un sujet bizarre dont l'origi-
nalité n'était acquise qu'au prix d'une forte invrai-
semblance. A certain baron, venant de sa province et
jugé naïf, un'coquiû de chevalier présentait comme
fiancée une actrice de la Comédie-Italienne et pré-
tendait pousser l'aventure jusqu'au mariage inclusi-
vement. La découverte finale de cette machination
valait au mystificateur un bon coup d'épée ; mais le
public, n'étant point sûr de ne pas y être mystifié à
son tour, prit peu de goût à la plaisanterie. La mu-
sique elle-même ne lui plut guère; des enthousiastes
et intéressés sans doute, eurent beau écrire qu'ils y
trouvaient « l'inspiration mélodique unie à la science
la plus accomplie, le lyrisme de la pensée à l'élégance
16
378 lIErERBBEH A l'opéra- COKIQITR
de la forme, les grâces de l'esprit à l'expresaion des
sentiments les plus tendres et les plus passionnés >,
la foule ne vit rien de tout cela dans Valentine d'Au-
bigny, et, restant insensible au bruit vain de ces ré-
clames, infligea au compositeur un des plus rudes
échecs de sa glorieuse carrière.
Peu de temps après, le 3 mai, rOpéra-Comiijue
éprouvait une perte sérieuse en la personne d'un de
ses auteurs favoris, d'un maître souvent applaudi,
Adolphe Adam. « La veille de sa mort, lisons-nous
dans le journal d'un de ses amis, il était alléà l'Opéra
entendre M"* Blvire dans la Reine de Chypre; ensuite,
il s'était rendu au Tbé&tré-Lyrique où l'on jouait
le Bijou perdu et il avait longtemps causé avec M. Oar-
valho au sujet d'une contestation qui s'était élevée
entre ce dernier et M. Perrin, relativement à Richard
Cœur-de-Lion qu'on reprenait simultanément dans
les deux théâtres. £n rentrant, il montra à sa femme
le brouillon d'une lettre qu'il avait écrite à M. Car-
valho pour que celui-ci pût la présenter au ministre.
Après avoir ainsi causé quelque temps, il s'en alla
dans son cabinet où il écrivit trois lettres... • Il se
coucha et le lendemain, quand on pénétra dans sa
chambre, il avait cessé de vivre. Ses obsèques furent
célébrées en grande pompe, au milieu d'une afQuence
énorme de gens qui n'étaient pas des indifférents ou
de simples curieux. Car Adolphe Adam était bon ; il
avait rendu bien des services, ne comptait que des
amis, et l'on peut retrouver l'écho de ces sympathies
dans les sept discours prononcés sur sa tombe : le
premier par Halévy, au nom de l'Institut; le second
par Auguste Maquet au nom de la Société des au-
teurs ; le troisième par de Saint-Georges> au nom des
collaborateurs d'Adam; le quatrième par le baron
1856 279
Taylor, au nom de l'Association des artistes musi-
ciens ; le cinquième par Battaille, au nom du Conser-
▼atoire et des chanteurs ; le sixième par Sauvage, au
nom de la Société des compositeurs et éditeurs; le
septième, enân, par Delaporte, au nom des sociétés
chorales. Aujourd'hui ces harangues sont curieuses
à relire ; elles dépeignent moralement celui qui les a
prononcées autant et plus que celui en l'honneur de
qui elles furent faites. Par exemple, sous l'éloquence
un peu apprêtée d'Halévy, on devine la rivalité d'un
confrère. Peut-être l'auteur connaissait-il une lettre
datée d'octobre 1834 et passée récemment en vente
publique, Adolphe Adam écrivait à l'ami d'un mi-
nistre aSn d'obtenir la croix; il invoquait comme
titre à cette récompense le Chalet, dédié d'ailleurs à
une des princesses royales, Marie d'Orléans, duchesse
de Wurtemberg, et il ajoutait : k Halévy va faire
jouer la Juive dont on dit grand bien. C'est un gar-
çon de beaucoup de talent qui peut avoir fait très
bien et on ne pourra s'empêcher de lui donner la
crois. Je serais désolé quHl Veut avant moi. » Quoi
qu'il en soit, Halévy semble affecter de s'occuper de
l'homme et de négliger l'artiste; il fait allusion à de
«petits airsn, à des «mélodies ingénieuses», mais il
ne cite aucun ouvrage et ne prononce pas une fois le
mot de succès. Quelle différence avec la simple et
touchante allocution de Battaille! Comme son lan-
gage vibrait d'émotion ! On y devine aisément quelle
aiFeetion unissait le maître et son interprète.
Bien qu'il occupât la scène depuis vingt-sept ans,
puisque son premier opéra-comique Pierre el Cathe-
rine remontait à tS2d, Adolphe Adam était jeune en-
core; il n'avait que cinquante-trois ans; sa carrière
était loin d'être achevée ; il tombait en pleine mata-
,,Cooi^Ii:
380 UBYEDBEER A L'OPÉBV COMIQUE
rite d'âge et de talent. Jusqu'à la dernière heure son
activité De s'était pas démentie puisque, quatre jours
avant sa mort, il donnait aux Bouffes les Pantins de
Violette, charmante partitionnette où l'on avait bien
vite reconnu sa main, quoique son nom ne figurât
pas sur l'affiche. C'est à propos de cette pièce qu'un
critique de l'époque, Victor Moulin, publia un
compte rendu où se trouvait cette appréciation bien
étrange, dont le sens, par suite d'une coquille- d'im-
primeur, sans doute, est et demeure à jamais caché:
« l'ouverture renferme une phrase confiée aux cordes
des instruments à vent, dont l'effet original est une
vraie trouvaille, o Avis au lecteur, qui le croira sans
peine !
L'auteur du Chalet disparaissait à l'heure même où
il allait voir représenter, sur deux théâtres ensemble,
à l'Opéra-Comique le 19 mai et au Théâtre-Lyrique
le 23 mai, ce Richard Cœur-de-LJon dont il avait,
en 1841, on se le rappelle, relouché si heureusement
l'instrumentation. Cet exemple de simultanéité n'est
pas unique dans les fastes du théâtre, et quelques
années plus tard on trouverait à rappeler notamment
l'École des Femmes, jouée en même temps à la Comé-
die-Française, à l'Odéon et au Gymnase. Il nous sou-
vient même que le fait fut relevé dans une revue de
fin d'année où trois ingénues se présentaient en-
semble sur la scène et provoquaient l'hilarité du pu-
blic en récitant à l'unisson le fameux récit d'Agnès.
Pour Richard Cœur-de-Lion, l'inlérêt historique de
ces deuï reprises est surtout la distribution des rôles,
et nous la donnons d'autant plus volontiers qu'elle
montre, vu le nombre des personnages, la composi-
tion d'une grande partie de la troupe à cette époque
dans les deux théâtres.
,L.:e..ïG00'^lc
Opéra-Comiqite
Thédlre-Lyrique
Richard. . .
MM. Jourdas
MM. Michot (début)
Blondel . . .
Barbot
Meillet
Florestan . .
Delaunaj-Ricquier
Legrand
Williams. .
Beckers
Cahel
Le Sénéchal
DuTemo;
Quinchez
Mathurin . .
Lemaire
\ Leroy
Un paysan .
Sainte-Foy
Guillot. . . .
Chapron
Girardot
Urbain. . . .
Beaupré
Adam
Mai^aerite. .
Mm»» Rey
M"*» Brunet
Laurette. . .
Boulard
PooiUey
Antonio . . .
Bélia
Girard
Mathurine. .
Félii
Vadé
Colette . . .
Talmon
C. Vadé
Beatrii . . .
L&saerre
Caye
Parmi tous ces noms deux soot à noter particuliè-
remeat : Barbot, qui venait de province après avoir
passé par l'Opéra, avait débuté récemment, le i 1 mara,
dans le rôle de Georges de la Dame blanche ; Michot
débutait au Théâtre -Lyrique dans le rôle de Richard.
Ajoutons que sons les traits de Blondel, le premier se
tailla un double succès de chanteur et d'instrumen-
tiste, car il jouait lui-même sur le violon les varia-
tions du sultan Saladin.
A cette reprise succéda, le 3 juin, un acte de M. Du-
prato pour la musique, de E. Grange et La Rouaat
pour les paroles, Pâquerette. C'était une bluelte sans
importance. Le compositeur n'avait pas eu, en la trai-
tant, la main aussi légère que pour les Trovatelles, et
sa Pâquerette, après 17 représentations la première
année, une la seconde et une la troisième, se trouva
fanée, morte et oubliée.
Pour ramener la chance, M. Perrin se hâta de re-
courir à de nouvelles reprises, et l'on vit ainsi repa-
ie.
382 HBYERBEER À. L'OPtRA'COUIQOC
raitre le 1" septembre Zampa, et le 7 novembre Jean
de Paris, ouvrages négligés tous les deux depuis dix
ans. Jean de Paris servait au début d'un barytoo,
Stockhansen, qui, dans le rôle du sénéchal, n'avait
pas le physique de l'emploi , mais rachetait cette
imperfection par la qualité de sa voix; le succès de
Jean de Paris fut assez vif, mais non tel cependant
que celui de Zampa. L'œuvre d'Herold fut acclamée
en effet, et le buste de l'auteur coiu-onné, à ta an du
spectacle, au milieu de l'enthousiasme général. Les
critiques relevèrent bien quelques erreurs dans la
distribution des rôles: celui de Zampa était, disaient-
ils, trop bas pour Barbot, celui de Camille trop sé-
rieux pour M"" Ugalde ; Jourdan était un Alphonse
trop remuant, Mocker un Daniel trop distingué,
M"* Lemercier nne Rila trop jeune; seul, Sainte-Foy
personnifiait Jï merveille Dandolo; mais la musique
d'Herold ht tout accepter, si bien que l'œuvre obtint
41 représentations en 18.Î6, 15 en 1857 et 12 en 1858,
époque où de nouveau elle s'éclipsa jusqu'en 18S3,
Pendant ce temps, le Théâtre -Lyrique remportait
une grosse victoire avec une pièce originairement
destinée à ta salle Favart où, du reste, elle devait
revenir, mais repoussée d'ailleurs avec une persis-
tance qui n'est point pour donner tort aux auteurs,
lorsqu'ils se plaignent de l'impéritie ou des dédains
des directeurs : les Drapons de Viltars. Lockroy et
Cormon étaient des librettistes de talent; MaiÛart
comptait à son actif le succès de Gastibeha. Et pour^
tant leur œuvre fui présentée successivement à trois
directeurs qui tons les trois ta refusèrent : Emile
Perrin, parce qu'il la jugeait «trop dramatiifUQ >
(c'esl d'un des autenrs lui-même que nous tenons le
fait); Sévestre, an Théâtre-Lyrique, parce qu'it Ea
1856 283
croyait mieus à sa place à rOpôra-Comique ; Pelle-
grîD, parce que sod prédécesseur l'avait coQâamnée.
M- Carvalho, plus avisé, s'ea empara.
