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Full text of "Histoire de l'Opéra-Comique. La seconde Salle Favart--1840-[1887] .."

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ILDERT SOUBIES HT Cma«i.es MALHERBE 



HISTOIRE 

DE 

'OPÉRA-COMIQUE 

LA SECONDE SALLE FAVART 

— 184O-1860 — 



PARIS 
BRAIRIE MARPON ET FLAMMARION 
E.FLAMMARION, SUCC 

26, RUE RACINE, PRÈS L'OQËON 
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HISTOIRE 



L'OPÉRA-COMIQUE 



6 40-1660 



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Albert SOUBIES et Chàhles MALHERBE 

HISTOIRE 

DE 

L'OPÉRA-COMIQUE 

LA SECONDE SALLE FAVART 

— 1840-1860 — 



PARIS 

LIBRAIRIE MARPON ET FLAMMARION 
E. FLAMMARION, SUCC 

16, RUE RACINE, PRÈS l'oDÉON 



1892 

Tous droiu rin 



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OUVRAGES DES MÊMES AUTEURS 



L'ŒuvBE DBAHi^TiQUE DE RiCHAHD Wagnëb. Un Tolume in-12, 

à la librairie Fischbacher : Épuisé. 
MÉLANGES SUR RicEABD WaGiVER. Un TOlume iD-12, à la 

librairie Fischbacher : 3 fr. 50. 
Précis de l'Histoire de L'OpÉnA-CoiiiQui:. Un volame petit 

iD-12, àlalibiairie Dupret : Épuisé. 



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7/22.^3 ■ 



PRÉFACE 



La pensée d'écrire cet ouvrage nous est ve- 
nue au lendemain même de la catastrophe du 
25 mai 1887. Comme la première salle Favart, la 
seconde avait été réduite en cendres. C'était bien, 
semblait-il, le moment de rédiger ses annales, de 
dresser la liste des batailles gagnées ou perdues, 
d'évoquer le souvenir des auteurs et des inter- 
prètes applaudis ou dédaignés, de faire revivre en 
un mot, sous les yeux du lecteur, le théâtre que 
les flammes venaient d'anéantir. 

Un scrupule nous retint, tout d'abord. Nous 
crûmes qu'il faudrait moins de temps pour réédi- 
fier ce théâtre que pour en raconter l'histoire; 
ainsi devancés, nous nous exposions à parler au 
passé de ce qui aurait à peine cessé d'être le pré- 
sent. Est-il nécessmre de rappeler, en effet, l'émo- 
tion causée par le sinistre et les résultats qu'on 
devait attendre d'un tel mouvement d'opinion? 



Des souscriptions s'organisaient en vue de secou- 
rir les trop nombreuses victimes ; des plans nou- 
veaux surgissaient de tous côtés; l'administration 
elle-même donnaitl'exempledu zèle, en élaborant, 
par les soins de la Direction des Biltiments civils, 
un projet de reconstruction, puis en enlevant les 
décombres avec un empressement qui paraissait 
de bon augure. On avait l'air de comprendre que 
le remède était à cdté du mal et que TOpéra-Co- 
mique tenait trop de place dans les habitudes du 
public pour qu'on ne s'efforçât pas de combler aus- 
sitôt le vide laissé par sa disparition. 

L'incendie avait éclaté, justement, à l'époque la 
moins désastreuse de l'année. Les vacances d'été 
allaient amener la fermeture habituelle ; on avait 
donc, sans presque rien changer aux coutumes, 
sans nuire aux intérêts du personnel, trois mois 
pour travailler. Â peine en avait-il fallu davantage 
pour édifier, au dix-huitième siècle, la salle de la 
Porte- Saint-Martin, et, au dix-neuvième, l'ancien 
Opéra de la rue Le Peletier. 

Mais, au moment de demander aux Chambres 
les crédits nécessaires, il arriva — la chose n'est 
pas rare — que le ministère lut renversé. On remit 
tout à l'étude; les semaines s'ajoutèrent aux semai- 
nes, les années aux années ; nulle décision n'inter- 
vint, et ce n'est que tout récemment qu'un projet de 
loi a été déposé, avec de sérieuses chances, pa- 
raît-il, d'être agréé. 

Nous pouvons donc publier aujourd'hui, sans 
crainte, le présent livre : il a plus que jamaisl'in- 



PRÉPACB v:i 

térêt de l'actualité. Il en a mâme ud autre que nous 
avions moins distingué tout d'abord et qui se mon- 
tre plus clairement à mesure que le temps marcha 
et que les retards se prolongent. Nous assistons 
peut-être, en ce moment, à la fin d'une période 
d'art musical et cette heure, à coup sûr, mérite 
qu'on la marque au passage. 

Appelé à satisfaire les goûts d'un public dont la 
naïveté diminue de jour en jour, dont les exigences 
dramatiques sont plus impérieuses, l'opéra-co- 
mique pourrait bien ne plus être dans l'avenir ce 
qu'il a été dans le passé. Déjà, à certains indices, 
on reconnaît qu'il se rapproche visiblement de 
l'opéra et s'éloigne déplus en plus du type primitif, 
la comédie musicale. Dans cette salle du Châtelet, 
son domicile actuel, où le Théâtre-Lyrique a jeté 
un si vii éclat, l'évolution se poursuit et s'achève ; 
mais elle a pris naissance près du boulevard des 
Italiens et ce seul fait donne à notre ouvrage un 
intérêt spécial. Ce n'est plus la simple histoire 
d'un monument que nous rédigeons; c'est, par 
une suite de circonstances curieuses à montrer 
et qui justifient notre titre, l'histoire même de 
l'opéra-comique tout entier. 

En effet, lors de sa fondation, en 1840, la sâlle 
Favart vit s'épanouir ce qu'on pourrait appeler la 
deuxième période de l'opéra-comique. Boïeldieu, 
Auber, Hérold, Adam occupaient l'affiche; mais 
on se trouvait encore assez près de la période an- 
térieure pour tenir en estime les auteurs et les 
œuvres du siècle dernier et du commencement de 



celui-ci. Cette faveur pour la musique ancienne se 
traduisit donc par une sorte de réaction dans les 
goûts du public et cela par deux fois, peu de temps 
après l'ouverture du nouveau théâtre et quelque 
vingt ans plus tard. Des partitions de Pergolèse. 
Duni, Monsigny, Grétry, Dalayrac, Cherubini, 
furent alors exhumées avec respect ; on les remit 
à l'étude, et des maîtres comme Auber, Adam, 
Gevaërt, tentèrent, en refondant rorchestration, 
de leur donner une parure nouvelle. 

Puis, dans cette même salle Favart, une autre 
forme apparut, moins simple, plus riche d'action 
dramatique, plus chargée d'instrumentation, plus 
conforme aux exigences de la polyphonie moderne. 
Le Songe d'une nuit d'été', l'Étoile du Mord, le Par- 
don de Ploêrmel, Mignon, Carmen, Manon, marquent 
les étapes de cet acheminement vers le drame ly- 
rique. Toutes ces œuvres ne sont-elles pas deve- 
nues, au prix de quelques modifications, des opé- 
ras, et n'est-ce pas sous ce nom qu'elles se 
jouent à l'étranger? 

Enfin, les incendies de la Commune ont, à leur 
tour, exercé une action sur les destinées de cette 
scène. Les pièces, dites de « demi-caractère » et 
représentées avec succès au Théâtre- Lyrique, ont, 
après sa disparition, reflué vers l' Opéra-Comique 
et grossi peu à peu son répertoire. Dans ce nou- 
veau milieu les Noces de Figaro, la Flûte enchantée, 
Roméo et Juliette, Mireille, la Traviata, la Statue, se 
sont fait applaudir, et ont disposé favorablement 
directeurs et public à l'égard d'œuvres nouvelles 



FRËFACE IX 

équivalentes, sinon par le mérite, du moins par le 
caractère et les tendances. 

On voit donc quelle variété de points de vue 
comporte notre sujet et combien il dépassQ les di- 
mensions du cadre où il semble enfermé. Mais, 
pour remplir ce cadre, il a fallu d'abord vérifier avec 
soin les dates; suivre les ouvrages depuis l'instant 
de leur naissance jusqu'à celui de leur mort et les 
interprètes depuis le jour de leur débutjusqu'à celui 
de leur départ ; compter le nombre des représen- 
tations et le chiffre des recettes ; relire des livrets 
et des partitions dont on ne connaît plus guère 
que le titre ; feuilleter les journaux contemporains ; 
compléter ces recherches par des souvenirs per- 
sonnels ; répéter le moins possible ce que tout le 
monde savait déjà ; interroger au besoin les inté- 
ressés, mais avec précaution, car leur mémoire est 
souvent complaisante à ce qu'ils désirent montrer 
et rebelle à ce qu'ils voudraient cacher ; recueillir 
en un mot tout ce qui se rapporte aux hommes et 
aux choses pendant les quarante-sept années quela 
seconde salle Favarl a vécues. 

A ceux qui entreprendront un travail analogue 
pour l'histoire de notre temps, la tâche sera relati- 
vement aisée : Almanach des spectacles, Annales 
du théâtre et de la musique, Soirées de l'orchestre 
et autres recueils diversement nommés, abondent 
et simplifient les recherches. Mais de 1840 à 1874 
ces sources de renseignements font presque entiè- 
rement défaut. Les documents sont épars et l'on 
a peine à les rassembler pour en contrôler l'exac- 



X PRÉFACE 

titude, condition essentielle d'un travail comme le 
nôtre, et que les plus soigneux ne peuvent ja- 
mais se flatter d'avoir absolument remplie. 

Une circonstance nous donne pourtant quelque 
espoir. Notre travail a paru d'abord en feuilletons 
dans le Ménestrel et y a même reçu de son direc- 
teur une trop courtoise hospitalité pour ne pas 
justifier ici l'expression de notre gratitude. Or, 
au cours de cette longue publication qui aura peut- 
être inspiré et singulièrement facilité des travaux 
analogues, les intéressés n'auraient pas manqué 
de signaler les erreurs ; quelques notes complémen- 
taires nous ont été gracieusement adressées ; au- 
cune ou presque aucune rectification ne nous est 
parvenue. 

Il ne suffit pas d'amasser des matériaux; 
il s'agit de les présenter avec ordre, de dissimuler 
le plus possible des énumérations fastidieuses et 
pourtant nécessaires, de maintenir l'attention par 
la variété des transitions et des rapprochements. 
De là, par exemple, le système que nous avons 
adopté pour la division des chapitres, sacrifiant 
parfois l'égalité de la mesure à l'intérêt des grou- 
pements, et rappelant dans les sous-titres mêmes, 
non pas toutes les pièces à succès, mais l'une au 
moins de celles dont les auteurs ont le plus con- 
tribué à la fortune du théâtre. 

Un mot nous reste à dire au sujet des principes 
qui ont guidé notre critique. On n'écrit pas d'or- 
dinaire une histoire détaillée pour amoindrir celui 
qui en est le héros. Si donc nous paraissons un 



peu indulgents pour un genre plus attaqué, pour 
des artistes et des ouvrages moins estimés aujour- 
d'hui qu'hier, ce n'est pas que nous professions en 
art des idées rétrogrades. Nos précédents écrits 
ont, croyons-nous, suffisamment prouvé le con- 
traire. Au surplus, nous apprécions moins que 
nous n'enregistrons et nous nous efforçons surtout 
de remplir la tâche que doit s'imposer tout histo- 
rien de bonne foi : rappeler les leçons de la veille 
aân d'assurer les progrès du leiidemain, se souve- 
nir pour mieux prévoir. 



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HISTOIRE 



SECONDE SALLE PAVART 



CHAPITRE PRELIMINAIRE 
LES STATIONS DE l'OPÉRA-COUIQOB AV&MT 1S40 



Avaat d'aborder l'histoire de la seconde salle Fa- 
vart, il nous paraît indispensable, sous peine d'être 
obligés de couper conatamment notre récit par dea 
explications rétrospectives, de rappeler brièvement 
ce que l'on pourrait appeler les « Stations de l'Opéra- 
Comique. » Le lecteur sait, en effet, que l'Opéra- 
Comique n'a pas toujours occupé l'emplacement où 
il se trouvait lors de l'incendie du 25 mai 1887. Long- 
temps même, et surtout au commencement du dix- 
huitième siècle, il avait erré sans domicile bien fixe, 
sans ressources bien assurées. C'est qu'alors, il payait 
relativement peu de mine, et représentait ce qu'on 
eût appelé volontiers un personnage de mince qua- 
lité. Son origine était trop récente, sa naissance trop 



.^Cooi^Ic 



s LES STATIONS DE l'OFÉRA-COUIOUB 

obscure pour lui permettre de faire figure; sa fortune 
était assez médiocre, son succès assez intermittent 
pour le réduire aux plus dures nécessités de la lutte 

' pour l'existence. Il ne tendait pas la maiu ; mais il 
implorait la faveur des grands et se débattait, à force 
d'énergie ou d'adresse, entre les privilèges d'une part 

, et les concurrences de l'autre, volé, persécuté, tom- 
bant parfois pour se relever toujours plus vigoureux 
et plus hardi. 

Oe n'est pas l'histoire de l'Opéra-Comique que 
nous entreprenons d'écrire ; aussi n'avons-nous point . 
à rechercher dans le passé une filiation possible, 
quoique incertaine. Certes, il suffit de considérer le 
mélange du parlé et du c/ianfé comme la caractéris- 
tique de ce genre pour trouver sans peine dans le 
célèbre Jeu de Robin et de Marion un modèle fort an- 
cien et, partant, fort respectable. Mais dans son cu- 
rieux travail sur l'Histoire de lachanson populaire en 
France, M. Julien Tiersot a remarqué justement que 
cette alternance u de prose parlée et de vers chantés » 
distinguait à la même époque les fabliaux comme 
Aucassin etNicolette, et les romans comme le Renard 
nomel, le Batteur en grange, etc. Ce qu'il y a de cer- 
tain, c'est qu'au temps de la Renaissance, l'opéra- 
coœique se laisse deviner dans ces moralités, dans 
ces farces que jouaient les clercs de la Basoche avec 
accompagnement de trompettes, hautbois, bassons et 
timbales. Puis, il apparaît clairement au dix-sep- 
tième siècle sous la forme de ces comédies de chan-^ 

- sons ou à chansons qui s'exécutaient aux deux cé- 
lèbres foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent. 
C'est là, en effet, sur les tréteaux d'une baraque en 
plein vent, qu'il est venu au monde et qu'il a grandi 
peu à peu. 



,L.:e..ïCiOO'^lc 



PREUiÈRE STATION. — Théâtrede la foire. {Avant 1762.) 

Dans notre Précis de l'histoire de V Opéra-Comique, 
nousavoDS essayé d'indiquer les grandes lignes da 
cette pérode primitive et d'apporter quelque lumière 
au milieu de ces ténèbres. Nous avons notamment 
relevé tous les noms des direcleura qui s'y sont suc- 
cédé depuis les frères Alard (1678), les plus anciens 
parmi ces entrepreneurs de spectacles musicaux, qui 
ont possédé un jeu : on désignait ainsi l'exploitation 
théâtrale qui se faisait dans les loges de la foire, ou 
emplacements concédés à bail. 

Les exercices de corde, les farces de bateleurs et 
les tours d'acrobates y tenaient souvent plus de place 
que I4 musique. Pourtant, dès 1710, on rencontre au 
répertoire une parodie i'Alceste, avec chœurs, duos, 
airs et danses. Cinq ans après, c'est encore une pa- 
rodie, celle de Télémaque qui, pour la première fois, 
reçoit de ses auteurs la qualification d' opéra-comique: 
le librettiste avait nom Le Sage (l'auteur de Gil Blas) 
et le compositeur Gilliers, violoniste de la Comédie- 
Française. Remarquons du reste que le mot opéra- 
comique avait déjà été employé pour désigner non 
point un genre d'ouvrages, mais le jeu de certaines 
loges. Par exemple, en 1713, nous trouvons associés 
la dame Catherine de Baune et le sieur Saint-Edme, 
administrant, chacun de son côté : elle, le théâtre in- 
titulé Nouvel Opéra-Comique de Baxter et Saurin, lui 
le théâtre intitulé : Nouvel Opéra-Comique de Domi- 
nique : ces noms étaient ceux d'acteurs célèbres de 
l'époque. 

Ce qu'étaient les ouvrages dont nous venons de rap- 
peler quelques titres, on ne le sait point exactement ; 

„■ ... .CoQi^Ic 



4 LB3 STATIONS DE h'OPiRk-COMlQUt 

maïs OD peut s'en faire une idée en reUsaot l'un de 
ceux qui ont été conservés et que l'ou considère vo- 
lontiers comme type du genre : la Chercheuse d'ea- 
pri(, de Payart. M.Julien Tiersot a indiqué d'une 
façon précise sur quels timbres se chantaient tous les 
couplets qui s'y rencontrent, et cette œuvre date 
de 1741..A.cette époque la musique demeurait donc 
au second plan et vivait d'emprunts, de souvenirs, 
d'adaptations, plus que d'inventions nouvelles. D'une, 
manière générale, elle ressemblait fort à ce qu'elle 
était naguère dans nos vawleoilleB, selon le sens ré- 
cent du mot, et & ce qu'elle est encore aujourd'hui 
dans ces pièces d'actualité intitulées reuues. 

On a raconté maintes fois, et nous l'avons fait 
nous-mêmes, le récit des luttes misérables que 
rOpéra-Comique dut soutenir contre ses aines garan- 
lis par des privilèges et jaloux de les faire respecter, 
savoir : l'Opéra, qui voulait lui interdire le chant, la 
Oomé die -Française qui prétendait lui couper la pa- 
role, et la Comédie-Italienne, qui lui disputait même 
la pantomime. De toute cette histoire nousnevoulons 
retenir qu'un point, c'est qu'alors et jusqu'en n62,les 
représentationsétaientforaiues,c'est-à-direorganisées 
dans les deux principales foires de Paris : la foire 
Saint-Laurent, qui se tenait boulevard du Nord, entre 
le faubourg Saint-Denis et le faubourg Saint-Lau- 
rent, la foire Saint-Germain, qui se tenait de l'autre 
côté de la Seine, dans le faubourg Saint-Germain. La 
première avait lieu, à quelques variantes près, pen- 
dant les mois de février, mars et avril; la seconde 
pendant les mois de juillet, août et septembre. C'était 
ce que nous appellerions maintenant une saison 
d'hiver et une saison d'été. 

Quant à la scène elle-même, elle variait suivant le 



AV4NT 1840 5 

caprice de ceux qui l'admiûlstraient. Le théâtre était 
entièrement de bois, et le luxe de la aalle avait pour 
limites obligées les ressources généralement mo- 
destes de l'exploitation. Parfois cependant la magni- 
ficence d'un directeur s'y donnait carrière, comme 
on le vit en 1752 avec le fameux Monnet, qui dépensa 
bel et bien 45,000 livres en constructions. Mais, si' 
ornées qu'elles fussent, ces constructions gardaient 
un caractère provisoire ; non seulement elles offraient 
plus que toute autre une proie facile à l'incendie, 
mais encore elles demeuraient à la merci d'une foule 
de privilèges et concessions qu'un simple caprice suE- 
flsait à retirer. 

DEDXi&UB 8TATI0N. — Hôtel de Bourgogne (i7iî2-i783). 

' Pendant un long temps de la période précédente, 
rOpéra-Comique avait dû soutenir la concurrence 
d'acteursitaliensqui, chassés de France par LouiaXlV 
en 1697, avaient reparu presque aussitôt après sa 
mort et obtenu du Régent, en 1 7]6, l'autorisation de 
jouer, d'abord au Palais-Royal où ils alternaient avec 
l'Opéra, puis à l'Hôtel de Bourgogne, où ils s'étaient 
constitués en société sous le titre de Comédie-Ita- 
lienne, le 27 octobre 1719. Ils exploitaient un réper- 
toire d'où la musique était généralement absente. 
Néanmoins, le succès obtenu le 4 octobre 174G par 
la ServaPadrona,de Pergolèse, les avait mis en goût, 
et l'arrivée de nouveaux chanteurs italiens, en 1752, 
n'avait fait qu'accentuer plus encore ce mouvement 
artistique. L'Opéra-Comique et la Comédie-Italienne 
méritaient l'honneur d'occuper l'attention, de pas- 
sionner l'opinion et de susciter des querelles de 
plume où les uns tenaient pour la musique natio- 



6 LES STATIONS DE L'OPÉRA-COUIQUE 

tionale, les autres pour la musique étrangère. C'est 
le temps où Jean- Jacques Rousseau déraisonnait à 
plaisir, prétendant démontrerqu' « iln'y ani mesure 
ni mélodie dans la musique française, parce que la 
langue n'en est pas susceptible, que le chant français 
n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à 
toute oreille non prévenue, que l'harmonie en est 
brute, sans expression, que les airs français ne sont 
pas des airs », et il soutenait, pour conclure, que « les 
Français n'ont point de musique et n'en peuvent 
avoir, ou que, s'ils en ont, ce seraianf pis pour eux, n 
Il arrive souvent que les ennemis de la veille de- 
viennent les alliés du lendemain, et que, par des 
concessions réciproques, on se rapproche au point de 
combattre ensemble sous le même drapeau. Ainsi 
fut-il pour les chanteurs français et les bouffoTis ita- 
liens, comme ou disait alors. En 1762, une ordon- 
nance du Roi réunit les deux théâtres en un seul sous 
la dénomination de Comédie-Italienne et lui assigna 
pour domicile le palais modeste que cette dernière 
tenait du Régent depuis 1716, l'Hôtel de Bourgogne, 
situé rue Française et rue Mauconseil. C'est dans 
cette salle, renommée à plus d'un titre, car elle avait 
au siècle précédent servi de berceau à la Comédie- 
Française, que l'Opéra- Comique grandit et prospéra 
de 1762 à 1783. C'est là qu'il faut enregistrer les 
grands succès des librettistes comme Sedaine, An- 
seaume, Marmontel, et des compositeurs comme 
Duni avec les Deux chasseurs et la laitière (1763), 
Monsigny avec Rose eiCo[as(I764), le Déserteur (1769), 
Philidoravec Tom Jones (1765), Grétry; enfin, avec 
leIIuron{ilè8], Lucile {\im),leTableauparlant{ll&9), 
les Deux Avares (1770), Zémire et Azor [ini], etc., 
tous ouvrages qui ne sont pas seulement connus des 



AVANT 1840 7 

bibliothécaires et des curieux, mais qui, pour la 
plupart, ont été jusqu'à notre temps l'objet de nom- 
breuses et brillantes reprises. 

Lors de la fusion des deux troupes en 1762, l'opi- 
nion publique estimait, et Bachaumont l'indique 
en ses Mémoires, qu'un élément absorberait l'autre, 
c'est-à-dire que legenre italien triompherait du genre 
français. Le contraire se produisit ; le talent de nos 
auteurs créa un irrésistible courant, et ce triomphe 
fut en quelque sorte consacré par des lettres patentes 
du 31 mars 1780, qui substituaient au nom de Comé- 
die-It'alienne celui à' Opéra-Comique. Toutefois, l'usage 
ancien prévalut pendant plusieurs années encore. 
Les almanachs des spectacles, source précieuse, car 
c'est à quelques égards un miroir où se reflètent les 
habitudes artistiques de l'époque, nous montrent le 
peu de âsité.des dénominations adoptées. C'est ainsi, 
pour nous résumer en quelques mots sur ce point, 
que jusqu'en 17621e théâtre prend le nom de l'en- 
droit où il fonctionne. Théâtre de la foire Saînt~Ger- 
main, Théâtre de la foire Saint-Laurent, et aussi 
même Opéra-Comique, comme en font foi une affiche 
de 1724 et un billet de spectacle de 1754, reproduits 
par M. Arthur Heulhard dans son intéressante his- 
toire de la ivoire Saint-Laurent et dans sa curieuse 
biographie de Monnet. Lors de l'installation à l'Hôtel 
de Bourgogne (1762), il devient Comédie-Italienne ou 
Théâtre Italien. Après la construction de la salle 
Pavart (1783) il s" appelle encore tantôt Théâtre Italien, 
bien que l'élément italien diminue au point de dispa- 
raître tout à fait, tantôt Théâtre de la rue Faoart, 
tantôt, comme en 1794, Théâtre de VOpéra-Comique 
national. Cette dernière dénomination n'est définiti- 
vement acceptée par tous qu'en 1801. 



LES STATIONS DB l'oPÉBA-COUIQUE 



TR0I6IÈUE STATION. — Première salle Favort (i783-180î). 

L'Hôtel de Bourgogne, qui avait abrité pendant 
vingt et un ans la fortune de l'Opéra-Comique, fut 
abandonné le 4 avril 1783. Le vieux bâtiment ne ré- 
pondait plus aux besoins du répertoire et du public ; 
il paraissait trop petit, mal aménagé ; de plus, le suc; 
ces avait permis aux artistes qui, depuis la fusion, 
l'administraieut réunis en société, de se faire cons- 
truire une salle nouvelle et digne d'eux : ce fut la 
première salle Favart, élevée par l'architecte Heurtier 
sur les terrains de l'Hôtel de Choiseul, entre les rues 
Pavartet Marivaux, à côté du boulevard qui depuis, 
et en souvenir de l'ancienne Comédie-Ziaiienne, prit 
justement le nom de boulevard des Italiens. Par son 
aspect général, ce théâtre présentait quelque analogie 
avec celui que, sur le même emplacement, le feu a 
détruit en 1887, Il pouvait contenir à peu près le 
même nombre de spectateurs, environ dix-huit cents. 
Dé hautes colonnes ornaientlepéristyle, et la façade 
regardait déjà le côté opposé au boulevard, cela pour 
une raison d'amour-propre que M. Arthur Pougin a 
rappelée dansson utile Dictionnaire des Théâtres. Les 
acteurs du boulevard, en effet, étaient l'objet de ce 
dédain spécial qui, de nos jours, se manifeste pour 
les acteurs de province. Afin de mieux accuser la 
différence, les sociétaires curent donc soin de tourner 
le dos au boulevard, laissant ainsi entendre au public 
qu'il ne fallait pas faire confusion ni se méprendre 
sur leur qualité. 

La salle inaugurée le 28 avril 1783 connut bientôt 
le succès, gràceaux deux œuvres de Grétry: VEpreuve 
villageoise et Ric/iard Cœur-àe-Lion (1784). Par la 



AVANT 1840 9 

suite, d'ailleurs, la fortune coutioua de se montrer 
relativement favorable, en dépit dea circonstances 
difficiles de la guerre au dehors et de l'émeute au de- 
dans ; car l'Opéra-Comique vécut là pendant toute la 
durée de la Révolution. 

Un rival pourtant lui était né avec le théâtre 
Feydeau, où s'exploitait un genre analogue sous la di- 
rection administrative d'un ancieDCoifTeurde la reine 
Marie-Antoinette, Léonard Autié, et sous la direction 
artistique de deux musiciens célèbres, Cherubini 
et Viotti. Mais nous n'avons pas à conter l'histoire 
de ces temps singuliers oii, malgré le bruit des 
émeutes, malgré le sang versé sur l'échafaud et sur 
les champs de bataille, des maîtres appliquaient leur 
génie à développer un art charmant dont l'éclat re- 
jaillissait sur la pairie. Ces maîtres s'appelaient Da- 
layrac, Berton, Kreutzer, Méhul, et l'on peut dire 
qu'à celte troisième période correspond aussi une 
troisième manière pour l'Opéra-Comique, dont le 
cadre s'élargit, dont la forme devient plus savante, 
plusiafÛDée, et qui est bien prés alors d'atteindre' 
à son apogée. 

QUATBiiME STATION. — Théâtre Feydeau (1801-18^9). 

Oe qui était arrivé une première fois en 1762 se 
produisit une seconde en 1801 : les rivaux deviurent 
amis et la concurrence disparut. Par un acte du 
■7 thermidor an IX, les deux troupes de Favart et 
de Feydeau fusionnèrent et adoptèrent le titre offi- 
ciel d'Opéra-Comique, qui depuis s'est conservé, en 
dépit des changements d'installation et de direc- 
teurs. 

C'est à Feydeau qu'on a ouvert le 16 septembre 

„■ ... 'C".t)0>^li: 



10 LES STATIONS DE l'0PÉR*-C0MIQOE 

1801; en 1804 on fait une halte à Favart, puis au 
Théâtre-Olympique, rue de la Victoire, la salle Fa- 
vart ayant été fermée pendant quelque temps pour 
cause d'embellissements et de réparations, et de nou- 
veau à Favart, que l'on quitte définitivement pour 
Feydeau l'année suivante. 

Les seuls changements dignes de remarque en 
cette période sont relatifs au mode d'administration. 
Jusque-là, les artistes, constitués en société, for- 
maient une espèce de république. L'arrivée aux af- 
faires d'un maître comme le Premier Consul ne pou- 
vait manquer d'avoir son contre-coup sur les choses 
de l'art et d'aboutir à des combinaisons nouvelles. 
L'Opéra-Comique, jadis humble vassal et tributaire 
de l'Opéra, auquel il lui fallait payer une redevance 
annuelle, par exemple, de 25,000 livres en 1716, de 
35,000 livres en 1718, de 40,490 en 1767, devient à 
son tour un seigneur armé de privilèges. Mais en 
échange, il perd une partie de sa liberté et se voit 
soumis par un décret du 6 frimaire an XI à la sur- 
veillance d'un surintendant. Désormais le théâtre est 
classé et ses artistes deviennent tour à tour, suivant 
les caprices de la politique, comédiens de l'Empereur 
, ou comédiens du Roi. En 1824, le surintendant se 
changea même en véritable directeur : Guilbert de 
Pixérécourt et, après lui, Ducis, administrèrent k 
leurs risques et périls, c'est-à-dire avec des fortunes 
diverses, ce théâtre où venait de se produire une 
suite de chefs-d'œnvre. A cette période, qu'on pour- 
rait appeler officielle, correspondait en effet, si l'on 
étudie le caractère général du répertoire, non pas un 
mouvement de recul, mais un retour vers la grâce et 
la simplicité. C'est le beau temps de Nicolo et de 
Boieldieu. Déjà même Hérold et Auber paraissent à 



AVAWT 1840 11 

l'horizon et prennent possession de la scène où ils 
doivent faire briller ces qualités spéciales qui de- 
meurent l'apanage du génie musical français, le 
charme, la finesse et l'esprit. 



ciNQuiÈMB STATION. — Théâtre Ventadour(î829-ÎS32), 

A la date du 12 avril 1829, le théâtre Feydeau, 

construit au siècle précédent par les architectes Le- 
grandet Molinos, au n" 19 de la rue Feydeau, ferma 
ses portes, qui ne devaient plus se rouvrir, car il fut 
démoli bientôt après. C'est ainsi que, huit jours plus 
tard, rOpéra-Gomique se transporta dans la salle 
Ventadour, que l'administration lui avait destinée, 
puisque la salle Feydeau menaçait ruine et que la 
salle Pavart avait été concédée à une troupe italienne. 

De toutes les stations de l'Opéra- Comique, celle-ci 
fut la plus courte, et peut-être aussi la plus désas- 
treuse. De cette époque datent pourtant deux ouvrages 
célèbres : Fra DitiDoio (1830) ei Zampa (1831); mais 
ils ne suffirent pas à sauver une entreprise contre la- 
quelle les plaintes, dès le début, avaient été presque 
unanimes. On blâmait le quartier choisi, qu'on trou- 
vait peu central ; on se plaignait de la disposition de 
la salle, de ses dimensions peu en rapport avec le 
genre exploité : les critiques se traduisaient natu- 
rellement par une baisse de recettes et des pertes 
d'argent. 

Le directeur Ducis n'y résista pas, et disparut dès 
le ISjuiu 1830. Survientla révolution de Juillet, fer- 
meture ; au mois d'août, Singier, ancien directeur 
des théâtres de Lyon, essaye d'administrer, mais 
il laut faire à la salle de notables réparations et 
modifications, nouvelle fermeture; le 8 octobre 1831, 



13 LS9 STATIONS DE l'OPÉRA-COUIQUE 

Lubbert le remplace et succombe à son tour, nou- 
velle fermeture ; au mois de janvier 1832, Laurent 
tente l'aventure, mais le choléra éclate, nouvelle fer- 
meture : c'était la sixième en l'espace de moins de 
quatre années. 

aisiÈHE STATION. — Théâtre des Nouvea^tés{^S32-i8iO]. 

La salle Ventadour avait été si funeste qu'on dut 
songer à la quitter sans regret. Mais où aller ? On ne 
pouvait s'installer à la salle Favart, toujours consa- 
crée à des représentations italiennes. Il fallut se ra- 
battre sur une salle de modestes proportions, cons- 
truite place de la Bourse, eu 1827, et qui venait de 
fermer ses portes le 15 février 1832, après avoir ex- 
ploité un peu tous les genres, môme la musique; 
c'était le théâtre des Nouveautés, qui devint plus tard 
le Vaudeville. Faute de mieux, sans doute, on s'y ré- 
signa, et bien eu prit aux artistes, d'abord réunis en 
société sous lagérancede Paul Dutreich, puis, en 1834, 
administrés par un véritable directeur, Crosnier; car 
les huit années passées là cogiplent parmi les plus 
brillantes de l'Opéra-Comique. Il suffit de citer les 
nomsd'Hérold, d'Auber, d'Halévy, d'Adam et de rap- 
peler le titre de quelques ouvrages représentés pen- 
dant cette courte période, savoir ; le Pré aux Clercs 
(1832), le Chalet (1834), l'Éclair [1835), le Postillon de 
Lonjumeau (1835), le Domino noir (1837), 

Tout à coup, une circonstance imprévue ramena 
rOpf'.ra-Comique sur l'emplacement occupé par lui au 
siècle dernier. La salle Favart, qu'il avait quittée 
en 1801 pour la salle Feydeau, était aux mains d'une 
troupe italienne, lorsqu'un incendie la consuma dans 
la nuit du 13 aq 14 janvier 1838, après une représen- 



LVà.vT 1840 13 

tation de Don Giovanni. Elle fut reconstruite au bout 
de deux ans, et le directeur Grosaier ne perdit pan 
cette excellente occasion d'échanger sa petite salle 
de la Bourse cootre la spacieuse salle Favart. 

SEPTIÈME BTATlON. — SccOTide sallB Foeart {18i0-1887). 

Cette fois l'Opéra-Comique semble toucher au 
port; et nous-ménies, arrivant au seuil de la période 
que nous nous proposons d'étudier avec quelques dé- 
tails, nous arrêtons cette revue rapide d'une histoire 
longue, ardue, compliquée, mais dont le tableau sui- 
vant indique fidèlement les grandes lignes. C'est, en 
somme, la liste des divers emplacements occupés 
depuis l'origine jusqu'à nos jours, avec les noms que 
tour à tour le théâtre a portés : 

Avant i7fiS. — Looes db la, Foibb, sous les titres 
de : Théâtre de la Foire Saint-Germain, Théâtre de la 
Foire Saint-Laurent, et même Opéra-Comique. 

Du 3 février 1 762 au 4 avril 1 783. — SallS de l'Hôtel 
DE BooRoooNB (rue Mauconseil), sous le titre de Comé- 
die Italienne ou Théâtre Italien. 

. DuSSaoril i183 au 20 juillet Î80i. — Première 
SALLE Favart (jardins de l'Hôtel de Choiseul ou place 
des Italiens), sous les divers titres de : Comédie Ita- 
lienne, Théâtre Italien, Théâtre de la rue Favart, 
Théâtre de l'Opéra-Comique national, Théâtre de 
l'Opéra-Comique. 

Du 16 septembre 1801 au 2S juillet 180 i. — Sallb 
Fevoeau (19, rue Feydeau) , sous le titre définitif de ; 



14 LES STATIONS DE l'OPÉRA-COMIQDE 

Théâtre de l'Opér a-Comique, mais avec la meûtion 
théâtre national, impérial ou royal, suivant la forme 
du gouvernement. 

Du 23 juillet ÎSOiau 2 octobre 180k. — SallePàvart 
{place des Italiens, rue Pavart). 

Du 3 octobre Î8ûk au 23 octobre iSOk. — Théâtre 
Olyhpiuue (rue de la Victoire). 

Du^k octobre 180k au i juillet 1805. — Salle Fa- 



Du 2 septembre 1805 au 12 avrHl 1829. — Sallr 
Feydeau (19, rue Feydeau). 

Dii20 avril 1829 au 'iS mars iSSS; — Salle Ven- 
TADouR (place Ventadour). 

Du 22 septembre iS39 au 30 avril 18kO. — Salle des 
NonvEAOTÉs (place de la Bourse). 

Du 16 mai 18i0 au 20 juin 1853. — DedsiÈME SALLE 
Fatabt (place Boieldieu). 

Du96 juin 1853 au i juillet 1853. — Salle Venta- 

DOOB. 

Du 5 juillet 1853 au 15mai i881. — Deuxième salle 
Favabt. 

A cette liste, nous en joignons une autre qui n'a 
jamais non plus été dressée et qui nous semble com- 
pléter heureusement la première : c'est celle desdi- 



AVANT J840 15 

rectîoQS qui, pendant plus d'un siècle et demi, ont 
présidé aux destinées du théâtre. 

Beaucoup de ces noms sont oubliés aujourd'hui ; 
quelques-uns au contraire sont demeurés fameux; les 
. derniers {depuis 1840) sont ceux justement qui voul 
faire plus spécialement l'objet de notre élude, et re- 
viendront par conséquent le plus souvent sous notre 
plume : 

1713-1718. — Saint-Edme etOatheriae Vanderbeck, 
femme de Baune, tantôt ensemble, tantôt séparé- 
ment. 

1718-21. — Suppression de VOpéra-Comîque. 

1721. — Lalauze. 

1721-22. — Francisque. 

17^-24, — Suppression de VOpéra-Comique. 

n24-26. — Honoré. 

1726-28- — Honoré et Francisque. 

1728-1732. — Boizard de Pontau. 

1732. — Mayer, dit de Vienne, sous le nom de 
Hamoche. 

1733-43. —Boizard de Pontau (deuxième fois). 

1743-44. — Monnet. 

1744. —Berger. 

1745-52. — Suppression de VOpéra-Comique. 

1752-57. — Monnet (deuxième fois). 

1757-62. — Corby, Moët et C". 

1762-1803. — Régie parles artistes ensociété. 

1804-14. — Comité administratif, composé d'ute 
délégation des artistes, sous la surveillance d'un pré- 
fet du palais, nommé par l'empereur. 

1815-24. — Comité administratif, composé d'une 
délégation des artistes, sous la surveillance d'un gen- 
tilhomme de la Chambre du roi. 



16 LEB STATIONS DE l'OPÉRA COHIQUB AVANT 18*0 

1824-27. — Guilbert de Pixérécourt. 

1828-30. —Duels. 

1830-31. — Siogier. 

1831.— Lubbert. 

1832. — Laurent. 

1832-34. — Dutreich, comme gérant des artistes 
réunis en société. 

1834-45. — Orosnier. 

1845-48. — Basset. 

1848-57. — Emile Perrin [première fois). 

1857-60. — Nestor Roqueplan. 

1860-62. - BeaumoEt. 

1862. — Emile Perrin (deuxième fois}. 

1862-70. — De Leuven et Ritt. 

1870-74.— De Leuven et duLocle. 

1874-76. — Du Locle. 

1876.— Emile Perrin, comme directeur intéri- 
maire (troisième iois). 

1876-87. — Carvalho. 

Pour compléter cette liste, il suffirait d'y ajouter 
trois noms, depuis que, chassé par l'incendie de 1887, 
l'Opéra- Comique s'est réfugié, place du Châtelei : 
Jules Barbier, directeur intérimaire en 1887 ; Para- 
vey, directeur de 1888 à 1890, et, depuis 1890, 
M. Carvalbo qui pour la seconde fois préside auxdes- 
tinées de TOpéra-Comique de même que jadis il avait, 
pardeuxfois aussi, tenu dans ses mains la fortune 
du Théâtre Lyrique. 



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CHAPITRE II 

L'OUTBBTDBE du NpDVBAO THÉÂTRE 

La 34T représenlatioD dU Pr^ aux Clercs. 

. 1840. 



La loi autorisant la reconstruction de la salle Fa- 
vart avait été votée à la Chambre des députés, le 
22 juillet 1839, à la majorité de 155 voix contre 80, et 
à la Chambre des Pairs, le 1" aoiSt suivant, à la ma- 
jorité de 64 voix contre 44. Un rapport officiel avait 
estimé à 3,200,000 francs le devis de reconstruction 
avec suppression de la maison faisant face au boule- 
vard, pour laquelle une indemnité d'un million avait 
paru suffisante. Mais on ne s'était pas arrêté & ce 
projet de démolition, d'abord pour réaliser l'écono- 
mie du million en question, puis parce que celte 
maison, dont le rez-de-chaussée formait alors une 
galerie à arcades comme celle qui entoure le Théâtre- 
Français, avait été jugée, à ce titre, très suffisamment 
décorative. 

De toute façon, les travaux d'édification intéres- 
saient assez le public pour qu'il en fût fait de fré- 



18 L'OUTERTOBS DU NOUVEAU THÉATSE 

guentes mentions dans les journaux de l'époque. Dès 

1839, le chantier est en pleine activité. En janvier 

1840, on signale qu' « une forêt de charpente » se 
dresse dans la salle et sur la scène ; même on se 
plaît à annoncer pour le 1" mai l'inauguration, qui 
ne devait en réalité avoir lieu que quinze jours plus 
tard. En mars, on constate la rapidité avec laquelle 
s'élève la construction nouvelle. Déjà « le titre brille 
en lettres d'or sur le fronton qui est achevés, et le 
reporter anonyme ajoute naïvement que « tous les 
mui'S ont été grattés et blanchis à l'extérieur. » 
D'ailleurs, il promène son regard curieux de la cave 
au grenier, et s'arrête là-haut pour relater que « la 
scène est entièrement couverte, et que la salle ne 
tardera pas à l'être également, n 

Enfin, lorsque les échafaudages eurent disparu, le 
public, lui aussi, put s'assurer de visu qu'au dehors 
du moins, le monument nouveau ne différait pas 
sensiblement de l'ancien. On y retrouvait les quatre 
colonnes formant péristyle avec saillie sur la place 
Boiedieu ; le style conservait une simplicité qui pou- 
vait passer pour de la sobriété; il était évident que 
l'architecte, M. Carpentier, n'avait pas dû se mettre 
en frais d'imagination pour donner cette seconde 
édition d'un monument déjà connu. Tout au plus 
avait- il modifié, pour les rendre plus commodes, cer- 
tains services, et obtenu ainsi quelques agrandisse- 
ments. 

En l'absence de merveilles architecturales, on in- 
sistait, aux yeux de la foule ébahie, sur le « soin mi- 
nutieux qu'on prenait à se défendre contre l'ennemi 
naguère victorieux: tout le comble, une grande partie 
de la charpente, les murs de refend, les escaliers et 
les planchers, disait-on, sont en fer. Les procédés de 



1840 19 

galvanisation y ont été presque partout appliqués, 
etc. » Bref, on déclarait qu'un tel monument, i par 
une exception unique à Paris », serait inaccessible 
au feu et par cela même à l'abri de tout danger. On 
sait quel terrible démenti l'avenir réservait à cet 
excès de confiance, à cet optimisme imprudent. Il 
est vrai que la déclaration émanait du directeur lui- 
môme, lequel l'envoya comme une sorte de commu- 
niqué à toute la presse et fit un peu rire à ses dépens, 
car on observa non sans raison que c'était la pre- 
mière fois qu'on entendait parler de murs en ferl 

D'ailleurs on avait reculé devant la solution la 
plus radicale, comme aussi la plus simple ; on n'avait 
point osé s'étendre jusqu'au boulevard des Italiens 
et y transporter la façade. Alors, ainsi qu'aujour- 
d'hui, cette partie de terrain comptait, pour l'occuper, 
une foule de commerçants, parmi lesquels un édi- 
teur, comme il s'en trouve un encore sous les gale- 
ries du Théâtre-Français, Tout ce petit monde n'au- 
rait pas déménagé sans de grosses indemnités, et le 
temps était aux économies. Loin de se laisser expul- 
ser, il arriva même qu'un propriétaire voisio, 
M. Gandot, prétendit, ou à peu près, expulser l'O- 
péra-Comique, dont l'ouverture faillit être indéfini- 
ment retardée. Ce mécontent, fort aviso après tout, 
estima que 1' « on ne s'était pas conformé aux règle- 
ments qui prescrivaient l'isolement des théâtres » et 
soutint son dire en justice avec un bon procès qu'il 
perdit : la Cour en effet se déclara incompétente. 

Lorsqu'enfin le théâtre put ouvrir, le 15 mai 1840, 
la presse, écho du public, se montra généralement 
favorable aux dispositions et à l'ornementation adop- 
tées. Le souvenir de cette salle est encore trop pré- 
sent à l'esprit du lecteur pour que nous en fassions 



20 L'O0TBRTnRE DU NOITVBAU THÉATBB 

une description détaillée. Notons seulement quelques 
particularités curieuses à rappeler. 

Par exemple, le ton général des peintures était 
gris bleuté clair, et les fauteuils, ainsi que les loges, 
étaient garnis en damas bleu. Le plafond, peint par 
M. Gosse, fui déclaré terne el sombre; en revanche, 
on trouva de bon goût « le rideau qui représentait 
toutes sortes de riches étoffes de velours etdePerse», 
avec dorures « sur cuivre estampé, ce qui est plus 
net et plus arrêté comme dessin, o L'éclairage avait 
été l'objet d'essais de modification, comme il arriva 
pour les théâtres de la place du Châtelet, et plus tard 
pour l'Opéra. D'abord on avait voulu se passer de 
lustre, et le remplacer par a des girandoles placées 
tout autour sur le devant des loges et représentant 
des Amours en cuivre doré, portant des gerbes de 
bougiçs. » Leur éclat ayant été jugé insuffisant, on 
en revint au lustre ordinaire, et l'on se contenta, en 
souvenir du projet primitif sans doute, de lui ad- 
joindre une série de petites girandoles à la hauteur 
des cinquièmes loges. Mais c'est la disposition des 
fauteuils et des loges qui paraît avoir causé le plus 
■ d'étonnement. Plusieurs de ces loges étaient à salon, 
(comme en Italie, faisait-on observer), et le i:<alon 
était séparé de la loge par des rideaux de velours bleu, 
le tout éclairé d'ailleurs par un globe en verre dépoli, 
enchâssé dans le mur du corridor sur lequel il pro- 
jetait son autre moitié de lumière. Cette importation 
italienne préoccupait l'opinion d'étrange sorte, et 
l'on est tout surpris devoir combien alors la pudeur 
s'en alarmait, en lisant ces lignes empruntées à un 
journal de l'époque : 

« Nous espérons bien que l'idée des petits salons 
sera cultivée à l'ouverture de la nouvelle salle Favart, 



1840 21 

et qu'on lira sur l'affiche : spectacle en cabinet parti- 
culier, et pourquoi n'ajouterail-on paii : avec autori- 
sation de M. le préfet de police î » 

Quant aux fauteuils remplaçant, d'après une mode 
également importée d'Allemagne et d'Italie, les 
stalles d'autrefois, ils avaient une forme qui ne satis- 
faisait pas pleinement certain critique, puisqu'il 
écrivait qu' « en entrant on croirait voir des invalides 
amputas d'un bras, car chaque fauteuil n'en aura 
qu'un. Ce bras sera en l'air, isolé, sans appui sur le 
siège. On pense que les robes des dames et les jambes 
des messieurs se trouveront au mieux de cette Inno- 
vation; mais alors il faudra n'être jamais fatigué que 
d'un bras, puisqu'il n'y en aura pas un second pour 
reposer l'autre. » 

De tels reproches et autres analogues se rencon- 
trent toujours quand il s'agit déjuger les construc- 
tions nouvelles. Un des plus graves, toutefois, fut 
peut-être celui sur lequel on s'appesantit le moins. 
Il est vrai qu'il s'agissait d'un mal irrémédiable, et 
que force était bien de supporter ce qu'on ne pouvait 
empêcher. 

Ouire l'entrée principale sur la place, une longue 
galerie donnait accès au théâtre en débouchant à 
l'aDgle du boulevard et de la rue de Marivaux. Re- 
marquons en passant que cette galerie a subsisté, au 
moins partiellement, jusqu'à l'époque assez récente 
où l'on eut l'idée malencontreuse de la supprimer. 
C'était une issue qui devenait précieuse en cas d'in- 
cendie, et pouvait alors éviter de grands malheurs. 
Ajoutons qu'au milieu, un salon avait été pratiqué, 
servant de salle d'attente : a Là, nous dit un docu- 
ment du temps, se trouvent des sièges, des tapis, un 
loyer pour l'hiver ; et, aux deux extrémités, sont pla- 



22 l'outebtore d-j nouteau théatrb 

céa les domestiques, séparés des maîtres par une 
barrière. » Cette disposition semblait pratique au 
premier abord; malheureusement, ce corridor n'a 
pu se faire, observe certain journaliste, « qu'en ré- 
trécissant d'autant les corridors intérieurs, ce qui 
produira un effet très fâcheux. » Si fâcheux juste- 
ment, quele théâtre lui dut en partie sa ruine ; car 
c'est faute de dégagements suffisants que le sinistre 
de 1887 eut de si terribles conséquences. Mais, en 
1840, on se croyait, comme nous l'avons dit, à l'abri 
de toute chance d'incendie, et, la salle ayant été gé- 
néralement trouvée i belle », on ne se montra pas 
trop sévère pour l'architecte et on lui pardonna son 
peu d'économie, car il avait de beaucoup dépassé les 
prévisions du devis. C'est l'usage, 

Si l'on recherche quelle était à cette époque la 
situation de l'art musical en général et de l'Opéra- 
Comique en particulier, il faut convenir qu'elle offrait 
plus d'un point de ressemblance avec l'état de choses 
actuel. Les difficultés étaient grandes, et les chefs- 
d'œuvre rares, 

Certes, l'Opéra brillait d'un assez vif éclat; mais 
après une grande marche en avant devait se produire 
inévitablement un temps d'arrêt, La vieille école, 
celle de Gluck, de Sacchini, de Bpontini, de Lesueur, 
de Méhul, de Cherubini, s'était éclipsée devant la 
nouvelle, qui comptait dans ses rangs Rossini, Auher, 
Meyerbeer, Halévy. Aux formes sévères, majes- 
tueuses, mais un peu froides de l'opéra ancien, suc- 
cédait la manière plus libre, plus passionnée, plus 
brillante de l'opéra moderne. Le romantisme, alors 
dans sa fleur, avait renouvelé le monde littéraire, et 
étendait son action sur le monde musical. La tragé- 
die cédait le pas au drame et les librettistes cessaient 



1840 33 

de puiser leurs inspirations scéniques aux seules 
sources de l'antiquité. Ainsi étaient nés, en l'espace 
de moins de dix ans, la Muette de Porlici (1828), Guil- 
laume Tell (1829), Robert le Diable (1831), la Juive 
(1835), les lîuguenots (1836). 

Pendant ce temps, l'Opéra-Comique luttait contre 
une double et rude concurrence : la Renaissance et 
les Italiens. Le premier de ces deux théâtres s'effor- 
çait d'attirer la foule par la variété de ses spectacles, 
car on y donnait tour à tour des drames exclusive- 
ment littéraires comme Ruy Blas, et des ouvrages 
musicaux comme Lucie de Lammermoor. Le second 
avait depuis le dix-huitiéme siècle une clientèle as- 
surée, qui se recrutait, nombreuse et puissante, 
parmi les partisans de la mode italienne, les adeptes 
de la science vocale, les amis du chant orné, plus fait 
pour les talents du virtuose que pour la vérité de 
l'action. 

De plus, l'Opéra-Comique traversait, non pas une 
crise, mais une période de transition. Boieldieu et 
Hérold étaient morts, laissant pour héritiers Adam et 
Halévy ; il ne fallait rien moins que la fortune d' Auber 
pourmainteniraubeauâxe le baromètre du succès. Or, 
à ce moment, le genre môme de l'opéra-comique était 
battu en brèche. On se croit très hardi de nos jours 
en attaquant un théâtre dont on est trop disposé à 
méconnaitre la gloire et les services. On ne fait en 
cela que se souvenir et répéter, avec plus ou moins 
d'à-propos, ce que disaient cinquante ans auparavant 
des critiques grincheux ou des artistes curieux et 
avides de formes nouvelles. 

Dès l'année 1832, nous trouvons dans un numéro 
du Figaro cette phrase typique qui pourrait encore 
aujourd'hui figurer dans certains bulletins du même 



24 l'odtbrtdse du noutbad théâtre 

journal ; i II n'y a pas de pays où le préjugé se dé- 
trône plus diCfl^ileraent qu'en France. L'opéra-comique 
est un genre éminemment national ; voilà une des 
idées les plus invétérées, une des plaisanteries qui 
se perpétuent le plus volontiers. » Tro'is ans plus 
tard, rendant compte d'un ouvrage en trois actes in- 
titulé le Portefaix, paroles de Scribe, musique de 
Gomis, Berlioz déplorait le sort des compositeurs 
qui, « ne pouvant élever le public de l'Opéra-Oomique 
jusqu'à eux, descendent jusqu'à lui et font de la mu- 
sique qui ti deviendra populaire » et que « joueront 
les théâtres de province ». Théophile Gautier 
s'exprimait, lui, avec une franchise bien plus rude 
encore : « Nous n'avons aucune tendresse à l'endroit 
de l'opéra-comique, genre bâtard et mesquin, mé- 
lange de deux moyens d'expression incompatibles, 
où les acteurs jouent mal sous prétexte qu'ils sont 
chanteurs, et chantent faux sous prétexte qu'ils sont 
comédiens. > 

Voilà ce qu'on écrivait à une époque où Auber et 
Adam n'avaient pas fourni encore la moitié de leur 
carrière, où Ambroise Thomas commençait la sieniie, 
où l'avenir tenait en réserve des maîtres comme 
Gounod, Félicien David, Victor Massé^ Bizet et tant 
d'autres. Qui sait si les attaques du temps présent 
réussiront plus que celles du temps passé ! Il suffit 
du hasard d'une bataille pour faire pencher la fortune 
d'un côté ou de l'autre ; car, au théâtre comme en 
littérature, les défauts viennent des œuvres et non 
du genre. 

A ce point de vue, la récolte de 1839 avait été mé- 
diocre; on avait monté dix ouvrages, et pourtant on 
osait accuser la direction de paresse et d'oisiveté! 
U sufâsait que dans ce tas on n'eût pas trouvé une 



1840 25 

perle, pour qaie les critiques décochaaaent leurs traits 
& M. Crosnier, le directeur en titre, et à M. Cerfbeer, 
son associé. Le premier était ûls d'un concierge, le - 
second appartenait à la religion iaraélite, comme l'iû- 
dique son nom. Il n'enfalkit pas davantage pour que 
la presse hostile prétendit les renvoyer sans cesse, 
l'un « à la loge paternelle », l'autre i au ghetto ». 

L'année 1840 paraissait commencer à peine sous 
de plus heureux auspices. On jouait avec de miuces 
recettes un soir le Domino noir, et le lendemain Eva, 
arrangement fait par Girard, le chef d'orchestre, d'un 
opéra réputé alors en Italie sous le nom de Nina, 
musique de Coppola. Autour de ces deux ouvrages 
gravitaient quelques petites pièces en un acte, la plu- 
part récemment données, comme Polichinelle, de 
Montfort, les Travestissements, de Grlsar, le Panier 
fleuri et la Double Echelle, d'Ambroise Thomas, la 
Symphonie, de Olapisson. Cependant la date du 
11 février 1840 pourrait compter parmi les grandes 
dates de .l'Opéra-Comique : c'est celle d'une pièce 
qm a fait siuon le tour de l'Europe, comme le dra- 
peau qu'elle met en scène, du moins son tour de 
France, car il est peu de villes de province où l'on 
n'ait plus ou moins représenté la Fille du Régiment. 
Combien savent aujourd'hui qu'à l'origine ce fut à 
peine un demi-succès I 

Le peu de réussite de celte œuvre charmante, dont 
nous aurons Toccasion de reparler plus tard, se trouve 
confirmé d'ailleurs par le peu d'intervalle qui la sé- 
pare de la suivante: la Fille du Régiment date du 
1 1 février ; Carline, d'Ambroise Thomas, date du 24. 
C'était le quatrième ouvrage de ce composileur, 
jeune alors, et destiné à tenir une grande place dans 
l'histoire de la musique contemporaine. La Double 



,,-^iL 



36 l'odvbrturb dd nouveau th&itkb 

échelle (1 acte, 1837), le Perruquier de la Régence 
(3 actes, 1838), le Panier fleuri (1 acte, 1839), avaient 
été accueillis favorablemeiit; Carline aussi fournit 
une carrière honorable, mais nï fut point l'objet de 
reprisea par la suite. Dans cette pièce débutait 
M"* Henri Potier, artiste douée d'une agréable voix 
et d'une intelligence scénique qu'elle pouvait tenir 
de famille ; car elle était la belle-fiUe de Potier, le 
comédien bien connu, la allé d'une ancienne coryphée 
de l'Opéra, et enfin, nous apprend un journal séiieus, 
■ la nièce de cette eicellente Minette qui a fait si 
longtemps les délices du Vaudeville, n En outre, 
pour s'attirer les bonnes grâces du public, elle possé- 
dait la beauté, et te Figaro d'alors n'hésite pas à la 
proclamer « la plus complètement jolie qui soit dans 
les théâtres parisiens. « On disait d'elle : C'est Anna 
ThilloD en gras et Jenny Colon en maigre 1 

Deux petites pièces en un acte marquent la an du 
séjour de l'Opéra- Comique à la place de la Bourse: 
l'Élève de Presbourg, paroles de feu Vial et Théodore 
Muret, musique de Luce Varie! (24 avril), et la 
Perruche, paroles de Dupin et Dumanoir, musique 
de Clapisaon (28 avril). De ces deux opuscules, le 
second est le plus important si Ion considère le nom 
et le talent de ses auteurs ; mais le premier est le 
plus curieux, s'il est vrai, comme nous avons tenté 
de le démontrer ailleurs, que Richard Wagner ait 
trouvé là l'idée première, le nœud de l'intrigue au- 
tour de laquelle se joue sa comédie musicale, tes 
Maures Chanteurs de Nuremberg. 

Quoi qu'il en soit, l'intérêt de ces divers spectacles 
n'était point suffisant pour attirer la foule, et dans 
les derniers temps du séjour de l'Opéra-Gomique à 
la place de la Bourse, il arriva de jouer parfois 



1840 S7 

presque devant les banquettes. A la date du 17 mars, 
nous relevons sur le livre des recettes la somme 
totale de 463 fr. 75 avec Eva et la Fille du Régiment. 

Cependant, les travaux de reconstruction tou- 
chaient à leur fin ; on s'occupait de sécher les murs 
au moyen de <i grands réchauds», nous dit-on, et les 
tapissiers plantaient leurs derniers clous. Les direc- 
teurs avalent hâte d'occuper un immeuble où l'attrait 
du nouveau pouvait amener l'élévation des recettes. 
Avec le Domino noir et la Fille du Régiment ils don- 
nèrent le 30 avril leur dernière représentation dans 
l'ancienne salle, et, le 16 mai, leur première repré- 
sentation dans la nouvelle, après quinze jours de 
relâche. Cette fois l'Opéra-Comique abandonnait 
définitivement la place de la Bourse, et le théâtre où 
il avait séjourné pendant huit ans allait abriter le 
Vaudeville, jusqu'au jour où, frappé par l'expro- 
priation, il dut tomber sous la pioche des démolis- 
seurs. 

C'est avec la 347* représentation du Pré aux Clercs 
qu'eut lieu l'inauguration de la seconde salle Fa,yart. 
On avait hésité quelque peu avant de choisir ce 
spectacle. Tout d'abord, on avait compté sur l'œuvre 
nouvelle de Scribe et d'Auber, Zanetta ; diverses 
causes en avaient retardé l'apparition : une indispo- 
sition de madame Rossi, et la crainte de ne pas voir 
se renouveler l'engagement de madame Damoreau, 
grave affaire qui avait presque amené les auteurs à 
retirer leur pièce. Alors on avait imaginé de com- 
biner un ouvrage en trois actes, dont le second au- 
rait été rempli par des airs empruntés aux musiciens 
les plus célèbres, projet qui se réalisa quelques mois ■ 
plus tard, sous le nom de l'Opéra à la Cour, Un mo- 
ment on avait songé à composer un Prologue d'ouoer- 



,,-^iL 



28 L'onVBHTDBB DD NODTBAU THÉÂTRE 

titre. Puis on avait parlé de remonter !e Pré aux 
Clercs, en intercalant au second acte, dans la fête 
chez la reine, une sorte de concert où les principaux 
artistes du théâtre se seraient produits tour à tour. 
Enfin on se décida pourie Pré aux Clercs, sans addi- 
tion d'aucune sorte, et tel que l'avait écrit Hérold. 

On ne pouvait mieux faire. Car, dans le répertoire 
de l'Opéra- Comique, il n'est peut-être pas d'œuvre 
plus complètement réussie, mieux appropriée au 
cadre choisi, plus conforme surtout par le ton du 
livret et le tour de la musique au caractère et au 
goût français. La Dame Blanche elle-même n'a pas, 
à un tel degré, cette allure élégante, cet accent, non 
pas héroïque, mais chevaleresque, qui fait de Mergy 
le type du Français brave, amoureux, loyal et vain- 
queur. C'est, sans doute, une des causés qui ont 
rendu cet opéra si populaire chez qpus, tandis qu'il 
était relativement peu goûté à l'étranger. En Alle- 
magne, le Pré aux Clercs, joué sous le nom de der 
Zvieikampf {le duel), n'est jamais demeuré au réper- 
toire. A Naples, où nous nous trouvions il y a une 
quinzaine d'années, lorsqu'on l'y monta pour la pre- 
mière fois, le succès fut médiocre ; et une tentative 
à Londres, à une date plus rapprochée, ne lut pas 
beaucoup plus heureuse. 

Représenlé pour la première fois le 15 dé- . 
cemhre 1832, (e Pré aux Clercs ne comptait donc au 
16 mai 1840 que huit années d'existence, et déjà 
toute la troupe s'était renouvelée ; car dans cette re- 
prise solennelle ne figurait aucun des artistes de la 
création. A titre de curiosité rétrospective, voici 
quelle était cette nouvelle distribution: MM. Roger 
(Mergy), Moreau-Sainti (Comminges), Mocker 
(Oantarelli), Henri (Girot) ; M"" Rossi (Isabelle), 



1840 29 

Prévost (la reine). M" Henri Potier (Nicetle),' 
Au reste, le talent des interprètes demeura le plus 
sérieux attrait de cette soirée d'inauguration qui, 
dans sou ensemble, fut assez peu solennelle. Ni la 
ville, ni l'Etat ne s'étaient mis en frais. On n'y vit 
ni souverains, ni représentants étrangers, ni lord- 
maire précédé de hérauts d'armes et flanqué de trom- 
pettes aux costumes d'un autre âge. Les choses se 
passèrent le plus simplement du monde. On s'était 
contenté de doubler pour la circonstance Je prix des 
places, et d'attribuer, par un louable sentiment de 
charité, le bénéfice de la représentation aux pauvres 
du deuxième arrondissement. Ils n'en furent pas 
d'ailleurs beaucoup plus riches, car on constata, non 
sans regret, que le spectacle avait attiré moins de 
monde qu'on ne s'y attendait, h Une demi- 
chambrée! » dit le Courrier des Théâtres. Cette 
« demi-chambrée » réalisa d'ailleurs une somme 
de 5,676 francs. 

Et cependant la direction avait tout mis en œuvre 
pour attirer la fouîe ; elle avait été jusqu'à faire ré- 
pandre, le matin de l'ouverture du théâtre, une petite 
brochure servant de prospectus pour la saison et 
éuumérant avec complaisance tous les avantages et 
mérites de la salle nouvelle. Cette pièce curieuse et 
rare nous a été communiquée avec bien d'autres, par 
les soins obligeants de M. Nuitler, le spirituel et 
érudit archiviste de l'Opéra, et nous la citons pour 
avoir le droit d'y relever un détail typique et bien 
amusant. Après les éloges donnés sans mesure au 
chauffage, à la ventilation, à la sonorité, on lit: 
« Un cordon de sonnette placé dans chaque salon 
évitera aux personnes qui l'occuperont la peine de se 
déranger pour demander des rafraîchissements qui 

„■ ... .Coo'^lc 



30 L'onVEHTnHB DU NOUVEAU THÉATBS 

leur seront fournis par un des meilleurs cafés de 
Paris, n Ce genre de raffinement ne s'est pas renou- 
velé de nos jours : comme on le voit, on avait pensé 
à tout I 

On avait même pensé tout d'abord à ne pas élever 
le prix ordinaire des places, et nous empruntons en- 
core à ce prospectus officiel le tableau suivant, qui 
nous donne les tarifs de l'époque : 

7 fr. 50 : Loges de première galerie avec salon ; 
premières loges de face avec salon ; avant-scène de 
baignoires, d'entresol, de première galerie. 

6 francs : Fauteuils et stalles de balcon ; loges de 
première galerie sans salon ; premières loges de face 
sans salon ; 

5 francs : Fauteuils d'orchestre et de première 
galerie; stalles de baignoire; avant-scène des pre- 
mières loges ; baignoires avec ou sans salon ; 

4 francs : Loges de côté ; avant-scène des loges de 
deuxième galerie ; 

3 francs : Deuxième galerie ; 

2 fr. 50: Parterre ; loges de deuxième galerie de 
face ; avant-scène des troisièmes loges ; 

2 francs ; Loges de deuxième galerie de côté ; troi- 
sièmes loges; 

1 franc : Amphithéâtre. 

Nota. — Les prix ne seront augmentés pour la lo- 
cation que de un franc par place, pour les places au- 
dessus de trois francs, et de cinquante centimes pour 
celles au-dessous. 

Ces prix se sont élevés avec le temps, mais non pas 
toutefois dans la proportion que l'on pourrait sup- 
poser. Les charges aussi étaient moindres, bien qu'il 
fallût payer à l'État une somme de 110.000 francs 
pour amortir les frais de construction de cette non- 



1840 31 

velle salle, qui avait coûté près de 1,600,000 fraucs. 

9i aride que soit la lecture des chiffres, nous n'hé- 
sitons pas à publier les suivants, trouvés dans un 
document de l'époque, et qui nous ont paru intéres- 
sants, ne serait-ce que par comparaison avec le temps 
présent. Nous ne les donnons du reste que sous bé- 
néfice d'inventaire, car quelques-uns nous paraissent 
d'une élévation assez invraisemblable. 

C'est d'abord, avec les appointements, le tableau 
de la troupe dans les derniers temps du séjour à la 
place de la Bourse : 

MM. Chollet, 25,000 fr. ; Marié, 20,000; Masset, 
15,000; Roger, 12.000; Mocker, 12,000; Couderc, 
10,000; Moreau-Sainti, 10,000; Henri, 10,000; Gri- 
gnon, 8,000; Ricquier, 6,000. 

M"" Eugénie Garcia, 78,000 (!) ; Cinti-Damoreau, 
60,000; Rossi, 20,000; Borgbèse, 20,000; Prévost, 
15,000; Boulanger, 10,000; Berthault, 6,000; Potier, 
6,000. 

Si l'on y ajoute 10,000 francs pour « petits appoin- 
tements », on verra que le service du chant coûtait 
345,000 francs. 

Voici, toujours d'après la même source, les autres 



Chœurs, 40,000 francs; orchestre, 60,000; copie, 
12,000 ; mise en scène, 30,000 ; loyer, 60,000, ou plus 
exactement 68,000 francs, comme l'indique un rap- 
port lu à la Chambre des députés dans la séance du 
4 juillet 1839. Assurance, patente, frais d'adminis- 
tration, 25,000; gardes, affiches, gagistes, 30,000: 
total : 257,000 francs. 

En additionnant 345,000 et 257,000, on arrive à la 
somme de 602,000 francs qui représente le montant 
des dépenses. 



32 l'ouvertdre du hodtead théâtre 

Les bénéfices se composaient de la recette journa- 
lière et d'une subvention de 240,000 francs fournie 
par l'Etat, plus 20,000 francs donnés par le Roi pour 
ses loges. Total : 260,000 francs. 

Quant à la société fondée pour la reconstruction et 
l'exploitation de la salle Favart, voici comment elle 
était constituée : deux associés directeurs, MM, Cros- 
nier etCerfbeer; un bailleur do fonds, M. Leroux, 
ancien agent de change. Ici même nous transcrivons 
le document en sa teneur spéciale : 

Leroux, bailleur de fonds, est en- 
gagé pour une somme de sis cent 
mille francs ci : 600.000 fr. 

A laquelle il faut ajouter cent mille 
écus, montant de l'assurance, et 
que la loi concède aux rebâtis- 
seurs ci : 300.000 fr. 

Plus cinquante mille écus, formast 
l'intérêt que prend M. Cerfbeer 
dans la spéculation ci : 150.000 fr. 

Pareille somme formant l'intérêt 
qu'y prend M. Crosnier. ... ci : 150.000 fr. 



1.200.000 l 



Tous comptes faits, il fallait un succès pour rem- 
plir cette salie, dont la seule nouveauté n'était pas 
auprès du public un attrait suffisant. Et d'abord on 
crut le tenir avec l'œuvre tant attendue de Scribe et 
d'Auber, Zanetta ou Jouer avec le feu, qu'on avait ré- 
pétée avec ce premier sous-titre : Il ne faut pas jouer 
avec le feu. La première représentation de cet opéra- 
comique en trois actes eut lieu le 18 mai, c'est-à-dire 



1840 33 

le troisième jour après l'ouverture du théâtre, avec 
la distribution suivante : MM. Mocker {le Roi), Cou- 
derc (Rodolphe de Montemart), Grignon {le baron), 
Emon (Ruggieri), 8ainte-Poy, début (Dionigi), Haus- 
sard, début (Tchircossire) ; M"" Rossi [Nisida), Cioti- 
Damoreau (Zanetta). 

Bien accueilli à l'origiae, l'ouvrage ne se maintint 
pas par la suite et disparut après 35 représentations. 
Il ne compte en effet ni parmi les plus importants 
ni parmi les plus remarquables de son auteur, et l'on 
n'en connaît aujourd'hui que la fine et pimpante ou- 
verture. Le sujet, assez singulier, trouva grâce de- 
vant les auditeurs, et l'on ne s'étonna pas d^ voir le 
noble seigneur Rodolphe de Montemart oublier au- 
près d'une fille de concierge, qu'il ne courtisait d'a- 
bord que pour déjouer tout soupçon, son amour pour 
la princesse de Tarente. Quant à la musique, elle 
était telle qu'Auber avait coutume de l'écrire, plus 
ou moins réussie suivant le hasard de l'inspiration, 
mais toujours vive, spirituelle, élégante, ingénieuse, 
cachant sous le masque de la frivolité une science 
véritable et digne de respect. 

Aube» ! c'est la première fois que nous rencontrons 
ce nom, et il faut bien le saluer au passage comme 
celui d'un maître. II est de mode aujourd'hui de le 
critiquer, de le diminuer; il semble qu'on voudrait 
lui faire payer après sa mort la gloire qu'il a connue 
de son vivant. Mais si nous avions à défendre sa mé- 
moire contre l'ignorance ou l'envie, nous invoque- 
rions pour seul témoignage, l'opinion d'un homme 
qui vivait en cette année 1840 à Paris, inconnu, be- 
sogneux, dont l'idéal à coup sûr était bien difTérent, 
qui ne pouvait s'intéresser à cette forme d'art qu'en 
nmateur, en curieux, en philosophe, et dont le juge- 



34 l'odvertdbe du nouveau théâtre 

ment sur ce point n'a pas varié, au début comme à la 
fin de sa vie : Richard Wagner! On sait quelle admi- 
ration il professait pour la Muette de Porlici, tout en 
reconnaissant que l'opéra n'était pas le vrai domaine 
d'Auber; mais sur le terrain de l'opéra-cotnique, il 
le proclamait presque sans rival. C'est lui qui, dans 
la Revue et Gazette musicale- de Paris, écrivait : « 8a 
musique, tout à la fois élégante et populaire, facile 
et précise, gracieuse et hardie, se laissant aller avec 
un sans-façon merveilleux à son caprice, avait toutes 
les qualités nécessaires pour s'emparer du goût du 
, public et le dominer. Il s'empara de la chanson avec 
une vivscilé spirituelle, en multiplia les rythmes à 
l'infini, et sut donner aux morceaux d'ensemble un 
entrain, une fraîcheur caractéristiques, à peu près 
inconnus avant lui, » Cet article remonte au 27 février 
1842; plus tard, malgré les divergences de système, 
malgré les événements, malgré les haines peut-être, 
il pensait encore ainsi. Pour s'en convaincre, il suffit 
de se reporter aux SouuemVs qu'il a consacrés àAuber 
dans la Musikalisches Wochenblatt, à la date du 
31 octobre 1871, c'est-à-dire quelques mois seulement 
après cette fameuse Capitulation qui lui aliéna tant 
de sympathies françaises. 

D'ailleurs, cette estime, il en donnait'la preuve 
dans son langage comme dans ses écrits. M. Joseph 
Wieniawski, le pianiste bien connu, nous a raconté 
qu'en 1860 il s'était rencontré avec lui, un matin, 
chez Auber, alors directeur du Conservatoire. « Je ne 
le connaissais point, nous dit-il ; mais durant cette 
visite, je fus frappé du ton de déférence, presque 
d'humilité, avec lequel cet étranger lui parlaiti » 

Dans Zanetta, deux artistes avaient débuté, dont on 
ne pouvait guère juger le mérite, tant était mince 



1840 35 

l'emploi qui leur était confié ; la critique fit observer 
qu'on leur avait donné de simples rôles de figurants, 
et dans la partition, en effet, nous avons vérifié qu'ils 
n'avaient, bien loin d'un couplet à dire, pas même 
uoe noteà ctiaater! L'un de ces débutants s'appelait 
Haussard, et n'a pas laissé trace de son passage. 
L'autre s'appelait Sainte-Foy et appartient plus que 
personne à l'bistoire de la seconde salle Favart, car, 
entré à ce théâtre presqu'à l'heure où il s'ouvrait, il 
ne l'a quitté qu'à l'heure de la retraite, c'est-à-dire 
après une trentaine d'années de service. Grand, 
svelte, doué d'une physionomie expressive et mobile, 
il possédait une voix sufiisante pour son emploi. 
Elève de Morin, professeur au Conservatoire; il avait 
développé par l'élude les moyens que la nature lui 
avait donnés, et, l'expérience aidant, il ne tarda pas 
à devenir le premier comique de ia troupe: Il savait 
jouer et il pouvait chanter ; à ce double point de vue, 
on le comparerait volontiers à un excellent artiste 
mort récemment, et qui avait appartenu, lui aussi, 
quelque temps à l'Opéra-Comique : Bertbelier. Mais, 
très habile et très intelligent, Bertbelier, vers la fin 
de sa carrière, faisait tailler les rôles à sa mesure ; 
Sainte-Foy les avait toujours pris, bons ou mauvais, 
tels qu'on les lui avait livrés, et it avait en outre le 
don si rare de l'émotion communicative. Que de gens 
n'a-t-il pas l'ait pleurer dans les Papillotes de M. Be- 
noist ? Aussi peut-on le proclamer un des meilleurs 
trials qui furent jamais, très probablement égal, sinon 
même supérieur au fameux acteur du dix-huitième 
siècle, qui avait donné son nom à l'emploi.. 

Son talent fut du reste assez vite apprécié pour 
qu'on comprit le débutant dans la distribution de la 
première nouveauté qui suivit Zanetta : c'était le 

'. ■• ^^ si^ 



36 L'OnvEHTnRE DU NOUVEAU TKtkTRZ 

Cent-Suisse, opéra-comique eo un acte, paroles de 
MM. Duport et X..., musique de M. X..., joué pour 
la première fois le 17 juin 1S40, par MM. Victor {Blan- 
das), Emon (Salïbach), Grignon (Bockly), Sainte-Foy 
(Briolel), M"" Darcier (Louise), Berthault (duchesse 
de Châleauroux). Qu'un auteur garde sur l'affiche 
l'incognito, le fait n'est pas rare; mais ce qu'on 
voit moins souvent, c'est deux auteurs pousser à ce 
point et ensemble la modestie ou la timidité. Au 
reste, ces voiles ne demeurent jamais impénétrables: 
on ne tarda pas à savoir que le librettiste anonyme 
avait nom Edouard Monnais, et le compositeur, prince 
de la Mûsiiowa. Il y avait dans ce petit ouvrage de la 
gaieté, de l'esprit, et quelques mélodies agréables, 
comme les écrivait ce noble amateur, moins connu 
par ses ouvrages dramatiques que par les concerts de 
musique classique qu'il avait organisés chez lui et 
dont plus d'un virtuose de notre temps a dû garder le 
souvenir. La première représentation du Cent-Suisse 
fut favorablement accueillie, et pourtant les inci- 
dents n'avaient pas manqué qui risquaient d'en com- 
promettre l'issue. Dans son feuilleton, la Presse les 
signalait avec aigreur : « C'est d'abord un Cenl- 
Suisse qui a laissé tomber son chapeau, puis des bi- 
joux ; c'est enfin un major qui, après avoir essayé 
vainement de placer son épée dans le fourreau, n'a 
pu y parvenir et a été réduit à la déposer sur un fau- 
teuil, où elle est restée jusqu'à la cbule du rideau. » 
Il n'en faut pas davantage pour mettre une salle en 
belle humeur et compromettre à tout jamais la partie 
engagée. Voici, de plus, un trait qui peint le désin- 
téressement du compositeur : lorsqu'on monta le 
Cent-Suisse, il proposa aux artistes jouant dans sa 
pièce de leur abandonner ses droits d'auteur. Ceux- 



1840 37 

ci furent assez délicats pour refuser cette offre géné- 
reuse ; il y a de nos jours des directeurs qui l'auraient 
acceptée pour eus. 

Bien accueilli, ce lever de rideau tint souvent l'af- 
fiche et accompagna, Dotamment, la première pièce 
montée après lui, cet Opéra à ta Cour, composé en 
vue de l'inauguration de la salle,- et retardé sans 
cesse, cet ouvrage bizarre qu'on avait guali&é de 
pasftccio et qui n'était autre chose qn'uu étrange 
pot-pourri. Qu'on s'imagine un opéra-comique en 
quatre parties, dont la musique était due à la colla- 
boration bien involontaire d'auteurs dont plusieurs 
n'avaient pas été consultés, puisqu'ils étaient morts. 
Il suffit de les nommer, pour montrer quelle idée 
singulière avaient eue les librettistes, Scribe et 
de Saint-Georges, d'associer ainsi Auber, Berton, 
Boieldieu, Dalayrac, Donizetti, MéhuI, Mercadante, 
Mozar l , Ricci , Rossini , Weber , en laissant à 
Orisar et Boieldieu fils le soin de juxtaposer ces 
fragments divers, de combler les vides, de tailler, 
ajuster et broder cet habit d'Arlequin. 

On ne saurait demander l'unité de style à une 
œuvre où se rencontraient notamment l'ouverture 
du Jeune //«nj'f de Méhul, remplacée à partir de la 
troisième représentation par celle des Noces de 
Figaro, un duo â'Elisa e Claudio, de Meicadante, la 
strette d'un quatuor de Bianca e Faliero, de Rossini, 
un chœur du Freischûtz, un air de basse composé 
par Ricci, jeune homme auquel on aurait volontiers 
reproché son admission dans ce cénacle, et dont on 
se moquait d'ailleurs dans les cercles musicaux de 
Tépoque, alors qu'il comptait déjà à son actif Ci-ispmo 
e la Comare (1836), un duo de Don Giovanni, un duo 
de Torquato Tasao, de Donizetti, une romance de 

.^ 8'^ 



38 l'outbrtuhb on nootbau théâtre 

Charles de France, par BoîeIdJeu, et jusqu'au God 
save Ihe QueenI 

11 fallait toute l'habileté mathématique des agents 
de la Société des auteurs pour s'y reconnaître et dis- 
tribuer les dividendes au prorata des droits de cha- 
cun. C'était un méli-mélo musical qui de nos jours 
ferait pousser les hauts cris, mais qu'on acceptait 
alors parce qu'à l'Opéra-Comique même on en avait 
vu bien d'autres, depuis le Baiser etlaQuiUance{\SiiZ), 
Boyard à Mézières (1814), l'Oriflamme (1814), jusqu'à 
la Marquise de BrinmlUers (1831). 

Représenté le 16 juillet, l'Opéra à la Cour obtint 
d'autant plus de succès qu'il était joué par Télite de 
la troupe, savoir : M"" Eugénie Garcia {la prin- 
cesse), Henri Potier (Mina), MM. Henri (le grand- 
duc), Masset (de Woldemar), Roger (prince Ernest), 
ChoUet [Banberg), Ricquier (Cornélius), Victor (le 
grand-écuyer) et Botellî (comte Magous), ce dernier, 
un débutant qui arrivait d'Ralie, doué d'un physique 
agréable et d'une bonne voix de basse chantante, très 
apte en somme à remplir un emploi pour lequel la 
presse depuis longtemps réclamait un titulaire sé- 
rieux, A la chute du rideau, ce fut ChoUet à qui 
revint rhouneur de proclamer le nom des auteurs; 
vu leur nombre, cette formalité devenait une tâche. 
Donc il désigna d'abord comme librettistes MM. Scribe 
et Saint-Georges. « Quant aux compositeurs, ajoutâ- 
t-il en souriant... il serait trop long de vous les nom- 
mer tous ! » 

On ne pouvait critiquer la partition plus ûnement' 

Deux reprises succédèrent à cette œuvre nouvelle : 
la Neige, d'Auber, le 11 août, et Joconde, de Nicolo, 
le 26. 

La première avait pour objet de faire briller une 



1840 39 

nouvelle étoile, qu'Auber, toujours en quête d'a- 
gréables minois, n'avait pas manqué de découvrir à 
la Renaissance, oii elle avait débuté. Elle s'appelait 
Anna Tbillon, et ravageait les cœurs, dit la chro- 
nique, plus encore qu'elle ne charmait les oreilles, 
possédant à la fois et le talent et la beauté. Auglaîse 
d'origine, elle avait conservé de son pays natal un 
léger accent qui ne déplaisait pas, et l'on s'accordait 
à reconnaître qu'elle représentait « le juste milieu 
entre la vocalisation élégante, la méthode exquise de 
M°" Cinti-Damoreau, et la grande et large manière 
de M"»* Eugénie Garcia. » Dans sa curieuse P/ty- 
siologie des Foyers, S. Arago nous la montre t toul 
auréolée de grâce, de minauderie, de talent... et de 
vanité. M"' ThilloB, dit-il, est jolie comme une jolie 
vignette de Thompson, de Johannol ou de Ga- 
varni} son organe est doux, douce aussi est sa physio- 
nomie, et cependant on la fuit, ou l'évite. Pourquoi? 
C'est que plus on a de mérite, plus il faut de modes- 
tie pour se le faire pardonner ; c'est qu'il est des po- 
sitions tellement équivoques... » Et le malicieux 
critique ajoutait ! « Voici M. Auber qui passe ; il la 
regarde en souriant... Demain M"' Thillon chantera 
à ravir I » 

Et la bienvenue, en eifet, lui fut payée par Auber, 
sous forme d'un air qu'il composa en son honneur, 
et qu'il intercala au dernier acte de celte Neige qui 
datait de 1823 et que depuis 1840 on n'a plus revue. 

La seconde reprise, celle de Joconde, s'expliquait, 
non par la présence d'une artiste, mais par la valeur 
même de l'œuvre, l'uue des plus réussies parmi celles 
de l'ancien répertoire. Elle assure, en efTet, la renom- 
mée du compositeur Nicole, et sauve de l'oubli la 
mémoire du librettiste Etienne, cet écrivain poli- 



40 l'odtbrtdbb dd nouveau thé&tre 

tique et auteur dramatique qui finit dans la peau 
d'un pair de France. A propos de ce dernier, il est 
piquant de rappeler que ses opinions lui inspirèrent 
au moins une fois dans sa vie certaine prudence 
voisine de la peur. C'était en 1814, on devait donner 
Joconde pour la première fois ; non seulement Etienne 
se tint coi pendant les répétitions, mais il laissa 
même attribuer à d'autres, à Alexandre de Ségur, 
par exemple, la paternité du poème; la pièce même 
représentée, il ne voulut pas être nonuné, tant il 
craignait qu'une cabale ne fût organisée contre lui, 
et qu'on ne se vengeât du publiciste en sifflant son 
ouvrage. Il ne fallut rien moins que le succès bien 
et dûment constaté pour le rassurer, et ce n'est qu'à 
la septième représentation qu'il invita le régisseur à 
imprimer le nom d'Etienne sur l'affiche. Au reste, ce 
travail lui avait coûté quelque peine, si l'on en croit 
certaine légende^ d'après laquelle il se serait arrêté 
au seuil du second acte, ne sachant qu'imaginer pour 
le remplir. Or, un jour, il partit pour la campagne 
avec un de ses amis fidèles, M. Oauglrand; tous deux 
arrivèrent à Suresnes, où l'on couronnait une ro- 
sière. La curiosité les prit d'aller aux renseigne- 
ments, et ils en recueillirent plusieurs où la médi- 
sance avait bonne part. Ce fut un ti'ait de lumière 
pour Etienne : Jeannette et le bailli étaient trouvés, 
et tout l'acte avec eux. C'est ainsi, a dit un moraliste, 
que les auteurs et leurs ouvrages sont soumis au 
caprice du hasard. On pourrait ajouter, il est vrai, 
.que la fortune favorise surtout les habiles, et que le 
bénéfice de ces sortes de chances est en raison directe 
du parti qu'on sait en tirer. 

Quant à Nicolo, cette reprise de Joconde vint fort 
à propos signaler à l'attention une omission regret- 



1840 41 

table commise par l'architecte. Il avait orné le foyer 
de médaillons où âgurail le portrait des principaux 
compositeurs qui avaient travaillé pour l' Opéra- 
Comique ; il avait simplement oublié Nicolo! Le 
public s'en émut, et la presse, âdële écho de l'opi- 
nion, protesta non sans vivacité. « Un tel compo- 
siteur, écrivait-on, mérite une place dans cette ga- 
lerie, à moins que le jugement de M. le directeur 
De l'emporte sur tant d'autres : celui de Midas a 
sa célébrité ! > Au mois de novembre, enfin, on 
s'occupa de combler cette lacune : mais, comme on 
ne pouvait, vu le plan général de la décoration, 
augmenter le nombre des médailloue, il fallut pro- 
céder par voie de substitution, et ce fut le pauvre 
Paër qui paya les frais de campagne : l'auteur du 
Maître de Chapelle dut céder sa place à l'auteur de 
Joconde. 

Pendant l'automne de 1840 deux pièces virent le 
jour, dont on connaît à peine le titre maintenant : 
VAuloinale de Vaucanson et la Reine Jeanne, répétée 
d'abord sous le titre de Jeanne de Naples. En relisant 
le nom de leurs auteura, il est curieux de noter que 
dans l'une et dans l'autre se retrouvent le même 
librettiste et le même compositeur. Les deux ou- 
vrages donc sortaient presque des mêmes mains, et 
ils furent donnés presque à un mois d'intervalle! 
C'est ce que de notre temps on appellerait presque un 
abus. 

L'Automate de Vaucanson, opéra-comique en un 
acte, paroles de de Leuven, musique de Luigi Bor> 
dèse, fut représenté pour la première fois le 2 sep- 
tembre, avec Grignon (Vaucanson), Mocker (de 
Lancy), Ricquier (Landry) et M"» Darcier (Marie). 
Le livret n'est pas sans intérêt, car il présente 



43 L'OOTERTiniE DU NOUVEAII THÉATHE 

une sérieuse anologie avec le scénario de Coppétia. 
l'œuvre charmaote de MM. Nuitter et Léo Delibes. 

Moins original était celui de la Reine Jeanne, opéra- 
comique en trois actes, paroles de de Leuven et 
Brunswick, musique de Monpou et Bordèse, jouée 
pour la première fois le 12 octobre {et non le 2, 
comme l'indique Clément dans sou Dictionnaire 
lyrique], avec Botelli (de Tarenie}, Grignon (Durazzo), 
Mocker (Lillo), Emon (d'Urbino), Daudë (Pietro), 
M""' Eugénie Garcia (Jeanne), Darcier (Pepa). Ce 
livret, qui mettait en scène, comme la Muette de 
Portici, un épisode de l'histoire napolitaine, des com- 
plots et une révolution, manquait de la gaieté oéces- 
saire il un opéra-comique. Ce sujet, d'ailleurs, avait 
été exploité déjà, et plus justement, sur d'autres 
théâtres, avec une tragédie de La Harpe et un drame 
de Paul Foucher. Quant k la musique, elle était for- 
cément inégale, telle en somme qu'où pouvait l'at- 
tendre de ces deux associés de circonstaiice, dont les 
genres de talent ne semblaient pas convenir k une 
collaboration. Ce travail à deux n'était pas rare alors, 
et l'on en trouverait dans le répertoire de l'Opéra- 
Comique bien des exemples; il est moins fréquent 
aujourd'hui, et l'on ne citerait guère qu'une œuvre 
née dans de telles conditions ; c'est la Source, de 
Minkous et de Léo Delibes, un ballet que l'Opéra 
semble dédaigner, mais qui est resté au répertoire 
des théâtres italiens et se joue encore à l'étranger 
sous le titre de Naîla. 

En revanche, il s'est produit de tout temps des col- 
laborateurs rapprochés: l''par les liens de la famille, 
comme Louis et Jean-Louis Lully, auteurs ieZéphire 
et Flore (1688), Foignel père et fils, auteurs de Ray- 
mond de Toulouse (1802), Méhuî et Daussoigne, les 



1S40 43 

frères Ricci, et de notre temps, lea frères HîHema- 
cher; 2° par l'habitude et ramjtié, comme Rebel et 
Francœur jadis, comme MM. Dauphia et Blanc au- 
jourd'hui ; 3° par la mort, qai obligeait l'un à termi- 
ner le travail de l'autre : c'est ainsi que le Ludovic 
d'Hérold a été achevé par Halévy et le Noé d'Halévy 
achevé par Bizet. 

Cependant l'année 1840 touchait à sa fin, et les 
recettes continuaient à se maintenir dans une hono- 
rable moyenne. Le 12 novembre la Neige fit placé à 
Lestocq, et M"" Anna Thillon fut de cette reprise 
comme elle avait été de l'autre. Lestocq ne compte 
point parmi les meilleurs ouvrages d'Auber; il est de 
ceux « qu'on peut ranger, disait un critique, dans la 
catégorie des homélies de l'archevêque de Grenade ». 
A ce sujet nous avons noté dans la Reçue et Gazette 
mufiicole une étrange remarque, propre à faire sou- 
rire les compositeurs deoos jours : « Il nous souvient 
que nous trouvant dans la loge de Boieldieu à la pre- 
mière représentation de Lestocq, notre illustre et na- 
tional compositeur approuvait chacun des morceaux 
de la voix et du geste, sans doute par position et par 
suite aussi de cette bienveillance universelle qui le 
caractérisait. Cependant, un passage dans le finale 
du premier acte lui arracha une grimace involon- 
taire. Ce passage, qui est aussi dans l'ouverture, est 
celui qui fait entendre un fa dièze en forme de neu- 
vième ou d'appogiature perçante que se renvoient les 
premiers violons, les voix et les violoncelles en imi- 
tations. Il faut que cette licence harmonique en 
petites notes soit d'un effet bien crû pour qu'elle 
ait dérangé la figure approbative et douce de ce 
pauvre Boieldieu. » Le temps a marché ; une telle 
hardiesse ne nous épouvanterait plus : notre cœur 



44 l'ouvertdrb do nouvbad théâtre 

est devenu moins sensible ei noire oreille aussi. 

La dernière nouveauté de l'année fut une pièce 
qui ne tient point une grande place dans l'œuvre de 
son auteur, la Rose de Péronne, d'Adolphe Adam, pa- 
roles de de Leuven, et d'Eonery, représentée le 
17 décembre. 

Les indiscrétions de coulisses n'avaient pas été fa- 
vorables à cet ouvrage ; voici ce qu'on disait dans une 
revue sérieuse, deux mois avant la représentation: 
a L'guvrage de M. Adam, qui était en répétition à 
rOpéra-Comique, ne sera probablement point re- 
présenté. 1! paraîtrait que ies artislesont trouvélamu- 
sique de cet opéra trop faible et que la direction a prié 
l'auteur de refaire sa partition. » Voilà quelles injures 
on lançait h la face d'un musicien qui comptait alors 
à son actif le Chalet et Je Postillon de Lonjumeau! 
C'est à peine si l'on serait plus cruel aujourd'hui. 

La représentation ne Bt que réaliser ces sombres 
pronostics : on sîfQa. Le lendemain, la presse ne mé- 
nagea point ses sévérités. 

u II a manqué, disait l'un, de verve et d'originalité. 
Lui qui entend, qui comprend l'opéra-comique, qui 
a fait ses preuves, quiaobienu de brillants et légi- 
times succès en ce genre, a été triste et lent. Rien de 
vaillant dans sa partition. » ~- a Voilà, disait un autre, 
les suites de la mauvaise route qu'il a prise en écri- 
vant le Postillon, ouvrage qui a obtenu un succès si 
fatal pour lui, comme artiste (!). C'est une leçon dont 
les jeunes compositeurs devraient profiter (M). » Un 
troisième enfin se montrait ironique. On se rappelle 
que l'hiver de 1840 fut exceptionnellement rigou- 
reux : de là cette appréciation : « Grâce aux acteurs, 
laRose de Péronne pourra vivre quelque temps dans 
la salle de l'Opéra-Comique, à moins que l'influence 



1840 45 

de la saison ne se fasse trop viveinent sentir. L'hiver, 
oa le sait, n'est pas la saison des roses... « 

L'un des résultats les plus clairs de cette soirée lut 
d'écarter les éditeurs auxquels le musiciea présenta 
vainement sa partition. Dans son Dictionnaire ly- 
rique. Clément nous apprend que « l'iDstrumentatioa 
porte l'empreinte de cette manière légère et de cette 
ingéniosité qui tenaient lieu de style chei ce com- 
positeur. » Pour qu'il s'exprimât ainsi, il fallait qu'il 
eût entendu l'œuvre à la scène, car il n'en a pu juger 
d'après la lecture : ni la partition d'orchestre, ni la 
partition pour piano et chaut n'a paru, et c'est à 
grand'peine que les principaux morceaux en furent 
publiés, sous forme de morceaux détachés. 

A cette pauvre Rose de Péronne, un souvenir se 
rattache ; c'est le dernier ouvrage en effet créé à 
l'ppéra-Comique par M°* Damoreau; la prise de 
possession de ce lôle avait amené entre l'artiste et 
la direction des dissentiments qui abautirent quelques 
mois plus tard à une retraite déSnillve. Toutefois, 
par une sorte de compensation, l'arrivée d'une débu- 
tante adoucit un peu la rigueur de cette perte :. le 
10 décembre parut dans la Fille du Régiment une 
jeune fille dont le talent souple et varié devait rendre 
de grands et longs services à la maison où il se pro- 
duirait. Fille d'un danseur du Grand- Théâtre de 
Lyon, M"' Révilly venait de quiller le Conser- 
vatoire avec un premier prix de chant et un pre- 
mier prix d'opéra. On ne fut pas longtemps à s'a- 
percevoir qu'elle avait, outre une belle prestance, 
des cheveux noirs magnifiques et uLe figure noble- 
ment expressive, une voix pure et une intelligence 
peu commune. Dès le premier jour sa place était 
marquée au théâtre et l'avenir ae fit que confirmer 



46 l'odtsrtdhb du nodvb&u théâtre 

les promesses qu'à l'origiDe elle avait données. 
Au seuil de l'anaée qui vient on dresse habituelle- 
ment le bilan de l'aunée gui s'en va, et ce bilan, dans 
les questions théâtrales, c'est le répertoire des pièces 
jouées et le chiffre des receltes encaissées. Le tableau 
suivant comprend toute la période qui s'étend du 
16 mai (jour de l'ouverture) au 31 décembre 1840; il 
est établi selon le mode que l'un de nous a adopté 
pour son Almanaekdes Spectacles publié depuis dix- 
sept ans à lalibrairie des Bibliophiles. 

DaU de I& Total des 

Pièces nouvelles. l'Tepr. rapr. 

AaheT, Zanetta, 3 actes 18 mai 20 

DelaMoskOwa, feCenC-Suisse, i — 17 jnin. 58 
Griaar, Boieldieu, etc., l'Opéra 

à la Cour, 3 — 16 juillet. 27 
Bordèse, l'Atitomate de Vau- 

canson, 1 — 2 sept. 86 
Honpou et Bordèse, la Reine 

Jeanne, 3—12 oct. li 

Adam, la Bose de Péronne, 3—17 déc. 6 



Total: 



Hérold, le^é aux Clercs, 3 actes 16 mai. 

Auber, la Neige, 3 — 11 août. 

Hicolo, Joconde, 3—26 août, 

Auber, Lestoeq 4—12 no». 



Total: 13 actes. 
RÉPERTOIRE 



Adam, le Chalet, la., 13 représ. — La Reine <Cun 
jour, 3 a., 13 repr. 



1840 47 

Auber, l'Ambassadrice, 3 a., 4 repr. — Le Domino 

noir, 3 a., 12 repp. 
ClapiasoQ, io Perruche, 1 a., 38 repr. 
Dalayrac, Adoip/ie et Clara, 1 a., 7 repr. 
DoEizetti, la Fille du Régiment, 2 a., 10 repr. 
Grlsar, les Travestissements, 1 a.j 7 repr. 
Halévy, l'Eclair, 3 a., 8 repr. 
Luce, l'Elève de Presbourg, 1 a., 20 repr. 
Montfort, Polichinelle, 1 a., 28 repr. 
Thomas (Ambroia?), Carline, 3 a., 1 repr. — La- 
Double Echelle, 1 a., 13 repr. 

Total : 23 pièces, dont 6 nouvelles avec 14 actes et 
4 remises à la scène avec 13 actes. 

Parmi ces 23 pièces, il en est plusieurs dont nous 
n'avons pas parlé parce que leur apparition se trou- 
vait antérieure au 1" janvier. Ainsi : 

Adolphe et Clara ou les Prisonniers (10 février 1799), 
paroles de Marsollier, musique de Dalayrac, opéra- 
comique en un acte, dont une des plus jolies mélo- 
dies s'encadrait sibien dans une des premières scènes 
de la Ciraassienne et qui d'ailleurs a fourni plusieurs 
timbres de vaudevilles, désignés sous la rubrique-: 
Air connu. 

La douftieEc/ieiie (33 août 1837}, paroles de Planard, 
musique d'Ambroise Thomas, opéra-comique en un 
acte, le premier ouvrage (on peut dire le premier 
échelon}, en un mot le brillant début au théâtre d'un 
maître qui devait tenir une si grande place à la salle 
Favart ety renjporter de si nombreux et si durables 
succès. 

Poiïchinelie (14 juin 1839), paroles de Scribe et 
Duveyrier, musique de Montfort, opéra-comique en 
un acte dans lequel avait débuté l'un des bons et fi- 
dèles serviteura de l'Opéra-Comique, Ernest Mocker. 

i,j,,,.,,.Cdoi^Ic 



48 l'outertubg du nouveau théâtre 

i La iîeined'un jour (19 septembre 1839), paroles de 
Scribe et de Saint-Georges, musique d'Adolphe 
Adain,opéra-comiqueen trois actes, dont la partition 
est peu remarquable, quoiqu'elle ait reparu au 
Tbéâtre-Jjyrique en 1854, mais dont le livret a du 
moioseule mérited'inspirer un compositeur allemand 
contemporain, Ignaz Brùii. Dans la Reine Mariette 
comme dans la Reine d'un jour, on retrouve JL'Mstoire 
de cette modiste qui, par suite de circonstances étran- 
gement romanesques, se voit amenée à jouer pour 
quelque temps le rôle d'une princesse. Un autre sou- 
Tenir assez piquant s'attache à la Reine d'un jour : 
elle servit aux débuts d'un excellent artiste, Masset, 
lequel était sans doute un musicien de quelque va- 
leur, puisqu'Adolphe Adam lui fit l'honneur de lui 
emprunter deux morceaux pour les intercaler dans 
son ouvrage. La collaboration de-l'auteur et de son 
interprète n'est pas rare quand il s'agit du poème; 
quand ît s'agit de la musique, on en trouverait peu 
d'exemples, et celui-ci valait d'être noté en passant. 

Les TraoesHssements (16 povembre 1839), paroles 
de Paulin Deslandes, musique de Grisar, opéra-co- 
mique en un acte, reprisau Théâtre-Lyrique en 1854 
et aux Folies-Nouvelles en 1858, et plus récemment 
encore à l'Opéra-Comique, moins peut-être pour l'a- 
grément de la partition que pour celui du livret, car 
il est tiré d'une amusante pièce de Dubois, Marton 
etFronlin ou vissant de Valets [1804), dont le succès 
persiste en dépit de son âge, soit à la Gomëdie- 
Française, soit à l'Odéon surtout, où pendant les an- 
nées 1878, 1879 et 1880 elle n'a pas été jouée' moins 
de cent vingt fois, 

A cette énumération il convientd'ajouter: leChalet, 
l'Eclair, l'Ambassadrice et le Domino noir, que nous 



1840 49 

reocontreroDS maiotes fois au cours de notre travail 
et dont les premières représeatations remontaient au 
25 septembre 1834, au 30 décembre 1835, au 31^ dé- 
cembre 1836 et au 2 décembre 1837. Enfin, si l'on 
compare les années 1840 et 1887, c'est-à-dire la pre- 
mière et la dernière de la seconde salle Favart, on 
observera que sur ces 23 œuvres 4 seulement, le Cha- 
let, le Domino noir, la Fille du Régiment, elle Pré aux 
Clercs figuraieuteucore aurépertoire courant. Quant 
à la moyenne des recettes, elle accuse au premier 
abord une notable différence : en 1840, 2,091 fr. 33 c., 
en 1887, 4,547 frOSc, soit un écart de2,455 fr. 72c., 
autrement dit un peu plus de la moitié. Mais, d'autre 
part, la moyenne des dépenses n'a-t-elle pas aug- 
menté avec le temps, et peut-être plus encore que 
celle des receltes? Pour ne citer qu'un exemple, on 
estimait alors les frais de décors nouveaux k une 
vinglaine de mille francs par an pour une dizaine 
d'ouvrages. Maintenant on monte moins d'ouvrages : 
mais lesdits frais ont quintuplé. 



, lue. .ï Google 



CHAPITRE III 

LE NOUVEAU ET l'aNCIEN RÉPERTOIRE 

Les Diamanls de la Couronne, le Diable à décale et la Pari du 
Diable; Richard Cœur de Lion, Camille, les Deux journées, 
Jeantiot et Colin et te Maître (Je Chapelle. 



Presque au début de l'anaée 1841 se reacoutrent 
deux ouvrages importants, tous deux signés de noms 
illustres, tous deux bien accueillis à leur apparition, 
mais, parla suite, ayant reucoatré des fortunes di- 
verses : 

Le Gwilarrero, opéra-comique en trois actes, pa- 
roles de Scribe, musique d'Halévy (21 janvier). 

Les Diamants de la Couronne, opéra-comîque en 
trois actes, paroles de Scribe et de Saint-Georges, 
musique d'Âuber [6 mara) , 

Le Guitarrero eut, au lendemain de la première 
représentation, ce qu'on appellerait aujourd'hui une 
bonne presse. Tout au plus se permit-on de critiquer 
le titre qui prouvait, en effet, chez Scribe une con- 
naissance peu approfondie de la langue espagnole. 



>'tS'^ 



■ i841 51 

« C'est UQ barbarisme^ on devrait dire le Chitarrista», 
écrivait un journaliste grincheux qui se croyait en 

Italie, alors que la pièce se jouait en Espagne : a Gui- 
tarrero signifie fabricant de guitares, écrivait un 
autre ; joueur de guitare se traduit par guittariBto. » 
Pour mettre tout le inonde d'accord, on aurait dû 
simplement recourir au mot français, plus simple et 
plus clair ; mais la mode était aux mots étrangers. 
On montait pour la première fois à l'Opéra le Frei- 
schûtz et non le Franc Archer; on allait donner à 
l'Opéra-Comique la Maschera et non ie Masque; jus- 
qu'à la Favorite qui, au cours des répétitions, après 
avoir évité le titre de l'Ange de Nisida^ faillit rece- - 
voir celui de la Querida! 

Le poème n'était pas mauvais, puisque, de nos 
jours, il 3 été repris par les Allemands, et que Mil- 
lôcker en a tiré son Étudiant Pauvre, opéra-comique 
plusieurs fois centenaire chez nos voisins, moins 
favorablement accueilli chez nous, il y a deux ans. 
Quant à la musique, elle réunit les suffrages des 
connaisseurs, et le retentissement eu fut assez vif 
pour que l'ouvrage passât la frontière et fût monté à. 
Berlin. Halévy, du reste, se trouvait alors dans tout 
l'éclat de sou talent et de sa renommée. La Juive et 
l'EcIoir, jouées la même année, l'avaient fait passer 
mattre à l'Opéra comme à l'Opéra-Comique, « La 
musique du Guitarrero, dit un journal de l'époque, 
restera comme une des meilleures productions de 
son auteur, car la science et le chant y prêtent, avec 
une égale puissance, leur concours au développe- 
ment de l'action dramatique. » La fiewue ef Gazette 
musicaîe ne s'exprimait pas eu termes moins cha- 
leureux ; il est vrai que son directeur était en même 
temps l'éditeur de la partition, ce qui rendait ses 



52 LB NOUTBAU ET l'aNCIBN REPERTOIRE 

éloges UD peu suspects. La source de l'enthousiasine 
D'y tarissait guère ; on signalait les recettes les plus 
fortes, près de 6,000 francs à la quinzième représen- 
tation! Tout enfin devenait prétexte à réclames, 
comme le prouve cette curieuse citation : « La foule, 
qui se porte aux représentations du Guitarrero, attire 
à l'Opéra- Comique un nombre si considérable de voi- 
tures qu'il est dii devoir de l'administration de mettre 
sous les yeux du public les principales dispositions 
de l'arrêté de M. le préfet de police relativement à 
l'arrivée, au stationnement et au déûlé des voitures 
à la salle Favart : — Toutes les voitures indistincte- 
ment, arriveront par lesrues de Qrammont, Grétry 
et Neuve-Saint-Marc; les voitures bourgeoises sta- 
tionneront sur le boulevard, depuis la rue de Mari- 
vaux, jusqu'à la rue de Choiseul. Au moment du 
défilé, les voitures bourgeoises arriventdu boule- 
vard par la rue de Marivaux, où elles opèrent leur 
chargement ; les voitures de place par la rue Pavarl, 
où elles attendent le public. Les personnes qui ont 
demandé leurs voitures se tiennent dans le salon 
d'attente et dans la galerie de la rue de Marivaux; 
celles qui veulent des voitures de place y montent à 
couvert sous les marquises de la rue Favart. » Im- 
possible de laisser entendre plus clairement qu'on 
s'arrachait les places. 

La vérité est que, bien interprété par Moreau- 
Saiuti (Lorenzo), Grignoa (Ximena), Botelli (don 
Alvar), Roger (Riccardo), Emon (Fabius), Daudé 
(Ottavio), M""' Boulanger (Manuela), et M"" Capde- 
ville (Zarah), une débutante qui avait, en 1840, 
remporté le premier prix d'opéra au concours du 
Conservatoire, ie Guitarrero fournit une carrière ho- 
norable et fut joué cinquante-neuf fois pendant l'an- 



184t 53 

née. Une preuve du succès musical de la partition 
nous est fournie par le grand nombre d'arrangements 
de toute espèce et pour tous instruments auxquels 
elle donna lieu. C'est môme ici que nous rencontrons 
le nom d'un musicien qu'on ne s'attendait guère à 
Toir en cotte affaire, Richard Wagner. On sait qu'il 
TÎvaitalors misérablement à Paris, travaillant comme 
il pouvait, et se résignant aus plus inSmes besognes 
afin d'en tirer quelque argent. Le Guitarrero, pour un 
temps, lui servit de gagne-pain, car il en arrangea, 
non seulement la partition pour piano et chant, mais 
l'ouverture et« deux suites d'airs » : 1' pour qualuor 
(violons, alto et violoncelle) ; 2" pour deuo: violons; 
S'pourflûte, violon, alto et violoncelle. Ce rensei- 
gnement a son prix, car il a échappé, croyons-nous, 
k tous les biographes de Wagner : Œsterlein lui- 
même n'en a pas fait mention. 

Les Diamants de la Couronne, un instant répétés 
sous le titre des Diamants de la Reine, ne furent pas 
moins appréciés tout d'abord que (e Guitarrero: leur 
éclat même fut plus vif et leur succès beaucoup plus 
durable. Dès la première année cet ouvrage obtenait 
81 représentations, et depuis il n'a jamais complète- 
ment disparu du répertoire. Il est de ceux qui, après 
le Domino noir, Fra Diavolo et Haydée, supportent les 
reprises, et sa dernière apparition est assez récente 
pour nous épargner de longs discours à son sujet. 
- Rappelons seulement que les Diamants de la Cou- 
ronne causèrent le départ et amenèrent la retraite 
définitive d'une cantatrice qui avait tenu une grande 
place à l'Opéra, aussi bien qu'à l'Opéra-Comique, 
madame Clnli-Damoreau. Elle s'appelait de son vrai 
nom Laure-Cynthie MonCalant, et avait changé Cyn- 
thie en Cinti , sur l'invitation équivalant à un ordre 



54 LB NOOVBAD ET l'aNGIBN RÉPBRTOIHB 

de M"' Oatalani, qui lui avait permis de débuter 
en 1816 au Théâtre-Italien où elle régnait alors en 
souveraine. Le succès qu'elle obtint tout d'abord lui 
ouvrit sans trop de peine les portes de t'Opéra et 
de 1826 à 1836 il n'est pas un grand ouvrage dans le- 
quel elle n'ait créé quelque rôle. Douée d'une voix 
remarquable, moins peut-être par la puissance 
que par le charme, M^' Cynthie Montalant, devenue 
madame Damoreau, se distinguait par la pureté 
de style, la justesse de l'expression et l'élégance 
de la vocalisation. Quand elle quitta l'Opéra pour 
rOpéra-Comique, elle se maintint au premier rang, 
sachant dire le dialogue et plier son jeu aux rôles 
les plus divers. Les créations de l'Ambassadrice (1836) 
et du Domino noir (1837) suffiraient à lui assurer 
une place dans la galerie des grands artistes, et 
pendant longtemps en effet, Auber, tout-puissanl 
alors, ne voulait pas d'autre interprète. C'est pour 
elle qu'il écrivit ies Diamants de la Couronne, mais 
ce ne fut point elle qui les Joua. La séduisante Anna 
Thillon avait paru, et, sacrifiant le talent à la beauté, 
Auber s'était tourné du côté de l'astre naissant, 
Inde irœ. M"' Damoreau, un instant, essaya de pro- 
tester, de défendre la place par elle conquise, et de 
résister aux envahissements de la jeune Anglaise. De 
guerre lasse elle céda, emportant avec elle bien des 
regrets et bien des sympathies, dont elle put mesurer 
l'étendue la dernière fois qu'elle parut en public. 
Cette représentation d'adieu eu lieu le 8 mai, et la 
soirée fut triomphale. Le premier acte de l'Ambassa- 
drice, le grand duo du deuxième acte de Guillaume 
Tell et le trolsièmeucte du i>omino noir composaient 
le spectacle, auquel Duprez avait pour la circons- 
tance prêté son concours ; les bouquets et les fleurs, 



1841 55 

dont onn'abusaitpas alors comme aujourd'hui, furent 
jetés à profusion en son honneur, el l'on encaissa 
une recette extraordinaire de 12,103 francs, 

M"' Anna Thîllon restait maîtresse du terrain, et 
sur elle allaient reposer, pour un temps, les des- 
tinées de l'Opéra-Comique. Ainsi l'avaient voulu 
Auber et Crosnier, le directeur. Une bonne partie 
du public pensait d'ailleurs comme eux; c'est à peine 
si l'on pouvait signaler dans l'ombre quelques grin- 
cheux qui s'insurgeaient contre la nouvelle idole, et 
se vengeaient à coups de jeux de mots. <i La musique 
d' Auber n'est plus que du Ta-Tbillonnage », disait 
l'un. <i M"" Anna Thillon est de trop à l'Opéra- 
Coraique, répondait l'autre; ce théâtre était déjà bien 
assez anglaise. Bicinous trouvons: « FoindeTOpéra- 
Oomique Ta-Thillonnél s et là : « L'Opéra-Comique, 
si désireux d'une grande fortune, ne la fera pas avec 
les chants- Thillon ! » On voit que les journalistes 
cultivaient le calembour bien avant Conimerson 1 

Ils ne plaisantaient pas moins la direction au sujet 
de l'idée qu'elle avait eue de ressusciter « les Bals de 
de la bonne compagnie u, bals masqués et parés oti 
devaient se rencontrer les gens du monde, comme 
nous dirions aujourd'hui. Ceux-ci d'ordinaire restent 
chez eux ou reçoivent entre eux, à moins qu'il ûe 
s'agisse d'une fête de charité ou autre circonstance 
exceptionnelle; la clientèle devait donc nécessaire- 
ment manquer. A ces bals comme il faut on préfére- 
rait ceux, plus libre's et plus mêlés, de l'Opéra et de 
la Renaissance, alors en pleine vogue; bref, ce beau 
projet ne réussit pas plus en 1841 qu'après la guerre 
de 1870, lorsque M. Camille du Locle, directeur, 
essaya de le réaliser encore. Le premier de ces bals 
eut lieu le 17 Janvier. 



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56 LS NOuvBAi] BT l'ancien HÉPBRTOIRB 

« Le théâtre ouvrit ses portes à dix francs par per- 
sonne, nous rapporte un témoin, et l'on s'y est en- 
nuyé en dominos noirs, blancs et roses, comme au- 
trefois sous \b. pendule de l'Opéra, » L'entreprise dut 
même coûter plus qu'elle ne rapporta, si M. Crosnier 
commit effectivement la maladresse que lui prêtèrent 
les journaux du temps. Il avait d'abord reculé devant 
la dépense d'un plancher neuf, et avait songé à em- 
prunter celui de l'Odéon. Son intermédiaire s'était 
chargé de la démarche k faire auprès du directeur, 
et ce dernier avait à son tour dépéché auprès de 
M. Crosnier, pour entrer enDégociatiODS,M. Marliaaî, 
compositeur estimable, qui compte même à son actif 
un succès, (o Xacarilla. M. Marliani se présenta 
à rOpéra-Comique et flt passer sa carte; envoyant 
ce nom, M. Crosnier se prit h oublier le service. de- 
mandé et trembla qu'on ne vint lui offrir une parti- 
tion. De tous temps les directeurs ont eu cet effroi! 
La porto donc resta close. Deux fois, M. Marliani 
revint à l'assaut, deux fois il fut repoussé avec perte. 
Dès lors il n'insista pas sur le placement du plancher 
et le directeur de l'Opéra-Comique, ne recevant point 
de réponse, en fit faire un au prix de 12,000 francs. 
Rencontrant par suite l'intermédiaire auquel il s'était 
confié, il se plaignit du peu de succès de l'am- 
bassade. « Comment? lui répondit l'ami; on s'est 
présenté trois fois chez vous pour vous satis- 
faire; vous n'avez pas reçu. C'est 4,000 francs par 
visite qu'il vous en coûte! » Qui fut penaud? On le 
devine. , 

Mais la malignité pourrait bien avoir eu part daus 
ce reportage, car, vu à distance, M. Crosnier ne sem- 
ble point si farouche et inhospitalier. La preuve en 
est fournie par la série vraiment extraordinaire de 



1841 57 

petits ouvrages qui succédèrent aux deux grandes 
pièces d'Halévy et d'Auber. Du mois de mars au mois 
d'août, on ne rencontre pas moins de six nouveautés, 
soit en moyenne une par mois. Jeunes librettistes et 
jeunes compositeurs avaient ainsi la possibilité 
d'exercer leurs latents; un échec ne tournait pas à la 
confusion de l'auteur, comme aujourd'hui ; on ne lui 
gardait pas rancune ; les portes se rouvraienf quand 
même et assez vite devant le malheureux à qui sa 
défaite avait servi de leçon, et les travaux suivants 
bénéQciaient de cette expérience qu'on acquiert à 
ses dépens, la plus profitable de toutes. 

Voici d'ailleurs, d'après l'ordre des dates, cettesuite 
curieuse de petits actes dont le meilleur n'a pas 
laissé de trace dans l'histoire de l'art. 

25 mars. — Le Pendu, opéra-comique en un acte, 
paroles de de Oourcy et Oarmouche, musique de 
Glapisson. On avait commandé cette parlition au 
compositeur à condition qu'elle fût terminée en 
quinze jours. Glapisson avait une facilité qui lui per- 
mettait de tenir parole. Â l'époque fixée il apporta 
son oeuvre qui devait soi-disant être montée tout de 
suite ; elle ne le fut qu'un an plus tard, et vécut en 
somme à peu près autant de jours qu'on en avait mis 
à l'écrire; elle n'eut que 13 représentations. C'était 
le cas de répéter avec le poète : 

Le Temps a'épargae pas ce qu'on a fait sans lui. 

2 juin. — L'IngénuB, opéra-comique en un acte, 
paroles de Dupin, musique d'Hippolyte Colet. Les 
titres n'avaient pas manqué à cette pièce d'abord 
baptisée l'Outrage, ce quisemblait bien grave comme 
conséquence, et la Niaise, ce qui semblait bien fâ- 
cheux comme pronostic. Il s'agissait simplement d'une 



58 LE NOtrVEAD £T l'ancien RÉPEfiTOIRI 

âUe luDoceiite et naïve qui se croyait déshonorée 
parce que, le matin du jour où elle devait se marier, 
elle avait reçu dans l'ombre un baiser anonyme : on 
devine que le coupable était le futur mari lui-même. 
Cette donnée dramatique mérite d'autant mieux 
d'être signalée ici que récemment elle a reparu ou à 
peu près, dans un autre ouvrage en un acte, et sur la 
même scène de l'Opéra-Comique, le Baiser de Suzon- 
La musique de l'Ingénv.e témoignait de certaines 
qualités de facture, mais aussi d'une réelle inespé- 
rience de la scène. Le compositeur était professeur 
d'harmonie au Conservatoire, et connaissait par con- 
séquent la science des accords ; mais il ignorait l'art 
de traiter légèrement un sujet léger, et il ne l'apprit 
pas, car Vïngénue, représentée neuf fois seulement, 
demeura son seul ouvrage joué en public. VAbencer- 
rage, en effet, opéra en deux actes du même auteur, 
n'avait paru en 1837 que sur un théâtre privé, à 
l'hôtel de Castellane. 

17 juin. — La Maschera, opéra-comique en deux 
actes, paroles d'ArnouId et .T. de Wailly, tiré d'une 
nouvelle de Pitre-Chevalier, musique de Georges 
Kastner. Ce fut le premier et dernier ouvrage repré- 
senté sur une scène parisienne, de cet artiste plus 
connu comme théoricien que comme compositeur. 
On lui devait pourtant une série d'opéras composés 
et joués à Strasbourg : la Prise de Missolonghi [1829), 
Gustave Wasa (1831), la Reine des Sarmates (1832), la 
Mort d'Oscar (1833], (e Sarraitn (1834). De tout ce ba- 
gage musical, le temps n'a rien épargné. La Jtfascftero 
elle-même (dont le titre, soit dit en passant, est le 
même que celui d'un ballet de Giorza, exécuté à l'O- 
péra en 1864), n'eut que 13 représentations, et de 
Georges Kastner on ne cite plus aujourd'hui que ses 



1841 59 

traités â'îDstrumentatioQ et son livre si curieux inti- 
tulé les Cris de Paris. 

26 juin. — Les Deux voleurs, opéra-comique en un 
acte, paroles de de Leuven et Brunswick, musique 
de Girard. La pièce s'appelait d'abord le Voleur, mais 
OD s'aperçut bientôt qu'il y en avait deux, s'introdui* 
sant dans la chambre nuptiale d'un mari qu'ils avaient 
réussi à éloigner pour lui prendre l'un son argent, 
l'autre sa femme. On devine que la double tentative 
86 déjouait à temps et que le mari, retrouvant ses 
biens intacts, en était quitte pour la peur. Cette 
agréable comédie fut jouée 57 fois en 1841 et se main- 
tint au répertoire des années suivantes avec un total 
de 140 représentations; mais comme le compositeur 
était en même temps chef d'orchestre de ï'Opéra- 
Gomique, il restera toujours permis de se demander 
si le succès était dû seulement à la valeur du musi- 
cien et non pas un peu aussi à sa position. 

1 juillet. ~~ Frère et Mari, opéra-comique en un 
acte, paroles de Th. Polak et Humbert, musique de 
Clapisson. Ce dernier était un des fournisseurs atti- 
trés de l'Opéra-Comique doué, nous en avons la 
preuve avec le Pendu, d'une grande facilité d'impro- 
visation, écrivant, comme on dit, au courant de la 
plume, et mettant au service d'idées gracieuses une 
certaine habileté qui lui tenait lieu de puissance. Les 
librettistes, au contraire, étaient de nouveaux venus, 
d'autant mieux accueillis que l'un d'eux, Humbert, 
était cousin du directeur, et du premier coup ils 
réussirent à faire agréer du public pour 60 représen- 
tations ce petit ouvrage, dont la conclusion, morale 
ou non, était que les artistes ne doivent pas se marier 
trop jeunes. Qu'il noua soit permis d'y relever deux 
vers curieux, non sans doute pour leur mérite poétl- 



60 LB NOUTBAU ET L'aNCIBN RÉPERTOIRE 

que, mais, suivant un terme à la mode, pour leur 
valeur documentaire. Certaine comtesse, afin de mon- 
trer le degré d'amour qu'elle a inspiré au peintre 
Eugène Melcourt, s'ticrie fièrement : 

Atbc d'antres femmes il danse; 

Hais il De laise qu'avec moi t 
La différence aujourd'hui noua paraîtrait peu sen- 
sible ; mais elle prouve l'idée qu'on se formait de la 
valse et l'importance qu'on y attachait à cette époque, 
où, conformémeat à l'origine allemande de ce mot, 
on éciivait walse avec un double u! C'était la danse 
capricieuse, libre d'allure et de mouvement, rompant 
avec les Iraditious du banal quadrille ou du menuet 
cérémonieux. Aussi l'interdisait-OE aux jeunes filles. 
On se rappelle la romance longtemps fameuse de 
Bnzin : 

Ah I ue valse pas, car la valse impire 
Un aveu souvent au cœur incertain, 

qui nous renseigne sur ce point délicat, et Victor 
Hugo lui-même se faisait l'écho de son temps lors- 
qu'il écrivait dans ses Feuilles d'Automne : 

Si TODi n'avez jamais vn d'an œil de colëre 
La valse impure, au vol lascif et circulaire 
ElTeuiller en courant les femmes et les fleurs... 

Plus récemment encore nous retrouvons sous la 
plume du docteur Grégoire (Decourcelle), cette amu- 
sante définition de la valse : «Accouplement incon- 
venant, qui cesse de l'être quand il a lieu devant 
témoins. » 

Que les temps sont changés I l'américanisme a 
renouvelé nos mœurs, et notre pudeur, hélas! ne 
s'alarme plus pour si peu. 

U3L.ie..ïG00'^lc 



1S41 61 

17 août, —-'L'Aïeule, opéra-comique en un acte, 
paroles de Saint-Georges, musique d'Adrien Boiel- 
dieu. La donnée en était assez piquante, puisqu'elle 
rappelait les Ménéchmee, en les présentant sous une 
nouvelle forme. C'est ainsi que Roger y chantait en 
Toix de fausset une partie de son rôle, figurant tour 
à tour un jeune homme et une jeune fille ; malgré cet 
attrait d'un nouveau genre où Montaubry devait, plus 
tard, dans la Circassienne, chercher à son tour un 
élément de succès ; malgré quelques mélodies agréa- 
bles comme avait coutume de les signer l'héritier 
d'un nom difficile à porter et par conséquent plus 
gênant qu'utile, l'Aïeule n'obtint que 15 représenta- 
tions. 

A ces six ouvrages ne se bornait pas l'activité du 
directeur, Grosnier. Les reprises se mêlaient aux 
nouveautés, et l'on n'en compte pas moins de huit 
pour l'année 1841, savoir ; 

31 janvier. — Le MaUre de Chapelle, remis à la 
scène eu un acte seulement (le premier), presque au 
moment où, comme nous l'avons rapporté, disparais- 
sait du foyer de l'Opéra-Oomique le médaillon de son 
auteur, Paër. 

16 mars. — Le Panier fleuri, second ouvrage dra- 
matique d'Ambroise Thomas, joué souvent alors et 
fort digne de l'être. 

6 avril. — Les Deux Reines, l'œuvre la meilleure 
de Monpou, et dont tous les orgues de Barbarie 
avaient colporté la fameuse romance : « Adieu, mon 
beau navire ! « C'est à peine si le pauvre composi- 
teur, qu'en souvenir de ce succès on appelait couram- 
ment Monpou-mon-beau-navire, put jouir de cette 
reprise ; le 3 août suivant, en effet, il mourait à 
Orléans, igé seulement de trente-sept ans. 



„:,,,.,, .Cob'-jlc 



62 LB NOOTBAH et L'ANaSH répertoibb 

10 mat. — La Dame blanche (que, par parenthèse, 
Paul de Sainl-Victor ne vit jamais, parait-il, non 
plus du reste que la Juive], remontée pour Masset et 
M"" Rossi, devenue M"" Rossi-Caccia. Tous deux se 
montrèrent excellents dans les rôles de Georges et 
d'Anna, et valurent au chef-d'œuvre de Boieldieu 
48 représentations en moins de huit mois. 

3 août. — Camille ou ie Souterrain, de Dalayrac. 

10 août. — Zanetta, d'Auber. toujours pour Anna 
TbiUon. 

27 septembre. — Richard Cœur de Lion, de Grélry. 

8 nowembrc. — Jean de Paris, de Boieldieu, un de 
ces ouvrages qu'on semble dédaigner en France, et 
qui a fait fortune en Allemagne, où il n'a jamais dis- 
paru du répertoire. 

Entre toutes ces reprises, les deux plus intéres- 
santes, ou du moins.les deux plus curieuses à noter, 
demeurent celles de Camille et de Richard. Elles de- 
vaient être suivies de bien d'autres analogues; mais 
c'était alors comme un essai de retour vers le passé. 
Depuis le comciencemenl du siècle, T Opéra-Comique 
avait subi une lente, mais continuelle transformation ; 
l'ariette avait disparu ; l'orchestre s'était développé ; 
la partie chorale avait pris plus d'importance, et la 
musique tendait à se dramatiser de plus en plus. En 
somme, une école nouvelle avait surgi, dont les 
maîtres s'appelaient Boieldieu, Hérold, Auber, Ha- 
lévy, Adam ; elle avait rencontré la faveur du public 
et laissé dans l'ombre les vrais créateurs du genre : 
Duni, Monsigny, Philidor, Dalayrac, Orétry. Sans 
prétendre revenir en arrière, il y avait quelque in- 
térêt à faire revivre le passé, et à l'opposer au pré- 
sent. Tel était l'avis de Richard Wagner, qui habitait 
alors Paris, avis exprimé dans un article sur le Stabat 



1841 63 

Mater de Pergolèse et coddu de bien peu de per- 
sonnes, car lui-même ne l'a pas recueilli dans ses 
Œuvres complètes. « A une époque comme la nôtre, 
écrivait-il en 1841, où les diverses branches de l'art 
musical ont pris une extension si divergente, au 
point de s'être souvent modiQées de la manière la 
plus anormale, c'est un besoin essentiel et un noble 
devoir que de remonter aux sources primitives pour 
y puiser de nouveaux éléments de force et de fécon- 
dité. B 

Pour mettre en pratique cette théorie, l'Opéra- 
Comique remit à la scène en même temps deux ou- 
vrages, l'un de Dalayrac, l'autre de Grétry, le pre- 
mier datant de 1791, le second de 1784. Camille ou le 
Souterrain passa d'abord, et le bruit courut que l'ins- 
trumentation en avait été retouchée par Halévy. En 
réalité, on maintint l'intégrité du texte malgré la 
situation pénible du dernier acte, qui n'avait jamais 
satisfait le librettiste lui-même, Marsollier, et l'inté- 
gralité de la musique, malgré la pauvreté de cer- 
taines formules qui pouvaient sembler trop primi- 
tives à des oreilles modernes. Mais ce respect du ■ 
passé n'amena pas le succès ; peut-être le public 
avait-il besoin d'un certain entraînement pour re- 
prendre goût à cet art, peut-être aussi les acteurs 
avaient-ils perdu tout ou partie du style propre à 
l'interprétation, bien que M"* Oapdeville se montrât 
fort touchante dans le rôle principal. L'effet, somme 
toute, fut médiocre, et l'on ne joua que vingt-quatre 
fois cet ouvrage qualifié de drame lyrique. Ce titre 
n'avait pas alors le sens que nous lui prêterions 
aujourd'hui, Dalayrac n'était pas Wagner et ne 
songeait pas à renouveler les formes musicales de 
son temps ; il voulait indiquer seulement que sa pièce 



64 LE NOOTBAD ET L'aNCIBN RÉPERTOIRE 

était dramatique k la façon d'une pièce de l'Ambigu, 
et que ce drame comportait une partie de chant. 

Dalayrac, au reste, parait avoir été un homme 
simple, honnête et peu disposé à tromper le monde 
sur la qualité de sa marchandise. Nous n'en Toulons 
point d'autre preuve que la curieuse lettre publiée 
par lui, ou du moins sous sa signature, dans les jour- 
naux, la veille de la première représentation de 
l'œuvre qui nous occupe, c'est-à-dire le 18 mars 1791 : 

•I Dans la crainte que le public ne s'attende à 
retrouver' la situation du roman intéressant de 
Camille ou le Souterrain dans la pièce du même nom 
que l'on va représenter aux Italiens, je crois devoir 
vous prévenir que le sujet m'en a été fourni par 
madame de Sillery {depuis comtesse de Genlis), dans 
son charmant ouvrage d'Adèle et Théodore. L'aven- 
ture vraie et touchante de la duchesse de Oherifalto, 
enfermée par sou mari dans uu souterrain pendant 
plusieurs années, m'a paru susceptible d'être mise au 
théâtre. Je désire ne m'étre paa trompé. J'ai fait, de 
mon mieux ; mais je sais que le zèle et le travail ne 
sont pas toujours les garants du succès. Signé : l'au- 
teur du Souterrain, e Voilà pour le moins un homme 
consciencieux et modeste. De notre temps on met- 
tait à ses actes moins de façons. Un exemple : 
lorsque Henry VIH a été représenté à l'Opéra, les 
librettistes se sont bien gardés d'indiquer la source 
où ils avaient puisé. Au lendemain de la première, 
tout le monde cita Shakespeare ; personne ne cita 
Calderon, et c'est bien par hasard que nous décou- 
vrîmes plus tard l'origine du livret. 

La reprise de Richard Cœur de Lion fut beaucoup 
mieux accueillie. Elle eut le don non seulement d'in- 
téresser le public, mais encore de passionner la 



1841 65 

presse musicale, qui discuta la question de savoir si 
l'on devait oui ou non retoucher les an ciens ouvrages 
pour les mettre au goût actuel, et leur rendre, par 
quelques améliorations savantes, la fraîcheur et 
l'éclat disparus , « Que signifient ces reprises , 
s'écriait l'un, si les jeunes musiciens, si les poètes, 
si le public n'y trouvent pas, ceus-là un vaste sujet 
d'études, et l'autre une ample variété de plaisirs î 
C'est pour apprendre, pour comparer, pour juger, 
pour coûuaître, pour vérifier les progrès ou constater 
la décadence, que le retour de ces œuvres est excel- 
lent. Si vous les dénaturez, ce n'est plus elles: tous 
vos soins sont inutiles ; mieux vaut les laisser dormir 
dans les langes du passé avec toules les marques de 
leur caractère natif, que de les en tirer, les faire pim- 
pantes, appropriées à la mode du jour, pour leur ôter 
ce qu'elles ont de vénérable, l'âge. » — a Les admi- 
rateurs exclusifs de l'ancienne école, répondait un 
autre, sont tombés dans une exagération vicieuse en 
préconisant sa facture incomplète au même degré que 
le fond et la pensée de ses œuvres. Autant celle-ci 
avait de grandeur et de noblesse, autant les détails 
de l'exécution matérielle se ressentent de l'inexpé- 
rience d'une science à son début ; et l'on ne peut ré- 
voquer en doute le perfectionnement des formes, 
sinon de nos jours, du moins pendant la période in- 
termédiaire qui succéda à cet âge d'or de l'art mu- 
sical. » Et qui parlait ainsi ? Wagner, dans cet article 
déjà cité par nous, Wagner, qui peu d'années après 
devait prêcher d'exemple en réoi-chestrant l'Iphigénie 
en Aulide de Gluck et en proposant des modifications 
à la neuvième symphonie de Beethoven. 11 ajoutait 
que « les anciens chefs-d'œuvre pouvaient être em- 
bellis par la vivacité et la fraîcheur du coloris sans 



66 LE NOUTEAD ET l'aNCIEN RÉPERTOIRE 

rien perdre, pour ainsi dire, de leur mérite intrin- 
sèque ", et il citait comme un modèle l'arraiigement 
du Messie de Haendel par Mozart. 

11 semblait difficile de se prononcer entre les deux 
opinions; et pourtant, comme dirait. un dramaturge 
moderne, le mort avait parlé! Dans ses Essais, 
Grétry, en effet, pressentait le sort réservé à ses 
œuvres, et, commentant la sobriété de son instru- 
mentation, il avouait naïvement qu'il serait aisé de 
l'augmenter, a Cependant, remarquait-il, je ne sais 
pourquoi, je n'en suis pas tenté... Si, après moi, mes 
ouvrages restent au répertoire des théâtres lyriques, 
quelque compositeur s'en chargera peut-être ; mais 
je l'invite à se bien pénétrer du sentiment de ma mu- 
sique ; qu'il sache bien ce qui y est pour qu'il sente 
le danger de l'obscurcir par des remplissages, par 
des accessoires que je regarde souvent comme l'étei- 
gnoir de l'imagination. » 

En ne disant ni oui ni non, ou si l'on veut tout en- 
semble oui et non, Grétry se rapprochait fort de la 
vérité. Il en est des choses comme des gens ; le temps 
amène des changements pour elles comme pour eux, 
et l'on peut admettre à la rigueur des retouches dont 
le but est de rendre intelligible ou savoureux ce qui 
sans elles paraîtrait obscur ou fade. C'est une ques- 
tion de tact, de mesure, de prudence. Il s'agit d'un 
vieillard qu'il sérail ridicule de costumer à la der- 
nière mode, mais qu'il serait injuste aussi de con- 
damner à ne jamais quitter ses habits d'antan. 

Confiée aux mains habiles d'Adolphe Adam, la par- 
tition de Richard Cœur de Lion retrouva une partie 
de ses charmes, et l'addition de certain trémolo dans 
l'accompagnement du dernier couplet d' « Une fièvre 
brûlante » excita les transports du public. Tout au 



1841 67 

plus vit-on se produire les réclamationg de quelques 
mécontents, qui demandaient, pour rendre la com- 
paraison possible, que l'œuvre fût représentée alter- 
uativement sous ses deux formes : un soir avec la 
version primitive, un autre soir avec la version nou- 
velle. Plus modeste en ses désirs, certain laudator 
fempom acti souhaitait, pour son édification person- 
nelle, qu'on la jouât au moins une fois comme elle 
avait été écrite. 

Bien entendu, nul ne fit droil à ces plaintes ; elles 
se perdirent dans le bruit des applaudissements qui 
se renouvelaient à chaque représentation ; or, il n'y 
eu eût pas moins de trente-neuf en l'espace de trois 
mois, et le succès se maintint les années suivantes. 

On sait que Sedaiue avait tout d'abord proposé sou 
poème à MoDsigny, qui le refusa, craignant de ne pas 
trouver pour la romance de Blondel un chant digne 
delà situation. Grétry paraît avoir eu des scrupules 
analogues. « J'avoue, diuil dans ses Essais, que la 
romance m'inquiétait de même que mon confrère ; 
je la Ss de plusieurs manières sans trouver ce que je 
cherchais, c'est-à-dire le vieux style capable de plaire 
aux modernes. La recherche que je fis pour choisir, 
parmi toutes mes idées, le chant qui existe, se pro- 
longea depuis onze heures du soir jusqu'au lende- 
main à quatre heures du matin... — Je me rappelle 
qu'ayant sonné pendant la nuit pour demander du 
feu : « Vous devez avoir froid, me dit mon domes- 
tique, TOUS êtes toujours là à ne rien faire l n 

Dans l'intéressante notice qu'il a consacrée à 
Richard Cœur de Lion, pour la belle édition des 
œuvres de Grétry publiée par le gouvernement belge, 
M. Victor Wilder a cité fort à propos cette anecdote ; 
il aurait pu y joindre un mot relatif aux appré- 



68 LE NODTEÀU ET L'ANCrBN BâPEHTOIRE 

heDsiooa qne causait au compositeur le retour fré- 
quent {les réminiscences, comme on disait alors) de 
cette mélodie ; elle reparaît neuf fois dans l'ouvrage, 
ce qui lui vaudrait presque aujourd'hui la qualifica- 
tion de leitmolio. « J'avais peur d'en fatiguer le pu- 
blic, écrit modestement Grétry : cependant, je n'ai 
pas entendu dire qu'elle ait été trop répétée, parce 
qu'on a senti que cet air était le pivot sur lequel 
tournait toute la pièce. » Tout cela pour neuf fois ! 
De quel effroi son cœur n'aurait-il pas frémi si on lui 
avait dit que moins d'un siècle après, un thème pour- 
rait revenir quarante fois dans le premier acte de 
Parsifal sans provoquer trop de lassitude 1 
■ En résumé, il ne fallut rien moins que la réussite 
de cette reprise pour assurer les recettes de 1841, car 
la an de l'année pouvait être désastreuse. Les trois 
nouveautés du dernier trimestre échouèrent piteuse- 
ment : 

D'abord, le 26 octobre, la Main de fer ou un Mariage 
secret, opéra-comique en trois actes, paroles de Scribe 
et de Leuven, musique d'Adolphe Adam. L'auteur 
du Chalet traversait alors une période critique et ne 
parvenait pas à ressaisir la fortune, à la salle Favart, 
du moins. Moins heureuse encore que la Rose de 
Péronne, la Main de fer, répétée d'abord sous le nom 
du Secret, n'obtint que cinq représentations! 

Puis, le 1" décembre, ia Jeunesse de Charles-Quint, 
opéra-comique en deux actes, paroles de Mélesville 
et Duveyrier, musique de Montfort. Cette pièce s'ap- 
pelait primitivement le Coup d'épée. « Puisse-t-on ne 
pas avoir à ajouter dans l'eau ! » écrivit un journa- 
liste pendant les répétitions. On changea le titre, par 
crainte peut-être, et le fâcheux pronostic ne se réa- 
lisa pas. La partition était digne d'estime, si le 



1841 fi9 

poème était faible, et, défendue par des interprètes 
comme Mocker, Couderc et M'"° Révilly, la pièce fut, 
en somme, favorablement accueillie. 

Enfin, le 14 décembre, Mademoiselle de Mérange (et 
non de Méranges), opéra-comique en un acte, paroles 
de Leuven et Brunswick, musique d'Henri Potier. 
La donnée du livret se peut rappeler en deui mots. 
Il s'agissait d'un seigneur de la cour, tombant dans 
le piège que sa galanterie lui faisait tendre ; car, 
marié, par ordre du roi, à une femme dont il avait 
songé d'abord à faire sa maltresse, il finissait par 
se laisser prendre à ses charmes et par l'aimer en 
honnête bomme. Celte idée gracieuse et piquante 
avait inspiré au compositeur quelques mélodies sim- 
ples sans doute, mais agréables, et propres à faire 
bien augurer de son talent, puisque c'était son œuvre 
de début. 

Ainsi finit l'année 1841, avec 790,124 fr, 95 c. de 
recettes, ou plus exactement 773,603 fr. 95 c, àcause 
de deux représentations à bénéfice ayant produit 
16,521 francs. Les reprëseutatioas avaient été au 
nombre de 356, produisant une moyenne de 
2,219 fr. 53 c. 

En somme, les résultais pécuniaires ne laissaient 
pas que d'être assez avantageux pour Crosoier, qui 
restait seul directeur, son associé Oerfbeer l'ayant 
quitté au mois d'août. Les résultats artistiques pou- 
vaient également passer pour satisfaisants, puisqu'ils 
donnaient les cbiffres suivants : 

Nouveautés : 11 ouvrages, dont 3 en 3 actes, 2 en 
2 actes, et 6 en 1 acte. Total, 19 actes. 

Reprises : 8 ouvrages, dout 4 en 3 actes, 1 en 2 
actes, et 3 en 1 acte. Total, 17 actes. 

RépertoïTe ; 19 ouvrages, dont 2 en 4 actes, 8 en 



70 LE NOUVEAU ET l' ANCIEN BéPERTOIRE 

3 actes, 1 en 2 actes, et 8 en un acte. Total, .43 actes. 

38 ouvrages et 79 actes, voilà comment se résume 
ce bilan théâtral. Parmi les œuvres nouvelles, une 
seule devait se maintenir au répertoire; mais c'est 
assez pour que l'année ne soit pas jugée mauvaise, et 
qu'en l'honneur de la pièce jouée le plus souvent, 
c'est-à-dire 81 fois en dix mois, on la puisse appeler 
l'année des Diamants de la Couronne. 

Pendant les premiers jours de l'année 1842, le 
théâtre borna ses spectacles aune quinzaine de pièces 
dont nous avons parlé déjà et qui composaient son 
réperloire; ainsi : 

Le 1" janvier. — Mademoiselle de Mérange, qui dis- 
paraît définitivement après 11 représentations ; les 
Deti:x; Voleurs, qui, plus heureux, sont joués 36 fois 
dans cette même année, sans que leur carrière soit 
encore terminée, et Richard Cœur de Lion, le plus 
grand succès de l'année, puisqu'il atteint le chiffre 
de 85 représentations. 

Le 2. — Les Diamants de la Couronne et Jean de 
Paris, avec 12 représentations pour le premier de ces 
ouvrages et 23 pour le second. 

Le 3. — Les Travestissements, 8 représentations, et 
le Chalet, iSrepr. 

Le 4. — Joconde, 26 représentations, et la Dame 
Blanche, 33 repr. 

Le 7. — La Panier fleuri, 21 représentations. 

Le 8. — Frère et Mari, 12 représentations et le Pré 
aux Clercs, 14 repr. 

Le 10. — Camille, qui ne reparaît plus sur l'affiche 
après cette unique soirée. 

Le 11. — L'ambassadrice, 2 représentations. 

Le 12. — La Perruche, 13 représentations. 

Le 20. ~ La Jeunesse de Charles-Quint, 9 repr. 



1842 71 

Une seiile nouveauté avait vu le jour, à la date du 
17 janvier. C'était un petit opéra-comique, qualifié 
par les auteurs légende en un acte, et ayant pour 
titre le Diable à l'école, pour librettiste Scribe, pour 
compositeur un débutant, Ernest Boulanger, fils 
d'une bonne chanteuse de l'Opéra-Oomique où elle 
joua longtemps et où elle tenait même alors l'emploi 
des duègnes. Elève du Conservatoire, où i! avait tra- 
vaillé avec Lesueur etHalévy, prix de Rome en 1835, 
Ernest Boulanger n'avait donc pas attendu plus de 
sept ans pour voir s'ouvrir devant lui les portes d'un 
théâtre : il pouvait se dire favorisé. 11 est arrivé à 
des lauréats de l'Institut de faire encore de plus longs 
stages; quelques-uns même n'ont fini d'attendre que 
le jour où ils sOQt morts. 

Le Diable à l'école obtint un vif succès, puisqu'il 
fatjoué27 fois en 1842 et resta plusieurs années au 
répertoire. La presse l'accueillit avec bienveillance, 
et de divers côtés furent prodigués au jeune musicien 
les encouragements les plus ilatteurs, a II y a de l'a- 
mour, de la terreur, de la grâce et de l'énergie dans 
cette musique, disait l'un ; et celui qui l'a écrite 
porte en lui un avenir de compositeur, u <i Voici, 
disait l'autre, un écolier qui pourrait devenir un 
maître. » Le libretto, lui aussi, n'avait pas été par 
trop désapprouvé, en dépit d'une certaine naïveté 
qui nous ferait sourire aujourd'hui. Ainsi que l'ob- 
servait un critique d'alors, c'est «. une émanation, 
une suite, une imitation, une sorte de rognure enfin 
de Robert le Diable. C'est encore un Faust, un 
Freischûtz qui se vend corps et âme à messire Satan, 
parce qu'il a tout perdu au jeu. Cette pensée drama- 
tique n'est pas neuve, comme dit l'illustre Bilboquet, 
car il résulte de la pièce qu'il se trouve toujours là 



72 LE NOUTB&U KT L'&HCIBN RÉPERTOIRE 

une femme religieuse et dévouée pour faire annuler 
le satanique marché. » 

On devine que ce diable venait parmi les hommes 
pour faire son apprentissage, et que la terre était son 
école. Il voulait à son tour donner des leçons, et une 
simple jeune fille finissait par lui en remontrer. Cette 
conclusion suffisait à satisfaire les bonnes âmes. « Le 
diable, écrivait un humoriste, exerce depuis si long- 
temps son métier de bourreau qu'on n'est pas fâché 
de le voir une fois victime. » Et puis, la mode était 
aux diableries. Pour n'en citer qu'un exemple, on 
jouait en même temps à l'Opéra le Diable amoureux, 
et l'on a justement constaté que le diable avait sou- 
vent favorisé ceux qui le transportaient à la scène. 

Ajoutons qu'à cette époque, les grands artistes ne 
dédaignaient pas de paraître dans les petites pièces 
et simples levers de rideau. C'est ainsi que nous 
trouvons parmi les interprètes du Diable à l'école 
Roger, le séduisant Roger, dans tout l'éclat de la jeu- 
nesse et du talent. 

Habile chanteur, comédien intelligent, il avait, à 
la ville comme au théâtre, des manières agréables et 
distinguées qui le faisaient appeler par sa femme : 
un marquis en sucre / D'autre part, il avait une es- 
time de lui-même qui ne facilitait point les compli- 
ments à son adresse : Nous en parlons par expérience, 
et voici comment. On sait que dès le début de sa 
carrière dramatique, ses succès à l'Opéra-Comîque 
ne lui suffisaient pas ; il rêvait ceux de l'Opéra, qu'il 
devait connaître en 1849 avec le Prophète; mais dès 
1842 il préparait cette campagne, et, pendant son 
congé d'été, il se rendit à Rouen, où il parut dans 
Eléazar de la Juive, MasanieUo de la Muette de Por- 
tici et Arnold de Guillaume Tell. A l'Opôra-Comigue 



1842 73 

il avait été sans rival ; à l'Opéra il se montra remar- 
quable, saos égaler jamais cependant ses devanciers, 
Nourrit et Duprez. Tel n'était pas son avis, car, bien 
longtemps api-ês qu'il se fut retiré du théâtre, nous 
eûmes un jour l'occasion de le rencontrer et de lui 
dire dans la conversation : « Ah ! monsieur, vous 
avez laissé une place qui demeure toujours vacante!" 
— <t Deux! » fil-il simplement, et il nous tourna le 
dos d'un air vexé. 

Ses avantages extérieurs ajoutaient peut-être à sa 
suffisance ; mais il est curieux de constater qu'à cette 
époque l'élégance, la beauté même, n'étaient pas 
rares .dans le personnel masculin de l'Opéra-Comique. 
Il suffit de rappeler Moreau-Sainii, qui avait créé 
le Domino noir, et dont le physique l'emportait de 
beaucoup sur la voix ; Couderc, à qui les années 
mêmes n'enlevèrent pas sa réelle distinction ; Mocker, 
qui causa bien des ravages dans les cœurs féminins 
et dont les bonnes fortunes auraient pu être comptées 
par Leporello; ChoUet, un ancien, et Audran, un 
nouveau, qui ne tenaient pas la dernière place dans 
tette troupe de jolis hommes; et nous oublions vo- 
lontairement des artistes moins célèbres que les 
précédents, comme Botelli, Grard, Flavio, Puig, assez 
décoratifs pour ne pas déparer la scène où ils se 
montraient. De leur côté, les femmes n'étaient pas 
moins séduisantes : M"" Anna Thillon, de son vrai 
nom Sophie- Anna Hunt, qui avait épousé M. Claude- 
Thomas Thillon, artiste musicien et qui, par un 
exploit d'huissier en date du 17 février 1842, commen^ 
çait alors une instance en séparation; M"° Darcier, 
que le directeur Crosnier avait remarquée, comme 
Auber avait remarqué Anna Thillon; M"* Capdeville, 
qui avait épousé M. Horu et plaidait, elle aussi, 



74 LE NOUVEAU ET l' ANCIEN RÉPHRTOIRB . 

contre son mari pour obtenir une séparation, refusée 
d'ailleurs par le tribunal; M"" Cinti-Damoreau, qui 
devait connaître aussi les difficultés du ménage; la 
Jolie M"" Potier, M"" Mélotte, M"" Révilly, M"" Rou- 
vroy et tant d'autres, qui formaient, au point de vue 
plastique, un ensemble dont nos théâtres de musique 
actuels ne nous donneraient point l'équivalent. Il est 
vrai que jadis à l'Opéra un règlement, bien oublié 
depuis, obligeait les artistes à remplir certaines con- 
ditions physiques. Cherubini se le rappelait sans 
doute lorsque, directeur du Conservatoire, il vit un 
jour venir à lui un jeune homme de pauvre mine, qu 
demandait à entrer dans une classe de déclamation 
K Que, que, que, lit-il avec ce bégayement qui s 
mêlait à son accent florentin quand la colère le pre- 
nait, toi, au théâtre? toi laidl toi,* vilain singe ! va- 
l-en, va-t-en! » Les temps sont changés; aujour- 
d'hui, petits et Ifiids franchissent le seuil du Conser- 
vatoire et même celui de l'Opéra. 

Auber n'eut point à se fâcher, comme Cherubini, 
lorsqu'on monta le grand ouvrage de lui qui succéda 
au Diable à l'école. Ce fut l'étoile de la troupe qui 
parut dans le Duc d'Olonne, opéra-comique en trois 
actes, paroles de Scribe et Saintine, joué pour la 
première fois le 4 février 1842. Roger s'y montra 
charmant, comme toujours; Henri, Grigoon, M™ Anna 
Thillon et M"' Révilly le secondèrent brillam- 
ment, et Mocker en particulier tint avec une réelle 
autorité le rôle du duc, a un composé de brus- 
querie, de sensibilité, de façons cavalières sous la 
tente et distinguées à la cour, lisons-nous dans un 
compte-rendu. Trompeur près des femmes, trompé 
par elles plus tard. Brave soldat, courtisan habile 
et en somme le meilleur enfant du monde. Toutes 



i842 75 

ces nuances ont été saisies avec bonheur par 
M. Mocher. B Un lel succès ne pouvait donc man- 
quer d'accroître le renom de cet artiste, que sa 
famille destinait jadis à l'état ecclésiastique et qui 
certes aurait fait moins bonne figure sous la robe du 
prêtre que sous le pourpoint du gentilhomme. Quant 
à la pièce elle-même, elle n'était pas saas présenter, 
au second acte, quelques analogies avec les Visîtan- 
dines de Picard et Devienne (1792) ; on y rencontre 
le plaisant contraste des nonnes et des soldats qui, 
n'étant pas tombé, comme depuis, dans le domaine 

; de l'opérette, oiTrail encore quelque saveur au goût 
du public ; bref, elle fnt écoutée avet un certain 

; plaisir et fournit une carrière honorable. Rappelons 
. comme curiosité que le titre n'en avait pas été 
choisi sans peine. Au tableau des répétitions on 
afficha successivement le Duc, le Duc d'Ossonne, le 
Ducd'Ossonnes, /e Duc d'Ossoies, enfin ie Duc d'OJonne, 
Le second de ces noms appartenait à une famille 
existant alors et désireuse de ne point être mise en 
scène : de là, cette série de variantes. 

Dix jours après l'apparition de la nouvelle pièce, 
qui n'obtint en définitive que 45 représentations, son 
auteur fut investi des plus hautes fonctions auxquelles 
un compositeur puisse prétendre. Chembini, âgé 
alors de 82 ans, avait demandé sa retraite ; la place 
de directeur du Conservatoire devenait vacante ; 
Auber l'obtint sans dilTiculté. Un seul concurrent eût 
pu lui être opposé ; Bcrton, Le 14 février, jour de 
l'installation officielle, bien des yeux en effet se tour- 
nèrent vers lui; mais l'auteur de jKonianoeiSWp/iame 
ne voulait ni ne pouvait accepter; il avait non seu- 
lement la vieillesse, mais les infirmités de la vieil- 
lesse. Professeur de composition, c'est à peine s'il 



76 LS KOUVCAD ET l'àKCIEN RÉPSKTllIIiE 

pouvait parfois se rendre rne Bergère ; le plus 
sonvent ses élèves venaient prendre leurs leçons 
chez lui ; et comment les recevait-il 1 Uo témoin 
oculaire nous l'a raconté depuis : en robe de cham- 
bre, la tête enveloppée d'un vaste foulard et assis... 
dans un bain I Un tel directeur eût manqué de pres- 
tige. 

Auber se trouvait encore dans toute la force de 
l'âge et presque à l'apogée de sa gloire. L'Opéra- 
Oomique lui devait quelques-uns de ses plus grands 
succès, et sou répertoire éclipsait celui de tous ses 
rivaux. En cette année 1842, par exemple, cinq de 
ses pièces tinrent l'affiche, le Duc d'Olonne, avons» 
nous dit, 45 fois, le Domino noir 58, le Concert à la 
Cour 24, les Diamants de la Couronne 12, l'Ambassa' 
drice 2; en tout 141 représentations sur 348, soit 
esaciementles deui cinquièmes. Que de cris s'élève- 
raient aujourd'hui si, en dépit de son talent et de sa 
renommée, le directeur du Conservatoire s'imposait 
ainsi et voulait accaparer un Ihéâire à son profit I On 
était plus docile alors, et l'on s'inclinait respectueu- 
sement. 

Cette discipline, on la devait en partie àl'admlnis- 
tralion sévère et ferme de Oherubini, qui ne jouit 
pas longtemps d'un repos noblement gagné. Un mois 
après avoir été remplacé, le 15 mars, il ^'éteignait, 
ayant conservé jusqu'à la fin sa raison, sa volonté, 
son activité même, car il composait encore toutes les 
leçons de solfège données aux examens et aux con- 
coui-s; de sa main, si tremblante qu'elle fût, il tra^ 
çalt les sujets de fugue destinés aux concurrents qui 
entraient en loge ; enfin, dans les premiers jours de 
janvier 1842, c'est-à-dire deux mois avant sa mort, il 
écrivait son dernier ouvrage, un canon pour Ingres, 



1842 ■ 77 

l'ami qui avait immortalisé ses traits dans ud de ses 
portraits les plus Tameui. 

Avec Ctierubiiii disparaissait un auteur applaudi 
souvent au temps où l'Opéra- Comique s'appelait 
Feydeau, un théoricien devant la science duquel se 
courbait même Beethoven, qui lui envoya, avant de 
la publier, sa grande Messe en ré, demandant, disait-il, 
son avis « au plus grand compositeur de noire épo- 
que », un maître enfln auquel on ne pouvait repro- 
cher que son mauvais caractère et son humeur 
acariâtre. Aussi, parlant de lui, Richard Wagner 
disait-il, non sans raison : «Cet homme n'a fait que 
des chefs-d'œuvre, et il n'a que des ennemis 1 u Ber- 
lioz ne pensait point différemment, et ildut voir sans 
regret le cercueil mené en grande pompe au cime- 
tière du Père-Lachaise. Plusieurs discours furent 
prononcés sur la tombe ; mais, par une ironie du sort 
■ digne d'être notée, une pluie torrentielle accompa- 
gnée de grêle éclata tandis que les orateurs chan- 
taient les louanges du défunt : il semblait que, même 
après sa mort, Cherubini voulait encore être désa- 
gréable à ceui qui l'approchaient. 

Cependant, rOpéra-Comique poursuivait paisible- 
ment le cours de ses reprises, afm d'alimenter son 
répertoire en l'absence de nouveautés. C'est ainsi 
-que nous rencontrons : 

Le 7 février. — Adolphe et Clara, de Dalayrac, trois 
représentations. 

Le 2i féorier. — Le Concert à. la Cour ou la DébU' 
tanle, un petit acte d'Auber, avec paroles de Scribe et 
Melesvllle, qui remontait au 3 juin 1824, et dont il 
n'est resté qu'un air, chanté parfois dans les con- 
certs ; « Eniendez-vous au loin l'archet de la toliel )> 
U parait qu'un des personnages de la pièce, le perfide 



78 LE NOUVBAO BT l' ANCIEN RÉPERTOIRE 

et cauteleux Asluccio, avait été desamé d'après na- 
ture, et représentait... le compositeur Paër. Ce serait 
une petite vengeance qu'auraient exercée lesauteura, 
et à laquelle le baToué même ne pouvait trouver à 
rediie, car il avait, lui aussi, la dent acérée et n'é- 
pargnait point les autres. Par exemple, il assistait un 
soir, en compagnie de Rossini, à la première repré- 
sentation d'un ouvrage, peut-être bien d'Auber juste- 
, ment. La pièce marchait assez allègrement, lorsque 
tout a coup certain morceau manqué changea les 
dispositions du public et fut accueilli par un silence 
glacial. Une seule personne battit des mains, Paër. 
« Pourquoi donc applaudissez- vous ce morceau? de- 
manda Rossini : il est mauvais. — C'est que, ré- 
pondit Paér, j'ai peur qu'on ne le coupe ! » 

Le 25 fiiorier. — Le Domino noir, avec Madame 
Rossi-Oaccia jouant pour la première fois le rôle 
d'Angèle dans cette soirée, qui, donnée à son béné- ■ 
fice, produisit 4,670 francs de recettes. 

Le 5 mars. — Une Heure de mariage, aimable petite 
pièce en un acte, de Dalayrac, qui avait été repré- 
sentée primitivement à Feydeau, le 20 mars 1804, et 
qui devait être reprise de notre temps à la Galté, 
lorsque M. Vizentini essaya d'y ressusciter le Théâtre 
Lyrique. Si simple que fût le libretto d'Etienne, il 
avait sans doute quelque fraîcheur, puisqu'un chan- 
teur-compositeur s'avisa d'en récrire la musique, et 
produisit son œuvre, en février 1865, au théâtre de 
Strasbourg où il était engagé alors comme ténor: ce 
chanteur s'appelait Warnots. 

Le 7 avril. — Les Deux Journées, comédie lyrique 
en trois actes datant du 16 janvier 1800, un des grands 
succès de Feydeau, comme aussi l'un des meilleurs 
ouvrages de Cherubini. Cependant, la pauvreté du 



1842 79 

poème de Bouilly fait depuis longtemps écarter celte 
pièce de la scène française, et c'est l'Allemagne qui, 
plus hospitalière, l'a recueillie et adoptée sous le 
nom de der Wassertrœger (le Porteur d'eau.) Chaque 
année, une ville ou l'autre la remet au répertoire et 
lui maintient sa popularité. Deux faits, au beroin, 
attesteraient l'importance de l'œuvre et l'estime en 
laquelle nos voisins l'ont toujours tenue. 8ii ans 
après son apparition en France, non seulement on la 
jouait en Allemagne, mais encore on lui avait donné 
une Suite sous le titre de Michéli et son fils, repré- 
sentée à Hambourg avec la musique d'un certain 
Clasing, Plus tard, un autre compositeur, mais ce 
lèbre celui-là, Weber, l'auteur du Freischatz, ne 
dédaigna pas d'en retoucher l'orchestration, c'est-à- 
dire d'y ajouter à certains endroits des trombones, 
comme il en fait mention lui-même dans son Journal 
intime à la date du 6 janvier i820, le jour même de la 
représentation à Dresde. Lorsqu'il fut question de 
reprendre à Paris les Deux Journées, on proposa 
d'accepter cette addition ; mais Cherubini refusa et 
répondit nettement que, s'il, avait voulu mettre de 
nouveaux instruments dans son ouvrage, U l'aurait 
fait lui-même. 