M. Perrin n'eut pour se consoler d'avoir perdu
les Dragons de VUiars que les 23 représentations
d'un opéra-comique en deux actes, le Sylphe, paroles
de Saint-Georges, musique de Clapisson. Ce sylphe
et natTireHenient un beau jeune homme qui chantait
à minuit sous la fenêtre de la rêveuse Aogèle et,
dans l'ombre du feuillage, lui avait conseillé d'épou-
ser le marquis de Valbreuse; le mariage célébré, la
voix du sylphe ne s'était plus fait entendre. Or, cer-
tain cousin amoureux vient tenter de rôder autour
de la marquise, on le berne d'abord, puis on l'écoute,
et quand le danger devient imminent, le sylphe
se retrouve. C'est le marquis lui-même qui,
sylphe en chair et en oa. se jette aui pieds de sa
femme pour se faire pardonner s(hi mauvais carac-
tère qui avait un instant failli troubler la paix du
ménage. Cette baliverne, ornée musicalement d'ori-
peaujx médiocres, avait été représentée à Bade le 7 août
précédent avec M"" Duprez, Mira, MM, Montjauze,
Prilleux et Legrand. Elle convenait peut-être à nn
public cosmopolite et peu sévère en ses jugements;
le public parisien fut plus difficile, et, le premier soir
(27 novembre), il réserva tous ses applaudissements
portir les deux principaux interprètes : d'une part,
M"' Duprez qui avait épousé le 13 septembre un ac-
compagnateur de l'Opéra et s'appelait désormais
M" Vandenheuvel ; de l'autre, Faure qui dans cette
pièce aceompliftsalt un vrai tour de force, car il chan-
tait sur la scène en voix de baryton et dans la coa-
lisas en voix de ténor, délicieusement d'ailleurs, et
avec une égale facilité dans les deux registres. Un
384 UEYERBEER A L'OPÉBA-COUIQUE
mois après, il était nommé professeur de chant au
Conservatoire en remplacement de Ponchard, démîs-
sîoaaaire : nul plus que lui ne le méritait.
Avant de quitter l'ouvrage de ClapissoD, rap-
pelons que la première représentation donna lieu
à une innovation pratiquée à l'exemple de l'Opéra
et diversement commentée alors par la presse. Le
nom des auteurs fut proclamé non plus par l'un des
artistes, mais par le régisseur, M. Palianti. Les rai-
sons en faveur de cette innovation ne devaient pas,
du reste, prévaloir longtemps, car nous savons tous
que la vieille coutume a reparu plus tard et se
maintient encore.
L'année 1856 devait finir par le grand succès d'une
petite pièce, Maître Pathelin, paroles de Leuven et
Ferdinand Langlé, musique de Bazin [12 décembre).
Tout le monde connaît la farce de maître Pathelin, ce
chef-d'œuvre de îa scène française au moyen âge, et
son adaptation pour la Comédie-Française par Biiieys
et Palaprat. Ce qu'on sait moins, c'est que l'aven-
ture avait fourni déjà la matière d'un opéra-comique
en deux actes, joué le 21 janvier 1792 au théâtre Mon-
tausier, l'Avocat Pathelin, paroles de Palrat, musique
de Chartrain. L'ouvrage eut du succès et pourtant ne
fut pas imprimé; peut-être les préoccupations poli-
tiques du moment contribuèrent-elles à cet oubli; ce
qu'il y a de certain, c'est que le souvenir en disparut
à ce point que Fétis, dans sa Biographie, ne l'a pas
mentionné parmi les œuvres dramatiques de Char-
train, lequel cependant fut loin d'en écrire un grand
nombre. Plus lieureuse, la partition de Bazin fut
jouée et gravée ; nul biographe ne l'oubliera, car elle
compte parmi les plus gaies de son auteur, et elle se
maintint pendant quatorze ans au répertoire de la
I85S 285
salle Favart, où elle faillit môme être reprise en 1877
pour les débuts de M. Boyer, fournissant un total de
235 représentations. En 1887, Maître Pui/ieh'n a reparu
au théâtre du Château-d'Eau , mais hélas! sans la
distribution primitive; on n'avait rencontré ni Cou-
derc, qui dans le rôle de Pathelin atteignait la perfec-
tion, ni Berthelier, qui devait devenir un des plus
célèbres comédiens de notre temps, et qui débutait
' alors sous les traits d'Aignelet, déjà plein de gaieté
communicative, de verve malicieuse et de fantaisie
originale.
Ce début venait grossir la troupe des recrues dont
nous avons déjà parlé, M"" Gabel, MM. Barbot et
Stocbhausen; il y faut joindre les noms de Prilleuï
qui venait dn Théâtre-Lyrique et débuta Je 20 juin
dans le Maçon ; d'Azôma, baryton qui arrivait de pro-
vince après avoir appartenu jadis aux chœurs de
rOpéra-Comique et qui débuta le 1" août dans Fron-
tin du Nouveau Seigneur; d'Edmond Cabel, beau-
frère de la cantatrice, jeune lauréat du Conservatoire,
qui débuta dans l'Ambassadrice; enfin, de M"" Lhéri-
tier, qui débuta dans la même pièce le 26 novembre,
après avoir obtenu aux précédents concours du Con-
servatoire les premiers prix de chant et d'opéra-
comique, plus un second d'opéra et un second d'har-
monie. Ainsi se trouvait comblé le vide laissé par les
quatre partants de cette année 1856, Bussine, le vieux
Ricquier, M"" Blanchard et le ténor Puget.
Dans ce iîlan sommaire, quelques soirées méritent
d'être rappelées : par exemple, celle du 17 mars, re-
présentation gratuite où fut, après les Porcherons,
exécutée et bissée une cantate composée par Halévy
sur des vers de Michel Carré et Jules Barbier, à l'oc-
casion de la naissance du prince impérial. Citons
286 UEYSRBEBR A L'OPÉRA-COUlQaE
encore, le 8 juin, une représentation composée de
Richard et du Pré aux Clercs, au profit des inondés
du Midi; le 15 juin, une nouvelle représentation gra-
tuite, eu l'honneur du baptême du prince impérial,
où fut redonnée, après Richard et ies Noces de Jean~
nette, la cantate d'HaléTy déjà mentionnée; le 3 jnil-
let, une représeutation extraordinaire au bénéfice de
M"' Casimir, dont on se rappelle les succès passés;
elle joua encore une fois Colombine dans le Tableau
pariant, et, pour un soir, Roger reparut dans Haydée,
avec ce rôle de Lorédan qu'il avait si brillamment
créé huit années auparavant. Une autre représenta-
tion extraordinaire eut lieu le 4 septembre, en faveur
de l'Association desartistes dramatiques, avec M"Ris-
torl qui interpréta la Médée de Legouvé, traduite en
italien, avec M"' Déjazet qui dit la Lisette de Déran-
ger, avec la troupe du Gymnase qui joua le Chapeau
d'un Horloger; le Chien. du Jardinier complétait ce
Spectacle.
Surtout n'oublions pas deux soirées curieuses :
celle dti 16 mai qui n'eut pas lieu faute de gaz au
moment de la représentation ; et celle du 1 août qui
n'eut pas lieu davantage pour cause de refus de ser-
vice de M. Faure, disait brutalement l'affiche. L'émi-
nent artiste s'expliqua dans une lettre adressée au
Figaro, et menaça de •; déférer l'apprécialion de ce
lait au tribunal de- commerce. » Fort heureusement
le directeur et son pensionnaire n'en vinrent pas à
cette estrëmité; ils s'entendirent paciSqucment et
les avocats n'eurent pa^ plus à plaider cette affaire
que les magistrats & la juger.
D.3i.za..ï Google
CHAPITRE X
LE 8BG0ND OUVBAGB DE UEYBRBBER
Le Pardon de Ploèrmel. — Reprises du Valet de chambre et des
tSiprises par ressemblance.
Si le nom de Meyerbeer se retrouve en tête de ce
chapitre, c'est que peadact les trois aoDées gui
suivenl comme pendant celles gui OQt précédé, au-
cun maître ne surgit dont l'œuvre s'impose par une
valeur semblable ou rencontre une fortune égale.
A la salle Favart comme à la salle Le Peletier, Meyer-
beer est alors et demeure le premier; nul échec ne
vient compromettre l'éclat de la victoire une fois
remportée ; sa gloire est intacte et son succès per-
siste.
Certes, les pièces nouvelles ne font pas défaut.
Parmi les grandes, il s'en rencontre d'intéressantes,
comme Psyché, Quentin Durward,les Trois Nicolas;
mais, hormis l'ouvrage d'Ambroise Thomas, objet
d'une reprise assez éphémère en 1878, toutes ont dis-
paru du répertoire, aussi bien à Paris qu'en province
.,Cooi^Ic
388 LE SBCONi) OUVRAGE DE UBYERBEER
et à l'étranger. Parmi les petites, on en rencontre
d'agréables, comme le Mariage extravagant, les Déses-
pérés; mais leur mérite ne saurait se comparer à
celui de leurs aînées, et leur sort s'est aussi réglé
plus vile. Quant aux reprises, elles continuent à
avoir le plus souvent pour objet des opéras-comiques
fréquemment joués et applaudis. Deux seulement
correspondent à des nouveautés pour la salle Favart,
le Valet de chambre et les Méprises par ressemblance,
encore ne comptent-elles pas parmi les plus produc-
tives.
Pour trouver le pendant de l'Étoile du Nord, il faut
donc arriver au Pardon de Ploërmel, sans que d'ail-
leurs l'équivalence soit absolue, La seconde de ces
œuvres fut moins spontanément acclamée que la pre-
mière; le succès moins fructueux tout d'abord a peut-
être été, en revanche, plus durable ou plutôt plus
général. En effet, tandis que l'Etoile du Nord n'appa-
raît plus sur les scènes lyriques qu'à des intervalles
de moins en moins rapprochés, le Pardon de Ploër-
mel, sous le titre de Dinorah, se maintient constam-
ment, sinon à Paris, du moins à l'étranger. De toute
façon, ce deuxième triomphe eut une importance
décisive à l'époque où il se produisit. Le Théâtre-
Lyrique, sous la direction Carvalho, jetait un
vif éclat et se posait en rival redoutable. On allait
y donner Faust et y remonter Orphée. Il fallait
un compositeur tel que Meyerbeer pour soutenir la
concurrence; l'honneur et la fortune de la maison
étaient entre ses mains : s'il ne sauva pas la fortune,
il sauva du moins l'honneur.
Mais avant d'atteindre ce point de notre récit, il
nous faut évoquer le souvenir d'un certain nombre de
pièces tombées lourdement ou disparues après une
1857 289
carrière simpletneot honorable. Goostatoas tout d'a-
bord que, par une coïacideuce asseï curieuse, le
bilan de 1857 ressemble fort à celui de 1S5&. Le
uombre des nouveautés est seasiblement le même :
six ouvrages, un en deux actes, plus trois en trois
actes et deux en un acte, contre deux en trois actes
et trois en un acte ; un seul grand succès avec une
petite pièce; enfin de nombreuses reprises qu'il con-
vient de mentionner ici, parce qu'elles donnèrent
lieu à d'importants changements de distribution, et
plusieurs fois servirent à des débuts remarqués.
Ainsi :
Le 9 janvier, la Fille du Régiment avec Jourdan,
Lemaire, Nathan, M°" Félix et M"* Cabel tenant pour
la première fois le rôle de Marie.
Le 23 février, l'Éclair, avec Barbot (Lionel), Jour-
dan (Georges), M°" Vandenheuvel-Duprez, qui devait
céder, peu de temps après, son rôle à M"* Lhéritier,
et M"' Boulard qui eut alors l'honneurde voir ajou-
ter à son rôle de M"" Darbel deux couplets intercalés
au commencement du deuxième acte, et composés
par Halévy exprès pour faire briller son talent de
vocalisation.
Le 25 avril, Joconde, qui n'avait pas été repris de-
puis 1846 et qui fournit, dans cette seule année 1857,
63 représentations, grâce à ses interprètes hors ligne :
Mocker (Robert), M"" Boulard (Édile), Bélia (Ma-
thilde) , surlout M'" Lefebvre, une adorable Jean-
nette, et Faure dont le rôle de Joconde fut un des
plus grands succès de l'artiste à la salle Favart, on
peut ajouter un de ses plus prolongés, car il le chanta
une centaine de fois. La partition avait été revue par
une personne qui connaissait au moins les traditions
de l'ouvrage, par la flile même du compositeur,
17
„■ ... ,X">()0>^Ic
390 LE SECOND OnvBAaE DE HEYBRBEER
M"* Nicolo. Cette aimable femmes bonne musicieDoe
et distinguée professeur de chant, s'occupait aussi de
composition et elle tint k donner, pour la circons-
tance, preuve de ses talents en ajoutant au troisième
acte une petite introduction symphonique.
Le 39 juin, la Fêle du Village voisin, abandonnée
depuis 1S52, et menée gaiement par S'ockhausen
(Henri), Prilleux (Rémi), Ponchard (Renneville),
M"" Lemercier (Rose), Bélia (M"" de Ligneul), De-
croix (Geneviève).
Le 10 juillet, les Mousquetaires de la Reine, à peine
négligés depuis dix-huit mois, et cette fois marqués
par trois intéressants débuts : MM. Nicolas, Barrielle
et M"*Dupuy. Déplus les rôles d'Hector et de Berthe
de Simiane étaient pour la première fois tenus par
Delaunay-Ricquier et M"' Henrion. Nicolas sortait à
peine du Conservatoire où il n'avait obie'nu, en 1856,
qu'un second prix d'opéra-comique (classe Moreau-
Sainti). Sous les traits d'Olivier d'Entragues, il 6t
presque sensation; la presse fut unanime à vanter sa
voix « si jeune, si puce et surtout guidée par une si
exquise méthode '>. On ajoutait que u ce Jeune ténor
ne tarderait pas à devenir une des meilleures recrues
que l'Opéra-Comique eût faites depuis longtemps
dans uu emploi où il y a généralement plus d'appelés
que d'élus. » Ou sait que l'événement a Justine ces
prévisions favorables , mais ailleurs qu'à la salle Fa-
vart, puisque ce Nicolas a acquis la célébrité sous le
nom de Aicolini. Barrielle, qui mit au service du capi-
taine Roland sa bonne diction, sa rondeur et son
espérieuce de la scène, venait de Belgique et même,
à cette occasion, il dut, après procès, payer 1,000
francs d'indemnité à son ancien directeur pour avoir
rompu trop tôt l'engagement qui le liait avec le théâtre
1857 291
de la MoDnaîe à Bruxelles. Quant à M"' Dupuy,
deuxième prix de chant et d'opéra-comique, premier
accessit d'opéra au concours de 1856, elle fut le pre-
mier soir une Athénaïs fort émue, et c'est aux repré-
sentations suivantes que l'on put mieux juger son
intelligence et la souplesse de son talent.
Le 25 juillet, Haydée, avec Jourdan (Lorédan),
Ponchard (Andréa), Prilleux (Domenico), M"" Le-
febvre (Haydée), Bélia (Rafaëla). A cette reprise,
Faure chantait encore le rôle de Malipieri , et , quel-
ques jours plus tard, le 7 août, il cédait ce rôle à son
élève Troy, lequel débutait à l'Opéra-Comique, après
avoir remporté au Conservatoire, en celle même an-
née 1857, les premiers prix de chant et d'opéra-co-
mique, mais ne devait être apprécié à sa juste valeur
que plus tard au Théâtre-Lyrique, où son nom est
resté attaché à un certain nombre de créations impor-
tantes.
Le 12 octobre, Jeannot et Colin, avec Stockauseti
(Jeannot), Couderc (Colin), Berthelier (Biaise), Pon-
chard [le chevalier), M"" Lhéritier {Thérèse), Hen-
rion (Colette), Révilly(la comtesse).
A ces noms d'artistes, dont quelques-uns étaient
nouveaux à la salle Favart, il faut joindre ceux de
deux débutants dont la fortune différa sensiblement.
D'une part. M"' Duprat qu'on vil le 21 juillet dans
Brigitte du Domino noir, mais qu'on n'entendit guère ;
à peine pouvait-elle parler, k plus forte raison chan-
ter; son trouble était tel que, suivant le mot d'un
témoin, elle paraissait u asphyxiée par l'ëmolion s.
Aussi, pour la malheureuse ancienne élève du Con-
servatoire, cette épreuve, réellement douloureuse,
n'eut-elle pas de lendemain. D'autre part, Crosti, qui
avait obtenu en 1857 le premier prix de chant (classe
292 LE SECOND OUTBAOE DE UBTERBEBU
de Battaille) et le eecood d'opéra-comique (classe de
Moreau-Saioti); il parut dans le rôle de Jocoade,
le 28 octobre, avec succès, et l'on sait qu'il a compté
depuis parmi les serviteurs les plus sympathiques,
les plus utiles et les plus dévoués de la salle Favart.
C'est à cette place qu'on peut rappeler aussi la rea-
trée de M" Cabel dans l'Étoile du Nord. La presse
alors s'était occupée d'elle à propos d'un iacident qui
fit quelque bruit. Dans le Courrier de Paris, où il
tenait la plume de critique, M. Ernest Reyer, le cé-
lèbre compositeur, qui n'a jamais plus aimé les chan-
teuses à vocalises que les pianos, ne s'était-il pas
avisé d'écrire qu'à Bordeaux, où elle donnait des re-
présentations, elle avait intercalé dans VÉtoile du
Nord un de ses morceaux à succès, l'air des Fraises
du Bijou perdu/ La cantatrice répondit par la voie de
la presse , disant : « Je saisirai toujours l'occasion
d'offrir mon tribut de reconnaissance à l'auteur de
mon premier succès (Adolphe Adam), mais ce ne sera
jamais au mépris du respect que je dois à l'illustre
maître dont je révère le génie (Meyerbeer). » La vé-
rité est qu'à la demande de quelques personnes et mal-
gré de nombreux témoignages de désapprobation, elle
était venue en manteau impérial, escortée du czar
Pierre, chanter sa ronde, non pas au milieu de la
pièce, mais à la fin du spectacle. Ce fait, attesté par
le directeur d'un journal bordelais, donnait beau jeu
à Reyer, et, dans une lettre parue au Courrier de
Parts, il riposta avec l'esprit qu'on lui connaît, cou-
vrant l'artiste de fleurs, mais jouant de l'ironie avec
désinvolture ; « Par bonheur, s'écria-t-il en termi-
nant, Félix Mornand (alors directeur du Courrier de
de Parts) est un doux maître ; il a compriB mon repen-
tir ; il s'est laissé toucher par mes larmes et la seule
1857 , 293
puoitioQ qu'il m'a infligée, c'eat de me dooner vingt
fois à copier le verbe : Je me garderai à l'avenir d'ex-
citer, à quelque degré que ce soit, le courroux d'une
cantatrice. » Eq guise de post-scrotum, il ajoutait •
« J'ai demandé la permission de faire paraître ce
pensum ea feuilleton ; elle m'a été refusée. » C'était
mettre les rieurs de son côté, et M™ Oabel ne répli-
qua pas; su lieu d'écrire, elle préféra chanter, et
lutter par son seul talent, non plus contre un critique ,
mais contre les rivales qui lui disputaient alors la
première place au théâtre, notamment M"" Ugalde
et Lefebvre dont toute la presse avait constaté le suc-
cès à propos de Psyché, la première nouveauté de
l'année 1857, représentée le 26 janvier.
C'est là une de ces œuvres sur laquelle on fondait
de grandes espérances et qui ne les a jamais complè-
tement justifiées. Les trois actes de Jules Barbier et--
Michel Carré ne manquent pas cependant d'intérêt;
en tout cas, le sujet choisi par eus est ou doit être
musical, si l'on songe au nombre de musiciens qui
l'ont traité avant Ambroise Thomas. Sait-on, en effet,
qu'il existait déjà onze opéras de ce nom, et cinq bal-
lets dont un, celui de Gardel, musique de Miller, fut
joué à l'Opéra, de 1790 à 1829, onze cent soixante et
une fois î
Quant à la partition, elle compte un certain nombre
de morceaux justement réputés et goûtés par tous les
connaisseurs, comme la romance : « toi, qu'on dît
plus belle », comme le chœur : « Quoi 1 c'est Éros lui-
même» et les spirituels couple ta de Mercure : « Simple
mortelle ou déesse ». On ne peut pas non plus s'en
prendre aux interprètes. Â l'origine, comme à la re-
prise du 2! mai 1878, où l'œuvre reparut après avoir
subi de notables remaniements dont quelques-uns
„■ ... .CoQi^Ic
394 LB SECOND OUVRAOB DB UBYEBBBEB
[ureat d'aitleurâ critiqués, ces iaterprètes furent
excellents; les deux distributions suivantes le
prouvent :
1857. 1878.
Mercui-o MM. Battaille MM. Morlet
Antinous ...... Sainte-Foy Collin
Gorgias Pnlleux Pcax
Le Roi Beaupré Bacquié
Eros M""" Ugalde M"" En^lly
Psyché LefebTTC Heilbron
Daphné Boulard Donadio-Piidor
Bérénice. .;..., ftévillf Irma Marié
Et poui'taut cet buvrage de valeur n'a pu atteindre
que soixante-dix représentations : quarante et une
d'abord et vingt-neuf ensuite.
Pour la Clef des champs, opéra-coQiique en un acte,
paroles de H. Boisseaux, musique de M. Deffès,
donné le 30 mai 1857, on traita la partition à sa
juste valeur en lui accordant quarante-quatre re-
présentations en cinq années ; seulement on critiqua
le livret qui montrait M"" Du Barry faisant, par ca-
price et bouderie, une fugue au pays natal où son in-
génuité apparente allait lui faire décerner, par un
naïf bailH, la couronne de rosière, lorsqu'un seigneur
dont on ne disait pas le nom, mais qu'on devinait,
survenait à temps pour sauver la rose et reprendre
la belle.