Au reste, il n'était pas de ceux à qui l'on donnait 
des ordres, ni même des conseils. Il commandait, et 
voulait qu'on lui obéît. Il tint, par exemple, à ce 
qu'Henri prit le rôle de Mikéli, créé par Juliet ; l'ad- 
ministration voulait un autre interprète, et son 
obstination fut cause qu'il n'assista pas à cette re- 
prise si longtemps retardée : la mort était venue trois 
semaines trop tôt. Au lendemain de ce deuil, la re- 
présentation eut alors un caractère de solennité, 
presque d'apothéose. 8on buste fut couronné sur la 



80 LB NOUVEAU ET L'aNCIEN BÉPBBTOIRS 

scène ; Henri et Moreau-Saintî récitèrent deux pièces 
de vers composées en son honneur, la première par 
Emile Deschamps, la seconde par Bouilly, l'auteur 
du poème des Deux Journées, aimable et bon vieillard 
qui ne put survivre aux émotions de cette soirée et 
suivit de près son collaborateur dans la tombe. Enfin, 
tous les artistes se réunirent sur la scène pour chan- 
ter le Tameux chœur ûeBtanche de Provence] : ■ Dors, 
cher enfant, tendre Heur d'espérance 1 > A- ces regrets 
publiquement manifestés l'Institut ne manqua pas 
de s'associer : la section musicale décida qu'il ne 
serait pourvu que six mois plus tard au remplace- 
ment de Cherubini et que jusque-là le fauteuil de- 
meurerait vacant, comme il l'était demeuré jadis 
après la mort de Boieldieu. En fait, l'élection du suc- 
cesseur n'eut lieu que le 19 novembre suivant : 
Onslow fut choisi par 19 voiï contre 17 données à 
Adolphe Adam. 

Après les Deux Journées, une reprise est encore à 
signaler, à la date du 18 mai, celle de Jeannot et 
Colin, trois petits actes que nous retrouverons encore 
plus d'une fois et qui servirent alors de rentrée à 
deui vieux serviteurs de l'Opéra-Comique, Chollet 
et M"* Prévost; pendant quinze mois ils avaient 
quitté Paris, jouant en province et à Bruxelles. Re- 
venus au bercail, ils y trouvèrent bon accueil, ainsi 
que la pièce elle-même, pour laquelle on avait craint 
cependant a des formes vieillies, une grande mono- 
tonie de tonalité, et une plus grande indigence d'ins- 
trumentation. » Chose curieuse, le critique qui s'ex- 
primait ainsi ajoutait que « les opéras de Nicolo 
ne sont en réalité que des opérettes. » Certes, 
une telle assertion demeure contestable ; mais 
le mot opérette valait d'être noté au passage. 



1812 81 

car en 18ï2, il n'appartenait guère au langage cou- 
rant. 

Le 9 juin. — Une première représentation vint in- 
terrompre cette série dereprises qui s'étaient succédé 
depuis quatre mois ; le Code noir, paroles de Scribe, 
musique de Clapisson. Plus d'iiabilelé dans la faclure 
que d'originalité dans les idées, voilà comment pou- 
vait se résumer cet ouvrage en trois actes dont les 
trente-deux représentations n'ajoutèrent rien au mé- 
.rite du librettiste et du compositeur. La pièce était 
de circonstance, si l'on veut, en ce sena que les ques- 
tions relatives aux colonies préoccupaient alors assez 
vivement l'opinion; on discutait pour et contre les 
nègres, et certain livre de M, Schœlcher, relatif à la 
traite et au droit de visite, faisait l'objetdes commen- 
taires de la presse. On no pouvait donc transporter 
plus à propos sur la scène uoe|aventure dont les 
héros avaient dû se barbouiller le visage, sous pré- 
texte de couleur locale. De là ce titre étrange, et, soit 
dit sans jeu de mois, dépourvu de clarté : le Code noir! 
Comme on le fit observer, /e Code des noirs aurait 
mieux convenu à ce drame, dont la donnée provenait 
d'une nouvelle de M"° Reybaud publiée dansia Revue 
de Parie, et intitulée l'Epave : c'est ainsi qu'on dési- 
gnait » l'esclave qui, n'étant réclamé par aucun 
maître, revenait de droit au gouvernement, et pou- 
vait être vendu par décision des membres du con- 
seil colonial. » Scribe, au reste, n'y avait pas mis 
tant de malice ; il lui avait suffi d'exciter « la terreur 
et la pitié » dans une action qui, par l'absence d'élé- 
jnents gais, détonnait un peu àl'Opéra-Comique et se 
serait mieux accommodée d'un Théâtre-Lyrique, s'il 
avait existé. Or, à cette époque précisément, on s'en 
occupait, et d'une façon très sérieuse, semblait-il. 



82 LE NOUTEAU BT l'aïîCIBM RÉPEBTOIHB 

Une lettre signée Adolphe Adam, Berlioz, Panseron, 
Ambroise Thomas, Leborne, Baiton, Boisselot, El- 
warl, Bousquet, Boulanger, Paris et Halévy, le seul 
de ces jeunes pétitionnaires qui appartintdéjààl'Ins- 
titut, était adressée au ministre de l'intérieur, afin de 
hâter ia création d'un théâtre situé boulevard Bonne- 
Nouvelle : le second Opéra-Comique ou le troisième 
Théâtre-Lyrique, comme on le désignait alors. On 
croyait le tenir, tandis qu'il était loin encore, bien 
qu'on nommât déjà le futur directeur, M. Roche. 
Toute cette belle ardeur devait se ;briser, comme elle 
se brisera encore, devant l'inertie ou l'indifférence 
administrative. Etait-ce la crainte d'une concurrence 
qui redoubla le zèle du directeur de l'Opéra-Comi- 
que ? Le fait est, que pour la fin de l'année, nou- 
veautés et reprises se succédèrent à intervalles assez 
rapprochés. 

Le 21 Juillet. — Une bonne fortune {14 repr.), opéra- 
comique en un acte d'Alphonse Adam, représenté 
pour la première fois le 23 janvier 1834, et composé 
en huit jours, noua dit-il dans ses Mémoires. Par 
malheur il a négligé de nous indiquer le nom de ses 
librettistes, et les historiens n'ont que l'embarras du 
choix. Dans son livre sur Adam, M. Pougin désigne 
X., Féréol et Edouard ; dans son Dictionnaire lyrique. 
Clément se contente de Féréol et Mennechet : X. a 
disp&ru I Enân, les affiches portaient Edouai'd 
et Second ! Les deux derniers se confondaient-ils 
avec les deux premiers sous le masque du pseudo- 
nyme? 

Le 9 août. — Le Petit Chaperon rouge (1 i représen- ' 
tatlons), charmant ouvrage dont bien des morceaux 
ont gardé longtemps leur popularité, et dont l'histoire 
o'est plus à refaire après le livre intéressant de 



1842 83 

M. Arthur Pougin : Boieldieu et ses otuvTes. Ajoutons 
seulement que cette pièce i^ervit au début de Chollet, 
lequel parut pour la première foisài'Opéra-Oomique, 
dans le rôle de Rodolphe, le 23 mars 1825. Rappelons 
en outre que ce vieux conte de Perrault fournit le 
texte d'une adaptation anglaise, jouée en cette même 
année 1842, à Londres, au théâtre de Surrey, avec la 
musique d'une dame, mistress 0' Becket. La gloire 
de Boieldieu n'en fut point éclipsée et l'ombre du 
compositeur rouennais ne s'en émut guère du haut 
des Champs-Elysées, où la flatterie de ses concitoyens 
. l'avait placé. On sait en effet qu'il fut de mode, à une 
certaine époque, de représenter les grands hommes 
dans ce paradis païen. On vit, par exemple. Napoléon 
aux Champs-Elysées, BenjaminConstant aux Champs- 
Elysées, etc. De même, il exista un Boieldieu aux 
Champs-Elysées, tableau- vaudeville en un acte de 
Sewrin, joué à Rouen au théâtre des Arts, le 13 no- 
vembre 1834. L'auteur de la Dame blanche comptait 
désormais parmi les heureux béatiâësl 

Le 16 août. — L'Éclair (5 repr.),autreouvragebien 
connu, dontla vogue ne s'était guère démentie depuis 
le 30 décembre 1835, où il avait été donné pour la 
première fois. Conçu à la suite d'un pari, et écrit en 
quelques jours, l'Éclair dut, sans doute à cette cir- 
constance, d'être privé de chœurs. Leur absence fai- 
sant gagner du temps au compositeur, au directeur 
et aux interprètes, Halévy se trouva prêt à temps et 
gagnal'enjeu. On sait que la partie chorale manque 
k bon nombre de pièces en un acte ; pour les œuvres 
d'une certaine importance, le fait est plus rare. On 
trouverait néanmoins à citer la Servante maîtresse, 
Zémire et Azor, les Evénementsimprévue, l'Ombre, plus 
tard le Rheingold, la Walkyne et Siegfried, c'est-à-dir« 



ni LE NOUVEAU ET l'aNCIEN RÉPERTOIRE 

les trois premières parties de la Tétralogie de Wagner. 
Ce qu'on sait moinâ, c'est la diversité des titres sous 
lesquels la pièce d'Halévy avait été répétée : le Mari 
aveugle, le Coup de foudre, la Femme de l'Aveugle, 
Leone, et enfin, /'Éclair. Ce qu'on ignore surtout, c'est 
la source où les librettistes, de Saint-Georges et de 
Piaoard, avaient puisé leur sujet, ou, du moins, l'idée 
primitive : dans une vieille farce italienne, tout sim- 
plement. Cassandre est oculiste et opère de la cata- 
racte Colombine, dont il est amoureux; l'opération 
réussit; mais Colombine n'a pas plutôt recouvré la 
vue qu'elle se jette au cou du beau Léandre et 
tourne le Uos à son sauveur. Ainsi va trop souvent la 
reconnaissance ! 

Le 23 août. — Première représentation d'un acte 
intitulé le Conseil des Dix, paroles de Leuven et 
Brunswick, musique de Girard. Vu le nom de la 
pièce on pouvait s'attendre à quelque mélodrame 
bien sombre, où des portes secrètes livreraient pas- 
sage à des hommes masqués, où le poison et l'épée 
joueraient un rôle, où l'innocence ne triompherait 
pas sans lutte. En réalité, il s'agissait d'une iotrigue 
des plus légères, tirée d'un vaudeville récent, la 
Gueule du lion, et ornée d'uce musique agréable, 
mais déouéede toute personnalité. Vingt-quatre repré- 
sentations en épuisèrent le succès, et, renonçant dé- 
sonuaisà la composition, Girard se contenta de de- 
meurer ce qu'il était alors à l'Opéra-Comique et ce 
qu'il fut plus tard à l'Opéra, un excellent chef d'or- 
chestre. 

Le 21 septembre. — Polichinelle [5 repr.), un acte de 
Montfort, qu'on reprenait de temps en temps ; mais 
il ne faut pas oublier que le compositeur avait 
épousé la uièce du directeur Crosnier :on ne pouvait 



1842 S5 

moins faire que de se rendre service en famille. 

A cette même date, on lisait dans un journal de 
théâtre la nouvelle suivante : *Jocelyn est en répéti- 
tion à rOpéra-Comiq^ue s. Une autre fois, la même 
nouvelle reparaissait, confirmée et agrémentée de 
piquants détails : « Onrépète à force Jocelyn. Le bruit 
se répand que, outre les divers mérites de la parti- 
liou, les choeurs sont d'une facture agréable... ils 
sortiront de la vieille ornière et contribueront à 
l'effet des scènes par une intelligente animation. Cela 
se fait depuis longtemps à l'étranger; nous ne conce- 
vons pas comment nos théâtres lyriques se sont laissé 
arriérer de la sorte, etc. iî./oceiyn,àrOpéra-Comique! 
en ltJ42 1 Des indiscrétions de coulisses, mal inter- 
prétées, avaient amené ces reportages ; l'action se 
passait non pas en Savoie, mais en Normandie ; la 
pièce, débaptisée au dernier moment, s'appelait... le 
Roi d'Yvetot, et le «Jo3selyn> de Leuven et Bruns- 
wick n'avait rien de commun qu'une assonance avec 
le Jocelyn de Lamartine. 

La première représentation eut lieu le 13 octobre, 
un vendredi ! six ans, jour pour jour, après (e Postillon 
■de Lonjumeau, donné, lui aussi, le 13 octobre : il 
fallait, en vérité, ne pas être superstitieux! Ces 
trois actes d'Adolphe Adam, joués 24 fois dans l'an- 
née, furent accueillis avec faveur par le public, 
et par la presse surtout, qui ne jeta pas de notes dis- 
-cordantes dans ce concert d'éloges. On constata, il est 
vrai, que les librettistes u avaient pris textuellement 
l'idée, l'intrigue, les caractères et la marche d'une 
.pièce jouée au théâtre du Palais-Hoyalsous le titrede 
Rabelais»; mais le musicien, dont la partition, en 
effet, n'était pas sans mérite, ne reçut que des com- 
pliments, même de la Gazette musicale, avec laquelle 



86 LE NOUVEAU BT l'aNCIEN RÉPERTOItlE 

.il n'eutretenait point précisément des relations d'a- 
mitié. Aujourd'hui le Boi d'Yoetot n'est plus qu'un 
nom : Béranger l'a sauvé de l'oubli. L'opéra-comique 
a passé ; c'est la chanson dont on se souvient. 

Quinze jours après, le 2 novembre, on donnait pour 
la première fols un petit acte intitulé le Kiosque, pa- 
roles de Scribe et Paul Duport, musique de Mazas, 
un violoniste renommé, qui se faisait entendre dans 
les concerts et avait ainsi parcouru l'Europe avec des 
fortunes diverses, mais dont le principal titre aujour- 
d'hui demeure la composition de ses morceaux pour 
violon, de ses Études, principalement, toujours et 
justement appréciées. A notre époque, on appelle 
volontiers des jeunes les auteurs qui n'ont pas en- 
core été joués. A ce titre seul, Mazas était un jeune; 
il comptait déjà soixante ans et le Kiosque était son 
premier ouvrage dramatique ! La pièce elle-même 
semblait à peine moins vieille que lui, car elle avait 
passé par les mains de Boieldieu, inspirée par lui, 
disent les uns, refusée par lui, disent les autres. De 
toute façon elle était demeurée longtemps sans pro- 
priétaire et maître. Le point de départ semblait ori- 
ginal, puisqu'on voyait un muet, ou du moins un 
amoureux se faisant passer pour muet, et traduisant 
ses pensées avec le secours et le langage du violon. 
11 fallait pour ce rôle des aptitudes spéciales ; elles se 
rencontrèrent en la personne d'Emon, un chanteur 
dont la voii était médiocre et qui maniait agréable- 
ment l'archet. Son succès personnel fut assez grand, 
ainsi qu'il le sera toujours, du reste, quand des 
acteurs jouent en scène un instrument quelconque, 
harpe, guitare ou simple mirliton, comme dans les 
Petits Prodiges, de M. Emile Jonas. Malgré tout le 
talent d'Emon, malgré la présence d'un quatuor de 



1842 8? 

femmes, M"" Boulanger, Descot, Darcier, Révilly, 
particularité assez rare dans les ouvrages en uu acte, 
le Kiosque, appelé d'abord et plus justement le Muet, 
disparut au bout de 8 représentations. Découragé 
peut-être par ce premier échec, Mazas ne chercha 
plus à livrer bataille ; il rentra daos l'ombre et mourut 
quelques années plus tard, en 1849. 

Trois reprises nous restent à signaler : 

Le 11 novembre. — Zampa (18 repr,), dont le prin- 
cipal rôle avait toujours été joué par son créateur, 
Ohollet, et qui dès lors passa aux mains d'un 
nouvel interprète, Masset, avec Ricquier, 8ainle-Foy, 
M"" Rossi-Caccia et Prévost, comme principaux par- 
tenaires. 

Le 18 novembre. — L'Eau merveilleuse, donnée 
originairement à la Renaissance en deux actes, le 
30 janvier 1839, et, pour son nouveau cadre, réduite 
en un acte par les soins de Struntz, l'auteur d'un 
Guillaume Tell... aquatique, représenté à la salle 
Ventadour en 1835. La pièce de Thomas Sauvage et 
Albert Grisar, avait, comme bien on pense, subi de 
nombreuses modiâcations, au cours d'un semblable 
remaniement. Dans la première version, les person- 
nages se nommaient Scaramouche, Tartaglia et 
Argentine ; dans la seconde, Scaramouche avait dis- 
paru pour faire place à Belloni, et l'on avait imaginé 
un rôle de podestat où Sainte-Foy se montra étince- 
lant de verve et de gaieté. De la distribution primi- 
tive, M"" Anna Thiilon demeurait seule, et c'est 
évidemment pom* elle qu'on avait songé à cette re- 
prise ; du côté des hommes, Hurlaux et Péréol avaient 
été remplacés par Henri et Mocker. Le succès se 
traduisit par 19 représentations en six semaines. 

Avec la Double Échelle, remontée le 24 novembre & 



88 LE KOUVEAO BT l'aNCIBN BÉPBRTOIRB 

jouée trois fois, se termine cette révision chronolo- 
gique de 1842, dont le bilan sommaire peut se dresser 
de la façon suivante : 

En 1841, 773,603 fr. 95 c. de recettes, avec 35i re- 
présentations. 

En 1842, 656,143 fr. 55 c. avec 348 représenta- 
tions. 

Soit une différence notable, au détriment de la 
deuxième année. 

rren(e-si;jc pièces avaient paru sur l'affiche, dont 
six nouveautés, trois en trois actes, et trois en un 
acte, total douze actes ; et douze reprises, cinq en 
trois actes et six en un acte, total vingt-et-un actes. 
Dans la première catégorie de ces ouvrages, un 
seulement avait obtenu un franc succès, 2e Diable à 
l'École, et deux avaient reçu un honorable accueil, 
le duc d'Olonne et le Roi d'Yvetot; dans la seconde 
catégorie, l'Éclair, le Domino noir, Jeannot et Collin 
et Zampa méritaient seuls d'être . tirés hors de pair 
avec les autres piècett du répertoire courant, Richard 
Cœur de Lion, Jean de Paris, etc. Les autres reprises, 
comme celle du Concert à la Cour, une Heure de ma- 
riage, lee Deux Journées, une Bonne Fortune, le Petit 
Cftaperonrouge, n'avaient euqu'uu succès de curiosité. 
Pour terminer cette revue d'ensemble, notons trois 
représentations extraordinaires : la première, le 
25 février, au bénéûce de madame Rossi-Caccia, avec 
le Domino noir, un intermède musical, et Michel et 
C/iristine; la seconde, le 19 mars, au bénéflce de la 
Caisse de secours des auteurs dramatiques, avec la 
Sœur de Jocrisse et Japhet ou la Recherche d'un Père, 
«t produisant une recette de 4,088 francs ; la troi- 
sième, le 22 octobre, au bénéfice de M"" Dorval,- 
qui joua le rôle de Phèdre. Le deuxième acte de 



1843 89 

Richard Cœur de Lion interprété par les artistes de 
rOpéra-Comlque, le quatrième acte de la Favorite 
par les artistes de l'Opéra, et Passé minuit, par les 
artistes du Vaudeville, complétaieot te programme 
de ce spectacle, qui rapporta 6,881 francs, la plus 
ferle recette de l'aunée. 

Quant au mouvemeut du personnel, il fut des plus 
restreints. Une seule artiste se retira provisoirement, 
M"* Henri Potier, dont le mari était accompagnateur 
au théâtre et vit ses fonctions passer entre les 
mains, autrement dit, sous les doigts de Garaudé et 
Vauthrot. Pour compenser cette perle, on gagnait 
Flavio Puig, gui débuta le 13 janvier dans Richard, 
puis dans Jean de Paria, mais quitta l'Opéra-Comique 
bientôt après ; M'°' Cbarles Mai'tin, de son vrai nom 
M"* Charlel, qui ne flt que passer dans le rôle d'Oli- 
vier de Jean de Ports; M"° Denaus, une jolie per- 
sonne, qui venait du Palais-Royal, où elle avait joué 
BOUS le nom de Fanny, et qui parut à son avantage 
le 7 mai dans le Chalet. La plus précieuse conquête, 
et de beaucoup, fut celle d'Audran, qui chantait 
précédemment à Lyon, et qui, le 7 mai, sous les 
traits de Georges, de la Dame blanche, débuta très 
brillamment ; an chanteur, adroit comédien,' il 
devait compter parmi les ûdèles serviteurs de la salle 
Pavart. 

L'année 1843 s'ouvre par un nouveau succès 
d'Auber. La fortune se montrait constante : et, dans 
son compte-rendu de (a Reoue et Gazette musicaie, 
Henri Blanch'ard pouvait se livrer aux douceurs de 
la métaphore en signalant cette partition du maître, 
laquelle, disait-il, « ajoute une feuille de plus à la 
couronne déjà si touffue qu'il s'est tressée par ses 
nombreux ouvrages. « Un autre critique s'exprimait 



90 LB NOUVEAU ST l'ancibn hépertoibe 

ainsi: « En applaudissant à ses mérites, le public 
de ce théâtre coutioiie des relations qu'il ne verrait 
cesser qu'avec un extrême chagrin : c'est un hymea 
spirituel, a 

Ah I qu'en termes galants ces choses-là sont dites I 

Le fait est que, représentée pour la première fois 
le 16 janvier, la Part du Diable eut ce qu'on appelle 
une excellente presse, et ses trois actes furent l'objet 
des commentaires les plus flatteurs. 

On goûta le poème, en particulier, d'autant mieux 
qu'on le connaissait davantage. L'idée première n'en 
appartenait pas k Scribe et la donnée ressemblait fort 
à celle de Dominique le possédé, comédie eu trois actes 
par d'Epagny , jouée au Thé&tre-Françals avant que 
son auteur prit la direction de l'Odéon. En outre, la 
Part du Diable, répétée d'abord sous le nom de Fari- 
nelli, procédait quelque peu d'un vaudeville en deux 
actes de Saint-Georges et de Leuven, intitulé pré- 
cisément Farinelli et joué au Palais-Royal ; le prin- 
cipal rôle, comportant môme une partie musicale, 
avait eu alors pour interprète Acbard, dont le fils, 
à son tour, devait paraître, en 1868, dans la Part du 
Diable. 

Somme toute, le livret n'est pas ennuyeux, et l'on 
prendrait encore peut-être aujourd'hui quelque plaisir 
aux aventures du faux diable et de sou naïf compa- 
gnon, ce Rafaël à qui tout réussit et qui ose tout en- 
treprendre, fort de l'idée qu'un pouvoir magique le 
protège, cet ancêtre à quelques égards de Tartarin 
faisant sans crainte l'ascension de la Jungfrau, parce 
qu'il croit au fonctionnement d'uue société chargée 
de préserver les voyageurs de tout accident. Mais 
l'heure présente ne semble pas favorable à une re- 



1843 91 

prise de cet ouvrage qui s'est maintenu au répertoire 
des opéras aliemaiiâs, soit sous son titre exactement 
traduit Teufels Antheil, soit sous celui de CaWo 
Broschi. La dernière remonte à vingt-quatre ans 
déjà : C'était en 1868, et la Part du Diable eut pour in- 
terprèles M°" Brunet-Lafleur (Carlo), Belia (Casilda), 
MM. Achard déjà nommé (Rafaël), et Gailhard (Fer- 
dinand VI), qui depuis lors a changé de sceptre et 
gouverné un théâtre au lieu d'un royaume. 



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CHAPITRE IV 

PREUIER CHANGBHENT' DE DIRBGTION 

La Sirène. 

Reprises du Déserteur, du Délire, d'Une folie et de 

Monsieur Deschalumeaux. 

(1843-1 84S). 

L'ouvrage de Scribe et d'Auber n'avait guère reo- 
coDtré qu'uQ détracteur en la personne de Castil- 
Blaze. Mais le motif eu était assez peu honorable, s'il 
est vrai que la France musicale, ofi parut sa prose, se 
vengeait ainsi de M. Troupenas, éditeur des œuvres 
d'Auber, lequel avait cessé de payer 200 francs par 
mois audit journal pour les annonces de ses publica- 
tions. Ces sortes de marchés n'étaient pas rares, et, 
dans les comptes de l'Opéra pour cette époque, on 
trouve à l'article dépenses une subvention accordée 
à certain journal sous forme de quatre-vingts abonne- 
ments ; l'abonnement coûtait 53 francs ; c'était donc 
une rente annuelle de 4,160 francs servie par l'admi- 
oisiratiou à seule fin d'entendre chanter ses louanges ; 
le journal ne coûtait guère plus à son directeur. Bien 
plus, le gouvernement iui-môme conseillait parfois 
de tels procédés, et les archives de ce théâtre ont 
gardé la lettre bien curieuse d'un ministre écrivant 



1843 93 

au directeur qui s'était plaint de l'hostilité de cer> 
taine feuille. Son Excellence reconoaissait qu'il 
fallait faire cesser une campagne qui menaçait de 
déconsidérer un établissement subventionné par 
l'Etat, et une somme de 1,500 francs était mise à sa 
disposition pour être distribuée suivant les besoins. 

Il faut espérer que les temps sont changés. Si les 
journalistes ont plus de désintéressement, ils ont 
aussi plus d'amour- propre, et le plus humble d'entre 
eux s'épargnerait l'étrange aveu que le même Castil- 
Blaze faisait à ses lecteurs le £2 janvier 1843 : « Je 
m'honore du titre d'imbécile, et je travaille, môme 
à la sourdine, à conquérir le titre d'idiot. • — 
« Supprimez à la sourdine.' » répondît uo confrère, 
et les adversaires n'allèrent point sur le pré pour si 
peu! 

La presque unanimité des jugements de la presse 
se retrouva pour la pièce qui suivit la Part du Diable, 
le 26 janvier, mais en sens inverse : on avait applaudi 
l'œuvre nouvelle, ou blâma la reprise de Monsieur 
Deschalumeaux, opéra-comique en trois actes, paroles 
de Creuzé de Lesser, musique de Gaveaux, joué au 
théâtre Feydeau le 17 février 1806, « Vieille pièce et 
musique vieille, dirent les plus indulgents. » Solié, 
Chenard, Paul, Lesage, Juliet, Baptiste, Fromageat, 
M"' Pingenet et M" 8cio avaient imposé au public, 
lors de la création, cette espèce de vaudeville, peu 
chargé de musique, mais bourré de situations ultra- 
bouffonnes qui en font le type des pièces à voyages 
plus ou moins accidentés. Leurs successeurs, Mocker, 
Ricquier, Mpreau-Saiuti, Grignon, Emon, Daudé, 
Palianti, Mi" Prévost et M"* Félii Mélotte jouèrent 
cette farce avec une absence de conviction qui ne 
pouvait que la rendre fort maussade. A part Mocker, 



94 PREHLEn GBANQEUBNT DE DIRECTION 

écrivait un critique, tous ont l'air de porter le diable 
en terre. • De pareils interprètes assombriraient le 
soleil, et Monsieur Desckalumeaux n'a pas même 
assez d'huile dans sa lampe pour entretenir une veil- 
leuse, n 

Puissent tant de plaisanteries 

Passer à voire tribunal ; 

On doit excuser les folies, 

Quand on les fait en Carnaval t 

disait le héros de la pièce dans son couplet au public. 
La presse, trop sévère, de 1843 répondit que celte 
œuvre, soi-disant de carnaval, était de celles aux- 
quelles a on ne peut rire sans une alarmante dispo- 
sition à la gaieté. » Elle obtint cependant 31 repré- 
sentations; mais lorsqu'elle disparut, ce fut défini- 
tivement : Monsieur Deschalumeaux, un instant 
rappelé à la vie, refit comme dernier voyage celui 
du cimelière, et, cette fois bien enterré, il ne revint 
plus. 

Le 3 février, il en fut de môme, ou à peu prés, des 
Deux Bergères, opéra-comique en un acte, paroles de 
Planard, musique de M, Ernest Boulanger. Vingt- 
et-une représentations mesurèrent l'existence de 
cette petite pièce, qui aurait pu s'appeler la Suite 
d'un bal masqué, comme la comédie de M"" de Bawr, 
à laquelle elle ressemblait d'ailleurs. L'histoire de 
ce jeune militaire, intrigué par deux bergères dont 
l'une ei^t sa fiancée, l'autre une espiègle amie, four- 
nissait la matière d'un agréable quiproquo ; Planard 
l'avait traitée avec esprit, M. Boulanger avec grâce 
et mesure ; quant au rôle de la marquise, il avait 
trouvé une interprète dont le dévouement se devine : 
c'était la mère du compositeur ! 
Signalons, à la date du 27 mars, une reprise du 



1»43 95 

Postillon de Lonjumeau, ouvrage trop connu pour 
arrêter longtemps l'attention du lecteur. Constatons 
seulement que le rôle de Chapelou fut et resta, 
comme on dit vulgairement, le cheval de bataille de 
Chollet. Ce chanteur l'avait créé à l'Opéra-Comique 
en 1836, et le jouait encore au Théâtre-Lyrique 
en 1853, toujours avec succès, et pvéa de vingt ans 
après 1 Rappelons enfin que le Postillon de Lonjumeau 
a franchi le Rhin depuis longtemps, et que là-bas, 
comme ici, ce joyeux personnage a connu la popu- 
larité. Pendant la guerre de 1870, les Allemands 
occupèrent Lonjumeau ; la célèbre enseigne, qui por- 
tait le litre de la pièce d'Adam, fut décrochée avec 
soin, par ordre, et placée par les vainqueurs, comme 
butin, parmi les dépouilles opimes qu'ils rapportèrent 
en leur pays. 

Un larcin d'une autre espèce attendait l'ouvrage en 
trois actes que nous rencontrons à l'Opéra-Comique 
le 20 avril ; ie Puits d'amour. Scribe et de Leuven en 
avaient écrit les paroles, et il ne fallait rien moins 
que leur surprenante habileté pour oser présenter au 
public un puits, machiné comme une armoire de 
féerie, où les amoureux désespérés peuvent piquer 
une tête sans se faire de mal, car ils tombent sur des 
coussins et se trouvent transportés dans un palais 
souterrain que le roi d'Angleterre destine à ses 
orgies. Ces fantaisies relèvent aujourd'hui de l'opé- 
rette ; mais le compositeur, Balfe, témoignait de 
visées plus hautes. C'était un Anglais qui n'avait rien 
de la froideur gourmée des gens de son pays ; il au- 
rait passé plutôt pour un Méridional, bruyant, redon- 
dant, parlant beaucoup, toujours en train de com- 
poser, de chanter, d'accompagner, et sa musique lui 
ressemblait, tenant le milieu, disait un contem- 



96 PRBMIBIt CHAN6EUBNT DE DIRECTION 

porain, entre celle de Donizetti et celle d'Adam, 
Le Puits d'amour, répété sous le nom de Géraldine, 
était soa premier essai thé&tra! en France ; on ne 
connaissait guère de lui jusque-là que des romances; 
aussi considérait-on volonliers son genre de talent 
B comme celui d'un compositeur de salons plutôt 
que d'un homme appelé aux succès dramatiques. » 
Ce fâcheux pronostic ne l'empêcha pas d'écrire pour 
Paris deus opéras-comiques que nous retrouverons 
par la suite, et un opéra, l'Étoile de Séoille (17 dé- 
cembre 18i5), plus, de nombreux ouvrages pour 
l'Angleterre, dont le plus connu et le meilleur est à 
coup SÛT The Bohemian Girl {\a fille de Bohême), joué 
à Londres, non pas en 1844, comme l'indique le dic- 
tionnaire de Clément, mais en 1843,puisàHambourg, ■ 
sous le Litre de la Gitana, à Vienne sous celui de die 
Zigeunerin, à Paris enfin, sous celui de la Bohémienne 
et seulement en 1869 au Théâtre-Lyrique. Balfe, 
dont la fille, morte en janvier 1871, avait chanté 
. jadis, puis épousé, après divorce, le duc de Frias, 
Balfe, qu'on connut tour à tour chanteur, directeur, 
accompagnateur et compositeur, finit par conquérir 
en Europe une sorte de célébrité 1 En revanche, à 
Paris, la déveine le poursuivit, et il ne put jouir en 
paix du seul succès vraiment populaire 'd'une de ses 
mélodies. C'était justement un air du Puits d'amour: 

Le temps emporte sur ses ailes 
Les chagrins prompts à s'enrulerl 

Un plagiaire s'en empara et le répandit plus tard 
sous le nom de la Rose des champs ; ce refrain eut 
ainsi l'honneur de figurer dans bon nombre de vau- 
devilles, et son véritable auteur eut la malchance de 
n'en tirer ni gloire ni profit. Le pauvre homme, sans 



1843 97 

doute, u'avait pas assez pris de précautions pour faire 
garantir ses droits : on ne s'avise jamais de tout I 

Ainsi parlait Sedaine, ainsi chantait Moûsigny, 
dans l'opéra-comique de ce nom qu'ils avaient donne 
à la foire Saint-Laurent, le 14 septembre 1761, 
L'élonnement fut général de voir reparaître, le 
28 avril 1843, celte vieille comédie avec musique nou- 
velle de M. Lefèvre, décrétait l'affiche, en réalité de 
Génin. Ancien élève de l'Ecole normale, proXe-sseur 
â la Faculté des Lettres de Slrasbourg, ce savant 
passait pour un homme de grande valeur, mais pour 
un médiocre musicien, et il avait fallu la haute in- 
tervention d'un ministre, alors tout-puissant. Ville- 
main, pour lui ouvrir les portes de la salle Pavart. 
Mal lui en prit d'abord, car il ne fut épargné ni de la 
presse ni du public. Son petit acte, c'était un recueil 
de ponts-neufs, rapprochés et instrumentés tant bien 
que mai, c'est-à-dire plutôt mal que bien. En quatre 
représentations son sort se trouva définitivement 
réglé, et le compositeur-amateur fut renvoyé pour 
toujours à ses chères études ; mais il eut soin de se 
venger' avaut de partir. La Revue et Gazette musicale 
s'était permis d'élever des doutes au sujet de l'érudi- 
tion littéraire de Génin ; elle l'avait ridiculisé tant et 
si bien que, traduit devant le tribunal pour cause de 
diffamation, le directeur Maurice Schlesinger se vit, 
après appel devant la cour, condamner à 500 francs 
d'amende et 1,000 francs de dommages etiuléiêts. 
On ne s'avise jamais de tout avait ainsi rapporté tout 
de même des droits d'auteur; seulement c'était un 
journal, et non le théâtre, qui les avait payés. 

Angélique et Médor, voilà un titre qui sembait an- 
noucer des héros de l'Arioste; maïs le librettiste. 
Sauvage, avait ajouté : opéra bouffon en un acte, ce 



■ i rt' ^ 

98 PRBHIEII CHANGBUENT DE DIRECTION 

qui rassurait le spectateur; il s'agissait en etfetd'une 
comédie à poudre, comme on dit au théâtre, et la 
scène se passait entre comédiens, dans le cabinet du 
régisseur de l'Opéra. M. Ambroise Thomas avait écrit 
la musique de cette petite pièce, jouée le 10 mai, 
bien oubliée depuis, et tenant peu de place en somme 
dans l'œuvre de son auteur. Elle obtint 2J représen- 
tations, ce qui équivalait à un succès d'estime. 

Une reprise vint interrompre la série des nouveau-, 
tés : c'étail un hommage que l'on voulait rendre à un 
compositeur dont la personne et le talent étaient éga- 
lement dignes de respecr, un maître k qui le succès 
plus que la fortune avait souri, Berton, alors vieux 
et dans une position voisine de la gêne. Son chef- 
d'œuvre, Montana et Stéphanie (15 avril 1799) , lui avait 
été acheté par un marchand de papier, nommé Des- 
lauriers, et payé de la façon suivante : en argent 
comptant. 300 francs ; en un billet de Berton à Des- 
lauriers échu depuis longtemps, 155 francs; et en 
partitions de musique à prendre au choix dans le 
fonds appartenant audit Deslauriers, » pour la somme 
et jusqu'à concurrence de 545 francs avec la déduc- 
tion du quart du prix marqué net. — Total 1,000 friincs.B 
Ainsi se traitaient les affaires musicales à la fin du 
siècle dernier, et l'on conçoit qu'elles n'enrichissaient 
qu'une des deux parties au contrat ; mais Berton 
était de ceux contre qui la malchance s'acharne. Oe 
qui s'était reproduit pour un ouvrage se reproduisit 
pour les autres, avec une variante, il est vrai, mais 
toujours aussi défavorable ans intérêts matériels du 
compositeur. C'est Adolphe Adam qui, dans ses 
Derniers Souvenirs d'un Musicien, a raconté cette na- 
vrante histoire. 

€ Vers 1820, Berton, voyant son répertoire presque 



1843 9» 

délaissé et se trouvaDt pressé par un besoin d'argent, 
en abandonna le produit à perpétuité aux sociétaires 
de rOpéra-Comique, moyennant une rente viagère 
de 3,000 francs. On vit alors ce répertoire se rajeunir 
et ne plus cesser de figurer sur l'affiche. Mais Ja So- 
ciété ât faillite en 18^8; la rente fut anéantie et le 
répertoire du pauvre musicien avait été tellement 
usé par les sociétaires qu'il n'était plus exploi- 
table. > 

Les années passèrent, laissant ainsi dans l'ombre 
cet artiste que ses contemporains qualifiaient d'il- 
lustre, et qui se débattait contre la misère. Sans 
cesse on parlait de reprendre un de ses grands ou- 
vrages, A Une ou Montana et Stéphanie. 1o\itea cesbelles 
promesses aboutirent péniblement, le 56 mai, à une 
reprise du Délire ou les Suites d'une erreur, opéra- 
comique en un acte. C'était moins une pièce, au sens 
ordinaire du mot, qu'une sorte de monologue entre- 
coupé par des conversations. Le librettiste, Reveroni 
Saint-Cyr, avait eu jadis grand'peine à la faire rece- 
voir ; six fois de suite il dut subir un refus; il fallut 
pour l'emporter que Gavaudan, en vue duquel le rôle 
avait été écrit, se fâchât, déclarant qu'il quitterait le 
théâtre pi l'on ne jouait le Délire. — « Efa bien, joue-le 
donc et sois sifflé », lui répondirent ses camarades. Il 
le joua enfin le 6 décembre 1799, et obtint un succès 
colossal, un succès tout à fait en harmonie avec le 
titre-de la pièce. Il n'en fut pas de même lors de la 
reprise de 1843, bien que la répétition générale eût 
valu à Berton une touchante manifestation de sym- 
pathie. Malgré le talent de Duvernoy, un artiste intel- 
ligent et consciencieux, qui rentrait à L'Opéra- 
Comique après une assez longue absence, le Délire 
fut joué non pas cinq ou six fois, comme le dit 



100 PKEUIER CHjLNaEUENT DE DIRECTION 

Adolphe Adam, mais tout simplement quatre. L'échec 
était complet el dut cootribuer encore à hâter la fin 
du pauvre Bertoo, gui mourut l'année suivante; il 
n'avait pas eu la consolation suprême d'un dernier 
succès. 

A part cette triste reprise, l'histoire du théâtre, de- 
puis mai jusqu'à septenibre, se borne à ce qu'on peut 
appeler le mouvement du personnel, c'est-à-dire les 
entrées et sorties des artistes. Au commencement de 
l'année, rOpéra-Comique avait fait trois bonnes re- 
crues : M"' Masson (élève de Duprez), qui débuta le 
22 janvier dans Camille de Zampa, comédienne mé- 
diocre, mais chanteuse à la voix étendue ; M. Renault, 
qui débuta le i" février dans Gaveston de la Dame 
Blanche, basse chantante venue de province et favo- 
rablement accueillie ; enfin et surtout. M'" Lavoye, 
qui débuta le 7 avril, dans Henriette de l'Ambas- 
sadrice. Elève de M"' Damoreau et de Morin au 
Conservatoire, où elle avait obtenu le premier prix 
d'opéra-comique en 1842, M"" Lavoye manquait un 
peu de force et d'éclat, mais elle rachetait ce défaut 
par le goût et la pureté de sou style ; presque tout de 
suite les rôles les plus difficiles lui furent confiés; à 
la fin de l'année elle jouait Carlo Broschi de la Part 
du Diable et Angèle du Domino noir; désormais [elle 
comptait parmi les premiers et les plus zélés servi- 
teurs de la maison. 

Puis noua rencontrons une série de nouveaux ar- 
tistes, dont la plupart ont laissé peu de trace et 
parfois même n'ont joué qu'un soir, celui de leur 
début : 

13 mai, M, Deslandes {Florestan de Richard Cœur 
de Lion), qui reparaissait sur le théâtre auquel W avait 
appartenu. 



1»43 101 

26 mai, M. Duvernoy (Murville, du Délire), qui, 
.lui aussi, revenait à l'Opéra-Comique après l'avoir 
guittô pour être directeur de théâtre à Gaud et en 
Italie. 

10 juin, M. Dunan (Max du Cfta/ei). débutant qui 
faisait ses premiers pas sur la scène et obtint, comme 
basse chantante, un succès honorable. 

12 juin. M"" Malivert (Jenny de la Dame Blanche), 
jolie femme venue de province, où elle ne tarda pas 
à retourner. 

22 juillet, M. Carlo {Georges de la Dame Blanche), 
qui, en sortant du Conservatoire, où il avait obtenu 
en 1840 le 2' prix d'opéra-comique, avait débuté à 
l'Opéra, et quitté ensuite Paris pour la province sans 
succès nulle part. 

7 août, M"" Petipa (Isabelle du Pré aux Clercs), 
sœur du célèbre danseur de l'Opéra, agréable canta- 
trice, mais comédienne inexpérimentée, qui n'avait 
jusque-là chanté que dans les concerts. 

18 août, M"° Recio (Charlotte de l'Ambassadrice), 
transfuge de l'Opéra, où elle n'avait pas réussi, 
échouée à rOpéra-Comique, où elle ne réussit pas 



26 août, M'i* Sarah (Isabelle du Pi-é aux Clercs), 
qu'il ne faut pas confondre avec la sœur de Rachel, 
Sarah Félix, qui avait obtenu le second prix d'opéra 
■au Conservatoire en 1842. Cette autre Sarah, qui 
avait paru dans les rôles secondaires à l'Opéra, se 
trouva mieux à sa place à i'Opéra-Comique, où elle 
se montra du moins satisfaisante. 

Jusqu'à la an de l'année nous ne trouvons plus que 

trois débutants ; M. Corradi, qui parait le 6 novembre 

dans Prontio du Nouveau Seigneur, chanteur venu 

: de l'étranger et pour qui cette soirée demeura saas 

6. 



102 PKEUIER CHÀNaBUBNT DE DI&BCTION 

lendemain; puis deux lauréats du Conservatoire : le 
25 septembre. M"' Zévaco ^Jeony de la Dame Blanche), 
élève de M"" Damoreau et de Morin, qui avait obtenu 
un accessit de chant et un accessit d'opéra-comique 
au concours de 1843 ; le 6 décembre, M. Giraud {Ho- 
race du Domino noir), qui avait obtenu le second prix 
d'opéra-comique au concours de 1842. 

A côté de ces nouveaux qui venaient, on peut citer 
une ancienne qui revenait ; M"" Casimir, gui reprit 
le rôle d'Isabelle du Pré aux Clercs le 1 1 octobre, 
et se fixa pour quelque temps sur cette scène, d'où le 
caprice et la fantaisie l'avaient trop souvent éloignée. 
Ce retour et celui de M"* Henri Potier dans Babet du 
Nouveau Seigneur, le 6 novembre, faisaient une sorte 
de compensation au départ de trois artistes qui 
comptaient de beaux états de services, M"" Descot, 
Couderc et M"* Rosai-Caccia, Les deux premiers ac- 
ceptaient des engagements en province; Couderc 
d'ailleurs devait bientôt rentrer au bercail; quanta 
M"' Rossi Caccia, elle parut pour la dernière fois 
dans Carlo Broschi de la Part du Diable, le 31 août, 
et partit pour le Portugal. Plus tard, beaucoup plu» 
tard, dans une petite ville de Normandie, nu de no» 
amis rencontra une madame Rossi-Caccia qui tenait 
une auberge I C'était bien ta cantatrice jadis brillante 
et fêtée, qui avaîc gagné tant d'argent, recueilli tant 
d'applaudissements et attaché son nom à quelques- 
uns des grands rôles du répertoire de l'Opéra-Co- 
mique. Quelles tristes aventures supposait une telle 
fln? Etait-ce renoncement volontaire ou retraite 
forcée ? Nous n'avons pu le savoir. 

Déjàl'aonée 1843 touchait à saûn, et troisouvrages 
nouveaux allaient être représentés presque à un mois 
d'intervalle : Lambert Simnel, le 14 septembre ; Mina 



1S43 t03 

ou le Ménage à trois, le 10 octobre, et l'Esclave du 
Camoëna, le 1" décembre. 

Lambert Simnel, longtemps retardé pour cause 
d'indispositions d'artistes comme aussi de retouches 
au poème, car le troisième acte notamment fut refait 
jusqu'à trois fois, avait pour librettistes Scribe et Mé- 
lesville, qui se souvenaieot peut-être d'un Lambert 
Simnel ou le Mannequin politique, écrit par Picard et 
Mazères, et joué avec succès au Théâtre-Français le 
36 mars 1827. Quant à la partition composée par feu 
Monpou, elle avait été achevée par Adolphe Adam. 
La mort d'un auteur porte le plus souvent un coup 
fatal à la pièce qu'il laisse en portefeuille. Si l'ou- 
vrage est termiaé, il n'en manque pas moins aux ré- 
pétitions le coup d'œil du maître et ce travail de la 
dernière heure qui tant de fois a donné aux œuvres 
leur véritable physionomie; s'il est complété par une 
main étrangère, il en résulte un faire différent qui 
nuit à l'effet de l'ensemble et déroute le spectateur. 
Dans le premier cas, Œdipe à Colone et l'Africaine, 
dans le second /es Contes d'Hoffmann, sont presque les 
seuls ouvrages lyriques posthumes dignes d'être citéS 
comme exceptions à cette règle. Au contraire, Z-am- 
bert Simnel eut le sort habituel, dix-huit représenta- 
tions seulement. 11 faut avouer d'ailleurs que le livret 
semblait peu convenir à la musique. Ce boulanger- 
pâtissier qui devient général, prend les armes, et, 
servipar la victoire, se fait proclamer roi, jusqu'au 
jour où de lui-même il abdique entre les mains du 
vrai prétendant, fait punir les factieux qui l'avaient 
poussé au pouvoir et retourne à ses galettes afin d'é- 
pouser l'humble Catherine, sa fiancée, ce Lambert 
Simnel en un mot, dont on retrouve les aventures 
dans l'histoire d'Angleterre, est un triste héros d'o- 



104 PREUIEIt CHilNaBUBNT DE DIRECTION 

:péra-comique, et Monpou, doublé même d'Adam, 
n'avait pas réussi à égayer la situation. Aussi les 
comptes rendus furent-ils généralement sévères; la 
presse, qui n'avait guère épargné Monpou lorsqu'il 
vivait, ne le ménagea pas davantage après sa mort. 
11 Ce n'était pas un homme de science, affirmait l'un; 
il avait quelque fraîcheur dans l'imagination, un cer- 
tain goût, de l'esprit dans ses compositions, mais ces 
dernières étaient plus selon la convenance dessalons 
que selon l'exigence de la scène. » C'est, écrivait 
l'autre, «une partition dont il n'y a à dire, ni bien 
ni mal, et faite pour maintenir notre jeune école 
dans l'honnôte médiocrité d'où elle semble prendre 
à tâche de ne pas sortir. Tout cela est convenable 
et assez bien confectionné pour une postérité de six 
mois. » 

Seul, le bon Théophile Gautier se plut à plaider 
les circonstances atténuantes, en parlant à côté de la 
.question, comme il lui arrivait souvent de le faire 
sur le terrain de la musique, où il avouait lui-même 
ne pas marcher avec solidité. Il se souvint du défunt 
et le fit revivre en quelques traita de plume : « Pen- 
dant longtemps, M. Monpou, de môme que tous les 
poètes dont il traduisait les vers (Hugo, Musset, etc.). 
fut regardé par les bourgeois électeurs et éligibles 
comme un écervelé, comme un furieux qu'on avait 
ort de laisser chanter sans muselière. Quand il s'as- 
seyait au piano, l'œil en feu, la moustache hérissée, 
il se formait autour de lui un cercle de respectueuse 
terreur; aux premiers vers de l'Andalouse, les mères 
envoyaient coucher leurs filles et plongeaient dans 
leurs bouquets, d'un air de modeste embarras, leur 
nez nuancé des roses de la pudeur. > Ailleurs il jou- 
tait : «Nous ne sommes pas de ceux qui attendent 



1843 105 

qu'un homme soit mort pour lui donner du géaie : 
les admirations posthumes nous touchent peu... » 
Nobles et justes paroles, toujours bonnes à rappeler à 
tant de critiques pour lesquels, hélas! l'artiste ne 
compte que le jour où il n'est plus. 

Du moins la presse et le public se rencontrèrent- 
ils pour louer comme il convenait Mina ou le Ménage 
à. trois, opéra-comique en trois actes, paroles de 
Planard, musique d'Ambroise Thomas. «Voici, écri- 
vait un journaliste, sévère habituellement, voici une 
pièce dans le véritable genre du théâtre où elle a été 
donnée, un opéra-comique pur sang, qui, indépen- 
damment de son Laruette, de son Lesage, de son 
comique obligé enfla, offre aussi des personnages qui 
excitent la gaieté, le rire, mais le rire des honnêtes 
gens, comme dit Molière dans ses Préfaces, pour dire 
le rire des gens de goût. » Tous ses confrères s'expri- 
maient à peu près sur le même ton, sauf peut-être 
Chartes Maurice, qui ne semblait pas compter, parmi 
les amis du compositeur ; en revanche, il trouvait da 
piquantet de l'originalité à ce livret, qui, sans la pru- 
dence de l'auteur, aurait facilement revêtu des cou- 
leurs sombres puisqu'on y voyait la trahison d'un 
séducteur marié, ourdissant une intrigue afin d'avoir 
une jeune fllle, Mina, qu'un homme honnête finit par 
arracher au danger. 11 est certain que les spectateurs 
prirent goût à la pièce, très agréablement interpré- 
tée d'ailleurs; les chiffres le prouvent : elle resta 
trois années au répertoire, et tut jouée 28 fois en 
1843, 21 en 1844 et 7 en 1845. 

La représentation de Mina avait eu lieu le 10 octo- 
bre; 23 jours après, on reprenait ^e Déserteur, et tout 
d'abord la critique ne manqua pas de discuter si 
l'on avait eu raison ou tort de réorcbeslrer le vieil et 



106 PRBtlIBR CHANGEUBNT DE DtRECTIOK 

toujours charmant op6ra-coinique deMonsiguyet s'il 
était iien ou mal de faire chanter par un ténor, 
Roger, le rôle d'Alexis, écrit primitivement pour une 
basse. En tout cas, le roi Louis-Philippe pouvait se 
compter parmi les coupables, car il aimait fort ce ta- 
bleau musical, et c'est sur son ordre formel qu'Adol- 
phe Adam avait dû en opérer le rentoilage. 11 est 
même piquant de rappeler que l'ouvrage avait été 
dédié à son père par Monsigny, maître d'hôtel du duc 
d'Orléans ! Aussi la primeur de cette reprise fut-elle 
offerte à la Cour, dans le château de Salnt-Cloud, le 
28 octobre ; pour cette fois, on était revenu aux usages 
du siècle précédent, alors que très souvent la première 
représentation d'un ouvrage se donnait à Versailles, 
devant le roi, avant de se donner à Paris, devant le 
public. Arrangé ou non, le Déserteur est demeuré, du 
reste, une œuvre accomplie eu son genre, et l'on ne 
saurait relire sans étonnement celte épigramme, 
parue quelques jours après son apparition : 

D'avoir haatê la comédie 
[In péaitent, eu bon chrâtieo. 

S'accusait et promettait bien 
De D'y retourner de sa vie. 

— Voyons, lui dit le confesseur. 
C'est le plaisir qui fait l'offense : 
Que donuait-on? — Le Déserteur. 

— Vous le lirei par pêuitence. 

Les Mémoires secrets contiennent une appréciation 
presque aussi flatteuse : « Le drame eu question, ou- 
vrage à prétentions et à très grandes prétentions, n'a 
même pas eu les suffrages de ces spectateurs indul- 
gents ou d'un goût peu difBcile, qui trouvent tout bon 



1843 107 

oa du moins se laissent aisément prâveoir par le nom 
de l'auteur, n 

Le public de 1843 se montra plus enthousiaste 
que celui de 1769 ; il applaudit à celle reprise 
comme il avait applaudi à celle de Richard Cœur 
de Lion, et ne ménagea point les complimeats 
aux interprètes, Roger et M°" Anna Tbillon en tête ; 
des témoins nous ont raconté même que le duo de 
Montauciel et du grand cousin, au second acte, fu! 
chanté alors par Mocker et Sainte-Foy comme il ne 
le aéra sans doute jamais, et comme il ne l'avait 
même peut-être jamais été. Depuis, le Déserteur s'est 
maintenu au répertoire, et il y figurait encore deux 
années avant l'incendie de la salle Favart, plus d'un 
siècle après que ses juges de la première heure 
l'avaient coodamné! 

Moins heureuse fut, le 20 novembre, la reprise d'un 
autre ouvrage plus jeune que le Déserteur mais signé 
aussi d'un nom illustre. Le talent de Chollet, d'Au- 
drao, d'Henri, de Ricquier, de Sainte-Poy et de 
M"* Révilly ne put faire agréer longtemps une Folie, 
opéra-comique eu deux actes, paroles de Bouilly, 
musique de Méhul, représenté pour la première fois 
le 5 avril 1802. Mais le récent ouvrage de M. Arthur 
Pougiu sur Méhul et ses œuvres nous dispense de 
longs détails sur cette matière. L'auteur est de ceux 
qui, lorsqu'ils s'attaquent à un sujet, ne laissent rien 
à glaner après eux, et c'est presque unebonne fortune 
de pouvoir signaler une petite omission dans un livre 
d'ailleurs si complet. M. Arthur Pougin parait croire 
que la reprise d'une Folie en 184o fut la dernière ; il 
oublie celle de 1874, qui eut lieu à la Gaité avec 
Montaubry (Florival), Habay (Carlin), Grivot (Jacqui- 
net), Courcelles (Cerberti), J. Paul (Francisque) et 



108 PRBUtEtt CBANGEUBNT DE DIHECTIOK 

M" Perret (Annantine), Offenbach étant alois direc- 
teur. 

L'aunée 1843 se termine avec un opéra-comique en 
un acte de Saint-Georges pour les paroles etdeFlotow 
pour la musique, l'Esclave du Camoëns, qui, la veille 
encore de la première représentation donnée le 
1" décembre, se répétait sous le titre de Griselda. 
C'était le début à lOpéra-Comique de l'auteur de 
Martha; car par une singulière erreur, Fétis indique, 
comme jouée à l'Opéra-Comique en 1840, une pièce, 
le Forestier, qui ne vit le jour à Vienne que sept ans 
plus tard. 

Etrange coïncidence, le poète des Lueiades figurait 
presque en même temps dans trois théâtres et dans 
trois pièces différentes : à l'Opéia, on jouait Dom 
Sébastien de Donizetti, où Camoëns était personnifié 
par Barroilhet ; à l'Opéra-Comique, l'ouvrage de Plo- 
tow où Oamoëns avait GrarJ pour interprète; à 
rodéon, un Camoëns de Perrot et Dumesnil; il avait 
suffi d'un hasard pour mettre le Portugal à la mode. 
C'était dans une tragédie de Paul Poucher que de 
8aint>Georges avait puisé les éléments de son opéra- 
comique. On y voit Camoëns proscrit et mourant de 
faim, réduitàvivre desaumôuesqu'uaejeune esclave, 
ramenéede l'Inde par lui.recueille en chantant le soir 
dans les rues de Lisbonne. Le roi de Portugal s'é- 
prend de la belle Indienne, la suit jusque dans la po- 
sada où s'était réfugié Camoëns, provoque le grand 
poète, puis, dans un élan de générosité, lui rend à la 
fois sa maltresse et sa liberté. Dans son compte-rendu. 
Th. Gautier ajoutait que l'idée de ce livret aurait pu 
aisément fournir trois actes. C'est là sans doute ce 
qui décida plus tard de Saint-Georges à en tirer 
quatre. La version nouvelle de i'EscIaie du Camoëns 



1844 109 

prit nom Aima l'incantatrice, et, sous la direction 
Escudier, parut au Théâtre-Italien le 9 avril 1878, 
avec M""' Albani et Sanz, MM. Nouvelll, Verger et 
Ramini pour interprètes. Eu uq acte la pièce avait 
réussi; en quatre, elle lombapourne plus se relever. 
Les premières semaines de l'année 1844 se passé* 
rent sans incidents dignes de remarque, car on ne 
peut compter comme tel le tumulte produit certain 
soir par un changement de spectacle : on donna les 
Deux voleurs au lieu de Mina, pour cause d'indispo- 
sition de M'"Darcier, et des protestations sérieuses se 
ûrent entendre dans le public. En somme, les mécon- 
tents avaient tort, puisque l'affiche annonçait la subs- 
titution d'une pièce à l'autre. Mais àl'Opéra, quelque 
temps auparavant, un fait analogue s'était produit, et 
les choses allèrent plus loin, c'est-à-dire, devant le 
tribunal. Un spectateur se plaignait, en efTet, que 
Marié eût remplacé Duprez dans un ouvrage du réper- 
toire, et il fit à l'administration un procès... que natu- 
rellement il perdit. Pareil sort était réservé au dilet- 
tante qui prolestait contre les coupures faites dans un 
opéra et réclamait l'intégrité du texte. De tels scru- 
pulesl'honoraieut sans doute, mais les jugeslui doD- 
Dèrent tort et signèrent du même coup pour les direc- 
teurs le droit au tripatouillage sans contrôle, sans 
autre règle que leur fantaisie. 

Mentionnons encore en ce mois de janvier la réus- 
site des bals costumés, réorganisés l'année précé- 
dente, aiin d'avoir le plaisir de citer la réclame sui- 
vante, qui fit le tour de la presse et devait émaner de 
l'administration : » Les bals masqués de l'Opéra- 
Comique obtiennent beaucoup de succès et fournis- 
sent un lendemain toujours agréable et commode, 
«ouvent obligé, à certaines aventures très communes 



110 PREMIER CHAHQBUENT DB DIRECTION 

en cette saison. > Si obscure que semble la formule, 
il est clair qu'elle n'avait rien de commun avec la 
morale en action. Mais la censure ne s'en alarma pas 
et réserva toutes ses pudeurs, c'est-à-diie toutes ses 
sévérités, pour Caglioslro, opéra-comique en trois 
actes, paroles de Scribe et de Saint-Georges, musique 
d'Adolphe Adam, représenté le 10 février. An lever du 
rideau, la scène représentait un salon de Versailles, 
vers 1780, dans lequel les dames faisaient de la 
tapisserie, en compagniedes seigneursqui dévidaient 
des écheveaux de soie et... d'un abbé qui brodait. A 
la seconde représentation l'abbé dut disiinraUre, 
moins heureux que beaucoup de ses collègues tolérés 
jusqu'alors au théâtre. La suppression du peisonnage 
ne changea pas du reste le sort de la pièce, que tout 
le mérite de Ghollet et de M"* Anna Thilloii ne put 
imposer bien longtemps au public. Caglioslro ne 
compte guère parmi les bons ouvrages d'Adam ; il 
eut le succès qu'il méritait, trente-quatre représen- 
tations la première année et une seule l'année sui- 
vante. 

L'issue de cette bataille n'empêcha pas le compo- 
siteur d'être nommé quelques mois plus tard, le 33 
juin, membre de l'Institut en remplacement de Ber- 
ton. Il obtint, au premier tour de scrutin, 17 voix 
contre 9 données à Gatton et 4 à un autre concurrent 
bien jeune pour se présenter, mais à qui ses succès 
déjà nombreux assuiaient en effet quelques chances, 
Ambroise Thomas, âgé alors de trente-trois ans. 
Trente-quatre ans plus tard, un autre jeune se pré- 
sentait à l'Institut et était élu ; il n'avait que trente- 
six ans : c'était Jules Massenet. 

Dans ses Derniers Souvenirs, Adolphe Adam a rap- 
porté un trait qui prouve en quelle estime le tenait 



1844 111 

celui qu'il devait remplacer. Il s'était présenté h 
l'élection de 1842 pour succéder à Chérubin!, et Ber- 
ton comptait à ce point sur sa réussite qu'il s'était 
invité à diner le lendemain chez son protégé, afin de 
célébrer la victoire. Onslow fut nommé. « Mon père, 
raconte l'auteur du C/ia(e(, était venu m'annoncer ma 
défaite, et j'avais piig mon parti très gaiement; mais 
j'eus le cœur navré quand je vis entrer le pauvre 
Berton, donnant le bras à mon père, qu'il avait ren- 
contré dans l'escalier... Les deux vieillards se jetè- 
rent à mon cou et me tinrent étroitement embrassé : 
« Mon pauvre enfant, me dit Berton, je voulais vous 
» avoir pour confrère ; je ne pourrai plus vous avoir 
o que comme successeur!» Un anaprès, sa prédiction 
était accomplie et, si quelque chose pouvait empoi- 
sonner la joied'avoir mon père pour témoin de l'hon- 
neur qui m'était conféré, c'était le chagrin de ne 
l'avoir obtenu qu'aux dépens de la vie de l'homme 
excellent et célèbre dont je viens d'essayer d'esquisser 
quelques traits. » Il est singulier toutefois que, dan» 
ce récit, Adam ait ainsi avancé de deux ans la mort 
de son vieil ami, car il ajoute en toutes lettres : 
■ Berton mourut au mois d'avril 1842, » Or, il mou- 
rut le 22 avril 1844. Ce qui prouve qu'on peut être 
comme Adam un homme d'esprit, voire même un 
homme de cœur, et ignorer l'art de vérifier les 
dates 1 

Signalons, le 28 février, la première représentation 
d'une pièce en un acte, paroles de Scribe et Dupin, 
mut-ique de Thys, Oreste et Pylade. Le titre seul était 
antique, car la donnée en avait été fournie par un 
vaudeville de Scribe, les Inséparables, joué au Gym- 
nase eii 1825. L'adaptation nouvelle ne fil pas plus 
d'honneur aux librettistes qu'au musicien, prix de 



112 PRBUIBR CHANQBMBNT DE DIABCTIOM 

Rome en 1833, et dont on connaissait déjà un acte à 
rOpéra-Comique, Aîda (1835), et un acte àla Renais- 
flance, le Roi Margot (1839). Un acte, toujours un 
acte! Par la suite, il écrivit d'autres ouvrages encore, 
mais soit fatalité, soit volonté, il s'en tint modeste- 
ment à cette humble mesure. On lui avait reproché 
d' «étaler sa science» : c'est un mal passager qui 
frappe les débutants, et dont le temps les guérit avec 
le succès ; on lui reprocha aussi de manquer d' « in- 
vention mélodique », autrement dit d'originalité dans 
les idées : c'est un n<al incurable quimë ne aux échecs 
d'abord, à l'indifCérence [du public, et floalement à 
l'oubli. 

Tel n'était pas le cas d'Auber, dont l'année 1844 vit 
encore, comme l'année 1843. un grand et durable 
succès. La Sirène, opéra-comique eu trois actes, pa- 
roles de Scribe, fut représentée le 26 mars, et le 
35 janvier 1846 elle atteignait le chiUre, toujours rare 
alors, de cent représentations. Quarante-huit fois 
on l'avait jouée sans lever de rideau, ce qui cons- 
tituait une dérogation aui usages et témoignait d'un 
grand pouvoir d'attraction sur le public. L'œuvre est 
assez connue pour ne point mériter de longs dévelop- 
pements, car la dernière reprise date du 2ti janvier 
1887. Tout au plus voulons-nous faire remarquer 
combien alors, dans les opéras-comiques, le poème 
dépassait en importance la partition. On s'étonne 
aiijourd'hui de cette facilité de production qui per- 
mettait à des compositeurs comme Auber, Adam, 
Halévy et Ambroise Thomas (c'étaient les quatre 
grands fournisseurs de l'époque], de servir au théâtre 
la rente annuelle d'un ouvrage; mais il faut recon- 
naître aussi que la part réservée à la musique de- 
meurait assez restreinte. La moindre opérette de nos 



1844 113 

jours contient plus de vingt morceaux; la Sirène en 
contient treize, dont trnia seulement au premier acte. 
Le librettiste, maître de la situation, étalait sa prose 
avec complaisance, et semblait faire à son collabora- 
teur l'aumône d'une petite place. Il fallait aussi se 
contenter de la poésie telle qu'on vous la donnait, et 
chacuD sait que sur ce point Scribe est resté sans ri- 
val ; on a pu l'imiter, mais non pas l'égaler. Par lui, 
grands et petits étaient traités pareillement, et Àuber 
devait accepter les vers de la Sirène, où tant de per- 
les se rencontrent, depuis l'exclamation naïve de 
l'imprésario Bolbaya : 

Espérance nouvelle I 
Ce mjslère ambigu, 
En nous emparaot d'elle. 
Peut nous êlre connu ! 
jusqu'à l'appel du môme Bclbaya à 

La nymphe trop craintiïe. 
Qui, fitôt qu'oD arrive. 
Disparaît fugitive, 
A travers les buissons 

moyen piquant sans aucun doute d'échapper aux re 
cherches indiscrètes, La musique d' Auber effaçait ces 
taches, ou du moins les dissimulait. 

Aujourd'hui les poêles et les compositeurs font 
mieux; ce sont eux qui le disent; mieux vaut les 
croire sur parole que de s'attirer leur pitié en les 
contredisant. 

A la Sirène succéda toute une série de pièces la 
plupart ignorées aujourd'hui et victimes, sauf une 
seule, de l'indifférence du public : le Bai du Sous- 
Préfet, les Quatre Fils Ai/mon, les deux GentilskommeSf 
la Sainte-Cécile, le Mousquetaire, 

UjL.:a..ïG00gle 



114 PREUER CHilNGEMENT DE DIBECTION 

Le premier de ces ouvrages, répété d'abord sous ce 
titre : le Jabot, fut représenté le 8 mai 1844. Les 
librettistes, Paul Duport et Saint -Hilaire, avaient 
imaginé une intrigue dont la trame légère convenait 
plutôt à un vaudeville qu'à cet opéra-comique en un 
acte : l'action se passait en France et t de nos 
jours B, comme on dit dans l'argot théâtral, fait assez 
rare dans le répertoire de la salle Pavart pour cons- 
tituer une sorte d'originalité ; on y voyait un vieux 
rentier se rendant en province pour chercher femme, 
contrefaisant le sourd aân de mieux découvrir le 
caractère des demoiselles qui lui sont présentées, ce- 
pendant revenant bredouille après une suite d'aven- 
tures propres à le guérir de ses fantaisies matrimo- 
niales. Ce fut le début et, il faut ajouter, l'œuvre 
unique d'un compositeur nommé Boilly, fils d'un 
peintre célèbre. Elève de Boieldieu et de Fétis, prix 
de Rome en 1823, le malheureux jeane homme avait 
donc attendu vingt et un ans l'honneur de soumettre 
au public une partition convenablement écrite, mais 
assez pauvre d'inspiration, un honnête travail d'é- 
colier. L'issue de cette épreuve le fit rentrer dans 
l'ombre et méditer désormais sur le néant des ré- 
cQmpenses officielles. 

Le Bal du Sous-Préfet céda la place aux Quatre fils 
Aymon, de Balfe, qui firent triste figure aux feux de 
la rampe; ces nobles chevaliers n'avaient rien de 
musical, surtout si on se les représente comme Théo- 
phile Gautier « en rang d'oignons, revêtus d'un cos- 
tume qui tient le milieu entre le troubadour et le 
sapeur-pompier, montés sur quatre chevaux qui 
lèvent simultanément la jambe gauche de devant et 
la jam,be droite de derrière avec une régularité de 
perspective tout à fait agréable à l'œil. » Mais, pour 



18U IIS 

combiner leurs trois actes, de Leuven et Brunswick 
ne gardèrent des héros légendaires que le nom, et 

ils ioTentèreot une fable dont le point de départ n'est 
point sans analogie avec une ancienne pièce, le Tri- 
sar supposé, d'Hoffman et MéhuI, et une comédie, 
plus récente et célèbre, le Testament de César Girodot. 
It s'agit d'interpréter les volontés dernières d'un père 
qui a. laissé pour toute fortune de bons conseils, etoa 
devine que les choses ne s'arrangeraient point aisé- 
ment ai quatre jeunes filles riches ne se rencontraient 
alors pour faire cesser leur désappointement et oCTrir 
aux quatre jeunes gens une agréable compensation. 
Appelée d'abord le Baron de Beaumanoir, la pièce fut 
représentée le ISjuillet et bien jouée par M""Darcier, 
Chollet, Mocker, Sainte-Foy, plus un débutant re- 
marquable, Hermann-Léon. qui, sous les traits du 
vieilintendant Yvon, fit applaudir un jeu intelligent 
joint à une voix agréable, juste et bien posée. Par une 
coïncidence bizarre, le rôle d'un des quatre fils Ay- 
moD était confié à un acteur qui s'appelait Emon. 
Cette homonymie ne pouvait passer inaperçue, et, 
comme l'artiste n'avait en somme qu'un médiocre la- 
lent, il arriva qu'un spectateur fit rire toutle parterre 
en disant, assez haut pour être entendu : • Est-ce 
que ce monsieur a trois frères, montant tous en- 
semble le même cheval? Dans ce cas je me sauve, 
car j'en ai trop d'avoir vu cetui-lâ et je crains les 
autres. >• L'opinion de ce spectateur était partagée du 
reste par quelques auteurs dramatiques; car on ra- 
conte que deux d'entre eux, ayant été sollicités de 
donner à Emon un rôle dans leur pièce, répon- 
dirent : « Nous refusons tout net 

Emon qu'on nous conseille et non pas qu'on nous loue. » 



116 PREUma CHANGBUBNT DS DIRECTION 

En son temps, le mot fit fortune. Quant aux Quatre 
Fils Aymon, ils ne rlussirent guère plus que le Puits 
d'Amour, la précédente œuvre du même composi- 
teur. 

Les Deux Gentilshommes eurent au contraire une 
heureuse destinée. C'est un petit ouvrage en un acte, 
dont de Planard avait écrit le livret et dont la mince 
trame pouvait convenir à ce qu'on appelait alors de la 
musique « rétrospective s, autrement dit : un pastiche. 
Le compositeur, Justin Cadaux, n'était pas connu à 
Paris; mais il l'était à Toulouse en Toulousain, où 
l'on avait joué de lui deux opéras, ^s:e2 et la Chasse 
saxonne. Dans cette même ville, et précisément en 
1844, l'homonyme de l'un de nous, M. P. Soubies, 
plus tard représentant du peuple, donnait non sans 
succès un opéra de sa composition, la Bohémienne. 
Cette simple considération suffit à écarter de notre 
pensée toute allusion ironique et peu respectueuse; 
mais nous pouvons bien constater que de tout temps 
il a fait bon venir du Midi pour réussir dans la 
capitale : Justin Cadaus put le constater à son profit. 
Les Deux Gentilshommes, agréablement représentés 
le 17 août par Grignon, Sainte-Poy et M°" Casimir 
dans les principaux rôles, se maintinrent au réper- 
toire l'année suivante, et nous les retrouvons même 
sur l'affiche en 1863. Ce succès honorable devait plus 
lard lui rouvrir les portes de l' Opéra-Comique ; 1852 
et 1853 virent naître, en effet, les deux Jaket et Co- 
lette. 

Moins chanceux que Cadaux, MoDtfort ne réussit 
guère avec ia Sainte-Cécile, opéra-comique en trois 
actes, paroles d'Ancelot et Decomberousse, repré- 
senté le 19 septembre. Tous les journaux et le théâtre 
lui-même avaient annoncé SaiTi(e-Céci(e, et ce fut la 



18H 117 

censure elle-môme qui exigea l'addition de l'article, 
pour bien moutrer que la patronne des musiciens ue 
figurait point en personne dans l'œuvre nouvelle. 
Cette Sainte -Cécile est un tableau; la pièce, appelée 
d'abord et plus justement : Carie Vanloo, n'offrait 
rien de religieux en dépit de son titre et formait une 
comédie d'intrigue dont la musique seule aurait pu 
justifter l'intérêt. Il n'en fut rien ; une certaine habi 
leté de facture ne saurait compenser la pauvreté des 
idées. 

Bon musicien, mais peu original, MontFort man- 
quait surtout de vigueur et de hardiesse; il rêvait et 
tl&uait volontiers, comme ces gens qui attendent 
moins d'eux-mêmes que du hasard et des autres. Un 
jour, Théodore Mozin, prix de Rome et professeur 
au Conservatoire, le rencontre sur le boulevard, al- 
lant de-ci de-là, regardant les boutiques en homme 
désœuvré qui tue le temps. « Ehbien, cher ami, que 
fais-tu? » lui demande-t-il. — « Moi, répond Mont- 
fort, je cherche... l'inspiration. » Noble et vague oc- 
cupation I Il y a des compositeurs qui la trouvent sans 
la chercher; d'autres qui semblent dédaigner autant 
de la trouver que de la chercher; il est arrivé assez 
souvent à Montfort de la chercher sans la trouver. 

La Sainte-Cécile n'avait pas réussi ; le Mousquetaire, 
joué un mois après, le 14 octobre, tomba plus lourde- 
ment encore: il n'obtint que trois représentations. 
Cette comédie en un acte avait pour auteurs deux 
frères, Armand et Achille Dartois, qui ne s'étaient 
pas mis en frais de style et ne craignaient point d'of- 
fenser la grammaire, si l'on en juge par ce fragment 
de dialogue, cet a parfe confié à la verve de 9ainte- 
Foy : « Comme il a l'air brave! Abordons-le de 
même '. » D'abord intitulée le Mousquetaire et leCon- 
7. 
i,j,,,.,,.Cooi^Ii: 



118 FBEMIER CHANGBMENT DB DIRECTION 

«eiiler, la pièce moQtrait, en effet, ces deuï person- 
nages aux prises avec une intrigue amoureuse où le 
Talnquenr final n'était point celui qu'eût souhaité 
le poète antique ; car ici /a robe le cédait à l'épée! 
n Sur ce canevas poudré, doré, moucheté, pail- 
leté et un peu collet monté, dît un critique, M. Bous- 
quet a brodé une musique légère, élégante et vive, 
hien en harmonie avec le poème. » C'était le début au 
théâtre d'un jeune compositeur qui avait eu le prix 
de Rome en 1838, un an avant M. Gouuod, et qui 
s'était trouvé par conséquent avec ce dernier à la 
villa Médicis, où l'on semblait croire à l'avenir de sa 
carrière musicale. Non seulement Félis a parlé de 
lui eu termes qui prouvent son estime; mais Fanny 
Mendelssohn, la sœur du grand compositeur, bonne 
musicienne elle-même, femme intelligente et d'esprit 
cultivé, le juge^ très favorablement, comme le 
prouve sa correspondance j-écemment publiée. Pen- 
dant son séjour à Rome elle eut occasion de connaître 
Bousquet et Oounod, les deux jeunes pensionnaires 
de l'école française, et, chose curieuse, elle parait 
faire plus de cas du premier que du second ! L'avenir 
a cruellement démenti ses prévisions. L'auteur de 
Faust a sa place marquée duos l'histoire de l'art dra- 
matique au dix-neuvième siècle. Georges Bousquet, 
après un acte donné le 26 mai 18'14au Conservatoire, 
dans un exercice d'élèves, et intitulé l'Hôtesse de 
Lyon, après ie Mousqueiaire, si piteusement accueilli, 
fit de la critique musicale à VlUustration et ne repa- 
rut plus qu'au Théâtre Lyrique, en 1853, avec un 
ouvrage en deux actes, Tabann. Il n'avait pas tenu les 
promesses de ses débuts : comme l'a dit justement le 
fabuliste : 

N'est pas qui veut un personoage 1 

„: .....COOl^IC 



1844 119 

Le succès qu'il n'avait point trouvé du côté des 
ceuvtes nouvelles, M. Crosnier, directeur de l'Opéra- 
Comique, le chercha du côté des œuvres anciennes, 
en faisant un certain nombre de reprises ; c'est ainsi 
que reparurent tour à tour, le 10 mai, Fra Diavolo, 
le 10 août, Gulistan, le 6 novembre, le Maçon, le 
4 décembre, Waliace, le fi décembre, Adolphe et 
Clara, le 26 décembre, le Guîtarrero. 

Fra Diavolo est connu de loua, et si noua en par- 
lons c'est pour avoir l'occasion de rappeler la piquante 
remarque faite à son sujet par Théophile Gautier, 
ignorant peut-être des choses de la musique, mais 
très fin connaisseur des choses du théâtre. Il obser- 
vait combien Scribe était toujours à l'affût dea élé- 
ments de succès pour les pièces, et il considérait 
comme une trouvaille d'avoir fait assister le public à 
la toilette du soir, au déshabillé de l'héroïne. Cette 
petite scène intime a trouvé depuis sa place dans 
Victorine ou la nuit porte conseil, aussi bien que dans 
laOrâce de Dieu; mais l'une despremières éditions eu 
avait été donnée par l'auteur de Fra Diavolo, et le 
mérite doit lui en revenir. C'est un effet imman- 
quable, ajoutait Gautier, « pourvu que l'actrice ait 
les épaules blanches et les bras ronds- » M"* Prévost, 
créatrice du rôle de Zerline, répondait à ce signale- 
ment; cette fois encore, M'" Darcier pouvait satis- 
faire les plus difficiles; aussi la reprise lut-elle bien 
accueillie. 

Gulistan n'offrait pas le même genre d'attrails ; il 
réussit pourtant, et la vieille pièce de Dalayrac fit 
une asseï bonne figure en dépit ou peut-être à cause 
des retouches d'Adolphe Adam, restaurateur attitré 
des anciens tableaux à rentoiler. Gulistan fut traité 
comme Richard et ie Déserteur; il s'enrichit notam- 



130 PRBUIEB CHANGEMBKT DS DIRECTION 

ment de deux airs, l'un tiré de Gulnare, opéra de Da- 
layrac, l'autre composé spécialemeot par l'arrau^eur, 
d'après Azémia. Il fallait subvenir aux roulades de la 
chanteuse principale. M"' Casimir, aux dépens de 
laquelle quelques spectateurs irrévérencieux s'égayè- 
rent le premier soir. A certain moment, Gulistan dit 
qu'il entrevoit dans l'obscurité a une taille élégante ». 
Or, M°" Casimir ne pouvait donner ce genre d'illu- 
sion ; elle a'épanouissait insolemment, et ne possédait 
guère ce fameux u juste àpoint » dont parlait un jour 
Sarah Bernhardt. Cet incident comique n'eut point 
d'ailleurs d'influence sur la destinée de cette œuvre, 
qui depuis n'a jamais reparu. Les curieux seuls s'en 
souvinrent, il y a quelques années, lorsque fut don- 
née ia Jolie Persane de M. Lecocq. On observa que 
dans les deux pièces il s'agissait d'un mariage fictif, 
permettant à deux amants de s'épouser après avoir 
satisiait aux prescriptions de la loi. Une situation 
analogue se retrouve au surplus dans Rébecca de 
Scribe et dans Don César de Dazan, tant il est vrai 
qu'au théâtre, comme ailleurs, créer n'est le plus sou- 
vent que se souvenir. 

La reprise du Maçon nefutpas moins brillante, et, 
pour lui donner plus d'éclat, Auber n'avait pas craint 
d'ajouter à son œuvre un supplément de trombones 
et de cymbales. Certain journaliste trouvait même 
cette précaution utile et il en donnaitla plaisante rai- 
son que voici : « Peut-être le compositeur a-t-il pensé 
qu'un collaborateur désintéressé pourrait quelque 
jour rafraîchir, arranger sa partition, dans le seul 
intérêt de l'art et de l'instrumentation, et il a mieux 
aimé prendre l'initiative. » Par contre, l'exécution 
vocale n'eut pas le don de satisfaire Th. Qautier. « Il 
7 manque des chanteurs, écrivait-il ; et c'est quelque 



1844 ISl 

chose dans un opéra-comique. » Or, les ioterprétes 
s'appelaieot Mocber , Audrau , Ricquier , Henri, 
M"" Thillon, Darcier, Prévost I Pour une fois, le 
poète se montrait sévère et méuw peu juste. Le roi 
Louis-Philippe y mit moins de façons, et y prit plus 
de plaisir. C'était sur son désir formel- qu'on avait 
remonté cet ouvrage, déjà vieux de vingt ans; il ne 
vint pas à Paris pour le voir, mais il Ût venir la 
troupe de l'Opéra-Comique à Sainl-Gloud pour le lui 
jouer; et cette représentation, donnée le 4 novembre, 
précéda de deui jours celle du vrai public. Sa Ma- 
jesté, nous l'avons déjà vu, goûtait fort les pièces du 
vieux répertoire ; c'est ainsi que quelques jours plus 
tard, le 25 novembre, Raoul de Créqui, opéra de Da- 
layrac, que l'Opéra-Comique a remis en 1889 pour uii 
soir à la scène, était interprété devant la Cour, sur ce 
même théâtre de Saint-Cloud, par les élèves du Con- 
servatoire. On peut dire que jamais les jeunes gens de 
cet établissement ne s'étaient trouvés à pareille fête, 
et admis à pareil honneur. Toutefois, sur ce point, le 
peuple ne partageait point aveuglément les préfé- 
rences de son roi ; il avait accepté avec enthousiasme 
Richard et le .Déserteur; il repoussa Wallace, en dépit 
du renom de son auteur et du mérite réel de l'œuvre. 
Joué le 4 décembre, le « drame lyrique » de Oatel 
n'eut que quatre représentations, et pourtant les 
soins de la direction n'avaient pas manqué à cette 
reprise. Et d'abord on avait songé à remanier le poème 
afin de lui donner, s'il était possible, un peu de l'inté- 
rêt qui lui manquait. C'était seconder les vuesdu com- 
positeur ; car, avant de mourir, il avait demandé à son 
librettiste, Fontanes, dit Saint-Marcellin, de refaire 
toute la pièce, sans pour cela changer rien à la partie 
chantée, et le collaborateur dévouéavaitaccomplicette 



122 FREUIBR CHANOBUGNT DE DIRECTION 

tâche, qui pouvait passer pour un tour de force. Cette 
version s'imposait naturellement à l'attention de Du- 
cis, lorsque, directeur de l'Opéra-Comique à Venta- 
dour, il avait songé à remonter Wallace, sans donner 
suite à ce projet. Cette fois on eut recours au talent 
■de Saint- George 3, qui délit la chose et !a refit avec 
son habileté accoutumée ; quant à la musique, il lui 
fallut aussi subir les transformations d'usage, Déjà 
un musicien nommé Rifaut s'était employé à cette 
besogne, et avait écrit notamment le finale du pre- 
mier acte, ainsi que des couplets au second; à son tour, 
M. Ernest Boulaiigerfut invitéà contLnuer|ce travail, 
et il composa dans le troisième acte des couplets 
pourM'"Darcier, un air pour Hermanu-Léon, un duo 
pourMockerel Mi'eDarcier, Enfin Garaudé.le répéti- 
teur de chaat, et Girard, le chef d'orchestre, avaient, 
eux aussi, mis la main à celte pàîe musicale; aussi, de- 
vant tant de collaborateurs, plus ou moins favorisés, 
■comprend-on qu'un illustre et spirituel compositeur 
ait dit, au sortir de la représentation, avec son air mi- 
bonhomme et mi-narquois : « Que reste-t-il donc de 
Catel, dans cette affaire ? Sans doute son Traité 
■d'Harmonie!... a Les journaux d'ailleurs n'étaient 
pas indulgents pour les arrangeurs, et l'un d'eux 
■expliqua, non sans finesse, les inconvénients du sys- 
tème adopté. « Déterrez une médaille antique, écri- 
vait-il, grattez-la, limez-en l'exergue, substituez des 
figures à celles qu'elle représente, et puis dites à la 
numismatique d'en apprécier les mérites... vous ferez 
acte de fou, et la science n'en sera pas plus avan- 
cée. > 

Celui-là montrait ainsi qu'il aimait la musique-na- 
iure, et l'on ne saurait douter que ce fût aussi l'avis 
d'un malheureux vieillard dont les journaux de 1844 

". t;.,osie 



184* 123 

s'occupèrent un iastant ; c'était un prisonnier faitpar 
les troupes d'Oran, dans uneexpédition sur Oudehda, 
■ et qui étonna fort les soldats quand il leur raconta 
son histoire. Souffleur au théâtre Feydeau, aux 
beaux jours de Garât, il avait perdu son emploi, était 
allé chercher fortune à Tanger, et s'était laissé 
prendre un beau jour par les Marocains nomades. 
Depuis trente ans, Dominique servait comme esclave, 
et son premier soin, lorsqu'on le délivra, fut de s'in- 
former des anciens qu'il avait connus ; à quatre- 
vingts ans et malgré sesaventures.ils'ÎDtéressait en- 
core au passé I On le vit alors très surpris et fort 
affligé d'apprendre que Feydeau n'existait plus, et 
que Martin, EUeviou, Gavaudan avaient dispaiu, eux 
aussi. Comme le fameux Rip, Dominique semblait 
s'éveiller d'un long rêve : il n'avait pas compté les 
années. 

Le fait est que ce revenant n'aurait pas trouvé 
grand mérite à ceux qui prélendaient recueillir la suc- 
cession de ses artistes favoris : les débutants de l'an- 
née 1844 furent médiocres. Un seul pouvait être mis 
hors de pair, Hermann-Léon ; les autres n'ont point 
laissé de trace et méritent tout au plus l'honneur 
d'être cités : M. Lac (29 mars) dans Georges de la 
Dame blanche; M. Albertini (9 avril) dans le Camoëns 
de l'Esclave du Camoëns; M. Bessin (7 mai) dans Po- 
poli de la Sirène; M°" Miro, née Camoin (15 août) 
dans Henriette de l'Ambassadrice ; M. Chaix (24 août) 
dans Tartaglia de l'Eau merveilleuse; M"" Quidant- 
Lehnen [1 1 septembre) dans Betly du Chalet; M. Gar- 
cin-Brunet (28 septembre) dans le Podestat de l'Eau 
merveilleuse; enfin M'" Duval (21 octobre) dans Hen- 
riette de l'Ambassadrice. 

Tout compte fait, les résultats de l'exercice 1884 



124 PREMIER CBANSEUENT DE DIRECTION 

n'avaient pas été très brillants; ceux de l'exercice 1845 
le furent moins encore. L'année demeura stérile el le 
succès ne fit rien éclore, ni œuvre nouvelle, ni talent 
nouveau. C'est eocore une vieille pièce qui l'emporta 
par le nombre de représentations. Avec Audran, 
Grard, Grignon, 8ainte-Foy, M"" Darcier, Casimir, 
Révilly, Cendrillon fut reprise le 25 janvier et 
jouée alors 62 Ma. Un tel résultat n'avait pas été 
prévu par la Eeuue et Gazette musicale, qui traita 
sévèrement l'œuvre et son auteur, Nicolo Isouard, ce 
compositeur franco-maltais, disait-elle, qui eut, «avec 
quelques mélodies agréables, une iastrumentation 
commune et plate, une connaissance assez Juste de la 
mesure scénique, assez d'adresse pour forcer Boiel- 
dieu et plusieurs autres compositeurs de talent de 
s'exiler du théâtre de l'Opéra-Comique, et d'y ré- 
gner sans partage pendant vingt ans. » A cette aigre 
critique on aurait pu répondre que précisément ces 
sortes de suprématies oe s'établissent, et surtout ne 
se maintiennent si longtemps, qu'à force de mérite : 
l'intrigue y a moins de part que le talent. Nicolo est 
de ceux dont les oeuvres ont survécu à la personne. 
A la vérité, Rossini a refait la Cendrilion de Nicolo 
comme il avait refait le Barbier de Palsiello ; les deux 
versions se sont même données simultanément sur 
deux de nos théâtres, et toutes deux ont eu la faveur 
du public. Mais il est à remarquer que, dans cet 
assaut d'un nouveau genre, la belle est restée au 
maître français. C'est la Cendrillon et non la Cerenen- 
tota qui ia dernière a été jouée à Paris. 

En 1315, la partition avait été, suivant l'expression 
d'un critique, « radoubée en cuivre » par l'arrangeur 
habituel; Adolphe Adam avait en outre pro&té de la 
dircoDstaace pour ajouter un air de sa façoQ, et c'est 



1815 125 

à M"* Casimir qu'était confié le soin d'en égrener les 
vocalifies. Etienne, l'auteurdupoème, avait sans doute 
donné sa permission; car il vivait encore. Mais la 
reprise de Cendrillon devait être sa joie supi'éme ; il 
mourut quelques semaines plus tard, le 13 mars, à 
l'âge de soixante-sept ans. 

La première nouveauté de l'année 1845 s'appelait 
les Bergers Trumeau, et parut le 10 février. Ce titre 
bizarre était celui d'une pièce qu'on jouait dans la 
pièce, comme ou l'a vu de notre temps pour l'Amour 
africain. Une société de grands seigneurs se propo- 
sait de représenter un opéra; mais, pour éviter les 
froissements d'amour-propre, on laissait au sort le 
soin de fiier la distribution des rôles. Or, le sort fai- 
sait des siennes en attribuant à un vieux baron le 
rôle du jeune berger, à la vieille baronne celui de la 
jeune bergère ; le jeune comte Ernest se changeait 
en président à mortier, et Antonia, sa fiancée, en 
père noble. Chacun allait s'habiller; le rideau tom- 
bait et se relevait bientôt sur une ouverture, la se- 
conde de la pièce ; on exécutait une sorte de pasto- 
rale, et tout était dit. Tel était ou à peu près le 
compte rendu fait par les journaux de cet opéra-co- 
. mique en un acte. On trouva que le compositeur, 
Olapisson, avait écrit un agréable pastiche, et que les 
librettistes, Dupeuty et de Courcy, avaient fait preuve 
d'ingéniosité. Mais nul ne s'avisa que la donnée pre- 
mière procédait directement d'une comédie en un acte 
représentée au Tliéàtre-Prançais le 14 octobren36: 
les Acteurs déplacés ou l'Amant Comédien, Cette ren- 
contre, volontaire ou fortuite, valait bien que d'un 
mot au moins on la rappelât au souvenir des curieux. 

La seconde nouveauté ne fut pas plus heureuse que 
la première ; malgré l'excellente marque de fabrique. 



126 FREUIER CHANGEMENT DE DIRECTION 

Scribe et Auber, la BarcaroUe ou l'Amour de la Mu- 
sique, opéra-comique en trois actes répété sous le 
nom de Gina et joué le 22 avril, ae put dépasser le 
chiffre de 27 représenlations : chiffre médiocre si 
l'oQ considère le talent et le renom des deux collabo- 
rateurs. Non sans quelque analogie avec une pièce du 
Gymnase, l'Intérieur du bureau, comédie d'Ymbert, 
la BarcaroUe formait un assez pauvre livret, et le pu- 
blic ne pouvait prendre grand plaisir à l'histoire de 
ce morceau de musique dérobé comme dans VElève' 
de Presbourg et dans les Maîtres chanteurs de 
Nuremberg, avec cette différence toutefois qu'ici 
nul ne veut s'en déclarer l'auteur; chacun y dé- 
cline à son tour une paternité compromettante, 
puisqu'il la pourrait payer de sa tête. Rendant 
compte de l'ouvrage, Théophile Gautier se servit 
dune formule qui ressemblait fort à une arme à 
deuï tranchanls: • Sans nouveauté de conception, 
dit-il, sans profondeur de pensée, sans sévérité de 
style, sans force comique, sans traits et sans mots, 
M. Scribe parvient à faire les ouvrages les plus 
agréables de tous ceux dont se compose la fourniture 
des théâtres. » Ici, le miel avait un goilt de vinaigre ; 
mais aussi un poète tel que lui avait dd cruellement 
souffrir en voyant le premier ministre du grand-duché 
de Bologne faire arrêter, par crainte d'être arrêté lui- 
môme, certain comte de Piesque qu'il voulait perdre 
et, ce bon tour joué, lancer à son confident Caprini 
cet étonnant distique : 

Richelieu 
N'eût pas fait mieu (sic). 

Auber ne fut pas mieu.ï traité ; sa partitioa conte- 
nait quelques réminiscences, et voici sous quelle 



1845 127 

forme aimable elles lui furent reprochées : « M, Au- 
ber ne se souvient pa3 — et il est le seul — de tous 
les airs charmants qu'il a faits, et quelquefois ils lui 
reviennent involontairemeDt sous la plume... » Le 
plus gros grief fut la banalité du morceau principal : 

toi dont l'œil rayonne 

De mille attraits vainqueurs 1 

Le motif n'avait pas besoin de reparaître une 
douzaine de fois dans la partition pour se graver dans 
la mémoire; on le connaissait avant de l'avoir en- 
tendu, s'écriait un critique. Th. Gautier l'avouait lui- 
même, disant: « Il est singulier que le compositeur 
qui a fait tant de charm.mtes barcarolles dans des 
pièces où elles n'étaient qu'accessoires, ail manqué 
celle-ci qui donne le titre h l'ouvrage et qui en était en 
quelque sorte la pensée musicale ». Uu malin ré- 
pondit que la barcarolle- était, dans le pièce, l'œuvre 
d'un grand seigneur de la cour et que, pour lui don 
ner plus de couleur, Auber avait tenu à faire, en 
cette circonstance, de la musique princiers. 

Dans la Barcarolle avaient paru pour la première 
fois deux élèves du Conservatoire, lauréats du con- 
cours de 1841. M. Gassier avait obtenu le second prix 
de chant, le premier prix d'opéra et le premier prix 
d'opôra-tomique ; M"* Octavie Delille, de son vrai 
nom M"" Morize, avait obtenu le second prix de chant 
et le second prix d'opéra-comique. L'un dans le rôle 
de Fiesque, l'autre dans celui de Gina, se firent agréa- 
blement remarquer, et de même on applaudit 
M, Chaix, qui continuait ses débuts en représentant 
de Felino, « le mauvais ministre, emploi pour lequel 
on ne trouve quetrop de sujets par le temps qui court*. 
Ainsi parlait un feuilletoniste en 1845... Déjà I 



123 MIBUIER CBANQEUENT DE DIRBCTIOH 

Paut-il attribuer à la série d'insuccès par lesquels 
il venait de passer, ou à l'espoir d'un marché avan- 
tageux, la résolution grave prise alors par Crosnier, 
directeur depuis !e mois de mai 1834? H avaitfait re- 
nouveler en 1843 son privilège pour dix ans ; or, peu 
de temps après cette prolongation de pouvoirs, il se 
relira brusquement de l'entreprise et céda ce même 
privilège à M. Basset, lequel prit la direction du 
théâtre le 1"' mai 1845. Une telle cession ne pouvait 
manquer d'être commentée, et maintenant encore on 
trouve quelque justesse aus observations formulées 
par A.-L. Malliot, dans son livre intitulé La Musique 
au théâtre, « Il est donc vrai, écrit-il, qu'un privilège 
donné par l'État, au nom de l'art, peut être vendu ; 
qu'il est la chose du privilégié ; qu'il peut être trans- 
formé en valeur réelle devenant charge pour le suc- 
cesseur, charge parfois si lourde que le successeur y 
succombe, et que par cela même le but protecteur et 
artistique de l'État est complètement faussé? Il est 
donc avéré que ces transmissions de charge ont lieu 
de direction en direction, sous le couvert du privi- 
lège de l'administration qui les ratifie, et qu'ainsi 
des situations privilégiées, créées à l'aide de subven- 
tions fournies par les deniers publics, peuvent deve- 
nir une véritable propriété individuelle, dont le pro- 
duit tourne parfois bien plus au profit de spécula- 
teurs adroits qu'au profit de l'art ï — Hélas ! oui, il en 
est souvent ainsi jusqu'à ce qu'un jour les passifs 
accumulés mettent le théâtre dans l'impossibilité 
d'agir et de payer, auquel cas le privilège peut être 
retiré des mains du titulaire, et cela presque toujours 
au préjudice des gens qui ont contracté avec lui, soit 
comme bailleurs de fonds, soit comme fournisseurs... 
Il importe donc aux intéressés d'être renseignés 



184& 129 

sur les règlements qui régissent les privilèges... » Là, 
précisément est la question. Quels sont ces règle- 
ments f Quel est sur ce point l'avis de la doctrine et 
de la jurisprudence ? Pour débrouiller ce chaos, nous 
avons eu recours à la compétence spéciale d'un de 
nos amis, M. Ernest Garetle. Trois points ressorteut 
de sa longue et intéressante dissertation. (11 est en- 
tendu que cette consultation se rapporte à l'état de la 
jurisprudence à l'époque qui nous occupe, soit 
en 1845.) 

!• Les privilèges de théâtre sont en principe per- 
sonnels et incessibles; toutefois, ils peuvent être 
l'objet d'une transaction aboutissant aune délégation 
de gérance, puisque le titulaire du brevet demeure 
responsable vis-à-vis des tiers et aussi de l'État, 
quand même l'administration aurait agréé cette 
transaction. 

. i* Les théâtres maintenus à Paris par le décret de 
1807 sont régis par des règles particulières, et la no- 
mination de leur directeur doit avoir lieu conformé- 
ment aux clauses de l'acte de société, le gouverne- 
ment n'ayant qu'un droit de surveillance. En fait, et 
peut-être à raison de la subvention que le théâtre 
reçoit de l'Etat, le directeur est désigné plus ou 
moins eiplicitemeat par l'administration, et il 
semble en être de même des directeurs auxquels le 
titulaire du privilège en concède l'exploitation. 

3" Le ministre a le droit de révoquer le privilège 
accordé à un directeur, soitpour inexécution descon- 
ditions, soit surtout pour cessation ou interruption 
d'exploitation ; mais, au moins d'après la doctrine, ses 
décisions peuvent donner ouverture à recours en 
Conseil d'État. 

En 1845, nulle de ces difâcullés ne fut soulevée; 



130 PRRHIER CHANGBUBNT DE DIRECTION 

la transmission des pouvoirs se fit le plus naturelle- 
ment, et ce qu'il pouvait y avoir d'irrégulier ou même 
d'abusif dans une telle cession fut d'autant moins 
remarqué que les attaches olficielles et l'influence 
personnelle du nouveau titulaire dispos;iient plus 
rolontiers le gouvernement à fermer les yeux. M. Bas- 
set, en effet, attaché au ministère de l'intérieur, cu- 
mulait les fondions de censeur dramatique et de 
commissaire royal à l'Odëon. Il avait l'expétience 
des choses de théâtre, et l'on pouvait croire qu'entre 
ses malus on ne verrait point péricliter la scène dont 
les destinées lui étaient confiées. 

Quant à Crosnier, ou plutôt, de son vrai nom, 
Croisme, il se retirait avec la réputation d'un homme 
habile, sachant mener de front la triture des affaires 
et l'amour de l'art. Qu'importe que son père eût tiré 
le cordon, et même eût continué à le tirer quand il 
était directeur de l'Opéra -Comique I D'abord, ce cor- 
don était celui de l'Opéra, et puis, Berihier, prince 
de Wagram, était, lui aussi, fils de concierge, et son 
humble origine ne l'avait point empêché de gagner 
des batailles et d'épouaer une IHIe de roi ! Crosnier 
ne connut jamais que les princesses de théâtre, mais 
il vivait largement, reçu partout et donnant dans son 
appartement de la rue Laffltte des soirées musicales 
auxquelles le Tout-Paris d'alors se rendait avecem- 
pressement. On avait pu lui reprocher, dans sa ges- 
tion, la faveur qu'il accordait aux auteurs dont il 
était le parent ou l'ami; que celui qui a dirigé un 
théâtre lui jette la première pierre I Les résultats ar- 
tistiques obtenus par lui plaidaient hautement sa 
cause. Pendant les premières années de son exploi- 
tation, lorsqu'il était encore associé avec Cerfbeer, 
la presse l'avait souvent traité avec injustice' Il était 



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18i5 131 

arrivé à la Revue et Gazette de se départir de sa modéra- 
tion habituelle quand elle écrivait que ces messieurs 
étaient u des spéculateurs et uon des hommes d'art; 
méprisant la presse ainsi que les auteurs et les com- 
positeurs, ils demaudent à ceux-ci des libretti et des 
partitions, comme ils commandent des articles de 
louanges sur tous les ouvrages' qu'ils donnent ; il en 
résulte que i'Opéra-Comique, avec ses ouvrages faits 
à la hâte et ses succès enlevés au pas de course et 
constatés par de lâches complaisances, serait déjà 
mort de sa prospérité, s'iln'avaitpas la subvention que 
la Chambre des Députés lui alloue, elle ne sait guère 
pourquoi, ni moi non plus. " Duo seul mot, M. Crosnier 
pouvait se défendre. En onze ans, sans parler des re- 
prises à succès ou des ouvrages honorablement ac- 
cueillis, il avait monté le Cftaief(i834), i'^clair (1835) 
le Postillon de Lonjumeau (1836), l'Ambassadrice 
(1836), le Domino noir (1837), la Fille du Régiment 
(1840), les Diamants de la Couronne (1841), la Part du 
Diafeie (1843), la Sirène (1844). De tels résultats ne 
s'obtiennent pas avec la seule complicité du hasard ; 
l'expérience y compte pour quelque chose, et l'habi- 
leté d'un directeur peut en revendiquer sa part. 



D.3i.za..ï Google 



CHAPITRE V 



LA SDCCBSSION DE II. CBOSNIBR. 



Les Momqiielaires de ta Reine et Haydie. 



En l'absence d'archives, de livres de caisse ou 
autres registres, régulièrement tenus et soigneuse- 
ment conservés, il est difficile de reconstituer la si- 
tuation floancière des divers directeurs qui ont tour 
à tour administré l'Opéra-Comique. Chacun d'eux a 
eu ses bailleurs de fonds et chacun a dû verser à son 
prédécesseur une somme plus ou moins grosse. Pour 
M. Basset, on sait qu'il eut deux commanditaires, 
te marquis de Raigecourt, pair de France, et le comte 
de Saint- Maurice, l'introducteur des ambassadeurs 
à la cour de Louis-Philippe, mais on ignore le prix 
auquel Crosnier lui céda ses droits ; les journaux du 
moins ne l'ont pas su avec exactitude, et la France 
musicale du 15 janvier 1845 est seule à donner le ren- 
seignement suivant : « Le privilège de l'Opéra-Co- 
mique vient d'être vendu 16 ou 1,700,000 francs. » 
Comme le fait observer A.-L, Maillot, dans la Mu- 



1845 133 

sique au Théâtre, môme réduit de moitié, ce chiffre 

« serait encore fort convenable. » 

C'eût été cher, en effet, si l'on tient compte surtout 
des échecs répétés qui avaient quelque peu compro- 
mis la prospérité du théâtre, et des vides qu'allait 
nécessairement causerie départ de certains artistes. 
Trois d'entre eux, par exemple, et des meilleurs, se 
retirèrent à l'arrivée du nouveau directeur : M"" Bou- 
langer, Masset et M°° Anna Thilloo. La première 
abandonna définitivement la scène. Masset, qui l'an- 
née précédente avait profité de son congé pour se 
rendre en Belgique, où il avait brillamment réussi, 
rêva dès lors de succès étrangers et partit pour l'ita- 
lie. Quant à celte enfant gâtée du public qui s'appe- 
lait Anna Thillon, on ne comprit guère pourquoi elle 
se retirait. Peut-être avait-elle eu maille à partir 
avec son aimable admirateur etprotecteur ; peut-être 
obéissait-elle à un simple caprice de jolie femme. 
En tout cas, Auber resta fidèle à son souvenir; ilgarda 
ce qui venait d'elle, et, lorsqu'il mourut, en 1871, on 
trouva chez lui le portrait de la charmante Anglaise 

dans le simple appareil 

D'une beauté qu'oa vient d'arracher au sommeil. 

Appelée par un engagement en Angleterre, Anna 
Thillon parut à DruryrLane en mai 1845 et y créale 
personnage principal d'un opéra nouveau de Balfe, 
dont de Saint.Georges avait écrit le livret, traduit 
en anglais par l'imprésario Bunn : c'était l'Enchante- 
resse, ouvrage en quatre actes qui obtint grand succès 
et qu'on est d'autant plus étonné de ne pas voir cité 
par Fétis dans sa Biographie des Musiciens, qu'il 
présentait une particularité assez curieuse : Anna 
Thillon 7 jouait sept personnages différents. 



,,Cooi^Ii: 



134 LA SDCCESaiOH DE U. CR03NIER 

Son dépari, joint à celui de Maaset et de M" Bou- 
langer, ne fut qu'en partie compensé par l'arrivée de 
nouveaux engagés. Après Gasaier et W" Octavie 
Delille, dont uous avons parlé à propos de la Barca- 
Tolle, on vit diébuter le 16 juillet, dans Betly du Chalet, 
M."» Mariin-Charlet, qui venait des Variétés, après 
avoir, en 1842, fait déjà sur la scène de l'Opéra-Co- 
mique une courte apparition ; puis, le 13 et te 15 dé- 
cembre, deux élèves du Conservatoire, M"' RouUié 
dans Zerline de Fra Diavolo, et Bassine dans le Sé- 
néchal de /ean de Paris; au concours de 1845, la 
première, élève de Poncbard, avait obtenu le second 
prix de chant; le second, élève de Garcia et de Mo- . 
reau-Sainti, avait obtenu le premier prix de chant et 
le premier prix d'opéra-comique ; c'est au reste, 
api es Faure, un des meilleurs barytons qui se soient 
produits à la salle Favart; remarquable chanteur et 
comédien intelligent, il a conquis sa place au théâtre, 
et une place fort distinguée. Pour être complet dans 
notre énumération, mentionnons enfin, à la date du 
21 déceoibre, le début d'une chanteuse qui n'avait 
jamais paru sur un théâtre. Petite, peu agréable d'as- 
pect, douée d'une jolie voix mais médiocre actrice, 
elle s'appelait M"* Herminie Beaucé. Elle joua le rôle 
de Louise dans le Déserteur; au dernier acte, elle St un 
faux pas et tomba : triste présage pour une débutante. 

A peine entré en fonctions, le nouveau directeur 
eut à lutter contre les prétentions de la Société des 
auteurs qui, d'une part, entendait le forcer à main- 
tenir tous les traités relatifs aux pièces nouvelles 
passés avec son prédécesseur, et, de l'autre, préten- 
dait apporter une modiftcation à son privilège en lui 
relirant le droit déjouer des traductions. On avait 
représenté à Berlin, le 8 décembre 1844, le Camp de 



1845 155 

Silésie, et l'effet produit par la musique de Meyer- 
beer, qui devait servir plus tardàTEioiiedu Word, avait 
allumé les convoitises des directeurs parisiens; l'Opéra 
et l'Opéra-Comique songeaient en même temps à 
s'approprier cet ouvrage : de là sans doute la qufes- 
tion soulevée auseiu de la Commission des auteurs, 
question de principe plus encore que question de fait; 
car, si l'on parcourt la liste des pièces représentées à 
l'Opéra- Comique depuis les Troqueurs, par esejnple, 
(1753), jusqu'aux Mousquetaires de la Reine [1846), on 
verra que le nombre des traductions est à peu près 
nul. Eu 1754 Za Servante Maîtresse, de Pergolèse; en 
1755 Ninette à la Cour, de Duni; en 1776 te Duel co- 
mique, de Paisiello; en 1789 le Barbier de Séville, de 
Paisiello ; en 1839 Eua, d'après Coppola; c'est tout, 
ou presque tout ce que l'ancien répertoire a cru de- 
voir emprunter à l'étranger. De nos jours la propor- 
tion n'a guère augmenté ; on citerait la Flûte enchan- 
tée, les Noces de Figaro, le Barbier de Sévilte de Ros- 
sini et celui de Paisiello, la Traviata, et tout récem- 
ment Cavalleria rusticana; encore faut-il observer 
que l'Opéra- Comique a recueilli la plupart de ces 
œuvres dans l'héritage du Théâti-e-Lyrique. 

Il nous semble, au surplus, que le droit de traduc- 
tion exercé, dans les limites que fixent d'eux-mêmes 
les intérêts des directeurs, serait plutôt digne d'en- 
couragements. Sa suppression, ou mieux, son très 
long abandon a plutôt desservi les intérêts de la salle 
Favart: 1° esthétiquement, en supprimant d'avance 
bien des comparaisons qui pouvaient stimuler la 
verve des fournisseurs habituels du théâtre; 2° maté- 
riellement, en créant au profit des théâtres rivaux des 
sources de produits considérables, comme on le vit 
plus tard à la place du Ghâtelet. 

UjL.:a..ï Google 



136 LA SUCCESSION DE M. CHOSNIER 

Le débat soulevé en 1845, et particulière ment vif 
pendant les mois de juin et Juillet, se prolongea par 
une série de trêves, incessamment renouvelées; il 
durait encore en mai 184G. M. Basset tenait à son 
droit, et il le défendait d'aulaot plus énergiquement 
qu'il lui avait été reconnu lors de la transmission de 
son privilège. Nous avons eu la bonne fortune de re- 
trouver le texte même, objet du litige ; c'était l'article 8 
du privilège consenti à Crosnier; le voici motpourmot: 

« L'entrepreneur.seratenu de représenter par an- 
née théâtrale, d'avril en avril, au moins vingt actes 
d'opéras nouveaus, donttroisouvrages, au moins, en 
trois actes... elle complément des vingt actes en ou- 
vrages d'un ou deux actes à sa volonté, mais toujours 
avec une musique nouvelle... Les actes d'ouompes 
traduits avec de la musique étrangère ne seront jamais 
admis en déduction de cette obligation. ■ 

Etait-ce pour se venger des difficultésqu'onluicréait 
au sujet des traductions ? mais, dès la première année 
d'exploitation, Basset commença par négliger l'obli- 
gation définie par cet article 8. De la fin d'avril 1845 
à la fin d'avril 1846, au lieu de vingt actes il n'en 
monta que quatorze, répartis en huit ouvrages, dont 
trois en trois actes, et les autres en un acte. 

Le premier s'appelait Une Voix. Au lendemain du 
départ d'Anna Thillon ce titre devenait piquant. Une 
voix, c'est Justement ce qu'on cherchait, mais ce 
qu'on ne trouva pas dans ce petit opéra-comique en 
un acte de Bayard et Potron pour les paroles, de 
M. Eroest Boulanger pour la musique, représenté le 
28 mai. La pièce fuljugée« assez amusante », lapar- 
tition « assez bien faite. » Ces « assez » n'étaient 
point sufUsants pour prolonger le succès au delà de 
9 représentations. 



,i,:.,,ï Google 



18*5 137 

La seconde pièce, donaée le 10 août, le Ménétrier 

ou les Deux Duchesses, avait pour auteurs d'une part 
Scribe, de l'autre Théodore Labarre, compositeur 
autfuel l'Opéra-Comique devait déjà les Deux .Fa~ 
milles (1831) et l'Aspirant de marine (1834). Depuis 
loQglemps annoncé, le titre de l'œuvre uouvelleavait 
servi de cible aux plaisanteries de la presse. Le 
moins qu'on pût faire était de l'appliquer au malheu» 
peux compositeur; on se demandait avec anxiété s'il 
ne raclerait pas; les répétitions ayant été prolongées 
pour cause de remaniements, on allait disant que 
l'artiste avait « un peu de peine à mettre de la colo- 
phane à son archet. ■> L'événement justiQa ces prévi- 
sions ironiques; les ti'ois actes du Ménétrier n'ob- 
tinrent qu'un succès d'estime. Au lendemain de la 
première, les critiques purent développer cette thèse 
vraie à quelques égards, à savoir que o les instru- 
mentistes sont rarement heureux en composition >> et 
Théodore Labarre, écrivait-on, venait « s'ajouter à la 
liste des joueurs d'instruments qui veulent faire de 
lamusique malgré Minerve. » Il comptaitalors parmi 
les harpistes renommés. En homme d'esprit qu'il 
était, il attendit patiemment la an de l'orage, et, l'an- 
née suivante, Girard ayant quitté la direction de 
l'orchestre à TOpéra-Comique, ce fut Labarre qui lui 
succéda. 

Si, avec Ses 17 représentations, te Ménétrier ne 
remplit pas la caisse du directeur, il garnit quand 
même les poches dulibrettiste ; voici comment. Scribe 
n'avait consenti à livrer son poème que moyennant 
une somme de 5,000 francs devant être versée par 
MM. Escudier frères, futurs éditeurs de la partition, 
savoir : 2.500 francs le lendemain de la première re- 
présentation, et 2,500 francs trois mois après, sans 
8. 



138 LA. SUCCESSION DE H. CROSNIBB 

parler d'un dédit de 10,000 riancs en cas d'iaesécu. 
tion. Vainement les éditeurs essayèrent de se sous- 
traire à cette obligation, en prétestant que la pièce 
représentée n'était pas la même que celle dont le 
scénario leur avait été soumis ; que les modifications 
apportées diminuaient les chances du succès ; que les 
rôles n'avaient pas été distribués comme il était con- 
venu; que la représentation avait eu lieu en août au , 
lieu d'avril, époque désignée. Ils perdirent devant 
le tribunal de commerce d'abord, et ensuite devant 
la cour d'appel, qui les condamna aux dépens el à 
l'obligation du traité, fixant à 5,000 francs le dédit, 
puisque la représentation donnée constituai_t un com- 
mencement d'exécution. Ou voit par là dans quelles, 
conditions le librettiste à la mode daignait collaborer 
avec un auteur jeune et de mince notoriété. Lui seul 
fut payé; Labarre ne fut pas édité et les frères Escu- 
diér durent verser une somme assez grosse pour un 
livret qui ne ressemblait en rien à ceux du Domino 
noir et de la Pari dit Diable, Comme disait un journa- 
liste, « la morale à tirer de ceci, c'est que, pour avoir 
un bon poème de Scribe, il ne faut pas le lui ache- 
ter. » 

La Charbonnière, qui succéda le 13 octobre au Méné- 
trier, ne valait pas mieux que lui. Scribe n'était pas 
le seul coupable, cette fois ; il avait pour complice 
Mélesville, et ces deux hommes d'esprit avaient dra- 
matisé en trois actes un conte à dormir debout, bon 
tout au plus à grossir le recueil du chanoine Schmidt. 
Pour comble de malheur, l'un des personnages s'ap- 
pelait Rîgobert, et ce personnage n'était rien moins 
■qu'un souverain déchu appelé, à la ffn de la pièce, à 
remonter sur le trône de ses pères dans un duché 
d'Allemagne, proche sans doute de celui de Gërols- 



1815 139 

teîD. Ed entendant lire l'ordonnance qui fait d'une 
ancienne charbonnière la marquise de Blaguembourg, 

le tout signé Rigobert I", les spectateurs ne purent 
tenir leur sérieux et la soirée se termina gaiement; 
« tant il est vrai, s'écriait Henri Blanchard, qu'il y a 
dans les noms une espèce d'euphonie poétique et 
théâtrale qu'on ne peut blesser impunément. » C'est 
Berlioz qui, rendant compte de la partition d'un com- 
positeur peu versé dans l'art de la modulation, pré- 
tendait qu'il s'élait borné « à écrire un opéra en ré. » 
De Montfort, on pouvait dire qu'il avait écrit « un 
opéra en valses, ou mieux une valse en trois actes. » 
La moitié des morceaux, en effet, s'y trouvaient, pa- 
rait-il, rythmés à trois temps. 

Dans la boîte aux oublis où diaparut, après dix 
représentations, la ChUTbonnière, il faut jeter aussi 
les deux dernières pièces représentées en l'année 
1815, le Mari au Bal et l'Amazone. Ces deux levers de 
rideau, en un acte chacun, ne valaient guère'plus par 
le poème que par la musique. J.e premier avait pour 
auteurs Emile Deschamps et Àmédée de Beauplan; 
le second. Sauvage et Thys. 

Le Mari au Bal (25 octobre) était une binette « bâtie 
sur cette maxime conjugale que toutmari qui s'amuse 
de son côté doit s'attendre à ce que sa femme en fasse 
autant du sien. >> Le compositeur, Amédée de Beau- 
plan, était un auteur de romances que le maniement 
de l'orchestre gênait un peu ; de là quelques défail- 
lances vertement relevées par les critiques, sauf celui 
de la Reoue et Gazette qui semblait se plaindre au 
contraire de l'importance attachée à l'instrumenta' 
tion. Deux mois plus tard, d'ailleurs, à propos de 
l'Etoile de Séville, représentée, nous l'avons dit, à 
l'Opéra, Théophile Gautier louait Balfe, le composi- 



140 LA SUCCESSION DE U. CROSNIER 

teur, de « bien écrire pour les voix, mérite très rare 
ailjourd'hui où tout est sacrifié à l'orchestre. i En 1845! 
cette remarque est bien faite pour nous surprendre. 
■ Petits vers, fades propos et jolie musique de salons, 
quelles pauvretés vous êtes sur la scène » lisait-on 
dans un compte rendu. Le public fut si bien de cet 
avis que le Mari au Bai eut seulement cinq repré- 
sentations ; encore, à la dernière, le rideau fut-il 
baissé avant la fin de la pièce. 

L'Amazone (25 novembre) en eut sept : le résultat 
ae différait guère. Comme Amédée de Beauplan, 
d'ailleurs, Thys était un «compositeur de salons e, 
suivant l'expression du temps; aujourd'hui nous 
dirions «amateur», et cette appellation nous dispense 
de porter sur l'œuvre, dont la Diana Veruon de Walter 
Scott avait inspiré le poème, un plus long juge- 
ment. 

Comme on le voit, l'année finissait mal; et pour- 
tant, chose curieuse, lesrecettesatteignirent un chiffre 
supérieur à celui de l'année précédente. Il avait donc 
suffi de la rictiesse du répertoire pour alimenter la 
caisse, comme aussi du succès de deux reprises î- 
le 11) juin, les Diamants de la Couronne, avec Rie 
quier, Mucker, Henri, Sainte-Foy, Emon. M"" La- 
voye et Darcier; et le 25 août, Marie, ce charmant 
ouvrage d'Hérold qui n'a pas été joué depuis plus de 
vingt ans, bien qu'il ait été question plus d'une fois 
de le remettre à la scène au cours de ces dernières 
années. 

Peu de jours après celte reprise de Marie, du 7 au 
11 septembre, le théâtre avait été fermé « pour cause 
de réparations». C'étaient les premières que l'on en- 
treprenait depuis l'ouverture de la nouvelle salle 
Favart. La troupe profita de celle circonstance pour 



1846 141 

quitter Paris, et, le mardi 9, se rendit à Eu où elle 
doQoa devant Leurs Majestés et la Reine d'Angleterre 
une représentation curieuse et vraiment unique en 
son genre : Richard Cœur-de-Lion et le Nouveau Sei- 
gneur du village furent joués en plein air sur un 
théâtre de verdure élevé dans le parc 

En iSiC, un ouvrage domiae tous les autres ets'imj 
pose, non seulement par sa réelle valeur, mais en- 
core par le succès considérable qu'il obtint alors. Les 
Mousquetaires de la Reine firent leurentrée au théâtre 
le 3 février, et, dans les annales de l'Opéra-Comique, 
il faudrait remonter jusqu'à la Dame blanche ou des- 
cendre jusqu'à VEloile du Nord pour rencontrer une 
réussite aussi prompte et aussi complète. Dès le pre- 
mier toir, le poème de de Saint-Georges et la musi- 
que d'IIalévy allèrent, comme disent les Italiens, aux 
étoiles. Le sujet parut intéressant, varié, dramatique 
et gai tout à la fois ; la partition spirituelle et vive, 
semée de mélodies charmantes que rehaussait en- 
core le mérite d'une facture solide, d'une connais- 
sance profonde de la scène et de l'orchestre. 

L'oeuvre était exécutée d'ailleurs par l'élite de la 
troupe; il suffit de rappeler les noms de Roger, Moc- 
lier, Hermann-Léon, M"" Lavoye et D'arcier. Tout 
avait été réglé avec soin; le soir de la première, le 
régisseur général Henri avait poussé la conscience 
jusqu'à se mêler aux chœurs, pour suivre de plus 
près la manœuvre, soutenaut, pressant, retenant son 
personnel avec le sang-froid d'un général qui livre 
bataille. Le titre de la pièce lui-môme avait été l'ob- 
jet de sérieux débats entre l'auteur et le directeur ' 
tout d'abord, nousa raconté M. Schœnewerk, dont les 
souvenirs sur cette période sont des plus précieux ; on 
avait choisi un nom qu'OlTenbach devait reprendre 



.^Cooi^Ic 



143 LA SUCCESSION DE y. CnOSNIBR 

plus tard pour son compte en le donnant à l'une de 
ses premières opérettes : Une Nuit blanche. Mais déjà 
on pouvait lire sur l'affiche des Variétés, le 8 décem- 
bre 18i5, tandis que l'œuvre d'Malévy se trouvait en 
pleines répétitions, Une Nuit blanche ou la Petite 
Maison, vaudeville en deux actes de Leaven et 
Btrnnswlck. C'est alors qu'on songea aux Mousque- 
taires, qui, séparément ou collectivement, avaient 
déjà paru sur la scène : on connaît en effet Je Mous- 
quetaire, de Bousquet [1844), dont nous avons déjà 
parlé; les Deux Mousquetaires, de Berton (1824), 
également à l'Opéra- Comique et non mentionnés par 
Clément dans son dictionnaire; enfin, /es Trois Mous- 
quetaires, d'Alexandre Dumas, Ce fut mêmt-, le succès 
de-cette dernière œuvre, réprésentée quelques mois 
auparavant et devenue promptement populaire, qui 
décida les auteurs à s'inspirer d'un titre de bon au- 
gure. Ed outre ils créèrent, pour la circonstance, un 
corps de troupe que le public accepta sans vérifier, 
comme il acceptait les Inventions historiques de 
Dumas, et le bon Th. Gautier fut seul à lancer timi- 
dement sa petite protestation au nom de la vérité : 
« Nous avons, disait-il, beaucoup entendu parler de 
Mousquetaires gris, de Mousquetaires noirs et de 
Mousquetaires à pied; mais y a-L-il jamais eu des 
Mousquetaires de la Reine? Grave question, sur la- 
quelle nous prions Alexandre Dumas de nous éclairer 
à la première occasion. » 
Ce dernier n'exauça point cette prière ironique; 
, mais le public donna gain de cause aux auteurs en se 
pressant au théâtre pour admirer les nouveaux ve- 
nus. Le Roi lui-même, en dépit de son goût pour la 
vieille musique, suivit l'engouement général, et le 
25 février fit venir aux Tuileries les Mousquetaires de 



1846 143 

ta Reine. Librettiste, compositeur et directeur, cha- 
cun àcette occasion reçut de Leurs Majestés sa part 
de complimens, et la Reine daigna dire que • malgré 
tout ce que lea princes, qui avaient assisté à trois 
représentations, lui avaient rapporté du mérite de la 
pièce, elle trouvait encore cet ouvrage supérieur aux 
éloges qu'on lui en avait faits, i 

La presse, eu effet, s'était montrée unanime dans 
la constatation du triomphe : » Le bureau de loca- 
tion ressemble à un fort assiégé en règle», écrivait 
l'un, Depuis longtemps, poursuivait l'autre, on n'a 
vu un succès se dessiner aussi éclatant que la fou- 
dre et déjà brillant comme l'Eclair t » 

Les recettes sont là pour le prouver. Les quatorze 
première9représentationsproduisirent77,785rr.75c. ; 
les quatorze suivantes 80,159 fr. 75 c. ; à la quarante- 
deuxième on comptait 226,360 fr. 25 c. de recettes, 
c'est-à-dire que la moyenne avait toujourjj dépassé 
5,000 francs par soirée. Le congé des artistes fli sus- 
pendre pendant deux mois les réprésentations ; elles 
reprirent plus brillantes et plus suivies que jamais, 
avec M"* Lemeicier succédant à M"* Darcier dans le 
rôle de Berthe de Simiane. Eu moins de neuf mois 
on atteignait la centième, et le 39 novembre, à la cent- 
quatrième, on faieait encore une recette de 5,331 fr. ; , 
la moyenne s'était donc maintenue avec une surpre- 
nante âsitë. Or, il faut bien en attribuer le mérite à 
l'ouvrage lui-même, et non à ceux qu'on pouvait lai 
donner comme compagnons sur l'affiche; car il fnt 
joué seul 102 fois. Fait absolument exceptionaelj 
alors, à rOpéra-Comique, où les levers de rideau 
n'ont perdu leur importance que depuis quelques 
années. 

Les Mousquetaires de la Reine gagnèrent vite la 



14i LA 8DCCESSI0N DE H. CR08NIEH 

province, et, dès la première année, passèrent )a 
frontière; on les retrouve à Bruxelles le t6 avril, à 
Vienne sur deux théâtres à la fois (au théâtre An der 
Wien et au théâtre de la porte de Carinthie) ; à Franc- 
for t-sur-le-Mein, le 6 septembre ; on les annonce à Ber- 
lin, Leipzig et Breslau. Lapièceétaitlaucée, comme on 
le voit, et l'on pouvait croire qu'elle réaliserait plei- 
nement la prédiction d'un jouroal qui lui assurait 
alors aussi longue vie qu'à la Dame Blanche ou au 
Pré aux Clercs. Elle aussi, pourtant, elle a perdu avec 
l'âge une partie de ses charmes ; demeurée au réper- 
toire de la province, elle n'a point gardé sa place à 
Paris, et la dernière reprise, qui remonte à l'année 
187S, ne fut pas très fructueuse. Il semble qu'une 
sorte de fatalité ait pesé sur la destinée d'Halévy ; si 
l'on excepte trois ou quatre ouvrages, ses succès, si 
nombreux, si brillants qu'ils aient été, n'ont jamais 
eu qu'une brève durée : pour employer une compa- 
raison classique, ils ressemblent à des feux de paille 
qui jettent de grandes lueurs et s'éteignent aussi vite 
qu'ils se sont allumés. 

Une dernière remarque au sujet du peu d'empres- 
sement que mettaient alors les éditeurs à faire pa- 
raître leurs ouvrages. Eu dépit de sa réussite excep- 
tionnelle, la grande partition des Mousquetaires de la 
Reine ne fut publiée que dans le courant de juin, près 
de quatre mois après la représentation ; la petite par- 
tition piano et chant fut mise en vente le l" octobre 
seulement et, jusque-là, on s'était contenté de quel- 
ques morceaux détachés, dont les premiers remontent 
au 27 mars. A cette époque, les critiques ne se met- 
taient donc pas en peine de contrôler le jugement de 
leur oreille et de leurs yeux par une lecture attentive 
et raisoanée de l'œuvre qui. leur était soumise: de 



1846 145 

là, ces appréciations vagues ou erronées qui parfois 
nous font sourire aujourd'hui. Ou connaît sur cette 
question i'avis de Richard Wagner : il livrait au pu- 
blic et son poème et sa partition, plusieurs mois, sou- 
vent plusieurs années avant l'épreuve de la scène ; il 
voulait être compris et faciliter la tâche de ses audi- 
teurs. Les adversaires de ce système pourront soute- 
nir qu'en ce qui touche les Mousquetaires de la Reine, 
par exemple, la publication tardive ne put nuire à la 
fortune de l'ouvrage, sans doute parce qu'il était ai- 
sément compréhensible et traité dans un style assez 
familier à tous. Mais dans les œuvres de combat à 
tendances rénovatrices ou simplement hardies, il 
n'en va pas de même ; Faust et Carmen furent con- 
damnés ou ue furent pas, du moins, appréciés à 
leur valeur. Qui sait? N'auraient-ils pas été ïnieui 
traités si le texte gravé avait été mis plus tôt dans 
les mains de ceux qui devaient les juger ! 

Cette précaution n'était pas utile pour un petit 
opéra-comique en un acte, comme le Trompette de 
M. le Prince, répété sous le titre de la Chambre, 
joué le 15 mai, et dû à la collaboration de Mélesville 
et de François Bazin. Vingt-deux représentations dans 
l'année, avec le maintien de la pièce au répertoire 
pendant un assez long temps, marquèrent le favo- 
rable accueil fait au début du jeune compositeur. 
Lauréat de l'Institut, où il obtenait en 1839 le second 
prix tandis que le premier était remporté par M. Ch. 
Gounod, il avait mérité en 1840 la plus haute récom- 
pense, avait séjourné à Rome le temps réglemen- 
taire et revenait à Paria, plein d'une ambition légi- 
time que l'avenir devait satisfaire largement ; car il 
connut la fortune, le succès, les honneurs. Nous ne 
pouvons oublier qu'il fut notre maître, et c'est avec 

9 . 

„■ ... ,X>oo>^le 



U6 LA SDCCESaiON DB M. CHOSNIER 

respect que nous parlons d'un artiste gui a pu se 
tromper sur le compte de M. Massenet, alors son élève 
et plus tard, par une singulière ironie du sort, sou suc- 
cesseur à l'Institut, mais dont l'enseignement libéral 
a rendu bien des services et formé Men des talents. 
Le Trompette de M. le Prince fut suivi à. quelques 
jours de distance, le 27 mai, par le Veuf du Malabar, 
autre opéra-comique en un acte dont Siraudin et 
Adrien Robert (lisez Charles Basset) avaient composé 
les paroles et Doche la musique. Trente représenta- 
tions furent la carrière fournie par cette farce, plus 
bizarre qu'originale, rappelant à certains traits le 
Mort Vivant, la Femme Juge et Partie et autres pièces 
fantaisistes, mais n'ayant point, pour rehausser son 
mérite, le secours d'un compositeur de talent. Doche 
était plus propre à composer des couplets de vaude- 
ville que des scènes dramatiques ; en un temps où le 
publie attachait moins d'importance qu'aujourd'hui à 
l'élégance et aux rafânements de l'instrumentation, 
il réussissait môme à choquer ses contemporains par 
la pauvreté de sa facture, et l'un d'eux pouvait écrire 
en toute sécurité : « M, Doche ne s'est pas familiarisé 
avec la variété des voix multiples de l'orchestre, bien 
qu'il en dirige un, et son style est arriéré : sa muse 
est une musarde qui semble inspirée par Apollon- 
Musard. > Le titre de la pièce était fait pour amener, 
sous la plume des journalistes, les souvenirs histo- 
riques et littéraires ; on n'y manqua point ; on exhuma 
notamment la Veuve du Malabar, cette tragédie jadis 
fameuse, et l'on rappela ce vers (qui n'en est pas tiré 
d'ailleurs), que son orgueilleux auteur, Lemierre, 
proclamait « le plus beau de notre langue •> : 

La trideot de Neptane est le aceptre du monde. 



1848 H7 

Presque au lendemain de l'affaire Pritchard, la cita- 
tion d'ailleurs ne manquait pas d'à-propos. 

Une autre pièce en un acte, Le Caquet du Couvent, 
représentée le 5 août, ne fournissait point à la presse 
matière k semblables digressions ; mais elle inspira 
au critique Henri Blanchard une note d'autant plus 
amusante, qu'il se trouvait en quelque sorte intéressé 
dans l'ouvrage et lésé par sa représentation. Il avait 
dû, en effet, écrire la musique lorsque la pièce s'appe- 
lait la Sieste, et avait pour auteurs de Leuven, Ch. de 
Livri et Ferdinand Langlé. Refusée alors par Cros- 
nier, elle avait attendu quinze ans dans les cartons de 
Leuven qui, un beau jour, la porta à Planard. Ce- 
lui-ci modifia la pièce, changea le nom des person- 
nages, et la Sieste, devenue le Caquet du Couvent, fut 
confiée à un nouveau compositeur, Henri Potier, au- 
quel elle valut 58 représentations réparties entre 
quatre années. De nos jours, un procès serait la cou- 
séquence de ce procédé ;'Blanchard était sans doute 
d'humeur conciliante; il se contenta d'en rire, et 
comme le livret ressemblait quelque peu à l'Ingénue 
de Dupin, il désigna ironiquement, dans son compte 
rendu, le libretto comme étant de « MM, de Planard, 
de Leuven, de Livri, Langlé, Dupin et quelques 
autres, s En réalité, sur l'affiche, les deux premiers 
seuls étaient nommés. L'aimable critique poussa le 
désintéressement jusqu'à trouver delà valeur àla mu- 
sique de Potier et du talent aux interprètes, M""' Po- 
tier, Lavoye et Félix, sans oublier l'amusant Sainte- 
Foy, lequel dans ses couplets attaquait, disait-il, 
« avec assez de brio un si de lête qui en fait presque 
un Duprez. » La chose est très possible ; on se rap- 
pelle en effet que Sainte-Foy avait fait ses études au 
Conservatoire et concouru dans un air d'opéra. Il as- 



t4lil LA SUCCESSION DB H. CROSNIEll 

pirait à devenir téaor sérieux, et la fantaisie de son 
masque l'obligea seule à renoncer à ce fol espoir. Le 
succès l'en indemnisa largement. 

Deuxlevers de rideau en un acte n'avaient pas épmsé 
la provision d'amabilité du directeur pour les jeunes. 
Après Bazin et Potier ce fut le tour de Maurice Bour- 
ges, un rédacteur de la Jieoue et Gazette musicale , 
plus connu comme critique que comme musicien. 
Sultana, nom donné à une espèce merveilleuse de 
tulipe que cultive un vieux soldat hollandais avec 
espoir d'en tirer fortune, ae rapporta que de modestes 
droits d'auteur au librettiste, de Forges, et au com- 
positeur qui s'en tint à ce premier essai |dramatique 
en deux actes. Répétée sous le titre des Deux Pages, 
cette petite pièce parut le 16 septembre et vécut l'es- 
pace de trente et une soirées. 

Le dernier ouvrage de la saison fut un opéra- 
comique en trois actes, paroles de Brunswick et de 
Leuven, musique de Clapisson, Cibby la Corne- 
muse : titre bizarre, soit dit en passant, et tout juste 
grammatical, auquel il eût été évidemment plus cor- 
ryct de substituer celui de Gibby, le joueur de corne- 
rrinse. Le sujet, une conspiration contre Jacques I", 
découverte et empêchée par un berger, ne pouvait 
donner matiéreà déveioppËments bien originaux; ou y 
prit quelqueintérét cependant, grâce à certains détails 
assez amusants, dont, à tort ou à raison, on se plut à 
attribuer la paternité à Brunswick seul, ainsi qu'en 
faitfoi ce quatrain satirique improvisé lors de la pre- 
mière représentation, qui eut lieu le 19 novembre : 

Si de Gibby la cornemuse 
Attire el charme le public. 
On ne le derra qu'à la muse 
De Clapisson et de Brunswick. 

„: .....COO'^IC 



1846 ]49 

Des mélodies assez heureuses contribtièreat en 
outre à la réussite de cet ouvrage qui, saus être uu 
grand succès, rapporta quelque argent. Le composi- 
teur eu fut tout heureux, et dut eurichir de quelque 
instrument nouveau la belle collection qu'il a lôguée 
par testament au Conservatoire. Le souvenir de ces 
joies est consigné à la première page des mémoires 
de Roger, parus sous le titre de Carnet d'un Ténor : 

« Jeudi, 4 mars 1847. — Dlué chez Clapisson. Quel 
homme heureux I Grâce à son succès de Gibby, le 
voilà arrivé à une aisance qu'il était loin de con- 
□aitre. Comme il jouit de tout avec délices! Il se fait 
un immense bonheur avec les mille riens dont se 
compose le confort de la vie : il a enân des tapis, uu 
calorifère dans sa salle à manger; il a chaud; ses 
amis ont chaud et regardent avec admiration ses 
curiosités et ses vieux instruments. Il a été chez le 
duc de Nemoursl II laisse arrondir soa ventre saus 
craindre que son ventre soit en contradiction avec sa 
fortune ; c'est vraiment plaisir de voir une fois par 
hasard le bonheur niché dans une famille qui sait en 
jouir et qui l'a mérité, » 

Après les œuvres nouvelles, il nous reste à men- 
tionner les repriseà d'ouvrages anciens ; on en compte 
quatre pour l'année 1846 : le Roi d'Yvetot, dont nous 
avons déjà parlé (20 février) ; Emma, (24 avril) ; Zé- 
mire et Azor (29 juin); Paul et Virginie (14 août). 

Emma eut peu de succès, faute peut-être d'une 
interprétation suffisante, car cette petite partition 
contient de très agréables pages, et cet essai de faire 
revivre un léger opéra-comique datant de 1821 et 
occupant le numéro quatre dans l'œuvre dramatique 
du maître, aboutit simplement à huit représenta- 
tions. 



Dgliiec^yGoO'^lc 



150 LA SUCCESSION DE H. CROSKIBR 

Il n'en fut pas de môme de Zêmire et Azor, dont les 
rôles servaient de débuts à deux jeunes artistes de 
talent, qui devaient fournir à l'Opéra- Comique une 
brillante et utile carrière. M"° Lemercier et Jourdan 
sortaient da Conservatoire, où ils avaient obtenu, au 
concours de 1845, l'une un second accessit de chant, 
l'autre, un premier prix. M"' Lemercier était pleine 
de finesse et de grâce, aimable chanteuse et spiri- 
tuelle comédienne. Jourdan possédait des qualités 
analogues; il brûlait les planches, comme on dit vul- 
gairement, et l'on ne pouvait alors lui reprocher que 
cet excès de zèle, cette sève juvénile que le temps et 
l'âge devaient suffire à calmer. « Il ne veut pas demeu- 
rer en place, écrivait le sévère Fiorentino; il a l'in- 
supportable manie de sautiller, de gambader, de s'a- 
giter, de courir comme s'il était piqué par la taren- 
tule. Coupez en deux la couleuvre au moment oii elle 
replie ses anneaux, et les deux tronçons du serpent 
qui tendent à se rapprocher vous donneront l'idée de 
ce mouvement, de ce frétillement perpétuel. » Quoi- 
que de petite taille, il avait en somme un physique 
agréable, et qui n'est pas inutile pour le personnage 
d'Azor; on était ainsi fort heureusement surpris lors- 
qu'il retirait la figure de diable d'opéra qui, pour cette 
reprise, avait été substituée è, la tête d'aoimal, sur- 
montée d'une touffe épaisse de plumes noires, et usi- 
tée jusque-là. Ponchard la portait ainsi quand il 
jouait ce même rôle d'Azor; le déguisement était 
laid, mais Ponchard n'était pas beau; ce qui faisait 
dire à certain critique malicieux : " Quel dommage 
qu'il ait ôté son masque ! » 

On sait que le sujet de cette pièce avait été em- 
prunté par Marmontel à un conte de M"° Leprince de 
Beaumont, intitulé la Belle et la Bête; on sait égale- 



1846 151 

meot qu'après le succès considérable de la première 
" représentatioa (Fontainebleau, 9 uoveintire 1771; 
Paris, 16 décembre), Guichard, consulté par Grétry 
sur le mérite de l'œuvre, aurait répondu : 

De cette question je ne me romps la tfile ; 
La musique est la belle et la pièce est la bâte. 

Marmonlel avait toujours eu assez d'esprit pour 
entrer à l'Académie française! Remarquons toutefois 
que, comme jadis Quinault, il se mit à écrire des 
poèmes d'opéras et d'opéras-comiques, seulement 
après avoir été admis au nombre des Quarante, Si 
donc il est quelque librettiste aspirant aux bonneurs 
de l'immortalité, ii faut que d'avance il renonce au 
plaisir d'indiquer ces deux noms comme précédents; 
l'histoire lui donnerait un démenti. 

La dernière reprise de Zémire et Azor remontait au 
21 février 1832, et, comme il est dans la destinée des 
ouvrages de Grétry de subir la continuelle fantaisie 
des arrangeurs. Scribe alors l'avait réduit à deux 
actes. En 1846, les quatre actes furent rétablis; mais 
on fit appel à la bonne volonté d'Adam pour opérer 
les retoucbes d'usage. L'opération réussit, la pièce 
aussi, et Louis-Philippe, fidèle à son goût pour les 
vieux opéras-comiques, ne manqua pas de réclamer 
uue audition spéciale de celui-là. Le 8 juillet, en 
effet, on représenta Zémire et Azor à Saint-Cloud; 
mais peut-être, pour cette fois seulement, revint-on 
au texte primitif, si nous en jugeons d'après une note 
curieuse trouvée dans un journal de l'époque. « Quand 
le roi a fait jouer à la cour Raoul de Créqui, Richard 
Cœur de Lion et le Déserteur, il a demandé que ces 
ouvrages fussent donnés dans leur intégrité, et sans 
être arrangés ou dérangés par le premier homme du 



D.3i.za..ï Google 



152- LA aUCCBg&IOH DB U. CROSNIBA 

monde. Nous ne garaotissons pas l'authenticité de ce 
jeu de mots royal sur M. Adam, mais bien l'ordre- 
précis que les partitioDS des maîtres de notre école 
française soient respectées. » 

Paul et Virginie n'eut pas le succès de Zémire et 
Azor. C'était pour les mêmes interprètes qu'on avait 
organisé la reprise de cette œuvre, née en t791 ; 
Jourdan et M"* Lemercier s'y montrèrent charmants, 
mais la pièce ne réussit point à émouvoir comme le 
roman. Le dénouement prosaïque et bourgeois, c'esl- 
à-dire le mariage des deux amants, imaginé par le 
librettiste de Favières, fit sourire, et, quoiqu'on s"in- 
clinât devant la partition de Kreutzer, laquelle fut 
cette fois religieusement respectée, on convint assez 
généralement qu'un tel sujet se pliait mal à une adap- 
tation musicale. L'histoire si simple et si touchante 
qui a immortalisé le nom de Bernardin de Saint- 
Pierre n'est évidemment qu'un long duo qu'il n'est 
pas facile de découper en actes d'opéra. Paul et Vir- 
ginie s'aiment d'un amour spontané, instinctif, mais 
qui s'ignore et dont l'inconscience est un charme de 
plus : quoi de moins scénique ? Plus tard, aidés de 
Victor Massé, MM. Michel Carré et Jules Barbier ont 
triomphé de cet obstacle; leur œuvre a réussi; mais 
on aura toujours quelque peine à trouver des inter- 
prètes assez séduisants pour donner l'illusion de la 
grâce et de la jeunesse, pour personnifier ces jeunes 
héros que semble envelopper déjà le prestige mysté- 
rieux de la légende. 

L'année 1846 vit se produire à l'Opéra-Oomique un 
nombre inusité de débutants : dix, parmi lesquels 
plusieurs dignes de mémoire. Déjà nous avons cité, à 
pnipos de Zémire et Azor, Jourdan et M'" Lemercier; 
voici venir : le 1 1 mars. M"' Marie Lavoye (rôle de 



,L.za..ïGoogle 



.1846 153 

Oendrilloa), 2' prix d'opéra-comîgue au concours de 
1845, sœur de M"° Lavoye qui faisait déj.V partie de' 
la troupe, jolie, jeune, encore inexpérimentée, mais 
comédienne intelligente, bien accueillie dans Cen- 
drillon d'abord, puis dans Emma. Le 26 avril, Julien 
[Mergy du Pré aux Clercs), chanteur de province dont 
le début ne fut même pas annoncé, ce qui prouve le 
peu de cas gu'en faisait la direction. Le 18 mai, Pra- 
deau (Dikâon de la Dame blanche), Pradeau, le futur 
Patachon, l'acteur si justement apprécié des Bouffes 
el du Gymnase, cherchant alors sa voie, et ne la 
trouvant pas comme l'indique ce simple compte rendu 
de son échec à l'Opéra-Comique : a M. Pradeau, le 
trial rouennais... n'a pas fait la moindre sensation, a 
Le 14 août, quelques jours après, M. DutiUiers (Jean 
dans les Deux Voleurs), M°° de Saint-Ange (la mère 
dans Paul et Virginie], deux inconnus. Le 16 sep- 
tembre, M"* Berthe, gentille chanteuse, venue de Brest 
et favorablement accueillie dans Nicette du Pré aux 
Clercs. Le 23 septembre, Montaubry, l'un des futurs 
piliers derOpéra-Gomique, et qui parut d'abord dans 
Daniel du Chalet, a Ce début, lisons-nous dans un 
u journal du temps, a été convenable, sans éclat, sans 
B accident, ■ autrement dit le jeune chanteur passa 
complètement inaperçu. Le 4 novembre. M''" Grimm 
(Oarlo Broscbi de ta Part du Diable), 2' prix de chant et 
2" accessit d'opéra-comique au concours de 1845, douée 
d'une voix souple et charmante, mais actrice dénuée 
. encore de toute expérience. Enfin, le 26 novembre, 
M"* Mercier (Catarina des Diamants de la Couronne), 
. 2= accessit de chant et 1»' accessit d'opéra-comique au 
concours de 1845, et qui prit à la salle Favart le nom 
de Levasseurpour éviter toute confusion avec M"' Le- 
mercier, sa camarade de classe et de théâtre ; belle 
9. 



154 LA 8UCCB83I0K DE U. CR03NIBR 

personne, dont la voix sonore et bien timbrée pro- 
duisit grand effet. 

Le bilan de l'année 1846 serait incomplet si nous 
ne inentionnions pas les représentations extraordi- 
naires données à la salle Favart. La première 
(17 mars), au bénéfice de Roger, comprenait les deux 
premiers actes de la Dame blanche, le second acte de- 
là Sirène, un intermède où parurent Roger, Hermann- 
Léon, Ole Bull, fameux violoniste de l'époque, et 
M. et M"" Blaes Merty, « si surprenants, dit un compte 
rendu, dans leurs échos de voix et de clarinette »; 
les Vieux Péchés, joués par Bouffé et M"" Marquet; 
un intermède de danse ; enfin, la parodie du Désert, 
où. défilèrent, en costumes et armés de mirlitons, les 
principaux comiques des théâtres de Paris. C'était là 
un programme assez attrayant pour justifier l'em- 
pressement du public ; la recette, en effet, s'éleva à 
11,155 fr. 50 c. 

La seconde (12 mai), au bénéfice de M°° Boulanger, 
la sympathique chanteuse qui, l'année précédente, 
avait pris sa retraite, comptait, comme principal élé- 
ment de succès, la présence de M°" DoruB-Gras, qui 
joua le second acte des Diamants de la Couronne. 

La troisième (6 décembre) fut à coup sûr la plus 
intéressante et la plus importante pour l'histoire de 
l'art. On y entendit pour la première fois la Damna- 
tion de Faust, légende en quatre parties, disait le 
programme, paroles de MM. H. Berlioz, Gérard et 
Gandonnière, musique de M. H. Berlioz. Les inter- 
prètes s'appelaient Roger (Faust), Hermann-Léon 
(Méphistophélès), Henri (Brander), M"' Hortense 
Maillard (Marguerite), et les exécutants, au nombre 
de deux cents, étaient dirigés par l'auteur. Annoncée 
pour le 29 novembre, puis remise au dimanche 6 âë- 



1846 155 

cembre, à une heure et demie, cette première audi- 
tion, suivie d'une seconde le 13, a donné lieu à Men 
dfl3 appréciations qui ne rentrent point dans le cadre 
de notre étude, et qu'on retrouvera dans tous les 
ouvrages (ils commencent à devenir nombreux} con- 
sacrés à la gloire de Berlioz. Il est un détail pourtant 
que nous rapportons ici parce qu'il semble avoir 
échappé à tous les biographes du maître : Pour conso- 
ler Berlioz de sa disgrâce, ou du moins lui faire illu- 
sion sur son succès, on organisa dans les premiers 
jours de 1847 un banquet, présidé par le baron Taylor, 
et l'on fit en son honneur frapper une médaille d'or 
qui lui fut remise solennellement. 

Mais ce témoignage des amis ne suffisait pas à con- 
soler le pauvre compositeur de l'indifTérence du 
public. La foule s'était ruée aui Mousquetaires de la 
Reine; elle avait négligé la Damnation de Faust, et 
ce n'est point sans quelque mélancolie qu'on se 
reporte en effet à cette année 184B : l'œuvre dont le 
succès a été le plus durable était justement celle à 
laquelle on avait porté le moins d'attention. 

« Quoi I s'écriait dans un de ses feuilletons Théo- 
phile Gautier, toujours disposé, il faut le recon- 
naître, à soutenir les jeunes, un théâtre royal s'est 
ouvert enfin sincèrement, franchement, à un composi- 
teur nouveau français et lauréat de Tlnstitut 1 On lui 
■a donné trois actes tout d'un coup, des acteurs conve- 
nables, des costumes riches et des décors frais, et 
H. Scribe a daigné réunir dans le poème la finesse et 
l'esprit de ses bons jours l Cela renverse toutes les 
idées reçues I » Si étrange, en effet, que fût cette 
bonne fortune, elle était très réelle ; la pièce en trois 
actes de Scribe et Gustave Vaez s'appelait iVe touchez 
pas à la Reine, et le compositeur Xavier Boisselot. 



156 LA SUCCESSION DB H. CROSNIEH 

Fils d'un facteur de pianos, le jeune Boisselot 
avait, en la personne de son père, non seulement un 
protecteur et un ami, mais un agent de récl^imes qui 
ne perdait aucune occasion d'allécher le public et de 
prédisposer ainsi les autres à aimer ce qui lui était 
cher. Voilà pourquoi on lisait alors dans les jour- 
naux : « C'est au numéro 9020 qu'est échu, dans la 
loterie au profit de la Caisse de l'ABsociation des 
Artistes musiciens, le magnifique piano à queue 
donndpar M. Boisseiot, de Marseille. Cet instrument, 
tant apprécié des artistes par sa brillante et belle qua- 
lité de son, confirme la haute réputation de M. Boisse- 
lot, qui, depuis quelques années, partage avec Erard, 
Pleyel et Pape, l'honneur de marcher à la tète de la 
fabrique française, i Un peu plus tard, au mois de 
novembre 1846, on annonçait l'arrivée à Paris de 
M. Boisselot père « le célèbre facteur de pianos 

' de Marseille, si connu par la constante protection qu'il 
a généreusement accordée à l'art et aux artistes. Il 
vient assister à la première représentation de l'ou- 
vrage de son fils, n C'était s'y prendre d'avance, 

■ puisque cette première n'eut lieu que le 16 jan- 
vier 1847 ; mais, l'excellept homme avait raison de se 
hâter. La victoire de son fils devait être sa dernière 
joie : quatre mois plus tard, il mourait subitement. 
Singulière destinée d'ailleurs, que celle de ce fils 
chéri. Né en 1811, gendre de Lesueur, prix de Rome 
en 1836, Xavier Boisselot attend onze ans la faveur 
d'être joué, donne pour son début Ne touchez pas à la 
Reine, qui est un succès, attend quatre années encore 
pour voir monter son second ouvrage, Mosquita la 
Sorcière, au Théâtre-Lyrique, lors de l'inauguration 
(27 septembre 1851), puis, délaissé par les directeurs, 
revient définitivement à ses fagots ou plutôt à ses 



1847 157 

pianos. Vainement, dans la cave de l'Athénée, on 
tente en 1871 une malheureuse reprise de Ne touchez 
pas à la Rtine, le nom du compositeur disparaît alors 
de l'ar&che et retombe dans l'oubli. 

Elle n'était point d'ailleurs sans mérite, cette pièce 
appelée Un Secret, puis Ne touchez pas à la hache, 
titre lugubre et peu propre au cadre aimable de 
l'opéra-comique. L'afTabulation manquait de vraisem- 
blance, bien que le point de départ ne fût pas sans 
quelque analogie avec celui d'un drame en cinq actes, 
d'Octave Feuillet et Bocage, intitulé Echec et mat; 
cependant les scènes étaient adroitement présentées, 
et la partition, sans révéler une personnalité musi- 
cale, dénotait une certaine entente de la scène, une 
certaine habileté dans le maniement des voix et de 
l'orchestre. « Ne touches pas à la Reine, écrivait un 
chroniqueur, mais... venez la voir ! » Et l'on vint, en 
effet, avec un tel empressement, que l'ouvrage fut 
joué 67 fois la première année et atteignit en trois 
ans 75 représentations. La province et l'étranger 
l'accueillirent avec faveur, puis l'oublièrent à leur 
tour. C'est le temps qui avait touché à la Reine, et 
c'est lui qui l'avait tuée. 

Le Sultan Saladin (8 lévrier) n'eut pas le même 
éclat et passa plus vite. Ce qui est bon pour un vaude- 
ville est suffisant pour un opéra-comique en un acte, 
s'était dit sans doute le librettiste Dupin ; et, rema- 
niant une pièce donnée à la rue de Chartres en 1819 
avec la collaboration de Scribe, le Fou de Péronne, il 
avait confié à Luigi Bordèse le soin de traiter musi- 
calement cette seconde mouture. Les aventures d'un 
prétendu qu'on berne à l'instar de M. de Ponrceaugnac, 
de M. Danière dans le Sourd, ou de M. Deschalu- 
meaus dans la pièce de ce nom, ne pouvaient guère 



tas LA succBSSiON DE u. cnosM&n 

fournir au musicien des situations bien compliquées. 
' L'auteur applaudi de la Mantille et de l'Automate de 
Vaucanson se contenta d'écrire une comédie à 
ariettes, c'est-à-dire de prodiguer les couplets ; et 
comme ils étaient chantés par Chollet, Sainte-Foy, 
Duvernoy, M"" Prévost et Berthe, le public ne lui 
tint pas rigueur, le directeur non plus, s'il est vrai 
que, quelques jours après, il remit à LuigiBordèse 
un poème en trois actes de Leuven. Mais le repor- 
ter qui lançait celte nouvelle exagérait sans doute, et 
l'on doit croire qu'il s'agissait d'un seul acte, les 
Deux Bambins, représentés l'année suivante. Du 
reste, on prétait alors à M. Basset bien des projets 
qui n'ont point abouti, et l'on annonçait bien des 
pièces qui n'ont jamais été jouées ou ne l'ont été que 
longtemps après ; pour cette année 1 847, il nous suifit 
de rappeler trois actes de Félinien David, la Perle du 
Brésil, qui, représentée au Théâtre-Lyrique en 1851, 
ne devait revenir à la salle Favart qu'en 1883 ; puis 
un acte de Burgmûller, un acte d'Alkan, et, souvenir 
Traiment piquant, un acte d'Offenbach, ou le princi- 
pal râle était destiné à Roger. Le titre ? Nul ne l'a 
publié. Peut-être était-ce l'Alcôue, opéra-comique en 
un acte, comprenant neuf morceaux, et ezéculé le 
24 avril 1847 dans un « concert dramatique n à l'Ecole 
lyrique, avec M"* Rouillé, de l'Opéra-Comique, 
MM. Grignon flis, Barbot et un amateur anonyme, 
pour interprètes. Peut-être était-ce aussi quelque ou- 
vrage plus important ; car, à cette époque, Offenbach 
n'aspirait pas seulement à divertir ses contempo- 
rains ; il écrivait de la musique a sérieuse », compo- 
sait de graves mélodies, gravement intitulées, par 
exemple, le Soupçon paternel, promenait son violon- 
celle de concert en concert, et passait pour un « artiste 



. 1847 159 

d'avenir. » Od ne se trompait pas; seulement, le 
talent qu'on lui prêtait n'est pas celui qu'il eut. 

A tout prendre, sa musique eût aisément valu celle 
de Doche, devant qui les portes de l'Opéra-Comique 
s'ouvraient pour la seconde et la dernière fois ; deux 
ans plus tard, il mourait du choléra, à Saint-Péters- 
bourg, où il était aller diriger le Théâtre-Français. 
AiiXt opéra-comique en un acte, écrit par lui sur un 
livret de Nus et Follet, et représenté le 13 mars, n'eut 
aucun succès. Le directeur s'y attendait sans doute, 
car il omit d'inviter la presse. Est-ce pour cette rai- 
son que Clément, dans sou Dictionnaire lyrique, a 
omis la pièce elle-même ? Les journalistes vinrent 
cependant, et c'est à l'uo d'eux que nous empruntons 
ce compte rendu coiu't, mais caractéristique : « Avec 
l'excessive, l'impardonnable faiblesse du poème, si 
c'est là un poème ! et avec la nullité bruyante de la 
musique, la pauvre A lix, n'ayant rien eu pour monter 
sur les planches, a déjà tout ce qu'il faut pour en 
descendre. » Elle en descendit en effet au bout de 
6 représentations, et c'est à peine si l'on eut le temps 
de remarquer, parmi les interprètes, le jeune Mon- 
taubry, qui faisait, avec le personnage d'Elienoe, sa 
première création à l'Opéra-Comique. Un seul critique 
semblait le deviner, quand il écrivait : « Ce ténor ne 
demande pas mieux que de bien dire et de bien chan- 
ter, quand on lui en offrira l'occasion, n Cette occa- 
sion ne lui fut offerte que onze ans après, et dès le 
mois d'octobre on le laissait s'embarquer pour la 
Nouvelle- Orléans. 

Vers le même temps, d'autres vides s'étaient pro- 
duits dans la troupe. M"' Prévost et ChoUet, dont te 
Sultan Saladin avait été la dernière création, se reti- 
. Fèrent ; l'une joua encore, le 24 avril, Paméla de Fra 



160 L.L SDCCRBSIUN DS U. CBOSNIEK 

Diavoto, l'autre, le 25 avril, Frontin du Noiioeau Sei- 
gneur, et tousdeux partirent pour Bordeaux, où GhoUet 
devenait àsoQtour directeur de théâtre. Le26 juin die- 
parut également M"* HenriPotier, personnifiant, pour 
la dernière fois, Argentine de l'Eau merwetlîeuse. C'est 
pour lesremplaeer qu'on fltdébuter successivement, le 
a2 avril, dans le Chalel (rôle de Mas), M. Beauce, venu 
de Liège, après avoir traversé l'Opéra de Paris; le 
l^mars, dans le Domino noir (rôle de Brigitte), M"' Mo- 
rel, artiste intelligente, qui ne tarda pas à occuper une 
place honorable dans les rôles de second plan; leSJuin, 
dans Ne touchez pas à la Reine (rôle de la Reine), 
M"' Charton, qui arrivait de Bruxelles pour chercher à 
Paris une notoriété qu'elle a trouvée depuis, car elle 
possédait une belle voix et devait, au Théâtre-Lyrique, 
sous le nom de Charton-Demeur, remporter plus d'un 
succès; le 28 septembre, dans l'Ambassadrice (rôle de 
Fortunatus), M, Nathan, élève du Conservatoire, ohil 
avait obtenuun accessit d'opéra-comique au concours 
de 1847, et dont la juste valeur fut appréciée pai- la 
Revue et Gazette, puisqu'elle écrivait ; ■ Il a tenu ce 
qu'il promettait : ce sera un artiste utile » ; le 14 dé- 
cembre, dans le Chalel, M"° Géraldine, qui venait du 
Vaudeville et chanta seulement trois fois; le 17 dé- 
cembre enân, dans Ne touchez pas à la Reine (rôle de 
don Fernand), M. Charles Ponchard, qui, après une 
courte apparition à l'Opéra, entrait à l'Opéra-Oomique, 
dont il devait rester jusqu'à sa mort l'un des servi- 
teurs les plus fidèles et les plus zélés, où môme il 
finit par remplir avec autorité les fonctions de met- 
teur en scène et de régisseur. 

Da reste, la jeune troupe « donnait » et avec succès, 
comme on le vit à la reprise de l'Éclair, qui eut lieu 
le 24 mars. Seul Roger comptait parmi les anciens ; 



1847 161 

encore changeait-il de rôle. Il avait débuté le 16 fé- 
vrier 1838 dans celui de Georges ; il prenait mainte- 
nant celui de Lionel, Dana son Carnet d'un ténor lui- 
même a rendu compte de cette soirée avec un mélange 
de niiveté et d'aplomb qui donne quelque saveur à la 
citation complète : « Mercredi. Dîner à 3 heures. Le 
soir, première représentation de la reprise de 
l'Éclair. J'ai mis une ceinture (!) faite par Ernest, le 
costumier. Ma femme prétend que ça a nui à ma 
voix. — Elle trouve que la partie vocale ne me con- 
vient pas et qu'elle est trop grave pour moi. Au milieu 
des compliments de tout le monde, Fanny seule est 
de mauvaise humeur. Peut-être a-t-elle raison. L'air 
du premier acte est trop long, je le couperai [!). Grand 
effet dans la petite phrase en la du quatuor et dans !e 
duo du deuxième acte, où M"' Grimm obtient un beau 
. succès. Jourdan et M"" Levasseur, faibles. J'étais tout 
étonné de voir Je rôle de Georges, qui faisait tant 
d'effet avec Couderc et moi, tout écrasé et réduit à 
rien par Jourdan (!). Jourdan, étant sans physiono- 
mie, est malheureusement obligé de se conformer 
servilement aux indications de Planard et de Saint- 
Georges, qui, comme Scribe, ont le talent de gâter les 
meilleures pensées du monde par des conseils mala- 
droits. » Le tableau est complet. Il n'en épargne point, 
et chacun a son tour, disait Molière. 