A la couronne près, l'anecdote a passé pour vraie
dans certains mémoires du dis-huitième siècle, et
déjà Bayard s'en était emparé pour un vaudeville,
joué au Gymnase et mtilulé Un soufflet n'esl jamais
perdu. Mais ces précédents n'étaient pas pour satis-
faire Clément, qui, parlant de la Clef des champs dans
son Dicitonnaire lyrique, déclare simplement la donnée
1^57 295
« estravagante ». Or, rapprochement bien curieux,
cet honnête critique ne se doutait pas que, vers la
même époque, la favorile d'un souverain devait jouer
pour de bon le rôle prêté à M"' Du Barry . Elle partit
un jour pour son village et c'est là qu'elle fut re-
trouvée en sabots, jouant à la paysanne, par certain
magistriit célèbre qu'on avait dépêché à sa poursuite
et qui nous a laissé de cette entrevue le plus char-
mant récit. Tant il arrive que l'invraisemblable est
souvent près de la vérité 1
On pourrait eucore tirer une morale, mais celle-là
différente, de l'ouvrage en trois actes, représenté le
3 juin, sous le titre des Dames Capitaines et ré-
pété d'abord sous celui de Gaston. L'action se dérou-
lait au temps de la Fronde, à cette époque troublée
où les femmes s'occupaient avec autant d'activité que
de caprice des affaires de l'Eiat, où l'amour nouait et
dénouait au gré de sa fantaisie les intrigues politi-
ques, où Gaston, duc d'Orléans, adressait ainsi une
de ses letlres : « A Mesdames les Comtesses, Maré-
chales de Camp dans l'armée de ma fille contre le
Mazarin ! n On y voyait une duchesse s'introduire
dans un camp, y remarquer un bel officier, puis pé-
nétrer dans lu ville assiégée, et finalement la livrer
au chef des assiégeants qui se trouvait être ledit
officier, ce qui permettait aux adversaires de s'unir
en politique, comme en amour. Toute celte intrigue
ne lenaii guère debout et faisait médiocrement hon-
neur au librettiste Mélesville. Vainement le composi-
teur Reber s'était mis eu frais d'imagination et d'ha-
bileté ; il vit disparaître son œuvre après onze repré-
sentations, et le chagrin qu'il en ressentit l'éloigna
définitivement de la scène. L'opéra qu'il écrivit de-
puis n'a pas vu le jour, et l'on ne sait trop si c'est
.,Cooiî(c
396 LB SECOND OUTRiaB DE UBTBHBEER
parce que l'auteur ne l'a pas voulu ou parce que les
directeurs u'en ont pas voulu. Mais voici le point
curieux de cette affaire. On avait jugé le livret ab-
surde, détestable, et ce même livret détestable, ab-
surde, a fait la fortune d'une opérette de Strauss, in-
titulée la Guerre joyeuse, comme plus tard la Circas'
sienne d'Auber celle de Fatinitza de Suppé. D'où l'on
doit évidemment conclure que l'opérette et l'opéra-
comique diffèrent, que ce qui répugne à l'un peut
convenir àl'aulre, et qu'enfin le succès d'une œuvre
dépend souvent du cadre dans lequel elle s'est pro-
duite.
Au moment où Reber quittait l'Opéra- Comique, un
jeune compositeur y entrait, de qui l'on n'avait en-
core joué qu'au Théâtre-Lyrique quelques petits
actes d'ailleurs favorablement accueillis, Eugène
Gautier. L'af&che était ainsi conçue, au lendemain
de la première représentation qui eut lieu 1e20 juin :
« Le Mariage extravagant, pièce en un acte d'après
Désaugiers, mêlée de musique par E. Gautier, u Ces
indications demeuraient fort incomplètes. D'abord on
oubliait de Valory qui fut collaborateur de Désaugiers
pour le vaudeville de ce nom, représenté en 1812 ;
ensuite on négligeait de faire connaître l'adaptateur
et habile transformateur de ce vaudeville eo opéra-
comique, Eugène Cormon. On a fait observer que,
dans ce Mariage extravagant, tout était extravagant,
sauf le mariage de raison qui s'y conclut finalement
entre Edouard et son amie d'enfance, Betzy, la fille
du docteur Verner, directeur d'une maison d'aliénés.
Ce mot seul indique combien le cadre prêtait aux
folies; aussi voyait-on le père prendre pour un fou
son futur gendre, tandis qu'un vrai fou était pris par
le fiancé pour son futur beau -père. La gaieté des qui-
,L.:e..ïG00'^lc
1857 297
proquos, l'eatram de la musique assura la vie de ce
lever de rideau qui, joué 1 1 1 fois de 1857 k 1862, et
64 de 1871 h 1874, a atteint le chiffre total de 175 re-
présentations.
Le même librettiste, aidé cette fois d'Eugène
Grange, reparut le 30 septembre à la salle Favart
avec un opéra-comique en deux actes et trois tableaux,
le Rot i)on Pèdre, appelé successivement aux répéti-
tions Don Pèdre le Cruel et Don Pèdre le Justicier. Tels
étaient en elfet les deux surnoms donnés par l'his-
toire à ce roi d'Espagne qui n'a certainement jamais
fait en réalité ce qu'on lui faisait faire au théâtre,
savoir : rendre un arrêt contre le duel, puis courir
les rues de Tolède comme un simple bachelier, se
heurter la nuit à un amoureux qui roucoule sous le
balcon d'une belle, et lui administrer un coup d'épée,
solution fâcheuse qui embarrasse un moment les
deux adversaires épris de la même jeune fille, tandis
que dans l'ombre se profile la figure d'un juif équi-
voque , surprenant les secrets pour en battre monnaie.
Comme Eugène Gautier, le compositeur Ferdinand
Poise n'avait pas encore été joué à l'Opéra- Comique ;
il avait passé par les Bouffes et le Théâtre-Lyrique ;
son coup d'essai sur une nouvelle scène réussit assez
pour qu'il ait survécu de cette partition une char-
mante sérénade. Ou goûta et Ton peut dire que l'on
goûte encore, si l'on songe à ses récents succès, la
Surprise de l'amour et l'Amour médecin, par exemple,
cette manière spirituelle et fine, cette orchestration
minuscule, cette délicatesse de touche qui réveillait
le souvenir des petits-maîtres du dix-huitième siècle.
Plus vigoureux était le talent de celui dontl'cBuvre
vint, au monde le 9 décembre, le Carnaval de
V«nîse, opéra-comique en trois actes, paroles de
17.
2ï<8 LB SECOND OUVHÂGB DE UBVEBBBBR
Sauvage, musique d'Ambroise Thomas. L'année
Haïssait doDc comme elle avait commencé ; eu
moins de douze mois, le même théâtre avait repré-
senlé deux graods' ouvrages d'un même auteur, géné-
rosité qui de nos jours passerait pour un abus !
Le Carnaval de Venise, s'écriait un critique, Henry
Boisseaus, «■ c'est tout un monde d'intrigue, d'amour,
de folie ; c'est le quiproquo en action, c'est le bruit,
c'est le rire ! » Par malheur l'intrigue fut embrouillée,
le quiproquo banal, l'éclat assez terne, et le rira
absent. Aussi le public réserva-t-il toute son admi-
ration pour la principale interprète, M" Cabel. Au
bout de 33 représentations l'œuvre avait vécu; il n'en
est resté que l'ouverture où sont intercalées de char-
mantes variation» sur l'air qui. donne son nom à la
pièce. Remarquons combien étiiit alors à la mode cet
air délicieusement vocalisé par M"" Carvalho dans la
Reine Topaze de Victor Massé, gaiement mirlitonné
dans les Petits Prodiges de Jonas, et joué partout sur
le violon par l'aimable Saint-Léon. Ajoutons que cet
ouvrage, préparé par un directeur, fut monté par ua
autre. L'Opéra-Comique, en effet, avait changé de
maître. Depuis le 19 novembre Nestor Roqueplan avait
succédé à M. Perrin, et cette transmission de pou-
voir ne manquait pas de réveiller dans la presse les
vieilles et stériles querelles relatives à la cession des
prioilèges. En somme, Emile Perrin faisait une
affaire avantageuse, et se relirait au bon moment.
Pour 513,000 francs payables en argent comptant, le
lourde son départ, il abandonnnit l'exploitation, et se
voyait libéré de tout engagement, de toute responsa-
bilité. Certainement il pressentait que le vent de la
fortune allait tourner, et que la salle Favart allait
traverser une période difficile. L'arrivée de M. Car-
1857 »99
ralbo avait donné la vie au Théâtre-Lyrique, ^a
moins de troiB ans a'étaient produits la Fanchonnette,
les Dragons de Villars, la Reine Topaze ; on avait
monté OdriroTt, etpour 1858 on préparait ie Médecin
malgré lui. Cette concurrence, au reste, avait influé
8ur les recettes de l' Opéra-Comique, qui, belles en-
core, suivaient une marche nettement descendante.
■ 1855. — 1.389,999 fr. 05 c.
1856. — 1,117,353 fr. 17 c.
1857. — 1,066,414 fr. 70 c.
En joueur habile, M. Perrln préféra passer la main
et laisser le souvenir d'une gestion brillante et fruc-
tueuse, puisque pendant les neuf ans qu'elle avait
^uré, de mai 1848 à novembre i857, les recettes
avaient atteint, en chiffres ronds, plus Aeonze millions.
On sait d'ailleurs quelle intelligence il apportait aui
moindres détails de son administration. Sans doute
il ne parvenait pas à réaliser tous ses projets. On ci-
terait, pav exemple, quelques ouvrages annoncés par
Jui et ajournés, comme Lady Melvil, de Grisar, joué
en 1838 à la Renaissance, et répété vainement en
1856 sous le litre âe le Joaillier de Saint-James; comme
les Deux Avares, qu'il prétendait faire remanier par
Eugèae Gautier pour servii- aux débuts de Berthelier;
comme, pensée plus extraordinaire, les Indes galantes
do Rameau, dont il avait confié le rajeunissement à
Michel Carré pour le poème et à Gounod pour la
musique, voyant là prétexte à beaux décors et riche
mise en scène; comme eclin cette Josépha ou le Der-
nier Bal, dont parle ainsi M. Arthur Pougin dans son
livre intéressant sur la vie et la carrière d'Adolphe
Adam. « Le Dernier Bal avait été reçu à l'Opéra-Co-
mique peu de temps avant la mort de son auteur, et,
si j'ai bonne mémoire, avait donné lieu à un procès
300 LB SECOND OUVBAaB DE IIBTERBBRH
doDt je ne me rappelle ni la cause ni les détails. «
Complétons cette lacune. La pièce avait été non seu-
lement reçue, mais répétée en 1854 ; un beau jour de
juillet, les répétitions cessèrent, et 11 n'en fut plus
question qu'en 1857, lorsque M"' Adam, devenue
veuve, demanda aux tribunaux une solution à cette
atTaire. Emile Perrin fut condamné à représenter
Josêpha dans les six mois ou à payer une indemnité
de 6,000 francs à chacun des auteurs. Scribe et Adam.
Ce jugement fut réformé en appel, et un arrêt de
1858 réduisit l'endemnité au chiffre de 750 francs par
tête. C'était pour rien, et la pièce fut d'autant moins
exécutée que l'auteur lui-même n'était plus là pour
défendre ses droits. Nul directeur n'y a songé depuis.
On néglige tant les vivants, qu'à plus forte raison on
oublie les morts 1 Et cependant M. Perrin ne pouvait
être compté parmi ces négligents. Il avait surtout le
mérite de monter avec le plus grand soin les ouvrages,
même insignifiants; comme on l'a écrit, « il avait le
respect des choses de l'intelligence et, l'opéra une
fois reçu, il ne se reconnaissait plus le droit de le sa-
crifier et d'enlever ainsi à l'auteur une chance de
succès. t>
Son successeur ne possédait ni les mêmes scrupules
ni la même habileté. Nestor Roqueplan avait admi-
nistré l'Opéra de 1847 à 1854, laissant d'ailleurs un
passif de 900,000 fraucs que la liste civile s'était
chargée de solder; c'était un ficheux précédent. Mais
il était bien en cour; il avait d'ailleurs beaucoup
d'esprit, et, en dépit de son scepticisme de commande
et de son dédain affecté pour certaines œuvres, il
était loin d'être dépourvu de sens artistique.