Cependant, le théâtre poursuivait sa marche régu- 
lière, entremêlant les nouveautés et les reprises, 
celles-ci généralement plus brillantes que celles- 
là. Le Bouquet de l'Infante, opéra-comique en trois 
actes, paroles de Planard et de Leuven, musique 
d'Adrien Boieldieu, reçut, avec 27 représenta- 
tions, un accueil simplement honorable. Appelée 
d'abord Ginetta, puis le Marquis de Silva, cette petite 



163 LA. SUCCESSION DE U. CROSKIBR 

pièce, signée par l'héritier d'un grand nom, eut pour 
interprètes, le 27 avril, les deux sceurs Lavoye, Mocker 
et Audran, lequel, indisposé le premier soir, eut des 
effets de voix malheureux, qui lui valurent la sévère 
application de cette plaisanterie d'Arnal : a J'ai beau- 
coup connu un mouton qui chantait ainsi. > Quant à 
la pièce, elle n'était ni meilleure ni pire qu'une 
autre ; elle offrait même quelques morceaux agréa- 
bles ; mais l'ensemble était gris et justiSait cette 
appréciation d'un critique : ■ M. Boieldieu n'en est 
plus à son coup d'essai et l'on alnierait à le voir frap- 
per des coups de maître. Il a le faire facile, mais 
quelque peu arriéré par la simplicité trop claire de 
sa mélodie et la naïveté de ses modulations, b II fal- 
lait que ce défaut fut bien grave pour qu'on le signa- 
lât ainsi en 1847, car le goût de l'époque ne pousi:ait 
point l'art vers les complications musicales. 

C'est ainsi qu'on est tout surpris de voir reprocher 
à Bazin « la coquetterie pointue et maniérée de 
l'école actuelle » à propos de son opéra-comique 
représenté le 18 mai, le Malkpur d'être jolie. Pour 
expliquer l'insuccès, il suffisait de s'en prendre à 
l'absurdité du livret. Le librettiste s'appelait Charles 
Desnoyers, alors secrétaire de l'administration du 
Théâtre-Français; ce qui fit dire à un plaisant cri- 
tique : a On voudrait que cette place lui donnât plus 
d'occupation ! n Un autre ajouta. : « Ce petit opéra... 
ne fera pas résonner longtemps, pour M. Bazin, la 
trompette de la Renommée ; celle de M. le Prince 
aura pour lui plus de retentissement. » En etTet, le 
Malheur d'être jolie, répété sous le nom A'IsoHer, ne 
fut joué que cinq fols. 

Tout au contraire, on fit boa accueil i. une ancienne 
pièce d'Àuber, Actèon, reprise le 26 juin, lestement 



,L.:a..ï Google 



!847 163 

enlevée par M"^* Lavoye, Morel, Rouliié, MM. Bas- 
sine, Joardan; et l'on ne manqua pas de rappeler à ce 
propos le joli mol de Rossini sur Auber : e Cet 
homme fait de la petite musique en grand musi- 
cien, » Oe n'est pas un des meillçurs ouvrages du 
maître, ni des plus importants, et néanmoins, il est 
curieux de rappeler que ce petit acte était destiné 
par les auteurs à l'Opéra, Bien plus, il y fut répété 
pendant six semaines par Levasseur, Nourrit et 
M"* Damoreau. Ce fut précisément la retraite de 
cette dernière qui entraîna la retraite dé l'œuvre. 
Actéon suivit M"" Damoreau à la salle Favart et parut 
dans son nouveau cadre, avec Inchindi et Révial, le 
23 janvier 1836. 

Les inconvénients d'un mauvais poème se firent 
sentir pour M. Ernest Boulanger comme ils s'étaient 
fait sentir pour Bazin. La Cachette, de Planard, repré- 
sentée le 10 août, ne valait pas mieuï que le Mal- 
heur d'être jolie; il n'y avait que la différence d'un 
acte à trois. Il s'agissait encore d'une de ces restau- 
rations, mises à la mode par Scribe, où l'un voit le 
sort des têtes couronnées dépendre du caprice d'un 
humble paysan; le librettiste y avait joint les accès 
de la folie d'une mère et son retour à la raison, et tout 
cet arsenal de sensibleries qui transformaient l'opéra- 
comique en un vrai mélodrame. Le compositeur avait 
fait de son mieux pour éclaircir cette sombre donnée; 
mais son talent, joint à celui des interprètes, Her- 
mann-Léon, Auiran, Ricquier, 8ainte-Poy, M"" Ré- 
villy, GriUim et Marie Lavoye, ne put sauver l'ou- 
vrage ; il tomba pour ne plus se relever après huit 
représentations. 

Afin de compenser cette perte, on puisa dans le 
vieux fonds, et le 6 septembre on rendit à la lumière 



164 ljl succbssion de u. crosnibr 

uoe pièce d'Auber, la Fiancée, qui datait du 10 jan- 
TÎer 1829. Le roi Louis- Philippe l'aurait peut-être 
trouvée encore un peu jeuue, lui qui, le 29 juillet 
précédent, avait invité les élèves du Conservatoire h 
représenter au théâtre de la Cour, à Saiût-CIoud, 
les Prétendus, musique de Leiiioyne(1789), et les Deux 
Petits Savoyards, musique de Dalayrac (1789). Le pu- 
blic se contenta de la Fiancée, dont le livret n'est pas 
ennuyeux d'ailleurs et dont la partition compte plu- 
sieurs morceaux devenus populaires ; il ne renouvela 
plus les critiques formulées, lors de la première, au 
sujet de certaine berline traînée par deu2 chevaux, 
qui amenait l'héroïne à la fia du dernier acte, et lui 
paraissait (ô candeur!) un spectacle digne d'un 
cirque, mais non de l' Opéra-Comique, et il prodigua 
des bravos aux interprètes qui étaient appelés à rem- 
placer les acteurs de la création (Chollet, Tilly, Le- 
monnier, M"" Pradher et Lemonnier), c'est-à-dire 
Mocker, Bussine, Audran, M"" Félix et Darcier. C'est 
à cette dernière en particulier que l'on fit fête. Un 
caprice l'avait éloignée de rOpéra-Comiquç et pous- 
sée au Vaudeville, où elle resta du 12 mai au 20 juin, 
afin d'y créer le principal rôle dans une comédie de 
Bayard et Dumanoir, intitulée la Vicomtesse Lo- 
lolte. Revenant à la salle Favart, elle avait à chanter 
dans ses couplets : a Le bonheur est là ! > Bien vite 
les spectateurs soulignèrent cette piquante allusion : 
il fallait bien applaudir au retour de l'enfant pro- 
digue. 

Cependant, la fin de l'année approchait, et l'on 
n'avait point encore trouvé une œuvre vraiment belle 
et digne de mémoire. Le Braconnier, que nous ren- 
controns le 29 octobre, n'était qu'une œuvre esti- 
mable. Ce petit opéra-comique en un acte avait pour 



1847 165 

auteurs, d'uoe part, Vauderburch et de Leuveu, de 
l'autre, Qustare Héquet, nouveau venu dans la car- 
rière musicale, car ou ne le connaissait jusqu'alors 
que comme journaliste. Jourdan, Ohaix, Sainte-Foy 
et M"* Lemercier présentèrent au public cet essai 
qui, disait un critique, " prouve qu'on peut être un 
compositeur élégant, quoique, ou même parce que 
l'on est un critique consciencieui et compétent. ■ 
O'est encore un aimable con frère qui écrivait : < Cette 
partition révèle un musicien que l'expérience fera 
dramatique, pour peu que les auteurs veuillent l'y 
aider par des poèmes s. Ni les auteurs, ni les direc- 
teurs ne l'y aidèrent; Gustave Héquet reparut aux 
BoufEes-Parisiens le 24 juin 1856, avec Marinette 
et Gros René, puis à Bade le 18 juillet 1864, avec 
De par le Roi; mais l'Opéra-Comique lui demeura 
fermé. 

Après une heureuse reprise de Fra Diavolo, le 
8 décembre, avec Audran, Sainte-Poy, M"" Kévilly 
et Charton, parut enfin Haydée. Il fallait cette bonne 
fortune pour relever le prestige d'une année à l'actif 
de laquelle on doit porter encore quelques représen- 
tations extraordinaires omises au cours de ce récit, 
par exemple : celle du 10 avril, au bénéfice de la 
caisse des auteurs et compositeurs dramatiques, avec 
le concours de la Comédie- Française pour la Famille 
Poisson, du Palais-Royal pour la Fille de l'Avare, et 
de M°" Donis-Gras, qui rejouait pour cette fois seule- 
ment le rôle d'Isabelle du Pré aux Clercs, rôle presque 
créé par elle, puisqu'elle l'avait pris,on s'en souvient, 
dès la deuxième représentation; celle du 20 avril, 
où fut exécuté pour la seconde fois le Christophe 
Colomb de Félicien David, donné pour la première 
fois au Conservatoire le 7 mars précédent; celle du 



166 LA succsasiON de u. grosnibr 

4 mai, au bénéfice d'une artiste, M'" Martin, avec le 
concours du Palais-Royal pour Un Poisson d'avril, 
et du Vaudeville pour Riche (Vamour, plus le premiei- 
et le deuxième acte de la Dame blanche, et un inter- 
mède musical, où certain chanteur de l'Opéra, nommé 
Bettini, provoqua l'étonnement du public : il s'était 
costumé en Andalou pour chanter une simple romance 
espagnolel C'est à peu près comme ai uu acteur se 
faisait faire un hahit neuf pour jouer dans Tartufe 
le personnage de Laurent; celle enfin du i 1 décembre, 
au bénéfice d'Hermann-Léon, avec une pièce du Vau- 
deville, les Premières Amours, le premier acte du 
Maçon, le Diable à l'École, Babylas aux Enfers, où le 
principal rôle était tenu par le bénéficiaire, et une 
scène nouvelle dont Glapisson avait composé la mu- 
sique, jouée par Hermann-Léon et Henri, intitulée 
Don Quicholte et Sancho, et qui, paralt-il, obtint un 
vi'ai succès de gaieté. 

Or, si brillantes que fussent ces représentations, 
elles ne faisaient rien tomber dans la caisse du direc- 
teur. Dans leur ensemble, les recettes avaient baissé : 
J846 avait rapporté 826,615 fr. 95; 1847 rapportait 
seulement 648,977 fr. 65: soit une différehce de 
177,638 fr. 30. On comptait sur Haydée, qui tint en 
effet ce qu'elle promettait. Mais on avait compté sans 
la politique, et c'est elle qui, bouleversant tous les 
projets, fit de l'année 1848 une année désastreuse. 
Grands ou petits, les théâtres devaient subir le contre- 
coup de la Révolution et mériter ainsi l'application 
d'un vers de La Fontaine : 

Ils ne mouraient pas tous ; mais tous étaient frappés* 



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CHAPITRE VI 

CNE PÉRIODE CKITIQUB 

Reprise de la Fille du Régiment, 
{1848). 



Par la date de sa première représentatioQ (38 dé- 
ceittbre), Haydée ou le Secret appartient, en réalité, 
moins à l'année 1847 qu'à l'année 1848, L'honneur, 
si l'on veut, fut pour î'uue, mais le profit fui pour 
l'autre, car l'ouvrage de Scribe et Auber réussit bril- 
lamment et s'annonça dès le principe comme un suc- 
cès d'art et d'argent. On goûta ce poème qu'on disait 
tiré d'une nouvelle russe traduite par Mérimée; la 
scène de somnambulisme fut jugée originale et 
neuve; on y découvrit même une portée morale qui 
d'ordinaire faisait défaut aux livrets de Scribe, Quant 
à la musique d'Auber, elle parut charmante de grâce 
et d'invention mélodique; on retrouvait enfin cette 
inspiration qui, dans le Duc d'Olonne et la Barcarolle, 
avait donné quelques preuves de lassitude et se mon- 
trait aussi fraîche et plus jeune que jamais. Le mo- 
ment n'est pas venu d'embrasser en son ensemble la 



168 UNB PÉRIODE CniTIQUB 

carrière du maître, car l'acUvité chez lui ne devait 
disparaître qu'avec la vie, et il lui restait encore bien 
des ouvrages à écrire ; mais on ne peut s'empêcher 
de jeter un coup d'œil sur le chemin parcouru en son- 
geant à toutes les étapes qui avaient marqué cette 
course triomphale dans le domaine de l'opéra-co- 
mique : Emma (1821), la Neige (1823), le Concerl à la 
Cour (1824), le Maçon [1825), Fiorella [1826), la Fian- 
cée (1839). Fra Diavolo (1830), Lestocq (183'.), le Che- 
val de bronze (1835), Actéon (1836), l'Ambassadrice 
(1836), le Domino noir (1837), les Diamants de la Cou- 
ronne (1841), la Part du Diable (1843), la Sirène (1844) . 
Presque chaque année se comptait par une victoire, 
et il est remarquable que toutes les pièces, citées 
dans cette énumération, ont figuré, depuis l'ouver- 
ture de la seconde salle Favart, au répertoire du 
théâtre; Joutes y ont été l'objet de reprises, sauf 
le Cheoal de bronze, dont il fut question cependant 
en 1848 pour les débuts de M'" Meyer, mais qui chan- 
gea de cadre, et, transformé en opéra-ballet, passade 
rOpéra-Comique à l'Opéra, en 1857. 

Haydée marque à son tour une date dans la vie de 
l'auteur; car vingt et un ans devaient s'écouler avant 
qu'il retrouvât un franc succès, avec te Premier Jour 
de bonheur. Elle avait failli passer au commeacemenl 
de 1847; mais elle avait cédé le pas à trois actes de 
Planard et de M. Ambroise Thomas, qui ne sont, 
croyons-nous, jamais sortis des cartons de leurs au- 
teurs ; le Bouquet de l'Infante avait alors pris la place 
devenue libre, et Haydée s'était trouvée remise aux 
derniers jours de l'année. Chose curieuse, on n'avait 
pas hésité sur le choix du titre, mais sur l'ortho- 
graphe qu'il convenait de lui attribuer; Haydée avait 
été tout d'abord Aidé et Aydée ; les deux formes reje- 



Id4â 160 

tées avaient du 1)od I Quant au succès, il se dessina 
si clairement, dès le premier soir, qu'en sortant du 
tlié&tre les musiciens de l'orchestre se rendirent à la 
demeure d'Auber et lui donnèrent une sérénade; 
c'est un témoin oculaire qui nous a rapporté ce fait 
peu connu. On se rappelle que pareille démonstra- 
tion avait eu lieu en l'iioûneur de Wagner après la 
première de Tannh&user, et de Rossiai, après la se- 
conde du Barbier de Sàoiile. Comme ces deux ou- 
vrages, Haydée devait avoir une vie longue et pros- 
père, et le 30 août lâ6fi, elle atteignait sa trois centième 
représentation. Parmi les interprètes de la première 
heure, il faut citer M""' Lavoye et Grimm, MM. Her- 
mann-Léon, Audraa, Ricquier et surtout Roger, dont 
le rôle de Lorédan fut à l' Opéra-Comique la dernière 
création. Il quittait ce théâtre après un service de 
dix années, pendant lesquelles sa renommée n'avait 
fait que grandir; lui-même a dressé, dans son Carnet 
d'un ténor, la liste des dix-neuf pièces qu'il a créées; 
il y faudrait joindre la longue énumération de toutes 
celles qu'il a reprises. Mais, depuis longtemps, nous 
l'avons dit, l'Opéra l'attii-ait ; peut-être aussi n'avait-il 
plus alors cette sveltesse de taille qui convenait aux 
amoureux d'opéra-comique. Enfin, Meyerbeer cher- 
chait alors un ténor pour livrer l'un de ses deux grands 
ouvrages, si impatiemment attendus, et la perspec- 
tive de créer ie Prophète justifiait l'ambition du chan- 
teur; il passa de la salle Favart à la rue Le Pele- 
tier ; le succès l'y suivit. 

Vers la même époque se produisait à Paris un 
événement artistique trop important pour être passé 
sous silence. Ce troisième théâtre de musique, qui, 
pendant si longtemps, aurait pu prendre pour devise 
la phrase ironique que Préault avait inscrite sur le 
10 



,,Cooi^Ii: 



170 UNE PÉRIODE CBITIQUB 

socle d'une statue du Silence -■ i Je suis celui dont on 
parle tant! », ce thëâtre que l'opinion réclamait, en 
■effet, par la voie de la presse, par les pétitions signées 
des noms les plus illustres et renouvelées successive- 
ment en 1842, 1844, 1846, il se dressait enfin. Jus- 
qu'alors les ministres luttaient contre cette poussée 
de l'opinion, disant que depuis 1807, date du décret 
gui réduisait à deux les théâtres de musique, a toutes 
les tentatives faites pour sortir d'un cadre si étroit 
avaient échoué. » Mais, cette fois, les temps étaient 
venus et, comme l'observe plaisamment Albert de 
Lasalle, dans son Mémorial du Théâtre-Lyrique, le 
ministre de l'Intérieur, M, Duchâtel, « malgré sa 
flère attitude, devait succomber sous la pression du 
nombre. Il se trouvait serré de près par la foule tou- 
jours grossissante des pris de Rome, des lauréats du 
Conservatoire, des musiciens sans livret, des libret, 
tistes en quête d'un musicien, des chanteurs en 
retrait d'emploi, des jeunes de tous les âges, des 
impatients qui piaffent à la porte des théâtres, des 
inédits enfin, que l'appétit de la célébrité taquine et 
rend taquina. — Accorder le Tiiéâtre-Lyrique à ces 
âmes eu peine, c'était leur ouvrir la porte du purga- 
toire qui donne directement sur le paradis 1 » Adolphe 
Adam, le populaire auteur du Chalet, et Achille Mire- 
cour, frère d'un acteur du Théâtre-Français, acteur 
lui-même et homme expert en matière théâtrale, 
étaient nommés directeurs, et le Théâtre-Lyrique 
était inauguré le 15 novembre 1847 dans la salle du 
Cirque, au boulevard du Temple, sous le nom d'Opéra- 
National. 

Que devait faire en 1847 cet Opéra-National, s'or- 
ganisant pour lutter contre l'Opéra-Comique ¥ Monter 
des œuvres nouvelles parmi lesquelles pouvait se ren- 



1848 171 

contrer un succès, remettre à la scène de vieiUes 
pièces, afin d'en ravir le bénéQce à l'adversaire. Ainsi 
arriva-t-il : le premier ouvrage d'uu nouveau venu, 
Gastibelza, paroles de MM. d'Ennery et Cormon, 
musique d'Aimé Maillart, réussit brillamment ; c'était 
un bénéfice perdu pour la rue Favart. Puis, des trois 
reprises, Aline, Une Bonne Fortune et Félix ou l'En- 
fant troitoé, la première surtout fut chaleureusement 
accueillie. Le plus curieux, c'est qu'il était déjà ques- 
tion de cette Aline avant U mort de son auteur ; od 
laisait miroiter cette joie suprême aux yeux du pauvre 
Berton ; puis Crosnier avait oublié l'affaire, et son 
successeur. Basset, ne s'en souvint que le jour où 
précisément Adam voulut passer du rêve à la réalité. 
Alors le directeur prétendit faire retirer ce droit aux 
directeurs du Théâtre-Lyrique. C'est l'êterDelle his- 
toire du chien du jardinier, qui ne mange pas et ne 
veut pas que les autres mangent. Pour l'honneur de 
la musique, Basset perdit son procès ; mais ce résultat 
n'améliora pas les relations entre les deux plaideurs, 
et il en résulta un double dommage pour le composi- 
teur, qui perdait un débouché à ses œuvres, et pour 
le directeur, qui perdait un fournisseur de talent. 
Adam fait, dans ses Notes biographiques, une allusion 
à cette situation fâcheuse : « J'eus le malheur, écrit-il, 
de me fâcher avec Basset pour des affaires entière- 
ment étrangères au théâtre, et j'appris qu'il avait dit 
que, tant qu'il serait au théâtre, on ne jouerait pas un 
seul ouvrage de moi. >• Un seul ouvrage « nouveau », 
avait oublié d'ajouter l'auteur éconduit ; car nous 
avons vérifié que, sous la direction Basset, le Chalet 
et le Postillon de Lonjumeau n'avaient jamais disparu 
do répertoire. 
Forcé de subir une concurrence qu'il ne pouvait 



172 UNE PÉRIODB CflITIQCB 

empêcher. Basset fit de son mieux pour lutter. Haydée 
avait mis une bonne carte dans sou Jeu, et les recettes 
de janvier atteignirent, en effet, le chiffre assez élevé 
de 92,788 fr. 15 c. Le 9 février il donna un nouvel 
ouvrage, la Nuit de Noël, opéra-comique eo trois actes, 
paroles de Scribe, musique d'Henri Reber. Ce der- 
nier était un nouveau venu au théâtre, et devait 
s'estimer tout heureui d'avoir obtenu la collaboratioa 
du grand matlre ou commandeur des librettistes ; on 
pouvait le nommer ainsi, puisque quelques jours 
auparavant il avait reçu de l'aTancement dans l'ordre 
de la Légion d'honneur, et que', suivant l'amusante 
formule inventée par Gham, « sa croix lui était sautée 
au cou. » Mais Scribe se trompait quelquefois ; mal- 
gré son habileté à faire accepter les invraisemblances, 
et à jouer avec les difficultés comme un prestidigita- 
teur avec les muscades, il lui arrivait d'écrire des 
livrets médiocres, et celui de la Nuit de Noël fut du 
nombre. La partition, au contraire, fut appréciée, 
sinon du public, au moins des connaisseurs. Souvent 
les critiques émettent, à la première heure, des juge- 
ments qui, plus tard, font sourire ; parfois aussi ils 
devinent juste, comme le prouve un article paru 
sous la signature de Henri Blanchard : « Sa mélodie 
est plus grave, plus sérieuse que légère, et gracieuse 
comme il le faut aux habitués du théâtre Pavart. Son 
instrumentation est claire ; son style rappelle celui 
des maîtres tels que Ilaendel et Mozart, et sa déclama- 
tion imitative la manière vraie et bien observée des 
ouvrages de Grétry. C'est peut-être aussi ce désir, 
en M. Reber, de bien dire, de bien déclamer, qui Ole 
à sa mélodie l'inspiration, la franchise, avec laquelle 
cette partie de l'art doit se développer sur la scène. 
Cerlainement M. Reber plaira plus aux hommes 



1818 173 

sérieux et de goiit qu'aux masses qui, en muBîque, 
Teulenl être remuées par la puissauce du rythme, 

quelque uDiforme qu'il soit. » Toutes ces remarques 
sont Tort justes, car Reber, dont le talent était, si l'on 
peut dire, trop intime pour le théâtre, et qui a sur- 
tout donné sa mesure dans la musique de chambre, 
ne connut janaais les succès bruyants. Admirateur 
passionné des maîtres classiques, il cherchait à re- 
produire la pureté de leurs lignes, et s'efforçait de 
cacher sa science sous les dehors de la simplicité. 
C'était un délicat qui travaillait pour les délicats, un 
modeste qui avait conscience de sa valeur, mais ne 
prétendait point l'imposer par les manœuvres de la 
réclame. Théophile Gautier le connaissait bien, lui 
qui a tracé de ce maître ce joli croquis ; « Nous nous 
le figurons volontiers sous l'apparence d'un de ces 
maîtres de chapelle, vêtus d'un grand habit marron 
à boutons d'acier, en veste de taffetas gris, en bas de 
soie de môme couleur, bien tendus sur une jambe 
fine et nerveuse, et en larges souliers à boucles d'ar- 
gent, qui, dans une chambre boisée de blanc ou garnie 
d'une tapisserie de Flandre, exécutent, devant un 
pupitre de bois de merisier, une partie de contre- 
basse, ou, les doigts enfoncés dans les touches du 
clavecin, jouent un morceau de Oouperin. A côlé 
d'eux sont posés le tricorne bien brossé, la tabatière 
et le mouchoir à carreaux des Indes ; un léger nuage 
de poudre s'exhale de la petite perruque à trois rou- 
leaux agitée par le battement de la mesure. Chardin 
Ou Meiasonier ont fait cent fois ce portrait. » 

Pour nous, qui n'avons connu Reber qu'à la fin de 
sa vie, nous le retrouvons tout entier dans ces quel- 
ques lignes. Nous le voyons encore à l'Institut, cer- 
tain jour oîi l'on exécutait les cantates pour le prix de 
10. 

.^- S'"^ 



174 DNB PÉBIODB CRITIQUE 

Rome. Avec sa redingote marron foncé, son visage 
rasé et ses cheveux blancs, que l'&ge seul avait pou- 
drés, il réalisait le type crayonné par Gautier : il 
semblait un artiste de l'autre siècle égaré dans le 
nôtre, un homme des jours passés.- 

Tout autre était le compositeur dont l'ouvrage vit 
le jour après la Nuit de Noël, tout autre aussi sa mu- 
sique. Gilles ravisseur, représenté le 21 février, appar- 
tient à la famille du Tableau parlant, de l'Irato, de 
l'Eau meroeilleuee. Le librettiste Sauvage l'avait qua- 
lifié de « parade eu un acte et en vers » et Albert 
Orisar avait brodé sur ce canevas bouffon qui nous 
montre Oolombine, Gassandre.Oilleset Léandre, une 
musique légère, fine, spirituelle, presque digne d'ua 
Cimarosa ou d'un Paisiello. L'œuvre a survécu, du 
reste, et, si elle n'4 pas retrouvé des interprètes aussi 
remarquables que ceux da début, Mocker, Hermann- 
Léon, Sainte-Foy, M"* Lemercier, du moins elle a 
été plusieurs fois reprise, et nous l'avons encore 
entendue en lti69, aus Fantaisies-Parisiennes, avec 
MM. G. Bonnet, Soto, Barnolt, Davoust, M""" Persini 
et Chevalier. 

Détail assez piquant, le musicien n'avait assisté ni 
aux répétitions ni à la représentation de son ouvrage. 
Il se trouvait alors en Italie, et c'est de là qu'il avait 
envoyé sa partition. Il n'eut point ainsi la surprise 
que réservait aux Parisiens le lendemain de cette 
brillante soirée. La révolution éclatait brusquement ; 
la guerre civile était déchaînée ; les citoyens cou- 
raient aux armes et l'Opéra-Gomique en particulier 
devait, pour huit jours, fermer ses portes. 
, Quand il les rouvrit, ce fut pour traverser une 
crise pécuniaire qui aboutit à la retraite du directeur. 
Le 20 février on avait réalisé 2,244 fr. 50 de recettes- 



1848 175 

avec Fra Diavolo et le Domino noir; le 28, jour de la 
réouverture, on faisait 974 fraoca avec Haydée, la 
pièce nouvelle, le succès du moment, qui avait pro- 
duit 3,599 francs la dernière fois qu'on l'avait jouée I 
Plus maltraité encore, l'Opéra-National devait tom- 
ber peu après, entraînant le malheureux Adam dans 
sa débâcle. Quant aux artistes, ils étaient invités à 
endosser l'uniforme ; ils montaient la faction au lieu 
de suivre les répétitions, et dans les journaux on 
Usait des avis aussi étrangement rédigés que celui-ci : 
a ClesL la garde nationale habillée ou non habillée (!) 
qui fait le service de tous les théâtres de la capi- 
tale. » 

Au milieu de telles occupations et préoccupations, 
on conçoit que la curiosité publique ne pouvait guère 
être excitée par l'éclosion d'un petit acte intitulé le 
Rêveur éveillé (et non le Dormeur éveillé comme l'in- 
diquent à tort les dictionnaires). Connaissait-on 
seulement les auteurs, M"' Duval pour les paroles et 
M. Leprévost pour la musique ? En 1736, une pre- 
mière M"* Duval avait fait représenter à l'Opéra un 
ballet, les Génies, dont le succès avait été médiocre, 
bien qu'elle-même n'eût pas craint de se montrer en 
public et de tenir le clavecin d'accompagnement. à 
l'orchestre, aventure unique dans les fastes de 
l'époque. La seconde M"* Duval n'eut pas besoin de 
s'exhiber en personne, car nul ne la réclama ; sa 
bluette dramatique n'était point pour provoquer les 
rappelsd'une salle en délire. Reposant sur la maxime 
qu'un bienfait n'est jamais perdu, elle a dû, disait un 
critique, « faire pleurer l'auteur Bouilly dans son 
tombeau, lui qui consacra toutes ses facultés litté- 
raires à développer en contes, en opéras, en chansons 
cette maxime cousolaule, mais qui n'est pas neuve- ». 



176 DNB PÉRIODE CRITIQUE 

Quant au compositeur, c'était, s'il faut s'en rapporter 
à M. Th. Nisard, bou juge en cette matière, a un mu- 
sicien d'une réelle valeur, mais que son tempéra- 
ment disposait mieux à écrire de la musique d'église 
quedes opéras. » La vérité est qu'il n'aborda plus la 
scène et s'en tint à cet unique essai. Le premier soir, 
21 mars, l'assistance avait secoué sa torpeur pour 
applaudir un couplet patriotique tendant à démontrer 
que les peuples opprimés en appellent à la liberté. 
En dépit de cette allusion toute d'actualité, le Rêoeur 
^ueiiié s'endormit pour toujours au bout de 7 repré- 
sentationSj et les recettes continuèrent à poursuivre 
leur marche descendante. 

En janvier, la moyenne avait été de 3,092 fr. 93 ; 
en mars, elle était tombée à 1 ,03 i fr, 45 ; en avril, elle 
atteignit le chiffre dérisoire de 677 fr. 30. La situation 
devenait critique, f Menacé, dit Maillot dans la Mu- 
sique au Théâtre, de ne pouvoir remplir ses engage- 
ments, M. Basset allait se trouver sous le coup d'une 
révocation si ses commanditaires ne lui venaient en 
aide ; mais ces derniers, dont la confiance était 
ébranlée, songèrent à son remplacement. C'est dans 
ce but qu'un M. Doux, chef du contentieux chez 
M. Basset, s'entremit auprès du ministre de Tinté- 
rieur, qui était alors Ledru-Rollin, pour obtenir 
la cession jugée nécessaire et qui devait protéger 
M. Basset, tout en sauvegardant les intérêts des com- 
manditaires. Ledru-Rollin, qui, en présence de la 
situation fâcheuse de l'Opera-Comique.eùt pu adopter 
une mesure radicale et nommer un directeur en lui 
faisant la place nette, préféra prendre en considéra- 
tion la situation de tous les intéressés, et notamment 
celle de tiers engagés pour 400,000 francs dans l'ex- 
ploitation. Il esigea le consentement de MM. de 



1848 177 

Raigecourt et- de Saint-Maurice à la transmission du 
privilège de M. Basset à une autre personne. Ce con- 
sentement lui ayant été apporté, il conféra le privi- 
lège à M. Emile Perrin, homme dont l'habileté 
encore inconnue ne tarda pas à se révéler. M. Perrin 
entra à la direction avec un crédit de 400,000 francs ; 
ses livres en font foi. » 

La gestion de Basset avait donc duré trois ans ; 
gestion malheureuse si l'on considère le résultat 
final, honorable si l'on tient compte des efforts et du 
travail de cet homme qui devait sa fortune au hasard, 
au simple caprice d'une grande dame- Il faisait, 
ainsi que son frère, ses études au collège de Mar- 
seille, lorsqu'un jour M°" Adélaïde, sœur du roi, et, 
raconte Adolphe Adam, la seule personne de la 
famille d'Orléans qui eût un goût réel pour la musique, 
visitait cet établissement. Un des jeunes Basset chanta 
devant elle une mélodie de circonstance, et, charmée 
de aa jolie voix, la princesse promit à l'élève qu'elle 
ne l'oublierait pas. En effet, quelques années plus 
tard, elle le plaça dans les bureaux de la maison du 
roi, et attacha son frère au ministère de l'intérieur, 
où l'on vint le chercher pour lui confier le poste de 
directeur de l'Opéra-Comique, Il tomba, renversé, 
lui aussi, par le même coup qui frappait ses protec- 
teurs, mais non sans avoir donné des preuves d'intel- 
ligence et d'activité. En trois ans, il avait monté 
vingt-deux ouvrages, dont neuf en trois actes, sans 
parier des reprises, dont quelques- unes assez impor- 
tantes. Ces ouvrages représentaient vingt composi- 
teurs différents, et il pouvait se glorifier d'avoir faci- 
lité l'accès de la scène à six d'entre eux, qui s'étaient 
essayés sous ses auspices : Bazin, Boisselot, Bourges, 
Doche, Héquet et Leprévost. Enfin, s'il n'avait 



178 UNE PÉRIODE CRITIQUE 

point découvert dea étoiles de première grandeur, il 
avait su néaûmoins faire débuter d'excellé ntslartistes, 
comme M"" Charton, Grimm, Lemercier, Levasseur, 
MM. Bussiue, Montaubry, Chaix, Jourdan, Nathan et 
Eugène Ponchard. Il avait pleinement bénéficié des 
Mousquetaires de la Reine; mais il lui arriva ce qui de- 
vait arriver plus tard à M. Pellegrin, laissant à M. Car- 
valho ta Fanchonnette, puis à M. du Locle montant 
Carmenpour leplus grand profit du môme M. Carvalho, 
qui devait un jour y retrouver une fortune ; le malheu- 
reui Basset avait entre les mains un joyau de prix 
qui s'appelait Haydée; c'est son successeur qui eut la 
chance d'en retirer les bénéfices. Sic vos non vobis l 
Cela dit sans vouloir diminuer le mérite de ce 
successeur, l'un des hommes qui ont le mieux connu 
le théâtre et ses besoins, le public et ses goûts, les 
auteurs et leur talent, les artistes et leurs caprices. 
Emile Perrin demeure en quelque sorte le directeur- 
type, celui qui a pu administrer tour à tour les trois 
plus grandes scènes de Paris sans faiblir à la tâche, 
toujours luttant et toujours heureux. On a parlé de 
sa chance ; elle était moindre que son habileté. Intel- 
ligent, plus fin que brillant, toujours correct, il avait 
cette tenue qui assure au personnage une place dans 
le foyer d'un théâtre aussi bien que dans le salon 
d'un miuistre. La froideur apparente sous laquelle il 
cachait sa timidité naturelle lui donnait une sorte de 
gravite qui convenait à ses fonctions; sachant parler, 
mais surtout sachant écouter, il imposait ses volontés 
par la douceur et la persuasion, aidant tout le monde 
et ne décourageant personne, merveilleux diplomate 
sur ce terrain spécial où il faut ménager ensemble 
tant d'intérêts et d'amours- propres opposés. Les 
études de peinture qu'il avait faites au début de sa 



1846 179 

carrière avaient développé son goût pour les arts, 
son culte pour le beau, et il est banal aujourd'hui de 
rappeler à quel degré d'élégance et de soin il avait 
poussé le luie de la mise en scène. De plus, il ne 
montrait pas cet entêtement stérile et fâcheux des 
impuissants qui finissent par décourager autour d'eux 
les meilleures volontés ; il daignait prendre en consi- 
dération les raisons qu'on lui présentait, et ne se déci- 
dait qu'en connaissance de cause, après enquête mi- 
nutieuse et mure réflexion. Enfin il possédait, pour 
un directeur, deux qualités précieuses entre toutes: 
il savait susciter les œuvres, les faire germer et éclore 
dans le cerveau de leurs auteurs; il savait, en outre, 
discerner les artistes à succès et les attirer à lui, ce 
qui favorisait son entreprise aux dépens des entre- 
prises rivales, et décider les auteurs à lui donner 
leurs oeuvres nouvelles, ce qui permettait de remettre 
en scène l'ancien répertoire^et de gagner presque au- 
tant avec une vieille pièce qu'avec une nouvelle. Par 
l'ensemble de ces mérites il triomphait des difficultés 
et excellait à tourner les obstacles qu'il ne pouvait 
briser; c'est ainsi qu'entre ses mains le mauvais pou- 
vait devenir bon, et le bon lui-même devenir meil- 
leur. On le vit à l'Opéra-Comique, uù la situation 
n'était rien moins que prospère lorsqu'il s'y présenta. 
Succédant à Basset pour les cinq ans qui lui restaient 
à courir, il acceptait la plus grande partie de ses obli- 
gations et charges locatives, et, à peine installé, il 
allait se heurter à la catastrophe des journées de 
juin. Un autre aurait succombé; Emile Perrin se mit 
courageusement à l'œuvre et réussit. Depuis le 
30 avril, le théâtre étaitfermé; il rouvrit ses portes le 
17 mai, et pour tâcher de compenser la perte de ces 
seize jours de relâche, trois reprises importantes 



180 ItNB péBIODE CKITIQUB 

furent coup sur coup offertes au public : les Rendez- 
vous bourgeois, \e%0m3.i; Fiorella, le 9 \\iia, et la Fille 
du Régiment, le 22 juin. 

Depuis longtemps, l'incomparable bouffonnerie de 
Nicolo semblait oubliée; elle avait disparu du râper- 
toire, OD ue sait pourquoi; cette reprise eut pour effet 
de lui rendre la vie, et les Rendez-vous bourgeois se 
sont donnés depuis avec un succès qui ue s'est plus 
jamais démenti. 

Fiorella, créée le 28 novembre 1826 par Laleuil- 
lade, Lemonnier, Valère, Féréol, M"'* Pradher et 
Boulanger, avait cette fois pour interprètes Âudran, 
Bussine, Emon, 8ainte-Foy, M°"* Darcier et Lemer- 
cier. C'était l'une des premières partitions d'Auber, 
remplie de morceaux agréables et faciles, dont quel- 
ques-uns ont joui d'une vogue populaire. Mais, en 
Ï84S, la pièce n'eut qu'un succès d'estime et disparut 
définitivement du répertoire. 

La Filla du Régiment faisait au contraire, avec sa 
nouvelle recrue Battaille, une rentrée triomphale. 
Nous avons dit qu'elle avait reçu à l'origine un ac- 
cueil assez froid. Répété sous le nom de Marie, l'ou- 
vrage de Donlzetti avait paru n'avoir tout d'abord 
d'autre mérite que celui de servir aux débuts d'une 
jeune cantatrice, M"° Dorghése, sur qui l'on fondait 
de grandes espérances et qui les tint en partie seu- 
lement. A côté d'elle le rôle de Tonio avait été créé 
par Marié, lequel avait chanté constamment faux ce 
soir-là. Est-ce à cette ciroonstance que le composi- 
teur dut s'en prendre? Ce qui est certain, c'est que sa 
musique ne produisît alors aucun effet et qu'on ne 
trouva à bisser que le trio du second acte ; encore 
jugea-t-on qu'il était u un calque du trio du Pré aux 
Clercs ». Les chœurs furent déclarés « d'une corn- 



1848 18t 

plète nullité V, l'ouverture « médiocre > et le finale 
< n'offrant rien de saillant ». Un journal, rédigé avec 
soin et très modéré d'allure, écrivait : < Dans ces deux 
actes chargés de musique, noua ne saurions guère 
citer que deux ou trois morceaux, tous les autres 
sont bruyants. Le tambour, le trombone , la trom- 
pette, les timbales y dominent de la manière la plus 
affligeante pour les oreilles. Une valse sert d'intro- 
duction au deuxième acte, mais elle aurait pu être 
mieux placée. Elle semble avoir été tirée d'un porte- 
feuille où elle attendait l'occasion de se produire. » 
Et puis c'est tout; à peine trois lignes sont-elles ajou- 
tées à la fin de l'article en manière de coaclusion : 
« 11 n'y a pas lieu de se féliciter de l'apparition de 
ta Fille du Régiment. Il faut espérer qu'il siguor Do- 
nizetti sera plus heureux dans le second ouvrage qu'il 
va donner à l'Opéra-Oomique.» 

Plusbeureuxilnele fut pas, car ce second ouvrage, 
entré alors en répétition sous le titre de Joséphine, 
fut bientôt retiré par suite du non réengagement de 
M"" Eugénie Gai'cia et ne vît le jour que quatorze 
années plus tard au Théâtre-Lyrique (le 31 dé- 
cembre 1853) sous le titre dé&ailil d'Elisabeth. Mais 
s'il avait eu la satisfaction d'assister au succès crois- 
sant, d'année en année, de la Fille du Bégiment en 
France et à l'étranger, il ne devait pas malheureu- 
sement être témoin de son triomphe définitif à 
Paris. C'est après sa mort seulement qu'on se dé- 
cida à remonter la Fille du Régiment à l'Opéra-Oo- 
mique où, profitant de sympathies posthumes, elle 
planta définitivement son drapeau. 

Le lendemain de cette reprise, le 23 juin, une jeune 
chanteuse, nommée M"" Ugalde-Beaucé, devait débu- 
ter dans le rôle d'Angèle du Domino noir; la poli- 
11 



183 UNE PtiSlODE CRITIQDB 

tique ea avait décidé autrement. Le spectacle se 
donna non pas dans un théâtre, mais dans la rue : 
une fornùdalile insurrection était déchaînée et le 
sang coulait comme il avait coulé trois mois aupara- 
vant. M. Ch. Réty nous a rapporté à ce sujet un joli 
mot du débutant de la veille, Battaille. Tous deux fai' 
salent partie de la section de la garde nationale de la 
rue Bergère, qui fut des premières à lutter et très 
vaillamment contre les insurgés. La journée fut 
chaude et plusieurs hommes furent mis hors de com- 
bat. « Conviens que tu as eu un peu peur, dit le soir 
en rentrant M. Gb. Réty à Battaille. — Ouï, répondit 
celui-ci, mais pas tant qu'hier ! » 

Les portes fermées ne se rouvrirent plus que le 
21 juillet, c'est-à-dire après vingt-huit jours de re- 
lâche. Cette foie, du moins, la barque entrait au 
port; l'orage était calmé, et la fortune de la salle Fa- 
vart, un instant compromise, allait être rétablie et 
assurée par l'activité de son directeur. 

Tout d'abord une foule de débutants se produisirent, 
entre lesquels il faut tirer hors de pair M"* Ugalde^ 
quij à cette époque, ajoutait encore à son nom celui 
de Beaucé. Élève de M"" Cinti-Damoreau, elle ne 
a'étaitfait entendre jusqu'alors que dans des concerts; 
elle ignorait la scène ; mais elle avait l'intelligence, 
qui tient lieu d'expérience; elle acquit bien vite le 
talent de comédienne qui lui manquait tout d'abord, 
et comme elle possédait une voix charmante, souple 
et légère, elle se plaça presque aussitôt au premier 
rang. On lui prédit un bel avenir; au cours de cette 
histoire, nous aurons plus d'une fois à constater 
qu'elle a tenu, et au delà, tout ce qu'elle promettait, 
car M*" Ugalde compta parmi les meilleurs artistes 
dont puisse s'enorgueillir la seconde salle Favart. 



1S48 183 

Déjà nous avons mentionné Battaille; il faut citer 
Lemaire et M™* Thibault, qui parurent à ses côtés le 
même soir que lui, dans la Fille du Régiment, jouant, 
l'un le rôle de l'intendant, l'autre celui de la mar- 
quise ; puis, M. Anthiome, qui débuta le 3 août dans 
la Dame Blanche, et retrouva à Paris les succès qu'il 
avait, comme téoor, remportés en province; M, Boulo, 
qui, lui aussi, venait de province après avoir passé 
par l'Opéra, et M"' Decroix, jolie femme et médiocre 
chanteuse, tous deux chargés des rôles de Lorédan 
et de Kaphaëla dans Saydée, le 14 septembre. Si 
même nous anticipons sur la fin de l'année, il con- 
vient d'ajouter à ces noms celui de M. Bellecour, nn 
ancien acteur, qui ht apprécier son habitude des 
planches, le 4 décembre, dans Fortunatus de V Am- 
bassadrice, et M"' Maria Meyer, qui. se produisit le 
22 novembre dans Fiamma du Diable à VÉcole, après 
avoir quitté le Conservatoire, où le concours de 1848 
lui avait valu le second prix de chant et le premier 
prix d'opéra-comique. 

Disposant d'une bonne troupe comme celle qu'il 
possédait alors, M. Emile Perrin pouvait livrer ba- 
taille; LL commença la campagne le 24 août avec un 
ouvrage en trois actes, il Signer Pascariello, paroles 
de Leuven et Brunswick, musique d'Henri Potier. 
Le livret n'offrait pas un intérêt palpitant et semblait 
même un peu long pour initier les spectateurs 
aux aventures de Pascariello, maître à chanter 
dans un couvent de religieuses, reconnaissant cer- 
taine novice nommée Paula pour sa flUe, bien qu'il 
□'en soit pas le père, et allant jusqu'à épouser Bar- 
bara, sa vieille bonne, ahn de donner une mère à la 
pauvre enfant qui sans cela ne pourrait se marier 
avec son amoureux GaËtano, et serait obligée de 



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184 DNB PÉRIODE CRITIQUE 

8e faire religieuse par ordre de soq propre père. 

< Désaogiers, rapporte un critique, fit dans le 
temps, pour l'acteur Potier, une pièce intitulée le Pe- 
tit Enfant prodigue, dans laquelle l'auteur se joue 
ainsi d'une façon comique et cynique des sentiments 
de la paternité. Le héros, après avoir été forcé de 
subir les caresses dérisoires de deux farceurs qui 
sont venus lui déclarer tour à tour qu'il est leur fils, 
finit par jeter à la porte son véritable père, qu'il ne 
veut pas reconnaître, fatigué qu'il est d'être embrassé- 
par tous ces gens qui prétendent à tour de rôle être 
les auteurs de ses jours. » 

Les deux pièces avaient donc une certaine analo- 
gie, et le hasard voulut que la musique de la seconde 
fût composée par le fils de celui pour qui la première 
avait été écrite. Comme dans ses ouvrages précé- 
dents, Henri Potier avait fait preuve d'une certaine 
gr&ce mélodique, jointe & un sentiment assez juste de 
la scène et des situations comiques. Il Signor PoBca- 
riello fut joué vingt-six fois, grice au talent surtout 
qu'y déployèrent les interprètes, M"' Lavoye et Thi- 
bault, MM. Jourdan et Mocker, ce dernier surtout, 
plein de verve et de sensibilité, faisant rire et pleu- 
rer tout ensemble, et justifiant, au dire d'un journal, 
cette bizarre et caractéristique définition donnée par 
un amateur fort épris des choses du théâtre : « C'est 
un paquet de ficelles trempé de larmes t » 

La pièce nouvelle fut suivie le 38 août d'une pièce 
ancienne qui n'a pas, il faut le croire, perdu toute sa 
paveur, car eUe a reparu aux Fantaisies-Parisiennes 
en 1668. C'est le Muletier, qu'Adolphe Adam, bon con- 
naisseur en la matière, jugeait « un des meilleurs 
actes de musique qu'il y ait au théâtre. >> Joué pour 
la première fois la 12 mai 1823, l'ouVrage n'avait pas 



1848 tes 

reocoatré tout d'abord la faveur du public ; la morale 
était alors presque de rigueur au théâtre, et la pudeur 
s'alarmait aisément. Or, le Muletier abondait eu situa- 
tions risquées , la- donnée semblait leste et le dia- 
logue, signé Paul de Kock, assez épicé pour le temps. 
Il avait donc fallu tout le charme de la partilion pour 
sauver la gaillardise du livret. Herold, cependant, 
ne trouva pas à la vendre et fut obligé de la faire 
graver à ses frnîs. De telles misères sont encore 
bonnes à rappeler; elles servent à consoler les jeunes 
et les aident à supporter les dif&cultés de l'heure pré- 
sente, eu leur montrant qu'avant eux les plus illustres 
ont connu de même les blessures d'amour-propre et 
les sacriûces d'argent ! 

La Sournoise suivit de près le Muletier; mais ai 
Thomas Sauvage et de Lurîeu, les librettistes, pou- 
vaient rivaliser avec Paul de Kock, Thys, le compo- 
siteur, n'avait rien de commun avec Herold. L'his- 
toire de cette petite sournoise qui trompe tout le 
monde, parents et amis, pour arriver à se faire épou- 
ser par celui qu'elle aime, avait comme un vague 
parfum d'ancienne comédie, dont la musique devait 
tirer parti; il trouva, en effet, quelques mélodies 
agréables, une valse et un quintette dignes de re- 
marque, mais l'ensemble parut plus cherché que 
trouvé. Nathan, 9ainte-Poy, sa femme et M"* Lemer- 
cier menèrent la pièce avec entrain le 13 septembre 
et s'y firent applaudir; le succès fut pourtant assez 
éphémère, et depuis, tout souvenir de l'œuvre a dis- 
paru sans retour. 

Cependant, peu à peu le théâtre renaissait à la vie, 
et les recettes se relevaient avec une régularité dont 
le tableau suivant montre la progression : 



..Coo^^le 



UNE FâRIODE CRITIQDK 



Administration Perrin. 

Hai (14 représ e a tatio as seulement) Fr. 11,167 2Se. 

Juin 16,916 50 

Juillet 15,399 » 

Août 22,571 95 

Septembre 38,343 03 

Octobre 34,6«l 20 

Novembre 69,293 05 

Décembre 76,343 61 



Le temps des épreuves était passé; on retrouvait la 
fortune après la détresse, post nubila lucem! C'est 
comme une période nouvelle qui commençait, pé- 
riode d'un incomparable éclat, où les succès , par un 
caprice du sort, allaient surgir retentissants, nom- 
breux et durables. Les quelques années qui suiveot 
comptent, en effet, parmi les plus belles de l'Opéra- 
Comique, et l'on peut dire que la seconde salle Favart 
attint alors son apogée. 



D.3i.za..ï Google 



CHAPITRE VII 

LA DIRBCTION DR U. PERHIN 

Le Tal d'Andorre, te -Cald, le Toréador, la Fée a«x roses, les 
Porcherons, le Songe d'une Nuit d'été, Qiralda, la Chanteuse 
voilée. 



Cette suite de titres, tous cobdus et quelques-uns 
célèbres, aufflt à résumer l'histoire de la salle Favart 
pendant deux années. Du 1 1 novembre 1848 au 26 no- 
TCmbre 1850, une période en effet s'étend qu'on peut 
considérer comme iocomparable, comme unique 
mémo dans les annales du théâtre en général et de 
l'Opéra-Comique en particulier. L'habileté du direo- 
tèur, l'inspiration des auteurs, la valeur des inteiv 
prêtes, tout semble concourir à la prospérité de l'entre- 
prise. Le cadre s'élargit peu à peu, le niveau musical 
«t dramatique s'élève d'un degré, et chaque pas en 
avant est marqué alors par une victoire nouvelle. 
Halévy triomphe avec deux ouvrages dont l'un compte 
parmi ses meilleurs, et dont l'autre n'a jamais quitté 
le répertoire de la province ; Ambroise Thomas 
obtient les deux succès les plus retentissants qu'il ait 



188 I^ DIRECTION DK U. PSRIIIN 

connus avant Mignon ; Adolphe Adam fait représenter 
deux de ses pièces les plus charmantes ; Albert âri^ 
sar écrit la plus réussie de ses partitions eu trois 
actes ; Victor Massé débute au théâtre par un coup 
d'éclat. Donc, excepté Meyerbeer, qui ne songeait 
pas encore à l'Opéra-Gomigue, et Auber, qui déjà 
préparait sa rentrée à l'Opéra, tous les maîtres d'alors 
semblent rivaliser entre eux et jeter un défi k la for- 
tune ; tous livrent bataille et tous sont TÛnqueurs. 
Retardé au dernier moment par une îadisposltion 
d'Audran, et joué enfin le 11 novembre 1848, le Val 
d'Andorre offrait un contraste absolu avec le précé- 
dent ouvrage des mêmes auteurs, de Saint-Georges 
pour les paroles et Halévy pour la musique. Dans les 
Mousquetaires de la Reine, des aventures galantes de 
grands seigneurs, des palais, des pourpoints de soie ; 
dans Je Val d'Andorre, des amours de paysans,' des 
chaumières et des costumes de laine; en revanche, là 
comme ici, même abondance mélodique, même con- 
naissance de la scène, même souci de la facture et de 
^instrumentation. Aussi, dès le premier soir, le suc- 
cès fut-il complet ; plusieurs morceaux eurent les 
honneurs du bis, comme la Basquaise chantée par 
Oeorgette et la chanson militaire du troisième acte. 
-Appelé sur la scène par des acclamations sans an, 
'Halévy, contrairement à l'usage, consentit à se mon- 
trer dans un coin des coulisses, puis disparut bien 
vite, cédant la place aux remarquables interprètes 
qui avaient combattu vaillamment pour lui. Le reten- 
tissement à l'étranger fut tel qu'une semaine plus 
tard deux des éditeurs les plus connus arrivèrent à 
Paris pour acquérir la partition, M. Beale, de Londres, 
et M. Bock, de Berlin. Il ne saurait être question ici 
d'énumërer toutes les villes qui s'empressèrent de 



1848 189 

monter l'œuvre nouvelle ; mais on peut, avec des 
chiffres, mesurer sa carrière à Paris. De 1848 à 1851, 
elle s'est doonée 128 fois; la ceatième eut lieu le 
23 décembre 1849, c'est-à-dire un peu plus de treize 
mois après la première, et fut célébrée par un ban- 
quet que les auteurs offrirent aux artistes, au direc- 
teur et aux éditeurs. Le Val d'Andorre reparut ensuite 
au Théâtre-Lyrique, une première fois le 15 oc- 
tobre 1860, une seconde fois le 34 octobre 1868,- il 
revint enfin à son lieu d'origine le 15 octobre 1875, et 
fournit une série de 32 représentations ; il a donc été 
joué en tout 160 fois à la salle Favart. 

Voici, au surplus, les différents chanteurs qui s'y 
sont succédé : 







1848 


i860 


1868 


1875 






Opéra- 


Tirilrt- 


Théâtre- 


Opért- 






Comiq^. 


Lyrigu.. 


lyrique. 


Comiju», 


jn!qoe^ 


UM. 


BaltalUe. 


Baltaills. 




Obin. 


Staphan, 










M^tj.ui. 






Mocker. 


MeiUct. 


Maillât. 


Barr*. 


sl^lorD,'"' 




Jourdaii. 


Promsat. 


■VatâMtt; 


Nioot. 


Ko.e do Mai, 


u— 


DaroUr. 


Mûllot. 


Fid»i-Deïri»i. 


Chapoj. 


asorgatta, 




LfcïoyB. 


Hoilta. 


Daram. 


ChsTidier. 


Théra», 




Réïilly. 


ZéTBOO. 


RiVMj 
{Pr«Ms par 


Vidal. 










l-Opén-Comiqne]. 



Un dernier souvenir mérite d'être rappelé ici; il 
prouve à quel degré d'indifférence ou de misère sont 
tombés les conservateurs de nos grandes biblio- 
thèques. Le 6 février 1883 le manuscrit original du 
Val d'Andorre a passé sur la table des commissaires- 
priseurs à l'hôtel Drouot ; l'État n'avait aucun repré- 
sentant à cette vente, et c'est un amateur parisien, 
M. de Cisternes, qui s'est vu adjuger ce précieux 
autographe, pour la somme de 150 francs 1 Gravée, 
cette môme partition d'orchestre était marquée au 
prix de 400 francs 1 

11. 



190 LA DIRECTION DB H. PBRRIN 

On aurait donné beaucoup moins de l'ouvrage qui 
suivît le Val d'Andorre, s'il avait jamais été mis aux 
enchères. Ce petit acte, intitulé les Deux Bambins et 
joué le 6 décembre 1848, avait pour auteurs d'une 
part de Leuven et Brunswick, de l'autre Luigi Bor- 
dèse ; c'était une sorte de pochade dans le goût des 
farces italiennes du théâtre de la Poire au xviii" siècle, 
un lever de rideau sans importance, qui disparut de 
l'af&che au bout de quatre représentatioDS. 

En revanche, l'année 1849 fut inaugurée par un 
succès dont l'éclat ne devait pas être simplement 
éphémère. Le Caïd compte en effet parmi ces quel- 
que dix ou douze œuvres qui forment pour ainsi dire 
le patrimoine du théâtre, et voient presque chaque 
année grossir le nombre de leurs représentations. De 
1849 à 1866, iln'a quitté l'aEflche qu'en 1859 ; après 
une éclipse de huit ans, il a reparu en 1875, 1876, 
1879 et 1880; bref, on l'ajoué trois cent une fois dans 
la seconde salle Favart. Le Caïd, écrit d'abord le Kaîd, 
portait primitivement un titre aussi bizarre que peu 
harmonieux : les Boudjous ; c'est ainsi que les auteurs, 
peu experts en connaissances orientales, désignent 
une monnaie arabe ou bédouine dont l'appoint était 
nécessaire au développement de leur intrigue. A ce 
seul mot, on devine qu'il s'agit d'une bouffonnerie, 
et, pour mieux marquer l'intention de pasticher le 
sujet italien, l'affiche portait cette désignation : 
« Opéra bouffe en deux actes et en vers libres, libretto 
■de M. Sauvage. » Libretto remplaçait ici poème, 
terme ordinairement employé. Il est bon de constater 
que la première représentation du Caïd coïncida avec 
une brillante représentation de VHaliana in Aigeri, 
interprétée par Morelli, Ronconi et l'Alboni. Cette 
rencontre imprévue du modèle et de la copie fut 



1849 1111 

presque an attrait de plus pour l'ouvrage du maître 
français, représenté le 3 janvier et joué soixante et 
une fois dès la première année. On put constater 
ainsi que la satire n'avait rien de mordant, et que la 
parodie était écrite par un compositeur qui a su 
demeurer toujours et partout respectueux de son art. 
< Sa muse, écrivait-on à ce sujet, est une demoiselle 
bien élevée qui a voulu essayer de se faire cocotte et 
d'aller en partie âue ; elle s'y est montrée avec une 
décence piquante, une folie scientifique, un déver- 
gondage de bon goût. » Et cette définition caractérise^^ 
asseï justement la première manière d'Ambroise^; 
Thomas, dont le Caïd marque le point suprême ; avec 
le Songe d'une Nuit d'été, en effet, une évolution 
devait commencer à se produire, et les résultats en 
sont connus de tous : ils s'appellent Mignon et Hamtet. _i 

Cependant, la faveur pour les ouvrages de l'ancien 
répertoire n'avait pas disparu avec le roi Louis-Phi- 
lippe. On put le constater dès le début de l'année 
1849, avec deux reprises: Maison à vendre, le 17 jan- 
*vier, et la Fête du village voisin, le 28 janvier. II avait 
même été question un instant de Jtfa fanfe Aurore; 
mais le projet fut abandonné, et ce n'est que quelques 
années plus tard, en 1851, au Théâtre-Lyrique, que 
les admirateurs de Boieldieu purent applaudir cet 
opéra-comique où Alphonse Karr a puisé, par la 
suite, le sujet de son amusante c Histoire învraisem- 
J)lable. » 

De ces deux vieilles pièces, lapremière, d'Alexandre 
Du val pour les paroles et de Dalayrac pour la musique, 
était née le 23 octobre 1800 dans la première salle 
Fâvart ; elle n'avait pas encore paru dans la seconde, 
où Ponchard fils, Bussine et M"* Meyer la présentèrent 
.avantageusement au public. EUeyresta jusqu'en 1853, 



.192 LA. DIHBCTION DB U. FERRIN 

OÙ elle atteignit sa quarante-troisième et dernière 
représentation. Depuis lors, on ne l'a plus revue 
qu'au Théâtre -Lyrique, sous la direction Offenbach. 

La deuxième pièce, de Sewrin pour les paroles et 
de Boieldieu pour la musique, eut une destinée assez 
analogue. Jouée, pour la premièie fois, le 5 mars 1816, 
elle se maintint depuis 1849 quatre années consécu- 
tives au répertoire, reparut en 1857, fournissant 
alors 47 représentations, émigra ensuite aux Fantai- 
sies-Parisiennes, mais, plus heureuse, revint au ber- 
cail' en 1877, où elle retrouva encore 18 soirées, avec 
MM. Duwast, Boyer (début), Bernard, Thierry, 
M"" Vergin, Eigensehenk (début), Decroii, Lévy, 
dans les rôles tenus en 1849 par Bussine, Emon, Eîc- 
quier, M°"*Meyer, Lemercier, Décrois, Thibault. Re- 
marque curieuse l si la musique de cet ouvrage a 
toujours été jugée favorablement, le livret, en re- 
vanche, a passé pour insipide et médiocre ; or, ce 
dernier n'est pas sans quelque analogie avec celui de 
Martha, qui n'a jamais encouru les mêmes reproches. 

Une troisième reprise occupe ce premier trimestre : 
la Marquise, un petit acte d'Adolphe Adam, est remise 
, & la scène le 9 mars, mais n'y demeure que douze 
soirs, disparaissant alors, et pour toujours, selon 
toute vraisemblance. Aujourd'hui, qui se souvient 
que le principal rôle de cette pièce avait été créé, le 
28 février 1835, par une actrice k laquelle étaient 
réservés bien des succès sur d'autres scènes? En 
effet, la charmante jeune fille qui débutait alors et se 
croyait appelée à devenir une chanteuse, tandis 
qu'elle représentait aux yeux du sévère Jules Janin 
c un buisson de roses d'où s'échappe un âlet de 
vinaigre », c'était M"" Anaïs Fargueil ! 
. A ces trois reprises presque simultanées succéda. 



1849 193 

le 31 mars, uoe noaveauté de quelque importance, 
les Monténégrine, trois actes d'Alboize et Oérard de 
Nerval, mis eu musique par un compositeur belge, 
M. Limnauder. L'Opéra- Comique avait recueilli, en 
même temps que les Deux Bambins cités plus haut, 
cette épave dans le naufrage du Théâtre-Lyrique, dit 
Opéra-National : c'est ainsi que l'ouvrage, répété sur 
une scène, parut quelques mois plus tard sur une 
autre. Adolphe Adam avait semé ce qu'Emile Perrin 
recueillait ; car, en dépit d'une certaine inexpérience, 
fort excusable chez un débutant comme M. Limnan- 
der, les Monténégrins obtinrent un succès honorable. 
Parmi tant de poèmes dépourvus d'intérêt, absurdes 
ou simplement oiseux, dont les compositeurs n'hési- 
taient pas alors à se Contenter, celui-ci du moins se 
distingue par une originalité de couleur, et même 
une certaine hardiesse qui nous séduiraient aujour- 
d'hui. L'action, en elFet, est des plus modernes ; la 
politique y tient autant de place que l'amour, et c'est 
contre Les soldats de Napoléon l" que ces tiers mon- 
tagnards luttent pour l'indépendance de leur patrie. 
La musique répondait aux exigences de ce programme 
mouvementé et révélait un compositeur de réel 
mérite, qui par la suite, deux fois encore, aborda 
rOpéra-Comique, en 1851 avec le Château de la Barbe- 
Bleue, et en 1859 avec Yvonne, puis garda le silence 
et se laissa gagner par l'oubli. M. Llmnander vit 
encore, et les théâtres de Paris, de la province et de 
l'étranger oe le connaissent plus. <> On pourrait, 
disait-il naguère d'une voix douce et résignée, on 
pourrait me jouer en Belgique ; malbeureusement je 
suis... Belge. » Que d'amertume et d'ironie dans cette 
«impie réflexion l 
Adolphe Adam n'aurait pu se plaindre ainsi de 



t94 L* DIRECTION DB U. FERRIN 

rindifféreoce des directeurs, car il ne restait jamais 
longtemps sans se rappeler à leur souTenir. Le 
9 mars, avons-nous vu, on avait repris ia Marquise; 
le 18 mai on représentait pour la première fois le Tt>« 
TéadoT, et la 10 juin on représentait Régine ou les 
Deux Nuits. Il semblait qu'on voulût indemniser le 
compositeur de l'espèce d'ostracisme dont l'avait 
frappé naguère la direction Basset. Devant lui les 
portes se rouvraient toutes grandes désormais. 

On avait quelque peu hésité sur le choix de l'ortho- 
graphe du titre de la pièce nouvelle dont Th. Sau- 
vage avait tracé le libretto. Tout d'abord la mot fran- 
çais avait reçu une désinence espagnole et s'écrivait 
Tauréador. Puis, ce nom s'était changé en celui 
A'Ah! vous dirai-j'e, maman l à cause du trio du pre- 
mier acte, bAti sur ce thème populaire qu'agrémen- 
tait une série de variations oubliées, sans doute, par 
Mozart et retrouvées par Adam. Enâu l'on s'était 
-décidé pour le Toréador, auquel étaient joints ces 
mots, ou l'accord parfait, justi&és par le dénouement 
d'une pièce où l'on voyait le mari, l'amant et la 
femme s'entendre à merveille pour faire ménage à 
trois. Ce sous-titre, de moralité fort douteuse en l'es- 
pèce, disparut dès la seconde représentation; depuis 
lors également, l'ouvrage fut divisé en deux actes; 
c'est sous cette forme qu'il s'est maintenu au réper- 
toire presque sans interruption jusqu'en 1869, et 
qu'on l'a revu eu 1881 avec MM. Tasltin, Bertin et 
M"* Merguillier tenant les rôles créés si brillamment 
par Battaille, Mocker et M"" Ugalde. 

Plusieurs particularités curieures se rattachent au 
souvenir de cette première représentation. D'abord, 
elle fut donnée au bénéfice d'un des interprètes, 
Mocker, qui venait d'être nommé régisseur, en rem- 

uj.z... Cookie 



1849 195 

placemeot de Henri, forcé de quitter le Ihé&tre et ses 
fonctions à cause da mauvais état de sa santé. Puis, 
un nouveau titulaire occupait, pour la première fois, 
le fauteuil du chef d'orchestre : Tilmant, venu des 
Bouffes, succédait à Laharre, artiste d'humeur voya- 
geuse que la fortune allait bientôt favoriser; âlleul 
de la reine Hortense, il obtint, à l'avènement de Na- 
poléon III, la place de maître de la chapelle impé- 
riale, et l'on conçoit que la protection dont il était 
honoré ne dut pas nuire à la représentation de ses 
ouvrages. EnQn, la composition du spectacle était 
assez curieuse : Rachel jouait le Moineau de Lesbie; 
Henri Monnier paraissait dans la Famille improvisée, 
et pour la première fois, croyons-nous, les Rendez- 
vous bourgeois subissaient la singulière épreuve du 
travestissement : M'" Lemercier prenait le rôle de 
César, M"" Levasseur celui de Charles, M"* Révilly 
celui de Dugravier, Sainte-Foy celui de Julie et Pon- 
. chard celui de Louise, Un grand .succès de gaieté 
accueillait cette tentative gui devait se renouveler 
asseï souvent par la suite. 

Régine eut un sort moins heureux que le Toréador. 
Représenté d'origine le 17 janvier 1839, après le Bras- 
seur de Preston et avant la Reine d'un Jour, cet opéra- 
comique en deux actes de Scribe et d'Adam, joué par 
Roger, Henri, M""" Boulanger et Rossi, avait laissé 
âe bons souvenirs. Repris le 10 juin 1849 avec Pon- 
chard et Lemaire, M"" Révilly et Thibault, comme 
interprètes, il ne retrouva plus la faveur du public et 
disparut de l'afflcbe après 6 représentations. 

La Nuit de la Saint-Sylvestre alla jusqu'à 12 repré- 
sentations, ce qui équivalait à une chute non moins 
définitive. Pour écrire cet ouvrage, Mélesville et 
Michel Masson, les librettistes, s'étaient inspirés 



196 LA DIRBCTION DE H. PBRBIN 

â'uDS nouvelle de Zschocke, romancier suisse; ils eu 
avaient tiré d'abord un vaudeville, le Garde de Nuit, 
joné aux Variétés avec Vernet dana le principal rôle, 
puis un opéra-comique en trois actes qu'ils avalent 
confié à François Bazin. La partition, exécutée le 
7 juillet, fut jugée médiocre, et la presse commença 
dès lors à adresser au jeune compositeur le terrible 
reproche que par la suite elle lui a de moins en moins 
épargné : l'absence d'originalité 1 Partie du Vaude- 
deville, cette pièce devait y retourner sous forme de 
timbre. Avec son rythme sautillant et guilleret, cer- 
tain chceur : > Amis , de son Altesse célébrons les 
bienfaits », a accompagné et accompagne peut-être 
encore au Palais-Royal ou sur d'autres scènes ana- 
logues la sortie des principaux acteurs ; qui sait même 
si le chef d'orchestre connaît à quelle source ce re- 
frain a été puisé ï Le plus curieux est que cette par- 
titîon» éditée chez Bonoldi, son auteur lui-même ne 
la possédait point. 81 soigneux de ses affaires, si éco- 
nome, si ordonné qu'après sa mort on retrouva une 
collection de bulletins des voitures qu'il avait prises . 
durant sa vie, Bazin pourtant n'avait pas conservé - 
la Nuit de la Saint-Syloestre ; aussi sa joie fut-elle 
■grande quand, peu de temps avant sa fin, il nous fut 
donné de combler cette lacune de sa bibliothèque. 

A la date du i*' octobre se place un succès, celui 
d'un ouvrage en trois actes dont M. Ludovic Halévy, 
neveu du compositeur, a donné récemment le manus- 
crit original à la bibliothèque du Conservatoire : 
la Fée aux Roses, qui s'appelait d'abord la Reine des 
Fleurs. Scribe et de Saint-Qeorges avaient uni leur 
expérience et leur habileté pour écrire une sorte de 
féerie comme Zémire et Azor, Gulnare, le Calife de 
Bagdad, GuUstan, la Fée Urgelle, et ce livret, empreint 



18*9 197 

dem6rTeilieux,réusait àcharmerle public. M"pgalde 
était une fée à la voix délicieuse, hardie en ses voca- 
lises, expressive et fine en sonjeu; Battaille était un 
magicien hors ligne, ayant tout pour lui, l'organe, le 
physique et la tenue; M"" Lemercier et Meyer, 
Sainte-Foy et Audran ( remplacé aux troisième, qua- 
trième et cinquième représentations par Boulo, pour 
cause d'enrouement persistant], formaient un en- 
semble assez rare. Enfin, la musique d'Halévy conte- 
nait plus d'une jolie page; aussi la réussite fut-elle 
complète, et l'empressement du public tel qu'on pu 
croire un iustaut que la Fée aux Roses atteindrait, 
comme les Mousquetaires de la Reine, sa centième en 
dix mois. Cependant le mouvement se ralentit peu 
à peu, et au bout de quatre années, lorsqu'elle dispa- 
rut de l'affiche en 1853, l'œuvre d'Halévy avait été 
jouée 110 fois. C'était presque le chiffre atteint dans 
le même temps par le Val d'Andorre, dont la valeur 
musicale est pourtant bien supérieure; mais peut-on 
préjuger de l'avenir d'une pièce par la première im- 
pression qu'elle produit? Les plus experts en la 
matière commettent sur ce point de graves erreurs, 
et, voyant cette Fée aux Roses si brillante, si fêtée à 
l'origine, nul n'aurait supposé qu'elle quitterait ta 
salle Favart sans y revenir jamais (car il fut en vain 
question de la reprendre en 1861 pour la rentrée de 
Battaille) et qu'elle prendrait sa retraite en province, 
où elle mène aujourd'hui encore une existence hono- 
rable et paisible. 

A côté du vif succès de la Fée aux Roses, il faut se 
rappeler le succès honorable qu'obtint le 9 novembre 
le Moulin des Tilleuls. Comme on le voit, la mode 
était au titres fleuris ; on se souvenait des roses et des 
tilleuls au lendemain de la guerre civile, en cette 



j98 LA DIRECTION DB H. PEHRtN 

année. 1849 qu'avait encore secouée le bruit des 
'émeutes, daas cette vitle où renaît de fondre un âéau 
terrible, le choléra. Mais c'est presque une loi. que 
le temps a consacrée : aux époques de troubles et de, 
révolutions correspondent les œuvres aimables et 
douces, marquées au coin de la bouffonnerie ou sim- 
plement touchantes ; 1793 a vu Jouer les Plaisirs de 
l'hospitalité, l'Erreur <ïun bon Père, la Piété filiale; 
de même 1848-49 devaient produire des pasquinades 
comme Gilles ravisseur, le ' Catd et le Toréador, des 
sentimentalités comme le Vai d'Andorre, ou des berge- 
ries comme le Moulin des Tilleuls. Ce petit acte, qui 
obtint en trois années 47 représentations, avait pour 
auteur, d'une part, Maillan et Cormon, de l'autre 
Maillarl. Ces derniers débutaient à la salle Favart, 
tous deux ayant fait jouer Gastibelza à l'Opéra na- 
tional, tous deux destinés & tenir une place impor- 
tante à l'Opéra-Comique. Eugène Cormon, qui. jus- 
que-là, avait dirigé un moment l'Ambigu et, comme 
auteur, avait écrit seul ou en collaboration des 
drames et des vaudevilles à succès, abordait un genre 
nouveau où il est passé maître, puisqu'il a signé» 
entre autres livrets, deux pièces célèbres, lesDragons 
ée Villars et le Premier Jour de Bonheur, Maillart, lui 
aussi, devait asseoir sa réputation avec ces mêmes 
Dragons de Villars, et peut-être même se serait-il 
élevé plus haut sans l'incroyable mollesse qui l'éloi- 
gnait du travail et le faisait hésiter à traduire ses 
pensées sur le papier à musique. L'un de ses colla- 
borateurs nous a raconté qu'il lui était arrivé de 
l'inviter par surprise à la campagne, et de le mettre 
sous clef, pour ainsi dire, de se refuser à le laisser 
partir avant qu'il n'eût achevé telle ou telle besogne 
désignée. Maillart, alors confus et résigné, se laissait 



1849 199 

enfermer et, comme il était doué d'une grande faci- 
lité d'écriture et d'improYisation, il avait vite fait de 
noircir les pages pour reconquérir sa liberté. 

Le tableau de l'année 1849 serait incomplet, si 
noua n'y joignions pas la liste des entrées et des sor- 
ties qui constituent le mouvement du personnel. 
Deux artistes se retiraient : Henri, dont nous avons 
parlé, et M"^ Lavoye qui, malgré ses succès à Paris, 
préférait aller chercher fortune en province et à 
l'étranger Trois autres rentraient : en mai, dans 
teï Diamants de la Couronne, M"* DeliUe -partie de- 
puis 1845; en juin, dans le Domino Noir, M"* Aline 
Duval qui, à la même époque, s'était embarquée 
pour le Brésil; en octobre, dans les Monténégrins, 
M"' Grimm, qui avait séjourné pendant un an à 
l'Opéra. Parmi les nouveaux venus, plusieurs possé- 
daient un réel talent, et ne sont pas restés ignorés : 
M. Bauche, qui débuta honorablement le 3i mars 
dans Sergy des Monténégrins ; M"" Wolf, de son vrai 
nom M"' Vosse, qui débuta le 3 avril dans Rose de Mai 
du Val d'Andorre; M°" Marie Cabel, qui débuta le 
12 mai dans Georgette du même Val d'Andorre; elle 
avait chanté déjà, en 1848, au Ghâteau des Fleurs, et 
créé même, sur celte petite scène, un opérette inti- 
tulée le Club des femmes ; après une seconde apparition 
dans Athénaïs des Mousquetaires, elle quitta le théâtre 
où elle devait tenir plus tard une si brUlante place. 
Nommons encore par ordre de dates : M"" Caroline 
Prévost, une fille de Chollet (12 mai), Catarina des 
Diamants de la Couronne; M"" Bourdet (27 mai), 
Henriette du Maçon; jeune et jolie personne qui s'é- 
tait fait entendre pour la première fois à l'Opéra- 
National en 1847, à sa sortie du Conservatoire de 
Paris ; M. Oarvalho, un des bons élèves de ce même 



200 LA DIRECTION DB «. PERHIN 

Oonservatoire (3 juin), Scapia de Gilles raviseeur, 
commençant ainsi par jouer sur les planches de cette 
salle Favart, qui vingt-huit ans plus tard devait dis- 
paraître sous sa direction ; M"' Emma Chevalier 
(19 juin), Zerline de i^ra Diavolo, actrice déjà expé- 
rimentée, qui revenait de Belgique et de Hollande, 
après avoir fait, elle aussi, ses études au Conserva- 
toire de Paris; M. Joannis (i»' juillet), Biju du Pos- 
tillon de Lonjumeau, quiquittaitla Comédie-Française 
pour rOpéra-Comique ; euflu M"' Lefèbvre, élève de 
Banderali, lauréate du Concours de 1849, où elle 
obtint le premier prix de chant et le premier prix 
d'opèra-comique;son début, le 12 octobre, dans Carlo 
de la Part du Diable, la mit tout de suite au premier 
plan ; bientôt elle chanta la Sirène, puis succéda à 
M"* Ugalde dans la Fée aux Roses, Spirituelle et 
charmante artiste, aussi agréable cantatrice que fine 
comédienne, celle qui devait un jour épouser le cé- 
lèbre baryton Faure amarqué au cachet de son talent 
bien des râles anciens et bien des créations, car elle 
est restée longtemps au thé&tre, soit à la salle Favart, . 
soit au Théâtre-Lyrique où elle chantait encore à la 
fin du second Empire. 

fiette longue mais nécessaire ënumération prouve 
avec quel soin, d'autres diraient quelle chance, 
Emile Perrin recrutait sou personnel; il s'appliquait 
non seulement à rendre brillantes les œuvres nou- 
velles qu'il montait, mais intéressantes encore les 
anciennes qu'il reprenait. C'est ainsi que, le 28 no- 
vembre, on remit en scène l'Éclair avec des inter- 
prètes de choix, M"" Grimm et Meyer, M. Boulo, qui 
succédait à Roger et à Chollet, et M. Jourdan, qui 
venait d'épouser sa camarade de théâtre, M"* Levas- 
seur. Cette excellente distribution donna un regain 



1850 301 

d'éclat à l'ouvrage, et la critique put dire,saDS exa- 
gâration, qu'une pareille reprise valait un succès 
nouveau. Mais l'année 1850 réservait au public 
d'autres aurpriaes en œuvres et en artistes ; c'est l'an- 
née des Porcherons, du Songe tVune nuit d'Été, de 
Giralda, de la Chanteuse voilée; c'est aussi l'année qui 
a vu les débuts d'une incomparable chanteuse, l'hon- 
neur de notre école française, M"' Miolan-Oarvalho, 
alors M"* Félix Miolan. 
On connaît la chanson de Vadé : 

Voir P&rts sans voir la Goartille 
Où le peuple joyeux fourmille, 
Sans visiter les Porcherons, 
Ce rendez- vous des bons luroas, 
C'est voir Etome sans voir le Pape. 

Le pape est toujours à Rome, et les curieux ne 
manquent pas d'aller fléchir les genoux devant lui. 
Les Porcherons ont disparu, le cabaret aussi bien 
que l'opéra-comique de ce nom, et c'est en 1866 qu'on 
a pu entendre pour la dernière fois la pièce amu- 
sante de Th. Sauvage et la jolie partition d'Albert 
Grisar. 

Ce fut un grand succès lors de la première repré- 
sentation, le 12 janvier 1850, succès dont l'interpré- 
tation eut d'ailleurs sa part, car il y avait là une réu- 
nion d'artistes remarquables : Mocker, comédien 
intelligent et chanteur agréable, qu'on applaudit fort 
en dépit d'un rhume qui paralysait ses moyens le 
premier soir, car il avait payé tribut à la température 
sibérienne dont Paris se trouvait alors gratifié ; Her- 
mann-Léon, excellent dans un rôle de Lovelace in- 
dien où l'on risquait de n'échapper au ridicule que 
pour tomber dans l'odieux; Bussine, plein de verve 



302 LA DIRECTION DB H. PSKRIN 

SOUS les traits du sergent GiraumoDt et disant à ravir 
la chaQson du 3^ acte; 8ainte-Foy, toujours personuel, 
amusant et fin, ayant, comme l'écrivait Fiorentino, 
tt de ces petits cris gutturaux , de ces intonations na- 
sales, de ces faussets étranges qu'on ne peut décrire 
ni noter; il vous obtient des succès de fou rire avec 
un bout de manchette ou un point de tapisserie » ; 
M"" Péliï et M"" Decroix, une jolie vicomtesse et 
une gentille soubrette ; enfin M"" Darcier, l'étoile de 
cette troupe, charmante, disait-on, comme un portrait 
de Boucher ou de Van Loo, et atteignant la perfec- 
tion, à l'instant même où elle allait quitter ce théâtre, 
témoin de ses succès depuis 184i. M"' de Bryane fut 
eu effet sa dernière création à l'Opéra-Comique, 
qu'elle quitta quelques mois après, échangeant les 
triomphes bruyants de la scène pour les plaisirs dis- 
crets du ménage. 