Tout d'abord, il fallait combler les vides qui s'é-
taient produits en 1857. M"* Rey avait accepté un
1858 301
engageméDl au Théâtre-Lyrique ; Battaille s'éloi-
gnait, lui qui appartenait depuis 1848 à i'Opéra-Co-
mique, où il ne devait plus rentrer que momentané-
ment, en 1861, et où il avait marqué sa place par bien
des rôlesjoués et même créés, savoir: Jacques Sincère
duVaId'Andorre(1848),DonBeIflorduroréa(ior(18i9),
Atalmuck de la Fée aux Roses (1849), Faistaff du Songe
d'une nuit d'élè (1850), MathéuB Claës du Camionneur
de Bruges [1852), le Père Gaillard (1852), Marco Spada
(1852), Peters de l'Étoile du Nord (1854), le Comman-
deur de la Cour de Célimène (1855), Gédéon du ffou-
zard de Berchiny (1855), Gilbert de Valentine d'Aubi-
gny[i8b&). Mercure de Psyché (1857) : douze créations
importantes en neuf annéesl Enâu M"' Ugalde, la
volage et capricieuse M"' llgalde, se retirait encore,
paraissant pour la dernière fois le 23 février 1858
dans une représentation à son bénéfice où elle chanta
des fragments de Galatée et le deusième acte du
Caïd. Elle avait accepté un engagement au Théâtre-
Lyrique et n'allait pas craindre, quelques mois plus
tard, de s'essayer sur la scène même de l'Opéra dans
le rôle d'ÉIéonore du Trouvère, le 28 août, lors d'une
représeùtation au bénéfice de Roger, tant l'audace
chez elle égalait le talent! Ces départs devaient être
suivis la même année de ceux d'autres artistes,
M"" Lhéritier et Dupuy, MM. Barbet et Nicolas, ce
dernier engagé à la Scala de Milau et décidé désor-
mais à suivre la carrière italienne.
En 1858, pour remplacer ces artistes on vit tour à
tour : M. Hilaire dans Lorédan à'Haydée (28 juin) et
M. Ganet dans Daniel du Chalet (8 août), deux ténorinos
fort inexpérimentés encore; M. Barré dans Germain
du Valet de chambre (14 août), un jeune baryton qui
débuta sans tambour ni trompette, et n'eut pas même
302 LE SECOND ODVBAaB DE UEVEaSEER
l'honneur d'une menlioa daoB la presse musicale, lui
qui devait ua jour tenir dans ce même théâtre les
premiers rôles ; M"' Pannetrat dans Béatrix des
Monténégrins (14 août], agréable chanteuse et trans-
fuge du Théâtre-Lyrique; M'" Vernon dans Belly du
Chalet {[" oclobie] et le même soir M, Warot, dans
Sergis des Monténégrins, uû ténor qui s'était senti la
vocation et qui, saos passer par une école, avait brus-
quement quitté les bureaux et les livres de caisse
pour le théâtre, ce qui lui réussit; M'" Prost dans
Stellina du Chercheur d'esprit (H octobre), une élève
de Massé et de Moreau-Sainti qui, au Conservatoire,
veoait d'obtenir simplement un 3' accessit de chant
et un 2* accessit d'opéra- comique ; M. Davoust, dans
Girot du Pré aux Clercs (22 octobre), un baryton qui
se confina vite dans les rôles i''utilHés et dont les ser-
vices à rOpéra-Oomique ont été aussi longs que
dévoués; M. Carré dans Lorédan i'Haydée (21 no-
vembre), un ténor léger qui arrivait d'Algérie après
avoir passé par le Théâtre-Lyrique. Il n'y avait pas
d'étoile en perspective ; tous ces nouveaux venus, sauf
Warot et Barré, ont brillé d'un assez faible éclat ; la
récolte de l'année demeurait donc des plus roodestes.
Comme les débuts, les reprises furent nombreuses
et le plus souvent médiocres, sauf la première, celle
de Fra Diavolo, négligé depuis 1852, remis à la scène
le 4 janvier et gratifié de 52 représentations en cette
seule année 1858 ; les interprètes se nommaient
Darbot (Fra Diavolo), Ponchard (Lorenzo), Sainle-
Foy (Mylord), Beckers (Beppo), Berthelier (Giacomo),
Nathan (l'hôielier), M'"" Lefebvre (Zerline), Lemer-
cier (Paméla). Un journal reprocha à Sainte-Poy,
d'ailleurs parfait dans son rôle, d'avoir péché par
modestie en s'abstenant de chanter l'air bouffe ajouté
1858 303
à LoDdre3 par Roaconi. On sait ce qu'il faut penser
(le ces hors-d'œuvre imposés par le caprice d'un in-
terprète, arrachés à la faiblesse du coiripositeur fetle
plus souvent manques. En revanche, on avait inter-
calé au premier acte un trio, tiré 4^8 Chaperons blancs.
Cette addition compensait la soustraction !
■ Et puis, les reprises se succèdent avec une conti-
nuité remarquable: la Fiancée (10 février), le Muletier
[7 mai), le Valet de chiimbre [2 juillet), les Méprises
par ressemblance {29 juillet), les Moniênégrins{liaoùl),
la Part du Diable (4 septembre). Parmi ces ouvrages,
deux, celui de Carafa et celui de Grétry, n'avaient
jamais été donnés à la salle Favart; aucun, sauf le
dernier, n'y devait plus jamais reparaître,
■ La Fiancée, oubliée depuis 1849, avait pour inter-
prètes Jourdan (Fritz}, Delaunay-RLcquier (Frédéric),
Crosti (Saldorf), M"" Boulard (Henriette), Révilly
(Charlotte)^ dont les talents réunis ne parvinrent pas
à faire revivre l'œuvre plus de 17 soirées. Un souve-
nir se rattache à cette reprise, à laquelle assistaient
l'Empereur et l'Impératrice: ce soir-!à, en effet, on
Inaugura un escalier desservant leur loge et construit
spécialement pour leur usage. Trouver un escalier
large et spacieui, précédé d'un grand salon d'attente
et aboutissant à un vaste palier avec devant, tout
cela sans gêner les services et dans un local aussi
étroit que !a salle Favart, c'était un tour de force,
mais la flatterie rend ingénieux. Roqueplau avait eu
cette idée, et l'architecte Charpentier l'avait réalisée.
Le Muletier, oublié, lui aussi, juste depuis !a même
époque que la Fiancée, fut joué par Lemaire (Ro-
drigue), Delaunay-Ricquier (Henriquez), S^iinte-Foy
(Flandrinos), le seul qui restât de la reprise de 1849,
M"" Lefebvre (Inesia), Hen-rion (Zerbine), et obtint
304 LB SECOND OOTBAGS DB UBTSRBBBB
à peu près le môme résuUat que la Fiancée, 21 repré-
sentatiODS au lieu de 17.
Le Valet de c^ambrerernootait su 16 septembre 1833.
Le poème de Scribe et MélesTille n'était en réalité
qu'une deuxième édition, à peiae modifiée, d'un
vaudeville des mêmes auteurs joué au Vaudeville le
18 janvier 1921 sous le titre de Frontin mari-garçûn.
La partition avait pour auteur Carafa, un musicien
de taleut, en dépit de sou rossinisme déclaré, en tout
cas un galant homme et si désintéressé qu'il finit
par tomber daus ud état voisin de la détresse. Dans
Eon Histoire universelle du théâtre, Alphonse Royer a
donc dit à tort que Carafa mourut t sans avoir jamais
pu faire remettre un seul de ses ouvrages au réper-
toire. » De plus, ou avait remonté eu 1855 au Théâtre-
Lyrique son lameus Solitaire,
Qui Toit tout,
Qui sait tout,
Entend toat.
Est partout. .
Enfin môme on faillit revoir Maeaniello en 1860;
les rôles étaient déjà distribués à Jourdan, Barrielle
et M"" Pannetrat, lorsque le départ de Jourdan, et
surtout le changement de direction, mit sans doute
à néant ces bonnes dispositions, ce qui fut une cruelle
désillusion pour le pauvre Carafa et une perte re-
grettable pour le public ; car, môme après la Muette
de Portici, Masaniello se défend contre l'oubli et
mérite l'atteotion des curieux. Quant au Valet de
chambre, il avait été joué à l'origine par Huet (le
comte), Darboville (Germain), M"" Prévost (la com-
tesse) et Boulanger (Denise] ; il le fut cette fois par
PoQchard, StockUausen, M"" Dupuy et Lhéritier, et
1858 305
n'obtint que 29 représentations réparties en deux
Les Méprises par ressemblance, données pour la pre-
mière fois à Fontainebleau, devant la Cour, le 7 no-
vembre 1786, et aux Italiens, à Paris, le 16 du même
mois, n'avaient pas été reprises depuis 1832; c'était
donc «ne nouveauté pour le public de 1858, qui
voyait une vieille pièce, cette fois, par extraordinaire,
□on retouchée par un arrangeur, et qui vint trente
fois en deux ans applaudir Beckers (Robert), Nathan
{le Bailli), Delaunay-Ricquier (Sans- Quartier), Crosti
(La Tulipe), Troy (Sans- Regret), Sainte-Foy (Jac-
quinot). M""' Lhéritier (Thérèee), Decroix (Louiaoo)
et Casimir (Margot), dans les rôles créés par Nar-
bonne, Rosières, Philippe, Meunier, Chenard, Trial,
M"" Adeline, Carline et Gonthier.
C'est avec plus de réserve qu'on accueillit la re-
prise des Monténégrins, opéra réduit en deux actes
de M. Limnander, avec BarboC (Sergis), Troy
(Ziska), Nathan (Andréas), M"' Pannetrat (Béatrii),
une débutante estimable, et les deux seuls artistes
ayant appartenu à la distribution primitive de 1849,
Qainte-Foy (Foliquet) et M"' Lemercier (Regina)^
Cette tentative fut un succès pour le chanteur Troy,
mais non pour l'oBuvre, à laquelle onze représenta-
tions portèrent le dernier coup.
Très heureuse au contraire fut la Part du Diable,
le troisième ouvrage d'Auber qu'on reprenait depuis
huit mois! Très honorablement présentée par des
interprètes comme Jourdan (Raphaël), Prilleux (Gil
Vargas), Beckers (Le Roi), M"" Cabel (Carlo),
M"" Henrion (Casilda), M"' Révilly (La Reine),
l'œuvre d'Auber se maintint quatre années de suite
au théâtre avec un total de 63 représentations.
..Cooi^lc
ÔOb ^ LE SECOND OUTRAGE DE WETBBBBER
Mais cette abODdaace de reprises laissait âeviDer
une grande disette de nouveautés. C'était la qualité
qui faisait défaut, plus que la quantité : sur sept
pièces, une seule réussit, les Désespérés; deux autres
obliarent un succès d'estime, Quentin Durward et les
Trois Nicolas; le reste n'a pas laissé de trace.
Un mylord millionnaire et un paysan pauvre qui
vont se pendre par désespoir et entre lesquels se
glisse une joyeuse fillette qui les raccommode avec
la vie, en faisaut de l'un son ami et de l'autre sou
mari, voilà toute l'intrigue des Désespérés; mais de
Leuven et Jules Moinaux l'avaient conduite avec
esprit, et Bazin avait montré de la verve dans sa par-
tition ; Jjref, l'acte fut accueilli le 26 janvier 1858 de
telle sorte qu'il atteignit en six années 86 représen-
laiions.