La musique, malgré ses qualités de grâce et d'en- 
train, provoqua dans la presse quelques critiques, 
tout simplement peut-être parce que son auteur était 
belge et que l'arrivée de Grisai, succédant a. M. Lim- 
nander, mettait en cause l'amour-propre national, 
menacé par cette invasion d'artistes ^étrangers. C'est 
ainsi qu'on blâma au dernier acte certain trio « dans 
lequel les machines, les trappes et en quelque sorte, 
le magnétisme jouent un rôle plus important que 
l'harmonie », et le morceau déplaisant fit place, pour 
la seconde représentation, à des couplets chantés par 
Hermann-Léon et fort applaudis. 

Le Songe d'une nuit d'été, opéra-eomique en trois 
actes, paroles de Rosier et de Leuven, musique 
d'Ambroise Thomas, représenté trois mois après le 
20 avril, s'imposa tout d'abord par l'heureuse inspi- 
ration des mélodies, jointe à un souci de la facture, 



■o^l.. 



ISSO $03 

à une élégance de rinstrutnentation qui ne pouvaient 
manquer de frapper les moins clairvoyants. Le ton 
de la comédie musicale s'était visiblement haussé ; il 
ne s'agissait plus d'une bouffonnerie spirituelle et 
d'un amusant pastiche comme le Caïd, mais d'une 
fantaisie dramatique plus touchante et plus noble. 
Par eodroils, même, un souffle lyrique traversait ce 
rêve ; le compositeur avait évidemment fait un grand 
pas en avant. 

Tout d'abord le livret n'avait pas été sans causer 
quelques déceptions ; l'amour de la reine Elisabeth 
pour le poète Shakespeare semblait bizarre, presque 
inadmissible : on observait qu'à l'époque de l'action, 
cette noble et puiss ante dame avait atteint la soixan- 
taine, âge respectable auquel il semble que la pas- 
sion ne devrait plus faire de victimes. Mais on oubliait 
que l'histoire absolvait presque les librettistes, car 
ElUsabeLh avait soixaute-neuf ans bien comptés, 
quand elle se vengea d'Essex. Il est vrai qu'àropéra- 
Oomique le rôle n'était pas tenu par une duègne ; c'é- 
tait là tout le tort des acteurs. M"* Lefebvre person- 
nifiait la reine, remplaçant ainsi, au dernier moment, 
celle eu vue de qui la partie brillante de la partition 
avait été écrite, M""» Ugalde. Chose curieuse, cette 
cantatrice d'apparence robuste, et qui devait fournie 
au théâtre une longue et glorieuse carrière, se voyait, 
au début, sans cesse entravée par quelque malaise ou 
indisposition. It lui fallut mftme, en cette année, in- 
terrompre son service et partir pour le Midi; c'est 
alors qu'elle fit aux Eaux-Bonnes ce voyage accidenté 
dont elle a dû garder le souvenir, puisque, revenant 
vers Pau, elle fut surprise an milieu de la nuit par 
l'inondation du Gave, et dut, non sans danger, modi- 
fier son itinéraire, afin de se réfugier à Oléion, d'où 



..Cooi^Ic 



204 LA DIRSCTIOK DE U. PERRIK 

elle gagna Saint-Sébastien. Elle reparut seulement 
au mois de septembre dans ce rôle d'Elisabeth, à 
côté des autres créateurs de la pièce : M"* Grimm, 
Boulo, ténor dramatique et gracieux tout à la fois, 
Couderc, qui rentrait à l'Opéra-Odaiique après une 
longue absence, et sous les traits de Shakespeare lais- 
sait percer quelque émotion, Battaille enfin, qui abor- 
dait, avec le personnage de Falstaff, les rôles bouffes 
et ajoutait une création remarquable à toutes celles 
qu'il avait déjà faites en l'espace de dix-buit mois, 

A la fin de son compte rendu, Fiorentino, très 
favorablement impressionné, disait que le Songe 
d'une nuit d'été anrait « ses cent représentations. > 
Il en a eu davantage, soit 227, si nos calculs sont 
exacts; la pièce a été jouée, ea effet, à quatre re- 
prises différentes : 117 fois de 1850 à 1856; 68 fois de 
1859 à 1864; 13 fois de 1866 à 1867; 29 fois en 1886. 
Est-il besoin d'ajouter qu'en province le total des 
représentations atteindrait un chiffre bien autrement 
élevé? Car il n'est pas une grande ville de nos dépar- 
tements où l'ouvrage d'Ambroise Thomas n'ait paru 
et ne paraisse encore, presque chaque année. Cer- 
tains morceaux ont joui même d'une véritable popu- 
larité, et pour n'en citer qu'un exemple, on trouve- 
rait peu de sociétés chorales au répertoire desquelles 
ne figure pas le cbœur des Garde-chasse, qui d'ail- 
leurs avait été bissé le soir de la première. 

En cette ailnée 1850 la salle Favart perd ou gagne 
quelques serviteurs dont il faut rappeler au moins 
les noms. M<°' Wolf passe en mars au Gymnase; 
M"' Cabel accepte en avril un engagement, mais mo- 
mentané, pour la Belgique; Henri, de son vrai nom 
Deshayes, se retire définitivement le 4 mai après 
«ne représentation en son honneur, dont le pro- 



1850 20b 

gramme comprenait deux actes de Virginie avec Ra- 
chel, le deuxième acte du Diable à quatre par Heori 
et M"" Casimir, le premier acte de l'Ambassadrice, où 
le béoéâciaire jouait le rdledeFortauatus, uu inter- 
mède musical, et les Rendez-vouB bourgeois travestis ; 
Emon et Bauche quittaient la France, le premier par- 
tant pour Valparalso à la tête d'une troupe drama- 
tique et lyrique, le second se laissant engager à l'île 
Bourbon; enfin, M'* Darcier abandonne la scène, 
nous l'avons vu, mais non sans avoir concouru le 
17 juin à une reprise de Jeannot et Colin, qu'on n'a- 
vait pas donné depuis trois ans, et où elle joua le rôle 
de Colette, à côté de Bussine (Jeannot), Mocker (Co- 
lin), 8ainte-Foy (Biaise), M"» Lefebvre (Thérèse), et 
M"" Révilly (la comtesse). 

En revanche, les débutants ne sont qu'au nombre 
de deus, et, par une coïncidence bizarre, ils devaient 
se retrouver ensemble sur une autre scène, neuf an- 
nées plus tard, pour créer les principaux rôles d'un 
opéra célèbre, i^aust. L'un s'appelait Barbot et parut 
dans le rôle de Lionel de l'Éclair, le 19 août; c'est le 
même qui, en 1859, eut l'honneur de chanter le pre- 
mier : Salut, demeure chaste et pure! L'autre s'appe- 
lait M'" Félix Miolan et parut au mois de mai dans 
l'ambassadrice, avec un succès, il faut le dire, plus 
estimable que décisif. On trouva que l'élève de Du- 
' prez, la future Marguerite, avait, comme actrice, 
beaucoup à acquérir; on lui contesta même la puretéde 
l'organe, et l'on prétendit qu'elle chantait générale- 
ment au-dessus du ton. a M"' Miolan, écrivait un cri- 
tique , fort connaisseur et généralement impartial, 
possède une voix plus jolie que belle, plus instable 
que posée, plus élégante que passionnée, et, par con- 
séquent, moins expansive qu'expressive. Elle a ce- 
12 



206 LA DIRECTION BS M. P&RRIX 

pendant l'àme musicale et même dramatique; mais 
l'iDStnimeot qui met en œuvre ce jeu dangereux 
semble avoir été fatigué par l'étude de ce qu'on ap- 
pelle la grande manière et que nous nommons, nous, 
le mélodrame lyrique ou vocal. Quand la jeune can- 
tatrice met toutes voiles dehors, la justesse de son 
intonation s'altère. Il faut qu'elle prenne son parti de 
ne plaire qu'aux intelligences , aux oreilles exercées 
dans l'art du chant, aux esprits fins qui ne font pas 
majorité dans le gros et ordinaire public, » Le por- 
trait n'est pas flatté, et l'on sait si l'avenir est venu 
donner à ces juges sévères un cruel démenti. 

Il est des ouvrages sans importance auxquels on ne 
peut accorder guère plus que l'honneur de les citer. 
Tel un petit acte de Varin et Ad. Choquart. musique 
de Josse, répété sous le nom de la Pipe du soldat, et 
joué sous celui du Talisman le 1" juillet. Ce Josse 
n'était point orfèvre; il était à l'Opéra-Comique pre- 
mier alto, et y remplissait les fonctions, plus honori- 
fiques que réelles, de troisième chef d'orchestre. C'est 
même probablement pour le remercier de ses discrets 
services qu'on lui donna un livret anodin qu'il revêtit 
de mélodies également anodines, servies gracieuse- 
ment au public par Ponchard, Carvalho, M"" Lemer- 
cier et Décrois. C'était le premier essai du composi- 
teur au théâtre; on ne lui fournit pas l'occasion de le 
renouveler. 

Donner une nouveauté plus tard que le mois de 
juin paraît déjà bien étrange, mais le 20 juillet, voilà 
qui dépasse les bornes, surtout lorsqu'il s'agit, non 
pas d'un simple acte d^ débutant, comme 2e Talis- 
man, mais bien de trois actes d'un maître connu, ap- 
plaudi et cher au public. Ce fut pourtant le cas de 
Giralda ou La Nouvelle Psyché; pour comble d'infor- 



1850 207 

tone, l'été était aussi brûlant que l'hiver avait été 

rigoureux; les recettes des théâtres baissaient, le 
thermomètre seul montait; mais l'ouvrage portait en 
lui-môme sa fortune, et Giralda réussit. Retardée par 
le succès des Porcherons et du Songe d'une nuit d'été, 
elle avait attendu loagtemps qu'où la représentât; 
plus longtemps encore elle avait attendu qu'on la mit 
eu musique, car le poème de Scribe, remontant à 
1839, devait être confié alors à Auber et joué à la 
Renaissance. Au cours de ses vicissitudes, oa com- 
prend que la pièce ait subi quelques changements de 
titre; elle fut d'abord la Gifano, puis Géraldine (comme 
avait dû l'être le Puits d'amour, de Balfe), un moment 
Géralda, et en&n Giralda. 

Les interprètes également avaient varié comme les 
titres ; par exemple, le rôle principal était destiné à 
M"' Caroline Prévost, qui à cette époque avait, déjà 
quitté la salle Favart et venait d'épouser Montaubry. 
Heureusement, M"" Miolan se trouva là fort à propos 
pour suppléer sa devancière, et le succès de cette 
première création mit tout de suite en lumière le 
grand talent de la jeune artiste. La presse se montra 
d'ailleurs très favorable non seulement pour elle et 
ses camarades, Bussine, Audran, Sainte-Foy, Ricquier 
et M'" Meyer, tous excellents, mais pour l'œuvre 
même, dont le sujet assez scabreux était traité d'une 
main fine et légère , dont la partition renfermait des 
mélodies charmantes, présentées avec une grâce ai- 
mable et comme égayées d'un frais sourire. 
■ Parmi ceux qui, dès le début, se prononcèrent hau- 
tement en faveur de Giralda, il faut citer un rival 
qui, pour cette fois, remplaçait Adam au feuilleton 
du Constitutionnel. « C'est un vrai succès, concluait 
Halévy, un grand succès que les chaleurs de juillet 



308 LK DIRECTION DB H. FBRRIN 

ODt TU éclore, que les glaces de janvier rajeuniront, 
car la pièce a tous les éléments d'un ouvrage qui doit 
vivre et rester au répertoire «. Quant à la Revue et 
Gazette musicale, rien n'est plus amusant que de voir 
le tour apologétique auquel elle a recours pour parler 
de celui dont elle disait tant de mal autrefois. Mais il 
faut ajouter que Brandus et Adolphe Adam avaient 
fait la paix, et que maintenant l'un éditait l'autre. 
De là, ces entrefilets élogieux qu'on semait habile- 
ment dans les numéros du journal : a Giralda conti- 
nue d'attirer la foule à l'Opéra-Comique; c'est un 
des succès les plus complets et les plus productifs 
que ce thé&tre ait jamais obtenus. » Ou bien encore : 
* Toujours même affluence à Giralda; le public s'y 
presse, comme dans les meilleurs jours de l'hiver, et 
il sort en répétant presque tous les motifs de la parti- 
tion. » C'est ainsi qu'on avait traité les Mousquetaires 
•de la Reine, le Val d'Andorre et la Fée aux Roses; on 
ne voulait point qu'Adam fût jaloux d'Halëvy, et on 
les associait au bénéfice de la réclame. 

On n'eut pas les mêmes égards pour M. Oh. Poi- 
BOt, qui, sur un livret d'Alboize, avait composé la 
musique d'un petit acte intitulé le Paysan et repré- 
senté peu après, le 16 octobre. Dans ses Essais, Grétry 
a décrit, non sans amertume, les déboires, les mé- 
comptes, les mauvais procédés même qui attendent 
les pauvres aspirants à la gloire musicale. M. Poisot 
dut en faire la triste expérience, lui qui, s'étant avisé 
d'introduire dans son instrumentation une harpe et 
un cor anglais, se vit tout d'abord refuser ces instru- 
ments, sous prétexte que la coutume n'était point 
d'en user dans les levers de rideau. Le cor anglais 
finit par lui être concédé... pour la première repré- 
sentation, à condition qu'il disparaîtrait aux sui- 



1850 309 

'Tantes. Puis la presse décocha à l'artiste des traits 
comme ceux-ci : a M. Charles Poisot, gui débutait 
par cette petite partition à l'Opëra-Oomique, a été 
reçu comme un jeune soldat qui arrive dans un régi- 
meut et dont il est de tradition de se moquer un peu . 
S'il ne s'est pas révélé tout d'un coup par une instru- 
mentation foudroyante et obligée par le temps qui 
court, si môme il s'est fait aider un peu, dit-on, dans 
cette partie de l'art, qui n'est pas tout l'art, il est 
juste de dire qu'il nous a fait entendre de la mélodie 
naturelle et déclamée avec vérité. » Somme toute, la 
partition était agréable et commentait assez finement 
cette vieille histoire transportée en Allemagne et 
rajeunie pour la circonstance, de Michau, le meunier 
de Lieusaint, anobli par Henri IV pour prix de l'hos- 
pitalité reçue, anecdote dont CoUé avait tiré une 
pièce à succès. Mais il faut croire que les tribula- 
tions du compositeur avaient été grandes, car désor- 
mais il ne reparut plus à l'Opéra-Comique. Il se con- 
sacra à l'enseignement, publia de nombreux ouvrages 
et devint directeur du Conservatoire de Dijon. Quant 
aux théâtres, il ne connut plus que ceux des ama- 
teurs ; le Coin du feu, les Terreurs de M. Peters (1850), 
les Deux Billets (1858), Rosa la rose (1864), furent 
joués dans les salons ; le compositeur y eut moins de 
peine, il faut dire aussi moins de gloire. 

Un autre débutant fut mieux accueilli, le 26 no- 
vembre : c'était le futur auteur des Noces de Jean- 
nette, prix de Rome en 1844, Victor Massé. Il avait 
reçu , et la faveur était grande pour un inconnu , un 
petit acte de Scribe et de Leuven intitulé d'abord 
Lazarilla, puis la Chanteuse voilée; dix années aupa- 
ravant, un autre prix de Rome, Montfort, avait obtenu 
le même honneur avec Polichinelle, et, coïncidence 
12. 



210 LA. DIRECTION DE U. PEBRIK 

bizarre, les deux pièces se ressemblaient au foad. 
Sans faire absolument prévoir la carrière {glorieuse 
que devait parcourir son auteur, (a Chanteuse voilée 
fut jugée farorableiiient ; le mauque d'expérieuce 
était largement compensé par le charme des idées 
mélodiques, l'élégaoce de la forme, et la bonne tenue 
de l'orchestre. C'était un succès, qui se maintint du 
reste, et l'ouvrage figurait encore au répertoire en 
1863; depuis il s'est retiré... au Conservatoire, où les 
concours de rhaat ramènent assez fréquemment un 
air demeuré fameux par les vocalises dont il est 
émaillé : de cette charmante partition voilà mainte- 
nant tout ce qu'il reste. 

Le succès de la Dame de Pique, représentée le 
28 décembre, devait laisser infiniment moins de 
traces encore. Scribe avait tiré d'une nouvelle de 
Pouschkine cette pièce en trois actes qui devait faire 
naître chez le spectateur « les émotions les plus vives 
de crainte et d'espoir, de terreur et de plaisir. « Or, 
pour Halévy qui venait, en l'espace de quatre ans, de 
donner sur la même scène troÎB pièces devenues cen- 
tenaires, la Dame de Pique fut justement la mauvaise 
carte qui gâta son j eu et interrompit la série gagnante. 
Sans doute, le premier soir, on avait traîné le compo- 
siteur sur la scène et chaleureusement applaudi des 
interprètes excellents comme Couderc, Battaille, 
Boulo, Ricquîer, M°* Ugalde et M'" Meyer; mais 
bientôt la Revue et Gazelle musicale demeura seule à 
prodiguer ses louanges intéressées. Elle le fit d'ail- 
leurs avec une conscience qui, jusqu'à la dernière 
heure, ne se démentit point. Il semblait à ses yeux 
que tout fût bonheur quand il s'agissait d'Halévy. 
Une indisposition de M"' Ugalde interrompt-elle les 
représentations « toujours si brillantes « Ae la Dame 



1850 211 

de Pique, TÎte, le Val d'Andorre ■ remplace la pièce 
eo vogue et le public accourt avec autant d'empres- 
sement que si elle eût figuré sur l'afûche. > Ici, « la 
salle de l'Opéra-Comique se trouve littéralement, et 
sans figure, beaucoup trop petite pour l'affluence du 
public qui s'en dispute l'entrée ». Là, « les recettes 
se soutiennent à un taux fabuleux. » Il est même en- 
core question de « son influence prestigieuse s à la 
date du 30 mars, c'est-à-dire alors que la pauvre 
Dame de Pique n'avait plus à vivre que douze soirées, 
fort espacées, et allait déûnitivemeot s'éteiadre après 
47 représentations. 

En cette année ltJ50, le nombre des nouveautés 
avait été assez grand pour qu'on s'occupât assez peu 
des reprises d'ouvrages anciens. Deux seulement 
doivent être mentionnées, celle de Jeannot et Colin, 
dont nous avons parlé, et celle de l'Amant jaloux, à 
la date du 18 septembre. La vieille pièce de Grétry 
avait été exhumée par Batton, qui dirigeait une classe 
d'ensemble au Conservatoire, et voulait donner à ses 
élèves un sujet d'études. A cet effet, il avait pris la 
peine de revoir la musique, et d'en renforcer l'or- 
chestration; il n'en fallait pas davantage pour re- 
mettre en campagne les adversaires et les partisans 
de ces sortes de « rafraîchissements b. Avec son nom, 
favorable aux jeux de mots, le malheureux Batton 
semblait une cible toute trouvée; on le prit à partie 
en prose et même en vers, comme le prouve certain 
couplet de chanson qui se terminait par ce jugement 
peu flatteur : 

C'est de la sottise en bâton 1 

Malgré les envieux et les mauvais plaisants, Batton 
eut le plaisir de voir le succès lui donner raison, dans 



212 I^ DIBBCTION DE U. PBKKIH 

une certaine mesure ; l'Amant jaloux, cette année et 
la Buirante, obtint en effet 24 représentations. Toute- 
fois cette reprise fut la dernière, et l'on peut terminer 
ici cette première période de l'administratioii Perrin, 
où, sauf de rares exceptions, les œuvres remarquables 
s'étaient succédé arec une continuité qui pouvait 
passer pour merveilleuse et qui ae devait se renouve- 
ler qu'en partie pendant les années suivantes. , 



D.3i.za..ï Google 



CHAPITRE VIII 

LA. GONCUHRBNCB DU THÂAIRB -LYRIQUE 

Bonsoir M. Pantalon, le Farfadet, GalcUhêe, le Sourd, les Noces 
de Jeannette et les Papillotes de M. Benoist. Reprises da 
TiAleau parlant, du Calife de Bagdad et de Joseph, 



C'est à ce point de notre récit qu'il faut ouvrir une 
parenthèse, et dire au moins quelques mots du 
Ihé&tre qui pendant dix-huit ans devait être pour 
rOpéra-Oomique un rival redoutable et souvent heu- 
reux. Longtemps, nous l'avons dit, l'idée d'une troi- 
sième scène musicale avait flotté dans l'air. Alors, 
comme aujourd'hui, l'État n'y prétait qu'une atten- 
tion médiocre ; mais les dévouements particuliers 
avaient compensé les inditTérences officielles : des 
amis de l'art s'étaient rencontrés pour donner un 
corps à ces projets artistiques, et nous avons montré 
comment un beau jour de l'année 1847 surgit le 
Théâtre-National, que la révolution de février englou- 
iît au bout de quelques mois. Toutefois les désordres 
de la politique n'ont qu'un temps ; aussi, le calme 



314 LA CONCDHRBNCB DU THÉATRE-LTRIQUE 

rétabli, vit-OD les essais de centralisation lyrique se 
produire un peu dans tous les coins de Paris : d'a- 
bord au théâtre Beaumarchais, où l'on donna entre 
autres pièces une œuvre dont le titre semblait se rap- 
porter au but même de l'entreprise : le Vieux Prix de 
Rome! Puis à la Gaîlé, voire même aux Variétés, 
avec un petit opéra-comique de Vamey, la Quit- 
tance de Minuit, dont Commerson et Raymond Des- 
landes avaient écrit les paroles. Enfin, toutes ces ten- 
tatives aboutirent à la création d'une entreprise 
sérieuse et cette fois défjoitive : le Théâtre Historique, 
fondé par et pour Alexandre Dumas, sur le boulevard 
du Temple, végétait misérablement; le drame fit 
place à la musique, et le Théâtre-Lyrique, dirigé par 
Ed. Seveste, ouvrit ses portes le 27 septembre 1851, 
avec Mosquita la Sorcière, opéra-comique en trois 
actes, paroles de Scribe et G. Vaëz, musique de Xa- 
Tier Boisselot. 

Une telle concurrence n'était pas sans danger pour 
la salle Favart, puisque le nouveau venu avait le 
droit, refusé ou à peu près à l'Opéra-Comique, de 
monter des ouvrages joués d'abord à l'étranger et dé- 
signés sous le nom de traductions ; puisqu'il pouvait 
presque à volonté puiser dans le répertoire de 
l'Opéra-Comique, ce qui doublait aes ressources ; 
puisqu'enfin les succès qu'il obtenait avec les pièces 
nouvelles diminuaient d'autant ceux que l'Opéra- 
Comique n'aurait pas manqué d'obtenir avec les 
mêmes ouvrages. Il est certain que jamais la fortune 
n'a réparti ses faveurs également entre les deux 
théâtres, utiles cependant, indispensables presque 
tous deux : les recettes baissaient chez l'un quand 
elles montaient chez l'autre, et l'on pourrait consta- 
ter année par année cette marche régulière. 

„■ ... .Coo'jIc 



1851 215 

Comme nous n'écrivons point l'histoire du Théâtre- 
Lyrique, el que cependant plus d'une foîsparja suite 
il nous faudra y faire quelque allusion, nous avons 
songé à dresser un tableau qui en résume les 
grandes hgnes. Il comprend : l' les pièces originales, 
noa point toutes, il est vrai [cette énumération tien- 
drait trop de place, et lasserait, par sa sécheresse 
même, la patience du lecteur}, mais celles qui ont 
survécu au temps qui les a vues naître, celles qui ont 
été accueillies par la province ou l'étranger, celles, 
en un mot, qui ont assez réussi pour donner en quel- 
que «orte à l'année sa physionomie ; 2" tous les em- 
prunts faits au répertoire musical français, c'est-à- 
dire au répertoire de l'Opéra-Comique, à trois 
exceptions près. Orphie, Iphigénie en Tauride et 
Charles VI, qui appartiennent à l'Opéra ; 3" tous les 
emprunts faits au répertoire musical étranger, autre- 
ment dit les traductions. 

Pour compléter ce tableau et lui donner l'intérêt 
qu'il doit avoir au point de vue spécial qui nous 
occupe, nous avons marqué d'un astérisque les ou- 
vrages qui, avant ou après cette époque, ont été 
représentés dans la seconde salle Favart. 

THÉÂTRE- LYRIQUE. 

i847-i870. 



Une bonne fortunt. * 
Félix. 

£eflriM»eur de Prêt- 



,L.:a..ï Google 



21S U. COKCURRBNCB DD TRÉATRE-LYRIQUB 



Plècai 






oTiginalai. 




Traiottiom 


1851. 






io Pîrle du Bréiil.' 


Le Maitre de Cha- 


Le Barbier de 




pelU.' 


vilU.' . 




Le* rtndex-vout 






bourgeoi*. ' 






Ma tante Aurore. 






MaUon à vendre.' 












Le, Traveetitte- 






menti. • 




J8SÏ, 






La Poupée de A'u- 


Le* Vieitandine: 


La PU voUute, 


Si fitaU Roi l 


Le Poumon de Lon- 

jumeau. • 
Let Deux VoUuri.' 




1853. 






Lti Amour* du 


LeRoid-Yvelot.' 


Élii^lh. 


Diable.' 








Le Diable à quatre. 




Le Bijou perdu. 






1854. 






Maître Wolfram.' 


Le Panier fleuri.' 




UBitUldeMaraue- 


LaSeined-unjoar.' 




rite. 


LeTableauparlant.' 




185S. 






£m Cfcjimwuri. " 


La Sirène. » 


Bobin dee Boie 


Jaguarita.* 


Marie.' 




Le Secret de Voiule 


Lé Solitaire. 




Fineent. 












FaUtaff. 


Le Sourd.' 






Siehard Cœur de 
Lion.' 




Lts Bragont de fil- 






tari. ' 






La Seine Topaze. 







,i,:.,,ï Google 



P.6C8I. 


ËmpranH 




originalaa. 




Traductioaa. 


1SÔ7. 
LtilVuiti d'Espagne. 




Obérott. 


Maître Griffard. 




Euryanthe. 


1858. 






It Médecin malgré 




Preciosa. 


lui.' 




Lei Noces de Figaro.' 


Fauit. 


Orfhée. 




Mams'tUe Pénélope.' 




L Enlèvement aa Sé- 
rail. 








Ma Ta«.te dorl. ' 


Lu Roiièrei. 


Fidélio. 


PhilémonetBaucii.' 


Le Val d'Andorre. • 




Gil Blat. 






1881. 






iei Deux Cailii. 






LaStalue.' 






Att travers du mi^r.' 






Le Café du Roi. • 






IBSa. 






La Chatte nwrwetl- 


Jottph. ' 




le-jte. 






188Ï. 






Let Pêtheurt de 


L'Épreuve uilta- 


Peinet d'amour. 


PerUs. 


geoise, ' 




Let Troyem. 




Sigohtto. 


1804. 






Mireille. • 




Norma. 
Don Païquale. 
Violelta {la Tra- 
viata).* 


1895. 






La Fiancée d'Aby- 




La flûle mchanUe,* 


do,. 




Macbeclh. 
Liibeth. 

Mariha. 

ts 

Uj,.za. .y Google 



L CONCURRENCE DU THÉÂTRE- LYRIQUE 

> KiDpnuits 



isaa. 






Von Juan. 








U, joj/mtti £o»- 








KéraieWindtor. 


1897. 
















Xoméo cl JulietU. • 








La Jolie FilU de 








PeriA. 








isaa. 


L'irato.-» 








Iphigénie en 


Tau- 






ride. 






1869. 






RUnzi. 

Lt Bal na»quL 


1870, 


Charte» VI. 







Dès l'année 1851, la partie s'engageait entre TOpé- 
ra-Comique et le Théâtre-Lyrique, partie sérieuse et 
intéressante où l'avantage devait rester tout d'ahord 
à ce dernier. En l'espace de trois ans, on «aregistrR 
comme victoires : d'un .côté la Perle du Brèsil,la Pou- 
pée de Nuremberg, Si j'étais Roi, les Amours du 
Diable, Bonsoir, Voisin et leBijou perdu, c'est-à-dire 
de grands ouvragea, suif deux, ayant au moias trois 
actes et formant spectacle; 'At l'autre, seulement 
Bonsoir, Monsieur Pantalon, le Farfadet, Gaiathée, te 
Sourd, qui devait d'ailleurs émigrer presque aussitôt 
aprèsson apparition au Théâtre-Lyrique, les Noces de 
Jeannette, les Pvpillotesde M. Benoist, c'est-à-dire de 
petites piè-ccsne pouvant se suffire à elles-mêmes. La 
salle Favart voyait en outre ses fournisseurs favoris 
l'abandoaner, ou perdre une partie de leur chance* 
Auber, attiré par l'Opéra, venait d'y donner l'Enfant 
prodigue; Ambroise Thomas allait se heurter à une 
série de livrets médiocres qui pouvaient compro- 



18» 1 219 

mettre le succès de ses partUioae; Adolphe Adam 
tenait trop au théâtre qu'il avait fondé pour n'y pas 
rentrer aussitôt qu'on le rouvrirait; pour Halévy 
enân, l'heure du décllD semblait approcher, et le seul 
succès durable qui lui fût encore réservé à Paris 
devait être précédemment obtenu avec une pièce 
représentée tout d'abord wi Théâtre-Lyrique, Jaguar- 
rita l'Indienne. 

Bonsoir, Monsieur Pantalon, le premier ouvrage 
nouveau monté en 1851 à l'Opéra-Comique, inaugura 
du reste heureusement l'anniée et devait compter 
parmi ceux qui se sont maintenus longtemps au ré- 

■ pertoire de ce théâtre. Nous avons relevé à cet égard 
les chiffres suivante : 204 représentations "ie 1851 à 

-1861, 131 de 1869 4 1874; en tout 335 i-epréaentations. 
En outre, ce petit acte a Tait rapidement le tour d« la 

■province et de l'étranger; on l'a repris il y a quelques 
années au Chàteau-d'Eau et, à l'heure actuelle, l'Al- 
lemagne s'amuse encore de cette bouffonnerie, d'ail- 
leurs spirituellement traitée par Lockroy et Morvan. 
La musique d'Albert Grisar n'est pas jugée indigo* 
des grandes scèues de la Prusse et de la Bavière; on 
applaudit donc Gute nacht, Herr Pantalon, car le 
titre a été littéralement traduit; et, bien qu'elle ne 
soit plus toujours interprétée comme elle le fut à 
l'origine par Ricquier, Ponchard, Bellecour, M""' Re- 
villy, Decroii et Lemercier, sans oublier les deux 

-porteurs du fameux panier, Palianti et Nathan, cette 
pièce déjà vieille a vraiment gardé de la fraîcheur. 

Il faut attendre plus de trois mois avant de rencon- 
trer une nouveauté, et cet intervalle est rempli par 
une double reprise à la date du 27 avril : le Calife de 
■ Bagd<id et le Tabieav parlant. C'est dans une repré- 
sentation extraordinaire organisée par M" Scribe au 



220 Là concurrence du théâtre-lyrique 

profit de l'œuvre des secours à domicile, que repa- 
rurent ces deux ouvrages, dont le premier remontait 
au 16 septembre 1800 et le second au 20 septembre 
J769. Celui de Boieldieu ne compta pas moins de 122 
représentations en cinq ans, puis quitta le répertoire 
pour y revenir huit fois seulement, en 1875. Celui 
de Grétry ne disparut définitivement qu'en 1865, mais 
on l'a revu de notre temps, lorsque M. Offenbach 
tenta de faire revivre le Théâtre - Lyrique à la 
Gaîté. Comme dernier détail concernant la résurrec- 
tion de ces deux pièces, ajoutons qu'elles étaient 
jouées l'une et l'autre par M"" Ugalde, et que le prei 
mier soir la recette de cette représentation extraor- 
dinaire atteignit le chiffre notable de 1 1 ,686 fr, 50 c. 
De belles recettes ne furent jamais celles de Roy- 
mond oit le Secret de la Reine, opéra-comique en trois 
actes, représentéle 5juin. Ambroise Thomas ne pou- 
vait réussir à donner grande valeur au poème à la 
fois invraisemblable et banal que lui avaient confec- 
tionné i^e Leuven et Rosier. C'est l'histoire du Masque 
de fer que ces librettistes avaient prétendu faire 
mettre en musique. Suivant eux, le. paysan Ray- 
mond, qui veut épouser la jeune Stella, fille d'une 
Espagnole nommée Juana, serait le propre frère de 
Louis XIV et, pour cette cause, verrait sa liberté me- 
nacée et ses amours contrariées. Quant au prison- 
nier célèbre, ce serait tout simplement le chevalier 
de Rosargues, séducteur de Juana et pète de Stella, 
un diable incarné qui se ferait ermite au dénoue- 
ment, en se substituant à Raymond et en prenant 
son masque de fer pour expier ses péchés de jeu- 
nesse. Voilà une version nouvelle et pour le moins 
inattendue à ce fameux problème historique. Le pu- 
blic y prit un médiocre intérêt, car au bout de trente- 



1851 221 

quatre représentations, il renonça au plaisir de goû- 
ter une partition qui valait mieux alors qu'un simple 

auccèa d'estime. Nous n'en voulons retenir ici que 
dei^x analogies curieuses, deux points de ressem- 
blance avec une autre pièce du môme auteur : Le 
premier acte de Raymond se termine par un incen- 
die, comme le deuxième acte de Mignon; l'entr'acte 
du deuxième acte est pour l'un un menuet et pour 
l'autre une gavotte. 

Au surplus, le compositeur pouvait se consoler 
d'un demi-succès au théâtre, en songeant au triomphe 
qu'il avait obtenu quelques mois auparavant, le 
22 mars, à l'Institut. Pour occuper le fauteuil de Spon- 
tini, décédé le 24 janvier 1851, onze candidats se pré- 
sentaient, savoir : Batton, Benoist, Berlioz, Clapis- 
son. Collet, Elwart, Martin d'Angers, Niedermeyer, 
Panseron, A. Thomas, Zimmermann, qui eut la mo- 
destie et le bon goût de se désister au dernier moment. 
Malgré ce nombre exceptionnel de concurrents, il n'y 
eut qu'un tour de scrutin : Amhroise Thomas obtint 
30 voix contre 5 données à Niedermeyer et 3 à Bat- 
ton I On remarquera que Berlioz n'en eut pas une 
seule ! 

Vers le même temps, il semble qu'on ait voulu ac- 
corder une sorte de réparation à un autre composi- 
teur, dont la chance n'était pas toujours à la hauteur 
du talent, Adolphe Adam. Il avait donné le 11 juin 
1838, c'est-à-dire immédiatement après son Postillon 
de Lonjumeau, si bien accueilli, si fêté, un opéra- 
comique en trois actes intitulé le Fidèle Berger, contre 
lequel se déchaîna une jalouse cabale. Malgré le nom 
des librettistes, Scribe et de Saint-Georges, malgré 
la valeur du musicien, la pièce fut silflée. Or, par un 
phénomène qui n'est pas sans précédents, le Fidèle 



SS2 LA CONCURRENCB DU THÉATRE-LVIlIQUE 

Berger, qui était mort à Paris, avait retrouvé la vie 
en province et même à l'étraûger, eo Belgique, en 
Allemagne. Suivant la formule d'un journaliste, a il 
n'avait été frappé que d'ua trépas en quelque sorte 
local, et c'est une maladie dont on revient. » Il en 
revint, en effet, le 14 juillet 1851 ; les interprètes de 
la création, ChoUet^ Tilly , Grignon, M*" Jenny Co- 
lou, Rossi et Boulanger avaient pour successeur» 
Couderc, Carvalho, Lemaire, M"" Meyer, RéviUy, 
Mélotte ; le poème et la musique parurent pleins de 
gaieté ; le succès de la reprise se chiffra par 3 1 repré- 
sentations. 

Après le maître, l'élève. C'est, en effet, sous la 
direction d'Adolphe Adam que s'était initié aux diffi- 
cultés de la composition l'auteur de la Séraphina ou 
VOceasion fait le larron, opéra-comique en un acte, 
représenté le 16 août 1851. Doué d'une voix char- 
mante, et fort épris de musique, M. Clemenceau de 
Saint-Julien comptait quelques succès , même en 
dehors des salons ; il avait donné eu 1849, à l'Opéra, 
un ballet, la Filleule des Fées, qu'Adolphe Adam avait 
signé avec lui; et, depuis, les deux collaborateur» 
avaient composé une messe qui fut exécutée avec 
éclat, pour la première fois, le 15 septembre 1850, à 
Écouen, lors de l'inauguration solennelle d'un orgue 
en l'église de cette ville. A l'Opéra-Comique, il atten- 
dait son tour depuis longtemps; car, dès 1849, on an- 
nonçait à ce théâtre les répétitions de ta Séraphina, 
he précieux co:icours de ses librettistes, de SaÎQl- 
Georges et Dupin, Soit par avoir raison du directeur, 
et la Séraphina, chanteuse égarée dans une caverne 
de faux brigands, comme on l'avait déjà vu dans 
Picaros et Diego, put égrener, durant 2t représenta- 
tions, tout le chapelet de ses vocalises. 

„■ .....Coo'^lc 



1351 22a 

■ Parmi les ouvrages de l'uacien répertoire, il en est 
peu qui aient réuni et réunissent encore plus que 
Josephles suffrages des artistes et des critiques; que 
l'on tienne pour la musique du passé ou pour celle de: 
l'avenir, on s'incline avec respect devant le ctief- 
d'œuvre de Méhul, et on oublie, en l'écoutant,, le 
grand âge auquel il est parvenu. Malgré ses beaulé^ 
l'Opéra- Comique l'avait cependant fort négligé; de- 
puis l'ouverture de la seconde. salle Favan il n'avait 
plus reparu, et ce fut presque une surprise lorsiju'en 
r850 on le revit au Conservatoire avec les élèves pour 
interprètes. Le succès de cette tentative décida M. Per- 
rin à lui rouvrir les portes de son théâtre. Les rôles 
furent confi^ïs à des artistes pleins de zèle : le jeune 
Delaunay-Ricquier, récemment engagé (Joseph)-, Bus- 
sine (Jacob), Couderc, puis Duvernoy (Siméon), et 
M"° Lefebvre (Benjamin). De brillants décors furent 
brossés. Enfin la partition ne reçut aucune des re- 
touches qu'on avait imposées à. Richard Cœur de Lion 
etàCami7/e; on respectajusqu'audialogue d'Alexandre 
Duval, et Siméon put continuer à dire sérieusement 
des phrases comme eelles-ci : «Je me promenais dans 
une vaste çïa.iae dont l'étendue se perd dans V horizons, 
ou bien encore : a Mon âme est noyée comme une merlu 
Mais la richesse des mélodies faisait oublier la bizar- 
rerie de la prose, et l'on vint avec empressement pour 
assister à cette reprise du tl septembre 1851. 

Malgré sa haute valeur, Joseph ne s'est jajnais 
maintenu longtemps de suite au répertoire; il ne 
compte que (13 représeulatioas dans la seconde salle 
Favarl, et elles se décomposent ainsi : En 1851, 37; 
en 1852-, 16; en 1866, i« ; en 1867,. 1; en 3882, 19; en. 
1883, 5; en 1886, 5; en 1887, 4. H est juste d'ajouter 
qu'entre 1852 et 1866, ce fut te Théâtre-Lyrique qui 



224 LA CONCURRENCE DU THÉATRB-LYRIQtJE 

s'en empara. Quoi qu'il eu soit, l'œuvre s'impose en- 
core, et il suffira toujours, pour la classer à son juste 
rang, de rappeler le témoignage fameux rendu par 
Richard Wagner en sa faveur ; « Je me sentis pen- 
dant un certain temps ravi dans un monde supérieur 
en faisant étudier à une petite compagnie d'opéra ce 
magnifique opéra de 'Joseph. » Soua la plume d'un 
juge sévère comme le maître, allemand, ce simple 
aveu a son importance. 

Il se fût exprimé d'autre sorte pour la Vieille, pièce 
en un acte, vieille déjà de vingt-cing ans, reprise 
le il octobre, et gratifiée de treize représentations. 
Sur les paroles de Scribe et Germain Delavigne, Fétis 
avait écrit une partition dont les petites proportions 
contrastaient avec l'importance de ses grands travaux 
de musicologie : Fequies ea certa laborum I Lemon- 
DÎer, Huet, Firmin et M"" Pradher, créateurs de la 
pièce le 14 mars 1826, avaient pour successeurs 
Ch. Ponchard, Carvalho, Lemaire et M"' Meyer, une 
des meilleures artistes de la troupe, déjà Saucée au 
baryton Meillet, qu'elle allait épouser le 4 décembre 
suivant et avec qui elle avait partagé les prix d'opéra 
et d'opéra- comique aux concours du Conservatoire 
de 1848. 

Chose curieuse, un compositeur comme Fétis ne 
semblait point, par la nature même de son talent, 
destiné aux succès populaires, et pourtant quelques 
roôlodies de la Vieille se sont bien vite envolées de 
rOpéra-Comique vers les théâtres de vaudeville. On 
a chanté un peu partout les couplets : France/ et 
ceux sur les Arts et l'Amitié. C'était le sort, et presque 
l'honneur alors de petites pièces comme la Vieille ou, 
par exemple, le Concert à la Cour, qu'on redonna le 
17 octobre de cette même année pour le début de 



1851 225 

M"* TalmoQ, une jeune élève de M" Damoreau, sor- 
tie récemment du Conservatoire où elle avait rem- 
porté, S0U3 le nom de Tillemont, un premier prix de 
chant. 

Au contraire, il ne paraît pas que rien soit resté du 
dernier ouvrage représenté en l'année 1851, le Château 
de la Barbe-Bleue, opéra-comique en trois actes, pa- 
roles de de Saint-Georges, musique de M.Limnander. 
La partition était compacte, et pouvait s'imposer par 
la masse, puisque le deuxième acte renfermait à lui . 
seul douze morceaux, juste le chiffre dont se conten- 
tait Auber pour des pièces comme le Duc d'Olonne, 
Aussi avait-elle coûté au théâtre trois soirées de re- 
lâche, c'est-à-dire de répétitions générales, les 20, 27 et 
29 novembre. L'inspiration était rare, la gaieté un peu 
lourde, et déjà l'on y signalait l'ahus des « calculs 
harmoniques et les bruyants effets d'une foudroyante 
instrumentation », reproche qui nous fait sourire au- 
jourd'hui, car, depuis, nos oreilles en ont subi bien 
d'autres. Le titre seul du nouvel ouvrage promettait 
quelque chose... qu'on ne vit point. Il s'agissait d'une 
nièce de Jacques II, roi d'Angleterre détrôné, habi- 
tant près de Madras un château mystérieux; on lui 
faisait la triste réputation de traiter ses époux comme 
Marguerite de Bourgogne ses amoureux; mais elle 
laissait dire pour mieux préparer dans l'omhre son 
débarquement en Europe et la restauration de son 
oncle ! Car depuis longtemps, constatait un critique, 
« M. Scribe aidant, l'Opéra-Comique vit surtout de 
restaurations. » 

On aurait pu dire pareille chose de la France elle- 
même, puisque le Château de la Barbe-Bleue fut donné 
le 1" décembre 1851 , la veille du jour où le coup d'État 
allait ramener sur le troue une dynastie. 

13. 



226 L4 CONCURRENCE DH THÉÂTRE-LYRIQUE 

- G«tte coïncidence a'était pas pour favoriser le sau- 
cés de la nouvelle œuvre qui disparut au bout de 
2S rcprésentatioDS interrompues le 3 et le 4 décemlwe 
par deui jours de relâche. Ou était plus occupé de 
politique que de musique. 

Gr&ce à Tbabileté du directeur, l'année 1831 ne 
s'en soldait pas moins par une recette totale de 
924,613 fr. 90 c. Les nouveautés pourtant n'avaient 
été ni QOmbreuses, ni heureuses : deux pièces en 
trois actes, Raymond et le Château de la Barbe-Bleue; 
deux pièces en un acte, la Séraphina et Bonsoir, Mon- 
sieur Parttalon; cette dernière pouvait seule pré- 
tendre à la palme du succès. Les reprises l'empM- 
talent par la qualité et par la quantité : te Calife de 
Bagdad, le Tableau parlant, le Fidèle Berger, la Vieilla, 
le Concert à la Cour, et surtout Joseph. En revanche, 
deux ouvrages anciens avaient disparu déânitivement 
de l'af&che : l'Amant jaioxtx et Une Heure de mariage. 
Quant au personnel, il n'avait pas subi encore de très 
importantes modiâcatioos ; il s'était accru toutefois 
de six artistes : M"* Anna Lemaire, qui veuait du 
Conservatoire, où elle avait obtenu en 1849 les pre- 
nùei-s prix de chant et d'opéra-comique, en 1850 le 
premier prix d'opéra, et qui débuta le 7 janvier dans 
le rôle d'Angèle du Domino noir; M"' Pelit-Brière, 
qui avait quitté l'Opéra, et débuta le 8 juin dans le 
rôle d'Anna de la Dame-bloTiche ; Delaunay-Ricquier, 
ténor qui sortait du Conaervatoire, où il avait obtenu- 
eu 1850 le premier prix d'opéra-comlque , et qui dé- 
buta dans le rôle d'Isaoun du Calife de Bagdad; Cou- 
lou, basse-taille, qui arrivait de Strasbourg, après 
avoir appartenu au Conservatoire et commencé la car- 
rière de province, et qui débuta dans le rôle d'Atal- 
muck de la Fée aux Rotes; U."* Talmon, dont bous 



185Ï 237 

avoDS parlé à propos du Concert à la Cour; Dufresne, 
ténor, qui, en sortant du Conservatoire, était entré à 
l'Opéra, puia avait chaulé à Lyon, et qui débuta le 
t" décembre dans le rôle de Giastoo du Château delœ 
Barbe-Bteue. Celte aimée, comme la précédente, 
M"' Ugalde restait la grande étoile de la troupe : 
pièces anciennes on modernes, tout coareuait à sou 
talent souple et varié. Tandis que M°" Cruvelli s'es- 
sayait au Théâtre-Italien dans la Fille du Régrimant, 
elle aussi abordait ce même rôle de Marie, et s'y 
montrait particulièrement touchante. Un témoin ra- 
conte que « dans les passages de sentiment, la char- 
mante cantatrice ne pouvait retenir ses larmes», et 
tous les spectateurs alors devaient suivre son exemple. 

Quelqae trente ans plus tard, une autre Ugalde 
paraissait dans l'ouvrage de Dooizetti pour y faire 
9es débuts. Qui sait alors si dans quelque coin dei 
loge la diva n'a pas pleuré en voyant le public ap- 
plaudir la diuetiei' Une vision légère a dû passer de- 
vant ses yeux : te souvenir de sa jeunesse et de son 
talent ! 

La prospérité finaneière de l'Opéra- Camique ne 
pouvait manquer de valoir une ré«ompens« spéciale 
à celui qui, par son intelligence et son goût,, «u a^ait 
fait un des théâtres les plus artistiques da Paris. Le 
21 janvier 1852, en effet, M. Emile Perrin fut nommé 
chevalier de la Légion d'honneur; un souper avait 
réuni sur la scène, après le spectacle, lu personnel, 
gui s'était cotisé pour offrir une croix au héros de la 
fête ; MockeF, en qualité de régisseur, porta un toast ; 
Lemairs lut des vers de circonstance ; le directeur 
remercia en termes émus, comme il convient en ces 
sortes de circomstances, et tout finit, suivant l'usage, 
par un bal soi-disant improvisé. Quelque temps 



238 LA. CONCURBBKCB DU TBâ&TRB-LYBIQUB 

avant de recevoir celle dîstinctiOQ, M. Emile Perrin 
avait obtenu un avantage qui lui assurait, outre l'hon- 
neur, le profit. Son privilège d'eiploitation devait 
expirer le )" mai 1853 ; un décret du ministre de l'in- 
térieur, rendu le 24 avril 1851, sur l'avis unanime de 
la commission des théâtres, l'avait prolongé pour dix 
années, à compter du l"" mai 1851. 

Assuré d'avoir ainsi du temps devant lui. il conti- 
nua de pratiquer, avec la même constance, le sys- 
tème qui lui avait réusai jusqu'alors : varier le réper- 
toire en assurant le succès des reprises par le choix 
des artistes, et renouveler la troupe en y ajoutant 
l'utile appoint de recrues brillantes. 

C'est avec une reprise et un début que s'inaugure 
justement l'année 1852; Nina ou îa Folle par amour, 
de Dalayrac, fut donnée le 5 janvier, avec M"° Andréa 
Favel dans le principal rôle, une nouvelle venue qui 
se ât bientôt une place distinguée dans la troupe de 
la aalle Pavart et devait un jour porter le nom d'un 
artiste de talent, le compositeur Louis Lacombe. On 
sait que le libretto de MarsoUier des Vivetières sédui- 
sit Paisiello, qui en refit la musique ; de sorte qu'à un 
an de distance, le compositeur français et le compo- 
siteur italien purent se mesurer (mai 1786 — mai 1787). 
Jadis on se prononçait en faveur de l'un ou de 
l'autre, suivant qu'on tenait pour l'une ou l'autre 
école; aujourd'hui les deux partitions sont également 
oubliées. Malgré le succès personnel de la débutante 
qui avait remporté le second prix d'opéra-comique au 
concours de 1851, Nina disparut après 18 représenta- 
tions. Respectueux du passé, le directeur avait joué 
la pièce telle qu'elle était écrite, et le dialogue avait 
paru quelque peu suranné. D'autre part, on avait cri- 
tiqué les rentoilages auxquels précédemment on 



1852 229 

s'était livré : ce qui prouve une fois de plus qu'en 
pareil cas, il est dîfQcile de contenter tout le monde. 
Le temps était venu d'ailleurs où le charme des mé- 
lodies naïves de Dalayrac allait cesser d'agir sur le 
public parisien. Trois mois plus tard, on remettait à 
la scène Adolphe et Clara, qu'on négligeait depuis 
trois ans. Avec un total de 22 représentations, la pièce 
disparut au bout de deux années, ainsi, d'ailleurs, 
qu'un autre ouvrage dumôme auteur, Maisonàvendre, 
et celte fois sans retour. Le nom de Dalayrac n'a plus 
brillé depuis sur l'affiche de la salle Favart qu'en 1861, 
avec Deux Mots ou Unn Nuit dans la Forêt, ouvrage 
en un acte où se rencontrele prototype du personnage 
de Pénella. 

La première nouveauté de L'année fut un opéra-co- 
mique en trois actes, ie Carillonneur de Bruges, 
paroles de Saint-Georges musique de Grisar, repré- 
senté le 20 février. Est-ce là que les auteurs de 
Patrie ont puisé pour créer leur ligure sympathique 
du sonneur de cloches ? Le fait est qu'on y rencontre 
sous les iraits de Matheus (c'était le titre provisoire 
de l'ouvrage), un patriote fiamand, ■ sorte de Quasi- 
modo» qui déteste le joug de l'Espagnol vainqueur, et 
chante gaiement ses « Cloches gentilles », que sa sur- 
dité ne lui permet plus d'entendre. Battaille jouait ce 
.rôle avec originalité, et ses partenaires, Boulo, 
Sainte-Foy, Ricquier, M"" Rôvilly, Miolan et Wer- 
theimber, lui donnaient vaillamment la réplique. 
Celte dernière débutait et s'imposait à l'avance par 
l'importance de ses succès au Conservatoire : lors des 
concours de 1851, elle avait obtenu, en effet, les trois 
premiers prix de chant, d'opéra et d'opéra-comique. 
A la suite d'une légère indisposition, elle dut se faire 
remplacer, et l'on ne vit pas sans quelque étonne- 



230 LA CONCURRENCE DU THÉATRE-LYHIQUE 

meot celle qui se préseotaiL pour recueillir eette suc- 
cession ; c'était Mademoiselle Darcier, qui, mariée, 
nous l'avons dit, et retirée du théâtre-, avait sans 
âûutc (a nostalgie des planches et revenait sous le 
nom de Madame Darcier. Ce mâme rdle de Béatris 
devait encore, dans la Toême année, trouver une troi- 
sièiBe interprèle en lapersonne de M"* MeiUet-Ueycr. 
Malgré la valeur des artistes, malgré l'attrait de la 
mise en scène, le Carillonneur de Bruges ne se mainticit 
pas au delà de sept mois, fournissant un total de 40 
lepré^en talions, que nulle reprise depuis n'est venue 
grossir. Bien à l'aise dans les ouvrages franchement 
gais, lestes et pimpants, Albert Grisar semblait gêné 
quand il s'agissait d'aborder le style dramatique;, en 
essayant d'élever le ton, il perdait une partie de son 
originaJité, et l'imitation des procédés d'autrui éga- 
rait son inspiration plus qu'elle ne la soutenait. 

Lu 19 mars suivant on représentait le Farfadet^ 
d'Adam, répété d'abord sous le titre du Lv.tin. Là, du 
moins, le librettiste Planard avait taillé son poème en 
tenant compte de la nature et des qualités du compo- 
siteur. Ce petit acte était une aimable fautaisie oii sa 
verve pouvait se donner carrière. Le quiproquo da 
personnage qui se fait passer ou veut se faire passer 
pour UQ. fantâme aân de réussir en ses équipées 
amoureuses n'avait pas le mérite de la nouveauté ; 
mais Adam y avait ajouté celui de son. esprit, et l'on 
an pourrait citer comme exemple la scène où le farfa- 
det, enfermé dans un sac à farine, apparat toat à 
ctKLp comme la statue du Commandeur, tandis que 
l'orchestre, proâtant de la ressemblance, s''emp&re de 
cette phrase de Don Juan., en bouleverse le rytkmft^ 
la revêt ironiquement d'haimonies étranges. Biea 
joué à l'origine par Jourdan, Bassine, Lemair^ 



1852 231 

M"*» Lemereieret Talmon, le Farfadet obtînt 43 re- 
présentatioas ea trois ans ; mais la fortune ne devait 
pas le confiner entre les murs de la salle Favart. On 
r» revu plus tard au théâtre des Fantaisies-Pari- 
sieDDes, puis au théâtre de la Gaîté, sooa la directioB 
Martinet et Husson, au théâtre du Ghâteau-â'Eau en 
1882, enfin, tout récemmeDC, au concert de Is Cigale. 
Après le Farfadet, Madelon; après Madelon, Gala» 
thée : c'est-à-dire une suite d'œuvres de petites di- 
mensions, qui, réunies, composaient un spectacle et, 
séparées, roaroissaieut à la pièce priocipale un Lever 
de rideau. On admettait alors la a>ultip!icité des noms 
sur l'affiche, et il fallait que l'ouvrage fût bien- im- 
portant, très couru et encore dans sa nouveauté, 
pour qu'un autre ne lui fût pas associé. C'est un 
usage qui remonte au dix-huitième siècle, et dans ua 
almaaach paru en 1751 sous le titre de Calendriar 
historique des théâtres de l'Opéra et des Comédies fran- 
çaise; italienne, et des foires, nous trouvons à ce sujet 
un renseignement curieux. Ilparaît quejusqu'en 1122 
l'usage était de donner seules les pièces nouvelles; 
c'est seulement au bout de huit ou dii représenta- 
tions, suivant le succès, qu'on recourait à une adjonc- 
tion, regardée d'ailleurs comme un signe de la baisse 
des recettes. Pour éviter ce fâcheux effet, La Motte, 
l'auteur d'Jnès de Castro, « eut le courage de faire 
donner uae petite pièce le iour même où sa tragédie 
deRomuIus était représentée pour la première fois. 
Tous ses confrères suivirent son exemple, qu'ils troio- 
vèreut boiD, et, pendant de longues années, il n'y fut 
pas dérogé. Idais depuis quelque temps, ajoute le 
rédacteur du Calendrier, l'usage primitif a repris so& 
empire, et trop souvent la lougueur démesurée des 
ouvrages le perpétue au delà âe tonte Eaison. » De nos 



232 LA CONCORREN'CE DU THÉATRE-LYBIQUB 

jours, il serait aisé de démontrer le tort que fait aux 
auteurs et au publicla suppression de ce qu'on appelait 
les « spectacles coupés ». Le public y a perdu un élé- 
ment de variété qui devait ajouter à son plaisir; les 
auteurs y ont perdu non seulement quelques chances 
de plus d'être joués, mais encore ce goût si éminem- 
ment français de la concision au théâtre, cet art de 
proportionner le nombre des actes à l'importance du 
sujet, et de ne point délayer en cinq ce qui tiendrait 
en deu2. 

Th. Sauvage avait eu raison de ne pas dépasser ce 
dernier chiffre en écrivant le livret de Madelon, qui 
s'appelait d'abord (es Barreaux Verts, et qui mis en 
musique par Bazin fut représenté le 26 mars; ce 
tableau de genre n'en comportait pas davantage, et 
encore fallut-il, après la première, resserrer le dia- 
logue musical. Grâce à ces quelques coupures, Made- 
lon, que personniûait d'abord avec beaucoup de 
charme et d'entrain M"" Lefebvre, remplacée peu 
après, pour cause de maladie, par M'" Talmon, fut 
trouvée une cabaretiére accorte, ayant le sourire aux 
lèvres et chantant de joyeux refrains; on lui fit bon 
accueil et la pièce qu'on avait jouée 48 fois la pre- 
mière année se maintint jusqu'en 1858, où elle attei- 
gnit sa 76° et dernière représentation. 

Galathêe réussit beaucoup plus encore que Madelon. 
Ce n'est pas que le libretto de Jules Barbier et Michel 
Carré fût jugé de qualité supérieure ; on lui repro- 
chait, et ces critiques ont trouvé récemment, en la 
personne de M. Camille Beîlaigue, un fin lettré pour 
les formulera nouveau, d'être en désaccord avec la 
tradition et d'avoir ainsi perdu tout ou partie de 
sa poésie. Comme le PygmalioQ de l'antiquité, celui 
de Jean-Jacques Rousseau s'était écrié : v Que 



1852 233 

r&me faite pour animer ua tel corps doit être 
belle! i Et les librettistes teodaient à démontrer 
que cette enveloppe charmante recouvrait tous 
les vices et qu'ainsi la beauté n'était que mensonge. 
Mais la musique avait assez de grâce par elle-même 
pour triompher de ces oppositions faites au nom de 
la philosophie. Victor Massé a sa place en effet dans 
l'histoire de l'opéra-comique français; c'était un 
tempérament musical où se fondaient, en un en- 
semble heureux, la senaibilité vraie, l'émotion com- 
municative, la pensée sobre et juste, la gaité 
simple et franche. C'était une iiature, comme on dit 
volontiers aujourd'hui; beaucoup d'effets lui appar- 
tiennent qu'on a depuis attribués à tel ou tel maître, 
à Ch. Gounod, pour ne citer qu'un nomi On s'en 
aperçut clairement à l'époque où il donna Paul et 
Virginie; il semblait emprunter, alors qu'il reprenait 
simplement son bien ! 

Par un singulier hasard, il arriva que sur les 
quatre rôles de la pièce trois faillirent changer ou 
changèrent de titulaires presque au lendemain de la 
première. D'abord, M"" Ûgalde dut interrompre ses 
représentations pour raisou de santé; puis, Mocker 
quittant le théâtre, laissa son rôle de Ganymëde à 
Delaunay-Ricquieret les fonctions de régisseur géné- 
ral de l'Opéra-Comique à son camarade Duvernoy 
(15 mai); enfin M"* Werlbeimber, qui avait créé le 
personnage de Pygmalion, primitivement destiné à 
Batlaille, se vit remplacée à son tour par un débutant 
dont le nom sulfit à rappeler la fortune, Faure; seul, 
le banquier Midas, représenté par 8ainte-Poy, était 
resté, comme toujours, fidèle à son poste, et pendant 
bien des années il a continué de venir acheter au 
sculpteur amoureux sa belle statue, car Galathée n'a 



234 I^ CONCURHENCE DU THÉATHE-LVRIQUB 

presque jamais quitté le l'épertolre ; ou l'a revue eu- 
cdre à la place du Ctkâtclet, et uous avons constaté 
qu'à la salle Pavart le chiQxe de 250 représecttatloQS 
avait été dépassé. 

Malgré sa valeur et sou succès, l'œuvre eut dès 
l'origiue ses détracteurs, et, vu la signature de ses 
auteurs, il est piquant de rappeler aujourd'hui cer- 
taine appréciation extraite des a Mystères des théâtres 
en i852 », ouvrage devenu fort rare et publia pan les 
frères de Goncourt et Cornélius WoLff. Voiei le pas- 
sage, dans toute sa oâïveté : « Notre collaborateur 
Cornélius WolEf estmâlade en soirtant de la première 
représeetatioB de Gaiaihés, La couttactioa musculaire 
qu'il s'était iiDposéepourn)epasbâi!ler lui a doELnéuue 
névralgie qoi le fait beaucoup' souffrir.» Et c'est tant I 

Après la série des nouveautés, voici Tenir toute 
une suite de reprises : le 23, avril, lai Perruche.; 1« 
7 mai, les Voiiures versées; le 28 mai, CIrata; le 
30 juio, Aclèan; le 5 juillet, la Sirène. 

La Perruche, où Couderc succédait à GlioUet, de- 
vait être jouéti 19 fois, et ne plus revenir qu'en 1860 
poui' disparaiti'e l'aDaëe suivante, et déQaitivemeat. . 
Les Voilures versées, qui dataient de 1820, ne s'étaLeat 
pas montrées encore à la salie Favart et divertirent 
le public presque autant qu'à l'origiuef puisqu'elles 
se mainlinreab quatre années de suite aa répertoire, 
sans parler de la dernière reprise, qui eut lieu en 1868. 
Ces deux petits actes comptent d'aiUeurs parmi les 
plus jolis qu'ait écrits Boieldieu, et le librett© mâme 
de Dupaty ne manque pas d'originalité avec son hé- 
ros faisant disposer les abords de sa propriété, située 
sur la grande route, de façon que la diligence lui 
verse les convives dont sou liumâur a besoin. Les 
deux rôles d'hommes y étaient teiuis par Bnssine et 



185i 23& 

Sainte-Foy, les deux rôles de femme par M"" Farel 
et Miolan. 

h'Irato, lui aussi, obtint un succès honorable, soit 
29 représentations ea deux ans, et servit au début 
d'un baryton, Meillet, ancien élève du Conservatoire 
qui depuis s'était produit, non sans éclat, au Théâtre- 
Lyrique, alors Opéra-National. L'histoire de r.et 
ouvrage est trop connue pour qu'il soit nécessaire de 
la rappeler. Disons seulement qu'il occupe en somme, 
dans l'ancien répertoire, une place musicale analogue 
à celle du Cald dans le nouveau. Méhul et Ambroise 
Thomas, musiciens sérieux, ont eu leur jour de 
bonne humeur ; ils ont voulu plaisanter L'école ita- 
lienne, et ils ont fait une œuvre qui tient tout à la 
fois de l'imitation et de la parodie. Ajoutons que 
l'Irato n'a plus été revu à Paris qu'une fois, en' 1868, 
au Théâtre-Lyrique ; mais il y fit triste figure. Albert 
de Lasalle nous apprend que les acteurs le jouèrent 
« trop lugubrement, n Quoi qu'il en soit, la chute fut 
lourde, et la pièce ne s'en releva plus. 

La reprise d'Actéon fot la dernière qui se produisit 
à la salle Favart ; après 29 représentations en deux 
ans, ce petit acte, né ea 1836 de l'heureuse collabo- 
ration de Scribe et Auber, disparut définitivement : 
il avait servi du moins à assurer le succès personnel 
de Jourdan, Coulon, M"" Révilly, Décrois et surtout 
deM"° Miolan, qui tendait de plus en plus à occuper 
alors la première place parmi les cantatrices du 
théâtre. La reprise de la Sirène, quelques jours plus 
tard, ne fit qu'ajouter à la notoriété de la jeune can- 
tatrice; à côté de Boulo(Seopetto), Ricquier (Popoli), 
Jourdan (Scipion) Nalban [Bolbaya), M"" Miolan sut 
faire preuve d'une virtuosité qui ne le cédait en rien 
à celle de la créatrice du rôle, W* Lavoye, et l'on ne- 



236 LA CONCUBRBNCB DU THÉATnE-LÏHIQUE 

comprit pas pour quelle cause elle ne parut qu'une 
fois dans cette pièce, dont le succès alors était loin 
d'être épuisé, puisque nous la retrouverons encore à 
' la salle Favart. 

La série des reprises était close pour l'anuée ; celle 
des, nouveautés comprenait encore cinq ouvrages, 
dont trois devaient fournir une carrière pour le moins 
hoDOrable. Parmi ces trois privilégiés ne figure, point 
là Croix de Marie, opéra -comique en trois actes, pa- 
roles de MM. Lockroy et Dennery, musique d'Aimé 
Maillart, représenté le 19 juillet. On ne savait trop 
comment baptiser l'œuvre, puisqu'on l'appela tour à 
tour aux répétitions le Baiser de la Vierge et la Vierge 
de Kerno; on ne sut jamais mieux eu définir le carac- 
tère littéraire et musical ; le poème semblait empreint 
d'un mysticisme assez sombre, qui seyait mal au 
cadre de l'Opéra-Comique ; la musique reflétait des 
iullueDces diverses qui en compromettaient l'ordon- 
nance générale et en faisaient paraître le style « tour- 
menté », nous apprend un contemporain. Dans ce 
doute, le public s'abstint, et son iDdifférencene permit 
pas aux teprésentatioDS de dépasser le chiffre de 28. 

Les Deux Jaket, d'abord appelés Lucj/, furent plus 
heureux; venus au monde le 12 août, ils ne se main- 
tinrent pas moins de trois années au répertoire; 
c'était plus qu'on n'en pouvait attendre de cet acte 
sans prétention, dont Planard avait écrit les paroles 
et Justin Cadaux la musique. Huit années auparavant 
ces deux auteurs avaient donné les Deux Gentils- 
hommes ; ils àoaaai&at aujourd'hui îesDeux Jahel; on 
voit qu'ils avaient l'habitude de procéder par paire. 
Quant à ce dernier titre, un peu énigmatique, disons, 
pour satisfaire une curiosité légitime, qu'il s'agit 
d'un nom propre, que Jaket ne désigne pas plus un 



1852 237 

jeu qu'un habit, et qu'en somme les Deux Jaket se ré- 
duisaient à uu seul, matelot de son état, hounâte 
homme et Ûancé timide, revenant en Hollande où, 
victime d'un quiproquo, il est pris pour un homo- 
nyine, marin aussi, mais autrefois amateur de beau 
sexe et mort depuis daus un naufrage. 

Tout finissait d'ailleurs le plus moralement du 
monde, comme dans l'opéra-comique en trois actes, 
de Sauvage pour les paroles, de Reber pour la mu- 
sique, intitulé le Père Gaillard et représenté le 7 sep- 
temble. C'est un petit drame intime où Francine, 
l'honnête femme, doit se justifier des soupçons que 
fait naître en son mari un héritage brusquement 
tombé dans la maison; le désappointement des pa- 
rents qui convoitaient la somme et se prétendent 
frustrés, forme un puissant contraste avec l'émotion 
de Gaillard, cabaretier-poète, menant de front le 
commerce et les vers, ami fidèle et protecteur des 
amoureux, comme un autre Hans Sachs. Cet heureux 
mélange de situations touchantes et honnêtement 
gaies donnait à l'œuvre l'allure d'un véritable opéra- 
teur, tel qu'on l'eût compris au temps de Dalayrac et 
de Grétry. La partition de Reber pouvait entretenir 
encore celte illusion; supérieure au précédent ou- 
vrage des mêmes auteurs, la Nuit de Noël, elle conte- 
nait plus d'une page expressive et bien venue; le 
charme de la mélodie, le souci de la facture, la dé- 
licatesse des harmonies, la sobriété des effets, la 
simplicité des moyens employés, voilà quelques-unes 
des qualités dont le compositeur ne manquait jamais 
de faire preuve dans sa musique de chambre ou de 
théâtre. Et cependant le Père Gaillard n'a jamais été 
repris I Bien chantée par Battaille, auquel succéda 
Bussine, et par M"' Andréa Favel remplaçant bâti- 



238 LA CONCURRBMCB DU THÉATRE-LYfilQDE 

vement aa dernier moment M"' Darcier, qui voulut 
renoncer alors non seulemeat au rôle mais au théâtre 
de rOpéra-Gomique, où sa réapparition n'avùl pas 
duré une année, la pièce eut contre elle cette mau- 
Taise chance de venir après Si j'étais roi, un des plus 
grands succès du Théâtre-Lyrique, et disparut des aM- 
ches après y avoir âguré 75' fois en trois années. 

Une carrière, relativement aussi longue, ne devait 
pas être fournie par les Mystères d'Udolphe, trois 
actes de Scrilie, Germain Delà vigne et Clapisson, qui 
furent donnés pour la première fois le 4 novembre. 
Le poème, assez obscur en son intrigue, avait une 
couleui- sombre gui s'alliait mal aux procédés clairs 
et limpides du musicien ; bref, les Mystères d'Udol 
phe sombrèrent à la sixième soirée. 

Jtforoo Spada eut, ie 21 décembre, un sort plus bril- 
lant ; c'était la rentrée à l'Opéra-Comiqued'un maître 
qui depuis quelques aimées semblait se laisser attirer 
par l'Opéra, et 78 représentations payèrent sa bien- 
venue. Il appartenait à ceux qui jadis avaient montré, 
sous les traits de Fra Diavolo, le brigand .italien 
amoureux et galant, de le présenter avec Marco Spada 
comme un bon père de famille ; Scribe et Auber 
firent de leur héros le modèle des vertus domes- 
tiques ; et l'on jugera de fa délicatesse de ses senti- 
ments à ce seul fait que, frappé mortellement par la 
balle d'un carabinier, il tombe en reniant sa fille qu'il 
adore, pour ne pas lui laisser un nom trop compro- 
mis I La partition ne compte pas parmi les meilleures 
d'Auber, et cependant il faut constater que nulle ne 
reçut un plus favorable accueil entre Haydée et ie 
Premier Jour de bonheur, -soit en l'espace de vijQ^ 
années. Ce qu'il y eut peut-être de plus intéressant 
dans cette première représentation, ce fut le début 



18J2 23S 

d'uoe jeune cantatrice, portant un nom déjà célèbre 
au théâtre, pleine de talent elle-même, et devam 
marquer son passage à la salle Favart par quelques 
créatiGna importantes, M"° Ciaroline Duprez, 

Cette acquisition, jointe à celle de W Bélia, ■qui 
débuta le 31 décembre d^na le rôle de Madelon de la 
pièce dece nom, compensait dansune certaine mesure, 
outre la perte de M"" Dircîer, partie, cette fois pour 
toujours, noasravoiisditgCeJJfede M^'A^ana Lemaii^, 
engagée à Bruxelles, •et de M"» Pelit-Brière, retour- 
nant au Théâtre-Lyrique, où elle avait fait ses pi*- 
œières armes sous la direction d'Adolphe Adam. De 
même, du >côté des ,bommes, le regret que deTait 
causer le départ d'Audran, engagé à Marseille, d'Her- 
munn-Léon et de Al^cJoir, argajiisant des toarnées 
en provinoe et à rétranger, létait atténué par l'arrivée 
d'ua jeune Liryton, élève de. Ponchard, qui, aux 
dernieirs concoairs du Conservatoire, avait remporté, 
à l'ouanimilé, le premier ^rix de chant et le premier 
prix d'opéra-cooiiique. F«Tji>e débuta le 2Q octobre, 
nous l'avons dît, dans le irôle de Pygmaliou, de Gala- 
thée, .puis dans celui du tantbour-major du Caïd; et, 
du premier coup, il fut aisé de comprendre qu'an se 
trouvait en préseace d'un artiste de premier ordre. 
Dans un journal du temps, nous avoue retrouvé -ce 
JugemeoDt porté sur le nouveau v«bu : « Il possède 
uoe belle et haniK voix qu'il conduit avec art, avec 
' goût; il est eJEcellent musicLen, blem fait de sa per- 
soB'Ue, comédien autant qu'an peut l'être à isou 4ge 
et à son début 11 a donc réussi autant que possible ; 
il a été apjdaudi, rappelé. Ses amis u'om plus qu'une 
chose à lui souhaiter, c'est de rester ce qu'il est, c'est- 
^dire modeste, et de ne pas se croire un grand 
jKunme parce qu'il a bien joué et bien chanté un rôle 



340 1^ CONCURRENCE DD THÉATRB-LYRIQUE 

d'opéra. » Celui dont on parlait ainsi devait, comme 
Roger, appartenir à nos deux grands théâtres de 

musique et y occuper la première place. 

Tandis que la troupe se modi&ait ainsi, la salle 
Pavart subissait quelques changements dignes d'être 
rappelés, La place sur laquelle elle était bâtie s'était 
de tout temps appelée, en souvenir de ses premiers 
occupants, place des Italiens. Par décret du 13 avril, 
le nom de place Boieldieu fut substitué à l'ancieD ; 
on avait un instant pensé à Nicolo; mais quelques 
protestations surgirent dans la presse, et l'auteur de 
Joconde dut céder le pas, c'était justice, à l'auteur de 
la Dame blanche. Puis, le 2 décembre, les théâtres 
reprirent la dénomination qu'ils avaient sous le pre- 
mier Empire, et l'on vit de nouveau briller en lettres 
d'or sur le monument : Théâtre Impérial de l'Opéra- 
Comique. EnQn, par une attention délicate du minis- 
tère des Beaux-Arts, quatorze bustes en marbre 
furent commandés à divers artistes aûn d'orner le 
foyer; savoir : huit pour les musiciens: Monsigny, 
Grétry, Dalayrac, Méhul, Berton, Boieldieu, Nicolo, 
Herold ; six pour les auteurs dramatiques : Pavart, 
Sedaine, Marmontel, Marsollier, Saint-Just, Etienne. 

Entre temps, à la date du 16 novembre, une repré- 
sentation extraordinaire avait eu lieu pour célébrer 
solennellementla réunion du Louvre et des Tuileries, 
et le Prince-Président y assista. Le Domino noir fut 
donné avec Ponchard, Duvernoy, Nathan, M"" Blan- 
chard, Félix, Décrois, Révilly, dans les rôles secon- 
daires, Couderc, dans le rôle d'Horace qu'il avait 
créé, et M""" Ugalde dans celui qui avait servi à ses 
débuts. Au second acte, un pas de ballet fut dansé 
par M"" Priora, Malhilde et Louise Marquei, venues 
de l'Opéra. Endn, entre le deuxième et le troisième 



1852 241 

acte, une sorte de cantate fut exécutée, dont Méry 
avait écrit lea paroles et Adolphe Adam la musique. 
Dans cette scène, intitulée la FSte des Arts, chants de 
l'Avenir, figuraient quatre personnages: la Musique, 
représentée par M"' Ugalde ; la Poésie, par M^"' Le- 
febvre; la Sculpture, par M"' Wertheimber, et, sous 
les traits de Battaille, un Africain, venu d'Algérie 
pour chanter ce couple t. bizarre : 

Entre les cités la première, 
Paris aux rayons êclatauts. 
Nous veaoDS chercher ta lumière, 
Eteinte cbei nous par le temps. 
Sur DOS moDts, comme l'aigle antique. 
Ton aigle trouve un libre accès ; 
La vapeur, sur la mer d'Afrique, 
Est an pont sur le lac français! 

11 faut avoir la mélodie facile pour se sentir inspiré 
par une telle poésie. Plus loin, d'ailleurs, l'aimable 
compositeur avait fait appel à ses souvenirs, et par 
une flatteuse attention pour l'élu du peuple, il avait 
eu soin de placer l'air de la reine Hortense sous ces 
autres vers nou moins dignes de remarque : 

De sa mère cliérie 

11 se souvient toujours, 

France, ù toi. Pairie 

Des beaux-arts, des amours! 

Son cceur reconnaissant : 

La lyre d'une mère 

Le berçait en naissant! 

Après ce couplet, reçu avec transports, dit un jour- 
nal de l'époque, a la toile du fond s'est relevée, sou- 
tenue par deux génies, et le Louvre réuni aux Tui- 
leries s'est présenté aux regards, en môme temps que 
14 



,X">()0>^lc 



•242 LA CONCURRENCE DU THÉATRE-LTRIQUE 

l'OB voyait descendre deux autres géniee portant «De 
ootirsnne impériale et que tous les artistes, qui rem- 
plissaient le devant de la «cène, dans les oostunses 
les plus T-ariés, agitaient des palmes veEB la logt du 
prince et entonDaleo't le chœur ânai. » Quelques 
jours plus tard, les gasettes enregistraient la liste 
curieuse des cadeaux distribués à cette occasion ; 
MM. Emile Perrin, Méry, Ad. Adam, BaUaUle re*»- 
vaient chacun une tabatière enrichie de diamants, 
M"" Ugalde une broche montée en diamants et en 
pierres précieuses. M"* Wertheimber un bracelet en 
diamants, M"' Lefebvre un bracelet en émeraudes. 

La cantate d'Adolphe Adam était venue s'ajouter 
aux neuf ouvrages nouveaux donnés pendant l'année 
1852, dont cinq eu trois actes, deux en deux, et deux 
en un, soit en tout vingt-un actes, tandis qoe l'année 
précédente n'avait vu naître que quatre pièces nou- 
velles comprenant huit actes. Il y avait donc supério- 
rité au point de vue de la production, mais il y eut 
infériorité au point de vue des recettes. 1851 avait 
donné 924,613 fr. 90 c. 1852 donna 894,^99 fr. 47 c. 
C'est que le gros succès de l'année musicale, Si j'é- 
tais Roil ne s'était pas produit à l'Opéra-Comique ; à 
cette différence de 30,000 francs on mesurait donc le 
tort matériel que pouvait faire à la salle Favart cette 
rude concurrence du Théâtre-Lyrique. 

A la différence de nombreux directeurs, dont les 
noms importent peu, M. Perrin aimait les jeunes;. 
il ne craignait pas d'accueillir les débutants, et il le 
prouva, par exemple, en montant le Miroir (19 janvier 
1853), Ce petit acte de Bayard et d'Avrigny ofFraiit au 
musicien, M. Gastinèl, pi-ix de Rome e>ii 1S46, une 
suite de scènes plus favorables aux 'Ooupldts qu'aiii 
«cènes dramatiques ; c'était de la magie, si l'on veut, 



1853 24Ï 

mais de la magie à l'eau de rose, où les sorciers n'ont 
rien d'effrayant, où le miroir n'est ponr ainsi dire 
qu'un piège à alouettes, destiné à prendre les amou- 
reux. Parmi les morceaux, plusieurs étaient agréa- 
blement tournés, quoiqu'un critique du temps y eût 
relevé « un orchestre trop bruyant et une facture un 
peu préleDtieose. i Mais quel débutant n'a jamais 
encouru de tels reproches! Certes M. Gastinel eût dû 
y être exposé moins qu'un autre I Personne, en tout 
cas, ne se trouva pour adresser cette critique à Adam 
quand il donna quinze jours plus tard sa spirituelle 
bouffonnerie du Sourd ou Vauberge pleine. Peu de 
pièces ont subi depuis leur origine plus de change- 
ments et même plus de déméDagements. Avec ou 
sans musique, le Sourd a été entendu un peu partout ; 
partout il s'est fait bien accueillir, parce que le point 
de départ en était amusant, et que sur cetle donnée 
carnavalesque chacun, arrangeur ou interprète, pou- 
vait laisser libre cours à sa fantaisie. Tout d'abord 
en trois actes, la comédie de Deaforgea est représentée 
au thé&tre Montausier en 1790; le Gymnase se l'ap- 
proprie en 1824 et la réduit en un acte ; le Palais- 
Hoyai lui rend un second acte et la joue en V8&2. Ar- 
rivent les librettisles de Leuven et Lenglé, qui 
reconstituent les trois actes primitifs, et la musique 
d'Adam, fort appropriée aii sujet, est applaudie à 
rOpéra-Comique le 2 février 1851. Une nouvelle odys- 
sée^eommence, et l'on retrouve le^SouTd au Théâtre- 
Lyrique en 1856, aux Fantaisies-Parisiennes du 
boulevard des Italiens en 1869, à la Gaité, sous la 
direction Vizentini en 1876, jusqu'à ce qu'il revienne 
à son point de départ, l'Opéra-Comique, en 1885. 

Deux jours après la prentière représentation da 
Sourd avait lieu celle desNoces de Jeimnette, MM. Mï- 

„■ ... ,X">()0>^Ic 



244 LA CONCUÎIBBKCE DU THÉaTRB-LYRIQDK 

chel Carré et Julea Barbier avaient retrouvé la tra- 
dition de JeaD-Jacques Rousseau, de Bedaiue, et 
transporté à la scène, comme on l'écrivait, « une de 
ces idées qui sont dans la tête et le cœur de tous et 
qui, par conséquent, plaisent à tous. » Victor Massé 
avait su joindre en un heureux mélange la gaieté et 
la sensibilité. Eafin, Couderc et M'" Miolan avaient, 
comme interprètes, atteint la perfection, et l'on s'ex- 
plique que le soir de la première on ait dérogé pour 
eux à certain vieil usage. D'ordinaire en effet, c'est 
l'artiste (homme) qui a joué le principal rôle d'une 
pièce, auquel revient après le spectacle l'honneur 
d'annoncer au public le nom des auteurs. Cette fois, 
Jean et Jeannette se présentèrent ensemble, et en- 
semble ils furent acclamés, a Ils vont se marier tous 
les soirs une cinquantaine de fois au moins 1 u écrivait 
Henri Blanchard, qui se croyait généreux sans doute 
en sa prophétie. C'est par centaines de fois qu'ils se 
sont mariés et qu'ils semarient encore, à Paris comme 
en province, au théâtre comme dans les salons, et 
dans leurs mains se conserve peut-être la meilleure 
part de la renommée de Victor Massé, 

La Tonelli, représentée le 30 mars 1853, n'eut pas 
et ne pouvait avoir semblable fortune ; non point que 
le compositeur, Àmbroise Thomas, n'y eût apporté 
quelques-unes de ses qualités ; il s'était souvenu du 
Caïd, voire même de la Double Échelle, et la souplesse 
de sa principale interprète. M"* Ugalde, lui avait 
permis de broder ses plus unes vocalises pour une 
série de morceaux dont l'un même a survécu, sau* 
vant ainsi de l'oubli sinon l'œuvre, du moins son 
nom. Mais le libretto que Sauvage signa seul, bien 
qu'il eût un collaborateur, de Forges probablement, 
offrait un intérêt des plus médiocres. On y voyait 



1853 245 

une prima-donna que sa ressemblance avec une 
paysanne napolitaine exposait aux plus fâcheuses 
méprises, et la distribution des deux rôles à la même 
chanteuse n'était pas pour rendre vraisemblable 
cette histoire de ménechmes dii genre féminin. C'est 
ainsi qu'à treize ans de distance, Ambroise Thomas 
se trouva mettre à la scène l'histoire de deui artistes 
dont le nom est inscrit dans les fastes de la Comédie- 
Italienne, Carline et la Tonelli I Cette dernière eut 
même au zvni' siècle son heure de grande célébrité. 
Anna Tonelli était en effet l'héroïne du parti italien 
dans cette querelle musicale qui agita la cour et la 
ville, en mettant aux prises le coin du roi et le coin 
de ia reine; c'est elle qui interprétait /a SeruaPfldrona, 
lorsque la troupe des Bouffons vint à Paris en 1752, et 
par son succès même poussa dans une voie nouvelle 
l'opéra-comique encore à ses débuts. Voilà pourquoi, 
au lendemain de la représentation, le critique de la 
France musicale pouvait dire : « La gloriflcatioD de la 
Tonelli à la salle Favart est donc avant tout une 
œuvre de reconnaissance. » Le malheur voulut que 
cette reconnaissance fût de courte durée, comme la 
pièce elle-même. 

Un mois plus tard, le 28 avril, l'Opéra-Comique 
donnait une représentation extraordinaire au béni&ce 
de l'œuvre des secours à domicile, et profitait de la 
circonstance pour lancer deux nouveautés : fa Lettre 
au bon Dieu, deux actes de Scribe et de Courcy, mu- 
sique de M. Duprez, et VOmbre d'Argentine, un acte 
de Bayard et de Biéville, musique de Moutfort. L'é- 
preuve resta douteuse pour un ouvrage et trop cer- 
taine pour l'autre. Non que la partition du chanteur- 
compositeur fût mauvaise, au sens absolu du mot; 
elle se ressentait de l'influence italienne, et les voca- 
le 



34S L«. CONCURHENCB DC THÉATRE-LTBIQDG 

lÎBCs dont l'excelleot Duprez avait émaiUé le rôle< 
[niocipal, confié à sa ôlle, ne pouvaient dépJatre en 
un temps où l'école roasinienae était encoie dans 
toute sa vogue. MaiS'le pubUc n'était plus assez naïf 
pour écouter de saug-ftoid l'histoire d'uue paysanne 
qui, menacée de coiffer sainte Catherine, écrit au 
boa Dieu afin de lui demander ua mari, dépose la 
lettre dans le tronc des pauvres et finit par épouser 
le seigneur du pays, entre les mains duquel est 
tombée cette singulière missive. On prit la chose 
gaiement; ot Duprez ne l'entendait pas ainsi, lui 
qui avait eu l'honneur de faire jouer son premier 
opéra à Bruxelles en 1851 sous le titre de l'Abîme de 
la Maladetta, et au Orand-Opéra de Paris, en 1852, 
sous celui de Joanita. MécoBtent de voir que sa Lettre 
au Bon Dieu n'allait pas même à l'adresse du public, 
il envoya une note aux journaux après la quatrième 
représentation, pour prévenir qu'il retirait sa pièce i 
et l'on fit aussitôt comme il le désirait. 

L'Ombre d'Argentine ent un sort moins désastreux. 
Cette bouffonnerie, appartenant au genre de ilrato 
ou de l'Eau merveillevee, ressemblait fort à une con- 
trefaçon de la célèbre comédie de Montfleury, la 
Femme juge et -partie. On y voyait un marquis de 
Pierrot, plaisamment représenté par SaintQ-Foy, 
retrouvant sa femme qu'il croyait morte, et agréable- 
ment berné par elle. Pour exciter ses remords et le 
mieux torturer, la malicieuse Argentine lui appa- 
raissait en effet sous cinq figures et costumes diffé- 
rents, revêtant tour à tour, « la défroque d'une vieille, 
l'habit noir d'un clerc de tabellion, la jupe écourtée 
d'une soubrette, te voile blanc d'une ombre échappée 
au tombeau, et enfin la robe d'une mariée. » La 
variéLé de ces travestisaemeats, gaiement pturtés pac- 



1853 247 

M*° Lemercier, et l'entrain d'une musique aimable, 
avaient produit d'abord une impression favorable. La 
presse crut à an long succès: tout se borna poortaat 
à 27 représentations. 

Jusqu'alors, depuis le eommencement de l'année, 
chaque mois avait apporté ses primeurs: janvier, ie 
Miroir-; février, le Sourd et ies Noces de Jeannette; 
niars, la Tonelli ; avril, la Lettre au bon Dieu et l'Ombre 
d'Argentine; la série des reprises pouvait s'ouvrir et 
l'on vit se suivre en effet, le 26 mai, l'Épreuve villa- 
geoise, le 4 Juin, les Mousquetaires de la Reine, le 
5 juillet, Haydée, et le 23 juillet, le Déserteur. De ces 
ouvrages, un seul, celui de Grétry, présente ici quel- 
que intérêt historique. II n'avait pas été donné depuis 
1828, et, pourla circonstance, Auber avait revu e( 
corrigé l'édition ancienne. Il affectionnait particu- 
lièrement l'Épreuve villageoise, et, un jour quil assis- 
tait à une répétition, il avait constaté lui-même la 
pauvreté de certains accompagnements et proposé 
au directeur un « reotoilage; » nul ne pouvait l'exé- 
cuter avec plus de finesse et d'esprit ; aussi M. Perrio 
a'empressa-t-il d'accepter l'aubaine. Grâce à cette 
version nouvelle, comme aussi à la qualité des inter- 
prètes, Bussine et Ch. Ponchard, M"= Lefebvre et 
M"' Revilly, qui pour la première fois abordait un 
rôle de mère, l'Épreuve soutint avec succès « celle » 
du public, et fut vite acclimatée dans cette salle 
Favart où jamais encore elle n'avait paru. 

Les autres reprises n'offraient qu'un intérêt de 
distribution, car ces ouvrages ne quittaient jamais 
longtemps le répertoire. Les Mousquetaires de la Reine 
et Haydé« servirent aux débuts d'un nouveau ténor, 
Puget, qui arrivait précédé d'une certaine réputation 
conquise en proTince, et qu'on espérait voir recueillir 



248 LA CONGUnilENCE DU THÉ^TSE-LTRIOOK 

la succession de Roger, toujours vacante. A côté de 
lui nous trouvons dans l'ouvrage d'Halévy, Mocker, 
l'Olivier de la première heure, M'i' Caroline Duprez, 
qui chantait pour la première fois la partie d'Athénaïa, 
et M'" Lemercier, celle de Berthe, remplaçant ainsi 
l'une Ml" Lavoye, l'autre M"" Darcier. Quant au 
personnage de Roland, il avait été confié à M. Car- 
valho au lieu et place d'Hermann-Léon, qui, peu 
après d'ailleurs, reprit le rôle et y retrouva son suc- 
cès d'autrefois, four l'œuvre d'Auber, l'excellent 
Ricquier restait seul à son poste sous les traits de 
Domenico; tous les autres interprètes étaient nou- 
veaux : M""Lefebvre et Bélia, M. Jourdan et M. Paure, 
qui ne pouvait manquer de réaliser un remarquable 
Malipieri. Quant au Déserteur, il suffit de rappeler 
que !e rôle principal était tenu par Delaunay-Ricquer, 
et qu'au bout de quelques représentations le rôle de 
Louise, donné d'abord à M'" Révilly, tut confié à 
. M"* Favel, qui brillait pour le moins autant par son 
opulence capillaire que par le charme de sa voix, 
puisque la grave Reoue et Gazette musicale elle- 
même constatait qu'au déDouement, elle avait « dé- 
ployé dans toute sa richesse une admirable chevelure, 
dont la propriété ne saurait lui être contestée. » 

Entre toutes ces reprises, un fait important pour 
l'histoire du théâtre s'était produit ; l'Opéra-Comique 
avait émigré pour quelque temps, et la salle Pavart 
fermé ses portes le 20 juin, pour cause de réparations, 
modifications et décoration nouvelle : interrègne 
musical assez court d'ailleurs, mais que faillit pro- 
longer un accident, une explosion de gaz survenue 
au cours des travaux de réfection, le 30 juin. Après 
cinq jours de clôture, pendant lesquels on répétait 
sur la petite scène du Conservatoire, on joua du 



1853 249 

26 juin au 4 juillet à la salle Ventadour, et le 5 juillet 
on reprenait, avec Haydée, possession de la salle 
Favart remise à neuf et embellie. 

On sait que M. Perrin se plaisait à ces questions' 
d'aménagement, et il est curieux de rappeler que 
sous son administration ont été restaurées les salles 
des trois théâtres qu'il a successivement dirigés, 
l'Opéra- Comique, l'Opéra et la Comédie-Française. 
C'était la première métamorphose que subissait la 
salle Favart depuis treize ans qu'elle avait été inau- 
gurée. L'aspect général différait un peu : au lieu de 
la teinte bleutée qui dominait, on avait maintenant, 
pour les peintures, un mélange de blanc mat, rehaussé 
d'ornements dorés sur fond vert tendre, et pour les 
tentures, des rideaux de velours rouge se détachant 
sur le papier des loges d'un vert un peu plus foncé. 
Les fresques du plafond avait été nettoyées, et le 
rideau repeint se trouvait bordé d'un immense cadre 
doré, entraînant la suppression des avant-scènes du 
dernier étage, et donnant à la scène l'apparence d'un 
tableau de colossale dimension ; au sommet, un écus- 
son aux armes impériales, supporté par deux Re- 
nommées ; à terre, une toile cirée garnissant le par- 
quet de l'orchestre; pour les sièges, la couleur rouge 
exclusivement adoptée ; enûn un peu partout rappelés 
les insignes du nouveau souverain, qui vint d'ailleurs 
avec l'impératrice consacrer solennellement, par sa 
présence, la nouvelle inauguration et féliciter le 
directeur, l'architecte, M. Charpentier, et le tapissier, 
M. Winter, celui-là même qui avait déjà procédé aux 
arrangements de 1840. 

Dans cette salle remise à neuf, les deux premiers 
ouvrages montés n'eurent pas un heureux sort : 
le Nabab (1" septembre 1853), trois actes de Scribe 



25ft LA CONCURRENCE DD THÉATRE-LYIlIQnB 

et de Saint-Georges', musique d'Halévy, et Colette 
(20 octobre), trois actes de Planard, musique de Ca- 
daux. Si morale qu'elle fût, l'histoire de ce prince 
indien [le Nabab], laissant son palais de OaJcuttapour 
feïenir ourrier en Angleterre, se goêrissant par le 
travail des soucis de la fortune et troquant l'arentu- 
rière à laquelle il est dûment allié contre la jeuoe 
fille quïl épouse en justes noc«8, toute cette série 
d'aventures laissa le public indifférent ; il y retrouva, 
mais sans plaisir, un écho de ces pièces à béros bri- 
tanniques, fort en honneur à la fin du siècle dernier 
et au commencement d* celui-ci : VATtglais de Pa- 
trat, les Deux Anglaia de Merrille, et tant d'antres 
dont la fortune a été moins brillante. Un incident 
puéril contribua à détourner son attention de l'in- 
trigue imaginée par les librettistes. Au milieu d'un© 
des scènes les plus importantes, le chapeau de Cou- 
àere, malencontreusement tombé d'un guéridon, dé- 
crivit sur la scène une série de zig-zags capricieux 
ctont s'amusèrent fort les spectateurs (il n'en faut pas 
plus quand on s'ennuie) jusqu'au moment où il dis- 
parut ou faillit disparaître dans le trou du souffleur. 
Bref, si honorable que fût la musique, si remarquable 
que fût l'interprétation, confiée à des artistes comme 
Conderc,Mocker,Ponchard et Bussiae,M"'Favel, enfin 
M"*Pélix Miolan, qui depuis quelques semaines s'é- 
tait mariée et s'appelait désormais M"" Miolan-Car- 
valho, le Nabab courait à sa perte. Vainement la 
presse intéressée publiait des entrefilets où Ton ap- 
' prenait que la ■ foule continuait à être attirée et 
charmée, i et que « la salle Favart était devenue trop 
étroite pour le monde qui s'y pressait » : au bout de 
38 représentations, le Nabab tomba pour ne plus se 
reterer. 



1853 2S1 

Il en fut de même, et pis encore, poar Colette, gijî 
n'^iait point fille d'auteurs si réputés, et dut, en con- 
séqaaence, se contenter de 13 représentatioua. Cadaux 
n'avait point retrouvé la veine des Deux Gentils- 
homrojee et des Deux Jaket, de Planard, celle de Marie 
ôtduPré aux Ciercî. En cherchant bien, on pourrwt 
d^i-cber l'idée première du livret dans l'ouvrage 
bien «onnu 4' Alfred de Vigny, Servitude et Grandeur 
KiilitaireR. Il y a là, en «âet, certain épisode intituié 
Histoire de l'adjudant, où l'on reconnaît Colette sous 
le nom de Pierrette, Pierrot sous celui de Mattiurin, 
la reine Marie-ÂnioineUe à la place de la mairquise, 
et ce même Michel Sedaine, ie tailleur de pierres 
« qai taill« en même temps des pièces, du papier et 
des plumes », héros d'opéra-comique ressuscité ré- 
.cemment àlaGaîté d^ns. le Dragon de la Reine. «L'au- 
teur et le compositeur, écrivait un critique, sem- 
blaient s'être dit : Payons un large tribut aux idées 
connues, et nous réussirtuLs. i lie échouèrent, fit le 
librettiste , qui n'avait pu assister aux répétitions, sur- 
vécut peu à cet échec : de planard mourut, en effet, 
le 13 novembre, moins d'un mois après la première. 
Cependant l'année musicale 18Ei3 finit avec un suc- 
cès, iùnon très grand, du moîas plus qu'honorable, 
les Papillotes de M. Benoist (28 décembre). Sous oe 
titre bizarre, MM. Jules Barbier et Michel Carré 

. avaient mis en scène les suites romanesques d'ime 
déclaration d'amour adressée par écrit à une ingrate 
-qui s'en était fait prosaïquement des papillotes. Oe 
petit acte servait de cadre à une action dramatique 
jpeu compliquée, mais iournissant au compositeur 
iQuelques situations où la sensibilité, 1a tendresse, la 
grâce se mélangeaient heureusement ; on y relrou- 

. wa.it comme un souvenir de Rodolphe et du Bonhomme 



,,Cooi^[i: 



252 LA CONCDRRBNCE DU THÉ4TRE-LYRIQDE 

Jadis. De même, la partition gardait une saveur ar- 
chaïque, marque distinctive de Reber, ce composi- 
teur fin, délicat, savant sous l'apparence voulue de 
la simplicité, ennemi du bruit dans la musique, 
comme il le lut de toute réclame dans sa carrière. 
Ourieuï rapprochement : le même sujet, ou du moins 
un sujet très analogue devait être traité l'hiver sui- 
vant par un musicien d'un tout autre tempérament, 
M. Ernest Reyer. Ici, comme là, on voyait l'amour 
jeune triompher de l'amour plus âgé. Or, Maître 
Wolfram est revenu quelque vingt ans plus tard à la 
salle Favart. Pourquoi n'en est-il pas de môme des 
Papillotes de M. Benoist, qui ont obtenu en somme 
60 représenl allons réparties en quatre années? Peut- 
être parce qu'on n'a pas trouvé de vrais successeurs 
à M"" Carvalho, à Couderc et à Saînte-Foy surtout, 
comédien à qui tous les genres sont accessibles, 
écrivait un critique, car dans ce rôle « il se tient sur 
la limite du sentiment et du ridicule avec infiniment 
de tact ; aussi s'y fait-il aimer, autant qu'il s'y fait 
applaudir. » 

La troupe de l'Opôra-Comique était d'ailleurs, à 
cette époque, admirablement composée. Sans doute 
elle avait subi en 1853 quelques pertes; Meillet et sa 
femme, M'" Meyer, engagés au Théâtre-Lyrique; 
Boule, engagé à l'Opéra ; de môme Ooulon, qui avait 
été prêté quelque temps par M. Perrin à M. Seveste, 
et faisait ainsi double service à l'Opéra-National et 
à la salle Favart; M°" Ugalde, qui, par un caprice 
inexplicable, quitta le 19 juin la salle Favart, pour 
aller jouer les Trois Sultanes aux Variétés, mais qui 
revint d'ailleurs l'année suivante au bercail, et fit 
dans Galathée, le 23 décembre 1854, une rentrée 
triomphale; M"* Wertheimber enfin qui, par la na- 



1853 253 

ture de son talent, semblait plus propre à interpréter 
en. musique le drame que la comédie. 

Eq revanche on avait conquis, nous l'avons dit, un 
ténor, Puget, et une dugazon, M"° Zoé Belliat (dont 
le nom s'orthographia peu après Bélia). De plus, on 
pourrait signaler l'utile rentrée de serviteurs fort 
appréciés, M"" Lemercier, le 2 février, dans Pétro- 
nille du Sourd, et Mocker dans la Tonelli, Battaille 
et M"' Caroline Duprez, le 18 août, dans Marco Spada, 
Hermann-Léon, le 16 octobre, dans Roland des Mous- 
quetaires de la Reine; sans parler de M"" Oharton- 
Demeur, qui, de passage à Paris, vint donner quel- 
ques représentations, reparut dans le râle d'Angèle 
du Domino noir le 1°' août, puis dans celui de Vir- 
ginie du Caïd, et ue tarda pas à reprendre sa course 
à travers le monde, car, en dépit de sou nom, 
M"' Oharton-Demeur ne demeurait jamais nulle 
part. 

En somme, la troupe était au grand complet, belle 
et nombreuse, le jour où Meyerbeer livra sa première 
bataille à l'Opéra-Comique, le 16 février 1854, date 
célèbre dans les fastes de la salle Favart, 



,L.:a..ï Google 



CHAPITRE IX 

irBTSBBBBIt A L'OPÂRA-COUIQUB 

L'Etoile du Nord. 
1854-183«. 



Ce n'est pas sans raisoQ que nous groupODS sous ce 
litre, Meyerbeer à l'Opéra-Comique, les trois années 
dont nous relatous l'histoire. Une œuvre capitale 
s'impose en effet et demeure le point lumineux de 
cette époque : VEtoile du Nord, représentée le 
i6. février. Remarquons en outre qu'une mênae phy- 
sionomie parait commune à ces trois années, comme 
aux trois précédentes, d'ailleurs, et permettrait 
presque d'ajouter en sous-titre : ou ta réussite des 
petits ouvrages. Il suMt, pour s'en convaincre, de 
jeter les yeux sur le tableau suivant : 

Ouvcsgas nouveaui 1854 1S55 1856 Total; 

1 acte. ... 3 5 3 II 

2 actes. ... 2 1 3 

3 actes. ... 2 2 2 6 

~ T T 



..Coo^^le 



1854 25b 

Or, de ces orne pièces en uq acte, quatre se sont 
mainteDues assez ioagtemps aa répertoire, savoir : 
les Trovalelles, les SaboU de la Marquise, le Chien du 
jardinier et Maître Pathelin. Les pièces ea deux aclea 
ont, au contraire, échoué toutes les trois. Pour les sue 
pièces en trois actes, une seule a réussi, celle de 
Meyerbeer. 

En réalité tout est éclipsé par elle, et rimportance 
de ce fait caractéristique justi&e l'étude que nous lui 
consacrons au début du présent chapitre : car ce n'est 
plus une simple victoire, c'est uq pas décisif dans la 
voie nouvelle où s'engage le vieux genre de l'opéra- 
comique. Quant aux reprises , elles deviennent 
moins fréquentes; pendaat la période qui nous oc- 
cupe ou ne remettra guère à la scène que des ou- 
vrages en quelque sorte appartenant au répertoire 
couraot, le Pré aux Clercs, ies Diamants de la Cou- 
ronne, les Mousquetaires de la Reine ; deux seulement 
n'avaient pas été joués depuis dix aûs, Jean de Paris 
et Zampa; tous avaient déjà figuré sur l'affiche de 
la seconde salle Favart. 

Si l'on voulait écrire une monographie complète da 
l'Etoile du Nord, il faudrait remonter au 7 décembre 
1844, Ce jour-là on inaugurait à Berlin le nouveau 
Théâtre Royal, construit pour remplacer l'ancien 
qu'un incendie avait détruit, comme celui même 
dont nous racontons ici l'histoire. A cette occasion, 
Meyerbeer avait composé un opéra en trois actes in- 
titulé le Camp de Silésie; puisse une œuvre sem- 
blable venir au monde à l'heure, hélas I indéflai- 
ment retardée, où la troisième salle Favart renaîtra 
de ses cendres I Le succès fut tel qu'on joua bientôt 
l'ouvrage à Vienne sous le titre de Vielka, et qu'il fut 
question de le monter à Paris. Nous avons raconté 



,L.:e..ïG00'^lc 



356 WETERBEBS A L'orÉRA-COUIQDE 

comment, en 1845, la commission des auteurs avait 
protesté, déniant à i'Opéra-Oomique le droit de re- 
présenter les traductions. Scribe et Meyerbeer n'é- 
taient pas gens à s'embarrasser pour si peu ; ils de- 
vaient trouver le moyen de tourner la difficulté. 
Scribe écrivit sur la musique, ou à peu près, un 
poème nouveau, et Meyerbeer refit un nombre de 
morceaux assez grand pour donner à l'ensemble le 
caractère de la nouveauté : ainsi les apparences 
étaient sauvées. 

Mais ce tour de passe-passe agitait encore l'opinion 
en 1853 comme en 1845, et c'est sans doute pour ré- 
pondre à ces controverses de presse que la Revue et 
Gazette musicale publiait les lignes suivantes : 
L'ouvrage dont il est question n'est nullement le 
CampdeSilésie: c'est une œuvre complètement neuve, 
poème et musique. Seulement, dans le premier ta- 
bleau du second acte, on a intercalé quelques mor- 
ceaux inédits du Camp de Silésie. Mais le premier et 
le troisième actes, ainsi que le deuxième tableau du 
second acte, ne contiennent que de la musique entiè- 
rement nouvelle, » Et c'est le journal de Brandug, 
éditeur de Meyerbeer, qui avait parlé ainsi ! Certes, 
le livret n'avait de vieux que son intrigue, s'il est 
vrai que Scribe l'ait empruntée à une certaine Hen- 
riette de M"°Raucourt, jouée à la Comédie-Française, 
le 1" mars 1782; n'avait-il pas déjà pris le sujet de 
la Favorite dans le Comte de Comminges, dont l'au- 
teur était contemporain de M'" Raucourt ! mais pour 
Meyerbeer, point de doute possible. L'Etoile du 
Nord renfermait un certain nombre de morceaux du 
Camp de Silésie, par exemple, au premier acte, la 
ronde bohémienne « Il sonne et résonne » ; au se- 
cond acte, l'introduction et la plus grande partie du 



1854 257 

célèbre finale ; au troisième acte, enfin, le trio de la 
voix et des flûtes. A déraut de ces indications précises 
un fait suffirait seul à démontrer la situation délicate 
dans laquelle se trouvait l'éditenr et l'inanité de ses 
appréciations : c'est que le jour où se leva l'Etoile du 
Nord, on n'entendit plus parler du Camp de Silêsîe, 
la partition complète n'en fat même jamais gravée, et 
en dehors du théâtre de la Cour qui possède le ma- 
nuscrit ayant servi aux représentations, on n'en 
connaît qu'une seule et unique copie appartenant à 
M. Spoelherg de Lovenjoul, l'érudit bibliographe 
belge . 

Quant à l'Etoile du Nord, qui, détail amusant, avait . 
failli s'appeler l'Etoile polaire et avait môme été an- 
noncée un instant sous ce titre plus froid que bril- 
lant, elle obtint un succès immédiat, complet et re- 
tentissant. Tous les interprètes étaient de premier 
ordre, et les plus petits rôles avaient trouvé en de 
grands artistes des interprètes remarquables et dé- 
voués ; il suffit de rappeler Battaille, Mockér, Jour- 
dan, Hermann-Léon, M"" Caroline Duprez, Lefeb- 
vre, Lemercier et Decroix ; l'orchestre et les chœurs 
avaient remarquablement fonctionné sous la direc- 
tion énergique de Tilmant; enfin, la mise en scène 
etla décoration faisaient vraiment honneur à l'intel- 
ligence artistique du directeur. Aussi, l'empresse- 
ment du public fut-il extraordinaire. Une indisposi- 
tion de M"" Duprez mit huit jours d'intervalle entre 
la deuxième et la troisième représentation ; mais de- 
puis ce moment jusqu'au 28 juillet, où la pièce attei- 
gnit sa soixante-quatrième représentation, l'Etoile du 
Nord fut jouée régulièrement trois fois par semaine, 
et même quatre par exception. Le 16 octobre, après 
une interruption causée pat le congé annuel de Bat- 

„■ .....Cooi^lc 



258 MEVEABEGR A L'OPÉRA- COMIQUE 

taille, une seconde série recommença, non moins 
brillante que l'autre, de sorte que la centième fut 
atteinte le 14 février 1855, un an moins deux jours 
après la première. Les vingt-cinq premières repré- 
Bentations avaient produit 155,000 francs, soit une 
moyenne de 6,200francs par soirée ; sur celte somme, 
les auteurs avaient perçu 21,700 francs et les pauvres 
14,090 fr. 90 c. Dans la première année et hiHuivante, 
c'est à peine si les interprètes de la création se firent 
remplacer ; ils tenaient à leurs rôles, et, si quelque 
indisposition les forçait i y renoncer quelques jours, 
Us se hâtaient de les reprendre. Ainsi entrevit-on, 
dans le rôle de Catherine, après M"" C. Duprez, 
M"' Ugalde ; dans celui de Prascovia, après M"* Le- 
febvre, M"" Rey et Boulard ; dans celui d'une des 
deux vivandières, après M'" Lemercier, M"' Revilly; 
dans celui de Pierre le Grand, après Battaille, Faure, 
qui s'y montra de tous points remarquable ; dans ce- 
lui de Danilowitz, après Mocker, Ponchard ; dans 
celui de Oritzenko, après Hermann-Léon, Nathan et 
Oarvalho. 

De Paris, l'ouvrage ne tarda pas à prendre son 
essor en Europe. Les premières villes qui le montè- 
rent forent, à l'étranger : Stuttgart (28 novembre) 
avec M"" Marlow dans le principal rôle; Copenhague 
et Bruxelles, avec Barrielle et M"° Anna Lemaire; en 
province, Toulouse avec Balanqué et M"* Héberl- 
Massy; Lyon, avec Belval et M" Barbol; Marseille, 
avec Melchissédec et M" Laborde- Dès la première 
année théâtrale, 1854-55, on signalait i'fî(oi(e dw JVord 
un peu partout: à Lyon, Strasbourg, Lille, Nantes, 
Metz, Rennes, Grenoble, Marseille, Bordeaux, Nîmes, 
Nancy, Valenciennes, Limoges, AvigUMi, Amstear- 
dam, Utrecht, Gand, Londres, Dresde, Bruxelles, 



1854 259 

La Nouvelle-Orléans, Cologne, Darmstadt, Munich, 

Hambourg, Cassel, Leipzig, Brunswick, Hanovre, 
Brème, Wiesbaden, Erfurt, Mayence, Vienne, plus 
de trente-cinq villes, et partout le public s'y portait 
enfouie et témoignait d'un indéniable engouement. 
De bonne heure aussi la popularité s'en était emparée. 
Moins d'un mois après la première représentation 
on signalait déjà l'Etoile du Nord comme enseigne à 
un hôtel meublé situé sur l'un des quais de Paria, et 
à un grand magasin de nouveautés du Faubourg- 
Montmartre. II lui Tallait aussi la conséci^ation d'une 
parodie, et elle l'eut, en effet, le 31 mars, aux Délaa- 
gements-Comiques, avec une plaisante bouffonnerie 
ainsi dénommée :îes Toiles du Nord, par MM. Guénée, 
A. Monnieret A. Flan, musique de Meyerbeer, Auber, 
Donizetti, etc., mise en désordre [sic) ,par M. Krie- 
sel. La pièce, où le noble czar était devenu un vul- 
, gaire industriel débitant les produits de sa manufac- 
ture, était précédée d'un prologue bon à rappeler, 
car il témoigne du respect des auteurs et combien ils 
s'inclinaient devant le génie du musicien, s'eico* 
saut : 

Pauvres pygmées 
De menacer le trône da géaat. 
O Meyerbeer, ajoutaient-ils, 

Ed contemplant loa étoile argentée, 
Pour composer ce chef-d'œuvre immortel, 
Toat Paris croit que, nouveau Prométhée, 
Ta main osa ravir le feu du ciel. 
Somme toute, ils n'en voulaient qu'au poème : 
... Est-ce donc un grand crime 
D'en rire un peut car tel est notre but. 
C'est le serpent qui veut mordre la lime, 
Cest l'écolier corrigeant l'Institut. 



..Coo^^le 



ZoO HEYERBEER A l'OPEHA-COMIODE 

Et finement ils terminaient ainsi : 

Enfin, messieurs, malgré toute manœuvre, 
Bap pelez -vous, qu'en aiguisant ses traits, 
La parodie est fille du fihef-d'œuvre : 
Faites-en donc la llile du succès I 

Ils avaient raisoD, ces spirituels auteurs, de pro- 
noncer le mot de chef-d'œuvre et de s'incliner devant 
le génie. Certes, il est de mode aujourd'hui de dé- 
crier dans certains cercles musicaus, un peu en 
France et beaucoup en Allemagne, celui dont le nom 
était synoyme de succès, l'auteur de tant d'ouvrages 
restés debout malgré les caprices de la mode, l'inno- 
Tfttion des théories et le dédain du passé. Déjàméme 
autrefois cette opposition trouvait des avocats, et l'on 
ne saurait oublier l'étrange oraison funèbre prononcée 
par Beulè en 1865, sous la coupole de l'Institut : « Il 
n'a eu ni la majesté antique de Gluck, ni la grâce 
divine de Mozart, ni l'éclat éminent de Rossini, ni 
même le parfum étrange de Weber. ■ A défaut de 
tant de mérites, si tant est qu'il n'eut aucun de ceux- 
là, Meyerbeer possédait du moins cette étincelle sa- 
crée qui tire la vie du néant, il se peut que sa force 
fût faite de volonté ; mais par le sens raisonné de sa 
critique, jointe à l'excellence de ses dons naturels, 
par ce mélange incomparable d'inspiration spontanée 
et de lente réflexion, ilariivait à l'intensité de l'effet, 
et savait créer, lorsque tant d'autres imitent. Que de 
formules ou lui reproche maintenant, dont la faute 
retombe sur ses plagiaires ! Que de merveilles en son 
œuvre qui nous paraissent toutes simples, parce 
qu'elles sont tombées depuis dans le domaine uni- 
versel! Sévère et dur pour lui-même, indulgent pour 
les autres, il songeait encore à s'instruire, lui qui 



1854 261 

savait tout ce que l'on peut apprendre. Par exemple, 

il assistait à la première représeatation des Porche- 
rons, et comme Grisàr venait le remercier de l'hon- 
neur qu'il lui faisait en daignant écouter son œuvre : 
« Monsieur, répondit Meyerheer, je viens prendre 
des leçons d'opéra-comique! » Le mot est piquant; 
l'auteur de l'Etoile du Nord, à laquelle il travaillait 
alors, était assez fin diplomate pour le dire sans 
y croire ; il était aussi assez bon connaisseur pour y 
croire en le disant. De fait, il avait profité de l'ensei- 
gnement et réduit, pour ce cadre nouveau, la dimen- 
sion ordinaire de ses toiles. Mais si humble qu'il eût 
tâché de se faire, il était demeuré grand. Aussi ne 
pouvons-nous, sans quelque émotion, feuilleter les 
premières épreuves de cette partition d'orchestre que 
le hasard a fait tomber en notre possession. Toutes 
ces pages sont là, revues et corrigées par cette main 
qui trahit en son écriture la vivacité de la pensée et 
l'énergie de la décision. En traçant ces lignes, Meyer- 
heer ne se doutait pas qu'il allait, plus que personne, 
modlQer le caractère de ce théâtre où il donnait sa 
pièce ; il apportait la force et la puissance sur une 
scène oti l'on s'était presque toujours contenté jus- 
que-là de grâce et d'esprit; il élargissait ce cadre un 
peu étroit; il poussait l'opéra-comique dans la voie 
de l'opéra : le temps lui a donné raison. 

Après l^Etoile du NoTd, il était à craindre que le 
premier ouvrage en trois actes, coulé dans le vieux 
moule, ne parût bien petit. Victor Massé risqua la 
partie et en 20 représentations la perdit. La Fiancée 
du Diable, jouée le 5 juin, avait pour auteurs Scribe 
et Romand, qui s'étaient inspirés pour leur livret 
d'une légende ayant cours au pays d'Avignon et déjà 
nùse en vers par Jasmin sous le titre de Francounetla. 
IS. 



262 MEYBBBESR A l' OPÉRA-COMIQUE 

Ce diable n'était autre qu'un marquis, joyeux far- 
ceur auquel l'amour suggérait la peusée assez... 
infernale de pénétrer, déguisé comme un démon, 
dans la chambre nuptiale de deux jeunes époux; 
mais il avait compté sans une amie qui découvrait la 
fraude, et l'arrêtait au milieu de sa folle équipée par 
la menace d'un coup de pistolet. Pour expier son 
badiuage, il épousait finalement celle qui avait failli 
le faire passer de vie à trépas et qui se trouvait ainsi 
mystifier son mystificateur. L'histoire supposait chez 
les personnages une forte dose de naïveté ; le public 
se montrait trop sceptique pour l'accepter sans dis- 
cussion et Victor Massé, dont c'étaitle premier grand 
ouvrage, n'avait pas rencontré la veine mélodique de 
ses charmants levers de rideau. 

Une revanche fut prise le ?8 juin avec un acte de 
Michel Carré et feu Lorrin, les Trovatelles. 3ous ce 
ce nom, l'on désigne à Naples les orphelines ou 
enfants trouvées qui sont éîevées dans un couvent 
jusqu'au moment de leur mariage. A certain jour 
fixé, les pauvres recluses sortent de leur retraite et 
les garçons des environs accourent pour choisir 
parmi elles celles dont ils feront leurs femmes ; c'est 
un peu ce que l'on retrouve dans Martha, et dans 
une pièce du siècle dernier appelée le Marché attx 
filles. Remarquons d'ailleurs que dans l'antiquité, 
les mariages ne se faisaient pas autrement chez, les 
Assyriens. Les Trooatelles, qui d'abord avaient pour 
litre l'Anier, puis t'Anier amoureux, parce quetrile 
était la condition de celui qui s'éprenait de la trOTa- 
telle, servirent de début à un jeune compositeur 
élève de Leborne et lauréat de l'Institut, M, Duprato. 
Début heureuï, il faut le dire, puisque, jouée pen- 
dant huit années, la pièce obtint 107 représentation». 



1854 263 

II nous faut glisser rapidement sur VOpira au 
Camp (18 août), primitivement intitulé COpéra à 
Fontenoy, un acte de Paul Foucher, qui mettait en 
scène le maréchal de Saxe et M" Favart, une troupe 
de soldats et une troupe de comédiens. Le maréchal 
de Saxe s'appelait Duvernoy, et M"" Favart, M"' An-, 
dréa Favel, Leur talent ne suffit pas à plaider ^vec 
succès la cause du compositeur, Varney, qui vivait 
toujours sur la réputation de son Chant des Girow 
dins, et la treizième représentation fut la der- 
nière. 

Un mois plus tard, le 16 septembre 1854, avait lien 
une des reprises les plus importantes de cette pé- 
riode, importante et par la valeur de l'œuvre et par la 
qualité des interprètes. Croirait-on que le Pré aux 
Clercs, cette pièce classique, n'avait pas reparu sur 
l'affiche depuis 1849? Il faut ajouter qu'une telle 
interruption rentrait assez dans le système de M. Pep- 
rin : produire de l'effet et par conséquent amener la 
recelte, môme avec un vieil ouvrage. Volontiers il le 
laissait, pour ainsi dire, reposer quelque temps, 
semblait l'oublier, puis tout à coup le rappelait à la 
vie et au succès par une distribution brillante et une 
mise en scène soignée. Ainsi fit-il pour (e Pré aux 
Clercs, où furent applaudis M"" Miolan-Carvalho (Isa- 
belle), M"' Colson, venue du Théâtre-Lyrique et 
débutant à la salle Favart dans le rôle de la Reine, 
M"* Lefetovre (Nicette), MM. Puget(Mergy), Couderc, 
(Oomminges), Salnte-Foy, (Oantarelli) , Bussine 
(Giïot). L'événement répondit aux calculs du direc- 
teur ; cette reprise fonrnit -46 représentations en 
1854, et 44 l'année suivante. C'est, par parenthèse, à 
la suite dô la représentation gratuite donnée, en cette 
année 1855, à l'occasion de la prise de Sébastopol, 



264 UEyERBEBIt A l'opéra* COMIQUE 

gne fut modifié certain détail de mise en scène 
relatif à l'œuvre d'Herold, Jusqu'alors, les acteurs 
chargea du rôle de Mergy tiraient de leur poche le 
message qu'ils apportaient à Marguerite de Valois de 
la part de son mari le roi de Navarre. Ce soir-là, un 
soldat placé à l'orchestre ât à haute voix une réflexion 
assez juste: « Oh I ce gaillard-là prend dans sa 
culotte la lettre à la Reine! ■ Le mot franchit la 
rampe, et depuis lors Mergy dut placer le message 
dans sa ceinture. Fermons notre parenthèse pour 
constater que depuis la reprise de 1854, le Pré aux 
Clercs s'est maintenu fermement au répertoire et, 
sur un espace de plus de trente ans, on ne signale à 
son passif qu'une éclipse de deux années, en 1863 
et en 1864. 

Une telle reprise laissait dans l'ombre toutes les 
autres, et c'est pour mémoire seulement que nous 
citons en cette même année : le ^4 avril, le Songe 
d'une Nuit d'été avec M"" Letebvre (Elisabeth), Bélia, 
MM. Couderc, Jourdan et Faure, excellent sous les 
traits de Palstaff; le 17 juillet, Gilles- ravisseur, avec 
M"' Lemercier (Isabelle), M""' Blanchard, MM. Her- 
mann-Léon (Crispin), Poncbard (Léandre), Sainte- 
Foy (Valentin), Duvemoy et Lemaire ; le 11 août, 
les Poreherons, avec M'" Lefebvre (M"" de Bryane) 
M". Félix, M"" Decroii, MM. Mocker (Danceny), 
Hermann-Léon, 8ainte-Foy, Bussine, Lemaire ; le 
25 août, les Mousquetaires de la Reine avec une dis- 
tribution toute nouvelle puisque Hermann-Léon res- 
tait seul de la création, soit avec MM. Puget 
(Olivier), Delaupay-Ricquier, M"* Boulard (Alhénals), 
M"° Larcéna (Berthe) ; enfin, le 26 août, Marco Spada 
avec M"* Dupiez (Angola), M'" Favel, MM. Jourdan, 
Couderc, Bussine, Carvalho et Faure; ce dernier 



1854 365 

remplissait, pour la première fois, le rôle du baron 
de Torrida, créé par BattaiUe. 

A .toutes ces reprises devait succéder, avant que 
l'année musicale eût pris Bn, une nouveauté, et 
cette nouveauté fut un succès. Une fois de plus, 
Michel Carré et Jules Barbier avaient été bien ins- 
pires en traçant ce petit tableau du dix-huitième siècle, 
où certaine marquise jouait la paysanne pour mieux 
ensorceler son amoureux ; avec les Sabots de la Mar- 
quise ils avaient retrouvé l'heureux filon des Noces 
de Jeannette, et le compositeur, Ernest Boulanger, 
donnait un pendant à son premier succès, le Diable à 
l'école. Cet acte fut joué le 29 septembre 1854, se 
maintint au répertoire pendant dix années consécu- 
tives, et fut repris en 1867. Il n'obtint pas en tout 
moins de 1 10 représentations, et do nos jours, il est 
plus d'une ville en province où résonne encore l'ai- 
mable rondeau que disait si finement M"' Lemer- 
cier: 

Aimons qui dous aime I 
C'est le boD système 
A suivre ici-bas ; 
Si Nicolas m'aime. 
Va pour Nicolas ! 

Dans cette petite pièce, le rôle de la marquise 
était tenu par M"" Boulard, qui avait obtenu en 185B 
les premiers prix de chant et d'opéra-comique au 
Conservatoire. Elle avait dû d'abord débuter dans 
une reprise projetée et abandonnée de Mina et avait 
paru finalement le 6 janvier à l'Opéra-Comique dans 
les Noces de Jeannette. D'autres débutants justifient 
une simple mention : le 26 mars, dans Jenny de la 
Dame Blanche, M"* Larcéna, qui avait passé sans 



A.KyL 



266 MBYERBEBR A L'OPÉRi.-COUI0UE 

éclat par le Théâlre-Lyrique et les Variétés ; le 
19 avril, dans Anna de la Dame Blanche, M"" Amélie 
Rey, qui venait du Conservatoire ; le 22 août, dans 
Malipieri â'Haydée, ua baryton nommé Marchot qui 
suppléa Paure à l'improviste; enfin le 16 septembre 
M"" Colson, citée plus haut à propos de la reprise du 
Pré aux Clercs. D'autres artistes se retiraient; tels 
MM. Carralho et Hermann-Léon. Quant à M"" Wer- 
theimber dont nous avons déjà annoncé le départ, 
elle passait de l'Opéra-Comique à l'Opéra dans des 
conditions assez singulières. Engagée pour trois ans 
par M. Perrin, à raison de 25,000 francs pour les deux 
premières années et de 30,000 pour la troisième, elle 
avait rendu des services inférieurs à ses appointe- 
ments, et constituait par conséquent une charge pour 
le théâtre. Or, en la prenant, l'Opéra ne lui donnait 
que 12,000 francs, et M. Perrin dut payer la diffé- 
rence entre ces deux traitements, jusqu'à l'époque où 
expirait le contrat, c'est-à-dire en mai 1855. Voilà ce 
qu'il en coûtait au directeur pour se débarrasser 
d'une cantatrice, et rompre un marché trop onéreux. 
Cependant à la salle Favart un événement s'était 
produit, qui pouvait influer sur ses destinées et 
changer en bien ou en mal le cours de sa fortune. Le 
directeur du Théâtre-Lyrique, M. Jules Seveste, était 
mort aubitecnent, et la nécessité de ne pas laisser 
péricliter son entreprise à l'heure où elle commen- 
çait à prospérer, avait fait naître l'idée de recourir 
aux talents de M. Emile Perrin. Par décision du 
16 juillet, il arriTa donc que les privilèges des deoi 
théâtres, quoique demeurant distincts, furent réunit 
entre les mêmes mains. C'était la réalisation d'un 
rêve assurément cher au directeur privilégié, puisque 
plus tard, lorsqu'il administra l'Opéra, puis la 



1854 267 

Comédie -Française, il eut l'idée d'adjoindre à l'Opéra 
l'Opéra- Comique, à la Comédie l'OdéoD, se plaisant 
ainsi à la concentration des pouvoirs et à l'anité de 
la direction, Mais en i854, l'opinion s'ômul de cette 
combinaison, et la presse en général la désapprouva. 
On voyait dans le Théâtre- Lyrique une sorte d' « épe- 
ron mis au flanc de l'Opéra- Comique, » autrement 
dit une cause d'émulation. On craignait que cette 
rivalité, profitable à l'art, ne disparût, et d'aucuns 
soupçonnaient déjà M. Perrin de ne vouloir diriger 
cette entreprise que pour n'avoir pas à souffrir de 
dommage s'il la laissait diriger par un autre. On 
disait même que « cette double administration ris- 
^ait d'armer, d'une dangereuse omnipotence, les 
prédilections et les sympathies de celui à qui elle 
était confiée, et que la disgrâce encourue fermerait 
ainsi toutes les portes à la fois. » Devant cette oppo- 
sition, jointe aux exigences très exagérées de la 
Société des Auteurs, M. Perrin donna sa démission; 
puÎF, snir des instances venues de haut, il la reprit et 
consacra dès lors autant de zèle et d'activité au 
jsecond théâtre qu'au premier. Il avait constitué une 
troupe solide, en tête de laquelle marchait une nou- 
velle recrue, qui devait un jour servir sous ses ordres 
à la salle Favart, M"* Marie Cabel ; il avait choisi un 
certain nombre d'ouvrages, et trouvé ceux qui de- 
vaient produire de fortes recettes: parmi les nou- 
veaux, Jaguarita l'Indienne, parmi les anciens la 
Sirène, la seule pièce d'Auber qui ait jamais été 
jouée au Théâtre-Lyrique ; en un mot, du jour de 
l'ouverture (30 septembre 1854}, à celui de la clôture 
(30 juin 1855), — car, en dépit de l'Exposition univer- 
selle, on s'avisa de fermer l'été, — son ardeur ne se 
Talentit pas ; malheureusement, si intéressante qne 



268 UBYBRBGBR A L'OPÉRA-COUIOUE 

fût sa tentative, il renonça bientôt à la poursuivre. A 
la rentrée, le sceptre directorial était passé, par uq 
décret en date du 29 septembre 1855, aux mains de 
M. Pellegrin, prédécesseur immédiat de M. Carvalho ; 
l'expérience n'avait donc pas assez duré pour être 
concluante. 

Se consacrant désormais à l'unique salle Favart, 
M. Perrin n'eut guère à recueillir, en 1855, que 
la récolte semée par lui en 1854. C'était l'année de la 
première Esposilion universelle ; les étrangers vinrent 
en nombre, et ses deux grands succès de Tannée précé- 
denle, l'Etoile du Nord et la reprise du Pré aux Clercs, 
fournissaient aux spectacles un élément assuré. Au- 
tour de ces deux chefs-d'œuvre devaient rayonner un 
certain nombre de pièces, dont la première surtout 
avait une réelle valeur et méritait son franc succès, 
le Cftt'en du Jardinier, paroles de MM. Lockroy et 
Cormon, musique de Grisar, représenté le 16 janvier 
1855. C'est d'Espagne que vient, dit-on, cette vieille 
légende du chien qui ne mange pas sa pâtée, mais 
ne veut pas que les autres j touchent. En somme, la 
morale de cette histoire convient à tous pays, et trans- 
portée dans le domaine des sentiments, appliquée à 
la coquetterie féminine, elle pouvait fournir les élé- 
ments d'une action piquante, alerte et vraie. C'est 
ainsi que l'entendirent les auteurs de ce petit acte 
lorsqu'ils tracèrent le portrait de leur jolie paysanne 
qui hésite à choisir un prétendu et qui le veut quand 
une rivale l'a choisi. Le dialogue était amusant, la 
musique spirituelle et l'interprétation remarquable 
avec M"" Lefebvre et Lemercier, MM. Paure et 
Ponchard ; aussi l'œuvre fut-elle accueillie chaleu- 
reusement. Elle se maintint sur l'affiche jusqu'en 
1869, époque où elle atteignit sa 98° représentation. 



1855 269 

Depuis on ne l'a plus revue, si ce n'est au Château- 
d'Eau; autant dire qu'elle n'a pas été reprise. Elle 
mériterait cependant de l'étie. 

Le 13 février on donnait un acte encore, mais 
'moins bien accueilli que le précédent, puisqu'il ne 
compta que 38 représentations. Il avait pour auteurs 
d'une part Jules Barbier et Michel Carré, de l'autre 
Victor Massé ; seulement, Mtss Fauvette ne valait pas 
les Noces de Jeannette. On y voyait un Anglais, inimi- 
table d'ailleurs en la personne de Sainte-Foy, cher- 
chant à faire taire une jeune voisine gui gazouillait 
tout le jour comme un oiseau, et usant de mille sub- 
terfuges, violence, douceur, argent, pour éteindre 
l'ardeur de son gosier : ce qui peut passer pour une 
version dramatique de la fable bien connue, le Save- 
tier et le Financier. A cette pièce se rattache un 
simple détail, prouvant que M"° Lefebvre était alors 
le véritable terre-neuve de la salle Favart. Princesse 
ou paysanne, elle abordaittous les rôles avec une ab- 
négation que pouvaient seuls égaler son intelligence 
et son talent. En 1851, le Songe d'une Nuit d'été avait 
été écrit pour M"*Ugalde; au dernier moment une 
indisposition survint; M"' Lefebvre prit le rôle 
d'Elisabeth et le garda. De môme, en 1855, Miss Fau- 
vette avait été écrite pour M°° Miolan-Carvalho ; sur 
ces entrefaites, il fut question de son départ de 
rOpéra-Comique et de son engagement à l'Opéra, 
lequel n'eut pas lieu d'ailleurs ; M"' Lefebvre se dé- 
voua et fut payée de sa peine par des bravos una- 
nimes. 

Par une série de malchances, le reste de l'année 
1855 ne devait plus amener que des chutes, tout au 
plus des demi-succès; qu'on en Juge par le chiilVe 
des représentations: 12 pour Yvonne; 19 pour laCour 



270 MEYERBEBR A l'OPÉBA-COUIQUB 

de Ciiimène ; 39 pour Jenny Bell (malgré la sigoatare 
d'Auber); 2 pojir Jacqueline ; 4 pour l'Anneau d'Ar- 
gent; 17 pour Deucalion et Pyrrha; 16 pour/e Jîou- 
zard de Berchiny; 38 eofin pour les Saisons. 

Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qu'avec 
un nom comnie Yvonne, l'actioQ se passait en Bre- 
tagne. Quatre ans plus tard, dans cette salle Favart, 
le même litre reparaissait au service d'un « drame 
lyrique », ce qui tendrait à prouver que la pénurie 
des Doms est grande sur cette terre armoricaine. Ou 
y trouvait un personnage appelé Janic, tout comme 
dans la pièce de M. Richepin, te FiibustteT, homme 
dans la première, femme dans la seconde, ce qui té- 
moigne par conséquent d'un certain désordre dans les 
habitudes onomoplastiques des auteurs. Enfin et sur- 
tout on y voyait deux paysans naïfs dont l'amour 
était exploité par un vieux berger qui se faisait passer 
pour sorcier : cette invention n'avait pas dû couler 
beaucoup d'efforts aux- librettistes, de Leuven et 
Deforges. Une musique princière ne sauva pas la 
pièce, représentée le 16 mars. M. le prince de la Mos- 
kowa, nous l'avons vu, avait réussi avec son premier 
ouvrage, te Cent-Suisse; avec le second, Yvonne, il 
échoua. 

La Cour de Célimène, donnée le 1 1 avril, se heurta 
de même, non pas à la résistance, mais à l'indiffé- 
rence du public. Lelibrettiste Rosier avait pris texte 
de la coquetterie de Célimène pour grouper autour 
d'elle toute une armée de soupirants et les mettre aux 
prises pour les yeux de la belle. On y comptait quatre 
vieillards, quatre jeunes gens et quatre adolescents 
(sic) représentés par des femmes. M"" Révilly, De- 
croix, TalmoD, Bélia. Aussi la pièce s'appelait-elle 
primitivement les Douze. Elle aurait dû, en ce cas, 



1855 271 

s'appeler plutôt tes Quatorze, car on avait oublié dans 
ce nombre te commandeur (fiattalUe) et le chevalier 
(Joiirdan), les deux seuls amoureux sérieux, juste- 
ment. Par une disposition originale, ces douze voix, 
réparties en trois groupes, tenaient lieu de chœurs et 
donnaient plus de légèreté à cette comédie, que l'on 
s'était efforcé de maintenir dans le ton du dix-hui- 
tième siècle. Le compositeur, Ambroise Thomas, avait 
écrit son principal rôle pour M""- Miolan-Carvalho, 
dont ce fut ta dernière création à la salle Favart. Le 
mari avait déjà résilié, préparant en sous-main son 
entrée dans la carrière directoriale : la femme allait 
le suivre et remporter bientôt ces triomphes qui l'ont 
associée au succès de tant de compositeurs. 

Malgré l'excellence de cette marque de fabrique : 
Scribe et Auber, Jenny Bell, le 2 juin, ne dépassa 
guère le niveau d'un succès d'estime. On aurait 
pn trouver quelque intérêt dans l'histoire de cette 

■ enfant abandonnée, protégée mystérieusement par 
un noble lord anglais, devenue cantatrice et finissant 
par épouser le fils de ce bienfaiteur, qui pourl'appro- 

- cher et se faire aimer d'elle avait pris l'apparence et 
le nom d'un jeune musicien. C'était, comme un le 
voit, une nouvelle édition de l'Ambassadrice; peut- 
être s'y joignait-il aussi quelques souvenirs d'un Sul- 
livan de Mélesville et d'un Tiridate de Maiime Four- 
DÎer. Jenny Bell, en tout cas, n'avait rien de commun 
avec Jenny Lind, comme on se plaisait à le dire 
avant la représentation. L'amour d'une actrice et 
d'un grand seigneur aurait plutôt éveillé le souvenir 
d'Adrienne Lecouvreur et du chevalier d'Argental. 
En somme cette question d'origine laissa le public 
indifférent et les trois actes d'Auber furent bientât 
oubliés. 



D.3i.za..ï Google 



2'Î2 HEYERBEBR A l'OPÉRA-COUIQUE 

Il n'y a pas de profits sans quelques chargea, et 
l'honneur d'être un théâtre impérial obligeait parfois 
l'Opéra- Comique à subir les caprices qui venaient de 
haut. Ainsi vit-on représenter par ordre, le 8 juin, 
Jacqueline, pièce en un acte, paroles de Léon Battu, 
musique de MM. d'Osmont et Costé, jouée déjà une 
première et unique fois à la salle Ventadour le 15 mai 
précédent, au bénéfice de l'œuvre des secours à do- 
micile. Cette bluette, plus ou moins dérivée de deux 
pièces connues alors, le Capitaine Roland et le Méri- 
dien, ressemblait fort à une comédie de salou. Par 
ordre signifiait que l'auteur était bien en cour. L'Em- 
pereur en effet vint à la première ; mais le public ne 
vint pas à la seconde, de sorte que la troisième n'eut 
jamais lieu. 

Ce fâcheux début fut suivi d'un autre à peine plus 
heureux, l'Anneau d^Argent, « bergerie » en un acte, 
paroles de Jules Barbier et Léon Battu, musique 
de M. Deffès (5 juillet). Le livret, que ses auteurs 
avaient d'abord baptisé la Ferme, suivant les uns, la 
Ferme et la Fabrique, suivant les autres, ne brillait 
pas par son intérêt. Prix de Rome en 1847, le com- 
positeur devait s'estimer heureux qu'on eût enfin 
songé à lui ; mais le futur directeur du Conservatoire 
de Toulouse ne put en ce premier essai donner sa 
mesure ; il avait une revanche à prendre, et, quelques 
années plus tard, il la prit en eifet avec les Bourgui~ 
gnonnes et le Café du Roi, 

Il était écrit qu'en J855 nulle autre nouveauté que 
le Chien du Jardinier ne se maintiendrait debout ; la 
malchance soufllait sur les compositeurs et renversait 
leurs ouvrages tour à tour ; tous étaient frappés, 
même les habitués du succès, Victor Massé, Ambroise 
Thomas, Auber, et maintenant Montfort avec Deuca- 



1855 273 

lion et Pyrrha, et Adolphe Adam, avec le Houzard de 
Berchiny. De ces deux pièces, la première, jouée le 
8 octobre, u'avait d'antique que l'étiquette ; c'est 
Arlequin dout Michel Carré et Jules Barhier avaient 
fait leur héros dans ce petit acte, et ils lui avaient 
prêté une certaine dose de naïveté, puisqu'à la suite 
d'une inondation, il croyait déjà au déluge universel, 
et, rencontrant la jeune Caroline, commentait avec 
elle la légende mytliologique racontée par Ovide en 
ses Métamorphoses et songeait aux moyens de repeu- 
pler le monde. Un mariage était le moyen tout indi- 
qué, et Arlequin se mariait en effet. Ce fut la dernière 
partition de Montfort, qui avait commencé par un 
succès. Polichinelle, et qui finit ainsi par une- chute. 

Adolphe Adam échoua de même, le 17 octobre, 
avec la berquinade en deux actes que lui avait fournie 
son collaborateur Rosier, Ce sergent mystifiant deux 
vieux avares au point de les faire, par un escamotage 
de signatures, s'enrôler l'un comme soldat, l'autre 
comme vivandière, et les amenant à se racheter d'un 
tel engagement au prix d'une somme d'argent qui 
devient la dot de Martin et Rosette, deux amoureux 
pauvres, ce personnage d'opérette, même interprété 
par Battaille, ne causa ui gaieté ni émotion. La mu- 
sique ne put sauver la pièce, et pourtant Adolphe 
Adam écrivait, en parlant de cette partition, qu'il 
croyait n'avoir jamais mieux réussil L'auteur est 
souvent le pire juge de son œuvre ! 

Victor Massé avait, lui aussi, un faible pour les 
Saisons, dont la première représentation fut donnée 
le 22 décembre 18&5 avec M'" Duprez et Battaille 
(bientôt remplacées par M'" Rey et Nathan), M"° Ré- 
villy et Delaunay Ricquier. Il rêvait toujours d'une 
reprise possible, et c'est avec cet espoir qu'il avait 



.^Cooi^Ic 



274 IIBÏBRBEBR A l'OPÉHA-COHIQOB 

remaDié plus tard les trois actes de Michel Carré et 
Jules Barbier, répétés d'abord sous le nota de Simone. 
CepeadaDtlepremieraccueilD'aTait pas été favorable; 
pourquoi ? c'est ce qu'à distance on ne saurait dé- 
mêler; car le livret, qui noas moatre une sorte de 
Mireille avant la lettre, ue semble pas dénué d'iatérét, 
et la musique, à coup 8ûr, coDtieut des pages <^Ukr- 
mautes. Il 7 a peut-âtre là, qui sait ! ud procès perdu 
eu ÎDStauce et qui sera quelque jour gagaé en appeU 

A côté de ces pièces nouvelles et oubliées, il en. est 
d'autres anciennes qui dans ie même temps avaient 
subi le même sort. Au commeocement de ce cbapitre, 
nous établissioQs, pour les trois Minées qu'il em- 
brasse, l'actif de ropéra-Comique ; il est juste d'éta- 
blir ici son passif, c'est-à-dire ce qui a définitivement 
dispara, soit: un seul parmi les ouvrages donnés de- 
puis l'ouverture de la seconde salle Favart, Gilles 
ravisseur; quatre parmi les œuvres antérieures à 
cette date, Adolphe et Clara, l'irato, qu'on projeta un 
instant de repreudre, ea 1863, avec M"* Heotel-Oolas, 
Maison à vendre et Actéon. 

L'année 1855 vit, en outre, le départ de quelques 
artistes justement réputés, M°" Miolan-Oarvalbo, 
M"" Colson. De tels vides devaient être difacilement 
comblés; les nouveaux pensionnaires de l'Opéra- 
Comique étaient: M"' Mira, petite-lllle du célèbre 
acteur Brunet, qui débuta le 1" juillet dans Diane des 
Diamants de la Couronne; Beckers, qui débuta ie 
9 septembre dans Gritzenko de l'Etoile du Nord et 
M"* Henrion-Berthier [2 prix d'opéra, 1" accessit de 
chant et d'opéra-comique au concours de 1855), qui 
débuta le 24 novembre dans Angèle du Domino noir. 

Enfin, on ne saurait quitter alors la salle Favart 
sans mentioQner quelques-unes des soirées qui 



1856 , 275 

doivent compter dans soa histoire: le cODcert spiri- 
tuel du 7 avril, où fut exécuté, sous la direction de 
Berlioz, Bon oratorio l'Enfance du Christ, précédem- 
ment entendu trois fois de suite à la salle Herz; la 
représentation extraordinaire organisée le 19 juillet, 
au béoéËce d'une troupe anglaise, avec le concours 
de la Comédie-Française et de l'Opéra, Caîn avec 
Beauvallet et M"' Rachel, une Tempête dans un Verre 
d'Eau avec M"° Fiz, la valse de Giselle et le pas de la 
folie danséâ par Mérante et Petipa; la représeotaiion 
de gala donnée le 24 août en l'honneur de la reine 
d'Angleterre, où Haydée vil pour la circonstance les 
cbœui'sde l'Opéra-Oomique doublés par l'adjonction 
de ceux du Théâtre-Lyrique ; surtout La représenta- 
tion gratuite du 13 septembre, où, pour fêter la prise 
de Sebastopol, retentit la célèbre cantate d'Adolphe 
Adam, Vicioire/ C'était une véritable improvisation. 
La veille, à trois heures, il n'y avait rien de prêt; 
vite on s'adresse à Michel Carré, qui écrit des vers 
sui-lechamp ; on les porte à Adolphe Adam qui se 
met au travail sans plus tarder : avant dix heures du 
soir la musique était faite et l'on copiait les parties. 
Pendant ce temps on brossait un décor ; on arrangeait 
des costumes; Paure, Jourdan, Deiaunay-Ricquier, 
Bussiue répétaient, et, le soir, la cantate était si cha- 
leureusement accueillie, que, pendant treize jours, 
elle accompagna le spectacle. 

La première pièce nouvelle représentée en 1856 
(23 février) fut Manon Lescaut, qui obtint 58 repré- 
sentations la première année et 5 la seconde. 

Ce n'était pas la première fois, et ce ne devait pas 
être la dernière qu'on transportait à la scène le ro- 
man célèbre de l'abbé Prévost. Scribe, à l'exemple 
de ses prédécesseurs, ne se gêna pas pour modifier à 



.^Cooi^Ic 



276 uEVBRBBEa A l'opéha-couiqub 

sa guiee la donnée primitive, sauf à changer, par 
exemple, pour les besoins de sa cause, le crime en 
bienfait et le vice en vertu. Ainsi, par l'espèce de pu- 
rification qu'il lui faisait subir, sa Manon perdait, en 
intérêt dramatique et en sympathie, ce qu'elle gagnait 
en prétendue innocence. Comme l'écrivait un cri- 
tique : « Ce n'est plus une Dame aux Camélias, mais . 
ce n'est pas non plus une Lucrèce, et ce caractère, 
tracé d'une main Indécise, est inférieur à celui de la 
Manon de Prévost. » Scribe avait tenu toutefois à 
garder le dénouement classique, et ce tableau de la 
Louisiane avait justement fourni à Auber l'occasion 
d'écrire une scène des plus émouvantes et des plus 
passionnées. On en put juger il y a quelques années, 
le 30 janvier 1882, dans une représentation extraor- 
dinaire donnée à la salle Favart à l'occasion du cen- 
tenaire d'Auber. Cette fin du troisième acte fut chan- 
tée par M, Furst et M'" Isaae dont le talent contribua 
à faire valoir une page curieuse en somme, car elle 
montre la passion vraie chez un compositeur auquel 
on ne prêtait guère que le badinage élégant de l'a- 
mour; par endroits même on y sent passer le soufQe 
dramatique et cbaud d'un Verdi, A l'origine, les deux 
héros se nommaient Puget, dont ce fut à ce théâtre 
la dernière création, puisque le 25 juillet suivant il 
débutait brillamment à l'Opéra dans Lucie de Lammer- 
moor, et M"" Cabel qui débutait, ou, pour mieux dire, 
redébutait, car elle avait, nous l'avons dit, en 1849-50, 
fait un stage, d'une année environ, à l'Opéra- 
Comique. Désormais, elle allait briller au premier 
rang, et soutenir en partie le poids du répertoire. 

Manon Lescaut ne fut qu'un demi-succès pour un 
maître comme Auber; le C/iei-cAeu)- d'Esprit fut presque 
un succès pour un compositeur débutant comme Be- 



..Coo'^Ic 



I85f> 277 

sanzoQï. Oe petit acte, joué pour la première fois 
le 26 mars, avait pour librettiste Edouard Foun- 
sier, le futur collaborateur d'Emile Augier pour 
les Lionnes Pauvres; il mettait en scène une célèbre 
nouvelle de Boccace, les Oies du père Philippe, qni 
plus d'une fois déjà avait servi au théâtre, depuis 
la Coupe enchantée de La Fontaine jusqu'à certain 
opéra-comique en un acte de Duport pour les paroles 
et de Dourlen pour la musique, le Frère Philippe, 
représenté à Feydeau le 20 janvier 1818. Fétis a né- 
gligé de mentionner le Chercheur d'esprit dans l'ar- 
ticle de son dictionnaire relatif à Besanzoni. 11 ne cite 
qu'un Ruy Blas, représenté en 1843; M. A. Pougin, 
dans son supplément, a justement comblé cette la- 
cune. Ajoutons que le Chercheur d'esprit se maintint 
cinq années au répertoire et fut joué 58 fois. 

L'œuvre en trois actes d'Halévy, venue au monde 
juste un mois plus tard, le 26 avril, fut moins heu- 
reuse, puisqu'elle n'obtint que vingt-trois représen- 
tations. Les librettistes, Jules Barbier et Michel 
Carré, avaient imaginé un sujet bizarre dont l'origi- 
nalité n'était acquise qu'au prix d'une forte invrai- 
semblance. A certain baron, venant de sa province et 
jugé naïf, un'coquiû de chevalier présentait comme 
fiancée une actrice de la Comédie-Italienne et pré- 
tendait pousser l'aventure jusqu'au mariage inclusi- 
vement. La découverte finale de cette machination 
valait au mystificateur un bon coup d'épée ; mais le 
public, n'étant point sûr de ne pas y être mystifié à 
son tour, prit peu de goût à la plaisanterie. La mu- 
sique elle-même ne lui plut guère; des enthousiastes 
et intéressés sans doute, eurent beau écrire qu'ils y 
trouvaient « l'inspiration mélodique unie à la science 
la plus accomplie, le lyrisme de la pensée à l'élégance 
16 



378 lIErERBBEH A l'opéra- COKIQITR 

de la forme, les grâces de l'esprit à l'expresaion des 
sentiments les plus tendres et les plus passionnés >, 
la foule ne vit rien de tout cela dans Valentine d'Au- 
bigny, et, restant insensible au bruit vain de ces ré- 
clames, infligea au compositeur un des plus rudes 
échecs de sa glorieuse carrière. 

Peu de temps après, le 3 mai, rOpéra-Comiijue 
éprouvait une perte sérieuse en la personne d'un de 
ses auteurs favoris, d'un maître souvent applaudi, 
Adolphe Adam. « La veille de sa mort, lisons-nous 
dans le journal d'un de ses amis, il était alléà l'Opéra 
entendre M"* Blvire dans la Reine de Chypre; ensuite, 
il s'était rendu au Tbé&tré-Lyrique où l'on jouait 
le Bijou perdu et il avait longtemps causé avec M. Oar- 
valho au sujet d'une contestation qui s'était élevée 
entre ce dernier et M. Perrin, relativement à Richard 
Cœur-de-Lion qu'on reprenait simultanément dans 
les deux théâtres. £n rentrant, il montra à sa femme 
le brouillon d'une lettre qu'il avait écrite à M. Car- 
valho pour que celui-ci pût la présenter au ministre. 
Après avoir ainsi causé quelque temps, il s'en alla 
dans son cabinet où il écrivit trois lettres... • Il se 
coucha et le lendemain, quand on pénétra dans sa 
chambre, il avait cessé de vivre. Ses obsèques furent 
célébrées en grande pompe, au milieu d'une afQuence 
énorme de gens qui n'étaient pas des indifférents ou 
de simples curieux. Car Adolphe Adam était bon ; il 
avait rendu bien des services, ne comptait que des 
amis, et l'on peut retrouver l'écho de ces sympathies 
dans les sept discours prononcés sur sa tombe : le 
premier par Halévy, au nom de l'Institut; le second 
par Auguste Maquet au nom de la Société des au- 
teurs ; le troisième par de Saint-Georges> au nom des 
collaborateurs d'Adam; le quatrième par le baron 



1856 279 

Taylor, au nom de l'Association des artistes musi- 
ciens ; le cinquième par Battaille, au nom du Conser- 
▼atoire et des chanteurs ; le sixième par Sauvage, au 
nom de la Société des compositeurs et éditeurs; le 
septième, enân, par Delaporte, au nom des sociétés 
chorales. Aujourd'hui ces harangues sont curieuses 
à relire ; elles dépeignent moralement celui qui les a 
prononcées autant et plus que celui en l'honneur de 
qui elles furent faites. Par exemple, sous l'éloquence 
un peu apprêtée d'Halévy, on devine la rivalité d'un 
confrère. Peut-être l'auteur connaissait-il une lettre 
datée d'octobre 1834 et passée récemment en vente 
publique, Adolphe Adam écrivait à l'ami d'un mi- 
nistre aSn d'obtenir la croix; il invoquait comme 
titre à cette récompense le Chalet, dédié d'ailleurs à 
une des princesses royales, Marie d'Orléans, duchesse 
de Wurtemberg, et il ajoutait : k Halévy va faire 
jouer la Juive dont on dit grand bien. C'est un gar- 
çon de beaucoup de talent qui peut avoir fait très 
bien et on ne pourra s'empêcher de lui donner la 
crois. Je serais désolé quHl Veut avant moi. » Quoi 
qu'il en soit, Halévy semble affecter de s'occuper de 
l'homme et de négliger l'artiste; il fait allusion à de 
«petits airsn, à des «mélodies ingénieuses», mais il 
ne cite aucun ouvrage et ne prononce pas une fois le 
mot de succès. Quelle différence avec la simple et 
touchante allocution de Battaille! Comme son lan- 
gage vibrait d'émotion ! On y devine aisément quelle 
aiFeetion unissait le maître et son interprète. 

Bien qu'il occupât la scène depuis vingt-sept ans, 
puisque son premier opéra-comique Pierre el Cathe- 
rine remontait à tS2d, Adolphe Adam était jeune en- 
core; il n'avait que cinquante-trois ans; sa carrière 
était loin d'être achevée ; il tombait en pleine mata- 



,,Cooi^Ii: 



380 UBYEDBEER A L'OPÉBV COMIQUE 

rite d'âge et de talent. Jusqu'à la dernière heure son 
activité De s'était pas démentie puisque, quatre jours 
avant sa mort, il donnait aux Bouffes les Pantins de 
Violette, charmante partitionnette où l'on avait bien 
vite reconnu sa main, quoique son nom ne figurât 
pas sur l'affiche. C'est à propos de cette pièce qu'un 
critique de l'époque, Victor Moulin, publia un 
compte rendu où se trouvait cette appréciation bien 
étrange, dont le sens, par suite d'une coquille- d'im- 
primeur, sans doute, est et demeure à jamais caché: 
« l'ouverture renferme une phrase confiée aux cordes 
des instruments à vent, dont l'effet original est une 
vraie trouvaille, o Avis au lecteur, qui le croira sans 
peine ! 

L'auteur du Chalet disparaissait à l'heure même où 
il allait voir représenter, sur deux théâtres ensemble, 
à l'Opéra-Comique le 19 mai et au Théâtre-Lyrique 
le 23 mai, ce Richard Cœur-de-LJon dont il avait, 
en 1841, on se le rappelle, relouché si heureusement 
l'instrumentation. Cet exemple de simultanéité n'est 
pas unique dans les fastes du théâtre, et quelques 
années plus tard on trouverait à rappeler notamment 
l'École des Femmes, jouée en même temps à la Comé- 
die-Française, à l'Odéon et au Gymnase. Il nous sou- 
vient même que le fait fut relevé dans une revue de 
fin d'année où trois ingénues se présentaient en- 
semble sur la scène et provoquaient l'hilarité du pu- 
blic en récitant à l'unisson le fameux récit d'Agnès. 
Pour Richard Cœur-de-Lion, l'inlérêt historique de 
ces deuï reprises est surtout la distribution des rôles, 
et nous la donnons d'autant plus volontiers qu'elle 
montre, vu le nombre des personnages, la composi- 
tion d'une grande partie de la troupe à cette époque 
dans les deux théâtres. 



,L.:e..ïG00'^lc 





Opéra-Comiqite 


Thédlre-Lyrique 


Richard. . . 


MM. Jourdas 


MM. Michot (début) 


Blondel . . . 


Barbot 


Meillet 


Florestan . . 


Delaunaj-Ricquier 


Legrand 


Williams. . 


Beckers 


Cahel 


Le Sénéchal 


DuTemo; 


Quinchez 


Mathurin . . 


Lemaire 


\ Leroy 


Un paysan . 


Sainte-Foy 


Guillot. . . . 


Chapron 


Girardot 


Urbain. . . . 


Beaupré 


Adam 


Mai^aerite. . 


Mm»» Rey 


M"*» Brunet 


Laurette. . . 


Boulard 


PooiUey 


Antonio . . . 


Bélia 


Girard 


Mathurine. . 


Félii 


Vadé 


Colette . . . 


Talmon 


C. Vadé 


Beatrii . . . 


L&saerre 


Caye 



Parmi tous ces noms deux soot à noter particuliè- 
remeat : Barbot, qui venait de province après avoir 
passé par l'Opéra, avait débuté récemment, le i 1 mara, 
dans le rôle de Georges de la Dame blanche ; Michot 
débutait au Théâtre -Lyrique dans le rôle de Richard. 
Ajoutons que sons les traits de Blondel, le premier se 
tailla un double succès de chanteur et d'instrumen- 
tiste, car il jouait lui-même sur le violon les varia- 
tions du sultan Saladin. 

A cette reprise succéda, le 3 juin, un acte de M. Du- 
prato pour la musique, de E. Grange et La Rouaat 
pour les paroles, Pâquerette. C'était une bluelte sans 
importance. Le compositeur n'avait pas eu, en la trai- 
tant, la main aussi légère que pour les Trovatelles, et 
sa Pâquerette, après 17 représentations la première 
année, une la seconde et une la troisième, se trouva 
fanée, morte et oubliée. 

Pour ramener la chance, M. Perrin se hâta de re- 
courir à de nouvelles reprises, et l'on vit ainsi repa- 
ie. 



382 HBYERBEER À. L'OPtRA'COUIQOC 

raitre le 1" septembre Zampa, et le 7 novembre Jean 
de Paris, ouvrages négligés tous les deux depuis dix 
ans. Jean de Paris servait au début d'un barytoo, 
Stockhansen, qui, dans le rôle du sénéchal, n'avait 
pas le physique de l'emploi , mais rachetait cette 
imperfection par la qualité de sa voix; le succès de 
Jean de Paris fut assez vif, mais non tel cependant 
que celui de Zampa. L'œuvre d'Herold fut acclamée 
en effet, et le buste de l'auteur coiu-onné, à ta an du 
spectacle, au milieu de l'enthousiasme général. Les 
critiques relevèrent bien quelques erreurs dans la 
distribution des rôles: celui de Zampa était, disaient- 
ils, trop bas pour Barbot, celui de Camille trop sé- 
rieux pour M"" Ugalde ; Jourdan était un Alphonse 
trop remuant, Mocker un Daniel trop distingué, 
M"* Lemercier nne Rila trop jeune; seul, Sainte-Foy 
personnifiait Jï merveille Dandolo; mais la musique 
d'Herold ht tout accepter, si bien que l'œuvre obtint 
41 représentations en 18.Î6, 15 en 1857 et 12 en 1858, 
époque où de nouveau elle s'éclipsa jusqu'en 18S3, 
Pendant ce temps, le Théâtre -Lyrique remportait 
une grosse victoire avec une pièce originairement 
destinée à ta salle Favart où, du reste, elle devait 
revenir, mais repoussée d'ailleurs avec une persis- 
tance qui n'est point pour donner tort aux auteurs, 
lorsqu'ils se plaignent de l'impéritie ou des dédains 
des directeurs : les Drapons de Viltars. Lockroy et 
Cormon étaient des librettistes de talent; MaiÛart 
comptait à son actif le succès de Gastibeha. Et pour^ 
tant leur œuvre fui présentée successivement à trois 
directeurs qui tons les trois ta refusèrent : Emile 
Perrin, parce qu'il la jugeait «trop dramatiifUQ > 
(c'esl d'un des autenrs lui-même que nous tenons le 
fait); Sévestre, an Théâtre-Lyrique, parce qu'it Ea 



1856 283 

croyait mieus à sa place à rOpôra-Comique ; Pelle- 
grîD, parce que sod prédécesseur l'avait coQâamnée. 
M- Carvalho, plus avisé, s'ea empara. 

M. Perrin n'eut pour se consoler d'avoir perdu 
les Dragons de VUiars que les 23 représentations 
d'un opéra-comique en deux actes, le Sylphe, paroles 
de Saint-Georges, musique de Clapisson. Ce sylphe 
et natTireHenient un beau jeune homme qui chantait 
à minuit sous la fenêtre de la rêveuse Aogèle et, 
dans l'ombre du feuillage, lui avait conseillé d'épou- 
ser le marquis de Valbreuse; le mariage célébré, la 
voix du sylphe ne s'était plus fait entendre. Or, cer- 
tain cousin amoureux vient tenter de rôder autour 
de la marquise, on le berne d'abord, puis on l'écoute, 
et quand le danger devient imminent, le sylphe 
se retrouve. C'est le marquis lui-même qui, 
sylphe en chair et en oa. se jette aui pieds de sa 
femme pour se faire pardonner s(hi mauvais carac- 
tère qui avait un instant failli troubler la paix du 
ménage. Cette baliverne, ornée musicalement d'ori- 
peaujx médiocres, avait été représentée à Bade le 7 août 
précédent avec M"" Duprez, Mira, MM, Montjauze, 
Prilleux et Legrand. Elle convenait peut-être à nn 
public cosmopolite et peu sévère en ses jugements; 
le public parisien fut plus difficile, et, le premier soir 
(27 novembre), il réserva tous ses applaudissements 
portir les deux principaux interprètes : d'une part, 
M"' Duprez qui avait épousé le 13 septembre un ac- 
compagnateur de l'Opéra et s'appelait désormais 
M" Vandenheuvel ; de l'autre, Faure qui dans cette 
pièce aceompliftsalt un vrai tour de force, car il chan- 
tait sur la scène en voix de baryton et dans la coa- 
lisas en voix de ténor, délicieusement d'ailleurs, et 
avec une égale facilité dans les deux registres. Un 



384 UEYERBEER A L'OPÉBA-COUIQUE 

mois après, il était nommé professeur de chant au 
Conservatoire en remplacement de Ponchard, démîs- 
sîoaaaire : nul plus que lui ne le méritait. 