La veine souriait à ce compositeur plus qu'à M. Ge-
vaert, dont le Quentin Durtoard (25 mars) ne put
dépasser le chiffre de 59, Et pourtant, le poème de
Michel Carré et Cormon était intéressant I Et pour-
tant, la musique était à quelques égards remar-
quable ! En Belgique on a repris l'ouvrage, il y a
quelques années; k Paris plus d'une fois il en fut
question, et si l'auteur consentait à effacer quelques
taches, à supprimer notamment quelques italia-
nismes aujourd'hui démodés, Queniin Durward ferait
sans doute encore honorable figure.
Il n'était pas non plus sans mérite, ce petit acte
que les curieux seuls connaissent dans l'œuvre de
Victor Massé, (es Chaises à porteur, joué le 28 avril;
la musique avait de la grâce et de l'entrain ; le
poème, signé par deux hommes d'esprit, Clairville et
Dumanoir, présentait un amusant Imbroglio, dont le
titre indiquait le principal élément, car chacun des
1858 307
pèrBonnages se serTait du véhicule qui ne lui appar-
tenait pas, d'où résultait ua vrai « péle-méle de
mari et d'amants, de femme et de maîtresse, dé
chaises et de porteurs », !e tout d'ailleurs assez leate
et lestement conduit. Mais l'Opéra-Comique tenait
d'autant plus à ces pièces, franchement gaies, qu'il
possédait une troupe incomparable pour les inter-
préter. Dans ce petit acte, par exemple, paraissaient
Couderc, Ponciiard, Prilleux, M'" Lemercier ; et le
théâtre tenait encore en réserve SainteFoy, Berthe-
lier. M'" Lefebvre, tous artistes dont on n'a plus
guère aujourd'hui que la monnaie.
Leur valeur toutefois ne put sauver les malheu-
reux ouvrages qui marquèrent la suite et la fin de
l'année 1858. Les Fourberies de Marir\ctte{î juin) ne
trompèrent personne. Ce petit acte en vers avait pour
librettistes un journaliste, M. de Chazot, et Michel
Carré, lequel ne se fil pas nommer le premier soir ;
il semblait donc se rendre compte de la médiocrité
de son œuvre. Quant au compositeur, M. Jutes
Creste, il avait précédemment combiné, à l'usage de
M""* Ugalde, une adaptation musicale des Trois Sul-
tanes, de Favart, transportées, nous l'avons dit, aux
Variétés. C'était un nouveau venu à l'Opéra-Co-
mique ; il n'y revint plus.
Mêmes circonstances et même résultat pour les
auteurs de l'ouvrage en un acte représenté le 18 juin,
Chapelle et Bachaumont. En nous montrant les deux
célèbres ^mis pris de vin et se faisant berner l'un
par une actrice; l'autre par une griselte, Armand
Barthet avait imaginé une fable qui ne rappelait
guère le Moineau de Lesbie, auquel il devait sa répu-
tation. Quant au compositeur, on ne lui connaissait
alors d'autre titre musical que ses fonctions, et lors-
308 LB SECOND OUTRA.OB DE UBTBRBBBR
que, suivant l'usage qui se maintenait encore, le
régfôseur Patianti vint en habit noir et gants paille
nommer les auteurs, il annonça tout au \iing que
c'était « le premier ouvrage de M. Jules Creasoanois,
chef de musique du 2' régiment des Cuirassier» de la
Garde impériale, i II devait plus tard passer des Cui-
rassiers aux Guides et des Guides à la Garde de Paris.
Rapprochement assez curieux: deux ans plus tard,
un autre futur chef do musique de la Garde républi-
caine, M, Sellenick, débutait au Théâtre-Lyrique
avec une pièce en un acte, et, comme la précédente,
classique au moins par le sujet, Crispin rival de son
maître.
Les Chaises à porteur fuient jouées 51 fois en cinq
ans; les Fourberies de Marinette n'eurent que 17 re-
présentations ; Chapelle et Bachaumont, 1 1 ; la Bac
chante, 3 seulement. C'est tout ce que méritait cet
ouvrage en deux actes donné le 4 novembre, et dans
lequel les auteurs, de Leuvon et de Beauplan, avaient
imaginé une jeune ftUe, soi-disant honnête, qui pre-
nait le masque et le nom d'une courtisane pour
ramener à elle un sien cousin qu'elle aime, se faisant
d'ailleurs aider, en cette étrange besogue, par un
chevalier d'industrie qui pousse le jeune homme au
mariage en l'excitant à perdre sa fortune au jeu.
Pour sauver cette scabreuse donnée, il eût fallu un
musicien de génie et Eugène Gautier, le compositeur,
n'avait tout juste que du talent.
La série tournait à la noire, et le nouveau direc-
teur commençait à perdre courage. Une carte lui
restait cependant, les Trois Nicolas; elle fut assez
bonne pour soutenir le théâtre pendant quelques
mois. Ce n'est pas que le libretto en trois actes de
Bernard Lopez et '" (lise* Scribe) brillât par un très
..Coo'^Ic
1858 309
vif intérêt, ni que la partition de Clapisson eût une
grande valeur artistique; mais cette pièce, jouée le
16 décembre, servait au début d'un ténor qui, par
avance, piquait toutes les curiosités et faisait tourner
toutes lea têtes, Montaubry. Avec ses 45 représenta-
tions en trois années, la pièce n'eut qu'un succès
honorable; le ténor eut un triomphe retentissant.
11 II faut remonter jusqu'aux débuts de Roger, écri-
vait un critique, pour lui trouver ud terme de com-
paraison. 8a voix est souple, étendue et parfaitement
timbrée ; tour à tour énergique et suave, elle se
prête également aux effets de force et de sentiment.
On s'aperçoit que les conseils de ChoUet, dont il a
épousé la fille, n'ont pas été sans influence sur lui... »
Qui se souvenait alors qu'en 184711 avait déjà paru
sur cette même scène, et qu'il avait dû se retirer
devant le succès d'un rival plus heureux, comme
cette fois le futur Nicolini se retirait devant le sien I
D'un bond il s'était élancé à la première place ;
enlevé à Bruxelles, il allait régner à Paris, et jus-
tifier pendant bien des années de service, à la salle
Favart, le joli portrait qu'a tracé de lui Albert
Vizentini dans son amusant volume intitulé Derrière
la toile. « Vous faut-il la jeunesse incarnée, la plus
agréable gaminerie, l'aplomb imperturbable, la tyro-
lienne faite homme, le chanteur plein d'adresse et de
ficelles aimables, la voix de tôte la plus adorable, le
style le plus sucré du monde, le bon musicien per-
sonnifiant l'opéra-comique, bref le comédien léger
infatué de sa jolie personne 7 Prenez Chapelou-Saint-
Phar, le dernier descendant d'ElIeviou, Montaubry,
qui redresse si vivement ses petites moustaches et
semble toujours avoir une colombe dans le gosier. »
A côté de tels débuts devaient pâlir ceux de
310 * LE SECOND OVVllAGB I
M"* Bousquet dans Anna de la Dame blanche, le
2t décembre 1858, et de M"* Breuillé dans Catherin©
des Diamants de la Couroniie, le 3 janvier 1859, deux
jeunes filles qui avaient quitté le Conservatoire
en 1858, la première avec le premier accessit de
chant, la ^conde avec le deuiième prix de chant et
le premier prix d'opéra- comique. M'" Breuillé devait
mourirpeu de temps après, le 2 Juin 1859, à l'âge de
dix-huit ans, après avoir simplement marqué aou
court passage à l'Opéra- Comique par la création
du rôle d'un des pâtres dans le Pardon de Ploermel.
Egalement inaperçue passait, le 23 février, M"* Bn-
jalhert, qui venait du Vaudeville, après avoir appar-
tenu quelque temps au Conservatoire.
Du reste, dès les premiers jours de l'année, toute
l'attention du public, toutes les espérances du direc-
teur, toute l'activité du personnel étaient tournées
vers le fameux ouvrage dû à la collaboration nouvelle
de Jules Barbier, Michel Carré et Meyerbeer. La
pièce avait été lue aux artistes le 10 décembre 1858.
On s'était mis à l'œuvre aussitôt; on avait commandé
à MM. Muhldorfer père et fils, de Mannheim, toute
la machinerie du deuxième acte : savoir la méca-
nique du pont, de la rupture des écluses et de
l'irruption des eaux, et l'on défonçait le théâtre pour
y établir la fameuse cascade naturelle ; on s'occupait
de .l'achat et du dressage non d'une chèvre, mais de
trois, qui répétaient à tour de rôle et faisaient la joie
du periionnel des coulisses ; on brossait de magni-
fiques décors ; on disposait d'une troupe d'élite com-
mandée par, M"" Cabel,,MM. Faure et Sainte-Foy ;
enfin on travaillait sans cesse afin d'atteindre à une
perfection qni coûtait quelque peine non seulement
aux artistes, mais au maître lui-même. On sait que '
1859 3H
Meyerbeer, en effet, arrivait au théâtre avec trois
instrumentations différentes pour les principaux
morceaux, la première écrite à l'encre noire, la
seconde à l'encre bleue, la troisième à l'encre rouge;
il se faisait exécuter les trois versions, et se pronon-
çait de auditu pour l'une ou pour l'autre. Les chœurs
et l'orchestre avaient été renforcés d'ailleurs, pour
donner plus d'éclat à la représentation ; et cependant
quelques jours avant la première, Meyerbeer disait à
un critique qui l'interrogeait : « Je fais un acte digue
d'un sou s -lieutenant en livrant un ouvrage où je me
suis privé volontairement de toutes .les ruses de
guerre qui ont fait ma réputation. Contrairement au
grand poète latin, je veux moduler sur les pipeaux
rustiques, gracili avenâ, après avoir embouché la
trompette héroïque et chanté les grandes passions des
coeurs humains ; que la critique me soit légère ! » En
raison de ces craintes, les répétitions furent excep-
tionnellement nombreuses ; nombreuses aussi les re-
lâches (on en compte huit : 18, 22, 23, 24, 25, 26, 28,
30 mars), alors qu'une seule répétition générale suffi-
sait d'ordinaire aux grands ouvrages. Heureusement
les recettes, grâces à Montaubry, se maintenaient à un
taux honorable ; on encaissait 108,419 francs en jan-
vier, 97,973 fr. 30 en février, 80,411 fr. 45 c. en
mars. Entre temps on cherchait un litre à l'ouvrage,
et l'on annonçait tour à tour : les Chercheurs d'or,
Dinorah, le Pardon de Nûtre-Dame-d'Auray, Le pre-
mier convenait à une action qui se serait passée en
Californie plutôt qu'en Bretagne ; le second ne signi-
fiait rien, c'est pour cette raison peut-être qu'on l'a
depuis adopté à l'étranger; le troisième fut écarté
par la censure, disent les journaux du temps ; on
peut ajouter, sans doute, et par le directeur, qui dut
312 LE SECOND OUVRAGE DB UBYBRBEER
trouver ce titre bien lODg sur l'afflche. Enfin l'on
adopta le Pardon de Ploërmel presque à la veille
de la représentation. Le 4 avril eut lieu cette
bataille décisive et le lendemain, célébrant le nou-
veau triomphe de son ami, Fétis traduisait en somme
l'impression du momeat en écrivant: n Celui qui,
par la grandeur de ses conceptiooa, par la force de
son'sentiment dramatique, par sa profonde connais-
sance des ressources de l'art et par ToriginalUé de
son style, a remué le monde comme ill'a fait, comme
il le fait encore, celui-là est un grand artiste, il le
sera toujours. »
Le Pardon de Ploërmel n'eut pas cependant, nous
l'avons dit, tout le succès qu'on en pouvait attendre.
Si, comme le souhaitait le compositeur, a la critique
lui fut légère », le public parut surpris. Incertain, et
cette incertitude se traduisit par un ensemble de re-
présentations moins soutenu que pour VEloile du
Nord. On en peut juger par le décompte suivant :
Pour 1859 : avril. Il ; mai, 15; juin, 6; octobre, 8 ;
novembre, 12 ; décembre, 3 ; soit 55 représentations
la première année, avec une moyenne d'environ
6, 100 francs par soirée (195,000 francs pour les 32 pre-
mières représentations).
Pour 1860 : janvier, 8 ; février 6 ; mars, 4 ; avril, 2 ;
septembre, 1 ; octobre 4 ; novembre, 7 ; soit 32 repré-
sentations la seconde année.
Total, 87 en deux ans; et une interruption se pro'
duisit alors, telle qu'on aurait pu croire l'ouvrage à
jamais oublié. Vainement on tenta de le reprendre
en 1863, à propos d'une rentrée de M"" Oabel ; ce fut à
l'Étoile du Nord qu'on revint quatre années plus tard,
en 1867. Il faut aller jusqu'à 1874 pour retrouver le
Pardon de Ploërmel, qui se joua alors 35 fois, puis
1859 313
59 fois de 1881 à 1884, et enân U fois en 1886. A cette
date, le total général des représentations s'élevait
donc'au chiffre, relativement modeste pour une telle
œuvre, de 192.
Sa réussite fut beaucoup plus grande à l'étranger,
à Londres en particulier, où, d^s la première année,
M"" Carvalho chanta le rôle principal à côté de Cra-
ziani (Hoël) et de Gardoni (Corentin), avec une in-
comparable virtuosité. Qui sait même si, désignée
par l'auteur au lieu de M"* Oabel, elle n'eût pas
à Paris assuré à l'ouvrage de plus brillantes desti-
nées 7 Au surplus, la distribution primitive ne devait
pas tarder à se modifier; une indisposition prolongée
de Faure obligeait la direction de confier le person-
nage d'Hoëlà Troy d'abord, puis en ISfiO à M"" Wer-
theimber, revenue à l'Opéra-Oomique et, par un sin-
gulier chassé-croisé, remplaçant ainsi Faure, comme
celui-ci l'avait jadis remplacée dans Galatêe. Avant
ce moment M"' Monrose avait succédé à M"' Cabel,
et l'on ne retrouvait plus guère, fidèles à leur poste,
que 8ainle-Foy, l'inimitable Corentin, Warot, le
faucheur, et Barrielle sous les traits de celui qu'on
appelle aujourd'hui ,un chasseur, et que les affiches
d'îdors désignaient ainsi : un braconnier.
Mais avant d'atteindre cette époque, il nous faut
dresser l'acte de naissance, ou, pour parler plus jus-
tement, l'acte de décès des œuvres nées au cours de
1659, car la plupart ne sont venues au monde que
pour disparaître aussitôt. Il en faut excepter, tou-
tefois, le Diable au moulin, un acte représenté le
13 avril, dont Cormon et Carré avaient écrit le livret et
M. Gevaert la musique. C'était l'histoire de laMéchante
femme mise à la raison ou la Sauvage apprivoisée de
Shakespeare, avecinterversion des rôles. Ici, ladouce
,X">()0>^le
3]4 LE SECOND OUVIIAGE DE UEY8JIBBBR
Marthe épousait par dévouement le brutal Antoine,
puis, pour corriger bod mari, imitait son défaut,rexa-
géi-ait même et, en se faisant plus ira:icible que lui,
opérait en Gn ie miracle d'une conversion; la paix
rentrait dans le ménage et les coups ne pleuvaîent
plus. Signée par un véritable musicien, la partition
fut lestement enlevée par M"' liefebvre, dont ce fut
la dernière création avant son mariage avec Faure^
grande cérémonie qui eut lieu à Sèvres, dans l'église
Saint-Romain, le 4 juin suivant; par Mocker, Pon-
chîtrd et M'" Lemercler, ces trois artistes remplacés
l'année suivante par Ambroise, Bertbelier et M"' Dé-
lia. Avec ses divers interprètes, leDiable au moulin,
qu'on avait un instant répété sous le nom bizarre
de l'Ane rouge, se maintint cinq ans au répertoire et
atteignit le chiffre honorable de 69 représentations.
Il n'en fut pas de même d'un autre acte, joué le
10 août, sous ce titre : ie Rosier, qui d'ailleurs expliquait
peu la pièce, car on n'y voyait point de roses, mais
uu jeune docteur pris entre deux amours, celui d'une
veuve qui lui veut du bien, et celui d'une jeune fille
qui par ses soins lui avait sauvé la vie en un tempti
où elle portait la cornette de religieuse. A. Ghallemel
avait tracé ce livret assez gracieux, et, contrairement
aux usages de la maison, très « moderne « ; H. Po-
tier en avait écrit la musique assez agréable; on
accorda môme une certaine popularité à la romance
du Rosier, madiigal dont la botanique faisait natu*
rellenient les frais, et servait à éclairer le principal
personnage sur la nature de ses sentiments. Les deux
couplets étaient bien« dits » plutôt que chantés par
un débutant, Ambroise, lequel avait l'habitude des
planches, car il venait des Variétés ; ce qui flt dire
plaisamment et non sans raison qu'il chantait au
1859 315
boulevard Moutmartre et qu'il jouait au boulevard
des Italiens. A ses côtés figurait aussi une débutante,
mais celle-ci bien novice, et qui ne flt que passer,
M"' Marietta Guerra, sœur d'une cantatrice que l'on
avait entendue aux Italiens en 1858. Dans c« même
rôle de Berthe, une autre débutante lui succéda le
2 octobre, W" Emma Bélia, sœur de Zoé Bélia.
Le 12 août, deux jours après Je Rosier, J'Opéra-Oo-
mique donnait encore un acte, ^e Voyage autour de ma
chambre, qui n'avait de commun que le litre avec la
célèbre fantaisie de Xavier de Maistre. C'était un
vaudeville gai, presque trop gai, écrit pnr Ouvert et
Lausanne en vue d'Arnal, et accommodé avec une
sauce musicale par Grisar en vue de Coudorc. Cet
excellent artiste y tenait le rôle d'un voyageur qui,
parti pour l'Amérique sous couleur d'héritage à
recueillir, revient en hâte, car il a oublié certains
papiers nécessaires ; mais il trouve sa chambre occu-
pée par une petite dame et un petit jeune homme qui
ont profité de son absence pour s'installer dans ses
meubles, et dès lors il a maille à partir avec un mari
jaloux et terrible, avec un concierge fantaisiste, avec
un sergent du guet, avec des voleurs même, jusqu'au
moment où tout se dénoue par un mariage. La pre-
mière impression de ce spectacle fut favorable. L'ou-
vrage n'eut cependant que 23 repi-ésentations.
Moins solide encore fut la Pagode. On pouv.iit s'y
attendre, si l'on songe à la bizarrerie du sujet, au
mérite contestable de lapartition et aux circonstances
particulières dans lesquelles l'œuvre avait vu le jour.
Le livret de Saint-Georges présentait, dans un cadi e
indien, les ruses d'un prêtre battaut monnaie avec
une enfant trouvée qu'il a recueillie et qu'il fait passer
pour fille du ciel aux yeux desnaïfs indigènes. Du com-
316 LE SECOND OOTRAGE DK U8YERBBBR
positeur nommé Pauconuier, on sait peu de chose,
sinon qu'il était Belge, car il n'a point jeté grand
éclat dans le ciel musical. Clément, dans son Diction-
naire, lui attribue un opéra- comique en un acte, Un
An d^avenir, représenté à Bruxelles a vers 1850 »,
dit-il. Or, dans son Répertoire dramatique belge, ou-
vrage si complet cependant, M. Alexandre Dupont
n'en fait pas même mention. Ce dont on ne saurait
douter, c'est que le compositeur avait un protecteur
influent, mais resté mystérieux, qui prétendait lui
ouvrir les portes de l'Opéra. C'est ainsi que laPagode
avait d'abord été présentée à M. Crosnier, qui la
passa à son successsur, Alphonse Royer, lequel feignit
de l'oublier. Alors on recommença Les mêmes démar-
ches à ropéra-Oomique, et la pièce fut reçue par
Emile Perrin, qui la céda à son successeur, Nestor
Roqueplan, lequel eut la conscience de l'exécuter
enfin. Le public se méfie de ces sortes d'ouvrages,
imposés en quelque sorte aux directeurs ; il y répond
par l'indifférence. Tel fut le sort de cet opéra-co-
mique en deux actes, né le 26 septembre, et moH à
l'âge de sept soirées.
Plus heureux que Fauconnier, M. Limaander, un
autre Belge, s'était fait depuis longtemps une place
honorable à la salle Favart ; il y avait même changé
pour son usage personnel le vocabulaire usité dans la
maison, car il y apportaittoujours, non pas un opéra-
comique, mais un drame lyrique. Ce mot, qui de-
puis a connu d'autres destinées, nous surprend
aujourd'hui appliqué à des œuvres comme celles de
Limnander, où les couplets abondent, et où les prin-
cipes waguériens ne reçoivent encore aucune appli-
cation. Le compositeur déoommait ainsi ses pièces,
parce qu'il affectionnait les sujets un peu sombres et
1859 317
les situations plus dramatiques que comiques. C'était
le cas de l'ouvrage eu trois actes représenté le
29 noTembre, et baptisé successivement les Blancs et
les Bleus, puis l'Yonne la Fermière, et finalement
Yvonne tout couri, comme l'opuscule du prince de la
Moskowajouésurla même scène quatre années aupa-
ravant. Ici l'on assistait aux luttes sanglantes des
Vendéens et des républicains. Scribe avait puisé
l'idée première de son livret dans une nouvelle de
M. d'Herbauges et n'avait pas craint de traduire en
scène îes passions politiques les plus vives. Son colla-
borateur l'avait suivi dans celle voie, et mêlait dans
le prélude du troisième acte l'air de Vice Henri IV
avec le Chant du départ, ce qui, en plein Empire,
pouvait passer pour un coup de hardiesse. Le prin-
cipal rôle était con&éàune actrice qui quittait t'Opéra
pour rOpéra-Comique, après avoir quitté l'Opéra-
Oomique pour l'Opéra : M"° Wertheimber en effet
venait de jouer Fidès, et dans Yvonne elle figurait
encore une mère aux prises avec le devoir et l'affec-
tion. A un certain moment la pauvre femme devait
se contraindre et épargner le meurtrier de son fils,
que le hasard lui livrait, pour ne pas désobéir aux
derniers vœux de cet enfant et assurer le bonheur
de sa fille.