Avant de quitter l'ouvrage de ClapissoD, rap- 
pelons que la première représentation donna lieu 
à une innovation pratiquée à l'exemple de l'Opéra 
et diversement commentée alors par la presse. Le 
nom des auteurs fut proclamé non plus par l'un des 
artistes, mais par le régisseur, M. Palianti. Les rai- 
sons en faveur de cette innovation ne devaient pas, 
du reste, prévaloir longtemps, car nous savons tous 
que la vieille coutume a reparu plus tard et se 
maintient encore. 

L'année 1856 devait finir par le grand succès d'une 
petite pièce, Maître Pathelin, paroles de Leuven et 
Ferdinand Langlé, musique de Bazin [12 décembre). 
Tout le monde connaît la farce de maître Pathelin, ce 
chef-d'œuvre de îa scène française au moyen âge, et 
son adaptation pour la Comédie-Française par Biiieys 
et Palaprat. Ce qu'on sait moins, c'est que l'aven- 
ture avait fourni déjà la matière d'un opéra-comique 
en deux actes, joué le 21 janvier 1792 au théâtre Mon- 
tausier, l'Avocat Pathelin, paroles de Palrat, musique 
de Chartrain. L'ouvrage eut du succès et pourtant ne 
fut pas imprimé; peut-être les préoccupations poli- 
tiques du moment contribuèrent-elles à cet oubli; ce 
qu'il y a de certain, c'est que le souvenir en disparut 
à ce point que Fétis, dans sa Biographie, ne l'a pas 
mentionné parmi les œuvres dramatiques de Char- 
train, lequel cependant fut loin d'en écrire un grand 
nombre. Plus lieureuse, la partition de Bazin fut 
jouée et gravée ; nul biographe ne l'oubliera, car elle 
compte parmi les plus gaies de son auteur, et elle se 
maintint pendant quatorze ans au répertoire de la 



I85S 285 

salle Favart, où elle faillit môme être reprise en 1877 
pour les débuts de M. Boyer, fournissant un total de 
235 représentations. En 1887, Maître Pui/ieh'n a reparu 
au théâtre du Château-d'Eau , mais hélas! sans la 
distribution primitive; on n'avait rencontré ni Cou- 
derc, qui dans le rôle de Pathelin atteignait la perfec- 
tion, ni Berthelier, qui devait devenir un des plus 
célèbres comédiens de notre temps, et qui débutait 
' alors sous les traits d'Aignelet, déjà plein de gaieté 
communicative, de verve malicieuse et de fantaisie 
originale. 

Ce début venait grossir la troupe des recrues dont 
nous avons déjà parlé, M"" Gabel, MM. Barbot et 
Stocbhausen; il y faut joindre les noms de Prilleuï 
qui venait dn Théâtre-Lyrique et débuta Je 20 juin 
dans le Maçon ; d'Azôma, baryton qui arrivait de pro- 
vince après avoir appartenu jadis aux chœurs de 
rOpéra-Comique et qui débuta le 1" août dans Fron- 
tin du Nouveau Seigneur; d'Edmond Cabel, beau- 
frère de la cantatrice, jeune lauréat du Conservatoire, 
qui débuta dans l'Ambassadrice; enfin, de M"" Lhéri- 
tier, qui débuta dans la même pièce le 26 novembre, 
après avoir obtenu aux précédents concours du Con- 
servatoire les premiers prix de chant et d'opéra- 
comique, plus un second d'opéra et un second d'har- 
monie. Ainsi se trouvait comblé le vide laissé par les 
quatre partants de cette année 1856, Bussine, le vieux 
Ricquier, M"" Blanchard et le ténor Puget. 

Dans ce iîlan sommaire, quelques soirées méritent 
d'être rappelées : par exemple, celle du 17 mars, re- 
présentation gratuite où fut, après les Porcherons, 
exécutée et bissée une cantate composée par Halévy 
sur des vers de Michel Carré et Jules Barbier, à l'oc- 
casion de la naissance du prince impérial. Citons 



286 UEYSRBEBR A L'OPÉRA-COUlQaE 

encore, le 8 juin, une représentation composée de 
Richard et du Pré aux Clercs, au profit des inondés 
du Midi; le 15 juin, une nouvelle représentation gra- 
tuite, eu l'honneur du baptême du prince impérial, 
où fut redonnée, après Richard et ies Noces de Jean~ 
nette, la cantate d'HaléTy déjà mentionnée; le 3 jnil- 
let, une représeutation extraordinaire au bénéfice de 
M"' Casimir, dont on se rappelle les succès passés; 
elle joua encore une fois Colombine dans le Tableau 
pariant, et, pour un soir, Roger reparut dans Haydée, 
avec ce rôle de Lorédan qu'il avait si brillamment 
créé huit années auparavant. Une autre représenta- 
tion extraordinaire eut lieu le 4 septembre, en faveur 
de l'Association desartistes dramatiques, avec M"Ris- 
torl qui interpréta la Médée de Legouvé, traduite en 
italien, avec M"' Déjazet qui dit la Lisette de Déran- 
ger, avec la troupe du Gymnase qui joua le Chapeau 
d'un Horloger; le Chien. du Jardinier complétait ce 
Spectacle. 

Surtout n'oublions pas deux soirées curieuses : 
celle dti 16 mai qui n'eut pas lieu faute de gaz au 
moment de la représentation ; et celle du 1 août qui 
n'eut pas lieu davantage pour cause de refus de ser- 
vice de M. Faure, disait brutalement l'affiche. L'émi- 
nent artiste s'expliqua dans une lettre adressée au 
Figaro, et menaça de •; déférer l'apprécialion de ce 
lait au tribunal de- commerce. » Fort heureusement 
le directeur et son pensionnaire n'en vinrent pas à 
cette estrëmité; ils s'entendirent paciSqucment et 
les avocats n'eurent pa^ plus à plaider cette affaire 
que les magistrats & la juger. 



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CHAPITRE X 



LE 8BG0ND OUVBAGB DE UEYBRBBER 



Le Pardon de Ploèrmel. — Reprises du Valet de chambre et des 
tSiprises par ressemblance. 



Si le nom de Meyerbeer se retrouve en tête de ce 
chapitre, c'est que peadact les trois aoDées gui 
suivenl comme pendant celles gui OQt précédé, au- 
cun maître ne surgit dont l'œuvre s'impose par une 
valeur semblable ou rencontre une fortune égale. 
A la salle Favart comme à la salle Le Peletier, Meyer- 
beer est alors et demeure le premier; nul échec ne 
vient compromettre l'éclat de la victoire une fois 
remportée ; sa gloire est intacte et son succès per- 
siste. 

Certes, les pièces nouvelles ne font pas défaut. 
Parmi les grandes, il s'en rencontre d'intéressantes, 
comme Psyché, Quentin Durward,les Trois Nicolas; 
mais, hormis l'ouvrage d'Ambroise Thomas, objet 
d'une reprise assez éphémère en 1878, toutes ont dis- 
paru du répertoire, aussi bien à Paris qu'en province 



.,Cooi^Ic 



388 LE SBCONi) OUVRAGE DE UBYERBEER 

et à l'étranger. Parmi les petites, on en rencontre 
d'agréables, comme le Mariage extravagant, les Déses- 
pérés; mais leur mérite ne saurait se comparer à 
celui de leurs aînées, et leur sort s'est aussi réglé 
plus vile. Quant aux reprises, elles continuent à 
avoir le plus souvent pour objet des opéras-comiques 
fréquemment joués et applaudis. Deux seulement 
correspondent à des nouveautés pour la salle Favart, 
le Valet de chambre et les Méprises par ressemblance, 
encore ne comptent-elles pas parmi les plus produc- 
tives. 

Pour trouver le pendant de l'Étoile du Nord, il faut 
donc arriver au Pardon de Ploërmel, sans que d'ail- 
leurs l'équivalence soit absolue, La seconde de ces 
œuvres fut moins spontanément acclamée que la pre- 
mière; le succès moins fructueux tout d'abord a peut- 
être été, en revanche, plus durable ou plutôt plus 
général. En effet, tandis que l'Etoile du Nord n'appa- 
raît plus sur les scènes lyriques qu'à des intervalles 
de moins en moins rapprochés, le Pardon de Ploër- 
mel, sous le titre de Dinorah, se maintient constam- 
ment, sinon à Paris, du moins à l'étranger. De toute 
façon, ce deuxième triomphe eut une importance 
décisive à l'époque où il se produisit. Le Théâtre- 
Lyrique, sous la direction Carvalho, jetait un 
vif éclat et se posait en rival redoutable. On allait 
y donner Faust et y remonter Orphée. Il fallait 
un compositeur tel que Meyerbeer pour soutenir la 
concurrence; l'honneur et la fortune de la maison 
étaient entre ses mains : s'il ne sauva pas la fortune, 
il sauva du moins l'honneur. 

Mais avant d'atteindre ce point de notre récit, il 
nous faut évoquer le souvenir d'un certain nombre de 
pièces tombées lourdement ou disparues après une 



1857 289 

carrière simpletneot honorable. Goostatoas tout d'a- 
bord que, par une coïacideuce asseï curieuse, le 
bilan de 1857 ressemble fort à celui de 1S5&. Le 
uombre des nouveautés est seasiblement le même : 
six ouvrages, un en deux actes, plus trois en trois 
actes et deux en un acte, contre deux en trois actes 
et trois en un acte ; un seul grand succès avec une 
petite pièce; enfin de nombreuses reprises qu'il con- 
vient de mentionner ici, parce qu'elles donnèrent 
lieu à d'importants changements de distribution, et 
plusieurs fois servirent à des débuts remarqués. 

Ainsi : 

Le 9 janvier, la Fille du Régiment avec Jourdan, 
Lemaire, Nathan, M°" Félix et M"* Cabel tenant pour 
la première fois le rôle de Marie. 

Le 23 février, l'Éclair, avec Barbot (Lionel), Jour- 
dan (Georges), M°" Vandenheuvel-Duprez, qui devait 
céder, peu de temps après, son rôle à M"* Lhéritier, 
et M"' Boulard qui eut alors l'honneurde voir ajou- 
ter à son rôle de M"" Darbel deux couplets intercalés 
au commencement du deuxième acte, et composés 
par Halévy exprès pour faire briller son talent de 
vocalisation. 

Le 25 avril, Joconde, qui n'avait pas été repris de- 
puis 1846 et qui fournit, dans cette seule année 1857, 
63 représentations, grâce à ses interprètes hors ligne : 
Mocker (Robert), M"" Boulard (Édile), Bélia (Ma- 
thilde) , surlout M'" Lefebvre, une adorable Jean- 
nette, et Faure dont le rôle de Joconde fut un des 
plus grands succès de l'artiste à la salle Favart, on 
peut ajouter un de ses plus prolongés, car il le chanta 
une centaine de fois. La partition avait été revue par 
une personne qui connaissait au moins les traditions 
de l'ouvrage, par la flile même du compositeur, 
17 
„■ ... ,X">()0>^Ic 



390 LE SECOND OnvBAaE DE HEYBRBEER 

M"* Nicolo. Cette aimable femmes bonne musicieDoe 
et distinguée professeur de chant, s'occupait aussi de 
composition et elle tint k donner, pour la circons- 
tance, preuve de ses talents en ajoutant au troisième 
acte une petite introduction symphonique. 

Le 39 juin, la Fêle du Village voisin, abandonnée 
depuis 1S52, et menée gaiement par S'ockhausen 
(Henri), Prilleux (Rémi), Ponchard (Renneville), 
M"" Lemercier (Rose), Bélia (M"" de Ligneul), De- 
croix (Geneviève). 

Le 10 juillet, les Mousquetaires de la Reine, à peine 
négligés depuis dix-huit mois, et cette fois marqués 
par trois intéressants débuts : MM. Nicolas, Barrielle 
et M"*Dupuy. Déplus les rôles d'Hector et de Berthe 
de Simiane étaient pour la première fois tenus par 
Delaunay-Ricquier et M"' Henrion. Nicolas sortait à 
peine du Conservatoire où il n'avait obie'nu, en 1856, 
qu'un second prix d'opéra-comique (classe Moreau- 
Sainti). Sous les traits d'Olivier d'Entragues, il 6t 
presque sensation; la presse fut unanime à vanter sa 
voix « si jeune, si puce et surtout guidée par une si 
exquise méthode '>. On ajoutait que u ce Jeune ténor 
ne tarderait pas à devenir une des meilleures recrues 
que l'Opéra-Comique eût faites depuis longtemps 
dans uu emploi où il y a généralement plus d'appelés 
que d'élus. » Ou sait que l'événement a Justine ces 
prévisions favorables , mais ailleurs qu'à la salle Fa- 
vart, puisque ce Nicolas a acquis la célébrité sous le 
nom de Aicolini. Barrielle, qui mit au service du capi- 
taine Roland sa bonne diction, sa rondeur et son 
espérieuce de la scène, venait de Belgique et même, 
à cette occasion, il dut, après procès, payer 1,000 
francs d'indemnité à son ancien directeur pour avoir 
rompu trop tôt l'engagement qui le liait avec le théâtre 



1857 291 

de la MoDnaîe à Bruxelles. Quant à M"' Dupuy, 
deuxième prix de chant et d'opéra-comique, premier 
accessit d'opéra au concours de 1856, elle fut le pre- 
mier soir une Athénaïs fort émue, et c'est aux repré- 
sentations suivantes que l'on put mieux juger son 
intelligence et la souplesse de son talent. 

Le 25 juillet, Haydée, avec Jourdan (Lorédan), 
Ponchard (Andréa), Prilleux (Domenico), M"" Le- 
febvre (Haydée), Bélia (Rafaëla). A cette reprise, 
Faure chantait encore le rôle de Malipieri , et , quel- 
ques jours plus tard, le 7 août, il cédait ce rôle à son 
élève Troy, lequel débutait à l'Opéra-Comique, après 
avoir remporté au Conservatoire, en celle même an- 
née 1857, les premiers prix de chant et d'opéra-co- 
mique, mais ne devait être apprécié à sa juste valeur 
que plus tard au Théâtre-Lyrique, où son nom est 
resté attaché à un certain nombre de créations impor- 
tantes. 

Le 12 octobre, Jeannot et Colin, avec Stockauseti 
(Jeannot), Couderc (Colin), Berthelier (Biaise), Pon- 
chard [le chevalier), M"" Lhéritier {Thérèse), Hen- 
rion (Colette), Révilly(la comtesse). 

A ces noms d'artistes, dont quelques-uns étaient 
nouveaux à la salle Favart, il faut joindre ceux de 
deux débutants dont la fortune différa sensiblement. 
D'une part. M"' Duprat qu'on vil le 21 juillet dans 
Brigitte du Domino noir, mais qu'on n'entendit guère ; 
à peine pouvait-elle parler, k plus forte raison chan- 
ter; son trouble était tel que, suivant le mot d'un 
témoin, elle paraissait u asphyxiée par l'ëmolion s. 
Aussi, pour la malheureuse ancienne élève du Con- 
servatoire, cette épreuve, réellement douloureuse, 
n'eut-elle pas de lendemain. D'autre part, Crosti, qui 
avait obtenu en 1857 le premier prix de chant (classe 



292 LE SECOND OUTBAOE DE UBTERBEBU 

de Battaille) et le eecood d'opéra-comique (classe de 
Moreau-Saioti); il parut dans le rôle de Jocoade, 
le 28 octobre, avec succès, et l'on sait qu'il a compté 
depuis parmi les serviteurs les plus sympathiques, 
les plus utiles et les plus dévoués de la salle Favart. 
C'est à cette place qu'on peut rappeler aussi la rea- 
trée de M" Cabel dans l'Étoile du Nord. La presse 
alors s'était occupée d'elle à propos d'un iacident qui 
fit quelque bruit. Dans le Courrier de Paris, où il 
tenait la plume de critique, M. Ernest Reyer, le cé- 
lèbre compositeur, qui n'a jamais plus aimé les chan- 
teuses à vocalises que les pianos, ne s'était-il pas 
avisé d'écrire qu'à Bordeaux, où elle donnait des re- 
présentations, elle avait intercalé dans VÉtoile du 
Nord un de ses morceaux à succès, l'air des Fraises 
du Bijou perdu/ La cantatrice répondit par la voie de 
la presse , disant : « Je saisirai toujours l'occasion 
d'offrir mon tribut de reconnaissance à l'auteur de 
mon premier succès (Adolphe Adam), mais ce ne sera 
jamais au mépris du respect que je dois à l'illustre 
maître dont je révère le génie (Meyerbeer). » La vé- 
rité est qu'à la demande de quelques personnes et mal- 
gré de nombreux témoignages de désapprobation, elle 
était venue en manteau impérial, escortée du czar 
Pierre, chanter sa ronde, non pas au milieu de la 
pièce, mais à la fin du spectacle. Ce fait, attesté par 
le directeur d'un journal bordelais, donnait beau jeu 
à Reyer, et, dans une lettre parue au Courrier de 
Parts, il riposta avec l'esprit qu'on lui connaît, cou- 
vrant l'artiste de fleurs, mais jouant de l'ironie avec 
désinvolture ; « Par bonheur, s'écria-t-il en termi- 
nant, Félix Mornand (alors directeur du Courrier de 
de Parts) est un doux maître ; il a compriB mon repen- 
tir ; il s'est laissé toucher par mes larmes et la seule 



1857 , 293 

puoitioQ qu'il m'a infligée, c'eat de me dooner vingt 
fois à copier le verbe : Je me garderai à l'avenir d'ex- 
citer, à quelque degré que ce soit, le courroux d'une 
cantatrice. » Eq guise de post-scrotum, il ajoutait • 
« J'ai demandé la permission de faire paraître ce 
pensum ea feuilleton ; elle m'a été refusée. » C'était 
mettre les rieurs de son côté, et M™ Oabel ne répli- 
qua pas; su lieu d'écrire, elle préféra chanter, et 
lutter par son seul talent, non plus contre un critique , 
mais contre les rivales qui lui disputaient alors la 
première place au théâtre, notamment M"" Ugalde 
et Lefebvre dont toute la presse avait constaté le suc- 
cès à propos de Psyché, la première nouveauté de 
l'année 1857, représentée le 26 janvier. 

C'est là une de ces œuvres sur laquelle on fondait 
de grandes espérances et qui ne les a jamais complè- 
tement justifiées. Les trois actes de Jules Barbier et-- 
Michel Carré ne manquent pas cependant d'intérêt; 
en tout cas, le sujet choisi par eus est ou doit être 
musical, si l'on songe au nombre de musiciens qui 
l'ont traité avant Ambroise Thomas. Sait-on, en effet, 
qu'il existait déjà onze opéras de ce nom, et cinq bal- 
lets dont un, celui de Gardel, musique de Miller, fut 
joué à l'Opéra, de 1790 à 1829, onze cent soixante et 
une fois î 

Quant à la partition, elle compte un certain nombre 
de morceaux justement réputés et goûtés par tous les 
connaisseurs, comme la romance : « toi, qu'on dît 
plus belle », comme le chœur : « Quoi 1 c'est Éros lui- 
même» et les spirituels couple ta de Mercure : « Simple 
mortelle ou déesse ». On ne peut pas non plus s'en 
prendre aux interprètes. Â l'origine, comme à la re- 
prise du 2! mai 1878, où l'œuvre reparut après avoir 
subi de notables remaniements dont quelques-uns 

„■ ... .CoQi^Ic 



394 LB SECOND OUVRAOB DB UBYEBBBEB 

[ureat d'aitleurâ critiqués, ces iaterprètes furent 
excellents; les deux distributions suivantes le 
prouvent : 

1857. 1878. 

Mercui-o MM. Battaille MM. Morlet 

Antinous ...... Sainte-Foy Collin 

Gorgias Pnlleux Pcax 

Le Roi Beaupré Bacquié 

Eros M""" Ugalde M"" En^lly 

Psyché LefebTTC Heilbron 

Daphné Boulard Donadio-Piidor 

Bérénice. .;..., ftévillf Irma Marié 

Et poui'taut cet buvrage de valeur n'a pu atteindre 
que soixante-dix représentations : quarante et une 
d'abord et vingt-neuf ensuite. 

Pour la Clef des champs, opéra-coQiique en un acte, 
paroles de H. Boisseaux, musique de M. Deffès, 
donné le 30 mai 1857, on traita la partition à sa 
juste valeur en lui accordant quarante-quatre re- 
présentations en cinq années ; seulement on critiqua 
le livret qui montrait M"" Du Barry faisant, par ca- 
price et bouderie, une fugue au pays natal où son in- 
génuité apparente allait lui faire décerner, par un 
naïf bailH, la couronne de rosière, lorsqu'un seigneur 
dont on ne disait pas le nom, mais qu'on devinait, 
survenait à temps pour sauver la rose et reprendre 
la belle. 

A la couronne près, l'anecdote a passé pour vraie 
dans certains mémoires du dis-huitième siècle, et 
déjà Bayard s'en était emparé pour un vaudeville, 
joué au Gymnase et mtilulé Un soufflet n'esl jamais 
perdu. Mais ces précédents n'étaient pas pour satis- 
faire Clément, qui, parlant de la Clef des champs dans 
son Dicitonnaire lyrique, déclare simplement la donnée 



1^57 295 

« estravagante ». Or, rapprochement bien curieux, 
cet honnête critique ne se doutait pas que, vers la 
même époque, la favorile d'un souverain devait jouer 
pour de bon le rôle prêté à M"' Du Barry . Elle partit 
un jour pour son village et c'est là qu'elle fut re- 
trouvée en sabots, jouant à la paysanne, par certain 
magistriit célèbre qu'on avait dépêché à sa poursuite 
et qui nous a laissé de cette entrevue le plus char- 
mant récit. Tant il arrive que l'invraisemblable est 
souvent près de la vérité 1 

On pourrait eucore tirer une morale, mais celle-là 
différente, de l'ouvrage en trois actes, représenté le 
3 juin, sous le titre des Dames Capitaines et ré- 
pété d'abord sous celui de Gaston. L'action se dérou- 
lait au temps de la Fronde, à cette époque troublée 
où les femmes s'occupaient avec autant d'activité que 
de caprice des affaires de l'Eiat, où l'amour nouait et 
dénouait au gré de sa fantaisie les intrigues politi- 
ques, où Gaston, duc d'Orléans, adressait ainsi une 
de ses letlres : « A Mesdames les Comtesses, Maré- 
chales de Camp dans l'armée de ma fille contre le 
Mazarin ! n On y voyait une duchesse s'introduire 
dans un camp, y remarquer un bel officier, puis pé- 
nétrer dans lu ville assiégée, et finalement la livrer 
au chef des assiégeants qui se trouvait être ledit 
officier, ce qui permettait aux adversaires de s'unir 
en politique, comme en amour. Toute celte intrigue 
ne lenaii guère debout et faisait médiocrement hon- 
neur au librettiste Mélesville. Vainement le composi- 
teur Reber s'était mis eu frais d'imagination et d'ha- 
bileté ; il vit disparaître son œuvre après onze repré- 
sentations, et le chagrin qu'il en ressentit l'éloigna 
définitivement de la scène. L'opéra qu'il écrivit de- 
puis n'a pas vu le jour, et l'on ne sait trop si c'est 



.,Cooiî(c 



396 LB SECOND OUTRiaB DE UBTBHBEER 

parce que l'auteur ne l'a pas voulu ou parce que les 
directeurs u'en ont pas voulu. Mais voici le point 
curieux de cette affaire. On avait jugé le livret ab- 
surde, détestable, et ce même livret détestable, ab- 
surde, a fait la fortune d'une opérette de Strauss, in- 
titulée la Guerre joyeuse, comme plus tard la Circas' 
sienne d'Auber celle de Fatinitza de Suppé. D'où l'on 
doit évidemment conclure que l'opérette et l'opéra- 
comique diffèrent, que ce qui répugne à l'un peut 
convenir àl'aulre, et qu'enfin le succès d'une œuvre 
dépend souvent du cadre dans lequel elle s'est pro- 
duite. 

Au moment où Reber quittait l'Opéra- Comique, un 
jeune compositeur y entrait, de qui l'on n'avait en- 
core joué qu'au Théâtre-Lyrique quelques petits 
actes d'ailleurs favorablement accueillis, Eugène 
Gautier. L'af&che était ainsi conçue, au lendemain 
de la première représentation qui eut lieu 1e20 juin : 
« Le Mariage extravagant, pièce en un acte d'après 
Désaugiers, mêlée de musique par E. Gautier, u Ces 
indications demeuraient fort incomplètes. D'abord on 
oubliait de Valory qui fut collaborateur de Désaugiers 
pour le vaudeville de ce nom, représenté en 1812 ; 
ensuite on négligeait de faire connaître l'adaptateur 
et habile transformateur de ce vaudeville eo opéra- 
comique, Eugène Cormon. On a fait observer que, 
dans ce Mariage extravagant, tout était extravagant, 
sauf le mariage de raison qui s'y conclut finalement 
entre Edouard et son amie d'enfance, Betzy, la fille 
du docteur Verner, directeur d'une maison d'aliénés. 
Ce mot seul indique combien le cadre prêtait aux 
folies; aussi voyait-on le père prendre pour un fou 
son futur gendre, tandis qu'un vrai fou était pris par 
le fiancé pour son futur beau -père. La gaieté des qui- 



,L.:e..ïG00'^lc 



1857 297 

proquos, l'eatram de la musique assura la vie de ce 
lever de rideau qui, joué 1 1 1 fois de 1857 k 1862, et 
64 de 1871 h 1874, a atteint le chiffre total de 175 re- 
présentations. 

Le même librettiste, aidé cette fois d'Eugène 
Grange, reparut le 30 septembre à la salle Favart 
avec un opéra-comique en deux actes et trois tableaux, 
le Rot i)on Pèdre, appelé successivement aux répéti- 
tions Don Pèdre le Cruel et Don Pèdre le Justicier. Tels 
étaient en elfet les deux surnoms donnés par l'his- 
toire à ce roi d'Espagne qui n'a certainement jamais 
fait en réalité ce qu'on lui faisait faire au théâtre, 
savoir : rendre un arrêt contre le duel, puis courir 
les rues de Tolède comme un simple bachelier, se 
heurter la nuit à un amoureux qui roucoule sous le 
balcon d'une belle, et lui administrer un coup d'épée, 
solution fâcheuse qui embarrasse un moment les 
deux adversaires épris de la même jeune fille, tandis 
que dans l'ombre se profile la figure d'un juif équi- 
voque , surprenant les secrets pour en battre monnaie. 

Comme Eugène Gautier, le compositeur Ferdinand 
Poise n'avait pas encore été joué à l'Opéra- Comique ; 
il avait passé par les Bouffes et le Théâtre-Lyrique ; 
son coup d'essai sur une nouvelle scène réussit assez 
pour qu'il ait survécu de cette partition une char- 
mante sérénade. Ou goûta et Ton peut dire que l'on 
goûte encore, si l'on songe à ses récents succès, la 
Surprise de l'amour et l'Amour médecin, par exemple, 
cette manière spirituelle et fine, cette orchestration 
minuscule, cette délicatesse de touche qui réveillait 
le souvenir des petits-maîtres du dix-huitième siècle. 

Plus vigoureux était le talent de celui dontl'cBuvre 
vint, au monde le 9 décembre, le Carnaval de 
V«nîse, opéra-comique en trois actes, paroles de 
17. 



2ï<8 LB SECOND OUVHÂGB DE UBVEBBBBR 

Sauvage, musique d'Ambroise Thomas. L'année 
Haïssait doDc comme elle avait commencé ; eu 
moins de douze mois, le même théâtre avait repré- 
senlé deux graods' ouvrages d'un même auteur, géné- 
rosité qui de nos jours passerait pour un abus ! 
Le Carnaval de Venise, s'écriait un critique, Henry 
Boisseaus, «■ c'est tout un monde d'intrigue, d'amour, 
de folie ; c'est le quiproquo en action, c'est le bruit, 
c'est le rire ! » Par malheur l'intrigue fut embrouillée, 
le quiproquo banal, l'éclat assez terne, et le rira 
absent. Aussi le public réserva-t-il toute son admi- 
ration pour la principale interprète, M" Cabel. Au 
bout de 33 représentations l'œuvre avait vécu; il n'en 
est resté que l'ouverture où sont intercalées de char- 
mantes variation» sur l'air qui. donne son nom à la 
pièce. Remarquons combien étiiit alors à la mode cet 
air délicieusement vocalisé par M"" Carvalho dans la 
Reine Topaze de Victor Massé, gaiement mirlitonné 
dans les Petits Prodiges de Jonas, et joué partout sur 
le violon par l'aimable Saint-Léon. Ajoutons que cet 
ouvrage, préparé par un directeur, fut monté par ua 
autre. L'Opéra-Comique, en effet, avait changé de 
maître. Depuis le 19 novembre Nestor Roqueplan avait 
succédé à M. Perrin, et cette transmission de pou- 
voir ne manquait pas de réveiller dans la presse les 
vieilles et stériles querelles relatives à la cession des 
prioilèges. En somme, Emile Perrin faisait une 
affaire avantageuse, et se relirait au bon moment. 
Pour 513,000 francs payables en argent comptant, le 
lourde son départ, il abandonnnit l'exploitation, et se 
voyait libéré de tout engagement, de toute responsa- 
bilité. Certainement il pressentait que le vent de la 
fortune allait tourner, et que la salle Favart allait 
traverser une période difficile. L'arrivée de M. Car- 



1857 »99 

ralbo avait donné la vie au Théâtre-Lyrique, ^a 
moins de troiB ans a'étaient produits la Fanchonnette, 
les Dragons de Villars, la Reine Topaze ; on avait 
monté OdriroTt, etpour 1858 on préparait ie Médecin 
malgré lui. Cette concurrence, au reste, avait influé 
8ur les recettes de l' Opéra-Comique, qui, belles en- 
core, suivaient une marche nettement descendante. 
■ 1855. — 1.389,999 fr. 05 c. 

1856. — 1,117,353 fr. 17 c. 

1857. — 1,066,414 fr. 70 c. 

En joueur habile, M. Perrln préféra passer la main 
et laisser le souvenir d'une gestion brillante et fruc- 
tueuse, puisque pendant les neuf ans qu'elle avait 
^uré, de mai 1848 à novembre i857, les recettes 
avaient atteint, en chiffres ronds, plus Aeonze millions. 
On sait d'ailleurs quelle intelligence il apportait aui 
moindres détails de son administration. Sans doute 
il ne parvenait pas à réaliser tous ses projets. On ci- 
terait, pav exemple, quelques ouvrages annoncés par 
Jui et ajournés, comme Lady Melvil, de Grisar, joué 
en 1838 à la Renaissance, et répété vainement en 
1856 sous le litre âe le Joaillier de Saint-James; comme 
les Deux Avares, qu'il prétendait faire remanier par 
Eugèae Gautier pour servii- aux débuts de Berthelier; 
comme, pensée plus extraordinaire, les Indes galantes 
do Rameau, dont il avait confié le rajeunissement à 
Michel Carré pour le poème et à Gounod pour la 
musique, voyant là prétexte à beaux décors et riche 
mise en scène; comme eclin cette Josépha ou le Der- 
nier Bal, dont parle ainsi M. Arthur Pougin dans son 
livre intéressant sur la vie et la carrière d'Adolphe 
Adam. « Le Dernier Bal avait été reçu à l'Opéra-Co- 
mique peu de temps avant la mort de son auteur, et, 
si j'ai bonne mémoire, avait donné lieu à un procès 



300 LB SECOND OUVBAaB DE IIBTERBBRH 

doDt je ne me rappelle ni la cause ni les détails. « 
Complétons cette lacune. La pièce avait été non seu- 
lement reçue, mais répétée en 1854 ; un beau jour de 
juillet, les répétitions cessèrent, et 11 n'en fut plus 
question qu'en 1857, lorsque M"' Adam, devenue 
veuve, demanda aux tribunaux une solution à cette 
atTaire. Emile Perrin fut condamné à représenter 
Josêpha dans les six mois ou à payer une indemnité 
de 6,000 francs à chacun des auteurs. Scribe et Adam. 
Ce jugement fut réformé en appel, et un arrêt de 
1858 réduisit l'endemnité au chiffre de 750 francs par 
tête. C'était pour rien, et la pièce fut d'autant moins 
exécutée que l'auteur lui-même n'était plus là pour 
défendre ses droits. Nul directeur n'y a songé depuis. 
On néglige tant les vivants, qu'à plus forte raison on 
oublie les morts 1 Et cependant M. Perrin ne pouvait 
être compté parmi ces négligents. Il avait surtout le 
mérite de monter avec le plus grand soin les ouvrages, 
même insignifiants; comme on l'a écrit, « il avait le 
respect des choses de l'intelligence et, l'opéra une 
fois reçu, il ne se reconnaissait plus le droit de le sa- 
crifier et d'enlever ainsi à l'auteur une chance de 
succès. t> 

Son successeur ne possédait ni les mêmes scrupules 
ni la même habileté. Nestor Roqueplan avait admi- 
nistré l'Opéra de 1847 à 1854, laissant d'ailleurs un 
passif de 900,000 fraucs que la liste civile s'était 
chargée de solder; c'était un ficheux précédent. Mais 
il était bien en cour; il avait d'ailleurs beaucoup 
d'esprit, et, en dépit de son scepticisme de commande 
et de son dédain affecté pour certaines œuvres, il 
était loin d'être dépourvu de sens artistique. 

Tout d'abord, il fallait combler les vides qui s'é- 
taient produits en 1857. M"* Rey avait accepté un 



1858 301 

engageméDl au Théâtre-Lyrique ; Battaille s'éloi- 
gnait, lui qui appartenait depuis 1848 à i'Opéra-Co- 
mique, où il ne devait plus rentrer que momentané- 
ment, en 1861, et où il avait marqué sa place par bien 
des rôlesjoués et même créés, savoir: Jacques Sincère 
duVaId'Andorre(1848),DonBeIflorduroréa(ior(18i9), 
Atalmuck de la Fée aux Roses (1849), Faistaff du Songe 
d'une nuit d'élè (1850), MathéuB Claës du Camionneur 
de Bruges [1852), le Père Gaillard (1852), Marco Spada 
(1852), Peters de l'Étoile du Nord (1854), le Comman- 
deur de la Cour de Célimène (1855), Gédéon du ffou- 
zard de Berchiny (1855), Gilbert de Valentine d'Aubi- 
gny[i8b&). Mercure de Psyché (1857) : douze créations 
importantes en neuf annéesl Enâu M"' Ugalde, la 
volage et capricieuse M"' llgalde, se retirait encore, 
paraissant pour la dernière fois le 23 février 1858 
dans une représentation à son bénéfice où elle chanta 
des fragments de Galatée et le deusième acte du 
Caïd. Elle avait accepté un engagement au Théâtre- 
Lyrique et n'allait pas craindre, quelques mois plus 
tard, de s'essayer sur la scène même de l'Opéra dans 
le rôle d'ÉIéonore du Trouvère, le 28 août, lors d'une 
représeùtation au bénéfice de Roger, tant l'audace 
chez elle égalait le talent! Ces départs devaient être 
suivis la même année de ceux d'autres artistes, 
M"" Lhéritier et Dupuy, MM. Barbet et Nicolas, ce 
dernier engagé à la Scala de Milau et décidé désor- 
mais à suivre la carrière italienne. 

En 1858, pour remplacer ces artistes on vit tour à 
tour : M. Hilaire dans Lorédan à'Haydée (28 juin) et 
M. Ganet dans Daniel du Chalet (8 août), deux ténorinos 
fort inexpérimentés encore; M. Barré dans Germain 
du Valet de chambre (14 août), un jeune baryton qui 
débuta sans tambour ni trompette, et n'eut pas même 



302 LE SECOND ODVBAaB DE UEVEaSEER 

l'honneur d'une menlioa daoB la presse musicale, lui 
qui devait ua jour tenir dans ce même théâtre les 
premiers rôles ; M"' Pannetrat dans Béatrix des 
Monténégrins (14 août], agréable chanteuse et trans- 
fuge du Théâtre-Lyrique; M'" Vernon dans Belly du 
Chalet {[" oclobie] et le même soir M, Warot, dans 
Sergis des Monténégrins, uû ténor qui s'était senti la 
vocation et qui, saos passer par une école, avait brus- 
quement quitté les bureaux et les livres de caisse 
pour le théâtre, ce qui lui réussit; M'" Prost dans 
Stellina du Chercheur d'esprit (H octobre), une élève 
de Massé et de Moreau-Sainti qui, au Conservatoire, 
veoait d'obtenir simplement un 3' accessit de chant 
et un 2* accessit d'opéra- comique ; M. Davoust, dans 
Girot du Pré aux Clercs (22 octobre), un baryton qui 
se confina vite dans les rôles i''utilHés et dont les ser- 
vices à rOpéra-Oomique ont été aussi longs que 
dévoués; M. Carré dans Lorédan i'Haydée (21 no- 
vembre), un ténor léger qui arrivait d'Algérie après 
avoir passé par le Théâtre-Lyrique. Il n'y avait pas 
d'étoile en perspective ; tous ces nouveaux venus, sauf 
Warot et Barré, ont brillé d'un assez faible éclat ; la 
récolte de l'année demeurait donc des plus roodestes. 
Comme les débuts, les reprises furent nombreuses 
et le plus souvent médiocres, sauf la première, celle 
de Fra Diavolo, négligé depuis 1852, remis à la scène 
le 4 janvier et gratifié de 52 représentations en cette 
seule année 1858 ; les interprètes se nommaient 
Darbot (Fra Diavolo), Ponchard (Lorenzo), Sainle- 
Foy (Mylord), Beckers (Beppo), Berthelier (Giacomo), 
Nathan (l'hôielier), M'"" Lefebvre (Zerline), Lemer- 
cier (Paméla). Un journal reprocha à Sainte-Poy, 
d'ailleurs parfait dans son rôle, d'avoir péché par 
modestie en s'abstenant de chanter l'air bouffe ajouté 



1858 303 

à LoDdre3 par Roaconi. On sait ce qu'il faut penser 

(le ces hors-d'œuvre imposés par le caprice d'un in- 
terprète, arrachés à la faiblesse du coiripositeur fetle 
plus souvent manques. En revanche, on avait inter- 
calé au premier acte un trio, tiré 4^8 Chaperons blancs. 
Cette addition compensait la soustraction ! 

■ Et puis, les reprises se succèdent avec une conti- 
nuité remarquable: la Fiancée (10 février), le Muletier 
[7 mai), le Valet de chiimbre [2 juillet), les Méprises 
par ressemblance {29 juillet), les Moniênégrins{liaoùl), 
la Part du Diable (4 septembre). Parmi ces ouvrages, 
deux, celui de Carafa et celui de Grétry, n'avaient 
jamais été donnés à la salle Favart; aucun, sauf le 
dernier, n'y devait plus jamais reparaître, 

■ La Fiancée, oubliée depuis 1849, avait pour inter- 
prètes Jourdan (Fritz}, Delaunay-RLcquier (Frédéric), 
Crosti (Saldorf), M"" Boulard (Henriette), Révilly 
(Charlotte)^ dont les talents réunis ne parvinrent pas 
à faire revivre l'œuvre plus de 17 soirées. Un souve- 
nir se rattache à cette reprise, à laquelle assistaient 
l'Empereur et l'Impératrice: ce soir-!à, en effet, on 
Inaugura un escalier desservant leur loge et construit 
spécialement pour leur usage. Trouver un escalier 
large et spacieui, précédé d'un grand salon d'attente 
et aboutissant à un vaste palier avec devant, tout 
cela sans gêner les services et dans un local aussi 
étroit que !a salle Favart, c'était un tour de force, 
mais la flatterie rend ingénieux. Roqueplau avait eu 
cette idée, et l'architecte Charpentier l'avait réalisée. 

Le Muletier, oublié, lui aussi, juste depuis !a même 
époque que la Fiancée, fut joué par Lemaire (Ro- 
drigue), Delaunay-Ricquier (Henriquez), S^iinte-Foy 
(Flandrinos), le seul qui restât de la reprise de 1849, 
M"" Lefebvre (Inesia), Hen-rion (Zerbine), et obtint 



304 LB SECOND OOTBAGS DB UBTSRBBBB 

à peu près le môme résuUat que la Fiancée, 21 repré- 
sentatiODS au lieu de 17. 

Le Valet de c^ambrerernootait su 16 septembre 1833. 
Le poème de Scribe et MélesTille n'était en réalité 
qu'une deuxième édition, à peiae modifiée, d'un 
vaudeville des mêmes auteurs joué au Vaudeville le 
18 janvier 1921 sous le titre de Frontin mari-garçûn. 
La partition avait pour auteur Carafa, un musicien 
de taleut, en dépit de sou rossinisme déclaré, en tout 
cas un galant homme et si désintéressé qu'il finit 
par tomber daus ud état voisin de la détresse. Dans 
Eon Histoire universelle du théâtre, Alphonse Royer a 
donc dit à tort que Carafa mourut t sans avoir jamais 
pu faire remettre un seul de ses ouvrages au réper- 
toire. » De plus, ou avait remonté eu 1855 au Théâtre- 
Lyrique son lameus Solitaire, 

Qui Toit tout, 
Qui sait tout, 
Entend toat. 
Est partout. . 

Enfin môme on faillit revoir Maeaniello en 1860; 
les rôles étaient déjà distribués à Jourdan, Barrielle 
et M"" Pannetrat, lorsque le départ de Jourdan, et 
surtout le changement de direction, mit sans doute 
à néant ces bonnes dispositions, ce qui fut une cruelle 
désillusion pour le pauvre Carafa et une perte re- 
grettable pour le public ; car, môme après la Muette 
de Portici, Masaniello se défend contre l'oubli et 
mérite l'atteotion des curieux. Quant au Valet de 
chambre, il avait été joué à l'origine par Huet (le 
comte), Darboville (Germain), M"" Prévost (la com- 
tesse) et Boulanger (Denise] ; il le fut cette fois par 
PoQchard, StockUausen, M"" Dupuy et Lhéritier, et 



1858 305 

n'obtint que 29 représentations réparties en deux 



Les Méprises par ressemblance, données pour la pre- 
mière fois à Fontainebleau, devant la Cour, le 7 no- 
vembre 1786, et aux Italiens, à Paris, le 16 du même 
mois, n'avaient pas été reprises depuis 1832; c'était 
donc «ne nouveauté pour le public de 1858, qui 
voyait une vieille pièce, cette fois, par extraordinaire, 
□on retouchée par un arrangeur, et qui vint trente 
fois en deux ans applaudir Beckers (Robert), Nathan 
{le Bailli), Delaunay-Ricquier (Sans- Quartier), Crosti 
(La Tulipe), Troy (Sans- Regret), Sainte-Foy (Jac- 
quinot). M""' Lhéritier (Thérèee), Decroix (Louiaoo) 
et Casimir (Margot), dans les rôles créés par Nar- 
bonne, Rosières, Philippe, Meunier, Chenard, Trial, 
M"" Adeline, Carline et Gonthier. 

C'est avec plus de réserve qu'on accueillit la re- 
prise des Monténégrins, opéra réduit en deux actes 
de M. Limnander, avec BarboC (Sergis), Troy 
(Ziska), Nathan (Andréas), M"' Pannetrat (Béatrii), 
une débutante estimable, et les deux seuls artistes 
ayant appartenu à la distribution primitive de 1849, 
Qainte-Foy (Foliquet) et M"' Lemercier (Regina)^ 
Cette tentative fut un succès pour le chanteur Troy, 
mais non pour l'oBuvre, à laquelle onze représenta- 
tions portèrent le dernier coup. 

Très heureuse au contraire fut la Part du Diable, 
le troisième ouvrage d'Auber qu'on reprenait depuis 
huit mois! Très honorablement présentée par des 
interprètes comme Jourdan (Raphaël), Prilleux (Gil 
Vargas), Beckers (Le Roi), M"" Cabel (Carlo), 
M"" Henrion (Casilda), M"' Révilly (La Reine), 
l'œuvre d'Auber se maintint quatre années de suite 
au théâtre avec un total de 63 représentations. 



..Cooi^lc 



ÔOb ^ LE SECOND OUTRAGE DE WETBBBBER 

Mais cette abODdaace de reprises laissait âeviDer 
une grande disette de nouveautés. C'était la qualité 
qui faisait défaut, plus que la quantité : sur sept 
pièces, une seule réussit, les Désespérés; deux autres 
obliarent un succès d'estime, Quentin Durward et les 
Trois Nicolas; le reste n'a pas laissé de trace. 

Un mylord millionnaire et un paysan pauvre qui 
vont se pendre par désespoir et entre lesquels se 
glisse une joyeuse fillette qui les raccommode avec 
la vie, en faisaut de l'un son ami et de l'autre sou 
mari, voilà toute l'intrigue des Désespérés; mais de 
Leuven et Jules Moinaux l'avaient conduite avec 
esprit, et Bazin avait montré de la verve dans sa par- 
tition ; Jjref, l'acte fut accueilli le 26 janvier 1858 de 
telle sorte qu'il atteignit en six années 86 représen- 
laiions. 

La veine souriait à ce compositeur plus qu'à M. Ge- 
vaert, dont le Quentin Durtoard (25 mars) ne put 
dépasser le chiffre de 59, Et pourtant, le poème de 
Michel Carré et Cormon était intéressant I Et pour- 
tant, la musique était à quelques égards remar- 
quable ! En Belgique on a repris l'ouvrage, il y a 
quelques années; k Paris plus d'une fois il en fut 
question, et si l'auteur consentait à effacer quelques 
taches, à supprimer notamment quelques italia- 
nismes aujourd'hui démodés, Queniin Durward ferait 
sans doute encore honorable figure. 

Il n'était pas non plus sans mérite, ce petit acte 
que les curieux seuls connaissent dans l'œuvre de 
Victor Massé, (es Chaises à porteur, joué le 28 avril; 
la musique avait de la grâce et de l'entrain ; le 
poème, signé par deux hommes d'esprit, Clairville et 
Dumanoir, présentait un amusant Imbroglio, dont le 
titre indiquait le principal élément, car chacun des 



1858 307 

pèrBonnages se serTait du véhicule qui ne lui appar- 
tenait pas, d'où résultait ua vrai « péle-méle de 
mari et d'amants, de femme et de maîtresse, dé 
chaises et de porteurs », !e tout d'ailleurs assez leate 
et lestement conduit. Mais l'Opéra-Comique tenait 
d'autant plus à ces pièces, franchement gaies, qu'il 
possédait une troupe incomparable pour les inter- 
préter. Dans ce petit acte, par exemple, paraissaient 
Couderc, Ponciiard, Prilleux, M'" Lemercier ; et le 
théâtre tenait encore en réserve SainteFoy, Berthe- 
lier. M'" Lefebvre, tous artistes dont on n'a plus 
guère aujourd'hui que la monnaie. 

Leur valeur toutefois ne put sauver les malheu- 
reux ouvrages qui marquèrent la suite et la fin de 
l'année 1858. Les Fourberies de Marir\ctte{î juin) ne 
trompèrent personne. Ce petit acte en vers avait pour 
librettistes un journaliste, M. de Chazot, et Michel 
Carré, lequel ne se fil pas nommer le premier soir ; 
il semblait donc se rendre compte de la médiocrité 
de son œuvre. Quant au compositeur, M. Jutes 
Creste, il avait précédemment combiné, à l'usage de 
M""* Ugalde, une adaptation musicale des Trois Sul- 
tanes, de Favart, transportées, nous l'avons dit, aux 
Variétés. C'était un nouveau venu à l'Opéra-Co- 
mique ; il n'y revint plus. 

Mêmes circonstances et même résultat pour les 
auteurs de l'ouvrage en un acte représenté le 18 juin, 
Chapelle et Bachaumont. En nous montrant les deux 
célèbres ^mis pris de vin et se faisant berner l'un 
par une actrice; l'autre par une griselte, Armand 
Barthet avait imaginé une fable qui ne rappelait 
guère le Moineau de Lesbie, auquel il devait sa répu- 
tation. Quant au compositeur, on ne lui connaissait 
alors d'autre titre musical que ses fonctions, et lors- 



308 LB SECOND OUTRA.OB DE UBTBRBBBR 

que, suivant l'usage qui se maintenait encore, le 
régfôseur Patianti vint en habit noir et gants paille 
nommer les auteurs, il annonça tout au \iing que 
c'était « le premier ouvrage de M. Jules Creasoanois, 
chef de musique du 2' régiment des Cuirassier» de la 
Garde impériale, i II devait plus tard passer des Cui- 
rassiers aux Guides et des Guides à la Garde de Paris. 
Rapprochement assez curieux: deux ans plus tard, 
un autre futur chef do musique de la Garde républi- 
caine, M, Sellenick, débutait au Théâtre-Lyrique 
avec une pièce en un acte, et, comme la précédente, 
classique au moins par le sujet, Crispin rival de son 
maître. 

Les Chaises à porteur fuient jouées 51 fois en cinq 
ans; les Fourberies de Marinette n'eurent que 17 re- 
présentations ; Chapelle et Bachaumont, 1 1 ; la Bac 
chante, 3 seulement. C'est tout ce que méritait cet 
ouvrage en deux actes donné le 4 novembre, et dans 
lequel les auteurs, de Leuvon et de Beauplan, avaient 
imaginé une jeune ftUe, soi-disant honnête, qui pre- 
nait le masque et le nom d'une courtisane pour 
ramener à elle un sien cousin qu'elle aime, se faisant 
d'ailleurs aider, en cette étrange besogue, par un 
chevalier d'industrie qui pousse le jeune homme au 
mariage en l'excitant à perdre sa fortune au jeu. 
Pour sauver cette scabreuse donnée, il eût fallu un 
musicien de génie et Eugène Gautier, le compositeur, 
n'avait tout juste que du talent. 

La série tournait à la noire, et le nouveau direc- 
teur commençait à perdre courage. Une carte lui 
restait cependant, les Trois Nicolas; elle fut assez 
bonne pour soutenir le théâtre pendant quelques 
mois. Ce n'est pas que le libretto en trois actes de 
Bernard Lopez et '" (lise* Scribe) brillât par un très 



..Coo'^Ic 



1858 309 

vif intérêt, ni que la partition de Clapisson eût une 
grande valeur artistique; mais cette pièce, jouée le 
16 décembre, servait au début d'un ténor qui, par 
avance, piquait toutes les curiosités et faisait tourner 
toutes lea têtes, Montaubry. Avec ses 45 représenta- 
tions en trois années, la pièce n'eut qu'un succès 
honorable; le ténor eut un triomphe retentissant. 
11 II faut remonter jusqu'aux débuts de Roger, écri- 
vait un critique, pour lui trouver ud terme de com- 
paraison. 8a voix est souple, étendue et parfaitement 
timbrée ; tour à tour énergique et suave, elle se 
prête également aux effets de force et de sentiment. 
On s'aperçoit que les conseils de ChoUet, dont il a 
épousé la fille, n'ont pas été sans influence sur lui... » 

Qui se souvenait alors qu'en 184711 avait déjà paru 
sur cette même scène, et qu'il avait dû se retirer 
devant le succès d'un rival plus heureux, comme 
cette fois le futur Nicolini se retirait devant le sien I 
D'un bond il s'était élancé à la première place ; 
enlevé à Bruxelles, il allait régner à Paris, et jus- 
tifier pendant bien des années de service, à la salle 
Favart, le joli portrait qu'a tracé de lui Albert 
Vizentini dans son amusant volume intitulé Derrière 
la toile. « Vous faut-il la jeunesse incarnée, la plus 
agréable gaminerie, l'aplomb imperturbable, la tyro- 
lienne faite homme, le chanteur plein d'adresse et de 
ficelles aimables, la voix de tôte la plus adorable, le 
style le plus sucré du monde, le bon musicien per- 
sonnifiant l'opéra-comique, bref le comédien léger 
infatué de sa jolie personne 7 Prenez Chapelou-Saint- 
Phar, le dernier descendant d'ElIeviou, Montaubry, 
qui redresse si vivement ses petites moustaches et 
semble toujours avoir une colombe dans le gosier. » 

A côté de tels débuts devaient pâlir ceux de 



310 * LE SECOND OVVllAGB I 

M"* Bousquet dans Anna de la Dame blanche, le 
2t décembre 1858, et de M"* Breuillé dans Catherin© 
des Diamants de la Couroniie, le 3 janvier 1859, deux 
jeunes filles qui avaient quitté le Conservatoire 
en 1858, la première avec le premier accessit de 
chant, la ^conde avec le deuiième prix de chant et 
le premier prix d'opéra- comique. M'" Breuillé devait 
mourirpeu de temps après, le 2 Juin 1859, à l'âge de 
dix-huit ans, après avoir simplement marqué aou 
court passage à l'Opéra- Comique par la création 
du rôle d'un des pâtres dans le Pardon de Ploermel. 
Egalement inaperçue passait, le 23 février, M"* Bn- 
jalhert, qui venait du Vaudeville, après avoir appar- 
tenu quelque temps au Conservatoire. 

Du reste, dès les premiers jours de l'année, toute 
l'attention du public, toutes les espérances du direc- 
teur, toute l'activité du personnel étaient tournées 
vers le fameux ouvrage dû à la collaboration nouvelle 
de Jules Barbier, Michel Carré et Meyerbeer. La 
pièce avait été lue aux artistes le 10 décembre 1858. 
On s'était mis à l'œuvre aussitôt; on avait commandé 
à MM. Muhldorfer père et fils, de Mannheim, toute 
la machinerie du deuxième acte : savoir la méca- 
nique du pont, de la rupture des écluses et de 
l'irruption des eaux, et l'on défonçait le théâtre pour 
y établir la fameuse cascade naturelle ; on s'occupait 
de .l'achat et du dressage non d'une chèvre, mais de 
trois, qui répétaient à tour de rôle et faisaient la joie 
du periionnel des coulisses ; on brossait de magni- 
fiques décors ; on disposait d'une troupe d'élite com- 
mandée par, M"" Cabel,,MM. Faure et Sainte-Foy ; 
enfin on travaillait sans cesse afin d'atteindre à une 
perfection qni coûtait quelque peine non seulement 
aux artistes, mais au maître lui-même. On sait que ' 



1859 3H 

Meyerbeer, en effet, arrivait au théâtre avec trois 
instrumentations différentes pour les principaux 
morceaux, la première écrite à l'encre noire, la 
seconde à l'encre bleue, la troisième à l'encre rouge; 
il se faisait exécuter les trois versions, et se pronon- 
çait de auditu pour l'une ou pour l'autre. Les chœurs 
et l'orchestre avaient été renforcés d'ailleurs, pour 
donner plus d'éclat à la représentation ; et cependant 
quelques jours avant la première, Meyerbeer disait à 
un critique qui l'interrogeait : « Je fais un acte digue 
d'un sou s -lieutenant en livrant un ouvrage où je me 
suis privé volontairement de toutes .les ruses de 
guerre qui ont fait ma réputation. Contrairement au 
grand poète latin, je veux moduler sur les pipeaux 
rustiques, gracili avenâ, après avoir embouché la 
trompette héroïque et chanté les grandes passions des 
coeurs humains ; que la critique me soit légère ! » En 
raison de ces craintes, les répétitions furent excep- 
tionnellement nombreuses ; nombreuses aussi les re- 
lâches (on en compte huit : 18, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 
30 mars), alors qu'une seule répétition générale suffi- 
sait d'ordinaire aux grands ouvrages. Heureusement 
les recettes, grâces à Montaubry, se maintenaient à un 
taux honorable ; on encaissait 108,419 francs en jan- 
vier, 97,973 fr. 30 en février, 80,411 fr. 45 c. en 
mars. Entre temps on cherchait un litre à l'ouvrage, 
et l'on annonçait tour à tour : les Chercheurs d'or, 
Dinorah, le Pardon de Nûtre-Dame-d'Auray, Le pre- 
mier convenait à une action qui se serait passée en 
Californie plutôt qu'en Bretagne ; le second ne signi- 
fiait rien, c'est pour cette raison peut-être qu'on l'a 
depuis adopté à l'étranger; le troisième fut écarté 
par la censure, disent les journaux du temps ; on 
peut ajouter, sans doute, et par le directeur, qui dut 



312 LE SECOND OUVRAGE DB UBYBRBEER 

trouver ce titre bien lODg sur l'afflche. Enfin l'on 
adopta le Pardon de Ploërmel presque à la veille 
de la représentation. Le 4 avril eut lieu cette 
bataille décisive et le lendemain, célébrant le nou- 
veau triomphe de son ami, Fétis traduisait en somme 
l'impression du momeat en écrivant: n Celui qui, 
par la grandeur de ses conceptiooa, par la force de 
son'sentiment dramatique, par sa profonde connais- 
sance des ressources de l'art et par ToriginalUé de 
son style, a remué le monde comme ill'a fait, comme 
il le fait encore, celui-là est un grand artiste, il le 
sera toujours. » 

Le Pardon de Ploërmel n'eut pas cependant, nous 
l'avons dit, tout le succès qu'on en pouvait attendre. 
Si, comme le souhaitait le compositeur, a la critique 
lui fut légère », le public parut surpris. Incertain, et 
cette incertitude se traduisit par un ensemble de re- 
présentations moins soutenu que pour VEloile du 
Nord. On en peut juger par le décompte suivant : 

Pour 1859 : avril. Il ; mai, 15; juin, 6; octobre, 8 ; 
novembre, 12 ; décembre, 3 ; soit 55 représentations 
la première année, avec une moyenne d'environ 
6, 100 francs par soirée (195,000 francs pour les 32 pre- 
mières représentations). 

Pour 1860 : janvier, 8 ; février 6 ; mars, 4 ; avril, 2 ; 
septembre, 1 ; octobre 4 ; novembre, 7 ; soit 32 repré- 
sentations la seconde année. 

Total, 87 en deux ans; et une interruption se pro' 
duisit alors, telle qu'on aurait pu croire l'ouvrage à 
jamais oublié. Vainement on tenta de le reprendre 
en 1863, à propos d'une rentrée de M"" Oabel ; ce fut à 
l'Étoile du Nord qu'on revint quatre années plus tard, 
en 1867. Il faut aller jusqu'à 1874 pour retrouver le 
Pardon de Ploërmel, qui se joua alors 35 fois, puis 



1859 313 

59 fois de 1881 à 1884, et enân U fois en 1886. A cette 
date, le total général des représentations s'élevait 
donc'au chiffre, relativement modeste pour une telle 
œuvre, de 192. 

Sa réussite fut beaucoup plus grande à l'étranger, 
à Londres en particulier, où, d^s la première année, 
M"" Carvalho chanta le rôle principal à côté de Cra- 
ziani (Hoël) et de Gardoni (Corentin), avec une in- 
comparable virtuosité. Qui sait même si, désignée 
par l'auteur au lieu de M"* Oabel, elle n'eût pas 
à Paris assuré à l'ouvrage de plus brillantes desti- 
nées 7 Au surplus, la distribution primitive ne devait 
pas tarder à se modifier; une indisposition prolongée 
de Faure obligeait la direction de confier le person- 
nage d'Hoëlà Troy d'abord, puis en ISfiO à M"" Wer- 
theimber, revenue à l'Opéra-Oomique et, par un sin- 
gulier chassé-croisé, remplaçant ainsi Faure, comme 
celui-ci l'avait jadis remplacée dans Galatêe. Avant 
ce moment M"' Monrose avait succédé à M"' Cabel, 
et l'on ne retrouvait plus guère, fidèles à leur poste, 
que 8ainle-Foy, l'inimitable Corentin, Warot, le 
faucheur, et Barrielle sous les traits de celui qu'on 
appelle aujourd'hui ,un chasseur, et que les affiches 
d'îdors désignaient ainsi : un braconnier. 

Mais avant d'atteindre cette époque, il nous faut 
dresser l'acte de naissance, ou, pour parler plus jus- 
tement, l'acte de décès des œuvres nées au cours de 
1659, car la plupart ne sont venues au monde que 
pour disparaître aussitôt. Il en faut excepter, tou- 
tefois, le Diable au moulin, un acte représenté le 
13 avril, dont Cormon et Carré avaient écrit le livret et 
M. Gevaert la musique. C'était l'histoire de laMéchante 
femme mise à la raison ou la Sauvage apprivoisée de 
Shakespeare, avecinterversion des rôles. Ici, ladouce 



,X">()0>^le 



3]4 LE SECOND OUVIIAGE DE UEY8JIBBBR 

Marthe épousait par dévouement le brutal Antoine, 
puis, pour corriger bod mari, imitait son défaut,rexa- 
géi-ait même et, en se faisant plus ira:icible que lui, 
opérait en Gn ie miracle d'une conversion; la paix 
rentrait dans le ménage et les coups ne pleuvaîent 
plus. Signée par un véritable musicien, la partition 
fut lestement enlevée par M"' liefebvre, dont ce fut 
la dernière création avant son mariage avec Faure^ 
grande cérémonie qui eut lieu à Sèvres, dans l'église 
Saint-Romain, le 4 juin suivant; par Mocker, Pon- 
chîtrd et M'" Lemercler, ces trois artistes remplacés 
l'année suivante par Ambroise, Bertbelier et M"' Dé- 
lia. Avec ses divers interprètes, leDiable au moulin, 
qu'on avait un instant répété sous le nom bizarre 
de l'Ane rouge, se maintint cinq ans au répertoire et 
atteignit le chiffre honorable de 69 représentations. 

Il n'en fut pas de même d'un autre acte, joué le 
10 août, sous ce titre : ie Rosier, qui d'ailleurs expliquait 
peu la pièce, car on n'y voyait point de roses, mais 
uu jeune docteur pris entre deux amours, celui d'une 
veuve qui lui veut du bien, et celui d'une jeune fille 
qui par ses soins lui avait sauvé la vie en un tempti 
où elle portait la cornette de religieuse. A. Ghallemel 
avait tracé ce livret assez gracieux, et, contrairement 
aux usages de la maison, très « moderne « ; H. Po- 
tier en avait écrit la musique assez agréable; on 
accorda môme une certaine popularité à la romance 
du Rosier, madiigal dont la botanique faisait natu* 
rellenient les frais, et servait à éclairer le principal 
personnage sur la nature de ses sentiments. Les deux 
couplets étaient bien« dits » plutôt que chantés par 
un débutant, Ambroise, lequel avait l'habitude des 
planches, car il venait des Variétés ; ce qui flt dire 
plaisamment et non sans raison qu'il chantait au 



1859 315 

boulevard Moutmartre et qu'il jouait au boulevard 

des Italiens. A ses côtés figurait aussi une débutante, 
mais celle-ci bien novice, et qui ne flt que passer, 
M"' Marietta Guerra, sœur d'une cantatrice que l'on 
avait entendue aux Italiens en 1858. Dans c« même 
rôle de Berthe, une autre débutante lui succéda le 
2 octobre, W" Emma Bélia, sœur de Zoé Bélia. 

Le 12 août, deux jours après Je Rosier, J'Opéra-Oo- 
mique donnait encore un acte, ^e Voyage autour de ma 
chambre, qui n'avait de commun que le litre avec la 
célèbre fantaisie de Xavier de Maistre. C'était un 
vaudeville gai, presque trop gai, écrit pnr Ouvert et 
Lausanne en vue d'Arnal, et accommodé avec une 
sauce musicale par Grisar en vue de Coudorc. Cet 
excellent artiste y tenait le rôle d'un voyageur qui, 
parti pour l'Amérique sous couleur d'héritage à 
recueillir, revient en hâte, car il a oublié certains 
papiers nécessaires ; mais il trouve sa chambre occu- 
pée par une petite dame et un petit jeune homme qui 
ont profité de son absence pour s'installer dans ses 
meubles, et dès lors il a maille à partir avec un mari 
jaloux et terrible, avec un concierge fantaisiste, avec 
un sergent du guet, avec des voleurs même, jusqu'au 
moment où tout se dénoue par un mariage. La pre- 
mière impression de ce spectacle fut favorable. L'ou- 
vrage n'eut cependant que 23 repi-ésentations. 

Moins solide encore fut la Pagode. On pouv.iit s'y 
attendre, si l'on songe à la bizarrerie du sujet, au 
mérite contestable de lapartition et aux circonstances 
particulières dans lesquelles l'œuvre avait vu le jour. 
Le livret de Saint-Georges présentait, dans un cadi e 
indien, les ruses d'un prêtre battaut monnaie avec 
une enfant trouvée qu'il a recueillie et qu'il fait passer 
pour fille du ciel aux yeux desnaïfs indigènes. Du com- 



316 LE SECOND OOTRAGE DK U8YERBBBR 

positeur nommé Pauconuier, on sait peu de chose, 
sinon qu'il était Belge, car il n'a point jeté grand 
éclat dans le ciel musical. Clément, dans son Diction- 
naire, lui attribue un opéra- comique en un acte, Un 
An d^avenir, représenté à Bruxelles a vers 1850 », 
dit-il. Or, dans son Répertoire dramatique belge, ou- 
vrage si complet cependant, M. Alexandre Dupont 
n'en fait pas même mention. Ce dont on ne saurait 
douter, c'est que le compositeur avait un protecteur 
influent, mais resté mystérieux, qui prétendait lui 
ouvrir les portes de l'Opéra. C'est ainsi que laPagode 
avait d'abord été présentée à M. Crosnier, qui la 
passa à son successsur, Alphonse Royer, lequel feignit 
de l'oublier. Alors on recommença Les mêmes démar- 
ches à ropéra-Oomique, et la pièce fut reçue par 
Emile Perrin, qui la céda à son successeur, Nestor 
Roqueplan, lequel eut la conscience de l'exécuter 
enfin. Le public se méfie de ces sortes d'ouvrages, 
imposés en quelque sorte aux directeurs ; il y répond 
par l'indifférence. Tel fut le sort de cet opéra-co- 
mique en deux actes, né le 26 septembre, et moH à 
l'âge de sept soirées. 

Plus heureux que Fauconnier, M. Limaander, un 
autre Belge, s'était fait depuis longtemps une place 
honorable à la salle Favart ; il y avait même changé 
pour son usage personnel le vocabulaire usité dans la 
maison, car il y apportaittoujours, non pas un opéra- 
comique, mais un drame lyrique. Ce mot, qui de- 
puis a connu d'autres destinées, nous surprend 
aujourd'hui appliqué à des œuvres comme celles de 
Limnander, où les couplets abondent, et où les prin- 
cipes waguériens ne reçoivent encore aucune appli- 
cation. Le compositeur déoommait ainsi ses pièces, 
parce qu'il affectionnait les sujets un peu sombres et 



1859 317 

les situations plus dramatiques que comiques. C'était 
le cas de l'ouvrage eu trois actes représenté le 
29 noTembre, et baptisé successivement les Blancs et 
les Bleus, puis l'Yonne la Fermière, et finalement 
Yvonne tout couri, comme l'opuscule du prince de la 
Moskowajouésurla même scène quatre années aupa- 
ravant. Ici l'on assistait aux luttes sanglantes des 
Vendéens et des républicains. Scribe avait puisé 
l'idée première de son livret dans une nouvelle de 
M. d'Herbauges et n'avait pas craint de traduire en 
scène îes passions politiques les plus vives. Son colla- 
borateur l'avait suivi dans celle voie, et mêlait dans 
le prélude du troisième acte l'air de Vice Henri IV 
avec le Chant du départ, ce qui, en plein Empire, 
pouvait passer pour un coup de hardiesse. Le prin- 
cipal rôle était con&éàune actrice qui quittait t'Opéra 
pour rOpéra-Comique, après avoir quitté l'Opéra- 
Oomique pour l'Opéra : M"° Wertheimber en effet 
venait de jouer Fidès, et dans Yvonne elle figurait 
encore une mère aux prises avec le devoir et l'affec- 
tion. A un certain moment la pauvre femme devait 
se contraindre et épargner le meurtrier de son fils, 
que le hasard lui livrait, pour ne pas désobéir aux 
derniers vœux de cet enfant et assurer le bonheur 
de sa fille. 

Au bout de 18 représentations. les trois actes de 
Limnander cédèrent la place aux trois actes du comte 
Gabrielli, Don Gregorio, joué le 17 décembre. Le sujet 
n'en était pas nouveau, car depuis longtemps on con- 
naissait le Précepteur dans l'embarras, cette jolie 
comédie écrite en italien par un Français d'origine, 
le comte Giraud. Le jour oii une traduction française 
lui fit passer les monts, tous les adaptateurs s'en em- 
parèrent, et juillet 1823 ne vit pas éclore à Paria 



318 LB SECOND OUVKAGE DB UBYBRBEBR 

moins de quatre versions, toutes en un acte, de cette 
amusante bouffonnerie. L'anuée suivante Donizetti 
en donnait à Rome une adaptation musicale, sous 
son titre primitir, l'Ajo nell imbarazzo. II appartenait 
à Sauvage et de Leuven d'en tirer, trente-cinq aus 
plus tard, une dernière mouture h l'usage de la salle 
Favart, et de conter à nouveau, comme écrivait Paul 
de Saint-Victor, « l'iiistoire de ce précepteur, orga- 
niste comme don Basile et naïE comme Michel Perrin, 
qui se démène au milieu d'une tentation grivoise 
d'écoliers, de soubrettes, de dragons et de comé- 
diennes, H Appelé d'abord Péché de Jeunesse, ce Don 
Gregorio ne manquait pas de gaieté, et Couderc per- 
Bonni&aît à ravir le personnage principal. Mais pour 
dessiner mueicalemeut ce type original, il fallait une 
autre plume que celle du comte Gabrielli, dont le 
plus grand mérite élait d'être bien en cour. 

Cette faveur d'un Italien comme le comte Gabrielli 
est très symptomatique ; elle correspond manifeste- 
ment à un état de choses qui n'existe plus ; elle 
montre, par un nouvel exemple gui s'ajoute à tant 
d'autres, combien alors les musiciens étrangers 
étaient tenus en amitié, et quelle hospitalité géné- 
reuse leur accordaient les théâtres parisiens. 

En 1859, par exemple, dans cette salle Favart 
avaient paru sept nouveautés; une seule était d'un 
Français, le Rosier; un Allemand, Meyerbeer, avait 
écrit le Pardon de Ploërmel; un Italien, Gabrielli, 
avait écrit Don Gregorio 'et quatre Belges avaient 
écrit le Diable au moulin, le Voyage autour de ma 
chambre, la Pagode et Yvonne, soit Gevaert, Grisar, 
Fauconnier et Limnander. On le voit, l'hospitalité que 
Bruxelles donne aujourd'hui à nos compositeurs, est 
comme le paiement d'une dette autrefois contractée. 



1859 319 

Un fait explique, à quelques égards, la faveur dont 
jouissaient notamment alors les œuvres venues de 
la Péninsule : la France et l'Italie marchaient au 
combat, la main dans la main. Ainsi, le 7 juin, on 
fêtait la victoire de Solférioo par l'esécution d'une 
cantate avec chœurs intitulée Italie, et dont Saint- 
Georges avait composé les paroles et Halévy la mu- 
sique. Les interprètes s'appelaient Montaubry, Troy, 
Jourdan, Crosti, M"" Faure-LeCebvre, et le succès fut 
tel qu'on en donna quatre autres auditions dans. le 
même mois, le 8, le 10, le 27 et le 29; pour les deux der- 
nières, Warot avait remplacé Montaubry. Le 15 août 
devait être exécutée une nouvelle cantate, écrite par 
M, Duprato sur des paroles de M. Trianon et conLée 
à M'" Wertheimber, qui la servit au public deux 
jours de suite. 

A côté de ces solennités en quelque sorte olQcielles, 
on pourrait en rappeler d'autres d'ordre plus exclu- 
sivement artistique ; celle, par exemple, du 23 avril, 
concert spirituel où flgurait, parmi les numéros 
du programme, l'Enfance du. Christ, de Berlioz. 
L'exécution de l'œuvre avait lieu sous la direction de 
Berlioz lui-même, cet incompris qui, dans la précé- 
dente élection à l'Institut, se présentant contre Am- 
broise Thomas, n'avait même pas obtenu une voix, 
cet enfiévré qui voyait le ridicule s'uttacher à ses 
œuvres comme à sa personne, ce compositeur de mu- 
sique ù programme que visait assurément Emile 
Augier, lorsqu'il poussait jusqu'à la charge le por- 
trait de Landara dans une œuvre aujourd'hui peu 
connue, Ceinture dorée. Simple souvenir : deux ar- 
tistes participaient à ce concert eu qualité d'accom- 
pagnateurs, dont les noms sont connus de tous, mais 
dont les destinées devaient être bien différentes : 



320 LE SECOND OUVRAGE DE UBYBRBEBR 

Théodore Elitter, qui finit si misérablement, et Au- 
guste Durand, le sympathique éditeur et composi- 
teur parisien. 

KappeloQS aussi d'autres soirées plus directement 
liées à l'histoire ordinaire de la salie Favart, puis- 
qu'elles marquent quelques reprises importantes, par 
exemple, le 19 avril, Fra Diavolo, avec Montaubry 
gui, dans ce rôle où il devait exceller plus lard, donna 
d'abord prise à certaines critiques. On jouait préci- 
sément cet ouvrage !e i2 mai, lorsque se produisit 
un incident bizarre et effrayant à la fois, dont le récit 
fit le tour de la presse k cette époque, n Vers la fin 
du premier acte, on vit tout à coup une jeune femme 
enjamber le rebord de la deuxième galerie pour se 
précipiter dans la salle ; l'insiinct de la conservation 
la retint un instant, et, se cramponnant au velours, 
elle demeurait suspendue dans le vide. On put la 
ressaisir enfin, et elle se trouva mal, ainsi d'ailleurs 
que bon nombre de speclatrices, témoins de cette 
scène. Revenue à elle, la malheureuse déclara se 
nommer Estelle D,, âgée de vingt-huit ans et demeu- 
rant faubourg Saint-Honoré ; et, ce disant, elle re- 
tira vile de son corsage uneletire qu'elle déchira. On 
sut alors qu'un désespoir d'amour l'avait déterminée 
à se suicider, et l'on constata en effet que dans son 
domicile elle avait tout préparé pour recevoir sa dé- 
pouille mortelle, jusqu'au linge où elle devait être 
ensevelie » 

Moins troublée, heureusement, fut la représenta- 
tion du 25 juin pour une reprise des Mousquetaires 
de la Reine avec interprèles nouveaux : Montaubry 
(d'Entragues), Mocker (Biron), Barrielte (Roland), 
Leprince (Créqui), Davoust (Gontaut), Duvemoy {le 
grand-prévôt), Ooutan (Narbonne), Ed. Cabel (Rohan), 



1859 331 

M"" Paure-Lefebvre (Berthe de Simiane), Henrion 
(Athénaïs), Casimir (la grande-mallresse). Une autre 
reprise, celle de VAmbassadrice, servit le 18 juillet 
pour le début, dans le râle d'Henriette, d'une an- 
cienne élève du Conservatoire, M"' Cordier, qui re- 
venait des États-Unis et se voyait honorablement 
accueillie à câté de Jourdan, Nathan, Ponchard, 
M"" Lemercier, Révilly, et Oasimir, Enfin, le 
22 septembre, reparut un ouvrage qu'on semblait né- 
gliger depuis quelque temps, le Songe d'une nuit d'été, 
avecMontaubry (Shakespeare), Crosti (Palstaff), Warot 
(Latimer), Nathan (Jérémy), M"' Bélia, (Olivia), et 
une débutante, M"' Monrose (Elisabeth), petite-flUe du 
comédien de ce nom et élève de Duprez et de Mocker. 
«. Son noble profil, écrivait alors Henri Boisseaux, a 
les arêtes finement découpées que les anciens don- 
naient à leurs déesses. H y règne en même temps 
cette passion tempérée par de charmants sourires, 
dont le regard et la bouche de Marie Stuart savaient 
si bien le secret. » (7 !) 

Au cours du récit qui précède, presque tous les dé- 
butants de l'année 1859 ont été mentionnée, savoir, 
par ordre de date : M'" Breuillé, M"" Enjalbert, 
M'" Cordier, M. Ambroise, M"« Marietta Guerra, 
M"" Monrose, M"* Emma Bélia; à ces noms il con- 
vient d'ajouter M'" Faigle qui, le 27 juin, débuta mo- 
destement dans le Chalet (rôle de Betly) ; M. Oaus- 
sade, sorti en 1859 du Conservatoire, où il avait ob- 
tenu le deuxième prix d'opéra-comique et le deuxième 
accessit de chant, et qui débuta le 22 août dans les 
Chaises à porteur (rôle du chevalier); M"' Geoffroy, 
venue des BouiFes-Parisiens, oii elle jouait sous le 
nom de Coralie Guffroy, jeune et belle personne qui 
débuta le 26 septembre dans la Pagode (rôle de Na- 



3ZÏ LE SECOND OUVRAGE CE HEYSRBBER 

didja) ; enfin M. Holtzem, qui débuta le 3 octobre 
dans la Filte du Régiment (rôle de Tonio). AiBSÎ se trou- 
vait compensée la perte de quelques artistes coinme 
M"° Dupuy, qui, engagée à la Monnaie de Bruxelles, 
revint, il est vrai, l'année suivante à la salle Favart. 
comme M"' Delacroix, également engagée àBruxelles ; 
comme Delaunay-Ricquîer, enlevé par le Théâtre- 
Lyrique auquel il appartenait, quand il épousa le 
27 octobre sa camarade M"° Lhéritier. Vers le mémo 
temps, d'autres mariages d'artistes étaient signalés 
(outre celui de Faute avec M"' Lefebvre) : celui de 
Bertbelier avec M'" Boin et celui de M"* Ugalde, née 
Beaucé, avec M. Varcollier. 

Mais, de tous ces déplacements, allées et venues, 
le plus fâcheux pour la prospérité du théâtre devait 
être celui qui, décidé alors, s'effectua au début de 
l'année suivante, le départ de Faure. Ce départ, suivi 
4e près prir la retraite du directeur Roqueplan, con- 
tribua à déterminer une crise pressentie depuis 
quelque temps déjà, et qu'un succès plus fructueux 
du Pardon de Ploërmel eût peut-être seul conjurée. 

Quelque succès qu'il ait obtenu, l'ouvrage de 
Meyerbeer n'en fixe pas moins une date dans l'his- 
toire de la salle Favart. Nombre de compositeurs 
avaient essayé d'élargir le cadre de l'Opéra- Co- 
mique ; avec VEioile du Nord et le Pardon, Meyer- 
beer le fit presque éclater. Au lendemain de cette 
rude poussée, les nouveHes œuvres coulées dans le 
moule ancien devaient sembler grêles et médiocres ; 
de là un temps d'incertitude et d'insuccès. Plus 
tard, nous montrerons la victoire déanitive rem- 
portée par ceux dont le génie souple et mesuré a su 
mettre à profit les conquêtes du présent pour les re- 
nouer adroitement à la saine tradition du passé. La 



1859 323 

fusion des deux styles est le principe qui domiijera la 
seconde période de l'histoire que nous avons entre- 
prise. L'opéra mixte s'imposera au goût. des musi- 
ciens comme à la faveur du public, et c'est de ce . 
genre tempéré que relèveront les œuvres nouvelles 
dont le succès sera le plus brillant et le plus durable, 
l,aUa Roukh, Mignon, Carmen, Lahmé et Manon, 



D.3l.za..ïGOOgle ■ 



,l.:e..ïG00'^le 



TABLE 



JEréfack. 



Chapitre préuiunaire, ~ Les stations de l'Opéra - 
Comique avant i840 

CHApnsE II, — L'ouTertare du nouveau théâtre, La 
347» représentation du iVé aux Ctercs. 1840. . . . 

Chapubk m. — Le nouveau et l'ancien répertoire. Les 
Diamants de la Couronne; le Liable à l'École et la 
Part du Viable; Richard Cœar de Uon, Camille, les 
Deux Journées, Jeannot et Colin et te Uailre de Cfta- 
pe«e.48Jl-1843 

Chapitre IV. — Premier chaDgement de direction. La 
Sirène. Reprises du Déserteur, du Délire, d'Une folie 
et de Monsieur Descltalumeaax. i8J3-JS45. .... 

Chapitre V. — La succession de H. Crosnier. Les 
Mousquetaires de la Reine elHaydée. iSiS-iSil. . . 

(^AFiniG VI. -~ Une période critique. Reprise de la Fille 

du Régiment. 1848 .,......., 

49 



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