Au bout de 18 représentations. les trois actes de
Limnander cédèrent la place aux trois actes du comte
Gabrielli, Don Gregorio, joué le 17 décembre. Le sujet
n'en était pas nouveau, car depuis longtemps on con-
naissait le Précepteur dans l'embarras, cette jolie
comédie écrite en italien par un Français d'origine,
le comte Giraud. Le jour oii une traduction française
lui fit passer les monts, tous les adaptateurs s'en em-
parèrent, et juillet 1823 ne vit pas éclore à Paria
318 LB SECOND OUVKAGE DB UBYBRBEBR
moins de quatre versions, toutes en un acte, de cette
amusante bouffonnerie. L'anuée suivante Donizetti
en donnait à Rome une adaptation musicale, sous
son titre primitir, l'Ajo nell imbarazzo. II appartenait
à Sauvage et de Leuven d'en tirer, trente-cinq aus
plus tard, une dernière mouture h l'usage de la salle
Favart, et de conter à nouveau, comme écrivait Paul
de Saint-Victor, « l'iiistoire de ce précepteur, orga-
niste comme don Basile et naïE comme Michel Perrin,
qui se démène au milieu d'une tentation grivoise
d'écoliers, de soubrettes, de dragons et de comé-
diennes, H Appelé d'abord Péché de Jeunesse, ce Don
Gregorio ne manquait pas de gaieté, et Couderc per-
Bonni&aît à ravir le personnage principal. Mais pour
dessiner mueicalemeut ce type original, il fallait une
autre plume que celle du comte Gabrielli, dont le
plus grand mérite élait d'être bien en cour.
Cette faveur d'un Italien comme le comte Gabrielli
est très symptomatique ; elle correspond manifeste-
ment à un état de choses qui n'existe plus ; elle
montre, par un nouvel exemple gui s'ajoute à tant
d'autres, combien alors les musiciens étrangers
étaient tenus en amitié, et quelle hospitalité géné-
reuse leur accordaient les théâtres parisiens.
En 1859, par exemple, dans cette salle Favart
avaient paru sept nouveautés; une seule était d'un
Français, le Rosier; un Allemand, Meyerbeer, avait
écrit le Pardon de Ploërmel; un Italien, Gabrielli,
avait écrit Don Gregorio 'et quatre Belges avaient
écrit le Diable au moulin, le Voyage autour de ma
chambre, la Pagode et Yvonne, soit Gevaert, Grisar,
Fauconnier et Limnander. On le voit, l'hospitalité que
Bruxelles donne aujourd'hui à nos compositeurs, est
comme le paiement d'une dette autrefois contractée.
1859 319
Un fait explique, à quelques égards, la faveur dont
jouissaient notamment alors les œuvres venues de
la Péninsule : la France et l'Italie marchaient au
combat, la main dans la main. Ainsi, le 7 juin, on
fêtait la victoire de Solférioo par l'esécution d'une
cantate avec chœurs intitulée Italie, et dont Saint-
Georges avait composé les paroles et Halévy la mu-
sique. Les interprètes s'appelaient Montaubry, Troy,
Jourdan, Crosti, M"" Faure-LeCebvre, et le succès fut
tel qu'on en donna quatre autres auditions dans. le
même mois, le 8, le 10, le 27 et le 29; pour les deux der-
nières, Warot avait remplacé Montaubry. Le 15 août
devait être exécutée une nouvelle cantate, écrite par
M, Duprato sur des paroles de M. Trianon et conLée
à M'" Wertheimber, qui la servit au public deux
jours de suite.
A côté de ces solennités en quelque sorte olQcielles,
on pourrait en rappeler d'autres d'ordre plus exclu-
sivement artistique ; celle, par exemple, du 23 avril,
concert spirituel où flgurait, parmi les numéros
du programme, l'Enfance du. Christ, de Berlioz.
L'exécution de l'œuvre avait lieu sous la direction de
Berlioz lui-même, cet incompris qui, dans la précé-
dente élection à l'Institut, se présentant contre Am-
broise Thomas, n'avait même pas obtenu une voix,
cet enfiévré qui voyait le ridicule s'uttacher à ses
œuvres comme à sa personne, ce compositeur de mu-
sique ù programme que visait assurément Emile
Augier, lorsqu'il poussait jusqu'à la charge le por-
trait de Landara dans une œuvre aujourd'hui peu
connue, Ceinture dorée. Simple souvenir : deux ar-
tistes participaient à ce concert eu qualité d'accom-
pagnateurs, dont les noms sont connus de tous, mais
dont les destinées devaient être bien différentes :
320 LE SECOND OUVRAGE DE UBYBRBEBR
Théodore Elitter, qui finit si misérablement, et Au-
guste Durand, le sympathique éditeur et composi-
teur parisien.
KappeloQS aussi d'autres soirées plus directement
liées à l'histoire ordinaire de la salie Favart, puis-
qu'elles marquent quelques reprises importantes, par
exemple, le 19 avril, Fra Diavolo, avec Montaubry
gui, dans ce rôle où il devait exceller plus lard, donna
d'abord prise à certaines critiques. On jouait préci-
sément cet ouvrage !e i2 mai, lorsque se produisit
un incident bizarre et effrayant à la fois, dont le récit
fit le tour de la presse k cette époque, n Vers la fin
du premier acte, on vit tout à coup une jeune femme
enjamber le rebord de la deuxième galerie pour se
précipiter dans la salle ; l'insiinct de la conservation
la retint un instant, et, se cramponnant au velours,
elle demeurait suspendue dans le vide. On put la
ressaisir enfin, et elle se trouva mal, ainsi d'ailleurs
que bon nombre de speclatrices, témoins de cette
scène. Revenue à elle, la malheureuse déclara se
nommer Estelle D,, âgée de vingt-huit ans et demeu-
rant faubourg Saint-Honoré ; et, ce disant, elle re-
tira vile de son corsage uneletire qu'elle déchira. On
sut alors qu'un désespoir d'amour l'avait déterminée
à se suicider, et l'on constata en effet que dans son
domicile elle avait tout préparé pour recevoir sa dé-
pouille mortelle, jusqu'au linge où elle devait être
ensevelie »
Moins troublée, heureusement, fut la représenta-
tion du 25 juin pour une reprise des Mousquetaires
de la Reine avec interprèles nouveaux : Montaubry
(d'Entragues), Mocker (Biron), Barrielte (Roland),
Leprince (Créqui), Davoust (Gontaut), Duvemoy {le
grand-prévôt), Ooutan (Narbonne), Ed. Cabel (Rohan),
1859 331
M"" Paure-Lefebvre (Berthe de Simiane), Henrion
(Athénaïs), Casimir (la grande-mallresse). Une autre
reprise, celle de VAmbassadrice, servit le 18 juillet
pour le début, dans le râle d'Henriette, d'une an-
cienne élève du Conservatoire, M"' Cordier, qui re-
venait des États-Unis et se voyait honorablement
accueillie à câté de Jourdan, Nathan, Ponchard,
M"" Lemercier, Révilly, et Oasimir, Enfin, le
22 septembre, reparut un ouvrage qu'on semblait né-
gliger depuis quelque temps, le Songe d'une nuit d'été,
avecMontaubry (Shakespeare), Crosti (Palstaff), Warot
(Latimer), Nathan (Jérémy), M"' Bélia, (Olivia), et
une débutante, M"' Monrose (Elisabeth), petite-flUe du
comédien de ce nom et élève de Duprez et de Mocker.
«. Son noble profil, écrivait alors Henri Boisseaux, a
les arêtes finement découpées que les anciens don-
naient à leurs déesses. H y règne en même temps
cette passion tempérée par de charmants sourires,
dont le regard et la bouche de Marie Stuart savaient
si bien le secret. » (7 !)
Au cours du récit qui précède, presque tous les dé-
butants de l'année 1859 ont été mentionnée, savoir,
par ordre de date : M'" Breuillé, M"" Enjalbert,
M'" Cordier, M. Ambroise, M"« Marietta Guerra,
M"" Monrose, M"* Emma Bélia; à ces noms il con-
vient d'ajouter M'" Faigle qui, le 27 juin, débuta mo-
destement dans le Chalet (rôle de Betly) ; M. Oaus-
sade, sorti en 1859 du Conservatoire, où il avait ob-
tenu le deuxième prix d'opéra-comique et le deuxième
accessit de chant, et qui débuta le 22 août dans les
Chaises à porteur (rôle du chevalier); M"' Geoffroy,
venue des BouiFes-Parisiens, oii elle jouait sous le
nom de Coralie Guffroy, jeune et belle personne qui
débuta le 26 septembre dans la Pagode (rôle de Na-
3ZÏ LE SECOND OUVRAGE CE HEYSRBBER
didja) ; enfin M. Holtzem, qui débuta le 3 octobre
dans la Filte du Régiment (rôle de Tonio). AiBSÎ se trou-
vait compensée la perte de quelques artistes coinme
M"° Dupuy, qui, engagée à la Monnaie de Bruxelles,
revint, il est vrai, l'année suivante à la salle Favart.
comme M"' Delacroix, également engagée àBruxelles ;
comme Delaunay-Ricquîer, enlevé par le Théâtre-
Lyrique auquel il appartenait, quand il épousa le
27 octobre sa camarade M"° Lhéritier. Vers le mémo
temps, d'autres mariages d'artistes étaient signalés
(outre celui de Faute avec M"' Lefebvre) : celui de
Bertbelier avec M'" Boin et celui de M"* Ugalde, née
Beaucé, avec M. Varcollier.
Mais, de tous ces déplacements, allées et venues,
le plus fâcheux pour la prospérité du théâtre devait
être celui qui, décidé alors, s'effectua au début de
l'année suivante, le départ de Faure. Ce départ, suivi
4e près prir la retraite du directeur Roqueplan, con-
tribua à déterminer une crise pressentie depuis
quelque temps déjà, et qu'un succès plus fructueux
du Pardon de Ploërmel eût peut-être seul conjurée.
Quelque succès qu'il ait obtenu, l'ouvrage de
Meyerbeer n'en fixe pas moins une date dans l'his-
toire de la salle Favart. Nombre de compositeurs
avaient essayé d'élargir le cadre de l'Opéra- Co-
mique ; avec VEioile du Nord et le Pardon, Meyer-
beer le fit presque éclater. Au lendemain de cette
rude poussée, les nouveHes œuvres coulées dans le
moule ancien devaient sembler grêles et médiocres ;
de là un temps d'incertitude et d'insuccès. Plus
tard, nous montrerons la victoire déanitive rem-
portée par ceux dont le génie souple et mesuré a su
mettre à profit les conquêtes du présent pour les re-
nouer adroitement à la saine tradition du passé. La
1859 323
fusion des deux styles est le principe qui domiijera la
seconde période de l'histoire que nous avons entre-
prise. L'opéra mixte s'imposera au goût. des musi-
ciens comme à la faveur du public, et c'est de ce .
genre tempéré que relèveront les œuvres nouvelles
dont le succès sera le plus brillant et le plus durable,
l,aUa Roukh, Mignon, Carmen, Lahmé et Manon,
D.3l.za..ïGOOgle ■
,l.:e..ïG00'^le
TABLE
JEréfack.
Chapitre préuiunaire, ~ Les stations de l'Opéra -
Comique avant i840
CHApnsE II, — L'ouTertare du nouveau théâtre, La
347» représentation du iVé aux Ctercs. 1840. . . .
Chapubk m. — Le nouveau et l'ancien répertoire. Les
Diamants de la Couronne; le Liable à l'École et la
Part du Viable; Richard Cœar de Uon, Camille, les
Deux Journées, Jeannot et Colin et te Uailre de Cfta-
pe«e.48Jl-1843
Chapitre IV. — Premier chaDgement de direction. La
Sirène. Reprises du Déserteur, du Délire, d'Une folie
et de Monsieur Descltalumeaax. i8J3-JS45. ....
Chapitre V. — La succession de H. Crosnier. Les
Mousquetaires de la Reine elHaydée. iSiS-iSil. . .
(^AFiniG VI. -~ Une période critique. Reprise de la Fille
du Régiment. 1848 .,.......,
49
Dglizac^ï Google